UNIVERSITE DE PARIS l - PANTHEON-SORBONNE
U.E.R. DE PHILOSOPHIE .
SURDETERMINATION IDEOLOGIQUE ET POUVOIR POLITIQUE:
LES, INSTITUTIONS DE L' ABSOLU EN AFRIQUE NOIRE PRECOLONIALE
THESE DE DOCTORAT DE 3e CYCLE
Ma OUSSEYNOU
KAN E
sous LA DIRECTION DE Ma LE PROFESSEUR LOUIS
S A L A-M 0 LIN S
JURy :
MM. F. CHATELET
O. REVAULT-D'ALLONES
L. SALA-MOLINS
ANNEE UNIVERSITAIRE 1980-1981

A la mémoire des enfants de Soweto
Soleils fusillés
\\

4.
INTRODUCTION
QUESTIONS DE METHODE •••••••••••••••••• p. 7
AVERTISSEMENT
0 "
.. "
p .. 19
PREMIERE PARTIE : ECONOMIE ET SOCIETES "PRIMITIVES"
:=::===============
ELEMENTS DE RECHERCHE SUR UN "MODE
DE PRODUCTION AFRICAIN" ••••••••••••• p. 20
CHAPITRE PREMIER
LA NOTION DE SOCIETE "PRIMITIVE" :
DE L'AJ.'1THROPOLOGIE CLASSIQUE A LA
CRIT IQUE MA,.'UISTE ••••••••••••••••• p. 21
l
- ETHNOCENTRISME ET
p. 21
A - Le présupposé
p. 27
B - Le présupposé
p. 42
C - Le présupposé historique
p. SI
. . . . . . . .
. . . <
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
II - MARXISME ET SOCIETES "PRIMITIVES" ••••••••••• p. 68
A - Le projet marxiste .•• 0 •••••••••••••• 0 ••• p. 68
B - Fondements pour une nouvelle antb~opologie p.73
C - Sur le "mode de production asiatique" ••••• p. 86
CHAPITRE II
ELEMENTS DE RECHERCHE SUR UN "NiODE DE
PRODUCTION AFRICAIN' •••••••••••••••••••• p. 93

6
II - IDEOLOGIE ET SOCIETES "PRIMITIVES" : CONTRA-
DICTIONS ET SURllETERMINATION
••••••••••••••• p. 168
III - LA PENSEE MYTHIQUE OU LES LOGIQUES
DE L.t ABSOLU
' l ' .
..






..
..
..

p.. 184
CHAPITRE IV - LE. TOTALITARISME DE L'INSTITUTION ••••••• p. 215
l - L'UN ET SON DOUBLE: LE NIODELE GElIlELLAIRE OU LES
FONDEMENTS TOTALITAIRES DE L'ETRE •••••••••••• p. 215
II. - LE "COMPLEXE D'OGO" : L'A.l'lTI- ŒIlIPE OU L'ETAT
CELLULAIRE DE LA SOCIETE. AFRICAINE PRECOLO-
NIALE~ •• '<1
' • • . • . • . •
'l' • • • . • . • • . • • _
_
"
o . '
p.
233
III. - LE POUVOIR ET LE SACRE
p.
264
A -
Le pouvoir et les pouvoirs ••••••••••.•.• p.
268
B -
L'inceste royal 011.,J.a...yiolence fondatrice. p.
273
CONcmsrüN .' ••.•.•_..•••.•'.••.••••...•..••••.••••.•••.....
p.,. 285
APPENDICE
_
"
'. • .. • .. • • • • . .. .. • • .. • • •
p .. 307
BIBLIOGRAPHIE
-.
p.
324
'l'

7
l N T R 0 D cr cr T ION

8.
Amadou Hampaté BA rapporte l'anecdote suivante: un
jeune ethnologue arriva à Tougan (Haute-Volta) en 1928, recom-
mandé par l'administrateur colonial auprès du chef de canton,
pour faire une enquête sur le poulet sacrificiel de la cir-
concision.
- Il veut qu'on lui dise tout? demanda le doyen,
"Maître de couteau" de l'endroit.
Oui,. répondit le chef de canton.
- Mais est-il venu pour se faire· circoncire ?
Non,. pour' s'informer.
Le doyen détourna son visage du Chef
_. Co=ent lui dire tout, fit-il,. s'il ne veut pas se
faire circoncire- ?
Puisque nous so=es obligés de donner' satisfaction
à la. force, répliqua le chef de canton,. c'est à vous de trouver
co=ent nous sortir de cet embarras.
- Très bien, fit le vieillard, nous l'éconduirons
sans qu'il y paraisse grâce à la formule de "mise dans la 'Paille"
La dite formule consistait à fournir à quelqu'un une affabula-
tion improvisée lorsqu'on ne peut lui dire la vérité (1).
Cette anecdote, en plus d'être plaisante, traduit
assez bieh'l~ paradoxe de l'anthropologie. Science des sociétés
"primitives" ? (2). Et tout d'abord, scienCe tout COurt? Il est
T. Cf. HIST. GEN. DE L'AFRIQUE, t. 1, METHODOLOGIE ET PREHISTOIRE
AFRICAINE ("La tradition vivante", p. 204).
2. Voir Copans et. Godelier, ANTHROPOLOGIE : SCIENCE DES SOCIETES
PRIMITIVES ?(bibliog.).

9
bien difficile de répondre à c ett e CJ.ue stion •. L' ensemble des
matériaux CJ.ui fondent les différentes théories anthropologiCJ.ues
étant généralement constitué
d'enCJ.uêtes "sur le terrain",CJ.ui
ne voit les risCJ.ues d'erreurs. et d'omissions considérables CJ.ue
comporte cette méthode ? Comment faire foi aCL~ savantes compo-
sitions CJ.ue nous. rapporte l'anthropologue? Car son irruption
dans la. société CJ.u'il se propose d'étudier constitue toujours
une· intrusion dans les pratiCJ.ues et l'univers mental de peuples
CJ.ui,. le plus. souvent,. n'ont jamais. entretenu de,' contacts avec
des, éléments. étrangers. Cette· intrusion. devient une véritable
effraction CJ.uand i l se met à prétendre "CJ.u'on lui dise tout",
violant ainsi un savoir et des secrets CJ.ue dans la société
considérée elle-même, seule une infime portion d.' individus par-
tage·,. et ceci à l'issue· de processus très complexes de trans-
mission (initiation,. rituel, etc •. ). Il ne serait donc' pas éton-
nant CJ.ue. tant de savantes constructions nec'fussent en fin de
compte' CJ.ue •.•• des "mises dans la. pa:llle" !
En outre,. à CJ.uels mises en' scène,
j eux et défigura-
tions poussent un micro tendu ou le ronronnement d'une caméra
La science moderne de la communication nous a appris ce dont
sont capables ces outils "diaboliCJ.ues" sur les opinions et les
comportements sociaux, les marges d ',erreur et le'degré de trans-
figuration étant simplement décuplés dans le cas de l'enCJ.uête
ethnographiCJ.ue.Que de mythologies eussent été rapportées dif-
féremment si au lieu de l'Européen précédé de ses Nègres ou
Indiens porteurs (entrée en scène CJ.ui déjà fausse tout !),c'était
un membre indigène dù groupe lui-même CJ.ui menait l'enCJ.uête et
faisait les' interprétations ! Mais on ne peut oublier CJ.ue l'an-
thropologie est fille de l'impérialisme et-acue t.Oute sa pràtiCJ.ue

sa théorie ont été profondément déterminées par le contexte his-
toriClue dans lequel elle est née (1). Le premieranthropolo-.
gue·;"le plus. souvent, est entré sur le "terrain" escorté par
le colon et ses zouaves. Au mieux des cas,. avec la bénédiction
du missionnaire.Dans tous les cas, une bien encombrante com-'
pagnie •.••
Car si. l'impérialisme quelquefois y gagnait, en
trouvant notamment en l'anthropologue un conseiller ;. voire
,
un. idéologue (2), la: recherche, elle, en a forcément souffert •.
Science, des sociétés primitives? Le deuxième terme de la
Cluestiorrnous fait répondre non. En. effet, c'est sur ce pro-
blème· de la. ','primitivi té'" Clue;. l , anthropologie s'est le plus
éloignée de, toute approche- scientifique. Epousant les TIré jugés.
de· leur époque qui. voyait: dans. les pJ=;upJ.es alors dominés des
;cAl'JEe~
races inférieures quelque peu entf~éâ.~I.~anité (celle
"té, bi,n ,nt,ndu d=, 1" "bol,"~;A'l'JLond", ,t
autres métropoles!
), les anthrtB~logues e§sont alors éver-
tués à m8.i·qlie'I-'.'les sociétés qu' ils"'~/o31uq..,j,œ~\\~ du signe de l'ab-
solue. différence avec les leurs propres. "Ailleurs",c'ça ne
I. Voir encore J. Copans, CRITIQUES ET POLITIQUES DE L'ANTHRO-
POLOGIE et surtout ANTHROPOLOGIE ET IMPERIALISME (v. bibliog.).
2. Si l'anthropologie britannique a connu ce prodigieux déve-
loppement alors Clu'en France, dans ce domaine, on en était aux
premiers balbutiements, c'est que les Anglais, qui avaient à
gérer un immense empire colonial, ont très vite compris tout
l'intérêt qu'ils~ouvaient tirer d'une connaissance exacte· des
'mœurset coutumes (ia "mentalité") des peuples dominés':. L'an-
t:b.ropologue était ainsi directement au service de l'adffiinistra-

I I
pouvait être co=e "ici". D'où les déterminations purement
négatives:
sociétés sans écriture, sans Etat, à l'économie
et aux techni~ues archaï~ues. En fin de compte, sociétés
sans histoire. Comble de l'ethnocentrisme. Comble surtout de
l'idéaliswe
!
Sur ces différentes ~uestions(économie, politi~ue,
histoire), nous avons essayé dans la première partie de cette
étude (','Economie et Sociétés "nrimitives") de, relire cette
anthropologie de manière cri ti~ue, polémi~ue à l'occasion,_
mais toujours textes à
l'annui. En montrant dans tous les cas
en ~uoi ses présupposés théorico-idéologi~ues l'ont poussée à
c6téi - voire à l'envers -
des réalités objectives des sociétés
~u'elle prétendait étudier. A cet effet" nous avons utilisé
l'outil. théoriQue Qui seul,. à notre avis, permet une approche
scientifi~ue et dynami~ue non seleument de ces sociétés dites
priwitives (cette notion elle-même ayant été longuement dis-
cutée), mais encore de toute autre forme de société histori-
~uement déterminée, à savoir le marxisme ou matérialisme
historiaue.
Certes, la coupure ~ue nous faisons entre anthropo-
logie "classio"ue" et "idéaliste" et anthropologie marxiste
teur et i l est évident ~ue si la politiQue coloniale brit~~­
nique,caractérisée par l '
"Indirect Rule" a pu fonctio=er
sans accroc (à l'inverse de l'absurde "assimilationnisme" des
français, ignorant tout des réalités locales), cela a été en
partie grâce à ces véritables "sondages" ~u'ont été les en-
Quêtes ethnographiQues.

12
peut paraître assez formelle. Elle l'est assurément car ni
dans un camp ni dans l'autre, on ne peut dire que les posi-
tions soient tout à fait homogènre.Ainsi, si les thèses d'un
Lévy-Bruhl, par leur grossièreté, ne méritent même plus d'être
discutées (rappelons. que l'auteur est d'ailleurs revenu par
la suite sur bien des points de sa conception de la "mentalité
primitive"), par' contre sur le champ de l'anthropologie, per-
sonne ne peut ignorer' aujourd'hui les travaux tout à fait dé-
cisifs de Lévi-Strauss,. même si certaines de ses conclusions
appellent. une' cri tique que· nous ne. lui avons nullement épar-
gnée~ dans cette étude (1)., A l'inverse, l'anthropologie mar-
xiste ne constitue pas Ce "bloc" CJ.ue l'on croit, de profondes
divergences, Y' apparaissant sur certaines questions fondamentales
oo=e' la place de l'économie dans ces sociétés précapitalistes
et son rapport avec les autres structures et instances sociales
(parenté, religion,etc.). La. polémique entre Rancière et Althus-
ser sur le statut de l'idéologie et dont nous aurons"à~traiter'
'en',constitue la meilleure illustration.
1. En fait" par la richesse et la diversité mêmes ,de son. œuvre,.
il est bien difficile d'enfermer Lévi-Strauss dans une étiquette
quelconque., Ainsi ses positions sur la question du statut des
sociétés dites primitives face à l'histoire (voir la distinc-
tion sociétés "chaudes"-sociétés "froides") ou sur le rapport
de la pensée ".sâuvage" ,l:l,vec,la penSée'rationnelle restent,împréciaes
Nous soupçonnons ià: la resurgence int~r;;:ttente dans '1 'à.nthro-
1
pologue de l'ancien professeur de philosophie, lecteur de Descarte~
et de Hegel. L'auteur 8' explique sur ces "contradictions"; d~"
une récente série d'entretiens radiodiffusés ("Radioscopie~avec
J.
Chancel, "France-inter", 13-17 avril 1981).

13
Il n'en reste pas moins que le marxisme a renou-
ve .lé d'une manière décisive l'approche des sociétés dites
1../
primitives, en les replaç~~t justement dans le courant d'une
histoire· dont elles constituent-- simplement des épocues, étant
donc comme telles susceptibles de transformations et de déve-
loppement ultérieurs. On est bien loin des sociétés-fossiles,.
véritables "aberrations" de l' histoire, c_ue nous pré sentait
l'idéalisme anthropologique.
L' enj eu. en fait. est de taille puisque l'on s'est de-
mandé et l'on continue à se demander Sl la théorie marxiste,
principalement forgée dans l' analyse du.system~ capitaliste"'--'
est. "applicable" à. ce type de société· où l' économio_ue,. obj et
essentiel de' cette théorie,. n'occupe qu'une place secondaire
et de ce fait,. n'affecte nullement les rapports sociaux or-
ganisés dès lors, suppose-t-on, par les instances politio.ue·
et idéologique. Poser la question de cette manière, c'est
d'une part réduire le marxisme à cet économisme mécanique et
dogmatique auquel. ses adversaires se sont arrêtés (réconfortés
en cela,_ i l est vrai, par un certain marxisme "orthodoxe" qui
a atteint. son "stade suprême" avec le stalinisme), d'autre
part, ignorer tout des mécanismes de fonctionnement de ces
sociétés qui, au-delà de leurs structures les plus apparentes,
présentent le même type de complexité que toute société his-
Par la redéfinition et la discussion
de ce concept
fondamental du marxisme
qu'est la "détermination en dernière

I4
instance" par le mode de production de la vie matérielle,
nous essayerons donc de montrer que les sociétés "primitives",
contrairement à ce qu'on croit, "ne marchent pas sur la tête"
et qu'ici co=e ailleurs ,. on ne peut comprendre les rapports
sociaux qu'en se référant à la vie réelle des ho=es, c'est-
à~dire à leur façon de produire, d'échanger et aux types de
rapports qui s'y articulent. Marx avait mis sa théorie à l'é-
preuve dans ce qu'on appelle co=unément le "mode de production
asiatique" •. Partant de ce modèle, nous nous intéresserons plus'
particulièrement à l'Afrique noire précoloniale.
Une explication s'impose ici. On pourrait certes nous
reprocher decprendre une aire géographique et historique beau-
~oup trop large pour constituer un modèle réellement opéra-
toire._ L'Afrique' noire précoloniale· présente-t-elle un. ensem-·
ble homogène ? Evide=ent non.
Les formations sociales y sont
émine=ent différentes selon le lieu et le temps et leurs modes
d'évolution co=aissent à peu près la même diversité. (il y a
loin des bandes de chasseurs-collecteurs vivant pratiquement
encore à l'âge de la pierre aux syst~mes politiques centra-
lisés, présentant déjà toutes les caractéristiques de l'Etat
moderne, et dont seule l'intervention coloniale et ses effets
destructeurs ont brisé le développement) .•
Néanmoins, cette hétérogénéités des formations afri-
caines précoloniales n'interdit pas une étude d'ensemble, ce
qui nous intéresse étant moins l'approche monographique, tou-
jours formelle et simplificatrice, ou historiographique,
sim-

15
plement descriptive, que la recherche d'une forme générale,
représerltive de l'ensemble du continent. En d'autres termes,
i l nous faudra repérer et définir une "moye=e idéale" de la
formation africaine précoloniale, déterminable comme un mode
de production typique, :non-immédiatement réductible
au schéma
pré-établi des IIlodèles asiatiques ou européens. En un mot, un
"mode de production africain", ayant non seulement ses struc-
tures propres, mais également ~es lois internes de transfor-
mation et. d'évolution.
Notre démarche consistera donc, en renversant la.
perspective de· l'ethnologie classique Clui cherchifit la logi-
Clue· d·es sociétés. dites primitives dans lesc:"formes de repré-
sentations et les systèmes de parenté et d'alliance, de
partir des conditions de production concrètes de la vie. so-
ciale pour déterminer l'ensemble des rapports sociaux et les
formes idéologico-politiClues dans lesquelles ils s'expriment •.
Nous aurons ainsi l'occasion de voir que le présupposé de la
transparence et de l'égalitarisme dont on fait la caractéris-
tiClue essentielle de la société pré coloniale o.cculte en réa-
lité des phénomènes d'exploitation et de dépendance dont on
ne peut saisir les mécanismes Clu'en allant au-delà des rap-
ports sociaux apparents et de leur expression immédiate sous
forme de rapports de parenté et d'alliance. L'AfriClue noire
précoloniale, en ce sens, n'infirme pas la causalité en der-
nière instance de l'économie)tout le problème étant cependant
d'en exhiber le fonctio=ement dans le jeu complexe des rela-
..... .
.
1
clons socla_es.
-----_._-----------_...,._---_.__ ._.~. -

16
Car tout n'y est pas "économie" et loin de là. Tout
l'objet de notre deuxième partie ("Surdéte~nation idéologique
et pouvoir politiaue : les Institutions de l'Absolu) consiste
justement à étudier à travers les formes idéo'logiques et insti-
tutionnelles les différents môdes de "déplacement" voire d' "in-·
version" des stru.ctures' et,·instances sociales, à travers notam-·
ment la prévalence des modèles mythiques directement transpo-
. '
sés dans l'espace de la vie réelle. Nous voyons alors que
l'économique et le politique eux-mêmes, dans le cadre de la
pensée mythique ,. ne· sont apparemment. déterminables qu'à par-·
tir des raisons transcendantes. qui fondent et structurent
l'imaginaire social de toute entité africaine précoloniale.
Nous en verrons l'illustration dans les schémas complexes
desqIl:odè,iè~s,,?rit'ologiqueset les formes d'organisation sociale
et de pouvoir' quF s'y rapportent.,
Dominance de l'économie? Dominance du politique et
surtout de l'idéologique? N'y a-t-il pas au fond contradic-
tion ? Nous ne le pensons pas. Il reste"que la théorie mar-
xiste, pour être opératoire, demande ici à être relue et c'est
ce que nous ferons précisément en essayant de redéfinir la
place et l'efficace de l'idéologie dans la formation sociale
africaine précoloniale. A ce titre, nous pensons que le con-
cept althussérien de surdétermination est capital car i l nous
donne les moyens de voir comment dans un type de société où
l'économie, historiquement,n'est pas dominante (et même dans
celles où elle l'est), les superstructures idéologico-politiques
peuvent être relativement autonomes, cette autonomie, dans le

I7
système africain précolonial,
étant telle que
~s superstruc-
tures, anparemment, y informent et organisent l'ensemble du
mode de nroduction. Mais cette omniprésence de l'idéologie
elle-même fait problème et si à travers elle l'Institution
prétend. à l'Absolu, ce n'est encore qu'à travers un processus
de "fétichisation" qui vise à occulter les antagonismes inhé-
rents'-à la société, perpétuant ainsi la domination et l'ex-
ploitation d'une. classe ou groupe d'individus par une minori-
té privilégiée •.
Nous concluerons cette étude par" quelques considé-
rations sur la société africaine actuelle,
pour
montrer en
quoi. elle subit encore profondément l'effet des "surviVarice~'"
issues des· modèles traditionnels."Survivances" qui s'expriment
tant :aQ,niveau économique sous la forme de la superposition.d 'une
production"domestique" et d'une production de type capitaliste,
qu". à" celui des superstructures juridico-politiques et idéolo-
giques, par la confusion savamment entretenue par' les classes
dirigeantes entre un système étatique moderne,
caractérisé par'
un pouvoir étatique centralisé et- "rationalisé" et des formes.
d'autorité traditionnelle fondées sur les liens de sang et des
idéologies religieuses qu'on croyait dépassées.
Etudier de manière scïentifique et objective la so-
ciété africaine précoloniale et ses aboutissements actuels, tel
est donc l'objet principal de ce travail. Disons néanI!loins que
nos
motivations ne se limitent pas à ce projet théorique. Nous
tenons en effet, à travers cette modeste analyse, à prendre

18
position dans le débat politique et idéologique crucial ouvert
aujourd'hui en Afrique et dont dépend sans conteste l'avenir
du continent. Il importe alors de montrer, à un moment où
certains gouvernements fantOChes et r/actionnaires aux abois,
pour briser l'élan révolutionnaire des masses populaires essen-
tiellement inspiré par la théorie et la pratique marxistes,
tentent d'établir la théorie purement mystificatrice d'une
"voie africaine vers le socialisme", faisant appel à de soi-
disantes "valeurs négro-africaines" ,. de montrer donc en quoi
une telle "théorie",. centrée négativement sur le rejet du mar-
xisme, ne fait que ressusciter les anciens systèmes idéologi-
ques. qui fonctionnaient déjà dans les Etats. traditionnels et
chargés,. hier co=e· aujourd'hui, d'occulter, au profit de la
classe au pouvoir ,. le caractère antagonique des rapports so-
ciaux qui ne peuvent. être, en Afrique co=e ailleurs que des
rapports d'exploitation et de domination des producteurs réels
par une minorité parasitaire.

19
La première partie de cette étude ("Economie et
Sociétés "urimitives" . Eléments de recherche sur un "mode de
uroduction africain" ") reprend dans l'ensemble les matériaux
réunis pour un mémoire de maîtrise préparé sous la direction
de Monsieur Etienne Balibar et intitulé : "Marxisme et sociétés
"urimitives" : Eléments de recherche sur un mode de uroduction
en Afrique noire urécolonial~' (Université de Paris l, 1978).
Par ailleuxs, pour faciliter la compréhension de la
deuxième. partie ("Surdétermination idéologique et uouvoir uoli-·
t;que :. les Institutions de l'Absolu") aux lecteurs qui n'au-
raient pas. eu directement accès. au. mythe cosmogonique dogon
(ouvrage de base: M•. Griaule et G. Diéterlen, LE RENP..RD PALE,
t. l, LE MYTHE COSMOGONIQUE), nous reproduisons in extenso en
appendice le résumé très précis qu'en donnent Adler et Cartry
qui èux-mêmes suivent fidèlement le texte de Griaule (cf.
"La transgression et sa dérision" in L'HOMll'Œ, II, 3, 1971,
pp. 5-63 - appendice: pp. 46-62).
Enfin, pour ne pas alourdir les notes en bas de page,
nous donnons les références des ouvrages cités directement à
la suite d'es textes, nous limitant à indiquer le titre et la page
seulement si l'ouvrage figure dans la bibliographie que nous
établissons à la fin de cette présente étude.

20
p' R: E M. l E.R E.
PAR T' l E

21
CHAPITRE PREMIER
LA NOT ION DE SOC ETE "PRnnT IVE" : DE
===============================
==
L'ANTHROPOLOGIE CLASSIQUE A ~_ CRITIQUE
======================~===========~=-==
l _. ETHNOCENTRISME ET IDEALISME
Traiter de la société africaine précoloniale en se
référant à. la notion de société "primitive" suppose Q.ue cette
notion elle-même soit entièrement ré-analysée et critiQ.uée •.
Que de sous-entendus dans le Q.ualificatif. "primitif"
! Que de
préjugés surtout. ! En vérité,. toute l'histoire de l'anthropo-
logie pourrait n'être Q.ue l'histoire des aventures théoriques
de cette notion,c'est-à.-dire l'histoire du mode différentiel
de traitement dont elle a été successivement l'objet et Q.ui
exprime positivement ou négativement à. la fois la "philoso-
phie" et la science
des ethnologues face aux sociétés Q.ui
constituent leur champ propre d'investigation.
Il faut reconnaître en effet Que la division du
travail au niveau de la recherche sur le passé des hommes,
telle Qu'elle est établie entre
l'anthropologie et l'his-
toire, n'a absolument rien de spontané. Elle est tout au
contraire l'effet déterminé
de Quelques présuppositions

22
- pour ne pas dire des préjugés- solidement établies. A l'his-
torien, l'étude des sociétés dites justement historiques, aussi
reculées soient-elles dans le temps. Le critère discriminant,
ici, c'est l'existence d'une chronologie définissable corrme
telle, en tant que substance d'une événementialité repérable
à travers des matériaux graphiques et archivistiques. Certes,.
il est également tenu compte, au-delà de
cette expression
purement
extérieure, du contenu de cette événementialité
alnSl consignée. Tels l'éclat et la grandeur de la culture,.
de la civilisation, des arts et des techniques ctui confèrent
à. une société do=ée une place et u.."l rôle déterminés dans
l' hist oire générale de l ' humanité. C;'est dans. cette pers·peetiye·,p8.I1
exemple ,. CJ.U 1 on traitera de l' histoire de l' Zgypte pharE'.oniCJ.ue,
des grandes civilisations asiatiCJ.ues (Chine, Inde, Japon)
, de
l'antiquité gréco-romaine,. de l'Occident médiéval et moderne,
etc ..•.
A:.l' ethnologue, toutes les autres sociétés, celles
qu'on
qualifie avec tant de précipitation de
"primitives".
Sociétés rebelles par avance il. la science historiCJ.ue dans la
mesure où aucune forme de chronologie événementielle ne sem-
ble pouvoir y être déterminée CODille telle. Ni histoire écrite,
ni archives. Donc nas d'histoire et voilà ~"le partie de l'hu-
manité rejetée" dans une nuit éternelle où rien ne se serait
passé, où le temps se serE'.it épuisé dans une incessante et
tout aussi inefficiente répétition du même. Ainsi en est-il de
l'Afrique, de la presque totalité de l'aire amérindielli"le, de
certains peuples d'Asie et du Pacifique.

2J
·Certes, nous dit L~vi-Strauss, la différence entre
histoire et anthropologie

.J..
.... ...1.
ne saural" el.,ore cristallisée 2UtOur
de la seule existence
ou nond'~ matériau graphique coruse
base d'une étude critique et comparative (1)
. D'autre part,
l'une et l'autre ont en fin de compte le ~ême objet (la vie
sociale d'un groupe humain)
,un même but (l'intelligence de
cette vie sociale sai~ie dans toute sa complexité)
,voire une
même méthode (la collecte de témoignages, qu'ils soient hu-
mains ou archéologiques et leur traitement cIttique selon les
mêmes exigences de cohérence et d'intelligibilité)
. Pourtant
la différence que retient finalement Lévi-Straus n'en est pas
moins problématique : histoire et anthropologie se
distirgue-
raient-selon lui "par le choix de perspectives compl~men-
taires : l'histoire organisant ses do~~ées par rapport aux
expressions conscientes, l'ethnologie par rapport aQ~ condi-
tions inconscientes, de la vie sociale" (2)
Une telle distinction, malgré
les aménagements
qu'elle introduit,ne fait pourtant que renvoyer à ces pré-
supposés
fondamentaux dont nous avons parlé et qui font des
sociétés dites primitives des sociétés en marge de l'histoire,
voire de la simple humanité. Que faut-il donc entendre par
cette opposition : conditions conscientes/inconscientes?
Il s'agit en définitive de répartir les sociétés humaines
en deux groupes: d'une part,celles qui ont établi des'~ro-
1. Anthropologie Structurale, ch.
l,
Introd. pp.
J-JJ
2.
Ibid.
, p. 25

24
jets historiQues" et ont fondé leur évolution et dévelop-
pernent ultérieur sur la réalisation de ces projets, créant
par là les conditions d'une événementialité,donc de l'histoire;
d'autre part,
les sociétés où nulle production événementielle
n'étant assignable comme digne de faire éDoaue dans l'histoire
universelle,on s'attachera donc exclusivement aux "productions
mentales"
,inintention.~elles bien entendu,des individus et des
groupes" dans la pure synchronie de leurs nanifestations et
de leurs modes d'articulation.
Peu importe donc,
comme le confesse par ailleurs
Lévi-Strauss, a_ue "l'analyse des structu.res synchroniQues im-,
pliQue un recours constant à l'histoire"
(1)
. Qui ne voit
Que s'en tenir aux seules structu.res mentales d'un groupe
revient immanQuablement à figer la société ainsi considérée
hors de toute histoire,de tout développement,de toute maté-
rialité même? En fait, Lévi-Strau.ss éxpose ici les présup-
posés théoriques Qui autoriseron~ Dar la suite la détermina-
-
-
tion d'une "pensée sauvage" Qui, singulièrement n'est point
la Densée des sauvages,
c'est-à-dire d'individus historique-
ment det'erminés,
impliQués dans le processus de production
o
matérielle de leur vie,unique lieu 9ies rapports Qu'ils entre-
tiennent entre e~~ et avec le monde, notamment dans leur pro-
duction symbolique ,peuv'ent avoir un-sens. Il faut not er d' aiU,eurs
qu'il insiste de façon tout à fait particulière sur cette
invariance donnée comme caractéristique essentielle de la
1. Op. cit.
pp. 28-29

25
société dite primitive
"le propre de la pensee sauvage, dit-il, est d'être
intemporelle; elle veut saisir le monde, à la fois,
comme totalité syncbxoni~ue et diachroni~ue, et la
connaissance ~u'elle en prend ressemble à celle
qu'offrent,d'une chambre, des miroirs fixés à des
murs opposés et ~ui se reflètent l'un l'autre
(ainsi que les objets placés
dans l'espace qui les
sépare) ,mais sans être rigoureusement pa::-allèles."
(LA PENSEE SAUVAGE, p. 384)
Si donc la société primitive,pour reprendre la
mé-
taphore de Lévi-Strauss, est cette société cù le même ne cesse
de' réfléchir le même, dans l'invariance de son objet et de ses
structures,.comment ne sera-t-elle pas, dans une humanité
essentiellement caractérisée
par le changement et le prcgrès"
affectée, dans l'ordre de la hiérarchie, :'d'u-'1. coefficient de
valeur absolument négatif? Sera dit primitif, dans une~he]le
d'évaluation dovJlée, ce qui se situera au degré le plus bas,
et s'agissant
des"
sociétés
hum a i
n e s
sont en cause, la primitivité, dans Cette perspective évolu-
tionniste et sélective, est le signe d'une infériorité fonda-
mentale par rapport à U-'1. type idéal donné, à savoir la société
occidentale, marquée des signes positifs de la production
événementielle à travers la conception et la réalisation de
"pro jets hi st ori~ues"
En fin de compt e,
en dépit de ses profes-
0 '
sions de foi théori~ues et méthodologi~ues, l'anthropologie
classique, à proprement parler, ne s'est pas entièrement dé-

26
~artie des présupposés idéologo~ues ~ui ont conduit Lé\\0·-anL~1
à élaborer cette Îsole logiquement monstrueuse 'lu'est 120 "menta-
lité primitive" (I).
Si l'on revient au type idésl sU'luel l'anthropologie
confronte la société dite primitive, à savoir le modèle occi-
dental, il apparaît que les élémen~,discriminants,ici,sont
de manière prévalente, la structure étatique centralisée,une
technique. et une économie développées ainsi 'lue des formes
d'évolution généralement dynamiques, toutes csractéristi'lues
qui sont rapportées donc à ce type de société cow~e constl-
tuant. son essence, et déterminant négati-vement toutes
les
autres formes qui ne les résliseraient 9SS ~istoriquement.
Il n'est donc pas éto=ènt 'lue la primitivité .:
1. Lucien Lévy-Bruhl: LA /,1EN'1'ALFI'E ?RLIITIVE,IS e éd. ,Paris,
Payot, 1960 ; LES FONCT IONS lVIENTALE:~ DANS' LES SOC TETES INFE-
~IEurtES, ge éd.,Paris, P.U.F.,19S1
Notons 'lue dés son élaborstion, la thèse de Lévy-Bruhl avait
été systématiquement contestée par les anthropologues de l'é-
poque. Cf une intervention de M. Mauss aprés une communication
de Lévy-Bruhl sur la"mentalité primitive" en 192J :
ŒUVRES,
t. II, pp. I25-IJ 1. Dans sa réponse, Mauss not e que "l' équi-
valence qu'il (Lévy-Bruhl) pose entre "prélogique" et "pré-
liaison" n'est pas exacte,car justement le signe de tous les
états de conscience collective,et non pas seulement des for-
mes primitives de
ces consciences,c'est l'existence de pré-
liaisons. Il y a société quand il y a.ensernble d'idées liées
au :9réalable,et toutes les sociétés se ressemblent p2T là"
Lévi-Strauss reprend à peu prés la même critique
T,2
P'1TS 'C::'
S qrv ~ fi i<;,
pp •.] 55 - J 57

27
pour une société donnée,
soit établie comme le fait d'un man-
que : on. parle ainsi de sociétés sans Etat, sans histoire, ne
connaissant qu'une économie de subsistance, ce qui est l'opposé
négatif de l'économie
de marché,
etc . . . Nous considérerons,
pour cet exposé, les trois domaines qui sont ainsi pris en
compte par l'anthropologie classique et tenterons d'en analyser
et d'en discuter les fondements idéologiques et théoriques:
-
le niveau de l'économie
-
le niveau du politique
-
le niveau de l'histoire
Le trait ement du facteur économiCiue, ou le plus sou-
vent son occultation pure et simple, constitue incontestable-
ment un des indicateurs-clés du préjugé ethnocentrique et idéa-
liste qui a longtemps gouverné la recherche anthropologique
dans les sociétés dites primitives. Deux thèses, tout aussi
négatives l'une que l'autre et théoriquement infondées sont
généralement soutenues pour caractériser du point de vue éco-
mique ces sociétés :
-
celle du retard technologique en ce qui concerne
les moyens de production et les forces productives
-
celle de l '
"économie de subsistance" ou d'
"auto-

1
28
subsistance" c_ui tend à. cC3_ractériser dans son ensemble le mo-
de
production matérielle de la vie.
Considérons tout d'abord le premier point. Il est
incontestable ~ue le constat d'u.~ niveau élémentaire de la
technique a souvent été le facteur discriminatoire décisif dans
la caractérisation dévaluatrice des sociétés "primitives' par
l'anthropologie classique. A la hache de fer de la société
archaïque,on s'est plu à. opposer les outils en fer- plus éla-
borés et plus efficaces de l'industrie du monde occidental
antique ou médiéval. A la survivance du bâton fouisseur dans
les premières, la machine agricole du début de l'ère indus--
trielle._ Mais au-delà. du critère de. l' efficacité '0 entrent
surtout en compte des considérations d'ordre historique. Il
y aurait d'une part retard. et stagnation dans les procédés _>:
tech.'"1iques de fabrication (certaines-des- sociétés: considérées
n' auraien1; appare=ent pas dépassé, tant sur le plan de l' ou-
tillage que du mode vie qu'il autorise, le stade néolithique,
voire pré-néolithique)
tandis _
~ue de l'autre,dans le
0
_
-
cadre des sociétés dites historiques évideœ~ent, la tech-
nique se voyait promue à une fulgurante et incessante pro~
gression,-matérialisée par différentes "révolutions" ~ui ont
bouleversé de fond en comble non seulement l'économie mais
toute l'histoire des sociétés occidentales.
Il faut reconnaître par ailleurs que dans cette
vision dichotomique, la conséquence du retard tech.'"1ique ne

29
se lit pas seulement dans le champ de la vie matérielle des
groupes humains considérés. Certes, est devenue banale l'ima-
2"erie
:=>
tant colport
_
ée du "Drimi
_
tif" t otalent prisonnier
-
de la
nature, plutôt déprédateur ~ue réellement producteur, donc
transformateur et du milieu et des produits naturels, et en
ce sens, il s'oppose incontestablement à la prophétie carté-
sienne ,. dé jà partiellement réalisée, de l' homme devenu grâce
à la raison inventrice, donc grâce à la science et la tech-
ni~ue ,. "maître et possesseur de la nature". Il faut· encore
voir' ~ue selon certains anthropologues, c'est encore un tel
retard ~ui aurait fermé aILx sociétés"primitives" les portes
de. l'histoire, les reléguant ainsi dans une sorte de nature
première, et en . 'outre'j, un t el retard aurait même eu des ré-·
percussions jusque dans la conformation dU.~cerveau des in-
dividus de ces sociétés : c'est ainsi sur' le terrain- de la.
techni~ue et corrélativement sur celui des connaissances
théoriques qui en rendent la maîtrise possible, ~ue la pensée
"rationnelle'" se serait irréversiblement coupée de la pensée
"sauvage"; D'un côté donc, une pensé e cri ti~ue et productrice
d'événementialité, d'histoire, de l'autre, une mentalité pri-
mitive ,. prélogi~ue et conse!'Vatrice, conjug<lant indéfiniment
les aberrations du mythe et incapable de ce fait d'élaborer.>
et de réaliser un devenir historique. Résultat : le retard
technique fonde et perpétue le retard culturel, créant ainsi
en marge du monde occidental et de ses brillantes civilisa-
tians des peuples fossiles rejetés hors de l'hum2.nité •. Par
. . -~--
....~'.

30
le biais de la détermination tec~~i~ue, nous voilà donc re-
venus aux positions de Lévy-B~~ ! (1)
Quelle valeur faut-il donc accorder à l'argument du
retard techni~ue ? Permet-il de saisir de manière adéquate la
réalité économi~ue des sociétés dites primitives &t leur statut
historique? Soulignons tout d'abord ~ue toute théorie partant
de cette base bute nécessairement contre l'éclatant paradoxe
qui. consi<;;e en ce que
des sociétés qualifiées indistinctement·
de primitives. par opposition au monde occidental ont connu au.
contraire, sur le plan des techni~ues et de la civilisation,
des périodes infiniment plus brillantes ~ue cellffide ce monde
occidental considéré
à la même époque.
Co=ent· expli~uer' alors. le fait de l'archaïsme et
1. Rappelons que" co=e sur la question de la "mentalité pri-·
mitive, bien des anthropologues ont également refusé, en dépit
de leurs présupposés idéologiques, la dichotomie entre peuples
civilisés _. non civilisés fondée, entre autres considérations
sur l'évaluation du niveau technique des sociétés considérées ..
Co=e le souligne encore M. Mauss: "Il n'existe pas de peu-
ples non civilisés. Il n'existe que des ,peuples de civilisa-
tions différentes. L'hypothèse de l'ho=e 'naturel" est défi-·
,
nitivement abandonnée ••. Il est évident que là où l'on narle
-
.
de peuple,ou pour mieux dire,de société, on parle de civili-
sation., Qu'est-ce en effet qu'un groupe social sinon un en-
semble d'individus humainsi ayant même langage, mêmes tech-
niques, même économie; ayant une religion,un droit, un art,
en un mot, une civilisation ?~ŒUVRES, t
II , pp. 229-230
Mise au point tout à fait estimable, surtout si l'on con-
sidère
la date à laquelle elle a été faite ( 1902), mais

31
du "retard" de certaines sociétés telles que l'Egypte pha-
raonique,
la Mésopotamle, les Empires précolombiens d'Amérique,.
par exemple ,. si l'on considère que c'est également dans ces
aires géographiques et culturelles qu'ont été élaborées.
les inventions techniques les plus notables de l'hlliuanité
création de l'agriculture, de l'élevage ,. naissance de la
monnaie, du calcul, de l'architecture, de l'écriture
etc.?
Et que dire encore de l'Afrique? Berceau incontes-
table de l'humanité,
elle e s t , à n'en pas douter;
le lieu
priviligié des expériences fondamentales
du processus d'hu-
ma."1isation de l'ho=e. Aussi rudimentaire soit-elle,
la pre-
mière pierre. taillée
est. bien le chaînon incontournaole sans
lequel nulle évolution ultérieure n'eût été possible .. Or, l'ar-
·chioi~gfêCi'at:t:este·i:'.::'lapremière révolution néolithique a
bien eu lieu sur le vieux continent.
La préhistoire de l'hu-
manité s'est faite en. Afrique.
Il apparaît ainsi que
, tandis que l'Europe qui par
la suite est do=ée co=e étalon de valeur, émergeait à peine
des brouillards du paléothique, de larges pans de l'humanité
avaient déjà accompli les révolutions techniques et culturelles
qui n'en porte mais moins la marque de l'idéologie
domi-
nante de l'époque, puisqu'elle a été faite lors de la "leçon
d'ouverture" à la chaire de
l'Ecole des hautes études qui a
justement pour titre : "histoire des religions des peuples non
civilisés"

32
décisives pour l'évolution ultérieure de l'numanité. Ce sera
d'ailleurs à partir de ces foyers primaires que l'Europe et
l'o.ccident en général. ont tiré les inventions et les. modes dapensée
concomitants qui assureront son essor et sa prééminence. Que
toutes ces sociétés n'aient pas évolué dans la logique de leur
dynamisme antérieur, qu'elles aient surtout pu régresser au;.
profit. du monde occidental au point:. d'avoir. été as.serviespar lui.,
voilà qui. devrait plutôt faire problème. On ne saurait en tout
cas construire à bon droit, à partir de ce constat" empirique,
une théorie générale de l'évolution prenant en compte le
facteur technologique.
A moins de faire encore comme Lévy-
Bruhl des états psychologiques des individus ("dynamisme"de
la. pensée rationnelle opposé à. l '
"absence d ' initiative" de
la "illentalité primitive") le moteur de l'hitoire
!
Notons encore qu'en prenant le retard technique
comme un des critères du caractère "primitif" de certaines
sociétés, on commet une faute théorique qui est de penser le
fait technique comme une pure abstraction, totalement déta-
chée de: ses fonctions pratiques qui n'ont pour seur ex-
posant légitime que l'adéquation des moyens avec les fins
qu'ils sont appelés à réaliser. Un ordinateur chez les Bororo
ou même dans la société féodale marquée par le polycentrement
des instances de production et de décision n'aurait aucun
"rôle" technique, de même que tant dt autres inventions c~ui,
i l Y a
juste quelques décennies faisaient figure de révolu-
tian technologigue , sont considérées aujourd'hui comme des
curiosités archéologiques . . .
C'9st dire que toute
i~vention

33
teclli~i~ue est necessairement proportionnée aux besoins de la
société dans la~uelle elle intervient, elle est toujours'et
avant tout une réponse au:, problèmes que se pose
cette so-
ciété dans le mode de production matérielle de son existence.
Ainsi, considérant le sous-équipement technique et l'infé-
riorité technologique dont on fait l'apanage des sociétés
dites primitives, Pierre Clastres note-t-il :
"Qu'en est-il en réalité? Si l'on entend par tech-
nique. l'ensemble des procédés dont se dot ent les
ho=es non point· pour s'assurer la maîtrise absolue
de la.nature ( ..• ) ,. mais pour s'assurer une maîtrise
du milieu naturel adaptée et relative .à leurs besoins"
alors on ne peut plus du tout parler d'infériorité
technique des sociétés primitives:
elles démontrent
une capacité de satisfaire leurs besoins cau moins
.;:-=:_ :,,~~:~~--,él1;ale à celle dont s' enorgueillit la société indus-
;
_.- .-
trieIle technicienne ( . . . ). I l
tl'y_:a:'d:9 ne c
pas de hiérarchie dans le champ de la technique,
i l n'y a pas de technologie supérieure ou inférieure;
on ne peut mesurer un équipement technologique qu'à
sa capacité de satisfaire,en un milieu donné,les
besoins de la société"
(LA· SOCIETE CONTRE L'ETAT,
pp •. 162-163)
Bien entendu, Clastres n'entend pas par là qu'il
n'y a pas en réalité une évolution de l'équipement technique
d'une société,tant au point de vue quantitatif que quali-
ficatif.
Il est même indéniable que toute l'histoire de la
civilisation humaine n'est,
en premier lieu,que l'histoire
des révolutions teclli~iques (fer de l'âge néolithique,machine
----~-----,--

34
de l'ère industrielle, "télématique"de la société post-
industrielle, etc ••. ). Ce qu~ est récusé ici, c'est une éva-
luation globale du facteur technique indépendamment de son
champ historique d'application et d'efficience. Sur ce plan
d'ailleurs,des études anthropologiques précises ont montré,
en contradiction. absolue avec la conception ethnocentrique
du fait technique,. que la plupart du temps, u...'1 progrès au
niveau. des moyens de production, dans les sociétés dites pri-
mitives,. n.' impliquait pas obligatoirement un développement
correspondant du niveau. de la production ou des changements
notables dans. le mode de vie matérielle,. mais se traduirait
plutôt par une diminution. du temps de travail affecté aux
moyens de subsistance et corrélativement, une intensification
des activités non-productives (guerre, fêtes et cérél!'.onies,
activités religieuses,. etc.) (1)
Il
y aurait là comme un processus d'auto-régulation
de l.'investissement des moyensteQbrrlqueset de l'activité de
production, aboutissant à. l'absence, apparemment, de tout
s_--urtravail effectif" l'activité productive s'achevant avec
la satisfaction des besoins matériels immédiats ou, pour re-
prendre l'expression de Marx, le "travail nécessaire"- au-delà
duquel notamment commence le surtravail producteur de plus-
I. Cf l'étude de M. Godelier "Monnaie de sel et circulation
des marchandises chez les Baruya de Nouvelle-Guinée", parue
dans L'HOMl'iIE, vol.. II, nO 2, 1969, pp. 5-37 (reprise dans
HORIZON, TRAJETS riLi\\.RXI3TES EN ANTHROPOLOGIE avec une impor-
.tante bibliographie,. t
II,pp. 159-200)

35
value - définit et informe à. lui seul toute la "catégorie
travail" (1). C'est, semble-t-il cette étroitesse de l'ac-
tivité de production Qui a poussé l'anthropologie classique
à. utiliser, pour caractériser du point de vue économique
les sociétés "primitives" et toujours par référence aux so-
ciétés marchandes occidentales, cette notion, tout aussi
abusive que celle du retard technique, d' "économie de sub-
sistance" ou "auto-subsistance" ,qu'il nous faut analyser
maintenant'.,
Que faut-il donc entendre par économie de subsis-,
tance? En vérité, par cette notion, l,'anthropologie vise
moins à. désigner un système économique:-tourné
exclusivement'
vers la production de biens de c ons0rnmat ion'
de base (à. l'ex-
clusion.donc de tout surplus accumulable et susceptible d'en-
trenirun, procès d'échange marchand), qu'une économie de
"rareté" marquée par la" faiblesse de ses moyens et l'insuf-
fisance de sa production.
Or ce glissement de sens, il faut le reconnaître,
est loin d'être fortuit, il s'agit encore une fois de situer,
négativement cela s'entend, ce type de société par :rapport~odè
occidental idéalisé, capitaliste et même précapitaliste " voi-
re certaines sociétés orientales caractérisées également par
une économie marchande prospère. Ainsi, il participerait de la
1.
'Sur cette question précisément, en prenant le cas des
insulaires du, Pacifique (Mélanésiens), Marx a fait de judi-
cieuses remarques: cf 13 CAPITAL, 1iv. I, t.2, pp. 188-189 ( 1<' .
~

36
supériorité des sociétés dites histori~ues une certaine com-
plexité de structures de leur économie et ~ui a - même pour
une conception idéaliste ~ui refuse farouchement à l'instance
économi~ue tout rôle déterminant - des implications jus~ue
dans la sphère du politique et des institutions, dans la me-
sure où elle nécessite la mise en place d'un système étati~ue
centralisé ,chargé , sinon d'organiser la production (l'idéo-
logie libérale ne reconnaît pas à l'Etat cette prérogative),
du moins de superviser l'activité productive et le procès
d'échange en définissant les régIes juridi~ues et admistra-
tives: (droit de propriété,système monétaire,régime fiscal,
accords comrnercialL~ internationaux etc.) assurant le meil-
leur développement. possible à cette économie. Nous verrons
comment l'évaluation négative du fait économique dans les
sociétés. dites· primitives _. ou plus_ précisément son évacua-
tion. systématique - est à la àase d'une vision tout à fait
érronée de la nature et
de la place du politi~ue dans ces
sociétés, contentons-nous pour le moment d'interroger de plus prés
la notion d'économie de subsistance.
Rapp~lons pour commencer ~ue la confusion que l'on
fait ainsi entre économie de subsistance et rareté est à
rapporter à l'actif du préjugé bien établi, que nous avons
déjà dénoncé, qui veut que l'équipement tecbni~ue des so-
ciétés "primitives", en raison de son caractère embryonnaire
ou de son archaïsme, ne soit à même d'assurer ~u'une survie
aléatoire._ Or nous avons vu ~ue le volume de la production

37
ainsi Que le nrocès de travail, n'étaient pas nécessairement bou-
lev-ersés -par l' améliorat ion des moyens mat ériels de product ion •.
Dés lors,ce que l'on appelle économie de subsistance est en
fait une "autosubsistance" car si le premier terme peut lais-
sel" entendre que le groupe n'est pas susceptible de produire
au-delà de ses besoins (ce Qui est inexact), l'auto-subsis-
tance elle signifie que Ce groupe assure la totalité des biens
nécessaires à sa survie et à sa reproduction par l'exploita -
tion des' ressources à sa' portée sans recourir à l "échange sys-·
tématique avec. ses voisins.
Concernant précisément le cas de l'Afrique noire,
C•. Tu-'"llbull,. en prenant le· cas des Pygmées Mbuti, a fourni
sur l'organisation économiq,ue et sociale de ce groupe de
chasseurs; des. matériaux scientifques non négligeables qui dé-
crivent une forme typique d'auto-subsistance (1). Les ~outi
en effet,. quoiq,ue vivant à côté de sociétés agricoles répu-
tées détenir des. produits vivriers de premier plan et de sur-
croît constituant un surplus, n'entretiennent avec elles que
des rapports sporadiques d'échange, la forêt fournissa...'lt am-
plement tous les produits nécessaires à la consommation du
groupe (gibier, produits de collecte). Comme le rapporte
Turnbull, s'il y a quelquefois des problèmes de ravitail-
lement, cela est dû davantage à l' "indolence" des produc-
teurs q,u'à une quelconque difficulté à assurer un bon ren-
1. C. Turnbull, WAYWAB.DS SERVANTS, Eyre & Spott iS~loode,
London, 1965. Cette étude est largement analysée par C.•
Meillassoux, TEHP..AINS Err THEORI3S
: "Recherche d'un niveau
de détermination da..'ls la société cynégétique", pp.II9-I39

J8
dement. Or si les Pygmées se sont ainsi limités
à une éco-
nomie de chasse et de cue~llette, c'est que ce mode de pro-
duction était le mie~{ adapté à leur milieu naturel et sans
doute de loin le plus avantage~,pour maintenir l'équilibre
du groupe.
Ce qu'il faut voir donc"c'est qu'il. importe dans letrai-
tement du fait économique dans toute société donnée,
et tout
particulièrement dans cellES où la -vie économique,
en tant que
telle, est loin de couvrir l ' e:c.semble de l'aire sociale, de' tenir
soigneusement compte des déte~inations socio-biologiques qui en
c0mmandent
les principes. Comme pour la technique, parler
d "économie précaire· ou archaîque ne veut rien dire, toute
société étant constituée comme un écosystème où les ressources
alime:c.taires, végétales et animales ainsi que tout le poten-
tiel socio-humain, sont strictement proportionnés,
en quan-
tité et en qualité, au groupe organique qui l'occupe. Que
l'on prenne l'exemple de chasseurs forestiers ou se dépla-
çant en zone désertique,
ou celui de populations agricoles
sédentaires, on peut dire qu'il y a toujours, à quelques va-
riations près,
l'établissement d'un rapport écologique équi-
libré" par adaptation ou transformation progressive, entre
le groupe et son environnement. En Ce sens, un mode de pro-
duction, si précaire soit-il, ne saurait être le signe d'1h~è
"infériorité" et sa survie même est bien le signe d'Ul'le har-
monie
entre une société donnée et son milieu géo-politique
historiquement déterminé.
L'économie, pas plus dans la

.39
dans la société capitaliste où elle atteint à son plein dé-
veloppement ~u'ailleurs, ne saurait être traitée comme pure
abstraction et ce n'es~~ar hasard si l'anthropologie clas-
si~ue a souvent trouvé là la pierre d'achoppement ~ui lui a
interdit une approche tant soit peu objective des sociétés
dites primitives (1).
Reconnaissons d'ailleurs Que cette manière d'ex-
pulser l'économie dans la société"primitive" couvre un enjeu
théorico-idéologi~ue de taille: ce n'est sans doute pas un
hasard s i les' tentatives d'infirmation de la théorie mar-
xiste' du. rôle déterminant de l'économie dans toute société
invo~uent à l'envi le cas des sociétés dites primitives où
l'économie justement. semble n.'occuper qu'une place subal-
terne., Nous reviendrons sur cette ~uestion en. étudiant le
projet. et la méthode marxistes.mais. dés maintenant, on peut
saisir les déplacemen~ ~u'un tel traitement de l'économie
fait subir au système d.' organisation et au, mode de fonc-
tionnement de ces sociétés. Partant de l'inexistence,plus
apparente ~ue réelle, d'un surplus, on en conclut hative'--',.··
ment à l'absence de toute forme d'exploitation ou de domi-
1. Signalons sur cette ~uestion de l'économie "primitive" les
importants travaux de M. Sahlins, même si ses conclusions ap-
pellent ~uel~ues réserves: "La première société d'abondance",
LES TElrŒ'S !.lODERNES, 24,
268, Oct. '1968, pp. 641-680 ; et sur-
tout AGE DE LA PIERRE, AGE D'ABONTIANCE, Gallimard, Pp~qIS
(v'; bibliog.).

40
nation, étant entendu ~ue là où le travail ne Vlse ~u'à la
satisfaction immédiate des besoins naturels,
ce qui donc
exclut tout processus d'accumulation,
i l ne saurait y avoir
aliénation par accaparement du surtravail d'autrui et ainsi
la fable du "co=isme primitif",entendu comme égalitarisme
absolu. et originaire,:se voit appli~uée abusivement à toutes
les sociétés non-marchandes, au mépris de tout,e' considéra-
tian histori~ue,(I) .. Or ces sociétés sont loin
d'avoir cette
transparence dont on. fait hâtivement leur essence et leurs
structures économiques,· à Y regarder de plus près; sont bien
plus complexes ~u'il ne paraît. C'est ainsi ~ue la notion
d'économie de subsistance occulte généralement les formes
concrètes de rapports de production et tout particulière~,
ment les mécanismes de circulatiOn: .dans les cas où appa -
raissent des phénomènes de surtravail, tout le problème étant
alors' de savoir selon quel processus ce surtravail est ef-·
fectué et ~uel est le mode d'accaparement et d'utilisation
du surplus ainsi constitué.:Nons montrerons par exemple, en
nous appuyant sur le cas africain,
en ~uoi la distinction
entre biens de subsistance et biens de nrestige et la hié-
rarchie des fonctions qu'ils assument au niveau des rapports
sociaux est le seul moyen de remettre,dans ce type de société,
l'économie à sa place ~ui est de fonder et d'informer,direc-
I. Notons que si Marx lui-même utilise à diverses reprises
le terme de "co!!'.mÙIlisme primitif" ou plus exactement celui
de "communauté primitive", c'est pour désigner une forme
historique de société ~ui loin d'être figée, porte déjà en
elle· les germes mêmes de sa transformation. Cf les dévelop-
pement3 sur le mode de production "asiati~ue"
_._~~--------------~

41
teoent ou indirectement, l'ensemble des rapports sociaux.
Considérons, à ce niveau de notre analyse, cO~uent en impen-
sant la base matérielle de la société, l'anthropologie clas-
sique reste impuissante à en saisir objectivement le so~uet,
à savoir le phénomène du politique (1).
1. Reconnaissons, pour être juste, qu'il ne faat pas attendre
l'anthropologie marxiste pour voir accorder aux phénomènes
économiques dans les sociétés "primitives" la placee qu'ils
méritent·. L'école antlrropologio.ue anglo-amèricaine a réuni
dans. ce domaine des matériaux de tout premier plan. Onpeut
citer, entre autres, Malinowsky et son ARGONAUTS OF THE
WESTERN PACIFIC,. 1922 ; R•. Firth, WE, THE TIKOPIA, Allen
and Unwin, 1936 j; PRn.nTIVE POLYNESIAN ECONOMY, 2e édition
1965 ;- les études d'E.E .. Evans-Pritchard, S.F. Nadel et
surtout les travaux de Bohannan et Dalton : MARKETS IN
)
AFRICA,_ Northwestern University Press, 1962, ainsi que l "ou-
vrage collectif édité par K. Polanyi : TRADES AND W~~~ETS IN
IN THE EiŒLY EMPHlES,. Pree Press, Glincoe, 1957, trad. fr.
LES SYSTEMES ECONOMIQUES D~~S L'HISTOIRE E~ DANS LA THEORIE,
Larousse,> Paris, 1957, Ces études cependant,restent gene-
ralement descriptives et n'articulent pas touJours le fait
économique aux autres structures de la société.
Signalons enfin l'étude magistrale de Marc el Mauss ,.
l' "ESSAI S18 LE DON", parue en 1924 et reproduite dans
SOCIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, PUF, qui con*tùe une des pre-
mières tentatives de traiter les phénomènes économiques dans
les sociétés "primitives" en mettant en:. valeur leur impact
sur les rapports sociaux, d'aprés la théorie du "fait social
total" : ainsi le "don", impliquant dans des rapports d'échan-
ge des biens suivant l'axe codifié prestations/contre- presta-
tians qui définit également les rapports d'autorité et le statut
social. des acteurs sociaux concernés par cet échange.Il faut
remaro.uer cependant que l' "ESSAI ••. "évacue cODplètement le
: .--'--.-
.
,_._._.
._.. .__~
.
.i_

42
Le sort fait à l'économie déte~ine dans une large
mesure les présuf~osés théoriques de l'anthropologie classique
face à·."la question du politique dans les sociétés dites pri:ni-
tives .. Il Y a une certaine suite logique entre la thèse de l'é-
conomie de subsistance comme forme primitive typique, et cellë
de l' "apolitisme" ou du"prépolitisme"· de ces mêmes sociétés.
Cette question du politique procède "... comme pour le niveau éco-
nomique d'une détermination. purement négative, ramassée dans
la formule consacrée : "société sans Etat" : Formule que nous
devons. interroger pour voir si l'équivalence qu'elle établit
(sans Etat =, sans politique) est théoriquement et historique-
ment légitime •.
Certes, il ne fait pas de doute que l'Etat, enten-
du selon son acception moderne d'instance centralisée ayant
pour fonction l'organisation et la direction de la société
(au moyen notamment d'appareils spécialisés dévolus à cet
effet, tels que l'armée, la police, l.'appareil judiciaire,
l'administration etc ••• ) est généralement absent sous cette
forme des sociétés'~rimitives". Des bandes de chasseurs-col-
lecteurs aux communautés villageoises vivant de l'agricul-
ture, au» structures déjà beaucoup plus complexes, le mo-
problème de la production elle-même, ne s'interessant qu'à
la sphère de la circulation.Il souffre également, et de ce
fai t,. des emprunts abusifs faits au lexique juridique mo.:..
derne pour qualifier des relationsrelevant d'un tout autre
ordre •.

43
dèle d' organisation étatic~ue est tout à fait inconnu, d'autres
instances se chargeant d'assurer la cohésion du groupe et sa
reproduction,
telle la parenté par exemple, ce Qui est parti-
culièrement valable pour les sociétés lignagères dont nous
nous occuperons et qui fonctionnent de manière prévalente sui-
vant le système de la gérontocratie. RecoPJlaissons néanmoins
que l'éventail des sociétés considérées (AfriQue, P-mérique,
Océanie) interdit toute généralisation de l'absence de la for-
me étatique pour caractériser l'ensemble des sociétés quali-
fiées; de primitives,_ certaines de ces sociétés ayant connu
au contraire un système politique dont la conplexité et la
force les rapprochent. incontestablement des formes étatiques
de l.'Occident antique ou moderne. Citons pour exemple les Etats
précolombiens_ d' ."-mérique du Sud, et t out part iculièrement
l'Empire" Inca_ dont- on a tant vanté l ' organisat ion:-rigoureuse ,_
et le fameux "despotisme asiatique" Qui, s ' i l ne reposait pas
sur des structures exclusivement étatiqu~ en possédait tout
au moins toutes les caractéristiques (I).
I. Pour- ce qui concerne l'Afrique elle-même,
i l faut voir que
ce n'est pas sans un certain scepticisme qu'historiens et eth-
nologues occidentaux utilisent le concept d'Etat pour y carac-
tériser les grands ensembles politiques. Le mythe du "roitelet
négreua eu pendant longtemps "~e bien heureuse fortune. Pour-
tant, pour qui veut bien regarder l'histoire sans préjugé, i l
a existé des royaumes et empires africains qui, tant sur le
plan de la puissance que de l'organisation, ne le cédaient en
rien à leurs homologues occidentaux contemporains. Comme le

44
Il
ressort de ces faits que le phénomène politique
ne saurait être assimilé à la'seule organisation étatio_ue et
o_u' il Y a lieu, en ce qui concerne les sociétés dltes primiti-
ves, de redeterminer sa nature et sa place exactes. la Iluestion
qui se pose est la suivante : comment rèpérer·~t identifier le
politique dans des sociétés où les rapports dominants ne re-
vêtent pas de manière apparente la forme de rapports politi-
ques. ? Aut:uœent dit, comment déterminer, dans une société his-
toriquement donnée, le mode de manifestation spécifique dufa~
politique à travers le système global des rapports sociaux ?
Répondre à cette question suppose qu'on. ne se borne plus à
traiter le phénomène politique comme une pure abstraction, une
sorte de Ilualité métaphysique qui. participerait de. la subs-
tance' de telle. ou telle, société, sans que son contenu soit
concrètement. dét erminé·éet surtout:· qu "on rompe· avec les ana-
logies formelles du geI'..re "politique = Etat" pour se saisir
souligne à juste titre J. Suret-Can8.1e : "Autre erreur: celle
qui a accrédité l'idée d'instabilité permanente, de guerres et
de razzias incessantes, et généralisé abusivement celle d'un
attardement auquel le développement de la traite négrière n' é -
tait pas étranger. Si l'on compare l'histoire de l'Afrique noire
des débuts de Ghana ( Ille siècle) jusqu'au AVle siècle, avec
l'histoire de l'Europe pendant la même période, c'est bien
plutôt celle-ci qui laissera une impression d'instabilité et
de chaos. Ghana dura peut-être un millénaire, certainement
cinq cents ans; Mali dura plus de trois siècles; l'empire
Sonrhaï de Gao environ deux siècles. Les emplres Mossi ont
plus d'un demi-millénaire d' existenc e." (AFRIQUE, GEOGR."_PEIE
CIVILISATION- HISTOIRE, Ed. Sociales, Paris, 1973 - pp. 128-129).

45
du seul phénomène objectivement assignable
le pouvoir et/ou
l'autorité(I) .
Or 1Jarmi les théoriciens non-marxistes du P91itique,
c'est Max Weber-~ui,. à. notre avis en a donné la définition la
plus explicite. D'aprés lui:
"Est politique un groupe de domination dont les or-
dres sont exécutés sur un territoire dor~é par une
organisation administrative qui dispose de la me-
naCe' et du recours à la violence physique." (ECO-
NOMIE ET SOC TETE,. t. I, :p. 57).
Danse cette définition, il y a trois notions essen-·
tielles_àretenir:
-- le· cadre territorial comme champ d'existence et
d'expression du politique
_. le groupe de domination, l'organisation admi-
nistrative comme institution du politique
I. La théorie anthropologique, sur la question du politique,
se divise à peu près en deux camps, comme l'indique Balandier
dans son M~THROPOLOGIE POLITIQUE (pp. 28-59) : d'une part les
"maximalistes" comme S.F. Nadel, E.R. Leach, Radcliffe-Brown,.
quicsoutiennent que toute société humaine est politique, en
écho à la fameuse p~ase d'Aristote : "L'homme est lli'1 animal
politique" ; de l'autre, les "minimalistes", regroupant bon
nombre d'anthropologues et qui,refusB..'1t cette universalité,
font du phénomène politique l'apanage du modèle d'organisa-
tion strictement étatique, à l'instar de la société contem-

46
lcL~yjolence physi~ue enÎin (ou la simple menace)
comme moyen de l'action polit~ue.
Qu'est-ce ~u'une telle définition apporte-t-elle de
nouveau dans la problémati~ue du politi~ue dans les sociétés
que nous considérons? Certes, nous avons déjà convenu ~ue
parmi. Ces sociétés, peu ont co=u les formes d'organisation
administrative que semble retenir Weber. Quant à la violence
physi~ue,. si elle est partout omniprésente (nous y revien -
drons ~uand nous étudierons le pouvoir politi~ue aÎricain)
,
elle' ne Îonctio=e pas. toujours sur le modèle de la répres-
sion. étatique (avec en particulier la mise en place d'un ap-
pareil judiciaire et. policier)
, même s ' i l est possible d'y
repérer des. é~uivalents:i:onctioi:l.D.elS de ces institut ions,
serait-ce sous les formes. subtiles des contraintes lignagères.
ou tribales' ou celles" beaucoup" p;Lus pesantes de la religion
et des formes de représentation mythi~ues.
N'empêche que la définiton de Weber a une valeur
théori~ue essentielle en Ce ~u'elle tourne définitivement le
poraine.
Remar~uons, en ce ~ui nous concerne, ~ue cette opposition
entre· "maxismalistes" et"minimalistes" reste encore imperti-
nente ~uant à la saisie de la réalité du Îait politi~ue puis-
~ue les uns comme les autres en restent à vouloir déteroiner
"in abstracto'" une "essenCe" du politi~ue, indépendamment donc
de son mode concret de manifestation ~ui ne peut être, ~uelle
~ue soit la société considérée, ~ue l'expression de rapports
sociaux histori~uement constitués.

4.7
dos
à toute forme d'abstraction (cette abstraction dans la-
quelle l'anthropologie et la sociologie politiques se sont
longtemps complues, se limitant à décrire de simples struc-
tures et les mécanismes internes de leur fonctionnement, sans
que jamais ce schéma formel n'exhibe et n'identifie ses sup-
ports. matériels concrets), en posant donc le fait politique
en termes de rapports sociaux, portés par des groupes hu-
mains aux intérêts potentiellement antagoniques, Certains de
ces groupes étant par ailleurs susceptibles de faire prévaloir
les leurs aux dépens des autres par et pour la domination.
Or il. faut reconna'tre a_ue la plupart. des 2..'1thro-
pologues 'ont toujours eu 'luelquei' répugnance à concevoir
une, telle· "situation'" du politique co=e champ conflictuel
réel. ou potentiel,. y compris d'ailleurs ceUX qui. reconnais-
sent 'lue toute' société,. à. des degrés divers et sous des for-
mes historiques déterminées, est et ne peut être que le lieu
de rapports fondamentalement poli tio_ues. Tout se passe alors
co=e si l'anthropologue européen, fasciné par le modèle de
sa. propre société, s'acha!'nait au:nom d'on ne sait 'luel idéa-
lisme cmm:llensa:t6fr.è~":, à montre!' qu' "ailleurs" ça fonctiorme
"autrment" ,sur-évaluant dans cette altérité les diffé!'ences,
et censurant soigneusement les !'essemblances.
Delà l'évacuation ou l' oycultation'de tout rapport
de pouvoir ou de domination dans les sociétés dites primitives,
COT2e Pierre Dlastres, en dépit de ses analyses souvent percu-
- - - _ . _ - - - - - .

48
tantes, nous en donne malheureusement l'exemple dans la sérle
d'études ~ui constituent LA SOCIETE CONTRE L'ETAT. Selon lui,
toute société est politi~ue, mais politi~ue et pouvoirnes'i-
dentifient pas nécessairement. Mieux encore, ce n'est pas ~ue
ces sociétés ignorent le pouvoir comme phénomène politiQue,
mais elles auraient"décidé" de refuser ce pouvoir, d'après
une "intention originelle'" fondée sur l' "intuition lumineuse'"
selon laQuelle l'Etat est le "Mal". Aussi, nous avoue Clas-
tres' :
"Elles ont. très tôt pressenti Que la transcendance
du. pouvoir' recèle. pour le groupe un riSQue mortel,
a.ue: le· principe d.'une autorité extérieure et créa-
trice· de sa propre légalité est une contestation
de la culture elle-même; c'est l'intuition de
cette menace ~ui a déterminé la profondeur de leur
philosophie politiCJ.ue." (Op. cit. p. 40)
Evidemment, les groupes amérindiens ~u'étudie Clas-
tres, du fait de leur faiDle impatance démographi~ue et par-
tant, de leur différenciation minimale, autorisent peut-être
cette absence de tout fait de domination, encore Qu'il fau-
drait alors expliQuer pourQuoi il y a un "chef" et surtout
pourQuoi de tous les membres du groupe, en plus de la pré-
rogative de la parole, le chef est le seul Qui ait droit à
la polygamie, pourQuoi encore l'autorité se cr~nsmet-elle
invariablement de père en fils ?

