U."IIVERSITE DE PARIS 1 - PANTIcEON - SORE'-ONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINE~
SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
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DECOLONISATION ET SUCCESSION D'ETATS
EN AFRIQUE
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA
SUCCESSION A L'ORDRE JURIDIQUE
• --------- .
THE SE
pour Je Doctorat d'Etat en Droit
Présentee et soutenue
par
Cheikh Tidiane THIAM
\\
\\
JURy:
Président : Pierre- François GONlDEC
Professeur Emérite de l'Université de Paris)
Suffragants: T. BEN SALAH
Professeur à ru niversilé de Bretagne Occidentale
A. BOURG)
Maître de Conférences à rUniversilé de Reims
J. BRUYAS
Chargé de Cours Titulaire Honoraire à ['Université de Paris)
J.-P. QUENEUDEC
Professeur à l'Université de Paris 1
TOME 1
Juin 1989
2
L'Université n'entend donner aucune
approbation ni improbation aux opinions
émises dans les thèses; ces opinions
doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs.
3
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier, sans pouvoir tous les nommer, ceux qui de
près ou de loin ont aidé à l'accomplissement de cette recherche.
Ces remerciements s'adressent en particulier
à Monsiel<r le Président de la République du Sénégal
pour m'avoir désigné membre de la délégation séné-
galaise à la CO:lférence diplomatique des Nations
Unies pour la codification du droit de la succession
d'Etats en matière de biens, archives et dettes
d'Etats (Vienne 1983), en qualité de plénipotentiai-
re et d'expert juriste et, de m'avoir ainsi permis de
contribuer directement à la formulation de plu-
sieurs règles du droit successoral contemporain et
de raviver mon intérêt pour le sujet;
- à Monsieur le Ministre d'Etat Secrétaire Général de la
Présidence de la République pour m'avoir ouvert
l'accès à d'importants fonds d'archives du Sénégal
et de l'ex-AüF;
à Monsieur Ibrahima FALL, Ministre des Affaires
Etrangères du Sénégal;
4
- à Monsieur Biram N'DIAYE, ancien Directeur des Af-
faires Juridiques du Ministère des Affaires Etrang~-
,
res du Sénégal;
aux responsables des divers services du Ministère des
Affaires Etrangères, en particulier au chef du Servi-
ce des Archives du Ministère;
aux responsables du Service de Documentation de la
Présidence de la République;
- à Monsieur Moustapha SOURANG, Doyen de la Facul-
té des Sciences Juridiques et Economiques de l'Uni-
versité Cheikh Anta Diop de Dakar;
à Monsieur Saliou M'BAYE, Directeur des Archives
Nationales du Sénégal;
- à Monsieur LOUM, responsable de la documentation du
Centre d'Information des Nations Unies à Dakar;
aux responsables de la Bibliothèque Universitaire de
Dakar et de la Bibliothèque de l'IFAN C.A.D. de
Dakar;
5
- à Madame LAFONT, responsable de la documentation
du Centre d'Etudes Politiques et Juridiques du
Tiers Monde, U niversi té de Paris 1 Panthéon - Sor-
bonne;
- aux responsables de la Bibliothèque de la Sorbonne;
- à ]a Bibliothèque CUJAS (Paris), en particulier à Mada-
me A. MAXIMIN du service de documentation in-
formatisée de ]a bibliothèque;
- aux responsables de la Bibliothèque de l'Université de
Paris V (Malakoff);
- aux responsables de la Bibliothèque de la Cour Interna,
tionale de Justice, Palais de la Paix, La Haye (Ho]-
lande) ;
- au directeur et aux responsables de l'Institut Max
PLANCK de Heidelberg (Rép. Féd. D'Allemagne)
en particulier à Monsieur Norbert WUHLER,
- à Monsieur le Professeur DUBOIS de GAUDUSSON,
Vice-Président de l'Université de Bordeaux et aux
responsables de la Bibliothèque du centre d'Etude
de l'Afrique Noire de Bordeaux (CEAN);
6
- à Monsieur MAUREL, Directeur des Archives d'Outre-
Mer et les responsables de la Bibliothèque des Ar-
chives d'Outre-Mer (Aix-en-Provence);
- aux responsables de la Bibliothèque de l'Office des Na-
tions Unies à Genève;
- aux responsables du Service de Documentation des Na-
tions Unies, Palais des Nations Unies à New York;
à tous mes amis et collègues pour leurs conseils et
encouragements.
A mes maîtres,
A l'Afrique,
A mon pays.
A la mémoire de mes
regrettés parents.
A mon épouse.
9
ABREVIATIONS
AA
Annales Africaines
AAA
Annuaire des Auditeurs et Anciens Auditeurs de
[' Académie de Droit International
ACDI
Annuaire de la Commission du Droit International
AD
Annual Digest
AFDI
Annuaire Français de Droit International
AJIL
American Journal of International Law
ANS
Archives Nationales du Sénégal
Bull Crim
Bulle tin Criminel
BYIL
British Yearbook of International Law
CD!
Commission du Droit International
CE
Conseil d'Etat
CIl
Cour Internationale de Justice
10
Commentaires... :
Rapport de la Commission du droit international sur
les travaux de sa vingt-sixième session, 6 mai -
26 ju'illet 1974, Doc. A/9610/Rev. 1, ACDf,
1974, voUI, Première partie.
Conférence...
Conférence des Nations Unies sur la succeSSIOn
d'Etats en matière de traités, Documents offi-
ciels, comptes rendus analytiques des séances
plénières et d~1l;1JeRde la Commission plé-
~v.
e::~
nière, Vi6-"i'ie-;premlère~ssion4 avril-6 mai
~.
'--p
1977 : v(~,lR:e"~ l~. ession 31 juillet-23
aoû t 1978")~ol.I1.
i
'.....
'0.....'
s,i<
~ ~n'
.
CPA
Cour Permanente d'Arbitrage
cpn
Cour Permanente de Justice Internationale
CVDT
Convention de Vienne sur le Droit des Traités
CVST
Convention de Vienne sur la Succession d'Etats en
matière de Traités
Dareste
Recueil Dareste
DP
Dalloz Périodique
GATT
Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Com-
merce
ICLQ
International and Comparative Law Quarterly
11
ILR
International Law Reports
lCP
Jurisclasseur Périodique
lDI
Journal du Droit International
Lebon
Recueil
Lebon (Recueil des arrêts du
Conseil
d'Etat)
LQR
Law Quarterly Review
RCADI
Recueil des Cours de l'Académie de Droit Interna-
tional
RDILC
Revuè de Droit International et de Législation Com-
parée.
RDP
Revee du Droit Public
Rev. Crit.
Revue Critique de Droit International Privé
RGDIP
Revue Générale de Droit International Public
RlPOM
Revue Juridique et Politique d'Outre-Mer
RJPUF
Revue Juridique et Politique de l'Union Française
RJR13
Revue Juridique du Rwanda-Burundi
RSA
Recueil des Sentences arbitrales
12
RUF
Revue de l'Union Française
S
Recueil Sirey
SFDI
Société Française pOlir le Droit International
13
RESUME
La substitution de souveraineté intervenue sur le territoire d'un Etat
accédant à l'indépendance implique, selon le principe de la table rase, le
remplacement de l'ordre juri,lique interne de l'Etat prédécesseur par celui
de l'Etat nouvellement indépendant. Cette substitution d'ordres juridi-
ques concerne l'ordre législatif et l'ordre juridictionnel ainsi que la natio-
nalité et touche l'ordre conventionnel précédemment applicable au terri-
toire du nouvel Etat, et qui reste affecté par la mutation de souveraineté
intervenue.
Mais autant les nouveaux Etats africains ont dans J'ensemble reaffir-
mé dans leur pratique, leur libre volonté de substituer leur nouvel ordre
juridique à celui précédemment en vigueur sur leur territoire, autant ces
Etats ont-ils admis l'existence d'une limite d'ordre pratique à J'application
du principe de la table rase en aménageant une certaine continuité, même
provisoire, dans l'application de la législation ancienne et dans l'adminis-
tration de la justice. En matière de nationalité, cette limite d'ordre prati-
que qui correspond au souci du nouvel Etat de protéger son propre patri-
moine humain, se double d'une limite d'ordre juridique reconnue dans
j'institution du droit d'option.
Cette double affirmation de rupture et de continuité qui est exprimée
aussi bien au travers de solutions unilatérales que dans le recours à ['ac-
14
cord international, se retrouve également dans la pratique successorale
relative il l'ordre conventionnel. Elle traduit une mise en oeuvre certaine
,
du principe de la table rase amplement pris en compte dans j'oeuvre de
codification et de développement du droit international cOlltemporain et
nettement consacré il la fois par la pratique des Etats africains et la
Convention des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière de
traités adoptée à Vienne en 1978.
16
"If Jill /ln temps où il semblait à certains esprits que le droit,
pOli' conserver dignité el prestige, devait se cOll/ormer à ce qui
est la marque de tollle science: la tendance à la généralisa-
tion, la vocation à ['universel 'Ille selll pourrait assurer lUI
haut degré d'abstraction ".
Charles de VISSCHER
"La prise de conscience dJl(ne lrans[ormGlionfolldamentale
des bases de la société internaliollale doit nO/lS conduire à
réviser profondément !lOS cOl/ceptions de la science et de
l'éwde du droit international cO/ltemporaill"
Wolfgang FRIEDMANN
"Si 1'011 velll éviter que le droit ÎnternalÏonal plonge dans
l'incertitude, il faut une COI/certation approfondie clltre les
anciennes el les lIo/n'clles lIaliolls ei procéder à IlIl réexamen
des illSlillUiofls et des règles {i!l droit international général. Il
s'agit, à la sllite de ce réexamen, de redéfinir ces règles, d'en
préciJcr la teneur, d'élagucr art besoin les bral1ches morres,
d'ajuster autant que possible les institutions allx /Iouvelles
situatiolls, de rechercher des compromis là où le maintien des
principes traditionnels se heurte
à l'opposition ferme des nOllveaux Etats, de formuler
en outre, d'autres règles qui répondent à des exigences posées
par la structure actuelle de la société internationale"
Roberto AGO
"Mais il va de soi que /'on doit accorder une certaine
priorité à la pratiql~c récente, elt tant qu'expression de la
doctrine".
Sir Humphrey WALDOCK
17
Le phénomène de la décolonisation qui s'est amplement déployé en
Afrique voilà une trentaine d'années en portant sur la scène internatio-
nale nombre d'anciens pays dépendants a eu pour effet de situer au
premier rang de ['actualité juridique internationale l'important problè-
me de la succession d'Etats qui surgit au moment où une substitution de
souveraineté se réalise sur des territoires coloniaux, protégés ou placés
sous un régime de tutelle.
L'ampleur des questions de succession d'Etats que soulève en Afri-
que un tel phénomène peut se mesurer par 18. masse considérable d'ins-
truments internationaux édictés ou signés entre les nouveaux Etats et
leur ,,,ncienne puissance administrante. Plusieurs centaines d'accords
ont en effet été conclus pour régler les problèmes de succession dans
des domaines aussi variés que ceux des traités, des biens publics, des
dettes, des droits acquis, de la nationalité ou de la responsabilité.
Certes, le phénomène de la succession d'Etats n'est pas récent, ni
même celui des décolonisations dites modernes qui vit en effet le jour
au Nord du continent américain à la fin du XVIIIe siècle avant de
s'étendre, au début du XIXe siècle en Amérique latine avec l'indépen-
dance des colonies espagnoles et portugaise, et de se poursuivre, en
Europe, après la Première Guerre mondiale à la faveur de séparations
ou de sécessions d'Etats comme dans l'exemple de la
18
dislocation de grands ensembles tels l'Empire Ottoman ou l'Autriche-
Hongrie. Le phénomène s'amplifia après la seconde Guerre mondiale
avec les vastes mouvements d'éJ]lancipation qui se sont développés en
Asie et sur le Continent Africain.
C'est pourtant à cette dernière vague de décolonisation que re-
vient, plus qu'à d'autres, de marquer considérablement le droit moder-
ne de la succession d'Etats en y introduisant un pluralisme juridique
plus différencié et qui doive désormais exprimer une réelle spécificité
du régime juridique applicable aux nouveaux cas de décolonisation.
Une telle orientation du droit successoral a dû incontestablement profi-
ter de l'action menée par l'ONU depuis sa création et qui tient pour
essentiel, dans le développement des relations amicales ê:ntre nations,
"le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et leur droit à
disposer d'eux-mêmes" (1).
On ,1 pu à cet égard affirmer, avec raison, que "la dé,:olonisation a
üuvert un nouveau chapitre à la succession d'Etats" (2). Dès lors, de
nombreux auteurs et membres de la Communauté internationale ont
dans le même esprit, estimé que la matière que constitue la succession
d'Etats devait être codifiée non par référence aux normes traditionnel-
les du droit international mais en tenant compte des récents progrès
sociologiques accomplis dans la communauté internationale" (3).
(1)
Cf, l'Article 1er, 2 de la Charte des Nations Unies
(2)
Cf, Maurice FLORY, "Décolonisation et succession d'Etats",
AFDI 1966, p. 577.
(3) - Cf, Premier rapport de Mohammed BEDJAOUI, sur la succession
d'Etats et les droits et obligations découlant de sources autres que
19
Une telle codification s'attèlerait ainsi à consacrer un plura]isme
juridique qui tende à restituer ses vraies dimensions à l'une des réalités
les plus marquantes du droit international et de]a société internationa-
le contemporains dans l'esprit tracé depuis 1931 par le Tribunal arbitral
qui, dans l'Affaire des concessions de phares opposant la France et la
Grèce, dut rappeler qu'''il est impossible de formuler une solution géné-
rale et identique pour toutes les hypothèses imaginables de succession
territoriale et toute tentative de formuler une telle solution identique
doit nécessairement échouer sur l'extrême diversité des cas d'espèces"
(4 ).
les traités, ACDI1968, vol.II, p. 101, parag. 31, qui reproduit une
observation de l'Autriche appuyée par celle du gouvernement You-
goslave et selon laquelle:
"Le droit international devrait avoir pour rôle de fai-
re en sorte que les puissantes tendances apparues
récemment dans les affaires mondiales êvoluent dans
le sens indiqué par la Charte", ibid.
(4) - Tribunal d'arbitrage établi par le compromis du 15 juillet 1931,
Sentence des 24-27 juillet 1956, Doc. AjCNA j 151, A CD! 1962, vol.
II, p. 158, parag. 100.
20
Une telle spécificité du droit successoral relatif aux nouveaux
Etats, et dont la codification a été ainsi souhaitée, repose en réalité sur
,
la spécificité même du phénomène de la décolonisation et de la prati-
que des Etats qui en sont issus (5).
On assiste en effet, au moment de la décolonisation proprement
dite d'un territoire, à la création d'un nouvel Etat. Cette création d'Etat
nouveau doit être distinguée des hypothèses classiques de mutation de
souveraineté qui s'accompagnent aussi d'ulle perte de l'identité de
<\\lAfR1C...,
l'Etat et qui recouvrerr"l~cas iY~ sorption d'un Etat par un autre, de
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essentIe ement ùans
ellJ;2~~!~~res specllques
e a SUcceSSlOn par
décolonisation.
D'abord, dans les hypothèses classiques de succession ont été mises
en oeuvre des solutions qui plongent leurs racines dans des structures
sociales et dans un contexte civilisationnel relativement homogènes et
expriment de ce fait des règles qui reposent sur des valeurs et concep-
(5) - La reconnaissance formelle du caractère spécifique et autonome de
la succession d'Etats en tant que branche distincte de celle du droit
des traités est en effet bien établie dans la doctrine comme dans le
droit positif. La réserve générale relative à la succession d'Etats
aux traités contenue dans les dispositions de l'article 73 de la
Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 en fournit un
exemple éloquent.
21
tions juridiques comparables ou équivalentes. Il n'en va guère plus de
même lorsque l'on passe d'un règlement successoral de celte nature,
particulièrement
favorable à
la
continuité, à celui
qUl
touche des rapports nouveaux établis entre une ancienne puissance
coloniale et un ancien pays dominé, appartenant tous deux à des aires
de culture relativement ou radicalement différentes et à des systèmes
socio-économiques peu comparables et bien souvent opposés.
Ensuite, et conséquemment, la décolonisation qui s'analyse politi-
quement comme une inversion du processus colonial emporte à l'évi-
dence, au nom du principe de l'autodétermination et de la souveraineté,
l'établissement de rapports nouveaux généralement en rupture avec
l'ordre préexistant. Dès lors il n'y a rien de bien étonnant que les
règlements successoraux intervenus dans un mouvement de décolonisa-
tion postulent princip,:\\ement la non-succession à l'ordre juridique
préexistant (6).
(6) - Sur la décolonisation comme inversion logique du phénomène colo-
nial, voir M. BEDJAüUI, "Problèmes récents de succession d'Etats
dans les Etats nouveaux" RCADI, 1970, n° 130, voU!, pp. 490-492.
Sous un angle plus large, le Professeur Louis I-IENKIN devait ca-
ractériser la crise qui traverse le droit international en ces termes:
"Le droit international ne peut survivre au déclin de
la domination européenne et ne peut gouverner une
communauté des nations dont la majorité des mem-
bres ne sont pas européens, ne sont pas impérialistes,
ne sont pas capitalistes, ne participent pas au déve-
loppement du droit et dont les intérêts sont différents
de ceux des autres nations", dans,
Dès lors, même si les règlements successoraux intervenus par déco-
Ionisation reposent généralement sur une dualité de mouvement faite
,
de rupture essentielle et de continuité secondaire, il semble difficile
d'accepter l'opinion de certains juristes selon laquelle le droit moderne
de la succession d'Etats devrait reposer sur la présomption qu'un Etat
nouvellement indépendant consent à être lié par l'ordre juridique anté-
rieurement en vigueur à l'égard de son territoire sauf intention contrai-
re exprimée dans un délai raisonnable. Une telle présomption, favora-
ble à la solution de continuité, semble plutôt suggérée par le constat
d'une interdépendance grandissante des Etats, par ['intérêt pratique
qui s'attache à une certaine stabilité des rapports internationaux et
paraît justifiée par un attachement plus ou moins manifeste aux con-
ceptions qui prônent une succession de plein droit proche des théories
successorales du droit privé.
Il demeure qu'une telle présomption touche une question de princi-
pc fondamentale '-lui ne saurait être éludée dans toute réflexion sur le
droit de la succession d'Etats en général ct, sur celui de la succession
par décolonisation en particulier: la question de j'existence d'un droit
commun successoral qui imposerait aux nouveaux Etats, une succession
obligatoire et de plein droit.
Le
recours particulièrement large à l'accord international dans
les règlements successoraux, notamment ceux intervenus dans les cas de
How nation behave law and foreign policy, New York, Washington,
Londres, 1968, 324 p., p. 117.
23
décolonisation, ne saurait ici dissimuler l'acuité avec laquelle se pose,
particulièrement depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, cette
question de l'existence d'un tel droit commun de la succession d'Etats.
Il aurait, au contraire, plutôt tendance à révéler sous ce rapport les
hésitations de la doctrine comme la méfiance des Etats nouveaux de-
vant un droit successoral appelé a connaître de profonds changements.
Il est évident qu'un tel recours au mode conventionnel de règlement
permet aussi de comprendre le souci qui a pu être celui des anciennes
puissances coloniales en Afrique, de préserver, par la sécurité de l'ac-
cord international, un certain nombre d'avantages ou intérêts acquis
sous la période coloniale et, à cette fin, de s'appuyer sur un bilatéralis-
me propre à renforcer la position de l'Etat prédécesseur généralement
dominante au moment des indépendances.
Notre recherche aura donc à répondre à cette question de l'existen-
ce d'un droit commun de la succession d'Etats en tentant de soutenir
l'idée de l'existence, à côté de certaines règles générales communes,
d'un droit successoral spécifique à la décolonisation et dont le contenu
n'est généralement pas pris en compte dans la doctrine classique de la
succession d'Etats. Il importe à cet effet de situer, au préalable, nos
recherches parmi les divergences conceptuelles sur la succession
d'Etats (I) avant de préciser et de délimiter davantage l'objet de ces
recherches (II) et d'indiquer la méthode qui guidera leur conduite (III).
24
1. DES DIVERGENCES CONCEPTUELLES
SUR LA SUCCESSION D'ETATS
ET LA SITUATION DE LA PRESENTE RECHERCHE
Les différentes théories, anciennes ou modernes, de la succession
d'Etats ont déjà fait l'objet de nombreuses études particulièrement
approfondies (7) qui semblent nous autoriser à ne pas les décrire enco-
re une fois longuement. On pourra dès lors se limiter à les évoquer très
succintement avant de tenter de situer notre recherche par rapport b
l'ensemble des ces théories.
La doctrine classique du droit naturel, partant de l'assimilation de
la succession d'Etats à la
successior. de droit privé considérait l'Etat
"successeur" comme le continuateur de la personnalité et de la situation
juridique du de cujus. Le cas de la disparition d'un Etat dans l'hypothè-
se d'une succession d'Etats est en effet assimilé à celui de la mort
physique d'un particulier. Les règles de succession du droit privé sont
dès lors purement et simpkment transposées au droit international.
C'est ce que FAUCHILLE effectua en s'exprimant en ces termes:
"Quant un Etat est absorbé par un autre il se pro-
duit une succession du premier au profit du second,
en tous points assimilable à celle du droit privé ...
Comme un individu, l'Etat défunt a un successeur
(7) - Voir notamment l'ouvrage de Marco G. MARCOFF, Accession à
l'indépendance et succession d'Etats aux traités internationaux, Fri-
2S
qui continue sa propre personnalité: le gouverne-
ment en faveur de qui a lieu la cession est à l'égard
du gouvernement cédant un véritable héritier, un
successeur à la personne" (8).
Cette référence à l'héritage, très tôt utilisée par Alberico GENTI-
LE à la fin du 16e siècle (9) et qu'on retrouva avec quelques nuances
chez GROTIUS (10), VATTEL et PUFFENDORF, repose essentielle-
bourg, Suisse, Editions universitaires, 1969, pp. 11-48; celui de A.
GONCALVEZ PEREIRA, La succession d'Etats en matière de trai-
tés, Paris, Pédone, 1969, pp. 23-33, ainsi que le traité du Professeur
Charles ROUSSEAU, Droit international public, LIII, Paris, Sirey,
1977, pp. 338-340, ou son cours de doctorat de Droit international
public, Paris, Les C.d.d., 1961-1962, pp. 18-20; l'ouvrage de D.-P.
O'CONNELL, State Succession in Municipal Law and lntemational
Law, LI, Cambridge, Cambridge University Press, 1967, pp. 8-30,
\\lU en cure l'article de L. CAFLISH, "The Law of State succession.
Theorical observations", Netherlands InternatiOlzal law Review,
1963, pp. 351-366.
(8) - P. FAUCHILLE, Traité de droit international public, t.I, Paris A.
Rousseau, 1922, p. 391. Dans le même sens, P. de MARTENS,
Traité de droit international, t.I, Paris, Ed. A. Marescq Ainé, 1883, p.
368.
(9) - Voir FIELCHENFELD, Public Debts and State Succession, N ew York,
1931, p. 4.
(10) - GROTIUS admet en effet quelques exceptions affectant la masse
successorale transmise et s'efforce de fonder quelque peu sur le
droit des gens une transmissibilité de droits et obligations décou-
26
ment sur une conception patrimoniale de l'Etat qui appelle une succes-
sion universelle de droit privé considérée comme tout à fait "inaccepta-
ble" par l'ensemble des aute~rs de la doctrine moderne (11) qui lui
reprochent de méconnaître grossièrement les réalités de la pratique
internationale.
De telles faiblesses relevées dans la doctrine encouragèrent l'avè-
ne ment d'une autre conception classique qui prétend toutefois reposer
sur un fondement différent. Cette nouvelle conception dans laquelle est
prônée une "succession universelle de droit public" a été esquissée par
des auteurs comme BEFFTER, BLUNSCBLI, FlORE et MONTUORI
à la recherche de règles sui generis pour regir la succession d'Etats,
avant d'être systématisée par Max BUBER. Ce dernier abandonnera la
succession mortis causa de droit privé pour mettre l'accent sur une
successIOn universelle de droit public.
Ainsi, lors d'une succession d'EUlts, selon Max BUBER, l'Etat ne
disparaît pas entièrement par la voie de l'extinction. On assiste au seul
remplacement de son "centre" tandis que sa masse organique, à savoir
lant de traités résultant du fait que les individus qui forment la
substance de l'Etat et qui sont en dernier ressort les destinataires
véritables des traités emportent avec eux, et dans le cadre nouveau
de l'Etat successeur, les relations contractuelles de j'Etat prédéces-
seur.
(11) - Voir Ch. ROUSSEAU, Droit international public, précité, p. 339.
27
son territoire et sa population, subsiste. La succession entre Etats se
justifie dès lors par la survivance de ces éléments organiques constitu-
tifs auxquels demeurent attachés les intérêts opposables au nouvel Etat
ou les engagements pris par l'Etat prédécesseur au nom de la popula-
tion. La succession est donc la règle chez Max HUJ3ER sauf pour quel-
ques rares traités comme les traités d'alliance ou de garantie (12). Mais
la conception de Max BUBER demeure cependant, comme eut à le
souligner le Professeur Charles ROUSSEAU, sous l'emprise du droit
privé encore sensible dans sa distinction entre succession universelle,
portant sur un Etat tout entier et succession à titre universel, relative à
une partie de l'Etat et, sous l'influence de l'idée d'une transmission de
souveraineté (13).
Mais l'admissibilité logique d'une succession aussi fortement mar-
quée par l'influence des conceptions du droit privé va se heurter à un
important courant doctrinal contemporain qui, panant de l'idée selon
laquelle la souveraineté ne se transmet pas, développe une théorie
considérée comme négative de la· succession.
Les auteurs qui soutiennent un tel courant de pensée sont particu-
lièrement nombreux et l'articulation de leurs diverses doctrines autour
(12) - sur tous ces points, voir A. GONCALVEZ PEREIRA, op. cil., pp.
36-37.
(13) - Voir Ch. ROUSSEAU, op. cit., p. 339.
28
de conceptions volontaristes et positivistes les a naturellement conduits
au refus d'admettre le concept de succession en droit international (14).
La doctrine contemporaine dans sa grande majorité interprète en
effet les mutations de souveraineté comme des substitutions et non des
transferts de souveraineté. Dès lors, le remplacement de la souveraine-
té de l'Etat "prédçcesseur" par celle de l'Etat "successeur" sur le terri-
toire objet de la succession joint aux principes de l'égalité et de l'indé-
pendance des Etats s'oppose à toute transmissibilité de droit des obli-
gations et des droits de l'Etat "prédécesseur".
L'adhésion rigoureuse au positivisme a conduit des auteurs comme
GlDEL, ANZILOTTI, SCHONBORN ou CAVAGLIERI à nier toute
idée de succession d'Etats en refusant d'admettre qu'un Etat "succes-
(14) - Le groupe formé par les auteurs généralement considérés comme
"négativistes" n'est pas des plus homogènes. On y retrouve plusieurs
membres tels que J.L. BRIERLY, J. MERVYN-JONES, W.E.
HALL en Angleterre, A.C. HERSHEY, G. FENWICK aux Etats-
Unies, E. NYS, G. RIPERT et P. CHAILLEY en France et K.
STRUPP en Allemagne qui ont adopté des positions plus nuancées
en refusant d'accepter une solution d'ensemble du problème; voir
M.G. MARCOFF, op. Cil.,p. 23. Cette doctrine se rapproche pour-
tant, dans ses résultats, même si elle procède d'une démarche fon-
damentalement différente, de la doctrine de la succession partielle
exprimée par des auteurs comme M. UDINA, H. KELSEN et F.
VON LISZT qui n'envisagent la possibilité d'une succesion que
dans des cas précis comme s'agissant par exemple des traités locali-
sés, ibid., p. 27.
29
seur" plit être lié par des obligations autres que celles qui découlent de
son action juridique propre, tant il est vrai que la doctrine positiviste
reste dominée par la règle pacla sunl servanda, fondement ultime du
droit international.
En réalité la doctrine classique et la doctrine moderne ont ceci de
commun que, dans l'une comme dans l'autre, le problème de l'admissi-
bilité ou non de la succession semble inexorablement se poser dès lors
que, sans doute selon un attachement plus ou moins reconnu aux postu-
lats du droit privé, la notion de succession d'Etats est perçue comme
devant traduire simultanément le fait d'un transfert ou d'une substitu-
tion de souveraineté et sa conséquence qui consiste dans l'application
d'un régime juridique successoral rendant obligatoire ou, au contraire,
écartant le t(ansfert à l'Etat "successeur" des droits et oblig~,tions de
l'Etat prédécesseur. Une illustration frappante d'un tel amalgame est
donnée par la définition de la succession d'Etats proposée par le dic-
tionnaire de la terminologie du droit international publié sous le pa-
tronnage de l'Union académique internationale. Ce dictionnaire définit
la succession d'Etats, dans une formule qui résume pourtant la position
de la doctrine dominante. comme:
"l'expression fréquemment employée en doctrine pour dé-
signer :
a) la situation qui se présente lorsqu'un Etat se
substitue à titre permanent à un autre Etat et à
l'égard de la population de ce territoire par suite
30
d'une incorporation totale ou d'une annexIOn par-
tielle, d'un partage ou de la création d'un Etat nou-
veau, que l'Etat dont relevait antérieurement ce
territoire subsiste ou disparaisse.
b) la substitution d'un Etat dans les droits et obli-
gations de l'autre résultant de cette situation (15).
Le lien logique que l'on pcut s'attendre à voir réunir ces deux
assertions ne s'impose pas en toute clarté. Ti semblerait plutôt que le
rédacteurs de ces dispositions aient voulu éviter de consacrer formelle-
ment la subordination de l'une de ces assertions à l'autre.
Mais cette expressIOn parallèle de deux sens de la suc~ession
d'Etats qui ne se rejoignent pas dans la nature des réalités qu'ils reflè-
tent - une situation de fait et un régime juridique - dissimule mal, dès
lors que les deux significations doivent étre considérées cumulative-
ment et que le régime juridique prévu ne peut s'appliquer sans la
réalisation des conditions de fait touchant une redistribution de compé-
tences territoriales, un souci bien réel de laisser le régime successoral
prévu prendre le pas sur le processus factuel de succession. L'élément
politique de la succession qui réside dans la mutation de souveraineté
qui s'opère, s'en trouve considérablement minoré et semble n'être re-
(15) - Dictionnaire de la terminologie du Droit international, publié sous le
patronnage de l'Union académique internationale, Paris, Sirey,
1960, p. 587.
31
quis que pour appeler l'application d'un régime ju ridique d'autant plus
impératif que son contenu demeure uniforme de\\'ant une évidente di-
versité des conditions historiques et politiques des différents cas de
mu tation de souveraineté.
Une telle vision de la succession d'Etats conduit tout droit à enfer-
mer le débat sur l'admissibilité de la succession dans des limites étroi.
tes qui ne laissent guère d'autres choix que celui d'admettre ou de
rejeter en bloc une forme unique de transfert de droits et obligations;
transfert perçu sans discernement comme une conséquence juridique
des mutations politiques les plus importantes pouvant affecter l'identi-
té internationale de l'Etat, quelle qu'en soit par ailleurs la nature, qu'il
s'agisse de cas d'unificOltion d'Etats, de sécession ou de décolonisation.
On comprend mieux dès lors que la Commission du droit interna-
tiona1, invitée par l'ONU à codifier et développer les règles de la
succession d'Etats ait préféré, au début de ses travaux, de ne retenir que
l'aspect factuel et politique de la succession (16), sans préjuger des
(16) - Ainsi par exemple en ce qui concerne la succession aux traités,
l'aspect factuel et politique de la succession désignera selon la CDr
"Le fait de la substitution d'un Etat à un autre dans la
possession de la capacité de conclure des traités concer-
nant un territoire donné",
Cf, Doc. A/CNA/202, Premier rapport sur la succession d'Etats et
de gouvernements en matière de traités établi par Sir H. WAL-
DOCK, ACDI1968 vol. II, p. 92.
32
conclusions auxquelles elle devra ultérieurement aboutir sur les ques-
tians de fond, plus précisément sur le contenu des conséquences et des
règles juridiques qui se dégageraient de l'examen de la pratique succes-
sorale des Etats.
C'est dans le même esprit que M. Mohammed BEDJAüUI, rappor-
teur spécial de la COI sur la succession d'Etats dans les matières autres
que les traités s'est exprimé en soulignant, ce faisant, l'importance qu'il
convenait, dès l'abord, de restituer à la mutation de souveraineté dans
toute hypothèse de succession et a fortiori celle qui s'inscrit dans le
cadre d'une décolonisation. Selon le rapporteur spécial:
''j'obiet principal de la succession est donc la dévo-
lution d'un territoire de l'Etat prédécesseur à l'Etat
successeur.
Tous
les
autres
problèmes
suc-
cessoraux, opposabilité des traités, dévolution des
biens, subrogation aux dettes, continuité de l'ordre
juridique, sort des concessions, etc, ne sont en quel-
que sorte que des effets secondaires qui se greffent
sur l'effet principal: le transfert du territoire et de la
souveraineté sur ce territoire "(17).
(17) - Doc. A/CN.4/204 incorporant le document A/CN.4/204/ Corr.1,
ACDJ 1968, vol. II, p. 114, parag. 117.
33
Dans une recherche comme la nôtre qui ambitionne d'interroger la
pratique des Etats africains en vue d'exprimer les règles qui s'en déga-
gent tout en soulignant, le cas échéant, leur originalité en tant que
règles spécifiques aux sucessions par décolonisation, on ne saurait
qu'approuver les points de vue des deux rapporteurs spéciaux qui se
complètent dans la reconnaissance de la
double nécessité de restituer
toute sa valeur politique à la cause et à la manifestation factuelle de la
succession d'Etats définie comme "le fait de la substitution d'un Etat à
un autre dans la responsabilité des relations internationales d'un terri-
toire", et de laisser les droits et obligations des Etats "successeurs"
s'exprimer de leur pratique qui demeure cependant sujette à la nature
même de la mutation de souveraineté intervenue: unification, seces-
sion ou décolonisation (18).
(18) - Voir le rapport de la CDr sur les travaux de sa vingt-sixième session,
Doc. A/961O/Rev.1, ACDI 1974, vol. II, Première partie, pp. 171-
172.
34
La codification aura donc choisi, en des dispositions séparées con-
tenues dans chacune des deux Conventions adoptées, de définir la suc-
cesion d'Etats en fait, comme ci~dessus, et de renvoyer ensuite, pour ce
qui concerne les régimes juridiques applicables, à des dispositions re-
groupées dans chaque Convention en fonction des spécificités successo-
rales, parmi lesquelles figurent en bonne place celles qui sont liées à
la décolonisation.
C'est cette approche qui a été conservée tout au long des travaux de
la codification et qui a dû ainsi conduire la CDl puis les Conférences
diplomatiques réunies à Vienne en 1977-1978 en vue de codifier et de
développer respectivement les règles relatives à la succession en matiè-
re de traités et celles qui touchent la succession d'Etats en matière de
biens, archives et dettes d'Etat",
Il convient à présent, après avoir tenté de situer notre étude parmi
les divergences conceptuelles sur la succession d'Etats, de préciser
davantage son objet.
35
II - DE L'OBJET DE LA PRESENTE RECHERCHE
Du point de vue de leur contenu matériel, nos recherches se tour-
nent vers l'analyse des effets de la substitution de compétences étati-
ques, intervenue sur les territoires des pays africains du fait de leur
accession à l'indépendance, sur leur ordre juridique. Il s'agit donc
d'étudier les conséquences de la décolonisation des Etats africains sur
leur propre ordonnancement juridique tel qu'il s'organise au sein de
l'Etat et tel qu'il se déploie sur la scène internationale en rapport avec
les autres sujets du droit international. Certes, l'expression "ordre juri-
dique" n'est pas d'une utilisation commode. Santi ROMANO, pour qui
"le droit ne doit pas être pensé à partir du concept de norme" (19), n'a
pas manqué de souligner toute la difficnlté qui s'attache à l'emploi de
l'expression, tant celle-ci "évoque en effet l'idée de règles et de normes,
de sorte qu'il peut être malaisé d'imaginer un ordre qui n'y soit pas
réduit" (20). Il Y aurait là un abus de langage dont il faudrait se défaire
et Santi ROMANO propose à cet effet de substituer au mot "ordre"
"quelque autre expression qui sans exclure l'idée de norme, ce qui serait
injuste, ne la rappelle pas avec cette insistance due à une habitude
mentale invétérée" (21). En adoptant le même point de vue que Santi
(19) - Ph. FRANCESCAKIS dans son introduction à l'édition française de
l'ouvrage de Santi ROMANO intitulé L'ordre juridique, traduction
française de la 2è édjtion de 1"'Ordinamento giuridico", Paris, dal-
loz 1975, p. VII.
(20) - Santi ROMANO, op. cif., p. 17.
(21) - Ibid.
36
ROMANO nous ouvririons largement le champ de nos investigations
sur l'étude du sort de la législation précédemment applicable sur le
territoire de l'Etat qui accède à l'indépendance, de la validité des actes
administratifs, des actes juridictionnels de ['Etat prédécesseur, du sort
des instances juridictionnelles pendantes, de la condition des habitants
du territoire, en ce qui concerne l'ordre juridique interne de l'Etat.
S'agissant de l'ordre juridique international de l'Etat, il conviendrait
d'étudier le sort des engagements internationaux pris par l'Etat prédé-
cesseur en rapport avcc le territoire objet de la mutation de souveraine-
té ainsi que les incidences de celle-ci sur la responsabilité internationa-
le de l'Etat prédécesseur concernant ce territoire.
Nos recherches se limiteront cepenùant, pour mieux les cerner,
d'une part, aux effets de la succession d'Etats sur l'ordre juridique
interne qui se ramènera pour nous à l'ordre législatif, à l'ordre juridic-
tionnel et aux problèmes liés à la nationalité et, d'autre part, aux effets
de la succession d'Etats sur l'ordre juridique conventionnel, à son tour
limité aux seuls problèmes juridiques concernant la succession aux trai-
tés internationaux. Les questions touchant la soumission du nouvel Etat
aux règles générales du droit international et à la coutume internatio-
nale n'entreront pas spécifiquement dans j'objet de ces recherches.
Resteront également en dehors de cet objet, les questions relatives à la
succession d'Etats aux accords et arrangements conclus avec des per-
sonnes ou entités juridiques autres que les Etats souverains.
37
En outre, l'objet de la présente recherche, ralione personae, se
limitera à l'étude des rapports entre l'Etat africain nouvellement indé-
pendant et j'Etat prédécesseur, ainsi qu'aux rapports entre l'Etat "suc-
cesseur" et les Etats tiers-parties contractantes d'origine aux traités
conclus par j'Etat prédécesseur.
Ralione lemporis, ['objet de la présente étude se limitera à la seule
période de l'accession des Etats africains à la souveraineté internatio-
nale qui, dans l'ensemble, s'inscrit grosso modo entre 1958 et le début
des années soixante. Ce qui n'exclut pas cependant toutes investigations
en amont ou en aval de cette période, qui soient de nature à jeter un
éclairage utile sur un examen plus complet des réalités étudiées.
Au terme de ccs précisions, la question pourrait encore être posée
de savoir si l'étude des problèmes de la succession d'Etats concernant
les Etats africains, suite à leur accession à l'indépendance, répond à un
besoin ou à un intérêt scientifique véritable et réunit les conditions
techniques de son élaboration. La réponse affirmative que nous lui
apporterons repose sur plusieurs éléments.
D'abord, depuis les indépendances africaines, la doctrine a prati-
quement toujours hésité à s'engager dans une tentative de synthèse
d'une pratique aujourd'hui vieille d'une trentaine d'années. Le Profes-
seur Maurice FLORY affirmait à cet égard, en 1966, que "pour dégager
un droit international des transferts consécutifs à la décolonisation, il
faudrait un grand nombre de monographies précises et documentées qui
38
manquent souvent" (22), même s'il devait ajouter que, déjà à cette
époque, ces monographies se multipliaient considérablement (23). De-
puis, leur nombre s'est accru pour compter une assez grande diversité
d'études, monographiques comme de synthèse, relatives à la succession
par décolonisation notammen t en Afrique (24). Tou tefois, la plupart de
ces études rédigét<s avant la tenue, à Vienne en 1977, de la première
session de la Conférence diplomatique de codification et de développe-
ment des règles de la succession d'Etats en matière de traités, n'ont pas
pu tenir compte de la substance cles travaux cie cette Conférence ou de
ses résultats, ni même parfois des études récentes établies par le Secré-
tariat Général des Nations Unies, ou encore de la totalité de la docu-
mentation réunie par ses soins. Les rares études rédigées sur la succes-
sion d'Etats qui ont pu se fonder sur l'ensemble Ge ces sources, n'ont
cependant pas été spécifiquement consacrées à la succession par déco-
Ionisation et, encore moins, à l'Afrique.
(22)
M. FLORY, op. cil., p. 579.
(23) - Ibid., note S.
(24) - Cfnotre bibliographie générale et, en particulier les ouvrages de 0.-
P. O'CONNELL, M.G. MARCOFF, A. GONCALVEZ PEREIRA,
Ch. ROUSSEAU, D. BARDON NET, International Law Associa-
tion, Y. MAKONNEN, C. NGUYA - NDILA et les thèses de R.
DEGNI-SEGUI, A. GRUBER et de Z. MERIBOUTE.
39
Il semble dès lors qu'on pouvait trouver dans ce constat une raison
majeure, une justification ou peut-être un encouragement aux fins d'en-
treprendre des recherches spécifiquement consacrées à l'étude de la
succession d'Etats intervenue par décolonisation, en Afrique, à la lu-
mière de la pratique des Etats du Continent et des travaux, comme des
résultats de la codification.
Il est évident qu'on ne saurait manquer d'être conscient, eu égard
au nombre et à la complexité des questions que soulève un tel essai de
synthèse concernant la pratique des Etats africains, des difficultés et
limites
dont
nos recherches devront tenir compte. Difficultés
d'approche, d'analyse et de synthèse qui ont toujours été inhérentes à la
matière de la succession d'Etats comme tous les juristes ont eu à le
souligner (25) et que nous avons choisi de minorer en limitant l'objet de
notre étude à l'ordre juridique interne et conventionnel, laissant ainsi
hors de son champ les autres matières relevant des droits patrimoniaux
(25) - Résumant l'unanimité de la doctrine sur ce constat, le Professeur D.
BARDüNNET dut indiquer combien il est devenu banal de rappe-
ler que l'étude de la succession d'Etats constitue "l'un des chapitres
les plus controversés et les plus incertains du Droit international"
et, que certains auteurs, devant l'impossibilité de dégager une syn-
thèse de la question vont même jusqu'à s'abstenir de la traiter,
citant ainsi l'exemple de 1. BROWNLIE (Principles of public interna-
tionalLaw, 1966, p. 635), voir D. BARDüNNET, Succession d'Etats
à Madagascar, Paris, LGDJ, 1970, p. 3.
40
de l'Etat que sont les biens, archives et dettes d'Etats (26). Il s'y ajoute
que l'unité de la matière étudiée - l'ordre juridique - qui met en oeuvre
,
des règles qui ne touchent pas directement l'exercice de la souveraineté
économique des nouveaux Etats (27) mais appelle plutôt j'affirmation
de leur souveraineté politique, contribuerait à rendre moins ardue la
mise en évidence; dans la pratique africaine, de règles communes ou
homogènes.
Mais l'exposé du substrat de nos recherches ainsi que de leurs
conclusions ne saurait être entamé avant qu'un dernier préalable ne
soit levé, celui relatif à la méthode empruntée.
(26) - Sans avoir à en rendre compte dans cette thèse, nous avons eu à
étudier ces matières en vue d'une compréhension plus globale du
phénomène successoral. La partie relative à la codification dans
nos recherches sur ces matières a déjà été publiée. Voir, Cheikh
Tidiane THIAM, "La Convention de Vienne sur la succession
d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'Etats", Annales
Africaines 1983-1984-1985, pp. 283-304.
(27) - La définition de l'objet de nos recherches préfigurait déjà largement
le contenu à conférer par commodité, aux fins de la présente thèse,
à l'expression "Etats nouveaux". L'expression visera ainsi les Etats
issus du mouvement de décolonisation récente, c'est-à-dire celui
qui s'est déployé sur la scène internationale en principe depuis la
fin du second conflit mondial et, en Afrique, depuis la veille des
41
lU - DE LA METHODE APPLICABLE
A LA PRESENTE RECHERCHE
Nous emprunterons ici les mots du Professeur Charles de VISS-
CHER pour exprimer notre adhésion, aux fins de cette recherche, à la
définition qu'il donne de la méthode en droit international. Selon l'au-
teur des Théories et réalités en droit international, il faut entendre "par
méthode dans le droit international cet aspect de notre discipline qui
s'attache à dégager, par une enquête patiente et avec le maximum
d'exactitude, les données historiques et sociales qui forment le contenu
vivant, la matière de la règle de droit. A la base de toute méthode
valable est l'observation, la soumission à l'objet. La connaissance préci-
se de la matière précède toute construction logique. La méth(·de pose
néanmoins le problème de la participation de l'intelligence humaine, de
son raisonnement à l'élaboration du droit positif" (28).
Appliquée à notre recherche, cet te approche du sujet devra prendre
en compte à titre principal la pratique de l'ensemble des pays africains
annêes soixante. Toutefois la décolonisation sera prise dans son
sens large qui englobe tous les cas d'accession, pour un Etat, à la
maîtrise de ses relations extérieures, c'est-à-dire, à la souveraineté
internationale. Ainsi pourront être pris en compte comme au de-
meurant dans les travaux de codification des Nations Unies, l'en-
semble des cas relatifs aux colonies, aux mandats et aux protecto-
rats.
(28)
Ch. de VISSCHER, "Méthode et système en droit international",
RCADI1973, l, vol. 138, p. 75.
42
anciennement placés sous administration française. Mais il n'est que de
se pencher sur l'examen de la pratique des Etats nouveaux, pour se
rendre immédiatement compte qu'on ne saurait séparer ou opposer
fondamentalement la pratique des Etats anciennement placés sous ad-
ministration française est celle issue d'Etats antérieurement soumis à la
domination brita!1nique. Aussi, par le biais de la comparaison, aurons-
nous à indiquer tous les lieux de convergence et à souligner toute
spécificité ou différence marquante entre ces deux pratiques. Cette
démarche comparative s'étendra, à un second stade, en direction de la
pratique générale des Etats nouveaux puis, chaque fois que de besoin,
vers la pratique ancienne ou traditionnelle des Etats.
Cette démarche suppose la réunion d'une masse considérable de
documents aptes à reflèter le plus fidèlement la pratique des Etats dans
les différents domaines couverts par l'objet de nos recherches. Cette
tâche est rendue encore plus ardue par la rareté de la documentation
publiée dans certains domaines et qui appelle un surcroît d'effort
d'analyse et d'interprétation dont les limites, si elles ne nous échap-
pent, seront toujours indiquées (29). Toutefois, les difficultés ne surgis-
(29) - La difficulté est bien exposée par le Professeur D. BARDONNET
lorsqu'il indiqua que l'étude des incidences des mutations de souve-
raineté sur l'ordonnancement juridique interne de l'Etat aurait
nécessité des dépouillements si longs et si complexes qu'il lui a
fallu, à regret, y renoncer, op. cil., p. 11.
43
sent pas seulement devant des lacunes de textes. Elles résultent parfois
de certaines contradictions de la pratique des Etats bien souvent, à
l'examen, plus apparentes que réelles et que le Professeur K. ZEMA-
NEK mit en exergue avec force en soulignant "le fait bien connu, il son
avis, que ni les Etats, ni leurs chancelleries n'agissent de manière ra-
tionnelle" (30).
Une telle remarque aurait ruiné plus d'une recherche si elle n'invi-
tait au contraire à ne point figer l'analyse sur des manifestations ponc-
tuelles des Etats, même formellement consacrées par les textes si elle
n'étaient destinées qu'à répondre à des considérations d'opportunité ou
aux besoins d'une étape passagère et insuffisamment relevante dans les
rapports entre Etats prédécesseurs et "successeurs". L'on comprend
aisément dès lors, l'écart qui a pu, s'agissant en particulier des Etats
africains, s'installer entre leurs propres engagements conventionnels au
moment des indépendances et la pratique qu'ils ont ultérieurement
adoptée. Il semble en effet que seul un refus d'admettre que la décolo-
nisation n'est pas un acte ponctuel qui se réalise et s'achève dans
l'instrument et la pompe de sa proclamation, autorise une interpréta-
tion qui tient comme définitivement consacrées par les Etats nouveaux
au moment de leur accession à l'indépendance, les règles traditionnel-
les relatives à la succession d'Etats. On conçoit en effet, de plus en plus
(30) - K. ZEMANEK, "State Succession after decolonisation", RCADI
1965, III, p. 188.
44
dans la doctrine actuelle, l'idée d'une décolonisation progressIve qui
traduit l'évolution nécessaire dcs rapports établis entre le nouvel Etat
et l'ancienne puissance coloniale (31). C'est ainsi que semble avoir été
comprise par une large part de la doctrine, la préoccupation de ['As-
semblée générale des Nations Unies exprimée en 1962, de voir la Com-
mission du droit.international prendre, dans ses travaux, "dûment en
considération les vues des Etats qui ont accédé à l'indépendance depuis
la Seconde Guerre mondiale" (32).
Aussi, sous ce rapport, notre étude compara/ive des structures juri-
diques et des constantes de la pratique se doublera-t-elle d'une allalyse
dYllamique de l'origine et de j'évolution des règles et institutions juridi-
ques.
C'est ainsi que l'analyse des règles contenues dans les textes édic-
tées au moment des iridépendances pourrait trouver un éclairage utile,
à des fins d'interprétation, dans l'étude de la pratique subséquente des
Etats concernés, principalement les nouveaux Etats. Une place de choix
(31) - Sur la décolonisation progressive, voir M. FLORY, op. cit., pp. 577-
593, spéc. 585-586, ainsi que les nombreux rapports soumis à la CDI
relativement au problème de la succession d'Etats dans les matiè-
res autres que les traités, par M. BEDJAOUI, en particulier le
premier rapport publié dans ACDJ 1968, vol. II, p. 102.
(32) - AG NU, Rés 1765 (XVII) du 20 novembre 1962. Résolution plu-
sieurs fois rappelée par la suite par l'Assemblée générale.
45
devant à cet égard revenir à l'analyse et à l'interprétation des méthodes
successorales mises en ocuvre par les Etats "successeurs". Toutefois le
recours aux moyens c!assiquesde recherche théorique et d'interprétation
demeure la règle et, davantage encore lorsqu'il s'agit d'explorer des
domaines peu connus ou sur lesquels planent, comme s'agissant des
déclarations unilatérales ou des accords de dévolution, une interpréta-
tion dominante quoique souvent assez peu soucieuse de rendre compte
fidèlement du contenu réel et de la portée de tels instruments. Sous cet
angle, notre approche des institutions s'efforcera de ne pas négliger les
données du réel au profit de représentations abstraites ou de vues
exprimées a priori.
Cette pré cau tion devait prendre pour nous bien plus d'importance
sous la remarque suivante et particulièrement éclairante du Professeur
Jean-Pierre QUENEUDEC :
"Plus que jamais se vérifie la cadence particulièrement
rapide de j'évolution de la Société internationale et du
Droit international. Depuis 1961, il n' y a sans doute
pas eu de profondes modifications dans la structure de
la Société. Néanmoins, l'amplification du phénomène
de décolonisation, les efforts d'organisation poursuivis
par les jeunes Etats, les tentatives de réglementation
des domaines nouveaux ... ont changé quelque chose
dans l'allure de la Société internationale.
46
Il était indispensable de tenir compte de ces éléments
pour retracer le plus fidèlement possible les derniers
,
développements du Droit positif" (33).
C'est en tenant compte de ces données du réel, pour nous efforcer
de dégager les règles majeures qui dominent la pratique africaine en
matière de succession d'Etats, que nous avons choisi d'adopter une
analyse essentiellement inductive. Celle-ci dévoile le fondement essen-
tiel de la pratique africaine comme celui des Etats nouveaux qui réside
dans le principe de l'autodétermination et dans celui de l'égalité souve-
raine des Etats. Principes qui fondent le droit de l'Etat nouveau d'enta-
mer son existence internationale en principe libre de toute obligation
de maintenir l'ordre juridique en vigueur à l'égard de son territoire ou
en son sein. Cette liberté qui forme le substrat du principe de la table
rase est au centre de la doctrine et de la pratique successorale interve-
nue par décolonisation. Elle ne peut donc manquer d'être confrontée en
retour, et à des fins de synthèse, à la diversité des données de la
pratique. Notre méthode sera donc à la fois inductive et déductive dans
une interaction qui laisse la primauté au premier caractère tout en
conservant au second une valeur constructive, susceptible d'aider à
(33) - J.-P. QUENEUDEC, Avertissement pour la troisième édition l'ou-
vrage de Louis CAVARE, Le Droit international public positif, t.i,
Paris, Pédone, 1966.
47
l'ordonnancement du réel sans pour autant porter atteinte à sa substan-
ce (34).
C'est donc en nous efforçant de garder entre ces deux piliers de
notre approche du sujet l'équilibre que conseille toute exigence de
rigueur scientifique, que nous envisagerons d'étudier, en deux mouve-
ments, la succession des Etats africains à l'ordre juridique interne et
leur succession à j'ordre juridique conventionnel dans les limites dans
lesquelles ces deux formes de succession consacrent le principe de la
table rase.
Dans un tel cadre, la pratique sénégalaise sur laquelle une doculen-
tation assez substantielle a pu être réunie, pourrait être invoquée cha-
(34) - C'est ce que semble avoir bien compris le Professeur D.-P. O'CON-
NELL lorsqu'il reconnut les insuffisances de la méthode empirique
qu'il expérimenta et qui l'obligèrent à constater que le problème de
la succession d'Etats ne saurait être résolu au moyen d'une "simple
accumulation de faits précédents" rejoignant ainsi le Professeur M.
G. MARCOFF qui considère que "l'accumulation de données ac-
quises de la pratique diplomatique risque de se dégrader en un
simple bilan statistique, fort incomplet et d'ailleurs sujet à cau-
tion ... si l'on ne procède pas à un effort constructif de synthèse", op.
cit., p. 4.
48
que fois que nécessaire à titre d'illustration, pour raison d'exemplarité
ou de singularité.
Puissions-nous avoir cheminé dans cet esprit tout au long des deux
parties de notre recherche!
- Première Partie
Le principe de la table rase et la successIOn
à J'ordre juridique interne
- Deuxième Partie
Le principe de la table rase et Ja succeSSIOn
à J'ordre à l'ordre juridique conventionnel
RREMIER~1UŒ
49
On se propos<; d'étudier dans cette p:lftie la succession à l'ordre
juridique interne de l'Etat, à savoir la succession à j'ordre législatif, à
l'ordre juridictionnel et en matière cie nationalité.
Comme en principe dans tous les cas de succession par décolonisa-
tion, la pratique des Etats africains dans ces matières sera étudiée à la
lumière des principes de J'autodétermination et de l'égalité souveraine
des Etats qui conditionnent une certaine applicatif'n du principe de la
table rase à ces matières.
La pratique des Etats africains sera donc examinée à travers les
trois chapitres suivan ts :
Chapitre 1 : Le principe de la table rase et la succession d'Etats en
matière législative;
Chapitre Il : Le principe de la table rase et la succession d'Etats en
matière juridictionnelle;
Chapitre III : Le principe de la table rase et la succession d'Etats en
matière de nationalité.
50
"Je crois que dans quelques tempJ nous con.'italerons que dalls le droit
de ces jeunes Elats il ya ulle sorte de parJ translaticia, une partie qui a
été héritée du droit français et qui .'illbiste et que, d'autre part, il y a une
partie. neuve qui Ile 1lOUS a pas emprunté beaucoup." (1)
Aussi nette que soit l'affirmation du principe de la non-succession à
l'ordre "législatif' lato-sensu ou de la table rase en matière législ~tive, sa
traduction absolue dans la pratique reste des plus incertames (2).
(1) - J. FOYER, "Les destinées du droit français en Afrique", Penant 1962,
p. 3.
(2) - Le problème ici soulevé est assurément délicat même si ses données
propres paraissent relativement simples. Selon D.-P. O'CON-
NELL, "The fate of the legal system in territory which is subject ta
a change of souvereignty is obviously the most fundamental ques-
tion for analysts of the law of State succession" cf, "Recent pro-
blems of State succession in relation to new States", RCADI, 1970,
II, 1. 130 p. 22 ; Karl ZEMANEK fait aussi observer que "this is
the domain in wich the most violent desagreement and the most
profund misunderstandings reign among scolars", RCADI, 1965, 1.
116, p. 271.
51
Dans le cadre de l'émancipation des anciennes colonies françaises
d'Afrique (3), l'énoncé du principe (Section I) se concilie avec une volonté
constante d'assurer une assez large continuité (Section II).
(3) - La bibliographie concernant la succession d'Etats en matière législa-
tive est relativement abondante. Toutefois, assez peu d'études
sont spécifiquement consacrées à ce thème, surtout en ce qui con-
cerne les anciennes colonies françaises d'Afrique. Sur les aspects
généraux et particuliers du sujet, voir notamment, K. ZEMANEK,
op. cit. pp. 271 et s. ; O'CONNELL, op. cit. pp. 122 et s., A. DE
LAPRADELLE, "De l'influence du changement de souveraineté
sur la loi territoriale", R. G.D.I.P., 1925, pp. 388-402 ; Sh. ROSEN-
NE, "The effect of change of sovereignty upon municipal law",
BYIL, 1950, XXVII, pp. 267-292 ; S. VILLARI, "Reflexions sur la
survivance des normes dans les Etats africains et asiatiques de
formation récente", in Les constitutions et les institutions adminis-
tratives des Etats nouveaux, Institut international des civil.isations
différentes, Bruxelles, 1965, pp. 581 et s. Le problème de la suc-
cession d'Etats en matière législative a été soulevé dès le début
des années soixante dans le cadre des travaux de la Commission
du dr.Jit international par le biais de l'analyse de la prarique des
Etats en matière de succession d'Etats (cf. Doc. A/CN.4/157,
"Résumé des décisions des tribunaux nationaux concernant la suc-
cession d'Etats et de gouvernements", ACDI, 1963, vol. II, parag.
165). Il fut l'objet d'une brève étude dans le Premier rapport pré-
senté par M. BEDJAOUI, en 1968, sur "la succession d'Etats et les
droits et obligations découlant de sources autres que les traités",
Doc.A/CN.4/204,ACDI, 1968, vo. II, pp. 112-114. Mais cette étu-
de, en dépit de toute l'importance qu'on lui reconnaît, ne fut pas
prolongée dans les rapports ultérieurs de la Commission qui dut
progressivement restreindre son champ d'investigation, aidée no-
tamment en cela, en dépit d'une certaine diversité de la doctrine,
par une assez grande uniformité de la pratique dans la double
affirmation du principe de la non-succession et d'un besoin réel
de continuité, même provisoire.
52
SECTION r
L'AFFIRMATION DU PRINCIPE
DE LA TABLE RASE
Le principe dt; la compétence entière et immédiate qui postule rour
J'Etat successeur, J'extension sur son territoire de sa propre législation
semble s'opposer radicalement à toute idée de transfert de piano de J'or-
dre juridique antérieur ou colonial à l'Etat nouveau (4). La doctrine s'ac-
corde en général à considérer comme certain le principe de non-succes-
sion au droit interne de l'Etat prédécesseur et, en particulier, à sa législa-
tion. Une nette illustration en est donnée par le professeur Paul REUTER
lorsqu'il écrit que:
(4) - Voir J.H.W. VERZJIL, Internationallaw in Historical Perspectives,
part VII, State Succession, Leidein, A.- W., SIJTHOFF, 1974, p.
23; également, Mme P. BASTID, Cours de droit international public,
Paris, les C.d.d., 1976-1977, p. 1062.
53
"La succeSSIOn tend dans un territoire déterminé à la
substitution d'un ordre juridique, celui de l'Etat succes-
seur à l'ordre juridique de l'Etat prédécesseur. On peut
même dire qu'en principe cette substitution est absolue:
elle est la conséquence à la fois de la personnalité de
l'Etat et du caractère territorial de la souveraineté.
II est impossible de ne pas tenir compte de ce fait fonda-
mental pour définir le régime de la succession d'Etat" (5).
On peut dès lors soutenir que sur la plan des considérations de princi-
pe seule une regrettable confusion entre la succession de droit privé et la
succession d'Etats en droit international a pu autoriser l'admission d'un
transfert de plein droit, à défaut d'une hypothétique règle coutumière
prescrivant une succession de droit (6).
(5) - P. REUTER, Droit interantional public, 5e éd., PUF, 1976, pp. 183-
184.
(6) - Voir H. THIERRY et autres, Droit international public 3e édition,
Paris, Montchrestien, coll. Université nouvelle 1981, p. 258. Selon
ces auteurs une certaine dotrine - française notamment - tributai-
re d'une analogie avec les successions de droit civil commet une
"imposture" en ce qu'une telle analogie "introduit sournoisement
l'idée, politiquement soutenable, mais nullement nécessaire
en technique juridique que l'Etat successeur "continue" l'Etat au-
quel il succède et doit, puisqu'il bénéficie de la compétence sur le
territoire acquis, supporter le "passif' correspondant à... "l'actif',
et endosser toutes les charges qui le grèvent", ibid., pp. 258-259.
S4
Mais si le principe de la table rase ou de la non-succession se conçoit
aisément en théorie pour les successions ouvertes après décolonisation, il
n'en est pas moins admis, en d02trine, en ce qui concerne les successions
dites de "type classique" généralement ouvertes à la suite d'annexions ou
de cessions réalisées par le biais de faits d'armes ou d'accords internatio-
naux, même si l'application du principe dans ces derniers cas est bien
souvent malaisée dans la mesure où elle se heurte, en pratique, à un be-
soin plus impérieusement ressenti de préserver un certain ordre juridique
de transition (7).
Le principe de la non-succession est en outre consacré par la
jurisprudence internationale (8) de même que par la jurispru-
(7) - Voir, M. BEDJAOUI, "Premier rapport...", op. cir., parag. 107-112.
(8) - C'est ce qui ressort de la décision rendue par la CPJI en 1926 dans
l'affaire des "Intérêts allemands en Haute Silésie polonaise". La
cour avait été saisie par l'Allemagne d'une demande relative à
certains intérêts allemands dans la partie de la Haute-Silésie
qu'elle avait cédée à la Pologne après la première guerre mondia-
le. L'Allemagne soutenait que certaines dispositions de la loi po-
lonaise de 1920 qui déclaraient nuls les droits cédés par le Gou-
vernement allemand après l'armistice, étaient contraires à la con-
vention germano-polonaise relative à la Haute-Silésie et signée à
Genève en 1922. Cette convention disposait en son article 1er que
le droit en vigueur en Haute-Silésie devait être maintenu sous
réserve des effets du transfert de souveraineté et des modifica-
tions en résultant. Interprétant cette disposition, la cour devait
estimer que la "réserve faite ... pour les conséquences entrainées
55
dence interne (9).
Les tribunaux français notamment ont confirmé l'adhésion de la France
un tel.principe. Ainsi le tribunal de grande instance de la Seine a déclaré
caduque, depuis l'accession à l'indépendance de l'Algérie, l'extension de la
législation française à ce qui constituait, avant les accords d'Evian, un dépar-
terne nt français (10). De même, un arrêté interministériel du 8 mai 1961 re-
latif aux services extérieurs de la Direction Générale des Impôts et concer-
nant les départements algériens a été considéré comme implicitement abrogé
du
fait
de
la
reconnaissance
de
l'indépendance
algérienne
en
par le changement de souveraineté et pour les modifications qui
pourraient en découler. .. vise plutôt des lois constitutionnelles et
de droit public dont le maintien aurait été incomptatible avec le
transfert de souveraineté", CPfJ, série A, n° 7 p. 17, voir Doc.
A/CN.4/1S1,ACDJ, 1962 vol. 2, pp. 158-159. Notons toutefois que
la cour fait en l'espèce une application sélective du principe de la
table rase limitée aux règles du droit public.
(9) - La liberté d'action de l'Etat successeur a été réaffirmée par la Cour
d'appel de l'AOF dès l'époque coloniale au profit de l'Etat an-
nexant, Cour d'appel de l'AOF, 12 mai 1933, Etat français c/Dal-
meida, Rec. Dareste, 1933, 3, pp. 88 et s.
(10) - Trib. de grande ins. de la Seine, 10e ch. correct. 22 juin 1966, minis-
tère public c. HARIVEL,AFDJ, 1966, pp. 817-818; dans le même
sens: Conseil d'Etat, 21 déc. 1966, DE HARDIES, Rec., 1966, p.
871, sommaire, ibid., p. 818.
56
1962 (11).
Pour les mêmes raisons fut affirmée l'incompétence du Conseil d'Etat
à la suite de l'accession à l'indépendance des anciens territoires d'outre-
mer (12).
En dépit des consécrations diverses dont il a été l'objet, le principe de
la non-succession s'est heurté dans sa mise en oeuvre à des limites impo-
sées par la pratique.
Ainsi l'émancipation des anciennes colonies françaises d'Afrique s'est
non seulement déroulée, en général, dans une certaine continuité législative
mais celle-ci a revêtu un véritable caractère de nécessité (13).
La nécessité de "succéder", en fait. à tout ou partie de J'ordre législatif de
l'Etat prédécesseur, même à titre transitoire, comporte l'effet de réduire sen-
siblement la portée tout au moins pratique du principe de non-succes-
(11) - Conseil d'Etat, 16 juin 1967, Syndicat autonome des contributions
directes d'Algérie, Rec. 1967, p. 690 ; pour un sommaire, voir
AFDJ, 1968, p. 830; dans le même sens, Trib. de grande ins. de la
Seine 21 oct. 1967, ge ch., Sieur EXSHAW DE LA VILLEHELIO
c. l'Urbaine et la Seine, ibid, p. 830.
(12) - CE, 3 nov. 1961 MBOUNYA, RDP, 1962, pp. 149-150; CE., 16 juin
1961, ALIBAY BANDJEE et KOTALIMBORA, RDP, 1961, pp.'
1106-1107; CE, 22 déc. 1961, Cie des Transports régionaux dei
l'Est et du Centre, Rec.;1961, p. 747, RDP, '1962, p. 362.
(13) - J. HILAIRE, "Nos ancêtres les Gaulois", Annales africaines, 1964, p.
13.
57
sion pour lui opposer la pratique toutefois volontaire de la continuité.
58
SECTION II
LA PRATIQUE
DE LA CONTINUITE LEGISLATIVE
Sans toutefois entamer l'existence du principe de non-succession, la con-
tinuité législative a essentiellement dominé le processus de la décolonisation
africaine. Mais la portée de la reconduction effectuée sera d'au tant mieux
appréciée que l'importance et la nature de l'ordre juridique reconduit auront
été déterminées (Sous-Section 1) les facteurs de la reconduction dégagés
(Sous-Section II) et ses formes précisées (Sous-Section III).
Sous-Section 1
L'ORDRE JURIDIQUE RECONDUIT
La doctrine n'a pas manqué de s'interroger sur le fondement de la vali-
dité de l'ordre juridique reconduit ainsi que sur la nature des règles juridi-
ques dont la validité n'aurait pas été affectée par l'application du principe de
la non-succession, à côté de celles qui, dans la pratique, font générale-
59
ment l'objet d'une reconduction.
Ces deux préoccupations qui, au demeurant, s'inscrivent bien davantage
dans la perspective d'un débat théorique, n~en sont pas moins utiles à la
détermination, tant sur le plan juridique que pratique, de la portée de la
reconduction législative.
Dès lors, la détermination de l'ordre juridique reconduit, dans la pra-
tique de la continuité observée lors des décolonisations africaines, semble
appeler une réflexion à la fois sur la validité et le contenu de j'ordre juridique
reconduit.
Paragraphe 1
LE FONDEMENT DE LA VALIDITE
DE L'ORDRE JURIDIQUE RECONDUIT
La doctrine donne ici l'image d'une doctrine divisée où l'on distingue
deux principaux courants (14). Dans le premier courant est soutenue l'idée
(14) - Pour une présentation et une étude détaillée de ces courants, voir,
Sh. ROSENNE, "The effect of change...", précité, pp. 267-292 ;
pour une présentation plus succinte, voir K. ZEMANEK, op. cil.,
p. 278.
60
qu'en vertu d'une règle du droit international l'ordre juridique en vigueur
demeure valide aussi longtemps qu'il n'est pas abrogé ou modifié par le nou-
vel Etal. L'on reconnaît ainsi à l'ordre juridique antérieur, selon ce courant
dont les origines présumées remontent aux travaux de HYDE (15), un certain
degré d'autonomie ou même une existence indépendante de l'Etat successeur
pourtant appelé à se déterminer vis-à-vis de cet ordre.
Dans le second courant est partagée l'idée selon laquelle la continuité de
l'ordre juridique interne dépend de sa réédiction par un acte souverain du
nouvel Etat dans la mesure où le pouvoir de légiférer est un attribut essentiel
de la souveraineté étatique. Les auteurs de celle tendance considèrent toute-
fois que celle réédiction
- ou le consentement donné par le nouvel Etat au
droit antérieur - n'est pas nécessairement expresse ou traduite en actes posi-
tifs, et pourrait dès lors demeurer tacite (16).
(15) - Ch. Ch. HYDE, International Law clziefly as interpreted and applied
by the United States, 2nd ed., Washington, 1945, vol. 1, p. 397 ; voir
K. ZEMANEK, op. cit., p. 278 ; sur les auteurs de ce courant, voir
S. ROSENNE, op. cit., pp. 274-276.
(16) - Sur les auteurs de ce second courant, voir S. ROSENNE op. cit., pp.
274-279 et D.P. O'CONNELL, State Succession in Municipal Law
and International Law, vol. l, précité, p. 101. Citons parmi ces
auteurs, H. ACCIOLY, Traité de droit international public, vol. l,
1940 (trad. franc.) p. 200 ; G. CANSACCHI, "La sopravivenza
dell'ordinamento giurdico antecedente in territorio annesso ", Studi
Perassi, 1957, vol. 1, p. 251 et A., CAVAGLIERI, "Règles généra-
les du droit de la paix", RCADI1929, vol. XXVI, p. 378, Sh. RO-
61
Le point de vue adopté sur la question par O'CONNELL semble ouvrir
une troisième voie entre les deux précédents courants. Selon cet auteur qui
observe qu'en pratique les rapports juridiques entre personnes privées et,
entre ces dernières et l'Etat, sont préservés à l'occasion des substitutions de
souveraineté (17), l'ordre juridique antérieur devient certainement ordre ju-
ridique de l'Etat successeur mais ne dérive pas nécessairement de la souve-
raineté de ce dernier (18). Il ne lui paraît pas non plus nécessaire de faire
appel au droit international pour justifier la survivance du droit antérieur.
La seule approche qui lui semble acceptable est celle qui propose une
explication "philosophique" à la pratique de la continuité du droit, lorsque
SENNE, op. cil., et K. ZEMANEK, op., cil, adoptent le même
point de vue.
(17) - Voir D. P. O'CONNELL, op. cil., p. 101 et du même auteur, "Recent
Problems of State Succession in Relation ta new States" RCADI,
1970, II, vol. 130, p. 122, l'auteur a pu ainsi affirmer que; "They
(the Laws of a people) come into existence, not by an act of sove-
reign will, but by the consensus of the community_ They continue
to govern the life of community despite changes in the sovereign
authority. Hence they can be abrogated or modified by a subse-
quent act of the legislature of the successor State", cf, The law of
Stale Succession, Cambridge, Univ. Press, 1956, p. 215.
(18) - cf, State Succession in municipal Law..., précité p. 103, L'auteur
repousse, ce faisant, une notion de souveraineté qui selon lui "is
an almost mystical one, with obvious hegelian antecedents", cf,
"Recent Problems ... ", précité, p. 124.
62
cette continuité n'est pas immédiatement assurée par un acte législatif. L'au-
teur soutient à cet égard que
"The law does, indeed, become the law of the successor Sta-
te, but this is in vertue of a proposition of philosophy, and
not only in vertue of a positive creative act of that State"
(19).
En dépit de son originalité et de sa réaction critique face aux deux pré-
cédentes conceptions, la thèse proposée par O'CONNELL n'est pas sans pré-
senter quelque faiblesse.
La tentative d'explication "philosophique" qui est propo~'ée ne semble
pas retenir du concept de souveraineté étatique les caractères essentiels des
compétences que son exercice implique et qui sont la plénitude et l'exclusivi-
té. Or la compétence législative est un attribut essentiel de l'Etat et demeure
un instrument privilégié d'expression de sa souveraineté. Il semble dès lors
difficile de ne pas reconnaitre à un Etat souverain, dès le moment de son
apparition, une compétence législative entière exclusive et donc immédiate,
qui implique un contrôle ou une maîtrise de droit de l'ensemble de son ordre
juridique.
Il ne parait à cet égard nullement nécessaire de recourir à une concep-
(19) - Ibid., p. 127.
63
tian hégelienne de la souveraineté, comme le soutient O'CONNELL, pour
faire admettre que la maîtrise entière et exclusive de l'ordre judique interne
de l'Etat, telle qu'impliquée par une conception traditionnelle de la souverai-
neté, permet à j'Etat nouveau de considérer sienne la législation applicable
sur son territoire sans être contraint, pour ce faire, de respecter une forme
déterminée de reconduction. Celle-ci peut dès lors aussi bien être tacite
qu'expresse (20) mais encore s'effectuer, dans cette dernière hypothèse, en
dehors de toute obligation pour le nouvel Etat, de respecter la hiérarchie des
règ)es précédemment en vigueur (21).
Au surplus, l'hypothèse du désordre ou d'instauration d'une anarchie
que O'CONNELL semble redouter lorsqu'il évoque l'existence, dans le do·
maine des faits, d'un "principle of philosophy without which human society
would fall into ar1archy" (22), paraît au contraire exiger, sur le plan du droit,
dès lors que l'existence souveraine de l'Etat nouveau est tenue pour certaine,
la reconnaissance à cet Etat, d'une pleine capacité de s'or-
(20) - Cf., K. ZEMANEK, op. cit., p. 278
(21) - Cf., M. BEDJAOU1, "Premier Rapport...", op. cit., parag. 114. L'au-
teur ne manque pas cependant de souligner que des difficultés
peuvent certainement naître ultérieurement lorsque l'Etat nou-
veau a reconduit la législation ancienne y compris celle fixant cet·
te hiérarchie ou lorsqu'il n'a pris aucun texte déterminant sa pro-
pre hiérarchie des normes, ibidem.
(22) . D. P. O'CONNELL, op. cit., p. 127.
64
ganiser, d'établir comme de sauvegarder les rapports juridiques de droit pu-
blic ainsi que de droit privé applicables en son sein. Ici encore l'Etat nouveau
exprime, tacitement ou explicitemènt, sa volonté propre, dans la reconduc-
tion de l'ordre juridique antérieur (23).
En accédant à l'indépendance, les anciennes colonies d'Afrique, fran-
çaises notamment. ont généralement reconduit l'ordre juridique antérieur
tout en réaffirmant, lorsqu'il s'agit d'une reconduction expresse, leur volonté
de préserver leur entière souveraineté.
Mais l'ordre juridique reconduit demeure particulièrement étendu et di-
versifié. Son contenu mérite dès lors d'être autant que possible précisé.
Paragraphe II
LE CONTENU DE L'ORDRE JURIDIQUE RECONDUIT
Une politique d'assimilation législative complète mise en oeuvre par
(23) - Voir dans le même sens, K. ZEMANEK, qui considère que: "If state
succession is understood as the change of attribution of acts of
supreme power, then the new subject of attribution must be consi-
dered as having enacted the legal order as its own, otherwise it
would not be a sovereign state. because it wou Id lack legal auto no-
my", op. cil., p. 278.
6S
l'ancienne puissance coloniale aurait permis de considérer comme applicable
allX colonies, du fait de leur intégration au territoire de la métropole, tout
l'ordre juridique interne de cette dernière constitué de lois, ordonnances,
décrets et autres textes. L'ordre juridique alors reconduit par les Etats nou-
veaux au moment de leur accession à l'indépendance serait identique à celui
du même ordre en vigueur en Métropole.
Mais la politique législative appliquée aux colonies, essentiellement bâ-
tie sur le principe de la spécialité législative, dut écarter la simplicité d'une
telle solution et conseiller une approche plus sélective et par conséquent plus
délicate du problème de la détermination des contours de l'ordre juridique
reconduit.
L Le principe de la spécialité législative
Le principe de la spécialité législative qui aura pour l'essentiel déter-
miné la politique législative appliquée allX colonies signifie, selon la défi-
nition qui est généralement donnée, que les lois et règlements émanant des
autorités centrales ne s'appliquent pas de plein droit dans les territoires d'ou-
tre-mer. Ainsi, en dehors des cas où ils ont été pris spécialement à l'intention
de ces territoires, les lois et règlements de la Métropole ne peuvent les·
régir qu'en vertu d'une disposition spéciale (24).
Ils font alors
(24) - P. LAMPUE, Droit d'outre-mer et de la coopération, Paris Dalloz,
1969, p. 99 ; voir également LUCHAIRE, Droit d'outre-mer et de la
66
l'objet d'une déclaration d'applicabilité qui peut être contenue dans le texte
même de la loi ou du règlement ou résulter d'un acte ultérieurement pris
pour étendre aux territoires concèrnés, une loi ou un règlement déjà en vi-
gueur dans la Métropole (25).
Mais la définition ainsi donnée du principe de la spécialité rendait enco-
re nécessaire l'apparition d'autres règles venues pour en préciser la portée.
On admet en effet que lorsqu'une loi métropolitaine déclarée applicable
et promulguée dans une colonie a été completée, modifiée ou abrogée par un
ou plusieurs textes ultérieurement adoptés, ces derniers devront être soumis
aux mêmes formalités de déclaration d'applicabilité et de promulgation (26).
Le principe de la spécialité législative a été consacré dans la pratique
française par le moyen de nombreux textes constitutionnels et législatifs ainsi
que par la jurisprudence des cours et tribunaux. Mais il ne s'est pas définitive-
ment établi sans quelque hésitation.
coopération, 2e éd., Paris, P.U.F., 1966, p. 224 et, P.-F. GONI-
DEC, Droit d'outre-mer, Paris, Montchrestien, 1. 1, 1959, pp. 122 et
s.
(25) - Idem.
(26) - Casso civ. 6 nov. 1923, Dareste, 1923, III, p. 217. Pour l'étude du
principe de la spécialité législative ainsi que celle de la promulga-
tion et de la publication voir, outre les ouvrages d'outre-mer déjà
67
L'ancien Régime a vu à cet égard s'établir consécutivement deux poli-
tiques législatives différentes vis-à-vis des colonies.
Ils s'agit d'abord de la politique de l'assimilation ou de l'unité du droit
voulue par le Roi lorsqu'il prescrivit, par ses édits de mai et d'août 1664,
l'emploi par les colons, du droit applicable à Paris.
Cette politique d'assimilation est par la suite remplacée par celle de la
spécialité législative qui découle de l'exigence du Roi faite aux Conseils sou-
verains, dans les lettres royales des 26 octobre 1744 et 9 décembre 1746 ainsi
que dans l'ordonnance royale du 18 mars 1776, d'obtenir de lui un ordre
spécial avant tout enregistrement de ses décisions.
La Révolution ne mit pas immédiatement un terme à la politique légi-
slative léguée par l'Ancien Régime finissant. La Constituante et la Législati-
ve maintinrent le régime de la spécialité législative dans le cadre et le souci
d'une décentralisation politique favorable aux Assemblées coloniales.
cités, SAUVER, "De la législation coloniale et des textes métro-
politains applicables aux colonies" Penant, 1895, pp. 433 et s. ; P.
DARESTE, "L'application et la promulgation des lois aux co-
lonies", Rec. Dareste, 1912, II, pp. 1 et s. ; P., LAMPUE, "les lois
applicables dans les territoires d'outre-mer," Penant, 1950, II, pp.
1 et s. ; P., LAMPUE, "La promulgation des lois et décrets dans
les territoires d'outre-mer", Annales africaines 1956, pp. 7 et s. et
R. DEGNI-SEGUI, La succession d'Etat en Côte d'Ivoire, thèse
do ct. en droit, Université d'Aix-Marseille, pp. 74 et s.
68
La Constituante déclara ainsi ne pas "assujétir (les colonies) à des lois
qui pourraient être incompatibles avec leurs convenances locales et parti-
culières" (loi des 8-10 mars 1790). Cette volonté s'est par la suite consolidée
dans la Constitution des 3-14 septembre 1791 qui disposait que les "colonies
n'étaient pas comprises dans la Constitution", entendant ainsi affirmer que le
régime législatif de la Métropole ne s'appliquait pas aux colonies sauf en ce
qui concerne certaines questions réservées (loi des 24-28 septembre 1791).
Les abus constatés au niveau des assemblées coloniales justifièrent la
réaction de l'Assemblée qui, en 1792, reprit le domaine cédé à ces assem-
blées, et expliquèrent le changement de politique législative intervenu sous la
Convention et le Directoire.
Le retour à une politique radicale d'assimilation législative fut ainsi con-
sacré par la Constitution du 5 fructidor de l'an III qui disposait en son article
6 que les colonies "sont parties intégrantes de la République et sont soumises
à la même loi constitutionnelle". Une formule qui signifiait que les lois votées
en Métropole s'appliquent de plein droit dans les colonies.
Mais cette politique d'assimilation fut de bien courte durée. Elle fut de
nouveau remplacée par celle de la spécialité législative mise en oeuvre sous
le Consulat et l'Empire et consacrée par la Constitution du 22 frimaire an
VIII qui disposait en son article 91 que le régime des colonies est déterminé
par des lois spéciales.
Le principe de la spécialité législative s'est pratiquement toujours
69
maintenu depuis l'époque du Consulat et de l'Empire sous réserve d'une
tentative de réaffirmation, non suivie d'effet, du principe de l'assimilation,
entre 1848 et 1870, sous la Deuxième République et le Second Empire (27).
La Constitution proclamée par le Sénatus-consulte du 21 mai 1870 se
garda d'abroger le régime porté par le Sénatus-consulte de 1854 qui fut main-
tenu en vigueur par la nouvelle constitution, même au prix de sa déconstitu-
tionnalisation.
Les lois constitutionnelles de 1875 relatives à la Troisième République
ne réaffirmèrent pas expressément le principe de la spécialité législative, au
demeurant maintenu en vigueur par le Sénatus-consulte de 1854 non
écarté par la nouvelle constitution. Le principe devenu traditionnel,
(27) - La constitution du 4 novembre 1848 disposait en son article 109, que
"le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire
francais, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une
loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution".
Mais la loi qui devait permettre le retour à l'assimilation ne fut
jamais adoptée. De même le sénatus-consulte du 3 mai 1854,
adopté sous la constitution du 14 janvier 1852 et devant préparer
l'établissement d'un nouveau régime législatif des colonies distin-
gue parmi ces dernières, deux catégories: une première catégorie
regroupant la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion soumises,
dans certaines matières, aux décrets impériaux et une
seconde
catégorie rassemblant toutes les autres colonies, entièrement sou-
mises au régime des décrets dans l'attente du texte établissant un
nouveau régime et qui ne fut, non plus jamais adopté. Voir LAM-
PUE, op. cit., pp. 46 et s.
70
est considéré comme ayant acquis une valeur de principe général du droit
(28).
,
La Constitution du 27 octobre 1946 dut maintenir le principe de la spé-
cialité législative d'autant mieux qu'elle devait reconnaître un statut parti-
culier aux territoires d'outre-mer (29). La Constitution dispose ainsi en son
article 72 que :
"Dans les territoires d'outre-mer, le pouvoir législatif ap-
partient au Parlement en ce qui concerne la législation cri-
minelle, le régime des libertés publiques et l'organisation
politique et administrative.
En toutes autres matières, la loi française n'est applicable
dans les territoires d'outre-mer que par disposition expresse
ou si elle a été étendue par décret aux territoires d'outre-
mer après avis de l'f.ssemblée de l'Union".
Cette rédaction de l'article 72 est loin d'avoir été parfaite puisqu'elle
s'accommodait d'une interprétation permettant de considérer que le Parle-
ment est compétent pour prendre des lois directement applicables dans
(28) - P. LAMPUE, op. cit., p. 61.
(29) - La Constitution dispose en son article 74 que: "les territoires d'ou-
tre-mer sont dotés d'un statut particulier tenant compte de leurs
intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République".
71
les territoires d'outre-mer, lorsque ces lois interviennent dans les domaines
qui leur sont réservés. Mais cette interprétation fut rapidement écartée par la
jurisprudence qui réaffirma les conditions d'application du principe de la
spécialité qui, selon elle, continuaient encore de prévaloir (30).
Il revenait peu après aux Assemblées locales de prendre en vertu de la
loi du 23 juin 1956 dite "loi-cadre", le relais du gouvernement afin de poser
les règles concernant les territoires d'outre-mer ou répondant au besoin de
tenir compte de leur particularité.
Un nouveau fondement,politiqueenl'occurrence,venait d'être trouvé au
principe de la spécialité législative dont la fonction reste désormais liée à
l'évolution politique des territoires appelés à une brève expérience d'autono-
mie avant d'accéder à l'indépendance.
Ce fondement nouveau du principe de la spécialité est reconduit par la
Constitution du 4 octobre 1958 lorsqu'elle dispose en son article 76 que les
territoires d'outre-mer peuvent
"garder leur statut au sein de la Répu-'
blique" (31) ou devenir soit départements d'outre-mer de la République.
(30) - C.E., avis du 23 mars 1948 et Cour de Cassation, Crim., 18 avril
1953, Bull. Crim., n° 123, p. 207.
(31) - Article 76, al. 1.
72
soit, groupés ou non entre eux, Etats membres de la Communauté (32).
Ainsi pour les territoires qui ('lnt conservé leur statut de territoire d'ou-
tre-mer, le principe de la spécialité législative devenait "un aspect de la dé-
centralisation politique" (33) conservé comme élément du statut territorial.
En outre la délimitation du domaine de la loi établie par la Constitution de la
Ve République n'est pas venue restreindre la portée du principe de la spécia-
lité dans la mesure où l'étendue des compétences des Assemblées territoria-
les a été maintenue (art. 76) et du fait que l'organisation particulière des
territoires d'outre-mer (34) autorisait à cet égard quelque dérogation aux
règles constitutionnelles (35).
Pour les territoires qui ont opté pour le statut d'Etat membre de la Com-
munauté constitutionnelle, le principe de la spécialité législative demeurait
encore un aspect marquant d'une décentralisation plus accusée faisant de
l'autonomie un des principes essentiels de l'association, à la République fran-
çaise, des anciens territoires d'outre-mer (36).
(32)
Article 76, al. 2.
(33)
F. LUCHAIRE, op. cil., p. 276.
(34) - Voir l'article 74 de la Constitution ci-dessus, note 29.
(35) - Décision du Conseil constitutionnel du 2 juillet 1965, JDRF, 24 août
1965 ; cf., F. LUCHAIRE, op. cil., p. 276, Penant, 1966, p. 247,
note LAMPUE.
(36) - L'article 77 de Constitution dispose: "Dans la Communauté insti-
tuée par la présente Constitution, les Etats jouissent de l'autono-
73
La transformation, en 1960, de la Communauté constitutionnelle en
Communauté conventionnelle, mit fin en réalité à une expérience commu·
nautaire de courte durée pratiquement vouée à conditionner et préparer un
ample mouvement d'émancipation des anciens territoires d'outre·mer.
Mais si le principe de la spécialité législative a pu, pour l'essentiel, do·
miner l'ordre législatif de ces territoires, il ne semble guère avoir suffit, au
moment de leur accession à l'indépendance, à révéler les contours de l'ordre
juridique susceptible d'être reconduit par chaque nouvel Etat et qui demeu-
rent à maints égards, des plus incertains.
II. Les contours incertains de l'ordre juridique reconduit
La détermination des contours de l'ordre législatif considéré comme re-
conduit dans les nouveaux Etats africains est demeurée l'une des tâches les
plus délicates de la reconduction de l'ordre juridique antérieur. Le recours au
principe de la spécialité législative, complété par les règles de la promulga-
tion et de la publication locales, s'est rapidement révélé insuffisant en tant
que
moyen de
détermination des règles
applicables dans les Etats
membres de la Communauté au moment
de leur accession à j'indé-
mie; ils s'administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et
librement leurs propres affaires".
74
pendance, tant fut important le nombre des exceptions au pf/nclpe de la
spécialité et, non négligeable, celui des principes ou règles généralement
considérés comme directement applicables dans ces Etats.
On relève ainsi que certains textes de loi ou de règlement sont, du fait de
leur objet, conçus pour régir l'ensemble des territoires de l'Etat français. Il en
va ainsi de lois constitutionnelles mais également de tous les textes posant les
règles générales d'organisation et de fonctionnement des organes centraux
dont la compétence embrasse les territoires d'outre-mer (37).
(37) - Sont ainsi concernés
- les lois d'habilitation de l'Exécutif à intervenir dans les matières
législatives, C.E., 25 nov. 1938, Rec. Penant, 1945, 1, 97 ;
- les lois relatives à la compétence et au fonctionnement des.
juridictions supérieures à compétence étendue comme la Cour de
cassation (Civ., 15 nov. 1911, Rec. Penant, 1912, 1,39), le Conseil'
d'Etat (CE., 23 février. 1927, Piquemal, Penant, 1927, 141, note
LAMPUE), le Tribunal des conflits, T.c., le 17 juin 1918, Rec.
Sirey 1922, 3 p. p. 41
- les textes établissant un statut applicable à des agents pouvant
exercer leurs fonctions en dehors de la Métropole (C.E., 8 avril
1911, Blanquière, Rec., p. 456, conclusions Pichat) ;
-la loi des contrats conclus en Métropole (Civ., 10 mai 1913, Rec.
Penant, 1913, 1, p. 284).
Pour ces exemples, voir LAMPUE, op. cit., pp. 100 et s. et LU-
CHAIRE, op. cit., pp. 225-226.
75
Sont également considérés comme d'application directe outre-mer, ou-
tre la jurisprudence (38), l'ensemble des principes généraux du droit visés par
la nouvelle Constitution française et déjà mentionnés par celle de 1946 qui
renvoie, à cet égard, à la Déclaration des Droits de 1789 (39) et aux principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République.
L'inventaire de la législation appelée à être reconduite est rendu dès lors
particulièrement malaisé (40) du fait non seulement des exceptions reiati-,
vement nombreuses au principe de la spécialité,
mais encore de la
(38) - C.E. Il avril 1919, Rec., p. 370.
(39) - C.E., 28 mai 1946 Rec. Penant, 1946. 1, p. 77 ; sur l'application des
principes généraux relatifs à la procédure juridictionnelle, C.E. 24
juin 1938, Ch. de commerce de Dakar, Dareste, 1939. 8, conc!.
Renaudin.
(40) - Dans sa thèse, précitée, R. DEGNI-SEGUI indique la liste des lois
applicables 'de plein droit établie par DAR ESTE dans son Traité
de droit colonial, t. 1, 191, p. 244, mais fait judicieusement obser-
ver que cette liste de dix catégories de textes ne saurait être ex-
haustive et, précise qu'il faudra "compter avec le pouvoir préto-
rien du juge qui décidera si tel texte est applicable de plein droit
ou non", op cit., p. 80. En outre, la définition des "lois de caractère
général" faisant partie des textes d'application directe n'est pas
aisée. De ce fait leur inclusion dans la catégorie de textes d'appli-
cation immédiate tend à limiter sensiblement la portée du princi-
pe de la spécialité législative et jette un réel trouble dans le régi-
me législatif des territoires dépendants comme en attestent les
nombreuses difficultés et contradictions jurisprudentielles obser-
vées, cf. notamment DEGNI-SEGUI, op. cil., p. 80 et s.
76
multiplicité des "législateurs qui traditionnellement avaient pouvoir de lé-
giférer pour le territoire dépendant" (41).
Ainsi par exemple, au moment d'accéder à l'indépendance, le nouvel
Etat du Sénégal devait, après avoir décidé de reconduire l'ancien ordre juri-
dique, parvenir à reconstituer son propre héritage législatif à partir de la
législation coloniale promulguée soit au niveau de l'ensemble des territoires
d'outre-mer, soit au niveau de la Fédération de l'AOF, soit enfin au niveau
du seul "territoire du Sénégal" (42).
Si on a pu affirmer après l'accession du Sénégal à l'indépendance que le
Chef de l'Etat et le Gouvernement sénégalais étaient devenus:
"les seuls héritiers de nombreux pouvoirs que des lois, dé-
crets et arrêtés applicables au Sénégal attribuaient aux mi-
nistres français ainsi qu'au gouverneur général, chef du ter-
ritoire ou haut commissaire" (43),
ce fut pour davantage souligner le caractère disparate, la consistance
(41) - M. BEDJAOUI, "Les problèmes récents de la succession d'Etats
dans les Etats nouveaux", RCADI, 1970, na 130, vol. II, p. 514.
(42) - Voir J.-c. GAUTRON et M. ROUGEVIN-BAVILLE, Droit public
du Sénégal, Paris, Pédone, 1977, p. 100.
(43) - Idem.
Tl
fuyante et les contours incertains d'une masse successorale réunissant de
nombreux textes sur l'applicabilité desquels il est souvent difficile de se pro-
noncer.
Les difficultés de la succession sont ainsi telles qu'il convient, pour
mieux appréhender la portée des solutions retenues, d'interroger les facteurs
mêmes de la reconduction.
Sous-Section II
LES FACIEURS DE LA RECONDUCfION
Les facteûrs de reconduction de l'ordre législatif dans les Etals nouveaux
d'Afrique et au Sénégal sont relativement nombreux. Toutefois, leur nombre
ne saurait guère surprendre s'il est tenu compte, à suffisance, des liens parti-
culièrement étroits qui ont longtemps uni ces Etats à leur ancienne Métropo-
le et qui, plutôt que de se rompre de façon irrémédiable au moment des
indépendances, ont choisi, le plus souvent, du moins dans la pratique, de se
distendre momentanément avant de se renouer selon des directions nouvelles
imprimées par la coopération (44).
(44) - La nature du changement de souveraineté représente en effet un
élément déterminant pour mesurer l'ampleur des reconductions
opérées par l'Etat successeur. Q'CONNELL l'avait clairement
78
Il convient dès lors de considérer comme facteurs déterminants de la
reconduction ceux qui suggèrent à l'Etat nouveau un comportement destiné à
combler sans délai tout vide juridi'que, à prendre en considération le poids
des anciennes structures coloniales et à répondre dans l'immédiat à certaines
exigences d'une coopération nouvelle.
Le premier facteur volontiers invoqué est lié à la nécessité d'une certaine
transition post-coloniale (45) devant permettre au nouvel Etat d'éviter l'ins-
tallation d'un vide juridique, source de paralysie et d'anarchie. L'Etat nou-
veau n'en est pas moins appelé à développer sans délai une législation propre
car, en décidant de reconduire très largement la législation de l'Etat prédé-
cesseur afin de s'atteler aux tâches les plus urgentes, les nouveaux Etats afri-
cains n'ont pas tardé à se rendre compte que ces tâches, situées pour l'essen-
tiel dans les domaines économiques et sociaux, appelaient à leur tour l'édifi-
cation d'une législation spécifique et nouvelle (46).
perçu lorsqu'il affirmait que: it is obvious, then, that the extend to
which the institutions of a territory surviver changement so-
vereignty depends on the degree of legal disruption which accom-
panies the change and this will be determined in large measures
by the nature of the changes, obviously the problem is different in
the case of cession of a province from our State to another from
what it is in the case of a grant of independence to a colonial
territory, in "Recent problems of State succession in relation to
new States", RCADI, 1970, II vol. 130, p. 17.
(45)
J. HILAIRE, op. cit., p. 17.
(46) - Voir, P.F., GONIDEC, Les droits africains, Paris, LGDJ, 2e éd.,
1976, pp. 158-159.
79
Le deuxième facteur de reconduction semble découler d'une résistance
passive attribuée à la force d'inertie des anciennes structures coloniales (47),
au poids des habitudes ou au caractère technique de certaines institutions
notamment administratives (48). La portée de ce deuxième facteur de recon·
duction se trouve renforcée par une certaine "localisation" du droit colonial
dans les territoires d'outre-mer. Ce phénomène d"'autochtonisation" du droit
(49) dans les colonies qui connut un regain de vigueur grâce aux expériences
de décentralisation politique puis d'autonomie précédant leur accession à
l'indépendance aura sans doute permis de mieux comprendre l'attachement
que les Etats africains ont parfois manifesté, même momentanément, à cer-
tains aspects de J'ordre juridique colonial.
Un troisième facteur de reconduction trouve ses origines dans les raisons
ou les exigences d'une coopération nouvelle ouverte à la fin de la péijode
coloniale et bien souvent décrite comme un moyen en partie destiné à préser-
ver certains intérêts liés à j'ancienne puissance coloniale, grâce à la consoli-
dation, par le droit, de situations ou d'avantages les plus divers.
(47) - Voir, M. BEDJAOUI, Rapport 1968, op. cit., parag. 52.
(48) - Idem. L'auteur observe une continuité particulièrement vivace en
matière économique et dans le domaine administratif où parfois
même le personnel n'est pas affecté par le changement de souve-
raineté intervenu.
(49) - Voir, D.-P. O'CONNELL, State Succession in Municipal Law and
International Law, précité, p. 75.
80
L'offre de coopération n'en sera pas moins acceptée surtout lorsqu'elle
va au-devant d'une demande d'assistance exprimée par la généralité des nou-
veaux Etats africains, même dans 'le cas où cette acceptation sollicitée pou-
vait aisément s'interpréter comme une condition à l'accession à une indépen-
dance soutenue ou aidée par l'Etat prédécesseur.
