l î...•.
, ,
!
~
Djibri1
SAMB
(Membre Correspondant de la Société Hellenique des
Etudes Philosophiques)
ETHIQUE
ET
TECHNIQUES
dans
THESE
présentée pour l'obtention
Pra.t ique
des Hautes Etudes
(Vèrne Section),
sous la direction èe
Monsieur P.
HADOT
Directeur d'Etudes à l'E.P.H.E.
et
Professeur au Collège de France.
L Th. 182
-
1983 -

2
DEDICACE
ET
REMERCIEMENTS
Ce
travail est dédié
-
â Madame Genevi~ve Dubarry de Lassalle qui, avant de de~~~
une amie qui nous est
particuli~rement ch~re, fut tout d'~-"
notre condisciple à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.
-
â Monsieur Victor Goldschmidt que nous n'eûmes pas
le
bonheur de connaître personnellement,
mais dont la lectur~ :'
oeuvres si profondes et si lucides détermina,
en partie,
vocation dans les Etudes
~latoniciennc3.
Quant a nos
remerciements,
ils s'adressent
_
premier lieu à Monsieur Le Professeur P.
Hadot,
notre mai:~~
de l'Ecole des Hautes Etudes,
qui nous a fait,
ainsi
qu'à
notre pays,
le grand honneur de placer ce modeste travail 5J
sa Haute et Eminente direction scientifique et morale.
Nous savonS pertinemment ne devoir
ce privil~ge qu'à sa
bonté personnelle et non â nos mérites scientifiques
prop~=~
A ces
remerciements,
nous associons Monsieur Le Professeu~ ~
Aubenquê,
notre maître de la Sorbonne,
qui s'est vive~ent
intéressé â notre travail et
ne nous a
jamais compté
ses

3
encouragements bienfaisants ainsi que
tous nos condisciplE=
de l'Ecole des Hautes Etudes -
les savants -
qui nous ont
témoigné leur fraternelle
sympathie,
et enfin,
Mademoisel:~
Masson du Centre Léon Robin qui,
avec sa diligence et
sa
générosité coutumières,
nous a recommandé à Madame Groult
qui a
bien voul~avec compétence et dévouement,
se charger lE
la dactylographie de ce travail.

,
*
Liste
des
principales abréviations
des
noms
de Revues
ou
titres
d'Ouvrages
utilisés:
C.Q.
Classical Quarterly
R.E.G.
:
Revue des
Etudes Grecques
E.C.
Les
Etudes Classiques
R.M.M.
:
Revue
de Métaphysique et
de Morale
A.C.
Antiquité Classique
O.G.A.:
Origin of
the Greater
Alcibiades
I.F.
Information Littéraire
P.T.I.
Plato's Theory of
Ideas
R.H.R.
Revue
de
l'Histoire
des Religions
La
P.
G.
:
La Pensée Grecque.
W.P.S.
What
Plato Said
H.E.A.
Histoire de
l'Education dans
l'Antiquité
D.P.E.:
The Development
of
Plato's
Ethics
P.D.R.A.
Philosophie,
Dialectique et Rhétorique dans
l'Antiquité.
D.P.
:
Les Dialogues de
Platon
H.G.:Histoire Grecque
* Selon leur ordre d'apparition.

5
" Ce que la Grèce a pensé,
elle
l'a
pensé non pour elle-même ni
pour ~~e
caste,
mais pour l'humanité
toute
entière."
ct)
ct) J. Denis. Histoire des théories et des idées mo~ales :~:
l'Antiquité,
T.l,
Paris,
Durand,
1856,
p.2.

6
-
INTRODUC nON -
§
1. La destinée de l'Alcibiade Premier est bien Sl~5t
liêre. Considéré par la Tradition (1) comme l'un des dialc~u(
les plus authentiquement platoniciens au point de servir
d'ouvrage introductif (2) à l'étude des oeuvres de Platon, i]
(1). OLYMPIODORE,
EIE TON ITAATnNOE ITPnTON AAKIBIA~HN,
éd.
:~
F. Greuzer, MDCCCXX,
p.1;
PROCLUS DIADOCHUS. Commentarv OD :t
First Alcibiades of Plato,
ed.
de L.G. Westerink,
Amsterda~.
1
1954; R. WEIL cf.
l'Information littéraire,
1964,
p.75;
FRIEDLANDER, Plato - The Dialogues.
First period,
Bollinge~
Series Pantheon Books,
II,
1964 *2*,
p.23l.
(2).
W.O'NEIL,
ed.
du Commentaire de PROCLUS,
The Hag~e, 1 : - T
- ' ,
Introduction,
p.VIII "The Alcibiades was regarded by the
platonic school
as
the dialogue
which
served as
the most
fitting
introduction
to Plato's thought",
id pp.5,
7;
JAMBLIQUE,
Prolog_
__P_h---=-i...::.l_--'--
-"-P-=l:..,:a:,.;t::;....;;;:-:.... , pp.
2 1 9 ,
29, ed.
Hermann; TAYLOR,
Plato,
the Man and his Work,
Lond~~,
1926,
p.13;
P.BOYANCE, Cicéron et le Premier Alcibiade,
Re~~e
~es Etudes Latines, XLI,
1963,
p.219.

7
s'est vu,
au siècle dernier,
avec l'engouement de l'érudit:jn
allemande d'alors pour l'athétèse,
discrédité
par une vaguE
de suspicions tendant à
le classer
parmi les dialogues
apocryphes.
Comme l'écrit FRIEDLANDER:" Schleiermacher
was
the
first
to regard it with strong antipathy,
as un-Platon::·
(3).
D'autres érudits éminents comme JAEGER lui emboitèren:
le pas.
Comme bier
l'on pense,
sous l'impulsion de ces
savants,
les adversaires de
l'authenticité formèrent
une
impressionnante et respectable armée.
Certain~chercheurs n :n
pas manqué d'insister sur le nombre (4) considérable des
adversaires de l'authenticité non sans "pensées de derrièr:=
la
t~te~~ ~ais on sait depuis le Lach~s qu'une question
d'intérêt scientifique ne se résoud
pas aux voix (6),
car __
(3).
Ad
lC(..- ciL
p.231;
id ap.
A.
MOTTE in Antiguité Clas-
sique,
"Pour l'authenticité du Premier Alcibiade",
BruxellE3,
1961,
p.S.
(4).
DE STRYCKER in Les Etudes Classiques,
TXI,
"Platonica
J:
l'authenticité du Premier Alcibiade",
pp.
136-7,
1942.
(5).
L'expression est de PLATON.
(6).
De PLATON à ARISTOTE,
l'opinion n'a d'autre loi
q~e
celle du nombre.
cf.
ARISTOTE,
L'Ethigue à Eudème,
1232 b6.

8
vérité est,
d'une certaine
façon,
anti-démocratique,
en tc~:
cas non-démocratique.
A la
règle du nombre qui est celle ce
la Démocratie Athénienne,
PLATON substitue celle de l'expe~:
fondÉe sur la compétence
(7).
Aussi
bien importe-t-il
peu
que la majorité(8)
des plus grands
platonisants ait frappÉ
d'inauthenticité notre dialogue.
§
2.
En tout cas
la différence de la
plupart
dE:
dialogues qui
encoururent
alors
une sentence d'excommunica-
tion,
il
ne
fut
pas réhabilité dans
la suite
par tous
les
commentateurs" (9).
Cependant,
il n'a
pas manque de bons
esprits do) pour plaider fortement la paternité de PLÂTO~. _
1 ' in s t a r
deI a T:- a dit ion
(§ 1 n. 1 ).
La
pol é mi que sur l ' au the ~ -
(7).
Après son refus de se
plier à
la loi du suffrage,
)
SOCRATE déclare: )ETI10t~U~ y&p otual 6Et Kp{vEoBal,
~ÀÀ) 0_
,
"
.....
1
TIÀnBEl
TO UEÀÀOV KaÀW! KplBnOEoBal,
Lachès 184e 8-9.
(8).
C'est ce que constate P.
CLARK,
voir Classical Quarte~~
de July-October,
NSV,
1955,
p.231.
(9).
A.
MOTTE,
op.
cit.
(§\\n.3),p.5.
~O). Notamment FRIEDL~NDER, op. cit.; E. DES PLACES in R.~.~
nO XLIV,
1931,
p.165;
CROISET (Maurice) dans
son édition =_
texte dans
la collection des Universités de France,
cf.
~:::
pp.49-59;
les recherches de VINK
souvent injustement
crit:-
quées par DE STRYCKER ad.
lO·~-cit.; etc •. , et plus récemme:-:
le Professeur P.
COURCELLE s'est prononcé en
faveur
de 1'3_-
thenticité in "Connais-toi
toi-m&me de Socrate à Saint-
Bernard",
Etudes Augustiniennes,
p.14,
1974.

9
ticité du dialogue a absorbé
l'énergie des spécialistes.
Aussi
bien lorsque l'on consulte la
bibliographie du Pre~:~r
Alcibiade,
on est à peine surpris de constater la place
prépondérante,
parfois exclusive,
qu'y tiennent les discus-
sions historiques,
sémantiques et philosophiques. On
peut
dénombrer aisément les exceptions (1~. La structure et le
contenu philosophiqueS ont été,
de cette manière,
passés S:_5
silence.
Certains
(1~ exégètes ont été frappés par l'incor.-
gruité de la place occupée
par l'Alcibiade
(1~dans les ex::s
généraux sur le platonisme.
§
3.
C'est dire qu'en ce qui concerne l'analyse
pr:-
prement philosophique du dialogue,
i l reste encore beaucc~:
ul). Par exemple, le très bon article de A. MOTTE déjà ci:::
Cln.3),
ou bien l'étude remarquable de A.SOULEZ LUC.CrONr
"L e Par a d i g me deI a vis ion d e I ' âme dan s I ' Al c i b i a d e ~t a je'_:- .,
in R.M.M.
pp.196-222,
1974.
<1V. A. MOTTE, op. cit. p.S.
(1~. Désormais nous désignerons ainsi notre dialogue;
il :. !
a aucun risque de
le confondre avec
le Second Alcibiade d:-~~
tout
le monde convient qu'il est apocryphe.
Nous ne
perdo:'5
cependant pas de vue la multiplicité des textes intitulés
Alcibiade en circulation dans l'Antiquité cf.
H.
ALLr~E i:.
Histoire du texte de Platon,
Bibliothèque de l'E.P.H.E.,
~:L
p.44;
PROCLUS ne dit rien du Second Alcibiade,
id.
COCSI~
dans son édition de 1856,
T.2,
p.4ü3 "silence bien étrange
s ' i l
l'eût
çonnu" ou
"jugé"
de
Platon.

la
à
faire.
A cet égard,
outre la concentration sur la quest::~
de l'authenticité(§2),
il y a
peut-être un second facteur
susceptible d'expliquer le désintérêt pour l'analyse
philoso-
phique de l'Alcibiade.
c'est que personne,
à une except:or.
pr~s(~I~ n'en conteste le caract~re rigoureusement pla toni-
cien.
Il a
pu paraitre suspect à certains modernes justeme~t
parce que,
semble-t-il,
il apparait clair et de forme
dogc~-
tique(l~. La contiguité et la familiarité des th~mes de nC:éE
dialogue avec les autres dialogues platoniciens ont suscit~
des doutes.
Raymond WEIL dont ,1~~~_~~_~·.t~~Q,.~ est à la fois rni:i.-
g é e et fa i te de p r u den cee t
d.e ·r:é15 e r v ~ \\i~.'1 en tif i que sen rê.:-
.~"'!~ ,
\\ . \\~
:
,,?
--
pelle,
au passage,
quelques un?:
Al'S'i'b.
106 c3,
Gorgias
,
4F, -
ê
Alcibiade 109 b-c,
Gorgias 461' c,··AE3vc~ur Péricl~s e~
. "
.. ,'/'
,,\\' 'y/
a0. DE STRYCKER, ad. loc. cit. p.13S. Toutefois, R.S. BL~=~
se lance dans une direction différente et originale qui
f~--
de l'Alcibiade un
texte qui,
du point de vue doctrinal,
e,-
à mi-chemin de PLATON et des Stoiciens.cf.
C.
Q. NS III,
19S3 p.Sl.
Selon cet auteur,
ce dialogue reprendrait
néanc:i~
sur maintes questions,
la doctrine de l'Eud~me et,
en
géne:3:
du premier ARISTOTE.
Citons le parall~le établi entre la
'A
} ,
,
~
,
,
référence à 1 ame comme aUTO TO aUTO dans 1 Alcibiade
et S~
.
définition,
dans l'Eud~me, comme Ei60f Tl(p.46). Mais on
verra
(F42 sq)
que ce parall~le est insoutenable car l'âme
,
"
' l , ; l ,
,
:1
,
n est absolument pas réferee a
aUTO TO aUTO,
ce qui
est _~
contre-sens sur le
texte.
Pour quelques analogies intéress~:--
tes:
Eth.
Nic.
1144a 29-30,
I144b
la,
Eth.
Eud.
1248a
30 e:
Alcib.
133b ( et ~. S33d,
SOSc,
S18c,
S19c;
Lois 961d).

l l
' 1 ,
"
l'expression alTlav EXElV apparaissant à la même occasion;
Alcibiade 118a sqq.,
Gorgias S03b,
SISe 0.5).
§ 4.
Ces développements préjudiciels nous conduise~t
à deux remarques essentielles concernant la direction où .a
s'engager notre
travail.
D'une part,
au seuil d'un
travail sur un texte dont
l'aut~~n
ticité soulève encore maintes controverses,
nous ne
pOUVO~5
esquiver l'énoncé clair de notre position sur ce problème
difficile.
Ce faisant,
nous ne croyons pas du
tout qu'une
solution indiscutable sur
le plan historique puisse
lui ê:~e
apportée.
Car,
comme l'a dit
le regretté et éminent
plato~~-
sant Français,
V. GOLDSCHMIDT,
la
preuve irréfutable de
l'authenticité de
l'Alcibiade dépasse les compétences de :~
simple histoire
0.6).
Elle doit résider dans l'étude minut~~u
ordonnée et systématique de
la structure et du contenu
philosophiques des thèmes du dialogue
(17).
(1s)'
Op.
cit.
(§ln.l)
p.77
(l~' " Les Dialogues de Pla ton - St r uc t ure et mé thod e
dialectique".
P'.U.F.,
p.322
n8,
1947.
(17).
A ce texte,
du moins,
peut s'appliquer
la remarque F_15
générale de E.DUPREEL selon laquelle la question de
l'aut~~~
,
ticité des dialogues "n'a
plus
qu'un
intérêt
littéraire" : : .
La légende socratique et les sources de Platon,
Bruxelles.
1922,
p.404.
Evidemment,
en sa généralité,
la position de :e
savant
(partisan
de l'inauthenticité) est
insoutenable e~
ce qu'elle exagère.

Mais alors -
c'est la deuxième remarque -
i l
fau:
se situer sur un plan trans-historique,
c'est-à-dire,
en
l'occurrence,
philo~ophique. Notre attention se concentrer~,
par conséquent,
sur la problématique philosophique du
dia~:-
gue.
Il s'agit donc,
pour nous,
de nous essayer à ce que ~~~
de commentateurs ont fait
jusqu'à présent.
Pour ce faire,
nous avons choisi un angle d'analyse:
Techniques et Ethiq~7.
Ce choix n'est guère arbitraire;
tout au contraire.
L'Alc:-
biade est tout entier traversé par l'analogie
U8)
des
disc:-
plines techniques et de l'Ethique.
PLATON la
poursuit avec
méthode et rigueur
jusqu'à son extrème limite.
Nous retro~-
verons bientôt cette question après avoir payé notre
trib~:
à
la discussion sur l'authenticité de notre dialogue.
§5.
En abordant cette discussion,
notre intention __
moins d'apporter des éléments nouveaux sur le plan histor::j
-
ce qu'aucun chercheur ne rêve de faire à l'heure actuel:7
que de montrer
la fragilité
et souvent l'incohérence,
des
griefs qui sont adressés au dialogue.
Nous ne nous efforcE-
rons donc
pas de
prouver l'authenticité de l'Alcibiade,
12
charge de la preuve du contraire incombant au demeura~t,
comme il est normalJà l'accusation c'est-à-dire au parti è~
.
~8). Sur l'analogie cf. Paul GRENET" Les origines de
l'analogie philosophique
(notamment,
pour l'Alcibiade,
p.~~
n 50)
dans les dialogues de Platon",
Paris,
Boivin,
1949.

l'athétèse.
Quelqu'un a déjà souligné
(19,
quasiment sur _~
mode du regret,
que les partisans de l'authenticité se
fussent contentés,
pour l'essentiel,
d'opposer,
pour
toute
défense,
la faiblesse de l'argumentation de leurs adversai:e
c'est sans doute vrai.
Mais ils ont,
pour eux,
comme
témo:-
gnage de poids,
tout ce qui,
dans le dialogue,
n'est
pas
suspect,
soit -
sans excès -
quatre -vingt-dix-neuf pour
cent du texte incriminé.
On aurait tort de l'oublier
lorsql~
suivant en cela une tendance de l'esprit moderne,
on calcu~e
la fréquence de telle particule ou de
telle locution
pour
conclure,
rapidement,
à l'inauthenticité.
Avec des courbes
de fréquence,
des chiffres à
première vue impressionnants
'2C
tout paraît tellement plus simple,
plus net et plus clair.
Certes,
il s'agit là de moyens modernes de travail et
on
serait mal venu,
par conservatisme,
de reprocher aux
sava~:5
actuels de s'en servir.
Mais
la double erreur,
quelquefois
commise,
est d'une part,
de céder à la tentation "impéria-
liste" et "exclusiviste" des chiffres,
et,
par conséqu,:,nt.
d'en
faire
les principaux,
tantôt inconsciemment les seuls
paramètres qui conduisent à conclure;
d'autre part,
de co~-
fondre ce qui n'est au mieux qu'indices,
souvent fort
inté:e:
sants en soi,
avec
la réalité insistante des
preuves de bc~
aloi.
Pourquoi conclure à l'inauthenticité d'un texte
de
O
d
,
d'
PLAT N au constat
e la presence
un pour cent de
partic~-
(9).
A.
MOTTE,ad.
loc.
ciL
p.5-6
(20).
CLARK.
C.Q.
NS V.
passim;
et cf.
notre annexe.

14
les,
de locutions etc •••
n'appartenant pas à la langue qu Jc,
suppose,
à
tort ou à
raison,
être la sienne
(21),et,
dans ~e
même temps,
refuser a
fortiori
de conclure à
l'authenticit~
lorsque quatre vingt dix neuf pour cent du même corpus
lu:
est,
sans conteste,
imputable?
§ 6.
Au fait,
quand
on examine la nature des argu=~~
que,
depuis SCHLEIERMACHER,
HIRZEL et~AEGER, on a opposés
à l'authenticité de l'Alcibiade,
on éprouve un sentiment é~
trouble
profond.
On ne sait
pas exactement ce qui est
rep~J-
ché au dialogue car on lui adresse des griefs
tout à
fait
opposés. Ce qui est
preuve indubitable d'inauthenticité c~~z
l'un,
est utilisé en sens contraire chez l'autre.
à tel p::~
que les critiques s'entre-détruisent.
A vouloir les exami~~r
dans
le détail,
outre que
l'on dévierait de l'orientation
fondamentale de ce travail(§§ 4;27),
on s'exposerait à
de
lassantes répétitions.
Il suffira donc,ici,
pour la clart~
et la commodité de l'examen,
de regrouper les principaux
arguments qui ont été opposés à l'authenticité de l'Alci-
biade.
Ils peuvent être classée dans quatre registres
int€~-
dépendants:
1) stylistique,
2)
formel,
3)
historique et
4)
thématique chronologique interne.
Après les avoir
exarr:~E
.
~1). Même lorsque, comme aujourd'hui, nous sommes en ~esu~~
de dresser,
statistiquement,
la langue standard de PLATO\\
(lexique,
grammaire ••• ) en
tant qu'écrivain,
on ne
peut s:-§
à nier la part de ce qui,
inévitablement,
ressortit à
sa
fantaisie,
consciente ou inconsciente.

15
dans cet ordre,
nous reviendrons sur ce qui,
à nos yeux,
e~­
bien plus décisif,
à savoir la pertinence de l'analyse
philosophique (§§26;27),
avant de régler les
protocoles
méthodologiques concernant notre style d'interprétation d~
texte platonicien (§§28;30).
§
7.
A la suite de LUTOLAWSKY (22),
de nombreux
savants ont discriminé le contenu et le style de l'Alcibia:~
(23).
Du point de vue de ses thèmes et de sa ligne philosc-
phique,
il se classerait parmi les premiers dialogues
plat:-
niciens dits de
jeunesse.
En
revanche,
stylistiquement,
il
se situerait au moins après
le Banquet.
RITTER a donn~
jus:~­
ment la liste des formes
tardives qu'on y trouve:
/5/ TI U~v, /2/ 6RAov, /3/ ~p8~f, /2/ ~An8R et /1/ Kat TIw:
2
CLARK a également relevé des particularités de style qu'o~
ne trouve pas du reste dans
les dialogues apocryphes:
la
fréquence de TI
OÙV (
10 en 17 pages,
donc fréquence
de
P:_5
de 0,50 par page);
l'emploi de yap placé loin dans la
phra3~;
"The
unusual
preponderance of TIEpl
with
the
genitive
notec
(22).
The origin and growth of Plato's logic,
London,
1897;
passim.
(23).
CLARK in C.Q.
op.
cit.
-
passim -
(24).
CLARK,
C.Q.
id,
231.
Pour la fragilité
de cet
argument cf.
notre annexe.

16
.t~~
may be characteristic"(25)./ DE STRYCKER a
insisté
notamment
sur
l'emploi de
Tà auu~Épov et aUu~Ép€lV au lieu du terme
" \\ ,
l ,
usuel
Ta W~€A1UOv.Or 1 emploi de aUU~€p€l, d après cet
aute~r
est
rare
chez PLATON.
On en
trouve
une occurrence au
Livre
1
de
la République et
un seul
emploi absolu dans
les Lois
V,
746c6.
Par contre,
dans
le
seul
Alcibiade,
on
en
trouve
12
occurrences
(26).
§
8.
Au
vu
de
ce
dossier,
nous
partageons
le
sent:-
ment
qu'affiche,
pour
des
raisons différentes
des nôtres,
Pamela CLARK au
début
de
son
article
(27):"Many of these
reasons are
to my mind extreme1y weak,
and wou1d app1y wit~
equa1
force
to some of the
undoubted1y genuine dialogues"
(_3
D'ailleurs,
elle affaiblit
la
portée
de ces observations,
(25).
Id.,
240.
Il
note aussi
l'emploi
de UWV
aL)
(el!
120 ë
que
l'on
ne
trouve
que
dans
le
Sophiste,
le Politique.
le
Philèbe et
les Lois.
Il
pense qu'il
remplace n oùv "which :5
found
in a11
ear1ier dia1og~es"(233).
(26).
DE STRYCKER,
E.L.
id,
145.
Le
père DE STRYCKER
se
tr::l~
visiblement
car on
trouve aussi
ce
terme dans
le Banquet
182c1
et
dans
la République
A,
on
le
trouve
plusieurs
fois:
338c8,
334a3 et
en
République
IX,
588e4.
cF
notre annexe
o~
nous
examinons dans
le détail
toutes
ces questions.
(27).
C.Q.
id.
231.
(28).
id.
231.
cf.
Annexe qui
montre,
en effet,
cette
faiblesse.

1 7
principalement celles de
RITTER,
en
déclarant:" but
neithe:
he nor anyone seems
to have noticed
that near1y a11
these
are concentrated in
the 1ast
part
from about
126 onwards· '2
A partir
de ce constat
parfaitement exact,
on
peut être
fondé
à
laver
du soupçon
la
première section
du dialogue,
c'est-à-dire au moins
jusqu'en
119a8
(30),
juste avant
le
long
passage
politique· qui
examine et
critique
les ambitic~s
politiques d'Alcibiade.
Quant à
la
deuxième
partie,
certa:~s
interprètes
(31)
la
tiennent
pour être de PLATON dans
sa
période
intermédiaire.
Non
sans quelque réticence,
DE STR:~K
lui-même semble
l'admettre en
partie,
de même que R.
~EIL
3
BLUCK a
bien
vu
la
faiblesse
des arguments
de
D~
STRICKER,
l'un
des adversaires
les
plus décidés de
l'authE~-
ticité
du
dialogue,
en envisageant
leur disqualification
" i f we supposed that
the A1cibiEdes WB5
written as a
pi~c~
d'occasion
-
perhaps in rep1y to Po1ycrates'
KaT~yopla
1
LWKpaTouf" (33). Sans écarter l'hypothèse d'une réponse à
Polycrate,
on
peut
parfaitement imaginer,
comme
nous
le
(29).
Cf.
Traduction de CROISET.
(30).
CLARK,
id.
~31.
(31).
Op.
c i t . ,
E.C.
p.136.
(32).
ripe
c i t . ,
I.L.
p.79.
(3:.).
R.S.
BLUCK.
a.G.A.
ad.
loc.
ciL
p.46.

18
~uggérerons tantôt (34), que la composition de l'~lcibiade
ait
été
entamée,
puis
différée,
et
reprise
longtemps après.
On
ne
s'étonnerait
alors
ni
des
écarts
de
style,
d'ailleurs
moins
importants
qu'on
ne
le
laisse
penser,
entre les
deux
sections
de
l'Alcibiade,
ni
à
plus
forte
raison
de
la
conCE~-
tration
des
particularités
stylistiques indiquant
la
tardi~et
dans
la
dernière
section.
(34).
On sait que
dans
sa KaTnyopla LWKpaTouJ,
le rhéteur
Polycrate accusait
Socrate
d'être
responsable
des
conduites
désastreuses
de Critias et
surtout
d'Alcibiade
dans
la
meS_éE

i l avait été
leur
éducateur
~uthrie ap. Socrates, Camt~i-
dge University
Press,
1971
p.62).(9uthrie,
op.
ciL
p.26,
place
la
date de
cette "Accusation"
"some
time aftfl
]Ç'3".
(;,
,
Depuis,
CaBET,
on
voit aussi
dans
le 0 xaTnyopoJ des Sémor~-
bles r, 2, 12 de XENOPHON
"Mais,
dit
l'accusateur,
SCClél~~
a
eu
pour
disciples
Critias
et
Alcibiade,
deux hommes
qui
e."
ont
caLsÉ
les
plus
grands maux
a. l'Etat"
une allusion à
POLYCRATE.
Comme
l ' a
noté
P.
CHAMBRY(
édition G.f.
1967,
Pt.,]c~~
p.275),
si
les
vues
de CaBET
sont
exactes,
i l
fautVla
datE
des
Mem.
entre
392-391,
ce
qui
est
plausible si
l'on
accepte avec GUTHRIE
(é(~. loc. ciL supra) la date de 393
pour
l'Accusation
de
Polycrate.
(Mais
on
sait
que
la
date
des
Mem.ne
fait
pas
l'unanimité,
cf.
par ex.
M.VILHE~~ in
Le
problème
de Socrate,
p.196,
qui
donne
trois dates
vrai5~TI

19
blables -
entre
399-95,
entre
384-80 ou en 354,
année

mourut
XENEPHON).
En
tout
cas,
la date
de la KUTnyoptu
/
EWKPUTOUf est assez largement placée vers 393. Per conséqu!~t
ce serait
le
terminus ab
quo
de
la date
de composition
de
l'Alcibiade.
Si celui-ci,
dans
sa
premiÈre
partie au moins.
avait
pu connaître un
début
de composition entre
392-391,
aurait
pu être
interrc~pu par le premier voyage de PLATON
(390),
puis
repris
plusieurs
an~~~s plus tard. Ce qui est
d'autant
plus
plausible qu'à
son retour
à
Athènes
(388),
PLATON s'occupe d'une
tâche
immédiate
plus urgente -
la
fc
-
dation
et
la consolidation
de
l'Académie.
Quelques années
plus
tard,
au
plus
tôt
en 385 et
peut-être au
plus
tard
en
375,
l'Académie étant
devenue une
Institution,
vraisembla-
blement
sous
le statut
d'un
thiase,
et
les
passions déclen-
chées
par
la conduite d'Alcibiade
ne s'étant
pas
tues,
PLA::\\
a
pu
ressortir
son
vieux manuscrit et
l'achever.
Enfin,
sur
la
teneur
historique
de
tout
ceci,
i l
ne
faut
pê3
oublier
l'échQ
exceptionnel
de
l'Affaire d'Alcibiade
qu'u~
auteur
récent a
comparée à
l'Affaire Dreyfus
(cf.
R.
WEIL
in
l'I.F.,
op.
cit.
p.76).

20
§
9. C'est d'autorité que BLUCK (C.Q.
N~III, 195~.
p.46)
après avoir envisagé une hypothèse similaire,
l'écar:e
sans présenter,
à l'appui,
aucun argument,
le
parallèle
entrepris entre l'Alcibiade et les oeuvres de
jeunesse
d'ARISTOTE,
ne pouvant en dispenser ni en tenir lieu.
Cepe~-
dant,
elle mérite,
telle que nous l'avons exposée (§8
n.3~
d'autant
plus de retenir l'attention bienveillante des
-
~. ',r j"
~
savantE,
qUE'
le texte dan,s, 'son-e!lsemple est écrit dans
\\ '
" ,
"
le plus pur attique.
Mêm'e' '~'E 1SrRYCKER\\est contraint d'adme:t
. !
' _ ...... '~I
-
l'excellent attique du dialogue;
b,ien, que selon lui i l
y 2::..t
" que 1 que s
mot s
qui
c h 0 que n t n'c Ar,t. c i t . id. p. l 3 7 ), a p p r t -
ciation qui,
outre sonsubjectivis~~ peut-être appliquée,
avec v~aisemblance, à n'importe quel texte de PLATON.
L'éminent savant Allemand,
SCHLEIERMACHER en
personne,
ne
pouvait nier ce qui,
dans l'Alcibiade,
lui apparaissait,
comme de très beaux
témoignages du génie platonicien,
à S~5
meilleurs moments
(FRIEDLANDER, The Dialogues •••.
op.
cit.
231)
§
la. D'autres auteurs confirment, implicite=ent
il est vrai,
notre hypothèse en soulignant à
la fois
la
rareté des expressions typiques des Lois et la présence,
~jr
massive mais significative,
de quelques expressions a~sen:~=
du groupe tardif,
par exemple" uaÀloTa and uaÀ10TaYE:,
USE:
}\\
)
a san s \\II ers,
and Tl ~ u "
( CL\\ .\\ K,
id.
2 32,
pou r
qui:" The
pre ;: ~ -
sitions of various synonyms and of different
types of

21
answers
a1so
indicate
the
midd1e
period").
Nous n'insisterons pas plus que de raison,
sur les
questions de style -
c'est
la
tâche des philologues et des
historiens de la littérature platonicienne,
et
non du
technicien de la
philosophie
(35).
L'essentiel était,
pour
nous,
de suggérer que sur le plan de la stylistique,
i l
n'existe aucune difficulté insurmontable,
ou même simplemen:
de portée décisive
(36).
(35).
Expression de Yvon BR€S
in La Psychologie de Platon,
Paris,
P.U.L,
1968,
p.24.
(36).
Voici les deux
tableaux regroupant les points essenti~~
soulignés par les principaux savants.
Ces tableaux se
trou-
vent chez CLARK,
op.
cit.p.233
(Tableau I) et
p.234 (Table2_
II) •
Tableau I:
103-25
126-35
Proportion
of persona1
pronoun
answers
ta al1
answers
10%
6.7%
Proportion
of rrEPl
+ Gen.TO rrEPl
+ Ace...
7:1
2:1
(57
:8)
(7:3)
Proportion
of val
rravYYE and rravu UEV OUVe
1:2
1 : 3
.-
Proportion
ta
a11
affirmative
answers • . . . . (67:129)
( 37:
-,
.J.
_ -'
ProportIon
of interrogatives used as
affirmative
. • . • . . • . . • • . . • . . . . . . . . . . . . . . .
3.75%
8. 5 ~
Proportion
answers
ta
a11
affirmative
answers
(11: 296)

22
§
I l .
Pas
plus que
les considérations stylistiquE=.
les arguments de
forme
ne nous ont
paru,
à l'examen,
décis~:
A la vérité,
pas un d'entre eux,
ne nous a semblé pouvoir
soutenir une critique rapprochée et frontale.
On a d'abor:
allégué la "pauvreté du personnage.
(cf.
J.
HATZFELD.
Etu:-:
sur l'Histoire d'Athènes à
la fin
du Vè siècle,
P.U.f.,
1 ~'. '1
,
-
...J
p.41).
DE STRYCKER,
pour sa
part,
note que,
à quelques ex:::,,;::
tians près,
Alcibiade n'
a
que quelques mots à dire et
qu'à cet égard,
l'Alcibiade serait plus proche du Philèbe
et même des Lois (E.C.
op.
ciL,
p.137-8).Même CROISET,
admet cependant l'authenticité du dialogue,
écrit que
(36 suite).
Proportion
of interrogatives
in
apa to
9%
15%
aIl
interrogatives .•••••••••••••••••••••••
(12:222)
(l5:~_:/
Tableau II:
103-25
126-3:
Shorey:
expressions
with
jar
on
the
ear .••
14
1(126:
Bluck:
a)
repetitions
and awkwardnesses . . •
6
o
b)
peculiarities
-
chiasmus
and
mixed conditions • • • • . • • • . . . • • . . .
12
o
c)
Colloquialisms
••• .; ••••••••••.•.
6
o
d)
late
platonic
features ••.. . • . . . •
24
J
e)
Poe tic
words
• • . . . • • • • • . . . . . • • • .
1 5
1
STRYCKER
(including
some of Shorey's
point
at
12
cases of auw~Épov used absolutely •••
17
o

23
"
l'interlocuteur
de
Socrate,
le
jeune Alcibiade,
n'est
pas
un
caractère.
Sa
présomption
juvénile est
toute en
sur:~c
elle
cède aux premières attaques,
pour
faire
place à
une
ingénuité quelque
peu a r t i f i c i e l l e .
Un
tel
personnage
n'a
pas la
résistance
nécessaire
pour
que
le lecteur ait
l'imp:e5
sion
d'assister
à
une lutte.
Alcibiade se défend a
peine.
Nous
n'avons sous
les
yeux qu'un
martre et
un
disciple
à
l'âme malléable w (37).
Nous
donnerons
notre assentiment
à __
dernière
phrase de CROISET car
elle n'est
pas
nécessaireme:
incompatible avec
une
analyse
différente de
la
caractérolo~~e
de
l'Alcibiade
(§§
12;13;14).
La
position de CROISET,
à
mO:~3
d'être
révoquée
pour
inconséquence,
montre,
s ' i l en est
besoin,
que
ce
type de
critique
formelle
peut
ne
pas
condu:~e
à disqualifier le dialogue
pour
inauthenticité.
§
12.
Evidemment
cela ne suffirait
pas,
loin
s'en
faut.
Evelyne MERON
a
eu
raison,
dans
un
travail
récent
consacré
aux
Premiers Dialogues Platoniciens
dits de
jeun€~­
se
(38),
de
critiquer
l'analyse de CROISET.
Plusieurs
traits
du
Dialogue
indiquent
la forte
personnali:~
d'Alcibiade.
Il
y a,
en
premier
lieu,
la
présentation
qui
nous
est
faite
du
pers?nnage
par Socrate lui-même -
on
ne
pas
faire
abstraction de ce morceau,
i l
fait
partie du
dia-
(37).C'est
nous
qui
soulignons.
Voir
Notice de CROISET
dan3
la collection
des
Universirés
de
France,
op.
cit.
p.SO.
(38).
wLes
Idées
morales des
interlocuteurs de
Socrate
dan:o-
les
dialogues
platoniciens
de
jeunesse",
Vrin,
1979,
p.123.

24
logue.
Après avoir décrit sa situation sociale (39),
SOcr2:~
révèle ses ambitions:
en dépit de sa situation matérielle

32),
Alcibiade ne s'estime guère satisfait;
son ambitio:
va bien plus loin.
Il songe à régner
tant
parmi les Grecs
que chez
les Barbares.
Son horizon dépasse même celui
d'u~
Périclès,
à
tel
point que,
peut-être,
seuls Cyrus et
Xerxè~
trouveraient grâce à ses yeux
(40).
Mais,
dans les péripét.~:
mêmes du dialogue,
Alcibiade
fait
montre d'une personnalit~
pleine d'épaisseur.
Après que Socrate a eu fini de décline~
ses ambitions supposées,
loin de protester vivement,
il
se
réfugie dans une réponse dont on ne peut pas ne pas admire~
à la fois l'exquise réserve et la fine intelligence (41).
Sa personnalité sourd si manifestement à travers la
prude~==
calculée de sa réponse que Socrate est obligé d'exhiber
immédiatement l'impératif brachylogique (42),
le même qu':.
dut opposer,
en désespoir de cause,
à des personnali~és a~ô=
(39).
l03al -
104c7 (cf.
Traduction CROISET).
(40).
105c7.
}
-
n l " "
(41).
106a4-6 " El
IJÈv OUV Èyw TaUTa
61avo" OÙlJal Il IJ~I wf
7/
,
,
,
,
,
_
"
]/
l
,
E01KE,
61EyvwKaI
Kal
Eav IJll cl>w} OU6EV 1.101 EOTal 1TÀEOV 1TpC
Tà 1TE18Elv OE.
-
)
7
_
"
l
,/
J
_
,
C./
(42)
\\ Ap EPWTg.I El
T1V EXW El1TE1V
À6yov lJaKpOV/
OlOUI 6r
' , 7 '
> , '
-- _"
,
,
CtKOUE1V E1810al;
OU yap EOTl
T01-OU-TOV TO EIJOV (106b
1-:

25
fortes
que
celles d'un
Protagoras
(43)
ou d'un Gorgias
(4L
Ainsi,
est-il,
en
un
sens,
prévisible,
dès
le départ,
qu'
Alcibiade,
désireux,
i l
ne
faut
pas
l'oublier,
de connaître
(45)
les motivation~ de Socrate,
ne
se
lancera
pas dans
la
macrologie
(46).
§
13.
Nonobstant
cela,
en
109c1,
i l
dénonce
la
malignité de
la
question socratique
(47):
6ElVàv TOUTO
YE
)EpWTUf.
Plus
loin,
au
passage
112d11,
i l
insinue qu'il
ne
prend
pas en charge
les
résultats
de
l'enquête,
en
réponda~:
,
, , _ "
7
1 ,
a
Socrate:
EK UEV WV
EU
ÀEYElf
OUK ElKOf;
ce
qui
conduit
PLATON â
consacrer
quarante
six
lignes â
régler
le
problè~e
de
la re~ponsabilité de l'enqu~te (48). Cela ne l'empêche
pas,
dans
la discussion
sur
le
rapport
entre
le
juste
et
l ' u t i l e ,
de
faire
une substantielle
intervention où
i l
dé:e,
(43).
Apud
Protagoras,
329b2-6;
334c10-d1,
336bl-2.
(44).
Gorgias,
449b6
par
exemple.
(45).
104c8-d1-S.
(46)~'Notre article sur la brachylogie et la macrologie da~3
l'oeuvre de
PLATON,
pour
le
compte
de
la
Société Hellenique
des
Etudes
Philosophiques,
â
paraître
probablement
dans
la Revue
Diotima.
(47).
Sur ce genre d'accusation contre Socrate,
cf.
Gorgia3
497b
7-9,
511a 4-5;
Ménon 80b8 où
Socrate est
comparé
à
un
yonf;
RA
338d 3-4;
Ménexène
287b1,
29Sc12.
(48).
112e1
-
113cS;
cf.
73-74.

LU
ouvertement
les
Anti-Valeurs,
en
faisant
l'éloge de
l'inj~~-
tice,
si
l'on ose
dire,
"avantageuse"
(49).
Ce
passage
à 1_:
seul
est assez
révélateur
du
caractère décidé
d'Alcibiade =1
on
le
compare à
un
passage
antérieur
où i l
se montre
plus
prudent
(50).
M
1
,~
l'
1 ais
i
ne
s
arrete
pas
a:
car
i l
taquine
Socrate sur
le
caractère
lassant et
répétitif
de sa méthoc=
de
critique.
Ce
dernier
ne
manquera
pas du reste,
de
souli-
gner
la délicatesse de son
interlocuteur
(51).
Il
ne
sembl~
pas
nécessaire d'aller
plus avant
dans
cette
exploration
caractérologique.
Le
lecteur
non
prévenu a
remarqué
qu'ave:
une
grande
sobriété
d'expression,
doublée
d'un
sens aigu c=
la
description épousant
les
péripéties du dialogue,
PlATO\\
nous a
peint,
non sans
bonheur,
les
principaux
traits
du
caractère
d'Alcibiade,
avec
toutes
les
nuances
qu'il
a
voulu
faire
ressortir.
Ce
serait
une
erreur
autant
ps!cho~:-
gique
que
littéraire
que
de
confondre
le
personnage d'Alc:-
biade avec
les
"beni-oui-oui",
pour
user d'un
terme
vulga::-~
des
dialogues
de
la
vieillesse.
Il
est donc
inexact
de
di~=
que
le
personnage
d'Alcibiade
est
dénué d'épaisseur
psych:~:
gique
(52)
ou qu'il
n'est
pas
vivant
(53).
(49).
113dl-7j
cf
75-76.
(50).
109c
1-3.
(51).
114a 9
(Croiset).
(52).
CROISET in
Notice
p.50.
(53).
DE STRYCKER,
op.
ciL
p.137-8.

27
§
14.
En
revanche,
ce qui
est vrai,
c'est
la
remarque de CROISET selon
laquelle" Nous
n'avons sous
les
yeux qu'un maître et
un disciple à l'âme malléable- (§11).
Cependant,
i l
faut
s'entendre.
D'abord,
i l ne
faut
pas
voi:
dans
l'entretien Socrate-Alcibiade
une
lutte
(54),
car
le
second cherche à s'instruire

12).
La
relation est,
par
conséquent,
professorale et
pédagogique.
Elle devra même
SE
muer,
progressivement,
en
relation
psychagogique.
On
ne
doi~
pas confondre ce mode
relationnel,
essentiellement positif.
avec
la
relation
fondamentalement
polémique,
qui
lie,
dans
le débat,
un Calliclès
(55),
un Thrasymaque
(56),
un Hippiéo
(57),
ou même
un Lachès
(58)
à Socrate (59).
(54).
E.MERON.
op.
cit.
p.123.
(55).
cf.
Gorgias.
(56). ~f.
République
A.
(57).
cf.
Les deux
Hippias
(Majeur et Mineur).
Rappelons qCt
ces deux
textes
sont,
d'une
certaine manière,
authentifiés
par
ARISTOTE,
respectivement,
dans Topiques
146a 21-3 et
Métaphysique Ô,
29,
1025a6;
cf.
aussi
ROSS,
Plato's Theory
of
Ideas
p.
3-4.
(58).
Lachès
(59).
Sans
formuler
notre hypothèse,
E.
MERON,
qui
ne cite
pas
POLYCRATE,
s'en
rapproche,
sur
le
principe,
op.
c i t .
p.123
n31.

28
En second lieu,
si
l'Alcibiade,
au moins en un sens,
est
conçu ( 60) comme une
"
reponse a P
1
0
ycrate,
ce l
que
'
nous n avc-:.~
pas écarté (§§ 8;15 n.68)
il
faut
l'interpréter,
en
tout
cas partiellement,
comme une oeuvre semi-apologétique,
peu:-
être une sorte de complément de l'Apologie sur une questio~
plus délicate,
parce que visiblement
plus passionnelle.
Alor9
,
à
juste titre,
on ne
pouvait s'attendre que la
rés~o-
tance d'Alcibiade fût
forte au point de céder
la place à u~~
relation systématiquement conflictuelle.
Enfin,
il faut
attendre la 1017ème ligne sur un dialogue qui en compte
16~=
pour que le jeune interlocuteur de Socrate,
enfin,
avoue
qU'il
Y a
plus de vérités dans
les propos socratiques
.,
,
qu'ailleurs: Tlva oùv Xp~ T~V €TIlw€À€laV
~ LWKpae€f
-
)1
:1
,
, , _ ) '
TIOl€lOSal
€X€lf
€~nYnoaOeal
TIavTof yap waÀÀov €OlKaf
~
....
~
,
, '
,
aÀnen €lpnKOTl
(61).
Alors seulement,
tout 1 elan pedagogi=_
va se muer en une immense entreprise psychagogique ~ l'iss_~
incertaine (62),
mais qui
permettra à Socrate,
de professe~
sur la nature et la signification du Précepte Delphique.
(60).
On ne doit même pas confondre la relqtion ALcibiade-
Socrate avec celle qui
lie celui-ci au sage Charmide.
cf.
l'excellent article de LUCCIONI:
Le Paradigme de la visioï.
de soi-même dans
l'Alcibiade Majeur,
dans la R.M.~., 1974,
pp.
196-222.
(61).
124b 7-9.
(62).
135e 6-8 (in
fine).

29
On voit,
grâce aux développements qui
précèdent,
en quel sens on doit entendre la malléabilité de l'âme
d'Alcibiade.
Au moment de l'entretien,
Alcibiade est jeune -
il a bientôt vingt ans
(63)-.
Sans doute a t-il
déjà des
traits de caractère qui se
prononcent,
mais il est encore
.
Il
~
Il:
f
' d '
,
f
.
essentle
ement analuEUTO
;
son e ucatlon reste a
alre.
Il
est disponible,
son âme n'est
pas dénuée de ce que le dieu
peut y mettre de bonté naturelle.
Il
peut donc,
au moment
où se déroule l'entretien,
encore empRunter le
bon chemin
auquel se prêtent ses heureuses di~positions. A la fin du
dialogue,
Platon nous rapelle que l'éducation n'est pas
venue
au secours de la nature.
Ainsi,
dans
l'ensemble,
la malléa-
bilité ne l'âme d'Alcibiade,
non seulement ne s'oppose pas
à l'existence de
traits de caractères accusés,
mais encore
constitue un élément essentiel dans sa structure caractéro-
logique et,
partant,
dans celle de la
ligne du dialogue
lui-
même.
§
15. On a
notamment
reproché à l'auteur de l'Alci-
biade le
type de relation
(64)
décrit entre Socrate et
(63).
123d6; Grote in Plato and
the other companions o[
(
SgcrateS,
l,
1875,
p.33l;
Robin
in Oeuvres Complètes de PLATO\\.
Pléiade',
1950,
p.203 n 2 ( = p1274 );
E.
:JERON,
op. cit.
p.
123.
(64).
Plus récemment CLARK,
op.
cit.
p.234 nI.

30
Alcibiade.
Il
s'agit
de
l'amour
de Socrate pour
Alcibiade.
Grote,
en
son
temps,
a
fait
justice de
cette critique.
Contentons-nous de
le citer
(65) " Some of the critics cons:-
dering
that
the
relation
supposed between Sokrates and
Alkibiades is
absurd and
unnatural,
allege
this
among
their
reasons
for
denying
the authenticity of the dialogue.
But
i~
any reads
the
concluding
part
of the Symposion
(66)
-
the
authenticity of which
has
never been
denied by any critic
-
he
will
find
something a
great
deal
more abnormal
in
what
is
there
recounted about
Sokrates
and Alkibiades".
Naturellement,
en
matière
d'histoire
de
la
philosophie,
le
moralisme
n'est
pas de mise,
car
la
science opère en
dehors
(65). Op. cit. p.331-32 note a.
(66). Pour le texte du Banquet:217a -
21ge. Grote
reovoie
d'ailleurs au Socrate d'E~chine " cited by the rhetor
Aristeides
ITEPI
cPnTopOKnJ,
Or,
XIV
p.23-24",
où d i t - i l ,
expressions of intense loVe
for
Alkibiades are put
into
the
mouth
of Sokrates
".
Et
i l
ajoute:
" A Eschines
was yvn010j
~
ETal~poJ EWKpaTouJ. not less than Plato. The different comp=-
nions of Sokrates
thus agreed in
their
picture
of the relat_:
between mind him and Alkibiades"
id.
p.332
note a.

Ji
de toute préoccupation axiologique (67).
La question n'est
pas de savoir si l~ passage incriminé satisfait à nos
conceptions morales et sociales,
mais bien s ' i l est intelli-
gible dans le contexte historique et moral qui est le sien,
et
plus particulièrement dans la contexture du dialogue
platonicien. On ne voit
pas qu'une réponse négative puisse
être apportée à cette question,
ou alors,
comme le suggère
Grote,
il faudrait appliquer
le même
jugement au Banquet
(6:.
et
par conséquent
le disqualifier -
ce que personne,
bien
entendu,
ne songerait à faire sans provoquer un vigoureux
(67).
cf. Max WEBER,
Le Savant et le Politique,
(traduit de
l'Allemand par J.Freund avec une introduction de R.
Aron),
Paris,
D.G.E.,
1963.
,
(68).
Si,
comme nous le suggerons,
la
première
partie de
l'Alcibiade a été rédigée entre 392-91,
on peut
imaginer qL~
Platon en rédigeant le Banquet,
au plus tôt en 385,
se soi:
souvenu -
et ait développé -
du passage qui se trouve
juste-
ment dans la première section.
Mais alors,
d'une certaine
façon,
le Banquet est aussi une réponse à Polycrate,
du
moins dans
le morceau considéré
(217a sqq.)
qui,
en gros,
tente d'établir la tempérance de Socrate,
notamment dans S2
relation avec Alcibiade.
Pour
la date du Banquet,
cf.
la
discussion de Robin dans sa notice au Banquet,
apud.
Budé,
T IV,II,
pp.
VIII-XII.

32
concert de protestations (69).
(69).
Sur la forme,
on a adressé au dialogue une foule
d'autres critiques.
Elles sont d'importance inégale mais,
en général,
d'intérêt trop médiocre pour pouvoir
peser
sérieusement dans une discussion sur l'authenticité.
Selon
DE STRYCKER,
reprenant
une vieille idée de DUPREEL sans
le
citer
(La légende socratique
•.••
passim),
les différents
moments de l'analyse de l'Alcibiade sont
Wautonomes et
ne S~
W
commandent
pas l'un
l'autre
(op.
cit.
144).
Il suffira de
se reporter au plan synthétique et analytique du dialogue
tel que nous l'avons dégagé
pour réaliser l'irrecevabilité
d'une
telle critique.
La composition est
plus
rigoureuse et
plus solide que ne
le pense ce savant qui oppose,
par
ailleurs,
le rectiligne de la structure de l'Alcibiade a lê
circularité de celle des autres dialogues. On ne peut
nier
certaines particularités structurales du dialogue (étendue
des raisonnements définitionnels cf.
GOLDSCHMIDT " Les
Dialogues
••• " passim,
p.
323 qui
y voit un indice d'ancier.-
neté,
etc ••• ) mais il ne convient pas d'oublier que ce
dialogue obéit vraisemblablement à un objectif spécifique
(
§§
28;30;
105) et que,
tout naturellement la structure du
dialog~e s'y adapte ( § 105); d'autre part, cette structure
n'est
pas unique,
car on a montré,
de
façon convaincante,
1=

33
§
16. Sur le plan proprement historique,
on a
'"'"
accusé le dialogue de maints anachron ismes.
On a même
tenté de soupeser le bagage historique dont Platon a
pu ou
non disposer à telle époque de sa vie.
Par exemple,
commer.:
la Lacédémone tant vantée,
notamment pour ses richesses
(122c4 -
123a9), même si celles-ci sont inférieures à
celles des Perses (123b1 -
133c2, apud. Croiset),
peut-elle
être celle du Vème siècle,
alors qu'au début de la Guerre :~
Péloponnèse,
elle est incapable de construire une flotte?
Ce qui est attribué à Lacédémone ne s'accorde-t-il
pas
mieux plutôt avec le contexte historique du IVème siècle?
(cf.
par exemple,
R.
WEIL,
art.
cit.,
passim.). Ou encore,
d'où
l'auteur du Premier Alcibiade,
tire-t-il ses informa-
tionsJsur
la Perse notamment? .Si c'est bien PLATON l'auteu~
du dialogue,
qui a pu l'informer? etc .•.
Avant de suggérer
(69 suite).
similitude avec celle du Gorgias
(cf. GOLDSCHM==r
op.
cit,
passim,
et FRIEDLANDER ad.
loc.
cit.
passim,p.241)
mais aussi avec l'Hipparque (FRIEDLANDER,
id.
p.238).
Le
caractère dogmatisant (cf.
DE STRYCKER,
op.
cit.
passim,
p.~~
ou scolaire (on a
parlé de "manuel",
cf. R.
WEIL dans l'I.F.,
ad loc.
cit.
p.83)
s'explique aisément si l'on se souvient
de la volonté professorale,
pédagogique et psychagogique
expressement notée{i~~

34
des directions de réponse,
il ne semble pas inutile de
rappeler,
brièvement,
quelques points bien connus concer-
nantJsi l'on peut dire)le rapport de PLATON à l'utilisation
littéraire de l'Histoire. Toutefois,
sur ce
point,
nous
ferons une suggestion que nous considérerons,
peut-être à
tort,
comme nouvelle(\\")
§
17. On peut faire
bien des reproches à E.DUPREE~.
notamment à sa théorie parfaitement arbitraire selon
laquelle l'Alcibiade serait la mise en forme dialoguée d'u~
ouvrage de morale (cf.
La Légende ...
op.
cit.
p.176),
ou
encore l'hypothèse tout aussi infondée selon laquelle les
thèmes de notre dialogue seraient inspirés de PRODICOS
(
ibidem,
passim);
ce que tend à ne pas corroborer,
par
exemple,
ce que nous savons de la nature des rapports
(70)
t~i
entre Socrate et Prodicos. On ne peut cependantvrefuser sor.
(70).
Sur le rapport entre Socrate et Prodicos,
nous nous
permettons de renvoyer à l'article de CALOGERO "Gorgias anè
the Socratic principle Nemo sua sponte peccat" ap. Journal
of Hellenic Studies,
Vol LXXVII,
1957. CALOGERO critique
l'exagération de l'importance de leur relation et déclare
en commentant Ménon 96 D,
que
wto
study under
somebody and
to be a disciple of him are not
the same
thing W (p.12
n.1).
S'il est vrai qu'ils avaient un intérêt commun pour la

assentiment lorsqu'il soutient que des écrivains comme
XENOPHON et PLATON
"ne sont
pas des historiographes qui
exagèrent,
ce sont des littérateurs qui
usent de
tous les
droits
de
la fiction"
(ibidem,
p.398). Sans doute n'est-il
pas interdit de chercher quelque renseignement historique
chez PLATON dans la mesure où toute oeuvre,
en quelque
manière/fût-ce indirectement et involontairement,
fournit
toujours des éléments d'histoire,
car l'oeuvre elle-même est
un fait
historique. Mais ce faisant,
on prendra garde d'ou-
blier que Platon n'est pas un historien.
On ne cherchera
pas chez
lui
ce qui se doit
trouver chez HERODOTE (71)
(70 suite).
clarification du sens des termes employés,
il
reste que
"the difference between the
two approaches was
ver
sharp,
as appears
from every passage of the Socratic.dia1o-
gues of Plata,
in
which Prodicus
is introduced ta exp1ain
tr.~
demands of his synonyms in
the midst of the debate- (ib.p.1:
(71).
La principale qualité d'HERODOTE en tant
qu'historien
est l'impartialité.
cf.
GLOTZ,
Histoire Grecque,
T 2,
P.U.F ..
1925,
p.4
"C'est mêi e l'impartialité,
qui est
peut-être
son principal mérite,
& ne considérer que l'historien-.

36
ou tel autre historien de métier.
Le travail de l'historien
est fait
de compilation,
de classification,
de recoupements
opérés avec ~ acribie,
d'érudition minutieuse.
Or,
on
sait comment dans un
texte
(72),
encore insuffisamment
exploité,
Platon a condamné le goût,
quelque peu pervers à
ses yeux,
de l'érudition et de la minutie.
Ainsi,
ce n'est
qu'avec d'infinies
précautions qu'il faudrait chercher des
renseignements ou des allusions historiques,
chez Platon
on ne l'aura jamais assez dit.
Victor COUSIN qu'on ne l i t
plus guère,
malheureusement,
l'avait bien compris.
A ce
propos,
il eut une de ces formules heureuses qu'on lui
connaît:
" PLATON se sert de 1 'histoire,
et ne sert pas
l'histoire."
(73).
Pour l'avoir oublié,
on s'est quelquefois
engagé dans des débats,
sinon stériles,
du moins à l'issue
plus qu'incertaine.
§
18.
Qu'on nous permette de livrer ici,
sans la
développer,
la suggestion annoncée (§
16) sur le rapport
de
PLATON à l'histoire.
L'attitude de PLATON à l'endroit de
(72).
Cf.
Théétète,
184c
" Employer les mots et
les
phrases
à son aise,
sans
les
passer
rigoureusement au
crible,
n'est
point
en général
une marque
de
bassesse;
c'est
plutôt
le
contrair~ qUi~ndigne d'un homme libre".
(73).
Oeuvres Complètes de PLATON.
T.V,
1856,
p.401.

37
l'histoire est similaire à celle qu'il adopte à
l'égard de
l'interprétation des
poèmes ou de l'Ecrit.
Qu'on se souvie~-
ne du premier mouvement de l'Hippias Mineur qui achoppe sur
l'interprétation d'un morceau de la Scène des Prières du
Chant IX de l'Iliade;
Socrate en tire
la leçon que voici:
,
\\
(/
,
7 ,
)
J: '
, . "
" Tov UEV OunpOV TOIVUV EaOWUE~
EnElun Kal aeSuval0v
,
,
,
-
-
) ,
,~I,
EnaVEpEo8al 11 nOTE VOWV TaUTa EnOlnOEV Ta Énn.' (74).
Ou
bien encore,
qu'on relise ces
pages étonnantes du Protagoras
(75)
où Socrate se livre à une
périlleuse exégèse du poème
de SIMONIDE (76),
avant de conclure à
la vanité de l'hermé-
neutique des poètes.
Quant à la position platonicienne sur
l'écriture,
elle est maintenant bien connue.
Platon est
três
(74).
365c9 -
dl.
(75).
342a -
347a.
(76).
"
Toùf TOlolnouf UOl eSOKEl xpnval uiiÀÀov UH1Elo8al
;)
,
,
,
"
J e _
EUE TE Kal
KaTa8EuÉvoUf ToÙf nOlnTaf aUTouf eSl nuwv
_
J
,
a~TWV npof ~ÀÀ~Àouf Toùf Àoyouf n01E108al) Tnf aÀ1l8Ela!
Kat ~UWV ciUTWV nElpav ÀauSavovTaf ". 348a2 - 6.

38
critique à
l'égard
de
l'écriture (77).
non
pas qu'il
l ' a i t
condamnée en
partant.
comme
le croit
curieusement un M.
VILHENA
(78),
d'on
ne sait quel "instinct de
classe" aris-
tocratique.
Mais c'est que
l'Ecrit.
comme le
poème.
est
un
enfant
sans
père
(79).
Il
ne sait
point se défendre seul.
Par
là.
le
discours écrit se
prête à
tous les
détournements
de sens
possibles.
Pour
paraphraser
un
texte
célèbre du
Phèdre.
le discours écrit
parle en personne intelligente
tant
qu'on
ne l'interroge
pas.
Dès qu'on lui
pose une
question,
i l se
prostre dans
un étrange silence.
Il en
est
de l'écrit
comme de la
peinture.
Ils
n'ont de
la vie que
l'apparence (80).
Ils s'offrent en
victimes innocentes
et
(77).
Pour
les
principales étapes.
voici
les
textes:
Hippiê~
Mineur.
365d
1-2;
Protagoras
329a 1-8;
Phèdre
274d -.275c.
276a -
276d;
Lettre VII
341c-d.
343b -
344c
•.••
pour
un
bon commentaire.
cf.
V.
DESCOMBES
i n "
Le Platonisme",
Pari~.
P.U.F ••
1971.
p.9 sq.
( 78 ).
Soc rat e e t
1 a
1 é g end e
pla ton ici e n ne.
p.
7 3 n I ;
cf. a..:";
Luc
BRISSON in
"
Platon.
les mots et
les mythes
".
Maspéro.
1982.
p.46-47.
(79).
Phèdre 276d.
(80).
276a
par exemple et
passim.
Déjà
le Gorgias,
450c
14.
insiste sur
le fait
que
la
peinture.
la
sculpture sont
des
arts
silencieux;
cf.
aussi P.M SCHUHL.
Platon
et
l ' a r t
de
son
temps.
Paris.
P.U.F ••
19

p.49;
mais déjà Alcidamas
apud
"
Sur
les Sophistes Il
§
32.