4-9
Mais ce qui est particulièrement suspect dans le
texte de Clastres, c'est cet anthropomorphisme outrancier
qui attribue à la société en tant qu'ensemble une'conscience~
une 'intuition'; on voudrait bien savoir d' où lui vient cette
intention critique de refus, et dans la mesure où dépassant
le cadre amérindien, Clastres prétend faire valoir son ana-
lyse pour tout type de société dite primitive, comment ex-
plique-t-il alors que ce refus de la différence ait puêtre
surmonté pour' certaines d'entre elles qui se sont acheminées'
vers le, pouvoir et son corrélatif, l'Etat? A la question, de
toute manière incolltournable : "Pourquoi les peuples cessèrent-
ils' d'être sauvages? Quel formidable événement, quelle révo-
lution laissèrent surgir la figure du Despote, de celui qui
co=nde à. ceux Ciui obéissent ? D'où Vi ent le pouvoir uolitioœ'?',',
Clastres; répond, superbement,
"Myst ère', provisoire peut-être,
de l'origine"
(Op. 6it. pp., I74-I75).
Au lieu de ces explications dérisoires, pourquoi ne
pas reconnaître Ciue ce pouvoir existe en germe dans toute so-
ciété, quel que soit le type historique considéré, le problè-
me étant celui de son repérage et de son identification sous
les diverses formes -
id~ogiques surtout - qui en dissimu-
lent la nature propre? Si l'anthropologie classique a gé-
néralement raté la question du politique dans les sociétés
dites primitives, ean'estpas,poury avou- 'nié,'l t'existencèd"un
pouvoir comme coercition ouverte, ce qui, d'une certaine
manière, est tout à fait légitime, mais partant de ceconstat

50
tout empiri~ue, d'avoir été trop prisoIL~ière du présupposé
du préjugé devrions-nous dire - de la transparence des rap-
ports sociaux dans les dites sociétés, au point de ne pas
suspecter au-delà. de leum manifestationsi=édiates les prin-
cipes objectifs de leur fonctionnement. En disant "politi~ue",
cette anthropologie n.' enten~n fait o.ue structure et organi-
sation (avatar sans doute d'une certaine idéologie structu-
raliste)
, s'interdisant par 13. d'investir le seul lieu où
elle riso.uait d'en trouver. les dét.errninations réelles: I.e
mode de. production de la. vie matérielle, son processus in-
terne de reproduction,. non i=édiatement apparent, mais lis:i,-
ble seulement dans les rapports socialL~ concrets. Peu importe
au. demeurant de professer· l'universalité du phénomène poli-
tique,. encore faut-il en déterminer le contenu objectif qui,.
en dernière· instance ,. n'est que l'expression -
et en tant. que
telle, souvent travestie - des structures économiques de la
société •. Il nous appartiendra,. dans l'étude
du cas africain
nota=ent, de montrer Quels sont ces mécanismes de "traves-
tissement" , à. travers en particulier les formes de représen-
tation mythio.ue qui fondamentalement··soutiennent et règlent le
pouvoir dans son odyssée vers l'absolu.

51
Si l'~~tp~opologie classi~ue s'intéresse aux pro-
blèmes de l'économie.oet du politic;.ue dans les sociétés "pri-
mitives",
ce n'est le plus souvent ~ue de façon secondaire,
sous formes d!investigations préliminaires devant lui per-
mettre de répondre à la Question essentielle Qui est la sui-
v~~te : Quel est le statut de ces sociétés face à l'histoire?
Âi11;remelit~iii.t',~comment les définir vis-à-vis de ce mouvement
interne des sociétés Qui est dit histoire et Qui est à la
fois la mar~ue et la mesure de l'évolution de l'humanité?
Forte des conclusions aUXQuelles elle est parvenue sur l'état
du niveau ~cono~qÛE.·de ces sociétés, wzrc;.ué appare~ent par
l'archaïsme de ses moyens techniQues ainsi c;.ue de son mode Œe
production, voire par l'immutabilité de l'ensemble de ses
structures,
l'anthropologie classic;.ue tranche cette c;.uestion
de manière radicale:
ces sociétés sont "sans histoire".
Il convient d'analyser cette thèse de la non-historicité des
sociétés dites primitives,
en tentant de repérer les présup-
posés théorico-idéologiQues Qui la soutiennent et Qui per-
mettent de poser, de façon urgente,
le problème épistémolo-
giQue de l'approche méthodologiQue et historic;.ue de
ces
sociétés auquel seule l'analyse marxiste, à notre avis, a
répondu de manière conséc;.uente.
Tout d'abord Que signifie "être sans histoire" '7
La formùle,
paradoxalement,
semble définir les sociétés

52
concernées ~e manière pèrrement tautologique puis~ue déjà dans
le terme "primitif" sont contenues, comme nous l'avons montré
plus haut,
l'ensemb1edes déte~inations s'opposant à lli~e vi-
sion dynamiste de l'expérience humaine, marc,uée,
suppose- t-oJ'.., par.
l'évolution générale sous forme de mutations et révolutions.
Prise en ce sens, la non-historicité serait alors seulement
la marginalité de ces sociétés par rapport à un schéma glo-
bal. de développement des sociétés humaines,
et dont les _
européennes réaliseraient le plus authentique-
ment les principes fondamentaux.
Cette marginalité ne serait cependant pas encore le
signe· d'une exclusion totale du champ de l'Histoire. On peut
mo in:;!
penser que ces sociétés sont/en dehors de l'Histoire, celle-
ci. englobant de toute manière toutes les formes d'humanité,
qu'au début de l'histoirë,
elles sont donc susceptibles de
se "hausser" au niveau de l'historicité,
suivant la leçon
d'un certain évolutionnisme inscrivant l'ensemble des so-
ciétés humaines dans un processus de développement linéaire
dont tous les stades constituent des passages obligés, le
"progrés", dans cette perspective hiérarchisante,
consistant
alors, pour chaque groupe h~llain à passer d'un échelon à un
autre, suivant son propre dynamisme interne ~t son aptitude à
transformer ses projets en réalité.
Les sociétés dites pr~-
mitives en seraient au plus bas stade,
leur différence
avec
les sociétés plus évoluées étant de degré, non de nature.
L'histoire est au bout dU cb,emin ••-·.-_·. ~

53
Une telle interprét2tion serait pourtant encore trop
optimiste. Non-historicité, àans le lang2ge anthropologi~ue
et philosophi~ue id~iste signifie en vérité une exclusion
radicale du champ de l'Histoire universelle qui,
ainsi, coin-
ciderait avec quelques aires géographiques bien déterminées,
constituées exclusivement de l'Occident
(Europe, Amérique du
Nord), ou dans une moindre mesure des sociétés ~ui, d'une ma-
nière ou d'une autre,
ont influencé la civilisation occiden-
tale elle-même ou ont été pour elle un objet de fascination :
ainsi l'Egypte pharaonique,
l'Orient et ses fastes,
la Chine
et le Japon etC .•• Paradoxalement,
il y a ici comme une dé-
termL~ation géographique de l'historicité, le p2radigme de
la temporalité elle-mêm~ n'interven2nt que de façon tout à
fai t. seconàaire.
Qu'en est-il précisément de l'Afri~ue sur cette
question? 1e vieux continent, i l faut le reconnaître, a
été pendant longtemps et reste encore aujourd'hui, négati-
vement cela s'entend, au centre de tcrute.théorie-del'his.-
toire. Considérons d'abord le facteur événementiel. Pour
l'anthropologie, celui-ci constituerait la:première :uar~ue
de l'historicité, dans la mesure où i l n' y aurait effecti-
vement histoire que là où "il s'est passé quel~ue chose"
c'est-à-dire donc là où i l y a eu "évolution" des formes et
contenu de la société (ainsi constitution et changement
des institutions et formes d'organisation, révolutiom tech-
niques et transformations du mode de vie, passage à'un type

54
de société à un autre,
etc ••• ). En un mot,
le changement au-
~uel on opposera négativement la 0ermanence et la répétition
~ui serviront à caractériser coatie non-historiQues les so-
ciétés dites primitives.
Or sur ce plan,
et concernant l'Afrique en particu-
lier,
l'anthropologie -
et une certaine historiographie -
ont
généreusement épousé les thèses pour le moins intempestives de
Hegel, telles Qu'elles sont déveloDTIées dans LA RAISON DANS
L'HISTOIRE. Ainsi, déclare Hegel à propos de l'Afric.ue
"' ...• Elle n'a pas a proprement parler d'~üstoire ( ..• )
Elle ne fait pas partie du monde historiQue,
elle
ne montre ni mouvement, nl développement et Ce qui
s'y est.. passé,
c'est-à-dire au nord,
relève du monde
asiatio.ue et européen ( ..• ). Ce que nous comprenons
en somme, sous le nom d'Afrique, c "est Ul'l monde an-
historique, non développé,
entièrement prisonnier
de l'esprit naturel et dont la place se trouve en~
core au seuil de l'histoire universelle."
(Op. cit.
coll.
10/18, p. 247)
Ce texte, qui se passe de commentaire, ne détonne
cependant nl dans le cadre du système philosophi~ue idéaliste
hegelien, ni dans celui de l'Europe du XUe siècle.·
Par contre,
i l est
pour le moins surprenant de voir les ..
mêmes absurdités reprises systématiquement par des chercheurs
contemporains et qui ne peuvent même plus invo~uer, cornme sou-
t.ien à leurs assertions l'
"immense nuit noire" dans laquelle
l'Afrique sersit plongée. Au~aravan~,toute la théorie histo-

55
rique concer~ant l'Afrique avait été échafaudée comme un vaste
système idéologique visant ~ justifier, au profit des négriers
et du capitalisme européens, la traite des esclaves (1). Par
la suite, les historiens professionels coloniaux n'ont fait
que re~rèndre
sur l' Afrique·Qe~~imagerie profondément ra-
ciste, fondée sur de pseudo conclusions scientifiques, l'en-
j eu,. là également, ét2.nt de servir la domination des impé-
rialismes sur·le·continent (2).
lfJ2-is au-delà de ces professions de foi t-eiidar.c~i.e1ises
quina.,~S:oD:t·quel'expressionde l'idéologie et des enjeu..x d'une
époque, il importe de noter, à propos de la théorie de l'his-
tOire"·.. l;a.siilgw.ièr-e.-<J.:§:s·imilation o.ui est faite entre his-
toricité et écriture,. donc entre l'Histoire comme dimension
temporelle ,::d--à:.n::s:... I:·a'.q'·u:.el Lè.·~ s'inscrit le mouvement
-,,--
des événements, leur auto-product ion, et l' histoire comme. co=ais-
sance ou science de ces événements, donc toujours à la fois
secoI'..!iaire et réductrice. Il serait int éress2.nt de .so·ulignér
1. Voir, sur ce plan, les deux histoires du Dahomey, tout à
fait exemplaires, puisqu'écrites au moment où la traite était
la plus intense dans la région: Horris, NlEr;:OB.ES DU REGNE
DE BOSSA AHADIE, 1789 ; A. Dalzel, HTSTORY OF DAHOMEY, 1793
2. Parmi la vaste littérature "historique" coloniale, nous
ne retiendrons, comme exemplaire,que le cas de Richard
lmrton qui· a profondément marqué l' historiographie britan-
nique. Dans son œuvre MISSION TO GELELE,KING OF DAHOMEy~/\\~l
note : " Le Négre pur se place dans la famille humaine au-
dessous des deux grandes races arabe et arJelli~e... Le Nègre,
pris en masse, ne s'améliorera pas au-delà i'~~ certain point
qui ne méritera pas le respect ; il reste mentalement un enfant"
(Op. cit.,éd. de 1893. voL 2, pp. 131 et 135)

56·
sur ce point les :9osi t ions è..ivergent es de trois 2~Ut eurs
Hegel,
Lévi-Strauss et Heidegger
Pour Hegel,
i l n'a pas de doute
.. - .
"Le mot. geschichte (histoire),
écrit-il, réunit dans
notre langue l'aspect objectif et l'aspect subjectif
i l si~ifie aussi bien le récit des événements ~ue
les événements eux-mêmes;
i l ne s'applique pas
moLUS à ce qui est arrivé
(geschehen)
~u'au récit
de ce qui est arrivé
(geschicht-s'~rz2:hlung)"" (LEÇONS
SUR LA PHILOSOPHIE DE L' EISTOm3).
Il. va de soi
que dans une telle conception, la pure
événementialité ne saurait avoir de valeur historique nl même
apparaître, co=e un fait d'histoire, autreoent dit,
sc.!'!.S le
témoignage écrit d'une "conscience"
individuelle ou collective,
les faits advenus le sont dans le pur néant de leur factualité,
les sociétés sans écriture,
supposées sans mémoire de leur
passé, étant de ce fait dépossédéés de la substantialité his-
torique co=e telle ..
Sans aller jus~u'à cette conclusion extrême, Lévi-
Strauss n' en souligne pas moins la: 'prévalen,çe' du cio cu.'llent écrit
co=e"témoin" privilégié de l ' historicité. Parlant de la "fonc-
tion de signification diachronique" qu'assurent les archives,
i l note
"La vertu des archives est de :lOUS mettre en contact
avec la pure historicité
( ••• ) QU&~t a~~ événements

57
eux-mêmes, nous avons dit ~utils sont attestés au-
trement ~ue par les actes authenti~ues, et ils le
sont généralesent mieux. Les archives apportent donc
autre chose: d'une part, elles constituent l~événe­
ment dans sa contingence radicale (puisque seule l'in-
terprétation, ~ui:n~enCfait point partie, peut le
fonder en raison)
; d'autre part, elles donnent une
existence physi~ue à l'histoire, car en elles seu-
lement est surmontée la contradiction d'un passé
révolu et d'un présent où il survit. Les archives
sont l'être incarné de l' événementialité." (LA
PENSEE SAUVAGE, p. 321).
C'est dans une perspective toute différente ~ue
s'inscrit la conception heideggerienne de l'historicité. Dans
le cadre' d'une philosophie "authentique" de l'être, Heidegger
distingue ce· qu'il appelle Histoire (avec H majuscule = Ges-
chichte), qui. est la réalité-historique coame mode d'être de
tout étant en tant qu'il est enraciné dans la temporalité et
s'y constitue originairement (c'est toute la problémati~ue de
SE1ND ùlfD ZE1T), et d'autre part histoire (avec h oinuscule =
historie), qui désigne simplement la science constituée de-'---
cette réalité-historique. Ainsi, il y a pour Heidegger une
historicité fondamentale, absolument constitutive de la
réalité-humaine, une historicité donc à titre"primaire" ,
consubstancielle à cette réalité-ûumaine et irréductible en
tant que telle à toute reconstitution théorique à prétention
cognitive, qui ne pourrait être que dérivée et inessentielle.
COlTh"ne ::1:1-1 'expliqùepara"ilÎeUrs":

58
liCe qui appartient à l'Histoire universelle n'est
pas historiQue uni~uement grâce au Îait ~ulune
science-ae-l'histoire le constitue en objet
mais
tel cu'il est en lui-même,
enlse présente.nt à l'in-
térieur du monde,
cet existant est historique."
(QU'EST-CE QUE LA METAPhrSIQUE ?,Gallimard,
195I,
p.
184).
Si. l'on considère que cette science-de-l'nistoire se
constitue nécessairement à partir de-'"
r:J5.tériaux graphiques (ces
matériaux tendant d.' ailleurs dans la prstique ae l ' historien
à
prendre le pas. sur les faits historiques bruts)
, i l n'est
donc plus possible d~exclure de l'historicité un type d'être
ou de société donné
sous. prétexte qu'il n'
a pas une mémoire
"scriptuaire"
de son passé car, dit encore Heidegger:
" •••
Le fait qu'ait. pu surgir li.."l problème de l '
"his-
. ------ - -- .- ......-.~
-::"L.:.-
toricisme" est le plus clair symptôme de ce que la
science-historique tend à rendre la réalité-hQ~aine
étrangère à son historicité authentique. Celle-ci
n'a pas besoin de l'historien scientifique. Des
époques ignorant cette science n'en laissent pas
moins,
co=e telles, de former déjà une Histoire."
(Ibid.
, p.
203)
Or,
c'est un tel rapport originaire, absolument
productif, de toute réalité humanité à
l'Histoire, à son
histoire, qu'évacue systématiquement cette conception his-
toriciste que dénonce Hei~egger, et ceci sur la base d'une in-
version tout à: fait spectaculaire : au lieu de "porter"'--
l'histoire,
l'humanité comme telle n'en serait plus qu'une

59
"expression"dérivée, il Y aurait quelque part, derrière elle
et presque à son insu, une essence pure appelée histoire et
dont cette humanité elle-même ne ferait que "participer", de
même que dans le monde platonicien, toute substance n'est en
fait qu'une ombre ou apparence, n'ayant sa raison d'être ou
fondement. que dans l'idée transcendante qui la réalise.
Comble de l'idéalisme! Mais comment un tel renver-
sement est-il possible ? Il y a dans la théorie historique et
anthropologique classique ce que nous appellerons un "féti-
Chisme" de l'écriture et qui consiste, par le fait d'une
fascination insidieuse, à confondre l'événementialité comme
production" objective et originaire avec. sa transposition gra-
phique, secondaire et en dernière instance factice et contin-
gente. Si. les archives ,. comme" le soutient Lévi-Stra'J.ss, sont.
ce o_uLdo=e "une existenc e physique à. l' histoire" , si elles
en sont "1.' être incarné" ,nul
besoin désormais de se ré-
fêrer au vécu objectif des sociétés, magma chaotique et tou-
jours en tranformation : l'histoire, maîtrisée et asseptisée
est dans. les salles feutrées et climatisées des bibliothèques
et centres de documentation, si. sagement rangée sur des éta-
gères. Des. mots !
Contre ce réductio=isme outrancier, l'histoire af-
ricaine apporte une double réfutation. D'abord sur le plan de
la théorie et de la méthode, l'obstacle de l'absence docu-
mentai-re."a été fructueusement surmontée par la mise en œuvre

60
de nouvelles méthodes d'a~proche fondées sur l'interdisci-
plinarité. Désormais,
collaborent à la reconstitution de ce
passé toute une gamue de sciences complémentaires
..
~e'olo~l'
o
Cl
e,
paléontologie, archéologie et botanique, géographie physique
et démographie historique, mesures de radio-activité, analyses
ethnographiques et linguistique comparée etc .••
(1)
Par ailleurs,. si l'écriture, dans la science de
l'histoire, donc pour la mémoire du passé et son traitement
critique,. joue incontestablement un rôle primordial, i l ne
aue;
semble pas cependânt sa seule' pratique soit déterminante dans
le devenir d'u.~e société considéré~dans son mouvement ~isto-
rique,. et; nous avons 1.' exemple de sociétés qui ont eu très tôt
un système. graphique ,. telle que la Chine" ·.et qUl n'en ont pas
1 •. En 1923, le Pro A.P. Newton déclarait devant la Royal African
Society à Londres, dans u.~e conférence intitulée "L'afrique et
la recherche historique"
: "L'Afria.ue n'a pas d'histoire avant
l'arrivée des Européens.
L'histoire C, commence quand l'ho~~e se
met à écrire." (J. OF AF. SOCIETY,
22,
1922-1923). Or cette
idée d'un vide historiographique est complètement démentie par
les faits .. S'il n'y a pas de sources documentaires autochtones
à proprement parler,
i l faut savoir que les "chroniques'arabes'
ont constitué dès le XIIe siècle d·l-importants matériaux qui
renseignen~avantageusementsur l'actualité historique afri-
caine. Mais c'est surtout à partir du XVIè siècle que sont
apparus les premiers ouvrages s~écifique~ent historiques tels
que LE TA'RIKli AL- FATTASH, datant du début du XVIè siècle et
écrit sur trais générations par la famille Kati de Djenné, pour
retracer l'histoire du Songhaï et des pays limitrophes jusqu'à
la conquête marocaine de 1591 ; le TA'RÏ~q AL-SUDA}I, écrit par
un historien de Tomboctou, El-Saadi et qui COU~Te Q~e période
allant jusqu'en 1695. Il faudrait enfin ajouter à ces ouvrages

61
moins"stagné"
pendant d.es ~illén2.ires, alors Que d'autres 50-
ciétés, moins privilégiées sur ce plan faisaient l'expérience
d'un développement interne particulièrement dynamique.
mais là n'est pas le véritable débat. Ne faudrait-il
pas en effet admettre que les sociétés réputées sans écriture
ont su créer à la place, pour assumer les mêmes ronctions,
d'autres systèmes de communication et de tr~nsmission aes
connaissances non seulement tout aussi valables, mais les seuls
qui étaient réellement adaptés à leurs structures et à l'esprit
de leur peuple ? Pour nous en tenir au seul cas .de ~'Afrique ,.
Ce o_u' on appelle co=unément, ~non:.._sans.uncèrtain mépris, la
tradition orale. mériterait particulièrement d'être reconsi-
déré. Notons tout. d'abord Clue contrairement 8.U pré jugé domi-
nant ,. il existe une épigraphie et une paléographie. africaines
dont l'ampleur et la richesse, encore aujourd'hui, n'ont pas
été évaluées complètement, et qui s'assimilent dans 11..''2e large
mesure aux pictogrammes égyptiens. Citons pour exemple le sys-
tème idéographique jadis en usage chez les kikuyu du Kénya,
les pictogra=es nsibidi au pays des Efik'(Nigéria du S-E)
les écritures mande (Sud de la Sierra Leone), loma (Nord du
Libéria), les "hiérogly-phes" dogon et bambara (Mali), pe.rfai-
généraux, les sources archivistiClues d'origine privée, toujours
écrites en arabe, nota=ent la correspondance du Sultan ottoman
au lliaï.Idriss du Bornou (1578), ainsi que celle du Sultan du
Maroc aux AS~ja du Songhaï' et au Kanta du Kebbi (fin XVIè~iècle).
Sur toutes ces questions, se reporter à HISTOIRE GENERALE DE
L'AFRTQUE, t.I
Métho~logie et Préhistoire Afric~ine ,chap. 5et6~

62
tement décomposables donc analysables, etc.
(1) ..
Pour~uoi donc ces différents systèmes graphi~ues,
soient-ils embryonnaires, n'ont-ils pas été développés en for-
mes d'écriture; courantes? Sans vouloir habiller les sociétés
de "volonté" plus ou moins indéterminée, nous croyons pourtant
pouvoir soutenir Qu'il s'agit là d'un choix spéciîique et par-
faitement conscient de peuples ~ui ont accordé la préminence
à la parole et ont exploité à fond toutes les possibilités
qu'elle offre comme outil à la fois de comm~~ication et de
c oIL'1ai s sanc e. De même que la Sage s s e (la 50 r~ill) dans la Gr è c e
anti~ue' n ' était. point ce savoir vulgaire (les Grecs parlent de
(-,t"tcri l'Ol' JOjO,'!, 'c:'est-à-dire de savoir exotéri~ue) colporté par'
l'écrit et disponible pour tout le monde, mais bien au contraire
'USf.:I:êçonSi proféssées par le Maître dans les Ecoles à une poi-
gnée d'initiés, de même i l y a pour la parole africaine,dans
son jet primordial, ce caractère de force 2Ystérieuse, liée
intimement à l'ordre du monde
et à sa production originaire.
Il n'est pas alors étonnant ~ue dans la plupart des mythologies
africaines, le Verbe soit présenté comme un don privilégié de
la divinité et ~ue l'initiation, ~ui est par excellence le mode
de tr~~smission du savoir en même temps ~u'elle a pour fonction
1. Cf. HIS'rOTRE GENERA1E DE L'AFRTüUE, t . I , TH. Obenga : "Sour-
ces et techniques spécifi~ues de l'histoire africaine ... " p 97-111
On relira également avec profit l ' œuvre de Ch. A. Diop ~ui fait
de nosbreuses références aux langues africaines
: NATIONS NEGRES
ET CULTURES, Présence Africaine,
2 vol.

6]
de structurer et d'nar2oniser la société en distribuant les
individus suiv~~t les différentes classes d'âge qui les classes
dtinitiation, soit avant tout un apprentissage du pouvoir êe la
Parole.
Sans nous étendre davantage sur la question de la
tradition orale (I), disons si2plement que si l'historicité
d'une société doit être évaluée en fonction de sa capacité à
conserver e:t> àC;trai:tër la 2émo ire de son passé ,généralement par
des matériaux graphiques et archivistiques, la tradition orale
'la encore plus loin car elle est en elle-même un vécu de cette
histoire, une recréation perpétuelle de l'évernentialité, et de
manière aiguë" U,!''le conscience de l'historique co=e tel,. ramené
de l'état de chose fossile (la "momifica"iion" archivistique) à
celui de principe toujours actuel du devenir humain.
C'est donc dire que non seulement il faut reco~~aître
a~x sociétés dites primitives leur mode spécifique d'histori-
cité, mais encore sortir la théorie historique et anthropolo-
gique de ses tours de verre idéologiques, en instituar~ une
méthodologie différentielle capable d'affronter la réalité
historique dans ses modes pluriels d'être et divorcer donc
avec un européocentrisme tout aussi vulgaire que stérile,
que Joseph Ki-Zerbo, dans~son ~~trodu9tion.à METHODOLOGIE
1. Cf HIS'". GE!'!. DE L'AF. ,'t.I, Op. cit.
: J. Vansina, "La
tradition orale et sa méthodologie", pp. I67-I90 ; Amadou
Hampaté
Ba
, "La tradition vivante", pp. 191-2JO

64
ET PREHISTOIRE AFRICAINE, dénonce en des termes sans appel
"Diaprés certains,
i l Îaudrait attendre de trouver
les mêmes genres de doc~llents ~u'en Europe, la même
panoplie de pièces écrites ou épigraphi~ues, pour
parler d'une véritable Histoire en Afri~ue. Pour
eux,
en sOID~e, au-x tropiques comme au pôle, les
___ ,-pro-blèmes; de -l' historien sont partout les mêmes.
Il
faut réaffirmer- clairement ici ~u'il n'est pas ~ues­
tion de bâillo~~er la raison sous prétexte qu'on
manque de moutèlre à lui donner.
( •.. ) Justement parce
~u' elle n'est pas aveugle,
la _r a i . s_ on - . doit ap-
préhender différemment des réalités différentes, pour
que sa pensée reste toujours aussi précise et ferme.
Les principes de la criti~ue interne et externe s'ap-
pli~ueront donc selon u-~e stratégie mentale différente
pour le chant épi~ue Soundjata Fasa ~ue pour le capi-
tulaire De Villis ou les circulaires aux préfets
napoléoniens., ••,"
(Op. ci t.
, pp. 23-24).
Il ne semble pas que cette leçon de méthode ait été
celle retenue généralement par l'anthropologie classi~ue. Bien
au contraire, c'est précisément sur ce plan ~u' elle a le plus
révélé ses insuffisances., En refusant de prendre en compte le
caractère spécifiquement historique des sociétés dont elle en-
treprend l'étude, elle va les aborder en les considérant non
comme des totalités dynami~ues,mais comme un ensemble de struc-
tures autonomes dont elles cherchera à déterminer les lois in-
ternes de fonctio~Jlement. C'est ainsi que certains domaines
".----' ------
I. Làuange à Soundjata, en langue malinké
Sou-~djata fut fon-
dateur de l'Empire du mali au Xlllè siècle.

ô5
parmi les plus ~pparents comme la parenté, la religion ou les
autres formes de représentations vont se trouver détachés du
contexte social glooal pour être étudiés comme des structures
signifantes par elles-mêmes et lisibles
selon leur paradigme
propre. Or si une telle réduction est possible, c'est que Ces
instanCes sont censées s'étaler sur l'axe dit " synchronique " ,
c'est-à-dire de la pure extension spatiale, là où il ne se
produit rien, où passé présent et avenir se confondent dans
une' même' totalité expressive' où l'histoire en tant que telle
est' définitivement expulsée.
Le structuralisme de Lévi-Strauss résume d&~s lli~e
certaine, mesure cette démarche de l'anthropologie classique ..
La "pensée, sauvage" qu' il décrit se vante de ne pas être "la
pensée des sauvages" mais, par là-même " elle se trouve singu-
lièrement désincarnée dans la mesure où elle apparaît plus
comme ~~e structure mentale purement fo~elle que comme une
production. spécifique' d'individus déterminés, engagés dans
un processus de vie réel., Aussi, Ce qu'on cherche dans les
méandres de la- "pensée sauvage", Ce n'est pas cormnent elle
s'articule à la réalité sociale et historique qui lui sert
de support, mais davantage comment société et histoire elles-
mêmes' 5 'y ordo=ent et y trouvent le~ sens. Et c es structures
mentales étant do=ées d' emblé e comme invariant'es,l' espace so-
cial qu'elles info~.ent ser~ nécessairement marqué du signe
de l'i=otilitéet.ide-Jarépétition. Aussi, considérant les sys-
tèmes classificatoires (totémisme) dont la fonction est de
maîtriser la temporalité en faisant de '~'ordre_humain carnrne

·
66
(~~e) projection fixe de l'ordre naturel", Lévi-Stra~ss peut
conclure :
"Nous avons suggéré ailleurs c;.ue la mal2.droite dis-
tinction entre les "peuples sans histoire" et les
autres pourrait être av~~tageusemant'remplacéepar
une distinction entre ce c;.ue nous appelions,pour les
besoins de la cause, les sociétés "froides" et les
sociétés "ch2.udes" • Les unes cherchant, grâce aux
institutions c;.u'elles se donnent à aP_~uler de façon
auasi automaticue l'effet cue les facteurs historiques
.
-
"\\,,,iL-
pourraient, ~~oirsur leu~~èt leur continuité; les
--
._-~
autres intériorisant rèsolÙillent le devenir histo-
ri~ue pour en faire le moteur de leur développe-
ment •." (LA PENSEE SAUVAGE, pp. 309-310)
Sociétés "froides" et sociétés "chaudes" : métapho-
res. à vrai, dire bien singulières mais qui n'en sont pas moins
"claires w • Il. ne s"agit rien de mOlns c,ue de réintrodui:::-e sous
u.~ autre langage la thèse de la non-historicité des sociétés
dites primitives qui resteraient dans l'a-temporalité sécurisante
dëc.ya: pènsééclassificatoire (cette pensée elle-même ét~~t éter-
nellement figée dans u.~ système rigide de rapports i~~ables
entre des catégories d'objets immuables) tandis que les "autres"
sociétés, pour reprendre~.l'expressionde Lévi-Strauss lui-même,
"ont choisi de s'expliquer par l'histoire".
Dés lors, rien n'interdit de découper le champ so-
cial en instances autonomes, et de se livrer, hors de leur
support matériel concret/à une investigation intrastructu-
,
.
relle pour isoler des modes de combinaison'cet des meC2.!llSmeS
internes de fonctio~~ement 21o~s que la vérité ~u systè~e social

67
réslde nécessairement dans la totalité complexe que cons-
tituent les relations inter-structurelles: Concevoir les
institutions co~e de simples réseaux symboliques,
c'est ou-
olier ~ue ce n'est que dans la lan~~e que le signe est arbi-
traire, les règles de la grarm!1aire soc-i:ale elle s, ne s' invent er:.t
pas, elles sont, à quel~ue point de l'histoire qu'on les con-
sidère, l'expression adéquate des rapports sociaux déterminés
par le procès de uroduction matérielle de la vie. C'est en
ce ser:.s qu!on peut dire' que la révolution effectuée dans le
champ à.e l'anthropologie par le marxisme ne consiste pas seu-
lementà"remettre la
société.
sur ses pieds" , mais surtout
:::à~l:.::a,,-,f::.;a=i.:.r..::e:....:m::;a::;r:..:::c==h:.::e:.:..r~.

68
II - MARXISME ET SOCIETES "PRIMITIVES"
Il prend systématiquement à contre-pied la pro blé-
matique générale élaborée par l'anthropologie classique qui,
comme nous l'avons montré, vise à établir les lois de for.c-
tionnement des diverses structures sociales (institutions,
formes de représentation etc.) non seulement en les isolant
les, unes des autres, mais également de la totalité sociale
dont' elles' ne, sont que parties constitutives. Le structura-
lisme' a élevé une telle procédure en méthode absolue.
Dans la nréface à la première édition de L'ORIGINE
DE LA FAMILLE (1884), Engels expose clairement ce projet nou-
veau d'une étude scientifique des sociétés humaines qu'est le
matérialisme historique :
"Selon la conception matérialiste, le facteur déter-
minant," en derniër ressort,. 'dans l'histoire, c'est
la production~ la reproduction de la vie immédiate.
Mais à son tour, cette production a une double na-
ture. D'une part, c'est la production des moyens
d'existence, d'objets servant à la nourriture, à
l'habillement, au logement et des outils qu'ils
nécessitent; d'autre part, la production des hom-
mes mêmes, la propagation de l'espèce." (Op. cit.
,
Ed. Sociales, pp. 17-18.)

69
Cetëe définition, comne nous le verrons plus loin,
est suffisa=ent large pour échapper à l'accusation d' "éco-
nor:üsme" que les adversaires de tout bord du marxisme ne man-
quent jamais une occasion de brandir contre lui.
Quittant le
domaine"éthéré" (pour reprendre une expression chère à Marx)
des st~~ctures mentales et de leurs productions symboliques,
nous- voilà donc d'entrée de jeu face au procés de production
de la vie matérielle des sociétés et aux mécanismes complexes
de sa reproduction. Or- il ne fait pas de doute que c'est dans
ce champ de la vie réelle qu'il faut chercher en dernière ana-
lyse: les fondements, non seulement des institutions sociales
( formes politiques" structures familiales etc. ), mais également
de leur-mode d'évolution, tout changement dans le mode de pro-
.duction. et: de· reproduction- entraîI22.nt à plus- ou
brève échéance
et dans, une' proportion déterminée, un changement au niveau des
stuctures de base de la société. En d'autres termes, c'est là
que- se mesure l' histoire d'une soc iété (et non plus d<;.ns les
éléments purement formels - technique, écriture, etc. - que
l'anthropologie class ique prenai t- comne repère)
, puisque c' est
dans cette production et reproduction que se trouve la clef
du processus de passage et de transformation d'un staQe his-
torique à un autre. Ainsi, l'apparition d'une différenciation
et d'antagonismes au niveau de formations sociales antérieu-
rement homogènes cesse d'être un "mystère" ou l' œuvre d'on
ne sait quel "malin génie"puisque la transformation du mode
de production et les nouvelles formes de reproduction sociale
en donnent elles-mêmes raison. Pour expliquer la genèse de ces

70
nouvelles formes,
Engels note encore
"Moins le travail est développé, moins est grande la
masse des produits et par conséquent la richesse de
la société, plus aussi l'influence prédominante des
liens de sang semble dominer l'ordre social. Mais
dans le cadre de cette structure sociale basée sur
les liens de sang, la productivité du travail se
développe de plus en plus et avec elle la nronriété
privée et l'échange, l'inégalité des richesses,
la
possibilité d'utiliser la force de travail d'autrui
et du même coup,
la base des oppositions de classes, .
autant d'éléments sociaux nouveaux qui s'efforcent,
au cours des générations, d'adapter la vieille or-
ganisation sociale aux circonstances nouvelles,Jus-,
qU,'à ce que' l'incompatibilité de l'une et des autres
amène un complet bouleversement.
La vieille société
basée- sur les liens de sang éclate par suite de, la
collision des classes nouvellement développées: une
société nouvelle prend, sa place,
organisée dans l'Etat
dont les subdivisions ne sont plus constituées par
des associations basées sur les liens de sang, mais
e--- · · _. . • •,par
des groupements territoriaux, une société où le
régime de la famille est complètement dominé par le
régime de la propriété, où désormais se développent
librement les oppositions de classes et les luttes
de classe qui forment le contenu de toute l'histoire
écrite jusqu'à nos jours." (Op.
cit. p. 18.)
Il était nécessaire de citer ce texte en entier car
i l présente un double intérêt théorique. D'une part i l redé-
finit avec précision le niveau de la société où doivent être
cherchés les principes de sa transformation, en l'occurrence
celui de"
la production o~ui informe et déter::line l'ensemble

7I
des r~pyorts sociaux et constitue le lieu yar excellence où se
développent les antagonismes porteurs de changement. D'autre
part, ce texte nous donne désormais les moyens de uenser le
processus d'évolution historique de toute société en termes de
passage d'un mode de production à un autre, ce qui implique que
les sociétés dites primitives ne peuvent plus être considérées
ni comme des sociétés en marge de l'histoire, ni même, en dépit
des dernières concessions consenties par l'anthropologie clas-
que,< des sociétés "au seuil" de l' hist oire, comportant donc
comme un embryon d'historicité,. puisqu'elles sont, en tant que·
telles,. et à la. fois,. des sociétés faisant leur
propre his--
toire, dans un processus purement interne (puiso,ue fondé ex-·
clusivement sur le· dynamisme propre de leur 20de de production
et de re}jroduction), et .-ilarti:cïpant_:· par ailleurs de l' His-
toire universelle comme des stades déterminés de son évalution(I)._
I.
Il faut savoir Qu'une telle conception de l'histoire n'est
pas à proprement parler d'origine marxiste mais a été élaborée
en tout premier lieu par L.H. Morgan qu'on a considéré à juste
titre comme le fondateur de l'anthropologie moderne. Dans son
ouvrage précurseur à plus d'~~ titre, ANCIENT SOCIETY, publié
en 1877 (trad. fI'.
LA SOCIETE ARCHAIQUE, Ed. Ant11ropos, Paris,
1971 ), Morgan a démontré le rôle primordial que jouent les
liens de parenté dans l'histoire primitive de l'humanité ainsi
que dans son évolution. Il a ainsi mis en évidence les mécanismes
du passage du droit maternel (mztriarcat) au droit paternel
(patriarcat) en liaison étroite avec l'économie des sociétés
ou cê qu'il appelle l' "évolution des arts de la subsistance"
Sur cette base, Morgan vise à établir une science de l'histoire

72
Le problème, alors, consiste pour chaque type de société à
spécifier son mode de tra~sfQ~.ation et d'évolution, étant
entendu qu'on ne saurait,
S8ns retomber dans l'idé:iLisme théo-
rique que cherche justement à récuser la science marxiste,
édi-
fier in abstracto une typologie ~~iverselle comme uniquegril~
de lecture applicable à toutes les époques de l'histoire de
l'humanité. Une brève analyse de la méthode et des concepts
fondamentaux du matérialisme historique nous permettra de pré-,
ciser'ce dernier point.
étudiant"
entre: autres proolèmes,
celui de l'évolution des so-
tés les: moins différenciées (hordes de chasseurs-cueilleurs ou,
premières' communautés agricoles) a\\L"{ sociétés divisées en classes'
et, dominées par le système étatic;,ue.
L'ORIGINE DE LA FAliIILLE,
reprend presque systématiquement les analyses de Morgan,
en les
réadaptant bien entendu à la position théorique qui est celle
du. matérialisme historique, Engels insistant. davantage sur l'é-
conomie et la question de l'Etat.
Il n'en reco~~aît pas moins,
dans la Préface à la quatrième édition de L'ORIGIIE D.2 LA FAMILIE
(1891) à propos de l'ouvrage de Morgan que "Cette découverte,
qui. retrouvait dans la gens primitive,
orgnanisée selon le droit
maternel, le stade précédant la gens selon le droit paternel,
telle que la co~~aissa±ent les peuples civilisés, a pour l'his-
toire primitive la même importance que La théorie da~Ninie~~e
de l'évolution pour la biologie,
et la théorie marxiste de la
plus-value pour l'écon03ie."
(Op. cit. p. 28). Notons cepen-
dant que la conception de l'histoire de Morg2.n sJuffrait par
trop d'un évolutio~~isme positiviste étroit dont par ailleurs
ni Engels. (:-soD:'voca'oulaire l"atte'stê' l ) "
'ni un certain
~r~i'sm~--"dogIDatique ne se sont complète:nent débarrassés.

73
Dans sa célèbre étude "archéologique" qui devait pré-
figurer LE CAPI~AL,
LA CONTRIBU~ION A h~ CRI~TQUE DE L'ECONOMIE
POLITIQUE (1859)
, Marx résumait sa conception de l'histoire
par cette formule globale :
"Réduits à leurs· gr2.ndes lignes, les modes de pro-
duction asiatique,antique, féodal et bourgeois ap-
paraissent comme des époques progressives de la for-
mation économique de la société." (Op. cit. ,E.S.
,p.3).
La. première question qui se pose devant une telle
formulation, c'est de savoir si la théorie des "stades" (pas-
sages des formes les plus archaïques à:. la forme bourgeoise à
travers les étapes asiatique, antique, féod",l et enf41 capi-
taliste) ne réintroduit pas au sei~ du matérialisme historique
lui-même une conception évolutionniste de l'histoire que dans
ses grandes lignes, L'ORIGINE DE h~ F.~~ILLE d'Engels épousait
d'ailleurs, ainsi que nous l'avons indiqué, lli~e telle concep-
tion réduisant le développement général de l'ensemble de l'hu-
manité à un schéma linéaire coupé d'étapes successives et in-
con.tournables pour toute société donnée. Certaines interpré-
tions
marxistes sont elles-mêmes fortement marquées d'un tél
évolutionnisme, surtout à partir de· l' "académisme" stalinien( 1),
Cf. l'opuscule de Staline, lllATERIALISliIE DIALECTI(,UE ET IiiATE -
RIALIS~;E HISTORIQUE,· 1938 , qui sous forme didactique, présente
la théorie des "cinq stades ll
:
comrnuJ1isme primitif,
esclavagisme,
féodalisme, capitalisme et socialisme.

74
Mais un tel évolutio~~isme OUl , en tant ~ue tel,
ne pourrait ~ue reprendre à son compte les préjugés de l'a~thro-
pologie classiaue, ne serait-il surtout pas en jeu d~~s les
"prétentions" de la théorie marxiste elle-même? En effet, si
le matérialisme historique est la science de l'histoire, ses
catégories cependant ont été spécialement for~ées dans l'étude
de la société bourgeoise du XL(e siècle et dés lors,
cOw~ent
peut-il rendre compte indifféremment de la réalité de sociétés
ne-présentant pas les mêmes structures que cette société bour-
geoise et n'obéissant pas en principe atL~ mêmes lois de fonc-
tionnement ? On peut légitimement poser la question,
surtout
si on considère la justification théorique que Marx do~~e de
l '
"universalité" de sa méthode et donc de son "applica"::Jilité"
à. l'ensemble des sociétés hwnaines historique!!lent déterminées.
Devançant toute objection, i l note, toujours dans la CONTRI-
BUT ION •.•
"La sociét é bourgeoise est l ' organisat ion historique
de la production la plus développée et la plus di-
versifiée qui soit.
Les catégories qui expriment les
rapports de cette société et assurent la compréhen-
sion de ses structures, nous permettent en même temps
de saisir la structure et les rapports de production
dans toutes les sociétés passées et sur les ruines
et les éléments desquelles elle s'est édifiée et dont
certains vestiges, non dépassés, continuent à subsis-
ter en elle, tandis}ue cert&ine3 éventualités en se
développant y ont pris tout leur sens.
L'~natomie de
l'how~e àon~e la clé de l'anatomie du singe. Les éven-
tualités qUl ara~oncent une forme supérieure dans les
.espèces
a n im a l
e~s
inférieures ne peuvent être

75
comprises ~ue lorsque la forme supérleure elle-mêne
est enfin connue." (Op. cit. pp. nO-I71).
Certes, le vocabulaire de rliarx ("développeraent",
"virtualité", "forme inférieure - forme supérieure", etc;) peut
prêter à confusion et certains détracteurs n'ont pas illan~uer
de sauter sur l'occasion. Si la forme supérieure "cor:lplexe"
expli~ue la forme inférieure "simple", que subsiste-t-il alors
de ce qui fait la spécificité
et le ca=actère historique irré-
ductible de l'u...":!e et de l'autre? Ne risquEl't-on surtout pas de
ne voir. dans les sociétés dites primitives, à l'inverse de
l'anthropologie classique c.ui les plaçait· "en dehors", mais
dans une vision tout aussi négative, que des résidus fossiles
des sociétés plus évoluées, des sortes de formes archéologiques
vis-à~is desquelles, le marxisme fonctionnerait comme lli":!e sorte
de "carbonne 14" ? Cette erreur n'a pas manqué d'être commise
par des antlo.ropologues éconor:listes usant à
Q..u. t
r a .. Il_ cedes
ca- t. é'_g_o-z::.-L~e.. i:L· de
l'économie bourgeoise pour qualifier
des systèmes économiques relev~~t de tout autres mécanismes de
fonctionnement : ainsi par analogie, les objets devier~":!ent in-
variablement des "marchandises", certaines for::les ty?io.ues de
drculation dès objets, par don ou tranfert par exemple, se
voient qualifiées immédiate!nent d' "échange" etc •.• (I). Marx
cependant, sur Ce point particulièrement, lève toute équivoque
1. Cf. en particulier, en plus de l'ESSAI STJR LE DON de Mauss
que nous avons indiqué ~uelques représentants de l'école amé-
ricaine ou anglaise tels M. Herskovits, ECONOMIC ANTFROPOLOGY,
1952, New-York et D.NI. Good Fellow,PR1NCIPL2S OF 2CONOWiIC
SOr;TOWGv,
1952, Londres.

76
en précisant notamment
"Si les catégories de l'économie oourgeoise possèdent
lli""'le vérité pour toutes les autres formes soci2.1es, cela
n'est vrai que "cum grano salis". Elles peuvent les
contenir sous une forme développée ,. étiolée, carica-·
turée etc •... mais la différence demeure essentielle.
Si l'on invoo_ue l' évcilutioE historique,. c'est en
général,. pour affirmer que la dernière forme n'est
que l'aboutissement des sociétés passées qui sont
autant d'étapes conduisant à elle ... " (Op •. cit. p.171)
A.partir de ce texte, il apparaît clairement que si.
la théorie. marxiste, en tant qu'elle est rétrospective, met en
œuvre ce que Althusser appelle dans LIRE LE CAPITAL "le primat
épistémologique du présent sur le passé" (Cf. t. l, p. 158) ,
il n'en demeure pas moins qu'elle a comme souci principal
l'appréhension objective de la réalité historique des forma-
tions sociales considérées, ce qui signifie que si l'analyse
des sociétés dites primitives fait appel aux catégories mises
à i' œuvre dans l.'.étude de la société capitalist e, elle ne pro-
cède cependant nullement par aostraction mais investit de ma-
nière totale ·.l'espace théorique et historique de ces sociétés
dans leurs particularités irréductibles. A ce titre, le maté-
rialisme historique, Eon seulement rejette absolwnent tout,
évolutionnisme, mais en outre, i l - ne saurait être assimilé
à. une philosophie de l'histoire, traçant "in abstracto", à la
manière hegelienne une "raison" de l'histoire comme chemin à
suivre par tout le genre h~~ain. Là également, Marx ne laisse

77
aucUL~ doute. Qu'on se rappelle donc sa furieuse protestation
contre la réduction académique de sa théorie en un schéma d'é-
volution pré-établi
"Ce n'est pas assez pour mon critique.
Il se sent
obligé de métamorphoser mon eSGuisse historique de
la genèse du capitalisme en Bùrope occidentale en
une théorie historico-philosophique de la marche
générale imposée par le destin à chaque peuple,
quelles que soient les circonstances historicues
où celui-ci se trouve, de façon à ce qu'il puisse
parvenir à la forme économique qui assurera. la plus
grande expansion des pouvoirs productifs du travail
social, le développement le plus complet de l'homme •.
Mais je lui demande pardon. C'est me faire trop
d'ho=eur et trop de honte ...· (Lettre à l'éditeur de
OTETTCHSSTVENNIYE ZAPISKY, fin 1877).
Qu'implic_ue donc pour l'étude des sociétés "primi-
t ives" cett e répudiat ion de tout e démarche idéalist e G_ui, sur
les pas de l'idéalisme ethnocentriste, ne chercherait dans ces
sociétés que les signes d'un manque, ce par quoi elles se dif-
férencie~~'un modèle idéal dont la société capitaliste bour-
geoise réaliserait toutes les déterminations form~les ? Il
faut reconnaître qu'en refusant les présupposés théorico-idéo-
logiques qui font des sociétés dites primitives des sociétés
proto-historiques, i~~obilisées en marge du processus d'évo-
lution historique de l'humanité,
la méthode d'analyse du ma-
térialisme historique consiste par conséquent à définir ces
sociétés Comme des formaëions économiques et sociales, com-
portant donc un mode spécifique d'articulaëion et d'expression

78
des rapports économiques et sociali:{ qui caracëérisent toute so-
ciété histori~uement déterminée. Autrement dit, i l s'agit d'i-
dentifier au sein de ces sociétés le mode de producëion domi-
nant, les éléments de la superst~~cture juridico-politique qUl
y correspondent ainsi que leur place et leur fonctlon dans l'en-
semble du système considéré(I).
Dès lors, i l y a un renversement de perspective dans
l'approche des sociétés dites primitives qui consistera essen-
tlellement, à l'inverse de la démarche de l'anthropologie clas--
sique" à investir de plus près le procès de production de la
vie matérielle des sociétés considérées- ainsi a.ue son mode
de reproduction -
et, au lieu d'une analyse en terTIes de str~c-
tures et, de f~tions, ce qui ne peut déboucher que sur des abs-
tractions,
produire la théorie de la relation inter-structurelle
après une analyse concrèt e de chaque stltlcture,
l'important étant
moins la découverte d'u."le "efficacité"
(co=ent dans telle
structure donnée, tel élément produit le code qui permet de
"lire" l'ensemble: cf.' la parenté),
que le repérage du fonc-
tionnement général du système tout entier, ses lois ainsi que
I. Cf. sur ce point le célèbre passage de la Préface à la
CONTRIBUTION •.•
: "Dans la production sociale de leur existen-
ce, les hOIDQes entrent en des rapports déterminés, nécessaires,
indépendants de leur volonté, rapports de production qui cor-
respondent à un degré de développment déterminé de leurs forces
productives matérielles.
L'ensemble de ces rapports de produc-
tion consoitue la structure économique de la société,
sur la
base de laquelle s'élève une superstructure juridique et poli-
tique et à laquelle correspondent des formes de conscience so-
ciale déterTIinées •.• "
(Op.
cit. p. 2).

79
sa dynamique interne. Dans èUle telle conception, bien entendu,
tout comparatisme disparaît,
la notion de modèle idéal deve-
nant elle-même inopératoire, dès lors que l'Histoire n'est
plus que l'histoire d'u.~e société déterminée. Le marxisme est
bien un "anti-historicisme"(I)
Reste alors à surmonter un obstacle théorique de
t a i l l e : à savoir/comment concilier le primat que le marxisme
accorde de fait aux structures éconowia~ues avec l'état histo--
rique de sociétés où l'éléwent économique n'apparaît pas lmmé-
diatement comme la forme
dominante- des rapports so-
ciaux._
En-d'autres:termes,_ qu'en est-il de ce concept fon--
dawental du marxisme qu'est la détermination en dernière ins-
tance par l'économie? Untel concept est-il'~pplicable", à la
lettre,_ aux sociétés non-capitalistes?
culté en spécifiant et sa méthode et son objet. Ainsi, préci-
se-t-il,_ récusant à l'avance à la fois tout empirisme et son
corollaire, le dogmatisme
:
":ra forme achevée -que revêtent- les rapports éco-
nomiques telle qu'elle se manifeste en surface,
dans son existence concrète, donc aussi telle que
se la~~eprèsenter-t les agents de'ces rapports et
ceux qui les incarnent_ quand" ils essayent de les
comprendre,
est très différente de leur
struc-
ture interne essentiell. mais c~ée et du concept
1. Voir Althusser, LL-qE LE CAPITAL, t.
1, V,
"Le marxisme n'est
. ;~,
pas un historicisme",
pp. 150-184 .

80
Gui lui corresuond. En fait, elle est même l'in-
verse, l'opposé."
Qu'est-à dire? Il faut reconnaître simplement que· pas
plus dans la société capitaliste développée ~ue dans une autre,
les rapports sociaux ne sont immédiatement transparents aux
agents qui les supporcent et qu'il faut donc en découvrir les
lois et principes en allant, par lL."le "coupure épistémologic.ue"
si l'on peut dire, au-delà de la pure phénoménalité de leur
objet •. Il faudra donc, pour ce qui concerne les sociétés Qui
nous occupent,. partir' de la base matérielle certes, mais en
instituant, par un repérage objectif, une hiérarchie entre les
diverses instances sociales, non pas tant en raison de leur
place ,. puisque celle-ci peut ne pas être la "bonne", c.ue de
leur' fonction réelle à l'intérieur du système. Autrement dit ,.
il faut faire une "lecture" i.."1.directe de ces rapports, en
prenant donc ses distances par rapport au réel tel Qu'il "se
donne" et chercher dans l'invisible, leur fa.ce cachée, les
lois de leur fonctionnement.
Seule une telle lecture, qui déplace son objet,
peut nous donner la clé du mode de productlon et de renro-
duction des sociétés dites primitives. Là, l'anthropologie
classique, sur la base de constats empiriques, s'était trop
vite prononcée en décrétant aux dépens d'un système économi-
que dit embryo~~aire, l'autonomie absolue des superstructures
polit iques (quand celles-ci du moins étaient reconnues) et surtout
idéologique~.!Jieux encore, prenant le contre-pied du marxisme,
--_.__.._--------- --_.-

81
elle déclarait ces supe;r:sj;ro.c.tures. déterniinantes' poux l'ensemOJle
du mode de production et de reproduction, en se fondant pour
cela sux le rôle apparent de certaines d'entre elles, la pa-
renté et les foI1l:ies~de représentations religieuses ou symboli-'
CJ.ues entre autres. Concernant la nature, la place et la fonc-
tion des diverses structuxes du système social, la discussion
certes reste ouverte. Mais l'étude scientifique des sociétés
ne sauxait tolérer aucun retoux ~. positions précritiques de
l'idéalisme historico-philosophique qui s'est longtemps in-
genié à maintenir les sociétés "sux leur tête". Un dernier
texte· de Marx permet ,. à~.notre' avis de trancher la question.
Répondant à l'un de ses critia~ues. il écrivait, d2.ns LE CAPT'i'AL .
"Suivant: lui, mon opinion. que le mode déter:niné de
de production et les rapports sociaux qui en décou-
lent, en 1111 mot, CJ.ue la structuxe' économique de la
société est la base réelle sux laquelle s'élève en-
suite l'édifice juxidiCJ.ue etp~lït~ue,de telle sor-
te CJ.ue le mode de production de la vie matérielle
domine en général le développement de la vie sociale,
polit~CJ.ue.et intellectuelle ••• est juste poux le monde
moderne dominé par des intérêts matériels mais non
pour le Moyen Age. où régnait le catholicisme, ni
pour Athènes et Rome où régnait la politiCJ.ue. Tout
d'abord, il est étrange qu'il plaise à certaines
gens de supposer CJ.ue CJ.uelc;u'un ignore ces manières
de parler vieilles et usées sux le 1i'oyen Age et
l'.~tiquité. Ce qui est clair, c'est que ni le pre-
mier ne pouvait vivre du catholicisme, ni la seconde
de la politiCJ.ue. Les conditions économiques d'alors
expliCJ.uent au contraire pourquoi là le catholicisme
et ici la politio"ue jouaient le rôle principal. D'Ul'l

82
~utre côté, personne n'ignore ~ue déjà Don Quichotte
a eu à se repentir pour ~voir cnl que la chev~lerie
errante était compatible avec toutes les for:nes éco-
nomi~ues :le l~ société." (Op. cit.
Liv.
l,
t. 'T
- ,
p.
93 J.
Ce texte méritait d'être cité en entier car il in-
troduit de pl~in-pied à ce qui ser~ notre ch~mp d'investig~-
tion,. à savoir l'Afrique noire précoloniale, ré-invescie selon
.les catégorie~o_ue nous donne le matérialisme historique. Or une
utilisationd.es concepts m~rxistes n'est ici possible qu'à une
dolible condition •. D'abord que 1.' on fasse l'effort d'une lec-·
ture' adéquate- de Marx, en acceptant donc de répudier les lieux
corw~uns d'UL~e certaine littérature tout aussi vulgaire ~ue
dogmatique. Ainsi, i l ne fait aucun doute que seule une in-
1
terprétationmécaniste du. marxisme apu laisser croire ~ue
Marx affirmait inconditionnellement le rôle déterminant. de
l'économie, ~uelles que soient les épo~ues histor~ques con-
sidérées. Ce n'est s~ns doute que dans la société capitaliste
achevée où la forme économi~ue dominante est la forme-marchan-
dise et où l~ propriété ou non la non-propriété des moyens de
production détermine strictement l~ place et le rôle des d.i-
vers agents sociaux, qu'une telle interprété.tion aur~it c,uel-
que raison d'être. Encore ~ue là également, M~rx montrera que
les rapports sociaux, même revêtus de leur forme économique,
s o n t ' loin d'être transparents ~UL~ agents ~ui les supportent(I)
r. CL
le "fétchisme de la marchandise'/~ui est l'lli'1. des points
essentiels du CAPITAL:
Liv. l, t . I ,
pp 83-94).

83
Co~~ent donc f~ut-il entendre la théorie de la
~étB~ination quand l'analyse a précisément pOèrr objet les
sociétés dices globalement précapitalistes? 2n d'autres ter-
mes,. et pour reprendre les exemples cités par 1,1arx, d'aprés
quel ressort le rôle dominant du catholicisme au woyen Age et
celui de la politique à Athènes et à Rome peuvent-ils s'ex-
pliquer par "les conditions économiques d'alors"? On ne peut
répondre à cette ~uestion qu'à la condition de reconstruire le
schéma théorique que nous' dorme Marx dans: sac
forme concentrée
pour l"ajuster à son objet, comme nous le propose Balib2.r par
exemple dans LIR~ LE CAPTTAL :
"Dans des structures. différe:r11;.es, not e-t-il, l ' éco-
nomie est déter.::inante en ce, qu~'elle d:étermiî:le:celle
instances de la structure oui OCCu~e l~ pl~ce déter-
minante. Non pas rapport simple, mais rapport de
rapports; non plus causalité tr~"sitive, mais cau-
salité structurale. Dans le mode de production ca-
pitaliste,
i l se trouve que cette place déterminante
est eccupée par l'économie elle-même mais dans chaque
mode de production, i l faut faire l'analyse de la
"transformation." (Op. cit.
, t.II,
pp. 110-111)
Ce à quoi nous invite ce texte, c'est de refuser
toute· interprétation mécaniste de la doctrine de Marx, en
particulier de la théorie de la détermination en dernière
insëance,
et partant, de rechercher dans chaque formation
sociale donnée la place et la fonction des diverses instan-
ces et leur rapport spécifique à la structure économique.
Considéré- dans cette perspective,
le mode de détermination

84
apparaît nécessairement comme le lieu dr~~ jeu complexe entre
divers éléœents dont aUCU.11 n'est "neutre", l'éconor::lique n'or-
do=ant le tout qu'en dernière inst2.nce, c'est-à-dire donc au
terme d'une inter-relation où cb2.que instance, révèle, à des
degré3 v2.ri2.blES, sa fonction éminente( I) •.
Cette aI'..alyse nous révèle la de=ième condition né-·
cessaire à toute étude objective de la société afric2.ine pré-
coloniale •. Il s'agira pour nous, non }las de voir cOIT'""en-t;. ce~pe
de société "confir::te"· la validité des catégories et de la théo-·
rie' marxistes, mais comment celles-c.:Lpré·Cïsément, s'y mettent.:
à l' énreuve et doivent à .. chaque fois prouver leur
,

.J..

:pre-r;enLJlOn
à. l'universalité. C'est dire dés mainteYlant CLue des déplace-
ments et restructurations seront néces3sires, afin de saisir
I. Notons qu'Engels, dans la fameuse Lettre à J. Bloch (2I sept.,
I8g0) qui. à bien des égards peut être considérée comme un tes-
tament théoriClue s'élevait déjà contre l'iYlterprétation"écono-
miste"· de la théorie de' Marx en écrivant: "D'aprés la conce"9-
tion matérialiste de l'histoire, le facteur détermiI'2Ylt dans
l'histoire est, en dernière instance, la production et la re-
production de la vie réelle .. Ni Marx ni mo i n' avons affirmé
davantage. Si quelqu'un ensuite torture cette proposition }l0ur
lui faire dire que le facteur économique est le seul détermi-
nant, il la transforme en une phrase vide, abstra.i te, absurde."
Engels poursuit en montrant comment les formes politiques, ju-
ridiques, philosophiques, les conceptions religieuses, etc.
"exercent également leur action dans le cours des luttes his-
toriques, et dans beaucoup de cas en déterminent de façon pré-
pondérante la forme."
Althusser, commentant cette Lettre(POUR 1,;·\\3.:(, pp. 87-I28)/

85
dans toute sa complexité cette société qu'une certaine anthro-
pologie s'est plu à réduire à l'état de c~ose morte'. ou, dans
le meilleur des cas, de théâtre exotiqueo Mais quelles que·
soient. ces réint erprétations, on. peut considérer co=e acquis
que la conception du matérialisme historique ne laisse plus
aucune place aux spéculations psycho-métaphysiques qui cher-
chaient les lois des sociétés dans les recoins d'une mysté~
rieuse "mem;alité prlmitive" ou quelque autre "per-sée sau-
vage..·• Dés lors, on voit que la notion de"société primitive"
elle-même n'a pas grand sens, si on entend par là qualifier
abstraitement des types de société sans se r.éférer
aux dé-
terminations spécifiques et irréductibles qui. les situent
dans U-'1e histoire propre •. Si nous continuons à user du ter-
me,. c'est· en tant que concept simplement opératoire dont le
contenu. est chac,ue fois. à redéfinir. Car c'est en prenant ces
sociétés comme des formations économiques et sociales histo-
ricuement déterminées qu'on peut non seulement rendre compte
de leurs stuctures et de leur mode d'articulation, mais en-
core ,. se dOIL.'1er les moyens de penser leur dynamisme interne
et les lois de leur transformation. C'est pourquoi nous ju~
a cette formule-choc . "
Jamais la dialectique économique ne
joue à l'état nur
, jamais dans l'histoire on ne voit ces ins-
tances que sont les superstructructures, etc.,. s' écarter res-
pectueusement quand elles ont fait leur
œU,Te ou se dissiper
Co=e son pur phénomène pour laisser s'avancer sur la route
royale de la dialectique, sa majesté Scononie parce que les
Temps' seraient venus. Ni au nremi er, !"" a.u dernier i nste.nt,
l 'heure soli ta ire de la "dernière instance" ne sO!"'1e .jaT"ais:"
(p.
II3)
. Voir également POSITIOnS, pp. n8-I50

86
g.eons.utile'.avant dl aoorder le cas aÎrics.in yroprement dit,
de
considérer ra:Jidement l.L."1 cas spécifique de société "yr écapi-
taliste"
où Marx en persor'l....l...·le a filS à
l'épreuve sc.. scie!1_ce de
l'histoire:
i l s'agit du "mode de production asiatioue"dont
nous nous servirons cO~ue modèle théorique - positif ou négatif-
dans l'étude de la société africaine précoloniale.
Si nous nous intéressons à ce que Marx et le mar-
xisme en général ont appelé le "mode de production asiatiiJ_ue" (1),
c'est donc qu'en tant que modèle opératoire d'analyse marxiste
d'·une. société précapitaliste, i l nous permet une approche à
la fois similaire et différentielle de 12. société africaine
précoloniale puisqu'il nous faudra savoir si celle-ci relève
du même domaine historique que l'espace asiatique ou si au
contraire elle requiert,
en tant que forme typique, \\L'le ana-
lyse spécifique faisant
jouer des catégories autres que aelne~
appliquéeLstrictement au modèle de départ.
Que recouvre donc cette notion de "mode de produc-
1.
Il faut signaler que la théorie du "mode de production asia-
tique a été élaborée par Marx, non à partir
d'un projet d'en-
semble, du genre de celui qui est à la source de l'étude de
la genèse et des formes du capital, mais sur la base de préoc-
cupations." empiriques" si l'on peut dire,
puisqu'elle date de

87
tior.. asiatiaue"
-
? Précisons tout è.'2.oord eue
_
l'obiet
u
de l'/farx
au départ était, dans Q~ schéma général d'évolution des soclé-
tés, d'étudier les formes d'appropriation du sol et les r~p-
ports sociaQx qui s'y articulent dans les sociétés précapi-
talistes. Dans ce schéma, le "mode de production asiatique"
.,
d
tI
l
"
,
,
occupe - la
eQXle::te p_ace apres la "commU1l2.ute primitive"
l.'époc_ue où 11arx suivait comme correspondant du NEW YORK DAILY
TRIBUNE les débats politio_ues sur l'Inde à. la Chambre des Com-
munes. Umgleterre) .. Il en vint à. s'intéresser aux problèmes
de la propriété foncière dans la colonie britannique et par-
tant, à l'originalité historique des sociétés asiatiques en
général.. Ct est ainsi qu "il rédigea pour le 1'1. Y.D. T. une série
d'articles couvrant cette c_uestion
et qui constitueront les
premiers matériaux pour l'étude du "mode de production asia-
tique"·.. Cf. nota=ent· "The British Rule in India", nO du 22
juin 1853 ; "Tlùi. results of British, Rule in India", nO du 8
août 1853.
Le projet original de Marx était de renouveler l'étude
des sociétés' orientales en se dégageant des conceptions phi-
losophico-politiques de la plupart de ses devanciers, de la
notion négative de "despotisme oriental" des Physiocrates
(qu'il ne manquera pas d'ailleurs de reprendre à. son compte,
mais d'un point de vue différent), à. l'apologie de l' "orien-
talisme" du Siècle des Lu;nières. Le premier texte le plus éla-
boré de Marx sur la question asiatique est le manuscrit inti-
tulé FORMEN DIE DER ~~PITALISTISCHEN
PRODGXTION VORHERGEHN
(1855-1859) publié dans les GRUNRISSE DER KRITIK DER POLI-
TISCHEN OKONOffiIE (nouvelle traduction fr.
, 3.5. , 2 vol.
198r). Pour un exposé exhaustif, on se reportera à l'ou-
vrage collectif publié par le C.3.R.M.
: SUR LE MODE DE
PRODUCTION AS1A~TQUE (E.S. , 1974) , ainsi qu'au recueil de
textes de Marx, Engels, Lénine, établi par [Ïi.Godelier :
SUR LES SOCIETES P2ECAPTTALIS~ES,
C.S.R.M., E~S. ,
1<:;73.

