FACULTE DES SCIENCES
INSTITUT DES SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
(1. S. E)
ANNEE ACADEMIQUE 1983 - 1984
Essai sur l'environnement et les systèmes socio-économiques
THESE DE DOCTORAT DE 3ème CYCLE
en Sciences de l'environnement
présentée par
Cheikh Ibrahima NIANG
devant un jury composé de :
Président
A. Tidiane BA
Rapporteur : 'M. SINGLETON
Membres
A. Bara DIOP
Cheikh A. DIOP
A. TIBESAR

li LA MEMOIRE DE MON PERE CHEIKH SIDIYA NIANG
A MA l4ERE,
A NDEYE ET AEDOU NDIAYE
KHADY ET YOUSSOUPHA FAYE
A AMINATA DIALLO

TRANSCRIPTION DES TERMES WOLOF, PULAAR ET XASAANIA
-=-=-=-=-
Les termes Wolof, PuLaar et Xasaania figurent en italique dans le
texte.
- ~~_~~~~F :.Les lettres suivantes ont la même valeur phonétique que dans l'alpha-
bet latin utilisé pour la langue française(I).
a) - Consonnes
Couteau
Nez
Avoir soif
Ramasser
Pluie
Courrir
Dormir
est toujours sourd comme dans "si" et non Slmore
comme dans "base" ;
Sol
est toujours roulé
Etre joli
Bracelet
r"aison
est toujours prononcé occlusif comme dans "gare"
et non constructif comme dans "page"
Arbre
Marmite
Pagne
...................... ; .. ~~
.
(1) - Extrait du lexique Wolof-Français, Tome l, CLAD, Dakar, 1977 cité par
A. Bara Diop dans la Société Wolof.
1
• 1


- 4 -
Les lettres suivantes empruntées à l'alphabet latin ont dans l'alpha
bet officiel du Sénégal la valeur phonétique suivante :
a) - Consonnes
c
approximativement ce qu'on entend en français
dans "tiens"
;
caabi
Clé
j
Approximativement ce qu'on entend en français
dans "dieu"
jabaY'
Epouse
n
Existe en français dans "agneau"
naw
Coudre
x
Ce son existe en espagnol
~jota) et en allemand
(achlant)
xalam
Guitare
q
Ce son existe en arabe (qrib
proche)
naq
Sueur
w
Existe en français dans "oui"
woo
Appeler ;
fi
Ce qu'on entend en français dansles mots emprun
tés à l'anglais "parking"
;
fiaam
(!pam)
Machoire
b)
-
Voyelles
a
Ce son est plus fermé qu'un "a" français,
mais
plus ouvert que "ë" ;
lal
Lit
à
C'est le son du français;
làkk
Parler une langue étrangère
e
C'est le son è ou ê du français
(père,
tête)
il n'est jamais prononcé central comme dans
p e t i t ;
set
Propre
· /.

-5-
ë
C'est le son "e" français comme dans demain
bët
Oeil
0
C'est le "0" ouvert de pomme
gor
Abattre un arbre
0
C'est le "0" ferme de beau, chose
jog
Se lever
u
C'est le son "ou" du français de trou
bukki
Hyène
Les doubles voyelles transcrivent des voyelles
longues
suuf
Sol
Les doubles consonnes transcrivent des consonnes
fortes
bakkan
Nez.
EN PULAAR
Nous nous sommes basés sur l'alphabet édité par le Secrétariat
d'Etat à la Promotion Humaine. Pour l'essentiel les lettres ont
les mêmes valeurs phonétiques que dans l'alphabet Wolof. S'y ajou-
tent cependant :
E
Putaar (labiale)
Eateejo
Noir
D Pulaar (palatale)
Deux
""y Pulaar
Yiya7,
Os
Er. XA8AANI A
Nous avons donné aux lettres utilisées les mêmes valeurs phoné-
tiques qu'en Wolof.

1 - - -
1
N T R 0 DUC T O N
"Il n'est que là où il se reconnaît
continuateur et héritier légitime de
son passé que l'homme trouve la force
pour de nouveaux commencements"
J.
Jahn
La zone du Lac de Guiers se trouve en milieu sahélien, dans la partie
la plus septentrionale du Sénégal; sa situation résume tout le drame du Sahel
et des pays sahéliens.
Depuis plus d'une décénie,
le déficit pluviométrique et la baisse du
niveau des crues sont devenus pratiquement des réalités courantes.
Chaque année,le déboisement progresse avec une ampleur angoissante ;
les sols s'épuisent et s'appauvrissent;
le désert avance sur de nouveaux espaces
les récoltes des cultures hivernales se font dérisoires,
on s'accroche -mais pour
combien de temps encore- sur les cultures de décrue;
les jeunes et les moins jeune
hommes et femmes quittent le pays pour les villes,
horizons plus prometteurs;
la zone du Lac de Guiers s'appauvrit de ses bras qu'elle n'arrive plus à nourrir.
Il a fallu vivre auprès de ce peuple débordant de chaleur et d'hospita-
lité pour découvrir,
de manière brutale, cette réalité élémentaire que, pour la
plupart des paysans et éleveurs, assurer sa nourriture journalière est une lutte
quotidienne,
inévitable, menée au jour le jour avec angoisse et incertitude~.
Le spectacle annuel des hécatombes du bétail mort de soif et de faim
est devenu presque routinier,
l'éleveur si attaché à ses bêtes, vend celles-ci
au centième de leur valeur habituelle pour ne pas les voir mourrir de faim.
·/ .

- / -
Le fait d'avoir vu à une dizaine de km du Lac tout un campement Peul
se mobiliser la nuit pour chercher en vain quelques gouttes d'eau que réclame un
enfant agonisant, rend
à lui seul,
obstinément présent l'épineuse et dramatique
question de l'eau dans cette zone.
La zone du Lac de Guiers est un pays qui se meurt et qui ne peut laisse
insensible quiconque aura partagé la vie de ces populations.
Cependant, cette zone n'a pas toujours vécu cette situation éprouvante.
Le Lac de Guiers a été au coeur d'un pays (le Waalo)
qui serait, naguère,
le ber-
ceau de la civilisation Wolof,
le lieu de brassage et d'épanouissement ~e peuples
d'origines diverses.
La tradition orale et les témoignages écrits par des Euro-
péens ne laissent aucun doute sur la richesse de la faune et de la végétation de
cette zone avant la colonisation. Ces mêmes témoignages montrent que les habitants
vaquaient à des occupations prüspères
; l' autos'uffisance alim"entaire, voire l' indé-
pendance économique, étaient maîtrisées par les unités sociales de bases (les conce
sions), elles étaient une réalité de base de cette société dont les systèmes de
familles,l'organisation sociale et la structure politique en portent les marques.
Si des civilisations se sont épanouies dans cette zone,
ce n'est pas
uniquement parce que celle-ci présentait des conditions naturelles favorables
c'est surtout parce que les civilisations ont su tisser des rapports internes
équilibrés et des rapports à l'environnement dans 'lesquels s'est inscrit leur
économie. En réalité,
comme l'indique Touraine "il n'est jamais possible de dire
qu'une société doit s'adapter à son environnement qui n'existe donc pas indépendam-
d
l
'
l
1 " 1 d
" ' t '
(1)
ment
e
'action exercee par
a connaissance et par
e traval
es SOCle es
.
Il existe d2ns la société traditionnelle des modèles économiques, sociaux
et politi
ques
qui ont su intégrer dans leurs dynamiques des modèles de relation à l'envi-
ronnement.
Les systèmes économiques
traditionnels intègrent dans leur fonction-
nement des politiques prévisionnelles de l'environnement dont les objectifs visent
la protection et la régénérescence du milieu naturel dans un contexte culturel et
philosophique où l'homme réaffirme sa dépendance vis-à-vis de la nature. Par contI'
dans le système économique européen qui a,
par la suite dominé cette zone, les
équilibres écologiques et la rentabilité économique sont dichotomiques,
exclusifs.
(1)
-
A.
Touraine: pour la sociologie,
Ed.
du Seuil, Paris, 1974, p. 37
./ .

-8-
L'étude des modèles et des systèmes traditionnels est une nécessité
théorique non pas pour postuler un hypothétique retour à un passé mythique, mais
pour agir sur le présent.
Ce sont des rapports de
forces politiques et économiques et leurs prolor
gements institutionnels et culturels qui sont fondamentalement la base. du drame
sahélien actuel. Trouver des solutions présentement, c'est, à terme, bouleverser
ces rapports.
Se retremper dans le passé n'est pas une attitude contemplative et
nostalgique, c'est une condition
de possibilité du dépassement révolutionnaire;
"les hommes font leur histoire,
a écrit Karl Marx,
mais il ne la font pas arbritrai-
rement,
dans les conditions choisies par eux,mais dans des conditions directement
données et héritées du passée.
La tradition de toutes les générations mortes pèse
d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Et même quand ils semblent oc-
cupés à se transformer,
eux et les choses,
à créer quelque chose de tout à fait
~ouveau, c'est précisément à ces époques de crises révolutionnaires, qu'ils évo-
quent craintivement les esprits du passé,
qu'ils leur empruntent leurs noms,
leurs
mots d'ordre,
leurs costumes,
pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire
sous ce déguisement respectable avec ce langage emprunté,,(l). Cependant,
la réfé-
rence au passé, si elle débouche sur l'action révolutionnaire,
n'en est pas moins
une attitude critique vis-à-vis de ce même passé;
ainsi,
selon Cheikh A. Diop
"les intellectuels doivent étudier le passé non pour s'y complaire,mais pour y
o
d l '
'
t
d
.
1
t '
, , , ( 2
0
pUlser
es
eçons ou s en ecar el' en connaIssance
e cause SI ce a es
necessalre
Mais,
au-delà de la prise de position politique,
la recherche scienti-
fique,
elle-même amène à une intégration de la dimension historique dans l'analyse
des phénomènes sociaux.
"L'anthropologie culturelle -note E. Sapir- se considère
de plus en plus comme une science strictement historique.
Les données qu'elle ras-
semble restent incompréhensibles à la fois en elles-mêmes et dans leurs rapports
réciproques,
tant qu'on ne les interprète pas comme des aboutissements de séries
,
of'
a"
-
t
t
t
-
-
' ] '
,,,(3)
l
~
d '
specl lques
evenemen s remonan
a un passe eOlgne
. Dans
e mefue ordre
ti~ee
Cheikh A. Diop explique:
"sans la dimension historique, nouS n'aurions jamais eu
la possibilité d'étudier l'évolution des sociétés, de faire un va-et-vient du niveau
l
.
" ( 4 )
e th no 1
·
0

oglque au nlveu SOCI0 oglque
.
. . .. .. . ... . . . . . . ... .. ... . . . . . . . . . . . . . ... .. ... . . . . . ........ . . . '"
'"
.
(1) - K.
Marx: Le 18 Brumaire
de Louis Bonaparte! Ed.
sociales, 1968, p.
15
(2) -
C. A. Diop: L'unité culturelle de l'Afrique noire, Présence Africaine, Ed.
1982, p.
9.
(3) - E. Sapt~ : Anthropologie, Ed. Minuit, 1967, p. 209.
(4) - C. A. Diop: Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, 1981, p. 13 .
./ .

-9-
L'intégration de l'histoire dans la recherche anthropologique est, en
fait,
une option théorique.
En prenant le
contre-pied de l'évolutionisme anthropo-
logique classique,
les courants structuralistes et fonctionnalistes avaient pra-
tiquement exclu l'histoire de leur préoccupation théorique;
ainsi ils en étaient
arrivés à nier toute dialectique historique dans les sociétés non occidentales qui,
dès lors,
apparaissaient comme figées,isolées,
artificiellement cloisonnées.
Le
dépassement épistémologique de ces courants suppose une réintroduction nécessaire
de l'histoire qui,
cependant,
se fera sur des bases différentes de cellelde l'évo-
lutionnisme ; P. Mercier remarque à ce propos:
"certes,aussi bien le fonctionna-
lisme que le structuralisme vont privilégier l'étude synchronique aux dépens de
l'étude diachronique à une anthropologie qui se voulait avant tout histoire cul-
turelle,
s'en oppose une autre pour laquelle cela est vaine recherche. ~is les
préoccupations relatives aux changements sociaux et plus généralement à la dynamiqu
socio-culturelle, raviveront l'intérêt historique. Et en contre-coup, c'est l'his-
toire qui prendra son cours propre,
non seulement à propos de la période récente
o~, selon les critères classiques, elle peut être faite, mais également des période,
plus anciennes o~ on la croyait définitivement impossible ,,(1)
Ainsi,
les données de l'histoire récente de la zone du Lac de Guiers
tout comme celles recueillies aussi loin que l'on puisse remonter l'histoire afri-
caine permettent de jeter un éclairage sur le présent ; on ne peut nier les héri-
tages culturels millénaires que les peuples véhiculent, se transmettent ou quelque-
fois en rejettent certains aspects,
sans encapsuler les populations dans un fixisme
somme toute idéologique. Certes le diffusionnisme et l'évolutionnisme classique,en
raison de leur faillite théorique suscitent des réactions de rejet dans le domaine d
0ciences sociales mais le caractère européocentrique qui les anime
se retrouve
également dans les courants inverses.
Finalement la réintroduction de l'histoire
tout comme l'analyse structura}e des sociétés africaines suppose nécessairement
une rupture fondamentale avec l'européocentrisme dans le domaine des sciences so-
ciales.
Aujourd'hui,
il semble difficile après les travaux de Cheikh Anta Diop,
de procéder à l'étude d'un peuple africain en l'isolant de son histoire millé-
naire et en niant les traits qui l'unissent aux autres peuples et mettent en relief
la profonde unité culturelle de l'Afrique.
(1) - P. Mercier: Histoire de l'anthropologie, Presses Universitaires de France,
1971, p.
136.
'/'

-10-
Les études sur les populations actuelles de la zone du Lac de Guiers ne
peuvent alors se faire sans une analyse -ou tout au moins, un survol- de ~eur his-
toire ancienne,
de leur migration millénaire,
de l'identité de certains de leurs
traits culturels avec des populations africaines apparentées.
La perspective théorique qui se trouve ainsi dégagée est celle expli-
citée par Cheikh A. Diop quand il affirme:
"dans la mesure où la civilisation
égypto-nubienne marque l'étape la plus ancienne de notre culture, force nous est
de renouer avec celle-ci dans tous les domaines si l'on veut bâtir un corps de
sciences humaines.
L'Egypte est au reste de l'Afrique Noire ce que la Grèce et
Rome sont à l'Occident,,(l).
Mais à partir de ce moment se pose avec pertinence la question des
méthodes de recherche et de production scientifique.
La délimitation
de production scientifique. Elle
fique.
Pour plusieurs raisons
à l'histoire de
ses membres fondateurs,
ou simplement à la
déplacement,
l'Institut des Sciences de l'Environnement orienta ses premières
promotions d'étudiants (à laquelle je faisais partie) à effectuer leurs recher-
ches de terrain dans la zone du Lac de Guiers.
La zone du Lac de Guiers n'est pas une entité propre; elle ne présente
une spécificité profonde ni sur le plan de la géographie humaine,
ni sur celui de
l'histoire,
ni sur celui de l'écologie,
encore moins sur le plan de la sociologie
de ses populations .
................................................ ....................................
(1) - Cheikh Anta Diop: Parenté génétique de l'Egyptien pharaonique et des langues
négro-africaines~ N.E.A., Dakar - Abidjan,1977, p. XXV.
./ .

-11-
Du point de vue historique,
la zone du Lac de Guiers appartient au
Waalo dont elle était au coeur des dynamiques socio-politiques. Le peuplement de
la zone du lac est inséparable de celui du Waalo,
on y retrouve les mêmes popu-
lations qui partagent le même passé et les mêmes identités culturelles et ethni-
ques. Sur le plan écologique, la zone du Lac de Guiers est étroitement intégree
au delta du fleuve Sénégal.
De ce fait,
l'étude de la zone du Lac de Guiers ne peut conduire à la
mise en évidence de spécificités profondes de cette région par rapport au Waalo.
Au contraire,
c'est l'éclairage du Waalo qui permet d'avancer une explication à
certains phénomènes de cette zone.
Mais réciproquement,
la recherche dans la zone
du Lac de Guiers aboutit à une
meilleure connaissance du Waalo.
Ainsi,
la recherche dans la zone du Lac de Guiers ainsi que celle dans
le Waalo sont des moments articulés d'un même procès de production scientifique.
La délimitation de l'objet est en fait toujours provisoire,
elle s'effectue d'un
bout à l'autre du processus de recherche,
elle prend une forme systématique, mais
non définitive,
chaque fois qu'il est nécessaire de restreindre ou d'élargir le
champ de recherche pour pouvoir intégrer l'ensemble des faits retenus dans des
schémas explicatifs et des axes de raisonnement;
quand il s'est agit de mener nos
enquêtes de terrain,
nous nous sommes limités à ~J zone du Lac de Guiers, mais au
moment d'apporter des explications aux phénomènes enregistrés nous avons puisé dans
les données relatives au
Waalo et plus largement,
dans l'histoire ancienne des
populations africaines.
Ce faisant,
nous nous exposons aux reproches que, selon
Levi-Strauss,
le chercheur en sciences sociales rencontre constamment:
"soit
(qu') en accumulant des exemples,
il les décharne et leur fasse perdre toute subs-
tance et toute signification parce qu'il
les isole arbitrairement de la totalité
dont chacun est un élément;
soit au contraire,
que pour conserver aux faits leur
caractère concret et maintenir vivant le lien qui les unit à tous les autres as-
pects de la culture à laquelle il les emprunte,
il soit conduit à n'en considérer
qu'un petit nombre et à se voir dénier sur cette base trop fragile le droit de
"
t '
,,(1)
genera Ion
.
.. . .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
Claude L~vi-Strauss : Les structures élémentaires de la parenté, Bibliothèque
de philosophie contemporaine, P.U.F. / 1949,·p. XII.
./ .

-12-
Dans le domaine de la recherche historique, nous avons essentiellement
travaillé
sur
deux registres: d'une part,
l'analyse des textes écrits par les
voyageurs,
explorateurs et soldats européens,
d'autre part,
le recueil de la tra-
dition orale. Au demeurant, ces deux registres peuvent, sur plusieurs plans ap-
paraître sous une forme complémentaire; on peut alors s'en tenir à un proverbe
wolof qui dit "Xam xam mi gi ci jang ak Lacte"(la connaissance est dans l'étude
et dans le fait de poser des questions).
Le Waalo étant une région très anciennement en contact avec les
Euro-
péens,
i l existe une documentation précoloniale relativement riche à son sujet.
Mais ces documents, même s'ils apportent des précisions importantes sur certains
évènements historiques,
ainsi que des repères de temps plus précis, sont tout de
même à étudier de manière critique, notamment en raison de leur parti-pris européen
et de leur relative incompréhension des contextes culturels locaux.
De l'autre câté,la tradition orale témoigne d'une richesse culturelle
irréductible, mais son interprétation rencontre des difficultés énormes (double
langage,
absence de repères historiques puis pour le langage scientifique dans
lequel on se trouve placé . . . ). Un dicton wolof dit dans cet ordre d'idées:
"Lu nekk
manees na ko toxaL mu meL na mu meLoon ba mu des wax"
(on peut transférer toute
(1)
chose d'un endroit à un autre sans l'altérer sauf la parole)
. Cependant l'ana-
lyse de la tradition orale,
dans la mesure o~ elle suppose l'étude des langues
locales, peut être d'un apport déterminant dans les reconstitutions historiques
et l'interprétation des cultures; car "la linguistique,
comme le note E. Sapir,
serait à l'histoire de la culture ce que la géologie est à la paléontologie,,(2) .?lu
précisément encore,
E. Sapir note que "loin d'être un ensemble isolé,la langue est
une partie importante d'une culture,
comme telle, elle réfléchit dans sa matière
essentiellement dans son vocabulaire,
un grand nombre des éléments méta-linguistiqu
(3 )
de cette culture"
.
Cependant,
l'analyse historique et ethnolinguistique n'épuise pas l'ex-
plication des phénomènes sociaux,
leur articulation à des études synchroniques
s'avère nécessaire pour l'interprétation des systèmes. C'est à ce niveau que s'ins-
crit l'utilisation de différentes techniques de recueil de données statistiques .
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1)
A. Sylla
La philosophie morale des Wolof, Sankoré, Dakar, 1978, p. 215.
(2)
E. Sapir
Op. cit, p.
261.
(3) -
Op. cit.
1

1


-13-
Dans le domaine des études sur la population, nous avons effectué un
récensement démographique de l'ensemble du village de Témèye Salane, ainsi que des
sondages dans le vilJage de Ngnit et dans les campements Peul et Xu.Y'taani qui nous
ont permis de reconstruire différentes structures démographiques (répartition par
ethnie, par catégorie d'âge et de sexe,
taux de croissance, mouvements de popula-
tions . . . ).
Dans le cadre de l'étude de la famille et du système de parenté, nous
avons recueilli des données au niveau de 3 concessions choisies comme "témoins"
et constitué un échantillon de 100 couples regroupant 286 personnes représentant
différentes ethnies et diverses catégories d'âges.
Sur le plan socio-économique, nos quantifications ont essentiellement
porté sur les mesures des champs de cultures hivernales et de cultures du Waal a
(à Témèye Salane nous avons mesuré tous les champs du f,loalo) ; les estimations
la production et des revenus ont été effectuées sur 18 base de mesures réalisées
au moment des récoltes et de la vente des produits dans 5 concessions choisies
comme "témoins" dans les villages de Témèye Salane, Ngnit et Belli Bamdi. Les esti-
mations sur les consommations de bois et de charbon de bois découlent de relevés
journaliers réalisés auprès de 11 familles utilisatrices de charbon de bois à
Témèye Salane et de 10 familles consommatrices de bois
réparties dans les villages
de Témèye Salane et de Ngnit.
Témèye Salane, Ngnit, Belli Bamdi et Dar-es-Salam ont été les principau
villages où se sont déroulés l'essentiel de nos enquêtes de terrain.
- Témèye Salane est situé sur la rive orientale et a abrité en un moment
donné l'entreprise agro-industrielle SENDA (Société Sénégalaise de Développement
Agricole).
-
Ngnit se trouve sur la rive occidentale, une usine de traitement des
eaux y a été installée par la SONEES (Société Nationale d'Exploitation des Eaux
du Sénégal).
-
Belli Bamdi est un village Peul d'hivernage situé à environ 10 km au
Nord-Ouest de Ngnit.
./ .

-14-
- Dar-es-Salam est un village Xa~taani à environ 6 Km au Nord de Ngnit.
En dehors de ces différentes localités, nous avons effectué
des séjours
plus limités dans d'autres villages Wolof et dans quelques campements Peul tran-
shumants
; ce sont :
-
Les villages Wolof de Nder (ancienne capitale du royaume du Waalo),
Mbane, Ndombo,
Ntiago, Keur Momar Sarr, Diakhaye, Diaglé; et Ross-Béthio
-
Les campements Peul qui
s'établissent périodiquement dans les loca-
lités de Naété, Singou Diery, Bellel ;~baye, Tara,Tanthiara, Horé Sendé, Ndiorna
et Diégane.
Finalement,
la pratique de terrain et la réflexion menée à partir de
différentes sources d'information nous ont emmené à une production qui s'articule
de manière schématique en 3 parties essentielles
:
-
La première : le pays et les hommes aborde dans leurs grands traits
les données historiques et synchroniques de la population actuelle de la zone du
Lac de Guiers,
ainsi que les rapports traditionnels de cette population avec le
milieu écologique,
tels qu'ils apparaissent à travers les représentations culturel-
les et l'occupation de l'espace. Cette partie passe aussi en revue les principaux
amènagements hydrauliques i.ntroduits par les politiques coloniales èt post-coloniales;
-
La deuxième partie:
les systèmes économiques tente d'étudier les
caractéristiques dominantu d\\! système agraire et du système pastoral traditionnels,
tant au niveau de leurs techniques de production qu'au niveau de leurs rapports
de production,
de leurs interpénétrations respectives et de leurs rapports à l'en-
vironnement naturel
;
- La dernière partie:
l'organisation sociale opère une description
du système de famille,
du système de
castes et du système politique qui ont prévalu
dans cette zone avant de subir divers procès de désarticulation
introduits par la
colonisation et le régime qui lui succède.
/
., .

-15-
Dans notre perspective ces différentes parties ne devraient pas consti-
tuer des
entités
isolées les unes des autres dans la mesure où elles tentent de
reconstruire un tissu
complexe de relations dont seule une approche systématique
pouvait rendre compte.
Ainsi,
nous avons envisagé les domaines étudiés comme étant des sys-
tèmes ; un système étant,
selon J.
de Rosnay "un ensemble d'éléments en interaction
dynamique,
organisés en fonction d'un but,,(l).
Ces systèmes comme l'indique A.
Touraine apparaissent de manière hiérar-
chique et sont en corrélation les uns avec les autres.
"La société, écrit Touraine, a
parait ... comme une hiérarchie de systèmes de nature différente,
et non comme un
système global possédant un système général de régulation. Chaque système possède
une certaine autonomie en même temps qu'il est commandé par des systèmes plus élevés
et qu'il représente p"ur eux une contrainte,,(2).
Dans le même ordre d'idées, M.
Crozier et E. Friedberg notent que "l'environnement n'es1
pas un ensemble de va-
riables indépendantes:
il constitue une série de système et de sous-système très
différemment structurés,,(3).
L'approche systématique suppose alors une démarche interdisciplinaire,
non pas comme une accumulation de disciplines différentes,
mais comme une inter-
relation de plLsieurs disciplines commandée par un projet théorique et politique.
(1) - J.
de Rosaay : Le macroscope, Ed.
du Seuil, 1975, p. 91.
(2) -
A. Touraine: Op. cit.,
p. 118.
(3) - M. Crozier et E. Friedberg : L'acteur et le système, Seuil, 1977, p. 139.
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PARTIE
LE
PAYS ET LES HOMMES

CHAPITRE
LE MILIEU PHYSIQUE ET LES POLITIQUES DE L'EAU
-=-=-=-=-=-
La zone sahélienne est une zone aride,le principal problème qui s'y
pose est celui de l'eau. Pour les populations,l'hostilité de la nature se traduit
ici essentiellement par le manque d'eau. Le Lac de Guiers est donc comme un don
qu'apportent les crues du fleuve Sénégal qui
l'alimentent chaque année à partir des
mois de Juillet-Août.
Selon x. Cogels et J.V. Gac, le Lac de Guiers couvre aux hautes eaux
2
une superficie de ;300 km
sur une longueur de 80 km et une largeur maximale de 7 km.
2
Aux basses eaux,
le lac s'étend sur 200 km . Sa profondeur varie suivant ces deux
périodes de 3,5 m à 2 m au Nord et de 1,5 m à l
m au Sud. A son maximum d'extension
3
il contient 800 millions de m
d'eau (1). D'après A. Mbengue, on peut considérer
que du point de vue géographique la zone du Lac de Guiers couvre une superficie
2
de 2.785 km
(2)
t
de type tropical semi-
y
désertique
1(:" xistence d'une longue saison
»~
sèche (9 à
t)
et d'une très courte
saison des pluies (2 à 3 mois
mi-octobre). Cette zone com-
prise entre les isohyètes 200 et
mm de pluies
par an.
La distribution
et des intervalles de
sècheresse relativement longue se situent dans cette même saison des pluies.
Tout comme dans l'ensemble de la région sahélienne,
les températures
de la zone sont assez élevées (25 à 35° pendant l'hivernage et jusqu'à plus de
40° aux mois de Mai à Juillet). De Mai à Juin,un alizé continental (l'harmattan)
souffle et provoque généralement le transport de sable au sol et de poussière en
i
1
altitude en même temps qu'il précipite l'évaporation des eaux de surface.
i
1
"1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
'O .. 'O
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(1) -
X. Cogels et J.Y. Gae : le Lac de Guiers:
fonctionnement,
bilans hydriques,
in cah. ORSTOM,ser.geol., vol. XII nO 1, 1981/1982 p. 41.
1
1
(2) -
A. Mbengue : Populations et utilisations actuelles de l'espace dans la région
1
du Lac de Guiers ~ Mémoire de D.E.A,I.S.E.
1981.
1
./ .

-21-
Sur le plan géomorphologique,
le relief du Lac de Guiers est plat et
peu accidenté
les études du B.R.G.M. notent qu'il comporte trois grands ensem-
bles
:
la vallée du Bounoun dans laquelle se trouve le l i t du lac
le bas plateau du Ferla septentrional qui se situe dans la partie
orientale ;
les cordons dunaires de la rive Ouest du lac(l).
Selon A. Dia,
"au point de vue géologique,
la zone du Lac de Guiers
est dominée essentiellement par les formations tertiaires (Eocène inférieur et
continental terminal)
sur lesquelles reposent des formations plus récentes
(re-
couvrements argilo-sableux),,(2).
Plusieurs témoignages s'accordent sur le fait que jusqu'au début du
XXème siècle le lac ne contenait que de l'eau douce. F. Carrère et Paul Holle le
décrivent comme une "belle nappe d'eau" bordée "d'arbres séculaires" ayant des
"pâturages luxuriants" et permettant aux populations de mener des activités pros-
(3)
pères
Cependant,
la qualité des eaux commença à se détériorer à partir des
années 1900 avec la remontée de la langue salée de plus en plus profondément dans
le Fleuve Sénégal.
Yves Henry nous donne un aperçu de "l'histoire du sel" dans
les eaux du Lac
de Guiers.
"Jusqu'en 1898-l900,les voyages du bateau citerne AKBA qui ne dépassa
jamais R.
Toll,
indiquent que dans le fleuve,
l'eau salée ne parvenait
pas aux confluents de la Taouey. Depuis cette date et sauf en 1906-
1907, année où l'eau douce a-rempli complètement le lac ...
; l'eau
salée a pénétré le lac en quantité d'autant plus grande que les crues
ont été faibles . . .
(1) -
B.R.G.M. : notice explicative de la carte géologique du Sénégal au 1/200.000è
feuilles "Dagana" et "Saint-Louis"
,Direction des Mines et de la Géologie
Dakar-Sénégal.
(2) - A.
Dia~Phytoplanton du Lac de Guiers - Approche qualitative et quantitative,
mémoire de D.E.A.,
LS.E.) Dakar, 1983, p.
2.
(3) -
F. Carrère et Paul Halle: De la Sénégambie ,Paris)1855)p. 103.
./ .

-22-
"En fin Juin 1910,
après deux crues supérieures à la moyenne (1908-
1909) à l'époque où la salure est maximum (la crue arrive vers le
15 juillet),
le degré de salure dans la moyenne partie du lac ne dé-
passait pas Ogr 58 alors qu't~
était supérieur
à 2 g dans la Taouey
et variait de 1,33 g à 1,97 g en tête du lac et le long de la berge
orientale . . .
"Les années qui suivirent modifièrent radicalement la situation;
l'année 1913 surtout où la crue fut insignifiante. En Mai 1914,la
salure moyenne du lac variait de 8,12 g à 9,28 g. Elle était de 14,500
à Baba Diougo, avant Mérinaghen,,(l).
Pour y. Henri, cette remontée de la langue salée, surtout pendant la
Î
sècheresse de 1913, allait éprouver très sévèrement les populations riveraines.
1
C'est,
écrit-il,
une "calami té générale"
"Pas de culture possible,
les boeufs
, l'.
mourront par milliers de faim et de s o i f ,
tel a été le bilan pour le Lac de Guiers'
En outre,
poursuit-il,
cette année 1913 "a créé . . . , dans la salure du lac,
une
'i
situation qui pèse durement sur son régime,,(2).
t
.\\!
On ne possède pas d'explication précise
sur les raisons de la pénétra-
tion de la salure dans le Lac de Guiers à partir des années 1900. Mais,
il semble
~
~
qu'on ne puisse,
d'emblée,
exclure la responsabilité des interventions humaines
~
qui ont pris dans cette ré~ion des formes particulières avec la mise en place du
~
système colonial
.
1
A partir de 1820,des projets d'amènagement agricole
vont se succéder
dans le Waalo et introduire de nouvelles relations entre l'homme et l 'environ-
1
nement naturel.
L& part de ces projets dans les déséquilibres écologiques survenus
l'
est,
aujourd'hui,
difficile à évaluer; tout comme on ne possède pas suffisamment:
d'informations pour mesurer l'impact écologique des diverses politiques coloniales. l,:.•
Mais on sait qu'avec la colonisation toute la région du delta et de
,
la vallée du fleuve Sénégal faisait partie de l'arrière pays,
c'est-à-dire des
~
f
zones destinées à servir de réservoir de main-d'Qeuvre,
de matières premières et
f
de source d'énergie à la métropole coloniale et à ses bases de pénétration locale .
1
...................... ..... ..... .......................... ..... .....................
(1 ) -~ves Henry: Irrigation et cultures irriguées en Afrique Tropicale cité par
Grosmaire
: Eléments de politique sylvo-pastorale au Sahel sénégalais~ Saint
Louis)
Avril 1957)
Fascicule 10)p. 10.
(2)
-
Op.
cit.,p.
10.
./ .

-23-
La fondation et l'extension de Saint-Louis comme ville coloniale,
l'introduction du bois comme principal matériau de construction dans l'habitat
et la navigation coloniale,
l'usage du charbon comme combustible domestique dans
les villes coloniales,
la construction de lignes de chemin de fer et l'utilisation
du charbon de bois par celui-ci . . . en un mot les nouvelles pressions sur l'environ-
nement introduites directement par la colonisation,
ainsi que celles résultant
du développement de nouveaux systèmes de production ne vont sûrement pas être sans
influence sur les équilibres écosystémiques de la zone.
Toujours est-il que les projets d'amènagement agricole étaient devenus
irréalisables avec l'intrusion de la langue salée dans le lac. C'est pourquoi le
système colonial s'employa à réaliser des ouvrages dont la principale fonction
était d'y mettre un terme.
En 1916~un premier barrage en ciment armé fut édifié sur la Taouey
avec un système de vannes permettant le remplissage du lac pendant les périodes
de crues du fleuve
Sénégal.
Les travaux de construction avaient débuté en 1915 ;
ils furent achevés le 16 juillet 1916 et le 20 juillet ,
le barrage fut emporté
par l'arrivée de la crue. A la base de cet échec,
on avance une méconnaissance
des débits du cours d'eau,
ainsi que des erreurs dans la conception du barrage
e t
d ans l e c h
d
t ' "
tOl"'
(1)
o
OIX
es ma erlaux UlIses
.
A partir de 1925, un petit barrage en terre était reconstruit chaque
année sur la Taouey dès que l'eau salée arrivait à hauteur de Richard-Toll puis il
disparaissait à la montée des eaux.
Ce,
jusqu'en 1948 où un pont-barrage
doté
d'un système de vannes fut construit à Richard-Toll à l'embouchure de la Taouey.
C'est à partir de ce moment que la présence quasi-permanente de l'eau douce dans
le Lac de Guiers fut à nouveau assurée.
Une fois l'intrusion saline stoppée,
le
régime colonial
réalisa une série d'amè~agements techniques dont l'objectif était
l'augmentation et la maîtrise du volume d'eau disponible pour les projets agrico-
les.
(1) -
Cf. Grosmaire~op. cit.
.f.

-24-
Ainsi, une digue fut construite en 1956 à Keur Momar Sarr pour arr@ter
la pénétration de l'eau du lac dans la vallée du Ferlo; auparavant, en 1951, on
avait procédé à l'endiguement de la brèche de Niéti Yone à travers-laquelle l'eau
s'infiltrait et arrosait la dépression de Diael. L'objectif de ces travaux était
d'augmenter le vo1wne des eaux du lac en restreignant leur surface d'irrigation.
La construction du barrage de Richard-Tol1, ainsi que les travaux ef-
fectués en 1951 et en 1956, ont été réalisés par la M.A.S.
(Mission d'Amènagement
dU~leuve Sénégal), dont l'objectif était la mise en oeuvre d'un vaste programme
de développement agricole essentiellement basé sur la production du riz.
Ces amènagements n'allaient cependant pas @tre sans incidence sur la
vie des populations riveraines. Le retour et la maîtrise de l'eau douce allaient
provoquer autour du lac le développement d'une végétation sauvage favorable au
pullulement de moustiques, larves, douves, etc ... Le milieu était rendu}finalemen~~
hostile que pour la plupart des populations des rives du Lac de Guiers, le salut
se trouvait dans l'exode. C'est dans ce contexte que Grosmaire écrit: "toutes
les rives du lac se dépeuplent comme si le pays était frappé par quelque malédiction
Quelques vieux restent attachés au terroir, mais ils sont rares et les jeunes
s'empressent de quitter le pays de leurs pères pour aller vers le Sud ou dans les
villes: Saint-Louis, Dakar, Thiès,,(l). En plus, d'après Grosmaire, le développe-
ment de cette végétation consécutive au retour de l'eau douce, a entrainé la pro-
lifération d'oiseaux déprédateurs qui rendaient de plus en plus difficile la culture
du mil, base de l'alimentation des populations locales.
D'autre part, la construction de la digue de Keur Momar Sarr et l'en-
diguement de Niéti Yone allaient aussi frapper les pasteurs peul Wodabé et Ururbé
qui occupaient cet espace. Les vieux peul se souviennent encore avec nostalgie
de la période où le Oiael était
encore arrosé par le lac j c'était une zone cou-
verte de pâturageset jalonnée de campements transhumants qui y organisaient ces
fameuses f@tes de la vache (Jaaro en peul), dont maintenant on ne conserve plus
que de vagues souvenirs .
. .... . .. . . ... . . ... .... . . . .... . .. .. . . ... .. . . . . . . . .
.
'-
(1) - Grosmaire : op. cit.,p. 7
1
• 1


-25-
Au lendemain de l'indépendance, d'autres travaux furent
effectués
dans la zone : surélévation des digues Nord en 1970, rectification de la Taouey
en 1974, édification d'un second barrage à l'embouchure de la Taouey en 1980. Ces
amènagements répondent aux besoins en eau douce de la Compagnie Sucrière Sénéga-
laise (C.S.S.) qui développe la culture de la canne à sucre dans les casiers an-
ciennement occupés par la M.A.S. (1).
En dehors de la C.S.S., d'autres entreprises à caractère industriel
exploitent les eaux du lac; la plus importante parmi elles est sans doute la So-
ciété Nationale d'Exploitation des Eaux du Sénégal (S.O.N.E.E.S.) qui a construit,
à partir de 1970, une station à Ngnit destinée au pompage et au traitement des
eaux du Lac(2). Cette station alimente essentiellement Dakar et les villes situées
dans l'axe Ngnit-Louga-Dakar, un axe de près de 300 km, alors que les populations
vivant
sur les rives du lac ne bénéficient pas de ce traitement et que les villa-
ges et campements situés à quelques kilomètres du lac, à l'intérieur des terres,
souffrent de manque d'eau.
Le lac est pratiquement l'unique source d'eau potable pour la plupart
des populations riveraines. Selon le B.R.G.M., les nappes phréatiques de la zone,
non seulement sont rares èt très profondes, mais en plus ont souvent une proportion
de sel qui les rend impropres à la consommation(3). Quand elles ne sont pas traitées
par la SONEES,
les eaux du lac ne réunissent pas certaines conditions hygiéniques
les individus font leur toilette corporelle, lavent leur linge et leur vaisselle
dans le cours d'eau à partir duquel,
ils puisent l'eau destinée à leur boisson,
à leur cuisine(4). C'est aussi dans le lac que le bétail vient boire. En plus à
cette situation s'ajoute une pollution chimique consécutive au rejet dans le lac
des déchets des agro-industries, de la C.S.S. en particulier (5).
3
(1) - En 1981,les prélèvements annuels de la C.S.S. étaient de 540.000 m •
3
(2) - La S.O.N.E.E.S. pompe en moyenne 30.000 m
d'eau par jour et fournit environ
25 % de la consommation de Dakar en eau potable.
(3) - Cité par A. Mbengue op. cit.,p. 18
(4) - Dans les concessions, l'~au destinée à la boisson et à la cuisine, est stockée
dans des canaris. C'est en nous basant sur les remplissages journaliers de
ces canaris que nous avons estimé la consommation d'eau dans les familles
wolof de Témèye Salane à 16 l/j/personne, ce qui représente environ le 1/3
de la consommation individuelle dans les villes alimentées par le lac de
Guiers; pour l'ensemble du Sénégal, la consommation par tête d'habitant est
de 40 l/jour mais pour les campagnes sénégalaises seulement elle est de 7 l/j
(cf. Afrique-Agriculture nO 87 - Nov. 1982).A
Belli Bamdi, nous avons estimé
la consommation individuelle à 5 l/j.
(5) - X. Cogels et J.Y. Gac ont abordé cette question dans leur article précédemment
cité.
:/.

-26-
Dans les campements et villages peul d'hivernage, c'est l'eau des mares
qui est utilisée pour la consommation humaine et animale. Mais c'est surtout pendant
la saison sèche que la question de l'eau devient particulièrement difficile à ré-
soudre : si les campements qui sont proches du lac,
s'y alimentent directement
par contre ceux qui en sont relativement éloignés cherchent à se ravitailler à
partir des puits et des céanes dont les niveaux sont très irréguliers. Ainsi,
il
arrive souvent que ces points d'eau (qui peuvent être situés à 5 ou 6 km voire
plus) soient taris
; les femmes des campements effectuent alors des déplacements
plus longs vers des sources sans cesse plus éloignées. En Avril 1980, les femmes
de BellL Bamdi parcouraient à pied une distance d'environ 7 km pour arriver aux
points d'eau les plus proches de leurs lieux d'habitation.
Finalement,
les amènagements hydrauliques réalisés dans la zone du
Lac de Guiers depuis la période coloniale,
n'ont pas résolu cette question élé-
mentaire,
mais aussi essentielhpu ravitaillement des populations environnantes
en eau. Au demeurant, pareille question ne semble pas figurer au coeur des préoc-
cupations des décideurs.
Mais par contre,
en cherchant à résoudre d'autres questions -celles
que posent notamment des centres d'intérêts extérieurs à la zone- les décideurs
ont introduit
de grands changements dans le milieu écologique occupé par les
populations locales.
Dans cette perspective, on peut,
d'ores et déjà,
supposer
que les grands projets de l'Organisation de Mise en Valeur du Fleuve Sénégal
(O.M.V.S.)
ne manqueront pas d'avoir des incidences importantes dans l'environne-
ment de cette zone.
Le Lac de Guiers devrait,
avec la construction des barrages de Diama
et de Manantali,
avoir un niveau d'eau stable.
Or, les cultures de décrue prati-
quées par les populations riveraines ne
sont rendues possibles qu'en raison de
l'absence de stabilité du niveau des eaux;
c'est le mouvement de la crue et de
la décrue qui constitue l'une de
leurs premières conditions de possibilité. Certes
avec cette nouvelle politique de l'eau,
les programmes étatiques envisagent l'ex-
tension de la culture irriguée (la riziculture en particulier), mais on peut se
demander si les populations y trouveront leurs intérêts dans la mesure où elles
semblent avoir très peu participé à la mise en place de cette politique qui impli-
que non seulement des choix politiques et économiques, mais aussi des options
·/ .

-27-
technologiques et de nouveaux rapports à l'environnement. Les populations locales
ne seront-elles pas comme dans~ passé, placées devant des faits accomplis dont
elles seraient à court terme, pratiquement les seules à subir les éventuels effets
néfastes ?
Dès lors, on peut se poser la question des conditions d'existence de
politiques hydrauliques traditionnelles conçues et appliquées par les populations
elles-mêmes.
Actuellement, on ne possède pas beaucoup d'informations sur les politi-
ques hydrauliques traditionnelles. On peut simplement supposer que les grands ouvra-
ges hydrauliques n'ont jamais été effectués durant la période précoloniale j la
tradition orale et les textes des explorateurs ne mentionnent aucun fait dans ce
sens. Les seules transformations opérées sur les cours du lac sont celles dont ren-
dent compte les différentes légendes de l'origine et de la découverte du lac.
Selon la tradition orale, un groupe d'éleveurs campait non loin du
Lac de Guiers sans savoir qu'il y avait un cours d'eau à proximité, en raison,
dit-on, de la densité de la végétation qui limitait la visibilité et les déplace-
ments. Chaque jour, le groupe voyait une de ses vaches noi~revenir au camp avec
des traces de boue
sur les pattes j on en conclut alors qu'une source d'eau connue
seulement par la vache ne devrait pas être loin de là. Ainsi la décision fut prise
d'attacher un sac troué et rempli de cendre à la queue de l'animal qui, en allant
boire, laisserait des traces sur son passage. Ce qu'elle fit. Quand les hommes
découvrirent le lac qui n'était en ce moment qu'un mince filet d'eau, le plus vieux
d'entre eux (Serigne NDer, selon certaines sources, Waly Boye selon d'autres) frappa
3 fois sa canne dans l'eau en disant: "je ne peux pas t'assècher pour empêcher
qu'un animal tout seul profite de ton eau, mais je vais t'élargir pour que tous
les êtres vivants puissent boire et utiliser ton eau". Là dessus le cours d'eau
s'élargit, s'agrandit jusqu'à devenir ce qu'il est actuellement: une source de
vie pour tous les êtres de la zone(l)
(1) - Mike Singleton se livre à une intéressante interprétation des légendes de
la découverte du Lac de Guiers dans son texte : "le taureau pris par la queue
un coup vache pour un effet boeuf ?" in Le Lac de Guiers - Problématique d'en-
vironnement et de développement ~ Actes du Colloque I.S.E., Mai 1983,
.f.

-28-
Sur au moins un point,
l'interprétation de cette légende permet de
retrouver des éléments d'une conception de la relation à l'eau que l'on retrouve
dans les détails de la vie courante des populations locales: l'eau est plus
qu'un bien collectif;
il appartient à Dieu, nul n'a le droit de s'en approprier
exclusivement et personne ne peut être exclu de sa jouissance.
Cependant, cette socialisatjon de l'eau ne signifie pas une absence
d'autorité sur elle. Actuellement encore,
dans les campements et les villages,
l'eau nécessaire aU)( besoiru domestiques est util isée avec le maximum d'économie ;
elle représente une part du travail pénible des femmes.
Par ailleurs,
la tradi-
tion orale fait toujours ressortir la présence d'une personnalité liée à l'eau,
le jogomay
(le maître des eaux) dans la génèse même de l'ethnie wolof.
Le jogomay
serait antérieur à l'avènement de la royauté et jouait un rôle institutionnel
fondamental dans l'organisation de celle-ci.
Il figurait parmi les personnalités
les plus directement responsables de l'élection du souverain (Le brakJ.
Le jogomay était considéré comme un descendant de la famille la plus
anciennement établie sur les bords de l'eau;
cette famille aurait, par l'entre-
mise de son ancêtre fondateur,
contracté une alliance avec les esprits de l'eau
et c'est en vertu de cette alliance que le jogomay règlemente l'utilisation du
cours d'eau par les hommes. Cette règlementation,
cependant, n'est pas absolue,
dans la mesure où les eaux ne peuvent être détournées au préjuàice de qui que
ce soit. En fait,
à ce niveau,
le jogomay a surtout une fonction spirituelle qui
sert de guide dans les relations qu'entretiennent les hommes avec les esprits
des eaux.
Le jogomay et sa famille,
tout comme,
du reste,
toutes les familles
qui ont contracté des alliances avec les divinités des eaux, peuvent décommander
la pêche
à certains jours ou à certains moments pour ne pas mécontenter les es-
prits, conseiller les populations sur les offrandes et effectuer eux-mêmes des
offrandes pour s'attirer la faveur de ces esprits.
Quoiqu'il en soit, ce type
d'intervention ne vise nullement
une appropriation privée du cours d'eau.
Or,
tous les amènagements hydrauliques des périodes coloniales et
post-coloniales ont cherché à détourner au profit d'intérêts particuliers les
ressources des cours d'eau, au risque d'en priver une partie des populations lo-
cales qui,
pourtant,
en vertu du droit traditionnel du premier occupant, devraient
être les premièr.à en assurer le contrôle et la gestion. Ainsi,
on ne peut abor-
der la question de l'eau sans aborder celle des populations qui, au travers de
processus historiques,
se sont établies dans cette zone.
./ .

.....
t.
...-----~ lM A URI r ANI E
1
Podor
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J
1
- - - - - - - - - - - - - - - - -
C~OQUI5
DE
SiTUATION
,)
c
,t-loui.
Légende :
1.- Richard-Toll
1916
barrage (détruit par la 1ère crue)
1925
Barrage annuel en terre
- 1947
Pont-barrage
- 1980
2ème barrage.
2.- Taouey - 1970 : rectification
3.- Nieti-Yone - 1951 : endigu~ent de la brêch
4. - Keur Mornar Sarr-1956 : digue.

F. 5 - Le Diael :
Cet endroit fut
vert avant les a-
ménagement
de l'
M.A.S.
F.6
en ant 1'hiver
nage l'approvis'onne-
ment en eau se fait a
parti
des mares tempo-
raires.
/
1
1

I~ ~ l'
F.7
- Linge au-
près des mares
d'hivernage.

CHAPITRE
II
POPULATIONS ET MOUVEMENTS DE POPULATIONS
-=-=-=-=-=-
L'histoire du peuplement de la zone du Lac de Guiers est en étroite
relation avec celle du Waalo.
D'ailleurs,
on y retrouve les mêmes populations qui,
en outre, partagent la conscience d'appartenir aux mêmes ensembles culturels.
D'une manière générale,
il semble que le peuplement du Waalo se soit
effectué suivant plusieurs vagues migratoires qu'il est aujourd'hui difficile de
reconstruire avec précision du fait de la rareté des sources historiques. Mais
la tradition orale ainsi que certaines recherches historiques donnent des indica-
tions significatives
à ce sujet.
Selon J.
Robin,le Waalo (au sein duquel il intègre explicitement le
Lac de Guiers)
fut le "théâtre d'immigrations en provenance du Nord (Gannar). La
tradition en distingue trois:
la première composée d'éléments Sossé, Serer et
Peul inextricablement reliés,
la seconde composée de Wolof qui,
laissant les Peul
sur place auraient repoussé Serer et Sossé vers le Sud, mais sans toutefois les
déraciner du Waalo o~ l'élément Serer notamment serait resté important; la troi-
sième est celle des Maures qui se sont arrêtés à la vallée du fleuve et n'ont re-
foulé personne plus au Sud mais ont tout de même joué un rôle important dans la
génèse du Waalo actuel" (1) .
D'ailleurs l'analyse de l'histoire des principales ethnies du Lac de
Guiers fait ressortir de vastes mouvements migratoires même si les contours de
ceux-ci ne correspondent pas totalement avec ceux décri~par Jean Robin.
-
Les Peul:
Un récit recueilli à Témèye Salane attribue au héros
légendaire
Sala Ba,
l'installation des Peul dans la partie orientale du Lac de
Guiers,
à partir
de laquelle ils se seraient dispersés à travers toute la zone.
(1) -
J. Robin:
"D'un royaume amphibie et fort disparate" in Sénégal nO 69
Juin-Jilllet 1945 p.
113.
1
./ .

-32-
"Les Peul viendraient du Macina où Sala Ba, un Peul de la fraction des
Déniankobé avait assassiné un prince Mandingue, du nom de Moussa,
fils
du roi Konko,
qui avait tué une de ses vaches. Devant la menace de re-
présailles Mandingue, Sala et ses parents quittent le pays et vont se
réfugier' plus à l'Ouest chez les Tasarnaahé
dont le chef, Moussa Sow,
avait beaucoup de connaissances mystiques.
Moussa Sow,
à l'arrivée de Sala Ba,
fait souffler,
sept fois vers les
quatre directions,
dans des cornes qui
font que les guerriers Mandingue
envoyés à la poursuite de l'assassin,
s'égarent en route et meurent
de soif et de faim.
Sala
reste chez les Tasaarna!Ji
pendant plusieurs années.
Il Y est ini ti-
aux connaissances mystiques et fin~par épouser la fille de son hôte.
A la mort de ses parents, Sala demande à partir avec sa femme.
Le chef
lui fit alors, cadeau de plusieurs esclaves et de plusieurs bovins. C'est
ainsi qu'il vint s'installer à la pointe Sud du Lac de Guiers,
vers
, ,
Keur Momar Sarr et
y fonda le village de Belel.
Il fut rejoint plus
tard par le clan Jasarnaaèé J
puis vinrent les ,iaLbanaabé et les
Do,ro lnaat,·.
Sala Ba qui avait des connaissances mystiques,
s'occupa de la médecine
des hommes et des bêtes,
il fut le dépositaire des secrets des plantes
par lesquelles on soigne. C'est ainsi qu'il fut l'ancêtre des Eajinkobé
Œajinkob{ signifie littéralement les gens des écorces; celles-ci sont
utilisées comme médicaments).
LesJasarnaabé qui avaient eu dans le passé des contacts avec les rois
Wolof, constituèrent le clan qui devait fournir les Chefs politiques
(Ardo) et les guerriers.
On
confia aux Jalbanaabé
(1 i ttéralement les gens des baobabs)
le soin
de rendre la justice et de résoudre les conflits entre les différents
clans.
(C'est sous les baobabs que se'tenaient les palabres de reconci-
liation et que se rendait la justice).
./ .

-33-
Plus tard, d'autres clans (les Pambi:naabé, les S'oboZ-naabé, les Eisnaabê.
cherchèrent refuge dans le village fondé par Sala Ba avant de se dis-
perser à travers tout le Waalo et le Djoloff. Tous ces Peul venaient
de l'Est,,(l).
Une autre légende situe elle aussi à l'Est (Pênku),
l'origine des Wodabé
que l'on rencontre surtout sur la rive Ouest du Lac de Guiers. Cette légende recueil 1
lie chez les Wodabé de la zone de Ngnit, prétend que les Wodabé constituent le
noyau de base, d'où sont issus tous les clans et fractions
fuul ; c'est pourquoi
on les retrouve dans tous les pays où il y a des Peul (du Tchad au Sénégal). L'an-
cêtre fondateur des Wodabé serait un personnage nommé Sala Bata.
"Sala Bata était un compagnon du Prophète Mahomed. Il était seul et
vivait très pauvre. Un jour il demanda à Mahomed de prier pour qu'il
sorte de sa misère. Le Prophète l'avertit qu'il risquait alors de
perdre la tranquilité de sa vie sédentaire. Sala Bata insista et Mahome
finit par effectuer cette prière que Dieu ne mit pas longtemps à exau-
cer.
C'est ainsi que Sala Bata ne tarda pas à avoir des vaches qui ne ces-
sèrent de se multiplier et de lui donner sa subsistance. Mais, en re-
vanche, il fut obligé de marcher derrière elles et de nomadiser de
pays en pays à la recherche d'eau et de pâturages,,(2).
L'interprétation des légendes demeure cependant difficile à réaliser
avec précision et on a du mal à s'imaginer, en raison des données historiques
actuelles, une migration Peul venant d'Arabie, à une époque aussi récente. Mais
ce que les recherches historiques mettent en relief, c'est une migration à partir
des zones orientales de l'Afrique vers des zones occidentales plus au Sud. R. Cor-
nevin, dans cet ordre d'idées, pense que des pasteurs bovidiens qu'il désigne comme
étant les ancêtres des Peul
actuels seraient issus de la Vallée du Nil et auraient
traversé toute la région du Sahara. "Les Grandes migrations des pasteurs bovidiens
-écrit-il- quittant le Sahara oriental vers les massifs mieux arrosés du Sahara
central, ont dû commencer au moins vers -4000 et se poursuivre pendant tout l'an-
....................................................................................
(1) - Ce récit nous a été confié pour la première fois par Samba Coumbel Sow, un
Bajinkobé de Témèye Salane. Nous avons recueilli des versions similaires
auprès de plusieurs familles Jasarnabé de la rive et du Lac de Guiers.
(2) - Ce récit nous vient de AlassanE' Cemba S0W "Chef de Village" des Wodabé Pou-
ronnabé. On retrouve cette légende dans l'ouvrage de Oumar Ba : Le Foûta
Tôro
ed. l'Harmattan ,1977 ,p. 33-34.
./ .

-34-
cien Empire (-3000 à -2000). Ces pasteurs sont demeurés un mill~naire ou plus dans
l
T
. l .
t
t
-
2500 I d '
t
l
, .
d · " ( 1)
e
aSSI I e
on
amorce vers -
eur
epar
vers
es reglons sou analses
.
Dans le même sens H.
Lhote avait vu dans les peintures rupestres du Sahara, l'oeuvr
de populations de "type Peul" venant d'Egypte(2). A. Hampaté Ba, de son côté indi-
que que l'ethnie Peul, au moins dans ses principaux
traits y avait déjà constitué
son identité culturelle(3).
La thèse de l'origine égyptienne des Peul se trouve, par ailleurs,
défendue par Cheikh A. Diop qui effectue un rapprochement entre les notions onto-
logiques égyptiennes du Ba et du Ka avec les noms
claniques Ba et Ka qui, selon
lui, sont les plus représentatifs de l'ethnie peul. Dans la cosmologie égyptienne
le Ka est l'essence de l'être vivant,
il préside aux forces intellectuelles et
morales,
il est le symbole de la vie physique et spirituelle; le Pharaon en est
l'incarnation suprême. D'ailleurs, Cheikh Anta Diop affirme que plusieurs Pharaons
ont porté le nom Ka(4).
Or,
d'après A. Hampaté Ba,
le nom Ka désigne, chez les Peul,
les maî-
tres de la connaissance pastorale, une connaissance essentiellement spirituelle
qui préside à la vie tant physique, matérielle que spirituelle des éleveurs et
( 5)
.
de leurs troupeaux
.
L'homonymIe entre le Ka égyptien et le Ka peul peut servir
dans l'hypothèse d'un prolongement de la métapPypique égyptienne dans l'univers
socio-culturel des Peul. Dans le même ordre d'idées A. Anselin note que le terme
Ka est essentiel dans la langue égyptienne où par dérivation sémantique,
il dé-
signe le taureau,
la valeur et le double(6) .
(1)
R. Cornevin
Histoire de l'Afrique, tome I)Payot,Paris,1962,
~90
(2 ) -
H. Lhote:
A la découverte des fresques du Tassili , Arthand Paris 1958
(3 ) - A. Hampaté Ba et G. Diéterlen : Koumen,
texte initiatique des pasteurs peuls
Mouton, Paris -
La Haye ~ 1961.
(4)
Cheikh Anta Diop: Nations nègres et culture
,Présence africaine,
Paris 1979,
tome l,
p.390.
(5)
A. Hampaté Ba et
G. Dieterlen
op. cit.
(6) - A. Anselin : La question peul et l'histoi~e des egyptes ouest- africaines
Ed. Karthala, 1981,p. 40.
./ .

-35-
Le Ba, quant à lui, représente dans la métaphysique égyptienne,
la
rencontre dans l'au-delà du Pharaon avec son Ka.
Le Ba se réalise donc après la
mort;
il évoque la mort. Or, selon A. Hampaté Ba,
les Ba représentent chez les
Peul les guerriers,
ceux qui sont les plus proches de la mort qu'ils côtoient sans
cesse.
S'appuyant en outre sur une analyse historique, Cheikh Anta Diop af-
firme qu'on pourrait situer la naissance du rameau peul dans "la p~riode historique
égyptienne qui va de la XVlllème dynastie à la Basse Egypte, période de grand
métissage avec l'étranger,,(l). C'est alors en partant de cette thèse de la rencon-
tre des Peul avec l'étranger,
que les analyses de A. Leroi-Courhan sur l'histoire
de l'élevage des bovins peuvent confirmer le point de vue de Cheikh A. Diop. En
effet, pour Leroi-Gourhan : "En A.frique,
nombre de races (bovines) ont probablement
une origine orientale, héritage de nombreux groupes d'éleveurs qui gravitent au-
tour de l'élevage antique de l'Egypte;
les pasteurs peuls qui tiennent pour
l'Afrique le même r6le que les Mongols en Asie centrale
ont dû servir de véhi-
cule aux souches de plusieurs formes locales ... " (~:) .
-
Les Wolof: En général,
les Wolof du Lac de Guiers se disent être
les descendants de l'ancÊtre fondateur Ndiadiane Ndiaye dont Amadou Wade fait le
(3 )
récit de la légende dans sa "chronique du Waalo"
. Cependant, d'autres versions
orales présentent Ndiadiane Ndiaye non pas comme le premier ancêtre des Wolof,
mais tout simplement comme un personnage ayant marqué une étape importante dans
l'édification politique ~J Waalo. Une idée très répandue sur les rives du Lac de
Guiers fait venir les Wolof du Waalo
(les Waalo-Waalol
du pays du Wuul qui se
trouve dans l'actuel Sénégal-Oriental.
A Ngnit on prétend que le fondateur du village,
un certain Waly Boye
serait venu de Menguengne il y a plusieurs siècles. L'emplacement de Menguengne
se trouve dans le delta du ~leuve Sénégal, sur les bords du marigot d'o~ serait
apparu Ndiadiane Ndiaye. Waly Boye est lui-même présenté comme appartenant à la
même lignée que Bat Boye,
la première épouse de Ndiadiane Ndiaye. Cependant, on
précise également qu'avant leur installation à Menguengne les ancêtres de Waly
B
.
d
1(4)
oye seraIent venus
e Wuu
.
" " ...... " " " " .. " " " " " " .. " " . " " " " " " .. " " " " " " " " .... " .... " .. " .... " " " " " " " .... " " .... " .. " " " " .. " " " " ........ " " " .. " " .. " " "
(1) - Cheikh Anta Diop
?.P' cit. p. 391
(2)
A.
Leroi-Gourhan
le milieu et les techniques
Ed. Albin Michel,
Paris,
1974?p. 102
(3) -
Vincent Monteil: op.
cit.
(4) - Cette version nous a été communiquée par la famille de l'actuel chef de
village de Ngnit qui prétend descendre de Waly Boy.

-36-
Par ailleurs, l'idée d'une migration wolof à partir de Wuul se trouve
également mentionnée dans les textes de Rawane Boy, commentés par R. Rousseau.
Il y est indiqué notamment que la famille wolof des Boy serait venue de Wuul avant
de fonder le village de Menguengne(l). Amadou Wade, pour sa part, affirme que les
familles régnantes du Waalo avaient continué à entretenir des contacts multiples
avec leWuul d'où l'on accédait par pirogue en rejoignant le fleuve Sénégal (2).
Cependant la migration wolof serait beaucoup plus lointaine que ne
l'indique la tradition orale. Ainsi, partant d'une comparaison des ethnonymes et
des typonymès à laquelle s'ajoute une analyse des traits socio-culturels et poli-
tiques, Cheikh A. Diop avance la thèse du berceau nilotique des Wolof et trace
les grands axes de leur migration à partir de la vallée du Nil. Dans la reconstitu
tion
de cette migration, il retrouve une large identité de noms entre les Wolof
et les populations d'Afrique centrale et équatoriale, identité qui, selon lui,
'ne laisse plus aucun doute sur la parenté clanique des ~olof, des Serer,
des populations du Congo (en particulier des Saras) et des peuples nilotique;(3).
Cette parenté se trouve par ailleurs confirmée par le lien qu'établit A. Anselin
entre le Wolof et les langues 8antou(4),
le Wolof est d'ailleurs classé comme
une langue néo-Bantou.
Dans le mame ordre
d'idées, C. A. ~iop se livre à une étude linguis-
tique détaillée qui met en relief la parenté morphologique, grammaticale et synta-
xique du Wolof et de l'Egyptien pharaonique en même temps qu'elle permet de jeter
un éclairage particulier sur la langue wolof elle-même. liA la lumière des données
égyptiennes, dira-t-il, toutes les particularités du Wolof jusqu'aux classes
(1) - R. Rousseau "le Sénégal d'autrefois - Etude sur le Toubé
- papiers de Rawan
Boy " ~ Extrait du B.C.E.H.S.A.D.F. :'J
tomeXIV)n o 3 ,
1931 ~ Paris •. Laroux
p.
1 et 6.
(2) - Vincent Monteil: op. cit.
(3) - Cheikh Anta Diop: Nation nègre et culture) Présence Africaine r Paris 1979,
J
p. 493 à 504.
(4) - A. Anselin : op. cit.
rf
1
·/ .
Il.'t
1

-37-
nominales entrent dans un schéma cohérent comme les éléments d'un puzzle dont on
a trouvé la loi de la compositionll(l). Mais, précise-t-il, le Wolof ne descend pas
de l'Egyptien ancien par filiation directe; le Wolof, l'Egyptien et les autres
langues africaines dérivent d'une langue commune mère, le paléo-africain, dont le
berceau se situe dans la Vallée du Nil.
Les particularités et les nuances, ainsi mises en relief par la linguis-
tique comparative incitent Cheikh Anta Diop à formuler l'hypothèse que le Wolof
(2)
sr est "détaché" de ce "tronc commun africain à l'époque des pyramides ",
.
Par ailleurs, des recherches historiques établissent des liens entre les
Wolof et d'autres populations nilotes, les Nuer en particulier. Dans ce sens, C. A.
Diop n'a pas seulement' établi un tableau d'identité des noms Nuer et Wolof, mais
il mentionne aussi l'existence de part et d'autre de légendes ayant des traits si-
milaires. Les Nuer ont "leur" Ndiadiane Ndiaye, dont la légende présente certaines
ressemblances avec celle du héros légendaire Wolof de même nom.
Au bout du compte, s'il s'avère que le peuple wolof est chargé d'une
longue histoire de migrations à travers l'Afrique; on ne peut alors logiquement
l'isoler de tout l'héritage historique qu'il s'est forgé dans des espaces différents
de celui qu'il occupe présentement et au sein duquel il tisse des relations avec
d'autres ethnies.
- Les Maures: La quasi-totalité des Maures résidant dans la zone du
Lac de Guiers est de race noire. Ces Maures sont communément appelés Xartaani
par
opposition aux Beidaan (maures de race blanches) qui, eux sont installés en Mauri-
tanie et font des séjours périodiques dans la région.
Les Xartaani sont le plus souvent présentés comme les esclaves affran-
chis des Beidaan. Ils se seraient installés dans le Waalo et autour du Lac de Guiers
à la suite de vastes mouvements cycliques de descente des tribus arabo-berbères
vers la partie Sud du Sahel au moment de l'assèchement du Nord de cette région.
"
"
.. .
"
" "
"
" " "
" "
"
" .. " ..
(1) - Cheikh Anta Diop
Parenté génétique de l'Egyptien Pharaonique et des Langues
négro-africaines - I.F.A.N. - N.E.A.,Dakar,1977)p. XXIV
(2) - Op. cit.,p. XXIV.
·/ .

-38-
B. Barry note à ce propos que depuis le XIVème siècle, ces tribus
arabo-berbères "descendent régulièrement en Mauritanie à partir du Maroc? Ainsi,
poursuit-il
: "au fur et à mesure du progrès de la sècheresse dans le Sahel mau-
ritanien,
les Maures vont s'installer durablement sur la rive droite (du Sénégal)
à la recherche de nouveaux pâturages et terrai~de cultures ... Leur organisation
repose moins sur l'assise territoriale ... mais plutôt sur le contrôle des terrains
de parcours en relation avec leur mode de vie nomade auquel s'ajoute l'activité
.
l
t
-
-
d
,,(1)
commerCla e
res repan ue
.
Le Lac de Guiers et le Waalo dans son ensemble ont longtemps été sou-
mis à l'influence des Maures Trarza dont à certain moment,
ils constituaient le
prolongement de leurs structures politico-économiques. Selon H. Azan "les Trarza
considèrent le Waalo comme étant leur propriété et à leurs yeux ce pays est une
pépinière de captifs,
un vaste magasin de mil,
qui doit leur fournir de quoi vivre
pendant toute l'année(2).
A propos des
Befdaan
Cheikh Anta Diop affirme qu'ils "descendent direc
tement des envahisseurs arabes post-islamiques qui du VIIème au XVème siècle à
partir du Yemen ont conquis l'Egypte et l'Afrique du Nord,
l'Espagne, d'où ils
reflueront vers l'Afrique".
Les Maures dit-il en conclusion "sont essentiellement
-
-
(3)
l
des arabes musulmans dont l'installation en Afrique est tres recente"
. P us
précisément encore~C. Hames indique que la société maure est une "société relative-
ment récente puisque la fusion en un bloc unique et original de ses éléments arabes
berbères et nègres,
ne date que de la fin du XVIIème _début du XVIIIème siècle
sans qu'il soit évidemment possible d'attribuer une origine chronologique précise
-
t ' t t'
-
' t
'
,,(4)
a sa cons l
u Ion necessalremen
progressIve
.
Les
Xortaani que l'on retrouve du delta du Sénégal au Maroc sont, par
contre,
d'après Furan,
les descendants,
en Afrique,
de populations négroïdes dont
il signale les affinités avec les Nubiens de la Haute Egypte(5). C'est aussi le
...................................................................................
(1 ) - Boubacar Barry: le royaume du Waalo, Editions Maspero , Paris,1972, p. 135.
.
(2 )
H. Azan~"Histoire àu Oualo" in Revue maritime et coloniale,
Fév. 1864J p. 4861
(3)
Cheikh A. Diop
: Nation Nègre et Culture
't tome
I, p. 71.
(4)
-
C. Hames~"la société maure ou le système de caste hors de l'Inde" in
Cahiers internationaux de sociologie ,vol. XLVI,1969 P. 106.
J
(5)
Cité par C.A. Diop: ùp.cit.)~. 118
./.

-39-
point de vue de Marie L.
Diop pour qui les Xartaani "ne sont pas seulement des
esclaves noirs amenés par là par des caravaniers et trafiquants d'esclaves, mais
représentent aussi peut-être,
surtout,
un peuplement résiduel du Sahara néolitique
humide et négroïde" (1). Ainsi Xartaam: et Eeidaan appartiennent à des souches
différentes et même s'ils partagent la même langue ainsi que certains traits
culturels communs, on ne 'peut s'étonner que des différences appréciables marquent
leurs modes de vie respectifs; même si, au demeurant, ces différences s'intègrent
dans les rapports sociaux qu'entretiennent ces deux groupes dans la société Maure.
La capture d'esclaves,on ne peut le nier,
a fortement contribué
à la constitution des Xartaam: . La plupart d'entre eux se disent descendants
de Wolof, Sereer ou Soninké
anciennement pris en esclavage par les
Ee:idaan
ce fait,
en analysant ce phénomène, ce sont certaines relations inter-ethniques
qui sont ainsi appréhendées.
-
Les migrations récentes
Selon la tradition orale,
l'arrivée des Laobé dans le Waalo serait rel
tivement récente si on la compare à celle des Wolof et des Peul en particulier.
Les Laobé auraient d'ailleurs pris,
dans le système social traditionnel des Wolof,
la place des boisseliers de cette ethnie
(sen)qui auraient progressivement dispar
à leur arrivée.
Cependant, on ne possède pas de dates ou de repères historiques
précis pour situer les contours de leurs mouvements migratoires.
Les Laobé constituent des groupes nomades qui s'installent aux abords
des villages wolof et peul dont ils sont très liés.
Ils sont en général bilingues
ils parlent couramment le Wolof et le Peul. De par leur profession (le travail
du bois ~t le commerce de bétail), ils fournissent aux Wolof et aux Peul des
éléments essentiels à leurs économies et à leur vie domestique respectives.
Selon Cheikh Anta Diop,
qui s'appuie sur des analyses comparatives
sociologiques et ethnolinguistiques,
les Laobése rattachent au peuple des Sao
qui auraient vécu sur les bords du Lac Tchad(2).
(1) - M. L. Diop "Métallurgie traditionnelle et â:~e du fer en Afrique" in Sul. de
LF.A.N.)t. XXX)série S}n o 1
.1 Dakar, 196f\\p.
375.
1
~
(2) - C. A. Diop: NationS nègre$et Culture/t.
II)p. 384 et suivantas
.
1
/ .
1

-40-
Les Laobé se seraient installés autour du Lac de Guiers à la suite
de longues migrations à travers l'Afrique. Actuellement encore,
il semble qu'ils
ne sont pas encore arrivés au terme de leur migration. Au fur et à mesure que
les zones boisées s'appauvrissent ils nomadisent vers le Sud. Dans plusieurs
villages du Lac de Guiers,
on signale le cas de groupes qui auraient émigré vers
la Casamance plus riche en bois.
En dehors des Laobé, on rencontre dans la zone du Lac de Guiers des
populations issues d'autres régions du Sénégal (Casamance~
Sine-Saloum.
Sénégal-
Oriental
,Fauta, etc .. ) ou de pays voisins (Mauritanie et Guinée en particulier).
La présence de cette population est souvent liée à l'installation d'amènagements
industriels DU agro-industriels.
En effet, depuis les premières tentatives
de colonisation agricole (à partir de 1818) le problème de la main-d'oeuvre néces-
saire aux projets de développement,
se posera dans cette région décimée par la
traite négrière. En 1862 le gouverneur français Jaureguiberry songeait à faire
immigrer dans le Waalo 20.000 familles chinoises pour y développer les nouvelles
cultures de traite(l).
L'immigration de populations au service des entreprises agro-indus-
trielles a d'ailleurs toujours accompagné l'implantation de celle~i. Le déplace-
ment de populations est, en fait,
une dimension intrinsèque des projets aussi bien
dans les premières entreprises de colonisation agricole du Baron Roger que dans
cell~de la C.S.S., de la S.A.E.D., de la S.E.N.D.A. ou de la S.O.N.E.S.S. C'est
pourquoi,
il est pratiquement de règle que dès qu'une entreprise de ce genre s'ins
talle dans la zone, elle commence par construire une cité ou par aménager des zone
d'habitat pour ses employés.
Entre 1978 et 1980,
le village de Témèye Salane avait vu sa population
augmenter de plus de 30 % du fait de l'arrivée des employés
de la SENDA qui
étaient issus d'origin«géographique différente (28 % venaient de la Casamance,
10 % de Saint-Louis, 5 % de Richard-Toll, 3 % de la Guinée, 3 % du Sine-Saloum
et le reste des villages environnants).
.
;~.~~~:.~:.~~~~~.~~:.~;~:.~~~~:
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i
t
·/ .

-41-
Les condi tions de vie des familles des employés installées dans la
cité decla SENDA souffraient
d'inadaptation
au moins à deux niveaux essentiels
d'abord,
vis-à-vis du milieu rural traditionnel dont les nouvelles populations
se trouvaient séparées [Ion seulement par leurs activités de production et leur
mode de vie mais aussi par le mode dans lequel s'est effectuée l'occupation de
l'espace
(A Témèye la cité de la SENDA était située à environ 2 km du village
traditionnel)
; ensuite
ces familles se trouvaient brusquement séparées de struc-
tures économiques et sociales auxquelles elles étaient habituées dans leurs villes
d'origine (écoles,
infrastructures sanitaires ... ). Ainsi,
la composition de la
famille,
l'insertion sociale des enfants et les multiples réseaux de solidarité ne
trouvaient
plus
les bases nécessaires à leur existence et à leur reproduction.
De ce fait,
quand on compare la pyramide des âges des habitants des qUqrtiers
traditionnels à celle de la cité des employés,
on découvre des différences
de
structures.
Les personnes
âgées de plus de 60 ans et les garçons de la
tranche d'âge de 10 à 20 ans ne figurent pas dans le schéma relatif à la cité.
Celle-ci n'a ni école, ni centre de formation et l'entreprise ne leur prévoit
aucune part dans l'organisation du travail;
en outre,
les logements
conçus pour
des familles restreintes limi tent for-cément la taille des uni tés qui les oc-
cupent. Les femmes de plus de 35
ans,
non plus ne sont présentes dans la pyra-
mide de cette zone d'habitation,
alors qu'il existe è9S employés mariés à des
femmes de cette catégorie d'âge. Cette absence,
cependant, pourrait s'expliquer
par le fait que ces personnes occupent,
le plus souvent,
la position de première
épouse,
c'est-à-dire, celle qui, généralement,
reste dans la ville d'origine
pour s'occuper de l'instruction scolaire de tous les enfants de la famille pen-
dant que la 2ème ou la 3ème épouse accompagne le mari dans ses déplacements (1).
Cependant,
sur un autre plan, si on constate que l'introduction de
projets de développement, s'accompagne de l'immigration de nouvelles populations
(il en sera probablement de même avec les projets de l'O.M.V.S.), on peut aussi
s'interroger sur les situations démographiques qui rendent cette relation néces-
saire.
" " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
(1) -
Voir pyramide des âges p.49
.1.

-42-
- Crises démographiques
Selon A. Mbengue la zone du Lac de Guiers abrite une population esti-
mée à 40.000 habitants. Si on ne tient compte que de l'espace rural
(autrement
dit si on exclut la ville de Richard-Toll),
la densité serait de 10 habitants
2
au km . Dans la région administrative du fleuve
qui couvre plus de la moitié du
2
Lac de Guiers,
la densité mo;enne était de 13 habitants/km
en 1980(1). Cette
région est, par ailleurs,
l'une desplusfaiblement peuplée du Sénégal, la propor-
tion qu'elle occupe vis-à-vis de la population nationale n'a cessé de décroître
de 11,1 % en 1961 à 9,9 % en 1980.
La faiblesse du peuplement de la zone du Lac de Guiers peut être
observée au moins à deux niveaux : le premier est celui de la taille des villa-
ges ; la plupart d'entre eux ont entre moins de 250 habitants à 500 habitants,
rares sont ceux qui en ont plus de 2.000. Le second niveau observable est celui
de la dimension des concessions qui regroupent chacune environ 10 personnes. A
Ngnit nous avons une moyenne de 12 personnes par concession (il y a 93 concessions
pour une population de 1.032 habitants). A Témèye Salane la taille des conces-
sions peut être estimée en moyenne à 9 personnes, alors que dans les campements
Peul de saison sèche elle,atteint le chiffre de 5 personnes.
Cependant,
il semble que le paysage démographique de la zone n'a
pas toujours revêtu cette forme.
Certes,il n'existe pa~ de chiffres ou de données
statistiques permettant d'étayer une
argumentation sur le peuplement précolonial
de la région
; mais les sources ne manquent certainement pas pour en donner une
idée approximative. En 1675,Cllambonneau notait à propos du Waalo que "les villages
des pays sont assez près l'un de l'autre, particulièrement proches des rivières,
chacun est composé d'environ 1'00 cases et les plus grands ne dépassent pas 400" t~)
Cette description de
Chambonneau ~orrespond d'une certaine manière à l'image que
certaines sources orales donnent du peuplement précolonial du Waalo :
il y avait
autour des cours d'eau (du Lac de Guiers notamment),
des chapelets de villages qui
pouvaient chacune regrouper aisément 1.000 habitants. Dans cet ordre d'idées,
Perrottet observe que les villages le long du Lac de Guiers étaient très peuplés
..................... ~ ,- .,.--
.
(1) - Ministère de l'Economie et des Finances: Situation économique du Sénégal
1959-1979, p. 18.
(2) -
C. J. A. Ritchie "Deux textes sur le Sénégal 1673-1677" in Bull. de
l'I.f.A.N. )t. XXX,Série B, nO 1968,
323.

-43-
"le village de Ghealan -écrit-il- comme tous ceux que nous avons eu l'occasion
de voir dans ce pays, est excessivement peuplé, chaque case contient de douze
-
.
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eren es au res
escrlptlons
de Nder et de plusieurs villages du Waalo donnent elles aussi l'impression qu'il
y avait une densité de population relativement importante. Le village de Témèye
Salane lui-même, selon la tradition orale était autrefois appelé Témèye-au-7
mosquées (Temey JUY'om na1'7: jakaJ,
il aurait été tellement peuplé que ce nombre
de mosquées lui était nécessaire
actuellement le village de Témèye Salane n'a
qu'une seule mosquée '( en construction).
On peut supposer que le dépeuplement de la zone a commencé avec la
traite négrière qui débuta lors ~es premiers contacts avec l'Europe. Le Waalo
n'était pas réputé fournir de l'or ou une grande quantité de denrées exotiques
aux traitants européens; par contre, ses- marchés étaient considérés comme très
riches en esclaves;
les portugais au 16ème siècle y traitaient, chaque année,
entre 800 et 1.000 esclaves(2). Ces chiffres sont d'ailleurs loin de la réalité
de la traite effectuée par pratiquement tous les grands Etats Ouest-européens;
B. Barry mentionne à cet égard qu'en 1775, un gouverneur anglais de Saint-Louis
-
1
.
(3)
D
d '
traita dans cette region 8.000 esc aves en l'espace de 6 mOlS
.
ans ce
omalne,
aussi, ~0mme le souligne B. Barry, on ne possède pas de chiffres permettant de
dresser un tableau précis du phéno~ne. On sait cependant que la traite négrière
avait atteint dans le Waalo une ampleur considérable qui apparait dans la litté-
rature à laquelle B. Barry fait allusion. En outre, ce commerce avait fait régner
un climat de guerres, d'insécurité, d'instabilité et de calamités qui ne sera
pas sans incidences sur les données démographiques. En 1855, F. Carrère et P. Hall
estimaient que la population du Waalo ne comptait que 20.000 habitants.
(1) -Perrottet : "Relation d'un voyage au Lac de Ngher en Sénégambie et excur-
sions botaniques dans les environs" in Nouvelles annales des voyages
,
1830, p. 47 ;
(2) -
Cf. B. Barry; op.
cit.,p. 117.
( 3)
-
op. ci t .
·/ .

-44-
A la fin de la traite négrière,
la mise en place du système colonial
ne
mit
pas un terme au dépeuplement de la zone
; elle substitua simplement de
nouvelles formes aux anciennes. Comme l'indique Grosmaire,les changements écolo-
giques suite aux changements climatiques et aux amènagements hydrauliques réa-
lisés sur le Lac de Guiers par la colonisation, allaient provoquer des
exodes
massifs
àe populations en direction de l'ensemble des régions du Sénégal,
celles
du Centre et duSud en particulier. A ces raisons s'ajoutent celles liées à la
désarticulation des économies traditionnelles et à leur intégration à l'économie
de marché ;l'exode rural vers les villes devient l'une des principales sources de
revenus
monétaires
pour une économie pénétrée par la monétarisation. A.MBengue
estime que dans la zone du Lac de Guiers l'exode rural touche environ 30 % de
la population. A Ngnit nos enquêtes nous ont fait aboutir à des estimations de
l'ordre de 60 % de membres d'une concession touchée par l'exode. Ce sont généra-
lement les jeunes hommes qui sont le plus frappés par ce phénomène, mais les
jeunes femmes et,
dans certains cas,
les hommes adultes,
n'en sont pas épargnés.
De ce fait,
la structure des âges des concessions se trouve modifiée par rapport
au système traditionnel
qui assurait une disponibilité quasi-permanente de
la force de travail des jeunes dans la concession. Actuellement,
les tranches
d'âge à partir de 10 ans jusqu'à 35-40 ans se trouvent fortement réduites, voire
quelquefois inexistantes dans certaines concessions o~ on ne retrouve plus qu P
quelques vieilles personnes et très peu d'enfants.
Cependant, ces facteurs de dépeuplement ne sont pas les seuls exis-
tan~; la croissance de la population surtout après 1960, même si elle est forte-
ment atténuée par l'exode rural, est un phénomène qui touche la zone du Lac de
Guiers au même titre que le reste du Sénégal. Entre 1961 et 1980, la population
de la région administrative àulleuve a
augmenté de 345.000 à 564.599 habitants;
.
2
(l)
la densité au cours de la même période est passée de 8 à 13 habltants au km
.
A la base de cette croissance,
les démographes indiquent deux facteurs essentiels
-
d'abord,
une progression du taux de fécondité qui,
de 1960 à 1978 est passé
de 43 % à 48 % pour l'ensemble du Sénégal; dans ce contexte,la descendance brute
ou le nombre moyen
d'enfants nés vivants par femme ayant atteint la ménopause
est passée de 6,2 en 1960 à 7,2 en 1978 (au Lac de Guiers nos calculs en 1980
ont donné, pour les femmes Wolof une moyenne de 6,9 ; les Maures:5,6 et les Peul
$.2) ;.ensuite une baisse du taux de mortalité infantile qui, selon les mêmes sour
ces, serait passé, dans la même période de 180 %0 à 130 %0 dans l'ensemble du pays .
... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. "
..
(1) -
Ministère de l'Economie et des Finances: op. cit.,p. 11.
./ .