39
inconscientes à l'arbitraire du commentaire,
c'est-à-dire
à la violation de leur sens.
§
19.
L'histoire,
semble-t-il,
a le même statut,
pour Platon,
que
les poèmes ou les discours écrits.
Comme
ceux-ci,
le texte de l'histoire ne s'offre pas dan~ une
univocité de sens incontestable ou incontournable.
L'histc~r
n'est qu'une collection de données dans laquelle il convié~t
de ne
lire ni intention ni
ruse.
Sur ce point,
Platon est
rien moins qu'éloigné de la vision hégélienne de l'histoire.
Matériau sans signification par lui-même,
le " texte de
l'histoire" se mue,
entre les mains de l'interprète,
en
un projet,
c'est-à-dire en une vision dans ~aquelle l'in~~~-
tion finalisée
importe plus que les éléments de l'élabora-
tion.
Il n'y a donc pas chez Platon l'équivalent de ce qu':n
appellerait aujourd'hui,
non sans pompe,
La Vérité de
l'Histoire,
notion où se cache,
depuis HEGEL,
sans gu'on
l'avoue
toujours,
une visée téléologique méta-scientifique.
et
peut-être même,
crypto-théologique.
Qu'on se reporte à
l'éloge du Ménexène
(81)
de deQi-vérités en oenso~ges
)
}
h"
,
(81
• Nous mettons en epoc e les problemes difficiles
d i~:e
prétation du statut et de la signification de cet éloge.
Disons simplement,
ce qui
explique qu'il nous serve d'exe=-
plification,
que
(cl M~ridier, Collection Budé, notice,
p.64-5)
nous le
prenons tout à
fait
au sérieux.

40
(82),
en
passant
par
des
contre-vérités,
toute
l'histoire
de
la Grèce est
"revue et
corrigée" à
la gloire d'Athènes
(83).
Qu'on
pense également
à
tous ces anachronismes
(84),
casse-têtes de maints commentateurs,
éparpillés ça et
là,
dans
le corpus
platonicien.
Victor COUSIN
ne
pouvait
trouve~
formule
plus exacte,
Platon
ne
ser~ pas l'histoire, il s'e~
sert.
Bien
des
fois,
i l
semble s'évertuer à
brouiller
les
pistes;
si
bien que,
s'agissant de Platon,
ce
semble
une
erreur
de s'engager
dans
une
interprétation historique,
toujours
quelque
peu hasardeuse.
§
20.
Si
au
Vème
siècle,
Lacédémone
n'est
pas
un
Eldorado,
on
ne
peut
pas
dire
non
plus qu'elle
soit à
plaindre.
Les
richesses qui
lui
sont attribuées,
pour
ce q~:

(82).Certaines déclarations
platoniciennes sur
l ' u t i l i t é
ponctuelle du mensonge confirment
notre
position:
cf.
Répu-
bligue
III,
389b9- cl;
414a8 -c2.
(83).
Id.
,ib,
passim.
(84).
cf.
Euthyphron,
465-d6
(cf.
FRIEDLANDER,
ad.
loc.
ciL
p.~83; HEl DEL in On Plato's Euthyphro, ap. Transaction and
Proceedings of
the American
Philological Association,
Vol
XXXI,
1900,
p.178-l79;
Théétète
210d
(in
fine)
où Socrate
déclare'qu'il
va
répondre
à
son accusation;
Ménexène

"Socrate,
mort
en
399,
y
fait
civoquer
par Aspasie les
~v~nE-
ments de 387" cf.
L.
MERIDIER ap.
Budé,
V,
l,
Notice
p.74--:-:.

41
concerne
les
terres,
les
esclaves,
les chevaux,
le
bétail,
ne sont
en
rien
particulièrement exagérées.
D'ailleurs,
le
texte
insiste davantage
sur
les qualités morales des
Lacé-
démoniens
que sur
leurs
richesses matérielles.
Mais,
i l
nc~s
semble que,
plus
que
les
considérations historiques,
l'inter-
prétation
interne du
texte
est
décisive
pour
expliquer
cet:~
évocation
des
richesses matérielles de Lacédémone.
Socrate
cherche manifestement à
renforcer
son argumentation.
Dans
le
passage
124c4-120e5
(85),
i l
s'est
efforcé
de montrer à
Alcibiade
le danger majeur
que
constitue,
en
politique,
la
sous-estimation
de ses adversaires.
A sous-évaluer
le
pote~-
tiel
de
l'adversaire,
on
se
découvre et on s'expose ainsi
_
un mauvais
coup.
Or,
c'est

une
sérieuse
tendance
de
l'esprit
ambitieux
du
jeune
Alcibiade
que cette
30us-esti~~-
tion
de
l'adversaire.
Un
peu
de surestimation
du
potentie:
de
l'adversaire est
de
nature
à
rectifier cette
fâcheuse
tendance.
Cette
sur-éval~ation a par conséquent, avant to~:.
une
valeur
pédagogique.
Elle a
pour
fonction
d'entraîner
Alcibiade à
la
vigilance et
au
réalisme.
Ainsi
ne suffisa::-
i l
pas
de
lui
mettre
sous
les
yeux
les
seules
qualités
morales
des
Lacédémoniens,
encore
f a l l a i t - i l
que Socrate
exhibât
leurs
richesses
matérielles
(86).
Il
pouvait
(85).
CROISET,
ib.
\\
(86).
HATZFELD
(loc.
cit.
p.43-44)
déclare que Sparte
ayan:
été
très
pauvre
durant
tout
le
Vème
siècle,
c'est un
anact:J-
nisme assez
rude
de
la
dire
très
riche.

42
compter,
pour ne pas s'exposer au démenti d'Alcibiade,
sur
un
préjugé solidement établi dans le monde hellène,
dans
ce domaine,
en faveur
des Lacédémoniens.
Et puis à Lacédé-
mone,
lors même que l'on n'était pas
riche,
on savait ne pas
le laisser
paraître.
§
21.
Sur la longue digression concernant la
Pers~
notamment,
même DE STRYCKER est obligé de reconnaître que
W
rien
ne
prouve
que
Platon
ne
pouvait
posséder dans
sa
jeun~\\S~ les connaissances qui y sont supposées w (87). Certes
l'état de nos connaissances actuelles sur le niveau d'infor-
mation historique de Platon est assez fragmentaire,
en
particulier en ce qui concerne la Perse. Mais on peut
imag~­
ner aisément que l'intérêt du
jeune Platon n€
s'est pas
porté sur la seule Egypte,
et qu'il a d~ouvrir également
cet état
barbare qui depuis les guerres médiques (88),
ave:
diverses fortunes,
n'a cessé de constituer une menace
pour
la liberté nationale des Hellènes.
Au demeurant
le prestige
et la grandeur de cette royauté barbare,
comme l'immobile
splendeur des Pharaons -
en dépit d'un sentiment national
profond -
ne pouvaient~U'impressionner favorablement un
( 87) • Ibidem,
p.146.
(88).
O~ sait au moins, par D.L. (III 8; FESTIGIERE, i b •
p.33 n 1) que Platon aurait voulu se
rendre en Perse mais
qU'il
en fut
empêché.

43
un esprit comme celui de Platon.
Aucun chercheur correcte-
ment informé ne songerait à nier,
aujourd'hui,
la possibili-
té d'un cont~~t personnel direct ou indirect, de Platon ave:
des sages perses (89).
Déjà,
en 1945,
le R.P.
FESTUGIERE
(90) signalait des textes dont il ne faut pas surestimer
l'importance, mais qui méritent quelque attention: Cléarque
de Soles,
n.
"
vnvov,
J,
ap.
Flav. Jos.
c. Apion l
176-82;
Philon,
Mos,
II,
33;
Héraclite du Pont,
ap.
Strab,
II,
98;
Ps.Aristote Magikos,
Fr 32 Rose (D.L.
II, 45);
Philodème
Academ.
philos.
inde
Hercul.
p.13,
col III,
1 -
36-41 ~ekk€~
( ~ ~OTPO À~YO J ~ E;;rne: t T' aUTW ye: YOVWJ ~ vaypa<l>e:ù J TOÙ n À6 TWVO J
?
,
C,
7 1
,
(
,
Kal aXOVOTnJ
OT1 ye:ynpaxwJ n6n nÀaTWV vne:6e:E;;aTO xaÀ6alov);
ce dernier
texte parle évidemment d'un Chaldéen,
mais il
témoigne de l'existence de rapports académiques avec des
(89).
Orientaux,
en tout cas.
(90). Gr~cs et Sages Orientaux in Revue de l'histoire des
Relogions,
nOl-2-3
, P.U.F.,
1945,
passim;
pour la mise au
point la plus récente sur les rapports entre la philosophie
grecque naissante et l'Orient,
cf.
le livre de M.L. WEST:
Early Greek Philosophy and the Orient, Oxford,
1971.
Nous
remercions Mr.
Rocca-Serra du C.N.R.S.
de nous l'avoir
signalé et mis aimablement à notre disposition.

44
3arbares d'Asie Mineure.
§
22.
Si
l'argumentation historique
n'est
pas
concluante,
les
raisons
fondées
sur
la
thématique chronolo-
gique
interne
le sont
encore moins.
Plusieurs
raisons
ont
été avancées dans
ce domaine.
Nous
nous contenterons
ici
d'un
examen
rapide
des
plus
significatives.
Considérons en
premier
lieu
la
fameuse
liste
des
quatre
vertus
(91).
On a
cru
voir
en
sa
présence dans
l'Alcibiade
Premier
un argument
de
poids contre
l'authenti-
cilé de
ce
diaeogue.
Cette
liste,
dit-on,
n'aurait
pas
été
fixée
avant
la
République.
W
On
voit
donc
que l'Alcibiade
suppose la
république,
ce qui,
encore
une
fois,
est
i~pos-
sible
dans
l'hypothèse
de
l'authenticité. W (92).
Pour
que
cet
argument
soit
complétement
refuté,
i l
faut
que
deux
conditions soient
réunies: ~) qu'il soit établi que la mêce
liste apparaît aussi
dans
un
autre dialogue antérieur
à
la
République et
2)
qu'il
soit
établi
que, même
dans
l'Alcibia:~
considéré
comme
un
tout, cette
liste
est
flottante.
Or,
ces
deux
conditions
sont
précisément
réunies.
la liste des
quatre mêmes
vertus apparaît
dans
l'Euthydème.
On
recherche
- ~
~
les
biens
(TWV aya8wv,
279b4-S).
Parmi
eux,
i l
y a
"
, .
(91).
Il
s'agit de
la
sagesse,
de
la
justice,
de
la
tempé-
rance
et
du
courage.
cf.
121e1
-
122b9
(Croiset).
(92).
DE STRYCKER,
ibidem,
p.146 et
R.
WEIL,
ib.
p.
80.

45
OWlPPOVo. TE: E:tvcn KCtl
OlKCX10V KCXt ;lOVOPE:IOV
"
(93.) Clinias e.
)
,
"
c
,
convient:
"
Aycx8cx)
E:lPT) a KÀE:1V1CXf "
(94). Mais on se deman:e
où sera rangée la sagesse et
l'on admet que ce sera parmi
les
biens:
EtE:v, Rv ÈyW TnV oÈ OOlPlCXV TIOÙ xopoù To.~OUE:Vj ~v
TOlf ~ycx801f, n TIWf ~ÉYE:lf ;(95). Un moment, on se demande
si l'E:0TUXlcr
n'est pas par elle-même un bien;
toutefois,
i:
apparait rapidement qu'elle est incluse dans la OO~lCX: CH
"
-
- ) )
.,
,
, )
"
-
, ' ) /
,
OO~lCX OT)TIOU) nv 0 E:Yw
E:UTUX1CX E:OT1V TOUTO OE: KCXV TIcxlf YVOI •.
(96).
En fait,
cette objection a déjà été faite,
avec raison, par
VINK
(97). Cependant,
on lui a répondu
(98) que la présence
d'une
liste identique n'était
pas probante car
l'essentiel
résidait dans
la mention explicite du nombre quaternaire.
1

Cette objection est sreC.CIJ5e
et purement sophistique,
ca:-
nous avons bien ici
la citation expresse de quatre (99)
vertus.
Sur le fond,
cette question est nette,
et il. n'yi.
pas lieu d'insister.
(93).
279b 5-6
(94).
279b8- cl
(95).
279cl -
2
(96).
279d6-7
(97).
DE STRYCKER ib,
p.146.
(98).
Ibidem.
p.146.
(99).
Le
texte de l'Alcibiade déclare en effet que les
sagEs
)
c
,
éducateurs des princes sont au nombre de quatre:Ev T)Àl<ICX
12Ie6-7.

46
La deuxième condition se
trouve remplie car
l'Alcibiade cite la
liste des uÉYloLa (100).
Voici le
texte:
JI

,
,
-
ô '
, -
:J
•••
EXE1! UE1ÇW E1TIE1V
l~alWV LE ~al ~aÀwv ~at aya8wv ~al
OUU$EPOVLWV (101);
comme on le constate:
par
une rapide
COŒ-
paraison des deux
listes,
on ne retrouve que
la
justice
dans
les deux cas.
Par conséquent,
il
y a
bien deux
listes de
valeurs ou de vertus
dans
l'Alcibiade,
et non
pas une seule.
Un
jugement sur
l'authenticité doit
tenir compte des deux
listes,
ce qui
indique soit
un
flottement,
soit
une évo1u-
tion (102).
Dans
le
premier cas,
il s'agirait simplement
d~
flottement s,.r
la
liste des
vertus que
le commentarisme
(10~'
ne croit
pas déceler avant
la République.
Dans
le second cas.
i l s'agirait d'un
indice appuyant
l'hypothèse de la rédacti:~
(l00).
118a7
(101).
118al0-11.
L'importance de cette liste,
au point
de
vue
philosophique,
est
rehaussée par
le fait
qu'elle inter-
/
vient expressement en
rapport avec
la critique de l'ignorar.:~
,
- ,
la
plus grave,
celle qui
porte EV Ln TIpa~El.
(102).
On
pourrait
penser à
une adjonction tardive du
passa~~
politique,
mais d'une
part,
rien dans nos manuscrits ne
nous
1)'l'autorise; d'autre part, des raisons structurales semblent
interdire une telle hypothèse
qui serait gratuite.
(103).
Nous empruntons ce
terme à M.
AUBENQUE in Le pro~lècê
de l'être chez Aristote,
P.U.F.,
1962,
p.6 et
passim.

47
successive ou différée.
Dans un cas comme dans
l'autre,
on
vOi'bien que l'argument semble se retourner contre ses aute~r
et,
en aucun cas,
il
ne plaide l'inauthenticité.
§
23.
Outre la question des quatre
vertus,
on a
prétendu que la distinction de
l'âme et du corps supposait
le Phédon
(104).
Il s'agit
là simplemènt d'un de ces préjug~s
et de ces
présuppositions
(105)
qui,
à force d'être repris
par
tout
le monde comme une évidence,
finissent
par s'ancre~
et s'imposer dans les esprits avec
le poids
et l'autorité
de
la
tenace banalité de l'habitude.
A l'opposé de cette
opinion,
nous
pensons que notre dialogue,
sur
l'âme,
annonc~
plutôt
le Phédon.
Après avoiR établi
la séparation de
l'âme
et du corps (106),
et défini
l'homme comme étant l'âme
seule,
SOcrate observe qu'il
n'est
pas nécessaire de recou~~,
à des
raisons plus rigoureuses:~ETl o~v oa~toTEpOV 6ET
,
- ,
CI
c.
, ' "
5
aTI06Elx8nvat OOt
OTt
n ~uxn EOTIV av8pwTIOI
i
(107)
~ns
(104).
P.
CLARK.
ib,
p.235.
(105).
Il nous
plait ici de signaler
la brillante conférenc~
de Mr
le Professeur O'Brien sur" Préjugé et
présupposé en
histoire de la philosophie",
dans
le cadre du séminaire de
notre maître de
la Sorbonne,
Mr Le Professeur P.
Aubenque,
cf.
séance du 23 avril 1982.
(106).
128d13 -
130c4 (Budé)
(107).
130c5-6.

48
doute son interlocuteur n'en demande t-il pas
plus (lOS),
mais même si,
provisoire~ent, Socrate estime que cette
définition n'est pas plus satisfaisante,
il est
toujours
loisible d'y revenir et de l'établir sur des bases ;lus
solides.
Aussi
bien fait-il
une déclaration à caractère
) ,
, }
- ) ÀÀ"
,
programmatique:
Et
6E YE j.H1 aKpt8wf,
a
a Kat
\\JETPtWf,
,
_
( _ )
_
' "
CI
CI
E~apKEt n\\Jtv' aKpt8wf \\JËv yap TOTE EtOo\\JE8a, OTav EVpw-
"
\\JEV 0 vvv6A napnÀ80\\JEV 6ta Tà nOÀÀnf Etvat OKt~EWf. (109)
Or,
Socrate ne reviendra
pas sur cette question dans le
dialogue.
On ne sait
pas si en rédigeant ce texte,
Platon
avait en vue le Phédon;
toujours est-il que celui-ci a
bien
l'air d'être la mise en oeuvre du
programme annoncé (110).
§
24.
En revanche,
il
y a un
texte de
l'Apologie
qui,
lui,
est en relation avec
l'Alcibiade.
Pourtant,
personne n'a encore prétendu que l'Apologie fût
inauthenti-
que ou que,
authentique,
il supposâ~le Phédon. Socrate
(lOS).
130c7.
(109).
130cS.
(110).
Et,
comme l'on sait,
le Phédon
travaillera sur de
toutes autres bases abo~tissant à une théorie élaborée de
l'âme,
et intégrant notamment des considérations eschato-
logiques
totalement absentes de l'Alcibiade.
Pour une bonne
discussion de la théorie de l'âme,
cf. J.
BERNHARDT" Plato!:
et le matérialisme ancien",
Paris,
Payot,
1971,
p.239.

49
déclare qu'il s'est efforcé de
persuader chacun de ses
concitoyens " \\J~ lTPOTe:pOV \\JnTe: TWV ~ClUTOÙ \\Jllée:vàf
)
_
, c
_
')
,
CI
c:
,
e:\\J1\\Je:Àe:108Cl1
lTP1V
e:ClUTOU
e:lT1\\Je:Àn8e:1n
OlTWf
wf 8e:ÀT10TOf
KCll
q,POV1\\JWTClTOf
"e:001TO ••• " (lll). Le parallèle avec
l'Alcibiade 128e 1-2 est singueièrement frappant:
,
"
"
C ,
~
X:JI
_
C
,
"
AÀÀCl
Tooovée:
ye:
w\\JoÀOynT(ll,
OT1
oUX
'1
ClV
TWV
1l\\Je:Te:pwV
, ( . . .
- ,
_ : J
., 'Y
C
-f
?
,
KCl1
OT10UV
8e:ÀT10V
lT0101\\Je:V, ClÀÀ
n
Il\\JCl
ClUTouf;"
On ne peut
sérieusement contester que le
texte de l'Apologie préfigure
(112)
les développements de
l'Alcibiade ou alors,
au
contraire,
les suppose
(113),
dans les deux cas,
la relatic~
est
patente
§
25.
Quel est
l'épilogue (114) de toute cette
discussion? Aucun des
types d'arguments avancés,
stylistiques
( I l l ) . ~logie de Socrate,
36c 5-7.
(112).
Si,
comme ROBIN,
on place l'Apologie avant l'Alci-
biade.
(113).
Si,
comme CROISET,
on
place l'Alcibiade avant
l'Apologie.
(114).
D'autres rapprochements à caractère doctrinal ou
thématique ont été proposés mais,
pour la plupart,
ils
revêtent un caractère épiphénoménal et s'inscrivent dans
la
.
ligne des arguments précédents. Tous ces rapprochements
pêchent
par un
vice fondamental:
ils sont
praticables sur
tous les dialogues et donneraient
vraisemblablement,
le
pré-
jugé et
le soupçon aidant,
le même résultat.

50
(
§§
8;9;10),
formels
(§§
Il;12;13;14,
15), historiques
(§§
16;
17;
18;
19;
20;
21) et de "thématique chronologi-
que"
(
§§
22;
23;
24),
ne semble devoir autoriser,
avec
quelque crédibilité scientifique,
la répudiation de l'Alci-
biade pour inauthenticité.
L'essentiel pour nous était
que
la présomption d'authenticité qui,
depuis l'Antiq':ité,
fait
escorte au dialogue
(
§
1 n.1 et 2) sortît sauve de l'épreu-
ve.
Les adversaires de l'a~thenticité eux-m~mes ne semblent
se décider à rejeter
l'Alcibiade dans la panoplie des
apocryphes
(115)
qu'avec une sorte de mauvaise grâce.
Paméla CLARK l'a remarqué avan't nous" lt is noteworthy
that
several
scholarS
'
while
rejecting
the
work
do
30
with
reluctance a
hint
of misgiVing
"(116).
Nul n'a remis en cau;;.;:
le fait que l'oeuvre fût digne du maître.
DE STRYCKER
souligne l'excellent attique
(117) du dialogue et parle
de
"
l'imitation
parfois
réussie
de
la
dialectique
telle
q:.J'on
la
trouve
dans
les
dialogues
authentiques
W
(118).
D'ailleu:s
cet érudit en arrive à envisager que l'Alcibiade,
écrit
(115).
DUPREEL,
avec
le lyrisme qui
lui est coutumier,
écri:
que "... 1 e Pre mie r
A 1 c ib i a d e est
1 e
pl us
i mp 0 r Cl n t
des
dialogues
apocryphes
et
l'un
des
monuments les
plus respec-
.
tables
de
la
littérature socratique w •
ibidem,
176.
(116).
Ad.
loc.
cit.
p.
231.
(117).
Op.
cit.
p.137.
(118).
Ibidem,
p.1S1.

51
-
par
un
proche
(119)
du maître,
e~t été revu et révisé par
lui:
CLARK
elle-même
finit
par
opter
pour
une
solution
voisine"
l
suggest
that
the
first
two-thirds of the
dialogue are
the work of a
pupil
or
follower
of Plato,
while
the last
part
is by Plato
himself,
written in his
middle period at sometime after
the Republic
W
(120).
Elle
suppose que
l'académicien,
auteur
de
la
première
partie,
serait mort avant
de
l'achever.
Et alors,
Platon"
with
his
usual
affection
for
his pupils and associates,
decided
to
finish
i t .
lt
would
follow
from his
that
Plato approved of
the drguments employed,
but
l
do not
think we need to
suppose
that
he accepted every biographical
detail
about
Socrate and Alcibiades
W
(121).
Le grand
savant
anglais,
(119).
lb.,
i l
avance même
le
nom de Speusippe
qui,
cosme
l ' "
sait,
était
le
neveu
de
Platon et
fut
son successeur à
la
tête
de
l'Académie.
Sur
son
orientation spéculative (même
oS
sens que
chez Kucharky
in
Spéculation
platonicienne,
1971,
p.6),
cf.
Aristote ap.
Métaphysique,
A,9,
992a
32;
L.
Robin
La
P.G.,
p.286-7;
voir
aussi
Festugière
in Contemo.
et
vie
contemp.
p.
399
n.1).
(120).
CLARK,
ib,
p.231.
(121).
Ibidem,
p.240.
CLARK
n'identifie
pas ce
génial
acadé-
micien
trop
tôt
enlevé à
l'affection de
ses
proches.
Il
ne
cite
le
nom de Théétète que
pour
l'écarter.
Evlde~ment, dan~
son
hypothèse,
i l
ne
peut
s'agir de Speusippe
qui
a
survécu
à Platon
jusqu'en
339 au moins.

S2
TAYLOR
lui-même,
effleure une
hypothèse
finalement
assez
voisine:" On
the
who1e
i t
seems probable
that
A1cibiades
l
is
the
work of an
immediate
disciple,
probab1y written
within
a generation or so of P1ato's death and possib1y eve~
before
that
event
"
(122).
Et
comme
tout
le monde,
i l
recon-
nait que
notre
dialogue constitue une
bonne
propédeutique
aux
études
platoniciennes:
"
In
fact,
i t
forms,
as
the.
Neop1atonic
commentators saw,
an excellent introduction
to

the
who1e
p1atonic
ethica1
and
po1'tica1
phi10sophy."
(123).
Au
vu
de
tout
le
dossier de
cette discussion,
l'Alcibiade
résiste
fortement
à toutes les tentatives

d'athétèse,
et
i l
semble
bien
que
l'on
puisse
nous sU, "'re,
avec
de
sérieuses
raisons,
malgré qu'on en ait,
dans
notre
adhésion
à la thèse de l'authenticité.
(122).
P.M.W.
p.13.
(123).
Ibidem,p.13.
TAYLOR ajoute
immédiatement
que:"
l t
is
Just
this
character
which
is
rea11y
the most
conspiCUo~S thi-;
about
the
dialogue
"
idem.
On
sait
quelle
protestation
....
passionnée
le savant
Français
E.
DES
PLACES a
opposée a
ce
genre
d'arguments:" . . .
Platon
n'a
t-i1
pu avoir
dès
sa
jeunesse
des
pressentiments
de
théories
qu'il
devait
expose~
.
plus
tard?
Il
en a
eu de la
théorie
des
Idées;
de quel
droi:
lui
refuser
d'autres
éc1qirs?
Pourquoi
n'aurait-il
pas
entrevu,
plus ou
moins confusément,
tel
développement
tardi:
de
sa
philosophie?"
cf.
R.E.G.
XLIV,
1931.

53
§
26.
Cependant à
nos yeux,
bien plus décisive
(
§
6)
est la question de
la
pertinence de l'analyse philo-
sophique conduite dans le dialogue.
Elle s'appuie essentie:-
lement sur le parallèle entre les techniques et l'éthique.
Naturellement cette analogie,
la "favourite analogy"
(124)
de Socrate pour
parler comme(9UTHRIE,
est fréquente dans
les
dialogues.
La particularité est qu'ici elle nous sert de
ligne de mire dans
l'analyse de l'Alcibiade en même temps
qu'elle est ce qui structure son mouvement fondamental.
Nous sommes en présence de deux mondes:
celui
des techniqués
et celui des valeurs
(moralité).
Le monde des
techniques es:
celui des accords et des convergences.
Lorsque deux
techni-
ciens de
Id même discipline se rencontrent, ils savent
toujours de quoi
ils
parlent.
Ils évoluent dans un espace
de rationalité technicienne fiable
parce que
vérifiable da;s
l'efficace du résultat attendu.
Ici,
la loi de la majorité
principe de décision de la mass~ ne triomphe pas;
seule
compte la compétence technique,
ressort du spécialiste.
Lorsqu'il s'agit de rechercher
la meilleure
préparation
(124).
Ou,
dit-il,
son "Charle's king head",
cf.
History
of Greek Philosophy,
London,
1977 *2*,
p.106.

54
physique
(125),
on s'adresse au pédotribe,
homme de métier.
Qu'il s'agisse de problèmes d'architecture (126)
ou même
de
mantique
(127),
on s'adressera auX spécialistes. Tel se
présente à
nous
le monde technique:
lieu d'accords et de
convergences.
En revanche,
le monde des valeurs est celui
des désaccords et des divergences
tant entre les Etats
qu'entre
les individus
(128).
En matière de
juste,
de beau,
de bien,
chacun se tient
pour compétent.
Il n'y a apparemmen:
pas cette
délimitation professionnelle si typique du monde
technique.
Ici,
le conflit ne se résoud
pas dans
le recours
à
la mesure (129)
ou,éventuellement}à quelque autre moyen
empirique (130).
Quand deux
"moralistes" se rencontrent,
s'ils utilisent
toujours les mêmes mots,
ils ne se compren-
nent
presque jamais.
§
27.
Le point de départ (131)
de l'Alcibiade
-
or.
ne l'a
pas remarqué
jusqu'ici -
est cette double constata-
(125).
Lachès,
184d 5 sqq.
(126).
Alcibiade 107a
lu-Il.
(127).
lb.,
107b 3.
) \\
c.
' - ,
~
(128).
Euthyphron: TauTa ôÉ YE 1 wJ où <!>~J 1 01 ~EV Ô1KalCl
G
_
" ,
."
, c ' ,
)
_
llYOUVTal,Ol
ÔE aôlKa.TIEpl a Kal a\\J<!>loBllTOUVTEJ oTaolaçouol
TEK a l
TI 0 ÀE\\J 0 Ù0 l V aÀ Àrl À0 l l' il pa <lu X 0<.~ TW ; 7e 9 - 8 a 2.
(229).
Euthyphron 7b6 -
Il.
(130).
Penser)ici,
à
la mantique.
(131).
Cf.
Ille 14 -
112d 14 (Croiset).

55
tion de
l'accord sur la technologie et du désaccord sur
l'axiologie.
Si la rationalité est sans conteste le fonde-
ment de la convergence sur la première notamment par
le
l
critère de mesurabilité,
gage d'objectivité,
eSt -ce à dire
que la non-rationalité serait à l'origine de la divergence
sur la seconde? Cette interrogation est prise en charge pa~
l'analogie quasi-systématique que les réflexions platoni-
ciennes établissent entre les techniques et
les valeurs.
Du point de vue philosophique,
ceci mène à deux groupes de
questions décisives:
d'une
part,
comment mener
la compara:-
son de ce qui converge et de ce qui
diverge? Et accessoire-
ment:
jusqu'où cette comparaison peut-elle aller? En quel
Sens est-elle légitime? D'autre part,
y a-t-il quelque
chose comme une rationalité du monde éthique? Et secondai~e­
ment:
comment sauver cette rationalité en faisant aussi d~
monde des valeurs un espace de convergence (132)? Quelle
(132).G. FIELD a correctement posé la problématique g~nér~lt
de ces questionnements en relevant
le double défi que
tent~
de relever
le premier platonisme:" There was on the one si:e
the
challenge of
the
sceptica1
philosophies,
adopted
in
pratice
by many who
had but
the
vaguest
know1edge of
the
theories,
which
cast
doubts
on the possibi1ity of there
being
any objective
va1idity,
any basis in
the
nature
of
rea1ity
for
moral
judgments
at
a11.
On
the
other
there
was
the
challenge of
the
facts
of the situation,
which
re\\'eale~

56
est la nature de cette rationalité? Quel est son véritable
objet? Comment y atteindre et à queÙtfin?
Présentée massivement,
la question peut s'exprimer
ainsi:
l'Ethique est-elle une technique? ou m~mela Techniç~E
des techniques? Telles sont,
à l'examen,
les questions
capitales qui structurent l'horizon de l'Alcibiade et que
l'attention exclusive d'un
commentarisme séculaire pour
les
seules questions de l'authenticité a emp~ché,
à quelques
exceptions près,
de
poser dans toute
leur ampleur philoso-
phique,
alors qu'elles peuvent appro-fondir considérableme~:
notre cOWo,Jréhension de l'une des démarches-clefs du premier
platonisme.
Et
peut-~tre, par un juste retour des choses,
la prise en charge de 12 qu~te philosophique de l'Alcibiade
conduira-t-elle à modifier
la position m~me du problème de
son authenticité.
Si nous prétendions à quelque nouveauté,
ce serait bien à celle-là -
le recentrage du commentaire de
l'Alcibiade sur son horizon philosophique.
§
28.
Nous ne pouvons espérer y arriver que si
notre méthode d'analyse et
notre style d'interprétation
(132 suite).
the
absence of any estab1ished and agreed
bod~
of know1edge on
the
prob1ems
of conduct at a11
comparable
.
to the estab1ished body of scientific know1edge which
a1ready existed. w (cf.
The Philosophy of Plata,
Oxford
University Press,
1953,
p.25-26).

57
restitue pleinement la
parole si longtemps usurpée à
l'auteur de l'Alcibiade,
"quel
qu'il
soit"
(133). On compre:l-
dra donc que notre analyse,
sous peine de transformer
l'Alcibiade en prétexte et de ne le laisser parler que
par procuration,
ait choisi
plutôt de le restaurer dans
l'économie propre de sa contexture (134).
Sans doute un
texte de Platon n'est-il pas écrit à la manière d'un manuel
(135),
mais il a
une composition qui est loin d'être
(133).
V.
GOLDSCHMIDT dans "Essai sur Cratyle"
, Vrin,
1982
*2*,
p.48 où d'aille, 's l'auteur rapporte (id.n 2) le point
d.i.
de vue peu connu de son maîtrev~'Ecole des Hautes Etudes,
M.H.
Marguerite qui a émis l'hypothèse que l'ouvrage a
pu
être écrit
par un membre de l'Ecole de Mégare
(1937-38).
Cependant,
il faut
rappeler que GOLDSCHMIDT lui-même a
acce:-
té dans sa thèse, devenue classique}l'authenticité de l'A1ci-
biade.
(134).
Dans sa conférence introductive du 29-11-82,
à
l'Ecc~~
des Hautes Etudes,
notre maître,
Mr le Professeur P.
Ha:ot

a mis en relief le lien qui
unit le concept à
la strucLûre
littéraire dans les textes antiques.
On ne peut ignorer
cet:~
solidarité qu'en trahissant le texte.
(135). éf.
Vincent DESCOMBES,
Le Platonisme,
Paris,
P.C.f.
Collection SUP,
1971,
pp.6 -
16.

58
arbitraire et
dont
la structure,
les
procédés
et
les
démarches,
sont
révélateurs
des
intentions de
l'auteur
(13:)
A ignorer
cette structure et
les
procédés qui
lui
sont
solidaires,
on
s'expose à être victime de
la
tentation,
ou
sombre
vite
le commentateur
imprudent, d'usurpation de
la
parole
de
l'auteur.
Nous
suivrons donc
dans
ce
travail
le
plan et
les démarches
propres de
notre
dialogue car
" ••.
5;
l'on
essaie de suivre
jusqu'au
bout
leur
intention,
selon
une
voie,
non
plus
certes,
Philo'o~i~ue. mais technique
(pour
reprendre
le
terme
de
M.WEBER),
c'est-à-dire selon
leur
propre méthode.
i l s
(i.e.
les dialogues,
D.Samb)
finissent
quelquefois
par accorder
une rencontre
(137). ou
l'on
se sait
par
évidence,
en
face
de
la
vérité de
1 'auteu~.
et
non
plus de
ses
propres
illusions
(138)
." C'est ici
qu'il
faut
souligner.
en
second
lieu,
qu'il
n'est
pas
possible" de
faire
abstraction
de
la
volonté
doctrinale
"ail ,lc.\\," de. J)4t'. VVE.
(139)" de l'auteur,
en
l'occurrence
de
PLATàN;(qu'il
s'agit
et
non
des nôtres.
Pas
plus qu'en
tant
que modernes
nous
(136).
V.GOLDSCHMIDT a
établi de
façon
décisive
ces
points
dans
son
beau
travail
déjà
cité:
Il
Les
Dialogues
••• "
(137).
Les
soulignés s~nt de
l'auteur.
(138).
V.
GOLDSCHMIDT.
La
Religion
de
Platon.
Paris.
1970,
p.
263.
H,
(139) . Cf.
toujours
la Conférence
de
~ le Professeur P.
HADOT:
c'est
l'expression qu'il
a
utilisée.

59
n'empruntons noS
préoccupations à Platon,
nous ne devons
lui
prêter celles que nous nous reconnaissons,
à tort
ou
à raison,
aujourd'hui.
Avant de critiquer,
il;aut comprendre,
et.en tout cas, ne
jamais s'installer dans la
position usur~~e
du censeur.
Car si,
pour des raisons aisées à admettre,
le
commentateur doit soumettre sa sympathie à
l'exigence de
l'intelligibilité du texte interprété,
il est
intolérable
qu'il
la mesure à sa promixité doctrinale.
Aussi bien comme
l'a clairement déclaré M.
Le Professeur HADOT (140),
est-il
nécessaire qu'on ne
perde
jamais de vue les circonstances
de lieu et de temps dans les'quelles naît l'oeuvre.
Ainsi,
on peut
poser à
l'oeuvre ses
propres questions,
en pleine
conscience de ses
propres réalités langagières;
car une
doctrine ne se comprend jamais que dans son "jeu de langage-
( 141 ) •
§
29.
Nous entrerons,
par conséquent,
plei~e~ent.
dans la logique interne du
texte pour
l'assumer,
et au
besc~~
la mettre en lumière mais en respectant la direction straté-
gique où il s'engage.
La fonction du commentateur n'est
pa8
de dire autre chose que le texte,
pas plus qu'elle n'est
(140).
Même conférence.
(141).
Ce mot de WITTGENSTEIN,
a été cité par M.
Le profes-
seur HADOT,
id.

60
de
le répéter -
souvent mal.
Entre la
banalité
(142)
d'une
réitération lassante qui s'épuise dans le confort d'un
plagiat sans ambition et l'insupportable trahison d'un
dire autre chose que
le
texte qui le
transforme en un
illisible palimpseste,
il y a
la possibilité de l'exhumatic~
du dire plus du
texte,
dans un exprimer autrement du sens
du même en
tant qu'il s'offre au dévoilement heuristique de
t~xégèse. Cependant, il n'y a pas lieu d'adopter une
attitude
"
sym~trique ~ celle de l'auteur wou de se
situer par rapport au texte dans une position de spectat~u;
(143),
ni de
W
demander
des
comptes
~ Platon
W
(144).
\\ous
ne nions pas ce que
toutes ces attitudes peuvent avoir
de
légitime au regard
de
l'optique qui
les commande.
Il serai:
absurde de penser qu'il n'y aurait qu'une voie d'accès
au
texte
platonicien,
une seule méthode de lecture.
IL est
même
plus vraisemblable que c'est de
l'effort appliq~é de
(142). Cf.
toutefois cette déclaration de GOLDSCHMIDT:
w • • •
la bana1it~ en matière d'exègèse est toujours préfé-
rab1e ~ l'arbitraire w in La R.P.
Loc.
cit.
p.196.
(143).
Ce qui est
l'option herméneutique de Y.BRES dans
La Psychologie de Platon,
P.U.F.,
1968,
p.25.
(144). Cf.
J. BERNHARD. Platon et le matérialisme ancien,
Payot,
1971,
p.9.

61
plusieurs inspirations méthodologiques différentes que
naîtra,
peu à peu,
une plus claire compréhension du premier
platonisme.
De même qu'en physique,
la théorie ondulatoire
et la théorie corpusculaire de la lumière sont vraies
toutes
les deux,
des interprétations différentes de
la doctrine
d'un texte
peuvent
parfaitement coexister en étant toutes
plus ou moins vraies selon
le rapport envisagé.
C'est dire
que dans notre travail,
nous éviterons un double écueil:
celui du dogmatisme étranger à
la vraie science et celui
de la polémique qui
peut,
quelquefois,
en éloigner. Mais
cette prudente réserve qui
souvent,
fait
la dignité de
la
science,
ne nous interdit nullement un choix méthodologi-
que
fer~e. C'est pourquoi, au rebours d'un BRES ou d'un
BER~HARDT, nous avons choisi d'entrer dans le texte, d'y
être acteur et de nous soumettre à sa loi. Nous
pratiquons
en conséquence,
une
lecture interne dont nous aurons. la
faiblesse d'avouer qu'elle est faite d'une discrète co~pli­
cité et d'une active sympathie.
Car
nous reconnaissons
volontiers dans
l'auteur de ce texte,
à supposer que ce so::
Platon du dème de Colly tas,
fils du divin Ariston et de
la
gracieuse Périctionè ~ un maître,
le
premier et le plus
grand de tous.
§
30.
Outre les considérations que
voilà (§§
28;
29),
la méthode de
lecture interne implique la mise en
oeuvre conséquente de trois
principes essentiels. D'abord,

62
le
principe de l'autonomie du
texte.
Le texte est consi-
déré comme une réalité plus ou moins homogène,
ayant sa
propre rationalité qui s'exprime dans l'économie des rappo~:s
de son objectif doctrinal avec ses options méthodologiques.
Le dialogue a donc sa
propre logique interne qui présente
une certaine résistance qui est celle de la cohérence de
ses intentions.
On ne peut vaincre cette résistance que si.
acceptant le principe d'autonomie du texte,
on en adopte
la loi.
Si,
comme l'a dit
le Phèdre,
les dialogues sont des
jeux,
il
faut entrer dans le
jeu,
et par conséquent,obéir
à ses règles.
De sorte que,
chaque dialogue peut être -
en
fait,
est à -
étudié
pour lui-même.
L'histoire extérieuri
au texte,
le hors-texte,
comme on dit aujourd'hui,
pour
utile qu'elle puisse être à sa compréhension,
n'est donc P=3
ce qui en commande au premier chef l'intelligibilité.
Ainsi,
ne
jugera-t-on pas ici du caractère platonicien ou
non des démarches ou des thèmes en rapport avec des consi-
dérations historiques,
mais
bien,
prioritairement du moins.
en rapport avec les intentions avouées de Platon. On
peut
maintenant comprendre l'importance du second
principe -
celui de la circulation des questionnements,
et même des
thèmes,
d'un dialogue à l'autre.
On a comparé l'ensemble
des dialogues à une sorte de Grand Dialogue (145). Cette
(145).
Cf.
J.
BERNHARDT,
ibidem,
p.13.

63
idée
peut être féconde
pour
l'exégèse platonicienne si,
1
à
tout
le moins,
on ne tombe pas dans le peché originel
de
l'esprit
philosophique qui est la propension au système
(146).
Selon nous la fécondité de cette idée peut être
préservée à condition que l'on comprenne bien que l'unité
du platonisme est moins celle d'une réponse que celle d'un
questionnement.
C'est l'unité de ce questionnement qui
fonde ce second
principe de circulation "inter-textuelle".
Chaque dialogue est alors un éclairage potentiel
pour
l'interprétation de
tous les dialogues,
le principe d'auto-
nomie empêchant la
tentation de substitution des dialogues-
témoins au dialogue analysé.
Si les dialogues
peuvent
"
.
sec.:.=.:.
rer
les uns les autres,
c'est en vertu précisément du
troisième principe -
celui de
la responsabilité de Platon.
Platon est
responsable (147)
de toute son oeuvre.
Il est
compt?~le, bien sûr, de ses cohérences et de ses avancées
théoriques,
en un mot de ses succès,
mais il
l'est aussi -
s ' i l y a lieu -
de ses incohérences et de ses hésitations,
de tout ce qui Se pourrait appeler,
en quelque façon,
(146).
Sur la notion de système et la
position qui en
fait
d~
la visée/toute réflexion
philosophique cf. COLLINGWOOD
in
An essay of Philosophical method,
1933,
pp.
176-198.
(147). Cf.
M.
Le Professeur P.AUBENQUE,
ibidem,
p.ll.

64
"ses échecs".
En conséquence,
on ne cherchera nullement a
sauver
une
illusoire cohérence doctrinale au
prix de la
trahison d'une intention philosophique inquiète (148)
par
nature et questionneuse par vocation (149).
Platon est
un
homme qui cherche et qui se cherche -
qui toujours nous
inv::(
à chercher avec
lui.
L'unité de sa tâche peut
bien être
cel:e
d'un déchirement dont le profond écho,
à travers plus de
deux millénaires,
continue de nous parvenir,
quelquefois
réfracté,
sollicitant notre bienveillante attention.
Qu'on nous
permette donc,
avant de nous laisser
emporter
par l'irrésistible vague des raisonnements socra-
tiques,
de
faire -
comme bien de nos illustres
prédécesseur~
notre" prière sur l'Acropole" (150),
en souhaitant que
(148).
Nous donnons
ici à ce terme un sens voisin d'~to~ne­
ment.
Cf. Théétète,
156d.
(149).
Cf.
J.H.
LOVINFOSSE.
La morale de Platon,
ap.
A.C.,
1965,
"Derrière le masque pétrifié du
divin
Platon,
on
rencontre un homme qui cherche et
une pensée qui
vit"
(p.50-)
(150).Cf.
Georges BASTIDE.
Le moment historique de Socrate
Paris,
1939,
p.6.

65
Platon "apollinien"
(151)
nous
fasse
la
faveur
d'une
"rencontre".
(151).
On sait que
d'apr~s SPEUSIPPE ( ITEP{ 6E1TIVOV), Arist:~
1
alors
fiancé
de
Périctione aurait
tenté
de
la
violer
mais
1
en
vain.
Puis,
Périctione
fut
enceinte
du
dieu
Appollon,
qui
est ainsi
le
père ~e Platon.
Ce
récit
tend
ainsi
à
démoniser
Platon.
L'épithète
"apollinien"
fait
allusion
à
ce
fait.
cf.
D.
LAERCE,
III,
2 et OLYMPIODORE,
Vit.
Plat.
p.1
(\\vestmann);
O.
REVERDIN
dans
"La
Religion
de
la Cité
Platonicienne",
Paris,
1945,
p.14.

66
i
1
1
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1 . " · ·

67
TA3J1.~ _J~~ù :.:ATI~~E0
A-i-LA:.'1 E1-C A:i.ALYùE :9U :JIALO-DE
-
Le départ du dialogue-
103a 1 -
106c 4
a.
La situation sociale d'Alcibiade
(103a 1 -
104c 7)
b. Socrate dévoile ses intentions
(104c 7 -
106c 7)
1. Socrate décrit les ambitions
d'Alcibiade (104c 7 -
10Sc 7)
2.
Le rôle de Socrate
(10Sc 8 -
106c 4)
I.
A LA RECHERCHE DU DOMAINE DE COMPETENCE D'ALCIBIADE
(loGc S -
109c 16)
a. Question préjudicielle
(106c S -
106e 4)
b.
Les connaissances d'Alcibiade et les délibéra-
tions des Athéniens (106e S -
107a 10)
c. Sur les sujets techniques,
les Athéniens
consultent les spécialistes (107a
Il -
107d
1)
d.
La prétention affichée:
la politique
(107d 2 -
109c 16)
1.
Les critères
(107d 2 -
108a 12)
2.
L'enseignement du Précepte unificateur
(108b
1 -
108d 10)
3. Application à la
politique
(108d
Il -
109c 16)

68
II. L'AVENEMENT DE LA VALEUR: LE JUSTE
(109d
l -
116e 5)
1. Première aporie sur l'origine de la connaissance
(109d
l -
110d 6)
2.
La Masse peut-elle enseigner le juste?
(llOd 7 -
113c 8)
a.
Le maître prétendu d'Alcibiade:
la ~a~5l
(llOd 7 -
110e 1)
b. Critique de cette prétention
(llOe 2 -
Ille 13)
c.
Position et solution du problème
(Ille 14 -
113c 8)
1. accord sur les techniques
et désaccord sur les valeurs
(Ille 14 -
112d 14)
2.
la responsabilité de.l'enq~~:,
(112e l -
113c 8)
3. Sens et portée du problème du juste
(113d
l -
116e 5)
a.
La position d'Alcibiade:
la mino~isa­
tion du problème (113d
l -
114b 2)
b.
Le rapport du
juste et de l'utile
(114b 2 -
116e 5)
1. savoir et persuasion
(114b 2 -
114d 9)

69
2.
de
l'identité
du
juste et
de
l ' u t i l e
(114d
10 -
116e , ,
J
J
a.tout ce qui est
juste
est
beau
(114d
10 -
115a
12)
b.tout ce qui
est
beau
est-il
bon?
(115a
13 -
116b
1)
c.autre démonstration
de
ce
point(·H6 ~.1- ~"'6 ,,~).
d.nature du
rapport
juste
utile
(116c
6 -
116e 5)
4.
De
l'Ethique à
la
gnoséologie
(116e
5 -
119a 8)
a.
La
non-contradiction comme critère
du
savoir
(116e
5 -
117b 4)
b.
La
non-contradiction,
comme signe
de
l'ignorance consciente
(117b
5 -
117d 8)
c.
L'i&norance ~v T~ np&çEt
(117d
9
-
118c 6)
d.
Le
critère
pertinent de
la science:
S~
transmissibilité essentielle
(118c
7 -
119a 8)
III. EXAMEN CRITIQUE DES AMBITIONS POLITIQUES D'ALCIBIADE
(119a 9 -
127e
3)
1.
Savoir
déterminer
ses
rivaux
est
important
en

70
l'art politique (119a~
-
120c 3)
2. Les Politiques Lacédémoniennes et Perses
diffèrent-elles des autres? (120c 4 -
124b 9)
a.
Le danger de la sous-estimation des
adversaires (120c 4 -
120e 5)
,
b.
La supériorité ethnique des Perses
(120e 6 -
121c 6)
c. L'éducation des Rois Perses
(121c 6 -
122b 9)
1 ) cérémonies natives et première
étape de l'éducation
(121c 6 -
121d 9)
2)
l'éducation proprement dUe
(121e 1 -
122b 9)
d.
Infériorité d'Alcibiade sous le rappc~:
des richesses (122b 10 -
124b 9)
1) vis à vis des Perses
(122b 10 -
l22c 4)
2)
vis à vis des Lacédémoniens
(122c 4 -
123a 9)
3) les Perses sont plus riches que
les Lacédémoniens
(123b 1 -
123c 2)
4)
l'infériorité d'Alcibiade ou la
nécessité du Précepte Delphique
(123c 2 -
124b 9)

71
3.
A la recherche de l'objet du Politique
(124b 10 -
127e 3)
a.
La décision de s'améliorer
(124b
10 -
124e 3)
b.
Mise en époché des techniques
(124e 4 -
125b 8)
c.
L'euboulie,
comme critère de la
pertinence du politique (125b 9 -
125e 8)
d.
Insuffisance de ce critère
(125e 9 -
126a 4)
e.
Essai de détermination de l'objet
de
l'euboulie en politique (126a 5 -
127e 3)
IV.
LES fONDEMENTS DU PRECEPTE DELPHIQUE
(127e 4 -
135e 9)
/
1. Deux types fondamentaux de TEXVn
~
(127e 4 -
128d 12)
1

2.
Par quelle TEXVn prenons-nous soin de nou~-neme
(128d
13 -
130e 5)
a.
La position du
problème
(128d
13 -
129b 6)
b.
Premier essai de 'distinction:
le
technicien et ses outils (129b 7 -
129d 4)
c.
Second essai de distinction:
le
technicien et ses organes corporels comme "instruments"
de travail.
(129d 5 -
12ge Il)

72
d.
Essai de définition de l'homme
(12ge 12 -
130c 4)
e. Observation sur cette définition
(130c 5 -
130e 5)
3.
L'objet du Précepte De1phique
(130e 6 -
132b 7)
a.
Prendre soin de l'âme
(130e 6 -
131d 3)
b.
Socrate médecin de l'âme
(131d 4 -
132b 7)
4.
La signification du Précepte De1phique
(132b 8 -
135e 9)
a.
Le fond
du problème:
l'être
(132b 8 -
132c 13)
b.
Essai d'élucidation du Précepte
De1phique:
la métaphore du miroir (132d
1 -
133b 12)
c.
Le Précepte De1phique relève d'une
1
science déterminée:
la ow~poouvn (133c 1 -
133e 7)
1
d.
La ow~poouvn comme fondement du
politique ou du bonheur -
La quête de la vertu
(133e 8 -
135c Il)
Considération finale:
Alcibiade prend
conscience de son ignorance
(135c
12 -
135e 9)
~ ~:::;1.J1'r '\\'1';:;
,-l'"~
eFv='::'
.- ----
.:..J_~
L' E~\\J-Qilli'=:1_'JT~~1.2~.~3~.:\\.'J:II.Jl'~S~CS:?~; ~I0l~
)U .0L'-!.10LTCJ.

3n~01Vla
na
NV1d
• v
EL

74
.. La lecture attentive des dialogues
socratiques,
l'interprétation précise des
suggestions qu'ils renferment,
conditior.-
née par
une réflexion directe sur
les
problèmes qu'ils agitent,
doit (donc)
(:
aboutir à en dégager un enslignement
positif,
dissi~ulé à maint lecteur par~e
cliquetis de la discussion."
(2)
(1).
Les crochets sont de nous.
(2).
J. MOREAU.
La construction de
l'idéalisme
platonicien
Paris,
1967,
*2*,
p.16

7S
LE DEPART DU DIALOGUE
(103a
1 -
106c 4).
a.
La
situation sociale d'Alcibiade
(103a
1 -
104c 7
§ 31.
Le
dialogue
s'ouvre sur
une
profession
de
foi
de Socrate.
S ' i l
fut
le
premier à aimer Alcibiade,
il
est aussi
seul
à rester fidèle à cet amour (3).
A la
diffé-
rence
des autres
prétendants,
i l avait eu
recours à une
stratégie du silence
(4),
pour
une
raison qui
n'était
~as
(3).
Sur ce
problème~ cf §15 o~ est donnée la citation de
Grote qui
fait
justice de
la
condamnation moralisatrice
de
cette
relation.
(op.
cit.
p.331-32 note a),
mais le
Ba~gue:
(217a -
21ge)
authentifie,
si
l'on
peut dire,
la
nature de
ce sentiment qui,
cependant,
pour Socrate n'a
rien
d~
physique.
(4).
HATZFELD
(ibid,
41),
se
faisant
l'écho
de
Ast,
s'étor.:~
"
d'un
Socrate attaché comme
une ombre muette et
pendant
C~5
années,
aux pas d'Alcibiade;
cette manière de
présenter
lE:
choses,
en
complet
désaccord avec
tout
ce que
Platon
nous
dira
explicitement
par la
suite,
prést" te en
particulier ~-e
grave
difficulté
chronologique".
Quoiqu'il
ne
le cite
pas,
HATZFELD
pense
ici
principalement au
discours
d'Alcibiade
dans
le
Banquet où
sont contenuS,
en effet,
des
renseigne-
ments
difficilement
compatibles avec
ceux
de
l'Alcibiade.

76
)
~
,
: > "
humaine (
OUK aV8pWTIE10V,
103a 5) aÀÀa Tl oal~OV10V
)EvavTlw~a (103a 5-6). Mais, l'interdiction divine ayant
cessé,
il
peut nouer un contact sans doute fructueux
avec Alcibiade.
§
32.
Alcibiade qui
n'a que vingt ans (§
14 n.
63)
est gâté
par la nature et la
fortune.
Il
possède les biens
corporels (beauté et physique avenant)
mais aussi d~s
/
biens extérieurs impressionnants.
En
plus de son Y8VO!
(5)
dont le poids à Athènes -
une des plus grandes cités
(4 suite).
Dans le Banquet,
quand Alcibiade tente Socrate,
~
fi
il est à la fleur de l'âge (ETIl TB wPg,
217a 3),
tandis que
dans l'Alcibiade,
Socrate l'aborde quand,
déjà,
il se
fâne
,
,
"
"
(Ta OE oa ÀnYEl
,
l ,
8 -
wpaf
ou 0 apxn av E1V.
131e
Il).
Comment
.
nier la contradiction? Il faut abandonner l'approche
historique (§§
18;
19) et admettre qu'il y a
là un bon
exemple d'une utilisation littéraire de l'histoire sur
une
base hagiographique.
De toute façon,
ce genre de question
n'est
pas décisif,
parce qu'il ne,relève pas de la philo-
sophie;
ce qui semble ~xpliquer une certaine insouciance
vis à vis de ces "détails"
(détails aux yeux du philosophe':
mais c:. ) 30.
Sur les départs des dialogues,
et de
l'Alcibiade en particulier,
nous sommes d'accord avec
Proclus,
op.
ciL,
pp.
Il
sqq.
(5).
cf.
HATZFELD,
ibid,
ch.1 à 26 et
ISOCRATE,
XVI,
25.

77
hellènes -
est considérable,
il dispose,
des deux côtés
de ses ascendants directs,
de solides faisceaux d'alliances
politiques et sociales que vient consolider la
puissance
politique,
en Grèce et au-delà,
de son tuteur Périclès (6).
Naturellement,
pour compléter ce tableau,
déjà flatteur,
Alcibiade est riche.
Son beau-père,
on le sait
bien,
était
l'homme le plus riche d'Athènes (7). Tous ces avantages
dont Alcibiade est
fier,
à l'exception de la richesse,
en
l,
:;
ont imposé à ses prétendants moins bien pourvus.
Aussi bien
doit-il se demander ce qui
justifie la
tenacité de Socrate
(8) qui est laid
(9),
pauvre et sans alliances
politiques
importantes.
La question étant devenue m~ture dans l'esprit
d'Alcibiade,
Socrate peut révéler ses intentions et,
le cas
(6).
Ibidem p.
28 sq;
et L.ROBIN (apud Pléiade,
1950).qui
renvoie opportunément à Alcibiade 118c-e et au Protagoras,
320a-b,
cf.
n2 p.204=p.1274 et pour les nations
barbares
auxquelleS il est
fait allusion,
id.
n 4: Thrace,
Macédoi~e
et
les territoires semi-asiatiques.
(7).
cf. Hatzfeld,
ibid,
p.
25.
(8).
Dans le Banquet,
c'est plutôt Alcibiade qui
prend
l ' ini-
tiative et bute sur la tempérance ferme de Socrate -
217a
355=.
' : l ! '
,
(9).
cf.
Ibidem,
Kat
J ,
-
,
~n~l au EOlKEval aUTOV TW aaTupw
,
TW
'
,
,
(1.0
'
-
,
t
Mapaua·
T l
~E V OÙV
CI
' r l '
TO YE
E 60fl
o~olOf E yTOUTOlf,
.,.
1
1
,
,
1
,
,
, /
.
1
,
[WKpa8Ef
ou6"
aUTof
,
av ITOU aU~laSnTnaalf
215b 4-6.

78
échéant,
définir
la
fonction
qU'il
s'attribue
(§§
35;36;
159).
b.
Socrate dévoile ses
intentions (104c
7 -
106c
7)
1.
Socrate décrit
les ambitions
d'Alcibiade
(104c
7 -
105c
7).
§
33.
A l'inverse du
Banquet
(10)
où,
à
peine assis
entre Agathon et Socrate,
Alcibiade
prend
l'initiative
d'interroger celui-ci sur
les
raisons
de son assiduité
a
ses
pas,
ici
i l
se
laisse
devancer
(11).
Ce signe ne
trompe
pas:
il
indique d'ores et déjà
que
l'initiative
appartiendra à
Socrate(~<) qui sera maître de la direction
à
imprimer à
l'enquête
(12).
Sans doute
Alcibiade
pose-t-il
ses
questions:
qUefUi
veut Socrate? Pourquoi
l'impo~tune­
t - i l
autant? Cependant
les
règles du
jeu

30)
sont
fixées
(10).
213b-c.
(11).
Alcibiade,
104c 8 -
dl;
FESTUGIERE ap.
Museum
Helveticum,
p.
78 sq.
(12).
De
quoi
l'étrange insistance de Socrate après que
les
prétendants d'Alcibiade
l'ont
abandonné est
le
premier
indice

32).
(*).
cf.
PROCLUS,
op.
c i L ,
ed.
O'NEIL,
p.82-83.