C'est sans doute ici que l'on saisit le mieux, la portée des modes d'éla-
boration et d'établissement des premières constitutions nationales des futurs
Etats africains ainsi que l'incidence de la formation politique et juridique
reçue par les cadres et dirigeants africains promus aux plus hautes fonctions
de l'Etat. Il demeure aussi que le phénomène ainsi décrit n'épargne aucune
aire de colonisation en Afrique. Il est connu des anciennes colonies anglaises
d'Afrique comme en témoigne sans aucune amertume le juge de la Haute
Cour du Ghana, N. M. OLLENU lorsqu'il eut à déclarer que :
"... not only are we indebted to England for that part of our
law which we received from England, but also, and rnuch
more significantly, we are indebted to you for giving us the
heritage of your own methods of creating, declaring and de-
veloping the law. For this the English speaking countries of
West Africa will ever remain grateful to Britain" (50).
(50) - Voir Inez Virgina SMITH, "The evolution of a new nation: Problem
of judicial reorganization", Southem California Law Review, vol
37, 1964, p. 31.
81
La combinaison des ces principaux facteurs dut notablement orienter les
rapports franco-africains dans le sens de la continuité déjà indiqué par la
Constitution du 4 octobre 1958 qui aménagea, dans le cadre de la Com-
munauté, une phase de transition politique et juridique. Cette constitution
accorde en effet aux Etats africains une autonomie de principe aux fins de
leur propre administration (51), sous réserve des compétences reconnues à la
Communauté (52).
Cette amorce de continuité, toute favorable à la reconduction, ne dé-
termine pas tou tefois les formes de celle-ci.
Sous-Section III
LES FORMES DE LA RECONDUCTION
Dans le cadre des successions africaines, la reconduction de l'ordre légi-
slatif de l'Etat prédécesseur s'est effectuée sous des formes les plus variées.
On peut distinguer cependant dans la pratique des Etats africains, deux prin-
cipales sortes de reconduction, l'une tacite, l'autre formelle.
(51)
Article 77 de la Constitution.
(52)
Article 78 de la Constitution.
82
Paragraphe 1
LA RECONDUCfION TACITE
Cette reconduction tacite est essentiellment jurisprudentielle. En ef-
fet les décisions rendues par les juridictions françaises avant l'indépendan-
ce des Etats africains sont bien souvent invoquées devant les tribunaux et
par les juges des nouveaux Etats francophones d'Afrique. Bien plus, les
décisions invoquées sont parfois postérieures à J'accession de ces Etats à
la souveraineté internationale (53).
Ainsi tout un ensemble de principes généraux, de règles jurispruden-
tielles et de dispositions rattachées à la législation de l'Etat prédécesseur
se trouvent incorporés, par le fait du juge, dans l'ordre juridique du nouvel
Etat.
Mais c'est surtout par le moyen de la reconduction formelle que les
Etats nouveaux d'Afrique francophone ont entendu reprendre à leur
compte même provisoirement, l'ordre juridique de l'Etat prédécesseur.
(53) - Voir P.-F. GONIDEC, op. cit., p. 207.
83
Paragraphe Il
LA RECONDUcnON FORMELLE
Trois modes formels de reconduction ont été mis en oeuvre dans le
cadre des successions africaines privilégiant, selon le cas, la constitution,
les actes infra-constitutionnels et l'accord international.
J. La reconduction constitutionnelle
La reconduction constitutionnelle est demeurée pOlir les Etats afri-
cains, une technique privilégiée de succession (54). Les Etats africains
ont, dès leurs premières constitutions, exprimé leur volonté de conserver
la législation précédemment applicable sur leur territoire. Cette attitude
fut partagée par la quasi totalité des anciennes colonies françaises d'Afri-
que, occidentale notamment, qui ont choisi, à la suite du référendum du 28
septembre 1958 et, en vertu de l'article 76 de la Constitution française de
1958, de devenir des Etats membres de la Communauté.
(54) - Sur le rôle des constitutions dans la décolonisation, voir, G. FIS-
CHER, "La décolonisation et le rôle des traités et des Constitu-
tions", AFDI, 1962, pp. 805-836, pour la pratique française notam-
ment, pp. 827 et s. et P. LAMPUE, "Les Constitutions des Etats
africains", Rev. jur. et pol., 1961, pp. 513 et s.
Ainsi, par exemple la Constitution de la Fédération du Mali disposait
en son article 61 :
"A moins que les autorités fédérales n'en aient décidé au-
trement, les lois et règlements actuellement en vigueur
continueront d'avoir leur plein effet, en tout ce qu'ils
n'o"nt pas de contraire à la présente Constitution".
Cette disposition se retrouve dans une formulation presque identique
dans les Constitutions promulguées la même année par les autres Etats
africains membres de la Communauté (55).
Trois pays font toutefois exception à ce stade de l'évolution constitu-
tionnelle des Etats africains: la Côte d'Ivoire, la Guinée et Madagascar
(56).
(55) - Art. 52 de la Constitution soudanaise du 23 janvier ;
art. 48 de la Constitution sénégalaise du 24 janvier ;
art. 52 de la Constitution du Dahomey du IS février
art. 45 de la Constitution centrafricaine du 16 février;
art. 48 de la Constitution gabonaise du 19 février;
art. 12 de la loi constitutionnelle congolaise n° 1 du 20 février;
art. 53 de la Constitution mauritanienne du 22 mars et
art. 60 de la Constitution tchadienne du 31 mars.
(56) - Voir infra.
85
Abandonnant le statut d'Etats autonomes au sein de la Communauté
pour celui d'Etats indépendants, les Etats africains se dotèrent durant les
années 1960-1961 de nouvelles constitutions qui réaffirmèrent la mème
continuité législative assortie des mêmes réserves, à savoir, celle de la
non-contrariété avec la Consitution et, celle de la liberté qui appartient à
l'Etat successeur d'intervenir pour modifier, abroger et remplacer la légi-
slation reconduite. Il en fut ainsi de la constitution ivoirienne du 3 novem-
bre 1960 (57) qui employa la même formule que celle retenue dans les
constitutions du Niger (58), de la Haute-Volta (59) et du Dahomey (60).
Une formulation voisine était retenue dans les constitutions camerou-
naise (61), togolaise (62), centrafricaine (63), congolaise (64), tchadienne
(57) - Loi constitutionnelle n° 60.356, J.O.c.L., 1960; voir aussi M. WHI-
TEMAN, Digest of International Law, Washington, 1963, t. II p.
878.
(58)
Art. 76, constitution du 8 nov. 1960.
(59)
Art. 76, Constitution du 30 nov. 1960.
(60) - Art. 76, constitution du 26 nov. 1960.
(61 ) - Art. 5, constitution du 4 mars 1960.
(62)
Art. 60. al. 1er, Constitution du 14 avril 1961
(63) - Art. 45, Constitution du 12 déc. 1960.
(64) - Art. 77 al. 1er, constitution du 2 mars 1961.
86
(65), et sénégalaise qui disposait en son article 70 que
"Les lois et règlements actuellement en vigueur lorsqu'ils
ne sont pas contraires à la présente Constitution reste-
ront en vigueur tant qu'ils n'auront pas été modifiés ou
abrogés" (66).
La Constitution malgache continuait toujours de faire, à cet égard, ex-
ception.
Il convient toutefois de relever ce qui dans une telle reconduction
constitutionnelle relève de l'influence déterminante de l'ancienne Métro-
(65) - Art. 77, Constitution du 28 nov. 1960.
(66) - Loi na 60-045 portant révision de la Constitution de la République
du Sénégal,l.O.R.S., 1960, pp. 881 et s. La règle ainsi constitution-
nellement posée a été par la suite confirmée par d'autres textes
telle l'ordonnance na 60.56 du 14 novembre 1960 fixant l'organisa-
tion judiciaire dans la République du Sénégal ainsi que les princi-
pes fondamentaux applicables aux litiges de droit privé qui dispo-
se en son art. 9 que: "quelque soit le statut des justiciables les
juridictions appliquent pour toutes les matières autres que celles
énumérées aux articles 10 et 12 de la présente ordonnance (rela-
tifs au statut traditionnel), la loi et les règlements en vigueur ainsi
que s'il en existe en ces matières, les usages locaux dans ce qu'ils
ne sont pas contraires à la loi et à l'ordre public", J.O. Sénégal,
1960, p. 1244.
87
pole sur les premières constitutions des Etats africains. On a pu à cet
égard, parler de constitutions "octroyées" ou "élaborées avant l'indépen-
dance par le souverain colonial" (67). Ainsi, dans de nombreux cas selon
O'CONNElL :
"The legal instrument which provides for continuity of the
legal system, and even the constitution itself, of the new
State, is an enactment of the metropolitan power" (68).
Ce constat conduit l'auteur à ne voir dans la reconduction ainsi opérée
par le nouvel Etat, que l'expression d'une volonté fictive (69). Mais si la
remarque paraît tout à fait acceptable pour les anciennes colonies britan-
niques d'Asie et d'Afrique (70), elle appelle en revanche quelques nuan-
(67) - M., BEDJAOUI, "Problèmes récents de la succession d'Etats dans
les Etats nouveaux", op. cil., p. 505.
(68)
D.P. O'CONNELL, "Recent problems..." op. cil., p. 123.
(69) - Ibid. pp. 123-124.
(70) - Cf., pour l'Asie, l'exemple de la première constitution malaise qui
fut l'oeuvre d'une commission d'experts du Commonwealth prési-
dée par un britannique avant d'être adoptée sans changement par
le parlement malais, cité par M. BEDJAOUI, ibid., p. 505; cf pour
l'Afrique, l'exemple de la première constitution du Ghana qui ré-
sultait d'un "order in council" signé par la Reine de Grande Breta-
gne et qui non seulement reproduisait la modèle "constitutionnel"
britannique mais permettait surtout d'assurer la continuité de
l'ordre juridique colonial, exemple cité, avec de plus amples dé-
tails par, P.-F. GONIDEC, , Les droits africains, précité, p. 38.
88
ces en ce qui concerne les anciennes colonies françaises d'Afrique. En
effet sans être tout à fait octroyées, les premières constitutions de ces
,
anciennes colonies furent l'oeuvre d'hommes politiques africains, mais
plutôt formés à l'école politique française et qui durent se tourner presque
naturellement vers le modèle français lorsqu'ils les élaborèrent avec au
demeurant le SOUCI d'y reconduire l'ordre juridique antérieur (71).
Cette fonction reconductive fut maintenue dans la deuxième vague de
constitutions africaines.
Enfin, dans les Etats où la survenance d'évènements politiques impor-
tants a eu pour conséquence l'adoption d'une troisième constitution, la
formule précédente de continuité à été reconduite. Il en a a"insi été pour le
Tchad (72) le Togo (73), le Congo (74) et le Sénégal (75).
En dehors de la constitution, la reconduction de l'ordre juridique de
l'Etat prédécesseur est parfois réalisée au moyen d'actes infraconstitu-
tionnels.
(71) - Ibid., p. 28.
(72) - Art. 87, Constitution du 16 avril 1962.
(73) - Art. 88, Constitution du Il mai 1963.
(74) - Art. 88, Constitution du 8 décembre 1963.
(75) - Art. 93, Constitution du 3 mars 1963 qui reprend très exactement le
contenu de l'article 70 de la Constitution du 26 août 1960.
89
II. La reconduction au moyen d'actes infraconstitutionnels.
Cette technique est demeurée bien peu usitée. Sa portée n'en est pas
moins considérable précisément lorsqu'elle est mise en oeuvre par l'Etat
successeur. En effet la reconduction de l'ordre juridique antérieur par le
moyen d'actes infraconstitutionnels semble paradoxalement offrir davan-
tage de garantie de stabilité que le recours à des constitutions dont la
durée moyenne de vie s'est en général, révélée particulièrement brève en
Afrique. Il convient dès lors de distinguer les actes de reconduction pro-
pres à l'Etat prédécesseur de ceux édictés par l'Etat successeur.
A) L'intervention de ['Etat prédécesseur.
Cette intervention peut paraître surprenante lorsqu'elle tend à recon-
duire au profit du nouvel Etat, l'ordre juridique en vigueur sur son terri-
toire avant son accession à la souveraineté internationale. Elle semble
pourtant aisée
à comprendre lorsqu'elle tend à déployer ses effets dans
le seul cadre de l'autonomie des anciennes colonies françaises d'Afrique.
Une ordonnance française est en effet intervenue après l'adoption de
la constitution française de 1958 pour déterminer certaines conditions
d'application de l'article 76 de cette constitution en disposant que :
"Dans les Etats membres de la Communauté, les disposi-
tions ayant valeur législative ou règlementaire en vigueur
à la date du choix prévu à l'article 76 de la Constitution
restent applicables en leurs dispositions non contraires à
la Constitution tant que leur modification ou leur abroga-
90
tion, n'ont pas été prononcées par les autorités compéten-
tes, en vertu de la Constitution et du nouveau statut des-
dits Etats" (76).'
L'ordonnance française aménage aussi dans le cadre de la Commu-
nauté, l'idée d'une continuité dans l'exercice des fonctions d'Etat au sein
des nouveaux Etats africains. Ainsi selon les termes de l'article 3 de j'or-
donnance :
"Dans les Etats membres de la Communauté, les autori-
tés, juridictions et services administratifs, institués par les
lois et règlements applicables lors de l'entrée en vigueur
de la Constitution continuent d'exercer leurs fonctions
conformément aux lois et règlements, jusqu'à la mise en
place des autorités, juridictions et services de la Commu-
nau té ou de ses membres, appelés à leur succéder" (77).
(76) - Art. 2, Ordo n° 58.913 du 6 oct. 1958, J.O.R.F., 7 oct. 1958, pp. 9182-
9183.
(77) - Les constituants du Dahomey consacrèrent la continuité juridique
aménagée sous l'égide de la constitution française de 1958, en
proclamant que sous réserve des lois ou règlements nouvellement
édictés par l'Assemblée législative ou le Gouvernement du Daho·
mey la législation en vigueur au Dahomey résultant des lois, dé-
crets et règlements "reste applicable en ce qu'elle n'a rien de con·
traire à la Constitution (française !) du 4 octobre 1958 et à la
présente Constitution", cf. art. 58, Constitution du Dahomey du 14
février 1959. L'exemple de la Constitution du Dahomey fut suivi
par celui du Niger tandis que le constituant ivoirien pouvait s'esti-
91
La voie était donc toute tracée pour conduire et guider l'exercice des
compétences des nouveaux Etats africains conformément à la constitution
de la Métropole.
La continuité consacrée par l'ordonnance française n'est pourtant pas
isolée.
Dans la pratique britannique, des formes semblables d'intervention de
l'Etat prédécesseur ont pu être observées. Elles consistèrent dans l'édic-
tion d'Actes d'independance ou d'''Independence Orders in Council" pré-
cédant généralement l'accession des colonies britanniques à la souverai-
neté internationale et comportant une clause de reconduction de l'ordre
juridique colonial (78). Certes ces "Acts" ou "Orders in Council" valent
mer en quelque sorte dispensé de recourir à une telle formule, par
l'Assemblée territoriale ivoirienne qui, conformément à l'ordon-
nance française, avait déjà décidé en vertu de sa délibération n°
218-58 du 4 décembre 1958 que "l'Assemblée et les autorités ivoi-
riennes continueront d'exercer leurs fonctions conformément aux
lois
et règlements en vigueur", cf. sur ce dernier point, R. DE-
GNI-SEGUI, thèse précitée, p. 55.
(78) - Cf., Notamment: Kenya Independence Order, 1963, Statutory instru-
ments, 1963, n° 1968 ; Ghana (Constitution) Order, ibid., 1957, n°
227; Sierra Leone (Constitution) Order, ibid., 1961, n° 741; Tan-
ganyka (Constitution) Order, ibid., 1961, n° 2274 ; Gambia (inde-
pendence) Order, ibid., 1965, n° 135. Notons également que les
Etats-Unis d'Amérique usèrent d'un semblable procédé en ce qui
concerne les Philippines: Cf. l'''Act'' du Congrès américain du 24
mars 1934, sect. 15, in M. WHITEMAN, op. cil., p. 886.
92
constitutions pour les colonies de la Couronne mais ils n'en constituent
pas moins, formellement, des actes du monarque anglais, en fait ceux du
,
gouvernement britannique ou encore, avant tout, du Colonial Office (79).
Ils peuvent dès lors être assimilés à des mesures infraconstitutionnelles de
l'Etat prédécesseur (80) incorporant les premières constitutions d'Etats
anglophones d'Afrique promus à la seule autonomie interne.
La pratique belge en ma tière de décolonisation révèle à cet égard une
assez nette consécration des solutions mises en oeuvre dans le cadre des
décolonisations françaises et anglaises.
Ainsi l'évolution politique du Rwanda-Urundi amena la Belgique, à la
suite de la signature des accords de Bruxelles du 21 décembre 1961 sur
l'autonomie interne de l'ancien territoire sous mandat belge, à édicter de
nombreuses mesures législatives relatives au nouveau statut du territoire
et fixant notamment les compétences des gouvernements locaux (81). Se-
lon la Belgique, il appartient aux deux pays de prendre toutes les mesures
(79) - Voir P.-F. GONIDEC, op. cit., p. 83.
(80) - Il convient de souligner que du fait que la Métropole britannique ne
possède pas de constitution écrite au sens habituel des termes, la
nature infraconstitutionnelle des mesures de reconduction devrait
être appréciée selon un point de vue strictement matériel.
(81) - La Belgique avait créé des Gouvernements et des Parlements dans
les deux pays que constituaient le Rwanda et le Burundi (Ord.
Législatives du 18 oct. 1960 pour le Rwanda, R.J.R.B., 1961, p. 26
93
d'application des ordonnances belges et de traduire ainsi la continuité du
droit entre l'ancienne Métropole et les nouveaux Etats Rwandais et Bu-
rundais (82).
La décolonisation du Congo (Léopoldville) emprunta, en 1960 un che-
minement semblable. La Belgique dut promulguer une "loi fondamentale
relative aux structures du Congo", votée par le Parlement Belge (83) à la
suite de la Conférence de la Table Ronde réunie à Bruxelles le 20 janvier
1960 (84). La loi fondamentale qui, par ailleurs, abroge la Charte colonia-
et ordo législatives des 15 et 26 janvier 1961 pour le Burundi,
R.J.R.B., p. 107) et leur avait accordé des pouvoirs relativement
larges sans pour autant abandonner ses propres droits de législa-
tion et de règlementation dans les mêmes matières. Selon, en
effet, J.-P. HARROY, Résident Général belge au Rwanda-Urun-
di, "les autorités des pays ont la faculté d'user des pouvoirs qui
leur sont accordés par l'ordonnance législative sur la décentralisa-
tion, mais les autorités actuellement compétentes en vertu de la
législation existante ne perdent pas pour autant les pouvoirs
qu'elles détiennent. Un décret, une ordonnance législative et une
ordonnance peuvent donc toujour intervenir et modifier ou abro-
ger tout ou partie de la législation", Circulaire du Résident Géné-
ral, 17 octobre 1961, RiRB, 1961, p. 208.
(82) - Voir D.-P. O'CONNELL, State Succession in Municipal Law and
International Law, vol. 1, précité, p. 114.
(83) - Loi du 19 mai, Moniteur belge, 27-28 mai 1960 et ibid., 2 juin 1960,
erratum; également, RiPOM, 1962 pp. 285 eeet s.
(84) - Etaient réunis lors de cette Conférence d'un côté, des représentants
du Gouvernement belge ainsi que de trois partis nationaux, de
94
le du 18 octobre 1908 en tant qu'elle s'applique au Congo belge, présentait
la particularité d'une part, de prescrire en son article 2 la continuité légi-
slative, certes pour une période trànsitoire, par le maintien en vigueur, au
Congo, des lois et règlements jusqu'au 30 juin, date de son accession à
l'indépendance et, d'autre part, de prévoir qu'elle demeurera elle-même
en vigueur jusqu'à la mise en place par le Congo de ses propres institutions
(85). Enfin la loi fondamentale, fortement marquée par l'esprit et les prin-
cipes de la Conférence de la Table Ronde s'était surtout bornée, pour
l'essentiel, à reproduire le système constitutionnel belge.
On relève aussi, parfois, l'existence de mesures infraconstitutionnel-
les prises par les Etats successeurs eux-mêmes pour reconduire l'ordre
juridique colonial.
B) L'intervention de l'Etat successeur
Cette forme d'interven:ion est plutôt rare tant l'Etàt nouveau, ou le
nouvel Etat africain, aura en général, dès sa première charte institution-
l'autre, des représentants de partis politiques congolais. Sur l'évo-
lution du Congo, voir, Les dossiers du Centre de Recherche et d'In-
formations socio-politiques
Congo, 1959 ; Congo 1960, 2 vol. ;
Congo, 1961.
(85) - Voir D.-P. O'CONNELL, ibid. p. 133.
95
nelle, formellement sacrifié à un certain besoin de continuité.
L'exemple de la Guinée mérite à cet égard d'être cité pour avoir été
celui d'un des rares pays africains à recourir à des actes infraconstitution-
nels pour reconduire, dês aprês leur accession à l'indépendance, l'ordre
juridique antérieurement en vigueur sur leur territoire. Ainsi, selon une
ordonnance du 3 octobre 1958 signée du Premier Ministre et du Ministre
de la Justice guinéens, "aussi longtemps qu'elles ne sont pas abrogées par
une loi postérieure, les lois en vigueur au 30 septembre 1958 demeurent
applicables dans toutes leurs dispositions non contraires à la souveraineté
de l'Etat indépendant de Guinée, et conformes aux intérêts de la Républi-
que de Guinée" (86).
Le recours à un tel mode de reconduction permet de mieux compren-
dre le mutisme observé à cet égard par la Constitution guinéenne. Mais
encore faut-il souligner qu'au lendemain de son indépendance, proclamée
le 2 octobre 1958 par l'Assemblée territoriale de la Guinée française aprês
le rejet en septembre du projet constitutionnel français, la République de
Guinée ne possédait pas encore de constitution propre; celle-ci ne devant
voir le jour que le 10 novembre 1958. Dès lors, une aussi prompte procla-
matioon de continuité ne saurait être faite dans un cadre constitutionnel.
Pour les mêmes raisons, les limites opposées par l'ordonnance guinéenne
à l'affirmation de continuité des lois en vigueur font appel non pas à leur
(86) - Voir, M. WHITEMAN, op. cit., p. 878, notre traduction.
96
conformité aux dispositions d'une constitution non encore promulguée,
mais au respect de la "souveraineté de j'Etat indépendant de Guinée" et à
la conformité aux "intérêts de la' République de Guinée".
Le contrôle du respect de cette double exigence de conformité pour-
rait se heurter à de sérieuses difficultés tant le contenu des obligations
qu'elle implique peut manquer de précision et s'avérer en définitive parti-
culièrement extensible.
L'exemple guinéen n'est pas pour autant demeuré isolé. Une loi adop-
tée en Algérie après l'accession de ce pays à l'indépendance tendait à
reconduire la législation en vigueur au 31 décembre 1962. Mais le législa-
teur algérien, comme dans l'exemple précédent, procéda à la reconduction
de la législation antérieure sous réserve qu'elle ne fût pas contraire à la
souveraineté nationale ou d'inspiration coloniale (87).
Mais le procédé de reconduction le plus rare est bien celui qui fait
appel à la technique conventionnelle.
III. La reconduction conventionnelle
Dans le cadre des décolonisations africaines, le recours exclusif à l'ac-
cord international pour la reconduction de l'ordre législatif colonial est
demeuré tout à fait exceptionnel. Les Etats africains du Continent lui ont
préféré d'autres méthodes.
(87) - Loi nO 60-157 du 31 décembre 1962, I.a., 11 janvier 1963, nO 2, p. 18.
97
La République de Madagascar fait donc figure ici d'exception pour
avoir seule retenu le mode conventionnel de reconduction de l'ordre juri·
dique antérieur. Ainsi, l'accord de coopération en matière de justice signé
entre la France et la République malgache le 27 juin 1960 dispose:
"A défaut de textes malgaches, les dispositions législati-
ves et réglementaires du droit francais en vigueur à Ma-
dagascar à la date à laquelle prend effet le présent accord
continuent à être appliquées par les juridictions malga-
ches" (88).
On aurait pu croire que cette disposition n'intéresse que le cadre de la
coopération franco-malgache en matière de justice. Une telle vision aurait
été cependant insoutenable car la portée d'une telle clause de reconduc-
tion déborde nécessairement de ce cadre pour embrasser tout le droit de
l'Etat malgache, comme eut à la rappeler un membre du gouvernement
francais peu après l'entrée en vigueur de J'accord en déclarant qu'''à dé-
faut de textes malgaches, ce sont les dispositions législatives et réglemen·
taires du droit francais qui continuent d'être appliquées dans cet Etat"
(89).
(88) - Art. 4 de J'accord du 27 juin 1960, entré en vigueur le 18 juillet 1960,
J.O.R.F., 20 juillet 1960, p. 6616.
(89) - Réponse du Secretaire d'Etat aux Relations avec les Etats de la
Communauté à la question écrite n° 1106 de VASSOR, J.O. Sénat,
6 déc. 1960, p. 2227. C'est nous qui soulignons.
98
Conclusion du Chapitre
La compétence entière, exclusive et immédiate de l'Etat nouveau pos-
tule l'extension, sur son territoire, de sa propre législation en dehors de
toute soumission de droit à l'ordre juridique colonial. Il y a donc substitu-
tion de l'ordre juridique législatif de l'Etat successeur à celui de l'Etat
prédécesseur sur le territoire objet de la succession.
Cette substitution d'ordres juridiques et de compétences emporte une
nette affirmation du principe de la table rase entendu, en matière législa-
tive, comme l'absence d'obligation de succéder à l'ordre juridique colonial
et l'indication du droit de l'Etat nouveau de considérer sienne une part
variable de cet ordre juridique.
Dès lors, sans pour autant entamer le principe de la table rase, les
nouveaux Etats africains ont pu, dans la pratique, et selon des procédés
divers, reconduire volontairement tout ou partie de l'ordre juridique de
l'Etat prédécesseur afin notamment de répondre aux exigences d'une né-
cessaire transition post-coloniale.
L'étude de la succession à l'ordre juridictionnel fera l'objet du chapi-
tre suivant
99
"La continuité du droit,gar.pntie de sécurité, est une exigence de l'ordre juridi-
que" (1).
La substitution de souveraineté intervenue sur un territoire donné
soulève de nombreuses difficultés eu égard à J'exercice des compétences
juridictionnelles. La substitution de l'ordre juridique de l'Etat successeur,
largement entendu, à celui de l'Etat prédécesseur qu'implique une telle
substitution de souveraineté, emporte l'effet du remplacement de l'ordre
juridictionnel de cet Etat par celui de l'Etat successeur.
On admet généralement que cette substitution de souveraineté entrai-
ne en ce domaine une double conséquence : d'abord
"l'incompétence des juridictions de l'Etat prédécesseur à
l'égard des procès qui se déroulent sur le territoire transféré
ou qui sont relatifs à des personnes vivant sur ce territoire;
ensuite et corrélativement l'extension de la compétence des
juridictions à naître sur ledit territoire" (2).
(1) - Ch. de VISSCHER, Théories et réalités du droit international public, 3e
édit., Paris, Pédone, 1960, p. 242.
(2) - Ch. ROUSSEAU, Droit international public, t. III, Paris, Sirey, 1977,
pp. 478-479.
100
Mais autant ['énoncé de ces conséquences semble aisé, autant les pro-
blèmes soulevés par les instances judiciaires pendantes ou l'exécution des
décisions rendues demeurent complexes et les solutions dégagées par la
pratique, contradictoires (3).
L'inexistence de règles coutumières certaines issues de la pratique des
Etats (4) ajoute à la difficulté de déterminer dans chaque cas le sort des
instances judiciaires pendantes et celui des jugements rendus sous le régi-
me de l'Etat prédécesseur. Cette difficulté est d'autant plus réelle qu'en
matière pénale, le caractère discrétionnaire de l'exercie de la compétence
répressive de J'Etat ne contribue guère au développement d'une pratique
uniforme.
Aussi le droit international ne dispose-t-il que de moyens relative-
ment ténus pour régir une matière au demeurant toujours saisie par le
phénomène de la succession d'Etats. De même la place que lui réserve la
doctrine dans l'étude des problèmes juridiques soulevés par la pratique de
la succession d'Etats demeure encore bien après la codification des règles
relatives à la succession d'Etats, particulièrement restreinte (5).
(3) - Voir M. BEDJAOUI, "Premier Rapport sur la succession d'Etats",
1968, ACDI, 1968, vol.U, p. 114.
(4) - Selon J.H.W. VERZIJL, "No general rules of custumary law can the-
refore be derived from actual State practice, nor can there be a
question of applicable 'general princip les of law'. This is a domain
of international casuistry, just
as... this is the case in other fields
of State succession", International Law in historical Perspectives,
vol. VII, Leiden, A.W.SlJTHOFF, 1974, pp. 179-180.
(5) - La bibliographie relative à la succession à l'ordre juridictionnel est
bien plus limitée que celle qui s'est constituée en rapport avec les
101
Pourtant le Rapporteur spécial de la Commission du droit internatio-
nal avait envisagé, devant la difficulté de dégager parmi des solutions par-
ticulièrement contradictoires des'règles valables dans tous les cas, de lais-
ser à la Commission, le soin d'apprécier, selon l'intérêt qu'elle attacherait
à la question, "l'opportunité d'aider au développement progressif du droit
dans ce domaine" (6).
autres matières successorales. On pourra notamment consulter:
Ch. ROUSSEAU, op.cit., pp. 478 et s. ; J.H.W. VERZIJL, op.cit.,
pp. 55 et s., 117 et s., 179 et s.; O.-P. O'CONNELL, State Succes-
sion in Municipal Law and International Law, voU, Cambridge,
Cambridge University Press, 1967, pp. 142 et s.; du même auteur,
"Recent problems of State succession in relation to new States",
RCADI, 1970, t.H, vol. 130, pp. 132-133 ; M. BEDJAOUI, op.cit.,
p.1l4 ; J.-c. GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succession
d'Etats au Sénégal", AFDI, 1962, p. 853 ; A.Ch. KISS, Répertoire
français de droit international public, t.II, 1966, pp. 329 et s. ; on
lira aussi avec intérêt, pour l'Afrique, K. MBAYE, "Historique de
l'organisation des juridictions", in Encyclopédie juridique de l'Afri-
que, tA , pp. 25 et s., spécial. pp. 30 et s. ; G. MANGIN, "L'organi-
sation judiciaire des Etats d'Afrique et de Madagascar", RJPOM,
1962, pp. 77-134 et, du même auteur, "Les structures de l'appareil
juridictionnel", in, Encyclopédie juridique de l'Afrique, t.I, chap.IX,
pp. 239 et s.; pour le Sénégal, LV. SMITH, "The evolution of a
new nation problems of judical reorganization", Southem Califor-
nia Law Review, 1964, vol.7, pp.21 et s.; M. DIARRA, Justice et
développement au Sénégal, Dakar-Abidjan, N.E.A., 1973, 162 p.,
extrait de la thèse du même auteur sur Influence du régime juridique
sur le développement du Sénégal, Institutions judiciaires. Ins-
titutions monétaires, thèse Paris 1, Panthéon- Sorbonne 1972 et P.
NGOM, le Conseil du contentieux administratif du Sénégal pen-
dant la colonisation, mémoire, DEA, Hist. du droit. fac. de droit,
Dakar, 1984, 192 p.
(6) - M. BEDJAOUI, Premier rapport, op.cit., p. 114.
102
Les priorités ultérieurement définies dans l'oeuvre de la Commission
eurent pour conséquence d'écarter définitivement du projet de codifica-
tion et de développement progressif l'étude des règles relatives à la suc-
cession à l'ordre juridictionnel.
Il semble dès lors en résulter, pour nous, un intérêt particulier pour
l'étude d'une pratique successorale renouvelée et notablement diversifiée
grâce au déploiement du phénomène d'émancipation politique de nom-
breux jeunes Etats en particu lier du continent africain.
Les anciennes colonies françaises d'Afrique connurent, dans leur évo-
lution vers l'indépendance, une phase d'autonomie, durant laquelle leur
fut reconnus et aménagés, à l'échelon local, un ordre juridique et une
organisation juridictionnelle relativement autonomes. Leur accession à la
souveraineté internationale devait alors soulever, moins le problème d'un
vide juridictionnel à combler, que celui de la dévolution des compétences
jurictionnelles traditionnellement exercées sur le territoire de l'ancienne
colonie par des autorités ou juridictions de l'Etat prédécesseur, en parti-
culier par les juridictions françaises d'appel et de cassation.
On peut dès lors comprendre que la pratique des Etats africains nou-
vellement indépendants pût à cet égard révéler l'existence à la fois de deux
tendances divergentes, l'une conforme au principe du dessaisissement des
juridictions de l'Etat prédécesseur et de l'extension des compétences juri-
dictionnelles de l'Etat successeur, l'autre, favorable au maintien, même
provisoire, de la compétence de certaines juridictions de l'Etat prédéces-
seur.
Cette double orientation tend à confirmer la consécration du principe
103
de la table rase (Section 1) toutefois assortie de la reconnaissance de la
nécessité d'en atténuer la ngueur ou la portée pratique (Section II).
104
SECTION 1
L'AFFIRMATION DU PRINCIPE
DE LA TABLE RASE
L'affirmation du principe de la table rase doit être ici perçue à travers
l'énoncé et la mise en oeuvre du principe de la substitution de compéten-
ces juridictionnelles qui implique le dessaisissement des juridictions de
l'Etat prédécesseur au profit de celles de l'Etat successeur.
Ce dessaisissement concerne les juridictions de tous ordres et de tous
niveaux, en particulier les juridictions d'appel et de cassation qui au mo-
ment de l'accession des nouveaux Etats africains à l'indépendance, appar-
tenaient encore pour ce qui concerne l'ensemble francophone à la Mé-
tropole française chargée de garantir une certaine unité du droit au sein
de la Communauté par le moyen de ses propres organes (7). Les juri-
dictions de l'Etat prédécesseur, en l'occurence les juridictions françaises,
sont en principe dessaisies dès que l'indépendance du nouvel Etat s'impo-
se à l'Etat prédécesseur en vertu du droit international.
La détermination de la date de la substitution de souveraineté revêt
(7) - Sur l'évolution des institutions judiciaires en Afrique depuis l'époque
précoloniale, voir G. MANGIN, Encyclopédie juridique de l'Afri-
que, t.1, chap.lX, pp. 239-268 ; M. DIARRA, Justice et développe-
ment au Sénégal, précité.
105
ici, comme en d'autres matières successorales, une importance considéra-
bie.
Ainsi, lorsque la VOle conventionnelle est empruntée pour réaliser
cette substitution, la date du dessaisissement des juridictions de J'Etat pré-
décesseur coïncide en principe avec celle de l'entrée en vigueur de l'ac-
cord conclu. Cette' solution n'est pas dépourvue d'inconvénients. Un re-
tard prolongé, une défaillance significative ou une violation des règles de
procédure dont l'observation conditionne l'entrée en vigueur de l'accord
peuvent être à l'origine de graves incertitudes quant à la détermination du
droit applicable au nouvel Etat ainsi que des juridictions chargées de l'ap-
pliquer (8).
(8) - Un exemple de ces difficultés est fourni par l'arrêt du Conseil d'Etat
français rendu le 27 mai 1955 (sieur Kovit) à propos du statut légi-
slatif du Cambodge après le 8 novembre 1949, date de signature
du Traité franco/khmer, reconnaisant l'indépendance du Royau-
me du Cambodge, approuvé par la loi française du 2 février 1950,
publié le 23 février 1953 et disposant qu'il entrait en vigueur à
compter de sa signature, donc bien avant l'extension à l'Indochi-
ne, par le décret du 1er février 1950, de certaines dispositions de
l'ordonnance française du 12 novembre 1943 sur la nullité des
actes de spoliation. Le Conseil d'Etat avait ici rejeté la nullité
d'actes administratifs contraires au Traité de 1949 si cette nullité
ne devait avoir pour seul fondement que l'antériorité du Traité.
Le Conseil préféra retenir les dispositions combinées du traité et
d'une convention annexe, telles qu'interprétées par le Ministre
des affaires étrangères, pour affirmer que: "la législation françai-
se et, notamment, les dispositions de cette législation relatives à
l'exercice du pouvoir législatif, sont demeurés provisoirement ap-
plicables au Cambodge, dans les mêmes conditions qu'elles
l'étaient antérieurement", voir RJPUF, 1955, p. 887, conc!. M.
LAURENT, ibid, pp.873 et s. La solution de l'entrée en vigueur du
traité sanctionnant la mutation de souveraineté est en général pri-
106
On doit admettre, dans l'hypothèse d'une solution conventionnelle et,
lorsque l'existence souveraine du nouvel Etat coïncide en réalité avec l'en-
trée en vigueur du traité relatif à son indépendance, que le moment où
l'accord international s'impose à l'Etat prédécesseur doit être considéré
comme celui à partir duquel s'exerce en principe le dessaisissement des
juridictions de cet Etat; d'autant plus que ce dernier sera appelé à tirer
lui-même les conséquences de la substitution d'une nouvelle souveraineté
à la sienne propre, en mettant un terme à l'exercice de ses compétences
juridictionnelles en rapport avec le nouvel Etat.
La solution conventionnelle qui implique ainsi la prise en compte de
la date d'entrée en vigueur des accords dits de "transfert de souveraineté",
semble cependant bien mieux convenir au cas de transfert, par un Etat,
d'une partie ùe son territoire à un autre Etat, qu'à celui de l'accession d'un
territoire dépendant à la souveraineté internationale qui se réalise par-
fois, sinon souvent, en l'absence de tout recours au traité international
conclu pour en ordonner à l'avance les modalités.
vilégiée dans la jurisprudence interne des Etats: le Reichsfinanzof
d'Allemagne (Tribunal fiscal du Reich) a ainsi retenu la date
d'entrée en vigueur du Traité de Versailles, le 10 janvier 1920, à
propos du changement de nationalité d'un citoyen allemand ayant
résidé depuis 1906 dans la province de Posen avant son occupa-
tion par la Pologne à la suite de l'Armistice du 11 novembre 1918,
Annual Digest, 1919-1922, affaire n° 57; il en va de même pour le
Reichsgerich d'Allemagne (Cour Suprême du Reich Allemand) qui
a estimé que le fait qu'en vertu du Traité de Versailles l'Alsace·
Lorraine ait été rattachée à la France à compter du Il novembre
1918 était sans incidence sur les relations de droit privé (alle-
mand) établies avant l'entrée en vigueur du Traité, voir, Fontes
Iuris Gentium, A.,II (1879-1929), n° 309 et ACDI, 1963, vol. 2, p.
107
On comprend mieux, dès lors, l'insistance avec laquelle le Conseil
d'Etat français, saisissant l'occasion qui lui a été fournie de se prononcer
sur la date à laquelle l'indépendànce du Cameroun s'imposait à la France,
dut rappeler l'accord donné par le Gouvernement français au choix de la
date du 1er janvier 1960 effectué par l'Assemblée générale des Nations
Unies en vue de mettre fin à la tutelle française sur l'Etat du Cameroun.
103; également, C.E., Société Ultrabois, 1958, Rec., 1958, p. 39, à
propos de la cession de Tende et de Brigue qui n'aurait pris effet
qu'avec l'entrée en vigueur, le 15 septembre 1947, du Traité de
paix avec l'Italie en date du 10 février 1947; et, Cour de Calcutta,
affaire Debendra Nath Bhattacharjee c. Amarendra Nath Bhatta·
charjee (1954), Indian Law Reports, Calcu tta Series 1956, vol. II,
p. 270 (voir ACDI, précité, p.104) concernant l'entrée en vigueur
du Traité du 2 février 1951 relatif au transfert à l'Inde de la ville
libre de Chandernagore.
La jurisprudence internationale n'est à cet égard guère différente
dans son orientation générale. Dans l'affaire de la dette publique
ottomane (1925) concernant la Bulgarie, l'Irak, la Palestine, la
Transjordanie, la Grèce, l'Italie et la Turquie, l'arbitre (Borel)
désigné par le Conseil de la Société des Nations décida que la
date de transfert de souveraineté, defacto, sur les territoires déta-
chés de la Bulgarie aux termes du Traité de Neuilly ne pouvait
être préférée à la date d'entrée en vigueur de ce traité que visait
clairement le texte du Traité de Lausanne de 1924, voir, Doc.
A/CNA/151, ACDI, 1962, vol II, pp. 153-154 ; également, la sen-
tence des 24·27 juillet 1956 rendue par le Tribunal arbitral établi
par le compromis du 15 juillet 1931 dans l'affaire des Concessions
de phares (1956) opposant la France à la Grèce: selon les termes
de la sentence, "le tribunal ne voit pas de raison de s'écarter en ce
qui concerne le point de départ de la subrogation de la Grèce
dans la concession des phares, de la sentence Borel relative à la
date décisive pour le calcul de la répartition de la dette publique
ottomane, ibid., p. 154 (sentence citée ci-dessus).
108
Il est certain qu'un tel rappel vise à écarter, même implicitement,
dans un cas de décolonisation où un accord de "transfert de souveraineté"
n'a pas été conclu, toute soumission de la France au fait accompli de l'ac-
cession du Cameroun à la pleine souveraineté (9). Il demeure toutefois
que la précaution, pourtant nécessaire, observée par le juge en matière
d'introduction de normes du droit international dans l'ordre interne de
l'Etat ne saurait être interprétée comme signifiant que l'accession d'un
Etat dépendant à la souveraineté internationale doit nécessairement être
reconnue par l'ancienne puissance dominante pour constituer une réalité
dans l'ordre international et produire des effets sur l'exercice des compé-
tences juridictionnelles de l'Etat prédécesseur en rapport avec le territoi-
re du nouvel Etat.
Il conviendrait de considérer, en définitive, que le dessaisissement des
juridictions de l'Etat prédécesseur se réalise en principe dès que l'indé-
pendance du nouvel Etat s'impose à l'Etat prédécesseur en vertu du droit
international.
(9) - Il en va ainsi à propos de l'affaire Mbounya qui appela une décision
du Conseil d'Etat rendue le 3 novembre 1961. Il fut rappelé en
l'espèce qu'aucun acte publié en France n'avait encore reconnu, à
la date du 1er janvier 1960, l'indépendance du Cameroun. La le-
vée de la tutelle n'avait pas fait l'objet d'une publication, de mê-
me que la déclaration commune franco-camerounaise du 31 dé-
cembre 1959 par laquelle le Gouvernement français "reconnait
solennellement le Cameroun en tant qu'Etat indépendant et sou-
verain", ou encore l'echange de lettre du même jour, relatif aux
conséquences immédiates de l'indépendance. Le Conseil dut
alors, suivant en cela les conclusions du Commissaire du Gouver-
nement, interpréter les textes relatifs au statut du Cameroun (en
vue de pallier le silence de la convention judiciaire franco-came-
109
Ainsi l'exemple du dessaisissement sans doute le plus net pour la
France est celui qui résulte du rejet, par la Guinée, de la Constitution
française du 5 octobre 1958 à la suite du vote négatif émis par ce pays lors
du référendum de 1958. Ce rejet fut considéré comme mettant fin à l<i
compétence des juridictions françaises dans ce pays (10).
rounaise, publiée en juillet 1961 et qui ne règle que le sort des
pourvois dirigés contre les décisions des juridictions camerounai-
ses, alors qu'ils s'agit en l'espèce d'un recours direct porté devant
le Conseil) dans un sens qui met en exergue l'accord le plus com-
plet donné par le Gouvernement français à la levée de la tutelle:
C.E., Mbounya, 3 nov. 1961, RlPOM, 1962, p. 598, concl. Ordon-
neau, ibid, pp. 591-598, extraits de la décision dans RDP, 1962, pp.
146-150. Une attitude semblable du Conseil a été observée en
rapport avec l'accession de la République de Guinée à l'indépen-
dance, à propos de l'affaire dame Milio tranchée par le Conseil
d'Etat le 31 mai 1963. Le Conseil interpréta en l'espèce l'attitude
prise par la Guinée vis-à-vis de la Constitution de la Ve Républi-
que en "considérant que, par le vote qu'elle a émis lors du référen-
dum du 28 Septembre 1958 la Guinée, usant de la faculté qui lui
était ouverte par l'article 1er du projet de constitution, a manifesté
sa volonté de ne pas entrer dans la Communauté, de rompre les
liens qui l'unissaient à la République française et de devenir, en
conséquence, un Etat indépendant; que cette décision a pris effet
le 5 octobre 1958, date d'entrée en vigueur de la Constitution",
RDP, 1963, p. 794, c'est nous qui soulignons.
(10) - Dans l'arrêt rendu à propos de l'affaire dame Milio, le Conseil
d'Etat, après avoir observé que la Guinée avait manifesté sa vo-
lonté de devenir indépendante en rejetant la constitution françai-
se, constate que depuis l'entrée en vigueur de celle-ci, aucune
convention diplomatique passée entre le Gouvernement de la Ré-
publique française et celui de la République de Guinée et publiée
110
Toutefois le dessaisissement des juridictions supérieures françaises a
généralement trouvé dans les accords particuliers de transfert des compé-
tences de la Communauté aux nouveaux Etats africains, un fondement
juridique plusieurs fois réaffirmé par les juridictions françaises.
Ainsi le Conseil d'Etat estima n'être plus compétent pour connaître
des recours dirigés contre les décisions des autorités administratives de
Madagascar et relevant du contentieux local, dans la mesure où la compé-
tence qui lui était attribuée à titre transitoire en matière de contentieux
administratif de la Répuplique malgache, en vertu des dispositions combi-
nées des accord, nartic.1I1i~rs signés le 27 juin 1960 entre la République
française et la République malgache indépendante et de l'accord particu-
lier relatif aux dispositions transitoires en matière de justice signé le 2
avril 1960, se limitait au seul contrôle, par la voie du recours en cassation,
des décisions rendues par les juridictions malgaches de l'ordre administra-
tif (Il).
en France n'avait attribué à une juridiction française la connais-
sance des litiges relevant du contentieux guinéen et que l'organe
liquidateur créé par un arrêté du Haut-commissaire de la Répu-
blique française à Dakar en date du 27 mars 1959 n'avait aucune
compétence à l'égard des affaires guinéennes, avant de conclure
en considérant que de tout ce qui précède il résulte que le Conseil
du contentieux administratif de l'Afrique occidentale française
avait cessé, depuis le 5 octobre 1958, d'être compétent pour con-
naître de la demande de la dame Milio, C.E., dame Milio, op.cit.,
p. 794.
(Il) - C.E., 28 février 1962, Fédération des Syndicats des travailleurs de la
Fonction Publique de Madagascar, RDP, 1962, p. 777; voir égale-
ment C.E., 16 juin 1961, société pour la préfabrication des maté-
riaux. (SOPREMA), RDP, 1962, p. 554, conc!. Ordonneau, ibid,
pp. 544-554 et C.E., 18 octobre 1961, Mayi-Matip, RDP, 1962, p.
590, conc!. Ordonneau, pp.581-590.
111
Cette compétence maintenue transitoirement dans des limites étroites
au profit des juridictions supérieures de l'Etat prédécesseur, devait dispa-
. ,
raître dès que l'Etat nouvellement indépendant se serait doté de juridic-
tions propres en mesure de se substituer au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation.
Le Gouvernement français estima ainsi qu'à la suite de l'indépendan-
ce du Niger et de l'entrée en vigueur de l'accord particulier de transfert
des compétences signé à Paris le Il juillet 1960, un pourvoi formé en 1961
contre un arrêt du tribunal supérieur d'appel de Niamey devait être consi-
déré comme transmis de "plein droit" à la Cour Suprême de Niamey (12).
Cette interprétation fut fondée sur les dispositions de l'accord parti-
culier de transfert (13) et sur les termes des lettres échangées entre les
deux pays et tendant à dessaisir le Conseil d'Etat et la Cour de cassation
de
(12) - Cette transmission dite "de plein droit" qui semble à première, vue
faire appel à une règle successorale soumettant les nouvelles juri-
dictions nigériennes aux effets de l'indépendance du Niger sur
une procédure engagée au niveau des juridictions françaises, ne
repose en réalité que sur le constat d'une remise matérielle par le
Ministre français de la justice, des dossiers de procédure, à son
homologue nigérien. La portée juridique d'une telle remise a
d'ailleur été précisée par le Gouvernement français avec suffisa-
ment de réserves pour écarter, en dépit des termes employés, tou-
te consécration certaine d'une succession de plein droit en matiè-
re juridictionnelle; voir la réponse du Ministre français de la coo-
pération à la question écrite n° 2 635 de M. Delalande, J.O. Senat,
22 juin 1962, p.584 et AFDI, 1962, pp. 1028-1029.
(13) - J.O.R.F., 30 juillet 1960, p. 7050 ; accord entré en vigueur le 2 août
1960.
112
toute compétence pour connaître des recours et pourvois intéressant la
république du Niger et dont ces hautes juridictions étaient saisies (14).
L'élargissement des compétences aussi restrictivement conçues pour
les juridictions supérieures françaises ne saurait dès lors résulter que d'un
texte exprès.
Ainsi une compétence d'appel a pu être reconnue au Conseil d'Etat
qUi l'exerça pour apprécier notamment le bien fondé de deux requêtes
dirigées contre un jugement du Tribunal administratif du Congo rendu
avant l'installation de la Cour suprême congolaise, ou encore pour refuser
de surseoir à statuer en appel sur une requête d'un ressortissant tchadien
dirigée contre un arrêté du Conseil du contentieux de l'Afrique équatoria-
le française
(15).
(14) - Textes des lettres échangées dans Doc. N.D. ST/LEG./SER. B/17,
p.372.
(15) - Pour le Congo: C.E. 13 janvier 1965, Compagnie d'assurances et de
réassurances Atlanta et Cie "Indemnity marine" ; en l'espèce le
Conseil trouva un fondement à sa compétence dans "les stipula-
tions combinées des articles 1er et 3 de l'accord relatif aux dispo-
sitions transitoires en matière de justice entre la République fran-
çaise et la République du Congo en date du 12 juillet 1960, ratifié
et publié par décret du 29 juillet 1960, et de l'échange de lettres
des 27 janvier et 9 mai 1961, conclu entre les mêmes parties et
publié par décret du 4 août 1961", Rec. 1965, p. 19.
Pour le Tchad: C.E. 16 juin 1961, Issa DIA LLO, RlPOM, 1962,
pp. 573-574, conclu. Ordonneau, ibid, pp. 567-573 ; en l'espèce
une ordonnance en date du 27 mai 1959 publiée au Journal Offi-
113
L'élargissement des compétences des hautes juridictions françaises a
tou tefois connu certaines limi tes .
. ,
Le Conseil d'Etat ne s'estime pas en effet compétent, en l'absence
d'accords particuliers prévoyant le contraire, pour connaître directement
des décisions prises par les autorités administratives des Etats membres de
la Communauté dans la période transitoire qui précède leur accession à
l'indépendance (16).
Les conditions particulières dans lesquelles s'est déroulée la décolo-
nisation du Congo (ex Léopoldville) ont conduit à la mise en oeuvre d'une
pratique bien différente. L'échec de la Loi fondamentale du 10 mai 1960
relative aux structures du Congo (17) entraina une certaine paralysie du
ciel de l'A.E.F. du 30 juin 1959 (p.112) avait créé à Fort-Lamy un
tribunal administratif, juge de droit commun, mais subordonné au
Conseil d'Etat par la voie de l'appel. L'accord de transfert des
compétences de la Communauté conclu le 12 juillet 1960 ne récu-
sa pas formellement une telle extension des compétences du Con-
seil qui admit, à l'encontre des conclusions du Commissaire du
Gouvernement, que les accords particuliers du 12 juillet 1960 lui
reconnaissaient, pour les litiges qu'ils visaient, au nombre des-
quels figure celui concernant le sieur DIALLO, la compétence
d'un juge d'appel.
(16) - C.E. 16 juin 1961, Kotalimbora, RDP, 1961, p. 1107 et RlPOM, 1962,
pp. 579-580, conclu. Ordonneau, ibid, pp. 577-579 ; voir dans le
même sens, après la création d'un tribunal administratif, juge de
droit commun du contentieux administratif à Madagascar, C.E.,
16 juin 1961, Alibay Bandjee, RDP, 1961, pp. 1106-1107.
(17) - Moniteur belge, 27-28 mai 1960 et 2 juin 1960, erratum; sur la décolo-
114
système judiciaire congolais (18). Le Parlement belge prit en conséquence
un certain nombre de mesures parmi lesquelles une loi en date du 7 août
1961 (19) destinée à attribuer compétence aux tribunaux belges pour con-
naitre' de toute affaire relevant du droit belge, sans préjudice d'une com-
pétence concurrente des tribunaux congolais.
Il s'agit là d'une solution unilatérale au problème délicat des mesures
transitoires en matière juridictionnelle qui aura ainsi permis à l'Etat pré-
décesseur d'intervenir dans l'ordre juridique du nouvel Etat, bien après
son accession à l'indépendance en vue d'éviter une rupture dans le fonc-
tionnement de son système juridictionnel mais non sans flétrir vigoureuse-
ment le respect du principe de la substitution des compétences juridiction-
nelles.
nisation du Congo (ex belge) VOir, supra, chapitre 1 et D. P.
O'CONNELL, op.cit., pp. 93-96 et pp. 151-152. La loi fondamen-
tale prescrivait notamment la continuité du système juridictionnel
en place au Congo incluant les compétences du Conseil d'Etat et
de la cour de Cassation belges. Ainsi aux termes des articles 189
et 253 de cette loi, la cour de cassation et le Conseil d'Etat de-
vaient respectivement, conserver leurs compétences jusqu'à la mi-
se en place au Congo, d'une Cour de cassation et d'une Cour cons-
titutionnelle.
(18) - De sérieux troubles intérieurs éclatèrent au Congo en 1960. Les
relations diplomatiques entre la Belgique et le Congo furent rom-
pues. Une telle situation provoqua le départ précipité d'un grand
nombre de magistrats qui perturba gravement le fonctionnement
de tout l'appareil judiciaire congolais.
(19) - Recueil des lois et arrêtés royaux de Belgique, 1961, p. 2886.
115
La Cour de cassation belge qui faisait ainsi fonction de Cour de cassa-
tion du Congo jusqu'à l'installation d'une cour congolaise demeurait alors
saisie des pourvois formés avala le 30 juin 1960 contre les décisions des
juridictions congolaises. Cette prérogative intéressait aussi les pourvois
postérieurs à cette date et permit à la Cour, appliquant une législation
devenue étrangère à la Belgique sauf en ce qui concerne la procédure, de
rendre, au nom de l'Etat du Congo, des arrêts exécutoires de plein droit
dans ce seul Etat (20).
Le Conseil d'Etat devait aussi, dans l'attente de la création d'une cour
constitutionnelle
congolaise, demeurer en principe saisi, quoique la Loi
fondamentale ne s'y soit pas expressément prononcée, des recours admi-
nistratifs formés devant lui avant l'accession du Congo à l'indépendance
(21).
(20) - Voir J.V., LOUIS, "L'accession du Congo belge à l'indépendance,
problèmes de succession d'Etats dans la jurisprudence belge",
AFDI, 1966, p. 735. Deux arrêts ont été rendus par la Cour dans
l'exercice de cette compétence, ibidem.
(21) - Pourtant dans l'arrêt Mahamba rendu le 24 mars 1961 (cité par J.-V.
LOUIS, ibid., p. 736) le CE refusa de statuer sur un recours intro-
duit avant le 30 juin 1960 et dirigé contre une décision d'investitu-
re d'un chef coutumier. Cet arrêt du Conseil d'Etat paraît bien
contestable dans la mesure où il prétend fonder le refus de statuer
essentiellement sur le motif tiré de la rupture des relations diplo-
matiques entre la Belgique et le Congo. Le Conseil d'Etat se con-
tentait en effet d'observer, ignorant tout sur la création éventuelle
d'une Cour constitutionnelle au Congo, que les actes attaqués de-
vant lui ne pouvaient plus recevoir d'exécution qu'au sein de l'ad-
ministration de l'Etat congolais et qu'un arrêt du Conseil d'Etat
116
La pratique issue de la décolonisation des anciens territoires sous do-
mination britanique révéla un rôle important tenu par les constitutions des
nouveaux Etats indépendants. Ces constitutions contiennent généralement
des dispositions prévoyant que les instances judiciaires pendantes devant
les juridictions relevant de la précédante constitution seraient poursuivies
devant celles établies sous la nouvelle constitution (22). L'ensemble des
recours ainsi concernés demeurent ceux relevant des juridictions locales à
l'exclusion des recours en appel traditionnellement soumis au Conseil pri-
vé de la
Couronne. Cette compétence du Conseil privé est maintenue ou
n'était plus opposable aux autorités de la République du Congo,
ibid. Ces arguments sont d'autant moins appropriés, pour conclure
au refus de statuer, qu'il revenait au Conseil d'Etat d'exercer "se-
Ion la procédure qu'il détermine", la compétence de la Chambre
d'administration de la Cour constitutionnelle du Congo dans l'at-
tente de l'organisation de cette dernière (art. 253 de la Loi Fonda-
mentale) ; voir également J.-P.
De BANDT, "De quelques pro-
blèmes de succession d'Etat à la suite de l'accession à l'indépen-
dance de la République du Congo (Leopoldville)", REDl, 1965, p.
504. Le Conseil d'Etat se montra pareillement embarrassé en
d'autres circonstances. En effet, dans une autre espèce, le Conseil
se déclara compétent, avec une motivation peu claire, pour juger
de la légalité d'un acte de l'autorité coloniale belge accompli
avant l'accession du Congo à l'indépendance: C.E. 28 juin 1963,
Association momentannée Société de construction "les entrepri-
ses Fernand GILLION en Afrique" (Sogiaf) et consorts, RAACE,
1964, p.557, ibid., p. 505.
(22) - Il en va ainsi pour les constitutions de la Somalie (1960) du Nigéria
(1960) de la Sierra-Léone (1961) du Kenya (1963) de l'Ouganda
(1962) de la Zambie (1964) de la Gambie (1965) et de Zanzibar
(1962), voir O.-P. O'CONNELL, Op.cil. p.149.
117
supprimée par les constitutions ou les législations des nouveaux Etats qui,
généralement, règlent en cas de suppression, le sort des instances pendan-
tes (23).
Comme il vient dans l'ensemble d'être relevé, l'affirmation par les
Etats africains, de leur volonté de substituer dès l'indépendance leurs pro-
pres compétences' juridictionnelles à celles de l'ancienne métropole a gé-
néralement pris en compte le souci au demeurant partagé par l'Etat prédé-
cesseur, d'assurer une certaine continuité, même provisoire, dans l'admi-
nistration de la justice.
Cette préoccupation ressort bien nettement de la pratique jurispru-
dentielle des Etats prédécesseurs et successeurs. Mais elle trouve surtout
une ample consécration dans le recours au règlement conventionnel qui en
fixe les modalités à travers des solutions avant tout destinées à pallier les
rigueurs du principe de la substitution.
(23) - A titre d'exemple on pourra citer: le Tanganyka (Pending Appeals
to Privy Council) Order in Council de 1963; le Tanganyka Appel-
la te Juridiction (Amendment) Act de 1964 ; le Zanzibar Indepen-
dence Order de 1962; le Kenya Independence Order de 1963 et le
Nigeria Republic Act de 1963. Exemples cités par D.-P. O'CON-
NELL, op.cit., p. 165.
118
SECTION II
LA PRATIQUE
DE LA CONTINUITE JURIDICTIONNELLE
Il s'agit ici d'une continuité inscrite dans une période transitoire. Une
continuité conçue pour être mise en oeuvre dans le cadre de la Commu-
nauté instituée par la Constitution française du 4 octobre 1958 (Sous-Sec-
tion 1) et qui sera conventionnellement réaffirmée au moment de l'acces-
sion des Etats africains à l'indépendance (Sous-Section II).
Sous-Section 1
lE CONTROLE COMMUNAUTAIRE DE LA JUSTICE
Un certain nombre de mesures de l'Exécutif communautaire ont été
prises dès 1958 afin de renforcer ('unité de l'institution communautaire.
Le contrôle de la justice par la Communauté ainsi que le maintien d'une
certaine unité organique des institutions judiciaires au sein de la Commu-
nauté figurent parmi leurs objectifs.
Il convient de rappeler que les territoires africains qui, en vertu de
l'article 76 de la Constitution française, avaient opté pour le statut d'Etat
membre de la Communauté, devaient accepter, en matière de justice, un
119
partage de compétences entre les autorités locales et communautaires
(24 ).
L'autonomie politique que leur reconnaissait la nouvelle constitution
emportait pour ces Etats africains membres de la Communauté, la jouis-
sance d'une autonomie juridictionnelle plus complète, limitée toutefois,
selon l'article 78 de la Constitution, par l'affirmation d'une prérogative
non négligeable conçue au profit de la Communauté chargée d'exercer le
"contrôle de la justice".
Cette notion ne fut pas accueillie par la doctrine et par les autorités
politiques de la Communauté sans quelques difficultés, tant son contenu
manquait d'être précis ou semblait se prêter à des interprétations les plus
diverses (25).
Le Président de la Communauté dut alors, par deux décisions en date
du 12 juin 1959, intervenir pour définir les "principes généraux du contrôle
(24) - Une répartition préalable de compétences dans ce domaine avait été
décidée par la Loi-Cadre du 23 juin 1956 qui, en conférant l'auto-
nomie interne aux territoires d'AOF et d'AEF, reconnaissait aux
assemblées territoriales le pouvoir d'organiser la justice de droit
local, laissant ainsi la justice de droit français entre les mains des
pouvoirs centraux. Mais les réformes attendues au niveau local
n'ont eu guère le temps de se réaliser avant la promulgation de la
nouvelle constitution de 1958.
(25) - Selon Yves JOUHAUD, il n'y avait "rien de plus vague en soi-même
que cette notion de contrôle de la justice qui ne faisait appel à
aucun critère juridique existant"; voir "l'évolution du contentieux
administratif', Penant, 1961, p. 29.
120
de la justice" (26) et pour en fixer les "conditions générales d'exercice"
(27).
Aux termes de ces deux décisions pnses à l'issue de la réunion du
Conseil exécutif de la Communauté des 4 et 5 mai 1959, le contrôle de la
justice
"s'entend comme une mission supérieure confiée à la
Communauté de veiller à ce que soit respecté l'idéal de
justice et de liberté auquel ont souscrit les peuples des
Etats membres".
L'accomplissement de cette mISSion repose sur le respect, par les
Etats membres qui doivent en assurer l'exercice, des droits et libertés de
l'individu, tels qu'ils ont été rappelés par la Constitution du 4 octobre 1958
(28).
Il paraît certain à cet égard qu'une caution à la fois morale et légale
(26) - J.O., Communauté, 15 juin 1959 et J.O. Fédération du Mali, 1er août
1959, p. 183.
(27) - Ibid, J.O., Communauté et J.O. Fédération du Mali.
(28) - On relève dans le Rapport sur le contrôle de la justice préparé par le
comité des Ministres de la justice et approuvé par le Conseil exé-
cutif en ses réunions des 4 et 5 mai 1959 que:
"Si chaque Etat organise et administre ses juridictions, la
justice est une et ses décisions s'appliquent sur toute
l'étendue du territoire de la communauté" ; ainsi la notion
de contrôle de la justice va-t-elle s'apprécier compte tenu
de l'ensemble des dispositions de la Constitution, en parti-
culier celles qui tendent à garantir les libertés démocrati-
ques dont jouissent tous les citoyens de la Communaut{'
121
servie par la constitution et garantie par les institutions de la République
ait été fébrilement recherchée, non sans quelques nuances toutefois, par
les autorités du pouvoir central 'métropolitain dès l'époque de l'élabora-
tion de la Constitution (29). Ce qui n'a pas manqué de faire admettre
parfois l'idée selon laquelle les règles découlant des principes généraux
énoncés dans les décisions du 12 juin avaient été édictées, d'autorité, par
le Président de la Communauté (30), même si les formes dans lesquelles
ces règles avaient été posées supposaient l'adhésion des représentants des
Etats membres de la Communauté ayant pris part aux réunions du Conseil
exécutif (31).
(29) - Voir, les travaux préparatoires de la Constitution, notamment l'in-
tervention de M. L. S. SENGHOR qui, s'adress<:nt aux représen-
tants du Gouvernement français, soutenait que: "si votre fédéra-
tion est un Etat, elle doit avoir une justice", et la réponse donnée
par M. le Commissaire du Gouvernement en ces termes :
"Le contrôle de la justice est en effet de la compétence de
la fédération, mais il est certain que, dans u ne très large
mesure et pendant un temps relativement long, le contrôle
sera assuré par la Cour de cassation. Tous les représen-
tants des territoires d'outre-mer sont d'accord sur ce
point".
Cf. Travaux préparatoires de la Constitution, Avis et débats du Comi-
té Consultatif Constitutionnel, la Documentation française, 1960,
pp. 141-142. Pour de plus amples détails voir l'extrait de ces débats
en annexe de cette thèse.
(30) - K. MBAYE, op. cit., p. 33 ; voir également Y. JOUHAUD, op. cit.,
p. 31.
(31) - Ibid. Il est intéressant de citer à cet égard l'intervention de M. LI-
122
Les conditions d'exercice du contrôle de la justice telles que fixées
dans les décisions de Président de la Communauté font apparaître une
SETTE lors des débats du Comité consultatif constitutionnel en
rapport avec la question de l'utilité d'une clause constitutionnelle
prévoyant que des accords particuliers pourraient limiter les com-
pétences de la fédération. M. LISETTE affirma être
"persuadé que si l'on admettait l'existence d'accords par-
ticuliers peu de territoires africains accepteraient que la
justice, par exemple, relève de la compétence commune
de la fédération",
Travaux préparatoires ..., précité, p. 143. Il convient de rappeler
dans ce sens que les membres du Comité de coordination et les
responsables du RDA venus à la même période à Dakar, à l'occa·
sion du voyage du Général de Gaulle, avaient publié un manifeste
signé par MM. Mahamane HAIDARA, Doudou GUEYE, Sékou
TOURE et Gabriel D' ARBO USSIER réclamant la limitation des
compétences de la Communauté. Les auteurs de ce manifeste de-
mandaient en particulier que les compétences de la Communauté
fùssent limitées à la défense, la politique extérieure et la monnaie,
à l'exclusion de la justice; voir, Le Monde des 31/8 - 1er/9/1958.
On pourrait noter aussi, d'un autre point de vue, que la composi-
tion du Conseil exécutif, fortement déséquilibrée au profit de la
République française, ne semblait pas contribuer à une expression
parfaite de l'accord des autres Etats membres. On retrouvait en
effet, à côté des chefs de gouvernement, outre le Président de la
Communauté, des membres ad hoc ainsi que les ministres chargés
des affaires communes qui sont en fait des ministres français ayant
compétence pour les mêmes affaires dans le cadre de la Républi·
que française. Voir sur ce point, P.-F. GONIDEC, "La communau-
té et les voies de l'indépendance", Penanl, 1960, p. 12. On peut
ainsi rappeler que par décision du 31 janvier 1959, le Président de
la Communauté avait désigné sept ministres du Gouvernement de
la République comme Ministres chargés, pour la Communauté,
des affaires communes.
123
mission générale confiée à la cour arbitrale (32) chargée d'assurer le res-
pect des
principes généraux de ce contrôle; mission à laquelle s'ajoutent
deux tâches de contrôle de la juridiction judiciaire et de la juridiction ad-
ministrative, confiées respectivement à la Cour de cassation et au Conseil
d'Etat français., ainsi que des prérogatives importantes réservées au Pré-
sident de la Communau té.
La Cour arbitrale disparut prématurément, emportée par les vagues
d'indépendance qui ne lui laissèrent ni le temps d'entamer sa mission ini-
tiale, ni celui d'évoluer vers un statut de juridiction internationale (33).
Le contrôle dèS décisions des juridictions judiciaires et administrati-
ves
devait s'effectuer grâce à un partage de compétences entre la Cour
de cassation et le Conseil d'Etat français appelés à contrôler ces décisions,
à l'exception de celles rendues en matière de droit traditionnel, par l'uni-
que voie du recours en cassation (34).
(32) - Conformément à l'article 1er de la loi organique du 19 décembre
1958.
(33) - Voir, à cet égard, les observations de P.-F. GONIDEC, op. cir., p. 11,
En outre le manque de précision des conditions établies pour la
mise en oeuvre de la mission dévolue à la Cour laissait planer un
doute sérieux quant au fonctionnement satisfaisant de l'institution.
(34) - Toutefois des conventions particulières pouvaient être conclues en-
tre un Etat membre de la Communauté et la République française
en vue de permettre à la Cour de cassation ou au Conseil d'Etat,
d'exercer un contrôle par la voie de l'appel. Cette faculté qui a été
passée sous silence lors de la rédaction des décisions du 12 juin
1959 alors qu'elle figurait dans le texte du Rapport du Comité des
Ministres de la justice n'a été en définitive exercée que par le Ca-
124
Le recours aux organes de la République française pour permettre
l'exercice d'une prérogative qui relève des compétences communes de la
Communauté révèle encore si besoin est, le caractère inégalitaire de la
fédération qui n'aura été, en matière de justice, que passablement corrigé,
lorsque les décisions soumises aux juridictions françaises ont été pronon-
cées par des tribunaux des Etats d'Afrique ou de Madagascar, par l'idée de
constituer des formations spéciales du Conseil d'Etat ou de la Cour de
Cassation ouvertes à des magistrats nommés par Je Président de la Com-
munauté sur proposition des gouvernements de ces Etats (35).
Ce déséquilibre est au contraire renforcé par le pouvoir aménagé au
profit du Président de la Communauté en vue de lui permettre, dans les
affaires communes, de faire enjoindre par son représentant au chef du par-
quet intéressé, de faire tous actes nécessaires pour saisir les tribunaux et
d'exercer toutes voies de recours contre les décisions rendues (36). La si-
tuation privilégiée de la République française apparaît ainsi avec d'autant
plus d'évidence que tout le contentieux relatif aux actes des autorités ad-
ministratives de la Communauté demeure exclusivement réservé au Con-
sei! d'Etat, échappant ainsi à la compétence de la Cour arbitrale.
meroun lorsqu'il signa la convention franco-camerounaise du 20
décembre 1958.
(35) - Ces formations spéciales n'eurent guère l'occasion d'être constituées
dans la brève période qui précéda l'accession des Etats africains à
l'indépendance.
(36) - Dans le Rapport du Comité des Ministres de la justice (précité) cette
prérogative est partagée entre les Ministres chargés des affaires
communes et le représentant du Président de la Communauté.
125
Il en va ainsi du contentieux militaire soumis aux principes définis en
matière de défense qui, dès lors, le placent tout entier sous la compétence
des tribunaux militaires français' agissant comme organes de la Commu-
nauté (37).
Si en matière de contrôle de la juridiction administrative le Conseil
d'Etat français concentre d'importantes prérogatives, celles-ci ne font que
compléter une compétence déjà largement conçue à son profit par une
ordonnance en date du 6 octobre 1958 (38) et relative aux conditions d'ap-
plication de l'article 76 de la Constitution. Cette ordonnance maintenait
provisoirement en vigueur, dans les terroires d'outre-mer ayant choisi le
statut d'Etat membre de la Communauté, les dispositions du décret du 28
novembre 1953 en vertu desquelles le Conseil d'Etat demeurait juge de
droit commun du conl'c:ntieux administratif autre que le contentieux locai
né dans les territoires soumis à la juridiction des Conseils du contentieux
administratif.
Celle compétence du Conseil d'Etat était destinée à subsister aussi
longtemps que les Etats africains membres de la Communauté n'auraient
pas établi une législation spécifique et créé leurs propres tribunaux (39).
Or l'avènement des juridictions africaines compétentes en matière admi-
nistrative, attendu en rapport avec l'évolution politique des Etats africains
(37)
Voir K. MBAYE, op. cit., p. 34
(38) - Ordonnance n° 58 913, JDRF 7 octobre 1958, p. 9182.
(39) - C.E. 17 janvier 1962, Société frigorifique des produits des éléveurs
tchadiens, RDP, 1962, p. 777.
126
membres de la Communauté, demeurait étroitement lié à la disparition
des structures et organes des anciens groupes de territoires de l'AOF et de
l'AEF.
Devaient ainsi disparaître, en conséquence de diverses dispositions de
la Constitution du 4 octobre 1958, les Conseils du Contentieux administra-
tif de l'AOF et de l'AEF, juridictions administratives fédérales dont j'exis-
tence était menacée depuis l'époque de l'autonomie interne. Ces juridic-
tions du premier degré siégeant au chef-lieu de chaque fédération, à Da-
kar pour l'AOF et à Brazzaville pour l'AEF (40) étaient juges de droit
commun de tout litige entrant dans le contentieux administratif.
Leur compétence résuitait de l'article 160 de l'ordonnance du 21 août
1825 et de l'article 176 de œlle du 9 février 1827 auxquelles s'ajoutent les
décrets des 5 août et 7 septembre 1881, le décret du 13 septembre 1944
substituant les Conseils fédéraux du contentieux administratif aux Con-
seils locaux (41), ainsi que le décret du 26 octobre 1946 (42) ; l'appel de
leurs décisions étant porté devant le Conseil d'Etat.
(40) - Ainsi qu'au chef-lieu de chaque territoire unitaire: à Lomé, pour le
Togo et à Yaoundé, pour le Cameroun.
(41) - Ce décret qui porte notamment création à Dakar, d'un Conseil du
Contentieux administratif unique pour toute l'Afrique occidentale
française a été modifié par les décrets du 3 janvier et du 23 août
1946. Les textes applicables au Conseil siégeant en "Chambre des
comptes" sont le décret n° 46-843 du 24 août 1946 et le décret n°
58-54 du 20 janvier 1958.
(42) - En matière de plein contentieux, les Conseils du contentieux admi-
127
Les Commissions des liquidations et des transferts qui avaient été mi-
ses sur pied autour des Hauts-Commissaires généraux des groupes de ter-
ritoires devaient procéder à la liquidation des conseils du contentieux et,
ainsi, à la répartition aux Etats membres de la Communauté des dossiers
dont ces conseils étaient encore saisis à la date prévue de leur disparition.
Cette répartition ne manquait pas de soulever certaines difficultés
dans la mesure où elle devait notamment tenir compte d'un délai suffisant
nistratif étaient compétents pour connaître des litiges concernant
les services publics locaux (organisés à l'échelon des territoires ou
dans les Fédérations, à l'échelon du gouvernement général). Une
compétence d'attribution leur reservait la connaissance des litiges
relatifs notamment aux marchés administratifs, aux marchés ainsi
qu'aux dommages de ·travaux publics, aux concessions domaniales
(occupation, délimitation, etc.) ou d'eau (à cet égard les Conseils
connaissent exceptionnellement de certains litiges intéressant
l'Etat comme ceux concernant les autorisations de prise d'eau),
aux
impôts
directs
(assiette,
et taux,
à
l'exclusion
du
re-
couvrement), à des contestations concernant des élections munici-
pales ou des élections aux Assemblées territoriales, au Grand Con-
seil et aux chambres de Commerce, ou toute autre élection non
politique.
Les conseils étaient juges des comptes publics des petites commu-
nes.
Leur échappaient ainsi, en principe, le contentieux des services
publics de l'Etat ainsi que les recours pour excès de pouvoir, sauf
lorsqu'ils sont exercés contre des actes concernant les fonctionnai-
res locaux (fonctionnaires appartenant aux cadres territoriaux,
ceux relevant des gouvernements généraux et ceux appartenant à
un cadre d'Etat mais détachés dans une administration locale).
128
pour permettre la mise en place, dans les nouveaux Etats, de juridictions
administratives en état de fonctionner (43). Cette exigence semble trouver
un fondement juridique dans les termes mêmes de la Constitution qui, en
son article 91, dispose que les autorités établies continueront d'exercer
leurs fonctions dans les nouveaux Etats conformément aux lois et règle-
ments applicables au moment de l'entrée en vigueur de la Constitution,
jusqu'à la mise en place des autorités prévues par leur nouveau régime
(44 ).
A cette difficulté s'ajoutait une autre qui résultait d'un besoin d'ob-
server également un délai propre à permettre, avant la disparition du Con-
seil,
(43) - En ce qui concerne les Etats de l'ancien Groupe de territoires de
l'AOF, la date du 6 avril 1959 avait d'abord été retenue pour être
celle de la disparition du Conseil du Contentieux (Circulaire n° 14
en date du 16 mars 1959 du Haut-Commissaire de l'AOF). Puis
cette date a été repoussée au 1er juillet 1959 (Arrêté du Haut-
Commissaire Général en date du 31 mars 1959) avant d'être fixée
au 31 décembre 1959 (Arrêté du 8 juillet 1959 de l'Inspecteur gé-
néral chargé du Service des Transferts et Liquidations).
(44) - Dispositions reprises par l'Ordonnance nO 58-913 du 6 octobre 1958,
en ces termes:
"Dans les Etats membres de la Communauté les autorités,
juridictions et services administratifs, institués par les lois
et règlements applicables lors de l'entrée en vigueur de la
Constitution continuent d'exercer leurs fonctions confor-
mément aux lois et règlements, jusqu'à la mise en place
des autorités, juridictions et services de la Communauté
ou de ses membres, appelés à leur succéder..."
129
la définition des modalités du contrôle communautaire de la justice qui
concerne aussi la justice administrative (45).
Cette période transitoire devrait alors être mise à profit par le Conseil
pour connaître des affaires déjà engagées devant lui et concernant l'ex-
groupe de territoires (46). Cette solution eut rapidement fait de recueillir
l'adhésion de la quasi totalité des chefs de gouvernement des Etats mem-
bres de la Communauté issus de l'ancien groupe de l'AOF (47). Elle auto-
risa enfin l'Inspecteur Général chargé du Service des Transfers et Liquida-
tion à mettre au point, en rapport avec les chefs de gouvernements des
nouvelles Républiques africaines, dès que celles-ci ont été pourvues de
tribunaux
administratifs,
l'envoi
des
dossiers
qui
devraient
leur
revenir( 48).
Le Conseil conserva ainsi provisoirement ses attributions pour con-
naître des recours les plus nombreux, c'est-à-dire ceux dirigés contre l'ex-
groupe de territoires et correspondant à 641 dossiers engagés à la date du
19 mai 1959.
(45) - Lettre du Président du Conseil de Contentieux Administratif de
l'AOF du 21 mars 1959 au Haut-Commissaire Général de l'AOF,
Archives Nationales du Sénégal (ANS), dossier AOF, 18 G. 196.
(46) - Il en a ainsi été en 1944, lorsque le Conseil du Contentieux Adminis-
tratif fut substitué aux divers conseils siégeant au niveau des terri-
toires et, en 1950, à l'occasion de la suppression du Conseil du
Contentieux Administratif de l'Indochine. Voir la lettre, précitée,
du Président du Conseil du Contentieux.
(47) - Ibid...
(48) - Lettre-circulaire n° 175 du 21 avril 1959, rappelée le 19 mai sous le
130
Le Sénégal, qui n'envisageait pas de constituer une juridiction admi-
nistrative propre, avait saisi le Gouvernement Fédéral du Mali en vue de
la création d'une Cour Fédérale qui serait compétente pour connaître des
dossiers devant revenir à l'Etat du Sénégal (49).
Mais si, au moment d'accéder à l'indépendance, ou dans la période
qui suit immédiatement cette indépendance, les Etats africains étaient
pour la plupart pourvus de juridictions du premier degré en mesure d'être
saisies de litiges relevant tant de l'ordre judiciaire que de l'ordre adminis-
tratif, il en allait autrement en ce qui concerne les juridictions d'appel ou
de cassation.
Ainsi, les accords "sur les dispositions transitoires en matière de justi-
ce" conclus entre la République française et les Etats africains au moment
numéro 218. Le Conseil du Contentieux Administratif (C.C.A) ne
détenait, à la date du 1er septembre 1959, plus que 5 dossiers con-
cernant le Niger et 7 concernant la Mauritanie. Le Conseil devant
être dissout le 30 septembre de la même année, ces dossiers
étaient dans tous les cas destinés, à être remis à ces deux Etats
après cette date. Voir pour ces correspondances, ANS, Dossier
AOF, 18 G-196.
(49) - Voir la lettre en date du 28 avril 1959 du Président du Conseil Ma-
madou DIA à Monsieur l'Inspecteur Général chargé du Service
des Transferts et Liquidations et, celle du Ministre sénégalais de la
justice M. Boubacar GUEYE, en date du 12 mai, précisant que si
la Cour Fédérale n'était pas mise en place avant le 30 juin, des
mesures seraient néanmoins prises pour éviter les inconvénients
pouvant naître de l'absence d'une juridiction compétente, ibid.
131
de leur accession à l'indépendance, ont eu essentiellement pour objet
d'établir une certaine continuité en matière de justice, mise en oeuvre tant
au niveau de l'appel et de la cassation, qu'en ce qui concerne l'exécution,
sur le territoire de l'Etal prédécesseur ou de l'Etat successeur, des déci-
sions de justice déjà rendues.
Sous-Section II
LES ACCORDS SUR LES DISPOSmONS
TRANSITOIRES EN MATIERE DE JUSTICE
Les Etats africains qui ont conclu des accords sur les dispositions tran-
sitoires en matière de justice avec la République française ont surtout
voulu signifier, par ce moyen, tout l'intérêt qu'ils attachent au recours à
l'accord international pour affirmer les solutions de continuité qu'ils en-
tendent mettre en oeuvre entre une ancienne puissance coloniale et un
Etat nouvellement indépendant.
L'accord relatif aux dispositions transistoires en matière de justice si-
gné entre la République française et la Fédération du Mali l~ 4 avril 1960
(50) prévoyait que, jusqu'à l'installation des juridictions suprêmes compé-
(50) - J.O.R.F, 2 juillet 1960, p. 5969. Accord entré en vigueur le 19 juin
1960. Le Sénégal n'avait pas conclu, dès son accession à l'indépen-
dance, un accord de coopération en matière de justice comme
nombre d'autres pays tel, par exemple, Madagascar. Cet accord
interviendra un peu plus tard, le 14 juin 1962 (entré en vigueur le 7
décembre 1964,JORF, 13 mars 1965, p.2031) avant d'être renégo-
cié sous forme d'un nouvel accord en date du 29 mars 1974, dans le
cadre d'une révision globale des accords de coopération liant la
France et le Sénégal.
132
tentes pour connaître des recours formés contre des décisions rendues en
matière administrative et judiciaire dans la Fédération, ces recours conti-
nueraient d'être portés devant les formations ordinaires du Conseil d'Etat
et de la Cour de cassation siégeant à Paris. En cas de cassation, j'affaire
serait renvoyée devant une juridiction de la Fédération (51).
Pour répondre au souci de règler le sort des affaires pendantes devant
le Conseil d'Etat et la Cour de cassation à la fin de la période de compé-
tence ainsi prévue, il était entendu qu'un accord entre la République fran-
çaise et la Fédération du Mali déterminerait à la fin de cette période, les
conditions dans lesqueUes ces instances pendantes seraient réglées (52).
En ce qui concerne le sort des décisions rendues par les juridictions
siégeant sur l'un ou l'autre des deux territoires, l'accord disposait qu'elles
continueraient, jusqu'à la fin de la période transitoire, d'être exécutées sur
le territoire de l'autre Etat selon la procédure appliquée lors de l'entrée
en vigueur de l'accord particulier portant transfert des compétences de la
Communauté.
Le Congo et le Tchad ont conclu par la suite un accord identique avec
la France (53). Plusieurs autres Etats africains signèrent à leur tour, dans
(51) - Article 1er de l'accord du 4 avril 1960.
(52)
Article 3, Ibid.
(53) - Le Congo, accord du 12 juillet 1960, JORF, 30 juillet 1960, p. 7043 ; le
Tchad, accord de la même date, Ibid., p. 7044.
133
une forme parfois variable, des accords d'un contenu presque identique à
celui des deux précédents (54).
A la suite de l'éclatement de la Fédération du Mali, le Sénégal se
considéra comme succésseur de la Fédération et reprit à son compte les
accords particuliers et de coopération conclus entre la République fran-
çaise et la Fédération du Mali. L'affirmation du principe de la "succession"
(54) - La République centrafricaine, accord du 12juillet 1960, Ibid, p.7042;
Le Gabon, accord du 15 juillet 1960, Ibid., p. 7048 et Madagascar
qui combina les dispositions de l'accord du 2 avril 1960 sur les
dispositions transitoires en matière de justice, fORF, 2 juillet 1960,
p.5968 et celles de l'accord de coopération en matière de justice
signé avec la France le 27 juin 1960, fORF, 20 juillet 1960, p.6616,
aux fins de confier au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la
compétence d'une juridiction de cassation des décisions des tribu-
naux malgaches de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire,
pour une période transitoire dont la fin a été rappelée par le Con-
seil d'Etat dans son arrêt du 28 février 1962 concernant la Fédéra-
tion des Syndicats des Travailleurs de la Fonction Publique de Ma-
dagascar, RDP, p. 777, et ILR, vol. 44, p. 46 ; le Conseil d'Etat ne
s'estimait plus dès lors compétent. La haute juridiction s'était tou-
tefois heurtée, un an plus tôt, à une difficulté qui empêchait l'ap-
plication des dispositions transitoires dans la mesure où celles-ci,
comme on peut d'ailleurs l'observer pour les accords conclus par le
Congo, le Gabon le Tchad et la RCA, donnaient compétence à la
"Section de la Communauté" du Conseil d'Etat ou, à la "Chambre
de la Communauté" de la Cour de cassation qui n'ont jamais été
créées. Un accord établi par échange de lettres entre le Président
de la République malgache et le secrétariat d'Etat à la Commu-
nauté, les 27 janvier et 9 février 1961, (fORF 26 mars 1961) fut
rendu nécessaire pour faire admettre que les affaires malgaches
étaient plutôt portées devant les formations ordinaires du Conseil
d'Etat. Voir C.E, SOPREMA, 16 juin 1961, RPOM, 1962, p. 554.
134
résultait d'un échange de lettres en date dcs 16 et 19 septembre 1960.
On relève dans la lettre adressée par Monsieur Mamadou DIA, Prési-
dent du Conseil de la République du Sénégal, à Monsieur Michel DEBRE,
Premier ministre de la République française, ce qui suit:
Monsieur le Premier ministre,
"J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que le
Gouvernement de la République du Sénégal estime qu'en
vertu des principes du droit international relatif à la suc-
cession d'Etats la République du Sénégal est, pour ce qui
la concerne, substituée aux droits et obligations résultant
des accords de coopération en date du 22 juin 1960, entre
la République française et la Fédération du Mali, sans
préjudice des adaptations qui, d'un commun accord, se-
raient reconnues nécessaires.
"J e vous serais obligé de bien vouloir me faire savoir que
tel est également le sentiment du Gouvernement de la
Républque française" (55).
(55) - Lettre en date du 16 septembre 1960,JORF,2 juin 1961, p.497 1. Dans
sa réponse en date du 19 septembre 1960, Michel DEBRE fit sa-
voir, selon une clause consacrée, que le Gouvernement de la Ré-
publique française partageait le point de vue de la République du
Sénégal, Ibid. Ces deux lettres ont été publiées par le décret en
date du 17 mai 1961, Ibid.
135
Il convient cependant de noter que cet échange de lettres ne concerne
que la succession aux droits et obligations résultant des accords franco-
,
maliens du 22 juin 1960 à l'exclusion de tous autres accords.
Sont ainsi exclues de la succession les conventions signées le 4 avril
1960 et comprenant un accord portant transfert des compétences de la
Communauté conclu entre le Gouvernement de la République française et
les Gouvernement du Sénégal et du Soudan groupés au sein de la fédéra-
tion du Mali, deux accords relatifs aux dispositions transitoires dont l'un
se rapporte à la justice et un échange de lettres relatif au transfert de
compétences (56).
La disparition de la fédération du Mali n'eut donc pas l'effet de soule-
ver un problème de succession du Sénégal aux accords du 4 avril dont
(56) - Ces accords ont été immédiatement signés le 4 avril et en portent la
date. Les autres accords dont le texte a été authentifié le même
jour n'ont été que paraphés. Il s'agit d'un accord particulier sur la
participation de la Fédération du Mali à la Communauté, de plu-
sieurs accords de coopération et de diverses conventions entre la
République française et la Fédération du Mali; la signature de ces
accords paraphés devant attendre l'accession définitive du Mali à
l'indépendance. L'échange des instruments de ratification concer-
nant les accords signés le 4 avril intervient le 19 juin 1960. L'indé-
pendance du Mali est proclamée par l'Assemblée fédérale le 20
juin. Les accords qui n'ont été que paraphés le 4 avril sont signés le
22 juin et ratifiés en vertu de la loi malienne du 1er juillet 1960 et
d'une loi françaisse en date du 12 juillet 1960 avant d'être publiés
auJ.O de la Fédération du Mali du 16 juillet 1960 et au JORS du 20
juillet 1960 : ce sont ces accords que vise expressément l'échange
de lettres précité.
136
faisait partie l'accord conclu en matière de justice et auxquels, en réalité,
la Fédération n'était pas partie.
L'ambiguité a pourtant été entretenue grâce à l'intitulé donné aux
deux accords concerant l'un, "les dispositions transitoires applicables jus-
qu'à l'entrée en vigueur des accords de coopération entre la République
française et la Fédération du Mali", l'autre, "les dispositions transitoires en
matière de justice entre la République française et la Fédération du Mali"
(57).
Il convient toutefois de relever que ces accords,comme celui portant
transfert des compétences de la Communauté, ne citent comme parties à
l'accord que le Gouvernement de la République française d'une part et,
les Gouvernements de la République du Sénégal et de la République sou-
danaise d'autre part, en dépit de l'attribut "groupés au sein de la Fédéra-
tion du Mali", qui, à ce stade, répondait davantage à des fins politiques
(58) et ne 'fit que traduire une simple constatation d'un fait intracommu-
nautaire (59).
En outre ces accords ont été signés, du côté africain par MM. Modibo
(57) - C'est nous qui soulignons
(58) - Voir A. GANDOLFI, "Naissance et mort sur le plan international
d'un Etat éphémère: la Fédération du Mali", AFDI, 1960, pp.884-
885.
(59) - Ibid. p. 884.
137
KEITA et Mamadou DIA agissant respectivement pour le Gouvernement
soudanais et le Gouvernement sénégalais (60).
,
Enfin il reste entendu, dans les lettres échangées le 4 avril comme
dans l'accord de transfert, que les compétences de la C:ommunauté énumé-
rées ii j'article 78 de la Constitution sont transférées au seul profit de la
République du Sénégal et de la République soudanaise qui deviendront
ainsi indépendantes avant que ne le fût la Fédération du Mali.
Il semble donc possible de soutenir, après la disparition de la Fédéra-
tion, que l'accord du 4 avril 1960 sur les dispositions transitoires en matiè-
re de justice, ainsi que les autres accords signés le même jour, n'avaient ja-
mais cessé de lier la République du Sénégal depuis leur entrée en vigueur
(61) et que· le Sénégal n'eut point besoin d'y succéder.
Ainsi, après la rupture de la Fédération qui n'eut guère le temps d'or-
ganiser sa propre Cour Fédérale et, l'installation, le 14 novembre 1960, de
la Cour suprême du Sénégal, devait prendre fin la période transitoire pré-
(60) - C'est ce qui ressort également des lettres échangées le 4 avril entre le
Premier ministre de la République française d'une part et, les Pré-
sidents des Conseils de la République soudanaise et de la Républi-
que sénégalaise d'autre part.
(61) - Ce qui ne semble pas ressortir de l'analyse, au demeurant fort bril-
lante de G. MANGIN, concernant le Sénégal, dans son article inti-
tulé "les accords de coopération en matière de justice entre la
France et les Etats africains et malgaches", RJPOM, 1962, p. 363.
138
vue à j'article premier de j'accord sur les dispositions transitoires qui pré-
voit en son article 3 qu'en pareille situation un accord entre la République
française et la Fédération du Mali (62) déterminerait les conditions dans
lesquelles seraient réglées les instances pendantes devant le Conseil
d'Etat et la Cour de cassation.
Cette convention est conclue le 28 février 1961 (63) entre la Républi-
que française et la République du Sénégal. Elle prévoit la maintien de la
compétence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation pour statuer sur
les affaires, qu'elles soient ou non en état, intéressant le Sénégal et dont
ils ont été saisis avant le 14 novembre 1960, date d'installation de la Cour
suprême du Sénégal. En cas de cassation, le dossier de l'affaire est trans-
mis à la Cour Suprême qui désigne la juridiction de renvoi.
Le contenu de cette convention appela, en vue de son application,
deux précisions qui résultèrent d'une lettre en date du 16 mars 1961 du
Président du Conseil de la République du Sénégal et d'un éch<inge de let-
tres en date du 29 janvier 1962 entre le Ministre de la justice du Sénégal
M. Gabriel D'ARBOUSSIER et le Ministre français de la Coopération M.
Jean FOYER (64).
(62) - L'ambiguïté déjà signalée s'agissant de l'intitulé des accords signés le
4 avril est encore maintenue dans le libellé des dispositions de cet
article 3.
(63) - Convention publiée par le décret n° 62 049 du 9 février 1962, fORS
du 24 février 1962, p. 350.
(64) - Le texte de ces lettres est publié au JORS du 24 février 1962, pp. 350-
351.
139
Sont ainsi considéréos comme affaires "intéressant le Sénégal", telles
que mentionnées à l'article premier de la Convention du 28 février 1961,
les affaires nées de recours dirigés contre les décisions rendues par les
juridictions siégeant au Sénégal et concer~ant des procédures introduites
dans cet Etat, ainsi que, les affaires nées de recours dirigés en matière
administrative contre des actes d'autorités sénégalaises ou d'autorités aux-
quelles sont substituées des autorités sénégalaises (65).
La seconde précision complète les dispositions de l'article 2 de la
Convention qui n'envisageait la transmission de dossiers à la Cour suprê-
me pour la désignation d'une juridiction de renvoi qu'en cas de cassation.
Il convient désormais de considérer que les termes "en cas de cassa-
tion" ne sauraient exclure toute autre décision comportant renvoi dans la
mesure où toutes les décisions attaquées devant le Conseil d'Etat ne le
sont pas uniquement au moyen de pourvois en cassation mais pourraient
aussi bien l'être par le biais d'appels des décisions rendues par le Conseil
du contentieux ou par le moyen des recours directs (66).
Les décisions ainsi rendues par les deux hautes juridictions françaises
sont considérées, selon la convention, comme exécutoire de plein droit sur
le territoire de la République du Sénégal sous réserve de recevoir la for-
(65)
Lettres précitées, Ibid.
(66) - Ibid.
140
mule exécutoire sénégalaise apposée, sans formalité, par le Premier prési-
dent de la Cour suprême(67). Il s'agit là d'un mode de réception peu con-
traignant et bien plus souple que celui retenu dans les autres accords fran-
co-africains ou dans l'accord de coopération franco-malgache instituant
une procédure d'exequatur simplifiée (68).
Les Etats africains qui n'avaient pas conclu d'accords sur les disposi-
tions transitoires en matière de justice avec la République française et qui
optèrent après leur accession à l'indépendance, pour la conclusion d'ac-
cord de coopération en cette matière (69) profitèrent pour la plupart de
(67) - Article 3 de la Convention.
(68) - Il convient de rappeler qu'en France, conformément aux articles
2123 du code civil et 509 du nouveau code de procédure civile, le
jugement étranger ne peut être exécuté qu'après avoir satisfait à la
condition de l'exequatur. Cette exigence tient en effet compte de
l'évolution, depuis 1860 de la jurisprudence de la Cour de cassa-
tion qui a abouti à faire admettre que le jugement étranger "extra-
patrimonial" ou "constitutif' est, sous réserve de satisfaire aux cun-
ditions d'efficacité, efficace de plana sauf en ce qui concerne l'exé-
cution forcée. Voir P. MAYER, Droit international privé, Paris,
Montchrestien, 1977, pp. 289-291.
(69) - Il s'agit des pays suivants: Cameroun, accord conclu le 13 novembre
1960, en vigueur le 27 janvier 1961, rendu applicable à la Républi-
que fédérale du Cameroun à compter du 1er octobre 1961, JORF, 9
août 1961, p. 7429 ; Côte d'Ivoire, accord du 24 avril 1961, en
vigueur le 4 septembre 1961, JORF, 6 février 1962, p. 1265; Daho-
141
cette circonstance pour rappeler la fin des solutions transitoires qUi
avaient été préconisées sous le régime de la Communauté.
Plusieurs Etats saisirent ainsi le Gouvernement français en 1961 afin
de lui proposer une interprétation des accords de transfert des compéten-
ces de la Communauté qui dut consacrer la fin depuis leur accession à
l'indépendance,
d"es compétences précédemment reconnues aux hautes
juridictions françaises.
Ainsi dans un échange de lettres relatif au transfert des dossiers en
instance devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, intervenu entre
le Dahomey et la France (70), le Gouvernement dahoméen considéra que
le Conseil d'Etat et la Cour de cassation avaient, à partir du jour de ('en-
trée en vigueur de l'accord particulier du Il juillet 1961 transférant au
Dahomey les compétences de la Communauté, cessé d'être compétents
pour connaître des recours intéressant le Dahomey dans la mesure où ce
transfert de compétences concerne également le contrôle de la justice dé-
sormais exercé par l'Etat du Dahomey.
mey (actuel Benin), accord de la même date, en vigueur le 6 octo-
bre 1961, ibid, p. 1281 ; Niger, même date, ibid., p. 1299 ; Haute-
Volta (actuel Burkina Faso), même date, en vigueur le 30 août
1961, ibid., p. 1311 et pour la République islamique de Mauritanie,
accord du 19 juin 1961, ibid., p. 1330.
(70) - Echange en date du 4 avril 1961, fORF, 6 février 1962, p. 1285.
142
Cette interprétation fut acceptée par le Gouvernement français qui
accéda à la demande du Dahomey de prendre les dispositions nécessaires
afin que soient transférés à ce dernier les dossiers des procédures pendan-
tes devant les hautes juridictions françaises.
Plusieurs échanges de lettres identiques mutatis mutandis mirent ainsi
conventionnellement (71) fin au maintien provisoire de la compétence de
ces juridictions françaises pour connaître des affaires concernant certains
Etats africains (72).