88
et précédant
(historiquement bien entendu et non chronologi-
~uement puis~ue les aires géograyhi~ues ~e sont pas toujours
les mêmes) les modes de production antique,
esdavcgiste et
féodal.
Concernant précisément le statut de la terre dans la
forme asiatique" Marx note:
IIDans la forme asiatiQue, du moins la Îorrne nrÉ-
dominante,
i l n'y a pas de propriété mais seule-
illent possession pour l'individu. La cOuw,unauté
est le propriétaire réel,
proprecent dit ,. d' où la
prouriété n'existe que comme propriété corr~Une du
solo'"
(FORMEN...
ŒUVRES, Pléiade, t .
II, p., 322)
Si donc la société asiatique,
par la forBe de 9ro-
priété qui y prévaut, garde encore bien des caractéristiques
de la"communauté tribale primitive" où selon Marx,
"la, terre
est le grand laboratoire",l"arsenaIQui. fOurIlit, a: la, fois'les
.
-
_ .
".
r
moyens, et;,-"les mat (" iaux- du travail , et la résidence" base de
la comlmmauté" (ibid. ,pp. 313-314), par contre le niveau des
forces productives et la nature du mode de production par
conséquent accusent une nette différence,
en particulier grâ-,
ce à l'existence d'un artisanat qui constitue Q~e division
emb~Jonnaire du travail au niveau des agents sociaQ~ et son
corollaire,
l'apparition a long terme d'un surplus accw~la-
'ole. Certes,
i l n'y a pas encore une transformation du pro-
duit en march,mdise
ce qui suppose que la propriété soit
déjà devenue propriété privée individuelle et le trav~il, un
travail aliéné -
mais i l apparaît néanBoins
, grâce à l'exis-
tence de ce surplus et le mode d'appriation dont i l est 1'00-

89
jet, un début de différenci~tion ~u nive~u de la société ainsi
a,u' une classe de privilégié s bénéfic iant de c ette~ppropria-
tion.
Or ce qui i2porte, dans le nodèle asiatique, c'est
de voir comment se réalise à partir d'u-~e fo~e initialement
cornnunautaire, un processus d'exploitét:iDn
et d'aliénationdes
individus,
signe que la société est en train d'évoluer vers
un autre sode de production (dans l'étude du cas africain,
nous attacherons une Lnportance part iculière 2.UX formes de
passage).,
D'après l'a..~alyse de Marx, il n'y a pas .3.. propre-
ment parler une exploitation directe d'individu à individu
et encore' moins de classe à classe( L)
,mais formation a
partir des structures communautaires elles-mêmes de ce qu'il.
apelle' l'
"u-"lité rassembleuse" et qui se dor.ne sous la fo~e
d'un' individu', ou encore d'une "communauté supérieure" contrô-
lant l'ensemble de l'activité de production(2).
Dans la sphère strictement asiatique,
cette "unité
supérieure'" n'est en fait rlen d'autre que la forme e:nbI"'Jon-
rzire et occultée d'un système de pouvoir centralisé chargé,
provisoirement du moins, de mener à bien les taches d'inté-
rêt commun; tels les grands trav~uxhydraU1'iquesqui sont les
conditions essentielles de la production dans ces sociétés.
Dés lors,
sont
jetées les bases d'une forme étatique oui /
,
I.
Notons que Marx ne touche mot de l'épine~( problème des
castes qui constituent pourtant la coupure essentielle en
Inde tout particulèrement
op. cit. p. 3I4

go
une Îois constituée, ne ser~ plus l'expression sy~boliQue et
idéologi~ue de l'idéal co~~unautaire mai3 bien le centre d'un
pouvoir de classe revendiquant un droit de contrôle et de di-
rection sur la société toute entière.
Comment donc s'effectue le passage entre l'tUlité
cOI!!Inunautaire que sous sa forme "fétichisée" l'lÎarx Qualifie
de "présupposé naturel ou divin" du processus de vie réel et
la forme étatique qui peu à peu prend sa place ? Quels sont
les mécanismes' internes d'une telle tr2.nsformation? Engels,
da..'1s l 'ANTI-DUHRING. nous fOUI'!li t
le s élément s d' 1L.""!.e réponse,
en tant- que- se référant à ceux Qui,
dans la Îorme com.:-nunau-
taitre' sont. investis du Douvoir de contrôle ,. il not e :
"Il va sens dire c.ue ces individus s.ont· armés d'une
certai.'1e plénitude de puissance. et représentent les
prémices du pouvoir d'Etat. Peu à peu, les forces
de production aug=entent, la population plus dense
crée des intérêts ici communs, là anta.gonistes, en-
tre les diverses cO~~1L.""!.autés dont le groupement en
ensembles plus importants provoque derechef une nou-
velle division du travail, la création d'organes
pour protéger les intérêts communs et se défendre
contre les: intérêts antagonistes. Ces organes, a_ui.
déjà en tant que représentants des intérêts co~ntL~s
de tout le groupe, ont vis-à-vis de chaque COffiQU-
nauté prise à part UL~e situation particulière, par-
fois en opposition avec elle " prero.nent bient ôt m'le
autonomie plus grande encore, soit du fait de l'hé-
rédité de la charge( ••. ), soit du fait de l'impos-
sibilité grandisséL.""!.te de s'en passer à mesurequ'au~
mentent les conflits aveC d'autres groupes. Co"~ent

91
de ce passage à l'autonomie vis-à-vls de la société,
la fonction sociale a pu s'élever avec le temps à la
domination de la société( •.. ), cou~ent, au bout du
compte, les individus domin8.nts se sont unis pour
former une classe dominante,
ce sont là des c1ues-
tions Que nous n'avons pas besoin d'étudier ici. Qe
Qui. i~porte, c'est seulement de constater ~ue partout
une fonction soc i ale est p l a base de ·la dominat i on
politiaue et aue la domination politieue n'a sub-
sisté à la longue eue lorsau'elle remplissait ceéte
fonction oui lui était confiée."(Op.
cit., pp.
207-208
souligné par nous).
Ce texte méritait d'être cité en entier car· i l décrit.
en théorie un processus a_u'~on.pe~t. repérer: dans le-mouvemeJ::t::d' é-
volution de bien. de fomes historiQuœde sociétés. Nous verrons·
ainsi c"u'en' Afriaue précoloniale la fonction religieuse a cons-
fttuiE) incontestablement l'un des points nodaux de tout pou-
voir politique et surtout que, par"tléplacements" successifs,·
cette fonction a eu··'tendance sinon à confiscuer le pouvoir
politique (par l'intermédiaire du collège des prêtres), du
moins à se substituer à lui~omme centre de décision.
Il faut reco~~aître néa~olns que le schéma éta-
bli par Engels ne saurait être érigé en.modèle universel.
La
leçon c.ue nous tirons de l'analyse du "::Jode de production
asiatique", c'est surtout celle de la necessité de consi-
dérer toute société COn3e un moment histori~ue déterminé et
portant donc en elle les lois de son fonctionnement et sa
transformation. C'est à ce titre en tout cas que le "mode

92
de production 2.siatic.ue" :lOUS i:.~téresse cOlrune 'G1odèle corapa-
rGtif. Nous pensons ~ue cette for~e, histori~uement et géo-
gra~hi~uement déterminée inclut sans doute, en dehors de la
sphère asiatique proprement dite (Hindoustan,
Java, Bali,
hauts plateaux de l'Asie, etc ..• ) certaines régions péri-
phériqu~comme la Perse, l'E~Jpte ancie~Jle, malS se diffé-
rencie fondamentalement ~uant au contenu des sociétés afri-
caine s' précoloniales. Tout d'abord parce~"illan~ue ici cet élé-
ment'essentiel que sont les grands travau..~'hYdraüllqueso,ui,
comme· l''ont Jlontré Marx
Engels" r,endent nécessaires ces
fonctions de contrôle dont le glissement aboutit à la cons-
titution d.'un véritable pouvoir centalisé(I). D'2.utre part,
parce que, nous trouverons en Afric,ue d'autres :nodes d~éta-,,'
blissement du, pouvoir, utilisant surtout m3.ssivement les for-
mes' de représentations mythiques. /4â.iS:":'quelYe, que ' soit cett e
diversité, c'est encore le marxisme qui nous permet de la
settre en évidence,
et loin d'inîirmer la validité de ses
concepts et de sa I:léthode, elle en révèle encore 12. puis-
sance opér2"toire dans toute approche épisténologique des
sociétés comme nous essaierons de le montrer dans l'analyse
de ce cas typique qu'est l'Afrique noire précoloniale.
1. Marx, ainsi. que nous l'avons indiqué, utilise pour carac-
tér'lser' le pcni'voi:/centralisé de type asiatique l'expression
de "despotisrrié:' oriental". I l S "agit' incontestablement là, d 'un
emprunt insuffisamment critiqué, s'appuyant davantage surtoute
une littérature historique et philosophique. Signalons qu'au-
JOUTa-hui,. l'antJ:1.-ropologie et l'historiograuhie llla.rxistes ont
plutôt. tendance à re.jeter Ce ter::le. Cf SU3. LE [iIODE :I1EP3.0DUCTION
ASLl.'J'TCUE

93
CI-L!l,.:PITRE II. -
ELEmENTs DE RECHR.-qCHE SUR m'I
====-=======================
"MODE D:2: PRODUCTION A.FRICAIN"
===========================
l - PROBLffiJES DE REPERES
Après l'approche "archéologique" qui nous a intro-
duit dans la problématique générale des sociétés dites primi-·
tives, la question qui. se pose <iéso=ais'c'est de savoircom-
ment déterminer ceqne sous réserve de justification ultérieure
nous: pourrions nornmer.dès maintenant un "mode de produc"Gion af-
ricain", c'est-à dire encore co=ent construire la. théorie de.
ce mode de production en nous appuyant d'une part sur les ou-
tils théoriques que nexs donne la science marxiste,_ d t 2.utre
- part en essayant de découvrir au niveau des structures des
sociétés considérées elles-mêmes de nouveanx éléments d'ana-
lyse dérivant dé leur mode propre de constitution et defonc-
tionnement. C'est dire qu'il nous faudra définir la société
africaine précoloniale Co=e forme historique déterminée et
pour cela, repérer parmi les divers systèmes sociaux inscrits
dans cet espace une forme économique et sociale prédominante
et suffisamment représentative pour pouvoir y suivre le pro-
cessus général d'évolution qui aboutira à la constitution de
l'Etat contemporain.

94
Si le schéma des "stades" constitue pour nous des
points de repère indispensables, i l n'en reste pas moins, ain-
si que nous 1.' avons indiqué, que tout e anlJ"se sérieuse devra,
par-delà les grilles d'interprétation,
investir objectivement
la, société, considérée, pour chercher dans ses propres struc-
tures internes',. donc da:ls sa forme historique d~teI"illinée, la
nature' de sa constitution et les mécanismes de sa reproduction.
Il est. incontestable que la coobinaison co=u."1auté villageoise-
pouvoir centralisé qui. est la caractéristique essentielle du
"mode' de production asiatique" n' est pas repérable comi'ne telle,
dans les sy.stèmes; africains précoloniau."l:., Pas plus qu'on ne
saurai t user de la notion,
suspect e par ailleurs... de "despo-
tisme asie.tique" pour qualifier des for:nes de pouvoir et
d'autorité présentant une toute autre figure et faisant u.ter'-
venir 'des"é.:J:émefltstout à fait spécifiques.
Il n'en reste pas moins qu'il est possible de dé-
finir une typologie générale des sociét~s africaines préco-
loniales, du moi:ls dans leurs fOrmes les plus courantes,
ainsi que l'a établie J. Suret-Canale à partir d'une pério-
disation en trois temps(I)
I. Cf. son article "Les sociétés traditio:nnelles en Afrique
tropicale et le concept de mode de production asiatio.ue" in
SUR LE "MODE DE PRODUCTION ASIA"'IQUE",. pp. 101-133

95
a) -
La co~~unauté nr1mitlve co~e preiliier stade,
dont l'activité de production se réduit ~ la ch2sse, la pê-
che et la cueillette avec comme forme d'organisation sociale
correspondante la "bande" (groupe d'apparentés réunissant des
familles conjugales) où i l n'existe~'autorité centrale. Etant
do~~é l'étendue très réduite du groupe ainsi ~ue la précarité
des conditions d'existence,
cette organisation sociale reste
nécessairement très ouverte, alliant ainsi u.~e étroite soli-
darité dans les activités de production (la chasse et la cuei:b-
lette sont. des procès de travail essentiellement coopératifs)
avec une certaine propension à l'individualisme ~ue ne vient
limiter aucune contrainte politi~ue. le statut de chef par
exemple étant strictement lié aux opérations de chasse et
prena.~t fin avec elles. Un tel type de société,. c'est évi-
dent, constitue une forme archaï~ue localement déterminée
puis~u'on ne la rencontre de manière prévalente que chez les
Négrilles ou Pygmées de la forêt é~uatoriale, 2lnSl que chez
les Boschimans ou Saan d'Afri~ue du Sud. Elle était généra-
lement disparaissante au XIXe siècle.
b) -
La "soc iét é tri baIe ou tri bO-Datriarcale~ CJ.ui
consUtue un stade supérieur, mar~ué par un niveau plus élevé
des forces productives et un mode de subsistance fondée dé-
sormais sur l'agriculture combinée cependant avec u.~e écono-
mie silvo-pastoral~et cynégétique. Il exis~ ainsi un sur-
plus rendu d'ailleurs possible par UL~e division tec~~ique du

96
travail \\apparition de métiers artisanaux s~écialisés) etqui
fournit les bases d'une différenciation sociale favorisant une
minorité de privilégiés.
En outre,
l'organisation sociale ne se réduit plus
à la famille patriarcale où l'autorité est constituée selon
la gérontocratie, mais le nouveau pouvoir prend UL~ caractère
à le. fois techriiqueet religieux, avec en particulier l"appa-
rition de fonction de "chef de terre" ou "cueLde l'eau' ainsi
quee decchef de guerre •. Notons o_ue par ses diverses caracté-
ristiques, la "société tribale" correspond. en partie à la des-
cription que fait Marx de la commtu~auté villageoise indienne
saisie en sa. phase de trcwnsition vers le pouvoir centra..lisé(I')'o
y fig~e surtout en germe ce glisse~ent de pouvoim de fonction
vers des pouvoirs d'exploitation,
ceci étant l'expression de
contradictions internes qui. poussent la société vers la divi-
sion en classes ou groupes &~tagonistes et préfigurent le sys-
tème étatique. C'est à ce titre que Suret-Canale considère
également la société t r i ba-patriarcale CO~lle une forme de
transition de la cOFoEunauté primitive aux sociétés de classes
de l'Etat précolonial •.
c) -
Les sociétés de classes
Quels sont les mécanlsmes de constitution des classes
1. Cf. en particulier l'article de Marx intitulé "La domination
britannic,ue en Inde",
N.Y.D.T.,
25
juin I853 : reproduit in
SUR LES SOCTETES PRECAPITALISTES, pp.
I7I-I77 •.

97
à partir des fornes a~térieures gén~rale~9nt com0u~autaires ?
C'est sGns conteste 2U nive2u du ~ode de productio~ de la
vie ill2."tvérielle c~u' il fsut chercher la clé de la tr2.nsfor-
r:l2.tion. Le développement, à partir de conditions écologiques
favorables, de l'agriculture céréalière en zone des savanes,
la constitution de réserves avec l'accumulation de surplus,
des phénomènes nouveaux de circulation et d'échange (notam-
ment. le comrnerce à longue distance sur l ' irrmortance duquel
nous· revi·endror..s), ·tous· ces: facteurs' combinés crée!1t donc les
conditions de. formes d'organise.tion et de direction qui, ten-
danciellementlpre~~ent leur autonomie pa=-d3ssUS les groupes
et consacrent les prérogatives de minorités exploiteuses e~
domine.trices(I).
Nous e.urons l'occe.sion d'2.nalyser plus en profon-'
deur le pouvoir étati~ue précolonial. Mais notons dés oain-
tenant que la typologie que nous propose Suret-Canale appelle
quelques réserves critiques. Tout d'abord, cette périodis2.éion
en trois . modes '.'~ .. ~ :I".ême si elle peut s'avérer historiquement
1. Co=e le note J.J. Maquet dans AFRIQUE, LES CIVILISA'T'IONS
NOIRES : "Le surplus y est p2.rticulièrement significatif parce
~u'il peut ~tre constitué de céréales et de légwnineuses ••.
Elles peuvent se conserver presque indéfiniment, sont Î2.cilement
transport2.bles, aisément mesurables et présentent 1LDe suffi-
sante uniformité pour pouvoir être comparées. Ces caractéris-
tiques permettent une certe.ine accw~ulation d'w~e richesse très
mobile." Ainsi le surplus peut être f2.C ilement séparé du T)roduc-
teur"; passer de mains en malUS
et être concentré en Cluanti~é
relativement grande." (O~.
~
C'L
.L_o , pp..
_ _ .
... li •
,
Parl" s ,
-Q~2
117-"8)

98
Juste, reste cependant trop géné~sle et ne tient cowptequ'in-
suffisa=ent des variant es régionales inévitables dès lors qu'on
considère un aussi vaste continent. En outre, il est évident
que ces "périodes" ne sont pas chronologiquement étagées, étant
do~~é qu'il existe des phénomènes de survivance qui font que même
à l'intérieur d~ systèma_ étatique, on trouve encore des for-
mes co=autaires ou "tribo-patr·iarcales" c;ui loin d' 8tre se-
condaires et en voie de disparition, en constitMent quelquefois
les' structures: de base.
Ne serait-il donc pas possible, au vu de ces sur-
viva:lces ,. de trouver' au niveau de la société afric2ine préco-·
loniale,;quant au mode de production et de reproduc'cion, une
forme général e· t;rn i que, concrètement défir!i:ssable'etc.ui repré-·
senterait. le mode de production :::d"o:..:rn::,_:::i::;n::a::;n:=.::;t. de toute cette pé,..
riode, étant par ailleurs la forme originaire à partir de la-
quelle serait pensable le passage au systèse étatique? Cette
forme génèrale, à notre avis existe réellement: il s'agit de
la co~~unauté domestique.
Avant de nous pencher sur la nature et Jes structures
de cette cOmIDlh"auté domestique, il est nécessaire que nous
déterminions nos principes méthodologiques en définissant
nota=ent ce que nous entendons :Jar "moyerL"e idéale".

99
Concerllill~t cette notion, c'est il Î2Ut le recor~~aître, dans
J
un contexte bien déter~iné ~ue llemploie Marx, en particulie~
pour expliquer son choix de la société a~glalse co~~e ~odèle
théorique pour aborder l'analyse du système capitaliste en
général. Dans la Préface à la première édition allemande du
CAPTTAL,. Marx définit en ces termes ....~.;. ::l~thode
:.
"Le physicien, pour se rendre corr:pte des procédés
de la nature, ou bien étudie. les phénomènes lors-
qu'ils se présentent sous la forme la plus accusée
et la moins obscurcie par des influences perturba-
trices, ou bien il eX9érimente dans des canditlons
~,qui assurent autant que possible la régularité de
_-0;,_
leur' marche .. J'étudie dans c et ouvrage le ulOde de
production ca9italiste et les rapports de produc-
tion et d "échange qui lui correspondent. L'Angle-
terre est le lieu classique de cette production.
Voilà pourquoi j'emprunte à ce pays les faits et
les exemples"principc.ux cui serve!lt d'illustration
au développell!.ent de mes théories." (Liv. l, t. l,
p.
18).
Il ressort de ce texte que la "::-,oyen..'J.e :i.déa:1"e" .'
du"mode prôduction capitaliste ainsi définie apparaît
moins com.'TI.e 1L"l. objet existant, un "exemple" matériel, que
com.'TI.e lli'J. principe méthodologique dans la mesure où abor-
dant l'étude du systèoe capi tc.liste ,Marx isole un "type gé-
néral" (allgeœeinen Typus) en quoi ses structures a9pa-
raissent dans leur plein développement ou plus exactement,
où "les rapports économio,ues réels correspondent bien à leur
concept". Certes, on serait bien tenté de voir là UY'.tcertc.in~

100
forme d'idéalisme et !'ep!'oche::' à bon droit à. î,Iarx d'antici-
De ... ,c-
~
r
~u VU Cl'U systD~e
';....I~~
~;n~rQl
6~.\\...~'--,
sur_ '''Cl
\\A....1.
e'ta+v_ G~"l'
' - ' "
nl~++'el_'~_dr_a
. _
....... v~
...
2. son plein développerne:::lt Q..u'"au terme d'u..."rle certaine évolu-
tian. Mais s ' i l y a "idéalis8e",
i l doit être c02Ilris non
p~s au sens d'une construction abstraite m~lS plutôt com-
me l'effet d'une conce~tualisation c~erchEnt au-delà dela
pure ~hénoménalité d'un objet" ses structures essentielles( 1) •.
Si donc la "moyenne
idéale"
joue chez Ma:'x le
râle-de cet ouérateur conce~tuel ~ermettant de penser dans
la dive:,sité phénooénale la nature du mode de production ca-
pitaliste, comment est-il possible d'ap~li~uer la même métho-
de à cet espace· infiniment plus divers, donc plus complex~
qu '·est. 1.'·Afrique noire précoloniale ? Remarc,uons qu'il ne
s'agit. pas ici" un. mode de production étE:'ct donné, de voir
commew\\iI se ''réalise'' le ~lus dans lli"1e forme déterminée" mais
par un déplacement mét~odologique, d'établir' comment à une
époque histori~ue donnée (ce que nous appelons d'u...~e maniè!'e
globale l'Afrique précoloniale), un mode de ~roduction déter-
miné.'.constitue la forme dominante, non pas donc parce que
1. Comme le" souligne Althusser, commentant le texte de !118,rx :
"Nous pouvons saisir la véritable intuition de Marx,
en con-
cevant cette idéalité comme une idéellité,cc'est-à-direcomme
la simple.conceptualité de son objet -
et non comme le résul-
tat d'une abstraction empirique.
L'objet de Marx n'est pasun
objet idéal opposé à un Objet réel et dans une opposition dis-
tincte de lui, comme le devoir-être de l'être,
la norme du
fait -
l'objet de sa t~éorie est idéel, c'est-à-dire défini
en termes de co=aissance, dans l'abstraction du concept."
(LIRE LE CA?TT~L,. t. II, ~p. 73-74).

101
toutes les autres for2es
3'Y T3duisent,
m~is parce Qu'elle
peut figurer y2r son inv~riance et sa su~rivance d~~3 ces der-
nières CO~lle le modèle histori~~e le plus signifiant. A ce ti-
tre, la '!moyenne idéale" aîricccine, telle Gye :lOUS l'entendons,
TI'a. p.lus seulement t
COEl.TD.e àans le cham];l thé oric~ue de r;l2.rx, U.:."'1.e
corillotation ~ualit~tive, csis elle a ici,de manière ~rlmor-
disle, lh~e valeur Quan~2tive au sens où s'~giSS2~t de la
CO~mh~auté domestique, Meill~ssoux définit en ces te~esson
domaine d'extension:
"La comllro.r..zuté domestic_ue agricole,
par ses capa-
cités ordo~~ées de production et de re]roduction,
représente lJ..."rJ.e fO:i"TIle d' org3.nis2..tion intégr2.le elui
persiste depuis le néolithique et sur laquelle re-
pose
encore une ~art importénte U8 la reproduction
de· la force de tr2.vail nécessaire au développe:nent
capitaliste •. " (FEMMES, GRENI&'1.S & CJ\\ PIT AJJZ, p. 14)
Nous reviendro~s da~s notre cO:lclusion sur ce nhé-
nomène de survivance )articulièrement étendue. Pou~ le some~t
essayons surtout de situer cette co~~unauté domestiq~e. Sur
le plan démographiQue et social, on peut dire qu'elle s'ar-
fu:ule en gros sur les structures lignagères ,. un lignage pou-
v~"t être déîini comme un groupe de perso~"es descendant d'lh"
~~
t
~t
anceure coa~, ce
ance re soit-il réel ou mythiQue, donc
liées de ~anière prévalente par les liens de sang, et orga-
nisées soit en vil12ge,
soit en quartier, le lignage cons-
tituant toujours le noyau autour duquel activité productive
et activité sY::lbolic1ue se const i tuent. Not ons néa!I.:'TIoins,
concernant yarticulièrement le Îacteur démographique, Que

102
l'unité de réf~r2nce peut être v2riable, de la simple i2~ille
conjugsle co~StitU2~t le premier niveau d'érticulation (c'est
p2Y
exer.1ple le nive8.u è.es liens de consang-Llinité)
et
jouan.t
par ailleurs dans le ~roc2s de produçtio~ et de reproduction
du groupe un rôle
fondamental (d'où le ter~e ie CO~Bun2Uté
domestique),
jUS~U'éU lignage ~Ul en tQnt Que tel forme un
ensemble -plutôt abst~8..it,_ détermi:n.ant surtout les activités
religieuses et symboli~u2s àu groupe coaùe espace où il yeut
se référer- è. ses a.YJ.cêt7'es et 9. ses dieu_x, 3. ses lois et ins-
titutions mythiQues(I).
Notons enfin cu '2,U niveau strict de la com..~lli"l2.uté
domestique -
et non dans les fOr2es dsrivées où elle n'aypa-
raît ~ue comee élément de survivsDce à l'i~tirieur d'~~ autre
système -
i l ~'existe ~as enco~e d'~u~o~ité ~oliti~ue centra-
lisée, toutes les for~es de dépendance se rS21isant d2ns le
cadre des rapports de parenté.
Cepe~d2nt cela ne signifie
point ~ue C8~rapport3 soient eœz-mêmes transparents et nous
aurons l'occasion d 'y repérer. des Îor:nes inter:-c.es dt 2..."Yltagonis-
mes qui seront d'ailleurs à la base de la transformation de
cette coc2unauté en des modes plus diÎférenciés et en parti-
culier vers la société étatique. Dans cette perspective éga-
lement, nous prenons Marx "à contre-yied", car i l ne s'agit
plus à partir d'une forne achevée de trouver la "clé" des
stades antérieurs, donc par une de8arche rétrospective, mais
1. Voir infra, deuxième partie,
chap.
IV

r03
au contr2~ire, de partir efîectivement de cette Îor3e "archéo-
logique!' pour cosprendre le processus de cor...stitutioi': des sys-
tèmes 2.UXCiuels elle aboutit historio_uem.ent.

104
II - LA COOO,mNAUTE DOMESTIQUE
N~ALYSE DESCRIPTIVE
Etudier la production domestique, disons-le dès
maintenant,
ce n'est ni établir des mesures G..uanti tatives ,_ ni
même recenser les différents procès de travail et de coopéra-
tian qui constituent cette
product ion(I':'ce travail statistia.ue
n'imnortant guère pour notre analyse, mais tout d'abord iden-
tifier les divers éléments qui supportent cette production
ainsi o.ue leur-mode d'articulation à. l'intérieur du système •..
Un texte de Marx,_ ici encore, pourrait éclairer la question;
"Quelles que soient les formes sociales de la pro-
duction, les travailleurs et les moyens de produc-
tion en restent toujours les facteurs •. Mais les uns
et les autres ne sont là qu'à. l'état virtuel tant
qu,' ils se trouvent séparés .. Four illle production
quelconque, il faut leur combinaison. C'est la ma-
nière spéciale d'opérer cette cosbin2.ison qui dis-
tingue les différentes époques économiques par les-
y.uelles la strl.l.cture sociale est passée." (LE CA-
PITAL, Liv. II, t. l, p. 38)
Si nous nous référons à ce texte, il nous faut donc
pour une approche objective de la production domestiy'ue, con-
sidérer attentivement deux niveaux: d'une part, la nature des
forces productives, c'est-à-dire à la fois les travailleurs et
les moyens satériels de production; d'autre part, la nature
1. Voir en particulier C. YiIeillassoux, F:E!lThlES' GREJ'1I3?S &; Ci,PITAU:C

105
du urocès de production lui-même dans le~uel ces deux élé-
ments entrent en relation,
"se combinerlt" CO::1.~e dit l\\~arx
a) -
Les forces nroductives
Meillassoux, dans FEMMES, ,GRENIERS, & CAPITAUX, décrit
de façon exhaustive les traits essentiels correspondant glo-
balement au nlveau de développement déterminé de la cou"u.~auté
domestique (1) •
-
D'abord, la maîtri-se
- - et la pratique de tech-
niques agricoles et artisa~21es permettant au groupe d'assurer
la production des biens alimentaires et partant sa reproduction
physique" une telle maJtrise permettant -par ailleurs, au niveau
de' la théorie" de distinguer la communauté agricole,
COU"TIe
phase, historique" des stades antérieurs,_ nota=ent celui de
l''économie cynégétique des hordes.
-
En outre ,. i l faut noter l'utilisation de· la terre
co=e moyen de travail (et non plus seule2ent COU'TIe "objet' de
travail"" c' est-à.-dire terrain de chasse et de cueillett e), ce
qui implique par ailleurs l'existence d'ur_ procès de produc-
tion visant, de' ma~re prioritaire à la mise en valeur de l'es-
pace ~2turel et éventuellement l'accumulation des produits
ainsi obtenus (2).
1. Op. cit., p-p. 58-66
2. Sur la distinction:
terre, objet de travail/moyen de tra-
vail, cf. Marx,
LZ CAPITAL,
Liv. 1, t. 1, pp. 181-182

106
-
Enfin,
en relation 2.vec les Î2.cteurs précités,
i l Y a l'utilisation Ge l'énergie humaine corrae seule Îorce
de travail,
la cO~ilunauté domestique, au stade où elle se
situe ignorant généralesent
la traction animale,
~ermettant
entre autres
possibilités, l 'usage de la charrue- oudes for-
~es de transport. Au nême titre, il n'y a pas, CO~lle l'i~-
dique Meillassoux de "mise en
œuvre de ::J.oyens collectifs ou
socia~x de production", donc de forme de coopération dépas-
sant le cadre strictement comm~~autaire, ce qui constitue un
autre noint par où cette fOrille
distinG~e du modèle asia-
ti~ue Qui se caractérise, ainsi ~ue nous l'avons indi~ué,
sita:lt ,. à W1 niveau très élevé, Wle coopération non seulement
entre les membres directs de la cO~llunauté, mais encore entre
les diverses cOffi2èllautés voisines.
L'ensemble de ces facteurs ré1L~is, déterminent pour
la communauté U:~ type de production basé sur l'autosubsistance,
ce qui signifie, note encore Meillassoux
"L'aptitude de la cOI:'];]unauté à. produire les subsis-
t~nces nécess~ires à son entretien et à sa perpé-
tuation à partir des ressources qui sont à sa por-
tée et obtenues par exploitation directe."
(Op. cit.,
Il. 63).
Notons pour notre part que cette autosubsist2.11ce
ne signifie pas autarcie,
la cor.~unauté entretenant avec son
enviro~~ement extérieur
surtout
en raison de la diversité
7
que nous evons
indiquée,
des rap?orts d'éch~~ge à la fois

r07
indispens2jles dans le cadre de sociétés appliQu2~t générale-
Dent ê..es Tègles strictes d' e:cog2.i:lie).
Il reste œan~oins que
ces éch~~ges n'ont pas i~llédiatesent un céractère ill2.rC~2nd,
et les oiens 2c~uis ne sont pas le ~lus souvent réintroduits
dans un s;;'"stème de !D.arché m.ais ~.~neutr2.1i3és" sous Îo~e de
biens de prestige servant en retour aux transactions matri-
moniales. On cOi!lprend ainsi ~ourquoi l..Ul déiTeloppement des
moyens ou du vol~e de yroduction ntaÎÎecte pas nécessaire-
ment le mode de production dans son ensemble, ce ~~i De si-
gTIiÎie ~as ~~'il y ~este insensi~le, nous verTons ai~Slcom-
ment l'autorité elle-~ê~e trouve son fondement da~s cette
~,
structure de la production et surtcu~oîes forseo de reproduc-
tian ~ui s'y articulent et d'autre part, CO~~ent s'effectue
la transfor2ation
du mode de production sur la base de ces
éléments.
b) -
L'or€anisation
sociale de l~ nroduction
D2ns tille économie où l'agriculture constitue 12
forme do~in2nte de la production, et o~ le niveau des for-
ces productives et des moyens tec~~iQues de production reste
relativement
bas,
c'est donc la terre Qui est le noyau au-
tour du~uel vont se distribuer toutes les structures du sys-
tème.
Or si dans le mode de production capitaliste ~u'étudie
Me.rx,
la "combinaison" du trz.vailleur aveC les moyens de
P roduction est essentiellement c~_r~c+e'rl'sé~
_
_
u
_
_~..,ar l~..... s~n~ra~"or
0:: _
v '
;..:. ,
c..~

108
suiV2r~t ~uelle for~e cet~e combin2ison s'effectue-t-elle da~s
le cadre de l~ co~mu-~a~té domestique?
En ~'2utres ter~es,
c_uel est le statut des i:::J.dividus vis-à-vis è..e la teTre <)
Dans la CO~lL~2Uté domestique agin2ire (~onc la
for~e pure ~ui n'a ~as encore été affectée par des facteurs
e;-:t érieurs)," i l n' y a :pas à :çroprement parler d' appropria-
tian individuelle de la terre, ni au sens ju~idique du terme,
c'est-à-dire comport2.nt"i:0 2.ostr2.cto ll la détermination d'un
droit exclusif d'usus et d'2.busus
, ni au sens s-:;ricter:lent
économi~u8, impliqulli~t que la terre soit simplement co~si-
dérée comme objet ou moyen dont l~ valeu~ soit essentielle-
ment déterminée par les nécessités de 12. YToduction .. Nous
retrouvons là ce que Marx, à propos de la sphère asiatique,
a:ppelait àes:i' ":;Jrésupposés. natu:-els ou divins",
car cor.n:te le
note à
juste titre Meillassoux :
"Pour un individu, l'accès à 12. terre co=e moyen
agricole de survie s'assortit-necessairement de
l'accès ~ la semence et à la subsistance
nendcnt toute la période de -oreparation des cul-
tures,
sans lesquelles la "propriété·' de la terre
n'aurait aUCèUl contenu.
L'accès à la terre est
donc subordonné à l'existence ou à la création de
rapports sociaux préalables -
filiation ou affi-
nité (alliance) -
par lesocuels _s'obtiennent
ces
matières . . . Dans leur représentation,
les culti-
vateurs ne dissocient pas la terre des ancêtres,
c'est-à-dire des liens sociaux passés et -oresents
qui en sous-tendent la productivité."
(F., G. & C;,
p.61).

lOg
On neut remarcuer aue suiva~t ces indications,
la
-
- -
distinction ~u'établit Marx dans l'aire asiati~ue entre la
comw.unauté propriétaire et l'i~dividu possesseur est encore
en-deç2 de la réalité domestique, dans la mesure où en aUCtL~
cas, on ne saurait introduire ici lli'1.e oppo'sitien
entre ce
qui serait propriété é~inente et propriété utile du sol, et
si en outre l'idée de la terre "gr2.nd laooratoire" fournis-
sant aussi bien le moyen de travail que la résidence du grou-
pe vient à l'esprit (renforcée d'ailleurs par l'attachement
à la. fois affectif et religieux du fait c_u' elle est avant
tout "terre des _"..ncêtresn ), on ne peut non plus en conclure
que nous avons là -un modèle du Il corrununisme prirni t if" puisque '0
co=e nous· aurons l'occasion de le montrer, la cOmr:!unauté
domestio_ue fait· dé jà l'expérience de contradict ions int ernes,
fondées d'abord sur tL~e. inégale redistribution du produit
entre les divers agentssocialLx et ensuite, ce qui n'en est
que la conséquence, sur des formes d'Cèutorité dominatrice,
mettant les "cadets" sous le joug des "aînés','.
Mais Sl le mode de combinaison entre travailleurs
et moyens de production nous révèle qu'il n'y a pas appro-
priation privée de ces derniers, ce qui, dans la société
capitaliste, définit le rapport social général(I), le pro-
1.
Il n'y a pas dans la co=unauté domestique ce que liarx ap-
pelle le "travail social général" et qui est le travail aliéné
des moyens de production, rllais comme le dit Ill.
Sahlins,
ilLe

lIa
blème ~ui se pose, c'est de savoir selon ~uel mécanis88 fOLC-
tiorille ici ce rapport social,
en d'~utres ter~es, da~s la me-
sure où l'on suppose que le procès de production re~o3e en
tout ou :partie sur des "raisons non économic_ues", 0_;.181 est
le mode de détermination réel des rspports sociaux correspon-
d2nt ~ ce procès.
a) -' Rannorts de D2renté et ~2nnorts de ~roduction
Pe..rler des condi tians "extra-économic~ues" du tra-
vsil ou de la production en général,
dans le cadre de la com-
munauté domesti~ue, fait donc nenser- immédiatement aux liens
de parenté qui semblent constituer le réseau complexe struc-
turant toute l'activité ~roductive et sociale de ce système(I).
Mais à considérer ainsl les r2p~orts de parenté, ne présup-·
pose-t-on pas lli"1.e "vztur2.1ité ll de la cornr:n.lnauté, 2..U point de
faire de celle-ci une dorillée non réductible à des conditions
histori~ues de constitution? D'autre part, le constar
em-
piri~ue d'une ~rédomin2nce des liens de sang 2utorise-t-il
travail ("tribal") est organisé p2.r des relations non écono;Ji-
~ues au sens
conventionnel, ap:9 2rt en2nt
à l'organis2.tion
général de la société •.. Il est une expression des relations
:;Jréexist2.ntes de la yarenté et de 12. COml'llUIlELuté, l'exercice de
ces relations."(TR1BESiiLiI..lll,
Ed. L'rerüice Hall,
1568, p. 80).
1. Marx féisait
égaleme~t des liens de sang le facteur dominant
de 12. HCO!T..:r~un2.uté tribale pri:nitive"_
voir les FOrC~EI'l•••
----_.._ - -

III
à considérer le. ullr'enté COE1..llle 'ister:::lin2.nt 2.~solument l' enses-
ole d.es rapIDrts sociau:c ? Ou alors,
Si i l Y 2- W1
G.utre fact eur
.déten~L~ant, comment faut-il comprendre le jeu entre élément
dominant et élé~ent déterminant ?
Pour répondre è. cette série de questions,
i l nous
faut dépasser l'analyse hitive de l'anthropologie classique,
obnubilée surtout par la présence massive des liens du sang
dans les sociétés dites primitives et inc2.;::s.ble de saisir
au-deli des formes apparentes le mode de fonctio~~ement réel
du. système(I).
Une première hypothèse pourrait consister à con-
cevoir, ainsi. que le suggère M. Godelier, ème "p 1 urifoncti on-
nalité"'de ces. rapports de parenté. Que faut-il entendre par
là ? Le point de départ de Godelier,
c'est c.ue le simple cons-
tat d'une dor;;inance apparente de la parenté ne nous révèle en
rien les conditions de possibilité de cette dominance elle-
même, encore moins les lois de sa constitucion. I l ne nous
autorise pas non plus à
invalider la théorie marxlste de la
détermination en dernière instance
Dar le mode de yroduction
matérielle, d'où la question
f.'
"Comment donc cooprendre en
A
mene ~emps le rôle
dominant de la parenté au s~in des sociétés pri-
mitives et le rôle déterminant,
en dernière lns-
t
d
l"
.
' d '
'"
.
1
ance,
e _ econom~e e~,
une ffi2.Dl8r8 genera_e,
cow~ent comprendre le rôle do~inant d'~~e struc-
I; Dans la deuxième partie de ce travail (en particulier au
chap.
IV,. l
et II),.nous considérerons
juste2ent les effets
surè..éte~in2,nts des ra:=:ports d.e pare!:té, à travers l' idéolo-'
gie,
sur l'ensesble du système social.

II2
ture dans lUl t~t!Je déternir:é de. société ? Il (3lr'2 L~S
Cette question, ainsiformulée,~montrec12ire-
ment qu'il ne s'agit pas de prendre les rapports de parenté
dans leur ;Jlanifestat ion imInédiate ,. donc comme une inst i tut ion
,
,
,
b
'
genera~e
c_argee,
co~~e l'i:ldiC1uent
les for..ctioIl...nalistes, d'in-
tégrer, puisqu'elle prédomine (mais on ne donne
justement pas
les raisons de cette prédominance),
l'ensemble des instances
de la société. Bien au contraire,
la parenté,
comIne phénomène
social,
et non pas seulement naturel, n'est "lisièle" qu'ins-
cri te dans l'ensemble du syst ème soci2vl. et 2.rt iculée au.x: au-
tres structures~_ celles de la production en particulier. Con-
siè.ér2.nt J' de ce point de vue,
que les rapports de pare!lts,
dans le type de société c_ui nous retient,
sont è. la fois le
fondement de 1.' activité de production puisqu'ils déterminent
le rapport à la terre ainsi que la distribution des produiës,
et de l'autorité politique et religieuse, Godelier en conclut
donc que
.
"Dans ce type de société,
les rapports de parenté
fonctior~ent co~se rapports de production, rapport
politique,
schème idéologique. La parenté est donc
ici à la fois infrastructure et superstructure."
( Op. cit ., p.
l J9) •
~2.is il faut recov...naître que cette interprétation,
si subtile soit-elle, ne résout pas pour autant la difficulté
car elle ne répond toujours pas à la question : co~sent com-
prendre le rôle dominant de la parenté et le rôle déterminant

I I ]
du mode de production mstérielle.
La solution que propose
Godelier appelle ainsi lli~e double remarQue. D'aoord,
elle
semble renfer3er tL~e pure tautologie, traitant de l~ domina-
tion des liens de psrenté non en expliquant ses méc~"ismes
internes, à savoir son mode de fonctionnement structural,
mais si~ple2ent en dési~ant la manière dont elle s'expri~e,
c'est-à-dire à trsvers l'activité de production et les for-
mes de représentation.
On aboutit ainsi à un cercle s~~s
issue- :- pourquoi-_ la pare:lté- est-elle dominante.? -
parce
qu'elle est: plurifonctiorL'"lelle, parce qu'elle fonctionne
D'autre part,. si on 2.ccepte CO::!I?_e telle l'hypothèse
de la Jlurifonctior~alité, n'y aurait-il pas Quelque o~jê~~iorr
en ce qu'on: passe. indûment de l'efficace d'une structure sur
tL~e· autre (eIT établissant nota~~ent ~ue les rapports de pa-
renté organisent les rapports de production) à
la confusion
entre les structures (ce qui aboutit à dire que la parenté
est à la fois
infrastructure et superstD~cture) ? Or lL"e
telle confusion aurait co~~e conséquence théoriQue irr~édiate
,
l
-
-
d l '
-
.
(-
- l"
l
annu_atlon progresslve
e
a structure domlnee
lCl ~ eco-
nomie) au profit de la structure dominante-déte~minante : la
parenté. Nous retomberions alors dans les présupposés idéa-
listes de l'anthropologie classique.
La méthode la plus féconde ne serait-elle pas alors
de m2.intenir la hiérarchie entre les différe~tes instances du
en reconnaissant donc le primat du· mode de
production, ~our voir ensuite c08ment, dans tUle société où

114
l'économie ~'est appare~~ent pas dominante, elle déter~lne
né"anmoins, ne serait-c e que nég2.t i vement
(c'est-à-dire :par
son incapacité à organiser l'enseIble du système,
ce Qui
"libère" les autres atructures) .. telle ou telle instance à
être dominante, Que ce soit l'idéologie, la parenté ou la
politiQue? (1).
En redéfinissa~t
ainsi le :problème, nous pouvons
Îaire intervenir- l'hypothèse de.la "causalité structurale" Que
propose.it Balibar
e. n ~ montrant en Quel sens, de.ns la c om-
mu.'1auté domestio.ue également, apparemment Îondée sur les liens
de parenté, c'·'est. "l'économie (o.ui) est déterminante en ce
qu'elle détermine celle des instances de la structure qui oc-·
cupe la place déterminante" (2). Cela revient à dire Que le
mode de. production. reste déter:ninant en ce o.u'il assigne au
rcopports de parenté eu..x-mêmes leu::- Îorme et leur place. Un
tel. mode de détermination peut être repéré à u..Yl double r:iveau .
d'abord dans le processus de constitution des rapports de pa-
renté;
ensuite dans le type d'articulation entre ces rapports
de parenté et le procès de production, dans la mesure où ce
dernier les "utilise" pour les conÎormer continuellement à
ses conditions tecrmiQues et sociales de réalisation.
Concernant le premier point, Meillassoux co montré
comment le mode de production de la société,
et tout particu-
1. C'est là le problème Que posait Marx à propos de la politi-
Que à Athènes et à Rome et de la religion au Iiioyen Age : voir
supra,. p. 81
..
2. Voir supra, p.
83 •

II5
lièrement la forme du procès de travail détermine en dernier
ressort la strùcture du groupe en jouant sur le réseau des rap-
ports d'alli2nce et de Îiliation.
Ainsi si l'on p&rt de la
horde de chasseurs-cueilleurs,
i l apparaît que le type d'éco-
nomie qui la caractérise, basée sur l'utilisation de la terre
co~~e simple objet de travail (occupation provisoire et pré-
caire de l'aire de production, donc non-territorialité dugrou-
pe,
exploitation imsédiate des ressources disponibles, sans
constitution de stocks, division spontanée du travail, les
hommes s' adop.na..'1t à la chasse, les femmes à la cueillette,
etc:)
engendre d.es rapyorts sociaux relativement contingents: .,.
la. mobilité générale du groupe et des individus eux-mêmes à
l'intérieur de ce groupe déterminant un mode d'adhésion plus
ou moins volontaire où les liens de sang restent largement se-
condaires. Les individus ainsi sont définis ;:loins par leur'.a.ppar-
c.tenanceL familiale que -.selon' - des "catégories fonctio=elles"
, - , .
' . _.~
.
(sexe ou âge) d' 2.~)rès lesc~uelles ils occuyent une place a.ssi-·
gnable dans le procès général de travail.
Comme le note Meil-
lassou.'C _:
"Les membres de la horde ne se situent pas par rap-
port à ur. ancêtre de référence, ils ne se classent
pas selon
,
' 1
-
-
11
Q
une genea_ogle Iorme __ e.
ue cert2.ins ou
tous ses membres soient reliés biologi~ue~ent est
un fait secondaire: ces liens,
en eux-mêmes, ne
créent pas d'obligations récipro~ues per~anentes,
ni ne définissent le statut
ou même le r~ng des
-d
lna2Vl us. "(li'
('
- C
35)

o '
~.,~. œ
_,
p.
.
Il est évident qu'il en va tout autrement da~s la

II6
coatiunauté a~sricole dt~utosubsis~2nce. Le
procès de production,
ici, perm2.nent ou cycl:"c!-ue, rec~uiert u.....~e forme d' org::.:'li sat ion
stable,
pouv2.nt per::-lettre une coopération durz·.ble entrs les
illembres du groupe et la pe~anence des cellules fa~ilisles
impli~uées dans ce procès. Le 20de de production; basée d'a-
bord sur la territorialité,
et ensuite sur une appropriation
collective de la terre considérée co~~e 20yen de travail, i~­
pliqulli~t par ailleurs
UL~e redistr~bution des produits accu-
mulés, nécessite de ce fait unmodede~·.co!lstitutiondu groupe
qui. lui per~ette'~ - d' assurer de lllanière adéquat e la re1Jroduc-
tian des cellules de
.. production, UL~e telle reproduction ne
pouvant être assurée da::1s UL~e société où il. n'existe 1Jas de
pouvoir central que dans le cadre des rap1jorts de parenté •.
Apparaît. ainsi ce qu'on pourrait appeler une parenté sociale
qui,. 1Jar-delà la fonction de filiation et d'ailliance,se trou-·
ve chargée de gérer l'ensemble des activités de uroduction.
C'est d'ailleurs à ce niveau qu'on peut saisir le
second mode de déternination des rapports de 1Jarenté par l'é-
nomie de la société. En effet si la parent é, à P intérieur de la
cOI!lInunauté domestique devient "sociale",
c'est 1Jarce c,u' elle
est le lieu d'expression des rapports de production (sans se
substituer à ces rapports co~~e veut l'établir Godelier) et
que si elle les organise,
ce n'est pas sans en subir les con-
ditions et les contraintes. Il y a ainsi un double rapport
entre parenté et 1Jroduction
d'une part, le procès de pro-
duction suppose COR~e condition de possibilité et de repro-
duction l'existence de liens de parenté forts et stables

II7
d'autre p2rt,
ce même procès te~d à c~nfor2er le systèce P2-
rentaI lui-r.:.ême à ses eXlgences :9ro~!'es et è..2.!lS ce cas, De
peut ~ue l'2.1té~er. Un ~ernier texte de Meillassoux décrit
addnLblement ce rapport dialectique parenté-productio~
"La;·cornmuna"J..té agricole se façonne sur le modèle
du lignage ou du seg2e~t de ligDEge. Les rapports
généalogiques sont le terrain sur lequel s'édifient
les rapports de production, terraln sans cesse re-
nouvelé. Les r2.p~ort3 de ~aren~é ~ui ~ous sont li-
vrés sont le produit de cette alté=ation •.. La Vle
et' la I!lort agissent. COL:'J.2e :gerturbation et tendent
à décomposer les, familles naturelles.
Les impéra-
tifs d"ordre économique sont :paI7~i ceu:,:: c_ui contri-
buent à la reconstituti6n de nov~elles cellules,
dont les membres sont liés,
entre· autres, pa~ des
rapports de production et de consommation. A la
famille Diologioue, incapable de demeurer dans ses
cadres généralement strict s,, se sllbsti tuent ainsi
des fanilles fo~ctio~_~elles do~t les meTIores sont
associés pa~· des obligations éco~omi~ues plus ~ue
par des rapports de consGng~inité. Dans une telle
dyna::nio...ue"
i l faut que les liens de pa:renté soient
suffisa~~ent souples pour stad~pter à ces glisse-
;:]eil-t s • • ."
CA::.:N",Tc:HR.=,,=O.=P-,.,---,==,'~ .::C..::O-,.,---,D=E",S,---,G~O.::UR.="::..:,O::..;U"---.=D",E,,---C:::..::O..:Tc:Z,,---D,,,--'..::1:..;'1,--°O:..:::I::..:R;.::::" ,
pp. 168-169).
Ainsi donc,
tout en étant "plurifonction:r1elle",
la !Jarenté
elle-m~me n'échappe
point aux déterminations du mode de
production et nous soœ~es porté à croire ~ue ;:]le~X que l'hy-
pothèse de cette polyvalence, la théorie althussérie~_~e de
12. déte!':nin2.tion "e ÎfiC2.ce" ou n surdéte!"min2.tion" des stru.c-
tures écono2iQues Dar les éléoents de la supe~structure (ent~e

II8
autres la parenté) pe~ettTait de saisir le ~cp~or~ cOQplexe
Gue les liens de S2ng entretiennent avec le mode de production,
étant entendu Qu'on ne peut en conclure à 'b~ renversement sys-
té!:J.ati~ue du niveau de déte:IT'~in2.tion. Si l'idéologie, en parti-
culier sous la forme des représentations mythiques, peut don-
ner à ces liens de sang une valeur d'Absolu, ainsi que nous
l'étaolirons par" la suite,
i l nlen res~e pas ~oins Qu'au ni-
veau du fonctionnement réel de la société, les rapports entre
les individus ne peuvent
jamais échapper'tot2.1ementaux types
de détermination,cque créent les conditions de la production
matérielle et desmod6de reproduction qui, y correspondent.
Nous· en aurons, une dernière preuve en étudi~~t les fondements
de' l'autorité dans la cOJ!l.I!lunauté domestic~ue.
b) - R~production et autorité.
Notre problématique consist2.nt à définir un ni-
veau de détermination dans le cadre de la cOill2un~é domes-
tique, nous sommes déjà parvenu à une double conclusion
premièrement, le mode de combinaison entre tra-
vailleurs et moyens de production, du fait qu'il ne s'exprime pas
par une forme d'appropriation indi~uelle de ces moyens, ne
peut à lui seul créer un rapport de hiérarchie et de domina-
tion entre les différents agents, sociaux.
-
deuxièmement, la parenté, tout en intervenant
dans les. rapyorts de production,
en orgcnisa~t notamment le
procès de travail et le Dode de reproduction du groupe,' rie'

IIg
constitue pas ~our auta~t la structure Qéte~linante du sys-
tème social, dans la mesure où elle subit elle-même les lois
de la production et assUYe donc la cohésion sociale ~2issans
en être l'assise fondamentale.
Dès lors,
la question qui se pose quant au;~ super-
structures de la commUJ.""l2.uté 10111estique ,. plus précisement ,3-
propos des formes d'autorité placées 3. 12. tête du système est
la suivante: quels sont les fondements de cette autorité et
quels. termes met-elle en rapport ? A~tfement. dit,
s ' i l n'y a
pas un contrôle immédiat sur les moyens de production,
sur
quel. autre type de contrôle social cette autorité s'établit-·
elle ?
Certes,
i l serait tent~~t de chercher une expli-
cation du côté de l'idéologie et des. formes de représentation
en. general. Dans des sociétés basées sur l'oralité, la préé-
~inence des aînés se Îonde pou~ 1L~e grande part sur' le mono-
pole qu'ils ont sur la éiétention du savoir, celui-ci englobant
aussi bien des connaissances purement techniques
(tec~~iques
culturales, procédés de fabrication etc.) qu'un cornus "théo-
rique"
(histoire, généalogie,
règles sociales, méthodes
thérapeut iO,ues)
, l'ensemble permettant assurément d' avoir
12. maîtrise à la fois du processus de· vie m2.térielle et de
l'univers mental éiu groupe.
Cette explication, pour juste qu'elle soit, n'est
pas cependant totalement satisfaisante dans la mesure oh le
monopole. =_nvoqué n'est qü t aléé~toi~e,
su~tout si l'on consi-

120
dère ~ue le 52voir dont il est question, pour se conserver,
est COr..d2~TILY1é 2. "circuler ll et d2,~S les sociétés ai'ric2.ines tr2.-
ditio~~elles, il existe tout un systè8e de t~~nsmission, spé-
cialement l'initiation, qui à un moment déterminé de leur
existence,
le met à la disposition des "c2.dets"
Si l'on ne peut en rester au niveau des simples
con.....laissances, i l
devient nécessaire de' sonder les structures
de la production pour y chercher les fondements ultimes de
l'autorité .. Nous découvrons alors que le pouvoir des aînés
repose
non sur un contrôle direct des moyens de production
et encore soins sur une simple maîtrise du savoir, mais, à
travers 11..'1. processus. beaucoup plus complexe,
sur le mo-
nopole. des moyens de reproduction hèlillaine, à savoir les moyens
de subsistance et les fe=es.
Il ne s'agit pas,
ici,
de revenir sur l'efficace
des liens de parenté sur le procès de production, mais devoir
en quel sens la constitution des rapports de parenté et tout
particulièrement des rapports d'alliance est elle-même l'effet
d'un certain état de la production et co~~ent en retour, elle
est ce qui structure l'ensemble du système social. En fin de
compte, le schéma théorique auquel nous aboutissons est le
suivant
l'autorité des aînés est liée.
au contrôle
des
rapports matrimoniaux (doncde la circulation des femEles)
contôle qui cependant n'est possible que si les aînés s'as-
surent en r;-.ême- temps la maîtrise des produits de subsistanc e
qui sont ,. de manière directe ou i"directe, à la base des

121
éch:::.nges iTIatri:noniaŒ{.
L2. G_aesti.:Jn qui se pose est donc la
suivante : selon ~uel processus le pouvoir économi~ue (à
définir) des aînés leur donne-t~il un pouvoir de contrôle
sur la réalisation des alliances ~~trimoniales, donc sur
la circulation des femmes,
fondement même de la reproduction
sociale? Autrement dit,
et en se référant à l'hy~othèse
d'Engels(I),
comElent s'effectue ici. le passage entre fonc-
tion à caractère économi~ue (co~trôle et organisation de la
production)
et fonction :;Jolitique d 1 autorité ?
Considérons pour co~~encer ce pouvoir économi~ue
des aînés •. Il a en fait sa source dans le ;;"ode de circulation
des. biens de subsistance,
en particulier d~~s le rapport dys-·
symétriQue. entre prestations-redistribut ions. Il faut voir en
effet. Que dans' la communauté dOl!lestio.ue,
l'aîné occupe d 'of-·
fice une fonct±on de direction dans la production , Que ce
soit dans la phase du procès de travail ou celle du stockage
et de la redistribution du produit à fin de conso~uation ou
pour la reproduction du cycle productif (graines pour les se-
mailles par exemple). Or cette fonction de gestion de l'aîné
n'est- yossible que parce qu'il y a ~~ mode de circulation à
double sens : d'u-~e part, prestation des cadets au-, aînés,
ceu-,-ci recevant la totalité de la production; d'autre part
redistribution de ce produit aux cadets, ainsi que nous l'a-
vons indi~ué.
1. Voir supra, pp. 90-9I

122
Il Y a alors dyssymétrie en ce ~ue Sl d'~~ côté l~
prest~tion est totale et impli~ue 2ussi bien les produits de
subsistance c:..ue les articles artiS2.!l2.UX, de l' 2.utre 1 d2us
l'axe aînés-cadets,
la redistribution est partielle, UI"e part
des biens vivriers étant stock~au profit
des aînés et ser-
vant soit directement a~x trans2.ctions matrimoniales, soit,
dans le Cê..S où i l existe des relations d'échange avec des
groupes voisins marchanàs, à l'acquisition
de o;ens de ures-
tii;:;e'qui seront investis dans ces transactions
. l
.
( l_ peUl:;
s'agir
variablement de oétail,. de pièces d'étoffe, de métaux,co=e-,'
lesbâ:t'Tes~de::fer:oud.ec_cl,üvre,d'articles "de luxe", tel
l 'îvoire" voire simplement cl' autres produits vivriers).
Or cet investissement maUimonial,
qui constitue in-
contestablement un détournement d'une part de la production
des producteurs (: les cadets) vers les non-producteurs (les
aînés)
est également le moyen par lequels ces derniers exer-
cent leur autorité, voire la dow.ination sur les premiers,
si
l'on sait que dans ces sociétés seul le marlage consacre l'ac-
cession de l'individu à la classe d'homme et le libère de
l'état de mineur a..ui non seulement le margi~alise,. :r:.ais en-
core le met dans une totale sujétion à
l'égard des membres
plus âgés du groupe(I).
1. Voir sur ce point les analyses très détaillées de M. Augé
à partir de deux populations de Côte d'Ivoire (les Alladian et
les Ebrié) dans THEORIE DES POUVOIRS ET IDEOLOGIE, ainsi que
G. Balandier, AJ"ITHROPO-LOGIOUES, prenière partie.

123
Ce Ciue Balibar
a:?pelle la "caus8.1ité s-trJ.cturale"
de l'éconoDie peut ainsi donc être démontré au nlveau Qe la
cornnunauté domestique,
puisQu'elle s'y exprime par l~ 2édia-
tion du processus interne de reproduction. Et Que la fonction
de déter8ination se situe à ce niveau n'a même rien d'excep-
tionl'lel, si l'on considère Que dans un tel type de société
l'état de la production, de par sa faiblesse,
ne peut infor-
mer à lui seul"
et directement,
l'ensecble du systène. Et
partant de cette base,
les éléments de la superstr~cture
(ici les fonctions d'autorité et de direction) n'en seront Que
puissants"
offrant ainsi ce caract ère docinant sur lequel la
plupart des observateurs se sont arrêtés. La vérité èu sys-
tème,
'cependant:' , est à chercher au niveau d'une inter-
relation dialectiQue entre production, reproduction et leurs
supports' socio-symboliques,
inter-relation que Meillassoux
décrit en ces ter8es
:
"Les alliances (watrimoniales) ne sont !Jas indé-
pendantes de l'économie. En dOllPznt à ces cou~u­
nautés endogènes les moyens de se reproduire, elles
sont la condition de la perpétuation du groupe.
Gr~ce 2U système de la dot, les ~ariages sont éga-
lement cOffiillandés par le mode de production, de
circulation et d'accuzMlation des biens. Procédant
de l'organisation sociale de l'économie, la richesse
Qui permet le mariage est employée par ceQ~ qui la
détierL~ent à la perpétuation de cette même organi-
sation. Reproduction naturelle, reproduction des
str~ctures sociales et organisation de l'économie
sont étroite:nent associées dans lli'l systèce cohérent."
(ANTHROP. ECO. DES GOliRO,' •••
, p . 191)

124
Ce mode de reproduction et le "y~e de contrôle so-
cial QUl lui correspond ne révélent-ils pas ainsi, contraire-
~ent aux conclusions hâtives de l'anthropologie classi~ue
qu'une forme de société comme la coomunauté domestique recèle
elle aussi
dans son sein des formes de contradiction qui,
quel
que soit leur degré, ne peuvent laisser le systèDe qui les
porte daIls un iomobiliswe perpétuel ? Aussi longt ewps ~u' on
faisait fonctioIlller de telles sociétés ~~i~uement "à l'idéo-
logie"',. en instituant donc comme principe de leur constitu-
tion et· de leur reproduction ces instances iomuables que sont
les liens biologiquès de la parenté et les formes symboliques
qUl s'y ar.ticulent,. il. était possible de les maintenir en
marge de. l 'histoire et de ses modes déterminés d'évolution.
Il en- va tout autrement. dès lorsqu'on. rétablit,
en déterminant son efficace,
chaque structure à sa place. En
reco~~~issant surtout le caractère primordial du wode de pro-
duction,
on se dOIllle les ~oyens de penser le processus interne
d'évolution et de transformation qui est à l ' œuvre dans la
communauté domestique. Ainsi,
la seule évolution démographi-
que peut être porteuse de mutations décisives en ce ~u'elle
se traduit généralement, au cas où elle n'entraîne nas de
segmentation du groupe primaire, par
l'institution de nou-
veaux rapports sociaux au sein du groupe. En outre, un déve-
loppement radical des forCes productives et des moyens de
productions impliquem-.
'. à long terme ~~e modification des
formes de la production, par QDe augmentation et une diver-

125
siÎication des p~oduits ~insi qu'une ffiodiÎication du procès
se travail avec une division plus poussée des tâches. Cela
signiÎie,
en U-~ mot, l'apparition d'un nouveau système so-
c ial.. Il. illlporte alors' Dour une approche: éclairant e de l'aire
aÎricaine précoloniale, de voir comment s'eÎÎectue au niveau
de la conull1..L"l1.2.uté domestie:.ue que nous avons prise COIIl.rlJ.e "moyen-
ne idéale" ce processus de transÎormation.

126
III - ESQUISSE D'UNE THEORIE DE LA TRANSITION
A -
Les contradictions de la communauté domestiaue
====================~======================~==
La COIDIDu.>auté domesti~ue,
telle Que nous l'avons
ar~lysée, apparaît donc comme une ,forme hé~ogène en elle-
même" combinant au . niveau des rapports sociaux des liens de
parenté très' puissants avec des ;;Jodes de dépendance
à la fois,
économi~ue. et sociale plaçant les cadets sous l' autorité di-
recte des aînés,
en raison notanrnent du r:lonopole a_ue ces der-,
niers' ont sur les. transactions matrill!oniales.
La
t "
dt
.,
~
~
l
Ques lon, C.Ul se pose,
une manlere genera_e ,.
c "est de savoir. si l'on peut considérer ce type de société
comme étant strictement égalitaire. Est-ce Que la dyssinétrie
exist~~t dans le double axe prestation-redistribution et Qui
permet le contrôle social des aînés peut être assimilée à une
forme initiale d'exploitation ou bien ne faut-il voir là ~u'un
processus inte~_e de rég~lation de l'ensemble du système in-
tervenant' suT.' le seul élément de la structure sociale où,
étant donné le stade historique de développement, un tel pro-
Cessus soit opératoire, à savoir le niveau de la reproduction?
Evide~ùent, si l'on considère Qu'il y a exnloita-
tion,
ou à tout le moins extorsion toutes les fois que les
,
producteurs directs ne sont pas en même temps ceèU ~ui déci-
dent de l'affectation du produit de leur travail,
i l y aura

127
d2~S la cOŒillL~auté domestique èeux situations à considérer
d'abord celle des femmes,
ensuite celle des cadets.
La division sexuelle du travail, et le mode de Dro-
duction lui-même, font que dans la co~~unauté domestique, ce
sont les fe~~es qui sont les premières victimes de ce ~ui sem-
~e être lli"e double dODination (1). Tout d'abord, c'est au ni-
veau des. alliances matrimonie.les que l'élément fémir:.:i-n se
trouve complètement assujetti,
et i l ne semble pas exagéré de
dire qu'il y est traité co=e un sisple objet d' échar,ge par
les aînés.
La fe=e en effet est doublement convoitée: d'une
part, :par' les c2.dets po~ qui le mariage et la création d 'lL.."l.
foyer sont les: seules conditions :;Jour une accession à l'au--
tonomie· et partant t .3, la responsaÏJili té sociale
; d' autre
part par- les aîhés qui, grsce à la maîtrise sur les oircuits
matrimoniall.x où la femme figure COrrLïle "monnai e d' é ch.ange Il (2) ,
parvie~~ent à contrôler l'ensemble du systèse social.
1. Précisons ici que nous re jetons systématicyement le pré jugé
occidental qui veut que dans la société africaine la feffiQe soit
partout et toujours une dominée. Dans certaines de ces socié-
tés, i l est vrai très peu difÎérenciées, elle a un statut et
des droits tout à fait égaQx à ceux des ho~es : liberté sexuelle,
quelquefois
jusqu'à la naissance du premier enfant
(cas des Do-
gon-.), di·vorce relativement facile,
Douvoir économique etc.
Les
plus âgées ont, StIT le plan social les mêmes prérogatives que
les hommes et i l n'est pas rare qu'elles soient Chef de famille
ou même Chef de village. Citons enfin le fameux corps des
Amazones au Dahomey,
qui était la yièce-lliaîtresse du~pouvoir
royal::: •
2.
Lévi-Strauss note àaI2s LES SJïl:?UCTUR3S EL2IrIEl'T'rAIRES DE L..il_

I28
D ' 2.utre part, dans le c2..clre dOl:1est iO,-ue ,les:- femE1es
ass~~tdans le procès de travail 1L~e part considérable, sur-
tout dans les zones d'agriculture de pl2.~tG6e-boutursge
(i~a2e" manioc, taro, etc.) où à l'exclusion des travaux de
déirichagedes terres exécutés par les hO];1~":les, toute la nro-
duction est assurée pare, L:r e's~ ""Or ce travail fé::!inin est
un travail aliéné de ses produits puisque c'est généralement
l'épo~{ Qui. détient les Îonctions de contrôle et de g9r~nce
et peut ainsi en user 2. discrétion .. Nous avons donc ici
une
double forme de dépend2nce de la feffi2e,
tant au niveau des
rapports matrimoniaux qu'à celui des rapports directs de
production" mais i l reste à noter que cet éléme!lt contradic-
toire i:le::rèvêt:-;:pas.:forcéinent
au niveau des rap:;:orts sociaux
un caractère antagoni'1...e: et 8.insi, l'évolution de la coa":lU-
nauté domestique n'apportera que peu'd'El' changement:> au statu,t~·:,
Les cadets constituen~ l~ deuxième catégorie de
dominés(I). Il s'agit, ainsi que nous l'avons vu, des for~es
de dépendance dont les cadets sont l'objet vis-à-vis des aînés
PA3.ENTE : "La. relation globale d'échange CUl constitue le ma-
riage ne s'établit pas entre un hoa~e et une fea":le ~ui, chacun
doit et chac1L~reç9it; quelque chose: elle s'établit entre
delLx groupes d'ho~~es et la fe];1~e figure com~e \\Ul objet de
l'échange, et non corr~e lL~ des partenaiTes entre lesquels il
a lieu." (2ème édition, Mouton, Fe-ris-La Haye, I957, p. I35)
I. Cf. Balandier, ANTHROPO-LOGIQUES, ch2.p. II : "Pères et fils ,.
aînés et cadets".