-45-
La croissance de la population est actuellement l'objet de débats
sur le plan international
la récente conférence mondiale de la population
qui s'est tenue à Mexico a enregistré un courant politique dominant favorable
'
a 1 a l '
'
lml ta t'Ion d
e
a l '
croIssance d'emograph'lque d ans 1 es pays d u t'lers-mond e (1) .
Le Sénégal, dans cette optique met en place un programme de limitation des nais-
sances.
Cette position s'appuie sur la thèse selon laquelle la croissance
démographique serait supérieure à la croissance économique, plus particulièrement
à la disponibilité de ressources dont, au demeurant, elle ne pose pas le problème
fondamental de la répartition;
les équilibres environnementaux seraient, eux-
mêmes menacés par ce que
d'aucuns appellent "l'explosion démographique". En dehors
même des enjeux politiques et économiques qui se
dessinent derrière ce courant,
si on analyse simplement ce rapport à la lumière des économies traditionnelles,
on se rend compte (comme nous tenterons de l'analyser dans les chapitres suivants)
que l'exploitation des ressources disponibles
dans certaines régions du tiers-mond
dans la zone du Lac de Guiers en ce qui nous concerne, se heurte au dépeuplement
qui aliène fortement les capacités des populations locales à
assurer leur auto-
suffisance alimentaire et à maintenir en activité
des systèmes de production
intégrant dans leur fonctionnement,
les équilibres €cosystémiques.
Par a~lleurs, il existe des systèmes traditionnels de
planning des
naissances (éloignements des conjoints après les naissances, usages de plantes
et de techniques contraceptives ... ) qui,
dans la société précoloniale, partici-
paient dans un certain sens à la régulation des structures
complexes de la crois-
sance démographique et étaient intégrés aux rapports sociaux et aux rapports
des individus vis-à-vis de l'environnement .














fi
.
(1) - Cf. Jacques Vallin "Population et développement : un important changement
des perspectives" in le Monde diplomatique, Août 1984, pp. 22-23.

F. 8 - Carte de~ mi~al:.ions des poru1at.ions
né~-af)"icaines à paYbr Je la -rét!;olt du
Hau~-Nil et c1e~ Grandf> Lacs.
(d'après Cheikh
fi... DIOP.)
1
1

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CHAPITRE III
LA RELATION A L'ENVIRONNEMENT
-=-=-=-=-=-
L'ESPACE ET LE TEMPS
Sous quelque angle que l'on envisage les cosmologies Wolof, Peul ou
~artaani, on se rend compte que le temps est conçu comme un des éléments organisa-
teurs non seulement de l'espace physique, mais aussi de la vie sociale dans son
ensemble.
Et réciproquement l'espace et la vie sociale participent à la structura-
tion du temps.
Dans le mode traditionnel d'occupation de l'espace, c'est le temps qui
confère au premier occupant de la terre,
sa position socio-politique de mattre de
la terre et c'est autour de la concession de celui-ci que s'organise l'occupation
du village.
A Ngnit,
le cimetière se trouve pratiquement au centre du village; dans
d'autres villages wolof établis le long du Lac de Guiers, on constate aussi que
les cimetières ne sont pas éloignés des habitations. Au Fouta voisin, Mamadou Wane
nous apprend dans le même sens que,
pour la fondation du village "le cimetière est
le premier espace que le groupe délimite,,(l).
Le cimetière n'est pas central seulement parce qu'il est sacré -en lui
résident les ancêtres auxquels on voue un culte quasi-permanent- mais aussi parce
qu'il représente un point de fixation du temps.
Le temps des vivants, celui qui
, ff
t
d
l
h b·
t .
t
. .
t
- h - ,
( 2 )
l
l '
t . ,
s e
ec ue
ans
es
a lta lons es
provlsolre e
ep emere
, a ors que
e Clme lere
est un lieu de résidence définitif,
éternellement habité. Cependant, ces deux formes
du temps ne sont pas antagoniques ou isolées l'une par rapport à l'autre, elles sont
en corrélation. C'est dans ce sens que Boubou Hama et Joseph Ki-Zerbo écrivent:
"le temps africain traditionnel englobe et intègre l'éternité en amont et en aval.
Les générations passées ne sont pas perdues pour le temps présent. Elles restent
à leur manière toujours contemporaines et aussi influentes,
sinon davantage que de
leur
vivant ,,(3)
(1) -
Mamadou Wane : "L'espace e.t l'organisation foncière toucouleur" in E. le Bois,
E.
le Roy et F.
Leimdorger : Enjeux fonciers en Afrique noire
ORSTOM-Karthal
---"--------------"-----)
1982,p. 119.
(2) -
Un dicton wolof dit
"Adina Yeendu la" (la vie n'est rien qu'une journée
passée ensemble).
(3) -
Boubou Hama et J.
Ki-Zerbo "la dynamiaue du temps africain', courrier de
l'UNESCO ~ Août-Septembre 197~, p. 12.

-51-
Dans la société traditionnelle wolof,
il est fréquent que les lignages
agnatiques se disloquent à la mort du chef de la famille étendue. Des
villages en-
tiers,
en particulier ceux qui ne sont composés que d'un seul lignage, disparais-
saient ainsi
; les membres de la communauté se dispersent pour rejoindre leurs
lignages maternels respectifs.
Cependant,
au bout de plusieurs années,
il arrive que ces lignages
agnatiques se reconstituent et reviennent s'établir sur le même site qu'ils avaient
abandonné auparavant. C'est ainsi que le village de Témèye Salane fut reconstruit
en 1973 après avoir été déserté une vingtaine
d'années auparavant.
Le chef de vil-
lage qui a impulsé cette reconstruction explique qu'il a voulu se rapprocher de
ses ancêtres. Certes la sècheresse de 1973 avait entraîné un mouvement de popula-
tior~en direction des rives du lac, mais on peut retenir qu'il a délibérément chois
de s'installer dans cet endroit précis plutôt que dans un autre.
Les Wolof expliquent le retour au village d'origine par la nécessité
de se réconcilier avec leurs ancêtres. Sur le plan métaphysique,
cette réconcilia-
tion fait partie de la recherche d'une harmonie qui intervient dans l'ordre théolo-
gique et moral.
Or,
on considère 'l~e si cet ordre est perturbé,de graves calamités
(sècheresses,
famines,
invasion de sauterelles ... ) peuvent arriver. C'est aussi dans
les cimetières que se déroulent les parties essentielles des rites de la pluie
( 1
)
(1)
loaunaan .
(1) -
Accompagnées de tam-tam,
de chants et de danses,
les femmes,
sous la directio
des plus âgées,
se déguisent en hommes et scandent des refrains qui demandent
à Dieu
d'amener
la pluie. Dans ces rites o~ on semble rivaliser de bouffon-
neries et de caricatures de la société,
tout se passe comme si l'objectif
visé est de faire retrouver à Dieu le rire qui absoud les fautes des hommes.
Le rapport avec Dieu,
tel
qu'il
apparait à travers les refrains fait res-
sortir des relations de parenté et d'échange.
Un refrain énonce ces paroles
'~aam YaLa may ma ndox
Su ma dunde fey La ndox"
(traduction
"Ancêtre Dieu donne moi de l'eau
Si je vis je te la rendrai").
Du point de vue rationaliste on peut soulever certaines hypothèses à propos
des incidences sur l'atmosphère du bruit et de la poussière soulevés parees
rites qui durent des
après-midi
entiers et qui, autrefois, étaient interrom-
pus . . . par la pluie! Mais à l'heure actuelle,
les baunaan se font de plus
en plus rares et n'amènent
pas de pluies dans cette partie du J$ahèl •
. f.

-52-
Selon
Cheikh Anta Diop,
le terme wolof 'wërsëg" qui évoque la chance,
se décompose en
wër : qui signifie faire le tour et sëg qui veut dire cimetière.
Ce terme serait lié â une ancienne pratique rituelle qui consistait â faire le tour
d es
.
Clme t"leres pour s'attl'rer la chance(l). Dans
t~
ce.Le perspec t'lve,
l" lmpor t ance
du cimetière dans la vie sociale est, d'après Cheikh Anta Diop, un élément du culte
d~s anc~tres qui, en Afrique, est â inscrire dans l'héritage du berceau agricole
et sédentaire de
différentes sociétés.
Cependant Peter Worsley qui a analysé chez les Tallensi des phénomènes
analogues de retour sur les terres des anc~tres, indique que ce sont des raisons
essentiellement économiques qui impulsent ces types de mouvements. Ces terres,
du
( 2 )
fait de l'alternance de l'occupation et de l'abandon ont une fertilité plus grande
.
Mais on peut aussi retourner à cette thèse,
l'argument selon lequel la fertilité
de
ces terres
est
augmentée précisément parce que des raisons culturelles conduisent
â des occupations intermittentes. Autrement dit, les raisons économiques sont étroite-
ment liées aux considérations culturelles qui les encapsulent.
Toujours est-il qu'en 1976, quand la Société Sénégalaise de Développe-
ment Agricole (SENDA) s'installa à Témèye Salane, elle occupa l'emplacement de l'an-
cien cimetière du village, celui oG reposent les anc~tres les plus éloignés; les vil-
lageois ne pure~t qu'être placés devant le fait accompli. Dans cette situation, un
nouveau rapport de forces avait bouleversé l'anclen ordre dont le chef de village étai
le garant en tant que membre du lignage le plus anciennement établi.
Le Chef de village n'était, en fait,
jamais considéré comme un posses-
seur de l'espace dans lequel il assumait son autorité;
il ne faisait qu'organiser
l'occupation de l'espace suivant des normes traditionnelles communément admises.
L'espace a toujours une dlmension spirituelle; des esprits avec qui,
le premier
occupant a contracté une alliance, sont toujours présents
chez les Peul "kumen"
(l'esprit gardien des troupe3.ux)
esttoujours présent m~me dans les espaces "vides"
oG rien ne pousse (karaaji).
De ce fait,
les fonctions organisatrices occupées par
le chef de village gardent toujours une dimension spirituelle qui est rarement
observée dans l'occupation de l'espace par les entreprises agro-industrielles.
(1) -
Cheikh Anta Diop
L'Unité culturelle de l'Afrique noire,
Présence africaine
Paris 1982, p. 40.
(2) -P. Worsley "The kinship system of the Tallensi
: A. Revaluation" in journal
of the Royal Anthropologieal Institute,
Londres,1956, p. 38.
·/ .

1
1
1
Dans le système traditionnel,
les villages abandonnés, continuent à
garder des liens multiples avec leurs ressortissants.
Les vocabulaires wolof et
Il:
peul utilisent d'ailleurs des termes différents pour distinguer les villages habité
des sites abandonnés.Le Wolof oppose le mot Dëk
(village habité) au mot Gent
(site
abandonné)
chez les Peul, on retrouve l'opposition wuro/ù1indé à propos de laquell
A. Anselin écrit:
"pour les Peul,
une maison se définit par le fait d'être habitée
d'être vivante •.. la maison peule se définit, par sa relation au vivant et se rédui
sémantiquement à la notion de campement, par extension. Village vidé
de ses habi-
l
. d'
(1)
l
'
tants,
e 1J.JUl'O prend le nom de WUZ ,e"
. A
'arrivee de nouveaux occupants et dans
les mouvements de transhumance,
les bille et les gent
d'un lignage sont toujours
respectés. Dans le Waalo,la tradition veut que même un roi doit éviter de séjourner
dans les gent, cela risque de lui porter malheur ; un dicton wolof dit : 'ku bok
ci nguul', wal'ul fanaan ci dëk bu gent" (un membre d'une famille royale ne doit pas
passer la nuit dans un village abandonné) (2) .
1
~
L'espace habité,
quant à lui, apparait comme une surface de projection
des rapports sociaux qui se tissent au sein de la communauté.
Le dëk wolof est
1
traditionnellement construit à partir d'un modèle circulaire; les différentes
concessions s'établissent autour de la place publique, à la suite du premier occu-
pant qui joue Un rôle prééminant tant sur le plan politique que sur celui des rites
spirituels et religieux. Dans le Waalo précolonial,
les villages wolof étaient en-
tourés de palissades de forme
le plus souvent
circulaire. A. Boilat écrit à ce
propos que
: "les villages (du Waalol sont entourés d'enceintes rondes ou carrées,
.
t
l
At
.
t
t
t ' .
d I A
. -
" (3)
A'
.
h
SUlvan
e gou-, malS,
ou es cons rUltes
e
a meme manlere
.
lnSl,
caque
village constituait une entité relativement homogène,
dont la place publique, en
raison de son r6Ie dans les relations individuelles, assurait une des plus importante
fonctions d'intégratiof"
La place publique (Pënc)
a généralement de grands arbres
ou des hangars sous lesquels se tiennent les assemblées. ~ Boilat en fait la des-
cription suivante:
"Dans tous les villages,
il y a un hangar recouvert de paille
ou de plantes grimpantes,
sous lequel s'assemblent les hommes ... Ils s'y assemblent
(1) -
A.
Anselin : op.
cit.,p.
53.
(2) -
Cf. V. Monteil: Esquisses sénégalaises, Initiations et études africaines ~
nO XXI) Dakar, 1966, p. 39.
(3) -
A. Boilat : Esquisses sénégalaises, P. Bertr.and, Paris,1859,
p. 295.
/
., .

-54-
encore dès le matin en grande compagnie pour respirer le frais
; ils y passent la
journée afin de se mettre à l'abri du soleil et le soir ils y allument du feu ...
vers l'heure du midi,les femmes apportent le couscous ou le riz dans ces assemblées,
on mange avec appétit,
puis on dort une bonne heure,
après laquelle,
la conversation
.
l
,,(1)
recommence Jusqu au souper...
.
A propos de cette conversation, A. Boilat remarque que "les Wolof aiment
passionnément la conversation.On croirait peut-être qu'ils s'entretiennent d'absurdités
et de bagatelles, nous allons prouver au con traire que leurs en tretiens roulent s_ur df
cbos~s utiles; qu'ils en tirent toujours quelques fruits, comme nous en tirons de la
lecture d'un bon livre,
d'un auteur avec lequel nous lions conversation en quelque sor
te,
et 00 nous puisons des principes de worale.
Supposez que leurs réunions soient fai
tes dans une salle contenant une riche bibliothêque et que le Président de la société
prenne un auteur moraliste,
qu'il en fasse la lecture à tous,
et que chacun ait le
droit d'exprimer ses réflexions et vous aurez une idée de leur passe-temps. Quand
on peut comprendre et comme il faut la langue et bien saisir les
idiotismes, on
(2)
.
est surpris de trouver chez eux tant de sagesse"
. Le Pë~c est, de ce falt,
un
lieu de formation philosophique et morale;
cependant,
il n'est pas seulement la
place de discussions par excellence
; il est aussi le lieu qui rend officiel les
décisions prises par l'assemblée ou les autorités. C'est dans ce sens que le mot
wolof Pëfi.c signifie en même temps une assemblée qui délibère et prend des décisions.
Cependant,
le rôle d'intégration ne supprime pas l'autonomie réalisée
au niveau de différentes subdivisions du
village:
les concessions et les quartiers.
Les concessions constituent les unités résidentielles des familles étendues ou de
leurs fractions habitant
dans un même village. Les quartiers, eux regroupent
différentes concessions sur des bases socio-culturelles ou historiques;généralement
dans les villages wolof,
les ressortissants d'une même ethnie étrangère (les Maures
par exemple) vivent dans leurs propres quartiers
; les différentes castes artisanales
et les griots vivent
eux
aussi dans des quartiers spécifiques.
A Ngnit la répar-
tition par quartier regroupe,
selon la tradition orale les immigrés provenant de
mêmes lieux d'origine:
le quartier de Mbooyeen regroupe les descendants du fondateur
du village qui provenait de Menguène Boy;
celui de Njarno abrite les descendants
des immigrés venant de Thialang,
le quartier de XeLcom aurait été constitué par
des gens venant du Djolof,
celui de Njoobeen regroupe la vague provenant du
Foutn
le quartier de Tempeec,
quant à lui, a été constitué par des réfugiés de la rive
Est du Lac de Guiers effrayés par les razzias maures .
. li)' ,:,·op:· ~it::p: ·323:································································
( 2) - Op.
ci t .) p. 345.
./ .

f. 11: .Q§PQSITIQN
CES
OONCESSJONS DANS LA ZONE -1=.!.-.PLUS_ANg;NNE~
.JWa!In.. OU VILLAGE DE tf~
CJ
o
o
Bayaal
Pënc
(
)
Bayaol

C .'-
-':'>0-
Traditionnellement,
les concessions,
comme le
village
tout entier, re-
groupent plusieurs cases,
lesquelles C~llstituent les demeures ries individus; A. Boil
nous fait une description de l'habitat traditionnel qui n'a pas encore fondamenta-
lement changé dans le Waalo
: "Dans le Waalo,
les cases sont construites en terre
battue,
avec de la paille coupée,
il arrive souvent qu'on mette le feu dans l'inté-
rieur pour cuire cette terre et la rendre plus solide ; quant à la toiture, elle
est toujours de chaume ... Chaque case forme une seule chambre,
et le nombre en est
plus ou moins considérable,
en proportion de la richesse du propriétaire.
Les écu-
ries,
les poulaillers,
les magasins,
la chambre à coucher,
sont autant de cases
qui communiquent souvent entre elles par de petites galeries non
couvertes,
toutes
sont renfermées dans une même enceinte de roseaux ou Je ~erre : ils nomment cela
tapade. Chaque maison a son enceinte,,(l).
Quand on compare l'habitat wolof actuel
à celui décrit par A.
Boilat,on peut se rendre compte de certains changements inter-
venus
dans l'organisation de la force de travail ~~ns les concessions; les c18ture
sont actuellement moins fréquentes et moins bien entretenues;
les toitures en paill
sont aussi l'objet de moins de soins si elles ne sont simplement remplacées par des
1
matériaux en zinc ou en ardoise
; les petites galeries communiquantes ont,
la plu-
1
part,
disparu ... Cette situation,
dans un certain sens,
correspond à un état de
1
crise de la disponibilité de main-d'oeuvre pour les travaux consacrés à l'habitat
qui s'effectuent traditionnellement à la fin des récoltes d'hivernage,
c'est-à-dire
à la période où actuellement l'exode rural est le plus développé
en outre,
les
1
l,
formes d'entre-aide traditionnelle qui faisaient que les travaux de construction
~l
i
pouvaient bénéficier du travail collectif des jeunes de tout le village,
disparais-
t
~
sent face à une redistribution dans la division du
travail.
f
l'Im~.
S
t
l
l
.
I f ( · .. )(2)
ur un au re p an,
es conceSSIons wo 0
,ker
oont, •
des v 1
lages,
entourées
chacune d'une clôture assurant leur autonomie et leur protection
1:
~.
vis-à-vis des regards étrangers
; leur structure repose sur un modèle de forme à
0::'
i
,
peu près circulaire ayant à son centre une cour intérieure (~tt).
i'
.~.
l
~~
~
;'
Le ëtt établit une organisation de l'espace qui oriente chaque membre
i
de la concession,
ou chaque h8te dans des lieux ayant des significations SPécifiques.1
Ainsi,
le chef de la concession et ses frères
(les autres doyens d'âge de la con-
1~i;
cession)
se réunissent en général dans la partie du ëtt faisant face à la case du
li
. . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . . .. . .. . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . .. .. . .. .. . ... .. . .tt:
(1)
A.
Boilat : op.
cit.} p.
295.
~~
(2 )
C. A. Diop rapproche le terme wolof Kér au terme égyptien Kër qui signifie
f1
la même chose (cf. nations nègres ... p.
267).

./ .
fai~
~
~'

-~.J / -
1
chef. Cette partie est habituellement couverte d'une toiture. C'est là que le chef
1
de famille reçoit ses hôtes étrangers. Un autre endroit du ëtt est aménagé pour
1
,
i
abriter les séances de priêre
(du crépuscule et du soir surtout) qui réunissent
tous les adultes et les adolescents de la concession. Les parties de la cour faisan
face aux cuisines sont surtout fréquentées par les femmes et les enfants
; les homme
n'ont d'ailleurs pas le droit de fréquenter les cuisines.
Les divisions du Itt ne sont cependant pas !tanches, de multiples raison 1
amènent
souvent à passer d'une partie à l'autre.Ces différents espaces sont autant
l
de lieux d~ rencontre et de communication ayant chacun
son autonomie et sa relation
avec les autres éléments de la concession.
1
1
F. l't
Organisation d1unrconcession wolof à Témèye-Salane.
1
1
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ct du ne-./Cu>, du eM f
LEGENDE
(1) - Lieu
de rencontre des hommes adultes
de prise du petit-déjeuner de la con-
cesslon
de prise du déjeuner et du diner des
1
hommes
(2) - Lieu
de rencontre des femmes les plus âgées
de prise du déjeuner et du diner des
1
femmes et des enfants
i
(3° - Lieu
de rencontre des jeunes femmes
1
1
!
1
1
-i

-53-
Dans les concessions en général,
tous les hommes et toutes les femmes
mariés ont chacun une case individuelle. Ainsi, pour les enfants,
deux types de
cases sont à distinguer : la case du père (nEgu baay en wolof) et la case de la
-
(
nd)
(1)
mere
negu
ey.
La case du père est, e1 principe, un lieu où l'enfant n'accède que ra-
rement.
Quand il sera adulte,
c'est là qu'il recevra les gris-gris paternels et
les connaissances relevant de son patrilignage. L'individu garde vis_à.vis d'elle
une attitude faite de distance et de respect.
La case de la mère, par contre, est le refuge permanent de l'enfant;
c'est là qu'il reçoit jusqu'à la moindre attention.
C'est aussi le lieu sacré où
il reçoit l'héritage moral
et spirituel, ainsi que la protection de son xeet
(lignage maternel) la case de la mère est surtout un lieu de transmission des va-
leurs de ce lignage.
Dans la concession,
il existe en outre d'autres cases habitées collec-
tivement ou individuellement par les enfants et les hommes non mariés. Derrière
chaque case se trouve le
wanak
(endroit destiné à la toilette ccrporelle).
Les
wanak
des personnes âgées sont surtout considérés comme des
lieux fréquentés par les ancêtres.
Le w~nak ne doit pas manquer d'eau car les an-
cêtres sont censés venir faire leur toilette à tout moment.
C'est là
qu'on
se purifie avec l'eau bénite destinée à protéger contre les forces néfastes. De
même, c'est là que se trouvent les
xamb
(autels destinés au culte des ancêtres).
Ainsi,
le ~anak est l'un des endroits les plus intimes et les plus chargés de la
présence de l'esprit des ancêtres ou de celle de forces néfastes,
chez le Wolof,
le kayafi,
un esprit nuisible, menace toujours ce lieu.
Dans le wanak sont présents
le passé et les mystères;
c'est le premier endroit que l'on fréquente dès le lever
du jour, et le dernier dans lequel on se rend à la tombée de la nuit.
;r
~
~""
Un peu en retrait de la concession, se troovent les greniers. Autrefoi. 1
pour les protéger contre des incendies éventuels,
les greniers de toutes les con-
fi
~
cessions (ou de plusieurs d'entre elles) étaient situés dans un même espace, un
i
peu à l'écart des habitations.
Le mil constituai~ la principale récolte qui y était
stockée.
1
1"
~f
(1) -
Les termes negu baay et negu ndey
évoquent)par cxLensiol1, respectivement le
~
lignage paternel et le lignage maternel.
1
. ! .
1
1
~1

-59-
1!~
1
Aujourd'hui,
le grenier tend à disparaitre des concessions avec le
t
~
J
recul du mil dans l'alimentation. Cette disparition est elle-même très expressive
1
de la perte d'auto-suffisance alimentaire au niveau des unités de base. Avec le
1
1
recul de l'agriculture vivrière, c'est le riz importé qui va constituer l'aliment
de base. Or, à l'inverse du mil dont les récoltes annuelles àevaient servir jus-
1
~
qu'à la fin de l'année, le riz quant à lui, est acquis à des intervalles de temps
~.
;:
plus brefs. C'est à la fin de chaque mois, quand le système économique dominant
li·
1
~
procède à la redistribution desr~venus que les familles se ravitaillent en
i~
cette denrée qui est alors stockée dans les cases.
~
i
~
't
Dans les KëY' on réserve aussi souvent des endroits qui servent d'éta-
"
If~
bles au petit élevage domestique de moutons, chèvres et chevaux. Ces endroits,
W
~
f~
l'étable des moutons en particulier,sont généralement situés à côté de la case
!li
~i
i,
du Chef de famille qui contrôle ces animaux, alors que les poulaillers qui sont
!
t
du ressort des femmes ne sont pas éloignés des cuisines.
l,~t~i~
En défini ti ve, le KëY'
Wolof n'est pas conçu simplement pour loger les
li
membres àe la concession, il est multifonctionnel et présente une structure comple 1·.•.•.·
xe en relation avec des systèmes de famille,
de représentations et d'organisations

t
économiques qui interviennent dans sa constitution interne.
[!
Par contre, les entreprises industrielles implantées dans la zone du
1
Lac de Guiers semblent aborder la question du logement de leurs employés sous un
~
angle plutôt schématique et à travers des modèles culturels étrangers. Ainsi,
1
la
plupart des logements construits par la SENDA ne possèdent pas de cour intérieure.
f~
Ce sont, pour l'essentiel, des bâtiments collectifs comprenant plusieurs apparte-
,
ments d'une ou de deux chambres. Ces appartements étaient initialement conçus pour
1
1:
~
abriter des adultes célibataires ou des familles de type nucléaire (père, mère
1
et un ou deux enfants), alors qu'une seule concession Wolof peut compter plus d'une 1!
vingtaine de membres. En outre, ces appartements sont séparés de leurs lieux de
1
toilette qui se trouve dans des bâtiments collectifs isolés et qui ne peuvent nul-
lement avoir la même signification que le wanak traditionnel.
./ .

-60-
Sur un autre plan la disposition de l'habitat traditionnel se trouve
elle-même affectée par les amènagements agro-industriels et les changements
1
socio-économiques qui les accompagnent.
1
1
Avec la subordination du village à la ville et à l'extérieur,
le pë~c
1
et la circularité de l'habitat cèdent la place à la route,
nouveau centre d'intérêt II
auquel est subordonnée l'organisation de l'espace. A Témèye Salane, ce n'est plus
autour du Pëfr.c que s'établissent les nouvelles concessions; mais le long de la
route. On observe aussi le même phénomène à l'intérieur des Kër
les portes ne
1
~
sont plus totalement orientées vers les ëtt,elles donnent sur la route.
Le Pënc
i
tend de plus en plus à devenir un lieu marginal,
vidé de sa substance originelle.
t
t[
Mais, cependant,
si les villages actuels sont de plus en plus intégrés
dans des relations extraverties,
les
d~k traditionnels, n'étaient pas non plus
1
~.
totalement repliés sur eux-mêmes.
t
f
Chaque d~k
intégrait dans sa structure interne des relations avec
f
l'extérieur.
Les villages wolof possédaient généralement un ou plusieurs
bayaal
1
(espaces vides)
qu.i servaient de lieux de marchés hebdomadaires, places de bétail
f
de lieux de rencontres récréatives ou avec l'Islam d'espaces destinés aux grandes
i
prières (Tabaski et Karité) qui réunissent les populations des alentours ... Aussi, J
le dëk
Wclof est-il toujours relié par de multiples liens Gocio-éc0nomiques et
l
1
culturels aux villages Xartaani
(Cad en wolof) et aux campements Peul.
lf1;
Le
gad lartaani est en général de dimension plus réduite que le d~k
i:
Wolof. Mais on y observe la m~me disposition circulaire de l'habitat tout autour
fl
.
(1)
d e l a p l ace publ lque
.
1
~,[
La différence avec les \\lolof r.éside néanmoins dans le fait que la
[~
structure de la concession y est tout autre.
Les concessions X(~rtaani sont ouverte 1
les unes sur les autres
; elles ne sent pas comme chez les wolof isolées les unes
t
des autres par des clôtures.
La distinction entre les cases des hommes et celles
~.
~',.
des femmes y est inexistante et la cour de la concession se limite à l'espace situ
devant la case principale qui,
elle-même,
donne sur la place publique.
. .... .. . . . . . . . .. . . . ... . . .. .. . .. . . . . . .. . ... . . . . .. . .. . .. . ... ... . ..... . ... ... .. . ... . .. (~~
(1) -
Voir schéma p.61.
F
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t
!
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-c, _
1
~
~li
Dans les villages peul d'hivernage,
les conce~sions ne semblent pas
~rr
être disposées de manière circulaire,
on observe plutôt un habitat relativement
l·~
éparpillé qui réserve une certaine distance entre les différentes concessions
i
(gaLléJ.
La case peul (SuuduJ
est occupée par le couple et les enfants en même
(
temps
qu'elle sert de lIeu pour faire la cuisine.
'"~.'~!
t
t
i
Cette dispersion des
gallé éi sûrement un lien avec le fait que chaque
!
concession s'amênage des espaces pour ses différents troupeaux (de veaux,
de vaches{
de moutons et de chevaux). Néanmoins,
les membres adultes du village se retrouvent
t

dans les lieux communs soit pour la priêre du soir ou pendant les travaux champêtres f
qui les réunissent dans le même enclos collectif.
1
~.
F. 15 - Dispositions des conèesssions dans
le village Xart_ani de
Dar-es-salam.
®
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®

-62-
Les villages peul d'hivernage
(Duumaa~e
singulier:Ruumaano)
regrou-
pent plusieurs Galle appartenant au même lignage ou à des lignages apparentés.
Ils sont toujours implantés près de marigots ou de mares hivernales
; dans la
zone du Lac de Guiers,
ils peuvent regrouper jusqu'à plus d'une centaine d'indi-
vidus.
A partir de la fin de la saison des pluies,
le ruumaano commence à
se diviser en petites unités regroupant une ou deux qalle qui vont implanter de
1
r
peti ts campements de la saison sèche (en Pulaar d.a.1"bî.rDe), dont la mobi l i té est
!t
fonction de la qualité et de l'abondance des pâturages.
1
~r~.
~
Les
datbirDe sont généralement situés à proximité du lac ou des puits 1
et forages existant dans la zone. Quand un ruumaano
éclate en plusieurs dabbù'iJ(:
1
t
!r
ceux-ci se dirigent dans des directions différentes,
voire opposées pour se re-
!
trouver au début de l'hivernage prochain.
L
r,
î'
f
Ainsi,
l'année Peul est marquée par les deux grandes périodes que
~
sont celle de la vie dans les villages et celle de la vie dans les campements.
[l,
E. Evans-Pri~chard
avait effectué la même remarque chez les Nuer qui, eux aussi,
divisent l'année en période de résidence au village
(cieng) et en période de ré-
( 1 )
sidence dans les campements
(weg)
1
&
f,:
[r~
Ces périodes s'inscrivent cependant dans le rythme des saisons dont
ï!
la représentation des différents types est pratiquement la même pour les Wolof,
1
!
Peul, Maures du Lac de Guiers. Ces populations distinguent habituellement:
t
r~,
_ une saison sèche et aride (noop en wolof) pendant laquelle l'harmattan
souffle.
f
~
r
Cette période correspond aux mois de Février à Avril
~
fi
_ une saison beaucoup plus chaude aux températures les plus élevées de l'année
r
f.
"
(corOO1len wolof).
Cette période est chargée d' humidi té annonciatrice de l' hi-
1
~
vernage. Elle va de Mai à Juillet ;
!~:.ï
-
une saison des pluies (nawet)
de Jililet-Août à Septembre-Octobre ;
_ une saison froide (lol~ essentiellement marquée par des températures plus bas-
1
[
ses et des vents d'Ouest.
l,
~
~:
... "'
"
iî!
(1) - E. Evans-Pritchard:
Les Nuer, Ed.
Gallimard,1968,
p. 119.
f
t.~~
l,
f"
~.
./ .
~!l'l'

-63-
Cependant, si on retrouve sous des appelations différentes cette m&me
division de l'année chez ces diverses ethnies,
les activités
socio-économiques qui
les caractérisent sont différentes d'un groupe à l'autre. Mais on retrouve partout
le m&me intérêt à l'observation des astres qui permet d'opérer des divisions et des
prévisions du temps.
Ainsi,
suivant la position de la Grande Ourse
(Jun90 Riiwa en
pulaar), ou de la constellation des Pleiades
fDaccuk,:) , ainsi que de celle d'autres
étoiles,
les populations prévoient le début ou la fin de l'hivernage,
le commencement
des fortes chaleurs,
l'abondance ou le manque de pluies,
etc ... La division du jour,
elle-m&me est liée aux positions des astres
le jour commence avec l'apparition de
l'étoile du berger (Jaayre en Pulaar) et se subdivise en parties essentielles délimi-
.
(1)
tées en référence avec différentes positions occupées par le SoleIl
.
Dans le m&me sens,
la délimitation des mois se définit par rapport au
calendrier lunaire. Dans les trois langues on utilise invariablement les mêmes termes
pour désigner le mois et la lune
: Lewru en
Pulaar, (:,":âhY' en maure et v/eer' en wolof
signifient à la fois la lune et le mois. Pour ces différentes ethnies l'année lunaire
,
,
d
.
(2)
se d IVlse en
ouze mOlS
L'observation des astres est donc un élément fondamental du calendrier
R
local et de la division du temps de manière générale. Cette conclusion remet en cause
1
~
dans une certaine mesure la thèse structuraliste reprise par Jean Ziegler selon la-
t.
~1
quelle les calendriers africolns obéissent surtout à des paramètres socio-économiques
~.
i
spécifiques;
le temps écrit-il dans ce sens, est toujours "le temps pour quelque
t
g.
~.
ii'
chose,,(3).
A l'appui de ce point de vue,
il donne des exemples de différents types
f:,
i'
de calendriers en fonction des activités agricoles ou pastorales de leurs utilisateurs [~.
. . . • . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . • . . . . • . .. t
R,
(1) -
Cf.
Oumar BA
: le Foûta Tôro au carrefour des cultures, Ed.
l'Harmattan, Paris
i
1977 pp.
257 et suivantes.
t
~.
(2)
-
Chez les Maures,
les mois lunaires sont les suivants
: R~~adaan - El Watar
Lewu 'al - El Watar Saani - La Af-d - Achor - EL FJeya -
OuI f1aouloud- Libiyal
Lewu'al - Libiyal Saani - Libiyal Saal.iz - Laksorz Lewu'al - [,aksar Saani.
Ce calendrier est cependant étroitement associé à l'Islam.
(3)
-
Jean Ziegler : Le pouvoir africain -
Ed.
du Seuil 1979 p. 196.
./ .

-64-
Ainsi,
à propos du Lac de Guiers, si on tient compte de la multiplicité
et de la relativité des paramètres socio-économiques,
on pourrait s'attendre à des
différences notables dans la division du temps. Or,
celle-ci est pratiquement la même
pour des populations aux activités socio-économiques fort différentes.
Certes le con-
tenu socio-économique et la signification culturelle des diverses parties du temps
ne sont pas identiques d'une ethnie à
l'autre,
mais il semble que la rationalité
~
de la division locale du temps soit fondée sur la recherche de critères objectivables
considérés comme absolus.
1
C'est dans ce sens que pourrait se situer l'intérêt accordé à l'étude
1
des astres,
qu'on retrouve aussi dans l'Egypte pharaonique ou dans certaines sociétés
(1)
Soudaniennes
(chez les Dogon par exemple)
.
1
LES RAPPORTS A LA TERRE
1
Dans la zone du Lac de Guiers,
les populations distinguent habituellement
,
2 types de terres sur lesquelles s'effectuent des activités différentes.
Ce sont les
terres du Waalo et celles du Jeeri. Cette distinction se fait en référence au mouve-
ment des eaux du lac.
1
Les terres du Waaîo
constituent une bande attenant le lac
(Takk en wolof)
régulièrement inondée par la crue.
Leurs superficies augmentent au fur et à mesure
que baisse le niveau des eaux.
1
Les terres du J éèr"i
quant à elles, ne sont pas touchées par les crues
!
et les seules eaux qu'elles reçoivent sont celles des pluies.
Sauf pour le cas des
amènagements agro-industriels qui,
eux, pratiquent sur ces terres des cultures irri-
1
i
guées.
1
(
~,
.......................................................................................................................................................................
(1)
-
Cheikh Anta Diop et Marcel Griaule ont montré que les Dogon et les Egyptiens
anciens connaissaient les leviers héliatiques de Sirius
qui ont lieu tous les
1.460 ans.
Cf. Cheikh Anta Diop -
Civilisation ou barbarie,
r~. Griaule et
G. Dieterlen "un système soudanais de Sirius" in Journal de la Société des
t
Africainistes,
tome
XX,fasc.
II,
Musée de l'homme,
Paris 1950.
l'
~';
t
t~§
./.
1
i
1

_bL-J-
D'une manière générale,
les terres du Jeeri
servent à la culture d'hiver-
nage d'arachide et de céréales, alof's que le maraîchage et les cul tures de légumes
s'effectuent surtout dans le Waalo.
Pendant l'hivernage,
les éleveurs et leurs trou-
peaux se retirent dans le Jeeri
et; pendant la saison sèche,
ils s'établissent dans
le Waalo
ou s'en rapprochent très sensiblement.
Les agro-industries (C.S. S. et
S.E.N.D.A.) sont essentiellement installées dans le Jeeri.
Actuellement, sur le plan agricole en particulier, on assiste à une dimi-
nution croissante des activités traditionnellement effectuées dans le Jeeri
; le
déficit pluviométrique en est sûrement une raison. Une autre raison est l'occupation
de ces terres par l'agro-industrie.
La SENDA, par exemple avait occupé,
en 1970, pra-
tiquement toutes les terres du Jceri
des habitants de Témèye Salane. Ceux-ci ne de-
vaient se contenter que des espaces aux alentours immédiats du village.
Les terres du v/aalo et celles du Jeeri
sont soumises à des modes d' occu-
pation
différents. Alors que les champs du Waalo sont occupés par les agriculteurs
de manière quasi-permanente,
ceux du ~eeri sont eux, occupés par les éleveurs
aussitôt que finissent les travaux agricoles. Dans le Waalo,
les pâturages et les
pistes de transhumance sont distincts à~zones de culture
alors que dans le Jeeri
par contre,
cette distinction n'a lieu que pendant l'hivernage;
de ce fait,
au cours
de l'année,
le même espace est occupé de manière successive p~r les éleveurs et les
1
agriculteurs. Pendant la saison sèche,
l'agriculteur n'a pratiquement aucun droit
sur ses terres du ,lee",i. Ce mode d'occupation suppose donc un droit d' usage inal'énabl
:.•.•.•..
reconnu aux différents usagers. Ce droit,
par ailleurs,
présente, sur certains points,
.
des similitudes avec le système foncier du Rwanda ancien, dont Jacques Maquet assure
~.•.
qu'il reconnait à un même espace plusieurs droits d'usage particulier, ainsi écrit-
f
t
il
; " ...
quelqu'un pouvait avoir le droit de semer une parcelle et de recueillir
la récolte,
tandis que quelqu'un d'autre pouvait l'utiliser comme pâturage à une pé-
!
riode de l'année. Aucun des deux n'était considéré comme le propriétaire, qui accor-
t
dait à quelqu'un d'autre l'usage de sa propriété comme pâturage ou comme champ de
t
culture,,(l) .
l
1
i
....................................................................................... f1
(1) -
J. Maquet : le système des relations sociales dans le Rwanda ancien,
Trevuren~
1954, p.
110.
1
i~f.~
./ .

-66-
Actuellement encore, les modes d'appropriation des terres àu Waato et de cel
les du Jl?eri
sont de même différentes
: on peut encore acquéri.r certaines terres du
Jeeri simplement en les défrichant, alors que les terres du Waaîo ne peuvent être attr'
buées que par les chefs de village et il se pose à ce niveau un problème d'exigüité de
l'espace, surtout avec l'accroissement des cultures de décrues.
Ainsi,
dans certains villages (à Ngnit par exemple)
toutes les terres
du Waato sont déjà occupées même si elles ne sont pas toutes effectivement cultivées .

Elles appartiennent à des familles anciennement établies dans la zone et sont géné-
ralement entourées d'une clôture (nak en wolof). A Ngnit,
les familles récemment ins-
tallées (celles des employés de la SONEES en particulier) éprouvent des difficultés
à effectuer des cultures de
décrues.
1
Mais,
il arrive néanmoins que ces difficultés soient contournées par un
système de prêt
des terres.
Quand une famille anciennement établie possède dans la
1
zone de décrue plusieurs terres non cultivées, elle peut en prêter aux nouveaux arri-
vants. Ces prêts se font,
en principe,
sans redevance.
Leur existence est officielle
ment justifiée
par des relations de voisinage,
d'amitié ou de parenté qui unissent
les deux parties. Celui qui prête estime rendre un service inscrit dans le code des
relations humaines. Cependant,
i l y a néanmoins échange de services même si cet échan
n'est pas formulé de manière explicite:
le prêteur s'attend à recevoir, en cas de
nécessité,
une assistance dont la nature est laissée à la discrétion du bénéficiaire
du prêt. Mais on ne peut isoler cette assistance qui souvent prend la forme de don
pendant les cérémonies familiales
(mariage,
baptême,
décès),
du réseau plus vaste
li
de relations amicales et parentales qui unissent les deux parties; autrement dit
on ne peut établir un lien de causalité directe entre le prêt de terre et cette as-
1
sistance qui,
au demeurant, peut être réciproque.
!*
Cependant, une des particularités du système est qu'une terre n'est jamai
prêtée pendant deux années successives. Au bout d'une année d'occupation,
elle retour
ne à son propriétaire qui peut la prêter à nouveau une année après. Selon les autoch-
aux nouveaux venus sur des terres qu'ils exploiteraient ainsi de manière prolongée et
ininterrompue.
1

1

1

-67-
1ll,.~i
t:
~f-
f
En effet,
la loi sur le domaine national, promulguée en 1964, remet en
cause l'ancien mode de gestion de la terre, ainsi que le système de relations entre
i1M
anciens et nouveaux occupants de la terre.
1
Traditionnellement,
les nouveaux occupants pouvaient exploiter infiniment
i
les terres qui leurs sont octroyées à condition de reconnaître les autorités foncières 1
et de
renouveler
régulièrement cette reconnaissance. Actuellement,
les nouveaux oc-
1

1
cupants ne sont redevables,
en principe,
qu'à l'Etat. L'article 15 de la loi sur le
domaine national précise d'ailleurs que "les personnes occupant et exploitant person-
1
nellement des terres dépendant du domaine national, à la date d'entrée en vigueur
1
de la présente loi continueront à les occuper et à les exploiter".
it
Mais,
l'impact de cette loi se fait surtout sentir au niveau des relations 1
entre les paysans et les sociétés agro-inàustrielles. En principe,
la loi attribue
-
t
d
t
' t -
d I d O t
(1)
M'
0
0
. ,
a ces en~reprlses
es
erres SI uees
ans
es zones
1
es plonnleres
.
aIs comme
1
s'interroge M.
Niang "Que se passe-t-il quand la superficie des zones pionnières ne
J
suffit plus puisque ces sociétés, avec leurs objectifs de production sont grandes
Il ( 2 )
r
consommatrices d'hectares?
. Ce qui arrive,
c'est,comme
il y répond lui-même:
~ces sociétés entrent nécessairement en conflit avec les paysans; ainsi dans le cas
1
de la Compagnie Sucrière à Richard-Toll dans la vallée du
fleuv~,(3).
1
!
En fait,
c'est l'Etat qui attribue les terres à ces sociétés et exerce
un contrôle sur l'ensemble du domaine national.
L'article 2
!
de la loi de 1964 signale
"l'Etat détient les terres du domaine national en vue d'assurer leur utilisation et
leur mise en valeur rationnelles,
conformément aux plans de développement et aux pro-
grammes d'amènagement".
L'article l,
quant à lui,
indique le contenu du domaine na-
tional
: "constituent de plein druit le domaine national:
toutes les terres non clas-
sées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n'a pas été
l
...... ~~.;~;.~;~;~~.;~~.;~~~~~.~~.~~~~:~~.~~;:~~~;.~~.~~~;~~.~~;~~~~;~~.:.;~~.~~~~~... 1
(1) - urbaines,
les zones classées (zone de protection,
forêts classées,
etc . . . ),
1:.
les zones de terroir
(exploitées pour l'habitat rural,
la culture ou l'éle-

vage) ,
les zones pionnières (mise en valeur par des sociétés ou organismes dans
".•..
le cadre des programmes gouvernementaux).
tf
(2) - M. Niang "Réflexions sur la réforme fon~ière sénégalaise de 1964" in E. le Bris .• ~
op. ci t., p. 223.
1:
( 3) -
Op. Ci t.
./ .

-68-
transcrite à la conservation des hypothèques à la date d'entrée en vigueur de la pré-
sente loi. Ne font pas non plus partie de plein droit du domaine national les terres
qui, à cette même date,
font l'objet d'une procédure d'immatriculation au nom d'une
personne autre que l'Etat".
A la lecture de ces articles,
on peut noter que les terres immatriculées
échappent au domaine national et, par conséquent,
à une certaine main-mise de l'Etat.
Sur ce plan,
nous retrouvons des similitudes avec le droit colonial français.
Selon
C.
Coquery Vidrovitch,
la législation coloniale française,
dès 1904, faisait de l'Etat
français le propriétaire de toutes les terres dites "vacantes et sans maître".
Or,
dit-elle "est ...
(en vertu de la loi française)
terre vacante et sans maître,
toute terre ni immatriculée, ni possédée suivant les règles du code civil français
par les autochtones:
c'est-à-dire la quasi-totalité du domaine colonial,,(l). Déjà
en 1865, Faidherbe, gouverneur du Sénégal, arrêtait que,
seuls les titres de conces-
"
"
'd
d'"
t "
l t "
" t
(2)
Slons soumIS aux proce ures
lmma rlCU a Ion seraI en
reconnus
.
Mais l'immatriculation est étrangère au droit foncier traditionnel. Elle
suppose en outre,
une propriété privée individuelle sur la terre,
qui n'a pratique-
ment jamais existé dans la société pré-coloniale.
La terre,
dans le système traditionnel,
est d'abord une entité indivise
et inaliénable. Chambonneau écrit à ce propos que les Wolof "n'ambitionnent point
les Richesses,
tout est en commun chez eux pour les immeubles,
car la terre qu'ils
cultivent ne leur est point vendue et ils ne la vendent point.
Ils en prennent où bon
II( 3)
leur semble ...
.
La terre dans le Vaalo précolonial est un bien auquel tout le
(l) -
C.
Coquery Vidrovitch "le régime foncier rural en Afrique noire" in E.
le
E.
le Roy et F.
Leindorfer,
op.
cit.,p. 75.
(2 ) - op. cit.,p. 77.
(3) -
Carson 1. A. Ritchie
:~Deux textes sur le Sénégal~ (1673-1677~ Bull. de l'IFAN ,
t. XXX/série B,n o l,1968)p. 320.
./ .

-b'::3-
1
Cependant, cet accès à la terre ne se faisait pas de manière anarchiqu
il était soumis à une gestion institutionalisée. C'est dans ce sens que C. Coquery
Vidrovitch et H. Moniot notent:
"cela (le libre accès) ne signifie pas que celle-
ci (la terre) était libre,
au sens oG n'importe qui aurait pu en disposer à son
gré de façon illimitée;
les droits sur le sol, propriété du groupe,
étaient jalou
sement gardés par des institutions (d'oG le rôle éminent du
'chef de terre'
qui
'11
' t '
,
t ' t '
,
' l ' b ' ,,(1)
vel
al
a sa repar l
lon equl l
ree
.
Au niveau de la concession, c'est le chef de concession qui est le
gérant des terres. C'est lui qui affecte des lopins aux différents membres de
la concession: aux hommes adultes en particulier, mais aussi aux femmes mariées.
Au niveau du village c'est le chef du village qui cumule ses fonctions avec celui
de Laman*
et organise la répartition des espaces de culture
aux différentes
1
~
concessions. Traditionnellement,
dans la zone du Lac de Guiers,
comme dans le
i
Waab
ou dans plusieurs régions du Sénégal,
il a existé un système foncier qui
apparait dans les travaux des chercheurs sous le nom de Lamanat.
1
Selon A. Bara Diop,
les traits fondamentaux du Lamanat peuvent se
f
résumer en 3 points fondamentaux
:
1
1
-
appropriation collective des terres par la communauté lignagère ou clanique,
~.
avec gérance par le Laman,
chef du groupe ;
-
exploitation individuelle par les familles avec versement de rentes foncières
au Laman ;
1
•j...•..•..
-
possibilité d'installation de familles étrangères sur ces terres avec obligation
de verser au gérant ~n droit d'établissement et une rente garantissant une explo' ,
t
t ,
,
t
" b l
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' t '
,,(2)
a lon perenne
ransmlSSl
eaux
erl
lers
.
1
fi
...................................................................................·1,
(1)
C. Coquery-Vidrovitch et H. Moniot : l'Afrique noire de 1800 à nos jours.
f
1
(2) -
Abdoulaye Bara Diop
; La société wolof -
tradition et changement,
Ed.
K
Karthala,
Paris 1981,
p. 181.
;~
(*)
-
Cheikh Anta Diop rapproche le mot Laman au terme égyptien Remen qui signifi 1·
coudée, unité pour mesurer les champs le l
wolof ayant une correspondance
1
il-
linguistique avec le r
égyptien (civilisation ou barbarie,p.
214).
i
./ .

-70-
1
t
~.
Le LCJ:?an est considéré comme le premier occupant du sol (ou le descen-
t
dant d'un tel ancêtre), c'est lui qui a circonscrit par le feu le domaine dans 1e-
t
quel les champs des familles seront défrichés par la hâche. Le droit du Laman se
~
fonde sur le feu et celui des familles sur la hâche. Le droit du feu et le droit
~
de la hâche sont deux articulations nécessaires du système foncier traditionnel
i.l
qui, selon A. Bara Diop, repose sur "un dualisme structurel entre la propriété com-
1
~
mune des terres et leur possession ou exploitation individuelle,,(1).
li:
l
f
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vance était ::~:~:U::m:~::~:: :O::r~:::::::o: :::O~::~:::l;~~àd~'~:::~n: ::t::r:~de-I
quelques gerbes de mil, une chèvre, un poulet ou même
quelquefois une simple ViSite!
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ounou- c 19oua : "son mon ant n e al
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de tel~o sorte qu'il n'y a pas de paysans libres sans terre ... Le Laman ne peut
f
pas disposer de la ·terre à sa convenance. Il est obligé de céder la partie du day
i
(l'espace brûlé) que son lignage ne peut pas cultiver ... il ne peut exproprier un
i
i
paysan à qui il a accordé un droit d'usage, même pour l'affecter à un membre de
ï
son lignage, si ledit bOT'om ngadio (maître de la hache) s'acquitte de ses redevan-
1
ces" (3) .
\\
t
Chez les Sereer (qui, selon la tradition orale, auraient transmis le
f
Lamanat aux wolof), H. Gravrand note que "chaque année une redevance symbolique
(
l
renouvelait l'allégeance du maître du champ au maître de la terre, une gerbe de
i~
milou un coq. L'essentiel était dans le geste,,(4). Il s'agissait, en fait, de
reconnaître au Laman l'autorité spirituelle qui a su faire alliance avec les génies
de la terre. "Le Laman écrit Pathé Diagne, est tenu pour un esprit qui a su terras- 1

ser ou dompter les vrais maîtres des lieux
génies des eaux, esprit de la forêt,
Il'.•.·
d'une mine, etc ... Il a opéré efficacement à partir d'un savoir qui reste inviolable.
t
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ere 1 alre a sa
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.
~
t
.................................................................................... !t
(1) - A. Bara Diop: la Société Wolof tradition et changement, Paris 1978, p. 438.
Il...•...•
(2) - Voir P. Pelissier : les paysans du Sénégal,
Imprimerie Fabrègue~1966,p. 123
••
et suiv. - L. Geismar : Recueil des coutumes civiles des races du Sénégal
lmpr i mer i e du Gouvern em e=-n:..:t:..:.::..:S=-a=-7-
i .::
n-:-t--=-:::L:.:o:..u.....:::-i.::s..=,:....=..:1:::9::-3=-3=-.--=--=:....:....::...::.=---=:.=::.......::....:..;~-=--C..-c-- _ _-='-'- ,
i
•i
(3) - Bernard Founou-Tchigoua : Fondements de l'économie de traite au Sénégal,
E
î
Ed. Silex,Paris,1981, p. 43.
~.,
(4)
Henri Gravand: la civilisation Sereer - Cosaan
N.E.A.,1983, p. 192.
)
(5) - Pathé Diagne : "Contribution à l'analyse des régimes et systèmes politiques
traditionnels en Afrique de l'Ouest",Bul. de l'IFAN
,Tome XXXIl.
./ .

-71-
Le Lamanat est donc un système d'organisation de l'accès à la terre et
de perpétuation d'un certain type de relations à l'environnement qui place l' homme
dans un processus de négociations continues avec la nature et ses éléments. Il n'a
pas engendré une catégorie sociale exploiteuse à l'égard des paysans. Bernard Founou
Tchingoua le cOrlstate:"cornme (de plus) le Laman était lui-même un paysan ne disposan
d'aucune force militaire pour soumettre les paysans, on peut difficilement parler
V
d' exploi tation des paysans par les Laman
à cette époque lointaine qui précède la
1
~
.
~
l
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,,(1)
co onlsa lon
.
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Même par rapport au système politique du Waalo pré-colonial, il semble
f,
que le Lamanat ait conservé son autonomie; l'Etat du Waalo n'était vraisemblable-
ment pas
détenteur des terres. Le Brak lui-même devait payer des redevances aux
1
1
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~ 1'·
tre en principe dans ce système que des terres et des biens de sa propre lignée,,(3). ,
f'
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Cependant, en relation avec la traite négrière et ses conséquences socio
politiques (Guerres intestines,'rivalitês des familles régnantes, renforcement de
;f
:~:P::::::a:::~~::r:~eC:::~::~::: :~::,::th:::a:::::e:O:~:~::~ ~~:t::c:~e::::Os::it 1
le système foncier. Ainsi, H. Gaden note que "les familles Meen
cherchaient à se
f
constituer des domaines fonciers;
la terre dont elles disposaient leur permettait
en effet, d'augmenter le nombre de leurs clients et, par la suite, leur influence
au moment de l'élection du Brak, et aussi de vivre et de conserver leur clientèle
1
i
:::::~ts~U:e:e:r::::'~e:o:::::::e::~i::: :~n::~:~:r~eC::r::a: ~:::a~:::,::n:e::'on-.,1..:...•
ou à celles dont ils voulaient s'assurer l'appui ou qui leur avaient rendu des ser- :
f
vices. C'est là une des origines de la propriété foncière qui avait commencé à
1
1
s'organiser au Oualo dans des formes analogues à celles qui existaient dans le
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tions héréditaires (LewJ la monarchie mit sur pied un système de redevances de plus
1
en plus élevées.
~'
i'
l
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................... :
:
······························1
(1) - B. Founou-Tchlngoua : op. Clt.,p. 96.
~
f
(2) - B. Ba : op. cit.,p. 96.
(3) - Pathé Diagne ; op. cit.,p. 855.
(4)
Henri Gaden ; "Légendes et coutumes du Sénégal",
Revue d'ethnographie ~
de sociologie, Ernest Leroux,
Paris,~912,p. 122.
./ .

-72-
1
1
Mais ces nouveautés comme le note A. Bara Diop à propos des royaumes
Wclof en général, ne changeront pas le mode de tenure foncière dans ses aspects
1
les plus essentiels, plus particulièrement dans la distinction entre "maître de
~j'
terre" et"maître du
droit de culture,,(l).
!
1
ï:
Stephen Hymer postule l'hypothèse que ce type de tenure foncière est
lï~'
un héritage des sociétés de chasseurs(2). Dans ces sociétés, la présence d'une
~:
~
autorité est nécessaire pour organiser l'accès aux ressources de la faune et pour
~
superviser la chasse qui est une activité collective et une occupation individuel-
k
~.
le.
i
t,
Certes, i l est difficile, de nos jours, d' indiquer l' origine du Lamanat. 1
.•...•.•
Cependa~t, en partant de l'histoire des populations concernées, une analyse sémantiq f
des principes de ce système semble indiquer que le Lamanat s'est forgé au cours
t
de processus de migrations. Le premier occupant de la terre, la délimitation par
L
~.
le feu,
le défrichement, le droit des familles étrangères, l'alliance avec les es-
i
prits de la terre ... sont autant de thèmes qui renvoient à des migrations et des
J
emboîtements de migrations de peuples d'agriculteurs. Mais le trait fondamental
1
qui demeure dans ce système, est qu'il postule une unité fondamentale du producteur
~
t
avec la terre, principal moyen de production. Aucun paysan ne peut ~tre aliéné des
i
terres qu'il occupe. Or, paradoxalement, Stephen Hymer pense que c'est là que se sit ~~
~:~~ :::::~:eu~:ec:~::::;a:~o~r:~r~~eé::::::~~:~o:e:::~~:::s::s~e::;::~ed~~::::lserlf
le progrès économique.
Î!
La position de Stephen Hymer semble méconnaitre le capital technologique 1
que le paysan africain a su appliquer sur des terres dont il savait qu'elles ne
r
pouvaient lui être aliénées. Cette gestion de la terre n'a pas empêché que se forgent 1
des agricultures d'auto-suffisance dont les surplus ont rendu possibles la division
i
du travail et le niveau de développement atteint par des civilisations africaines
i
telle que celle de l'Egypte ou celle du Mali. En fait,
c'est l'analyse de facteurs
1
politico-économiques endogènes et exogènes qui peut permettre de jeter un éclairage
1
1
sur la dynamique des agricultures africaines.
~
(1) - A. Bara Diop: "la tenure foncière- en milieu'rural wolof (Sénégal)" in Notes
Africain~nO 118 -Avril 1968,p. 50.
(2) - Stephen Hymer: "Economie forms in Precolonial Ghana" in the journal of Economie
History,
XXX, l, 1970,pp. 33-50.
./ .

-73-
Toujours est-il que, pour le Nord du Sénégal,
l'introduction de la pro-
priété privée des terres corrolaires des cultures de rente et de l'agro-business
n'a pas encore permis de parvenir à l'auto-suffisance alimentaire ou d'apporter
des progrès fondamentaux aux techniques de production(l).
LA
FAUNE ET LA VEGETATION
Au moment où le Lac de Guiers et le Waalo en général entraient dans
l'ère coloniale,
ils étaient encore riches d'une végétation et d'une faune qu'on
""
imagine difficilement à l'heure actuelle.
H. Azan, dans sa "Notice du Oualo" parue en 1864, fait l'inventaire
des principales espèces d'animaux que l'on trouvait dans le Waalo à cette époque
et qui, aujourd'hui, ont pratiquement totalement disparu.
C'est ainsi qu'il parle des lions qui pullulent non loin de Richard-
Toll
; il note qu'ils sont m@me "très communs pendant la saison sèche dans le cercle
de Khouma".
Le doyen d'âge du campement de Belli Bamdi affirme d'ailleurs que les
lions étaient très nombreux dans cette zone au début du siècle et que le dernier
1
a été tué il y a 30 ans. Selon Azan,
le cercle de Ndiangué au Nord du Lac de Guiers
1
étai t
fréquenté par des panthères, bien que déjà à cette époque elles étaient chas-
1"..•
sées en raison de leurs peaux exportées vers l'Europe.
Il signale, en outre,
la
présence de chacals et d'hyènes dans les espaces boisés aux alentours des villages.
1
D'après la tradition orale,
les hyènes ont disparu vers les années 1950.
f
f
f
;;;.~.~~~~~~.~~~;;~:.~;:~.~~~~;.:~~.~~~~~~.~~.:~.~~~~~~~;~~'~~~'~~::~~~~'~;~~;~~~~"i
et de la menace de famine dans tout le Sahel,le développement des cultures
f
commerciales et le bouleversement des structures foncières traditionnelles.
f
D'ailleurs le lien entre ces deux causes semble évident: à partir du moment
f
où la terre n'est plus destinée à produire des vivres mais des revenus moné-
t
taires,le rapport à elle change.
G.
Grellet : Les structures économiques de
t
l'Afrique Noire :r PUF 1982,
p.. 38.
~
~l
./ .

-74-
S'agissant de l'éléphant, Azan é c r i t :
"le cercle de Khouma est visité
tous les ans par plusieurs troupeaux d'éléphants qui viennent du désert de Bounoun
pour habiter le Mbouyok pendant la saison sèche. Quelques individus s'avancent jus-
qu'au fleuve dans les environs de Khouma ; quelques uns traversent même le Lac de
Guiers pour aller paître dans le Djeuleuss ... ,,(l). D'autres témoignages confirment
la présence des éléphants sur les bords du Lac de Guiers;
c'est le cas
notamment de
Perrottet qui écrit, dans les notes de son voyage au Lac de Guiers,
en 1830 : "Arri-
vés vers le milieu d'une forêt remplie d'arbres très hauts,
quelle fut notre surpris
en apercevant,
à la distance d'environ 300 toises, un nombre considérable d'élé-
phants, qu'au premier aspect nous primes pour des roches. En pénétrant plus avant,
nous ne
tardâmes pas à reconnaître que ces masses qui nous semblaient informes et
immobiles étaient bien réellement des éléphants gigantesques pour la plupart. Nous
vîmes m~me
distinctement leur trompe qui se mouvant en sens divers
secouait et
cassait des arbres assez gros pour que j'en fusse extrêmement surpris,,(2). rans
un autre passage, Perr<:>ttet affirme:
"plusieurs nègres de Serr, aux récits desquels
j'ai pleine confiance, m'ont assuré que les éléphants ne marchaient jamais que
réunis en nombre plus ou moins considérable, et que seulement, sur le point dont
nous venons de parler,
il en venait jusqu'à cent cinquante à la fois,,(3).
Les éléphants, selon Perottet,
n'étaient pas,
à cette époque,
l'objet
F,
~
de chasse ni pour leur chair, ni pour leurs ivoires. Les populations de la zone
t
~
lui avaient même demandé de ne pas s'en prendre à ces animaux;
"Ils nous firent
:<;,
même promettre de ne tracasser,
en aucune manière,
les éléphants que nous aurions
1
~
occasion de rencontrer,
ajoutant que dansle cas contraire,ils seraient inévitable-
f
t~
if
ment victimes de la vengeance de ces bêtes gigantesques,,(4).
4.
J1
i
.................. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... 1
(1) -
H.
Azan : op.
cit.,p.
38.
~1
(2)
-
Perrottet
op.
ci t. , p.
64.
~,
!
!
(3) - Op.
cit.)p. 62.
ti.
ï
(4 )
i,
-
Perrottet
op. G.Ï t. ,p. 63.
1
i~
~.
./.

-75-
Par allleurs, H.
Azan indique qu'il y avait beaucoup de girafes dans
la zone du Lac de Guiers : "on en trouve quelques troupes entre Niago et Ndiaye-
Ndar. Elles viennent du désert de Bounoun à l'époque du dessèchement du marigot
de ce nom,
pour se rapprocher des environs du Lac de Guiers,,(l).
La tradition rap-
porte que les cornes de girafe servaient à faire des gris-gris très recherchés. Se-
lon Grosmaire
la dernière girafe de la vallêe du fleuve a été tuée dans les envi-
. (2)
rons de Kaédi en 1932
. La gazelle,
selon H. Azan,
était l'un des rares animaux
dont les wolof faisaient la chasse en raison de sa chair et de ses cornes
: "on
en rencontre,
dit-il, pendant la saison sèche des troupes assez nombreuses dans
l'angle que forme le Lac de Guiers à la hauteur du village de Mérinaghen ... Les
noirs chassent le Koba pour avoir les cornes,
lesquelles d'un beau noir et suscep-
tibles d'un très beau poil,
se vendent très cher aux gens de Saint-Louis qui en
(3 )
font faire des bracelets et des objets de parure
Dans les eaux du Lac,H. Azan signale la présence d'hippopotames:
"Bien
qu'ils soient rares dans le fleuve,
on en rencontre pourtant quelques uns dans le
Lac de Guiers.
Ils fréquentent principalement les bords marécageux de ce lac entre
Batt et Nder",
il mentionne aussi l'existence de Lamentin "au milieu des hautes
herbes,
noyées qui obstruent le lac à partir de la pointe de NDakar-Seer".
Dans cette inventaire riche mais non exhaustif, H. Azan mentionne en
outre la présence de singes,
de hérissons,
d'autruches,
d'ibis,
de lynx,
de san-
gliers,
d'aigles,
etc ... Son témoignage confirme l'idée que deux siècles plus t8t
Chambonneau se faisait de la faune du Waalo. Selon Chambonneau : éléphants,
lions
et autres b~tes féroces sont si nombreux dans ce pays que "jamais un nègre n'ira
seulement à un lieu de sa caze s ' i l n'est armé de toutes pièces comme à la guerre
,
d' f
(4)
d
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P
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l
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pour s en
e endre"
. C'est
ans un contexte slmi aIre que
erra
e
re a e
:
"Nous fImes allumer de grands feux tout autour de notre tente,
afin d'éloigner,
autant que ce serait possible, ces voisins plus qu'incommodes,
qui,
nous voyant
tranquilles, n'eussent pas manqué
de nous inquiéter. Malgré cette précaution d'usag
nous fOmes à chaque instant reveillés par le rugissement continuel des lions,
le
grognement des panthères,
les 'hurlements des hyènes,
et les jappements des chacals
d
t
' t '
"
,,(5)
on
nous e Ions envIronnes
.
..

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..
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..
..

..


..
..



..
..

..


<Il
.
(1) -
H. Azan : op.
cit.,p. 330.
(2) - Grosmaire : op.
cit.,p. 30.
(3) -
H. Azan : op.
cit.,p. 331.
(4) - C.
1. A. Ritchie
: op. cit.~p. 332
(5) -
Perrottet
: ,.sp. cit.,p. 39.
./ .

-76-
Les observations de
Perrol tet et celles de H.
Azan ont été effectuées
il y a â peine un siècle; et actuellement,
la faune sauvage du Lac de Guiers ne
comprend pratiquement plus que quelques phacochères,
quelques chacals, de petits
rongeurs et parfois des singes et des lièvres auxquels s'ajoutent des oiseaux dé-
prédateurs des cultures(l).
L'appauvrissement de la faune a sOrement un lien avec les changements
climatiques enregistrés dans la zone. Mais la responsabilité de l'homme n'en est
pas exclue.
Cependant,
celle-ci est à inscrire dans le cadre de contextes économiqu
culturel et socio-politique plus vastes.
Pendan~ toute la période de pénétration
et d'exploitation coloniale,
une pression inédite s'est effectuée sur la faune
sauvage et de nouveaux types de relations avec l'environnement se sont instaurés
dans l~ sillage oe rapports politiques et économiques nouveaux.
Selon H.
Azan,
le Waalo exportait vers l'Europe des peaux de bêtes,
des plumes d'autriches,
des défenses d'éléphants et plusieurs autres produits ou
sous-produits de la faune sauvage.
Pendant toute la péricde coloniale,
le Waalo,
dans son ensemble, et
le Nord du Sénégal,
de manière plus générale,
fournissaient annuellement une grande
quantité d'oiseaux â l'exportation. Grosmaire note qu'en 1952 la région Nord du
Sénégal avait exporté 278.701 oiseaux en direction de la France, 46.674 vers
1
l'Angleterre,
142.959 vers la Hollande, 141.351 vers la Belgique. Le Danemark.
l'Italie et les Etats-Unis figuraient aussi parmi les importateurs d'oiseaux en
provenance de cette zone.
Grosmaire ajoute que l'oiseau acheté pour quelques francs
au Nord du Sénégal "se retrouve quelques jours après quai de la Megisseire à Paris
où i l se vend 200 â 500 Francs" (2) .
Mais c'est certainement la réalisation d'une certaine infrastructure
coloniale qui causa le plus grand tort à la faune sauvage,
aux mammifères en par-
ticulier.
Ainsi,
pour Grosmaire
: "on accuse la ligne de chemin de fer de Thiès
à Kidira d'être la cause de la disparition des girafes du Ferlo,
la même chose
peut être dite en ce qui concerne les éléphants et certaines grandes antilopes
,
l
,(3)
ega ement'

....... ........ ......... ... ........ ...... ......................... .. ..... .......... ..
(1)
Cf. A.
Mbengue
: op.
cit.,
p. 35.
(2) -
Grosmaire
: op.
cit., fascicule 13 p. 48.
(3) -
Ce sont les girafes du Ferlo qui,
dans leur transhumance remontaient jusqu'au t
b0rds du Lac de Guiers.
?
./ .

-77-
Plus explicitement, Grosmaire observe que "la voie ferrée fait obstacl
aux nécessaires mouvements de transhumance de l'éléphant, cet animal très sensi-
ble aux bruits et s ' i l ne bute pas matériellement, contre les fils télégraphiques
leur bruissement l'impressionne".
A propos de ces fils télégraphiques,
il note
qu'ils sont si bas que "la girafe les rencontre sur le cou".
Par ailleurs,
c'est dans la dynamique coloniale qu'on peut inscrire
le développement de cultures de rente,
de l'arachide en particulier, à laquelle
les populations attribuent indirectement la disparition de la plupart de la faune
sauvage.
Le développement de la culture de l'arachide dans la zone du Lac de
Guier's au début' du siècle s'est fait
sous forme d' agricul ture itinérante sur
brûlis.
Et les feux de brousse,
étendus sur une échelle de plus en plus large,
ont certainement contribué à appauvrir la faune.
J
1
En outre,
la destruction de for@ts ou de milieu naturel de la faune
sauvage a été effectuée pratiquement par l'ensemble des amènagements agricoles
1
ou agro- industriels qui ont été introduits dans la zone pendant les périodes
J
~!
coloniale et post-coloniale.
~
~'
~1
Mais,
la société précoloniale exerçait elle aussi des pressions mul-
l~
tiples sur la faune sauvage.
La chasse figure parmi celles-là. Cependant,
cette
~
chasse était réglementée par un système de valeurs et de représentations qui
s'in- f
tégraient
dans une philosophie des rapports entre l'homme et le gibier, ou l'a-

~'
nimal d'une manière générale.
ii
Dans la société traditionnelle wolof,
les chasseurs sont astreints
i
!
à un certain nombre de rites d'initiation dont le caractère esotérique opère lui
m@me une sélection qui réduit leur nombre. Ces rites ont pour but de protéger
t
le chasseur contre les forces qui animent la for@t et les animaux en le reconci-
t
liant avec ces forces.
Le chasseur qui ne prend pas àe telles précautions extr@-
mement complexes et limitatives,
court le risque d'@tre terrorisé par ces forces
1
au point de perdre la raison (c'est ce que le Wolof désigne
par le mot Jommi)
l
ou de s'attirer de graves malédictions
(maladie, mort,
perte d'un @tre cher,
l'
etc ... ).
l
·/ .
1
i
~
t~i
t

-78-
1
1
1
Le but de la chasse est essentiellement la quête de nourriture. L'atti-
1
tude du chasseur devant une bête féroce mais non comestible n'est pas d'emblée une
attitude de combat, mais celle d'une recherche de la réconciliation. Ainsi, le chas-
seur cherchera-t-il à calmer le lion qu'il a rencontré par des salutations et des
paroles élogieuses Watt
en wolof) qui feront que celui-ci ne l'attaquera pas. Par
le Jatt, certaines familles ont le pouvoir de charmer des lions et des crocodiles.
Le berger Peul qui doit pénétrer dans une forêt, récite des paroles mys-
tiques, non pas pour tuer, mais pour éloigner de lui les bêtes féroces. la forêt n'es
pas le domaine des hommes, on n'y pénêtre pas sans précaution, sans autorisation.
Mike Singleton avait fait la même remarque pendant son séjour auprès des Wakanongo
de Tanzanie : "Lor~que je cheminais avec eux (les Wakanongo) en brousse ... , leur
silence respectueux était tel que j'avais parfois le sentiment d'avancer dans une
cathédrale. Leur comportement était assez différent de ce qu'il était au village -
plus circonspect, moins chahuteur. En dehors du village, on n'est plus chez soi, on
se trouve chez Autrui,,(l).
Dans les représentations Wolof
les relations entre l'homme, l'animal
et la forêt intègrent la négociation et l'échange. Par le Jatt
l'homme adresse des
salutations et des louanges à l'animpl ou à la plante. Son attitude est celle de l'hu
milité; en échange, il obtient la bienveillance ou le consent~ment des forces qui
animent son interlocuteur.
Dans l'ethnobotanique wolof tout arbre sert comme source de médicaments
ou d'aliments à l'équilibre physique ou mental de l'homme. Il n'y a pas d'arbres inu-
tiles ou ne servant qu'à fournir du bois(2!
(Ousseynou Ndiaye a établi les corres-
pondances actuelles entre les différentes plantes de la zone du Lac de Guiers et leur
usage comme médicaments et/ou aliments par les populations locales(3)).
(1) - Mike Singleton "De l'intendance indigène du gibier à une gestion endogène de
la faune"
in Gestion de la faune sauvage facteur de développement ?JEnvironne-
ment africain nO 71/72 Dakar, Mai-Juin 1982, p. 83.
(2)
-
Le terme wolof Garab qui désigne l'arbre est le même qui signifie médicament,
remède, et se décompose en gar : protection - rap:
esprit , génie~ ce qui
donnerait mot pour mot: la protection de l'esprit.
(3) - Ousseynou Ndiaye : Esquisses d'ethnobotanique au Lac de Guiers, ISE~1983.
·/ .

-79-
L'exploitation de l'arbre pour son utilité médicale est étroitement
liée à des rites sacrés. L'arbre
doit être salué à un moment précIs de la jour-
née ou de l'année en récitant son jatt correspondant sinon il pourrait refuser
de livrer ses feuilles ou ses racines,
il pourrait même transformer ceux-ci en
serpent et faire en sorte que l'homme perde la raison.
Selon A. Hampaté Ba,
il existe pour les Peul,
une correspondance
très étroite entre les différents éléments des plantes,
les jours,
les points
cardinaux et les formules rituelles qui les associent aux esprits des troupeaux
pour lesquels ils sont utilisés:
"écorces, racines,
feuilles ou fruits doivent
être prélevés en rapport avec le jour du mois lunaire auquel correspond le végé-
tal et le Lare
"esprit gardien" des troupeaux qui est en rapport avec la séquence
f
du mois et en f,onction du soleil" (1) .
1
i,
Dans le milieu traditionnel laobé,l'exploitation du bois est,
lui
~.
f
aussi,
soumis aux mêmes principes philosophiques qui postulent la présence d'es-
l
pri ts (l"ap)
dans la forêt et dans les arbres. Seule une autorisation de ces "rap"
f
~
consécutive à un rituel complexe, donne le droit d'abattre un arbre. Traditionnel- f.,.•...
lement,
les laobé qui tirent toute la vie de l'exploitation du bois (le mot Laobé
i
lui même veut dire les gens des arbres),
n'utilisent cependant jamais le bois
1
i
pour faire du feu domestique;
ce sc-~ les bouses de vache
des campements peul
r
aux alentours desquels ils sont installés,
qu'ils brûlent pour obtenir du feu
1
pour la cuisine,
le chauffage ou la protection contre les insectes et autres
animaux.
!f
Dans la société précoloniale,
l'homme n'est pas seulement lié à l'arbr
parce que ce dernier lui est utile sur le plan matériel ou médico-alimentaire,
1
l'arbre occupe une place importante dans l'univers des valeurs et des représenta-
f
tions,
il intervient dans les relations socio-politiques que les i.ndividus et
~.1f
groupes humains tissent entre eux.
l
I.
f
Ainsi,
chez les Wolof,
le baobab entrait dans les luttes sociales
1
!
des populations contre les exactions des brak (rois).
Ces derniers, en effet,
1
ne devaient pas voir certains baobabs dans lesquels les populations avaient placé
1
.................................................................................. ~~i'
(1) - A. Hampaté Ba et G. Dieterlen
: op. cit ..Jp. 23.
./ .

-80-
leurs protections occultes. La vue de ces arbres sacrés pouvait rendre les rois
fous,
leur faire perdre leur force ou annihiler la puissance de leurs gris-gris
(toc gaLaac en wolof).
la tradition orale raconte que certains villages (tel
Ngnit par exemple) étaient de ce fait,
soustraits aux abus du pouvoir politique
en raison de la présence de ces baobabs dans leurs alentours. C'est aussi dans
le creux des baobabs que les griots d'autrefois étaient ensevelis à leur mort.
Dans le même ordre d'idées,
selon les voyageurs arabes de l'époque, dans le ro-
yaume de Ghana (qui eu une influence certaine sur le Waalo)
les villes royales
' t 0
t
t
'
d
b
0
,
-
01
' t °t
0 t
dOt
f
d " t
(1)
e a1en
en o\\lrees
e
OIS sacres ou 1
e al
ln el' 1
aux pro anes
e pene rel'
.
On retrouve aussi dans les notes de
PErrottet l'importance occupée par l'arbre
dans la vie sociale des habitants du Lac
de Guiers précolonial
: "Il existe,
dans l'intérieur du village de SerI' quelques accacia remarquables par leur grosseu.
et leur hauteur ....
l'excessive finesse et la grande quantité de feuilles de l'ac-
cacia rend cet arbre précieux aux habitants de ces contrées,
c'est en effet,
sous son ombre tutélaire
qu'on tient les assemblées communales et les palabres
divers auxquels se livrent sans cesse les autorités et les peuples de ces pays.
C'est là aussi que se réunissent les hommes oisifs,
les désoeuvrés ... et enfin,
dans une
intention
toute contraire,
ceux qui exercent
un métier,
c'est
là par exemple,
que l'industrieux tisserand établit son métier ... La femme labo-
rieuse y apporte sa bObine,
son rouet et s'occupe du matin au soir à filer le
(2 )
coton"
.
En fin de compte,
on peut se rendre compte que,
si traditionnellement
les populations se reconnaissaient un certain droit d'usage sur les arbres,
ce droit en raison du contexte cosmologique et culturel était relativement limité
et s'appuyait sur le principe d'une gestion équilibrée des ressources.
C'est au contraire,
la colonisation et le système post-colonial qui
marquèrent l'intensification du processus de déboisement.
Déjà dès le début des
années 1700,
l'exportation de la gomme en direction de la France ne manquait
pas d'entrainer des conséquences sur la végétation locale. MollIen,
en 1818,
in-
gomme .
.. .. .. .. .. .. . . .. .. . . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ~
..
(1) - A. L. Bakri (Cordoue 1068) Routier de l'Afrique blanche et noire du Nord-
Est -
Traduction nouvelle par Vincent Monteil in Bulletin de l'I.F.A.N.
T. XXX 1 B nO 1,1968, p. 72.
(2) -
Perrottet ; op. cit.)p.
57.
./ .

Cette pratique avait l'inconvénient de provoquer un assèchement des arbres;
les Maures faisaient aussi des feux de brousse pour parvenir à de meilleurs ren-
.
(1)
d emen t s des gommIers
.
Par ailleurs,le chemin de fer et la croissance des villes coloniales
sont souvent allés de pair avec le développement de l'utilisation du bois comme
matériau de construction et du chdrbon de bois comme source d'énergie combustible.
Par rapport au bois directement utilisé comme combustible,
le charbon représente
une perte d'énergie appréciable. Or,
dans le milieu traditionnel,
c'est le bois
mort qui constituait la principale source d'énergie combustible. En outre,
les
unités industrielles ou agro-industrielles en plus de leur impact direct sur
la végétation (déboisements liés aux amènagements)
installent des populations
pour l? plupart ~riginaires des villes ou étrangères à la zone qui utilisent
une consommation d'énergie domestique essentiellement basée sur le charbon de
bois. Dans ce sens,
les calculs effectués auprès des familles d'employés de la
SENDA indiquent une consommation moyenne ~p O,d kg de charbon de bois par personne
et par jour que dans le milieu traditionnel,
on peut estimer l'utilisation de bois
à 0,8 kg/personne/jour. Or,
il faut,
d'après les enquêtes d'ENDA en moyenne 5 kg
de bois pour obtenir 1 kg de charbon de bois(2l.
Ce qui fait que le milieu tradi-
tionnel réalise par rapport aux familles d'employés une économie de 1,200 kg de
bois par jour et par personne.
Par ailleurs,
le pâturage traditionnel Peul,
qui souvent prend la
forme de surpâturage, exerce,
à son tour, une pression importante sur la végétation
de la région.
Cependa~t,la question qui se pose est de savoir si cette pression
n'est pas,
elle-même,
liée à d'autres pressions de type politique et économique
exercées sur les éleveurs.
le surpâturage peut alors être envisagé entre au~~~
comme une conséquence de la restriction successive des zones de pâturage suite
à l'installation de l'agro-industrie, au développement des cultures de rente
et aux déséquilibres écologiques consécutifs aux politiques économiques colonia-
les et post-coloniales.
(l) - Mollien
G.
Th.
Voyage à l'intérieur de l'Afrique aux sources du Sénégal
et de la Gambie fait en 1818
Ed. Berthrand,Paris 1818.
----------------~
,
(2) -
Cf. Le Monde Diplomatique.~ Mai 1984,n o 362~pp. 30-33.
·/ .

-82-
Pour le futur, l'étude réalisée par "Gannett·Fleming inc." prévoit une
accentuation de la désertification du Nord du Sénégal , à la suite de la construction
des barrages sur le fleuve Sénégal. Selon cette étude, en l'absence de toute poli-
tique de gestion de l'environnement, l'afflux de nouvelles populations entraînera
une pression plus grande sur le milieu naturel notamment pour la satisfaction de
besoins énergétiques et l'exploitation des pâturages(l).
Actuellement les programmes de reboisement nécessaires ne sont pas pré-
vus par les projets de l'Organisation de Mise en Valeur du Fleuve Sénégal. Ces pro-
grammes sont du ressort des Etats de la sous-région. Or, si l'on en croit R. Dumont,
les Etats Sahéliens ne réalisent annuellement que 2 % des reboisements nécessaires(2
S'agissant plus particulièrement du Sénégal, R. Dumont et M.F. Mottin
constatent qu'en 1980 on n'a reboisé que 300 ha de bois de village, alors qu'en
1982 l'Etat Sénégalais reconnaissait qu'il faudrait un reboisement annuel de
10.000 ha. Dans le même ordre d'idées, les mêmes auteurs estiment que le rythme
de reboisement est loin de correspondre à celui du déboisement: "chaque fois qu'on
plante un arbre, on en couperait 50,,(3).
(1) - Afrique Agriculture ,no 74, Octobre 1981, p. 40.
Dans le même ordre d'idées on peut imaginer que l'immigration de nouvelles
populations entrainera une augmentation dans l'utilisation du bois de cons-
truction.
3
A Témèye Salane, nos calculs indiquent une moyenne de 5 m
de bois utilisés
comme matériau de construction (toiture des cases, pieux des clôtures ..• )
dans une concession wolof 0u xartaani, alors que chez les Peul nous avons
3
f
obtenu une moyenne d3 2 m par concession ; dans les champs du Waalo nous
avons estimé à 4,2 m
le volume de bois utilisé par enclos d'un ha.
1
(2) - R. Dumont et M. F. Mottin
l'Afrique étranglée
Edition du Seuil, Paris,
1980 p. 238.
(3) - R. Dumont et M.F. Mottin
le défi sénégalais,ENDA, Dakar, 1982, p. 19.
·/ .