Les accords de coopération en matière de justice signés à la même
période ou postérieurement entre la France et les Etats africains ont sur-
tout offert et dans tous les cas, un cadre privilégié pour le resserrement
des relations entre l'Etat, prédécesseur et les Etats successeurs dans les
.
,
domaines
d'assistance
technique
et
de
formation
de
personnels,
d'exequatur des jugements et d'extradition (73).
(71) - Voir M. FRANKOWSKA, "L'échange de notes en tant que forme de
traité international", article en langue polonaise, résumé en fran-
çais, Panstwo Pravo Warsawa, 1965, pp. 6-7.
(72) - Côte d'Ivoire, 24 avril 1961, op.cit., p.1269; Mauritanie, 19 juin 1961,
Ibid., p. 1335 ; Niger, 24 avril 1961, Ibid, p. 1306 et Haute-Volta,
même date, ibid., p. 1315.
(73) - Voir A. BOURGI, La politique française de coopération en Afrique, le
cas du Sénégal, Paris, LGDJ-NEA, 1979, pp. 124-127.
143
Conclusion du Chapitre \\1
La succession d'Etats en matière juridictionnelle telle qu'elle résulte,
pour les nouveaux Etats, de leur accession à l'indépendance, implique en
principe le dessaisissement, pour ce qui concerne le territoire devenu in-
dépendant, des juridictions de l'Etat prédécesseur devant l'extension des
compétences juridictionnelles de l'Etat successeur.
Mais la rigueur qui s'attache à la portée pratique du principe de Ja
table rase ainsi défini est en général sensiblement atténuée.
En effet, J'affirmation par les Etats africains, de leur volonté de subs-
tituer dès l'indépendance leurs propres compétences juridictionnelles à
celles de l'ancienne métropole, a généralement pris en compte le souci
bien souvent partagé par l'Etat prédécesseur, d'assurer une certaine conti-
nuité, même provisoire, dans l'administration de la justice.
Cette préoccupation ressort bien nettement de la pratique jurispru-
dentielle des Etats prédécesseurs et des Etats successeurs, comme des so-
lutions notamment retenues dans la phase de la Communauté francaise.
Elle a surtout trouvé une ample consécration dans le recours aux règle-
ments conventionnels élaborés dans la période des indépendances.
L'étude de la succession en matière de nationalité constituera l'objet
du chapitre suivant.
CHAPITRE 1"
145
liA l'origine les habitants des PO)'S vaillcus étaiellt massacrés ou vendus
comme esclaves. Par le suite ils furent obligés de changer aUlomatique-
ment de nationalité el cOlJséquemment de religion ... Puis un certain
progrès se fait jour à partir du XVlle sièc/e"(l).
La substitution de souveraineté étatique sur un territoire donné pro-
duit d'importants et graves effets en ce qui concerne la nationalité des
individus (2) •
(1) - Ch. ROUSSEAU, Droit international public, LIlI, Paris, Sirey, 1977, p.
366.
(2) - Henry BONFILS, Manuel de droit international public, septième éd.
revue et mise à jour par P. FAUCHILLE, Paris, Librairie A.
ROUSSEAU et Cie, 1914, p. 149.
La bibliographie concernant le problème de la succession en ma-
tière de nationalité est relativement abondante même si elle de-
meure encore limitée s'agissant des nouveaux Etats africains.
Voir surtout en ce qui concerne la consultation des populations
concernées et les options de nationalité: J.A.B., GAWENDA, Le
plébiscite en droit international, Fribourg, Suisse, 1946, 162 p.; E.
GONSOLLIN, Le plébiscite dans le droit actuel, Paris, 1921, 171
p.; R. GRAUPNER, "British nationality and state succession",
146
La condition des habitants subit une importante modification résultant
de l'appl ication du principe de non-succession. Dans les cas d'apparition
d'un nouvel Etat, ce dernier substitue une nouvelle nationalité à celle de
LQR, 1945 (61), pp. 161-178 ; G. GUYOMAR, "La succession
d'Etats et le respect de la volonté des populations", RGDIP, 1963,
n° 1, pp. 92-117 ; E. HEPP, Du droit d'option des Alsaciens-Lor-
rains pour la nationalité française, Paris, 1872, 168 p. ; J.L. KUNZ,
L'option de nationalité, Paris, 1931 et idem dans RCADI 1930, 1.,
pp. 107-176 ; F.A. MANN, "The effect of changes of sovereignty
upon nationality", MLR, 1941-42 vol. V, pp. 218-224 ; G. SAU-
SER-HALL, Le droit d'option, les mesures de rétorsion d'Etats
étrangers, Zurich, 1915, 31 p. ; E. SOLIERE, Le plébiscite dans
l'annexion, Paris, 1901, 197 p. ; E. SZLECHTER, Les options con-
ventionnelles de nationalité à la suite de cessions de territoires, Pa-
ris, 1948, 375 p. ; S. WAMBAUGH, A monograph on plebiscites.
With a collection of offical documents, prepared under the super-
vision of James brown Scotts, New York, 1920, 1088 p. ; Plebiscite
silIce the world war. With a collection of official documents, Was-
hington, 1933, 2 vol. ; La pratique des plébiscites internationaux,
Paris, 1928, RCADI, 1927, III, p. 149-258; sur les aspects généraux
de la question, voir notamment V.J. YOWANOVITCH, Des trans-
ferts de territoires dans leurs effets sur la nationalité, Ljubljana,
1920, 75 p. ; D.P. O'CONNELL, State succession in municipallaw
and internationallaw, 1., Cambridge, Cambridge University Press,
1967, pp. 497-542 ; Ch. ROUSSEAU, Droit international public, t.
III, Paris, Sirey, 1977, pp. 343-372 ; A. ZATZEPINE, Le droit de la
nationalité des Républiques
francophones d'Afrique et de Madagascar, Paris, LGDJ, 1963, 149
p. ; Idem, additif, Burundi, République démocratique du Congo,
Rouanda, 1966, Paris, LGDJ, 1967, 32 p. ; Du même auteur, Le
147
l'Etat prédécesseur, ou déploie une nationalité ancienne qu'un statut de
dépendance politique antérieure avait cantonnée dans des limites plus
étroites (3).
droit de la nationalité des Républiques francophones d'Afrique,
Mise à jour, 1966, Paris, LGDI, 1967,30 p. ; G. GIDEL, Des effets
de l'annexion sur les successions, Paris, 1904 ; G. GINSBURGS,
"Nationality and State succession in soviet theory and practice
(the experience of the Baltic States)", Res Baltica, Leiden, 1968,
pp. 160 et s. ; F. TERRE, "Reflexions sur la notion de nationalité".
Rev. crit., 1975, p. 197 et s. ; S. BASTO, "L'affaire Nottebohm de-
vant la Cour internationale d'e justice", Rev. cril., 1956, p. 607 et s.
(3) - La définition généralement donnée de la nationalité est la suivante:
l'''appartenance juridique d'une personne à la population consti-
tutive d'un Etat", H. BA TIFFOL et P. LAGARDE, Droit internatio-
nal privé, 6e éd., Paris, LGDI, L, 1974, n° 59. Les auteurs du droit
international privé s'accommodent bien souvent d'une telle défi-
nition qui au demeurant, est bien préférable à celle proposée de-
puis le XIXe siècle, en particulier par A. WEISS qui retient la
notion de nationalité-contrat et considère que "c'est dans un con-
trat synallagmatique, intervenu entre l'Etat et chacun des indivi·
dus qui le composent, que se trouve le fondement juridique de la
nationalité'; A. WEISS, Traité théorique et pratique de droit interna-
tional privé, Paris, Larose et Forcel, J, 1907, p. 8. Il semble toute-
fois que c'est au niveau du droit international public que les au-
teurs parviennent à proposer une définition plus précise et sans
doute plus acceptable de la nationalité. Ainsi selon D.P. O'CON-
NELL, op. cil. , p. 498 :
148
Mais autant l'idée de suhstituer, d'autorité, une nationalité nouvelle à
une nationalité d'''emprunt'' dans nombre de cas, ou celle de laisser s'épa-
nouir plus librement une nationalité ancienne peut paraître simple, autant
sa mise en oeuvre soulève cles problèmes particulièrement délicats. La
complexité des solutions à envisager afin de les résoudre suffit à révéler
dès lors un intérêt tout particulier pour leur étude (4).
"The expression 'nationality' in international law is only
shorthand for the ascription of individuals to specifie Sta-
tes for the purpose of juridiction or of diplomatique pro-
tection. In the sense that a person falls within the plenary
jurisdiction of a State, and may be represented by it, such
a person is said to be a national of that State".
Voir, dans le même sens, P.F. GONIDEC, "Note sur la nationalité
et les citoyennetés dans la Communauté", AFDI, 1959, pp. 749-
750. Une formule synthétique et concise est proposée par P.
MAYER qui définit la nationalité comme étant "la qualité dont
l'attribution par un Etat confère à celui-ci, à l'égard de l'individu
atributaire, une compétence personnelle opposable aux autres
Etats", P. MAYER, Droit international privé, Paris Montchrestien,
1977, p. 589.
(4) - D.P. O'CONNELL considère en effet que la succession d'Etats en
matière de nationalité dans certains de ses aspects constitue l'un
des problèmes les plus difficiles du droit de la succession d'Etats,
ibid, p. 497. Pourtant la Commission du Droit International n'a
pas retenu l'étude de la question qui cessa d'apparaître dans ses
travaux après le Premier Rapport soumis à la commission en 1968
par M. Bedjaoui sur la "succession d'Etats et les droits et obliga-
149
Avec l'accession à l'indépendance des anciennes colonies françaises
d'Afrique ainsi que des anciens territoires placés sous la tutelle française,
allait de nouveau être confirmé 'dans la pratique contemporaine, le princi-
pe de la table rase mis en oeuvre dans le cadre de la succession d'Etats en
matière de nationalité. L'Etat nouveau est en effet appelé, en accédant à la
pleine souveraineté internationale, à substituer sa propre nationalité à cel-
le de j'Etat prédécesseur.
Mais une stricte application du principe de non-succession ne manque
pas de se heurter à d'inévitables obstacles liés au souci tant de l'Etat pré-
décesseur que de j'Etat successeur de reconnaître à une partie de la popu-
lation concernée par la mutation de souveraineté, la possibilité de décli-
ner, par le moyen de l'option, la nouvelle nationalité. L'affirmation du
principe de la table rase (Section 1) s'en trouve dès lors quelque peu atté-
nuée (Section II).
tions
découlant
de
sources
autres
que
les
traités",
Doc.
A/CN.4/204/Corr. 1., p. 116. Mais l'importance de l'étude théori-
que de la question n'échappa pas à certains auteurs comme Ch.
Rousseau, op. cit., ou J. W. VERZIJL, International Law in Histo-
rical Perspective, vol. VII, Leiden, A.W. SIJTHOFF, 1974, pp. 19
et s., pp. 94 et s. et pp. 134 et s.
150
SECTiON 1
L'AFFIRMATION DU PRINCIPE
DE LA TABLE RASE
Il est généralement admis que l'Etat nouveau entend, par la proclama-
tion et la mise en oeuvre du principe de la table rase, manifester pleine-
ment et exercer concrètement sa souveraineté (5).
Mais l'application du principe implique le rejet de la nationalité pré-
cédente (Sous-Section 1) et suppose l'établissement ou l'épanouissement
d'une nationalité propre à l'Etat successeur (Sous-Section II).
(5) - Voir, M. BEDJAOUI, Rapport,ACDI, 1968, vol. II, p. 116.
151
Sous-Section l
L'ABANDON DE LA NATIONALITE
DE L'ETAT PREDECESSEUR
Il nous faut ici préférer l'expression "nationalité de l'Etat prédéces-
seur" aux termes "nationalité précédente".
En effet, faute d'avoir globalement embrassé la nationalité de la puis-
sance tutélaire ou protectrice durant la période de tutelle ou du protecto-
rat, les Etats placés sous ces régimes sont confrontés, au moment de leur
accession à la souveraineté internationale, au seul problème de l'épanouis-
sement et de l'organisation de leur propre nationalité.
En Afrique, l'abandon de la nationalité de l'Etat prédécesseur est ainsi
le fait des anciennes colonies promuesà l'indépendance et résulte plus con-
crètement de la promulgation d'une abondante quantité de lois nationales
par lesquelles le législateur africain tente notamment de résoudre les diffi-
cultés inhérentes à une telle mutation, sans toujours réussir à éviter les
risques nombreux de conflits (6).
Le Commonwealth a connu, à cet égard, une évolution différente (7).
(6) - Voir R. DECOTTIGNIES, M. de BIEVILLE, Les nationalités africai-
nes, Paris, Pédone, 1963, p. 8.
(7) - Voir P.F., GONIDEC, "L'évolution de la notion de citoyenneté dans
152
Ses Etats membre, ont progressivement défini leurs propres nationalités à
côté d'une citoyenneté commune et sont ainsi parvenus à conférer à ces
nationalités, une certaine uniformité grâce à un système de consultation
préalable (8). Mais s'il semble évident que dans les ancien'nes colonies
françaises d'Afrique, la nationalité française a été étendue, du fait de l'an-
nexion, à l'ensemble des ressortissants de ces colonies, l'affirmation de
l'exclusivité de cette nationalité dans la période communautaire est de-
meurée en revanche, plus sujette à contestation.
Paragraphe 1
LA NATIONALITE DES RESSORTISSANTS DES COLONIES
Il faudrait ici donner au mot "colonie" un sens étroit qui en restreint
l'application aux cas d'annexion proprement dite de territoires. Ainsi, en
Afrique comme ailleurs, J'annexion d'un territoire donné a eu pour effet
d'entrainer l'attribution de la nationalité de l'Etat annexant aux ressortis-
sants de ce territoire. Le principe est admis sans difficulté par la doctrine
et, la pratique conventionnelle et jurisprudentielle des Etats l'a consacré
la Communauté des Etats britanniques", Revue de ['Union françai-
se, 1947, pp. 372 et s.
(8) - Voir, P.F. GONIDEC, "La nationalité dans les Etats de la Commu-
nauté et dans les Etats marginaux", AFDI, 1961, p. 816.
153
tout aussI aisément (9).
Au plan théorique toutefoi~ l'automaticité de l'attribution de la natio-
nalité de l'Etat annexant aux habitants des territoires annexés est parfois
sujette à discussion. On estime ainsi que la plupart des opinions selon les-
quelles la nationalité de l'Etat annexant devient celle des habitants des
territoires annexés ne sont guère fondées en droit international dont la
fonction serait tout au plus de délimiter la compétence de l'Etat prédéces-
seur (dans l'hypothèse d'un démembrement) pour maintenir certaines per-
sonnes dans les liens de sa propre nationalité et, le pouvoir de l'Etat suc-
(9) - Voir, D.P. O'CONNELL, Siaie Succession in Municipal Law and In-
ternational Law, vol. l, Cambridge, University Press, 1967, pp. 499
et s. L'auteur cite plusieurs exemples tirés de la pratique coloniale
britannique notamment celui de la proclamation d'annexion de
l'Etat libre d'Orange du 1er septembre 1900 qui annonce que "ail
persans residing in the Orange River Colony, heretofore Burghers
of the Orange Free State, have become the subjects of ther Majes-
ty", ibid, p. 500. La Cour d'Appel d'Egypte semble aller plus loin
dans une de ses décisions, concernant l'ancienne République de
Venise: on a pu ainsi faire observer que "where aState is comple-
tely annexed, its subjects, wherever born or wherever domiciled,
become subjects of the annexing State", ainsi "The conclusion was
that Venetians, even living abroad, became between 1797 and
1814, subjects in turn of Austria, the Cisalpine Republic, the
Kingdom of Italy, and again of Austria" J.H.W. VERZIJL, op. cit.,
p. 95, à propos de l'affaire Pini V. Pini, Egyptian Mixed Court of
Appeal, 28 April 1925, A.D., 1925-1926, Case No. 196.
154
cesseur de les revendiquer comme ses nationaux (J 0). Des exemples ont pu
être relevés qui, en pratique, tendent à révéler l'existence au profit de
l'Etat annexant, d'une certaine liberté d'appréciation de l'opportunité
d'étendre sa nationalité aux populations des territoires ou des Etats an-
nexés. Ainsi lorsqu'en 1898 le territoire de Porto Rico était acquis par les
Etats Unis d'Amérique, ses habitants n'étaient pas aussitôt considérés
comme des nationaux américains quoiqu'elles aient perdu la qualité de
ressortissants espagnols. De même le traité de cession de la Louisianne
conclu en 1803 disposait que les habitants du territoire seraient admis dès
que possible dans la nationalité américaine. Enfin lorsque le Japon annexa
la Corée en 1910 ses habitants ne furent pas dès cette annexion, admises
dans la nationalité nippone (11).
Cette conception des conséquences de l'annexion sur la nationalité des
habitants des territoires annexés paraît bien contestable. Il semble en effet
(10) - Voir, D.P. O'CONNELL, op. cit., pp. 501-502. L'auteur ajoute mê-
me, reprenant ainsi l'opinion de R. GRAUPNER, "Nationality
and State Succession", in, Transactions of the Grotius Society, vol.
XXXII, p. 92 et de E., KAUFMANN, "Règles générales du droit
de la paix", RCADI,
vol. UV, 1935, p. 373, selon laquelle, "it
cannot be asserted with any measure of confidence that interna-
tional law, at least in its present stage of development, imposes
any duty on the successor State to grant nationality", idem, p. 503.
(11) - Sur ces exemples voir, D.P. O'CONNELL, op. cit., pp. 503-504.
155
logiquement insoutenable d'un côté,d'admettre que l'annexion d'un terri-
toire (ou d'un Etat) ait pour effet d'incorporer ce territoire ainsi que son
patrimoine humain à l'Etat annexant et de repousser de l'autre, l'extension
de la nationalité de cet Etat annexant à une partie de son patrimoine hu-
main demeurée attachée à une portion de son nouveau territoire (12). Car
autant il est admis que la nationalité des ressortissants d'un Etat protégé
ou sous tutelle ne saurait être globalement affectée par j'établissement du
protectorat ou de la tutelle du fait de la reconnaissance de la personnalité
internationale du territoire sous tutelle ou de la souveraineté interne de
l'Etat protégé, autant l'absence de cette personnalité distincte ou de cette
(12) - Voir à cet égard la définition de la "succession d'Etats" que donne le
Dictionnaire de la terminologie du Droit international (1960) qui
met en exergue les conséquences d'une annexion sur la condition
des populations du territoire annexé en disposant notamment que
l'expression "succession d'Etats" désigne:
"a) la situation qui se présente lorsqu'un Etat se substitue
à titre permanent à un autre Etat dans un territoire et à
l'égard de la population de ce territoire par suite d'une in-
corporation totale ou d'une annexion partielle, d'un par-
tage ou de la création d'un Etat nouveau, que l'Etat dont
relevait antérieurement ce territoire subsiste ou dis-
paraisse.
"b) la substitution d'un Etat dans les droits et obligations
de l'autre résultant de cette situation.. ." (c'est nous qui
soulignons), p. 587.
156
souveraineté, jointe à l'unicité du territoire et de la nationalité de l'Etat
annexant, devraient, a contrario, faire admettre l'accession non médiatisée
des populations des territoires annexés à la nationalité de l'Etat annexant
(13). Le droit international public peut enfin être invoqué pour fonder une
telle extension de la nationalité de l'Etat successeur dès lors que cette
(13) - Pourtant la pratique américaine fournit des exemples où les ressor-
tissants de territoires acquis par les Etats-Unis, tout en cessant
d'être des sujets ou nationaux de l'Etat cédant n'en sont pas pour
autant immédiatement devenus nationaux américains. Ainsi com-
me nous venons de l'évoquer, après l'acquision de Porto-Rico en
1898 par les Etats-Unis, les ressortissants portoricains, bien
qu'ayant cessé d'être des sujets espagnols, n'ont pu être considé-
rés que comme "résidents" du territoire américain. De même le
traité de cession de la Louisiane conclu en 1803 dispose que les
habitants du territoire seraient admis "as saon as possible" to Uni-
ted States Citizenship (c'est nous Gui soulignons). Mais l'ambiva-
lence du terme citizens!zip, désignant à la fois la citoyenneté et la
nationalité rend l'analyse plus complexe. Toutefois si le terme de-
vait être pris dans le sens de "nationalité", comme tout semble le
laisser croire dans les exemples cités, l'Etat successeur ne saurait
recourir qu'à la fiction pour faire échapper les populations des
territoires annexés au sort de l'apatride lorsqu'il leur refuse, mê-
me momentanément, l'accès à sa nationalité. On a pu ainsi établir
qu'au regard du droit international, le Japon a revendiqué les res-
sortissants de la Corée qu'il annexa en 1910 en tant que nationaux
japonais, même si la nationalité niponne ne leur avait pas été for·
mellement étendue dès l'annexion; voir sur cet exemple, Japanese
annual of International Law, 1959, p. 89 et, sur l'ensemble des cas
cités, D.P. O'CONNELL, op. cit., pp. 503-504.
157
extension est nécessairement impliquée par la plénitude et l'exclusivité des
compétences étatiques détenues et exercées par l'Etat successeur sur le
territoire objet de l'annexion (14). Il reste toutefois que l'accès à la natio-
nalité de l'Etat successeur n'implique pas nécessairement l'admission im-
médiate à la citoyenneté de l'Etat successeur qui demeure libre de déter-
miner les conditiuns de sun extension.
Le problème de la nationalité des ressortissants des colonies francai-
ses d'Afrique s'est cependant posé en des termes relativement simples. La
doctrine a admis sans difficulté que du fait que les pays d'outre-mer étaient
devenus "parties intégrantes du territoire français" par "droit" de conquête,
leurs ressortissants avaient acquis la nationalité française. En d'autre ter-
mes ils faisaient juridiquement partie de la population constitutive de
l'Etat français (15). Cette règle a été appliquée avec constanèe dans la
/
(14) - On peut ainsi comprendre que JELLINEK ait pu considérer selon
O'CONNELL que "the grant of nationality by the suceessor is de-
claratory of a change effected by internationallaw, and not consti-
tutive", H. JELLINEK, Der automatische Erwerb und Verlust der
Staatsangehorigkeit durch V6lkerrechtliche Verg§nge, Zugleicb
ein Beitrag Zur Lehre Von der staatansukzession, 1951, p. 49, cf.
0' CONNELL, op. cil., p. 504 ; Voir contra, mais certainement
bien à tort, G. SCELLE,
qui considère que e'est un abus de lan-
gage qu'un soudanais ou un Malgache ont pu être qualifiés de
français même après l'annexion de leurs territoires, Précis du droit
des gens, t. 1, Paris, Sirey, 1932, p. 148.
(15) - P.F. GONIDEC, "Note sur la nationalité et les citoyennetés dans la
Communauté, AFDI, 1959, p. 748.
158
pratique française. D'abord en rapport avec les diverses transformations
ayant, en Europe, affecté le territoire français (16), ensuite, dans le cadre
(16) - Le principe général de substitution de compétences a été nettement
affirmé en 1863 par la Cour de Cassation française statuant ainsi
qui suit:
"Attendu que, si chaque Etat investi du droit de souverai-
neté dans toute l'étendue de son territoire, la réunion
d'un pays à un autre a pour effet immédiat et nécessaire
de déplacer ce droit pour le transporter, du pays que la
conquête ou les traités dépossèdent, au pays auquel s'in-
corpore le territoire conquis ou cédé",
. Cour de Cassation, Ch. cri m., arrêt du 17 avril 1863 (Ginhoux),
D.P., 1863, 1, 389.
Peu avant cet arrêt la Cour avait, dans une formule, plus étroite,
affirmé qu'
"attendu ... qu'ainsi, comme par la réunion de la Belgique
à la France, à la suite d'évènements militaires, les Belges,
devenus temporairement français, de même, par la sépa-
ration d'avec la France, à la suite d'évèvements militaires
contraires, les Belges, devenus temporairement français,
sont redevenus Belges, ayant ainsi dû perdre et ayant ain-
si effectivement perdu la nationalité française de la mê-
me manière qu'ils l'avaient acquise",
Cour de cassation, Ch. req., arrêt du 16 juillet 1834 (le préfet de
Seine-et-Marve C. Picard) S., 1834, 1, 501 ; plus tard, dans ses
conclusions devant la Cour de cassation, le Procureur général
159
de l'expansion coloniale française (17). Un expansion qui s'effectua essen·
tiellement au XIXe siècle à la faveur de faits militaires généralement sanc-
tionnés par la conclusion de tràités de protectorat rapidement écartés par
BAUDOIN faisait observer que :
"le transfert de la souveraineté des pays qui changent de
maître comporte le changement de l'allégeance des habi-
tants : ils deviennent étrangers par le fait du démembre-
ment, français par celui de l'annexion. C'est l'application
du principe du droit des gens (rappelé par Pothier en
d'autres termes dans Des personnes et des choses, t. 9 p.
18)...",
Cour de Cassation, Ch. civ., arrêt du 17 février 1903 (Préfet des
Alpes-Maritimes C. Vatrican, D.P., 1903, 1,24. Voir aussi,
dans le
même sens, à propos de ressortissants français et citoyens de
l'Union française devenant nationaux de l'Inde, Assemblée natio-
nale, séance du 4 avril 1952, Rapport fait au nom de la Commis-
sion des Affaires étrangères sur le projet de loi autorisant le Pré-
sident de la République à ratifier le traité de cession du territoire
de la ville libre de Chandernagor, par M. Fonlupt-Espéraber, JO,
Documents parlementaires, Ass. nat., 1952, p. 826. L'on considère
aussi de façon plus explicite que "la nouvelle nationalité était de
droit conférée", Trib. civ. de la Seine, 3e Ch., jugement du 20 nov.
1905 (Société anonyme du catalogue officiel de la société de timbro-
logie et Plon, Nourrit et Cie c. Hidalgo), Revue Darras, 1906, p. 161.
(17) - Voir, Cour d'appel de l'AOF, arrêt du 8 février 1907 (Dao ur DIOP et
autres c/Etat français) qui réaffirme, dans les mêmes termes, le
principe général de substitution de compétences étatiques énoncé
160
" '
des actes d'annexion de territoires devant peu à peu constituer les ensem-
bles coloniaux d'AOF, d'AEF et de Madagascar.
Au Sénégal, les débuts de la pénétration puis de l'expansion coloniale
remontent de bien loin avec l'installation dès le XVIe siècle de "loges" à
Rufisque et à Gorée puis avec la fondation de la ville de Saint-Louis en
1659.
dans l'arrêt précité de la Cour de Cassation, Ch. cri m., arrêt du 17
avril 1863 (Ginhoux). Déjà, durant la période révolutionnaire, le
décret du 16 pluviôse an II qui abolissait l'esclavage, disposait que
"tous les hommes, sans distinction de couleur, domicilés dans les
colonies, sont citoyens français ..." et la Constitution du 5 fructido-
re an III proclamait, en son article 6, que les colonies "sont parties
intégrantes de la République et sont soumises à la même loi cons-
titutionnelle". Bien plus tard, le Tribunal civil de Tamatave sta-
tuait, dans son jugement du 28 avril 1893 (D'Emmerez c. Borad
frères), qu'''ils est admis, par le droit des gens que les ennemis
subjugués sont rattachés à la nationalité primitive ...", Clunet,
1894, p. 114 ; dans le même sens, Cour d'Alger, 1ère Ch., arrêt du
28 mars 1922: il fut en l'espèce affirmé que les "habitants de la
région du Touat sont devenus français par suite de l'annexion de
la Régence d'Alger à la France en 1834", Revue Darras, 1925, p.
288 ; Cour de Cassation, arrêt du 15 février 1864 reconnaissant
que par le fait même de la conquête, les indigènes algériens
étaient devenus sujets français et étaient dès lors aptes à remplir
les fonctions publiques réservées aux nationaux français, D.P.,
1864, 1, 67 ; pour les originaires du Sénégal, Req. 22 mai 1905,
Penant, 1905, p. 295.
" ,
161
Cette pénétration s'est méthodiquement poursuivie à partir de 1854
avec le gouverneur Faidherbe qui élargit le pays en direction du Haut Sé-
négal et le long de la côte par l'occupation du Cayor. La conclusion de
plusieurs traités dont celui de Versailles, avec l'Angleterre, en 1783 permit
de préciser les contours de la "colonie" du Sénégal qui fut, pour la fllupart
de ses contrées ou royaumes, d'abord placée sous le régime du protectorat
(18) avant d'être progressivement annexée (19). Les ressortissants du Sé-
(18) - Les principaux traités de protectorat sont les suivants
- Traités du 13 septembre 1877 et du 15 septembre 1891 avec le
Sine;
- Traités du 14 mai 1887 avec le Saloum, le Ripp, le Niom et le
Niani et, du 28 novembre 1891 avec le Saloum;
- Traité du 24 octobre 1877 avec les chefs du Fouta, précédé de
ceux de 1858 et de 1860 pour le Dinar, le Toro et Dagma et suivi
du Traité de 1881 pour Bosséa et Ngénar ;
- Traité du 18 mars 1882 avec les chefs de Yacine (pays de Haute-
Casamance ),
- Traité du 17 avril 1882 avec le Balmadou et le Souna (pays man-
dingue sur la rive gauche de Casamance),
- Traité du 11 avril 1882 avec le Pakao ;
Traité du 2 février 1883 avec le Ndiambour
- Traité du 8 mars 1883 avec le Baol ;
- Traité du 28 août 1883 avec le Damel du Cayor
- Traité du 3 novembre 1883 avec le Findou
- Traités signés en 1881, 1887 et 1888 avec la Haute-Gambie (pays
de l'Est) et en 1887 (pour les pays du Nord) ;
- Traités conclus avec le Goye et le Boundou en 1887, le Il janvier
avec les chefs du Boundou et le 15 janvier avec ceux du Goye ;
- Traité du 3 juin 1890 avec le Djoloff;
(19) - Dans le déroulement de là colonisation française en Afrique le pro-
162
négal et des autres colonies françaises jouissaient ainsi, dès l'annexion de
leur territoire (20), de la nationalité française sous réserve d'un certain
particularisme du droit d'outre-mer en matière de nationalité. En effet les
tectorat n'est généralement que l'étroit anti-chambre de l'an-
nexion ou de la colonisation proprement dite. Ainsi selon J.
CHAILLET-BERT,
"On peut dire que le monde colonial ne fait aucune diffé-
rence entre nos diverses possessions et que tout protecto-
rat institué par la diplomatie est menacé par l'adminis-
tration que soutient l'opinion, d'être transformé en colo-
nie gouvernée à la française",
,
Dix années de politique coloniale, Paris, 1902, p. 5, cité par D.
BARDONNET, Succession d'Etats à Madagascar, p. 75.
(20) - Il paraît difficile d'indiquer une date précise à partir de laquelle la
colonie du Sénégal aurait embrassé la nationalité française du fait
essentiellement du statut diversifié et évolutif des "royaumes" qui
la composent. Ainsi par exemple le Cayor d'abord annexé en 1865
est, par la suite, soumis à un protectorat colonial par le traité du
28 août 1883 avant d'être de nouveau annexé en 1886. Une dés an-
nexion a même été tentée en 1890 par le Gouverneur du Sénégal
qui avait par un arrêté en date du 15 janvier de la même année,
placé de nouveau, ce territoire sous le régime du protectorat.
L'arrêté ayant été pris en vertu d'instructions ministérielles et se
rattachant selon le Conseil d'Etat "à l'exercice de la puissance
exécutive dans les matières de gouvernement" n'a pu être écarté
par le Conseil qui dut ainsi déclarer irrecevable un recours formé
contre cette mesure par le Conseil général du Sénégal; C.E., 18
. '
mars 1898, Conseil général du Sénégal. Lebon, pp. 233 et s.
•
163
pays d'outre-mer et la métropole ne sont pas régis par des règles identiques
(21).
Il importe dès lors de revenir, même brièvement, sur la distinction qui
a longtemps prévalu à cet égard entre citoyens et sujets français.
Comme le fait observer P. LAMPUE,
"les personnes de nationalité française se divisent avant
1946 en deux catégories correspondant à des statuts diffé-
(21) - Le décret du 7 février 1897 "Déterminant les conditions auxquelles
les dispositions de la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité sont
applicables aux colonies autres que la Guadeloupe, la Martinique
et la Réunion" disposait en article 17 qu'''il n'est rien changé à la
condition des indigènes dans les colonies françaises", v. Penant
1897, 3, p. 43. On considèra dans certaines décisions de justice
que les règles de la nationalité s'appliquaient aux autochtones
même si le texte rappelait le principe du maintien de leur statut
personnel, Cour d'appel de Pondichéry, 13 avril 1915, Dareste,
1915, p. 136 ; Trib. sup. appel de Pondichéry, 20 mai 1947, Penant,
1949, 1, p. 189. Une large part de l'opinion devait pourtant s'éta-
blir en sens contraire : Cour d'appel Indochine 28 mai 1903,
Penant, 1903, 1, p. 312 ; Cour d'appel Hanoi, 12 déc. 1926. S.,
1927,2, p. 129, note Solus ; Cour d'appel Madagascar 30 mai 1928,
Penant, 1928, 1, p. 238 ; R. DECOTTIGNIES, "L'application du
code de la nationalité dans les territoires d'Outre-mer", Annales
africaines, 1954, p. 74 ; le décret du 5 novembre 1928 remplaçant
le décret de 1897 reprit la règle énoncée dans le décret précédent,
Penant, 1929, 3, p. 128.
164
rents. Ces catégories sont celles des citoyens et des non-
citoyens. Les premiers sont soumis à l'ensemble du droit
français commun public et privé, les autres à un droit local
et pariiculier, propre à chaque territoire" (22).
Pourtant, l'affirmation d'une politique d'assimilation bien nette avait
été faite par le biais de j'extension des dispositions du code civil français
aux autochtones des colonies françaises au moyen notamment de la loi du
24 avril 1833 disposant en son article 1er que :
"toute personne née libre ou ayant acquis légalement sa
liberté jouit dans les colonies françaises :
1) des droits civils;
2) des droits politiques, sous les conditions prescrites par
la loi".
Peu avant l'adoption de cette loi, un arrêté du Gouverneur en date du
5 novembre 1830 avait décidé à propos du Sénégal que le "territoire de la
colonie est considéré, dans l'application du droit civil, comme partie inté-
grante de la métropole. Tout individu né libre et habitant le Sénégal ou ses
dépendances, jouira dans la colonie des droits accordés par le code civil
(22) - P. LAMPUE, Droit d'Outre-mer et d~ la coopération, 2e édition. Pa-
ris, Dalloz, 1966, p. 63.
165
aux citoyens français". Mais le caractère excessif de la politique d'assimi-
lation à outrance préconisée dans cette législation est plus tard reconnu et
corrigé par le législateur colonial qui institua ce qu'on appelait "le satut
réservé", objet du décret du 20 mai 1857 réservant l'application des coutu-
mes plus ou moins islamisées des originaires des quatre communes de plein
exercice du Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) aux affaires
relatives à l'état civil, au mariage, aux successions, donations et tes-
taments", une option étant au demeurant possible, en ces matières, en fa-
veur de l'application de la loi française.
La citoyenneté et le statut civil semblent désormais liées par les règles
ainsi établies et dont l'interprétation sera rendue plus délicate dès l'adop-
tion de la loi du 29 septembre 1916 dite loi DIAGNE.
En disposant dans son texte que
"les natifs des quatre communes de plein exercice du Sé-
négal et leurs descendants sont et demeurent des citoyens
français soumis aux obligations militaires prévues par la
loi du 19 octobre 1915" (23),
la loi Diagne fit rebondir la controverse, en ce qu'elle paraît remettre en
cause le "statut réservé" ou élève une exception de taille aux règles liant la
(23) - C'est nous qui soulignons.
166
citoyenneté et le statut civil. La jurisprudence a toutefois tenté de trouver,
entre deux courants doctrinaux préconisant des solutions nettement diffé-
rentes, une voie moyenne de solution permettant de reconcilier la citoyen-
neté française et le statut personnel des autochtones africains ou encore un
désir réel d'assimilation et un certain respect des valeurs coutumières afri-
cames.
Confronté au problème de savoir si la succession d'un ressortissant
sénégalais né à Saint-Louis et donc citoyen français selon la loi Diagne,
devait être régie par le Code civil ou le droit traditionnel islamisé, la justi-
ce de paix à compétence étendue de Kaolack trancha en faveur du maintien
des statuts locaux (24).
(24) - Jugement du 22 décembre 1925 ; confirmé par l'arrêt du 2 avril 1936
de la Cour d'appel de l'AOF, Penant, 1926, Jurisp. pp. 97 et s., sur,
ensemble la loi du 24 avril 1833, l'arrêt du 5 nov. 1830 promul-
guant le code civil au Sénégal et la loi du 29 septembre 1916. Dans
le même sens, Cour d'appel d'AOF, 13 mai 1927, Penant, 1928, pp.
129 et s. Sur ces exemples, voir, G. A. KOUASSIGAN, Quelle est
ma loi? tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en
Afrique noire francophone, Paris, Pédone, 1974, pp. 28-29. Cette
jurisprudence tranche d'avec celle qui précéda la loi DIAGNE et
qui s'employa au contraire à faire admettre que les textes qui
avaient maintenu les statuts locaux avaient eu pour effet de reti-
rer aux autochtones la qualité de citoyen, cf. Cour d'appel de
l'AOF, arrêt du 15 janvier 1915, Penant 1915, jurisp., p. 154, dans
le même sens, Cour de Madagascar, arrêt du 6 mai 1914, Penant,
1915, jurisp., p. 13.
167
L'accueil que fit la doctrine à cette jurisprudence révéla J'existence en
son sein d'une très nette divergence d'opinion.
Dans sa note sous l'arrêt de la Cour d'appel de l'AOF du 2 avril 1926,
M. LAMPUE (25) considère, en approuvant la décision du juge, que les
originaires de quatre communes soumis à la loi du 29 septembre 1916 n'ont
pas cessé d'être régis par leurs lois personnelles et conclut qu'ils ne sont
pas citoyens à part entière puisqu'ils ne sont pas soumis aux règles du statut
civil français (26). Cette opinion relève essentiellement de la conception
traditionnelle et indivisible de la citoyenneté qui est aussi celle de la cour
d'appel qui, ayant cédé à la nécessité pratique de maintenir les sta tuts
locaux, "n'a pas osé affirmer que les sénégalais étaient néanmoins des ci-
toyens français. Elle a préféré méconnaître la lettre formelle de la loi de
1916" (27).
(25).- P. LAMPUE, Note sous arrêt Cour d'appel d'AOF du 2 avril 1926,
Penanl, 1926, pp. 197 et s.
(26) - P. LAMPUE, op. cil., p. 203. N'étant ni sujets français, ni citoyens
"optimi
juri",
les
Sénégalais
des
Quatre
Communes
ap-
partiendraient à une catégorie intermédiaire de citoyens partiels.
(27) - D. THIAM, La portée de la citoyenneté française dans les territoires
d'oulre-mer, Paris, société d'éditions africaines, 1953, p. 106. La
loi ne contenait aucune ambiguité. Selon son texte, les Sénégalais
concernés "sont et demeurent des citoyens français" (c'est nous qui
soulignons). Cette disposition contient un principe de retroactivi-
té menaçant d'insécurité les situations juridiques constituées sous
le régime de la loi de 1833 que la jurisprudence avait toujours
interprété de manière restrictive en considérant que les sénéga-
lais dont le statut local était maintenu n'étaient pas des citoyens
168
En revanche, selon M. SOLUS, le texte de la loi de 1916 est assez clair
et précis pour déconseiller l'attitude fort accommodante de la Cour qui se
devait de reconnaître que l'indigène citoyen français
"possède dans toute leur plénitude les droits civils et poli-
tiques des citoyens français (et) que sa condition juridique
et politique est celle des citoyens français" (28).
Quoique bien tranchante, cette opinion semble, au strict plan juridi-
que, tout à fait conforme à la loi du 29 septembre 1916.
Après le second conflit mondial, la distinction entre citoyens et sujets
devait faire partie de l'ordre des choses appelées à disparaître rapidement
sous la poussée des mouvements naissants d'émancipation des colonies
français. La décision de la cour s'expliquerait donc par des raisons
de pure opportunité, ibid, pp. 105·106. Voir également, Lamine
GUEYE, De la situation politique des sénégalais orginaires des com-
munes de plein exercice telle qu'elle résulte des lois des 19 octobre
1915, 29 septembre 1916 et de la jurisprudence antérieure; consé-
quences au point de vue du conflit des lois françaises et musulmanes
en matière civile, thèse, doct Paris, 1921.
(28) . H. SOLUS, Traité de la condition des indigènes en droit privé, Paris,
1927, pp. 131 et s.
169
d'Outre-Mer (28 bis). Le problème de l'extension de la citoyenneté fran-
çaise à l'ensemble des ressortissants des territoires d'outre-mer fut très
. ,
nettement posé lors de l'élaboration de la première constitution française
d'après-guerre du 19 avril i946. Il fit naître deux tendances contraires re- .
groupant les partisans fédéralistes de l'Union française, hostiles à l'exten-
sion de la citoyenneté et les partisans d'une Union française à structure
unitaire supposant une telle extension.
La recherche d'un compromis entre ces deux tendances dut conduire à
la rédaction d'une disposition tronquée du projet de constitution dont l'ar-
ticle 44 se bornait à déclarer que "tous les nationaux et ressortissants fran-
çais de la Métropole et des territoires d'Outre-Mer jouissent des droits de
(28 bis),
Un peu plus tard R. DECOTTIGNIES devait écrire au sujet de
la citoyenneté ces lignes pleines à la fois de vérité et d'inquiétude
"Est-il notion plus classique dans le système traditionnel
d'outre-mer, plus entachée de colonialisme diront cer-
tains, que la citoyenneté? C'est par elle que s'est introdui-
te, puis maintenue dans le système colonial, la distinction
entre les sujets de droit. C'est elle qui fut la source de
toutes les inégalités imposées aux colonisés. N'y a-t-il pas
quelque paradoxe à vouloir décoloniser en utilisant cette
arme usée, tombée à la longue de la main des colonisa-
teurs ?",
dans, "Nationalité et citoyenneté 1959 en Afrique noire", Annales
Africaines, 1959, p. 6.
170
citoyen". Le projet de constitution fut rejeté lors du référendum du 5 mai
1946 mais la règle contenue dans son article 44 fut reprise par la loi du 7
mai 1946 dite loi Lamine Guèye avec toutefois la même incertitude quant à
la nature même de la citoyenneté. Cette incertitude sera définitivement
levée par une interprétation gouvernementale du texte, fournie, en travaux
préparatoires, par le Ministre de la France d'Outre-Mer qui considéra que
le loi du 7 mai 1946 qui, selon lui, "consacre en termes explicites une ci-
toyenneté française assimilée à celle de la métropole", subsistera et ne
saurait être abrogée par la nouvelle constitution (29). La règle ainsi posée
par la loi est reprise pratiquement dans les mêmes termes, à des fins de
constitutionnalisation, par la constitution qui dispose en son article 80 que:
"Tous les ressortissants des territoires d'Outre··Mer ont la
qualité de citoyen, au même titre que les nationaux fran-
çais de la métropole ou des territoires d'Outre-Mer. Des
lois particulières établiront les conditions dans lesquelles
ils exercent leurs droits de citoyens".
Désormais une coincidence est en fait établie entre la notion de natio-
nalité et celle de citoyenneté dans la mesure où tous les nationaux français
sont aussi citoyens français, qu'ils possèdent le statut civil français ou con-
servent leur statut personnel, étant entendu que ce dernier statut ne peut
(29) - Voir, D. THIAM, op. cit., pp. 23-24.
171
en aucun cas constituer, selon la Constitution, un motif pour refuser ou
limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français (30).
Mais le particularisme du droit d'Outre-Mer subsiste toujours en ma-
tière de nationalité sous la nouvelle constitution. Le code français de la
nationalité n'est pas immédiatement étendu aux territoires d'Outre-Mer. Il
y est rendu en principe applicable par le décret du 24 février 1953 (31)
promulguant Outre-Mer, le code de la nationalité à l'exception de certai-
nes de ses dispositions (32).
L'évolution de l'Union française grâce au processus continu d'émanci-
pation des territoires d'Outre-Mer et des Etats associés conduit rapide-
ment à l'instauration d'un nouvel ordre institutionnel communautaire con-
sacré par la constitution du 4 octobre 1958. La Communauté regroupe dès
lors avec la France, outre les départements d'Outre-Mer ainsi que les terri-
toires d'Outre-Mer qui ont décidé de conserver le statut qui leur était défi-
(30) - Article 82 alinéa 2 de la Constitution.
(31) - JO, 27 février 1953, p. 1984.
(32) - Le code renvoyait aussi à des dispositions spéciales du droit applica-
cable dans les territoires d'outre-mer. Ce système, à vrai dire compliqué,
est jugé de surcroît "absurde" car "le droit de la nationalité d'un
Etat donné ne peut être qu'unique; les différenciations qu'il peut
comporter selon la localisation de certains faits lui sont intérieu-
res et ne doivent pas se traduire par l'édiction de deux corps com-
plets de règles", P. MAYER, Droit international privé, Paris, Ed.
Montchrestien, 1977, p. 615.
172
ni par la loi cadre du 23 juin 1956 et ses décrets d'application(33) et qui,
ensemble, demeurent parties intégrantes de la République française, les
territoires d'Afrique occidentale, à l'exception de la Guinée devenue indé-
pendante, ainsi que ceux d'Afrique équatoriale et Madagascar. Les pays
ayant opté pour le statut d'Etats membres de la Commumiuté constituent
en réalité des Républiques autonomes, dans tous les domaines non réser-
vés à la Communauté.
Dès lors devait être posé le problème de la nationalité des ressortis-
sants de ces nouvelles Républiques durant la phase communautaire qui
précéda leur accession à la pleine souveraineté.
Paragraphe II
LA NATIONALITE DES RESSORTISSANTS
DES ETATS AFRICAINS MEMBRES DE LA COMMUNAUTE
Le problème des effets de l'établissement de la Communauté sur la
nationalité des ressortissants des Etats membres n'a pas été résolu par la
nouvelle constitution faute d'avoir été clairement posé par le constituant
français. La constitution de 1958 se borne à faire allusion à la citoyenneté
(33) - Voir, P. F. GONIDEC, L'évolution des territoires d'outre-mer depuis
1946, Paris, LGDJ, 1958.
173
de la Communauté en son article 77 (34) et ne mentionne la nationalité
que dans son article 34 afin de préciser, dans une toute autre optique,
qu'elle entre dans le domaine' réservé au Parlement de la République.
Une partie de la doctrine en concluait que le droit antérieur n'était pas
modifié et que la nationalité française demeurait encore celle des ressor-
tissants des Etats"de la Communauté (35). Cette conclusion reposait sur
l'idée selon laquelle parmi les Etats membres de la Communauté la France
était seule à exercer la souveraineté dans l'ordre international; elle pou-
vait donc seule créer un lien de droit avec les ressortissants de la Corn mu-
nauté franco-africaine (36). Le Président de la Communauté trancha même
la question en affirmant à la suite de la première session du Conseil exécu-
tif de la Communauté, qu'''au sein de la Communauté, il n'existe qu'une
(34) - La question de la nationalité ne fut guère soulevée au niveau des
travaux préparatoires, lors des "débats du Comité consultatif cons-
titutionnel, sur l'article 68, seul article de l'avant-projet gouverne-
mental traitant de la citoyenneté commune.
(35) - R. DECOTIIGNIES, "Nationalité et citoyenneté 1959 en Afrique
noire", Annales africaines, 1959, p. 15 note 11 ; F. LUCHAIRE,
Manuel de Droit d'outre-mer, Paris, P.U.F., 1959, p. 166; voir éga-
lement, J. HILAIRE.
"Nos
ancêtres
les
Gaulois",
Annales
africaines, 1964, p. 33.
(36) - R. DECOTIIGNIES, Les nationalités africaines, précité, p. 16.
174
nationalité, la nationalité de la République française et de la Communau-
té" (37).
La continuité de la nationalité française affirmée par une partie de la
doctrine et sa promotion au rang de nationalité communautaire décidée à
la faveur d'un acte du Président de la Communauté ne semblent pas pou-
voir résister durablement à une étude attentive des effets de l'établisse-
ment de la Communauté sur la nationalité des ressortissants de ses Etats
membres (38).
En effet, avec l'adoption de la nouvelle constitution de 1958 portant
les institutions de la Communauté, les anciens territoires d'Outre-Mer
d'Afrique qui à l'exception de la Guinée, ont opté pour le statut d'Etat
membre de la Communauté ont cessé, juridiquement, d'appartenir à la Ré-
publique française même s'ils demeuraient étroitement intégrés dans un
nouvel ensemble politique doté d'institutions communes.
A cette existence distincte des nouveaux Etats africains s'ajoute une
réelle autonomie interne. Cette autonomie emporte, pour chaque Républi-
(37) - Décision du 9 février 1959, JO., 17 février 1959, p. 2052.
(38) - Voir pour une critique approfondie, P.F. GONIDEC, "Note sur la
nationalité et les citoyennetés dans la Communauté", AFDI, 1959, pp. 748
et s. ; du même auteur, "La nationalité dans les Etats de la Com-
munauté et dans les Etats marginaux",AFDI, 1961, pp. 615 et s. et,
Droit d'outre-mer, Paris, Ed. Montchrestien, t. II, 1960 pp. 176 et s.
175
que, une compétence propre pour légiférer en matière de nationalité. Et
cette compétence est d'autant plus justifiée qu'elle ne figure pas parmi
,
celles qui ont été constitutionnellement attribuées à la Fédération.
L'objection tirée du défaut de souveraineté internationale exercée par
les Républiques autonomes, afin de leur dénier toute compétence pour
légiférer en matière de nationalité, n'est pas décisive dans la mesure où
cette compétence est une compétence de droit interne et non de droit in-
ternational (39).
La pratique offre à cet égard plusieurs exemples d'Etats qui ont confié
l'exercice de leurs compétences internationales à un autre Etat et qui n'en
possèdent pas moins une nationalité propre. Relèvent traditionnellement
(39) - L'objection est pourtant soulevée par un certain nombre d'auteurs
parmi lesquels, F. LUCHAIRE, Manuel de Droit d'outre-mer, pré-
cité, (p.166) qui, définissant la nationalité comme le lien unissant
un individu à tel ou tel Etat reconnu par le droit international, ne
reconnaît en conclusion, qu'à la République française le droit de
posséder une nationalité; voir, dans le même sens, R. DECOTII-
GNIES, op. cit., p. 16 ; contra, A. MAKAROV, "Règles générales
du droit de la nationalité", RCADJ, 1949, I, p. 283 ; J.P. NI-
BOYET, Traité de droit international privé, Paris Sirey, 2ème éd., t.
1, 1947, p. 81 ; Convention de la Haye du 12 avril 1930, art. 1er;
CIl, arrêt NOTTEBOHM, 2e phase, Rec. 1955, p. 20. Pour la criti-
que, voir, P. F. GONlDEC, "Note sur la nationalité...", précité, pp.
750 et s.
176
de ces exemples, les cas des Etats protégés et des Etats sous tutelle comme
le Togo et le Cameroun.
Il reste entendu que la nationalité des Républiques autonomes. qui dé-
ploie pleinement ses effets dans l'ordre interne, n'aurait sur la plan inter-
national que des effets limités ne touchant ni J'exercice du droit de protec-
tion diplomatique, ni la mise enjeu de la responsabilité de l'Etat du fait de
ses nationaux (40).
La décision du Président de la Communauté ne prône pas uniquement
comme on vient de s'en apercevoir, la restriction de la portée de l'autono-
mie des nouvelles Républiques d'Outre-Mer par le maintien, à leur égard,
de la nationalité française mais aussi, l'identification, tout aussi critiqua-
ble, de celle-ci à la nationalité attribuée à la Communauté. La constitution
de 1958 n'établit au profit de cette dernière, qui ne dispose que d'une
compétence d'attribution, aucun pouvoir de légiférer en matière de natio-
nalité. Au surplus, en l'absence de dispositions constitutionnelles expresses
établissant un tel pouvoir, il semble bien difficile d'en supposer l'exis-
(40) - Voir, P. F. GONDIDEC, op. cit., p. 753. L'auteur fait remarquer
qu'il importe, dans le cadre du système continental, que les Répu-
bliques d'outre-mer définissent leurs nationaux dans la mesure où
l'état et la capacité de leurs ressortissants obéissent à des règles
spécifiques, différentes de celles qui sont applicables en France,
ibid.
171
tence, du fait qu'essentiellement, en dépit de son allure ou de sa vocation
fédéraliste, la Communauté ne correspond à aucune forme véritable de
fédéralisme et ne présente pas: en réalité, les caractères d'un Etat (41).
La pratique des'Etats n'apporta aucune confirmation réelle aux con-
ceptions et interprétations, ainsi évoquées, de la doctrine et du Président
de la Communauté. Elle s'inscrivit bien au contraire dans une optique tou-
te opposée.
Tout d'abord, la puissance française de tutelle dut, à propos du Togo,
intervenir par ['ordonnance du 30 décembre 1958 (42), c'est-à-dire avant la
décision du Président de la Communauté, pour reconnaître expressément
la nationalité togolaise, rompant ainsi une longue controverse sur la condi-
tion et la nationalité des habitants du Togo. Puis, devant les protestations
des gouvernements de certains Etats, le Président de la Communauté ad-
mit, en septembre 1959, "la possibilité de nationalités distinctes de la na-
tionalité commune" (43). L'on venait ainsi, au terme de la cinquième ses-
sion du Conseil exécutif de la Communauté, de décider qu'un comité étu-
(41) - Ibid., pp. 750-751.
(42) - J.O.R.F., 31 déc. 1958.
(43) - Voir, P. F. GONIDEC, "La nationalité dans les Etats de la Commu-
nauté ...", précité, pp. 815-816
178
dierait le problème de la nationalité et devrait proposer une solution per-
mettant de concilier l'affirmation de la personnalité des Etats et celle de la
volonté d'assurer la cohésion de la Communauté.
Après le Togo, le Cameroun fut à son tour appelé en novembre 1959
avant
d'accéder
à
l'indépendance,
à
légiférer
en
matière
de
nationalité(44). La question de la nationalité ne cessa plus dès lors de
préoccuper les Etats de la Communauté. Elle occupa une part importante
des travaux de la sixième session du Conseil exécutif qui se tint à Saint-
Louis en décembre 1959 et durant laquelle deux solutions furent envisa-
gées. D'abord celle de la double nationalité, dont l'une serait propre à
chacun des Etats tandis que l'autre appartiendrait à la Communauté. La
seconde solution fut celle qui tint pour nécessaire la prise en considération
de la seule nationalité des Etats tandis qu'une "citoyenneté commune" de-
vrait se substituer à la citoyenneté de la communauté jusque-là qualifiée de
"citoyenneté unique".
Les évènements devaient dès lors se précipiter.
L'accession à l'indépendance de plusieurs Etats de la Communauté
ainsi que du Togo et du Cameroun imprimait quelque évolution à la Com-
munauté appelée à devenir une association d'Etats ne devant guère plus
(44) - Ordonnance du 6 novembre 1959, J.O Cameroun, 1er décembre
1959. Le Cameroun accéda à l'indépendance le 1er janvier 1960.
179
souffrir d'être privée de ses nationalités. Le gouvernement français soumit
alors aux experts qui élaborèrent les projets concernant les institutions de
la Communauté renovée, ['ébauèhe d'un projet de loi qui consacrait une
nationalité de plein droit propre à chaque Etat et une citoyenneté françai-
se qui ne serait toutefois octroyée qu'à ceux qui en feraient la demande et
qui rempliraient certaines conditions (45). Les doutes maintenus sur l'exis-
(45) - Le paradoxe du retour à la citoyenneté française pour des autochto-
nes de pays africains indépendants ne semble guère troublant
pour l'ancien premier ministre Michel DEBRE qui appuie son
projet sur le précédent des douze mille habitants de l'île de Sain-
te-Marie qui, à la suite des accords négociés entre la France et la
République malgache, sont devenus nationaux malgaches tout en
restant citoyens français (le Monde, 10 juin 1960). On devrait tou-
tefois se garder de confondre à cet égard deux situations bien dif-
férentes. D'abord, les habitants de Sainte-Marie n'avaiem pas
souhaité leur rattachement à Madagascar. Ils avaient même récla-
mé, le 1er novembre 1959, la départementalisation de l'île "eu
egard à leur propre statut de citoyens français depuis 135 ans et à
leur appartenance française depuis 208 années sans défaillance".
En outre la faveur qui leur était accordée ne leur permettait
d'exercer les droits attachés à la qualité de citoyen français que
sur le territoire français, cf., l'intervention de Jacques MAUPEOU,
le 20 juillet 1960 au Sénat, J.O.R.F., Déb. parI., Sénat, 21 juillet
1960, pp. 1020 et s. ainsi que, G. GONAC et G. FEUER, "Les
accords franco-malgaches", AFDI, 1960, p. 864 ; D. BARDON-
NET, La succession d'Etats à Madagascar, Paris, LGDJ, 1970, p.
340, note 87.
180
tence de nationalités propres à chacun des Etats furent définitivement le-
vés avec la multiplication des cas d'accession à l'indépendance aussitôt
suivie de la promulgation de nombreux codes africains de la nationalité.
Au Sénégal, la loi sur la nationalité ne sera adoptée qu'en 1961, après
l'éclatement de la Fédération du Mali durant l'éphémère existence de la-
quelle fut envisagée une nationalité fédérale qui n'eut guère le temps de
voir le jour (46).
L'affirmation la plus achevée du principe de la table-rase en matière
de nationalité venait ainsi d'être faite par les Etats africains accédant à
l'indépendance en ce qui, dans ce principe, traduit la répudiation de la
nationalité de l'Etat prédécesseur.
Il reste à envisager l'étude du second aspect du principe qui appelle
l'établissement de la nationalité de l'Etat successeur.
(46) - La constitution fédérale, dans la rédaction de la loi constitutionnelle
n° 60-11 du 18 juin 1960, "modifiant les dispositions de la constitu-
tion de la fédération du Mali" indiquait en son article 35 que:
"...la loi fédérale fixe les règles concernant la nationalité...", J.O.
[éd. Mali, 25 juin 1960, p. 405.
181
Sous-Section II :
L'AFFIRMATION DE LA NATIONALITE
DE L'ETAT SUCCESSEUR
En affirmant, au plan strictement formel, sa nationalité nouvelle après
avoir répudié celle de l'Etat prédécesseur au moment d'accéder à la pleine
souveraineté, l'Etat nouveau achève d'exprimer son adhésion au principe
de la table-rase. Mais un tel principe ne saurait être affirmé avec la même
rigueur dans tous les cas d'émancipation tant sa portée varie notablement
selon qu'on est en présence du cas, le plus répandu, de l'accession à l'indé-
pendance des anciennes colonies françaises d'Afrique, ou celui, plus limité
en nombre, de l'accession à la pleine souveraineté des anciens territoires
protégés ou placés sous tutelle.
Paragraphe 1
DANS LES ANCIENNES COLONIES
Dans les Républiques d'Outre-Mer accédant à l'indépendance, J'éta-
blissement d'une nationalité nouvelle s'analyse comme une sorte de natu-
ralisation collective et immédiate relevant de l'exercice d'une compétence
de droit interne dont le caractère inconditionné révèle, sur le plan des
principes, l'une des premières manifestations de souveraineté de l'Etat
nouveau (47).
(47) - Selon M. de LAPRADELLE "C'est... un principe affirmé par tous
182
La liberté ainsi reconnue à l'Etat successeur, comme au demeurant, à
tout Etat, d'établir souverainement sa propre nationalité a été pleinement
consacrée par une pratique constante et déjà relativement ancienne des
Etats. Il en va ainsi de la pratique conventionnelle comme en atteste la
Convention de la Haye du 12 avril 1930 dont l'article premier dispose qu'''il
appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses
nationaux". La jurisprudence des tribunaux internationaux consacre aussi,
à plusieurs reprises, cette compétence entière reconnue à l'Etat (48).
les auteurs, que les questions de nationalité ne sont pas de droit
international, mais de droit interne, de "droit municipal", suivant
l'expression anglo-saxonne ...", discours prononcé par M. de LA-
PRADELLE, agent adjoint de la France, CPJI, deuxième session
(extraordinaire), séances des 10, 11 et 12 janvier 1923, CPJI, Série
C. n° 2 Doc. relatifs à l'avis consultatif n° 4, p. 155. Cette réaffir-
mation d'une règle éprouvée rejoint, au plan de l'analyse sociolo-
gique,
les conclusions dégagées par l. PILLAUT lorsqu'il affir-
me que: "l'Etat n'existant que par les individus qui le composent
se considère comme libre de régler comme il l'entend la matière
de la nationalité, non seulement en vertu de son droit général de
souveraineté, mais en raison de la nécessité d'assurer son existen-
ce et sa conservation" ; cf. l. PILLAUT, "Du caractère politique
de la notion de nationalité", Rev. de droit international privé., 1916,
p. 14.
(48) - Cf. notamment: CPJI, avis n° 4 sur les décrets de nationalité françai-
aise en Tunisie et au Maroc, CPJI, avis du 7 février 1923, Série B, n° 4 et
RD/LC, 1923, pp. 228-234 ; sur la liberté de l'Etat de conférer sa
nationalité, voir NOITEBOHM, deuxième phase, C.Ll., arrêt du
6 avril 1955, Recueil 1955, p. 20 ; sur les conditions de
183
Pourrait-on dès lors considérer que dans les anciennes colonies fran·
çaises l'apparition d'une nationalité nouvelle avec tous ses effets au plan
international est définitivement aècomplie dès le moment de leur accession
à la pleine souveraineté ou, devrait-elle seulement coincider avec l'établis-
sement du texte formel qui la consacre ou l'organise?
La portée d'une telle question est perçue dans toute sa dimension si
l'on doit admettre qu'une réponse qui tient pour necessaire l'édiction
d'une législation ou d'un code affirmant l'existence de la nationalité nou-
velle, tendrait à faire des populations concernées par la substitution de
souveraineté, dans l'intervalle qui s'installe entre cet évènement et la pu-
blication de la législation nouvelle, soit une population d'apatrides, soit
une population d'étrangers sur leur propre sol. Une telle conclusion est
d'ailleurs bien loin de correspondre à la solution la plus répandue dans la
pratique ou à l'idée la mieux admise par la doctrine en vertu de laquelle
l'acquision de la personnalité internationale entraîne, comme dans l'hypo-
thèse de la décolonisation, l'apparition d'une nationalité propre à l'Etat
successeur (49).
l'opposabilité de cette nationalité en droit international, CU,
idem, p. 23 ; sur la limitation de la compétence de l'Etat de déter-
miner ses ressortissants telle qu'elle résulte de l'obligation de res-
pecter ses propres engagements conventionnels, voir, CPJI, avis
du 15 septembre 1923 sur la question de l'acquision de la nationa-
lité polonaise CPJI, Série B, n° 7, p. 16.
(49) - Cf., G. CONAC et G. FEUER,
"les accords franco- malgaches"
AFDI, 1960,
p. 863.
184
On a pu ainsi dire de la République malgache que sa "nationalité
n'avait pas à être reconnue dans les accords (franco-malgaches), elle était
une conséquence nécessaire de l'indépendance" (50). De même lorsque la
Guinée dut repousser la constitution française le 27 septembre 1958 afin
d'accéder sans transition à l'indépendance, l'existence d'une nationalité
guinéenne fut dès ce moment considérée comme certaine d'autant plus que
le nouvel Etat aussitôt reconnu par plusieurs autres Etats entamait une vie
internationale à la mesure d'un Etat indépendant et souverain (51).
Pourtant au moment de la naissance du nouvel Etat guinéen la natio-
nalité guinéenne n'avait encore reçu aucune consécration formelle, même
partielle. Le problème de la nationalité guinéenne n'en fut pas moins, à ce
stade, posé (52).
(50) - Idem. C'est nous qui soulignons.
(51) - Cf., R. DECOTTIGNIES et M. de BIEVILLE, Les nationalités afri-
caines, Paris, Pédone, 1963, p. 17.
(52) . Cf., R. DECOTTIGNIES, "Nationalité et citoyenneté 1959 en Afri·
que noire", Annales africaines, 1959, pp. 5 et s. ; voir également
P.F. GONIDEC, "La nationalité dans les Etats de la Communauté
et dans les Etats marginaux", AFDI, 1961, p. 815. La nationalité
guinéenne ne fut d'ailleurs organisée que dix huit mois après l'ac-
cession du pays à l'indépendance par l'ordonnance n° 011 du 1er
mars 1960 portant code de la nationalité guinéenne. Avant la pu-
blication de cette ordonnance, seuls quelques textes épars ten·
taient de régir, sans les épuiser, certains aspects de la nationalité
185
Il semble dès lors utile de souligner l'intérêt qu'il y aurait à cet égard à
se garder de lier trop étroitement nationalité et loi sur la nationalité au
point de confondre l'institution et ses modalités(53).
Il convient alors d'admettre avec j'accession du Sénégal à l'indépen-
dance dans le cadre de la Fédération du Mali, que la nationalité sénégalai-
se soit apparue dès cette indépendance, sans attendre d'être organisée ul-
térieurement par la loi du 7 mars 1961 portant code de la nationalité
guinéenne. Il s'agit de la loi du 18 décembre 1958 concernant le
séjour des étrangers en Guinée (l. O., Guinée, p. 234, pagination
ancienne), de l'ordonnance du 28 mars 1959 relative à l'exercice
des professions d'avocat-défenseurs, de notaire ou d'huissier (J.O.,
Guinée, 15 avril 1959, p. 236) et du décret du 3 juin 1959 relatif à
la condition des épouses guinéennes non originaires de la Répu-
blique (J.O. Guinée, 1er juillet, p. 417). Ces exemples pourraient
être multipliés.
(53) - Cf. J. de BURLET, Nationalité des personnes physiques et décoloni-
sation. Essai de contribution à la théorie de la succession d'Etats,
Bruxelles, Ed. Bruylant, 1975, p. 127. L'auteur cite notamment un
curieux exemple de confusion tiré de la jurisprudence de la Cour
du District de Tel Aviv. La cour dans une affaire où il fallait en
particulier déterminer la nationalité d'un ancien citoyen palesti-
nien décédé en 1950, a déclaré l'apatridie de cet individu en invo-
quant l'inexistence, à l'époque du décès, d'une législation israé-
lienne sur la nationalité, Affaire Estate of SUfris, cité par Shabtai
ROSENNE, "La loi israélienne sur la nationalité 5712-1952 et la
loi du Retour 5710-1950", in, journal du droit international,
1954,
p. 4, note 3.
186
sénégalaise (54). La pratique découlant des nouveaux rapports établis en-
tre le Sénégal indépendant et l'Etat prédécesseur est restée conforme à
l'interprétation favorable à l'apparition simultanée d'une nationalité nou-
velle en vertu du droit international coutumier (55).
L'accession à l'indépendance des territoires sous tutelle ou sous pro-
tection française soulève à cet égard moins de difficulté.
(54) - J. O.R. S, 15 mars 1961.
(55) - Cf. J. C. GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succession d'Etats
au Sénégal", AFDI, 1962, p. 855. Cette interprétation pourrait
s'appuyer, selon l'auteur, sur les textes des accords du 4 avril 1960
supprimant l'obligation du service militaire des citoyens maliens
dans le cadre de l'armée française, ibid, p. 855. L'idée est en effet
contenue dans la disposition de l'article 2 de l'Annexe l (concer-
nant la mise sur pied de l'armée malienne et l'assistance militaire
technique) de l'accord de Coopération en matière de défense en-
tre la République française et la Fédération du Mali: "Les natio-
naux maliens servant actuellement dans les forces armées françai-
ses seront libérés, à la demande du Gouvernement de la Fédéra-
tion du Mali, de leurs obligations à l'égard de ces forces afin de
servir dans les forces armées maliennes" (article 2, al. 1er). Mais
surtout: "les personnels qui n'auront pas été transférés auront la
faculté de demander à cesser de servir dans ces forces (art. 2, al.
4), J. O.R.F. 20 juillet 1960, p. 6631.
187
Paragraphe Il
DANS LES TERRITOIRES PLACES SOUS TUTELLE
ET LES ETATS SOUS PROTECTION
Pour les territoires placés sous les régimes du protectorat, du mandat
puis de tutelle, l'indépendance a été un facteur d'épanouissement d'une
nationalité dont on pouvait en principe affirmer l'existence dès l'époque de
leur soumission à ces différents régimes en raison de la personnalité inter-
nationale reconnue au territoire (56). La réaffirmation d'une nationalité
préexistente propre au nouvel Etat indépendant semble dès lors écarter
toute référence au principe de la table rase, lorsque la mise en oeuvre de
ce principe est destinée à mettre un terme, comme s'agissant des anciennes
(56) - Voir sur le point: P.-F. GONIDEC, "De la dépendance à l'autono-
mie: l'Etat sous tutelle du Cameroun", AFDJ, 1957, pp. 597 et s.,
spec. pp. 601 et 625 ,. D.-P. O'CONNELL, State Succession in Mu-
nicipal Law and International Law, précité, p. 526 ; A. ZATZEPI-
NE, "La nationalité dans les Etats africains d'expression française
et à Madagascar", Rev. jur. et pol., 1962, vol. XVI, p. 455 ; R.
DECOTIIGNIES, "La condition des personnes au Togo et au Ca-
meroun", Annales africaines, 1957, pp. 8-9 ; R. DECOTIIGNIES
et M. de BIEVILLE, Les nationalités africaines, précité, p. 334
pour la nationalité togolaise et pp. 54-55 pour le Cameroun; M.
de BIEVILLE, "La naissance d'une nouvelle nationalité en Afri-
que, la nationalité Camerounaise", R.J.P.O.M., 1961 pp. 600 et s.;
Ch. CHAUMONT, "Recherche du contenu irréductible du con-
cept de souveraineté internationale de l'Etat" in Hommage d'une
génération de juristes au Président Basdevant, Paris, 1960, p. 122.
188
colonies, à l'intervention sans partage de l'Etat prédécesseur dans la déter-
mination de la condition des individus vivant sur le territoire du nouvel
Etat.
Pourtant si l'Etat nouvellement indépendant, ancien territoire protégé
ou sous tutelle, n'est pas en principe confronté au problème de la création
ou de l'assumation d'une nationalité toute nouvelle, il demeure néanmoins
préoccupé par l'affirmation de l'exclusivité de sa compétence d'établir et
d'organiser sa propre nationalité et se trouve ainsi confronté au besoin
d'écarter certaines interventions du législateur de l'Etat prédécesseur tra-
ditionnellement destinées à garantir aux ressortissants de cet Etat une con-
dition inhabituelle en régime de protectorat ou de tutelle (57).
(57) " Dans les protectorats français du Maroc ou de la Tunisie, cohabi-
tent, selon le cas, la nationalité française et la nationalité maro-
caine ou tunisienne. Ainsi les français sont des citoyens en pays
protégé. Les "indigènes" ainsi que certains étrangers vivant dans
ces territoires peuvent devenir français. Mais on relève surtout
que les français y ont acquis des droits qu'un étranger ne saurait
généralement acquérir, notamment l'accès à la fonction publique
locale et l'exercice de certains droits civiques au niveau des ins-
tances politiques ou administratives locales et permettant une re-
présentation au Conseil de Gouvernement, au Grand Conseil et
dans les municipalités. Cf. E. DURAND, Traité de droit public
marocain, Paris, LGDJ, 1955, pp. 125 et s., cité par B. ETIENNE,
dans, La succession d'Etat en Afrique du Nord, par M. FLORY et
autres, Paris, CNRS, 1968, p. 35 et C.E., avis du 12 mai 1949,
Conseil d'Etat, Etudes et documents, fasc. n° 10, pp. 58-59.
189
Si l'idée ou le principe de la table rase devait néanmoins être retenue,
elle ne saurait ici l'être que de façon ... résiduelle, dans la mesure où l'épa-
nouissement d'une nationalité ancienne comporte dans ses conséquences
l'élimination des effets attachés à l'exercice, par l'Etat prédécesseur, de
compétences exorbitantes du régime de tutelle ou de protection et rétablit
ainsi au profit de l'Etat successeur, dans la plénitude et l'exclusivité de son
exercice, l'entière maîtrise de la nationalité de ses habitants.
Si cette remarque est valable pour les Etats protégés accédant à la
souveraineté internationale, elle l'est sans doute davantage pour les terri-
toires sous tutelle comme le Togo ou te Cameroun au moment de leur
accession à l'indépendance.
Les protectorats du Maroc et de la Tunisie que l'on range volontiers
dans la catégorie des protectorats "internationaux" parce que fondés sur un
traité international mettant en rapport deux sujets du droit des gens (58)
(58) - Pour la Tunisie, il s'agit du traité conclu le 12 mai 1881 (De Clerq,
Recueil des traités de la France, 1. XIII, p. 25) à Kassar-Said ou
Traité de Bardo établissant le protectorat français sur la régence
de Tunis. La France s'engageait par ce traité à protéger ·S.A. bey
de Tunis contre tout danger qui menacerait la personne ou la dy-
nastie de Son Altesse ou qui compromettrait la tranquilité de ses
Etats" et à assurer la protection des intérêts tunisiens et des natio-
naux de la régence en pays étranger. En échange de cette protec-
tion,
le bey s'engageait à ne ·conclure aucun acte ayant un carac-
tère international sans l'accord de la France". Une convention si-
gnée le 30 octobre 1882 à Kassar-Said et non ratifiée par la Fran-
190
ont connu une nationalité propre indépendamment du régime du protecto-
rat (59). La pratique observée au Maroc comme en Tunisie à travers la
ce aménageait pour celle-ci un pouvoir d'administration directe
de la Régence; elle fut remplacée par celle du 8 juin 1883 qui fut à
l'origine de la réorganisation de la Tunisie. La convention permit
de maintenir la personnalité de l'Etat tunisien qui conserva ses
compétences internes en dépit de celles exercées par le Résident
général représentant le gouvernement français dans la direction
des services tunisiens.
Le protectorat entre la France et le Maroc fut réalisé par le Traité
de Fez conclu le 30 mars 1912 semblable aux traités franco-tuni-
siens de Kassar-Said et du 8 juin 1883 (convention de la Marsa).
Contrairement à la Tunisie, le Maroc connut une évolution qui fit
l'économie de la phase d'autonomie interne. Alors que celle-ci est
réalisée en Tunisie par les Conventions franco-tunisiennes du 3
juin 1955, la France devait reconnaître, dans la déclaration com-
mune franco-marocaine du 2 mars 1956, l'indépendance du Ma-
roc.
Sur l'évolution du protectorat en Afrique du Nord, voir, M. FLO-
RY, "La notion du protectorat et son évolution en Afrique du
Nord", RJPUF, 1954 p. 461.
(59) - La nationalité marocaine a pu ainsi être définie avant l'établisse-
ment du protectorat français, par la convention multilatérale de
Madrid du 3 juillet 1880 ; elle devait être à l'époque conçue com-
me "une allégeance personnelle reposant exclusivement sur la fi-
liation" : cf. F. LUCHAIRE, Droit d'outre-mer et de la coopération,
Paris, PUF, 1966, p. 160.
191
jurisprudence l'attesta largement (60) et l'attribution à ces Etats, du statut
d'Etat associé dans l'Union française n'altéra guère une telle situation
(61). Ainsi, la promulgation d'ùne nouvelle législation sur la nationalité
tunisienne au moment de l'accession de la Tunisie à la pleine souveraineté
traduit, à l'époque, davantage la réalité d'une immanquable poussée natio-
naliste (62) et conséquemment d'une urgente nécessité d'épanouir une an-
cienne nationalité.
(60) - Voir, JAMBU-MERLIN, note sous Cour d'Appel de Tunis, 6 juillet
1949 et Cour d'Appel de Rabat, 28 juillet 1950, in Rev. crit. de
droit inter. privé, 1951, p. 625 ; cf. J. De BURLET, op. cit., pp. 47-
48, qui mentionne pour les deux Etats plusieurs espèces dans les-
quelles la personnalité distincte des territoires ainsi que leur ca-
pacité de conférer une nationalité, ont été consacrées.
.
.
(61) - Il a été affirmé à plusieurs reprises que les Etats protégés du Maroc
et de la Tunisie devaient être considérés comme des Etats asso-
ciés et leurs ressortissants comme des citoyens de l'Union françai-
se tout en conservant leur propre nationalité, cf. : l'avis du Comité
juridique de l'union française donné le 4 février 1948, in RlPUF,
1948, pp. 237-238 ; M. Paul Coste-Floret, ministre de la France
d'outre-mer, discours à l'Assemblée nationale, séance du 21 mai
1949, fDRF, Débats par!., Ass. nat., 1949, pp. 2772-2773; Cour
d'Appel de Dakar, arrêt du 11 mai 1951, Dame veuve ben Dallah
C. Habib Antoine Mehreb, Rec. Penant, 1952, 1, 215. La nature de
l'acte d'association a toutefois fait l'objet d'amples discussions; v.
l'exposé des thèses développées sur ce point dans les conclusions
de M. l'avocat général Cunéo sous Cour de Paris, 14e Ch. arrêt du
22 février 1951, Cabet de Chambine c. Bessis,J.C.P., 1951, II, 6176
; Rec. Penant, 1951, p. 217
(62) - Cf. R. DECOTIIGNIES, "La condition des personnes au Togo et au
Cameroun", Annales africaines 1957, p. 9.
192
L'accession à l'indépendance des territoires placés sous les régimes
de mandat puis de tutelle paraît soulever bien plus de difficultés.
Ne possédant pas d'organisation étatique propre, ces territoires n'au-
raient pu doter leurs habitants d'une nationalité (63). La doctrine soutient
généralement cette opinion (64) en faisant observer que la qualité d'Etat
au sens international du terme est nécessaire au territoire placé sous tutel-
le pour le doter du pouvoir de conférer une nationalité à ses ressortissants.
Cette qualité d'Etat au sens international du terme reste toutefois à distin-
guer de la personnalité distincte ou internationale du territoire placé sous
tutelle (65). Dès lors si le territoire sous tutelle n'acquiert pas la qualité
d'Etat au sens du droit international bien qu'étant doté d'une personnalité
(63) - R. DECOTIIGNIES, op. cit. p. 10.
(64) - Voir notamment pour le Cameroun, "Etat" sous tutelle selon son
statut établi par le décret du 16 avril 1957, P.-F. GONIDEC, "De
la dépendance à l'autonomie: l'Etat sous tutelle du Cameroun",
AFDI, 1957, p. 620 ; P. LAM PUE "La citoyenneté de l'Union fran-
çaise", RlPUF, 1950, p. 317 ; M. FLORY, "Décolonisation et suc-
cession d'Etats", AFDI, 1966, p. 583.
(65) - Les deux expressions personnalité intnnationale et personnalité
distincte concordent parfaitement en l'occurrence dans la mesure
où leur portée, qui consiste à marquer juridiquement une sépara-
tion entre les territoires respectifs de la puissance tutrice et du
pays sous tutelle, traduit au plan international la consécration de
l'existence distincte du territoire placé sous tutelle.
193
internationale (66), rien ne s'oppose à son accession au statut d'Etat auto-
nome toutefois dépourvu de la maîtrise du pouvoir de conduire ses rela-
tions internationales. En y accédant le territoire sous tutelle atteint un
statut proche de celui des Etats protégés (67) et devient en principe parfai-
temènt maître de l'organisation et de la gestion, au plan interne, de sa
propre nationalité.
(66) - La Cour Internationale de Justice eut à affirmer, quoique dans un
contexte légèrement différent, que les sujets de droit, dans un sys-
tème juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à
leur nature ou à l'étendue de leurs droits et que leur nature dé-
pend des besoins de,la communauté, avant de conclure en l'occur-
rence que l'Organisation des Nations Unies est une personne in-
ternationale sans que cela n'équivaille à dire que l'Organisation
soit un Etat ou que sa personnalité juridique, ses droits et ses
devoirs soient les mêmes que ceux d'un Etat; CIl, Avis consultatif
du 11 avril 1949 relatif à la Réparation des dommages subis au
service des Nations Unies, Rec. 1949, pp. 178-179.
(67) - Pour les territoires sous tutelle, voir, M. FLORY, op. cit., p. 583.
S'agissant des Etats protégés on peut relever que le Gouverne-
ment francais n'avait pas contesté que le Maroc, même sous le
protectorat avait "conservé sa personnalité d'Etat en droit inter-
national". Les droits de la France au Maroc avaient été définis par
le traité de protectorat de 1912. Ce traité, loin de nier la sou-
veraineté du Maroc devait au contraire la réaffirmer puisque,
d'accord avec le Maroc, la France s'engageait à exercer certains
pouvoirs souverains au nom et pour le compte du Maroc, et à se
charger, en principe, de toutes les relations internationales du
Maroc, cf., Affaire des Ressortissants des Etats-Unis au Maroc,
arrêt du 27 août 1952, C.U., Rec. 1952, pp. 185-186. La Cour de-
194
La Société des Nallons pUIS l'urganisation des Nations Unies ont veil-
lé à faire respecter la personnalité internationale et le statut distinct des
Etats protégés, des territoires placés sous mandat puis sous le régime de la
tutelle. La SDN a dû ainsi refuser aux ressortissants des pays sous mandat
d'acquérir globalement la nationalité des puissances mandataires (68) en
précisant les limites imposées au pouvoir législatif de ces dernières (69).
vait également rappeler que "les parties sont d'accord pour ad-
mettre que la caractéristique du statut du Maroc, tel qu'il résulte
de l'acte général d'Algésiras du 7 avril 1906, est le respect de trois
principes énoncés dans le préambule de l'acte, à savoir ceux ,'de la
souveraineté et de l'indépendance de sa Majesté le Sultan, de l'inté-
grité de ses Etats et de la liberté économique sans aucune inégalité"
(c'est nous qui soulignons), CU, ibid, pp. 183-184.
(68) - Voir P. WEIS, Nationality and Statelessness in International Law,
Londres, 1956, pp. 22-27.
(69) - Les Résolutions du conseil de la SDN du 22 avril 1923 disposent
entre autres ce qui suit:
"1. Le statut des habitants indigènes d'un territoire sous
mandat est distinct de' celui des nationaux de la Puissance
mandataire et ne saurait être assimilé à ce statut par au·
cune mesure de portée générale.
"2. Les habitants indigènes d'un territoire sous mandat
n'acquièrent pas la nationalité de la puissance mandatai·
re par suite de la protection dont ils bénéficient.
195
Les mêmes restrictions ont persisté après la création de l'ONU et la substi-
tution du régime de tutelle à celui du mandat (70) en dépit du fait que, déjà
sous le régime du mandat, la pe'rsonnalité internationale des territoires
placés sous ce régime faisait l'objet, surtout lorsqu'il s'agit de protectorats
dits coloniaux, d'interprétations les plus diverses.
Ces interprétations tendaient même parfois à mettre en doute la per-
"4. Il est à désirer que les habitants indigènes qui bénéfi-
cient de la protection d'une puissance mandataire soient
désignés en ce qui concerne chaque mandat, par telie dé-
nomination qui précisera clairement leur statut sous le
régime du mandat".
Ces dispositions s'appliquent aussi aux ressortissants du Rwanda-
Urundi dont l'administration a été confiée à la Belgique.
(70) - Résolution du Conseil de tutelle des Nations Unies du 17 juillet
1950; rappelant notamment aux puissances tutélaires l'obligation
de "continuer à maintenir le statut individuel et la personnalité
distincte des territoires sous-tu telle; sur la nationalité des ressor-
tissants du Cameroun voir, trib. civ. de la Seine, 27 février 1959,
ILR, vol. 28, p. 80 à propos d'une action en dommage portée de-
vant le Conseil d'Etat.
L'autorité de tutelle, en principe, prend en charge les obligations
liées à l'exercice du précédent mandat lorsque ces obligations
sont maintenues dans le nouveau régime de tutelle; voir HO-
MONT, "L'application du régime de la tutelle aux territoires sous
mandats", RlPUF, 1952, pp. 166 et s.
196
sonnalité du territoire (71). Il reste cependant que si le régime de tutelle
interdit à la puissance tutrice d'attribuer globalement sa nationalité aux
ressortissants du territoire sous tutelle, il ne définit ni ne reconnaît expres-
sément au profit de ces derniers une nationalité propre. Il eut été dès lors
(71) - L'exemple de l'ancien protectorat allemand du Cameroun est à cet
égard
significatif, comme permet d'en attester la décision ren-
due le 27 juillet 1923 par le Tribunal arbitral mixte anglo-
allemand présidé par Borel dans l'affaire The Nyger Company Ltd
c/Etat allemand. Dans cette affaire la société anglaise Nyger Cie
Ltd avait fait valoir des prétentions tendant, après la première
guerre mondÎale, au paiement par l'Allemagne des dettes contra'c-
tées par des fonctionnaires allemands dans le cadre de l'admini,-
tration du Cameroun. Le Tribunal rejeta ces prétentions au motif
que le Cameroun était "une personne juridique de droit privé dis-
tincte de celle de l'Empire allemand", Recueil des décisions des
tribunaux arbitraux mixtes, 1923-1924, pp. 232 et s. cité par M.
WAELBROECK, "A propos des emprunts congolais", Chronique
de politique étrangère, 1958, n° 23, p. 70. Mais alors que d'aucuns
semblent voir dans cette décision la reconnaissance du maintien
de la personnalité juridique internationale de l'Etat protégé (cf.,
D. BARDONNET, La succession d'Etats à Madagascar, précité, p.
269, note 10), d'autres soutiennent que le rejet des prétentions de
la Société anglaise est fondé non sur la reconnaissance d'une
quelconque personnalité internationale du Cameroun mais plutôt
sur la prise en considération de sa qualité de personne juridique
de droit privé distincte de l'Etat protecteur (cf., DE BURLET, op.
cit., pp. 82-83).11 semble certain que le Tribunal arbitral ait préfé-
réenil'occurrence écartertoute référence à une quelconque quali-
té d'Etat ou personnalité internationale propre au Cameroun.
Une précaution bien inutile au regard de sa décision et bien peu
197
tentant, afin de caractériser la condition des ressortissants des terri toi-
l'es, d'élaborer, comme en témoigne l'état de la doctrine, différentes thèses
tendant soit à reconnaître à ces' habitants une certaine nationalité, soit à
les cantonner dans une condition inqualifiable puisque demeurée sans pré-
cédent.
Dans la première démarche l'idée est retenue que, dans la mesure où la
nationalité serait le seul critère de distinction possible dans l'ordre inter-
national et qu'en outre l'organisme mandant ou responsable de la tutelle
ne saurait dispenser une nationalité aux ressortissants des territoires con-
cernés, ces habitants possèdent nécessairement la nationalité du pays sous
mandat ou de la communauté sous tutelle (72). Pour servir ainsi de critère
de distinction au plan international, une telle nationalité devrait réunir les
traits caractéristiques traditionnels de la nationalité.
Si une teHe conception a le mérite d'être simple, elle semble tenir pour
justifiable eu égard au régime du protectorat puisqu'il semble dès
lors difficile de trouver à cette "personne juridique de droit privé"
un ordre juridique de rattachement qui ne soit ni celui de l'Empi-
re allemand du fait de sa qualité d'Etat protecteur, ni celui du
Cameroun qui ne saurait lui-même dispenser un tel ordre.
(72) - Pour l'exposé de cette thèse voir R. DECOTIIGNIES, op. cit., pp.
28-29. L'auteur cite parmi les tenants de cette thèse, WHEIGH,
Mandates under the league of nations, Chicago, 1930, pp. 319 et s.
ainsi que J. ROCHE, "La souveraineté dans les territoires sous
tutelle", RGDIP, 1954, n° 3.
198
trop indispensable l'existence, au profit de ces populations, d'une nationa-
lité déployant ses effets au plan international sans, au demeurant, être
troublée par le défaut d'organisation étatique caractéristique en principe
des territoires sous mandat ou sous tutelle (73) ; sauf à admettre comme on
le soutient parfois, qu'une telle insuffisance dans l'organisation étatique
reflète en réalité une souveraineté virtuelle et une nationalité en puissance
(74).
Dans la seconde démarche est, au contraire, prônée l'idée de renoncer
à qualifier la condition d'individus placés dans une situtation jusqu'ici sans
précédent dans la mesure où les catégories juridiques traditionnelles rela-
tives à la nationalité se sont révélées trop rigides ou inappropriées pour
couvrir des réalités nouvelles des relations internationales traduites par
des situations juridiques qui mériteraient d'être considérées comme sui
generis (75), à moins de considérer les membres des collectivités concer-
nées comme des "apatrides" d'un genre particulier.
(73) - On voit parfois dans la personnalité juridique distincte de ces terri-
toires un fondement de l'existence d'une entité internationale dis-
tincte et une cause suffisante de l'existence d'une nationalité au
profi t de leurs ressortissants. Voir, BATIFFOL, Traité élémentaire
de droit international privé, 2e édit., n° 66 ; NIBOYET, Traité de
droit international privé, t. 1, n° 71, p. 81, note 2.
(74) - Cf. l'exposé qu'en donne R. DECOITIGNIES, op. cit. p. 29.
(75) - Ibidem.
199
On sait toutefois, s'agissant de ces deux thèses que les concepts de
"nationalité en puissance" ou de "situation juridique sui generis" ne sont
pas des plus précis et semblent 'au contraire ajouter à la confusion. En
outre l'affirmation selon laquelle l'octroi du régime d'autonomie par la
France, au Togo et au Cameroun aurait pour conséquence de réserver à
leurs ressortissants une nationalité propre, semble quelque peu osée (76)
eu égard aux limites étroites de l'autonomie accordée à ces territoires
(77). De même l'invocation des "libres discussions" qui auraient eu lieu
entre la France et l'assemblée représentative du territoire avant l'adop-
tion du texte du nouveau statut ne saurait suffire ni à qualifier ce texte
d'acte négocié selon la technique du droit international (78), ni à considé-
(76) - L'opinion n'en est pas moins présentée et, avec quelque réserve,
partagée par R. DECOTTIGNIES, op. cil., p. 31.
(77) - On a pu observer que le statut conféré au Cameroun avant la levée
de la tutelle et l'accession à l'indépendance (décret du 16 avril
1957,IORF, 18 avril 1957 pp. 4112 et s.) n'accordait à ce territoire
qu'une "semi-autonomie purement interne" et n'apportait aucune
modification au régime antérieur établi en vertu de la constitution
francaise de 1946 quant à l'exercice exclusif par la France des
compétences internationales du territoire; voir, P.-F. GONIDEC,
"De la dépendance à l'autonomie: l'Etat sous tutelle du Came-
roun", AFDI, 1957, pp. 604 et 611. Quant au Togo, les réformes
intervenues en 1957 dans le territoire ont eu pour objet d'aligner
son statut à celui du Cameroun et ne l'ont pas ainsi doté d'une
réelle autonomie; voir P.-F. GONIDEC, "L'évolution de la répu-
blique autonome du Togo", AFDI, 1957 p. 630.
(78) - C'est pourtant l'opinion de J. CHENIERE, "Le Togo, République
200
rer que le Togo puis le Cameroun ont, par un tel acte, justifié d'une "activi-
té internationale permettant d'attribuer désormais sans contestation une
nationalité propre à leurs ressortissants" (79) du fait essentiellement du
caractère peu représentatif de ]' Assemblée territoriale camerounaise (80)
et du rôle particulièrement limi té de l'Assemblée togolaise (81).
Les travaux préparatoires des nouveaux statuts auraient pourtant à
cet égard fourni des éléments notables d'appréciation. En effet le Ministre
de la France d'outre-mer d'accord avec le Président de la Commission des
territoires d'outre-mer avait estimé que "le statut du Cameroun (faisait)
état, non pas d'une nationalité camerounaise mais d'une citoyenneté ca-
merounaise" (82).
Il conviendrait sans doute de considérer, en définitive, tout au moins
autonome dans l'Union francaise", France outre-mer, sept. oct.,
1956, pp. 28-29. S'agissant en particulier du Togo, F. LUCHAIRE
évoque l'existence d'une sorte de convention tacite entre la Fran-
ce et le togo dans, "Le Togo francais. De la tutelle à l'autonomie",
RUF., 1957, p. 557.
(79)
Comme le soutient R. DECOTTIGNIES, op. cit., p. 31.
(80) - Voir P.-F. GONIDEC, "De la dépendance ...", précité, p. 621.
(81) - Du même auteur, "l'Evolution de la République autonome du Togo",
préci té, p. 627.
(82) - J.O.R.F., Déb. Ass. nat., 4 avril 1957, p. 2042.
201
dans une première phase d'autonomie limitée du Cameroun et du Togo,
que la nationalité dont leurs ressortissants ont pu bénéficier en propre ait
été une nationalité de valeur où d'usage interne que la République fran-
çaise ne devrait en principe ignorer, ainsi comprise. Il reste qu'uné évolu-
tion plus marquée des Etats sous tutelle vers l'indépendance, sanctionnée
par la réalisation d'une autonomie plus complète (83) devrait préparer
l'apparition d'uné nationalité propre de valeur internationale.
C'est ainsi que les nationalités togolaise et camerounaise ont pu être
expressément reconnues avant ['accession des deux Etats à l'indépendance
(84) et avant de faire ultérieurement l'objet d'une législation qui les orga-
(83) - Le statut de 1956 du Togo fut modifié par le décret du 22 mars 1957
destiné à accroître son autonomie et par celui du 22 février 1958
qui reconnaissait au Togo une autonomie interne complète. Dé-
cret complété par des conventions annexes en date du 25 février
1957. Un nouveau statut fut enfin élaboré par la France qui s'en-
gageait à reconnaître l'indépendance de la République du Togo
dès que celle-ci la lui demanderait après la levée du régime du
tutelle (cf. ordonnance du 30 déc. 1958, J.O.R.F., 31 déc. 1958).
De même, pour le Cameroun, un statut d'autonomie plus accentué
fut établi, après l'avis de l'Assemblée législative camerounaise du
20 nov. 1958, par l'ordonnance française du 31 décembre 1958
complétée par une série de conventions entrées en application le
jour de la publication de l'ordonnance, Ibid.
(84) - Ordonnances françaises du 30 déc. 1958, J.O.R.F., 31 déc. 1958.
202
nise (85). Le Cameroun dut même définir et codifier sa nationalité peu
avant d'accéder à l'indépendance (86). Il reste que, faute de pouvoir eux-
mêmes exercer leurs compétences externes au moment de la promulgation
de leurs législations en matière de nationalité, le Togo et le Cameroun
non encore indépendants n'auraient pu prétendre qu'à une maîtrise inter-
ne de leurs nationalités.
En définitive, si le principe de la table rase trouve dans l'hypothèse de
['accession à la souveraineté internationale des anciens territoires proté-
gés une consécration limitée, ou encore résiduelle, pour ce qui concerne
les anciens territoires placés sous mandat puis sous tutelle, la pleine maî-
trise
de
leurs
relations
internationales
s'accompagne
d'un
épa-
nouissement, au plan international, d'une nationalité jusqu'alors demeu-
rée d'usage interne et comporte une consécration du principe de la table
rase bien plus nette en ce cas que dans celui des Etats protégés.
(85) - Pour le Togo devenu indépendant le 27 avril 1960, cf. la loi n° 61.18
du 25 juillet 1961, JO Rép. Togolaise, n° 169,16 août 1961, p. 169
puis l'ordonnance du 22 mars 1971 et l'ordonnance du 7 déc. 1978
portant code de la nationalité.
(86) - Pour le Cameroun accédant à l'indépendance le 1er janvier 1960, cf.
l'ordonnance n° 59.60
du 26 novembre 1959, JO Rép. Cameroun
12 déc. 1959, décret d'application n° 59.266 du 31 déc. 1959, J.G.
Cameroun, 10 février 1960, décret du 16 déc. 1968 fixant l'applica-
tion du code de la nationalité et arrêté interministériel du 8 août
1969 fixant l'application de l'article 10 du décret du 26 décembre
1968.
•
203
En toute hypothèse J'exercice de la liberté dont jouissent les Etats
pour établir ou épanouir leurs propres nationalités demeure limité par le
droit en principe reconnu à certàines catégories d'habitants du territoire
où s'opère une mutation de souveraineté, d'opter pour une autre nationa-
li té.
La mise en oeuvre de ce droit d'option traduit une évidente atténua-
tion du principe de la table rase.
204
SEcnON II
L'ATTENUATION AU PRINCIPE
DE LA TABLE RASE :
LE DROIT D'OPTION
L'application rigoureuse du principe de non-succession telle qu'elle
ressort de la mise en oeuvre du principe de la table-rase peut ne pas être
conforme à l'intérêt de certaines catégories de population désireuses de se
soustraire à l'emprise de la nouvelle législation édictée en matiêre de na-
tionalité, ou peut même se heurter à l'intérêt du nouvel Etat, éventuelle-
ment soucieux d'écarter certains individus ou groupes d'individus du béné-
fice de sa nationalité.
L'atténuation au principe de liberté des Etats mettant en oeuvre celui
de la table-rase prend la forme de l'institution du droit d'option consacrée
par la quasi-totalité des législations nationales africaines en matière de
nationalité.
Défini comme
"la faculté, souvent concédée aux habitants, d'un territoi-
re
205
affecté par un changement de souveraineté, de choisir
dans un délai déterminé entre la nationalité de l'Etat cé-
dant et celle dè l'Etat cessionnaire" (87),
le droit d'option n'est pourtant pas considéré par certains auteurs comme
une règle certaine du droit international s'imposant aux Etats successeurs
(88). On relève toutefois qu'il est d'usage depuis la fin du XVIIe siècle
d'autoriser de telles options, le droit d'option n'ayant été refusé que dans
de très rares hypothèses de cession (89). Le recours à ta faculté d'opter
(87) - Ch. ROUSSEAU, Droit international public, t. III, Paris, Sirey, 1977,
p. 368.