I29
der:liers .. Faut-il. ce:pe:r...d2.~t interyréter 12. prsminence 50-
ciale des aînés en ter~es d'exploitction économi~ue ? 12
question est cssez complexe si l'on en reste au niveau 2CO-
nomique. Certes, les biens investis dans le circuit d'al-
liances constituent un prélèvement fait sur les produits du
travail des cadets (et des fe~es à un second degré), mais
i l faut voir que cette extorsion n'a pas un caractère direc-
te~ent économiaue (il ne s'agit pas, co~~e d2ns le système
marchand" d "extoro_uer du surtravail pour créer et accumuler
de la plus-value), elle vise surtout à assurer ll.'1.e fonction
politique en permettant 2.~C aînés de contrôler l'e~se2ble du
nTocessus' de reproduction sociale. C'est par là cependant que
le rap~ort aîné-cadet prend le caractère fondamental de rap-
port de production et dépasse la simple relation idéologico-
politique-. Ellc--effet" co='e le souligne P.P. Rey,:
- --
-
-.-
"'••• Ce qui est iJ:lport2.nt, ce n'est pas o,1.1.e l' ex-
torsion soit forte ou modérée, compensée ou non,
mais qu'elle s'appuie sur un ensemble de rapports
sociaux tels que la production ne puisse pas se
poursuivre sans elle." ("Contradictions dans les
sociétés lignagères" in DIALECT1QüES nO 21, p. 123).
Or c'est bien là le caractère de l'extorsion dans
la cQnrrRh~uté domestique, en tant qu'elle détersine tout le
processus de reproduction qui est l'élément dominant du sys-
tème social. Et ceci est tellement vrai que le Jour où, les
cadets éta.'1.t à même de contrôler eux-mêmes le circui,t
des

130
alliances matrimoniales,
les aînés perdront leurs prérogati-
ves, le mode de production domestique aura déjà subi deprofon-
des transformations, du fait nota~uent de l'économie detraite
introduite par la colonisation.
1e débat reste cependant ouvert sur la question de
savoir Sl les contradictions du système domestique
autorisent
à parler .. d'·éx:Lstence
de classes. Certains anthropolo~~es
marxistes répondent' par l'affirmative (1), ~2is pour notre
nart, nous émettons un certain nombre de réserves. D'abord,
i l est évident:
que les rapports entre les différents groupes
qui constituent la communauté domestique n'ont pas le carac-
tère antagonique· G.ue revêtent' nécessaireruent des rapports de
classes (2). D'autre' part, il. n'y a pas entre ces groupes une
ligne de démarcation assez nette" ,fondée exclusivement sur des
rapports économio.ues" puisoue, les liens de parenté, même s'ils
ne sont pas déterminants, restent largement dominants. Notons
enfin que le statut de cadet lui-ruême est davantage un fait
de nature qu'u.~ fait social (même si dans le groupe élargi,
les manipulations généalogiques aidant, certains individus
seront toujours placés dans une situation de dominés), donc
surmonté par 1L."l processus purement "biologiG.ue" et non par
1. Cf. notamment P.P. Rey: COLONIALISI'llE, NEO-COLONIALISItIE ET
'l'R.l\\.NSITION AU CAPITALISME, lilaspéro 1971 ; LES ALLIAI'TeES DE
CLASSES, 1973 • C'est également la position de E. Terray
(DIALECTIQUES nO 23).
2., Voir 3ngels
: LA SITUATION DE U. CL..4.SSE LA30RLSUSE EN ANG LET ERR!
1

131
une lutte :,politique et économique.
Si à un yrer::ier :livesu i l
y 2
extorsion,
l'aîné n'est-il pas e~ mêce tenps celui qui
doit do~~er nécessairement au cadet les moyens de son 2scen-
sion sociale,
e~ l'occurrence l'épouse, ce qui revient en fin
de compte à l'·émanciper de .to~te sujétion ?Reste ·alors UIle
dosination pureDent sociale que seule l'instauration d'ml
nouveau mode de production transÎor~era en domination poli~'
tique et surtout économique.
Si la communauté domestique est UIle "moye!'_l'J.e idéale"
d '·après la définition c,ue nous avo:J.S do=é e de la notion, cela
signifie en tout premier lieu qu'elle ne représente pas Ql'J.e
forme pure et les contradictions que nous avons mis en évi-
dence en son sein son~ la preuve que loin aussi d'être une
forme fixe, immuablement constituée, cette co~~unauté est ap-
pelée à évoluer 7ers des systèmes plus largement différenciés
pour peu que les conditions historiques s'y prêtent(1). Si la
coœmunauté domestique survit à travers de multiples transfor-
mation~ ce n'est donc qu'en se combinant avec d'autres struc-
tures de production à l'intérieur desquelles s'accuse la
1. COnur~Q~les formes de développement de la cO~~Ql'J.auté domes-
tique, il y a un point de contradiction important dont nous
n'avons pas discuté i c i : il s'agit de ce que les ant~~opolo-

132
tendc~nce d 'll....""2 grolxpe org2.r:iCiue üO!'1.né à c:onfisc:..uer è. son ::;Jrofi t,
avec exclusion totale des ~utres, et cane pér la
les avantages de la productlon et de 12 reyrodu~tion sociales.
Ce Qu'il s'agit donc de penser ici,
c'est le 0ro-
cessus de transÎormation de la coa~UL~auté domesti~ue et ses
mécanismes internes. Certes,
i l n'est question de repérer dans
le dét~il les diverses formes historiQuement constituées à ~~r-
tir de cette
t '
.
coa~~2.U e,
ma~s là. ég2.1ement "llIl "type
génér2.1"
suffisamment représentat~'de toutes les Dossibilités d'évo-
lution qu'elle renÎerme
en son sein.
Zn d'autres ter~es, i l
importe de voir comment à partir de la cOm2lli~auté domesti~ue,
s'est constitué L'Etat africcin p~écoloni~l.
Notons pour commencer Que le mode de passage d'èL~e
forme de société dovBée à Q~e autre,
si l'on appliQue les prin4-
~es du matérialisme historique ~ui jus~u'ici ont guidé ~otre
analyse, ne saurait être 'envisagé ·COITline 1 1 eÎÎet accid.entel de
causes exogènes,
ce CJ.ui blen entendu ne signifie' pas que des fac-
teurs extérieurs ne puissent i:ltervenir è.. titre de "à.étonateurtl •
Ainsi, si Engels considère l'Etat gerQain co~~e étant né ces
At
. 1 . ...:..
.......
11
...
con~ue
es illl_lval.es e __ es-oemes,
la nécessité de gouverner
gues ont appelé l '
"esclave lignager" et c;ui a vu 2. partir des
ra~ports inégawc aînés-cadets la constitution
de fO~.es de
servitude à l'intérieur des groupes eux-mêmes d'abord, favorisée
par le phénomène de différenciation entre les lignages, puis
dans les rapyorts entre cOffi.:-:J.Dnautés voisines:et
enne!ilies. Sur
ce point, voi~ les études réunies ~2ns L'ESCh~VAG~ 3N AF~IQUE
PRSCOLONIALE,
édité par 'rIeille.ssoQx ([v!aspéra,
1975).