-tU-
La part de l'utilisation du bois comme source d'énergie dans le dévelop-
pement du déboisement, conduit à poser le problème du reboisement en relation avec
la mise sur pied et l'utilisation de source d'énergie alternative. Sinon, on ne
fait que différer le problème au lieu de le solutionner durablement.
Pour Cheikh anta Diop, la solution à ce problème implique des stratégies
régionales, voire continenta:es j
l'Afrique recèle des potentialités énergétiques
capables de satisfaire toute la demande au niveau du continent. 90 % des réserves
mondiales d'énergie hydraulique se ~ruuveraient dallS les pays sous-développés et
l'Afrique à elle seule détient près de la moitié de ces ressources, alors que l'Eu-
rope n'en dispose que 3 %, les U.S.A. 4 %, l'U.R.S.S. 3,5 %. En outre, sur le plan
technique, les procédés existent déjà pour utiliser l'énergie solaire à des fins
(1)
d omes t olques
.
Ces ressources énergétiques (auxquelles s'ajoutent d'autres) peuvent
être combinées avec de nouvelles réappropriations des technologies traditionnelles
de production énergétique ou d'économie d'énergies combustibles. L'économie d'éner-
gie peut être observée dans plusieurs phases de la cuisson des aliments: retrait
progressif des bûches non indispensables, extinction des braises, récupération du
charbon ... Ces différentes opérations ne sont pas réalisées avec les fourneaux
f
améliorés (ban ak suuf) qui avaient précisément pour but d'économiser la consom-
t
mation domestique de bois de chauffe. Certes ces fourneaux permettent une plus grand 1
conservation de chaleur, mais toute cette chaleur n'est pas utilisée; ainsi pour
f.·
...•.•••.•
les populations,
il n'est pas évident qu'elles réalisent une économie d'énergie
!l
plus grande que celle effectuée par le milieu traditionnel en raison de l'effort
que constitue la recherche et le transport du bois.
(Dans le campement Peul de Belli
Bamdi, les femmes effectuent des trajets de plus de 3 km), Ces raisons, outre les
difficultés d'adaptation
socia-culturelle, expliqueraient le peu de succès enregis
tré par l'introduction de ce fourneau auprès des populations du Lac de Guiers et
des campagnes sénégalaises en général. Une enquête récente indique d'ailleurs que
t
dans les expériences villageoises, l'économie d'énergie n'est pas réalisée de manièr t
effecti ve par l'usage des fourneaux amél iorés (2) .
i
.................................................................................... ~.
(1) - Cheikh A. Diop: les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral
r
d'Afrique noire, Présence Africaine, 1974,
p.56.
~ft
(2) - Karl Zimmermann: Enquêtes sur les besoins et la consommation d'énergie en
milieu rural
G.T.Z. - Eschborn l983, pp. 64-65.
t
t
i
~
t1t
.
~
/ .
~rt
rt

-84-
Si donc on s'en tient à l'option du changement de ressources énergéti-
ques,
le problème qui reste posé est cependant celui des moyens d'acquisition et
de contrôle technologique dont disposent les populations pour remplacer ou limiter
sensiblement à tous les niveaux l'usage du charbon de bois ou du bois si précieux
dans les équilibres des écosystèmes sahéliens menacés par la désertification.
1
~
!
D'une manière générale,
la végétation actuelle du Lac de Guiers est
1
très pauvre et contraste avec les récits de la tradition orale qui évoquent l'exis- JI
tence d'une végétation luxuriante dans la zone,
il y a tout juste quelques décennies
~
~t
Aujourd'hui,
il ne reste plus que quelques peuplements végétaux que
~
J. Adam classe en 4 groupements dominants(l).
1
-
le groupement Acacia SeyaI,
Aristido Funiculata et Schoenfeldia gracilis dans les
i
dépressions de sabl~fir~, argileux, colmatés;
~f
-
celui à Ealanites aegyptiaca et Aristida Mutabalis dans les sols intermédiaires
~
-
le groupement Acacia radiana dans les dunes fixes à sables plus grossiers avec
t
r
Cenchrus biflorus ;
~t
t,
t'
- l'Acacia niZotica
et Vetiveria dans les limons.
~
r~
f
On rencontre aussi des groupements secondaires de Vetiveria nigritana
avec quelques Ta~arix setiegalensis et Calotropsis procera, ainsi que des Sporobulus
robustus et Vetiveria nigritana. Dans les zones inondables, on note des groupements
de Typha australis"
de Eourgontieres
(Echinochloa stagina, Echinochloa colona,
~
Echinochloa pyramidaIis, Vassia euspidataJ de Poac<?e hydrophiles et d'oryzabarth1·1~. r
(,
Ainsi,
d'une manière générale,
la végétation de la zone du Lac de GUiers,.
est caractéristique des formations sahéliennes et,
à ce titre, est menacée par
1
la progression du désert.
r
Selon un sage du Lac de Guiers, si actuellement le désert avance, c'est 1
parce que fhomme ne respecte plus son semblable,
ni les arbres,
ni les animaux.
~1
Il s'éloigne de plus en plus de son Dieu.
Les perturbations climatiques sont à ses
yeux la conséquence d'une rupture entre Dieu et l~s hommes. C'est finalement tout
1
l'édifice du système de valeurs et de représentations qui se trouve ébranlé, ainsi
1
que les fondements socio-économiques qui les soutendent.
l
î'
,\\,
~~;.~.~:.~~~~.;.~~~~~~~~~~~~~.~.~:~~~~~.~~.~~.~~~~~~~~~~·~~·~~~·~~·~~~~~~·~~~~~~~~;~f
Bull de 1 '~FA"-~. XXVI, série A,n
","964.
1
0
./.
l
~

-85-
Dans la représentation de son rapport à l'environnement,
la société
précoloniale postule une unité,
voire une parenté entre l'homme et la nature. C'est
à partir de ce principe que l'on peut analyser les relations totémiques actuellement
observables (bien que fort atténuées) dans la zone du Lac de Guiers.
Problématique totémique
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
~1
De premier abord,
quand on envisage la question du totémisme, on se
{
heurte au problème de sa définition.
Dans son ouvrage "l'état actuel de la question
1
totémique",
A. Van
Genepp recense plus de quarante définitions différentes de ce
i
(1)
el
li!
concept
.
i\\
t
Sans passer en revue ces définitions ou juger de leur bien fondé,
on
li
peut retenir de manière provisoire,
la définition étymologique (mais non exhaustive) i
du mot totem pour aborder l'étude de ce phénomène au Lac de Guiers. Selon Claude
Levi-Strauss:
"le mot totem a été formé à partir de l'ojibwa,
langue algonkine
de la région au Nord des Grands Lacs de l'Amérique septentrionale. L'expression
oteteman qui signifie approximativement
'il est de ma parentèle'
se décompose en
o initial,
suffixe de la 3ème personne,
- t épenthèse
(pour ~révenir la coalescence
des voyelles) -m- possessif, -an,
suffixe de la 3ème personne,
enfin -ote, qui ex-
prime la parenté entre Ego et un gerrr,ain mâle ou femelle ... ,,(2).
L'affirmation d'une parenté entre une espèce animale et une fraction
de la société est absolument présente chaque fois qu'on aborde la question des re-
lations totémiques chez les Wolof et les Peul du Lac de Guiers.
Les Wolof disent que tous les noms de famille que l'on rencontre chez
eux sont liés à des espèces animales déterminées. Ainsi,
par exemple,
les NDiaye
sont liés au Lion,
les Diop au Paon,
les Niang au Varan,
les Seck à la Perdrix,
les Diaw à l'Iguane,
les Mbodji à la Gazelle,
les Diagne au Singe,
les Sarr au
Chameau,
etc ...
(2) - Cl. Levi-Strauss:
le totemisme aujourd'hui,
PUF,1980,
,.29.
./ .

-86-
Chez les Peul les noms les plus répandus qui sont désignés comme les
plus représentatifs de leurs ethnies (Ka -
Sow -
Ba) sont respectivement liés au
Varan, à la Couleuvre rouge et à la Vipère.
Par contre,
les Maures affirment que le type de relations totémiques
est inexistant dans leurs traditions. Même chez les Xartaani
dont certains portent
des ~oms de famille Wolof ou d'origine Mandingue on ne rattache pas ces noms à des
espèces animales. En fait,
les Xartaani
sont,
jusqu'à un certain niveau,
très liés
aux Eeidaan
de souche Arabo-Berbère. Or, pour A. Van Gennepp,
le totémisme n'a pas
de racine Arabo-Berbères;
toutes les traces de culte des animaux ou de relations
totémiques qu'on peut retrouver chez les Arabo-Berbères seraient, selon lui,
liées
1
- d
. fI
d '
(1)
1
a
es ln
uences sou analses
.
~
~
Par contre,
des populations africaines dont les liens historiques avec
les Wolof et les Peul ont été établis,
expriment à plusieurs niveaux l'existence
1
~
de relations totémiques.
t
1
A titre d'exemple,
on peut noter que chez les Sereer,
les Sène sont
liés au Lièvre,
les Ndiour à l'Hyène. H. Gavrand indique à ce sujet que tous les
matrilignages Sereer (Tim)
reconnaissent avoir des animaux totémiques (la Gueule
1
Tapée pour les Jofan
-
le Serpent et le Boeuf rayé pour les tTegandwn,
l'Iguane pour 1··
les Garékaré et les Rik
etc ... ) (2). Chez
les Mandingue,
non seulement les noms de
;
~
famille sont totémiques, mais les prénoms aussi désignent en même temps des noms
~'
d'animaux ou d'éléments de la nature (par exemple: Solo = tigre
> Bambo = caïman.,
wu~aba = la grande forêt
~Sanjiba = la grande pluie ... J. Chez les Nuer, certains
1
noms de famille qu'ils partagent avec les Wolof évoquent
des éléments de la
t
D ·
l '
N'
...
(3)
Q
t
-
l'E
t
t'
CA"""
na ure:
leng = p Ule,
lang = calman
.
uan
a
gyp e an lque,
.
. ,ulOp
1
affirme:
"l'Egyptien dans la vie quotidienne baignait dans le totémisrne,,(4).
Les
~
f
travaux des égyptologues Amelineau,
Loret et A. Reinach vont dans le même sens.
&
................................................................................... t
(1) -
A. Van Gennepp
: op.
cit.,Cité par Cheikh A. Diop dans antériorité des civi-
lisations nègres r Présence africaine, p. 88.
!
(2 ) - H. Gavrand : op. cit.}p. 196 et suiv.
l'
(3J -
Cheikh A. Diop: Civilisation ou Barbarie,
Présence Africaine.1g81 p. 233.
.
)
,
,
(4J - c. A. Diop: Antériorité des Civilisations Nègres, Présence Africaine, p. 86.
1
1
,~
./ .
(~
1
&

-87-
Selon les Wolof, les animaux totémiques portent les mêmes noms de fa-
mille qu'eux. Ainsi, le nom de famille
~anten wolof) du lion sera NDiaye, celui
de l'hyène: Ndiour ... L'homme et l'animal partagent le même sant parce qu'ils
descendent du même ancêtre. Chambonneau dit que les Wolof appellent leur totem
"Bokbaay" (parent du côté paternel) et estiment "y estre si grande affinité et
connexité que pour quelque chose au monde,
ils n'en mangeront, ni les tueront,
ni oseront seulement toucher, craignant comme ils disent et tiennent pour assuré
que Dieu les fasse mourir, du moins bien malades, s'ils touchaient seulement à
ces bokbaay, c'est-à-dire en leur langue leurs parents du côté de leur père; par
exemple, celui qui aura son nom tant homme que femme 'Guiop'
n'osera manger ni
seulement manier un Paon parce qu'il s'appelle aussi Guiop, celui qui aura comme
nom
'Boy"
: une civette,
'Fall'
un serpent et ainsi des autres ,,(ll.
La relation totémique chez les Wolof ne se limite cependant pas seulement
au côté paternel, le côté maternel est également concerné; c'est ce que remarque
H. Gaden à propos de Yoro Diaw : "Yoro Dyâo, écrit-il, s'interdit l'iguane parce
que cet animal est tabou par le clan des Dyâo, auquel il appartient par son père
en outre, faisant partie par sa mère de la famille
'mène'
Boul,
il ne doit avoir
( 2 )
aucun contact avec le Serpent Boa ..• "
.
La parenté entre l'homme et son animal totémique est donc un lien pro-
fond qui se reproduit à travers les lignages. Et cette reproduction réunit les
vivants et les morts. Dans ce sens,
le totem est, d'après Cheikh AntaDiop, lié
au culte des ancêtres et à la croyance à la métempsychose. "Le totemisme, dit-il
semble inséparable d'une certaine croyance à la métempsychose, puisque c'est l'an-
cêtre qui se réincarne dans le totem" (3). Chambonneau dans le même ordre d'idées
.
avait consigné l'observation suivante: "Yansek, Maitre des Bois, nourrit journel-
1
lement une couleuvre de la pieds. Il dit que c'est son aIeul et que qui la voudrait
1
voir autre que lui s'en trouverait mal,,(4).
~
.....................................................................................(
((:1) - A. Ritehie , deux textes-p. 317.
1
- H. Gaden : op. cit.,p. 120.
~
1
(3 ) - Cheikh Anta Diop: Antériorité ... ,p. 87.
l
(4) - A. Ritchie : op. cit.)p. 318.
./ .