(88) - D.P. O'CONNELL, op. cit., p. 529. L'auteur s'appuie sur une défini-
tion donnée en 1934 par la Cour administrative suprême de Tché-
coslovaquie considérant, l'option de nationalité comme "an act by
which a person availing himself of a right granted to him by a legal
provision assumes a new nationality, giving up at the same time
the previous one, solely by his own will and without the co-opera-
tion or even against the will of the State to which he hitherto
belonged", Option (Loss of Nationality) Case, Ann. Dig., vol VII,
Case n° 114.
(89) - Ibid. Le rapporteur spécial de la COI dans son Rapport préliminaire
sur la succession d'Etats et les droits et obligations découlant de
sources autres que les traités posait la question de savoir "si, en
l'absence de tout accord, l'Etat successeur possède un pouvoir
souverain sans limite de "dénationalisation" de personnes ou de
groupes humains aboutissant à leur expulsion de fait (par manque
de garanties) ou de droit (transferts massifs), ACDI, 1968, vol. II,
206
pour une nationalité était en général conditionné par l'obligation mise à la
charge de l'optant lorsqu'il n'entend pas embrasser la nationalité nouvelle
d'émigrer et de liquider ses biens. De nos jours des conditions plus souples
et plus avantageuses pour l'optant sont généralement aménagées dans le
cadre éventuel d'instruments de coopération entre Etats et, plus particu-
lièrement, au moyen de conventions d'établissement.
Il demeure que, tout autant que la pratique coutumière semble avoir
consolidé ce qu'il est convenu d'appeler le droit d'option, cette pratique a,
en compensation, établi le droit de j'Etat successeur de préserver l'unité
de son patrimoine humain.
L'idée en a été retenue dans la jurisprudence internationale, et consa-
crée par la sentence rendue en 1924 par l'arbitre KAECKENBEECK qui
affirmait à propos de l'affaire relative à l'acquisition de la nationalité po-
lonaise que :
"il
faut
admettre ...
qu'un
Etat cessionnaire
a
nor-
malement le droit d'exiger l'émigration des habitants du
territoire cédé qui ont opté en faveur du pays cédant. Ce
principe, consacré par la pratique internationale, et ex-
pressément admis par les meilleurs auteurs, se trouve à la
base même
p. 116. Cette question ne trouva pas de réponse dans les tranvaux
ultérieurs de la Commission.
207
des dispositions concernant l'option insérée dans les ré-
cents traités de paix" (90).
Dans la pratique observée lors de la décolonisation des anciens terri-
toires dépendants d'Afrique francophone, la faculté d'option a été double-
ment consacrée: selon la modalité traditionnelle du référendum qui a été
mise en oeuvre en Algérie (91) et, en vertu des législations nationales,
pour les pays d'Afrique du Sud du Sahara.
(90) - Affaire relative à l'acquisition de la nationalité polonaise (1924),
Allemagne C. Pologne, R.S.A., vol 1, p. 427
(91) - Le référendum a été mis en oeuvre dans le ca~re de l'accession à
l'indépendance de l'Algérie. Il y a conservé sa signification techni-
que traditionnelle qui permet de le distinguer de l'institution du
plébiscite largement sollicitée par l'Europe dans le règlement de
nombre de ses problèmes territoriaux. Dans le cas étudié le réfé-
rendum est demeuré un moyen de consultation populaire dont
l'un des buts a été d'interroger sur un
choix de nationalité selon
une formule qui intègre l'exercice d'un droit d'option. En effet les
populations algériennes étaient invitées, par le scrutin d'autodé-
termination du 1er juillet 1962, à se prononcer sur l'indépendance
d'une Algérie "coopérant avec la France dans les conditions défi-
nies par les déclarations du 19 mars 1962" adoptées à l'issue des
pourparlers d'Evian et prévoyant pour certaines catégories de
français définies en raison de leur naissance ou de la durée de leur
résidence en Algérie, l'exercice d'un droit d'option d'un genre
particulier prévu dans une période de 3 années (Déclaration gé-
nérale, chap. II, 2 a et b, Nations Unies Rec. des traités, vol. 587,
pp. 25 et s.) Selon les termes de la Déclaration générale, ces ci-
208
Il importe alors de souligner que si l'option de nationalité a générale-
ment été consacrée par la législation de l'Etat successeur (Sous-Section
I),cette consécration n'a pas laissé indifférent le législateur de l'Etat pré-
décesseur qui dut intervenir pour en moduler la portée et préserver davan-
tage son patrimoine humain (Sous-Section II).
toyens français de statut civil de droit commun disposent d'un dé-
lai de réflexion de trois années durant lesqueJles ils conservent
leur nationalité d'origine s'ils n'acquièrent pas volontairement la
nationalité algérienne, tout en pouvant jouir des droits civiques
algériens (cf. les explications de M. LAURIOL, J.O, A.N., 6 juin
1962, p. 1450 et les déclarations du Ministre français des Affaires
Etrangères à l'Assemblée nationale, J. O., A.N., 22 mars 1962,
p.521 etf.O., A.N., 6 juin 1962, p.1449). Si au bout de ce délai ces
citoyens français n'optent pas pour la nationalité algérienne, ils
sont du coup régis par une convention d'établissement qui devait
leur permettre de conserver leurs biens sans les priver de la possi-
bilité de les accroître. Le délai de trois ans a été unilatéralement
prolongé par l'Algérie, la veille de son expiration, mais la conven-
tion d'Etablissement n'a pas été signée. Toutefois le code de la
nationalité algérienne promulgué en 1963 (Loi n° 63-96 du 27
mars 1963, J.O Rép. alg., 2 avril 1963, p. 306) et qui, entre autres,
fixe les modalités concrètes de l'option, proclame un respect com-
plet des règles posées par les accords d'Evian sous réserve de
quelques ... restrictions.
Le code prévoit en outre des cas de déchéance (ou de renoncia-
tion) de la nationalité algérienne intéressant une catégorie limi-
tée d'individus: ceux qui l'auraient acquise (art. 24 et 25) et Ceux
qui possèdent une nationalité étrangère d'origine ou qui ont ac-
quis une nationalité étrangère (art. 21. Voir sur ces points, M.,
FLORY et autres, La succession d'Etat en Afrique du Nord, Paris,
CNRS, 1968, pp. 33-34).
209
Sous-Section l
L'INTERVENTION DE L'ETAT PREDECESSEUR
L'apparition d'une nationalité nouvelle dans les Etats de la Commu-
nau té au moment cie leur accession à la souveraineté internationale devait
avoir en principe pour conséquence de retirer la nationalité française à
tous les nationaux français demeurés sur le territoire de ces nouveaux
Etats et qui s'étaient vu attribuer une nouvelle nationalité par voie de
disposition générale ou par l'effet d'une option positive en faveur de la
nationalité de l'Etat nouveau. La même conséquence était en outre prévue
dans la législation française.
Le code de la nationalité du 19 octobre 1945 disposait en effet en son
article 13 que, dans le cas où un territoire viendrait à être cédé par un
traité international,
"les personnes domiciliées dans les territoires cédés (per-
draient) la nationalité française, à moins qu'elles n'établis-
sent effectivement leur domicile hors de ces territoires".
C'est donc afin d'éviter, par l'application de cette disposition, une
perte à la France d'un nombre important de ses ressortissants que le légi-
slateur français a entendu y déroger.
210
Ce fut d'abord par le moyen de la loi n° 60752 du 28 juillet 1960 (92)
qui s'applique aux personnes domiciliées dans les anciens territoires d'ou-
tre-mer. Le législateur distingue, par cette loi, entre deux catégories de
ressortissants français pour maintenir aux uns, de plein droit, leur natiOna-
lité française (93) et exiger des autres la mise en oeuvre d'une procédure
de reconnaissance de cette nationalité sous réserve notamment, pour les
intéressés, de transférer leur domicile en France (94).
(92) - Dalloz, 1960 p. 269, JORF, 30 juillet 1960, p.7040
(93) - Le nouvel article 13, al.2 dispose: "les originaires. conjoints. veufs
ou veuves originaires du territoire de la République française, tel
qu'il est constituté à la date de la promulgation dt: la loi n° 60.752
du ·28 juillet 1960, ainsi que leurs descendants" conservent leur
nationalité sans recourir à aucune formalité. La portée de cette
disposition est considérable vu notamment l'ouverture de cette
catégorie de personnes au profit des descendants des conjoints,
veuves ou veufs des originaires quel que soit le nombre de généra-
tions. Se trouvent également rangés dans cette catégorie de per-
sonnes ayant conservé de plein droit leur nationalité, des non ori-
ginaires du territoire de la République française, à savoir, ceux
qui, à la date de l'accession à la souveraineté internationale des
anciens territoires d'outre-mer, n'étaient pas domiciliés dans un
de ces territoires, et ceux qui, même domiciliés dans ces territoi-
res, ne se sont pas vu conférer par "disposition générale" la natio-
nalité du nouvel Etat alors qu'ils possédaient la nationalité fran-
çaise (art. 152 du Code de la nationalité).
(94) - Sont ici concernés les non originaires du territoire de la République
française domiciliés dans un des anciens territoires d'outre-mer
d'Afrique et de Madagascar devenus indépendants, à qui une na-
211
Cette première intervention du législateur français, plus tard complé-
tée en 1973 (95) a été prolongée par une législation spécifique aux consé-
quences de l'accession des départèments algériens à l'indépendance. L'or-
donnance française du 21 juillet 1962 (96) abandonnant la distinction se-
lon l'origine "française" ou locale des habitants, prit en compte, en Algé-
rie, leur statut civil, de droit commun ou local, afin de définir leur situa-
tian au regard de la nationalité française. Ainsi les Français de statut civil
de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l'annonce officielle
des résultats du scrutin d'autodétermination (le 3 juillet 1962) conservent
de plein droit leur nationalité française, quelle que soit leur situation au
regard de la nationalité algérienne (article 1er de l'ordonnance) (97) .
.tionalité nouvelle a été conférée par disposition générale. Sur
l'institution nouvelle de la reconnaissance de nationalité, voir E.
de GAUDIN de LAGRANGE, "Nationalité française 1963", Bulletin
législatif Dalloz, 1963, pp. 133 et s. Sur la notion d"'originaires"
dans la loi du 28 juillet 1960 voir, F. TERRE, "La reconnaissance
de nationalité française", Rec. Penant, 1961, p. 20, n° 3. Sur la no-
tion de "disposition générale", voir, F. TERRE, op. cit. , p. 20.
(95) - Loi du 9 janvier 1973, cf. P. MAYER, Droit international privé,
pré-
cité, p. 640. La faculté de réintégration par déclaration remplaça égale-
ment celle de la reconnaissance pour les français domiciliés dans
les territoires d'outre-mer, ibid, p. 640.
(96) - Ordo n° 62.825 du 21 juillet 1962, fORF, 22 juillet 1962, p. 3961.
(97) - Cette catégorie de personnes comprend :
- les français de souche (ou par filiation)
- les étrangers de souche européenne nés en Algérie et devenus
212
Mais l'ordonnance de 1962 n'offrait pas une telle possibilité aux personnes
de statut civil de droit local et maintenait ainsi quelque risque réel d'apa-
tridie pour certaines catégorie de populations (98). Le risque put être
écarté grâce à la loi du 20 décembre 1966 disposant que les
"personnes de statut civil de droit local originaires d'Al-
gérie conservent de plein droit la nationalité française si
une autre nationalité ne leur a pas été conférée posté-
rieurement au 3 juillet 1962" (99).
Par contre les musulmans de statut civil de droit local originaires d'Algé-
français jure soli en vertu du Code de la nationalité française.
- les israélites objets de naturalisation collective par le décret de
Crémieu du 14 juillet 1870.
- les étrangers devenus français par naturalisation individuelle
- les musulmans ayant expressément renoncé à leur statut corani-
que en vertu du Sénatus-Consulte de 1865 ou de la loi du 4 février
1919.
Voir sur ce point, M. FLORY et autres, op. cil. , p. 31.
(98) - Ainsi des israélites de statut local non bénéficiaires du décret de
Crémieu de 1870.
(99) • Les tribunaux français s'étaient prononcés dans ce sens avant la pu-
blication de la loi de 1966 : Trib. grande ins. Seine. 24 déc. 1965,
J.c.P. 1966, II, 14773, note AYMOND, Rev. ait., 1967, p. 69, note
P.L. Sur ces points voir, Encyclopédie Dalloz, Droit international,
vol. II, p. 416.
213
rie, à l'exception de ceux qui n'ont pu acquérir la nationalité algérienne,
ne conservent définitivement leur nationalité française qu'en souscrivant
une déclaration de reconnaissance de cette nationalité (100).
Cette intervention du législateur français parfois jugée singulière
(101) eu égard à la possibilité d'une double natonalité qu'elle implique
(100) - Voir sur ce point, Cons. d'Etat,
30 juin 1967, IDI, 1968 p. 70, note
A YMOND ; Cour d'Appel, Paris, 2e ch., 10 juin 1971, Sieur CHI-
LI, IDI, 1972, p. 292, note A YMOND.
L'Algérie a tou tefois considéré que l'Ordonnance du 21 juillet
1962 violait les Accords d'Evian (article 2). Selon l'Algérie les
français musulmans de droit local ne bénéficient pas du droit
d'option puisqu'ils sont considérés comm des algériens d'origine,
rétroactivement. Sur ce point voir, M. FLORY et autres, op. cit.,
p. 32 note 27. Sur l'acquisition de la nationalité algérienne et sur
la position du législateur algérien qui ne répute "algérien", en ce
qui concerne la nationalité d'origine, que des personnes de statut
musulman, voir, Trib. grande iust. de la Seine, 1ère ch., 24 déc.
1965, J. DAHAN, IDI, 1967, p. 364.
(101) - R. DECOTTIGNIES et M. de BIEVILLE, op.cit. p. 18. M. André
CHANDERNAGOR alors député SFIO de la Creuse, Sénateur de
la Communauté avait, lors des débats de l'Assemblée nationale
précédant l'adoption de la loi du 21 juillet 1960, regretté le re-
cours à une "procédure unilatérale" pour trouver une solution aux
problèmes en vue, ce qui, lui avait motivé l'abstention du groupe
socialiste. Préférant une solution établie par voie d'accords et de
discussions, il devait ajouter que "le fail d'avoir réglé ce(s) problè-
214
(102) fut cependant et dans une certaine mesure réitérée lors de l'acces-
sion à l'indépendance des Comores, exceptée j'île de Mayotte, en 1975
(103), ou après l'indépendance du territoire français des Afars et des Issas
(104 ).
meCs) unilatéralement, d'un côté comme de l'autre, risqu(ait) ...
(d')entraîner vers des conflits qui ne seront pas seulement des
conflits d'ordre juridique", Bulletin de l'Afrique noire, n° 153 du 20
juillet 1960, p. 3077.
(102) - La loi du 28 juillet 1960, celle du 9 janvier 1973 (pour les anciens
territoires d'outre-mer et Madagascar), l'ordonnance du 21 Juillet
1962 et la loi du 20 décembre 1966 (pour l'Algérie) n'écartent pas
cette possibilité. Voir E. de GAUDIN de LAGRANGE, op.cil.,
pp. 137-139 ; M. FLORY et autres, op.cil., pp. 32-35 ainsi que R.
BILBAO, "La nationalité française et l'accession à l'indép'endan-
ce des anciens territoires d'outre-mer", Penant 1961, pp. 519-520.
(103) - Le problème de la perte de la nationalité française des personnes
domiciliées sur le territoire des Comores a été résolu par une loi
du 3 juilJet 1975 dérogeant aux règles posées dans le Code de la
nationalité; voir pour le texte et son commentaire, P. LAGAR-
DE, Rev. crit. 1975, p. 820.
(104) - La loi du 20 juin 1977 précisa les conditions auxquelles les person-
nes originaires de ce territoire pouvaient se faire reconnaitre la
nationalité française ou être intégrées dans cette nationalité, no-
tamment celle d'avoir "établi (leur) domicile à la date du 8 mai
1977 dans le territoire de la République française, à l'exception
du territoire français des Afars et des Issas et de l'y avoir conser-
vé ..., cette faculté prenant fin le 21 juin 1978". Sur l'application
215
Elle se rapproche pourtant d'une intervention similaire du législateur
portugais qui a tenté d'aplanir des difficultés semblables survenues en ma-
tière de nationalité à la suite dè l'accession à l'indépendance des ancien-
nes colonies portugaises d'Afrique notamment (105).
Il importe enfin de souligner que l'intervention de l'Etat prédécesseur
en ces diverses hypothèses n'a pas été, dans son principe, destinée à per-
mettre une quelconque participation de cet Etat à l'organisation de la
faculté d'option réservée à certaines catégories de populations concernées
par les changements de nationalité intervenus dans les Etats nouvellement
indépendants. Elle s'est essentiellement employée à en atténuer l'exercice
lorsque l'Etat prédécesseur dut prévoir, même implicitement, la possibili-
té d'une double nationalité au profit de certains de ses ressortissants, ou
maintenir sa nationalité au bénéfice d'individus autrement voués l'apatri-
die.
de cette disposition voir, C.A., Versailles, 20 janvier 1981, Hassan
Habaneth cl Procureur de la République, cf. AFDJ, 1982, pp. 999-
1000.
(105) - Cf., le décret-loi n° 308-A/75 du 24 juin 1975, Diaro do governo,
1ère série, n° 143, 4e suppl., 24 juin 1975. Pour quelques brèves
observations concernant ce texte, voir R.M. MOURA RAMOS,
Rev. crit. de dr. internat. privé, 1978, pp. 183-186 ; texte, ibid., p.
179-183.
Pour une vue
d'ensemble
voir,
du
même
auteur,
Nacionalidade e descolonizaçao, Aigunas reflexoes a proposito de
decreto lei n° 3D8-Aj75 de Junho, Coimbra, U niversidade de Coirn-
bra, 1976, 36p.
216
Cette attitude diffère ainsi fondamentalement de celle adoptée par
l'Etat successeur.
Sous-Section JI
L'INTERVENTION DE L'ETAT SUCCESSEUR
Les textes qui avaient organisé et maintenu en vigueur sur les territoi-
res des Etats africains, la nationalité de l'Etat prédécesseur, ont été for-
mellement abrogés par les nombreux codes promulgués en matière de na-
tionalité par les Etats africains peu après leur accession à l'indépendance.
Les législateurs africains ont été, d'une manière générale, confrontés
à la difficulté d'élaborer des solutions au délicat problème de succession
de nationalités qui eussent permis par le mécanisme de la naturalisation
immédiate de la population selon un critère à déterminer, assorti d'une
faculté d'option en faveur de la nationalité précédente, de contrôler à la
fois, l'entrée dans la communauté nationale d'éléments allogènes qui n'y
étaient pas définitivement établis et, un certain nombre d'options éven-
tuellement manifestées par des aborigènes en faveur de la nationalité de
l'Etat prédécesseur. Il semble toutefois que les nouveaux législateurs
d'Afrique soient largement parvenus à ces fins comme en attestent les
codes africains de la nationalité en
général et, la législation sénégalaise
en la matière en particulier.
217
Paragraphe J
LES CODES AFRICAINS
Les codes africains ont consacré dans une large mesure la solution de
l'application im~édiate de leurs dispositions (106) en combinant, pour la
détermination des nationaux, le critère de la naissance sur le territoire et
celui de la filiation. La plupart de ces codes ont ainsi retenu pour leur
(106) - On aurait pourtant pu s'attendre à ce que le législateur africain,
intervenant dans la quasi généralité des cas bien après l'indépen-
dance des nouveaux Etats, fît rétroagir à la date de leur accession
à la souveraineté internationale, les lois qu'il élabora pour définir
et orgnaniser les nouvelles nationalités africaines, comme ce fut
le cas pour ie Congo: art. 98, lui n° 35-61 du 20 juin 1961, JO
Congo 1er juillet 1961 et décret du 29 juin 1961 relatif à l'applica-
tion du Code de la nationalité; le Gabon: art. 1er et 10, loi nO 89-
61 du 2 mars 1962, JO Gabon, 14 mars 1962, n° spéc., pp.250 et s.
et décret d'application du 2 mars 1962, ainsi que les textes modifi-
catifs suivants: ordonnances du 24 juin 1965 et du 17 juillet 1968,
loi du 4 juin 1973, loi du 5 juin 1976 et ordonnance du 6 février
1980; Madagascar: art. 1er et 90, ord, n° 60-064 du 22 juillet 1960,
JO Madagascar, 30 juillet 1960, pp. 1305 et s. ; le Tchad, dans ses
deux codes successifs: art. 4, loi n° 31.60 du 27 février 1960, JO
Tchad 15 mai 1961 et décret n° 164 du 28 sept. 1961 ainsi que l'art.
1er de l'Ordo n° 33 du 14 août 1962, JO 1er sept.1962 (texte qui
abrogea et remplaça les deux premiers) ; La Haute-Volta (deve-
nue le Burkina Faso) : art. 120 à 133, loi nO 50-61 du 1er dec. 1961,
JO Haute-Volta, 23 décembre 1961, décret n° 42 du 1er février
1962, JO 5 mai 1962, ordo du 30 août 1971 modifiant les art. 44 et
45 du Code de la nationalité et le décret du 28 octobre 1974 modi-
fiant le décret du 19 avril 1962 portant application du Code; enfin
le Togo: art. 72, loi n° 61-18 du 25 juillet 1961,10 Rép. togolaise,
n° 169, 16 août 1961, p. 514, Ordo du 22 mars 1971 et ordo du 7 déc.
1978 portant Code de la nationalité; la rétroactivité prévue dans
218
application la date de leur publication ou de leur entrée en vigueur subsé-
quente (107).
le code togolais semble ici confirmer la thèse de l'existence, anté-
rieurement à l'accession à l'indépendance du territoire togolais
sous tutelle, d'un certain "degré de nationalité" de ses propres res-
sortissants. Cette même raison invite à citer dans ce cadre Je code
camerounais qui, bien que publié avant l'accession du Cameroun
à l'indépendance, le 1er janvier 1960, prévoit son application à
partîr du jour de sa publication: art. 45 et 46, ordo n° 59-66 du 26
nov. 1959 JO Cameroun, 12 déc. 1959, décret d'application n°
59.286 du 31 déc. 1959, JO Cameroun, 10 février 1960, loi du Il
juin 1968 portant Code de la nationalité, décret du 16 déc. 1968
fixant application du Code et arrêté interministériel du 8 août'
1969 relatif au décret du 26 déc. 1968.
(107) - JI en va ainsi du Code centrafricain: art. 102, loi 61-212 du 27 mai
1961, JO Rép. centrafricaine du 1er juin 1961, erratum JO, 27 mai
1961 et autres textes ultérieurs: loi du 2 déc. 1964 modifiant cer-
tains articles du code, ordo du 30 août 1966 modifiant le code et
l'ordo n° 70/71 du 2 oct. 1970; du code guinéen: art. 142, ordo n°
011 du 1er mars 1960, décret d'application du 25 janvier 1962, JO
Guinée, 1er mars 1962, p. 59 ; de la Côte d'Ivoire: art. 105, loi n°
61-415 du 14 déc. 1961, JO Côte d'Ivoire 20 déc. 1961 modifiée le
7 oct. 1964 ; du Mali: art. 1er, ordo n° 55 du 24 nov. 1960, JO Mali,
15 déc. 1960, p. 986, abrogée et remplacée par la loi n° 62.18 du 3
février 1962 portant Code de la nationalité, JO, 1er mars 1962
(art. 68) ; de la Mauritanie: art. 70, loi n° 61-112 du 12 juin 1961,
JO Mauritanie n° 62, 13 juin, pp. 242 et S. ainsi que deux lois
modifiant le code: loi du 23 janvier 1973 et loi du 30 juillet 1973 ;
du Niger: art. 57, loi n° 61.26 du 12 juillet 1961,10 Niger édition
spêciale 1961, décret d'application n° 62.130 du 28 mai 1962, JO,
219
Toutefois la combinaison dans ces codes, des critères de la naissance
et de la filiation n'a pas été sans soulever quelques difficultés pour ce qui
concerne l'application de la règle'dujus sanguini. Il semble en effet diffici-
le de concevoir que la nationalité de l'Etat nouveau puisse être transmise
à un individu par un ascendant qui, en principe, ne la possédait pas avant
l'établissement du nouveau code ou l'indépendance du nouvel Etat.
Les législateurs africains ont en général tenté de résoudre cette diffi-
culté en faisant fictivement refluer la nouvelle nationalité à la génération
précédente. Il s'y ajoute une tendance répandue en Afrique à étendre la
nationalité nouvelle aux mariages mixtes antérieurs à son établissement.
Il appartenait dès lors aux législateurs africains de tempérer le carac-
tère quelque peu expansif des nouvelles nationalités par le moyen d'op-
tions transitoires de nationalité intégrant une faculté de répudiation du
nouveau lien national. Le législateur africain ne s'est pourtant pas montré
particulièrement libéral à cet égard, craignant sans doute que, par un effet
inévitable d'attraction, la nationalité de l'Etat prédécesseur ne prive l'Etat
nouveau d'une part importante de son patrimoine humain.
L'option négative n'est ainsi ouverte, sauf dans quelques rares excep-
15 juin 1962, p. 228 ; du Sénégal, voir infra, et du Dahomey (Bé-
nin) : loi portant Code la nationalité dahoméenne promulguée le
23 juin 1965 et publiée le 1er août 1965.
220
tions, qu'aux seules femmes étrangères ou africaines engagées, avant la
promulgation des nouveaux codes africains, dans des liens de mariages
mixtes (lOS). Cette faculté ainsi ouverte par le législateur africain de dé-
cliner ou de répudier librement la nationalité du nouvel Etat devait cepen-
dant généralement s'exercer dans le délai d'un an (109). Elle est toutefois
écartée par le code gabonais qui ne la retient que dans le seul cas des
personnes nées hors du Gabon tout en y étant domiciliées au moment de
son accession à l'indépendance (110) et par le code tchadien qui ne la
consacre qu'au profit des enfants de "souche eurafricaine" nés avant l'in-
dépendance du Tchad et considérés comme tchadiens en vertu du nouveau
code (111). Le code guinéen se montre à cet égard particulièrement res-
(lOS) - Il en va ainsi des codes camerounais (art. lS al. 3 et art. 33), centra-
fricain (art. 99 et 100), ivoirien (art. 101 et 102), malien (art. 71 et
73), mauritanien (art. 71 et 72), nigérien (art. 59 et 60) et togolais
(art. 73 et 74).
(109) - Ce délai est réduit de moitié dans le code ivoirien, comme dans le
code camerounais pour ce qui concerne ici la femme étrangère
ayant épousé un ressortissant camerounais alors que le code con-
golais le porte à un an et demi et que celui de la Guinée le limite à
1 mois (art. 141 du code).
(110) - Cette faculté résulte, a contrario, de l'obligation faite à ces person-
nes de confirmer dans l'année qui suit la promulgation du code
qu'elles entendent maintenir leur domicile au Gabon (art. la, 1°
du code).
(111) - L'intéressé pourrait opter pour la nationalité de son auteur certain
221
trictif en n'ouvrant la possibilité de décliner la nationalité guinéenne
qu'au bénéfice de la femme étrangère épouse d'un ressortissant guinéen.
En revanche, le législateur congolais, tout en ne réservant cette faculté,
dans l'hypothèse des mariages mixtes, qu'à la seule femme étrangère, pré-
voit en outre l'extension du droit de répudiation à plusieurs autres catégo-
ries de personnes (112). Le droit d'option négative d'enfants nés de pa-
rents étrangers est également consacré par les législateurs béninois (113)
et burkinabé (voltaique) (114) ainsi que dans une moindre mesure, par le
législateur
ou présumé de souche européenne, un an après la promulgation
de l'ordonnance du 14 août 1962 ou un an après avoir ultérieure-
ment atteint l'âge de dix-huit ans.
(112) - Le code congolais vise ainsi l'enfant né d'un seul parent congolais,
l'enfant né au Congo, de parents inconnus ou dont l'un des au-
teurs est né au Congo (art. 9) et les individus nés au Congo de
parents étrangers et pouvant, sous certaines conditions décliner la
nationalité congolaise dans l'année qui précède leur majorité (art.
20 et 21).
(113) - Loi na 65.17 du 23 juin 1965 portant code de la nationalité daho-
méenne, JO Dahomey na 17 du 1er août 1965, p. 648. Rectif. JO na
21 du 1er oct. 1965 p. 828; décret na 272 PCMJL du 11 août 1965
fixant les modalités d'application du code de la nationalité, JO n°
18 du 15 août 1965 p. 701.
(114) - Loi na 50-6l-AN du 1er déc. 1961, art. 16, 33 et 131.
222
malien (115). Enfin le législateur burkinabé semble avoir été le seul à
conférer le droit de décliner la nationalité du nouvel Etat à l'enfant né
d'une mère native du territoire de cet Etat (116).
Confronté à des problèmes de même nature, le législateur sénégalais
a cherché à les résoudre en consacrant à son tour le droit d'option.
Paragraphe II
LE CODE SENEGALAIS
En matière de succession d'Etats, la loi sénégalaise sur la nationalité
(117).
(115) - Le code malien ne retient à cet égard que le cas de l'enfant légitime
ou naturel dont seul l'un des parents possède la nationalité ma-
lienne (art. 72).
(116) - Articles 21 et 131 du code.
(117) - Loi n° 61-10 du 7 mars 1961, JO RS, 15 mars 1961. Celte loi ne
constitue pas en réalité un véritable "code de nationalité sénéga-
laise". Elle ne contient en effet que des règles essentielles de la
nationalité dont l'organisation s'est poursuivie dans des textes ul-
térieurement adoptés, en particulier dans la loi n° 67.77 du 28 fév.
1967 modifiant les articles 12 et 16 de la loi n° 61.10 du 12 mars
1961, JaRS., n° 3888 du 17 avril 1967, p. 577 ; la circulaire prési·
dentielle n° 104 PR-SG-JUR. du 14 juin 1967 relative à l'applica-
tion de la loi n° 67.17, JaRS, n° 3958 du 29 avril 1968, p. 502. La
loi n° 70-27 du 27 juin 1970 abrogeant et remplaçant l'article 21 de
223
"aurait pu permettre assez largement l'exercice d'une op-
tion en faveur de la nationalité française ou de toute na-
tionalité étrangÙe au profit de ceux qui n'entendaient
pas devenir sénégalais" (118).
Cette remarque qui pourrait au demeurant, s'appliquer à la plupart
des législations africaines relatives à la nationalité, repose sur le double
fait de l'inexistence d'une nationalité sénégalaise véritable dans le passé
(119) et d'une définition, par la loi de 1961, d'une nationalité sénégalaise
la loi n° 61.10 du 7 mars 1961, lORS. n° 4112 du 18 juillet 1970,
p.685 ; la loi n° 70.31 du 13 oct. 1970 modifiant et complétant les
articles 2,7 et 22 de la loi 61.10, lORS n° 4127 du 19 oct. 1970,
numéro spéc., p. 1005 et la loi n° 84.10 du 4 janv. 1984, modifiant
la loi 61.10, lORS, n° 4984, numéro spéc. p. 13.
(118) - I-e. GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succession d'Etats au
Sénégal" AFDI, 1962, p. 855.
(119) - On relève cependant dans le rapport de présentation du projet gou-
vernemental relatif à la loi sur la nationalité sénégalaise l'affir-
mation selon laquelle: "Ce n'est pas parce que le Sénégal est
indépendant que l'on définit une nationalité sénégalaise, mais
c'est parce qu'il y avait des sénégalais que le Sénégal est devenu
indépendant si bien qu'en réalité il ne s'agit pas de "naturaliser"
brusquement la population mais de définir une nationalité pré-
existante par le moyen de critères qui trouvent leurs racines dans
le passé et dans leurs attaches au Sénégal". On a d'ailleurs pu
trouver dans une telle affirmation, l'expression d'une intention
bien nette du législateur sénégalais de rejeter l'idée d'une succes-
sion de nationalités (V.R. DECOTTIGNIES et M. BIEVILLE, Les
nationalités africaines, précité, p. 44). Mais une telle intention, si
224
essentiellement conçue par rapport au jus soli (120).
La Constitution de la fédération du Mali avaitàcel égard disposé que
"la loi fédérale fixe les règles concernant la nationalité... " (121). Mais cette
loi n'intervint jamais et il revint au législateur sénégalais de définir la
nouvelle nationalité sénégalaise bien après l'éclatement de la Fédération.
En considérant, dans son article premier qu'''est Sénégalais tout indi-
vidu né au Sénégal d'un ascendant au premier degré qui y est lui-même
né", la loi du 7 mars 1961 consacre essentiellement le critère du lieu de
naissance qui, en l'absence d'une faculté d'option largement ouverte aux
populations, enserre dans le corset d'une allégeance nouvelle et subite des
situations et des velléités les plus diverses.
l'on devait admettre qu'elle existe, a surtout manqué d'être reflé-
tée dans le code sénégalais qui, comme nombre de codes africains,
dispose que la nouvelle loi sur la nationalité n'est pas applicable
que du jour de sa promulgation.
(120) - Voir Kéba MBAYE, "L'attribution de la nationalité "jure soli" et
l'option de nationalité dans la loi sénégalaise du 7 mars 1961",
Penant, 1961, pp. 347 et s., spéc. pp. 348-351.
(121) - Article 35 de la loi constitutionnelle n° 60.11 du 18 juin 1960 "modi-
fiant les dispositions de la constitution de la Fédération du Mali",
JO Féd. Mali, 25 juin 1960 p. 405.
225
Cependant la loi sénégalaise ne prévoit que de rares cas d'options
transitoires permettant aux personnes qui le désireraient, de décliner la
nouvelle nationalité.
Ce droit d'option n'est ainsi reconnu qu'à la femme étrangère ayant
épousé un sénégalais et qui veut conserver la nationalité que sa loi person-
nelle lui permet de garder (122) et, à la femme sénégalaise qui a épousé
un étranger dont la loi nationale autorise la femme à prendre la nationali-
té de son mari et que cette dernière veuille acquérir cette nationalité
(123). L'option ainsi ouverte aux femmes mariées antérieurement au Co-
de, ne peut être exercée que dans le délai d'un an. La loi sénégalaise reste
à cet égard toute proche des codes africains qui ont prévus de semblables
cas d'option.
(122)
Article 33 de la loi déterminant la nationalité sénégalaise.
(123)
Article 34 de la même loi.
226
Conclusion du Chapitre III
La succession d'Etats en matière de nationalité telle qu'elle résulte,
pour les nouveaux Etats africains, de leur accession à ['indépendance, im-
plique en principe la substitution, en rapport avec le territoire et la popu-
lation de ces Etats', de la nationalité de l'Etat "successeur" à celle de l'Etat
prédécesseur.
Mais la portée du principe de la table rase ainsi défini se heurte à des
limites aussi bien pratiques que juridiques.
En effet, tout en demeurant libre d'établir ou d'épanouir sa propre
nationalité en remplacement de celle de l'Etat prédécesseur, l'Etat nou-
veau s'aménage dans la pratique, grâce aux règles d'acquisition de sa na-
tionalité, la possibilité de déterm;ner par admission et exclusions les con-
tours de son patrimoine humain.
Sur le plan juridique, l'institution du droit d'option formellement pro-
clamée par la quasi-totalité des législations nationales africaines constitue
une véritable limite au principe de la table rase. Cette limite a trouvé une
large consécration dans la pratique des Etats "successeurs" comme dans
celle des Etats prédécesseurs ainsi que dans le droit général de la succes-
sion d'Etats.
227
CONCLUSION
DE LA PREMIERE PARTIE
La substitution de souveraineté intervenue sur le territoire d'un
Etat accédant à l'indépendance implique, selon le principe de la table
rase, le remplacement de l'ordre juridique interne de l'Etat prédéces-
seur par celui de l'Etat nouvellement indépendant.
Cette substitution d'ordres juridiques concerne l'ordre législatif,
l'ordre juridictionnel et la nationalité.
Mais autant les Etats nouvellement indépendants, notamment
ceux d'Afrique, ont dans l'ensemble réaffirmé, dans leur pratique, leur
libre volonté de substituer leur nouvel ordre juridique à celui de l'an-
cienne métropole, autant ces Etats ont-il admis l'existence d'une limi-
te d'ordre pratique à l'application du principe de la table rase en amé-
nageant une certaine continuité, même provisoire, dans l'application
de la législation ancienne et dans l'administration de la justice. En
matière de nationalité, cette limite d'ordre pratique qui, en l'occur-
rence, correspond au souci du nouvel Etat de protéger son propre pa-
trimoine humain, se double d'une limite d'ordre juridique reconnue
dans l'institution du droit d'option.
Cette double affirmation de rupture et de continuité se trouve
consacrée dans la pratique des Etats concernés par la succession
d'Etats, aussi bien au travers de solutions unilatérales que dans le
recours à des règlements conventionnels.
228
L'examen du principe de la table rase ne s'absorbe pas dans la
seule étude de la succession à l'ordre juridique interne (tome 1 de la
thèse). Il doit se prolonger et se compléter par l'étude du principe
dans le cadre de la succession à l'ordre juridique conventionnel. Cette
étude sera l'objet de la seconde partie de cette thèse (tome II).
FlN DU TOME J
,1
UNIVERSITE DE PARIS r - PANTHEON - SORBONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES
SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
DECOLONISATION ET SUCCESSION D'ETATS
EN AFRIQUE
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA
SUCCESSION A L'ORDRE JUR~PIQUE
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pour le Doctorat d'Etat en DrOlt
.
Présentée et soutenue
par
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1 CONSEIL AFRiCAIN ET MALGACHE'
Cheikh Tidiane THI1I1oUR L'ENSEIGNEMENT SUf'~R:.EUï:
1 C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOL'
Arrivée .19 .MAI. 1~95
.
j Enrc_gisl~~ sous n" # 0 {) l'61'
JURY:
Président : Pierre- François GONIDEC
Professeur Emérile de l'Université de Paris 1
Suffragants: T, BEN SAlAH
Professeur à l'Univcrsilt de Bretagne Occidentale
A
BOURG!
Maître de Conférences à l'Univcrsilé de Reims
J. BRUYAS
Chargé de Cours Titulaire Honoraire à l'Université de Paris 1
J.·P. QUENEUDEC
Professeur à l'Université de Paris 1
TOME II
Juin 1989
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229
"Il s'ugit dc discerner lil'ee suffisumment de clarté dafls qrlcf/e mesure la
/JrQrifjllc [radllil simplement ul/e politiql/e cl dalls quelle mesure ct sur
qucls points elle rrut/Ilil /lI1 droit ou Ifne obligatioll juridiques" (1).
Considérée comme "l'un dcs aspects les plus difficiles des effets des
transformations territoriales sur l'ordonnancement juridique" (2), la suc-
cession aux traités n'offre pas seulement, dans la pratique, un vaste champ
de solutions les plus variées, mais peut susciter chez le juriste quelque
hésitation quant à la manière de l'aborder sur le plan théorique (3). La
(1) - Sir Humphrey WALDOCK, "Premier rapport sur la succession
d'Etats et de Gouvernements en
matière de
traités", Doc.
A/CNA/202, ACDI, 1968, vol. Il, p. 88.
(2) - Ch. ROUSSEAU, Droit international public, précité, p.484. Sir H.
WALDOCK avait fait observer, dès le début des travaux de la
COI sur la matière, qu'il s'agissait d'un sujet des plus difficiles",
ACDI, 1963, vol. l, p.207. De même M. RAMANGASOAVINA,
membre de la Commission, soulignait son "extrême difficulté" lors
de la 967e séance de la COI tenue en juillet 1968.
(3) - La bibliographie relative à la succession d'Etats en matière de traités
est proprement pléthorique. Il conviendra de n'en donner ici
230
question fut même posée de savoir s'il ne valait pas mieux considérer les
solutions préconisées en matière de succession aux traités comme consti-
qu'un aperçu sommaire. Voir Ch. ROUSSEAU, Droit international
public, précité, t.IIl, pp. 483 et s.; J.H.W. VERZlJL, International
Law in Historical Perspective, précité, vol VII,
pp. 114 et s., 170
et s., D.P. O'CONNELL, State succession in Municipal Law and
International Law, vol Il, International Relations, Cambridge,
Cambridge University Press, 386p.; SEL OSSE, Traité de l'annexion
au territoire français et de son démembrement, Paris 1880; LARRI-
VIERE, des Conséquences juridiques des transformations territoria-
les des Etats sur les traités, Paris 1892; KIATIBIAN, Conséquences
juridiques des transformations territoriales des Etats sur les traités,
Paris 1892; KEITH, The citem)' of state succession wirh special refe-
rence to english colonial law, London, 1907; HERSHEY, "The
succession of States", AJJL,1911,pp.285 et s.; AUDIN ET, "An-
nexion et démembrement de territoire", Revue de droit international
et de droit pénal international, 1914, pp 567 et s.; MILANOVICH,
Les changements de souveraineté par mutation territoriale et leurs
effets juridiques en matière de législation, de juridiction et de traités,
Genéve,
1920;
CAVAGLIERI,
"Effets juridiques
des
chan-
gements de souveraineté territoriale", Rev. de droit internat. et de
législ. comparée, 1934, pp 219 et s.; UDINA, "La succession des
Etats quant aux obligations internationales autres que les dettes
publiques". RCAD/, 1933, l, pp.669 et s.; DROST "Le problème de
la succession en matière d'obligations juridiques des Etats", Rev.
de droit internat. et de Législation comparée, 1939, pp.700 et s.; M.
JONES "State succession in the matter of treaties", BY/L, 1947,
pp.360 et s.; LERICHE "Aspects formels de la succession des obli-
gations résultant des traités dans le cas d'un nouvel Etat", Revue
de droit international pour le Moyen-Orient, 1951, pp. 105 et s.; E.
CASTREN, "Aspects récents de la succession d'Etats, RCADJ,
231
tuant une partie non autonomc du droit dcs traités (4).
Il semble cependant quc ni l'cmpirismc d'unc partie de la doctrinc ra-
1951, I, pp. 385 et s.; JENKS "State succession to law making trea-
ties", BYIL, 1952, pp.105 et s.; BARTOS, "Les nouveaux Etats et
les traités internationaux", Jugoslavenska Revija zu médunarodno
pravo, 1962, pp. 760 et s.; D.P, O'CONNELL, "Independance and
State succession to treaties", BYIL, 1962, pp.84 et s.; "Independen-
ce and problems of State succession '; The new Nations in Internatio-
nal Law and diplomacy, edited by O'Brien, London, 1965 et "Re-
cent problems of State succession in relation to new States",
RCADI, 1970, t II, vol. 130, pp 95-206; H. COURSIER, "Accession
des nouveaux Etats africains aux Conventions de Genève", AFDI,
1961, pp. 760 et s.; Ivan A. SHEARER, "La succession d'Etats et
les traités non localisés", RGDIP, 1964, pp 5-59, A.G. MOCHI
ON ORY, "Les aspects récents du problème de la succession aux
traités" RGDIP 1968, pp. 565 et s.; F. Ch. OKOYE, International
Law and the new african States, london, Sweet and Maxwell, 1972,
255 p.; K. ZEMANEK, "State
succession after decolonization",
RCADI, 1965, t.1II, vol 116, pp. 181 et s., spéc.pp. 213 et s.; M.K.
YASSEEN, "La convention de Vienne sur la succession d'Etats en
matière de traités", AFDI, 1978, pp.59 et s.; R. DEGNI-SEGUI,
La succession d'Etats en Côte d'Ivoire, thèse, précité, pp. 139-239;
A. GONCALVES PEREIRA, La succession d'Etats en matière de
traités, Paris Pédone, 1969; Z. MERIBOUTE, La codification de la
succession d'Etats aux traités,
Décolonisation,
secession; uni-
fication, Paris, PUF, 1984.
(4) - Sir Humphrey WALDOCK, Premier rapport sur la succession d'Etats
et de Gouvernements en matière de traités, Doc. A/CNA/ 202,
ACDI, 1968, vol.II, p.90.
232
menant le problème de la succession aux traités à celui de simples cas
d'espèce, ni les constructions doctrinales a priori conduisant au rejet de
toute
succession,
ou,
,au contraire, à l'admission sans nuances
d'une succession générale et de plein droit, ne constituent une approche
adéquate pour saisir et ordonner la diversité des solutions connues.
Sir Humphrey WALDOCK faisait remarquer à cet égard, dans son
Premier rapport sur la succession d'Etats en matière de traités que :
"La pratique moderne fait apparaître une diversité consi-
dérable tant en ce qui concerne les situations ayant soule·
vé des questions de succession que pour ce qui est des
solutions adoptées. En raison de la diversité des solutions
il est difficile de fonder cette pratique sur un quelconque
principe fondamental en matière de 'succession' dont
l'application conduit nécessairement à une solution logi-
que donnée dans chaque cas particulier. Le fait que l'on
trouve dans les écrits des juristes un certain nombre de
théories différentes de la succession ne facilite pas les
choses. Si la Commission devait adopter l'une quelconque
de ces théories, il ne fait quasiment aucun doute que cel-
le-ci se révélerait une véritable camisole de force dans
laquelle on ne saurait situer la pratique suivie par les
Etats, [es organisations et les dépositaires, sans déformer
outre mesure soit la pratique, soit la théorie" (5).
(5) . Ibid., p. 90. Certes conviendrait-il de ne pas trop exagérer la portée
de cette opinion du rapporteur spécial de la Commission pour la
233
L'examen de la pratique des anciennes colonies françaises d'Afrique
révèle il cet égard, en dépit des déclarations et prises de position de princi-
pe de non-continuité ou de rupture appelées par le besoin bien compris
d'affirmation de l'autorité souveraine du nouvel Etat dans la conduite de
ses relations extérieures et traduisant ainsi une adhésion certaine au prin-
cipe de la table rase, une tendance notable à la continuité dans la prati-
que; tendance au demeurant limitée par le rejet d'engagements internatio-
naux fortement marqués par leur caractère politique et par le souci des
nouveaux Etats de préserver parfois des liens particulièrement avanta-
geux.
Il semble convenir dès lors, afin de mieux éclairer notre étude et notre
appréciation de la pratique successorale des Etats africains (chapitre II),
de souligner auparavent le sens et la portée de la codification et du déve-
loppement récents du droit international dans le domaine de la succession
aux traités singulièrement en ce qui concerne les Etats nouvellement indé-
pendants (Chapitre 1).
succession d'Etats en matière de traité, ancien rapporteur spécial
pour le droit des traités qui, dans ses premiers travaux considérait
que la question de la succession devait être abordée du point de
vue du droit des traités plutôt que dans le cadre général de la
succession d'Etats. Opinion défendue du Premier au Cinquième
Rapport (1968-1972) sans être jamais partagée ni par la Sous-
Commission créée par la Commission du Droit International en
1962, ni par cette dernière, ultérieurement.
CHAPITRE 1·
CODIFICATION ET DEVELOPPEMENT
DU DROIT DE LA SUCCESSION
AUX TRAITES
235
Il importe dans l'élu<Je <Je la co<Jification et du <Jéveloppement <Ju
<Jroit <Je la succession aux traités <J'évoquer le processus relativement com-
plexe par lequel a été élaboré le Projet <Je convention préparé par la Com-
mission <Ju Droit international afin, non seulement <Je faire ressortir la
longue maturation <Jes régies réunies <Jans le Projet, mais surtout <Je sou\\i-
gner la part active prise par les Etats <Jans la réaffirmation ou l'élabora-
tion <Jes régies successorales aux <Jifférents sta<Jes d'évolution de ce Projet
(Section 1).
La nature et la portée du Projet méritent dès lors d'être précisées de
manière à révéler la nature des régies qu'il pose ainsi que leur valeur juri-
dique afin de faire apparaître la volonté <Je l'ensemble des Etats <Je parve-
nir à faire adopter par la Communauté internationale u ne convention obli-
gatoire consignant des règles appelées à s'intégrer au droit positif plutôt
qu'un document recomman<Jatoire à la mesure des codes de bonne condui-
te (Section II).
Les règles successorales ainsi codifiées ou developpées comportent
des réponses aux problèmes spécifiques soulevés par les successions ou-
vertes par décolonisation. Dès lors, l'étude de ces règles (Section III) de-
vrait aider à mieux éclairer j'examen de la pratique successorale des nou-
veaux Etats et, en particulier, des Etats Africains.
236
SECTION 1
GENESE DU PROJET DE LA COMMISSION
DU DROIT INTERNATIONAL
Lorsque la Commission du Droit International (CDI) décidait en 1963
de scinder j'étude de la question de la succession d'Etats, inscrite dès 1949
parmi les quatorze matières choisies en vue de leur codification (6), en
trois rubriques relatives aux traités, aux droits et obligations découlant
d'autres sources que les traités et à la qualité de membres des organi-
sations internationales, la doctrine demeurait encore particulièrement
marquée par sa profonde diversité.
(6) - On peu t brièvement rappeler que c'est lors de sa première session
tenue en 1949 que la CDI a retenu la "succession d'Etats et de
gouvernements" parmi les matières à codifier sans toutefois don-
ner la priorité à son étude. L'Assemblée générale des Nations
Unies recommanda ensuite à la CDI, dans sa résolution 1686
(XVI) du 18 décembre 1961, d'inscrire sur la liste de ses travaux
prioritaires la question de la succession d'Etats et de gouverne-
ments. La Commission constitua une Sous-Commission "chargée
de formuler des suggestions sur la portée du sujet, sur la manière
137
Certes une évolution s'esquissait déjà au niveau de la CDr en direc-
tion d'une plus nette distinction entre succession d'Etats et succession de
gouvernements et vers la nécessité de privilégier l'étude de la succession
d'Etats.
Toutefois une telle évolution ne semble pas avoir débouché, au début
des années soixante, sur une claire reconnaissance de l'urgence d'une co-
dification des régies relatives à la succession d'Etats. Cette urgence, mo-
d'en aborder l'étude et sur les moyens de réunir la documentation
nécessaire". A l'issue de ses réunions tenues à Genève du 17 au 25
janvier et le 6 juin 1963, la Sous- Commission exprima ses conclu-
sions et recommandations dans un rapport soumis à la Commis-
sion qui l'approuva à l'unanimité lors de sa quinzième session te-
nue la même année (Rapport reproduit à l'annexe II du rapport
de la CDr à l'Assemblée générale pour l'année 1963 et compre-
nant un rapport de Manfred LACHS, Président de la Sous-Com-
mission, les comptes-rendus analytiques des séances de la Sous-
Commission, ainsi que les mémoires présentés par MM. T.O.
ELlAS, A.H.TABIBr, S.ROSENNE, E.CASTREN, M.BARTOS
et LACHS, tous membres de la Sous-Commission, voir, ACDI,
1963, vol.U, pp. 271 et s.) La Commission, dès cette époque, fai-
sait sienne l'opinion de la Sous-Commission selon laquelle l'ob-
jectif devrait être "l'étude et la détermination de l'état
actuel du
droit et de la pratique en matière de succession d'Etats et la pré-
paration d'un projet d'articles. sur la question eu égard aux nou-
veaux développements du droit international" et qu'il convenait
d'envisager l'étude du sujet sous les trois rubriques énoncées ci-
dessus et selon l'ordre
de
priorité proposé par
la Sous-
Commission.
238
mentanément voilée par l'état d'avancement des travaux de la Commis-
sion sur les missions spéciales et sur le droit des traités (7), a été pleine-
ment mise en évidence dès que la décision fut prise par l'Assemblée géné-
rale, dans sa résolution 2166 (XXII) du 5 décembre 1966, de convoquer
une conférence diplomatique de codification sur le droit des traités devant
se tenir en 1968 et 1969 et dont les liens avec la succession d'Etats n'ont
nullement été perdus de vue par la Commission. Cette dernière avait en
effet, déjà depuis son approbation en 1963 du rapport de la Sous-Commis-
sion sur la succession d'Etats et de gouvernements, jugé indispensable
l'établissement d'une certaine coordination entre les travaux des Rappor-
teurs spéciaux sur le droit des traités et sur la succession d'Etats (8).
(7) - La CDI préféra ainsi ne pas examiner la question de la succession
d'Etats lors de ses seizième, dix-septième et dix-huitième sessions
tenues en 1964, 1965-1966 afin de mettre à profit la partie des
mandats des membres de la CDI, qui devaient expirer en 1966, en
vue d'achever les études menées sur les missions spéciales et le
droit des traités. Ainsi, la CDI ne dut, en 1966, inscrire le sujet de
la succession d'Etats et de gouvernements qu'à l'ordre du jour
provisoire de sa dix-neuvième session prévue en 1967; voir ACDI,
1966, vol.U, p. 303.
(8) - Voir ACDI, 1974, vol.U, 1ère partie, p.167. Dans le même sens, voir la
recommandation de la Sous-Commission dans ACDI, 1963, vol.II,
p. 272. Sur les relations entre la succession en matière de traités
et le droit général des traités, voir, notamment le résumé des dé-
bats de la Commission dans ACDI 1974, précité, p. 172 ainsi que
les documents de travail présentés par M. LACHS et S. ROSEN-
239
A sa dix-neuvième session, la CD! désigna deux rapporteurs spéciaux,
Sir Humphrey WALDOCK rapporteur sur "la succession en matière de
traités" et M. Mohammed I3EDJAOUI, rapporteur sur "la succession et les
droits et obligations découlant d'autres sources que des traités", abandon-
nat ainsi "momentanément" l'étude du troisième aspect de la succession
d'Etats retenu par la Sous-Commission, à savoir, "la succession et la quali-
té de membre des organisations internationales".
La CDI considèra par la suite, lors de sa vingtième session tenue en
1968, que le deuxième aspect du problème de la succession d'Etats, à sa-
voir "la succession et les droits et obligations découlant d'autres sources
que des traités" exigeait, du fait de sa diversité et de sa complexité, un
certain nombre d'études préparatoires. Un tel constat ne manquera pas de
renforcer la priorité déjà retenue en faveur de l'étude de la succession en
matière de traités (9).
NE devant la Sous-Commission. Pour une critique de l'opinion de
sir H. WALDOCK (opinion selon laquelle le sujet de la succes-
sion d'Etats devrait être abordé du strict point de vue du droit des
traités), voir le document de travail présenté par E. CASTREN
devant la Sous-Commission, A CDJ, 1963, vol.U, p. 301, ainsi que
le Rapport de la CDI à l'Assemblée générale en 1968, ACDJ,
1968, vol.U, p. 230.
(9) - La CDI avait ainsi souhaité terminer à l'époque, l'étude de cette
question avant l'expiration des mandats de ses membres, ibid., p.
232.
240
Sir H. WALDOCK présenta à la COI, Je 1968 à 1972, cinq rapports
sur la succession d'Etats en matière Je traités.
Le premier rapport fut examiné par la Commission lors Je sa vingtiè-
me session tenue en 1968 (10).
Le deuxième rapport présenté en 1969 (11) ne put ètre discuté lors de
la vingt- et- unième session de la Commission. Son examen eut lieu en
1970 en mème temps que celui du troisième rapport, lors de la vingt-
deuxième session de la Commission (12). Durant cette session la COI se
livra à un examen préliminaire des articles proposés par la Rapporteur
spécial (13) sans toutefois, quand au fond, prendre de décision formelle à
leur sujet.
(10) - Ce rapport préliminaire, bien qu'ayant suscité d'importants débats
au sein de la Commission notamment sur la conception et l'orien-
tation de l'étude entreprise, n'a pas été sanctionné par une "décis-
sion formelle" de la Commission qui s'est pour l'essentiel conten-
tée de prendre note de l'interprétation que le Rapporteur spécial
avait donnée de sa propre tâche, sans parvenir à se pencher sur les
quatre articles introductifs soumIs
à son examen.
(11) - ACDJ, 1969, voUI, p. 234.
(12) -ACDJ, 1970, voUI, pp 27 et s. Faute de temps la Commission n'a pu
examiner, lors de sa session de 1969, que le rapport présenté par
M. BEDJAOUI sur la succession et les droits et obligations dé-
coulant de sources autres que les traités.
(13) - Rappelons que le deuxième rapport comporte une introduction et
quatre articles relatifs à l'emploi de certaines expressions, au cas
241
Le rapporteur spécial présenta son quatrième rapport à la vingt-troi-
d'un territoire passant de la souveraineté d'un Etat sous celle d'un
autre, aux accords de dévolution et aux déclarations unilatérales
d'Etats successeurs. Ces articles étaient destinés à constituer la
première partie du Projet formée par un premier groupe d'articles
de fond énonçant des règles générales. Le troisième rapport de-
vait dès lors porter sur la deuxième partie du Projet relative aux
"nouveaux Etats". Ce rapport contient ainsi essentiellement des
dispositions concernant les traités prévoyant la participation des
"nouveaux Etats" et les règles générales régissant la position de
ces Etats vis-à-vis des traités multilatéraux.
Notons qu'à ce stade du Projet, l'expression "nouvel Etat" est en-
tendue comme devant s'appliquer au "cas du succession dans le-
quel un territoire qui faisait antérieurement partie d'un Etat exis-
tant est devenu un Etat indépendant", que cet Etat se soit consti-
tué par suite d'une secession d'une partie du territoire métropoli-
tain d'un Etat existant ou par suite de la sécession ou de l'acces-
sion à l'indépendance d'une colonie.
Le Rapporteur s'est toujours réservé la possibilité de proposer
d'autres règles différentes et applicables aux cas des nouveaux
Etats pour lesquels la succession revêtirait une forme particulière
pouvant justifier l'application de ces régies. Dans celte hypothèse
une distinction serait établie entre les principes fondamentaux ap-
plicables aux "nouveaux Etats" selon la stricte acception déjà dé-
gagée de ces termes et les règles particulières devant être appli-
quées dans certains cas de succession.
Le Rapporteur a toutefois conçu, ultérieurement, l'idée d'appor-
ter certaines modifications à la définition de l'expression "nouvel
Etat" à la lumière de l'examen de certaines catégories particuliè-
242
sième sesSIOn de la Commission tenue en 1971 (14), mais la CDI n'eut
guère le temps d'en examiner le contenu lors de cette session.
La Commission profita de sa vingt-quatrième session tenue en 1972
pour examiner, outre les deuxième, troisième et quatrième rapports, le
cinquième rapport présenté à cette session et destiné à compléter ['ensem-
ble des propositions d'articles déjà faites par le rapporteur spécial (15).
res de succession; voir, dans le rapport de la CD! à l'Assemblée
générale pour l'année 1974, le passage rédigé par le Rapporteur
spécial sur l'état d'avancement des travaux de la Commission en
matière de succession aux traités, ACDJ, 1974, voU!, 1ère Partie,
p. 359.
Observons enfin, que le texte des projets d'articles présentés et
commentés dans le cadre du troisième rapport contient également
des dispositions destinées à compléter l'article 1er du projet d'ar-
ticles relatif aux expressions employées; voir ACDJ, 1970, vol.U,
p. 30, parag. 8-11.
(14) -ACDJ, 1971, voU!, 1ère Partie, pp. 151 et s. Ce rapport contient cinq
nouveaux articles contenant des régIes générales relatives à la
succession des "nouveaux Etats" aux traités bilatéraux ainsi qu'une
disposition supplémentaire relative aux "expressions employées".
(15) - Le cinquième rapport traite des règles applicables à des catégories
particulières de succession et de traités dits "de disposition" ou à
effets "localisés" ou "territoriaux" et contient ainsi sept nouveaux
articles, ACDJ, 1972, voUl, pp. 1 et s.
243
L'ensemble des dispositions contenues dans cinq rapports fut soumis
au Comité de Rédaction de la Commission qui élabora le texte de certai-
nes dispositions générales et fit plusieurs rapports à la COI qui, à la 1197e
séance de la même session adopta en première lecture un Projet provisoi-
re sur la succession d'Etats en matière de traités.
La COI décida également lors de la session de transmettre ce projet
d'articles provisoire aux gouvernements des Etats membres de l'Organisa-
tion des Nations Unies pour observations. Elle dut en outre désigner Sir
Francis VALLAT pour remplacer Sir H. WALDOCK qui, élu à la Cour
Internationale de Justice, devait démissionner de ses fonctions de membre
de la COI.
La COI fut ainsi saisie à sa vingt-sixième session tenue en 1974, une
nouvelle fois, du Projet d'articles provisoires et, du premier rapport du
nouveau Rapporteur spécial (16). Elle examina lors de cette session le
(16) -ACDJ 1974, voUI, 1ère Partie, pp. 1 et s. Ce dernier rapport reprend
dans l'ensemble le contenu du Projet d'articles provisoire. Son
auteur considéra en effet qu'''il est indubitable que le projet d'ar-
ticles a, dans l'ensemble recueilli l'aggrément de l'Assemblée et
que, si la teneur générale devait en être radicalement modifiée,
l'adoption définitive de ce texte par la communauté internationa-
le tout entière en serait vraisemblablement gravement compromi-
se", ibid., p. 3. Aussi devait-il judicieusement noter qu'''il faudra
tenir dûment compte des considérations touchant au droit et à la
pratique et veiller à en assurer la compatibilité avec la nature et
les caractéristiques de l'ensemble du
projet d'articles ainsi
244
rapport de sir F. VALLAT incluant le Projet d'articles provisoire ainsi que
les rapports du Comité de rédaction, avant d'adopter à sa 1301< séance, en
deuxième lecture ct à la lumière des commentaires et observations présen-
tés, le texte définitif du Projet d'articles sur la succession d'Etats en matiè-
re de traités.
Ce projet final d'articles a été de nouveau présenté, par le biais du
Secrétaire Général des Nations Unies, aux Etats membres de l'Organisa-
tion aux fins de recueillir leurs obscrvations écrites et commentaires avant
d'être soumis à une conférence de plénipotentiaires appelés à conclure
une convention sur la question.
Il semble à ce stade utile de souligner la nature et la portée du projet
final de la COI appelé à devenir une convention dont la finalité est de
régir la succession d'Etats en matière de traités.
La section suivante sera donc consacrée à l'étude de la nature et la
portée de ce Projet.
qu'avec les vues précédemment émises devant la CDI", ibidem.
Enfin le rapport contient, en vue de préparer son réexamen, les
résumés des observations écrites des gouvernements et les obser-
vations orales des délégations à l'Assemblée générale, ainsi que
des propositions de révision d'articles.
245
SECTION [1
NATURE ET PORTEE DU PRO ..IET
DE LA COMMISSION
DU DROIT INTERNATIONAL
Le projet final de la CO[ se présente sous la forme d'un Projet de
Convention (Sous-Section r). Mais loin d'être un projet doctrinal, oeuvre
d'un comité restreint d'experts peu soucieux des réalités de la société in-
ternationale, ce Projet de convention a fait l'objet, à différents niveaux,
des plus larges discussions avec les acteurs internationaux intéressés
(Sous-Section II). Il se révéle enfin comme un Projet qui ticnt amplement
compte de la pratique de ces acteurs et essentiellement des Etats (Sous-
Section III).
Sous-Section r
UN PROJET DE CONVENTION MULTILATERALE
Après l'adoption de son Projet final d'articles (17), la cor avait no-
(17) - Ce projet comporte 39 articles réunies en cinq parties. Toutefois
deux autres textes ont été présentés par deux membres de la cor
246
tal1lment recol1lmandé à l'Assemblée générale, conformément à l'article
23 de son statut, de réunir une conférence de plénipotentiaires en vue de
conclure une "convention" sur la succession d'Etats en matière de traités.
Mais la décision consistant à donner la forme d'une convention au
Projet d'articles préparé par la COI n'a pas été prise sans quelque hésita-
tion.
Les discussions qui ont eu lieu au sein des divers organes de l'ü.N.U.
ont en effet permis de soulever le problème du genre d'instrument qui
serait le plus approprié pour consigner les dispositions qu'il conviendrait
d'élaborer sur la succession d'Etats en matière de traités. La question était
ainsi posée de savoir s'il fallait préférer l'établissement d'un "code de con-
duite" reposant sur des régies générales peu contraignantes ou, au contrai-
re, s'orienter vers l'élaboration d'une convention multilatérale de type
classique comportant des règles précises et destinée à lier tous les Etats
qui en deviendraient parties (18).
durant les travaux de sa vingt sixième session. Il s'agit d'un projet
d'''article 12 bis" intitulé "Traités multilatéraux de caractère uni-
versel" (doc. A/CNA/L215 et corr,l) suivi d'une note explicative
et d'un projet d'''article 32" sur le "règlement des différends". Fau-
te de temps la COI ne put examiner ces propositions mais décida
d'en reproduire le texte dans l'introduction de son rapport à sou-
mettre à l'Assemblée générale; ACD11974, précité, pp. 176-178.
(18) - Ces questions semblent se poser en préalable dans toutes les entre-
prises de codification conduites au sein de la COI sur différents
247
La CDI a finalement choisi de donner à son étude la forme d'un projet
d'articles conçu de manière à pouvoir être utilisé comme document de
base pour la conclusion d'un convention.
sujets du droit international. Elles ont été en particulier soulevées
lors de la codification et du développemet du droit des traités.
Rappelons à cet égard que la CDr n'avait pas envisagé dans son
rapport pour l'année 1959, après un premier examen du premier
rapport de sir G. FITZMAURICE sur le droit des traités, que ses
travaux eussent en la matière revêtu la forme d'une ou de plu-
sieurs conventions internationales, mais plutôt celle d'un "code de
caractère général". La Commission estimait ainsi qu'il serait
mieux indiqué qu'un tel code eût une base non contractuelle et
soulignait en outre les difficultés auxquelles on ne manquerait pas
de se heurter si le droit des traités était incorporé dans une con-
vention multilatérale et si certains Etats n'en devenaient pas par-
ties ou la dénonçaient après en avoir été parties.
En 1961, la CDI changeait radicalement de position sur la ques-
tion en affirmant que "le but poursuivi" sera de préparer un projet
d'articles '"
destiné à servir de base pour une convention"
(A/4843 par.39); voir sur ces points sir H. WALDOCK, Premier
rapport, Doc. A/CN. 4/44, ACDI, 1962, vol.I1, pp 33-34. Ce point
de vue de la CDI, largement partagé par les membres de la Sixiè-
me Commission de l'Assemblée générale lors de sa dix-septième
session, fut aussi celui de l'Assemblée générale qui, dans sa réso-
lution 1765 (XVII), fit à la CDI, la recommandation de poursuivre
son oeuvre de codification en tenant compte des avis exprimés
lors de cette dernière session, Annexes, vol.I1I, point 76 de l'ordre
du jour, p.13, parag. 19).
La discussion n'en reprit pas moins au sein de la CDr à la suite
d'avis exprimés par certains gouvernements, au demeurant peu
248
Elle a en effel estimé que
"la rédaction d'un projet d'articles constituait la méthode
la plus judicieuse et la plus efficace d'étudier et de déga-
ger les règles du droit international relatif à la succession
d'Etats en matière de traités" (19)
et qu'en outre quelle que soit la portée d'un code déclaratif ou de règles
types,
"l'expérience montre qu'une convention sera problable-
ment considérée comme revêtue d'une plus grande auto-
rité et qu'elle aura donc une plus grande force de persua-
.
sIOn "(")0)
_
.
nombreux (dont celui de la Suède) mais tendant à s'interroger sur
le bien-fondé de la décision de la Commission. Cette dernière vint
à bout de ces dernières hésitations en réaffirmant fermement que
le but de son oeuvre consistait à préparer un projet unique d'arti-
cles destinés à servir de base à u ne convention. Sur ces discussion
voir les travaux de la 776e séance de la COI avec en particulier les
interventions de AGO, REUTER, EL-ERIAN, ROSENNE et
TOUNKINE, in, ACDJ, 1965, vol. l, pp. 4 et s., parag. 14 à 48.
(19) - Voir, Rapport de la Commision à j'Assemblée générale pour 1972,
ACDJ 1972, vol. II, p. 246, parag. 40.
(20) - Voir, Rapport de la Commission à l'Assemblée générale pour 1974,
ACDJ 1974, vol. II, 1ère Partie, p. 174, parag. 63.
249
L'on ne saurait toutefois perdre de vue, comme le reconnaît du reste
la COI, que l'objection majeure généralement soulevée lorsque la codifi-
cation du droit international emprunte la forme d'un convention consiste à
invoquer le droit international général en vue de rappeler qu'une conven-
tion n'est opposable à un Etat que s'il en est partie et, à partir seulement
du moment où cette qualité lui est définitivement acquise. Cette règle de-
meure en outre confortée par une autre consignée dans la convention de
Vienne sur le droit des traités (CV DT) qui dispose en son article 28 relatif
à la non rétroactivité que sauf intention contraire, "les dispositions d'un
traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à
la date d'entrée en vigueur de ce traité au regard de cette partie ... ".
Dès lors le problème de fond ici posé est celui de l'utilité d'une conven-
tion codifiant le droit de la succession aux traités, notamment pour les
Etats qui ont accédé à l'indépendance avant J'entrée en vigueur d'une telle
convention et qui, au demeurant, sont libres de ne pas en devenir parties
(21 ).
(21) - Le projet d'article affirme lui-même Ja non-rétroactivité de ses pro-
ropres dispositions. Il dispose en son article 7 que:
"Sans préjudice de l'application de toutes règles énoncées
dans les précédents articles auxquelles les effets d'une
suecession d'Etats seraient soumis en vertu du droit inter-
national indépendamment desdits articles, ceux-ci s'ap-
pliquent uniquement à l'égard d'une succession d'Etats
qui s'est produite après leur entrée en vigueur, sauf s'il en
est autrement convenu".
250
Il n'est pas malaisé de répondre à une telle question lorsqu'il faut
indiquer qu'il appartient aux Etats concernés par une succession d'Etats
survenue antérieurement à la mise en vigueur d'une convention sur la suc-
cession d'Etats de déterminer l'effet qu'une telle convention pourrait
avoir sur cette succession et, ainsi, de nuancer la portée à leur égard du
principe de la relativité des traités.
La convention signée ultérieurrement à Vienne en 1978 sur la succes-
sion d'Etats en matière de traités s'est bien nettement prononcée dans ce
sens (22).
(22) - Les dispositions de l'article 7 du Projet de convention bien qu'étant
reprises par la convention de 1978 ont été complétées par une
série d'autres régies par lesquelles sont envisagés au profit de
l'Etat successeur divers procédés destinés à corriger le principe de
la relativité des traités et qui permettent ainsi à cet Etat d'appli-
quer les dispositions de la Convention à sa propre succession et à
l'égard de tout autre Etat partie à cette Convention qui accepte
une telle application (art.7, 2e à 4e de la Convention).
Signalons toutefois que le Projet de convention comme la Con-
vention pouvaient bien, en principe, se passer de rappeler à tra-
vers les dispositions relatives à la non rétroactivité, la pertinence
d'une règle bien établie du droit international général. Mais ce
rappel était rendu nécessaire par le fait de l'insertion dans le Pro-
jet de convention de dispositions relatives à la liceité des succes-
sions d'Etats (art.6); dispositions qu'il ne convenait pas, pour des
raisons de sécurité des rapports juridiques, de rendre retroactives.
Le rappel du principe de la relativité traduit ainsi une volonté
d'inscrire à cet égard dans le Projet une véritable clause de sauve-
garde. Sur ce point voir M. K. YASSE EN, "La convention de
251
En outre la co<.lification <.les régies <.lu <.Iroit international en général
et, <.le la succession <.l'Etats en particulier, lorsqu'ellc sc réalise par le
moyen <.l'une convention largement acceptée, confère aux régies qu'elle
consacre une autorité et une valeur de référence susceptibles <.l'influencer
les solutions recherchées par un nouvel Etat aux problèmes soulevés à son
égar<.l par une succession <.l'Etats; que celle-ci soit antérieure à l'entrée en
vigueur <.l'une telle convention ou que le nouvel Etat ne soit pas formelle-
ment 1ié par cette convention (23).
Vienne sur la succeSSIOn d'Etats en matière <.le traités", AFDJ,
1978, pp. 66 à 70.
(23) - On a pu considérer à cet égard, peu avant la réunion en 1977 <.le la
Conférence diplomatique de codification, qu'une convention,
contrairement à un code déclaratif ou de règles types,
"a <.les effets importants en ce qu'elle réalise un accord
général sur la teneur du droit qu'elle codifie, et qui de-
vient ainsi le droit coutumier admis en matière",
cf, Rapport de la Commission à l'Assemblée générale, ACDI 1974,
voUI, 1ère Partie, p. 174, parag. 63, voir dans le même sens, les
observations orales des gouvernements sur la forme du Projet, in,
Doc. officiels de l'Ass. générale, vingt-septième session, Annexes,
points 85 de j'ordre du jour, doc. A/8892, parag. 50 et 51; ainsi
que les observations écrites <.lu Danemark, de la République dé-
mocratique allemande, de la Pologne et du Royaume-Uni, in,
Doc. A/CN.4/278 et Add. 1 à 6, Premier rapport de Sir F. VAL-
LAT, ACDI 1974, précité, p. la. On peut notamment relever dans
les observations écrites du Royaume-Uni que la convention de-
252
On vient ainsi d'observer que le projet de la COI a finalement adopté,
après quelques hésitations de la Commission, la forme d'une convention
multilatérale dont il convient à présent de dire qu'il s'agit d'un projet qui
fera l'objet des plus amples discussions.
SOlls-Section Il
UN PROJET AMPLEMENT DISCUTE
Avant d'être ouvert aux négociations des plénipotentiaires réunis en
conférence de codification, le Projet de convention sur la succession
d'Etats en matière de traités a été continuellement soumis à J'étude de la
COI et aux discussions de la Sixième Commission de l'Assemblée générale
meurait " le meilleur type d'instrument en l'état présent de la so-
ciété internationale", ibidem, parag. 32.
Enfin la sentence arbitrale rendue le 14 février 1985 dans l'affaire
de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la
Guinée-Bissau fournit à cet égard une illustration remarquable.
Le Tribunal arbitral a en effet, dans sa recherche du droit applica-
ble, invoqué la Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la suc-
cessIOn d'Etats en matière de traités en déclarant que :
" Les dispositions pertinentes de cette dernière conven-
tion qui n'est pas encore en vigueur et à laquelle ni la
Guinée ni la Guinée-Bissau n'ont d'ailleurs adhéré, n'en
sont pas moins tenues généralement pour l'expression de
règles coutumières du droit international",
Sentence, parag. 40 in fine, p. 25.
253
des Nations Unies impliquant tour il tour une large participation des
Etats.
L'exigence de ces
discussions trouve son fondement dans les disposi-
tions de la Charte des Nations Unies prévoyant en particulier que l'Assem-
blée générale provoque des études et fait des recommandations en vue
d'encourager le développement progressif du droit international et sa co-
dification (24).
La CDI demeura à cet égard l'instrument privilégié de l'Assemblée
générale et dut ainsi répondre, à différents niveaux, aux besoins exprimés
par les Etats et les institutions participant du système des Nations Unies
(25), de contribuer amplement à l'élaboration du droit international con-
temporain en général et, à sa codification comme à son développement
progressif en particulier.
(24) - Cf l'article 13 parag. 1 de la Charte de San Francisco qui consacra
ainsi un palliatif à l'idée vivement repoussée par les rédacteurs de
la Charte des Nations Unies, d'élever l'Organisation au rang de
législateur international. C'est sur cette base que fut créée la
Commission pour le développement progressif du droit interna-
tional et sa codification, le 31 janvier 1947, par la résolution 94 (I)
de l'Assemblée générale. Cette Commission prépara la Commis-
sion du droit international créée peu après par la résolution 174
(II) adoptée par l'Assemblée générale le 21 novembre 1947.
(25) - La CDI entretient également des relations suivies avec d'autres ins-
titutions telles que le Comité juridique inter-américain, le Comité
254
Celte contrtibution diversifiée à la réaffirmation et au développement
du droit international (26) trouve un fondement renouvelé dans les dispo-
sitions mêmes du statut de la COI concernant l'initiative des propositions
relatives au développement progressif du droit international ou li sa codi-
fication.
En effet s'agissant des propositions relatives au développement pro-
gressif, l'initiative appartient soit à l'Assemblée générale (27) soit aux
membres de l'Organisation des Nations Unies, aux autres organes princi-
paux des Nations Unies, aux institutions spécialisées ou aux organisations
officielles établies par accords intergouvernementaux (28).
En revanche la Commission conserve le pouvoir de choisir les matiè-
res à codifier sous réserve toutefois de donner priorité à toute question
juridique consultatif afro-asiatique et le Comité européen de coo-
pération juridique.
(26) - Voir sur ce point l'intéressante thèse de Patricia BUIRETIE-
MAURAU, La participation du Tiers-monde à l'élaboration du
droit international, Essai de qualification, Paris, LGDJ, 1983, 242
p., spéc. pp. 37-84 sur les mécanismes et techniques de participa-
tion à l'élaboration du droit international.
(27)
Art. 16 du statut de la Commission.
(28)
Art. 17 du même statut.
255
dont l'Assemblée générale lui demande de s'occuper (29). Celle réserve
confirme s'il en est encore besoin le contrôle étroit exercé par l'Assemblée
générale sur l'oeuvre de codification et de développement du droit inter-
national entreprise par la Commission. Elle révèle aussi, ce faisant, la part
qui revient à chacun des membres de l'ONU dans l'orientation et la con-
duite des tâches confiées à la COI.
Il convient de remarquer à cet égard que les discussions les plus ap-
profondies de l'Assemblée générale sont celles qui sont menées dans le
cadre de la Sixième Commission autour des rapports de la COI. Ces dis-
cussions sont en outre d'autant plus importantes qu'elles interviennent sur
la base de recommandations de l'Assemblée générale et qu'étant ainsi
saisie, la Sixième Commission à très tôt eu tendance à exercer des fonc-
tions de supervision des travaux de la COI. Toutefois c'est avec une grande
discrétion que la Sixième Commission exerce de telles fonctions, préférant
ainsi aménager une assez large autonomie au profit de la COI (30).
(29) - Art. 18 du statut.
(30)
Voir, Assemblée générale. Doc. officiels, 6e Commission, 7e ses-
sion, 1952, 315e
séance. La Sixième Commision est en effet com-
pétente pour donner des directives à la COI précise ment lorsqu'il
lui est revenu de confier à cette dernière l'étude de tel ou tel
sujet, ou d'arrêter l'ordre de priorité de ses travaux ou enfin de
donner suite aux projets finals et aux recommandations de la
Commission; voir également, Yves DAUDET, "Techniques
de
codification", SFOI, Colloque de Toulouse, l'élaboration du droit
international public, Paris, Pédone, 1975, pp. 161-162.
256
L'examen des projets élaborés par la COI en matière de succession
aUK traités a toujours profité d'une semblale attention au niveau de la
Sixième Commission.
Ainsi le Projet élaboré par la COI sur la succession aux traités a été
eKaminé en profondeur par la Sixième Commission lors de la vingt-septiè-
me session de l'Assemblée générale tenue en 1972 (31). L'année suivante,
sans être pourtant saisie du Projet d'articles, la Sixième Commission dut
lui consacrer· un nouvel examen à l'occasion duquel plusieurs observations
furent émises par diverses délégations (32).
En 1973 la SiKième Commission conclut son examen du Projet par une
recommandation faite à l'Assemblée générale d'inviter les Etats membres
à présenter par écrit leurs observations concernant le Projet. Enfin un der-
nier examen de ce Projet en 1975 permit à la COI de recommander la
convocation par l'Assemblée générale d'une conférence diplomatique
(31) - La Sixième Commission examina le Projet en plusieurs séances au
cours desquelles diverses délégations firent un nombre important
d'observations. Observations réunies dans le Rapport de la Com-
mission (Doc. officiels de l'Ass. générale, vingt-septième session,
Annexe, point 85 de l'ordre du jour, doc. A/8892, sect.III, B).
(32) - Observations récapitulées dans le rapport de l'Ass. générale, vingt-
huitième session, Annexes, point 89 de l'ordre du jour, doc.
A/9334, sect.III, G 1.). Ce rapport, comme tous ceux du même
ordre qui l'ont précédé, a été soumis à l'Assemblée générale qui
l'a adopté.
257
pour un examen du Projet en vue de consigner ses résultats dans une con-
vention internationale ou dans tels autres instruments qu'elle jugerait ap-
propriés.
L'importance des discussions dont le Projet d'articles a fait l'objet, les
nombreuses
appréciations émises à son sujet par des Etats membres des
Nations Unies ainsi que le souci constant tant de la CDI que de la Sixième
Commission de tenir compte des réalités internationales dans l'accomplis-
sement de leurs tâches tendent à souligner la nécessité ressentie d'ancrer
le plus solidement dans la pratique le projet de convention en préparation.
Sous-Section III
UN PROJET ANCRE DANS LA PRATIQUE
La CD! a été invitée à faire oeuvre à la fois de codification et de déve-
loppement du droit international dans la préparation de son Projet sur la
succession aux traités.
S'agissant de la codification, cette tâche consisterait, selon le statut de
la CD! et conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies
(3) à :
(33) - Aux termes de l'article 13 de la Charte "l'Assemblée générale provo-
que des études et fait des recommandation en vue de :
"développer la coopération internationale dans le domai-
258
"formuler avec plus de précision et...systématiser les ré-
gies du droit international dans des domaines dans les-
quels il existe déjà une pratique étatique considérable,
des précédents et des opinions doctrinales" (34).
De même, en ce qui concerne le développement progressif, la COI de-
vrait :
"rédiger des conventions sur des sujets qUl ne sont pas
encore réglés par le droit international ou relativement
auxquels le droit n'est pas encore suffisamment dévelop-
pé dans la pratique des Etats" (35).
Mais si les termes de "codification" et de "développement progressif'
peuvent être retenus par commodité pour désigner deux formes différen-
tes d'expression de la régie de droit, il est bien souvent malaisé, dans la
pratique, de dissocier les réalités qu'elles recouvrent.
ne politique et encourager le développement progressif
du droit international et sa codification ...".
(34) - Voir les articles 15 à 23 du statut de la COI et spécialement les
dispositions de l'article 15 comportant définitions des expressions
" codifications du droit international" et "développement progres-
sif du droit international", ci-dessus reprises.
(35) - Ibidem.
259
Ainsi selon Charles de VISSCHER la codification ne saurait être en-
visagée sans un certain enrichissement inhérent à toute mise à jour que
suppose "un accord réfléchi sur une formulation écrite du droit" (36).
Dès lors la codification tend à rejoindre, à des degrés divers le déve-
loppement progressif dont l'objectif est bien souvent à la fois de complé-
ter, d'approfondir, d'amender et de créer des régies de droit.
Cette réelle connexité, voire cette imbrication de deux procédés ma-
jeurs d'élaboration du droit international a parfois valu à la distinction
établie par le statut de la Co mm isis ion, les plus vives critiques (37).
Il reste tou tefois que même si la frontière qui prétend séparer la codi-
fication du développement progressif dans les divers projets d'élaboration
du droit international n'est pas toujours bien nette, les préoccupations
qu'elle sépare peuvent être, même grossièrement, distinguées dans la me-
sure où elles saissisent au fond des réalités qu'un dégré variable de nou-
veauté permet de différencier.
(36) - Ch. de VISSCHER, Théories et réalités en droit international public,
Paris, Pédone, 1970, p. 175.
(37) - Selon Charles de VISSCHER " la distinction ... ne correspond ni à
une réalité scientifique ni à la pratique de la Commission du droit
international qui s'est rapidement rendu compte de l'impossibilité
de la mettre en oeuvre", ibidem, note 1.
260
En outre l'état d'une pratique internationale particulièrement déve-
loppéeou, au contraire, insuffisamment consolidée semble constituer au
regard des règles projetées, un moyen non négligeable de sélection du
mode le plus approprié d'expression de la régie de droit; le moyen de
sélection retenu devant toutefois être éclairé par la capacité du droit, que
l'on entreprend de codifier ou de développer, de reflèter les réalités de la
société internationale du moment.
Mais il convient, alors que l'exigence est moins impérieuse pour la
codification, d'appréhender la pratique prise en compte dans le processus
du développement progressif avec circonspection tout en évitant d'en pé-
jorer à l'excès la portée.
La portée de la pratique prise en compte devrait plutôt être appréciée
en rapport avec la nouveauté du domaine à régir, la consistance et la perti-
nence des règles de droit qui s'y rapportent et, enfin, ensemble consi-
dérées, l'orientation générale du comportement des Etats en la matière,
spécialement celui des Etats les plus directement concernés et, toutes les
autres régies pertinentes du droit international généralement acceptées
par les Etats.
On relève cependant au niveau de la doctrine une certaine tendance à
jeter quelque doute sur la fiabilité du mécanisme du développement du
droit international tel qu'il est mis en oeuvre par la CDI dans le domaine
de la succession d'Etats.
Le point de vue adopté par Annie GRUBER dans sa thèse consacrée
261
au <.Iroit <.le la succession (38) semble parfaitement illustrer une telle ten-
<.lance.
En effet, tout en a<.lmettant que la co<.lification comporte toujours un
minimum de novation nécessaire, donc de développement progressif de-
vant toutefois garder des proportions modestes, A. GRUBER considère
que la cor n'a respecté cette conception qu'elle considère comme "stric-
te", que jusqu'au début des années soixante c'est-à-dire jusqu'à la dernière
vague de décolonisation avec toutes ses répercussions au niveau de l'orga-
nisation institutionnelle internationale notamment en ce qui concerne la
composition des organes du système des Nations Unies (39). Depuis cette
période la cor aurait, s'agissant en particulier de l'élaboration du droit de
la succession d'Etats, opéré un choix circonstanciel de méthode lié au con-
texte de la décolonisation et consistant à ne retenir que le développement
progressif du droit, seule méthode qui soit, selon l'auteur, conforme aux
voeux des nouveaux Etats (40).
Cette méthode qui, poursuit A. GRUBER, convient à la Sixième
Commission ne saurait que déboucher sur des déclarations de principe
(38) - Annie GRUBER, Essai sur l'existence d'un droit de la succession
d'Etats en droit international contemporain, thèse doc. droit, Pa-
ris V, 1981, 582 p, Annexes, Bibliog., index.
(39) - Ibid., p. 63.
(40) - Ibid., p. 61.
262
auxquelles la doctrine refuse une valeur de droit positif (41).
Enfin le caractère circonstanciel du choix de méthode opéré par la
CDI aurait en l'occurrence entraîné une "contamination politique" du droit
et permis une "codification" (sic) (42) qui ne retiendrait que la "formula-
tion des aspirations politiques des nouveaux Etats soucieux de défendre
leurs intérêts· (43).
Il convient d'observer que les arguments ainsi présentés tendent à re-
fuser en quelque sorte à la méthode du développement progressif toute
capacité d'expression réelle de régies destinées à reformuler le droit sur-
tout depuis une période où les changements profonds de structure interve-
nus dans la société internationale devraient susciter des transformations
significatives au niveau de son droit.
Recusant le développemnt progressif, l'auteur semble s'en tenir à la
seule codification refusant ainsi que l'actualisation nécessaire du droit in-
(41) - Ibid., p. 64.
(42) - L'utilisation de la notion de codification à la place de celle de déve-
loppement progressif dans un cas où le terme "codification" paraît
le moins approprié nous semble symptomatique d'une attitude de
refus d'admettre que le droit international contemporain, précise-
ment celui d'après "la dernière gra'nde vague de décolonisation",
puisse évoluer et s'affirmer autrement que par le moyen de la
codification traditionnelle dans sa plus stricte acception.
(43) - A. GRUBER, op. cil., p. 66.
263
ternational ne puisse prendre en compte le droit en formation ou récem-
ment établi et qui renferme, comme il le reconnaît du reste, le droit à
l'autodertemination et l'égalité souveraine des Etats (44).
L'argumentation paraît donc verser dans l'excès et s'écarte ainsi de la
réalité de l'évolution du droit international contemporain qui révèle effec-
tivement que le procédé du développement du droit a souvent abouti,
comme par exemple s'agissant du droit des traités, à forger une très large
adhésion des Etats à des normes dont le contenu nouveau s'oriente résolu-
ment vers l'avenir.
Confronté à l'argumentation qui vient d'être évoquée et à la doctrine
à laquelle elle appartient, le projet de développement du droit internatio-
nal soutenu par la CDI en matière de succession d'Etats ne saurait man-
quer d'être suspecté, dans sa finalité, d'une certaine politisation.
Assurément cette critique ne semble épargner aucune institution du
systéme des Nations Unies depuis que ce dernier s'est notablement enrichi
de la participation numériquement importante des nouveaux Etats. Mais
la critique prend une dimension singulière en matière de codification du
droit international et tend à révéler chez ses auteurs, outre un attache-
ment très prononcé à un formalisme rigoriste, une conception plutôt idéa-
liste du droit.
(44) - Ibid., pp 69 et s., spécialement p. 71.
264
Ainsi A. GRUBER, tout en reconnaissant que la question des rap-
ports du droit et de la politique est relativement complexe, inscrit cepen-
dant sa réflexion sur le sujet entre deux seuls choix possibles, la soumis-
sion du droit au politique ou son indépendance vis-à-vis de ce dernier. Elle
opte finalement en faveur de l'indépendance du droit faisant alors sienne
la doctrine d'éminents auteurs comme Georges BURDEAU qui considè-
rent que le droit se détache du politique et devient un "en soi" quand se
réalise dans la société une homogénéité sociale suffisante (45).
Le respect que l'on devrait à une doctrine tout aussi difficile à parta-
ger ne saurait en l'occurence dispenser tout au moins de relever que la
société internationale actuelle présente encore un degré non négligeable
sinon relativement élevé d'hétérogénéité.
En revanche il serait possible au surplus, de s'appuyer sur l'opinion de
Charles de VISSCHER pour rappeler que le codificateur ne doit pas insis-
ter plus qu'il n'est besoin sur la distinction entre une codification dite
déclarative et le développement progressif; ce qui permit à l'auteur de
Théories et réalités en droit intemational public d'affirmer que :
"la codification n'est, en effet, jamais une simple déclara-
tion ou définition des régies existentes. Toujours elle
tend, par quelque côté, à substituer à des pratiques diver-
(45) - G. BURDEAU, Traité de science politique, Se vol., 2e éd., Paris,
LGDJ, pp. 66-74; cité par A. GRUBER, op.cit., pp. 66-67.
265
gentes une certaines unité dans l'interprétation et l'appli-
cation du droit. Mettant à nu les intérêts qui leur ont don-
né naissance, en même temps que la volonté d'y apporter
des correctifs, elle est dans une large mesure une entre-
prise politique que les gouvernants ne sont disposés à
soutenir qu'autant qu'ils n'en sont pas détournés par l'ab-
sence d'intérêts ou par des intérêts contraires" (46).
Il semble en définitive que le refus d'admettre qu'à côté et en complé-
ment de la codification, le développement progressif devrait, compte tenu
des lenteurs du mécanisme traditionnel de la coutume. contribuer de ma-
nière significative à l'actualisation du droit international, permet de com-
prendre que l'on eût pàrfois délibérément assimilé le développement pro-
gressif du droit à la méthode prospective lorsque celle-ci permet de se
servir de la pratique à des fins d'extrapolation.
Or le développement progressif ne saurait être conduit dans l'igno-
rance de la pratique lorsque celle-ci existe. La pratique devrait être aussi
fidèlement reflétée que le permettraient sa pertinence au regard de l'envi-
ronnement normatif et l'accord exprimé par les Etats sous diverses for-
mes, notamment à travers leurs comportements les plus significatifs.
C'est ainsi qu'en matière de succession, en particulier de succession
(46) - Ch. de VISSCHER, op.cit., p. 175.
266
aux traités, la COI a été invitée à asseoir son oeuvre de codification et
d'inévitable développement du droit international sur la pratique des
Etats.
La Commission y a répondu en ayant recours à une gamme variée
d'études et de documents (47) mais surtout en s'efforçant de rechercher et
de prendre en considération, davantage encore lorsqu'il s'agit de dévelop-
per le droit, les vues et l'accord des Etats, en particulier ceux dont la
pratique n'avaient pu être prise en compte par les règles coutumières tra-
ditionnelles c'est-à-dire essentiellement les Etats nouvellement indépen-
dants.
(47) - A la demande de la CD! le Secrétariat des Nations Unies a préparé
et distribué un nombre considérable d'études et de documents les
plus variés sur la succession en matière de traités. Ces documents
dont la publication répond au souci d'informer le plus largement
sur la pratique des Etats et des institutions internationales se ré-
partissent comme suit:
Deux memorendum, l'un
sur "la succession d'Etats et la qualité
de membre des Nations Unies" (ACDI 1962, vol.II, p.119), j'autre
sur "la succession d'Etats et les conventions multilatérales généra-
les dont le Secrétaire général est dépositaire" (Ibid., p. 124);
Deux études intitulées, l'une "Résumé des décisions des tribunaux
internationaux concernant la succession d'Etats et de gouverne-
ments" et son supplément (Ibid, p. 151 et, pour le supplément,
ACDI 1970, voU!, p. 183), l'autre, "Résumé des décisions des tri-
bunaux nationaux concernant la succession d'Etats et de gouver-
nements" (ACDI, 1963, voU!, p. 101);
Sept études sur "la succession d'Etats aux traités multilatéraux"
couvrant des domaines aussi variés que la protection des oeuvres
267
Ainsi l'Assemblée générale n'a jamais cessé depuis le début de ses tra-
vaux sur la question d'inviter la COI à conduire sa réflexion et ensuite
l'élaboration du Projet d'articles en se reférant à la pratique des Etats qui
ont accédé à l'indépendance depuis la seconde guerre mondiale (48).
littéraires et artistiques, la Cour permanente d'arbitrage, le droit
humanitaire posé par les Conventions de Genève, le GATT et ses
instruments subsidiaires, la protection de la propriété industriel-
le, la FAO, son acte constitutif et ses autres instruments ainsi que
l'UIT et ses instruments internationaux relatifs aux télécommuni-
cations (pour des références plus complétes, voir, ACDJ 1974, vol.
II, 1ère Partie, p. 170);
Trois études sur "la succession d'Etat en matière de traités bilaté-
raux" concernant l'extradition, les transports aériens et les rela-
tions commerciales (références, ibidem);
Enfin dans la série législative des Nations Unies: un recueil avec
supplément intitulé "Documentation concernant la succession
d'Etats" consignant la documentation fournie ou indiquée par les
gouvernements des Etats membres en réponse à la demande qui
leur avait été faite dans ce sens par Je Secrétaire général (Ibidem).
(48) - L'Assemblée générale dans sa résolution 1765 (XVII) du 20 novem-
bre 1962 recommandait précisément à la Commission de :
"poursuivre ses travaux sur la succession d'Etats et de
gouvernements, en tenant compte des vues exprimées lors
de la dix-septième session de l'Assemblée générale ... et
en prenant dûment en considération les vues des Etats qui
ont accédé à l'indépendance depuis la seconde guerre mon-
diale" ( c'est nous qui soulignons).
268
Mais un juste équilibre doit être trouvé parmi la diversité de la prati-
que.
Aussi, sans négliger la pratique ancienne développée par les Etats en
Lors de sa session suivante l'Assemblée générale reprit et aména-
gea quelque peu la formule contenue dans sa précédente recom-
mandation en demandant à la Commission de poursuivre ses tra-
vaux:
"en se référarll, le cas échéant, aux vues des Etats qui ont
accédé à l'indépendance depuis la seconde guerre mon-
diale", Rés. 1902 (XVIII) du 18 nov. 1963 (c'est nous qui
soulignons).
Cette nouvelle formulation qui semble permettre à l'Assemblée
générale d'éviter le reproche de vouloir enserrer les travaux de la
CDI dans une vision trop étroite (d'aucuns considèrent en effet
que l'expression" prendre dûment en considération" est suffisam-
ment ambiguë pour conduire à la politisation de ces travaux, cf A.
GRUBER, op.cil.,pp. 59-60) comporte en réalité l'avantage de
préparer une typologie des régimes successoraux en principe res-
pectueuse des cas traditionnels de succession ainsi que des règles
coutumières qui les régissent. Toutefois un souci d'équilibre a dû
prévaloir au sein de l'Assemblée générale pour l'amener dès sa
21e session à considérer cumulativement les deux formules re-
commandatoires précédentes. Ainsi, après avoir dans sa résolu-
tion 2045 (XX) recommandé à la Commission de poursuivre ses
travaux en tenant compte des vues et observations mentionnées
dans la résolution 1902 (XVIII), l'Assemblée générale ne cessera
plus de faire simultanément référence, dans ses recommandations
postérieures, aux résolutions 1765 (XVII) et 1902 (XVIII); cf no-
tamment les résolutions 2167 (XXI) du 5 décembre 1966, 2272
(XXII) du 1er décembre 1967,2400 (XXIII) du Il décembre 1968
et 2501 (XXIV) du 12 novembre 1969.
269
matière de succession et largement prise en compte par les régies coutu-
mières, ni même établir une hiérarchie de valeur entre les précedents an-
ciens et ceux plus récents, semble-t-il plus indiqué, aussi bien pour la codi-
fication que pour le développement du droit, de toujours oeuvrer sans per-
dre de vue l'éclairage de la pratique ancienne aussi longtemps que cette
pratique permet de consolider les règles générales de la succession, tout
en retenant ce qui dans la pratique issue de l'émancipation des nouveaux
Etats autorise J'affirmation de règles successorales spécifiques de la déco-
lonisation.
Le sens qu'il convient dès lors de donner il la recommandation de
l'Assemblée générale, précisément à l'expression "les vues des Etats ayant
accédé ... " y contenue doit être assurément large pour laisser admettre qu'il
est à la fois attendu des nouveaux Etats qu'ils indiquent et précisent leur
propre pratique et, expriment leur point de vue sur cette pratique et sur
celle des autres Etats en appréciant aussi leur valeur par rapport aux nor-
mes à codifier ou à développer.
On saisit ainsi davantage toute l'importance donnée par le CDr aux
observations orales ou écrites des Etats qu'elle entend prendre en compte
dans la préparation de ses rapports spéciaux et dans l'élaboration de ses
projets de convention.
En effet, la CDr décide généralement de suspendre l'examen de ses
projets de convention pendant la durée de la session qui suit immédiate-
ment l'envoi aux Etats, de ses projets d'articles destinés à recueillir leurs
observations avant toute adoption. Cet aménagement, très tôt introduit
210
dans les méthodes de travail de la Commission (49), a été mis à profit dans
l'élaboration du projet de convention sur la succession d'Etats en matière
de traités. La CDI dut ainsi décider de ne pas examiner ce projet lors de sa
vingt-cinquième session tenue en 1973 (50) peu après que les Etats mem-
bres des Nations Uniesaientété saisis,en 1972, pour l'envoi de leurs obser-
vations.