133
de vastes ter~itoires imposant ~ux e~vahisseUl~s g8~2ains de
substituer aux fO~2es dtorg2ni3atio~ gentilice
i..t..a.~ organisme étatic_ue c8!ltralisateur, ïl !l'en recoru:s.ît P2,S
moins Athènes COû'L'"il8 la Itfo~w.e (de pass2.ge) la plus pUTe, la
plus classi~ue" , l'Etat naissant directe!nent ici
des ~n~~~o!1;s-es
c..__ VC::~5
__
l~
l·~~~~~~~s
_,!...,ll. ...... _:::::::.:...l.u
~~ l~
"-
~~~e;lle
v..l..
__
soci~~e'
_ ' - ' 1 . , , : : : ~
. . .
Qu'implique alors, pour 12 théorie de la tra~si-
tian, cette nécessité histori~ue d'une tr~nsfor3ation inte=ne
qu'on peut di~e dialectque, puis~u'elle vise à ~roduire lli~e
forme nouvelle
à·: p a r ' t
i. r
des structures de l'ancienne
>société elles-mêmes? Un tel processus signifie tout d'abord
que la forme de la transition, tout coa~e 12 constitution du
mode de production de départ, n'est pensable dans le cadre de
la science de l'histoire que d'après le principe fondameI'..tal
Qui institue la base matérielle de la société et les muta-
tions qu'elle est susceptible de cOlli~aître (développement des
forces productives et des moyens de production) Co~oe le point
de départ en dernier ressort de tout changement notable dans
les superstructures juridico-politi~ues.
Ce rappel théorique étant fait,
prendre les con-
tradictions internes de la société co~~e moteur de s~ trans-
formation suppose en outre Qu'on ne peut penser la phase de
transition,
incontournable,
e~tre 12 vieille société et la
1. Cf. L'üRIGIN3 DE Ici\\. ?_"Ji!ILLE •••
,
"La f0r32.tlon de l'Eta.t
chez les Ger2ains~-' pp. 154-16ô ; "32,rb2,rie et civilis2.tion",
pp.
I66-IS6

I34
nouvelle com.-:le une ror3e "autonome", tot2..1e~ent désarticulée
d1avec la forme de départ, sêwe si cette dernière y est p~o-
gressivement dissoute. Il faut en effet que le processus de
transformation ~ette à la fois en jeu et les sUuctures du
mode de production-support et les éléments histori~uement
inédits qui. agissent sur ces
structures et peu à ~eu y
opèrent de proÎonàes mutationS4 C'est encor~ dire que la
phase de tr~nsition est à l~ fois un procès de dissolution
et de- constitution, et ce double
jeu, au sens mécanique du
terme, la constitue COI!lI1le un "continuum" dyn2.TIJ.iClUe,
étant
entendu que la dissolution d'un mode de production, dans la
mesure même où elle ne s'effectue que progressivement,n'ar--
rête pas entièrement le procès de production en cours,
mais
agit. en'.~réalité sur ce procès en infléchissant soit directe-'
ment- ses: éléments constitutifs, soit, comme nous l'avons vu
dans le cadre de la communauté domestique, les formes de la
reproduction sociale. Un texte capital de Balibar portant
sur le problème du passage pourr~it éclairer avantageusement
notre propos. Ainsi note-t-il :
"D'abord toute production soci2.1e est une re-product
c'est-à-dire une production de rapports sociaQx •.•
Toute production sociale est soumise à des rapports
sociaux st~~cturels. L'intelligence du passage ou
de la"transition" (i'un mode de production à un au-
tre ne peut donc
jamais apparaître co~~e un hiatus
irratio=el entre deux "périodes" c~ui sont souiTIises
au fonctionnement d'une structure,
c'est-à-dire qui
ont leur concept spécifié. La transition ne peut être
un moment,
si bref soit-il, de déstructuration. Elle

135
est elle-même lli~ 20uveDe~t so~~is à une str~cture
'·l.c'~'·
. (
' L
~
d
c:.U J.
.Lauv
aeCOUVTJ.Y
. . . )
·es Iormes
U p2.ssage sont
elles-rr:ê::les des "formes (part iculières) de '_manifes-
tation" de cette structure générale.: elles sont
donc elles-mêmes des ::lodes de uroduction. Elles
impliquent donc les 2êmes conditions ~ue tout mode
de production, et notamment une certaine forme de
la complexité des rapports de production, de la cor-
/
repondance entre les differents niveaux de la 'lra-
tio,ue sociale ••. " (LIRE LE CAP1'i'AL, t. II, pp. 178-179),
La leçon que nous tirons de ce texte,
c'est la dé-
couverte d'une nécessité théorique à déte~iner la st~~cture
de la transition prise co~~e ~~e forme spécifique, ~~e telle
détermination n'étant par ailleurs possible que si l'on sou-
met cett e fonne en tant que t elle à la méthode d' ané.lyse des
modes de production, c'est-à-dire si l'on y définit le mode
historique de combinaison qui constitue toute société do~~ée,
à savoir la combinaison entre travailleurs et Doyens de pro-
duction, ainsi que le type d'articulation à ces rapports de
production des formes juridico-politiques et idéologiques.
Sur la base de ces considérations, prenons donc la
cOI!lr;:unauté domestic"ue telle
,,-u'elle--s'été
ë..écrite. Au ni-
ve~u de ses structures propres, elle présente déjà toutes les
caractéristiques de cette "complexité des rapports de produc-
tian", ainsi que nous l'avons montré. COI'.cernant le processus
de transition, Quels sont
donC' les éléments nouveau:l(
dont la combinaison
avec les vieilles structures, consti-
tue
alors les fondements d'un nouveau mode de ~yoduction ?
- - _ . _.... _.-

1.36
Sur cette ~uestion, fondament21e ~our l'intelligence des 50-
C i~+e's
_
.....
;J
afrJ.·c~i~es
_
c..... _ . .
u~écoloni~l~s
_ ... '-'
_c.._..... , nous pa~t~geons entièresent
l'hypothèse 2~ise par C. CoquerJ-Vidrovitch, en dépit des
nombreuses réserves dont elle a été l'objet. Dans une étude
intitulée."R~cherches sur un mode de uroduction afric2.in",
elle ~~outit à la conclusion suivante :
"Il nous paraît que c'est d2.ns le jeu dialec-jjj;_ue
des relations ou de l'absence de relations entre
nivealL~ socio-écoriomi~ues apparea~ent hétérogènes
au sein dllli~ même ensemble (~o-existence de strQc-
tures clanioues co~nun~utaires et du système te~~i­
torial, supernosition de l'auto-subsistance fa~iliale
èt des échanges à longue distance) que l'on doit
chercher le oo-;;eur de l'histoire des peuples d'Af-
rique noire: à chaque oooent, celle-ci répond à
un certain degré d'évolution des rapports régissant
ces termes contradictoires et, par suite, généra-
teurs de déséquilibre et de conflits."
(C.E.R.M.
SUR LE ~ODE DE PRODUCTION ASIA'i'lQUE, pp.355-.356 -
souligné par nous).
L'élément fondamental,
ici,
c'est l'intervention
dans le cadre· de l'économie domestique d 'lL'1. nouveau procès de
production constitué par un circuit.
d'
"échanges à longue dis-
tance": c'est donc de là qu'il nous faut partir pour appréhen-
der la forme de la transition vers le système étatique préco-
lonial(I). CODillent se présente cette nouvelle forme decombi-
1. Précisons encore ~ue ~ous n'entendons nullement définir pour
l'Afrique précoloniale une fOr2,e unicue de transition vers

137
naison tant ~u ~ive~u des structtITes éconoDiques G~e àe leu~
expression juridico-politi~ue? Tout d'abord,
i l faut voir
~ue ce~te comoin~ison se Îait entre élé~e~ts ~étéYogènes et
dyssy~étriques, mais Qui ont tous pour support la cOîSu.~auté
domestique.
L'extension démographique,
le déveloPDement
des
forces productives,. la diversification des procès de travail
ont yrogressiveffient modifié les st~~ctures comsun~utaires
d'autosubsistancecet favorisé des formes 2.ctives d'échange
d "abord entre' les co=unautés voisines (cet écharlge limitrophe
s'acco'Pagnant la plupart du temps 2.vec des alli2.rlc es de type
matrimonial) " ensuite et particulièrement pour l'aire ouest--
africaine,. l"inauguI'él-tion d'un commerce contirrental concur-
renç
.
~~t
=~
la t~~i~e
."-_0' atl~~~i~ue
"---0-4
~sse_~+'l~_lle~."e_~_+
_
__
_
_
v
-_~o_~_dpp.
_ .
sur la
l'Etat',. étant entendu qu'une telle généralisation serait théo-
riquement infondée et historiqueoent faus3e.
En outre, elle
supposerait que l'on yût la vérifier sur urLe longue échelle
en consi~érant tL~e à Q~e les différentes fOY7leS de ~assage.
D'aille1.,ITs Marx ne disait-il pas qu'
"une même base économique
(la même quant ~ ses conditions fondamentales), sous l'influence
d'innoobrables conditions empiriques différentes, de conditions
naturelles: .·,de rapports sociaux, d'influence historic_ue···extérieure
etc ... peut présenter des variations et des nua~ces infinies
aue seule une analyse des conditions empiriaues pourra élucider. tl
(LE C_~_PITAL, Liv.
, t . VIII, p. I72)? Or ces conditions er:!-
.
.
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plrle,ues ,. en ."- rlque preco_onla e, reve_ene
e pro on es
l.L-
férences ~uant au processus de constitution de l'~tat. Ainsi,
les échanges co;:nzerci8.UX à longue distance TI' ont été apparer::J...!'11ent
d'aucun effet darrs la genèse des Etats Mossi ou de ceQ~ de la
zone interlacustre,
fondés exclusive~ent sur une éconor:!ie
2.gricole ou pastorale. ··l'lotre h;r;:lOthèse ne concerne
dO!lC qu 'll.."le
"typologie"assez générale.

capture et la ven-';:;e des escla'les.
Le cor:J.l7~erCe
saharien et inter-
régional, s'il n'exclut pas totalement le :;larché des esclaves
(celui-ci se ~éveloppe consiŒéraole=ent êvec la r2di~alisGtion
des formes de servitude d08esti~ue du fait de l'aiguisement des
antagonismes
intra-CO~~llL~autaires, ~ais surtout sous l'i~pul-
sion de la traite atlantique qui rendait l'esclavage très lu-
cr2.tif) concerne plutôt ce:gendant l' e:(portation de produits
vivriers dans l'axe Sud-Nord (Etats Maghrébins en général)
graJ..·ns

" karJ..·~e'
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,~oJ..·sso~
: , "
seC, co+on
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e/~o-_~T_-~s
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loc~les,
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col~,
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ainsi. que 1.I·or et des métaux précieu.x, tandisQue d"J.. No::"d,. ar-
rivaient surtout le sel ge~e (Taudénit), le bétail, des ;ro-
d",its artisanaux(I).
L' instaurat ion de ces circuit s d'échange eut lL.'1.
double. effet :' d'abord la désagrégation des cO=lL."lautés domes-·
ti~ues ; ensuite et corrélativement, la constitution de pou-
'loirs centralisés, chargés sinon de gérer directement Ces
circuits, du moL~s de leur offrir le cadre territorial néces-
1. Il serait difficile de dater exacte""ent Ces écha.nges, ",sis
s'ils ~'ont atteint leur apogée qu'au XrAe siècle (surtout a-
près le traité de Vier~e, 1815, ~UJ.. en interdisant la traite
des esclaves, réorientait une bO~'1.e partie
des activités d'é-
change dans le CO~llerCe licite Nord-Sud), il semble qu'ils
aient été très actifs dès le XVe-XVle siècle, période d'ouver-
ture de l'AfriQue au :;londe arabe s~harien et méditeTranéen.
Sur tous Ces points, cf. l'ouVTcge oollectif fond~",ental édité
3'2.r" l'ileillsssoux : THE DEV3LOPMEHT OF IITDIGENOUS TR_:w:2 Aî'~ riL:~_'1K2TS
IN ~EST AFRICA et l'exposé ~u'il en Îait dans TERRAINS ET TdZORIES
pp 213-274 (voir bibliog.).

139
saire à leur existence et à leur développe~ent.
Concernant le premiar point, notons ceyend~t que
la ~ise sur pied de rapports marchands n'a pas nécessairement
un effet immédiat sur les lignages constituant la cO~hunauté
domestique. Il Y a quelquefois u.~ effet de résistance à la
décomposition des structures au contact des économies mar-
chandes· et qui. s'exprime par un processus de "s4i"lisation"
des produits-
qui entrent dans la commu.."lauté puisc~u 'llsC
ne servent pas à un échange intra-co~~unautaire de type mar-·
chand, mais sont thésaurisés
sous forme-de biens de prestige
destinés à alimenter le ci~cuit des échanges matri~oniaux.,
D'autre part ,. l'intrusion du COID.herC e peut errtraîner 1L~e
restructuration de la co~~unauté et sa réadaptation au nou-
veau mode de production, les rapports marchands étant sim-
plement intégrés aux rapports de production com.~unautaires.
NéaTh~oins la désagr~tion est inévitable à la longue, l'é-
change accélérant dans la communauté le processus déjà latent
de différenciation et par l' acc1.u!lulation·. des contradictions,
menant à sa transformation(I). On va alors vers une nouvelle
1.
Dans son introduction à THE DEVELOPMENT OF I~IDIGENOUS TRADE •.•
Meillassoux montre comment dans le cas des Guro de Côte d'Ivoire,
ce processus de désagrégation de la com.~u.~auté lignagère se
marrifeste : "Des transformationsd 'u..'1 a-c.tre ordre intervien..'1ent
dans les sociétés productrices de marchandises lorsque les rap-
ports de production sont affectés. Il en est ainsi par exemple
lorsque~~-c·o-inine c'était le cas chez les Guro, les segBents cadets
d'un lignage, dépendant du segment aîné, se trouvent en possi-

140
Îo~e de société.
C'est p~rticulièrement le cas ~uand ces échanges
s'amplifient et prennent ~~ caractère inter-régional, sous
forme.
d' expéditions 10 intaines ,. C'est 2. partir de là o_ue
se sont peu à peu formées des aristocraties g~errières char-
gées tout d'abord de fournir a~~ co~~erçantsdes escortes et
la protection des marchés, puis, peu à peu,
la 3ise sur pied
d'une administration centralisée dans les villes ou capitales-
marché chargée de gérer une infrastructure territoriale (routes,
sécurité publiCiue) et fim'-::J.cière (moI1..naie, i3pôts et redevances).
L'Afrique de l'Ouest illustre bien ce phénomène de
constitution d'Etats à partir des échanges marchands. On pour-
rait citer le cas du Ghana dont l ' eIT!pire reposait pour l.L~e,
grande part sur ces activités marche_~des, centrées autour de
la production de l'or.
Le titre de l'empéreur
l
.
~
.....ul-Ce!T1.e,
Kaya maghan,
si~ifie le "maître de l'or", le souvere.in con-
trôlant l'exploitation des mlnes qui constituaient sa princi-
pale richesse et percevant par ailleurs des taxes sur les échan-
bilité de produire une marchandise exportable et d'en disposer
pour la convertir,. par le biais du commerce,
en biens matrimo-
rüaux.
Le circuit de distri but ion des biens à., li intérieur du
lignage est alors rompu, ainsi Ciue les liens de dépendance
qu'impliquait leur contrôle par l'aîné. Dans ce cas,
les li-
gnages, au lieu d'être renforcés dans leur cohésion,
subissent
une segmentation accélérée; le processus de déstructurationœt
engagé, non par leur insertion dans des activités cor-merciales
mais dans la production IT!archande."
(pp 19-20)
- - - - - - - - - - - - - - ------

141
ges (or contre sel et cuivre) avec les marchanàs e,rabes et
berbères. On sait :;Jar ailleurs c;,ue la constitution dl.< royau-
~e du D~homey et surtout son centralisme ét~tiQue légendcire
sont étroitement liés aux fo~es économic;,ues et administra-
tives spécifi~ues que nécessitait l'org~nisation d'uneactive
traite négrière tournée vers l'Atlantique: établissement d'un
système de prix cohérent, le cauris jouant le rôle de monne.ie
système fiscal très éle.boré
; privilèges royaux accordés a~
dignitaires et aye.nt bien le care.ctère de monopoles, etc ••• (1).,
Comme le souligne fine.lement Ki-Zerbo :
itOn" voit des correspondances entre l'existence· des
voies commerciales e.vec monopoleroye.l sur certaines
denrées, d'une :;Jart ,. et d'autre part les formes po-,
litiques centre.lisées (dans le Ghe.na et le Me.li an-
ciens, dans l'Empire e.shanti e.u AvIlIe siècle, d~~s
le Royaume lunda du Zaïre et c. ). Alors, .. que , contre-'
épreuve décisive, contrairement aux Ngonde et e.ux
Zulu, des peuples aux langues et coutuses identiques,
les Nyakusa et les L~ose., me.is vivant à l'écart de
ces courants, n'ont pas atteint e.u stade monarchi-
c;,ue." (METHODOLOGIE ET PREEISTOïRE AFRICAINE, Intro-
:'ciüction génére.le, p. 35);
Ces c;,uelques exemples (et bien d' autres c,u' on your-
' t ~
d
l ' ",.
t '
d l ' ~.:-~ ,
" 1 '
1
)
l'cu
"rouver
ans
,üs olre
e
J.~ lc;,ue
nr",co_onla_e
mon-
trent ainsi le rôle dominant qu'ont joué les facteurs éconcmi~ues
1.
Cf. C. Coquery-Vidrovitch : "De la tre.ite des escle.ves à
l' e:qortat ion de l'huile de pe.lme et des pal::cist es" in Meil-
lassoUL~ éd., pp. 107-123, ainsi que l'ouvrage de Pol~~yi et
Rotstein : DAHO~BY AND TEE SLAVE TRADE, We.sbington Univ. Press,
1966.

143
dans une typologiegénérale(I).C'estG_ue dans la ph2.se de tran-
ciété et ses éléments superstructurels n'est pas url ra-pport
homogène et se ?;lrésente généralement sous le. forme d'u..1'1 "dé_
calage" entre les différents niveaux" ce Que 32.1i'bar appelle
encore une "non.-correspondanc e". Ainsi écrit-il d2.!lS LI:rtE LE
Ci' 'PITAL :
"Dans la période de transition, les for:-nes du droit,
de la politique, de l'Etat ne sont pas,
coa~e aupa-
ravant,_ adaptées (articulées sur les li:-nites propres
de la structure de production) mais décalées parrap-
port à la structure économi~ue ( ••.•. ). On tr2.è.uira
ce: décalage en disant que de nouveau" la correspon-
d~,ce se présente à nous ici sous la forme de La
non~correspondance entre les différents niveaux.,
En période de transition, il y a 'hon-correspondance'"
parce Que le mode d'intervention de la pratiQue po-
litiQue, au lieu de conserver les limites et de p~­
duire ses effets sous leur déte~ination, les déplace
et les transfor:TIe. Il n'y a donc pas une for:-ne géné-
rale de la correspondance des niveaux mais ttne varia--
tion de formes, Qui dépendent du degré d'autonomie
d'une instance par rapport à une autre (et par rap-
port ~ l'instance économique) et du mode de leur
intervention réciproque." (Op. cit. t. II, p. 224).
La question qu'on peut poser à partir de ce texte,
c'est de savoir Quelles sont les manifestations de cette non-
correspondance dans le système étatiQue précolonial et Quels
effets produit-elle sur le mode de production et sur les rap-
ports soci~ux ~U~ s'y articulent.
Or si l'on considère l'Etat
1. Voir- cependaIlt l'ouvrage collectif édité
Pritchard : SYSTEMES POLITIquEs AFRICAINS. Gallimard 1964'

I44
précoloni2"1,
i l apparaît très vite G
..ue la non-correspOndSY1Ce
d'UJ1e suner1)osit'i on, au ~iveau po lit ique, de structures COr:1-
munautaires basées sur les lie~s du sang et impliquant les
lignzges et de structures de classes ayant pour référence le
cadre territorial et les rapyorts de TIroductio~. antagoniq~~
opposant la masse de la population 3. une ëlinorité de privilé-
giés (ceux qui justeoent bénéficient exclusiver!'.ent des aV2,n-
tages du commerce et des forme d'-exploitation qui ont tendance
à se développer' au sein de la société éte.tique) ..
Cette non-correspond~"ce au niveau des superstr~c-
tures elle-mêmes, en réalité, n'est que l'effet du décslage
qui existe entre les superstructures politiques et la struc-
ture économique,·,puiso.ue le pouvoir étatique, tout en bénéfi-
ciant dU'.nouv~au mode de nroduction (le COIT'.!:'.erce et 2. l'occasion
le travail servile), a cependant comme support essentiel, les
rapports d'échange restant toujours précaires, les vieilles
structures co~~unautaires elles-cêmes et les fornes de cohé-
sion fondées sur les liens biologiques du sang. Ainsi, pour
prendre u.~ exemple, si l'on considère le royaume du Kongo,
on se rend compte que la structure étatique est loin d'être
établie. Il n'y pas à proprement parler une territorialité
déterminée,
l'expressio:l "nsi a Kongo" signifi2.nt littérale-
ment "le pays des Kongo" comme ensemble eth."lico-culturel plus
que comme espsce et limite d'un pouvoir de type étstique. En
outre ,. du souverain l'on dit Cll.l' i l est le "mÎurnu",
c' est-à-
dire l'aîné de tout le grou~e nrétendu descendre d'un ancêtre

142
processus de passage vers la forme étati~ue. En ce sens, aUClL~e
théo~ie de la tr2nsition concernant ltAfri~ue ~oire ~récoloniale
ne saurait être valable,
si elle ne se const~it autour de ce
nOY2U Que sont les structures économi~ues et leurs fO~~es dé-
teITlinées de développement. Ce:rtes,
ce IJrocessus ir.:.terne ne
correspond ja~ais 2~X fo~es et représentations instituées par
l'idéologie domin~te de la société et i l sera particulièrement
intéressa.nt de voir com;:lent s' établissent et fonctioT'nent l.es
I2lodes de "surdétermination" des structures sociales. En atte!:-
dant",
considérons ra:9idement le" t;:rpe d'Etat auc_uel ont aoouti
les anciermes' formes corn.rr:.unaute.ires."

L'E~at africain précolonial pose à anthropologues
et historiens de difficiles problèmes de caractérisation. Etat
esclavagiste ou Etat féodal, à ~uel "stade" le situer? La c1ues-
tion reste généralement ouverte et mérite d'être reconsidérée
ici.
Notons tout d'abord qu'avant de prétendre répondre
à cette question,
i l faut savoir qu'en tant que forme complexe
combinant des structures économiques différentes voire opposées,
le système étatique précolonia..l
peut tout au plus être consi-
~éré conme une phase tr~sitoire ~Ul n's pGs encore 2tteint à
son plein développement et peut donc difficilement être enfer2ée

145
cor:l..7lun,
ce qUl,
sur le p12.:l cu -;:,ouvoir et de l' autori té, 2..8-
simile
l~ roy~uté FlutÔt·à une c~efÎerie plus ou 2oi~s dif-
fé~enciée.
I l apparaît ainsi ~u'cn a affaire à ce qu'on pour-
rait appeler des régimes de syntbèse où mêoe la bureaucratie
la plus centralisée (cas du Dahomey pe,r exer,ple) ne fait clue
se surimposer ,à des forces politico-écono2i~ues d'origine com-
Slli~autaire, ce ~ui d'ailleurs expliQue la confusion pe~anente
.. '
(qui n"est(le moindre'garant du systène)
entre le nouvoir ro-
l'
...
. . . l . . " . . . . J . . .
l'''''
ya_,a c~rac~ere emlne~~en~ po lvl~ue, et l'su~orité liée soit
à la parenté (préeminence suivant l'âge ou la généalogie),
soit
à,. L''idéologie
et aux diverses fornes symbolic,ues. Nous retrou-
vans alors 2..U niveau du système étatic_ue-.- des yrati~ues carac-·
téristiques de la société CODlnu..'1.8.utaire et qui, illustrent à
elles'"·,,,s~ 's':,û-'l-e s,la non-correspondance d.ont nous·pe.rlons.
Ainsi, i l n'est pas rare Que les nouvelles activités marc han-
des,
loin d'influer directement sur la vie éconorr!ique et les
re.pports de production réels (développement des moyens de
production, diversification des procès de travail, accu.rllUle.-
tian et recherche de la plus-value etc.
), nourrissent plutôt
ê.es formes de circule,tion et d'échange non-sarche.nds où les
produits se trouvent "stérilisés" à des fins de :prestations
symboli~ues, voire de destructions ostentatoires qui reheussent
~'éclat du pouvoir et la grandeur de ses détenteurs,: l'exeE!-
ple le plus iE!pressio~Jle.nt est sans conteste la fête des
"C'outumes" au De.hollley t;.'cJ.e le roi célébrait "--''1.c'1uelleIl"ent en
l 'hoimèur"· de ses ancêtres et dUT2nt lesqu.elles, des centaines

146
d'esclaves étaie~t publi~~ement sacrifi2s, èe3 ~roduits v~-
vriers, du bét2~1, des richesses de toutes sortes dilapidés
en !"r.asse( I). l'leGS SOmr:l8S loin de l'
"accl..l..2u12.tion nri::1itive "
Qui selon Marx ouvre la voie royale d~ 20de èe production
capitalïst e.
Il. ressort de c"es divers éléments que toute "sit-Ll8.-
tion" indifférenciée de l'Etat.' africain précoloniàl suivant le
schéma.. des stades esclavazi ste et féodal. se révélera -particu-'
lièrement aventureuse ,_ du rait même du mode de dévelo~3Jement
s-pécifique qu'a co=u le vieux continent.
Considérons donc le premier -point. Est-il possible
de· parler d.'étape esclavagiste en ce qui. Cor:cerne l'Etat pré-·
colonial? Il est incontestable que l'esclavage a ten..... ici
une place très importante. Ainsi, dans son processus de trans-
formation,
on a vu apparaître à l'inté~iel..IT même de la co~-
mUL~uté domestique des forilles Q8 se~litude qui se sont déve-
lo-ppé:esau:po{nt d''alililenter la traite. En outre, dans le cadre
des Etats constitués, le travail servile étai"'c à la source
d''..1.ne bO~~~e part des richesses des pouvoirs centraux,
surtou"'c
si l'esclave y était également march~ndise (cas du Dahomey
2ais '.- -aussi
de la plup2_rt des gr2nds empires).
1. Voir C. Coquery-Vidrovitch :
"La fê"'ce des Couturnes au Dahomey,
:1.istoire et essai d'interprétation" in .l\\..NNALES, nO 4,
juillet-
août 1964, pp. 696-716.

147
Il n'en reste pas moins que du strict 0oi~t de v~e
juridico-éconosique, i l est iillyossible dtéta~lir lXQ st~de es-
clavagiste en AfTi~ue noire précoloniale, si du moins on se
réfère au ~odèle généralement consi~éré, à savoir la ÎO~le
grecque ou romaine (c'est en effet ce Qodèle-îême que prend
M2;rx) •
~~ effet, dans le cadre des rapyorts de production,
l'escla.ve africain (au'on appelle enCO::-8 "ca~tifT1) n'est pas
déterminé par son seul statut d'agent économique, do~ en
. tant que force servile. Mais au contraire, il est iSDriQué
dans un réseau·
complexe de liens qui, 2U niveau de la co=u-
nauté domestique, ne se différencie pas toujours des rapports
de parenté elu-mêmes. Ainsi il peut être ?_ 1
_ .....
c
TO;S
_
_
117~ls" '0
"neveu'" voire "gendre'" ou I,'oncle" de son 2.cc_uéreur, selo1:1
des 8odalités' c08plexes particulières .à,. ch8.ClUe
.'-1-'
-l-
SOCl8Lr8
eu
surtout, la lignée servile est progressivement intégrée a.2.ns
le lignage "propriétaire" ::~U point fin2.1e'ITl_ent d.e se confondre
aveclui(1) .
Or cette aberration de la condition servile
~'est
pas spécifique au systène corr~~L~aut2ire. ~ême dSTIs· les Etats
centralisés où une classe d'esclaves exis-';;e OOë""e telle, leur
statut ne se réduit pas à la seule fonction économi~ue. D'ail-
leurs l'Afrique précoloni21e n'a pratiquement pas co~~u les
grands donaines à m2in-d' œuvre servile et ces phénoGènes n'y
feront leur apparition que très tsrd (XIXe siècle au Dahomey
,
.
1. Voir les études très détaillées T2UDl2S à2.ns
EN AFRTQUE PRECOLONIALE, meillsssoux éd.

I48
et S'l..IT 12. côte Est,
er: p2.:rtic·L.,tlier S. Ze-:..nzic2.r) ciusnè. l'irlter-
diction de la tr2ite négriè~e pOUSS2 ~ ~~e utilisGtion produc-
tive des escl2.ves d2.!1_s les plantations,m9..is d2~ns un cadre clè.ti
comp2.ré~à l'esclavage 22éricain).·Autre~ent, les esclaves
étaient généralesent regrou~és en villages p2ya~t triàut à la
classe domin~nte (rente en tr3.v~il et en ~~oèuits) ~ais jouissant
par' ailleurs d 'lli"1.e entière 2.utoDomie., Dans des cas non négli-
geables, cf"était les escl2.ves eU::-I!lêmes Qui fO~!!l2.ient l'essen-·
"l"ol
"" "". a"0...... 1 '-':lpp~~eil
_,.......
ç.;,........
a-l7.;"t~~
~
ç.:., LJ , .
not~--en..l..
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l'~dmi·~;C::":""Y"'
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c..
,l~ _..:. __ .... L J.. .....
c.. ..l..':on
LJ..J..
...
centrale ,. la maison royale.
Dans les royaumes woloÎ du Sénégal,
ils ass~un2ient des fonctions ~olitiques éminentes. Décrivsnt
ce v1.sage multiple de l'esclavage 2_fric2~in, NI.B. Pie.ult a:.. donc
r2.ison de conclure
"D2.ns le C2.S où la produc-;;ion ag-ricole est essentiel-
lement à vocation d'autosubsist~~ce et se tr~uve
être l'2.ctivité princip2.1e de 12. société, les C2.p-
tiÎs ~e sont qu'exceptio~_~elle~ent réduits à être
des moyens de production, et leur fonc-;;ion.
politi-""
que est définitivement nécessaire ~ l'étaolissement
et au Daintien de l'Etat. Si le ~ouvoir a besoin des
captiÎs pour é12rgir son emprise, assurer sa légiti-
mité et limiter les luttes pour sa pO:3session, 2101."S
12. pratique politique ouvre les portes mêmes de ce
"pouvoir aux c2.y tifs sous le couvert de l'idéologie
de l'assujettissesent tot~l au souver2in. Ce n'est
sans doute pas par h~sard si les rûptures de l'his-
toire, bouleversant les ordres légitimes 1 ont Î2.it
n~ître des ~2.ts dont les 2.venturiers forrd2.teurs
sortaient des 2utres de la ca0tivité et/ou de l'iw-

149
nrécise obscurité de pays loi~t~i~s ou lése~dsires
("GaTIti:s du :pouvoir et pou"I,ioir d.es captifs" in
Meillasso~x, op. cit., y. 350).
Il seoble donc qu'il faut faire la part entre 1l."l.-
esclavagisoe 8archand particulièrement étendu (surtout au
moment de la résistance à la colonisation, les grands chefs
militaires conpt3nt exclusivement sur la vente d'esclaves ~our
se procurer des armes) et un esclavagisme productif très mar-·
gi=l,. en tout cas par rapport 2. l'ampleur qu'il a eUl dans la
société antique. occidentale.
Que dire 210rs d'U-D éventuel état féodal? La di ffi-
culté consisterait en ce que, si l'on se référe à la définition
générale dom,ée du féodalisme, à savoir un mode d'appropriation
de la terre au bénéfice du seigneur et l" "asservissement" du
paysan producteur qui lui paie UL"le rente en travail et en
produit (le 30dèle général étant la France d'Ancien Régine)(I),
l'Afrique précoloniale s'en éloigne autant Gue d 'UIl '':3tade'' es-
cla~iste. C'est qu'ici, il n'y a jamais eu à proprement par-
1er un mode d'appropriation privée de la terre, mais tout au
plus une possession individuelle, la terre restant invaria-
blement bien cornr..unautaire. Nous l'avons montré dans le sys-
tème lignageroù l'accès à la terre se fait dans le cadre des
1. Cf la plupart des textes de Marx, en particulier les FOID~EN•.•
et 1'T~EOLOGTE ALL~KANDE (S.S. 1976, pp. 18-1g) et surtout
l'ouvrage collectif édité par le C.E.R.M., SUR LE FEOD~.LIS~:;E
(S.S. 1974).
~---~_._---_.--

I50
rapports de parenté et i l en va généraleoent de oême dans les
formes étatic:..ues centralisées où ces li"ens de parenté OL~ d'al-
liance continuent à déterminer le rap~ort à la terre (notons
à cet égard o_ue l'appellation de "chef de terre" a souvent in-
dui t
en erreur historiens et anthropologues car el1ene définit
nullement un titre ou ~~e charge fonciers, Dais ~~e fonction
essentiellement religieuse,
co=e d'ailleurs celle de "Els;;re
de la pluie")., On ne peut pas dire o_ue dans le cadre de l'Etat.
précolonial le souverain lui-E1êoe.aitéles droits particuliers sur
la terre même si le tribut exigé des paysans producteurs peut
être "en' gros" assimilé à une rente de type féodal.
Le Dahomey,
entre autres particularités, fut l'~~ des rares Etats a avoir
norté atteinte au statut.·Q.O=utaire de la terre, mai:'; là
encore, c'est à une époque (XIIe siècle,
sous le roi Ghézo) où
le pays était déjà entré d2.ns la phase de la colonisation q,ui,
comme partout ailleurs allait bouleverser les vieilles str~c­
tures traditionr_elles.
En l'absence de ce critère fondamental qu'est le
mode d'appropriation de la terre,
i l semble donc que l'on ne
puisse parler pour l ' Afric,ue noire précoloniale de "mode de
production féodal" stricto sensu étant donné que les rapports
de production qui y correspondent sont ici absents. Néanmoins
cette notion a été souvent utilisée par les auteurs pour carac-
tériser un état nolitioue, à savoir le mode de domination d'lli~e
aristocratie restreinte sur l'ensemble de la masse des paysans
producteurs. Le "féodalisme" ainsi entendu définirait davantage
des institutions politiq,ues qu'~~ mode de production, comportant

I5I
une str0..cture éconosique déter:r~inée et les ~ê..p:]orts de ùroâu.c-
tian qui s'y articulent(I). Sur ce ~oint, l'AfriQue précolonia-
le ma~ifeste e~core ~~e autre forme
de non-correspond2nceentre
les diverses structures du système social.
C
d
.J,..
A '

. . . L . . J , . .

..L.'

' . . L .
e~en anv meme
avec ce~ue reSvrlCulon l8por~anue,
nous é~ettons 90ur notre part ~uelques rése~les sur l'existence
d'une forme féodale en Afrique. Ainsi même le moèe d'exploita-
tian de la cO~~lli~auté paysa:L~e par l'aristocratie en place a
rarement le caractère uri vé. qui lie le serf à son seig!"1_eur '0 I2ais
présente lui même un caractère collectif '0 les oénéfici2~ires
représentant toute une classe qui sJrmoolise par ailleurs le
,
,TIouvoir' de l ' Etat ou la 'hle.ison royale" (alors c:..ue le
~
vTai .LêO-
dalisme, mêoe politi~ue est anti-Et2.ticl ue,. l'autorité ssgneu-
riale étant autant de parcelle ~ui échappe a~ domaine royal)
qui,. en plus du souverain et de la classe des nObles, com.por-
tent égalemer..t des gens de condition servile. On peut donc
dire Gu'on a là ~~e forme d'exploitation i~stitutioQ~alisée
(qui peut en plus avoir lli~ caractère symb6li~ue dom.inant) mais
qUl,. en aucun moment ne remet en cause le céractère inaliénable
de la terre co~~e moyen de production co~~unautaire. C'est
I. Cette signification "politiGue" de la notion de féodalité
est clairewent affirmée par J. Suret-Canale, AFRïQU3 NOIRE:
GEOGRAPHIE, CTVILISATTON, IFSTOIn3(E.S. I973). Voir également
Gornkoudougo V. Ka"ooré : "Caractère féodal du système politique
lïlossi" in CAH. D'ET. AF.
,I962, pp609-623 ainsi que l'ouvrage
de J. Lombard : STRUCTUR3S DE TYPE "FEOD"~_L" EN "~"FRTQUE NOIRE,
ETUDE DES DYN_~dISMES INTERNES ET DES RELATIONS SOCIALES CHEZ
LES BPRI3A DU DAHOKEY, Mo~ton, Paris, I965.

I52
ainsi que d~ns le Fo~ta t~2ditio~~el (yégion ~u ?leuve Sé~ég~l),
où le régime des terres 2
évolué vers Lh~e distinctio~ ~et~e
occup~ts ~ui en outre constituent le lignage noale) et droit
de culture (nouveaux veLus ou conquis), 30ubac~r LY ~et bien
en évidence ce caractère collectif du rapport exploiteurs-
exploités
"L 1 originali té du Fout a pour ce c_'-,i· est· de la rent e ,
c'est· que cette rente bien souvent !l'était pas ,?2.~;ée
à ~m individu, mais à un ligrzge.Les r~pyo~~S ét2.ie~t
de lignage à lignage. Des lign~ges sti~st2.112.ient
sur une ter::'e et détenaient le d::-oit de culture, qu'ils
payaient à u.~ autre lignage noble ou à de si~ples
paY32.ns".o_ui dét erraient le droit éminent de propriété ..
Ainsi,au Fauta où le système de tenure était le plus
avancé du pays '0 la propriété 2. auc\\,W,"1. rnor:.ent !lI éta.i t
individuelle, 82_lS toujours collective." ("Les classes
sociales dans le Sénégal précolonial" ir'_ SUR LE ~'IODE
DE PRODUCTION ASIATIQUE,
p.
247).
Bien entendu,
la situation sur- le continent ~ouv~it
présenter des variations.·
.quant au..'C forrr,es de dé!Jendance(I),
msis sur le plan du mode de production, i l "
.
..!..2.U-C
l'Afrique précoloniale présente des for::'_es de société to'ü a
fai t
irréductibles 8.U 3chéma géEéral établi pour le' monde
occidental en particulier, for~es que
ni Marx, ni ses succes-
I. Ainsi' les relations de "clientélisme" surtoL~t domin2x!.t en
~frique cent::-ale et dans la zone inter-lacustre. Voir en par-
":ùiculier "Les relatiar;.s de dépend2.nce pe::.nsorL"'lelle en Af~iG_ue
noiye",
série d' études r-21J....""lies d2.~s \\J..:."'l n1l.t."'7!.éro spécial des
r. .\\ :..r
D' ':<'rp
Cl. F
-.lr.-_.
....J_. --., IX,
3, 35, I969.

153
.
~
seu:!'s i~_~édi2tS, faute d'infor~~ti~~s histori~ues,·ne ':')OUV2.le~Lr
Il ressort- de_ ceséléments.~ue l'Etat 2.Iricain préco-
.
f ' "
At '
l
l
-l-
.... .,J...
• •
~
,
on~2_ peULr
e~re
CQnSlŒere co~~e ur~e
orne l~acnevee, arre se
è.. ni-parcours entre le modèle com::n..:;..r.:.2:..utaire et" un type d'Etat
re?Yésentatif ~llli~e for~e d'évolution V9TS le systè2e féodal
et p2..r la suite c2.pi taliste.
L'explication cependant. ~.' est: pas. à
chercher du côté d'une "znentalité africaine" etui sere.it incc.-
~able de créer des systèmes politiques complexes, attachée
Q..U t"elle serait à. des. "valellTs" com:'"T~"LL."'lautaires plus ou soins
mythiques." Deux' hY:;Jothèses ,. 2. notre avis,
?e~ettr.::ient Slnon
d'expliquer, du moins de rendre int elligible ce passage ffi2.rlqué •.
D'une part,. la cO=lli'1.2.uté domestique,. grosse de toutes ses con-·
tradictions" s 1 acheminait comme, nous l'avons montré vers des
formesstricte~ent.différenciées. Or la t~Gite négTiè~e, par-
ticulièrement intense aux XVIIe-AVIlIe siècle, a incontesta-
ble2ent bouleversé ce processus interne en dés2rticulant
d'abord les structures dans lesquelles i l s'effectu~it, ensuite
et surtout,en affaibliss~~t l'ensemble du continent p2r une
saignée qui en perte réelle (sil'on considère le manque:à.gagner
désographi~ue) repTésente plus de deux cent ~illions d'individus.
Ensuite,
et ~uel~uefois si~ultanésent,la con~uête coloniale,
tout aussi sanglante, a bTisé totalement l'élan de ces Etats
et coa~unautés en 18s réduisant à de nouvelles fornes de do-
sination et d'esclavage.
Et si ces facteurs exogènes n'expliQuent pas tout,

154
ils ont été cependant déterminants dans la stagnation et le
dépérissement des sociétés africaines dont les effets d'ail-
leurs se font encore sentir si cruellement aujourd'hui. Certes,
on ne' réécrit pas l'Histoire mais ceux pour qui l'Afrique est,
en général un objet de dérision devraient au moins prendre la
peine de se tourner vers son passé, la. seule clé qui permet à,
la, fois de comprendre son présent et de bâtir pour l'avenir';,

155
D EUX l E M E
PAR T l E
SURDETERMINATION IDEQ1QgIQQE_~%_rQTIYQIB_rQbl%lQQ~
=================-=------------------------------
"Où est le centre ?
Du regard précis. et farouchement CQIDpaiissant;
d.u bourreau -à sori'-;-geste ëi'ficace ~_ De l'aplomb
animal
des
gens d'armes jusqu'à la poin-
te de leurs engins au repos. Du "déjà plus"
d' Abdon au "pas encore"· de Senen,. mais ça
ne traînera pas, la guillotine de poche d.é-
signe le
cœur de la circularité .'de la -.-
loi._
Et puis, non. C'est un leurre. Ni mâle ni
femelle, sans nom et sans âge, tendre et
figée comme l'éternité, la loi enveloppe
le tout de sa présence souveraine. Erecta,
et mitrée. Drapée en broderies et en or,
elle réd.uit toute vie au silence de son
silence. Livide, la face triforme de sa
cour. La bouche de l'hybride souverain
close. C'est elle, le centre."
L. Sala-Molins,
La loi, de quel droit?

156
CRAP ITRE l II- ~J:;QJ!Q~H;=~~=gQ~n~n;g=~E~R!)J;gI;i~gn
J!J:;g=~~E~~g~~~~~JQ~g=~~=~~&ggQJ!~
l - LA LOI, DE QUEL DROIT ?
Après l'analyse générale du mode de production de
la société africaine précoloniale et de ses modes de trans-
formation, il nous faut à présent sonder plus en profondeur
ses superstructures idéologico-politiques et leurs formes
spécifiques de combinaison et de fonctionnement. Tout d'abord,
reconnaissons que cette manière de procéder, en de~x temps si
l'on peut dire (l'économie et ses structures d'un côté, l'i-
déologique et le politique de l'autre), po~ait paraître
contredire nos principes de départ, fondés sur l'idée que
dans le système social, tous les niveaux sont étroitement
articulés en ce sens qu'ils entretiennent dans le temps et
dans l'espace, comme supports essentiels de la production et
de la reproduction sociale, des rapports dialectiques indis-
solubles. Néanmoins la complexité même de ces rapports jus-
tifie cette dichotomie car, ainsi que nous l'avons montré
dans le cadre de la société africaine précoloniale, à un
niveau historique do~~é, celui précisément où l'économie
n'est pas encore la structure dominante, le système social
peut être caractérisé par une "non-correspondance" entre les

157
diver.ses instances qui la composent et c'est justement cette
"non-correspondance" que nous voudrions étudier ici dans le
domaine particulier des institutions idéologico-politiques.
En effet, si en parlant de superstructures nous
nous référons ouvertement à la topique marxiste
de schéma-
tisation de tout système social, divisé d'lli~e part en infra-
structure ou base économique combinant les forces productives
'V"""'<
~
'.. ,
et les moyens de production, et'de superstructures subdivisées
elles-mêmes en deux niveaux, le juridico-politique d'un côté,
l'idéologique de l'autre, il n'en demeure pas moins, comme
Marx d'ailleurs nous l'indique/que dans chaque société donnée,
ces éléments auront leur mode spécifique de se combiner et
surtout, ces superstructures, quoique supportées par la base
économique et déterminées par elle, n'entretiennent pas pour
autant avec elle des rapports "mécaniques" de cause à effet
ou de principe à conséquence, mais au contraire, elles peu-
vent être elles-mêmes affectées d'efficaces propres qui non
non seulement leur confèrent une certaine autonomie, mais
encore les rendent susceptibles d'agir en retour sur les
éléments de l'infrastructure(I). A partir de ces éléments,
nous nous autoriserons donc d'étudier ici, prises dans leurs
mécanismes internes et leurs fonctions propres, les insti-
tutions de la société africaine, à savoir les formes de re-
présentation ainsi que les types de pouvoir et d'autorité
qui s'y articulent.
1. Voir supra, chap. l et II, les analyses sur la "détermi-
nation en dernière instance".

158
Nous avons intitulé cette partie "les Institutions
de l'Absolu".
Que faut-il donc entendre par ces deux notions
et surtout que signifie leur combinaison? Autrement dit, com-
ment caractériser le champ institutionnel à l'intérieur d'une
problématique des modes de production ?
Selon l'usage classique,
i l y a dans le terme "ins-
titution" deux sens intimement liés. D'une part,
le corpus des
lois qui gouvernent la Cité, lois clairement établies et dis-
posées selon un Code qui en rassemble et en ordonne les dif-
férents éléments; d'autre part,
et en liaison avec ce Code,
i l y a la définition et le mode de répartition des différents
pouvoirs (exécutif, législatif,
judiciaire) ainsi que les mé-
canismes de leur fonction.~ement. Ce deuxième domaine est plus
particulièrement celui du politique.
On peut donc dire que toute institution,
en gros,
Vlse à é~lir et à promouvoir un système d'organisation de la
société en déterminant à la fois les cadres et les ressorts du
jeu politique et l'ensemble des rapports sociaux qui y corres-
pondent et en ce sens,
elle se donne également comme ce qui
fonde une société, corrune principe de sa constitution et de
sa survie(I). Dans le champ humain,
l'institution apparaîtra
donc comme la ligne de partage entre le naturel et le social,
entre l'inné et l'acquis,
l'autorité de la loi ne pouvant
s'imposer à tous que si chacun sacrifie une part des pouvoirs
et des droits liés à sa nature purement ~~imale. Toute société
1.
En latin,
institutio signifie cisposition, arrangement mais
aussi principe, doctrine,
système,
organisation

159
a ainsi son législateur, réel ou mythique, nomothète fondateur
ou inspirateur de la Loi et dont la sagesse et les vertus sont
données comme les suprêmes garants des institutions.
Mais ces éléments (code des lois,
organisation des
pouvoirs dans le cadre de la Cité, de l'Etat) épuisent-ils à
eux-seuls tout le champ institutionnel? Comment avec des dé-
terminations aussi étroites pourrions-nous caractériser du
point de vue de l'institution les sociétés dites primitives
où la Loi quand elle existe -
et elle existe -
n'est ni écrite
ni codifiée,
où le pouvoir n'existe pas toujours comme pouvoir
politique, nécessitant donc des principes d'organisation et un
système de législation ?
Toutes ces questions nous ramènent au débat sur les
sociétés "primitives" et les sociétés "historiques" et que l'an-
thropologie classique a généralement tranché sous formes d'op-
positions formelles et de négations dévalorisantes. Ainsi, ce
serait une hérésie pour elle de parler d'institution là où
aucune loi "rationnelle" ne présiderait à l'organisation du
système social et aux rapports entre les hommes,
la supersti-
tion.:et les représentations les plus "aberrantes" assurant à
elles seules le fonctionnement et la cohésion de ce système,
en d'autres termes donc,
là o~ le règne de la nature l'em-
porterait encore sur celui de la raison qui serait ainsi le
principe de toute institution (l'animal politique étant bien
entendu, d'abord, un animal rationa1e).
Or sur Ce point également, l'anthropologie classiqu~

160
obnubilée par son ethnocentrisme radical,
est largement passée
à côté de la réalité des sociétés qu'elle entendait ainsi en-
fermer dans ses catégries. Qu'il nexiste pas d'institutions
comme un réseau codifié de lois et réglementations,
soit. Mais
peut-on à partir de ce constat nier toute existence d'un fait
institutionnel comme tel dans la société dite primitlve ?
Celle-ci ne fonctionnerait-elle que sur le modèle de l'anar-
chie ?
Tout au contraire,
On peut dire qu'aucune forme de
société, même les systèmes étatiques organisés autour des pou-
voirs les plus centralisés, n'atteint autant que la société
réputée primitive à une aussi stricte codification et de l'es-
pace social et de l'ensemble des rapports Qui s'y lient. C'est
que dans ce type de société,
s ' i l n'y a pas d'institution écri-
te ou codifiée de la loi,
requérant donc une obéissance for-
melle (comme on dit,"nul n'est censé ignorer la loi"), celle-ci
est loin d'en être absente,
ses commandements structurant plutôt
la totalité du système en déterminant en leurs plus simples
faits et gestes la vie des individus et des groupes, à savoir
le champ du possible et du pensable, du permis et de l'inrerdit.
Ainsi, alors que dans les sociétés où le corps de
la .I:Pi,
en tant qu 1 i l est explici teillent dét erminé, dégage,
au-
delà des interdlts un espace de liberté (cet espace qui, com-
me on le dit si bien,
llne tombe pas sous le coup de la loi")
\\
et ou le sujet fait la pleine expérience de son autonomie,
dans la société "primitive" au contraire,
la Loi, dans son

161
silence même (mais qui des individus concernés s'y trompe vrai-
ment ? ) réduit cet espace à néar~ en faisant de chaque sujet
un objet permanent de son regard.
Mais comment imposera-t-elle ses commandements à ces
sujets Sl précisément i l n'existe pas d'appareil,
judiciaire
et policier, pour réprimer les fautes et obtenir l'expiation?
Qu'à cela ne tienne!
L'institution primitive fonctionne en
permanence, pourrait-on dire, à conjurer le risque même de
la transgression et d'emblée,
elle mise donc sur la réduction
maximale des nossibilités d'écart nar la mise sur pied d'un
-
~
-
prodigieux appareil à communiquer les censures : corpus ré-
pertorié et soigneusement mis à
jour des tabous et prohibitions
(et ceux-ci couvrent pratiquement tous les domaines de la vie
individuelle et sociale et les pratiques qu'elle recouvre),
pratiques initiatiques correspondant à un véritable appren-
tissage de l'ensemble des codes sociaux, représentations my-
thiques et pratiques rituelles rappelant sans cesse l'omni-
présence de la Loi
ainsi
que
le caractère sacré des insti-
tutions dont elle est à la fois le principe et le garant.
Aussi,
si l'on pose la question:
la Loi, de quel droit? on
peut assurément répondre: du droit de l'Absolu.
Que faut-il donc entendre par Absolu? Prise comme
telle, cette notion tout d'abord n'est susceptible que d'une
définition purement négative. Est dit absolu ce qui s'oppose
immédiater.lent au relatif, au fini,
au limité, autant dire au
variable et à l'inachevé.
D'où à l'inverse, dans tout état de

162
l'absolu l'idée de totalité, de perfection, de principe in-
conditionné de soi-même et de toute chose. Et dans les re-
présentations des peuples,
la première figure qui incarne
tous ces attributs est bien entendu celle du dieu.
Considérée dans le champ
du système social et de
ses institutions, la référence à l'Absolu (avec un grand A),
prend un contenu bien déterminé.
Il s'agit en effet de trou-
ver au pouvoir politique des fondements int~~gibles et que la
souveraineté se réclame de la divinité (cas justement de la
monarchie dite absolue) ou de la toute opposée "légalité ré-
publicaine", la fin est la même puisqu'il s'agit de faire de
l'Institution une fois constituée un tout transcendant les
parties (les sujets constitutifs) qu'il rassemble et orga-
nise. Car la Loi vise à l'universel et tout particulier n'est
ëensé exister comme tel que subsumé sous le grand corps qu'est
le système pris dans son ensemble.
Faut-il pour autant penser que ce n'est que dans
le cadre du système étatique et de ses formes de pouvoir spé-
fiques que l'Institution revêt cette figure totalitaire et
transcendante de l'Absolu? Certes, non. Et on peut même dire
que moins le pouvoir est présent comme
espace
et instrument
du politique, moins la loi est apparente sous forme de code et
de ses appareils de fonctionnement, donc moins la société elle-
même semble structurée, plus l'Institution tend à se référer
à l'Absolu comme origine de son existence et principe de ses
commandements.
Il est alors l'axe incontournable où s'inscrit

lé]
tout existant, où les individus et leurs actes trouvent à la
fois leur raison d'être et leur limite.
Ainsi, la consubstantialité de l'Institution et de
l'Absolu n'est nulle part aussi totale ~ue dans la société
dite primitive ou archaïque. Ici, ce n'est pas l'Institution
qui devient absolue, au contraire, c'est l'Absolu, sous la
figure de la divinité, de l'~~cêtre, du mythe, qui d'emblée
se fait institution, s'auto-institue.
Marx, dans le cadre de
la société asiatique nous a révélé ce phénomène particulier
d' "absolutisation" des rapports sociaux, notamment_ sur le
mode fantasmati~ue d'une organisation de la société autour
de ce qu'il a appelé l' "unité rassembleuse" et qui, en tant
que propriétaire idéellisé de la terre et principe suprême
des rapports communautaires et inter-communautaires, apparaît
bien comme le "présupposé humain ou divin" de la production
et de la reproduction de l'ensemble du système social(I). Il
nous appartiendra de montrer comment dans la société africaine
précoloniale, l'Absolu, sous les formes complexes du mythe et
du rite, est également ce qui structure la totalité de l'es-
pace politique et social dans la mesure où il constitue l'ho-
rizon indépassable, pour tout individu, du possible et du
pensable.
Mais il nous faut dès maintenant lever une équi-
vo~ue. En effet, si la Loi est du droit de l'Absolu, il n'en
reste pas moins ~ue cette liaison, même dans la société dite
1.
Voir supra p. 89 et sq.

164
primitive, et qualles que soient les apparences, n'est jamais
originaire ou immédiatement donnée car si à la fin, l'L~sti-
tution s'impose aux sujets et groupes sociaèL~, c'est néces-
sairement à la suite d'un processus souterrain au terme duquel
elle se donne comme chose autonome, structure transcendant ces
mêmes qui la constituaient originairement comme prin-
cipe d'organisation de la société. Une telle inversion,d'ail-
leurs, n'est point spécifique aux sociétés "primitives", même
si c'est à ce niveau qu'elle est la plus apparente. Car, comme
le souligne Balandier :
"Toute société se saisit moins dans l'aspect de ce
qu'elle est: en continuel processus d'engendrement,
que sous l'aspect d'un ordre établi et durable; moins
sous la figure des systèmes viv~~ts, de la construc-
tion permanente, que sous celle des choses, du cons-
truit. Toutes les institutions contribuent à entre-
tenir cette illusion de l'optique sociale; en durant,
elles acquièrent un caractère objectif, paraissent
indépendantes des hommes qui les ont créées ... Dans
le cas des sociétés dites traditionnelles où, en
tous lieux, le langage du mythe et de la religion
est celui de toute idéologie, où la sacralisation
est presque généralisée, cet effet est maximum. Elles
s'imposent plus que les autres avec la force des cho-
ses ; elles sont doublement à distance des acteurs
sociaux, parce que réifiées et pourtant sacrales."
(ANTHROPO~LOG1QaES, pp. 205-206).
En fait,
il faudrait plutôt dire réifiées parCe oue
..'(,
sacrales puisque c'est en tant qu'elles~perçues dans la repré-
sentation collective comme émanant ~Tiginairement de la volon-

165
té transcendante de la divinité ou de l'F~cêtre fondateur.
Néa=oins cette réification dont parle Balandier !l'exprime
au niveau de la société considérée comme l'effet d'un dépla-
cement ou d'une inversion où s'exerce~à la fois le Jeu des
idéologies et les intérêts du pouvoir que cell~ci ont pour
fonction d'établir et de sauvegarder.
Dès lors un double problème se pose. D'une part,
selon quel mécanisme s'effectue ce glissement qui fait de
la chose instituée'un'~principe instituant autonome au point
non seuJ:ementd'éohapper au contrôle des sujets constitutifs,
mais encore de les asservir Co~~e figure de l'Absolu. D'au-
tre part, comment s'effectue la fonction de constitution
sociale dont l'Institution ainsi perçue est désormais in-
vestie et dont, apparemment, dépend.
tant le processus de
production que de reproduction sociales? Castoriadis, dans
L'INSTITUTION I~lliGINAIRE DE LA SOCIETE répond à cette double
question, en écrivant nota~~ent
"L'institution de la société est chaque fois ins-
titution d'un magma de significations imaginaires
sociales, que nous pouvons et devons appeler un
monde de significations. Car c'est la même chose
de dire que la société institue chaque fois le
monde comme son monde ou son monde comme le monde,
et de dire qu'elle institue un monde de signifi-
cations, qu'elle s'institue en instituant le monde
de significations qui est le sien et corrélative-
ment auquel seulement un monde existe et peut exis-
ter pour elle ( ••• ). La société fait être un monde
de significations et est elle- même par référence

166
à un tel monde. Corrélativement, rien ne peut être
pour la société s'il n'est référé au monde des si-
gnifications, tout ce qui apparaît est aussitôt
pris dans ce monde ••. (op. cit., p. 481).
Or,note Castoriadis, ce magma de significations est
donné d'emblée comme référent universel et c'est uniquement
en tant qu'elle s'y rapporte comme à son fondement que la
société elle-même peut être et durer, à savoir avoir une iden-
tité, une unité spécifiques. Qu'est-ce donc à dire '~en clair
sinon que ce "magma de significations imaginaires" n'est rien
d.!"autre" que l'idéologie d'une société donnée, c'est-à-dire
le système des représentations tel qu'il constitue un réseau
complexe mais homogène de signes et de sens à l'intérieur du-
quel s'inscrivent non seulement l'ensemble des individus qui
se rapportent à la collectivité, mais encore la totalité des
étants naturels ou surnaturels avec lesquels ces individus
entrent en rapport dans leurs pratiques quotidiennes, en un
mot donc, l'univers tout entier? Car il est évident que
l' "imaginaire" ici n'est point à prendre seulement au sens
d'illusion, de fantasme, donc comme double irréel d'un monde
qui seul serait par-dessous réel et effectif, mais il est,
en soi, dans l'espace social où il est posé, entièrement
monde, le-tout-du-monde.
Cerner cet "imaginaire social" comme fonction
instituante de l'idéologie, donc comme le mode d'être de
l'efficace qu'elle exerce sur l'ensemble des rapports so-
ciaux, en uarticulier dans la snhère du uouvoir et de
.
- -

167
l'autorité, telle est la voie dans laquelle ~ous devons nous
engager maintenant. Mais i l importe auparavant que nous re-
pensions le fait idéologique en rapport avec le statut his-
torique des sociétés qui nous préocuppent d'une part,
et
d'autre part que nous caractérisions cette idéologie
selon
son mode spécifique d'être, à savoir comme forme de représen-
tations mythiques et des pratiques rituelles qui y correspon-
dent.

168
I I -
IDEOLOGIE ET SOCIETES "PRIliIITIVES"
CONTRA-
DICTIONS ET SURDETERMINATION
S'interroger sur la place et le statut de l'idéolo-
gie dans les sociétés dites primitives est loin d'être une vai-
ne question car elle y Îait autant problème que l'histoire,
l'économie ou la politique. Il sufÎit d'ailleurs de voir qu'en
dehors de l'anthropologie marxiste, elle-même divisée sur la
question comme on~le verra plus loin, le concept d'idéologie
lui-même est généralement Îrappé d'ostracisme dans la plupart
des études et réÎlexions concernant ces sociétés et ce n'est
certainement~our rien. En Îait comme pour le problème du po-
litique et de l'histoire, le traitement de l'idéologie ou plus
exactement son évacuation comme concept repose sur des présup-
posés théoriques ou ••• idéologiques plus ou moins explicites.
En eÎÎet, si l'on s'accorde pour reconnaître Que
dans ce type de société les Îormes de représentations occu-
pent dans le système social une place prépondérante, par
contre on ne tient?pas ces représentations comme présentant
sUÎÎisamment de cohérence et de systématicité pour mériter
l'appellation d'idéologie, celle-ci étant
ainsi réservée
aux modes de pensée conscients, élaborés
à l'intérieur
d'un espace politique donné pour structurer les éléments
de signiÎications autour deSQuels s'organisent les rap?orts
des hommes au monde et leurs rapports entre eux. C'est dire

159
~ue ce ~ui d'un côté est principe et schème directeur d'une
pratique, existentielle ou politi~ue, de l'autre
n'est que
formes inconscientes, voire aberrant~ d'une mentalité qua-
lifiée de primitive ou de prélogi~ue. Il en est jusqu'à la
sphère religieuse ~ui est également l'objet d'un double trai-
tement. Les religions dites primitives ne sont appelées re-
ligion que par analogie, ces "formes élémentaires" renvoyant
en effet à une multitude de noyaux où l'Absolu, en l'occur-
rence la divinité une et indivisible des grands systèmes mo-
nothéistes pris comme modèle de référence, n'est plus qu'éva-
nescent et semble laisser la place à la fantaisie et à
l'incohérence. De là ces "mythologi~ues" qui ne renvoient
jamais aux hommes réels, donc à leur pratiquecsoncrète et
à son support matériel.
Or il nous faut montrer o~ue les sociétés "primi-
tives", elles aussi, fonctio=ent à l'idéologie, donc d'après
des systèmes organisés de représentation, et en quoi cette
idéologie - qu'il reste à caractériser
loin de ne renvoyer
~u'à elle-même, y a également
à faire à l'exploitation et à
la domination, autant en tout cas sinon plus que dans la so-
ciété de classes ouvertes, les rapports de pouvoir dans cette
dernière n'étant en fin de compte ~u'une des formes possibles
de la violence coercitive, la plus apparente assurément, en
tant qu'il est le rapport dominant, mais nullement la plus
efficiente ni d'ailleurs la plus aliénante.
Mais ,avant de nous engager dans cet examen par-

170
ticulier, ~ue faut-il d'abord entendre par idéologie? Notons
que dans la question ainsi formulée,
le singulier lui-même
fait problème. En effet, à strictement parler, i l n'existe
pas d'idéologie en général comme simple mode d'existence for-
mel de type de représentations donné, mais si l'on se réfère
à la théorie marxiste des modes de production qui définit
pour chaque formation économique et sociale historiquement
déterminée une forme typique d'articulation de la base ma-
térielle et des modes de pensée qui lui correspondent, i l
n'y a que des idéologies "régionales" (au sens à la fois his-
torique et géographi~ue du terme) dont il faut faire à cha~ue
fois la théorie et spécifier les structures et le type d'ex-
pression et d'efficace propres.
Cette réserve faite,
i l reste cependant qu'on peut
envlsager une définition en général de l'idéologie, considérée
donc comme concept opératoire et problémati~ue, comme~llthusser
par exemple l'a esquissée dans POUR ~~:
"Une idéologie, note-t-il,
est un système (possédant
sa logique et sa rigueur propres) de représentations
(images, mythes,~idées ou concepts selon le cas)
doué d'une existence et d'un rôle historiquœau se~n
d'une société donnée. Sans entrer dans le problème
d'une science à son passé (idéologique), disons que
l'idéologie comme système de représentations se dis-
tingue de la science en ce que la fonction pratico-
sociale l'emporte en elle sur la fonction théorique
(ou fonction de connaissance)." (p.
238).
On voit d'après cette définition que tout en restant

171
fidèle à la "topique" marxiste d'après laquelle tout système
social est divisé en une infrastructure économique d'lli~e part,
et en superstructures d'autre part,
celle-ci contenant à la
fois l'idéologie et les formes
juridico- politiques, Althusser
n'en conclut pas pour autant à la hiérarchisation fomelle à
laquelle on réduit d'ordinaire le jeu complexe de ces diverses
instances, dans la mesure précisément où i l met en relief le
caractère nécessaire et nullement dérivé
des éléments idéo-
giques, présents de façon irréductible dans toute société
historiquement do=ée. G}est dans ce sens précisément"qu'il
poursuit' sa définition,
en soulignant notamment
:
"L'idéologie fa il; donc organiquement partie, comme
telle, de toute totalité sociale. Tout se passe
comme si les sociétés humaines ne pouvaient subsis-
ter sans ces formations spécifiaues,
ces systèmes
de représentations (de niveau divers)
que sont les
idéologies. Les sociétés humaines secrètent l'idéo-
logie comme l'élément et l'atmosphère même indis-
pensablEl3 à leur respiration, à leur vie historiques.
(Ibid. ,p 2]8).
Cette conception de l'idéologie, à la fois comme
système (donc nécessairement organisée suivant ses lois et
structures propres)
et comme-phénomène consubstant.iel à toute
société humaine, est tout à fait décisive dans le débat théo-
rique où ce concept est mis en
q u e s t
~ 0 n
r e l a t
i -
vement aux sociétés dites primitives, et ceci à un double
point de vue.
Tout d'abord,
elle s'inscrit clairement en faux

172
contre certaines tendances réductionnistes marxistes qui en
réalité ne font que traduire un retour occulte au vieil aca-
démisme dogmatique, symbolisé particulièrement sur la ques-
tion de l'idéologie par Rancière dans son ouvrage polémique,
LA LEÇON D'ALTHUSSER (1).
Sans entrer dans les détails,con-
sidérons-en quelques points saillants.
Incriminant directement le texte d'Althusser que
nous avons cité, Rancière objecte que "l'idéologie n' (y) est
pas posée comme le lieu d'une lutte. Elle n'est pas référée
à deux classes antagonistes mais à une totalité dont elle
n'est qu'un élément Yl..aturel" (op. cit., p.
237). Toujours
selon lui,
établir le concept d'idéologie sans le référer
expressément au concept de lutte ces classes et surtout en
faire une sorte de propriété "génétique" de toute formation
socùlle,
équivaut ni plus ni moins à "la penser sur le ûlO-
dèle de l'analyse traditionnelle de la religion,
celle d'une
sociologie héritière du discours métaphysique sur la société."
(p.
232), ce qui revient donc à substituer au matérialisme
historique "une sociologie bourgeoise de type durkheimien"
(p. 233). Finalement, la définition althusserienne est stig-
matisée comme porteuse de "l'idéologie opportuniste du ré-
visionnisme". (p.
247).
Cette querelle qUl tout d'abord
peut paraître
1. Collection "Idées", Gallimard, paris, 1974. Voir en parti-
culier le chap. VI "Pour.mémoire : Sur la théorie de l'idéolo-
gie",
pp.
227-277

173
d'école, en réalité renvoie de manière aiguë à la question du
statut des sociétés dites primitives face à la science histo-
rique et particulièrement à la théorie marxiste elle même.
Nous en avons déjà largement débattu, notons simplement ici
la resurgence de la dichotomie formelle qui était en jeu en-
tre anthropologie et histoire, la première s'occupant des
sociétés "froides", la seconde des sociétés "chaudes" pour
reprendre le vocabulaire de Lévi-Strauss. Ici également, on
peut dire: l'idéologie pour les sociétés politiques divisées
en classes antagonistes et exprimant la conscience particu-
lière de chaque classe en informant donc de façon décisive
et discriminatoire ses pratiques de combat ; pour les "autres"
sociétés, celles qu'on dit d'emblée harmoniques, transparentes,
la religion ou les IIIYthes.. camme..système-indifféreilcié,de re,..
présentations plus ou moins inconscientes, chargé d'assurer
par devers les groupes, l'Absolu faisant loi, la cohésion
sociale. Nous retournons simplement à l'idéalisme pré-critique.
Mais
la thèse de Rancière, s'appuyant d'ailleurs sur
la célèbre formule de Marx dans le MANIFESTE : "L'histoire de
toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte
des classes" nous paraît doublement tendancieuse(I).D'abord,
1. Remarquons drailleurs que certains textes d'Althusser ré-
futent eux-mêmes par avance l'accusation de Rancière. Ainsi
dans "Idéologie et appareils idéologiques d'Etat", publié
dans LA PENSEE nO 151 (juin 1970) et repris dans POSITIONS
(pp. 67-125), Althusser écrit: "Un mot d'abord pour exposer

174
en contestant le caractère "général" de l'idéologie, donc
comme élément originairement présent
dans tout espace social,
Rancière semble supposer,
en faisant de l'idéologie l'expres-
sion spécifique d'une classe sociale,
que cette idéologie ella-
c.tl/
même est immédiatementrpar cette classe sur le modèle de l'an-
tagonisme, c'est-à-dire exhibe directement et en toute appa-
rence son contenu de classe. En d'autres termes,
elle serait
toujours transparente co~e expression d'une conscience de
classe, aux groupes sociaux dont elle informe
les pratiques.
Or si l'idéologie dominante est incontestablement
la raison de principe qui me semble sinon fonder,
du moins au-
toriser le projet d'une théorie de l'idéologie en général,
et
non une théorie des idéologies particulières,
qui expriment
toujours, quelle que soit leur forme (religieuse, morale,
ju-
ridique, politique) des positions de classe.
Il faudra de toute évidence s'engager dans une théorie des
idéologies,
sous le double rapport qui vient d'être indiqué.
On verra alors qu'une théorie des idéologies repose en dernier
ressort sur l'histoire des formations sociales, donc des modes
de production combinés dans les formations sociales,
et des
luttes de classes qui s'y développent.
En ce sens, il est clair
qu'il ne peut être question d'une théorie des idéologies en gé
néral, puisque les idéologies (définies sous le double rapport
indiqué ci-dessus: régional et de classe) ont une histoire,
dont la détermination en dernière instance se trouve évidem-
ment située hors des seules idéologies, tout en les concernant."
(p.
98)
Néanmoins Sl ces idéologies "régionales" ne peuvent être
pensées que référées à l'espace économico-social qui les sup-
porte, i l faut savoir que l'idéologie elle "n'a pas d'histoire"
puisque, comme le dit encore A:lthusser,
elle est "omni-historique'~
c'est-à-dire immuablement présente dans toute forme historique.

175
l'idéologie de la classe dominante qui l'utilise d'abord
comme schème de pensée et principe de son action politique,
i l ne fait pas non plus de doute que le fait même de cette
domination signifie que la classe dominée elle aussi y par-
ticipe jusqu'à une certaine mesure, nous n'en voulons pour
preuve que les idéologies religieuses qui paradoxalement,
tout en servant les intérêts de
la classe dominante (en
figeant notamment les structures sociales comme émanées d'un
"ordre
supérieur") trouvent cependant dans la classe dominée
14.~rs défenseurs les plus acharnés. On pourrait en dire autan"G
de toutes les autres formes de l'idéologie dominante,de l'ethi-
que en général jusqu'aux manières d'être et de faire les plus
particulières, tous domaines où la classe dominée mime cons-
ciemment ou inconsciemment ses dominateurs, effet d'une alié-
nation sous les formes les plus aiguës
et les plus diffici-
lement réductibles, même par une contre-idéologie de classe,
celle-ci se dor~e-elle pour une science de la pratique. Comme
le note k juste titre Barthes, l'expression "idéologie domi-
nante" est elle même singulièrement redondante, puisqu'il n'y
a pas, de fait, d'idéologie dominée_
"Du côté des dominés, il n'y a rien, aucune idéo-
logie, sinon précisément -
et c'est lk le dernier
degré de l'aliénation -
l'idéologie qu'ils sont
obligés (pour symboliser, donc pour vivre) d'em-
prunter k la classe qui les domine." (LE PLAISIR
DU TEXTE, éd. du Seuil)(I).
I. Voir sur cette question le livre admirable de Pierre Bourdieu,
LA DISTINCTION, Ed. de Minuit, 1979.

176
Comment donc cette indistinction, même au niveau
de la société de classes, entre idéologie dominante et "idéo-
logie dominée" serait-elle possible si, comme l'établit Al-
thusser l'idéologie, prise de façon générale, n'était pas
comme telle une partie organique de to~te réalité sociale,
matérialisant ce "magma de significations imaginaires" par
rapport à quoi seul~une société donnée peut se penser comme
forme totale et spécifiée, comme "eccéité" disait Castoriadis?
On peut ainsi dire que toute idéologie, en tant qu'elle est
dominante, se caractérise par une prétention,
justifiée ou
non, à l'universalité en tant qu'elle
œuvre en permanence à
occulter toute contradiction afin d'amener la classe dominée
à prendre à son compte tout ou partie de son discours. En
d'autres termes, à perpétuer la domination. Et s'il y a une
alternative, celle-ci ne peut nullement être une autre idéo-
logie, mais une science de la pratique qui ne peut prendre
corps que sur les ruines du champ de la vieille idéologie
et de ses nébuleuses aliénantes.
D'autre part, si nous suivons la'~eço~ de Rancière,
il faudra considérer que le phénomène idéologique, tel que nous
l'avons défini, est totalement absent dans les sociétés dites
primitives, sociétés à contradictions certes, mais où celles-
ci n'ont pas nécessairement le caractère indépassable des
antagonismes de classes. En ce sens, l'interprétation de Ran-
cière, quoiqu'uülisant à la lettre le texte de Marx - et jus-
tement narce que l'utilisant à la lettre - conduit non seulement

I77
à une véritable impasse théori~ue, mais elle constitue en plus
un pas en arrière vers les positions de l'anthropologie clas-
sique et idéaliste dans la mesure où elle présuppose l'exis-
tence de formes histori~ues de sociétés où en l'absence de
classes déterminables comme telles (et des conditons économi-
ques qui la justifient) la structure sociale est censée trouver
sa cohésion et son harmonie dans le seul jeu des systèmes in-
conscients de représentation et des pratiques non-antagoni~ues
qui y correspondent.
Le second intérêt théorique que représente la défi-
nition althussérienne de l'idéologie, c'est qu'elle nous ou-
vre une voie nouvelle d'analyse et d'appréhension de la réa-
lité socio-politi~ue des sociétés dites primitives, en ce
qu'elle porte à corriger jusqu'à un certain point la conception
que Marx lui-même se faisait du f a i t_
idéologi~ue, concep-
tion qui, si elle mettait en évidence les mécanismes de fonc-
tionnement des structures sociales et leurs modes d'articulation,
risquait cependant de rendre incompréhensibles certains phéno-
mènes spécifiques de' sociétés irréductibles au modèle capita-
liste ~u'il prenait comme point de départ.
En effet, dans l'ensemble de son
œuvre "philosophi-
que" et tout particulièrement dans L'IDEOLOGIE ALLE1\\1ANDE, c'est
généralement de manière négative ~ue Marx parle de l'idéologie
(ou ce qu'il appelle de façon globale la "conscience(I) ), la
1. Notons que Althusser critique l'utilisation même de ce concept

178
caractérisant essentiellement comme le produit d'une pure il-
lusion,
"fantasmagories" du cerveau humain, donc représenta-
tion "à. l'envers" d'un 'ilonde dont l'endroit serait alors le
mode de production de la vie matérielle,
cette inversion n'a-
yant par ailleurs pour fonction ~ue d'occulter les vrais rap-
ports sociaux supportés par cette base matérielle. D'où la
célébre profession de foi de Marx
"La conscience ne peut jamais être autre chose que
l'Etre conscient et l'Etre des hommes est leur pro-
cessus de vie réel. Et si dans l'idéologie, les
hommes et leurs rapports nous paraissent placés la
tête en bas comme dans une came~a obscura, ce phé-
nomène découle de leur processus de vie historique,
absolument comme le renversement des objets sur la
rétine découle de son processus de vie directement
pbysique."(Op. cit., E.S.,
2e édit., p.
20).
Or prise en ses points saillants, notamment avec la
métaphore "occulaire" du renversement rétinien,
la théorie de
Marx reste essentiellement positiviste en tant qu'elle main-
tient la dichotomie entre un niveau immatériel de la conscience
d'une part
(avec ses productions tout aussi immatérielles, ~ui
ne sont que "langage",
"émanation"), et d'autre part un niveau
~u' il rattache à une "problémat ique idéaliste ant érieure à. Marx" i
l'idéologie, au sens général
n'ayant ~ue peu à voir avec une
conscience réfléchie. Pour lui, "c' est avant tout COIT'.me struc-
ture> ~ue [les représentations] s'imposent à la maj ori té des hom-
mes, sans passer par leur"consoienoe". Elles sont des objets
culturels nerçus-acceptés-subis,
et agissent fonctionnellement
sur les hommes par un processus qUl leur échappe."(POUR MARX,
pp.
239-240).

179
immédiatement concret qui serait celui de la production. En
outre, en ne faisant de l'idéologie que le dérivé d'une réa-
lité dont elle occulte les structures
et leurs contradictions
internes, une telle conception s'accommode à bon compte d'un
fonctionnalisme
auquel l'anthropologie classique d'ailleurs
ne répugne pas à se référer.
Certes la description que Marx fait du phénomène
idéologique en révèl~
les principales caractéristiques.
Il
n'en reste pas moins qu'en ne l'appréhendant que d'une manière
négative, i l n'a pas assez insisté sur une dimension essentielle
de toute idéologie, à savoir son aspect systématigue et fonda-
mentalement structuré qui en fait un élément nullement idéel,
mais bien plutôt l'instrument d'une pratique efficiente dans
le cadre d'un appareil complexe qui n'est pas nécessairement
dépendant des structures de production.
Une réinterprétation du fait idéologique est donc
indispensable si l'on veut en déterminer exactement la place
et la fonction dans toute société en général, dans les sociétés
dites primitives tout particulièrement. Cette réinterprétation,
Althusser nous en donne les moyens théoriques avec le concept
de "surdétermination"(I).
Il faut en revenir à la question que nous avons
déja posée
comment concilier l'hypothèse d'une détermination
"en dernière instance" des rapports sociaux par le mode de pro-
I. Cf. POSITIONS, "Idéologie et appareils idéologiques d'Etat",
pp. 67-I27 et surtout POUR MARX : "Contradiction et surdéter-
mination", pp.
85-I28

180
duction économique avec la prédominGL~ce possible dans une so-
ciété, à un stade historique déterminé, des superstructures
idéologico-politiques ? A cette question, certes, le marxisme
avait en partie répondu par la réfutation de l'économisme et
de son corollaire, le dogmatisme(I). Mais i l ne suffit pas
encore de décréter de possibles "déviations" ou"accidents"
historiques, ni même la simple "autonomie relative" des su-
perstructures ou leur "action en retour" sur la base écono-
mique. En effet, l'absolutisme de l'Institution idéologico-
politique dans certains cas, aboutissant à des formes extrêmes
de sacralisation du pouvoir,ne peut être traité comme l'effet
contingent et simplement transitoire d'une détermination au
second degré,
en attendant que "so=e l'heure" de la déteI"!Ili-
nation en dernière instance (mais Althusser nous a déjà averti,
cette heure ne so=e jamais), tout au contraire,
cette inter~
vention massive de l'idéologique sur l'ensemble du système
social mérite d'être considérée comme un phénomène primordial
et tout à fait décisif dans le fonctionnement du système même,
autrement dit, comme l'expression d'une efficace telle qu'elle
arrive à en conditio=er l'articulation des diverses structu-
res et leur mode de transformation.
Prenant comme point de départ le problème du chan-
gement historique qu'est la révolution socialiste, Althusser
se pose la question de savoir si la contradiction entre les
1. Voir supra,
"Marxisme et sociétés primitives" où. nous avons
exposé les mises au point de Marx sur la question et surtout la
Lettre d'Engels à Bloch.

181
forces productives et les rapports de production telle qu'elle
s'exprime sous forme de contradiction entre deux classes anta-
gonistes, suffit, parce qu'elle crée une situation révolution-
naire, à déterminer une situation de "rupture révolutionnaire"
et en conséquence, le triomphe de la révolution. Autrement dit,
l'état de contradiction-limite au niveau du mode de production,
donc de l'infrastructure économique, détermine-t-il
automa-
tiguement une révolution au niveau des superstructures juri-
dico-politiques, à savoir des institutions de la société?
La. réponse évide=ent est non car il y a, dit Al-.··
thusser, en plus de cette contradictl.on "sirrrple" dans le mode
de production, "une prodigieuse accumulation de contradictions"
relevant de tous les niveaux du système social et même de la
conjon~ture historique internationale. Aussi conclut-il ~e
l'·id:ée de cet éclatement du noyau contradictoire :
"Il s'en dégage l'idée fondamentale que la contra-
diction Capital-Travail n'est jamais simple, mais
qu'elle est toujours spécifiée par les formes et
les circonstances historiques concrètes dans les-
quelles elle s'exerce. Spécifiée par les formes de
la superstructure (l'Etat, l'idéologie dominante,
la religion, les mouvements politiques organisés,
etc.)
; spécifiée par la situation historique in-
terne et externe, qui la détermine,en fonction du
passé national lui-même d'une part ( ••• ), du con-
texte mondial existant d'autre part ... (POuti ~L~~{,
p.
104).
Il reste à voir que cette conjonction de contra-

182
dictions et leur mode de v~riation, si elle définit le concept
de "surdétermination", ne se limite pas au seul type de socié-
té capitaliste, mais doit pouvoir permettre d'appréhender tou-
tes les formes historiques de société et nota=ent d'y repérer
au niveau du fonctionnement de leurs structures l'
"accumula-
tion de déterminations efficaces",
constituées spécialement
par l'idéologie,
sur le mode de production matérielle. Nous
pouvons même aller plus loin,
et ceci sans revenir aux posi-
tions de l'idéalisme,
en disant que les superstructures idéo-
logiques,
en t~~t qu'elles possèdent une efficace spécifique,
structurant donc l'ensemble du système social, peuvent jouer
co=e f~cteur de déplacement voire de renversement radical
au niveau du mode de pro~u~tion lui-même et des r~pports de
production qui y correspondent du mode de â.étermin~tion
"réelle" (à savoir la détermination par l'économie),
en po-
sant donc co=e nrincine le complexe institutionnel référé
à une origine extra-sociale.
Il en est ainsi d~ns la société africaine préco-
loniale où ces déterminations efficaces sont essentiellement
émanées des formes de représentations mythiques qui non seu-
lement constituent le schème directeur de tout le jeupolitiqu~
4éterminant les formes de pouvoir et d'autorité et assurant
donc le fonctionnement du système et sa cohésion, mais inter-
viennent encore dans le procès de production lui-même en ce
qu'elles sont,
selon l'expression de lI1arx,
ses "présupposés
extra-économiques", définissant donc le mode de distribution
des individus sur les différents axes de l'espace social,
les

183
formes de circulations et d'échange et même, à travers les
exigences rituelles,
le mode d'investissement des forces et
des mOyens de production. Nous dirons donc ~u'il y a surdé-
termination,
idéologi~ue des rapports de production dans la
société africaine précoloniale en ce ~ue l'idéologie, sous
la forme de la pensée mythi~ue parvient à réduire ou occulter
les contradictions internes du système, instituant de ce fait
une non-correspondance effective entre les rapports de nro-
duction réels ~ui ne peuvent être, en dernier'ressort, C[ue
des rapports d'exploitation et de domination et le caractère
fantasmati~ue ~u'ils revêtent dans la conscience des individus
et des groupes. Voyons donc en quoi consiste eet-t-e: pensée my--
thi~ue ~ui est a~c fondements de l'Institution précoloniale.

184
III - LP. PENSEE ùITTHIQUE OU LES LOGIQUES DE L'ABSOLU
Que faut-il entendre par pensée mythiaue ? Si l'on
se réfère à l'histoire de la question, il semble que là aussi
elle n'ait été abordée que de façon négative, en tant qu'elle
est seulement définie par opposition avec ce qu'elle n'est
pas, à savoir la pensée dite rationnelle, procédant par con-
cept et démonstration.
Une telle dévalorisation, en fait, est inscrite
dans le sens même du aualificatif "mythique".Le mythologique,
selon l'étymologie, c'est ce dans quoi est dit (legein) un
muthos, c'est-à-dire un conte, une fable ou une légende •.
Dans tous les cas donc, il s'agit d'une composition fantai-
siste, un récit qui ne serait basé sur aucun fait vrai ou
seulement constatable, mais plutôt nourri de l'imaginaire et
du merveilleux et comme tel, destiné à séduire, à amuser
(notons en effet que si le muthos est cette parole exprimée,
c'est justement parce qu'à l'origine il est un discours pu-
blique, s'adressant toujours à la foule, avec sa mise en
scène,son jeu et sa dramatisation).
Or à ca logos qui est pur dire, parole jetée n'a-
yant d'autre assise que les mots qui en sont à la fois l'ar-
.. mature et la matière (raison pour laquelle elle relève plutôt
de la simple rhétorique), va s'opposer un logos plus fonda-

185
mental qui n'est plus alors intelligence verbale,
jeu réglé
du discours, mais désormais faculté de raisonner,
élabora-
tion conceptuelle d'u.~ discours philosophique ayant valeur
et fonction de connaissance rationnelle.
C'est ainsi que Platon, dans la problémati~ue
essentielle de son système qui est de trouver la pédagogie
adéquate permettant de former de bons citoyens pour une Ré-
publique juste, opposera constamment le mûthodes,
le mer-
veilleux propre au mythe, à l'alêthinos logos ou discours
vrai et raisonné qui est celui du Sage ou Philosophe,
soumis
à l'épreuve de la dialectique et seul à même d'éduquer l'âme(I).
La même attitude à l'égard du mythe se retrouve