-88-
Suivant cette logique, on retrouve chez les Wolof, les Bambara et les
Sereer la croyance selon laquelle, dans certaines conditions l'individu d'un cer-
tain âge peut prendre la forme physique de son totem. Quand l'animal totémique
fai t de brusques appari tiof'S ou est vu en songe, c'est le signe d'un message que
les ancêtres transmettent aux vivants.
Sur un autre plan,le système de représentations traditionnelles présente
la relation totémique comme une relation d'échange. Pour A. Sylla "il y a.o. des
familles Wolof où un serpent peut s'introduire sans être inquiété et, en revanche,
les membres de cette famille ne sont jamais mordus par un serpent. Mieux, ils fa-
briquent des amulettes conférant cette immuni té" (1). Quand un lion et un homme du
nom de NDiaye se rencontrent, ils peuvent s'offrir réciproquement des morceaux
de gibier. un NDiaye ne tuera pas un lion et réciproquement un lion ne s'attaquera
jamais à un NDiaye.
Les récits légendaires insistent sur le fait qu'à la base de cette
relation d'échange il y a généralement un service vital rendu par l'animal à l'homme
Ce service rendu, aboutit à la conclusion d'une alliance sanctionnée par des liens
de parenté.Chez les Diarra qui sont les correspondants Mandingue des NDiaye et
qui, comme eux ont le lion comme totem, l'alliance totémique vient du fait qu'un
couple de lions avait recueilli une femme délaissée j quand la femme mit au monde
des jumeaux, elle s'est mise d'accord avec la lionne pour que ses enfants têtent
le sein de la fauve et qu'à son tour elle allaite les petits lionceaux (2)
~.
Selon une autre légende, les Niang, au cours de leur longue péregrina-
i.
tion dans le désert, étaient près de mourir de soif quand un varan les sauva en
~
i
leur montrant de l'eau au creux d'un arbre. Depuis lors,ils ont adopté cet animal
t
comme to~;~. H. Gavrand a, de son côté, recueilli une légende semblable, chez les
f
~~~~~~
J
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
0
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
(1) -,Assane Sylla: la philosophie morale des wolof ~Sankoré, Dakar,1978, p. 56.
(2) - cf. M. Sidibé et G. Monod: "Contribution à l'étude des croyances des indigène
l'A.O.F." in B.E.A.O.F. nO 65 1927, pp. 56-64
1
(3) -
"Leur animal totémique (les Garé Karé et le~ Rik) est l'Iguane, ou GueClle
Tapée blanche. Alors que leurs ancêtres allaient mourir de soif en brousse,
ils furent sauvés par un Iguane qui grimpa sur un baobab, comme s'il avait
1
'voulu les conduire à une source" H. Gavrand : op. cit.,p. 201.
r
jt~r,
./ .
fl~.
['l

-89-
AInsi,
l'homme a une dette de reconnaissance vis_à~is de son totem
qui fait qu'il doit un respect profond à l'égard de celui-ci;
si ce respect ve-
nait à être bafoué,il court le risque de graves malédictions qui vont des maladies
de la peau à la mort ou à la perte de parent. C'est ce qui fait dire à Sory Camara
que "le fait d'avoir reçu quelque chose de vital d'une espèce animale, place les
hommes du clan dans une position inférieure et vulnérable par rapport à l'espèce
, ·
,,(1)
t o t emlque
.
En dernière analyse on peut conclure que le totémisme tel qu'il apparait
ainsi, peut être interprété comme l'expression d'une vision du monde qui place
l'homme dans une position de déperldance vis-à-vis de l'animal ou de la nature dans
son ensemble.
L'homme n'est pas martre et possesseur de la nature,
il est en rela-
tion a~ec des forces vitales auxquelles il doit respect,soumission, échange réci-
proque ...
La vision totémique postule une filiation ou une parenté biologique
et sociale entre l'homme et l'animal.
Ces liens à leur tour s'intègrent dans les
corrélations et connexions qui réunissent l 'Etre dans sa totalité. La pensée Dogon
recueillie par M.
Griaule résume cette idée de manière expressive:
"l'animal est
comme le jumeau de l'homme. Et c'est de lui que se servait l'ancêtre pour se faire
connaître des vivants qu'il voulait aider,
car l'animal était comme son jumeau.
Certes distinct de lui,
né en d'autres zones,
de forme apparemment hétérogène mais
~
d
t
t
t
- l
~
. ,
, .
,
. 1,,(2)
e meme essence e
appar enan
a
a meme promotlon repercutee
lUSqu au Cleo
.
Dans le même ordre d'idées on peut remarquer que le mot wolof rap par lequel on
désigne à la fois les génies et le double spirituel de chaque individu est le même
qui désigne l'animal.
Ainsi,
l'analyse du totémique dans cette partie de l'Afrique,
fait
apparaître que ce phénomène ne découle sQrement pas d'une ignorance de la paternité
physiologique comme avait pu le supposer l'anthropologie évolutionniste de Frazer(3)
Le totémisme exprime un lien plus profond que le vieil aveugle dogon Ogotommêli
explique ainsi:
"Chaque famil.le d'homme faisait partie d'une longue série d'êtres
et l'ensemble des familles était lié au règne animal en entier,,(4) .
.... "
..
(1) -
Sory Camara : les gens de la parole, Mouton-T Paris -
La Haye,1976~p. 27.
(2) - Marcel Griaule: Dieu d'Eau, Fayard 1966,p. 121.
(3) -
Claude Lévi-Strauss critique ce point de vue dans "Le totémisme aujourà'hui"
-=---::...;=----=-.e..:..---------'''-----------1
p. 7.
(4) - M. Griaule op. cit.)p. 122;
./.

-90-
Selon Claude L~vi-Strauss, les institutions totémiques reposent sur
le postulat fondamental d'une "homologie entre deux systèmes de différences,
situés
l'un dans la nature,
l'autre danslaculture,,(l);
Ce qui explique la liaison intré-
sèque entre le totémisme et l'exogamie clanique.
Lévi-Strauss dit qu'une "solide
tradition"
lie les institutions totémiques à l'exogamie.
Ce serait pour mieux mar-
quer leurs différences qui reproduisent le modèle de la nature que les clans toté-
miques sont exogames.
Si ces observations s'insct'ivent dansle contexte australien,il semble
qu'elles soient difficilement généralisables en Afrique, plus particulièrement
chez les Wolof et Peul oG le totémisme et la pratique de l'endogamie clanique sont
concommittants.
En fait,
plus que le postulat d'une homologie entre des systèmes de
différences,
c'est une intégration des différences et des systèmes de différences
dans des systèmes plus vastes que révèle une étude du totémisme en Afr.ique. Ce der-
nier renvoie en fin de compte à la question philosophique de la relation ontologiqu
entre l'homme et la nature. D'ailleurs, pour Cheikh Anta Diop "l'être vivant qui
s'identifie à son totem,
se place sur le plan des essences,
de l'être ontologique,
l
l
' 1
(2)
sur
e p an des f orees Vl ta es"
.
Cette position philosophique est présente dans la praxis environnemen-
tale des populations des sociétés précoloniales wolof et peul.
Ce qui fait qu'on
ne peut pas étudier la gestion traditionnelle de l'environnement sans la rencontrer
car comme le pense M. Fortes "les symboles totémiques sont
au même titre que les
symboles rituels,
des points de repères idéologiques qui orientent l'action de
l "
d'
'd
(3)
l n
1 Vl
U"
' .
(1) -
Cl.
Levi-Strauss,
la pensée sauvage y Ed. Plon, Paris,1962,
p.
152.
(2) -
Cheikh A. Diop: Antériorité ... p. 88.
(3) - M. Fortes: The dynamics of
clanship
alTlong the Tallensi, Oxford University
Press)London,1945,p. 144.
·/ .

-9i-
Mais le totémisme wolof ou peul ne peut être analysé simplement dans
une perspective utilitariste. D'ailleurs,
l'explication d'une origine utilitariste
du totémisme formulée par le fonctionnalisme de Malinowski avait déjà été rejetée
par E.
Evans-Pritchard.
Ce dernier avait en effet observé que chez les Nuer,
les
animaux totémiques ne répondaient à aucun besoin décelable de manière précise dans
leur vie matérielle et inversement "les mammifères,
oiseaux, poissons, plantes
et objets qui sont les plus utiles aux Nuer ne figurent pas au nombre de leurs
(1 )
totems"
'. On note ainsi que chez les Wolof et les Peul,
les animaux totémiques
et les animaux "utiles" sont placés à des niveaux distincts.
A.
Leroi-Gourhan ef-
fectue la même constatation à propos des Egyptiens
: "on connaît un grand peuple
qui nourrissait des crocodiles et des ibis pour les honorer et momifier leurs cada-
vres
: les Egypt~ens. Or, ce peuple,
qui a poussé plus loin que nous-même le goQt
des bêies curieuses,
apparaît comme un de ceux qui ont le plus cherché les bêtes
·1
1
(2)
Utl es'
.
Cependant,
il existe une identité dans les approches des totems et
celles des animaux utiles.
Chez les Peul,
l'animal totémique comme l'animal domes-
tique est lié à l'homme par une relation de parenté.
Selon A. Hampaté Ba "Pour
les Peul,
les Bovidés ne constituent pas un bien,
une richesse, mais sont des pa-
( 3 )
rents"
. A.
Anselin quant à lui remarqUE.'
: "le boeuf est le parent de l'homme
et réciproquement.
Herodote
et Maquet l'ont montré à 2.500 ans de distance aux
(4 )
mêmes confins nilotiques de l'Egypte"
.
Cette parenté est telle,d'après A. Hampaté Ba,que les Peul ensevelissent
et célèbrent les funérailles des boeufs les plus âgés de leurs troupeaux. Cette
pratique aurait aussi existé dans l'Egypte prédynastique; un vieux Peul Wodabé
du Lac de Guiers nous a affirmé qu'autrefois les membres de sa fraction pleuraient
comme on le fait pour un parent disparu,
quand certaines vaches fondatrices de
1 · •
.
t '
.
(5)
19nee venalen
a mourIr
.
(1)
- E. Evans-Pritchard; Nuer Religion, Oxford 1956 p. SO,cité par Claude Levis-
Strauss in le totémisme a~ourd'hui t p. 117.
(2) -
A.
Le Roi Gourhan~op. cit,}p. 197.
(3) - A. Hampaté Ba et G. Dieterlen:
op,
cit.}p .. 12.
(4)
-
A.
Anselin:op.
cit.)p. 37.
(5)
Il s'agit de Ahmadou Ka du Campement de Belli Bamdi dans la zone de Ngnit.
·/ .

-92-
L'éleveur peul est uni à son troupeau par plusieurs liens affectifs.
Il connaît le nom,
l'âge et la généalogie de toutes ses bêtes. E. Evans-Pritchard
décrit cette même relation chez les Nuer
: "Un homme connaît chacun des animaux
de son troupeau et des troupeaux de ses voisins et parents
couleur, mouvements
de cornes, signes particuliers,
nombre de tétines,
quantité de lait fournie;
il
sait son histoire, celle de ses ancêtres,
celle de sa progéniture. Miss soule me
dit que la plupart des Nuer connaissent les caractères distinctifs de la mère de
de la grand-mère d'une bête,
et que certains connaissent ceux de ses ancêtres jus-
" 1
.
.,
" t ·
,,(l)
qu a
a c1nqu1eme genera 10n
.
Dans le même ordre d'idées,M. Dupire et E. Evans-Pritchards constatent
dans les régions, différentes que les éleveurs
(Peul Wodabé chez M. Dupire, et Nuer
chez E.Evans-Pritchards) associent souvent leurs noms à ceux de leurs bêtes pré-
"
(2)
f erees
.
D'autre part,
le boeuf intervient dans le système de valeurs;
associé
aux principes moraux fondamentaux,
il fugure parmi les critères d'appréciation
de la valeur morale de l'individu,dans son identification culturelle. Un dicton
peul recueilli par Boubacar Ly di t
: "F7ûogal. makko ina mo;fji omo
xeeùJi gacé omo
~,eùJi nay". (Il est véritablement un Peul: il a beaucoup de respect de soi et
beaucoup de boeufs)(3).
Le bovin est,
en outre, présent dans toutes les séquences
de la vie socio-familiale (naissance,
décès,
mariage,
réparation d'un préjudice ... )
Dans ce cadre,
les Peul n'élèvent pas leur bête simplement comme source de nourri-
ture
; au contraire,ils en consomment rarement la viande. E. Evans-Pritchard avait
aussi not~ qu'en dehors de certaines occasions, les Nuer "ne se permettaient pas
de tuer un boeuf pour leur simple nour~iture (ils pensent même que la bête pourrait
les maudire)
et ils ne s'y résolvent qu'en temps de famine,,(4).
Dans ce contexte,
on comprend que le bovin même s ' i l joue un rôle im-
portant sur le plan économique,
ne peut pas être considéré uniquement sous cet
angle.
(1) -
E. Evans-Pritchard,
les Nuer, Gallimard 1968, P.
56.
(2) -
E. Evans-Pritchard: op.
cit.
- M. Dupire, peuls nomades, Etudes descriptives
des Wodaabé du Sahel nigérien; Institut d'Ethnologie;
Paris 1962.
(3) - Boubacar Ly : "L'honneur dans les sociétés Ouolof et Toucouleur du Sénégal"
Présence Africaine, nU 61
1er Trimestr~1967. p. 40;
(4) -
E. Evans-Pritchard: op.
cit.)p. 45
·/ .

-93--
La méconnaissance de cette position du bovin dans l'univers socio-
économique et culturel des Peul intervient dans l'échec de certains projets de
développement de l'élevage dam3 la zone du Lac de Guiers.
la SENDA qui avait pour
orientation l'embouche et la commercialisation des bovins,
ne
put obtenir auprès
des Peul la quantité de bêtes dont elle avait besoin.
Alors que si on ne tenait
compte que de leur nombre et de leur valeur financière,
les bovins de la zone de-
vaient satisfaire tous les besoins de la SENDA.
Par ailleurs,
sur un autre plan et à un moindre
niveau,
les Wolof
ainsi entretiennent des relations symboliques avec les moutons et chèvres qui
constituent l'essentiel de leur élevage domestique.
Selon, les Wolof,le mouton,
plus particulièrement le bélier protège
la concession contre le "mauvais oeil".
Le regard des hôtes qui fréquentent la
concession peut être nuisible aux membres de celle-ci,
surtout s ' i l est chargê de
mauvaises intentions.
Or,le bélier peut écarter ce regard,
tout comme il peut con-
jurer les malédictions qui menacent la concession. C'est pourquoi on ne le conserve
pas uniquement pour sa chair ou pour la valeur économique qu'il représente;
il
est considéré comme un~sacrificeu(sarax en wolof) que l'on effectue pour s'assurer
une protection mystique.
On retrouve cette considération du bélier dans d'autres
sociétés africaines ayant eu des relatior ~ historiques avec le \\llaalo. C'est le cas
par exemple du Mali à propos duquel Ibn Batouta dit que les audiences royales se
d ,
1"
t
'
d
d
b'l"
"d
t"
,
,
,
l
" " 1 , , ( 1 )
erou aien
en presence
e
eux
e Iers
es .Ines a ecarter
e mauvaIS oel
.
Théophile Dbenga de son côté retrouve le même culte du bélier de la vallée du Nil
(Maroc,
Thèbes)
à l'Afrique Occidentale (notamment chez les Edo et les Yorouba
d
B '
" )(2)
F
t
-
l
"
u
enHl
' .
uron,
quan
a
UI,
découvre le dieu bél ier égyptien jusque dans
les peintures rupestres du Sahara "c'est,
écrit-il, Amon le dieu-bélier que nous
voyons naître ainsi dans ce Sahara alors peuplé de pasteurs menant paître moutons
et boeufs là où aujourd'hui ne s'étend qu'un désert,,(3).
En fin de compte,
il semble évident que les représentations culturelles
Il,.,!
sont inséparables de la pratique de l'élevage ou,
d'une manière générale,
des rap-

ports à l'environnement tels qu'on peut les observer chez les Wolof et les Peul
1
l'
du Lac de Guiers.
i
~i;'~'i~~'~~~~~~~';'~~;~~;'~~'~~~~~~:~i~~'~~;'~~~~~~'~:'~i~~~"~~~i~~'~~~;~:::i""'I:,1
p. 356-357.
:
(2) -- Théophile ObeGga
"les origines des Pharaons sont africaines" Afrique Histoir
nO 7/1983 p. 48.
(3)
-
Cité par C.A.
Diop dans MationsnègreS•..•
'/'

-94-
Mais ces représentations ne sont pas les seuls facteurs qui entrent
enligne de compte,
des éléments économiques,
techniques ou technologiques, ainsi
que les rapports sociaux de production interviennent également dans cette praxis.

F. 16 - Intérieur de case Peul
F. 17 - Concessions Peul à Balli Bamdi

1."
IABL!AU
D'ENQUETES Sl.R LA CCI'lSQtoo4MATKJIl œ ÇtLARBON DE BOIS
A
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5
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personnes
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TABLEAU
D'ENQUETES
SUR LA CONSOMMATION
DE
BOIS A NGNIT
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. - - . _ par famille

- - - - - - - - - - - - - - - -
PARTIE II
LES
SYSTEMES ECONOMIQUES

-:!d-
Dans son étude des systèmes économiques, K. Polanyi définit le domaine
des systèmes économiques comme étant celui de la production,
de la circulation et
de la distribution des biens et des services.
A partir de cette définition,
il dis-
tingue" le "sens formel" des systèmes économiques qui "dérive du caractère logique
de la relation entre fin et moyens"
et le sens substantif qui fait ressortir la dé-
pendance de l'homme vis-à-vis de ses semblables et de son environnement;
l'économie
apparait alors comme "procès institutionalisés d'interactions entre l'homme et son
environnement",
interactions qui se traduisent par la fourniture continue des moyens
permettant à l'homme de satisfaire ses besoins(l).
Ainsi,
on peut envisager les systèmes économiques comme des ensembles
structurels d'éléments destinés à la production. à la circulation et â la distribu-
tian de biens et services suivant des normes et des rationalités spécifiques. De
ce fait,
les systèmes économiques ne sont pas de simples machines destinées à sa-
tisfaire les besoins individuels et collectifs; des facteurs historiques,
socio-
culturels et politiques interviennent dans leur fonctionnement et leur structuration.
Les systèmes économiques s'articulent autour de modèles de structures ouvertes, pola
risés par des secteurs dominants qui cristalisent en elles non seulement,
les rap-
ports économiques, mais aussi les dimensions politiques et socio-culturelles de la
société.
Dans cette perspective on peut concevoir que dans u~ système économique
un cu plusieurs secteurs se constituent en p61es dominants qui investissent l'en-
semble du système au point que l'cn puisse caractériser celui-ci par son secteur
d
.
+-
1
l'
'd .
.
l'
A

)(2)
omlnan~ \\meme SI
un ne se reult pas a
autre
.
(l)
-
Polanyi K.
-
Arensberg C.W. et Pearson H.W.
: les systèmes é_conomiques dans
l'histoire et dans la théorie. Larousse, Paris 1977,
p.242.
(2)
-
On serait tenté de dire que chaque système économique a son "Pattern" (pour
reprendre l'expression de Ruth Benedict) c'est-à-dire un agencement spécifiqu
de traits culturels en modèles polarisant les comportements dans lesquels,
par ailleurs,
ils se reproduisent (cf.
R. Benedict: Echantillons de civilisa
1
tion.,Ed.
Gallimard,1950l.
f
f
./.
1
1
i
~
1
1
~ir

-'0':1-
A Ngnit et à Temeye Salane tout comme dans l'ensemble de la région du
Lac de Guiers et du Waalo,
les systèmes économiques traditionnels sont polarisés
par deux types d'activités dominantes:
l'agriculture et le pastoralisme
; à telle
enseigne que l'on puisse parler de système agraire et de système pastoral.
L'agriculture dans le système économique des Wolof et de la plupart des
Xal'taani n'est sans doute pas l'unique activité économique de la société;
tradion-
nellement,
ce système comprend d'autres activités: pêche,
élevage,
cueillette,
ar-
tisanat,
commerce ...
mais celles-ci,
~ant au niveau de la société globale qu'à celui
de l'individd,
occupent une position secondaire et dépendante par rapport à l'activi J
fondamentale de l'agriculture.
De mêm~,
le pastoralisme dans l'économie Peul non seulement constitue
la base économique de la reproduction du système social, mais en plus est le centre
à partir duquel s'articulent toutes autI'es activités économiques (échange,
agricul-
ture . . . ).
Ces différents systèmes gardent chacun ses logiques internes et ses dy-
namiques propres. Chacun évolue sur la base d'une autonomie assurant la reproduction
de la structure toute entière.
Cette autonomie repose en grande partie sur la capa-
cité des systèmes respectifs à assurer leur autosuffisance au niveau de leu.3 élémen
de base.
L'autosuffisance alimentaire est inscrite dans les dynamismes internes des
systèmes économiques traditionnels.
Cependant,
les autonomies respectives des systèmes agraires et pastoraux
ne signifient pas que ceux-ci s'excluent réciproquement et absolument.
Au contraire,
ils se servent de supports mutuels même s ' i l existe entre eux des points de conflits
et des contradictions. L'étude des systèmes économiques
traditionnels
du Lac de
Guiers débouche,
de ce fait,
sur la considér'ation que les systèmes sont en "travail"
l'un sur l'autre. D'ailleurs,
l'autosuffisance alimentaire en tant que base de ces
systèmes n'exclut pas comme le montre Meillassoux, en parlant d'économie d'autosubsis
tance,
l'échange et la circulation externe d~productions.~L'autosubsistancedit
Meillassoux,
ne se confond pas avec la notion d'autarcie.
Elle n'exclut pas les rap-
ports avec l'extérieur et même certains échanges marchands tout le temps que leurs
effets sont susceptibles d'être neutralisés et que 'n'est atteint le seuil critique
au--delà duquel les transformations des rapports de production qu'ils entrainent ne
sont plus réversibles,,(l) .
. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1)
-
Cl. Meillassoux
: Femmes greniers et capitaux,
Ed.
Maspero, Paris,1977~
p.
C3.
./ .

-100-
Dans la zone du Lac de Guiers,
si on peut qualifier le système économi
des Wolof comme étant un système agraire et celui des Peul comme étant un système
pastoral; par contre,
il est difficile de ranger toute la société maure dans l'un
Il
ou l'autre catégorie.
J
En fait,
on retrouve chez certains sous-groupes Xartaani un système
agraire sur plusieurs points semblable à celui des Wolof,
alors que chez d'autres
1
c'est un système pastoral ayant plusieurs similitudes avec le système Peul,
qui se
~~
en activité. Les Eeidaan par contre,
ne sont pas,
quant à eux,
des agriculteurs.
l
'#
Ce sont traditionnellement des éleveurs,
commerçants ou guerriers (la guerre de
'ii;
razzia ayant eu une fonction économique importante jusqu'à la fin du siècle dernie
1
~
En réalité,
les systèmes économiques des Beidaan ne se sont jamais fix
~
de manière durable dans la zone du Lac de Guiers.
Les contacts avec les population
locales Wolof, Peul et Xartaani ont toujours revêtu une forme épisodique et interm
tante.
Cependant ces contacts,
quelle que soit leur fréquence,
étaient, semb
t-il, rendus nécessaires par le caractère dépendant de l'économie Eeidaan.
En effe
plusieurs éléments portent à craire que la société befdaan fut très t6t (en raiso
entre autre des changements écologiques, survenus dans le Nord du Sahel et des no
velles relations politico-militaires entre différentes populations de cette zone)
dépendante sur le plan alimentaire des populations Wolof, Peul et Xartaani.
Actuellement,
il est encore difficile de situer avec précision le débt
des premiers contacts (commerce caravanier,
razzia ... ) entre Eeîdaan et populatio
locales de la zone du Lac de Guiers. Mais il semble que même si ces contacts remo
tent à une période historique très lointaine,
ils ne paraissent pas avoir fonda-
mentalement bouleverse
les économies agraires et pastorales précoloniales de cet
zone;
alors qu'il en sera autrement pour ce qui est des contacts avec l'Europe.
1
C'est dans le cadre des rapports économiques avec l'Europe que la zon1
du Lac de Guiers sera,
dès le Xlème siècle intégrée au processus de formation du
système capitaliste international. Cette intégration ne manquera pas d'introduire
de profonds changements dans les systèmes économiques traditionnels.
./.

-lUl-
Ainsi,
à la place de systèmes de production garantissant l'autosuffisanc
alimentaire tant sur le plan macrosociologique de la société globale que sur le plan
microsociologique de la concession,
on en arrive à des systèmes périphériques, subor
donnés -et dépendants des économies européennes.

CHAPITRE
LE SYSTEME AGRAIRE
-=-=-=-=-
GENERALISATION DU SYSTEME
La connaissance du système agraire traditionnel se heurte à la difficulté
que constitue le manque de données quantitatives dans ce domaine;
il n'existe que
des récits des voyageurs
européens
(Chambonneau,
Lemaire, Boilat ... ) mais qui, cc-
pendant donnent des informations qualitatives sur les productions agricoles de la
société précoloniale du Waalo.
Perrottet qui visita la région du Lac de Guiers en
1828 apporte ainsi des informations relatives à l'agriculture de cette zone.
La tra-
dition orale de son c8té donne des indications permettant de se faire une idée sur
la nature des systè~es économiques précoloniaux.
Sur le plan de la production,
l'unanimité qui semble se dégager de ces
différentes sources d'information met en évidence au moins deux caractères fondament~'
du système agraire traditionnel
: la diversité des productions et la capacité de celll
ci à assurer l'autosuffisance alimentaire des populations de cette zone.
Ce type d'agriculture a fonctionné suivant une rationalité,
des technolo-
gies,
des modes d'appropriation et des formes d'articulation à l'environnement qui
seront différents du type d'agriculture qui apparaîtra plus tard avec la colonisation
Dans la société Wolof du Lac de Guiers,
l'agriculture est un fait total
en ce sens que non seulement elle investit le champ de la production et de la con-
sommation, mais en plus elle pénètre toutes les institutions sociales,
juridiques,
religieuses et morales.
L'agriculture est pratiquée par l'ensemble de la société,
il n'existe pas de lignage ou de rang social qui soit détaché de cette activité de
production.
Les catégories au sommet de la hiérarchie sociale étaient concernées par
cette activité au même titre que celles considérées comme inférieures. Dapper obser-
vait en 1686 que "les Wolof ont à coeur l'agriculture ... " ceux qui s'y montraient
négligeants subissaient le blâme et la déconsidération de la société "les plus grands
du pays rejoignent (alors) 'leurs ouvriers sur les champs de sorte que le plus élevé e
.f.

-103-
( 1 )
le moindre
petit et grand se laisse occuper à cet effet"
. Les membres des castes
artisanales av&ient eux aussi accès à la terre et effectuaient une production agricole
à côté de leurs activités de caste. Les castes Wolof de cordonnier~(Wuude), tisserands
(rab), boisseliers (sen),
forgerons
(tegg) et griots(geweL) faisaient toutes de l'agri
culture en dehors de leurs activités spécifiques au niveau de la division sociale
du travail.
(Selon une opinion généralement répandue, ce qui différencie le boisselier
Wolof (sen)
du boisselier laobé c'est que le premier est en même temps un agriculteur
alors que le second ne l'est pas).
La réunion de certaines conditions socia-culturelles ont,
semble-t-il
rendu possible la généralisation de l'agriculture dans l'ensemble de la société Wolof
précoloniale. Si on peut noter que les conditions écologiques minimales (terres arable
disponibilité d'eau ... ) se trouvaient naturellement réunies,
ces conditions à elles
seules n'expliquent pas totalement la nature des systèmes agraires;
il convient sur-
tout de retenir l'existence sur le plan socio-politique d'un système foncier garantis-
sant le libre accès à la terre et l'inaliénabilité de celle-ci. Ce sy~tème foncier
fait qu'aucune autorité ne puisse détacher une quelconque partie ou fraction de
la population de la production agricole.
Il est,
de ce fait,
quasi-impossible de dé-
posséder lc~ producteurs du moyen de production le plus essentiel dans ce système,
à savoir la terre. En outre, la nature des techniques de production par le fait qu'ell
exige une grande mobilisation d'énergie humaine, rend pratiquement impossible qu'une
f rac t · ,
Ion Ge l
a I t
popu
·
a Ion se d't
e ac h e d es

·
aClVl t '
es d e pro duc t·Ion (2) . La mab·l·
l
Isa t·Ion
d'importantes forces de travail dans le contexte technologique de l'économie précolo-
niale,
est en fait une nécessité pour parvenir à la grande diversité de production
agraire qui fut connue dans la zone du Lac de Guiers.
f
;~;'~'~:'~~~;~~~~':'~~'~~~~~~~'~~~~'~:~~~~~~'~:~;;r;~~·~~~~~~·~·~~~~~~~~·~~~~;~;~~·····I.•
encore inédite de la description de l'Afrique par G. Dapper 7 Amsterdam,1686.
1
(
(2) -
Certes vers la fin de la société précoloniale,
les ordres royaux et la catégorie Il..
des guerriers (ceddo)
étaient détachés de la production agricole et ne s'oc-
.•
cupaient plus que de l'acquisition (par la guerre essentiellement) et de la
;
vente d'esclaves qui leur fournissaient ainsi les moyens d'existence et de re-

production sociale.
Mais à ce niveau,
il s'agit surtout d'une conséquence de
.
la traite négrière qui enclanche le processus de satellisation d'une économie
j
traditionnellement indépendante/au profit du capitalisme européen.
r
f
~
~.
1
1
•li
.
~.
/ .
f

-104-
~I~1
DE LA DIVERSITE DE LA PRODUCTION
La tradition orale et la perpétuation de certaines traditions agraires
donnent une idée des principales productions agricoles qui étaient réalisées au
niveau de chaque concession.
On retrouve aussi dans les textes français de la
période précoloniale des passages significatifs sur la diversité de la produc-
tion agricole du Waalo.
Le paysage agricole semble avoir été nettement dominé par le mil et
le sorgho.
Les agriculteurs de cette région ont d'ailleurs,
jusqu'à présent,
une
connaissance très poussée de plusieurs variétés de mil et de sorgho qu'ils culti-
vent suivant les propriétés de ces plantes et leur adaptation aux conditions pédo-
logiques et: climatiques. Ainsi pour le mil,
le sunna (Pem:isetum :;C1J'nbicum)
et
le ,~aJ1C iF'ennz"setwn
poîystachwnJ
diffèrent par la durée de leur cycle végétatif
trois mois pOlIr le premier,
quatre pour le second
; pour le sorgho il existe aussi
plusieurs variétés hatives ou tardives qui sont en outre
cultivées en rapport avec
la nature des sols (PC!1~ghw~ gcmbicwn, Soy'ghurn exsertwT!, S'oy'ghwn
cm'rzuwn).
En dehors du mil on cultivait aussi le niébé (Virgina sinensis),
le
béref (C'~tru Z, [us
lanatus) ~ le gombo (HûJ'z"scv.s es cu îentus A le manioc,
le coton
et l'indigot
;
l'arachIde constituait une plante vivrière d'appoint en même temps
qu'une source de production locale de savon qui aurait été introduite par des
,
,
d
f t
t
d ' "
(1)
E
t
l
navigateurs portugais en provenance
es co es su -americalnes
.
n ou.re,
e
milieu traditionnel avait une connaissance assez poussée de plusieurs variétés
de légumes
(patates,
oseilles,
piments,
etc ... ).
A.
Boilat dans la relation de son voyage dans le Vaalo note:
"à côté
des champs de mil,
sont de vastes jardins semés de citrouilles,
de melons d'eau,
de pois,de haricots,
d'arachides,
etc ...
Le tout est confié aux pluies du ciel
et prodcit cent pour un,
ils en récoltent assez pour leurs besoins et pour en
,
(2 )
faIre le comrnr;;rce"
.
..
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..
10
..
(1) -
Cf. Pelissier : Les paysans du Sénégal, Saint-Yrieix,
Imprimerie Fabregue,
1966.
(2) -
A.
Boilat
Esquisses Sénégalaises. ,Ed.
Karthala,
Paris,1984,
p. 307.
·/ .

Dans le m@me sens,
en 18~5, F. Carrère et P. Halle avaient rendu compte
de la grande diversité de l'agriculture wolof:
"le mil donne dans le Vaalo deux
récoltes par an
: le petit sunna semé vers le mois de juille~ au commencement
des pluies est recueilli à la fin septembre"
; le gros,
semé en culture de décrue
au mois de janvier est récolté en avril ou mai.
"On y récolte aussi des gombos,
des melons.
des giraumons et des patates douces,,(l).
Une description similaire
est effectuée par Charnbonneau en 1673.
Il observe que les habitants du \\l8alo
sèment différentes variétés de mil et cultivent en outre,du coton,
des citrouilles
t
d ,
l '
C?)
e
autres
egumes
.
Ce paysage malgré toute sa diversité est cependant fortement marqué
par la
primauté du mil.
La place occupée par cette culture se conçoit aisément
si on tient compte du fait qu'il constitue la base de l'alimentation traditionnell
des populations de cette zone.
A.
Boilat et Perrottetont tous les deux affirmé
dans leurs textes respectifs que le mil constituait la base de la nourriture des
habitants du Vaalo,
le riz était alors considéré comme une denrée de moindre valeu
Cette alimentation à base de mil avait,
selon Perrottet, des qualités nutrition-
nelles très appréciables:
"l'excellente nourriture dont ces Nègres font usage
et qui est appropriée au climat et à leur tempéramer.t,
ne contribue pas peu à
(:1 )
leur donner cet air de bonne santé qui
les caractérise tous"
. Sur un autre
plan,
le mil constitue aussi
une source d'aljment pour le bétail: le son sert
souvent à nourrir les chèvres,
les moutons et la volaille domestique
; les tiges
de mil assurent de leur c8té plusieurs fonctions ccmme matériaux de constructions
des habitations et des c18tures. C'est en raison de tous ces éléments que pélissie
é c r i t :
"la suprématie du mil dans le paysage rural et dans les systèmes de produc
tians est écrasante; son r81e fondamental
dans l'alimentation et les préoccupa-
tions paysannes et même l'emploi de ses tiges comme matériaux de constructions
f
des habitants,
autorisent à parler d'une véritable civilisation du mil,,(4).
~'
r~'~,
..

..

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..
..

lOlO
•J'\\'
(1) -
F. Carrère et P. Holle : De la Sénégambie française
i
, Librairie de firmin)
f
Didot Frères, Fils et Cie
J
Paris 1855, pp.
103-104.
i,
~
(2)
-
Cf. Ri tchie,
Carson,
1. A.
"Deux
textes sur le Sénégal 1673-1677" in Bul_~~; 1
n° l
I.F.A.N.
,Janvier 1968
, p. 320.
r
ff
(3) - M. P~rrottet
Op.
cit. ,pp. 69'-70.

~
(4)
- Pelissier
op.cit.,p.89
1
i
ri
t~
./ .
!!~r

-106-
Dans cet ordre d'idée il est tout à fait logique que les greniers
de mil occupent une placede choix dans l'organisation de l'espace habité. Perrottet
mentionne ce phénomène dans le récit de ces voyages le long du Lac de Guiers:
"Ces greniers~écrit-il,sont assez élevés pour qu'à une certaine distance un village
paraisse beaucoup plus grand qu'il ne l'est réellement. Quand on ignore cette
particularité,
on est sujet à se méprendre sur l'étendue des villages de ces con-
trées,
d'autant plus aisément que tous dans la saison de la récolte de mil sur-
t
t
t
t
'
d
.
. .
1
(1)
ou 1 son
en oures
e grenlers provlsoires ae ce genre"
.
En règle générale chaque concession avait une récolte de mil suffi-
sante pour couvrir ses besoins alimentaires annuels; elle s'assurait même un
surplus qui entrait dans le circuit des échanges notamment contre des produits
d'élevage ou d'artisanat ou dans le cadre des relations sociales (élément de la
dot dans les mariages). Cependant,
les réserves de mil ne parvenaient pas toujours
à couvrir l'ensemble des besoins alimentaires surtout en cas d'aléas écologiques
défavorables (sècheresse,
déficit pluviométrique,
invasion de sauterelles). Ainsi
d'autres réserves existaient au niveau du système,
les réserves naturelles en
particulier : plusieurs plantes de la végétation sauvage du lac de Guiers étaient
utilisées comme aliments de substitution pendant les périodes de carences ali-
mentaires. C'est le cas notamment du riz sauvage,
des fleurs et grains de nénu-
phares autres plantes sauvages dont on pouvait faire des aliments suite à plusieur
1·.•.·
séries de transformations qui
faisaient appel à un temps de travail particuliè-

rement important.
1
i~.1
LES TECHNIQUES DE PRODUCTION
i11
1,:
g.
~
On retrouve dans les techniques de production agraire de la zone du
Lac de Guiers cette même constante qui transparait dans l'univers général des
1
technologies,
à savoir le lien de ces technologies avec l'environnement naturel
t
et le contexte socio-culturel. Dans le milieu traditionnel du Lac de Guiers, ce
1 ien fal t
ressortir une util isation singul ière d,es res~;ources du milieu écologique 1
dont par ailleurs les dimensions sont intégrées dans le déploiement des tech-
~
niques agraires.
1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . liI
i;
(1)
-
Op. Cit. , p. 78 -
79
·/ .
1

-107-
Dans la zone du Lac de Guiers comme dans l'ensemble du Waalo précolonial,
l'agriculture semble prendre en considération la nécessité d'une ut~lisation ju-
dicieuse des ressources de l'écosystème en eaux et en terre arable. L'agriculture
se dêr~ule dans le cadre de deux pôles d'activités: les cultures du MIaZo et les
cultures du Jééri.
Les cultures du WaaZo
sont effectuées sur les zones inondables.
Les cultures du Jé~ri, elles ont lieu sur des terres qui ne sont arrosées que par
des eaux de pluies. Le système agraire traditionnel semble alors viser une utilisa-
tion successive de ces deux sources d'eaux qui sont disponibles à des moments dif-
férents de l'année.
Les cultures du WaaZo ne nécessitant pas de travail d'irrigation, elles
s'effectuent au fur et à mesure que le mouvement naturel
de la décrue provoque le
retrait des eaux de::.; terres inondées. Pour les agriculteurs,
les terTes du v/aaZo
sont prédispcsées à certaines cultures qui sont plus rentables,
alors que les terres
du Jééri de leur côté offrent des conditions plus favorables à d'autres cultures.
Ainsi,
les variétés hâtives de mil,
de sorgho,
de manioc,
de mals,
de niébé et de
béref sont tr:ldi tionnellement cul ti vées sur les terres du ,Tééri, alor's que sur
le ~/aaZo on retrouve ces mêmes plantes, mais en variétés plus exigeantes en eau
et dont le cycle végétatif est pluslong.
En outre,le WaaLo est d'avantage choisi
pour les légumes,
tandis que la culture du coton et de l'indigot se faisant dans
le Jééri.
Sur un autre plan, on peut envisager l'intégration de la dimension éco-
logique dans le système agraire traditionnel à partir de l'observation des diffé-
rentes
techniques de protection dumilieu naturel dans le cadre des dynamiques de
productions elles-m@mes.
Dans le système traditionnel,
l'arbre fait partie du paysage agraire.
Le ColotropiB pr'ocera protège contre les mauvais espri ts et les mauvais sorts,
d'autres arbres servent à délimiter les champs; pour les champs du WaaZo ce sont
les arbustes,
les EuphoY'b-ia baZsœrn:fera qui sont utilisés comme clôtures.Dans les
espaces de culture,
les arbres constituent les zones d'ombre sous lesquels les agri-
culteurs prennent leur repas àe la journée. On utilise aussi les arbres pour
accrocher
les
outils
de
travail et les habits dont les
travailleurs se dé-
·/.

--lOtl--
barassent au moment des labeurs intenses. Par ailleurs,
dans le système tradition-
nel,
l'arbre ne constitue pas un obstacle ou une gêne au déploiement des outils
et techniques de production. Comme se sera plus tard le cas avec la charrue atte-
lée qui exigera des espaces plus dégagés.
Ces arbres intégrés dans le système,
non ~eulement enrichissent le sol, notamment par la fixation d'azote, mais en
plus constituent des obstacles aux àifférents types d'érosion qui menace la pédo-
logie.
Par ailleurs,
il semble que les agriculteurs Wolof aient très tôt
tiré partie du passage et de l'installation des pasteurs Peul sur les emplacements
des champs du J{:éri pendant la saison sèche.
Les Wolof connaissent l'importance
de la fumure organique dans l'enrichissement des sols.
Les ~hamps de culture du WaaLo,
de leur côté, sont enrichies par la
décomposition de résidus agricoles
(tiges,
feuilles,
racines . . . ) qui,
en général,
sont laissés sur place après les récoltes.
Ils reçoivent d'autre part les défec-
tions humaines qui se font généralement dans ces endroits.
Dans le même ordre d'idées,
on peut noter que la pratique de la jachè
est une technique avant tout destinée à régénérer le sol. Quand les agriculteurs
estiment que les terres
(du Jééri en particulier) sont épuisées à la suite d'un
certain nombre d'années d'exploitation (au bout de 10 ans selon plusieurs sources
orales),
ils abandonnent ces emplacements à l'occupation du bétail qui participe
pendant plusieurs années de suite à leur fertilisation.
Le retour a
l'exploita-
tion des terres anciennement laissées en jachère est commandé
par l'observation
d'arbustes et de plantes dont la présence indiquerait le niveau de régénérescence
de 1.a terre.
En fait,
il existe deux types de jachère
- à un niveau sectoriel : quelques champs de la concession sont abandonnés pendant
plusieurs hivernages et servent de pâturage aux petits ruminants
;
à un niveau global
: la concession ou le village abandonne toutes ses terres
de culture pour s'installer dans une autre localité relativement éloignée de
la première.
Au bout de quelques années,
la communauté _revient à son point de
..
/
départ.
A une date encore relativement récente,
le village de Temeye Salane
a eu à effectuer, à partir de 1920,une série de déplacements sur un rayon d'en-
viron trente kilomètres à l'intérieur des terres du Jééri. Ainsi, partude
·/ .

-109-
l'emplacement actuel du village,
les habitants se sont successivement rendus
à Garab du Narr (où ils ont passé huit ans), à Xuru Kaji (vingt-deux ans), à
Alayana (cinq ans), à Léwa (quinze ans) avant de se rétablir à leur point de
départ.
La plupart des explorateurs précoloniaux avaient de leur côté observé
la pratique de la jachêre dans le système traditionnel.
La jachère est liée à
une agriculture itinérante qui conduite à abandonner en friche les terres jugées
peu productives après un nombre variable d'années de culture.
En 1673 Chambonneau
écrivait à ce propos:
"Ils (les Wolof)
en (les terres) prennent où bon leur
semble, s'ils ne la trouvent bonne en un endroit,
ils en prennent autre pàrt,
et s ' i l y en a encore deux tiers en friche et aussi des forestes et pasturages,,(1}.
En fait,
la pratique de la jachère semble être une compensation que
le systême de production traditionnel introduit dans un milieu écologique relati-
vement appauvri par l'usage du feu comme moyen de défrichage.Cette technique,
permet,
certes,
des avantages dans l'économie des forces de travail et constitue
sans nulle doute un travail moins pénible que d'autres techniques de défrichage
(abattage à la hache par exemple), mais il demeure qu'elle appauvrit le sol en
matiêre organique même si par ailleurs elle lui fait bénéficier d'un apport en
calcium.
Cependant,
le défrichement par le feu n'élimine pas toutes les plantes
si les arbustes et les herbes sont généralement entiêrement calcinés, beaucoup
d'arbres par contre ne le sont pas.
Ceux-ci
sont alors abattus à la hache ou
laissés sur place où ils sont intégrés dans l'univers socio-culturel du sys-
tême.
A. Bailat donne un aperçu de l'usage de ces techniques dans le Waalo
:
"quand ils veulent défricher un champ,
ils marquent l'enceinte de l'étendue qu'il
entendent consacrer à la culture, en dépouillant de leur écorce les arbres qui
en forment les limites,
tous les petits arbres,
toutes les lianes,
toutes les
menues branches sont coupés ou arrachés et dispersés sur les bords du terrain
destiné au défrichement,
de maniêre que lorsqu'on y met le feu,
ils puissent com-
muniquer sans interruption. Vers le mois de juin,
ils incendient entiêrement ces
dépouilles et lorsque la combustion est terminée,
et qu'ils ne reste plus que
les gros troncs épais ... , tous les habitants du village, depuis l'âge de quatorze
ans,
filles et garçons,
se rendent sur le terrain,
ils y répandent les cendres
'
,,(2)
par couc h es egaIes
........................................................................................................................................................
(1)
- C.
1. A. Ritchie : Op,_ cit'JP.
320.
(2) -
A. Boilat : Op. cit.,p. 307.
./ .

..., 1 1-....
- . l . l . V -
En fin de compte, dans le système traditionnel,
la jachère et le dé-
frichement sont étroitement liés. Au fur et à mesure que la communauté acquiert
de nouveaux espaces, elle en laisse d'autres en friche.
De ce fait,
le paysage
agraire pendant la saison des pluies comporte deux types d'espaces en emboîte-
ment l'un sur l'autre:
les terres anciennement cultivée~et en voie d'~tre laissées en jachère:(terre
Jati) on cultive sur ces terres surtout le niébé, le béref et les variétés de
mil moins exigeantes en matière organique (le gros mil par exemple)
;
les terres nouvellement défrichée (scnjaan)
surtout destinées au petit mil,
au sorgho et aux plantes qui demandent des sols plus riches.
Les champs sont généralement regroupés dans les dépressions inter-
dunaires d'où ils bénéficient d'une retenue d'eau plus grande;
les dunes étant,
quant à elles, occupées par les habitations ou servent de zones de parcours au
bétail. A Ngnit on retrouve encore une organisation de l'espace de culture assez
proche des modèles traditionnels dont cependant elles semblent avoir perdu beau-
coup d'autres aspects essentiels.
\\/i\\\\a~«!.
ti,te rO\\lr
Toi", kir
le. bétai\\.
T'o\\", an
culturefc1e
Tolu a\\\\e.
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N~lt.
/
., .

-111-
1
A cette division de l'espace correspond une répartition des champs
qui comprend deux pôles essentiels
: les champs des alentours immédiats des vil-
lage.s (f-oLu kër) et les champs sur les terres si tuées en brousse (tol,u al.Le).
Chaque concession cultive plusieurs champs dans ces deux types d'espace en tenant
compte des diversités pédologiques et en adaptant ses productions agricoles à
celles-ci.
Cette dispersion des champs sur un autre plan constitue une mesure
de sécurité face à d'éventuelles déficiences au niveau de la production d'un chamR
A la place de vastes exploitations agricoles,
le paysage agraire traditionnel
offre l'image d'un bloc morcelé,
constitué de petites exploitations cultivées
par des concessi~ns, des familles,
des ménages ou des
individus différents.
L'agri
culteur traditionnel ne compte pas sur un champ unique,
quelle que puisse être
sa taille,
il investit sa force de travail dans plusieurs champs même si ceux-
ci sont de dimensions modestes et sont éloignés les uns des autres.
Pour compléter le tableau des cultures du Jéér'1: il convient enfin
de noter l'existence de petits enclos familiaux (Zakka)
situés aux abords immé-
diats des concessions, près des lieux de toileTte (wanak)
(c'est peut-être la
raison pour laquelle ces enclos sont aussi appelés wanakl.
Si, à ces différentes catégories de champs correspondent des cultures
dominantes (de manière schématique,
le mil et le sorgho dominent dans les toLu
aZLe, le béref et le niébé dans les toLu kër, les légumes et le manioc dans les
Zakka) , en réalité, aucune de ces catégories de champs n'avait une production
exclusive.
L'association des cultures a toujours ~té une donnée intrinsèque de
l'agriculture traditionnelle. Les différentes variétés de mil et de sorgho étaient
cultivées dans des champs différents en association avec le béref,
le niébé et
quelquefois
le manioc. De l'autre côté le bèref et le niébé plantés dans les
toLu kër étaient associés à l'arachide et aux céréales correspondantes aux con-
ditions pédologiques.
Les enclos,
quant à eux,
associaient la culture de tous
les légumes et condiments entrant dans l'alimentation de la concession. Dans les
champs de culture du ~/aaLiJI on retrouvait aussi, non seulement, les céréales et
le manioc,
mais aussi le béref,
le niébé et tous les légumes consommés localement.
f
./ .
1
l
1

-112-
On ne possède pas actuellement de données chiffrées sur les rendements
de ce type d'agriculture que l'on pourrait qualifier de pluriculture par oppositio
à la monoculture qui sera, plus tard,
introduite à la faveur de la colonisation.
Mais les travaux de l'agronome H.
Dupriez ont montré à travers d'autres exemples
africains la supériorité des rendements dans les cultures associées(I).
En outre,
il semble que l'association des cultures ait été envisagée comme un moyen de
lutte biologique contre les parasites;
selon les agriculteurs,un même parasite
s'attaque rarement à plusieurs plantes,
ainsi son action dans un champ
peut être
limitée par la présence d'une végétation diversifiée.
Dans le même sensJla pratique de l'alternance des cultures était tra-
ditionnellement perçue comme un moyen de conservation des sols. Selon la tradition
1

orale recueillie à Ngnit et à Temeye Salane,
l'alternance du coton et des céréales
et celle du béref et du manioc dans les champs du Jééri permettaient à ceux-ci
de se régénérer beaucoup plus rapidement.
Au bout du compte,
il semble que le système agraire traditionnel,
en
raison notamment de son orielltation à satisfaire directement un large éven-
tail de besoins (alimentaires en particulier) ,inscrive dans sa dynamique une diver
sificatiorl rotative des cultures.
Le système économique traditionnel,
du fait
qu'il a pour fcnction essentiel non pas la production et l'accumulation de profits
mais la satisfaction des besoins alimentaires,
ne pouvait ne pas tenir compte
du milieu naturel et humain dans lequel il se déploie.
La prise en considération
de ces facteurs apparait de manière saisissante quand on procède à l'étude des
outils techniques et de l'organisation traditionnelle du travail.
Les outils techniq~es
- - - - - " - - - - - - - - - - - - - - - -
Les outils agraires traditionnellement utilisés semblent jusqu'à un
certain niveau bien adaptés au contexte écologique et humain dans lequel ils sont
employés.
(1) -
H. Dupriez : Les paysans d'Afrique noire, Terres et Vie, Nivelles, 1980 .
./ .

-113-
L'outil le plus utilisé es~ l'iZer,
un instrument composé de deux
pièces
une lame de fer en forme de croissant et un long manche en bois auquel
cette lame est fixée.
Cet outil est utilisé dans la quasi-totalité des opérations
agri~oles (préparation des champs, semis, désherbage, récoltes ... ) ses fonctions
sont polyvalentes.
La description de A. Boilat en fait est caractéristique de
sa nature et de ses fonctions dans le système de production traditionnel.
"La
pioche appelée iler est, dit-il,
un instrument de fer ayant la forme d'un crois-
sant
; elle est emmanchée sur une baguette de cinq pieds de longueur
; ils (les
Wolof) s'en servent pour remuer la terre et pour marquer l'endroit où l'on doit
. t
l
.
,,(l)
Je el'
e graln...
.
La longueur d'une lame
d'iler est d'environ 20 cm et sa largeur maxi-
male ne dépasse guère la cm,
ainsi cet outil ne creuse pas profondément les sols
du ,Iéér'i qui,
en général,
sont légers et de couche arable peu profonde. Selon
Pélissier "cet outil léger (iZev)est remarquablement adapté aux sols sablonneux
et meubles qu'il permet d'ameubler,
d'aérer,
de désherber en le glissant à quel-
ques centimètres de profondeur,
sans les bouleverser ni déterriorer leur struc-
,,(2)
t ure
.
Le manche de l'iler est, quant à lui, un long b8ton d'environ 2 m
de long dont l'inclinaison par rapport à la lame permet aux agriculteurs de tra-
vailler debout sans se courber et sans effectuer trop de mouvements pénibles sur
le plan physique. En outre,
la légèreté de l'iZer en fait un outil individuel
facilement transportable et maniable pour les hommes,
les femmes et même les en-
fants d'un certain âge (à partir de Il ans).
L'acquisition de cet outil,
dans le système traditionnel,
faisait
appel aux relations de caste;
le manche était fourni par les boisseliers (laobé
ou se~) et la lame par les forgerons (tegg). A l'approche des premiers travaux
agricoles,
les artisans remettaient ces différelltes pièces aux familles auxquelles
ils étaient liés. En retour à la fin des récoltes,
les artisans recevaient une
part de la production de ces familles.
Chaque concession pouvait disposer d'ou-
tils en quantités suffisantes pour assurer ses activités de production.
Les con-
ditions d'acquisition d'outils de travail étai~nt, semble-t-i1, suffisamment sou-
ples pour que chaque membre de la communauté puisse en posséder à partir du moment
où il est en mesure d'effectuer les travaux agricoles .
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1)
A. Boilat
Op. cit .. p. 307.
(2 )
Pelis:::ier
1
"
.

-114-
Un autre outil
(noD-iios)
est aussi utilisé dans les terres du WaaZ-o.
C'est une soute de houe (dabaJ
faite
d'un manche de bois d'environ 75 cm,
dont
une des extrêmités est recourbée et prolongée par une lame de fer en forme de
triangle isocèle àont la hauteur légèrement arrondie mesure environ 10 cm.
L'em-
ploi de cet outil conduit son utilisateur à se baisser pour travailler. Le_nos-nos
semble néanmoins plus adopté dans les opérations de désherbage et de récolte dans
les terres plus lourdes du Waalo.
Les conàitions d'acquisition de cet outil sont
~
l
JI
1"1
(1)
_es memes que ce. e de
'~~er
.
Le système traditionnel n'utilisait pas d'animaux de traits dans les
travaux champêtres.
La seule énergie employée est celle de l'homme qui s'y inves-
tissait au moyen d'outils individuels. Si on se refère à la tradition orale et
à la littératurecfrançaise précoloniale,
les outils traditionnels ont subi très
peu de changements;
tout se passe comme si,
tant au niveau de leur forme que
de leur composition,
ils ont conservé leurs caractéristiques originelles qu'on
t
d
"
l
(2)
0
t '
.
l
.
re rouve au cours
es Slec es
.
n peu
ImagIner que cette re atIve stagnation
est en relation avec le niveau élevé d'adaptation de ces instruments aux con-
ditions environnementales et sociales de production.
L'agriculture traditionnelle
témoigne en effet d'une connaissance poussée de ces conditions,
connaissance qui
apparait non seulement à travers la pluralité de techniques de préservations et
de renforcement des équilibres écosystémiques, mais aussi dans la complexité des
formes d'organisation sociale des ressources humaines.
L'ORGANISATION DU TRAVAIL
-
La division du travail
Dans le système précolonial,
il existe une organisation du travail
qui semble reposer sur des structures complexes s'articulant autour de la divi-
sion des tâches,
des responsabilités et de l'association des forces de travail.
(1) - On peut ajouter à ces outils principaux d'~utres instruments (haches, coupe-
coupes,
coutelats . . . ) le plus souvent utilisés pour les défrichages et la
1
récolte.
~.li
f,.
(2) - Cf. Pelissier
op.
ci t.
t
·/ .

-115-
C'est la concession (K~r chez les Wolof) qui constitue l'unité de
production de base; c'est en elle que s'effectue les différentes formes d'orga-
nisation du travail.
Le travail est dans ce cadre comme le souligne M. Salhins
"une expression
de relations prééxistantes de la parenté et de la communauté,
l'exercice de ces relations,,(l)
Généralement,
les champs collectifs sont placés sous la responsabilité
du chef de concession (borom k~r) qui se trouve gtre le doyen d'age de l'unité
de résidence.
Tous les hommes adultes travaillent dans ces champs qui sont, avant
tout,
destinés à couvrir les besoins de la concession en aliment de base (mil
et sorgho).
Ainsi,
la production de céréales est d'abord du ressort des hommes.
Le chef de la concession veille à l'exécution de l'ensemble des tâches agricoles.
Cette supervision cependant ne le détache pas des travaux auxquels il prend part
au mgme titre que l'ensemble des hommes adultes. Ce n'est que quand il est parti-
culièrement vieux et à bout de force que le chef de la concession ne participe
plus aux travaux agricoles faisant appel à une grande dépense d'énergie physique
mais il continue à donner des directives dans l'organisation du travail et procède
le plus souvent à la répartition de la récolte des denrées de base produits dans
les champs collectifs.
A côté des champs collectifs, chaque adulte marié,
homme et femme,
est responsable de ses champs individuels et l'organisation du travail dans les
espaces de culture est entièrement de son ressort.
Les enclos de maison (Iakka)
sont sous la responsabilité des femmes de la concession. C'est à elles qu'incombe
la production des légumes et condiments
(manioc, patates,
arachides)
; la culture
de coton et d'indigot est aussi sous leur responsabilité.
De même dans les champs du ~/aa to (m1::,ak),
les cul tures céréalières
étaient confiées aux hommes et cellerdu manioc et des légumes revenaient aux femmes
qui possédaient dans les champs collectifs du ~/aaZ.o, leurs propres lopins indivi-
duels
(dog).
Cette division du travail en fonction de la production n'est cependant
pas absolue,
les femmes avaient (certes à un degré moindre)
des champs de mil
et de céréales. Hommes et femmes effectuaient également la culture de plantes
• • • •
"
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
il
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
(1) -
M.
Salhins : Tribesmen, Ed. Prentice Hall,
1968, p. 80.
./.

-116-
servant de nourriture d'appoint (béref,
niébé . . . ).
Par ailleurs, cette division
des responsabilités n'implique pas une exclusion réciproque des hommes et des
femmes hors des espaces de cultures qui ne sont pas sous leurs responsabilités.
En réalité,
chaque champ est l'objet d'une division du travail qui associe hommes
et femmes dans les activités de production.
Ce sont les hommes qui s'occupent généralement des travaux de défri-
chement et qui effectuent la préparation des terres aussi bien dans les champs
collectifs que dans leurs propres champs individuels.
les femmes elles préparent
le sol de leurs propres champs et reçoivent,
à ce niveau,
le soutien des hommes.
C'est par contre dans l'ensemencement que les femmes jouent le r61e
le plus important aidées en cela par les enfants. Que ce soit dans les champs
collectifs ou dans les champs individuels,
la mise en terre des graines est tra-
ditionnellement du ressort des femmes.
Dans les champs collectifs,
le désherbage est essentiellement mené
par les hommes qui,
en outre, effectuent cette même opération dans leurs propres
champs individuels;
les femmes elles,
désherbent leurs propres lopins et il leur
arrive aussi d'aider leurs époux dans leurs champs individuels quand elles dispo-
sent de temps libre à c6té de leurs occupations domestiques.
Pendant les récoltes de céréales,
les champs collectifs reçoivent
un investissement en travail de la part de l'ensemble des membres de la concession
exceptés les enfants en bas 6ge,
les impo~ents et les individus momentanément
affectés aux t6ches domestiques.
les récoltes de céréales dans les champs indivi-
duels ont lieu après celles des champs collectifs, mais bénéficient d'une force
de travail plus restreinte.
Cependant,
dans la région du Lac de Guiers comme dans l'ensemble du
Waalo,
les récoltes de céréales sont fortement dépendantes du degré de protection
des plantes contre les oiseaux,
de l'épiaison du milou du sorgho à leur récolte
des actions soutenues sont menées contre les oiseaux sinon la production annuelle
se trouve gravement compromise. A ce moment,
les enfants,
les adolescents et les
femmes passent la majeure partie de leur temps d~ns les champs. Adamson indiquait
·/ .
it,l.,

-H 1-·
en 1752,
les principales techniques utilisées par les Wolof pour combattre la
déprédation des céréales par les oiseaux : "pour effrayer les oiseaux et les
chasser des champs de mil,
les habitants avaient tendu à travers leurs lougans
un grand nombre de fils auxquels ils avaient accroché des coquillages, des os
et d'autres objets susceptibles de faire du bruit au moindre choc. Le système
était actionné par quatre ficelles rattachées aux quatre coins du champ
où un
m€me
nombre de femmes ou d'enfants montait la garde sur des abris ou des plates-
formes couvertes de sept à huit pieds de haut.
Chacun tirait sur la ficelle dès
qu'il voyait les oiseaux approcher. Outre ce bruit,
ils poussaient de grands cris
et battaient des mains sans relâche.
Il leur fallait monter la garde jusqu'à ce
1
. 1 f~ t b
'
,
1 t
" ( 1 )
que
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. u
on a reco
er...
.
A ces techniques on peut ajouter les mesures de précautions prises
contre les oisea~x et qui, comme celles précédemment décrites, nécessitaient une
grande mobilisation de bras
: on enveloppait de feuilles
chaque épi de milou
de sorgho (comme ce travail devait être effectué très rapidement,
dès l'apparitio
des épis,
la disponibilité d'une importante force de travail s'avérait fondamen-
tale) .
D'autres formes de lutte étaient aussi employées, notamment l'érectior
d'épouvantails et la pratique de Xwn.
Le Kwn(du Wolof Um ("Ji. signifie porter
malheur,
étourdir,
aveugler) est effectué par les griots,
il consiste à battre
le tam-tam dès les premières heures du matin en faisant résonner sept coups à
intervalles réguliers en se déplaçant sur toute l'étendue du champ; dans le même
temps,
les griots récitaient des versets censés
avoir un effet magique sur les
oiseaux. Chambonneau dans le ~ême ordre d'idées notait, au XVllème siècle, que
les agriculteurs du ~Iaa~o mettaient des gris-gris dans leurs champs pour les pré-
server contre les oiseaux.
Par ailleurs, on pourrait aussi concevoir la simultanéité du commen-
cement
des cultures céréalières au niveau de l'ensemble des concessions des
villages comme étant entre autres un moyen de protection contre les oiseaux. En
effet,
en débutant les cultures céréalières tous ensemble et après concertation
entre les personnes les plus âgées ou sur indication d'un chef spirituel,
les
agriculteurs pensent que les plantes mûriront pratiquement au même moment
; ainsi
les champs bénéficieront de protection réciproque -(en faisant du bruit dans son
champ on participe à la protection de celui du voisin) ; en outre ce procédé res-
treindrait le nombre d'oiseaux qui menacent chaque plante cultivée.
(1)·- Cf. Grosmaire
: Op.~it.)p. 38.
.;.

En fin de co~pte, il semble que les travaux agricoles destinés â as-
surer la production diversifiée et autosuffisante du système traditionnel,
fassent
appel au niveau des unités de production à une main-d'oeuvre importante.
Celle-
ci a fortement diminué avec l'il1troduction des systèmes de production coloniaux
remettant ainsI en cause la capacité fondamentale de l'économie traditionnelle
â assurer l'autosuffisance alimentaire des untiés de base.
La disponibilité d'une main-d'oeuvre importante surtout â certains
moments stratégiques, rêsul~ait de structures particulières d'entraide et de tra-
vail communautaire que le système traditionnel avait mise en oeuvre.
Au niveau de l~ oonces5iol1,
le chef dans le cadre de ses attributions
et en fonction des normes sociales, peut disposer de l'ensemble des forces de
travail de la communauté pour effectuer les travaux des champs collectifs. Au
niveau individuel,
chaque adulte de la concession peut faire appel â l'aide de
différents membres de la concession qui
ont le m~me âge ou qui sont plus jeunes
que lui.
Cependant,
la concession,
comme unité de production, n'est pas une
structure fermée;
elle est ouverte au reste du système. Les membres d'une con-
cession peuvent recevoir de l'aide extérieure sous plusieurs formes:
le chef
de la concession peut bénéficier du travail volontaire des jeunes et des adultes
des autres concessions ou du village tout entier. En général cet investissement
humain dure rarement plus d'une journée au cours de laquelle le déjeuner de l'en-
semble des travailleurs volontaires est fourni par le bénéficiaire de cette ai-
de
; souvent ce dernier tue â l'occasion un boeuf ou quelques moutons.Il arrive
aussi que la classe d'âge des adolescents du village décide de porter main forte
à un agriculteur dont les travaux ont pris du retard,
parce que éventuellement
il ne dispose pas d'une force de travail importante.
Les adolescents effectuent
aLlssi le "vol" des champs:
après concertation,
ils décident de "s'emparer" d'un
champ pendant L1ne journée et d 'y effectuer tout. le désherbage nécessaire; le
propriétaire du champ est alors moralement obligé de tuer à cette occasion un
1
boeuf,
un mouton, ou une chèvre suivant ses capacités.
!
·/ .
1
l
1

-lJ~-
Par ailleurs, chaque famille peut recevoir dans ses champs le concours
du mari ou des prétendants de ses fillesoCeux-ci viennent avec leurs compagnons
d'âge et,
en principe,
ne s'attendent à aucun repas spécial. De leur côté,
les
guérisseurs pratiquant la circoncision peuvent demander des prestations communes
aux classes d'âge qui ont bénéficié de leurs opérations (lesquelles ne sont pas
immédiatement rémunérés),
La circulation de la force de travail,
sous forme d'investissements
communs,
est inscrite dans la structure socio-économique de la société tradition-
nelle.
La mobilisation des classes d'âges pour les travaux communautaires emprun-
te les voies de prises de décisions démocratiques basées sur la concertation et
la discussion au sein de la classe d'âge qui investit sa force de travail.
Il n'y
a aucune force physique ou militaire qui contraiGt au travail communautaire. Celui-
ci ne se présente'nullement comme une obligation (il est fondamentalement diffé-
rent des corvées des serfs du r~oyen-Age Européen)
il s'appuie,
au contraire, sur
des principes d'assistance volontaire et de réciprocité.
L'organisation du travail
communautaire prend racine dans des institutions agraires et politiques dont
l'existence à elle seule, remet en cause la thèse de Pélissier selon laquelle
"Organisation politique et hiérarchisation sociale ·sont restée étrangères -pour
ne pas dire hostiles- au développement d'institutions agraires dont on ne trouve
aucune trace ni même amorce en pays Wolof. Par un de c~s apparents paradoxes dont
l'Afrique noire a le secret, ce sont au contraire les sociétés politiquement acé-
phal es et socialement égalitaires qui ont élaboré de telles institutions, le plus
souvent sous formes de disciplines collectives imposant,
par exemple,
la mobili-
sation de certaines classes d'âge au service de travaux communs ... ,,(1). En fait,
les structures agraires traditionnelles wolof ont commencé à disparattre avec la
pénétration coloniale européenne.
Cependant, quelles que soient les formes que prennent les travaux col-
1
lectifs,il y a toujours une réparaticn individuelle des tâches.
Chacun doit tra-
vailler dans l'espace de cultures (war)
qui lui est assigné au sein du chamr .
La valeur morale de chaque individu se mesure par l'investissement qu'il effectue
de cet espace;
un dicton wolof d i t :
"Jambar ca war wa" (Héros: dans l'espace
individuel de culture).
Quand ils travaillent à plusieurs dans un champs, les
............................................... .....................................
(1) - Pélissier: Op.
cit., pp. 110-111.
./ .
1
(

--120-
cultivateurs progressent en lignes de front chacun s'occupant de l'intervalle dan
lequel il se trouve placé. La rapidité d'exécution des tâches est un des critè-
res les plus importants à optimaliser, un autre dicton wolof affirme "gool' day
gaw" (l' homme doit être rapide). En fa.i t, l'organisation du travail dans le sys-
tyme agraire suppose une organisation du temps qui y revêt une dimension fonda-
mentale.
L'ORGANISATION DU TEMPS
Les principales divisions du climat constituent des repères dans le
déroulement du calendrier agraire traditionnel.
Pour les cultures du Jéél'i,
les travaux commencent pendant la deuxième
moitié du coroon (Avril-Juin), c'est à ce moment que s'effectuent les défriche-
ments et le nettoyage des parcelles à cultiver (ruuj).
La saison du nawet est cell
de l'activité agricole la plus intense.
Les premiers travaux de préparation des
sols se font généralement dès les premières pluies.
La terre ainsi remuée reçoit
les semences des variétés hâtives de mil et de sorgho,
de niébé,
de béref, d'ara-
chide, etc ... Dans certains cas,le mil est semé avant les premières pluies juste
à la parution des signes avant coureur du nawet
(vol de certains oiseaux, position
de certaines étoiles, etc ... ),
Le rythme des précipitations pluviométriques s'accompagnent d'une in-
tensification des travaux agraires. Jusqu'au milieu de l'hivernage,
les cultiva-
teurs sont occupés par les travaux de sarclage (l'aadu) , de désherbage (beyaat)
qui se font urgents pour éviter queles champs ne soient envahis par les mauvaises
herbes. Pendant cette partie de l'hivernage, on procède progressivement à l'ense-
mencement des variétés tardives de mil et de sorgho.
Le manioc est aussi planté
à cette époque de même que le coton. La seconde moitié de l'hivernage, quant à
elle, connait une relative accalmie dans les travaux agricoles, seul un dernier
sarclage (batarci)
est effectué.
Dans les périodes d'activités intenses,
la journée des agriculteurs
se divise en deux moments distincts
: le matin est consacré aux champs collectifs,
et l'après-midi aux champs individuels. Mais,
au fur et à mesure que les diffé-
rentes opérations s'achèvent dans les champs collectifs, les hommes adultes con-
sacrent toutes leurs journées aux exploitations individuelles. Traditionnellement,
dans la zone du Lac de Guiers,les individus travaillent tous les jours de la se-
maine à l'exception du lundi où toute activité dans les champs est vivement décom-
mandée.
./ .

-121-
Les cultures du WaaZo
débutent, quant à elles pendant le loZZi, à la
fin des dernières récoltes de céréales du Jééri.
Les agriculteurs sèment le mil,
le so:gho,
le béref, le niébé et plantent le manioc et les légumes au fur et à
mesure que les eaux de crue se retirent. La récolte du manioc s'effectue à plu-
sieurs reprises pendant tout le noor et le coroon
le mil et le sorgho sont ré-
col tés à la fin du coroon
qui est en même temps la période de préparation des
champs pour le prochain cycle de culture.
Vers le milieu du noor
jusqu'à la fin du coroon
les femmes s'occupent
de la sélection et de la préparation des semences pour les prochaines cultures.
Dès la fin des récoltes du Jééri
les futures semences sont exposées au soleil sur
des hangars,
ou sont placées sous les toits des cuisines. Chaque concession as-
surait son autonomie sur la production et la conservation des semences qui,
tradi-
tionnellement,
sont sous le contr81e des femmes.
Les cultures du WaaZo,
en dehors des moments de surveillance et de
récolte des céréales ne mobilisent pas beaucoup de personnes seuls quelques adul-
tes les plus âgés de la concession, y travaillent en permanence. Ce travail qui
consiste surtout à préparer la terre s'effectue de manière régulière et à un rythme
plus lent et moins fébri 1"" '-lue celui dans les champs du Jééri.
En effet,
dans les
champs du WaaZo la disponibilité en eau qui a lieu dans un espace de temps plus
long,
semble commander un rythme de travail moins saccadé et moins précipité que
dans le Jééri où c'est dans l'intervalle de trois mois de pluies intermittentes
que doit être effectué l'essentiel des travaux agricoles.
Selon plusieurs sources de la tradition orale,
dans le système tradi-
tionnel,
les cultures de décrue ne fournissaient qu'une part relativement secon-
daire dans les ressources alimentaires des concessions.
Ce n'est que pendant les
années de calamité naturelle
(sècheresse,
invasion de sauterelles) que ce genre
de culture prenait une place importante dans le système de production.
1
Ainsi,
les cultures du WaaZo étaient traditionnellement considérées
comme'des cultures d'appoint par rapport à la production du Jééri qui devait garan-
tir l'auto-suffisance alimentaire. Cette place sècondaire du WaaZo dans le système
traditionnel donnait au paysage agricole l'image d'un retâchement d'activités
après les cultures du J{éri.
1
• 1


-122-
Plusieurs explcrateurs ayant parcouru le pays du Waalo pendant la
saison sèche, ont souvent décri t
les Wolof comme un peuple "lascif", "paresseux"
et très peu porté sur le travail
(Chambonneau).
En fait,
le relatif relâchement des activités agraires pendant le noor
ne s'explique pas seulement par les conditions climatiques de cette période de
l'année;
il faudrait aussi mettre cet état de fait en relation avec les orienta-
tions et les normes de productions de l'économie traditionnelle. L'orientation
de l'agriculture vers l'autosuffisance alimentaire suppose une rationnalité et
une optimisation de critères qui seront différents de celles de l'agriculture de
rente, plus tard introduite dans la zone.
Ainsi~ il semble qu'une fois la production pour les besoins alimentai-
res assurés,les réserves et les surplus dégagés,
l'objectif dominan~ des individus
n'est plus d'accumuler des richesses économiques, accumulation qui,
dans un autre
type de société serait intervenue dans le jeu des rapports socio-politiques. Comme
nous tenterons de le montrer dans les chapitres suivants,
la condition économique
n'intervient pas (sinon intervient très peu)
dans le système socio-politique où
ce sont surtout le statut de caste et la place de l'ordre par rapport au pouvoir
politico-militaire qui confèrent aux individus et aux lignages leurs positions.
Une fois ce type d'objectif économique réalisé,
l'accumulation de temps
apparait alors comme l'une des orientations dominantes des individus. Ce temps
est le temps social qui permet à l'individu de s'inserrer dans les réseaux de re-
lations humaines nécessaires à la vie et à la reproduction de la collectivité.
Prendre le temps pour les salutations,
les démarches matrimoniales,
les loisirs,
les déb§ts sur la place publique (p~~c) est, dans ce type de société, aussi indis-
pensable que l'acquisition d'une autosuffisance alimentaire.
Ces deux éléments
étant, par ailleurs,
intimement liés.
Dans cette perspective,
le contraste entre la rapidité que l'on cherche
à optimiser dans les rythmes de production et la lenteur préconisée dans les rela-
tions inter-personnelles,
n'est pas seulement lié aux contraintes écologiques,
i l traduit, par ailleurs, une hiérarchie de valeurs dans l'appréciation des ri-
chesses économiques et des relations humaines. Un dicton Wolof dit à cet égard
/

1


-123-
"am nit mo gën am ataî" : (avoir des gens -au sens d'avoir un cercle élargi de bon
nes relations inter- individuelles est plus important qu'avoir des richesses).
Dans le même ordre d'idées, selon C. Coqueri-Vidrovitch et H.
Moniot, dans les
systêmes traditionnels africains,
quand les changements technologiques s'opèrent,
elles aboutissent plus à une économie de temps qu'à une augmentation de la produc-
tion : "lorsqu'elles furent adoptées,
les améliorations technologiques servirent
tout au plus à chaque famille non pas à produire trois fois plus, mais à travail-
ler trois fois moins pour le même résultat,,(I).
Cependant, la saison sèche ne signifie pas le relâchement: de toutes
les activités économiques,
au contraire c'est le moment où certaines bénéficient
de l'investissement humain le plus important;
c'est le cas notamment de la pêche,
de l'élevage et d~ l'artisanat.Ces activités, si elles sont
distinctes de la pro-
duction agricole n'en demeurent pas moins intégrées dans le système agraire.
L'agriculture sous plusieurs angles constitue la base à partir de laquelle se
développent ces différentes activités qui, par ailleurs,
s'articulent au sein du
calendrier agraire.
L'artisanat
Dans la société Wolof traditionnelle,
l'artisanat s'effectue dans le
cadre du système des castes.
Ce sont les castes neeno par opposition à la caste
gee~qui sont spécialisées dans la production artisanale.Les castes neeno compren-
nent
: les boisseliers,
les forgerons,
les cordonniers,
les tisserants et les
griots.
Pendant la saison des pluies,
la production est très limitée,
voire
inexistante ; les membres des castes artisanales étant, comme le reste de la popu-
lation,
occupés aux travaux agricoles.
Les forgerons et les boisseliers produisent
les outils agraires pendant le coroon, à la période précédant les travaux du Jéél,i
la rémunération de leurs produits s'effectue,
en général,
après les récoltes .
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
C. Coqueri-Vidrovitch, H. Moniot
l'Afrique Noire de 1800 à nos jours )
Presses Uni versi taires de France., Paris,
1974,
p. 276.
·/ .

-124-
Pendant la saison des pluies,les castes artisanales s'établissent en
général dans des habitations fixes;
alors qu'au cours de la saison sèche,
ils
nomadisent souvent de village en village pour proposer leurs biens et leurs ser-
vices".
Même au niveau des loisirs,
la saison des pluies correspond à un relâ-
chement des activités récréatives.
Tout se passe comme si toutes les forces de
la société sont exclusivement mobilisées par la production agricole. D'ailleurs
une croyance décommande les séances de danse pendant l'hivernage car elles risquent
de provoquer une raréfaction des pluies.
C'est au cours des deux ou trois mois
précédant le début des travaux du JééY'1: que les griots sont les plus sollicités,
notamment à l'occasion des séances de lutte (YbapatJ.
Dans le système Wolof,
l'élevage joue un rôle trés secondaire par
rapport à l'agriculture. Le bétail est pour l'essentiel constitué de chèvres, de
moutons,
d'ânes et de chevaux. On élève aussi une volaille de basse-·cour. Les
moutons et les chèvres sont élevés pour leur viande consommée à l'occasion de
cér6monie
ou pour être l'objet d'échange,
les ânes et les chevaux servent au
transport,
la volaille entre dans l'alimentation.
La construction et la réfection des enclos du bétail ont généralement
lieu pendant le n:;oY'.
Ce sont les enfants qui sont chargés de la surveillance et
de l'entretien des troupeaux d'ovins et de caprins;
la volaille de basse-cour
est,
quand à elle, sous le contrôle des femmes.
./
Selon plusieurs sources,
les Wolof pratiquaient anciennement un éle-
vage de bovins
; A. Boilat écrit à ce propos
: "Les Wolof ont en général des trou-
peaux de boeufs,
de moutons et de chèvres qui trouvent une abondante nourriture
dans les immenses prairies que la nature seule a semé de toutes sortes d'herbes,,(l)
~
...................................... :
"
"
1.
(1) -
A. Boilat : Op. Cit.,p. 311.
f
f
~i
./ .
1
li..•l~

-125-
L~ tradition raconte que pendant la saison des pluies on détachait à
tour de rôle quelques enfants de familles différentes pour s'occuper des troupeaux
de plusieurs concessions qui étaient réunies pendant cette période. Ce n'est que
plus tard que les Wolof auraient commencé à confier systématiquement la garde de
leurs bovins aux éleveurs Peul.
La pêche
La pêche était pratiquée par les agriculteurs essentiellement pendant
la saison sèche. On retrouve, dans les textes de Perrottet, F. Carrère, Chambonneau
et Boilat, des informations relatives à la pratique de la pêche dans le Waalo et
dans la région du Laè de Guiers.
Chaque concession s'acquittait elle-même de la part
de poisson nécessaire à sa consommation. Les techniques les plus utilisées étaient :
-
la fixation de filets autour de piquets implantés dans les lits de cours d'eau.
Perrottet signale que tout le long de la Taouey cette technique était utilisée
par les populations
;
le jet de filet à partir de pirogues en mouvements
;
t,
-
l'usage de filet à main manipulé par des pêcheurs se déplaçant à pied.
Toutes ces techniques étaient maîtrisées par les populations elles-
i
mêmes qui assuraient un contrôle sur leur production. Chaque concession avait une
ou plusieurs pirogues fournies par les boisseliers, plantait ses propres pieux et
1
tissait ses propres filets.
Traditionnellement la pêche est du ressort des hommes
li
les femmes,
elles s'occupent du sèchage du poisson.
Le Lac de Guiers, selon F.

Carrère et P. holle fourni ssai t
du poisson sec aux contrées voisines ddeUswafaolrOmes( Gandio '1.
Djolof ... ).
Cette circulation du poisson se fait au moyen du troc et
.
~:~~~~~~~.~~~~:~:~~~~::~:
·1

(1) -
A. Boilat
Op. ci t. , p.
311.
i
ii
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./ .
li
1

-126-
Au bout du compte,
on peut affirmer que le système traditionnel avait,
à
tous les niveaux économiques,
les capacités qui lui permettaient d'assurer son
existence et sa reproduction en tant que système. Cette autonomie systématique
sera déconstruite avec l'introduction de nouveaux types d'agriculture qui seront
mises en place par le système colonial
: la mise sur pied de vastes programmes
d'amènagements agricoles,
ainsi que l'introduction de 12 culture commerciale
de l'arachide,
dans le contexte d'une nouvelle division internationale du travail
précipiteront la désarticulation de l'économie traditionnelle ;
remettan~ en
cause non seulement son orientation vers l'auto-suffisance alimentaire, mais aussi
les mécanismes internes de
systèmes de production.
RËPARTITION ET CIRCULATION DE LA PRODUCTION
-=-=-=-=-
FORMES DE
REPARTITIONS
La répartition de la production dans le système traditionnel rev@t
des formes multiples et complexes. En dehors de la concession qui offre différents
niveaux individuels et collectifs de la circulation de la production,
il existe
1
plusieurs réseaux externes de transfert et d'échanges des produits.
Au sein de la concession,
la production des champs collectifs de mil
et de sorgho surtout est essentiellement destinée à la consornrnation de l'ensemble
de la communauté.
Quand la concession est composée de plusieurs familles ou mé-
nages,
soit chacun
d'eux
reçoit globalement sa part à la fin des récoltes, soit
la production est redistribuée à intervalles régulières suivant les besoins ali-
mentaires,
à
l'ensemble de la concession. C'est ce que A. Boilat avait noté dans
ses observations:
"La récolte,
écrit-il,
est faite en commun,
et le partage
s'opère en proportion des familles;
les vieillards président à cette distribution
sans qu'il s'élève la moindre altercation ou bien elle est disposée dans des cases 1
élevées de terre sur des pieux hors du village,
et qui servent de magasins publics

autour desquels on exerce une active survelilance,
on distribue ensuite suivant
t
::; :~:~~::::~~ ;)~: ~;~.~
.
:. . :.~~~:
:
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)
!
~
•/ •
1
t
1
1

-127-
Ainsi,
dans la logIque du système économique traditionnel,
les critères
de répartition ne se basent ni sur les capacités,
ni sur la valeur du travail in-
dividuel,
mais sur l'évaluation des besoins individuels et collectifs. On ne dis-
tribue pas en fonction du travail,
mais selon les besoins. Dans la concession,
nul oe peut pt,'e exclu de la jouÙ3Si:lncr: des produits destinés à la consommation cullec
tive.
La prise des repas se fait collectivement et rassemble tous les membres de
la concession suivant des catégories d'âge et de sexe.
Les unités de consommation
regroupe séparément les hommes adultes,
les jeunes hommes et les adolescents,
les
femmes et les enfants.
La préparation de la nourriture,
quant à elle, est effectuée
à tour
de rôle sous la responsabilitiO des épouses des membres les plus âgés de
la concession (le chef et ses frères)
; le travail de préparation lui-même est
à
la charge des filles ou des épouses des fils de chacune des femmes assumant cette
responsabilité.
Ainsi,
si ce sont les jeunes femmes qui font la cuisine à propre-
ment parler,
ce sont,
par contre,
les doyennes d'âge qui procèdent à la répartition
(séddeLéJ des mets.
La consommat~on des produits d'une concession ne se limite pas aux
seuls membres de cette concession;
tout individu présent au cours d'un repas a
le droit d'y participer.
L'étranger de passage ou le malheureux victime d'un han-
dicap peut,
dans chaque concession,
trouver la part de nourriture dont il a be-
soin.
A.
Boilat observait que les wolofs donnaient toujours aux malheureux la nour-
riture qu'ils destinaient à
leurs défunts en vertu d'une croyance selon laquelle
les morts reçoivent la nourriture donnée à ceux qui sont victimes d'un malheur
ou d'un handicap phys~que. D'ailleurs, après le repas de midi les familles ont
l'habitude de mettre en réserve un repas destiné au visiteur imprévu;
si celui-ci
ne se présente pas f
ce repas sert de goûter aux enfants
(nJoganaL).
Selon A.
Boilat,
les wolof laissaient sur les plages une partie du
poisson pêché à l'intention d'éventuels voyageurs
"comme ils en prennent une
quantité prodigieuse (de poissons),
ils en laissent quelques uns sur le rivage,
par charité pour les voyageurs que la providence pourrait conduire dans les par-
rages,,(l).
C'est dans ce contexte que certaines
institutions islamiques d'assis-
tancessocia~es ont pu facilement être adoptées et intégrées dans l'univers tradi-
tionnel
; ainsi
pour l'asaka on donne aux nécessiteux ou aux marabouts qui en font
un nombre de mesures de mil
(calebassettes,
pots ... ) égal au
la redistribution,
de membres de la concession en comptabiljsant aussi bien les vivants que
nombre
1
les morts.
fr
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. • .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. • .. ....
l~~
(1) -
A.
Boilat : Op. Cit.,p.
305
'/ .
1
,t

-128-
Par ailleurs,
le système traditionnel ne considère pas comme étant
un abus le fait qu'un voyageur affamé prenne pour sa nourriture quelques épis de
mil,
de maIs ou quelques autres produits agricoles
(melons, maniocs,
patates ... )
de n'Jmporte quel champ situé sur sa route. Selon les croyances traditionnelles,
la perte de cette part de produits (qui,
somme toute,
est considérée comme négli-
bl
)
' " f " ' " '
l '
1
d
"
,
1
1
gea
e
est un sacrl lce qUI preserve
a reco te
e mauvaIS sorts eventue 5,
es
Wolof pensent que quand un individu est seul à bénéficier de l'ensemble des fruits
de son travail,
cela ne lui portera bonl~eur, un malheur risque de le frapper (mala-
die,
décès, accident,
infortune,
etc ... J.
Les produits de l'élevage
(la viande essentiellement) font aussi l'ob-
jet d'une consommation collective,
surtout au cours des repas. Quand une bête (ovin,
bovin ou caprin) est tuée,
sa viande est répartie au sein de la concession et entre
les différentes concessions suivant le statut et les liens de parenté avec les
bénéficiaires. Ce sont les femmes qui procèdent à la répartition de la viande
:
quand il s'agit d'un mouton,
le foie est réservé en particulier au chef de famille
et aux hommes adultes
(le foie est sensé contenir une force vitale que les indivi-
dus s'approprient en le mangeant)
; les gigots sont offerts aux NJoëké (soeurs,
demi-soeurs ou soeurs classificatoires du mari).
Lorsqu'il s'agit d'un bovin,
la
tête,
le cou et la peau sont offerts aux griots ou à celui qui a dépecé l'animal
en outre,
chaque concession reçoit sa part de viande.
Sur un autre plan,
il existe par ailleurs d'autres formes de circula-
1
tion de la production; c'est le cas notamment de ceux régis par des lieux institu-
t
(
tionnels tels les marchés.
Les marchés (Luwno)
ont généralement lieu de manière
1
hebdomadaire et se déroulent le jour de la semaine durant lequel les travaux agri-
1
coles sont suspendus.
1
1
Selon plusieurs sources craIes,
les marchés àe la zone du Lac de Guiers
i
étaient particulièrement florissant à l'époque pré coloniale et donnaient lieu à
des échanges entre populations d'ethnies différentes.
Les Beidaan venus du Nord
1
;
y accordaient une grande importance du fait que,
faute d'agriculture,
l'échange
~
(
jouait un rôle fondamental dans leur acquisition de denrées alimentaires;
les
~
routes de la zone du Lac de Guiers étaient,
selon Perrottet,
fréquentées de cara-
1

vanes Maures venues se ravitailler cn céréales
: "on y rencontre parfois de nom-
~
~
t
breuses caravanes de Maures Marabouts du Sahara.
Leurs chameaux et leurs boeufs
r
~
f
~
,
de somme sont chargés de gros et petit mil qu'ils se procurent par voie d'échange
~
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c h ez 1 es peup l es d e ces contrees'
.
1
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. . . .
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(1) -
Perrottet : Op.
cit.,p. 66.
1
î
ct
1
• 1

1

-119-
Le troc semble être la forme d'échange qui dominait dans les marchés
traditionnels. Les produits d'agriculture étaient échangés contre ceux de l'élevage
et ceux de l'artisanat. Chaque membre adulte de la concession peut échanger le
surplus réalisé
sur les produits agricoles dont il a assuré la production et le
contrôle.
La concession apparait alors comme pouvant disposer de manière souve-
raine des surplus agricoles. Même s ' i l a existé un système de redevances foncières,
celles-ci bien qu'elles aient eu tendance à augmenter à la fin de l'époque précolo-
niales n'en étaient pas moins très limitées,
voire simplement symboliques. En fait,
les ordres et les castes sociales dominants dans le WaaLo
traditionnel, n'établis-
saient pas leur suprématie à partir d'une appropriation des surplus agricoles;
au contraire,
ce s6nt les castes au bas de l'échelle sociale qui s'accaparaient
d'une partie de ces surplus sans le concours d'un quelconque appareil de coercition
Selon Chambonneau "tous les revenus de ces Roys
(du ~/aaro) consistent
en Bestiail, captifs et quelques terres où ils sèment du mil,
et comme ils n'ont
que ce domaine,
car ils n'ont point droit d'imposer autre chose sur le peuple,
ils les vont piller souvent sous prétexte qu'on a mal parlé d'eux ou que l'on a
volé,,(l).
Le système agraire traditionnel avait donc une grande autonomie par rap-
port au pouvoir politique.
D'ailleurs,
comme le note M.
Godelier,
en Afrique,
des
minorités aristocratiques ont pu dominer et exploiter les communautés "sans inter-
venir directement dans les conditions de production,,(2) >
En fait,
en dehors de leurs assises idéologiques et de leurs fonctions
sociales,
le pouvoir politique et les ordres dominants,
surtout avec l'intensifica-
tion des contacts européens,
s'appuyaient principalement sur la détention d'une
force militaire pourvoyeuse d'esclaves.
Le développement de cet esclavage ne s'est
pas effectué en direction de l'agriculture, mais au profit de la traite Atlantique
il ,0' a pas engendré une accumulation nouvelle de surplus agricoles susceptibles de
provoquer des changements qualitatifs dans les moyens de production et dans les
rapports de production .
.... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. "
"
..
(1)
-
C. 1. A. Ritchie
: Op. cit' p.
322.
l
(2) -
M. Godelier : la notion de mode de production asiatique et les schémas mar-
xistes d'évolution des sociétés, C.E.R.M., Paris, 1863,p. 43.
./ .

-130-
La traite négrière aura, cependant, un impact certain, quoique diffici-
lement mesurable sur le système agraire. L'instabilité et le climat d'insécurité,
ainsi que les grandes ponctions dfmographiques n'ont sGrement pas manqué d'avoir
des fncidences sur la production et sur le fonctionnement du système ; avec la
traite négrière ce sera l'amorce d'un processus de dépeuplement dont la diminution
de la taille des unités de production et les incidences sociales de celles-ci en
seront des conséquences.
Ces changements ne sont donc pas à inscrire dans la dynamique interne
du système traditionnel, mais dans les répercussions de la pénétration du système
capitaliste.
La dynamique du système agraire fait ressortir une grande permanence
dans les outils de production et dans les rapports de production qui ont très peu
changé au cours de la période précoloniale. Cette continuité ne s'explique, comme
le pensait K. Marx, par la simplicité de l'organisme productif qui, dans le cadre
du "mode de production asiatique~confêre à la structure économique une certaine
~mmutabilitéJ1). En fait, les systêmes économiques traditionnels, malgré leur sta-
bilité sont animés par l'historicité et la complexité de leurs structures.
La stagnation des outils techniques peut, dans une certaine mesure,
~tre considéré comme résultant de choix économiques en relation avec l'ensemble
des composantes sociales, notamment avec le procès d'appropriation de la production.
Dans la société wolof où la production agricole vise principalement (et réalise)
l'autosuffisance alimentaire des unités de production qui, par ailleurs, contrôlent
les moyens de production ; les changements dans les outils de production ne pou-
vaient avoir de bases sociales qu'à partir du moment où les rapports entre les
producteurs,
les moyens de production, la production et les surplus se trouvent
bouleversés.
Cependant, sur un autre plan, le système agraire traditionnel témoigne
de changements et de capacité d'ouverture qui apparaissent notamment dans les
facultés de récupération des plantes d'origines étrangères (variétés étrangères
de plantes locales, arachide, manioc,
tabac, esp~ces étrangères, etc ... ) que les
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
fi
..
(1) - K. Marx: le Capital, livre l, t. Il, Ed. sociales)pp. 46-48.
·/.

-131-
agriculteurs précoloniaux ont su intégrer dans leur environnement sans le détériorer
La recherche d'une production diversifiée dans l'optique d'une indépendance économi-
que des unités de production figure certainement parmi les éléments qui ont impulsé
le développement des connaissances agronomiques,
ethna-botaniques et écologiques,
dont on découvre le haut niveau à travers les performances de l'agriculture tradi-
tionnelle. Mais ces développements n'ont pas affecté la stabilité du système, notam-
ment sa structure de répartition de la production.
GESTION DE LA REPARTITION
Traditionnellement,
chaque ménage a une autonomie de gestion sur les
produits de ses champs individuels; seuls les produits des champs collectifs sont
gérés par le chef de concession.
Le contrôle de la redistribution s'effectue en fonction de l'âge et
du sexe.
Les hommes adultes contrôlent la redistribution du mil et les femmes cel-
les des autres produits.
Traditionnellement, c'est le chef de concession qui,
oha-
que jour, à l'aube,
remet aux femmes la quantité de milou de sorgho destinée aux
repas de la journée, c'est dans ce sens qu'il porte le titre de bOY'om njëL (le
maitre de l'aube),
la préparation des repas commence en effet au petit matin avec
le pilage des grains de milou de sorgho destinés au petit déjeuner (soxxu njëîJ.
Le contrôle des femmes,
si elles s'exercent sur les produits, ne cons-
tituant pas la base de l'alimentation,
ne leur confère pas moins une position clef
dans le système traditionnel.
C'est notamment par le contrôle du coton qu'elle
détiennent les leviers qui figurent parmi les plus importants dansLa structure
tradi tionnelle.
Ce sont les femmes qui s'occupent de toutes les opérations relatives
au coten : elles le cueillent,
l'épluchent,
le purifient,
le cardent,
le filent
(1)
etc...
. Ce sont elles qui remettent le coton aux tisserands,
contrôlent le
travail de ces derniers et s'approprient des produits finis.
Les bandes de tissu
en coton (soY' ; sont quasi-exclusivement la propriété des femmes .
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1)
-
A.
Boilat : Op.
cit., p.
307.
·/ .

-132-
Or,
ces bandes de tissu occupent une place fondamentale dans les rela-
tions économiques et sociales. Elles servent à payer les travaux des paysans (bois-
seliers,
tisserands,
etc . . . )(1).
L'échange de bandes de tissus permettait également
aux artisans d'acquérir du mil et des produits de base. Les femmes en contrôlant
ce qu'on pourrait appeler dans le système traditionnel "un équivalent universel"
occupe de ce fait une position qui leur permet de réguler le circuit des échanges
externes.
Le mil entrait là aussi dans les échanges, mais à un niveau moindre du
fait notamment qu'il est principalement destiné à l'autoconsommation.
Sur le plan social,
le mil et surtout les bandes de tissu constituaient
les éléments de base de la dot que l'homme devrait re~ettre à la famille de sa
futur épouse.
Pendant la cérémonie de mariage,
le don de bandes de tissus par la
soeur du prétendant (~a njëkéJ constituait l'acte officiel qui symbolisait l'union
contractée et tout au cours des festivités on assiste à des dons et contre-dons
de bandes de tissus de la part des parties contractantes.
Ainsi,
les femmes,
la soeur et la mère en particulier jouent un rôle
fondamental dans les relations d'alliance en donnant au futur mari la partie essen-
tielle des moyens devant lui permettre de contacter une union matrimoniale. En
retour,
l'homme après son mariage offre une partie de sa récolte de mil à sa soeur.
Il entretiendra, en outre,
des rapports particuliers avec les enfants de celle-ci
(ses neveux),
ses propres enfants devront,
à leur tour, donner des bandes de tissus
aux enfants de sa soeur (yupiZu jaamJ au cours de certaines cérémonies familiales
(mariage,
baptême ... ).
1
En fin de compte,
il existe une dépendance très nette du jeune homme
vis-à-vis de sa famille à propos de la dot et du mariage. C'est le père qui fournit
le mil
(les jeunes hommes non mariés n'ont pas de champ de mil) et qui offre les
bêtes qui seront tuées au cours de la c6rémonie de mariage et ce sont les femmes
(la soeur et la mêre)
qui donnent les bandes de coton.
Avec la monétarisation de
la dot,
dans le contexte général de la monétarisation de l'économie,
le jeune homme
se trouvera des possibilités d'avoir des revenues monétaires individuelles lui
permettant de se doter lui-même des moyens nécessaires à la contraction d'unions
matrimoniales.
Le jeune homme se détache ainsi d'une certaine dépendance vis-à-vis
. . . . . . . .
Il
"
..
(1)
- Vallier (Mission dans le Fet'lo) avait noté que ce mode de paiement existait
encore en 1905 dans~ Nord du Sénégal.
1

1


-133-
du système traditionnel pour retomber dans une dépendance encore plus grande vis-
à-vis des nouveaux systèmes économiques auxquels il
investit l'essentiel de la
force de travail qu'il consacrait anciennement à sa communauté de base.
L'introduction dans la zone du Lac de Guiers d'amènagements agricoles
de type capitaliste et le développement de la culture commerciale de l'arachide
dans le cadre de nouvelles structurations politico-éocnomiques, provoqueront des
bouleversements fondamentaux non seulement au niveau des rapports de production
traditionnels mais aussi au niveau de l'ensemble des rapports sociaux .
. f.

',/
,.
.... ~/
F. 21 - lJtilis:tion dl:E:rsda;l:; :.:;; Cilame
d 1 ~·iverna.ge.
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."
".,' ~.~~~.
.. .~-,...
,. '"' ~'-'~,
F. 22
Vue du luumo (fT'arché hebdomadaire) de Ngnit.

Du JARDIN DE RICHARD À LA D~PENDANCE ALIMENTAIRE
-==-=-=-=-
HISTORIQUE DES AMENAGEMENTS AGRICOLES
L'introduction de grands projets d'amènagement agricole est étroitement
liée au processus de pénétration coloniale dans le Waalo. Cette région sera le
premier pays d'Afrique de l'Ouest à servir de cadre aux tentatives de colonisation
agraire.
La zone du Lac de Guiers,
en raison notamment de ses particularités éco-
logiques, sera au centre de cette politique.
Les premiers projets d'amènagement suivent l'abolition officielle de
la traite négrière en 1817. La traite négrière était au paravant la principale
raison d'être du commerce atlantique qui alimentait le capitalisme européen nais-
sant. Selon Boubacar Barry,
les amènagements agricoles sont consécutifs aux réamè-
nagements de ce commerce atlantique:
" . . . Ne pouvant transporter les ouvriers
là où se trouvait le travail,
la solution idéale fut ...
de transporter le travail
là où se trouvaient les ouvriers,,(l).
Plus explicitement, Schmaltz considère que
cette nouvelle politique consiste:
"à s'introduire dans un vaste pays peuplé de
plusieurs millions d'hommes,
à les déterminer au travail par des avantages qu'ils
ne peuvent y trouver sans nous,
à les y attracter par l'augmentation graduelle
de leurs besoins présents,
à les diriger utilement pour nos intér~ts par des exem-
ples tendant à perfectionner leur agriculture,
à les ranger insensiblement sous
l
'
t '
f
, , , ( 2 )
a d omlna lon
rançalse
.
Ainsi,
la subordination de ce type d'agriculture aux intérêts économique
de la France, était nettement affirmée.
Pendant toute la période coloniale et post-
coloniale, aucun projet de développement dans leWaalo
et dans la zone du Lac de
Guiers n'eGt ses objectifs fondamentaux déterminés par les besoins endogènes des
populations locales.
(1)
- Boubacar Barry:
le royaume du WaaLo,
éditîons Maspero, Paris,1972, p. 238.
(2) - Cité par Boubacar Barry: Op.
cit.!p. 241.
1
• 1


j
J
1
t11
Le jardin de Richard
--------------------
1
A partir de 1821,
le baron Roger (Gouverneur de Saint-Louis) créa au
t
confluent du fleuve Sénégal et de la Taouey, un jardin d'essai dont l'activité
fut confiée au jardinier botaniste Richard
celui-ci allait donner son nom à la
1
ville de Richard-Toll
(en wolof,
le jardin de Richard)
situé à cet endroit.
1
Le jardin d'essai avait pour objectif l'expérimentation et la productic~
d'un éventail varié de plantes (une cinquantaine),
suivant deux filières principa-
1
les :
1
les fruits et légumes: melons,
patates,
carrottes,
tomates, pois,
choux,
salade, Il•...
manguiers,
vignes,
olives, etc ... Richard cherchait à acclimater pour la produc-
.
tion locale, plusieurs variétés de plantes européennes. La plupart des essais
1
dans ce domaine échouèrent dès le départ
;
1
-
les cultures industrielles: mGrier,
indigot,
coton indien et égyptien,
arachide, 1
,
etc ...
t
La cul turc de coton connut au début des su"cès appréciables :. elle
atteignait des rendements d'une tonne à l'hectare. Ces succès encouragèrent la
1
t
création, en 1825, à Saint-Louis, de petites unités industrielles d'égrenage du
i
coton et de teinturerie. Ainsi,
le modèle économique de la subordination de l'agri- 1
culture rurale aux besoins de l'industrie urbaine commençait à être introduit dans
~
~
f-
la zone.
~;
@.-
*
r::
S
Les techniques agraires utilisées par Richard,
tranchent par leur
~
v~
IP
nouveauté
par rapport à celles du système traditionnel
Richard préconisait le
lé~
défrichement et le dessouchage à nu de vastes espaces;
à la place de l'égrati-
rt'
gna~e superficielle de l'i!er, il introduit les charrues pour faire des labours
W
Il
profonds. Richard met aussi sur place un système d'irrigation comprenant des di-
f~
l'
guettes et des bassins d'inondation alimentés au moyen de norias. Le rendement
1:.
~
de ces techniques sera plus tard l'objet de plusieurs études dans le cadre de
1
J
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eva ua Ion ue ce proJe
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f
.. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - Cf. G. Hardy:
la mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854, Paris,
Larase,
1921.
.1.

-137-
Toujours est-il qu'au bout de quelques années,
un mouvement de coloni-
sation agricole, commence à s'engager dans la zone. Des colons venus d'Europe et
encouragés par l'attribution de primes s'installent sur 6.500 ha de terres aména-
gées .en parcelles de 130 ha chacune.
Cependant, pour ces nouveaux colons,
la désillusion ne tarda pas à
se manifester.
Le projet fut en proie à d'immenses difficultés à partir de 1828.
En 1831 elle cessa définitivement ses activités,
elle était en état de liquida-
tion totale.
Les raisons de cet échec ont été très largement commentées dans la
riche documentation produite à ce sujet (cf.
notamment G. Hardy);en bref ces raison
se résument à deux niveaux:
les difficultés sur le plan écologique et les pro-
blèmes rencontrés sur le plan humain.
Sur le plan écologique,
les techniques employées ne correspondaient
pas aux données ~milieu : les labours profonds faisaient remonter la salure des
sols qu'ils appauvrissaient d'avantage,
les systèmes d'irrigation étaient souvent
détruits par des crues imprévues,
les plantes introduites s'avèraient inadaptées
aux conditions pédologiques et climatiques, etc ...
Les obstacles humains sont tout aussi multiples. Raffenel parle de
l'état d'esprit des colons qui étaient plus préoccupés par la perception des pri-
mes que par la réussite des cultures:
ils n'hésitaient pas à mettre en terre des
branches de cotonnier et d'indigotier pour tromper les inspecteurs chargés d'at-
t
Ob
l
°
(1)
L
-
°
d I t O
J I + -
°
-
t
rl uer
es prlmes
.
es reslstances
es popu a lons .. oca es,
son~ aUSSl a me -
tre en relation avec cet échec;
les français avaient signé un accord (le traité
de 1819) avec le Bpak du ~to qui leur reconnaissait, en principe, le droit de
s'installer sur n'importe quelle terre du pays (c'est du moins l'interprétation
des français).
En outre,
les français devaient accorder des primes aux chefs tra-
ditionnels qui leur fourniraient des ouvriers agricoles.
t
/:
.............. ,.
,.
,. ,. .. 1;
(1) -
A. Raffenel : "oyage dans l'Afrique occidentale en 1843-1844 , Paris)
Bertrand, 1846.
f
~r,
./ .

-138-
Les colons ne tardèrent pas à se rendre compte que le système foncier
traditionnel ne permettait pas au Erak de déposséder les paysans de leur terre,
ces derniers d'ailleurs réagirent à la colonisation agraire par des actes de sabo-
tage,et de destruction des ouvrages d'irrigation. Quant à la main-d'oeuvre,
le
If
baron Roger lui-même C0nstate qu'elle est loin d'être acquise:
c'est précisément
de cette habitude que les nègres ont de travailler pour eux-mêmes que nait la
difficulté de les employer à nos cultures. Ces hommes ont une grande indépendance
dans les moeurs;
ils disent fort bien:
nous sommes libres comme vous,
leurs chef
n'ont que très peu d'autorité,,(1).
Plusieurs années après l'échec du baron Richard, Faidherbe, gouverneur
du Sénégal tenta en 1854 et en 1856 de faire redémarrer la colonisation agricole.
Mais ce fut là aussi un nouvel échec.
L'Administration coloniale abandonna alors
tout projet agricole dans cette zone jusqu'à la fin du siècle. Ce n'est qu'à par-
tir de 1935 et,
surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale,
que de nouvea~
programmes agricoles furent réintroduits dans la zone du Lac de Guiers.
En 1935 fut créé la Mission d'Etude du Fleuve Sénégal (M.E.S.1.
Cette
structure avait pour but de mener des études hydrologiques, pédologiques et agro-
nomiques nécessaires à un futur amènagement de la Vallée du Fleuve.
En 1938 la M.E.S.
fut remplacée par la Mission d'Amènagement du Sénéga
(M.A.S.)
qui,
elle,
avait une vocation plus opérationnelle.

La M.A.S. débuta l'amènagement de casiers rizicoles en 1938. Mais ce
If
n'est qu'en 1945 qu'elle entama un programme d'amènagement à grande échelle; elle •.•....j.
se fixa un objectif de 50.000 ha à aménager en dix ans. Ce qui devrait permettre
.
la production de 80.000 tonnes de riz Paddy.
1
,.,.
flt;
f
(1) - Cité par B. Barry
Op.
cib
p.
213.
~:~~.
F;
,~'~
~.Îi
.
!
/ .
(1
ff
,.i

-139-
Ce regain d'intérêt vis-à-vis de la zone et la polarisation des projets
vers la riziculture,
interviennent à un moment où de nouvelles données économiques
et p~litiques incitaient le régime colonial à tenter de remplacer par une produc-
tion locale,
l'importation du riz venant d'Indochine.
Avec le développement de
la culture arachidière,
on assistait à un déficit vivrier que le régime colonial
ne pouvait combler que par l'importation du riz indo-chinois qui,
selon Bernard
Founou-Tchiugoua était sous-payé et soumis aux rapports coloniaux de l'économie
de traite(l). Or, à partir de 1945 avec les luttes de libération,
de nouveaux rap-
ports de forces interviennent s'Ir le plan international et bouleversent les rela-
tions économiques entre la France et l'Indochine. Ce faisant,
le riz importé n'avai'
plus la même valeur,
il devenait plus rentable de le produire sur place.
Cependant,
la M.A.S.
ne parviendra jamais à atteindre les objectifs
qu'elle s'était assignés:
en 1953,
elle n'avait réussi à aménager que 6.000 ha
sur les 50.000 ha envisagés.
C'est à partir de cette année que la gestion du casie
fut confiée à l'entreprise des Travaux Publics O.R.T.A.L.
qui,
à son tour,
fut
incapable de réaliser les objectifs initiaux du projet.
Les grands travaux hydrauliques
(construction du pont-barrage de Richa
Toll édification de la digue de Keur Momar Sarr,
colmatage de la brèche de Niéti-
Yone,
constructions de digues et de canaux ... ) et la mécanisation de l'agriculture
n'ont pas abouti aux rendements prévus. La maîtrise des conditions écologiques
i
s'est avérée moins aisée que les programmes ne l'avaient imaginées
(salure
et
r
appauvrissement des terres,
irrégularités des crues . . . ).
[I~.
En outre,
les problèmes humains étaient encore là, obstinément présent
Les programmes agricoles comptaient sur une association des populations à l'expIai
1
tation des casiers. Mais les termes de cette association n'ont jamais été définis

avec ou par les populations dont,
en plus,
on a bouleversé les systèmes de produc-
tion.
1
f~f
............................................................................................................................................. J
(1)
-
Bernard Founou-Tchiugoua : fondements de l'économie de traite au Sénégal -
1
éditions Silex,
Paris 1981,~ 03 à 104.
ft
f
ç
f
./ .
f:i1

-140-
Ces populations n'avaient pas développé au cours de leur histoire les
techniques de production du
riz et de gestion des conditions écologiques et sociale
nécessaires à cette culture
; contrairement au mil et au sorgho dont elles avaient
une maîtrise poussée.
Un article de la revue Afrique-Agriculture souligne à cet
égard que le Waalo est "pratiquement la seule région d'Afrique de l'Ouest où le
riz est une introduction complète et où sa culture ne fait pas suite à des rizi-
cultures traditionnelles implantées de longue date,,(I).
Le décideur colonial n'au-
ra,
enfin de compte,
considéré que le seul aspect des conditions écologiques favo-
rables à court terme à ces projets;
la dimension humaine,
socio-culturelle en
particulier, semble avoir été ignoré.
Le régime post-colonial ne fera pas mieux.
APRES 1960
Sous plusieurs aspects la politique agricole post-coloniale représente
un prolongement des politiques coloniales dans ce domaine
: les objectifs procla-
més sont les mêmes,
les moyens employés sont souvent identiques et les échecs se
répètent avec la même constance.
i
Sur le plan des structures d'études,
la Mission d'Etude Socio-Economiqu 1
du fleuve Sénégal (M.I.S.O.E.S.) prend la place de la M.E.S.
en 1960. Très vite,
on crée une autre structure à vocation plus opérationnelle:
l'Organisation Auto-
1
nome du Delta (ü.A.D.) qui sera fondée,
en 1960, en même temps que l'Organisation
li.....•
Autonome de la Vallée (O.A.V.). Pendant ce temps,
l'entreprise O.R.T.A.L.
qui gérai.
les casiers de Richard-Toll est remplacée par la Société de Développement Rizicole
1
~~ss;::g:: ~~~~~~·:~)~':~::::;:s:'~~:~;~:~L~u:o::Se:~:O:t::i::c~::n::::: :::~~~:ues Iii.
de production.
La S.D.R.S. ne tarde pas à rencontrer les mêmes difficultés aux-
~
quelles s'ajouteront de graves problèmes de gestion. Ainsi,
fera-t-elle faillite
i
en 1970 et ses casiers seront occupés par la Compagnie Sucrière Sénégalaise (C.S.S. ~
spécialisée dans la production de sucre de canne.
Les projets de riziculture dans
l~
le delta du fleuve Sénégal seront,
quant à eux,
repris par la Société d'Amènagement 1
f
et d'Exploitation des Terres duDelta (S.A.E.D.)
créée en 1965.
J
1:
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
e
• • • • • • • • • • • • •
:,
~,
(1)
- Afrique Agriculture nO 7~ r Janvier 1982)p. 21.
./ .

-141-
Dès sa création,
la S.A.E.D.
utilise les mêmes techniques que les en-
treprises coloniales
: elle opte pour une mécanisation faisant appel à de grands
moyens techniques auxquels on associe la participation des populations. Au départ,
la S.A.E.D.
envisageait l'amènagement de 30.000 ha,
mais douze ans après, en 1977-
1978,
seuls 5.000 ha étaient cultivés.
Les ambitions de la S.A.E.D.
comme naguère
ceux de la M.A.S.
se heurtent à l'insuffisance de main-d'oeuvre disponible dans
cette zone considérée comme sous-peuplée,
c'est pourquoi la S.A.E.D.
avait envisagé
l'installation sous forme de colonat de 9.000 familles venant des régions les plus
peuplées du Sénégal;
on se souvient que le système colonial naissant avait envi.sa-
gé en 1862 l'installation dans cette zone de 20.000 familles chinoises pour dévelop
peI' les programmes agricoles.
Actuellement,
l'intervention de la S.A.E.D.
dans la zone du Lac de
Guiers a lieu au niveau des exploitations de Ross-Béthio,
Richard-Toll, Ndombo,
NDer et MBane.
Le mode d'organisation des exploitants des casiers rizicoles se
base sur un système de coopératives encadrées par la S.A.E.D. A Mbane,
en 1979,
la coopérative comptait 200 paysans provenant des villages de MEane, Temeye-Salane,
Saminte, Ndiakhaye, Diaglé et Singou-Diéry.
Le casier aménagé couvrait une super-
ficie de 110 ha répartie en parcelles de 0,5 ha par famille d'exploitants.
Comme
c'est le cas dans tous les casiers rizicoles de la S.A.E.D.,
les agricuL~èurs y
sont très dépendants des facteurs de production et des services livrés par l'en-
treprise.
Les travaux de canalisation,
de terrassement des
terrains de labours
profonds au moyen de tracteurs,
d'installations de moto-pompes et de systèmes
d'irrigation . . . sont toutes effectuées par la S.A.E.D.
qui,
en outre, assure la
distribution des semences,
des engrais,
des herbicides et des produits phyto-
sanitaires.
L'agriculteur attend tout de cette structure et ne peut démarrer ses
cultures sans l'intervention de celle-ci.
Il suffit d'une panne de moteur ou d'un
quelconque retard administratif dans les activités de la S.A.E.D. pour que les
projets des agriculteurs soient remis en cause. A MEane,
il y a m@me des années
(en 1980 par exemple) où les casiers n'ont pas été cultivés en raison du fait que
la S.A.E.D.
éprouvait des difficultés techniques à assurer les labours.
(On est
très loin de la maîtrise que le paysan avait traditionnellement sur l'organisation
de son calendrier agricole et sur l'utilisation des techniques de production !) •
./ .

j
-142-
1
!
Sur un autre plan,
la technologie investie par la S.A.E.D.
revient
finalement assez chère pour l'agriculteur. Selon l'O.M.V.S.,
les coûts réels d'ex-
1
ploitation pour un ha de riz en culture hivernale dans les casiers rizicoles tour-
(1)
nent .autour de 80.000 Frs CFA
. Or,
selon P. Mathieu,
en 1981, la récolte mo-
yenne par exploitant à MBane était de 784 kg de riz,
soit une valeur de 64.680 Frs
CFA(2).
L'exploitant, même s ' i l ne s'acquitte pas de tous les coûts d'exploitation,
demeure toujours endetté par rapport au système. Selon A.
MBengue,
en 1979 à MEane,
moins de 20 % des membres de la coopérative étaient parvenus à atteindre le taux
de remboursement de 65 % (ce remboursement en fait ne concernait que les travaux
d'irrigation et d'offsétage).
Ainsi, pour une famille moyenne d'exploitants,
la
récolte annuelle de 1979 ne parvenait à couvrir que 4
(quatre) mois de nourriture.
Les rendements des casiers de MBane sont relativement limités
(entre
3 et 3,5 tonnes de riz Paddy à l'ha).
La S.R.D.S.
et la M.A.S.
réalisaient des
rendements analogues au moment où elles ont cessé leurs activités. Certains exploi-
tants de MBane sont d'ailleurs très loin de ce renàement,
en raison notamment de
contraintes écologiques (salure des sols,
invasions de déprédateurs ... ) sur les-
quelles ils ont très peu d'emprise.
En dehors de la S.A.E.D., d'autres sociétés interviennent dans la
zone
-
La Société Sénégalaise de Développement Agricole
(S.E.N.D.A.),
créée en 1975 avec un capital de 500.000.000 de Francs CFA est une filiale de la
Société S.A.D.A.
Elle s'est installée au Lac de Guiers à partir de 1976 entre les
villages de Témèye Salane et de MBane. Son orientation de départ était l'ewbouche
du bétail, mais,
très vite,
en raison de difficultés rencontrées, elle se conver-
t i t dans la production dela tomate destinée aux industries de conserves alimen-
taires.
Mais,
cette reconversion ne l'empêchera pas dp tomber en faillite en 1981.
(1) -
O.M.V.S.
: Etude socio-économique du bassin du fleuve Sénégal - Partie C:
introduction de la culture irriguée y Avril 1980.
(2)
- P. Mathieu
: "Le cas du périmètre irrigué ge MBane au Sénégal" in Afrique-
Agriculture y
Décembre 1983,pp. 44-47.
·/ .

t
-143-
1
1
~
La S.E.N.D.A.
avait occupé 5.000ha de
terre dont pratiquement 75 % des champs du
1
Jééri des habitants àu village de Témèye Salane. Dans son système de production
la S.E.N.D.A. avait opté pour une mécanisation poussée (labours profonds au moyen
de tracteurs,
irrigation par aspersion)
et une utilisation massive d'engrais
1
1
~:~Oh~~.d~~::::::i;O::::X:t::: :: ::r~::~~ :O~e~gr::d::::::eé:::é:~'",::: ~: :~~:::~ ••g
tion de tomate dont les rendements n'ont jamais dépassé 45 tonnes à l'ha, était
~
estimée non rentable par rapport aux coûts de production.
La tomate cultivée par
la S.E.N.D.A. dans les terres du J!fér'i faisait appel à de grands investissements
1
1
au niveau des moyens de production; alors que n'importe quelle femme dans le milie 1
traditionnel aurait cultivé cette denrée dans les zones de décrue pour bénéficier
de la retenue d'eau et de la richesse naturelle des sols en matières organo-minéra-
les.
1
1
En outre,
la S.E.N.D.A.
comme on pouvait s'y attendre, a vécu dans
1
l'environnement hostile des populations dont elle avait occupé les terres,
les
1
sites sacrés,
les pistes de transhumance ... Elle a évolué dans une atmosphère de
conflits sociaux qui l'opposait de manière permanente aux populations locales.
1
1
-
La Compagnie Sucrière Sénégalaise (C.S.S.)
: Créée en 1972, elle
s'est implantée à Richard-Toll, à l'embouchure de la Taouey et du fleuve Sénégal.
La superficie qu'elle occupait au départ était de 6.000 ha (les casiers ancienne-
ment aménagés par la M.A.S.
et la S.D.R.S.). Mais,
en 1981, elle porta cette super-
ficie à 12.000 ha et actuellement envisage une extension jusqu'à 18.000 ha.
L'ob-
jectif de la C.S.S. au départ (objectif qui,
du reste,
n'a jamais été atteint)
était d'assurer au Sénégal une autosuffisance en sucre par la production de 70.000
tonnes de sucre par an.
De toutes les entreprises installées dans cette zone,
la C.S.S.
cons-
titue la plus importante tant par les superficies qu'elle occupe, les moyens tech-
niques qu'elle mobilise,
la main-d'oeuvre qu'elle emploie (plus de 6.000 personnes)
que par l'impact qu'elle exerce sur le milieu écologique et l'environnement humain
de cette zone(1) .
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ........ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - Cette société fait actuellement l'objet d'études au niveau de l'Institut
des iciences de l'fnvironnement ; raison pour laquelle nous ne nous y attar-
derons pas.
./ .

-144-
Au bout du compte,
les amênagements agricoles
intervenus dans la zone
depuis 1935 jusqu'aprês l'indépendance se sont
tous fixés comme objectif la
réalisation de l'autosuffisance alimentaire sur le plan national
(actuellement,
le Sénégal importe annuellement 400.000 tonnes de riz principalement du Pakistan
et de la Thaïlande)(l).
Cependant,
cette autosuffisance alimentaire concerne d'abord les villes
qui,
en général,
ne produisent pas leur nourriture. A partir de ce moment,
der-
riêre la volonté politique de l'objectif d'autosuffisance alimentaire sur le plan
national se cache le véritable problême de la recherche d'approvisionnement en
nourriture des villes par les campagnes. C'est pour satisfaire les besoins de la
ville en riz que les projets de développement agricole conduisent progressivement
la campagne à se détacher de la production de mil et de sorgho à partir de laquelle
elle réalisait son autosuffisance alimentaire.
Aucun programme colonial ou post-
colonial ne s'est fixé comme objectif le développement de la production de mil
ou du sorgho.
Cependant,
les amênagements agricoles dans la zone du Lac de Guiers
n'ont pas été les seuls éléments à destructurer l'économie traditionnelle d'autres
facteurs sont intervenus:
notamment le développement de la culture commerciale
de l'arachide .
. . .. ..." ..... " .. " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
(1) -
Sources: Afrique-Agriculture nO 77 - Janvier 1982.

P~OCËS DE DESTRUCTURATION DU SYSTËME TRADITIONNEL
-=-=-=-=-
LA PREEMINENCE DE L'ARACHIDE
Dès le début du siècle,
le redéploiement de l'industrie française et
les nouveaux besoins de l'économie européenne allaient provoquer une intégration
plus poussée de la paysannerie sénégalaise dans l'économie du marché par l'inter-
médiaire de la production et de la commercialisation de l'arachide. Selon Bernard
Founou-Tchuigoua,
le développement des exportations en direction de l'Europe s'est
effectué en corrélation avec la diminution de la production d'oléagineux en Europe(l'
C'est donc la crise des oléagineux sur le plan européen qui propulsera le développe
ment de l'arachide comme facteur d'intégration des agriculteurs locaux à une nou-
velle division internationale inégale du travail. Pélissier écrit dans ce sens:
"Depuis 1840, date de la première expédition en direction de la France,
jusqu'à
nos jours,l'intégration de la paysannerie dans une économie de marché s'est opérée
sous la pression de cet unique facteur,
le développement de la culture de l'ara-
'd ,,(2)
h
C I e

1
:::eS:~~:::::::::::::::~::~::::::::::::~:::::~:~:::O::~::::::~:::u:::::::::::::::~c 1
de l'administration coloniale,
dans le domaine économique de l'équipement du systè-
1:,'.'
me de transport à l'organisation détaillée de la distribution des semences et de

la collecte de la récolte,
toutes les impulsions qu'elle a donnée de manière auto-
1
:::::::i:~ ~:b::;::d:el:am;::n:: ::l:::i::.P;::~eO:~i:::a:::::::é:: :::e:: ::~C:ran 1~;
des maisons de commerce,
comme celui des traitants libano-syriens ou sénégalais,

a été mise en service de son évacuation et de la répartition des produits manufac-
1
turés dont elle suscitait et permet toujours la distribution.
Tous les moyens finan
Il.....
ciers ont été conditionnés par son orientation préférentielle et longtemps exclusiv
,
vers la sélection des lignées d'arachide adaptée au différentes zones climati-
~

,,(3)
~
ques. ..
.
~

f.
.................................................................................... t
(1) -
R.
Dumont écrit à ce propos:
"La France du XIXè siècle augmente son élevage
ri
bovin, donc ses près au dépens des cultures industrielles,
textiles (lin,
~
chanvre) e~ oléag~n:ux. Elle va demander plu~ d'arachides à l:Inde du Coro-
1
mandel, pUIS au Senegal". R. Dumont: La crOissance de la farrllne ,
Ed.
du
f
Seuil, 1980, p. 30.
r&
(2)
- Pélissier: Op.
cit., p.
31.
~
fi
(3) - Op.
cit., p. 31-32.
1
./ .
t

-146-
Pendant la période coloniale,
l'arachide gagne pratiquement toutes les
campagnes sénégalaises.
Pélissier note qu'il s'agit là d'une véritable ubiquité
qui "Résulte fondamentalement du choix de l'économie coloniale et de toutes les
formes de pression exercées depuis un siècle sur les producteurs,
aussi bien par
l'administration que par les organismes étatiques et l'appareil du commerce et des
affaires" .
Dans la zone du Lac de Guiers,
la production d'a~achide,même si elle
n'a jamais été aussi élevée que celle des autres régions du Sénégal
(par exemple
le bassin arachidier)
a fini
par s'y imposer et à profondément bouleversé le
paysage socio-politique traditionnel.
Le développement de l'arachide
a sur plusieurs plans,
entrai né une
refonte du système de production précoloniale,
tant dans les mécanismes internes
de celui-ci que dans sa relation avec l'enrivonnement.
La culture de l'arachide ayant été la seule à pouvoir assurer des reve-
nus monétaires,
c'est par son intermédiaire que s'est effectuée la monétarisation
de l'économie rurale et la transformation de celle-ci en ce que Samir Amin appelle
l'économie capitaliste périphérique.
Selon Samir Amin:
"La transformation de l'éco-
nomie pré-capitaliste en économie capitaliste périphérique présuppose la monétari-
sation et la commercialisation de l'économie de subsistence.
Evidemment,
il n'existe
pas ici de mécanisme de monétarisation qui
ne soit en même temps un mécanisme de
"
.
d
d
d
d
t'
' t
,.
,,(1)
~
penetrat10n
u ma e
e pro uc 10n cap1 aLlste
.
~
):'
t~
A partir de ce moment,
une
logique monétaire du type capitaliste se
t~1
substitue à
l'ancienne rationnalité de l'économie et de l'autosuffisance alimen-
~
~
taire.
La production agricole n'a plus pour objectif principal la satisfaction
!•
directe des besoins,
mais l'acquisition des revenus monétaires permettant de les
it
satisfaire de manière indirecte
(et aUSS1 d'en créer de nouveaux).
!
t1~
e~
(
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... j
(1)
- Samir Amin:
l'accumulation à l'échelle mondiale,
tome l
r Editions anthropo~ 1
1976 ,. p. 249.
1
~
~

-147-
j
1
Le dlveloopement de la culture arachidiOr. dans la zone du lac de Guier :1
a entrai né le recul de toutes les autres cultures vivrières (mil, sorgho) et la
disparition des cultures industrielles de coton ét d'indigot. Pélissier avait effec
tué 1a même observation sur la quasi-totalité du Sén~gal : "Toutes les autres pro-
ductions industrielles (et notamment le coton)
que pratiquaient peu ou prou les cul-
tivateurs sénégalais dans le cadre de leur ancienne économie familiale de subsis-
tance,
ont été balayées par l'intérêt exclusif porté depuis un siècle à la plante
oléagineuse,,(1).
B. Founou-Tchuigoua adresse dans le même sens l'évolution du rap-
port arachide/mil de 1939 à 1951 au Sénégal à
travers le tableau ci-dessous(2).
(milliers de tonnes)
Années
Arachide
Mil
Mil/arachide
1939
668
280
1/2,4
1940
542
334
1/2,4
1941
506
210
1/2,4
1942
231
2::,6
1/0,9
1943
40 rj
175
1/2,3
1944
360
328
1/2,1
1945
491
250
1/2
1946
487
241
1/2
1947
598
270
1/2,2
1948
502
303
1/1,6
1949
571
317
1/1,8
1950
4Sl
327
J.. /l,5
1951
592
278
1/1,2
1939-1951
499
275
1/1,9
~
( ~;ource
mission Portières)
li
l,
1~
....................................................................................1
1
(1) - Pélissier: Op~.)p. 31.
1
(2)
-
B.
Founou- Tchuigcua
: Op.
Ci t.) p. 81.
~
~.
r-
i~~
./ .
~
~
~:
!j
~.
f
~,

-148-
Au recul des autres cultures s'ajoute la disparition des réserves natu-
relles de riz sauvage,
nénuphares,
produits de cueillette en raison à la fois de
l'extension des champs d'arachide et des conséquences écologiques consécutives aux
amènagements agro-industriels,
deux facteurs qui,
au demeurant,
sont aussi présents,
dans le processus de désarticulation croissant,
des rapports entre l'agriculture
et l'élevage. A ce sujet,
la remarque de Pélissier est valable pour la zone du Lac
de Guiers:
"Il est clair -fait-il observer- que l'évolution économique enregistrée
par le pays Wolof depuis la colonisation,
a contribué à restreindre la place du bé-
tail. L'action de l'arachide a été double sur ce plan
d'une part en provoquant l'e
tension du domaine cultivé,
elle a rendu l'élevage difficile puisqu'elle a supprimé
les forêts où l'on pouvait,
jadis, cantonner le troupeau pendant l'hivernage; d'au-
tre part en entrainant la masse paysanne dans le cycle d'une économie de marché,
elle a multiplié ses besoins en numéraires et l'a détourné des formes traditionnel-
.
.
.
Il (1)
les de capItalIsatIon
.
Sur un autre plan,
le développement de la culture arachidière a entrainé
des changements de l'alimentation de base.
A la place du mil et du sorgho produits
par les membres des concessions, c'est le riz importé qui devient progressivement
l'aliment de base.
La dépendance vis-à-vis de l'économie de marché prend alors la
forme d'une dépendance alimentaire de l'unité de base par rapport à l'extérieur.
Ce changement alimentaire est,
d'autre part, à mettre en relation avec la restrictio
des unités de production en rapport avec l'exode rural dont la dynamique trouve
sa raison d'~tre dans la monétarisation de l'économie et de la subordination de
la ville à la campagne. D'ailleurs,
l'exode rural,
en touchant les femmes de cette
région,
diminue la force de travail au sein de la concession.
Ainsi,
la préparation
du riz,
en demandant moins de travail que celle du mil,
constitue, dans un certain
sens,
une réponse à cette restriction de la force de travail domestique(2J.
Finalement, ce changement alimentaire traduit,
à un certain niveau des
,
changements sur le plan des unités de production,
pas seulement dans leur structu-
ration interne,
mais aussi dans leur rapport vis-à-vis des techniques de production.
(1) -
Op.
cit.) p. 151.
(2)
Avec le riz,
il ne sera plus nécessaire d'effectuer les longs travaux de pi-
lage,
de tamisage,
de préparation et de conservation, qui dans le cadre du
mil demandait une plus grande disponibilité de la main-d'oeuvre féminine .
./.

-149-
LA DESARTICULATION DES TECHNIQUES TRADITIONNELLES
La primauté de l'arachide dans les économies familiales a totalement
remis en cause la nature et l'orientation des techniques de production.
Au nIveau de
l'Gccupation
de l'espace,
non seulement la diversité des
productions se trouve réduite mais,
en plus,
le plus souvent l'arachide n'est as-
sociée à aucune autre culture dans les champs o~ il est produit. L'arbre constitue
un obstacle pour la charrue et la culture attelée qui sent les principaux supports
technologiques de l'expansion de l'arachide.
Le développement de l'arachide est
corrolaire de déboisement et de dessouchage.
Mus par la recherche grandissante de revenus monétaires,
les agricul-
teurs augmentent la superficie de leurs champs
les jachères se font plus courtes
là oG elles ne sont pas purement et simplement supprimées.
L'utilisation d'engrais
fournies par le marché extérieur devient une nécessité si on veut maintenir ou ac-
croître les rendements. A NGnit les agriculteurs utilisaient,
en 1974, 20 kg d'en-
grais par hectare,
et cet engrais ne leur était,
en principe,
distribué que pour
les champs d'arachide exclusivement. Dans le même ordre d'idée,
la rotation des
cultures, elle aussi,a tendance à être supplantée par la répétition ininterrompue
de la seule culture arachidière.
Sur le plan des outils techniques,les moyens mécaniques de la culture
attelée
(semoir,
charrue, souleveuse,
etc ... l introduisent un nouveau type d'orga-
nisation du travail,
par ailleurs,
étroitement lié à la monétarisation de l'écono-
mie.
En effet,
avec la possibilité de revenus monétaires individuels,
les champs
individuels prennent le pas sur les champs collectifs;
d'ailleurs,
avec les nou-
veauxmcyens techniques, les ménages peuvent travailler seuls dans leurs champs.
La ~olidarit~ traditionnelle et les formes d'entraide communautaire disparaissent
devant la poussée de l'individualisation.
Ce sont de nouveaux rapports de produc-
tions qui s'instaurent.
./ .

-150-
REDISTRIBUTION DANS L'ORGANISATION DU TRAVAIL ET DANS LES RAPPORTS DE PRODUCTION
La réduction de la taille des concessions et le démembrement de celle-
ci au profit d'entités familiales plus restreintes constituent les éléments les
plus caractéristiques des changements survenus au niveau des unités de production.
1.
Anciennement d'après la tradition orale,
les grandes concessiocIE:(](ëy' ffU y'ëYJ
pou-
~
vaient réunir jusqu'à une centaine de membres. Même actuellement encore il y a une
1
concession à NGnit qui totalisait en 1982, 72 individus, mais la moyenne d'habitantfl·.:
par concession est de 12 personnes.
:
1:
Ainsi,
la disponibilité en force de travail par concession a fortement
diminué par rapport au système traditionnel.
Mais la taille de ces nouvelles unités
de production est ~daptée aux outils de la production arachidière,
il ne faut,
en
effet,
que 2 personnes pour effectuer les différentes opérations de la culture at-
telée. Cependant,
cette taille est totalement insuffisante pour assurer au groupe
une production agricole èiversifiée et autosuffisante sur le plan alimentaire. En
1980, aucune famille de Témèye Salane n'a cultivé du milou du sorgho,
la raison
avancée était la prolifération des oiseaux qui,
à cause de la destruction par la
S.E.N.D.A. de la forêt voisine ont quitté leur niche écologique pour gagner les
zones de culture
mais on peut ajouter que les unités de production ont,
en fait,
renoncé à utiliser les méthodes traditionnelles de lutte contre les oiseaux préci-
sément parce que leur faible dimension et la disparition de l'infrastructure tradi-
tionnelle appropriée rendaient ces méthodes difficilement réalisables.
f
~
La restriction de la taille des unités de production dans le contexte
,
de la monétarisation de l'économie ne constitue pas un élément favorable à la pro-
l'
tection du milieu écologique.
Au contraire,
elle suppose une intensification de
1
~
la production de rente en corrélati on avec la croissar~ce des besoins monètaires ins- f
crits dans la dynami~ue de l'économie du marché. Ainsi, avec les mêmes moyens

techniques qul ont très peu changé depuis l'introduction de la culture attelée,
les unités de production n'ayant aucune prise sur la fixation des prix aux produc-
teurs doivent nécessairement accroître leur production.
On en est arrivé ainsi à
intensifier sur le milieu écologique des méthodes culturales souvent inadaptées
à la protection de l'environnement (déboisement, .labour profond, usage d'engrais,
etc ... ).
Le point de vue de Marvin Harris à ce sujet est que:
"Quelle que soit
sa cause immédiate,
l'intensification de la production va toujours à l'encontre
de la productivité. En l'absence de changement technologique,
elle conduit inévi-
/
• 1


-151-
tablement à un épuisement de l'environnement et à une baisse de la rentabilité de
la production puisque l'effort accru doit tôt ou tord s'appliquer à des animaux,
plantes,
terre,
minerai et source d'énergie plus lointains, moins sûrs et moins
(I)
abondants"
.
De ce fait,
contrairement à la perspective malthusienne de René Dumont
qui oppose la croissance démographique aux équilibres écosystémiques,
l'augmenta-
tion de la population dans le cadre de l'économie traditionnelle en ce qu'elle per-
met des combinaisons fécondes de produits divers,
constitue un élément du maintien
t
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Il
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Ires
u ml_leu na ure
.
ans ce
e perspec Ive
on peut établir une corrélation entre,
d'une part
le dépeuplement des campagnes
et la restriction des concessions et d'autre part
la dégradation de l'environne-
ment.
Il faut,
en effet,
une plus grande disponibilité en force de travail pour
augmenter la protection de la nature par des amènagements écologiques au demeurant
inscrits dans le système de production traditionnelle.
Par ailleurs,
avec le démembrement des familles étendues,
les ménages
(surtout monogames) voient la part de travail des femmes dans la production agraire
diminuer par rapport aux tâches domestiques qui accaparent l'essentiel de leur force
de travail.
La disparition des cultures industrielles(coton et indigot) tradition-
nellement effectuées par les femmes et la restriction des autres cultures qu'elles
contrôlaient traditionnellement aboutissent à la remise en cause de la position
des femmes dans l'économie agraire.
L'arachide qui,
dansle système précolonial,
était contrôlée par les femmes,
est appropriée par les hommes au moment où elle
devient une culture commerciale. Ainsi,
les femmes sont pratiquement exclues de
la culture qui assure l'essentiel des revenus monétaires, ce qui introduit de nou-
veaux types de rappo~ts sociaux entre hommes et femmes.
Les positions vis-à-vis des facteurs de production changent elles aussi.
Pour l'arachide,la production et la conservation des semences cessent progressive-
ment d'être du ressort des femmes.
Désormais,
c'est à l'extérieur de la concession
que la production des semences sera effectuée et gérée par ,des corps étrangers au
(1)
(2 ) - René Dumont: La croissance de la famine - Ed. du Seuil, 1980
) p.
30.
·/ .

-152-
système agraire.
Le paysan,
dansle même ordre d'idées,
entre dans une dépendance
vis-à-vis des outils techniques,
des engrais,
des moyens de protection des cultures,
bref de l'ensemble des facteurs de production.
La monétarisation de l'économie in-
troduit des bouleversements dans le mode d'acquisition des outils;
les relations
de castes et les échanges contre les produits agricoles ne constituent plus les
moyens d'acquisition de l'outillage technIque;
celui-ci entre désormais dans le
circuit des échanges monêtaires.
Jusqu'en 1980, date de la suspension du programme agricole sur le plan
national,
ce sont les coopératives contrôlées par les structures étatiques d'encadre-
".
ment du monde rural
qui étaient charg~es de la dotation à crédit des moyens de pro-
duction (matériel agricole,
engrais,
semences .. . ). Selon Antoine MBengue,
la zone
du Lac de Guiers compte 36 coopératives,
les arrondissements de MBane et de Ross-
Béthio comptaient respectivement 10 et 6 coopfratives
; le village de Ngnit est,
lui-même,
le siège d'une coopérative créée en 1961 et polarisant 8 villages (Ngnit,
Diokhor,
Yamane, Dialang,
Ndiémen, Malle,
Na~ré).
Les coopératives n'interviennent à aucun niveau de la détermination
des cours
des in-puts et des out-puts(l),
elles apparaissent plutôt commes des
instances d'exécution de politiques agricoles élaborées à partir des centres admi-
nistratifs extérieurs au monde paysan.
La structure de la coopérative (un président.
un conseil d'administration et des adhérents) est d'ailleurs totalement étrangère
aux formes d'association traditionnelle à la fois plus souples et moins bureaucra-
tisées. En plus,
la structure des coopératives ne bénéficie pas du support culturel
et idéologique qui,
dans le système traditionnel,
donne aux institutions agraires
un enracinement social profond.
A partir de 1973,
avec le développement des unités agro-industrielles
et la sècheresse qui frappe les cultures hivernales,
on assiste à une baisse de
la production arachidière. Selon les statistiques officielles,
la production arachi-
dière dRns la région administrative du Fleuve
passe de 51.000 tonnes en 1969 à
(2 )
5.000 tonnes en 1973 et 1.500 tonnes en 1976
; en 1980 une famille moyenne de
Témèye-Salane n'pvait récolté que 200 kg d'arachide alors qu'au début des années
70 elle en produisait jusqu'à 2 tonnes .
....... ,.
,.
,. .
(1) - Selon G.
Grellet (op.
çjt.,p.
51),
le cours mondial de l'arachide a augmenté
de 50 % entre 1969 et 1971, mais éW Sénégal,
l'augmentation du prix d' achat
au producteur n'a été que de 20 %.
(2) - Ministère de l'Economie et des Finances de la République du Sénégal
Situation
Economique du Sénégal -
1959-1979,
.f.

-153-
Cette nouvelle situation conduit à la baisse des revenus monétaires
liés à
la culture arachidiêre, ce qui aboutit à la recherche de nouvelles sources
de revenus. Le regain (j' lntér'êt enregistré au niveau des cultures du Waa[o
s' ins-
crit de ce fait dans le cadre de nouvelles stratégies agricoles.
DES ORIENTATIONS NOUVELLES
A partir de 1973,un déplacement des populations du Lac de Guiers de
l'intérieur des terres vers les abords des points d'eau prendra l'allure d'un mou-
vement généralisé et de grande
ampleur.
Ce déplacement s'est effectué paralèlle-
ment au développement des cultures de décrue qui,
selon plusieurs sources, avaient
pratiquement été abandonnées quelques décennies auparavant
; les cultures hivernales,
la pêche,
l'élevage de petits ruminants et l'exode rural procuraient aux populations
les revenus nécessaires à leur subsistance. D'ailleurs depuis le retour de l'eau
douce avec la construction du pont barrage de Richard-Toll en 1947, les conditions
de vie sur les abords immédiats du lac étaient devenus particuliêrement difficiles
en raison de la prolifération d'insectes et de végétations sauvages, ce qui accen-
tuait le dépeuplement de ces zones. En outre,
il est pratiquement établi que,
sauf
en cas de déficit pluviométrique grave,
les cultures de décrue avaient toujours
occupé une place relativement secondaire dans le système précolonial tant au niveau
du volume de leurs productions que du point de vue du nombre d'individus qui s'y
adonnaient.
Mais,
à partir de 1973,
les cultures de décrue vont constituer la prin-
cipale source de revenus de la plupart des familles d'agriculteurs dans les villages
le long du Lac de Guiers. En 1980, une famille de Témèye Salane (avait réussi à
avoir un revenu annuel de 400.000 Frs CrA provenant des cultures de décrue alors
que les revenus de l'arachide pendant les années les plus fastes
(1969-1970) ne
lui procuraient,
en moyenne,
que 120.000 Frs par an.
La majeure partie des revenus des cul tures du ivc.a?-c proviennent de la
vente de manioc
(60 %). Le manioc a subi le même changement d'appropriation que
celui autrefois enregistré par l'arachide. TraditIonnellement, au même titre que
les condiments et les produits ne constituant pas la base de l'alimentation,
il
était cultivé et contrôlé par les femmes;
actuellement, en devenant une culture
commerciale dont les revenus serviront, en partie, à acheter des denrées de base,
le manioc devient en même temps une culture sous le contrôle des hommes.
·/ .

-154-
Le développement de la culture du manioc qui a connu une croissance
à partir du début du siècle, s'est d'ailleurs effectuée en corrélation avec le dé-
veloppement de la production arachidière et le recul de celle d~ mil. La place du
manioc comme source de revenus et comme nourriture d'appoint n'a,
selon Pélissier,
cessé de s'accroItre dans la plupart des régions du Sénégal
: "une conséquence
-écrit-il- importante et méconnue de l'invasion de vieux terroirs céréaliers du
Cayor par l'arachide est le développement de la culture du manioc dont la diffusion
spontanée pallie progressivement le déficit souvent dramatique de la production
,
,.
t
d't'
11,,(1)
Vlvrlere
ra lIonne
e
.
Sur un autre plan,
le développement de la culture du manioc s'intègre
dans la diminution de la taille des unités de production traditionnelle.
Le manies
en effet)ne fait pas appel à une force de travail aussi
importante que celle exigée
par la production du mil. Une fois effectué le plantage par bouturage (sur un ter-
rain qu'il n'est même pas nécessaire de défricher complètement»cetLe plante n'exi-
ge pas une fréquence de travaux d'entretien du s o l ;
en plus,
elle n'a pas besoin
d'être protégée contre les oiseaux ou d'être stockée au moment de la récolte et,
celle-ci peut se faire progressivement au fur et à mesure des besoins.
En dehors du manioc,
les cultures de décrue qui fournlssent le reste
des revenus sont: la tomate, environ 20 %,
le béref 6 %,
le niébé 9 % et les autres
légumes: oseilles, choux, gombo,
etc ...
Ce sont les femmes qui contrôlent la pro-
duction et la vente de la tomate et de tous les légumes.
Elles s'assurent ainsi
environ 30 % des revenus ; elles contrôlent aussi la part de niébé et de béref des-
tinée à la consommation familiale.
Au niveau de l'organisation de l'espace,
le mbak (champ de cultures
de décrue) constitue le cadre de production de base.
En 1980, à Témèye-Salane,
les
mbak occupaient une superficie d'environ 8 ha, alors qu'en 1979 elles ne couvraient
que 3,5 ha pour un même nombre d'exploitants
(24).
Les superficies actuellement
cultivées sont très variables d'une exploitatIon à une autre
(de 0,22 ha à l ha) .
..................................... .............. ....... ........ ..................
(1) - Pélissier: Op. cit.,p.
159.
. /.

-1::'>0-
Quand la concession ne regroupe qu'une famille restreinte (le chef,
ses épouses et ses enfants),
la taille du mbak est assez petite (en moyenne 0,25 ha).
Il comprend souvent un ou deux mbak
(suivant le nombre d'épouses). Dans la plupart
des cas ce chef de famille a d'autres occupations, ce qui fait que sa présence dans
le
mbakest moins fréquente que ne l'est celle des chefs de famille étendues(l).
Les femmes appartenant à cette catégorie travaillent dans leur dog
individuel à
tour de rôle les jours où elles sont libérées des tâches domestiques.
Dans les petites concessions,
les revenus des mbak (de l'ordre de
120.000 Frs CFA par an)
sont injectés dans les dépenses familiales et servent à
l'achat de denrées alimentaires de base (mil,
riz,
huile,
sucre, etc ... )
; achats
qui sont effectués sur les gains provenant essentiellement du manioc contrôlé par
le chef de famille.
Les revenus des femmes servent le plus souvent à l'achat de
vêtements pour elles et les enfants,
à la participation aux cérémonies familiales
et à compléter les dépenses de nourriture en cas de défaillance du mari.
Dans les grandes concessions,
ce sont,
en principe,
les revenus des
hommes de la seconde génération qui doivent servir à acquérir les denrées alimen-
taires de la concession.
Ainsi,
les revenus de la première génération provenant
des cultures du WaaLo servent surtout à acheter du bétail (quelques bovins, des
chèvres, et des moutons,
un cheval ... ) 0'1 à acquérir des outils pour la pêche, du
thé,
du sucre . . . Une partie de ces revenus sert quelquefois à réfectionner les
habitations ou à financer des pélerinages à la Mecque. Les revenus des femmes de
la première génération sont,
en général,
utilisés dans des dépenses relativement
identiques à celle~rles femmes des familles restreintes. Cependant, il arrive que
les hommes et les femmes de la première génération participent en cas de nécessité
à l'acquisition de denrées alimentaires pour la concession.
Par ailleurs, une partie des revenus est réinvestie dans les moyens
de production (achats et renouvellement des outils). Les outils utilisés (ILep et
pioches) sont achetés sur le marché à des prix oscillant entre 1.500 et 3.000 Frs
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
<1
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
(1) -
Au mois de Juillet 1982 nous avons noté que les chefs de famille étendues
avaient travaillé en moyenne 27 jours dans le mois,
alors que ceux des fa-
milles restreintes totalisaient une moyenna de 15 jours par personne.
./ .

-157-
On achète aussi les semences vendues dans les magasins spécialisés.
Il faudrait
aussi intégrer à ces dépenses les frais de déplacement pour la vente des produits
dansles marchés de la zone;
les habitants de Témèye Salane se rendent dans les
marchés de Keur Momar Sarr,
Niassanté et Richard-Toll
; ceux de Ngnit vont à Keur
Momar Sarr, Richard-Toll,
Ross-Béthio et Saint-Louis.
Le marché des produits est très fructuant.
En 1980, les prix du manioc
ont oscillé entre 2.000 et 7.000 Frs le sac d'environ 50 kg.
La production de to-
mate,
de choux et des autres légumes est souvent menacée de risque de saturation
des marchés. Ainsi,
les cultures de décrue sont elles aussi intégrées à l'économie
de marché et aux lois de celle-ci.
Elles prolollgent une des articulations fondamen-
tales du capitalisme périphérique:
la subordination de la campagne à la ville qui,
désormais contrôle et régule les orientations et les niveaux de la production agri-
cole.
C'est dans ce contexte que s'est effectué l'intégration des travail-
leurs des entreprises industrielles dans le paysage agraire de la zone du Lac de
Guiers.
A Témèye Salane,
les employés de la SENDA qui résidaient dans le quar-
tier traditionnel,
effectuaient des cultures de décrue en dehors de leurs heures
de service. A Ngnit,
où l'accès aux terres du Waalo est relativement plus diffi-
cile,
les employés de la SONEES font du marb~cllage sur les lopins de terre attenan
à
leur habitation. Ces lopins produisent essentiellement des légumes (carottes,
choux, patate,
aubergine,
tomate,
etc ... ) et des fruits
(banane,
citron, orange,
mangue ... ).
Cette production est,
en majeur partie, vendue et a rapporté à certain
familles des revenus allant jusqu'à 200.000 Frs par an.
Les employés de la SONEES
bénéficient de l'usage gratuit de l'eau courante;
les plantes sont arrosées à par
tir du système d'adduction d'eau qui alimente les habitations. Au niveau de l'or-
ganisation du travail toutes les catégories d'âge dans les familles des employés
participent au travail maraîcher.
Le père de famille s'occupe de la préparation
de la terre
les enfants effectuent les arrosages à la fin de la journée scolaire
et les femmes s'occupent de la récolte et de la vente des produits. Les revenus
sont utilisés pour compenser les éventuelles insuffisances des salaires à couvrir
l'ensemble des dépenses de la famille.
/
"
.

-158-
En 1982, grâce à une partie de ces revenus,
différentes familles avaien
acheté des bovins (35 au total)
qui étaient gardés en commun par un berger peul,
rémunéré par ces familles.
En outre,
plusieurs familles d'employés effectuent un
élevage domestique de petits ruminants.
Ces entreprises économiques à Ngnit sont surtout le fait des employés
les plus âgés
(de plus de 40 ans)
et qui sont aussi ceux qui occupent les niveaux
les moins élevés de la hiérarchie professionnelle (mécanicien, chauffeur, électri-
cien, etc ... ).
Les jeunes et les caères supérieurs ne sont généralement pas intéres
sés par ces activités. Cet expérience agro-pastorale des employés d'entreprise in-
dustrielle,
fait réfléchir sur un modèle de relation
entre l'industrie,
l'agricul-
ture et l'élevage; modèle qui doit susciter la réflexion autour de la problé-
matique fondamentale de la continuation des activités agro-pastorales dans les
villes,
afin que cell~ci puissent assurer leur propre autosuffisance alimentaire.
Mais au-delà de cet interrogation c'est la question de l'organisation de l'espace
urbain et de la définition théorique de la nature de la ville en Afrique qui se
trouve ainsi posée.
Peut-être que l'étude des villes africaines précoloniales aide-
rait à trouver des modèles suceptibles d'opérer une rupture radicale au sein du
système de relation qui asservit les campagnes par rapport aux villes.
Toujours est-il que la redéfinition des rapports entre la ville et la
campagne, est partie intégrante de révolution paysanne dont la dynamique ne saurait
se faire dans le jeu institutionnel actuel.
La révolution paysanne est d'abord
l'expression d'un discours paysan qui trouve son inspiration dans les modèles tra-
ditionnels. Or, ces modèles organisent par ailleurs les tissus des relations entre
l'agriculture et l'élevage,
d'où la nécessité de compléter l'étude du système
agraire traditionnel par une étude du système pastoral.
./ .

CHAPITRE
II
LE
SYSTEME
PASTORAL
-=-=-=-
Dëns la zone du Lac de Guiers l'économie et le mode de vie peul sont
les plus représentatifs des mécanismes et du fonctionnement du système pastoral.
Le système peul se déploie sur l'ensemble de l'espace pastoral de la zone du Lac
de Guiers. Mais on retrouve aussi ce même système chez certains groupes maures
qui,
chaque année,
effectuent un mouvement de transhumance saisonnière le long
du Lac de Guiers
Cependant,
il y a une différence très nette entre la présence
permanente des Peul
dans cette zone et les insertions intermittentes des pasteurs
maures.
C'est pourquoi l'analyse du système pastoral dans le contexte du Lac de
Guiers s'appuiera essentiellement sur les modèles appliqués par les Peul.
Chez les Peul,
le bétail est,
sans conteste,
le facteur qui intervient
de la manière la plus déterminente dans le mode de vie. Tout le système économique,
tous les systèmes de représentations et de valeurs morales,
tout le système de
relatioIli sociales et cul turelleJ entretiennent des liens plus ou moins directs avec
le bétail qui est au centre de la vie sociale;
l'élevage est un fait social total
dans la mesure où aucun secteur de la vie n'échappe à son intervention. C'est au-
tour de l'élevage que s'organisent les ensembles de relations qui donnent à la
société Peul son autonomie de système.
Cependant,
ce système n'est pas fermé,
il
est ouvert sur d'autres,
sur les système~ agraireS en particulier. Ainsi, des lieux
d'échanges et d'interpénétration s'articulent en réseau de connexion entre ces
deux systèmes.
~
Sur un autre plan on peut noter que le système Peul a su conserver
1
avec une remarquable continuité non seulement ses orientations fondamentales, mais
~
!
aussi ses normes,
ses moyens techniques et ses technologies traditionnelles. Cepen- f!
dant le système n'a pas moins subi les contre-coups des politiques hydrauliques,
1
agricoles, pastorales,ou socio-économiques qui,
au cours de l ' histoire,
ont impulsé
!
des processus de désarticulation de tous les systèmes traditionnels de la zone.
1
La résistance multiforme du système Peul par rapport à ces processus est heureu-
sement très vive et donne une idée de l'efficacité de ses modèles et mécanismes
de production.
.f.

-160.,..
UNE ECONOMIE AGRO-PASTORALE
L' agricul ture est présente dans le système pastoral Peul, mais elle
y occupe une place secondaire par rapport 6. l'élevage,
elle est soumise à la
dynamique pastorale. Cette agriculture est orientée vers l'autosuffisance ali-
mentaire, elle vise quasi-exclusivement la production de denrées de base.
Traditionnellement dans leur campement d'hivernage,
les Peul cultivent
du mil et du sorgho,
du béref et du niébé.
Cette production essentiellement destinée
à couvrir les besoins domestiques n'intervient que très peu dansLes échanges. Les
unités de consommation se constituent au sein de la concession. Celle-ci est une
unité de base dont la taille varie suivant les périodes de l'année: elle regroupe
une ou plusieurs ménages. Traditionnellement,
le mil et le lait constituent la
base de l'alimentation des Peul. Toutes les femmes et les enfants mangent ensemble,
les hommes et les adolescents en font de même,les hommes adultes et les vieux cons-
tituent de leur côté une unité de consommation.
La préparation des repas se fait séparément par les femmes de chaque
ménage
dans un ménage polygame, chacune des épouses a son jour de cuisine.
La
nourri ture préparée par chaque ménage est consommée
en commun par l'ensemble des
membres de la concession regroup~suivant les catégories d'âge et de sexe mention-
nées ci-dessus. La prise des repas dans les concessions Peul prend la forme d'une
succession de plats provenant des différents ménages, mais consommés collective-
ment.
Cette articulation entre le secteur individuel du ménage et le secteur
collectif de la concession se retrouve par ailleurs dans l'occupation de l'espace
cultivé.
Pendant l'hivernage,
la concession ou le village tout entier regroupe
ses champs dans un enclos collectif,
unique (colengalJ.
L'une des premières fonc-
tions de cet enclos, qui est fait de branches épineuses, est la protection des
cultures contre les déprédateurs, mais sa conception semble découler d'une orga-
nisation de l'espace collectif au sein duquel s'organisent les unités de produc-
tion. Dans le colengal chaque ménage cultive dans un lopin individuel et assure
le contrôle de la production de cet espace
; les différents ménages peuvent souvent
mobiliser la force de travail des adultes et des enfants de la concession toute
entière, notamment au moment de la récolte ou en cas de retard dans certaines opé-
rations agricoles.
·/ .

-161-
Traditionnellement,
les femmes Peul ne cultivent pas
; ce sont les
hommes (adultes et adolescents)
qui s'acquittent de l'ensemble des travaux agrai-
res. Mais actuellement les femmes participent de plus en plus aux semis et aux
opérations de sarclage. Cette participation est certainement en rapport avec la
diminution de la taille des unités de production qui se fait sentir dans l'ensemble
de la zone du Lac de Guiers.
Dans leurs techniques agraires les Peul utilisent les éléments fournis
par le bétail. Ainsi,
en règle général,
le coZengaZ
est établi dans l'espace qui
auparavant avait servi aux enclos de bovins et quand cet espace de culture est
laissé en jachère,
il sert à nouveau d'enclos pour le bétail.
De telle sorte que
le groupe qui reste plusieurs années dans la même localité, assiste à une permu-
tation continue entre les espaces de culture et les lieux de parcage des animaux.
Dans la période précololoniale,
c'est le mil
qui constituait de loin
la culture la plus importante.
Mais,
avec les changements économiques intervenus
dans la zone,
c'est l'arachide qui aura tendance à dominer les activités agraires.
En 1982,
le campement de Belli Bamdi, à l'instar des autres campements de Ngnit,
n'avait pas cultivé la moindre parcelle de mil.
Les colengaZ ne contenaient que
O
' l
oe
'
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araCJll e e t
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acceSSOlremen
"
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e. oere f
) . C~t
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S t
l ' t '
utlon d
u "
ml~
par l'arachide est le reflet,
au niveau du système de production,
de la perte de
l'autosuffisance alimentaire.
Cette autosuffisance alimentaire, au cours des
décennies était de plus en plus difficile à réaliser au fur et à mesure que la
rr~ction de mil enregistrait une tendance à la baisse. Certes on retrouve des
ménages Peul dans les exploitations de la S.A.E.D., mais à ce niveau aussi,
la
production récoltée est toujours loin de couvrir les besoins alimentaires du grou-
pe.
En 1980,
les ménages de Belli-Bamdi qui avaient participé à l'exploitation
des casiers rizicoles de Ross-Béthio,
ne disposaient en moyenne que de 400 kg de
riz, c'est-à-dire si on s'en tient aux normes de la F.A.O.
(250 kg/an/personne)
de quoi nourrir simplement 2 personnes/an sur des ménages de 6 à 10 individus.
(1)
-
Le cclengal de Belli Bamdi avait,
en 1982, une superficie de 6 ha et regrou-
pait les exploitations individuelles de huit ménages
; nous avons estimé
son rendement moyen d'arachide à 200 kg à l'ha alors que chez les Wolof de
Ngnit,
ce rendement est de 340 kg/ha.
./ .

-162-
Si l'agriculture a subi des changements dans son contenu et dans son
orientation (substitution de la culture vivrière par la culture commerciale) l'éle-
vage par contre a conservé sa dynamique et ses moyens traditionnels même si ses
conditions d'exercice ont notablement chan~é.
Le bétail dans le système traditionnel Peul est très diversifié dans
sa constitution. Chaque ménage et chaque concession accorde une place de choix
à l'élevage des bovins, mais on élève également des moutons, des chèvres, quelques
ânes et quelques chevaux ; il Y a aussi souvent de la volaille de basse-cour.
Les significations sur les plans socio-économiques et culturels de
chacun de ces éléments revêtent des formes différentes
:
-
Les bovins :
ils
consti tuent l'élément central
du système. Ce sont
les références les plus fondamentales au niveau du système de valeurs et de re-
présentations:
"un Peul qui n'a pas de bovins n'en n'est pas véritablement un".
Chaque individu,
depuis l'enfant qui,
à partir de six ans commence à en recevoir,
jusqu'au vieillard,possède un certain nombre de bovins auxquels il est lié par
multiple liens (liens juridiques, sentimentaux, rapports économiques,
liens so-
ciaux . . . ).
La vache,
dans ce cadre,
est l'animal le plus important; c'est elle
qui assure la reproduction physique du troupeau et fournit,
de manière directe
ou indirecte,
la part la plus déterminante de la nourriture du groupe humain. Ce
sont aussi les vaches qui constituent la base de la dot dans le mariage et l'élé-
ment constant de la circulation des biens dans les unions matrimoniales
; tradi-
tionnellement,
la vache n'est pratiquement jamais l'objet de vente ou d'échange
éCOflOrnique.
Ce sont les boeufs qui,
eux peuvent entrer dans le circuit des échan-
ges
; le boeuf est,
en outre,
l'animal des grandes cérémonies familiales.
C'est
lui fl'on immole pendant les cérémonies de mariage, lors des funérailles de mem-
bres importants de la famille ou à l'occasion de visite d'un hôte de mdrque excep-
tionnelle
; c'est le cadeau le plus élevé qu'on peut offrir à un étranger à la
concession.
Selon H.S.H. Seifert,
les bovins du Sahel (Bos indicus - zébu) se ca-
ractérisent par :
·/ .

-163-
-
une forte résistance à la chaleur, à la soif et à la faim
-
une faible production de lait ;
. t - -
.
d
I d '
t
(30 - 40 1
/ '
) ( 1 )
-
une capacl e a parcourIr
e
ongues
IS ances
a
Km Jour
...
Ces caractéristiques vont être intégrées à la logique de production du
système traditionnel par les éleveurs Peul qui font preuve de connaissance assez
poussée dans ce domaine.
- Les moutons
: Ils jouent un rôle important dans les échanges et dans
les circuits commerciaux,
ils sont aussi élevés pour la consommation dans les
cérémonies familiales moins importantes (baptêmes),
dans les fêtes religieuses
et lors de la réception de certains hôtes.
Le mouton revêt une valeur très impor-
tante comme objet de don.
La peau de mouton sert de tapis.
-
Les chèvres
: elles son~ élevées pour leur lait, pour leur chair con-
sommée à l'occasion de certaines visites et pour leur valeur d'échange;
la chèvre
comme le mouton occupe une place très importante dans la vente ou le troc des pro-
r:
duits d'élevage. La peau de chèvre fournit le cuir utilisé par excellence dans
la fabrication de tous les instruments de musique traditionnelle ; sa graisse est
1
censée avoir des propriétés thérapeutiques.
t
î
L'unité du bétail finalement se base sur une diversité qui,
tradition-
nellement,
constitue une garantie face à l'éventualité de calamités naturelles.
1
En effet, au cours des arlnées de sécheresse 1971-1973,
les troupeaux de bovins
avaient subi des pertes beaucoup plus grandes de ceux des ovins et des caprins.
!
Selon Christian Santoir,dans la vallée du fleuve Sénégal,
les pertes oscillaient
entre 40 et 60 % et environ 30 % des familles Peul avaient perdu la totalité de
leurs bovins(2). Dans le Sahel en général,
les chiffres de la F.A.O.
indiquent
que 40 % des bovins sont r.lorts entre 1970 et 1974 (3).
Les statistiques officiel1t:S
du Sénégal indiquent,
quant à elles, que le cheptel national du Sénégal a perdu
environ 9,30 % des bovins contre 5,58 % de perte au niveau des ovins et des caprins
pendant la période de 1971 à 1973(4) .
........ "
..
(1)
-
B.S.B. Seifert:
"production animale et état de santé des animaux dans la
zone sahélienne" in MAB
:
le Sahel: base écologique de l'amènage-
~t, UNESCO 1974, p. 65.
(2) -
Christian Santoir : Raison pastorale et développement.,O.R.S.T.O.M. '"J ParisJ
1983,p. 124.
(3)
- Çf.
le Monde Diplomatique -
Mai 1984, p. 31.
(4)
- Ministère de l'Economie et des Finances: Situation économique dtl Sénégal,
1959-1979 - Dakar, p. 177.
./.

-lt4-
Si les bovins ont,
de toute évidence,
fortement souffert de la sèche-
resse
; les moutons et les chèvres ont par contre présenté une résistance beaucoup
plus grande,
ce sont eux qui,
dans une très large mesure vont permettre la recons-
titution des troupeaux domestiques:
c'est en effet par la vente ou l'échange de
moutons et de chèvres que plusieurs familles ont pu s'acquérir des vaches néces-
saires à la reconstitution de leur troupeau.
Cette reconstitution s'est effectuée de manière relativement rapide.
Sur le plan national, en 1977 soit quatre ans après la fin de la sècheresse de
1973, le cheptel de bovins atteignait pratiquement son niveau de 1969, c'est-à-
dire celui d'avant le début de la sècheresse (1969
: 2.5SC.COO bovins,
1977 :
2.510.000 bovins). En 1980,
nous avons pu estimé qu'environ 80 % du bétail d'avant
1973 étaient reconstitués dans cinq campements Peul des zones de Ngnit et Témèye-
Salane
que nous avons visités.
Les Peul ont donc pu sortir de cette crise tout comme ils ont pu sur-
monter les grandes hécatombes Je bétail enregistrées dans le passé : la peste
bovine de 1913 avait tué environ 80 % des bovins adultes du Nord du Sénégal (1)
les sècheresses de 1913, 1917, 1932 et 1942 avaient,
elles aussi, provoqué cha-
cune,
de vastes ravages dans lebétai1,
p~r~i les bovins en particulier. Mais, à
chaque fois,
les Peul ont pu, au bout de quelques années, reconstituer leur chep-
tel et assurer la pérénité du système.
En fait,
tout au cours de leur histoire millénaire,
les Peul ont déve-
loppé des techniques opérationnelles pour faire face aux contraintes écologiques.
Ces techniques sont, par ailleurs,
inscrites dans les mécanismes internes du systè-
me et se trouvent intégrées dans les techniques de production.
LES TECHNIQUES DE PRODUCTION
-
La transhumance
La vie et le développement du troupeau est en étroite relation avec
des rythmes de transhumance qui ont pour objet essentiel la recherche de points
d'eau et de pâturage .
........ .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. . .. .. ... .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. ... . .. .. .. .. .. .. .. .... ... .. .. ... ..... .. ..
(1) - Cf.
Christian Santoir : Op. cit.,p. 39.
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F.2.3
Cycle

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_5A.L~.Q~.
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Pl UIE'; _
#f{-
I~='
r:i~~~~~~ ...~4
..

Pendant la saison des pluies,
plusicIlrs ménages se regroupent dans
des concessions étendues ou dans des villages situés dans des zones de dépres-
sions parsemées de mares d'hivernage qui constituent les uniques sources d'appro-
visionnement en eau pour le bétail et les hommes.
En ce moment les zones de pgtu-
rage se situent dans les périphéries immédiates des lieux d'habitation.
Ainsi,
chaque campement ou chaque village d'hivernage fait partre son bétail dans l'es-
pace qui l'environne immédiatement.
Mais,
dès que les points d'eau commencent à
se tarir avec la fin de la saison des pluies,
la communauté d'hivernage
(village
ou concession étendue)
se disloque
et les différentes familles se dirigent sépa-
rément vers leurs zones traditionnelles de pâturage
de saison sèche. Pendant la
saison des pluies,
le campement de Belli Bamdi regroupe huit familles
; à la fin
de cette saison, une famille 'la s'établir à l'Est dans la lccalité de Horé Sendé
deux autres familles vont s'établir au Nord-Est dans la Zone de Naéré
; deux se
dirigent vers le Nord à Tara;
une autre famille s'établit au Nord-Ouest dans la
localité de Ndiorna,
enfin, une autre se dirige vers l'Ouest à Diégane,
tandis
que la dernière famille reste sur place à Belli Bamdi.
La distance moyenne entre
le point de départ et ces différentes localités de transhumance est de 35 km.
Les céanes ne constituent pas une propriété privée de ceux qui les
ont creusés;
n'importe qui puise dans un
céane creusé par d'autres.
Les diffé-
rents campements qui fréquentent les mêmes céanes sont généralement liés par des
relations de parenté,
d'alliance ou de voisinage,
mais l'étranger qui se présente
a lui aussi droit à l'eau qu'il aura lui-même puisée.Cependant, la famille qui
a creusé les céanes a une priorité sur l'exploitation de ceux-ci. Grosmaire avait
observé le même rapport à l'eau dans l'ensemble du Sahel sénégalais;
"ces éleveurs,
installés auprès des céanes qu'ils ont créé~ont une priorité indiscutée sur l'usa-
ge des eaux,
ainsi
mises à leur disposition.
Cet usage n'est cependant pas un
privilège exclusif;
si un étranger se présente,
il a le droit à l'eau pour lui
et les bêtes qu'il conduit,,(I). En fait et de manière plus large,
on retrouve dans
le système de valeu~et de représentations ,le principe de la gratuité de l'eau.
L'eau est inaliénable,
les hommes n'en n'ont qu'un droit de jouissance. C'est ce
qui fait écrire à Grosmaire
; "les coutumes locales Wolof ou Peul considèrent l'eau
comme un bien de Dieu,
à la disposition de tous ceux qui ont soif. On ne peut con-
cevoir de refuser l'eau et en principe on ne la paye péls,,(2). Ainsi, malgré la
rareté des points d'eau dans l'espace sahélien,
l'eau ne peut être détournée ou ac-
caparée par un individu ou une fraction de la population.
(1) - Grosmaire : op. cit.,p. 47.
(2) - Op. ci~.,P. 47.
·/ .

-167-.
Actuellement,
les céanes sont gravement menacés de disparition en rai-
son du déficit pluviométrique qui affecte le niveau des eaux souterraines.
Mais,
outre la s~cheresse, ces eaux, si l'on en croit une étude du bureau américain
Grannet-Fleming
Inc.
, seraient aussi menacées par la construction de barrages
sur le fleuve Sénégal. Selon cette étude,
les amènagements agricoles et la régula-
~,
tion des débits risquent d'entrainer une diminution des plaines d'innondation du
i
fleuve
Sénégal et de réduire le réapprovisionnement des nappes aquifères de toute
f:
la région environnante,
la zone du Lac de Guiers, y compris.
Par ailleurs,
d'après
f
la même source, les amènagements agricoles,
urbains et industriels prévus avec
~.
les barrages constituent "comme partout ailleurs dans le monde, un danger pour la
l · t ' d t ·
,,(1)
qua l e
es eaux sou erralnes
.
!1:Ïi'~"'!
Certes, avec la construction du barrage de Diama,
le Lac de Guiers
l'
devrait connaitre un remplissage d'eau plus stable;
le problème de la disponi-
f1
bilité en eau pourrait alors paraitre résolu
, mais la question de la qualité de
~
ces eaux risque de se poser avec beaucoup plus d'accuité.
f
1
D'ores et déjà,
bien des éleveurs préfèrent
actuellement conduire leurs l
troupeaux vers des céanes souvent plus éloignés que le lac dont ils estiment que
les eaux sont de mauvaise qualité pour le bétail. Les éleveurs pensent que les
céanes réunissent plus de conditions hygiéniques que le lac. Pour s'abreuver,
les bêtes entrent dans les eaux du lac tout comme le font les hommes pour diffé-
rentes autres raisons
; par contre dans les céanes,
ce sont des abreuvoirs taillés
l'.'...•
dans des troncs évidés qui reçoivent l'eau destinée à la consommation du bétail,
,
en outre,
des endroits et des moments différents y sont réservés pour les autres
1
usages de l'eau (toilettes,
linges,
... l. Dans les céanes,
il y a au niveau de
l'organisation de l'espace,
une distanciation entre la source d'eau et les lieux
d'utilisation de celle-ci.
En dehors de la question de l'eau,
celle des pâturages constitue le
facteur fondamental des mouvements de transhumance. Pendant la saison des pluies
les troupeaux n'effectuent que des mouvements limités dans lespace ; les zones
de p8turage avoisinent immédiatement les villages et les campements .
............... ...... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - Cf. Afrique-Agriculture: na 74, Octobre 1981)p. 40.
./ .

Au début de la saison sèche, pendant la période de froid correspondant
à ce que le
Peul appelle dabbirDé (décembre-février),
les pâturages se situent
aux abords immédiats du lac o~ il y a en ce moment une grande convergence de trou-
peaux venant d'horizons divers.
L'exploitation de ces pâturages s'appuie sur le
1
principe du libre accès aux ressources naturelles indispensables au bétail. Perrot- 1:
tet, en 1830, avait été frappé par ce rapport aux pâturages qu'il avait observé
-
dans la zone du Lac de Guiers:
"il n'existe -écrit-il- dans ces régions africaines, 1
aucun droit de propriété proprement dit.
Chaque commune, chaque particulier même,
a le droit de conduire son troupeau dans ces savanes d'une verdure perpétuellell(l).
1
L'importance de la recherche de l'eau dans les mouvements de transhu-
mance peut expliquer le fait que les Peul aient élaboré des connaissances systé-
1
matiques pour découvrir les points d'eau de surface et les emplacements de nappes
~'
f
phréatiques. Ainsi,
les traces de phacochères,
de tortues ou de lézards amphibies,
1
le cri ou le vol de certains oiseaux, ainsi que ~a présence de certaines plantes
ou de termitières sont autant d'éléments que les éleveurs analysent et interprè-
tent pour orienter leurs recherches d'eau.
En outre,
comme le montre A. Sidi BA,
les Peul savent apprécier la qualité d'une eau par l'observation des plantes en-
t
(2)
o
Vlronnan es
.
Pendant la saison sèche,
les Peul creusent souvent des céanes
de
petits puits de profondeurs variables (entre 0,50 m et 3 m) sItués dans des dé-
pressions inter-dunaires
; la technique du
céalE consiste à creuser le puits au
fur et à mesure que la nappe phréatique descend avec l'aridité du climat(3). Dans
la Zone du Lac de Guiers,les emplacements des céanes constituent des points èe
convergences quotidiennes de plusieurs troupeaux venant de campements situés dans
un rayon pouvant aller jusqu'à une dizaine de km. En Mars 1983, les céanes de
(2) - A. Sidi BA : L'art vétérinaire des pasteurs sahéliens ,ENDA, Dakar 1982)
pp.
30-31.
(3)
- A.
Anselin pense que ces techniques employées par les Peul sont un héritage
du Haut-Nil et de l'Ethiopie - A.
Anselin : Op.
cit./P. 26.
. 1.

·_·169-
Tancara (au Nord de Ngnit) recevait, chaque matin, huit troupeaux comprenant au
total près de 700 bovins, 350 moutons, 400 chêvres et 3 ou 4 chameaux. Les céanes
de Tara dans la même période étaient fréquentés journalièrement par dix troupeaux
regroupant en moyenne 800 bovins, 400 moutons,
500 chèvres. Une cinquantaine de
personnes se rendaient tous les jours dans ces deux céanes. En 1904 Vallier notait
que les céanes du Ferlo étaient régulièrement fréquentés par des troupeaux de 300
,
400 b
.
(1)
a
OVlns.
Les céanes sont des lieux de rencontre d'hommes,
de femmes et de trou-
peaux appartenant à des campements distants les uns des autres et à des fractions
lignagères souvent différentes. C'est là que les garçons issus de fractions diffé-
rentes partagent les mêmes jeux et commencent à se former en classes d'âge commu-
nes.
Pendant les périodes les plus chaudes de l'année (CecDu.!
jusqu'au
début de l'hivernage, une partie des troupeaux quitte cette zone pour amorcer une
descente vers les régions du Sud plus riches en pâturages (Djolof.
Cayor, Sine).
Ainsi,
la transhumance Peul connait 3 principales étapes qui correspondent à 3
types de pâturages localisés dans des zones géographiques différentes : les pâ-
turages du dabbunde
les pâturages du recD1i et les pâturages du Nâ1Jn(J7./.
(hi vernage) .
Généralement les ménages effectuent au cours de plusieurs années de suite les mêmes
parcours et s'établissent successivement dans les mêmes localités. Mais suivant
les aléas climatiques,
les parcours et les localités de pâturages de saison sèche
peuvent changer, alors que les emplacements de villages d'hivernage sont occupés
de manière relativement plus durable. Cependant, ces localités d'hivernage,
elles-
mêmes,
changent en fonction des facteurs écologiques ou socio-politiques (tensions
entre communautés). Mais
quoiqu'il en soit, en principe,
les éleveurs quand ils
occupent un nouvel espace,
tiennent compte de leur prédécesseurs dans cette zone.
Il y a une sorte de reconnaissance tacite du droit du premier occupant à la priorité
dans l'expIai tation des pâturages si ceux-ci s'avèrent insuffis:mts pour tOl)S les
postulants.
(ll - Vallier: "mission dans le Ferlo" (1905) cité par C. Santoir : op . .:it.
1
., .

-170-
Les mouvements de transhumance n'affectent pas toujours l'ensemble
des troupeaux des villages d'hivernage:
pour. certains
qui sont à proximité de
sources d'eau permanente~.une partie des troupeaux reste dans la localité, tandis
que l'autre effectue des mouvements de transhumance. De même,
quand la concession
du village d'hivernage se désagrège,
le bétail est fragmenté en unités plus res-
treintes qui s'éparpillent dans différentes directions.
Cette mobilité dans la vie du troupeau est pour le pasteur un garant
de sa survie et de sa reproduction.
On peut d'ailleurs estimer que les mouvements
de transhumance ont été pratiquement les seuls moyens qui ont permis de préserver
le cheptel de l'extermination par la s€cheresse.
Les éleveurs sont conscients des
risques qu'ils prennent en faisant effectuer au bétail des parcours nouveaux;
les troupeaux en effet peu\\'ent ne pas s'adapter. aux nouvelles conditions écologiques
(humidité trop grande, présence de mouche Tsé-Tsé) et subir
, de ce fait,
de
graves préjudices. C'est pourquoi,
les éleveurs prennent habituellement la précau-
tion de tester l'adaptabilité du troupeau à ces nouveaux contextes en faisant faire
les nouveaux parcours par un échantillon restreint d'animaux; ce n'est qu'au cours
des années suivantes que le nombre de bêtes engagées dans ces zones s'élargit pro-
gressivement.
A la transhumance saisonrlière s'ajoute une série de mouvements jour-
naliers du bétail. Pendant la saison sèche les Peul font alterner l'exploitation
des pâturages du tTéérî: à celle
du ~/aa.lo. les premiers, selon eux contiennent
l'herbe sèche qui est l'aliment le plus sain, mais aussi le moins consistant pour
le bétail
; les seconds seraient plus riches,
mais en même temps plus susceptibles
de provoquer des maladies.
Dans les campements de saison sèche situés dans la zone
de Témèye Salane,les bovins quittent chaque jour leurs enclos très tôt le matin
pour se diriger vers les pâturages du Ji~ri, vers onze (11) heures ils vont dans
le WaaLo pour paître et boire jusqu'aux environs de 15 heures, à ce moment ils re-
tournent dans le Jééri
où ils restent jusqu'aux environs de 19 heures avant de
regagner leurs enclos
; pendant la nuit il leur arrive aussi de retourner dans
le Jééri pour quelques heures de pâturage. La distance moyenne parcourue à chaque
trajet varie entre 6 et 7 km,
mais quelquefois atteint plus de 10 km.
·/.

-171_
t
~fit
. .
.
ce~endant, d~ nos jours, les mou~ements du béta~l rencontrent d'énormes i
difficultes sUIte aux amenagements hydra-agrIcoles et aux changements dans le sys-
rl
tème agraire.
Partout dans la zone du Lac de Guiers,
les entreprises agro-industriel~
(C.S.S., S.A.E.D., S.E.N.D.A.),
là o~ elles se sont installées, ont occupé non
.l,
seulement les terres agricoles
(ce qui pousse les agriculteurs à empiéter sur 1'es- 1
1
pace pastoral
l, mais aussi et surtout les zones de pâturage. L'historique des
1
t
différents exodes de certaines familles Peul dans la zone de Témèye Salane est,
1
à ce titre,
très significative des pressions exercées sur le système pastoral tra-
ditionnel
: ces familles habitaient,
il y
a une vingtaine d'années,
dans la zone
de Richard-Toll d'o~ elles furent expulsées par les amènagements agricoles. C'est
à ce moment qu'elles s'établirent dans la localité de Ross-Béthio, mais là aussi
la S.A.E.D. ne tarda pas à leur arracher leur terroir;
quanà finalement elles
se fixèrent aux alentours de Témèye Salane,
leur zone de pâturage du JééY'i,
ainsi
que les emplacements de leur village d'hivernage furent occupés par la S.E.N.D.A.
1
les troupeaux de ces familles furent alors coincés entre la rive du lac et l'en-
ceinte des exploitations de la S.E.N.D.A.,
ils devraient,
de ce fait,
effectuer
de grands détours
(avec le risque d'empiéter sur les champs des Wolof) pour re-
joindre quotidiennement les pâturages du JééY'i.
Dans le même ordre d'idée$~l'extension des zones de cultures suite
au développement de l'agriculture commerciale a tendance à restreindre l'espace
dans lequel se déploie le système pastoral
traditionnel.
Aujourd'hui,
les Peul
répètent bien souvent : "de r!lbak en mbak on nous a pris tout le tak
(zone de dé-
crue)". On est alors très loin du paysage décrit par Perrottet !
Mais, si l'espace dans lequel
fonctionne le système pastoral subit
des changements continus, les techniques traditionnelles elles, continuent avec
une certaine permanence à être employées par le système.
L'entretien et l'exploitation du bétail font ressortir les relations
profondes qui lient l'éleveur à son troupeau.
Ces relations atteignent un niveau
de complexité o~ se mèlent des facteurs économiques,
techniques, sentimentaux et
socio-culturels. Le contrôle que le Peul exerce sur son bétail est fortement char-
gé de l'ensemble de ces facteurs.
./.

1
-172-
f
1
Ainsi,
chacune des bêtes du troupeau a son nom et ses particularités
qui entrent dans la relation singulière que l'éleveur entretient avec elle. Le
troupeau est à la fois une entité collective, un rassemblement, et aussi une mul-
titude d'individualités auxquelles l'éleveur confère à chaque fois des relations
spécifiées. Doutressoulle effectue à ce sujet une description fort expressive
:
"L'amour du Peul pour ses boeufs est tel qu'il connait ses animaux un par un et
par leur nom (tiré
généralement de la robe,
du lieu de naissance ou d'un évène-
ment survenu à l'époque,d'une particularité physique)
qu'il sait très exactement
leur filiation,
les services rendus par telle femelle féconde,
les caprices d'un
tel taureau fougueux et il faut entendre quelle voix caressante,
il rappelle à
l'ordre un bouvillon qui cherche à
faire l'école buissonnière, avec quelle ten-
dresse il attache du piquet le veau récalcitrant qui veut, malgré son jeune âge,
suivre sa mère au pâturage,,(l). Dans le même sens,
l'éleveur reconnaît chacun de
ses bovins par son beuglement, sa démarche ... et même par les traces de ses pas
sur le sol.
L'éleveur qui cotoie chaque jour son troupeau,
intervient constamment
dans la vie de celui-ci,
que ce soit pour le conduire vers les points d'eau ou
des pâturages, pour soigner ses éléments malades, ou pour effectuer toutes les
opérations nécessaires à sa reproduction (les Peul effectuent des sélections au
moyen de croisemen~, établissent des corré1êLtions entre la fécondité des vaches
et leur alimentation,
font des opérations de castration et même des césariennes ... )
La production laitière étant l'une des principales fonctions du trou-
peau de bovins,
l'ensemble des membres,
des concessions ou des familles,
exceptés
seulement les enfants de moins de sept ans, connaissent les techniques de traite
du lait. A. Sidi BA résume celles-ci de la manière suivante:
"chez la vache,
le
trayeur attachera le veau après un bref moment de têtée à l'intérieur droit de
sa mère dont les postérieurs sont noués avec une corde au-dessus des jarrets.
Il
s'accroupit du même côté,
tient l'écuelle en bois entre ses jambes et trait,
selon
les techniques de la pincée,
du pouce ou de la poignée, selon la taille des tra-
yons,,(2). Les outils de production sont simples en ce qui concerne le l a i t :
une
corde pour attacher le veau et une calebasse généralement en bois pour recueillir
le lait,
d'autres pour stocker. Ces calebasses sont fabriquées par les boisseliers
laobé ; elles ont une durée de vie très longue (de dix ans à plus)
et appartiennent
aux femmes qui les reçoivent de leurs familles maternelles au moment du mariage
;
chaque femme mariée possède ses propres récipients.
(1) - Detroussoulle : L'élevage en Afrique occidental françai3e, Larose, Paris,
1947.
(2) - A. Sidi BA : Op.
cit. p. 45.
./.

-173-
Les autres outils utilisés pour la conduite et l'entretien du troupeau
sont aussi simples
couteau, coupe-coupe,
sabre, corde et bSton.
Les outils
tranchants servent à couper le bois pour les enclos,
à faire les opérations chirur-
gicales . . . Le bSton sert dans la conduite du troupeau,
permet à l'éleveur de se
reposer en s'y appuyant contre,
et de se défendre contre les
prédateurs ... La
corde intervient dans les opérations chirurgicales (castration), dans le sevrage
des veaux (cf.
A. Sidi BA)
et aussi pour attacher les animaux.
Les outils en fpr sont traditionnellement fournis par les forgerons
tandis que le b§ton et la corde sont fabriqués par les Peul eux-mêmes. Le bSton
et la corde sont les outils considérés comme les plus importants
; ils sont irrem-
plaçables et leur signiflcation symbolique fait qu'ils sont toujours présents dans
les rites d'initiation des éleveurs dont ils constituent les éléments représenta-
tifs(l). D'ailleurs, selon J.P. Roset,
on retrouve cette sacralisation du b§ton
et de la corde dans les peintures rupest-res du Sahara qui auraient été l'oeuvre de
populations vraisemblablement Peul
; J.P.
Roset écrit à ce propos;
"Nous avons
vu l'importance accordée dans les fresques aux installations matérielles des campe-
ments et aux accessoires du pastorat. Parmi ceux-ci la représentation fréquente
des cordes qui servent à attacher les veaux répond certainement à une intention
particulière. La corde à veaux (danguZ)
intervient lors de l'initiation des bergers
et à ce titre,
est consacr0e
; elle symbolise la ligne du troupeau donc le temps
et ne doit servir qu'à attacher les bovidés,
les chèvres.
et les moutons, à l'ex-
clusion de tout autre animal.
Il r'apparait guère douteux que l'insistance mise
à la représenter par les Néolithiques signifie qu'elle était égalenent sacrée pour
eux.
Il en est de même du b§ton du berger, souvent figubé aussi dans les fresques,
à Théren par exemple,
et reçu êgalement par les novices Peul lors des épreuves
que comporte leur initiation. C'est d'ailleurs pour eux le premier accessoire du
(2)
pastorat : on peut prêter serment sur son b§ton,
comme sur le lait ou le beurre
'.
Cependant, si les outils de producton paraissent simples,
leur manie-
ment fait appel à une habileté que l'on ne peut acquérir qu'au bout d'une pratique
longue et continue.
Au demeurant,
l'entretien et l'exploitation fait appel à des
connaissances de tous ordres et à un savoir faire dont la maitrise selon A. H.
Ba s'effectuait traditionnellement au cours d'un cycle d'appl'entissage de 21 ans(3)
..... " " " " " .. "
" .. " " " "
" .. " .. " " " "
"
"
" .. "
" .. " "
"
..
(1) -
Cf. A. H. Ba, G. Dieterlen : Koumen,
te.xte initiatique des pasteurs peul,
Mouton et Cie, Paris,
La Haye, 1961.
(2) -
J.P. Roset:
"Les peintures rupestres du Sahara" in : La recherche nO 151
Janvier 1984, pp. 23-33.
(3) -
A. H. Ba et G. Dieterlen
./'

-174-
Ainsi,
l'utilisation de techniques de production elles-mêmes, suppose
qu'une partie au moins de la vie de l'éleveur soit étroitement au service du bétail.
L'étroitesse des liens entre les Peul et leur bétail fera que sur le plan juridique,
un système particulier organisera la propriété et la jouissance collective du bétail
par l'ensemble des membres du système.
LES RAPPORTS DE PRODUCTION
Dans la société Peul,
les rapports que
se tissent les individus pour
assurer la productio~ et sa répartition,
intègrent tous les membres du groupe dans
des catégories d'âges et de sexes qui s'articulent dans des réseaux de relation
complexes.
La division du travail
Des critères d'âge et de sexe interviennent de manière déterminante
dans la répartition des tâches et dans l'organisation du travail.
Les enfants (garçons et filles),
dès l'âge de six ans,
commencent à
s'intégrer dans l'organisation du travail
ils doivent notamment s'occuper du
gardiennage des veaux
; ce sont ces enfants qui sont chargés de conduire les petits
animaux au point d'eau.
Au moment de la traite du lait,
ils aident à attacher les
veaux au côté de leurs mères.
En dehors de ces travaux,
les petites filles commen-
cent à aider leurs mères dans lestâches domestiques.
Les garçons plus âgés (entre
8 et 10 ans) sont chargés de conduire les moutons et les chèvres vers les points
d'eau, et le soir de les rentrer dans les enclos.
Les adolescents
(après la circoncision)
et les jeunes hommes assument
l'essentiel des tâches de gardiennage des bovins;
ils sont chargés de les conduire
vers les pâturages,
de les rentrer dansles enclos,
de les diriger vers les points
d'eau où ce sont eux qui effectuent les opérations de puisage. Le creusement des
céanes est généralement effectué par les jeunes hommes des concessions, cette caté-
gorie d'âge prend aussi une part active dans les cultures hivernales.
·/ .

-17':;-
Les hommes adultes sont responsables des troupeaux dont ils supervisent
l'ensemble des activités. En même temps que cette supervision,
ils prennent part
à l'ensemble des tâches pastorales (conduite du bétail, puisage,
traite du lait ... ),
Ce sont les hommes adultes qui, généralement, prennent les décisions concernant
les mouvements de transhumance saisonnière.
Les soins aux maladies du bétail sont
de leur ressort.
Ils sont aussi responsables de toutes les opérations de vente
ou d'échange des bêtes contre des produits nécessaires à la communauté domestique.
Ce sont les hommes adultes qui sont le plus en contact avec l'extérieur de l'unité
de base ; pour ce faire,
ils disposent de plus de temps par rapport aux jeunes
hommes non mariés ,(ou nouvellement mariés)
qui sont quasi-exclusivement mobilisés
par les opérations de gardiennage et de conduite des troupeaux.
L'âge et le statut interviennent aussi dans la répartition des tâches
effectuées par les femmes.
D'une manière générale,
toutes les tâches relatives à
la production, à la conservation et à la transformation du lait sont du ressort
des femmes mariées. Certes, pratiquement tous les membres de la concession peu-
vent traire les vaches, mais ce sont les femmes qui,
en raison de la position de
contrale qu'elles occupent vis-à-vis du lait, effectuent cette tâche de la manière
la plus constante.
La commercialisation du lait et la préparation des repas consti--
tuent les tâches les plus importantes effectuées par les femmes adultes. La recherch
du bois de chauffe,
la corvée d'eau,
les tâches de ménage et d'entretien de la mai-
son figurent aussi dans l'emploi du temps des femmes mariées, mais à ce niveau,
elles reçoivent une aide souvent très appréciable des fillettes et des jeunes fil-
les non mariées
(ou récemment mariées).
Les femmes les plus âgées
(la mère de
l'époux par exemple) sont le plus souvent libérées des tâches de production domes-
tiques;
elles s'occupent simplement de l'éducation des enfants et interviennent
dans la résolution des conflits internes à la concession.
Les vieillards participent très peu au travail quotidien de l'unité
de production; cependant, ce sont eux qui sont dépositaires de l'ordre spirituel
et des connaissances secrètes concernant les plantes,
les animaux,
la nature ... ,
à ce titre,ils interviennent en cas de nécessité dans les soins aux animaux malades
et dans le choix des parcours de transhumance.Ce sont eux qui,
traditionnellement,
assurent l'initiation et la formation spirituelle des pasteurs; actuellement,
ce sont encore eux qui sont responsables de l'instruction coranique des enfants .
./ .

-176-
Sur un autre plan,les unités de production étant en déplacement con-
tinu,l'installation des campements figure
parmi les tâches effectuées au cours
de l'année.
L'établissement du campement est lui-même l'objet d'une division du
travail.
Ce sont les vieillards qui choisissent le site et effectuent les opéra-
tions spirituelles d'alliance avec les esprits de ces lieux;
les enfants et les
jeunes hommes dressent les enclos des bêtes;
les hommes adultes coupent et trans-
portent le bois nécessaire à la construction des cases dont ils sont chargés de
fixer les poutres;
les femmes mariées s'occupent de la recherche et du transport
de la paille qu'elles sont chargées de fixer sur les toits et les parois des habi-
tations
; enfin,
les filles et les fillettes s'occupent du balayage et du nettoie-
ment.
La décoration intérieure des habitations est aussi du ressort des femmes
mariées.Finalement,
la confection de l'habitat n'est pas du ressort exclusif des
femmes,
contrairement à ce que pensent Attilio Gaudio et Renée Pelletier,
qui à la .
place de cette division du travail;
substituent l'idée d'un travail exclusif
de la femme dans le cadre de leur démonstration
cherchant à montrer l'asservis-
sement des femmes Peul (1).
Ce qui ressort)en dernière analyse~de l'étude de l'organisation du
travail dans le système traditionnel c'est à la fois la mobilisation de toutes
les forces disponibles et la répartition des tâches en fonction de critères d'âge
et de sexe qui,
par ailleurs,
interviennent dans la répartition de la production.
Cette répartition prendra,
de son côté,
des formes individuelles et
collectives tout en excluant toute aliénation d'un quelconque membre de la commu-
nauté.
Répartition de la production
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Les Peul ne tuent jamais une bête
(ovin,
caprin,
bovin ou volaille)
simplement pour la nourriture
mais en revanche,ils trouvent au cours de l'année
plusieurs occasions sociales ou religieuses (honneur à un hôte,
fêtes religieuses,
mariages,
décès,
baptêmes ...
) pour immoler les animaux et consommer leur viande.
(1) -
Attilio Gaudio/Renée Pelletier: Femme d'Islam ou le sexe interdit,
Ed. Denoël -
Gonthier, Paris)1980.
·/ .

-177-
Dans ce cas,
leur attitude ressemble très fort à celle que
décrit E.
Evans Prite-
chard à propos des Nuer. Quand un mouton,
une chèvre ou un boeuf est tué,
sa viande
est généralement répartie entre tous les ménages de la concession ou du village.
Lorsqu'un boeuf est tué à l'occasion de mariage, de funérailles ou de visite d'un
hôte,
sa viande est consommée non seulement par tout le village, mais aussi par
tous les parents présents, et par tous les membres des villages et campements en-
vironnants qui viennent assister à la cérémonie.
Traditionnellement, les garçons, pendant la période de leur circon-
cision, peuvent tuer et consommer des moutons et des chèvres
qu'ils prennent de
préférence dans les troupeaux de leurs oncles maternels
; à la fin du rite de
circoncision,
le Jeune homme qui,
désormais, entre dans le monde des adultes,
effectue le vol rituel d'un bovin dans le troupeau de son oncle maternel. Ce vol
(Daynaadé) n'est pas sanctionné par la société et n'entraine aucune représaille
de la part de l'oncle même s ' i l s'effectue à l'insu de celui-ci.
La viande n'est jamais vendue aux membres des campements ou des conces-
sions
; sa circulation prend la forme de don ou de consommation collective.
Il
en est de même pour le lait.
Le lait transformé en sous-produitsest l'objet à la
fois d'une consommation collective et d'une appropriation individuelle diversifiée
en fonction de normes socio-culturelles.
Le lait frais
(biY'odarn) est trait le matin et le soir et fait partie
des repas
(petit déjeuner et diner)
où il est associé à des aliments à base de
mil
(couscous, bouillie ... ).
Le lait caille (fédandé)
est,
lui aussi,
l'objet d'une
consommation collective généralement au cours du petit déjeuner,
dilué avec de
l'eau,
il constitue le
rafraichissant spontanément offert aux visiteurs en vertu
des règles d'hospitalité et de savoir-vivre, mais la part la plus importante du
lait caillé est surtout destinée à la vente ou à l'échange. Le beurre (kactugaL)
et la crême (ùJuLseY'e) sont essentiellement réservés aux enfants et aux femmes en-
ceintes;
le kacodi
(l'eau qui reste une fois que le beurre et la crême sont déga-
gés)
est utilisé comme boisson et entre dans certains soins aux animaux;
l'huile
de beurre (nebam)
q~i résulte d'une transformation du beurre entre dans la prépara-
tion des repas,
mais sa part la plus importante est destinée
"lU
troc ou à la vente.
L'huile de beurre,
après transformation,
donne une autre huile plus raffinée
(cubaco.
qui est très appréciée dans la cuisson des repas et également recherchée dans le
marché;
au cours des transformations du beurre en huile,
les résidus
(nebam kecamJ
sont récupérés par les femmes et servent à l'entretien des cheveux et à leur em-
bellissement.
·/ .

-178-
La production et les sous-produits du lait sont entièrement contrôlés
par les femmes,
ce sont elles aussi qui récupèrent les revenus de la vente et des
échanges,
revenus devant principalement servir à acquérir les denrées alimentaires
consommées par le groupe. Pendant toute l'année,
les femmes des campements ou des
villages vont par groupe et à tour de rôle dans les localités Wolof voisines pour
(qui peuvent atteindre plus de la km)
à pied,
sauf pendant les jours de marché
hebdomadaire où elles font le trajet,
le plus souvent,
à dos d'âne ou de charrette.
Ce rôle économique des femmes est vital pour la communauté toute en-
tière qui, pendant la majeure partie de l'année dépend pour sa nourriture des pro-
duits échangés par les femmes.
Quand les revenus du lait diminuent au point de
ne plus parvenir à assurer la subsistance du groupe,
le chef de famille vend ou
1
échange contre des denrées alimentaires un certain nombre de boeufs. Mais, même
1
1
dans ce cas,
les femmes continuent à effectuer des échanges pour accroître la quan-
tité des denrées de base et acquérir les autres aliments nécessaires à l'alimen-
tation. En 1981-1982, chaque concession de Belli Bamdi avait vendu,
en moyenne,
deux boeufs dont une partie des revenus avait couvert 3 mois de nourriture par
"
(1)
L
d"
ct
'
l
"
t
t
l
conceSS1on
.
es pro U1tS .es reco tes
aUSS1 ne couvren
pas
ous
es
besoins alimentaires;
au cours je l'année en question,
les récoltes effectuées
dans ce village n'ont pu assurer que 2 mois de nourriture par concession. Par
ailleurs,
les revenus de la vente des boeufs ne sont pas entièrement réutilisés
pour la satisfaction de besoins alimentaires:
ils servent d'un autre côté à cou-"
vrir les frais de mariages et autres cérémonies familiales, à payer les impôts,
à acheter du thé,
du sucre,
des vêtements et des produits manufacturés ... Ce sont
les hommes,
en l'occurrence les chefs de famille qui contrôlent la vente ou l'é-
change des boeufs et décident de la réutilisation des revenus de cette vente.
Ainsi,
en fin de compte,
il semble que le système traditionnel admet
une distinction fondamentale dans les rapports sociaux de production:
les hommes
contrôlent la circulation économique des boeufs,
et les femmes contrôlent celle
du lait.
(1)
-
C. Santoir estime "qu'en 1978 la vente d'un taureau dans le nord du Sénégal
permettait d'acquérir 500 kg de mil,
soit la nourriture d'une famille d'éle-
veurs pendant 4 mois.
./ .

-179-
Mais, au-delà de cette distinction fondamentale.
les rapports que les
membres de la collectivité entretiennent vis-à-vis de la production sont étroite-
ment en relation avec les rapports de propriété que les différents individus entre-
tiennent vis-à-vis du bétail.
Le t~oupeau même s'il est sous la responsabilité individuelle. du
chef de famille,
représente sur le plan économique à la fois un capital collectif,
1
un moyen de production et un patrimoine de la communauté de base qui y investit
t
sa force de travail et en tire ses moyens d'existence.
\\ 1
1
r
Rapports de propriété
1
Que ce soit pendant l'hivernage où la concession regroupe plusieurs
fl
ménages ou pendant la saison sèche où elle se résume à un ou deux ménages,
le bé-
tail même s ' i l est collectivement gardé,
est toujours sur le plan juridique, répart
en plusieurs parties sur lesquelles s'exercent les droits multiformes des diffé-
rents membres de l'unité résidentielle.
Le bétail est,
en fait,
une propriété commune,
aucun membre du groupe
ne peut être exclu de sa jouissance. Mais cette propriété n'est pas uniforme, elle
s'appuie à la fois sur la collectivisation et la parcellisation.
Le troupeau, en tant qu'unité domestique est sous la responsabilité
du chef de famille.
Ce dernier en est le principal gestionnaire, mais n'en est
pas le propriétaire exclusif
il ne peut disposer du bétail suivant sa libre vo-
lonté, des normes juridiques règlementent son rapport au bétail. Le troupeau géné-
ralement comprend
-
le birnaaji : c'est le lot de bovins qui appartient en propre au
chef de famille qui l'a acquis soit par héritage ou par achat et échange. L'exploi-
tation laitière des vaches de ce lat peut être effectuée par l'ensemble des épouses
du chef de famille.
C'est aussi dans cette catégorie que ce dernier prend les boeuf
destinés à êtr€
vendus ou à être immolés au cours des cérémonies.
A la mort du chef
de famille tous ses enfants peuvent prétendre à l'héritage d'une partie de ce lot.
Dans le troupeau d'une famille moyenne de Belli Bamdi nous avons estimé que cette
catégorie représentait environ 20 % du troupeau
1
., .

-180-
-
le
sadaaki: ce lot représente le don que le chef de famille a re-
mis à sa première épouse
(jewa,) lors de son mariage. Celle-ci dispose de l'exclu-
sivité de l'exploitation laitière de cette catégorie dont seuls ses enfants peu-
vent accéder à l'héritage.
-
le sendeY'eji
ce sont les vaches offertes par le chef de famille
à la seconde épouse
(Zd~beZ) seuls les enfants de celle-ci peuvent en hériter
l'exploitation
laitière de cette catégorie est du ressort de la léembel j
-
les Bukaaji
: on en distingue essentiellement deux sortes: d'abord
les bovins donnés aux épouses par leur famille respective et amenés avec elles
au moment du mariage,
ensuite ce sont les dons de bovins que le chef de famille
offre à ses enfants
; le garçon,
quelques temps après sa naissance commence à re-
cevoir le bétail qui symbolisera son intégration dans le système. D. J. Stenning
écrit à ce propos
: "The process begins when an infant boy is given a name,
seven
days after birth. He now becomes a persan as this is understood for males by
pastoral Fulani, he has cattle,,(l).
La fille,
elle, prend possession de ses dons
au moment du mariage. Les sukaaji
des enfants leur sont directement remis et ne
font pas partie du partage au moment de l'héritage. Les épouses contrôlent la pro-
duction laitière de leurs sukaaji respectifs qui, par ailleurs, font partie des
bovins que les enfants héritent de leur mère. En cas de divorce sur l'initiative
de la femme,
celle-ci ne part qu'avec ses sukaaji; dans le cas o~ r'est le mari
qui décide de répudier, elle emporte à la fois ses sukaaji et tous les bovins of-
ferts par le mari.
Dans la même famille que nous avions étudiée,
nous avons pu estimer
que les bovins des épouses représentaient environ 40 % du bétail et ceux desti-
nés aux enfants pouvaient être évalués à 20 % ; le restant du troupeau étant cons-
titué par des bêtes n'appartenant pas à la famille,
mais dont on a confié la garde
au chef.
(l) -
D. J. Stenning : "Household viabili ty among the pastoral Fulani" in J. Goody
"The developmental cycle in domestics groups", Cambridge papers in social
antropology, nO 1, Cambridge University Press, 1958.,p. 53.
1
• 1


-181-
Le mariage et l'héritage constituent, dans le système traditionnel,
les formes les plus importantes de circulation du bétail. Les bovins sont cepen-
dant, en outre,
utilisés comme moyen de compensation de préjudices subis:
quand
un mari surprend l'amant de sa femme en délit d'adultère,
ce dernier doit lui of-
frir un certain nombre de bovins,
sinon il court le risque d'~tre battu à mort
par le mari bafoué, aidé par ses frères et amis.
Sur un autre point,
la circulation du bétail s'effectue aussi par fis-
sion dans le groupe domestique le plus souvent à la mort du chef de famille,
mais
aussi quand,
à la suite de mariage,
un nouveau ménage gagne son autonomie domes-
tique et économique. t-L
Dupire décri t ce phénomène ainsi
: "une fission dans le
groupe domestique peut se produire à chaque fois qu'un des éléments acquiert sa
stabilité économique,
avec ou sans le concours d'une aide extérieure. Mais, en
raison de la souplesse des rapports d'autorités et de subordination,
la famille
se désagrège rarement totalement avant la mort
du père de famille" (1) .
t
t
En fait,
bien avant la mort du père de famille,
on assiste à un trans-
fert du contrôle et de la gestion du bétail au profit du fils aîné. Ce transfert
coincide avec une délégation de pouvoir qui,
désormais,
est essentiellement dé-
tenue par ce fils aîné.
C.
E.
Hopsen note,
dans ses ~jservations, sur le système
pastoral Peul la corrélation entre l'acquisition d'autorité et le contrôle du
bétail
"this is gU8ranted
by the pastoral tradi tian that a son must herd the
cattle of his father
(or senior brother) and is not obliged to herd other cattle.
But the same son who gave his father independence gradually usurps his father's
th
. t '
1 d
" ( 2 )
au
orl y as ne grows 0
el'
.
(1) - M. Dupire : l'Organisation sociale des Peul, Plon 1970, p. 95.
(2) - C. E. Hopsen : The pastoral Fulbe Farnily in Gwandu -
1.
A.
1. Oxford Univer-
sity Press, 1958)p. 136.
·/ .

-182-
Par ailleurs,
les razz13s,
ont de
Leur c6té,
constitué un moyen ce cir-
culation du bétatl sure.ou'. pçnclé:Jllt la période de d&clin de la sCJciété pr~coloniale
sous les effets conjugués des
incursions maures,
de la traite négrière:
et de
la pénétration européenne.ElÙS étaient l'oeuvre de
fractions guetTières
Maures,ae
chefs
Wclof ou de groupes ri vaux Peul
C'est dans ce contexte d'insécurité que
Mollien a'Jai t
décri t
le".; Peul du r;unl Sr0r,égdl
curnrre des gens constarnmenl "armés
de fusils,
de lances et d'arcs"
et vivant presque toujours dans les forêts(l).
Cependant,
cet
épisode de violence ne doit pas
occulter les
rapportsd'échanges ~conomiques q~i, dans le cadre de relations pacifiques
cons-
tituent des points de jonction
et d'articulation
du système pastoral traditionnel
avec les autres systèmes économiques environnantS.
LES RAPPOHTS D'ECHANGE TRADITIONNEL
La circulation de la production ne se fait pas exclusivement au sein
du système.
Les
Peul entrent à plusieurs niveaux dans les rapports d'échange avec
des éléments extérieurs à
leur
société.
C'est le cas notamment de leurs relations
avec les castes artisanales.
Traditionnellement,
chaque année,
quand les éleveurs s'installent
dans les villages d'hivernage,
ils y sont rejoints par des groupes d'artisans.
Ceux-ci sont considérés comme étant d'appartenance ethnique différente;
ils
établissent leurs campements à pr'oxlmit0 des viilages auxquels ils viennent propo-
sel' leurs services.
Les boisseliers
(Laobés)
fournissent l'ensemble des ustensiles
en bois
calebasses,
pilons,
mortiers,
abreuvoirs ...
Ce sont eux aussi qui jouent
le rôle d'intermédiaire
dans la commerc LaI ié'iation du bétail.
Les forgerons
Wolof
ou
Toucouleur
apportent tous les outils agricoles en fer,
ainsi que les récipients
en poterie fabriqués par leurs femmes.
Généralement,
les artisans,pendant toute la durée de leur séjour,sont
nourris par les Peul et à la fin de ce séjour,
ils reçoivent des dons d'animaux
(ll
-
G.
TH.Mollien
: Voyage dans l'intérieur de l'Afrique aux sources du Sénégal
et de la Gambie,
fait en 1818 par ordre du Gouvernement Français,
Ed. Ber-
trand,
Paris 1822.
./ .

-183-
(chèvres, moutons et même boeufs quelquefois).
Vis-à-vis des boisseliers,
les
P,,;ul ont des relatinns de plaisantei'ie'3
très étroites que l'on retrouve également
dans leurs rapports avec
les forgerons qu'ils considèrent d'ailleurs comme étant
leurs cousins par plaisanterie.
Ces échanges économiques,
effectués
dans le contexte de relations
culturelles plus vastes se déroulent de manière suivie au niveau de plusieurs
générations de
telle sorte que chaque village est traditionnellement lié à des
groupes précis d'artisans.Ces
1 ions étrolts n'incluent cependant pas des relations
ou des échanges matrimoniaux
; les mariages entre
Peul et artisans sont absolument
proscrits.
Par ailleurs,
les vlllages et les campements peul reçoivent dans le
même contexte les visites des griots-musiciens, généalogistes (wambabéJ à qui
ils font des dons importants de bovins,
de caprins et d'ovins.
Dans les villages
wolof,
les Peul échangeaient traditionnellement des produits d'élevage contre
des articles de tisseranès
(ba.1des de tissus en coton)
et de cordonniers (chaussures
et objets en cuir).
Actuellement,
ce type de relations avec les artisans a dans une très
large mesure disparu.
Les Peul
ach~tent des produits d'artisanat dans les marchés
les rapports monét3ires investissent le champ des relations traditionnelles et
opèrent une réduction de la complexité des anciens rapports sociaux. D'ailleurs
très souvent les produits des artisans sont remplacés par des objets manufacturés
venant de la v111e
; les artisans eux-mêmes ont tendance à aller en ville o~ les
nouvelles données cle l' éccllcr,1 ie dp marché leur assurent des revenus monétaires
plus importants.
Sur un autre plWl,
il existe des cadres institutionnels dans lesquels
se déroulent les échanges traditionnels entre les éleveurs peul et les agricul-
teurs
Wolof.
En règle générale,
les femmes peul qui se rendent dans les villages
wolof pour vendre ou échang~r les produits laitiers ne font pas de sélection
au niveau de leur clientèle. Mais au-delà de ce stade il existe des réseaux de
liens plus spécifiques et plus profonds qui sont tissés au niveau des familles
entre éleveurs et agriculteurs. Dans ce domaine,éleveurs et agriculteurs établis-
sent des rapports d'assistance mutuelle dans le cadre de ce que les Wolof appellent
jopanté
et que les
Peul appellent nangiroadé:
ces termes renvoient à l ' idée de
·/ .

-ltl4-
soutien
réciproque et de confiance mutuelle entre des individus qui se prennent
pour des
amis
l'un vis-à-vis de l'autre. Quand deux parties décident cette forme
d'alliance,
le
Wolc,[ pour parler de son allié dira que c'est "sonl/peul
et inver-
sement ce dernier dira que l'autre
est-son"Wolof. A partir de ce moment,
l'éleveur
aura coutume d'offrir â chaque année un mouton à son a l l i é ; et
ce
dernier
sait qu'il peut compter sur lui en cas de difficult~dans l'acquisition d'animaux
pour les cérémonies religieuses ou familiales.
En revanche chaque fois que le
pasteur ou des membres de sa famlile se rendent dans le village
pour effectuer
leurs échanges avec les agrIculteurs,
c'est chez l'allié wolof qu'ils prennent
gratuitement les repas,
le thé et se reposent., ..
Quand le Wolof parvient à avoir
des bovins,
il les confie à "son" Peul qui en assure l'élevage et exploite à son
profit le lait.
Les échanges de produits qui se développent dans ce type de relation
prennent souvent la forme de dons en vertu de relations que les partenaires dési-
gnent comme étant essentiellement des relations d'amitié et de solidarité.
Ainsi,
contrairement aux relations de clientèle telles que les définit
J. Maquet, le japant~ ou nangirad6 ne suppose pas de rapports hiérarchiques de
patron à client; au contraire,
les partenaires postulent entre eux une égalité
de statut. La fidélité dans les engagements constitue le garant de la continuité
de l'alliance;
chacune des parties est moralement tenue de respecter les principes
de réciprocité;
sinon elle risque de déchoir aux yeux de l'autre. Mais cette ré-
ciprocité n'est pas automatique,
les biens et services, parce qu'ils sont présentés
sous forme de dons n'impliquent pas,
tout au contraire, de
contre-partie ou de
compensation immédiate.
Le contré-don est toujours différé dans le temps. Ce type
d'alliance est entretenu
par les visites et contacts mutuels ainsi que par l'appli-
cation des règles de réciprocité;
ainsi,
en cas de rupture
(une rupture qui est
presque toujours tacite)
c'est par des conduites d'évitement que l'une ou l'autre
partie met un terme à la relation.
Finalement le réseau des rapports sociaux qui se tissent tant à l'inté-
rieur qu'à l'extérieur du système témoigne de la complexité et de la mobilité des
mécanismes internes de ce même système.
C'est donc l'ensemble de ce tissu de rela-
tions qui est remis en cause avec les menaces que font peser sur le système tradi-
tionnel les diverses politiques coloniales et post-coloniales qui entrent en confli
avec lui.
./.

-185--
LES CONFLITS DE SYSTEMES
L'implantation des agro-Industries et l'extension des zones d'agricultur
n'ont pas été sans introduire des changements dans les conditions de fonctionnement
du systême pastoral.
Les nouveaux types d'occupation de l'espace engendrés par
les nouvelles données socio-économiques se traduisent au niveau du pasteur par
une accumulation de preSSIons contre ses propres conditions de production.
L'espace
aux contours mobiles dans lequel se déroulait le syst~~e pastoral est actuellement
l'objet d' un processus de q'Jadri lIage et de .Cixat ion permanentes.
En dehors de ces pressions externes,
le système pastoral subit la dyna-
mique de facteurs désarticulants
qui
prennent corps à l'intérieur du système lui-
même.
La monétarisation en pénétrant l'économie pastorale dans le contexte
d'une perte d'auto-suffisance alimentaire précipite ce système dans les mécanismes
de l'économie de marché. Le Peul
est de plus en plus obligé de vendre une partie
de son bétail pour se nourrir
; en outre sa relation avec
les systèmes de producti
environnan~prend de plus en plus des formes monétaires. Les PeuL se trouvent d~sor-
mais dans unenvironnement mon6taire et économique où ils ne peuver t
survivre qu'en
participant au jeu de l'économie de march~.
Cependant,
le procès d' i. ntégratioll de l' é1evagf délns l'éconorni e de mar-
ché n'~tteint pas également l'ensemble de la production animale. Tout se passe
comme si,
face à la diversité de la production,
les circuits de marché
opèrent une
sélection des produits à optimaliser. On
a comme l'i.mpression que pour l'économie
de marché l'élevage n'est intéressant que dans la mesure où
il
peut assurer la
production de viande nécessaire à l'alimentation des villes.
L'auto-suffisance
!
en viande recherchée pa, les programmes étatiques
a d'abord pour finalité d'appro-
,
visionner les marchés urbaIns.
Les autres productions pastorales
(lait, beurre,
huile de beurre,
lait de chêvre,
autres sous-produits laitiers) ne figurent pas
dans les programmes de développement de l'élevage dans la zone du Lac de Guiers.
Ces produits quanà on les trouve dans les marchés urbains proviennent en grande
partie de l'importation.
Cette tendance à réduire l'orientation du systême pastoral è la seule
production de viande,
se retrouve dans les projets de développement de l'élevage
dans la zone du Lac de Guiers.
·/ .

-186-
i
!
1
1
La politique de la S.E.N.D.A.,au moment de sa création, visait l'achat
de bovins m§les aux éleveurs de la régiorl puis,
de procéder à leur embouche avant
de les destiner à l'exportation vers Dakar ou vers l'étranger. En 1977,
il Y
avait dans les enclos de la S.E.N.D.A.
en moyenne 2.000 bovins. L'embouche se
faisait principalement au moyen du maïs et des plantes fourragères cultivées par
l'entreprise. Mais,
à partir de 1980, devant l'échec de ses ambi ti ons (il n' y avai t '
{
en ce moment que 400 bovins dans ses enclos),
la S.E.N.D.A.
se reconvertit à la
1
production maraichère, avant de cesser définitivement ses activités en 1981. La
~
S.E.N.D.A. a vécu dans un contexte de conflits permanents avec
les Pel11
: elle
l
avait d'abord du mal à acheter des bovins que traditionnellement les éleveurs
ne vendent qu'en cas d'extr§me nécessité,
d'ailleurs,
les prix qu'elle proposait
1
[
étaient jugés nettement insuffisants;
(elle était obligée,
de ce fait,
d'effec-
tuer la recherche du bétail jusque dans les contrées éloignées
du Ferlo et du
Djoloff,ce qui n'était pas sans augmenter ses coOts de production)
; ensuite,
les Peul réagirent à l'occupation de leur terroir par une hostilité qui se mani-
festait notamment
par des actes de sabotage et de résistance
(destruction des
palissades,
incursion du bétail,
organisation de prièrespour la faillite de l'en-
r
treprise, recours aux gris-gris enterrés dans l'enceinte de l'exploitation ... ).
1
A la suite de la S.E.N.D.A.
la Société de Développement de l'Elevage
en ~ne Sylvo-Pastorale (SO.n.E.S.p.) s'est installée dans la zone en 1981. Son
programme s'appuie sur un vaste projet de développement de l'élevage où la produc-
tion de viande pour les marchés urbains et l'exportation constitue l'objectif
essentiel;
la SODESP tout comme la S.E.N.D.A. base sa politique sur l'achat aux
Peul de jeunes bovins mâles destinés au réélevage et à l'embouche.
La SO.n.E.S.r.
a aussi mis sur pied un système de crédit et de vente d'équipement d'élevage
(abreuvoirs, mangeoires . .. ) et d'aliments de supplémentation.
Ainsi,
commence à s'installer progressivement un système qui rendra
l'éleveur dépendant du marché extérieur pour ce qui est des inputs.
Cette dé-
pendance,
si elle se généralise,
poussera l'éleveur à accroître la vente du bétail
suivant des normes et des prix qu'il ne maitrise pas. C'est ce que constate San-
toir quand i l écrit:
"Dorénavant,
le Peul ne venLlra qu'un produit déterminé (le
veau mâle) à un prix stable,
fixé par une sociét~ d'Etat, qui sera obligée de
tenir compte de la rentabilité réelle de l'embouche ... Cette rentabilité est dé-
·/.

-187-
Î,
!
•,
sormais toujours recherchée par les opérations de développement agricole ou pas-
toral dans une maximisation de la production écoulée sur le marché international
1
i
-
l '
-
1
'
d
' -,,(1)
A"
.
a' 1
1
ct
et, par consequent, a 19nee suS es pr1x
e ce marcne
.
1n81,
a p ace
es
1
~
relations traditionnelles entre éleveurs et agriculteurs qui,
du fait de leur ap-
1
partenance à des systèmes autosuffisants sur le plan aliment~aire, pouvaient échan- t
ger leur surplus dans le cadre de rapports négoclf3, s'instaurent de nouvelles
relations qui soumettent l'agriculteur comme l'éleveur aux faits établis des rè-
gles et des données de l'économie de marché.
Mais, au-delà de ces réalignements éco~omiques, c'est tout le système
social qui se trouve fondamentalement remis en cause.
(1) -
C. Santoir
Op.
ci t. , p. 111.
~ '
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o - F_~!1k'
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dans un vil-
la:; e v"O l f.
!

PtRT l E III
L'ORGANISATION
SOCIALE

CHAPITRE
LA FAMILLE ET LE SYSTEME DE PARENTE
-=-=-=-=-
LES STRUCTURES DE PARENTE
Selon P. Worseley,
la parenté en Afrique est 1e "principe intégrateur
de l'organisation sociale"
; elle agit comme déterminant du comportement social
d ans t ous l
t
es aspec_s
t
e' d
t
1
ansous _es d
'
d l '
, l
(1)
D
1
omaines
e
a VIe socla e
.
ans _e
~
meme
sens, Fortes
conçoit ICi pCicenté comme
le vecteur de la dynamique sociale;
"la
structure lignagère,
écrit-il, encapsule à un moment donné tout ce qui est struc-
turalement pertinent parmi les phases passées en m€me
temps pousse en avant conti-
'
t
d
.
,,(2)
nue Il emen t
ses po ln s
e crOIssance
.
Ces différentes définitions donnent une idée des fonctions du système
de parenté dans l'organisation de la société toute entière.
Le système de parenté,
dans une certaine mesure,
constitue la base de relations sociales la plus fondamen-
tale qui permet à un individu d'entrer dans des relations particulières avec un
autre. Fortes,
écrit dans ce sens:
"Kinship is used to define and sanction a per-
l
f '
Id
f
. l
l '
f
h
. d'
'd
.,,(3)
D
l
~
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sona
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0
SOCla
re atlons
or eac
ln IVI ual
.
ans
e meme or re
1
ees
A.
H. Radcliffe-Brown définit le système de parenté et de mariage comme un arran-
gement au sein duquel des individus vivent ensemble et coopèrent : "A system of
Kinship and marriage can be looked at as an arrangement which enables persons to
live together and co-operate with one another in an orderly social life,,(4).
(1) - P. Worseley : "The Kinship system of Tallensis : revaluation" in Journal
of the royal Anthropological lnstitute,
Londres,1956,pp.
37-75.
(2) - M.
Fortes: The dynarnics of clanship arnong the Tallensis, Oxford University
Press, Londres)1945,p.
224.
(3) -
M.
Fortes
: "Structures of unilineal descent groups" in American Anthropolo-
gist.no 55,1953, p.
29.
(4) -
A.
R. Radcliffe-Brown and Daryll Forde : African systems of kinship and
marriage - Oxford University Press, Londres -
New-York - Toronto)1975 p. 3.
g
·/ .

-192-
Ainsi,
le système de parenté déborde largement la seule dimension bio-
logique;
i l intègre des rapports d'assistance réciproque, de solidarité et de
participation sociale. On peut noter dans ce sens que le terme wolof 1~0oku qui
signifie parenté est de même racine que le verbe "bok"
~u'on peut traduire par
partager ou avoir quelque chose en commun. Les parents sont en effet ceux qui par-
tagent les mêmes préoccupations,la même solidarité et qui participent aux mêmes
épreuves et aux mêmes cérémonies.
C'est pourquoi les Wolof disent que les voisins
font partie du cercle de parenté (dekendo mbok la)
ceux-ci sont généralement
toujours présents aux différents évènements familiaux et sont souvent les premiers
à apporter leur assistance en cas de nécesslté. C'est dans cet ordre d'idées que
Cheikh ~ntaDiop affirme que le mot mbok exprimait anciennement la possibilité de
partager le repas funèbre qui aurait jadis existé chez les Wolof et qui est encore
ritualisé chez les Nuba(1).
A partir de ce moment,
on peut envisager le système de parenté comme
étant nécessairement complexe eu égard à ses dimensions et aspects multiples;
comme tout système,
il repose sur une organisation hiérarchique et interconnectée
de sous-systèmes (systèmes d'alliances,
de filiation,
de mariage,
etc . . . ). De ce
fait,
aborder la question de la parenté uniquement sous l'angle du mariage comme
semble le faire Claude Lévi-Strauss nous parait être une démarche qui opère une
réduction extrême d'une réalité particulièrement complexe. Claude Lévi-Strauss
é c r i t ;
"Nous entendons par structures élémentaires de la parenté,
les systèmes
où la nomenclature permet de déterminer immédiatement le cercle des parents et
celui des alliés; c'est-à-dire les systèmes qui proscrivent le mariage avec un
certain type de parents ou si l'on pr'éfère,
les systèmes qui,
tout en définissant
tous les membres du groupe comme parents,
distinguent ceux-ci en deux catégories
conjoints possibles et conjoints prohib~s. Nous réservons le nom de structures
complexes aux structures qui se limitent à définir le cercle des parents et qui
abandonnent à d'autres mécanismes,
économiques ou psychologiques le soin de pro-
céder à la détermination du Conjoint,,(2).
En fait,
la distinction que Lévi-Strauss
(1) -
C. A. Diop:
"Introduction à l'étude des migrations en Afrique Centrale et
Occidentale" in Bull.
IFAN T. XXXV, Série B,
nO 4,1971,p.
783.
(2) -
Claude Lévi-Strauss
: Structures élémentaires de la parenté, Presses Univer-
sitaire de France, 1949/p.
IX.
J
• J


-193-
introduit entre structures simples et structures complexes pour opposer différents
systèmes de parenté efface la complexité qui caractérise tout système de parenté
le système d'appellation lui-même,
dans les systèmes de parenté africains, non
seulement renferme des significations multiples, mais aussi aboutit à des attitude
et conduites de natures différentes. Chez les Wolof et les Peul, pour tout individ
.
le père est non seulement le géniteur, mais aussi toute personne qui occupe le
même statut social.
Tous les frères,
ainsi que les cousins paternels du père sont
"pères"
; les soeurs du père le sont également (le terme wolof bajen
qui désigne
la soeur du père serait une contraction du groupe de mots baye bu jigen qui signif"f
étymologiquement père au féminin).
Du c8té de la mère aussi,
toutes les soeurs
et cousines maternelles de la mère sont également des "mèces".
Le même principe
existe également pour les grands parents,les oncles,
tantes,
etc ... dont les appel-
lations renvoient toujours à la position et au statut que plusieurs individus peu-
vent occuper au sein du système de parenté. Vis-à-vis de l'épouse,
tous les frères
et toutes les soeurs du mari sont aussi des "époux".
Ce type d'appellation peut être interprété comme l'expression d'un
modèle culturel qui intègre les rapports humains dans la nomenclature de parenté.
Les termes de parenté traduisent donc à la fois l'âge,
le statut et la position
de l'individu qui entre en relation avec un autre sein de la famille ou de la
société.
L'individu qui adresse la parole à un étranger qu'il rencontre,
même pour
la première fois l'appellera père si celui-ci a l'âge de son géniteur ou occupe
un statut que les rapports de parenté assignent au père.
Par contre la nomenclature de parenté chez les Maures donne l'impres-
sion d'opérer une distinction très nette entre les géniteurs biologiques et les
autres membres de la parenté.
Le père (buya)
est le seul qui occupe ce statut;
le frère du père (ammi)
n'est pas un "père" c'est 'Jn oncle;
il en est de même
pour la mère (muya)
dont la soeur (xaa(ti)
n'est pas une mère mais une tante. En
outre, les Maures dissocient les enfants d'une même mère (l,yuI aml'a) et
ceux de
la tante maternelle (wuI waalti) alors que chez les VJolof et les Peul ils entrent
dans une catégorie commune. D'un autre côté,
tandis que chez les Wolof et les Peul
il existe des catégories communes pour les enfants du pêre ct ceux des oncles pa-
ternels, chez les Maures,la distinction de catégories est très nette.
r
1
1
• 1


-194-
Au niveau de l'individu,
les relations parentales peuvent être envisa-
gées dansleurs articulations respectives à partir du couple père et mère.
Chez
les Wolof,
les enfants d'une même mère,
ainsi que ceux des soeurs utêrines entrent
dans la catégorie des dC'rni ndey
(littéralement enfant de la mère) et sont liés
à
leur oncle maternel (nijaay)
par des liens spécifiques très étroits par rapport
à l'oncle maternel,
ils entrent dans la catégorie des jarbaat
(neveu,nièce).
La
relation nijaay - jarbaat
se trouve généralement renforcée par des liens parti-
culiers qui existent entre les neveux et la femme de l'oncle (yumpaan). De l'autre
côté,
les enfants d'un même père ou dont les pères sont des frères ou des cousins
paternels constituent la catégorie des dom
baay. Leurs liens avec la tante pater-
nelle (bajen)
sont,
jusqu'à un certain point,
à l'image des rapports qu'ils entre-
tiennent avec leur père classificatoire.
Ces termes de parenté n'ont pas unique-
ment un sens restreint;
ils désignent tous les inàividus qui,
dans un schéma
horizontal, occupent le même statut.
Ainsi,
le nijaay n'est pas seulement le frère
de la mère, mais aussi tous les cousins utérins et les frères classificatoires
de celle-ci
la soeur de la femme de l'oncle maternel est aussi considér~comme
une YWTlpaan.
Entre domibaay,
les relations sont empreintes de réserves et de cour-
toisie en même temps qu'un sentiment de jalousie (chacun veut paraître le meilleur)
les anime réciproquement. Une sourde tension existe entre eux et éclate surtout
à la mort du père. Si le père est polygame,chacune de ses épouses regroupe autour
d'elle ses enfants dans un bloc monolitique,
qui se considère comme étant la rivale
des autres regroupements de même catégories.
Entre frères et soeurs,
les appellations font surtout intervenir des
notions d'âge mag (grand-frère ou grande-soeur)
et rak
(petit-frère et petite-soeur
Ces termes concernent aussi les cousins parallèles tant du côté maternel que du
côté paternel. Les cousins croisés sont eux désignés par des termes différents;
domu nijaay (enfant de l'oncle maternel) et dombajen(enfant de la tante paternelle) l'
Entre domi ndey (enfants de la mère)
les relations sont plus profondes,
-
ils évitent toute compétition entre eux dans la ~esure où ils sont censés partager
la même essence physique ou spirituelle.
Ils peuvent compter les uns sur les autres
En cas de difficulté ou de malheur, la parentèle maternelle est le refuge qui se
présente d'emblée.
·/ .

-195-
Les relations entredomu ndey sont empreintes d'une franchise qui peut
souvent prendre la forme de critiques constructives.Un dicton d i t :
"c'est ton
domu ndey qui peut te dire que ta bouche dégage une mauvaise haleine".
Dans les systèmes traditionnels Wolof et Peul,
la position de l'indi-
vidu est en rapport avec deux facteurs essentiels
l'âge et le statut dans les
rapports de parenté.En règle générale,
le statut de géniteur (père et mère classi-
ficatoires)
a une prééminence sur celui d'enfant;
et le statut de cadet occupe
une place secondaire par rapport à celui d'aîné.
L'âge et le statut interviennent
à des niveaux différents qui font que chaque individu occupe une position ambiva-
lente vis-à-vis des autres membres du système. Ainsi,
une personne peut-être père
ou oncle d'une autre plus âgée qu'elle.
Ce faisant,
si elle reçoit certains égards
de la part de son fils ou neveu classificatoire,
en retour,
ce dernier bénéficie
sur lui du droit d'aînesse. On en arrive alors à reconnaître chez chaque individu,
des lieux où il est soumis à une autorité et d'autres où c'est lui qui exerce celle
ci. Même le chef de famille ou de lignage se trouve lui aUSSI soumis à une autorité
bien que ce soit lui le représe~tant de l'autorité la plus élevée;ce chef reconnaît
l'autorité spirituelle des enfants qui portent les mêmes prénoms que ses parents
à lui. On estime en effet,
qu'en donnant à un enfant le prénom d'un individu on
lui transmet en même temps les sept traits de caractères intrinsèques (juroom
nari jiko) de ce dernier. De ce fait, ces enfants réincarnent les parents du chef
et celui-ci aura,
vis-à-vis d'eux,
une attitude de respect et de retenue qui évoque
1
1 t "
d
f·l
'
t
(1)
a re a 10n
u
l
s a ses paren s
.
En fin de compte,
on peut noter que le système de parenté repose sur
des articulations complexes et multiples qui fonctionnent à travers un espace pou-
vant comprendre plusieurs groupes humains. Ainsi,
famille,
ménage et concession,
loin d'épuiser le système de parenté ou de le contenir dans sa globalité,
n'en
sont que des éléments qui le prolongent et assurent sa reproduction. Au demeurant,
ces éléments peuvent être envisagés comme étant des systèmes qui, bien qu'étant
fortement liés au système de parenté,
débordent celui-ci en divers points.
(1) - La réincarnation chez les Wolof s'exprime entre autres dans certains surnoms
portés par les enfants: par exemple Yadikoon (littéralement: c'est toi
qui était déjà venu),
on dit également d'un enfant très sage que c'est un
ancêtre qui est de retour (~ag bu deZusi).
·/ .

-196-
LES STRUCTURES DE LA FAMILLE
Que ce soit chez les Maures,les Wolof ou les Peul, ce que l'on désigne
habituellement comme étant la famille est une unité qui se définit essentiellement
par rapport à l'espace que celle-ci occupe. C'est la concession, quelle que soit
sa dimension,
qui représente la référence de base de la détermination de la famille
C'est peut-être pourquoi famille et concession sont désignées par les mêmes termes
les mots wolof Kër et peul CaLLe renvoient à la fois à la concession comme lieu
d'habitat et au groupe humain qui y réside
chez les Maures,
le terme Xayem
dé-
signe à la fois la famille et la tente qui sert d'habitat.
Dans le milieu wolof traditionnel,
la concession comprend habituel-
lement trois générations
:
la première est celle du doyen d'âge qui se trouve être le chef de concession
(borom kërJ, ses épouses et ses frères et les épouses de ceux-ci ;
-
la seconde regroupe les enfants et neveux ou nièces de la première génération,
ainsi que leurs épouses ou leurs époux
;
la troisième est constituée par les enfants et les nièces ou neveux de la seconde,
ainsi que tous les jeunes hommes et jeunes femmes non mariés de la concession.
On peut subdiviser ce groupe en catégories regroupant différentes classes d'âge.
Avec une telle composition, une concession peut compter jusqu'à soi-
xante-quinze ou cent membres.
Actuellement, encore il y a à Ngnit une concession
de ce type qui regroupe,
à elle seule, soixante-treize membres.
La concession ~
son tour est divisée en plusieurs ménages qui regroupent deux ou plusieurs con-
joints et leur descendance.
Au niveau des rapports de production comme dans la
vie sociale d'une manière générale,
la concession et les ménages entretiennent
des rapports d'autonomie et d'intégration.
Cependant,
ce genre de concession étendue a tendance à être supplantée
par des unités plus restreintes regroupant le chef de famille,
ses épouses,
leurs
enfants, neveux et nièces.
Ce type de famille est très fréquent chez les employés
des agro-industries établis dans la zone du Lac de Guiers. En effet,
les revenus
./.

-197-
des employés leur permettent d'assurer une relative indépendance d'un noyau famili
restreint par rapport à l'organisation collective de la production qui,
tradition-
nellement, nécessitait la présence de familles étendues. Mais en même temps,
le
niveau de ces revenus salariés, ainsi que les nouveaux modes d'habitat et de vie
limitent très fortement les possibilités pour ces employés de reconstituer des
concessions élargies. D'ailleurs, selon notre échantillon, 75 % des ménages poly-
games vivant dans le quartier résidentiel de la S.E.N.D.A. ne regroupaient qu'une
épouse,
son mari et quelques enfants;
les autres épouses résidant dans d'autres
localités du Sénégal. En outre, 70 % des enfants de ces familles résidaient dans
d'autres villes où, en général,
ils poursuivaient leurs études, le quartier de
la S.E.N.D.A. n'étant doté d'aucune infrastructure scolaire.
Les concessions peul,
quant à elles,
ont une structure très dynamique
pendant la saison sèche,
elles se limitent,
en général,
à un ou deux couples et
leurs enfants. Selon Jean Suret-Canale, ce caractère restreint de la famille peul
à cette époque de l'année serait en rapport avec le mode de vie pastoral:
"Les né
cessités du nomadisme pastoral -en quête de l'herbe et de l'eau- impliquent le frac-
tionnement en de très petits groupes ne dépassant guère les limites de la famille
conjugale (le chef de famille,
la ou les femmes,
éventuellement quelques parents
à charge). Cela fait rarement plus d'une dizaine de personnes". (1) Mais, pendant
la saison des pluies, ces groupes restreints ont tendance à se regrouper dans des
entités plus larges comprenant trois ou quatre ménages,
ainsi que leurs enfants
et,
quelquefois, des parents âgés (père,
mère,
oncle, etc . . . ). Ces nouvelles unités
réunissent le plus souvent les familles des frères,
cousins ou alliés liés par
des relations de parenté multiples. Tout comme dans les concessions wolof,
ces
familles peul,
quelque soit leur taille,
regroupent toujours des éléments entrete-
nant des relations de consanguinité biologique ou classificatoire.
Les familles Xartaani sont,
quant à elles,
de dimensions encore plus
restreintes
j
elles se limitent presque exclusivement au couple et à ses enfants.
Dans le village Xartaani
de Dar-es-Salam,
les familles regroupaient une moyenne
de cinq individus chacune alors que chez les Wolof de Ngnit cette moyeQne était
de douze par concession .


























































fO
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
(1) - Jean Suret-Canele
: La République de Guinée:
thèse de lettres, Paris, 1968,
p.
26.
1
., .

-198-
LE. MARIAGE
Il existe traditionnellement des différences appréciables entre les
structures de ménage wolof, peul et maure.
Chez les Wolof,
il semble que le mariage matrilocal (l'époux vient
habiter dans la famille de la femme)
ait été assez développé dans la société préco-
loniale. Actuellement encore,
dans le milieu wolof du Lac de Guiers,le jeune marié
devra construire une case dans la concession de sa femme avant ~ue le mariage ne
soit définitivement reconnu;
c'est dans cette case qu'il réside avec sa femme
pendant les premières années de mariage.
Ainsi,
l'épouse reste dans le domicile
de ses parents dans une période de temps qui,
souvent,
peut aller jusqu'à six
ans. C'est là que naissent les premiers enfants et,
au moment où l'épouse rejoint
le domicile de son mari,
ce dernier devra apporter une compensation matrimoniale
dont les frais sont souvent plus élevés que ceux du mariage à proprement parler.
Selon la tradition orale, cette case construite par le jeune marié était celle
où autrefois il devait habiter pendant toute la durée du mariage. On retrouve en-
core à Ngnit des cas de mariage matrilocal. Dans une famille de forgerons wolof,
comme la fondatrice de la concession;
la case qu'elle a naguère habité y est
l'objet d'un culte particulier; un frère aveugle vit dans cette concession avec
son épouse et ses enfants, mais il n'y représente pas l'autorité centrale. Celle-
ci est détenue par l'aînée des soeurs.
La structure de cette concession ne cons-
titue p~s un exemple isolé dans la zone du Lac de Guiers; on la retrouve encore
dans plusieurs villages.
D'ailleurs,
le mode de résidence matrilocal est très fréquent chez
plusieurs peuples que les mstoTiens apparentent aux
Wolof. A.
1. Richards
note
que c'est le cas chez les peuples bantou,
les Bemba en particulier:
"It will be
seen that the basic domestic unit of the Bemba is a matrilineal extended family
of the father-daughter type,
that is to soy, a group composed of a man, his wife,
his young married daughters and their husbands and children,,(l) .
. . ....... . .......... ... .. . . . . . .... . . . . . . . . . .. . . .. . . . . . . . .. . ... .. .... . . ... .. ........
(1) - A. 1. Richards:
"Sorne types of family structure amongst the central bantu"
in A. R. Radcliffe-Brown and D. Farde: Op. Ci~'JP. 207.
./ .

-199-
Ce
mode de résidence est certainement en rapport avec le caractère
matrilinéaire qui marque tout le système traditionnel de parenté.
Le mode de filia
tion tout comme le contr6le de la reproduction du groupe demeure dans ce cadre
étroitement lié à la famille de l'épouse.
De ce fait,
contrairement à la thèse
défendue par C18ude Meillassoux,
la matrilocalité ne suppose pas une absence de
contr6le et de régulation de la reproduction biologique du groupe. Claude Meillas-
soux établI t
une correspondance entre la matrilocali té et le système gynécostati-
que:
"Les femmes,
écrit-il,
demeurent dans leur communauté d'origine et les homme
y sont invités à y procréer,
éventuellement à y résider. C'est un système que l'on
pourrait qualifier de gynécostatique
; la reproduction du groupe repose uniquement
l
' t '
" ,
d
f
'
d
l
,,(1)
sur
es capaCl es geneslques
es
emmes necs
ans
e groupe
.
Une telle position semble difficile à soutenir dans le contexte de
la société traditionnelle wolof où la matrilocalité n'exclut pas un contrôle ri-
goureux sur la régulation des naissances.
Ainsi,
le couple devait rester dans une
abstinence sexuelle pendant trois ans après la naissance d'un enfant. Ceci avait
pour but,
selon la tradition,
de permettre un meilleur allaitement et de plus
grands soins au nouveau-né.
A.
Cada Mosto avait remarqué cette coutume chez les
(2)
,
l

d
d
Wolof au cours de son voyage en 1455
. Cette coutume est ega ement repan ue
ans
plusieurs sociétés africaines.
tants même d~:: ~:P:::t:ùa::Cm::ef::i~::i:::::n:~:ep::::::::,C::ZV:~:::~::: ::::- 1
ce contexte, la femme traditionnellement rejoint sa famille maternelle pendant
l,',.".'"
la période d'accouchement.
C'est là que la mère et l'enfant reçoivent les premiers.
t '
(3)
~
massages (dampJ
qui sont censés préparer leur réinsertion à la vie ae l v e .
t
-·1
...................................................................................1
(1) - Claude Meillassoux ; Femmes, Greniers et Capitaux, Maspéro,1982 p,
46.
1
(2)
- Cada Mosto : Relation des voyages à la c6te occidentale d'Afrique,
publié
par Shefer, Paris,Leroux 1895.
(3)
- Cf. Famille et Développement ,no 37, Janvier/Février/Mars,1984,pp.
27-45 .
./ .

-200-
Le mode de résidence des ménages peul est quant à lui essentiellement
patrilocal et néo-local (1).
Dans un premier temps,l'épouse rejoint le domicile
du père de l'époux. Mais quand,notamment à la mort du père, une fission s'opère
au niveau du groupe domestique,le ménage va s'établir dans une nouvelle localité
à partir d'une réorganisation de la force de travail et des unités de production.
Cependant,
il se passe un certain temps avant que la femme,
une fois mariée,
ne
quitte son domicile familial pour rejoindre celui que lui confère sa nouvelle
situation.
Chez les Maures,
la femme rejoint le domicile paternel de son mari
immédiatement après son mariage et le mode de résidence demeure quasi-exclusivement
patrilocal
jusqu'au moment où intervient la fission de l'unité domestique.
Sur un autre plan,
la nature du mariage peut gtre considérée comme
un des éléments fondamentaux qui déterminent la structure des ménages.
La polygamie est très développée en milieu wolof, beaucoup moins chez
les Peul et quasi-inexistante chez les Maures
(~u moins si on la considère sous
sa forme habituelle).
Notre échantillon nous a donné les résultats suivants:
70 % de mariages polygames chez les Wolof, 60 % chez les Peul et environ 1 % chez
les Xartaani.
Mais,
chez ces derniers,la fréquence des divorces est telle que cer-
tains auteurs ont pu parler de polygamie réalisée à un niveau diachronique. C.
Hames écrit dans ce sens
: "Diachroniquement, par le jeu de la répudiation,
la
polygamie est tout aussi réelle (chez les Maures),,(2). D'ailleurs,
concernant le
divorce dans la société maure, F.
Carrère et P. halle ont pu écrire:
"sous Ip
prétexte le plus futile,
par pur caprice et besoin de nouveauté,
les époux se 6é-
( 3 )
parent"
. Dans le même sens, notre échantillon a donné une moyenne de quatre
divorces par personne pour les femmes maures de plus de quarante ans
; alors que
chez les Wolof du même âge on en compte huit pour cent femmes et zéro chez les
Peul .
...... ..... .. ....... .. ...... ........ ..... ..... .. . .......... ,.
.
(1) - Selon L.
V.
Thomas,la notion de néo-·localité renvoie au fait que l'habitation
des conjoints est différente du lieu d'origine ou de résidence avant le ma-
riage,
alors que celle de patri-localité désigne un mode d'habitation des
conjoints dans le même lieu que la famille paternelle de l'époux.
(Voir
L.V. Thomas:
"Analyse dynamique de la par~nté sénégalaise" in Bull.
IFAN 7
T. XXX,
B.
nO 1,1969 pp. 1005-1056.
J
(2) -
Constant Hames:
"La société maure ou le système de castes hors de l'Inde".
in Cahiers Internationaux de Sociologie
~01. XLVI)Janvier-Juin,1969}Pari~
p. 174.
(3) - P. Holle et F.
Carrère
Op.
cit.,p. 294.
./ .

-201
Cependant,
selon plusieurs témoignages,
il semble que la polygamie
(tout au moins au sein du peuple)
n'était pas très développée dans la société wolof
précoloniale. F.
Carrère et P. Halle observaient, en 1855 "qu'il est rare de ren-
contrer au Waalo un homme ayant plusieurs femmes" (1).
D' ailleurs,
ce mode de rési-
dence matrilQC.al
pourrait être un facteur limitant à la
polygamie. Chez les
Macoua du Mozambicpe
où le mode de résidence est
matrilocal
,
le mariage poly-
gamique bien qu'il existe sous certaines conditions, peut constituer un motif de
divorce si la famille de l'épouse n'y est pas consentante. En
fait,
anciennement
chez les Wolof,le mariage polygamique n'était réalisé pour l'homme qu'à partir
d'un âge relativement avancé
(à partir de 40-45 ans). Dans ce contexte, on peut
supposer qu'avec les crises démographiques enregistrées dans le Waalo,
le mariage
monogamique
permcltait
difficilement de résoudre les problèmes de disponibilité
de la force de travail au niveau de l'organisation de la production dans la conces-
sion.
La polygamie peut alors apparaître comme une réponse aux nécessités
de réorganisation du travail domestique en raison des changements démographiques
liés au nouveau contexte politique et à 18 désarticulation des économies tradi-
tionnelles.Au terme d'une enquête effectuée dans le milieu wolof en 1950, David
W.
,'\\"Ies avai t
montré le rôle fondamental
joué par la polygamie dans l' organisa-
tion du travail en milieu rural
: "Plural mariage are sufficiently numerous in
wolof society to play an important role in the essentiel work of rising children
and producing adequate food,
clothing and shelter".
Auparavant,
il affirmait dans
1e même sens
: "Wolof men and women alike are ch3rply aware of the economic advan-
tages of plural marriage,
and these,
inturn have an important bearing on problems
of marital adjustement,,(2).
Dans le milieu rural peul,la polygynie, généralement réduite à deux
épouses, permet une division du travail domestique qui s'appuie sur un roulement
dans l'exécution des tâches; pendant que l'une s'occupe de la vente et de l'é-
change du lait,
l'autre effectue les travaux relatifs à la cuisine et au ménage.
Une telle organisation du travail s'intègre dans le nouveau contexte d'une éco-
nomie pastorale de plus en plus dépendante des échanges pour assurer la nourri-
ture du groupe domestique.
(1) - P. Holle et F. Carrère: Op. cit~ p. 96.
(2) -
D. W.
Ames
: "the economic base of wolof polygyny" in South Western Journal
of Anthropology ~ Vol.
II nO 4, 1955 University of New Mexico Press, Albu-
querque.
·/ .

-202-
Actuellement,
le développement de la polygamie peut être observé par
l'abaissement pour l'homme de l'§ge du second mariage.
Chez les Wolof notamment,
la possibilité d'acquérir de manière indépendante et individuelle les moyens lui
permettant de prendre une épouse limite la régulation de la polygynie par la socié-
té traditionnelle.
Au bout du compte,le fait que les Wolof et surtout les Peul représen-
tent le développement de la polygamie comme étant un phénomène relativement récent
constitue en lui-même une remise en cause de la thèse évolutionniste défendue par
Engels selon laquelle la polygynie se situerait à une phase inférieure de l'évolu-
tion du mariage
Selon Engels
: "il Y a trois formes principales de mariage corres-
pondant en gros aux stades principaux du développement de l'humanité. A l'état
sauvage,
le mariage par groupes
j
à la barbarie,le mariage apparié; à la civilisa-
tion,la monogamie complétée par l'adultère et la prostitution. Entre le mariage
apparié et la monogamie se glissent,
au stade supérieur de la barbarie,
l'assujé-
tissement des femmes esclaves aux hommes et la polygamie,,(1).
En réalité,
la complexité des formes de mariage dans les systèmes tra-
ditionnels est telle que toute comparaison dans une perspective évolutionniste,
avec d'autres formes de mariage devient caduque.
Unions prohibées et mariages préférentiels
Une étude du systême matrimonial peut faire apparaître les modèles
de mariages prohibés et ceux dits préférentiels, comme étant des pôles dialectiques,
en liaisons réciproques,
permettant de jeter un éclairage sur les notions d'en-
dogamie,
d'exogamie,
d'inceste et de consanguinité telles qu'elles sont vécues
f:
à travers des ~éseaux de relations complexes et hiérarchisées.
~..f~
l'
;;;.~.~:.~~~~;~.:.:;:~~;~;~~.~~.;~.~~~;;;~:.~~.;~.~~~~~;~~~.~~;~~~.~~.~~.;:~~~~: ... 1
in K.
Marx et F.
Engels
Oeuvres choisies - T.
I I I -
EdIt.
du Progrès,
r
Moscou,1970,
p. 261.
'/ .

-203-
Ainsi, ces notions n'apparaissent pas comme des notions absolues, mais
relatives,
en interaction l'une
et l'autre.Tout se passe comme si l'endogamie
et l'exogamie,
l'interdit de l'inceste et la consanguinité constituent des couples
dont la liaison interne se retrouve
dans l'ensemble
du système matrimonial.
Actuellement encore,
l'endogamie de caste est encore communément appli
quée aussi bien dans les milieux wolof,
peul que maure.
Il existe une pression
morale qui empêche ou déconseille vivement toute union entre un individu appar-
tenant à la caste supérieure (geer
en wolof)
et un autre issu des castes infé-
rieures (neeno).
Dans l~miliecocwolof et maure, on considère que le mariage entre un
membre de la caste dite supérieure et un membre de la caste des forgerons risque
de porter
malheur au premier,
le conjoint forgeron
attirait dans ce cas la mal-
chance (aay gaaf). Soumis à un tel contexte idéologique,
les rares mariages de
ce genre,
s ' i l arrive qu'ils échouent,sont cités en exemples retenus par la mé-
moire collective. On considère que le forgeron
"dégénère" son conjoint.
Chez les Peul une prohibition similaire a traditionnellement existé
(bien qu'elle ait très largement disparu à l'heure actuelle)
entre les individus
portant les patronymes Dia et ceux portant le nom Sow.
Les Sow considèrent les
mariages avec lesDia comme prohibés,
ces derniers apportant la malchance ou lp
malheur. Par ailleurs,
dans leurs rapports de castes,les Peul ne se marient pas
avec les griots et les membres des castes artisanales.
En milieu Wolof,
les unions entre geer et griots bien que moins rares
actuellement demeurent encore déconseillées. Par rapport au geer,
le conjoint grio
est considéré comme susceptible de manquer de fidèlité,
en plus il appartient à
une catégorie sociale considérée comme inférieure.
Alors que le griot est victime de mépris propre à son statut,
les
femmes-griots
, pour leur part,
sont considérées comme peu respectueuses de la
vertu. Lamiral,
en 1789 observait à propos d'elles" . . .
qu'elles ne rencontrent
jamais un homme sans le provoquer,
soit par les paroles, soit par des gestes
.f.

-2Û4-
très expressifs,,(l). Dans le même ordre d'idées,
l'explorateur protugais Francisco
de Lemos Coelho note,
en parlant des griots wolof "aucun nègre du pays ne se ma-
,
d'
(2)
rie
avec une d e ces d evergon ee"
.
Dans la société précoloniale,les mariages entre esclaves et hommes
libres n'étaient pas, semble-t-il autant prohibés.
Il arrivait même aux esclaves
de la couronne de se marier avec des femmes appartenant aux familles régnantes.
De même que le fils d'une esclave avec un homme libre (tara)
était souvent consi-
déré comme quelqu'un de très chanceux en raison du fait qu'il hérite le bénéfice
spirituel des efforts de sa mère (liggey Ndey)
tandis que le simple contact
sexuel d'un
geer avec une femme appartenant à la caste des forgerons attirait un
échec dans toutes les entreprises de celui-là (wr.).
A ce niveau, ces prohibitions au sein du système matrimonial sont en
rapport avec les relations sociales et la superstructure idéologique de la société
dans son ensemble. Actuellement, bien qu'elles demeurent,
la tendance est à leur
recul en rapport avec les changements sociaux et l'idéologie musulmane. Cette
dernière organise les relations matrimoniales sur des bases différentes.
(En prin-
cipe les interdits de castes ne sont pas reconnus par le Coran).
net~e I~.:.!
A cette endogamie, s'ajoute sur un autre plan une endogamie moins
à caractère ethnique.
'
~1
En règle générale,
on choisit son conjoint dans sa propre ethnie. Mais
les exceptions sont très fréquentes surtout entre Maure et Wolof. Dans le Waalo
précolonial, ce genre de mariage était surtout l'expression d'une alliance politique'
ou militaire. C'est pourquoi
il semble très développé auprès des familles régnan-
tes et pratiquement inexistant dans les familles des simples agriculteurs (baadooLo)
Vis-à-vis des Peul,
l'exogamie wolof est plutôt unilatérale. C'est l'homme wolof
qui,
en général, marie la femme peul
l'inverse (le mariage d'un homme peul avec
une femme wolof) est quasi-inexistant. Pour comprendre ce phénomène, il faudrait
certainement le replacer dans le contexte général du mariage dans cet univers
socio-culturel.
(1) -
Lamiral
: l'Afrique
et le peuple Affriquain, Paris,1789, p. 269.
(2) -
Descriçâo da Costa da Guine -
Ed. Damiâo Perez,Lisbonne,1953, f~ 101-103.
·/ .

-205-
Le mariage est un fait social par lequel l'homme s'intègre à certains
niveaux de la communauté avec lesquels l'épouse est directement en contact.
C'est
l'épouse qui reste à la maison,
qui la gère, qui reçoit l'hôte. C'est elle qui
éduque les enfants,
leur fait connaître leur parenté élargie,
organise leur maria-
ge ... C'est aussi l'épouse qui entretient la relation la plus régulière avec les
parents de son mari. C'est elle qui contrôle la nourriture et veille à la sécurité
alimentaire de tous les membres de la maison dont elle assure le lien avec l'époux
trop souvent absent ou àl'écart de la vie domestique ... C'est l'épouse qui contrôl~
la vie socio-familiale et impulse sa dynamique.
Ainsi,
en milieu wolof,
dans la plupart des cas,la première épouse
appartient à la parenté ou à l'ethnie du mari;
ils partagent alors des valeurs
culturelles identiques. Elle est souvent choisie par sa future belle-famille, par
la mère de l'époux en particulier.Le contrôle de la famille,
de la mère surtout
sur son fils passe, à bien des égards,
par le contrôle de l'épouse de celui-ci.
La générosité du mari ou le sens de l'hospitalité dans une famille sont souvent
liéS aux qualités de l'épouse. Selon un dicton wolof:
"si le mari est généreux,
c'est à cause de la femme"
La première épouse est la gardienne de la stabilité des relations
parentales,
la présence d'autres épouses ne peut,
en principe, remettre en cause
cette position (Awo buuru kër): première épouse, reine de la maison, dit un dicton
wolof
D'ailleurs, même si un homme en déplacement épouse une femme hors de
sa communauté,
celle-ci essaye d'établir le lien d'intégration en le pressant de
~
(
choisir une seconde épouse en son sein.
i1
Or,
l'importance de la monogamie chez les hommes Peul permet difficile- i
ment une souplesse qui puisse allier l'endogamie à l'exogamie ethnique.
t
1
D'autres raisons peuvent aussi intervenir pour expliquer la pratique
1
de l'endogamie ethnique,
chez les hommes peul en particulier: Dans le mode de
fi'
~
vie traditionnelle,
l'homme et la femme au-delà de leur complémentarité biologique, ~
établissent réciproquement des complémentarités socio-économiques. La division
~
du travail qui s'établit suivant des critères propres à chaque ethnie,
fixe au
·/ .

-206-
niveau de l'homme, comme de la femme,
une place et des activités précises dans
le mode de vie et de production. Ainsi,
les hommes et les femmes,
dès le bas âge,
sont éduqués à identifier et à assumer leurs fonctions respectives. De ce fait,
on comprendrait aisément qu'une femme wolof,
formée
dé.ns le système agraire et
sédentaire qui est le sien,
s'adapterait difficilement à une vie nomade et pasto-
rale où elle aurait à assurer des rôles auxquels elle n'aurait pas été préparée
et dont le système de valeur présente des différences très nettes avec celle de
son milieu d'origine.
Sur un autre plan l'endogamie est appliquée au niveau de la parenté.
Ce sont les individus issus de la parenté paternelle ou maternelle en l'occurence
l
"
" '
"
t"t
t
l
" " t
'f"
t"
l
(1)
E
'1"
es COUSlns crOlses qUl cons l
uen
es conJoln s pre eren le s
.
n ml leu
wolof et peul, quand le garçon atteint l'âge de mariage, c'est d'abord sur les
filles de son oncle maternel que les choix de sa famille se portent, ensuite seule
ment viennent les filles de la soeur du père,
la parenté utérine étant jugée plus
solide que celle du père. C'est aussi l'avis d'Abdoulaye Bara Diop:
"les mariages
préférentiels -écrit-il- se font entre cousins croisés. L'union avec la fille de
l'oncle maternel est la meilleure.
La parenté matrilinéaire étant plus étroite
( ... ) le mariage avec la fille du frère de la mère vient en première position
t
l , Il"
1 "
+
"1 t '
1 ,,(2)
avan
a
lance avec
a COUSlne pavrl a era e
.
Dans ce système de parenté où
s'est développé l'avuncu~at, le mariage
avec la fille de l'oncle maternel peut aplanir les éventuelles tensions entre les
neveux et les fils de l'oncle. En effet,
si égo épouse la fille de l'oncle, non
seulement l'héritage de ce dernier reste dans la famille
(surtout si ce mariage
est matrilocal)
mais en plus,
les enfants issus de cette union seront les neveux
...................................................................................j
(1) - Dans notre échantillon ils constituent 43 % des mariages, dont 40 % de
1
Wolof, 35 % de Peul, 25 % de Xartaani et 5 % de Laobé et autres populations.
(2) - A. B. Diop: Op. cit.IP. 22.
./ .

·-207-
et les nièces de ceux de l'oncle.
Ainsi,
diachroniquement,
il y a une sorte de
permutation entre les positions des éléments de ces différentes générations.
6-l\\
(2) est nij~~y de (1)
(4) fils de (2), est ntjaay de
(6) qui est fille de (1) et petite-
fille de (2)
Ego
Les mariages entre cousins croisés matrilatéraux et patrilatéraux sont
étroitement liés et constituent, en fait,
deux aspects d'un même phénomène. Si
le jeune ~omme épouse la f~lle de son oncle maternel, celle-ci, en retour et dans
le même temps,
épouse le fils de sa tante paternelle.
Dans les mariages entre cousins croisés,
la femme de l'oncle maternel
(la yu~paan) occupe une position centrale. Le neveu peut attendre d'elle et de
1
son mari une affection que ne lui donneraient même pas ses propres géniteurs. En
outre,
du fait qu'elle est la mère de l'épouse préférentielle du neveu, Elle estl'u.i
des principales personnes à être concernée par ce mariage. Ce faisant,
la présence
au sein de la même personne de positions et de statuts de parenté différents con-
duit à l'atténuation des conflits d'intérêt qui apparaissent au niveau des allian-
ces matrimoniales contractées entre deux parties distinctes.
31 pOSlnON~~ LA YUMPAAN PAR RAPPORT AU
NEVEU
DE SON
MARI
(2) yumpaan de (1) est épouse de (4),
oncle de (1), mère de (3). l'épouse
préférentielle de (1).
./ .

-208-
1
1
1
En règle générale,
l'exogamie envahit tout le système de mariage qui
part du postulat fondamental de l'interdit de l'inceste. Mais l'inceste et les
1
unions consanguines interdites ne sont pas des notions simplement biologiques.
Ils
sont chargés de dimensions socio-culturelles. C'est la perception culturelle du
sang ou plus précisément la représentation du fait de partager un même sang qui
est au coeur de la détermination du champ dans lequel se situent les notions d'in-
ceste et de consanguinité.
Chez les Wolof et les Peul comme dans plusieurs sociétés d'Afrique
Occidentale, Centrale et Australe,
on considère que c'est la mère qui transmet
le sang, c'est par elle que l' indi vidu reçoit son héritage non seulement biolo-·
gique, mais aussi moral et culturel. Si les hommes transmettent néanmoins quelques
caractères, ceux-ci sont considérés comme secondaires, non essentiels.
La transmission de l'essence individuelle par la mère se fait princi-
la fille de l'oncle maternel n'est pas de mSme sang que le neveux de son père,
celui-ci appartient au meen ou soou (lignage maternel restreint) de son oncle uté-
rin,
alors que la fille appartient au lignage de sa propre mère.
Il en est de mê-
me pour les cousins croisés patrilatéraux qui sont liés d'abord aux lignages de
leurs
mères respectives.
Cependant,
l'interdit de l'inceste ne découle pas seulement d'un refus
de la consanguinité biologique ou de la représentation culturelle de celle-ci;
la position et le statut de chaque individu dans le système de parenté intervien-
ne nt également.
./ .

-2U0-
Ainsi,
le système d'appellation des membres de la parenté,
en fixant
la position et le statut de chacun,
définit aussi,
au sein du groupe,
les unions
possibles et celles prohibées. De ce fait,
si les éléments des couples géniteurs
(père et mère)/enfants et frères/soeurs constituent des antagonismes sur le plan
de l'accouplement ou du mariage,
tous les individus qui entrent dans ces cou-
ples contraires ne peuvent entretenir des relations matrimoniales. C'est le cas
du père,
des frères et cousins paternels du père,
ainsi que de la mère, des soeurs
et des cousines maternelles de la mère par rapport aux enfants. Dans le milieu
traditionnel wolof,
le mariage entre cousins parallèles du côté de la mère comme
de celui du père est prohibé
les cousins parallèles sont rangés dans la caté-
gorie des frères et soeurs.
Par contre,
l'union encre cousins parallèles surtout du côté paternel
est développiechez les Xartaani et les Maures de manière générale. C'est peut-être
là ~ héritage du système matrimonial arabe qui, si l'on en croit A. R. Radcliffe-
Brown, admet des mariages de ce genre(l). On en rencontre aussi chez les autres
populations les plus
islamisées de la zone du Lac de Guiers:
les Peul,
de Gaé d'où est originaire un des chefs historiques de la confrèrie musulmane des
Tijanes (El Hadji Malick Sy)
; mais,
d'une manière générale,
ce type de mar~age
parait nettement moins fréquent chez les Wolof. Dans notre échantillon,
il repré-
sente 20 % des mariages et est représenté à 50 % par les Maures, 40 % par les Peul
et 10 % par les Wolof.
D'autres types de mariage semblent aussi plus développés chez les Mau-
l'es et les Peul que chez les Wolof.
C'est le cas notamment des mariages avec la
fille ou la petite fille de la cousine (pris dans son sens classificatoire). Ce
type de mariages se conçoit aisément dans le contexte de l'écart d'âge qui sépa-
re
les époux plus particulièrement chez les Maures et les Peul(2). Dans ce cadre,
la femme se marie à partir de 13 ou 14 ans, alors que l'homme, selon la tradition
peul, peut rester célibataire jusqu'à 30 ou 35 ans.
Le recul de l'âge du mariage
(1) -
A. R. Radcliffe-Brown et D. Ford: Op. ci~./p. 69.
(2) - Notre échantillon donne des écarts d'§ge de 10 à 32 ans.
1
• J


-210-
chez les hommes maures et peul, pourrait, d'un point de vue fonctionnaliste, s'ex-
pliquer par le fait qu'en milieu nomade et pastoral, le mariage augmente les proba
bilités de scission de la famille et du troupeau; or, il faut un certain nombre
d'années d'accumulation du bétail pour que cette scission engendre des sous-partie
viables.
Les exemples de cas de mariage de ce genre que l'on rencontre chez
les Wolof concer~dsurtout la fille de la cousine du côté maternel; le mari, dans
ce cas, appartient à la catégorie des "frères" de la mère de l'épouse. Ce type
de mariage intervient surtout quand il s'agit d'épouser une seconde ou une troi-
sième femme vis-à-vis de laquelle il existe, en général, un écart d'âge prononcé
en faveur du mari.
Sur un autre plan, l'écart d'âge entre époux explique que, très sou-
vent, l'homme meurt avant sa femme. Et c'est à ce niveau qu'intervient quelquefois
la pratique du Levirat (au sens où A. R. Radcliffe-Brown emploie ce terme, à savoi
l'héritage pour le cadet de l'épouse du frère aîné à la mort de ce dernier)(l).
En milieu peul, wolof et xartaani, c'est le petit frère qui peut "hé-
riter une épouse du grand-frère; l'inverse n'est pas admis. Ce type de mariage,
n"est, en principe, pas un simple héritage des droits sur l'épouse et ses enfants.
L'avis de la femme y est déterminant, elle est consultée et a le droit de refuser
le mariage qu'on lui propose précisément parce qu'elle continue à appartenir à
sa propre famille de départ.
D'un point de vue fonctionnaliste,
le levirat peut apparaître comme
une institution visant le maintien de l'unité familiale patrilocale à la mort du
chef de famille.En effet, quand cela intervenait, les épouses rejoignaient leurs
frères ou leurs lignages maternels accompagnées de leurs enfants, ce qui disloque
toute l'organisation de l'unité domestique qui repose sur elles. Les frères du
défunt se dispersent également. Or, en "héritant" les épouses, les frères assu-
ment la continuité de la structure.
(1) - A. R. Radcliffe-Brown
Structure et fonction dans la société primitive,
p.
94.
·/ .

-211-
D'autres éléments interviennent aussi à différents niveaux, notamment
le refus par le système social tout entier de l'isolement (tumu~anke en wolof)
de tout individu de la veuve et de l'orphelin en particulier. C'est dans ce sens
que Delafosse écrit : "Aussi a-t-on pu dire, à juste titre,
qu'il n'y a pas d'or-
phelin chez les Noirs. On pourrait ajouter qu'il n'y a pas non plus de veuves,
ou tout au moins de veuves exposées à la misère,
puisque la veuve retourne dans
sa famille et reste à la charge de celle-ci tant qu'elle n'est pas remariée, à
moins qu'elle ne fasse partie, ainsi qu'il arrive souvent de la succession de
l'époux défunt et ne tombe à la charge de l'héritier de celui-ci,,(l).
1
On peut, d'autre part,
établir un lien entre un autre genre de mariage 1
et cette nécessaire solidarité sociale qui remet en cause toute forme d'isole-
1
ment social de l'individu:
c'est le mariage appelé "sa~ax" (charité en wolof)
É
~
il concerne surtout les femmes souffrant d'une infirmité quelconque qui risquait
~
r,
d'en faire des célibataires à vie. Ce sont,
en général,
les parents du côté ma-
li'
1;
ternel qui sollicitent le mariage d'une de leur fille placée dans ce cas. Mais,
même à ce niveau,
la dot (bien que le plus souvent réduite à sa plus simple ex-
1
pression: quelques noix de cola et une petite somme d'argent)
est fournie par
1
la famille de l'époux. On dit de ces mariages qu'ils donneront des enfants qui
l,
auront beaucoup de chance dans la vie.
!
1
i
On peut citer,
dans le même ordre à'idées,
l'union entre des hommes
~
~
d'un âge relativement avancé
(entre 50, 60 ou 70 ans) et des veuves de même âge.
~
~
Cette union est considérée comme un mariage secondaire;
la nouvelle épouse, re-
1
~!Ji:
connue au cours d'une cérémonie officielle, ne bénéficie cependant pas des mêmes
f
~:
droits que les autres.
Dans ce type d'union (takoo en wolof),
la femme reste dans
f
t
son domicile où elle reçoit les visites périodiques de son nouveau mari
(en générall
le vendredi soir). Alors que les autres co-épouses reçoivent leur mari et font
1
t
la cuisine chacune,
un même nombre de jours par semaine,
la femme concernée par
~.
le takoo n'est pas soumise aux mêmes obligations.
(1) - M. Delafosse : les Noirs d'Afrique, Payot et Cie, Paris I922,p. 142-143.
J
cité par Cheikh A.
Diop.
./ .

-212-
Ainsi,
si les hommes les moins âgés peuvent "hériter" (donn)
des
épouses de leurs aînés,
les hommes les plus âgés,
en retour,
peuvent pratiquer
le takoo généralement non admis chez les premiers. Le statut de la femme n'est
cependant pas le même dans les deux situations.
Dans le premier cas, elle est
considérée comme épouse à part entière
; dans le cas de mariage polygame elle a
les mêmes droits et devoirs que les autres épouses et ses enfants sont considé-
rés comme ceux de son nouvel époux dont ils sont d'ailleurs des neveux patrilaté-
raux (c'est-à-dire des fils dans le système d'appellation et de statut tradition-
nels).
Dans le second cas,
la femme entretient plutôt des rapports de confiance
avec un homme qui la représente partout où l'autorité masculine est nécessaire.
Au bout du compte,
le mariage dans les sociétés traditionnelles wolof,
peul et Xa~taani apparait comme étant extrêmement complexe dans ses articulations
avec les systèmes économiques et sociaux dans lesquels il s'effectue.
De ce fait,
si ces systèmes subissent des bouleversements,
il n'est
pas étonnant que les formes et les types de mariages connaissent à leur tour des
changements.
La monétarisation de l'économie se prolongedans la monétarisation de
la dot qui,
progressivement s'accompagne de l'élimination de toutes les autres
~
formes de compensation octroyée à la famille de l'épouse (jours de travail, se-
~.
r~
mences,
récolte, bétail,
etc . . . ). On a de plus en plus tendance à ne retenir que
!
les sommes d'argent auxquelles s'ajoutent des objets manufacturés. Ainsi, parmi
1
les raisons invoquées pour expliquer l'exode rurale des jeunes hommes,figure la
~
recherche en ville d'emploi susceptibles d'assurer les moyens financiers nécessai-
"
fi~
res à l'acquisition de dots.
~
rt
it
Par ailleurs,
avec l'exode et le déplacement de populations, on assis-
t
Ji
te de plus en plus à des mariages en dehors de la famille ou du lignage(l). Les
f
ménages ainsi créés ne bénéficient pas toujours des réseaux de parentés qui, dans
~
les mariages
traditionnels
wolof et peul conféraient à ceux-ci une solidité
plus grande .




..
..





..




..

..


..
..





..

..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
,
<'
(1) -
Les mariages de ce type représentent 17 % de notre échantillon, les Wolof
en constituent 80 %,
les Maures 5 % et les Peul 15 %. L'âge des mariés se
situe, pour les hommes entre 30 et 40 ans
(70 %).
/
., .

-213-
La dot
La dot, même dans le cadre d'un mariage au sein d'une même famille
étendue, met en rapport une unité familiale
(celle du prétendant) avec
une autre
(celle de la fiancée).
Ce rapport s'inscrit dans le cadre de relations institu-
tionnelles régissant la vie familiale,
plus particulièrement les points de con-
tact et d'intégration des différents lignages.
La dot met en relation deux ou
plusieurs lignages,
elle est donc nécessairement complexe et traduit jusqu'à un
certain point la complexité des structures internes des lignages et leurs con-
nexions multiples.
Quelques éléments émergent de cette complexité de la dot en milieu
wolof et peul:
la variété des formes,
la distribution,
la circulation et l'éche-
lonnement dansle temps.
Chez les Wolof comme chez les Peul,
la dot était initialement consti-
tuée en nature et en service;
actuellement elle tend pour l'essentiel,
à être
constituée en somme d'argent.
Selon la tradition,
autrefois le contenu de la dot pouvait varier de
quelques mesures de mil
(saxx ou saba~) à la charge entière d'un ou de plusieurs
greniers. Dans certains cas comme le note Chambonneau,
des boeufs ou des esclaves
étaient offerts à la famille de la future mariée(l)
Chez les Peul,
le bétail et
les esclaves étaient aussi utilisés dans ce cadre.En milieu beidaan
aussi on re-
trouve le bétail et les esclaves dans la dot,
ainsi que des bijoux.
Chez les X~­
taani la gomme, les petits ruminants (moutons, chèvres) et les produits habituel-
lement vendus ou échangés
(thé,
sucre ... ) entraient dans les lots offerts par les
prétendants.
En outre, dans le milieu wolof et peul, pendant toute la période des
fiançailles ou de mariage matrilocal,
l'homme est astreint à effectuer quelques
jours de travail dans sa famille par
alliance
essentiellement pour aider aux
...............................................................................................................................................................
(1) -
Chambonneau : Op.
cit., P. 319.
./ .

-214-
diverses opérations agricoles (labours, désherbages, récoltes ... ). Chez les Wolof
il est aussi tenu de construire une case dans le domicile de sa future épouse.
Au cours de ces àifférents travaux,il peut compter sur l'aide de ses jeunes frères
et de ses amis qui viennent lui prêter main-forte; souvent c'est toute sa classe
d'âge qu'il mobilise à ces occasions. Ces investissements humains s'ajoutent aux
autres formes matérielles de la dot qui est offerte dans un processus que l'on-
peut présenter de manière schématique en trois étapes et qui ont chacune des des-
tinations et des fonctions particulières.
Les Wolof appellent maye bu j~k
les premiers cadeaux officiels qui
sont offerts par le prétendant ; ils sont essentiellement destinés à la future
épouse, à sa mère et aux parents les plus proches de celle-ci; le père n'en re-
çoit une part (qui, du reste, est
infime)
que suivant la volonté des principales
concernées (la fiancée et sa mère). A ce niveau, la fiancée est, en principe, con-
sultée à propos de ce qu'elle désire avoir. Le maye bu j~k (littérallement : pre-
mier don) ne renferme pas un contenu précis obligatoire ou sanctifié par la cou-
tume ; en cas de divorce au profit du mari, il ne lui est pas restitué. Il est
aussi en principe soumis à la libre appréciation du prétendant. Actuellement, il
consiste habituellement en une somme d'argent variant suivant la fortune du préten-
dant à laquelle peut s'ajouter des objets essentiellement destinés à la future
épouse (montre, bijoux, etc ... ) ; certains de ces objets sont abandonnés dans la
famille de l'épouse au moment où celle-ci regagne le domicile de son mari.
1
i~
La seconde étape du processus est le don du warugar (devoir, obligationfi
morale en wolof) c'est une fois qu'il est accepté par la famille de la fiancée
~~~~le:tap~:t~:e;o;::~:i:~ ::r::::a~: ::~:eê~;eP::~:::::tq:~às:a:t~a:::e~e:::~ ~e ~Ir:.
Une partie du warugar est consti tué en noix de cola ou en argent destiné à en ache- ...
ter.Cette cola est ensuite distribuée aux différents hommes adultes et à tous les
hommes présents au cours de la cérémonie officielle de mariage qui a lieu dans
1
une mosquée en présence des représentants des deux familles, la présence des deux
~.
conjoints n'est pas obligatoire. Si elle ne se déroule pas dans une mosquée, cette
cérémonie peut avoir lieu dans le domicile de la future épouse ou chez un de ses
oncles, l'oncle maternel en particulier.
./ .