79
par le dialecticien qui exige attention (13) et patience
p~~'~ s'expliquer - pour expliquer. En effet, l'engagement
autant que la conclusion d'un débat dialectique sont
difficiles.
Ainsi c'est un débat long et accidenté qui
nous
est
promis (14).
§
34.
L'amour de Socrate ne porte certainement
ni
sur les biens corporels (§
32)
ni sur les biens matériels
extérieurs d'Alcibiade (id.).
Il voit
un signe encourageant
dans le fait
que celui-ci ne se satisfasse guère de sa seule
situation matérielle.
D'ailleurs,
ne voue-t-il
pas un
certain mépris à la richesse
(lS).
Socrate aime (16)
Alcibiade dans l'exacte mesure du mépris que ce dernier
manifeste à l'égard de tous ces biens inférieurs qui lui
(13).
104d 8, aussi plus loin 10Sa 2;
la dialectique. est
une
épreuve d'attention,
Hippias Mineur,
369d 3-4;
Euthyphron,
14d 6;
voir aussi M.
VILHENA,
dans Le Problème de Socrate,
p.
162.
(14).
Tel
nous paraît,
du moins,
le sens de 104e 1-2:
: > ,
" "
"
CI
,
"
c,
ou
yap
10l
EU)
av
8aUIJa010V El,
WOTTEp
IJaYlf
Iîpt;a~IJIîV, OUTW
,
,
,
Kal
IJOYlf
TTauoal
IJIîV.
~
(1S).
104c 1;
PROCLUS,
op.
cit.,
p.88sqq.
(16).
Encore une fois,
il faut
être profondément
"barbare"
et éloigné de l'esprit hellène pour s'offusquer de cette
façon
bien grecque de parler.
cf.
Y.
BREs. La Psychologie
de Platon,
Paris,
1968,
p.79.

80
viennent ou de
la nature,
ou de
la
fortune
(§32)(17). Le
jeune Alcibiade a
de plus hautes ambitions.
Il n'eût
pas
attaché
le moindre prix à une vie qui se fût
limitée à
la
seule possession des biens matériels
(18).
Pour
le Grec
bien né qu'il est,
le
plus important est de prendre part
à
la direction des affaires de
l'Etat.
Mais il ne s'agit
pas
pour lui d'y prendre part en médiocre,
ou à l'ombre de
la
puissance tutélaire de Périclès. Son ambition
va
bien plus
loin.
Il
ne veut
pas seulement
dépasser Périclès (*),
le
grand
homme d'Etat de
l'acmé d'Athènes,
mais encore il
veut
,
régner sur
tout
le monde antique -
sur les Hellenes et
les
Barbares d'Europe aussi
bien 9ue sur
l'Asie.
En somme,
a
en croire Socrate,
Alcibiade nourrit,
si l'on
peut dire,
un
1
(17).
On comprendra
plus loin
le fondement
théoretique de
cette position
(§§
155;
156).
(18).
105a 3sq.j
Proclus compare la démarche de Platon à
celle des poètes tragiques,
op.
cit.
p.94.
(*).
PROCLUS (ib.
p.97)
écrit opportunément que" In
vying
with
this man,
his kisman
and guardian,
one
who
had beco~e
such
through
the
love
of wisdom,
surely Alcibiades is
senseless,
ignorant
and
uneducatedr
and
if he contends not
only with
Periclès
but
also
with
forebears,
surely
the
~
emotion
of ambition within him is insatiable?

81
rêve alexandrin avant
la lettre.
Il semble si infatué de
lui-même que seuls deux hommes d'Etat,
Barbares mais presti-
gieux,
Cyrus et Xerxès,
trouveraient grâce à ses yeux (19).
Ayant ainsi décrit
les ambitions du
jeune Alcibiade, Socrate
peut évaluer le rôle qu'il entend assumer auprès de lui.
2.
Le rôle de Socrate (lOSc 8- 106c 4)
§
3S. Socrate se pose comme la médiation obligée
à la réalisation des ambitions d'Alcibiade. Car,
il
(19).
lOSc 6sq.;cf.
l'interessant commentaire de PROCLUS
( i b,
p. 99)
" Wh a t sig nif i ca n c e, Soc rat es he r e a t tac h t 0
"Cyrus" and
"Xerxès"? Surely,
since Cyrus established a
monarchy that
was humane and provident.
but Xerxès one
that
was insolent and wanton
(and
therefore
the one was called
"father" by his subjects,
but
the other,
not content with
his possessions went
on
to attack the inhabitonts of Greece).
it
was by way of pointing out
the youngmen'
uncritical

judgment
in
their regard,
s'nce he admired both alike on
account
of their power, 'that Socrates mentioned them.
The
lover of honour in itself does not distinguish
the kinds
of
.
honour,
and the lover of command does not
care about dif-
ferences
between rulers,
but
wherever rule exists,
and in
whosever hand,
he considers it admirable".

82
s'attribue une puissance considérable sur les affaires et
la personne d'Alcibiade.
ToaauTnv ~Yw 6uva~lv Ol~al
)/
" > " ,
,
:>
,
,
EXE1V Elf Ta aa TIpay~aTa Kal
Elf aE
(20).
Ainsi s explique
la levée de l'interdiction divine (§31;
103a S-6)
qui donne,
de ce fait carte blanche à Socrate.
Il y a,
du reste,
une
similitude entre la situation d'Alcibiade et celle de
Socrate.
Le premier place ses espoirs d"ans l'Etat (ivf!1
TIOÀE1,10Sd 8) alors que c'est en lui que le second place
les siens.
Alcibiade veut conseiller l'Etat,
Socrate cherche
à conseiller Alcibiade.
Socrate se pose en guide,
en direc-
teur de sa conscience mais i l a l'aide du dieu,
~ETà TOU
~
,
8EOU ~EVTOl
-
10Se S.
Il est
le seul à
pouvoir assumer ce
rôle auquel
ni 1& tuteur,
c'est-à-dire Périclès,
ni les
parents d'Alcibiade,
ni aucun
autre ne peuvent
prétendre:
)\\
,
')\\
, " ) \\ , \\
. ) ,
<:
,
OUTE ETI1TPOTIof OUTE aUYYEvnf OUT aÀÀof OU6Elf
lKavof
,
' i - ; )
~
, : > _
TIapa60Ùval
TrlV 6uva~lV nf ETI~8U~Elf TIÀnv E~OU (21). Le dieu
(20).
10Sd 4-S;
cf aussi Ménex~ne 234b 3-4 où le personnage
du même nom reconnait la direction de Socrate:
Eàv au ys
w
, _
,
Q
,
>1
1
EWKpaTEf
E~f Kal au~~ouÀEunf aPXElv
TIpo8u~~ao~al· E ~ 6~
,
")\\.
~n
OU.
(21).
10Se 3-4.
Le passage n'est
pas sans intérêt pour
évaluer' l'évolution -
si tant est qu'elle ait eu lieu -
de
la figure du maître.
On sait que dans sa thèse,
BRES
soutient que la
fonction du maître est
incarnée successive-

83
a donc rendu à Socrate sa liberté,
ce qui revient,
en
l'espèce, à lui rendre la parole.
§
36.
Précisément,
la parole de Socrate parait
bien plus énigmatique que son silence (§18),
qui ne l'était
pourtant pas médiocrement
(22).
Voilà ce que constate
(21 suite).
ment par le père
(op.
cit.
p;75),
l'amant (p.78).
puis « Les Hommes d'Etat,
la multitude et le martre inconnu'
(ib, 84). Or voici qve dans un même texte,
la
figure de
l'amant mise à
part -
car c'est à ce titre que,
jusqu'ici,
s'exprime Socrate -
l'Homme d'Etat,
les parents et tout
autre sont disqualifiés pour
le rôle de guide d'Alcibiade.
Il ne semble pas,
par conséquent,
idoine d'établir une
liste chronologique des figures dans lesquelles se serait
incarné le rôle du maître.
Pour ce qui concerne
l'am?nt,
il
s'agit simplement du médecin de l'âme,
comme l'on n'en
peut douter si l'on se reporte vers la fin du dialogue
(131d 4-132b 7). Le vrai amant, capable d'assumer la fonctic-
de psy~hagoge, n'est autre que le philosophe. On peut tenir
.
que Platon n'a
jamais varié sur le rôle de guide que ne
peut
assumer que le vrai
philosophe,
même s ' i l peut~exprimer
à des
points de vue différents et dans un langage variable.
(22).
106a 4.

84
Alcibiade tout en acceuillant avec une réserve
(23)
peut-
être plus feinte que réelle,
les ambitions grandioses que
lui
prête Socrate.
Mais,
apparemment
familiarisé avec le
mode de raisonnement socratique,
il est tout prêt à discuter
;>
"
'CI
sur la base de cette hypothèse
(24):
€l
O€
OD
0
Tl
uaÀ10Ta
-
,
-
"
,
>1
_ ; )
TaùTa
ôlav€véDUal
TIWf
ôla OOU
UOl
€aTal
Kal
av€u
aou
OU~
.,\\
1
)1
av Y€V01TOj
€X€lf
ÀÉY€lV
(25);
mais on peut s'y
prendre de
deux manières pour donner ces explications. On peut recourir
à la macrologie, méthode des orateurs populaires (26), en
opposant discours à discours
(27),
ou bien procéder par
questionnement,
méthode qui a
bien entendu la
faveur de
Socrate (28). On adoptera cette seconde méthode d'autant
(23).
Evelyne MERON,
op.
cit;
p.124
( 24) •
Remarquer que le raisonnement
par hypothèse intervie~:
ici comme une méthode éprouvée et sans relation avec les
mathématiques alors que dans
la République,
il
nous est
présenté comme une méthode empruntée aux mathématiciens
(25).
106a 6-8
(26).
Sophiste,
268b 7
(27).
Hippias Mineur,
369b 6-7
(28).
Protagoras 336c 5;
et Gorgias où Socrate demande un
.
,
~
-
, J '
1
entretien se déroulant " •• . TO U€V
€PWTWV,
TO
Ô aTIOKP1VO~EVO;-
449b 6;
Sophiste 217c 4-5.

85
qu'elle ne semble pas
présenter de difficultés aux
yeux
d'Alcibiade.
Il
peut donc être interrogé en admettant
l'hypothèse sus-mentionnée (29). On s'achemine ainsi vers
la permière grande partie du dialogue où s'analyse le
domaine de compétence du
jeune ambitieux qui prétend
jouer
au mentor des Athéniens.
(29). On ne voit pas du tout ici la transition abrupte dont
parle P.
SHOREY,
W.
P.
S.;
loc,
cit,
p.4l5:" With a some-
what
too
abrupt
transition
as in
the
other
spurious
(nous
soulignons) dialo~ues .•. ".
Ce
jupement est
p~rement
subjectif:
toute notre analyse détaillée du dialogue pro~-

vera l'exceptionnelle soladité et la minutieuse rigueur
de la camposition de l'Alcibiade.

86
1. A LA RECHERCHE DU DOMAINE DE COMPETENCE D'ALCIBIADE
(106c 5 -
106e 4)
a. Question préjudicielle (106c 5 -
106e 4)
§
37.
Alcibiade est animé d'un dessein:
par~er au
peuple athénien.
C'est là assurément
la voie obligée s ' i l
veut entamer une carrière politique.
L'homme popltique est
un homme de discours et sans doute aucun peuple n'a été
plus
sensible que le Démos athénien à la
puissance de la parole.
Mais la prétention affichée du
jeune ambitieux
n'est pas
seulement de parler,
ni de parler uniquement pour obtenir
un certain effet
(1),
elle est de parler pour donner des
conseils (2) aux Athéniens.
Cette prétention implique que
soit posé un double problème.
D'abord,
il faut
déterminer
la nature des sujets dont
les Athéniens vont débattre.
Car
les Athéniens, eux,
parlent
toujours de quelque chose,
(1). On reconnaitra là la déclaration stupéfiante de Goebbels
disant qu'il ne parlait pas "pour dire quelque chose mais
pour obtenir un certain effet" cf.
Jacques ELLUL in
"Propagandes",
Paris,
1962 p.6 n.2.
(2).
106c 4sq.
cf.
A.
FESTUGIERE " Modes de composition des
commentaires de Proclus" ap.
Museum Helveticum,
p.82,
n.7.

87
même s'ils n'écartent
pas d'obtenir
un certain effet.
Ensuite.
il faut
bien qu'Alcibiade puisse se prévaloir de quelque

autorité ou de quelque compétence qu'
justifie le rôle de
mentor

36) qU'il s'attril~l.
§
38.
Le premier
problème sera abordé
plus loin
(
§§
40;
41;
45;
48;
54-59)
car il structure.
au
fond.
le
thème central du dialogue.
Quant au second problème.
il
est traité immédiatement.
C'est Socrate qui suggère une
,
" "
-
\\ > ,
>,-
0 '
reponse:
ETIEtOn
TIEPJ
wv oU ETItOTaOat
~EÀTtOV n OUTOt •••
En effet.
on voit mal comment Alcibiade
prétendrait donner
des conseils (*) sur des sujets qu'il sait ignorer.
Il
faut
donc qu'il se prévale de quelque compét'"ce dans
les dom: :ne~
(*). Proclus (op. cit.
p.
122- 123) définit les qualités
du bon conseiller:
" He must
possess
a
purpose
that
h~ç rO
the gl
atest
degree
the
form
of the good.
a
knowledge
that
is most
complete and a
power
of extreme
vigour.
in
order
that
he may both
strive
towards
his own
particular end.
and attain
i t
through
knowledge.
and make his
own
partic~lar
end.
and attain
i t
through
knowledge.
and make
his
own
decision
clear
to those who consult him: and through his
-
purpose.
that
has
the
form
of
the good.
he must
be assimi-
,
lated
to
the
divine.
through
knowledge
to
what
is
i n t e l l i -
gent.
and
through
power
to souls."

88
qui intéressent
~, Athéniens. C'est ce qu'enregistre
,~
) \\ l
) , , "
,
>
,
Socrate:
nEpl wv ap
Eluwf TuYXavElf
ayaSof
OUIJSouÀOf El.(L.
Les conseils d'Alcibiade recouvriront
précisément son
domaine de compétence,
c'est-à-dire tout ou partie de
l'ensemble des choses qu'il connait mieux que ses concitoyens.
§
39. Quelles sont ces choses que connait
Alcibiade? Et pour commencer,
d'où
lui
viennent ces connais-
sances? Deux sources
possibles
peuvent être envisagées.
La première est l'apprentissage;
dans ce cas les connais-
sances d'Alcibiade lui seraient
transmises.
Elle
implique-
rait
la fréquentation d'un maitre compétent.
La seconde est
la découverte personnelle.
Naturellement elle exclurait la
fréquentation d'un ma~tre. Alcibiade trouverait tout seul
les connaissances dont Athènes a
besoin.
Dans
les deux
cas,
la
possession des connaissances suppose un certain effort:
d'apprentissage dans
l'un,
de découverte dans
l'autre.
Mais
tout effort est un acte de
la volonté qui implique. au
préalable,
la conscience d'une
tâche à accomplir donc en
un sens d'un manque à combler.
C'est ce qu'exprime
~e
- a
~
clairement la question
préjudicielle:
OT1V oCv onwf av
'JI
,
J I )
_
,
,
~,
,
)
)
\\
nOTE EIJa8Ef Tl ~ E~~UPEf IJ~TE IJav8aVE1V E8EÀWV IJ~T aUTof
(4).
lü6d 2-3.

89
Ç~T€tv; (5) Il n'est pas possible d'apprendre ou de découvrir
quelque chose sans une volonté
préalable dans laquelle
s'exprime la prise de conscience d'untignorance.
Si donc ici
)
l'acte de la volonté comme effort d'apprentissage ou de
découverte est lié,
en tant qu'effet,
à
la conscience d'une
i g n 0 ra n c e
(~§ 6 1; 62) i 1 est i n e x i s tan t 1 à 0 Ù i 1 Y a
créance d'un savoir~6dût cette créance n'être qu'illusion.
Ainsi tout savoir présent ne serait que le comblement d'une
,
ignorance passée dont on a,
a un moment donné, pris conscien-
ce
(7).
Alcibiade devrait,
par conséquent,
être en mesure
e
de dater l'acquisition de ses connaissances.
Il est
d'ailleurs temps de
spécifier celles-ci et d'examiner leur
(5).
106d 8-9.
La doctrine de la double source de la
connaissance est constante dans les dialogues. On la.retrou-
) \\ ,
_
C I ) '
)\\
v e par e xe mp 1 e e n Ph éd 0 n 8 5 c 8:"...
~ \\.l a e€ t V 0 rr.~ € X€ t
~
"-
,
"
€UP€tv
•••
,
mais en 99c 8sq.,
evoquant 1 échec de ces deux
sources de la connaissance,
Socrate env~sage de changer de
navigation,
à savoir ~e recouriR à une troisième source que
l'on peut apparenter à la ~évélation, mais dont la nature
est assez discutée· cf.
Notice ROBIN (ap.
Budé)
p.XLVIII n2.
(6).
106d 8sq.
(7).
106e 1-2.

90
rapport
avec
les sujets sur
lesquels
le démos athénien
délibère.
j
b.
Les
connaissances d'Alcibiade et
les délibéra-
tions des
Athéniens
(106e S
- 107a 10)
§
40.
Ce qu'a appris
Alcibiade
est
facile à
déterminer,
car à Athènes l'éducation était publique (8),
et
correspond à
peu
près à
ce
que
sera
le
programme primaire
,
e~, partiellement secondaire, de l'époque hellenistique (9).
Ce qu'il a
appris
se
réduit
finalement
à
fort
peu de choses:
lecture,
écriture,
cithare,
lutte
(10).
Il
n'a
même
pas
appris auprès
d'un
plectre
la
lyre
(11).
On constate
qu'Alcibiade
ne
possède encore
que des connaissances
scolaires.
Combien
i l serait
étonnant
qu'il
connût
c~s
matières mieux
que ses concitoyens

38)
dans
la mesure

la
plupart
d'entre eux
les
ont
également apprises!
(8).
O.
BASTIDE,
op.
cit.•
p.
109;
PROCLUS,
ad
loc.
cit.
p.128 sqq.
(9).
H.l.MARROU.
H.E.A.,
vol
l,
Seuil,
1948 pp.
227-62.
(10).
106a 6
(lI).
107a S.

91
Cependant,
le
plus
important
est
qu'à
l'Assemblée,
les
Athéniens
ne discutent
ni
rrEPl ypauuaTwv (12) ni
rrEPl
,
xpouUaTwv (13) "EV ÀUP~
ni
rrEpl1 f '
aÀalouaTwv (14). En
d'autres
termes,
les
sujets
que
connait
Alcibiade
(car,
lui
-
, " ,
)
,
dit
Socrate:
TaUT EOT1V a au ErrlOTaoal (15)
)
ne
font
pas
l'objet
de débats
publics.
Dès
lors
son aptitude à
conseiller
les
Athéniens est
problématique.
N'étant
pas
consulté
sur ce qu'il
sait,
on
ne
peut
s'attendre qu'il
le soit
sur ce qu'il
ignore.
Or
l'enquête se dirige
vers
les
techniques.
Si
l'Assemblée
ne
perd
pas son
temps a
épiloguer
sur
les disciplines
scolaires,
en
ravanche elle
est
bien obligée de
s'occuper
de
questions
techniques.
Mais
qui
les
conseille dans
ces domaines?
c.
Sur
les sujets
technigues,
les Athéniens
consultent
les
spécialistes
(107a
Il
-
107d
1)
§
41.
On aborde
le
premier morceau du
texte ou
(12).
I07a
1
(13).
l07a
5
(14).
l07a
7;
idem apud.
Charmide
159b
sq.
(15).
106e
7

92
les techniques
font,
pour
la
première fois,
irruption dans
le débat.
Elles
font
leur entrée en rapport avec
l'examen
de la compétence d'Alcibiade.
Car s ' i l est un domaine où
la vérifiabilité de la compétence est aisée,
c'est celui
des techniques

26).
En
principe,
une technique n'est
pas l'objet d'une découverte
personnelle.
IL faut
donc aller
l'apprendre chez un expert.
N'est
pas architecte qui veut.
Il faut
s'astreindre à un certain effort d'apprentissage
pour maîtriser les règles et
les procédés.
En effet,
une
véritable technique connait
une cerlaine codif:cation de ses
procédés et de ses
procédures
(16).
Ainsi si les Athéniens
,
>
~
,
()l 7 ).
discutent d'architecture
( TIEPl
OlKouoWlaf
, l I s convo-
queront
un architecte pour
prendre ses bons conseils.
Comment Alcibiade pourrait-il
prétendre l'emporter sur
lui,
c'est-à-dire sur celui qui
sait? Ce qui est vrai
de l'archi-
tecte l'est du devin qui,
ici,
peut.être un peu étraQgemep.t,
e~t assimilé au technicien. Mais la difficulté peut être
(16). cf. J. MOREAU dans La Construction de l'idéalisme
platonicien,
1967 *2*, définit la lechnique chez Platon,
comme" un système d'impératifs hypothétiques,
reposant
sur
la
connaissance
théorique
d'un
certain
ordre
de
faits.
et
indiffèrent
à
l'usage
qu'on
en
peut
faire,
aux
fins
que
l'on
se
propose."
(p.lll).
(17).
l07a 11

93
levée car
l'essentiel est,
pour
le moment,
qu'Alcibiade
reconnaisse que lorsque l'Assemblée traite rrEPl
uavTl~~f
(18),
il n'est
pas consulté.
Les questions concernant la
divination étaient,
en effet,
débattues en public,
comme
nous le savons par un texte de
l'Euthyphron où
le protago-
,
,
" j
-
,
niste eponyme du dialogue declare:
~al EUOU yap TOl
CI
, )
_ ,
,
, _ ,
,
, ; ) _
OTav
Tl
ÀEYW EV
TD
E~KÀ~ala rrEpl TWV 8E1WV rrpOÀEYWV aUTOlf
,
,
-
(,
,
Ta
UEÀÀOVTa
~aTaYEÀwalV wf ualvoUEvOU (19). Les Athéniens
convoquaient sans doute rarement les devins pour rire ainsi
de leurs prédictions,
comme dans ce
cas d'espèce.
En tout
cas,
la
profession de devin est reconnue et protégée (20)
dans la mesure où elle incarne l'efficace d'un savoir
(l8).
107b 3.
(19).
Euthyphron,
3b 9-11.
ROBIN (apud Pléiade)
qui comwenté
ce passage en note
(n.
2 p.208= p.
1274), écrit:
" Des
questions
religieuses,
telles
que
la consultation des
oracles
ou leur interprétation,
étaient
en effet
portées
parfois
devant
l'Assemblée."
,
(20).
Sur les égards dûs aux
prêtres et à
leur ministC~~
cf.
E.
DERENNE dans "Le~ procès d'impiété ..• " p.ll; mais
dans cette faune,
on trouvait des charlatans parmi lesquels
GLOTZ cite justement Euthyphron ap.
Histoire Grecque,
T.
2,
p.
427.

94
spécialisé et authentifié .• Pas
plus que n'est
pas architecte
qui veut
(supra),
n'est
pas devin qui
veut.
En matière d;~in~-
toiR(;
,
le premier venu,
comme Alcibiade,
ne fera
pas
l'affaire.
Pour
parler de divination,
on appellera un de.in
de métL~r ( 21 ) •
"a
§
42.
La
prime esttl a
seule compétence.
On se
rappelle la déclaration que fit
Socrate à~allias: pour
dresser des poulains,
on ferait
appel à des dresseurs
a:
professionnels,
ou à
la limit~vdes fermiers qui connaissent
aussi ce métier
(22).
L'on n'exhibe aucun autre critère extr~-
M
professionnel.
Ni
les heureux dons/la nature ni
la bonne
fortune
(
§
32)
ne
peuvent donner droit à la
parole en
matière technique.
La technique aJd'une certaine manière,
une sorte de noblesse
propre qui
réussit
l'exploit de
rendre égaux à son égard,
le
plébéien et
l'aristocrate.
Mais elle ne les rend égaux que
pour
proclamer
l'inégalité
qui résulte du savoir des uns et de
l'ignorance des autres.
La validité d'un conseil ne dépend nullement du
poids de
la
bourse ou de l'éclat des attributs mondains.
Ce
principe
ne souffre pas d'exception:
E1ô6TOf yap
oluat
TIEPl
"
,
'"
, , : J
EKaaTOU n auu80uÀn Kat ou TIÀOUTOÙVTOf (23). Ce que confirme,
(21).
107b 5;
déjàj1 et n8:
Lachès
(22).
Apologie 20a-b.
(23).
107b 10-11.

95
avec
l'adjonction d'un nouvel exemple la déclaration suiva~:e
;)
,
,
) ,
,. c.
de Socrate:
>AÀ?
Eav TE lTEVnf Eav TE
n 0
-
lTÀOU01Of
lTapalVWV
~
,
1
cl
,
OUOEV OI.OlOEl
OTav lTEPl
- :1
)A8n
TWV E
-
va {Olf
TO lT6ÀEl
1
J'
lTWf
'"
,
~ÀÀ&
,
J
,
Bou ÀEU WVTa l
av UYlalV01EV
z;nTnOOU01V laTpov
Elval
Tàv ou~BouÀov (24).
§
43.
Lorsque l'on examine attentivement ce texte,
( 25) 0 n con s t a t e qu' i 1 é t a b lit
que,
au reg a r d d l~ 1 a con na i 5-
sance et de la technique,
tous
les avantages d'Alci biade
v
sont de nul effet et
ne lui sont,
pour ainsi dire,
d'aucun
secours.
Visiblement,
le
jeune ambitieux n'est
pas un
technicien.
Les disciplines scolaires ont dûrtre. écartées
du domaine de ses conseils,
non qu'il
ignorât celles-ci,
mais
parce qu'elles n'appartenaient
pas à l'objet des
débats des Athéniens;
à leur
tour,
les techniques doivent
~tre écartées, non qu'elles n'appartiennent pas au domaine
discuté à l'Assemblée,
mais
parce qU'il
les ignore.
Connaissance ;nt.~~i,ace... dans un cas, ignorance néfaste dans
l'autre,
Alcibiade
parait
~incé. Ce n'est pas un dilemme
ni une alternative.
C'est une brutale ~porie qui cependant,
telle une nasse,
tente de capturer sa Prétention.
Alcibiade
tente une échappée hors du champ technologique ou son
incompétence est
patente.
Il
va conseiller les Athéniens
( 24).
107 b 13 -
c
2
(25).
Il
faut
le comparer à
104a-c (départ),
cf;
aussi
ROBIN,
ibidem,
n3,
p.208=p.1274

96
c
_
,
twV EaUtwV TIpayuatwv (26),
lâche-t-il. Cette formule
prétentieuse est
trop vague et
demande à être spécifiée.
En fait,
elle n'échappe pas enti~rement à la critique
précédente faite
du
point
de vue de la compétence technique.
En effet,
parmi les affaires des Athéniens,
il
y a
bien
les questions techniques.
On l'a vu,
si les Athéniens ne
débattent
pas des questions scolaires
(
§39),
en revanche
ils s'occupent de construction navales
(
§40)
par exemple.
Or Alcibiade ne saurait
prétendre,
sans contradiction,
s'immiscer à donner des conseils sur des domaines où il
s'est
reconnu incompétent
(§§
40-41).
De toute
façon
,
Socrate lui
rappelle que,
faute
de s'y connaitre en mati~re
de constructions navales,
il
s'abstiendrait d'en
parler
(27;.
Mais les Athéniens ne s'intéressent
pas uniquement à
la
construction navale,
ils abordent à l'Assemblée toute une
série d'autres affaires
techniques importantes pour la
vie
de l'Etat,
la médecine par exemple.
Ainsi,
c'est
tout un
domaine d'intérêt des Athéniens qui échappe à
la compétence
d'Alcibiade et qui,
par conséquent,
ne
peut
faire
l'objet
de ses conseils.
En règle générale,
il
ne sera habilité
à
donner aucun conseil sur les sujets techniques qui intéresse-:
(26).
107c 6.
~
~
,
(27).
107c 10sq.
NauTITlYElv yap 1 oluat
OUK ETIJOtaOat
JI
Il
Tl aÀÀo 11;

97
l'Assemblée.
§
~4. La prétention d'Alcibiade, dans la mesure où
elle
s'est
avérée
incapable
de
supporter
l'épreuve de
l'enquête
technique,
ne
semble être
qu'une
Pseudo-Valeur
(P.V.)
(28).
Si
la
prétention
de
la
P.V.
est
démesurée,
i l
apparait
vite
qu'elle
n'est
pas
en
mesure d'exhiber
un
objet
précis qui
lui
soit
propre.
Sa
démarche opère
par
usurpation
en
comparaison
des
techniques,
modèle
de
préci-
sion
et
d'efficacité.
Aussi
bien GOLDSCHMIDT é c r i t - i l
avec
raison:
wComme
toujours,
la
fausse
valeur
fait
piètre
figure
à côté des techniques précises
W
(29).
Cependant,
pour
sauver
sa
prétention,
Alcibiade
va
s'0fforcer
de
parler
d'un
lieu
différent
qu'il
croit
non astreint
aux
exigenûes
techniques,
la
politique.
Ce
faisant,
i l
faut
le
noter
d'ores
et
déjà,
i l
fait
faire
un
progrès
à
la
discussion
qui,
peu à
peu,
va
prendre
en
charge
de
façon
J
consciente~l'analogie jusque là implicite1des techniques
et
de
l'Ethique.
d.
La
prétention affichée:
la
politique
(107d
2 -
1p9c 16)
1.
Les
critères
(107d
2 -
108a
12)
(28).
Désormais
nous
désignerons ainsi
la
Pseudo-Valeur.
(29).
Les
Dialogues . • .
p.317

98
§
45.
Si Alcibiade est contraint de renoncer aux
techniques
pour motif d'incompétence
(§§
38;
39),
il reste
à déterminer la nature des affaires publiques sur lesquelles
o
"
~
porteront ses conseils (30).
OTav TIEpt TIOÀEUOV
w
)\\
, ; ) ,
?\\ -:;li
. . . . . . ,
n TIEpt
EtpnVn! n aÀÀou TOU TWV Tn! TIOÀEW!
TIpayuaTwv (31)
dit-il.
La Prétention tente de s'annexer
ainsi
un double domaine:
d'un~ part, un objet particulier -
la guerre et la
paix,
et d'autre part,
un domaine plus
général -
les affaires de
l'Etat.
Socrate s'attache à
l'examen de la première partie de cette nouvelle prétention.
En somme,
comme Ion,
Alcibiade se décrète général.
On se
souviendra,
ici,
en effet,
que
le divin
(32)
rhapsode,
tout
comme Alcibiade,
délesté de toutes les prétentions
techniques usurpées
(33),
mais en revanche contesté (34)
dans la fiabilité
techniG~e de sa propre discipline, et
supportant mal l'épreuve de
la confrontation avec le?
techniques (§
43:
GOLDSCHMIDT),
se d~cr~ta en désespoir de
(30).
107d 2sq.
( 3 1 ) .
107d 4 - 5 .
( 32) .
Ion,
542b 1-2.
( 33) • 536e sq.
(34).
Ibidem,
passim
(35).
540d sq.

99
cause,
général
(35).
C'est
ce qui arrive à Alcibiade.
Mais
alors que le rhapsode avait
usurpé les fonctions du général
pour attribuer à son art
prétendu,
la rhapsodie,
un objet,
dans un combat d'arrière-garde,
c'est en ambitieux,
désireux de faire carrière en Politique,
qu'Alcibiade
s'empare des questions de la guerre et de la paix.
§
46.
Dans l'Ion,
le rhapsode prononce indûment
la confusion de son "art" avec celui du général,
en décla-
rant que
tout rhapsode est général,
sans d'ailleurs
admettre l'inverse
inconséquence étonnante .Socrate tente
de le refuter (36)
en lui montrant simplement,
dans la
ligne de ses développements
précédents,
que l'obstacle de
la spécialisation se dresse à
l'illégitime prétention de
ses déclarations,
ici Socrate s'y prend autrement car il
,
( 35).
540d sq.
36). En fait,
Socrate oppose à cette prétention deux
arguments:
1)
en
vertu de
la spécialisation,
chaque tech~iq~~
ne peut
juger que de ce qui
relève de son domaine propre;
j l
,
.
h
d
Q
ou ce ne seraIt
pas en
tant
que
r apso e,
mais à
titre
de général que Ion réglèrait
lés questions militaires;
2)
si
Ion,
comme il le prétend,
est
le meilleur général
de
la Grèce,
on ne comprend
pas qu'il
pratique uniquement
le
métier de rhapsode,
à l'exclusion de celui
de général.Cf
540d sq.

100
a un autre objectif.
Dans
l'Ion,
l'énergie du dialecticien
1
s'épuisait dans la capture de
la P.V.,
ici,
l'introduction
du thème de la guerre et de
la
paix doit mener à déplacer
le débat
vers l'axiologie.
§
47.
Ce déplacement
ne s'effectue pas aisément
car l'engagement de
la guerre ou la conclusion de la paix
suppose~t la maîtrise de trois critères essentiels;
1)
la détermination de l'adversaire (guerre)
ou du
partenaire (paix)
(37),
2) celle de l'opportunité
(38)
et enfinVcelle dé la durée.
Cette triple détermination
ne s'opère
pas au hasard:
le
critère fondamental
est
le 8tÀl10~4g6 l'~WE1VOV (41). On
n'engage pas la guerre,
à l'aveuglette, contre n'importe
qui,
ni
n'importe comment
et
n'importe quand,
ni ad vitam
aeternam.
Différentes considérations,
politiques,
techniqu€=
et tactiques entrent en
jeu.
C'est dire qu'il
y a
des
exigences obligatoires,
donc
une certaine rationalité,
qui
commandent
le réglement des questions de la guerre et
de
la
(37).
107d 9
(38).
107e l.
(39).
107é 3
(40).
107d 9:
107e 1.
(41 ) •
107e 3 : il est intéressant de noter le fragment
1
(op.
ed.
O'NEIL,
p.223) qui
met
la guerre en relation avec

?aix.
En
fait,
ces considérations ont
bien une allure
technicienne.
C'est
pourquoi ce'n'est
pas un hasard si
l'épreuve technique recommence.
§
48.
Admettons que les Athéniens discutent de
la
lutte
(42),
bon exemple puisqu'il s'agit d'une
guerre qui
oppose,
non pas deux
Etats,
mais deux
individus -
une
guerre au second degré en quelque sorte.
Bien évidemment 1
ils devront
résoudre la question des adversaires (qui
lutte
contre qui?),
celle de l'oportunité
(quand aura
lieu la
lutte?)
et de la durée (jusqu'à quand?).
Ce sont
les me~es
questions que pour
la guerre.
Cependant,
on ne s'adressera
certainement pas au même homme,
à supposer que ce soit
le
(41
suite).
l'exercic 0
physique et
la
paix avec
la musique:
" In
correcting A1cibiades.
Socrates
unobserved puts
forward by way of examp1e
the art of physica1
trainin c '
which
is divided into
"grapp1ing at arm's 1ength and close
wrest1ing".
50 a1so war and peace are different
divisio~s
of Just action.
Natura11y Socrates
puts
forward
the arts of
physica1
training and music as being
fami1iar
to
A1cibiades
since he was brought up on
them from chi1dhood.
And war
resemb1es
physica1
training.
but
peace resemb1es music.·
(42).
l07e 5.

102
sénéral qui est compétent en fait
de guerre et de paix,
ce
qui est
une au~re affaire (
§
182).
Le général de la
lutte
si l'on peut dire,
est
le pédotribé.
Le pédot~ibe est un
technicien,
en
tout
cas un professionnel de qui
on attend
une compétence,
et
par conséquent une certaine autorité
(
§
37)
pour ce qui est de son métier.
Lui,
du moins,
est
en mesure de dire,
sans qu'on
rie de lui
(43), ce qu'est
le BÉÀT10V dans les trois critères retenus (44).
Ce qui
est vrai du pédotribe,
l'est également du chanteur qui
joue
de la cithare et danse.
Il doit harmoniser les parties
vocales et
instrumentales de sa musique,
mais encore
l'accc~d
doit se faire entre l'ensemble de la
partition musicale et
son expression chorégraphique
(45). Cette double harmoni-
sation se fait
selon certaines règles de temps et de mesure
bien précises.
Ces règles d'harmonie et d'accord sont
déterminées au regard!u m~me critère (§ 46),
le BÉÀT10V.
Ainsi,
le BÉÀT10V
ne semble
pas avoir une importance
secondaire pour les techniques dont elle définit
la
fonctic~
interne,
mais en m~me temps,
il
paraît ~tre une
bonne
(43).
cf.
Euthyphron,
40
(44).
107e Il sq
(45).
108a 5 sq.

103
médiation
pour enseigner
le Précepte Unificateur
(46).
2.
L'enseignement du P.U.
(108b 1 -
108d 10)
§
49.
Ce morceau est
particulièrement
important,
non pas seulement
par l'emploi massif de TÉxvn -
il est
employé six
fois
(47),
ni même par le seul enseignement
du
P.U.,
mais surtout parce qu'il
nous informe sur le critère
(46).
Rappelons brièvement que le Précepte Unificateur
est
le fait
conceptuel qui stabilise le logos (subsu~ftioN du
multiple sous l'unité)
pour en examiner l'exigence de
vérité.
Désormais,
nous écrirons:
P.U .•
Nous
poursuivons
depuis deux ans son étude dans les Premiers Dialogues à
la
Sorbonne,
sous la haute direction de M.
Le Professeur P.
Aubenque.
Cf.
déjà notre travail:
Le P.U.
dans les Preciers
Dialogues de Platon.
Les différentes étapes de son élabora-
tion et le destin de l'enquête.
Université de Dakar,
1981.
(47).
108b 9:
[)
Il:
c .7:
c I l ,
d 1:
d 5.
On ne trouve t;n
emploi aussi massif que dans le morceau 128c-e:
128d 3;
128d 9;
128e 4;e 7:e 10.
Dans l'ensemble,
il y a vingt
deux
occurrences de TÉXVn dans l'Alcibiade:
1) 108b 9;
2)b
Il,
3°c 7,
4}c
Il,
5)d
l,
6)d S,
7)124b 4, 8)125d
10, 9)d
12,
10)126c 6,
l1)c
13,
12)126d 9,
13)1~~b Il, 14)d 3, l5)è 9,

104
de la technicité.
Or donc,
le BÉÀ7l0V a été appliqué à
plusieurs
sortes d'activités dont il se trouve être ainsi
le dénomina-
teur commun:
guerre ou
paix,
lutte,
musique (48).
Socrate
invite son interlocuteur à suivre son exemple:
Tl KaÀElf
"
-
1
,
"
Ta
EV
T~ K18aplçE1V BEÀT10V
) "
~
-
,
wŒrrEP
EYW Ta
EV
TW naÀalE1V

-
"
-
) '
,
-
KaÀw yuuvaoT1XOV
au
6 EKE1VO Tl KaÀElf
(49);
Ainsi pour
la
lutte,
nous savons désormais a quoi correspond
le BÉÀT10V:
le yuuvaoT1XOv.
Mais Alcibiade ne comprend pas le langage
~
~
-
de Socrate:
OUK
EVVOW
(108b 6).
~5t.C'est donc le concept même de BÉÀT10V que SocratE
définira et,
phénomène rare dans les Premiers Dialogues,
c'est
par la définition du concept en cause
CBÉÀT10V)
que
Socrate va tenter d'initier
so~ interlocuteur au fonctionne-
ment du P.U.
Car il définira ce qu'est
le BÉÀT10V lui-même
en général,
et non
pas
tel BÉÀT10V particulier.
Et Socrate,
de nouveau demande à Alcibiade de l'imiter.
Lisons ce
(47 ~uite). 16)e 4,
17)e 7,
18)e 10,
19)131a 10,
20)131b S,
21)b 7,
22)133e 1.
A.
t.dOTTE,loc.
ciL) a calculé le même
/
nombre d'occurrences que nous et donne la même liste
(p.
14 n 6).
(48).
108b 2 sq.
(49).
108b 3-S.

105
-
) ,
- ) ,
) "
passage important:
AÀÀa TIElpW EWE W1WE108al
EYW YQP TIOV
.J.
'
,
J:
'
, ; )
-
J\\
..)
-
"
71
aTIEKplVawnV TO ula TIaVToJ op8wJ EXOV·
op8wJ OE
Onrrov EXEl
,
' "
, ) \\
>1 .
TO KaTa TnV TExVnV Y1YVOWEVOV n ov;(50). Comme on le voit
c'est même deux exemples de P.U.
réussi que donne Socrate,
car après avoir défini
le 8€ÀT10V}il
donne immédiatement
le
-
P.U.
de ce
, )
qui
lui
tient lieu de critère ( 1 op8wJ).
§
51.
Est
le 8€ÀT10V
d'une activité quelconque ce
,
}
par quoi elle s accomplit
-
op8wJ dans sa totalité.
Donc,
pour en revenir à
un exemple
précédent,
pour déterminer
le
8€ÀT10V
de la guerre,
il faudra examiner les conditions da~o
lesquelles elle est accomplie totalement
-
)op8wJ. Mais, comme
pour empêcher qu'Alcibiade ne réagisse à la manière d'un
Ménon,
avec un mélange de mauvaise foi
et de malice (51),
Socrate se dépêche de définir ce qui est ~p8wT de manière
que le P.U.
du 8€ÀT10V
(*) dont il est le critère soit
(50).
108b 7-9.
(51).
Ménon.
cf.
75b 12 sq -
c
1 sq:
Ménon demande la défi-
nition de la couleur lorsque,
en manière d'exemple d'une
bonne définition,
Socrate dit
qu'il "appelle
figure
la
seule
chose qui
accompagne
toujours
la
cou1eur w •
(*). Pour PROCLUS,
le 8€ÀT10V
n'est rien d'autre que la
cause finale
(op.
cit.
137).

106
pleinement assimilé? Est ~p8~I toute activité dont le
déploiement s'effectue Kalà lnV 1ÉxvnV
• Cette définitio~
,~
8-
,
,
de 1 op wI est d une importance capitale. D abord,
elle
est importante parce qu'elle est
posée en relation directe
(et intrinsèque) avec
la technicité.
Ensuite et surtout,
et nous nous permettons d'insister
parce que le commenta-
risme en général
ne l'a
pas compris,
parce qu'elle permet
de définir, sans équivoque,sous deux rubriques bien spéci-
1
,
,
fieeS
ce qui est l€XVn
et ce qui est non~€xvn
En effet.
la mise en rapport
du P.U.
du SÉÀll0V
et de l '
6p8wI
permet une définition
technique très précise de la TECHNIQ~~
sui-generis.
Est
technique tout ce qui est susceptible
d'être accompli bp8wI
• Partiellement tautologique si
l'c~
veut,
car la détermination de
l'Sp8wI
implique une réfé-
fence à la lÉxvn
,
cette définition n'en est
pas moins
rigoureuse dans la mesure où elle permet d'accomplir ce
qui est
la fonction
propre de
la définition:
la délimita-
tion.
D'autre part,
est non-1Éxvn toute activité qui n'est
pas susceptible d'être accomplie absolument ~p8wI • Aucune
..
-
)
,
J _
non-technique ne
peut etre accomplie op8wI
car n est
008(.;.':
que ce qui se fait
KaTà lnV lÉxvnv
• Ce serait donc
une
contradiction qu'une non technique puisse s'accomplir
~pewI puisque ~pewI n'est prédicable que d'une technique.
,
,) e-
,
Mais dans la mesure ou 1 op wI
entre necessairement dans
le P.U.
du SÉÀll0V
,
il faut
en conclure que seule une

107
technique
peut avoir un B€ÀT10V.
§
52.
Si notre interprétation de ce texte est
exacte,
il sera essentiel de savoir si une activité éthique
,
-
)
peut
s accomplir op8wf
,
autrement dit si elle est com-
mandée
par le B€ÀT10V

59).
Si en effet,
l'activité
éthique peut se réaliser suivant un B€ÀT10V
,
cela signi-
fierait
qu'elle s'accomplit KaTà TAv T€XVnV
et donc
doit
être rangée sous
la rubrique Technique.
Alors,
dans ce
cas,
le but
poursuivi
par l'analogie serait)d'une part~de
mesurer ~a spécificité de l'Ethique comm0 technique, et
d'autre part,
de déterminer
la nature de ses rapports avec
les autres
techniques.
§
53.
Mais terminons l'analyse de ce morceau.
Comme certainS savants (52)
1 "ont
bien vu,
l'enseignement
,
).
du P.U.
est aussi
une leçon de méthode:np€nOl
yap av ~ou
Kal
001
TC KaÀwf
6laÀ€y€08al
(53).
Puis il ajoute:
€~TIÈ
-
,
( . . ,
- ,
,
"
)\\
"
npwTov Tlf n T€XVnV
n TO K18aplç€V
Kal
TO a6Elv Kal
Ta
)
,
?
-
,
,
-
EuBalV€lV
op8wf; ouvanaoa Tlf KaÀE1Tal;(54).
En dépit
de
(52).
FRIEDLANDER,
lo~. cit. p. 234: If. ooAlkibiades, quite
unawares,
receives a
first
lesson
in
"dialectic"
"
(53).
10Bc 6-7.
(54).
10Bc 7-9

108
sa simplicité,
Alcibiade ne comprend
pas immédiatement
la
question.
Or sa compréhension est
nécessaire.
Bien raisonné,
c'est en
premier lieu apprendr
à déterminer génériqueffient.
à unifier sous un même concept une série d'espèces ou
d'activités spécifiques. Cependant,
Socrate trouve un
chemin
bien plus simple pour se faire entendre d'Alcibiade.
Les mêmes déesses président au chant,
à la danse et à
la
rythmique chorégraphiqut.
Il
s'agit des Muses dont ces
diverses activités tirent leur nom commun:
la musique
(55).
De m~me que ce qui se fait ~pe~f en gymnastique est
1
yu~vaaTlXov

49),
ce qui s'accomplit KaTà Tnv TÉXV~V
en musique sera dit ~oualK~f
(56).
Ainsi élaboré,
ce
~odè:
logique peut s'étendre au domaine couvert
par
la préten-
tion d'Alcibiade

44)
c'est-à-d're à la Politique.
3.
Application à la Politique
( 108d Il -
109c 16)
§
54.
Il
reste maintenant à appliquer
la technique
de raisonnement ains{ apprise à la Politique

53),
par
où s'amorce le retour à l'objet initial du débat (57).
Pl~3
(55).
108d 3
(56).
108d 10
(57).
107d sq.

109
précisément,
sur
le modèle des exemples précédents,
il
s'agit de déterminer
le BÉÀ110V
en matière de guerre et
de
paix
(58).
Curieusement,
Alcibiade qùi
prétend conseiller
les
,
:>
,
Athéniens TIEPI
TIoÀÉ~OV
et TIEPl
EIPTlVTlf
(59),
ne sait
pas
ce qui
en est
le BÉÀ110V
,
c'e~t-à-dire finalement ce en
vertu de quoi
il devrait donner ses conseils. Curieuse,
l ' a t t : -
:>
,
tude d'Alcibiade est en plus honteuse (aloxpov
)
(60).
En
effet,
on peut supposer qu'Alcibiad'
serait
parfaitement à
même de nommer,
quoique n'étant
pas médecin,
le SÉÀ110V (61)
en matière d'approvisionnement
(TIEPI
Ol11WV
)
(62).
Ainsi
Alcibiade nous apparaitrait
s~v~nt sur les questions qU'il
ignore et ignorant sur les matières qu'il prétend connaître.
L'absurdité de cette situation,
son ridicule même,
indiquent
nettement que sa prétention n'est que le masque d'une P.V.

44 n.28).
§
55.
Pourtant le
talent
pédagogique de Socrate
viendra à
bout de l'entêtement
du
jeune ambitieux.
On peut
(58).
108d 9-10:
181
6~ KallO JEV lW TIOÀE~Elv SÉÀ110V KCll
, )
_ : > ,
);
10 EV
lW
EIPTlVTlV
aYEIV
TOÙ10
10
SÉÀ110V II
ovo~açElf.
(59).
107d 3
(60).
108e 5.
, C
,
( 6 l ).
i . e •
1
UYIEIV01EPOV,
108E 8-9.
(62).
108e 6

110
envisager deux cas de
figure.
Il arrive que l'on observe
la paix ou que l'on déclenche la guerre à propos~c'est-à-d~r!
,
en se fondant sur le SÉÀTtOV
• A l'inverse,
lorsqu'une
guerre éclate entre deOx Etats,
ils s'accusent mutuellemen~
de ~iolence, de tromperie et même de vol (63). Dans le
premier cas,
on invoque son esprit de
justice,
dans le
second,
l'injustice de l'ennemi
(64).
Pour Alcibiade,
il y
a
une différence radicale entre ce qui est
juste et ce qui
Cetie différence radicale est sans doute réelle mais désor-
mais,
on ne peut invoquer que les termes de l'alternative
qu'elle constitue pour déclencher la guerre ou conclure la
paix.
Les Athéniens pourront~ dans cette optique,
faire la
guerre ou contre ceux qui
so~t justes à leur égard ou contr
ceux qui sont injustes.
La question est de savoir
dans queL1J
direction Alcibiade qui
pretend les conseiller dans ce
domaine les engagera (66)
§
56. La réponse d'Alcibiade est importante pouR
,
~
)
~
~,
toute la suite du dialogue:
6EtVOV TOUTO YE
EPWTŒf
Et YQP

(63).
109b 4-5.
(64).
l09b 6.
(65).
l09b 9.
(66).
l09b 10 sq.

- - - - - - _ . _ - - - _ ... _----~. -- _ ..
I I I
rroÀE~E1V O&K ~V 6~OÀOYnOEltv YE (67). Alcibiade écarte que
l'on puisse agir ouvertement sous la bannière de 1 'in jus-
,
tice.
Nul ne voudrait
jamais reconnaître qu'il fait la
guerre à ceux qui agissent avec
justice. C'est donc toujour~
de la
justice qu'on se prévaut,
c'est d'elle qu'on se
réclame.
La
justice est ainsi un facteur
qui s'impose de
lui-même,
une exigence essentielle -
nous dirons une Valeur.
On ne peut en prendre le contre-pied parce que dit Socrate:
:>
"
- )
w&.f"
Ou yetp VO~ l VOV -rou8 )
EO l KEV
(68).
Cette phrase est
d'ailleurs de compréhension malaisée.
La traduction de A.
CROISET (69)
(" ••• cela n'est
pas conforme au droit •• ")
obscurcit inutilement le sens du texte, d~ même d'ailleurs
que celle de ROBIN
(70)(" • •• ce n'est pas légitime •• • ") ou
celle de CHAMBRY (71)
qui reprend le texte de CROISET. Le
texte semble plutôt signifier:
" ••• ce n'est pas conforme à
(67).
109c 1-3;
très bon commentaire de PROCLUS qui perçoit
parfaitement toute la dangereuse ambiguité du propos
d'Alcibiade,
cf.
en p~rticulier la comparaison avec l'atti-
..
tude de Thrasymaque,:ad.
loc.
cit.
p.144 sq.
(68).
109c 4
(69).
Ap.
Budé
(70).
Ap.
Pléiade
(71).
Ap.
Garnier/Flammarion.

112
l'usage ••• " sans que l'idée de droit
(72)
ou de légitimi-
, té Y soit,
à cette étape,
impliquée.
En effet, même lorsque
l'on agit injustement, on déclare toujours le contraire. Il
n'est donc pas conforme à l'usage courant d'avouer
(§ 75),
comme le remarque Alcibiade dans la ligne immédiatement
antérieure,
qu'on mène une guerre injuste.
Mais Socrate ne
suggère cette raison que pour tester le niveau de compré-
hension et d'adhésion de son interlocuteur à ce principe.
Car cette compréhension et cette adhésion doivent
se situer
sur un autre terrain,
autrement plus profond que la simple
considération de l'usage ou même,
pour parler comme ROBIN
(Supra),
de la légitimité.
§
57. L'explication plus profonde nous est donnée
dans un morceau de l'Eutqœhron 8b 7 -
9d
2.
Ni les dieux ni
les hommes
(73) ne discutent pour savoir si l'auteur d'un
1
(72).
D'ailleurs i l semble que le sens premier de VO)lIVOj
serait "conforme à l'usage",
"régulier" cf.
BAILLY p.!33!,
co~3.; O'NEIL dans son édition du Commentaire de Proclus
traduit "Lawful",
opJcit.
p.144;
cf.
aussi ~e Gorgias où
le bouillant Polos déclare en termes propres que nul ne nier
, "
~
"
,
sa compétence ès
justice:
ETIEl
Tlva OlEl
aTIapvnOEo6al
un
: > ,
,
: 1 ,
: 1 ,
,
ô'
, '1
,
OUXl
Kal
aUTOV ETI10Tao6al
Ta
lKala Kal
aÀÀouJ
ôlôa~E1V
(461c 2-3)
(73).
8b 8 sq.
,,'

acte injuste doit ou non être puni.
Tous sont d'accord sur
ce fait:
le coupable doit être puni. S'il y a contestation,
elle porte sur l'~tab1issement de ia cu1pabi1it~. On contest
avoir commis une injustice,
mais non pas que l'on doive
être puni lorsque l'on en a
commis une
(74).
En r~a1it~,
dit Socrate,
personne n'ose soutenir
(75),
y compris le
A
coupable lui même,
qu'il doive ~chapper au chatiment quand
i l reconnait avoir commis une injustice.
Même un dieu,
d~c1are Socrate n'oserait soutenir que l'injustice doive
rester impunie (76).
L'adh~sion à la Justice est obligatoirE
La divergence des opinions porte sur des actes particuliers,
(74).8 d 2
(75).
8 c
13 sq.
(76).
8e 1; cf.
R.S.
MEYER:
wThe statement'guilty men ought
to be punished'
is analytica1:
a
man who is gui1ty is by
definition a1so a man who ought
to be punished-p.
13,
in
P1ato's Euthyphro:
an examp1e of phi1osophica1 ana1ysis.
Communication of S.Africa,
Pr~toria, 1963. Ce texte est
,
introuvable en Occidént.
A notre connaissance,
i l n'y a
que GUTHRIE qui le cite dans sa bib1iographie(cf.
A History
of Greek Phi1osophy,
op.
cit.).
Il figurera in extenso en
annexe dans notre thèse de 3ème cycle sur l'Euthyphron,
en
pr~paration sous la direction conjointe de Messieurs les
Professeurs P.Hadot et R
Aubenque.

114
justes à l'opinion des uns,
injustes pour les autres (77),
mais non pas sur la nécessité d'agir justement. C'est que
l'adhésion à la Justice est une exïgence essentielle lors-
qu'elle est reconnue dans une rencontre.
§
58. S'il n'est pas conforme à l'usage de reven-
diquer le parti de l'injustice,
ce n'est pas beau non plus:
• Autrement dit,
ce qui est
beau c'est de se réclamer de la justice. Alcibiade ne
pourra faire autre chose que de se réclamer du parti de la
justice et ainsi de l'invoquer comme critère pour don~er ses
~onseils. L'engagement de la guerre ou la conclusion de la
paix ne se font pas au hasard;
ce ne sont pas des activités
arbitraires,
indéterminées. En tant qu'activités déterminées
donc soumises à des critères ·d'évaluation, elles ont un
SÉÀT10V
;
par conséquent,
pour s'exprimer pleinement,
conformément à leur nature. propre, elles doivent
-
et
::>
-
,
peuvent -
être accomplies op8Wf
c est-à-dire selon les
(77).
ge 5 sq

(78).
Il ne faut traduire ici ni par "honorable" (CROI5ET)
ni par honnête (CHAMBRY) mais bien par beau (comme ROBIN
ap. Pléiade) pour conserver ainsi toute la richesse, et en
un sens toute l'ambiguité c'est-à-dire,
finalement,
toute rai
promesse du terme grec.
,.

115
règles de la technicité qui
leur sont
propres.
Ces
règles
s'expriment ici dans le OlKU10TEPOV
(79)
qui est
une
valeur
(éthique)
(80).
§
59.
Il semble que l'analyse philosophique ait
conduit assez loin puisque d'ores et déjà,
i l ne s'agit plus
des seules techniques courantes.
Un évènement notable est
intervenu:
l'introduction de la notion de
juste.
D'emblée~
le
juste s'est installé dans
la
position du 6ÉÀT10V
,
coc-
]
~
mandant une
pratique op8wI
de la guerre ou de la
paix,
rivalisant ainsi apparemment avec les techniques.
Il
y a
comme une sorte d'équivoque qui envahit le dialogue car
l'analogie qui le structure
peut
paraître désuet et imperti-
nent si s'établit une confusi~jbntre les domaines technique
et ethique. Toutefois,
c'est surtout la voix des techniques
qu'on a entendutjusqu'ici.
On n'a
pas fini
de les entendre
(§§130 sq)
mais elles ne ~uffisent plus à animer le champ
de l'analyse:
à
travers la détermination du OlKQ10TEPOV
comme 6ÉÀT10V,
la valeur est advenue sur la scène,
qui ente~rl;
en mener
la bataille d'occupation.
(79).
109c I l
(80).
Comme toute valeur,
par essence.
Aussi n'y aura-t-il
pas lieu de préciser ultérieurement.

116
II.
L'AVENEMENT DE LA VALEUR:
LE JUSTE
(109d 1 -
116e 5)
1. Première aporie sur l'origine de la connaissanc~
(109d
1 -
110d 6).
60.
Le lecteur aura remarqué que le ôtKatOTEPOV
qu'Alcibiade prétend maintenant avoir en vue lorsqu'il

prodigue ses conseils ne figure nullement sur la liste de
son programme scolaire pourtant exhaustivement envisagé
(§ 39).
Aussi ne nous avait~i1 paru avoir,
en tout
cas pour
la partie de son savoir qu'il avait apprise
(id.
§
39),que
des connaissances purement. scolaires.
Qu'il ait
pu,
par
ailleurs,
apprendre les matières proprement
techniques,
voilà ce que son incompétence avait do/nous obliger à écarteI;
Ainsi,
au regard du
ÔtKatoTEpoV
, i l n'y a
que deux
hypothèses possibles:
ou Alcibiade ignorait saDS le savoir
ce qu'est le juste (1),
ou bien i l a
fréquenté à
l'insu de
(1).
CROISET ne traduit pas,
i l interprète lorsqu'il écrit:
" ••• tu ignorerais cette chose essentielle?" On aimerait bi
savoir d'où lui vient le mot"essentie11e":1TOTEPOV oauTov
,
( , l : » ,
~
"
ÀEÀTl8af OTt
OUK' E1TtOTaOat
TOUTO...
cf.
109d 1-2.

117
Socrate un maître de
justice.
Dans ce second cas,
Socrate
(2)
ne demande d'ailleurs pas mieux que de s'inscrire,
.
corn me di.sc i pIe
_,
au p r è s
d e
c e mal t r e.
Soc rat e
i n v 0 que.
nom
sans une légère pointe d'ironie,
le dieu de l'amitié (3),
pour attester son intérêt à ce maître énigmatique.
§
61.
Cependant Alcibiade écarte la seconde hypo-
thèse -
celle de
la fréquentation d'un maître.
En
effet,
i~
prétend qu'il existe un autre mode d'accès à la connaissanç
:>
) \\ ) 1
')1
:>
1
du
juste et de l'injuste:
OUK av OlEl
UE aÀÀwI
ElOEval n~p~
.....
,
...
') ~,
TWV'OlKalWV Kal
aulKWV
;(4).
Mais comme remarque im.é-
diatement Socrate en s'autorisant d'un résultat
précédemmen
établi

39),
i l ne reste que la découverte personnelle
(5).
Toutefois,
cette découverte ne peut
résulter
que d'urr~
recherche préalable
(id.
§
39).
Cette recherche elle-même
suppose la reconnaissance,
à un moment assignable,
d'une
ignorance dont elle vis~ la transformation en connaissance
par un acte de la volonté

39).
Ignorance reconnue,
savai
(2).
109d sq.
Dans son Commentaire,
PROCLUS déclare
(230,
16. ss= p.
106 de l'ed.
de Westerink,
Amsterdam,
1954; cf.
aussi FESTUGIERE ap.
Museum Helveticum,
p.
99 n 9)
que
Socrate parle tout à fait
sérieusement.
En tout
cas,
son
commentaire du morceau est excellent,
cf.
ed. O'NEIL
Il • 14 7 -1 5·2 •
(3).
109d 7;
FESTUGIERE,
art.
cit.
in M.H.
p.
99
n9
(4).
10ge 2-3
(5).
10ge 5.