chez Aristote o_ui répudie toute référence à cette "fable"
pour tout ce qui concerne la connaissance vraie,
et en par-
ticulier sur le chapitre de l'ontologie,
i l raille ce qu'il
appelle la "théologie" d'Hésiode traitant inconsidérément de
l'être quant à sa corruptibilité ou son incorruptibilité.:
"Les disciples d'Hésiode et les théologiens, note-
t-il,
se sont souciés seulement de ce qui pourrait
les convaincre eux-mêmes,
sans songer à nous. Con-
sidérant en effet les principes comme des dieux,
ou
nés des dieux,
ils disent que les êtres n'ayant pas
goûté le nectar et l'ambroisie sont nés mortels. Ces
1. Voir en particulier LA REPUBLIQUE,
liv. III et X où Platon
condamne la poésie (notamment la poésie épique d'Homère) comme
modèle de fonction mimétique impropre à former de bons gardiens.
Il recon.~ît néa=oins que les "contes de bonne femme" que sont
le mythe (mûthos graos) peuvent servir, une fois purgés de toute
immoralité et démesure, a la prime éducation.

186
lJF"'ll""" .v'q;,,,,t évidemment un sens satisfaisant pour eux, lll2.lS ce
qu'ils ont dit de l'application même de ces causes
dépassent la portée de notre entendement."(METAPHY-
SIQUE, II, 1000 a 11-20).
D'où une condamnation sans appel du discoups my-
thique
"Mais les subtilités mythologiques ne méritent pas
d'être soumises à un examen sérieux. Tournons-nous
plutôt du côté de ceux qui raisonnent par voie de
démonstrat ion (auodeixeos legontôn)." (Ibid.)
La science, dès l'origine, avait donc déjà ses "pri-
mit ifs" et il faut se rendre compte que cette conception péjo-
rative du mythe, qui d'ailleurs ne fait que préfigurer l'atti-
tude positiviste face à ce qui alors sera appelé ~'idéologie"
prévaut encore largement dans le discours anthropologique,même
chez ceux qui ont fait des mythologies l'objet principal de
leurs recherches. Le cas le plus paradoxal c',est celui de
Lévi-Straus et nous voudrions, en redéfinissant le statut qu'il
accorde à la pensée mythique, montrer la fonction constituante
et tout à fait
(sur)déterminante de cette pensée dans l'Ins-
titution africaine précoloniale
Chez l'auteur de LA PENSEE SAUVAGE, le mythe, même
s'il est désormais étudié pour lui-même, reste cependant cette
production mi-sérieuse, mi-fantaisiste propre à la fabulation.
Aussi, s'interrogeant sur le processus de constitution des
systèmes mythologiques, il est amené à le penser, par opposi-
tion à celui de la science, en termes de "bricolage intellec -

187
tuel"(I). Il importe de se reporter au sens propre du terme
bricolage pour saisir toute la portée de cette analogie.
"Dans un sens ancien, note Lévi-Strauss, le verbe
bricoler s'applique au jeu de balle et de billard,
à la chasse et à l'équitation, mais toujours pour
évoquer un mouvement incident.: celui de la balle
qui rebondit, du chien qui diva~~e, du cheval qui
s'écarte de la ligne droite pour éviter un obsta-
cle. Et,de nos
jours, le bricoleur reste celui qui
œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détour-
nés par comparaison avec ceux de l'homme de l'art."
(LA PENSEE SAUVAGE, p.
26 -
souligné par nous).
Jeu, mouvement incident, recondissement, divagation,
écart,etc., autant de notions qui d'emblée nous introduisent
dans un univers d'emprunt, marqué par opposition au monde'
"réel", lieu de l'efficience et de l'authentio_ue, par le con-
tingent,
le factice,
l'ineffectif. A la limite, un univers
voué au hasard et où tout ce qui arrive ne le serait que par
des médiation·s· incontrôlables, par incidence et rebondisse-
ment!
La suite de l'analogie d'ailleurs illustre bien cette
idée car,poursuit Lévi-Strauss :
"Or le propre de la pensée mythique est de s' expri-
mer à l'aide d'un répertoire dont la composition est
hétéroclite et qui, bien entendu, reste tout de mê-
me limité; pourtant,
i l faut bien qu'elle s'en ser-
ve,
quelle que soit la tâche qu'elle s'assigne,
car
elle n'a rien d'autre sous la main. Elle apparaît
ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel, ce
1. F. Bourricaud, dans un ouvrage récent, traite de l'idéologie
sur le même modèle
: LE BRICOLAGE IDZOLOGIQUE,
PUF,
1981

188
~ui expli~ue les relations qu'on observe entre les
deux. "( Ibid., p. 26).
A partir de cette assimilation pensée mythique-
bricolage, l'opposition avec la pensée rationnelle, en parti-
culier la science, devient nette.
Sri effet, alors que la
science part d'éléments solidement
établis (les faits d'ob-
servation) et à travers une méthode bien déterminée, à savoir
l'ensemble des hypothèses constituant le corps théorique, pro-
gresse vers leur
ordonnancement et l'intelligibilité intégrale
de leur mode d'articulation et des lois du système, le brico-
lage lui se caractérise non seulement par l'absence de toute
méthode, mais encore ses objets eux-mêmes sont déterminés au
hasard de la constitution aléatoire du stock des composants
puisque, comme le note encore Lévi-Strauss, pour le bricoleur,
"les élements sont assemblés et conservés en vertu du principe
que 'ça peut toujours servir'" (ibid., p. 27).
Ainsi, alors que la pensée scientifique procède par
concept, c'est-à-dire prend pour objet non la nature elle-même,
mais de simples phénomènes, à savoir le fait sensible réduit
en ses "qualité premières" purement intelligibles (l'hypothèse
sur laquelle seulement travaille le savant étant donc l'objet
naturel réduit à un fait rationnel), la pensée mythi~ue,elle,
resterait entièrement plongée dans le magma pléthori~ue
et
indifférencié-de la nature sensible ou tout au plus à un cran
au-dessus, celui de l'image, non point idée des choses, donc
pouvant faire l'épreuve d'une raison criti~ue et heuristique,

18g
malS. représentation,
insusceptible comme te1lt,
en tant qu't.lL.
renvoie invariablement au substrat matériel, de prom~uvoir
leur compréhension et encore moins leur maîtrise par la mé-
diation d'une pratique technicie~~e(I).
Or,
selon Lévi-Strauss,
c'est cette dérilection de
la pensée mythique dans le pur sensible, donc dans l'hétéro-
clite de ses manifestations, qui la condamne à ne pouvoir
être qu'une incessante répétition à la fois de son objet et
du discours dans lequel i l l'englobe, alors que la démarche
scientifique, dans la mesure même où elle fabrique elle-même
son objet (eommele disait Bacnelard, le fait
scientifique
est fait,
c'est-à-dire est le produit de cette réduction de
l ' obj et naturel en "obj et rationnel",
l ' hypothèse et la théo-
rie) échappe ~ la facticité des assemblages contingents et
s'ouvre vers le prOgrès.
1. Cette opposition entre concept et image, connaissance ration-
nelle et appréhension sensible tendrait à rejeter la pensée my-
thique dans l'espace du symbole,
en tant.que celui-ci n'est
jamais complètement extérieur à ce qu'il exprime, mais parti-
cipe de sa nature, en est une marque, un témoin. Aussi, note
J.-P. Vernant: "C'est en ce sens que le symbole mythique peut
être dit "tautégorique"
: i l ne représente pas autre chose ; i l
se pose, i l s'affirme lui-même.
Il n'est pas savoir concernant
un objet,
i l est présence à soi. Il n'appartient donc pas comme
le signe à l'ordre de l'intellection, mais de l'affectivité et
du vouloir dont les réactions fondamentales,
les aspirations les
plus profondes ne sont pas seulement subjectivement vécues dans
l'intimité de chacun, mais ~'objectivent, se projettent au de-
hors dans les formes de l'imaginaire . . . "
(MYTHE & SOCIETE EN
GRECE ANCIENNE, p. 220

I90
Nous voyons alors (même si Lévi-Strauss
ne le dit
pas explicitement) que c'est cette opposition qui,
en fin de
compte, fait la différence.
entre les sociétés "froides" et
les sociétés "chaudes". A l'inverse de la pensée scientifi-
que et technicienne qui aurait pris ces dernières sociétés
comme champ d'élection,
la pensée mythique comme "incessante
reconstitution à l'aide des mêmes matériaux", serait elle in-
capable de créer de l'événementialité, di~loguant avec une
nature aveugle qu'elle est incapable de saisir comme objet
et donc de transformer en histoire. C'est bien cette impuis-
sance du système mythique que Lévi-Strauss met en évidence
quand i l écrit :
"Le propre de la pensée mythique, comme du brico-
lage sur le plan pratique,
est d'élaborer des en-
sembles structurés, non pas directement avec d'au-
tres ensembles structurés, mais en utilisant des
résidus et des débris d'événements:
"odds and
ends", dirait l'anglais,
ou en français,
des bri-
bes et des morceaux, témoins fossiles de l'histoire
d'un individu ou d'une société. En un sens, le rap-
port entre diachronie et synchronie est donc inver-
sé : la pensée mythique,cette bricoleuse,
élabore
des structures en agençant des événements,
ou plu-
tôt des résidus d'événements, alors que la science,
"en marche" du seul fait qu'elle s'instaure, crée,
sous forme d'événements,
ses moyens et ses résul-
tats, grâce aux structures qu'elle fabrique sans
trêve et qui sont ses hypothèses et théories."
(LA PENSEE SAUVAGE, pp. 32-33).
Peu importe dès lors que Lévi-Strauss considère les

191
deux démarches comme "également valides" et que dans l'une et
l'autre, ce soit le même souci d'intelligibilité qui soit à
l' œuvre. Il n'en reste pas moins que l'approche comparative
ne permet pas de saisir toute la portée et le. sens de la
pensée mythique, en ce qu'elle semble négliger cette diffé-
rence fondamentale qu'en elle, la fonction nratigue l'emporte
infiniment sur l'élaboration théorique à valeur de cO~~Bis­
sanCe. Autrement dit, il importe de saisir tout d'abord cette
pensée comme système idéologique,
jouant donc le rôle de
schème constitutif dans l'établissement et le fonctionnement
de l'Institution sociale. Comme représentation de l'Absolu.
Mais i l faut voir d'abord que dans cette fonction
constitutive, le mythe apparaît comme tout le contraire d'un
bricolage, en tant qu'il se présente généralement comme un
ensemble systématique offrant dans le cadre d'une société
donnée, un champ unique de référence pour toutes les ques-
tions que le groupe peut se poser tant dans sa "vision" du
monde que dans sa pratique la plus courante. A cet: effet,
les éléments du mythe.•. contrairement aux "odds and ends" du
bricoleur, n'existent nullement de façon éclatée et surtout
leur composition n'a rien de contingent mais obéit à des
lois strictes de totalité et de cohérence, comme réalisation
d'un projet réfléchi d'explication du monde et de justifi-
cation de son ordre, donc établissement de l'Institution.
Dès lors, l'opposition formelle entre muthos et logos de-
'vient caduque, .il ne reste plus qu'une mytho-logie, c'est-

192
à-dire, explique Vernant en se référant à l'espace grec
"Un ensemble narratif unifié qUl représente, par
l'Étendue de son champ et par sa cohérence interne,
un système de pensée original, aussi complexe et
rigoureux à sa façon que peut l'être, dans un re-
gistre différent, la construction d'un philosophe."
(Op. cit., p. 207).
N'est-ce pas d'ailleurs un tel système qu'Hésiode
mettait en chantier quand il se proposait, dans sa THEOGONIE,
de révéler dans une vision totalisante et intelligible "ce
qui a été, ce qui est et ce qui sera" ? C'est donc dire que
face à la froide raison démonstrative de la philosophie et de
la science (mais pour les Grecs, c'était la même chose), il
y a aussi une logique du mythe, c'est-à-dire non plus la pa-
role fabuleuse, mais une raison spécifique qui est à l' œuvre·
et qui, à sa façon, poursuit la fin de toute raison: à savoir
rendre compte des structures et des lois de l'univers, rédui-
re le chaos apparent de ses manifestations à un espace d'in-
telligibilité ordonné et en tant que tel maîtrisable.
Il y a simplement qu'au niveau de la pensée mythi-
que, percepts et concepts ne s'opposent plus comme dans la
,
science, dans la mesure~'acte de connaissance ne s'y donne
pas sous la forme dichotomique d'un percevoir d'abord pour
ensuite seulement concevoir, donc comme connaissance liée
d'abord au sensible et ne s'élevant que par la médiation du
concept à l'abstraction généralisatrice, mais on peut dire
que le mythe, par un "raccourci" fulgurant se donne le monde

I9.3
comme immédiatement perçu-conçu puisque le Verbe qui dit le
monde est aussi celui qui le pose comme exigence rationnelle,
nécessité incontourna.ble. Car dans l'espace du mythe, qui dit
l'être le dit également comme raison d'être puisque l'être
est tout plein dans l'acte d'énonciation qui le révèle à
l'existence, l'onto-logie.(comme discours de l'être) étant
directement, sans la médiation du concept,
une
(onto)-
épistémologie (savoir ou intelligence de l'être).
Cette pensée totalisante, nous l'appelons donc
Logiaues de l'Absolu. Que faut-il entendre par là ? Logiques,
en tant qu'ensemble de discours ordonnés, ayant en soi une rai-
son suffisante de son objet telle qu'elle satisfait pleinement
au principe d'intelligibilité qui constitue sa fin ultime. De
ce fait, apparaît toute l'importance du langage dans,l"espàee
mythique, '. non.:,:.comme instrument .et .mode de communication
(ce qui renverrait plutôt à la fonction mimétique de la fable),
mais surtout comme matière constitutive 'originaire, "ensemble
structurant", dit Lévi-Strauss;puisqu'il est ce par et à tra-
vers quoi la structure mythique elle-même se réalise. Recon-
naissons néanmoins qu'il ne s'agit pas de repérer ici des
"mythèmes" à savoir des éléments minimum signifiants mais con-
sidérés hors de leur champ réel de signification, c'est-à-
dire la totalité du système mythique, mais au contraire de
prendre en considération la fonction dynamique et absolument
créatrice du Verbe lui-même, sans doute "gravat d'un discours
social ancien", comme le dit encore Lévi-Strauss, mais à

194
condition de considérer que ce discours est bien un discours
sans âge, contemporain de Ce monde qu'il amène à l'être par
la seule magie de son énoncé. Car le mythe ne dit pas seule-
ment le monde,
son efficit comme simple rapport dérivé entre
des choses (ce dont s'occupe
justement la science en détermi-
nant dans le champ de la phénoménalité le jeu des causes et
des effets), mais son objet, c'est cette événementialité au-
trement plus authentique qu'est l'advenit de ce monde, c'est-
à-dire son venir-à-l'être orig~~ire que le langage ré-inaugure
en l'énonçant (1).
De ce point de vue, le rapprochement que Lévi-Strauss
fait par la suite entre pensée mythique et création artistique
est sans conteste infiniment plus éclairant sur la nature de
cette pensée et son mode de constitution que la comparaison
toute négat~ve avec le modèle logico-mathématique de la pensée
scientifique. Partant de l'idée que l'art n'imite pas tout
simplement la nature mais fait immanquablement
œuvre de créa-
1. La mythologie Dogon, sur laquelle nous nous appuierons très
largement pour ce qui conCerne l'espace africain, nous donne
une illustration frappante de la puissance du Verbe dans la·
présence- même de l'Absolu.
La divinité suprême n'est présente
que par et à travers les mots qui l'invoquent, aussi disent
les Dogon:
"On appelle le nom d'Amma tout le
jour, on l'ap-
pelle quand le
jour est sorti, i l est le Hogon (chef) de l'ar-
rangement, Hogon des gaspilleurs, Amma arrange l'arrangement
après qu'il ait gaspillé ••• Dire le nom d'Arnma, c'est mainte-
nir tout l'espace. Le nom d'_~ est maintenir et garder toute
chose."(LE RENA.."W PALE, t.
I, p. 62). Voir également G. Calame-
Griaule : ETF.NOLOGIE ET LANGAGE : LA P.GOLE CHEZ LES DOGON,
Gallimard 1965.

195
création en tant Que l'artiste produit à partir d'un objet per-
çu ou imaginé
un objet neuf Qui lui n'existe pas en tant qu'ob-
jet (au sens empiriQue), mais est plutôt la synthèse dynamiQue
de faits et d'événements naturels, artificiels,
sociaux,
Lévi-
Strauss conclut :
"L'acte créateur Qui engendre le mythe est symétri-
que et inverse de celui Qu'on trouve à l'origine de
l' œuvre d'art. Dans Ce dernier cas,
on part d'un
ensemble formé d'un ou de plusieurs objets et d'un
ou de plusieurs événements, auxQuels la création
esthétiQue confère un caractère de totalité par la
mise en évidence d'une structure commune.
Le mythe
suit le même parcourt, mais dans l'autre sens: i l
utilise une structure pour produire un objet absolu
offrant l'aspect d'un ensemble d'événements (puis-
Que tout mythe raconte une histoire).
L'art procède
donc à partir d'un ensemble d'événements:
(objet +
événement)
et va à la découverte de sa structure;
le mythe part d'une structure, au moyen de laQuelle
i l entreprend la construction d'un ensemble:
(ob-
jet + événement)." (M PENSEE SAUVAGE, p. J8).
Un mot est à retenir dans ce texte capital, c'est
celui de construction.
Il renvoie à un point saillant de no-
tre problématiQue, à savoir la mise en évidence du caractère
inventif, créateur et surtout instituant de la pensée mythi-
Que. En effet, si nous reprenons l'idée de Lévi-Strauss, nous
pouvons dire Que Quels Que soient les éléments mis en
œuvre
et leur mode de combinaison (art : objet + événement vers la
découverte de la structure; mythe: partir d'une structure,
à savoir le langage, pour entreprendre la construction d'~~

19ô
tout = objet + événement), dans l'art comme d~~s le mythe, le
résultat auquel on aboutit est sensiblement le même, puisqu'il
s'agit de l'élaboration d'un ensemble totalisé, unité neuve et
synthétique, en tant que dans le tableau du peintre,par exemple,
il y a finalement ~ que les matériaux de départ (objet et
événement), c'est-à-dire une harmonie, une "touche" qui est le
fait même de l'art et de la sensibilité du peintre, source uni-
que du plaisir esthétique(l); de mêm~dans le mythe une fois
élaborée, l'objet absolu qui est ainsi construit est sans com-
mune mesure par l'effet qu'll produit, à savoir la sOlli~ission
à un Absolu rendu présent et efficient, avec la matériau lan-
gagier qui en est la structure originaire et constitutive.
En: tant que construction et de l'événementialité
et, de'.:·l':oojê'ctivité.qui.' lui sert de support, la pensée my-
thique apparaît bien comme l'instituant originaire dans la
société dite primitive dans la mesure où elle détermine
l'axe fondamental d'inscription et de signification de tou-
te chose, le champ au-delà duquel tout justement n'est plus
qu'errance et aberration, en un mot "bricolage". En ce sens,
toute, architectonique mythique a fondamentalement à faire avec
l'Absolu dans la mesure où elle est une tentative d'élaborer
un espace - celui du sacré - où univers humain et univers di-
vin se constituent et s' ordo=ent', plus exactement, l'espace
unique où il n'y a d'univers humain possible qu'en tant qu'il
l. Voir l'admirable con~entaire que Lévi-Strauss fait sur la
collerette de dentelle du tableaU de F. Clouet, PENSEE SAUVAGE,
pp. 33-37

197
émane et participe pour sa permanence de la Duissance et de
l'efficience de la divinité créatrice. Si donc l'Institution
est du droit de l'Absolu,
celui-ci lui-même n'est constitué
et représentable comme tel ~ue par la médiation de la systé-
matioue Qe la pensée mythi~ue ainsi ~ue l'univers dogon, sur
le même plan et Q'apres les mêmes matériaux ~ue la THEOGONIE
d'Hésiode ou les "fables" d'Romere, nous en donne une écla-
tante illustration:
"Le mythe dogon,
écrivent Griaule et Diéterlen, ne
relate pas seulement des faits relevant d'aventu-
res, de rivalités entre les dieux ou encore des
effets de l'amour et de la haine ••. Mais i l témoi-
gne d'un sérieux examen des conditions mêmes de la
vie et de la mort; d'où son aspect biologique pré-
cis •. L'univers est certes considéré co~e un tcut
mais aussi comme un corps vivant articulé, ordonné
au point que le désordre même y est intégré -
fonc-
tionnel, aux parties emboîtées, dépendant les unes
des autres.
Le mythe présente une structure de l'u-
nivers, depuis celle du système stellaire jusqu'à
celle du plus petit des grains, en passant par
l'homme, image microcosmique du monde •.• " (LE RE-
N~JW PALE, p. 53).
La question qui se pose devant une telle construc-
tion est alors la suivante : comment la pensée mythi~ue par-
vient-elle à assumer une telle fonction architectoni~ue ?
Quels matériaux met-elle en
œuvre et selon ~uel mécanisme
les combine-t-elle ? En un mot, comment s'effectue cette
genèse de l'Absolu? Nous avons vu la part essentielle ~ui
est celle du langage. Mais le Verbe lui-même ne constitue

198
pas tout"
il lui faut encore lli~ matériau origi~aire ~u'il
"manipule" en s'y incarnant: à savoir le 'T'emns.'
En effet, si la science ne s'intéresse qu'aux "qua-
lités premières" et donc ne se réfère au temps que dans la me-
sure où il est ce qui détermine le processus d'efficience
(l'efficit) de ces qualités (temps tout à fait abstrait, ne
définissant qu'un rannort entre des choses, par exemple entre
la cause et son effet)(I), il en va tout autrement de la pensée
mythique qui elle, cherche un temps de référence, d'~~crage :
le temps absolu du commencement de toute chose et de sa perma-
nence, conjuguant ainsi hier avec aujourd'hui et demain, l'évé-
'mentialité et l'histoire avec l'invariance de l'origin~. Un
temps donc qui articule le contingent au nécessaire, le factuel
',.
au transcendant. Lévi~Strauss d'ailleurs a bien vu cette impor-
tance de la structure temporelle dont i l fait, avec la langue
et la parole l'élément-clé de la pensée mythique. Aussi, peut-
il écrire dans "La. structure des mythes" :
"Le mythe est un système temnorel qui combine les
propriétés des deux autres (la langue et la parole] •
Un mythe se rapporte à des événements passés : "avant
la création du monde", ou "pendant les premiers âges",
en tout cas "il y a longtemps". Mais la valeur intrin-
sèque attribué au mythe provient de ce que les évé-
1. Voir la célébre définition d'Aristote qui est pratiquement
le premier à penser le temps abstrait de la physique: "Le
temps est le nombre du mouvement selon l'antérieur et le pos-
térieur" - PHYSIQUE, IV, 12

199
nements, censés se dérouler à un moment du temps,
forment aussi une structure permanente. Celle-ci
se rapporte simultanément au passé, au présent et
au futur."
C-iVITHROPOLOGIE STRUC'i'URALE,
p.
231).
Comment faut-il donc interpréter cette conjugaison
de tous les temps, totalisant ainsi tous les événements et leur
effectivité ? Pour~uoi cette double structure, à la fois his-
torique en tant qu'elle engloble l'événementialité (l'advenit)
et_ an-bistori~ue puisque le temps s'y trouve enraciné dans un
présent éternel où tout événement lui-même se réduit en fin de
compte à un simple accident vis-à-vis d'une totalité ~Ul le
transcende infiniment ?
Disons tout d'abord ~ue cette référence aux temps
des origines, de la Création, répond principalement à un be-
soin psychologi~ue d'intelligibilité, à un souci exigeant de
systématisation quL interp~ellent lemonde et une fois révélés
la genèse et le fonctionnement de ses structures, y assignent
rigoureusement cha~ue individu et cha~ue chose à sa place.
Ainsi se trouvent conjurés l'idée d'une coupure entre l'a-
vant et l'après,
le risque d'une déstructuration du système
par la "divagation" de ses éléments constitutifs, en un mot,
la terreur du chaos co~~e retour au néant. En tant que système
architectonique de l'univers, ordonnant donc espace et temps
selon un réseau unicentré qui articule les sens et les exis-
tences autour de la figure de l'Absolu (les dieux et les an-
cêtres),
le mythe apparaÊainsi comme une vision globalisante
du monde qui institue selon des schèmes stricts le cadre où

200
toute chose trouve son fondement d'après une raison transcen-
..
dante. A ce ~ul"tre, le 2ythe n'est pas seulement discours de
l'origine,
i l est encore ce qui rend compte de la trans-
effectuation de cette origine et dit en quoi tout acte, tout
événement participent également de son flux créateur. Dès lors,
i l aura également pour rôle d'informer les attitudes et les
pratiques individuelles et de les inscrire dans la continuité
d'une histoire où les dieux, la terre et les hommes cor-respon-
dent(I) •
Cependant,
i l ne faut pas en conclure pour autant
qU,e cette co-présence de tous les temps n'est qu'une simple.
addition
de diverses époques vécues ou encore une superpo-
sition qui viendrait à faire coïncider temps du monde et
temps des origines. En ce sens,l.'opposition entre synchronie
et diachronie ne définit pas encore exactement le rapport de
la pensée mythique au temps.
Il faut voir qu'en confondant
passé, présent et avenir dans une même extase temporelle, le
mythe nous révèle que le temps auquel i l se réfère n'est nul-
lement le temps vécu mondain qui n'est qu'un temps dérivé, un
1. Il Y a ainsi comme une "chaîne" de la temporalité dont nous
retrouvons d'ailleurs une forme symbol'jsée dans l'espace afri-
cain précolonial avec les cérémonies de passation de pouvoir
chez les Sonianké (boucle du Niger).
La dynastie dispose de
chaînes en or et en argent dont chaque chaînon représente un
ancêtre jusqu'à l'Ancêtre fondateur,
Sonni Ali. Au moment de
mourir, le dernier patriarche dégurgite, dans un acte magique,
l'ensemble de la chaîne et la fait avaler à son successeur,
permettant ainsi au pouvoir de se perpétuer sans rupture. Voir
Boubou Hama et J. Ki-Zerbo, "Place de l'histoire dans la société
africaine" in METHODOLOGIE ET PREHISTOIRE AFRICAINE, pp. 65-76.

201
temps retombé, mais un temps de l'ailleurs, temps idéal et
tout à fait irréductible à la durée vulgaire ~ui, seule, est
à la portée de l'humain. On ne peut donc parler ici ni de syn-
cbronie ~ui ne pourrait être qu'un rassemblement de diverses
phases de la temporalité dans u.~ présent figé et ineffectif,
ni de diachronie non plus,
comme itération et errance du temps
et qui prétendrait en contenir toutes les éDoaues dans un seul
mouvement continu. Le temps du mythe, au contraire,
serait
plutôt une a-cbronie(I) comme négation-transcendance de tous
les temps,
ou plus exactement, puisque cette notion peut sem-
bler négative,
on pourrait l'appeler "u-cbronie"(2),c'est,-13.-dire
un temps qui,
en étant de tous les temps, n'est d'aucun
es-
pace temporel particulier en tant que toute temporalité y par-
ticipe des formes de l'Absolu et s'y réalise.
Mais si le mythe fait référence à ce temps idéal,
c'est qu'il le considère coa~e déterminant dans sa transeffec-
tuation toute forme d'existence actuelle. Néanmoins, ainsi ~ue
nous l'avons dit, cette transeffectuation n'est point u.~e sim-
ple itération car le temps du commencement est un point absolu
1. Comme l'indique Balandier, parlant du rapport du mythe au
temps et des pratio~ues rituelles qui y correspondent : "Il ne
s'agit pas de mécanisme permettant en quelque sorte de surmon-
ter le temps, mais plutôt de l'abolir en montrant ~ue l'ordre
social reste conforme au projet initial,
inaltéré,
inaltérable,
dominant l'hommé en raison même de cette éternité.", ANTHROPO-
LOGIQUES, p. 208.
2. Nous construisons ce terme par analogie à celui d'u-topie,

202
et ininscriptible dans une durée étalée. En mettant en branle
l'univers, la divinité ne s'y est nullement dissoute, la créa-
tion n'est pas continuée, mais marquée par une rupture irré-
versible (la sénaration de l'homme et de dieu, du sacré et du
profane), d'où la fonction du mythe Qui est de remémorer en
nermanence les conditions présumées des premiers temps, non
pour lee
reproduire à travers la seule magie du verbe (il en
est virtuellement incapable), mais par l'évocation, d'en appro-
cher d'aussi près Que possible la puissance créatrice. C'est
à ce point Que dans la société "primitive" le rite vient pro-
longer et réaliser par la pratiQue effective l'architectoniQue
théori~ue du mythe.
Il y a en effet ce qu'on pourrait appeler un "mal-
heur de la conscience mythicue"(I)
et Qui détermine à la fois
forgé par Thomas More (à partir du grec:
ou, non; topos, lieu)
pour Qui, comme on le sait, i l n'avait pas ce sens négatif de
chose imaginaire,
illusoire,
qu'il a pris aujourd'hui, mais
signifiait plutôt ce "non-lieu" privilégié de l'Idéal enfin
atteint, une sorte de République platonicienne réalisée quel-
que part, dans une Ile Heureuse du bout du monde. Voir Utopia,
édition latine de A. Prévost, Marne
1. Il est entendu ~ue -
la notion de "malheur de la conscience"
n'a pas ici le sens précis que Hegel lui a donné dans la phéno-
ménologie, donc comme une "figure" déterminée de la conscience,
dans sa dialectique interne vers la Raison. Nous nous référons
plus particulièrement à la signification assez large Que lui
donne Hegel dans ses
oeuvres de jSlL.'C\\esse, notamment à propos
du judaïsme ~u'il considère co~~e étant l'état de la conscience

203
et les formes de représentations des sujets et le type de pra-
tique qui s'y rattache. Ainsi,
cette harmonie entre l'numain
et le divin que l'anthropologie religieuse se plaît à consi-
dérer comme réalisée a urinciuio dans la société dite primi-
tive n'est qu'apparence, une telle union n'est
jamais donnée
mais toujours "fabriquée", selon "out UI!. processus de prati-
que permanente dont le rituel occupe la place centrale. Les
dieux ou les ancêtres ne sont plus dans la cité ou dans la
forêt,
l'unité originaire a été irrémédiablement rompue Dar
la faute de la créature qui l'a rejetée pour toujours dans
le fini et le profane.
L'univers mythologique africa~n
est presque tou-
jours bâti.
sur l'idée de cette scission entre le divin et
l'humain, à la suite de ce qui ressemble bien à une faute ou
"péché originaire". Il en est ainsi chez les.Bambara (Mali)
où Muso Koroni, la fi~~re femelle du couple initial qui inau-
gure l ' œuvre de création se révolte et par sa désobéissance,
introduit dans l'univers "le mal,
le malheur et la mort"(I).
Mais l'exemple typique nous est donné par
la mythologie
dogon avec la révolte d'Ogo, l'un des quatre jumeaux androgynes
humaine qui fait l'épreuve de la scission et du déchirement en-
tre son désir de réaliser l'union avec Dieu et l'impossibilité
où elle se trouve d'arriver à cette "reconciliation", dès lors
que la divinitÉ est présentée comme un absolu inaccessible pour
toute réalité finie. Voir en particulier ETu~ES THEOLOGIQUES DE
JEUNESSE, Nohl, Tübingen 1907 ainsi que le commentaire d'Hyppo-
lite, GENESE ET STRUCTURE DE LA PHENOMENOLOGIE DE L'ESPRIT,
Aubier - Montaigne, pp.
184-208
1. Voir G. Dieterlen, ESSAI SUR LA RELIGION Bf~BsRA, PUF 1951

204
(les Nommo)
qui sont les premiers êtres crés. Péché d'or-
g~~il et de démesure, si l'on peut dire, puisqu'à peine crée,
Ogo voulut rivaliser avec la divinité créatrice, Amma, en
volant le morceau de placenta celeste qui était une partie de
lui-même et contenait le secret de la création. C~tte tenta-
tive, avortée, va provoquer sa "chute" comme sépar,,-tion irré-
versible avec la divinité, de même qu'elle inaugure une Vle
séparée sur terre mais qui sera marquée du sceau de la fini-
tude, des malheurs et de la mort(I).
Ainsi donc, cette séparation par la faute originai-
re a entraîné le décentrement de l'homme, rejeté hors de la
sphère du divin, d'où sa volonté désespérée de restaurer
l'immanence de l'infini dans le fini,
de l'Absolu dans la
subjectivité individuelle ou celle du groupe. La conscience
malheureuse mythique est alors bien cette conscience déchi-
rée qui fait l'expérience tragique d'une dualité irréducti-
ble ; d'une part sa dérilection perpétuelle dans~la singula-
rité et la finitude qui la menacent en permanence d'anéan-
tissement
; d'autre part, une exigence fondamentale de
transcendance afin de réaliser de nouveau l'union et la
totalisation avec l'Absolu présentifié.
Or ce sera le rôle du rite de servir de médiation
dans cette re-élévation de l'humain vers le divin,
en mimant
1. Cf. Griaule et Diéterlen,
LE REN~qD PALE, t. l
LE ~TEE
COSMOGONIQUE,
Institut d'Ethnologie, Paris 1965. Nous revien-
drons plus en détail sur le mythe dogon au chan.
IV

205
la présence et la fusion mythiQue des premiers âges. Ce carac-
tère mimétique du rituel est particulièrement net dans l'espa-
ce africain traditionnel, notamment par le port des masques
qui en fait une sorte de mise en scène dramatiQue. En fait,
par le masque, le rituel montre bien que ce ne sont pas des
"individus" Qui sont les protagonistes sur la scène, mais des
perso~~ages (en latin, persona désigne tout d'abord le masQue
que portait le personnage de théâtre) représentant les divers
éléments de la création dans les rôles qui figurent les pre-
miers actes de la création. Le rite ainsi rappelle les faits
et gestes du dieu créateur ou de l'ancêtre fondateur et met
en scène le processus effectif par lequel l'univers et les
choses sont venus à être. Mais par ce rappel il renouvelle
aussi le pacte orig~naire qui liait les dieux et les hommes
et constituait le support même de l'existence et partant,
réactualise l'harmonie créatrice. Mais nul doute que le
temps dans lequel se joue ce théâtre où les dieux et les
hommes se répondent n'est plus alors le temps mondain, ni
l'espace, l'espace profane social.
Comme le souligne Mauss
"Les mythes, par l'intermédiaire des rites qui en
sont des descriptions, des commémorations, viennent
se poser dans l'espace et se produire dans le temps.
Mais le temps et les espaces sacrés dans lesquels
se réalisent les rites et les mytfies sont qualifiés
pour les recevoir. Les espaces sont de véritables
temples. Les temps sont des fêtes." (ŒUVRES, t. l
,
pp. 29-30).

206
Cérémonie, jeu, dramatisation, c'est donc toujours
à cette réactualisation
de l'Absolu et du sacré qu' œuvre
le rite comme mise
en scène du mythe, quelle que soit la
diversité de ses formes et de son contenu: culte des an-
cê~res(I), cultes agraires, rituels de passation du pouvoir,
etc. Sans nous attarder sur une étude de détail, nous voudrions
simplement considérer cet élément invariant de toute pratique
rituelle et qui constitue la médiation pour toute réactualisa-
tion du temps originaire, à savoir le sacrifice(2).
Du sacrifice, l'on peut dire qu'il est incontesta-
blement le mode essentiel de tout appel à l'Absolu. En effet,
si la conscience mythique est cette conscience malheureuse qui
vit la scission d'avec la divinité comme un sentiment tragique
d'un rejet perpétuel vers le néant, elle ne peut surmonter
(encore une fois sans la réduire aosolument) cette scission
qu'en instituant.un processus complexe de médiations qui lai
permette de rétablir dans son efficace l'unité originaire. Or
le sacrifice est le principe même de Ce processus en tant
qu'il est toujours une forme d'expiation de la faute origi-'
naire en rendant de nouveau "positif" le rapport de l'indi-
vidu et du groupe à la divinité que cette faute avait affecté
du signe "négatif" de la séparation et de la chute. Lévi-Strauss
définit bien ce processus dans LA PENSEE SAUVAGE :
I. Voir pour ce qui concerne l'espace africain Balandier
4NTHROPO-LOGIQDES, en particulier pp. I9I-I95
2. Cf Mauss,
CEUVRES, I, chap 3, ppI93-354

207
"On voit, note-t-il, que le sacrifice est une opéra-
tion absolue ou extrême , oui porte sur un objet
interI:lédiaire. ( •• • )- Le sacrifice cherche à. établir
une connexion souhaitée entre deux domaines initia-
lement séparés : comme le langage le dit fort bien,
son but est d'obtenir qu'une divinité lointaine
comble les vœux humains.
Il croit y parvenir en
reliant d'abord les deux domaines par le moyen d'une
victime sacralisée (objet ambigu qui tient en effet
de l'un et de l'autre), puis en abolissant ce terme
connectant : le sacrifice crée ainsi un déficit de
contiguïté, et il induit (ou croit induire), par
l'intentiorfalité de la prière, le surgissement d'une
continuité compensatrice sur le plan où la carence
initiale, ressentie par le sacrificateur, traçait
par anticipation, et comme en pointillé, la voie à
suivre à. la divinité." (Op. cit. pp. 298-299).
Ce que confirme tout d'abord ce texte, c'est bien
l'idée de dramatisation, de mise en scène car l'on voit que le
rite sacrificiel joue à "piéger"
la divinité, si l'on peut di-
re, en rétablissant par le symbole d'une victime une contiguï-
té qui, de fait, n'existe plus, et qu"'il rend--effective en ap-
pelant par le vide consécutif à. l'immolation de la victime-
symbole la urésence efficace de la divinité. Mais là. également,
le rite ne fait que transposer le mythe, en
tant qu'il mime
le sacrifice originaire qui a été à l'origine même de la
création de l'humanité.
Ainsi, si l'on se reporm à la mythologie dogon qui
-
-
nous sert de référencé, on voit que l'acte transgressif d'Ogo
aboutit au sacrifice de son jumeau (le Nommo Sému) qu'Amma

!"_
"-_IEP __"!
208
rendait en partie responsable de son forfait, du seul fait de
sa co-appartenance au même placenta(I). Or ce sacrifice ori-
ginaire sera en réalité un don de vie, la réalisation des con-
ditions de possibilité d'une existence humaine séparée et au-
tonome. Ai~si, l'~viration du Nommo symbolisera la fin de
l'état andro~Jne et la séparation des sexes préfigurant le
~assage de la gémellité originaire au modèle désormais domi-
nant de l'uniparité.
D'autre part, l'immolation et le partage du corps
sacrifié du Nommo devait être comme un acte de régénération
de l'univers dans son ensemble. C'est pour~uoi, c'est à par-
tir du sang de la victime répandu dans l'espace ~ue se sont
formées les planètes et les étoiles, donc le système d'un
monde "d'en haut" ~ui allait s'opposer au monde "d'en bas"
de l'humanité, de même ~ue c'est de ce sang, disent les
Dogon, qu'est lssue la pluie "alimentant l'univers et le dé-
barras sant de toute souillure". On peut donc dire qu'à par-
t ir du sacrifie e du Nommo,· Amma reprenait à. la base une créa-
tion dont la révolte d'Ogo avait révélé les failles, création
~ui érigera enfin l'homme comme centre d'un monde profane
~ui sera l'espace des arts, des techniques et de la civili-
sation, mais également celui du désordre, du malheur et de la
mort. Un sacrifice ~ui est donc incontestablement un acte de
violence mais ~ui, co~e
l'est tout rite sacrificiel, est
bien une ''violence fondatrice"(2).
1. Cf. LE RENARD PALE 0
II. Nous emprQUtons ce terme à René Girard qui a traité le sa-
crifice dans cette option dans LA VIOLENCE ET LE SACRE, Grasset,
1972.

20g
Par ce recentrement dans l'espace sacré des origi-
nes, le rite apparaît bien comme un prolongement nécessaire
et une pièce-clé de la pensée mythi~ue.
En effet, à l'archi-
tectonique explicative et ordornatrice du mythe répond dans
l'ordre social de la prati~ue l'efficace productrice et trans-
formatrice du rituel.
Et de même Que dans son exigence
de
totalisation le mythe investit l'ensemble du champ de l'in-
telligible, de même toute action
dans l'espace ainsi révélé
relève du rite, est lui-même rite. Car il ne suffit pas de
montrer la présence du sacré dans le profane, du transcen-
dant dans l'immanent.
Encore faut-il Que cet Absolu pUlsse
communiquer à la réalité mondaine une parcelle de la puis-
sance et de l'efficience qu'il incarne. Dès lors le rituel
est l'unique médiation Qui fait de toute attitude, de toute
action comme la reorésentation, la répétition d'un geste
essentiel Qui trouve son principe dans
la force et la vo~
lonté originaires de la divinité créatrice. Les dieux ainsi
convoqués revie=ent à la lisière des bois et c'est eux qui
soutie=ent le geste inaugural du semeur et qui veilleront
sur les récoltes. Car cultiver, ici, c'est prier. Ils sont
encore dans les frondaisons, qui guident la flêche du chas-
seur. En fait, c'est eux-mêmes qui ont préparé l'expédition
et présidé à la préparation des arcs et des pointes. Tous
les gestes ne sont pas "efficaces" et d'ailleurs ils n'ont
pas investi n'importe Quel bois d'une particule de leur pou-
voir. Les Mbuti n'entrent dans la forêt que sur le pas des
Ancêtres. Aussi,.c'est sur leursautels qu'iront les pièces
de premier choix.

210
Est-ce à dire que l'harmonie originaire est re~
trouvée? Certes non.
Mais le rite est seulement ce par quoi
le fossé entre les dieux et les hommes se trouve réduit en
tant qu'il travaille en permanence à réajuster l'univers so-
cial qui n'est que pure contingence, à l'univers divin où
toute chose trouve sa détermination, faisant en sorte qu'une
portion suffisante de la puissance créatrice soit réinvestie
dans l'espace social et y compense la négativité qui en est
la marque fondamenta~,depuis la scission des premiers temps.
A ce titre, on peut dire que la fonction du rituel est essen-
tiellement tlrométhée=e puisqu'il
met en scène sinon la
divinité, du moins toujours un substitut démiurgique dont
l'intervention a pour effet la maintenance et la tranforma-
tion de l'espace social vital(1).
Logiques de l'Absolu donc, mythe et rituel en tant
qu'ils disent non seulement l'omniprésence du sacré dans le
profane, du transcendant dans l'immanent, mais encore en quoi
cette présence est nécessaire et s'exprime à travers les struc-
tures ordonnéesd'un système de l'~~ivers où toutes choses cor-
1. La figure de Prométhée constitue pratiquement ~~e forme uni-
verselle qu'on retrouve dans presque toutes les mythologies
où l'épisode àe la communication du savoir et des matériaux
techniques occupe toujours une place fondamentale. D~~s bien
desmy1hèlogies africaines, cette transmission se fait plutôt
par effraction comme dans les cas dogon et bambara.Mais quel
qu'en soit le mode, tout rituel commence toujours par une
commémoration de cette première efficace technique.

2II
respondent. D'où la place fonda~entale que mythe et rituel
occupent aussi dans le processus d'institution de la société
dite pri~itive, comme condition de tout sens et de toute pra-
tique, donc principe surdéterminant de la production et de la
reproduction sociale.
Selon quels mécani.srœs fonctio=e ce processus? Il
faut dire que l'Institution, ici, s'établit et perdure selon
les deux axes fondamentaux_ sur lesquels se dévéloppent res-
pectivement le mythe et le rite: d'une part l'axe de la pa-
role, d'un langage au niveau duquel le rapport signifiant-
signifié n'est plus arbitraire mais où no~,er la chose, c'est
l'amener à l'être, le re-présenter; d'autre part l'axe d'UL~e
prat ique instrumentale
ut ilisant c om.'!le fore e l ' énergie créa-
trice de la divinité réactualisée et qui conforme l'ensemble
de la pratique sociale à une gestuelle qui la transcende de
toute part.
Il reste pourtant que cet Absolu qUl est aux fon-
dements de l'Institution n'existe lui-même
que Dosé comme
tel et l'acte qui le pose est un acte social(I). Or cet
instituer au premier degré, comme fonction éminente
1.
Castoriadis, dans L'INSTITUTION IàillGINAIRE DE LA SOCIETE
montre parfaitement en quoi les deux fonctions essentielles
qui instituent la société comme telle sont elles-mêmes des
produits de cette société. Les deux axes que nous avons dé-
finis plus h:uts sont chez lui ce qu'il appelle le legein
( du grec At.'(~\\V ) qui est "distinguer-choisir-poser-compter-

212
de la pensée mythi~ue, n'est rien d'autre Qu'une forme d'ex-
pression de l'idéologie de la société dite primitive, comme
espace totalisé des sens et des présences, organisant et in-
formant l'ensemble du système social. Idéologie Qui n'est
point cette pure nébuleuse dont parlait Marx, mais dont l'ef-
ficace opére bien sur toutes les structures de ce système -
et à commencer par les structures de production - une fonction
historique. de "surdétermination" Qui seule perraet de rendre
compte de leur mode de combinaison et de leur processus ap-
parent de transformation. Et c'est parce Qu'elle n'a rapport
qu'à l'Absolu que Marc Augé nous propose de considérer l'idéo-
logie mythique comme une "idéo-logique" ou "logiQue des repré-
sentations", c'est-à-dire, explique-t-il
"Une logique d'ensemble qui situe les uns par rap-
port a1L~ autres, de façon multiple et différentielle,
non seulement les différentes variantes institution-
rassembler-dire" (fonction de parole donc, et qui, da.."ls la so-
ciété "primitive", relève du mythe) d'une part, et d'autre part,
le teukhein (du grec r~0X.E.11( ), à savoir le "rassembler-ajuster-
fabriquer-construire", donc fonction instrumentale qui corres-
pond bien à celle du rituel car, comme le souligne Castoriadis,
il ne concerne pas seulement les outils matériels, mais encore
"la fabrication des individus par la société, l'imposition aux
sujets somato-psychiques, au cours de leur socialisation, du
legein, mais aussi de toutes les attitudes, postures, gestes,
pratiques, savoir-faire codifiables •.• " Or, note en outre Cas-
toriadis, legein et teukhain, bien qu'ils se posent comme des
principes absolus "sont déjà, comme tels, des créations socia-
les, institutions primordiales et instrumentales de touteins-
titution ••• "-Voir op. cit.
, pp 303-365

213
nelles d'une société, mais aussi ses variantes in-
tellectuelles, morales et métapbysi~ues•.. 1'idéo-
logi~ue serait ainsi simultanément la somme du
possible ~t du pensable pour une société dor~ée,
cette somme constituant une totalité virtuelle ~ui
ne s'actualise jamais ~u'en énonc~partiels pour
l'interprétation, la description et la justifica-
tion d'un événement do=é." (POUVOIRS DE VIE,
POUVOIRS DE MORT, p. 74).
Totalité virtuelle certes, puisque nullement ré-
ductible à l'une ~uelcon~ue de ses composantes, car c'est
uni~uement dans . 1.'unité·Systélnati~ue des divers ordres
(biologique), psychi~ue, cosmi~ue, social, etc;) et dans leur
conjugaison dynami~ue que tout individu peut se penser comme unité
vivante et s'assigner une place dans l'ordre de l'univers.
On voit alors mal comment dans un tel réseau de
déterminations le sujet social peut prétendre à une quel-
conque autonorr~e et surtout penser son rapport aux autres
et au monde sur le mode d'une conscience libre. Il est mê-
me certain ~ue nulle part ailleurs ~ue dans la société dite
primitive, l'idéologie n'atteint à une telle efficace. En
effet, si dans la société capitaliste, réputée société dé
la "guerre idéolbgique';"l'intégration, .pour se faire, a tou.,..
jours besoin de la coercition physique ou de ce que Weber
appelait "la menace de recours à la violence" (intégration
précaire et ~ui est toujours à refaire, chaque fois ~ue la
force nue qui l'assure perd une parcelle de son crédit),
dans la société "primitive" au cOl:..traire, ce recours à la

violence n'est nulle~ent déterminant ou plus exactement, tou-
te la société est tout le temps sous la plus implacable de
toutes les violences, à savoir la violence symbolique (1)
~ui menace et mar~ue de son signe non plus les corps, mais
les âmes et érige par l'enseignement de la terreur, celle
d'un retour possible au chaos originaire, chaQue individu
en censeur impitoyable de soi-même et donc àe tous les au-
tres, puisque la moindre faute ou déviation commise à n'im-
porte quel point du système menace de dstructuration l'en-
semble de l'architec~ure univ~rselle. Comme le faisait
remarquer à juste titre le R. P. Temples à partir de la my-
thologie bantou :
"Le monde est conçu comme une inter-action de
forces constituant la trame d'une toile d'arai-
gnée dont on ne peut faire vibrer un seul fil
sans ébranler toutes les~mailles (LA PHILOSOPHIE
BANTOU, p. 41).
C'est ce totalitarisme de l'Institution qu'il nous
faut maintenant sonder, en nous appuyant plus particulière-
ment sur les formes politico-idéologiquea spécifi~ues de
l'espace africain précolonial.
1. Cf. P. Legendre, L'AMOUR DU CENSEUR

215
CHAPITRE IV - LE TOTALITARISME DE L'INSTITUTION
=================================
l - L'UN ET SON DOUBLE : LE MODELE GEMELLAIRE
OU LES FONDEMENTS TOTALITAIRES DE L'ETRE
Dans la plupart des mythologies africaines fonc-
tionne un symbolisme sexualisé qui est à la base de l' œuvre
de création et d'or.ganisation du monde, et qui se donne comme
un principe double combinant les caractéristiques de la mas-
culinité et de la féminité. Et c'est du jeu à la fois contra-
Qïc~oire et complémentaire de cette dualité du principe andro-
gyne que naît toute chose, tant la personne humaine que l'uni-
vers environnant et les
œuvres de la civilisation.
Ainsi, c'est ce dualisme ambigu qui est à l' œuvre
dans le mythe bambara de la création, symbolisé par le couple
originaire constitué de Pemba, le principe mâle, "porteur" de
la semence et de la connaissance, et de Muso Koroni, principe
fe .melle, "dépositrice" de la semenc~ et·de la connaissance.
~
-
La première
œuvre de création de ce couple échoua cependant,
du fait de la défection de Muso Koroni qui par sa révolte, re-
jette l'Q~ivers en formation dans le chaos. C'est alors qu'in-
tervint Q~e troisième figure comme médiation nécessaire pour

216
mener l'entreprise à bonne fin,
principe androgyne,
"à la fois
mâle et femelle dans son corps et dans ses principes spi ri-
Par son action,
i l mit fin aux désordres crées par
Muso Koroni et acheva l ' Œuvre créatrice en donnant aux hom-
mes l'usage des techniques, du langage et les symbolismes
représentatifs(I).
Nous retrouvons le même dualisme chez les Fon du
Dahomey où fonctionne également le modèle de la divinité an-
drogyne,
compliqué,
i l est vrai, par la multiplication des
figures de médiation. A l'origine se trouve une divinité
androgyne, Nana Buluku, mais seulement comme créateur des
matériaux à partir desquels l'univers sera ensuite fOYmé.,
L'organisation de ces matériaux sera ainsi l ' Œuvre d'un
couple démiurgique qu'il a crée à cet effet, Mawu-Lisa,
présenté tour à tour par les Fon comme des jumeaux ou
comme une figure unique androgyne elle aussi, Ma\\vu étant
l'élément femelle et Lisa l'élément mâle. Ce couple lui-
même qui fonde l'ordre du monde et engendre les créatures
vivantes ainsi que les diverses formes de civilisation et
les systèmes sociaux n'achève pas à proprement parler le
processus de création, aussi est-il prolongé dans l'ordre
des vivants par une troisième force,
Dan, également andro-
gyne ("il est deux en un" disent les Fon) dont le rôle est
d'assurer la permanence des
Œuvres de la création (2).
I. Cf. G. Diéterlen : ESSAI SUR LA RELIGTON BAMBARA
2. Cf. P. Mercier : "The Fon of Dahomey" in D. Farde ( ed) ,
AFR1CAN WORLDS, Londres, 1954, pp. 210-234.

217
On pourrait multiplier à l'envi les exemples et
considérer le cas des Bantu(I), celui des Lugbara de l'Uganda
et du Zaïre, des Fang du Gabon, des Ndembu de Zambie, des Béti
du Camero1L"l,
etc:( 2), tous ayant en commùn de mettre à l ' ori-
gi~e de la création une figure double, soit gémellaire, soit
androgyne,
comme force tensionnelle qui de l'opposition sur-
monté~de ses deux principes à la fois antagonistes et com-
plémentaires,
jette les 'bases d'une architecture universelle
dont l'homme est la fin ultime. Mais~~ette étude, nous nous
appuierons principalement sur le modèle dogon qui, s ' i l n'est
pas le plus achevé, est sans conteste celui sur lequel l'an-
thropologie africaniste a fourni le plus de matéria1L~ analy-
sables(3).CommelenoteG. Calaœe-Griaule, se référant à la
pensée mythique dogon :
"L'opposition des sexes, la relation ambiguë qui
les unit a particulièrement attiré notre atten-
tion ( •.• ) A quelque niveau que nous considérions la
culture dogon, nous retrouvions en effet c e t t e '
1. Voir pour l'espace bantu les importants travaux de Luc de
Heusch, en particulier MYTHES ET RITES BANTU . . .
(?aris, 1972).
2. Cf. Balandier qui expose la plupart de ces cas et donne
une importante bibliographie dans ANTHROPO-LOGIQUES,
pp. 13-61.
3.
L'ouvrage fondamental sur la mythologie dogon est bien
entendu celui qui retrace les différents travaux de terrain de
M. Griaule et G. Diéterlen :
LE RENARD PALE, t. 1,
LE MYTHE
COSMOGONIQUE. Griaule en fait un résumé plus concis, avec
des variantes dans DIEU D'EAU. ENTRETIENS AVEC OGOT~mELI.
Cf. également la synthèse qu'en donnent Adler et Cartry,
"La transgression,et.sa dérision" in L'HOJ/ITiIE,XI,
3, 1971 (5- 64)'.

218
opposition complémentaire déterminant une concep-
tion dualiste du monde." (ETHNOLOGIE ET LANGAGE:
LA PAROLE CHEZ LES DOGON ).
"A l'origine, avant toute chose, disent les Dogon,
était Amma, Dieu, et il ne reposait sur rien. l' oeuf en boule
d'Amma était clos, mais fait de quatre parties dites clavicu-
les, elles-mêmes ovoïdes, qui étaient unies, comme soudées les
unes aux autres. On d i t :
les quatres clavicules d'~~a join-
tes (collées) forment (sont) une boule et on ajoute: après
cela, il n'y a plus rien." (R. P., p 61).
Dans DIEU D'EAU où
Griaule donne la première version du mythe cosmogonique, P~a
pour créer le monde s 'lL'1i t à la terre, et c'est là sa.. fonct~ion
mâle de géniteUr et de père'qui est principalement mise en
valeur. Dans LE RENARD PALE par contre, où le mythe apparaît
dans sa forme la plus achevée, cette figure mâle se complique
avec l'apparition d'unepropriété féminine qui tire la divi-
nité vers le modèle andro~Jne. La métaphore ovulaire, à ce
titre, est significative et les Dogon parlent d'ailleurs de
la "calebasse "d'Amma" définie comme une "matrice", récepta-
cle de la création. Ainsi, c'est dans cet" oeuf" que prend
. . . . . .
, 1
forme le premler etre cree ou plutôt l'archétype même de
toute la création, à partir d'une graine de séné (Acacia
albida) qu'Amma "pétrit dans ses clavicules en superposant
les quatre
éléments empruntés à sa chair" (notons
que ces
quatre éléments contenus dans les clavicules représentent
les quatre éléments naturels: eau, air, feu, terre).
Remarquons que cette première ébauche fait appel à un jeu

219
de signes numériques trop complexe pour être reproduit ici,
mais dont les chiffres de base,
et c'est important,
sont 6
(c'est-à-dire le double du chiffre dit mâle, qui est 3) et
8 (double du chiffre femelle,
4), ce qui, note Griaule,
ex-
primait déjà "la gémellité sexuée, mâle et femelle,
qui sera
à la base de la réalisation dans la matière de la pensée di-
vine"
'R.-'- P., D. 73).
La cohésion de cette prroière création étant insuf-
fisan~à ses yeux, Amma la détruisit (nous retrouvons ici
l'échec primordial mis
en évidence dans les autres mytholo-
gies, bambara notamment)
et décida de créer ~~ second monde
"ayant pour base l'homme".
Il utilisa cette fois COI!lJlle ma-
tériau de base une autre graine, le Don (fonio ou Digitaria
exilis, symbole de l'infiniment petit) qu'il plaça dans son
œuf et à partir duquel i l édifia le monde en provoquant en
son sein un mouvement spiralant de 7 vibrations. Nous retrou-
vons ici la combinaison des deux symboles numériques mâle et
femelle (4 + 3 ), ce qui fait dire aux Dogon,:qu'
"Amrna est
comme un couple de
jumeaux originels".
La fonction mater-
nelle de la divinité est d'ailleurs réaffirm~dans le fait
que ce deuxième monde, à la fois fécondé et couvé par &~a
est expulsé de __iSon sein, une fois formé, dans un mouvement
comparable à un accouchement, les Dogon appelant la brèche
que le créateur fit dans son sein "l'ouverture des yeux
d'Amma lt •
Cependant,
c'est dans la
f o r m a t i o n
des

220
pre~iers prototypes hum~ins (les ~uatre couples de jw~eaux
mixtes appelés Nommo) ~ue se révèle le plus le caractère
andro~Jne d'Amma et en particulier son principe féminin
comme matrice du monde·. nommé explicitement placenta. Comme
le disent encore les Dogon, "L' œuf d' Amma ~ui avait enve-
loppé toutes les choses à l'intérieur est devenu son pla-
centa" (R. P., p. 129). Ce placenta se forme "au centre",
là où se trouve le "siège d' F-lThua." ou encore sa "calebasse
en boule". Adler et Cartry, commentant le mythe,
insistent
bien sur ce dualisme originaire de la divinité créatrice
elle-même, tantôt
jumeau, tantôt forme androgyne ("un en
deux")
"Le rapport d'Amma à sa féminité comme à sa créa-
tion est conçu comme un rapport de gémellité ~~l
est
jumeaux originels", disent les Dogon). Non
seulement la création gémellaire, mais le prin-
cipe de gémellité est posé comme l'union de Dieu
avec l'univers. Amma est immanent à l'univers créé,
c'est dans le placenta originel dont i l ne se dis-
tingue ~ue par le mouvement même par le~uel celui-ci
se scinde pour former l'unité première,
elle-même
gémellaire, des jumeaux engendrés et du non-jumeau.
Il faudrait même dire ~u'Amma est père, non pas en
tant que l'Un créateur, mais parce qu'il est "dieu
captif", lui-même soumis à la loi de la gémellité
de la création." (L'HOMME,
op. cit., y. 17).
Mais i l importe surtout de voir ~ue plus que le
dualisme i~~érent
à la divinité créatrice, c'est la trans-
mission du modèle gémellaire-andro~Jne aux êtres crées oui

22I
est déterminante dans l'univers mental dogon, mais aussi dans
tout l'espace mythique africain, pour la conception t~~t de
l'homme que de la société et des rapports de pouvoir qui y
fonctionnent. Certes, la révolte d'Ogo, l'un des quatre ju-
meaux mâles originaires (les Nommo qui sont 8, deux couples
andro~Jnes à dominante mâle et par dédoublement 4 jumelles
correspondantes) va modifier le schéma de 13 cré~tion fuis-
que contrairement à leurs ancêtres, les premiers hommes nés
après la chute n'"auront plus le privilège de la gémellité
essentielle, symbole-de"l:a:complétude et de 13 perfection,
mais seront désormais façonnés suivant le modèle dominant
de l'uniparité, donc en mâles et en femelles.
Il n'en reste
pas moins que le modèle gémellaire reste le principe fonda,,;""""
mental de toute l'ontologie africaine précoloniale, car il
ne suffit pas que la naissance unipare soit devenue préva-
lente pour que le dualisme soit complétement évacué des mé-
canismes souterrains de la création. Déjà, ce dualisme per-
siste de manière plus ou moins indirecte à un double niveau
d'abord dans le fait que Amma qui a créé toute chose a donc
également façonné l'homme suivant le processus andro~Jne
amorcé depuis la graine de séné; ensuite, parce que les
ancêtres directs des hommes, qui sont comme des médiations
entre eux et la divinité créatrice, sont encore cré~s sui-
vant le modèle de la gémellité et que leurs descendants ne
peuvent qu'hériter de leurs principes constitutifs fondamen-
taux. Tout individu, dès lors, participe d'une manièrG ou
d'une autre du modèle originaire et il nous suffira de

, .
222
considérer la conception dogon de la persor~e (conception
qu'on retrouve d'ailleurs telle quelle dar-s la presque tota-
lité de l'espace africain précolonial) pour nous en rendre
compte.
Ainsi, d'après Diéterlen,
la notion de personr-e
chez les Dogon est à la fois très élaborée et très complexe(I).
Dans leur univers mental,
qui est nécessairement celui du mythe,
tout ir~ividu est constitué d'un certain nombre de principes:
a)
d'un corps (godu)
b) -
de o.uatre principes dits "de corps" ou "âmes"
et qui se répartissent comme suit: un couple d'âmes
jumelles
de sexe opposé (kindu kindu say ou "âmes intelligentes")
; son
reflet composé d'un couple comparable (kindu kindu bumoné ou
liâmes rampantes")
c) -
de Quatre lObes de sexe" classées SUiVal'lt le
modèle des nrécedentes
d) - du symbole des nourritures de base placé dans
les clavicules comparées à ce titre à des greniers et conte-
nant chacune quatre graines
e) -
enfin, d'une force vitale composite, présentée
comme un fluide circulant dans le sang et dans les organes
internes.
1. La constitution de la personne est décrite avec précision
dans LE REN~"'lD PALE, en étroit-rapport avec le mythe cosmo-
gonique. Diéterlen en reprenç! les éléments dans l'étude inti-
tulée "L'image du. corps et les composantes de la personne chez

223
De ces diverses com~osantes, nous ne retiendrons
Dour le moment que les deux séries,
les"âmes" et les graines
des clavicules,
sous réserve de revenir ~lus loin sur la
question de la force vitale.
Concernant donc les principes dits spirituels ou
"è(
"âmes"
(kikinu),
i l convient d' ab 0 rdil'-qu 'ils sont marqués par
une bisexualité Qui renvoie incontestablement au modèle ori-
ginaire de la gémellité telle qu'elle définit ~ la fois les pre-
mières créatures prototypes et la divinité créatrice elle-même.
L'interprétation de Diéterlen sur ce point peut être retenue,
d'autant plus qu'elle est corroborée par les matériaux ethno-
graphiques collectés sur le terrain.
Aussi note-t-elle
"Le terme kikinu employé co=unément est une con-
traction de l'expression kindu kindu désignant le
principe directeur de la personne. Cette répéti-
tion n'est pas fortuite;
elle exprime l'existence
dans l'être humain de couples d'
"âmes",
l'une mâ-
le, l'autre femelle.
Qu'il s'ag~sse des âmes de
corps ou des âmes de sexe,
le terme ~ a le sens
savant,
int elligell t
; i l qualifie l'âme en tant
que siège de la connaissance et de la conscience
de soi. Mais i l rappelle aussi, sous une autre
forme le principe fondamental de la gémellité.
les Dogon" in LA NOT·ION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE (pp. 205-
229), ouvrage collectif édité par le C.N.R.S.
(1971)
et qui,
par la diversité des systèmes étudiés,
constitue un outil ca-
~ital pour toute approche comparative de l'ontologie africaine
considérée dans le cadre des grands ensembles mythologiques.

224
En effet,
say est une Qéformation volontaire, au
dire même des informateu~ de soy désignant le
chiffre 7. Or 7 est la somme de 3, symbole mâle
et de 4, symbole femelle.
On exprime
ainsi que
l'âme double, kindu kindu,
est mâle et femelle
(3 + 4), c'est-à-dire forme un couple générateur
par excellence." (LA NOTION DE PERSONNE ... , article
cité, p. 206).
D'autre part,
ces âmes elles-mêmes sont considé-
rées par les Dogon comme étant d.es "signes" de la voloaté
uréformatrice d'Amma,
et ces signes sont inscrits dans le
"sein" de la divinité qui, comme nous l'avons vu,
est assi-
milffà une matrice où ont germé et se sont développées toutes
les choses créées. Ce signe étant porté par ailleurs dans le
placenta de chaque individu symbolisant le placenta originai-
re de la divinité dont i l n'est qu'une figuration,
on peut
dire que toute créature est par essenCe jumelle d'Amma-qui-
est-deux-en-un.
car,disent
les Dogon,
"le placenta est tou-
jours vivant, toujours pur".
Mais cette articulation à la divinité créatrice
et donc au principe même du dualisme fondamental (gémellité-
androgynie),
outre la constit~tion "spirituelle", est encore
matérialisée par ce qu'on peut appeler le "schéma claviculaire"
de la perso=e. En effet, de même que l '
"oeuf" d'ADIna était
constitué de quatre "clavicules"
jointes deux à deux, de même
au niveau de la perso=e,
C'est à partir des clavicules que
se font la formation et le développement physiologique. Ainsi
pour les Dogon, la conformation de l'enfant dans la matrice

225
commence par les clavicules ~ui ainsi co~stitue,~a charpente
même de la perso=e ou,
comme ils disent,
"l'é~uipement du
corps suspendu". Par la suite, c'est le développement cla-
viculaire ~ui constituera le repère essentiel mar~uant les
différents stades de la vie de l'individu: les Dogon n'i-
gnorent pas ~ue l'ossification des clavicules se poursuit
jus~u'à la vingt-deuxième a=ée et ~u'il faut encore huit
ans pour ~u'elles soient complètement soudées au sternum.
Pour eux, l'individu peut alors être dit "complet" et accé-
der au mariage et à la vie adulte.
Or si ces clavicules importent tant,
c'est en rai-
son"même de leùX contenu, à savoir les 8 graines, réparties
4 à 4 dans cha~ue clavicule(I). Que signifie donc ce symbo-
lisme granulaire? Ici encore, i l faut retourner au mythe
cosmogoni~ue. Au début de la genèse, .~a, avec la graine
du Don, avait aussi créé las autres c~~éales dont tout d'a-
bord les huit principales, comme symbole de son pouvoir de
fécondité et également comme préfiguration de la vie et du
travail sur terre (le mythe dit : "les graines sont sorties
de l'os des clavicules" et aussi ".~a a pétri les clavicu-
les en forme de houe.
La clavicule est (comme) la houe (le
fer)avec la~uelle on fait tout le travail des champs").
Ces graines représentent donc, à l'instar des clavicules
~ui en sont "les greniers", le ··.. s 0 u s - bas sem e n t
I. Ces huit céréales sont, d'après la terminologie dogon:
emme ya ("sorgho femelle") .. et ses trois variétés: emme
digiru, emme Dilu, emme nakolo ; ara geun (riz noir)
; yun
(petit mil)
; nun (haricot)
; namu in (graine du cotonnier).

226
de l'existence hlliuaine,
cependant moins comme simple subs-
tance fondamentale ~ue comme élément originaire, principe
biologi~ue de production et d'enracinement dans un espace
à la fois mythi~ue et social. Aussi y retrouve-t-on le dua-
lisme essentiel
du modèle gémellaire-andro~Jne en tant
~u'elles sont réparties dans les clavicules selon la dou-
ble filiation:
4 graines "masculines" dans la clavicule-
droite, représentant la lignée du père et des ascendants
a~ti~ues ; 4 graines "féminines" dans la clavicule gauche
et qui figurent l'axe maternel et des ascendants utérins.
En outre,
et au-delà de cet ancrage bio-social
recontenu claviculaire est encore ce ~ui détermine, par un
jeu complexe de composition et décomposition,
l'état onto-
logi~ue même de la personne et partant, son statut social
et politi~ue.
Ainsi, l'individu en état d'impureté est
sensé rompre la stabilité de ce contenu claviculaire (les
Dogon disent ~1ie "ses graines se battent") et sans purifi-
cation de la souillure, c'est son intégrité physi~ue même
~u'il met en danger; d'autre part, certains individus,
d'après leur naissance ou leur fonction sociale, ont un
contenu claviculaire plus consistant ou plus homogène,
tels les jumeaux - ~u'on affecte d'une double dotation,
de même,~ue les -~rêtres. Notons enfin ~ue les hommes de
caste ont un contenu claviculaire ~ui en fait des indi-
vidus en état d'impureté permanent, d'où leur marginali-
sation dans la société comme c'est le cas des griots, des
travailleurs du cuir
et du bois, des fabricants de va~~erie.

=
b U
227
ReprÉsentant ainsi u.~e parcelle de la suostance
originaire,
fi6UIant à la fois les Quatre é1éments fondamen-
taux (air, terre,
eau, feu)
et les quatre points cardinaux,
"signe" des 8 ancêtres,
fruits de la première manipulation
d'Amma, variant selon les sexes, l'âge et la fonction,
les
8 graines établissent donc entre l'individu conçu comme un
lllicrocosme et l'univers-macrocosme des relations .harmoili-
ques à travers lesquelles,
c'est la fonction instituante du
mythe qui est éminemment mise en valeur, dans la lllesure où
elles résument par leur contenu et leur mode de comoinai-
son l'ensemble du processus de la création •. :cAdler et Cartry
insistent bien sur ce caractère de cristallisation, autour
du contenu claviculaire, de toute l'ontologie dogon ainsi
Que de ses effets sociaux
"Elles [les 8. graines) ne symbolisent pas, comme
on aurait tendance à le dire tri,_.voalement,
la subs-
tance de ce qui maintient l'ho~~e dans l'existence,
mais témoins en l'homme de l'identité des diverses
formes de productivité -
productivité de la nature
et productivité du travail humain -
elles sont ins-
crites dans son corps en un lieu qui récapitule et
marque les étapes de sa croissance. Elles sont com-
me l'image du corps où se mesure l'état sans cesse
mouvant de la relation symbiotique qui unit l'hom-
me à l'univers.
Image de l'univers par lui-même,
l ' homme porte en··lui,...même cette image qui garantit
son intégrité en tant que membre d'un lignage,
pro-
duit d'une chaîne d'ancêtres, détenteur d'une posi-
tion statuaire,
fixé en Un lieu (quartier, village,
région)
et situé dans un temps déterminé du cycle
de la vie du monde." (L'HOMME,
op. cit., p. 29)

228
L'on peut donc dire ~ue le schéoa dualiste du illO-
dèle gémellaire reste une constante dans toutes les structu-
res de l'ontologie dogon et africaine en général (1)
et nous
pouvons en tirer un certain nombre de consé~uences sur la
représentation de la personne dans l'espace africain préco~
lonial.
Sur l'idée de la personne,
l'ontologie occiden-
tale nous a habitués à un schéma dichotomi~ue composé 6ssen-
tiellement de l'âme et du cor~s. Dès Platon, ces delLe éléments
apparaissaient déjà comme séparés voire antagoni~ues, le corps
étant de l'ordre du sensible et siège des passions (euitumiai),
f
l'âme ou le Noùs étant le lieu electif de la fonction ration-
nelle, la seule valorisée (2). Toute la philosophie de Platon
sera ainsi une "pédagogie" de l'âme visant à l'élever, par la
dialectique, à la Sagesse ~ui l'approche de la divinité.
Plus tard, dans une optique ~ui n'est pas non plus
~eulementthéofi~uemaisporte à des conséquences religieuses,
Descartes a encore posé le problème du rapô,ort de l'âme au
corps et abouti au même hiatus tant dans leur statut que dans
leur fonction (3).
1.
Las. études réunies dans LA NOTION DE PERSONNE . . . montrent
la ~uasi universalité du modèle gémellaire dans les mytholo-
gies africaines ou, en tout cas, la pl~ité ',des composantes
de la personne en rapport avec l'ambiguïté (gémellité-andro~J­
nie) de la divinité créatrice.
2. Voir en particulier PEEDON et LA REPUBLIQUE
3. Cf. MEDITATIONS, II et VI

229
Toutes ces philosophies ont en fait un point com-
mun, ~Ul est de déterminer en la personne un urinciue direc-
teur,
soit dans l'ordre théori~ue des fonctions de connais-
sance, soit dans l'·ordre prati~ue des valeurs. Nous retrou-
vons là en ~uel~ue sorte le souci, déjà exprimé che~ les
Stoïciens, de définir dans la personne, toujours suivant le
schéma dichotomi~ue, un principe hégémonique (l'hegemonikon)
et ~ue Platon d'ailleurs matérialisera par le modèle hiérar-
chique des trois instances (thurnos,
epithumia, noûs) ou de
manière plus figurative avec la métaphore de l'attelage(I).
Or, si nous référons aULX myhologies africaines,
nous
-'nous rendons compte ~ue ce schéma dichotomi~ue y- est
complétement absent ou plutôt ~u'il vole en éclats. On n'a
plus une opposition étroite âme-corps mais la personne est
représentée co~~e constituée d'une multiplicité de compo-
santes dont toutes sont aussi essentielles les unes ~ue les
autres et en outre solidaires entre elles.
Le cas dogon nous
a révélé cette structure complexe de la personne mettant en
jeu des éléments eux-Glêmes composés ("âmes de corps et de
c
sexe",' alliant les caractéristio_ue.s de la masculinité et de
la féminité,
force vitale,
etc.
) ~ui eULx-mêmes se conju-
guent les uns aux autres (ainsi les combinaisons du com-
plexe claviculaire) pour aboutir enfin à l'individu total,
biologi~uement et socialement déterminable, dans le cadre
bien entendu des schèmes cosmi~ues dont il participe étroitement.
1. Voir Platon, PHEDRE, 246 a -
247 d

230
Nul doute que da~s lli~ tel contexte il serait vain
" .
-
.
,~..
,
de chercher lli~e fonction hegemonlque qUl ce~lnlral" une ca-
ractéristique essentielle de la personne comme telle. Néan-
moins, il ne faudrait pas conclure
de cette absence d'lli~
principe dominant que la'personne africaine, telle qu'elle
est décrite à travers le mythe n'est qu'un tout composite,
sans cohésion inter~e. 3ien au contraire, à la domination
d'un principe unique (telle l'âme dans la métaphysique occi-
dentale) se substitue, dans l'ontologie fondamentale afri-
caine une interdépendance dynamique des diverses instances
qui, sur la base du dualisme sexualisé originaire, fait du
"moi" l'espace-microcosme
construit d'après les matériaux
et les lois d'une architectonique universelle au principe
de laquelle se tient la divinité créatrice.
Il Y a ainsi un "pluralisme cohérent de la per-
sonne" (1), déf:L.~ie comme synthèse organisée des différents
éléments constituant le jeu complexe
des équilibrations et
recompositions successives d'après la vertu des forces anta-
goniques et complémentaires contenues dans ces éléments eux-
mêmes. Nous avons là ce" que nous appelons les "fondements
totalitaires" de l'être, dans la mesure où la multiplicité
des composantes de la personne a co~~e effet majeur d'ins-
tituer l'individu sur le modèle de la création originaire,
donc comme
projection directe d'une divinité à laquelle
1. Voir L.V. Thomas,
"Le pluralisme cohérent de la notion de
personne en Afrique Noire traditionnelle" :L.~ LA [-;orION DE
PERSONNE, pp. 337-420

231
il demeure relié par d'infinis points d'ancrage, chacune de
ses composantes constituant en effet une démultiplication
d'une substance originaire correspondante constitutive de
cette divinité elle-même. Si, conme le disent les Dogon,
"le placenta d'Amma est toujours vivant" et si toute chose
est "signe" ou partie de ce placenta, on peut dire que de
par sa constitution biologique essentielle,_ toute personne
peut être considérée comme un miroir de l'Absolu, ne se
maintenant que dans la mesure où EM8réfléchit et intério-
rise en permanence la puissance et l'efficience divine
(c'est là, comme nous l'avons indiqué, la fin de la prati.. -
que rituelle).
Mais si la pensée mythique est cette pensée
foncièrement instituante, il va de soi que le modèle on-
tologique qu'elle met en chantier ne vise pas simplement
à assurer une fonction théorique de connaissance, mais
sert également à structurer l'espace social en déterminant
à la fois les rôles et les statuts.
P. Smith en ce sens a
bien raison de dire, partant du schéma ontologique africain,
"qu'un modèle de la personne est toujours, d'u..'"le façon ou
d'une autre, le corollaire d'un ,modèle de relations entre
personnes" (1). Il nous faut donc voir comment l'Institution
sociale en Afrique précoloniale s'érige et se maintient en
faisant jouer les différents éléments et
fonctions de cette
ontologie fondamentale,
en d'autres termes, co~~ent les struc-
L' Voir "Principes de la personne et catégories sociales" in
LA NOTION DB PERSONNE ••• , pp'- 467-490.

232
tures totalitaires de l'être,
en tant ~u'expressio~ perma-
nente de l'Aosolu,
Îonàe~t et inÎorment le ~otalitaris2e de
l'Institution.

233
II -
LE "COMPLEXE D'aGa"
L'~NTI-ŒDIPE
OU 1'E~AT
CELLULAIRE DE LA SOCIETE AFRICAINE PRECOLONIALE
Dans le mythe dogon, le perso~Jlage d'Ogo est in-
contestablement le protagoniste principal en tant que dans la
création du monde, i l est à la fois au point de départ et au
point d'arrivée.
C'est sa révolte contre Amma qu~ met fin en
en effet à la fusion originaire dans laquelle la divinité et
sa création étaient maintenues,
et c'est également sa "chute"
(ce que les Dogon appellent la "descente" d'Ogo) qui inaugure
le projet d'un univers terrestre comme espace d'une civilisa-
tion centrée autour de l'homme, donc d'un monde historique.
Or de cette révolte, les mobiles sont intimement
liés au processus de constitution ontologique tel Qu'il dé-
termine pour les Dogon toute représentation de la perso~Jle
et partant l'Institution sociale,
cette ontologie informant,
ainsi que nous l'avons vu,
toutes les fornes d'état et de
statut du sujet, donc aussi ses pratiques et les rapports
sociaux dans lesquels ce sujet est impliqué à titre d'agent.
Retournons donc au mythe et à Ogo.
L'histoire du
deuxième monde créé par .~a après la
p r e .m i
è r e
éoauche faite à partir de la graine de ~, deuxième monde
qui vit la naissance des premiers prototypes des êtres hu-

234
mains,
les Nommo, fut donc l'histoire de la révolte d'Ogo.
Cette création,
on le sait,
s'est Îaite sur le modèle du
dualisme gémellaire-androbyne, Ogo étant l'un des quatre
jumeaQX mâles et celui des deux (l'autre étant le futur sa-
crifié) C].ui occupent "le placenta du bas". Bien que les
Dogon attribuent à sa révolte des motivations différentes,
suivant les variantes du mythe. (rivalité avec Amma,
orgueil
et démesure C].ui le poussent à vouloir surprendre le secret
de la création et en maîtiser à son tour le processus, voire
fabriC].uer un monde concurrent etc.), la raison fondamentale
semble être son désir impatient à vouloir s'unir à
sa partie
jumelle encore en gestation dans le placenta d'fuuma (la fu-
ture Yasigui)
et réaliser ainsi à l'instar d'~~a ce dédou-
blement mâle-femelle qUl lui donnerait la pUlssance créatrice.
"Comme ses frères
jumeaux , dit le mythe,
Ogo se
trouvait rattaché à son placenta, formé
en tant
c_u 1être complet et pourvu.. de quatre l'âme s de corps If ,
témoiŒdes quatre éléments. Mais i l était encore
seul; Amma procédait à l'élaboration des
jumelles
des Nommo anagono, C].ui devaient être réalisées 60
"périGdes" après leur formation.
Ogo manifesta dès
ce moment son anxiété et son impatience. Alors qu'fu~­
ma désirait former sa jumelle pour la lui octroyer
comme à ses frères
jumeaux,
Ogo, dans son angoisse
et son désir de possession croyait C].u'elle ne lui
serait pas accordée et s'agitait sans cesse. Pen-
sant en être privé,. i l "agaçait ArrIma. en remuant-.
Amma lui précisa alors qu'il recevrait sa jumelle
au moment de sa naissance,
de sa "sortie de son
sein". Mais Ogo ne le crut pas, l'exigea dans l'im-
médiat,
se révolta et se mit en quête sans attendre

235
les réalisations à'Aw~a. Cette quête consista à
,
........
~
l'
,..:J'A
Il
vouloir s'emparer a son proIl u ae
oeuvre u. _wnma.
(LE RENP3D PALE, p. I76)
Transgressant la volonté de la divinité créatrice,
aga, dans la quête forcenée de sa partie jumelle -
ou encore
son âme femelle- arracha donc le morceau de placenta où celle-
ci était
encore en gestation, mais ne put réaliser l'union to-
talisante puisque Arnma,
par représaille retira du placenta le
principe spirituel de base et le confia aux autres Nommo. Dé-
sormais, toute l'aventure d'aga sera celle de la recherche de
son double féminin qu'il ne retrouva jamais jusqu'à la "chute"
finale qui mit fin au processus de la création, par l'institu-
tian d'une naissance unipare.
Ce qu'il importe de retenir de cet épisode du my-
the, c'est qu'en arrachant de la'matric~' d'.~a une partie du
placenta et en s'unissant à
elle pour la féconder,
Ogo a com-
mis un acte de type "incestueux" qui sera à l'origine,
en pl1a8
de sa "chute", du sacrifice expiatoire de son jumeau qui, ain-
si que nous l'avons vu,
est également l'un des points de dé-
part de l'existence terrestre de l'homme. C'est cette quête
d'aga de sa ju.nelle comme son "autre" à travers un processus
à la fois transgressif et constitutif que nous nous proposons
d'aImeler "le complexe d'aga" en le conce._vant comme le point'
nodal non seulement de l'ontologie dogon et africaine en gé-
néral (nous verrons dans l'étude du pouvoir l'universalité de
ce modèle dans l'espace précolonial), mais comme principe de
structuration de tout le champ politique et social. La notion

236
de complexe a donc ici, tout d'abord un sens"structurel", puis-
qu'il s'agit de déterminer ~~ espace d'occ.urrence et de sens
tel qu'il constitue la base d'~~ ensemble d'états ou de pro-
cessus donnés,
ici, les rapports d'échange et de signification
d'Ogo avec soi-même ( avec sa partie
jumelle) d'une part,
et
avec l'ensemble de l'univers d'autre part
(à savoir sa place
et sa fonction dans le processus de création et de transfor-
mation du monde).Passant de l'ordre du mythe à sa transposi-
tion sociale, par "complexe d'Ogo" nous entendrons donc le
type d'effet que le modèle ontologique originaire produit sur
l'espace social concret sur le plan tant de la constitution
du système (détermination de la place des individus, de leur
statut etc.
) que de son fonctionnement
(passage du modèle de
constitution ontologique à la forme institutionnelle politique
et sociale).
Mais c'est
justement à cause de sa fonction consti-
tutive fondamentale que ce que nous appelons le "complexe d'O-
go" sera pensé et traité par analogie (et opposition) au mo-
.
.-
dele psychalyt ique du "complexe d' cedi pe (1).
Le rapprochement
1. Le "complexe d' ilidipe" qui, co=e on le sait, constitue le
pilier même de la psycha~yse, se réfère au mythe que raconte
Sophocle dans
ŒDIPE ROI:
fils du roi de Thèbes,
cedipe est
condamné par l'oracle à tuer son père
Laïos et· à épouser sa
mère Jocaste.
Il s'agit donc essentiellement de montrer la
force et l'irréversibilité du Destin individuel de l'ho~~e.
Parti du mythe, Freud en fait une sorte de "préhistoire" in-
contournable de tout sujet humain, le désir de la mère et la

237
est d'autant ùlus légitime Due tous les antp~oùologues qui ont
-
~
-
-
traité du mythe dogon ont été amenés à confronter l'épisode
d'Ogo avec l'analyse du complexe d' ~dipe(I), en y opérant
bien entendu quelques restructurations.
La mère est ici sym-
boliséepar le morceau de placenta auquel s'unit Ogo et qUI
est également sa partie jumelle. Quant à .~, en plus de sa
fonction maternelle, i l est également père car c'est avec lui
qu'Ogo entre en rivalité, d'où
l'hostilité à son égard.
En outre,
l'aventure d'Ogo,
par certains de ces points, ren-
voie,
indiscutablement à quelques éléments du shéma freudien.
On y retrouve ainsi Wle "fixation" de ce oui semble être Wl