-215-
1~
1
î
i1,..
Dans la société wolof pré-islamique, le futur mari, en compagnie de
il'
sa soeur, de quelques parents et amis, ainsi que de ses griots, se rend dans le
i1
domicile de la fiancée où le mariage est déclaré
ensuite, avec la famille de
f
la mariée,il se rend à la place publique (Pënc)
où l'acte est rendu public en. pré-
~
ï,
sence du chef de village et des habitants.
~,
~i
Traditionnellement, c'est l'oncle maternel qui prononce l'acte officiel f
de mariage, mais actuellement ce rôle est de plus en plus joué par des oncles pa-
~
~
ternels ou par le père auxquels l'Islam reconnatt ces prérogatives. C'est celui
qui a prononcé l'acte de mariage qui prononcera éventuellement l'acte de divorce
ï
(en cas de décès de celui-ci, ce sont les parents qui occupent le même statut qui
\\
ont la charge de le faire). Les femmes adultes ont aussi leur part dans le parta-
1:1
i
ge de la cola.
r1l,
Actuellement, une partie du warugar comprend la part d'argent qui re-
vient à la mosquée (3.000 Frs) et celle qui doit être conservée par l'épouse comme
f
le symbole de son mariage (caw
et représente une somme fixe de 1.400 Frs.
ri.
!
!
L'argent destiné à acheter la cola et celui attribué
à la mosquée
t
et à la future mariée représentent une somme, en principe, fixée à 15.000 Frs et
~
revêt un caractère obligatoire pour la reconnaissance d'une dot. Anciennement cette 1
i
somme fixe représentait 21,5 Frs (nent ak transu, en wolof). Cet élément de la
1
1
'l
dot symbolise la conclusion d'un mariage; avant l'Islam et la monétarisation de
11'
J
k
l'économie,il était représenté par deux pagnes offerts à la fiancée par la soeur
~.f.
du prétendant. F. Carrère et P. Holle
nntent aussi que "la soeur du mari off~e à
~.~
~1
la femme, contenus dans une calebasse, des semences de mil, du tabac et des pis-
~.
taches" (1) .
l'
1
A cet aspect de la dot, s'ajoutent d'autres éléments matériels: montre
bijoux, poste radio ... pour la future épouse et une certaine somme d'argent répartie
essentiellement entre les femmes de son lignage maternel. Cette partie de la dot,
....................................................................................
(1) - F. Carrère et P. Holle : op. cit.)p. 25.
./ .