118
recherché, savoir trouvé,
telles sont les étapes qu'à l'en
croire, Alcibiade aurait franchies~
.
La figure suivante doit éclairer le processus de la connais
sance tel qu'il est envisagé dans ce morceau:
Figure 1.
Objet
Juste
M3= connaissance acquise
o
G)
recherche
=
apprentissage
?
Ml
= Ignorance reconnue
01'
?
1
1
1
1
1
1
1
Mo
1
= Ignorance'méconnue
1
1
'V
?
.'

119
§
62. Lorsqu'on analyse le tableau en rapport avec
le texte,
l'on se rend compte que le gros
problème est la
détermination de Ml sur l'axe du temps. En effet,
Ml est as-
signable en droit -
et en fait -, si réellement on atteint
M3.
Il semble bien que M3 soit inacessible autrement que pa~
la médiation de MZ a ou de M2 b. Pour établir qu'il a accéd:
à M3,
Alcibiade doit assigner concrètement Ml. Autrement di~
Alcibiade qui prétend avoir accédé à M3 par M2 a,
doit, en
,
,
(
, " )
-
:::>
faisant preuve de sincerite
Kal
TaÀn8n
aTIOKplVOU
(6»,
cond~tion de l'aboutissement du dialogue, dire exactement
quand est-ce qu'il a cru ignorer le juste, ce qui, bien
entendu,suppose établi ~ Or là gît la difficulté. Car on
ne voit nulle part, aussi loin que l'on remonte dans le pass
d'AlcibiadeJjusqu'à sa prime ~nfance, un moment o~ il eit
cru ignorer le juste (Mo).
Au contraire,
ce qui est massive-
ment constaté,
c'est la créance d'Alcibiade en sen
savoir du juste.
§
63. Socrate l'a entendu tout jeune (7)
invoquer
le juste pour blâmer le comportement de ses petits
camarades. Sachant qu'on se comportait injustement à son
égard,
il ne se pouvajt pas qu'il ne crût pas savoir disti~-
1
"
1 "
)1
) ,
,
guer le juste de 1 injuste: ~410U apa ETI10Tao6Ql Kal TIQ1f
(6).
110a 2-3.
(7).
110b 1 sq.

120
(8),
commente
Socrate. Or, malgré qu'Alcibiade prétende avoir connu le
r
juste par la voie de la découverte (M2 a),
il n'arrive pas
à dater cette découverte. Cet évènement marquant la naissam
de cette prétendue connaissance est indatable parce que,
:>
...
"
sans doute, elle n'est qu'une illusion: ou yap EUpnOEtf
TOÙTOV Tev Xp6vov
(9).
Alcibiade se trompe,
par consé-
quent,
lorsque écartant l'hypothèse de l'étude (§ 61), il
attribue son savoir prétendu à la découverte (§§ 61;
62).
En réalité,
en admettant qu'il connaisse le juste (§§61; 6::
ce n'est ni pour l'avoir appris ni pour l'avoir découvert.
Telle est l'incroyable aporie à quoi aboutit sa prétention:
il détient un savoir qui ne vient d'aucune des deux sources
de la connaissance admises par le dialogue (10)

39).
Quelle peut alors être l'énigmatique origine de ce savoir
prétendu?
Pour justifier, on peut le dire maintenant,
l'origine de
son pseudo-savoir,
Alcibiade va convoquer un nouvel acteur
dont l'ombre jusqu'ici n'avait pas envahi la scène:
la
masse (11).
(8).
110c 3-4
(9).
110c 9-10
(10). cf.
justement § 39.
(11). Disons d'emblée que ce terme a valeur technique pour
nous. Nous l~utllisons systé~atiquement pour traduire l'idé~
de grand nomb~e, foule etc •••

121
2.
La Masse peut-elle enseigner le Juste?
(110d
7- 113c 8)
a.
Le maître prétendu d'Alcibiade:
la
masse
(110d
7- 110e 1)
§
64.
Alcibiade revient sur ses pas et tente de
reprendre en charge l'hypothèse de l'apprentissage qu'il
avait auparavant écartée

61).
Il considère qu'il a
eu
tort. (12)
d'adopter la thèse de la découverte que Socrate
vient de ruiner

63).
En conséquence,
ce n'est
plus
si l'on se souvient de la figure
1 (§§ 61;
62) -
par M2 a
mais
par M2 b qu'il accède à M3. Mais si cette hypothèse
avait été écartée,
c'était sans qu'un maître
fût
désigné,
~i
même que l'examen en fût
vraiment appro~fondi. La nouveauté
dans la reprise de l'hypothèse c'est qu'elle s'accompagne
de la désignation du maître.
Le maître d'Alcibiade est
la
masse.
Si comme le remarque
justement Socrate,
on revient
au même point
(13),
c'est
néanmoins avec une
prétention pl~s
forte non exempte,
i l est
vrai,
de
tout
reproche.
(12).
110d 7 sq.
(13).
110d 12

122
b.
Critique de cette prétention
(110e 2 -
Ille 13)
§
65.
Le praticien des premiers dialogues
(14)
n'est
guère surpris d'entendre Socrate déclarer,
lorsque le
;,
:>
jeune ambitieux allègue l'autorité de la masse:
OUK ElJ
o~ouôalouJ YE ôlôaOKaÀoUJ KaTa~EuYElJ E~J TOÙJ ~oÀÀOÙJ
J
,
ava~Epwv
(15).
Alcibiade semble surpris,
et peut-être in-
digné,
d'entendre contester la compétence
pédagogique de la
mas s'e.
En e f f et,
à sui v r e Soc rat e, qui ne p e .. t
pas 1 e moi n ~
ne peut
pas le plus:
ElTa Tà ~€V ~auÀ6TEpa O~X orOl TE
ÔtÔaOKEtV
Tà ô€
O~OUÔt6TEpa
(16);
La masse
est inca-
pable d'enseigner une chose relativemen9aussi simple que le
trictrac
(17),
a
fortiori
le domaine bien plus difficile
du
juste. Cet argument est
insuffisant à vaincre la résis-
tance d'Alcibiade dont
la réplique à Socrate apparait i~i
fort
pertinente.
(14).
Hippias Mineur 364b;
Criton 44c-d;
Hippias Majeur 282d
284e sq;
Lachès
184d~ Protagoras 317a; etc •.•
(15).
110e 1-2
(16).
110e 8-9
(17).
Sur ce jeu:
Charmide 174b;
Gorgias 450d;
République
333b,
374c;
i l comporte des règles
bien précises:
P.
DECHA~~
~
La Critique des Traditions religieuses chez les Grecs, Par~~~
1904,
pp.56-57:
."

123
§
66. Enseigner à parler le Grec est plus difficile
qu'enseigner le trictrac. Or c'est bien de la masse qu'Alci-
.
biade a appris à parler Grec (18)~ En effet, aucun jeune
athénien ne fréquente un maître individuel spécialisé dans
l'enseignement de la langue grecque. On ne va pas chez un
maître de Grec comme chez un plectre (*) pour apprendre à
jouer de la lyre.
Parler le Grec n'est pas non plus l'objet
d'une découverte personnelle. Alcibiade est donc obligé de
reprendre en 'harge l'hypothèse de l'enseignement qu'il
ne ~ouvait dès lors plus rapporter qu'à la masse comme maîtT
Cet argument ne devait pas paraître peu banal à Platon
(l8).
IlIa 1-2
(*). Le plectre, dit ROBIN (ap. PLéiade, p. 204 n1= 1274,
est Il l'archet de la lyre !'. Sans doute faut-il lire archer
à la place de archet qui désigne une baguette sur laqLelle
on tend des crins servant à la vibration de divers instru-
ments à corde. Ce sens étant exclu par le texte et les sens
analogiques du terme n'ayant aucun rapport avec la lyre, i l
faut donc penser que ROBIN a voulu écrire:" archer de la
lyre ", ce qui donne un sens pleinement satisfaisant.
L'archer de la lyre est en effet bien indiqué pour enseigne~
à jouer de cet instrument et,par conséquent) à être consulté
ès qualité.

124
puisqu'on le retrouvera dans le Protagoras.
Il le met dans
la bouche de Protagoras ( 19) : en substance,
i l en est du
maître de vertu comme du maître d-e Grec,
on le chercherait
en vain,
car ce n'est autre que la masse.
En fait,
l'Alci-
biade ne conteste pas cette objection pour elle-même:
••• TOUTOU UÈv ~yaeol OloaOKaÀOl of TIOÀÀOl Kal OlKatwf
-
)
)\\
')
-
ETIalV01VT
av Elf
oloaoKaÀtaV
(20).
La masse,
on ne peut le
contester,
est un bon maître de Grec.
La condition essen-
tielle de l'existence d'un enseignement est la connaissanc~
,
' "
..
..
pre~lable de son objet par 1 enseignant:
••• xpn TOUf
,
0'
Co
-
) ,
-
. 7 ,
UEÀÀOVTaf
01
aOKE1V OT10UV aUTouf
TIpWTOV EloEval
(21)".
Cette condition se
trouve,
en l'espèce,
réalisée chez la
masse.
Elle sait
parler le Grec,
sa langue de communicatioI
quotidienne.
§
67.
Au demeurant,
le caractère,
si l'on
peut dire
,
épisttmique,
de la relation de la masse au parler
grec est
renforcé par un second argument introduit
par Socrate. C'e$
qu'il n'y a
pas de contradiction parmi la masse sur ce sujœ
°
)
-
..
la non contradiction étant
un signe de saVOlr:
OUKOUV TOUJ
' ) ,
c..
_
,
....
,
EloOTaf
OUOÀOYE1V TE aÀÀnÀolf
Kal
un ola$EpEOeal
(22) •
•.
0
(19).Protagoras,
327e sq.
(20).
IlIa 5-6
(21).
IlIa 11-12
(22).
111b 2-3.
~.

125
c'est déjà une doctrine supposée dès
l'Hippias Mineur qui
peut avoir été le premier dialogue du corpus platonicum:
,
, . . .
) ,
"
' \\ )
Ô '
...
KatTOt
Tt
~EtÇOV a~a6taf TEK~nptOV n ETIEt av Ttl 00$011
~"
,
avôpaot
Ôta$EpnTat
(23,);
La masse s
accorde bien en son
sein sur la désignation de
Àt60f
ou sUÀov • Cet accord
porte sur
tous les étant,
empiriques et
toutes les réalités
mondaines qui
leur sont apparentées.
Sur de tels sujets,
on
n'imagine pas de conflit ni
entre individus,
ni entre Etats;
le même individu ne varie pas non plus sur l'appellation de
;)
,1
')'
,
ces choses.
Ainsi:EtKéTWl av apa TOUTWV YE Kat
ÔtÔaOKaÀOt
EtEV ~ya60t (24). On ne serait donc pas mal venu,
pour que
quelqu'un se familiarisât avec l'usage de la langue courante.
de l'envoyer à
l'école de la masse
(25).
§
68.
Toutefois,
i l faut mesurer les limites de
sa compétence.
Certes,
la masse peut enseigner à
discriminer
,
~
ce qu'est "avTP~mof " ou ." -tTITIOf". Mais dès qu'il s'agit de
savoir quel homme ou quel cheval est bon à la course,
elle
n'est plus en mesure de statuer
(26)
valablement.
La
.
(23).
Hippias Mineur j72c 1-2
(24).
Alcibiade 111d 1-2
(25).
111d 3 sq
(26).
De même,
la masse n'est
pas capable d'enseigner ce
qui est sain ou non.
.'

126
meilleure preuve en est,
au rebours du cas précédent (§
67).
que sur pareille matière,
le désaccord,
loi de l'ignorance,
s'installe en son sein (27).
De même)le désaccord naitrait
en cas de débat sur ce qu'est "homme sain" ou "homme
malade".
Si ces thèses socratiques ne paraissent
pas contes-
tables,
tel interprète pressé a
pu quelquefois s'y méprendrf
et leur adresser des critiques sans portée réelle et dont,
bientôt,
nous ferons
justice)en dégageant le sens général
de ces morceaux
(§§
71;
72).
Pour le moment,
suivons Socratf
dans l'établissement de la position du problème et dans
l'élaboration de sa solution.
c.
Position et solution du problème
(Ille 14 -
l12d 14)
1. Accord sur les techniques et
désaccord sur les valeurs
(Ille 14 -
l12d 14)
§
69.
En fait,
notre analyse des §§65 à 68, porte
(27).
lild 14 sq et
Ille 13 •
.'

127
sur un détour (28) qui a permis délaborer les critères,
épistémologiques en particulier (§§67; 68), autorisant à
reprendre et à résoudre le problème relatif à la connaissanc
du juste. Précisément,
non seulement les hommes ne s'accor-
dent nullement sur le juste, mais encore c'est le sujet sur
lequel ils s'accordent, s ' i l se peut,
le moins possible (2g)
Ce qui prouve que non seulement ils ne connaissent pas le
juste (§ 67), mais encore qu'ils le connaissent le moins
possible. Il ne fait pas de doute que le degré d'accord sur
une éhose est directement proportionnel au niveau de connai
sance qui lui correspond. D'autre part,
s ' i l n'arrive
que les hommes se disputent tant soit peu vivement au sujet
de ce qui est sain ou malade (30),
en revanche, lorsque
(28). Ce terme a également ~aleur technique pour nous: il
désigne tous les développements d'exemplification sur des
,
thèmes parallèles Ou marginaux par rapport à l'axe du débat_
Le détour a donc essentiellement une fonction heuristique.
(29).
Ille 14 sq.
.
(30). De telles notion~, à la différence de celles de
"pierre" ou "terre",
sont à prendre en un double sens: a)
en un sens usuel et langagier que la masse enseigne en effet.
Ce sens usuel est informé par les conceptions populaires
empiriques;
b) en un sens technique dont la détermination
implique une recherche spécialisée qui n'est plus du domaine

128
leurs divergences portent
sur les questions relevant du jus'
ou de l'injuste,
bien souvent,
elles conduisent aux cODfli~:
.
et à la guerre.
L'appel à une double autoriXé prouve cette
position:
celle de la légende avec Homère
(31),
et celle de
l'histoire avec les batailles de Tanagra et de Coronée (32)
§
70.
Ainsi,
dans
la légende aussi bien que dans
(30 suite).
de la masse.
Aussi,
si la masse enseigne le
"sain"
comme terme du lexique usuel,
le médecin l'enseigne
comme produit de son activité propre (Euthyphron
13d 12-14)
c'est du fait
de connaître le premier que l'on croit à
tort connaître le second.
D'où l'on croit savoir ce que
l'on ignore.
C'est donc bien à
tort que E.
MERON
(op. cit.
p.
127)
croit pouvoir reprocher à Socrate d'escamoter les
notions subjectives.
En effet,
elle passe complètement à
côté du problème qui intéresse Socrate en quoi consiste so~
effort
pour penser techniquement deux
niveaux de donation
de sens dans le langage passdnt par le discriminant
technique/non technique.
(31).
112b 4 sq.
(32).
Ces deux batailles eurent lieu en 457 et en 447;
112c 3 sq.
et ROBIN
(ap.
Pléiade nI
p.216= 1274).

129
l'histoire réelle,
on peut constater l'accord sur
les
techniques,
et en général sur la désignation des êtres du
monde empirique

67),
et le désaccord sur les valeurs
(§§26;
27). C'est le même constat qu'effectue l'Euthyphron
après avoir souligné l'inexistence d'un moyen de décision
autorisée,
au rebours des
techniques,
dans les discussions
sur les valeurs.
D'où les mêmes discordes,
les mêmes conflit
,
G
\\ ,
{."
,
sur les valeurs:
TaUTa OE YE
wf ou $Df
01 UEV C1KalQ
(,...
v
\\ ? I
, c . ' , .,
...
,
nYOUVTal
01
CE a01Ka
TIEpl
a
Kal
aU$lOSnTOUVTEf
OTaOla-
,
" ' ) ' \\
,
ÇOUOl
TE Kal
TIOÀEUOU01V aÀÀnAolf
(33).
D ores et
déjà,
l'analyse de ce texte nous conduit à
souligner l'une des
limites de l'analogie entre les techniques et l'Ethique.
S'i
existe,
dans le cham~ de l'Ethique,
un moyen de décision
au t 0 ris é,
i 1 d 0 i t
ê t r e d' une· a u t r e na t ure (§ § 1 7 6; 1 77;
1 8 3 ;
191). On comprend dans ces conditions qu'Alcibiade n'ait
ni appris
ni découvert
lui~même le juste. Il y a là, par
rapport aux sources de ~a connaissance,
une aporie que la
mise en évidence du sens de ce morceau permettra,
chemin
faisant,
de dissiper

68).
§
71.
Evelyn~ MERON passe à côté du sens général
.
de ce texte lorsqu'e~ie écrit:" Alcibiade, est-il dit, a
toujours eu,
ou cru avoir,
le sens de la justice.
D'après
Socrate,
le sentiment naturel
inné d'une notion prouve
l'ignorance de cette m~me notion,
paradoxe assez surprenant
(33).
Euthyphron 7e 9-8a
2. 6

130
sur le plan logique."(34).
Bien entendu,
on a
beau regarder
le texte à la loupe,
on ne voit nulle part prononcée par
Socrate,
sous quelque forme que ce soit, e~ seconde opinion
qui lui est prêtée.
Le sens du texte est assez clair. Une
connaissance ne peut provenir que de deux sources (35):
l'étude auprès d'un maître ou la découverte personnelle.
Or
Alcibiade prétend connaître le
juste,
une matière très
discutée,
sans l'avoir ni appris ni découvert.
Donc sa
prétention est fausse.
Il n'a
pas de connaissance du juste.
Il n'est porteur que d'une illusion. Cette illusion est
l'expression des opinions populaires (id.
35) qui se
diffusent et gagnent du terrain sans faire l'objet d'étude
(34).
Loc.
cit.
p.
126
(35).
112d 9 sq.;
l'erreur de E.
MERON
(
§
71 n.34) est la
même que celle de PROCLUS qui parle également de notions
innées:" we think we know many things of which we are
unaware,
by reason
of the innate notions present
in us
according
to our bei~g" p.
5 (7);
ib.
p.
10 (15).
Cependant

PROCLUS est parfois proche de notre interprétation,
par
exemple,
p.160:" ••• the multitude is responsible
for
false
notions.
since i t produces within us
from our youth evil
imaginings and variegated emotions·.
On voit bien en quoi
cette remarque congédie l'innéisme.
Mais PROCLUS est
inconséquent.

131
ou de découverte.
Pas plus qu'on
ne découvre ni
qu'on
n'étudie chez un maître spécialisé la langue grecque,
pas
plus on ne découvre ni n'étudie l~idéologie populaire,
les préceptes de la conscience commune.
Plus précisément,
avec la langue,
on assimile les préceptes,
l'expérience
qu'elle permet de structurer.
La langueJcomme l'ont bien
compris les linguistes modernes,
n'est
pas un outil techni-
quement neutre,
mais au contraire,
véhicule,
à travers les
diverses catégories du langage,
les conceptions et les
expériences de ceux qui en sont les locuteurs privilégiés.
c'est
pourquoi,
bien souvent,
Socrate s'assure que ses
interlocuteurs parlent bien grec
(36).
Comme le parler grec,
l'idéologie populaire n'
a
pas besoin de diffuseur spécia-
lisé:
d'abord
parce que tous en sont les propagandistes plu~
ou moins conscients,
ensuite parce qu'elle finit
par
s'imposer avec la force,
et bientôt,
la
tenace
banalité de
(36).
Ménon o~ Socrate demande à propos du jeune esclave
Cl
, : >
..
(,.
,
qu'il veut
interroger:
EÀÀnv ~EV EOTt Kat EÀÀnVJ~Et: 82b 4;
même dans l'Alcibiadè,
120b 1-9 (cf.
§
103),
le reproche
fondamental que Socrate fait
à certains mauvais politiques, r,
,
~,
~
est
de connaître à
peine le Grec: •••
aapaapt~OVTEf EÀnÀu9aOli
, \\ '
" ' , \\ '
,
;)
"}I
KOftaKEUOUvTEf
TnV TIOfttV
aÀÀ
OUK aptovTEf"
(b 4-5)
.'

132
l'habitude.
§
72.
Par la médiation de
l'habitude,
la transmis-
sion des préceptes de la conscience commune
tout comme la
maîtrise du langage s'effectue par
voie de mimétisme.
Aussi.
Alcibiade a-t-il raison,
en un sens,
de dire qu'il
a appris
le
juste comme
tout
le monde,
c'est-à-dire de tout
le monde
et,
finalement,
de personne.
Il n'apprend
que ce qu'il croi~
être la
justice,
ce que la masse considére
comme
telle. Car
en tant qu'elle se livre à
la
pratique,
et qu'elle se
reconnait une finalité,
elle appelle celle-ci
justice. Kul
n'ose brandir,
on le sait,
le drapeau de l'injustice. On
invoque toujours la
justice
(§§
56;
57),
exigence essentie~l
C'est donc toujours la justice qu'on veut
(37),
lors mê.e
qu'on n'en a aucune connaissance réelle,
ou que,
ce qui
revient au même,
l'on~~~ ~
qu'une prétentieuse
illusion.
C'est pourquoi l'analyse a.pu être conduite en terme de P.~_
(§§
44 n.28;
54))dont l'aporie doit être interprétée coame
la capture,
au moins partielle.
En tout cas,
si l'on voit
(37).
On reconnaitra là la théorie socratico-platonicienne
selon laquelle on ne fait
pas le mal volontairement.
Rappelons que l'excellent livre de J.
GOULD.
D.P.E.
procède
à une critique en règle de l'interprétation traditionnelle
de cette doctrine.
Nous nous permettons d'y renvoyer le
lecteur.

133
bien se former,
peu à peu,
par le biais du mimétisme socio-
logique et idéologique,
une opinion ou un sentiment indatable
parce que naissant progressivem~nt, en revanche,
on ne
remarque nulle part quelque chose qui ressemblerait au
prétendu sentiment naturel conclu,
faussement,
des dévelop-
pements de SOcrate. On peut maintenant comprendre
le sort
d'une hypothèse envisagée ( ~60) mais non étudiée: Alcibiade
ignorait sans le savoir ce qu'est le juste.
Il ne
pouvait
savoir qu'il ignorait vraiment le juste parce qu'il croyait
fauseement
le savoir.
Et
parce qu'il croyait faussement
le
savoir,
i l n'est pas allé à sa recherche.
En réalité, c'est
la discussion avec le philosophe qui lui
permettra de prendrE
conscience de sa prétentieuse ignorance
parée des atours du
savoir,
et qui)par conséquent~tiendra lieu de date à laquell«
1
aura commence
pour lui,
l'apprentissage du juste.
D'ailleur:
le philosophe va axer son ~nquête sur le juste mais aupara-
vant,
i l aura fait
une mise au point sur la responsabilité
de l'enquête.
2.
La responsabilité de l'enquête
(112e 1- 113c 8)
§
73. Qui
portera la
responsabilité de l'enquête
dans une discussion dialectique? Cette question est soulevée

13<'.
parce que lorsque Socrate,
vers la fin
de
la sous-section
précédente (cf.
C=l;§§ 69-72),
conclut à
l'errance d'Alcibiad
dans ses réponses
(38),
celui-ci rétorque,
comme m~par un
}
' 1 [
\\ ,
:>
désir
inavoué de contestation:
EK ~EV wV av ÀEYE1J OV<
;)
E1KOJ
(39).
Pour Socrate,
ce n'est
point
là une bonne faço~
')
-
..
de s'exprimer
(OV KaÀwJ E1TIEJ
)
(40)
car
lui même ne dit
rien
positivement.
Il se contente d'interroger.
S'il deman~e
combien font
deux fois
deux,
c'est Alcibiade qui donne le
résultat,
soit quatre (41).
Ou bien encore c'est l'interrogé
qui dira comment s'écrit tel
nom,
"Socrate" par exemple.
De
)\\
,
c " ,
) , 0 7 "
,
sorte que:
181
6n
EVl
ÀOYw E1TIE OTav EpWTn01J TE Kal
)
"
c . . ,
Co?
_ " ) \\
C.)
,
aTIOKpl01J YlYvnTal
TIOTEPOJ C ÀEYWV
0
EpWTWV n 0 aTIOK01VC-
~EvoJ;(42). Or dans la discussion précédente, Socrate tenait
le rôle d'interrogateur et Alcibiade celui de répondar.t.
P3r
conséquent,
il est parfaitement exact que tout en étar.t da~s
l'ignorance,
celui-ci croyait connaître le juste
(§ 72),
s'attribuant
(43)
indûment le rôle de conseiller des
Athéniens en une matière où,
pour ainsi dire,
il ignore
tout.
En concluant ce passage,
Socrate enferme dans une
(38).
112d 11
(39).
112e 1; Théétète,
160e -
161c
(CHAMBRY,
p.
89)
(41).
112e I l sq;
cf.
P.
HADOT.
P.D.R.A.
Studia Philosophica,!
39/1980,
p.140 sq.
(42).
113a 6-8;
et P.
SHOREY,
W.P.S.
p.416
(43).
113b.

135
"catégorie infâmante"
(44)
la
prétention illégitime du
,
,::>
-
'J\\
.)
,
jeune ambitieux:
~aV1KOV (45) yap EV V~ EXE1! ETI1XElp~~a
)
_
~I
,
'(1:>
0-'
:>
,
ETI1XE1PE1V
W SEÀT10TE
OloaOKE1V a OUK olo8a
a~EÀnO~!
~av8&vE1V (46).
§
74.
Le texte ne
laisse aucun doute sur
la res~on'
sabilité de l'enquête.
Dans son commentaire,
GROTE écrit:
" ••• Sokrates
restricts
himse1f
to
the
function
of questiorin;
he neither affirms
nor
denies
anything.
It
is A1kiabiades
who
affirms
or denies every thing,
and
who makes
a11
the
discoveries
for
himse1f out
of his own mind,
instigated
indeed,
but
not
tought,
by
the
questions
of his companion"
(47).
Cette position est constante dans le "premier plato-
nisme"
(48).
On la
trouve par exemple dans Euthyphron 11b-c
(44).
V.
GOLDSCHMIDT: ~
p.
317
(45).
Nous soulignons
(46).
113c 5-6
(47).
GROTE,
Plato and
the other companions of Sokrates,
1875,1,
p.
337.
(48).
Disons ici,
une fois
pour
toutes,
que ce terme loin
d'être un lapsus calamÎ ,
nous sert à désigner l ' ense::lble
du.
projet
philosophique contenu dans ce qu'on appelle co=mu-
nément les premiers dialogues(§l~'t).

136
où Socrate
renvoie à Euthyphron la
paternité du
caractère
dédaléen
de
ses
propositions.
Il ajoute même clairement:
"
' e . . . ,
::>,
•••
001
yap
al
UTIOBEOElf
E101V
(49). De même dans
Charmide
l63d-e,
lorsque Critias s'enquiert
de
l'avis de Socrate sur
le
rapport
entre
l'action et
la sagesse
(50),
celui-ci
répond
tranquillement:
~~ yap TIW Tà ~~Ol 60KOÙV OKOTIWJEV
')
, ct
"
aÀÀ
0
ou
ÀÉYElf
vùv
(51).
On mesure mieux
l'intérêt
de
cette mise au
point.
Elle
est
utile à
l'engagement
de
l'importante discussion
qui
suit ·sur
le sens et
la
portée du
problème du
juste
qui
nous
situe dans
l'espace des
valeurs,
au
coeur
de
l'Ethique.
3.
Sens et
protée
du
problème du
juste
(113d
1 -
l16e
5)
a.
La
position d'Alcibiade:
la minorisa-
tion
du
problème.
(113d
1 -
114b 2)
§
75.
La
réaction
du
jeune ambitieux à la réduction
de sa P.V.
dans
une catégorie
infamante

73)
est
de se
(49).
Euthyphron
Ile 4-5
(50).
Charmide
l63e 3-4
(51).
ib,
163e 5-6

137
situer quasiment sur le
terrain d'une Anti-Va1eur
(A.V.) (5::
Décidément,
comme l'avait
bien vu Socrate (§
73),
sa préten-
.
tion est folle
(53).
Selon Alcibiade la connaissance du jus:e
dont on avait vu qu'elle commandait le déclenchement de la
guerre,
la conclusion de la
paix et la vie politique en
général
( §§
56;
58;
59) n'a pas un caractère décisif. ('est
ce singulier retourne~ent qui fait sans doute ~crire â
notre regrett~ Victor GOLDSCHMIDT qu'
"il
Y a dans l'~~e
d'Alcibiade,
un
Polos qui
n'accepte pas la défaite
et
qui
voudrait
reprendre la
concession."
(54) Les questions rela-
tives au
juste sont rarement
d~battues â l'Assemb1~e:
"
O'l\\ICtl
l1Év
ifl LWKPCtTEf
/OÀ1YO;Klf
)A8TlVCtlOUf
130UÀEUE08Ctl
,
, ? \\
tJ
,
, "
;) 1 : . '

KCtl
Touf
CtÀÀOUf
EÀÀTlVCtf
TIOTEpCt
OlKCtlOTEPCt Tl
CtulKWTEpCt i~
?
\\
- ,
ECtOCtVTEf
OUV TIEpl
;)
-
, ,
,
TIPO;~Ct01V.
qr'
,
CtUTWV OKOTIOU01V OTIOTEpCt OUV01OEl
o Ctp TCtUTCt
,
,
?
,
,
Otl1Ctl
EOT1V TCt
TE
olKCtlCt. KCt l
TCt OUl1<PÉPOVTCt
~ÀÀà
'!TO ÀÀcl f
7
,
:>
,
:>
, Co ,
on
E ÀUOl TE ÀTlOEV Ct01KTlOCtOl
l1EYO;ÀCt Ct01KT1l1CtTCt
KCtl
ETEPOlf
?
,
.,
,
EPYCtOCtl1EVOlf
OU
OUVTlVEYKEV

(55)
(52).
Si la P.V.
tente de se parer des atours et des attri-
buts de la Valeur

44) et,
par 1â,
peut être confondue
avec celle-ci,
par contre l'A.V.
prend le contre-pied de la
Valeur et exprime l'aveuglement d'une âme rebelle.
Ce terme
aussi a,
pour nous,
valeur technique.
(53).
l13c 5-6 (Supra:
73)
(54).
lb.
D.P.
pp.S17-l8
(55).
l13d 1-7

138
Alcibiade,
comme on peut le constater a recours à deux
arguments pour disqualifier la pertinence et l'opportunité
d'un débat sur le juste. D'abord,
si les Athéniens n'en dis-
cutent pas c'est parce que,
pour eux,
c'est évident (56).
Cela signifie probablement dans l'esprit d'Alcibiade que
tous connaissent le juste, ce qui ne laisse pas de
jurer avec
les importantes conclusions précédentes que le double témoi-
gnage de la légende et de l'histoire avait confirmées
(§§ 69;
70 et,antérieurement, § 67).
Ainsi la facilité de
l'accord sur l'Ethique,
pourtanL monde des divergences (§§26;
27; et idem §§ 69;
70),
l'emporterait maintenant sur celle
de la technique. Ce qui semble impliqué dans le reniement
d'Alcibiade,
c'est que la conscience commune s'entendrait
immédiatement sur la notion du juste. Cette thèse,
on n'en
peut douter, est solidaire de celle qui voyait dans la masse
non seulement un bon maître de langue, mais aussi d'Ethique
(§ 64; et sa critique:§§
65; 66; 67; 68). Aussi bien, cette
thèse est-elle réfutée par avance. Ce qui ne l'est pas,
par
contre,
c'est le second argument qui discrimine le
juste de
l'utile et les renvoie à deux registres différents. Mais,
ce
qui est certainement pius grave,
c'est que/en commentant cet
argument) Alcibiade se situe ouvertement sur le terrain de
(56). "Tà lJÈv yàp TotaiJTa nyoùvnTat
énÀa Etvat" l13d 3.

139
l'Anti-Valeur
(Supra,
note 52).
L'injustice apporterait
profit à
ses auteurs
tandis
que
la
justice n'en apporterait
.
pas
(57).
Du coup,
on comprend maintenant
l'ambiguité de
la
réponse d'Alcibiade
lorsqu'il
déclarait
que se prévaloir de
l'injustice n'était
pas conforme à
l'opinion courante (58).
Si alors,
nous avons mis en garde contre
les
traductions
courantes

56),
c'était de
peur
qu'elle
ne fût
mésinter-
prétée.
En réalité,
dès ce moment,
Alcibiade n'adhérait
pas
à
l'essence de cette thèse.
Voilà ce qu~~)est devenu patent.
,76.
Sur
la discrimination du
juste et de l ' u t i l e ,
i l y a
sans doute à
dire même s ' i l s figurent
côte à
côte
dans
la
première liste des Valeurs
(59)
que nous rencontreron
plus
loin
(§§
97;
98;
99).
Mais,
dans
l'immédiat,
ce que
retient Socrate,
c'est
la nouvelle
prétention de son inter-
(57).
Selon Evelyne MERON
(loc,
cit.
p.126),
Alcibiade
définit
la
justice de manière désintéressée;le risque est
justement que,
chemin faisant,
i l s'en désintéresse.
Mais
c'est bien un regard
intéressé qu'il
jette sur la
justice,
ce
pourquoi
croyant celle:ci sans intérêt,
i l s'en détourne.
Ainsi,
contre l'opinion de MERON,
la définition est en
réalité fort
intéressée.
(58).
I09c 4
(59).
II8a sq.

140
locuteur à connaitre ce qui est utile aux hommes.
Car comme
pour le juste (§§ 62;
63;
64;
66;
67;
70;
71),
Alcibiade ne
pourrait exhiber aucun titre authentifiant la source du
savoir dont il se targue.
Du reste,
en dépit de son persi-
flage déguisé (60),
Socrate fait valoir que les mêmes raison
peuvent servir contre les mêmes inexa'titudes.
Elles abouti-
raient au même aveu d'incompétence (61).
Il est donc inutile
de reprendre ce chemin car il va de soi que les démonstra-
tions précédentes conservent leur pleine validité.
De toute
évid~nce, Alcibiade ignore ce qu'est l'utile (62) parce que
le rapport de l'utile et du
juste est
tel qu'on ne saurait
ignorer le second tout en connaissant le premier.
On ne
peut minoriser le second tout en valorisant le premier.
Ains
c'est plut8t par l'examen de la nature du rapport entre ces
deux Valeurs,
l'utile et le
juste, -
problème classique du
premier platonisme (63) -
que Socrate va tenter de capturer
(60).
113e 5-7
(61).
114a sq
(62).
Comme "JDiodotu~,
who
proposes
to spare the mytilenia
••• abandons any attempt
to prove the justice is on his
ant i t s
contents
with argument
with arguments
from
expedienc
cf. L.
PEARSON.
Popular Ethics in ancient Greece,
California
Stanford University Press,
1962,
p.14;
(63).
Lachès;
Protagoras; Ménon en particulier.

141
l'A.V.
et
de
réduire
la
rebellion
(64) d'Alcibiade.
b.
Le rapport
du
juste et de
l ' u t i l e
(114b 2 -
116e 5)
§
77.
La
question,
dit
Socrate,
est
la suivante:
,i
,
J: e::'
,
,
J: "
,
,
(J
nOTe::pov
u
TUUTU
e::0Tl
ulKUlU
Te::
KUl
0U~$e::POVT n e::Te::pU (65).
Alcibiade avait
le choix
pour
traiter cette
importante ques-
tion,
soit dialectiquement
en
interrogeant Socrate,
soit
alor
par
l~ rhétorique. S'il est vraiment compétent, il devrait
être en mesure de
persuader Socrate de
la
justesse de ses
positions.
Or Alcibiade
n'est
nullement
sûr d'être
en mesure
de développer de manière convaincante sa
pensée
devant
Socrate.
Cependant
c'est à quoi
i l
doit
s'efforcer,
en ima-
ginant
qu'il
parle à
l'assemblée et
au
peuple.
L'assemblée
n'est
pas une masse organique,
mais un ensemble
d'individus
dont
chacun doit être
persuadé
(66). C'est dire que la capa-
cité persuasive d'un discours,
lorsqu'on en maîtrise scienti-
fiquement
l'objet,
est
indépendante du nombre de
ses desti-
nataires.
La capacité
persuasive est
déterminée sinon unique-
ment,
du moins
principalement
par
la connaissance
de l'objet.
De sorte
que
la connaissance
de
l'objet étant donnée,
la
(64).
Est rebellion
toute défense ouverte
des A.V.
(65).
114b 1-2
(66).
114.b Il

142
capacité à persuader sera égale,
que l'on s'adresse à u~e
foule o'~ à un individu (67). Le grammatiste (68) et le
mathématicien (69)
persuaderont,
chacun dans son domaine de
compétence,
aussi bien une masse d'élèves qu'un seul.
Donc
logiquement,
Alcibiade devrait pouvoir convaincre Socra:e,
si.du moins)il sait de quoi il parle. Techniquement,
l'ért
de persuader ne souffre pas du contexte dans lequel le
destinataire est impliqué (foule ou individu isolé)
(70).
Rien n'empêche par conséquent que Socrate serve,
pour a:nsi
dire.
de cobaye au futur orateur qui a la charge de décQntre
que le juste n'est pas nécessairement utile.
§
78. On a reproché à tort à ce texte de mépriser
les "réalités psychologiques vécues"
(71). On a allégué le
(67).
114c 1-2; sur ce point,
la doctrine du Phèdre sera
plus précise(,,~)t"i').
(68).
114c 3sq.
(69).
114c Il
(70). Même argument dans les Mém,
III,
6,
14-15;
cf.
GROTE
loc
cit.
p.336 note 4.
(71).
E.MERON,
ibidem,
p.128;
cf.
PROCLUS qui a mieux ccmpri
ce texte que les modernes:
w••• Socrates
concludes
that
i t
requires
the same knowledge
to persuade one or many,
shcws
the
nature
of perfection and
the
form
of activity
that
does

143
"trac" qui
peut
frapper
l'orateur intimidé par un immense
public ou,inversement,
par
un critique malveillant.
C'est
,
confondre les procédés techniques de la persuasion avec les
désidérata psychologiques du sujet appelé à les mettre en
oeuvre.
La persuasion en elle-même est envisagée comme une
technique avec l'objectivité et la rationalité qui,
naturel-
lement,
la caractérisent.
Oe plus,
dans l'hypothèse socrati-
que,
elle est intrinsèquement
liée à la connaissance de
l'objet.
La connaissance de
l'objet constitue,
dans
l'optique
socratique,
une garantie contre la malveillance et
un anti-
dote contre le trac.
Car pour
l'orateur compétent,
le
destinataire du discours n'est
pas essentiellement
"foule"
ou "individu" mais "celui qui
ne sait
pas" et à qui
i l est
en droit de transmettre une certaine connaissance.
En vérité,
la démarche socratique n'ignore pas
les réalités psycholo-
(71.
suite).
not go outside itself,
but is intelligently
turned back upon itself;
filling
everything,
i t is
yet
undiminished and equally present
to one and to IDany,
neitber
divided among its part~cipants nor altered by them,
but
remaining one and the same in i t s e l f ,
and from
i t s e l f perfec-
ting
the rest
W
p.10
(16)

144
giques
(72),
elle en fait
abstraction (73)
et bien mieux,
elle ne fait
que
proclamer la primauté du savoir sur
la
simple opinion.
D'ailleurs,
la tâche de
prouver l'altérité
du
juste et de l'utile est bien au-dessus des forces
d'Alcibiade;
en revanche)c'est une tâche bien à la mesure
\\
de Socrate que d'établir
l'identité du
juste et de
l'utile.
2.
de l'identité du
juste et
de ~'utile
(114d
10 -
116e 5)
a.tout ce qui est
juste est
beau
(114d 10 -
115a 12)
(72).
On ne
peut
pas omettre de rappeler
ici le Phèdre qui
é
développé une analyse complète 5v~ce sujet.
Il en est de
l'âme comme du corps.
De même que
pour donner force
et sant.
au corps,
i l faut
en analyser la nature,
de même faut-il
connaître la nature de l'âme
pour la conduire vers
la
justid
L
Il Y aura donc une typologie des âmes à
laquelle correspon~l~
r,
une
typologie des di~tours. A chaque espèce d'âme correspoo(1
un
type
particulier'de discours.
On voit
bien que
l'Alcibili
f
n'en est
pas encore là

77 n.67)
(73).
Aussi
bien,
en 114b 7,
Socrate demande-t-il à
son
interlocuteur,
d'imaginer ou de supposer qu'il est
l'Assem~:l
Alcibiade est ainsi
invité à adopter une attitude abstrac-
tive.

145
§
79.
Socrate annonce clairement son intention:
établir la position contraire.
La position contraire,
est-il
besoin de le rappeler,
est que,
en quelque manière -
qui
se~~ définie (§§ 86;87 sq) - le juste est inséparable de
l'utile.
Auparavant,
Socrate devra faire
face à une nouvelle
résistance d'Alcibiade,
une résistance anti-dialectique.
Ce
dernier,
incapable de s'exprimer dans un discours suivi,
comme on lui en avait
laissé la latitude
(
§ 76),
voudrait
que Socrate s'engageât dans un monologue
(74),
sans doute
dans :la ligne de la macrologie
(75)
des orateurs
populaires.
Mais cette voie est impraticable s ' i l faut convaincre aussi
profOndément que possible le
jeune ambitieux,
résultat auque:
seule la méthode dialectique permet d'atteindre.
C'est elle
qui fait
de l'interlocuteur, .et le Gorgias
(76)
ne dira pas
autre chose,
le témoin de ses propres déclarations
(§§73;74)
On
peut donc s'attendre que bi~ntôt, en dépit de sa résis-
tence masquée
(77),
i l avoue que le juste est utile
(
§ 84).
§
80.
Jusqu'ici,
Alcibiade ne
voit entre le juste
et l'utile qu'une relation accidentelle.
Certes le
juste
,
,
(74).
114e 1 :
... aÀÀà ou aUTO! ÀÉYE , lui lance-t-il
(75).
Protagoras,
passim.
(76).
472b-c
(77).
Alcibiade
114e 8sq.

146
peut être parfois utile,
mais bien
plus souvent
i l
ne l'est
pas
(78).
Pour conclure sur cette question,
le dialogue
passe par deux brêves médiations,! qui sont
techniquement
de~
détours,
et dont la premiêre est l'examen du rapport entre
le juste et le beau.
Ce détour pose,
sans démonstration
préalable -
donc à titre d'exigence
(79)
-
que rien de ce
qui est laid n'est
juste,
ou en d'autres termes,
rien de
ce qui est
juste n'est,
en même temps,
laid: )AÀÀa n&vTa Tà
ô{Kala Kat
KaÀ& (80).
Il faut sans doute entendre par là
que :le juste et le beau sont consubstantiels. Hais cette
consubstantialité,
réelle pour ce qui est du
juste et du
beau,
se vérifie-t-elle lorsqu'il
s'agit du
beau et du bon?
b.
tout ce qui est
beau
est-il bon?
(115a
13 -
116b 1)
§
81.
Alcibiade rejette toute consubstantialité
entre le beau et le bon.
En effet selon lui,
le beau peut
être mauvais d'une
part,
et d'autre part,
le laid
peut
être bon (81).
Tout comme le juste et l'utile (
§
78),
le
(78).
115a 1 sq.
(79).
cf.§56
(80)
115a 9
(81).
115a 13 sq.

147
rapport entre le beau et le bon est purement fortuit.
C'est
donc une altérité radicale qu'Alcibiade établit entre les
valeurs,
ne leur reconnaissant aucune communauté réelle.
Plus grave:
il admet que des A.V.
(laid, mauvais)
puissent
se prédiquer des valeurs (bon,
beau). Cependant,
cette posi-
tion ne résiste pas à une analyse critique. Soit deux
soldats dont l'un,
en portant secours à son compagnon,
meurt et dont le deuxième au contraire,
en lui refusant le
secours,
sauve par là même sa vie (82). Examinons le premier
cas.: L'action de porter secours, du point de vue de sa
nature,
relève du courage (83). Or le courage,
lui, est
consubstantiel au beau (84).
Donc l'action de porter secours
Mais,
d'autre part,
la singulière logique d'Alcibiade voudr~
(82).
115b 2-7
(83).
"lt
is quite admirable how Socrates,
after a
few
dialectical moves
throws
the concept of
"courage"
into the
discussion
(
115b)
because now the disciple must
remember
his own special
"virt~e". P. FRIEDLANDER, loc. cit. p. 235
(84). cf. le cas de Lachès noté par GOLDSCHMIDT (~.
p.91)
où Lachès pose sans discussion préalable que la sagesse est
belle

148
que cette action,
bien que
belle par nature,
fôt
mauvaise
du fait
de sa conséquence
(accidentelle):
la mort.
Or,
le
courage et la mort étant
deux chosès différentes
( ••• 00K
"
..
~)ô'
)l
\\
L ,
aÀÀo ~EV n av pEta,
aÀÀo ÔE 0 8aVaTOf.(8s),1'action de
porter secours n'est
pas belle et mauvaise sous le même
rapport.
§
82.
A partir de là,
Socrate se demande si l'actio
de porter secours qui est
belle ne serait pas bonne en tant
que belle.
Il s'agit de raisonner comme précédemment
(~OïiEP
-
..")
Kat
EVTau8a
(86);
p.79)
mais en partant cette fois
du
courage.
Il faut
tout d'abord
déterminer le courage par
rapport à
la bonté et à
la mauvaiseté.
En d'autres
termes,
le
courage est-il bon ou maUvais? Pour répondre à
cette question
on fait
appel à
une Exigence essentielle incontestable:
on
préfère le bien au mal
(87).
Encore faut-il
savoir
ce qu'est
le bien.
Ici,
une simple détermination négative du
bien
suffit:
est "bien" ce dont on ne veut être privé (88),
ce
qui implique d'ailleurs que est "mal" ce dont on veut être
(85).
lISe 1
(86).
lISe 7
(87).
C'est là une exigence telle que même un Calliclès ou
un Thrasymaque n'oseraient
la contester.
(88).
llsd 3-4

149
débarassé. En fait,
sous une modalité négative. on voit ici
une thèse classique du "platonisme" (89) que l'on n'a taxée
d'intellectualisme que parce qu'on ne l'a pas suffisamment
méditée (90). Or donc,
Alcibiade ne voudrait à aucun prix
du courage. Ce dont on ne veut être privé/c'est ce qu'on
préfère (supra)Jc'est-à-dire le bien. C'est donc que le
courage est bon car il est ce dont on refuse la privation -
ce qui est proprement le bien saisi sous une modalité
négative.
Par contre
on reconnaîtra ici le second cas.

79) Alcibiade ne voudrait plus de la vie si la lâcheté
en était le prix (91).
(89). Naturellement l'emploi de ce terme ne renvoie nulle-
ment à nous ne savons quel"système" de PLATON (§ 30 n.16).
Une des erreurs de COLLIN~WOOD (E.P.M.
passim) est de
confondre la "cohérence des intentions philosophiques" (§30)
et éventuellement celle du projet qu'elles visent et l'id~e
de système bien plus problématique; O. REVERDIN,
R.C.P;
1945, p.24
(90). cf. en particulier l'excellent travail de J. COULD:
The development of Plato's logic, Cambridge,
1955,
très
critique- et stimulant.
(91).
115d 8-9

150
Ainsi,
la lâcheté
(92),
au rebours du courage,
est ce Œwnt
on recherche
la privation,
ce dont on
veut
se débarr~ssE
c'est-à-dire un mal.
§ 83.
Nous demandons ici un surcroît d'atten~on
car on a,
à tort,
cru voir une simple
phraséologie dan~
les raisonnements de ce passage.
Pourtant,
le
f i l du
raisonnement est
parfaitement rigoureux~si l'on en voit
bien les implications et les non-dits
pour employer un
l
langage à
la mode.
Réfléchissons à ce
point:
nAlcibiad~ ne
voudrait
plus de la vie si
la lâcheté en était
le prix~_
Autrement dit,
pour
ne pas souffrir la
lâcheté,
i l préf~re
la mort à
la vie.
Mais préférer la mort à la
vie n'a d~ ser
que s ' i l est explicité ainsi:
la mort comme "bien" relŒ:c""Ii-
vement à
la vie comme "mal". (en vertu de l'exigence es~n­
tielle:§
80).
Du coup,
le
fondement
même de
l'assigil~~io~
"sauver sa vie" = bien et "mourir" = mal, n'a plus aucume
légitimité. Car,
précisément,
du fait
qu'on peut préfé~~r
la mort à
la vie,
et, en effet) c'est la cas d' Alcibiade.-
la
(92).cf.
Apologie 28i 1-3 o~ il est dit que pour Thési~1
le danger est
peu de chose
par rapport au déshonneur.
~
passage renvoie à l'Iliade XVIII, 94 sq;
voir aussi
Apologie 28d 6 -
29a 5.
Il s'agit ici d'une attitude famd
mentale pour un Grec qui engage sa vie dans la cité,
ec
non de morale désintéressée
(E. MERON,
loc. cit.
p.12tt),_

151
vie n'est pas un bien en soi.
Et,
corrélativement,
la mort
n'est pas un mal en soi
(93),
puisqu'elle peut être préfér~~
à la vie (94).
Si l'on reprend
les assimilations précédent~$
(
§
80) on aboutit mutatis mutandi,
aux mêmes conclusions:
d'une part,
le courage)en tant que bienjest préféré à la
vie
(d'o~
(idem)
la vie en elle-même n'est pas "bien") et,
d'autre part,
la mort est préférée à la lâcheté (d'o~ (ideE 1
la mort n'est pas le mal en soi).
Allons plus avant:
la vi~
est quelquefois "mal":
par exemple' lorsque la lâcheté ton
le prix;
la mort est quelquefois "bien":
par exemple lorsqu:e
expression du courage,
elle préserve de la lâcheté.
§
84. Revenons à
notre exemple pour l'apprécier
en fonction de ces nouveaux termes.
Nous savons déjà que l~
courage est consubstantiel au' beau (§
79).
Donc du courage
on ne peut dire que le beau,à l'exclusion du laid.
Nous
savons maintenant
(§§
80;
81) que le courage,en tant que
ce qui est
préféré)est "bien".
On devra donc dire du coura&:~
qu'il est bon.
Au total, 'le courage nous sera apparu bon
et beau (95). Si l'on accepte l'assimilation mort=mal de
------------,
(93).
Il faut rappeler ici le texte de l'Apologie:
37b 10:
,
"
;)
)~)
:;
'}
')~'
, . ; )
$n~t OUK EtôE~at OUT
Et
aya80v OUT
Et
KaKOV EOT1V.
(94).
Le Criton par exemple établit clairement que l'i.por-
tant n'est pas de vivre mais de bien vivre ( 4Sb).
(95).
En commentant le passage 115e 1 (
§ 79),
le Père

152
~1~YH"'r~ c§B~L ~~ 0"'" d€VJI,.~ c4u ~ Àl.A~~\\'\\<.-R D~~I.<..'\\cL·~~(·. t ~'----.
.
1
JZ.-~ ~Ci~ (J ur Q,. 'I~Qt~\\oo.r.") em~c;. ('MO-U-\\J~~ (00. f""~ ~

~
_.
I~ ~ ~""-
• ~
~\\.V\\.3...\\o-.U!
;cl""-
IJ ""' 1t.o'M ~J\\.~d. ('for, a.A"'\\. l ~ ~
\\
(95 suite).
DE STRYCKER écrit:
nSocrate
fait
remarquer que
l'attribut beauté porte sur le coùrage,
celui de
désavan-
tage s~r les coups qu'on peut recevoir et il ajoute, pour
souligner la différence des deux points de vue:
" ) . , \\
, ( . ,
,
oux aÀÀo ~EV n avopEla
~ "0 J::' l.
,
~AA
uE 0 SaVaTO!. Sauf erreur de
notre part,
cette manière de
parler n'est pas p1atonicienrr~
Platon n'oppose de la sorte que des concepts strictement
liés entre eux,
comme portant et
porté,
cause et effet,
producteurs et produit. n Hormis le caractère péremptoire Œ~
l'affirmation,
on ne voit
pas ce qui est non platonicien
dans cétte façon de parler.
En fait,
DE SRTYCIER oublie
i
.~
simplement le caractère elenctique de la démarche socrati~n~,
t
c'en est là,
précisément,
un moment.
C'est pour Alcibiade r
non pour Socrate,
que le désavantage est
pensé comme un
attribut de la mort ou des blessures.
En réalité.
le véri-
table sujet du désavant~ge est la lâcheté. Quant à
la _ort
..
etala vie,
elles ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni
mauvaises,
ni belles ni
laides:
elles sont des non-valeur~

BI).
Selon les ci,rconstances,
elles peuvent être l'une:
ou l'autre.
Par exemple,
la mort du soldat qui porte seco~
à son camarade n'est
pas une mauvaise chose comme le croit
Alcibiade,
mais bien une chose bonne,
car le secours port~
relève du courage;
or,
comme le courage est bon,
la .ort ~l~
en est ici la conséquence,
ne peut être qu'un bien. En

153
Socrate lorsque,
au
terme de
ses longs
raisonnements,
i l
,
' ) \\ ) )
_ ,
1
conclut:
TnV ap e:v TW TIOÀe:~w TOti $lÀOli BonSe:1QV ÀÉywv
\\'
, . . .
'.l:e:'
; ' . 1 : ' . 1 :
'
,
1 \\ . : r
KaAnV ~e:v e:lval
KaKnV u
OUue:v ula$e:povTWI Àe:ye:1I n e:L
KaKrlV of:. (96). Or puisque c~1:t€
conclusion est un
non sens,
on est
bien obligé de consta~fr
:1
, J \\
_
_
1 li
,
,
~,_
que:
ouoe:v apa TWV KaÀwv
KaS OOOV KaÀOV, KaKOV
ouoe: TW~
J
'}
-
JO
)
,
)
,
alOXPWV , KaS OOOV alOXPOV
ayaSov (97). Ainsi contraireŒE~t
J
(95 suite).
effet,
le courage ne peut
produire que le bL~~.
Aussi
bien,
par
lISe
l,
i l
faut
entendre sans doute une
distinction de points de vue qui est) techniquement.., celle:
de
la cause et de l'effet
(car relativement à la mort) le caUlIar
est cause accidentelle,
en apparence au moins -
parce q~
réellement le courage -
valeur -
ne peut être cause de LE
mort -
non valeur)
et qui est,
axiologiquement.
celle de:
1a
valeur et de la non-valeur.
La vraie relation est donc
~
suivante:
-
le courage est avantageux
-
la
lâcheté est désavantageuse
Combien est "platonic~'enne" cette manière de parler. si' xlu
moins,
une telle affirmation a
un sens!
(96)116a 5-7
(97)
l16a 9-10.
cf aussi
Banquet 201c
2:
Tayaa& ou Kat
KaÀà OOKe:t 001 E::tVal;' - E~oYE::

154
à l'insoutenable prétention d'Alcibiade
(§ 79),
le beau
f t
le bien sont consubstantiels.
Ce point va d'ailleurs faLTe
l'objet d'une seconde démonstration.
c.
autre démonstration
Be
ce point
(116b 2 -
116c 6)
§
85. On convient sans discussion que
KaÀ~f
np&TTEl est
Ea np&TTEl
(98),
d'od l'on peut d'ailleurs
,...,
....
déduire immédiatement l'identité E~/ KaÀW!
Or,
tout G~ec
~
,
7
,
sait que les EU npaTTOVTE!
sont EuoalU0vE!
• S'ils sont
)
,
,
EuÔalUOVE!
c est en vertu du bien qui est en eux. A so~
tour ce bien est en euX parce que leur conduite est belr~.
D'od deux constats:l'Ea np&TTE1V
est ~y&eov
(99)
et L~
.
) "
EunpaYla est KaÀov.
On aboutit a\\nsi,
une nouvelle fois~
à
)
l'assimilation ayaeov /KaÀpv.
D'après ce paradigme (100)~
la beauté d'une chose oblige à conclure à sa bonté (101)_
La maîtrise de ces points permet de retrouver la questicrID
initiale du juste et de l'utile.
(98).
116b 2-3
(99).
116b Il
(100).116c 5:
les manuscrits Bodleianus 39 et Venetus
(appelé encore Marcianus)
portent ÀOYou
,
mais nous lismns,
avec Stob.,
napaoEtyuaTO!
(101).
116c 4-6-

155
d.
nature du rapport
juste/utile
(116c 6 -
116e 5).
§
86.
Si le caractère d'utilité n'avait pas été
reconnu au beau (§
79),
par contre,
l'utilité est consid~ré
comme un attribut du bon (102).
On avait conclu antérieu=e-
ment
(§§
78;
115a Il)
que le
juste est nécessairement be~u,
que beau et bon sont consubstantiels
(
§§
79;80);
d'où i~
suit que le juste est cons~bstant~e1 au bon. Or puisque ~e
bon ~st de soi utile,
i l faut en inférer que le
juste e~~~
conséquemment)uti1e (103).
Telles sont les conclusions
(~04)
exactement inverses de ses premières prétentions
(§§
75~76;
78;
79),
qu'Alcibiade est forcé d'assumer en vertu de sa
(102).
116c 8
(103).
116d 3-4
l
(104). GROTE note que selon HEINDORF,
STALLBAUM et STEI~ffiARll
.1'argument d'où est tiré l'identité du
juste, de l'utile ~,-i
e;t
Iras a mere verbal equivocation and Sophistry ••• •
(op.
cit.
p.338).
Si notre interprétation - et celle de
,
,
GOLDSCHMIDT -
est exacte,
i l s'agit là d'une profonde m~ris~~
sur les règles qui commandent la progression dialectique
dans le premier platonisme. GROTE d'ailleurs ne
prend pa$
la défense de Platon,
ce qui tend à
faire accroire qu'iL
est d'accord avec STALLBAUM et ses
vaR hcaalfS •

156
responsabilité plénière dans
l'établissement des résult~ts
de l'enquête
(§§
73;
74).
§
87.
Que conclure de ces développements? Il
n~us
semble,
comme l ' a parfaitement vu GOLDSCHMIDT (105),
qu~
l'entreprise définitionnelle est arrivée à mettre en
lumière le vrai bien,
l'utile-juste,
l'unité du
beau et
du
bien définie ici sur le plan de l'action.
WCritère:
Exigence propre:
le courage est beau
Exigence propre:
la lâcheté est pire que la mort
Donc le courage est bon
Exigence générale:
ce qui est
bon est
utile
On peut maintenant reprendre:
Les choses justes sont belles.
Ce qui est beau est bon et, .par 1~, utile.
Notion définitionnelle:
donc
les choses
justes sont uti~es·
§
88.
Pour le lecteur attentif de notre co.ment~ir~
l'analogie entre les techniques et l'Ethique s'est menée
en rapport avec la mise en évidence d'un "obstacle épi5~é­
mologique",
selon l'expression bien connue de BACHELARD~
qui se manifeste
lor~que l'on tente de passer du champ
technologique à l'espace éthique(§§ 26;
27;
60;
61; 62;
63
(105).
D.P.
p.318.