"désir", le désir d'Ogo de s'Wlir dès sa 11aissance à sa partie
femelle, donc nécessairement au placenta-mère qui contient la
la rivalité avec le père deven~ ainsi le "complexe nucléaire
de la névrose" et le "point nodal" du désir infantile. La struc-
ture du mythe en vient alors à constituer le fondement de tou-
te société humain", car comme le dit Freud: "Il doit y avoir à
l'y,Auot"-,r""
l'intérieur de~s Wle voix prête à reconnaître en ~dipe la
puissance contraignante du destin ( .•• ). Son destin ne nous
saisit que par ce qu'il aurait pu être aussi le nôtre, parce
que l'oracle a lancé contre nous avant notre naissance la même
/
malediction que contre lui.
A nous tous peut-être i l a été
départi de porter sur la mère le premier élan sexuel, contre
le père la première haine et le premier désir de violence
nos rêves nous en donnent la preuve.
Le roi
~dipe qui a tué
son père,
Laïos,
et épousé Jocaste,sa mère, n'est que l'ac-
complissement de notre enfance." DE L'INTERPRETATION DES REVES
1. C'est nota=ent le cas de Diéterlen dans "Parenté et mariage
chez les Dogon", AFRICA, XXVII-2, 1957, pp. 107-148 ainsi que
de M. Griaule:
"Remarques sur l'oncle utérin au Soudan" ln
CAH.
INTER. DE SOCIOL., XVI, 1954, pp.
35-49. Voir enfin
'l'analyse critique d'Adler et Cartry in L'HOMME,
op. cit.

238
la jumelle en gestation.
Nous verrons plus loin comment la
transposition du mythe dans le champ social se fait sur le
plan de l'
"œdipe" à travers des substitutions à la fois
multiples et complexes.
En outre, et toujours sur le plan de l'analogie
avec le complexe d' Cèdipe, la répression consécutive à la
transgression d'Ogo a un effet qui pourrait bien être rappro-
cué de celui que crée le "refoulement de l '
"œdipe", dans la
;"
mesureoil définit une génitalité que la fusion originaire sur
le modèle andro~Jne-gémellaire laissait totaement indifféren-
ciée.:
c'est en effet la circoncision d'Ogo,
comme acte de
représaille d'Amma qui,
par l'arrachement du prépuce,
le pri-
vait définitivement de son double féminin et constituait en
outre pour la descendance humaine le point de départ de l'uni-
sexualité .(R. P., pp. 246-262). D'autre part, l'éviration de
son jumeau, le Nommo Sému, pour expier sa faute
(H. P., pp.
225-243)
et qui avait précédé la circoncision,
symbolise
également la règle de la séparation des sexes,
les de~x épi-
sodes pouvant donc être internrétés comme le stade de la
"castration" dont la seule représentation, dans le cas du
complexe d' œdipe] suffirait à faire résorber au sujet ses
élans incestueux.
Notons enfin qu'on retrouve autant dans l'inter-
prétatiori psychanalytiqUe du mythe d' Cèdipe que dans l ' épi-
sode d'Ogo du mythe dogon l'effet de structuration de la per-
sonnalité qu'y
joue leur "résolution", à savoir chez Ogo la

2.39
détermination d'une sexualité unlvoQue,
chez l'enf~nt, avec
la liquidation de l'
"œdipe", la constitution
d'un "moi"
comme point de départ d'un investissement sexuel hors de
l'objet de la mère. A ce titre, dans un cas comme dans l'au-
tre, la résolution du conflit apparaît nécessairement comme
la condition
d'un processus de vie humaine dans le cadre de
la civilisation (1).
Parmi les exemples d'
"œdipianisation" du mythe
dogon, Griaule est sans doute celui qUl est allé le plus loin.
Ainsi, analysant l'épisode du '. mythe où Ogo, ayant dérobé un
morceau du placenta originaire, s'unit à lui dans l'esnoir de
s'incorporer sa moitié femelle,
i l conclut:
"Ce personnage en effet sortit dans l'espace en
emportant une partie du placenta nourricier, c'est-
à-dire une partie de sa propre mère.
Il considérait
ainsi que cet. organe lui appartenait en propre, fai-
sait partie de sa propre personne, de telle sorte
qu'il s'identifiait à sa génitrice,
en l'espèce la
matrice du illonde,
et qu'il s'estimait placé sur le
même plan qu'elle, du point de vue des générations .••
Il sent inconsciemment son appartenance symbolique
1. On sait que :ii:-:1.S le mythe dogon,
la "descente" d'Ogo, même
si elle est la conséquence d'un désordre antérieur, apparaît
co~~e l'inauguration, dans le cadre d'une vie terrestre, des
arts,des teChniques (agricoles, artisanales)
et même du lan-
gage.
Les psychanalystes,de leur côté, reconnaissent l'inter-
dit de l'inceste, comme pivot du complexe d' œdipe,
comme
l'expression,
selon Lacan,
"de la loi primordiale
qui est donc
celle qui,
en réglant1"alliance,
superpose le règne de la cul-
ture au règne de la nature livrée à l'accouplement."(ECRITS).

240
à la génération de sa mère et son détachement de
la génération réelle dont i l est membre .•• Etant
selon lui de même substance et ~énération que sa
mère,
i l s'assimile à un jumeau mâle de sa géni-
trice et la règle mythiC',ue des deux membres appa-
riés le prépose comme époux idéal.
Il devrait donc,
en ~ualité de pseudo-frère de sa génitrice, être
dans la situation de son oncle utérin,
époux dé-
3igné de cette femme."
("Remarques sur l'oncle
ut érir. au Soudan",
op. ci t . ) .
Sortant de l'espace du oythe, Griaule cherche dans
la structure sociale dogon une application de çe ~ue nous
avons appelé le "complexe d'
Ogo" et la trouve dans le sys-
tème de l'avunculat. De quoi s'agit-il? D'après Griaule,
i l
s'agirait essentiellement d'une transposition déplacée du
"complexe d'Ogo"sous forme,
pour Ego ( = tout sujet social)
d'un ré-investissement du conflit au niveau du rapport avec
l'oncle et la tante. En effet,
Sl
dans le mythe le rapport
d'Ogo à sam è r e
n'est pas un rapport de génitrice à en-
gendré, mais tous les deux,
par l'intermédiaire du modèle pla-
centaire,
sont considérés comme également dérivés d'une même
substance originaire (le fils étant alors COTh~e le jumeau de
sa mère),
sur le plan de la filiation
biologique réelle, ce
modèle gémellaire ne fonctionne plus et c'est donc l'oncle
utérin qui,
par la consubstantialité placentaire avec la mère
d' Ego (donc sa
soeur)
se rapproche le plus du statut d' Ogo
et représente ainsi, comme le dit Griaule, l'époux idéal.
Ce mariage ne se réalisant pas, le conflit, dans

241
ce schéma où le nère est com91ètement évacué (il est tout au
nlus un "lntrus"),
se. troUJl'e,transformé en_un ressentiment
du
n e v e u
envers l'oncle qui n'a pas é90usé sa mère,
ce qui rétablirait au moins l'idéal du modèle gémellaire ori-
ginaire. Cette hostilité dès lors met Ego, vis-à-vis de son
oncle "défaillant" dans un rapport analogue à
celui qui op-
pose le sujet à son père dans un schéma de type
œdipien ou,
au niveau du mythe,
celui qui oppose Ogo au dieu créateur Am-
ma,qui lui refuse sa jumelle-mère. C'est ce qu'on appelle un
neveu mangu,
c'est-à-dire un neveu "de plaisanterie", le con-
flit violent étant en effet transposé sous forme·de liberté
excessive que celui-ci peut prendre dans ses rapports avec
l'oncle.
Il a ainsi le droit de le "voler" impunément, de le
plaisanter, de l'injurier,. cette "ridiculisatlon" de l'oncle
pouvant d'ailleurs s'accompagner d ' obscénités à
l'égard de la
tante. Or,
explique Griaule :
"Toutes les choses que vole le neveu,
c'est à cau-
se de sa mère:
c'est à
cause de la colère qu'il
ressent à l'idée qu'il n'y a pas eu mariage entre
son oncle utérin et sa mère. Si le neveu insulte
la femme de son oncle,
c'est parce qu'elle est à
la place de la mère. La colère contre le père,
~'est symboliquement parce que la mère n'est pas
restée mariée avec l'oncle." (Op. cit.
D'après cette explication, nous voyons que la re-
lation avunculaire ,ne joue qu'un rôle de substitution,
en tant
que corollaire de la prohibition de l'inceste et symbole
de la sublimation du désir refoulé de la mère-jumelle. Ce

242
Que cherche donc Ego dans la société constituée,
comme Ogo
dans le mythe, c'est la réalisation du ~odèle gémellaire ori-
ginaire et n'y parvenant .pas du fait de l1interdit institué
(interdit de l'inceste), i l continue de chercher la, femme
Qui symboiiserait le plus près possible la perso~~e de la
jumelle. En fait,
l'épouse de l'oncle sur qui semble se ré-
investir son désir (elle est de fait
substitut de la mère,
"à'sa place")
est elle aussi inaccessible (mêtle si chez les
Dogon, le rapport sexuel avec la tante
.est généralement to-
lérée). L'ultime recours reste alors la fille de l'oncle. Mais
si dans la société dogon ce mariage est non seulement autori-
sé, mais est encore considéré comme préférentiel,
i l ne se
réalise presque jamais car, dit-on (et le mythe,
par son in-
terdit définitif n'est point absent là), "il est trop par-.
fait" CI) •
Si nous nous sommes étendu à ce point sur l'analyse
du mythe dogon sur le mode de l '
"cedipe", c'est qu'il importe
de montrer à l'inverse que ce déplacement non seulement cons-
titue un appauvrissement considérable.
de
la représenta-
tion initiale (ceci d'autant plus que le système Qui sert à
l'illustrer, à savoir l'avunculat, n'occupe qu'une place mar-
ginale dans l'espace africain précolonail), mais encore qu'il
1. Voir Griaule et Diét erlen,
"The Dogon" in F_FR1CAi'l WORLDS,
D. Forde édit:,
London, Oxford Univ. Press, pp83-110 et sur-
tout l'excellent commentaire que font Adler et Cartry du
système avunculaire et du modèle gémellaire en général in
L'HO~ThŒ, op. cit.

243
fausse complétement la signification essentielle de ce que
nous appelons le "complexe d' Ogo" et surout la fonction sur-
déterminante de structuration qu'elle remplit au niveau de
l'Institution sociale et politique. En effet, rendu à son
sens primitif, le modèle gémellaire originaire, dans l'idéo-
logie africaine précoloniale constitue le noyau fondamental
"
autour duquel s'edifie et s'organise tout l'espace social
ainsi que l'ensemble des pratiques et rapports qu'il supporte
et c'est lui seul qui nous offre la clé de ce qu'il faut bien
appeler l '
"état cellulaire" de la société africaine précolo-
niale(I).
Que faut-il entendre par-là ? Pour définir et ana-
lyser ce concept à notre avis essentiel pour l'intelligence
de ce type de société, revenons au "complexe d'Ogo" tel que
nous l'entendons.
L'
"œdipianisation" du mythe constitue,
avons-nous dit un appauvrissement voire même un contre-sens.
1. Nous ne nions absolument l'existence d'un conflit père-fils
dans la société africaine précoloniale. Bal~~dier, dans ANTHROPO-
LOGIQUES ("Pères et fils",
pp. 80-90)
en analyse d'ailleurs
quelques cas intéressants. Cependant,
i l n'apparaît nulle part
que ce rapport prototypique père-fils soit fondé sur un conflit
de type
œdipien; tel que l'entend
en tout cas la psychana-
lyse. En réalité, i l s'agirait plutôt d'une opposition latente
liée strictement au système lignager et au type d'autorité qui
y fonctionne. Ainsi, si l'on prend le cas Mossi qu'étudie Ba-
landier, le conflit père-fils y a bien cette signification .. et
le système le résout par une séparation radicale entre ascen-
dant-descendant. En particulier, le fils aîné,
jusqu'à l'~ge
de la puberté doit vivre dans son lignage maternel et ne rend

244
En effet si
~dipe et Ogo, dans les deux mythes, symbolisent
l'un et l'autre une transgression fondamentale,
i l n'en reste
pas moins que leurs actes respectifs s'inscrivent dans des re-
gistres tout à fait différents. Le complexe d' ~dipe, t el qu' il
a été reconstruit par la psycha~yse, se déroule essentiellement
dans l'ordre du Désir inconscient et de sa
ffitsfaction impos-
sible. Comme le dit Freud :
"Le petit garçon commence à désirer sa mère elle-
même au nouveau sens [de désir sexuel génital] et
à haïr de façon nouvelle son:père, co=e le rival
qUl barre le chemin de ce désir."
(LE MOT ET LE ÇA).
~ ..
Nous avolll en c_uel sens ce désir inconscient est le point de dé-
part d'untscission ~ntre Ego et son père et con~ent la résolu-
tion de ce conflit est l'une des condition du maintien de l'Ins-
titution sociale. D'ailleurs si nous relisons le mythe tel qu'il
:::..:....---
.. -..;0:..•. _
visite à son père que selon un processus cérémoniel fort com-
plexe. Mais outre le fait que ces pratiques
d'évitement
sont plus stric~ dans les familles nobles proches du pouvoir,
on voit qu'elles ont lieu dans un type de société où la domi-
nation des "aînés" est absolue à tous les points de vue,
en
particulier contrôle sur les produits et surtout sur les trans-
actions matrimoniales.
Le fils aîné étant l'héritier potentiel,
on comprend les précautions prises pour l'isoler et comme le
dit Ski=er, de manière un peu excessive peut-être,
"Les pères
Mossi sont si sensibles à l'idée d'être remplacés par leurs fils
qu'ils éprouvent du ressentiment à
les voir grandir et progresser.'
("Intergenerational Conflict among the Mossi:
Father and Son",
in JOURN.
OF CONFLICT RESOLUTION,
V,
l, 1961). Augé montrera
par ailleurs comment dans la société Alladian (Côte d'Ivoire)
ce conflit larvé entre générations est au centre des nratiaues
de sorcellerie (cf. THEORIE DES POUVOIRS ET IDEOLOGIE)
-

245
est établi dans le texte de Sophocle, nous nous rendons comp-
te ~ue la scission était au commencement COTh~e disjonction
primitive entre Ego et son groupe générationnel. Ainsi,c'est
dès l'enfance ~u' cedipe est exclu de la structure socio-
familiale et apparaît comme sujet séparé. En fin de compte,
c'est bien COTh~e étranger ~u'il revient à Thèbes et c'est
seulement à partir de cette exclusion originelle et des mé-
connaissances et oublis~u'elle a engendrés ~ue le drame pré-
dit par l'oracle est devenu possible. Pour tuer son père et
épouser sa mère (tous actes de désir effectivement), i l faut
avoir nécessairement évacué la mémoire de la filiation.
Or le "complexe d'Ogo"
, dans ses structures comme
dans ses principes, récuse en dernier ressort le modèle con-
flictuel proure au type
oedipien. En fin de compte,
toute
l'aventure d'Ogo n'a pour sens ~ue de préserver la mémoire
de la filiation originaire et de ce fait,
elle s'inscrit non
plus dans l'axe du désir, mais dans celui du Manaue. Ogo est
en ~uête de sa partie jumelle dont il ressent l'absence comme
le slgne d'une imperfection de son propre être,
l'obstacle
pour une r~totalisation indispensable comme seule condition
d'atteindre à l'idéal de perfection. En ce sens,
on peut voir
cet épisode du mythe comme un refus de la scission car en
cherchant l'union avec la jumelle-mère, Ogo a principio
n'institue pas le conflit avec le père (.~a) puisaue le pla-
centa ~ui incarne Yasigui (la jumelle)est essentiellement
une partie de la"matrice d'.~a". On peut donc dire ~u'à la
scission
oedipienne comme stade inccntournable du dévelop-

246
pement d'Ego s'onpose dans le mythe dogon le désir d'indivi-
sion
d'Oga,
son refus de l'ind~ation
,
comme effet d'une
perte d'être.
Et le modèle gémellaire,
en assurant
justement
la complétude de l'être,
est ce ~ui permet de conjurer ce r~s-
~ue d'individuation,
en enracinant le sUJet non seulement dans
l'axe de la génération, mais également d~~s un réseau infini
de relationsoù i l se trouve confondu avec la totalité de la
création dans l'ordre biologi~ue, social et cosmique.
Le cas Gourm~ntché (Boucle du Niger) qu'étudie Car-
try représente, transposé sur le plan social, lli~e bonne illus-
tration du modèle gémellaire en montrant surtout toute la dis-
tance ~ui sépare la scission
œdipienne et le conflit ~ui s'y
articule ( conflit ~ue les différents "déplacement~étudiés ont
tenté de reproduire dans le cadre de la société précoloniale)
de la signification essentiellement "intégrationniste" du
"complexe d'Ogo'(I).
Dans l'ontologie gourmantché existe en effet l'idée
d'une prédétermination de la personne ou plus exactement celle
d'un nréformisme conçu cormne expression du choix de son "âme"
et' de celle de ses parents 2.vant la naissance. En fait,
cette
conception renvoie essentiellement à la "logique placentaire"
du modèle gémellaire puisaue les "principes spirituels"
cons-
1. M. Cartry,
"Le lien à la mère et la notion de destin indi-
viduel chez les Gourmantché" in LA NOTION DE PERSONNE EN
AFRIQUE NOIRE,
op. cit., pp.
255-282.
On pourrait aussi citer
le cas des Yoruba, Tallensi, Samo, Mandé,
etc.,
étudiés dans
le même ouvrage.

24-7
tituant la personne des futurs sujets sont inscrits,
selon les
Gour8antché dans le placenta ~ui est, comme on l'a vu dans le
cas dogon, ce par ~uoi l'enfant est comme une partie jumelle
de sa mère.
Le préformisme dans ce cas peut donc être inter-
prété comme l'idée selon laquelle ce "signe" placentaire dé-
termine le développement de tout individu sur le 80dèle d'une
fusion originaire avec l'ensemble de la création. On retrouve
ainsi chez les Gourmantché l'idée du double-jumeau sous la
forme d'une "âme" pré-existant à l'homme et déterminant son
destin terrestre, le kikilga, ce ~ui signifie à peu près
"pet:;.t être commençant". :2:n outre,
ce double ne s'efface pas
à la naissance (en ce sens,
i l n'est pas uni~uement le germe
à partir du~uel se forme l'homme), mais co-existe avec son
porteur durant toute sa vie,
jouant le rôle de génie tutélaire.
Mais ce ~u'il importe surtout de noter dans la re-
présentation gou-~antché, c'est que cette option prénatale,
appelée yemiali,
est toujours liée à celle propre des géni-
teurs d'Ego,
en particulier à celle de sa mère,
la fusion
des deux (le nayemiali) déterminant alors la totalité de son
destin:
santé, richesse,
réussite matrimoniale et statut
social,
en particulier l'accès aux honneurs. Cartry a donc
bien raison d'interpréter le nayemiali comme le symbole
d'une fusion primordiale entre la mère et l'enfant,
sur le
modèle de la "logique placentaire" dogon où Ogo ,le.futur
Renard Pâle, en s'unissant à ce qu'il ne prenait que pour
sa partie jumelle, visait en fait à restaurer le modèle
d'échange "par osmose" qui le reliait au sein (naternel)-

248
maternel.
C'est cette analogie avec le mythe dogon aUl per-
met à Cartry de conclure ici, à propos du rapport à la mère :
"Cette relation est pensée sous deux registres a_ue
nous appellerons le registre de la filiation so-
ciale et celui de la filiation mythique. Sous le
premier registre, Ego est une personne discerna-
bilisée et en tant que telle, se voit assigner la
génération qui suit celle de sa génitrice. Sous le
second registre,
i l est comme le Renard emportant
une partie de son placenta. Même si, à la diffé-
rence du Renard,
i l quitte à terme le sein de sa
mère,
i l reste encore une partie de sa mère ou,
comme dit Griaule, i l "continue à uosséder son
son caractère nrénatal co~~e une partie du corus
de sa mère". Ainsi identifié à sa génitrice,
i l
est considéré comme appartenant à sa génération.
A ce dernier niveau, la mère et le fils ne sont
plus pensés comme personne séparées, mais comme
des entités pré-personnelles, de variations mini-
males, à peine éoauchées, de la même substance
placentaire." (Op. ci t . ,
pp.
279-280).
En partant donc de ces diverses transpositions
dans l'imaginaire social du modèle gémellaire et de son
effet constitutif, nous pouvons définir l '
"état cellulaire"
dans la société africaine pré coloniale comme étant ce type
d'institution spécifique où tout sujet humain -
et à la li-
mite tout existant -
ne peut être qu'en tant qu'il constitue
l'élément inindividualisable d'un réseau organique englobant
tel que l'ensemble des prédicats assignables à cet être ou
existant ne soient pensables et inscriptibles qu'à l'inté-
rieur de ce réseau. Autrement dit,
et en partant du sens

\\
249
biologiQue i~~édiat de la notion de cellule, il s'agit de
penser l'univers, dans sa
forme
naturelle-sociale et
cosmiaue sur le modèle d'une vaste structure organiQue al-.
v;olaire construite autour d'un noyau fondamental Qui serait
la fi~~e mythiQue de la divinité créatrice et les sUJets
et .étants
humains et/ou matériels comme étant les éléments
constitutifs de cette structure,mais tels au'ils n'existent
et ne se maintiennent Qu'articulés à ce noyau.
En fait, nous ne faisans là que traduire la lettre
du mythe dogon où Amma,
la divinité principale,ést.présenté
suivant le schéma claviculaire-o~~laire Qui symbolise parfai-
t ement la figure de l'organisme cellulaire achevé . . :A1ns1\\':: -:--:-
disent les Dogon:
"les ù_uatre clavicules d' Amma jointes for-
ment une boule et après cela, i l n'y a rien". La métaphore
organiQue se précise, si l'on va de la conformation externe
comme structure enveloppante, au contenu de cette structure
elle-même où l'ensemble des éléments constitutifs trouvent
leur substance: ainsi "l' œuf d'Amma" qui, dit le mythe,
"enveloppe toute chose à l'intérieur" et est devenu son
"placenta" (1). On pourrait interpréter dans le même sens
1. L'un des points essentiels de la théorie cellulaire en bio-
logie est
justement de définir toute cellule comme élément cons-
titutif situé dans un milieu organiQue tel qu'il y trouve les
substances .nécessaire à sa production et à sa reproduction,
d'où une conception de l'organisme (humain ou naturel) comme
un système constitué d'unités élémentaires entretenant entre
elles et avec l'ensemble des rapports dynamiaues de contact
et d'échange.

250
(celui de la métaphore cellulaire) la "théo:,ie" des graines
claviculaires
dans la mesure où elles représentent non seu-
lement des éléments substantielles de toute structuc8 onto-
logique, mais encore des points d'échange et d'ancra6e des
diverspr1ncipes constitutifs de la personne,
leur mode de
composition ou de disposition déterminant, ainsi que nous
l'avons vu,
l'état et le statut de tout sujet.
Le problème évidemment reste de savoir en quel
sens on peut passer ainsi de l'architectoniGue mythique du
modèle gémellaire à l'architecture bio-sociale du schéma
cellulaire. On peut répondre que cette transposition s'ef~
fectue par l'efficace surdéterminante du discoucs idéologi-
que de la société inscrite dans l'espace du mythe qUl repré-
sente le système social comme construit sur le modèle de cet
espace. Suivant cette projection idéologique, tout élément
organique constitutif de ce système social ne serait qu'une
émanation vivanoe de la substance matricielle originaire,
sur
le même plan que dans le mythe dogon et sa transposition so-
ciale, l'ensemble de l'univers n'est qu'une reconstitution
à partir du corps démembré du Nommo sacrifié, "symbole et
support" du second monde ainsi formé
(H. P., p.
283).
Partant du modèle dogon,
on peut parfaitement cons-
truire le schéma cellulaire de la structure sociale en tant
que la transposition du mythe ne laisse vide aucune parcelle
de cette structure, suivant une fascinante géométrie nroJec-
tive qui mérite bien d'être considérée.
Le corps du No~mo

251
sacrifié constitue donc le reuère à
partir duquel est tracé
tout le schéma de la création. Ainsi,
les 22 catégories qu'.~-
ma a combinées pour ébaucher le second monde, de même, que les
22 clans de base qui forment
la société dogon ne sont que les
22 articulations du corps démembré du No~~o. A cette géogra-
phie sociale reproduisant la morphologie originaire du mythe
s'ajoute une histoire de l'humanité dont les différents cy-
cles eux-mêmes ne sont que la conjugaison des êtres avec une
portion de l'Absolu. Aussi le nouveau-né représente-t-il la
tête du Nommo. Une fois adolescent,
i l sera sa poiërine ; aux
fiançailles,
ses pieds; au mariage,
ses bras;
et une fois
adulte,
le Nomma complet. Si en outre i l accède à une uosi-
tian statuaire élevée (chef ou prêtre),
II sera alors à la
fois le Nomma et l'ensemble de l'lli~ivers créé.
L'
"état cellulaire",
on le voit,
trouve donc son
point de départ dans ce processus de transposition,
co~~e es-
paCe absolu d'inscription et de signification de tous les exis-
tants sociaux et naturels.
Comme le souligne Griaule dans
LE RENARD PALE :
"Cette recollection dans l'espace et le temps des
diverses parties d'un corps fixe la loi d'intégra-
tion de la personne dans son inscription territo-
riale, dans son "habitus" et dans les différents
cycles 'temporels Olé :;e déroule son existence. Tout
se passe co~~e Sl la société dogon en tant que telle
prenait en charge cette ''fonction formelle" de l'ima-
ge du corps offrant à chaC1XD de ses membres une sur-
face de repérage où i l puisse s'anticiper. Ici, cha-
que organe voit sa fonction en tant que témoin de

252
de
l'organe
éQuivalent du No~rro et en tant que piè-
ce indispensable au fonctionnement de llorgane col-
lectif. La houe est sa ch'.vicule, réceptacle des
gralnes et l'action de cet outil sur la terre pla-
centaire dépend du fonctionnement de son corps en
même temps qu'il contribue à le régénérer.
La tu-
yère et les soufflets de la forge sont respective-
ment le pénis et les testicules du sacrifié que le
Forgeron,
son jumeau, a reçus au moment de sa des-
cente sur terre.
Le travail de la forge est aUSSl
un acte sexuel,un acte de procréation:
"le feu
au'entretient l'air venu des soufflets-testicules
et passant par la tuyère-pénis permet de modeler le
fer en le martelant et ainsi de donner forme à l'ob-
jet désiré"."
(P. 45)
Ce" système de correspondance absolue où l'état cel-
lulaire trouve sa forme la plus achevée nous permet maintenant
de mieux comprendre pourquoi le mythe dogon (ou plus exacte-
-
-
ment ce que nous avons appelé le "complexe d'ago")
est irré-
ductible à un schéma de type
œdipien. Disons que nous pas-
sons de l ' étroit "triangle
œdipien" circonscrit par les
rapports organiques entre Ego, le père et la mère, à ce que
l'on pourrait nommer la "pyramide d'ago" infiniment
ouverte...
comme système relationnel en ce qu'elle intègre la totalité
des existants matériels et humains. En effet, en privilégiant
la filiation mythique par rapport à la filiation biologico-
sociale, référant donc chaque être à l'ensemble de la création
et tous à leur noyau organique, le modèle gémellaire que sym-
bolise l'épisode d'ago dans le mythe et qui sert également,
par transposition, à structurer le système social réel, fait
éclater nécessairement ce triangle
œdipien où Ego se con-

253
jugue invariablement avec ses ascendants directs, trouvant
àans cet espace fermé l'ensemble àe ses àéterminations. A
l'inverse,
l'inscriution d'Ogo (et donc aussi de tout être
social référé au mythe) dans l'espace cellulaire du monde le
détermine COl!1l!!e effet d' \\L.'1. polycentrement en tant. a.ue son
corps lui-même et l'ense~ble de ses principes spirituels ne
sont qu'autant de points d'ancrage par lesquels i l se trouve
uroieté (au sens géométrique du ter~e)sur la structure tota-
lisée de l'univers.cen"ré lui-même autour de la divinité créa-
trice •. Etre, dès lors,
comme dans le mythe, c'est tendre en
pe~manence vers la complétude en entretenant comme cellule
individuelle un rapport nécessaire et dynamique de contact et
d'échange avec l'ensemble des autres éléments constitutifs
d'une part,
et l'organisme englobant qu'est la divinité om-
niprésente d'autre part.
Si donc nous adoptons pour la société africaine
précoloniale le schéma pyramidal comme modèle d'inscription
transposé directement de la "logique" placentaire-gé~ellaire
du mythe, nous pouvons considérer tout système social situé
dans cet espace corr~e structuré sous forme d'une figure (la
pyramide) au sommet.l~ 'Q,u&ll~ se si tue Ego (t out suj et social)
concentrant en lui et exprimant l'ensemble des forces et
principes biologiques, sociaux.,
cosmiques qui,
sous la for-
me de la divinité,
constituent la base,
ouverte à l'infini,
de cette figure.
C'est dire que dans l'espace social et sui-
vant le schéma cellulaire que nous avons élaboré, tout sujet
peut être considéré comme le point de rassemblement, le
nœud

254
d'inter-action de toutes les puissances en Jeu dans l'lL~ivers,
au même point ~ue toute subst~~ce créée est, dans l'opti~ue
du mythe dogon, un "signe" actif du "placents toujours vivant"
d'Amma (1).
Mais à l'inverse, si l'individu ne se tient con@e
"point- avancé" au sommet de la pyramide ~ue parce qu'il est
en permanence soutenu par l'ensemble des principes actifs de
la création cui en constituent la base(du dieu créateur alU
ancêtres ,_ en passe.nt par les plus pet i t es graines de subs-
tance), c'est lui aussi qui est le point d'équilibre de l'en-
semble du système et donc de cette base également puisqu'il
v
répond de son ordonnancement.
C'est ainsi~toute faute, toute
transgression de sa part,
en tant qu'elles introduisent le
désordre au niveau de son être propre, menacent également
l'ensemble du système d'écrouIement et de retour au chaos ori-
ginaire. La métaphore de la toile d'araignée employée par le
R.P. Temples trouve ici tout son sens,
l'état cellulaire étant
cet espace totalitaire où rien n'est et n'aglt qu'en tant
qu'il est déterminé par les principes absolus ~ui président
au Îonctiolli~ement du système, aucun point n'étant laissé su
hasard ou à la simple volonté d'une "conscience llbre".
1. Ce type de relations complexes entre les éléments et le
système n'est pas sans faire penser à la théorie leibnizienne
de la substance (ou monade) qui, chacune ,
"exprime" toutes les
autres et tout l'univers dont elle est "un miroir vivant per-
pétuel", cette "entre-expression" n'étant elle-même possible
~ue du fait de l' "harmonie pré-établie" par le "Dieu-archi-
tecte". Voir DISCOuns DE METAPfffSIQUE et f,!ONADOLOGIE

255
Co~~e principe absolu de toute inscription, nous
pouvons donc dire de l'état cellulaire au'il est, dans le
-
~
cadre de la société africaine précoloniale le.champ d'éta-
blissementet d'expression de l'Institution,
celle de la Loi
de l'Absolu,
Loi non-écrite mais qui détermine les codes et
les règles dans la mesure où à tout être et à tout~
chose
elle assigne son statut et sa place.
La cellule, à ce titre,
peut être aussi interprétée dans un sens "carcéral",
en tant
qu'elle est bien cet es.pace concentratiormaire où tout indi-
vidu fait à chaque insoant de son existence, au plus profond
de sa chair et de son âme,
l'expérience du totalitarisme de
l'Institution.
L'état cellulaire,
en ce sens, constitue bien
dans~-l'espace dU: politique ce Que ··Deleuze et Guattari dans
L'ANTI-CEDIPE appèlent la "machine territoriale primitive".
Qu'est-ce à dire? Cette expression n'est nullement
à prendre pour une simple métaphore.
Il s'agit en effet du
corpus des mécanismes typiques de fonctionnement Qui sont à
la base de l'Institution dans
des formes de société qui n'ont
pas encore fait l'expérience du système étatiQue. Si donc
dans le système étatiQue achevé, des appareils déterminés
(police,
justice, administration,
etc.
) fonc"ionnent sur le
mode d'une giganteSQue mécaniQue à assurer la production et
la reproduction, dans la société dite primitive où l'Etat,
même Quand i l existe ne présente point cette forme systéma-
tique, l'Institution s'établit sur ce que Deleuze et Guattari
appelent le "corps plein de la terre", à savoir "cet"e sur-
face sur laquelle s'inscrit tout le procès de production,

256
s'enregistrent les objets,
les moyens et les forces de travail,
se distribuent les agents et les produits."
(Op.
cit., p. 164).
La "ill2.chine territoriale primitive" peut donc définir cette
entité organique que nous avons décriteco~me étant l'état cel-
lulaire, avec son réseau et ses axes où s'inscrivent et s'en-
racinent l'ensemble des individualités existantes, machine en
tant qu'elleestle "moteur irmnobile" qui alimente et orga:lise,
sur le modèle placentaire-gémellaire du mythe les diverses
formes de contact et d'échange entre les éléments-cellules et
leur milieu organique social, marquant chaque chose d'après
le "signe" donc elle est l'expression,
"à la différence d'in-
tensité près". Deleuze et Guattari, 1;. la suite du mythe dogon,
sa:i:>'ssent bien cette fonction de socialisation que remplit le
modèle transposé en notant ,_ dans le langage qUl leur est pro-
pre bien entendu
"La machine territoriale primitive code les flux,
investit les organes, marque les corps. A quel
point circuler,
échanger,
c'est une activité se-
condaire par rapport 1;. la tâche qui résume toutes
les autres: marquer les corps qui sont de la terre.
L'essence du socius enregistreur,
inscripteur,
en
tant qu'il s'attribue les forces productives et
distribue les agents de la production, réside en
ceci: tatouer,
exciser,
inciser, découper, sca-
rifier, mutiler, cerner,
initier (; •• ) Car c'est
un acte de fondation,
par lequel l'homme cesse
d'être un organisme biologique et devient un corps
plein, une terre sur laquelle ses organes s'accro-
chent, attirés, repoussés, miraculés d'anrès les
exigences du socius." (Op.
cit., p 169)

257
Ce texte met en évidence la fonction surdétermi-
n&,te de la machine territoriale primitive dans la mesure
notamment où elle structure le champ de la production sur
la base de rapports qui ne sont pas spécifiquement économi-
ques.
Mais ce qui importe ici, c'est surtout devoir par
quel mécanisme se fait cette inscription sur le "corps plein
de la terre" ou encore comment fonctionne ce que Deleuze et
Guattari appellent le "socius enregistreur". En fait,
i l s'a-
git essentiellement pour l'Institution d'affirmer la trans-
cendance de la Loi émanée du modèle mythique tel qu'il déter-
mine d'après le schéma gémellaire-placentaire toute structure
existentielle,
et elle y arrive par le moyen le plus absolu
en faisant du corps de l'individu la tablette même où elle
inscrit ses commandements.
Tatouer, exciser,
inciser, découper,
scarifier etc.• ,
tel est en effet le rôle des pratiques initiatiques qui, dans
l'espace de la pensée mythique, assurent la co~~unication de
la Loi, donc le fonctionnement de l'organisme cellulaire, en
la mémorisant dans chaque individu par le marquage sanglant
sur son propre corps. Par la rigueur du signe,
se trouve ainsi
conjuré le risque le plus grave que peut courir la société
dépositrice du mythe:
l'oubli qui,
en
brouillant
les si-
gnes identitaires du modèle originaire, bouleverserait l'en-
semble du réseau organique et rendrait les cellules consti-
tutives à lL,e désastreuse indétermination, plongeant tout le
système dans le chaos originaire. Dans le schéma pyramidal
qui est celui de la société afrlcaine précoloniale,nul besoin

253
donc d'appareil extérieur pour raire ronctiop~~er la mac~ine,
selon le mot ~eureux de Deleuze et Guattari,
elle est bien ce
"moteur im;nobile" qui à l'instar de l'organisme cellulaire,
produit et ses substances et les.lois de leur combinaison (1).
Il reste que si la "machine territoriale primitive"
marque aussi soigneusement les sujets sociaux,
ce n'est pas
uniquement à des fins symboliques, mais afin d'organiser l'es-
pace. social sur le modèle de la morphologie mythique par une
projection ~
'~
l.Ierme a
ve:!ïTIe de la structure originaire sur le
système géo-politique humain. Elle est à cet effet un prodi~
gieux mécanisme à conjuguer des éléments avec des structures,
des cellules avec leur organisme-moteur. Cette organisation
au niveau de la sociéôé précoloniale se fait à travers deux
axes principaux
celui de la division selon le sexe (homme-
femme)
; celui de la division selon l'âge.
Le premier mode d'inscr~ption ne fait
en réalité
que symboliser le dualisme sexualisé déjà présent dans le
1. Il est donc inexact,
comme on le croit le plus souvent, que
la pratique de l'initiation ait principalement pour but de me-
surer l'enduronce des
jeunes gens ou même la co~~unication d'un
savoir ésotérique. A la limite, la torture physique importe peu
puisqu'elle reste circonscrite dans le temps. Par contre, avec
les marques qu'elle laisse sur le corps, c'est l'Institution
toute entière qui se rait présente dans l'individu et le somme
en permanence à recop_~aître la Loi. Cette écriture corDorelle
nous fait lli~ peu penser a LA COLONIE PENI~ENCIAIRE de Kafka.
L'officier de la "Colonie" explio_ue en ces termes au voyageur

259
mythe, avec son type d'opposition et de complémentarité. Mais
on peut dire ~u'au niveau de l'espace social, la discrimina-
tion masculin-féminin est encore plus principielle car avant
d'être inscriptive, elle est déJà ce ~ui module même ce "corps
plein" de la terre dont elle définit les limites et les pro-
priétés,
en tant ~ue l'espace et le temps, ~ui sont la subs-
tance fondamentale de l'organisme social ne sont déterminés
~ue suivant ces signes primitifs ~ue sont la masculinité et
la îéminité.
Ainsi, si l'on se:reporte au mythe cosmogoni~ue fon
dont nous avons parlé plus haut, le couple démiurgi~ue Ma'NU-
Lisa conJuguait
S~S> signes respectifs a~x différents vec-
teurs, géométriques,
climatologi~ues, soclo-biologiques,
climatologi~ues, cosmi~ues, etc., ~ui délimitent et structu-
ren" l'ensemble du champ social. Nous avons ainsi le schéma
sui vant
:
-
Mawu-femelle
lune
nuit
froid
droite
fertilité
maternité.
-
Lisa-mâle
soleil
jour
chaud
gauche
puissance
6~erre ..•

le fonctio=ement de la'machine à écrire la loi
"Notre sen-
tence n'est pas sévère. On grave à l'aide de la herse le pa-
ragraphe violé sur la peau du coupable. On va écrire par
exemple sur le corps de ce condamné -
et l'officier indi~uait
l'homme:
IIrespecte ton supérieur"."
Voir également P. Clastres,
"De la torture dans les sociétés
primitives" in LA SOCIETE CONTRE 1'ETA'!', pp.
152-160

2ôO
Or on retrouve cette dichotomie transposée telle
~uelle du champ myohique au champ social où l'on a d'un côté
la femme toujours porteuse de signes caractériels "passifs"
que symbolisel1\\la llUle,
astre 1t mort Il, la nuit, domaine du re-
pos, de l'inactivité, ainsi ~ue des fonctions "receptives"
vitales de la production-reproduction:
la fertilité,
la ma-
ternité,
la générosité etc. De l'autre côté l'ho~~e, symbole
de la force et de l'agressivité (soleil,
jour, puissance, tra-
vail,' guerre) ainsi que' de la fonction fécondatrice,
et appelé
donc comme tel à occuper les postes de contrôle et de déci-
sion dans le
jeu social.
Le cas des Ndèmbu de Zambie (Afri-
~ue orientale) Qu'étudie Turner (1) pourrait résumer toutes
les autres formes de partage du champ social, d'après l'axe
des sexes. Partant des descriptions de Turner, Balandier note:
"L' opposi t ion est apparent e dans les" styles de la
vie Quotidienne.
L'activité masculine se caracté-
rise par la mobilité (chasse, traite,
et mainte-
nant travail salarié à distance),
la discontinuité
(tâChes effectuées durant des périodes relativement
courtes) et la participation sociale entière. Les
ho~~es rassemblés au centre du village forment le
cœur de la co~~unauté, et les activités valorisées
s'accomplissent à partir des groupements masculins.
A l'inverse,
les femmes se définissent par la sta-
bilité (le mariage les "fixe"), la continuité (les
tâches répétitives et ininterrompues) et la margi-
nalité sociale, dans la mesure même où leurs acti-
vités sont les plus individualisées." (AN'rEROpO-
LOGIQUES, p.
2ô).
1. V. W. Turner, SCHIS/il Arro CONTIN1J:LTY IN AFRICAN SOCIETY, Man-
chester, 1957. Balandier, dans A;~T::Irl.OPO-LOGIQUES, "Ho=es et
-,-- ..

261
Marginalisées,
les fe~Res le sont bien à tous les points de
vue. Ainsi, dans la oorpnologie sociale lugbara, alors ~ue les
hommes symbolisent le "ded.ans",
l'espace habité,
la femme elle,
est rejetée vers le "dehors", la brousse. En outre,
elle n'a
rapport ~u'au temps et à l'espace mythi~ues comme non-1ieèG{
iu~édiats alors ~ue l'hoillille s'inscrit dans le temps et l'es-
pace généalogi~ues qui so~t l'axe fort des rappor~s d'autori-
té et de pouvoir.
Il incarne donc Dositivement, dans cet es-
pace, les principes substanciels et spirituels des ancêtres
et des esprits tanditClUe la ferrL.~e, simple "chose" nia d'autre
voie d'intervention dans le jeu social Due par les moyens
nég~tifs de la sorcellerie et de la magie d'agressivité.
Pourtant la transposition du dualisme mythi~ue ne
serait pas complète Sl à l'opposition masculln-féminin ne s'a-
joutait pas une complémentarité tout aussi essentielle et ef-
ficace, complémentarité ~u'illustre bien la personne du sou-
verain dans les principautés Kotoko (Nord-Cameroun)
(1). On
retrouve ici l'inter-action des principes mâle-femelle et
leur modulation sur des espaces-temps, laper:;;o=e du roi ttp",r
le lieu de correspondance et d'échange de ces princi~es.
Ainsi, le prince du Nord porte les signes virils et g~erriers
tandisgue celui du sud symbolise les caractèr3s féminins,
femInes ou la moitié dangereuse" (pp. 13-61) expose les cas
des Lugbara de l'Uganda, des Fang du Gabon, au Béti du Came-
ro~~ et do=e lli~e bibliograuhie substantielle.
1. Voir A.M.D.
Lebeuf,
"Le personnage du roi et les structures
spatio-temporelles" ln LA NOTION DE PERSONNE EN _4?RTQUE l'JOIRE,
pp.
447-457.

262
passifs et conciliateurs. Mais le urince du Nord lui-même,
sur le plan du cycle temporel,
est tour à tour marqué des si-
gnes mâle et femelle
: à la saison des pluies (deman) QUl por-
te le sceau de la féminité
("deman est comme une femme qui ac-
couche d'un enfant"), le roi se retire dans la chambre cen-
trale du palais qui symbolise l'alvéole d'une termitière où
i l est censé, à l'instar de l'insecte-reine,
faire acte de
procréation continue,;
au niveau maximwù des eaux,
période
pendant laquelle la nature est en pleine renaissance, i l oc-
cupe les pièces supérieures,
espace andro~Jne où les princi-
pes mâle et femelle s'accordent dans l'abondance de la oom-
plétude retrouvée ; enfin aux oasses eaux, période "virile"
s'opposant à l '
"humidité féminine",
le roi retrouve son
caractère mâle et ses fonctions essentielles de géniteur.
Le second axe d'inscription, basé sur l'âge,
s'oppose moinsall premier qu'il ne le prolonge,
la structu-
ration de l'espace social n'étant complète Qu'avec la mise
en place de ces institutions fondamentales que sont les classes
d'âge.Tout d'abord,
en regroupant des individus portant les
mêmes "marques", celles de l'initiation Ciue chaque tranche
d'adolescents mâles et femelles reçoit en même temps,
ces
classes d'âge représentent des groupes homogènes fortement
cimentés par l'alliance du sang et des épreuves, retrouvant
presque l'unité et la perfection du modèle gémellaire-placentaire
mythique puisque les initiés d'une même classe sont dits
ll enfants
identiques",
"frères",
"soudés par uJ..YJ.e solidarité

26)
inconditio~~elle ~ui les suivra toute leur vie" (1). On peut
donc dire ~ue la
classe
d'âge,
par l'unité et la solidarité
de ses illembres, constitue la véritable cellule de base du sys-
tème social. A la dichotomie entre les sexes, elle oppose la
conjugaison et l'alliance d'individus égaux jalo~~ant les di-
vers nivea~~ de la pyramide organi~ue, de même ~u'elle est la
médiation par laquelle tout individu passe d'un état de nature
indéterilliné (avant l'initiation 11 enfant est considéré co~~e
n'appartenant encore à aucun sexe) à l'état social, désormais
inscriptible et repérable dans
le cadre. d'un lignage, ces
axes de descendance où la génération,
état purement biologique,
devient généalogie, donc filiation sociale et histoire.
C'est
pour~uoi, note E. Leynaud qui s'est particulièrement intéressé
aux sociétés de la Haute-Vallée du Niger :
"Les relations fondées sur le groupe d'âge,
~ui sont
les plus importantes, pourraient être à la limite
considérées co~e la trame du tissu des relations
sociales dont le clan,
le lignage,
constitueraient
la chaîne."
(2).
"Trame du tissu social" puis~ue c'est également à
partir des classes d'âge ~ue s'organise l'ensemble du mode de
1. Cf. D. Paulme (édit.), CLASSES ET ASSOCIATIONS D'AGE EN
AFRIQUE DE L'OUEST, Paris,
1971. Voir également G. Diéterlen
et Y. Cissé,
LES FOI"l1EIllEHTS DE LASOCTETE D' INITIATTON DU KOMO,
Paris, 1972
2.
LES CP~RES SOCIA~L DE LA VIE RURALE DANS LA HAUTE-VALLEE DU
NIG&q, Paris,
B.D.P.A.,
ainsi C!ue "-F~a.ternités
d'âge et sociétés
de culture dans la Haute-Vallée du Niger" in CAH. D'ET. AFRIC.,
2I,. IV, 1966.

264
uroduction et de renroduction de la société, comme nous l'a-
"
~
vons vu dans l'étude de la communauté dOillesticue (Première
part;e de cette étude)où tous les ra~ports sociaux sont éta-
blis sur cet axe fondamental qu'est le rapport générationnel
aîné-cadet,
qui surdétermine tout le
jeu politique des pou-
voirs de contrôle et de domination.
Ainsi donc l'état cellulaire de la société afri-
caine préoloniale est bien cet espace totalitaire dans lequel
l'Institution,
sur le modèle du mythe originaire, fonctionne
à distribuer les !llaces et les rôles, déterminant ainsi l'ho-
rizon du possible et de l'imaginable COmme logiques d'Q~ Ab-
solu hors du champ de signification desquelles tout n'est plus
que non-sens et néant, le système menaçant de rejet ou broyage
tout élément qui sortirait de son axe fondamental d'inscrip-
tion. Niais la "machine territoriale primitive" est encore loin
d'achever toute la !luissance surdéterminante de l'idéologle
mythia~ue,car--cèlle-ciest encore présente dans ca,'lieu d'élec-
tion de l'Absolu qu'est le pouvoir politique d'Etat.

2ô5
III -
LE POUVOIR ET LE SACRE
Nous avons étudié le processus de transformation
de la cOR"~~uté domesti~ue et montré les ambiguïtésde la for-
me étatique à laqupll~il aboutissait (1). On peut ici dire
que c'est sur l'état cellulaire et ses structures idéales,
comme espace de transposition du modèle mythi~ue, que le
pouvoir politique une fois émergé (en partie à partir des
conditions économiques que nous avons indiquées) trouve ses
bases fondamentales. De même que le mode de production domes-
tique et le système d'échange à longue distance ne s'opposent
pas mais constituent par leur combinaison la structure géné-
raIe, de même, au niveau des superstructures idéologico-
politiques,
la "machine territoriale primitive" et la machine
d'Etat ne s'excluent nullement, mais tout au contraire,
si
l'on se réfère à la société africaine précoloniale,
la pre-
mière, dans ses formes les plus systématiques, ne fait ou'an-
noncer la seconde car l'état cellulaire, tel que nous l'avons
décrit, n'atteint pas malgré ses prétentions à
l'harmonie et
l'homogénéité du modèle mythique auxquelles i l aspire, en
tant qu'espace social et non plus idéél,
i l est dans ses
structures non-irrwédiatement apparentes, un lieu de tension
et de contradiction où les rapports de contact et d'échange
sont· en dernier ressort des rapports d~opposition et deforce.
1. Voir Première partie,
chap.
II,
III
"Esquisse d'une théorie
de la transition".

266
En effet, si l'écriture corporelle de la Loi vise
tant à maintenir une mémoire collectlve, c'est bien parce que
cet ensemble organique qu'est la société re3te toujours cons-
titué d'individualités Gui, quelles soient sujets atomisés
(mais toute la fonction de l'idéologie est
justement d'éviter
cette parcellarisation ou tout au moins de l'occulter) ou grou-
pes primaires constituants (telles les classes d'âge par exem-
ple), ne sont
jamais situées au même niveau d'inscription sur
les diîÎérents axes du réseau
D'après la symbolique mythique
même, comme nous l'avons 'VU avec le schéma claviculaire, cer-
tains éléments du système, dans la mesure où ils participent
davantage de la substance et des principes originaires, occu-
peront des positions privilégiées dans la hiérarchie organique.
Cela signifie que le noyau autour duquel s'organise le modèle
mythique (figure de la divinité ou de l'ancêtre fondateur)
se
trouvera transposé au niveau de l'espace socio-politique dans
la personne du Chef, c'est-à-dire,
comme le souligne l'idéo-
logie mythlque dogon,
celui qui reproduit avec le maximum de
prése!1.ce et d'efficience les "signes" du modèle ontologio.ue
orlginaire. Apparaît ainsi lli~ nouveau corps, celui du chef,
prêtre ou souverain, qui, tout en laissant subsister les an-
ciens codes et marquages,
se donne désormals c~mme la surface
unique où, ou par la médiation <l'J.1"'/!'> se font toutes les ins-
criptions _ (1) •
1. Comme le notent Deleuze et Guattari à propos du passage de
la "machine territoriale primitive" à la machine d'Etat:
"L'essentiel, c'est la création d'une seconde ir13cription

267
M~is si la constitution de l'Etat laisse subsister
les anciennes formes cO~ilunautaires et sur le modèle mythico-
social de l'état cellulaire,
elle en aiguise cependant les
contradictions latentes et en fait naître de nouvelles et nous
assistons dès lors à une mise en
œuvre systématique de l'idéo-
logie visant à faire de l'Institution,
c'est-à-dire le pouvoir
royal et les prérogatives de la classe dominante que représente
la nouvelle noblesse, un Absolu transcendant l'ense~ble de l'es-
pace social et des individualités qui s'y inscrivent. Or cette
idéologie est encore celle portée par la "logio_ue" du 2ytl1e
et dont le fonctionnement constituait et organisait l'état cel-
lulaire lui-même.
La consubstantialité du pouvoir et de l'Ab-
solu se révèle ainsi comme lli" simple prolongement des modèles
imaginaires sociaux qui informaient la "machine territoria.le
primitive", mais réinvestis dans un espace nouveau où ils
servent des fins nouvelles d'après des mécanismes dont i l nous
faut maintenant étudier la stra.tégie.
par laquelle le nouveau corps plein,
immobile, monQ~ental, im-
muable, s'approprie toutes les forces et tous les agents de la
production; mais cette inscription d'Etat laisse subsister les
vieilles inscriptions territoriales, à tltre de "briques" sur
la nouvelle surface." (ANTI-CEDIPE,
"La machine despotique
barbare", pp.
2.34-2.35). Ce texte, évidellliilent, se réfère expli-
citement au modèle asiatique et à ses formes de transformation
(le "Despotisme 2.siatio_ue") mais la même conclusion pourrait
s'appliquer à l '"Etat africain pr-écolonial C].ui présente sen-
siblement les mêmes formes de combinaison.

2ô8
A -
Le pouvoir et les pouvoirs
L'enchaînement au niveau de l 'idéologie mythi~ue des
différents ordres biologique, cosmique,
social, intellectuel,
etc., laisse supposer que le pouvoir que cette idéologle a pour
tâche de fonder et d'entretenir ne peut être lui même que très
complexe.On ne peut concevoir un pouvoir institué ~Ul, pOlIT être
efficace, n'intègre pas la totalité des ordres constituants,
tout pouvoir n'existant dès lors qu'en tant ~uril puisse se
-
-
conjuguer au pluriel.
C' est ~ue l' ess enc e de. t out pouvoir consist e dans
l'addition et la composition dynamique des divers principes
oui constituent la Dersonne elle-même. Ainsi,
l'ontologie dogon
-
-
nous a montré en quoi tout individu participe de multiples
"signes" substantiels et spirituels dont seule la combinaison
entière_ et harmonieuse assure à la fOlS son intégrité physi-
que et son statut social. Qu'une graine de la clavicule vienne
à manquer ou même que la disposition originaire de l'ensemble
du contenu claviculaire soit modifiée accidentellement (par
transgression ou souillure)
et c'est toute l'assise de la
personne qui s'effondre. La mort,
en ce sens,
est moins une
néantisation de la substance constitutive qu'une désorgani-
sation structurelle de ses éléments important le chaos dans
l'ensemble du
corps organique. En 0 u t
r
e,il importe, au-
delà de cette organisatlon intra-substantielle, que les di-
verses formes d'inscriptions de la personne sur les axes

269
fondamentaux du système ur-iversel soient sauvegardées,
la moin-
dre rupture dans l'UL~ ou l'autre ordre appa~aissant co~~e un
désancrage de la cellule .individuelle ~ui, coupée ainsi de
l'organisme nourricier, ne tarde pas à se désintégrer dans le
vide indéterminé.
Or si les divers principes peuvent co-exister dans
la perso=e et constituer autant de points ~ui la relient à
l'ordre de l'univers, c'est qu'ils n'existent pas indépendam-
ment les uns des autres,et qu'il y a un élément intermédiaire
~ui en assure
la cohésion.
Il ne
s'agit pas,
ainsi Que nous
l'avons dit d'un "principe hégémoniaue"
jouant un rôle de di-
rection et de discrimination, mais plutôt d'un comnosé fonda-
mental participant de toutes les substances
constitutives et
qui,
en tant que tel,
serait comme leur centre nerveux. Ce
principe, dans l'ontologie africaine, c'est la force vitale
qui circule dans le sang et irrigue l'ensemble des organes
vitaux de la perso=e (1).
1. Cette localisation de ce qui fait l'essence de la perso~~e
dans le sang explique sans doute la fascination que crée cette
substance dans l'imaginaire africain traditionnel voire actuel.
Constituant la substance fondamentale de l'individu, l'élément
sanguin est donc aussi ce par quoi i l est le plus vulnérable.
Ainsi les sorciers anthropophages sont censés boire le sang
de leurs victimes et les réduire ainsi à leur merci en les
affaiblissant. D'autre part, le sang est la substance corrup-
tible par excellence,
lieu d'impact dé toute souillure. Mais
i l est aussi le symbole absolu de toute force,
ce qui expli-
~ue la prati~ue courante des sacrifices humains surtout par
les détenteurs du pouvoir,
le sacrificateur visant ainsi à
capitaler des forces extérieures afin de doubler sa puissance.

270
Cette force vitale ap~arait ainsi co~e ce par Quoi
le sujet individuel concentre en lui l'ensemble des puissances
constitutives de l'univers, sywbolisént surtout S2 pérticlpa-
tion à la substance originaire. En outre, C'est par sa force
vitale que chaque être est lié à la chaîne de ses ancêtres wy-
thiques ou réels dans la mesure où i l hérite de leur force
vitale à eux, cette réincarnation marquant leur survie à la
fois d~~s l'ordre de l'existence et de l'efficience. L'exemple-
type pourrait être le nyama des Dogon dontuG r
i
a u l
e
souligne l'universalité en disant qu'il est
li • • •
üne énergle
en instance,
iillpersonnelle, incons-
ciente, répartie dans tous les animaux, végétaux,
dans tous les
êtres surnaturels,
dans les cnoses de
la nature et qui tend à
faire persévérer dans
son être le support auquel i l est affecté temporai-
rement (être mo~tel) ou éternellement (être i~~or-
tel)." (MASQUES DOGON, p.
160)(1).
Selon l'ontologie dogon,
le nyama dans l'ho2ffie est
une force octroyée par le Nommo, géniteur mythique, mais i l
est également constitué:de tous les principes qui lient l'in-
dividu à ses aSCendants directs et indirects. Comme la subs-
tance claviculaire, i l se fortifie et croît avec l'âge du
"porteur"qui, pour maintenir sa présence et son efficacité,
1. Voir également G. Diéterlen, "L'image du corDS et les cOw-
posantes de la persO=e chez les Dogon" in 1.". NOTION DE PER
SONN7 ... , op. cit.
; dans le même ouvrage sont étudiés l'enion
des Yor~ba, l'eba des Fang, le doni des Kotokoli (Togo) etc .••
- -
- - -

271
doit offrir ré§;1J..lièrernent des sacrifices à ses "dormeurs".
Notons enfin ~ue cette force vitale 8St encore assimilée aux
mouvements ~ui furent à l'origine de la première création (les
"7 vibrations" de l'oeuf d'Pomma à l'intérieur de la graine de
~) et c'est également elle ~ui, par son impulsion, permet
l'acte de parole en rendant audible "la parole non narlée ~Ul
est gardée da.."1s les clavicules".
Mais considéré sous cette forme impersor~"1elle, ce
principe vital n'est encore ~~'une puissance latente ~u'il
faut transformer en énergie et en acte pour la rendre effec-
tive. Il devient alors un jeu de forces ou pouvoirs,
condi-
tion essentiel du Pouvoir. Peu importe dès lors aue ces pou-
voirs ou fore e s soient ~bénéfi~ues' ou "maléfia~ues". A la limite
on neut dire Qu'ils ne sont ni bons ni mauvais car dans tous
-
Ct-,...t
~
les cas des forces d'atta~ue visant à agir sur l'ordre du mon-
de par une manipulation active de ses éléments fondamentaux,
la maîtrise du désordre CUl pourrait en na~re, elle-même si-
gne de puissance, valant en soi nour un nouvel ordre.
Ainsi dans l'espace africain précolonial, le pou-
voir politique lui-même n'est concevable ~ue comme so~~e de
tous ces pouvoirs qui,
quand ils sont bien contrôlés, élè-
vent leur dépositaire au niveau de l'Absolu, comme symoole
de la divinité où de l'ancêtre dont i l actualise ainsi les
"signes". C'est le cas notamment chez les Mossi (Haute-Volta)
où le pouvoir de l'empéreur,
le Moro Naba (ou lVIogho Naba)
repose essentiellement sur le nam,
symbole-clé de la force

272
émanée des dieux et des ancêtres et ~ui, alnsi Qutil est dit,
llper:net à lLYJ. hOITù~e d' en d08iner l..L:.""1 autre". CI est pourc.uoi, re-
marcue 321andier :
"1e terme nam
S'
i
n s
c r
i t d a n s
-un
ense~ble plus vaste de signlfications. Il s'appli-
que à
la supério~ité absolue : celle de Dieu, celle
du roi,
celle de l'ordre politi~ue ~ui domine l'édi-
fice des relations sociales.
Il justifie les privi-
lèges associés aux positions sociales sUyérieures :
le droit de revendi~uer des richesses, des services,
des femmes,
des symboles de prestige.
Il exprime la
nécessité du pouvoir coa~e défense contre les dan-
gers de déculturation - et- de retour au chaos ( ••• )
Sous sa forme la plus achevée et la plus sacralisée,
le nam est le garant de la légitimité,
car i l atteste
~ue le pouvoir reçu émane des ancêtres roya~x et
~u'il opérera d'une manière conÎorffie au oien du peu-
ple mossi."
(ANTHROPOLOGIE POLITIQUE, pp. 124-125)(1).
Pouvoir émané des ancêtres ou de la divinité,
certes,
malS i l ne Îaut uas croire po~rr autant ~ue sa légitimité sa
fonde sur un simule héritage passlf.
L'Institution ne parti-
cipe de l'Absolu Gue dans la mesure où elle reproduit l'ordre
oT'"gin8.ire de la création, '!limant ainsi la geste fondatrice
du modèle mythioue. D'où le rituel de l'inceste rova l
comme
acte d'investiture de toute souveraineté dans l'espace afri-
cain précolonial.
'-1. Voir en outre tout le chapitre V,
"Religion et pouvoir",
pp. II7-144

273
B -
L'inceste royal ou la violence fondatrice
Le sYI:lbolisme de l'inceste royal n'est pas un 1]hé-
nomème isolé d~ns l'imaginaire social africain traditionnel,
mais constitue, comme nous essaierons de le 0ontrer, lli~e for-
me extrême de transposition dans le champ du politi~ue, du
modèle gémellaire-placentaire du mythe originaire(I).
Mais considérons tout d'abord les faits.
Dans la
plupart des roya~~es et empires africains précoloniaux, l'in-
vestiture du sou~erain est marQuée par un acte transgressif
rituel, ~ saVOlr ~~ rapport incestueux, réel ou seulement
symoolio"ue, avec la mère ou la
sœur. Transgression qui com-
porte un caractère tout à fait exceptionnel, puisqu'elle bri-
se lli~ des interdits majeurs qui s'imposent à l'ensemble du
groupe social. Plusieurs cas ont été relevés,
parmi lesauels
nous prendrons quelques exemples (2). ~insi che3 les Yoruba
(Nigéria),
le roi (l'Alafin)
est considéré co,,~e le descen-
dant du dieu Schango, né lui-même de l'union incestueuse de
llancêtre mythiQue originaire,
Ourang~n, avec sa mère, Jemaga.
1. Notons que la coutume de l'inceste royal n'est pas ~~ fait
exclusivement africain,
on la retrouve encore dans l'Egypte
pharaonique, chez les ?tolémées, ainsi que chez les Perses,
les Inca,
en Mélanésle, etc.
2. Nous nous aupuyons ici essentiellement s'~ l'article de
Laura r,1akarius
"Du roi magique au roi divin"
in _c._lH1ALE3,
mai-juin 1970,
25ème alh~ée, nO 3, pp. ôô8-ô98), et qUl com-
porte une importante bibliographie. Voir également Luc de Reusen,
ESSAI SUR LE S'0ii30LI,3rcm DE L' nlCESTE ROYAL <ON AFRIQUE,
Bru.xelles,
1958.

274
Selon Leo Frobenius,
la. "première fern.'TI.e ll du sOl4verain,
et OUl.
partageait prooaèJlement sa c01.'.che, était tou.jours S2,
soeur,
.
,
,
t ·
l
~
,
( - )
l.ssue au meme pere e
ae _a me me mere
1 .
Il en es+' èe même chez les AshaIlti (Ghana) où c'est
l'ancienne reine illère ~ui choisit son fils ou son frère comme
roi.
Un mariage rituel était alors célébré ~ l'investiture
du nouveau souverain avec cette reine mère. Si c'était son pro-
pre fils Qui accédait au trône, on lui substituait une autre
femme, .mais Si i l s'agi ssai t
de son frère,
ce mariage étal.-c
alors rituellement consommé. Par cet inceste,
le roi i~carnait
ainsi le perso~~a6e mythi~ue du dieu créateur, Bosson~uru ~ui
éuousa sa
S)eur .ju;nelle du même non. Même en dehors des pé-
riodes de succession, cette union symooliQue était céléèJrée
tous les ans uar des cérémonies solennelles,(2).
Citons encore le cas des Mossi de Haute7Volta où
d'après la légende, le fondateur de la dynastie de Ouagadougou,
Naba -Oubri,eut des rapports sexuels avec l'une de ses filles.
De cette lli~ion incestueuse naQuit Gnin~' mendo (littéralement
"chair de la chair")' o.ui devint plus tard Mogho-Na'Da. Cette
transgression orl.gl.nal.re serait, selon Delobs=, 9. l'origine
de la coutume qui permet aux jeunes nobles mossi d'être amants
de leurs
soeurs (.3).
1. Cf. HISTOIRE DE LA CIVILISATION AFRICAINE, Paris, 19.36 et
MYTHOLOGIE DE L'ATh~NTIDE,
Paris, 1949
2. E. L. R. Meyerowitz ; 'TriE DIVINE KING IN GH.".NA AND ANCIENT
EGYPT, Londres, 1960 (p • .30, note .3) •
.3. A.A.D. DelDosom, LES SECRE~S DES SORCIERS AFRICAINS,Paris,I9.34

275
Notons enfin ~u'on retrouve encore l'inceste royal
en Uganda, chez les Nyoro, au Ruanda,
chez les 3ushong du
Kasaï (Congo)
et les Lele,
en ft~gola (Nyaniyeka), en Rhodésie
(Lozi)
etC.
Certes, des études plus approfondies ont révélé
que dans bien des cas,
cet inceste présumé est plus symboli~ue
que réel. Ainsi, J. Beattie a montré ~ue chez les Nyoro, la
kalyota, reine- sœur, n'est pas véritablement l'épouse du
souverain mais qu'il s'agit là d'une simple dignité politique
dont est investie la princesse, a~ même titre que les autres
chefs du royaume (elle reçoit la responsabilité de territoires
administratifs). Trait significatif d'ailleurs:
dès l'intro-
nisation du roi, la reine-~ère est définitive~ent séparée de
lui et doit se tenir à la plus stricte chasteté, tandiJque la
kalyota elle,· est condamnée à ne pas avoir d'enfant, l'une et
l'autre incarnant ainsi des valeurs magico-religieuses liées
à la fonction même de la royauté (1).
Mais réel ou non, l'inceste royal reste néanmoins
un des principes essentiels du pouvoir royal, du moins tel
qu'il apparaît dans l'imaginaire collectif, en tant ~u'il est la
médiation à travers laquelle s'institue le rapport au sacré.
C'est que cette pratique incestueuse a tout d'a~ord un ca~
ractère rituel et co~e tout rite, il est donc une mimétique
1. J. Beattie, BUNYORO, AN AFRICAN KINGDOM, New York, 1960 et
"Rituals of Nyoro Kingship" in AFR1CA, XXIX,
2,
1959. Etudes
citées in Balandier, ANTEROPO-LOGIQUES,
pp50-52.

276
visant à évoquer et à actualiser l'efficience mythique de la
création originaire4 Autrement dit, à recréude l'Absolu.
Or le modèle du mythe que le souverain dans son
acte transgressif tend à reproduire,
c'est sans conteste le
modèle gémellaire-placentaire qui, ainsi que nous l'avons vu,
constitue la base de tout système ontologique ou socio-politique.
Ainsi,
en s'unissant symboliquement ou effectivement à sa mère
ou à sa
sœur,
le souverain
prét end-il retrouver la complé-
tude que seule réalisait la fusion placentaire du début de la
création. I l s'agit, peut-on penser, d'atteindre à lli~ plus-
d'être,
en remédiant au mancue substantiel et principiel qui
caractèrise l'individualité coupée de sa moitié gémellaire,
mère ou/et
sœur,
d o. n t
la présence complécnentaire est la
condition fondamentale de toute puissance créatrice. En se
reportant au mythe dogon, on peut dire que tout souverain
potentiel fait l'expérience ontologique d'Ogo et soucieux de
perfection,
entreprend la quête qui lui permettra de rassem-
bler sous son "signe" l'ensemble .. des forces latentes de l'u-
nivers.
Ce rapprocnement du rituel de l'inceste royal et
du modèle gémellaire-placentaire du mythe cosmogonique peut
se justifier parle rapport généalogique que le souverain
établit lui~même avec la divinité ou l'ancêtre fondateur.
Dans tous les cas cités, nous avons vu que le premier inceste
est toujours celui commis par cette divinité ou cet ancêtre
et qui est le fondement et du groupe et de sa puissance.

277
Ils réalisent donc l'un et l'autre ce que Ogo avait tenté en
vain, cet echec ayant été d'ailleurs le point de départ de
la "chute" dans le monde terrestre,
profane et fini
(1).
Donc, en tant qu'il répète l'acte mythique origi-
naire, le souverain s'investit lui-même dans le temps et l'es-
pace de l'Absolu,
son acte l'assimilant à la puissance créa-
trice. De ce fait,
l'Institution dont i l est le principe et
le garant prend une valeur de nécessité transcendante comme
effet d'une volonté de puissance qui prolo~~e dans le temps
et l'espace l'efficace constituante de la première créacion.
Dès lors l'inceste royal
a une fonction éminemment insti-
tuante, i l est' même clair que le roi ne COlmuet pas l'inceste
parce qu'il est roi, mais c'est parce qu'il commet l'inceste
ou'il est roi, qu'il révèle son droit et son pouvoir à être
roi (cet acte transgressif,
en effet, n'~~ule en aucune ma-
nière le caractère absolu de la prohibltion, tout au contraire
i l tendrait plutôt à le renforcer dans la mesure où tout in-
dividu qui passerait outre l'interdit,
outre la souillure que
comporterait son acte, est également sacrilège en ce qu'il
usurpe l'un des attributs essentiels de la royauté et comme
tel,
est immédiatement passible de mort).
1. Griaule montre que même dans le système politique dogon,
qui est celui de la simple chefferie,
le symbolisme de l'in-
ceste -
ou la parade institutionnelle qu'on lui oppose
cons-
titue le principe originaire. Aussi noce -
t-il à propos de
l'investiture du chef religieux (le Hogon)
: "Il est dès son
intronisation séparé(de sa mère].
Il reste en relation avec

278
D'autre part,
si l'inceste royal ne lève Das l'in-
terdit mais le transcende,
c'est parce qu'il tr2àuit l'ambi-
valence même du sacré au~uel il atteint par sa médiation. Il
peut
en effet
s'assimiler à cette maninulation des puissances
latentes dont nous avons parlé et ~Ul a nour fonction, en sub-
vert issant l'ordre existant'de èréer à partir du désordre qu 1 i l
suscite et maîtrise (chez les Lozi de Rhodésie,
c'est nuitam-
ment ~ue le prétendant au trône va "chercher la royauté" à Mi-
komo, lieu d'origine et tombeau de l'aïeule de la royauté qui
fut épouse et fille du dieu) un ordre supérieur portant la
mar~ue de la nécessité. Ainsi, le souverain apparaît coœ~e
le transgresseur par excellence ou plutôt, puisou' i l est lui-
même soumis à Q~ Certain nombre d'interdits, celui ~ui déter-
mine, une fois qu'll a montré sa puissance, l'espace dans
le~uel seulement le permis et l'interdit, le bien et le mal,
deviennent effecüfsen se réactualisant. Mais la royauté,comme
Institution
redéfinissant les divers axes d'inscription, n'a
ce caractère sacré que parce qu'elle aura été auparavant volon-
tairement sacrilège (par la prati~ue de l'inceste notamment)(I).
Cette ambivalence du pouvoir, donc de la sacralité,
est~9ailleurs symbolisée par toute la série d'interdits qui
elle, la nourrit, mais par l'intermédiaire de ses
sœurs à lui,
les~uelles sont à la fois ses filles, puisqu'il est le pseudo-
mari de leur mère,
et ses épouses,
car elles sont co~~e des
jumelles auxa~u:=lles i l devrait être uni selon le mythe."
("Remar~ues sur l'oncle utérin au Soudan, op. cit., pp. 44-45).
1.
Remarquons que l'étymologie latine
exnrime bien ce dualisme,
sacer signiÎiant à la fois le sacré et la 8~udit, ce cui rend
"intouch2ble".

279
entourent
la perS01Ln8 au souverain,
signe qu'il Dorte àes pou-
vairs à la fois
"!Jositifsll et dangereux don.t la ~aitrise jus-
tement lui confère la supériorité. Ainsi,
c~ez les Nyoro, le
chef est
censé uosséder lli~ haut degré de mahamo, ce ~ui signi-
fie littéralement "choses interdites",
principe oui COIh"1ote
tL"1
dualisme dynamicue
ordre-désordre,
pouvoir de vie-pouvoir
de mort etc. Chez les Lele, les chefs sont ~ualifiés du terme
hama cui veut dire saleté,
souillure. C'est le même principe
qui fait que le roi ashanti ne doit
jamais toucher de ses pieds
nus le sol,
contact qui entraînerait les pires malheurs pour
la comlilunauté. Enfin, lors des cérémonies d'investiture, ce
caractère sacré-sa.crilège du personnage royal est encore bien
~is en évidence. Le souverain 3ushong dit de lui même: "moi,
ordure·,. nyec"; et à l'intronisation du Mogho Naoa,
chez les
l'llossi, la foule chante
Il Tu
un
'
~
es
exoremenu
Tu es un tas d'ordure
Tu es venu pour nous tuer
Tu es venu pour nous sauver"
( 1) .
Il faut dire d '.ailleurs que le caractère sacrilège
de la personne du souverain, comme base et complément de son
état sacré, n'est pas lié au seul fait de l'inceste, mais à
la transgression de tous les autres interdits,
particulièrement
1. Dans le film de J. Rouch et D.
Z2.han,
"r:'oro-Naba"
(Comité
du film ethnographique de l'I.F.A.N., Dakar). Texte cité in
L. Makarius,
"Du roi illegiQue au roi divin",
o~. cit., p. 685.

280
les interdits dits de sang, tout le processus d'établissement
du Douvoir étant accomuagné de meurtres et de sacrifices rl-
.
.
tuels ~ui n'épargnent même pas les membres directs de la
famille royale, de même que les attributs symboliques de ce
pouvoir (tambour sacré,
épée, siège du souverain etc.
) por-
tent la marque de cette souillure "positive" c.ui rappelle
l'enracinement de l'Institution dans un espace qui est au-
delà du bien et du mal,
l'espace transcendant de l'Absolu (1).
Analysant ces diverses ruptures qui constituent l'ambivalence
sacré-sacrilège du pouvoir,
L. Makarius conclut
"
Les violations délibérées du tabou de s~ng
(manipulations sanglantes, meurtres et en parti-
culier meurtres consan5~ins, inceste) sont censées
déclencher un pouvoir magique de haute efficacité.
Au :louvoir du sang,. conçu comme une force dange-
reuse et malfaisante ( ... ),
on prête la vertu de
dispenser,
non seulement ces biens négatifs que
sont la protection contre le mal ou la défaite des
ennemis, mais encore des biens positifs,
la chance,
la richesse,
les conquêtes, la prospérité ( ..• ) Le
pouvoir magicue du sang -
~ui est le pouvoir magique
tout court -
s'empreint d'u.~e ambivalence aiguë:
i l donne indifféremment tout le mal et tout le bien,
restant dangereux à l'extrême dans l'un corrille dans
l'aatre cas .. " ("Du roi magique au roi divin,
op.
cit.,
p.673).
1. On peut citer ainsi le cas de la reine des Ashanti qui, pour
accéder au trône, devait consentir au sacrifice d'un consan-
guin : de préférence une de ses filles pubères,
ou un fils,
une
sœur, une nièce. Voir L. Makarius, article cité, pp.
677-780.

281
Ambivalence
singulière du pouvoir -
et des pouvoirs -
mais qui participe et de sa constitution et de son fonctio~~~e­
ment.
Ainsi
l'extrême souillure,
une fois maîtrisée et trans-
cendée,
est-elle elle-même source de vie et de prospérité.
Toute
œuvre de création dès lors, dans l'espace du politique,
apparaît comme l'effet d'un désordre fondamental et rappelle
par-là l'efficace du modèle mythique origirillire. C'est Ogo
révolté ~ui, en arraC~2nt un morceau du placenta et en s'unis-
sant à lui, fut à l'origine de la vie humalne et de la civili-
sation, par le désordre même qu'il introduisit dans l'~~ivers.
Or i l ne fait pas de doute que c'est dans le même
registre qu'il faudrait interpréter les transgressions royales.
Nous avons déjà vu que par l'inceste, le souverain s'inscrit
d'office dans la lignée mythique de la divinité fondatrice.
Ajoutons qu'en faisant voler ainsi en éclats les piliers
mêmes
de la société (en violant la règle d'exogamie qui est le fon-
dement de toute communauté),
le souverain révèle que,
COF.~e
dans le mythe, ce monde est toujours à construire et à recons-
t~~ire, Dar un réinvestissement des forces qui vise à redyna-
miser la composition et l'alliance entre les choses créées
d'une part,
leur articulation,d'autre part,au principe éter-
nel qu'est la divinité ou l'ancêtre originaire.
A ce titre, on peut dire que l'Institution, à tra-
vers l'~vénement de la royauté, reproduit la violenCe origi-
naire qui dans le u~the dogon jetait les bases du monde par
l'égorgement sacrificiel du Nommo (le mythe cosmogonique

282
bambara lui-même, à travers les aventures de lliuso-Koroni est
lxne longue suite de ravages et de meurtres), illais violence
positive, fondatrice surtout q.uand e:J..le prend, comme dans 'le ,cham:p
politique,
ce caractère essentiellement rituel. C'est ce que
montre àien R. Girard o_uand,s'agissant de cette violence "sa-
crificielle 't ,
i l note
"La pensée rituelle entend répéter le mécanisme
fondateur.
L'unanimité qui ordo~~e, pacifie, re-
concilie,
succède toujours à son contraire, c'est-
à-dire au paroxysme de la violence qui divise, qui
nivelle, qui détruit.
Le passage de la mau-~se vio-
lence a ce bien suprême ~ue sont l'ordre et la paix
est quasi spontané
; les deux faces opposées de
l'expérience primordiale sont immédiatement
juxta-
posées; c'est au sein d'une brève et terrifiante
"union des contraires" o_ue la co=unauté redevient
u-~anime. Il n'est donc pas de rite sacrificiel qui
n'incorpore pas certaines formes de vlolence, qui
ne fasse sie~~,es certaines significations très di-
rectement associées à la crise sacrificielle plu-
tôt qu'à sa guérison.
L'inceste royal est lli, exemple."
(LA VIOLENCE ET LE SACRE,
pp. 163-164).
Il faut dire cependant que cette "répétition" du
méca~~sme fondateur n'est complète et donc efficace que si
le pouvoir inaugtrré dans la violence et la scission, après
cet épisode transitoire, réduit
le dualisme pureté-impureté,
positif-négatif. De même que dans le mythe cosmogonique le
sacrifice expiatoire du Noamo permettait de remédier auchaos
inauguré par la révolte d'Ogo, de même dans le champ politique
les pratio_ues transgressives du roi, si, elles instaurent

l'Institution, doivent pour être créatrices passer aussi par
des rites de sacrifice et de purification. A la violence sym-
bolicue de la transgression succède alors un châtlment symboli- .
~ d'expiation.qui restaure l'ordre bouleversé.
C'est ainsi qu'au Ruanda,
les souverains incestueux
subissent u.~ pseudo-meurtre. Ils sont amenés en public, ligotés
comme des captifs, mais à leur place,
c'est un taureau et une
vache qui sont immolés et ils sont ensuite inondés du s~~g des
victimes afin que cette exécution mimée semble aussi réelle
que possible (1), On peut interpréter sur le même plan le rite
de l'Incwala au Swaziland. Suprême mise en scène pendant la-
quelle le roi incestueu.x et transgresseur, rendu "comme une
bête fauve" par les drogues absorbées, doit affronter une
foule déchaînée et Qui, par ses cris de haine, menace de le
chasser, Il Y a ensuite un meurtre symbolique du souverain,
par l'intermédiaire d'une vache i~llolée. Après la cérémonie,
la "souillure du roi" est brûlée dans un grand feu et i l réap-
paraît alors comme le "Lion", le "Taureau", l '
"Indomptable".
Notons que la cérémonie de l'1ncwala inaugure également l'année
nouvelle et à ce titre elle marque bien,
en la personne du sou-
veraln, une réactualisation de la création, par le renouvelle-
ment de l'alliance primordiale entre la société des hommes et
les forces cosmiques originaires (2),
1. Cf.
L. de Reusch,
LE POUVOIR ET LE SACRE, Bruxelles, 1962
2. M. Gluckman, ORDER AND REBELLION IN TRIBAL A~RICA, Londres,
1963. Voir également Balandier, "Assises sacrées du pouvoir"
in ANTROPOLOGIE POLITIQUE,
pp. 119-137.

284
Réactualisation du modèle mythique gémellaire,
symbolisme de l'inceste royal et ses rituels de purification
et de renouvellement, autant d'éléments qui montre~t donc que si
le Pouvoir est à ce point tributaire des nouvoirs,
c'est que
son principe n'est pas uniquement à chercher du côté du poli-
tique comme tel,
puisqu'un espace politique lui-même n'est
pensable qu'intégré dans un système général de l'~~ivers et
dans son jeu de forces multiples et différentielles,
l'ordre
social étant ainsi étroitement lié à un ordre du monde qui
le Îonde et le transcende infiLiille~t à la fois.
Et si l'idéo-
logic_ue mythique et la pratic_ue rituelle
v i
-8 e n t
essen-
tiellement à maintenir et à réactualiser cet ordre originaire
et fondateur,
l'action politique qui
s'investit de manière
prévalente dans l'espace des structures sociales n'en est en-
core qu'une projection,
l'une et l'autre pratique fonctiorL'1.ant
à assurer cette symbiose totalitaire où toute institution
est COlILme un "signe" de l'Absolu.

285
CON C LUS ION S •..
L'AFRIQUE D'HIER A AUJOURD'HUI:
LE FETICHISME DE L'INSTITUTION
===============~~==============================================
"Les hommes font leur propre histoire
mais ils ne la font pas arbitrairement,
dans les conditions choisies par eux,
mais dans des conditions directement
données et héritées du passé. La tradi-
tion de toutes les générations mortes
pèse d'un poids très lourd sur le cer-
veau des vivants." (Marx, Le 18 Brumaire
de Louis Bona~arte, E.S., p. 15).

286
Quand un clo\\vu africain, assoiffé de sang, décida
un beau jour de se faire sacrer empéreur,
le peuple, plié
sous le joug, vint danser à ses pieds les vieilles danses
d'allégeance. De leur côté,
ses "chers parents" européens,
diamantaires en leurs heures perdues, dépêchèrent leurs épou-
ses et leurs chaînœde télévision. Ce sera toujours un diver-
tissement pour Billancourt franchement désespéré. Vive les
Cannibales
!
Plus tard, quand le spectacle commencera à lasser
(ou quand les safaris deviendront moins brillanës),
on en-
verra la Légion et un autre clown de service montera
sur le
trône. Seule l'Histoire ne rit pas, Elle accuse en reculant
le coup que la violence totalitaire
vient encore de lui
porter. Tout est à refaire et deux mille ans ont été déjà
perdus

+
+
+
Cette fable appartient à la mythologie africaine. Mais
celle des temps modernes, car les Dogon sont b~en loin et avec
eux leurs dieux et leurs jumeaux. Seul maître de l'espace,
immense placenta dont toute chose n'est que signe, le nouveau
dieu: le capitalisme mondial et son corollaire, l'impérialisme.

287
Mais les Dogon sont-ils si loin ? La pensée mythique
est-elle complètement morte et l'espace qu'elle investissait
a-t-il été totalement bouleversé par les nouveaux signes ?
Il est perm~s d'en douter. L'Afrique d'hier est obstinément
présente dans celle d'aujourd'hui et COIT~e telle, elle donne
la clé non seulement de l'intelligence de ses structures, mais
encore des conditions de leur transformation. Comme dans le
mythe, le passé informe et explique le présent et l'avenir.
Revenons donc à l'espace précolonial. Sur le plan
des fondements et du fonctionnement de l'Institution, ce qui
a été l'objet essentiel de Cette étude,
on peut dire que la
consubstantialité du pouvoir et du sacré exprime mieux que
toute autre variable l'efficace de l'idéologie -
celle de la
pensée mythique -
sur l'ensemble dusystème social. A la li-
mite, la diàt~nction que fait Althusser, au niveau des super-
structures,
entre 1L.'1
appareil répressif d'Etat "fonctionnant
à la violence" et 1L.'1 appareil idéologique d'Etat "fonctionnant
à l'idéologie" (1) n'a plus grand sens si l'on se réfère aux
sociétés africaines précoloniales, dans la mesure où "brouil-
lant" les rôles, l'appareil d'Etat, toutes instances confon-
dues, y fonctionne de manière prévalente à l'idéologie, la
repression elle-même (ou les modes de prévention) revêtant
nécessairement un caractère et une signification symboliques,
..--C. 0 m Ill,. e
nous avons pu le
.voir dans les différentes formes .
1. Cf POSITIONS, "Idéologie et appareils idéologiques d'Etat",
pp. 67-125

288
d'organisation sociale (l'état cellulaire en particulier) ain-
si que dans les types d'autorité et de pouvoir politiques.
C'est d'ailleurs cette irruption de l'idéologique
dans tous les niveaux de l'espace social qui rend particuliè-
rement malaisé tout repérage d'une frontière entre les diverses
inst~,ces du système, celui-ci n'étant jamais aux ye~~ des
individus qui le constituent un tout achevé aux éléments im-
muables, mais bien CL, ensemble organique constitué en un ré-
seau complexe où s'inscrivent et s'entrecroisent,en une sym-
biose toujours renouvel~e, les vecteurs qui portent le sacré
et le profane, l'humain et le divin,
le social et le cosmique,
la conjugaïson. de ces vecteurs et les effets réciproques des
uns sur les autres concourant à donner à l'ensemble une valeur
d'Absolu. On peut comprendre dès lors que de cette surdétermi-
nation idéologique résulte une autonomie de l'Institution par
rapport au mode de production matérielle, autonomie qui n'est
pas seulement apparente, mais totale puisque les agents so-
ciaux qui sont à la base de cette production ne se considèrent
comme individus constitués que subordonnés voire assujettis au
système institué.
A ce titre,
on peut dire qu'il y a en Afrique noire
précoloniale un véritable "fétichisme" de l'Institution comme
caractéristique essentielle de l'ensemble des rapports sociaux.
Cette notion évidemment est à prendre par analogie avec Ce que