Il semble donc que c'est non sans quelque excès que certains auteurs
ont parfois restreint le sens de la recommandation de ['Assemblée généra-
le contenue dans ses résolutions 1765 (XVII) et 1902 (XVIII) en considé-
rant que l'Assemblée y faisait appel exclusivement à la doctrine des Etats
nouveaux (51).
Or la doctrine des nouveaux Etats entendue au sens large ne fait ici
que s'ajouter à un ensemble d'éléments que constituent la pratique an-
(49) - La Commission avait, dès 1958, constaté que les contraintes de
temps qu'elle avait continuellement subies semblaient porter gra-
vement atteinte à la qualité de ses travaux dans la mesure où les
renseignements et observations fournis par les gouvernements
étaient souvent trop succints et pas assez nombreux. Elle décida
donc de laisser aux gouvernements plus de temps pour formuler
des observations écrites qui seront complétées par des observa-
tions orales formulées au cours des débats de la Sixième Commis-
sion, voir, ACDI 1958, voUI, pp.111-112.
(50) - voir, ACDI 1972, voUI, p. 353, doc. A/871O/Rev.l parag.78.
(51) - C'est là une des conclusions de la thèse précitée de Annie GRU-
BER, p.59.
271
cienne et contemporaine des Etats ainsi que les règles encore jugées perti-
nentes du droit positif.
En outre la prise en compte recommandée par l'Assemblée générale
ne saurait être automatique et sans nuances dans la mesure où elle se
heurterait à une impossibilité logique découlant de la diversité ou parfois
du caractère fragmentaire des vues exprimées par les nouveaux Etats (52).
La COI est en réalité invitée à apporter à la formulation des régies à
(52) On comprend ainsi tout le sens et l'utilité de l'adverbe "dûment" em-
ployé dans la recommandation destinée à permettre à la COI de
prendre suffisamment de recul par rapport à toutes les observa-
tions qu'elle recevrait des gouvernements afin d'en faire un usage
équilibré. Sir Francis VALLAT s'est exprimé dans ce sens dans
son Premier rapport sur la succession d'Etats en matière de trai-
tés. Selon le Rapporteur spécial :
"En tout état de cause, il sera dûment tenu compte de
toutes les observations qui auront été faites par les gou-
vernements , ou en leur nom, encore qu'il ne sera peut-
être pas toujours possible de faire expressément mention
de chacune de ces observations. D'autre part, il ne sera
pas possible de donner suite à toutes les suggestions ou de
sacrifier à toutes les critiques. Il faudra tenir dûment
compte des considérations touchant au droit et à la prati-
que et veiller à en assurer la compatibilité avec la nature
et les caractéristiques de l'ensemble du projet d'articles
ainsi qu'avec les vues précédemment émises devant la
COI elle-même", A CD! 1974, vol.U, 1ère Partie, p.3.
272
consigner dans la fu ture convention un degré de nuance suffisant pour ren-
dre compte des réalités
internationales à la fois dans leurs traditions,
leurs nouveautés et leurs specificités en prenant au demeurant le soin
d'écarter en toute hypothése toute transfiguration artificielle.
En associant par ce biais toutes les parties aux rapports internatio-
naux dans l'élaboration des projets de convention et ainsi, dans la prépara-
tion des conférences diplomatiques où se discuteront ces projets, la COI
agit comme un véritable agent des Etats dont les préoccupations trouve-
ront à s'équilibrer dans le contenu des conventions
définitivement adop-
tées (53).
(53) - Selon M. AMADO, membre de la COI s'exprimant, à propos du
droit des traités, sur les rapports qu'entretiennent la COI et les
Etats dans le processus du développement et de la codification du
droit international :
"La Commission peut se considérer comme un
agent des
Etats, à travers l'Assemblée générale. Réunis en confé-
rence, les Etats sont ensuite libres d'adopter les règles
juridiques qui leur sont proposées, pour fixer les limites
auxquelles ils acceptent de se soumettre", COI 17e ses-
sion 776e séance, ACDI 1965, voU, pA (c'est nous qui
soulignons).
Cette opinion rejoint celle exprimée par Charles de VISSCHER
en ces termes :
"Inviter une conférence internationale sans préparation
solide à établir elle-même l'exact bilan de l'état du droit
273
En réalité, le souci d'établir une large participation des Etats à la
codification et au développement du droit international s'est manifesté
dès l'origine de la codification institutionnalisée, à travers la résolution
adoptée le 25 septembre 1931 par l'Assemblée de la Société des Nations
(54) et prévoyant le renforcement de l'influence des gouvernements à tous
les stades du processus de codification. Ce souci est par la suite réaffirmé
dans le statut même de la cor (55).
La prise en compte par la Commission des recommandations de l'As-
semblée générale a finalement débouché sur une conception d'un Projet
de convention sur la succession en matière de traités qui souligne la portée
reconnue aux règles successorales concernant les Etats nouvellement in-
dépendants qui comptent depuis le début des années soixante, un nombre
important d'Etats africains.
Ainsi les règles proposées par la cor en matière de succession aux
traités et adoptées par la Conférence diplomatique de codification réunie
à Vienne en 1977 et en 1978, méritent d'être replacées dans leur vrai
positif, c'est dès l'abord la fourvoyer dans d'interminables
controverses que leur haute tenue scientifique ne met pas
à l'abri de l'échec dans le plan des adhésions gouverne-
mentales", op. cil., p. 176.
(54)
Société des Nations, Journal officiel, suppl. spécial, N" 92, p. 9.
(55)
Voir les articles 16, 17, 19, 21 à 24 du statut de la COI.
274
contexte, celui du souci des Etals et des institutions du système des Na-
tions Unies d'affirmer, à côté des solutions relatives aux hypothèses clas-
siques de succession, des règles successorales applicables dans les cas de
décolonisation récente et qui toutes gravitent autour du principe de la
table-rase.
La section suivante sera consacrée à ['étude de ces règles.
275
SECTION III
REGLES SUCCESSORALES
RELATIVES AUX ETATS
NOUVELLEMENT INDEPENDANTS
La consécration des règles relatives aux Etats nouvellement indépen-
dants s'est réalisée d'abord à travers l'introduction dans le Projet de la
CDI, puis dans la Convention sur la succession en matière de traités, d'une
typologie successorale consignant des règles spécifiques aux cas de décolo-
nisation (Sous-Section 1); ensuite, dans l'affirmation et la délimitation des
contours du principe de la table-rase applicable aux successions par déco-
lonisation (Sous-Section II).
Sous-Section 1
TYPOLOGIE DES REGIMES SUCCESSORAUX
La typologie successorale proposée à la codification et adoptée lors
de la Conférence diplomatique de codification réunie à Vienne en 1977 et
1978 consiste dans la répartition des règles contenues dans le Projet, puis
dans la Convention, entre plusieurs hypothèses ou catégories de succes-
276
sIOn en vue de les régir distinctement.
Ces différents cas de succession sont ceux qui concernent une partie
du territoire d'un Etat (56), ceux relatifs aux Etats nouvellement indépen-
dants (57), et ceux qui se rapportent aux phénomènes d'unification et de
séparation d'Etats (58).
Pourtant la très large adhésion à la typologie finalement consacrée
par la Conférence diplomatique de Vienne ne s'était pas spontanément
réalisée au moment où l'idée en avait été proposée, tout au début de la
phase de préparation du Projet de Convention.
A cet égard, Sir H. WALDOCK a même eu à se demander dans dans
son "Premier rapport sur la succession d'Etats et de gouvernement en ma-
(56) - Les dispositions concernant ce cas de succession sont contenues
dans la deuxième partie du texte du Projet, comme de celui de la
Convention. Elles couvrent ainsi dans la Convention, après le
"préambule" et la 1ère partie consacrée aux "dispositions généra-
les", un seul article, l'article 15, précédemment article 14 du Pro-
jet.
(57) - Les dispositions relatives à ce cas de succession couvrent une bonne
partie de la Convention, comme du Projet, avec 15 articles (Art.
16 à 30) sur les cinquante que compte la convention.
(58) - Les dispositions conçues pour régir ce dernier cas sont contenues
dans les articles 31 à 38 de la Convention, précédant ainsi les deux
dernières parties de son texte consacrées aux dispositions diverses
(art. 39 et 40) et au rég\\ement des différends (art. 41 à 50).
277
tière de trailés",
"Si l'on sert une fin utile en faisant en l'occurence une
nelle distinction entre le problème des Etats 'anciens' et
ceux des Etats 'nouveaux'" (59),
avant d'ajouter que
"Après tout, lorsqu'un nouvel Etat naît, les problèmes qui
se posent en matière de
traités sont fatalement des pro-
blèmes qui intéressent des Etats anciens non moins que le
nouvel Etat. ... Et, de nos jours, les problèmes de succes-
sion auxquels donne lieu l'apparition d'un nouvel Etat af-
fectent tout autant d'Etats récemment indépendants que
d'Etats 'anciens'" (60).
Cette opinion n'a pas manqué parfois de trouver quelque écho dans la
doctrine, notamment occidentale, ou au sein même de la COI tout a moins
(59) - Doc. A/CNA/202, ACDf, 1968, vol.II,p.91
(60)
Ibidem. Le Rapporteur spécial admet toutefois que:
"la Commission ne peu t manquer d'attacher une impo-
ratnce particulière à la situation des 'nouveaux' Etats car
c'est dans leur cas que le problème de la succession se
pose à la fois le plus couramment et de la façon la plus
troublante",
ibidem (c'est nous qui soulignons).
278
dans les premières phases de l'élaboration du Projet de Convention.
On a pu ainsi considérer, dans le but de repousser la spécificité d'un
régime successoral applicable aux cas de décolonisation, qu'il existe une
identité remarquable des éléments fondamentaux se retrouvant dans tou-
tes les successions (6]).
Le rejet de la pluralité de régimes successoraux paraît également con-
forté par une certaine insistance sur la valeur des précédents anciens qui
ressort de l'opinion partagée par certains membres occidentaux de la CDI
comme le professeur AGO (62), M. KEARNEY, M. CASTREN oU, quoi-
que dans une moindre mesure, M. EUSTATHIADES (63)
(6]) - Cf. La thèse précitée de A. GRUBER, p. 91. Le défaut d'identité des
problèmes de succession a pourtant été amplement souligné par
de nombreux auteurs parmi lesquels M. BEDJAOUI, notamment
dans son Rapport préliminaire, ACDI 1968, voUI, pp. ]00-]07,
spécial. pp. 102-]04. On pourra noter au passage que l'auteur ne
fait pas appel dans son rapport au seul critère économique pour
fonder une pluralité de régime juridiques comme l'a affirmé A.
GRUBER dans sa critique, thèse, p. 91.
(62) - Voir l'intervention de R. AGO (Italie) dans ACDI 1968, vol. 1, p.
120.
(63) - Sur ces points de vue et d'autres semblables quoiqu'exprimés en
rapport avec les matières au tres que les traités, voir ibid. pp. 120
et s. Selon M. EUSTA THIADES il est plutôt préférable de trou-
ver une formule moins appuyée que celle qui prévoit l'étude des
279
Ce rejet semble toutefois traduire, largement, une certaine crainte de
voir minorée sinon écartée dans l'oeuvre de codification, la portée des
expériences du passé, y compris de décolonisation en particulier en Amé-
rique du Nord ou en Amérique latine (64). Cette minoratiun ou mise à
j'écart pourrait provenir selon ces auteurs d'une prise en compte impor-
tante, peut être excessive, ou exciusive des cas récents de décolonisation.
Cette crainte fut exprimée par le professeur AGO lorsqu'il suggéra à la
Commission de :
"profiter de toute l'expérience qui s'offre à elle et fonder
toutes les régies qu'elle formulera sur j'étude de ta prati-
que existante et des principes de droit en vigueur" (65),
avant de conclure comme par une mise en garde formulée en ces termes:
règles de la succession "principalement sous l'angle des problèmes
spécifiques de ces (nouveaux) Etats", ibid, p. 130. Toutefois l'au-
teur admet davantage l'idée d'une typologie en matière de succes-
sion aux traités où, affirme-t-il le "probléme des nouveaux Etats
est peut être moins aigu", ibid., p. 137
(64) - Cf M. RUDA (Argentine) ct M. AMADO ( Brésil), ACDI 1968, vol.
l, pp. 131 et 134 respectivement. Egalement cité par Z. MERI-
BOUTE, op.cil., p. 28; M. RUDA par exemple estime que la Com-
mission devrait s'efforcer d'aider les nuuveaux Etats à consolider
leur souveraineté politique et économique et la meilleure maniè-
re de le faire serait de rédiger un ensemble de règles qui reflète-
raient l'expérience de toutes les anciennes colonies, ibid., p. 131.
(65) - Cf R. AGO, ACDI 1968, voU, p. 122.
280
"Si elle ne s'occupe que de certains a.lpects déterminés de
la succession d'Etats, elles élaborera une série de règles
éphémères et mal équilibrées" (66).
Assurément le problème de l'acceptation ou du rejet de la typologie
proposée n'est pas des plus simples. Un certain degré de nuances ou de
réserves nous semble dès lors nécessaire dans un eas comme dans l'au tre.
Davantage eneore lorsque l'utilité de ces nuances est perçue dès les pre-
miers stades de la réflexion menée sur le sujet de la succession d'Etats.
On saisit à cet égard tout le sens des réserves émises à propos de la
typologie successorale par le Rapporteur spéeial de la Commission dans
une étude préliminaire sur la succession d'Etats dans les matières autres
que les traités. En effet selon M. BEDJAOUI :
"La typologie qu'on tente d'établir ici n'a pas les vertus de
la rigueur absolue. Elle n'est même pas tout à fait ortho-
doxe. Elle n'ambitionne, après grossissement des faits,
voire après leur earieature, que de faire sentir les diffé-
(66) - Ibidem. C'est nous qui soulignons. Voir, contra, M. BARTOS, ibid,
parag. 78. L'auteur indique que les cas retenus ne sont pas les
seuls mais que la typologie proposée lui paraH utile. Dans le mê-
me sens, OUCHAKOV (URSS), ibid, p. 142, ainsi que
E. CAS-
TREN (Finlande) s'agissant de la succession en matière de traités,
ibid., p. 139.
281
rences notables entre la succession classique et la succes-
sion moderne. Des nuances nécessaires seront introduites
par la suite" (67).
Quoiqu'exprimée en rapport avec des matières successorales autres
que les traités, cette opinion n'est pas sans pertinence au regard de la
succession en matière de traités. Elle peut ainsi répondre aux doutes ex-
primés sur l'utilité de la typologie dans les premiers stades de la réflexion
sur la codification et le développement des règles de la succession d'Etats.
En vérité le problème de fond qui manque d'être clairement posé au
stade des Rapports préliminaires est bien celui de l'acceptation ou du
refus d'un développement véritable des règles du droit international suc-
cessoral ou, plus généralement, celui de l'adaptation de ce droit aux réali-
tés et aux besoins du monde contemporain.
Il semble dès lors que les fondements essentiels des thèses exprimées
en 1968 autour du premier rapport sur la succession aux traités en vue de
soutenir ou de combattre l'idée d'une typologie successorale, pourraient
être recherchés dans les premiers débats d'orientation qui eurent lieu en
1963 autour du Rapport de la Sous-Commission sur la succession d'Etats
et de gouvernements (68).
(67) - M. BEDJAüUt, Premier rapport sur la succession d'Etats et les
droits et obligations découlant de sources autres que les traités,
Doc. AjCNAj204, ACDJ, voUt, p. 102.
(68) - Sur la constitution et le rôle de la Sous-Commission, voir, supra,
Section t, Genèse du Projet, spécial. note 6.
282
Dans ce rapport qui consignait un projet de plan général de travail, la
Sous-Commission n'ambitionnait pas moins de délimiter le sujet, de défi-
nir la manière de l'aborder, les objectifs à atteindre et la priorité à donner
à ses différents aspects.
Les discussions suscitées lors de son examen par la COI n'ont certai-
nement pas manqué d'éclairer notablement les points de vue exprimés
quelques années plus tard sur l'utilité ou la nécessité d'une typologie suc-
cessorale.
Ainsi le professeur AGO, craignant sans doute qu'une réponse spéci-
fique ne soit donnée aux problèmes successoraux issus de la décolonisa-
tion par le moyen d'un développement significatif d'un droit favorable aux
nouveaux Etats, dut repousser l'opinion exprimée par VERDROSS qui
estimait que,
"le futur
Rapporteur
spécial
et
la
Commission
de-
vra ... dans ce domaine plus que dans d'autres, travailler de
[cgc ferenda et
trouver des solutions raisonnables qui
correspondent aux besoins de la société internationale
actuelle" (69).
(69) - M. VERDROSS,ACDI, 1963, voU, p. 206. Répondant à l'opinion de
VERDROSS, AGO dut affirmer que :
"Tel qu'il se pose aujourd'hui, le problème n'est peut-être
283
Cette opinion n'en sera pas moins partagée par la plupart des juristes
du Tiers-monde comme YASSEN (Irak) qui estime que:
"En raison du phénomène de la décolonisation et de
l'émancipation des peuples en général, le problème de la
succession d'Etats revêt aujourd'hui une importance capi-
tale", dès lors, "il est difficile d'emprunter des régies cor-
respondant aux situations d'autrefois pour les appliquer
d'emblée à un phénomène nouveau" (70).
pas
SI
différent de ce qu'il était à d'autres époques",
Ibidem.
Opinion partagée par WALDOCK, Ibid. p. 207. Voir, contra, A.
de LUNA (Espagne) qui considère que:
"Il faut dégager les règles naissantes, encore incertaines,
et ne pas craindre de proposer les règles dont la Commu-
nauté internationale va avoir besoin dans l'avenir. Les
unes et les autres doivent être soumises à un critère de
valorisation fondé sur les intérêts de la communauté in-
ternationale",
ibid., p. 208 (c'est nous qui soulignons).
(70) - Ibid., p. 208. Selon l'auteur, la décolonisation
"suppose l'existence d'une partie forte et d'une partie fai-
ble. Or, aujourd'hui le droit international n'est pas celui
d'autrefois; l'Etat fort ne peut plus imposer sa manière de
VOir, car il est tenu de respecter les principes énoncés
dans la Charte des Nations Unies", ibidem.
284
L'opinion traduit plus généralement une adhésion franche à l'idée
d'une nécessaire adaptation du droit international aux réalités internatio-
nales perçues essentiellement à la lumière des besoins de la communauté
internationale telle qu'enrichie en particulier par les phénomènes récents
de décolonisation.
Les auteurs de la doctrine socialiste ont pour la plupart souhaité voir
pris en compte par cette volonté d'adaptation du droit successoral les phé-
nomènes de "révolution sociale" tels que celui observé en Russie en 1917,
parmi les cas de succession à retenir pour la codification, en les rappro-
chant sensiblement des cas récents de décolonisation (71).
Mais ce souhait s'est généralement heurté à des réticences multiples
de nombreux membres de la Commission ainsi que des rapporteurs spé-
ciaux, avant d'être finalement écarté par le Projet définitivement adopté
Voir, dans le sens de l'adaptation nécessaire du droit, malS non
sans quelque réserve, AMADO (Brésil), ibid., p. 340.
(71) - Cf, M. BARTOS (Yougoslavie), ibid., p. 208, parag. 32; ainsi que
dans ACDI 1968, voU, p. 106, parag 48-49. L'auteur souligne que
les trois types de naissance d'Etats mentionnés dans le rapport
préliminaire de BEDJAOUI ne sont pas les seuls qui puissent
exister et cite le cas des luttes pour la libération et l'unification de
la Yougoslavie avec "l'exemple d'une résurgence révolutionnaire
de l'ancien Etat serbe, suivie d'un mélange de différents types de
succession d'Etats", ibid., p. 121; voir également OUCHAKOV
(URSS), ibid., p. 126.
285
par la COI et l'Assemblée générale des Nations Unies (72).
Le Président de la COI devait lui-même déclarer dans ce sens, à la
suite des débats de la Sixième Commission lors de sa vingt-septième ses-
sion que :
"Il s'agit là, cependant d'une question qui dépasse le do-
maine de la succession et qui se rapporte à la conception
même de la notion d'Etat. Cette question très complexe
relève de la philosophie politique et la COI n'a pas tenté
de l'aborder" (73).
L'inclusion dans le Projet de la COI du problème de la "révolution
(72) - La question de la "révolution sociale" a été soulevée dans les obser-
vations orales présentées au niveau de la Sixième Commission.
Lors de la 27e et de la 28e session de l'Assemblée générale, par
les délégations de l'URSS, de Mongolie, de Hongrie, de la R.S.S
de Bièlorussie et de la République démocratique Allemande
(voir, Doc. officiels de l'Assemblée générale vingt-septième ses-
sion, Sixième Commission, 1324e, 1325e et 1326e séances et, ibid.,
vingt-huitième session, Sixième Commission, 139ge séance) ainsi
que dans les observations écrites formulées, autour du Projet de la
COI, par la Tchécoslovaquie et la République démocratique Alle-
mande. L'ensemble de ces observations sont résumées dans le
Premier rapport de Francis VALLAT sur la succession d'Etats en
matière de traités, ACDI 1974, vol.U, Première partie, pp. 14-16.
(73) - Ibid., p. 16.
"
287
Mais la consécration de la typologie successorale emporte, aussi bien
dans le Projet d'articles que dans la Convention, l'affirmation du principe
de la table rase qui y demeure attaché et dans lesquels il régit les effets des
successions par décolonisation.
Il conviendra de poursuivre l'étude du principe de la table rase dans le
cadre de la sous-section suivante consacrée à l'examen des règles spécifi-
ques aux successions par décolonisation.
Sous-Section II
REGLES SPECIFIQUES AUX SUCCESSIONS
PAR DECOLONISATION
Il s'agit ici de faire l'économie des règles spécifiques destinées, par la
Convention, à s'appliquer aux successions ouvertes, en matière de traités,
par les phénomènes de décolonisation (77).
ment d'orientation et de démarche du Rapporteur spécial en fa-
veur de la typologie successorale. Opinion exprimée par A. GRU-
BER, op. cil., pp. 94 et s.
(77) - Une étude plus appronfondie de ces règles trouvera une place sans
doute
plus appropriée dans le cadre de l'examen ultérieur de la
traduction du principe de la table rase tant au niveau de la doctri-
ne qu'à celui de la pratique des Etats et du droit positif.
288
Ces régies sont dominées par le principe de la table rase très lôl adop-
té par la CDI qui dut ainsi décider d'écarter, en ce qui concerne les Etats
nouvellement indépendants, la présomption soutenue par certains auteurs
et selon laquelle ces Etats auraient consenti à être liés par tout traité anté-
rieurement en vigueur sur leurs territoires, à moins qu'ils n'eurent exp ri-
mé, dans un délai raisonnable, une intention contraire (78).
La règle générale indiquant la position des Etats nouvellement indé-
pendants à l'égard des traités conclus par l'Etat prédécesseur est énoncée
par l'article 15 du projet qui dispose que:
"Un Etat nouvellement indépendant n'est pas tenu de
maintenir en vigueur un traité ni d'y devenir partie du
seul fait qu'à la date de la succession d'Etats le traité
était en vigueur à l'égard du territoire auquel se rapporte
la succession d'Etats".
Adopté par la CDI sans aucune objection, le contenu de cet article n'a
rencontré par la suite aucune résistance en vue de son adoption par la
Conférence diplomatique qui le consacra définitivement dans l'article 16
de la Convention.
Ainsi formulé le principe de la table rase tend largement à préserver
(78) - Voir, Rapport de la CDI sur les travaux de sa vingt-sixième session,
ACDI 1974, vol.U, 1ère partie, p. 172.
2l\\9
les intérêts du nouvel Etat indépendant.
Il signifie directement que cet Etat n'est soumis à aucune obligation
de succéder aux traités du seul fait qu'ils étaient en vigueur sur son terri-
toire (Paragraphe 1) sans exclure pour cet Etat le droit d'en devenir partie,
parfois sous certaines conditions (Paragraphe II).
Paragraphe 1
ABSENCE D'OBLIGATION DE SUCCEDER AUX TRAITES
La règle générale qui pose l'absence d'obligation de succéder est un
élément essentiel du Projet et commande en particulier l'ensemble des
règles relatives aux Etats nouvellement indépendants. Toutefois la lecture
de ses dispositions ne saurait s'effectuer sans un rapprochement néces-
saire avec les dispositions de la Convention relatives aux frontières et aux
régimes territoriaux qui aménagent un régime juridique particulier.
1. Enoncé de la règle générale
L'absence d'obligation de succéder réaffirmée par la Convention
constitue un élément de première importance du contenu du principe de la
table rase.
La COI a à cet égard insisté, dans son commentaire sous l'article 15
290
du Projet, sur l'intérêt de la distinction qu'il convenait d'établir entre deux
aspects importants du problème de la succession d'lin Etat nouvellement
indépendant aux traités conclus par son prédécesseur. Il s'agit en réalité
de savoir s'il existe une obligation pour l'Etat successeur de continuer
d'appliquer ces traités à partir de la date de la succession d'Etats et, en
outre, de se demander si l'Etat successeur est en droit de se considérer lui-
même partie à ces traités, en son nom propre, après la succession d'Etats.
S'il va sans dire que toute obligation pour l'Etat nouveau de maintenir
un traité en vigueur sur son territoire implique, du fait du principe de la
réciprocité, la reconnaissance du droit pour cet Etat de se considérer com-
me partie au traité, il demeure que la réciprocité ne saurait pour autant
conditionner le droit de l'Etat nouveau de devenir partie au traité précé-
demment en vigueur sur son territoire par une obligation de se considérer
comme lié par ce traité à la date de la succession d'Etats (79).
A cet égard, la réponse fournie par la Convention au problème du sort
des traités de l'Etat prédécesseur est particulièrement nette. Elle écarte
toute obligation pour un Etat nouveau de maintenir un traité en vigueur
au moment de la succession d'Etats, ou d'en devenir partie du seul fait que
le traité était précédemment en vigueur sur le territoire de cet Etat.
Cette réponse paraît tout à fait conforme au droit international géné-
(79) - Voir, Commentaires ..., ibid., p. 217.
291
raI qui, dans son état présent, préserve encore amplement la souveraineté
et le principe d'autonomie de la volonlé des Etals. Ceci permet de com-
prendre que les auteurs et les Etats qui soutiennent, très nombreux, le
principe de la table rase dans les successions par décolonisation, lui trou-
vent un fondement varié ou encore un fondement général dont les diverses
composantes sont parfois cumulativement considérées. Il est ainsi tour à
tour fait appel, plus généralement au droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes ou au principe de l'autodétermination ainsi qu'en particulier au
principe de l'égalité des Etats (SO) ou encore à la régie res inter alios acta
(S1 ).
(SO) - M. MUSEUX, délégué de la France faisait notamment observer lors
des discussions de la Conférence de Vienne à propos des disposi-
tions de l'article premier relatif à la portée des articles du Projet,
qu'il serait préférable de se référer au principe de l'égalité souve-
ralne des Etats car, devait-il ajouter:
" Il est clair qu'un Etat souverain ne peut en engager un
autre et que tous les traités passés par l'Etat prédécesseur
qui étaient applicables au territoire de l'Etat successeur
cessent d'être en vigueur. A cet égard, il va de soi qu'il n y
a pas lieu de faire une distinction entre traités bilatéraux
et traités multilatéraux, ni entre traités politiques et trai-
tés techniques ou économiques".
Voir, Conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en
matière de traités, Première session, Vienne, 4 avril - 6 mai 1977,
Doc. officiels, voU, comptes rendus analytiques des séances plé-
nières et des séances de la Commission plénière, Commission plé-
nière, New- York, 1975, (AjCONF.SOj16), p. 23 parag. 29, ci-
après cité comme Conférence, 1ère session, Doc. officiels, voU.
(Sl) - Le délégué de la Suisse M. MANZ devait ainsi affirmer à propos de
292
Il convient ici de souligner en même temps que l'importance que les
Etats et la doctrine attachent au fondement du principe de la table rase -
fondement qui fera ultérieurement l'objet d'un examen plus approfondi -
toute la portée reconnue au prinicipe qui libêre l'Etat nouveau des obliga-
tions conventionnelles de l'Etat prédécesseur se rapportant au territoire
objet de la succession.
La reconnaissance du principe de la table rase a ainsi été le fait, dès
l'ouverture des travaux de la Conférence diplomatique, d'un nombre im-
portant d'Etats (82) qui, au demeurant, ne cessera de croître tout au long
du déroulement de celle-ci.
J'article 2 du Projet relatif aux "expressions employées" que:
"Le Gouvernement suisse est en faveur du principe de la
'table rase' qui découle en fait non pas tant du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes que de l'un des principes
généraux fondamentaux du droit, celui de la res inter alios
acta" car, selon M. MANZ, " par la nature des choses, les
effets d'un acte juridique ne peuvent s'exercer qu'à
l'égard de ses auteurs" ibid., p. 40, parag.4l.
(82) - Cfles interventions de M. DOH (Côte d'Ivoire), ibid., p. 37 parag. 4;
M. M. TABIBI (Afghanistan), Ibid., p. 38 parag. 10; M. PAN CAR-
CI (Turquie), ibid parag. 16; M. KRISHNADASAN (Swaziland)
ibid., parag. 19; M. TODOROV (Bulgarie) ibid., p. 39, parag. 28;
M. MITCHELL (Papouasie-Nouvelle-Guinée) qui indiqua au de-
meurant que son pays avait adopté depuis son accession à l'indé-
pendance, le 16 septembre 1975, une "variante" du principe de la
table rase, ibid., p. 41 parag. parag. 52; M. NATHAN (Israêl) qui
293
Ainsi lors de la discussion de j'article 15 en Commission plénière au-
cune délégation ne se montra hostile au contenu de cet article qui consa-
crait avec la plus grande netteté le principe de la table rase.
Bien au contraire, plusieurs délégations intervinrent à son sujet pour
regretter que la formulation retenue ne fût pas plus ferme. La tournure
négative employée dans le libellé du projet d'article a pu ainsi être app-
préhendée comme révèlant quelque hésitation devant l'affirmation d'un
principe autonome (83) ou comme permettant une allusion au principe de
vit dans le principe de la table rase l'une des pierres angulaires de
la Convention avant d'affirmer que le Gouvernement israélien
s'inspire de ce principe dans ses relations conventionnelles multi-
latérales et bilatérales, ibid., p.29 parag. 38; M. SETTE CAMA-
RA (Brésil) fbid.,parag. 46; Sir Ian SINCLAIR (Royaume-Uni)
qui indiqua que son pays adhérait au principe de la
table rase
tout en attachant une grande importance à ce que soient conser-
vées les exceptions prévues par les articles Il et 12 du Projet (ré-
gimes des frontières, autres régimes territoriaux) ibid., p. 27, pa-
rag. 13; dans le même sens, M. MUDHO (Kenya), ibid., p. 39,
parag. 31 et M. SEPULVEDA (Mexique) quoiqu'avec quelque ré-
serve sur le contenu du premier paragraphe de l'article 12 consi-
déré comme une restriction inacceptable, ibid., p. 26 parag. 8; en-
fin M. DE VIDTS (Belgique) déclara que son pays était prêt à
accepter le projet d'articles comme base de discussion tout en
estimant que le principe de la table rase risquait par exemple de
provoquer un certain déséquilibre sur le plan de la ... continuité!
ibid., p. 29 parag. 37.
(83) - Cfl'intervention de M. RANJEVA (Madagascar), ibid., p. 151 parag.
37.
294
continuité qui semblerait donner à l'article un caractère ambivalent qu'il
conviendrait d'éviter (84).
La crainte de voir la rédaction proposée ouvrir la voie à certaines
dérogations au principe posé fut même exprimée (85).
Seule une délégation, tout en adhérant au principe de la table rase,
devait exprimer à la fois le souci de voir la notion envisagée "à la lumière
de la pratique en vigueur dans les Etats aussi bien en droit interne et cons-
titutionnel qu'en droit international" (86).
Un tel souhait ne fit d'ailleurs que renforcer l'appui généralement
donné aux dispositions du projet d'article 15 qui, selon la délégation ita-
lienne, constitue "la codification, magistralement formulée, d'un très an-
cien principe du droit international" (87).
(84) - Cf l'intervention de M. MBACKE (Sénégal) ibid., p. 152 parag. 40.
(85) - Ainsi l'utilisation du mot "seul" devant l'expression "fait qui à la date
de la succession d'Etats ... " pourrait aux yeux de la délégation bré-
silienne implicitement viser des hypothèses où le principe serait
neutralisé; voir l'intervention de M. SETTE CAMARA, ibid.,
parag. 45.
(86) - Voir J'intervention de M. MUSEUX (France), ibid., parag. 48.
(87) - Intervention de M. MARE~CA (Italie), ibid., parag. 52; voir dans le
même sens les interventions de M. FARHAT (Qatar) qui insista
sur la liberté de choix laissée à l'Etat nouvellement indépendant,
ibid., parag. 49; de Mlle OLOWO (Ouganda), ibid., parag. 50 et de
M. MANGAL (Afghanistan), ibid., parag. 51.
295
Le texle de l'article 15 fut dans un tel contexte, approuvé en deuxième
lecture par consenus par la Commission plénière lors de sa 34e séance
après présentation du rapport de Comité de rédaction de la Conférence
(88).
Cette adhésion unanime au principe de la table rase fut aisément con-
firmée par l'adoption sans vote par la Conférence plénière de l'article 15
du Projet devenu ultérieurement l'article 16 de la Convention (89).
II convient à ce stade de souligner toute la portée d'un principe qui,
aussi longtemps qu'il traduit la souveraineté de l'Etat nouveau en préser-
vant sa liberté de choix, ne saurait souffrir aucune exception même lors-
qu'il s'agit de traités multilatéraux généraux ou de traités multilatéraux
dits normatifs (90).
(88) - Le Comité de rédaction ne proposa aucune modification du texte
sinon celle limitée, dans le texte espagnol, au changement de
temps du dernier verbe être de la disposition.
(89) - Conférence plénière, Se séance, ibid., p. 10 parag. 25.
(90) - Certaines délégations comme celle de la France ont pourtant soute-
nu à la Conférence que cette dernière devait dépasser les limites
posées par les projets d'articles 11 et 12 (frontières et autres régi-
mes territoriaux) afin de consacrer des exceptions qui tiennent
compte "du droit humanitaire et des traités de caractère financier
imposant aux Etats parties des charges directement afférentes à
des droits dont les titulaires sont des collectivités ou des individus
296
Les traités de frontière et ceux établissant des régimes territoriaux
semblent à cet égard soulever un probléme délicat de qualification. Ces
traités sont en effet bien souvent considérés dans la doctrine comme rele-
vant de cas d'exception au principe de la table rase. Ce qui ne s'impose pas
d'évidence et appelle dès lors un examen plus attentif.
rattachés au territoire qui fait l'objet de la mutation", ibib., p. 23
parag. 29.
La délégation française devait cependant ajouter qu'il ne devait
pas être fait mention d'un certain nombre d'exceptions comme les
traités généraux de caractère
universel qui ne mériteraient pas
un sort particulier, ibid., parag. 30. La délégation suédoise préféra
en revanche que l'on accorde un traitement distinct aux traités
multilatéraux de caractère universel comme par exemple les con-
ventions de caractère humanitaire, ibid., p. 24 parag. 43. Enfin
avec plus de netteté mais non sans quelque souci d'équilibre le
Gouvernement helvétique devait souhaiter que:
"La convention proposée prévoie un régime particulier et
pose une présomption de continuité en faveur des con-
ventions qui touchent à des intérêts communs de J'huma-
nité, c'est-à-dire, notamment des conventions humanitai-
res proprement dites, qui groupent la quasi-totalité de la
communauté internationale et occupent une place à part
parmi les conventions de caractère universel. En revan-
che, la délégation suisse estime qu'une présomption vi-
sant à créer un régime d'exception en faveur de tout traité
de caractère universel constituerait une brèche par trop
large dans le principe de la 'table rase' autour duquel
s'articule le projet d'articles", ibid., p. 41 parag. 42.
297
II. Problème de la succession
aux traités de frontière
ou aux traités relatifs aux régimes territoriaux
La Convention a consacré deux importants articles aux "régimes de
frontière" et aux "autres régimes territoriaux". Ces articles concernent tou-
te une série de traités "decaractèreterritorial", " de disposition", "de carac-
tère local" ou "réels" tandis que la COI les désigne dans ses commentaires
et pour des raisons de commodité que nous pouvons partager, par les ter-
mes de "traités territoriaux" (91).
La Convention pose amSI dans son article Il la règle suivante
"Une succession d'Etats ne porte pas atteinte en tant que
telle
a) à une frontière établie par un traité; nl
b) aux obligations et droits établis par un traité et se rap-
portant au régime d'une frontière".
Elle prévoit en outre dans son article 12 relatif aux "autres régimes
territoriaux", qu'une succession d'Etats ne saurait en tant que telle affec-
ter les droits ou obligations se rapportant à l'usage ou aux restrictions
(91) - Voir
ACDI 1974, voU!, 1ère partie, p. 202.
298
à l'usage de lout territoire au bénéfice d'Etats étrangers, de groupes
d'Etals ou de tous les Etats lorsque ces droits ou obligations ont été établis
par un traité et sont considérés comme attachés à ce territoire.
Avant j'énoncé puis la consécration de ces règles, la COI avait estimé
que les opinions doctrinales étaient:
"trop diverses pour que l'on puisse en déduire dans quelle
mesure et sur quelle base précise le droit international
reconnaît que les lraités territoriaux constituent une caté-
gorie à part aux fins du droit applicable à la succession
d'Etats" (92).
Nonobstant cette mise en garde, une large part de la doctrine (93)
partage encore l'idée selon laquelle les traités de frontière et les traités
établissant d'autres régimes territoriaux constituent, comme du reste le
soutient la doctrine classique, une catégorie spécifique de traités qui s'im-
posent au nouvel Etat du fait de l'effet dispositif du régie ment internatio-
nal établi.
(92) - Ibidem.
(93) - On pourrait ranger parmi ces auteurs, Mc NAIR, The Law of treaties,
ed. rev, Oxford Clarendon Press, 1961; j'auteur faisant ici référen-
ce aux "traités créant des obligations purement locales", p. 655; Sir
G. FRITZMAURICE, " The juridical clauses of the peace trea-
ties", RCADI, 1947, t. 73,pp. 293 et s.; O.-P. O'CONNELL, State
299
Il faul loutefois relever que ni la CDI dans son Projet et ses commen-
taires, ni la Convention en ses articles Il et 12 n'ont voulu trancher direc-
tement le débat que la doctrine a instauré autour de la question de savoir
si les traités établissant une frontière, un régime de frontière ou certains
régimes territoriaux devaient ou non faire obligatoirement l'objet d'une
dévolution successorale échappant ainsi à l'application du principe de la
table rase, même dans le cas des Etats nouvellement indépendants.
Dans les dispositions sus-indiquées, la Convention touehe les effets
d'une succession d'Etats sur les frontières et régimes territoriaux établis par
un traité et se garde de mentionner les effets d'une telle succession sur le
traité ayant servi à établir ces frontières et régimes territoriaux.
La Convention se borne en effet à affirmer que les frontières ainsi que
les régimes de frontière et certains autres régimes territoriaux ne sont pas
menacés par le seul fait d'une succession d'Etats lorsque ces frontières et
régimes ont été établis par un traité, laissant ainsi ce dernier hors du
champ de proteetion couvert par la clause de sauvegarde.
Succession in Municipal Law and International Law, Cambridge
University Press, 1967, vol.II, International Relations, pp. 14-15;
F.A. VAU, Servitudes of Internatonal Law: A Study of rights
in
Foreign Territories, Londres, Stevens, 1958, pp. 319 et s.; K. ZE-
MANEK, "State Succession after decolonization" RCADI, 1965, t.
116, pp.239-243; P. GUGGENHEIM, Traité de droit
international
public, Genève, Georg, 1953, voU, p. 226; J. Mervyn JONES, "Sta-
te succession in the matter of treaties", BYIL, Londres, vol. 24,
1948, p. 362.
300
Du coup toute contradiction est écartée entre l'affirmation du princi-
pe de Ja table rase et celle de la survivance des frontières et des régimes de
frontières ou territoriaux. Une survivance qui a trop souvent, quoique bien
à tort, suggéré celle, en droit, des instruments conventionnels ayant servi à
établir ces frontières et régimes même s'il est généralement donné de
constater, dans les faits, la continuité de tels traités.
Les formules adoptées par la Convention évitent ainsi d'ériger ces
traités en exceptions au principe de la table rase et dispensent d'une re-
cherche délicate sinon hasardeuse d'un fondement juridique satisfaisant
de cc caractère d'exception.
Une telle lecture de l'approche de la Convention n'est pas cependant
des plus répandues. Elle présente toutefois j'intérêt de contribuer à une
sérieuse réactivation d'un débat doctrinal qu'il conviendra d'approfondir
plus loin dans notre étude, au stade de la confrontation du principe de la
table rase à la pratique des Etats, en particulier des Etats nouvellement
indépendants.
Il apparaît d'ores et déjà qu'une lecture combinée des dispositions
contenues dans les articles Il, 12 et 16 de la Convention relatifs respecti-
vement aux "régimes de frontière", aux "autres régimes territoriaux" (94) et
à la "position à l'égard des traités de l'Etat prédécesseur" fait ressortir que
(94) - La convention prévoit toutefois, s'agissant des différents autres régi-
mes territoriaux visés à J'article 12 que :
301
selon la Convention le principe codifié de la table rase signifie que l'Etat
nouvellement indépendant n'est soumis à aucune obligation de succéder aux
traités du seul fait qu'ils étaient en vigueur sur son territoire au moment de
son accession à l'indépendance et que, cette absence d'obligation de succéder
ne souffre d'aucune exception.
Tel est le contenu négatif du prinCipe de la table rase.
Positivement, l'affirmation du principe comporte l'indication d'un
droit pour le nouvel Etat de devenir, sous certaines conditions, partie aux
traités applicables à son territoire avant son accession à l'indépendance.
Paragraphe II
DROIT DE PARTICIPATION AUX TRAITES
Ce droit de participation est assez largement conçu par la Convention
qui lui consacre plusieurs articles relatifs à une participation distincte de
"Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas
aux obligations conventionnelles de l'Etat prédécesseur
prévoyant l'établissement de bases militaires étrangères
sur le territoire auquel se rapporte la succession d'Etats."
La convention écarte ainsi de ses clauses de sauvegarde, des situa-
tions qui relèvent essentiellement de rapports politiques ou d'al-
liances, lesquels ne survivent généralement pas aux changements
de souveraineté. Le Projet de Convention de la COI n'avait ce- .
pendant pas prévu une telle clause.
302
l'Etat nouvellement indépendant, aUSSI bien aux traités multilatéraux
qu'aux traités bilatéraux.
1. Participation aux traités multilatéraux
La Convention distingue, dans l'affirmation du droit de participation
aux traités multilatéraux, diverses hypothèses, selon qu'à la date de la
succession d'Etats, ces traités étaient ou non en vigueur ou demeuraient
simplement signés par l'Etat prédécesseur sous réserve de ratification,
d'acceptation ou d'approbation.
L'Etat nouveau dispose ainsi du droit, selon le cas, détablir unilatéra-
lement sa qualité de partie au traité ou sa qualité d'Etat cocontractant.
La Convention dispose à cet effet, en son article 17, dans l'hypothèse
du traité en vigueur, que:
"1. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, un Etat nouvelle-
ment indépendant peut, par une notification de succes-
sion, établir sa qualité de partie à tout traité multilatéral
qui, à la date de la succession d'Etats, était en vigueur à
l'égard du territoire auquel se rapporte la succession
d'Etats".
Le droit ici reconnu à l'Etat nouvellement indépendant est un droit
303
unilatéral d'option qui lui ouvre une participation aux traités multilaté-
raux cn général, à l'cxccption toutefois de ceux dont l'application à l'égard
de cet Etat se heurterait à certaincs incompatibilités liées à leur exécution
(95) ou ceux qui, en vue d'une telle application, cxigent le consentement
ou supposent l'exigence du consentement de toutcs les partics (96).
(95) - La Convention dispose dans Je paragraphe 2 du même article 17 '
que:
"2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas s'il ressort du traité
ou s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à
l'égard de l'Etat nouvellement indépendant serait incom-
patible avec l'objet et le but du traité ou changerait radi-
calement les conditions d'exécution du traité".
(96) - Le paragraphe 3 du même article prévoit ce qui suit:
"3. Si, aux termes du traité ou en raison du nombre res-
treint des Etats ayant participé à la négociation ainsi que
de l'objet et du but du traité, on doit considérer que la
participation au traité de tout autre Etat exige le consen-
tement de toutes les parties, l'Etat nouvellement indé-
pendant ne peut établir sa qualité de partie au traité
qu'avec un tel consentement".
Les limites posées aux paragraphes 2 et 3 de cet article sont repri-
ses aux articles 18 et 19 relatifs aux conditions de participation,
respectivement aux traités qui né sont pas en vigueur à la date de
la succession d'Etats et aux traités signés par l'Etat prédécesseur
sous réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation.
304
A ces limites s'ajoutent celles traditionnellement tirées de la spécifici-
té des traités constitutifs d'organisations internationales el pour lesquels
la Convention a prévu une réserve générale (97).
Le droit d'option reconnu à l'Etat nouveau reflète au demeurant une
pratique internationale constante laquelle repose en particulier sur une
pratique concordante des dépositaires non contestée par les Etats.
Consacré par la Convention dans son article 17, en ce qui concerne les
traités multilatéraux en vigueur, le droit d'option déborde toutefois de ce
cadre pour embrasser tous les cas où un "lien juridique d'une certalne
force" (98) est établi, par l'action de j'Etat prédécesseur, entre le traité
(97) - La convention dispose en effet dans son article 4 que :
"La présente Convention s'applique aux effets de la suc-
cession d'Etats en ce qui concerne :
a) tout traité qui est ['acte constitutif d'une organisation
internationale, sous réserve des règles concernant l'ac-
quisition de la qualité de membre et sous réserve de toute
autre règle pertinente de l'organisation;
b) tout traité adopté au sein d'une organisation interna-
tionale sous réserve de toute règle pertinente de l'organi-
sation".
(98) - Rapport de la COI, précité,
ACDI 1974, voUI, 1ère partie, p. 223.
305
multilatéral et le territoire auquel se rapporte la succession d'Etats. Selon
la Commission, l'Etat prédécesseur doit avoir, à cet effet, fait entrer en
vigueur le traité, ou manifesté son consentement à être lié ou, tout au
moins, signé le traité (99). Le traité doit donc avoir été "internationale-
ment applicable" (100) audit territoire à la date de la succession d'Etats.
L'Etat nouveau peut ainsi non seulement faire valoir sa qualité de
partie à un traité multilatéral en vigueur et internationalement applicable
à son territoire comme il vient d'être indiqué, mais également et par le
même moyen de la notification de succession, participer à un traité multi-
latéral non entré en vigueur (101) ou à un traité multilatéral uniquement
(99) - Ibidem
(100) - Ibid., parag. 6.
(101) - La Convention dispose en son article 18 paragraphe 1 ce qui suit:
"Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat nouvelle-
ment indépendant peut, par une notification de succes-
sion, établir sa qualité d'Etat contractant à l'égard d'un
traité multilatéral qui n'est pas en vigueur si, à la date de
la succession d'Etats, l'Etat prédécesseur était un Etat
contractant à l'égard du territoire auquel se rapporte cet-
te succession d'Etats".
La même règle est posée dans le paragraphe 2 du même article en
ce qui concerne les traités multilatéraux qui entrent en vigueur
après la date de la succession d'Etats.
306
signé sous réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation. Mais
l'Etat prédécesseur doit avoir signé un tel traité avec l'intention d'étendre
son application au territoire auquel se rapporte la succession d'Etats
(102).
Assurément la prise en compte de J'intention de l'Etat prédécesseur
en vue de la détermination du domaine spatial d'application d'un traité
multilatéral signé par cet Etat et le droit du nouvel Etat de compléter
l'oeuvre entamée par l'Etat prédécesseur par le biais de l'expression de
son consentement à être lié, confèrent ensemble aux dispositions de l'arti-
cle 19 de la Convention un caractère novateur certain et les présentent
comme produits du développement progressif du droit international.
La solution ainsi proposée par la CDl, comme cette dernière le recon-
naît du reste, ne reflète par le droit positif ni ne traduit une pratique
étendue et certaine des Etats. Elle aurait cependant le mérite, selon la
(102) - La Convention dispose en effet, en son article 19, ce qUi suit
"1. Sous réserve des paragrahes 3 et 4, si, avant la date de
la succession d'Etats, l'Etat prédécesseur a signé un
traité multilatéral sous réserve de ratification, d'accepta-
tion ou d'approbation et que, ce faisant, son intention a
été que le traité s'étende au territoire auquel se rapporte
la succession d'Etats, l'Etat nouvellement indépendant
peut ratifier, accepter ou approuver le traité comme s'il
l'avait signé et peut devenir ainsi Etat contractant ou par-
tie au traité".
307
Commission, d'être particulièrement favorable
à la fois aux Etats succes-
seurs et au besoin d'efficacité ct d'élargissement des traités multilatéraux
(103 ).
La Commission dut pourtant rappeler, comme la Cour internationale
de Justice l'a au demeurant plusieurs fois indiqué, notamment dans l'affai-
re du Plateau continental de la Mer du Nord, qu'''une signature sujette à
ratification, acceptation ou approbation ne lie pas l'Etat" (104).
Elle n'en considéra pas moins qu'il fût possible "de justifier la recon-
naissance de la faculté de tout Etat nouvellement indépendant de manifes-
ter son consentement à être lié par un traité en vertu de la simple signatu-
re du traité par son prédécesseur", dans la mesure où, selon le droit positif
(105), une signature sous réserve de ratification crée pour l'Etat signataire
"une certaine obligation d'agir de bonne foi" et établit "un certain lien
juridique" par rapport au traité (106).
(103) - Rapport de la COI, précité, p. 228.
(104)
CIl, Rec. 1969, p. 3. La Convention de Vienne sur le droit des
traités codifia cette régie en son article 14.
(105) - Voir CIl, avis sur les Réserves à la Convention pour la prévention
et la répression du crime du génocide, Rec. 1951, p. 28; ainsi que
l'article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités
posant ""obligation de ne pas priver un traité de son objet et de
son but avant son entrée en vigueur".
(106) - Rapport de la COI, Précité, p. 228.
308
Sans doute l'argument n'est-il pas dépourvu de pertinence mais il ne
parvient pas à écarter quelque doute, d'ailleurs exprimé au sein de la
Commission, sur le bien fondé de la solution proposée d'autant plus qu'el·
le comporte une autre difficulté, celle de l'effectivité ou de la preuve de
l'intention de l'Etat prédécesseur d'étendre, en signant des traités multi-
latéraux, leur application au territoire auquel se rapportera la succession
d'Etats.
Consciente de ces difficultés la COI ne décida du maintien de la solu-
tion préconisée qu'aux fins d'être mieux éclairée par les réactions des
Gouvernements et des membres de la Commission lors de la deuxième
lecture du Projet.
Ces réactions ne furent guère concluantes. Elles justifièrent toutefois
certains aménagements de forme du projet d'article 18 finalement soumis
à l'appréciation de la Conférence de codification.
Lors de l'examen du projet d'article en Commission plénière de la
Conférence de codification, les avis furent de nouveau partagés (107), en
particulier au sujet de ses dispositions relatives à l'intention présumée de
l'Etat prédécesseur d'étendre les traités signés à l'ensemble des territoires
(107) - Voir, pour les discussions en Commission plénière, Conférence ...,
comptes-rendus analytiques, Doc. off., voU, précité, pp. 177-180.
309
pour les relations internationales desquels il est responsable (IDS). Il fut
ainsi procédé en Commission plénière à un vote séparé sur le paragraphe
(IDS) - Afin de faciliter l'examen du critère du lien juridique à établir
entre le traité et le territoire auquel se rapporte la succession, la
COI fit appel, dans ses commentaires, à la pratique suivie par le
Secrétaire général des Nations Unies en sa qualité de dépositaire;
pratique consignée dans le mémorandum du Secrétariat général
intitulé" La succession d'Etats et les conventions multilatérales
générales dont le Secrétaire général est dépositaire" (Doc. A/
CNA/lS0, ACDJ 1962, voU l, p. 142).
Selon ce mémorandum le critère retenu opère comme suit
Afin de déterminer si un traité est appliqué au territoire en ques-
tion, on procède d'abord à l'examen des clauses du traité relatives
à l'application territoriale, si ces clauses existent.
Si le traité comporte des clauses territoriales prévoyant des procé-
dures d'extension aux territoires dépendants, il est possible de dé-
terminer immédiatement si le traité est applicable au territoire en
question. Ces clauses sont parfois de portée limitée ou régionale
et excluent la participation des Etats situés en dehors du ressort
géographique de la conven tion.
Si le traité ne contient aucune disposition relative à l'application
territoriale, le Secrétaire général, dans sa pratique, considère le
principe suivant lequel, comme l'indique la Convention de Vienne
sur le droit des traités en son article 29 (Application territoriale
des traités), le traité lie l'Etat prédécesseur à l'égard de l'ensem-
ble de son territoire et donc, à l'égard de tous ses territoires dé-
pendants.
310
2 du Projet d'article contenant ces dispositions (109) avant l'adoption fina-
le dudit article en Commission.
Le projet d'article 18, devenu le dix-neuvième article de la Conven-
tion, présente incontestablement quelque intérêt pratique pour les Etats
nouvellement indépendants ct pour le développement des relations con-
ventionnelles multilatérales. Il conviendrait toutefois de ne pas en exagé-
rer l'importance dans la mesure où, indépendamment de la voie ouverte
par l'article 19 de la Convention, ces Etats conservent encore la faculté
d'accéder au traité conformément aux clauses habituelles d'adhésion gé-
néralement prévues.
En accédant au traité grâce à la procédure prévue à l'article 19 de la
Convention, l'Etat nouvellement indépendant accède en réalité au traité
nonobstant ses clauses finales, mais selon un droit qui n'est autre que celui
de la succession d'Etats. Ce droit n'est nullement nié ou rendu inopérant
(109) - Le vote séparé a été demandé par le représentant de la Grèce et le
paragraphe 2, adopté par 43 voix contre 3 avec 29 abstentions;
voir, Conférence... Doc.off., précité, p. 180. Le texte du projet d'ar-
ticle 18 a été ensuite adopté en Commission par consensus, en
première lecture, ibid. parag. 58 et en deuxième lecture, ibid., p.
223. Mais en Conférence plénière d'adoption finale des articles
du Projet, l'article 18 a été mis aux voix pour être
adopté par 50
voix contre 15 avec 10 abstentions, alors qu'un nombre important
d'articles ont été, par la même occasion, adoptés sans vote, Se
séance plénière, ibid., parag. 28.
311
par l'application du principe de la table rase qui, loin d'induire la caducité
des traités applicables au territoire auquel se rapporte la succession
d'Etats, permet éventuellement d'établir une continuité entre l'action
"conventionnelle" de l'Etat prédécesseur en rapport avec ce territoire et
celle de j'Etat successeur dans les limites de l'expression de son consente-
ment à être lié.
L'application du droit de la succession d'Etats conduit ainsi à la modi-
fication des conditions d'accès aux traités multilatéraux habituellement
fixées dans leurs clauses finales.
Ce constat est d'autant plus remarquable que s'agissant de la partici-
pation de l'Etat nouvellement indépendant aux traités qui sont ou ne sont
pas en vigueur à la date de la succession d'Etats, la notification de succes-
sion prévue aux articles 17 et 18 de la Convention permet d'établir la
qualité de partie ou d'Etat contractant à partir de la date de la succession
d'Etats et non à partir de celle de la réception de la notification. La prati-
que qui attache de tels effets aux notifications de succession est demeurée
une pratique constante et bien établie (110) et révèle encore si besoin est,
la réalité du droit de la succession d'Etats.
L'Etat nouvellment indépendant qui devient ainsi partie ou Etat con-
tractant au traité ne "succède" pas à la participation de l'Etat prédécesseur
(110) - Voir, Rapport de la COI, précité, p. 227, parag 7.
312
en le remplaçant dans ses liens avec le traité, maIs expflme son propre
consentement à établir sa qualité de partie distincte au traité ou d'Etat
constractant distinct (111).
Ainsi le Secrétariat général devait souligner dans son memorandum
de 1962 que, conformément à une pratique bien établie, le Secrétaire
général, en sa qualité de dépositaire des conventions multilatérales consi-
dère les notifications de succession des Etats nouvellement indépendants
"comme équivalant à tous égards" à une ratificatiun ou une adhésion ct, de
ce fait, comme devant entrer en ligne de compte "aux fins de l'application
des clauses d'un traité subordonnant j'entrée en vigueur de ce traité à
l'existence d'un nombre déterminé de parties" (112).
Dans ses commentaires sous le projet d'article 17, la COI considère
que l'on doit à cet égard présumer que les Etats qui ont négocié la conclu-
sion d'un traité ont accepté que des "règles générales du droit en matière
de succession d'Etats" (113) soient venues modifier les clauses finales du
traité.
Aussi tout en évitant de trancher directement la question de savoir si
(111)
Ibid., p. 224
(112)
Ibid., p. 226.
(113)
Ibidem.
313
le droit de l'Etat nouvellement indépendant de notifier sa succession à un
traité découle d'un principe du droit des traités ou d'un principc dc "suc-
cession" (114), la CDI reconnaît-elle dans les constats auxquels elle a
abou ti que :
"Les notions de succession et de continuité sont entière-
ment respectées si la notification de succession que fait
un Etat nouvellement indépendant est censée reporter
son effet à la date de l'accession à l'indépendance" (115).
Mais une telle affirmation même des mieux fondées est bien en deçà
de la conclusion qui précède et dans laquelle la CDI présume que les
règles du droit de la succession dérogent aux règles du droit des traités.
Il demeure que les notions de succession et de continuité sont égaie-
ment confirmées dans l'affirmation, quoique plus limitée, du droit de par-
ticipation de ['Etat nouvellement indépendant aux traités bilatéraux.
(114) - Il s'agit-là selon la CD! d'une "question de doctrine", ibid., p. 224.
(115) - Voir, sur les effets d'une notification de succession, le projet d'arti-
cle 22 (devenu article 23 de la convention) et les commentaires de
la CD! Y relatifs, ibid., p. 243, parag. 6.
314
II. Participation aux traités bilatéraux
L'application du principe dc la table rase n'écarte pas la prise cn
compte de l'intérêt que le nouvcl Etat peut avoir au maintien de l'applica-
tion à son territoire d'un traité bilatéral conclu par son prédéccsseur.
Dans la pratique, les traités bilatéraux sont fréquemment appliqués
par ['Etat nouvellement indépendant et par j'autre partie (116). L'Etat
nouveau a pu ainsi, par des moyens divers, faire connaître sa volonté de se
considérer comme lié par ces traités. La pratique n'a au demeurant coinci-
dé avec, ni fait naître, aucun droit unilatéral d'option permettant à l'Etat
nouvellement indépendant de participer aux traités bilatéraux sans ['ac-
co rd des autres parties (117).
La Convention dispose à cet égard en son article 24 paragraphe 1 que:
(116) - Ibid., p. 245, parag 2.; voir également M. K. YASSEEN, "La con-
vention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités",
AFDI 1978. p. 107.
(117) - Selon le Rapporteur spécial de la COI:
"La pratique et la commodité penchent pour le maintien
en vigueur des traités bilatéraux par voie d'accord, soit
expressément conclu, soit découlant de la conduite",
ACDI 1974, voU, p. 161.
315
"1. Un traité bilatéral qui, à la date d'une successIOn
d'Etats, était en vigueur à l'égard du territoire auquel se
rapporte la succession d'Etats est considéré comme étant
en vigueur entre un Etat nouvellement indépendant et
l'autre Etat partie:
a) s'ils en sont expressément convenus ou
b) si, en raison de leur conduite, ils doivent être considé-
rés comme en étant ainsi convenus".
Un accord exprès ou tacite est donc nécessaire pour que puisse être
établi un fondement juridique au maintien du traité bilatéral sur le terri-
toire du nouvel Etat.
Ainsi le lien juridique existant entre le traité bilatéral et le territoire
du nouvel Etat n'est guère plus suffisant pour faire apparaître, au moment
de la succession d'Etats, un droit unilatéral de participation du nouvel
Etat au traité.
Cette différence notable d'avec la participation aux traités multilaté-
raux résulte essentiellment de la particularité des relations conventionnel-
les bilatérales qui reposent davantage sur l'identité des parties contractan-
tes, faisant ainsi appel, plus nettement, à l'''équation personnelle" du co-
contractant (118). L'Etat nouveau aura donc à exercer, s'il le souhaite, la
(118) - Cf Rapport CD!, précité, p. 245, parag. 3 et, M. K. YASSEEN,
op. cil., p. 108. La différence est encore saisisssante entre les solu-
316
faculté de conclurc avec l'autre partie, une nouvelle relation convention-
nelle strictement bilatérale et exclusive de toute participation de l'Etat
prédécesseur auquel, conséquemment, l'Etat nouvellement indépendant
n'aura nullement à "succéder" dans ses rapports bilatéraux avec cette autre
partie.
La pratique des Etats, minutieusement observée en vue de l'élabora-
tion des projets d'articles de la COI (119) aura conduit cette dernière à
partager l'avis selon lequel on ne saurait:
"déduire de la fréquence de la continuité (observée) une
règle ou une présomption générale quelconque suivant
laquelle les traités bilatéraux resteraient en vigueur à
moins qu'une intention contraire ne soit déclarée" (120).
tions dégagées de la pratique et retenues par la Convention selon
qu'elles concernent le cas d'accession à l'indépendance ou celui
de séparation des parties d'un Etat, étant entendu que les liens
unissant l'Etat prédécesseur et j'Etat successeur sont avant la date
de la succession, bien plus étroits ou bien moins artificiels dans le
second cas que dans le premier.
(119) - Voir, pour une analyse succinte de cette pratique, le Rapport préci-
té de la CD!, pp. 246-248.
(120) - Ibid., p. 248
317
On pourrait dès lors conclurc avec la Commission en réaffirmant
l'idée selon laquelle
"Une solution qui serait fondée sur le principe, non pas de
la 'renonciation' à la continuité, mais de l'engagement à
assurer celle continuité par une indication plus affirmati-
ve du consentement des Etats intéressés est plus en har-
monie avec le principe de l'autodétermination" (121).
Cette idée semble être pleinement prise en compte dans les disposi-
tions de l'article 24 de la Convention, laquelle aura ainsi choisi de réaffir-
mer autour du principe de la table rase, l'autonomie de la volonté de l'Etat
successeur, le respect dû à la volonté exprimée du cocontractant, une cer-
taine exigence de continuité, ensemble retenus par le droit de la succes-
sion d'Etats dont la réalité est encore implicitement rappelée dans le con·
tenu du paragraphe 2 du même article qui dispose ainsi qui suit, que:
"2. Un traité considéré comme étant en vigueur en appli-
cation du paragraphe 1 s'applique dans les relations entre
j'Etat nouvellement indépendant et l'autre Etat partie
à
partir de la date de la succession d'Etats, à moins qu'une
intention différente ne ressorte de leur accord ou ne soit
par ailleurs établie (122).
(121)
Ibidem.
(122)
C'est nous qUI soulignons.
318
Conclusion du Chapitre
Nous avons tenté, dans ce qui précède, de souligner le sens et la por-
tée de la codification et du
développement du droit de la succession aux
traités, spécialement en ce qui concerne les Etats nouvellement indépen-
dants, dont font partie la quasi-totalité des Etats africains.
Les Etats et institutions de la Communauté internationale ont pris
une part active à la longue maturation des règles successorales destinées à
la codification et au développement progressif dont le processus, mis en
mouvement depuis le début des années soixante, devait prendre en charge
un Projet de convention multilatérale largement ancré dans la pratique.
Les règles contenues dans ce Projet ont tenté de réconcilier le droit
classique et les exigences d'un droit international nouveau rendu nécessai-
re par les transformations nouvelles et profondes de la Société internatio-
nale. Elles ont suscité une très large adhésion qui ne s'est toutefois mani-
festé que progressivement du fait surtout des hésitations des Etats et des
auteurs les plus attachés au droit classique. Leur adhésion a été finale-
ment acquise à travers l'admission d'une typologie successorale favorable
à l'affirmation de règles spécifiques aux cas de décolonisation et qui toutes
gravitent autour du principe de la table rase.
Mais si le principe de la table rase signifie à cet égard, et à l'exclusion
de toute exception, que le nouvel Etat entame son existence souveraine
libre de toute obligation de succéder aux traités conclus par son prédéces-
seur et rendus applicables à son territoire, il prend en compte, plus positi-
319
vernent, l'intérêt que le nouvel Etat peut aV(JIr au maintien de l'applica-
tion de ces traités à son propre territoire. Le principe de la table rase
comporte ainsi, sous certaines conditions, essentiellement le respect de la
volonté des autres parties, le droit de participation du nouvel Etat aux
traités bilatéraux et, davantage encore, aux traités multilatéraux.
320
Après avoir tenté de dégager le sens et la portée de la codification et
du développement du droit de la succession aux traités, plus particulière-
ment en ce qui concerne les Etats nouvellement indépendants, il convient
d'essayer de porter une appréciation sur la pratique successorale africaine
qu'il s'agira de confronter, dans ses orientations majeures, aux conclusions
auxquelles nous sommes déjà parvenu, pour autant qu'il semble utile d'ap-
préhender cette pratique à la lumière des résultats de la codification et du
développement du droit de la succession d'Etats.
L'analyse et l'appréciation de cette pratique successorale constitue-
ront l'objet du chapitre suivant.
CHAPITRE Il
PRATIQUE SUCCESSORALE
322
Il importe, afin de mieux analyser et apprécier la pratique successora-
le des Etats africains, ainsi qu'en particulier cellc du Sénégal, de détermi-
ner les engagements internationaux susceptibles d'être concernés par la
succession d'Etats.
La détermination du régime conventionnel (SECTION 1) des Etats
africains il une période où ils ne disposaient pas encore de la maîtrise de
leurs relations extérieures constitue à cet égard un préalable utile à l'étu-
de des méthodes successorales auxquelles ces Etats ont eu recours (SEC-
TION II) ainsi qu'à l'examen des règles appliquées il l'occasion de leur
"succession" aux traités internationaux (SECTION III).
Nous étudierons ainsi la pratique africaine et ses réponses vis à vis du
principe de la table rase à travers les trois sections suivantes:
SECTION 1 : LE REGIME CONVENTIONNEL
SECTION II : LES METHODES SUCCESSORALES
SECTION III : LES REGLES SUCCESSORALES
323
SECTION l
LE REGIME CONVENTIONNEL
La doctrine considère généralement, de même que la Convention de
Vienne sur la succession aux traités ainsi qu'il vient d'être observé, que
l'Etat nouveau tire son droit de revendiquer la succession à un traité de
l'applicabilité de celui-ci à l'égard de son propre territoire.
Le critère du lien avec le terrÏtoire auquel se rapporte la succession
est en général assez largement admis, notamment par l'international Law As-
sociation qui l'inserra dans ses huit résolutions sur la succession d'Etats en
matière du traité (1).
(1) - Voir, International Law Association (ILA), Buenos Aires Confe-
rence, 1968, Interim Report of the COl1ll11ittee on the Succession of
New States of the Tremies and Certain Other Obligations of their
Predecessor, Resolution n° 1. Rappelons que l'ILA avait créé en
1%1 un comité de 14 membres chargé d'étudier la question de la
"successioll des Etats nouve:1UX aux traités et à certaines autres
obligations de leurs prédécesseurs". Ce comité était présidé par le
Professeur Charles ROUSSEAU et le Professeur D.P. O'CON-
324
Le Rapporteur spécial de la CDI en proposant cc même critère à la
codification s'est amplement fondé sur la pratique, notamment sur les ter-
mes de la lettre que le Secrétaire général des Nations-Unies, agissant
comme dépositaire, a adressée aux Etats nouvellement indépendants afin
d'attirer leur attention sur une pratique instituée concernant les "traités
multilatéraux qui avaient été rendus applicables à leur territoire par les
Etats antérieurement chargés de leur relations extérieures" (2).
NELL en était le RapporteLlr. Le comité a présenté LIn premier
rapport intérimaire qui a été examiné par l'Association à sa 52e
conférence tenue à Helsinki en 1966. Ce rapport a servi de base à
l'adoption de quatre recommandations destinées à assurer LIn
maximum de continuité dans les relations conventionnelles des
nouveaux Etats. Le Comité a ensuite présenté à la 53e conférence
de l'Association réunic il Buenos Aires le deuxièmc rapport inté-
rimaire dont il est question dans la' présente note. Ce rapport
comprend neuf projets de résolution dont huit concernant la succes-
sion aux traités. Ces huit projets de résolution présentés sous for-
me d'articles ont tous été adoptés par l'Association. La version
française des projets de résolution figurc aux pages 8 à 10 du
deuxième Inlerill1 Report ... Pour plus de détails, voir, ACD! 1969,
vol. II, pp. 47-48 qui public également en français le textc des huit
résolu tions, ibid., p. 48.
(2) - Textes des types de lettre dans Doc. AjCN.4j150,
cf, A CD! 1962,
vol. Il, p. 142. C'est nous qui soulignons.
325
Ainsi, pour les Etats fr;lncophones d'Afrique
y compris le Sénégal,
les traités concernés par la succession sont ceux qui, selon des techniques
diverses, ont pu être considérés comme applicables à leurs territoires.
Le fondement de cette distinction réside dans le principe de la "spé-
cialité conventionnelle" qui ordonne les relations conventionnelles de
l'Etat dépendant et inspire des techniques diverses d'extension des con-
ventions internationales aux territoires dépendants (sous-section 1).
Ces territoires ont eu en outre coutume d'édicter d'autres mesures en
vue d'insérer dans leur ordre interne colonial telles normes convention-
nelles déjà rendues internationalement applicables à leur territoire (sous-
section II).
Sous-Section 1 :
L'EXTENSION DES CONVENTIONS INTERNATIONALES
AUX TERRITOIRES DEPENDANTS
Le régime conventionnel des Territoires français d'Outre-mer repose
tout entier sur le principe de la spécialité conventionnelle.
Une étude, même sommaire de ce principe, semble appeler l'examen
à la fois de son contenu et de sa portée.
326
l'aragraphe 1
LE CONTENU DU PRINCIPE
DE LA SPECIALITE CONVENTIONNELLE
Le principe de la spécialité conventionnelle complète celui de la spé-
cialité législative (37) et traduit la faculté de l'Etat ou du Gouvernement
métropolitain de limiter la portée de ses engagements extérieurs sur une
partie de son territoire.
Aussi signifie-t-il que les engagements conclus par la Métropole ne
sont applicables à ses autres territoires que si un acte ou des dispositions
contenues dans ces mèmes engagements les y étendent (4).
(3) - Le principc de la spéci:t1ité législative a été étudié dans le chapitre
1er de la 1ère partie de cette thèse consacré au "principe de la
table rase et la succession de l'ordre législatif'. Nous renvoyons
donc aux dévelo_p'pements y contenus.
(4)
Le principe de la spécialité conventionnelle et, de manière plus
large, l'extension aux territoires d'outre-mer des traités conclus
par la Fr<tnce ont fait J'objet d'études approfondies. Nous pouvons
renvoyer notamment aux travaux suivants: P. LAMPUE, "l'appli-
cation des traités dans les territoires et départements d'outre-
mer", AFDI 1960, pp. 907 et S. ; D. BARDONNET, Succession
d'Etats ri Madagascar, Paris, LGDJ, 1970, pp 59 et s. ; YUEN-Ll-
LIANG, "Colonial and federal clauses in United multilateral ins-
truments", A1IL, 1950, pp. 108 et s.; R.DEGNI-SEG UI, La succes-
sion d'Etats en Côte d'Ivoire, thèse doc!., 1979, pp.141 et s. ; voir
également F.C. OKOYE, lllicmatiollai Law and the new Africall
327
La pratique française semhle avoir été fixée depuis hien longtemps,
au moins depuis l'époque où des ordonnances durent réaffirmer le princi-
pe de la spécialité législative pour ce qui concerne les îles. Celle pratique
qui ne s'est plus démentie par la suite devait s'illustrer à l'époque par une
lettre ministérielle adressée le 4 février 1777 aux Conseils souverains de
Saint-Domingue et affirmant "que les traités d'aubaine ne sont pas appli-
cables aux colonies" (5).
La diversité de régimes applicah!es au sein de la République et qUi
résulte de la mise en oeuvre du principe de la spécialité" s'explique par le
fait qu'en l'absence d'une personnalité internationale propre, les territoi-
res français d'outre-mer ne participaient pas en règle générale, par leur
propres organes, à la conclusion des engagements internationaux. Cette
prérogative demeurait en effet un attrihut des organes constitutionnels
centraux.
Srares, London, Sweel & Maxwell, 1972, pp. 54 et s., avec référen-
ce :1 la pralique du Commonwealth britannique; J.E.S. FAW·
CETT, "Treaty relalions of I3ritish Overseas territories", BYIL,
1949, pp. 86 et s. ; C. NGUYA·NDILA, Indépendance de la Répu-
blique du Congo et les engagements internationaux antérieurs,
Kinshasa, Publications de l'Université de Kinshasa, 1971, pp. 112
et s. L'étude que nous ferons ici du principe de la spécialité con-
ventionnelle sera, en conséquence, relativement succin te.
(5) - Lettre publiée dans le Reweil des anciennes lois françaises
d'ISAMI3ERT, t. 24, p. 324, cité par P. LAMPUE, op cir, Il 920.
3211
La participation des tcrritoircs dépendants à l'élaboration et à l'adop-
tion de certains accords intevenant dans des matières spécifiques, en géné-
rai techniques, semblait ainsi déroger au principe de la non-participation.
Cette forme d'intervention n'en était pas moins prévue et organisée en
France par plusieurs textes depuis l'époque de la Restauration (6).
La portée de cette intervention demeurait toutefois très limitée dans
la mesure où sa mise en oeuvre était conditionnée par l'approbation du
Chef de l'Etat ou l'autorisation du Gouvernement. En outre, dans le cadre
des unions administratives et de certaines institutions spécialisées où
s'élaborent des
accords
techniques,
les autorités des
territoires dé-
pendants
signataires des instruments négociés agissaient plutôt comme
des représentants des administrations techniques autonomes ou des servi-
ces publics locaux. Tel fut bien souvent le cas en ce qui concerne les ac-
cords conclus dans le cadre des unions ou organisations administratives
comme L'U.P.U., L'O.M.M., L'U.I.T., ou le GAT.T. (7).
(6) - Ainsi, conformémcnt aux orùonnances constitutives des 21 aoùt
H,25,9 février 1827 ct 27 aoùt IS28, le Gouverncur ùu territoire,
agissant comme agent de l'Etat, "négocie lorsqu'il y est autorisé ct
dans les limites de ses instructions toutes conventions commercia-
les et autres; mais il ne peut dans aucun cas, les conclure que sauf
la ratification du chef de l'Elat". cf, P. LAMPUE, op. cil., p. 90S.
(7) - Ibidem.
329
La pratiyue des territoires d'outre-mer français est rèstée à ccl égard
différente de celle des anciens Dominions hritanniques qui, avant d'accé-
der
l'indépendancc, ont hénéficié d'un "treaty-making-power" relative-
ment restreint mais qui s'est par la suite graduellement accru (8). Cette
évolution a également concerné les Etats africains membres du Common-
wealth auxquels fut reconnue, avant leur accession
l'indépendance, la
compétence de conclure certains traités, notamment les traités de com-
merce ou ceux intervenant dans des domaines "techniques" toutefois sous
la responsahilité internationale du Royaume-Uni (9).
(8) - cf, F.C., OKOYE, op. cil., pp. 54-57. L'auteur précise qu'il en va de
même pour l'Inde et rappelle cn outre que:
"British treaties were, except in sa far as they were limi-
ted either expressly or by implication, generally deemed
to extcnd ta ail British terrilOries and ta ail British sub-
jects",
ibid, p. 54.
(9) - Contraircment aux vieux Dominions, les colonies africaines appar-
tenant au Commonwealth britannique n'ont pas disposé d'un "re-
ponsihle government" avant leur accession à l'indépendance. Tou-
tefois selon F.C. OKOYE :
"As Crown colonies they were subjcct ta ail treaties affee-
ting the British empire, ta those treaties specifically con-
tracted for them, aud to a further category, of trcaties
containing an accession clause" ibid. p. 55.
Le domaine de validité territoriale du traité conclu par l'Etat prédé-
cesseur est donc délimité en vertu du principe de la spécialité convention-
nelle.
Le traité y pourvoit dans ccrtains cas, directement, au moyen de clau-
ses expresses d'application. En l'absence de telles clauses et lorsque l'in-
tention du gouvernement métropolitain n'est pas par ailleurs établie, une
approche interprétative du contenu du traité devient nécessaire en vue de
mettre en lumière une intention non formellement exprimée.
[1 demeure enfin toujours selon l'auteur que:
"As in the case of older dominons il soon became recon-
gnized by the turn of the century thal treaties of the Uni-
ted Kingdol1l did not specifically applied to them, but were
specifically applied persuant 1O territorial application
clauses" ibidcm.
Voir, dans le même sens, D.P. O'CONNEL!.., SUlle Successioll ill
MUllicipul LulV ulld IllIemuriol/ul Lem, précité, t. Il, pp. 131-134.
On pourrait aussi consulter utilement à ce sujet l'ouvrage de.
l'International Law Association, The effecl of Independence on
Treaties, London, Stevens & Sons, 1965, pp. 36-38. L'ouvrage ne
mentionne pas moins de huit catégories de traités applicables aux
nouveaux pays membres du Commonwealth au moment de leur
accession à l'indépendance, ibid., pp. 37-38.
331
L Le pnnclpc dc la spécialité en vertu des clauses conventionnelles
La solution du problème de l'applicabilité des traités dans les territoi-
res d'outre-mer est relativement simple lorsqu'elle est expressément et di-
rectement posée par les dispositions mêmes de l'accord.
Mais les clauses d'appicabilité spatiale contenues dans l'accord sont
des plus diverses.
Reprenant une classification proposée par le professeur Ch. ROUS-
SEAU, le Professeur LAMPUE regroupe ces clauses en plusieurs catégo-
ries (10).
La clause contenue dans l'accord, parfois appelée "clause coloniale"
(11), peut être une clause d'application territoriale restrictive, limitée au
(10) - P LAMPUE, op. Cil., pp. 910 et s.
(11) - Le professeur BARDONNET rappelle que la "clause coloniale"
est d'origine britannique et serait née au cours de la lutte des
anciens dominions pour obtenir leur pleine autonomie fiscale. Il
semble, en outre qu'on l'ait découverte dans le traité de commer-
ce conclu par la Grande-Bretagne avec le Montenégro en 1882;
voir D. BARDONNET, op. cil., pp. 369, note 38; voir aussi les
exemples donnés dans le Recueil des clauses finales de l'ONU,
ST/LEG./6, pp.85 à 94.
332
seul territoire métropolitain. Il en va ainsi par exemple de clauses conte-
nues dans les anciennes conventions de droit international privé de la
HAYE du 12 juin 1902.
La clause peut aussi limiter l'application du traité aux territoires des
Etats appartenant à une même région comme semble pouvoir l'illustrer le
l'acte de Bruxelles du 17 mars 1948 modifié et complété par les accords de
Paris du 23 octobre 1954 créant l'Union de l'Europe Occidentale (12).
Ces clauses s'analysent comme des clauses territoriales d'exclusion eu
égard aux territoires d'outre-mer et s'opposent ainsi à celle qui n'intéres-
sent que ces territoires. L'on cite parfois dans ce cas les conventions inter-
nationales du travail adoptés à Genève en 1947 à l'intention des "territoi-
res non métropolitains".
L'accord conclu peut toutefois laisser à la Métropole une liberté plus
ou moins ample de déterminer les zones géographiques à exclure, ou de
fixer elle-même le domaine géographique d'application du traité. On parle
ici volontiers de "clauses territoriales" d'extension ou d'exclusion et j'ex-
pression "réserve territoriale" est à cet égard généralement utilisée pour
viser les cas d'exclusion de territoires non métropolitains. Le gouver.
(12) - Le Pacte pose une oblig;,tion d'assistance au profit de toute Partie
qui "serait I·objet d'une agression Cil Europe" (article 4), cf,
P. LA M PU E, np. cil. . p. 910 ; c'est nous qu i sou 1ignons.
333
nemenl de la Mélropole demeure cependant libre de faire toute déclara-
tion ou de prendre toul acte propre à étendre au-delà de son lerritoire, les
dispositions d'un traité à l'origine conclu pour la Métropole.
Lorsque l'extension d'une telle convention est soubaitable, pour au-
tant que les conditions locales outre-mer y soient favorables, la Métropole
peut souscrire une simple déclaration d'engagement à étendre son appli-
cation, ou s'engager à accepter l'accord au nom ou pour le compte du
territoire d'outre-mer, selon que ce dernier ne dispose pas ou bénéficie
d'une compétence propre en la matière (13).
L'accord international peut enfin contenir une clause d'application
générale sans distinction de champs d'application tout en se gardant de
prévoir expressément une faculté de limitation territoriale (14),
(13) - Cf par exemple, la Constitution de "OIT revisée le 9 octobre] 945,
article 35.
(14) - Cf. La convention de Chieago du 7 décembre 1944 sur l'aviation
eivile internationale (article 2) ; la Convention pour la répression
de la traite des êtres humains et de l'exploitation de Ja prostitu-
tion d'autrui, adoptée par l'Assemblée générale des Nations
Unies le 2 décembre 1949 (article 23). Toutefois le Traité de Ro-
me du 25 décembre 1957 créant la Communauté européenne de
l'(.n,;rgie atomique tout en se rattachant il la même catégorie d'ac-
cords prévoit (article 8), afin de tenir compte des particularités
structurelles du Royaume des Pays-Gas, une possibilité d'applica-
3}4
Mais autant!'identification des traités internationalement applicables
peut paraître aisée lorsque l'accord y pourvoit expressément par le moyen
d'une clause, autant elle demeure des plus délicates en l'absence d'une
telle clause.
II. Le principe de la spécialité en l'absence de clauses conventionnelles
Lorsque J'accord ne se prononce pas sur son applicabilité aux territoi-
res autres que celui de la Métropole, il peut paraltre Jogique, compte-tenu
du principe de la spécialité conventionnelle, de conclure à sa non-applica-
bilité automatique à ces territoires. Mais si une telle solution semble s'im-
poser de toute évidence, elle n'en demeure pas moins malaisée tant la doc-
trine, sur ce point, reste divisée et la pratique jurisprudentielle incertaine
( 15).
bilité sélective. Pour plus de détails sur ces exemples VOIr, P.
LAMPUE, op.cil.; pp. 910 et s., et D. BARDüNNET, op. cil., pp.
368 et s. à qui ces derniers exemples ont été empruntés.
(15) - Pour plus de détail sur ces points voir D. BARDüNNET, op. cil.,
pp. 374 et s., en particulier sur les hésitations de la jurisprudence;
de même, la thèse précitée de R. DEGNI-SEGUI, pp. 154 et s. La
pratique gouvernementale française est demeurée à cet égard
particulièrement ferme et considère généralement que le traité
335
Une doctrine que j'on peut considérer comme dominante (15) et à
laquelle se rattache l'oeuvre du professeur LAMPUE soutient qu'en l'ab-
sence de stipulations expresses, les traités ne concernent que la Métropo-
le.
A l'appui de cette considération, le Professeur LAMPUE Invoque
deux raisons.
D'abord le fait que de très nombreux traités prévoient un mode d'ex-
tension aux territoires d'outre-mer et qu'ainsi les clauses qui indiquent
une telle extension seraient bien inutiles si les instruments internationaux
qui en seraient dépourvus seraient malgré tout applicables en dehors de la
Métropole.
Ensuite la réaffirmation ou la confirmation de la spécialité conven-
CJui ne prévoit pas expressément son extension aux colonies ne lie
en prIncipe que la Métropole, cf, D. BARDONNET, op.cit., pp.
377-380.
(16) - G. SELLE, Précis de droit des gens, 1.1, 1932, p. 148; Ch. ROUS-
SEAU, Princi/JCS généraux du droi! inlan(l/ional public, 1. l, pp. 381
ct s. ; du même auteur, Droit intcrnational puhlic, Paris, Dalloz,
1965, n° 56; P. CHAILLEY "Théories générales des traités inter-
nationaux "suppl. au Répcrloirc dc droir illlcr!Jational de A.G. de
LA PRADELLE ct J.P. NI130YET, 1934, n° 12 bis, p. 302 el A.
GONCALVES PEREIRA, La succcssion d'Etats cnlilatièrc dc trai-
té, Paris, Pédone, 1969, pp. 133.
336
tionnelle qui selon P. LAMPUE "accompagne la spécialité législative"
(17). Mais le principe ainsi posé n'est pas absolu selon cette doctrine qui
considère l'intention commune des parties établie par ailleurs, ou la natu-
re ou l'objet du traité pour recommander son application outre-mer.
Une doctrine moins largement représentée considère cn revanche que
les traités s'étendent en principe aux territoire d'outre-mer, même en J'ab-
sence d'une clause expresse d'extension.
Pour les auteurs de cette tendance, le traité, en tant qu'acte interna·
tional, reçoit sa force obligatoire et son champ d'application de ses pro-
pres auteurs, c'est-à-dire du législateur international et non pas du droit
interne des Etats. Ces auteurs procèdent à cet égard à une inversion du
principe posé par la doctrine précédente en considérant que sauf déclara-
tion ou clause spéciale, le chef de l'Etat agissant comme législateur inter-
national intervient en principe pour tout l'Etat (18).
(17) - P. LAMPUE, op. cil., p. 917.
(18)
R. PINTO, ElélJ1ellls de drai! constitutiol1nel ,Paris, 1948, p. 263 ; F.
LUCHA1RE, "L'exercice de la fonction exécutive du droit inter-
national par les organcs étatiques", in, La !echnifjue el les principes
du drail public, EIL/cles en l'llOnneur de Georges SCELLE, 1950,
1.11, p. 852 ; G. FISCHER, "Esclavage Cl droit international",
RGDf? 1957, p. 98. L'opposition est radicale entre les deux con-
ceptions ci-dessus exposées dans la mesure Oll j'une tend à sauve-
garder un
certain degré d'autonomie du droit colonial tandis
que l'autre semble plutôt affirmer une relative primauté du droit
des gens.
337
Partant de cette considération, certains auteurs préfèrent recouvrir à
une approche interprétative des traités en vue de résoudre au cas d'espèce
le problème de leur applicabilité. L'interprétation préconisée doit ainsi
tenir compte de la nature, du contenu et du contexte de l'accord ainsi que
de la pratique interne gouvernementale et jurisprudentielle de l'Etat (19).
En dépit de certaines hésitations, la jurisprudence française va plutôt
dans le sens de l'affirmation de l'idée selon laquelle en l'absence de clau-
ses d'application territoriale, un traité n'est applicable que sur le territoire
métrupolitain de l'Etat conformément au principe de la spécialité conven-
tionnelle (20). Mais dans la mesure où la portée de ce principe n'est pas
absolue, la jurisprudence admet que ['intention des parties établie par
ailleurs ainsi que l'objet du traité peuvent exiger son extension aux terri-
toires d'outre-mer (21).
(19) - Voir C. ROSSILLON, Le régillle législallf de la France d'Duire-111er,
Paris, 1953, p. 45 : .1. DEI-IAUSSY, "Les traités", 1llrisc!assellr de
Droit inlem(l/iollal, vol. 1, fasc.12A, p. 11. Auteurs cités par D.
BARDONNET, 0IJ. cit., p. 376.
(20) - Voir les exemples cités par P. LAMPUE, op. cit., pp. 917-920 et D.
BARDONNET, op. cit., pp. 380-382.
(21) - La pratique jurisprudcntielle française trouve parfois un écho dans
les décisions rendues par les tribunaux d'autres pays, notamment
l'Italie (c[arrêt de la Cour italienne du 28juil1et 1965, Saadonn c.
338
C'est le sens qu'il convient de reconnaître à la conception de la doctri-
ne et de la pratique générales françaises et qui fut aisément admise par le
Comité juridique de l'Union Française dans son avis du 19 avril 1950 "con-
cernant l'application des traités internationaux aux différents éléments de
l'Union Française" (22).
Dit/a Vaccllril/O. cité par D. !3AI~DONNET, ojJ.cil., p. 382 ; l'au-
teur cite ég;t1elllelllune importante bibliogr:lphic), les Etats-Unis
(voir D. !3ADONNET, OjJ. cil., p. 383 note 80), la Suisse ct Cuba.
l'our la Suisse. cf, Tribunal fédéral suisse. 20 juin 1891, affaire cie
l'cxtradition du lieull:nanl L1V]{;\\G/-I1 (CIul/el, 1891, p. 857). La
réponse donnée par la cour :1 la qucstion de l'applicabilité c1es
traités clans les colonies cn l'abscnce dc clauses d'application,
s'énonce loute nuancée Cil ces ll:rmes
"celll: question ne peut guère ètre résolue d'une manière
uniforme, la solution devant varier suivant la nature des
différents
traités
et
l'intention
présumée
des
con-
tractants, laquelle dépend de cettc nature même",
cf, P. LAMPUE, op. cil., p. 920. Pour Cuba, cf, Cour suprême cIe
Cuba, 27 juin 1929. S'agissant de l'application aux territoires insu-
laires des Etats-Unis, en particulier les Pbilippines, du traité de
réciprocité commerciale conclu entre les Etats-Unis et Cuba, la
cour c1evait déclarer que la coutume généralement reconnue dans
les accords intcrnationaux est que les traités ne s'étendent aux
colonies qu'en vertu d'unc clause expresse, ibidem, également
dans Anllual Digesl of Inlerl/wional Lrm Cases, 1929-30, p. 354 et
nOIe ROUSSEAU, RGDIP; 1936 p. 490.
(22) - Texte réprocluit intégralement en Annexe de cette tbèse.
339
Consulté sur les conditions dans lesquellcs les traités conclus par les
Gouvernements de la République avec les puissances étrangères sont ap-
plicables aux différents éléments de l'Union française antres que la Fran-
ce métropolitaine, le Comité juridique devait indiquer, en qui concerne les
territoires d'outre-mer, son adhésion au principe de la spécialité conven-
tionnelle dans les termes suivants:
"... en dépit des divergences dans la doctrine et d'incerti-
tudes dans la jurisprudence, le principe prévalait avant
1939, à la fois cn France et dans la plupart des pays étran-
gers, que les traités ne s'étendent pas de plein droit aux
colonies si une disposition formelle n'a pas prévu cette
application. Aucune raison déterminante ne contraint à
abandonner cette règle. En effet, si les territoires d'outre-
mer ont reçu de la Constitution un statut qui les fait parti-
ciper d'une façon beaucoup plus active et intime à l'orga-
nisation politique de la République, les colonies dans le
régime antérieur constituaient déjà en droit des éléments
territoriaux de la République de sorte que la transforma-
tion opérée n'a pas affecté la délimitation de l'Etat. D'au-
tre part, le principe de la spécialité de la législation sub-
siste pour les territoires d'outre-mer puisque les lois mé-
tropolitaines n'y sont applicables que moyennant une
mention expresse ou un acte spécial d'introduction. Il
semble donc que la solution traditionnelle doive conti-
nuer à prévaloir. En s'y référant, on reprendra également
les limites qu'elle comportait. La présomption qu'elle in-
340
voque n'est pas absolue ct l'application d'un traité aux
territoires d'outre-mer peut résulter non seulement d'une
disposition expresse, mais encore de l'objet même de
l'engagement, lorsque l'ensemble de j'Etat s'y trouve né-
cessairement soumis comme au cas d'un traité de paix"
(23).
Cet avis, au demeurant conforme à celui donné par le même organe le
19 octobre 1948 à propos de la ratification dc la Convention internationale
des télécommunications (24), a été partagé et confirmé par la suite par le
Gouvernement français dans une déclaration faite par M.G. BIDAULT,
alors ministre des Affaires étrangères et lue par M. SCHUMANN, secré-
taire d'Etat aux Affaires étrangères, le 20 novembre 1953 devant l'Assem-
blée nationale.
Selon les termes de cette déclaration
"Il est bien évident que, lorsque le Gouvernement fran-
çais signe ou a signé des traités, il le fait au nom de la
République tout entière. Il peut même le faire éventuel-
(23) - Texte de l'avis dans R1PUF, 1953, p. 125 ; également reproduit par
A.-Ch. KISS, Répertoire français de ciroit intematiollal publie, t. II,
p. 562, n° 976.
(24) - Convention signée le 2 octobre 1947.
341
lement au nom de l'Union française si les organes compé-
tents de J'Union l'y autoriscnt.
"Mais ceci n'implique nullement que les clauses de ces
traités doivent s'appliquer forcément à la totalité des ter-
ritoires de la République française ou de l'Union. On a
paru
parfois
contester
la
possibilité
pour
le
gou-
vernement de conclure un traité dont l'application terri-
torale ne soit pas étendue à totalité du territoire de la
République, telle notamment qu'elle est définie à l'arti-
cle 60 de la Constitution. Ce serait méconnaître un prin-
cipe bien établi de droit international public, d'après le-
quel un gouvernement qui signe un traité a toujours la
faculté de limiter son engagement à une partie de son
territoire, fùt-ce de son territoire métropolitain.
"
si le traité ne contient pas de dispositions expresses
relatives à l'application territoriale, la pratique, s'ap-
puyant sur la doctrine, tend à présumer qu'il est conclu
uniquement pour la métropole" (25).
(25) . JORF, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 21 novembre
1953, p. 5362 ; A.-CIl. KISS, op. cil., p. 563 , n° 978 ; cf également
l'intervention cie M. CHAUMONT (France) lors cles travaux de la
6e Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies; l'ora-
teur devait notamment déclarer:
342
Tout en affirmant sa ferme adhésion au principe de la spécialité con-
ventionnelle, le gouvernement français n'a pas ainsi manqué à l'occasion
d'apporter une réponse aux interrogations suscitées par des interpréta-
tions divergentes données à l'article 60 de la Constitution de 1946 qui
consacre l'unité de l'Etat français (26).
"Si l'on a exprimé le désir de maintenir la clause colonia-
le, cela n'était pas dü il des mOlifs égriistes, mais il la né-
cessité de se conformer aux lois constitutionnelles et,
d;u1s le cas de la France, il la Charte de l'Union française,
qui contient une dislJOsition interdisant l'adoption d'une
législation uniforme pour tous les territoires de l'Union.
Une législation internationale pourrait affecter !cs ter-
ritoires français d'outre-mer autrement que la France
métropolitaine, et celle-ci doit tenIr compte des intérêts
de chacun des territoires de j'Union française. D;lns le
cas des territoires qui jouissent d'une administration au-
tonome, la France doit agir avec prudence avant de les
faire participer il des accords internationaux", Sixième
Commission, 90e séance tenue le 3 novembre 1948, ONU,
Doc. off. cie la 3e session de l'Ass. gén., 1ère partie, Sixiè-
me Commission, p. 289.
Voir dans le même sens !'illlervention de M. KAYSER (France)
lors de la discussion du Projet de convention relatif il la transmis-
sion internationale des informations ct au droit de ratification,
(E/1065 et A/e. 3/425), ONU, Doc. off. de la Troisième Commis-
sion de l'Ass. gén. 2e partie, Troisième Commission, p. 234. Sur
ces deux exemples, voir A. Ch. KISS, op. cie., p. 529 nOs 930 et 931.
(26) - La Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son article 60
343
Celte réponse repose en particulier sur l'abandon par les rédacteurs
de la Constitution de 1946 du principe de l'assimilation législative et con-
ventionnelle au profit de celui de la spécialité (27). Ce à quoi la Constitu-
"L'Union française est formée, d'une part, de la Républi-
que franç:rise qui comprend la france métropolitaine, les
départements cl territoIres d'outre-mer, d'autre part, des
territoires associés".
Au regard des territoires d'outre-mer l'article 85 de la Constitu-
tion répond :t la même préoccupation d'unité en rangeant les ter-
ritoires d'outre-mer parmi les collectivités territoriales de la Ré-
publique française, Certains auteurs comme f,
LUCI-lAIRE
("L'exercice de la fonction exécutive du droit international par les
organes étatiques",
Etudes en !'!IOl1l1ell.r de Georges SCELLE,
1950, p, 851) ct ch. ROUSSEAU (Droit il1ternaliana/public, 1953,
p. 45) durent tirer de l'affirmation constitutionnelle de l'unité de
l'Etat, la conséquence de l'applicabilité de plein droit des traités
dans toutes les !Jarties composantes de l'Etat; cfP. LAMPUE, op.
cit., p. 921; P. LAMPUE critique cette thèse de l'applicabilité de
plein droit en rappelant que la Constitution de 1848 (art. 109)
ainsi que les autres textes constitutionnels avaient aussi déclaré
"français" les territoires cles colonies, ibidem,
, .\\
(27) - Le Projet de constitution du 19 avril 1946 disposait en effet en son
article 67 que:
"Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et pu-
bliés ont force de loi, Sauf clause contraire, ils s'appli-
quent de plein droit à tous les départements et territoires
d'outre-mer".
344
tion du 4 octobre 1958 n'apporte aucun changement (28).
Mais aussi solidement établie qu'ait pu être l'interprétation générale-
ment donnée, dans la pratique française, du principe de la spécialité con-
ventionnelle, cette interprétation n'a pas manqué de se heurter dans une
certaine mesure, au point de vue qui semble s'être progressivement impo-
sé au sein des instances de l'O.N.U. notamment à travers la pratique du
dépositaire des conventions de l'Organisation, avant d'être pris en compte
dans la réflexion qui s'est développée autour de la codification du droit
des traités et celui de la succession en matière de traités.