157
69;
70)
et dans la question de l'origine de nos connaiS5an-
ces
(§§ 60;
61;
62;
63).
Une
bonne part des réticences ..
et même des résistances d'Alcibiade
(§§ 75;
77)
proven.ao..ien
des déficiences sur le plan gnoséologique (§§ 39;
41 ~~
passim).
On comprend donc que Socrate ait dû au long d~
dialogue,
relever des défis épistémologiques
(
Hic;
$upr;
60 sq,
et
passim),
mais encore qu'après avoir
mené la
bataille d'occupation du terrain sous l'égide
des Yal~œrs
(
II,~60 sq.), et établi leur solidarité sous la form~ rle
la.consubstantialité
fi§ 77; 78; 79 sq), il doive reverrLI a
la gnoséologie pour en préciser un certain nombre de
questions essentielles;
ce qui
lui
perme~tra de disco~ir,
plus nettement,
ex
professo.
4.
De l'Ethique à la gnoséologie
(
116e 5 -
119a 8)
,
a.
la non-contradiction canmme
critère du savoir
(116e 5 -
117b 4)
§
89.
Il n'est
pas étonnant que l'enquête sur
~~s
Valeurs se soit achevée sur un constat d'ignorance
d'Alcibiade.
Dans la mesure où il ignore l'identité dQ
juste et de l'utile,
i l ne saurait prétendre donner v~a-

158
blement des conseils ni à l'Assemblée d'Athènes ni à cel~e
de Pérarèthe (106). Ce constat avait déclenché un aveu <i.~
:>
)1
:>
,Ct
otf
ÀÉyw
~ À'
la part d'Alcibiade: ••• oUK
EYWYE
~UO 0 Tl
a
A"
7
')/
")
,
JI
,
,
,
,
(.,J
aTExvwf EOlKa aTOTTwf EXOVTl
TOTE UEV yap UD(. E TEpa 60KEt
)
,
) }l
OO\\) EPWTWVTOf
TOTE
o aÀÀa (107). Il s'agit, bien entenlbD,
d'un aveu d'ignorance.
L'errance,
en effet,
est
un trait
typique de l'ignorance.
L'opinion passe de l'affiraatiocr
à
la négation sans produire nulle raison.
Elle est foncièr~-
ment instable.
§
90.
Nul doute que sur certaines questions,
iL
n'y aurait
pas cette valse de positions contradictoires
~t
incohérentes.
Par exemple,
Alcibiade ne varierait pas d~
réponses sur son nombre d'yeux,
de mains ou de
tels autr~s
de ses organes.
Pourquoi? Al~ibiade sait qu'il a deux yeux,
deux mains,
un nez etc •••
Sans doute,
Alcibiade est-il
si troublé qu'il envisage de se tromper
(108)
sur des
(106).
Aujourd'hui Skopilo
(ou Scopilo):
île de la Der
Egée;
ROBIN,
p.222 n.4= 1275 ap.
Pléiade.
(107).
116e 2-4;
cf ~ussi plus loin 133 ( comparer avec
,
127d 6-8)
mais aussi avec République A 334b 6:
OUKÉTl
)1
( 1 ) 1
otoa EYWYE OTl
EÀEYOV;
même type de réaction ap.
Xénophwn.
Le s Mem,
IV,
2.
19.
(l08).
117a 1-2

159
questions d'une telle évidence,
pour reprendre
une de S~$
expressions (§
75). Mais
i l
ne
peut sérieusement en dou~~r
car de même que la masse,
maître bien apprécié d'Alcibi~rle
J
(§ 64),
reconnait sans discussion que ceci est
À1Bor et ~ec
~6Àov (§ 67), de même,nul parmi elle ne conteste que
l'homme ait deux bras,
deux
yeux etc •••
Même si
elle reg)DSe
sur une base empirique,
la réponse d'Alcibiade sera con~an
Car elle exprime un savoir fiable et
vérifiable
(on peut
compter les mains)
dans notre univers expérienciel quotL~ie
Rel~tivement aux choses connues de nous (109), nous donmnns
constamment notre assentiment,
pour parler comme les
stoïciens.
De sorte que la constance de
l'âme opinante ~i
s'exprime ici dans la non contradiction du jugement con~i-
tue un indice de savoir.
A contrario,
l'alternance de
jugements contradictoires sur
un même objet est une indL=a-
tion évidente d'ignorance.
C'est ce qu'on peut
verifier
avec les diverses
positions contradictoires d'Alcibiade
sur les questions axiologiques.
Il les ignore donc .anif~s­
tement.
Ainsi i l est acquis que:
~TIE1Ôàv Tif Tl ~n ~lÔV
-
;)
"
-
,
,
avaYKalOv TIEp l
TOUTOU, TI ÀavaoBal
TnV \\lJuxnv (110);
Toutefad. s ...
(109 ).
11 7 a
7
(110).
117b 2-3

160
la non-contradiction n'est
pas un signe univoque car i l
peut tout aussi bien indiquer,
non pas la présence du s~voi
mais son absence.
b.
la non-contradiction com~
signe de l'ignorance consciente
(117b 5 -
l17d 8).
§
91.
A côté des choses que nous connaissons de
faç~n à peu près certaine (§ 88), il Y a les choses que
nous ignorons de façon aussi certaine.
Alcibiade ne sait
pas comment s'y prendre pour escalader le ciel
(111),
p~
plus qu'il ne s'y connait en gastronomie (112)
ou en ma~ièr
de navigation (113).
Dans le premier cas,
Alcibiade se
heurte à une impossibilité matérielle et technique
escalader le ciel est u~e-chose impossible en el1e-.ême~
dans les deux derniers cas,
i l s'agit simplement d'empêcne-
~
ment dûa une incompétence technique.
En effet,
A1cibiadœ
pourrait apprendre l'art culinaire et celui de
la navi&~~io
Ce sont des "techniques"
(114) qui s'apprennent et dont"
(111).
117b 5-6
(112).
117c 4-5
(113).
117c Il sq.
(114).
Les guillemets s'expliquent par
le fait
que la cmis
n'est pas exactement une teèhnique.
cf.
Gorgias 463 a-b_

161
par conséquent,
l'origine nous est bien connue.
Dans le
premier cas,
l'ignorance d'Alcibiade est patente car c'est
une ignorance,
pour ainsi dire universellement
partagée_
Dans les secondS,
elle est techniquement explicable:
c~s
techniques ne s'assimilent que par apprentissage;
or,
~IDDS
savons bien les matières (purement scolaires)
étudiées ~ar
Alcibiade (§ 40),
et dont celle~-ci ne font pas partie
en conséquence de quoi,
i l les ignore.
§
92. Cependant,
contrairement au juste qu'i~
ign~rait tout en croyant le savoir (§ 76), Alcibiade n~
croit nullement savoir comment escalader le ciel; de m~J
pour ce qui est de la préparation des aliments ou de la
navigation,
il s'en remettra à ceux qui savent,
en l'es~c
le cuisinier et le pilote.
Aussi bien dans ces domaines.
Alcibiade n'aura
pas tantôt tel
jugement, tantôt tel aQ~re.
C'est que,
les ignorant,
i l ne croit pas non plus les
savoir.
Relativement à ces matières,
son âme ne variera
nullement de sentiment,
simplement parce qu'elle n'opiaœra
pas (115).
Elle ne pourra que dire son ignorance, et nam
•,
(115).
Yvon LAFRANCE,
dans un
beau travail publié réce~
ment écrit:
-L'opinion n'est donc le propre ni
de ceux
qui savent ni de ceux qui ne savent pas w
(~f. La Théor~e
platonicienne de la doxa,
Paris,
1981,
p.60).
Il faut

162
pas s'efforcer de la faire
passer pour un savoir. C'est
B
")
J/
..
li
..
...
bon droit que Socrate conclut:
OUK apa TIEpl a un olaSa
?\\
~
c.1
,
TI Aavij
aVTIEp Et6ftf Ott OUK otaSa ~116).
§
93.
La non-contradiction est
,
comme on peut
le constater,
un critère amphibologique.
Elle n'indique
pas nécessairement le savoir mais elle fait
signe, en
quelque manière,
à
l'imminence de son avènement.
On peQt
dire,
en forçant
un peu,
qu'à
la manière d'une asymptot~.
elle rapproche toujours plus du savoir,
sans pour autant
y conduire elle-même directement.
En un sens,
elle est mm
indice de savoir négativement déterminé comme "savoir
qu'on ne sait pas".
De toute
façon,
elle est
une cond:E:1:.io
nécessaire,
bien que non suffisante,
à
l'identification
aussi
bien qu'à l'authentification de la science.
Cepen~nt
si la forme d'ignorance qui est examinée ici est sans g~vi
et même constitue en quelque sorte l'anti-chambre de la
(115 suite). préciser que c'est moins parce qu'ils ne
t
_
r
savent pas -
car ceux qui opinent aussi na savent pas,
~mel
s ' i l s croient savoir f- que, précisément, parce qu'ils
savent ne pas savoir:
Ou donc,
ils se taisent,
ou ils se
contentent du simp~e dire d'un non savoir: dans les deux
cas,
ils n'opinent pas vraiment.
(116).
117d 4-5

163
science,
en revanche,
il est une autre forme d'ignorancf,
bien plus insidieuse,
partant plus répréhensible (117)
c.
P,
/,,L-
,
celle qui engendre les a~~Tn~aTaE1Ln TIpa~El (118).
(117d
9 -
118c 6)
§
94.
Les erreurs ayant trait à la conduite ~~
, { ; .
,
;1
_
,
l'action ( Ta a~apTn~aTa EV TD TIpa~El
(119)
)
résultent
de
l'~gnorance opposée. Elle consiste à se représe~ter l'L~n
rance sous le mode d'un pseudo-savoir
(120).
Cette seca~de
forme est,
en réalité,
doublement ignorance:
par rappo~
à l'objet dont elle prétend être la connaissance, c'est.si
l'on veut,l'aspect absolu de cette ignorance (par exem~~e,
je prétends que ce stylo est un poisson) et)d'autre pa~,
re~~tivement à cette prétention en tant qu'elle s'auto-
représtNte comme connaissance,
c'est l'aspect
relatif
C~e
fait d'ignorer lui-même m'apparait comme connaissance)_
§
95. Cette forme d'ignorance qui s'auto- repr~ben
comme savoir ne se peut rencontrer durablement,
nous
(117).
117d 6-7
(118).
117d 7
(119)
idem.
(120).
117d 9-10

164
semble-t-il,
que dans le monde des valeurs.
Car dans l~
champ technologique,
l'expérience -
et quelqueto:s
1 "expÉ [
rimentation -
a
vite fait
de démasquer
l'ignorance et Œe
l'obliger à
reddition.
Nous n'engageons pas nos action5
saL
raison.
Au fond,
toute action s'origine dans une connafs-
,
J
_
,
sance réelle ou supposée:
TOTE
TIOU ETItXEtPOUUEV TIpaTTEL~
{./
,
1
) ,
li
OTnv otwUE8n EtÔEVnt
0
Tt
TIpaTTOUEV
(121).
Lorsque nOU5
sommes conscients de notre ignorance,
nous nous remettaœs,
pour ce qui est de l'agir
(122),
à d'autres -
ceux qui
savènt réellement.
Dans ce cas,
nous sommes protégés d~
l'erreur,
du moins dans les limites du domaine où Dotr~
ignorance n'élève nulle prétention à
la dignité du saVŒ~r.
Co
§
96.
Ainsi,
ceux qui commettent les aunpTDuarn
~
- ,
EV Tp TIpn~Et ne sont pas leS ignorants conscients de leur
carence parce qu'ils se gardent bien d'agir.
Ce ne sont
pas
non plus les savants qui- agiront droitement c'est-à-dir~
en toute connaissance de cause.
Ce sont eux qui
font
l~
bon choix au bon moment.
En revanche,
les ignorants qui
s'ignorent comme tels,
se lancent précipitamment dans
l'action,
avec pour s~ule arme leur illusion de savoir~
Par conséquent,
ils rie peuvent que se tromper et faire
~~
(121).
117d 10-11
(122).
117e 1-2

165
mauvais choix.
Cette seconde forme d'ignorance est dana~=eu
se parce qu'elle engage à l'action avec ses enjeux, ses
intérêts,
ses risques,
ses positions partisanes.
Respon$Ebl
des choix désastreux dans l'action,
elle est cause des
{J
JI
L
li
_
_
0
h

maux qui en surgissent:
AUTn apa n ayvola TWV KQKWV alT~
..
(.. 1 ,
. , . ) ,
Kal
n
ETIOVE1010TOf a~aela ;
(123).
§
97.
Elle est d'autant plus répréhensible qu'~le
porte sur les choses essentielles,
les choses les plus
élevées (T~ÉY10Ta (124) ) ou encore sur les Valeurs. E~
ici~ Socrate nous donne une première liste des valeurs -
le commentarisme en général ne l'a pas remarqué,
ce qui
ne laisse pas d'étonner (§§
22;
99). Consultons le tex~~:
)\\
, : : >
-
~'
" , -
..
)
-
..
EXE1f ~El~W E1TIE1V ulKalWV TE Kal
KaAWV Kal ayaewv Kal
OU~~EP0VTWV; (125). Le lecteur attentif peut d'ailleurs
être un peu surpris de voir l'utile à côté du
juste. ap~s
que Socrate les a eu déjà" identifiés (§ 84).
La
présenc~
du juste indique,
en ef1et,
automatiquement celle de
(123).
118a 4-5
(124).
118a 7
(125).
l18a 10-11

166
l'utile
(126).
Peut-être la figuration de l'utile sur ce~te
liste comme valeur à
part est-elle destinée à
frapper
l'esprit d'Alcibiade trop enclin ~ le privilégier tout
autant qu'à minoriser le
juste (§§ 76;
77) et
la questiœœ
des valeurs en général.
§
98.
En tout cas,
s ' i l y a
bien une matière OQ
les opinions d'Alcibiade changent sans arrêt,
et où par
conséquent i l est ignorant,
c'est bien celle des valeur5_
Pourtant,
c'est précisément la matière qu'il croit Daît~~se
et ~ur laquelle, on s'en souvient (§ 56), il prétend
conseiller les Athéniens.
Or donc,
si tel est le cas -
~~
i l est indiscutable que c'est le cas -
Alcibiade est vi~im
de l'ignorance la plus malfaisante sur les questions le$
plus élevées en dignité
(Tà ~ÉYlaTa
) (127) . Car tout ~n
ignorant celles-ci,
i l prétend les connaître (128). La
(126). On retrouve ici le problème complexe de
la natur~
des rapports entre les Valeurs:
la diversité des vertus ~st
elle quantitative ou qualitative? cf.
Protagoras,
329c $~.
Bien entendu,
i l ne ~'agit que de l'aspect singularisé ~
la question plus génêrale de savoir si la Valeur est un~
ou"multiple,
ce qui pose le problème de la nature de la
Valeur.
Voilà le problème central du premier platonisme_
(127).
118a 7;
118b 1
(128).
118b 1 sq.

167
gravité d'une telle prétention ("folle",
§
75)
est telL~
que Socrate lui reproche sans détour d'abriter dans so~
âme la plus inqualifiable (129),
la pire des ignorances
{l~
Tel est le mal qui,
ayant gagné Alcibiade,
l'engage darrs la
politique sans qu'il en soit préalablement instruit (13:).
Peut-être le plus grave est-il que ce mal, au-delà d'ALci-
biade,
touche l'ensemble de la classe politique. On peŒ~.
à la limite,
noter quelques exceptions,
Périclès ( § 3Z~
n.
notamment.
Au demeurant,
à en croire Alcibiade,
son tut~ur
aurait,
non pas découvert,
mais appris la politique au~=€s
des savants Pythoclidès,
Anaxagore
(132) et Damon.
L'intérêt de cette remarque est d'introduire une brève
discussion sur un second critère (
§ 90) de déterminatLIDn
de. la science sur lequel nous reviendrons (
§ 100).
§ 99.
Auparavant,
nous voulons marquer plus n~~te-
ment la présance de la première liste des valeurs. Dans
notre introduction(§
22),
nous en avons déjà marqué l'~po
(129).
118b 5
(130)
• 118b 7
(131).
118b 9
(132).
Sur les relations Périclès-Anaxagore,
voir E.
DE&~NKt
dans Les Procès d'impiété •••
passim;
et aussi PROCLUS;
ibid,
p.97.

----------------------------------~----------
168
tance du point de vue de
la question de
l'authenticité.
D'une
part,
i l indique bien le flottement
(133)
de la l t s t
,
des valeurs,
phénomène remarquable dans
le premier p1atŒ-
nisme qui ne semble
pas disposer d'une liste-Standard d~s
valeurs.
Dans le contexte des premiers doi1ogues,
il ne
faut accorder aucune importance au nombre de valeurs cic€e
Si dans les deux sections de l'Alcibiade,
on en cite de~
listes de quatre,
différentes entre elles (§
22),
par
, )
,
contre le Protagoras en cite cinq:
1 E~tOTnun,
la
1 : ;
,
, )
1:
'
,
, e . ,
utK~tOOUVn, 1 aVupEta, la ow~poouvn, 1 ootOTnf (134).
D'autre part,
i l est tout à
fait digne d'intérêt de noter
que,
cette première liste apparaît à
un moment
st~~tégi~ue
ment
plus important
que l'~tape où intervient la secorrœ~.
La première liste de va1eur~ est exhibée pour désigner ~~~
choses les plus importantes,
les objets
les plus élevés
..
1
\\
(Ta \\.IEytOTa,
§
97»
sur les~ve.S
porte l'ignorance la
plus nuisible,
celle qui se
prend
pour savoir
(§§ 94 sq_)
et engendre les errements et
par là les erreurs de con~witd
(§§
94;
96).
Alors,
on peut considérer comme allant de
soi que cette liste o'est
pas citée simplement
à
titre
exemp1atif,
mais qu~e11e rev~t bien une valeur exemp1ai=e.
(133).
cf.
Tableau 2
p.
170.
(134).
Protagoras,
329b S.

169
c'est là une question capitale qui,
malheureusement, n'~5t
prise en charge par aucun des commentateurs que nous av~~s
pratiqués,
ce qui est un indice majeur de la faiblesse ~e
l'analyse philosophique ( §§ 2; 4;
6;
26; 27;
28) de no~re
dialogue. Cependant1cela ne peut guère étonner,car seule
une analyse philosophique du dialogue pouvait révéler,
~~
prendre e~ charge cette question, et contribuer ainsi,
~n
la libérant de tout préjugé polémique (§ 29),
à modifie~
sensiblement la position du problème de l'authenticité.
In
clai~ si la question de l'authenticité de l'Alcibiade
était traitée avant tout comme un problème historique (
nul
~eh contestant, à une exception près (§§ 3 n. 14) le corrc~nu
platOnicien),
la prise en charge de ses problématiques
propres et l'assumation de sa logique interne (§§ 28;
2~)
font désormais du problème historique de l'authenticit~ un
enjeu philosophique au premier chef.
Après ces remarque$
importantes, on peut revenir au second critère de la
science (§ 100).

-rQ~lf..Chl 1 .
TABLEAU COMPARATIF DES LISTES DE VALEURS DANS L'ALCIBIADE ET DANS LE PROTAGORAS
) ,
,
Première liste des Valeurs
/).lKo.loaU\\)Tl
Ko.À6v
o.yo.6ov·
aUU4>EpOV
dans le Premier Alcibiade
(118a 10-11)'
.
....
D~uxième liste des Valeurs
;)
,
dans l'Alcibiade
/).lKo.loaUVTl
?
?
?
ao4>{o.
alO4>POaUVTl
o.VÔpElo.
(121d 7 -
122a 1)
?
;
Liste des Valeurs dans le
"
Protagoras
~ IlItKatOa6V~
?
?
?
,
(ETIlaTTlUTl?)
aw<t>poauvTl
> x
'
o.VupElo.
(329b 5)
oatL~r
....
-.J
o

l ï l
d.
le critère pertinent de la
science:
sa transmissibilité essentielle
(
118c 7 -
1r9a 8)
§
100.
En examinant le cas de Périclès,
Socrat~
montre que le vérirable savant est celui qui est capable ne
transmettre sa science. On n'est réellement savant dans
une discipline que si l'on est en mesure de l'enseigner. l a
Véritable science est d'essence professorale: KŒÀèv lQP &îl
,
-
- )
,
(.,
- , , ; ) ,
nou TEKunptoV TOUTO TWV EntOTaUEvwv OTtOUV OTt
EntOTaVT~L
')
:.t ..
.. 11
t
J ~.
) . t
-
)
,
EnEtuaV Kat
Q,ÀÀOV 0
Ot
T wOtV anOuEt~at EntOTaUEVOV (135) _
Or,
justement,
le hic,
avec Périclès, c'est qu'il
ne s'est nullement montré capable de professer sa scienc~_
Autrement,
comment comprendr~ qu'il n'ait pu la faire
assimiler ni à ses deux fils
(136) ni à Clinias
(137),
fL~r
d'Alcibiade? Or si Alcibiade prétend que la faute n'en e5I
pas à Périclès, mais d'urie part à la niaiserie de ses de~~
fils et de Clinias,
et d" autre part à son ina t ten t ion, iL
reste qu'il est incapable de désigner un seul élève, athëni
(135).
118d 6 -
8
(136).
Sur ces deux ,fils de Périclès,
cf. Ménon 94b 1 sq ..
Protagoras,
314e sq et 31ge -
320b.
~137). 118e 3 sq.

172
ou barbare, homme libre ou esclave qui ait dG sa science
à la ouvouota de Périclès (138). Périclès ne ~~tlent do~
pas une science authentique,
au contraire d'un Zénon (11~)
par exemple qui a formé au moins Pythodore, fils
d'IsolQ~ue
et Callias) fils de Calliades (140).
Dans ces conditions~
on ne peut pas s'en remettre à Périclès (141)
pour conna~Lr
la véritable science politique. De toute façon,
les discœ3-
sions précédentes ont mis en relief la vacuité des préterr-
tions d'Alcibiade relativement à la connaissance des vaLeur
et en particulier du juste qui est le ~ÉÀTtOV (
§§
49;
5Œ;
51;
52)
visé dans l'action politique.
On peut,
à
présent
mieux jauger et juger ses ambitions politiques.
C'est à
(138).
119a sq.
(139).
Nous nous accordons avec L. ROBIN pour voir dans C~
Zénon le fameux dialecticien Eléate qui
passe pour avoir
été l'inventeur de la dialectique.
cf.
ROBIN,
ap.
Pléiade~
p.
226 n.l= p.
1275;
Pythodore est nommé dans le Par.éni~
(126b),
Callias est le général athénien bien connu, cf.
CHAMBRY,
apud.
Garni~T-Flammarion, p. 431, n.31. n.32 et

n.33.
Ces informations proviennent d'ailleurs du Fragmenc
7
op.
ed. D'Neil,
p.226.
(140).
119a 3 sq.
(141).
cf. Gorgias,
515a sqq;
cf aussi Fgt. 4 ap.
éd.
D'Neil,
p.
225.

173
quoi va s'efforcer le long passage politique que nous
n'examinerons pas en détail,
mais dont nous mettrons en
évidence les principales articulations,
avant que
nous ne
retrouvions dans la dernière section du
texte (IV)June
1
prob1ématisation bien plus avancée de l'analogie techniques
et Ethique.

174
III.
EXAMEN CRITIQUE DES AMBITIONS POLITIQUES D'ALCIBIA~E
(
119a 9 -
127e 3 )
1. Savoir déterminer ses rivaux est important e~
l'art politique
(
119a 9 -
120c 3)
§
101. Socrate se plfpose d'examiner.
à la
lumière des acquis nés des développements précédents,
les
ambitions politiques d'Alcibiade. C'est la"question
initiale"
(1) que l'on retrouve à un niveau dialectiquemœnt
supérieur car l'enquête antérieure a
porté centrale.ent sur
le juste (§§
60 -
100). Une question décisive se pose
maintenant à Alcibiade:
tiendra-t-il compte de l'enquête
et s'instruira-t-il? Force_est de reconnaître qu'il s'oh$tinf
une fois de plus,
à vouloir empAunter la ligne Gauche (2:1.
(1).
Rappelons que c'est V.
GOLDSCHMIDT qui. le
pre.ier~ a
distingué la question/initiale de la question préliminai=€
dans la contexture des dialogues. cf.
D.P.
(2).
Nous entendons_ par "ligne GaUche" _la voie des Non-
Valeurs.
y
compris les A.V.
et les P.V.
et par "ligne
Droite" celle des Vraies Valeurs;
voir aussi GOLDSCHHID'L ..
D.
P.
p.319.

lï5
S'il reconnait qu'à l'instar de Périclès lui-même, les
hommes d'Etat athéniens sont généralement incultes, il ~~
.
tire la conclusion non qu'il failie s'instruire,
mais q~
l'instruction n'est pas nécessaire (3). Car,
de toute
évidence,
dans ces conditions,
il ne s'agira pas, dans
l'épreuve politique,
d'opposer culture à culture,
un peQ à
la manière d'Hippias le polymathe qui invitait Socrate à
opposer discours à discours
(4).
§
102. Le raisonnement du jeune Alcibiade est
~rè
simple:
puisque les hommes politiques sont incultes comm~
lui,
la malchance est pour ainsi dire égale au départ et
nul ne l'emportera,
dans la compétition politique, par $B
culture.
Par conséquent,
i l est sans intérêt de s'instrœire
Il ne reste qu'à se fier à l'aptitude naturelle,
la ~urrLJ
(5) -
domaine oà Alcibiade s'e~time, de loin, supérieur_
L'introduction de la no~ion de ~U01J '
jusque l i absente de
l'horizon théorique du dialogue,
revêt une importance sLEni
ficative.
La ~U01J , en tant qu'ensemble des dispositioIDE
naturelles innées aussi bien sur les plans physiologiqu~
qu'intellectuel,
est ce qui s'oppose à la TÉXVn
, co.me
(3). 119b 3 sq.
(4).
Hippias Mineur
369b 6-7
(5). 119c 3

lï6
ensemble des connaissances acquises par le secours de
l'instruction,
et éventue11ement)de la découverte.
La cQrr,5é-i
.
quence immédiate d'une telle approche est que la co.péticior!
politique est radicalement non technique,
ce qui contrett~t
manifestement la reconnaissance du 8ÉÀT10V en politique
(
§§
47;
48;
49;
50;
51;
52),
et donc la nécessité de
l'instruction.
§
103. Or,
Alcibiade commet une grave erreur ffiEns
la détermination de la cible ou de l'adversaire
(§ 48).
~€S
véritables rivaux,
ceux
par rapport à
qui il se doit de
mesurer l'ampleur et la
profondeur de son effort,
ne SOQ=
pas tant les politiques d'Athènes que les hommes d'Etat
Lacédémoniens et le Grand Roi Perse~6~vec lesquels du re$te
celle-ci est en guerre constante (7).
Alcibiade doit,dorne.
s ' i l veut,à cet égard,avoir une démarche lucide,
co.par~
toute la cité athénienne à une trière.
Pour diriger l'é~ci-
page,
i l est insuffisant d'être le pilote le plus hé.)il~ (8
Encore faut-il
bien comprendre que l'équipage doit être
un
auxiliaire maintenu dans une relation de subordination.
-~ne
re~~tion de rivalité avec l'équipage - et ici, il n'est "!las
(6).
120a sq.
(7).
cf.
GLOTZ,
H.
G.
II,
passim.
(8).
119d 5-6

177
possible de ne pas soupçonner une critique contre la dé~o-
cratie athénienne volontiers égalitariste -
serait une
source d'affaiblissement et de déliquescence.
Il faut
rëBli
ser l'unité de la Cité comme l'expression d'une seule
volonté tendue vers une politique grande et belle (9).
~
somme,
i l Y a bien deux orientations possibles
cell~
de ces sortes de barbares
(10)
ne sachant même pas parler
le Grec et dont toute la ligne politique consiste à flatter
) et à l'inverse.
~
celle des véritables chefs politiques (ap~ovTEf ) (11).
Pour s'engager dans cette seconde voie,
l'instruction,
l'exercice et la préparation préalables sont nécessaire$
pour prendre en main les affaires de l'Etat. Mais est-ce
bien nécessaire,
pour affronter les hommes d'Etat lacédë-
moniens et perses
(§§
104 sqq),
de se soumettre à tant
d'efforts?
(9).
11ge 1 sq.
(10). Comme Midias,
célèbre chasseur de cailles,
parait-
il
(cf. Croiset ap.
&bdé,
l, p.87 n.1), et dont Léon RQœ~N
(ap.
PLéiade,
p.
227. n.2= p.
1275) nous dit qu'il était
un
-personnage obscur particulièrement décrié-.
(11).
120b 5.

178
2. Les hommes d'Etat Lacédémoniens et
-'
Perses diffèrent-ils des autres?
(
120c 4 -
124b 9
)
a.
le danger de la sous-
estimation des adversaires.
( 120c 4 - eS)
§
104. La réponse d'Alcibiade est négative (L2).
C'est que,
selon lui,
les politiques lacédémoniens et
perses sont exactement pareils aus autres, c'est-à-dire
incultes
(
§§
101 -
103) comme les hommes d'Etat athénL~ns
(
§
101). Le même comportement commandé par ce constat
~era
donc valable (
§
102). Cette position est cependant dom~le­
ment dangeureuse.
D'abor.d,
c'est en considérant sérieu$Emen
ses adversaires que l'o~ est enclin à s'exercer et à se
perfectionner. Or,
cet exercice, loin d'être nuisible.
~st
au contraire hautement profitable. De sorte que le jug~ent
d ' Alcibiade le pri ve ,CIe ce bénéfice
(
13). En second lii:Eu,
ce jugement est faux!(14)
• En effet,
i l n'est
pas cont~s-
.:
(12).
120c 4 sq.
(13).
120d 10
(14).
120d 12.

179
table que les meilleures <l>60Etf se rencontrent dans les rEce!
les plus nobles.
Ces <l>60Etf
' lorsqu'elles sont bien enca-
drées,
s'épanouissent dans la vertu (ytyvE08at
npof
~PETnv ) (15). Aussi ce passage prend-il davantage d'im~Dr-\\
tance en ce qu'il nous révèle que le rapport entre .60tJ
et TÉxvn ne doit pas être d'exclusion (
§
102),
mais bie~
de complémentarité.
La <l>60tf doit être le fondement,
le
matériau sur lequel travaille la TÉxvn
• Dans la mesure WD
la T€XVn
dans cette relation de complémentarité
constit~e
le vecteur,
le facteur-guide,
i l semble bien qu'on puisse
lui reconnaître une certaine supériorité (16).
En un sens,
le passage politique vers lequel nous nous ache.inons et
(15).
120e 3.
(16). Dans son excellent article,
op;
cit. p. 9,
A. MOTTE
pense que" Le problème d'une supériorité de <l>60tf ou de
TÉxvn n'est (donc) pas tranché." Cependant, cette supéri~­
rité doit être déduite des développements qui précèdent
(
§§
100-104) et confirmée par ceux qui suivent
(§§
106 ~).
D'ailleurs,
inférieur;quant à la <l>60tl aux Lacédémoniens ~t
aux Perses,
Alcibiad~ ne peut l'emporter précisément que
par la TÉxvn : cet argument n'aurait aucun sens s ' i l ne
présupposait la supériorité de la TÉxvn en elle-même.

180
qui commence justement par l'étude de l'ethnie,
i11u5tr~
la relation entre la ~UOtf et la TÉxvn.
b.
la supériorité ethnique des
Perses
(
120e 6 -
121c 6)
§
105. GROTE avait déjà noté que le discours d~
Socrate était d'une longueur inhabituelle (-unusua1 1en~L~-)
(17)~ En général, on a reconnu son importance particu1iir~
dans le dialogue.
FRIEDLANDER a pu écrire à son propos:
_ The
-royal speech- is the core of the dialogue- (18).
, l
a d'ailleurs assez nettement circonscrit so~ rôle dans ~
contexture du dialogue,
en l~ comparant avec des mouent~
similaires d;~j d'autres dialogues: -For purposes of COŒ-
parison,
we may reca11
that in
the Protagoras (
342c et
seq ), Socrates invents a secret phi1osophy of the Sparbans,l
and that in the Charmides
(156c et seq),
he p1ays ~ith t~~
notion of a special art of hea1ing with king Zalmoxis i~
supposed to have
taugh~ the savage Thracians.
The
-royaL
speech- of the A1cibiàdes go es far beyond the ano108ies~
Amidst a11
the p1ayf~1 fancy,
we discern
the
first outlL~s
of astate dedicated to education,
for
instance.
the hei=
(17). GROTE, op.
cit.
p.338
(18).
FRIEDLAND~R, ibidem, p~236

181
ta
the
persian
throne,
in
the
third seven-year
period,
i s
educated by four
royal
tutors in
the
four
Socratic
virtue= ••
(19).
GOLDSCHMIDT a
identifié le moment correspondant dan$
le Phédon
(20).
A première vue,
il constitue une
sorte
d'épochê incantatoire avant le retour aux arguments propre-
ment dialectiques.
Cependant i l reste étroitement lié aux
développements précédents -
centré sur le rapport entre L~s
biens naturels et extérieurs et l'éducation, i l
démontre
ex professo la relative inférioritê d'Alcibiade,
et d'aut=f
part. il arrive à impressionner suffisamment Alcibiade pcrurr
le contraindre à un aveu capita1( § 14
)
rendant ainsi
possible un nouveau progrès dans l'enquête. On aurait dOIDr
tort d'y voir simplement une partie adventice.
§
106. Socrate commence par
l'examen de l'ethrr~~
(21)

104). Les rois des Lacédémoniens et des Perses ScrŒ~-
(19).
ib,
p.236
(20).
in D.
P.
p.189,
ap.
Phédon:
83c 5 sq.
(21).
C'est YEVWV (120e 7,
cf aussi 120d 12) que nous tr~~ui
sons par ethnie.
Les éditeurs français
(sauf Robin qui
traduit par fami11e,ap.
Pléiade) traduisent en
général ~r
race
(Croiset ap •. Bl,ldé p.88 et Chambry ap. G.F.
p.
140).
Ethnie est la traduction qui convient
parfaitement aUI
réalités nationales et culturelles que Socrate a
en vue.

182
ils éthniquement
inférieurs? Non.
Ils remontent à Zeus,
par Héraclès et Achémènes,descendants de Persée
(22)
(fils de Zeus).
Alcibiade ou même'Socrate pourraient aussi
se prévaloir d'une ascendance divine
(23), mais tandis
qu'ils ne sont maintenant que de simples citoyens (24),
Jes
rois Lacédémoniens et Perses forment
une lignée royale
ininterrompue.
On ne
peut donc exclure l'infériorité
d'Alcibiade pour ~e qui est de l'ethnie, et peut-être mème
pour l'éducation,
d'autant
que chez les uns et
les autr~,.
des: mesures spéciales protègent les femmes pour
préserve:::r
la pureté du sang royal
(25).
( 2 2 ).
1 20 e 6 s q,
et 5 u r l a d y na s t i e des Ac hé ID é nid e 5
(
C ~r u ~I
etc ••• )
cf.
ROBIN,
ib,
p.228 n.2 = p.
1276i Comparez avec
Xénophon,
notamment le dé.but du Chap.
2 du Livre l
de LE
Cyropédie:
- Le père de Cyrus
était,
dit-on, Cambyse,. nvi
des Perses, qui était de la race des Perséides,.
1esqueI$
doivent leur nom à Persée,
et l'on s'accorde à
dire qu·'=i..l
eut pour mère Mandanel et cette Mandane était
fille
d'Astyage qui
fut
rai des Mèdes.- Traduction de P. Chaœmry
ap.
G.F.,
1967,
Paris.
(23).
cf.
Rob.
ibi
p.229 n.1
= 1276
(24).
121a 4 sq.
(25).
121b -
c 6i
la crainte,
à elle seule, protège le$
princesses perses.

183
c.
l'éducation des
princes
.
perses
(
121c 6 -
122b 9)
1) Cérémonies natives et
première étape de l'éducation
(121c 6 -
121d 9)
§
107
• Alors que les simples citoyens athénieŒ$
que 'sont Alcibiades et Socrate naissent
pour ainsi dire
dans l'anonymat (26),
la naissance d'un prince perse
constitue un véritable évènement (27), avec ses fêtes et
ses cérémonies,
et ultérieurement,
la commémoration de
l'anniversaire de la naissance (28).
D'autre part, ce n'e$t
pas une quelconque nourrice qui s'occupe de l'enfant, maLE
des eunnuques dont le choix fait
l'objet d'un soin parti-
culier.
Ils s'occupent ~e tous les besoins du nouveau-né~
notamment de la correction de son esthétique corporelle (29
.
(26).
121d 1-2.
(27).
SocratesWevokes with ironically iridescent images
the princely education in Sparts and Persis· FRIEDLANDER~
op.
cit.
p.236.
(28).
121c 10.
(29).
121d 6-9.

184
Mais ce ne sont là que les préliminaires de l'éducation
proprement dite.
!
2) l'éducation proprement
dite.
(121e 1 -
122b 9)
§
108.
Si dès l'âge de sept ans
(30),
les primres
pratiq~ent l'équitation puis apprennent à chasser, ce n"~st
qu'~ quatorze ans que commence l'éducation proprement d~~e.
A cet âge,
ils sont confiés à
quatre éducateurs
royaux
t
br
c.
l..
,
écia1isés: 0
°
,
ao$UlT<XTOf
élK<Xl6T<XTOf
o
ow$pOVe:OTQTO["
)
° CLvépe: l OT<HOf ( 31 ). Chacu n de ces éd uca t eur s a une f 0 nCî- i 0 I.
c..
,
apparemment bien définie.
Le
premier
(
0
aOcbWTQTOf)
ens~gnE
la science de Zoroastre
(32).
En fait,
i l assure un doufu~e
(30).
Sur l'éducation athénienne
jusqu'à sept ans, cf.
Œ-
1. MARROU, H.E.A., 1, p.215 sq et p.390 n.2 où il renvo~
à P.
GIRARD in L'Education athénienne aux Vè et
IVè siècJes
,

avant J.C.
pp.65-99.
:
(31).
121d 7 et
122a.1.
(32).
Sur Zoroastre- et Oromazès,
cf.
ROBIN, ap.
Pléiade
p.
230 n.2= 1276 et aussi paragraphe 110 n.41.

185
enseignement:
religieux
(8EWV 8EpaTIEla ) (33) et politique
,
,
tà Sa01À1Ka
) (34). Le second (0 OlKalO TaTOI ) assure
v
l'enseignement
qui
correspond
sans doute à l'aspect moral
,
.,
,
de 1 éducation car le
prince
doit
apprendre à aÀn8EUE1V
(35).
Le
plus tempérant
complète
l'enseignement moral
en lui
apprenant la maîtrise de soi.
Enfin,
le
plus courageux
lui apprend
non seulement l'intré-
pidité,
mais aussi
que
la
peur n'est
qu'esclavage
(36).
On
voit
toute la différence
avec
l'éducation
(37)
d'un Alcibiade
(33).
122a 2-3;
sur
la
notion de
8EPaTIEla des dieux, cf.
l'Euthyphron,
12e
la - 14b 1. On notera que la piété est
enseignée
par
le
plus savant
alors
que
le lecteur de l'Euthy-
phron
(et
jusqu'au
praticien
des
Lois)
s'attendrait qu'elle
fît
partie de
l'enseignement
du
pluS
juste -
la
piété étant
constamment
tenue depuis
l'Euthyphron
pour une
partie
(
nous dirions
un aspect)
de
la
justice.
Cela
peut être
ltenu
pour un
indice
idéologique
de
l'ancienneté de ce
!
1
lmorceau du
dialogue.
(34).
122a 3.
(35).
122a 4.
(36).
122a 9 -
b 1.
(37).
ROBIN ap,
Pléiade
p.
230 n.1=
1276.
Cette
critique n'a
t-elle
pas un caractère
programmatique qui s'exprimera dans
la République?

186
confié à Zopyre le Thrace,
vieil esclave à peu
près inu~i-
lisable.
D'ailleurs,
qui se soucie vraiment,
à
Athènes.
de
l'éducation des
jeunes gens,
si ce ne sont leurs amourE~x?
§
109. Comme on sait ( §
22),
l'évocation des
quatre fameuses vertus dans ces passages a considérable-
ment nourri les doutes des savants et quelquefois encoa=agi!
leur inclination à athétiser l'Alcibiade. Nous avons d~jà
établi que la prése~ce de ces quatre vertus ne pouvait
être tenue pour une preuve d'inauthenticité ( §
22). M~s
ici deux autres problèmes se posent:
y a~t-il un rappor=
entre les vertus et l"thique de Zarathoustra? Est-il p2at~
ni ci en d'envisager l'enseignement séparé des quatre ver7ns,1
étant donné l'unité de la vertu?
§
110. JAEGER avait déjà vu un parallèle ent~ lEtt
quatre vertus et l'éthique de Zarathoustra.
IL croyait
Toid}
chez l'auteur de l'Alcibi-ade,
comme chez celui de l'EpLDom~t
une tentative d'osmose ,entre" the oriental religion wi.~b
the religion of Apollo"(39).En fait,
rien dans ce .or~au
n'indique,
si ce n'est une simple présomption.
qu'un t~J
dessein puisse être ~ttribué à PLATON. On ne peut donn~J
:;
(38).
Le débat sur l'identification de l'auteur de l'E~~no~f
mis n'est pas encore clos.
Ce que nous avons dit de
l'Alcibiade (§§
22; 99) s'applique à lui.
(39).
cf.
R.S.
BLUCK,
op.
cit.
p.47.

187
tort à R.S.
BLUCK lorsqu'il y l i t plutôt une intention
ironique (40).
R.
WEIL,
dans l'Information Littéraire de
1964,
pense que le rapport établi' entre ces quatre vertu~
W et
la Morale de Zoroastre serait exceptionnel
au déb~~
du IVè siècle
W(41). Selon lui, Zarathoustra-Zoroastre ne
sont connus,
aux Vè et IVè siècles,
que d'après la Tradi~~
orale.
Donc,
la mise en rapport des quatre vertus plato-
niciennes avec cett,tnorale de Zoroastre fait
penser
davantage à l'Académie du milieu du IVè siècle ouverte a~
influences orientales. Au fond,
cet auteur reprend le poL~t
de vue de JAEGER.
Il nous semble spécieux de chercher,
dœrns
ce qui n'est que simple juxtaposition,
une volonté quel-
conque d'orientalisation,
ce qui n'exclut d'ailleurs nul~­
ment qu'un esprit comme celui de Platon,
attentif à tout~
manifestation de la vie de l'esprit,
ait pu -
après avoir
été impressionné par les, splendeurs de l'Egypte -
avoir wm
préjugé favorable à l'égard d'une civilisation finalement
(40).
ibidem.
(41).
p.80;
Sur le p~oblème zoroastrien,
le travail le pL~s
complet auquel i l f~udra désormais se référer est la thè~
de Marijan MOLE:
Le problème zoroastrien et la ~radition
mazdéenne,
Paris,
P.U.F.,
1963,
597 p.

188
assez proche (
42)
de l'Egypte par son esprit et
ainsi,
h'uThe
le pollen spirituel de la civilisation perse.
En
tout cas~
i
n'est pas possible que l'absence d'informations fiables
sur cette question puisse
paradoxalement constituer un ar~u-
ment
positif pour Sa solution.
Face à la difficulté réelL~
présente ce problème,
i l faut choisir
la solution la plus
économique,
et non pas nécessairement la
plus vraiseabla-
(42);.
A cet égard,
il
faut
se garder de
juger les connai$:%ia
ces potentielles propres de Platon à l'aune des connaissarnc
"moyenneS"qu'on pourrait avoir,
à l'époque, sur l'orient_
Platon appartenait à la fraction
la plus instruite de l'~i
athénienne,
i l n'y aurait
rien d'étonnant qu'il disposât
de connaissances rares sur
les sujets les plus divers.
Comme pour notre époque,
i l serait absurde de vouloir ju~r
du degré d'information de tel érudit à partir des connai~
i
sances moyennes.
On sait quel très tôt,
les philosophes g~œc~!
se sont intéressés à l'Orient:
ainsi DEMOCRITE qui se se~iJi
rendu en Perse,
cf.
~. DECHARME: La Critique des TraditLDn,
Religieuses chez les Grecs,
Paris,
1904,
p.116;
D.L •• II,..34
l"

189
ble
(43)
(car la vraisemblance n'est
souvent qu'un faux-
semblan~ Nous dirons avec BLUCK que, partiellement au m~in5
i l y a
une intention ironique,
mais qu'il n'est
pas impo$-
sible que s'exprime dans cette "juxtaposition"
(supra)
lUD€
influence orientale sans qu'il
y ait aucun effort consci~~t
de synthèse.
§
Ill.
La deuxième question est apparemment pL:ns
simple et appellerait à
première vue une
réponse négati~~_
Non sans raison;
en effet,
la tendance constante de Platmn
est ~'affirmer l'unité de la vertu.
Les savants ont donc
€t
choqués de trouver
les quatre vertus ènseignées par qua~-e
experts différents.
Ainsi,
R.S.
BLUCK déclare qu'il n'e$C
pal'\\
platonicien de supposer "that
four
virtues should be tau..i;Ebt
separately by separate expe;ts"
(44).
De son côté, R.
~E1L
(43).
On pourrait
presque ajouter à nos principes hermén~u-
tiques celui d'économie.
En effet,
nous
ne recherchons fœma
dans notre interprétation les solutions les plus co.ple»œs
et les plus ingénieusels,
mais celles qui,
dans une hypot...'D-ès
donnée -
ici celle def l'authenticité -
nous paraissent ~ la
fois
les plus simples et les plus naturelles.
Nous pensams
que pour une
bonne ~art, la profondeur de Platon réside
dans la simplicité de sa pensée et le naturel de son ex~~s
sion.
Sur ce point,
nous avons l'âme cartésienne.
(44).
Op.
cit.
p.
47.
C'est en rapport avec ce
fait que
parle d' intenti-on ironique C §
Ill).

190
é cri t
que:" L ' i dé e soc rat i que de l ' uni t é des ver t u s_
n'apparait pas ••• "
(45).
Trois types d'arguments peut'en~ ai
f~
â mieux cerner cette question.
En!premier lieu,
il ne f~utl
oublier le moment dialectique où interviennent
les qua~r~
vertus:
c'est dans un contexte qui constitue une parentfuèse
incantatoire (§ 105). Ce moment définit un objectif bie~
déterminé:
impressionner le jeune Alcibiade qui n'a dis~osé
que d'un vieil esclave pour tOlite son éducation (§ lOS)
fac
aux princes perses encadrés par une pléthore de sages.
=l
faut rabattre son orgueil et l'amener â admettre la néc~ssi
de l'instruction préalable ( §§
37;
119 sq.).
En deuxi~
lieu,
tout ce qui est dans PLATON n'est pas platonicie~_
Il faut,
par conséquent,
identifier le point de vue qUL
s'exprime/même lorsque c'est par la bouche de Socrate.
~C1,
Socrate rap~orte ce qu'il prétend être le système d'édlliCati
(46) des princes perses~ Donc il ne parle pas sous sa rœs-
ponsabilité propre.
Ce ~ont les Pers~s qui pratiquent c~
mode d'enseignement et non Socrate.
Enfin, faire ensei&mer
les vertus par quatre experts,
ce n'est pas obligatoiremen
ni les enseigner sé~~rément ni enseigner qu'elles sont
(45).
lb,
p.SO.
(46). Comparer avec le chapitre 2 de la Cyropédie de
Xénophon.
En dépit de quelques divergences, les deux au~urs
s'accordent en gros.

191
séparées.
Ce qu'un seul sage pourrait faire,
quatre le
peuvent encore mieux.
Si on envisage les différentes vertus,
comme des aspects différemment modulés d'une réalité unique,
susceptibles chacun d'une définition et d'une illustra-
tion pertinentes c'est-à-dire,en quelque manière,distinc-
tivet(mais non pas pour autant séparées des autres),
on
peut parfaitement accepter sans incohérence que chaque
aspect
de la vertu fasse
l'objet d'un développement
particu-
lier (mais nullement séparé)
dans le cadre d'un enseigne-
ment unique de la Vertu.
Ce qui
peut être multiple
ici ce
n'est pas la vertu,
mais uniquement le point de vue porté
sur ses aspects.
Or même un seul sage n'eût
pu faire saisir
1
l'unité de la vertu autrement qu'en passant
par la multiplicité des points de vue qui
se résout dans
l'unité de l'acte par lequel on s'approprie la totalité
de la vertu.
Il y a
don~ ici, à la limite, seulement un
problème d'approche
péd~gogique, mais non pas vraiment un
problème doctrinal,
si du moins notre exégèse est
fiable
(4
..
(47).
Encore que notre objet ne soit pas l'interprétation
du platonisme en général,
on ne manquera pas de noter le
,
caractère non traditionnel et non conventionnel de notre
style d'jnterprétation des dialogues.
D'o~ le fait que,
pour nous,une interprétation n'est
pas vraie ou fausse,
mais seulement fiable ou non fiable,
économique ou
"inéconomique'( •

192
En somme,
les princes perses
jouissent d'un avantage consi-
dérable sur le plan pédagogique,
comme du reste
pour ce
qui est des richesses.
d.
infériorité d'Alcibiade swus
le rapport des richesses.
(
122b 10 -
124b 9)
1) vis à vis des Perses
(122b 10 -
122c 4)
§
112. Nous savons déjà
(
§
32;
n.7:
Hatzfeld; ib,
p.25) qu)
Alcibiade,issu d'une famille
prestigieuse (id~»
était assez riche et avait noué alliance avec l'homme le
plus riche d'Athènes

32). Mais même sous ce rapport am
il en imposait tant à
se~ prétendants (§ 32), il le cèd~
aux princes perses et/c~la,qu'il s'agisse de richesses
proprement dites,
de luxe,
de vêtements,
bref pour tout ~e
qui est des commodités mondaines (48).
D'ailleurs,
l'inf~­
riorité d'Alcibiade se confirme par rapport aux Lacédéma-
niens (§ 113).
(48).
122c 1-4.

193
2) vis à vis des
Lacédémoniens (122c 4 -
123a 9)
§
113.
Dès l'abord,
la supériorité des LacédémŒ-
niens est affirmée au sujet de deux des aspects essentieLs
de la vertu:
la tempérance
(49) et le courage (50).
Toutefois,
elle s'étend à des domaines où leur réputatiQ~
ne peut être surfaite:
discipline, endurance,
goût des
exercices etc ••,.
Sur tous ces plans,
comparé aux Lacédémœ-o
niens,
Alcibiade a bien l'air d'un minus habens. Mê.e paœr
ele_ t0.J\\f~",r
ce qui est de la richesse,
les LacédémonienSYencore. et
de bien loin.
Ils possèdent chez eux et en Késsènie les
terres à la fois les plus étendues et les plus fertiles~
A quoi il faut ajouter les esclaves parmi lesquels les h.iiJ.ot
les chevaux et en général,
le bétail (51). De plus. il emtre
chez eux dep~is plusieurs générations beaucoup d'or et
d'argent alors qu'il n'en sort
jamais.
Les Lacédémonien5.
et en particulier leur roi,
sont les plus riches des
(49).
122c 4.
(50).
122c 7.
(51).
122e sq.

195
Grecs (52). Cependant,
pour riches qu'ils soient relati~~­
ment aux autres Grecs,
ils le sont encore moins que les
Perses.
3) Les Perses sont plu$
riches que les Lacédémoniens.
( 123b 1 -
123c 2)
§
114. Les richesses des Perses sont bien plus
impQrtantes que celles des Lacédémoniens -
pourtant loi~
d'être lilliputiennes si l'on en croit Socrate.
Pour ét~~er
son propos, Socrate convoque un témoin dont i l dit qu'iL
est digne de foi
(53). Il s'agit de quelqu'un qui se se~it
rendu à la cour du roi;
on doit probablement comprendre
~ue
le voyageur est un Grec.
Disons le en passant,
on n'acca~de
pas assez d'importance à c-et te source importante de cult-lIre
que constituaient,
dans l'Antiquité,
les relations orale$
des voyageurs,
pas seulement les commerçants,
mais aussf
le
(52). Encore une fois,
i l ne faut
pas chercher une desc~p­
tion historique fidè;e dans ce morceau.
Ce serait une
méprise impardonnable.
Il faut interpréter avant tout ce
morceau en le situant dans l'économie générale du di8lo~e
où sa fonction est nettement définie (
§
105)
(53). 123b 3 sq.

196
savants. On sait que DémocriteJdans la foulée de son vo~age
en Egypte,
s'était rendu en Babylonie et en Perse ( §
IrO,
n.
43).
Il faut
être très prudent'et ne pas considérer ~De
"hors l'autorité de la chose écrite" i l n'y a rien (54)_
Ce
témoin donc rapporte que la reine à elle seule dispose œe
plusieurs terres fertiles
dont chacune porte le nom d'urne
de ses parures ou de ses objets de toilette (55).
D'une
comparaison aussi manifestement désavantageuse,
i l n'y ~
qu'une conclusion à tirer:
i l faut emprunter une autre ~~ie
que :celle de la puissance matérielle (
§§
32;
112; 113;
IlL
ou de la naissance
(
§§
32;
106;
107; 108), pour espérer
l'emporter, tant l'infériorité d'Alcibiade est cruelle d~s
ces domaines.
4)
l'infériorité d'AlcL~ia
/
,
ou la necessite du Précepte Delphique
(54). Aussi bien toute thèse visant à déduire et à li.i~r
péremptoirement les connaissances ou les informations de
1
Platon à tel seuil ou;à tel niveau sur la seule foi des
sources écrites qui nous sont parvenues,
est à
rejeter ODmme
prétentieuse et complétement étrangère à ce qu'autorise
l'humilité scientifique.
(55).
l23c 2.

197
(123c 2 -
124b 9)
§
115. On comprend mieux' quelle belle inconsciEnce
doit habiter Alcibiade pour envisager de se mesurer.
s~
préparation particulière,
a de tels adversaires. Comme Œœ
dit dans le parler populaire:
i l faut
le faire!
Un tel
projet est fait
pour abasourdir,
par sa folle
vanité. mëme
la reine des Perses,
la femme de Xerxès (56).
C'est que.
dans de telles conditions Alcibiade ne peut co.pter que $ur
l'~ntuEÀt~ TE Kat oO${a TaùTŒ yàp u6va ~~ta ÀOYOU iv
"
)
,
EÀÀT)otv •. Rigueur
(57)
(E7TtUEÀta) et sagesse (
aO$lC! ) samt
)\\
ainsi les seules valeurs
(a~ta) par lesquelles les GreC$
peuvent être supérieurs (58).
C'est à ces qualités qu'A.L~i-
:;,
,
biade qui est encore a7TatÔEUTO! (59)
doit appliquer ses
(56).
123c 4 sq.
Dinomaché,
la mère d'Alcibiade n'a pas
pour 50 mines de parure et Alcibiade lui-même ne possèŒ~
pas plus de 300 plèthres.
Pour avoir une idée de ces a~~rs
il faut savoir que,
environ,
50 mines= 5000F/or et
300 plèthres= 24 ha,jcf.
ROBIN,
ap.
PLéiade p.232 D.1=1~76.
(57).
Rigueur nous parait ici une traduction adéquate C2cr
elle implique tout. à la fois
l'idée de discipline et ce~Je
d'application,
deux "vertus" qui font
gravellent défaut
au jeune ambitieux.
(58).
123d 3 sq.
(59).
123d 7 • .

198
efforts par l'instruction,
le perfectionnement et l'exercice
et ne pas compter sur les biens corporels et extérieurs
qui sont à l'avantage de ses rivaùx (60),
comme d'ailleœrs
on sait déjà (
§
114). A ne pas suivre cette voie,
il
s'expose à affronter des adversaires puissants en n'ayarr~
pour seule arme que la folie d'une ambition sans len-
·demain.
§
116. Au fond,
c'est un bel appel à incarner"
par d~là le génie grec,
le génie dè l'homme -
la raison.
qui fait
la seule vraie force -
que lance Socrate.
~'e5Ë
ce que confirmera bientôt (§§
144;
149 sq) l'anthropolo~~
platonicienne telle qu'elle s'explicitera à travers l'a~
lyse du Précepte Delphique. On sait (§
34) quel espoir

avait fait naitre en Socrate le mépris manifeste par Alc r -
biade à l'égard des seules considérations matérielles.
C'était déjà,
sans doute inconsciemment~un pas esquissé w~rs
lui-même comme l'y invite maintenant,
plus explicitement
que jamais,
le Précepte Delphique (61):
rVW61 aauTov (62»).
)
~
Il est remarquable que la nécessité de l'EnlUE~Éla et~la
TÉXVn (63) ( § 117) soit réaffirmée immédiatement après
,
(60).
123e 4 sq.
(61).
Nous écrirons désormais:
P.D.
(62).
124b 1-2.
(63).
124b 4.

199
~ue le P.D. a e" été introduit comme perspective nouvell~.
Sans ces deux armes,
Alcibiade ne pourrait espérer l'em~'or-
ter ni parmi les Grecs ni
parmi lés Barbares,
ce qui est
Son ambition la plus grande
(64).
§
117. On remarquera l'emploi de TÉXVn (124b ~)
comme synonyme de ao~ta
qui était employé vingt trois
lignes plus haut (
123d 4).
En effet,
nous avons en 1214: 4
)
,
,
E1TllJEÀEla TE Kal
{
~,
ao~ a et en 124b 4 E1TllJEÀEla T~ •••
K~~
.
.
TÉxvn.L'emploi simultané avec ~1TllJEÀE{g dans les deux ~
ne laisse aucun doute sur son caractère synonymique.
Cependant,
cette synonymie semble troubler les éditeurs
comme en témoignent leurs traductions différentes de aaœ1a
,
et de TEXVn qui pourtant,
logiquement devraient se voir
1
affecter la même traduction., Chez Croiset (65)
de même
que chez Chambry (66),
on a
respectivement "habileté" e:c.
(67)
"savoir" et chez ROBIN "connaissance " et "compétence If
Une traduction différente de ces deux
termes ne peut qae
rendre le texte plus obscur qu'il n'est.
De toute évid~re,
ici,
pour étonnant que cela puisse paraître pour les
interprètes traditionnels,
ao~{a signifie très précisément
TÉXVn
• Une traductiqn unique est donc non seulement pr~
"
(64).
124b 5 sq •
.{ 65 ). Ap.
Bu dé,
i b •
(66). Ap. G.F.,
ib.
(67).
Ap.
Pléiade,
ib.

200
férable mais obligatoire si
on ne veut
pas introduire un~
ambiguité supplémentaire dans
le texte.
Nous traduisons
oo~ta et TÉXVn (68) par science cèr c'est bien de la sci~c~
qu'il s'agit.
§
118. Mais pourquoi oo~ta et TÉxvn
sont-ils
synonymes dans ce texte? Cette synonymie
peut s'expliquer
au moins
par deux
raisons qui semblent contradictoires.
mais qui
peuvent parfaitement interférer.
L'explication LE
plus,simple serait que la terminologie de Platon est enca=€
fluctuante,
incertaine et qu'il emploie aussi les deux
termes à titre synonymique,
avec toutefois une nette pré-
dilection pour l'emploi de TÉXVn
(69). Il s'agirait lâ.
soit dit en passant,
d'un nouvel indice de l'ancienneté Œ~
la premi~re rédaction du dialogue,
car après le Gorgias.
i l n'y a plus aurun emploi de TÉXVn dans ce sens.
ni .êm~
(68).
"Savoir" ou connaissance" sont aussi de bonnes
trad uc tions.
A l ' opposi te,
"ha bi Hlté" ne nous se_ble plu~
dans le langage d'aujourd'hui,
à même de rendre le sens
fort
de ces termes gr~cs.
(69). L'emploi de TÉxvn est cependant, plus .assif alors
que celui de oo~ta e~t assez rare ( 2 occurrences contre 22
,
,
§
a TEXVn
: cf.
49 n.7). Même dans les passages où
l'Ethique est explicitement visée,
Platon emploie encore
TÉxvn •

,,
,
d EnlOTn~n
que le Ménéxène oppose avec un singulier reLief
à oo~ta
(70).
La seconde explication
(qui n'emporterait
pas par elle-même le rejet de
la première) serait que
Platon voudrait suggérer que la oO~la est bien une lÉXV~
en quelque manière,
ce à
quoi
nos développements précéd~ts
nous avaient progressivement conduit
bien que nous rest~-
-sions prudent
(§§
51;
52).
De toute façon,
quand bien même
Platon n'eût-il
pas eu une
telle intention,
la OO~lQ serBit
ind~scutablement TÉxvn
puisque l~s deux concepts entre-
tie~nent un ràpport synonymique ( § 117). De sorte que
nous avons ici,
à
un premier point de vue,
une
réponse a
la question dU
§
52 car la oO~la , quelle qu'en puisse
,
'
,
être la détermination,
peut s
accomplir XaTa TnV TExVnV
_
(70).
Ménéxène 246e 7 -
247a 1-2: nàoa TE ~VlOTn~v xwptç~-
,
Ô
'
. . . . .
)\\
7 . . .
, : : > . -
~EVn
lKalOOUVn! Kal Tn! aÀÀn! apETn! navOUPYla
OU aO~L~
~alvETal. La limpidité de ce texte dispense de tout com-
mentaire,
à condition qu'on ne commette pas les étrange$
erreurs de traduction;de L.
Méridier
(ap.
Budé.
V,)
1) qui rend )EnloTn~n.; par"science" (alors que seul "connœis-~
sance" donne un sens' satisfaisant), navoupy(a par
,
"rouerie" (là où s~ul "savoir-faire" est intelligible).
et enfin oO~la
par "talent"
(bien que manifestement.
iL
faille
"science" ou "sagesse").
A cet égard.
la traduct~n
de Robin
(ap.
Pléiade) est excellente.