Marx a appelé le "fétichisme de la marchandise" ou encore le
"mysticisme du monde de la marchandise" et qui constitue l'une

289
des pièces-clés de son ~nalyse du système capitaliste (1).
De quoi s'agit-il donc? Suivant Marx,
"Les sortilèges qui
voilent d'une brume fantomatique les produits du travail sur
la base de la production marchande" consistent en ce que dans
leurs rapports d'échange, la forme marchandise "renvoie aux
hommes l'image des caractères sociaux de leur propre travail
comme des caractères objectifs des produits du travail eèU-
mêm~ comme des qualités sociales que ces choses posséderaient
par nature •.• " Autrement dit, i l Y a une inversion en ce que
dans les rapports sociaux centrés autour de l'échange mar-
chand,
et par l'intermédiaire de la valeur "investie" dans
l'objet marchand, ce qui est fondamentalement un rapport en-
tre perso=es (à savoir le rapport social déterminé de produc-
tian) prend "la forme phantasmatique de rapport entre des
choses" puisque l'échange et la valeur app~raissent comme
ce qui détermine ce rapport de production ou du moins·sa
variable essentielle, le travail.
Il apparaît donc que l'illusion, dans le "fétichisme
de-la: marchandise" consiste dans l'occultation même de l'es-
sence de la valeur, occultation qui n'est pas cependant
l'effet d'une conscience aliénée qui se représenterait "à l'en-
vers" les rapports sociaux réels, mais au contraire, ce sont
ces rapports sociaux eux-mêmes qui se donnent pour ce qu'ils
ne sont pas à la conscience des a g e n t
s
impliqués dans
1. Voir LE CAPITAL, Liv.I, première section "Marchandise et
illo=aie" f •.IV, "Le caractère fétiche de la marchand; se et son·
secret" -
Le texte que nous citons est une nouvelle traduction
par E.Balibar et J.P. Lefebvre, à paraître prochainement aux

290
dans le procès de production. Ainsi, l'illusion n'est pas
individuelle, mais sociale, produit
historiquement déterniné
du système capitaliste. Marx souligne d'ailleurs le caractère
irréductible des "sortilèges"de la forme marchandise puisque
l'apparence d'objet qu'ont les caractères sociaux du travail
subsiste même après la découverte par la science que la valeur
elle-même ne fait qu'exprimer sous forme de chose lL.'"1 travail
hUIllain dépensé à la produire. "Aussi bien après qu'avant cette
découverte, note-t-i-l, i l [le caractère fétiche de la marc han-
dis~ apparaît à des gens qui sont prisorilliers des rapports de
la production marchande comme quelque chose d'indépassable,
exactement comme la décomposition scientifique de l'air en ses
éléments n'a pas empêché la forme-air de subsister comme forme
d'un corps physique."
Cette brève analyse permet de voir en quoi peut con-
sister le "fétichisme de l'Institution". Par là, nous enten-
dons d'abord ce processus d'inversion (que nous avons déjà
signalé) par lequel dans la société précoloniale, l'Institu-
tion apparaît aux individus non plus comme chose instituée,
donc produit
et expression de rapports sociaux historiquement
déterminés, mais, par l'effet surdéterminant de l'idéologie
mythique, comme facteur instituant,
ce par et travers a_lioi
seulement l'ensemble du système social trouve sens et exis-
tence.
En prétendant à l'Absolu, donc en s'autanomisant,
l'Institution atteint à cette objectivation que "réalisent"

291
les marchandises
dans le procès d'échange et se réifie éga-
lement en tant Que ce ~ui, ici aussi, est fondamentalement
rapport entre des horll.'nes,prend le caractère "phantasmatique"
soit de rapports des choses entre elles, soit de rapports des
hommes avec des choses (ou du -su-rnaturel"). Le système projec-
tif du mythe dogon illustre bien cette série de déplacements
(voir l'état cellulaire ainsi que les analyses sur le pouvoir)
puisque dès lors qu'il existe un modèle pris comme schème ab-
l.. t."" "lA<! /
.
solu à partir duquel seulement /peuvent se représenter et leur
être physique et leur pratique, i l est évident que le rapport
prévalent n'est pas le rapport des individus entre eux, ·mais
au contraire celui entre chaque individu avec le modèle ori-
ginaire d'une part, de tous les individus entre e~x et avec
le même modèle (c'est là les différents mod~d'inscrintion
que nous avons étudiés). En fait,
si nous nous référons au
modèle placentaire-gémellaire et la participation générali-
sée qu'il implique,
on peut dire que tout individu se repré-
sente son rapport au monde et a~x autres comme la simple
expression d'un rapport plus fondamental qui est la présence
en lui d'un "signe" de la divinité ou de l'être surnaturel.
D'autre part, comme pour le "fétichisme de la mar-
chandise~ on ne peut dire en ce qui concerne l'autonomisation
de l'Institution non plus et des formes de représentations
qu'elle détermine qu'il s'agit là de l'effet d'une conscience
individuelle ou même collective s'illusionnant sur ses propres
rapports au monde. Il
faudrait plutôt y voir le produit de ce
que Castoriadis appelait l '
"imaginaire social" et qui, par-

292
devers les pures lndil-idualités,
institue la société et les
constitue elles-mêmes comme telles. C'est pour~uoi, note-t-il
dans L'INSTITUTiON Ilf~GINAiRE DA h~ SOCIETE:
"Il est clair C1.u'on ne peut rapporter les signifi-
cations imaginaires sociales 2. un "sujet" construit
exprès pour les "porter",
que l'on appelle celui-ci
"conscience du g~ouperl, "inconscient collectif" ou
comme on voudra .•.
"Plus généralenent,
on ne peut réduire le monde des
significations illstituées a~~ représentations indi-
viduelles effectives,
ou 3. leur "partie com.rnune",
"moyenne" ou "typique".
Les significations ne sont
évidemment pas ~ que les individus se représentent,
consciemment ou inconsciemment,
ou ce qu'ils pensent.
Elles sont ce moyennant et à partir de quoi les in-
dividus sont formés cornee individus sociaux, pouvant
participer au faire et au représenter/dire social,
pouvanë représenter, agir et penser de manière com-
patible, cohérente,
convergente nême si elle est
conflictuelle ..• " (Op. cit.,
p. 489)
(1).
Ce texte, mêne s ' i l s'inscrit dans un registre assez
général, définit parfaitement l'espace de la pensée mythic,ue
et les formes d'institution qu'elle détermine. Ainsi, s ' i l
1. Un étonnant texte de
Lévi-Strauss porte 2. son point extrême
le caractère "objectif" que
peuvent revêtir les formes de re-
présentation dal1.S l'espace mythic,ue. Ainsi , dit-il : "Nous ne
prétendons pas montrer com.rnent les hommes pensent dans les my-
thes, mais cOffiillent les mythes se pensent dans les h02Bes et à
leur insu.
Et peut-être . . . convient-il d'aller encore plus loin,
en faisant abstraction de tout sujet,
pour considérer c,ue d'èL~e
certaine manière les mythes se pensent entre eux." (lïlythologioues,
Le Cru et le Cuit,
p.
20).

293
y a illusion,
elle est 20ins dans la représentation COmBe telle
que dans le :node de constitution de l'objet même telqu'il se
dOIh'1.e à la représentation. Autrement dit, la "cause" de la
déformation n'est pas à chercher du côté de la conscience in-
dividuelle, mais plutôt dans le rapport originairement fictif
que cette conscience entretient avec le monde. Co~~e dans le
"fétichisme de la marchandise", dans l'espace social 2yt hi que ,
ce ne sont pas les rapports réels qu'ils entretiennent entre
eux que les individus se représentent,
mais uniquement les
rapports imaginaires -
donc vécus -
qu'ils entretielli~ent avec
ces rapports concrets.
Or dans le cas qui nous retient, à savoir la société
africaine précoloniale,
i l faut voir que c'est Ce rapport ima-
ginairequi,
en occultant les rapports concrets 2ais non-immé-
diatement apparents, fonde l'Institution co~~e Absolu, toute
l'efficace du mythe co~~e forme idéologique étant
justement
de présenter le monde non tel qU'll est, à savoir co~me réa-
lité historique déter2inée, mais tel qu'il est constitué et
vécu dans l'imaginaire social, c'est-à-dire produit effectif
de la volonté trancendante de la divinité créatrice ou de
l'ancêtre fondateur.
Notons enfin que tant dans la forme marchandise que
dans la forme institutlonnelle,
le caractère fétiche des rap-
ports sociaux peut être considéré à la fois Comme l'effet et
l'expresslon d'une aliénacion des agents individuels qui sup-
portent ces rapports. Dans le cas de la marchandlse,
i l s'agit

294
de mettre à nu l'aliénation matérielle qui caractèrise essen-
tiellement les conditions d'existence des hoa~es impliqués
dans les rapports de production capitalistes, la représenta-
tion imaglnaire de leurs rapports entre eux et au monde n'é-
tant d'ailleurs que la conséc_uence de ces conditions d'exis-
tence. Autrement dit, c'est parce que le travail dans le mode
de production capitaliste est fondamentalement un travail
aliéné que les produits de ce travail, les marchandises et
les valeurs c.u' elles "incarnent", apparaissent à le= produc-
teurs sous la forme
c OIn.'!le di t Marx,
"de rapports ispersoI'_'1els
entre des persop~es et de rapports
sociaux entre des choses impersonnelles".
Notons cependant que si l'on se rapporte à ce que
nous appelons fétichisme de l'Institution, il semble que le
rapport de cause à effet entre l'aliénation et le mode de re-
présentation imaginaire doive être déplacé voire inversé
dans la mesure où dans la société africaine précoloniale,
soc iété précapitalist e et où la product ion meTchande n'est
pas le mode de production dominant, il n'y a pas une vision
imaginaire du monde parce qu'il y a aliénation (tant au nl-
veau du procès de production qu'à celui de la distribution),
mais tout au contraire, toute aliénation est l'effet même de
cette vision imaginaire originaire, à savoir c'est l'idéolo-
gie, comme élément prévalent de l'Institution qui constitue
la source et le champ principal de l'aliénation comme telle.
C'est cette aliénation généralisée comme expression du pro-
cessus d'autonorninasation de la chose instituée que met encore

295
en évidence Castoriadis ~uand i l écrit
"L'aliénation,
c'est l'autonomisation et la domi-
nance du moment imaginaire dans l'institution,
Qui
entraîne l'autonomisation et la dominance de l'ins-
titution relativement à la société. Cette autonomi-
sation de l'institution s'exprime et s'incarne dans
la matérialité de la vie sociale, mais suppose tou-
jours aussi que la société vit ses rapports avec ses
institutions sur le ~ode de l'~aginaire, autrement
dit, ne reco~~aît pas dans l'i~aginaire de l'insti-
tution son propre produit."
(Op. cit., p. 184).
Cet effet d'illusion généralisée, nous l'avons ana-
lysé tant dans l ' état cellul,nre c_ue dans les diverses formes
de constitution du pouvoir d'Etat, l'idéologie du mythe tenant
dans tous les cas la fonction instrumentale de fondation.
Mais
si l'aliénation elle-même est aliénation de l'ensemble des
agents sociaux constitutifs du système social, faut-il en con-
clure pour autant à ~~e parfaite indifférenciation de l'espace
idéologique? Autrement dit,
sur le plan du vécu, peut-on dire
que tous les sujets,
en tant que sujets aliénés,
sont inscrip-
tiblesà un même niveau de détermination ')
S'il Y a totalitarisme de l'Institution,
co~~e si-
gne et symbole de cette aliénation,
i l n'en reste pas moins
que ce totalitarisme est loin de s'imposer à tous avec la
même rigueur. En
effet, si dans la société précoloniale,
comme dans toute autre forme de société,
l'idéologie vise en
dernier ressort à fonder et à maintenir un type de rapports
sociaux qui ne peuvent être que des rapports de pouvoir et

296
de domination,
cela signifie que
jamais elle ne saurait avoir
totalement en elle sa propre logique,
i l n'y a même de pouvoir
de l'idéologie,comme instance autonome,
que parCe que toute
idéologie en
dernière analyse n'est que l'idéologie ~'un pou-
voir déterminé, n'ayant de sens comme telle que dans la mes~re
où elle sert les intérêts des individus ou des groupes en qui
ce pouvoir est investi.
Si donc l'idéologie, dans l'espace précolonial, pré-
tend à l'universalité corr~e signe de son autonomie, en réalité,
dans son discours,
elle ne fait que masquer l'inquiétante sin-
gularité du pouvoir, toujours monopole d'u.~ individu ou d'un
groupe déterminé, cette autonomie se révélant donc comme un
leurre,un voile~ont elle se revêt pudiquement pour ~ pouvoir
~ ~
prétendre être discours de tous. Cette discrimin~tion n'est-elle
pas déjà présente d'ailleurs dans le modèle mythique lui-même?
Certes, suivant le schéma gémellaire-placentaire,
tout exis-
tant individuel ou collectif est bien "signe" de la divinité
originaire. Mais tous ne le sont pas au même niveau.
Il y a
différents degrés de participation et i l n'est pas étonnant
que celui,
Chef ou prêtre,
qui occupe le statut social le
plus élévé est également sensé incarner le plus le flu.~ créa-
teur.
Aussi, le discours de la totalité que tient l'idéo-
logie mythique, à y regarder de plus près (mais un tel regard
n'est
justement possible que pour ceècr qui sont inscrits hors
de son champ d'action et de signification) n'est-il en fin de

297
compte ~u'un discours à la fois partiel et partial car Comme
le renarque Augé, parlant de la pensee nythique :
"Cette théorie idéo-logique qui établit en quelque
sorte tille son~e de contraintes intellectuelles est
remplie de silences qui expriment des contraintes
sociales; plus exactement l'idéo-logique est mé-
tonymique : elle ne signifie la dépendance des ca-
dets qu'en énonçant la loi des ainés ; elle parle
au mode universel, à tous, co~~e si elle uarlait
de tous; elle s'adresse à tous, mais plus encore
à ceux dont elle ne parle pas et aux~uels elle in-
terdit la parOle." (POUVOIRS DE VIE, POUVOIRS DE
MORT, p. 86).
Comment ne pas voir alors que c'est ce modèle ins-
titutionnel traditionnel sous sa forme fétichisée et avec son
appareil idéologique qui encore aujourd'hui prévaut largement
/
en Afrique? Hegel dit bienqUelqu:part que les grands évé-
nements et personnages historiques se répétent toujours deux
fois. Mais Marx
réplique: "Il a oublié d'ajouter: la
première fois COül.'1le tragédie, la seconde fois comme farce"
(LE 18 BRu~lli1RE, p. 15). Cette remarque magistrale peut ré-
sumer à elle seule tout le
phénomène complexe des survivances
des anciens modèles dont l'Afrique d'aujourd'hui fait la
,
douloureuse expérience.lfmis la farce, presque toujours, re-
tourne à la tragédie. La fable du début nous le dit. Le
petit caporal qui du jour qu lendemain se fait maréchal et

298
met sous sa botte un peuple presque idolâtre semble en fait
répéter une vieille geste
: celle de la première création qui
fut aussi violence et usurpation. Mais les nouveaux dieux
meurent si vite ..•
AU-dela de ces formes caricaturales,
comme se pré-
sente le phénomène de sUTvivance ? Sur le plan politique,
l'Etat moderne présente en fait le ~ême type de complexité que
la forme pré coloniale dans la mesure où i l est encore une
combinaison de différentes structures comprenant les formes
traditionnelles d'une part,
et de l'autre les éléments compo-
sants du système capitaliste moderne (1). Et comme dans le
système traditionnel,
les vieilles structures loin d'êëre
effacées,
sont intégrées par les nouvelles qui les ré-utiliseut,
suivant l'expression de Deleuze,
comme "br~ques" et même
quelquefois tendent à les reproduire systématiauement.
Ces resurgences sont tout à fait évidentes dans
l'espace du pouvoir politique. En effet,
si l'.Institution ne
fait plus explicitement référence au sacré, elle n'en garde
pas moins son caractère absolu, généralement exprimé
sous
la forme du charisme du chef et du statut exceptionnel qu'il
acquiert dans l'imaginaire social.
La personnalisation du
pouvoir (ou plus exactement sa "personnification" au sens où
Marx
définsissait le Despote asiatique comme cette 'Q~ité
1. Voir Balandier, AN'TROPOLOGIE POLITTQUE, chap. VII,
"Tradi-
tion et modernité" a,insi que L'AFRIQUE AlI1BIGUE

299
supérieure" presQue divinisée) tend dès lors à faire prendre
aux rapports sociaux des formes "fétiches" subvertissant des
rapports d'exploitation et de domination en des relations de
type "patriarcal", le Président de la RépubliQue étant inva-
riablement le "Sage", "Père de la Nation",
et comme tel, fai-
sant l'objet, même de la part du peuple dominé, d'un véritable
culte (Dans certains pays d'AfriQue centrale, le Zaïre pour le
nommer, l'idéologie du "retour aux sources" ré-inscrit le chef
politique dans une véritable généalogie mythiQue, marquée
notamment par le port de certains objets-symboles, la canne,
la toque de léopard etc ••• ). Ainsi, dans le discours du pou-
voir et de son· idéologie .. (mais Augé nous a montré Que celle-
ci ne parle à tous que pour mieux baillonner les "autres"),
la nation apparaît comme un tout dont on exalte la cohésion
sacrée, balayant du même coup jusQu'aux contradictions les
plus criantes Qui s'y développent,
étant entendu qu'
"en
AfriQue, i l n'existe pas de classes sociales, donc pas d'an-
tagonismes de classes"
l ,
Cette survie de la "tradition" n'est d'ailleurs pas
sans conséquences sur la nature même des institutions poli-
tiques actuelles. Elles s'y exprime par la place considéra-
ble accordée aux autorités dites "coutumières" (Conseil des
Anciens et même maintien des statuts de "roi" et "chef" au
sein de l'Etat mo~erne comme chez les Mossi en Haute-Volta
par exemple), celles-ci constituant incontestablement, mieux
que la violence et la répression -
et c'est encore là une
figure du modèle précolonial -
les piliers centraux du pouvoir,

300
en tant qu'elles sont des forces d'inertie s'opposant à tout
bouleversement du système social qui est lui-même garant de
leurs propres intérêts (1). L'Etat, comme on l'a vu au Sénégal
en 1968, n'hésite pas à faire directement appel à elles pour
briser les justes luttes revendicatives des travailleurs.
Mais c'est encore au niveau du système économique
que ces sUTvivances sont les plus apparentes et c'est là
également que leurs effets sont les plus déterminants, les
formes politiques actuelles n'étant en dernier ressort que
l'expression de cette structure économique. On retrouve ici,
sur le_-mêmemode que le système précolonial, un nouveau type
de combinaison de modes de production distincts, à savoir les
anciennes formes domestiques superposées à des structures de
type capitaliste. Mais il est évident qu'il s'agit d'un capi-
talisme adultéré dont les aberrations aveuglantes font les
beaux jours du néocolonialisme et de son support contemporain,
l'impérialisme.
En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître,
il faut recon.~aître que l'Afrique noire n'a pas rempli toutes
les
~o n. d 1 t i o n sc. préalables d'un mode de production
capitaliste, nous entendons par là lli~ canitalisme national,
dans la mesure où la phase essentielle de "l'accumulation
primitive" (2) s'est faite ici pendant la période coloniale,
1. Voir J. Copans et ses travaux sur la confrérie religieuse
mouride du Sénégal : "Politique et religion" in DIALECTIQUES
et LES riliUL~BOUTS DE L')~ACHIDE ... (voir bibliog.).
-2-.
Cf. LE CAPITAL, liv. l, 8e section: "L'accu:nulation pri:nitive"

30r
donc au profit d'un capitalisme déjà constitué et ~ui n'avait
d'autre souci ~ue le pillage et l'asservissement des peuples
colonisés. Marx définit clairement cette genèse du capitalisme
"Au fond du système capitaliste, i l y a la sé"paration
radicale du "producteur d'avec les moyens de "produc-
tion. Cette séparation se reproduit sur une échelle
progressive dés ~ue le système capitaliste est une
fois établi; mais comme celle-là forme la base de
celui-ci, i l ne saurait s'établir sans elle. Pour
qu'il vienne au monde, i l faut donc que, partiel-
lement au moins,
les moyens de production aient déjà
été arrachés sans phrase aux producteurs,
qui les
employaient à réaliser leur propre travail et qu'ils
se trouvent détenus par des producteurs marchands,
qui eux les emploient à spéculer sur le travail d'au-
trui.
Le mouvement historiaue ~ui fait divorcer le
travail d'avec ses conditions extérieures, voilà donc
le fin mot de l'accumulation appelée "primitive"
parce qu'elle appartient à
l'âge préhistori~ue du
monde bourgeois." (LE C!\\.PITAL, liv I, Pléiade, t.
I,
p II6g).
Or si cette"séparation radicale" signifie en tout
premler lieu,
comme l'indique Marx,
l'expropriation des cul-
tivateurs et la concentration de la terre entre les mains de
gros producteurs, nous avons vu ~ue nulle part en Afri~ue
(à l'exception, comme indi~ué, du système des plantations
mais son aire géographique et son impact économi~ue restent
relativement limités) ce processus ne s'est réalisé d'une
manière stricte, ni aux temps de la colonisation, ni même
aujourd'hui (au Sénégal, le système dit "Domaine national"
fait de la terre,
juridi~uement du moins, Car la concentration

J02
capitaliste est ici aussi en bO~Jle voie, propriété comm1L~e
inaliénable).
Le système de la propriété parcellaire et le
type de production "domestique" oui s'y rattache a plus ou
moins prévalu, l'ensemble de ces formes étant bien entendu
intégré dans un cadre de type capitaliste, caractérisé parle
complexe industriel' et ]es echanges int ernat ionaux.
Nous avons
là ce clue certains économistes apellent un capitalisme "uéri-
phérique",
essentiellement pluristructurel et largement dé-
pend~~t du capitalisme monopoliste mondial (1).
Pourquoi donc ce dualisme constitué par la co-existence
de deux modes de production,
inconciliables quant à
leurs loi
et leur finalité? Il n'y a là aucune fatalité car si l'Etat
néocolonial s'en accomode,
c'est qu'il sert éminemment ses
propres intérêts, à savoir celle de ses classes dirigeantes,
dans la mesure où ce type de combinaison seul lui permet de
maintenir les masses travailleuses dans la sur-exploitation
et la servitude.
L'intégration d~ deux modes de production
a comme effet le transfert de valeurs du système domestique
1. Sur la combinaison entre modes de production domestique et
capitaliste, l'ouvrage de référence est celui de Meillassoux,
FEM11ES, GRENIERS & CAPITAUX, deuxième partie:
"L'exploitation
de la communauté domestique:
l'impérialisme comme mode de
reproduction de la main d' œuvre bon marché"
voir surtout
l'importante bibliographie, pp. 219-251. Quant aux rapports
entre capitalisme "central" et capitalisme "périphérique", on
se reportera à S. Amin,
LE DEVELOPPEMENT INEGAL. ESSAI SUR LES
FOR!~TIONS SOCIALES DU CAPITALISME PERIPHERTQUE ; cf. aussi
L'ACCUMULATIO;I! .il. L'ECHELLE [,IOND LUE-.

304
Il apparaît ainsi que toute la force du système lm-
périaliste et néocolonial en Afrique repose sur le maintien de
ce dualisme ambigu
et le jeu des éléments contradictoires qui
le constituent (1). Comprendre ces mécanismes, c'est répudier
à jamais la logomachie des idéologies du pouvoir actuel fai-
sant du sous-développement soit un fatalisme (aidées en cela
par des forces religieuses foncièrement rétrogrades), soit un
effet imparable des tendances générales de l'économie mondiale
(c'est la fameuse "théorie" de la "détérioration des ter:Iles de
··.1' échange", répétée jusqu'à satiété par certains chefs d'Etat
africains) et du même coup, mettre à nu l'exploitation crapu-
leuse des producteurs réels et l'asservissement des masses
que ces idéologies visent à perpétuer.
Nul doute cependant que ce sera là un combat de lon-
gue haleine. L'Institution ne meurt jamais de ses propres con-
1. Dans son ouvrage toujours actuel, LES DfuYu~ES DE h~ TERRE
(lf~spéro), Frantz Fanon montre qu'aujourd'hui encore il n'y a
pas de processus réellement capitaliste en Afrique dans la
mesure où la bourgeoisie dite nationale "a une psycD.ologie
d'ho=esd'affaires, non de capitaines d'industrie", étant ain-
si une simple "courroie de transmission" du capitalisme mondial,
largement dépendante des métropoles néocolonialistes. Elle va
assumer "le rôle de gérant des entreprises de l'Occident,et
organisera son pays en lupanar de l'Europe" (voir édit. 1976,
chap. 3, "Mésaventures .. de la conscience nationale", pp. 95-139).
Pour une étude de cas, cf S. Amin, n Le développement du capi-
talisme en Afrique noire" in EN PltRTANT DE L'AFRIQUE (Anthropos,
1968) et surtout LE MONDE DES AFFAIRES SID'EGALAIS (Paris, Ed.
de Minuit, 1969).

au système capitaliste, non seulement sous forme de uroduits
sous-évalués (essentiellement produits agricoles de "traite",
arachide,café,
càcao etc ... ), mais surtout par la fourniture
d'une main-d' oeuvre surabondant e et bon marché.
Dès lors, les mécanismes de la surexploitation de-
viennent évidents. Dans ces pays dit "sous-développés", le
secteur agricole vit totalement en marge du secteur capita-
liste (industriel), celui-ci n'y investissant que très rare-
ment,
et néanmoins i l entretient avec lui des rapports orga-
niques en lui fournissant une force de travail dont ce secteur
(capitaliste) n'assure que partiellement la reproduction.
Le
transfert de force.3de travail du secteur domestiQue vers le
secteur capitaliste se faisant essentiellement grâce à l'exode
rural, la production capitaliste bénéficie de ce fait d'un
apport constant de "travailleurs venant au monde tout faits"
(Marx,
LE CAPITAL, E.S., t~II, p. 210), ces ouvriers d'origine
agricole, généralement employés pendant la saison morte (c'est
le fameux syst ème des "j ournaliers") assura.'lt eux-mêmes une
bonne part de leur survle en puisant dans les réserves alimen-
taires constituées après les récoltes. De ce fait,
ils per~
mettent au système capitaliste de pratiquer des salaires de
misère (cela ne met pas en cause la reproduction de la force
de travail)
et surtout de faire l'économie de tout ou partie
du salaire "socialisé" (Sécurité sociale,
scolarisation et
formation continue, indemr.ités etc ••• ).

305
tradictions car son caractère fétiche trouve dans l'imaginaire
des peuples eux-mêmes ses fondements les plus solides. Au
demeurant, Marx nous aura avertis:
"Le reflet religieux du monde réel ne peuo disparaî-
tr~ de manière générale qu'une fois que les rapports
de la vie pratique des travaux et des
jours repré-
sentent pour les hommes, de manière quotidienne et
transparente, des relations rationnelles entre eux
et avec la nature. La figure du procès social d'exis-
tence, c'est-a-dire du procès de production matérielle,
ne se déba~sse de son nébuleux voile mystique, qu'une
fois qu'elle est là comme produit d'hommes qui sont
librement mlS en société, sous leur propre contrôle
conscient et selon leur plan délibéré. Mais cela
requiert pour la société une base matérielle, c'est-
a-dire toute une série de conditions matérielles
d'existence qui sont elles-mêmes a leur tour le pro-
duit d'un long et douloureux développement historique."
("Le caractère fétiche de la marchandlse", C_"_PITAL
liv. I, retraduction par 3alibar et al.).
Certes l'Afrique, tout au long des -·siècles k n'a cessé
de faire cette-expérience tragique qu'est la construction de
sa propre histoire. Partout des peuples révoltés ont conquis
de haute lutte le droit à la liberté et a la dignité. Cependant
l'impérialisme et ses chiens de garde veillent.
Ils ont fusillé les enfants de Sowéto.
Mais l'histoire nous a appris qu'aucune force ne peut
juguler tout le temps la volonté de tout QD peuple. Un jour,
les chaînes volent en écla~et comme le dit le Poète à qUl

306
nous laisserons le mot de la fin
"Alors nous sortirons de l'exil
Comme un essaim d'abeilles
COmBe un raz de marée
Qui reflue à l'horizon
Ecorché par le vent
Comme autant d'étoiles hissées
Au beau milieu du ciel
Nous sortirons de l'exil
Co=e un volcan déchaîné." (1)
1. Paul Dakeyo (Camerolli~ais), SOWETO - SOLEILS FUSILLES (Edit.
Saint-Germain-des-Prés, 1977). Voir du même auteur, chez le
même éditeur, LES BARBELES DU MATIN (1973), LE CRI PLURIEL (1975),
CF~_NT D'ACCUSATION, suivi de L'ESPACE CARCERAL (1976).

30']
Extrait de
Alfred ADLER & Michel CARTRY,
"LA TRANSGRESSION E'T' SA DERISION"
(L'Homme, 3, II, 1971, pp. 46-62)
J'I.B.
les notes en bas de page sont des auteurs .
.\\PPENDICE
RÉSŒLÉ DU "l'lTHE DL' RENARD PALE'
L E D lEU
.-\\ j.l )( A
A l'origine était le Dieu Amfi1<l. (lît. '( tenit- se;-ré à la'mème place )'). fait de -+ parties
qui préfigl.!raient les -+ éléments (\\;au, ai~, feu, terre) et qui annonçalt:!""'lt 1<.\\ [Ormè
cIe 4 clavicules Jointes DL: plutôt d~ deux couples jumeaux de clavicules 30ud'~es
les unes aux autres (RP .. 6r et 97). L'ensemble a\\'~it la iorn;e J'Uit œuf clos.
2.
Lcs prcnu"crs si:gnes
..-\\mma cornm\\::\\lr;.;î. p2tr tracer en lni~mêrnc k pbn du monde et de son extension
sous fOI"nlc de 26G signes ou ({ paroles \\) ciassés en 22 ca::égories et COilEDt:::m[ (OIlS
'"
0"OllS suivons de si près ie texte de ':\\'1. GRI.~.uLE et G, DI~7ERLE~ (I9ô5; cité i:1fra. RP),
que nous a'..ons jl1gé mutile Ge surcho.i"ger ie .-esumé de gUllle:nets.
_ ... -.
'- - '.
-
,""
'.;-
. '-"

308
les êtres et toutes les choses qui de",,'aient être ensuite réalisés clans la matière.
Un autre classement de ces 266 signes, fait Sllr la base du chiffre 6 (c'èSt-à-dire
le double du chiffre màle qui est 3) et sur la base du chiffre 3 (le double du chiffre
femelle qui est 4), exprimait déjà" la gémellité sexuée, rnàle et femelle, qui sera
à la base de la réalisation dans la matière de la pensée divine" (RP: 73).
3. Le premier monde et sa deS/Tuchan
_-\\mma créa ensuite le premier monde à partir d'une graine sauvage, celle de
l'A cacia albida (spi~) qu'il pétrit dans ses clavicules en su perposant les 4 éléments
empruntés à sa chair (ou à sa crasse). :V[ais cette première genèse n'aboutit pas
car si l'appareil en forme de toupie et en bois d'acacia qui devait en être l'instru-
ment répandit bien dans le vide, conformément au plan prévu, tous les signes -
ou germes -
des êtres et des choses, il laissa échapper trop tàt l'élément eau'.
La cohésion des éléments de ce monde étant mal assurée, Amma le détruisit.
+ Les signes du deuxz'ème monde
Amma décida de créer un autre monde" ayant pour base l'homme" (RP : 93)
et formé selon une technique de mélange et de brassage des -t éléments. A l'inté-
rieur de l'œuf du monde, il entreprit donc de dessiner un nouveau plan de créa-
tion. S'étant tourné vers les potentialités créatrices d'une autre graine, cette fois
une graine de céréale, la graine de Digt'tan'a exitis 2 ou forno (po), et ayant conçu
le processus même de la création selon le modèle d'un mouvement spiraloïde, il
traça alors l'ensemble des signes du nou\\.-eau monde, en allant du centre à la
périphérie de l'œuf. D'un système graphique extrêmement complexe, nous ne

retiendrons ici que les caractéristiques suivantes: a) une division en -+ secteurs
indiquant les 4 clavicules d'Amma ; b) une répartition des 266 signes en -\\ séries
affectées aux futures graines (dont celle du po) et au lieu où s'élaborera le double
placenta d':\\mma (le «( sein l) ou l' ( assise Il d'Amma) ; c) une disposition en spirale
des 66 signes de la première série, symbolisant la formation de la graine ainsi que
le" mouvement même de la \\rie ; ci) l'existence d'une spirale centrale de 2~ signes
représentant le po, la graine dans le corps de laquelle Amma s'apprête à édifier
le monde; ,) le choix d'un nombre màle pour le sexe du po, soulignant que l'im-
pLÙsion à l'univers sera donnée par la Masculinité.
5. La mise en mouvement des s~'gnes dl' deuxième monde
Amma agit sur les signes qu'il venait de créer et cetre action eut pour effet d'in-
verser le sens de rotation de la spirale centrale..Animée d'un mouvement dextro-
gire, celle-ci cherchera une sortie hors de l' " assise" d'Am ma. On appelle cette
phase de la création" ouverture des yeux d'.-\\mma ", car la brèche que le créateur
fit dans son propre sein pour permettre la sortie de la spirale préfigu"üt son œil
qui devait plus tard éclairer l'existence cles choses en formation.
I.
L'Acacia albida ayant pour caractéristique de ne reverdir qu'à l'approche de la saisorI
sèche, tes Dogon considèrent qu'il peut [acih:m~nt se passer d'eau.
2.
La graine de Digitllria e;ritis, qui est minuscule, symbolise l'infiniment petit d'où sort
l'infiniment grand. Comme symbole de l'infiniment petit, elle a deux homologues: l'œuf dll
silure et l'étoile Digitari:l, un satellite de Sirius.


309
6. La création dt< po
Amma était comme la spirale centrale. En tournant sur lui-même, il p<itrit la
première graine de po. Prenam l'aspect du po Pi/II (fomo blanc), la graine se
plaça au centre de l'œuf. Pour la façonner, Amma a\\"ait repris à la graine du spi!}
ses 4 éléments et les avait brassés fortement pour assurer leur cohésion. Dans le
sein de la graine ainsi créee, il s'apprêta alors à édifier le nouveau mande1 .
7. L'apparition du mOl/vement vrObratoire
En brassant les 4 éléments, Amma provoqua à l'intérieur de la graine l'apparition
de 7 vibrations. Ces 7 \\"ibrations marquèrent li un tournant important des travaux
de création li (RF: 114) car enes constituaient ]a première forme de \\"'ie dont la
graine de po allait être tout à la fois le symbole et le support'. Conçu comme la
somme de 3 (chiffre masculin) et de 4 (chiffre féminin). le nombre 7 affecté aux
vibrations faisait ressortir la structure fondamentale de l'être, commune à Dieu
et à ses créatures, à sa,-'oir une union gémellaire entre la ~Iasculirüté et la Féminité.
8. La création des autres cêréales
Amma créa ensuite les autres céréales et d'abord les 8 principales d'entre elles
(dom l' pnmf ya ou sorgho femelle) comme témoins de la fécondité et de la capacité
de reproduction (ou parole) placées dans le po. Préfigurant les 8 ancêtres primor-
diaux des uibus dogon, ces 8 graines, en tant que signes d'intégrité, seront aussi
représentées ultérieurement dans les clavicules de l'homme qui, à l'image des
c1a\\~cules d'Amma constituant le système originel de suspension du monde,
marqueront le premier mode de différenciation de son organisation fœtale et
constitueront le système de suspension de l'ensemble de son squelette.
9. Les prerm·ères créatures vz'vantes (les N ommo)
Après la formation des graines, l'œuf d'Amma devint son propre placenta, un
placenta primordial scindé en deux parties jumelles préfigurant le ciel et la terre.
Poursuivant son œuvre, Amma créa au sein même du po ~t sous fonne de poissons
silures (anagQ1l1w) les premiers êtres proprement \\i\\·ants. Appelés nQmmQ ana-
grmw, ces silures célestes furent les prototypes de l'homme, puisque c'est d'abord
comme silure que le fœtus humain \\~VTa les premiers stades de son développement.
Comme la création d'un être unique, donc solitaire, aurait été incompatible
r.. Image de l'origine de la matière et du Dieu Amma lui-même. le po sera à ce titre
l'objet d'un interdit pour toute une categorie d'hommes, ceux qu'on appellera les inne omo
~ les hommes vivants ». En revanche il pourra être consommé impunément par les in17e
pUYU 1:. les hommes impurs Il.
2.
On se représente le développement de ces 7 vibrations a partir du noyau central
.comme le développement de 7 segments de grandeur croissante dont les extrêrnités se retrou-
vent nécessairement placées sur une spirale analogue à la spirale des signes du po. Dans un
tel agencement, le Je segment fiOlt par toucher l'enveloppe de la graine, puis, la faisant
éclater, par éjecter un se segment, ce dernier segment inaugurant le début d'une nouvelle
série de 7. L'engendrement du Se à partir du ï e est parfois conçu par les Dogon comme le
prototype de toute génération
de même que la Î'! vibration de la graine faisant éclater
l'enveloppe devient le germe de la tige, de même la semence de l'homme fait éclater le placenta
qu'il a lui-même fonné et donne ~ un nou .....el être répétant le géwteur D (RP: Il.f).

310
avec un idéal de perfection impliquant l'existence d'étres doubles et bisexués,
.-\\mma entreprit de façonner -1 couples de jumeaux mixtes. Il commença par
former deux couples de jumeaux androgynes mais à dominante màle, chaque
couple occupant l'un des deux placentas. Puis, procédant par dédoublements
successifs, il élabora il partir de la même matière placentaire les -1 jumelles
correspondantes.
Les deux jumeaux màles du placenta du haut, qui portent respectivement les
noms de n{Hnme di~ (< grand Nommo ll) et de npmmp titiyayn~ (f< messager du
Nomma n), resteront au ciel auprès d'.-\\mma. Le premier, en tant que lt régisseur li
du ciel-atmosphère, sera son grand vicaire; quant au second, il sera comme
l'exécuteur des hautes œuvres du premier et, à ce titre, son sacrificateur.
A l'un des jumeaux màles du placenta du bas, on donnera l'appellation soit
de Q ngmm{J (t Nomma de la mare li), soit de HQJnJt!Q s~mi (( Nomma sacrifié n).
C'est lui en effet qui sera sacrifié pour réparer les fautes de son jumeau ciirect,
celui qui était lové dans la même partie de l'œuf. Ressuscîcé sous fonne humaine
et descendu sur terre, il siégera dans les mares après avoir retrouvé sa forme
première de silure. Appelé Oga 50US sa forme de Nomma anagonno, le 4~ jumeau
sera, on le devine, le futur Renard Pâle ..-\\ la différence des trois autres, il ne sera
jamais représenté comme poisson car, avant même d'avoir atteint son 3.chève-
men t, il bOllsculera de fond en comble le plan d' .-\\mma.
S'il avait pu dre mené à terme, ce plan aurait dû aboutir à la formation
de· 8 créatures parfaites (qui auraient elles-mêmes donné naissance, sous fonne
d'hommes, à des créatures aussi parfaites), parfaites parce que pourvues des deux
attributs contenus dans la notion dogon d'intégrité: l'androgyrue et la gémellité.
Il en sera autrement, à cause de l'acte du jumeau mâle Ogo sortant a\\·ant terme,
donc incomplet, de l'oeuf du monde.
IO. OHverture des clavicull3s d' r:l mma
,,[ais un temps s'écoula ·entre la formation des Nommo màles et la révolte du
-te d'entre eux. Ce temps fut comme une autre étape dans la création -
conforme
au plan d'Amma -
du second monde. Si à ce stade, en effet, tout était déjà en
place dans l'œuf d'Amma, il restait encore à réaliser la création, en «( libérant )1
les choses concentrées en lui. C'est pour permettre cette libération qu'Amma dut
d'abord l( s'ouvrjr li. Tournant sur lui-même, il provoqua la séparation puis
l'écartement de ses clavicules jusqu'à présent encore soudées, préfigurant ainsi
l'espace et les ciirections carciinales d'un univers illimité (" l'oeuf d'.-\\mma écarté »).
OGa
II. La révolle d'Qga
Ogo se révolta alors même qu'Amma, s'étant c( ouvert 1), procédait à la ( réalisa-
tion )) des jumelles. Les motivations prêtées à cette cré:lture varient selon les
ver.slons mais semblent avoir pour traits dominants l'impatience de posséder sans
plus attendre sa jumelle (ou du moins son {( âme femL'ile H) encore en formation,
et surtout la volonté de rivaliser avec .-\\mrnCl en s'emparant à son profit elu monele
créé. En d'autres termes, la révolte d'Ogo contre Amma exprime autant la
méfiance que l'orgueil et ta démesure: il ne croit pas à la promesse que lui a faite
4

3II
son créateur de lui octroyer sa jumelle au moment de sa naissance (RP: 1;6) et,
simultanément, ne peut se satisfaire du destin qui lui est imparti, celui d'être créé
plutôt que créateur. Au départ, il va seulement chercher il capter les forces
créatrices de la première chose créée par Dieu, la graine de Sf1iç. ('est son premier
échec, car le monde qu'Amma, il titre d'essai, avait voulu façonner il panir de la
graine d'acacia n'ayant pas abouti, cette graine était depuis lors privée de tout
pouvoir créateur. Oga cherche alors à surprendre les secrets de l'univers en fonna-
tian (RP : 1;6), et d'abord le secret de la formation des graines. Animé d'une sone
de pulsion scopique, il se met en mouvement et parcourt l'univers qui est encore
le sein d'Amma. Comme au tenne de cette course il parvient à imiter (( le mouve-
ment spiralé vibratoire" (RP: 1;9) qui est le mouvement créateur par excellence
et d'abord celui qui anime la graine du po, il s'estime aussi savant qu'.-\\mma.
12.
La première descente d'Ogo
Le chàtiment qu'il reçoit pour ce défi lancé à l'œuvre d.i,oine (privation d'une
panie du timbre de sa voix) ne l'arrête pas dans sa tentative de l'égaler, car, pré-
cipitant son émancipation, il son brusquement de l'œuf du monde en arrachant
un morceau de son propre placent:a. Se servant de celui-ci comme d'une arche, il
se précipite dans l'espace, un espace encore plongé dans l'obscurité primord.iale.
Cet arrachement d'un morceau de placenta céleste était aussi un vol, le vol
d'une substance contenant la possibilité de reproduction de toute chose. Il espé-
rait y trouver sa jumelle en formation et pensait pouvoir ainsi recréer un monde
pour lui.
13. La l'ormailo" de la Terre
Sous l'action d'Amma, le morceau de placenta volé se transforma en terre, une
terre encore humide et sanglante. aga y pénétra dans l'espoir d'y retrouver sa
jumelle qu'il croyait avoir également arrachée du ciel. C'est ainsi que, parcourant
l'inttneur de la terre 3elon un mouvement qui répétait son parcours dans le sein
d'Amma, il y fit 5 rangées de 12 trous, déterminant ainsi le premier champ, com-
prenant 60 parcelles. Ce faisant, il tentait également de rendre le placenta terrestre
semblable à celui de Dieu, c'est-à-dire fécond et apte à recevoir bientôt les
semences futures. \\[ais en pénétrant dans la terre, matière de son placenta, aga
s'unissait à un avatar de sa mère et, par là, commettait un acte d'une teUe grav"ité
qu'il allait contribuer largement à compromettre l'ordre du monde.
Certes aga, par cette union, montra qu'il n'était pas stérile, puisque des êtres
appelés Yéban en furent issus. iIlais il dévoila en même temps les limites de son
pouvoir procréateur car ces Yéban, fruits de l'inceste, naquirent uniques (donc
incomplets), monstrueux (nains au corps d.ifforme) et incestueux, comme le furent
également les ~tres appelés .-\\ndoumboulou qu'eux-mêmes engendrèrent.
I..j.. La remontée d'Oga au, ciel et le vol des graines d'Amma
Insatisfait parce que habitant d'une terre improductive, aga remonta au ciel pour
retrouver et saisir le morceau de placenta contenant la jumeUe (ou l'àme jumeUe
perdue). Mais il échoua doublement car Amma, entre-temps, avait rendu ce pla-
centa inaccessible en le déplaçant et en le transformant en feu brûlant (préfigura-
tion du soleil) ; il avait en outre confié J" jumeUe d'aga au couple de l'autre

312
moitié de l'œuf. Oga ne réussit à se saisir que d'un tout petit iragment de son
placenta. Par une sorte de désir de compensation ou, selon une autre version,
dans l'illusion qu'il avait affaire au reste de son placenta, il vola alors S des
graines créées, dont le po pilll (fonio blanc), qu'il prit dans l'une des clavicules
d'Am maI Cette dernière céréale étant le germe du monde et le fondement de la
création, il e:ip~rait par le vol de cette substance ({ prendre possession de l'univers J)
(RP: 200). ~lais Amma contrecarra encore en partie son dessein en détournant
à temps d'autres graines essentielles, dont celle du sorgho ~mmi} ya, ainsi que
les graines femelles correspondant aux graines volées.
~Ialgré ces précautions.
l'acte d'Oga restait grave. Aussi. pour éviter de nouvelles atteintes à l'ordre des
choses, .\\mma remit toutes les choses créées dans la graine femelle du po pi/II,
à l'exception des Nomma et des graines femelles, iumel1es des graines volées.
15. La deuxième descente d'Ogo
Dans l'illusion qu'il avait compris l'essence d'.\\mma et qu'il. possédait la source
de toutes choses, Ogo, à l'aide de son petit morceau de placenta, la seconde arche,
redescendit sur la terre emportant avec lui les graines màles volées. ~Iais alors
qu'il s'apprêtait à semer ala volée les S graines dans le champ qu'il avait aupara-
vant préparé en creusant 60 trous, il ne réussit à les déposer que dans le trou nord-
est, qu'il recouvrit avec le petit morceau de placenta. Par suite de l'intervention
de la fourmi, agissant à la demande d'Amma, les graines furent bientôt retirées
il l'exception du po pd" mille.
16. L'écrasement dll placenta par le Nomma iitiyayne
~!ais, a l'instigation d'Amma, le Nommo titiyayne écrasa de son pied le morceau
de placenta et en provoqua ainsi le pourrissement. Ce geste devait être d'autant
plus lourd de conséquence que le sexe d'un génie chtonien Andoumboulou fut
écrasé en même temps. Le po réussit tout de même à germer mais, baignant dans
la (c pourriture du placenta et son humidité sanglante
il
J),
se transforma en fonia
rouge (po biInU) et ['impureté qu'il tenait déjà du fait même de son vol fut encore
renforcée'. Le principe femelle et la force ....itale de cette graine màle furent repris
et conservés par .\\mma. De plus, la terre, elle-même contaminée, devint pro-
gressivement sèche, impure, donc improductive. Enfin, l'écrasement du sexe d'un
Andoumboulou, donc l'annihilation de ses " forces vives " provoquera ulté-
rieurement la mort de celui-ci..\\insi la mort, jusqu'alors inconnue, s'installera
bientôt sur la terre d'Ogo, une mort qtü allait être comme" une rançon payée
à la: stérilité ",
Voler et semer la graine primordiale du second univers créé, c'était s'emparer
des semences de son père pour les déposer dans le sein de sa mère. De toutes les
transgressions d'Ogo, c'est cette dernière qui semble considérée comme la plus
gra ve par les doc teurs dogon'.
1.
Les autres graines volées furent: le petit mil, le sorgho blanc, deux autres variétés de
sorgho, le haricot, le riz et l'oseille.
~."Le fonio aux graines rouges fera l'objet d'un interdit particulièrement rigoureux.
3. Dans ses commentaires, G. Dieterlen insiste beaucoup sur (a gravité de cette faute.

313
LE SACRIFICE ET LA RÉSURRECTION DU NO"'IO
17. La nécessité d'une punfication du monde et le C/101'X du sacrifié
L'accumulation des fautes d'Oga comme les premières représailles du Nomma
titiyayne " troublèrent définitivement l'ordre du monde" (Dieterlen 1957 : lOg).
Pour y remédier, Amma pensa d'abord un moment procéder à une troisième crea-
tion en la confiant à l'autre couple de jumeaux, le couple céleste. Mais il renonça
car, le placenta dérobé étant devenu impur, il ne pou\\'ait sans risque le réintégrer
tel quel dans le nouvel univers. iIlais il ne pouvait non plus l'abandonner; il
décida donc de purifier le monde actuel et inaugura cette œuvre de purification
par l'éviration et le sacrifice du Nomma Semu qui s'était fonné dans la même partie
du placenta qu'Ogo et qu'il tenait pour indirectement responsable des actes de ce
deriller, et en particulier de son vol, dès lors que -
comme jumeau direct -
il
était de même essence que lui. Il désigna comme sacrificateur le Nomma titiyayne.
18. La séparation des âmes du sacrifié
Avant de faire procéder à l'é\\iration du Nommo, "mma accomplit sur lui deux
opérations préalables. Dans un premier temps, il sépara en deux ses quatre
\\( âmes de corps )), creant ainsi quatre ({ âmes de sese ;) associées i la procréation.
Ce geste préfigurait la transfonnation radicale des premiers êtres vivants créés

le passage d'êtres androgynes à des êtres de sexe différent. ~'!ais, en inaugurant la
séparation des sexes, il instaurait s.ussi la nécessité de l'union sexuelle pour la
reproduction. Ensuite Amma préleva les dents de la victime, afin de mettre en
réserve le siège de la parole -
considérée ici en tant que langage articulé, stade
qu'elle n'atteindra qu'ultérieurement.
tg. L'éviration du sacrifié
Le Nomma titiyayne entreprit ensuite l'acte d'éviration: plaçant Nomma Semu en
position assise au milieu de son placenta, il replia sa verge au-dessus de son cordon
ombilical et trancha l'ensemble. Ainsi, par un même geste, il sépara le sacrifié tant
de son placenta que de son sexe. Cette double séparation représentait symbolique-
ment la fonne des naissances futures: a) le sexe tranché marqua une seconde fois
ce qui avait déjà été symbolisé par la création des (( âmes de sexe )), à savoir la
règle de séparation des sexes, le passage du stade hermaphrodite au stade unisexué;
b) le placenta étant aussi le jumeau de l'être qu'il contenait, la séparatioll d'avec
ce placenta, donc la naissance, était (( l'image de l'interdit J) qui allait bientôt
s'attacher (( à l'union sexuelle d'un jumeau avec sa jumelle )1.
Du cordon du sacrifié devait naltre Sirius, l'étoile du Nommo ou, comme le
dit excellemment L. de Heusch (1968),,, l'homologue inverse du soleil, frère jumeau
dans le monde d'En-haut d'Ogo le terrien ". Quant au sang qui s'écoula du sexe
tranché, il revi\\i fia le morceau de placenta auquel restait attachée la victime, ainsi
que le fragment du placenta d'Ogo qui s'était transfonné en soleil; en outre, il fut
à l'origine de la formation de plusieurs étoiles et de planètes.
Puis, le sexe ayant été comprimé, Amma mit à part toutes les composantes
de la semertce (ou 8e parole dans la série nécessaire des 8) qu'il contenait (de l'eau

314
mâle et femelle, des haches de pluie, des perles d'alliance, des cauris, ainsi que
l'image de deux silures anagonno), dans l'intention de les miliser plus tard, en
même temps que les morceaux du corps sacrifié, pour la remise en marche de
l'univers. C'est notamment l'eau màle et femelle contenue dans le sexe qui bientôt
tombera sous forme de pluie sur la terre sèche d'Ogo. Mais déjà du sang était
tombé sur la terre, donnant naissance à une plante que les hommes utiliseront
pour les purifications.
20.
La deuxième remmûée d'Oga
Ogo, refusant de tirer la leçon de ses échecs précédents et croyant pouvoir profiter
de cette période de transidon qu'était l'éviration du Nomma son jumeau, remonta
au ·ciel pour la deuxième fois afin de reprendre sa jumelle et le reste de son pla-
centa. S',lpprochant de la victime sacrifiée, son jumeau, il réussit a dérober ses
quatre nouvelles I( âmes de sexe n, lesquelles se placèrent dans son prépuce quî,
quand les hommes seront créés, sera le support des ( âmes de sexe )J femelles. Il
voulait les donner à la graine du po qu'il avait semée mais qui était reslée impure
depuis qu'Amma lui avait préle\\;é 30n principe femelle_ Puis, avec 3a bouche, il
s'empara d'une partie de la semence du Nomrno Semu.
21. La ci1concisz'on d'Ogo
filais le Nomma titiyayne veillait et alors qu'Ogo s'enfuyait vers La terre, il lui
trancha le prépuce avec les dents, récLlpérant ainsi les âmes de sexe. Puis, brisant
les dents d'Ogo et marquant ainsi la perte de sa parole orale, il reprit également
la semence dérobée. Récupérées, les àmes de sexe allèrent se placer 3ur teIT~ près
de l'herbe purificatrice, en attendant leur affectation définitive dans l'arbre .hl"la
(Prosop'is africana). Tombant sur le phcenta du Nomma sacrifié, le sang de la
circoncision d'Ogo donnera naissance à la planète ~Iars. La circoncision d'Ogo
était un châtiment, l'arrachement du prépuce étant comme ( la rançon de celui du
placenta ". Le privant du :;upport phY'sique de la féminité, elle fit d'Oga un être
exclusivement màle, en même temps qu'elle consacra définitivement sa sépara-
tion d'avec sa jumelle. Privé à jamaiS de certains principes spirituels de sexe, il
sera, contrairement aux hommes, condamné au célibat et à la stérilité.
22.
La troisième et dernière descente d'Ogo
Les aventures célestes d'Ogo étaient maintenant terminées. Il redescendit donc
sur la terre pour la troisième et dernière fois et s'y fixa définitivement. Cet
établissement devait marquer une étape importante dans l'œuvre de création:
désormais, il s'agissait surtout de purifier, de réorganiser et de déployer le monde
existant confonnément à un plan qui ne sera plus remis en question.
23. La transformation d'Qgo dn Renard Pâle
Un nouveau destin commence maintenant pour Ogo car, à peine a-t-il atterri,
qu'Amma, le plaquant au sol et " l'obligeant à se mouvoir comme un quadru-
pède li, le transforme en YU1/lgu1 (({ Renard Pâle li). Les quatre pattes de l'animal
1. Du mot J't.tmgr', bien des étymologies sont proposées, mais on y retrouvera toujours
un sens commun, celui de voleur, de « voleur de mil n.

315
seront comme l'image de la déchéance d'Ogo, voué désormais à des allées et venues
incessantes sur une terre asséchée, à la recherche inÎructueuse de sa jumellel .
Après le sacrifice du Nomma, Yurugu ne retrouvera que deux âm~s de sexe,
donc seulement une pseudo-fécondité
il ne pourra engendrer que des animaux,
et un seul à la fois:l. 11 ne retrouvera jamais la parole orale et ne pourra (( parler l)
que grâce aux traces que ses pattes laisseront sur le sol (divination).

24. Principaux traits d'Ogo- YUTHgu
Révolu=, incestueux,
voleur, impatient, perpétuellement insatisfait, sa quête
infinie le conduit, de transgression en transgression, à se perdre lui-même. A l'imi-
tation d'Amma mais contre lui, il veut créer un monde parfait. mais il ne réalise
qu'une réplique ratée de l'œuvre du créateur: un monde sec, obscur, stérile ct im}ur,
bref un monde qui sera plus tard ce qu'est la brousse par rapport à la terre cultivée.
Châtié par Amma pour cette démesure et cette inconscience, il sera déchu et sa
déchéance sera symbolisée aux yeux de tous par sa forme animale (renard). sa
condition d'exilé (vie dans Jes fentes des cavernes, en brousse, à l'écart du village),
son destin mortel, et une double privation: celle de la parole orale et celle de deux
âmes de sexe, la seconde ayant pour conséquence une fécondité ratée (unipare
et n'engendrant que des animaux), c'est-à-dire une incomplétude fondamentale.
25. Lt: sacrifice du !VOnl1"HO
L'êviration du Nommo Semu, le jumeau antagoniste et complémentaire du
Renard, s'était montrée insuffisante pour régénérer un monde qui semblait voué à
la stérilité. La circoncision d'Ogo, opérée sans le consentement d'Amma, avait par
ailleurs provoqué un écoulement de sang impur sur les placentas céleste et terrestre.

Il falJait donc reprendre l'œuvre de purification. L·égorgement àe celui qui allait
être appelé à de,-enir « le symbole et le support" (RP : 283) du second monde remis
en ordre, son démembrement, son remembrement et sa résurrection furent les
principales étapes de ce nouveau travail d'Amma.
26. L'égorgement de la v'ictime
La ,ictime fut attachée à l'arbre kilena (Prosopis a/ricana) qui venait de naître du
cordon ombilical tranché lors de l'é,·iration et qui, à ce titre, ava.it le pouvoir de
fa.ire revivre ce qui est mort. Il y fut fixé debout, c'est-à-dire dans la position où
« l'agonie inflige la plus grande souffrance n. Puis le sacrificateur procéda à l'immo-
lation en lui tranchant la nuque et la nageoire pectorale. Le sang coulant sur la
\\ictime préfigura.it la pluie « alimentant ['univers et le débarrassant de toute
souillure n. Ainsi. ~ ce stade, le sacrifié représentait déjà la source Où s'abreuvent
toutes choses et qui lui valut le nom de Nomma (de nomo « fajre boire n).
De même que l'éviration et la circoncision, le sacrifice entraînera la création
et la mise en mouvement de toute une série d'astres qui seront« les témoins )) des
1,
Les DQgon se demandent comment le Renard peut se désaltérer en saison sè~he. Selon
les chasseurs, il ne vient jamais boire dans les mares mais seulement dans les flaques des
rochers {cl CALA:>Œ·GRL\\ULE Ig6S : 249}.

.
2.
Les Dogon croient que J'espèce renard est toujours unipare.

316
parties du corps successivement arrachées, tranchées ou prélevées. Le sang ayant
coulé sur le placenta sera à l'origine de la planète Jupiter. Les graines tombées de
leur réceptacle claviculaire engendreront différentes étoiles: de la graine po pila
(fonio blanc), sortie de la clavicule droite, naîtra l'étoile po tala « l'étoile du fonio ",
le premier compagnon de Sirius et, comnle la graine du même nom, le symbole
de l'origine de l'univers; de la graine enm, ya (sorgho femelle), sortie de la c1a vicule
gauche, naîtra l'étoile r}1mn~ ya tolo (( l'étoile du sorgho femelle il, autre compagnon
de Sirius et qui, comme la graine du mème nom, symboLisera l'action d'Amma pour
régénérer le deuxième monde. Avec les graines s'échapperont également les 8 prin-
cipes spirituels qui leur sont associés.

27. Partage d" corps du sacrifié
Le corps du sacrifié fut ensuite déplacé puis couché sur le dos. Il fut ouvert dans
le sens de la longueur et de la largeur de façon à détenniner 4 panies, témoins
des -l éléments. Dans ce corps béant, Amma préleva 7 organes imernes et les
déposa en différems endroits du placenta du Nommo et en divers points de la
« ligne de sang ) écoulé hors du placenta. Assimilés à ï
paroles, ces 7 organes
étaient mis de côté comme l'avait été le sexe (le Se organe), en attendant leur réin-
tégration dans un corps plein ressuscité.
~Iais ces 7 organes rappelaient également
les 7 vibrations de la graine du qui s'étaient déve!oppées autour àe son noyau
central. Répétant sur le corps du Nommo ce qu'il avait effectué sur l'infiniment
petit, .-\\mma, une fois de plus, reprenait ([ son œuvre sur les mêmes bases il
(RP: "94). En mettant en place les organes sur le placenta et la « ligne de sang ",
il \\~sait principalement à déterminer" la morphologie d'un univers spatial dom la
victime ressuscitée devait devenir le maitre et le régisseur: ses organes, donc les
, paroles " étaient par là même' étendus' sur l'espace de l'univers en rénovation»
(RP: "96). Du contact des organes et du sang épanché avec le placenta devaient
naître, en outre. toute une s.érie d'astres et de plantes qui seront utilisées par les
llOmmes pour des rites cathartiques (dont le pei", le cailcédrat). Le tableau ci-
dessous indjque les organes internes prélevés, les fonctions respectives qu'ils rem-
plissent dans la production de la « parole ", les lieux où ils furent placés et mis
en réserve et les astres auxquels ils donnèrent naissance.
;VIais le démembrement n'était pas encore achevé. La peau fut retirée et la
masse restante d'organes, de chair et d'os fut partagée en 60 éléments compre-
nant notamment, outre la tête et les dents, les articulations et les principaux
organes des sens. Le nombre 60 rappelait la morphologie fondamentale du pla-
centa d'Amma et les parcelles de la terre primordiale découpées par Ogo. Les
dents, la langue et les nageoires pectorales furent temporairement conservéès au
ciel. Les dents et la langue seront restituées au ressuscité après les premières pluies,
en même temps que les divers éléments de sa semence. Dans l'une des nageoires

pectorales, ....mma mit les graines tombées des clavicules. L·os deviendra plus tard
la maSse du forgeron. De tous les autres morceaux de la victime, Amma fit faire
7 tas et les fit recouvrir de la peau (le sacrifice répétait une fois de plus les actes
fondamentaux de la création puisque le nombre ï rappelait les 7 vibrations de
la graine de pô).

317
Organes
Fonctions liées à la parole
Lieux de dtpôt
A stres témoins
prélevés
1
1
1
Foie
siège de la force vitale; lieu d'éjec~
est du placenta
Baudrier d'Orion
1 tion de la parole u cxtüieure Il
Rate
régulateur et puri fica teur des
1
paroles· nord-ouest
Épée d'Orion
éjectées par le foie
1
Reins
associés à la procréation
nord-est
1
Pléiades
1
1
Poumons
associés à la parole que le ~ommo res-
sud-ouest
Étoile du Lion
suscité soufflera dans l'eJ.u ainsi qu'à
la '1 parole blanche II qu'il tissera pour
la révéler aux hommes
Intestins i associés à la distribution et à la sélec-
sud-est
1
Étoile
du
Che-
1
tian des nourritures passant dans le
'·'rier
1
sang et à ce titre au , partage des
1
i paroles ,
1
1
1-
1
Cœur
1 associé
par ses battements à la dis-
sur la li" ligne de
1
(ribution des paroles dans le sang
sang • où avait
déjà surgi l'.§toi-
1
1 le
du
, sorgho
femelle 11
1
1
Pancréas
associé au cœur dont
il représente
il l'exuémité de
1
~ l'œil 11 et, à ce titre, siège de l'jatui·
la
1
" Ligne de
tian. de l'inspiration (di..... ination)
sang n où avait
déjà surgi Vénus
1
28. Projection des parties du corps dans ["espace
Les morceaux du corps furent transportés au sud, là où s'était arrêté l'écoulement
du sang à la suite de l'êviration. et l'ensemble fut réduit à 4 tas. En ce lieu, Amma
ouvrit alors le ciel (ouverture rappelant les" yelLx H) et fit jeter dans les 4 directions
de l'espace les morceaux du corps dépecé1 Il cherchait ainsi à" purifier l'espace,
les quatre points cardinaux et la terre du Renard" (RP: 301)- Les fragments du
corps se rassemblèrent sur la terre autour de la dépression destinée à former la
première mare. Après les premières pluies, pousseront en ce lieu 4 arbres, avatars
des 4 tas: le kariré. le baobab. le flamboyant et le Lannea acida (respectivement
1. Le partage en quatre tas et le jet dans l'espace sont rappelés annuellement lors d'un
sacrifice exécuté au solstice d'hi'\\'er. Des paroles alors prononcées, retenons:« L'animal qu'on
a sacrifié [... ] et partagé [... ] entre les quatre hommes âgés, c'est comme Amma qui a partagé
le corps du Nomma sacrifié et l'a lancé aux quatre angles cardinaux de l'espace en quatre
morceaux qui ont poussé comme quatre arbres de la mare n (RF.' 301).

3I8
le tronc, les reins, les jambes et la têre du Nomma). La nuque et les yeux resteront
dans la Voie Lactée, " témoignant de la surveillance qu'eUe exercera [...] sur la
marche [...] de l'univers n.
29. Rassemblement des organes et résurrection da Nomma
L'espace dêsormais purifié et la « dispersion cathartique )J maintenant operee,
Amma" rassembla les organes du sacrifié et Je ressuscita n. Il voulait le projeter à
nouveau dans l'ou\\'erture céleste, mais cette fois comme corps plein. Son intention
était de faire de l'univers un autre" corps du Nommo déterminé dans ses caté-
gories par les parties correspondantes de ce corps n. " Le Nommo a fait passer son
corps au monde n, c'est par cette étonnante formule que les Dogon expriment leur
conception d'un urllvers régénéré comme produit d'un corps sacrifié remembré
(RP: 305). Silure hermaphrodite jusqu'au sacrifice, le Nommo fut ressuscité sous
la forme de jumeaux humains mixtes. Pour cette résurrection, A.mma procéda
ainsi: plaçant les ï organes internes au cenue du placenta oü avaient été tran-
chés le cordon ombilical et le sexe. il préleva la " terre n du placenta la plus chargée
de force vitale (ceUe qui se trouvait aux endroits où avait coulé le sang de l'é,'ira-
tion et où avaient été d'abord posés les organes), puis il pétrit et mélangea le tout.
Ainsi le Nommo était refait de la matière la plus pure. Dans un second moment, il
conféra au ressuscité 8 àmes de corps et de sexe, le nyama (force vitale) et les
8 graines des clavicules. Il canser,,'a momentanément ce qui était dans sa semence,
dont l'eau qui formera la premiere mare sur la terre. Le Nomma ressuscité sous
forme de jumeaux humains de .sexe opposé restera au ciel jusqu'au moment où
les premiers hommes seront créés ..-\\.vec la résurrection du Nomma, le passage du
stade poisson au stade humain et du stade hermaphrodite au stade unisexué,
jusqu'alors seulement préfiguré, était maintenant réalisé. Diverses figures peintes
exécutées sur la façade de certains sanctuaires ou sur certains autels représentent
le sacrifice. et la résurrection du Nommo et rappeUent " son rôle de moniteur de
l'univers, de père des êtres humains, de gardien de leurs principes spirituels, de
dispensateur de la pluie et de maitre de l'eau n. C'est ainsi que sur la façade du
sanctuaire du binu de Goummoyana, on dessine en bouillie de ionio 22 figures,
représentant les 22 "articulations du Nomma, 12 figures à droite de la porte et
10 à gauche. Le contrôle des organes-paroles du Renard par les organes-paroles
du Nommo est ici, entre autres, symbolisé, puisque 12 est le compte de Yurugu.
i'ilais le chiffre 22 rappelle ou préfigure d'autres faits de la création: al les 22 signes
du corps et du sexe du po .. b) les 22 futures paroles" orales" qu'après la descente
de l'arche le Nommo tissera dans ['eau à travers ses dents; c) les 22 clans fonda-
mentaux entre lesquels se divisera la société dogon. avec les 22 ({ totems II qui leur
correspondent' ; d) les 22 tranSès que tout postulant au titre de Hogon devra
subiL Outre ces figures de sanctuaires, la morphologie des autels et des pierres
levées situées sur la place de viUage dite lçbf dala, reproduira la disposition des
organes placés après le dépècement sur le placenta et sur la ligne de sang. D'une
manière générale, un vaste système d'icônes, d'emblèmes et de symboles donnera
à ,,"'oir la relation entre le placenta. les organes "ritaux du Nomma, les astres aux-
quels ils donfèent naissance, les plantes et les animaux nés du sang sac ri fieiel, les
I.
Lors du partage des ( totems 1> on procédera. à. la division des objets rituels selon le
schème de la division du corps du Nomma.

319
hommes fonnés avec la matière du placenta, d'une part, l'organisation de l'espace
et du temps ainsi que la structure sociale, d'autre part.
30. La créaûon des hommesl
Après avoir, au ciel, pétri le Nomma, Amma pétrit aussi, avec la matière du pla-
centa, les premiers ancètres des hommes: 4 jumeaux mâles et leurs 4 jumelles.
.\\ ppelés collectivemen t lUlHm ({ fils J) (c'est-à-dire fils du Nommo, le (( père ))), ils sont
aussi connus sous les noms ind.i\\'iduels suivants: Amma Sérau et sa jumelle gç sa,
Lébé Sérau, Ginou Serou, Dyorrgou Séroll, et leurs jumelles: ya sa. Comme le
Nomma, leur père, les WUlm furent d'abord créés sous forme de poissons silures
sans articulations, Îorme qui sera ~galement celle des hommes historiques au
stade fœtal. ;\\lais entre la création des Nomma silures (Nomma anagonno) et celle
des premiers hommes silures sans articulations (anagQ1l1W bilç) , il Y eut cependant
des clifiérences importantes. Tout d'abord les anagç"uo bile ne furent pas façonnés
comme des êtres androgy'nes, mais séparément comme mâles et femelles. En outre
Amma ordonna sa création dans l'ordre de succession mâle-femelle, et non, comme
précédemment, dans l'ordre inverse. Enfin il commença le poisson femelle par le
clitoris et le poisson mâle par la clavicule. Poissons silures sans articulations
(anagçnno bilf) lorsqu'ils furent créés au ciel, poissons silures avec articulations
(anagçnno sala) lorsque l'arche qui les contiendra se posera sur la terre, ils ne
prendront forme humaine que lorsqu'ils se déplaceront pour la première fois sur
la terre du Renard. L'ontogenèse rappellera la phvlogenèse, puisque, évoluant
d'abord comme silure, l'enfant ne recevra ses articulations qu'avec L'imposition
de son premier nom, Recevant d'abord 7 articulations, il en aura 22 au stade
adulte. C'est dire ou'il aura non seulement les la articulations du Nomma mais
aussi les 12 du Re{,ard. Ce chifire svmbolisera la nature mélangée de l'homme:
un mixte de Nomma, évoluant dans'un milieu aquatique. et de Renard, se dépla-
çant sur une terre asséchée et stérile.
Après avoir façonné les corps des premiers ancêtres UnH1n, Amma leur coniéra
leurs + âmes de corps, témoins de la présence des + éléments du placenta. Ces
principes spirituels de corps se rattachaient aux épisodes concernant le placenta
originel: les âmes intelEgentes mâle et femelle représentaient le placenta jumeau
du Nomma; l'âme rampante femelle, la partie du placenta volé par le Renard;
l'âme rampante mâle, la partie non volée transionnée en soleil. Provenant du
Nomma sacrifié, volées par Ogo, puis reprises par le Nomma titiyayne, les +âmes
de sexe leur furent également attribuées. Mais parmi les + ancétres mâles, seuls
les 3 aînés reçurent leurs principes au complet. Dl'ongou Sérou, le cadet, n'eut
que 2 âmes de sexe car Amma redonnera les '2 autres âmes complémentaires au
Renard. Cet ancétre, on le verra, n'engendra jamais de jumeaux.
31. La création des ancêtres des gens de caste et de Yasigui
Avec la matière placentaire du sacrifié ou du Renard et avec le sang du sacrifice,
Amma modela ensuite les ancétres du forgeron, du griot et du cordonnier, ainsi
que Yasigui, la jumelle d'Ogo. Le Forgeron et le Griot jurent respectivement
issus, le premier, du reste du cordon du Nomma encore attaché au placenta, le
second, du placenta pris sur le lieu où le Nomma avait été égorgé et du sang qui
1.
l\\~OUS résumons désormais à très grands traits les épisodes suivants.

320
s'était écoulé' de la gorge de ce dernier. Ainsi faits de ( sang mélangé n, leurs descen-
dants ne pourront se marier avec les descendants des HtW';n faits d'un sang pur
de toUt mélange. Ils joueront cependant un rôle éminent, car le sang du sacrifice
primordial dont ils auront été faits les placera au méme niveau généalogique que
les Nommo. Le Cordonnier sera créé avec le reste du cordon ombilical du Renard
et recevra dans ses clavicules le fa ma rendu impur et rouge par le Fauteur du
désordre. Considérés comme jumeaux du Renard, ses descendants seront appré-
hendés comme des êtres impurs. Quant à Yasigui, elle fut créée avec la partie de
placenta du sacrifié prélevée sur le lieu où avait coulé le sang de la circoncision
d'Ogo. Ainsi fut-elle faite d'éléments relevant des deux jumeaux initiaux. Les
principes spirituels qui lui furent attribués furent eux-mêmes prélevés sur la partie
du placenta d'Ogo transformée en soleil.
3~. Le Iravail da po plla
Parallèlement au travail d'Amma relatif à la création des êtres vivants et au
sacrifice du Nomma suivi de sa résurrection, se poursuivait le travail du po pillt.
Nous avons vu que, pour éviter de nouve:lllX vols d'Ogo, Amma avait place un à un
dans la graine femelle du po pil" presque tous les éléments de la création. Comme
la graine s'enroulait autDur d'elle-même, les éléments pris dans les spires se sont
placés à la suite les uns des autres et se sont eux-mêmes enroulés en spirale. Au fur
et à mesure de l'introduction de ces éléments, le po qui les contenait « s'étendait
lui-même [...] jusqu'à atteindre la Limite du sein d'.-\\.mma » (RP : 388)'. L'assise
d'Amma ( tenait le po serré comme un resson [... ] mais lorsque Amma s'ouvrit
(ouverture des clavicules d'Amma), le ressort se détendit et le po éclata pour libérer
ce qu'il contenait L... ] La spirale se déroula alors dans l'autre sens" (RP : 390).
Perçant l'assise d'Amma, les choses se mirent à sonir vers le sud et à se répandre
dans l'arche qu'Amma, entre-temps, avait façonnée avec le reste du placenta du
sacrifié et dans laquelle il se proposait de faire entrer le ressuscité et les unum
afin de les faire descendre sur la terre du Renard. « Le po fut entièrement vidé de
son contenu qu'il libéra dans l'arche. " .-\\.insi peut-on dire que si ,-\\.mma a créé le
monde, « c'est le po qu'il a chargé de le promouvoir [.,.] Il a parachevé l'œuvre
d',-\\.mma". Les Dogon disent: « Le po a fait naitre le monde en tournant" (RP: 393).
33, L'arche dit !.Vommo
La nouvelle arche façonnée par Amma était molle et humide comme le placenta
du Nommo dont elle était faite. Contrairement au placenta d'Ogo, le placenta du
Nommo n'avait pas subi de ( déchirures ll. L'arche était donc essentiellement pure,
elle était (( terre pure)l ou (( terre du jour du poisson J). En descendant, cette (( terre
du poisson n se plaquera sur la terre du Renard et s'étendra progressivement sur
elle « au fur et il mesure du développement de l'agriculture, laquelle constituera
une purification du sol souillé par le vol et l'inceste ". Cet édifice céleste compDr-
tait 60 companiments, autant que de trous creusés par le Renard dans le sol,
dans lesquels se répartissaient ( tous les ètres et manières d'ètre, classés en caté-
gories dont les 23 premières sont seules connues lI, Ces 22 catégories étaient paral-
I.
Il faudrait ajouter que c'est en recevant leur nom que les choses se sont mises ainsi
à tourner. Signalons en outre qu'en \\( plaçant les choses dans le Ammaleur adjoignit leur
placenta qu'il avait jusque.là conservé par-devers lui JI.

.321
lèles aux 22 parties du corps du l\\~ommD ressuscité et aux 22 catégories classant
les éléments de l'univers déversés par le po'. Au centre de l'arche, et placé il. cOté
du Prosopl:S aJricana et àu callcédrat, se tenait le ?\\r ommo mâle ressuscité (sa
jumelle descendra plus tard); à l'ouest et à côté de l'acacia s§n§ et du baobab était
Amma Serou aveC sa jumelle gQ sa; au nord, à l'est et au sud se distrihuaient
Lébé Séroil, Binoll Sérail et Dyongou Séroil, chacun avec sa jumelle propre.
Chacun des "num reçut l'une des 8 céréales principales cultivées par les Dogon.
Amma fit sortir l'arche de son sein par l'ouverture qu'il avait aménagée dans le
ciel pour la sortie du soleil. Suspendue aU bout d'une chaine, elle descendit en se
balançant dans l'espace pendant 8 périodes. Par le mouvement qui lui était ainsi
imprimé, le Nomma détermina les quatre points cardinaux et les C]uatre périodes
du temps. En méme temps, il " clama la parole" qui, d'abord placée dans le
pô pilu. lui avait été transmise dans ses organes.
J
34. L'arche sur la terre
L'arche se posa de nuit sur la terre sèche du Renard. L'atterrissage provoqua un
choc violent qui donna au sol sa forme tourmentée. Tout d'abord l'arche glissa
car, issue du placenta du Nomma, elle était faite d'une terre humide et molle.
De rouge qu'il était (li s'était ennammé au contact du soleil) le Nomma devint
blanc en touchant le sol dont il prit possession en écrasant le champ du Renard.
.-\\près le Nomma, tous les êtres qui se trouvaient sur l'arche descendirent successi-
vement. C'est alors qu'Amma ayant fait remonter la chaîne et refermer le ciel,
les hommes assistèrent au premier lever du soleil. Ce de:-r..ier sertit à l'est et éc1aîra
l'univers jusqu'alors plongé dans une totale obscurité. Désonnais le lever et le
coucher du soleil seront les témoins de l'arrivée de l'arche et de la présence puri-
ficaüice du l'."ommo. Transformé pour un temps en cheval, le Nomma tira l'arche
jusqu'à la dépression qui, sur terre, était témoin de l'ouverture du ciel. La semence
du Nomma, jusqu'alors conservée par Amma, tomba sur la terre sous forme:
de pluie et remplit la dépression. La première mare étant ainsi appame, l'arche
y flotta comme une immense pirogue. Pénétrant dans l'élément eau, contenu de
sa semence, le Nomma reprit sa fOlffie première de Nomma anagonno (ou Nomma
silure). Quant au Renard, qui se tenait jusque-là à l'endroit de son placenta, il
fut aveuglé par le soleil et s'enfuit dans une caverne pour fuir son jumeau le
Nomma. La descente: de l'arche coïncida avec la dispersion des astff~s P.t amorça
leurs révolutions. Comme le soleil, toutes les étoiles sortirent du sein d'Amma.
Reste du placenta du Renard, le soleil d'abord conservé par Amma fut confié au
Nommo. Dans la position zénithale, il manifestera (( de façon éclatante le pouvoir
du Nomma maintenant sa trajectoire su:: la terre du Renard ll.
35. La descenie des autres ancêtres
Après la descente de l'arche, les autres ancêtres, ceux qui ne se trouvaient pas sur
l'appareil, descendirent à leur tour. Amma donnera l'ordre au Forgeron de des-
cendre le premier au titre de jumeau du Nomma en se servant des éléments du
sexe du sacrifié -
pénis et testicules vides -
comme d'un support. " Il mettra ses
deux bras dans les deux testicules et ses jambes le long de sa verge. Il apportera
avec lui sa masse faite du bra~ tranché du sacrifié et qui contenait 8 graines. Il
1. Vingt-deux catégories à. travers lesquelles Amma avait situé: toute sa cré,üioD.

322
descendra sur la terre accompagné de sa propre jumelle et de Yasa, la jumelle
du ressuscité. Cette dernière, llne fois sur terre, ira bienrôt rejoindre dans sa marE
son jumeau direct et s'y métamorphosera en silure. En dernier lieu, descendront
le griot et le cordonnier, eux aussi avec leur jumelle. Le griot emportera avec lui
le cràne du sacrifié, dont il fera son premier tambour. )
36. La jermeilire des cLaviCllLes d'Amma
Après la descente de l'arche et celle, qui la sui,it, des ancètres qui ne s'y trou-
vaient pas, il ne restait plus dans le sein d'Amma que les graines de calebasse et
d'hibiscus (( que le po n'avait pas entrainées avec lui en s'enroulant, ni déversées
sur l'arche en se déroulant »). Ces graines, qui n'avaient pas été placées dans les
clavicules du sacrifié, descendirent seules et leur descente marqua la fin du cycle
de la seconde création d'.-\\mma. L'Univers tout entier étant sorti du sein d'Amma,
tout était accompli. Arnma décida alors de (( garder par-de",.ers lui les signes prin-
cipaux -
soit 2'2 -
connOlant tes éléments et ~es étapes essernielles de la sèconde
création et la ' vie ' de l'univers; il plaça ces signes dans ses clavicules ouvertes
aux quatre points cardinaux )). Ces 22 signes équivalant théoriquement aux
266 signes primordiaux, ils représentaient donc tous les éléments de la cré~Ltion,
y compris les créatures \\t"'Ï\\t'antes. Ayant ainsi agi, (( Amma se refe[7lla )) : ses cla-
,-icules se replièrent et l'ensemble reprit la forme initiale de l'œuf. .-\\insi ".-\\mma
[garda] par-devers lui' la moitié' de la vie du monde )). Depuis lors, il siège dans
l'espace au milieu du ciel, d'otl il v~il1e sur l'univers. Bien qu'il ait remis ({ la
presque totalité de ses pouvoirs aux Nommo n, la \\t"'Ïe du second monde ne trouve
«
sa garantie n que dans les 22 signes inscrits dans les clavicules refènnées. La
possession absolue de ces signes confère à Amma ({ le pou voir de dé truire son
œuvre, à sa volonté Jl.
37. Les preutières années de l' !t-umanité sur ta terre1
Née des unions des ancêtres de l'arche, l'humanité se développa et la vie s'organisa
sur la terre. Les périodes de cette organisation s'étendirent sur les j premières
générations des -+ lignages issus de Nomma et des 8 ancétres mythiques. Elles
furent marquées par l'extension et la répartition des terres cultivables, la défini-
tion des règles des mariages et le développement des techniques. Liées aux événe-
ments intéressant les individus issus des -1- premiers couples, apparurent toutes
les institutions sociales et religieuses. Ces événements furent centrés sur la reprise
par les hommes de la graine de fonio dérobée par le Renard. C'est par le mariage
que s'effectua l'association des -+ points cardinaux, des" éléments et des contenus
claviçulaires des intéressés.
Faisant suite cl la première génération ba, qui est celle des Nommo pratiquant
le mariage idéal a veç la j umeU~, la génération des unum, qui est celle des 3 ancêtres,
pratiqua (( le mariage de l'échange n. Les :+ frères échangèrent, en effet, leurs
jumelles deux à deux. Les deux groupes complémentaires, Amma Sérau et Lébé
Sérou, d'une part, Binou Sérau et Dyongou Sérou, d'autre part,
de,inrent
I. L'histoire des soix:lnte-six premières :lnnées de l'humanité doit ètre traitée d:lns le
second fascicule du premîer volume du Rt'ttayd P1.k Le récit plus que succinct que nous
donnons ici est résumé à partir de ['article de Mme DIETERLE~
« Par~nté et ma·
nage... D (1957).

mangu, Un même mouvement présida au développement des naissances et à la
répanition des champs: les naissances gémellaires sanctionnèrent la culture en

commun des difiercnts lignages, les naissances uCliques résultèrent de la division
des champs et des récoltes.
Dyongou Sérou ne put procréer de jumeaux car il avair cultivé et récolté seul
le fonio rouge du R"nard. DC\\'enu d'autant plus impur qu'il avait, par ailleurs,
contracté un mariage avec Yasigui, la jumelle du Renard, il fut sacrifié. Ce
sacrifice n'ayant pas été sui\\'i d'une résurrecrion, la mort fit ainsi son apparition
pour la première fois.
Yasigui, intronisée Yasiguiné pendant les funéraiiles de Dyongou S~rou,
perdit son impureté. Elle épousa Binou Sérou et eut de lui un fils, nommé Mauna.
Ce dernier, désigné par Dyongou Sérou, le premier mort, comme son lia ni (répon-
dant). devint le premier '''''' P"nI (homme qui tOuche à l'impureté).
Au cours des 3 générations qui succédèrent aux """",. se dév'eloppèrent pro-
gressi\\'ement toutes les formes n'alliances matrimoniales licites dans la société
dogon (mariages "ntre cousins croisés, mariages obliques. lévirat, etc.) qui devaient
aboutir il l'échange généralisé. Décisifs furent. dans la détermination des formes
de mariage, les critères liés à la répartition et à l'usufruit des champs ainsi qu'aux
contenus claviculaîres des conjoints. Un dessin rituel figurant à la fois «( le partage
des champs et des mariages" est exécuté lors d" la cérémonie qui précède I"s
semailles, dans le sanctuaire du Binou ,,[anda à Orosongo.

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