-216-
autrefois représentée par des mesures de mil,
des pagnes,
des boeufs ou des escla-
1
ves, n'a pas un contenu fixe généralement applicable.
Elle résulte souvent de con-
sultations et de négociations entre les deux parties; mais elle demeure,
dans
1
tous les cas,
un élément constitutif de la dot. Sa redistribution se fait prin-
1
cipalement en deux catégories;
le Lekku ndèy,
la part qui revient aux "mères",
1
c'est-à-dire à la mère de la fiancée et à ses tantes maternelles et le Lekku mag
qu'on répartit entre ses soeurs aînées.
Les soeurs cadettes et les tantes pater-
1
1
nelles peuvent,
très accessoirement,
obtenir quelques parts.
~'~li
Cette distribution ne suit pas un barème fixe,
mais les parts les plus
i
importantes reviennent aux "mères" et aux parents les plus proches dans la lignée
utérines
(cousines, grand-mères . . . ) cependant on veille à y associer le plus grand
1
nombre de parents même si la part que certains reçoivent est souvent dérisoire
(50 Frs ou 100 Frs). Mis à part certains cousins maternels (ou paternels) qui re-
çoivent le daxx faI'
(littéralement; pour écarter le prétendant;
ils constituent
1
les prétendants dans les mariages préférentielsl,
les hommes sont quasi-totalement
r
exclus de cette distribution.
i[
Chez les Maures par contre,
c'est le père de la fille qui,
tradition-
1
nellement fixe la dot;
celle-ci comprend une partie qui revient aux parents (le
père et la mère) et qui consiste en argent (autrefois du bétail ou des esclaves)
1
et une autre (bijoux et aussi argent)
qui revient à la future épouse. Une fois
1
que l'acte de mariage est prononcé,le mari prend possession de sa femme et les
1
$
(,
parents de celle-ci ne peuvent plus rien lui réclamer.
[
f~
~.î
Mais chez certains X,1I'taaw:
(par exemple les Rownbatine de Ngni t) on
1

tend à appliquer les moeurs wolof.
ir/,1
&
Enfin,
un autre élément intervient dans la dot wolof;
le wal'ugaI'u ceet. i'g
Il est destiné à couvrir les frais de noces (ceetaL)
ou ceu~ à l'occasion de l'in- f
t
tégration de l'épouse dans le domicile du m8ri .Cet élément peut être intégré au
waI'ugaI' ou différé jusqu'au moment où le nouvel époux se sent en mesure d'assumer
ses charges. Avant de regagner la maison conjugal,
l'épouse bénéficie de dons
,yebaZ venant de sa mère et de son lignage maternel. Son propre père peut aussi
lui donner des cadeaux et participer aux festivi~és en donnant de l'argent ou en
tuant une vache,
un mouton ... suivant ses possibilités.
./.

-217-
L1tre le don du w<1l'ugcœ et le ceetaI
fonctionne un réseau d'échange
et de solidarité relativement étendu.
Chaque parent, parmi les cousines et les
tantes paternelles surtout,
qui r~çoit
une part du IL'al'ugar devra, e11 principe, en
remettre le double (ou même l'équivalent de cette part x 10) le jour du ceetaI
(jour de noces). Quand l'épouse,
sa mère et ses parents maternels reçoivent des
contributions (ndawtaI) , une partie de celles-ci devra servir à l'équipement de
la nouvelle épouse (ustensils de cuisine),
à son habillement et l'autre sera re-
distribuée aux griots et utilisée dans le cadre des multiples autres frais de la
fête
(don à ceux qui ont effectué un travail tel que la préparation des repas .. ).
Dans un certain sens les contributions (ndawtaI)
constituent des sortes
de placement dans la mesure 00 chacune qui l'effectue est,
en principe, assurée
de bénéficier des mêmes avantages en cas de mariage ou de baptême d'un de ses pro-
ches parents.
En outre,
en vertu d'un principe en vigueur dans le système du don
(le contre-don doit être différé dansle temps et revêtir une valeur supérieure
au don), on en arrive à recevoir d'un parent beaucoup plus que ce qu'on lui a donné
au cours d'une occasion similaire.
Du côté de la femme,
la circulation de la dot,
ainsi que l'organisation
des différentes phases du processus du mariage et les prises de ~ositions et con-
tacts avec la famille du prétendant,
sont placés,
en principe, sous l'autorité
de la mère,
mais il arrive bien souvent que celle-ci délègue ce rôle "ndeyLé"
(en
Wolof,
rendre socialement mère) à une de ses soeurs ou à celle qui a élevé la nou-
velle mariée pendant son enfance.
Celle-là devient alors la mère sociale de la
promise,
le porte-parole et la responsable de toutes les décisions de l'unité ligna
gère.
,
Du côté du mari,
c'est aussi une femme qui est désignée pour représen-
ter sa famille dans l'organisation du ceetaL,
elle porte le titre de njijke,
il
semble qu'autrefois,
elle était, de préférence, désignée parmi les soeurs de même
mère ou les cousines utérines
; maintenant on a tendance à la choisir parmi les
cousines patrilatérales. En général,
on choisit deux,
trois ou plusieurs njijke,
la première occupe la position la plus élevée et joue le rôle le plus important,
les autres suivent dans un ordre hiérarchique, màis leur rôle est très secondaire.
1
• 1


-218-
11l1
1
Traditionnellement. la njëke et les soeurs du père bajen aident l'homme
à accumuler la dot de mariage. Elles lui font des dons et il peut même disposer
de leurs bijoux et de leurs biens.
En retour.
elles bénéficient d'une redistribu-
1
tion des biens au cours des baptêmes des enfants du marié. Habituellement,
la
1
1
njëke apporte au nouveau-né une bassine (ndap) contenant du savon, du linge de
1
~~
bébé et des produits de toilette.
avec les autres njëke et les soeurs de l'époux,
~~
elle fait des dons (souvent en argent) à la nouvelle maman. Ces dons de même que
1
~
la bassine suscitent des contre-dons dont la valeur doit être ostensiblement
li
supérieure.
!'
1:'
"
IT
r~
~
En outre.
à travers les règles de mariage, elle peut obtenir un béné-
li'
~
fice différé de la circulation de la dot.
En effet,
si la njëke intervient dans
r
~.
la dot de son frère,
le fils de celui-ci,
en retour.
dans le cadre des règles de
mariage préférentiels risque d'épouser une fille de la njëke de son père, puisque
1
celle-ci est sa tante paternelle et de lui remettre une part de la dot.
f
li
Sur un autre plan,
on retrouve beaucoup de similitudes dans les dif-
t,i
férents aspects de la dot en milieu wolof et en milieu peul.
L'échelonnement, la
~.
répartition,
la circulation et les différents systèmes d'échanges et de solidarité
i,
y sont vécus de manière très similaire.
,i~
;.
~
Cependant,
le système de dot peul semble avoir gardé une originalité
~~
qui aurait disparu dans le système wolof.
l{:.
~.t.f
Chez les Peul,
la dot à côté de ses multiples fonctions.
est aussi
.~i
î.
~
utilisée comme moyen de production du groupe familial,
de l'épouse en particulier.
~
i;,~
Quand la nouvelle mariée arrive dans le domicile conjugale. son époux est obligé
!
de lui désigner ses sept vaches.Ce qui se fait généralement en la présence du frère ~
ff'
de l'épouse. La quantité de bétail constitue une norme minimale,
en réalité, au-
f
trefois,
elle était largement dépassée. Mais maintenant.
depuis la diminution
~
quantitative des cheptels familiaux.
ce minimum lui-même n'est pas toujours at-
teint.
./ .

-219-
Par ailleurs,la coutume veut que si à la première épouse on offre
7 vaches, à la seconde il faut en compter 20.
La raison évoquée est qu'avant la
venue d'une seconde épouse,le troupeau de la première a eu le temps de s'agrandir
de nouveaux rejetons;
il faudrait donc cette inégalité entre les dots pour équi-
librer les rapports entre les 2 femmes qui doivent,
en principe, partager la même
condition.
(Le mot peul nawLigoî se traduit par mariage polygame et serait de la
même racine que le mot wolof nawLi qui veut dire, de même statut)(l).
C'est principalement avec ce bétail qu'on lui a offert que la femme
recueille le lait consommé et celui échangé qui sont à la base de l'alimentation
du groupe.
La femme est,
en principe,
la détentrice de ses bêtes, mais elle ne
peut les vendre (elle se trouve d'ailleurs dans un contexte socio-culturel qui
le permet difficilement)
; en revanche en cas de divorce sur l'initiative de Bon
mari,
elle quitte le domicile conjugale avec elles.
Cet aspect de la dot comme moyen de production approprié par la femme
peut être retrouvé dans la signification que l'on peut donner aux semences qui,
anciennement,
faisaient partie de la dot de la femme wolof, mais cette pr?tique
n'a plus cours actuellement,
peut-être en raison du caractère nouveau pris par
l'agriculture et le changement de statut des femmes.
Toujours est-il que dans le système traditionnel peul et wolof,
l'é-
chelonnement de la dot (dont certaines parties peuvent être rendues à tout moment
en signe de rupture de l'union) peut être interprété comme élément de l'organisa-
tion par la famille de la femme d'un temps d'observation pour tester la viabilité
du futur mariage. Chambonneau qui avait observé ce phénomène dans le Waalo préco-
lonial indique qu'au bout de ce temps d'observation (qui peut durer des années)
si le couple n'est pas viable "chacun pourvoit ailleurs sans que la fille en soit
.
h
h' ,,(2)
mOIns rec erc ee
.
(1) - O. Ba : "La polygamie en pays toucouleur" in Afrique Documents na 64-1962)
p. 167.
(2) -
1. A.
Richie
Op.
cit.,p, 319.
./ .

-220-
Finalement,le procès d'accumulation et de répartition de la dot,
ainsi
que le rôle joué par les femmes
(mère, Ywnpaan
soeur)
dans le choix des conjoints
incitent à remettre en cause la thèse défendue par Lévi-Strauss selon laquelle les
femmes sont traitées en objets d'échange par les hommes:
En effet, selon Lévi
Strauss: "la relation globale d'échange qui constitue le mariage ne s'établit
pas entre un homme et une femme qui,
chacun,
doit et chacun reç0it quelque cho-
se : elle s'établit entre deux groùpes d'hommes,
et la femme y figure comme
des objets de l'échange et non comme un des partenaires entre lesquels i l a
D'ailleurs, la position que la femme occupe dans les systèmes matrimo-
niaux traditionnels est étroitement liée à celle qu'elle occupe dans les modes
de filiation et,
d'une manière générale,
dans l'ensemble des rapports sociaux.
LA FILIATION
Dans le système traditionnel wolof,
la descendance s'établit à deux
niveaux
la lignée paternelle et la lignée maternelle. Cependant,
il semble que
dans la société traditionnelle,
le système de filiation était principalement de
type matrilinéaire;
les patrilignages, bien que n'étant pas absents, occupaient
une place relativement secondaire.
Au cours de l'histoire,le rapport entre ces deux lignées a subi des
changements tendant au renforcement des patrilignages au détriment des lignages
maternels. Des influences liées à la colonisation et à l'Islam sont certainement
intervenues parmi les facteurs de cette évolution.
Le droit colonial comme le droit
islamique uans le domaine de la succession et de l'héritage, c'est-à-dire dans
des aspects fondamentaux de la reproduction sociale,
accorde une primauté à la
filiation patrilinéaire. Le matrilignage qui était 2U
centre de la reproduction
du système traditionnel est pratiquement méconnu dans ces deux types de droit
reproduisant des modes de filiation différents.
(1) -
Claude Lévi-Strauss: Les structures élémentaires de la parenté. Mouton
2ème Edition -
Paris La Haye} 1967,p. 135.
./ .

-221-
Dans la société traditionnelle,
le lignage maternel se définit par
la descendance, par filiation utérine,
à partir d'un ancêtre commun. Celui-ci est
donc nécessairement une femme.
C'est la femme qui fonde la lignée et qui assure
sa continuité;
les Wolof retiennent très aisément les noms de leurs ancêtres ma-
ternels jusqu'àla septième génération
comme le faisaient les Egyptiens si l'on
en croit lu Stèle Gaine JE 48866(1). En effet, dans le récit de son courronnement
mentionné par les inscriptions de cette stèle,
Aspelta se refère à ses sept géné-
rations d'ancêtres maternels comme à l'heure actuelle le Wolof parlerait de ses
jurom napi maam (sept ancêtres).
Le lignage maternel (xeet
en wolof)
se subdivise en petites entités
regroupant les parents vivants les plus proches autour d'une ascendance mater-
nelle commune. Cette unité prend en wolof les noms de meen' ou soow qui veulent
respectivement dire le sein ou le lait (maternel), elle est aus::,i
appelée négu
yaay (la case de la mère). Le
Peul utilise le terme endu(sein) pour désigner la
même réalité.
L'importance de la lignée utérine chez les Wolof et les Peul apparatt,
en outre, dans la relation entre neveux et oncles utérins telle qu'elle transpa-
rait à travers le mode de succession et d'héritage.
Selon F. Carrère et P.
Halle,
dans le Waalo précolonial "c'est la ligne
collatérale, restreinte encore au côté seul des fe~mes qui prime toute la descen-
dance directe ...
L'enfant de la soeur succède à son oncle ou à sa tante, à l'ex-
clusion des propres enfants de ceux-ci ... Les parents directs collatéraux par les
(2 )
hommes ne viennent qu'en cas de non
exi.stence des enfants de la soeur"
. De
manière plus explicite encore, ces auteurs notent:
"à la mort du père de famille,
le fils doit sortir de la maison,
il ne peut emporter que son sac de gris-gris,
ses armes et ses instruments de travail.
L'aîné des enfants de la soeur, quelque
soit son sexe, s'empare de l'héritage ... ".
(1) -
Théophile Obenga : "Les origines des pharaons sont africaines" in Afrique-
Histoire.n o 7/1983,p. 48.
(2 0 -
F. Carrère et p. Halle: Op. cit.,p. 95.
·/ .

-222-
Même dans le système politique, les titres et les fonctions du pouvoir
se transmettaient d'oncle maternel à neveux. La tradition orale donne à ce niveau
un exemple significatif à travers la succession de Ndiadiane Ndiaye à la tête du
royaume du Waalo : Ndiadiane Ndiaye prévoyant qu'il allait être destitué, propose
son frère comme successeur, l'assemblée élective refusa et intronisa son neveu
utérin Mbany Waad(l).
Ce lien entre neveu et oncle, chez des populations voisines des Wolof
-les Sereer par exemple- est tel que, vers la fin de sa vie, l'oncle maternel fait
.
l
t l
'
, h'
't
t "
(2)
D
l
~
d
d' 'd'
'venlr
e neveu e
e prepare a
erl er son pa rlmOlne
.
ans
e meme or re
1
ees
Yaro Diaw indique que "chez les Peul parens comme chez les Sereer, les biens ne
s'héritent encore que dans la lignée utérine; les droits au commandement et cer-
tains gris-gris destinés à procurer la victoire dans les combats sont les seuls
-
t
tt
d
l
l '
l '
" (3 )
a se
ransme
re
ans
a
Igne mas cu lne
.
Dans le Mali du XIVème siècle Ibn Batouta observe: "l'héritage est
recueilli par les fils de la soeur du décédé, à l'exclusion de ses propres en-
fants(4),: La même coutume existait aussi. au Ghana.
Mais réciproquement, si le neveu peut hériter de l'oncle maternel,
en retour celui-ci détient une autorité sur lui, autorité qui transparait encore
dans la définition étymologique des termes: oncle maternel et neveu. C'est dans
ce sens que,faisant allusion au Waalo ,Cheikh Anta Diop écrit: "L'oncle, dans
certaines langues africaines, signifie celui qui a le droit de vendre (sous-
entendu
son neveu)
: cela veut dire, qu'au cas où il serait fait prisonnier,
il peut se racheter en donnant son neveu à sa place. D'où l'etymologie de neveu,
dans la même langue: celui qui peut servir de rançon, qu'on peut vendre pour li-
bérer son cou de la corde de l'esclavage,,(5). Plus précisément encore Cheikh Anta
Diop indique les racines respectives des termes wolof désignant l'oncle maternel
et le neveu ; "Na diay: qu'il vende = oncle" et "djar bât: valoir une rançon =
neveu".
(1) - Vincent Monteil: Op. cit.~p. 32.
(2) - H. Gravrand : "Dynamisme interne de la famille Sérer" Afrique documents
nO 85-86, 1966,pp. 95-122.
(3) - H. Gaden : Op. cit.)p. 122.
(4) - Voyage d'Ibn Batouta cité par Cheikh A. Diop in Civilisation et Barbarie,
p. 136.
(5) - Cheikh A. Diop
L'Unité culturelle de l'Afrique noire, Présence africaine
1982, p. 35.
1
., .

-223-
A. R. Radcliffe-Brown a étudié des relations similaires chez plusieurs
populations Bantou d'Afrique du Sud.
"Le frère de la mère,
écrit-il à propos des
Balla, est un personnage d'une importance telle qu'il a sur Ses neveux et nièces
un pouvoir de vie et de mort que ni le père,
ni la mère, ni ducun des membres de
l
f
'Il
'd
'1
t
l
h
-
l '
l '
~ (1)
a
amI
e ne posse e
; 1
es
p us
onore que
e pere
Ul-meme
.
Dans la société traditionnelle c'est l'oncle maternel qui donne sa
nièce
en mariage et un dicton wolof dit qu'il peut l'épouser lui-même:
IIjarbaat, Jarabz: ,"0aat
bu jekké nga takk
bu naaLùé nga maye"
Traduction
"La nièce perle autour du cou,
belle, on attache à soi
(on l'épouse)
i
laide, on l'offre
à quelqu'un d'autre". (2).
tt
Mais,
en revanche, ce droit sur le neveu implique sur le plan spirituel
une prise en charge par l'oncle de la responsabilité des fautes commises par le
~.~

neveu dont,
par ailleurs,
il assure l'éducation. Selon des représentations reli-
1\\
gieuses que l'on retrouve aussi bien chez les Wolof que chez les Peul, c'est l'oncl
maternel qui est chargé dans l'au-delà de sauver l'6me de son neveu ou de parta-
ger son sort s ' i l doit aller en enfer. Dans l'au-delà,
l'enfant n'est reconnu ni
par son père,
nI par sa mère, mais par son oncle maternel qui,
alors,
fait tout
pour le sauver d'une éventuelle sanction divine "nijaay moy raamu jarbaat yomal.
xiyaam" (c'est l'oncle maternel qui, dans l'au-delà, sauve le neveu).
(1) -
En fait A. R.
Radcliffe-Brown cite dans ce passage les travaux de Smith et
Dale. R.
Radcliffe-Brown
: Structure et fonction dans la société primitive -
Ed. de Minuit 1968 p. 84.
(2) -
Cependant, au cours de nos enquêtes nous n'avons pas
enregistré ce type
de mariage en milieu wolof; ce qui rend l '"interprétation de ce dicton dif-
ficile à réaliser.
./ .

i
-224-
1
~
~
Cependant, cette prééminence de l'oncle
maternel sur le neveu n'exclut
pas l'existence du lignage paternel. La lignée paternelle (askan
en wolof -
~eno~ en Pulaar) regroupe tous les descendants par filiation paternelle, d'un an-
cêtre masculin. Les Wolof savent difficilement remonter au-delà de leur quatrième
génération et font ensuite intervenir les ancêtres féminins de ces lignages. Ce
qui fait qu'en remontant la lignée paternelle on aboutit généralement à une lignée
maternelle;
l'ancêtre mâle est issu d'un matrilignage. Par contre, chez les
Xartaani, la connaissance du lignage paternel est beaucoup plus étendue,
te quelque fois jusqu'à la dizième génération,
alors que les matrilignages ne sont
pas connus avec la même précision.
La lignée paternelle se subdivise à son tour en unités lignagères plus
petites, regroupant chacune les descendants vivants les plus proches. En Wolof
cette unité porte le nom de geno en wolof (ceinture par laquelle on attache le
talon) ou de negu baay (la case du père)
; en pulaar on le désigne sous le nom
de duxol.
L'enfant reçoit son nom de la lignée paternelle, c'est aussi le père
qui
transmet certaines qualités tell~~ue le courage ou la bravoure. En tant que
chef de famille dans le système patrilocal, c'est lui qui est responsable de
rielle et économique de la famille.
Avec l'Islam et la colonisation,l'héritage et la succession sont passés
du lien entre oncle et neveu à celui entre père,
fils et frère du père. A partir
de la colonisation, ce sont les pères de familles qui vont être les seulU autorités
reconnues par l'administration. Ce sont eux qui sont chargés de payer les impôts
de leurs familles respectives
; pour les levées de troupes,
ce sont également eux
qui sont chargés de fournir les hommes au contingent. Avec la désarticulation des
économies traditionnelles,
ce sont les chefs de famille qui contrôlent les semences
agricoles (fournies par les structures étatiques) et les récoltes des cultures
de rentes alors qu'anciennement c'étaient les épouses qui assuraient le contrôle
des semences. Par ailleurs, avec la destruction v~olente des pouvoirs traditionnels,
les matrilignages n'assuraient plus, à ce niveau,
leur fonction de reproduction
du système politique dominant.
./ .

-225-
Ainsi,
contrairement à ce qu'a pu prétendre l'évolutionnisme (de Morgan
en particulier),
le système patrilinéaire ne découle pas de l'évolution du système
matrilinéaire auquel elle succède dans un schéma d'évolution par étape de système
de pàrenté ; au contraire,
le renforcement des patrilignages est étroitement lié
à des facteurs essentiellement exogènes non à une évolution interne des systèmes
matrilinéaires. D'ailleurs,
les travaux de Cheikh A. Diop ont démontré l'impossibi-
lité du passage universel du système matrilinéaire au système patrilinéaire
t l '
l"
I t -
-
(1)
pos u e par
evo.u lonnlsme
.
L'autorité de l'oncle maternel sur le neveu a cependant emmené certains
auteurs à tenter de dégager des convergences entre les deux systèmes de parenté.
L'opinion de M.
Godelier dans ce sens,est que tout compte fait,
dans les deux cas
le problème reste le même, à savoir le contrôle des femmes et de leur progéniture
par les hommes
-car "dans un système patrilinéaire écrit-il, ce sont les épouses
des hommes qui reproduisent le lignage,
dans le système matrilinéaire, ce sont les
soeurs,
le problème est donc d'assurer le contrôle complet de son épouse et de
renoncer à celui de sa soeur,
soit l'inverse,,(2). M.
Godelier rejoint dans ce sens
Claude Levi-Strauss qui conclut que " . . . la relation entre oncle maternel et neveu
est à la relation entre frère et soeur comme la relation entre père et fils et à
la relation entre mari et femme,,(3).
Cette position semble éluder la place occupée par la femme dans tout
le corps social des sociétés à système matrilinéaire. C'est en fait la femme qui
se trouve à tous les niveaux de contrôle de la production et de la reproduction
sociale même si l'autorité politique appartient aux hommes. Cette position lui
confère une place centrale dans les modèles sociaux-culturels, économiques, poli-
tiques et idéologiques.
Ainsi, si l'oncle maternel occupe cette importance par rapport au
c'est eu égard à sa relation avec la mère de ce dernier.
(1) - Cheikh A. Diop: Unité culturel ... op.
cit.
(2) - Maurice Godelier : Horizon,
trajets marxistes en anthropologie,
tome II~ed.
Maspero,1977, p. 17.
(3) - Cl. Levis-Strauss: Anthropologie structurale,Plon)1958,p. 52 •
./ .
il'

-226-
C'est la femme qu'elle soit mère,
épouse ou soeur qui agence à partir
d'elle tout le système de parenté de la société wolof traditionnelle.
Anciennement (et même maintenant encore) c'est la mère qui choisissait
au jeune homme sa première épouse. Cette dernière était d'ailleurs du même lignage
qu'elle. Certes le fait de rendre public,
d'officialiser le mariage revenait au
père de famille ou à l'oncle maternel, mais le choix du conjoint était surtout une
décision de la mère et de son lignage.
C'est aussi la soeur qui est responsable
de l'organisation du mariage et du baptême des enfants du frère.
C'est elle qui
assure l'intégration dans la communauté de la nouvelle épouse et du nouveau-né.
Dans le
Waalo~récolonial, la soeur du futur mari était celle devant donner le
"tak" (le symbole du mariage) en l'occurence deux pagnes -à la famille dp la nouvell
épouse;
toutes les questions relatives à la dot de l'homme
sont
pratiquement
de son ressort.
Au baptême d'un enfant,
c'est encore elle qui doit raser celui-
F:
k
ci ou le plonger dans les eaux d'un cours d'eau pour marquer son adoption par la
1
communauté. A la mort du mari l
sa soeur effe_ctue l'acte fondamental de rupture so-
ciale de l'acte de mariage du défunL avec les veuves.
Avant l'adoption des coutumes
islamiques,
cet acte consistait,
pour la soeur du mari, à habiller chacune des
épouses d'un des vêtements du déflJrlt et à défaire leurs tresses (firi en wolof
ce terme signifie en ~ême temps dénouer)(l).
Sur un autre plan,
l'épouse jusqu'à un certain niveau, définit le statut
de l'homme. Chez les Wolof comme dans
beaucoup de sociétés africaines, un homme
ne devient majeur qu'à partir du moment 00 il se marie.
A défaut de cela,il ne peut
accéder à certaines fonctions spiriLuelles ou religieuses.
On sait, par ailleurs,
qJ'en Nubie ancienne,
c'est la reine-mère ou
l'épouse-reine qui assurait la transmission de la couronne royale. Cette coutume
avait existé aussi dans les premières dynasties egyptiennes. Selon Otto Muck "cette
loi sévère,
qui existait toujours à l'époque du Nouvel Empire,
fit que Thoutmès
1er dut abandonner le trône à sa fille et à son gendre lors de la mort de sa femme
Ahumès (à laquelle il devait le trône),
et abdiquer,,(2) .
.. .. .. . .. .. .. . .. .. .. .. .. . . .. .. . . .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. ..
(1) - F. Carrère et P. Holle
: op. cit.~p. 25 et 31.
(2) - Otto Muck :
Cheops et la Gra.nde Pyramide
Paris 1978,p. 36~cité par Cheikh
Anta Diop
dans Civilisation ou Barbarie.
1
. .
/

Mais c'est surtout la mère qui transmettait son statut social à l'in-
dividu. L'enfant généralement épouse le statut ou la catégorie sociale de sa mère.
Celle du père n'intervenant pratiquement pas.
Ainsi, Yoro Diaw indique que chez
les Peul du Waalo précolonial "l'enfant d'un homme libre et d'une captive était
captif et propriétaire du mattre de la mère,
tandis que l'enfant d'un captif et
d'une femme libre était libre,,(l).
Chez les Wolof aussi,
en cas d'exogamie de
caste (ce qui est très rare mais peut arriver)
l'enfant épouse la caste de sa mère.
Sur le plan spirituel,
les Wolof
ainsi
que plusieurs populations
d'Afrique Centrale et Australe,
croient en l'existence de mangeurs d'hommes occultes
(dëmm) or pour être dëmm, il suffit de descendre d'une telle mère peu importe la
nature du père. Si par contre c'est le père seulement qui est mangeur d'homme,
l'en-
_
(2 )
fant aura des dons translucides, mais ne sera pas de la même essence que son pere
Les Peul aussi ont les mêmes croyances à propos des n~zeejo (mangeurs d'âmes).
~l
D'autre part,
la réussite sociale,
l'avenir professionnel
, les suc-
f
cès de l'individu sont aussi considérés comme découlant de l'effort fourni par
fi
la mère dans le domicile conjugale. un dicton wolof dit "Zigey ndey anub doom"
(litteralement : le travail de la mère,
repas
(fruit)
de l'enfant). Ainsi,
l'enfant
1
même devenu adulte craindra-t-il la malédiction lancée par sa mère,
elle l'attein-
1
drait à tous les
coups,
car l'individu est tributaire d'une sorte de péché origi-
nel
~
axxu n~7uY'eZ(péché de la naissance) vi::;-à-vis de sa mère.

r
~
Cette notion (axxu njuY'e ZJ
rend co;nptc de la dette que l ' enfar.t doit
à
~.
1>
sa mère.
Une dette relative à la douleur de la grossesse,
de l'enfantement aux dif-
I~.:'.'.•...'...,.",·,.•
ficultés et aux épreuves traversées pour élever l'enfant . . . , l'individu devra s'en
.'
souvenir continuellement pour avoir à l'esprit qu'il doit honorer sa mère.
Un texte
egyptien reproduit par Cheikh Anta Diop,
évoque le contenu de cette notion
"Quand tu es né,
elle (ta mère)
s'est faite esclave de toi réellement
les tâches les plus ingrates ne rebutaient pas son coeur au point de
lui faire dire "qu'ai-je besoin de m'imposer cela ?". Quand tu allais
à l'école pour t'instruire, elle s'installait près de ton mattre, appor-
tant chaque jour les pains et la bière de la maison. Et maintenant que
tu es grand,
que tu te marie~ que tu "fondes une famille à ton nom, aies
'toujours présents aux yeux tous les soins que ta mère a pris de toi,
afin qu'elle n'ait rien à te reprocher et ne lève pas ses mains vers
le dieu, car il exaucerait sa malédiction,,(3).
" " " " " " " " " " "
"
"
" "
" " .. "
"
"
"
..
(1)
-
H. Garden: ?E' cit.,p. 123.
(2) -
Cheikh A. Diop: L'unité culturelle . . . , pp.
38-39.
( 3 ) -
Op. ci t '. p. 60.
'/ .

-228-
Aujourd'hui encore, un Wolof du Lac de Guiers a peur que sa mère ne lève
contre lui ses mains vers le ciel. Cependant,la crainte de la malédiction de la
mère n'exclut pas le lien de solidarité profonde qui unit mère et enfant du fait
qu'ils partagent le même sang.
En effet, dans le système traditionnel
c'est surtout la mère qui
transmet son sang à l'individu.
Le l~it
maternel lui-même est
chargé de qualités
physiques, morales ou spirituelles que l'enfant hérite. On évoque d'ailleurs,
in-
variablement les termes wolof dcret (sang) et soow (lait) pour évoquer une parenté
du côté de la mère.
Cette croyance en la transmission du sang par la mère se retrouve
chez les peuples bantu étudiés par A.
1. Richards qui écrit: "The mayombe believe
that blood passes through the woman and not through the man,,(1).
Il en est de même
selon elle pour les Bemba,
les Bisa,
les Lamba,
les Yao, etc ... Elle mentionne
d'ailleurs la zone géographique que l'on appelle généralement la "ceinture matrili-
néaire"
: " ... the territory stretching from the west and central districts of
the Belgian Congo to the north easten plateau of northern Rhodesia and the highland
of Nyasalang is sometimes referes to as the "matrilineal belt".
On comprend alors que la référence à la mère conduise à un système
nominal qui ajoute au prénom de l'individu, celui de sa mère. D'ailleurs, selon
Ibn Batouta dans le Mali du XIVème siècle,
les hommes ne se nommaient pas d'après
leur père, mais d'après leur lignage utérin:
"aucun d'eux (les hommes) écrit-il,
ne se nomme d'après son père; mais chacun rattache sa généalogie à son oncle ma-
i
ternel,,(2).
f
Et réciproquement il arrive souvent,
chez les Wolof,
qu'on appelle
une femme en se reférant à son fils,
on la nomme alors "mère d'un tel"
; chez les
Nuer E.
Evans-Pritchard nous apprend que "la formule
... -man (mère de) un tel-
constitue la manière normale de s'adresser à une femme mariée ou de parler d'elle"(
Par contre,
chez les Maures,l'enfant porte le prénom de son père;
il est "fils
d'un tel" et leur système de parenté,
comme souligne C. Harmes,
est patrilinéaire:
...................................................................................................................................................................
(1) -
A. 1. Richards: Op.
cit. ,p. 213.
(2)
Voyage d'Ibn Batouta
Tome IV -
traduction du Dr. B. R. Sanginnetti 1922.
p. 388,cité par Cheikh A. Diop in civilisation et barbarie,p. 136.
(3) -
E. Evans-Pritchard: la femme dans les sociétés primitives - P.U.F.,1971,
p. 191.
./ .

-229-
"le modèle (maure) est arabe avec filiation patrilinéaire . .. ". "C'est pourquoi,
pouY'soit-il, le statut de caste des descendants sera identique à celui du père,
c'est le cas du guerrier qui prend femme chez les griots,,(1).
Sur un autre plan, la détermination de la lignée de l'enfant à partir
de la mère a conduit certains auteurs à penser que, d'une manière générale en
Afrique, la valeur d'une femme est étroitement liée à ses capacités d'enfantement.
A. R. Radcliffe-Brown écrit dans ce sens:
"The most important part of the value oI'
a woman is a child-bearing capacity,,(2).
Cette position semble méconnaître la plu-
ralité des statuts OCCUpéh
par la femme qui lui confèrent à chaque fois des rôles,
des positions et des valeurs différentes. Ainsi, dans la société wolof, la femme
peut occuper plusieurs statuts qui ne sont pas directement déterminés par ses
capaci tés d'enfantement. Elle peut être
bcjen (soeur du père), yumpaan
(femme de
l'oncle maternel) en même temps qu'elle peut entrer dans d'autres rapports de pa-
renté classificatoire (mari, grand-parent, soeur, épouse, etc ... ). Même mariée,
1
la femme continue à occuper plusieurs positions au sein de sa famille originelle.
D'ailleurs, elle continue à appartenir à celle-ci et y retourne en cas de diffi-
cuItés dans son ménage. En effet, dans le cadre d'un mariage patrilocal ou néolocal,
la femme peut toujours interrompre provisoirement ce mariage (fay en wolof) et
imposer, par un retour chez elle, une renégociation des conditions de mariage.
Par ailleurs, dans la société wolof, la femme qui n'a jamais eu d'enfant ou qui
en a eu qui sont morts en bas-âge (yarada[) n'est pas victime d'une marginilisation
ou d'une sous-estimation dans l'échelle des valeurs; elle fait l'objet de consi-
dérations rituelles, elle est censée avoir des dons pour guérir certaines maladies,
elle joue un rôle dirigeant dans les rites de la pluie.
Dans la société traditionnelle peul el. particulier, on établit une dis-
tinction évidente entre la possibilité de rapports sexuels et celle d'avoir des
enfants. Une femme mariée conserve une certaine liberté sexuelle. Elle peut avoir
un ou plusieurs amants sans que cela ne représente un motif de divorce ; la con-
tradiction à ce niveau oppose le mari et l'amant et peut prendre des formes vio-
lentes pouvant aller jusqu'au meurtre de ce dernier;
la femme, en tous les cas,
n'est nullement culpabilisée. Mais elle ne peut avoir des enfants qu'avec son
mari. C'est celui-ci qui assume la paternité de tous les enfants nés dans le ma-
riage. Par contre, chez les Maures,le délit d'adultère est partagé par l'amant
et la femme pris en faute
; les deux individus subissent une sanction très sévère
conformément au code islamique.
(1) - C. Hames: Qp.,Cit.,p.) 174.
(2)
A. R. Radcliffe-Brown: Op. clt.IP' 81.

-230-
1
1
~!
Dans le milieu traditionnel wolof, c'est plutôt la jeune fille qui pou
•.
vait avoir une grande liberté dans les rapports sexuels avant le mariage. Chambonn

note à ce propos ; "ils (les Wolof) sont fort jaloux de leurs femmes, mais une
fille peut se divertir, sans que cela soit réputé à honte dans le pays,,(l).
1

Au bout du compte,le mariage introduit de nouveaux rapports entre la
femme et les unités parentales avec lesquelles elle est en relation. Ces rapports,
le plus souvent, s'expriment à travers un code d'obligations, des conduites d'évi-
tement et des relations de plaisanteries.
~l,f
CONDUITES D'EVITEMENT ET RELATIONS DE PLAISANTERIES
i
1
Les conduites d'évitement et les relations à plaisanteries qu'observent 1
les individus appartenant à des unités familiales ou à des familles différentes
1...·...•..
sont souvent liées aux liens de mariages qui unissent certains d'entre eux.
.•
~
Les conduites d'évitement à l'égard des beaux-parents (le père et la
J
mère de l'épouse) sont encore très nettes chez les Peul et les Xartaani. On évite
1
~
formellement de plaisanter avec le père, la mère ou les frères et soeurs aînés
1
de l'épouse, on évite même de tenir tout langage grossier en leur présence. Les
t
Peul évitent même de manger en présence de ces beaux-parents et les Xartaani
1
t
affirment que leurs regards ne doivent pas se croiser avec ces derniers. Peul et
i~
Xartaani prétendent même qu'autrefois on devait changer de chemin pour éviter une
~
éventuelle rencontre avec les parents de sa femme.
l'
tt
R
Chez les Wolof, les conduites d'évitement vis-à-vis de la même caté-
f
1;t
gorie de parents semblent moins nettes, on évite cependant les plaisanteries et
on essaye d'adopter en leur présence le comportement le plus conforme aux règles
f
de savoir vivre, on évite jusqu'à la moindre forme de violence verbale et la moin-
dre grossièreté. Vis-à-vis du père, de la mère ou des frères aînés du conjoint,
1
il faut avoir une attitude de retenue et de respect (rus en wolof). Quand l'épouse
rejoint le domicile de son mari, ce sont ses parents à elle qui doivent recevoir
1
la première visite (tari tank) que le couple rend aux parents et amis. Cette visite
a lieu 7 jours après l'intégration de la femme au sein du foyer conjugal. C'est
l'occasion pour l'homme de faire des dons à ses beaux-parents, mais en général,
ces derniers, pendant toute la durée du mariage de leur fille, évitent de solliciter
une quelconque aide de la part de leur gendre .
.............................................. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - 1. A. Ritchie : Op. Cit.,p. 319.
.f.

-231-
1
En milieu wolof, peul et xartaani,
le père et la mère considèrent la
femme de leur fils comme leur "fille" et se sentent responsables de sa protection
à tous les niveaux.
Mais, par rapport à sa belle-famille,
l'attitude de l'épouse wolof
est
ambivalente : vis-à-vis du père,
de la mère,
des belles-soeurs et des
beaux-frères plus âgés qu'elle,
elle observe un comportement courtois, et renou--
velle son respect à leur égard par des dons réguliers à certaines occasions.
Vis-à-vis
jes plus jeunes frères du mari,
elle
entretient des relations de plaisan-
teries, elle peut leur faire effectuer des 'commissions et disposer de leur force
de travail;
en retour, ceux-ci affichent à son égard une familiarité pratiquement
sans limites; la règle étant qu'aucune des deux parties ne doit s'offusquer de
l'attitude de l'autre.
De même,
du côté du mari,
son attitude d'évitement et de respect à
l'égard du père,
de la mère, des frères et des soeurs aînés de son épouse contraste
avec les plaisanteries qu'il se permet avec les soeurs cadettes de celle-ci.
A. R. Radcliffe-Brown explique ces relations d'évitement et de plaisan-
terie par la nature même des mariages exogamiques qui font que l'homme est un étran-
ger par rapport à la parenté de sa femme et qu'il doit,
vis-à-vis de celle-ci entre-
tenir des relations exemptes de conflits : "le mari étranger au groupe de sa femme
et séparé de lui socialement se trouve,
par sa parenté avec elle, en relation indi-
recte
ou médiate avec les individus de son groupe.
L'équilibre social exige que,
dans toute
la mesure du possible,
il n'entre pas en conflit avec le groupe de la
1
femme,
mais maintienne avec ce groupe ou ses membres une relation "amicale". Les
coutumes d'évitement et les coutumes de plaisanterie sont,
toutes les deux, des
d
-
l
t
' 1
t
t t
. t
t'
,,(l)
Pl
_ . .
t
moyens
e reg~emen er SOCla emen - ce
e Sl -ua 10n
.
us precJsemen
encore,
1
A. R. Radcliffe-Brown ajoute que "cette différence de comportement envers les parent
de sa femme,
ses frères et ses soeurs s'explique par le principe très répandu du
respect entourant les parents de la première génération ascendante, tandis que des
relations de familiarité et d'égalité conviennent entre des personnes appartenant
-
l
"
-
-

,,(2)
a
a meme genera 10n
.
....................................................................... .............
(1) - A. R. Radcliffe-Brown : Structure et fonction dans la société primitive -
Editions de Minuit, 1968, p. 179.
(2) -
Op.
cit.,p. 179.
./ .

-232-
Mais,
de manière plus générale,
les relations à
plaisanteries peuvent
être envisagées comme des compléments idéologiques aux différentes relations écono-
miques et sociales
que se tissent les individus et les groupes.
C'est l'avis de
Sory Camara pour qui l'échange de propos grivois,
voire de grossièretés apparait
"comme l'autre face,
le nécessaire revers de l'échange de femmes,de biens de toute
t
f
d
t
l
h "
. l
,,(1)
N'
.
~
-
.
I D '
sor e,
on an
a co eSlon SOCla e
.
eanmOlns, meme a ce nlveau,
se on
enlse
Paulme les dimensions matrimoniales ou sexuelles sont toujours présentes ; ainsi
s'agissant des plaisanteries entre cousins croisés, mari et soeur cadette de la
femme,
épouse et frère cadet
du mari ou entre clans ne permettant pas de mariage
entre eux, elle note que "dans tous les cas,les plaisanteries ont un caractère
sexuel. Elles interviennent dans des relations comportant des éléments en principe
incompatibles
une soeur, mais que l'on peut épouser,
une belle-soeur aujourd'hui
interdite, mais appelée à devenir votre épouse après la mort de votre femme ac-
q~~)devait
I~.:
tuelle,
enfin une femme
être permise mais que la convention passée entre
les ancêtres vous refuse"
.
i
Entre cousins croisés les plaisanteries entre fils de l'oncle maternel
et fille de la tante paternelle ou entre fille de l'oncle maternel et fils de la
tante paternelle et plus généralement entre tous les enfants de ces deux parents,
1
s'accompagnent d'un échange organisé de cadeaux et de services. Dans les cérémo-
f
nies familiales
(baptêmes, mariages ...) ce sont les enfants de la tante qui viennent 1
..
:
prendre en charge les tâches relatives à la cérémonie (Jaamu en wolof)
; en retour

à la fin de la cérémonie,
ils exigent et reçoivent des dons de toutes sortes
f1
(sangu njaam).
i~
Entre grands-parents et petits-enfants, il existe aussi des relations
~
à plaisanteries;
le grand-père prétend que sa petite-fille est son épouse et l'ap-
pelle sa "femme" en même temps qu'il considère son petit-fils comme son rival au-
1
près de sa propre épouse ou de l'épouse de celui-ci, quand l'occasion se présente,
il traite aussi de rival le mari de sa petite-fille. La grand-mère inversement
f
effectue les mêmes plaisanteries avec son petit fils et sa petite-fille. H. Laboure
a étudié des relations semblables chez les Lobi(3).
" .. " " " " " " " .. "
" " "
" " .. " .. " " " " " .. " .. " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
(1) -
Sory Camara : Gens de la parole -
Essai sur la condition et le rôle des
griots dans la société Malinké, Mouton, Pa~is - La Haye 1976,p. 35.
7
(2) -
Denise Paulme : "Pacte de sang, classes d'âge et castes en Afrique noire"
in Archives européennes de sociologie -
T. IX 1968, nO IJP. 32.
(3) -
H.
Labouret
Les tribus du rameau lobi - Paris 1931.
J
./ .

-233-
Par ailleurs,
à un niveau beaucoup plus large il existe des réseaux
de plaisanteries réciproques chez les Wolof et les Peul, entre individus portant
des noms claniques
différents(l). Ces mêmes relations existent sur le plan ethnique
entre Peul, Sereer et Manding ; elles existent aussi entre les Peul et la caste
des forgerons.
Ces relations postulent que ces différents groupes sont historiquement
des cousins matrilatéraux kal
et qu'à ce titre il est tabou à chacun d'eux de
verser le sang de ses partenaires dans cette relation.
Les plaisanteries entre eux
peuvent revêtir des formes grossières en même temps que l'interdiction de s'offen-
ser rend le conflit impossible. D'ailleurs ces plaisanteries que M.
Griaule décrit
comme alliances cathartiques libèrent l'individu des tensions qui auraient pu dé-
• •
fI"
"
-
"(2)
generer en con
lt avec son VIS-Q-VIS
.
Cheikh Anta Diop,
quant à lui,
pense que cette forme de relations aurait
un lien avec l'exogamie
clanique
qui aurait autrefois existé dans des sociétés
africaines de ~ype dual. Ces relations de plaisanteries seraient l'expression d'une
parenté établie entre clans exogames:
"Lorsque l'exogamie fut en vigueur,
écrit-
il,
une parenté relative finit par s'établir entre les clans qui contractaient des
mariages entre eux ( ... ) le souvenir de cette parenté expliquerait aujourd'hui,
dans la société wolof (par exemple)
les
parenté
clanique
hypothétique au-
~
.
t d
' I l " "
,,(3)
torlsan
es raI
erles reclproques
.
~1
~~
Toujours
est-il qu'en fin de compte,
on peut envisager
les relations
~
à plaisanteries, ainsi que les relations d'évitement,
comm~ étant des institutions
1
1
assurant le fonctionnement de relations pacifiques nécessaires à certains types
1
de sociétés précoloniales.
1
~~;.~.~~~~~:.~~~.~~~~~~~:.~~~~.~~~.~~~~~:.~~.~~~~~~.~~~.~,~~~~~~~~.~.~~~~~~~~~~~~..... r
entre :
Samb/Mboup/Mbaye
.
Diour/Dione/Sene/Faye /Ngüm
Niang/Fall/Diagne/Dieng/Mbeng/Thioune
Diop/Ndiaye,
etc ...
Chez les Peul entre Ka/Diallo/Ba
(2 )
M. Griaule: "L'Alliance cathartique" in Africa XIX 194~p. 133-140.
,
(3) - Cheikh Anta Diop
Nations nègres . . . t., l,p. 206.

1
1
CHAPITRE
II
LE SYSTEME
DES CASTES
1
-=-=-::-=-
STRUCTURES DU SYSTEME
1
Dans les sociétés Wolof et Peul
1
La structure de la société précoloniale Wolof est, à plusieurs niveaux,
Î
dominée par le système de castes.
En dehors de la référence à l'ordre social, c'est
l'appartenance de caste qui,
dans une large mesure,
détermine le statut social et
les relations humaines au sein de l'ensemble du corps social.
Mais,
de nos jours,
du fait des changements socio-économiques profonds,
subis par la société Wolof, ce système n'intervient que secondairement dans les
rapports de production. Néanmoins,il demeure important sur le plan des représenta-
tions et des valeurs idéologiques et a une influence sur l'ensemble des rapports
inter-individuels. La référence à la caste d'origine intervient dans les relations
matrimoniales,
dans une certaine division du travail et même dans l'appréciation
des qualités morales de l'individu(l).
Cependant, du point de vue théorique,l'analyse du système de castes
présente une difficulté majeure:
l'absence de définition générale,
communément
acceptée dans les sciences sociales. Les seules définitions à partir desquelles
on peut se baser,
sont de nature descriptive,
c'est le cas notamment de celles que
propose L. Dumont qui,
lui-même,
se base sur des observations faites par C. Bouglé
à propos de la société Indienne: " ... nous disons -écrit-il- que le système des
castes divise l'ensemble de la société en un grand nombre de groupes héréditaires
distingués et reliés par trois caractères
: séparation en matière de mariage et
de contact direct ou indirect (nourriture)
; division du travail:
chacun de ces
groupes ayant une profession traditionnelle ou théorique dont ses membres ne peu-
vent s'écarter que dans certaines limites; hiérarchie enfin,
qui ordonne les grou-
(2 )
pes en tant que relativement supérieurs et inférieurs les uns aux autres"
.
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ,
..
(1) -
Un dicton wolof dit "Lu Y'eeY'ci jidufeen ci jiko" (ce qui se perd dans la
naissance,
apparait dans le caractère moral) autrement dit,
pour connaître
l'origine sociale de l'individu,
il faut se reférer à son caractère.
(2) -
Louis Dumont: Homo Hierarchicus
Ed.
Gallimard, 1966, p.
36.
,
./.

-235-
Mais L. Dumont précise, d'autre part,
que ces trois principaux caractères repos~t
sur l'opposition fondamentale du pur et de l'impur.
"Cette opposition, affirme-t-
il"
sous-tend la hiérarchie qui est la supériorité du pur sur l'impur,
elle sous-
tend la séparation, parce qu'il
faut tenir séparés le pur et l'impur, elle sous-
tend la division du travail parce que les occupations pures et impures doivent
de même être tenues séparées.
L'ensemble est fondé sur la co-existence nécessaire
et hiérarchisée des deux opposés,,(l).
Le fondement de cette opposition du pur et
de l'impur serait d'ordre religieux si l'on en croit L.
Dumont.
Si la théorie des fondements du système de castes telle qu'elle a été
effectuée par C. Bouglé et L. Dumont à partir du cas Indien, peut difficilement
être généralisable,
(elle peut même être en contradiction avec une étude des sys-
tèmes de castes en Afrique)
; par contre,
les caractères descriptifs qu'elle dé-
gage peuvent servir de base pour aborder ce genre d'études en Afrique,
c'est ce
que fait A. Bara Diop dans son analyse des castes Wolof(2).
Dans un certain sens,
le système de cast~peut apparaître comme résul-
1
tant d'une organisation de la division du travail dans une société agraire;
orga-
nisation qui s'appuie sur la distinction professionnelle et l'héritage des fonc-
1
tions.
1
Dans la société Wolof du Waalo,
les outils de travail eux-mêmes symbo-
lisent cette division du travail.
Le paysan ne fabrique pas lui-même ses outils;
1
les manches de tous les outils agricoles lui sont fournis par la caste des Laobé
et les lames en fer de ces mêmes outils sont fournies par les forgerons.
Quant au
griot,il est présent au moment des travaux (surtout pendant les travaux collectifs
1
de labour et de récolte) pour encourager les travailleurs au son de son tam-tam
l
ou de sa voix. C'est aussi le griot qui anime les rites traditionnels de la pluie,
f
effectue dans les champs les pratiques mystiques contre les animaux déprédateurs
des récoltes et , comme les autres castes,intcrvient dans l'ensemble du procès de
reproduction sociale.
(1) -
L. Dumont - Op.
cit. p. 65.
(2) - A. Bara Diop:
La société wolof -
Tradition et changement -
Ed. Karthala.
Paris 1981.
.; .