202
Elle est alors une technique. Quant à savoir quelle est
~a
nature de cette Technique,
la suite de notre enquête. qŒd
s'oriente maintenant vers la détermination de l'objet dQ
Politique} nous l'apprendra (§§
176; 177; 183).
3. A la recherche de l'objet du Polit~Eu~
{'
(124b 10 -
127e 3)
a.
la décision de s'améliorer
(124b 10 -
124e 3)
,
-
, , ' ,
- ,
-
(
§
14): Ttva ouv XPI1 l"I1V E:lTtl.lE:ÀE:tav
!Il LWKpaTEJ
'lrotE:l-ITBa
1\\
~,
"
_
.2
_ ' ,
, .
E:XE:tJ E:sl1Yl1oaoSat
lTavl"0J yap l.IaÀÀov aÀI1SI1 E:lp~KOl"l
(71 ).
Cet aveu se transformera d'ailleurs vers la fin du pas$E~e
en une véritable reddition (§ 120). Il marque~en tout CBBJ
un tournant important dans le dialogue:
on n'assistera Wlu
à aucune rebellion (,§ 76 n.64). Il est disposé à recevwir
l'enseignement socr~tique. Mais cet enseignement s'eff~t
en règle générale.
par la médiation de la KOlVn aouÀ~
(71).
124b 7-9.
(72).
124c 1.

203
Il n'a rien d'un cours unilatéral,
prononcé ex cathedra.
Au contraire,
i l suppose une implication mutuelle des par-
tenaires du processus pédagogique/tyw yap TOl
o~ TIEDI

. . . . ,
c . . .
~
:>
".
UÈV GOU
ÀEYW Wf
xpn TIalÔEU8nval
TIEPI
EUOÙ ôÈ ou
(73) die
Socrate.
La seule différence est que celui-ci a
pour pra~~c-'
)
,
teur
(ETI1TPOTIOf
)
(74)
un dieu,
le même que celui qui n~
l'avait pas encore autorisé à mener cet entretien ( § 31~j.
alors que son jeune interlocuteur n'a pour protecteur qu"nn
Péritlês qui ne possêde pas de véiitable science ( § lOŒJ.-
Si 1ft référence au dieu (75)
peut être ici un
jeu, à
(73).
124c 2-3. Quelle conception étonnamment moderne,
ouverte!
La pédagogie platonicienne:
i l y a là encore ma~±ê~
fort abondante et utile pour les platonisants.
(74).
124c 6.
(75).
Il s'agit naturellement du fameux
démon dont il a
déjà été question (§
31).
Socrate ne semble pas le pren~e
três au sérieux,
attitude peu compatible avec l'Apologi~
(31c-e). Ou peut-être~ Platon suggêre-t-il son senti.ent
propre sur ce dieu q~~il ne devait pas prendre à
la lett~?
Sur ce signe divin,
cf.
aussi République 496c 3;
Euthyp~on
,
3b-7, 9;
BURNET,
E~A.C p. 96; W.C.K. GUTHRIE: Soc rates ~_ 8
n.5 et plus généralement sur le signe pp.
81-85;
0 REVEŒID1N
in R.C.P.
p.
137 n.4;
P. SHOREY, W.P.S.
p.74 qui
l'appeI..:L-e
Wan
internai
monitor W ;
D.
BABUT R.P.G.
p.72 qui
rappell~
l'interprétati~n déjà ancie~ne de PLUTARQUE dans le De ~nid[
Socratls redécouverte par les modernes.

204
,
,
,)
,
1 opposite1la necessité de 1 ETIt~EÀEta est posée comme urr~
tâche des plus sérieuses.
§
120.
Le sérieux,
voire l'urgence d'une tell~
tâche ne sont plus reconnus par le seul Socrate,
ils le
sont à présent par Alcibiade aussi. Ce résultat auquel l~
dialecticien a
pu atteindre n'est pas négligeable.
Aupa-
ravant,
Alcibiade avait d'abord prétendu connaître le ju~e
de quoi i l s'autorisait pour s'instituer conseiller des
Athéniens (§§
60;
61sq),
puis,
convaincu d'ignorance (§§ ~5;
66; ;69;
75 sq), avait sombré dans la glorification de l'L~­
culture et de la ~UOtf (§§ 101; 102; 103; 104). Cette fortte
résistance (76)
vient d'être vaincue. Reconnaître son igna-
rance, c'est effectuer le
premier pas du non-savoir en
direction du savoir.
L'horizon de ce savoir est
indiqué:
~l
s'agit de se perfectionner: ~PtOTOt aouÀEo8at YEvÉo8at (Tf)
(76).
Le lecteur aura vérifié avec nous que seule une lecttud,
prévenue ou strabique peut faire penser qu'Alcibiade est
sans. épaisseur et se ~aisse manipuler comme un pantin
(§§
11;
12; 13;
14).:' Ce n'est que maintenant qu'il a avamé
)
son ignorance et fait
voeu d'ETI1~EÀEla
qu'il peut accéd~
à la docilité, qua~ité
et non défaut
du bon
répondant.
~77). 124e 1.

205
Telle est la décision dont sont convenus Socrate et son
jeune camarade.
Il reste à déterminer son objet réel et Le
champ de son application qui sont encore marqués d'a.big~té
notamment lorsqu'il est question des techniques qui devramt
être révoquées dans une parenthèse.
b.
mise en époché des techni~~es
(
124e 4 -
125b 8)
§
121.
Le tout n'est pas néanmoins de prend~e ~a
décision de s'améliorer.
Une fois cette décision prise,
La
question subséquente,
mais bien sûr fondamentale,
est de
déterminer,
comme disent les mathématiciens, son domaine
d'a pplica tion.
Dans q uelle v~r tu <-d va ape:TnV
) (78) faurt-
i l s'améliorer? La question est capitale et i l ne s'agit
pas de se tromper de chemin.
La première réponse qu'Alci~~ad;
donne à cette question est insuffisante.
Dire que cette
'"
"l'
c:>
1
vertu vise à faire des hommes bons (0\\ av6pe:r 0\\ aya801
)
....
a , . .
,
c . . ,
..
(79) ouVs y connaltre en fait d affaires
(01 wpa~Te:1V T~
,
wpay~aTa
)
(80),
c' e'st poser une per s pec ti ve assez gén.~a~
(78).
124e 3.
(79).
124e 4
(80).
124e 6.

206
susceptible de plusieurs interprétations,
notamment tech~-
ques.
§
122. De fait,
l'interprétation technique es~
immédiatement mise en oeuvre par Socrate pour discréditec
les techniques et suggérer une nouvelle voie.
Les techni~De
elles aussi sont des np&y~aTa *, c'est-à-dire des entrepc~s
( ce qui semble encore la meilleure traduction de ce terœœ)
On peut ne pas être bon en matière d'équitation ou de n~~-
ga ti,on.
Dans le premier cas,
i l faudrai t
recourir au se~-:i.c
du maître d'équitation et dans le second à celui du .arUL_
Il en irait de même pout toutes les techniques si elles
étaient convoquées,
nous le savons déjà
(§§
41;
42; 43;
~)
§
123. Toutefois,
l'examen technique est ici
l'occasion d'une importante mise au point sur le rappor~
entre les techniques elles-mêmes. Ce qui paraît
incontesca
ble c'est que les sujets des np&y~aTa
(qui restent in~t
c.
,
minées) sont les athéniens beaux et bons
(0\\ KŒlot KoyaŒml
(81). Or, l'on n'est véritablement bon que dans le doma~
(*) Sur un sens spécfal de ce terme, cf. A. FESTUGIERE aw4
M.H.
pp.
94-100.
(81). FESTUGIERE disait déjà qu'il s'agit d'un ·co.posé
intraduisible w in Contemplation et vie contemplative. op_
cit,
p.
48 et sur XaÀéJ*cf.aussi p. 47: W Lorsqu'un Grec
)
d'Homère veut rendre quelque idée de moralité,
i l se se~
plutdt de XaÀéJ
w. dans
le même se.ns , BRtS qui déclare qu!"1 j~
1

207
de l'activité Où l'on manifeste de l'intelligence (82).
Dn
est ~yaSOf dans une discipline parce qu'on s'y révèle
~povluof, et inversement, on se montre nOvnpoflà où l'œm
11
est a~pwv • Il n'y a pas de véritable technique si une
certaine intellignece ne s'y trouve pas mise en oeuvre.
Cette intelligence semble considérée dans la perspectiv~
d'une étroite spécialisation qui ferait
que les diverse~
techniques seraient séparées par des cloisons étanches Eî
ainsi,
n'entretiendraient aucune relation entre elles.
~
chaque technique correspondrait)si l'on veut/une forme
(81 suite).
qualifie surtout les actions, cf.
P.P. Pari$.
1968,
p.
41,
mais J. MOREAU souligne opportunément qu'iL
s'applique autant au pulchrum Latin (beau sensible) qu'~
l'honestum (beauté des actions) ap.
Le sens du platonis~,
Paris,
p. 82;
enfin sur la xaÀoxayaS{a
,
voir H. VILHEK&
dans Socrate et la légende platonicienne, Paris,
1952,
pp.
21 et 77 n.2.
(82).
Nous traduisons ~insi ~pov{uouf pour éviter d'aba~se{
le niveau théorétiqu~ du dialogue avec des traductions
comme "sensés" et
(par exemple Croiset).

20S
particulière de la rationalité
(S3). Chaque technique ~$t
limitée dans un processus productif bien déterminé et ~e
peut sortir de ses limites.
Ici,
donc,
une technique es~
saisie avant tout comme une limitation.
Le cordonnier s~it
fabriquer des chaussures,
mais i l ne peut confectionner
des manteaux
(S4).
Ainsi,
le même cordonnier,
en tant ~~'il
sait fabRiquer une chaussure,
possède la forme
de ratiQma-
lité adéquate à cette activité,
et est,
par là
bon, et ~n
revanche,
en tant qu'il ignore la confection d'un .ant~u.
i l h'en possède pas la forme
particulière de rationalit~ et
est,
à cet égard,
mauvais.
De sorte que,
pour reprendre les
c.
~
, J I
-,
mots de Socrate:o aUTO! apa TOUTW YE T~ ÀOY~ KaKé! TE ~i'
")
1
ayaSo!,
(S5) conclusion innaceptable car le bon ne peut êtr
en même temps mauvais.
Or c'est à quoi mène l'interpré~-
tion technique,
tout au moins conduite de cette manièr~_
En effet,
l'interprétation technique ne semble
pas épuL$ée
(83). Sur TÉxvn et rai~on, cf. Gorgias 465a 7-8 et 501h;
la mise en oeuvre de la rationalité est proprement ce
qui définit une tech~ique.
(84).
125a 9 sq. cf. aussi J GOULD in The development a~
Plato's ethics:
•••
the builder cannot produce 8
shoe.
œr
the sculptor 8
house
-(p.
32)
(S5).
124b 3-4

209
malgré qu'on s'achemine vers la détermination de
l'"eubo~~ie;
comme critère du politique.
c.
L'''euboulie'' comme critèr~
de la pertinence du politique
(l25b 9 -
e 8)
§
124. Ce morceau montre que la possibilité drœne
interprétation technique n'est pas encore épuisée ( §
lZ3)
On ~e sait toujours pas quels sont les hommes bons dont
i l est question.
Dire que ce sont les hommes capables de
, ) '
1l
' -
diriger dans la cité (TOÙ1
ôuvO:Ue:vouI e:ywye: O:PXE1V EV "t1J
~éÀe:l (86) ) est sans doute intéressant mais insuffisant_
Le commandement dans la cité'peut s'exercer sur différent$
objets (par exemple sur les animaux)
ou bien sur divers~~
catégories professionnelles
(par exemple sur les navigate?llr~
ou les moissonneurs). Même si l'on admet que le comaandelJlŒntl
s'exerce sur la classe,
beaucoup plus générale et plus
étendue que les catégories professionnelles prises indirE-
duellement,
de l'ense~ble des éléments socialement actif$.
i l reste encore à dét~rminer la nature de leur activité.
(86).
125b 10.

210
§
125." OUKOÙV TWV Kcd oUlJ8aÀÀovTwV ~auLoir <ni
,
: > ,
CI
c:.......
>
_
,
XPWlJEVWV aÀÀnÀolI}
wonEp nlJElI ~WlJEV EV Tall nOÀEalV"C~7)
Même ainsi formulée,
cette thèse demeure susceptible d~œne
interprétation technicienne.
En effet,
au sein de chaq~
catégorie de techniciens,
i l existe une division interme
des fonctions en vertu de quoi s'exprime un rapport Sre.ri-
"
fique de direction.
C'est ainsi que dans la "Cybernéti~
(88)
(Ku8EpvnLlKn)
(89) les céleustes dirigent les rameDIS
(87). 125c 4-5. Notons que la façon dont CROISET traduL~
?
-
le "EV Tall nOÀEOlV" ("entre concitoyens") introduit ume
dangereuse confusion)inexistante dans le texte grec. C~
si tel était le sens de cette expression, la suite de
l'argumentation qui
porte enCore sur des exemplificatiœms
à l'intérieur de catégori~s professionnelles particuli~es~
serait sans objet. Il faut donc traduire par:
"dans la ~~t4
comme font d'ailleurs ROBIN (
PLéiade) et CHAMBRY (G.F_).
Quoiqu'on en ait dit,
pour les premiers dialogues tout ~~
moins,
la traduction Ide E.
CHAMBRY est,
de loin, la m~La­
leure. De toute faço~, pour se faire une opinion persomD~ll
t
le platonisant devra consulter aussi souvent que possiŒJ~ !
le texte grec.
(88).
Il va de soi que nous prenons ce vocable d~' SOIr-
acception grecque originelle.
(89).
125c Il

211
ou que, dan s
l a " c h 0 r 0 d i d a s cal i e "
( 90),
lem ait r e - c ho r eut of
commande à l'ensemble des chOreutes. Chacune de ses act~~i
tés comporte des procédures spécifiques de dire~tion. D~
même que le potier ne peut pas fabriquer une chauss~re
~.
f
(
§
123 n.85),
de même on ne dirige pas un orchestre cWEmel
f
une équipe de rameurs.
La modalité d'une direction est
déterminée par la vertu propre de la technique dans laqŒœll~
elle se déploie.
Autant de techniques,
autant
de façorr~
d'en diriger les techniciens.
§
126.
Peu à peu,
par le recours systématique
E
l'interprétation technique,
Socrate contraint Alcibiade
~
~
préciser sa pensée.
En fait,
le but de Socrate est, se~œJe4
t - i l ,
de l'amener,
par la disqualification de tous les
exemples susceptibles d'une déviation technicienne, à
s'évader du champ des techniques proprement dites. Aus~~
Alcibiade effectue maintenant un pas important en dési~n
,
~,
-
clairement la politiqu~: K01VWVOU~twV EYWYE ÀEYW nOÀltE~nf
..
,
. . ' ,
,
')l
_ , _
Kal
ouu6aÀÀovtwV npo] aÀÀnÀouf
tOUtwV aPXE1v lWV EV t ,
nOÀEl
(91). Cela n'empêche pas Socrate de convoquer de
nouveau l'analogie t~chnique pour demander la dénoainatüDn
.
de l ' a r t de la diredtion en matière politique,
coœae o~
l'a fait
tantôt pour les techniques des raaeurs et des
,
(90).
ROBIN ap.
PLéiade p.235 n.1 = 1277
(91).
125d 7.

212
\\ '
"
...
')
1
chOreUtes: 1TO/d.1E'lai KO'lVWVOUV1WV 1'lVa KaÀE'li E1TI01THJnV;
,92
')
(125e 4-5).
Selon Alcibiade,
cette E1T'lOTn~n n'est autre
que l'"euboulie"
(93) ou science d~ bon. conseil. Mais ce
critère est-il vraiment suffisant?
d.
insuffisance de ce critère
(125e 9 -
126a 4)
§
127. Cette question n'est pas superfétatoire $d
l'on. sait que~dès le départ, le jeune ambitieux a revêtu l~
mantèau de conseiller des Athéniens (§§
37; 38 sq). On
se rappelle les difficultés considérables qu'il a
eu à dét~r
miner un domaine de compétence qui lui fût
propre(§§ 40;
~].
42;
43). La position du problème a sans doute évolué .ai~.
en un sens,
la question est testée la même.
Ici.
l'"eubou.L:ie
se montre encore trop générale:
i l faut
lui affecter un
(92).
Il faut
noter l'emploi de t1T'lOTn~nV à la place de TÉXV
Cependant,
contrairement à ce que croit A. MOTTE (op.
cL~.
p.ll) on ne peut rien .en conclure quant à
la valeur gnosi~ue
des deux concepts.
Il; semble bien qu'ils entretiennent u~~
relation purement sy,nonymique.
(93). '125e 6.

213
objectif précis (94) dans le Continent-Politique.
pour nOQ$
servir d'un vocabulaire althussérien. Car l'"euboulie"
n'est guère absente des activités techniques. On peut mêm~
dire très précisément qu'elle s'identifie à l ' a r t de la
directiON qui a été identifié à l'intérieur de certaines
disciplines techniques ( §
125). Dans la "cybernétique" [[<BI
exemple,
le but que s'assigne l'''euboulie'' est la sauvegarDe
de la'sécurité de tous ceux qui sont à
bord (95).
On compren
bien maintenant que l'''euboulie''
(96) soit présente dans
toute activité technique et que,
pour la spécifier,
il
faille lui assigner un objet bien déterminé. C'est vers 1~
détermination d'un tel objet que s'oriente immédiate.ent ~
dialogue,
pour ce qui est de la politique.
e.
essai de détermination de
(94).
126a 3-4.
(95).
126a 1-2
(96).
On comprendra qu'aux traductions hasardeuses nous
préférions recourir à pne transli!!ération (l'orthographe
de ce mot n'est pas encore fixée pour ce qui concerne le
nombre de "t",
cf.
Pe'tit Robert,
1982 p.2004, mais les
deux lit" s'accordent mieux avec la tradition ortbographiq~
des mots de même racine:
littéraire,
littéral etc ••• ) de
certains termes grecs.

214
l'objet de l'''euboulie'' en politique
(
126a 5 -
127e 3)
§
128.
Alcibiade fait
bien d'assigner l'objet
du "bon conseil" en politique,
sur le modèle de sa répoR.$€
à propos de la "Cybernétique" ~127). L' "euboulie" en poL~-

,
:>
..
tique,
dit-il,
V1se a:
Et!
tO ')1
. . ,
ô
-
Œ~EtVOV tnV nOÀlv
tOt~El~
KŒl
OW~EOeŒt (97). Il reste à définir les critères d'autDen
,
.
tification et d'identification d'un Etat bien policé et
don~ la sécurité est correctement assurée. Par exemple,
une bonne administration du corps et sa santé (car la s~t
est la sécurité du corps)
ont pour criterium la présenc~ d
la santé et l'absence de la maladie (98). De même le fom=-
tionnement correct de chaqu~ organe des sens est détermLné
par la présence de ce qui en est la vertu et l'absence me
ce qui en est la négation~ la vue et la cécité pour les
yeux,
l'ouie et la surdité pour les oreilles (99), ou
encore la parole et la mutité pour la bouche.
En so.me.
chaque organe possède ~ne fonction propre qui ne se réaLîsJft
que dans l'accomplis&ement pleinement efficient de sa
i
vertu.
(97).
126a 4.
(98).
1268 10 sq.
(99).
126b 2 sq.

215
§
129.
La cité peut-être comparée à un organisme
si l'on mène à son terme naturel l'analogie précédente.
Alors,
il faut
pouvoir exhiber 1a'vertu par la présence aœ
l'absence de quoi cet organisme est en bonne santé ou maI~de
Pour reprendre la question en termes propres:
quels sont
les critères qui font la bonne ou la mauvaise administra-
tion d'une cité? Selon Alcibiade,
ces critères sont, d'urrœ
part,
la présence de l'amitié,
et de l'autre,
l'absence ~œ
la haine (100). Mais dans la mesure où l'amitié est un
acc~rd, sa nature, son objet et la science dont il re1èv~
restent devoir être précisés (101).
Les cités comme les
individus s'accordent en effet sur un certain nombre de ,
techniques (102) telles que l'arithmétique (103),
la ~-
.r~~tique (104) ou la science 'de la pesée (105). L'accord
a ainsi toujours un objet particulier à
la technique dont
il relève.
Les techniques sont toujours là, envahissante~_
(100).
126c 1-3.
(101).
126d 8 sq.
,
(102). Le texte utiliSe massivement tEXVn dans ce passag~
126c 6,
126c 13,
126d 9.
(103).
126c 9.
(104).
126d 1-
(105).
126d 6.

216
Il
semble qu'on ne puisse esquiver
leur épreuve,
en tout
CES
provisoirement.
§
130. Lors mArne qu'Alc1biade spécifie l'objet
de l'accord politique,
elles surviennent de nouveau comme
autant de candidats,
si l'on peut dire,
au siège royal.
L'amitié et l'accord
visés par Alcibiade sont ceux qui
unissent des parents à leurs enfants,
le frère au frère aœ
mArne l'époux à l'épouse (106). Toutefois,
si Alcibiade
désigne bien les partenaires de l'accord,
i l n'en a toujœwrs
pas indiqué l'objet.
La nouvelle interprétation technique
a
pour fonction de le lui rappeler. Comment concevoir, ea
effet,
que le mari
puisse s'accorder avec son épouse sur
~
filature dans la mesure où celle-ci constitue une activi~~
et une connaissance spécifiquement féminines:
YUVQ1KE10V
••• u&8nua (107)? Cet argument, quoi qu'en ait dit un édL~fu
(106).
126e 2-5.
(107).
126e 9.
Il ne faut
pas entendre par là qu'il s'agttt
d'une technique que,
p~r essence, l'homme ne pourrait
1
connaître.
Il s'agit simplement d'une division technique œt
sociale du travail fdndée sur
les sexes et qui réserve
exclusivement la filature à
la femme.
Que ce travail soit
un symbole mArne de féminité,
c'est ce que montre
la fidè~
Pénélope attendant sagement son Ulysse en filant
infati-
gablement sa quenouUle
(cf.
Odyssée).

217
attitré des premiers dialogues,
n'est pas du tout un jeu
(
108).
A vrai dire,
l'argument est très sérieux et signLIief
fondamentalement que pas plus qu'e~tre deux techniques
(§§
125;
127),
i l n'y a
pas de rencontre possible entre ~
techniçien en tant qu'il accomplit son oeuvre propre et ~
autre sujet en tant qu'il est étranger à celle-ci,
fût-iL
par ailleurs un excellent technicien dans un autre domai~.
L'épouse,
de son côté,
ne s'accordera pas non plus avec son
mari sur l'activité de l'hoplite, ,masculine par
défiDitie~
(10~). S'il y a une activité spécifique à la femme et un~
autre propre à l'homme,
ce ne sera pas du fait de ces actî-
vi tés qu'ils s'aimeront. Car on ne peut aimer l'autre dt~~r
ce qu'on ignore de lui,
en l'occurrence son activité tecfuœi
que (§ 131). Il ne servirait ,à rien d'objecter que telle
activité technique serait commune aux deux sexes car en c.-f
cas,
cette amitié et cet accord,
s'inscriraient dans l'u~-
que cadre de celle-ci,
et i l s'agirait d'une amitié pure~n
interne à une technique.'
~.u" ~t.
§
131. Ce qui semble valable
cas extrêae des
..
(108).
CROISET qui écrit (ap.
Budé,
1,
p.
98 n.1):- Socr~~e
se
joue d'Alcibiade.' Il
n'y aurait désaccord que si le .~i
prétendait savoir ce qu'il ne sait pas.·
(109).
127a 1-7.

218
techniques spécifiquement féminines ou masculines,
l'est
"également des techniques courantes. De sorte que Socrate
)
~ ")1
,
. , . . . .
t : . ,
CI
peut conclure:
Ouâ
EU apa TaUTn OlKOUVTal al
TIOÀElJ>
OT~
,
~
....
u
, ....
Ta aUTWV EKaOTOl
TIpaTlWOlv
(110);
Le sens de cette conclasi
est parfaitement clair.
Si chacun fait
ce qui le regarde.
i l s'enferme dans la spécialisation d'une technique bien
déterminée,
ce qui exclut toute amitié,
du moins en dehor$
de l'activité considérée.
La présence de l'amitié et l'ah$€
ce de la haine étant les critères d'identification d'un E~t
bien: policé ('129),
une cité où chacun fait ce qui le
regarde
absence d'amitié
n'est pas bien administ~€.
Malgré qu'il en ait,
Alcibiade est obligé de rejeter une
telle conclusion (111)
tout en confirmant l'impossibilit~
d'un accord et par conséquent d'une amitié sur ce qui est
connu des uns et ignoré des autres(§130)
~~12).
§
132. Qui plus est:
si agir selon la justice~
c'est,
pour chacun,
faire ce qui le regarde, alors, concLm-
sion sans doute encore plus inacceptable,
la présence de ~a
justice serait l'indication de l'absence d'a_itié (113).
~1
,
,
(110).
127b 7-8.
(111).
127b 11- c
1.
(112).
127c 2 sq.
(113).
127c 7-8.

219
est clair maintenant que l'interprétation technocratiqu~
,
1
du Ta EaUTOV npaTTE1V (114),
même poussée dans
ses extrémes:
(114). Ce qui est constant de l'Alcibiade au livre A de la
Répub1igue (433a 1 -
434c 7),
en passant par le Charmide
(161b 2 -
164c 5),
c'est le rejet de l'interprétation
technocratique de cette formule.
Toutefois, on n'a pas
assez remarqué que dans l'Alcibiade elle est discutée cem~et
définition de l'amitié (127b 11- c 1) et implicitement ~e
la justice (127c 7 sq),
dans le C~armide comme définitz~D
de la sagesse,
et enfin de la
justice dans la Répub1iqu~ A.f
Nous n'avons pas voulu décentrer l'attentiOn du lecteur parr
ï
une discussion technique trop poussée de ce point, pour
intéressante qu'elle eût été.
Toutefois,
i l est une re~rqc!
qu'aucun commentateur n'
a faite:
c'est que l'auteur de
l'Alcibiade ignore manifestement au moment où i l rédige
ce i
passage (127c) le texte· (cit.
supra)
de la République t1. quil
\\
1
définit ex professo la
justice par le Ta EQUTOV npQTTE~W,
ce qui constitue un indice de l'ancienneté de ces pass~es,1l',
en tout cas antérieurs,
si ce critère doctr.inal interne est!
pertinent,
à Républi'que A. C'est le lieu de rappeler qu:--on !
ne peut à la fois, 'comme le supposent maints comment8teœrs,~
tenir que l'Aicibiade date du milieu du IVè siècle (et ~onJ
serait postérieur à l'oeuvre de maturité et/ou conteDpaIai~

220
limites,
ne
peut aboutir à
une définition correcte de
l'amitié ni de la
justice,
dont
la nature, par conséquent~
reste
encore énigmatique.
La confusion est telle, décL~re
Socrate,
qu'il n'arrive à identifier ni leur nature ni
même les sujets qui en sont comme les détenteurs,
tant
amitié et accord
semblent tantôt présentS
,
tantôt abse~~5
chez les mêmes
(115).
§
133.
L'aveu que nous avions
repéré
(§§ 89;
,
120 n.77)
se fait
ici,
reddition '~1l9) radicale. Il va ~~usl
loip que la reconnaissance
de
l'instabilité de son discwmrst

89 n.107),
caractéristique bien connue de
l'opinion
(
§389;
90),
i l avoue avoir
vécu longtemps dans
une hont~us~
" l ' ) : > ,
~
l i ,
" ' "
ignorance:
oua aUTO! Ota 0
Tt
ÀEYW
KtVOUVEUW 6E Kat U~~l
,
>
, J I
)J.
ÀEÀn8EVat EuaUTOV atOXtOTa EXWV (127d
6-8). La
prise de
conscience de cette ignorance constitue un fait
hautemerrÎ
positif.
Elle survient à un moment où Alcibiade.est enc~e
(114 suite).
de celle de la vieillesse)
et e~ même temp~
banaliser le retard dpctrinal de l'Alcibiade sur maints
points
~15 n70;ï78 n.i2;~99;~108 n33;'118). On ne voit p~
comment un académicien du milieu du IVè siècle si inforœre
,
du style et de la .doctrine de Platon pourrait ignorer WL
morceau aussi
imp~rtant que République ~ 433a sq.
(115).
127d.

221
jeune.
Sa conscience ne s'est pas encore endurcie dans ~e
fausses opinions et des préjugés auxquels la force de
.
l'habitude finit
par donner l'apparence -
et le
poids
d'une évidence banale.
Tel est au demeurant
le cas de
l'homme qui a atteint la cinquantaine
(116) et
dont les
conceptions rigidifiées par l'habitude opposeraient sûr~mer
leur force d'inertie à une telle prise de conscience q~~
n'irait
pas,
on s'en doute,
sans déchirement.
Or donc,
~our!
1
Alcibiade,
cette prise de conscience survient à
point IDDmmi!
\\
(1 E7)) le faisant
passer de la forme
nuisible de
l ' ignor:ancEI
(inconsciente)
à l'ignorance consciente,
premier pas ve~s
la connaissance
(§§
92;
93;
94;
95;
97).
§
134.
Ce passage est très important
pour la
.%;ui t;
de ce dialogue comme l'a b~en vu un de ses commentateur.%;
les plus lucides
(l18).
"It shows thBt
the pupils pride:
is r
(116).
Il ne faut
pas oublier que dans
la République,
c~esi
à cinquante ans que:le philosophe peut accéder aux fonctio~
royales.
(117).Aqsujet du rapport
jeunesse/prise de conscience ~~
l'ignorance,
cf.
Euthyphron 12a 4.
(118).
FRIEDLANDER,
op.
cit.
vol.
2,
p.236.

222
"At
the same
time,
an attitude of listening and replying~
quietly and objectively,
is a
necessary prerequisite for
developping
-
as Socrate
now does'-
the
complexe of pro!:I.lem:1
dealing
with
the structure of the state and with self-
knowl edge."
(119).
Ce n'est donG pas hasard si ce passa~
est placé ici:
i l prépare l'enseignement le plus fondam~-
tal du dialogue,
celui qUiJen
portant l'analogie Techni~~es
et Ethique à
son paroxysmeJc'est-à-dire au coeur mêRe de
,
l'homme,
permettra de la disqualifier,
de la discrediter~
et finalement
de l'abandonner,
pour fonder l'Ethique sur
une immense entreprise eidétique en quoi consiste l'anttt=o-
pologie platonicienne telle qu'elle s'élabore ici, on p~ut
le dire,
de manière tout à fait
révolutionnaire.
(119).
ibidem.

223
IV.
LES FONDEMENTS DU PRECEPTE DELPHIQUE
(
127e 4 -
135e 9)
,
1. Deux types fondamentaux de TEXVn
(127e 4 -
128d 12)
§
135. Cette dernière section promet de bons
résultats. Alcibiade n'a pas seulement pris conscience d~
son ignorance,
i l est prêt à
y remédier en se soumettant
sans difficulté à l'interrogation socratique.
Il
va se
révéler bon disciple,
c'est-à-dire docile et soumis (1).
L'enquête peut prendre en charge ce qui en est le
-tbè.e
principal- (2),
comme l'indiq-ue d'ailleurs assez nette.err.~
, )
, c
_ ~
_
le sous-titre (3),
à savoir:
Tl
EOTlV TO EQUTOU
Enl~EÀElcrffiul
(4).
Cette question est doublement importante:
d'abord pa=ce
qu'elle nous concerne -
c'est de l'homme qu'il s'agit.
ensuite parce que sur ce- sujet nous sommes la plupart du
(1).
Nous avons déjà 7ité le texte du Sophiste qui prése~€
le bon disciple comm~ docile (§ 120 n76).
(2).
cf. P. COURCELI!.É,
op.
cit.
p.15.
(3).
nEPl
~ÛOEWJ ~Vepwnov; P. COURCELLE, ibidem, p.lS.
(4).
l27e 8.

224
temps,
coupables de l'ignorance nuisible -
celle qui se
prend pour savoir
(§§
94;
95;
96;
97):
~n nOÀÀaKlf ÀaeW~EU;
~
(.
'"
" , '
,
J,,~,
OUK n~WV QUTWV Enl~EÀou~EVOl
OlO~EVOl
uE
(5).
§
136.
La question:
qu'est-ce que prendre soi~
de soi-même? peut se traduire:
quand l'homme prend-il SOLm
de lui-même? On peut encore se demander si l'homme prend
soin de lui-même en soignant ses affaires (6).
En homme
gâté par la nature et fortuné(
§
32),
habitué aux mondan~~ks
Alcibiade donne une réponse affirmative. Mais une telle
répoQse ne résiste pas à l'analyse. Soit des organes cor~~re
comme le pied ou la main.
A chacun d'eux appartient un ce=t
nombre d'objets bien spécifiés.
Soulier,
espadrilles,
galoche,
mocassin,
cothurne,
pantoufle,
socque,
chausson
etc •••
bref,
la chaussure,
appartienbent au pied,
de .êm~
que le gant et la bague appartiennent à la main et au doï~t.
On n'aurait
pas idée de revêtir les mains de cothurne ou
les pieds de gan 1$. D'un mot,
chaque partie du corpS a un
(5). 127e 8 -
128a 3.
(6).
GROTE,
op.
cit.
a: noté la présence de cette antithè5fE
chez Isocrate ap.
De ·Permutatione,
secte
309,
p.
492, ed.
>
-
,
,
':1\\
'"
?
_
_
. . . . "
Bekker:
QUTOU npOTEpoV n
TWV QUTOU n01E10SQl TnV EnlUEÀE~œv.

225
(
vêtement
(7) ou une parure qui
lui sont appropriés.
§
137.
Il convient donc de distinguer entre L~
objets techniques qu'utilisent
les'différents organes
(7). On reconnait dans ce commentaire les lignes 128a 11
b 1 qui ne sont pas données par nos manuscrits,
mais qui
~e
trouvent chez STOBEE,
cf.
CROISET,
vol
1, apparat criti~~;
L.
ROBIN,
op.
cit.
p.239 n 1 = 12~7 et FRIEDLANDER: ·12a~ 1
128b 1 is probably an addition
(though
less important).
~e
words are found only in Stobaeus,
derive
probably from
Gorgias 517Dw ap.
PLata,
II,
p.237 n.14 = p.351. Cependaro~,
contrairement à FRIEDLANDER,
ce passage nous a
fait env~$Bge*
la possibilité que STOBEE ai~ eu entre les mains un autr~
texte que nous avons perdu.
Nous fondons
notre
point de me
sur le passage 128c 15 -
d 1:
Kai yu~vaoTlKn ~Èv OWUŒTOr
.:
. . . " "
- ) \\
...
- ,
u~avTlKn ÔE Kal TalC aÀÀalC TWV TOU Ow~aTO[;
La référenc~
qui est faite au tissage' et aux autres arts nous semble
renvoyer précisément à ce texte:
l'introduction du tissa~
paraitrait brutale si on n'avait auparavant parlé de vête-
"
c.,
...
ments et de couvertures
(l~aTla Kal oTpwuaTΠ, 128a 13)
..
(
qui sont préciséme~t les produits du tissage). Si notr~
raisonnement est fiable,
on ne pourrait exclure que STOB~
(
et EUSEBE) aient consulté,
en effet,
un manuscrit défiœd-
tivement perdu.

226
corporels et ces organes eux-mêmes.
Prendre soin de la cha-Ls
sure,
ce n'est pas la même chose que prendre soin du pied~
si ce n'est indirectement.
Prendre soin de la chaussure e~
une technique bien déterminée qui relève du domaine du
cordonnier. Mais on n'amèner& pas un pied enflé chez le
cordonnier,
ce n'est pas son affaire. C'est celle du médecïn
A chacun son domaine de compétence, car i l y a une manière
,
,
)
...
~
-
correcte de s
occuper d une chose:
op8wJ ETIlUEÀElo8al
...
~
...
,
KaÀElf Tl OTOUOUV TIpayuaToJ (8). Cétte thèse ne nous est
guèr~ étr~ngère, nous l'avons déjà rencontrée dans l'inter-
prétation d'un passage important (9)
(§§
49; 50;
51; 52 ~)
L'emploi d'~P8wJ
confirme,
s ' i l en est besoin,
que seule$
les techniques sont envisagées car i l concerne
·~oute actL-
. ,
, loi..
, ff
..
..
,
"

)
V~ te dont le dep~ment s
e
ectue KaTa TTlV TEXVnV
S I .
Ce passage met d'ailleurs,
comme aU § 51 (" Est le afÀTlO~
,
~
-
d'une activité quelconque ce par quoi elle s accomplit opffi~J
dans sa totalité"),
l'activité menée ~p8wJ
en relation
avec le afÀTlOV
§
138.
Nous sommes bien en présence de deux
domaines:
les diffé~en~s organes corporels, et finalement
(8).
128b 5-6
(9).
l08b 1 -
108d 10. C'est donc une confirmation de la
fiabilité
(
§
111 n.48)
de cette interprétation.

o
227
le corps lui-m~me comme entité autonome d'une part, et de
l'autre,
les divers objets appartenant,
en quelque manièr~w
,
au corps.
A ces ~eux domaines correspondent deux types de
techniques:
les techniques qui ont
pour objet immédiat le
corps lui-m~me et celles (10) qui s'occupent des biens du
corps.
Dans le premier groupe,
on rangera
la gymnastique
r~l
ou la médecine et dans le second,
la cordonnerie ou la
bijouterie.
D'où l'on peut conclure,
avec Socrate:
~AAA~
. . ) 1
"
~
-
(,
,
)
"
e
')\\
.r ...
-
~EV apa TEXVn aUTOU (KaoTov Errl~EÀou~E a
aÀAn uE TWV
:>
.
aUTOU
(12).Cette conclusion est toute naturelle:
à objets
;)
?\\
li
différents,
techniques différentes:
OUK apa OTav TWV oauLm~
OCtUTOÙ ~rrl~EÀn (13)" Que les deux sciences soiel1t:.

différentes,
c'est chose établie.
§
139.
Cette doctr~ne est maintenue et précisé~
dans le Gorgias.
Le Gorgias,
en effet,
déclare qu'il y a
deux sortes de techniques qui se rapportent au corps. la
première est servile (14)
et s'occupe des besoins du cor~$
(10).
Pour les distin~uer conceptuellement, nous appeller~D~
1
les techniques direct:'es du corps "Techniques primaires" ~
celles de ses biens ,"techniques secondaires".
(11).
128c 8 sq.
cf.
Olympiodore,
Priorem Alcibiadem Plat_
Comment.,
ed.
F.
Creuzer,
p.
197.
(12).
128d 3-4.
(13).
128d 6-7.
(14).
517d 2 sq.

228
pour ce qui est de la nourriture,
de la couverture etc •• _
c'est le cas des artisans:
boulangers,
tisserands etc •••
A côté de celle-ci,
i l y a
la véri~able culture du corp~
,
6 '
, ;>
,
telle que la TE:XVTl YUjJva TtKTl TE: Kat
taTptKTl (15). Incorr:=es-
tablement,
le Gorgias accomplit une avancée théorétique
(16
par rapport à
l'Alcibiade,
en définissant de façon extr~-;
ment précise le rapport entre techniques primaires et
secondaires:
celles-ci sont subordonnées à celles-là,quL
d ,
.
l '
l '
l i b
d
1:
' , r '
,
enetermlnent
emp 01 se on
e
ien
u corps:
utO
uTl ICrIll
0
Tau,af jJÈv OOUÀOTIPE:TIE:tf TE: Kat OtaKOVtKàjKai 6VE:ÀE:u6ÉpouJ
t
o . ,
"
")\\
,
'.r::-
E: vat TIE:pt oWjJaTof TIpaYjJaTE:taV
Taf aÀÀaf TE:XVQI
TnV uE
,
o.;)
,
o . "
,
t
YUjJvaOTtKTlV Kat
taTptKTlV KaTa TO OtKatOV OE:oTIolvai E vœL
TOUTWV
(17). Mais puisqu'aucune de ces techniques ne prEmd
soin de nous,
i l reste à déterminer la science qui, pour
ainsi dire,
nous prend en charge.
(15).
517e 4-5; cf. Olympiodore qui définit bien leur
spécificité.
(16).
Ce qui,
soit ditO-en passant,
est un autre indice
interne de l'ancienn~té de la première rédaction de l'AL~i-
..
biade.
(17).
5188 2-6. On ,reconnaitra là la distinction entre
techniques de fabrication et Techniques d'usage.
cf. P.L_
REY dans Les idées morales,
sociales et
politiques de PLBto
Vrin,
1951*2* pp.
70-71.

229
o
2. Par quelle TÉXvn prenontnous soin de nous-
mêmes?
(128d 13 -
130e 5)
a.
La position du problème
(128d 13 -
129b 6)
§
140. Déterminer la science qui permet à l'hoœœe
de s~améliorer, tel est le problème que l'enquête a mis a~
premier plan. On peut d'ores et déjà écarter la candidatu~
des sciences qui s'occupent de nos biens
(18). Par exeaple
si l'homme n'est autre que son corps,
i l faudra écarter tIDDt
les techniques secondaires cat celles-ci,
sans exception,
ne s'occupent que des biens du corps ( §
139). Dans ce c~,
ce sont les techniques primaires qui s'occuperaient de noW$.
Mais il Y a un préalable à la détermination de la science
qui
s'occupe d'un objet quelconque,
c'est la connaissance
de cet objet lui-même. On ne peut savoir quelle technique
améliore les chaussure~ si l'on ne sait pas ce qu'est la
,..
~,I
)\\
"
chaussure elle-même:'~ ouv EYVWUEV av nOTE TIf TEXVn
~'
c "
_"
..
) ,
{"
uno6nua SEÀTIOV n01El"
un E160TEf uno6nua (19). La thèse
(18).
128e 1 sq.
(19).
128e 4-5.

230
o
socratique tout à fait moderne est que ce qui constitue
proprement une science ou une technique comme telle c'est
la
détermination et la délimitation précises de son objet.
L'apprentissage et la connaissance d'une science commencem~
toujours par son objet.
C'est de l'objet que l'on remonte
à la science. Il en est de la chaussure ou de la bague
comme de l'homme.
Pour savoir quelle science nous rend
meilleurs (20),
i l faut
s~voir ce qu'est l'homme d'abord.
La q ues tion "q u ' est-ce que l ' homme'?" précède et commande La
question "quelle science peut perfectionner l'homme?".
§
141. Ainsi la voie où doit s'orienter l'enqu~t~
est nettement tracée. Mais i l n'est pas aisé de se connai~Ie
soi-même,
de sorte que le P.D.
ressemble à une énigme. Ea
effet,
la tâche se complique~'une troisième question: i~
faut connaitre le soi-même pour savoir ce que nous so••e~=
,
:1 11
,
C
,
: ) . .
' ) ,
cl
..
. . , \\
' A I
••• TlV av Tponov EupE8Eln aUTO TaUTO;
OUTW ~EV yap av TaX
(.1
, .
, ~
; > ,
,
) ' J / ) .
; ) : >
,
EUPOl~EV Tl nOT Ea~EV aUTOl
TOUTOU Ô ETl
OVTEf
EV ayvo\\~
' ) ,
,
aôuvaTOl
nou
(21).
A présent,
i l y a une triple question:
Quelle science nous perfectionne? Qui sommes-nous? Qu'est-
ce que le" soi-même"? De même que la seconde que st ion comDléBn-/
dait la première,
la troisième détermine la seconde et
finalement la première aussi
• La troisième question, ceLn~
(20).
128e 13-14.
(21).
129b 1-3.

231
o
" . .
:>,
du aUTO TaUTO,
est donc la question-clef.
§
142. Le problème le plus important de ce pass~~
.J
:
,.
,
est de savoir à quoi renvoie aUTO TaUTO (22). Il faut peŒ~-
être souligner au passage que la question posée par FRIEn-
LANDER et reprise par P. M.
CLARK (23),
de savoir si son
emploi dans l'Alcibiade revêt un caractère technique (24)
n'a strictement aucune incidence sur son interprétation.
Cependant,
FRIEDLANDER et CLARK ont tous deux raison de
~
rejeter la thèse de R.S.
BLUCK qui prétend que l'auTo Tau~ô
se ~efère à l'âme (25). Cette interprétation est absolum~t
insoutenable et procède d'un contre-sens évident sur
le texte
(
§
3 n.15).
Sa réfutation est aisée. Socrate
déclare dans le passage en question que pour savoir ce q~
) )
? ,
nous sommes (Tl ~OT EO~EV autol
)
(26),
i l faut
connaître
justement ce qu'est l'aGTo Ta~Tô. Or, ce que nous so••es"
comme l'établit clairement le texte plus loin (12ge 12;
::l
...
130c 4:
§§
149 -
151) c'est l'âme. Donc dire que l'auTo
(22).
129b 1.
(23).
art.
cil.
p.
235
(24).
FRIEDLANDER et' P.M. CLARK donnent une réponse nég~
tive à cette quest~on. cf. CLARK, ib, p.235.
(25).
R.S.
BLUCK,
op.
cit,
p.46
(26).
129b 2.

232
:>
TaUTO se réfère à l'âme,
c'est rendre le texte complétement
tautologique.
En effet,
cela revient à dire si nous rem~~-
. ) ,
: > ,
.
çons l'auTo TaUTO
par l'âme
ce que nous pouvons fa~~
s ' i l s'y réfère
que pour savoir ce que nous sommes,
LJ
faut connaitre l'âme.
Puisq~ "ce que nous sommes" n'est
autre que l'âme,
nous avons au terme de ces transforaaticrrns:
"pour savoir ce qu'est l'âme,
i l faut connaitre l'âme". Iles
deux ~uestions ( § 141): qui sommes-nous? Qu'est-ce que
, . "
."
1 aUTO TaUTO ? la première seule concerne spécifique.ent
l'âm~ et, de fait, c'est à elle (27) que répondra l'enq~e
(§§
143;
144 sq).
§
143. Nous savons par conséquent apodictiquememt
,:>,
- ' ,
,
ce que n'est pas 1 aUTO TaUTO
,
à savoir qu'il n est pas
l'âme.
Il reste à savoir ce q.u'il désigne positivement. HJ:ien[
des traducteurs et interprètes sont fort embarrassés poar
rendre clairement ce concept.
ROBIN n'explique rien du trout
?
'>
lorsqu'il dit en note à propos de l'auTo TaUTO (129b 1):
(27). En effet,
la question de savoir ce que nous so••es
est déterminante pour 'Pla ton comme l'a bien vu Proclus
.'
dans l'introduction ~e son commen taire, op. ci t: T wv
c.
:>
...
6
WJ EtTIEtV
TnJ ~lÀoa 'ou
~pxnv KUPtw~&Tnv Kat 8E8atoTàTnv Etvat vO~{~O~EV
,
...
c..
TnV TnJ EaUTWV oua{aJ 6t&yvwatv • l,
3-5.,
ed. Westerink~
Amsterdam,
1954.

233
" c'est-à-dire se connBitre soi-même:
ce que l'on cherche~
c'est ce qu'on est soi-même." (28).
Il ajoute d'ailleurs
dans une autre note (29):
"Cette même chose est le soi-même
du précepte de1phique." La tentative d'explicaticn a traID$-
formé l'embarras en grave confusion. Cette confusion est ~€
même nature que celle que nous avons dénoncée chez BLUCl
R.'c
(
§
142). En effet,
ROBIN ne distingue pas entre "se connëBi~
soi-même" et "connaitre le soi-même".
Seul le premier (qu."oJ,
trouve par exemple en 12ge 12 sous la forme:
TC yvwvnl
raUTPv ) renvoie au Précepte Delphique,
et non le second
qui,
au contraire,
condi tionne la connaissance du "soi-même"
" ,
::>,
du Précepte Delphique.
L'auTo TaUTO
de 129b 1 n'est don~
nullement la même chose que le soi-même du P.D.
C'est po~-
quoi,
il.n'est'pas tautologique de dire que c'esc à raisWD
de connaitre le soi-même qu'on peut se connaitre soi-.ême_
Le "TC yvwvat ~aUTCv" renv9ie à la connaissance du nJTo
:>
,
TaUTO comme à sa condition.
G.
,
§
144. Le TC yvwvat EaUTOv
est un impératif ét~-
que qui commande l'anthropologie de l'Alcibiade. C'est U~
impératif autotélique ~ar définition. It renvoie à l'bomœœ
et à lui seul,
c'est-~-dire en définitive à l'â.e (ii 15a~
151). Il s'agit là du mot d'ordre fondamental qui défini~
l'horizon de cette ~cience proprement humaine dont parle
(28). Op.
cit.
p.240 n 1 = 1277
(29).
Ibidem,
p~243 n 1 = 12J7.

234
l'Apologie
(~vapWTI{vn oO${a) (30). En revanche, la conna~$-
:>..
: > ,
sance de l'auTo TaUTO va au-delà de celle de l'homme et ~
une portée ou~plus précisément/un objet bien plus général.
Elle renvoie à
ce que sont 'par eux-mArnes tous ces "objet5~
tels que les chaussures,
les bagues,
le corps (31) etc •• _
A
' b '
d
.
l '
;,..
J ,
"
USSJ.
J.en tra uJ.sons-nous
aUTO TaUTO par
ce qui est
p:OBr
lui-mAme"
pour bien signifier la dimension ontologique
fondamentale qu'il exprime.
§
145.
En fait,
nous mettons ici le doigt sur
l'uri de ces puissants préjugés
(
§
23 n.l05) qui
ont tant
nui à
la compréhension du
premier
platonisme et de ses
rapports avec le développement de la pensée platonicienne.
Dès qu'il s'agit des premiers dialogues,
l'interprétatiorr
traditionnelle emmurée dans ses propres présuppositions
ne veut
pas entendre parler d'ontologie
(32). Or ici,
(30).
20d 7.
(31).
Y compris donc l~homme lui-mArne.
(32).Cf.
par exemple,IV.
BROCHA RD déclarant péremptoirelllJ!eDt
qu'il n'est pas question de la théorie des idées dans ce
qu'il appelle "les petits dialogues":
Etudes de Philosoplh.ie
.
Ancienne et de Philosophie moderne,
Paris,
Vrin,
1954,
p_36
Cette position reflète le point de vue quasi-unanime du
commentarisme,
pour ainsi dire,
officiel.

235
:>
? ,
l'aUTè TaUTO nous apparait comme la désig~ation du sub5tr~~
de tous les êtres singuliers parmi lesquels se trouve le
soi-même du P.O.
Par conséquent,
ia connaissance de n'imp~crt
quel être singulier est commandée par celle de l'être en
,
, >
..
' > ,
soi
car,
n ayons pas peur des mots,
1 aUTO TaUTO c'esT
bien l'être en soi.
Nous aurons l'occasion d'y revenir
(§§
153;
154).
§
146. Avant de poursuivre l'analyse du morceau~
i l n'est pas sans intérêt de marquer l'importance des
développements antérieurs
(
§§
140; 141) sur deux points.
Le premier point concerne la similitude entre les tecbniqWfs
et l'Ethique:
on ne peut remonter à ces de~x domaines en
tant que sciences que par la médiation de leurs objets.
Cette constat ion apporte une certaine légitimation à l'an~
logie entre les techniques et l'Ethique car dans les deux
domaines le processus de la connaissance est le même:
connaissance de l'objet,
puis connaissance de la
techniqu~
de perfectionnement. Le deuxième point est que,
comme dan~
l'Apologie (
§
144), l'Ethique est pensée comme science d~
l'homme,
c'est-à-dire comme anthropologie.
D'où la nécessÎ--
1
té de répondre à
la q~estion: qu'est-ce que l'homme? On
ne pourra pas répondré à cette question sans opérer un
certain nombre de distinctions.
b.
premier essai de distinctio~=

236
(
le technicien et ses outils
(129b 7 -
129d 4)
§
147. On reconnaitra dans ces passages la
premiè+e forme de la doctrine de
l'instrumentalisme.
Socrate se sert d'abord de
l'exemple de
la parole et du
langage.
La parole n'est qu'une actualisation du langage.
On peut donc en un sens les assimiler:
ra oÈ 6lad€YEOe~1
Kat Ta ÀOYW xpna8al TaUTov nov KaÀElf (33). Le langage nte$~
pas seulement une fonction d'expression et d'objectivatiQ~
de l~ pensée, il est aussi un outil de communication.
Socrate se sert du langage (34)
pour parler à Alcibiade q1J~
l'écoute
(35).
Socrate est un locuteur c'est-à-dire un
utilisateur du langage-outil •. Il y a là une distinction de
portée bien plus générale qui va au-delà du langage, car
l'utilisateur est à distinguer de la chose utilisée:
l'
" .
- "
, ."
QOTIEP OKUTOTO~of
TE~VEl
nov TO~El Kal a~lÀ~ K~l aÀÀol[
~PY&VOlJ (36). Il Y a d'un côté l'artisan qui coupe et
(33).
129c 2-3.
(34).
129b 16.
(35).
129b 14.
(36).
129c 7-8.

237
l'outil qui sert à couper (37) quelque chose. L'outil est
proprement l'intermédiaire entre l'artisan et la matière
sur laquelle i l travaille.
Ainsi,
le principe de l'altér~-
té de l'utilisateur de l'outil d'une part et de l'outil
utiliSé (18) d'autre part est établi sur une base assuré~_
Mais i l faut aller plus loin et essayer de voir si une
telle distinction ne peut pas s'établir,
si l'on ose dir~~
dans l'artisan lui-même.
c.
second essai de distinctioŒ:
le technicien et ses organes corporels comme outils de
travail
(129d 5 -
l2ge Il).
§
148.
Nous savons que le cordonnier se sert dQ
tranchet
(TO~Et ), de l'alène (o~tÀn
) et de bien
d'a~trd

.,1
' ) ,
.
outils
(aÀÀolf opyavolf
) (cf. 129c 7-8: § 147). Hais iL
utilise aussi ses mains pour couper,
ou ses yeuI
pour VOLI
ce qu'il coupe.
En somme,
à l'égard de ses organes corpaL~~
le cordonnier entretient le mêmQ. rapport (d'utilisation)
qu'avec ses outils ojdinaires. I l en est de même des
(37).
129c 11-12.
(38).
129d 1 sq.~

238
Ils se servent de ce fait
de
leurs organes corporels comm~
des outils.
Et~comme dans ce dernier cas, le rapport
d'utilisation qui lie le technicien à ses organes corpor~]s
mis en oeuvre en tant qu'outils constitue une relation
d'extériorité et partant d'altérité (
§
147). Si
w1'utiI±-
sateur est à distinguer de la chose utilisée-

147),
alors le technicien est différent de ses organes corporeL5
en tant qu'il s'en sert comme outils.
Et puisque l'artis~
se sert de son corps tout entier,
i l faut le distinguer
d'après le même principe de son corps.
Autre chose ~çt le
corps de l'artisan,
simple outil,
autre chose est l'arti$an
Or,
l'essence de l'artisan en tant qu'il est autre que 5ID~
corps n'est pas d'être artisan,
mais homme.
De sorte que
distinguer l'artisan de son corps revient à dire
que:
(j
7/
CI
, ; >
'"
l
'"
C
_
ETEPOV apa aVeOWTIOf EOTl
TOU owuaTof
TOU EŒUTOU
(39).
Autre chose est l'homme,
autre chose est son corps! ~ous
savons maintenant ce que n'est pas l'homme,
i l reste à
s'efforcer de dire ce qU'il est.
d.
essai de définition de
l'homme
(12ge 12 -
130c 4)
(39).
12ge 7-8.

239
§
149.
Ainsi se présente à nous la question peut-
être la plus grave que l'homme se soit posée depuis toujo~s
,
r:'
c:.,1
Tl TIOT OUV 0 av8pwTIo!;
(
40).
Platon y apporte ici une
réponse radicale par rapport à laquelle se détermineront,
jusqu'à nos jours,
partisans et adversaires du philosophe
athénien.
Les tenants de la philosophie de l'esprit s'y
reconnaitront volontiers.
En évoquant ce texte, G>. BASTIDE
écrit qu'il nous conduit
-dans une.atmosphère Je
la plus
p" r f! .s p i rit ua 1 i t é " ( 41 ).
En t 0 u t
cas,
1 a dis tin c t ion de
l'homme et du corps apparait foncière.
L'homme est celui
)\\
..
:l;CI
..
- ,
qui se sert du corps:
EXE1! UEV OuV OTl lE TO T~ aWuaT\\
XPWUEVOV (42).
C'est donc en vertu du principe d'extério-
rité et d'altérité de l'utilisateur et de .l'outil
(§§
147;
148) que la séparation (43)
de l'homme et du corps est
(40).
12ge 10.
(41).
" Le moment historique de Socrate" p.
172,
cependant,..
nous ne marquons pas ici ce qu'il peut y avoir d'excessif
ou d'équivoque et,
pro~ablement d'anachronique dans ce
type de discours.
(42).
12ge 12.
(43). On ne peut accepter la thèse
(R.
WEIL, I.L ••
1964.
p.82-83) selon laquelle
-la distinction radicale du corps
et de l'~me suppose le Phédon". D'ailleurs elle est dé.entL~,
outre les raisons internes avancées ici,
par l'Apologie
36c 3 sq qui suppose indiscutablement connue cette distinc-
tion.