Mais le teste du projet fut rejeté au référendum du 5 mai 1946. La
Commission de la seconde Assemblée constituante écarta de nou-
veau, le 8juiller 1946, le contenu de l'article 67 réexaminé dans le
cadre d'un nouvel article 71. Une nouvelle rédaction fut peu après
retenue dans laquelle l'abandon de l'idée de l'assimilation et de la
présomption d'application automatique devait se traduire par
l'élimination des dispositions relatives à l'application des traités
aux territoires d'outre-mer;
cf, les articles 26 et 28 de la Consti-
tution. Sur tous ces points voir P. LAMPUE, ibidem.
(28) - Selon l'article 72 alinéa 1 de cette dernière constitution
"les collectivités territoriales de la République sont les
communes, les départements, les territoires d'outre-mer.
Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi".
345
Ainsi le rapportcur spécial dc la COI, Sir H. WALDOCK dans son
troisième rapport sur Ic droit dcs traités devait rclever que:
"En fait, la pratique dcs Etats ne semble pas justifier la
conclusion qu'un traité s'applique aux territoires d'outre-
mer uniqucmcnt si ceux-ci y sont expressément mention-
nés. La pratique, poursuit-il, semble au contraire reposer
sur l'hypothèsc inverse, à savoir qu'un traité s'étend auto-
matiqucmcnt à tous les territoires des parties contractan-
tcs, à moins que l'intention contraire n'ait été exprcssé-
mcnt formuléc ou qu'elle puisse être inférée" (29).
Le Rapporteur spécial dut à cet égard évoquer à titre d'exemple la
pratique conforme du Danemark qui semble avoir depuis longtemps re-
connu exclure expressément ses possessions d'outre-mer chaque fois qu'il
En outre Ics articles 52 à 55 consacrés, dans la nouvelle constitu-
tion aux traités et accords intcrnationaux, ne font aucune mention
des conditions d'application dcs traités dans les territoires d'ou-
Ire-mer.
(29) - Voir les commentaires sous le projet d'article 58, Application
d'un traité aux territoires d'un Etat contractant, Doc. A/CN.4/167
et Add. 1 à 3, ACDJ 1964, vol. Il, p. 11.
346
souhaitait limiter la portée de ses engagements au Danemark proprement
dit (30).
De même la pratique britannique a pu être rappelée pour indiquer
que :
"c'est seulement parce que les traités britanniques étaient
présumés s'appliquer à tous les territoires dont la Grande-
Bretagne assurait les relations internationales que celle-ci a
commencé vers 1880 à demander que la clause dite 'coloniale'
soit insérée dans les traités de commerce ou les accords rela-
tifs aux affaires internes" (31).
(30) - Ibidem. Cette pr;uiquc a été évoquée devant la CPJl à propos de
['affaire du Groënland oriental, cf. CPJI, 1933, série A/13 n° 53,
p. 51.
(31) - Ibidem. C'cst ainsi que le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande
et d'autres territoires accédant à une autonomie de plus en plus
grande, la Grande Bretagne ne pouvait plus les lier sans avoir
obtenu leur accord sur le texte des conventions négociées. Devint
alors fréquente la clause qui prévoit que le traité ne s'appliquera
pas aux territoires (['outre-mer sauf modification à cet effet,
ibidem. Le Rapporteur spécial cite à l'appui, l'exemple du traité
anglo-italien de commerce et de navigation de 1883 (HERTSLET,
CO/l11Jlel'cial (l'enlies, vol. XV, p. 776) et celui de la Conve.ntion de
Genève de 1923 pour la simplification des formalités douanières
(S 0 N, Rec. des trnités, vol. 30) et renvoie à une vingtaine de
traités également cités par Ch. ROUSSEAU dans son ouvrage,
Pril/cipes gél/éraux du droit imunntional publié, 1944, p. 385.
347
Les conclusions du Rapporteur spécial sur le droit des traités reposent
en outre très largement sur les déclarations faites par les représentants
des Etats lors des débats de l'ONU consacrés à la clause coloniale (32) et
qui semblent participer d'une interprétation génèrale du droit que le Se-
crétaire général prend en compte lorsqu'il agit en tant dépositaire d'ac-
cords multilatéraux (33).
Aussi l'interprétation du Secrétariat général coincide-t-elle avec la
conclusion majeure du Rapporteur spécial sur le droit des traités lorsque
ce dernier souligne que :
"l'interprétation générale de nos Jours est de toute évi-
dence qu'en J'absence de toute clause territoriale ou de
toute autre indication d'une intention contraire, un traité
est présumé s'appliquer à tous les territoires dont les
Etats contractants assurent les relations internationales"
(34).
(32) - Voir. Précis de la pratique du Secrétaire général dépositaire d'accords
multilatéraux, ST /Leg/7, p. 47.
(33) - Voir, ACDI
1964, vol. Tl p. T2, parag. 102 et 103 et le document
A/CN.4/150, La succession d'Etllts elles conventions multilatérales
générales dont le Secrétaire général (~Sl dépositaire, Mémorandum
préparé par le Secrétariat, /lCDI 1962, vol,. II, p. 142, parag. 138.
(34) - /lCDJ 1964, vol. Il, \\2, parag. 7.
348
L'ensemble de ces considérations sous-tendent les dispositions de la
Convention de Vienne sur le droit des traités consacrées à l'application
territoriale des traités (35). Aussi ont-elles pu également servir de fonde-
ment aux dispos tians de la Convention de Vienne sur la succession d'Etats
en matière de traités relatives à la participation des Etats nouvellement
indépendants aux traités multilatéraux qui sont ou ne sont pas en vigueur à
la date de la succession d'Etats ou qui sont simplement signés sous réserve
de ratification, d'acceptation ou d'approbation (36).
(35) - Aux termes de l'article 29 de la Convention de Vienne sur le droit
. des traités:
"A moins qu'une intention différente ne ressorte du traité
ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des
parties à l'égard de l'ensemble de son territoire".
L'expression ''l'ensemblc du territoire de chacune des parties"
considérée par la CD! comme "une expression de portée très lar-
ge" a été choisie par cette dernière, de préférence à l'expression
"l'ensemble du territoire ou de territoires dont lès parties assu-
rent les relations internationales" en tant que celle retenue doive
englober "la totalité des terres, des eaux territoriales et de l'espa-
ce aérien adjacents, qui constituent le territoire d'un Etat", cf,
rapport de la CDI sur les travaux de sa seizième session, ACDI
1964, vol. II, p. 188.
(36) -cf. respectivement les articles 17, 18 et 19 de la Convention de 1
Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités.
!
349
En définitive la pratique française, qui repose plutôt sur une présomp-
tion de non-application automatique des traités aux territoires d'outre-
mer, ne semble pas se heurter fondamentalement à celle interprétation
faisant appel à la présomption inverse d'application des traités. Présomp-
tion qui ne saurait au demeurant être levée que par la [Jreuve d'un inten-
tion contraire eX[Jressément établie ou inférée.
Le Professeur I3ARDüNNET l'a bien souligné en indiquant que dans
les deux [Jerspectives "c'est bien l'intention des [Jarties qui [Jermet, aV;\\nt
tout, de déterminer le champ d'application territoriale d'un traité" (-37),
même s'il demeure que dans la seconde perspective, l'inversion du princi-
pc de non-application valant pour la pratique française semble conférer
aux solutions retenues dans le cadre de la succession aux traités une orien-
tation résolument favorable à une pratique de continuité.
Les nombreuses difficultés observées dans la [Jratique et liées aux in-
certitudes que soulève la détermination de l'applicabilité des traités aux
territoires dépei1dants obligent à s'interroger sur la portée du [Jrincipe de
la spécialité conventionnelle.
Paragraphe II
LA PORTEE DU
PRINCIPE
DE LA SPECIALITE CONVENTIONNELLE
II convient ICI de s'interroger sur les effets de la mise en oeuvre du
, .
.
.. :
.
(37) .,; D. BARDüNNET, op.
"
[J
384
80
Cl .•
"
•
note
.
350
IHlnclIJC dc la 'Il(~cialité. convcntionnclle JU regard du droit dc parllcipa-
lion lk l'Elat IlOU\\'C;IU aux tr;lilés conclus par son prédécesseur.
Plus IHécisément, la question qui sc IJOSe ici esl de savoir ù quelles
catégories de tr;I;lés l'Etal nouveau est en mesure d'exercer son droit llè
parlicip;l1ion ou de "succe,sion" .
Si l'on rctient le critère de l'applicabilité au territoire, il restera Ù
dé.gager la masse des traités mis en évidence par l'application de ce critè-
re.
Cette tüche e,t des plus m;llaisées
(38)
Elle rend nécessaire la recherche des actes d'extension ou d'exclusion
que l'Etat prédécesseur a dû prendre pour chaque traité lorsqu'un acte
exprès de cette nature avait été préalablement requis. Mais outre celte
hypothèse bien connue et qui fait appel ù la technique de la "réserve terri-
toriale", il en est une aUlre où l'Etat contractant procède il l'extension d'un
traité Ù l'origine conclu pour SOl1 territoire métropolilain. Dans ce cas, la
consultation du tcxte même de l'accord est en principc sans grande utilité
pour la détermination de l'applicabilité de l'accord aux autres territoires
de l'Etat contractant.
(38) - En fait selon K. ZEMANEK l'extension territoriale des traités
n'est pas toujours facile à prouver; VOir, "State succession after
decolonisation", ReA DI 1965. III, pp. 229.
J51
Il f;IlI<.1ra ici rechercher l'existence éventuelle d'actes <.le l'Etat con-
tr;tctanl destiné,s ;'1 rendre le trailé al'I,licable à ces territoires,
Les difficultés all\\'1uelles on peut sc 11curter sont dès lors considéra-
bles ct résultent essenlielkment <.lu Î;lit que le traité ne contient IJas de
cl;lUses relatives à son appliclbilité il ces territoires,
Une approche interprétative du traité devient alors nécessaire lJOur
déterminer, lorsqu'aucun acte d'extension n';1 été pris par l'Etat contrac-
tant, si l'oiJjet du trailé le r;lnge parmi ceux généralement considérés com-
me applicables à ['ensemble des é\\él1lcllls territoriaux de l'Etat contrac-
tant. De même, l'allpréei;llion du contenu de l'accord, de son contexte
ainsi que de toutes aulres circonstances ou réalités pertinentes, peut, dans
la même Ilypothèse, aider il étaillir l'intentiol~ présunlée des parties ou de
l'une des parties d'étendre à des territoires non métropolitains l'applica-
tion de l'accord,
Aux difficultés ainsi évoquées s'ajoutent d'autres tout aussi importan-
tes 'lui proviennent du fait ljue le droit colonial et la pratique jurispruden-
tielle et administrative considèrent généralement comme bien établie
l'exigence, sauf exception, d'une introduction spéciale des normes conven-
tionnelles dans l'ordre juridique colonial par le biais de la promulgation
suivie de la formalité de la publication mise en oeuvre i l'échelle locale
par le représentant direct du pouvoir central et qu'une partie de la doctri-
ne semble tenir pour nécessaire,
Ainsi, scion celte doctrine, les traités susceptibles d'être concernés
352
par l'exercice du droit de succession, ou de participation, doivent avoir été
rcndus exécutoires ct opposables il tous dans l'ordre colonial (39).
Mais il sullirail Ù œt égard d'ollserver les fréquentes hésitations de la
pratique jurisprudentielle ainsi que la eOlllplexité des solutions qu'elle
tente de dégager pour se rendre cOlllpte du caractère incertain et fuyant
du critère additionnel, celui de la publication, pourtant tenu comme déter-
Illin~lnt pour l'identification de la masse des traités susceptibles de faire
l'ohjet d'une succcssion.
Aussi nous semlJlc-t-il quelque peu vain de tenter un inventaire COIll-
plct de cette Illas.'c dc traités, quc l'on ait, Ù cet effet, décidé de s'en tenir
au seul critère de l'allplicabilité internationale du traité ou de l'élargir à
celui de l'introduction effective ct de j'opposabilité du traité dans l'ordre
colonial.
Il semble plutôt que cet inventaire ou tout au moins sa tentativc com-
me son contrôle devraient revenir au juge qui exerce naturellement en ce
(39) - On pourrait ranger parmi ces auteurs celui de la très brillante
étude précitée sur la succession d'Etats à Madagascar, Daniel
BARDONNET ainsi que René DEGNI-SEGUI dans sa thèse éga-
Iement citée et consacrée ù l'étude de la succession d'Etats en
Côte d'Ivoire. L'étude des conditions d'inlroduction des normes
conventionnelles dans l'ordre juridique colonial sera très briève-
ment exposée dans la sous-section suivante.
353
domaine un pouvoir prétorien détermj!l~lnl, même ,'il s'est souvent nlOn,
tré quelque Çlell hésitaul.
On ne saurait toutefois manqller de saluer \\cs efforts méritoires que
rcflèlent parfois des tentatives sérieuses de reconstitution de la masse des
traités considérés, dans une Jllonogr:qJhie déterminée, comme susceptibles
de f:lire l'objet d'une "succession". Les résult~lts obtenus lorsqu'on s'accor-
de sur le choix du critère d'ideotificatioo ;1 mettre en oeuvre comportent
une valeur d'exemple sans nul doute utile dans l'étude de la pratique suc-
cessorale des Etats (40).
(40) - Considérant, en ce qui concerne les ex-territoires de l'AOF, qu'il
sllffit, afin de déterminer l'applicabilité de tel ou tel traité conclu
par l'Etat prédécesseur, de se reporter au lO. de l'AOF et de
vérifier s'il a fait l'objet d'un arrété de promulgation régulière-
ment publié, René DEGNI-SEGUI reconnaît néanmoins dans sa
thèse que :
"les exceptions à ce principe sont si peu clairement défi-
nies qu'il est difficile de déterminer avec exactitude sur
une question donnée quels sont les traités applicables",
thèse précitée, p, 164.
Pour une tentative d'''inventaire des traités applicables sur le ter-
ritoire de la Côte d'Ivoire", voir, ibid" pp. 164 et s. Pour Madagas-
car, D. BARDONNET estime que pour aborder le problème de la
succession au droit conventionnel,
on ne peut guère se référer
qu'au critère formel de la promulgation locale, avant d'ajouter à
son tour, s'agissant toujours de ce critère que:
354
Toutefois cn rctenant le critère de l'insertion des normes convention-
ncllcs dans l'ordre interne, on ne manque 11as de restreindre considérable-
ment le nombre ùes traités auxquels le nouvel Etat pourrait souhaiter de-
venir partie en sc fondant uniquement sur l'applicabilité de ces traités Ù
son territoire avant son accession à l'indépenùance,
"s'il n'est guère brillant sur le plan intellectuel, s'il n'est
pas absolu sur le plan pratique dans la mesure où il ne
couvre pas toutes les hypothèses, il permet cependant de
déterminer le plus souvent si un traité a été rendu appli-
cable à Madagascar par la france pendant la période co-
loniale", Succession d'Etals ci Madagascar, précité, p. 411.
Pour rendre tout à fait justice à l'auteur, il convient de souligner
que ce dernier a renoncé il dresser lIne liste des traités étendus à
Madagascar antérieurement à son indépendance même s'il consi-
dère cette tâche comme fondamentale. L'auteur trouve en effet
qu'elle soulève des difficultés telles qu'on ne saurait prétendre les
résoudre toutes. 11 conçoit toutefois que
"tout au plus, pour clarifier la question, la logique veut-
elle qu'on recherche d'aiJord la technique d'extension au
territoire malgache des traités conclus par la France",
ibid., p. 358. Pour le contenu, par conséquent approximatif du
droit conventionnel rendu applicable à Madagascar, voir, ibid., .
pp. 411 et s.
L'étude de la pratique britannique révèle aussi l'existence de
semblables difficultés. Ainsi, dans une note adressée par le Com-
monwealth Relations Office au Comité de \\'International Law As-
sociation sur la stlccession des Etats nouveaux aux traités et à
certaines autres obligations de leurs prédécesseurs, on peut lire
ceci:
355
C'est d:lns ce sens qu'une panie de 1:1 doctrine S'CSI néanmoins cxpri-
mée. Ainsi, concernant les traités mullil:ltéraux, le l'rofesseur K. ZEMA-
NEK soutient le point de vue selon lequel:
"St:ltes CIIl only succeed to Illultilateral conventions w-
hicll have no territorial aflplication cLllJse, if tbey havc
been incorporated in the il' legal systcm while they \\Vere.
dependcncies" (41),
"le
Gouvernement
britanillque
a
fourni
aux
gou-
vernemcnts des territoires qui étaient sur le point d'accé-
der il l'indépendance une liste des traités considérés eotTI-
me s'appliquant à ces territoires. Néanmoins, il n'est pas
possible de garantir que cette liste soit tout à fait complè-
te ou exacte, bien que tout ait été fait pour qu'elle le soit.
Le nombre de traités en cluse est considérable et la situa-
tion en ce qui concerne la réapplication aux territoires
déflendants est salivent pell claire, Ces listes ne peuvent
donc êfre considérées comme définitives ct elles n'ont été
juill tes ell alli/exe à aucun des traités de délJolution, ni pu-
bliées de quelque autre façons" (ILA, Buenos-Aires Confe-
rence (1968), Interim Report of the Commit tee...., précité,
p. 4, note 1, passages soulignés par le Rapporteur),
(41) - K. ZEMANEK, op, cit., pp. 231-232. S'agissant toutefois du critère
de l'introduction nécessaire dans J'ordre juridique colonial voir,
dans le même sens, D. I3ARDONNET, op. cit" p. 388 ; R. DEGNI-
SEGUI, op. cit., p. 11S4. C'est dans ce sens également que semble
s'être prononcé C. NGUYA-NDILA, op. cit., pp. 112-116. voir
aussi A.G. MOCl-lI ONORY qui repolisse a fortiori la possibilité
356
S;lIlS aucun doulc une COllfusion entrc lès termes généralèment ulili-
sés en rapport avec 1;, question de l'extension oolre-mer des traités con-
l'lus par la métropole demcure pitrfois possible. L'''applicabilité'' d'une
convention il pu être cc)tnprise comme son ";lpplic;ltion" ct, le traité "inter-
nationalemcnt applicable", comme celui "effectivement appliqué". Du
coup la validité internationale du traité semhle sc SUpCr!'0Ser ou s'amalga-
mer, sans raison évidente cn milliérc Jc succession, '1 l'applicabilité inter-
ne du traité qui Llit <[ppel ;'t son c;lrilclêre exécutoire ct opposable dans
l'ordre coloni;tl.
On sait cependant qlle si. pM exemple, la Côte d'Ivoire a repOllssé la
Convention de 1953 sur les droits l)olitiques de la femme
(42) c'est bien,
pour cct Etat, en r;tison de sa non-application à l'égard de son propre
d'une succession aux conventions imparfaites, celles qUI sont si-
gnées mais non encore ratifiées au moment de la survenance
d'une succession d'Etats, cf "Les aspects récents du problème de
la succession aux traités" RCD!P, 1968, p. 581, et considère que
"la succession n'est possible que pour les traités qui ont eu une
application effective", ibid, p. 576. L'auteur cite toutefois le cas du
Maroc qui succéda à la signature par la France, le 16 octobre
1958, de la Convention créant l'Organisation météorologique,
ibid, p. 581. Enfin sur cc point voir, doc. des Nations Unies préci-
té, A/CN.4 /150.
(42) - Ibid., p. 136. Répondant à une lettre du 20 mars 1961 du Secrétaire
général des Nations-Unies demandant si la Côte d'Ivoire se consi-
dérait comme liée par une liste de traités communiquée et égale-
ment adressée à d'autres Etats dont la RCA et le Cameroun (pour
357
territoirc avant son accession à l'indépclldance quoique cette raison [)lIIS-
sc étrc intcrprétéc divcrsement.
11 semble en définitive qu'il faillc retcnir comme fondement du droit
de l'Ctat nouvcau dc succédcr à un traité dont le champ d'application
couvre sail territoire, celui de l'applicabilité dc l'instrument appréciée au
plan intcrnational, e'cst-à-dire à partir du moment où j'Etat prédécesseur
a valablement accepté l'accord par sa signature, ou exprimé, [Jar différents
moyens, son consentement à être lié. Ainsi se trouverait établi certes au
premier degré, Ic lien juridique nécessaire ct suffisant entre le territoire
de l'Elal nouve;lu et le traité.
La succession d'Etat s'opérant quant aux obligations internationales
de l'Etat, il ne paraît nullement utile ni nécessaire de recourir au critêre
de l'applicabilité dans l'ordre interne [Jour dégager le lien pertincnt qui
met en relation le traité international et le territoire auqucl se rapporte la
Succcssion.
La criti(lue de la thèse qui fonde ce lien sur le caractère exécutoire du
traité d;II1S l'ordre colonial repose sur le constat qui vient d'être fait ct
la liste,voir, iIJid., p. 132, parag. 55), Je gouvernement iyoirien s'est
considéré comme lié par tous les' traités énumérés à l'excèption de
la Convention sur les droits politiques de la femme dOlfr lb-{rallce
Il 'avait jamais étendu l'application à la Côte d'ivoire (lettres en
date des 10 'rnai, 22 juin et 7 décembre 1961), ibid., p. 136. ,
35R
qu'évoquc é:gakn,cnt Ic \\'rofesseur André Gonçalvcz PEI~EIRi\\ qui, au
surl,lus, r~'1)IJclk que:
"le problème de la successiun peul parfaitcment se puser
ù l'égard de traités non selF-exeClllillg, qui par essence sunt
dépourvus d'dfieacité dans l'ordre inlerl1e" (43),
,
On a pu Ù cet égard, déjù en 1%2, considérer comme une pratique
bien ét~\\blic la succcssion dcs Etats nouvcaux à de nomiJreux traités mu\\ti-
I~Jlér~IUx non cntrés en vigucur, mème ;\\ l'égard de l'Etal prédéccsseur. Tel
fUI p~lr cxemplc le cas pour le Protocole de ]953 sur j'OIJium, ratifié par la
France cn 1954 ct :luquella Belgiquc adhéra cn 1958, Ccs deux pays ont cn
outrc notifié au Secrétaire général des N~ltions Unies l'extension du Pro-
(43) - A. Conçalvez PEREIRA, op, cil" p, 133, Faisant un approfondisse-
ment critique de cette thèse le Professeur Gonçalvez PEREIRA
fait rcmarquer quc :
"le problème est plus simple pour BARDONNET qui ne
fait pas de distinction entre le caractère interne et inter-
national du lien, mais se borne à rechercher un critère
d'application dans l'ordre interne" ibid, p, 134 note 6,
L'auteur évoque en outre, à l'appui de sa critique que, dans un cas
au 1110ins, celui de la Convention sur les privilèges ct immunités
des Nations Unies, Je nouvel Etat malgache a accepté la succes-
sion à un traité intcrnationalement applicable mais non introduit
au droit interne, ibidem,
359
;ocole :lUX tcrrituirc:; placés sous leur dépendance. Le Protocole n'était
toujours pa., entré en vigueur au rnoment où le Cameroun, la République
Centrafricaine, le Congo (13razzaville), le Congo (Léopoldville) et la Côte
d'Ivoire se reconnurent liés en vertu des instruments déposés par leurs
prédécesseurs respectifs (44).
Des exemples sernlJlal1les peuvent également être clrés s'agissant de
l'Afrique anglophone. Il pourra ainsi être rappelé qu'en mars 1960, la
Convention de 1958 sur 1:\\ mer territoriale ct la zone contiguë, la Conven-
tion sur la haute Iller et la Convention sur 1:1 pêche ont été ratifiées par le
Royauille-Uni. Ces conventions ne contenaient aucune clause d'applica-
lion terrilOri:Jie. Le Nigéria et la Sierra Léone ne se reconnurent pas
moins liés par ces conventions à des dates antérieures à leur entrée ell
vigueur el, en vertu de la ratification du Royaume-Uni (45).
On ne saurait enfin conclure su ce [Joint sans évoquer un exemple tiré
de la [Jratique concernant le Sénégal. Il s'agit de l'arrêt du Tribunal de
grande instance de la Seine, rendu à propos de l'affaire "veuve Mac KIN-
NON c. AIR fRANCE".
(44) - Doc. A/CN.4/224 et Add. 1, Troisième rapport de Sir H. \\VAL-
DOCK, ACDJ,
1970, vol. II, p. 48.
(45) - Jbideill.
360
L'affaire Veuve M;,:c KINNON c. AIR FRANCE
Le Tribunal de grande instance de la Seine (1ère ch. 2e sect.) a rendu
un jugcment en dale du ]0 avril 1964;l propo.1 de cette afl'aire (46) dont
les raits se présentent comme suil.
Le 28 aOllt 1960 Mac KIN NON avaitpris place il bord d'un appareil
appartenant à la Société Air france et assurant Je transport régulier sur la
ligne Paris-Dakar-Abidjan. L'avion tomba en mer le lendemain, au large
de Dakar et Mae KINNON trouva la mort dans cet aceident. Sa veuve
agissant en son nom et comme tutrice de ses enfants assigna la Société Air
franee Ic 27 aOllt 1962 en vue d'obtenir réparation du préjudice subi.
Le vol dont il s'agit entrait dans la catégorie des transports internatio-
naux régis par les dispositions de la Convention de Varsovie du 12 octobre
1929 modifiée par le Protocole de La l-bye signé le 28 septembre 1955 et
qui, en application de son article 22 est entré en vigueur le 1er aOLlt 1963.
(46) - Le Tribunal rendit le méme jour un autre jugement contre la Socié-
té Air France ;l la suite d'une requête introduite en vue de la
réparation du préjudice subi du fait de la perte d'un autre passa-
ger de J'avion; cf affaire LEPARC, Revue Générale de l'Air, 1964,
p. 129, note Gérard CAS. Sur l'affaire Veuve Mac KINNON, voir
A. -Ch., KISS, "Jurisprudence française relative au droit interna·
tiona] public", AFDI, 1965, p. 941 ; E. PONTAVICE, "Chronique
de droit aérien", Revue trimestrielle de droil commercial, 1965, pp.
470 et s. ; texte de l'arrêt en annexe de eette thèse.
361
La partie ddenderesse sOlltenait que le Protocole n'était pas applica-
Ille :ll'inslanee au Illotif, d'une pari, qu'il n'était en vigueur ni :1 la date de
l'accident, ni ;'t eellc: des exploits introductifs, d'autre part, que la preuve
ne serait pas r;lI'portée que le Sénég;ll filt partie :1 ce Protocole, que dès
lors le transport aIl cours duquel l';lccident eut lieu ne s'effectuait pas
entre deux Etats liés par l'accord inlertern;ltional,
En réponse ;'1 ces prétentions, le Trihunal dut rappeler sur cc dernier
point plus spéeialeillent, que le Protocole dispose en son article 25 qu'il:
"s'appliquera à tous les territoires qu'un Etat partie à ce
protocole représente dans les relations extérieures, à j'ex-
ception des tcrritoires:1 l'égard rJesquels une déclaration
contraire aurait été faite au moment du dépôt de l'ill5tru-
Illent de ratification ou d'adhésion",
Le tribunal fit observer ensuite que la France a procédé au dépôt de
scs instruments de ratification le Il) mai 1959 (47)
à une époque où le
Sénégal n'était pas encore indépendant. Mais, pour le Tribunal, dans la
mesure où il n'est pas allégué que le Sénégal ilit fait l'objet d'une déclara-
(47) - L'autorisation de ratifier le Protocole a été donnée par l'ordonnan-
ce n° 58-1188 du 10 décembre 1958 publiée par ]e décret n° 59-
1579 (lu 31 décenlbre 1959,
362
tion d'c.xclusiol1 en application des dispmitioJls de l'aticle 25 du Protocok
ou n'ait pas lui même effcctué
unc déJ1oJ1cial10n conformémcnt ~l l'CS
lllC:lllCS dispositions, cct Etat se trouve en conséqucnce "lié par le Protoco-
Ic, du f~til dc la ratification dc celui-ci p~lr la francc" (48).
(48) - Le tribunal avait au demeurant utilisé dans les attendus du juge-
ment, sans doute par erreur, l'expression "du fait de la signature
de la France" à la place de celle, plus correcte, qui fait appel à la
"ratification" française. Le tribunal a tranché en second lieu une
autre question d'importance, cclle de savoir si le Protocole qui
n'est entré en vigueur que depuis le 1er août 1963 devait recevoir
une application immédiate, même à l'égard d'une instance née
d'un contrat de transport et d'un sinistre antérieurs à son entrée
en vigueur. Selon ce Tribunal, certes le protocole s'intégre à la
convention et modifie le statut constitué par cette dernière pour
tous les transports aériens internationaux à compter de son en-
trée en vigueur. Mais le juge rappelle aussitôt qu'il est de princi-
pe que la loi modifiant un statut légal s'applique aux contrats en'
cours lors de sa promulgation. Ce parallèle permet au tribunal de
conclure en affirmant que dans ces conditions le Protocole:
"doit régir l'exécution de tous les contrats de transport
aériens en cours au premier aoô! 1963, sans qu'importent
la date du sinistre qui a pour seul effet d'ouvrir le droit à
réparation des victimes". iJu la date de la demande en
justice",
laquelle tend~lit d'ailleurs à la réparafjon intégrale prévue par
l'article 25 du Protocole.
363
Cetle conclusion ainsi que l'ensemble de la uélllarche du jugc en l'es-
pèce sonl p:lrtieulièrelllcnl significalivcs. Elles tcndcnt cn crfet :i faire
:lllmcttre 'Iuc dès lors que la Convention prévoit une possibilité d'exten-
sion au tcrritoire uu Sénégal, que la France en est devcllue partie sans
avoir par une décl:lralion écarté une telle extension, et 'lue le Sénégal
devenu indépend:lnl n'a pas dénoncé l'accord, ce dernier lie le nouvel
Etat.
Il cst ici lOut il fait remaquable que le juge n'ait nullement fait men-
tiOll, dans son raisonoemcnt, des conditions u'exécution cie l'accord dans
l'orclre juridique interne du Sénégal antérieurement il son accession ù l'in-
dépendance, ni cherché il vérifier si ces conditions ont été ou non rcm-
plies. Une telle altitucle clujuge peut assurément laisser croire que selon le
Tribunal, le critère d'applicabilité internationale suffit ù ranger le Proto-
cole parmi les instruments auxqucls le nouvel Etat pourrait succéder
(49),
L'intervention des organes de l'Etat dépendant ou des autorités dé-
centralisées ù j'échelle locale semble donc n'étre pas jugée nécessaire
(49) - Selon le Professeur BARDüNNET, cette applicabilité directe de
la Convention aux Etats nouveaux "succèdant" ù la France résulte
du fait que l'accord y avait fait l'objet d'une promulgation spéciale
pendant la période coloniale .. :: op. cil"
p. 408 note 59.
364
pour quc pui"c être affirmée la "succession" ou la possibilité de succéder
au tr~lité cOlllr'lirement;\\ cc que soutient, non sans quelques hésitations el
contradictions, une partie de la doctrine qnl paraît trollver un appui dans
la jurisprudellce des tribunaux nationaux des Etats prédécesseurs ct suc-
cess cu rs,
L'étude des conditions d'insertion des normes conventionnelles dans
['ordre juidique colonial n'en demeure pas moins utile aux fins d'une ana-
lyse el d'une appréciai ion Illus complètes du régime conventionnel colo-
niai,
Sous-Section II ;
L'INSERTION DES NORMES CONVENTIONNELLES
DANS L'ORDRE JURIDIQUE COLONIAL
L'examen du critère qui fait appel il l'insertion des normes conven-
tionnelles dans l'ordre interne de l'Etat dépendant ou encore celui de
l'applicabilité interne des tr;lités n'est pas dépourvu d'intérêt cu égard ù la
place qui est généralement réservée ù cc critère dans la doctrine et la
jurisprudence, II ne peut donc manquer d'être ici envisagé, même très
brièvement, après avoir été incidemment approché dans les précédents
déve 10 Ppe men ts,
La question qui se pose ici est de savoir si l'introduction des normes
d'un traité dans l'ordre juridique métropolitain doit avoir pour conséquen-
365
cc d'in,érer cc, mêmes normc, dans l'ordrc juridique dcs territoires d'ou-
tre-mer auxqucls 1':lpplic:ltion du traité aur:lit été étcnduc cxplicitcmcnt
ou inlillicitemeni. Ainsi, la ralification
ct la publication au .Journal offi-
ciclde la République française (50), auquclles l'ail appel la technique de
l'introduction des normes conventionnelles dans l'ordre juridique fran-
çais, dispcnseraicnt-elles du rccours il des actes similaires en vue de ren-
drc ccs nUrlllCS cxécutoircs dans l'ordrc juridique colonial ')
Une réponse nég:llive:l celte question sembler:lÎt plus indiquée eom-
me l'affirlll~ le l'rofesscur BARDüNNET qui rcconnaÎt toutefois que la
pratique cst il cet égard Iargemcl1l contradictoire (51).
(50) - Les solutions retenues en France avant la 4e République prescri-
vaient, :'t la place de la ratification, le recours à la promulgation
des traités comme s'agissant des lois. Nous concentrerons donc
notre étude sur la promulgation, en principe seule en mesure de
rendre un texte exécutoire dans l'ordre interne. Ainsi sera écartée
l'étude de la publication destinée ù rendre l'acte opposable aux
p:lrticulicrs.
(51) - L'auteur reconnaît en effet que:
"en fait, il est extrêmement difficile de savoir si un traité
qui a été ratifié
et publié dans la métropole - que Je
Gouvernement français se soit engagé ou non ù le faire
obscrver dans tel ou tel territoire dépendant - y est régl!-
lièrement applicabl~, alors même qu'il n'a pas fait l'objet
d'une promulgation ou d'une publication particulière
dans cc territoire", op. cil., IIp. 388,
366
L:I doctrine, généralement discrète sur la question, est elle-même
bien souvent hésitante lorsqu'clic estime devoir pellcher l'Il favcur d'une
réponse négative en dél,it du failmèmc "qu'il n'y ait pas accord quam ;1 la
fonction jllridique précise" de la promulgation (52) ,
DISLERE en avait IJourulflt IJlécisé la fonction en ces termes:
"une convention diplomatique, pour être applicable sur le
lcrriloire franç:lis, doit être devcnue loi de l'Etat, Cl,:'t cc
tilre, clic ne saurait échapper, aux colonies, ;lla formalité
d'ulle promulgation p:lfliculière" (53)
Mais il semble, en ce qui concerne la pratique française en rapport
avec ses colonies, qu'aucune directive généralc n'ait été prise par le Minis-
tère des colonics en vue d'établir une doctrinc précisc en mesure d'unifor-
miser la pratique relative à l'introduction cles traités dans l'ordre colonial
(54), Tout au plus peut-on relever l'existence d'une circulaire en date du
L'auteur cite cn outre de nombrc.ux exemples tirés de la jurispru-
dence française et malgache ainsi que de la pratique administrati-
ve dans Ics dcux sells de l'affirmation et de l'infirmation de la
nécessité d'une promulgation locale, op. cil"
p, 388 et s,
(52)
A, GONCALVEZ PEREIRA, op, cil"
p, 133,
(53) - P, 0I5LERE, Tmilé de législaliOIl cololliale, 4e éd., Paris, 1914, t. 1,
p, 227.
(54) - D, BARDON NET, op. Cil"
p, 395.
367
10 septembre 1931 concernant les "lois portant ratification dcs conven-
tions qui ne peuvent étre promulguées aux colonies qu'aprés publication
au Journal Officiel de 1" République française du décret d'aPlllication
contresigné du i\\'linistre des Colonies (55).
Le mécanisme de la proIllulgation tel que décrit dans la circulaire
;Ippelle en oulre quclques brèves remarques.
Tout d'abord, les t"ormalités de la promulgation outre-mer des traités
sonl loin de s'identifier millalis mu/alldis Ù celles relatives à I;L promuig;L-
tion des lois dans l'ordrc métropolitain français. En AOF, l'actc de pro-
mulgation doit êtrc [His par le rcplésentant direct du pouvoir centrai qui
détient dans les colonies le pouvoir de proIllulgation qui, depuis le décret
du 1er octobre J 'J02 a cessé d'appartenir aux chefs de territoire pour être
transféré au Gouverneur général (56).
(55) - Reweil Daresle, 1932, Législation, p. 151, cité par D. BARDON-
NET, op. cil., p. 316 ; également mentionné dans la thèse de R.
DEGNI-SEGUI, précitée, p. 158.
(56) _ Cette circulaire trouverait un fondement juridique dans le décret
du 16 juin 1895 qui transféra au Gouverneur général les pouvoirs
appartenant aux colonies en vertu des dispositions de l'article 50
de l'ordonnance du 7 septembre 1840, et dans le décret du 1er
octobre 1902 qui plaça les gouverneurs des colonies sous la haute
autorité du Gouverneur général; voir Rec. DARE5TE, op. eir.,
1931, p. 258; ce décret a été confirmé par le décret du 18 octobre
1904 et par celui du 2 janvier 1920, cf, sur ces points, R. DEGNI-
SEGUl, op. Cil., p. 158.
368
Dans laIJr,liique, plut[)i que cie promulgucr clirectemcnt le lcxle cie la
cOnvCnlJOn, le Couverneur génér,ti prend un arrété par lequel il promul-
gue cn AOF le décret de public"lion du trait,' ou le décret d',lPlllication
dudit traité une fois puilliés au Jourl1al Officicl de la République françai-
se.
Il faut ensuite r,lppcler que non seulement cette promulgalion ne sau-
ratl intervenir qu'après la publication en Métropole du décret d'appliea-
tion de l'accord, mais encore faudr'iit-il que cc décret fftt contresigné par
le tvlinistre cles Colonies permettant ainsi au pouvoir centr:JI d'exercer en
amont un véritable droit de regard .sur l'exercice, ûlJlre-mer, du pouvoit· de
prol11ulgation. Le Gouvernement sc réserve en d'autres termes,
et pour
ces conventions, le clroit "d'apprécier la mesure dans laquelle elles seront
appliquées aux colonies" (57).
Aussi j'absence de directive générale ct la rareté des textes relatifs au
pouvoit· de promulgation dans les colonies permettent-elles au Gouverne-
ment "cie sauvegarder sa liberté d'action pour chaque C:JS d'espèce" (58)
et, s:Jns doute, 'lU Professe\\\\[ LAMPUE de soutenir que:
(57) - Recueil DARI::5TI::, Of!. cir., ]()32, Légisbtion, p. 151.
(58) - D. 13ARDONNET, op. cil., p. 396. Ce souci semble constant dans la
pratique gouvernementale, depuis son affirmation d:Jns l'ordon-
nance précitée du 7 septembre 1840. On le retrouve réexprimé par
une autorité du pouvoir central en ces termes: les textes cie la
"Métropole ne peuvent être rendus exécutoires que par notre or-
dre", cf, R. DEGNI-SEGUI, op. cil., p. 159.
369
"lc pouvoir cie promulgation locale nc concerne que les
actes internes éman:lnt cles autorités centrale.\\ ct non pas
les actes intcrnalion,lux" (59).
A l'appui d'une telle appréciation le Proresseur LAMPUE invoque
nOWInlllent le cas de l'application directe outre-mer de la Convention de
Chicago du 7 déccmbrc 1944 sur l'aviation civile internationale à propos
duquel la Cour d';lppel de Dakar rcndit un important arrêt. Il s'agit de
l'Affaire Ministre public ct administration des douanes c. SCHJ<'Efl3L~R et
AIR FRANCE.
L'examen de cet arrêt nous semble utile dans la mesure où il s'agit
d'un arrêt controversé, précisémcnt sur le point du sens et de la portée de
l'acte de proInulgation, et qui, au surlJlus touche spécialement l',lncien
territoire du Sénégal.
L'Affaire Ministère public ct Administration
des douanes cl SClIREII3ER ct AIR FRANCE
Dans cette ;rffaire de trafic de diamants, la Cour d'appel de Dakar,
dans un arrêt rendu le 15 mai 1957 a déclaré que la Convention de Chicago
(59)
P
LAMPUE, op. cil., p. 918.
370
,ur l'aviation civile internationale e,t applicable dans les territoires d'ou-
trIO-mer cn l'ab,ence de toute promulgation locale, infirmant ainsi le juge-
ment du Tribunal dc première instance dc Dakar du 4 octobre 1956 (60)
statuant en ,en, contraire.
Les fait, ont été les suivants (61).
Le 22 avril \\956, les agents dcs douanes ct de police en ,ervlce à
l'aérOIJort de Dakar-l'off découvrent, en procédant ;)Ia fouille des baga-
ges (lu sieur Philipp SCHREjf31~R se trouvant ;)l'aéroport depuis la veille,
d:llc de son arrivéee par l'avion d';\\ir France en provenance de Monrovia
(Liberia) via Conakry et Freetown Cl se rendant lui même à Genève, six
sachets de diamants dissimulés dans le double fond de ses deux valises.
Les cliamants sont saisis et un procès verbal est dressé contre SCHREI-
BER pour contravention à la réglementation des douanes, du commerce
des diam:lnts et de la protection des explOitations diamantifères en AOF.
En
première in,tance le ,ieur SCHI~EIBER invoque le bénéfice du
régime du transit international prévu dans la convention de Chicago qui
écarte l'inspection de, bagage" sauf en des cas spéciaux. L'Administration
des douanes oppose alors l'argument selon lequel la Convention n'est pas
(60) - Revllc françaisc dc droit aéricn, 1957, pp. 356 et ,. [Jour la critique
de l'arrêt voir, AFDI 1958, p. 766.
(61)
Ibid., pp. 765-766.
,
371
appliclillc en AOF f;lutç d'y avoir été spécialement promulguée, Le tribu-
n:tl d'instance ;ldOplc le PUilll cie vue de l'Admlnistratiun des douanes; ce
qui lui V;lLlt de voir son jugement plus tard illfirrné par la Cour d'Appel de
Dakar qui, :lprès avoir rappelé l'existence d'une clause c!'exlentlon territo-
riale contenue dans la convention (62), considère que:
"Celle Convenlion ratifiée par la France et régulièrement
publiée au JOl/mo! Officiel de la République fr;ll1çaise,
doit être observée dans les Terriloires d'Outre-Mer, et
notamment en Afrique Occidentale franç:lise, sans qu'il
soit besoin d'une promulgation spéciale locale" (63),
(62) - La Convention dispose en son article 2 cc qUI suit
"pour son applicJlion, le territoire d'un Etat sera entendu
cornme comprenant les régions terrestres et les eaux ter-
ritoriales y adjacentes sur 'lesquels ledit Etat exerce sa
suzeraineté, sa protection, sa souveraineté ou son man-
dat",
(63) - La cour conclut en considérant que SCHREIBER, passager en
transit international, "n'avait donc aucune déclaration il faire à la
douane locale, et que la saisie de ses bagages, basée sur des textes
IOC;\\lIX, a été irrégulière", L'administration des douanes et régies
d'AOF et le Procureur général de la Cour d'Appel de Dakar du-
rent alors saisir la Chambre criminelle de la Cour de Cassation
d'un pourvoi contre l'arrét du 15 mai 1957, Dans son arrêt du 8
novembre 1963, la Cour de Cassation rejeta ce pourvoi non sans
avoir admis que la Convention de Chicago était applicable en
372
Cel arrét a été divcr'èllicnt accucilli.
En effet, alors que le Professeur LAiviPUE estillle que "c'est avec
raison" que la Cour d'Appei de Dakar a statué dans le scns ci-dessus indi-
qué, afin cl'écartcr l'existence lie tout pouvoir de proJnulgationlocale con-
eeruant les actes internationaux
(64), d'autres auteurs trouvent l'arrêt
contcstalJlc (65)' ou sillllJlelllcnt IJorteur de l'idée selon laquelle, "il l'ins-
lar de la spécialité législative. la spécialité conventionnelle aurait des ex-
ceplions" (66).
Que l'arrêt de la Cour d'!\\ppel soit considéré cornille affirmant unc
exception il la proillulgation locale olJligaloire aux fins de rendre un traité
exécutoire outre-mer, ou, au conll'airc, comme fournissant la preuve de
Aor, laissant toutefois de côté toute discussion relative au défaut
de promulgation localc ; voir Blllletin des Arrêts de la COllr de Cas-
sation, Chambre criminelle, 1963, pp. 666 et s. ; également D.
BARDONNET, op. cit., p. 389.
(64)
P. LAMPUE, op. cit., p. 918 note Il.
(65)
R. DEGNI-SEGUI considère, par exemple, que la décision est
fondée sur la notion floue tirée de la "généralité d'un acte" (op.
cit., p. 162). L'auteur considère également peu claire l'exception
tirée du fait que la proilluigation d'un texte modifiant un acte qui
lui sert de base vaut présomption d'applicabilité dc cet acte, ibid.,
pp. 163-164.
(66) - D. I3/\\RDONNET, op. cit. p. 391.
373
l'ille,,istence d'une obligation prescrivant une telle promulgation, il appa-
rait dans tous les cas que l'affirmation de 1~1 règle de la spécialité COIl"en-
lionnellc aura été incontcstable.
En définitive il nous parait indiqué, prcnant appui sur la pratiquc
observable, de reconnaître la réalité de la promulgation locale générale-
ment tcnue par les pouvoirs pllblics ct les juridictions concernées cOlllme
une formalité nécessaire en vue de rendrc un traité exécutoire outre-mer,
même si elle doit souffrir cert~lines exceptions.
Toutefois le fondement d'une telle "nécessité" ne saurait résider que
dans des raisons d'ordre pratique, ou de politique législative al! sens large
ou tout simplement d'ordre politique eu égard au besoin constamment
exprimé par la métropole d'exercer un certain droit de regard sur l'exerci-
ce du pouvoir local.
Une justification juridique pourrait ainsi s'avérer des plus malaisées_
L'étude du critère de la proillulgation n'aura donc été envisagée ICI
que pour mesurer la toute relative faculté qu'on lui prête de faciliter par le
moyen d'une "simple" consultation du Journal Officiel de l'AOF, la recher-
che d'un gran(\\ nombre de traités applicables dans les terrritoires d'outre-
mer. Un grand nombre de traités ct non pas tous les traités car la règle
coloniale de la promulgation spéciale a donné lieu, dans son application,
aux plus grandes difficultés ct incertitudes comme FOCHIER l'eut souli-
gné en s'exclamant:
"Que de fluctuations, de contradictions, d'inconséquences
374
ct, on IJeut le t1irl~, t1'acrobaties juridiljues a provoquées ...
ce fameux principe 1 Textes dont la promulgation était
introuvable, bicl] lju'ils fussenl couramment appliqués,
textes deux fois promulgués, lextes supposés promulgués
par le fait de la !Jronllilgation d'un acte postérieur qui en
découlait" (67).
En retenant le critère de l'applicabilité internationale du traité, com-
me nous le proposons, nombre de ces incertitudes sinon lem totalité pour-
r~lient étre écartées, et le champ des normes convel1lionnelles par rapport
auquel l'Etat nouveau pourrait exercer son droit de participation ou de
"succession" en serait du coup considérablement élargi.
Il convient il présent de déterminer les méthodes par lesquelles les
Etats nouveaux d'Afrique dont le Sénégal, ont entendu exercer leur droit
de participation ou de "succession" aux traités applicables à leur territoi-
res.
La section suivante sera consacrée il l'étudc de ces méthodes.
(67) - Observations du Conseillcr d'Etat FOCI-IJEI, lors d'une conféren-
ce prononcée le 9 mai 1934 au Centre d'Etudes juridiques de J'Union colo-
niale française, Rec DARE5TE, 1934, Doctrine. p. 103, cité par D. BAR-
DONNET, op. cil. p. 411.
375
SECTION II
LES METHODES SUCCESSORALES
Les Etats francophones d'Afrique ont eu recours essentiellement à
deux procédés pour se prononcer ct faire connaître leurs positions en ma-
tière de succession aux traités. Ils ont assez rarement, et de façon inégale,
choisi l'accord dévolutif (Sous-section 1) ou la déclaration unilatérale
(Sous-section II), et ont, dans ce dernier cas, plus généralement répondu à
la pratique inquisitoriale développée par les organes dépositaires des trai-
tés multilatéraux ou, par certains cocontractants de l'Etat prédécesseur
pour ce qui concerne les traités bilatéraux.
Sous-Section 1
LES ACCORDS DE DEVOLUTION
En dépit de leur nombre relativement limité, les accords de dévolu-
tion représentent dans la pratique successorale des nouveaux Etats afri-
cains un moyen dont l'importance ne saurait être négligée.
Il conviendrait d'en étudier le sens (Paragraphe 1) avant de s'interro-
ger sur leur valeur juridique (Paragraphe II).
376
l'aragraphe 1 :
LE SENS DES ACCORDS DE DEVOLUTION
Il s'agit d'accords généralement conclus dans la période de l'accession
du nouvel Etat à l'indépendance; accords par lesquels l'Etat prédécesseur
entend "transférer" à l'Etat successeur ses droits et obligations découlant
de traités précédemment applicables au tcrritoire auquel se rapporte la
succcssion. L'accord dit "de transfert de compétenccs" ou celui qui consa-
cre l'indépcndance du nouvcl Etat cst bien souvent l'instrument choisi
pour affirmer une tellc mutation.
Mais alors que la succession aux biens et aux dettes publics est géné-
ralement réglée par voie d'accords entre la France et ses anciennes pos-
sessions d'Afrique, ce mode de règlement devient tout à fait exceptionnel
lorsqu'il s'agit de règler le sort des droits et obligations découlant de trai-
tés conclus avant l'indépendance des nouveaux Elals africains francopho·
nes.
Il en va tout différemment en ce qui concerne la décolonisation des
Etats de l'Afrique britannique qui illustra la pratique constante du Royau-
me-Uni (68) consistant, depuis l'accord conclu le 30 juin 1930 avec l'Irak
(68) - La forme généralement donnée à ces accords est celle de l'échanges
de lettres à l'exception toutefois de j'ordonnance réglant en 1947
les problèmes de transfert entre l'Inde et le Pakistan. Sur la dévo-
lution par acte législatif de l'Etat prédécesseur dans le cadre du
Commonwealth, voir, D-P O'CONNELL, op. cil., pp 352-358.
377
(69), à proposer un trailé lie llévolulion à toules les anciennes possessions
britanniques au moment de leur accession à l'indépendance (70). La
Grande Bretagne conclut des accords similaires avec d'autres Etats tels
que Burma, Ceylan, la Fédération de la Malaisie, Chypre, la Jamaique et
Trinidad ct Tobago (71).
En Afrique, certains Etats membres du Commonwealth tels que le
Tanganyka, l'Ouganda et Zanzibar préférèrent ne pas conclure d'accords
de dévolution avec la Grande-Bretagne,
(69) - L'article 8 du traité anglo-irakien est conçu comme suit
"Il est également reconnu que toutes les responsabilités In-
combant à
sa
Majesté
britannique
relativement
à
l'Irak
d'après tout autre instrument international (tout traité autre
que les traités d'Alliance de 1922 et de 1926 entre la Grande-
Bretagne et l'Irak constituant la base du mandat ainsi que
leurs accords subsidiaires), dans la mesure où elles seront
maintenues, incomberont de la même manière à Sa Majesté le
roi d'Irak seul, et que les Hautes Parties Contractantes entre-
prendront immédiatement les démarches nécessaires pour as-
surer le transfert dcsdites responsabilités à sa Majesté le Roi
d'Irak", Recueil des Traités de la SDN, Vol. 132, p. 364.
(70) - Cf P-F GONIDEC, Les droits africaills, Paris, LGDJ, 1976, pp.
38-39.
(71) - Cf K. ZEMANEK, op, cit., p, 213.
378
LeI 8utrCl Etal' afnclliru membru du Commonweallh conclurent genenlcmCnl avec l 'E ta t prédécesse li r des
accords qui s'inspirèrent de la formule révisée de l'accord anglo-irakien
qui donna naissance à une clause-type contenue dans l'accord établi par
échange de lettres en date du 25 novembre 1957 entre la Grande-Bretagne
et le Ghana. Cette clause a été par la' suite généralement reprise dans les
accords conclus par la Grande-Bretagne avec les autres Etats africains.
La clause est conçue comme suit
"1. Toutes les obligations et responsabilités du Gouverne-
ment du Royaume-Uni qui découlent de n'importe quel
instrument international valide, incombent désormais au
Gouvernement du Ghana.
"2. Les droits et avantages dont jouissait le Gouverne-
ment du Royaume-Uni du fait de l'application à la Côte-
de-l'Or de tout accord international de cette nature se-
ront désormais exercés par le Gouvernement du Ghana"
(72).
(72) - Rec. des Traités des Nations Unies, vol. 287, p. 233 ; entré en vigueur
le 25 décembre 1957 ; texte en anglais dans Doc. concernant la
succession d'Etats, Série législative des N.U., ST/LEG/SER.B/14
p. 30. Cf l'échange de lettres du 1er octobre 1960 entre le Royau-
me-Uni et le Nigéria qui reprend la même clause, in, Nations Unies,
Rec. des Traités, vol. 384, p. 208 ; avec une formulation voisine,
l'échange de lettres du 5 mai 1961 entre le Royaume-Uni et la
Sierra Leone, ibid., vol. 420.
379
La pratique des accords dc dévolution ne s'cst pas tOlltefllis limitée
aux cas de décolinisation des anciens territoires dépendants du Royaume-
Uni. La Nouvcllc-Zélande a en effet conclu un accord de dévolution du
mêmc genrc avcc le Samoa Occidcntal (73), de même que les Pays-Bas
avec J'[ndonésie (74) et, l'Italie avec la Somalie (75) en cc qUI concerne
encorc l'Afrique.
(73) - Echange de lettres du 30 novembre 1962, ibid., vol. 476, pp 5 et 7.
(74) - Projet d'accord sur les mesures transitoires joint à la "Covering Re-
solution" acceptée lors de la deuxième séance plénière de la Con-
férence de la Table Ronde entre le gouvernement des Pays-Bas et
le gouvernemcnt de la République d'Indonésic, La Haye, le 2 no-
vembre
1949,
ibid.,
vol.
69,
p.
267
et
dans
Doc.
ST/LEG /SER.B/ 14, précité, pp. 34-35.
(75) - Echange de notes inclus dans le Traité d'amitié conclu à Mogadiscio
le 1er juillet 1960 entre l'[talie et la Somalie, texte original en
italien, voir Diritto Internazionale, vol. XVI, 1962, pp. 440-442,
traduction en anglais dans Doc. précité ST/LEG/SER.B/14, pp.
169-170; texte en français dans Doc. A/CNA/150, ACDI 1962,
vol. Il, p. 148. On relève dans le contenu de cet échange de notes
ce qUI suit :
"1) JI demeure convenu que, lors de l'entréc en vigueur du
traité précité, le Gouvernement somalien sera subrogé au
Gouvernement italien dans les droits et obligations dé-
coulant d'actes internationaux que l'Italie a conclus en sa
qualité de puissance administrante, au nom et pour le
compte de la Somalie, jusqu'au 30 juin 1960 ;
"2) Aux fins et dans l'esprit de ['article 12 de l'accord de
380
On relève dans la pratique française de décolonisation assez peu
d'exemplcs d'accords de cette nature.
Les accords de dévolution conclus par la France concernent, en Indo-
chine, le Laos (76) et le Viet-Nam (77) et, pour ce qui touche l'Afrique, le
tutelle en date du 27 janvier 1950, concernant le territoire
de Somalie, le Gouvernement italien considère qu'il est
de son devoir de fournir la liste complète des accords
multilatéraux conclus par l'Italie avant 1950 dans les do-
maines humanitaires, social, sanitaire juridique et techni-
co-administratif, et dont l'application a été étendue à la
Somalie".
(76) - Il s'agit du Traité d'amitié et d'association entre le Royaume du
Laos et la République française, fait à Paris le 22 octobre 1953 et
qui dispose en son article 1er que:
"La République française reconnaît et déclare que le
Royaume du Laos est un Etat indépendant et souverain.
En conséquence, il est substitué à la République françai-
se dans tous les droits et obligations résultant de tous
traités internationaux, ou conventions particulières, con-
tractés par celle-ci au nom du Royaume du Laos ou de
l'Indochine Française, antérieurement à la présente con-
vention", la Documentation Française, Notes et Etudes Do-
cumentaires, 1953, n° 1811 et Doc. des N.U. précité,
ST/LEG/SER.B/14 p. 72.
(77) - Voir le Traité d'indépendance du Viet-Nam du 4 juin 1954 qui, sous
une formulation quoique différente dispose en son article 2 ce qui
su i t :
3XI
Maroc (7X).
L'accord conclu entre la France et le Maroc est un engagement de
type tout particulier; une convention diplomatique qui se distingue de
l'échange de notes enllSage dans les cas de succession relatifs aux Etats du
Commonwealth.
Dans cet accord franco-marocain, le Maroc déclare assumer
"les obligations résultant des traités internationaux passés
par la France au nom du Maroc ainsi que celles des actes
internationaux relatifs au Maroc qui n'ont pas donné lieu
à des obsen1atiol1s de sa part" (79).
"Le Vi et-Nam est subsititué à la France dans tous les
droits et obligations résultant des traités internationaux
ou des conventions contractés par la France pour le
compte ou au nom du Viet-Nam ou de tous autres traités
et conventions conclus par la France au nom d l'Indochi-
ne française dans la mesure où ces actes concerne le Viet-
Nam'; La Documentation française, Articles et Documents,
1954, nO 67.
Rappelons également que la France a aussi conclu, mais dans le cadre
d'un autre type de succession, un accord de dévolution avec l'Inde lors
du transfert de Chandenagore à celle-ci en 1954, voir, N.U., Rec des
Traités, vol. 203, p. 155.
(78) - Il s'agit de la convention diplomatique franco-marocaine du 20 mai
1956, voir, RGDIP 1956, pp. 481 et s. et, AFDf 1956 p. 135.
(79) - Article Il de la Convention. C'est nous qui soulignons. La formula-
3R2
Il ne scmble pas cepcndant qu'un accord du même genre ait été con-
tion ici employéc est moins gêné raie que celle retenue dans les
clauses-types des accords de dévolution déjà analysés. La conven-
tion dont l'objet, comme le prévoient les accords franco-maro-
cains du 2 mars 1956, est de "définir l'interdépendance des deux
pays ... en matière de relations extérieures", a été unilatéralement
dénoncée par le Gouvernement marocain le 14 février 1960 à la
suite de l'expérimentation à Reggane, au Sahara, de la première
bombe atomique française. Cette dénonciation n'a pas manqué de
soulever des interrogations quant à scs effets sur la succession du
Maroc aux traité antérieurs à son indépendance (cf. O. BAR-
OONNET, op. cil., p. 432 note 8). On a pu ainsi considérer que
cette dénonciation, a supposer qu'elle affecte les rapports franco-
marocains, ne sem bic pas avoir "remis en cause l'article Il de la
Convention du 20 mai 1956, puisque cette disposition ne consti-
tuait pas, à proprement parler, un engagement à l'égard de l'an-
cien Etat protecteur, mais plutôt une déclaration vis-à-vis des
Etats tiers" (ibidem).
Certes la différence d'objet entre la convention en général et les
dispositions spécifiques contenues dans son article 11 pourrait
justifier une telle conclusion. Mais il semble surtout que cet arti-
cle ait été rédigé, dans le cadre d'un accord d coopération diplo-
matique, davantage dans l'intérêt de la France que cet accord
cherche à dégager de certaines de ses responsabilités vis-à-vis des
Etats tiers sans toutefois règler de manière définitive les rapports
entre ces derniers et l'Etat indépendant du Maroc.
Il faut au demeurant noter que l'accord de dévolution revêt un
caractère purement délaratif en ce qu'il concerne les traités con-
clus par la France au nom du Maroc, Etat protégé dont la person-
nalité internationale a été reconnue par la France. Ainsi il ne
semble pas convenir, d'un strict point de vue juridique, de parler
de "succession" pour ce qui concerne ces accords. Il en irait en
revanche tout autrement s'agissant des autres accords mentionnés
383
clu avec la Tunisie (SO) bicn que M. WI-IITEMAN, rapprochant la prati-
que marocaine de celle de la Tunisie, évoque à l'endroit de cette dernière
un accord de même nature conclu avec la France en
1955 (81).
On ne relève dans la pratique des anciennes colonies françaises
d'Afrique que le seul exemple de la Côte d'Ivoire qui semble constituer
l'exception en concluant avec la France un accord de dévolution au sujet
duquel assez peu de précisions ont été fournies.
Le rapporteur spécial de la COI évoque en effet l'existence d"'un trai-
té (qui) paraît avoir été conclu entre la France et la Côte d'Ivoire" (82) et
dans la clause de dévolution. Ces accords qui en principe doivent
leur application au Maroc au jeu de la clause coloniale, en viola-
tion des dispositions du Traité de protectorat, semblent avoir fait
l'objet, selon la formule retenue, d'une acceptation ex novo.
(80) - Selon M. FLOR y "on ne trouve rien d'équivalent pour la Tunisie,
sans doute en raison de la transition de l'autonomie interne", M.
FLORY et autres, La succession d'Etat en Afrique du Nord, Paris,
Ed. du CNRS, 1968, p. 14.
(81) - M. WHITEMAN, Digest of International Law, t. II, Washington,
1963, p. 1002. Il s'agit en réalité d'un accord reconnaissant une
autonomie complète à la Tunisie et dans lequel cette dernière
prend l'engagement d'assurer l'éxécution des traités qui la concer-
ne, dans le respect de la suprématie de J'ordre juridique conven-
tionnel sur l'ordre juridique interne tunisien; voir les Conven-
tions signées le 3 juin 1955, dont une convention générale (art. 3),
décret n° 55-1179 du 3 septembre 1955, JORF 6 septembre 1955, p.
8910.
(82) - Voir, Sir H. WALDOCK, Deuxième Rapport sur la succession en
334
renvoie au Digest de WHITEMAN. Ce dernier rappelle ù cet égard une
correspondance du 9 novembre 1962 de M. HOPE chargé d'affaire de
l'Ambassade des Etats-Unis à Abidjan informant le Département d'Etat
américain que selon une déclaration officielle du Directeur des affaires
politiques du Ministère des Affaires étrangères de la Côte d'Ivoire:
"La France et la Côte d'Ivoire sont convenues que la Côte
d'Ivoire assumerait tous les droits et obligations Uécou-
lant des traités rendus applicables à la Côte d'Ivoire
avant son indépendance" (83).
On l'aura observé, le principal objet de ces accords de dévolution
consiste dans un prétendu transfert au nouvel Etat, de droits et obligations
précédemment assumés par l'Etat prédécesseur dans ses rapports avec des
Etats Tiers. Une telle prétention ne peut cependant manquer de se heur-
ter à de sérieuses objections provenant d'une large part de la doctrine. Les
nouveaux Etats eux-mêmes ne se privent pas bien souvent de les évoquer.
Il convient dès lors de porter une brève appréciation sur la valeur
juridique de tels instruments.
matière de traités, Documents A/CNA/214 et Add. 1 et 2, ACDJ,
1969, vol. II, p. 55, note 50.
(83) - Voir M. WHITEMAN, op. cil., p. 983 ; également R. DEGNI SE-
GUI, op. cil., pp. 198-199 et K. ZEMANEK, op. cil., p. 237.
385
Paragraphe Il -
LA VALEUR JURIDIQUE DES ACCORDS DE DEVOLUTION
La question que soulève le problème de la valeur juridique des ac-
cords de dévolution est celle de savoir si ces traités ont une réelle force
obligatoire pour les Etats nouvellement indépendants.
C'est aussi, incidemment et compte tenu de l'objet principal de ces
accords, la question de savoir si ces derniers opèrent juridiquement vis-à-
vis des Etats tiers, un transfert à l'Etat successeur des droits et obligations
de l'Etat prédecesscur.
Le professeur H. KELSEN a très tôt et avec clarté répondu à ces
questions en exprimant l'opinion suivante:
"En vertu du droit international le prédécesseur ne peut
transférer au successeur les obligations qu'il peut avoir
envers eux, qu'avec
le consentement
des
intéressés,
ayants-droits ou obligés, de sorte qu'un transfert contrac-
tuel nécessiterait, en principe, un nouveau traité entre
l'Etat successeur et ces divers Etats tiers. Pour qu'il en fût
autrement, il faudrait que le droit international admette,
en pareil cas des conventions en faveur ou à la charge des
tiers" (84).
(84) - H. KELSEN, "Théorie générale du droit international; problèmes
choisis", RCADJ, 1932, t. 42, p. 325.
386
Ce vigoureux rappel du principe de l'effet relatif des traités écarte du
même coup l'idée d'une transposition dans l'ordre international de l'insti-
tution du "transfert" de droits contractuels connue dans certains droits
nationaux et qui ne fait nullement appel au consentement du contractant.
Il conviendra au demeurant de distinguer, pour la commodité de l'ex-
posé, l'étude de l'effet obligatoire de l'accord de dévolution sur les parties
de cet accord, de celle de son effet à l'égard des Etats-tiers.
I. Effets de l'accord de dévolution entre les parties
La question posée essentiellement ici est celle de la valeur juridique
intrinsèque du traité, ou encore celle de sa validité en tant que traité.
Il convient, pour tenter d'y répondre, de rappeler qu'on ne saurait
a
priori refuser aux accords de dévolution sur un plan strictement formel,
toute validité entre les parties, quelle que soit par ailleurs la forme em-
pruntée par ces accords.
Les conditions requises pour une telle validité sont en principe rem-
plies par ces accords qui peuvent en outre faire l'objet d'un enregistre-
ment par les soins du Secrétaire général des Nations-Unies.
Mais cette validité peut être rapidement mise en doute sur le plan
formel aussi bien que matériel.
On a pu ainsi se poser la question de savoir SI les autorités qui ont
3li7
parfois signé ces trailés au nom du nouvel Etal ont été les véritables repré-
sentants de cet Etat et de son peuple (85).
Le doute persiste toujours chez une partie de la doctrine et au niveau
de certains membres de la COI comme M. BARTOS, même dans l'hypo-
thèse particulièrement fréquente où la conclusion de l'accord a été "la
conséquence d'entretiens politiques", ou encore, a fortiori, lorsque son
contenu a été arrêté avant la proclamation de l'indépendance du nouvel
Etat dans le but de laisser intervenir la signature, pour plus d'équilibre,
après l'accession du nouvel Etat à la pleine souveraineté (86).
Le vice d'incompétence invoqué en appelle déjà un autre qui déborde
du cadre formel et touche autant les circonstances de la conclusion des
accords considérées comme généralement empreintes de marchandages
ou de pression (87) à quoi s'ajoute le caractère souvent inégal de tels
accords ou leur finalité davantage tournée vers la préservation d'intérêts
étrangers au nouvel Etat (88).
(85) - Cf le document de travail présenté par Milan BARTOS à la COI,
ACDI, 1963, vol. II, p. 308.
(86) - Ibidem.
(87) - M. BARTOS souligne à cet égard le fait que la signature des accords
intervient "le plus souvent avant le retrait des troupes de l'ancien
maître", ibidem.
(88) - Ibidem. Selon M. BARTOS
"La pratique a confirmé dans plus d'un cas que ... (les) soi-
388
Illustrant son propos, M. BARTOS fait observer que les conflits con-
cernant le caractère obligatoire de ces accords naissent généralement peu
après une toute première pratique de l'indépendance.
"Ces litiges, poursuit l'auteur, naissent ... une fois passée
la première euphorie due à la joie de l'indépendance,
lorsque l'on commence à réfléchir sur son prix et sur les
exigences que les bénéficiaires de ces traités invoquent,
continuant le système colonial déguisé d'exploitation et
d'influence. C'est alors que l'Etat émancipé invoque le
désaccord existant entre leurs dispositions et les principes
de la Charte des Nations-Unies régissant les rapports en-
tre Etats, et la situation d'un Etat souverain et égal en
droits" (S9).
disants gouvernements de transition étaient les organes
de l'ancien maître, ou bien représentaient l'équipe de for-
ces réellement nationales que l'ancien maître avait choi-
sie pour leur remettre le pouvoir, unissant ainsi son inté-
rêt avec l'intérêt de cette équipe, devenue dirigeante",
ibidem.
Voir également Sir H. WALDOCK dans son deuxième rapport sur
la succession d'Etats en matière de traité. Selon le rapporteur:
"il est évident que les conditions dans lesquelles... (les
accords) ont été conclus peuvent, en vertu du droit géné-
ral des traités, influer sur leur interprétation ou même
leur validité", ACDJ 1969, vol. Il, p. 49.
(S9) - M. BARTOS, Document de travail précité, op. cil., p. 30S.
389
Considérés dès lors, dans de nombreux cas, comme une partie du "prix
de l'indépendance" (90) les accords de dévolution ainsi rendus suspects
ont parfois conduit à soutenir que:
la validité du droit conventionnel successoral se mesure
au degré de respect qu'il porte aux droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes" (91).
(90) - Cf, le Deuxième rapport précité de Sir H. WALDOCK dans ACDJ
1969, vol. II, p. 56. Le Rapporteur spécial rappelle toutefois que
s'il a pu en être ainsi pour les premiers traités de dévolution, tels
ceux de l'Irak et de la Jordanie dans une certaine mesure, la con-
clusion des traités de dévolution, par la suite, "semble avoir été
plutôt une circonstance accessoire de la naissance du nouvel Etat
qu'une condition de son indépendance", ibidem.
(91) - Mohammed BEDJAOUI, "Succession d'Etats dans les Etats nou-
veaux", RACDJ, 1970, vol. II, t. 130, p. 487. M. BARTOS arrive à
la même conclusion lorsqu'il souligne que sa contribution n'a
qu'un seul but:
"montrer que la création de nouveaux Etats en vertu de
l'application du droit des peuples à l'autodétermination a
posé en droit international un nouveau problème, qui,
consiste à examiner, à la lumière des principes des Na-
tions Unies, le sort des traités internationaux appliqués
au territoire libéré jusqu'au moment de l'émancipation,
et à placer effectivement le nouvel Etat dans une situa-
tion d'entière indépendance politique, économique et so-
ciale vis-à-vis de l'ancien maître colonial ou de la puis-
sance chargée de la tutelle," op. cil., p. 308.
390
On a pu ainsi conclure que ces accords ue dévolution devraient être
frappés de nullité lorsqu'il contreviennent au principe d'autodétermina-
tion sans même qu'il ne soit besoin d'attendre que le nouvel ETat soit en
mesure de les dénoncer formellement en tant qu'accords léonins (92).
Une telle opinion a pu s'appuyer sur le double constat suivant lequel,
d'une part, certaines dispositions du droit général des traités codifié en
1969 fournissent quelques réponses au problème posé, en particulier à la
suite de l'invocation fréquente par de nouveaux Etats, ue la nullité d'ac-
cords comportant des conditions politiques ou militaires et, d'autre part,
le recours exclusif à ce droit général des traités ne permet pas de prendre
suffisamment en compte les aspects spécifiques de la succession par uéco-
Ionisation (93).
Il convient ici de rappeler que selon une doctrine opposée à celle des
Etats nouvellement indépendants, le droit des traités codifié à Vienne en
1969 suffirait à résoudre les problèmes juridiques soulevés, même dans
l'hypothèse de la détermination de la validité des accords de dévolution
par le moyen du critère de l'autodetermination (94).
(92)
M. I3EDJAOUI, op. Cil., p. 487.
(93)
Cf, M. BEDJAOUI, op. Cil;, p. 488.
(94) - Cf, A. GRUBER, thèse précitée, pp. 477-480.
391
Cette doctrine invoque à cet effet les articles 51 et 52 de la Conven-
tion de Vienne sur le droit des traités consacrés à la nullité pour violence,
ainsi que j'article 62 de la même convention relatif au changement fonda-
mental de circonstances. Mais la volonté de contourner ou de rejeter avant
tout toute référence globale à l'autodétermination est ici bien manifeste
en ce qu'elle semble ignorer les limites bien connues de ces dispositions de
la convention de Vienne notamment celles qui résultent de la mise à
l'écart par cette dernière des aspects économiques, militaires ou politi-
ques de la violence.
Toutefois, il n'est guère possible de déclarer unilatéralement nuls
tous les accords de dévolution, ni même réserver un tel sort à ceux d'entre
eux à l'encontre desquels serait invoqué un vice de contrainte ou d'incom-
pétence. Car quelle que soit la sanction applicable à un tel vice, il convien-
dra d'en rechercher l'établissement dans le cadre du droit des traités qui
prévoit la mise en oeuvre de procédures appropriées dont le respect per-
met de garantir un certain équilibre dans le traitement des parties et un
certain degré de sécurité dans les rapports conventionnels (95).
Quant à la question de savoir si l'accord, dans l'hypothèse où il serait
intrinsèquement valide, opère juridiquement un transfert de droits et
(95) - Cf en particulier les articles 42 à 52 de la CVDT relatifs à la validité
et à la nullité des traités; les articles 53 et 64 concernant le Jus
cogens et les articles 65 et 66 relatifs à la procédure.
392
d'obligations découlant d'un traité, la doctrine s'accorde à reconnaître que
ce transfert ainsi conventionnellement décidé ne peut lier aucune des par-
tics à cc traité sans son consentement (96).
Que subistcrait-il dès lors de l'objet de l'accord de dévolution s'il ne
peut valablement comprendre un transfert achevé de droits et obligations
de l'Etat prédéccsscur ?
Sans doute unc simple prétention! Prétention dont les effets, selon le
Rapporteur spécial de la COI ne vont guèrc au-delà de ceux d'une "décla-
ration formelle et publique du transfert par l'Etat prédécesseur de la res-
ponsabilité des relations conventionnelles du tcrritoire à j'Etat succes-
seur" (97).
Le transfert de certaines obligations de l'Etat prédécesseur qui, en
réalité, cessent dc lier cet Etat pour ce qui concerne le nouvel Etat (98)
(96) - Voir E. LAUTERPACHT, "Contemporary pratice of the United
Kingdom in the field of international law", ICLQ, 1958, vol. 7, pp.
567-568 ; D.P. O'CONNELL, op. cil., vol. Il, p. 352 ; A.D. Mc-
NAIR, The Law of Treaties, ed. rev., Oxford, Clarendon Press,
1961, pp. 340-341.
(97) - Sir H. WALDOCK, Deuxième rapport, op. cit., p. 57, parag. Il.
(98) - Cf, l'analyse de LA SHEARER des clauses des accords de dévolu-
tion relatives au passage des droits et obligations à propos, en
particulier, du Ghana, dans "la succession d'Etats et les traités
non localisés", RGDIP 1964, pp. 49-51.
393
trouve son fondement juridique dans le principe de la variabilité des limi-
tes territoriales des traités qui s'applique dans les cas d'accession i\\ l'indé-
pendance des territoires d'outre-mer.
Il semble donc, comme le souligne aussi le Rapporteur spécial de la
COI que, lorsqu'un territoire dépendant accède à l'indépendance en con-
cluant un accord de dévolution,
"Les seules obligations conventionnelles qui peuvent im-
médiatement lier l'Etat successeur envers les autres par-
ties contractantes sont, si tant qu'il y en ait, les obliga-
tions qui, de lOute manière, passent à ]'Etat successseur
par j'effet des règles générales du droit international, in-
dépendamment du traité de dévolution" (99).
On sait toutefois qu'une adhésion au principe de ]a table rase en ma-
tière de traité tel que consacré par la Convention de Vienne dans les suc-
cessions intéressant les Etats nouvellement indépendants, exclut toute
idée de passage de plein droit d'obligations, sous réserve de celles aux-
quelles une succession d'Etats ne saurait porter atteinte, conformément au
nouveau droit successoral codifié.
De même l'accord de dévolution ne pourrait à lui tout seul transférer
(99) - Sir H. WALDOCK, ibid, p. 12.
394
à l'Etat successeur des droits découlant d'un traité à l'égard d'autres par-
ties au traité. Le principe généralement admis pacla tertiis nec nacent nec
prosunl ferait en l'occurence obstacle à la transmission à l'Etat successeur
de droits qui seraient dès lors autant d'obligations auxquelles l'Etat tiers
n'aurait pas consenti.
En définitive l'intérêt, au demeurant limité, de ces accords de dévolu-
tion viendrait surtout des indications qu'ils donnent sur les intentions for-
mellement exprimées et, sans doute conjoncturelles, du nouvel Etat vis-à-
vis des traités conclus par son prédécesseur (100). Leur utilité dans les
(100) - Cf, E. LAUTERPACHT, longuement cité dans le Deuxième Rap-
port de Sir H. WALDOCK, op. cil. p. 58. Selon LAUTERPACHT,
ces accords ne sont pas complètement dépourvus d'objet puisque
dans les premiers temps de l'indépendance, ils ont aidé les autori-
tés du nouvel Etat
"à orienter leur attention vers la nécessité de tirer au clair
le champ et la portée de leurs engagements convention-
nels. Ils fournissent (ainsi) la base sur laquelle les Etats
tiers peuvent se fonder pour prendre l'initiative de propo-
ser le maintien ou la novation des traités bilatéraux exis-
tants" op. cil., pp. 525-530.
Ces accords permettent ainsi au nouvel Etat de "prendre acte du
déni", par l'ancien souverain, de toute obligation future résultant
de ses traités concernant le territoire en cause, voir Sir H. WAL-
DOCK, op. CÎI., p. 56.
395
rapports entre l'Etat prédécesseur et l'Etat successeur est dès lors si limi-
tée qu'elle permit la remarque suivante du Représentant des Pays-Bas à la
Conférence de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités, à
propos de l'accord de dévolution conclu par son pays avec l'Indonésie.
Selon ce représentant
Le Gouvernement néérlandais s'est finalement rendu compte que
de tels accords étaient de peu d'utilité et... n'en a pas conclu d'au-
tres à l'occasion de l'indépendance du Surinam" (101).
L'utilité et les effets des accords de dévolution sont encore bien plus
limités à l'égard des Etats tiers.
II. Effets de l'accord à l'égard des Etats tiers
La validité des accords de dévolution vis-à-vis des Etats tiers doit en
principe être appréciée du strict point de vue du droit général des traités.
Il convient dès lors de se demander si l'expression par l'Etat nouveau
de sa volonté de consentir au maintien d'accords bilatéraux ou, de devenir
partie aux traités multilatéraux, doit être considérée comme définitive dès
(101) - Conférences, comptes rendus analytiques (doc. A/CONF.80/16),
vol. 1 p. 85,parag. 13, cité par Z. MERlBOUTE, op. cit., p. 100.
396
que l'accord de dévolution qui porte une telle expression de volonté s'im-
pose à ses propres parties ou fait l'objet d'un enregistrcmcnt lorsqu'il vise
une "succession" à un ou plusicurs traités multilatérau:\\.
Une réponse affirmative à cette question signifierait que dans Je cas
d'une "succession" à des traités bilatéraux, l'asscntiment exprès ou tacite
d'un Etat tiers par rapport à l'accord de dévolution suffirait à établir un
accord de novation de ces traités bilatéraux et que, s'agissant de traités
multilatéraux, l'enregistrement de l'accord de dévolution vaudrait notifi-
cation régulière par l'Etat nouveau de son intention d'être partie à ces
traités et d'être considéré comme telle par le dépositaire.
On observe cependant que la pratique et la doctrine (102) ne sont pas
prononcées dans ce sens puisqu'elles tendent généralement à considérer
que les accords de dévolution ne s'imposent pas en principe aux Etats tiers
et ne peuvent donc les obliger à accepter un transfert de droits et d'obliga-
tions qui les mettrait juridiquement en relation avec un Etat "successeur"
quelle que puisse être par ailleurs la situation existant entre ce dernier et
son prédécesseur. Le droit général des traités permet ici une combinaison
des principespacta tertiis nec nocent nec prosunt (103) etpacta sunt servan-
(102) - Voir E. LAUTERPACHT, op. cil., pp. 523 et s.
(103) - Ainsi par exemple la Thaïlande a soutenu officiellement devant la
Cour internationale de justice lors des débats sur les exceptions
préliminaires thailandaises qu'à l'égard des "Etats tiers", les trai-
tés de dévolution sont res inter alios acta qui, en tout cas, ne les
lient point: Affaire du Temple Préah vihéar, CIl, Recueil 1962,
Mémoires, Plaidoiries et Documents, vol. Il, p. 33.
397
da (104) pour empêcher que les accords de dévolution ne déploient, par le
biais d'u ne succession, des effets erga DII1IleS (105).
C'est dans le sens de la réaffirmation de ees principes que la pratique
des Etats et des institutions internationales s'est généralement dévelop-
pée.
Mais il eonvient à cet égard de distinguer la pratique des dépositaires
des traités multilatéraux de celle proprement dite des Etats.
A. Prari'1ue des dépositaires des traités multilatéraux
L'examen de l'abondante pratique du Secrétariat général des Nations
Unies permet de déceler deux mouvements successifs dans les réponses
(104) - Les effets de l'accord ne peuvent être appréciés que sous l'angle de
la règle res inter alios acta dont l'application ne saurait ici faire
d'exception; cf, T. TREVES, La Continuità Dei Traltati nelli nuovi
Stati illdependenti, Milano, Guiffrè, 1969, Add. résumé en anglais,
pp. 3-4.
(105) - Cf, notamment les articles 34 à 36 de la Convention de Vienne sur
le droit des traités qui reposent sur la recherche de l'intention des
parties qui, selon le contenu des accords de dévolution, n'intéres-
se pas directement à la définition des droits et obligations des
Etats tiers.
398
apportées par le secrétariat au problème des effets des accords de dévolu-
tion.
Le Secrétariat a d'abord estimé qu'une clause ou un accord explicite
de dévolution suffiraient à rendre le nouvel Etat partie à un traité multila-
té rai précédemment applicable à son territoire.
Ainsi dans un document publié par les Nations-Unies, le Secrétariat
considère notamment ce qui suit:
"si une clause de dévolution précise et explicite concer-
nant les droits et obligations découlant de conventions
internationales souscrites par l'Etat alors responsable des
relations extérieures pour le territoire du nouvel Etat fait
l'objet d'un accord spécifique conclu entre ces deux Etats
et que cet accord est enregistré au Secrétariat, le Secré-
taire général considère que le nouvel Etat est lié à ces
conventions sans qu'il soit nécessaire qu'il transmette une
notification à cet égard" (106).
(106) - Précis de la pratique du Secrétaire général dépositaire d'accord multi-
latéraux, 1959, ST/LEG/7, parag. 108 à 134. Sur ce point et sur
l'évolution de la pratique du Secrétaire général voir le Deuxième
Rapport de Sir H. WALDOCK qui fou mi t également un exemple
de la pratique du Secrétariat tiré de l'avis donné en 1963 par le
Secrétaire au Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfu-
giés (N.U., Annuaire juridique, 1963, pp. 189-190) à propos de la
participation de la Jamaique à la Convention de 1951 sur le statut
des réfugiés par le moyen de l'accord de dévolution conclu entre
le Royaume-Uni et la Jamaique, ACDJ, 1969, vol. II, p. 59.
399
Dès lors la publication de l'accord de dévolution dans le Recueil des
Traités des Nations-Unies ainsi que la mention automatique du nouvel
Etat parmi les Etats parties aux conventions qui s'appliquaient antérieure-
ment à son territoire dans la publication du Secrétariat dénommée "Etat
des conventions multil:Jléralcs", auraient notamment pour effet de porter
"l'information nécessaire à la connaissance des Et:Jts intéressés" (107).
Cette conception de l'accord de dévolution et de sa portée assimile
l'enregistrement d'un tel instrument à une notification qui serait le f:Jit
d'un Etat qui transmettrait au Secrétaire général, dépositaire des traités
multilatéraux, son intention de devenir partie en son nom propre à un
traité multilatéral.
Elle ne m:Jnque pas dès lors d'amalgamer abusivement deux fonctions
pourtant distinctes du Secrétaire général, celle qui s'attache à sa qualité
de dépositaire de certains traités multilatéraux et celle pour J'exercice de
laquelle la Charte des Nations-Unies lui confia, en son article 102, la tâche
d'enregistrer et de publier les traités.
Le Secrétariat abandonna par la suite cette conception pour lui subs-
tituer une autre dont le contenu a été exposé dans un memorandum rendu
public sur sa propre pratique et qui fixe cette dernière, au demeurant
développée depuis le début des années soixante.
Ii est en effet établi, dans le memorandum publié en 1962 sur la suc-
(107) - Ibidem.
4üO
cessIOn et les conventions multilatérales dont le Secrétaire général est
dépositaire (IOR), que la conclusion d'un accord de dévolution n'est guère
plus suffisante pour faire compter un nouvel Etat au nombre des parties au
traité multilatéral à défaut d'une confirmation fournie par cet Etat.
Aussi le Secrétariat adresse-t-il à tout nouvel Etat qui lui communi-
que un accord de dévolution à des fins d'enregistrement, une lettre conçue
en ces termes :
"Le Secrétaire général, se fondant sur les dispositions de
['accord précité, considère que votre Gouvernement se
reconnaît lié à compter de (la date de l'indépendance),
par tous les instruments dont son prédécesseur avait éten-
du l'application au nouvel Etat, et dont le Secrétaire gé-
néral est dépositaire. Le Secrétaire général vous serait
obligé de bien vouloir lui confirmer celle interprétation afin
qu'il puisse, pour s'acquitter de ses fonctions de dépositaire,
en aviser tous les Etats intéressés" (109).
Dans le même sens l'Etat nouveau n'est compté parmi le nombre
d'Etats parties nécessaire pour l'entrée en vigueur d'un traité que s'il sa-
tisfait à l'exigence d'une notification expresse, autrement que par un ac-
cord de dévolution, de son intention d'être lié par ce traité.
(108) - Doc. A/CNA/IS0 incorporant le Doc. A/CNA/IS0 corr. l, ACDI
1962, vol. II, pp. 124 et s.
(109) - Ibidem., p. 142, parag. 133
c'est nous qUI soulignons.
401
Ainsi se retrouvent normalement disjointes deux fonctions du Secré-
taire général qu'une première conception des accords de dévolution ainsi
que de leur portéc avait réussi à confondre: celle d'enregistrer tout traité
international qui lui serait soumis à cet effet, et celle de notifier, en sa
qualité de dépositaire spécifique d'un traité, l'intention de tout nouvel
Etat de se considérer comme lié par ce traité.
La pratique des autres dépositaires des traités multilatéraux s'inscrit
généralemcnt dans ce sens.
Il en va ainsi par exemple de la pratique du gouvernement suisse agis-
sant comme dépositaire des Conventions humanitaires de Genève (110) et
de celle du Gouverncment des Etats-Unis (111).
(110) - Cf, Doc. A/CNA/200 Rev. 2 et A/CNA/200 Add. 1 et 2, Succes-
sion d'Etats aux traités multilatéraux, Etude établie par le Secré-
tariat, ACDJ, 1968, vol. Il, pp. 39-53, parag. 160-229. Voir toute-
fois les contradictions relevées entre les positions d'un dépositai-
re et d'un Etat nouveau à propos de l'appréciation des effets de
l'accord de dévolution conclu entre les Pays-Bas et l'Indonésie en
ce qui concerne la succession de l'Indonésie à la Convention de
Berne de 1886 pour la protection des oeuvres littéraires et artisti-
ques, ibid., pp. 13-14 et ACDJ 1969, vol. lI, p. 60, parag. 20.
(Ill) - Cf, les exemples tirés de la pratique du dépositaire américain et
exposés dans la Série législative des Nations Unies, Documenta-
tion concernant la succession d'Etats, Doc. ST/LEG /SER.B/14,
pp. 224-228.
4Ü2
Cette tendance est en outre généralement confirmée par la pratique
des Etats.
B. Pratique des Etats
En dépit de quelques flottements ou hésitations (112), la pratique des
Etats s'inscrit dans le même sens que celui de la pratique des dépositaires.
Cette pratique des Etats tend il reconnaître aux accords de dévolution une
portée particulièrement limitée.
On relève en effet l'existence de plusieurs cas où des Etats nouvelle-
ment indépendants ont confirmé s'être considérés comme liés par divers
traités multilatéraux sans avoir eu à se référer à leurs accords de transfert
ou de dévolution (113).
D'un autre côté certains Etats "successeurs" comme prédécesseurs re-
fusent d'attribuer des effets automatiques à des traités de dévolution. Ain-
si en dépit de la déclaration officielle déjà citée du Directeur des Affaires
politiques du Ministère des Affaires étrangères de la Côte d'Ivoire indi-
(112) - Cf les exemples tirés des cas de décolonisation des anciennes dé-
pendances britanniques; ACDJ, 1969, vol. II, p. 60.
(113) - E. LAUTERPACHT cite plusieurs exemples qui lui permettent de
considérer que les Etats ne jouissent pas plus de droits avec un
accord de transfert que s'ils n'en avaient pas conclu, op. cit., pp.
526-527, cité par I.A. SHEARER, op. cit., pp. 47-48
403
quant qu'en vertu d'un accord de dévolution conclu avec la France, la Côte
d'[voire assumerait tous les droits et obligations découlant des traités ren-
dus applicables à la Côte d'Ivoire avant son indépendance, cette même
autorité devait peu après considérer, en réponse à une demande de l'am-
bassade américaine concernant la question de l'extradition que:
"Despite the fact that there is all110st undoubtcdly a Fran-
co-American extradition treaty, which probably included
the former terri tories of AOF within its terms, the Go-
vernment of the Ivory Coast would not feel bound by that
treaty and desires that such matters be raised de nova ... "
(114).
Le Nigéria a pareillement repoussé le maintien de certains traités
d'extradition auxquels son accord de dévolution avec le Royaume-Uni ten-
dait à le soumettre (115). De même le Royaume-Uni a écarté tout effet
automatique d'un tel accord à l'égard des Etats tiers (116).
(114) - Echange de lettres 1962-1963, M. WHITEMAN, op. cil., p. 983.
(115) - Cf, Série législative des Nations Unies, Doc. ST/LEG/SER.B/14,
pp. 194-194. Pour d'autres exemples voir le Deuxième Rapport
précité de Sir H. WALDOCK, op. cil., pp. 60-62.
(116) - Ainsi selon le Gouvernement de Sa Majesté :
"Tout accord conclu entre la Métropole et le nouvel Etat
stipulant que celui-ci doit succéder aux droits et obliga-
tions découlant de traités conclus en son nom par la mé-
tropole a force obligatoire pour les Parties contractantes
à cet accord, mais non pas nécessairement pour les Etats
qui ont conclu des accords avec la métropole en ce qui
Le traité de dévolution invite parfois lui-même à une nouvelle conclu-
sion d'accord entre les Parties contractantcs aux traités concernés par la
dévolution et le nouvel Etat. Ainsi le trailé anglo-irakien déjà cité du 30
juin 1930 prévoit en son article 8 que:
"Les Hautes Partics Contractantes entreprendront immé-
diatement Ics démarches nécessaires pour assurer le
transfert... (des) résponsabilités à sa Majesté le Roi
d'Irak" (117).
Il convient dès lors de considérer avec le plus de réserve, vOire de
rejeter l'interprétation de effets de la reconnaissance d'Etat telle que pro-
posée à cet égard par VAN PANUYS lorsqu'il soutient, de façon sûrement
excessive que :
"cn reconnaissant l'Etat nouveau, ces Etats (tiers) ont im-
plicitement reconnu les règles régissant la naissance du
concerne le territoire désormais indépendant. C'est pour-
quoi il doit y avoir, après l'indépendance, une sorte d'acte
de novation entre le nouvel Etat indépendant et J'autre
partie contractante",
Série législative des Nations Unies. ST/LEG/SER.B/14, pp. 188-
189. Le Professeur A.G. PEREIRA a pu conclure à cet égard par
l'affirmation suivante: "l'accord de dévolution est un instrument
utile pour obtenir une transition pacifique lors de la décolonisa-
tion : ce n'est pas toutefois la source de dévolution successorale"
op. cit., p. 156.
(117) - Recueil des traités de la SDN, vol. 132, p. 364.
405
nouveau système juridique qualifié pour être reconnu
comme Etat souverain" (118).
En somme, comme on l'observe généralement, l'Etat nouvellement
indépendant, sitôt consolidées les bases de son indépendance, s'oriente
vers la dénonciation des accords de dévolution s'il ne chosisit pas tout
simplement de les ignorer pour entrer dans de nouvelles relations conven-
tionnelles aidé en cela par l'attitude des Etats tiers généralement faite de
réserve ou d'une relative indifférence vis-à-vis de ces accords.
Aussi devant le projet de la COI relatif aux effets des accords de dévo-
lution , les Etats ont-ils généralement réagi dans le sens du refus d'attri-
buer à ces accords tout effet automatique (119). Cette attitude a oeuvré
pour le maintien des dispositions du projet d'article de la COI et leur
adoption par la Conférence de Vienne dans les mêmes termes libellés
comme suit:
"Article 8 - Accords portant dévolution d'obligations ou
droits collventionllels d'ull Etat prédécesseur à un Etat suc-
cesseur.
(liS)
- Cf,
dans
ce
sens,
les
appréciations
de
Y.
MAKONNEN,
International Law and tlze New States of Africa, précité, pp. 278-
282.
(119) - Cf, les observations des gouvernements du Kenya et de la Zambie
relatives au projet d'article 7 sur les "Accords portant dévolution
d'obligations ou de droits conventionnels d'un Etat prédécesseur
à un Etat successeur", Premier Rapport de Sir Francis VALLAT,
406
1. Lcs obligations ou les droits d'un Etat prédécesseur
découlant de traités en vigucur à l'égard d'un territoire à
la date d'une succession d'Etats ne deviennent pas les
obligations ou les droits de l'Etat successeur vis-à-vis
d'autres Etats parties à ces traités du seul fait que l'Etat
prédécesseur et l'Etat successeur ont conclu un accord
stipulant que lesdites obligations ou lesdits droits sont dé-
volus à l'Etat successeur" (120).
sur la succession d'Etats en matièrc de traités, Doc. A/CN.4/278
et Add. 1 à 6, ACDf, 1970, vol. II, Première partie, p. 36 ; dans le
même sens, lcs observations d'Etats appartenant à des régions les
plus diverses tels que l'Inde, le Nigéria, la Jamaique, l'Indonésie
(Conférence ... compilations analytiques, Doc. A/CONF.80/5 pp.
130 et s.) ou encore le Royaume-Uni, Conférence... Compilations
analytiques, Doc. off., vol. l, p. 83, parag. 1 ; le Brésil, ibid., p. 84
parag. 8-11 ; les Pays-Bas, ibid., p. 85 parag. 13 ; l'Ethiopie, ibid.,
parag. 15 ; la Barbade, ibid., parag. 16 ; l'Italie dont le représen-
tant estime qu'avec l'article 8 du Projet:
"La Commission du droit international a fait la part belle
au principe de la table rase puisque les accords de dévo-
lution y sont considérés comme n'engageant que les Etats
qui les concluent". Selon M. MARESCA, "ce principe,
clair en soi, a encore été éclairci par la Commission du
droit international dans son commentaire. C'est un des
principes les plus sûrs de la Convention de Vienne de
1969 sur le droit des traités", ibid, parag. 17 ; la Suède,
ibid., p. 87 parag. 31 et l'Algérie, ibid. p. 88, parag. 48.
(120) - Après le rejet en Commission de deux amendements de l'article
déposés par le Royaume-Uni et la Malaisie, le texte proposé par
la COI a été adopté sans vote et renvoyé au Comité de Rédaction,
4(J1
Outre la règle négative posée dans ce paragraphe et selon laquelle les
droits ou obligations de !'Etat prédécesseur ne passcnt pas à j'Etat succes-
seur du seul fait d'un accord de dévolution, j'article 8 de la Convention
consacre en son paragraphe dcux la primauté de la Convention sur tout
accord de dévolution (121), achcvant ainsi de mettre en harmonie les dis-
positions de cct article et le principe de la table rase qui, en ce qui touche
les Etats nouvellement indépendants, innerve tout une partie de la Con-
vention.
Cette solution du droit international codifié pourrait êtrc combinée
avec l'argument ou le constat selon lequel "s'il cxistait déjà une règle de
droit international en vertu de laquelle Ics Etats succcsseurs seraient liés
par les traités de leurs prédécesseurs, lcs accords de transfert seraient
superflus" (122). Ils tendraient dès lors à faire apparaîtrc que les accords
de dévolution, loin de consacrer une succession dc plein droit, ni même de
ibid., p. 93 parag. 28. L'adoption en deuxième lecture du texte
proposé par ce comité, et demeuré inchangé, intervint par consen-
sus à la 31e séance de la Commission, ibid., p. 208 parag. 8.
(121) - Le paragraphe 2 est libellé comme suit:
"2. Nonobstant la conclusion d'un tel accord, les effets
d'une succesion d'Etats sur les traités qui, à la date de la
succession d'Etats étaient en vigueur à l'égard du territoi·
re en question sont régis par les présents articles".
(122) - Cf, I.A. SHEARER, op. cit., p. 47.
constituer une exception au principe de la table rase, puisque ne représen-
tant que des moyens techniques d'une "succession" éventuelle, consolident
en réalité l'existence de ce principe en tant qu'ils ne font qu'aménager le
cadre, même parfois juridiquement contesté, d'une succession volontaire.
Aussi l'incertitude et la portée limitée qui caractérisent les accords de
dévolution ainsi que la confiance que les Etats manquent généralement de
placer en de tels instruments ont-elles rapidement conduit à une autre
pratique au moin.1 tout aussi volontaire, celle des déclarations unilatérales
de succession.
409
Sous-Scction Il
LES DECLARATIONS UNILATERALES
Nombre d'Etats nouveaux parmi lesquels certains Etats francophones
d'Afrique ont préféré recourir aux déclarations unilatérales pour indiquer,
en matière de succession, leur position à l'égard des traités rendus appli-
cables à Icur territoire antérieurement à leur accession à l'indépendance.
Ccs déclarations, bien que proches dans leurs formes, recouvrent une
grande diversité de solutions (123) qui ne sont pas sans soulever le problè-
me des effets juridiques de tels instruments.
Ils convient dès lors, comme pour les accords de dévolution, de s'in-
terroger sur le sens et la valeur juridique de ces déclarations.
Paragraphe J
LE SENS DES DECLARATIONS UNILATERALES
DE SUCCESSION
Il importe ici de distinguer les déclarations des Etats anglophones dé-
(123) - Pour une présentation détaillée des différentes variétés de déclara-
tions, cf les Commentaires de la COI sous son projet d'article 9, il/,
Rapport de la COI à l'Assemblée générale, ACDI 1974, vol. II,
1ère Partie, pp. 193 et s.