-236-
D'une manière générale,
on peut regrouper les castes de la société wolo
en deux principales catégories
:
-
Les neeno
: cette catégorie regroupe tous les musiciens et l'ensemble
des castes artisanales. De manière schématique, on peut distinguer cinq principales
castes au niveau des Reeno
: les tegg (forgerons), les uude
(cordonniers),
les
rdbb (tisserands)
les Zaob~ (travailleurs du bois que les Wolof ne classent pas
parmi les membres de leur ethnie et qui ont vraisemblablement pris la place des
travailleurs du bois wolof: seen) et les geweZ
(griots).
Chacune de ces castes
est subdivisée en sous-group~répondant à une spécialisation professionnelle plus
-
poussee,
' d
malS
on t
l ' en d
.
+
ogamle es~ t
-
l'es relatl've(l).
-
Les geer constituent eux, une caste plus homogène qui se définit es-
sentiellement par le fait que ses membres ne se livrent à aucun travail artisanal
et ne sont pas geweZ
(musiciens-chanteurs ... ).
Les geer sont, à l'origine, essentiel
lement des agriculteurs.
Ces spécialisations professionnelles au niveau des castes sont hé ré-
possède, en plus de l'habileté professionnelle,
la connaissance exacte des rites
à accomplir, des formules à prononcer au cours des diverses opérations (de produc-
tion ll (2) .
Cependant, Abdoulaye Bara Diop a noté
qu'au cours de l'histoire,
des
reconversions se sont effectuées entre membres d'une caste à une autre. C'est le
(3 )
cas notamment de geweZ devenus rdbb ou de uude devenus musiciens~hanteur
Mais ces changements restent dans le cadre de la catégorie des neeno et ne touchent
pas la relation fondamentale de ce groupe avec la caste des geer .
... ... .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. ... .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
Ainsi, A.
Bara Diop,
rend compte de distinctions entre forgerons
: t~gg bu
nuuZ (artisans du fer noir) et tegg bu weex (bijoutiers), entre uude bu nuuZ
(tanneurs et fabricants d'amulettes utilisant certaines teintures)
et v~de
bu weex (utilisant des techniques]
(2)
O. Ba : Le Fûta Toro, Op.
cit. p.
15.
(3) -
A. Bara Diop: Op.
cit.,
pp.
91-93.
. /.

-23/-
La distinction entre geer et neeno repose en outre sur un élément dia-
chronique qui fait apparaître d'autres fondements du système de caste: notamment
la distinction entre le statut et le pouvoir,
ainsi que le principe de l'héritage
socio-culturel lié à l'hérédité biologique.
~
En effet sont neeno
: non seulement tous ceux qui effectuent une pro-
1
fession liée à cette catégorie, mais aussi tous ceux qui ont une ascendance ayant

appartenue à ce groupe. De même. le geer c'est d'abord celui qui n'a dans sa parenté
]
la moindre ascendance ~eeno. On peut dire qu'à partir du moment où les castes se
sont structurées, on ne devient pas geeY' ou neeno, on naît ainsi,
quelque soit le
pouvoir ou la condition (pauvre ou aisée)
que l'on peut occuper.
De ce fait,
la séparation geeY'/neeno repose sur une séparation de sang
1
qui,
dans un certain sens,
reproduit la distinction du pur et de l'impur retenue
1
par L. Dumont et C.
Bouglé.
Les geer sont censés n'avoir aucune goutte de sang
1
nee~o, alors que les neerlO seraient "impurs" selon Yoro Dyaw, en raison du fait
l
"
-l"
l '
d"
d""d
d
t
t
t
. f ' "
(1)
que
eur sang
seraIt me e a ce UI
ln IVl us
e s a u
ln erleur
.
i
1
Cependant,
le fondement de cette distinction entre le pur et l'impur
n'est pas d'ordre religieux comme c'est le cas dans le s;stème de caste Indien et
1
ne suppose pas une intouchabilité au même niveau. Selon Mollien "les griots,
les
1
forgerons,
les tisserands,
les cordonniers habitent et mangent avec les autres
~
(2)
~
nègres, mais ils ne s'unissent jamais à eux par des mariages"
. C'est donc surtout i
dans le domaine du mariage que la séparation de caste s'effectue de manière nette-
1
ment catégorique.
r
Mais l'endogamie au sein des castes neeno, semble, elle-même, être
1
assez relative:
il arrive que des neeno, présentés comme appartenant au même
!
statut, se marient en dehors de leurs castes respectives. C'est le cas d'unions
entre tegg et uud~, entre [aobd et geweZ
ou entre gewel et rdbb. Mais ces mariages
restent cependant circonscrits dans le cadre de cette catégorie dite inférieure,
bien que,
de nos jours,il existe de plus en plus de mariages entre hommes geer
et femmes
gewe Z••
(1) - R. Rousseau:
"Le Sénégal d'autrefois -
Etude sur le Oualo,
Cahiers de Yoro
Dyao" - Bull. Corn. Etud.
Hist. Scient. A.O.F., 1929 t. XII nO 1-2 p. 175.
(2) -
G. Mollien:
l'Afrique occidentale en 1818, Calman-Levy - Paris 1967 p. 167 •
./ .

-238-
Du point de vue synchronique,
l'élément qui semble intervenir de la
manière la plus pertinente au niveau des représentations idéologiques pour rendre
compte de la distinction entre ~eeno et geer est sûrement celui ayant trait au don
Le ~eeno est celui qui peut demander sans retenue, le geer est celui qui est dans
l'obligation morale de donner.Certes,les relations entre ~eeno et geer sont marqué
par l'échange de biens et de services, mais en dehors des rétributions pour les
travaux effectués par les neeno,
les geer doivent faire des dons auxquels ils n' at
tendent pas de contre-dons. A.
Bara Diop,
dans ce sens, après avoir montré les dif
férents modes de rétribution
des biens et services des neeno, avait conclu à
l'inexistence d'une exploitation économique de ces derniers par les geer(l).
C'est précisément à ce niveau que se fonde le critère de la hiérar-
chisation du système de castes. Une caste est supérieure à une autre à partir du
moment où la société considère qu'elle effectue des dons sans contrepartie à la
seconde.
Là aussi,
comme Mauss l'avait noté,
c'est "le don qui confère la puis-
sance".
La supériorité des geer sur les neeno ne s'établit donc pas sur une domi-
nation économique fondée sur l'exploitation, mais à partir de la place du don dans
le système de représentations et de valeurs.
Le don,
parce qu'il indique la générosité,
le sens de l'honneur
et
les qualités morales,
confère un statut supérieur à celui qui l'effectue;
il ap-
parait souvent comme une destruction ostentatoire de richesses qui renforce l'image
morale et sociale du donateur.
C'est pourquoi Sory Camara affirme que:
"le don
est censé augmenter la force spirituelle de celui qui donne,,(2).
Dans le même sens,la capacitéJt donner constitue le critère par lequel
on établit la supériorité d'un geer sur un autre. Dans les cérémonies familiales,
les geer rivalisent de dons auprès des nee~o qui, à bien des égards, apparaissent
dès lors,
comme les arbitres de "potlach" au sens où Mauss désigne une destruction
rituelle
des richesses qui confère une supériorité hiérarchique.
Un geer peut,
à l'issue d'une fête de famille ou d'une cérémonie quelconque,
se retrouver appau-
vri matériellement, mais revalorisé sur le plan moral et social .
......................... .. .. .. ... ............ .. ............ .. ... ... ................
(1) -
A. Bara Diop: Op.
cit. pp.
75-90.
(2) -
Sory Camara : Op. cit., p. 95.
./ .

-239-
Par contre,
celUI qui reçoit le don sans avoir la perspective de rendre
un contre-don de valeur sup6rieure ou au moins fgale,
se met dans une situation
d'infériorité sur le plan des valeurs morales et sociales.
Ainsi,
pour Cheikh Anta
Diop,
la place du don dans les systèmes de castes africains ou wolof en particulier,
fait que ces systèmes se distinguent nettement de
ceux
du contexte Indo-Européen :
"les geer,
écrit-il,
forment la caste supériecre.
Mais,
et c'est i-à que réside tou-
te l'originalité du système,
contrairement au comportement des nobles vis-à-vis
des bourgeois,
des seigneurs vis-à-vis des serfs,
des brahmanes vis-à-vis des cas-
tes
indiennes,
les geer ne peuvent exploIter matériellement les ressortissants des
castes inférieures,
sans déchoir aux yeux du peuple et à
leurs propres yeux.
Ils
sont,
au contraire,
tenus de les assister à
tous les pOInts de vue: même s'ils
sont moins riches,ils doivent "don~1er" si
un homrne de "caste inférieure" s'adresse
_
" ( 1 )
a eux
.
Placées dans
le contexte de la société agraire,la hiérarchie de castes,
comme la nature du don peuvent être interprétées comme des formes d'expression d'un
système de valeur qui fixe le travail agricole au sommet de la hiérarchie des occu-
pations professionnelles.
C'est le point de vue de H.
Gravrand quand il affirme
1
à propos des Sereer que "dès l'entrée dans la civilisation agricole,le postulat
l
du primat de la terre
implique non seulement 1me division du travail par rapport
à l'agriculture,mais encore une hiérarchie du travail.
Le travail de la terre est
!
considéré comme le plus noble et certains groupes en sont écartés. Ces derniers
pourront être plus riches,
mais
ils n'auront pas la même dignité dans la hiérarchie
sociale"(2) .
1~
A quelques excepti on,=~ près,
tel~~ les ll,oFé,
toutes les castes
l'
font en m~me temps de l'agriclilture, mais on peut imaginer que, du fait de leurs
1
,
occupations professionnelles,
elles n'y CC)nSRcrent pas le même temps de travail
~
que les geer
; ce faisant, ont rnoim-5 de récolte~'i qL:e ceux-ci et ne réalisent que
!
difficilement l'auto-suffisance alimentaire
(ou ne l~ r~alisent point. Même de nos
1
. . . . . .
1
• • • • • • • • • • • • • •
1
"
..
(1) - C. Anta Diop: l'Afrique noire pré-coloniale - Présence Africaine, Paris
1960,
p. 8.
(2) -
H.
Gravrand
la civilisation Sereer - N.E.A. 1983 p. 183.
~ / .

-240-
jours on peut encore constater que dans la zone du Lac de Guiers les Zaobd ne cul-
tivent pas; les tegg et geweZ, s'ils font des cultures hivernales, ont des super-
ficies plus petites et font rarement des cultures de décrue, ou y consacrent, dans
tous les cas, moins de temps de travail que les geer(l).
D'ailleurs, dans la.. même aire soudanaise,D. Paulme constate que: "le
forgeron dogon ne cultive pas de champs. Mais il fabrique tous les instruments agri-
coles : houes, haches, sarcloi~5,etc... On ne le paie pas sur l'instant; après la
récolte, il fait le tour du village en présentant son sac en peau de chèvre où chacun
est tenu de verser du mil,,(2).
Selon la tradition wolof, les griots,ou certains sous-groupes parmi
eux, ne devaient pas entrer dans les concessions des geer, mais ils trouvaient
chaque jour devant celle~~i, leur pitance quotidienne. Un récit recueilli dans la
.
zone du Lac de Guiers relate que "l'ancêtre des griots et l'ancêtre des forgerons
voyageaient tous les deux à une période de disette. Ils arrivèrent dans un village
d'agriculteurs et demandèrent de la nourriture; on leur en donna, mais en revanche,
on leur demanda ce qu'à leur tour ils pouvaient faire. L'ancêtre des griots demanda
que les gens se rassemblent en un cercle autour de lui (gew, en wolof), alors il
chanta, dansa et les fit danser. L'ancêtre des forgerons, quant à lui, frappa sur
ses instruments (teggJ et produisit des outils qui pouvaient travailler la terre.

On leur proposa alors de rester et on leur assura la nourriture dont ils avaient
li
besoin" (le mot wolof geweL déri verai t de geew
espace de jeu ou de danse délimité
"
par le cercle des spectateurs et tegg signifie
battre sur un instrument, fabriquer
'
un Objet)(3). Si cette légende est difficile à interpréter du fait de son impréci-
1..•,.•__._.
sion, par contre, elle semble indiquer les positions de ces différentes catégories
"
par rapport à la production agricole .



..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
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..
..
..
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..
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..
..
..
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..
..
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..
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..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
..
"
a
..
(1) - A titre indicatif, nos calculs nous ont donné
pour les geer une moyenne de
8 ha de champ
du jddri par concession (à Ngnit), chez les tegg la moyenne
est de 5 ha, pour les geweL elle est de 3 ha. En observant une famille geer
nous avons calculé que les hommes adultes avaient travaillé dans les champs
du WaaLo en moyenne 23 jours dans le mois alors que chez les tegg on en était
à 18 jours de travail agricole.
(2) - Denise Paulme:"Organisation sociale des Dogons" - Paris 1940 p. 182 - citation
reprise dans Pacte de sang, classes d'âge et castes en Afrique noire, Op. cit
p. 31.
(3) - Ce récit nous a été fait le 22 octobre 1983 à Ngnit par Seni Mbaye.
.1.

-241-
On peut,
en effet, penser que le don effectué par les geel'
aux
neeno
suppose non seulement l'existence de surplus agricoles chez les premiers, mais aussi
l'inexistence ou la faiblesse de ces surplus chez les seconds. On comprend alors
que ces derniers se trouvent placés dans une position de dépendance qui se traduit
sous forme de demande vis-à-vis des premiers.
L'appropriation de surplus n'a cepen-
dant pas engendré l'accumulation chez les neeno de richesses économiques susceptibles
de leur procurer un pouvoir sur le plan socio-politique ou économique.
Les surplus
offerts ou échangés étaient surtout utilisés pour la satisfaction de besoins alimen-
taires et matériels liés ~. l'existence et â la reproduction de ces groupes.
Dans la rémunération des services de n'importe quel ReeRo, figure de
manière implicite,l'obligation morale pour le geer de donner à l'artisan ou au griot
1
qu'il emploie,la nourriture dont il a besoin pendant toute la durée de son service.
1
Cette nourriture ne constitue pas, elle-même, officiellement,
une rémunération,
elle s'ajoute aux prix convenus entre les deux parties et aux dons offerts au~
ReeRo.
Dans le même ordre d'idées,
les ~eeijo, selon plusieurs sources, étaient
du fait de leurs activités,
beaucoup plus portées au nomadisme que les geer
les
forgerons,
les boisseliers,
les tisserands et f1,e,;)e les griots se déplaçaient de vil-
lages en villages pour proposer leurs services aux geer plus sédentaires. Ce fai-
sant,
et n'ayant pas avec eux leurs propres moyens de production alimentaire,
ils
~.
étaient sur ce point, dépendants de leurs hôtes.
Ainsi,
s'agissant des forgerons,
~
~.
A. Boilat affirme qu'Iton est otligé de les nourrir pendant qu'ils travaillent.
Ils
1
parcourent le pays,
reçoivent en payement de l'argent dans nos colonies et des ma-
(
tières d'or et d'argent chez les villageois,,(l). Et à propos des boisseliers laobé,
i
G. Mollien écrit . "
~,;
Sans habitations et toujours errant,
leur unique industrie
~
est de fabriquer des vases,
des matières et des lits len bois;
ils portentlleurs.
(2)
1·...•.•
talents et leurs brAS partout où ils croient trouver
es moyens de gagner
eur Vle
.
.
La nOllrri ture reçœ par les neeRo ne leur est point vendue et s' il arrivait qu'elle
t
soit échangée contre leurs services,
il arrivait aussi qu'ils la reçoivent sans que
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
l
0
..
(1) - A. Boilat : Op.
cit. p. 313.
(2) -
G. Mollien: Voyage dans l'intérieur de l'Afrique fait en 1818, Ed. Bertrand,
Paris 1822,p. 227.
./ .

-242-
cet
échange n'ait lieu -tout au moins de manière directe-. On peut alors se poser
la question de l'appréciation de la valeur du travail investi dans les productions
des castes neeno. Mais il est difficile d'y répondre dans la mesure où ce travail
est rétribué suivant un accord explicite ou implicite entre les deux parties et,
qu'en plus, cette rétribution n'élimine pas les dons et l'assistance que le neeno
attend du geer. Dans ce système "le travailleur manuel, selon C. Anta Diop, au lieu
d!~tre frustré du fruit de son travail, comme l'artlsan ou le serf du moyen-âge
(européen) peut, au contraire,
l'accroître en y ajoutant des biens donnés par le
.
" ( 1 )
selgneur
.
En réalité,
l'appropriation du surplus agricole par les catégories so-
ciales
dites inférieures peut apparaître comme une redistribution de biens, un élémel
du procès de non accumulation de richesses qui,
cependant,
fonctionne dans un sys-
tème inégalitaire
qu'il
contribue au demeurant à renforcer.
Finalement,
le système de caste apparait comme une institution agraire,
non seulement parce qu'il intervient àansla production et dans les rapports de pro-
duction du système agraire,
mais aussi parce que c'est un système agraire parvenu
à l'autosuffisance alimentaire et à la production de surplus qui l'a rendu possible.
Dans une société où l'autosuffisance alimentaire et la circulation des surplus au
niveau des groupes minoritaires qui ne l'ont pas
réalisés,
augmentant un système de
valeurs organisatrices de rapports sociaux,
les castes ne pouvaient que trouver un
enracinement socio-économique,
qui,
dans une certaine mesure,
explique la perpétua-
tion du système en relation avec des représentations idéologiques dominantes.
Cependant,
le fait qu'au sein du système agraire.
des catégories socia-
les ne réalisent pas l'autosuffisance alimentaire,n'affecte pas fondamentalement
le mode de production, précisément parce que cette autosuffisance n'exclut pas la
production de surplus;
en outre ces catégories n'ont jamais constitué une majorité
au sein de la société, au contraire,
leurs membres y ont toujours été minoritaires.
Aujourd'hui encore,il existe plusieurs villages de la zone du Lac de Guiers où il
n'y a pas de famille ou de concession neeno, c'est notamment le cas de Témèye-
Salane ; à Ngnit sur 93 concessions,
il n'y a que 4 concessions de forgerons et une
de griots, on peut estimer le nombre de neeno dans ce village à 115 individus sur
une population totale de
1.032 habitants.
(1) -
C. Anta Diop: L'Afrique noire pré-coloniale, p. 8.
./ .

-243-
Mais,
une difficulté s'oppose à l'idée d'une liaison intrins~que du
système de castes avec la société agraire
c'est la présence de ce même système
dans la société pastorale peul et aussi dans la société nomade maure pastorale et
guerrière.
Ceoendant, à y regarder de plus près,
le système d~ castes n'est pas
incrusté dans le système pastoral peul;
il en est plutôt à la périphérie.
A quelques exceptions prês,
les outils utilisés dans l'élevage sont fa-
briqués par les éleveurs eux-mêmes.
Même,
les ustensiles utilisés pour la prépa-
ration du lait qui est un élément essentiel de la vie pastorale,
s'ils sont actuel-
lement fournis par les laobé, ou leur équivalent traditionnellement fabriqués par
les femmes peul
(calebasses,
fouets pour battre le lait,
etc . . . ).
Les contacts
que dans le cadre de leurs activités de production,
les Peul e~tretiennent avec
les forgerons et les Zaobé se situent surtout au niveau de l'agriculture qu'ils
effectuent pendant la saison des pluies.
La corde et le bâton, principaux outils
d'élevage utilisés de plusieurs manières et sacralisés par les Peul et leurs an-
cêtres du Sahara préhistorique sont fabriqués par eux-mêmes. Par contre,
les outils
agricoles,
à l'instar des Wolof, leur viennent des forgerons (pour les objets en
fer)
et des Laobé
(pour ceux en bois),
Les Peul affirment généralement que les castes d'artisans et de musi-
ciens n'appartiennent pas à leur ethnie
; les forgerons (IJJan/uce)
seraient des
Toucouleur
ou des Wolof,
les griots généalogistps (wombaabe)
avec qui ils sont
en contact,
sont décrits commp ft~nt d'origine
toucculeur
ou laobé et on hésite
à donner aux Laobé une origine peul
même s'ils parlent la langue de ces derniers
(il se peut qu'il ne s'agisse 13 que d'u~lphénomène d'assimilation linguistique ef-
fectuée par une population de souche ethnique différente).
Les cordonniers (sakke-
be) et tisserands (mabuubeJ qui entrent en contact avec les Peul sont aussi pré-
sentés comme étant des Toucouleur
ou des Wolof. D'ailleurs,
à la place de la dis-
tinction neeno/geer chez les WG'of,
les Peul établissent l'opposition fulbe
(plu-
riel de Peul)!neenibe.
Par ailleurs,
il existe,
chez les Peu),
des groupes traditionnels
musiciens-chanteurs-violonistes (jabbabuJ quine consti tuent nullement une caste
au sens ou on a défini cette notion. Les jabbabu ne sont pas un groupe endogame
et la transmission de leurs activités n'est pas héréditaire.
• 1 •

-244-
En fin de compte,
il semble que,
du point de vue de l'appartenance
ethnique,
il soit difficile d'intégrer de manière fondamentale le système de cas-
tes dans la société Peul.
Les castes sont toujours présentées comme étant d'ori-
gine étrangère. Mais les relations que les Peul tissent avec les membres des castes
artisanales sont empreintes des mêmes notions de hiérarchie,
de séparation dans
le mariage et de répulsion qui ailleurs caractérisent les rapports
gee~/neeno
Pour les Peul,
les Lûobé, wambaabé, waiLubé, sakkebé, et Mabuubé font
partie de la catégorie des neenibe.. Quand ces derniers se rendent auprès d'eux (le
plus souvent
pendant la saison des pluies),
ils
(surtout les waiLubé
et les Laobé )
n'habitent pas dans leurs villages, mais établissent leurs campements à leur périphé
rie. Les neenibe échangent leurs biens et services contre les produits de l'éle-
vage et,
en plus,
ils reçoivent des dons et une assistance qu'ils peuvent réclamer
-
t
(1)
a
out moment
.
Les relations entre Peul et neenibe sont faites à la fois de mépris,
de craintes et d'admiration. On admire le neeno pour son habilité artisanale ou
musicale,
on le méprise parce qu'il demande et n'applique pas le code d'honneur
et de réserve des hommes libres,
on le craint parce qu'il peut attirer la malchance,
jeter le mauvais sort,
ternir la réputation et dévaloriser auprès de sps sembla-
bles de même statut (fasinabe).
Le Laobé est à cet égard représenté comme quelqu'un
qui est capable de diminuer le rendement laitier des vaches,
d'affecter la qua-
lité dulait recueilli dans les récipients qu'il fournit,
et d'attirer la malchance
s ' i l n'est pas satisf~it des dons reçus.
Cependant, les rapports entre Peul et neenibe (plus particulièrement
avec les forgerons)
sont en général accompagnés de relations de.plaisanteries. Les
forgerons sont présentés comme étant les cousins des Peul et auraient nomadiH avec
eux à travers plusieurs contrées.
La tradition,
selon P. Doumbia,
raconte que:
"l'ancêtre des Peul et celui des forgerons sont venus ensemble de la Mecque dans
ce pays.
Le forgeron lui aurait donné une de ses filles en mariage en lui assurant
que ce sera le dernier et l'unique mariage entre les deux clans,,(2).
(1) -
Les Laobé fournissent les calebasses en bois,
les pilons,
les mortiers,
les
abreuvoirs ... Traditionnellement dans la zone du Lac de Guiers 4 grandes cale-
basses en bois et une plus petite s'échangeaient contre un veau de 2 hiverna-
ges, maintenant une seule de ces grandes calebasses est vendue à 5.000 Frs.
Les forgerons qui fournissaient les outils agricoles, ainsi que les ustensiles
de cuisines recevaient quelques chèvres ou moutons à la fin de l'hivernage.
Les tisserands et les cordonniers recevaient aussi des chèvres, des moutons
ou des mesures de mil.
Les griots qui tiennent les généalogies des familles
Peul,
semblent être ceux qui bénéficiaient le plus de leurs largesses,ils
recevaient fréquemment des boeufs à l'issue de leurs visites.
(2)
- P.E.N. Doumbia : "Etude du clan des forgerons"
in Bul. du Comité d'Etudes hist
r;r",e,e
At-
<::,,;t>nt-;f";rn'AC:
"'i'> l'A n 1<'
_
l'
YTY
lQ~()
rL
~7n_

-245-
Sur le même plan on peut aussi observer que,
dans la société Peul du
Lac de Guiers,
vis-à-vis des Sow,
les Dia subissaient traditionnellement un mépris
qui évoque les représentations que les geer Wolof ont à l'égard de leurs forgerons.
Ils ne se mariaient pas entre eux;
un nommé Sow ne devrait pas porter un habit
trempé par la sueur d'un nommé Dia. Quand ce dernier s'assied sur le l i t du premier
celui-ci le "purifie" avec de la cendre. On pense même que quand un Sow traverse
un village habité par les Dia avec un canari,
celui-ci se casse de lui-même.
Or,
selon la tradition,
les Dia ont,
dans le passé constitué la première
monarchie du Fouta Toro
;
ils auraient fondé une dynastie de forgerons appelée Dia
Ogo(l)
(Ogo signifiant minerai de fer en pular)
et on sait que,
très souvent,
la
poterie est associée aux forgerons
; ce sont les femmes des forgerons qui fabriquent
les canaris et tous les objets en terre cuite.
Mais les Dia qui, actuellement, ha-
bitent les campements Peul nomades du Lac de Guiers ou du Waalo de manière générale,
ne sont pas des forgerons;
ce sont des éleveurs a~~ m&me titre que les autres Peul
Ainsi,
ces rapports entre Dia et Sow,
5 'ils
sont à l'état actuel
de nos recherches très difficiles à interpréter,
ne font pas moins ressortir des
,
ressemblances avec les rapports entre geer et tegg wolof. On peut alors envisager
l'hypothèse d'une parenté ou de liens établis entre tegg et Peul
(les Dia en par-
ticulier)
; à moins qu'on ne considère ce phénomène simplement comme la reproduc-
tion de l'idéologie de castes dans la société Peul.
Quoiqu'il en soit,
la relation de la société Peul avec le système de
castes ne suppose
pas l'émergence de celui-ci
dans celui.-là, mais plutôt l'utili-
sation d'une institut~on agraire maintenue autonome par rapport au corps social.
Les Peul du Waalo rejoignent à ce niveau ceux du Fouladou dont nous avons observé
qu'ils n'avaient pas intégré en leur sein les castes d'artisans avec lesquels ils
étaient en relation.
Ceux-ci ont presque exclusivement conservé leurs origines eth-
niques étrangères. Dans le même ordre d'idées,
M. Dupire affirme que les connaissan-
ces techniques des Peul sont "aussi restreintes que spécialisées puisque les noma-
des ignorent à peu près complètement les procédés d'utilisation du cuir, de l'os,
et de la corne,
du bois et, à plus forte raison du fer,
la plupart indispensables
à leur subsistance. Tout porte à croire qu'ils ne,les connurent jamais et dépen-
daient toujours de cultivateurs et d'artisans étrangers à
leur groupe ethnique(2) .
........ .. .. .. .. . .. .. ... .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
O. Ba : Op.
dt.,p.
19.
(2) -
M. Dupire : Organisation sociale des Peul, p. 427.
./ .

-246-
1
Cependant, si le système de castes se situe à
la périphérie de l'orga-
nisation socio-économique Peul,
il est par contre tout à fait intègré à la société
Maure qui,
elle aussi,
est nomade et pastorale.
Dans la société Maure
On peut diviser la société Maure en deux castes dominantes
(les marabout
et les guerriers),
une caste intermédiaire:
les znaga
(pasteurs) et deux castes
inférieures:
les forgerons (maaLam)
et les griots (iggiu).
Les esclaves affranchis
(xartaani)et les captifs (abiid) ne semblent pas, à notre avis, appartenir au sys-
tème de castes en raison principalement de l'absence en leur sein de spécialisations
professionnelles;
ils appartiennent à un autre système social, bien que souvent,
jusqu'à un certain niveau,
ils épousent le statut de caste de leurs martres.
Les griots et les forgerons occupent le statut le plus bas dans l'échel-
le de valeurs et de représentations,
ils sont victimes d'un mépris qui les place
même en dessous des esclaves affranchis et des captifs. D'après A.
Leriche:
"les
esclaves valent mieux que les forgerons et les forgerons que les griots,,(l).
La caste des forgerons (maaLam)
regroupe,
en fait,
tous ceux qui tra-
vaillent le fer
(pour les ustensiles,les armes,
les attirails des chevaux ... ),
l'argent,
le cuivre et l'or (pour les pipes,
bijoux ... ),
le bois (pour les éléments
des tentes,
les coffres ... ) et le cuir (sacs,objets en cuir, etc ... ). C'est la cas-
te qui est la plus crainte. Le forgeron,
nous dit Hames,
est souvent perçu "comme
une espèce de sorcier accusé de vampirisme à distance (siL),
comme un homme à
. d
,,(2)
craln re
.
La séparation avec les forgerons va jusqu'au refus de prier en groupe
avec lui
les membres des autres castes affirment qu'il faut même refaire sa prière
quand on a été obligé, par Lln concours de circonstances involontaires,
de prier
avec des forgerons qui, par nature,
sont des "êtres obscurs".
La tradition raconte
qu'autrefois, pour avoir des forgerons dans sa tribu,
il fallait les asservir au
moyen de la guerre .
.. . . . . . . . . . . . . . .. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. .... .. . .. .... .. .. . .. . .. .. .. .. .. . .. . .. . . . .. . .. . .. .. ..
(1) - A. Leriche:
"Instruments de musique maure et griots" in Bull. de l'LF.A.N.
Juillet 1980, pp.
748-750.
(2) - C. Hames: Op. cit. p. 169.
.! .

-247-
La caste des griots,
quant à elle, regroupe à la fois les musiciens,
chanteurs, généalogistes, historiographes,
poêtes . . . Elle est l'objet d'une appré-
ciation ambivalente qui mêle en même temps l'adulation et le mépris.
Le griot re-
présente l'antithèse sociale des modèles de comportement dominants.Comme chez les
Wolof,il peut recevoir des dons importants sur le plan matériel
(argent,
capti~,
bétail, etc . . . ), mais est victime de la mésestime la plus grande de l'ensemble de
la société.
Le système de castes maure.
ne comprend pas de castes de cordonniers,
de tisserands ou de boisseliers qui existent dans les autres ethnies. Ces activités
ailleurs effectuées par ces castes sont,
ici,
du ressort des forgerons,
des es-
claves ou des castes des ethnies étrangères en contact avec les Maures (les outils
de cultures utilisés par les esclaves sont fournis ~ar les forgerons Wolof ou Tou-
couleur) mais pas par les forgerons Maures).
La caste des marabouts,
de son côté,
comprend plusieurs sous-groupes
les charfa (chérif au singulier) qui se prétendent être descendant du prophète
Mohamed,
les zuage marabouts,
enseignants lettrés et fabricants de talismans et
les cheikh,
à la tête des confrèries religieuses. Les marabouts sont les déposi-
taires de la science et de l'enseignement religieux dans une société se réclamant
toute entière de l'Islam.
La caste guerrière,
elle,
regroupe les hassan dont l'activité tradition-
nelle est la razzia pour approvisionner la société toute entière, ainsi que le
commerce extérieur en esclaves, bétail et autres produits agricoles. La caste des
znagi n'a, elle, d'autres occupations professionnelles que l'élevage des chameaux,
bovins et petits ruminants.
Le système de castes Maure intègre une organisation de la société en plu
sieurs tribus ayant,
chacune à sa tête,
l'une ou l'autre des castes supérieure~.
La tribu, même si elle comprend les autres castes inférieures,
se définit en réfé-
rence à sa caste dominante.
"Le statut d'une tribu,
comme le souligne C. Hames,
recouvre totalement son statut de caste:
une tribu est soit maraboutique, soit
guerrière,
soit znagi et ceci en vertu de la trans~ission héréditaire du statut
du fondateur,,(l).
Mais étant donné le statut inférieur des znagi par rapport aux
castes de marabouts ou de guerriers,
une même tribu peut avoir à sa tête l'une ou
l'autre de ces deux castes et comprendre des znagi auxquels s'ajoutent les castes
de forgerons et de griots .
• • • • • • • • • • • • • • • •
• • • • • • • • • • • • • • • • •
~
• • • • • •
4
..,
• • • • • • • •
~
• • • • • • • • • • • • •
(1) -
C. Hames; Op.
cit.,p.
166.
./.

-248-
Au niveau de la hiérarchie des castes supérieures,les Marabouts sont
dominants car ils portent l'idéologie à laquelle se refère toute la société.
"Le
primat de statut donné aux porteurs de l'idéologie parait, selon C. Hames,
incon-
testable,
les guerriers ne pouvant,
sans se renier eux-mêmes,
renier le caractère
englobant et ultime de la religion,,(l).
Les guerriers viennent après le marabout
et les z~agi suivent ces derniers.
Dans cette hiérarchie des castes supérieures,
le système des tributs
se polarise en direction des marabouts.
Ceux-ci reçoivent des tributs de la part
des guerriers et desznagi . Et les
znagi donnent des tributs aux guerriers. Ces
tributs peuvent comprendre,
suivant le cas,
du bétail, des captifs ou d'autres
biens
(fer,marchandises . . . ) et s'inscrivent en principe dans
le cadre d'un échange.
Les
znagi reçoivent des guerriers la protection militaire et tous les deux, ils
reçoivent la
bénédiction et la protection spirituelle des marabouts.
A un autre niveau,
ce sont les castes inférieures qui doivent demander
et recevoir des dons de la part des castes supérieures auxquelles
elles livrent,
contre rémunération,
des services et des biens
; la rémunération étant laissée à
la discrétion de celui qui est issu de la caste supérieure,mais qui doit toujours
répondre favorablement à la demande de l'autre.
Cependant,
selon R.Caillé,
la caste
f
'b
l
, .
(2)
C t '
des
orgerons Maures payait des trI uts annue s aux castes superleures

es
rl-
buts,
du point de vue de leur statut,
diffèrent des dons faits aux castes infé-
rieures
:
ils sont la contrepartie de la protection militaire et/ou spirituelle
effectuée par les castes supérieures,
alors que les dons ne prennent pas, officiel-
lement,
la forme de contreparties.
Ensuite,
ces tributs sont présentés comme étant
des droits qui revêtent,
dans un certain sens,
un caractère obligatoire, alors que
les dons sont octroyés parce qu'ils sont quémandés.
Ainsi,
le membre d'une caste
supérieure qui perçoit un tribut se place idéologiquement sur une position de supé-
riorité, alors que le don fait aux castes d'artisans et de musiciens évoque l'infé-
riorité sociale de ces derniers .
. . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. '"
..
(1)
- C. Hames: Op. cit. p. 168.
(2)
-
R.
Caillé: Journal
(1830)
-
Ed.
Anthropos,
1971 -
T.
l,
p'
157.
l
1
1

-249-
Les origines des castes inférieures de la société Maure semblent ac-
tuellement difficiles à situtr avec précision.Selon M.
Louise Diop : "les popula-
tions noires vivant jadis au Sahara,
et ultérieurement soumises par les musulmans
arabo-berbères . . . ont biei. pu constituer ... ces "castes méprisées" de forgerons .. ~
qui connaissaient, probablement depuis de nombreux siècles,
le travail du fer,,(l).
Quant à la caste des griots, son modèle aurait bien pu être d'origine africaine
selon Cheikh Anta Diop,
la société arabe à laquelle sont issus les Eeïdaan ne

1
t
d
.
(2)
M l ' "
l '
cannaIt pas
a cas e
es grIots
; en outre,
au
aroc,
es mUSICIens S I o n
en croit V.
Monteil,
sont appelés raîs,
c'est-â-dire,
chef et ne sont l'objet d'au-
,
.
d
(3)
cun meprlS
e caste
.
Ainsi,
on peut f'ormuler l'hypothèse
selon laquelle les vagues migra-
toires arabo-berbères qui donneront naissance â l'ethnie maure,
auraient certaine-
ment intégré au sein de leur organisation sociale des castes et des modèles de
castes existant dans leur zone de migration.
C'est pourquoi,
l'étude historique des castes, plus particulièrement,
celles des forgerons et des griots qui occupent des places centrales dans les
systèmes,
semble nécessaire â la compréhension non seulement du fonctionnement
du système des castes, mais aussi des origines de celui-ci.
LES GENS DE LA PAROLE
Dans une société où l'oralité est une des principales formes d'expres-
sion et de transmission de l'information,
la maîtrise de la parole semble vitale
pour la communauté toute entière.
La parole impulse et oriente l'action,
protège
ou détruit,
blesse et tue en vidant l'individu de sa substance spirituelle .
. .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. "
,.
.
(1) - M.
Louise Diop:
Op.
cit. p. 27.
(2)
-
C. A.
Diop: Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, Paris 1981, p.
220
(3)
- V.
Monteil:
"Un cas d'économie ostentatoire:
les griots d'Afrique noire"
in Economie et Société -
Cahier de l'I.S.E.À. nO 4, Avril 1968, Genève,
p. 778.
./ .

-250-
Or, ce sont les griots qui sont les maîtres de la parole. Ce sont
eux qui peuvent tout dire et qui connaissent l'art de dire les mots qui stimulent,
réunissent les individus ou les séparent "leur nom en bambara "jéLi" signifie,
selon A. Hampaté Ba,
"sang". Tel le sang en effet,ils circulent dans le corps de
la société qu'ils peuvent guérir ou rendre malade, selon qu'ils atténuent ou avi-
(1)
vent ses conflits par leurs paroles et par leurs chants"
.
Les griots,
par la maîtrise qu'ils ont
de
la parole,
son·..; i'drmi les
principaux éléments organisateurs de la société. D'après A.
Hampâté BR,
qui se
refère aux principales ethnies de l'Afrique de l'Ouest
"la société africaine
étant fondamentalement basée sur le dialogue entre les individus et la palabre
entre communautés et ethnies,
les dieli (jéLiJ, ou griots, sont les agents actifs
et naturels de cette palabre".
Cependant,
cette fonction organisatrice ne donne pas aux griots une
place élevée dans la hiérarchie sociale; au contraire,
que ce soit chez les Mau-
res,
les Wolof,
les Peul ou chez plusieurs autres ethnies africaines,le griot est
au bas de l'échelle des" représentations sociales.
Les processus par lesquels ils
sont apparus dans les systèmes sociaux donneront sûrement des éléments de réponse
à ces paradoxes.
Les thèses sur les origines des griots ont souvent abouti à la formu-
lation de points de vue sur l'origine des systèmes de castes en Afrique noire.
Ainsi, Charles Monteil parlant de la th~se selon laquelle la caste des
grlots,
de m&me que celle des forgerons seraient à l'origine des juifs asservis
par les Maures, développe l'idée d'une influence Maure à l'origine des systèmes
d
t
,
d '
(2)
C
"1
.
f
1
d
e cas e negro-sou analses
.
. Montel
s'apPuIe,
en
ait sur
es textes
es
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10
..
(1) -
A. Hampaté Ba : "la parole, mémoire vivante de l'Afrique" in le Courrier
de l'UNESCO,Août-Septembre 1979, p. 22.
(2) -
C.
Monteil
:"Problèmes du Soudan occirlp.ntal
: juifs et judaïsés") Archives
~erbères et Bul. de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines,1952~no 30
1er et 2ème semestre, pp. 265-298.
1
., .

-251-
1
explorateurs portugais qui traitaient les griots de juifs (Valentin Fernandes
1506-1507, André Alvares d'Almada 1594, Francisco de Lemos Coelho 1684 ..• ). Mais
on convient maintenant que ces textes n'établissent en réalité qu'un rapprochement
entre la condition des griots de cette zone et celle des juifs de l'Europe (méri-
dionale surtout) à cette époque(1).
La tradition orale, de son côté, donne plusieurs versions de l'origine
des griots. Selon plusieurs légendes, les griots et les membres de la caste supé-
rieure, les geer seraient issus de mêmes ancêtres. Les griots étaient même des
geer au départ avant qu'ils ne soient écartés de ce groupe par un acte qui, dans
la plupart des récits porte la marque du sang.
Chez les Wolof et les Peul du Lac de Guiers, on raconte une légende
de l'origine des griots que A. Bara Diop a, pour l'essentiel, déjà recueilli chez
les Wolof et qui, à quelques variantes près se retrouve chez d'autres populations
ouest-africaines (les Malinké en particulier)
:
"L'ancêtre des griots et celui des geer étaient deux frères qui étaient
mourants de faim au cours d'un voyage. L'un d'eux, celui qui allait
être l'ancêtre des geer se cacha un moment et coupa une partie de son
corps (sa cuisse ou son talon, selon les versions) qu'il grilla et
fit manger à son compagnon. Lorsque celui-ci s'aperçut de la grandeur
du geste, il décida, en guise de reconnaissance, de consacrer toute
sa vie à célébrer les mérites de son frère dont la descendance recevra
les hommages des descendants de celui qui fut, à partir de ce moment,
le premier des griots,,(2).
Selon une autre légende
transcrite par Mapaté Diagne, le griot serait
un assassin qui aurait tué son frère et qui invente la musique pour communiquer
avec la communauté
d'où il a été exclu et recevoir d'elle sa nourriture(3). La
séparation entre griot et geer apparait aussi dans certains récits comme résultant
à la fois d'un acte de bravoure de l'ancêtre des seconds et d'une habileté innée
de celui des griots. Selon une légende Wolof
......................................................................................
(1) - A. Bara Diop: Op. cit. p. 38;
(2) - Nous avons recueilli ce récit chez les Mboup de Ngnit le 23 août 1982.
(3) - Mapaté Diagne : "origine des griots" in Bul. de l'Ens. de l'AOF nO 25 -
Juin 1916 p. 275.

252-
"Le roi mandingue Soundiata Keïta,
au retour d'une bataille, entendit
des airs de musique joués par un génie (jinnéJ
au fond d'un fleuve.
Comme la musique lui plaisait beaucoup,
il plongea dans l'eau,
tua
le jinn~ et s'empara de son instrument. Il le remit à son compagnon
qui se mit aussitôt à le jouer à sa grande satisfaction. Soundiata
décida alors d, le dispenser de faire la guerre pour se consacrer ex-
clusivement à la musique. Les griots wolof seraient les lointains
.
.
d"
,,(1)
d escen d an t s
d e ce mUSICIen man Ingue
.
La parenté entre les griots Wolof et Mandingue
est reconnue par plu-
sieurs griots qui affirment que des instruments de musique tels le xalam wolof,
serait issus du Fouta qui,
lui-même,
les aurait hérité du Mali (2). En outre, cer-
tains griots Wolof portent le surnom de Jéli qui signif!e griot en mandingue.

Cependant,
ces légendes,
si elles semblent indiquer un lien originel,
voire une parenté entre geer et gewel,
ne donnent en réalité aucune indication
précise et peuvent être très chargés de projections des liens que les gewel envi-
sagent avec les geer.
Mais on peut tout de même remarquer que la majeure partie des noms
de clan Wolof sont portés à la fois par les geer et les gewel.
Il existe certes
des noms qui ont plus tendance à être geer que gewel oul'inverse, mais de prime
abord le nom ne permet pas de définir avec certitude s ' i l s'agit d'un membre de
l'un ou de l'autre de ces deux castes. Geer et gewel auraient,
dans ce sens,
certai
nement appartenu au même clan aV2nt que l'interdit de mariage et la distinction de
caste n'existent entre eux.Dans plusieurs cas,si on remonte la généalogie des fa-
milles gewel,
telle que nous le présentent certaines traditions orales,
on arrive
souvent à un ancêtre geer qui aurait épousé une femme fondatrice du lignage gewel.
Celle-ci est généralement représentée comme une étrangère au clan ou à l'ethnie
de son mari.
Par ailleurs,
les geer disent des gewel que ce sont des geer "dégéné-
rés",
Dans le même ordre d'idées,
si l'on en croit V. monteil,
il a existé en milieu
Soninké des procédures par lesquelles un homme de caste supérieure se transforme en
griot;
" ...
il arrive qu'un homme lib~e, non casté, s'est de lui-même déclaré le
q~8er'e (griot) d'un autre homme, auquel il a voul~ ainsi marquer sa ceconnaissance
ou sa soumission
ou bien sa fortune.
Dans ce dernier cas,
il n'est pas rare
(1) -
Ce récit nous a été communiqué par la famille des Niang de Ngnit le 25 août
1983.
(2)
-
C'est l'avis du célèbre griot Samba Djabaré Samb que nous avons rencontré
à plusieurs reprises en compagnie de Kani Samb, un autre griot assez connu
en milieu Wolof.

-253-
qu'une cérémonie d'échange solennel du sang des contractants intervienne pour affir-
mer les conditions réciproques du pacte. Dans tous les cas,
legesere bénévole n'en
devient pas moins casté et ses descendants de même,
ce qui explique la coexistence
(1)
dans la même famille ou le même clan de gens libres et de gens de caste"
.
L'apparitjon historique de IG caste des griots est difficile à situer
avec précision. On sait simplement qu'elle existait déjà en Egypte à l'époque pha-
.
raonlenne (2) . 0 r,
.
Sl on t 'len t
comp t e d
es I
re t
a 'Ions en t re l'L'
,,_gyp t e
an t·lque e t
1 es
populations de l'Afrique occidentale actuelle,la ressemblance des différents instru-
ments de musique égyptiens avec ceux des Wolof et des Mandingue loin d'être fortuite,
indiquerait une présence de la caste des griots en Afrique bien avant l'arrivée des
Maures. Ce sont des instruments identiques sinon similaires qu'on retrouve dans les
(3 )
castes de griots des empires du Ghana et du Mali
.
Dans cette optique,il parait évident que l'origine de la caste des griots
est proprement africaine.
La continuité de cette institution à travers l'histoire
s'explique sûrement par son enracinement dans un système au sein duquel elle rempliT-
des fonctions multiples.
-
Rôles et conditions
Dans la société traditionnellp,
chaque famille gewel
était liée à une
famille geer par des relations que l'on pourrait appeler' de clientèle. Les retaT-ions
de clientèle peuvent être défini€~ Corll,il'~ celles existant au sein d'un système orga-
nisé qui relie deux individu~ ou deux groupes ayant des statuts inégaux (inférieurs
ou supérieurs)
culturellement reconnus par la société toute entière. Ces relations
se basent sur l'échange de la protection,
de dons,
ou de patronage de la catégorie
,
.
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1
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( 4 )
superIeure con re
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(1) - Vincent Monteil: Op. cit. p. 785.
(2) - Cheikh Anta Diop
Civilisation ou hqrbarie,
p.
213.
(3) - Cheikh Anta Diop
L'antiquité africaine par l'image -
Dakar I.F.A.N.
1976
p. 36.
(4) -
Cette définition rejoint celle que J. Maquet donne de la féodalité.
Nous n'avon
pas retenu ce concept que nous situons plutôt par rapport au mode de production
et de tenure foncière
(J. Maquet : le système des relations sociales dans
le Rwanda ancien p.
154.
~/.

--;;' ~~.-
à lui,
joue un rôle important dans les contacts et les discussions avec la famille
de la future épouse.
Pendant la cérémonie du mariage,
ce sont les griots qui sont
chargés de transmettre et d'annoncer à haute voix (jottaLeJ
tous les dons offerts
par l'une ou l'autre partie. Au moment du divorce,
c'est un griot de la famille de
l'épouse qui raccompagne celle-ci chez ses parents. Au cours de toutes les cérémonies
de famille
(baptême, mariage,
décès), ce sont les griots et les autres neeno
atta-
chés à la famille qui effectuent les travaux liés à la circonstance (préparation
et service des repas,
travaux domestiques . . . ).
Les griots hommes et femmes se partagent l'ensemble de ces rôles.
Mais
les femmes geweL,
en outre, s'occupent exclusivement de tresser les cheveux (L~t)
des femmes geer
auxquelles elles sont liées.
Cette opération revêt plusieurs signi-
fications dans le milieu traditionnel.
Outre sa dimension esthétique, elle est l'oc-
casion de confidences particulières et symbolise un rapport de confiance entre deux
individus. Par les tresses, cn peut attirer le mauvais sort, on entre en contact
avec les gris-gris les plus intimes
(ceux qui sont fixés sur les cheveux)
j
c'est
pourquoi la geeY' qui va se tresser "confie sa tête" (au sens spiri tue}) à sa geweL
qui détient dans ce sens,
le pouvoir même de la tuer.
Pour toutes ces tâches,
les griots reçoivent des dons, en argent ou en
nature à la fin de chaque service rendu.
Ces dons dépendent très fortement de la
condition du geer et de son lien avec le griot.
Ils peuvent être constitués de pa-
gnes,
d'or,
de bijoux,
de bétail ou même de captifs.
Parallèlement à ces tâches et rôles,
les geweL ont la charge de la pro-
duction musicale.A ce niveau,
ils se distinguent en plusieurs groupes,
suivant les
instruments de musique et les formes d'expression orale qu'ils emploient.De manière
schématique,
on opère les subdivisions suivantes :
-
ceux qui chantent ou composent des poêmes élogieux (dar nopp - jatt - tarraate)
cette catégorie est souvent (mais pas toujours)
accompagnée de xaLam (petite
guitare traditionnelle)
j
ceux qui utilisent les différentes formes de tam -tam (tamakat
: joueur de petit
tarn-tarn fixé sous les aisselles, ndendkat
: joueur de grand tam-tam pour la danse
junjunkat : joueur des grands tarn-tarns royaux) j
./ .

-256-
1
1
-
et enfin,les bouffons (~ooZe ou tooZe)
au bas de la catégorie des griots. Une
légende d'ailleurs les fait descendre d'un ancêtre né de l'accouplement posthume
d'un cadavre d'homme et d'une femme vivante(l).
Ils étaient victimes de la répul-
sion sociale la plus grande mais pouvaient, en toute impunité,
s'abstenir de toute
retenue dans leurs gestes et dans leurs paroles devant n'importe quel individu,
quà que soit son rang social.
D'ailleurs cette immunité touchait tous les griots qui pouvaient couvrir
de ridicul~ les geer dont ils n'étaient pas satisfaits de leurs cadeaux ou qui man-
quaient de dignité dans leur comportement.
Les griots,
dans la société traditionnel-
le Wolof, bien qu'ils assistaient aux guerres (pour haranguer les guerriers et rap-
porter leurs actes de bravoure) ne combattaient pas et ne devaient en principe être
ni tués, ni réduits en captivité.
Cependant, ces privilèges sociaux et l'admiration qui les accompagne
à cause de leur habileté oratoire et artistique s'accompagnaient d'un profond mépris
de la part des geer qui n'hésitaient pas à leur rappeler leur infériorité à chaque
occasion. Le
geweZ, même s'il peut jouer un rôle politique important, ne peut, en
aucun cas,
représenter l'autorité politique. A la mort du griot en milieu Wolof,
on a l'impression que la société se venge sur lui en lui refusant même jusqu'à une
sépulture dans la terre,
une terre où il n'a pas investi de travail agricole sinon
très peu, mais dont il a profité des biens.
Dans son voyage au Sénégal,
en 1879,
P.L.
Monteil observe que "le griot qui,
malgré le mépris dont il peut être abreuvé
pendant sa vie,
a souvent une très grande influence,
subit toujours après sa mort
la réprobation dont sa caste est l'objet
il ne peut être inhumé ; sa sépulture
(2 )
a lieu généralement dans le tronc creux des baobabs"
. Selon les croyances de
r
l'époque,
l'enterrement du cadavre d'un griot risquerait de provoquer des années
f
f
de sècheresse et de malheur pour les agriculteurs(3).
tf
..................................................................................... l
(1) -
R. Rousseau:"Cahiers de Yoro Dyeo" in B.C.E.H.S.
de l'A.O.F. ,no 1,1929 p. 177.
(2 )
P. L. Monteil
un voyage d'exploration au Sénégal en 1879 in Bull de l'IFAN ,
1
T. XXX,
série B nO 1 1968 p. 1216.
~;~
(3) -
A. Alvares d'Almada:
Trabado brere dos rios de Guine (1594) Gd Silvieira
r
Lisbonne 1946 pp. 24-25.
;.
i:
~i
./ .
~.
t
!"
~
tf~i

-257-
Selon cheikh Anta Diop,
la division du travail ne suffit pas à expli-
quer l'existence des systèmes de castes. Ceux-ci naissent d'une hiérarchisation
qui, en Afrique noire, s'appuie idéolog{quement sur le mépris du travail manuel
au pl'ofit des fonctions militaires.Ainsi, 80 Afrique noire la zone des castes cor-
respond sensiblement à celle des grands empires militaires de l'Afrique de l'Ouest
(Ghana, Mali, Songhaï. .. ) et de la vallée du Nil.
"Il Y a,
écrit Cheikh A. Diop,
deux types de sociétés stratifiées en Afrique noire. L'une sans idée de castes,
englobant l'Afrique australe et cen~rale, et l'autre à caste incluant l'Afrique
de l'Ouest,
les anciens royaumes du Ghana,
du Mali,
du Songhaï,
le Haut-Nil, etc."
correspondant assez sensiblement à l'aire du tabou du forgeron.
C'est aussi la
zone sahélienne, sans mouche tsé-tsé,
celle du cheval de guerre noble, du destrier,
instrument de conquête,
d'extension et de consolidation de ces empires o~ une aris-
tocratie militaire coiffe une société rigoureusement castée
: il y aurait ainsi
une trilogie du cheval de la caste et du gl'iot" (1).
La tradition orale de l' histoir '
du Mali illustre sous un certain angle ce point de vue. Soumangourou Kanté,
roi-
forgeron sans griot, est renversé par Soundjata Keïta,
roi-guerrier, bâtisseur
d'empire et allié aux griots.
La caste des griots a,
semble-t-il,
vu sonr6lc
s'eccroître avec le
renfurcement
des dimensions guerriêres des monarchies oues~-africaines, renfor-
cement qui s'est effectué au cours des processus,
de naissance des grands empires
et, pendant la période
de la traite négr'ière,
La prééminence des fonctions mili taire "
sur le travail artisannal
(mépris ~Il f~rgeron) ou agricole (infériorisation du
simple paysan -badoo [0-)
devai t
sÛl'emen t
se traduire sur le plan idéologique par
des valeurs et des modèles que,
seuls les griots,
pouvaient mettre en exergue.
C'est le griot en tant que généalogiste qui apporte les justifications
théoriques à la prétention au pouvoir dont il jouit des bénéfices. C'est encore
lui comme plénipotentiaire ou harangueur qui intervient aux moments décisifs de
la dynamique de ce pouvoir.
Le griot est l'instrument idéologique et politique
du pouvoir guerrier avec qui il partage la licence.
L'image des monarques chas-
seurs d'esclaves, gorgés d'eau-de-vie et entourés de griots, semble avoir été une
réali té à la fin du \\\\1aalo précolonial.
..................................................................................
(1) -
Cheikh Anta Diop : Civilisation ou barbarie, p.
151.
./ .

-258-
Dans ce contexte,le mépris du griot ne pouvait que se développer au
sein d'un mouvement opposé au pouvoir guerrier:
le mouvement islamique. La con-
duite du griot était l'exact opposé de la morale coranique que l'on présente comme
faite de pudeur et sur un certain plan,
de renoncement aux plaisirs terrestres.
Dans le Waalo précolonial,l'opposition du marabout et du griot a pris
une forme irréductible même au plan symbolique.
Chambonneau nous apprend qu'avec
les succès du mouvement islamique "toubnan",
le b:rak Yerim Codé se convertit pendan
quelques temps à la réligion musulmane; à ce moment,
il se rasa suivant le rite
l
h
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t
l
. t
(1)
h
d l
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musu man et cassa
e sa cour
'ous
es grlo S
.
En revanc e,
quan
e mouvemen
islamique de Djilé Fatim Thiam échoua devant la coalition des français et du pouvoi
guerrier, H. Azan nous apprend qu'avant de pendre (à Richard-Toll) ce marabout
qui était à la tête de ce mouvement, on le fit boire "un verre de "sangara" (alcool'
.
l
. t" (2)
comme un slmp e grlo
.
Mais,
si les griots liés à l'aristocratie militaire bénéficiaient des
largesses du régime, ceux qui étaient les clients des simples paysans (badooIoJ
n'avaient pas changé de condition.
Par ailleurs,
avec le développement de l'Islam, une partie des fonc-
tions oratoires des griots fut récupérée par les marabouts.Certains griots devien-
nent des propagandistes des marabouts et de la religion (geweIu yaIIa : gl'lOt de
Dieu). On leur réserve aussi les rôles de muezzins et de porte-voix (jottaIikatJ
pour transmettre les ~ropos des marabouts qui, comme toute autorité dans le sys-
tème traditionnel doivent parler à voix basse à peine audible. Ces griots, même
s'ils reçoivent des dons et une assistance de la part des marabouts, renoncent
officiellement à l'acte par lequel on définit le griot: woyaan
(demander en flat-
tant,
quémander).
D'ailleurs, certainement en relation avec cette récupération,
une
légende fait descendre le griot d'un compagnon du prophète Mohamed qui accompagnait
ce dernier dans ses campagnes .
.. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
C.
1. A. Ritchie
: Op. cit. ,p. 344.
(2) -
H. Azan
: Op. cit.,p. 357.
l
'
• 1


-259-
11
"Le pr'emier griot, selon Samba Djabaaré Samb, est un compagnon de
Mohamed,
qui chaque fois que celui-ci s'approchait d'une ville, ras-
semblait les habitants en leur disant:
"voilà le prophète, voilà le
héros,
l'envoyé de Dieu
~ ... " ce qui amplifiait la dimension de l'ar-
rivée de Mohamed et le faisait connaître au niveau du peuple. En ré-
compense,
le prophète lui offrait des dons.
Mais les autres compagnons
en furent jaloux et le manifestèrent,
alors Mohamed dit au griot de
ne plus rien dire quand ils arriveraient dans une ville.Quand cela
fut fait,
on ne tarda pas à reconnaître que sans son action le pro-
phète risquait de passer inaperçu.
Ainsi,
tout le monde finit par ac-
cepter que le griot poursuive ses activités et reçoive des dons en
conséquence".
En principe,
du point de vue idéologique,l'Islam ne reconnaît pas
la hiérarchisation des castes et la distinction de statuts entre musulmans. Mais
l'endogamie de caste a continué à être appliquée par les griots même convertis
à l'Islam.
Les mariages entre un homme de la caste des geweZ et une femme geep
sont plutôt rares même s ' i l est fréquent de rencontrer des mariages entre mara-
bouts et femmes geweZ. En fait,
l'Islam n'a pas réussi à déraciner le mépris frap-
pant le statut de cette caste.
La colonisation et le système post-colonial n'ont pas eux aussi fon-
damentalement bouleversé la relation traditionnelle entre geep et geweZ. Au con-
traire,
la chefferie mise sur pied par la colonisation au niveau des Cantons et
des autres subdivisions administratives reproduisit le modèle de relation entre
geep et gewet au sein des cours de l'aristrocratie militaire. Les Chefs de Can-
tons aimaient se faire entourer de griots qui bénéficiaient de leurs largesses.
Dans le régime post-colonial,
le pouvoir politique a aussi souvent
utilisé les griots dans}es tâches de propagande électorale au niveau des campa-
gnes comme dans les villes.
Mais le mouvement général auquel on assiste depuis la période coloniale
est surtout constitué par une accentuation de l'exode rural des geweZ' par rapport
à celui des geep. Avec la désarticulation des systèmes de production et la baisse
·/ .

-260-
des revenus des paysans,les griots ne peuvent plus se contenter des dons des geer
Certes, certains parmi eux intensifient leur production agricole,
d'autres se
reconvertissent dans d'autres professions (tailleurs, marchands ... ) tout en gar-
dant leur statut, mais,
d'une manière générale, c'est la ville o~ les geer ont
des revenus monétaires plus importants,
qui attire les geweL. D'ailleurs, les
griots,
contrairement au geer, semblent encore moins liés à la terre. Celle-ci
demeure loin de constituer l'essentiel de leurs revenus qui, même de nos jours,
.
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u woyaan
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eur cas e
.
Pour les geweL,
le woyaan est un acte presque quotidien qui s'accomplit vis-à-vis
de toutes les familles des autres castes, y compris cel~s des forgerons qui, bien
que considérés eux aussi comme une caste inférieure, sont supérieurs au geweL,
dans la hiérarchie des statuts.
Dans la société précolonialê,on a aussi assisté à des changements
de castes au niveau de certains griots,
cordonniers et tisserands.
Ainsi,
selon plusieurs sources orales,
des griots notamment avec l'in-
fluence de l'Islam,
se seraient transformés en tisserands.D'ailleurs, selon A.
Boilat : "la cause (du mépris des tisserands) est que la plupart des tisserands
' l
b
_.
- " (2)
sont de f ami Il es de griots,
contre l esque Il es l
y a
eaucoup de prejuges
.
Les tisserands,malgré ce mépris,
jouaient un rôle économique de premier plan du
fait de l'importance de leurs produits
(les bandes de tissus) non seulement pour
l'habillement, mais aussi pour les échanges économiques et les relations socio-
familiales.
La maîtrise des tisserands~UT leurs techniques de production était,
semble-t-il,
tel!e que jusqu'à l'implantation du système colonial,
les tissus euro-
péens ne leur constituaient pas une concurrence de poids.
Les femmes des tisse-
rands avaient,
elles aussi,
un savoir -faire très poussé dans le domaine de la
teinture qu'elles exerçaient. Ce n'est qu'avec la décomposition des économies
traditionnelles que les tissus européens finiront par s'imposer et précipiter la
disparition progressive
de la caste des tisserands chez les Wolof.
(Actuellement,
on ne rencontre plus de tisserands Wolof dans la zone du Lac de Guiers et les
tisserands Toucouleur que l'on y trouve,
ont tendance à émigrer vers les villes) .
. .. . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - Selon J.T.
Ivrine cité par A. Bara Diop moins de 25 % des ressources des
griots wolof (de son échantillon) provenaient de l'agriculture contre 70 %
provenant de leurs activités spécifiques de caste.
(2) -
A. Boilat : Op.
cita p. 310.
./'

j
i
1
Cependant,
il semble que les transformations dans la caste des tisse-
rands avaient déjà commencé dans la période pré-coloniale, sans que l'on puisse
en déterminer les mécanismes avec précision. On peut simplement noter que des
tisserands avaient,
en un moment, abandonné leurs activités spécifiques pour se
faire des griots d'un genre particulier (maabo) , spécialisés dans la production
d'un certain type de discours laudatifs. Mais cette position,
tout compte fait,
n'était pas étr~naère à leurs activités de castes AeeAo, seul
l'abandon du tis-
sage constituait
une nOGvcauté.
En fait,
ce phénomène pourrait avoir une liai-
son probable avec le fait que les familles royales,
au cours du développement du
pouvoir monarchique, avaient tendance à faire effectuer leurs travaux de tissage
par des esclaves.
Sur un autre plan,
il a aussi existé des conversions de griots en
cordonniers (uude).
Ces conversions,
sGrement en rapport avec l'Islam, mais somme
toute assez rares dans la société précoloniale, se sont surtout développées avec
la dégradation des conditions économiques des griots en liaison avec les changement
socio-économiques introduits par la colonisation. D'aill~urs, très souvent, les
changements au niveau des activités n'entraînent pas de changement de statuts.
Le fait qu'un griot fasse de la cordonnerie (ou soit tailleur comme ce courant
semble se développer de nos ~ours) ne lui fait pas sortir de sa caste originelle
à Ngnit,
les seuls co,rdonniers du village appartiennent à 1-' caste des griots.
LES GENS DU FEU
Selon un informateur cité
par A.
Bara Diop,
"le forgeron gagne sa vie
grâce au feu,
puissance destructrice,
qui l'éduit tout en cendre,
lui et sa sueur
-produite par la chaleur- sont maléfiques comme le feu dont il vit,,(l).
Les forgerons sont les gens du feu.
Ils composent avec lui,
ils tirent
leurs produits du feu.
Leur grandeur comme leur faiblesse se réfère à cette rela-
tion qu'ils ont avec le feu.
Ils ont su dominer cette puissance de la nature et,
pour cela,
il leur a fallu recourir aux forces surnaturelles et obscures. Mais
ils sont auss~méprisés parce qu'ils manipulent cet élément qui peut engendrer le
malheur.
(1) - A. Bara Diop: Op.
cit. p. 49.
.;.

1
-262-
1
Le feu est chargé,
il contient le mal,
les mauvaises intentions,
il
peut diminuer la force vitale des hommes.
Dans le milieu traditionnel,
on n'offre
1
pas le feu,
parce que celui qui le recevrait,
aurait peur qu'il contienne un mau-
vais sort jeté par le donneur.
Dans les villages Wolof,
Peul, Xartaani,
et chez
beaucoup d'autres ethnies ouest-africaines,
quand pour allumer son feu de cuisine
une personne se rend chez son voisin pour y chercher des braises,
elle les prend
sans les demander.
En se servant soi-même,
on évite de se le faire offrir;
le
feu ne se donne pas,
et ne se refuse pas non plus.
En milieu traditionnel Wolof
comme dans plusieurs ethnies voisines,
il est très mal vu de faire passer du feu
derrière une personne. Cela risquerait de détruire sa protection spirituelle ou
sa force vitale
(toc gaZac). On évite de porter un habit qui a subi la moindre
brûlure même s ' i l est réparable,
on préfèr~ s'en débarrasser en le donnant à un
mendiant ou à un forgeron.
La brûlure sur l'habit attire la malchance. La sueur
du forgeron née du contact de celui-ci avec le feu est,
elle-même souillée, on
évite autant que possible de la toucher.
S'il arrive qu'un forgeron emprunte et
porte l'habit d'un autre individu (le prêt d'habit est fréquent entre femmes,
dans
le milieu traditionnel),
ce dernier le lui offre pour ne pas avoir à le porter
à nouveau. Le forgeron vit avec le feu de sa forge, et celui des ses hauts four-
neaux qui étaient constamment allumés avec du charbon de bois pendant toute la
durée de la fusion du fer brut.
Par ailleurs,
c'est aussi avec le feu que le fer
(qui donne la mort)
est forgé.
Le fer est souillé et provoque la souillure. Dans l'Egypte antique,
les prêtres qui entraient en contact avec des objets en fer devaient, par la suite,
effectuer des rituels de purification.
Cette notion d'impureté liée au fer semble
être restée dans les idéologies des systèmes de castes africains
; les outils en
fer utilisés par les agriculteurs sont,
eux-mêmes purifiés par des rituels mys-
tiques ou religieux avant leur première utilisation.
Or,
le forgeron est l'homme du fer,
il garde le monopole exclusif de
sa production et de sa transformation en objets usuels.
Cette association de fer et du forgeron fait qu'une étude de cette
caste devrait nécessairement prenrlre en considération les éléments fournis par
l'histoire de la métallurgie d~ fer.
C.
Monteil avait avancé l'idée que les castes de forgerons en Afrique
seraient d'origine juive
et seraient probablement liées à l'influence des Maures.

-263-
Les thèses d'une origine étrangère du travail du fer en Afrique noire
vont dans le même sens.
La métallurgie du fer serait
selon ces thèses,
venue du
monde berbère,
de l'Afrique (lil N0rd ou de la Mésopotamie. L'Afrique noire soudan 0-
sahélienne en particulier aurait hérité de la technologie arabo-berbère dans ce
.
(1)
d omalne
.
Mais actuellement,
la recherche archéologique donne une autre version
de l'histoire de la maitrise du fer en Afrique noire allant dans le sens de l'anté-
riorité de la métallurgie africaine du fer.
Il est en effet établi que les Egyptien
connaissaient le fer 2.600 ans avant J.C.
;Herodotc indique qu'ils l'utilisaient
notamment dans la momification de leurs morts).Ce fer de minerai provenait proba-
blement de l'intérieur des terres africaines
(de Meroé en particulier, d'où il
était connu bien avant)(2).
La fusion du fer se faisait aussi en Afrique Occidental
(3 )
à Nok 2.500 ans av. J.C.
. On retrouve des sites révélant une industrie de fer
tout le long d'un axe qui va de la Vallée du Nil au fleuve Sénégal en passant par
les régions du Lac Tchad et du Fleuve Niger.
Les fouilles le long du Fleuve Sénégal
ont indiqué la présence d'objets en fer et d'une bijouterie dont la datation absolu
au moyen de la méthode du C.
14 situe l'âge au Vllème siècle(4).
L'âge de ces sites infirme en elle même l'idée que la métallurgie du
fer en Afrique serait liée à l'influence Arabe née du commerce trans-saharien dont
on situe habituellement le dêveloppement
à
partir du IXème siècle après J.C.
;
alors que les récentes fouilles des archéologues américains Rodésik J. et K. Mc
Intosh à ,Tenne-Jeno (sur la boucle du Niger)
ont mis à jour des outils en fer ainsi
qu'une métallurgie datant du IIIème siècle av.
J.C. (5).
(1) -
H.
Lhote fait une revue critique de ces thèses dans son article:
"la con-
naissance du fer en Afrique" in Encyclopédie mensuelle d'Outre-mer
vol.
l
fasc.
25 Sept.
1952 pp. 269-272.
(2) -
M.
L. Diop: Métallurgie traditionnelle et âge du fer en Afrique -
op. cit.
et C.A. Diop "l'usage du fer en Afrique noire" in Notes africaines nO 152
oct. 1976 pp.
93-94.
(3)
Th. Shaw "les statuettes Nok du Nigeria" in Pour la science ,édition français
de Scientific américan n° 42 p.
78-87.
(4) -
Cyr Descamps:
L'archéologie et l'histoire en Afrique de l'Ouest. Documents
pédagogiques audio-visuels
de l'associatioh universitaire pour le développe-
ment de l'enseignement en Afrique et à Madagascar
Paris, 1976.
(5) -
Roderick J.
et S. K.
Mc Intosh "une civilisation urbaine pré-islamique au
Sud du Sahara" in Afrique histoire nO 7 pp.
27-31.
·/ .

-264-
Si l'on tient compte des relations de tous ordres qui ont existé entre
les populations Wolof, Peul et celles du fleuve Niger, du Tchad et de la vallée
du Nil, on peut supposer que la métallurgie du fer dans la zone du Lac de Guiers
et dans le Waalo d'une manière générale serait liée à la diffusion africaine du
fer plutôt qu'à l'influence Arabo-berbère. D'ailleurs, les Maures, jusqu'à présent
s'a~resscnt aux forgerons Wolof ou Toucouleur
pourla fabrication d'outils agri-
coles.
Selon les textes portugais témoins d'une époque plus récente (XVlème
siècle), le fer travaillé en pays wolof provenait du pays Mandingue, de la Gambie
ou de l a S ·lerra- L'eo (1)
n e . Et d'
'
apres l a t rad' t'
lIon ora l e l es f orgerons du waa l 0
et du Lac de Guiers se ravitaillaient en matière première à partir de la région
du ~w~ au Sénégal-Oriental, et dans la Falémé. D'ailleurs, d'après V. Martin et
(2 )
C. Becker cette zone contient des sites protohistoriques d'ateliers de forgeron
.
L'or "urus
galam Il travaillé par les forgerons Wolof et Toucouleur proviendrait
traditionnellement de cette même zone. Mais la tradition orale et les textes por-
tugais ne signalent peut-être que des phénomènes relativement récents, alors que
la diffusion du fer et de la métallurgie se
serait
effectuée à une époque plus
éloignée, probablement à partir de pôles africains tels Nok, Mero~, le Haut-Nil ...
Quoiqu'il en soit, selon H. Lhote "des faits ethnographiques, linguistiques, his-
toriques et archéologiques se conjuguent pour affirmer le caractère proprement
africain de l'industrie du fer dans le monde noir"(3).
Le fer européen t.ravaillé par les forgerons du Waalo serait, quant à lu'
d'introduction beaucoup plus récente (15è siècle), il accompagne le commerce atlan-
tique et était pour une large part échangé contre des esclaves. Le fer européen s'es
progressivement substitué aux systèmes traditionnels de ravitaillement en minerai.
Mais il ne modifia pas fondamentalement les techniques de production utilisées
dans la forge;
techniques qui se sont plus ou ,moins 'conservées jusqu'à nos jours
en raison du caractère particulier de la transmission des connaissances dans les
systèmes africains d'enseignement ou d'apprentissage.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

e
· . -
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
l
(1) - A. CA DA MOSTO : Relation
des
voyages à la
côte occidentale d'Afrique
(1455-1457) Leroux 1895. V. Fernandes: Description de la côte occidentale
1
d'Afrique (1506-1507), Bissau ~1951.
(2) - V. Martin et C. Becker "Site protohistorique de la Sénégambie" in Atlas na-
tional
du Sénégal"
1977 pp. 49-51.
(3) - H. Lhote:- op. cit.,p. 272.
1
./ .
1
1
1

-265-
Les démiurges
-------------
Dans la légende de la fondation du village de Ngnit,
il est dit que
"Waaly Boye,
le héros fondateur avait quitté Menguengne à la suite d'un conflit
a,!ec ses "domi baay"
(frères du côté paternel). Il arriva à la localité du nom de
Diabouldo et il y rencontra l'ancêtre des forgerons de Ngnit ;
il persuada ce der-
nier de venir fonder avec lui le village de Ngnit.
C'est à partir de cette alliance
que la communauté accueillit des étrangers et s'élargit au point de donner nais-
-
1
-
t '
,,(1)
sance a une grosse agg omera lon
.
On retrouve dans plusieurs autres récits de fondation de
villages
l'idée de l'intervention ou de la participatjofl originelle des forgerons.
Chez
les Peul Wodaabe de Ngnit comme ceux de Keur MOffiar Sarr,
certaines localités de
leurs villages d'hivernage portent le nom de Thiamène (chez les Thiam) car, selon
la tradition orale,
les Peul,pour s'adonner à l'agriculture d'hivernage étaient
venus s'installer auprès de clans de forgerons du nom de Thiam.
Yaro Diaw de son côté indique que la première dynastie du Waalo serait
celie des Dya-Ogo, des forgerons qui auraient eu une technologie assez avancée
dans le domaine de l'agriculture(2). On signale aussi les Dya ogo comme étant les
initiateurs de l'agriculture et les fondateurs des royaumes Toucouleur.
D'ailleurs
selon A. Anselin,au Tekrour,
"le lexique de l'agriculture,
de l'écriture, du calcul
comme lexique bantou,
atteste qu'une forme politique complète dominée par le "rol-
forgeron"a existé" mais ajoute-t-il
; "le forgeron a disparu de la superstructure,
et la lance royale s'est cachée derrière des armées de captifs,,(3).
Dans le même sens,
les mythes dogon mettent elles aussi en relief,
la place primordiale du forgeron dans l'avènement
de la société agraire:
"le
forgeron,
envoyé d'Amma,
donna aux hommes briquets,
lance, arc,
flèches.
Amma prit
du mil,
le mit dans la main du forgeron.
Le forgeron descendit du ciel sur la ter-
re.
Le forgeron donna le mil à l'homme.
Il donna aussi des houes et du fer.
Assisté
d ,
t
b
.
.
'1 f
1
d
d
1
l '
- A
,,(4)
un
am ourlnalre,l
rappa sur son enc ume pour
eman er
a p Ule a
mma
.
(1) -
Ce récit nous vient du vieux forgeron aveugle de Ngnit : Kodé Dièye.
(2) -
H. Gaden: Op.
cit.,
p.
12.
(3) -
A. Anselin : la question peul
-
op.
cit. p. 68
(4)
M. Griaule: Masques dogons, Institut d'Ethnologie, Musée de l'Homme - Paris
1978 p. 799.
/
., .

-266-
En fait,
le forgeron joue un rôle vital dans le système agraire,
il est
présent à tous les points névralgiques de celui~ci. C'est lui qui fournit les outil
en fer indispensables au travail de la terre
(houe,
hache,
daba,
couteau . . . )
les
ustensiles de cuisine
(marmite . .. ) ERns lesquels la préparation des repas est
impossible,
viennent de lui.
La femme du forgeron est la potière,
celle qui fournit
les objets en terre cuite
(canari pour le stockage de l'eau,
ustensiles de cuisi-
ne ... ). La poterie figure depuis longtemps à côté du forgeron
(objets en terre
cuite de Nok associés à des fours pour la fusion du fer,
hauts fourneaux réalisés
suivant le modèle de la poterie .. . ).
Le forgeron assure l'intégration de l'indi-
vidu à la société des hommes,
c'est lui qui circoncit et donne ainsi le droit au
mariage
; sa femme effectue le même rôle chez les femmes
: Dans la zone du Lac
de Guiers,
c'est elle qui effectue les
tatouages sur les lèvres,
tatouages sans
lesquels la fille peul n'est pas considérée comme mûre pour le mariage.
"La cir-
"
-
' t A
' l '
t '
-
1
r-
l ' "
(*)
conc1810n,
ecrl
. Knse ln,
pra lquee par
e lorgeron,
.
eXCIsIon
par son
épouse la potière,
sanctionnent l'intégration culturelle et sociale des hommes
(1)
et des femmes"
. Le forgeron est aussi celui qui fourni t
les armes destinées
à la chasse ou à la guerre,il produit en plus les outils nécessaires à la pêche
(harpon,
hameçon . . . ).
Il est vraiment pr~sent à tous les niveaux fondamentaux de
la production et de la reproduction sociale.
C'est dans ce sens que Th.
Obenga
é c r i t :
"la société humaine s'est en Afrique inventée autour du forgeron et des
(2 )
produits de son activité"
. Même dans rEgypte ancienne,
selon la ~~gende citée
par E.
Naville,
les forgerons étaiellt les compagnons du dieu Horus qui,
parti de
( 3 )
Nubie,
fonda l'Egypte'
.
Le forgeron assure donc l'impulsion et la dynamique de la société agrai
re.
Cependant cette liaison de la métallurgie du fer et de l'agriculture n'est
pas absolue puisqu'il a existé en Egypte tout au moins, selon A. Leroi Gourhan,
(4 )
une agriculture ayant précédé l'usage du fer
Mais ce type d'agriculture qui
en Basse Nubie date d'il y a 13.000 ans av. J.C.
d'après Dimitri A. Olderogge, n'ex
ge pas la même quantité de
travail
investi dans ~ sol, ainsi que la sédentarisation
et les changements d'activités
(diminution ou abandon de la chasse ou de la cueil-
lette nomades)
que supposert les sociétés agraires.
(:;'~'~;~~~~~~~~'~;~~~'~~~';;~;i~~é~'~h;;'i~~'w~i~f:'X;;~;;~i·~~·~~~i·d~·L~~·d~··
1."'.
Guiers, bien qu'on la retrouve chez plusieurs ethnies VOIsines
(Mandingue, Soninké,
Toucouleur . . . ) et même
chez les Xa1"tcwrd du Haut-Fleuve Sénégal
(Bakel).
1
(1)
A. Anselin op. cit. ,p. 66.
f
(2 ) - Théophile Obenga : Méthodologie en histoire africaine. Africa XXV, Rome 1970.
(3 )
Cité par Cheikh Anta Diop -
Nations nègres ... pp.
151-152.
(4 )
A. Leroi Gourhan : le milieu et les techniques -
p)316.
./ .

-267-
Ainsi, le forgeron est l'initiateur de la société agraire, ce qui ex-
plique la place prééminente qu'il a occupée dans ce type de société, place que
Cheikh Anta Diop retrouve dans l'existence du roi-forgeron dans l'Afrique ~quato­
riale ; par contre, le forgeron aurait perdu cette place en Afrique sahélienne où
de nouveaux rapports se seraient créés à la faveur d'orientations socio-politiques
différentes. Le forgeron méprisé et exclu de l'autorité politique peut être, dans
ce sens, l'expression d'un renversement. de système, organisateur de nouvelles re-
lations sociales.
Dans les sociétés ouest-~fricaines où les aristocraties guerrières
se sont installées, la position idéologique du forgeron n'a pu prévaloir sur le
mépris attaché au travail manuel (artisanal
en particulier) par opposition aux
fonctions guerrières. En outre, le pouvoir guerrier en faisant du commerce europée
des esclaves, sa principale source de revenu, a remis en cause la place de l'agri-
culture dans l'économie traditionnelle. L'agriculture, sans cesse destabilisée
par les guerres et affaiblie par les prélèvements d'esclaves, cessa d'être le p6le
de référence dominant; la place du forgeron dans le système social s'en trouva
dévalorisée par voie de conséquence.
Certes, dans la société wolof, les monarques s'attachaient les ser-
vices de forgerons (teg0A buup) spécialisés dans la fabrication des armes (pointes
de flèches, sabres, fusils copiés sur des modèles européens, balles, munitions* ... )
mais le forgeron, dans ce système, ne fut pas considéré comme l'accoucheur de la
civilisation (comme c'est le cas dans la société agraire)
; ses services sont sim-
plement récupérés par le pouvoir déjà constitué qui d'ailleurs, avec l'intensifiea
tian du commerce atlantique pu s'acquérir des armes par d'autres moyens.
Avec la colonisation et la monétarisation de l'économie, les produits
des forgerons purent difficilement soutenir la concurrence des objets manufacturés
provenant des industries européennes. La plupart d'entre eux disparurent de l'uni-
vers technique domestique (couteaux,
ustensiles. :.) ou même des outils agricoles .
. . ............... .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
(*) - C'est en général le forgeron qui connaissait la formule magique à employer
pour vaincre l'invulnérabilité de l'adversaire aux balles ou au couteau~.
./. ,

-268-
L'univers technique du milieu domestique comme celui du milieu agricole fut envahi
par des objets en métal fabriqués par l'industrie européenne.
D'autre part,
la monétarisation a changé la nature des relations
d'échange entre tegg et geer.
Les produits de la forge sont de plus en plus vendus
dans les villes ou dans les marchés villageois.
Le traditionnel échange entre fa-
milles tegg
(qui fournissaient les cutils agricoles)
et familles geer alliées (qui
leur livraient une partie de la récolte),
disparait actuellement. Seule la rela-
tion de don
d'objets ou d'argent par lesgeer
aux
tegg a survécuet se mar,ifeste
à l'occasion des cérémonies familiales des geer où les tegg se chargent des t~ches
domestiques;
ou à l'occasion de demande (woyaan)
effectué par les tegg. Ces dons
en outre,
pel'pétuent la repcésen tati on de l' j.négal i té de statut entr'e te99 et
geer.
Par ailleurs,
la ville,
par les possibilités d'écoulement des produits
qu'elle offre, exerce une attraction importante vis-à-vis des forgerons auxquels
elle donne plus de possibilités de revenus monétaires(l).
Ainsi,
l'exode rural
t
h
t "
t
1
1
+
1
(2)
ouc e compara Ivemen
p us
es ~egg que
es geer
Cependant,
jusqu'à nos jours,
le forgeron demeure l'héritier de la
technologie sur laquelle s'est appuyée l'agriculture d'autosuffisance alimentaire
de la société précoloniale.
Dans le Waalo précolonial,
le forgeron,
faisant lui-
même de l'agriculture
(mais dans des proportions moindres),
savait mieux que qui-
conque adapter les outils qu'il fabriquait à l'environnement naturel et humain
avec lequel ils étaient en contact. Sa maItrise de la production d'outils agricoles
s'inscrivait en fait dans le niveau de technicité auquel il était parvenu et qui
fit dire à A.
Boilat que les forgerons Wolof "font tout ce que font les forgerons
de France:
des serrures,
des gonds,
des
instruments aratoires, des sabres, des
poignards,
des lames,
etc ...
ils réparent les fusils et les pistolets". A.
Boilat
était en outre émerveillé par la qualité et le raffinement des articles produits
par les bijoutiers(3).
(1) -
Les ustensiles domestiques (fourneaux,
louches,
encensoirs,
fer à repasser .. )
se vendent plus facilement en ville qu'en campagne où non seulement les reve-
nus sont plus bas ,mais où aussi ces ustensiles sont souvent remplacés par
d'autres en terres ou en bois.
(2) -
Dans une famille tegg de Ngnit,
nous avons constaté que 15 personnes avaient
emlgré
en direction de la ville contre 23 qui étaient restées, mais parmi
ceux-ci 10 effectuaient des voyages assez fréquents en ville.
(3) -
A. Bailat : Op. cit.,p. 312.
1
• 1 •

-269-
j
1
Jusqu'à présent, les forgerons Wolof et Toucouleur démontrent très
souvent leur capacité à répondre aux nouveaux besoins techniques créés par les
changements sacio-économiques en milieu rural ou même par l'évolution des milieux
urbains. Ainsi,
il est ordinaire de voir des semoirs, des seaux, des baignoirs,
des fourneaux,
des fers à repasser,
des lits et autres objets en fer,
fabriqués
par les forgerons de la zone du Lac de Guiers ou par ceux du Waalo de manière plus
générale.
Mais,
dans un environnement culturel qui,
en relation avec l'emprise
économique et politique de
l'Europe,
valorise les modèles occidentaux,
les pro-
duits des forgerons soutiennent difficilement la concurrence des objets manufactu-
rés. Ceux-ci fabriqués sur une large échelle et bénéficiant d'un environnement
socio-économique favorable,
envahissent les marchés alors que la production des
forges souffre sur le plan quantitatif des effets de l'exode rural qui reconvertit
une partie de sa main-d'oeuvre traditionnelle dans d'autres activités profession-
nelles.
Dans cet ordre d'idées,on peut concevoir la substitution des produits
de la forge par les articles manufacturés comme une des expressions d'un mouvement
général de satellisation de la campagne à la ville. C'est celle-ci qui attire les
artisans des campagnes en même temp[
~u'elle constitue le p6le de diffusion des
objets techniques vers les villages; alors que dans le milieu traditionnel,
la
production technique faisait partie du monde rural au sein duquel elle était
intégrée.
Dans cette perspective, on peut se poser la question des chances de
réussite d'une agriculture nouvelle visant l'autosuffisance alimentaire sur le
plan national alors qu'elle n'aurait aucun contrale sur la technologie qu'elle
reçoit. La dépendance technologique des zones rurales sénégalaises (ou africaines
en général) vis-à-vis des pays industrialisés et de leurs modèles (tracteurs,
charrues, outils agricoles,
engrais et autres inputs) n'aliène-t-elle pas toute
capacité des paysans à maîtriser leur production ou simplement à faire des choix
technologiques
')
A partir de ce moment,
il conviendra~t, peut-être, de resituer la pro-
blématique tant discutée du transfert des technologies dans un contexte qui tienne
compte des acquis technologiques locaux.
'/ .