240
prononcée. L'homme est l'utilisateur,
le corps est l'outiL.
§
150. Or,
Socrate déclare sans démonstration
préalable que l'utilisateur du corps est l'âme (44). En
fait,
la dua~ité de l'âme et du corps (45) dans l'homae
(44).
130a 1.
(45).
SAINT-AUGUSTIN,
dans La Cité de Dieu (XIX.
3), nous
rapporte les raisonnementS de VARRON dans le Liber de
philosophia sur cette question: w••• l'hnmme est-il l'~me
seule,
en sorte que le corps soit à elle comme le cheval
au cava1ier(car le cavalier n'est pas l'homme et le cbev~.
mais l'homme seul;
s ' i l
est pourtant cavalier c'est qu'iL
se tient dans un certain rapport avec le cheval)? Ou bierr~
l'homme est-il le corps seul,
se tenant dans un certain
rapport avec l'âme.
comme la coupe est au br~uvage (ce nE
sont pas en effet le vase et le breuvage qu'il contient
qui.
ensemble.
sont appelés coupe. mais le seul
vase; né~-
moins i l est tel
du
fait
qu'~l est appelé à contenir le
breuvage)? Ou alors l'homme n'est-il ni
l'âme seule ni lE
.
!:
corps seul,
mais les ~eux ensemble. l'âme ou le corps n'€ê~n!
chacun qu'une partie~ l'homme dans sa totalité comportant~
,
pour ~tre homme. l'pn et l'autre ( ainsi appelons-nous
bige deux chevaux appariés.
celui de droite ou de gauche
est une partie du bige,
un seul d'entre eux. quelque soit

241
empirique est posée comme une évidence dans la culture
commune.
Rien n'est
plus économique pour Socrate que de
faire appel i
une source,
non pas 'vraiment incontestable,
mais incontestée,
lorsqu'elle coincide avec les objectifs
de sa démonstration.
De même,
nul ne conteste l'existence
de trois êtres dont l'un serait l'homme lui-même:
Mn ct
-
C I ,
t
, ) 1
TPlWV EV YE Tl E val
TOV aV8pwTIov (46).
Naturellement, ce~
,
)1
_ ) ,
,
,
{,J
trois êtres sont:
~uxnv n ow~a n oUva~poTEpOV
TO OÀov
TOÙTO (47).
A partir de l i ,
l'identification de l'hom.e
avec l'âme est aisée (48).
L'homme ne peut être le corps
(45 suite). son rapport à l'autre,
n'est
pas appelé bige.
mais bien les deux ensemble?", En ce qui le concerne, VARRm~
choisit la troisième solution;
cf.
Jean PEPIK
:
Que l'ho~œ
n'est rien d'autre gue son âme.
Observations sur la tradi-
tion du Premier AlcibIade',
R.E.G.,
LXXXII,
1969.
p.
56-70
et pour le texte pré-cité p.6l.
(46).
130a 7.
(47).
130a 9.
(48).
Sur la tradition ultérieure du Premier Alcibiade,
a~
..
consultera BOYANCE,
C~céron et le Premier Alcibiade, ap.
R.E.L.,
1963, T XLIi'J.
PEPIN;
art.
cit.
ap. R.E.G.,
1969- ..
l.XXXII;
A. MICHEL,
L'homme se réduit-il i
son âme? CicéraIJ::
juge et témoin de la tradition platonicienne,
in Diotima.

242
car il est ce qui commande au corps,
celui-ci ne pouvant
évidemment à la fois se donner des ordres et les exécuter
(49).
La candidature du corps doit par conséquent être
écartée.
Celle de l'union de l'âme et du corps doit égal~
ment être écartée.
Dans la mesure où le corps n'est aucurre-
.
ment partie prenante au commandement,
"
celuV'ne peut être
exercé par l'ensemble comme tel dont i l relève
(50). Au
terme de ces raisonnements,
Socrate peut conclure:
)
...)
11
......
" > 1 . . .
, , " )
~
EnE10n
0 OUTE
TO ow~a OUTE TO ouva~~OTEpOV
EOTIV avapwna~
~
.,\\
...
?\\
' : '
J ' " ) J
,
;)
ÀE111'ETal
Ol~al
n
~nOEV aUT Elven, n ) E111'Ep Tl EOTl
...
')1
...")'
, ) \\ ,
~nOEV aÀÀo TOV av8pw11'ov ou~8alVE1V n wuxnv (51).
§
151. Dans une note de son édition commentant
ce passage (52),
le vieu:x. V.
COUSIN a
bien saisi
la port~
générale de ce passage.
wOn a
dit,
écrit-il, que l'ho.me
est
une intelligence servie
par des organes.
IL
fallait
(48 suite).
1979 pv.
]37-141;
plus récemment,
se référer
obligatoirement au travail de haute tenue scientifique d~
P.
COURCELLE:
Connais-toi toi-même de Socrate à
Saint-
Bernard,
in Etudes Aygustiniennes,
1974,
291p.
(49).
130b 2 sqq;
cr.
principe d'altérité et d'extériori.t~
(§§
147;
148;
149)~
(50).
130b 9 sqq.
(51).
130c 1-3.
(52).op.
cit,
T.V. p.6.

243
dire que l'homme est
une intelligence qui se sert des
organes. "D'après COUSIN,
le moi ne se perçoit lui-même
qu'en ayant le sentiment intime de son pouvoir sur les
organes.
Dan~ la mesure où il s'en sert, il s'en distingtte
par là même,
et en s'en distinguant1il soupçonne leur
existence en même temps qu'il reconnaît
la sienne.
Dans
cette optique,
l'hommeJc'est-à-dire l'âme nous apparait
l
comme un pouvoir de différenciation à partir d'une identit~
auto-réflexive mais simultanément capable
d'une
action rationnelle sur ce qui lui est extérieur (la matiè~f
et l'outil qui permet de la modifier - 'f § 147). Cependant ...
, , ; l ,
;"
nous avons affaire ici,
non pas a 1 aUTO TaUTO
(53) dont
(53).
Les anciens commentateurs eux-mêmes n'ont
pas comprtE,
à l'instar de R.S.BLUCK (
4;
142 sq)
le statut ontologiqQ~
, ) ,
" ) ,
de 1 aUTO TaUTO
,comme le montre cette scholie qu'on
trouve chez OLYMPIODORE (op.
cit.
2ème partie,
p.209):
naÀal UÈv KaÀe::l TnV \\jJUX~V
aUTO o~a~T6 TnV ÀOYlxnV. Nùv
" _ ,
,
U
J ,
{,..
,,~ '\\
oe:: n TOU ~lÀoao~ou ~auaaK10U
OTl aUTO n nOÀIT1Kn
aUTO
1: e::'
,
J
'\\
<..
B
. ; , (, B
' . h '
If.
"
"
u
TO aUTO n Ka apT1KB Kal n
e::WpnT1Kn ~uxn. ~nOl yap
l i
(. ' _
'l"
7 ,
~,,":I
,
_
OTl VÙV napnÀBoue::v
anÀW! e::lnOVTe::! aUTO TO aUTO Enl Tn!
_
'"
,
1 : ' )
'"
: ) ,
, \\
c..)J
nOÀ1T1Kn! \\jJuxn!
Tore:: ue:: aKp18w! e::loouaBa
OTl 0 av8pwno[
,
,
' "
t
~,,::>
..
)
,
n \\jJuxn
Kal Tl'KUptW! aUTO TO aUTOI
aKp18oÀoYnao~e::Ba
• Paü~
Olympiodore reprend
le commentaire de PROCLUS (cf.
p.210 $~)

244
l'enquête avait po,' la détermination comme une exigence
(§§
141;
143), mais bien à
l'essence propre de l'homme e~
quoi consiste sa définition
(
§
l~O). Aussi bien, Socrate
va t-i1 faire quelques observations sur le caractère de
la défdnition de l'homme qu'il vient de poser.
(53 suite).
qU'il avait,
semb1e-t-i1,
toujours sous les
yeux
(cf.
FESTUGIERE,
art.
cita
ap. Hetveticum Museum,
p.
81). Cette dernière circonstance est évidemment heureQ$€
car nous ne possédons le commentaire de PROCLUS que j usqQ 1€
116a. En tout cas,
comme nous l'avons montré (§§
142 sqq)
,
?
~
l'aulo laul1ne saurait en aucun cas renvoyer à l'âme ou
à sa partie rationnelle
(PrQc1us)
ou politique
(Damasciu~).
Disons ici que,
comme i l arrive souvent dans l'histoire ~
la pensée,
en interprétant la pensée du maître,
les épigcrme
en o~ très tôt, dès SPEUSIPPE, perdu une bonne part de
l'authenticité.
Par la suite,
les érudits en ont
beaucou~
rajouté,
s'éloignant du platonisme authentique à mesure
.
.
que le texte de PLATON était peu à peu transforaé en
simple prétexte. C'est pourquoi i l nous appartient encor~
aujourd'hui de nous ,ré-approprier cette pensée prodi-
gieuse de profondeur et de simplicité
de naiveté .ême~
c'est-à-dire de promesse et de richesse.
cf.
Addendua.

245
e. Observations sur cette
définition
(130c 5 -
130e 5)
§
152. La démonstration de l'identité de l'homm~
et de l'âme,
à
partir de l'instrumentalisme,
n'est
pas
considérée comme très scientifique
(oa~ÉOTEpOV) ( 54) par
Socrate lui-même.
Cette démonstration pfche en effet
nous;y avons fait allusion:
§
150
par deux insuffisan-
ces au moins:
l'utilisateur du corps est assimilé,
sans
démonstration préalable)à l'âme et d'autre part,
la distirrc-
tion du corps,
de l'âme et du composé des deux~est postulŒŒ
comme une évidence (
§
150). Cependant,
la plus grave
insuffisance dont souffre cette définition est d'ordre
méthodologique (
§
141:
n 21):
la connaissance du soi-
même devait être la médiation obligée de
la définition de
l'homme. Or,
voilà qu'on a abouti à celle-ci sans être pas$é
par celle-là.
§
153. Toutefois,
pour insuffisante ou non
\\ '
- .( 55)
rigoureuse
(~n aKpt8w1J qô'elle soit, elle n'en est pas
(54).
130c 5
(55).
130c 8

:::46
r
moins satisfaisante
(56)
nous dirions opératoire
et peut être posée à titre
provisoire. Car on n'a
pas dégagé l'essence de l'Atre ou
l'Atre en général
(
§
145) mais celle d'un être particulier~
,
.
, > ,
J ,
"
1 homme'.
L aUTO TaUTO c'est ce qui est par
lui-mAme ( ! 144~ ,
le principe même de
l'être
(id: § 145), tandis que
(1
-
"
}
,
l'EKaoTov 0
Tl
EOT~ est le principe des Atres particuliers.
ce en quoi se réduit l'être singulier ou spécifique co.me
tel.
Effectivement,
en tant que l'homme se réduit à l'âme
seule,
l'âme est son essence,
c'est-à-dire ce qui
le
définit comme être propre.
Le sens de ce texte (58),
si on
l'interprète correctement ne
parait donc ni "douteux" ni
"incertain" comme le croit ROBIN
(59).
Nous identifions
dans ce morceau ce qui
nous
parait être la
première échell~
ontologique de PLATON,
à deux degrés:
(56).
Ibid,
traduction Croiset.
(57).
Id.
" } 1
.- CI
: ; , "
_
(58).
130d 3-7:
0 apTl
OUTW rrwf
Eppn6n
OTI rrpWTOV
,
";Il
? ,
,
?
,
TO ,aUTO
- ~
TOU
- ~ ,
OKErrTEOV Eln aUTO
vùv ôÈ av'Tl
aUTOU aUTO
, ,
"
7 ,
EKaOTOV EOKE~~E6a "
:>
,
,
0
11
EOTI
Kal "
)
lOWf EE;apKÉOEl
OU yap
,
,
)\\
)\\
,
rrou KUPIWTEPOV lE ouôÈv av " -
:>
n~WV aUTWV <l111 oa 1 ~EV n TnV
$UXtl V •
(59).
lb,
ap.
Pléiad~, p.243 n.2 = 1277-8

24ï
J
,
,
')
,
1)
l'auTo TO aUTO
(60)
et
cJ
L'
;)
,
2)
l'E:KaOTOV o Tt
E:OTt
Il faut cependant y voir non pas une doctrine élaborée,
mais l'esquisse géniale,
malheureusement trop souvent
passée; inaperçue,
d'un
programme qui sera exécuté dans l~$
grands dialogues ditf»métaphysiques,
notamment dans le
Parménide et le Sophiste.
§
154.
Il ne sera donc
pas nécessaire de revenLT
, ) , '
",
sur 1 aUTO TO aUTO,
d'autant plus. que l'âme a
été claire-
a
l i )
ment identifiée comme l'E:KaOTOV 0
Tt
E:OTt de l'homme.
Il
faut
bien noter que dans ce passage (61)
l'âme est consi~~-
~
cl
~,
rée dans sa totalité comme l'E:KaOTOV 0
Tt
E:OTt
de l'homme.
Les lignes 130d 4-5 ne signifient surtout pas,
comme le
pense CROISET,
que pour Socrate "il
faUdrait,
pour épuiser
le sujet,
distinguer encore dans l'âme elle-même ses
diverses parties,
et surtout la raison,
au lieu de se
contenter de distinguer seulement dans chacun des ho•• es
le corps et l'âme" (62).
Une telle interprétation n'a
(60).
Il est intéres~ant de noter ici le parallèle qui
nous a
été suggéré pàr M.
Le Professeur Aubenque avec
.
.)"'.. ')\\
Métaphysique A,
999b 26:
aUTO TO EV.
(61).
130d 3-7
(62).
Ap,
Budé,
p.l05 n.l

248
littéralement rien à voir avec le texte et constitue visi-
blement un contre-sens sur ce passage dont nous avons
f
clairement dégagé le sens (63)
(
§ 153; et cf. le passage
(63).
Rappelons-le toutefois tant
le sens en échappe à
CROISET:
on cherchait l'être en général,
on ne l'a pas
trouvé;
à sa place on a trouvé le principe de cet être
il
c l ? ,
singulier (EKaOTOV 0 Tl E~Tl ) qu'est l'homme, à savoir
l'âme qui le définit proprement comme être spécifique. Il
n'est pas question des parties de l'âme,
ici. C'est la
dernière phrase du passage que CROISET comprend .très liaI:
~
,
, , " }
"
')\\
, _
")
_ ,
1\\
ou yap nou KUPIWTEPOV YE OUOEV av nuWV aUTWV .nOŒ1UEV n
Tnv wuxnv. cf. 130d 5-7. L'erreur de CROISET provient du
G
fait qu'il considère nuwv aUTwv comme désignant l'âme
(qui en effet,
définit
l'homme en tant que tel).
Hais, daQ$
ce passage,
ce terme désigne l'homme empirique composé
de l'âme et du corps.
On sait que dans cette union,
la
direction est exercée p~r l'âme seule ( j 150), dans son
unité comme essence spécifique de l'homme.
Le passage
signifie donc que dan~ le composé de l'âme et du corps,
rien n'est plus souverain que l'âme parce qu'elle exerce
le commandement
- . en effet,
elle se sert du corps. Certe:$ t
l'idée d'une âme pluripartite n'est pas absente de la fin
du dialogue(~167; 168) mais elle n'intervient absolument
pas dans le passage qui nous occupe.

249
in extenso,
n58).
On se contentera d'avoir pu identifier
l'âme comme essence singulière de l'homme. Cette iden-
tification permet de déterminer clairement les partenaire$
d'un entretien dialectique:
c'est l'âme qui s'adresse à
l'âme (64).
Parler à Alcibiade,
ce n'est ni s'adresser à
son visage (65)
ni à quelqu'autre organe de son corps,
mais c'est s'entretenir avec son âme;
car Alcibiade c'est
son âme (66).
IL semble bien,
cette fois
que l'objet du
(64).
l30d 10-11
(65).
l30e 3
(66). On a signalé le parallèle (cf. J.
PEPIN,
art. cit.
p.
63) entre les Tusculanesde CICERON l,
22,
52 et
Alcibiade l30e
, ) 1
, _
,
Cum igitur
wNosce
teWdicit
wuxnv apa n~aJ KEÀEUEl
,
c . )
,
hoc dicit
wNosce animum
yvwpl0al 0 Enl~a~~wv
_
c.
,
tuum W l,
22,
52
yvwval EaU~OV • 130 e 6-7
Nec ego tibi
hBec dicens
'7
"
" "
,
ou npoJ ~o oov npoownov
corpari
tuo dico
•• nOl0U~~EVOJ ~OÙJ ÀOYOUI
(ibidem)
l30e 3-4.
De nombreux savants pensent que la source de CICERON est
Antiochus d'Ascalon:
Boyancé,
art.
cit,
p.
210;
cf aussi
Reinhardt, Gluck ap.
J. Pépin, art. cit,
p.64. On sait

P.
D.
ait été déterminé
~161).
3. L'objet du Précepte Delphique
(
130e 6 -
132b 7)
(66 suite).
que si dans les Tusculanes (V),
l'homme est
assimilé exclusivement à son intellect,
i l n'en est pas
;
de mArne dans le De Finibus IV,
10, 25 o~ l'homme est déf~n~
darrs une perspective nettement anti-stoicienne.
comœe le
~omposé de l'âme et du corps. Cette contradiction est
difficile à expliquer étant donné la contemporanéité de
ces deux oeuvres qui datent toutes deux de 45.
On a tent~
de l'expliquer par les sour·ces divergentes de CICEROK da.rnt
on a dit,
pour renforcer cette explication, qu'il n'étaL=
pas,
en dépit de son immense culture,
un philosophe proE~E
sionnel (cf. J. PEPIN,art, cit.
pp.
60-70). Mais cette
explication n'est guère convaincante car, en général.
CICERON maltrise plut~t bien ses sources et n'a pas l'e~ri
brouillon d'un Diogèrle et
,d'autre part,
on ne voit pas
qu'il soit nécessai~e d'Atre un philosophe professionneL
pour distinguer en t.re les deux thèses évoquées tant ell~
sont opposées.

251
a.
prendre soin de l'âme
(130e 6 -
131d 3)
§
155. L'objet visé par le P.D.
est donc l'â_e
car l'âme c'est nous-mêmes:
~uxnv ~pa n~àf KEÀEUEl yvwPloaL
( . ) ,
...
(.
,
o ETItTaTTWV yvwvat EaUTOV (67).
Ainsi seule la science
ayant
pour objet le soin de l'âme
la OW$poouvn -
nous
concerne vraiment et conduit à notre perfectionnement. La
voie obligée et unique de la connaissance de nous-mêmes
passe; par l'âme.
Les techniques primaires qui portent
directement sur le corps ne nous sont,
à cet égard, d'aucu~
secours,
car elles portent uniquement sur ce qui est à
nous
(~38 n 10). La médecine ou la gymnastique ont pour
objet le corps,
et non le maîtOre du corps -
celui qui s'en
sert: §149 -
l'homme.
Ni le médecin
(68)
ni
le pédotribe
(67).
130e 6-7
1
~
(68).
131a 5 sqq;
Selon Robert JOLY ce texte" a le m~rite
1
1
de bien marquer à la fo~s la dignité de la médecine et
ses 1imites ft Cf.
Bulletin de l'Association Guillaume Budé,
1961,
p.42;
Renvoyons aussi au Charmide (156a -
156c) où
la not ion de ps ycho- soma t i sme,
massi vemen t
préva len te à
o
la médecine moderne,
est
presque élaborée.

252
t
n~ peuvent, du fait de leurs sciences propres - la médecine
et la gymnastique -
se connaitre eux-mêmes,
c'est-à-dire
leurs âmes.
La connaissance de l'â~e relève, en effet, d'une
autre science (§157).
§
156. Si les techniques primaires ne conduisent
pas à la connaissance de l'homme)a fortiori
les techniques
secondaires sont-elles encore bien rlus éloignées de pouvoir
y mener. Les techniques secondaires,
comme l'on sait (§138)~
s'occupent uniquement non pas du co~ps lui-même, mais des
biens .de celui-ci. Tel est le cas des paysans et des artisarr:.::5
"
«(,
. . . . ' ?/ \\ \\
~
. . )
(
)
en general
Ot
YEWPyOt
Kat
Ot
ahhOt
vnutOupYOt...
69.
Ils sont éloignés,
au second degré de la connaiesance de
l'âme. Quant à ceux qui ne s'occupent ni du corps lui-.ê.e
(techniques primaires) ni des biens du corps
(techniques
secondaires) mais de ce qui se rapporte à ceux-ci -
c'est
(.
,
le cas par exemple du banquier
( 0
xpnuaTtOTnf)
(70)
ils en sont éloignés au troisième degré.
§
157. Or,
si la sagesse consiste à se connaître
~
soi-même (l'âme),
tous les techniciens en sont exclus El
)\\
, ) . .
..
c
..
..
,
: > . . ,
apa Ow$pOOUvn EOTt
TO EaUTOV YtYVWOKEtV~ ou El! TOUTWV
O~$PWV KaTa T~V T€xvn
(71). Ce texte est d'une importance
(69).
131a 8-9
(70). 131c 2
(71). 131b 4-5.

253
capitale car i l établit la limite extrême de l'analogie
entre les techniques et l'Ethique (§§ 158;
188).
La ruptur~
radicale entre les techniques et l'Ethique intervient ici
sans rémittence possible.
Les arts manuels sont radic8lem~
1
dévalorisés (72) dans la mesure où, à vrai dire,
ils ne
nous concernent pas (
§
156). Ce sont des activités vulgaLJ
que l~ sage n'a pas à apprendre: 61à TaùTa on Kal BaVQUOOL
(,
,
""
t
" 7 ) , ,
~
""
a~Tal al TExval OOKOU01V E val Kal OUK avopoJ ayaeou
~aen~aTa (73). Leur vice rédhibitoire consiste pour ainsi
dire: dans leur objet même:
le corps,
simple outil
de l'âm~

149).
§
158.
La différence d'objet est, en effet,
capitale.
Les techniques ont pour objet les outils tandis
que l'Ethique s'occupe de l'~tilisateur (des outils). Le
monde technique est un monde d'objets,
celui de l'Ethique
est le lieu où se rencontrent les sujets,
c'est-à-dire où
(72).
Cf; A. MOTTE,
in A.C.,
1961,
p.12:
"Après avoir si
souvent choisi,
comme modèles d'activités humaines les
TÉxval particu1ières,ISocrate leur voue soudain un profonŒ
mépris.
C'est qu'il n'envisage plus la structure des
différents arts,
mais leur nature profonde."
(73).
1318 7-8;
cf. GROTE,
op.
cit,
p.342:" Since te.perarrl~e
consists in se1f-know1edge, neither of these professional
men,
as such,
is
temperate:
their professions are of ,·u1gŒ::Te
cast,
and do not be10ng to virtuous 1ife."

254
1
se nouent les relations entre les âmes.
Si Socrate a suivi
patiemment Alcibiade
(§§31;
159),
c'est qu'il aimait son
âme (74),
et non pas son corps,
c'est-à-dire quelque chose
qui
lui était étranger.
Aussi
bien s'approchera-t-il
d'Alcibiade à mesure que son âme emprunte la voie du progrès
moral,
et, à
l'opposite,
les
prétendants attachés au seul
corps,
s'éloignent à mesure que celui-ci dépérit

158).
Alors que le destin du corps est,
inexorablement,
de
vieillir et de dépérir,
l'âme,
elle~ peut
et doit
sans çesse s'améliorer,
devenir meilleure.
La loi
naturell~
de l'objet technique ou,
en général,
matériel,
est
le
dépérissement,
la loi normale de l'âme
la loi
éthique
donc
est le
progrès.
La fonction
propre de Socrate,
médecin de l'âme,
est d'y conduire.
b.
Socrate,
medécin de
l'âme
(131d 4 -
132b 7)
§
159. Socrate est celui qui se détourne du corp~
en déchéance pour s'occpper de l'âme fleurissante
(75).
(74).131c 9.
(75).
131d 4 sq.
cf.
Banquet 183e o~ la même opposition
est reprise et aussi la note de ROBIN ap.
PLéiade p.
244 ~_1
= 1278

255
Car le corps d'Alcibiade déjà se fâne alors que son âme.
en reconnaissant son ignorance

119).
commence à
fleurir.
Socrate reste pendant que les autres partent.
On comprend
mieux à
prése~t pourquoi. ayant été le dernier à déclarer
son amour.
i l est aussi
le dernier à
rester
(§31).
C'est
que les autres ne s'intéressaient pas à Alcibiade lui-même
mais à
ses biens.
c'est-à-dire à
son corps entré en décré-
pitude conformément à sa loi propre;
en revanche.
l'intérêt
de Socrate se portait sur Alcibiade 'lui-même
(76).
§
160.
Cependant,
l'attachement de Socrate n'est
pas sans contre-partie.
Alcibiade doit avoir
wà coeur dfêtr~

(76).
131e;
Naturellement,
on ne peut accepter l'opinion
de DUPREEL (op.
c i t . ,
p.176)
selon laquelle,
du fait
qu'en
131e Socrate a expliqué la raison de sa constance.
l'auteur
apocryphe aurait continué,malgré tout)la rédaction du
dialogue parce que l'ouvrage dont i l s'inspire ne serait pa5
épuisé.
D'où,
selon lui,
la superfluité de la forme
dialogu~.
Il compare le texte,
à
P?rtir d'ici à
une "péroraison w ou à
W
un sermon sur la ,vertqw.
En réalité,
après le règlement
de certaines questions ~pistémologiques (~S60; 61 sqq) et
l'aveu d'ignorance d'~lcibiade <tt76; 77), Socrate pouvait
parler ex professa <j 88).
Le dialogue a donc suivi sa pent~
naturelle.

256
aussi
beau que possible w•
(77).
En particulier,
i l ne doi~
pas se laisser corrompre par le "démos" athénien.
Or,
précisément,
Socrate craint qu'Alcibiade en tombant anou-
reux de celui-ci ne se "gâte"
(78) et ne devienne irrécu-
pérable. Cette crainte est d'autant plus fondée
(79) que
nombre d'hommes ayant suscité de grands espoirs sont tomh=s
pour reprendre l'expression d'un homme célèbre,
"
sous
les balles enrobées de sucre"
(80) du "démos" aux "dehors
charmants" (81).
Sur cette base,
Socrate fixe â son jeune
ami ,un programme bien précis:
i l doit s'exercer en premie=
lieu,
puis apprendre la science (82) qui sert de fondemerr~
â l'engagement et au militantisme politique. En attendant
d'assimiler cette science qui n'est autre que celle qui
(77).
131d 9 (Croiset)
(78).
132a 5 (Croiset)
(79). R. WEIL,
art.
cit.
p.77 remarque opportunément que
Socrate dégage sa resP9nsabilité quant au comportement
d'Alcibiade.
D'où,
de'nouveau,
l'hypothèse que le texte
est dirigé contre Polycrate ~ n.35).
(80).
Il s'agit d'une expression de MAO TSE TOUNG que noW$
citons de mémoire.,
(81).
132a 7.
(82).
132b 1 sq.

257
nous permet de prendre soin de nous-mêmes,
à savoir l'EthL~
Alcibiade est invité à surseoir à ses desseins politiques
et à s'immuniser plutôt pour ne pas souffrir (83).
Alci-
biade accepte ces conclusions et demande à être informé
de la ~éthode de prendre soin de nous-mêmes (84), ce qui
revient à déterminer de façon
plus rigoureuse la signi-
fication
du P.D.
4. La signification du P.D.
(132b 8 -
135e 9)
a.
le fond du problème:
l'être
(132b 8 -
132c 13)
§
161. Un progrès sensible a
bien été accompli
au cours de l'enquête.
Le soi-même du P.D.
a été identifië
(83).
132b 4
(84). Cf. OLYMPIODOR~ in Platonis Alcibiadem Priorem
;)
c.
Commentarii, ed.
F. Greuzer,
MDCCCXXI,
197 n •••
OUK
0
...
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, ,
..
t.
...
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TWV aUTOU Ent~EÀOU~EVOJ Kat EaUTOU Ent~EÀEtTat.
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. . . . .
(,/
.,\\
c,.. >
,
...

...
E~OU
~nOtV OUV
OTt
OUK 0 Ent~EÀOU~EVOJ TWV aUTOU.

258
avec
l'âme.
"Prends soin de toi-même" signifie donc ceci:
"prends soin de ton âme".
Tant que cette identification
n'avait pas été faite,
le risque demeurait que tout en
s'occupant de tout autre chose,
on crût
prendre soin de
soi-même. Ce risque de confusion a
été écarté. C'est de
l'âme qu'il s'agit de prendre soin,
non du corps ou des
biens qui s'y rapportent.
§
162. Mais à
partir de
là,
le
passage
l32c 7-8
présente une difficulté d'interprétation.
Il faut
partir
.
,
-
)
~
' ) \\ '
de la leçon des manuscrlts BT:
T1V OUV av Tponov YV01UEV
:J
..
)
,
aUTa EvaPYEoTaTa
;
SCHLEIERMACHER
propose de corriger
a~Tà qui ne donne pas un sens satisfaisant par aUTO. Dans
la foulée du savant allemand,
l'éditeur français
de l'Alci-
biade dans la collection des Universités de France,
propos~
l'adjonction supplémentaire de aü TO (cf.
Apparat critique:
'"
" a Ü TÔ
ad d end ume 0 n j e c i e f.
1 2 9 bi" p. 1 08)
e n s' a u t 0 ris a n t
de la leçon du passage 129b 1),
ce qui donne le texte
suivant: Tlv oùv~~v~p6nov YV01~EV
a0 To(8a~TO ~yapY~OlaTœ;
§
163.
Deux
~ignes d'interprétation sont possi~1e
Si l'on accepte la correction de Sch1eiermacher sans la
conjecture de Croiset; le texte
pourra être considéré
,
( " "
_
.. CI
...
comme renvoyant a
132c 1-2
Kal
UETa TOUTO ôn OTl wuxn/
(85).
Addendum conjecit Croiset.

259
,
,
, ) . . .
,
EIT1UEÀD1EOV Kal
E1J
tOUtO
8ÀEIT1EOV
).
Alors,
son sens sera:
comment savoir le plus clairement la manière de prendre
soin de l'âme? C'est donc une que;tion qui portera sur la
méthode de connaissance du P.D.
L'inconvénient de cette
;
interprétation au rega~J du texte qui suit immédiatement
)
. r , . . .
,
, ? l
, (....
)
Ù
( EITEluD 10U10 yvoY1EJ
wJ E01KEV
Kal
DuaJ aUTO J
yvwooUE8a
)
(86),
serait de contredire la doctrine anté-
rieurement affirmée selon laquelle c'est la détermination
et la connaissance de l'objet

140) qui constituent une
science comme telle
(87).
En effet,
le passage ainsi coapri$
subordonnerait la connaissance de l'objet à celle de la
science qui se rapporte à son perfectionnement. Or c'est
plutôt la doctrine inverse qui était soutenue jusqu'ici.
Nous ne savons vraiment quelle science améliore les
chaussures que si nous savons ce qu'e~t la chaussure (§ 140~.
(86).
132c 8-9
,
(87).
Dans le Premier Alcibiade,
TEXVn signifie aussi
bien
1
oO~la (sur la synonymi~ de ces deux termes, cf M. DETIE~XE
et J.P. VERNANT in Lei ruses de l'intelligence. La mètis
l
'
o.
des Grecs:
Il
La OO~la au sens archaïque du terme signifie
TÉxvn~II Paris, Flammarion, 1974 po148o

260
Nous ne voyons pas comment cette difficulté (88)
pourrait
être surmontée si l'on se limitait à la seule correction
de Schleiermacher.
§
164. La seconde ligne d'interpréta~ion suppose
l'acceptation de la conjecture de Croiset (§ 162) en sus
de la correctioy~ de Schleiermacher, ce qui correspond au
texte cité av § 162 in fine. Dans ce cas, il faut inter-
pré ter le passage 132c 7-9 en fonction du texte antérieur
129b 1-3. Effectivement,
le passage 129b 1-3 lie explici-
,.
..
A ' , , '
,
temebt le fa1t de nous conna1tre nous-memes (EO UEV aUTOl
'-
1
129b 2) au fait
de connaitre l'a0To Ta0To: T{V)~V TPOTOV
,
,
) ,
' ) ,
(/
,
, ' ) \\
,
CI
,
EUpE8Eln aUTO TaUTO;
OUTW UEV yap av TaX
EUP01UEV Tl
) ,
,
,
") ) / ) 1
:>
'>
' "
TIOT EOUEV aUTOl
TOUTOU 0 ETl OVTEf EV aYVOla aovvaTOl
TIOU.
Si l'on accepte le texte revu et corrigé de Croiset.
")
,

162:
in fine),
et si)donc)on donne à
aù TO
aUTO
de
132c 7 le même sens qu'en 129b 1, alors on constate que
c'est le même lien qui est établi entre la connaissance
,
; ) ,
:>,
A
/ . t '
-
,
de 1 aUTO aUTO et celle de nous-memes:
ETIElun TOUTO YVOVTEJ )
(88).
A.S.LUCCIONI
(ap.
R.M.M.
Le paradigme de la vision
de soi-même dans l'Alcibiade Majeur,
1974) ne perçoit pas
du tout cette diffi~ulté en contestant la traduction de
Croiset
("fond de l'être",
mais i l vaut mieux dire:
"ce
qui est par lui-même" -j144) cf.
p.198 n.l.

261
" ) /
...
( _ : >
Ù
'
wf E01KEV Kal nuaf aUTO f yvwooUE8a (132c 8-9). Cette
interprétation présente un double avantage:
d'abord elle
.
maintient sauve la doctrine professée jusque là et,
ensui~e,
elle n'empêche pas d'entreprendre l'élucidation du P.D.
C~T
(1
({
')
,
l'identification de l'âme comme EKaOTOV 0 Tl EOTl
autorise
:J
...
...
à ne pas revenir sur l'étude préjuducielle de l'auTo TO
:1
,
aUTO (§ 154).
b.
essai d'élucidation du P.D:
la métaphore du miroir
(132d
1 -
133b 12)
§
165. Le problème est d'élucider la significat50
du P.D. Cette élucidation ne s'effectue pas sans médiatiam.
La médiation sera le paradigme de la vision (KaTà TnV
')1
,
O~lV uovov) (89). On va assister à la traduction visuell~
du P.D. et au··montage· d'une métaphore· (90) -
celui du
miroir -
qui deviendra banale (91).
Il faut s'imaginer urrE
(89).
132d 3
(90).
A.S.
LUCCIONI,
art.
cit.
p.201
(91).
Saint-Paul ut·ilisera cette métaphore dans La prelliè-=e
lettre aux Corinthiens,
XIII,
12:
Aujourd'hui nous voyams
au moyen d'un miroir,
d'une manière obscure, mais alors
nous verrons face à face ••• ·;
cf.
aussi Maître ECKART cit~

262
"opération de substitution"
(92)
par laquelle on enjoindra.t.."t.
aux yeux comme à des hommes,
sur le mode du P.D.,
de se
regarder eux-mArnes (93).
Ainsi est~i1 explicitement postul~
(91 suite)_.
par Hans LEISEGANG dans La Revue d'Histoire et
de Philosophie Religieuses,
XVII,
1937,
p.145 ou bien
WITELO:
"Virtutem exemplarem appello secundum quod in ea
rerum species possunt apparere.
Qua
propria est lucis, siac~
manif~stum est in speculo materiali,
quod per naturam
lucis rerum intuitiones suscipit,
sed tamennon cognoscit~
quia in ipso non est
virtus vivificans actualiter ordinata
ad rerum exemplaria,
et idee convertere se non potest supr~
recepta ut de ipsis indicit,
quod possible est in substancra
simplici
vivente"
(ap.
Liber de
inte11igentia,
X, ~)i
sur le miroir,
cf.
toujours DANTE in Purgatorio,
XXVII,
103-8;
les monades de LEIBNIZ seront conçus comme des
"miroirs vivants" in Principes de la Nature et de
la Grâce
fondés en raison,
ed. Gerhardt,
VI,
p.
599;
KEPLER dans
Harrnonices mundi cité p~r H. LEISEGANG, art. cit.
p. 165
etc •••
(92).
l'expression est de A.& LUCCIONI,
art.
cit.
p.201
(93).
132d 8.

263
que l'intelligence du fonctionnement du mécanisme de la
vision nous permet,
analogiquement,
de mieux saisir la
signification du P.D.
Il est donc important d'élucider le
fonctionnement du paradigme de la vision.
§
166. Dire à l'oeil "regardes-toi toi-même" c'~st
l'inviter à regarder dans un objet où i l puisse se voir.
La convocation de l'image spéculaire est alors inévitable_
Car l'oeil en regardant le miroir
(94)
voit à la fois le
miroir et lui-même dans celui-ci.
br un phénomène similairf
caraçtérise l'oeil.
L'oeil fonctionne comme un miroir:
i l
est réfléchissant
(95). A.S. LUCCIONI écrit pertinemment:
WL'opération de la substitution
fonde une analogie iœ.é-
diate,
à condition,
bien sQr,
que nous rappelions lB
fonction
particulière de l'organe de l'oeil.
L'organe de
l'oeil
fonctionne
comme le miroir (Tà KaTéTITpoV) et c'est
la raison pour laquelle le .paradigme de la vision est si
)
(94).
132e 2-3:" ••• e:lf KaTOTITpa Te: Kat Tà TOla\\ha." Les
choses semblables sont,la glace,
les surfaces polies,
bref
toutes les surfaces réfléchissantes.
(95). ibidem, p.201

264
,
pr~cieux." (96). Ce qui, dans l'oeil, fonctionne propremen~
à la manière d'un miroir c'est la pupille (KaTavT1Kpù).
En effet, quand
l'oeil regarde,
grâce à sa pupille où
réside le principe même de la vision,
dans une autre pup~
il perçoit non seulement l'oeil qu'il regarde,
mais enca~~
il se perçoit lui-même dans la pupille de l'oeil regardé_
"
")
..
1 1 )
. . ,
. . ) , ; ) _
o~aaÀ~OJ apa o~aaÀ~OV aEW~EVOJ Kal E~SÀEnwv E1J TOUTQ
l . ,
)
_
..
~
(.
_
t'
"71
"'"..
,1
OTIEp SEÀT10TOV aUTOU Kal
~ op~
OUTWJ av aUTOV
1001." (~B)
)
(96).
cf.
LEISEGANG,
art.
cit,
p.
147-8:" En ce qui
concerne la comparaison de eJAme vivante,
qui.
par les
yeux,
reconnait les objets éc1air~s par le soleil, avec wm
miroir,
notons bien qu'il
s'agit d'un miroir vivant,
actif et productif,
qui
produit 1ui-m~me les images des
objets ~c1air~s par les rayons du soleil,
tandis que le
miroir mat~rie1 ne les reflète que m~caniquement." On ne
peut suivre cet auteur dans la mise en époché du miroir
e.V\\
matériel que PLATON a
bienvvue dans le contexte qui nous
concerne (cf.
n.98).
(97).
133a 1.
(98).
133a 5-6;
LUCCIONI (ib,
p.
202 n.1) a bien raison c:œ
rejeter l'interprétation de BRES
(La Psychologie de Platam.
PUF.,
1973,
p.1l1) qui prétend que Platon" refuse d'ass:t..-Ji
1er la connaissance de l'âme par- l'âme à la vision de

265
§
167.
L'oeil n'
a
pas d'autre possibilité de Sf
voir lui-même que de regarder dans un autre oeil
le lieu a'~
-
')
)
,
réside le principe même de la vision (o4>8aÀJjou ape:'tll. 1330: 4
~~3 166). à savoir la pupille. De la même manière. si l'âmœ
veut se connaitre elle doit regarder une autre âme.
et
spécialement le lieu où réside le principe même de
l'âme (99
(98 suite). l'image de soi
dans un miroir et préfère la
comparer au reflet de notre oeil dans l'oeil d'autrui.-
Comme l'a remarqué LUCCIONI.
le texte ne comporte
pas deux
paradigmes alternatifs.
La vertu propre du miroir -
sa
fonction
se réalise dans la pupille.
Ajoutons que la
métaphore du miroir ne "double" pas le paradigme de la
vision.
i l s'y inscrit à titre de relai matériel nécessair~
pour fonder l'analogie du rapport de l'oeil à lui-même
avec celui de l'âme à elle-même.
Il faudra.
par conséquent 1
comme le déclare Luccioni
(p.204)
distinguer le paradigme
(l'oeil en regardant dans
la pupille d'un autre oeil s'y
réfléchit comme danS u~ miroir) de l'analogie proprement
dite (l'âme est à elle~même ce que l'oeil est à lui-mê.e)~
(99). J.
PEPIN (R.E.G ••
LXXXII,
1969.
p.63) a noté l'iapor-
tance de ce texte

266
...
)
,
(wUxnJ
apETn,
133b 9),
à
savoir la science oV tout autre
b "
" " 1 "
..
/ J I1 " . . . . . .
,
(".
...
o Jet Slml alre:
Kal
El
aAAO ~ TOUTO TUYXavEl
O~OlOV
.
'
~V (133b 10) (100). C'est ici seulement qu'apparait l'idéE
d'une partition de l'âme car le texte déclare explicite-
ment qu" i l y a un "lieu"
(TOTTOV
)
de l'âme où i l faudra
,
~)
orienter le regard
plus particulièrement:
Kat
~aÀlaT E1I
...
:>...
..
,
.)
~"},
( . . . . ) ,
TOUTOV aUTne
TOV TOTTOV EV ~ EYY1YVETal
n
wuxnJ
apETn •••
(133b 7-9).
Rien cependant ne peut conduire à prétendre
qu'il s'agisse là du reflet d'une théorie de l'âme plori-
part~te parfaitement élaborée comme, par exemple, dans
le Phèdre ou la République.
Au contraire,
si tel avait ét~
(100).
Cette expression n'est nullement obscure comme le
croit Croiset,
pas plus qu'elle ne s'explique par des
raisons de symétrie.
Elle ne renvoie pas non plus à "la
pensée écrite",
au "livre"
(sic),
aux "oracles" ou à on
ne sait quelles "révélations" ( cf.
p.109).
Elle renvoie
simplement au modèle
"divin et lumineux"
dont parle Socrac€
cent quatre (104)
lign~s ~lus loin = 134d 6-7. La preuve
c'est que si l'on reg~rde ce modèle, on se voit soi-
même et l'on se connait tout comme si l'âme se regarde
(133d 9-11) en "cib~ant" sa partie maîtresse. Cependant
ce passage ne fait
qu'expliquer une idée posée dès 133c 7:
en effet c'est 134d 6-7 qui
permet de le rapporter à
133b 10.

267
le cas,
Platon y aurait
probablement fait,
ne fût-ce que
vaguement)allusion.
En fait,
l'idée d'une
partition de
,
l'âme est impliquée dans
l'analogie avec l'oeil.
En effet.
en 133a 6-8,
Socrate parle de la
partie de l'oeil
où réside
le principe de
la vision,
la pupille. Cette image en
s'appliquant à
l'âme assimilée à un regard,
avec son propr~
oeil
(101),
Y introduit,
par
une sorte de contamination
insidieuse,
l'idée de
partition de l'âme
(102),
sans que
Platon la prenne nécessairement à
la lettre,
du moins à
ce stade.
On voit seulement par là -que le recours à une
métaphore n'est
pas un épiphénomène dans le contexte
doctrinal où i l s'insère et ne constitue pas une opéra-
tion techniquement neutre.
Elle réagit peu ou prou sur le
contexte doctrinal ou tel
de ses aspects en lui
imprimant
une logique ou une dimension nouvelles.
En tout cas,
la
métaphore a
permis à Socrate d'élucide~ le mécanisme
interne du P.D.
dont i l s'agit maintenant de déterminer la
science dont i l relève:
la ow~poouvn.
(101).
Cf. LUCCIONI,
art.
cit.
p.
201:
" Ainsi,
l'analyse
de la
fonction de l'oeil nous
fait-elle
remonter à la
réflexivité du
"regard" de l'~me". Cet auteur a bien raisŒm
de dire qu'on peut'se risquer à
parler de
"l'oeil
de
1 ' ~me" (i b • ) •
(102) •
J~u,
I~ J>,(~M-3
~" fl,"'~ '- r~ (, ..-\\,..~VO
4'.~/
'M. \\A.A
1
V'-A~ ~~~-~ ~ r.J ~.~
~ !~
().).
( , ; -
. 1 /
\\ . 1 '
r
fL

B
C
268
c.
Le Précepte De1phique re1èv~
d'une science déterminée:
la ow~pobuvn.
(133c 1 -
133e 7)
§
168. On se souvient (
§
167) que
pOUT se
connaitre l'âme devait regarder,
dans une autre âme.
~a
partie où réside sa vertu propre:
la science ou toute aut~e
réalité similaire.
Précisément,
i l n'y a dans l'âme rien
de pLus divin
(SEI6TEPOV)
que ce qui
se rapporte à 12
.
,
1
" L
~'...
CI
,
,
connalssance et a
a
pensee:
ëXO~EV OuV ElTIEIV 0
Tl
EOTI
...
. . . ,
, \\ . . . , (1
,
")
,
,
Tnf wuxnf SEIOTEPOV (103)n TOUTO TIEpl
0
TO EIOEVŒI
TE
KŒl
...
)
~POVEIV EOTIV;(104) Socrate essaie d'expliciter son ~dée
..:.
,~,
...)/
.:>
-
dans un texte très discuté:
T~ SE IW apa TOUT EOllCEV Œl.rrnJ
,
)
-v
,
' - v ,
-v
~
,
Kal
TIf Elf TOUTO BÀETIWV Kal
TIav TO SEIOV YVOUf
8EOW TE
' l
, " " ,
Kat
~pUVnOIV
OUTW Kal
EaUTOV av yVOtn ~ŒÀloTa (lOS).
§
169. Dans un article de 1921 (106), Louis HAVIT
tenta déjà de situer et de régler la difficulté de ce
(103).
SEl6TEPOV T:
~OEPWTEPOV B, cf. Croiset: p.109.
(104).
133c 1-2
(lOS).
133c 4-6.
(106).
Alcibiade 133c.
ap.
Revue de Philologie, de titté-
rature et d'histoire anciennes, XLV,
1921.

269
passage.
Selon lui,
la réplique de Socrate a quelque
chose de curieux dans la mesure où
·tout le divin· de
l'âme humaine est décomposé
W sans
préparation aucune.
en deux parties,
dont l'une serait ~povnolf
et l'autre-
SEOf "'(107). Ceci est d'autant plus étrange que • ce que-
l'Ame a de plus intellectuel et qui doit se confondre
avec le dit
wdivin w vient
d'~tre décomposé en deux partie-$
.,
moins disparates:
l'E16fval
et le ~povEiv " (108). Pour
résoudre la difficulté,
Louis HAVET proposa simplement la
corr~ction de SEOV
par Sfav , la contemplation.
tout en
laissant le soin,
dit-il, aux connaisseurs de la langue
de Platon, d'examiner si le sens ici requis de aÉa~ est
,
s,
) ~,
pertinent. En effet,
si
Eai est synonyme de EluEval

alors
W
la bizarrerie de notre passage
W
disparait en mêœ~
temps qu'
wun anachronisme intellectu~l, l'idée du SEôf
intérieur à notre Ame
W
(109). A l'appui de sa thèse. L.
Havet formula l'hypothèse d'une "mutilation .at6rielle"
de nos manuscrits actuels car la correction qu'il propos~
permettait selon lui de conserver (110)
le texte qui nou~
------------,
(107).
Ibidem,
p.87
(108).
lb,
p.87-8.'
( 109).
lb,
p. 88 •
(110). Corollaire de cette conjecture:
Eusèbe a
d~iSPOS~
d'un texte non mutilé (p.
89).
Nous sommes déjà arrivé
à une conclusion semblable sur une base moins risquée.
semble-t-il (
§
136 n.7)

270
est donné par Eusèbe en 133c 8-16. Ce passage se raccorde-
rait mal avec le reste du texte et d'autre part,
le texte
des manuscrits serait déconcertant
W
pour le même motif
de discontinuité logique W puisqu'on passe du OEtov
de
l'âme à la ow~poouvn sans savoir pourquoi (§172).
§
170. Si cette interprétation a été acceptée par
des interprètes plus récents (Ill), elle a été déclarée
Wuntenablew par Friedlander (112). D'abord,
le terme
VOEPWLEPOV W is a neoplatonic interpretation for 8El0LEPOV
The word is not platonic. w (113).
Ensuite, en 135c 5:
" LE Kcxt makes a unit y of 8EOV LE Kcxt ~pOVnOl\\1." En
troisième lieu, d'après le savant allemand
wThe judgment
wsans préparation aucune w would apply to 8Eav ft que L.
Havet proposait à la place de 8EOV (§ 169). Enfin. en ce
qui concerne le texte d'Eusèbe, Friedlander écrit:
W
Havet
(111). Cf. P.M. CLARK par exemple, art. cit. p. 237:
W
The change is a simple .one,
involving only a single
letter,
andcan easily be explained by the occurrence of
8El0LEPOV , 8EW
and 8~10v
in its immediate contexte 9Eav
is a good Platonic word,
but is not so common that i t aight
not undergo corruption. w
(112) Ap. Plato, II.
p.237 n.16 = p.352
(113). Ibidem, ad.
loc. cit. p.352.

271
concedes that the addition
found in EusebiUs and Stobaeus
does not
fit
clearly into the contexte
But he assumes tb~e
must be a big gap in order to find a place for
this
addition.
On support of the hypothesis he claims that evem
according to the Plato mss
." le lecteur saute brusquemeatt
à la oW$poouvn
sans comprendre pourquoi" suggesting thac
this alone justifies the assumption of a gap.
The reply
is that OW$pOOUvn
entered into the discussion back in
131 Band staken up again here W (114).
§
171. En ce qui concerne le second point, si
l'on prend 8EOV
(115) dans un sens fort,
il apparait
certainement gênant. Toutefois, on s'attend plutôt à voir
reprise, en 133c 5,
la même expression qu'en 133c 2: Ta
:>
,
El0Eval TE Kat $pOVE1v.
L'ensemble du texte aurait été:
.
:>
...
, ) 1
. . . ) 1
: J . . . ,
(I!
_
,
,
T~ 8E1W apa TOUT
E01KEV aUTnf Kal T1fVTOUTO 6ÀEnwv Kal
_
,
_
: > ,
,
" , c;.
, ' ) 1
nav TO 8El0V
El0Eval
TE Kal $povn01V
OUTW Kal EaUTOV au
yvoln uaÀloTa.
En fait,
non seulement ce texte est plus
naturel, mais encore il reflète certaine~ent ce que penSE
l'auteur de l'Alcibiade. Car la connaissance et la pensée
sont assurément,
si t~nt est qu'il y en ait, ce qu'il y ~
de plus divin en nous~ De sorte que, naturellement, pour
,
(114).
Ibid,
p.352
(115). On peut penser, avec P. COURCELLE op. cit p. 32-3~
qu'il s'agit du démon de Socrate.

272
avoir une connaissance approchée du divin,
c'est vers
elles que doit se concentrer notre attention. L'expressio~
) '
Et6Évat TE Kat ~p6vnatv désigneraib
donc la connaissance
et la p~nsée orientée vers la vertu (116) et ainsi s'ins-
crirait
dans l'Ethique.
§
172. Quant à la présence de aw~poaUvn, seul le
lecteur pressé ou inattentif ne la comprendrait pas du
tout en 133c 17. A cet égard,
ce n'est pas son emploi en
131b 4,
donc 124 ou 115 lignes supra selon que lion co.pte
ou nàn le passage suspecté d'Eusèbe,
qui est probant et
qui permet de comprendre sa présence en 133c 17. Car .ème
le lecteur attentif a pu oublier son emploi en 13lb,4.
(116). On sait en effet que la vertu nous fait ressembler
à la divinité: Théétète 176b c , République II, 383c, VI,
500c d,
X 617b,
Lois'IV 711c sqq et même dans les Mémc a
de Xénophon,
l, 6, 10. A cet égard, cf l'introduction de
Proclus, 0' Neil,
p.4 Qui déclare justement que celui qui
atteint la connaissande de soi
-by beginning at the
beginning can be uniF-ed with
the god who is the revealer
of the whole truth and guide of the purgative l i f e ,
but b~
who does not know who he is,
being uninitiated and profan~
is unfit
to partBke of the providence of Apollo
p 4
(5-6).

273
L'argument probant quant à son second emploi (117) est le
contexte des développements éthiques où i l s'inscrit sans
problème particulier. Que l'on conserve ou non le texte
d'Eusèbe,
l'introduction de la ow~poouvn n'a rien de
brutal ou d'inattendu puisque la fin du texte im.édiateme~tt
antérieur (133c 5-6 : 08TW Kat ~auTèv ~v yvoîn ~&ÀloTa)
,. ,
dit à peu près la même chose ( 133c 15: av ~alloTa
•••••
,
,~~
Ù
Y1YVWOK01~EV n~af aUTO f) que celle du texte suspect. Il
s'agit simplement de nommer la science dont relève le P.D __
Friedlander a nonc certainement raison sur le fond de
cette question.
§
173. Cependant,
plus difficile à trancher est
la question de savoir si le texte que nous trouvons chez
Eusèbe (118)
(et Stobée) est authentique ou non.
De
(117).' On retrouve ce terme 9 fois dans le dialogue: 4
substantifs et 5 adjectifs.
Il est employé 3 fois dans
le pasSage politique:
~ substantif, 2 adjectifs (122c 4,
121e 7, 122a 4).
A partir des développements éthiques de
la fin du dialogue,
~1 est employé 6 fois: 3 substantifs
(dont 2 après 131b 4) et 3 adjectifs (tous après l31b 4):
131b 4,
133c 17, 134c Il,
134a 13,
134b 5,
134d 1.
(118). Cf. La préparation évangélique (p.
324, Est.)

274
nombreux savants (119) pensent, en particulier du fait de
l'idée du SEO! intérieur à l'âme, qu'il est une glose néa-
platonicienne, et peut-~tre chrétienne. D'autres, au
contraire, se fondant sur la présence de ce passage, en
tirent argument pour déclarer le dialogue inauthentique.
Tel est,
par exemple,
le cas de JAEGER (120) qui
essen-
tially on the basis of this textual expansion, considers
the Alcibiades an attempt by a
pupil of Plato to ancbor
the problems of Plato's earlier period in a dogmatically
fir~ principle: in the mysticism of the late_ Platonic
theory of the nous.- (121).
D'autres encore pensent que ~Œ
(119). CROISET, op. cit.
voi 1,
p.110 n.1; FRIEDLANDER,
op. cit. 2, p.
351 n 14; ROBIN,
op. cit.
p.247 n 1 = 127ff;
A. FESTUGIERE dans R.H.R., art,
cit,
p.39:
l'interpola-
tion mystique de 13Jc 8-1~ est due tr~s probable.ent i ua
néoplatonicien-.
(120). Pour le texte de JAEGER, cf. ARISTOTLE, Oxford, 194i2
(121). FRIEDLANDER,ib,
p.351 n 14; le poirit de vue ~e
J~eger a été rejeté p~i E. DES PLACES in R.E.G., XLIV,
1931, p.164; d'une mànière générale,
pour les arguments
pour ou contre l'1~~lusion du texte d'Eusèbe, cf. BE((ER
Plat~n1s ••• Scrip~a Giaece omnia, London, 1826. VI, 127
sqq.

275
maintien de ce passage est tout à fait nécessaire à l'in-
te11igence du texte. C'est ainsi que R.S.BLUCI (122) note
contre CROISET et FRIEDLANDER qu'en rejetant le passage
133c 8-16 W the Àa~TIp6v
at 134d (Wcontemplating that
which is divine and bright,
as we said before-) i s hardly
intelligible without
them
i t must be intended to recaIL
the
Àa~TIp6TEPOV at 133c; and the ana10gy of the eye ~ou1d
be unsatisfactory,
whi1e the eye can see itself in another
,
>.,1
~
_
,
sou1 and nothing e1se.
l
take Kal ElJ aÀÀo ~ TOUTO TUYXŒVEL
,
-
)1
OUOlOV 0 at
133b as preparing the way for mention of the
Wfairest mirror w of our minds,
which is God
- (123) La
démarche de WIGGERS est la même,
qui (124)
W has pointed
out
that in Stobaeus
the 1ines immediate1y after the
doubtfu1
passage
TC ôÈ ylyvwOKElV ••••••
1T&V~YE
are found repeated before the passage as we1l as after,
and he suggests that when
this had occured i t would be
easy for
the 1ines to fa11
out by homoiote1euton.
As these
1ines complete the simi1e introduced at 132d and are
probab1y referred back to in TC 8Eiov Kat
Àauw6v at l34d Î
i t seems safer to keep them.
l
do not
think impossible
to suppose that P1ato wrote them. w Enfin,
i l J a ceux qui
(122). Qui n'attribue toutefois pas la paternité du di81o~
à Platon.
(123). cf. C1assical Quarterly,
1935, 53,
p.
(124). cf. P. CLARK, art.
cit.
p.
236-7.

276
reconnaissent solidairement l'authenticité du dialogue et
celle du passage incriminé. Ainsi BOYANCE (125) en se
référant à CICERON et à ANTIOCHUS note que
-l'importance
donnée par eux ·au caractère divin de l'intellect e~ à sa
liaison avec :Dieu se comprend mieux encore s'ils lisaient
le texte plus complet connu d'Eusèbe-.
En s'appuyant sur
les ressources internes des dialogues,
André HOTTE aboutit
au même constat. Car,
selon lui,
la présence de l33c 8-16
non seulement ne durcit pas la pensée de Platon, mais
encore i l est indispensable à la bonne compréhension du
texte (126)
- De nombreux textes platoniciens (127) foot
état,
dit-il',
soit de la nécessité pour .l'homme de se
rendre semblable à Dieu,
soit du caractère divin de l'A.e.
soit encore du caractère divin des Formes,
objet
ulti.e
de la connaissance ultime·.
(12S). R.E.L., art. cit~ p.224.
'('126). cf. 'Antiquité ,Cilassique, art. cit,
p.27.
(127). Textes auxquels renvoie l'auteur à l'appui de sa
"thèse: République S8ge, SOOc,
SOOe, 611e, 613a; Phédon
82a-b,
Ph1lèbe 62a~ Théétète
176a-e; Timée
90a-e;
Lois
176a-e, etc.,

277
174. Malgré que nous en ayons (128),
nos
conclusions sont assez voisines de celles de A.HOTTE, av~

une nuance toutefois:
le passage ~'est pas indispensable
à la bonne compréhension du texte. Que dit le passage?
Rappelons d'abord le passage qui précède. La partie de
l'âme où réside la connaissance et la pensée est ce qu'iL
y a en elle de plus divin (129).
De sorte que celui qui
la fixe et sait découvrir ce caractère divin, à savoir
e /.L.J'
1
.
.

€O~l~Kal $pOVn01V a davantage de chance de se conna1-
(128).
Pendant longtemps)nous avons pensé sur ce point
comme Friedlander et Croiset· mais sans avoir prêté suffisa
ment attention aux possibil~tés d'éxégèse interne. Il famt
J
aussi se reporter à un texte peu connu de A. Festugière
sur les modes de composition des commentaires de Proclus e
en particulier l ' append.ice "Sur le sens spécial de TÙ
wpayuaTa dans le Commentaire sur le Premier Alcibiade.
art.
cit.
p.94 sqq.
(129). LEISEGANG in R.H.P.R.,
art.
cit.
fait le rappro-
chement 'avec un ver~~ du livre de la Sagesse où la Sa8es~
en tant que Saint-Esprit est appelée
" une splendeur de .ILa
lumière éternelle 'et un miroir sans tAche de la majesté
de Dieu et une image de sa bonté"
; cf aussi Sap.
VII. 2ffi
et Odes à Salomon,
13.
Il est regrettable que ce savant ~
montre pas toujours vers quoi tendent,
du point de vue
heuristique et exégétique, ~es parallèles.