410
coulant en général du refus des Etats "successeurs" de signcr dcs accords
de dévolution, des déclarations plus spontanées des Etats francophones
parmi lesquelles une place spéciale semble revenir à la déclaration du
Sénégal du fait
de ses particularités propres (124).
1. Les déclarations des Etats anglophones
Le recours aux déclarations unilatérales générales a été préconisé par
certains Etats africains anglophones comme le Tanganyika, l'Ouganda et
Zanzibar qui ont eu à manifester certaines réserves devant l'inéfficacité et
le manque d'intérêt, à leurs yeux, des accords de dévolution que leur pro-
posa le Royaume-Uni et qu'ils refusèrent de sIgner au moment de leur
accession à l'indépendance.
La formule des déclarations unilatérales fut d'abord annoncée en
(124) - Dans son ouvrage précité, le Professeur D. I3ARDONNET propose
une classification différente partant de l'analyse du contenu des
déclarations et qui lui permet de distinguer trois catégories de
déclarations: celles des Etats qui auraient adopté la théorie de la
"table rase", celle des Etats qui prônelll la théorie du "temps de
réflexion" et celle des Etats qui déclarent assumer les droits et
obligations découlant des traités antérieurs sous réserve d'un exa-
men ultérieur. Toutefois le Professeur l3ARDONNET reconnaît
les limites d'une telle classification qui, selon l'auteur, n'épuise
pas la diversité de la pratique comme en atteste par exemple le
cas de la déclaration toute particulière du Sénégal, op. cit., pp.
434-440.
411
1961 par le Premier Mlnl~tre du Tanganyika (125) avant d'être propre-
ment inaugurée par cet Etat dans une déclaration en date du 9 décembre
(125) - Le Premier Ministre devait déclarer le 30 novembre 1% 1 devallt
l'Assemblée nalionale du Tangallyika
"1 think right that this House and the outsicle world in
general should be made aware, in advancc of our inde-
pendence of what the attitude of an indcpendent Tanga-
nyika would be to certain trcatics by which we arc at
present boum\\. The Government of Tanganyika has gi-
ven the most careful consideration 10 the question of
what to do about the treaties which were applied by the
U.K. to the territory of Tanganyika during the period of
the Mandate and trusteeship. The Government is natu-
rally anxious that the emergence of Tanganyika as an
independent State should in gencral cause a little c1isrup-
tion as possible to the relations which previously existed
between foreign States and Tanganyika. At the same
time the government must be vigilant to ensure that
where international law does not require it, Tanganyika
shall not in the future be bound by pre-inclependence
commitments which are no longer compatible with their
new status and interest. A suggestion has been made by
the U.K. Government for the conclusion of an inheritan-
ce agreement bctween Tanganyika and U.K. itsclf simi-
lar to the one previously conclued by the U.K. and other
countries coming to independence. After examining the
proposai in detail the Government has felt unable to
accept il. We understand that the effect of such agree-
ment might be to enable third States to call upon Tanga-
nyika to perform certain trcaty obligations from which 1'.
412
1961 adressée par le Premier Ministre NYERERE au Secrétaire général
de l'ONU en réponse à l'offre faite par le Royaume-Uni de conclure avec
le Tanganyika un accord de dévolution (126).
would otherwise have been released by emergence into
independent statehood. Moreover we were advised that
an inheritance agreement \\Vould probably not be able by
itself to enable us to insist upon third States to discharge
towards us the original treaty. Wc have therefore deci-
ded to follow a different path. We have made a formai
declaration in this scns to the Secretary General of the
U.N. Organisation ... ", rCLQ, p. 1210.
(126) -
Le contenu de la déclaration destinée à être distribuée à tous les
mmembres de l'Organisation des Nations-Unies est le suivant:
"Le gouvernement tanganyikais est conscient de l'intérêt
qu'il ya à assurer, dans toute la mesure compatible avec
l'accession ;1 la pleine indépendance de l'Etat du Tanga-
nyika, la continuité des liens juridiques entre le Tanganyi-
ka et les divers Etats avec lesquels, par le truchement du
Royaume-Uni, Ic territoire du Tanganyika se trouvait,
avant l'indépendance, lié par des relations conventionnel-
les. En conséquence. le gouverncmem tanganyikàis tient
à faire la déclaration ci-aprês : En ce qui concerne les
traités bilatéraux que le Royaume-Uni a valablement
conclus au nom du territoire du Tanganyika ou que le
Royaume-Uni a valablemem appliqués, ou dont il a vala-
blement étendu l'application au Tanganyika, le Gouver-
nement tanganyikais est disposé à continuer d'appliquer
sur son territoire/sur la base Je la réciprocité, les clauses
413
La déclaration tanganyikaisc qui porte ce qu'il est désormais convenu
d'appeler la "doctrine Nyéréré" définit en termes généraux les modalités
de reconduction provisoire ou définitive des traités internationaux cn dis-
tinguant le sort des traités bilatéraux de celui réservé aux accords multila-
de tous ccs traités pendant unc période de deux ans à
Lomllter de la date de l'indéllcndance (c'est-:t-dire jus-
qu'au il cléccmlJre 19(3), :\\ moins que Icsdits traités ne
soicnt abrogés ou modifiés auparavant d'un commun ac-
cord. A l'expiration de cette période, le Gouvernement
tanganyikais considérera cumme éteints ceux de ces trai-
tés qui ne pcuvent, par le jeu dc l'application des règles
du droit intern«tional coutumier (êtrc considérés) il tout
autre titre comme encore en vigueur.
Le Gouverncment tanganyikais n'ignore pas que la décla-
ration qui précède, applicable aux traités bilatéraux, ne
peut être aussi aisément appliquée aux traités multilaté-
raux. En ce qui concerne ces derniers traités, le Gouver-
nement tanganyikais se propose donc dc revoir chacun
d'eux individuellement et de faire savoir au dépositaire,
dans chaque cas, quelles mesures il cntend prendre à
l'égard de chacun desdits instrumcnts - par voie de confir-
mation de l'extinction, de confirmation de la succession,
ou d'adhésion. Pcndant cette période intérimaire d'exa-
men, toute partie a un traité multilatéral qui, avant l'in-
dépendance, avait été appliqué, ou dont l'application
avait été étcndue au Tanganyika pourra, sur la base de la
réciprocité se prévaloir, à l'cncontre du Tanganyika, des
clauses dudit traité".
Doc. A/eNA/ISO, précité, ACDJ 1962, vol. II, p. 141 ; texte en
anglais dans Documentation concernant la succession d'Etat\\'. , Sé-
rie lé~isl<ltive des Nations Unies, ST/LEG /SER.B/14, pp. 177-
414
téraux. Selon le système consacré par cette "doctrine" le nouvel Etat s'en-
gage à continuer d'appliquer pendant un délai déterminé et sur la base de
la réciprocité, les traités préalablement rendus applicables à son territoire
et qui sonl considérés comme éteints à l'expiration du délai, sauf confir-
mation expresse contraire ou maintien par le jeu des règles du droit inter-
national coutumier (127).
171). Cette déclaration suscita une réaction du Royaume-Uni par
le biais de sa Représentation permanente qui adressa le 2 juillet
1%2 la lettre suivante au Secrétaire général en le priant de la
communiquer il tous les membrcs de l'Organisation. Ainsi, sc ré-
férant à la note tanganyikaise du 9 décembre 1961 :
"Le Gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni
déclare que, lorsque le Tanganyika est devenu un Etat
indépendant et souverain, ... le Gouvernement du Royau-
me-Uni a cessé c1'avoir les obligations et les droits qu'il
avait auparavant en tant qu'autorité responsable de l'ad-
ministration du Tanganyika, du fait de l'application au
Tanganyika clesdils instruments internationaux", ibid., p.
178.
Le Royaume-Uni parvint ainsi à proclamer unilatéralement qu'il
se considérait comme dégagé de ses obligations et droits assumés
en vertu des traités applicables au territoire dépendant du Tanga-
nyika ; ce qu'il n'avait pu obtenir par le moyen d'un accord de
dévolution.
(127) - En 1964 le Tanganyika et la République populaire de Zanzibar
s'unissent pour former l'Etat souverain de la République Unie de
Tanzanie qui adressa au Secrétaire général, une note dans laquel-
le fut affirmé que les traités rendus préalablement applicables à
415
Cette solution conçue pour les traités bilatéraux, nc s'applique pas
telle quelle aux traités multilatéraux qui, à l'expiration du délai prévu ne
peuvent être considérés comme caducs, même en l'absence d'une confir-
mation de continuité. Toutefois, dans la pratique, le nouvel Etat s'em-
ploiera pendant ce délai à choisir la solution qui lui convient parmi celles
faites de continuité ou de rupture qui s'offrent à lui.
La "doctrine Nyéréré" qui consacre la théorie ainsi dénommée théorie
du "temps de réflexion" (128) a très profondément inspiré le texte des
l'un ou l'autre territoire des Etats membres d l'Union "demeure-
ront en vigueur dans les limites régionales prescrites lors de leur
conclusion et conformément aux principes du droit international".
Cette note restera toutèfois muette sur le sort de la déclaration
tanganyikaise de 1%1.
(128) - Sur la théorie du "droit d'option" ou du "temps de reflexion", voir le
IMemorendum précité de M. BARTOS, ACDJ 1963" vol. Il, pp.
305-307 ainsi que K. ZEMANEK, op. cil., pp. 216-219 et la criti-
que de la "construction" de ce dernier auteur faite par Gonçalvez
PEREIRA, op. cil .. pp 168- 176. K. ZEMAN EK (op. cil., p. 218)
rappelle toutefois que le système de l'application provisoire du-
rant une période de transition n'est pas tout à fait inventé par le
Tanganyika mais trouve un précédent dans la pratique du GATT
découlant de l'application de la clause de succession prévue par
l'article XXVI (c) de l'Accord général. L'auteur renvoie pour plus
de détails à T. KUNUGI, "State Succession in the framework of
GATT", Al/L, 1965, pp. 268-290, spéc. pp. 273-275.
416
déclarations adoptées par l'Ouganda (129), le Kenya (130), le Malawi
(131), le Botswana (132), le Lésotho (133) et le Swaziland (134).
(129) - Le texte de la déclaration ougandaise (lettre en date du 12 février
1963 adressée au Secrétaire général) reproduite dans la documen-
tation concernant la succession d'Etats (op. cil., pp. 179-180)
ne
distingue pas expressément comme celui de la déclaration tanga-
nyikaise, entre traités lJilatéraux et multilatéraux mais indique
comme cette dernière. qu'une partie il un traité multilatéral peut
durant la période d'examen, et sur la base de la réciprocité, se
prévaloir;\\ l'encontre de l'Ougandrl, des dispositions dudit traité.
(130) - Note en date du 2:') mars l'lM: texte dans lLA, The el/eu of inde-
pendellce 011 tre(l/ies, précité, p. 387 ; en français dans D. BAR-
DONNET, op. Cil, pp. 436-437.
(131) - Lettre en date du 24 novembre 1964 du Premier Ministre du Mala-
wi au Secrétaire général des Nations Unies. La déclaration pré-
voit un délai de dix-huit mois il partir de la date d'indépendance.
Ce délai devait prendre fin le 6 janvier 1966, [LA, The effect... , pp.
388-389.
(132) - Déclaration du 6 octobre J '.166 adressée au Secrétaire général des
Nations Unies, cf Nations Unies, Documentation concernant la
succession d'Etats,
publication
des
N.U
numéro
de
vente
EjF.68.V.5, Traités. Botswana [LA, Interim report of the Commit-
tee 0/1 the succession of new States,
Buenos Aires conference,
1965, p. 17.
(133) - Déclaration du 22 mars 1'.167 adressée au Secrétaire général, Na-
tions Unies, Docu/llentation... , précité, Traités, Léso\\ho ; ILA, op.
cit., p. 20.
(134) - Déclaration faite en 1'.168, Doc. AjCN.4j263, suppl. établi par le
417
Le Royaume-Uni répondit à toutes ces déclarations, comme il le fit
pour la déclaration tanganyikaise, par des notes officielles adressées au
Secrétaire général des Nations Unies aux fins d'indiquer qu'il renonçait
expressément aux droits et obligations existant en vertu des traités concer-
nés, confirmant ainsi le caractère volontaire des déclarations par lesquel-
les de nouveaux Etats entendent définir, bien plus librement que ne le
permettraient d'obscurs ou fragiles accords de dévolution, leur position à
l'égard des traités applicahles à leur territoire.
La théorie du "temps de réflexion" demeure dès lors conforme au
principe de la table rase qui traduit une ahsence d'obligation de succéder
et permet au nouvel Etat de décider d'appliquer ou de maintenir provisoi-
rement en vigueur tels traités ou telles catégories de traités qui devront
Secrétariat à la Documenlalioll ... op. cil., Royaume-Uni de Gran-
de Bretagne et d'Irlande du Nord, Traités, Swaziland.
Quoique n'appartenanl pas au groupe d'Etats anglophones le Bu-
rundi peut y ètre rangé eu égard au contenu de sa déclaration tout
à fait proche de celui des déclarations précitées. La déclaration
très dét,tillée du Burundi est consignée dans une note adressée le
26 juin 1964 au Secrétaire général des Nations Unies. Elle pré-
voit, à partir du 1er juillet 1962, jour de l'indépendance, un délai
de quatre années qui a été par la suite prorogé de deux ans par
une note intervenue en 1966. Voir, texte cie la déclaration dans
ACD11974, vol. II, 1ère Partie, p. 197. Sur l'ensemble des déclara-
lions des Etats africains voir, M.A.B MUTITI Stale succession 10
Iremies in respecl oI new/y independcl1f alrican Slales, East African
literature Bureau, Kampala. 1976, pp. 5·32, cité par Z. MERl·
BOUTE, op. cit., p. 105.
418
être considérés, par cet Etat, cOlllme éteints ex func, c'est-à-dire depuis
l'indépendance du nouvel Etat, si ce dernier, à J'issue du délai de ré-
flexioll,
n'a pas cOIIJiflllé leur mainfien Cil vigueur. Ce système de la
continuité sous résen'e de conJirmatioll qui se distingue du système de la
continuité sous résen'e de dénonciation bien plus rarement consacré dans la
pratique africaine, aura donc servi à réaffirmer J'autonomie de la volonté
du nouvel Etat et sa capacité de repousser les liens conventionnels de
l'Etat prédécesseur Cjui jureraient d'avec ses intérêts propres.
C'est ce qui ressort avec une particulière netteté d'une seconde décla-
ration adressée par le Lésotho en 1969 au Secrétaire général des Nations
Unies pour servir à la fois de mise en garde et d'interprétation de la décla-
ration précédente de 1967. Aux termes de la nouvelle déclaration:
"Le Gouvernement du Royaume du Lésotho tient à ce
qu'il soit bien entendu qu'il s'agit là d'un simple arrange-
ment transitoire. En aucun cas, on ne saurait conclure
que par cette déclaration le Lésotho a adhéré à tel ou tel
traité ou signifié le maintien en vigueur de tel ou tel traité
par voie de succession" (135).
(135) - Déclaration prorogeant en outre de deux années le délai de deux
ans prévu dans la déclaration de 1967, v. Documentation concer-
nant la succession d'Etats, op., cit., Trai tés, Lésotho, A CD! 1974,
vol. II, 1ère partie, p. 195.
419
Le Tanganyka interpréta dans le même sens sa propre déclaration en
estimant qu'à l'expiration du délai de réflexion prévu, seuls les "real trea-
ties" ont pu faire l'objet d'une succession ct lju'il fallait entendre par "real
treaties" les traités de frontière et ceux relatifs aux communications (136).
Devant une telle pratique, les anciennes possessions françaises d'Afri-
que ainsi que les autres territoires dépendants francophones du continent
ont développé une pratique dans l'ensemble similaire quant aux formes
empruntées, même si elle demeure bien moins uniforme et semblable dans
son contenu.
II. Les déclarations des Etats francophones
Plusieurs Etats africains francophones ont saisi l'occasion que leur
offrait la demande du Secrétaire général de l'ONU les invitant à définir
leurs positions respectives vis-à-vis d'une liste de traités considérés com-
me applicables à leurs territoires à la date de la succession d'Etats pour
indiquer, parfois en termes généraux, leurs rapports nouveaux avec l'ordre
(136) - Tanganyika, Débats parlementaires de l'Assemblée nationale, 1ère
session, 11 juin 1962, cf, D.P. O'CONNELL, State succession in
Municipallaw and international Law, précité, p. 116. Les traités de
frontière ou de communication sont ainsi ceux qui dans la déclara-
tion tanganyikaise peuvent "par le jeu de l'application des rêgles
du droit international coutumier (être considérés) à tout autre
titre comme encore en vigueur".
420
juridique conventionnel tissé par leurs prédécesseurs à l'égard de leurs
propres territoires.
Le système alors adopté, quoique sous des formes variables, par un
certain nombre d'Etats africains reste celui par lequel le nouvel Etat dé-
clare assumer les droits et obligations résultant des traités conclus par son
prédécesseur sous réserve d'un possible examen ultérieur. Ce système se
distingue de celui qui consacre la théorie du "temps de réflexion" adoptée
par plusieurs Etats anglophones, et s'écarte de l'attitude de plusieurs au-
tres Etats africains consistant à ne se prononcer que sur le sort d'une
partie des traités qui figurent sur les listes dressées par le Secrétaire géné-
ral, tout en se gardant de faire toute déclaration générale de succession
(137).
Il convient dès lors de distinguer à cet égard les déclarations généra-
les des déclarations spéciales c'est-à-dire celles, de portée plus limitée,
qui ont été adressées aux dépositaires de certains traités multilatéraux en
vue de définir la position du nouvel Etat envers ces seuls traités.
(137) - Il en va ainsi, par exemple, de la Guinée, du Cameroun, du Tchad,
du Dahomey, du Gabon, de la Côte d'Ivoire, du Mali, du Niger, de
la Mauritanie, du Togo et, dans une certaine mesure, comme nous
allons le constater, du Sénégal. Sur tous ces exemples voir Doc.
AjCNAj15ü, Memorandum préparé par le Secrétariat, ACDJ
1962, vol. II, pp. 132 et s.
421
AI LES DECLARATIONS GENERALES
Les déelarations générales de succession ont été le fait de la Haute-
Volta qui affirma ne se reconnaître liée par aucun des accords signés par
la France (138) mais aussi, quoique dans un sens différent, du Congo
(Brazzaville), de la République Centrafricaine, du Congo (Léopoldville)
et de Madagascar. Mais le contenu de ces déclarations varie tant parfois
qu'il semble utile de les étudier distinctement (139).
Le Congo (Brazzaville) a en effet rendu publique une déclaration de
son ministre des Affaires étrangères consignée dans une note verbale en
date du 15 octobre 1962 adressée au Secrétaire général des Nations Unies
et conçue comme suit:
"Conformément aux usages du droit international et en
(138) - L'Algérie s'est également prononcée dans ce sens, cf, notamment,
Ch. ROUSSEAU, "chronique des faits internationaux", RGDlP,
1963; pp. 128 et s.
(139) - L'exemple de la Zambie pourrait être rangé parmi ceux-ci. Il s'agit
en effet du seul Etat anglophone d'Afrique qui ait à la fois repous-
sé les accords de dévolution et la théorie du "temps de réflexion"
au profit d'une déclaration unilatérale qui consacre le système de
la continuité sous réserve de confirmation destinée à produire des
effets ex tunc, c'est-à-dire, depuis l'indépendance du nouvel Etat:
Note du 1er septembre 1965, ACDI 1974, vol. II 1ère partie pp.
195-196. Déclaration reprise plus tard par d'autres Etats dont
Maurice, ibidem.
422
raison des conditions dans lesquelles est intervenue l'ac-
cession à la souveraineté internationale de la République
du Congo, celle-ci se considère comme partie aux traités
et conventions signés antérieurement à son indépendance
par la République française et étcndus par cette dernière
à ses anciens territoires d'outre-mer, tant que ces traités
ou conventions n'ont pas été expressément dénoncés par
elle ou abrogés tacitemcnt par un tcxtc les remplaçant"
(140).
Cette déclaration congolaise est sans doute la scule qui semble pro-
clamer une nette adhésion au principe de la succession aux traités anté-
rieurs en consacrant le système de la continuité sous réserve de dénoncia-
tion. Mais il semble difficile d'en déterminer l'exacte portée dans la mesu-
re où cette déclaration intervient peu après le dépôt par le nouvel Etat, le
S mai 1962, d'un instrument formel d'adhésion à la Convention sur la cir-
culation routière de 1949 qui figurait pourtant sur la liste que lui adressa
le Secrétaire général dès après son accession à l'indépendance et sur la-
quelle le Congo devra se prononcer. En outre le Congo reconnut, nonobs-
tant le caractère général de sa déclaration, qu'il continuait d'être lié par
une partie seulement des traités figurant sur la liste établie par le Secré-
taire général (141).
(140)
Doc. A/CNA/IS0, op. cil., p. 134.
(141)
Ibidem.
423
La déclaration centrafricaine soulève quant à elle bien plus de diffi-
cultés et s'avère particulièrement ambiguë.
Dans une note verbale en date du 25 octobre 1962, le Ministre des
Affaires étrangères de la République Centrafricaine adressait la réponse
suivante au Secrétaire général des Nations Unies:
"En matière de relations internationales, les traités con-
clus par l'ancienne puissance colonisatrice au nom de ses
territoires d'outre-mer ne peuvent être considérés comme
restant en vigueur que dans leurs clauses qui ne sont pas
incompatibles avec l'indépendance des Etats devenus
souverains. En conséquence, la République Centrafricai-
ne se réserve le droit de dénoncer les traités qui lui paraî-
traient ne pas tenir compte de sa nouvelle souveraineté.
Cette position est d'ailleurs corroborée par la position
d'organismes internationaux qui exigent que les Etats
ayant accédé à l'indépendance adhèrent à nouveau aux
conventions qui les régissent" (142).
Il convient de souligner, qu'en incorporant une clause prévoyant le
maintien en vigueur des traités de l'Etat prédécesseur dans leurs seules
"clauses qui ne sont pas incompatibles avec l'indépendance des Etats déve-
(142) - Ibid., p. 183.
424
nus indépendants", la déclaration centrafricaine fait appel à une dis-
tinction particulièrement délicate entre les clauses de chacun des trai-
tés antérieurs qui, en principe, font tous l'objet d'une affirmation de
continuité sous
réserve de dénonciation.
En outre, l'idée de maintenir en vigueur des traités dans leurs
clauses non incompatibles avec l'indépendance du nouvel Etat paraît
rendre inutile ou même heurter contradictoirement la elause par la-
quelle le nouvel Etat "se réserve le droit cie dénoncer les traités qui lui
paraîtraient ne pas tenir compte de sa nouvelle souveraineté". On peut
en effet estimer selon la déclaration, que, soit seules certaines clauses
de ces traités s'avèrent compatibles avec l'indépendance de l'Etat et
sont de ce fait maintenues en vigueur, auquel cas ne se pose pas pour
elles le problème d'une dénonciation dans la période qui suit l'indépen-
dance, soit toutes les clauses ou la plupart des clauses du traité sont
considérées comme incompatibles et cessent d'être en vigueur au mo-
ment de l'indépendance, rendant ainsi inituie tout recours ultérieur à la
dénonciation.
Dès lors le système retenu dans la déclaration ne semble accep-
table que si la dénonciation est elle même conçue comme un moyen
par lequel le nouvel Etat sélectionne par exclusion de clauses "inaccep-
tables", celles qui paraîssent respecter son indépendance. Mais ce serait
là admettre à l'encontre du droit positif l'existence d'un pouvoir de
dénonciation opérant de manière discriminatoire et s'exerçant sur les
clauses des
traités plutôt
que
sur
les
traités eux-mêmes.
La déclaration ajoute 'enfin à la confusion en appelant à l'appui du
système qu'elle propose, la position d'organismes internationaux, laquelle
425
découle en réalité de la spécificité des règles qui lcs régisscnt el qUI
aménagcnt ainsi des conditions particulières d'admission de mell1lJres.
La déclaration du Congo
(Léopoldville)
(143) cst quant à elle bien
moins complexe
et proclame l'idée d'une large reconduction interprétée
par le gouvernement
congolais dans un sens qui pourrait limiter considé-
(143) - Répondant à la lette du 12 décembre 1961 du Secrétaire général
des Nations demandant au Congo (Leopoldville) de confirmer
qu'il se considérait comme lié par quatorze conventions applica-
bles à son territoire, le Ministre des Affaires étrangères congolais
devait répondre dans une lettre en date du 29 décembre 1961 que:
"d'une manière générale, la République du Congo se con-
sidère comme successeur, à titre d'Etat indépendant et
souverain, du Congo belge à l'égard des conventions in-
ternationales et reconnaît que celles-ci continuent à être
en vigueur sur le territoire de la République", Doc.
A/CN.4j1Sü, op. cit., p. 134.
Il s'agit là d'une position qui diffère sensiblement de celle adop-
tée dans 1'''Avant-projet de programme gouvernemental" présenté
par le Premier ministre Lumumba devant le Sénat congolais le 21
juillet 1960. Aux termes de cet Avant-projet et, "en ce qui concer-
ne les traités, conventions et protocoles passés par la Belgique au
nom du Congo, le Gouvernement déclare que leur reprise ou leur
dénonciation ne pourra se réaliser qu'après examen préalable ap-
profondi", cf GERARD-LISOIS et VERHAEGEN, Congo 1960,
vol. II, Publication du Centre de Recherche et d'Information So-
cio-politique, Bruxelles, Extrait cité dans 1LA, The effect of indepen-
den ce on treaties, précité, p. 203.
426
rablement
ses
effets
(144).
Le défaut d'uniformité des déclarations émanant des Etats afri-
calns francophones cst cncorc illustré par l'attitude du nouvel Etat in-
dépendant malgache. Cette attitude est faite d'hésitations et de varia-
tions
multiples.
En effet, après aVOir rejeté toute position de pnnclpe au profit
d'un examen au cas d'espèce qUI ignore toute solution de transition
applicable à partir de la date d'indépendance (145), le gouvernement
du nouvel Etat malgache devait quelque peu reconsidérer son attitude
en
affirmant
que
:
(144) - Le Congo ne s'est pas expressément considéré lié par tous les trai-
tés mentionnés dans la liste communiquée par le Secrétariat géné-
raI. Interogé alors sur sa position vis-à-vis des traités pour les-
quels il ne s'est pas prononcé, le gouvernement congolais devait
répondre par l'intermédiaire de son Ministre des Affaires étran-
gères en invoquant l'inexistence d'un texte qui les aurait rendus
applicables au territoire congolais. Une réponse qui au demeu-
rant privilégie un critère d'applicabilité plus restrictif que celui
retenu par le Secrétariat général des Nations Unies
(145) - Cf. La note en date du 27 mai 1961 adressée à l'ONU par le Minis-
tre des Affaires étrangères malgache, en réponse à la demande du
Secrétaire général des Nations-Unies. Le gouvernement malgache
devait répondre en ces termes:
"II s'agit. .. d'un point de droit international que les plus
hautes instances juridiques consultées n'ont pu éclairer
d'une façon définitive. Il semble donc qu'une position po-
sition de principe puisse difficilement ête définie en la
matière, et que chaque cas d'espèce doive être étudié
avec attention ...", Doc. A/CNA/150, op. cil., p. 136.
427
"il semble difficile d'admettre que la République mal-
gache ne soit pas engagée par les conventions passées,
en son nom, par la France avec d'autres pays" (146).
Cette affirmation, déjà assez peu ferme, est immédiatement flé-
trie et troublée, en l'absence de toute solution transitoire de continuité
expressément indiquée, par l'évocation de la nécessité, pour chacun de
ces traités, de faire l'objet d'une adhésion expresse ou d'une dénoncia-
tion formelle (147) qui, eu égard à la position de principe nouvelle du
gouvernement malgache, traduisent deux comportements contradictoi-
res. Cette position de principe encore plus nettement affirmée dans une autre
lettre du Ministre des Affaires étrangères adressée le 6 février 1962 au Directeur
de la Division des Questions juridiques générales des Nations Unies (148) de-
(146) - Avis du Président du Conseil supérieur des Institutions, en date du
17 juillet 1961, cf, D. BARDüNNET, op. cil, p. 443.
(147) - Le Président du Conseil supérieur des Institutions devait ainSI
poursuivre en ces termes:
"Toutefois, il se peut que la République malgache ait ou
non intérêt à se croire liée par les traités internationaux
dont il s'agit, mais il me paraît nécessaire que chacun de
ces traités fasse l'objet - et cela le plus tôt possible - d'une
adhésion expresse ou qu'il soit dénoncé par un acte for-
mel et particulier", ibidem.
(148) - Le ministre malgache devait aux termes de cette lettre déclarer:
"Après une étude de la question, le gouvernement malga-
che estime, en effet, souhaitable de se reconnaître, en
principe, comme lié par les Accords et Conventions pas-
428
meura tout aussI génée par le maintien d'une attitude ambivalente os-
cillant entre le système de la continuité sous réserve de dénonciation et
celui
de
la continuité sous
réserve de
confirmation (149).
sés en son nom par la France avant l'indépendance de la
République malgache ...", Doc. A/CNA/lS0, op. cif., p.
136.
(149) - Le ministre malgache avait en effet poursuivi dans sa lettre du 6
fevrier 1962 en ces termes :
"Toutefois, ce principe étant admis, il apparaît indispen-
sable que vous soit adressée, pour chaque convention,
une déclaration formelle par laquelle le gouvernement
malgache se déclare comme lié ...", ibidem.
"En outre dans une note adressée le 4 décembre 1962 à
l'Ambassade des Etats Unis à Tananarive, le Ministre
malgache des Affaires étrangères devait encore préciser
que:
"Conformément à la coutume, la République malgache se
considère comme liée implicitement par de tels textes
(traités signés par la France avant l'indépendance de Ma-
dagascar) sauf dénonciation expresse par elle-même", cf,
doc. ST/LEG.SER.B/14, p. 233.
Sur tous ces exemples, voir O. BAROONNET, op. cif., pp. 442-
444. L'auteur propose au demeurant (ibid., pp. 444-446) une subti-
le interprétation de l'attitude a prioripeu cohérenteJu Gouverne-
ment malgache dans le sens d'une COIlClIIauon ue conduites con-
traires qui nous ont semblé traduire, en toute hypothèse, une évi-
dente hésitation d'un Etat nouveau et peu expérimenté dans sa
recherche progressive et difficile de solutions les plus respectueu-
ses de sa souveraineté et de son indépendance.
429
Dans l'ensemble, l'objet de ces déclarations est d'affirmer la po-
sition générale du nouvel Etat vis-à-vis de l'ordre juridique convention-
nel rendu applicable à son territoire avant son accession à l'indépen-
dance. Les Etats nouveaux ont parfois profité à cet égard de leurs cor-
respondances diplomatiques relatives au maintien en vigueur d'un ou
de plusieurs accords pour faire connaître ou préciser en termes gé-
néraux leur position vis-à-vis des traités conclus par leurs prédécesseurs
et
rendus
applicables
à
leurs
territoires.
Les déclarations qu'ils ont ainsi pu faire ont été généralement
adressés à un Etat, en réponse à une demande émanant de cet Etat.
Un certain nombre d'Etats africains ont ainSI, en des termes géné-
raux et voisins, répondu à une demande américaine d'information re-
lative à J'applicabilité des traités conclus par la France pour le compte
de
ses
anciens
territoires
africains.
Pourraient
être
ainSI
rangées
dans
celle
catégorie
de
dé-
clarations, celles faites par la République du Mali (150), la Côte d'Ivoi-
(150) - Après la dissolution de la Fédération du Mali en août 1960 et au
moment de la proclamation d'indépendance de la nouvelle Répu-
blique du Mali le 22 septembre 1960, le Cinquième Congrès de
l'Union soudanaise-RDA renonçait à tous ses engagements anté-
rieurs avec la France. Mais le Gouvernement malien considéra
que cette dénonciation n'affectait aucun accord international
430
re (151), le Congo (Brazzaville) (152) et Madagascar (153).
A côté de ces déclarations générales, des déclarations de portée bien
plus limitées ont été adressées à des Etats ou organisations internationales
dépositaires de conventions multilatérales.
conclu par la France avec d'autres Etats pour le Soudan, cf. M.
WHlTEMAN, op. cil., p. 984. Cette interprétation peut ainsi lais-
ser supposer que selon le Gouvernement malien, l'indépendance
du nouvel Etat ne porterait pas en principe atteinte aux traités
applicables au territoire et à l'Etat du Soudan à l'exclusion des
propres engagements soudanais envers la Communauté française.
(151) - Cf, La déclaration précitée du Directeur des Affaires politiques du
Ministère des Affaires étrangères de Côte d'Ivoire, supra.
(152) - Cf. la réponse du 5 août du Ministère des Affaires étrangères du
Congo à la note américaine du 12 mai 1961 demandant la position
du gouvernement congolais sur l'applicabilité des accords conclus
par la France au nom du territoire congolais avant son accession à
l'indépendance, voir M. WHITEMAN, op. cil., p. 176. Cette ré-
ponse est identique mot pour mot à celle déjà citée et adressée
par le Congo le 15 octobre 1962 au Secrétaire général des Nations
Unies, supra.
(153) - Notre déjà citée du Ministre malgache des Affaires étrangères
adressée le 4 décembre 1962 à l'Ambassade des Etats-Unis à Ta-
nanarive voir supra.
431
11/ LES DECLARATIONS SPECIALES
Ces déclarations spéciales sont adressées aux institutions dépositaires
de conventions multilatérales sur la stricte applicabilité desquelles l'Etat
"successeur" souhaite se prononcer. Ces dépositaires ont généralement
pris l'initiative d'interroger à cet effet tout Etat "successeur" dont le pré-
décesseur est lié par les conventions précédemment rendus applicables au
territoire de l'Etat successeur.
On peut à cet égard retenir, à titre d'exemple, les déclarations de
continuité adressées aux dépositaires des Conventions de 1899 et de 1907
relatives à la création et au statut de la Cour Permanente d'Arbitrage ainsi
que des Conventions humanitaires de Genève du 12 août 1949.
Ainsi parmi les Etats qui ont répondu à la proposition d'interprétation
faite en 1959 par le Secrétariat de la Cour Permanente d'Arbitrage (154)
(154) - cf la décision du Conseil administratif de la Cour en date du 2
décembre 1959 par laquelle celte dernière demande au Gouver-
nement des Pays-Bas de s'adresser aux Hautes Parties contractan-
tes afin de recueillir leur approbation de la mesure suivant laquel-
le les Etats-membres des Nations Unies qui ne participent pas
encore à la Cour fussent invités à se déterminer par rapport aux
deux conventions ou indiquer s'ils sont disposés à y adhérer.
Le texte de la décision comporte en outre un passage intéressant
les Etats nouveaux, ex-territoires dépendants d'une partie con-
tractante et qui se lit comme suit:
432
et tendant à considérer les nouveaux Etats comme parties contractantes
aux conventions relatives à la cour figurent, pour ce qui concerne l'Afri-
[jue, le Cameroun, la Haute Volta, et le Congo (République démocrati-
[jue) [jui se sont reconnus liés depuis leur indépendance par lesdites con-
ventions au moyen de notifications adressées au gouvernement des Pays-
Bas en 1961, succédant ainsi respectivement à la France et à la Belgique
(155).
"S'il ressort des réponses [ju'un Etat se considère comme
Partie contractante à l'une des Conventions du fait qu'il
avait fait partie antérieurement d'un Etat qui l'a ratifié
ou y a adhéré, l'Etat en question sera considéré ipso facto
comme une haute partie contractante. Si, toutefois, un
Etat estime ne pas faire partie de cette catégorie d'Etat,
mais se déclare prêt à adhérer à l'une des conventions, il
sera requis de faire parvenir au Gouvernement des Pays-
Bas un acte d'adhésion", voir A/CNA/200 Add. 1 et 2: La
succession d'Etats aux traités multilatéraux: Etudes éta-
blies par le Secrétariat, ACDJ 1968, vol. II, p. 30 ; égale-
ment dans le Rapport du conseil administratif de la Cour
pour 1960, p. 5.
(155) - La France a ratifié la Convention de 1899 le 4 septembre 1900 et
celle de 1907, le 7 octobre 1910. La Belgique a ratifié ces deux
conventions respectivement le 4 septembre 1900 et le 8 août 1910.
Ainsi une dizaine d'années après le début des décolonisations
africaines, sur 75 Etats parties aux Conventions de 1899 et/ou de
1907 et participant à la Cour Permanente d'Arbitrage, 15 sont des
ex-territoires dépendants d'un Etat contractant mais devenus par-
ties aux deux conventions tout en participant à la cour. 12 Etats
433
011 observe ulle pratique semblable initiée par la Croix Rouge Inter-
nationale en rapport avec les Conventions humanitaires de Genève du 12
aoClt 1949.
Ainsi par vOIe de déclarations de continuité notifiées aux autorités
fédérales suisses le Cameroun, le Congo (Brazzaville), la Côte d'Ivoire, le
Dahomey, le Gabon, la Haute-Volta, Madagascar, la Mauritanie, le Niger,
la République Centrafricaine, le Togo et le Sénégal (156) confirmèrent
l'application, depuis leur indépendance, de ces conventions à leurs terri-
toires en vertu de leur ratification par la France (157).
parmi ces 15 sont devenus parties aux Conventions par VOle de
succession dont les trois pays africains ci-dessus indiqués, très peu
d'Etats ayant préféré la solution de j'adhésion. Il s'agit dans ce
dernier cas de l'Ouganda ct du Soudan pour ce qui concerne
l'Afrique, cf, ACDJ 1968, vol. II, p. 31.
(156) - A titre d'exemple, voir, Nations Unies, Ree. des Traités, vol. 470,
pp. 375 et 377 : lettre en date du 23 aoCJt 1963 signée par le Prési-
dent de la République du Sénégal.
(157) - La France a déposé son instrument de ratification le 28 juin 1951 et
les Conventions sont entrées en vigueur pour ce pays le 28 décem-
bre 1951,ACDJ 1968, vol. Il, p. 41,. La République démocratique
du Congo et le Rwanda se proclamèrent pareillement liés en vertu
du dépôt de l'instrument de ratification belge le 3 septembre 1952
; ratification effective le 3 mars 1953, ibid., pp. 42-43. Le Mali
ainsi que le Maroc, la Tunisie et l'Algérie firent exception à la
procédure d'adhésion, ibid., 44. Il importe ici de rappeler que le
recours à l'adhésion installe en principe une période de rupture
entre la date de l'indépendance (date généralement proposée par
l'Etat "successeur") et la fin du délai de 6 mois qui s'écoule à
compter de la réception par les autorités suisses, de la notification
d'adhésion.
434
La pratique des anciennes colonies britanniques s'est dans l'el1Sernble
,
inscrite dans le même sens (158).
La pratique des Etats comme on vient de l'observer révèle dans son
ensemble une réelle diversité de déclarations que n'épuise pas cependant
la distinction iei retenue pour sa commodité entre déclarations générales
et spéciales. Si, en réalité, toutes ces déclarations sont, en dépit de leur
différence d'objet, adressées aux dépositaires des conventions internatio-
nales ou à certaines parties à ces conventions soucieuses de connaître ]'at-
titude des Etats "successeurs", elles ne manquent pas, de ce fait, de se
distinguer d'une autre catégorie de déclaration dont les destinataires ne
sont autres que les institutions mêmes du nouvel Etat. L'exemple de la
déclaration sénégalaise du 20 février 1961 illustre bien, et vraisemblable-
ment seul, cette autre catégorie de déclaration.
Ill. La déclaration sénégalaise du 20 février 1961
Avant même d'avoir reçu les lettres en date du 20 mars et du 14 dé-
cembre 1961 par lesquelles le Secrétaire général des Nations Unies de-
(158) - Cf Les communications gouvernementales de la Gambie, du Nigé-
rial, de la Sierra Léone et du Tanganyika par lesquelles ces Etats
se sont considérés liés par les conventions depuis leur indépen-
dance en vertu de la ratification du Royaume-Uni en date du 23
septembre 1957, ibid., pp. 40-41. Le Soudan et le Ghana eurent
toutefois recours à une notification d'adhésion, ibid., p. 43.
435
mandait au nouvel Etat indépendant du Sénégal, dans les mêmes termes
que ceux utilisés pour les autres Etats accédant à l'indépendance à la mê-
me période, s'il se considérait comme lié par une liste de douze traités
précédemment rendus applicables à son territoire (159), le Sénégal qui,
par ailleurs, n'avait conclu avec la France aucun accord de dévolution
relatif aux traités multilatéraux, ni publié de déclarations générales de
succession adressées aux dépositaires de conventions internationales ou à
un Etat partie à ces conventions, s'est limité à diffuser une note à usage
interne relative à la validité, à son égard, des accords conclus par son
prédécesseur.
La note est rédigée comme suit
"Le Sénégal se référant aux règles du Droit International
en la matière, reconnaît aux traités passés par la France,
antérieurement à l'indépendance, la portée suivante:
(159) - Il s'agit des mêmes traités que ceux énumérés dans plusieurs lettres
dont celles adressées au Cameroun ou à la République centrafri-
caine, cf, Doc. A/CNA/150, ACDJ 1962, vol. Il, pp. 132-134. Le
Ministre des Affaires étrangères du Sénégal dut ultérieurement
confirmer dans une lettre en date du 30 juin 1962 que son gouver-
nement se considérait comme lié par la Convention de 1949 sur la
circulation routière, mentionnée dans la liste établie par le Secré-
taire général, tout en gardant le silence sur les autres et en confir-
mant être lié par treize conventions de l'Organisation Internatio-
nale du Travail, ibid., p. 138.
436
- Traités politiques de garantie, d'alliance, de ncutralité,
d'arbitrage, d'assistance mutuelle: non rcconnaissance.
- Traités-lois: reconnaissance de principe mais se réserve
le droit d'y adhérer formellement (par cxemple : conven-
tion sur le Droit de la Mer, Convention sur la protection
des personnes civiles en temps de guerre, etc.)
- Traités-lois d'orùre territorial: reconnaissance, mais se
réserve le droit de dénonciation, n'y ayant pas été partie
(Convention de Barcelone sur les fleuves internationaux).
- Traités relatifs aux Organisations internationales: non
reconnaissance puisque l'adhésion à ces traités se fait
illluilu personae.
- Conventions bilatérales d'ordre territorial intéressant!e
Sénégal : reconnaissance.
- Autres conventions bilatérales intéressant le Sénégal et
rendus applicables au Sénégal: reconnaissance sauf fa-
culté de dénonciation" (160).
(160) - Cf, J.-C GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succession d'Etats
au Sénégal", AFDJ,
1962, p. 844.
437
On attachc généralement à cette note un caractère indicatif (161)
dans la mesure où elle semble préciser les lignes directrices (162) qui
devront guider l'Administration dans son appréciation de la validité au
Sénégal, des traités conclus par la France. Elle n'en contient pas moins
cependant une esquisse, même parfois confuse, de la doctrine sénégalaise
en matière de succession aux traités.
Cette remarque conduit à s'interroger sur la valeur juridique ou les
effets des déclarations unilatérales de "succession".
Paragraphe Il
LA VALEUR JURIDIQUE
DES DECLARATIONS UNILATERALES
Les déclarations unilatérales semblent soulever, comme dans le cas
des accords de dévolution (163), quelques difficultés eu egard à la déter-
mination de leur valeur juridique ou, plus particulièrement, de leurs effets
à l'égard des Etats-tiers.
On peut déjà rappeler que ces déclarations ne bénéficient, dans la
(161)
Ibidem.
(162)
D. BARDONNET, op. cit., p. 439.
(163)
Voir, supra, Sous-Section 1, parag. [1.
43R
pratique des dépositaires, d'aucun traitement ou régime qui tendrait à les
assimiler à des accords internationaux. Elles ne sont en principe, dans le
système des Nations-Unies, ni enregistrées, ni classées ct répertoriées ou
publiées dans le Recueil des Traités des Nations Unies. Tels n'ont pas été
au demeurant les souhaits généralement exprimés par les Etats auteurs de
ces déclarations.
Ces Etats ne se sont pas référés à l'article 102 de la Charte des Na-
tions Unies pour demander au Secrétaire général de procéder à l'enregis-
trement et à la publication de ces actes comme ils le feraient pour des
traités internationaux. De même la fonction de dépositaire de traités mul-
tilatéraux qui figure parmi celles reconnues au Secrétaire général ne sau-
rait suffire pour justifier j'envoi à ce dernier de toutes les déclarations
unilatérales qui lui sont parvenues dans la mesure où la plupart des décla-
rations qui lui ont été adressées concernent des traités bilatéraux ou mul-
tilatéraux dont il n'est pas dépositaire.
Il semble dès lors que l'envoi au Secrétaire général des déclarations
unilatérales de succession peut trouver une justification dans le fait que le
Secrétaire général possède et exerce, en ce qui concerne la vie des traités,
des compétences expressément reconnues par la Charte.
Une autre justification pourrait venir du fait qu'en pratique l'institu-
tion du Secrétariat général constitue une voie diplomatique (164) privilé-
(164) - Rapport de la COI à l'Assemblée Générale, précité, ACDJ 1974,
vol. n, Première partie, p. 197.
439
giée pour notifier il tous les Etats membres de l'ONU ou des institutions
spécialisées tels actes relatifs il la vie des rapports conventionnels entre
Etats, spécialement entre Etats nouvellement indépendants et autres
membres de la Société internationale.
Ces déclarations s'analysent dès lors comme de simples acte unilaté-
raux qui, a priori, n'ont pas d'effet juridique à l'égard des autres parties
aux traités concernés. En affirmant l'engagement pris par l'Etat nouveau
de continuer, sur la base de la réciprocité, il appliquer provisoirement ces
traités en attendant de déterminer sa propre position vis-il-vis de chacun
d'eux, l'Etat nouveau ne parvient pas de ce fait il imposer aux autres Etats
parties, par sa seule volonté, sa participation auxdits traités.
En revanche l'Etat tiers semble disposer il l'égard du nouvel Etat du
pouvoir de mettre fin au traité en le dénoncant ou en refusant de l'appli-
quer, sans toutefois parvenir lui aussi il l'imposer au nouvel Etat.
Aussi a-t-on pu souligner la portée particulièrement restreinte de la
déclaration unilatérale en affirmant qu'au regard des principes supérieurs
du droit applicables en la matière, le recours à un tel instrument, "au lieu
de règler la succession... , la limite" ! (165).
(165) - Voir A.G. MOCH! ONORY, "Les aspects récents du problème de
la succession aux traités", RGDfP 1968, p. 614.
440
Dès lors à défaut de pouvoir valablement affirmer l'existence de par-
lies à titre provisoire ni imposer une application à titre provisoire des
traités (166), les déclarations unilatérales n'auraient d'autres effets juridi-
ques que ceux consistant à fournir la base d'un accord collatéral exprès ou
(166) - Cette situation évoque, sans toutefois se confondre à elle, celle
prévue à l'article 25 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités qui concerne les traités non entrés en vigueur et qui dispo-
se ce qui suit:
"Article 25 - Application à titre provisoire.
1. Un traité ou une partie d'un traité s'applique à
titre provisoire en attendant son entrée en vigueur
a) si le traité lu-même en dispose ainsi; ou
b) si les Etats ayant participé à la négociation en
étaient convenus d'une autre manière.
2. A moins que le traité n'en dispose autrement ou
que les Etats ayant participé à la négociation n'en soient
convenus autrement, l'application à titre provisoire d'un
traité ou d'une partie d'un traité à l'égard d'lin Etat prend
fin si cet Etat notifie aux autres Etats entre lesquels le
traité est appliqué provisoirement son intention de ne pas
devenir partie au traité".
Comme on l'observe dans ce cas, l'engagement d'appliquer provi-
soirement un traité est des plus précaires dans la mesure où il
peut être dénoncé par un Etat à l'égard duquel le traité a été ainsi
appliqué ou lorsque la conclusion de j'accord définitif est indû-
ment retardée, voir dans ce sens la position du tribunal arbitral
dans l'affaire Kuwait V. Aminoil, [LM 1982, p. 976, parag. 532-
534, cité par P. REUTER Introduction au droit des traités, PUF,
1985, p. 79.
441
tacite entre l'Etat succcsseur et les différentes autres parties aux traités
concernés (167).
En définitive, faites par des Etats nouvellement indépendants ou par
toutes autres catégories d'Etats, les déclarations unilatérales ne pour-
raient comporter l'effet juridique d'imposer la volonté d'un Etat "succes-
seur" aux parties à des traités précédemment rendus applicables à cet Etal.
C'est dans ce sens que la CDr tout en posant une règle générale appli-
cable à tous les cas de succession, dut aussi affirmer sans détours dans
l'article 9 de son Projet qu~ :
1. "Les obligations ou les droits d'un Etat prédécesseur
découlant de traités en vigueur à l'égard d'un territoire à
la date d'une succession d'Etats ne deviennent pas les
obligations ou les droits de l'Etat successeur, ni d'autres
Etats parties à ces traités du seul fait d'une déclaration
unilatérale de J'Etat successeur prévoyant le maintien en
vigueur des traités à l'égard de son territoire".
(167) - Cf, Nations Unies, doc. A/CN.4/214 et add. 1 et 2ACDI 1969, vol.
II, p. 68, parag. 18. Sur le caractère purement déclaratoire de ces
actes unilatéraux, voir A. GONCALVES PEREIRA, "Evolution
actual de la doctrina de la sucesion de estados", Mélanges Wilhem
Wengler, vol. r, Berlin, 1975, p. 173 ; contra, bien qu'isolé,
FRANK, "Sorne legal problems of becoming a new nation ", Colum-
bia fourn. of Internat. Law, 1965, pp. 22 et s.
442
Cetle règle qui neutralise ainsi les prétendus effets de la déclaration
unilatérale est complétée par une autre contenue dans le second paragra-
phe du projet d'article qui proclame, comme en dispose également l'arti-
cle 8 de la Convention en cc qui concerne les accords de dévolution, la
primauté des dispositions pertinentes de la future Convention sur celles
des déclarations unilatérales.
Le projet d'article 9 fut généralement bien accueilli par les plénipo-
tentiaires réunis à Vienne en Conférence de codification (168) de sorte
qu'en présentant, lors des négociations, l'unique amendement au projet
(168) - On observe toutefois, en première lecture, une approche différente
de la délégation américaine, qui considéra, mais selon un point de
vue différent de celui de la CDr et de la majorité des délégués de
la Conférence, que la déclaration unilatérale" a manifestement
un effet sur les droits contractés par les autres parties ... (au) trai-
té", Conférence ... 1ère session, Doc. off. vol. r, p. 95, parag. 13.
Une telle affirmation, comme le soutient la délégation américai-
ne, ne saurait être que la conséquence de l'idée selon laquelle la
déclaration unilatérale a un effet sur le maintien en vigueur du
traité, ibidem. Or le problème essentiellement soulevé dans le ca-
dre de la codification et que la CDr s'était proposée d'examiner
était de savoir si le seul fait pour une déclaration d'un Etat succes-
seur de prévoir le maintien en vigueur des traités à l'égard du
territoire de cet Etat devait suffir à convertir les droitsou obliga-
tions d'un Etat prédécesseur en droits ou obligations de l'Etat
successeur ou d'autres Etats parties à ces traités.
443
d'article 9 soumis à la Conférence (169), le Royaume-Uni dut se sentir
obligé de préciser que le projet d'article 9 ne suscitait en soi aucune objec-
tion de sa part (170). Ainsi selon le Délégué de cet Etat l'amendement
présenté ne viserait qu'à préciser que:
"les dispositions de l'article 9 ne devraient pas être inter-
prétées comme excluant l'application des règles gênéra-
lès du droit international régissant le type de transaction
envisagé dans ce projet d'article en dehors de toute ques-
tions de succession d'Etats" (171).
Cette précision est relative à l'amendement conçu comme suit
"Article 9 bis, Conséquence d'une succession d'Etats cl
l'égard de l'Etat prédécesseur:
Un traité qui est en vigueur à la date d'une succession
d'Etats à l'égard du territoire auquel se rapporte cette
succession ne donne pas lieu, après cette date, à des
droits ou des obligations pour j'Etat prédécesseur en ce
qui concerne les évènements ou situations se produisant
ultérieurement à moins que ce traité n'en dispose autre-
ment".
(169)
A/Conf.80/C.1/L12.
(170)
Conférence ... op. cit., p. 94, parag. 3.
(171) - Ibidem.
Le contenu de cet amendement rappelle cependant celui des lettres
que le Royaume Uni adressa par le biais du Secrétaire général des Nations
Unies à ses anciennes colonies qui, dans la période de leur accession à
l'indépendance, refusèrent de signer les accords de dévolution que leur
proposa l'ancienne puissance coloniale, préférant ainsi s'engager plus li-
brement dans la voie des déclarations unilatérales. Ainsi à chacune de ces
déclarations, le Royaume-Uni dut répondre par une note finalement diffu-
sée auprès de tous les membres de l'Organisation des Nations Unies et
dans laquelle l'Etat prédécesseur déclare:
"avoir cessé d'avoir les obligations et les droits qui'il avait
auparavant en tant qu'autorité responsable de j'adminis-
tration ... (de l'Etat "successeur"), du fait de l'application
au ... (territoire de cet Etat) desdits instruments interna-
tionaux" (172).
Reprise sous forme d'amendement lors de la Conférence de codifica-
tion de Vienne, l'idée contenue dans cette note fut l'objet d'un accueil
particulièrement réservé. L'amendement qui lui servit de support fut ainsi
rapidement retiré (173). Le projet d'article 9 put en conséquence être
(172) - Documentation concernant la succession d'Etat.r, série législative
des Nations Unies, ST/LEG/SER.B/14, p. 178, supra, 1 - Les dé-
clarations des Etats anglophones.
(173) - Conférence ... , op. cit., p. 94, parag. 3.
445
adopté sans modification et par consensus en première (174) et deuxième
lecture (175) en commission, puis en Conférence plénière (176).
Ces conditions ainsi que le mode consensuel d'adoption de l'article 9
de la Convention soulignent encore toute la réalité du principe de la table
rase de nouveau implicitement consacré.
Dès lors les positions adoptées par certains nouveaux Etats et expri-
mées par le moyen de déclarations unilatérales plutôt favorables à l'idée
d'une continuité successorale proclamée "en vertu du droit international
général", ne pourraient surprendre outre mesure. Ces positions sont en
effet bien souvent le fait de tout nouveaux Etats soucieux de dégager, en
dépit d'une inexpérience politique, juridique et diplomatique manifeste,
leur propre doctrine successorale exprimée dans une période et un contex-
te troubles, faits d'hésitations, de contradictions et parfois de plus ou
moins discrètes pressions.
On peut à cet égard comprendre que plusieurs jeunes Etats africains
aient succombé à la "tentation doctrinale" devant les demandes pressantes
du Secrétaire général des Nations Unies exprimées au moyen de notes
(174) - 15ème séance de la Commission plénière, ibid. p. 95.
(175) - 31ème séance de la Commission plénière, ibid. p., 209, parag. 24.
(176) - Sème séance de la Conférence plénière, ibid., p. 8.
ou de lettres d'un contenu particulièrement directif et qui, de ce fait ne
manqua pas, bien souvent, d'orienter les réponses de ces Etats vers des
solutions d'autant plus fragiles ct critiquables qu'elles n'curent guère le
temps de s'affirmer pleinement ct de sc fixer sur une pratique stable ct
cohérente.
Il suffit à cet égard de se référer au modèle de lettre adressé par le
Secrétariat général à tout nouvel Etat au sujet, par exemple, de la succes-
sion aux traités conclus sous les auspices de l'Organisation, pour se rendre
compte combien. dans la pratique, les jeunes Etats ont pu être fortement
guidés par deux variantes d'un modèle de correspondance conçues comme
su it :
- Lorsqu'un accord est conclu entre le nouvel Etat et l'Etat prédéces-
seur et prévoit que le nouvel Etat assume les droits et obligations décou-
lant des traités et qu'en outre cet accord a été enregistré auprès du Secré-
tariat ou a été porté à la connaissance du Secrétaire général, la lettre se
réfère audit accord et se lit comme suit :
"Le Secrétaire général se fondant sur les dispositions de
l'accord précité, considère que votre Gouvernement se re-
connaitlié à compter de (la date de l'indépendance), par
tous les instruments dont son prédecesseur avait étendu
l'application au nouvel Etat et dont le Secrétaire Général
est dépositaire. Le Secrétaire général vous serait très
obligé de bien vouloir lui confirmer cette interprétation
afin qu'il puisse, pour s'acquitter de ses fonctions de dé-
447
positaire, en aviser tous les Etats intéressés" (177).
- Lorsque le Secrétaire ignore si un accord ou une clause prévoyant la
dévolution des obligations est en vigueur, la lettre est conçue comme suit:
"II y a lieu de remarquer qu'avant l'accession de votre
pays à l'indépendance, certains ... instruments (ceux con-
clus sous les auspices de l'ONU ou de la SDN) ont été
rendus applicables à son territoire par le Gouvernement
(de l'Etat prédécesseur) qui était alors chargé des rela-
tions extérieures ... (du nouvel Etat). A ce propos, j'ai
j'honneur d'appeler votre attention sur la pratique qUI
s'est instituée en ce qui concerne la succession des nou-
veaux Etats aux droits et obligations découlant des traités
multilatéraux qui avaient été rendus applicables à leur
territoire ... Conformément cl cette pratique, les nouveaux
Etals reconnaissent généralement qu'ils sont liés par ces
traités en adressant au Secrétaire général une notification
officielle... Cette notification que le Secrétaire général,
dans l'exercice de ses fonctions de dépositaire, communi-
que à tous les Etats intéréssés a pour effet que le nouvel
Etat est considéré comme partie en son nom propre au
traité
(177) - Doc. A/eNA/ISO et corr. 1, ACDJ 1962, vol. II, p. 142, parag. 133;
c'est nous qui soulignons.
448
cn questioil il compter de L\\ date de ['indépendance, ce
!flli assllre la C()!lIi/lllué rie 1'(IPli/iuilio!l du lroilé slir .1'011
terri/oire" (17K),
On notera, qu'outre l'invitation à succéder pour des raisons d'ordre
juridique et pratique bien soulignées dans la lettre, le Secrétaire général
prétend s'appuyer sur une pratique des nouveaux Etats selon laquelle
ceux-ci se reconnaîtraient généralement liés par les traités rendus applica-
bles à leurs territoires avant leur accession à l'indépendance. Or une telle
généralisation paraît douteuse à une époque où un grand nombre d'Etats
nouveaux ne s'étaient pas cncore manifestés à cet égard ou, a fortiori,
s'étaient prononcés dans un sens différent.
Enfin la 'Iettre entretient une certaine ambiguïté quant à son objet
puisqu'elle ne précise pas en quels termes certains nouveaux Etats se sont
reconnus liés par les traités en question. S'agissait-il d'une reconnaissance
d'une succession de plein droit ou de l'affirmation d'une volonté de conti-
nuer d'observer, parfois à titre provisoire, l'application sur le territoire de
l'Etat nouveau de tels traités qui y étaient rendus applicables avant son
acceSSIOn
à l'indépendance? Le libellé des lettres du Secrétariat général
peut ainsi fortement et abusivement inciter les nouveaux Etats à estimer
que le fait pour les Etats de se reconnaître généralement liés par ces trai·
i
(178) - lbirl., parag. ]34. C'est nous qui soulignons.!
1
449
lés en vue de satisfaire à l'exigence de continuité dans leur application
surtout à compter de la date d'indépendance, correspond en vérité à une
succession de plein droit.
Mais la rencontre d'une telle ambiguité et du souci inévitable des
nouveaux Etats africains d'affirmer leur indépendance souveraine n'a pu
engendrer le plus souvent que des déclarations confuses et généralement
contradictoires dans leur contenu. Ce qui est de nature à en réduire consi-
dérablement la portée.
Le princIpe de la table rase ainsi confirmé à travers les méthodes
successorales mises en oeuvre par les nouveaux Etats africains, l'est tout
autant sinon davantage dans les règles adoptées ou les solutions préconi-
sées par ces Etats lors du règlement, dans la pratique, des problèmes suc-
cessoraux soulevés, précisément ceux relatifs à J'ordre juridique conven-
tionnel.
SECTION III
LES REGLES SUCCESSORALES
La systématisation des solutions envisagées par les Etats africains
semble à priori difficile tant du fair de la diversité de la pratique de ces
Etats qu'en raison du caractère parfois insuffisamment affirmé des solu-
tions retenues (179).
Il reste cependant que sur le plan des principes, celui de la table rase
demeure le plus conforme à l'affirmation de l'indépendance souveraine
des nouveaux Etats même si dans la pratique ces Etats estiment nécessaire
de prévoir une assez large continuité conventionnelle.
L'affirmation du principe de la table rase (Sous-section I) se concilie
dès lors et encore une fois avec une pratique de continuité volontaire
(Sous-section Il).
(179) - CH. ROUSSEAU, op. cir., p. 490.
451
Sous-Section 1
L'AFFIRMATION DU PRINCIPE DE LA TABLE RASE
L'affirmation du principe de la table rase dans la pratique des Etats
africains gagnerait, pour être mieux perçue, à être appréhendée à travers
la signification que ces Etats donnent eux-mêmes au principe et compte
tenu du fondement juridique qu'ils lui reconnaissent.
Paragraphe 1
LA SIGNIFICATION DU PRINCIPE
Conçu comme signifiant, dans les cas de décolonisation, que le nouvel
Etat n'est soumis à aucune obligation de succéder aux traités du seul fait
qu'ils étaient en vigueur sur son territoire avant son accession à l'indépen-
dance, ou encore, que l'Etat nouvellement indépendant entame son exis-
tence internationale libre de toute obligation de continuer d'appliquer ces
traités du seul fait qu'ils lui avaient été antérieurement rendus applica-
bles, le principe de la table rase sous-tend la pratique ou l'ensemble des
solutions développées par les nouveaux Etats et les Etats africains en par-
ticulier, même si sa consécration par ces derniers n'a pas toujours été
directe ou explicite.
L'étude du contenu et de la portée des accords de dévolution ainsi que
des déclarations unilatérales élaborées par les Etats africains dans la pé-
452
l'iode de leur accession :ll'indépendance (180) a pu montrer que ces Etats
ne se sont généralement pas considérés comme tenus, en droit, de succé-
der aux traités rendus antérieurement applicables à leurs territoires.
Mais l'absence d'obligation de succéder ne signifie pas nécessaire-
ment que l'Etat nouveau n'a d'autre choix que celui de répudier tous les
traités antérieurement rendus applicables à son territoire. En pratique il
ne s'agit que d'une possibilité parmi d'autres et que les Etats nouveaux se
gardent généralement de mettre en oeuvre.
Ce qui est par contre résolument écarté c'est l'iclée d'une succession
cie plein clroit, obligatoire en vertu d'une règle certaine clu clroit interna-
tional.
C'est clans ce sens qu'il conviendrait cie comprenclre, bien qu'avec cer-
taines
réserves,
la
doctrine
successorale
clite
"négative"
et
at-
tribuée à certains Etats
tels Israël
(181) ou la Haute Volta et l'Algérie
(ISO) - Voir supra, SECTION II, Sous-section 1: les accorcls cie clévolution
et, sous-section Il : les cléclarations unilatérales.
(1S1) A GONÇALVEZ PEREIRA affirme toutefois que "le cas le plus clair"
clans le sens de l'affirmation absolue de la règle cie non-succes-
sion, est à coup sûr celui cI'Israël" in, La succession d'Etats en matiè-
re de rmités, Paris, Pédone, 1%9, p. 49. L'auteur faisait ainsi réfé-
rence à la proclamation unilatérale d'indépenclance cI'lsraëlle 14
mai 1948 et à ses effets sur quelque 140 conventions bilatérales
et multilatérales applicables au territoire de la Palestine alors
453
(182) en ce qUI conccrne l'Afrique.
La doctrine israélienne, d'abord exposée dans une note du Ministre
israélien des Affaires étrangères en date du 24 janvier 1950 en réponse à
SOLIS mandat britannique, Le mandat avait été confié aux Nations
Unies Cl la Commission spéciale des Nations Unies jlour la Pales-
tine (UNSCOI') dut prévoir dans un rapport (cf Doc. A/364-. 2e
Ass. générale, suppl. N° Il) que le nouvel Etat succéderait am
trllités ct serllit tenu de s'cngager fOrIl1cllelllent il les exécuter; ce
tlue reconllut l'Asscmblée générale dans sa résolution n° 181 (II)
du 20 novembrc 1047. Mais lsraé! ne fit par la déclaration prévue
après avoir unilatéralement proclamé son indépendance.
Il
af-
firma au conlrllire, n'avoir succédé à aucune conveI1lion intern'I-
lionale.
(182) - Cf, Ch. ROUSSEAU, "Chronique des faits internationaux", RGD/P.
1963. pp. 128-120. L'auteur)' rappelle qu'aucune disposition ré-
glemenwnl le sort des engagements internationaux conclus par la
Franee et applicables il [' Algérie ne figure dans les accords signés
le 18 mars \\%2 il la suite des négociations d'Evian. Selon l'auteur'.
"Les dirigeants des Etats qui ont accédé il l'indépendance de-
puis 1045 se sont généralement montrés peu favorables à tou-
te transmission des obligations conventionnelles contractées
par l'ancienne métropole et les chefs de la République algé-
rienne ne sont pas départis de cette position de principe. Leur
intransigeance sur ce point s'est
manifestée par la suite au
cours de déclarations qui ne laissent guère de doute sur la
doctrine dont ils entenJent se prévaloir" (ibid"
p. 128). Et
l'auteur J'indiquer que c'est en "prenant la parole le t6 octo-
bre 1962 devant la COIlllllis;;ion juridique de l'Assemblée gé-
nérale des Nations Unies, (que) le représentant de l'Algérie,
454
un questionnaire de la Commission du droit international (183), a été par
la suite confirmée par une note verbale de la Mission Permanente Israé-
lien ne auprès des Nations Unies en date du 29 juillet 1963 et adressée au
Secrétariat général de l'Organisation.
Faisant référence au Memorandum du 24 janvier 1950, la note verbale
indique ce qui suit:
"The policy ther explained, based upon non-recognition
by the Government of Israel of any automatic "succes-
sion" to the treaty obligation of Palestine, coupled with a
willingness to examine that treaty position and to accede
de nova to su ch international treaties as were found to be
appropriate, whether or not the mandated territory of Pa-
lestine was previously bound by them, has not given ri se
to serious difficulties. Il has been applied both to multila-
teral and to bilateral treaties" (184).
M. KI-IELLALl a insisté sur le souci de rechercher la révision
ou j'annulation des traités internationaux qui les concerne et
qui ont été conclus sous la domination coloniale "in le Monde
du 18 oC[. 1962, ibid. pp. 128-129.
(183) - N.U. Doc. A/CN.4/19, 23 mars 1950,ACD/1950, vol. JI, pp. 206 et
s. voir dans le même sens Sh. ROSENNE, "Israel et les traités
internationaux de la Palestine", JDI, 1950, nO 4, pp. 1140 et s. et
l'étude de I.A. SI-IEARER, "La succession d'Etats et les traités
non localisés", RGDIP 1964, pp. 29-31.
(184) - DOClI/l1Cnrutiol1 c0l1ccrl1Ul11 lu succession d'Ela/s, série lêgislative
des N.U, ST/LEG/SER.B/14, p. 42, c'est nous qui soulignons.
455
De même, répondant à des lettrcs du Secrétaire général en date du 20
mars et du 14 décembre 1961, le Ministrc Voltaiquc des Affaires étrangè-
res devait déclarcr que:
"La Haute-Volta, Etat souverain et indépendant, ne se
reconnaît pas comme liée par les accords signés par la
France antéricurement à l'accession de la Républiquc de
Haute Volta à l'indépendance" (185).
Mais, aussi bien en Haute- Volta qu'en Algérie, les principes procla-
més au moment de l'accession à l'indépendance n'ont pas conduit, dans la
pratique, à une complète répudiation des traités conclus par l'Etat prédé-
cesseur. Ainsi, par exemple, la Hautc-Volta dut révéler qu'elle s'est consi-
dérée comme liée par les Conventions de Genève de 1949 rendus applica-
bles à son territoire, "en vertu de leur ratification par la France" ainsi que
par treize conventions de l'OIT auxquelles cet Etat est partie (186).
Dans tous les cas l'attachement que les Etats nouveaux manifestent
•
vis-à-vis du principe de la table rase s'explique par diverses raisons politi-
ques comme l'indépendance ou la souveraineté, parfois "psychologiques"
(185) - Nations Unies, Doc. A/CN.4/150/corr.l, ACDI 1962, vol. II, p.
139.
(186) - IlJiriem.
456
(187) (lU encore juridiques lesquelles reposent essentiellement sur l'invo-
cation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Paragraphe Il
LE DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D'EUX-MEMES
COMME FONDEMENT DU PRINCIPE DE LA TAULE RASE
La reconnaissance ct j'affirmation du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes qui touche la structure interne des sujets internationaux ain-
si que leur "légitimation juridique au plan international" (188) sont parti-
culièrement révélatrices des nouvelles tendances de la Communauté inter-
nationale et de son droit (189).
Elles ne sauraient dès lors être détachées des orientations récentes du
droit de la succession d'Etats lorsque celui-ci prend en compte le phéno-
(187) - Le professeur D, BAROüNNET invoque une telle raison en llar-
tant du "réflexe de la table rase" appuyé par une importante bi-
bliographie sur la constestation par les EtaiS nouveaux d'un droit
international traditionne', qu'ils considèrent ~l certains égards dé-
passé, voir La succession d'Etats à Madagascar. précité, pp. 333-
335, note 65, voir également M. BEDJAüUI, "Problèmes récents
de soccession d'Etats dans les Etats nouveaux", f?CADI, 1970. 1.11,
pp. 462 ct s. et spécialement, pp. 472 et s.
(188) - A. CASSESE, Le droit internat ion a! dans UI! monde divisé, Paris,
Berger-Levrault, 1986, p. 123.
( 189) - f/lidel11.
457
mène de la
décolonisation que connut la société internationale et qu'en-
couragèrent la Charte et le système des Nations Unies dans son ensemble
(190) .
(190) - La bibliographie sur le droit des peuples:\\ (ilsposer J'eux-mêmes
est particulièrement abondallle.
On consultera
toutefois uti-
lement l'importante bibliographie puilliée par les Nations Unies,
intitulée "J..:octroi de l'indépendance aux pays ct peuples co-
loniaux, Bibliographie sélective 1%0-1980" ST/LIB/SER.I3j31,
New York, 1981, ainsi que celle de A. GROS ESPIELL, Rappor-
teur spécial sur l"'application dcs résolutions de l'ONU relatives
au droit des peuples assujettis à une domination coloniale el
étrangère à disposer d'eux-mêmes", Commission des Droits de
l'Homme, Trente el unième session,
New York,
1978,
Doc.
E/CNA /sub 2/405, vol. II. 48 p. ; l'étudc préparée par AURE-
LIU CRITESCU,Tbe right to self-détermination, historical and Cur-
rent development on the basis of United Nations
Instruments,
Doc. N.U., E/CN.4/sub.2/404/Rev.l ; l'ouvrage de Marco G.
MARCOFl~, Accession à l'indépendance el succession d'Etat,aux
traités internalionoux, Fribourg, Editions Universitaires, 1969, pp.
48 et s. ; l. BROWN LIE, "An essay on the l-listory of the Principle
of self-determination", Grotius Society Papers, The Hague, 1968;
P. DAILLIER, L'ONU el la décolonisalion, Documentation fran-
çaise, Notes et Etudes
Documentaires, 1970, n° 3734, 48 p. ; R.
EMERSON, "Self-Dermination", AIn, 65, 1971, p. 475 ; Ibou
Ibrahima FALL, Contribution à l'étude du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes en Afrique, thèse, doc. droit, UnIversité cie
Paris J, 1972, 462 p.; S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes, Bruxelles. E. Bruylant, 1973,
388 P ; M. BARBIER, Le Comilé de déco{ollisalÙJn des NOlions
Unies, Paris LDGDJ, 1974,758 p.; J.F. ENGERS, "From Sacred
Trust to Self-Determination", Nel/zerlands IllIernational Law Re-
view, vol. XXIV, 1977, pp. 86 et ss.; Th. VElTER, "Le droit des
458
Il est cependant bien connu que l'affirmation du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes ne s'est pas imposée à la société internationale sans
quelques difficultés. Elle s'est heurtée de façon durable à de sérieuses
oppositions depuis son énoncé dans les dispositions des articles 1er para-
graphe 2 et 55 de la Charte des Nations Unies (J91) avant d'être promu à
un développement ultérieur à travers de nombreux textes ou instruments
dont le plus décisif (192) a été la résolution 1514 (XV) du 14 décembre
peuples :1 disposer d'eux-mêmes et à leur foyer natal", SIl/di ill
O/lore di /I1ANLlO, Milano, Giuffré, 1975, t. 1, pp. 842-844 ; J.F.
GUI LI-lA U IJ IS, Le droit des peuples ci disposer d 'eux-mêmes, G rc-
noble, P.U.G, 1976,226 p. A. CASSESSE el E. JOUVE,
Pourwi
droit des peuples, Paris, Berger-Levrau\\t 1978,217 p. ; M. BED-
JAOUl, "Problèmes récents de succession d'Etats dans les Etats
nouveaux", ReAD!, 1970, vol. 11, t. 130, pp. 489 et s. ; H. THIER-
RY el autres, Droit international pl/Mie, Paris, Montchrestien, 3e
éJ., 1981, pp. 469 et s. et A. HASB1, Les mouveme/llS de libératioll
nationale et le droit inrernatiollal, Rabat, Editions Stouky, 1901,
522 p.
(191) - L'article 1er parag. 2 dispose que J'un des objectifs de l'Organisa-
tion est :
"de développer entre les nations Jes relations amicalesfOI1-
dées sur le respect de principe Je l'égalité de droit des peu-
ples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes".
Le respect de ce droit est également présenté comme un des fDn-
dements des relations pacifiques et amicales qu'il convient d'éta-
blir entre les nations (article 55).
(192) - Le pril1cipe est aussi affirmé dans la Charte de l'OEA de 1948 puis
459
1960 port~llt la "Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux" (193). Cette résolution fonde avec un plus de netteté le
droit à la décolonisation non seulement en prescrivant l'émancipation des
peuples coloniaux sans délai ni conditions ou réserves, mais surtout en
dégageant l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes de
]'ambiguité où semblaient la confiner ses étroites relations avec l'objectif
du développement des relations amicales entre les nations inscrit dans
la
Charte des Nations Unies.
dans celle de l'OUA de 1963 avant d'être successivement rappelé
par les différentes conférences dcs Non-alignés depuis celle de
13andoung en 1955.
(193) - L'oppsilioll à laquelle le droit à l'~ul(\\-détermination s'est heurtée
a été parfois des plus violentes. On a pu ainsi relever, quoique
sous une des meilleures plumes, l'assimilation du droit à l'auto-
détermination à "une maxime politique" (DELBEZ, Les prillcipes
gélléraux du droit illlernalionai public, Paris LGD], 1964, 3e éd., p.
69). De méme dans l'édition pourtant bien plus récente de son
maître ouvrage Théories et réalités en droit international public (Pa-
ris, Pédone, 4e éd. 1970), Charles de VISSCHER appréhende
l'auto-détermination d~ns Ull sens analogue en considérant que
"dans sa totale imprécision actuelle, elle ne représente à aucun
degré un principe de droit", op. cil .. p. ](il. Plus récemment encore
P. REUTER devait affirmer qu'''il est malheureusement difficile
d'admettre que ce principe ait reçu à l'heure actuelle les aména-
gements qui en feraient une règle juridique", Introduction au droit
des trailés, Paris, P.U.F., 1985, p. 155. Voir, contra, Ibou Ibrahima
fALL qui fait à cet égard observer que "tout principe juridique
par le fait qu'il est juridique est un principe obligatoire, nonobs-
Lalll son degré de précision", op. cil., p. 51. Le caractère obligatoi-
re (lu principe est également démontré par de nombreux autres
auteurs, cf Marco G. MARCOFF, op. cil., pp. 63-70.
460
Une série de textes et d'actes ultérieurs vinrent renforcer l'affirma-
tion du droit à l'auto-détermination parmi lesquels il convient de compter
la création d'un Comité spécial appelé "Comité de la décolonisation" char-
gé de veiller à la mise en oeuvre concrète de la déclaration 1514 en ce qui
concerne les territoires coloniaux. A cela se sont ajoutées plusieurs résolu-
tions de l'Assemblée générale des Nations Unies relatives au droit des
peuples à l'autodétermination, notamment les résolutions 1702 (XVI),
1807 (XVII), 1810 (XVII), 2105 (XX), 2160 (XXI). 2403 (XXIII) et 2465
(XXIII) toutes adoptées entre 1961 et 1968 et confirmées par plusieurs
autres résolutions du Conseil de Sécurité, notamment la résolution 246
(1968) du 14 mars 1968 affirmant que les résolutions ci-dessus mention-
nées devraient être considérées comme source du droit dans la mesure où
elles sont été adoptées par une très large majorité.
L'évolution juridique subséquente à la déclaration 1514 a permis de
reconnaître au droit à l'autodétermination une valeur égale à celle d'autres
principes confirmés du droit international contemporain comme celui par
exemple de l'interdiction de l'agression. Il s'agit là d'un constat ou d'une
affirmation qui selon H.THIERRY et autres "peut être appuyée sur la
Charte elle-même interprétée de facon authentique" (194) par la résolu-
tion 2625(XXV) du 24 octobre 1974 ; résolution adoptée par consensus et
qui va plus loin que la déclaration de 1960 en évoquant l'existence non
plus seulement d'un principe mais d'un "droit" reconnu directement au
profit des peuples.
(194) H. THIERRY et autres, op. cir., p. 472.
461
La Cour internationale de justice reconnut une telle évolution juridi-
que dans ses avis rendus, en 1971 à propos de la Namibie et 1975 en ce qui
concerne le Sahara Occidental (195).
Selon la Haute juridiction
"
The Court must take into consideration the changes
which have occurred in the supervening half-century, and
its interpretation cannot remain unaffected by the Char-
ter of the United Nations and by way of customary law"
(196) .
La Cour dut alors conclure en ces termes
"ln the domain to which the present proceedings relate,
the
last
fifty
years...
have
brought
important
de-
velopments. These developments leave little that the ulti-
mate objective of the sacred trust was the self-determina-
tion and independence of the people concerned. ln this
domain, as elsewhere, t!Je copus Îlais gentium has been
considerably enriched, and this the Court, if it is faithfully
(195) - Avis du 16 octobre 1975 sur le Sa/ruf(1 Occidental, IC] Report 1975,
p. 12.
(196) - I.el. Reports, 1971, p. 31.
462
to discharge its functions, may not ignore" (197).
Cette affirmation de la Cour vient ainsi préciser le sens d'une évolu-
tion riche en péripéties et qu'une doctrine autorisée ne manqua pas de
caractériser en ces termes:
"aussi spectaculaires qu'elles aient été, ces péripéties ne
doivent pas, cependant, faire perdre de vue ce qui, finale-
ment, est peut être le plus remarquable: la réalisation
progressive d'un très large consensus - dont ne s'exclut
qu'une infime minorité d'Etats, et auquel participent les
puissances qui étaient à la tête des plus grands empires
coloniaux en 1945 - sur le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes" (198).
La consolidation d'un tel consensus aura finalement permis d'élever
le droit à l'<luto-determination au rang de normes du jus cogens (199).
(197)
Ibidem ..
(198)
Michel VIRALLY, op. cit., p. 235.
(199) - A CASSESE, op., cit., p. 124 et pp. 173-176; Dans le même sens,
voir, sur la nature du consensus, l'interprétation de la formule
contenue dans J'article 53 de la Convention de Vienne sur le Droit
des traités, R. AGO, "Droit des traités à la lumière de la Conven-
tin de Vienne", RCADI, vol. 134, 1971, l. Ill, p. 297.
463
Aussi la COI a-t-elle tenu compte, dans ses travaux, des incidences du
•
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sur le droit moderne de la suc-
cession d'Etats en ce qui concerne, en particulier, les traités. Elle dut ainsi
repousser, après examen de la pratique, la thèse de la présomption de
continuité défendue par certains auteurs (200) au profit du principe de la
table rase plus aisément compatible, dans Ic cas des Etats nouvellement
indépcndants, à cclui de l'auto-détermination (201).
Les mcmbrcs de la Société internationale réservèrent finalement dans
leur pratique un accueil particulièremcnt favorable au principe de la table
rase dans la mesure où, d'une part, les débats qui se déroulèrent en 1972
au niveau de la sixièmc Commission tendaicnt à souligncr la pertinence du
projet d'article de la COI en cc qu'il tenait notamment compte du principe
de l'auto-determination (202) et que, d'autre part, les observations tant
orales qu'écrites que les Etats ont formulées en direction de ce même
projet d'article faisaient ressortir que la plupart des Etats membres de
l'ONU ont accepté le droit à l'auto-détermination comme fondement du
principe de la table rase (203).
(200) - ILA, Report of the fifty-third Conference (Buenos Aires-, 1968,
Londres 1969, pp. XIII à XV et pp. 596 à 632.
(201) - Rapport de la COlllmission à l'Assemblée générale, ACDI 1974,
vol. II, Première partie. p. 173, parag. 58.
(202) - Doc. officiels de l'Assemblée générale. vingt-septième session, an-
nexes point 85 de l'ordre du jour, doc. A/8892, parag. 24 à 33.
(203) - Voir pour les observations orales, ACDI 1974, précité, p. 7 parag.
25, pour les observations écriles, celles de la Thécololvaquie, du
Danemark, de la République démocratique allemande, de la Po-
logne et, dans une certaine mesure. des Etats-Unis, ibid., pp. 8-9.
- - - - - - -
4[,4
Ainsi fondé le principe de la table rase a été, en ce qui concerne les
Etals l1ouvellemel1l indépendants, très nettement consacré dans la mesure
où le projet d'article 15 qui le proclame et qui deviendra l'article 16 de la
Convention, a été adopté sans vote par la Conférence diplomatique de
codification et de développement réunie à Vienne (204).
En toute hypothèse la mise en oeuvre du principe de la table rase
n'implique pas la mise à J'écart, dans la pratique, de toute idée de conti-
nuité mais s'articule plutôt avec j'exercice du droit de l'Etat successeur
nouvellement indépendant de décider du maintien de certains traités de
j'Etat prédécesseur ou de considérer que certains autres de ces traités ont
pris fin.
On comprend mieux dès lors que la pratique successorale africaine ait
fait apparaître une large tendance à la continuité de certains traités.
Sous-Section 1lI
LA PRATIQUE DE LA CONTINUITE VOLONTAIRE
Il convient de préciser que la tendance à la reconduction des traités
conclus par l'Etat prédécesseur est beaucoup plus nettement affirmée
s'agissant des traités multilatéraux qu'en ce qui concerne les traités bilaté-
raux.
(204) - Con/érence .... Comptes-l'endus analytiques, doc. AjCONF.80j16,
vol. l, p. 10, parag. 25.
465
L'étude de la succession aux traités hilatéraux gagnerait, SOllS cet an-
glc, a êtrc distinguée de eelle de la succession aux traités multilatéraux.
Paragraphe 1
LES TRAITES BILATERAUX
La doctrine considère généralcment que l'Etat nouveau ne succède
pas aux accords bilatéraux conclus par son prédécesseur. La pratique des
Etats et la jurisprudence tendent également à le confirmer. Certains au-
teurs soutiennent à cet égard l'idée selon laquelle l'Etat nouveau fait "ta-
ble rase" de tous les traités à l'exception de ceux établissant des ohliga-
tions "locales" ou "réelles" (205).
Les Etats nouvellement indépendants d'Afrique, francophone notam-
ment, ont en général manifesté dans leur pratique successorale un certain
attachement aux principes d'auto-détermination et d'indépendance impli-
quant avant tout le droit pour ces jeunes Etats de ne pas se considérer liés
par des traités fortement marqués par un caractère politique certain.
Ainsi dans la note à usage interne déjà citée et diffusée le 20 février
1961, le Ministère des Affaires étrangères du Sénégal ne déclare reconnaî-
tre parmi les traités conclus par la France avant ['indépendance du Séné-
(205) - Voir A.D. Mc NA1R, The Law of Treaties, British Practice and
Opinions, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1962, pp. 600-606.
4(,(,
gal, ni les traités politiques, de garantie, d'alliance, de neutralité, d'arbi-
trage ou d'assistance mutuellc, ni les traités relatifs aux organisations in-
ternationales (206). La note prévoit en outre \\a reconnaissance des con-
ventions bilatérales d'ordre territorial ct, sous réserve du droit d'adhésion,
celle des "traités-lois". Les autres conventions bilatérales interessant le
Sénégal et rendues applicables à son territoire sont en principe reconnues
sauf faculté de "dénonciation".
La note sénégalaise tend donc à concilier dans les diverses solutions
qu'elle préconise, deux attitudes divergentes de rupture ct de continuité.
Cette dualité est également consacrée par la pratique des Etats africains
en ce qui concerne aussi bien les traités politiques (1) que les traités d'ex-
tradition (II), les traités économiques (III) et les traités techniques tels
ceux conclus en matière aérienne (IV) ; les traités relatifs aux frontières
faisant l'objet d'une pratique particulière de continuité (V).
1 - LES TRAITES "POLITIQUES·
La détermination de celte catégorie de traités soulève quelques difficul-
tés dans la mesure où un traité semble toujours posséder quelque caractè-
re politique (207) ..
(206) - Voir J.c. GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succeSSion
d'Etats au Sénégal", ArD/, 1962, p. 844.
(207) - CIL ROUSSEAU, "Chronique des l'ails internationaux", RGD/P,
1963, p. 129
467
Il convient à cet égard de souligner le contenu souvent élastique de la
notion ou de la catégorie visée qui, selon certains auteurs comme le pro-
fesseur CA VARE, regroupe les traités d'alliance, de commerce et de navi-
gation, ensemble dénommés traités persollnels (208).
Le Professeur Emile GIRAUD considère ces traités comme des "trai-
tés dont le sujet est politique" et range dans cet ensemble les traités d'al-
liance, d'assistance mutuelle, de non-agression ainsi que ceux relatifs au
règlment pacifique des différends et aux armements (209). Mais l'auteur
met fort justement en garde contre une typologie toute tranchée et admet
qu'il "existe, en effet une compénétration de la politique, de l'administra-
tif, du social, de l'économique et du juridique" (210) en affirmant notam-
ment que :
"les traités contiennent souvent plusieurs de ces éléments,
mais un élément domine plus ou moins et cette circons-
tance détermine la classification du traité" (211).
(208) - Louis CA VARE, Le droit international public positif, t. 1, Paris,
Pédone, 3è éd. 1966, p. 368. L'auteur cite à l'appui de sa concep-
tion, la classification proposée par De la PRADELLE et POLITIS
(ibd., p. 377) mais fait, toutefois observer que la distinction entre
traités personnels et traités réels n'est pas toujours très nette, ibidem.
(209) - Emile GIRAUD, "Le droit international public et la politique",
RCADI, 1963, t. III, vol. 110, p. 609.
(210)
Ibid., p. 610.
(211)
Ch. ROUSSEAU, RCDIP, 1963, p. 129.
468
En d'autres termes, pourrait-on dire, les traités accusent pratique-
ment tous un caractère politique plus ou moins affirmé qui résulte de
l'importance qu'ont, pour les parties, les conditions d'ordre politique qui
ont été l'origine de leur conclusion. Dès lors ceux de ces traités dont le
caractère politique est le plus marqué sont naturellement ceux qUI, en
général, résistent le moins au vent de répudiation qui accompagne d'ordi-
naire les phénomènes de mutation territoriale et politique liés à la décolo-
nisation.
La pratique est à cet égard assez peu fournie dans la mesure où le
refus des nouveaux Etats d'admettre la dévolution successorale de traités
politiques tels que les traités d'alliance, de garantie ou ceux établissant
des bases militaires n'a généralement pas fait l'objet d'importantes con-
troverses.
Ainsi, par exemple, le Maroc a pu repousser sans difficulté le traité
franco-américain de 1950 par lequel les Etats-Unis avaient acquis des ba-
ses militaires au Maroc en considérant que le traité était un traité d'allian-
ce devenu incompatible avec la souveraineté du Maroc indépendant.
Les traités considérés comme politiques par les nouveaux Etats "suc-
cesseurs" ont ainsi été généralement repoussés sous réserve d'être ulté-
rieurement renégociés.
Les traités d'extradition, en revanche, n'ont pas tous été globalement
repoussés même si par ailleurs ils n'ont pas fait, en général, l'objet d'une
dévolution successorale.
469
II. LES TRAITES D'EXTRADITION
La pratique successorale des Etats et, en particulier, celle des nou-
veaux Etats africatns concernant les traités d'extradition n'est pas bien
nette et manque surtout d'uniformité. Elle semble pouvoir être invoquée
pour illustrer aussi bien la thèse de la rupture que celle de la continuité.
L'étude établie par le secrétariat des Nations-Unies sur la succession
aux traités d'extradition (212) révèle en effet l'existence d'une grande di-
versité de solutions allant du refus le plus net à une affirmation de conti-
nuité largment aménagée.
Selon une première solution, les Etats nouveaux ont bien souvent con-
sidéré que les traités d'extradition ont cessé d'être en vigueur après leur
accession à l'indépendance et ont dans certains cas proposé la conclusion
de nouveaux accords. Il s'agit en général des pays africains anciennement
placés sous
administration française comme la Côte d'Ivoire (213), Ma-
(212)
- Etude
établie
par
le Secrétariat des
Nations-Unies,
Doc.
AjCNAj229, ACDJ 1970, vol II, pp. 110 et s.
(213) - Le Directeur des Affaires politiques du Ministère des Affaires
étrangères de la Côte d'Ivoire dut en effet repousser le Traité
d'extradition de 1909 conclu entre la France et les Etats-Unis
d'Amérique en affirmant que:
"Le Gouvernement de la Côte d'Ivoire ne se considérait pas
comme lié par ce traité et souhaiterait un nouvel examen de
ces questions",
voir, M. WHITEMAN, Digest of International Law, précité, p. 983.
470
dagascar (s'agissant du traité conclu en 1876 entre la France et le Royau-
me-Uni et du traité de 1905 entre la France et les Etats-Unis d'Amérique)
(214), la Tunisie (215) et le Congo (Kinshassa) (216). L'exemple du Séné-
gal demeure à cet égard celui d'une très nette affirmation de non-continui-
té non assortie de proposition d'adaptation ou de renégociation des an-
ciens accords d'extradition rangés, selon la déclaration sénégalaise déjà
citée, dans la catégorie des traités politiques qui n'ont fait l'objet d'aucune
reconnaissance de la part du nouvel Etat (217).
(214) - S'agissant du Traité de 1876, Madagascar était invité par l'Ougan-
da à succéder à la convention franco-britannique en date du 14
août 1876. Le Ministère malgache des Affaires étrangères dut ré-
pondre le 2 avril 1965, à l'occasion d'une demande d'avis du Mi-
nistère de la Justice,en ces termes: "le Gouvernement malgache
ne se considère plus lié, notamment vis-à-vis de l'Ouganda, par le
traité franco-britannique" dès lors un nouvel accord permettant
d'en actualiser les dispositions pourrait être négocié avec l'Ou-
ganda ; voir, D. BARDON NET, op. cit., p. 473. Madagascar dut
aussi repousser la convention du 1909 tout en suggérant sa rené-
gociation, ibid., p. 469 ; voir également ACDI 1970, vol. II, p. 131.
(215) - Dès après son indépendance, la Tunisie, dans une note du 22 mai
1959, ne se considérait plus comme liée par le traité d'extradition
conclu en 1876 entre la France et le Royaume-Uni, voir ibid, pp.
130-131
et Documentation
concernant la succession d'Etats,
ST/LEG/SER.B/14, p. 184.
(216) -
Cf, ACDI 1970, vol. II, p. 125-126.
(217) - On pourrait ranger le Nigéria parmi les pays qui ont mis en oeuvre
une telle solution. Il s'agit du seul pays d'Afrique
anglophone
qui ait conclu en accédant à l'indépendance, un accord de dévolu-
tion des droits et obligations conventionnelles de son prédéces-
471
Une deuxième solution a consisté, pour un grand nombre d'Etats afri-
cains appartenant au groupe des anciens territoires placés sous adminis-
tration britannique, à convenir avec les parties aux accords d'extradition,
du maintien provisoire de tels traités dans l'attente de la conclusion de
nouveaux accords. Cette solution peut être illustrée par la pratique de la
Tanzanie (218),
seur tout en rejetant par la suite les accords bilatéraux d'extradi-
tion conclus par le Royaume-Uni. Ainsi, s'agissant par exemple de
l'Accord de 1960 entre la RFA et le Royaume-Uni et de l'Accord
conclu la même année entre Israël et le Royaume-Uni (le deuxiè-
me accord, contrairement au premier, n'est entré en vigueur
qu'après l'indépendance du Nigéria), les autorités nigérianes de-
vaient faire valoir, après avoir indiqué que l'accord anglo-israé-
lien ne répondait pas au type d'accord visé par l'Accord de dévo-
lution, que le traité entre la RFA et le Royaume-Uni était "un
accord bilatéral en vertu duquel les parties n'assumeraient leurs
droits que dans leurs rapports mutuels". Selon, donc ces autorités,
"le Nigéria ne devait donner effet à aucun des deux accords, mais
devait négocier des traités d'extradition distincts avec les deux
pays intéressés", ibid., parag. 57.
(218) -S'agissant de l'accord d'extradition conclu à Bonn le 23 février 1960
entre le Royaume-Uni et la République Fédérale d'Allemagne,
les conseillers juridiques du Gouvernement tanzanien ont estimé
que l'instrument international ne saurait subsister au-delà d'une
période d'application provisoire de deux ans. Toutefois le Gou·
vernement du Tanganyka désira "maintenir en vigueur ledit ac-
cord jusqu'à ce qu'un nouvel accord" pût être négocié directement
entre le Tanganyka et la RFA. Cette clause devint par la suite une
clause-type inserrée dans les réponses faites par le Gouvernement
du Tanganyika aux questions qui lui furent posées dans tous les
cas similaires, voir ACOf, 1970, vol. II, p. 124, parag. 62. Il en va
472
de l'Ouganda
(2\\9) ,dUKenya (220),
ainsi notamment de l'application du traité de 1931 entre le
Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique (ibid, parag. 64) et du
Traité de 1880 conclu par la Suisse et le Royaume-Uni, ibid, pa-
rag. 66.
(219) - L'Ouganda est convenue avec la Suisse de maintenir en vigueur,
par échange de notes des 14 et 21 septembre 1965, le traité de
1880 entre la Suisse et le Royaume-Uni (Traité modifié par une
convention de 1904) rendu applicable au territoire de l'Ouganda
avant son accession à l'indépendance. Ce maintien en vigueur
prend effet le 1er janvier et survient après une application provi-
soire, jusqu'au 31 décembre, décidée par la Suisse et l'Ouganda à
la suite de l'accession de celte dernière à l'indépendance, voir,
Suisse, Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération
suisse, 1966, vol. 2, p. 957 et ACDI, 1970, vol. II, p. 126, parag. 69.
De même l'Ouganda s'est entendu avec les Pays-Bas pour mainte-
nir l'application, dans leurs relations mutuelles, du Traité de 1898
entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni en attendant la conclusion
d'un nouvel accord, mais, à la différence de l'exemple précédent,
l'accord consacrant, par échange de notes, le maintien provisoire
du Traité n'a pris effet que le 27 janvier 1967, date de sa conclu-
sion, voir Nations Unies, Recueil des Traités, vol 608 p. 345 et
A CDl, précité, parag. 68.
(220)
Le Kenya adopta une position semblable à celle de l'Ouganda.
Ainsi par un accord entré les Pays-Bas et le Kenya, entré en vi-
gueur le 15 mars 1968, il a été convenu de maintenir en applica-
tion le Traité de 1898 entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni "en
attendant la conclusion d'un nouveau traité", ibid., parag. 71. De
même le Kenya et les Etats-Unis décidèrent par un échange de
notes des 14 mai et 19 août 1965 de maintenir le Traité de 1931
conclu entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique au-
473
du Bot swana (22\\) et
du Lésotho (222).
Il-existe enfin une troisième solution particulièrement rare et consis-
tant à invoquer l'existence d'accords de dévolution pour appuyer une op-
tion favorable à la continuité d'accords bilatéraux d'extradition, même si
delà de la période de deux ans qui avait été fixée dans la déclara-
tion adressée par le Kenya au Secrétaire général des Nations-
Unies au sujet de la dévolution au Kenya des droits et obligations
découlant des traités antérieurs à son indépendance en attendant
la conclusion d'un nouvel accord", ibid., parag. 73-74.
(221) - Le Botswana et les Etats-Unis d'Amérique sont convenus, par
échange de notes, de considérer que le Traité de 1931 entre le
Royayme-Uni et les Etats-Unis d'Amérique comme demeurant en
vigueur jusqu'à ce qu'il c-esse "d'avoir effet conformément aux dis-
positions qui y sont contenues" ou qu'il soit remplacé. Ce maintien
en vigueur est inscrit dans une période n'excédant pas vingt-qua-
tre mois à compter de la date d'indépendance de l'ancien Protec-
torat du Betchouanaland (30 septembre 1966). Une extension de
ce délai a été envisagée durant l'année 1969, ibid., parag. 91.
(222) - Par une déclaration en date du 4 octobre 1966 .adressée aux Etats-
Unis, le Lésotho avait exprimé le désir de "continuer à appliquer
sur son territoire, sous réserve de réciprocité", les dispositions du
Traité d'extradition de 1931 conclu entre le Royaume-Uni et les
Etats-Unis d'Amérique pendant une période de douze mois à
compter de la date d'indépendance du Lésotho (4 octobre 1966).
Dans l'échange de notes qui s'en est suivie les 5 et 26 octobre 1967
le Lésotho et les Etats-Unis décidèrent du maintien du traité jus-
qu'à la fin du délai de douze mois sauf si le traité venait normale-
ment à expiration ou s'il devait être remplacé d'un commun ac-
cord, ibid, parag. 93.