-270-
1
1
Dans ce sens,la perspective d'une révolution agricole qui assure l'aut -j
suffisance alimentaire des ruraux d'abord,
implique non seulement la maîtrise par
les ruraux eux-mêmes de l'eau et de la terre,mais aussi du fer,
au moyen de la
combinaison aussi bien de techniques étrangères que locales.
Dans cet ordre d'idées,
l'exploitation du fer de la Falémé au service
du monde rural doit aboutir à une utilisation non seulement par la technologie
importée des pays industrialisés, mais aussi par les forgerons qui possèdent encor
1
un capital technologique à mettre en vélleur.
1
Les forgerons africains,
selon plusieurs auteurs,
possèdent une grande
maîtrise aussi bien des techniques de transformatjon du fer que de celles de l'ex-
traction de ce minerai. Selon M.
L. Diop,
les forgerons,
traditionnellement,
se
regroupaient pour extraire le minerai de fer soit des galeries souterraines, soit
des mines à ciel ouvert,
d'où ils recueillaient les cailloux ferrugineux dont le
fer était extrait au moyen de hauts fourneaux traditionnels.
Ensuite,
ils se dis-
' t
f
1
d "t (1)
persalen
pour
orger
eurs pro Ul s
.
Les forgerons du Lac de Guiers et duWaalo étaient,
avant l'introductio
du fer européen,
sGrement en contact avec les régions ferrugineuses du Fauta ou
du Sénégal-Oriental
o} des sites métallurgiques sont actuellement découverts.
D'après Cheikh A.
Diep,
le forgeron africain,
depuis la vallée du Nil,
était parvenu à un niveau élevé de maîtrise du fer.
Il était parvenu à la fabri-
cation de plusieurs qualités de fer doux par élimination successive du carbone
t
d
1
f
t
t
' t
d
.
.
(2)
D
-
. A
B ·1 t
d l '
con enu
ans
a
on e ex raI e
es mIneraIs
.
e son cote
.
01
a
onne
Ul
aussi des indications sur les techniques employêes par les bijoutiers du Waalo
"Quand on veut faire fabriquer quelques bijoux,
l'orfèvre se transporte avec ses
outils devant la case de celui qui l'emploie,
les outils consistent dans une en-
clume,
quelques marteaux,
quelques limes,
une paire de tenailles,
de petites pin-
ces et un soufflet composé de peaux de boucs.
On pèse l'or et l'argent avant de
les confier à l'ouvrier pour ~tre mis en fusion,
celui-ci, pour faire sa besogne,
se place sous un hangar ou dans une case.
Il commence d'aborà à îaire un trou où
i l établit son feu qu'un de ses gens souffle continuellement en appuyant tantôt
sur l'une des peaux,
tantôt sur l'autre;
ce qui produit l'effet d'un soufflet
à deux âmes, puis il enfonce l'enclume en terre et travaille en présence du pro-
f
priétaire du métal,,(3).

" "
"
..
(1)
Marie-Louise Diop: Op.
cit.
pp.
14-36.
(2) -
Cheikh Anta Diop:
L'usage du fer en Afrique,
pp. 93-94.
(3)
A.
Boilat : Op.
cit. p. 312.
./.

-271_
Actuellement encore,
les forgerons du Lac de Guiers témoignent d'une
connaissance très poussée dans le domaine de la récupération des objets en fer.
Ces objets proviennent, pour la plupart,
de bariques, des vieux ustensiles, des
carcasses de voitures
(ce qui entretien les liens entre eux et les mécaniciens
des villes qui,
souvent, sont des forgerons émigrés en ville). C'est à partir de
cette récupération d'objets en fer ou en alluminium dont ils apprécient les proprié
tés,
qu'ils fabriquent la quasi-totalité de leurs produits actuels.
Ainsi,
en fin de compte,
il semble que des potentialités existent sur
le plan technologique pour une nouvelle révolution agricole où le forgeron idéo-
logiquement libéré de son statut de caste inférieure,
serait à nouveau parmi les
démiurges. Ce rôle suppose,
évidemment,
de nouveaux rapports au pouvoir politique
qui conduisent nécessairement à la remise en cause de celui-ci aussi bien dans
son essence que dans ses formes actuelles.
Cette remise en cause elle-même, ne
saurait cependant faire abstraction des systèmes politiques traditionnels et
de leurs articulations au système des castes.

Cr; API TREl l l
LES
SYSTÈMES
PO!_ITIQUES
-=-=-=-=-=-
Le régime socio-politique et le système politique traditionnel ont ac-
tuellement, en grande partie, disparu du Waalo et de la zone du Lac de Guiers en
particulier. La conquête coloniale et la mise enplace d'une administration nouvelle
ont radicalement détruit
les anciennes structures socio-politiques.
Mais les modèles culturels liés aux systèmes traditionnels n'ont pas
totalement disparu; au contraire, ils demeurent dans les mécanismes de prises de
décision tant sur le plan individuel que collectif.
A partir de ce moment,il devient nécessaire,pour comprendre les méca-
nismes actuels de décisions, de se reférer à une étude des systèmes politiques et
d
. "
" l " t "
t
dOt"
1 (1)
e reglmes SOC10-pO 1" lques
ra l lonne s
.
BASES SOCIALES DU POUVOIR
Dans le Waalo traditionnel, la structure des ordres détermine dans une
large mesure la relation de l'individu ou du groupe au pouvoir et aux différentes
catégories sociales. Selon A. Bara Diop, les ordres sont les catégories sociales
"constituant l'armature principale" de la société monarchique wolof. Elles sont
hiérarchiques et héréditaires. Elles entretiennent des rapports de domination
Î
(politique) et d'exploitation (économique),,(2). Ainsi, là où on ne peut établir
l'existence d'une exploitation entre castes, par contre on peut dégager nettement
1
des rapports d'exploitation entre ordres dominés et ordres dominants.
~
!'
........................................ "
i
(1) - Nous reprenons ici les définitions proposées par Pathé Diagne dans son arti-
1·.
cIe : "Contribution à l'analyse des régimes et systèmes pol i tiques traùi tion-
"
nels en Afrique"
in Bull. de l'LLA.N., n° 3, 1970, p. 845. "La notion de

régime politique ou socio-politique,écrit-i~, rend compte du statut de l'in-
1
dividu et des collectivités, de leurs droits, des rapports de sujétion et
d'obligations diverses (prestations économiques, préséances, droits et hiérar
chie politiques, etc .•. ) qui s'établissent dans le cadre d'une société". Par
contre, "la notion de système politique, précise-t-il, rend compte de la
partition du pouvoir entre catégories sociales et du complexe des rapports
de fonctions qui en résultent".
(2) - A. Bara Diop
Op. cH. p. 112.
.f.

1-
Les critères empiriques qui définissent la caste (endogamie, hérédité
professionnelle et hiérarchie) ne sont pas, en tous points,les mêmes que ceux qui
caractérisent le système d'ordres où l'endogamie, encore moins l'hérédité profes-
sionnelle ne sont de rigueur. Dans le système d'ordresc'est plutôt la position de
pouvoir dominant/dominé qui constitue le critère fondamentale.
Dans la société wolof, la relation dominant/dominé repose sur la dis-
tinction fondamentale entre esclave (jaam)
et homme libre (gor). C'est par rapport
à cette distinction -qui est une distinction politique-(l) que se situe les diffé-
rents ordres. La hiérarchie des ordres est donc étroitement liée
aux positions que
ce\\.x-ci occupent par rapport à l'appareil d" Etat.
Mais quelque soit la position qu'elle occupe au sein de la hiérarchie
du système, l'ordre renvoie avant tout à la position du lignage par rapport au sys-
tème poli tique ; car en Afrique comme le souligne P. Diagne : "le principal sujet
de droit a été non pas l'individu, mais la lignée.Ce sont les communautés matri-
linéaires ou patrilinéaires quiont été dépositaires du statut social et du statut
OtO
,,(2)
po l l lque
.
A partir des notions dégagées par A. Bara Diop, on peut distinguer dans
le Waalo précolonial les ordres suivants: les garmi, les jambur, les baadoo~G,
les jaamibuur et les jaamibadoo~o.
- Les garmi constituent ceux que l'on pourrait appeler la noblesse.
Mais cette noblesse ne renvoie pas au mode de
production féodal comme ce terme
le laisse supposer dans d'autres contextes.La noblesse wolof comme l'indique Cheikh
A. Diop "n'est pas terrienne au sens où l'on entend cette expression lorsqu'il
s'agit du Moyen-âge Occidental. Le solen Afrique n'appartient pas aux conquérants,
l'esprit de la classe nobilaire n'est pas tourné vers le sol, vers la possession
de grands domaines fonciers que l'on fait cultiver par des serfs rivés à la glèbe
en ce sens, il n'y a pas de féodalitéen Afrique,(3) .Dans le Waalo précolonial, les
1
garmi occupaient les positions les plus élevées de l'appareil politique et mili-
1
~~~~~:~:~~~.~~~~~.~~~.~~:~~~~~~~.~~~~~~~~.~~~.~~~~~~~~~~.~~~~~~:.~~~~~.~~~.~~~~~~~~.~~.
(1) - Selon J. Marquet: "la relation politique élémentaire" est celle "entre deux
acteurs, le gouvernant et le sujet, dont lès rôles sont respectivement de
commander et d'obéIr sous la contrainte et par la force ~{pouvoir et sociétés
en Afrique, Hachette, 1971, p. 24).
(2)
P. Diagne
Op. cit. p. 847.
(3) - Cheikh A. Diop: L'Afrique noire précoloniale, p. 14.
./ .

-274-
cilefs de provinces
les
Kangam Njurube L. L'appartenance à cet ordre découle d'une
filiation utérine à partir de l'un des trois matrilignages royaux: les'Qyoss, les
Teedyek et les Loggal' auxquelles on attribue
tous des. origines étrangères. Sur
le plan morale, on identifie le garmi à la prodigalité, aux largesses, à la géné-
rosité la plus large.Le
garmi est considéré comme celui qui donne sans compter,
qui est dépourvu de tout égoïsme et de toute forme d'avarice ou de calcul basse-
ment matériel (pour dire de quelqu'un qu'il est très généreux, les Wolof disent
que c'est un garmi, quelle que soit son appartenance sociale). En outre, le garmi
incarne un sens de l'honneur très poussé,
il doit rester digne dans la souffrance,
ne pas reculer devant les sacrifices et faire preuve de retenue dans se~ désirs ma-
tériels. Dans la superstructure traditionnelle wolof, le garmi représente le mo-
dèle morale dominant.
- Les jambur : Dans le Waalo précolonial,ils ont détenu un pouvoir
politique important,bien que du point de vue de la représentation de l'autorité
politique, ils relèvent d'un statut inférieur à celui des garmi. Ce sont les
jambur qui dirigeaient le seb ak baor, l'instance chargée d'élire le brak, de le
contrôler, de le conseiller ou de le destituer en cas de nécessité. Le seb ak
baor avait à sa tête les représentants de trois familles considérées comme les· plus
anciennement établies dans le p~ys. Ces familles descendraient par filiation utérin
de trois ancêtres féminins: Yoro Diogomay, Yacine Pata et Bakka Bul qui, à leur
tour seraient les descendants de Farmata Diawandou que la tradition orale repré-
sente comme étant l'épouse du premier Laman du Waalo : le Laman Diaw(l). Sur le
plan de l'idéologie politique,les pouvoirs détenus par les jambur
d€coulent
des
droits politiques que leur confèrent l'ancienneté de leur occupation de l'espace
et la dimension spirituelle de celle-ci. Outre,leurs qualités de chefs de cer-
taines provinces,les jambur détenaient plusieurs autres fonctions dans l'appareil
d'Etat, c'est aussi parmi eux qu'émergeront la plupart des marabouts (serin) dont
les pouvoirs religieux et politic~ues iront grandissant avec le déclin de la monar-
chie. Mais bien avant ce stade,les jambur détenaient un pouvoir important sur les
garm~ ; c'est ce que nottent F. Carrère et P. Holle : "les hommes libres appelés
"sebebaor Il (sic), aujourd'hui réduits à un petit nombre, formaient jadis la masse
du peuple, classe puissante autrefois, soigneusement ménagée et caressée par les
(2 )
kangam
N;/urube t,
car elle avait le pri vilège d~ nommer- le souverain du pays"
.
(1) - Cf. J. Robin: Op. cit' p. 143.
j
(2) - F. Carrère et P. Holle : Op. cit.,p. 97.
.f.

Sur le plan morale, le jambur se définit comme une personne intègre marquée par
un profond sens de la justice et de l'équité.
(C'est d'ailleurs le titre porté par
ceux qui rendaient la justice), il est très peu porté sur la violence qu'il n'utili
se qu'en cas extrême; c'est par excellence l'homme de paix, respectueux du droit
des individus, il incarne la tranquilité et la tolérance.
- Les baadooLo: Ce sont littéralement ceux qui sont dépourvus de force.
Ils ne sont pas associés aux instances supérieures du pouvoir, mais au niveau du
village, ils interviennent dans la prise de décision politique. Les baadooLo occupe
le statut le plus bas parmi les goP (hommes libres) avec la transformation du sys-
tème monarchique pendant la traite négrière,ils étaient devenus les principales
victimes du pouvoir politique "les baadooLo, écrit Abdoulaye Bara Diop, subissaient
la domination en même temps que l'exploitation des détenteurs du pouvoir; ils pa-
yaient des redevances sur leurs ressources (récoltes et bétail), leur fournissaient
des prestations de travail; ils étaient, de surcroit, les victimes des razzias et
pillages entrepris même par leurs propres chefs,à l'époque de la traite des escla-
ves,,(1). Au niveau des représentations morales, le baadooLo fait figure d'individu
égoïste, avare, attaché aux biens matériels, au point de faire preuve de bassesse
et de manque de dignité.Selon A. Bara Diop: "le terme baadooLo était synonyme d'ab-
sence de courage et, surtout, de dignité, de sens de l'honneur; il ne connaissait
pas non plus la sagesse qu'on reconnaissait traditionnellement aux notables, aux
J'ambur" (2) •
A ces différents ordres goP (hommes libres) s'ajoutaient les ordres
d'esclaves {jaam} dont le
plus
élevé était celui des esclaves de la couronne.
La condition du maître rejaillissant sur celle de l'esclave,
les positions hiérar-
chiques des esclaves étaient, d'une certaine façon, les reflets de çèlles de leurs
maitres ; B. Barry confirme dans ce sens qu'auWaalo'1'esclav~ épousait dans la so-
ciété globale, le statut de son maître, par rapport aux individus de sa classe. On
avait ainsi au sommet de la hiérarchie,les captifs de la couronne,,(3). Les ordres
d'esclaves se divisaient essentiellement en deux catégories: les esclaves des fa-
milles royales {jaami-buur} et les esclaves des familles du peuple {jami-baadooLo} .
....................................................................................
(1) - A. Bara Diop: Op. cit. ,p. 158-199.
(2) - Op. cit. p. 159.
(3) - B. Barry: le royaume du Waalo, p. 30.
·1.

J
-276-
1
-
Les jaami-buu~
Etant à l'origine assimilables aux autres esclaves
de la société,
les jaami-buu~, avec le renforcement des aristocraties guerrières,
finirent par occuper des rôles politiques et militaires particulièrement importants;
c'est ce qui fait écrire à A. Bara Diop que
: "si, en théorie,
leur statut !celui
des jaami-buu~) était inférieur à celui des hommes libres qu'étaient les baadooLo ;
en fait leur condition socio-politique était supérieure à celle des derniers
'\\ 1 )
qu'ils commandaient et administraient fréquemment
. En effet,
dans le Waalo précol
niaI,
les esclaves de la couronne qui portaient le titre de "jaQJ7i-Nju~ubeL" occu-
paient des fonctions sans cesse accrue dans la cour royal~,dans l'administration du
territoire et surtout dans l'armée dont ils constituaient le noyeaupermanentà tra-
vers le corps des
ceddo(soldats de métier). Selon B. Barry, dans le Waalo, "les
captifs de la couronne étaient exempts de toutes redevances ... C'est parmi eux que
seront recrutés les guerriers tyeddo (ceddo)
dont le rôle sera de plus en plus pré-
pondérant à la faveur de la crise politique,
sociale et économique de l'ère né-
grière ll (2). Dans le système des valeurs morales,
les ceedo étaient représentés comme
des individus d'une bravoure et d'un courage à toute épreuve, mais aussi d'une
cruauté et d'une injustice légendaire vis-à-vis des baadooLo. Ainsi, si vers la fin
du régime monarchique,
les ceddo constituaient les pilliers du système politique,
en revanche,
aux yeux des marabouts et des baadooLo, ils incarnaient l'immoralité
sous sa forme absolue. Dans la relation de son voyage dans le Waalo, A. Boilat fait
la description sui vante des ceddo
: "le mot thiedo (ceddo )est l' oppos; de marabout ;
il signifie un incrédule, un impire, un homme sans foi ni probité ... Ne vivant que
de vol et de pillage sur les grands chemins,
ils sont plus propres à la guerre.
Chaque chef de village entretient à son service un certain nombre de thiedos (ceddoj
qu'il fournit d'armes et de chevaux. Plusieurs demeurent auprès de sa personne et
sont nourris
aux dépens du maître
; les autres restent dans les village et sont
obligés de marcher à la première réquisition. Aucun n'a de solde, mais ils ont leur
part dans le butin qui se fait à la guerre. Sans croyance aucune,
ils s'adonnent
à tous les vices et spécialement à la boisson de l'eau de vie,,(3) .
...





























<Il
<Il
<Il
<Il
<Il
<Il
<Il
• • • •
<Il
...
(1) -
A. Bara Diop: Op.
cit., p.
159.
(2) -
B. Barry: Op. cit., p.
90.
(3)
- A. Boilat : Op.
cit., p. 308-309.
.
,
/ .

-277-
- Les jaami-baadoo La:
les baadoo to possédaient souvent des esclaves
en nombre restreint. Même les castes neeno
en avaient elles aussi (mais c'est
surtout les forgerons et les griots proches du pouvoir qui en avaient le plus).
Les esclaves appartenaient â deux catégories dont le critère de définition se situe
à un niveau diachronique:
les esclaves nouvellement acquis (jaam-sayor)
qu'il
était permis de vendre et les esclaves nés dans la concession de leur maître
(jaam-judduJ
qui,
eux, n'étaient pas cessibles. Un autre niveau, on distingue l'es-
clave du lignage paternel (J()am neql.l baay)
et celui du lignage maternel (jaam
néqu ndey)
; les liens de l' indi vidu avec des esclaves de case (jaam-judduJ .
SGrtout,
avec ceux
du
lignage maternel étaient souvent très étroits ; un dicton
wolof recueilli par A.
Bara Diop dit â ce sujet: "jaam-juddu mbokk La" (un esclave
de case est un parent). Chambonneau de son côté,
avait observé que dans le Waalo
pré-colonial, maître et esclaves partageaient une vie
COfflr;tune
; les \\lJolof "man-
geaient,
tous ensemble,
sans distinction de maîtres et valets,libres ou captifs,,(I)
Dans le même ordre d'idées,
d'après Y.
Diaw "les captifs engagés au service des
maître y vivent en toute commensalité avec les sourga,
fils,
neveux et autres pa-
rents
gores
(gol')des maîtres;
ils sont nourris,logés,
blanchis,,(2). Cependant,
malgré l'étroitesse de ces liens et le traitement assez humain dont il était l'ob-
jet (la tradition orale et tous les récits des explorateurs européens sont unani-
mes sur ce point),
l'esclave,
du point de vue des représentations faisait figure
de quelqu'un enclin à la trahison,
à l'infidélité,
au manquement dans le code de
l'honneur.
Dans le système traditionnel,
les esclaves étaient,
au départ, des
prisonniers de guerre ou des
personnes subissant une sanction pénale
(les au-
te~rs de meurtre en particulier). On ne pouvait acquérir un esclave dans son pro-
pre ligDage. Selon la tradition orale,
les esclaves,
autrefois vendus aux Maures
et Européens, au début de la traite négrière,
étaient des individus dont la com-
munauté avait reconnu qu'ils étaient des dëmm(mangeurs d'hommes).
(1)
-
A.
Ritchie
; Op.
cit., p. 322.
(2)
-
R. Rousseau:
Cahier de Y.
Dyâo,
p.
193.
1
• t


-278-
Finalement la société Wolof,
telle qu'on peut l'analyser à travers
le système des ordres, apparait comme particulièrement hiérarchisée; une hiérar-
chisation dont on retrouvera certains contours dansle système Peul.
Chez les Peul on note,
en effet,
l'existence de quatre ordres distincts
qui ne sont pas sans ressemblance avec le système wolof :
les tawakobe
: ils sont au sommet de la hiérarchie; ce sont parmi eux qu'étaient
désignés les chefs politiques les plus élevés
: les aY'do
;
les jambureebe : ce sont la grande masse du peuple; hommes libres,
ils ne re-
présentaient pas l'autorité politique, mais intervenaient dans l'élection des
aY'do ;
les dagganaabe : ce sont les esclaves de case, ceux qui sont nés dans la conces-
sion de leur maître et qui n'étaient pas cessible.s;
les
soradd: esclav~recemment acquis dont on pouvait se séparer en cas de né-
cessité.
Le régime Maure
---------------
Chez les Maures,
le régime socio-politique, épouse sur certains plans
les contours du système de castes. Ainsi,
les castes dominantes des marabouts et
des guerriers constituent en même temps les ordres dominants dans le régime poli-
tique. Les guerriers et les marabouts,
non seulement entretiennent des rapports
de castes avec les forgerons et les griots,
mais également entrent dans les rela-
tions d'ordres avec les autres catégories sociales
: les XaY'taani(esclaves af-
franchis)
et les Abid (captifs) qui,
elles ne sont pas considérées comme étant
des castes au sens habituel du terme.
Les guerriers (Xasaan)
et les marabouts (Totba) , peuvent être considé-
rés comme étant des ordres bipolaires dans la mesure où sans être en conflit, ils
ne sont jamais tous les deux présents dans une même fraction tribale de la popu-
lation. Les tribus
sont soit dirigées par IBsgu~rriers, soit par les marabouts.
·/ ..

-279--
Ce sont les marabouts et les guerriers qui perçoivent les prélèvements sur les
ressources des hommes libres et des catégories serviles;
ce sont aussi eux qui
détiennent le pouvoir politique dans leurs
tribus respectives.
Si, à la tête des
Emirats se trouvaient des rois xasaan désignés par des membres de leur propre
groupe,
qui détenait ainsi un pouvoir politique plus étendu • par contre,
les mara-
bouts ont sur leur tribu
'm PO,,:voLr poli tique que les rois et les )(asaan ne peuvent
contester. En plus,
les xasaQn devaient, sur le plan religieux,
s'incliner devant
les marabouts.
Les Xartaani
occupent la position d'esclaves affranchis.
L'affranchis-
sement pouvait résulter de plusieurs procédures
(libération à l'initiative du
maître,
rachat de sa liberté par l'esclave,
allégeance à l'endroit d'un autre
Seigneur ... ).
Les Xartaani sont tenus, par des liens de domination vis-à-vis de
leurs anciens maîtres
(qui restent les seigneurs) ou vis-à-vis des nouveaux sei-
gneurs qui sont intervenus dansleur affranchissement. Annuellement,
les seigneurs
récupèrent les tributs auxquels ils disent avoir droit
(produits des récoltes
et d'élevage,
argent,
articles d'artisanat ... ).
Les Abid quant à eux sont au bas de l'échelle sociale; ce sont les
captifs de maison qui dépendent juridiquement de leurs maîtres
; ils sont,
le plus
souvent,
affectés aux travaux domestiques,
à l'élevage ou à la cueillette de la
gomme. Ce sont la plupart des prisonniers de guerre,
des victimes de razzias et
de vols d'enfants effectués auprès des populations noires.
L'ORGANISATION DU POUVOIR
Alors que la royauté Maure ne s'est pratiquement jamais fixée dans
le Waalo,
et dans la zone du Lac de Guiers
; la monarchie Wolof par contre y a
prédominé pendant une longue période qui s'est achevée avec la conquête coloniale,
mais dont le début reste difficile à situer sur le plan historique.
(Selon les
auteurs l'avènement de la monarchie Wolof remonterait,
par certains, aux Xlème
,- 1
d'
Slec e,
pour
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IX'
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.
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cme; malS l
se peut qu l
SOI
eaucoup p us
,0)
anClenj
.
Cependant,
cette monarchie n'a pas eu une forme unique,
elle a enregistré des chan-
gements notables en rapport avec le développement de la traite négrière. La zone
du Lac de Guiers qui abrita différentes capitales du Waalo a été le témoin de ces
1
changements.
1
(1) -
Cf. B. Barry: 9p. cit.
~
1
., .
1
1

-280-
De la royauté sacrée
------------------
Un des traits dominants de la royauté avant sa transformation en rap-
port avec la traite négrière est son caractère sacré. Dans le Waalo comme naguère
dans le Mali,
le Ghana ou l'Egypte pharaonique,
la prosternation devant le sou-
verain était une pratique habituelle.
Le brak apparaissait d'ailleurs rarement
en public; J. Robin écrit à ce sujet:
"le rôle du Er'ak était essentiellement
celui de porte-bonheur et éventuellement d'un chef de guerre ... En temps de paix,
il ne se montrait en public qu'une fois l'an, à l'occasion du Gamou ..• encore était
ce dans sa capitale,,(l).
Le roi est un personnage sacré qui garantit l'harmonie
non seulement au niveau de la société, mais également au niveau de la nature. En
1
cas de secheresse,
famines,
calamité naturelle,
désastres militaires, misère social;
i l était considéré comme portant le malheur et destitué.
Le Er'ak devait, avant
tout,
assurer le bonheur d'une société agraire,
dont les principales préoccupa-
tions portaient surtout sur la reproduction des conditions naturelles et sociales
permettant le déroulement d'une bonne agriculture.
Ainsi,
au cours du rite d'intro-
nisation,
le nouveau Br'ak montrait,
de manière symbolique,
son lien avec l'univers
agraire.
D'après F. Carrère et P. Holle pendant la cérémonie "Il (le jawdin : maî-
tre de la terre met à la bouche du Er'ak l'épi de souna ; dans sa main droite celle
de
dadar'nat et dans sa main gauche, la calebasse contenant les semences de tous
les végétaux du pays,,(2). C'est dans ce cadre que Cheikh A. Diop écrit qu"'il
existe (pour les royaumes de l'Afrique néo-soudanaise)
un roi sacra-saint
relevant
d'une tradition dont l'origine se perd dans la nuit des temps,
roi accepté par
le peuple et considéré comme indispensable à l'accomplissement régulier des phéno-
(3 )
mènes naturels dont dépend la vie du peuple"
.
C'est aussi dans le même contexte
que,
comme l'indique Chambonneau,
le brak devait effectuer une fois par an la chas-
se aux crocodiles qui,
selon les croyances de l'époque,
dévoraient trop de pois-
sons et menaçaient ainsi les intérêts de la pêche
; en organisant cette chasse,
c'est plutôt sa bénédiction qu'il apporte aux pêcheurs .
...................... :
·1
( 1) -
J.
Rob ln : Op~ t.
1
1
(2) -
F.
Carrère et P. Holle
: Op.
cit.,
p. 107. .
1
(3)
-
C.
A.
Diop: Nation nègre .•. , p.
545
./ .

-281-
Plusieurs indices montrent qu'au début la puissance du souverain
érBit
essentiellement basée sur la reconnaissance de sa dimension spirituelle par ses
sujets. Le titre B~ak lui-même est dans ce sens considéré comme dérivant du mot
wolof Barké qui évoque la bénédiction divine,
le bonheur,
la réussite, et l'ex-
ploitation judicieuse de la ch~nce ; la reconnaissance de la puissance spirituelle
du souverain va même jusqu'à la croyance aux dons de la famille royale de guerrir
des malades simplement en les touchant"
; j'ai vu,
écrit le Baron Roger,
des mères
apporter leurs enfants devant la reine
; celle-ci les touchait solennellement,
du bout de son pied,
aux reins,
à l'estomac à la tête et aux jambes; les pauvres
-
1
I l '
l '
- ,,0)
negresses s
en a
aIent croyant
eurs enfants sauves
.
Cette puissance spirituelle du souverain était l'expression d'une force
vitale supérieure qui devrait l'animer et se manifester par la pleine possession
de ses capacités physiques,
intellectuelles et morales.
Le Brak devait être apte
(m~t) à tout point de vue; dans les autres royaumes wolof, il est d'ailleurs éta-
bli qu'un souverain blessé devrait céder sa place à un intérimaire jusqu'à ce
qu'il retrouve la pleine possession de son intégrité physique. Dans le Waalo pré-
colonial,le Brak devait démontrer sa force vitale à travers une série d'épreuves
au cours de son intronisation;
c'est ainsi que F. Carrère et P. Halle notent
que "les quatre captifs qui l'ont porté,
le Montel de Bagane et les hommes de sa pi
rogue entrent dans le l i t du marigot et y plongent le Erak.
Il est maintenu dans
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31
saISI un pOIsson
.
ar al
eurs,
apres sa
eSlgna Ion,
il devait être enfermé dans une case pendant huit jours avec une épouse choisie
pour la circonstance(3) et la tradition orale raconte qu'un Brak ne pouvait pren-
dre possession du pouvoir s ' i l était établi qu'il était sexuellement impuissant;
cette épreuve ne semble pas ~tre déterminée par la nécessité de s'assurer la pos-
sibilité d'avoir des héritiers pui.sque ces derniers n'étaient pas choisis parmi
ses fils.
En outre, le Erok comme le rapporte Charles Derneville, était "obli.gé
de sauter sans y toucher par-dessus un boeuf,
un mouton ou un bouc d'une couleur
unie,
couché à terre et dont le sacrifice est indispensable'~
. ... ............. ............ .. .... . . .... .
~
" . . . . . . ... . .. . .. . . . .. ,. . . . . . . . . . . . . . .. . .. .
(1) - Baron Roger: "Notice sur le gouvernement des Nègres du Waalo" in Bul. de
la société de Géographie na 56,
182ï, p.
351.
(2) - F. Carrère et P. Halle: Op. cit. p. 109.
(3)
Op.
ci t.
1
• 1


-282-
On retrouve cette conception vitaliste de la royauté dans les mythes
de la génèse de la monarchie dans le Waalo
; Ndiadiane Ndiaye qu'on dessine comme
le premier monarque Wolof est représenté comme doué d'une force spirituelle qui
l'assimile à un esprit (jinn~) et qui se manifeste quand il réussit à réconcilier
des pêcheurs au bord de l'affrontement physique.Ainsi, pour la tradition orale,
le roi original n'a pas acquis le pouvoir par la force militaire ou en raison de
ses richesses (Ndiadiane Ndiaye est décrit comme un solitaire en exil), c'est un
étranger vis-à-vis duquel les populations locales inventent des stratagèmes pour
faire de lui un guide (njiit) , une autorité chargée
d~01anir leur~conflits in-
ternes. C'est aussi l'opinion de J. Robin quand il affirme qu'"il est probable
que l'instauration de cette forme de monarchie étrangère ait à l'origine
la nécessité de trouver un arbitrage aux querelles entre clans et familles qui
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se ravagealen
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oUJours est-l
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a represen atlon
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la royauté wolof naissante,
le roi se place au-dessus des lignages y compris de
son propre sien ; un dicton wolof dit à cet égard : "Euur amuI- Mbok" (le roi n'a
(2 )
pas de parent)
.
1
Quoiqu'il en soit,
la paix et la justice font partie de ce que l'on
attend du souverain car s ' i l fait défaut l'harmonie sociale et naturelle se trou-
v~rait
compromise;
Perrottet, dans le compte rendu de son voyage au Lac de
Guiers, relate qu'on attribuait aux exactions du brak et de ses guerriers, la respon
sabilité des épidémies contre les hommes et les animaux;
le brak et ses ceddo
étaient accusés d'avoir injustement pris les biens de certains individus ainsi
furent-ils obligés de les restituer à leurs propri~taires. Dans le même ordre d'i-
dées, on peut noter que le brak au cours de son intronisation, devait payer un
1
,
tribut destine
~ indemniser les victimes de son prédécesseur ou des agents de ce
dernier .
1
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - J. Robin: Op. cit.
p.
144.
(2) - J. Vansina écrit à ce propos:
que chez les Bushong "en accédant au pouvoir
royal,
le roi rompt avec tout bien clanique:
il est hors clan" Vansina :
les valeurs culturelles des Bushong -
Zalre, 1954, p.
9.
1
• 1


-283-
Ce sens de la justice accompagne par ailleurs les qualités morales
exigées par la fonction royale.
La royautê wolof,
avant le développement de la
traite négrière semble avoir été de nature pacifiste,
un pacifisme qui trouve ses
racines profondes dans le caractère fondamentalement pacifiste de la société(l) .
Le roi ne devrait pas être vident ou sanguinaire
; ainsi
le prétendantErak
Mo
Mbody Kumba Khedy
(à une époque o~ d'ailleurs la royauté était devenue plus guer-
rière)
fut écarté du trône,
le jour prévu pour son couronnement;
les notables
du pays ayant estimé qu'il était trop violent pour devenir
Erak. Le roi doit être
en mesure de faire preuve de générosité et de prodigalité. Selon la tradition
orale,
si Ndiadiane Ndiaye a dû quitter le Waalo pour s'exiler au Djaloff c'est
parce que le
Seb ak baor s'apprêtait à le destituer, estimant que malgré sa sa-
gesse et son intelligeance,
il n'était pas assez généreux.
Ainsi,
si sur le plan idéologique,le roi bénéficiait d'un caractère
sacré qui lui confère une certaine légitimité et un respect de la part de ses su-
jets 1 par contr_e sur le plan poli tique son action êtai t
contrôlée afin qu'il se
conforme aux valeurs et coutumes de la société.
Ce contrôle était d'autant plus
aisé que le roi malgré son caractère sacré restait proche du peuple dont il par-
tageait pratiquement le même mode de vie; Amadou Wade dans sa chronique du Waal a
mentionne les corvées et les soucis de ménages des épouses du Erak Ndyak Khuri
:
ils étaient les mêmes que ceux des familles du peuple
; en 1695, Lemaire affirmait
à propos du 5r~K que le lait lui manquait pour sa nourriture(2), et A. Boilat écrit 1
à propos des Wolof du Cap-Vert " ... imaginez-vous les chefs du peuple, menant eux-
~
mêmes leurs boeufs boire au ruisseau,
et conduisant leurs chameaux aux pâturages
;
servant eux-mêmes leurs hôtes,
et leur apprêtant le kous-kaus et le poisson. Repré-
sentez-vous surtout les princesses se levant l'aurore piler . . .
le mil qui fera
la fête de la famille et des étrangers,
et vous co~mencerez à avoir une idée juste
de nos chers Wolof,,(3).
La royauté du Waalo contient ce paradoxe décrit par le
Baron Roger
: "les Walo-Walo ont pour le Erak un respect d'habitude et de super-
ti tian (Sî:C) d'autant plus remarquable que ce souverain,
vê-cu et logé presque aussi
simplement que les sujets n'en est pas séparé,
comme
en Europe par' les prestiges
d
f
t
t
d
l
' f '
,,(4)
u
as e e
e
a magnl lcence
.
(1) -
Chambonneau remarque au sujet des Wolof que "l'on ne voit point entre eux,
des désordres,
pillages, volerie,
n'y
(ni) meurtres ou bien seulement quand
il arrive qu'un homme en tue un autre,
ou fait quelqu'autre crime,
il devient
captif des parents du mort ou s ' i l a quelques biens,
il peut se racheter
en donnant un captif au Roy et un autre aux pal'ents" -
Op. cit. p. 323.
(2) - Cf.
V. Monteil:
esquisses sénégalaises.
(3) -
A. Boilat : Op. cit. pp. 51-52
(4) - B. rager: Op. cit. p. 351.
./ .

-284-
Cette dualité au niveau du roi entre son caractère sacré et la simpli-
cité de son mode de vie s'inscrit dansla nature du pouvoir politique et dans les
articulations de celui-ci avec la société.
Le pouvoir politique apparaît moins
comme un organisme coercitif que comme une organisation essentiellement civile
qui,
jusqu'à un certain point, correspond aux aspirations d'une société agraire.
Les fonctions militaires certes ne sont pas exclues de la royauté wolof d'avant
la traite négrière, mais elles ont,
de toute évidence occupé un rôle secondaire
essentiellement défensif;
dans ce sens,l'interprétatiorl de certaines légendes
pourrait indiquer que les fonctions militaires,
loin d'être orientées dans une
optique conquérente et expensionni~ce, avait plutôt une vocation défensive: ces
légendes décrivent l'image du héros guerrier comme étant celle d'un combattant
qui se remplit de sable son pantalon pour marquer sa détermination de ne pas fuirt'
devant l'envahisseur ; ce n'est pas le mouvement inscri t
dans la guerre de conquête
qui raractérise les hauts faits militaires,mais la fixation au sol défendu. Dans
ce sens on peut désigner l'Etat originel du Waalo comme ce que Cheikh Anta Dicp
appelle un "Etat de type africain" c'est à dire un Etat portant les caractéris-
tiques essentielles de l'Etat à Mode de Production A~iatique décrit par Marx et
Engels. Selon Cheikh Anta Diop
, cet Etat se distingue par "l'importance du pou-
voir civil par rapport au pouvoir militaire; l'aristocratie militaire y est pra-
tiquement absente et les militaires y jouent un rôle politique effacé,
sinon nul
en période normale. L'aristrocratie mIlitaire n'est pas le point de mire de la
société. La guerre a plutôt une fonction défensive. Toute la superstructure idéo-
logique n'est qu'une apologétique des valeurs morales et humaines, à l'exclusion
.,
,,(1)
d es va 1eurs guerrleres
.
Cependant,la nature du système politique plus particulièrement celle
de la royauté sera fondamentalement bouleversée par la généralisation de l'état
de guerre avec la traite négrière .
..................... .. ....... ............. ..... ... . ....... . .... ........ . .........
(1)
- Cheikh Anta Diop: Civilisation ou Barbarie, p. 165.
./ .

-285--
L'avènement de la guerre dans la société Wolof précoloniale n'est
certainement pas imputable à la traite négrière. Mais avec la traite négrière
la guerre sera un
état quasi-permanent et l'aspect guerrier allait devenir le
caractère dominant du pouvoir monarchique. D'après B. Barry, avec la traite né-
grière,
"la guerre deviendra la principale activité des rois et sera ainsi au
centre des relations entre les différents royaumes de la Sénégambie.
La chasse
aux esclaves pour le commerce atlantique constituera alors un facteur permanent
d '"
b"l"t'd
W
l "
' - 9 '
..
1,,(1)
Insta I l e · u
aa 0
Jusqu au J
eme SIee e
.
La traite négrière créa d'Immenses changements sur le plan militaire.
L'introduction des armes à feu et l'utilisation du cheval dans la logistique permet-
taient
une plus grande acquisition d'esclaves et instauraient de nouveaux équili-
bres militaires. Mais pour acquérir des chevaux et des armes à feu il fallait
une quantité sans cesse croissante d'esclaves contre qui ces moyens étajent échan-
gés.
Selon Chambonneau,
les chevaux étaient rares dans le Waalo et valaient plus
chers que les captifs "il y en a qui valent depuis un captif jusqu'à 10 et 15 .. ,,(2).
Or,
vers la fin de la période précolonlale,
les armées royales comptaient sur
de puissantes cavaleries regroupant des milliers de chevaux.C'est désormais un
corps militaire principalement armé de fusils qui succède aux mobilisations de
masses jadis effectuées par les habitants.
Le changement ne fut pas seulement sur le plan mil i taire, c'est
l'orienta
tation fonda~entale de la royauté qui tiC trouva progressivement remaeen cause; la
place du roi porte-bonheur et incarnant l'équité et la paix,
ce sera la violence
que le souverain représentera auprès des b0.adoolo
; ainsi parlant du brak du Waalo,
Lemaire é c r i t :
"si sa tyranie pu s'exercer sur ses voisins,
il l'a fait sentir
à ses sujets, parcourant son propre païs,
demeurant deux jours dans un village,
trois dans un autre,
00 il se fait nourrir avec toute sa suite. Elle est composée
de deux cent coquins des plus raffinés par le commerce qu'ils ont eu avec les
Blancs, dont ils n'ont retenu que les mauvaises qualités.
Lorsqu'ils ont ruiné
....................................................................................
(1)
- B. Barry: Op.
cit"p. 105.
(2) -
C.
1.
A.
Ritchie
: Op.
cH. ,p. 331.
./.

-286-
les villages,
il y font souvent des esclaves à la moindre ombre d'offense,,(l).
Dans le même contexte, Pruneau de Pommegorge note à la fin du 18ème siècle que
le brak du Waal a entretient "une petite et misérable suite, qui est si familière
avec lui qui souvent l'un d'eux,lui retire de la main un verre d'eau-de-vie pour
en boire la moitié,,(2). On est alors loin de l'image originelle du souverain qui
ne faisait une apparition publique qu'une fois l'an et qui
jouissait d'un respect
et d'une considération proche de la sacralisation.
Ainsi,
des changements notables interviennent dans la relation du
souverain avec ses sujets ; le brak devient un personnage au-dessus de leur contrô-
le et exerce
à leur encontre des rapports essentiellement violents. C'est de
ce fait,
à juste titre
que J. Maquet estime qu'''en Afrique occidentale, l'évo-
lution des monarchiesabsolue5semble avoir été une conséquence indirecte de la
traite des esclaves,,(3).
La traite négrière va donc remettre en cause toute la
structure et le fonctionnement des institutions politiques traditionnelles qui
seront finalement complètement détruites par la colonisation.
STRUCTURE DU POUVOIR
-
Le pouvoir central
------------------
Dans le Waalo précolonial,le brak représente l'autorité politique
la plus élevée,il est au sommet de l'appareil d'Etat.
En dehors de ses fonctions
sur le plan idéologique,le brak se trouvait placé à la tête des armées, de la
justice, du système foncier (il était le garallt de l'exercice des droits fonciers),
il dirigeait en plus l'administration et l'appareil
d'Etat.
Ce rôle dirigeant dans~~
institutions du royaume fait qu'il portait
aussi le titre de njiù
(dirigeant) .
. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) -
Cité par B. Barry: Op.
cit.,p.
104.
(2) -
Cité par V. Monteil:
"esquisses sénégalaises", p.
2tL
(3)
-
J. Maquet
Pouvoir et société en Afriq~e, Ed. hachette, Paris, 1970, p.
100.
1
• 1 •

-287-
Mais les pouvoirs du brak s'ils étaient étendus, n'étaient pas absolus,
ils étaient limités et l'églementés par des institutions dont la plus importante
est le seb ak baor. Le seb ak baor non seulement était l'organe chargé de l'élec-
tion,
du contrôle et de la destitution éventuelle du brak, mais en plus partageait
les différentes fonctions administratives et politiques de ce dernier.
Les prin-
cipaux membres du seb ak baor, notamment le jawdin
et le jogomay assistaient
aux audiences du souverain et prenaient part avec lui au c~mmandement militaire
en période de guerre.
Le .jawdin et le jogomay se partageaient en outre des attri-
butions importantes dans le domaine de l'administration et du système fiscal
J. Robin explique à ce propos que "le partage d'attributions entre un maître de
la terre
(le jawdin) et un maître des
eaux (le jogo~ay) était une forme d'adaptation
de l'Etat aux contingences géographiques locales.
Il répondait,
avec beaucoup
de souplesse au caractère amphibie du territoire.
Le Diogomay (jogomayJ percevait
des taxes sur la pêche et la navigation et se chargeait des affaires relatives
du fleuve,
tandis que diawdin
(jawdinJ prenait à son compte l'administration des
biens fonciers de la communauté et les affaires relatives à la terre,,(I). Par
ailleurs,
le 3ème personnage le plus important du seb ak baor (le maaloJ était
le responsable des finances du royaume. En outre,
le seb ak baor avait droit,
lui aussi comme le brak, au 1/3 des revenus annuels provenant des butins de guerre.
Au bout du compte, malgré la prééminence du brak dans la représentRtio~
de l'autorité politique, on peut parler, dans un certain sens,
du caractèrebicéphale'
du pouvoir.
I l est intéressant de noter à cet égard la séparation de
pouvoirs qui
fait que le brak ne pouvait pas désigner de successeur et sa famille
+' .
... ~ '~.
ne .l 19U1 dl c,
pas parmi les électeurs que sont les membres du seb ak baor
; en revanche, ces
derniers détenant le pouvoir d'élection ne pouvaient être kligibles comme brak
Les rapports entre le brak et le seb ak baor étaient sous un certain angle,
l'ex-
pression d'un contrat social qui lie le souverain à ses sujets;
au cours de son
1
intronisation,
le porte-parole du seb ak baor,
(~e mipp) tenait au nouveau souve-
rain ces paroles solennelles:
"la prédilection que t'accordent aujourd'hui tous
1
les jambur parmi tous tes égaux,
t'érige au-dessus de nous,
d'eux et à plus forte
raison des baadoolo ; ta position actuelle en est un témoignage qui te prouve
1
que si tu ne d~vies pas du chemin normal envers tes sujets,
tu nous donneras toute
ta vie,
si tu agis, en contre sens,
tu t'attireras le désaccord avec tes électeurs
et nécessairement la haine de ton peuple,,(2).
Le &eb ak baor était le cadre où
1
~.
f~
(1)
-
J. Robin: Op. cit.,p. 144.
(2)
- H. Garden : "Légendes et coutumes sénégalaises -
Cahiers de Yaro Dyao" in
Revue d'ethnographie et de sociologie, 1912 p. 21.
·/ .

--288-
1
devaient se répercuter les réclamations et les plaintes des sujets vis-à-vis des
brak ; A. Wade clans ce sens rapporte que, sui te aux exactions d'une des soeurs
du brak B~r tyaaka contre les baadcoZc et au manque de réaction de ce dernier
devant ces méfai ts,
le seb ak haoY' déc ida le remplacement de ce hY'ak par un de
( 1 )
ses neveux
La composition du seh ak bao~ était de nature à lui faire bénéficier
d'une large représentativité. Ainsi,
si
le .jogomay, le jawdin,
et le maaZo étaient
les membres les plus importants du set ak baor,
ils constituaient le seh, et repré-
sentaient les familles les plus anciennement établies dans le pays ; en revanche,
la présence d'autres représentants
(ceux du boep)
~tajt
nécessaire au fonction-
nement de l'instance surtout quand il s'agissait de procéder à
l'élection du
hrak ; de ce fait, les différents notables du pays, ainsi que les représentants
des esclaves de la couronne faisaient partie de l'institution.
On retrouve ce souci d'une large représentativité au niveau de toute
l'organisation du pouvoir poli tique. Chaque caste avai t
un chef (farba ou fara)
qui la représentait auprès du pouvoir central.
L'appareil d'Etat avait au niveau
de ses sphères les plus élevées des responsables d'origine servile; selon B.
Barry,
les plus importants parmi ces responsables étaient
1
î.
-
le b~kkneeg njuY'ube!: c'était le chef des captifs de la couronne, il s'occupait
1
de transmettre les ordres et les instructIons du b~ak
avec le développement
de la traite négrière,
il finira,
selon B. Barry, par occuper la place du Premier
Ministre
f
le baddi
c' étai t
le chef des doomu. jœnbuY' qui étai t
chargé du ménage royal
;
l'al-caati
que payaient les marchands
~
avait pour fonction de percevoir les taxes
1
européens
B. Barry indique qu'il finira par jouer le r61e de Ministre des
1
Affaires Etrangères.
Un personnel ci' origine garmd et JœnbuY'
occupait différentes
1
fonctions dans l'administration royale.
La mère ou la soeur du roi
(la l-ingerl,
ainsi que la première femme du brak :a~o) g0~vernaient certaines provinces et
1
intervenaient souvent com:ne conseillêres dans les décisions du brak.
rtf,!'~f
i
(1) - V. Monteil: Op.
cit. p. 45.
·/ .

-289-
D'ailleurs, d'une manière générale, il semble que les femmes avaient
une autorité morale sur le brak. Amadou Wade nous apprend, dans ce sens, que pen-
dant le règne de Bor Tyaaka,
ses cousins paternels (ses domu baay) se sont esti-
més lésés dansle choix des Kangam par le brak, ils s'en plaignirent alors à leur
mère qui fit revenir le souverain sur ses décisions. Actuellement encore, un Wolof
qui sollicite un emploi ou un quelconque service administratif aura tendance à
faire intervenir sa mère,dont l'influence est considérée comme plus déterminante
que celle du père. En fait, les rôles d'intermédiaires dans la résolution des
conflits ont souvent été joués par les femmes aussi bien au sein du pouvoir central
qu'au niveau des structures villageoises. En outre,la tradition orale raconte
que les femmes constituaient de véritables pouvoirs parallèles qui pouvaient con-
traindre les chefs politiques -dont le brak lui-même- à intervenir dans un sens
souhaité.
Dans le même ordre d'idées, on peut noter que les différentes ethnies
ou fractions ethniques avaient leur chef en relation avec le brak c'est le cas
notamment des ardo peul et des farba laobé j d'ailleurs, à propos de ces derniers,
G. Mollien observe
"chaque famille a son chef, et toute en reconnaissent un
autre qui commande à toute la nation ... et qui communique avec les délégués du
1
roi chargés de la perception des tributs j mesure qui met le peuple à l'abri de
toute vexation,,(l). Dans ce contexte, Chambonneau note que les officiers de la
couronne sont "Camalingué, Alkati, Jagarafes, Guiandine,Malo, Guainague,Boukenets
et Guiriots. Le Camalingué ... est le lieutenant général du royaume, alkati et
jagarafes sont comme des viziers,guiandine, gurondam et
gardes des maisons et
1
biens et captifs du Roi
j
guiansire : maître des rivières, guainagué le garde
~.
·
,,(2)
des t roupeaux de boeu f s, mou t ons e t cabrIS,..
.
rfi
..
, . , , , , , , , , , . , . , , , , . , , .. , , . ,
' . , ,
, . , , .. , .. , , , .. '.' ,
,
, , . , . ,
, ,
,
~.
-
G.
r·~ollicn : Op. ciLs p. ;::'29.
ir
(2 )
- A. Ritchie
Op. cit.,p. 322.
t
f
tt~f~~.~.i
1

J

f
~f
[!Pf~1~.

-290-
Finalement l'appareil d'Etat témoigne d'une ouverture et d'une souplesse
relativement grande par rapport à la société. Cette ouverture par ailleurs apparaît
dans la nature et les formes d'un pouvoir décentralisé.
On retrouve dans les textes de Chambonneau,
Yoro Diaw, H.
Azan et
J. Robin des informations assez détaillées sur le caractère décentralisé de l'ad-
ministration territoriale du Waalo. Selon H.
Azan,
le pays se trouvait subdivisé
en plusieurs provinces (cZiwaan)
commandées chacune
par un XcnÇ)(l!!i qui portait dans
chaque cas un titre spécifique (selon la philosophie politique wolof,
les responsa-
bles de l'administration des hommes ne sont pas interchangeables ou uniformisables
temeri nak, benn yat aLen di samm
temer
nit. temeri yat alen di samm: pour
guider cent boeufs,
un bâton suffit, pour guider cent personnes il faut cent bâtons).
Ainsi
:
le beco administrait le pays compris entre Kaham et Menguegn~ il était désigné
dans le clan des Diop
;
-
le bërti commandait le pays depuis Daga:1a jusqu'à Temeye,
le jomboYLak qui était
le chef du village et des environs immédiats de Dagana était sous son autorité
le bërti administrait les zones du fleuve Sénégal et de la Taouey comprise dans
sa province ;
-
le berLof Mal exerçait son autorité depuis Ibba jusqu'à Ngnit
;
-
le berLof JelaR commandait de Ngnit à Ntiago,
il participait au conseil du roi
à côté du jalJd1:n, du jOSlomay, et d'autres notables ;
le biner administrait depuis Ibba jusqu'à la frontière du Cayor
le bërsono chef
du territoire de Gankett était sous son autorité;
-
le boteL tsiay était chef de la province du Guent ;
-
le briok commandait la zone comprise entre Samente et la frontière du Djoloff
il résidait dans le village de Foss et était souvent nommé brak à la mort de
celui-ci
;
-
le kaji était chef du haj~ dont H. Azan dit qu'il occuperait tout le littoral
depuis la pointe de Barbarie jusqu'au marigot de marigoins
;
le kajek était garmi et remplissait des fonctions militaires importantes en pé-
riode de guerre
;
1
• 1


-291-
- le jo-Ronk exerçait son autorité sur le village de Ronq et ses environs
- le juL Geet était chef du territoire de Tiguet ;
le mam bY'emrn était chef du village de Brenum et de ses environs
le mam Y'okko assurait l'administration du pays entre Ghis et Rank
le mangao administrait la rive droite du fleuve depuis Ndiangué jusqu'à Gaé
- le Y'ikett administrait depuis le marigot de Garag jusqu'au Dimar ;
- le mbey mboyo administrait le pays de Mboyo entre Thionk et Djoss ;
le maY'oso
J. Robin dit qu'il gouvernait la rive gauche du fleuve, de Gorom à
la Taouey
le bey LawaY'assurait son autorité sur la rive gauche de Bar Nder jusqu'au marigot
de Diugar, Robin indiquait qu'il devait appartenir au clan des Wade
le jawdin : selon A. Wade, avait ses Etats qui partaient de Ndyugar à Ndyaw
- le jogomay avait, comme seul territoire, le village de Tungen dans Ndurubel
(capitale du royaume)
j
- le maaLo, toujours d'après A.Wade, commandait le pays situé entre Marmayal et
Ndyagar
- etc ...
Cette répartition du territoire entre ces différents kanga~, dont la
liste ci-dessus n'est pas exhaustive, n'était cependant pas fixe en raison de l'ins-
tabilité politique et militaire, cette organisation était constamment remise en
cause. Les kangam étaient soit désignés par le bY'ak en accord avec le seb ak baor
dans le cadre des familles occupant cette fonction j soit désignés par leur propre
famille quand ils assuraient la succession de leurs prédécesseurs. Toujours est-il
que les kangam étaient très liés à leur communauté locale et gardaient une certaine
autonomie par rapport au bY'ak qu'ils devaient rencontrer au moins une fois par an
lors des fêtes du
gammu.
Organisation du pouvoir au niveau du village
------------------------------------~------
Les villages étaient placés sous l'autorité de Chefs de village (bOY'om
dëkJ. Le bOY'om d~k est présenté comme appartenant à la famille la plus anciennement
établie
celle qui a fondé le village; de ce fait, le chef de village assure une
·/.

-292-
fonction prépondérante dans la distribution des terres,
installations des conces-
sions
; c'est lui qui reçoit tous les hôtes et étrangers dans le village;
le
barom dëk est aussi chargé de l'exercice de la justice dans le village.
Les pouvoirs du chef du village sont limités sur le plan institutionnel
par le
conseil des notables qui assure l'élection et le contrôle du borom dëk.
Dans le Waalo tradi tionnel,
selon J.
Robin "il y a dans chaque village des "seb"
ce sont des notables,
le plus souvent descendants de ceux qui
accompagnent le fon-
dateur du village,
et qui
ont le pouvoir de choisir parmi
les descendants de ce
dernier celui qui,
au décès du chef est le plus apte à prendre la succession du
.
( 1 )
vIllage"
. Ce conseIl comprend en général
les hommes les plus âgés du village
(mag ya) qui se concertent continuellement avec le borom dëk et participent à l'exer
cice du pouvoir.
Mais,
au-delà de ces doyens d'âge qui,
par ailleurs, représentent
les différentes concessions du village,
c'est ce dernier dans sa totalité qui par-
ticipe à l'exercice du pouvoir à travers des réseaux multiples et différenciers.
Ainsi,
la justice prend très souvent un caractère populaire lorsqu'une infraction
est commise;
toute personne plus âgée ou étant dans la même classe d'âge que le
fautif peut le blâmer et l'amener à s'amander,
le blâme public pouvait être une
1
sanction dans une société où le déshonneur (gaccéJ
était considéré comme un malheur
(2 )
f
effroyable
.
f
La communauté villageoise appliquait,
le plus souvent des sanctions
f
morales qui,
cependant,
avaient le mérite d'être particulièrement efficaces;
si la
tradition orale et les textes historiques ne mentionnent pas l'existence dans le
,
système
pénal
de prison,
de certaines tortures physiques: par contre,
la
sanc-
r
tion
morale
dans I.e contexte cul turel trad i tionnel était Ul'\\ puissant
moyen
de
maintien
de la cohésion sociale.
La communauté pouvait décider de mettre à l'écart
(bërgë~) un récalcitrant avec qui elle coupaIt tout llen soci0-culturel ; le fautif
ne trouvait ainsi de solution que dans l'exil
(gaàaayJ
qui
débarrasse la communauté
f
d'un individu qu'elle considère rnot'alement malscllll.
On note,
avec Chambonneau,
1.,
1
..................................................................................... f
1
(1) -
Cf. J. Robin: Op. cit. p.
143.
f
~
(2) -
Cf. B. Boubacar Ly
L'honneur et les valeurs morales dans les sociétés Wolof
et Toucouleur,
thèse de 3ème cycle,
faculté de Lettre~ Paris 1967.
./ .

-293-
qu'avec le développement de l'Islam ce sont les marabouts qui appliquaient la jus-
tice.
Ce sont eux,notamment,
qui réglaient les problèmes de succession et d'hérita-
ge
; Pathé Diagne,
de son côté, affirme que "le chef de lignée,le maître de terre
ou des eaux,
le chef d'une minorité ethnique, d'un ordre ou d'une caste,
sont autan
de juges spécialisés dans les domaines où l'on ne conteste pas leur compétence,,(l).
Cependant,
cette justice rendue par des spécialistes serail
inopérante
si elle
n'était soutendue par des consensus populaires.
Dans le contexte villageois,
la place publique përîc est un lieu poli tiq
de rencontre et de discussion entre les autorités et la communauté;
c'est le lieu
d'officialisation de décisions et de diffusion
d'informations.
Mais le pënc n'est
pas le lieu,
par excellence, de prises de décisions;
celles-ci s'effectuent à tra-
vers des centres multiples. Quand une personne commet un délit avant que ce proQ)èm·
ne soit exposé à la place publique,
des contacts sont effectués entre les familles
concernées et ce n'est que quand un accord est intervenu ou qu'une décision a été
prise que l'affaire est portée au ni veau du pëiic
; dans les cas des mariages, c' es t
au niveau des familles contractantes que les négociations sont effectuées avant
que la décision de mariage soit officialisée dans le pënc
notamment par le partage
dans cette place de noix de cola.
Ainsi,
les concessions apparaissent comme des lieux de prises de déci-
sions,
elles le sont effectivement à des niveaux relativement restreints.
Ce qui
fait qu'il existe d'autres structures plus élargies de concer'tations,
de décisions,
c'est le cas notamment des regroupements par classes d'âge ou des associations
(mbootaayJ
de manière plus générale.
Ces structures transcendent les clivages de concessions de 1 ignage.s Je
cast~ou d'ordr~et rassemblent les individus dans des cadres d'entre-aide, de soli-
darité,
d'échanges de tous ordres et de prises de décisions qui peuvent,
en cas
de nécessité,
apparaître comme des contre-pouvoir face aux autorités .
... .. .. ..... .. .. .. .... .. .. .. .. .. .. .. .. .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... .. .. .. .... .. ........ .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... ..
(1) -
Pathé Diagne
: Pouvoirs politiques traditionnels enAf'rique Occidentale:
~ssais sur les institutions· politiques précoloniales~ Présence africaine,
Paris 1967.
. /.

-294-
Les regroupements par classes d'âge chez les hommes s'opèrent de manière
schématique sur la base des distinctions entre initiés et non initiés, mariés et
non mariés,
vieillards et adultes;
les personnes ayant subi ensemble l'initiation
font partie de la même classe d'âge,
ce critère,
au demeurant,
intervient dans la
différenciation de classes d'âge.
A ce niveau,le lien entr~ les classes d'âge les
plus âgés et les plus jeunes est effectué par la présence,
pendant les rites d'ini-
tiation,
des initiateurs
(selbe) appartenant aux classes d'âge plus anciennes.
Chez les femmes,
en dehors des regroupements par âge et des mbootaay
il existe des lieux en rapport avec leur activité domestique
(marché,
points d'eau .. )
qui sont aussi des cadres dans lesquels elles effectuent les échanges d'informations
et les prises de décisions.
Dans ce contexte traditionnel,
la démocratie villageoise qui,
par ail-
leurs, reconnaît
à chacun les droits d'opinion et d'association,
faisait que,
dans
un certain sens,les autorités politiques et administratives apparaissaient moins
comme des corps étrangers et coercitifs,
que comme des structures prenant leurs
racines dans des systèmes socio-culturels communément admis.
Les autorités politiques continuaient à appartenir aux systèmes de paren-
té,
aux relations de plaisanteries et d'assistance réciproque qui structurent la
vie villageoise.
L'INTRODUCTION DE NOUVEAUX SYSTEMES
Déjà pendant la traite négrière,
la nature des institutions politiques,
le pouvoir royal en particulier,
avait été fortement remis en cause. La violence
1
en devenant le principal moyen d'exercice du pouvoir a radicalement changé les rap-
ports entre le souverain et ses sujets
; celui-ci devient une structure au-dessus
1
de tout contrôle du peuple.
E
~.f,
Sur le même plan,
le pouvoir central fut miné par des contradictions
internes à la faveur du commerce atlantique;
les kang~ dont les territoires étaient 1
directement en contact avec les Européens,
tiraient les avantages fiscaux de leur
1
~
position et remettaient en cause,
souvent par la force,
l'autorité du brak. Dans
f
f
./ .

-295-
le même ordre d'idées,
les nouvelles positions de pouvoir occupées par le brak sus-
citaient des rivalités meurtrières entre les différentes familles prétendant au
trône.
Le seb ak baor avait progressivement perdu toute son indépendance par rapport
au pouvoir royal et aux familles garmi qui exerçaient sur lui nombres de pressions
politiques, militaires et économiques.
La traite négrière avait finalement fait du brak et du pouvoir central
un prolongement organique du système économique européen ; les fonctions économiques
du brak dans cet agencement, était d'assurer la fourniture d'esclaves, c'est-à-dire
de la main-d'oeuvre réclamée par le capitalisme naissant.
A la fin de l'époque pré-
coloniale,
le brak du Waalo était devenu un organe récupéré par la dynamique escla-
vagiste.C'est face à une telle situation que les marabouts (seriA)
constituèrent
des contre-pouvoirs pour la défense des baadooZo et lancèrent un mouvement politico-
religieux qui, dans leWaalo
fut vaincu par l'alliance des français et du brak.
Quand la traite négrière ne s'inséra
plus dans la dynamique de l'économi
occidentale et qu'elle fut supprimées,
les fonctions économiques du brak devinrent
caduques
; le pouvoir central devient lui-même un obstacle à la colonisation directe,
nouvelle forme du redéploiement du système capitaliste.
Le pouvoir central fut alors
balayé par la conquête coloniale et les ordres royaux disparurent,
entrainant le
système des ordres tout entier
Le Waalo fut,
dans un premier temps,
subdivisé en cinq cercles adminis-
tratifs, dirigés
par
des chefs de cercles
(cercle de Khouma,
de NganGué, de
Ross-Béthio,
de Foss et de NDer).
Les chefs de cercles étaient choisis au niveau
de la population par le gouverneur français de Saint-Louis et dépendaient hiérarchi-
quement d'un fonctionnaire français:
le commandant du Waalo.
Les Chefs de cercles intervenaient directement dans les villages rele-
vant de leur territoire.
Ils avaient, à ce niveau,
des pouvoirs très étendus:
ils
étaient responsables de la perception des impôts,
ils étaient des juges pouvant
prononcer la peine de mort,
les bastonnages,
les amendes et les autres dispositions
du nouveau code pénal mis en place par l'envahissement colonial.
La tradition orale
a retenu des chefs de cercles l'image de despotes dont l'autorité ne reposait que
sur l'usage de la force que le système répressif colonial mettait à leur disposition.
·/ .

-296-
Selon l'article 9 de la loi
coloniale du 1er janvier 1860 : "les revenus des chefs
de cercles se composent
10)
du vingtième de tous les produits du sol dans l'éten-
due de leur territoire ... 2°) - du cinquantième des troupeaux qui paissent sur le
territoire du cercle". Les paysans et les éleveurs étaient, de ce fait, non seulement
les victimes de saisis qui, dans la réalité, dépassaient ses proportions, mais,
en plus, n'avaient aucun moyen de recours à leur encontre.
Au niveau du village, l'administration coloniale visait le renversement
du pouvoir traditionnel: les chefs de village ne
devaient
plus relever de leurs
sujets ; la loi du 1er janvier 1860 stipule : "sous l' autori té des chefs de cercle
sont placés les chefs de village nommés par les premiers avec l'approbation du gouver
neur". Les chefs de village avaient pour principale fonction la collecte de l'impôt
par tête d'habitant introduit avec vigueur par la colonisation.
Plus tard, avec le renforcement du système, ce sont les commandants
de cercles, des fonctionnaires français qui s'accapareront totalement de l'exercice
du pouvoir dans l'administration des territoires.
Après l'indépendance, c'est le modèle colonial qui sera repris pratique-
ment tel quel avec l'administration du territoire par les préfets et les sous-préfets
relevant de l'autorité du pouvoir central. La réforme administrative de 1972 qui
institue les communautés rurales ne bouleversera pas fondamentalement ce modèle
de pouvoir.
La réforme de 1972 proclame une participation des populations à l'exer-
cice du pouvoir politique. Dans ce nouveau système,le sous-préfet détient, en fait,
les pouvoirs qui sont censés revenir aux administrés. Selon la loi 72-25, c'est le
1
sous-préfet qui prépare le budget, vote (ou plutôt entérimé par la communauté ru-
rale), gère les revenus de la communauté, dirige les travaux, souscrit les marchés,
ordonne les dépenses ... Le sous-préfet joue un rôle prépondérant dans la résolution
des conflits fonciers et dirige tous les services publics intervenant dans la com-
, (l)
munau t e
.
.. .... .............. ............ ........... .. .... .... .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(1) - B. Kanté a étudié cette question dans son mémoire de D.E.A.
: Réforme adminis-
trative et participation des populations à la gestion de l'environnement,
r.S.E., 1981.
./ .

-297-
Dans ce contexte,
les organes que sont le conseil rural et le président
de la communauté rurale,
loin d'exprimer l'exercice d'un pouvoir effectif par les
populations, apparaissent comme fondamentalement subordonnés à l'appareil d'Etat.
Au demeurant,
le mode de désignation des membres de ces organes et leur rapport
vis-à-vis des communautés ne permettent pas à celles-ci d'exercer sur eux un con-
trôle effectif : 1/3 des membres du conseil rural sont désignés par les coopératives
dont le lien organique à l'appareil d'Etat est évident,
le reste des membres est
élu au suffrage universel sur la base des listes des partis politiques organisés
à partir des villes et fonctionnant le plus souvent suivant un modèle occidental
et bureaucratique.
Finalement,le pouvoir reste étranger aux communautés de base qui n'ont
pratiquement aucune emprise sur lui.
Dans ce cadre,
les organismes étatiques qui
interviennent dans les domaines économiques et écologiques (services des eaux et
for@ts,
services d'encadrement du monde rurale . . . ) sont perçues essentiellement
comme des structures de contrainte ne bénéficiant d'aucun enracinement idéologique
et culturel 10cal.D'ailleurs, le langage de ces organismes tout comme celui de
l'appareil d'Etat tout entier,
s'exprime dans une langue (le français)
étrangère
au contexte culturel.
Dans cet ordre d'idées les projets de développement économiQue tout
comme ceux destinés à la protection de l'environnement étant véhiculés par des appa-
reils extérieurs et coercitifs,
Ile
peuvent bénéficier de supports populaires.
En se plaçant au-dessus du contrôle des populations à travers des mo-
dèles traditionnels complexes,le pouvoir politique s'est, d'emblée, aliéné du crédit
populaire dont naguère jouissaient les autorités traditionnelles. Mais le pouvoir
post-colonial,
en
reprenant et en perpétuant l'héritage colonial, pouvait-il en
faire autrement ?
1
i
1
f
1

USI~
CONCI
Depuis l'indépendance,
des mots d'ordre provenant de milieux et d'ho-
rizons politiques divers,
reviennent dès que l'on aborde les questions du monde
rural:
il faut sensibiliser,
informer,
"conscientiser", former,
encadrer les
paysans et les éleveurs auxquels on demande surtout d'écouter et d'appliquer une
bonne parole qui changerait leur condition.
Pour sortir de la crise dans laquelle se débat actuellement le monde
rural, crise qui menace la société toute entière,
les seules solutions envisa-
gées sont celles qui renforcent l'intégration de l'agriculture et de l'élevage dan:
l'économie de marché,
aussi bien au niveau de la circulation de la production que
celui du rapport vis-à-vis des moyens de production.
Or, c'est précisément cette intégration qui se trouve à la base de
la crise actuelle dont la zone du Lac de Guiers est victime sur les plans socio-
économique et écologique. Aujourd'hui,
tout se passe comme si le monde rural deva',
s'adapter au nouvel environnement technique, politique,
économique et culturel
qui,
au demeurant, a conduit à sa ruine.
Depuis 1818, des programmes agro-industriels se succèdent dans la
zone,
avec une remarquable constance dans la répétition des préjudices causés aux
populations,
dans la répétition des mêmes erreurs,
ainsi que des mêmes échecs.
Ces programmes sont loin d'être étrangersà la dégradation des conditions écono-
miques et écologiques locales.
Disons le tout net:
l'introduction des systèmes politique et éco-
nomique européens à la faveur de rapports de forces favorables sur le plan
politico-militaire, est fondamentalement responsable de la crise actuelle.
1
1
i
·/ .

-299-
Il existe une liaison indéniable entre la déforestation de la zone et
le reboisement provoqué par l'implantation de projets agro-industriels,
le dévelop-
pement de la culture arachidière et l'exportation des ressources forestières
(bois,
charbon de bois, gomme, ressources animales) pour la satisfaction des besoins de
la ville et de l'économie européenne. Cette liaison se situe par ailleurs dans le
contexte d'une remise en cause européenne des modèles traditionnels d'économie
d'énergie et des représentations culturelles de la relation traditionnelle de l'hom-
me vis-à-vis de son environnement.
Si la zone du Lac de Guiers connait actuellement un dépeuplement tel
que les projets de développement recourent constamment à des programmes d'immigra-
tion régionale,
et que les unités traditonnelles de production ne disposent plus
de main-d'oeuvre suffisante à la réalisation de leur autosuffisance alimentaire,
c'est précisément en raison des changements économiques qui impulsent le démembre-
ment des structures familiales et provoquent l'exode vers les villes,
dans une zone
où la traite négrière n'a pas manqué d'avoir des conséquences démographiques certai-
nes.
Avec les changements du système socio-économique, ce n'est pas seulement
la circulation de la production dans la concession et dans la société qui sera af-
fectée,
c'est l'ensemble de l'organisation du travail au niveau microsociologique
et macrosociologique qui se trouvera bouleversé. La place de la femme dans le procès
de production et de répartition,
ainsi que la division sociale du travail dont le
système de castes en était une expression, ne trouveront plus l'infrastructure
nécessaire à leur redistribution.
Ce sont de nouveaux systèmes fonctionnant sur
des normes différentes qui procèderont à la redistribution de la force de travail.
Le
modèle
d'organisation du système de famille et de parenté, ainsi
que
celui
du système politique qui garantissait la stabilité de la société tra-
ditionnelle, non seulement avaient déjà subi des transformations radicales avec la
traite négrière, mais en plus sont entrés dans des processus de destructuration
commandés par les nouvelles données socio-politiques.
Finalement, les crises actuelles ne s~nt pas,
tout compte fait,
l'abou-
tissant des dynamiques internes des systèmes traditionnels; elles résultent de
~
la domination des systèmes européens véhicules par la colonisation et par le régime
socio-politique post-colonial.
·/ .

Dès lors,la résolution de ces crises ne viendra pas de la logique inter-
ne des systèmes dominants; ce n'est pas en seposant des questions que seul le sys-
tème Occidental peut résoudre que des solutions seraient trouvées puisque c'est
le système Occidental lui-même qui engendre ces crises (r.ertes les sociétés tradi-
tionnelles avaient elles aussi leurs propres crises internes, mais il s'agit là
d'une autre histoire)
; c'est en se posant des questions hors du système Occide~tal
que de nouvelles perspectives de réponses peuvent être trouvées. A partir de ce
moment,
les solutions aux crises écologiques et économiques actuelles ne seront
pas des "trouvailles géniales" d'un expert,mais résulteront d'un mouvement des po-
pulations qui
sauront exhumer les modèles traditionnels de gestion de l'environne-
ment,
d'organisation de la force de travail,
de planification démographique,de
contrôle de la production économique et du pouvoir politique ... modèles qui trou-
vent leurs racines profondes dans l'histoire de ces populations.
Alors se pose la question de l'émergeance de discours paysans et éle-
veurs.
Il faut désormais écouter le monde rural.
Mais pour que cette écoute ne se fasse pas avec condescendance, d'une
oreille distraite,
ou qu'elle reste purement stérile,
la véritable question qui
se ~ose alors est celle des conditions de possibilité de pouvoirs paysans et éle-
veurs.
1
La rupture avec les systèmes dominants et avec l'économie de marché
ne peut cependant s'effectuer à l'intérieur du jeu institutionnel mis en place par
1
ces mêmes systèmes
; elle suppose une révolution dont les aspects économiques, cul-
turels et socio-politiques trouveront leur support dans les systèmes traditionnels.
C'est par rapport à de tels enjeux que cette rupture ne peut éviter
de revêtir une dimension internationaliste africaine qui prolonge l'unité cultu-
relle profonde des peuples du continent.

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1
.1.
f"

-316-
NOS INFORMATEURS
Par observation participante,
nous avons pu entrer en relations avec
tous les membres des villages
comme Témèye Salane,
Belli-Bamdi, Dar-es-Salam et
tous ceux des campements visités. A Ngnit et dans les gros villages où nous avons
séjourné, nous étions intégrés à la vie de certaines concessions
: ainsi nos infor-
mations viennent de réseaU;,( étendus dont il est difficile de ncmmer tous les mem-
bres.
Cependant,
on peut citer parmi nos principaux informateurs
-
Seyni MBAYE (Ngnit)
- Moussa DER (Témèye-Salane)
-
Aliou DER (Témèyë-Salane)
- Samba Aïssa DER (Témèye-Salane)
-
Dael SOW
(Témèye-Salane)
- Samba Coumbel SOW (Singou Diery)
-
Moussa KA (Belli-Bamdi)
- Couraël SOW (Belli-Bamdi)
-
Alassane SOW (Belli-Bamdi)
-
Les griots Samba Diabaré SAMB et Kani SAMB (de Dakar)

RE:r1ERC
E MEN T S
La réalisation technique de cette thèse doit beaucoup au dévouement
de Mme Lucette SOHAI.
La collaboration technique et théorique de Papa Amadou FALL, Alioune
Badara NDlAYE,
Mamadou Lamine NIANG a été déterminante.
Youssoupha FAYE,
Ibrahima
(Pata) MBAYE, Papa Ndioumary NDAD,
Alssatou (NDioufa)
NIANG,
Khady NIANG,
Safi NIAN
'Abdou NIANG, Papa Malick SENE, A.
Cissé qui nous ont également beaucoup aidé à plu
sieurs niveaux.
Nous sommes également très reconnaissants aux Professeurs Mike SINGLETO
A. Bara DIO?,Cheikh Anta DIOP et Georges THILL et à l'anthropologue noire améri-
caine,
Grace HEMMINGS pour leur disponibilité et leur apport théorique.
Notre travail n'aurait,
par ailleurs,
jamais été possible sans l'hos-
pitalité
- à Ngnit, de Malick SEMBENE, Fat DlEYE, Bakary COULIBALY ;
- à Belli-Bamdi, de Courael SOW, Daouda SOW, Djibril Aly SOW
- à Témèye Salane, de Marème FALL, Moussa DER ...
et sans le soutien de tous ceux (éleveurs et agriculteurs)
qui nous ont accueilli
dans les différents villages et campements de la zone du Lac de Guiers.
Notre travail de terrain a également bénéficié de la collaboration
de Mamadou SAMB (Chauffeur à l'I.S.E.)
et de Ousseynou NDIAYE (Technicien à
l'1.S.E.).
Antoine MBENGUE et Bara THIAM nous ont apporté leur concours pour la
réalisation des cartes et schémas.
./ .

-318-
Enfin,
nous avons pu,
d'un bout à l'autre de notre travail, compter
sur le soutien moral et l'information culturelle de Aminata DIALLO.
Que tous ceux qui nous ont aidé dans ce travail,
trouvent ici,
l'ex-
pression de notre profonde gratitude.
Que nos informateurs de la société traditionnelle,
dépositaires d'un
savoir ancestral
,trouvent à travers ce travail,
le témoignage d'une humilité et
d'une admiration devant ce qu'ils savent ..

DES
l L 1_ US T RAT ION S
-=-=-=-=-
ILLUSTRATIONS
Pages
F.l.
- Situation géographique du Lac de Guiers.
16
F.2.
- Carte du Lac de Guiers
17
F.3.
- Situation du Lac de Guiers dans le Waalo
18
F.4
- Site des principaux amènagements hydrauliques
29
F.5
- Vue du Dael
30
F.6
- Vue d'une mare d'hivernage
,.
30
F.7
-
Linge auprès des mares d'hivernage
30
F.8
-
Carte des principales migrations ouest-africaines
46
F.9
-
Répartition des principales fractions P e u l . . . . . . . . . . . . . . .
47
F.I0 - Cartes des principaux établissements humains
48
F.ll - Pyramide des âges de Témèye-Salane
49
F.12 - Pyramid~des âges du quartier traditionnel et du quartier
de la SENDA
49
F.13 - Schéma de la disposition des concessions dans un quartier
de Ngni t
55
F.14 - Schéma d'une concessiollWolof ......... ....................
57
F.15 - Disposition des concessions à Dar-es-Salnm
61
F.16 - Vue d'un intérieur de case Peul
'"
95
F.17 - Vue de concessions à Bel1i-Bamdi
95
F.18 -
Tableau d'enquêtes sur la consommation de charbon de bois.
96
F.19 - Tableau d'enquêtes sur la consommation de bois
96
F.20 - Schéma d'organisation de l'espace agraire
110
F.21 - Scène de cul ture
134
F .22 - Vue du Luumo de Ngni t
134
./ .

-320-
F.23 - Cycle de transhumance dans le Sahel
.
165
F.24 - Schéma de mouvements de transhumance
.
165
F.25 - Scène de trai te dulai t
.
188
F.26 - Recouvrement d'une case Peul
188
F.27 -
Enfants menant des tâches de gardiennage
.
188
F.28 - Départ de femmes Peul vers un village Wolof
.
189
F.29 -
Femmes Peul dans un village Wolof
.
189
F.30 - Diagramme sur la permutation de positions dans le système de
parenté
.
207
F.31 - Position de la Yumpaan dans le système de parenté
.
207

DES
MAT l E RES
-=-=-=-=-
Pages
TRANSCRIPTION DES TERMES WOLOF, PULAAR ET XASAANIA
.
3
INTRODUCTION
.
6
PARTIE l
LE PAYS ET LES HOMMES
Chapitre 1
LE MILIEU PHYSIQUE ET LES POLITIQUES DE L'EAU "
20
Chapitre II
POPULATIONS ET MOUVEMENTS DE POPULATIONS . . . .
31
-
les Peul
.
31
-
les Wolof
.
35
-
les Maures
.
37
-
les migrations récentes
.
39
-
crises démographiques
42
Chapitre I I I
: LA
50
-
l'espace
50
-
les rapports à
64
-
la
73
73
problématique totémique
.
85
PARTIE I I
LES SYSTEMES ECONOMIQUES
Chapitre l
: LE SYSTEME AGRAIRE
.
103
-
Généralisation du système
.
103
- De la diversité de la production
.
104
-
Les techniques de production
.
lOG
organisation de l'espace
.
106
les outils techniques
.
112
-
L'organisation du travail
.
114
la division du travail
.
114
l'organisation du travail communautaire
.
118
1
., .

-322-
- L'organisation du temps
120
l'artisanat
123
l'élevage
124
la pêche
125
REPARTITION ET CIRCULATION DE LA PRODUCTION
126
Formes de répartition
126
Gestion de la réparti tion
.
131
DU JARDIN DE RICHARD A LA DEPENDANCE ALIMENTAIRE
.
135
Historique des amènagements agricoles
.
135
- le jardin de Richard
.
136
la mission d'amènagement du Sénégal
.
138
- Après 1960
140
PROCES DE DESTRUCTION DU SYSTEME TRADITIONNEL
.
145
La prééminence de l'arachide
.
145
La désarticulation des techniques traditionnelles
.
149
Redistribution dans l'organisation du travail et dans les rapports
de producti on
.
150
Des orientations nouvelles
.
153
Chapitre II
LE SYSTEME PASTORAL
.
159
Une économie agro-pastorale
160
Les techniques de production
,.
164
- la transhumance
165
- les techniques d'entretien et d'exploitation du bétail..
171
Les rapports de production
174
la~division du travail
\\.
174
- la répartition de la production
176
- rapports de propriété
..•............
179
Les rapports d'échange traditionnel..............................
182
Les conflits de systèmes •••••.••••..•......•....•••..••••.•......
185
./ .

23-
PARTIE III
L'ORGANISATION SOCIALE
Chapitre l
LA FAMILLE ET LE SYSTEME DE PARENTE
.
191
-
Les structures de système de parenté
.
191
- Les structures de la famille
196
-
Le mariage
.
198
le ménage
.
198
unions prohibées et mariages préférentiels
.
202
la dot
213
-
la filiation
.
222
-
conduite d'évitement et relations de plaisanteries
.
232
Chapi tre II
LE SYSTEME DE CASTES
.
234-
- Structures du système
.
234
dans les sociétés Wolof et Peul
'
.
234
dans la société Maure
.
246
-
Les gens de la parole
.
249
la question des origines
.
250
rôles et condi tions
.
253
relations avec le régime politique
.
251
-
les gens du feu
.
261
âge du fer/âge des forgerons
.
262
les démiurges
,
.
265
artisans de futures révolutions agricoles?
.
267
Chap i tre II l
LES SYSTEMES POLITIQUES
.
272
-
Bases sociales du pouvoir
.
272
les régimes socio-politiques Wolof et Peul
.
272
le régime Maure
.
278
-
L'organisation du pouvoir
279
de la royauté sacrée
280
la royauté guerrière
285
./ .

-324-
- Structure du pouvoir
286
le pouvoir central
286
la décentralisation du pouvoir.
290
organisation du pouvoir
291
294
CONCLUSION
298
BIBLIOGRAPHIE
301
REMERCIEMENTS
•••••••••••••••...••..••.•.•..•.•..•...•••••••.••.•..••••
317
TABLES DES ILLUSTRATIONS •.••••••••.•••..•.•.. " •••••••••..••.• " . . . . . . . . .
319

ERR AT A
p. 12, ligne 16,
lire .. ................................
repères historiques précis
p. 39,
ligne 11, lire .. ................................
les Eefdaan. De
p. 43, ligne 14, lire .. ...............................
les Portugais
p. 79, ligne 4 , lire .................................
transformer celles-ci
ligne 5
lire .................................
serpents
p. 93, ligne 23, lire .. ...............................
Méroé à la place de Maroc
p. 109, ligne 31, lire ................................
terminé, et qu'il ne reste
p. 110, ligne 9,
lire .. ................................
les terres nouvellement défrichées
p. 128, ligne 16, lire .. ..............................
le foie est censé

·.,. ............. notamment ce1-1· --,
es régies
ligne 27, lire ·...............
particulièrement florissants
p. 140, ligne 10, lire • •••••• l , ••••
semble
• • •
avoir été ignorée
p. 228, ligne 11, lire , .................
"The Mayombe
p. 2,47, ligne 20. lire ....................
regroupe les Xasaan
Cheikh
p. 257 , ligne 1, lire , .... , .. , ........
Anta Diop
p. 263, l ire en
Cyr
note
DeschampS
4 .•••.••..••••••.
• supprimer les accents aigus sur les' (ê) des mots transcrits en italique
...-... -----------
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