278
tre (130). Alcibiade acquiès<eà cette position (131) et
immédiatement après vient le texte d'Eusèbe (132):
r J " l - ; : '
t . I "
,
,:>
. ' ,
... ;)
...
:Ap oov OTl WOnEp KaT onT pa EOTl oa$EOTpa TOU EV T~
,
... "
{
,
{
6
a
o$SaÀ~w EvonTpov Kal KaSapWTEpa KaL Àa~np TEpa
OUTW
.
!CClI
(.
,
- ... .,
... ( . ,
. . . ,
"
o SEO! TOU EV Tn n~ETEp~ wuxn 8EÀTlOTOU- KaSapWTEpoV TE
, 1
, ; > 1
Kal
Àa~npOTEpoV TUYXavEl OV;
Comme on le voit,
le texte explique pourquoi celui qui fix~~
pQ~t~la plus divine de son âme a le plus de chance de se connat-
tre. Par rapport à l'oeil,
le miroir est un modèle,
ce
n'est-pas le miroir qui fonctionne comme l'oeil mais
1 ~ inverse (§ 166). Le miroir est un modèle de clarté, de
pureté et de luminosité pour la pupillè. Ce que le miroir
est à la pupille, le dieu l'est par rapport à notre intel-
ligence
car il faut se souvenir que c'est ainsi qu'en
133b 9 est appelée
justement la meilleure partie de notre
âme (oo$la).Le dieu est dpnc le miroir de l'âme.
En
regardant vers le dieu,
l'intelligence de l'âme s'y reflète_
Car ce que la meilleure partie de l'âme est imparfaite.entp
relativement
c'est-à~dire intelligence (139b 9), le
die~~l'est parfaitement;- absolument. Dieu est tout entier
Intelligence dont la mèilleure partie de nous-.êmes n'est
(130).
133c 1-6
(l31)~ 133c 7
(132). 133c 8-11

279
qu'une parcelle. Si l'on nous autorise cette métaphore.
nous dirons que l'homme est une étincelle du Feu Di.in ID~
pour mieux dire de la Lumière Divine.
§
175. Cette interprétation est probablement
exacte puisqu'elle est confirmée par la suite du texte
d'Eusèbe:
}
. . " ) '
,
)
(
,
" ) ,
f
~ JI
El! TOV apa aÀE~OVTEJ EKElV~ KaÀÀ10T~ EvonTpw XP~UE8 a~
..
~
(
")
. . . . .
;,
,
..
CI
11
Kal TWV av8pwnlVwv E1J TnV wuxnJ apETnV
Kal OUTWJ av
UŒÀ10Ta tp~UEV Kat Y1YV~OK01~EV ~~àJ a~Toùf (133).
En-effet, si le dieu est le miR3ir de l'âme (§ 174) c'~~
vers lui que celle-ci doit se tourner pour se voir
eD
se regardant elle-même
- Miroir de l'âme, le dieu est ~s
le miroir des choses humaines car dans la mesure oi
l'homme n'est rien d'autre que l'âme (§§ 149; 150; 151)~
les choses humaines ne sont'que les choses qui se rapparte
à l'âme, et ce qui se rapporte à l'âme est ce qui est
humain. Ainsi c'est d'après le dieu que l'on peut juger
de la vertu propre de l'âme (§ 174), à savoir la ootta
puisque 'celle-ci n'enfst qu'une étincelle ( § 174). Ce
fais~nt~ nous pourrons nous voir et nous'conriaitre dans
la mesure oi le die~ nous renvoie notre image à partir ~
son modèle. Si notre interprétation est fiable (§ III. ~4
(133). 133c 13-15.

280
le 8EOV
de 133c 5 ne présente plus de difficulté majeure
mais i l faut lui reconnaitre (et lui conserver) son
~
1
amphibologie:
l'Et6EVat
est 8EOV
par sa participation
au divin et d'autre part,
i l renvoie au 8EO!
socratique
(134). -Finalement,
ce terme désigne ici un ensemble
d'associations d'idées très riches que la reprise du
~
1
terme Et6Evat
n'aurait pas permis de suggérer entière.ent_
Ainsi comme on le voit,
ce sont les seules ressources
internes du texte qui nous conduisent d'une part à
authentifier le caractère platonicien (135) du texte tiré
(134)."Certes,ce sont li des formes de pensée et des
combinaisons bien déroutantes' parfois pour un moderne
même lorsqu'il est platonisant. Mais la tâche propre de
l'interprète est de comprendre la doctrine pour·elle-mê.e~
et non à partir de ses normes propres ou des idées actuel-
les. Toutefois,
pour qui"arrive à s'installer dans les
habitudes de pensée des Anciens,
quelle profondeur,~quelle
sagesse dans ces associations d'idées apparemment
déroutantes!
,
(135) Evidemment,
i l reste encore le problème des, deux
termes synonymes:
K~tO~TPOV et lvo~TPOV. En effet, Platoa
utilise en général le' premier terme:
République III:
402b 6, X:
596d 9; Théétète:
206d 3, 193c 7; Lois-X: 905b 5

281
(135 suite). Timée:
71b 4,
72c 4; Sophiste:
239d 7,
23ge 5.
23ge 7;
Phèdre:
255d 6; Craty1e:
414c 8.
Pour ce qui est de
l'Alcibiade, i l intervient deux fois cf.
Fried1ander, op.
1
cit.
p.
351:
••••
in the mss of the P1ato'text,
KQTOnTpov
occurs twice,
whereas the expansion shifts from one occur-
H
rence of KaTonTpov to two of EvonTpov.
P1ato (according to
1
Ast, Lexicon P1atonicum ••• )
uses on1y KQTOnTpOv,
never
~EvonTpov and seen rather disturbing 'in the concise discus-
sion.· C'est à peu près l'observation de R.S. B1uck:
~
" The word used for mirror at 133c (EvonTpov) occurs, so
far as l
can discover, in no prose work of the period Bpar~
from Aristot1e's,
but i t reminds us of Eudoxus'chart of
the heavens ca11ed by that name" ap.
art.
cit. p.49 n.5.
Mais P.M. Clark rejette la position tendant à suspecter
~
l'emploi de EvonTpov et critique rudement B1uck:
The
weakness of this attractive view is that
there seems to be
.
~
.
no necessity f or ~t, EvonTpov ~s ca11ed for naturally by
1
the context,
where KQTOnTpOv was reserved a1most exc1usi-
ve1y for mirrors,
i,e o~jects manufactured for that purpose.
~
'
whi1e (vonTpov means an~ ref1ecting surface, and would
therefore to be right word in the passage under discussion.
(The distinction can be maintained,
l
be1eive. though i t
is not,necessary, in the long passage of Aristot1e. nEpl
)
1
EVUnV\\WV 459b-460a).
However B1uck's other interpretatioD

282
d'Eusèbe, et d'autre part,
à conserver la leçon des manus-
crits en ce qui concerne le passage 133c 5.
§
176. Reprenons l'analyse du texte.
Pour lIieux
nous voir et partant mieux nous connaitre, nous regardons
(135 suite). of the Alcibiades passage is unsatisfactory
because i t would not
fully complete the simile.
We have
begun with reflections in mirrors 'and in the eyes of our
friends,
we should end,
by chiasmus,
with reflections in
the souls of our friends and in something much larger
i,e God.
Bence,
l
would prefer the astronomical
inter-
pretation with or without Eudoxus w,
art,
cit.
p.
239 n.S.
Sans doute l'explication de la présence du ~VO~TPOV par
le contexte est-elle interessante mais i l faut comprendre
que le texte d'Eusèbe doit être pris comme un tout. En
plus, i l faut se résoudre à l'idée qu'il n'y a pas nécessai-
rement de raison particulière à l'emploi d'un terme plutœ~
que d'un autre:
parfois c'est le mot qui s'i~pose à la
)'
~If
plume. De toute façon~ le terme EVO~TpOV a dlraire partie
très tôt du vocabula~re de Platon quoiqu'il ne l'emploJâ~
,
pas souvent (mais nous n'employons pas nécessairement
tout notre fond lexIcal) car i l est attesté depuis Eurip~~e
au moins: Hec.
925, Or.1112.

283
donc vers le divin. Cette connaissance de soi-même
constitue la ow~poouvn (§§ 155; 157). C'est elle qui nous
fournit les critères fondamentaux de discrimination du
'"
:>
""
l
')
'"
~
,
bien et du mal:
°Ap
OOV
~n Y1YVWOKOVTEf
~~af aUTouJ
"
)1
,
71
~,
,
(.
,
,
_
~nÔE ow~poVEf OVTEf ôuval~Ea av
ElôEval Ta n~ETEpa aUTW~
KaKa TE Kat ~yaaaj(136). En dehors de la ow~poouvn, nous
ne sommes pas en êtat de savoir,
parmi nos affaires,
lesquelles sont bonnes et lesquelles mauvaises.
Ainsi c'est
bien l'Ethique qui commande la connaissance de toutes nos
activités,
techniques notamment. Car i l est impossible
de distinguer entre nos biens propres et ceux d'autrui si
1
nous n'avons pas la ow~poouvn et, ne sachant pas quels
biens sont à nous,
nous ignorons nécessairement ce qui em
dépend.
§
177. On perçoit immêdiatement la difficulté
(137) que prêsente cette d.octrine par rapport aux positia,ms
professêes antêrieurement
(
§§
155;
156; 157) selon
lesquelles certains hommes,
tout en ne se connaissant pas
eux-mêmes,
pouvaient c~nnaitre soit leurs biens propres,
soit ce qui en releva~t. Autrement dit, la difficulté
concerne la possi bili--té même d'un savoir technique autonaGPe
et,
par delà,
la réalitê de la compétence tant de fois
.(1361. 133c 20-22.
(137).
133d Il sq.

284
,
affirmée des techniciens (138). Plus radicalement,
c'est
la possibilité même d'un savoir spécialisé et parcellisé
')1
"
...
t
qui est questionné:
E01KE yap naVTa TaUTa €
val KaTlôElV
c.
6
,.......,
t "
"
.......
,
--..
EV J TE Kat UlaJ TEXVnJ (139)auTov,
Ta aUTOU, Ta TWV
(.
...
EaUTOU (140). C'est une double unité qui est posée ici:
celle du sujet connaissant (EvaJ) et celle du savoir lui-
même (UlaJ TÉxvnJ).
Le même homme,
celui qui est aw~pwv
embrasse d'un seul regard les trois régions constitutives
c . ,
,~...,
~
du Savoir: aUTOV) Ta aUTOU } Ta TW'" EauToù (141). Cependant~
ce serait une méprise profonde que de prendre ce texte en
son sens obVie: à savoir,
s'imaginer le o~~pWV comme le
praticien des techniques primaires et des techniques secon-
daires. Cette conception correspond à l'idéal de polymatbie
d'un Hippias (142) se vantant de s'être rendu à Olympie
sans rien qui ne fût fait de sa main:
de son anneau à son
(138).Cf.
par exemple,
l'Apologie,
22d-e.
(139). On ne s'étonnera p~s de voir tous les domaines du
savoir subsumés sous ce te~me uhique:nous en avons déj~
dégagé le fondement théorétique (§§ 51; 52).
(140).
l33d ll-e 1-2; cf J. GOULD. T.D.P.E.
p. 35 n.l;
A. MOTTE ap. A.C., art.
cit.
p.12.
(141).
l33e 1-2.
(14~). cf. Hippias mineur: 368b 1 - 369a.

285
flacon d'huile,
en passant par ses chaussures. Elle est
étrangère à Socrate et à Platon. L'unité du savoir doit
plutôt être envisagéeen termes de hiérarchisation de ses
différentes régions.
De même que les techniques secondaires
sont subordonnées aux techniques primaires
qui en déter-
minent l'emploi selon le bien du corps
W
(~39), de même
ces deux formes du savoir prises ensemble sont subordonnées
à la ow~poouvn qui détermine leur emploi selon le bien
de e'âme. Les techniques courantes ne peuvent être laissées
à elles-mêmes car alors elles s'enfermeraient dans leur
espace de rationalité propre (§§
137;
138;
139). Elles
n'auraient d'autre loi que celle d'une efficacité aveugle
(143). On comprend mieux maintenant les raisons du discré-
dit où Socrate avait d~se résoudre à jeter les techniques

157). Laissées à elles mêmes,
les techniques peuvent
servir indifféremment le bi~n ou le mal. Elles n'ont aucune
sorte de préoccupation téléologique. Pour qu'elles seryent
le bien c'est-à-dire en définitive nous-mêmes, la directiom
unique de l'Ethique leu~ est tout à fait nécessaire. Elle
1
règle-leur usage d'apr~s son SEÀTIOV propre
(
§§
47; 48;
1
49;
50; 51; 52). -
q~l est en même temps le SEÀTIOV
ultime de toutes les techniques:
le bien·. Comment s'étonner
(143). Cf. A. MOTTE,
art.
cit.
13; J.G.,
op. cit,
pp. 32, ~.

286
alors que la ow~pOOUvn soit le fondement de l'activité
politique comme telle?
d. La ow~poouvn comme fondeaen~
du politique ou du bonheur -
la quête de la vertu.
(133e 8 -
135c Il)
§
178. Si la doctrine de l'unité du savoir est
,
,
,
-
"li
exacte, alors
'
'"
-,
1
TŒ ŒUTOU
-
ŒYVOEt
KŒt
TΠTWV a~~wv
(144)
) ' }
-
,
; ; ) ,
Il
,
~OU ŒV ŒYVOOt KŒTŒ TŒUTŒ (145)
Or si 1 on ignore ce qui
est aux autres,
on ne peut savoir ce qui relève du doaain~
des affaires de l'Etat et par conséquent on ne saurait
devenir un ~v~p ~o~tLtK6J (146), a fortiori ne saura t-il
s'occuper correctement des affaires domestiques car cell~$-
ci,
ne l'oublions pas,
sont éloignées de nous-mêmes au
troisième degré
(
§
156). Ainsi celui qui est privé de
ow~poouVn ne sait même pas ce qu'il fait et est condaané
à l'errance de l'opinion, donc à l'erreur. De sorte que
(144). Cf.
R.S.
BLUCK~ art. cit. p.50: Wlt is clesr ••••
, 'l"~
.'
that
TŒ ŒAAWV,
50 far as
the statesman is concerned, are
not subjects in whièh
the ~~~Ot are specially well quali-
fied,
but things that are
'good'
for
them w•
(145).
133e 4-5
(146).
133e 10

287
, ,
dans sa vie privée ( tôta ) et dans la vie publique

( ôrHlOOta
) (147) il aura une mauvaise conduite, rendant
de ce fait malheureux et lui-même et ceux dont i l gère
,,,
"':,
) ,
,
les affaires. D'où: OUK apa OtOV TE Eav ~n Ttf aw~pwv
, )
,
...
? ,
t
Kat aya60f n EUÔat~Ova E vat (148).
§
179. Les hommes mauvais sont donc malheureux.
La richesse qui ne manque pas à Alcibiade (§ 32) ne peut
pas empêcher le malheur (149) parce que, nous le savons
déjà ( §§ 139; 156), elle ne œous concerne guère. Il n',
a que l'apprentissage et l'assumation de la aw~poaûvn
pour nous conduire au bonheur. Toutes les techniques et
tous les biens matériels qui leur sont liés ne suffisent
pas à fonder le bonheur de l'Etat 6i, du moins, ils ne
sont pas placés sous la direction unique (§ 177) de la
' "
. . . ; ) "
; ) ,
,
vertu:
OUK apa TEtXwV OUÔE TptnpwV OUÔE VEwptwV 6ÉovTat
c.
6
%
,
,~
,
1
_?~ """'"
,
at n ÀEtf
w
AÀKtataun
El ~EÀÀOUOtV EUuat uOvnaEtV
; > "
: ) ,
L.
')\\
)
...
OUÔE nÀn60Uf OOÔE UEYE600f aVEU apETnf (150). Le Gorgias
s'exprimera dans des termes presque identiques:
)lAVEU yàlX--
awc!>pooûvnf KatôtKatOOûvnf Àt~Évwv Kal VEwptwv KCli TE1XW'U
"
"
. . . . > ,
"
Kat. c!>OpWV Kat TOtOUTWV c!>Auaptwv EunEnÀn Kaat TnV 1TO).\\V (51.
\\.00"
(147) 134a 6
(148). 134a 13-14
(149). 134b 4:sq.
(150). 134b 7-9
(151). 519a 1-3-

288
De l'Alcibiade au Gorgias.
la ligne est la même:
la
critique systématique des biens matériels posés dans
l'idéologie courante comme le nec plus ultra de la poli-
tique. Or toute politique est condamnée à l'échec
(152) sf
elle met en époché ce qui se rapporte directement au suje~
politique, c'est-à-dire à l'âme
car l'âme est le seul
véritable sujet de la politique
pour privilégier
l'intendance du corps et de ses biens. Dans la perspec-
tive socratique,
l'efficacité réelle d'une politique, la
condition fondamentale de son succès est liée à sa capa-
cit€
à faire de la vertu le vecteur de son projet de
société comme on dit aujourd'hui.
A cet égard, aucune de
nos sociétés modernes n'échapperait à la sévérité et, nous
semble-t-il, à la pertinence (153) des critiques socratiqme
(152). Gorgias:
519a 3 sqq.
(153). Aussi bien le platonisme, même s ' i l est relégué
. '
- "
-
,
> ,
. '
dans les salles closes des Université~ ei abandonné aux
com~entairei ~inutieux'de Professeurs érudits, garde toute
son actualité et toute sa capacité à investir les questioms
fondamentales de la soc~~té ~ont~mporaine. Rien n';nter-
dit donc de s'inter~oger sur l'actuafité du platonisme
auj~ur~'hui. On l'a fait il y a quelques années de fort
mauvaise manière en accusant littéralement Platon

289
§
180. Mais comment
le jeune Alcibiade pourrait-il
(153 suite). accusation mille fois absurde
d'être
l'inspirateur du totalitarisme moderne.
De B.RUSSEL ( The
Practice and Theory of Bolshevism,
1920; A history of
western Philosophy, New-York,
1945) à K. POPPER (
Open
Society, London,
1966) en passant par R.H.
CROSSMAN
(Plato To-day, Oxford,
1939) et Werner FITE (The Platonic
legend, New York,
1934),
c'est le même procès instruit,
envers toute vraisemblance historique et tout scrupule
scientifique,
èontre un homme qui demeure 2410 ans après
sa naissance la plus grande "gloire" de la vraie philoso-
phie,donc de la pensée libre.
Ce procès absurde montre une
fois de plus l'extrême difficulté de certains modernes, eœ
dépit de leur érudition,
à pénétrer la mentalité et le
mode de penser des Anciens.
S'il est heureux que quelques
bons esprits aient pris courageusement la défense de Platœm
( notamment R.B.
LEVINSON:
In defense of Plato, Harvard
University Press,
195~ et A.D. WINSPEAR: The Genesis of
Plato's thought,
New York,
1940),
i l reste à reprendre
cette question par la critique systématique de toute la
littérature sur ce sujet pour mieux penser,
dans un double
effort scientifique et polémique,
la troublante actualité
d'une pensée qui n'est ancienne qu'en vertu de son acte
de naissance.

290
offrir à la Cité ce dont i l est lui-même,
privé? Par consé-
quent,
sa tâche première est de se former dans la vertu
-
, ' ,
( ~pWTOV KTnTEOV apETnV,
134c 5), ce qui est au demeurant
un préalable de toute activité,
publique ou privée ( 134c S;
et déjà § 178). Alors,
la question n'est pas de rechercher
le pouvoir absolu ou la liberté de faire ce que l'on veut
(133c Il sq;
et déjৠ34),
mais i l s'agit d'avoir en vue
comme projets programmatiques la justice et la sagesse
(6lKaloo6vnv Kal ow~poo6vnv, 134c ID-11) ou encore d'agir
en prenant pour modèle ce qui est divin et lumineux
')
,
...
,
, t ...
( Elf TO 8ElOV Kal
Àa~~pov OPWVTEf ) (154). Puis Socrate
")
,
, }
...,
,
(. ...
':)
ù
'
ajoute:
AÀÀa ~nv EVTau8a YE aÀE~OVTEf u~af TE aUTO f
KŒ1
,
, { "
"
"
Ta U~ETEpa aya8a KaTO$Eo8E Kal yvwoEo8E (155). La compré-
hension de ce texte ne présente aucune difficulté parti-
culière si l'on se rappelle que ce qui est divin et lu.i-
neux c'est la partie de l'âme où réside l'intelligence
(§§
167; 168;
174). Le texte procède donc ici à une sorte
de résumé.
Il est donc évident qu'il s'agit encore,
pour
l'âme,
de se mirer dans une autre âme,
plus précisément
(154).
134d 4-5
(155).
134d 7-8.

291
dans sa partie directrice (156). C'est en regardant une
autre âme que nous pouvons savoir ce qui est bon pour
.
nous,
en nous voyant et en nous connaissant. Autrement di~.
pour se voir et se connaitre,
Alcibiade doit regarder
dans l'âme de Socrate qui est le seul à l'aimer (
1'=
âme d'Alcibiade,
§§
150;
151) vraiment.
Alors, Alcibiade
pourra se conduire ~peWJ (157) (§§
51;
52; 59) et connait~f
(156).
FRIEDLANDER,
loc.
cit.
p.
237 n.15 (= p.351) reaar-
que que HOFFMAN se fonde sur ce passage (134d 6-7) pour
dire que le dialogue n'est pas platonicien avant de coa-
menter:
Wlt seems to me a
basic defect of this interpre-
tation that i t does not see the persons behind the words w
En effet
W To lock into Socrate's sou1 is not easy, but
: : > ,
("
'"
-
i t demands precise1y that:
Enl~EÀElav EaUTOU." Friedlander
rejette l'objection de R.S.
BLUCK (
• l
can see no justi-
fication
for
the c1aim that i t is not a question of Ta••
Dick,
or Harry,
but of Socrates,
into Whose sou1 one .ust
lock" Bluck dixit) qu'il renvoie à Shakespeare ap. Julius
Caesar, Acte l,
scene:2,
lines 67ff et à W. Kranz in
Shakespeare und die Antike, ap.
Englische Studien.
LXIIII
(1938), 33ff.
(157).
134d 10.

292
le bonheur (158).
181. Agir justement et sagement est signe de
piêtê: c'est une pratique chêre a~x dieux (159). C'est
le modêle qu'il faut imiter. L'anti-modêle est l'action
injuste fondêe sur l'impiêtê et les tênêbres, et finale-
ment sur l'ignorance de soi.
L'ignorance de soi c'est
proprement la perte de la fonction rectrice de la raison,
c'est-à-dire en quelque sorte l'aliênation) pour user d'un
terme moderne. On s'imagine aisêment ce que peut ~tre
le sort d'un peuple ou d'un individu privê de la raison.
Il est comparable à un malade,
n'ayant aucune compêtence
'"
'}
" " )\\
médicale (160)
( VOUV lŒTP1KOV un EXOVTl
) (161) et, en
sus,
libre de faire tout ce qu'il dêsire. Ce malade ne
saurait ni s ' i l a la bile ou -l'atrabile,
ni le régime (162)
t.... Ç"tf) • ;n'G t. ~
(15,9).
134d 5-7
(160)., C'est ainsi qu'il fa ut comprendre l'expression qui
suit (0.161).
(161).
135a 1.
(162). Le lecteur averti voit bien que nous raisonnons
en nous rêfêrant aux principes de la mêdecine hyppocra-
tique. La mêthode du rêgime
que décrit d'ailleurs Platon
en Charmide 156c êtait bien en faveur dans les thèses
hyppocratiques. Il y a d'ailleurs un traitê du rêgime
.
,
( _W€Pl
ôla{TnI, cf. Croiset, ed.du Charmide, p.56 n.1).

293
adéquat qu'il devrait suivre,
ni s ' i l doit user du chaud
ou du froid,
ou tantôt~e l'un et tantôt de l'autre. Pour
.
peu qu'il agisse comme un tyran (163),
i l ruinera sa sant~
De même,
un pilote (164)
sans compétence cybernétique (§
1
mènerait son vaisseau tout entier,
passagers y compris,
à
la perte. Ainsi ces deux dernières analogies techniques
permettent,
une fois de plus,
alors que le dialogue tire
à sa fin, d'installer la compétence au coeur de toute
activité,
politique notamment,
comme condition et gage de
,
'
...
c . . ,
; ) ,
, )
. . . . .
son succes: OUKOUV WOaUTW! EV ~OÀEl
TE ~aOal! aPXa1! Kat
')
, )
, ) . . .
~I
. . . . . ,
E~ouolal! a~OÀE1~O~EVal! apETn! E~ETal TO KaKW! npaTTEIV
(165) •
§
182. La compétence propre que requière la
candidatu~e à la direction de l'Etat c'est l'aptitude à
se guider sur la vertu (§§ 179;
180). Les ambitions de
puissance et de conquête que nourrit Alcibiade (§ 34) sorra
vaines et doivent être abandonnées.
La seule ambition
digne des cités comme dés individus,
par conséquent la
èeule qu'ils doivent rechercher,
c'est. la vertu.
Telle es~
la proposition fondamentale de ce texte.
Elle est acco.p~
(163) • Sur la comp.1exion de l'homme tyrannique,
cf. le
livre o de la République.
(164) • 135a 12 sq.
(165) • 135a 8- b 2.

294
gnée toutefois de quelques propositions corollaires.
D'une
part,
i l vaut mieux obéir que commander (166) lorsqu'on
est dépourvu de vertu car seule la vertu donne droit à la
direction; donc son absence ne peut que prédisposer à
l'obéissan,e. Or le meilleur étant le plus beau,
et le
plus beau étant le plus convenable~ ce qui convient à
l'homme mauvais ( ~W KŒKW) (167) c'est de servir sous la
direction de l'homme bon.
S'il est meilleur pour l'hoaae
mauvais de servir,
c'est qu'il est pareil au malade dont
i l a été question (
§
181) et qui, laissé à
lui-même, se
conduirait à la ruine.
D'autre part,
l'absence de vertu
est rattachée à la nature servile tandis que la vertu
caractérise l'homme libre.
§
183. Finalement,
si l'on interprète correcte-
ment ce texte, on conviendra que seule la aw~poaûvn,
science permettant de dist~nguer le bien du mal,
fait
l'homme libre et le rend digne de"la royauté (168). Dans
la mesure où i l en est dépourvu,
Alcibiade ne peut pré-
tendre qu'à ~béir, non à diriger. Sa t~che immédiate est
(166). 135b 8 sq.
(167). 135c 2
(168). Ce terme est évidemment employé dans son acception
plat~nicienne.

295
donc d'achever la prise de conscience de son ignorance pour
être à même de se libérer de son état présent (169) qui
n'est autre que l'esclavage et que' Socrate a nomm' par
prétérition.
Il pourra certainement se libérer avec l'aide
du dieu (170), et non de par la seule volonté de Socrate.
Le dieu dont i l est question ici est celui qu'invoque
Socrate habituellement,
le même qui l'avait autoris' à
s'entretenir avec Alcibiade (
§ 31). L'ouverture de cet
entretien s'était plac'e sous l"gide de ce dieu,
rien
d'étonnant alors qu'il se clôsesous ses auspices et,
pour
ainsi dire,
sous sa bénédiction.
§
184. Le dialogue s'achève sur une prise de
conscience très nette,
par le jeune ambitieux,
tout à la
fois de la vanit' de ses ambitions et de son ignorance.
Cette prise de conscience s'exprime dans un projet de
programme par lequel Alcibiade propose à Socrate de changer
(171) leurs rôles respectifs. Ce ne sera plus Socrate qui
suivra les traces de son bien-aim' (§§33;
34): d'sormais
ce sera l'inverse (172)A
Comme bien l'on peut penser, cette
(169) • 135c 16
GI
') "
(170).
135d 6:
O'tl
Ea\\l SEO! 'ESt Àn
.
(171).
135d 8 sq.
(172).
cf. Banquet
213d,
216d,
217b-c,
218C-D
219d-e.
222a-c.

296
cette proposition est la bienvenue chez Socrate qui l'ac-
cueille dans une image émouvante de beauté, celle de la
cigogne élevant dans ce nid qu'est l'âme d'Alcibiade. u.
petit amour ailé (173). En dépit de la volonté de change-
ment (174) affirmée par le jeune Alcibiade
volonté q~i
se situe sur le plan de l'idéal (175)
la fin du
dialogue est en réalité sans optimisme. Elle a quelque
chose qui est à la fois étouffant de tension et pathé-
tique}qui vient rappeler brutalement une double tragédie
qui marqua le destin de deux hommes, parmi les plus
éminents de toute l'histoire du peuple grec. celle
(173). Pour l'exploitation de cette image dans un autre
contexte; cf. Ion 534b 3~4.
(174). 135e 4-5
(175). cf. FRIEDLANDER:
W
A ioving community of those
who seekthe truth,aiming at the highest knowiedge of
true being and approximating. uitimateiy. divine perfectiol
these aspects of Piato's thought are here outiined
as in a preiiminary sketch w• loc. cit. p.237-8.

297
,
d'Alcibiade (176) et celle de Socrate (177): ~ÀÀQ TTjV
. . . . . . ,
Go......
(,
Ln! TIOÀEW! oPWV pW~EV
~n ~~OÙ TE Kat GOÙ KpaLnG~ (178).
Cette sombre prophétie,
à la manière d'une vision pré.onï-
toire,
se réalisa sans que personne n'osa trop y croire.
(176). cf. HATZFELD, loc.
cit.
(177). cf. Apologie de Socrate et pour un bon bilan de la
question socratique, on lira avec profit: V.M. VILHE.A ~~
Le problème de Socrate. Le Socrate histori ue et le Socra~
de Platon, PUF,
1952; Socrate et la légende platonicienne.
Paris, PUf, 1952; GUTHRIE (W.C.K.). Socrates, cambridge
University Press, 1971.
(177).
135e 7-8.

298
B. RESULTATS
DEL'ENQUETE
INTERPRETATION SYSTEMIQUE DU DIALOGUE
·1

299
§
185. Comme il est naturel, notre conclusion ne
reprendra pas les différentes questions particulières que
nous avons rencontrées au cours de notre commentaire, bien
que certaines d'entre elles, considérées sous l'angle
général de l'histoire du platonisme, aient une import~1ce
spêciale. Elle s'efforcera uniquement d'élaborer et de
formuler la réponse à la question centrale concernant la
pertinence même du critère qui a guidé notre lecture du
dialogue, à savoir la signification de l'analogie entre les
techniques et l'Ethique. Il nous semble bien que dès le
§
52, nous avons formulé clairement l'enjeu et les
termes qui en déterminent éventuellement la solution. Qu'om
nous permette de le citer in extenso:- Si notre interpré-
t~tion de ce texte est exacte, il sera essentiel de savoir
si une activité éthique peut s'~ccomp1~r ~pa~l ~ autreaent
dit si elle est commandée par le afltlOV (§ 59). Si en
effet, 1.' ac ti vi éthique peu t se réal iser sui van t
un BÉÀTll.~V
cela signifierait qu'elle s'accomplit Kata t~V tÉXvnv
et donc doit ~tre rang~e sous la rubrique Technique. Alors.
dans ce cas, le but poursuivi par l'analogie serait d'une
part de mesurer la spécificité de l'éthique comme technique.
et d'autre part, de déterminer la nature de ses rapports
avec lès autres techniques.·

300
§
186. Que l'Ethique soit une technique,
c'est
ce que l'analyse nous a contraint à admettre.
Après
l'identification de l'existence d'ùn aÉÀT10V
pour la
politique (§§
49i
SOi
51)
et la détermination de la
signification propre du concept de aÉÀT10V
(§ 52)
nous
avons vu)à propos du problème de l'engagement de la guerre
ou de la conclusion de la paix)qu'ils s'effectuaient suivam~
ce qui est ôlKaléT€pOV
(
§
58»)lequel s'installait
d'emblée dans la position du aÉÀT10V
(§ 59).
Dès ce moment.
une sorte d'équivoque a envahi le dialogue car les domaines
de l'éthique et des techniques ont paru se confondre.
§
187. Cependant cette confusion connait une
première dissipation du fait que les techniques se donnent
comme le domaine de l'accord alors que les valeurs semblent
le lieu privilégié des conflits (§§ 69i
70 sqq)a D'ailleurs.
on rencontre là,une première limite de l'analogie car, à
l'opposite des techniques,
le monde des valeurs ne semble
pas offrir un moyen de décision autorisé (§ 70). Mais le
caractère même des techniques emporte une autre limita-
tion ·de l'analogie.
En ,effet.
i l semble bien que chaque
technique ait sa ratio~alité propre. La technique apparait
avant tout comme une limitation (
§
123). Le fabricant de
chaussures.est intelligent dans son domaine propre, mais
11
i l devient a$pwv
s ' i l s'agit de confectionner un manteau
(
§
123 n.85).
Les techniques peuvent donc se croiser,

elles ne se rencontrent jamais (§§ 130;
131).
§
188. Toutefois,
ce constat ne peut s'appliquer

"
c-
au domaine de l'Ethique.
Aussi bien la thèse du ~a EŒUT~
1
upatlElv
comme définition de la justice est-elle rejetée
parce qu'elle ne permet pas}à l'époque de l'Alcibiade,
~e
t
surmonter l'obstacle de la spécialisation des techniques
(
§§
132; 133). D'ailleurs,
l'analogie Ethique/techniques
1
se heurte bientôt à une limite de taille:
c'est que,
l
comme dans l'Apologie (
§
144), l'Ethique est avant tout
1
la science de l'homme (
§
146). La détermination de la
sagesse comme connaissance de soi, après l'identificaticm
du soi comme ce qui met le corps en mouvement c'est-à-
dire comme l'âme (
§§
149;
150; 151), fixe la limite
ultime de l'analogie (
§
157).
§
189. On ne peut bien comprendre ce fait que s~
l'on saisit l'importance de la discrimination de l'â.e
et du corps, et en particulier le caractère d'outil du
second par rapport à la première (§§ 149; 157). La divisü~n
entre Ethique et techniques procède de la discrimination
de l'âme et du cor.ps •. On sait que les techniques,
pri_aires
et secondaires (
§
138 n.10),
n'ont d'autre souci que le
corps et ce qui s'y rapporte (
§§
138;
139). Comme un
auteur célèbre l'a dit dans une formule heureuse:
" ...
le m~tier est oubli de-soi, oubli de l'essenti~l qui est
l'Ame, n~8li8ence de l'~tre et exclusive pr~occupBtioD

302
de l'avoir- (1). Ainsi,
la différence d'objet entre
l'Ethique et les techniques apparait-elle capitale ( § 155)
puisque,
nous pouvons le dire à présent, elle sépare
l'être (2) de l'apparence.
Nous devons donc parler~ici
de l'Ethique en des termes inhabituels et même paradoxaux
comme d'une science de cet être singulier qu'est l'ho.me
l'âme.
§
190. Pour définir le rapport de cette science
avec les techniques,
i l faut
tout d'abord rappeler
comment s'organisent celles-ci. Les techniques ordinaires
(3) se distribuent suivant deux domaines bien spécifiés:
le corps d'un côté, et de l'autre,
tout ce qui se rapporte
au corps. Les techniques directes du corps sont les
(1). A.
VERGEZ,
Technique et morale chez Platon,
ap.
Revue Philosophique,
1956,
p.10
(2). En effet,
le corps n'est que l'apparence de l'ho••e
car l'homme c'est l'âme.
(3).
Par techniques-ordinaires,
nous entendons naturel-
lement l'ensemble des' techniques dites primaires et seco~­
daires.
Notons,
en passant,
que Platon avait une connais-
sance extrèmement précise du vocabulaire technique des
ateliers, cf.
P.M.
SCHUHL in Platon et l'art de son
temps,
Paris, PUF,
1952.

303
techniques dites primaires et celles qui concernent les
biens du corps sont les techniques secondaires (§§ 138 n.n{
139). Entre elles,
i l existe toutefois un rapport hiérar-
chique de subordination dans la mesure où ce sont les
techniques primaires qui déterminent .le mode d'emploi, et
en général,
l'usage des techniques secondaires (§ 139).
§
191. Précisément,
ce que sont les techniques
primaires aux techniques secondaires (
ou les techniques
d'usage aux techniques de production),
l'Ethique l'est à
toutes les techniques.
La ow~poouvn
a été identifiée, oa
s'en souvient (§§
176:
133c 20-22) avec la science de ce
qui est "bien" ou "mal" pour nous.
La ow~poouvn
apparait
ainsi comme la science régulatrice et directrice de toutes
nos activités,
techniques notamment. Elle est une sorte de
"
technique des
techniques"
(4).
C'est pourquoi l'unité
du Savoir peut-être posée tant au niveau du sujet que
de l'objet (§
177). En s'assujettissant les autres techni-
ques,
l'Ethique substitue sa loi propre
celle du bie~
de. l'âme, à la leur
l'efficacité aveugle (ou dans le
meilieur cas,
celui des techniques primaires
le bien
(4).
A.
VERGEZ. art. cit.
p.13. As\\'\\~~Oh ~\\",o..\\.~ "'-"'.(. OJ\\c.\\.~t.~t)
..
...
~

304
du corps (5).). L'Ethique règle donc l'usage de la totali-
~i des techniques en fonction du seul bien de l'~me.
(5). Le parallèle est d'ailleurs frappant entr~ les tech-
niques primaires qui diterminent l'emploi des techniques
secondaires selon le bien du corps, et l'Ethique qui
règle l'usage de toutes les techniques selon le bien de
l'âme:
ETHIQUE
Critère de
t:1 r--------r--
CD'
1
l'usage
rt
1
CD
1
"1
1
a
1
1-'-
1
l
::l
1
ID
1
rt
1
1-'-
J!-------------------~>
Bien de l ' â.e
o
::l
1
1
Q.
1
Primaires
CD
1
1.
1
,
1
1
I-
1
s::
I
Totaliti
rn
d~s
1
ID
,
00
TECHNIQUlS
,
CD
,
Bien du corps;
:------------~>
1
,1
'Y
Secondaires

305
§
192. Dans cette optique,
les techniques qui
avaient dû être discréditées ( §
157),
peuvent retrouver
leur véritable dignité qui se situe sur un autre plan que
celle que nous avons déjà notée ( §
42) et qui est de
servir l'âme
Car si l'Ethique impose sa propre loi aux
techniques ( §
191), elle ne se substitue nullement à
elles dans le champ concret de leur effectuation où ~st
absent le problème central des fins.
C'est pourquoi l'unité
du savoir dans la double optique où elle a été envisagée
(§§
177; 191) ne nous a
paru nullement correspondre avec
1
l'idéal encyclopédiste d'un Hippias (§
177: Hippias
Mineur. 368b 1 -
369a). Aussi bien n'y a-t-il pas à envi-
1
sager l'unité du savoir d'un point de vue proprement
topique, mais plutôt en termes téléologiques. Le sage
1
peut ne pas être médecin et ignorer ainsi si telle potion
t
~établira ou non le corps malade. Mais il sait sûrement
l
si l'âme à laquelle doit obéir ce corps pratiquera le
bien ou le mal.
C'est donc à lui de décider de l'action
du médecin:
le laissera-t-il guérir un criminel à
l'âme
corrompue qui retournera à l'impiété et à ses crimes? (6)
(6). Cf.
par exemple Gorgias,
511c sqq. Le pilote qui
débarque sains et saufs ses passagers ne sait pas s ' i l
leur a réellement rendu service ou non:
AOY{~Eaeat yap
...
~
{
Cl
'1\\
,
J
" ,
"
Otuat En atatat
Ott aonÀOV EOtlV OUOtlvaJ tE W~EÀnKEV

306
Par contre,
le médecin ne sait pas plus que ceci:
telle
poti~n en telle quantité, prise i
tel moment, avec tel
régime guérira le corps malade.
A'quoi l'âme dont c'est
la tâche utilisera-t-elle ce corps? Voili ce qu'il ignore
et dont le sage seul peut décider,
lui dont la science
consiste en termes propres i
décider de ce qui est bien
ou mal pour nous,
c'est-i-dire pour l'âme. Les techniques
sont aveugles (§
177), c'est en quelque sorte l'Ethique
qui leur restitue la vue par une donation de sens en quoi
consiste la détermination de leur usage d'après son
~fÀT10V
propre (
§§
47;
48;
49;
50;
51;
52) qui s'instit~
ce faisant,
en ~fÀT10V
de toutes les techniques,
i
savoir:
le bien (
§
177).
§
193. Nous pouvons maintenant répondre aux
questions centrales qui nous semblaient structurer, du
point de vue philosophique,
ce dialogue
(
§
27).
Si le
monde éthique se présente immédiatement comme celui des
...
À'
' » ) ,
. . . . . .
( 6 suite ) •
TWV ou~n ~OVTWV
OUK ~aoaf
KaTanovTW8nval Kal
Cl
')1
)
..
Ct
~
..
')
ù
'
')
ouoT1Vaf ~~Àa\\/J~v
~lôwf OTl OUÔ~V aUTO [ ~~ÀT10UJ ~E;E81B<K:JE
;)\\
t
"
" . . ,
)4
..
,
n 0 01
~v~~noav
OUT~ Ta ow~aTa OUT~ Taf \\/JUXaf ( 511e 6 -
512a 2).

307
divergences (7)
(§§ 26; 27), ce n'est pas parce que la
rationalité en serait absente.
En effet, dans le monde
"
, ,
éthique aussi,
les ~pay~ata
s'effectuent Kata tnV
tfxvnv
(§§ 51; 59), donc suivant un SÉÀtlOV
(§§
47;
1
48;
50;
51;
186). Ainsi les ~pay~ata
éthiques s'accom-
plissent ~p8~f
(§§ 51'; 59). Ce n'est pas, par conséquem~
l'absence de rationalité dans l'espace éthique qui expli-
que la multiplicité,
voire l'âpreté des divergences au
sujet des questions axiologiques, mais bien plutôt la
forme la plus nuisible de l'ignorance (
§
94 sqq)
ceL1-
qui se prend pour savoir (§
135). Cette ignorance s'ins-
talle d'autant plus facilement qu'on ne voit nulle part
des maîtres d'éthique tenir école et que les catégories
de l'éthique (8) se confondent avec celles du langage
(7). P.T. GEACH,
dans un article paru dans The Monist,
volume 50, n03,
July 1966,
tente de réfuter le fonde.en~
m~~e de cette thèse ( cf. PLato's Euthyphro - An analysis
and commentary pp.
369 -
382).
(8). Le profane ignore en général le langage spécialisé
des techniques particulières tandis que les catégories de
l'Ethique sont des termes communs,
usuels et se présentem~
à nous sur le mode des idola de DURKHEIM. Nous croyons
toujours connaitre ces catégories parce que les termes
dans lesquels elles s'expriment nous sont familiers.
Trompeuse familiarité!

308
dont la masse se contente de retenir simplement le sens
obvie qui s'exprime dans les préceptes de l'idéologie
populaire (9)
(§§
71;
72).
§
194. La rationalité est donc commune aux tech-
niques et à l'Ethique car la rationalité est le critère
pertinent de la technicité.
Elle est ainsi l'arrière-fond
de l'analogie techniques/Ethique.
A quoi,
i l faut
bien
entendu ajouter la similitude, et même l'identité fonda-
mentale,
du processus de constitution de toutes les
techniques et de l'éthique.
On ne peut remonter aux tech-
niques et à l'éthique que par la médiation obligée de la
détermination de leurs objets (
§
146). Dans les deux
cas,
la maîtrise de la technique de perfectionnement est
(9).
Il est particulièrement intéressant de voir l'expli-
cation avancée par Protagoras dans son mythe exposé dans
le dialogue du même nom. Ce mythe en effet nous dit
pourquoi le premier venu est écouté lorsqu'il s'agit des
questions éthiques (
321d -
323c) .Néanmoins,
le Sophisae
prétend que la vertu s'enseigne malgré que chacun y ait
sa part (
323c -
328d
). On notera d'ailleurs dans
ce texte les glissements constants du vocabulaire tech-
nique de Protagoras:
par exemple de nOÀ1T1XDV TÉXVnV (319a 4:
~
,
à
apETnV ( 31ge 2 et 320b 5).

309
commandée par la connaissance préalable de l'objet.
Toute-
fois,
i l Y a une ambiguité fondamentale inhérente aux
cW.<,
techniques c o u r a n t e s . à leur in'différence foncière à
toute considération téléologique.
Non seulement cette
ambiguité n'existe pas dans la Technique par excellence
qu'est l'Ethique
puisqu'elle est la science du bien
et du mal pour nous
( §
183), mais encore elle permet
de la dissiper en soumettant l'emploi des techniques au
seul bien de l'âme.
Dans cette mesure,
si l'analogie de
l'Ethique et des techniques passe par la dévalorisation
et le discrédit de celles-ci (§
157), elle aboutit néan-
moins,
dans une seconde étape, en même temps qu'au priaat
de l'âme sur le corps,
de l'Ethique sur les techniques,
à leur réhabilitation. En ce sens,
tout l'Alcibiade peut
s'analyser comme une prodigieuse entreprise d'assujettis-
_ _

~l
.
. . - -
sement des techniques à l'Ethique,
du corps à l'âme.
-----~.------------
A cet égard,
nous espérons l'avoir montré sur ---
.----.....
des bases
fiables,
il contribue à approlfondir considérablement
notre compréhension de l'un des thèmes privilégiés de-ce
qu'il faut bien se décider à consacrer sous l'appellation
non équivoque de "premier platonisme"
et qu'on a
désigné jusqu'ici sous le nom de " Premiers Dialogues".
*
*
*

31
ADDENDUM

311
c'est lorsque nous avons achevé ce travail
que nous avons pris connaissance de l'article du Professeur
ALLEN (R.E.) intitulé Note o~A1cibiade I,
129b 1
paru
dans le American Journal of Philology, Vol LXXXIII,
1962
i
pp.
187-190. Cet article tente d'élucider le sens du
) ,
: > ,
terme aUTO TaUTO dont,
comme nous
(
§
142),
i l souligne
1
la difficulté (p.187). L'intérêt de cet ~rticle justifie
pleinement que nous en présentions l'économie au lecteur
d'autant que,d'accord avec nous sur la démarche analytique.
i l aboutit à une interprétation différente de l'a0TO T(l~T6
D'abord,
le Professeur Allen note à
juste
titre qu'il ne faut pas reconnaitre un statut pronominal
à ce terme. En effet, s ' i l était employé comme pronom en
129b 1,
its anteceqent would be the articular infinitive
_
c.
,
at 129A 2,
TO yvwval €aUTOV
"
(p.187).
D'une part,
cette
lecture est difficile à envisager sur le plan grammatical,
d'autre part,
si elle était grammaticalement possible,
.
, ; )
,
)
elle aurait rendu équivalentes la découverte de 1 (lUTO TQUrlt)
et celle du Tt nOT)to~ÉV a~Tol. Et ici, l'argument décisif
n'est pas vraiment le passage 130d 3 avec la référence à
, ' ,
" ,
,
...
1 aUTO TaUTO
comme ce qu i l faut chercher npWTOV
(1); en
(1). Comme le pense ALLEN,
p.187.

312
fait)comme nous l'avons montré (
§
142))la connaissance
de l'aDTo TaùTo est ce qui commande celle du Tl ~OUÈV
)
aUTO( ainsi que l'affirme Socrat~ lui-m~me en 129b 2.
A quoi,
bien entendu le Professeur Allen a raison d'ajoŒ~e
que considérer ce terme comme ayant ici un statut prono-
l
minaI reviendrait à rendre inintellig\\ble 130d 4, ce qui
l'amène à rejeter l'interprétation de ROBIN (p.187 n.l)
presque dans les m~mes termes que nous
( § 143).
1
Ayant ainsi disqualifie
l'interprétatiem
> "
' ) ,
"pronominaliste" de l'aUTo TaUTO
, e t reconnu qU'il est
bien dans le contexte un stibstantif, l'auteur en vient ~
la détermination de sa signification philosophique. Sans
les refuter de façon argumentée,
le Professeur Allen éc~t
deux interprétations: celle qui en f a i t " The same itseli~
(i,e;~Le même en soi") comme par exemple dans la traduc-
tion de LAMB ( "The same in itself" p.
188 n.2) et celLe
de CROISET qui en f a i t "
le fond de l'être ft (2) (id. D_~.
(2). Le Professeur Allen traduit Croiset par" The grouŒ&
of ~xistence", mais pour éviter toute confus~on, il
faut mieux traduire en anglais "the ground of beeing"
car métaphysiquement parlant,
comme bien l'on sait, l'être
et l'existence ne signifient pas la m~me chose.

313
Puis i l suggère que " The a0TO in question is the a0TO
c.
,
c_
J _
: > ,
in EaUTOV (129A
2), n~wVaUTwv (129A 2)
,and
aUTOl
(129B 2).w Il ajoute dans une parènthèse: W(
This same
)
,
,
)
,
aUTO must be found at 129A a, otherwise, YVOVTEI aUTO
becomes YV6VTEI Tà yvwval ~auT6v
which makes no sense
(p.188). Cette suggestion est fondée ensuite sur le passa~
130d 6

)
-
,
aUTWV renverrait à une entité où 1 âme serait
directrice comme en 129b 1 selon lui. Si nous sommes
AUi-\\A,
entièrement d'accord avec le Professeur/pour ce qui concey
G
ne l'interprétation de n~wv aUTwv de 130d 6 où, comme
nous l'avons établi contre Croiset (
§
154 n.63),
il
renvoie à la tota~ité de l'homo empiricus, en revanche
nous ne pouvons accepter la même assimilation pour les
autres passages allégués:
en 129a 2 c'est l'objet du P.D.
qui est explicitement visé i, e l'âme seule; en 129a 9,
il s'agit de la manière de prendre soin de nous-mêmes,
sous entendu comme différente ou opposée à celle qui
concerne le corps;
l'amphibologie de 129b 2 peut être plm
difficilement levée, mais i l semble que ce soit l'âme
seule qui soit envisagée car i l annonce le texte ultime
qui va réduire l'homme à son âme seule. Enfin, quant à
129a 8, en dépit de l'avertissement du Professeur Allen.
(supra=cf.
parenthèse),
nous ne sommes pas convaincu que

314
')
ce soit un non-sens de faire de aUTô* cette fois
un simple
pronom,
le texte signifierait ceci:
en connaissant le
P.D.,
nous saurons comment prendre soin de nous-mêmes;
celà suppose toutefois qu'on n'oublie pas qu'avec le TO
yvwval
"
EauTov,
nous avons affaire à
un substantif,
ce
que font oublier malheureusement les traduction~3dans nos
langues modernes.
La difficulté que craignait le Professe.rl
Allen est par conséquent)inexistante.
1
Toutefois,
bien que certaines ~rémisses
du raisonnement de l'éminent savant soient hautement
contestables,
i l n'en aboutit pas moins à
une conclusion
fort intéressante:
"Since
"the F itself" is a normal
Platonic way of mentioning the Form of F,
i t is reasonable
to suppose that thes~ expressions refer to a Form or
,
J )
,
;1
,
universal of the self,
in contrast to Tl ~OT EO~EV aUTOl
)..
l'
I~Jr
:>
,
(129B 2)
and aUTOV EKaOTOV •••• ~.l EOTl (130D 4-5)
"what we ourselves are" and "what each individual self
is"."
On peut enregistrer avec satisfaction que le
Professeur Allen (p.189 n.5) ait tenu à démarquer son
("3)._ ,La structure de la langue grecque est si -différent.e
qu'il faut toujours l'avoir en vue dans l'interprétation.
?
~
* lei aUTô
129a 8 a
bien pour antécédent TO yvwval EOUTOV
129a 2.

315
interprétation de celle de BLUCK qui fait de l'atTa Tadt6
l'âme
hypothèse que nous avons,nous-même)rejetée sans
ménagement (
§§
4; 142 sqq). Mais, il reste que l'inter-
prétation qu'il propose
l'universalité du soi ou la
forme du soi
( "Form or universal of the self",
p.189) ne
fait que déplacer la difficulté. Car il reste à déterminer
le sens du soi considéré 1TIÀw!
• Si on écarte l'hypothèse
qu'il désigne l'être en général ou la structure onto-
logique de l'être,
il reste qu'il renvoie à la structure
ontologique de l'homme;
or,
celle-ci n'est autre que l'âme.
li
l : J . . ) ,
Ce qui nous contraindrait à faire de l'EKaoTov 1.1 EOT1
l'essence de l'âme individuelle (4),
conclusion difficile
(4). Ce qui est l'interprétation de Allen.
Notre interpré-
cl
c / . )
tation,
par contre,
est que l'EKaoTov qT1 EOTl désigne
l'essence de l'homme en général,
comme être singulier
CI
l'.Jr)"
.
parmi d'autres.
Autrement dit,
l'EKaOtOV ~.1 EOT1 des1gne
l'âme comme essence de l'homme, et non telle âme particu-
,
,">,
' l ,
lière.
Dans 1 interprétation de Allen,
1 aUTO taUTO dési-
gnerait l'essence de l'homme. Mais dans ce cas,
comment
comprendre l'entreprise prodigieuse de réduction de
l'homme sui generis à l'âme. A la décharge de Allen,
il
faut noter qu'il reste prudent et plein de réserve ~29)
sur cette question.

316
à défendre. Ainsi cette solution semble soulever plus
de questions qu'elle n'en résout.
On comprend donc que
nous
préférions notre solution assurément
plus écono.iqu~
( §
153) et que la lecture de cet article
qui nous
eût sans doute stimulé
avant notre rédaction défini-
tive,
n'eût pas eu cependant modifié ni le cours de nos
raisonnements ni nos conclusions.
*

317
A N N E X E

318
Cette annexe renvoie en particulier au
~7, n.27. Nous n'en ferons aucun commentaire particulier
car ici,
ce qui arrive rarement,
les textes se défendem~
tout s~uls. Disons seulement, pour indiquer au lecteur
en quel sens i l doit la comprendre,
que certains savants
..t, tü'U
<JDE STRYCKER notamment, mais aussi RITTER) se sont
appUyés sur la présence des formes dont nous relevons 1es
occurrences,
considérées comme tardives,
pour déclarer
l'Alcibiade inauthentique.
D'autre part, cette annexe se
fonde exclusivement sur A word index to Plato de BRAN~œDD
qui est désormais un outil indsipensable pour tout
platonisant.
Alcibiade:
10Sc 8;
110b 6;
112c 1,
c 7;
116a 9;
120a ~,
c 3,
d 8; 1 2 4 b 9,
d 2;
1 2 8 e 3, 9;
1 3 1 b 3, c 8,
eS; 1 JJliiil 4 ,
b 1;
134 c 8;
13Sa 4,
b 6.
Apologie:
23d 7;
24e 7;
31c 3; 32a 8;
33b 8,
c
8; 40e 5;
41a 8, c 7.
Charmide:
lS3c 2;
160a 3;
164a 1; 166" 3
Euthydème: 6c 4,
d 5.

319
Hippias mineur:
366d 6,
e 6.
Ion: 530c 7;
531d 3
Lachès:
180b 1;
185a 8
Protagoras:
312d 7 ., 326e 8.
Cratyle: 385b 2 , c 2,
4.
Gorgias:
447d 7, 448a 1 •
Hippias Majeur:
282b 2 ; 284d 5.
Lysis:
207c Il;
210a 5
Ménon:
74e 10; 78b 1
République A:
32ge 6 ; 330c 9.
Alcibiade:
104a 6;
114a 5, c 12; ll7a 5,
10;
118a 15;
120d 3, e 2;
124e 4,
6; 132c 3, d 9, e 2.
Apologie:
24d 4;
26a 4,8,
b 3; 36a 8, b 4;
39 a 2;
41d 4.
Charmide: 158e 7;
165c 5;
173a 1.
Criton: 43d 4,
47c 7,
53a 4, B 3.
Euthyphron:
3a 2;
7a 4; 9b 7; 13e 3, 7; 15a L
Hippias mineur: 363c 4;
369a 8; 372d 8.

320
Ion: 530d 4, 531b 10, e 8;
532a 2,
e 6; 538d 6.
,
Laehès:
182e 2;
187e 3; 18ge 6;
19'Oa 3, d 4; 194d 4; 196e 1
Protagoras: 311e 8; 312a 4, e 3; 319d 6; 324a 2;
328e 4;
339d 8; 344e 6;
345a 2 , 3 , 5 ,
b 2;
355d 5,
e 2;
356a 1.
Cratyle: 386d 9; 391d 7;
392e 5, d 2; 393a 8; 397d 9; 400œ
413e 1, 5; 41ge 6, d 5, e 1; 426a 6, e ;3; 436b 5;
438d 5.
7
43ge 3.
Euthydème: 274d 6; 278e 3;
279a 3;
285b 3;
287b 9, e 9;
289c 5, d 5; 296e 10; 301d 5, e 6.
Gorgias: 448e 1; 452e 8,454b 10, d 7, e 8; 455b 4; 459b 3;
467c 10; 470e 4; 475e 9; 478a 8, e 5, e1
; 487d 7; 490d l I ;
496c 2; 49ge 5; 502a 2,
b 9; 509d 6; 515d 3; 516a 3; 520e 7
Hippias majeur:
283b 5; 285b 8;
287d 10; 290b 5,
e 6; 296~
e 5; 29ge 2.
Lysis:
206b 1; 207e 5,
20ge 3; 217b 6; 222e 1.
Ménexène: 235e 8
Ménon:
77d 7, e 3; 78b 7; 82e 2; 86a 1, 9; 87e 2, 5; 8ge 2;

321
91b 2;
94c 7;
96b 7.
République A:
331e 8; 332c 9; 337b 4;
339b 2, 3;
346c 6,
e 3;
352c 4.
)
~
3 ) op6w!
Alcibiade:
107à 2,
e 5;
108b 6,
6,
c 8,
d 4, 5;
110d 5;
111d 3;
113e 5;
120a 7;
126b 7;
128b 5;
129b 4;
130b 13;
131c 4;
132e 4;
133d 10;
134d 10;
134b Il,
d 10.
, )
)
~
Apologie:
39d 5 (ouKop6w! B W
OUKŒÀW! T Y ); 40a 3, 6,
b 8.
Charmide:
160d 4;
164b 3,
7,
e 7;
164d 1;
165e 3;
168b 1;
169c 1;
171b 5, 9,
e 4;
172e 6.
Euthryphron:
2d 1,
1; 4a 12; 5b 1, e 4;
7e 5; 9a 7, b 2;
12c 3, d 4;
13d 3;
14d 9,
e 1;
15e 9,
d 7.
Ion:
537e 1; 538e 4.
Laehès:
192b 4;
194e 9;
19ge 1.
Protagoras:
316c 5;
330e 4,
7;
332a 6,
b 1; 338b 5, 7;

322
339a 2,
b 8, 8,
d 9;
341 c 8;
344a 5;
350d 2;
352e 3;
353a 3, B 6;
356e 6;
359a 4, d 5, e 8.
Gorgias: 448b 12, c 3; 450c 2.
Cratyle: 384d 4;
387a 7 . . . . : 55
Hippias majeur:
281d;
284b 8
••• :
18
Ménexène: 3
Ménon:
29
République A:
12
4) 't { Un"
Alcibiade:
126d 3;
129c 1;
130a 10;
132c 6;
133e 6.
Lysis:
207c 7;
21ge 4.
République A: 344d 3.

323

a) OUl1~Épov
Craty1e: 417a 3; 419a 7.
Gorgias: 483b 6.
République A:
336d 2;
338c 2, S,
d l , e 2,4; 339a 2, 4, 6.
b 3, d 2, 3, etc •••
b)
OUl1~ÉpovTa
Alcibiade: 113d 6, e 1;
114a 6, 8, e 8;
116d 3, e 1.
NB emploi in Craty1e (2); République A (2); Théétète (3);
Lois (1).
c) OUl1~ÉPOVT-
Alcibiade:
114a 3, b 1.
d) oUl1~e:p6vTltJv
Alcibiade: 117a 9;
118a Il; + Def.
(2)
*
*
*

32~
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1949. Nous avons reçu grâce à la
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Le Profes- .
seur H.
HUBIEM,
de l'Université de Liège.
ce texte manuscrit dont l'auteur, à notre.
grande satisfaction, admet l'authenticité
, >
,
de l'Alcibiade. Mais au sujet de 1 ŒUTO
"
~
,
,
TO aUTo,
i l suit 1 interprétation de
Friedlander et de R.E. Allen qui en fon~
l'homme en soi ou l'essence de l'ho. .e.
Nous avons déjà marqué les difficultés
que soulèvent une telle interprétation. E
revanche Delcominette s'accorde avec no.s
dans l'ensemble sur le statut et l'analys
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