474
dans la pratique africaine, le Professeur A. GONCALVEZ PEREIRA de-
vait partir des conceptions britannique et française de j'accord d'extradi-
tion qui lui paraissent différentes pour affirmer ce qui suit:
"alors que dans la décolonisation britannique on met sur-
tout en relief l'aspect technique de l'accord, dont la dévo-
lution est en général admise, dans la décolonisation fran-
çaise on a de l'accord d'extradition une tout autre concep-
tion, voyant dans celui-ci un acte de coopération politi-
que, non susceptible de transmission au nouvel Etat"
(225).
Le Professeur D. BARDONNET dut conclure dans le même sens en
affirmant que "suivant que l'accent est mis sur leur contenu politique, ou
sur leur contenu technique, des conséquences opposées peuvent en être
déduites" (226).
Certes la nature des traités d'extradition peut être diversement appré-
ciée par les Etats comme elle l'est de toute évidence dans la doctrine. Il
semble toutefois utile de relativiser la portée d'une telle appréciation,
davantage encore lorsqu'il s'agit d'interpréter la volonté des nouveaux
Etats africains exprimée sur le sort des traités qui leur ont été rendus
(223) - Dans cet échange de notes daté de 1957 et de 1958, le Ghana et les
Etats-Unis ont accepté que le Traité d'extradition soit maintenu
en vigueur en ce qui les concerne, eu égard à l'accord de succes-
sion que le Ghana a conclu avec le Royaume-Uni, ibid., parag. 46.
(224) - Ch. ROUSSEAU, Droit international public, t. Ill, Paris, Sirey,
1977, p. 496.
475
cette continuité a été décidée d'un commun accord entre une ou plusieurs
parties à l'accord d'extradition et le nouvel Etat. La pratique du nouvel
Etat du Ghana semble bien illustrer cette dernière solution mise en oeu-
vre dans un échange de notes relatif au Traité de 1931 conclu entre le
Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique (223).
On aura observé que, mIse à part la pratique du Ghana qui semble
constituer une exception, les solutions dégagées par les nouveaux Etats
africains peuvent être regroupées en deux tendances favorables, l'une au
rejet des traités d'extradition, l'autre à leur maintien volontaire. Un tel
partage coïncide avec le clivage qui s'est bien souvent manifesté en matiè-
re de succession entre Etats africains francophones et anglophones. Cette
coïncidence a dû sans doute suggérer à un certain nombre d'auteurs une
analyse et une interprétation des solutions dégagées par la pratique afri-
caine qui reposent sur une distinction tenant compte de la nature attri-
buée aux traités d'extradition dans chaque groupe d'Etats.
Ainsi le Professeur Charles ROUSSEAU dut considérer que "la solu-
tion est ici commandée par le parti que prend l'interprète sur la nature de
ces traités" (224). De même, commentant la dualité de solution observée
(225) - A. GONCALVEZ PEREIRA, La succession d'Etats en matière de
traités, Paris, Pédone, 1969, p. 196.
(226) - D. BARDONNET , op. cit., p. 465.
476
applicables, à une époque où leur expérience politique et diplomatique fut
des plus modestes.
Mais il convient tout d'abord de rappeler que la classification à la-
quelle notre analyse a abouti a permis de distinguer principalement deux
groupes d'Etats: d'une part, les Etats africains qui ont dès leur indépen-
dance proclamé le rejet des traités d'extradition avec ou sans proposition
de renégociation et qui appartiennent tous, à l'exception du Nigéria, au
groupe des territoires anciennement sous administration française et,
d'autre part, les Etats africains qui ont proposé le maintien de l'applica-
tion de ces accords dans l'attente de leur éventuelle renégociation avec les
parties initiales et qui relèvent tous de l'ancienne administration britanni-
que.
Cette distinction pourrait aisément conduire à la conclusion suivant
laquelle, comme le soutient du reste le Professeur A. GONCALVEZ PE-
REIRA, deux conceptions de traités d'extradition se sont dégagées, l'une
politique et conduisant au rejet, l'autre technique et favorable à la conti-
nuité.
Mais ce serait conclure quelque peu hâtivement.
On peut en effet observer que les Etats anglophones n'ont pas affirmé
une continuité de plein droit des traités d'extradition. Ils ont dans l'ensem-
ble et par échange de notes, donc par voie d'accord avec les parties, décidé
du maintien provisoire de ces traités. Les conditions bien connues de J'ap-
plication provisoire dans un délai limité et qui, au demeurant, s'appliquent
à plusieurs autres catégories de traités ne semblent donc pas autoriser
l'affirmation selon laquelle "la plupart des Etats décolonisés après 1945
ont adopté le pnnclpe de la continuité"(227).
Or si une telle affirmation doit être écartée, notamment en ce qui
concerne les Etats africains anglophones, la distinction établie entre deux
conceptions relatives aux traités d'extradition, l'une politique et franco-
phone, l'autre technique et anglophone, s'en trouverait particulièrement
affaiblie dans la mesure où la pratique "francophone" du rejet assorti de
proposition de négociation et la pratique "anglophone" du maintien volon-
taire et négocié dans l'attente d'un éventuel renouvellement des traités
d'extradition ne s'opposent pas fondamentalement.
Bien au contraire, ces pratiques s'écartent toutes deux du principe de
la succession de plein droit pour confirmer celui de la table rase du fait de
leur caractère volontaire qui, au demeurant, n'exclut nullement la possibi-
lité d'aménager, par voie d'accord, une continuité même provisoire des
trai tés d'extradition.
La différence essentielle qu'il convient cependant de relever entre ces
deux pratiques se situe au niveau des formes empruntées par j'Etat nou-
veau pour indiquer sa position vis-à-vis des traités d'extradition applica-
bles à son territoire. On comprendra mieux ainsi que les Etats anglopho-
nes qui ont eu à faire des déclarations unilatérales au lendemain de leur
(227) - Ch. ROUSSEAU, op. cit., p. 497. L'auteur cite notamment à l'appui
de cette affirmation, le cas du Ghana, qui pourrait être accepté et
ceux, plus discutables, du Kenya et du Tanganyika, ibidem.
478
indépendance cn vue de maintenir provisoirement, et en termes généraux,
les traités bilatéraux y compris les traités d'extradition, n'aient éprouvé
aucune difficulté, ni redouté aucune contradictiun, devant le besoin de
prolonger, par voie d'accord, J'application provisoire de ces traités d'ex-
tradition.
Une contradiction pourrait être en revanche tout à fait redoutée si, à
la place de ces déclarations unilatérales, les nouveaux Etats anglophones
avaient conclu des accords dévolutifs plus contraignants comme ce fut le
cas pour le Nigéria et le Ghana qui constituent deux exceptions notoires
dans la pratique anglophone. Mais alors que le Nigéria dut choisir de
s'écarter des termes de son propre accord de dévolution pour affirmer son
droit de rejeter librement les traités d'extradition qui lui étaient applica-
bles, le Ghana préféra demeurer fidèle au contenu de son accord de dévu-
lution pour, en conséquence, affirmer le maintien en vigueur de ces trai-
tés.
En outre, et il s'agit là d'une autre différence, la pratique du rejet
ubservable au rriveau des Etats africains francophones pourrait être expli-
quée par le fait que ces Etats n'ont pas été en général liés par des accords
de dévolution ou des déclarations unilatérales destinés à leur imposer le
respect des obligations conventionnelles de J'Etat prédécesseur ou d'au-
tres puissances tierces en matière d'extradition. A cela s'ajoute le fait que
ces Etats francophones pour la plupart ont envisagé, au moment d'accéder
à l'indépendance, la conclusion, avec leur prédécesseur, d'accords de coo-
pération en matière de justice devant amplement prendre en considéra-
tion les questions d'extradition (228).
(228) - Voir le chapitre Il in fine de la Prémière partie de cette thèse.
479
On peut enfin conclure en considérant quc la pratique des Etats fran-
cophones et celle des Etats anglophones d'Afrique, loin de s'opposer fon-
damentalement, demeurent au contraire, et pour l'essentiel, très proches
dans leur contenu en tant qu'elles tendent à confirmer la conviction de ces
Etats de n'être pas tenus de succéder aux traités d'extradition et leur vo-
lonté de se déterminer librement à l'égard de ces traités, immédiatement
ou après une certaine période de réflexion. Une telle conclusion semble
par ailleurs, parfaitement s'accorder à la conception des traités d'extratdi-
tion la plus largement partagée par l'ensemble des Etats
africains et qui
s'avèrerait plutôt politique.
Les Etats africains ont mis en oeuvre des règles pour l'essentiel simi-
laires dans leur pratique successorale relative aux traités de commerce.
III. Les traités de commerce
Les traités de commerce couvrent un grand diversité d'accords de ca-
ractère économique que l'on pourrait regrouper, comme le fait une étude
du Secrétariat général des Nations Unies, en trois catégories: les traités
généraux d'amitié, de commerce et de navigation d'une portée qui dépasse
évidemment les questions strictement commerciales; les divers traités ou
conventions de commerce qui règlementent divers aspects du commerce
entre les parties, généralement par référence au traitement de la nation la
plus favorisée, au traitement national et à la réciprocité et, enfin, les ac-
cords commerciaux à court ou long terme, d'une durée d'un à cinq ans, et
qui se bornent généralement à fixer le volume et la nature des exporta-
480
tions réciproques et à préciser les procédures à suivre (229).
La doctrine considère généralement, avec le Professeur Charles
ROUSSEAU, que lorsque les changements territoriaux affectent profon-
dément la condition économique de l'Etat nouveau ou agrandi, "il est iné·
vitable que celui-ci ne se considère plus comme lié par les traités de com-
merce de l'Etat prédécesseur, qui ne correspondent plus aux circonstances
existantes" et que "ce point de vue est fréquemment partagé par les Etats
tiers" (230).
Une telle opinion a pu être en réalité exprimée en dépit d'un certain
manque d'uniformité qui dans l'ensemble caractérise la pratique des
Etats, et dut inspirer chez un autre auteur la réflexion selon laquelle les
traités de commerce "ne tombent pas automatiquement" (231). Sans doute
cet auteur voulait-il, sans avoir à se prononcer sur l'existence d'une quel-
conque présomption de continuité, souligner que les traités concernés ne
sont pas systématiquement répudiés par les Etats "successeurs" dans la
mesure où un certain nombre de ces Etats ont parfois choisi de continuer,
même provisoirement, de les appliquer (232). L'exemple du Sénégal cité
(229) - Document A/CN.4/243/Add.1,ACDJ, 1971, vol. II, 2ème partie, p.
155, parag. 1.
(230)
Ch. ROUSSEAU, Droit international public, précité, p. 497.
(231) - A.G. MOCHI ONORY. "Les aspects récents du problème de la
succession aux traités", précité, p. 644.
(232) - L'auteur cite en effet à l'appui de son affirmation l'opinion de
FENWICK (International Law, New York, 1948) "qui parle plutôt
481
par le même auteur pour illustrer son opinion montre que ce dernier ne
saurait situer sa réflexion dans le cadre d'une succession automatique et
de plein droit dès lors qu'il se borne uniquement à retenir, dans cet exem-
ple, que le sénégal, après son accession à l'indépendance" a renouvelé ses
traités de commerce avec l'Espagne et la Turquie" (233) après une premiè-
re "acceptation de ces accords", évoquant ainsi une pratique tout à fait
volontaire à travers deux attitudes consécutives d'acceptation du nouvel
Etat.
De même, décrivant cette pratique sénégalaise le Professeur J.e.
GAUTRON devait en des termes voisins affirmer que
"Il semble qu'au lendemain de l'indépendance, aucun ac-
cord de commerce n'ait été formellement rejeté par le
Sénégal; au contraire, plusieurs ont été renouvelés, ce qui
suppose une adhésion implicite aux accords primitifs pas-
sés par la France. Cette situation tend à disparaître de-
puis que le Sénégal passe avec les Etats tiers de nouveaux
accords" (234).
d'application temporaire soumise au droit d'option de chaque
partie", voir A.G. MO CHI ON ORY, op. cil., note 109.
(233) - Ibid., p. 644, c'est nous qui soulignons.
(234) - J.-C. GAUTRON, "Sur quelques aspects de la succession d'Etats au
Sénégal", AFD!, 1962, p. 845.
482
Mais il convient encore de souligner à ce sujet que l'expression "adhé-
sion implicite aux accords primitifs passés par la France" utilisée par l'au-
teur ne saurait être tenue comme l'affirmation de l'acceptation par le nou-
vel Etat du principe d'une succession de plein droit car, même supposée et
implicite, l'adhésion dont il est fait mention se rapporte non pas à un
quelconque principe de succession mais aux accords proprement dits, tra-
duisant ainsi la volonté de l'Etat sénégalais d'en devenir lui-même partie.
Le cheminement adopté par le sénégal dans l'affirmation de sa propre
doctrine souligne clairement, bien qu'à travers plusieurs phases, le sens
d'une telle option.
En effet, comme l'a indiqué le Professeur GAUTRON, cette doctrine
trouve un début d'affirmation dans une première phase de la pratique
sénégalaise comportant l'acceptation des accords commerciaux conclus
entre la France et un autre pays tiers et engageant le Sénégal dans la
mesure où ce dernier était représenté par la France lors de la conclusion
de ces accords (235).
Dans une deuxième phase, le Sénégal a préféré participer directement
aux négociations en vue du renouvellment
de tels accords (236).
(235) - Par exemple, un accord conclu entre la France et la Grèce le 28
juin 1960, c'est-à-dire après l'indépendance du Sénégal, liait cet
Etat dans la mesure où la France avait agi en son nom propre et
en celui de la Communauté. Cet accord devait rester applicable
jusqu'au30juin 1961; voir Doc. A/CNA/243/Add.1,ACDI, 1971,
vol. II, 2è partie, p. 174. Voir également, pour la Convention fran-
co-espagnole précitée, J.-c. GAUTRON, op. cil., p. 844.
(236) - Aussi le renouvellement de l'accord franco-hellénique du 28 juin
483
Le gouvernement sénégalais devait enfin, dans une troisième et der-
nière phase, préférer substituer à sa participation, même autonome aux
côtés de la FranceJà des négociations communes de renouvellement d'ac-
cords, une volonté de décider librement de l'opportunité d'une négocia-
tion même aux prix d'une discontinuité dans l'application des accords con-
cernés.
Ainsi lorsque l'accord franco-hellénique du 28 juin 1960 devait pour
la seconde fois arriver à expiration le 30 juin 1962, l'Ambassade de Fran-
ce, désireuse de connaître les intentions du Gouvernement sénégalais
quant au maintien de sa participation au traité, évoqua dans une note
verbale du 13 mai 1962 l'éventualité pour le Sénégal, soit de signer le texte
de l'accord par l'intermédiaire d'un réprésentant, soit d'accepter que la
délégation française signe en son nom, le Ministre sénégalais du commer-
ce lui fit la réponse suivante:
"J'ai j'honneur de vous faire connaître que le Gouverne-
ment de la République du Sénégal n'est pas partie à la
pour 1960 pour une période allant du 1er juillet 1961 au 30 juin
1962 s'est opéré par \\a signature de l'Etat sénégalais agissant dans
le même sens que les autres Etats africains membres de la Com-
munauté tels que la Côte d'Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta, la
Mauritanie, Madagascar, le Niger, la RCA, le Tchad ou le Togo,
Doc. A/CN.4/343/Add.l, op.cit, p. 174. Le Professeur 1.-C. GAU-
TRüN cite l'exemple de l'accord franco-turc, pour le renouvelle-
ment duquel l'Ambassadeur du Sénégal à Paris fut désigné en
mars 1961, op. cit., p. H45.
--,
-
484
prorogation de l'accord de commerce franco-hellénique"
(236).
A travers ces exemples et les trois phases décrites de l'''évolution'' de
la doctrine sénégalaise, on aura surtout noté que le Sénégal, tout en lais-
sant la France négocier en son nom ou en se faisant représenter dans des
négociations menées par cette dernière avec des Etats tiers, n'en conti-
nuait pas moins de jouir et d'affirmer l'existence de son statut d'Etat indé-
pendant et responsable de ses relations extérieures.
Le Gouvernement du Sénégal n'aura donc pas, comme Zidane ME-
RIBOUTE a pu le soutenir dans son ouvrage relatif à la succession
d'Etats, développé une pratique qui va d'abord dans le sens de la continui-
té avant de laisser le principe de la table rase l'emporter (238). En réalité,
dans les diverses phases ci-dessus décrites, le Sénégal a généralement eu
recours, en tant qu'Etat indépendant, à divers procédés pour formelle-
ment, soit refuser de s'engager, soit l'accepter directement ou indirecte-
ment et dans ce cas, par l'intermédiaire de l'Etat prédécesseur négociant
en son nom. Un tel constat permet, comme j'affirme du reste Zidane ME-
RIBOUTE (239), d'écarter toute présomption de continuité qui, en l'oc-
currence, s'accorderait mal avec l'expression répétée de l'engagement vo-
(237) - Réponse en date du 25 mal 1962. Exemple cité par J.-C. GAU-
RON, op. cit., p. 845.
(238) • Z. MERIBOUTE, La codification de la succession d'Etats aux trai-
tés, Décolonisation, secession unification, Paris, PUF, 1984, p. 72.
(239) - Ibid.
485
lontaire du nouvel Etat. Ce constat permet en outre de souligner, au con-
traire, la conviction de l'Etat nouveau de n'être pas lié de plein droit au
moment de son accession à l'indépendance, par les traités de commerce
conclus par son prédécesseur.
En effet si le principe de la table rase a pu se dêgager de la pratique
du Sénégal c'est certainement dès l'origine, c'est-à-dire à partir de la date
critique de son indépendance, à moins de n'entendre - ce qui semble pour-
tant être le cas - dans l'expression "table rase" telle qu'utilisée par Zidane
MERIBOUTE, le fait pour le Sénégal et pour les autres Etats qu'il cite en
exemple/de décider de ne plus continuer, bien après leur indépendance, de
renouveler des accords de commerce qui les liaient déjà en vertu de leur
propre consentement.
Un tel refus de renouveler des accords après une pratique volontaire
de continuité pourrait tout au plus s'assimiler à une rupture mais ne sau-
rait, dans les conditions précises de sa survenance, traduire proprement
une quelconque application du principe de la table rase tel que nous
l'avons toujours défini, à savoir, commun principe qui permet à l'Etat dé-
colonisé d'entamer son existence internationale libre de toute obligation
de succéder.
Les Etats africains dont les relations internationales étaient assurées
par la France et qui sont devenus indépendants au début des années
soixante ont dans leur ensemble développé une pratique proche, quant à
son contenu, de la pratique sénégalaise, même si on peut y observer des
nuances diverses eu égard aux formes empruntées (240).
(240) - Voir Doc. A/CN.4/343/Add.l, précité, parag. 72 et s. et 89-90.
486
De même la pratique des Etats anglophones d'Afrique ne s'écarte pas
dans le fond, de l'affirmation plus ou moins explicite du principe de la
table rase.
Il en va ainsi par exemple du tanganyika dont la position a pu être
résu
mée en ces termes :
"Il existait dix-sept traités commerciaux bilatéraux qU!,
avant l'indépendance, avaient été conclus pour le compte
du Tanganyika ou lui avaient été étendus...
"On a fait observer que ces traités avaient été conclus en
tenant compte des besoins et des désirs particuliers du
Royaume-Uni, plutôt que ceux du Tanganyika. Beaucoup
avaient vieilli ou avaient été signés avec des pays aux-
quels le Tanganyika n'était uni par aucun lien étroit ou
auxquels il ne désirait pas, s'associer. Aprês l'indépen-
dance des notes verbales ont été adressées à chacun des
autres Etats parties aux traités bilatéraux, leur notifiant
que la Tanganyika ne se considérait pas lié par ces ac-
cords" (241).
(241) - E.E. SEA TON et S.T.M. MATIT!, "Treaties and succession of Sta-
tes and governments in Tanzania", African Conference on Interna-
tional Law and African Problems, Lagos, 1967, pp. 84-85, ibid, pa-
rag. 47.
487
Dans l'ensemble, la pratique des Etats africains anglophones, à quel-
ques nuances on exceptions près, s'oriente vers la mise à l'écart de toute
succession automatique même si cette mise à l'écart se manifeste à travers
une suite de renouvellements, des accords commerciaux conclus par l'Etat
prédécesseur (242). Une telle pratique a été davantage rendue possible ou
facilitée par la pratique anglophone de reconduction provisoire mIse en
oeuvre dans le cadre du droit d'option.
Il convient toutefois, s'agissant aussi bien des Etats francophones que
des Etats anglophones, de se garder de trop souligner ou amplifier la por-
tée des prises de position des Etats vis-à-vis des accords commerciaux
conclus par leurs prédécesseurs.
Plusieurs raisons tendent au contraire à suggérer une appréciation
plutôt modérée de cette pratique.
On observe tout d'abord que parmi les traités de commerce concernés
par la succession d'Etats figurent des accords commerciaux conclus pour
de très courtes périodes et dont les dates d'expiration avoisinent les dates
d'accession à l'indépendance des Etats africains de sorte que ces derniers
préfèrent profiter de cette échéance pour conclure un nouveau traité plu-
tôt que d'affirmer expressément leur position vis-à-vis des accords anté-
rieurs.
(242) - Pour ce qui concerne les Etats anglophones d'Afrique de l'Est voir
Y. MAKONNEN, International Law and the New States of Africa,
Addis Abeba, New York, Paris, Valleta, 1983, p. 285. Pour les
autres Etats africains anglophones, voir Doc. A/CN.4/343/ Add.1,
parag. 39 et 45-56.
JI a pu être noté dans cc sens que quelque trois cents accords bilaté-
raux de commerce et de paicment auxquels les Etats africains sont parties
ont été conclus entre 1955 et les premières années de leur accession à
l'i ndépandance (243).
Une deuxième raison dans le remplacement, dans les faits, d'un grand
nombre de traités généraux d'amitié, de commerce et de navigation ainsi
que de nombreux accords de commerce par j'Accord Général sur la Tarifs
douaniers et le Commerce (GATT). L'application entre les parties du
GATT de ses dispositions relatives au traitement national ou au traite-
ment de la nation la plus favorisée a généralement eu pour effet d'amener
les nombreux Etats membres de l'Accord à ne plus éprouver le besoin
d'indiquer leur position de principe vis-à-vis des accords commerciaux an-
térieurs ou à ne plus souhaiter leur renouvellement. Une telle attitude a
été rendue d'autant plus possible que diverses procédures sont prévues par
le GATT pour faciliter la participation des nouveaux Etats à l'Accord ain-
si que Je maintien de son application aux territoires de ces Etats (244).
11 semble donc possible, au terme de cet examen, de conclure en met-
tant en relief la tendance générale des nouveaux Etats africains à repous-
(243) - Doc E/CN.14/STC/24/Rev. 1, parag. 3, cité dans le Doc.
A/CN.4/243/Add.1, ACDJ 1971, vol. II, 1ère partie, p. 155, note
3.
(244) - Cf Les Documents A/CN. 4/200/Rev. 2 et A/CN. 4/200/Add. 1 et
2 dans ACDJ 1968, vol. II, pp. 72 et s. Voir également, infra, para-
graphe 11 : Les traités multilatéraux.
489
ser dans leur pratique, même implicitement, toute présomption de conti-
nuité au profit d'une solution volontaire de renégociation ou d'abandon
des accords conclus par leurs prédécesseurs.
Cette pratique plutôt conforme au principe de la table rase se retrou-
ve encore consacrée en ce qui concerne les accords conclus en matière de
transport aérien.
IV. Les accords relatifs aux transports aériens
La pratique des nouveaux Etats africains concernant les accords rela-
tifs aux transports aériens n'est guère différente, quant au fond, de la pra-
tique de ces mêmes Etats en ce qui concerne les traités d'extradition ou de
commerce. De même,les formes empruntées pour l'expression des solu-
tions conçues dans la pratique de ces Etats, demeurent aussi variées que
celles retenues en ce qui concerne ces deux catégories de traités. Ces for-
mes vont, de la conclusion d'un accord par échange de vues sur le plan
diplomatique ou d'un arrangement établi sur le plan technique, à l'absen-
ce de déclaration expresse bilatérale ou multilatérale, en passant notam-
ment par des mesures unilatérales relatives au maintien en vigueur d'un
accord conclu avant l'indépendance du nouvel Etat ou par la conclusion,
après cette indépendance, d'un nouvel accord avec toutefois un contenu
généralement proche de celui des accords antérieurs.
D'une manière générale)a conviction des nouveaux Etats d'agir libre-
ment, en dehors de toute obligation prescrivant une succession de plein
droit, semble avoir été telle que ces Etats se sont généralement gardés
490
d'invoquer des principes généraux précis. Le cas qUI est souvent cité et
présenté commc une singulière exception est celui qu'illustre la note
adressée par le Sénégal à la France au sujet de la convention d'établisse-
ment du 22 juin 1960 entre la République française et la Fédération du
Mali. Cet accord conclu peu après l'accession à l'indépendance de la Fé-
dération, le 20 juin 1960, était relatif à la coopération en matière d'avia-
tion civile. Après l'éclatement de la Fédération, le Sénégal devait déclarer
dans une note du 16 septembre 1960 qu'il considérait "qu'en vertu des
principes du droit international relatifs à la succession d'Etats" (245), la
République du Sénégal était, pour ce qui la concerne, subrogée aux droits
et obligations résultant de la convention. Opinion que partagea le gouver-
nement français (246).
Mais il convient de souligner, afin de mieux faire ressortir la mise à
l'écart de la présomption de continuité dans la pratique successorale rela-
tive à la décolonisation, que l'exemple de la note sénégalaise du 16 sep-
tembre 1960 ne saurait être invoqué pour illustrer l'hypothèse courante
des successions par décolonisation mais plutôt celle toute particulière
d'une succession concernant un Etat qui accède à l'indépendance en se
séparant d'un autre Etat auquel il était uni par des liens fédératifs. Cette
désunion détermine en principe Je sens de la succession subséquente, qui
demeure, dans le type d'exemple cité, tout à fait favorable au principe de
la continuité.
(245) - JORF, Lois et décrets, Paris, 2 juin 1961, n° 129. p. 4971.
(246) - Voir la réponse du Gouvernement français, ibidem.
491
La pratique sénégalaise issue de sa décolonisation proprement dite,
c'est-à-dire celle qui ne s'affirme pas à travers une succession aux droits et
obligations de l'ex-fédération du Mali, reste quant à elle favorable au
principe de la table rase, même si elle aménage une assez large continuité
volontaire.
A cet égard, Je Gouvernement du nouvel Etat indépendant du Sénégal
a en général décidé de maintenir provisoirement l'application des traités
relatifs aux transports aériens antérieurs à l'indépendance, dans l'attente
des résultats de leur éventuelle renégociation.
Il en va ainsi,
par exemple, de l'accord du 30 janvier 1948 entre l'Ar-
gentine et la France sur le sort duquel l'ambassadeur du Sénégal à Paris
devait se prononcer en ces termes :
"Le Gouvernement sénégalais reconnaît provisoirement,
à Dakar, certains droits que la compagnie Aerolineas Ar-
gentinas détenait de la France en vertu de l'accord fran-
co-argentin du 30 janvier 1948" (247).
Mais il fut surtout précisé dans la lettre que cette reconnaissance va-
lait autorisation accordée à titre précaire et révocable et ne saurait préju-
ger du contenu d'éventuelles négociations ultérieures (248).
(247)
- Lettre adressée
à l'ambassadeur d'Argentine à
Paris, doc.
A/CNA/243, ACDI 1971, vol. 11, 2è partie, p. 136, parag. 72.
(248) - Ibidem.
492
La même attitude du Gouvernement sénégalais a été observée en ce
qUI concerne l'accord de 1949 entre la France et l'Italie (249).
En outre, on a pu noter, par exemple dans les relations entre le Séné-
gal et la Suisse, que lorqu'une renégoci<llion s'est effectuée, elle a pu dé-
boucher parfois sur la conclusion d'un accord qui ne fait nullement men-
tion de l'accord précédent, comme si le nouvel Etat entendait ainsi mani-
fester l'autonomie de sa volonté en récusant tout principe de continuité ou
de succession de plein droit (250).
Enfin on peut signaler l'existence de pratiques d'exploitation conti-
nue, au delà de l'accession à l'indépendance du nouvel Etat, en l'absence
d'un nouvel accord et de toute déclaration expresse de cet Etat indiquant
les solutions qu'il entend mettre en oeuvre. L'exemple de l'accord de 1946
entre les Etats-Unis d'Amérique et la France pourrait à cet égard être cité
(251 ).
(249) - Ibidem.
(250) - Il s'agit de l'accord de 1945 entre la France et la Suisse (Annuaire
suisse de droit international, 1946, vol. III, p. 217) qui a été rem-
placé par l'accord relatif au transport aérien signé entre le Séné-
gal et la Suisse le 23 janvier 1963, voir Doc. A/CN. 4/243, op. cil.,
parag. 75.
(251) - Le Civil Aeronautics Board des Etats-Unis a, par exemple, dans un
document publié au début des années soixante, déclaré que la Pan
American continuait d'exploiter les lignes passant par Dakar en
vertu de l'accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946,
révisé en 1959, ibid., parag. 78.
493
Cette dernière pratique pourrait, dans toute sa diversité, être illustrée
par de nombreux cas tirés de ['expérience des nouveaux Etats africains,
anglophones comme francophones. La pratique issue des Etats francopho-
!Tes comporte cependant le plus grand nombre de cas de refus du nouvel
Etat d'accepter le maintien, au-delà de son indépendance, de droits ou
obligations découlant de traités antérieurs (252).
On peut ainsi observer, pour conclure, comme s'agissant des traités
d'extradition ou de commerce, que la pratique développée en matière de
traités relatifs aux transports aériens ne repose point sur une présomption
de continuité et que, loin de refléter une succession de plein droit, elle
consacre au contraire le principe de la table rase appuyé au demeurant sur
l'aménagement d'une continuité volontaire nécessitant J'établissement de
rapports
conventionnels nouveaux.
Il n'en va pas de façon tout aussi nette en ce qui concerne les traités
relatifs aux frontières.
V. Les traités relatifs aux frontières
Le problème de la succession aux traités de frontières a été briève-
ment étudié dans le cadre du chapitre précédent consacré à la codification
des règles de la succession d'Etats aux traités. Il conviendrait à présent de
(252) - Cf., l'accord du 28 février 1946 entre la France et le Royaume-Uni
et modifié en 1953, s'agissant du refus de Madagascar d'accorder
à la BOAC, le droit de desservir une ligne Nairobi-Madagascar et
Maurice, ibid, parag. 79.
494
prolonger cette étude dans le cadre d'une problématique qui s'appuie da-
vantage sur les données de la pratique (A) ; une problématique destinée à
préparer et éclairer l'examen des solu tions de la pratique africaine relati-
ve aux traités de frontière ou à leur régime juridique (B).
A. Problématique
de la successIOn aux traités relatifs aux frontières
La détermination de ces traités soulève quelques difficultés dans la
mesure où, dans la doctrine comme dans la pratique, plusieurs termes ou
expressions sont employés pour désigner ces traités ainsi que d'autres ca-
tégories d'accords relatifs au territoire. Les termes ou expressions les plus
couramment utilisés sont notamment les suivantes: traités "de caractère
territorial", traités "réels", traités "de disposition", traités "de caractère lo-
cal" ou "localisés". Dans leur e'nsemble ces concepts recouvrent des réali-
tés ou situations les plus diverses touchant notamment les frontières inter-
nationales, les droits de passage sur le territoire d'un Etat ou sur les voies
d'eau navigables, l'utilisation de certaines parties du territoire d'un Etat
ainsi que la démilitarisation ou la neutralisation de tout ou partie du terri-
toire d'un Etat.
On observe cependant que les traités de frontière survivent mieux, en
général, aux mutations de souveraineté que les traités relatifs aux autres
régimes territoriaux; ce qu'une partie de la doctrine a tenté d'expliquer en
invoquant pour les premiers un principe de transmissibilité obligatoire qui
ne serait pas applicable aux seconds. Une telle explication ne nous semble
pas bien judicieuse même si la distinction sur laquelle elle porte nous
paraît bien convenir à notre analyse pour des raisons de commodité liées
essentillement au fait qu'en Afrique, les problèmes territoriaux soulevés
495
par l'accession à l'indépendance d'anciens territoires coloniaux touchant
essentiellement des traités de frontières.
Un auteur a, à cet égard, nettement indiqué que
"Ces problèmes frontaliers africains demeurent au coeur
du droit international relatif à la succession des rapports
juridiques des Etats, et leurs incidences doctrinales sont
hautement suggestives" (253).
La doctrine et la pratique sont en général très favorables à l'idée
selon laquelle les frontières d'un Etat ne sont pas affectées par une substi-
tution de souveraineté intervenue sur son territoire. Et, même si on relève
parfois quelque attitude discordante à cet égard, la tendance très large-
ment dominante, en particulier dans la pratique des Etats, reste en faveur
du maintien des frontières léguées par l'Etat prédécesseur.
Mais la question de la transmissibilité nécessaire et obligatoire des
traités de frontière demeure très discutée (254). En effet, on considère
parfois, à l'encontre d'une tendance très largement répandue, que la natu-
(253) - R. Y AKEMTCHO UK, L'Afrique ell droit international, Paris,
LGDJ, 1971, p. 65.
(254) - M.G. MARCOFF, Accession à l'indépendance et succession d'Etats,
aux traités internationaux, Fribourg, Ed. Universitaires, 1969, pp.
205 et s.
496
re de tels traités ne saurait indiquer qu'une probabilité de succession et
que J'examen de la pratique internationale ne permettrait de fonder l'atti-
tude favorable à la continuité observée chez les Etats que sur des raisons
d'opportunité (255).
En outre le problème de la succession aux traités relatifs aux frontiè-
res est rendu plus complexe par une tendance aujourd'hui bien établie
dans la doctrine, la pratique et l'oeuvre de codification contemporaine du
droit et consistant à dissocier le problème de la succession aux traités de
celui du respect des régimes juridiques établis par ces mêmes traités.
L'étude de la pratique internationale et de la pratique africaine per-
mettrait de prendre la mesure des difficultés rencontrées à cet égard et qui
demeure particulièrement vivaces du fait des nombreuses confusions sou-
vent opérées entre Je problème du maintien des traités de frontière et
celui du maintien de leur régime juridique ou même de la frontière pro-
prement dite indépendemment du traité ayant servi à l'établir.
(255) - E. CA5TREN, "Aspects récents de la succession d'Etats",
CADI,
1951, 1, t. 78, pp. 436-437.
497
En affirmant par exemple que "la doctrine est unanime pour considé-
rer que
les traités établissant les frontièrcs intcrnationales ne sont pas
affectés par la succession d'Etats" (256), Zidane MER 1I30UTE cite com-
me exemple l'opinion de UDINA ct de CASTREN selon laquelle:
"les traités concernant les frontières ayant été mis
en exécu-
tion en établissant une situation juridique
déterminée, cel-
le-ci doit être respectée par le nouveau souverain du territoi-
re au même titre que tout
pouvoir territorial étranger"(257).
Monsieur Z.MER1I30UTE semble ici tcnir pour équivalents, dans le
problème
qui nous préoccupe, les traités établissant des frontières et les
situations ou régimes juridiques établis par ces traités, comme il paraît
également confondre le sort des traités établissant des frontières et celui
réservé aux frontières établies par ces traités lorsqu'il conclut en ces ter-
mes:
"Toutefois, comme l'a affirmé W ALDOCK et, comme nous
j'avons vu plus haut, la grande majorité de la
doctrine paraît
nettement en faveur de la thèse selon
laquelle le simple fait
de la survenance d'une succession n'affecte en rien les fron-
tières établies par des traités"(25S).
(256) - Z. MERIBOUTE, op. cil., pp. 10S-109. C'est nous qui soulignons.
(257) - Ibid., p. 109.
(25S) - Ibid., p. 110. Voir, dans le même sens, A. MO CH! ONORY, op. cil.,
p. 647.
498
De même, la pratique intern;ltionale est bien souvent invoquée, sans
précautions suffisantes, à des fins d'illustration des thèses favorables à la
continuité de plein droit des traités de frontière.
Il en va ainsi, par exemple, de l'affaire des zones franches de la Haute-
Savoie ct du pays de Gex examinée par la CPJI ct, de l'affaire du Temple
Préah Vihéar soumise à la CIl.
Dans la première affaire, généralement citée comme un précédent
ayant permis d'élever les traités de frontière au rang d'exception à l'ap-
plication du principe de la table rase, la CPll a affirmé, au sujet de l'ac-
ceptation
p:n la Sardaigne de l'interprétation donnée par la Suisse des
dispositions du
Traité Turin
de 1816 délimitant la frontière entre la
Suisse et la Sardaigne, que:
"Cette adhésion, donnée par sa Majesté le Roi de Sardaigne
sans réserve aucune, mit fin à un différend international qui
portait sur l'interprétation du
traité de Turin; ... que l'ac-
cord de volontés, ainsi traduit par le Manifeste (Manifeste de
la Royale Chambre des Comptes de Sardaigne), confère à la
création de la zone de Saint-Gingolph
un caractère conven-
tionnel,
que doit respecter la France, comme ayant succédé
à la Sardaigne dans la souveraineté sur ledit territoire "(259).
(259) - Ordonnance du 6 décembre 1930, CPJI, série A, na 24 p.17.
499
Dans ce passage qui sert bien souvent de référence dans la doctrine, la
Cour, plutôt que d'indiquer si la succession entre la France et la Sardaigne
porte sur le traité ou sur la situation résultant de l'exécution du traité,
s'est bornée à retenir le caractère conventionnel de la délimitation d'un
espace territorial donné que la France se devrait de respecter.
Dans la seconde affaire opposant la Thailande au Cambodge à propos
d'un litige portant sur l'application du Traité de 1904 établissant la fron-
tière entre les deux pays et conclu entre la Thailande (Siam) et la France
agissant comme puissance protectrice du Cambodge, La Cour n'eut pas à
examiner la question de la succession, obligatoire ou non, du Cambodge
au traité de frontière après son accession à l'indépendance, dans la mesure
. où ni le Cambodge ni la Thailande n'ont contesté le maintien
en vigueur
du traité de 1904.
Il s'ensuit que la Cour dut trancher le litige en s'appuyant formelle-
ment
sur l'acquiescement donné par la Thailande au tracé de la frontière
sur une carte et, en se fondant sur un impératif de stabilité des solutions
arrêtées en matière de délimitation de frontières (260).
Ce qui semble dès lors peser sur les nouveaux Etats c'est mOins le
respect des traités de frontière que celui dû aux frontières établies par les
Etats prédécesseurs et qui découle lui-même du respect dû au principe de
l'intégrité du territoire objet de la mutation de souveraineté. Car le princi-
(260) - CU, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 1962, p. 34.
Sur l'ensemble de l'affaire voir, ibid., pp. 4-146.
500
pe du maintien d'une frontière n'implique pas en soi la validité des clauses
du traité ayant servi à l'établir et dont une bonne partie présente bien
souvent un caractère politique accusé qui empêche la dévolution auto-
matique de tout le traité.
Plusieurs exemples permettraient d'illustrer une telle opinion au de-
meurant partagée par de nombreux auteurs.
On rappelle en effet, bien souvent, le précédent que constitue le cas
de la cession de l'Alaska aux Etats-Unis par la Russie en 1867. La question"
fut posée de savoir si les Etats-Unis seraient liés par le traité conclu en
1825 entre la Grande-Bretagne et la Russie et qui, non seulement fixe les
frontières entre l'Alaska et le Canada mais réglemen"te plusieurs autres
questions relatives au commerce, à la navigation et à la pêche. Dans son
avis du 26 décembre 1867, l'avocat de la Reine, Travers TWISS, émit J'opi-
nion suivante:
"Les Etats-Unis étaient liés par la frontière fixée non point
parce qu'il existait un rapport de nature conventionnelle en-
tre eux et le Royaume-Uni,
mais parce que du traité de 1825
découlait la légitimité des titres anglais de
souveraineté sur
la région canadienne qui s'y trouvait définie"(261).
Ce qui permit au Queen's Advocate de repousser la dévolution du
traité,
entraînant ainsi \\a caducité de ses dispositions autres que celles se
(261) - A. GONCALVEZ PEREIRA, op. cit., p.1l2. Texte de la citation en
anglais dans, D.- P., O'CONNELL, State Succession in Munici-
pal Law and International Law, vol II, précité, p. 274.
501
rapportant directement à la frontière.
Le Gouvernement américain s'est prononcé dans le même sens après
la guerre d'indépendance que les Etats américains menèrent contre j'An-
gleterre. Ainsi
selon une déclaration faite en 1856 par
le Secrétaire
d'Etat MARCY:
"The United States regards it as
an
established principle of
public law and of international right when a European colony
in America becomes independent it succeds to the territorial
limits of The Co!ony as it stoods in the hands of the parent
country" (262).
Enfin la Grande-Bretagne confirma cette opinion en ce qui concerne
les frontières somalo-éthiopiennes. Le Traité anglo-éthiopien de 1897
confirmé en 1954 avait notamment reconnu, en délimitant les frontières
entre la Somalie et l'Ethiopie, des droits de pacage au profit de certaines
population somalies de part et d'autre de la frontière. Dans la période qui
précéda immédiatement l'accession de la Somalie à l'indépendance, alors
que l'Ethiopie contestait le maintien, au-delà de l'indépendance de la So-
malie, des droits de pâture des populations somalies sur son territoire
qu'elle considérait comme relevant de clauses
purement politiques, le
(262) - J.B MOORE, A Digest of Intemational Law, Government printing
office, Washington, 1906, vol l, p. 303.
502
Premier Ministre britannique devait déclarer devant la Chambre des
Communes, le 11 avril 1960, que conformément au droit international les
dispositions relatives aux frontières de 1897 et aux droits de pacage de-
meuraient en vigueur mais qu'en revanche celles qui découlaient de
l'ac-
cord additionnel de 1954 et que consacrait un "arrangement spécial" régle-
mentant l'exercice des droits de pacage devenaient caduques (263). Ainsi
selon le Professeur A GONCALVEZ PEREIRA, on doit admettre "qu'il
n'y a pas eu dévolution à la Somalie du traité de 1897 et que le maintien de
la frontière ne tire donc pas sa validité de celle-ci" (264).
De tels exemples peuvent être multipliés et l'on peut à leur suite
conclure qu'il est établi dans la pratique que lorsqu'un nouvel Etat fait son
apparition sur la scène internationale en accédant à l'indépendance, la
seule exception qui puisse être dressée devant l'application du principe de
la table rase par cet Etat, touche ses propres frontières ainsi que les droits
et obligations qui sont attachés à leur régime juridique et non les traités
ayant servi à établir ces frontières.
C'est la conviction qui semble bien se dégager de la tentative de la
CDI
de rapprocher, peu avant la codification des règles contenues dans
son Projet,
la prétendue exception au principe de la table rase en matiè-
re du succession aux traités de l'exception au principe du changement fon-
damental de circonstances consacrée par Convention de Vienne sur le
droit des traités (CVDT) de 1969.
(263)
Nations
Unies,
Documentation
concernant
la
successIOn
d'Etats, précité, p. 185.
(264) - A. GONCALVEZ PEREIRA, op. cit., p. 113.
503
En effet la CVOT dispose au paragraphe 2 de son article 62 qu'un
changement fondamental de circonstances ne peut être invoqué comme
motif pour mettre fin à un traité ou pour s'cn retirer "s'il s'agit d'un traité
établissant une frontière",
L'exception à la clause re/ms sic stalltibl1s qui semble admise par prati-
quement tous les juristes a conduit un certain nombre d'auteurs, notam-
ment des membres de la COI, à s'interroger sur la comptabilité de cette
exception avec le principe de l'autodétermination.
La Commission a finalement considéré que les traités établissant une
frontière doivent être tenus pour une exception à la clause et que cela ne
heurterait pas le principe de l'autodétermination tel qu'il est posé par la
Charte des Nations Unies et tel qu'il ne peut, en conséquence, être invo-
qué dans le contexte du droit des traités.
En effet inséré dans le contexte du droit général des traités, la clause
rebl1s sic stalltibus, envisagée dans la perspective de l'autodétermination,
se révèlerait comme un moyen redou table, un motif remarquablement fa-
cile à invoquer en vue de repousser un grand nombre de traités sans aucu-
ne garantie de sécurité des rapports conventionnels ou de respect de l'éga-
lité entre les parties autre que celle, bien trop faible, qui s'attache à l'exi-
gence de la notification et du respect de certains délais.
De tels risques seraient bien plus gravement amplifiés si, pour la sécu-
rité des rapports internationaux, les traités de frontière n'étaient pas ex-
clus de l'application de la clause. En écartant l'application du principe de
J'autodétermination dans le cadre d'une remise en cause des traités de
frontière par le moyen déguisé de la clause re/JUs sic stantibus, la cor n'a
504
pas pour autant exclu l'application éventuelle du principe dans "tous les
cas où sont réunies les conditions dans lesquelles il peut être légitimement
appliqué" (265). Or quel évènement dans la vie d'un Etat semble offrir les
meilleures conditions pour l'invocation du principe de l'autodétermina-
tion sinon celui de la décolonisation d'un ancien territoire dépendant?
L'admettre c'est aussi concevoir l'application du principe de l'autodéter-
mination dans le cadre des successions aux traités de frontière, davantage
encore lorsqu'il s'agit de successions par décolonisation dont le régime
repose tout entier sur le principe de la table rase qui ne saurait en l'occur-
rence, comme nous l'avions souligné
plus haut (266), souffrir aucune ex-
ception. On peut dès lors considérer, comme cela est admis dans la doctri-
ne, la pratique et l'oeuvre de codification
conduite par la COI, que lors-
que se produit une succession d'Etats, les impératifs de paix sociale, de
stabilité des frontières, les exigences du maintien de l'identité du territoi-
re objet de la mutation de souveraineté - condition de toute succession
d'Etats - et l'obligation de respecter l'effet de "disposition" des traités de
frontières excécutés, impliquent un gel momentané
de ces frontières ain-
si que leur régime juridique, à l'exclusion toutefois des traités ayant servi à
les établir.
L'ensemble de ces raisons fait qu'il est difficile de
partager l'opinion
de la COI suivant laquelle:
(265) - COI,
Commentaire... ,
Doc.
A /9610 / Rev. 1, ACDI 1974, vol.
II, Première partie, p. 205, parag. 10.
(266) - Cf,
nos développements sur les traités de frontière dans la section
III du Chapitre 1 de la deuxième partie
de
cette thèse.
505
"Les considérations qui ont conduit la Commission et la Con-
fércnce (la Conférencc de codification sur le
droit des trai-
tés de 1968 et 1969) à déroger à régie du changement fon-
damental de circonstances scmblent
s'appliquer avec la mê-
me force à une succession d'Etats, même si la question peut
s'êtrc présentéc dans un contexte
différent" (267).
La
distinction que nous proposons ainsi entre le sort des frontières
et celui des traités ayant servi à les établir et que nous appuyons sur l'auto-
rité de la doctrine, de la pratique et de l'essentiel de l'oeuvre de codifica-
tion conduite par Commission du droit international, demeure dans l'en-
semble conforme à la pratiquc africaine dans la mesure où celle-ci s'appli-
que à maintenir les frontières issues de la colonisation tout en prônant la
mise en oeuvre du principe de l'autodétermination perçu comme le fonde-
ment essentiel du principe de la table rase applicable notamment et bien
évidemment dans les successions
survenues
par décolonisation.
Il convient à présent d'êxaminer cette pratique africaine tournée vers
le
maintien ou la continuité des frontières coloniales.
(267) - Doc. A /9610 / Rev.l, op. cil., p. 205, parag. 10. On pourrait
ajouter que les dérogations retenues portent sur des objets
bien différents puisque dans un cas la dérogation vise un trai-
té et, dans l'autre, une frontière ou son régime.
506
13. Pratique africaine du maintien des frontières coloniales
Il conviendrait d'étudier succintement le fondement et le sens de la
pratique du maintien des frontières avant de tenter d'illustrer cette prati-
que par l'examen du différend frontalier entre le Sénégal et la Guinée-
Bissau
dans ses aspects qui touchent la succession d'Etats.
1 - Fondement et signification de la pratique de continuité
Le fondement de la pratique de continuité observée en Afrique re-
pose essentiellement sur la spécificité des frontières africaines. Spécificité
qUI
a été à l'origine de deux attitudes divergentes des Etats africains
prônant d'abord le rejet puis, de façon quasi unanime, le maintien des
frontières héritées de la colonisation.
a) Spécificité des frontières africaines
Conçue comme "une ligne de séparation du territoire des Etats et, par
la même, des souverainetés qui s'y exercent" (268), la frontière, ainsi défi-
nie selon une conception linéaire qui vit le jour en Europe au début du
(268) - Jean François LACHAUME, "La frontière-séparation", dans SFDI,
La frontière, Colloque de Poitiers, Paris, Pédone, 1980, p. 77.
Paul FAUCHILLE définit les frontières comme des limites
par lesquelles se trouve circonscrit "l'espace soumis à la sou-
veraineté d'un Etat" (Traité de droit international public, Pa-
ris, 1925, l, 2e partie, p.486) tandis que J. GOTTMANN y voit
507
XIXe siècle, est dcmeurée une réalité méconnue en Afrique précoloniale.
Elle ne fut pas non plus l'objct
d'application précises ct, encore mOinS
généralement opportunes, durant la période coloniale.
Dès lors toute la spécificité des frontières africaines repose, en défi-
nitive, essentiellement sur deux éléments: l'ignorance par l'Afrique pré-
coloniale du concept de frontière tel que défini dans le droit positif mo-
derne et, une pratique coloniale de délimination bien souvent hasardeuse,
artificielle et, pour les pays africains, presque toujours inopportune sur le
plan politique, social et culturel.
- L'Afrique précolOlliale était formée, pourrait-on le rappeler, dès les
premiers siècles de notre ère par six grands ensembles culturels englobant
successivement ou simultanément plusieurs royaumes et empires (269)
dont les limites ou zones de contact étaient
relativement peu identifia·
bics.
"cette ligne le long de laquelle deux souverainetés entrent en
contact et s'opposent", La politique des Etats et leur géogra-
phie, Paris, A. Colin, 1952, p. 121.
(269) - Le professeur Kouo ESSOME distingue aInsI une première aire
soudanaise englobant,entre les VIle et XIIe siècles, le Royau-
me du Tékrour (le long du Fleuve Sénégal), les Royaumes
Haoussa (entre le Fleuve Niger et le Lac Tchad), l'Empire du
Ghana (entre les fleuves Sénégal et Niger), l'Empire du Mali
(à la place du Ghana) et le Royaume du Kanem (au nord du
Lac Tchad) ; une deuxième aire formée le long de la bande
guinéenne avec la fondation du Royaume du Bénin; une troi-
sième aire constituant la bande équato-australe accueillant
508
On
a
pu à cet égard faire remarquer que l'une des
principales ca-
ractéristiques du problème frontalier africain précolonial réside dans le
fait que pendant longtemps, l'Afrique méconnut la notion de frontière-
limite au profit de celle de frontière zonc (270). Ainsi, alors que les peu-
pics d'Europe et d'Asie étaient pendant dcs siècles séparés par des "con-
fins" et des
"marches" avant d'être rapprochés par des bandes de territoi-
re dont le rétrécissement a fini par donner naissance à des lignes de fron-
tière, les peuples d'Afrique vécurent une évolution différente de leur ca-
dre territorial qui ne permit pas à la carte africaine d'atteindre tout natu-
rellement le stade de la formation de frontières-lignes rigides (271).
Cette lente évolution du cadre territorial africain avait trouvé ses rai-
les peuples bantou; une quatrième aire formant l'Afrique
orientale caractérisée
par plusieurs croisements de popula-
tions ; et deux "enclaves marginales", celle de l'Afrique du
Nord et celle du Sud rassemblant des peuples Boshimen
et
Hottentos ; voir K.ESSOME, "l'Afrique ou j'identité per-
due?", Science el Vie, n073, juillet, 1978, pp.44 et s., cité par K.
NGOY NDUBA, Le principe de l'intangibilité des frontières
africaines issues de la colonisation (uti possidetis juris et réa-
lités
en
droit
international
compemporain),
thèse,
doc.
Reims, 1982, p. 25 ; également mentionné dans la thèse de
Abdelmoughit BENMESSAOUD, Intangibilité des frontières
coloniales et espace étatique en Afrique, thèse doc. ès Scien-
ces politiques, Université Mohamed V, Faculté des Sciences
juridiques, économiques et sociales de Rabat, 1988, p. 26.
(270)
R. YAKEMTCHOUK, op. cil. , p. 67.
(271)
Ibid.
509
sons dans la conjonction de deux facteurs essentiels: la rareté relative des
populations africaines et la grande abondance des terres. En outre,
l'or-
ganisation clanique ou tribale des sociétés africaines précoloniales,
pro-
pice à une atomisation des groupes humains, n'était guère favorable à la
constitution de frontières fixes à la place de frontières-zones qui ont géné-
ralement servi, sauf peut-être en Egypte, à délimiter des parcours de chas-
se, de pêche et des zones d'agriculture itinérante, se déplaçant au gré du
nomadisme de la plupart des populations (272).
Il
semble donc qu'on peut naturellement conclure que "l'Afrique
(272) - Cette distinction généralement partagée par les auteurs qui ont
étudié les problèmes frontaliers africains a été reprise et élar-
gie par K. NGOY NDOUBA qui a toutefois rappelé dans sa
thèse précitée, l'existence: de frontières de séparation liée au
rôle des fleuves africains dans la fixation des populations et la
délimitation de certains Etats non pas de part et d'autre d'une
frontière naturelle mais bien souvent de part et d'autre d'une
bande de vallée désertée du fait de conditions écologiques et
sanitaires défavorables; de frontières de contact constituant
des lieux de tension ou de coopération entre groupes culturel-
lement distincts; et, de zones de mélange, s'agissant des aires
où se sont superposées des civilisations différentes. L'auteur
reconnaît toutefois que toutes ces nuances de la frontière
n'ont pas permis d'identifier la moindre conception de fron-
tière linéaire, rigide ou inflexible, ibid., pp.28-29. Cf, dans le
même sens, Omar ZNlBER, Succession d'Etats et traités de
frontières terrestres en Afrique, thèse 3e cycle, Paris 2, 1986,
pp. 13 et s.
510
précoloniale a ignoré la frontière qUI divise les peuples" (273).
Ce type de frontière va pourtant brutalement et, de l'extérieur,
s'imposer à l'Afrique.
- L'Afrique coloniale fut en effet confrontée à l'apparition de nou-
velles frontières nées, selon l'expression de Yves PERSON, d'une violence
extérieure et subite (274) qui fit peu de cas des réalités éthniques, linguis-
tiques, culturelles, religieuses ct politiques des sociétés africaines.
Ces nouvelles frontières découlent du partage territorial colonial dont
l'étude paraît s'imposer du fait que les conditions et les conséquences de
ce partage constituent des paramètres importants du problème frontalier
de l'Afrique indépendante.
L'on peut à cet égard rappeler, brièvement, que les origines du par-
tage
et du découpage de l'Afrique pourraient en réalité remonter jus-
qu'au XVe siècle, lorsque la plus haute autorité pontificale d'alors édicta
plusieurs bulles en vue de délimiter les zones d'influence qui devraient
revenir aux principales
puissances impérialistes et concurrentes de l'épo-
que que furent l'Espagne et le Portugal. Parmi ces bulles, la bulle "Inter-
(273) - Boutros BOUTROS-GHALI, Les collflits de frontières en Afrique,
Paris,
Ed. techniques et économiques, 1972, p. 9.
(274) - Y. PERSON, "l'Afrique noire et ses frontières", Le mois en Afrique,
n080, aoCIt 1979, p.2L
SIl
Caetera" édictée les 4 mai et 24 septembre 1493 par Pape Alexandre VI
occupe une place de choix dans la mesure où elle établit un partage défini-
tif des zones d'influence.
La contestation d'un tel partage, opéré au profit des deux "filles préfé-
rées" de l'Eglise, par de nouvelles puissances impérialistes telles que l'An-
gleterre, la France et la Hollande ainsi que la compétition que firent naî-
tre les convoitises territoriales en Afrique, conduisirent à la tenue en
1884-1885 de la Conférence de Berlin qui réglementa l'occupation des
zones côtières le long des rives africaines de l'Atlantique et de l'Océan
indien.
Cette réglementation s'appuyait sur le principe de l'occupation effec-
tive
des zones côtières pour faire naître des titres de possession et la
faculté d'occuper les terres de l'intérieur ou l'hinterland. La porte fut dès
lors ouverte à la création de "sphères d'influence", concept vague dont une
interprétation extensive permit de forger, à l'usage de la colonisation, un
instrument de partage qui, progressivement, s'affranchit du respeet du
principe même de l'occupation effective.
Le découpage de l'Afrique résulta donc, non pas de la Co~férence de
Berlin, mais des nombreux accords passés par les puissances colonialistes
au gré d'une diplomatie particulièrement mouvante; accords bien souvent
"comparables, selon un auteur, à ce que nous appelons aujourd'hui des
Lois-cadres" ... (et dans lesquels ont eut recours) à des notions abstraites -
lattitude et longitude, ligne de partage des eaux, cours présumé d'un fleu-
ve dont on ne connaissait
que l'embouchure, populations, quand les eth-
512
nies étaient suffisamment stables, groupées, et organisées en Etats, pour
pouvoir former des ensembles conformes aux exigences de la technique et
de l'économie modernes" (275).
Ainsi les tracés des frontières s'opérèrent généralement sur des car-
tes, loin des réalités qui étaient censées être partagées.
Lord Salisbury rendit compte de cette vaste entreprise d'appropria-
tion en ces termes :
"Nous avons entrepris de tracer des lignes sur les cartes des
régions où l'homme blanc n'avait jamais mis
les pieds. Nous
nous sommes distribués des montagnes des rivières et des
lacs, à peine gênés par cette petite difficulté que nous ne sa-
vions jamais
exactement où se trouvaient ces montagnes, ces
rivières et ces lacs" (276).
(275) - Henri BRUNSCHWIG, Le partage de l'Afrique, Paris, Flammarion,
1971, p. 84.
(276) - Voir, Revue française d'études politiques africaines, janvier 1975,
pp.7 et s.. Hubert DESCHAMPS souligne également que "cet-
te délimitation se fit, dans la majorité des cas, sur la base de
récits des militaires et des hommes pour la plupart aventu-
riers", dans, Peuples et nations d'Outre-mer, Paris, 1954, p.13.
Voir également Louis C.D. JOOS, "Des frontières trop
souvent établies au gré des colonisateurs", Monde diplomati-
que, février 1965 et Georges I3ALANDIER, "La difficile syn-
thèse des nécessités du présent et des forces héritées du pas-
sé", ibidem.
513
Il s'ensuit que l'établissement des frontières coloniales africaines
devait répondre à une logique inverse de celle qui présida à la formation
des frontières européennes, lesquelles résultèrent d'un long débat territo-
rial
correspondant à une mflturation progressive des liens unissant le
pouvoir
politique, l'espace territorial et le milieu humain et socio-écono-
mique. La valeur politique de l'espace territorial ct des frontières prend
alors une signification bien singulière en Afrique. En effet, selon Paul de
LAPRADELLE, "alors que la conception nationale du territoire (dans
l'Afrique précoloniale) est celle d'un foyer d'autorité qui s'étend par
rayonnement, la conception coloniale se révèle toute différente. Là, le
territoire prend sa véritable valeur de cadre d'exercice de la puissance
publique, et la première
préoccupation comme le premier acte de l'Etat
colonisateur, est de délimiter même provisoirement sa frontière, sa sphère
d'influence. Alors que, poursuit l'auteur, le territoire métropolitain trouve,
dans sa formation politico-juridique, son point d'aboutissement à la fron-
tière, le territoire colonial y prend son point de départ" (277).
Il n'est guère étonnant dès lors que l'établissement des sphères d'in-
fluence n'ait conduit à un découpage technique traduit par des lignes
ar-
tificielles dérivant de données astronomiques ou géométriques (278), mê-
me si, bien ultérieurement, une certaine prise en compte des données phy-
(277) - P. de LAPRADELLE, La frontière, Paris, les Ed. internationales,
1928, pp. 58-59.
(278) - Un auteur a pu à cet égard relever que "44 % des frontières
africaines suivent des méridiens ou des parallèles, 30 % sont
basées sur des procédés géométriques et seulement 26 % sont
des
frontières
naturelles",
Anatolii
GROMYKO,
"Co-
514
slques et
naturelles ait été quelque peu souhaitée ct dans certains cas
retenue par le colonisateur en vue d'atténuer le caractère abstrait des
délimitations.
A ces délimitations conventionnelles effectuées par les puissances co-
lonialistes en compétition se sont ajoutées tout une série de subdivisions
territoriales délimitant, du chef de chaque puissance administrante, les
circonscriptions administratives créées au sein des grands ensembles colo-
niaux tels que l'Afrique Occidentale Française (A.O.F.) ou l'Afrique
Equatoriale Française (A.E.F.). Mais ces délimitations internes et unilaté-
rales qui accompagnèrent une vaste entreprise de "pacification", loin de
corriger l'arbitraire et l'artifice des premiers découpages, les conservèrent
à défaut
de les amplifier. On a pu notamment observer à cet égard que la
politique coloniale française, contrairement à celle de la Grande-Breta-
gne, s'était
plutôt attelée à rompre toutes les affinités ethniques et cultu-
relles significatives susceptibles de favoriser des résistances sérieuses à la
colonisation (279).
Les morcellements internes se sont en outre multipliés à la faveur de
nombreuses concessions et compensations territoriales opérées entre
lonialism and territorial conflicts in Africa, sorne comments
on african boundary problems", dans, Alr/can boundary pro-
blcms, p.166, cité par B.BOUTROS - GHALl, op. cil., p. 10.
(279) - Voir Y. PERSON, op. cil., p. 31.
515
.
puissances colonialistes au gré des mouvements de la politique ou de la
diplomatie mondiale, ou encore à la suite du partage de J'empire colonial
allemand.
Enfin l'aggravation du morcellement de l'espace africain ne trouve
parfois d'autres raisons que celles qui résident dans les caprices ou dans la
volonté du représentant local du pouvoir colonial (280).
Une des conséquences majeures d'une telle politique de partage, de
délimitation et de morcellement est bien évidemment le rejet ou la mécon-
naissance de l'élément éthnique ou culturel (281) qui fut à l'origine des
démenbrements de nombreux groupes homogènes et, subséquemment, la
(280) - On peut citer ainsi l'exemple du grand territoire du Hodh que le
Gouverneur LAIGRET a fait passer en 1944, du Mali à la
Mauritanie. Décision qui ne paraît avoir été fondée que par la
grande fascination que les Maures
exerçaient sur l'ancien
gouverneur français, voir Omar ZNIBER, thèse précitée, p.22
et,
dans
le
même
sens,
Monique
CHEMILLIER-
GENDREAU et Dominique ROSENBERG
qui notèrent
qu'on façonna "les territoires à la mesure des ambitions de tel
gouverneur ou de tel administrateur et à la mesure des rai-
sons que pouvait avoir le pouvoir central français de satisfaire
ces ambitions", in, Encyclopédie juridique de l'Afrique, LI!
chap.IV, Dakar, Abidjan, Lomé, NEA, 1982, p.69.
(281) - On estime que quelque huit dixièmes des frontières africaines sont
sans rapport avec les limites traditionnelles et éthniques, voir,
R. YAKEMTCHOUK op. cil., p. 70.
516
cause de l'apparition de minorités éthniques et, après les indépendances,
de nombreux
mouvements de réunification.
Une telle politique opère aussi, en revanche, un rassemblement artifi-
ciel d'éthnies ou de populations n'entretenant aucune affinité entre elles
et même bien souvent hostiles. Elle s'est enfin généralement contentée de
tracés approximatifs dès lors qu'il s'agissait d'espaces peu connus (282) ou
de délimitations internes, ou encore dès qu'il importait d'éviter des rivali-
tés immédiates entre puissances colonialistes, de ménager l'avenir et de
préparer de nouvelles expansIOns.
Ce sont dont à ces frontières nombreuses, artificielles pour la plupart,
traumatisantes pour des sociètés africaines disloquées, insaisissables mê-
me parfois par ceux qui les ont tracées et, généralement ressenties par le
Continent comme la marque de la puissance de domination du conqué-
rant, que les Etats africians sont appelés, à l'aube de leur indépendance, à
succéder.
Il est évident que ces frontières ne laissèrent pas indifférents les
futurs dirigeants des nouveaux Etats indépendants d'Afrique qui durent
(282) - R.Y AKEMTCHOUK cite l'exemple du protocole délimitant la
frontière entre la France et l'Etat indépendant du Congo dans
la région du Manyanza (22 novembre 1885) dans lequel il fut
avoué que "la difficulté d'obtenir des renseignements
au-de-
là de la ligne ainsi déterminée n'a pas permis de prolonger
davantage le tracé de la frontière", ibid., p. 73.
517
concevoir à l'échelle de la région des réponses qui ne sauraient manquer
de peser sur l'avenir de tout le Continent.
b) Solutions africaines au problème frontalier
Les solutions envisagées dans la doctrine africaine relative aux fron-
tières coloniales différents fondamentalement selon qu'elles s'inscrivent
dans le mouvement vers l'émancipation politique des Etats africains ou,
au contraire, dans le courant de l'affirmation, par ces Etats, de leurs
sou-
verainetés et identités nouvellement acquises.
Les
nouveaux Etats africains ont ainsi tour à tour: prôné une politi-
que de révision des frontières dès qu'ils auront accédé à l'indépendance,
avant d'embrasser, une fois devenus indépendants, la solution du statu quo
terri toria!.
- L'ECHEC DU REVISIONNISME FRONTALIER
Les dirigeants des futurs Etats indépendants d'Afrique avaient inscrit
dans leur programme nationaliste et anti-colonialiste, la contestation d'un
ordre territorial d'autant plus injuste à leurs yeux qu'il était imposé de
l'extérieur par la violence et, en parfaite méconnaissance des réalités éth-
niques et culturelles des sociétés africaines.
Une reconstitution d'ensembles éthniques homogènes et de grands
ensembles
culturels de l'Afrique précoloniale devait dès lors précéder
toute adhésion des futurs Etats indépendants au principe universel de l'in-
tégrité territoriale des Etats.
518
Mais cc courant révisiunniste ne saurait tout à fait exclure d'éventuels
sécessions participant de l'objectif global d'ajustement territorial, ni em-
pêcher le développement légitime d'un nationalisme territorial irrédentis-
te ou expansif.
Le développement des thèses révisionnistes culmina la veille des
grandes vagues d'indépendance africaine.
Ainsi la question des frontières coloniales ne semble pas avoir été
posée lors de la Première Conférence des Etats africains indépendants qui
s'est tenue à Accra en avril 1958. Elle l'a en revanche été dès que J'échéan-
ce de la décolonisation s'est davantage rapprochée, quelques mois après
cette Première Conférence d'Accra et, à travers la réunion, toujours à
Accra en décembre
195R, de la Première Conférence des PeupJes afri-
cains regroupant non plus des représentants officiels d'Etats (283) mais
des dirigeants de peuples en lutte pour leur indépendance et dont un bon
nombre ont été des acteurs ou des témoins privilégiés d'un mouvement
revendicatif et nationaliste prononcé.
(283) - Cette Première Conférence réunissait l'Egypte, l'Ethiopie, le Gha-
na, le Libéria, la Libye, le Maroc, le Soudan et la Tunisie. On
y observa surtout que le discours inaugural présenté par le
Dr.NKRUMAH fut particulièrement modéré;
voir Ph,DE-
CRAENE, Le Panafricanione, Paris, PUF, 1976, pp. 40-44 ;
voir également, O.GUITARD, Bandoullg, Paris, PUF, 1976,
pp.79-84.
519
Lors de cette dernière conférence, le tracé des frontières coloniales
fut vivement dénoncé et des remèdes furent envisagés pour panser les
blessures qu'il a dû infliger à l'Afrique.
Une résolution de la Conférence en porte témoignage en ces termes:
"Considérant que les frontières et tracés artificiels
établis
par les impérialistes pour diviser les peuples africains jouent
au détriment des africains et doivent en conséquence être
abolis ou rectifiés;
La Conférence des Peuples africains, par le présent acte, dé·
cide que ladite Conférence :
a) - Dénonce les frontières artificielles tracées par les puis-
sances impérialistes pour diviser les peuples d'Afrique ...
b) - Adresse un appel pour l'abolition ou la rectification de
telles frontières, à une date rapprochée, et dans un sens qui
réponde au mieux aux désirs véritables des peuples concer-
nés" (284).
(284) - Voir, pour de plus larges extraits le texte de la résolution en annexe
de cette thèse. Cf dans le même sens, Majhemout DIOP qui,
en 1953, écrivait dans "Les Etudiants noirs parlent" :"11 n'y a
pas un instant de doute que le jour où naîtront des Etats-Unis
d'Afrique, ces Etats auront tôt fait de balayer toutes ces fron-
tières et d'en établir d'autres plus rationnelles et moins étan-
ches".
520
Certains dirigeants africains ont alors tenté, dès les premières années
d'indépendance de leurs pays, d'engager leurs Etats dans des regroupe-
mcnts appelés par une conception aiguë du panafricanisme dont l'illustra-
tion théorique la plus marquante consiste dans le projet de fondation des
Etats-Unis d'Afrique ardemment soutenu par le leader ghanéen Kwamé
NKRUMAH (285).
Mais l'échec des tentatives de regroupement territorial, comme celles
que constituaient les expériences de la Fédération du Mali et l'Union
Ghana-Guinée,
ou encore le projet des Etats-Unis de l'Afrique latine
vainement défendu par l'Abbé Barthélémy BOGANDA, eut pour effet
d'altérer quelque peu l'idée
du
panafricanisme jusque-là partagée par
les dirigeants africains et qui faisait de l'unité du Continent un moyen de
vaincre les faiblesses nombreuses qui affectent des entités territoriales
coloniales peu viables dans la perspective d'une
existence indépendante.
Or une telle indépendance arriva avant que ne fut trouvée une vérita-
ble solution unitaire et, après la dissolution des ensembles fédéraux colo-
niaux dont le maintien, voire le renforcement dam un cadre franco-afri-
cain, a été vivement souhaité par certains leaders africains, notamment les
partisans de L.S. SENGHOR contre ceux de F. HOUPHOUET-BOIGNY.
Aimi l'accession à l'indépendance en rangs dispersés dut achever
d'anéantir, pour les Etats africaim, l'idéal de l'unité territoriale afin de lui
substituer un panafricanisme d'un contenu nouveau qui dut orienter l'atti-
tude des dirigeants africains sur la question de l'unité et des frontières
(285) - Voir K. NKRUMAH, l'Afrique doit s'unir, Paris, Payot, 1964, pp.
202-224.
521
vers un
panafricanisme "rationalisé" favorable, au moment de la
créa-
tion de l'Organisation de l'Unité Africaine, au maintien des frontières
coloniales.
- LE TRtOMPHE DU STATU QUO TERRITORIAL
Le renversement de la thèse révisionniste, prônant l'idée d'une révi-
sion systématique des frontières, s'est opéré grâce notamment à une claire
identification des risques nombreux de conflits et de destabilisation aux-
quels les Etats africains ne manqueraient pas d'être confrontés si la carte
du Continent devait être intempestivement remodelée. L'apparition de
plusieurs foyers de tension sécessionnistes ou même de tentatives consom-
mées et douloureuses de sécession mettant en péril J'existence de jeunes
Etats, dut conseiller à cet égard la plus grande modération dans la
mIse
en oeuvre de l'idéal panafricaniste.
Dès lors, les dirigeants des Etats africains nouvellement indépendants
furent rapidement conduits, à préconiser l'affirmation de deux principes
majeurs dans les nouveaux rapports entre Etats africains indépendants: le
principe du respect de l'intégrité territoriale des Etats, et celui de l'intan-
gibilité des frontières héritées de la colonisation.
L'affirmation du principe de l'intégrité territoriale
des Etats africains
En tant que principe universellement reconnu, le respect de l'intégrité
territoriale des Etats avait déjà été consacré au niveau mondial par le
paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies qui dispose que:
522
"Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs re-
lations internationales, de recourir à la
menace ou à l'em-
ploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indé-
pendance politique
de
tout Etat, soit de toute autre maniè-
re incompatible avec les buts des Nations Unies".
Sur le plan africain, le principe de l'intégrité territoriale des Etats a
été clairement réaffirmé et pris en compte par la Charte de l'Organisation
de l'Unité Africaine (OUA) du 25 mai 1963.
En effet, la Charte dispose, d'abord dans son préambule, ce qui suit:
"Fermement
résolus à sauvegarder
et
à consolider une
indépendance
et
une
souveraineté
durement conquises,
ainsi que l'intégrité territoriale de nos Etats ... "; puis, dans le
paragraphe 1 de l'article II : "Défendre leur souveraineté,
leur intégrité territoriale et leur indépendance".
Elle proclame ensuite dans son article III le
"Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de
chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indé-
pendante",
523
et rappelle enfin dans son article VI que
"Les Etats mcmbrcs s'cngagcnt à rcspcctcr scrupuleusement
les principcs énoncés à l'article III de la ... Chartc".
En se bornant ainsi à proclamer le respect de l'intégrité territoriale de
chaque Etat, les auteurs de la Chartc s'accordcnt certes à respecter les
frontières qui enserrent les territoires dont l'intégrité est préservée mais
ne se sont pas, de ce fait, expressément prononeés en faveur du principe de
l'intangibilité des frontières dont la formulation est demeurée absente du
contenu de la Charte. La préoccupation n'en était pas moins présente dans
les travaux de la Conférence constitutive de l'OUA.
Mais le contexte politique africain de l'époque était naturellement
bien plus propice à l'affirmation du principe de l'intégrité territoriale ap-
préhendé dans la Charte comme une clause de sauvegarde destinée à pré-
munir les Etats contre les mouvements expansionnistes et sécessionnistes.
La signification de ce contexte est clairement apparue dans les préoc-
cupations des Etats membres du groupe de Monrovia réuni en cette ville
du 6 au 12 mai 1961 (286) et qui adopta, dans une résolution intitulée
(286) - Le groupe rassemble vingt Etats africains dits "modérés", par oppo-
sition au groupe de Casablanca formé de cinq Etats: l'Egypte, le
Ghana, la Guinée, le Mali et le Maroc, considérés comme "radi-
caux". Durant les trois années précédant la création de l'OUA, la
question de l'Unité et celle des frontières africaines opposèrent ces
deux groupes. Cette opposition devrait progressivement s'estomper
à l'approche de la Conférence constitutive de l'OUA.
524
"Résolution de la Conférence sur les moycns de faciliter une entente et
une coopération meilleure pour j'avenir et l'unité en Afrique et il Mada-
gascar", une série de principes, plus tard repris dans la Charte de l'OUA,
et parmi lesquels on retrouve celui de la "non-ingérence dans les affaires
intérieures des Etats", celu i du "respect de la souveraineté de chaque Etat
et de son droit inaliénable à l'existence et au développement de sa person-
nalité" ou encore surtout, celui de la "condamnation formelle de l'établis-
sement de foyers de subversion entretenus par des Etats indépendants".
Plus concrètement, l'affirmation du principe du respect de l'intégrité
territoriale des Etats africains trouvait un fondement direct, une justifica-
tion et une illustration immédiate dans l'affaire de la Mauritanie revendi-
que par le Maroc dans le cadre de son projet du Grand Maroc (287), dans
l'exigence du respect de l'assise territoriale de l'Algérie à la veille de son
indépendance, qui vit la France sommée par les Etats africains de respec-
ter le territbire colonial algérien et enfin dans j'affaire de la sécession
katangaise.
(287) - Rappelons qu'en adhérant plus tard il la Charte de l'OUA, le 19
septembre 1963, le Maroc dut faire la réserve suivante:
"s'agissant de la réalisation et de la sauvegarde de
l'intégrité territoriale du Maroc dans le cadre de ses
frontières authentiques, il est important que l'on sa-
che que cette signature de la Charte de l'OUA ne
saurait aucunement être interprétée comme une re-
connaissance expresse ou, implicite des faits accom-
525
Le principe de l'intégrité territoriale devait dès lors porter la marque
de deux fonctions qui lui étaient assignées: une fonction interne destinée
il préserver des mouvements sécessionnistes ct, une fonction externe inter-
disant toute remise en cause de l'assise territoriale colonial des nouveaux
Etats. Cette fonction externe du principe de l'intégrité territoriale eut vite
fait de rapprocher ce principe de celui de l'intangibilité des frontières
coloniales. Un rapprochement qui sembla autoriser, au niveau de la doc-
trine, une véritable confusion des deux principes (288); celle-ci apparaît
bien plus nettement encore dans la pratique des Etats africains qui assi-
gnèrent généralement au principe de l'intégrité une fonction qui devait
revenir à cet autre principe qui ne sera formellement consacré que plus
tard: le principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisa-
tion.
plis jusqu'ici refusés comme tels par le Maroc, 111
comme une renonciation à la poursuite de la réalisa-
tion de nos droits par les moyens légitimes à notre
disposition"
vOIr
B.
BOUTROS-CHAL!,
L'Organisation de l'Unité africaine,
Paris, A. Co-
lin, 1969, p.SI.
(288) - Cette confusion se retrouve en particulier dans les écrits d'impor-
tants auteurs du droit africain comme B. BOUTROS-GHALI, op.
c:it., pp. 47-48, ou M. CHEMILLIER-GENDREAU et D. ROSEN-
BERG, "L'espace national" dans Encyclopédie juridique de l'Afri-
que, précité, pp. 72-73.
526
La consécration du prmclpe de l'intangibilité des frontières
issues de la colonisation.
La consécration formelle et sans équivoque du principe apparaÎt dans
la résolution A.H.G.jRés.16 (1) adoptée le 21 juillet 1964 lors de la pre·
mière Conférence des Chefs d'Etats et de gouvernement de l'OUA réunie
au Caire en juillet 1964. La Conférence considéra par cette résolution
"que les problèmes frontaliers sont un facteur grave et permanent de dé-
saccord" en Afrique, prit acte du fait que "les frontières des Etats africains,
au jour de leur indépendance, constituent une réalité tangible", réaffirma
"le respect total par tous les Etats membres de l'OU A des principes énon-
cés au paragraphe 3 de l'article III de la Charte... " et déclara solennelle-
ment "que tous les Etats membres s'engagent à respecter les frontières
existant au moment où ils ont accédé à l'indépendance".
Le principe de l'intangibilité des frontières ainsi formellement procla-
mé (289) sera réaffirmé par la Deuxième Conférence des Chefs d'Etat et
de gouvernement des pays "non-alignés" réunie au Caire du 5 au 10 octo-
bre 1964 et qui, dans son communiqué final, déclara notamment ce qui
suit:
(289) - La Somalie, qui demeure encore engagée dans une voie de revendi-
cation territoriale en vue de satisfaire un besoin de réunification
de populations somalis, devait immédiatement publier un commu-
niqué aux termes duquel "la Somalie ne s'estime pas engagée par
ce texte", voir Le Monde du 25 juillet 1964.
527
"Les pays participant à la présente Conférence ayant, pour la
plupart, réalisé leur indépendance nationale après des années
de lutte, réaffirment leur détermination de s'opposer, par
tous les moyens dont ils disposent, à toute tentative visant à
compromettre leur souveraineté ou à violer leur intégrité ter-
ritoriale. Ils s'engagent à respecter les frontières telles qu'el-
les existaient lorsque les Etats ont accédé à l'indépendance"
(290).
Cette dernière déclaration conforte et prolonge la résolution A.H.G.
/Rés. 16 (1) de juillet 1964 qui a bien souvent été considérée comme con-
sacrant une interprétation authentique de l'article III de la Charte d'Addis
Abéba (291). Une telle opinion qui confond sans nul doute les deux princi-
pes pourtant distincts de l'intégrité et de l'intangibilité, ne nous semble
pas pouvoir être partagée. La cause d'une telle confusion peut être trou-
vée dans le contexte même de l'établissement de la Charte qui s'ajoute à
une autre raison liée à la bi-fonctionnalité du principe de l'intégrité terri-
toriale comme on a pu l'observer dans la doctrine et au niveau de la prati-
que.
(290) - Communiqué final cité dans l'ouvrage de B. BOUROS-GHALI, Le
Mouvement afro-asiatique, Paris, P. U.F., 1969, p. 149.
(291) - C'est ce que soutient, par exemple, le Professeur B. BOUTROS-
G HALl dans L'Organisation de l'Unité africaine, précité, p. 51 et
dans Les conflits de frontière en Afrique, précité, p. 14.
528
II est en effet clairement apparu que même si la Charte a choisi d'af-
firmer le principe de l'intégrité territoriale plutôt que celui de l'intangibi-
lité des frontières, il demeure que ses travaux préparatoires relatifs aux
problèmes territoriaux et frontaliers de l'Afrique indépendante expriment
essentiellement la nécessité de maintenir les frontières héritées de la colo-
nisation. Nécessité soulignée avec la même force, ultérieurement, dans le
cadre de la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement d~ l'OUA et
dans celui de la Conférence des "Non-alignés", toutes deux tenues au Caire
en ] 964.
Le statu quo frontalier a été, en effet, clairement défendu lors de la
Conférence constitutive de l'OUA par plusieurs Chefs d'Etat, parmi les-
quels celui du Mali qui déclara que :
"Si vraiment nous sommes les uns et les autres animés par la
volonté ardente de faire l'unité africaine, il faut que nous pre-
nions l'Afrique telle qu'elle est, il faut que nous renoncions
aux prétentions territoriales, si nous ne voulons pas instaurer
en Afrique ce qu'on pourrait appeler l'impérialisme noir.
... L'unité africaine exige de chacun de nous le respect inté·
gral de J'héritage que nous avons reçu du système colonial,
c'est-à-dire le maintien des frontières actuelles de nos Etats
respectifs" (292).
(292) - Discours du Président Modibo KEITA,
Confércncc au Sommet
dcs pays indépcndants africains,
Paris, Présence africaine, 1964,
pp. 158-159.
529
Selon le représentant du Nigéria à cette Conférence
"II est fâcheux que les Etats africains aient été divisés en dif-
férents groupes par les puissances coloniales. Dans certains
cas, une même tribu s'est trouvée partagée entre quatre pays
différents ... Nous n'y sommes pour rien ... ; toute tentative de
la part d'un pays africain de méconnnaître ce fait pourrait
provoquer des troubles dans notre continent. Nous entendons
éviter les troubles et, pour cette raison, le Nigéria reconnaît
toutes les frontières qui existent en Afrique et reconnaît
l'existence de tous les pays d'Afrique" (293).
La même idée fut soutenue dans plusieurs autres interventions dont
encore celle du Président de l'Etat malgache (294).
L'on peut donc, à la lumière de ces déclarations considérer que la
Charte de l'OUA n'a pas fidèlement traduit dans les principes qu'elie a
expressément consacrés, cette préoccupation profonde et primordiale de
la Conférence.
On a pu à cet égard observer, comme un auteur l'a du reste relevé en
commentant un tel écart, qu'au moment de l'adoption du paragraphe 3 de
(293) - Déclaration de Abubakar TAFAWA BALEWA, Chef du Gouver-
nement nigérian, ibid., pp. 178-179.
(294) - Ibid., p. 144.
530
l'article 111 de la Charte, les dirigeants al'ricains "ne se sont pas occupés
des nuances juridiqucs. Pour eux, poursuit l'auteur, étant donné que l'ob-
jcctif était supposé connu à savoir la préservation de l'assise territoriale
coloniale, et l'insertion du paragraphe en question était faite pour qu'il
joue cette fonction, le reste importe peu" (295).
L'Organisation s'est certes ressaisie un an plus tard dans la rédaction
de la résolution A.H.G.jRés. 16 (1) proclamant sans ambiguité le principe
de l'intangibilité dcs l'rontières coloniales, mais les appels qui ont été fait
à ce principe, dans la pratique de l'OUA, ont été tellement marqués par le
contexte ou les circonstances dcs différends l'rontaliers qui les ont suscités,
que la portée du principe a pu s'en trouver amoindrie, et son sens obscurci.
En effet le souci de l'Organisation panafricaine de préserver la paix et la
stabilité au sein des Etats ct dans le Continent a souvent conduit l'OUA,
lorsqu'elle fut confrontée à des conflits frontaliers, à proclamer simultané-
ment et donc en les juxtaposant, plusicurs principes tels ceux de l'intégrité
territoriale, de l'inviolabilité des frontières, de l'intangibilité des frontiè-
res coloniales, du réglement pacifique des différends et, même de la non
subversion !
Bien que l'Organisation eut semblé, lors des premières années de son
existence, plutôt mettre l'accent sur les moyens à mettre en oeuvre en vue
de permettre le régie ment pacifique des différends frontaliers pouvant
sur-
(295) - Abdelmoughit BENMESSAOUD, thèse précitéc, p. 126.
531
gir entre des Etats mcmbrcs, clic s'cs t, à partir de la décennie 1970, tour-
née vers l'amalgame dcs principcs dont les rcspect global devrait permet-
tre de préserver la paix et la stabilité sur le Continent.
Un exemple de cette confusion a été fourni, dans le cadre du conflit
somalo-éthiopien, par la Commision dcs bons offices de l'OUA qui réaffir-
ma :
"Les dispositions de la résolution A.H.G./Rés.16 (1) et de la
résolution A.H.G.jRés.27 (II) (relative à la non-subversion 1)
qui engagent les Etats membres à respecter les frontières
existant au moment de l'indépendance ainsi que l'adhésion
aux principes sacro-saints (sic) de J'inviolabilité".
11 en va de même d'un autre document dans lequel l'OUA considéra:
"que la condition indispensable pour le réglement des diffé-
rends entre Etats africains ne peut être satisfaite au mieux
que par la réaffirmation des principes du respect de la souve-
raineté et de l'intégrité territoriale des Etats, l'inviolabilité
des frontières existantes entre les Etats membres de l'OUA,
Ja non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats mem-
bres de même que le réglement de tous les différends entre
eux par des voies pacifiques" (296).
(296) - 11 s'agit de la résolution A.H.G./Rés.90 (XV) adoptée lors du Som-
met de Khartoum les 18-22 juillet 1978 et confirmant les conclu-
sions de la Commission des bons offices de l'OUA ci-dessus men-
tionnées.
532
Cet amalgame de principes différents dont le respect tendrait à ins-
taurer en Afrique une véritable stabilité territoriale s'inscrit pourtant dans
une attitude constante des Etats africains dont les origines remontent aux
premiers instants de leur vie d'Etat indépendant.
En effet dès la XVe et la XVIe sessions de l'Assemblée générale des
Nations Unies tenues en 1960 et 1961, l'Afrique devait saisir l'occasion de
l'examen des questions mauritanienne et algérienne pour user de l'argu-
ment de la stabilité dans une esquisse de doctrine africaine relative aux
problèmes territoriaux.
S'agissant de la Mauritanie devenue indépendante depuis le 25 no-
vembre 1960, les revendications territorialcs marocaines relatives au
"Grand Maroc" qui durent retarder d'une annéc l'admission de la Maurita-
nie à l'ONU, se sont heurtées à une fcrme opposition des Etats africains
francophones qui les jugèrent cxpansionnistcs et contraires au principe du
statu quo territorial. C'est dans ce sens que s'est par exemplc exprimé le
représentant du Sénégal à la XVe session dc l'Assemblée générale en dé-
clarant que :
"l'indépendance des pays d'Afriquc a été réalisée, à juste ti-
tre, sur la base des frontières actuelles, s'il avait fallu recons-
titucr d'ancicns ensembles politiqucs, cettc indépendance
n'aurait pas été acquise dans les conditions de paix et de con-
cordc" (297).
(297) - ONU, doc. off., A/Cl/SR 1111, p. 157.
533
Ainsi, scion le délégué sénégalais, "la sagesse veut que l'on évite de
remettrc en cause les frontièrcs actuclles" (298).
A la veille de l'indépendance algérienne, les Etats africaines devaient
encore faire bloc, lors de la XVIe session de l'Assemblée générale, pour
ramener la France au rcspect strict, eu égard à l'Afrique, de l'héritage
territorial colonial.
Exprimant l'opinion de la plupart des Etats africains à cette session, le
délégué du Sénégal devait encore se prononcer en ces termes :
"En ce qui concerne l'intégrité du territoire algérien, le Séné~
gal, comme la plupart des Etats africains estime que les co-
lonies qui accèdent à l'indépendance doivcnt garder leurs li-
mites territoriales, comme cela s'est produit en Amérique la-
tine. Si des problèmes de frontières devaient se poser chaque
fois qu'un Etat devient indépendant, ces problèmes seraient
insolubles et n'auraient pour résultats, que de faire perdre de
vue des problèmes beaucoup plus importants au lendemain de
l'indépendance" (299).
Le principe de l'intangibilité des frontières coloniales s'est ainsi trou-
vé, dès l'origine, évoqué pour des motifs ou considérations de paix et de
(298)
Ibid., p. 159.
(299)
ONU, Doc. off., A/e/SR. 1162, p. 318.
534
stabilité sur le Continent, et a été naturellement rapproché du principe de
l'uti possidelis élaboré au début du 1ge siècle par les anciennes colonies
espagnoles d'Amérique accédant à l'indépendance.
Défini comme "le principe selon lequel doivent être respectées et
maintenues en j'état les frontières coloniales héritées au moment de leur
indépendance, par les nouveaux Etats" (300), l'uli possidetis serait né lors
de l'indépendance, vers les années 1810, des nouveaux Etats latina-améri-
cains. Mais ces origines latino-américaines n'écartent pas le fait que le
principe ait été connu et appliqué en Afrique dès le 1ge siècle.
Plusieurs auteurs (301) s'accordent en effet à rappeler que le principe
a été appliqué au XIXe siècle en Afrique du Nord à la suite de la disloca-
tion de l'Empire ottoman (302) et au début de notre siècle, dans le cadre
(300) - J. de PIN HO CAM PIN OS, "L'actualité de l''uti possidetis"', in, La
frontière, précité, p. 95.
(301) - Cf, M.Y. El Hadj, Intangibilité des frontières et unité africaine,
Universilé du Bénin (Togo), 1978, pp. 24 el s.; R. YAKEMTCHOUK,
op. cil., pp. 84-86 et J. de PINHO CAMPINOS, op. cil., p.96.
(302) - On peut citer ici deux exemples. D'abord s'agissant de l'Egypte, le
Gouvernement turc avait consenti en juillet 1840 à ce que l'admi-
nistration de l'Egypte soit confiée à Mohammed Ali et à ses des-
cendants. Ainsi un firman du sultan en date du I3 février 1841
devait garantir à Mohammed Ali Je gouvernement du pays "dans
ses anciennes frontières" telles que stipulées sur une carte officiel-
le de l'administration turque. Mais les délimitations de ces frontiè-
535
des mandats établis par la SDN (303).
Mais si Je principe africain de l'intangibilité des frontières coloniales
et celui de l'uli fJossidelis américain peuvent être très intimement rappro-
chés ct semblent même parfaitement coincider dans leurs effets au niveau
des relations étatiques régionales, ils ne sauraient pour autant être assimi-
lés ou confondus comme on l'admet bien souvent dans la doctrine. Ainsi
res n'étaient point entièrement établies à l'époque. Ensuite, s'agis-
sant des confins algéro-marocains, on peut citer l'exemple de la
convention franco-marocaine du 18 mars 1845 signée à Lalla Mar-
nia et qui dispose dans son article 1er que "Les limites qui exis-
taient autrefois entre e Maroc et la Turquie seront les mêmes entre
l'Algérie ct le Maroc" bien que, comme dans l,' exemple précédent,
ces limites demeuraient insuffisamment définies. Sur ces exemples
voir
J.
de
PINHO
CAMPINaS,
op.
cif.,
p.
96
et
R.YA-
KEMTCHOUK, op. cil., pp. 83-86.
(303) - Le régime des mandats n'admettait pas, sous la SDN, que des ar-
rangements territoriaux entre puissances administrantes aient pour
effet de méconnaître le principe du siaiu quo territorial applicable
aux territoires sous mandat. Ainsi lorsque l'Union sud-africaine
succédait à l'Allemagne dans l'administration du Sud-Ouest afri-
cain et voulut procéder avec le Portugal à la délimitation définitive
d'une partie de la frontière entre [' Angola et le Sud-Ouest africain,
la Commission des mandats de la SDN dut rappeler le principe
selon lequel "il serait impossible de procéder à une rectification de
frontière qui aurait pour résultat de détacher une partie d'un terri-
toire sous mandat pour la rattacher à une colonie", Journal officiel
de la SDN, octobre 1924, p. 1045.
536
par exemple en affirmant que "les Etats africains (OUA) se sont pronon-
cés solennellement pour le maintien du statu quo territorial; (et que) à
leurs yeux, J'application de la règle uti possidetis est de nature à éviter
d'inutiles déchirements" (304), le professeur YAKEMTCHOUK semble
indûment assimiler, en s'appuyant sur la Charte de l'OUA, le principe de
l'intégrité territoriale, celui de l'intangibilité des frontière et la règle de
l'uti possidetis.
Or, les principes de l'intangibilité et de l'uti possidetis demeurent, à
certains égards, bien distincts.
Tout d'abord les nouveaux Etats latino-américains nés des décoloni-
sation espagnole et pOfllgaise ont entendu donner à la règle de
l'uti possede-
tis
un contenu selon lequel les anciennes divisions administratives défi-
nies par les anciens colonisateurs devaient être reconnues et considérées
par eux comme des frontières stables. La première différence importante
qu'il convient alors de relever réside dans le fait que, par cette règle, les
Etats latino-américains manifestèrent une réelle volonté de prévenir toute
vélléité de reconquête des puissances européennes ou américaine. Aussi
la règle postulait-elle qu'il n'existait plus dans la région de territoires
"sans maître" susceptibles d'appropriation, même si l'imprécision ou
J'inexistence d'un grand nombre de ces anciennes délimitations adminis-
tratives pouvaient servir de prétexte à une telle entreprise.
(304) - R. YAKEMTCHOUK, "Les frontières africaines", RGD/P, 1970,
p.30.
537
Cette dernière fonction externe de \\'//ri possidclis fait d'une façon gé-
nérale défaut à l'intangibilité des frontières telle qu'elle est conçue sur le
Continent africain.
Une autre différence provient de ce que le principe de l'ulis possidelis
américain, tout en excluant tout recours à la force, permet, selon la prati-
que américaine, que puissent être opérées d'éventuelles modifications de
frontière résultant de l'application d'une règle de droit, notamment par le
biais de l'arbitrage international (305). Or, l'affirmation du principe de
l'intangibilité des frontières s'est traduite par un appel pressant invitant
les Etats africains à respecter les frontières coloniales, à ne pas tenter de
les remettre en cause ni par la force, ni par des revendications pacifiques
quand bien même elles seraient fondées par un titre juridique (306).
(305) - Voir J. de PINHO CAMPINOS, op. cil., p. 95.
(306) - C'est dans ce sens que le Ministre des Affaires étrangères de la
République de Guinée s'était exprimé dans un discours du 18 no-
vembre 1963 prononcé lors de la 1ère session extraordinaire du
Conseil des Ministres de l'OUA à Addis Abéba. Tout en s'ap-
puyant encore une fois sur l'article III de la Charte de l'Organisa-
tion , le Ministre guinéen devait déclarer:
"La violation de l'article 3 de la Charte de l'OUA
nous emmènerait loin, car les cas de litiges sont très
nombreux qui pourraient déclencher de véritables
catastrophes ... En se plaçant dans J'histoire assez
vieille
déjà,
on
pourrait
réveiller
des
cas
in-
téressants qui embarrasseraient aujourd'hui bien
538
Il demeure celJendant que la sagesse africaine conseille, lorsque surgit
néanmoins un litige frontalier, que les parties concernées s'efforcent de le
résoudre en ayant recours aux moyens pacifiques de réglement des diffé-
rends. Il convient toutefois de souligner que le règlement arbitral n'est
point privilégié parmi les modes de réglement dont la mise en oeuvre est
envisagée par les Etats africains. Leur traditionnelle méfiance vis-à-vis
des modes juridictionnels de réglement durant les deux premières déeen-
nies d'indépendance et leur préférence portée sur des solutions politiques
constitueraient à cet égard une explication relativement satisfaisante. Cel-
le-ci gagnerait toutefois à être précisée par l'idée ou le constat selon les-
quels le fait qu'en Amérique latine, contrairement à ce qu'on observe en
des juridictions. Ainsi par exemple, la République
de Guinée détient un traité par lequel la France im-
posait à Alpha Yaya, alors Roi de Labé, la eession
au Portugal d'une partie importante de la Guinée
aujourd'hui dite portugaise, en contrepartie d'une
portion de la région sénégalaise dénommée Casa-
mance, dans le but de constituer une colonie fran-
çaise géographiquement plus homogène. L'opposi-
tion à cette frustration valut à Alpha Yaya d'être
déporté, et les Puissances coloniales opérèrent faci-
lement leur partage. Imaginez un peu, chers frères,
les implications que poserait ce rétablissement de
l'ordre des choses". Déclaration citée par le conseil
du gouvernement algérien dans l'affaire du Sahara
occidental,
CIl,
Mémoires,
plaidoieries
et
do-
cuments, affaire du Sahara occidental, vol. V, p. 316.
539
Afrique, la contestation des frontières coloniales par le moyen de titres
juridiques étant admise, la seule garantie véritable qui permette d'éviter
une destabilisation permanente du sous-continent devrait reposer sur un
traitement juridique de l'objet des contestations qui pût déboucher sur des
conclusions revêtues d'une véritable force juridique contraignante pour'
les parties aux différends.
Parler donc du principe de l'intangibilité des frontières en l'assimilant
à la règle américaine de l'uti possidetis, nous semble, en dépit de leur très
profondes similitudes, relever de l'approximation.
Le principe de l'intangibilité des frontières n'en demeure pas moins
considéré, ainsi que l'est du reste la règle de l'uti possidetis pour le sous-
continent américain, comme un principe majeur intégré au droit régional
africain: d'abord parce que tel est le sens et la portée qu'il convient de
reconnaître aux engagements pris en ce domaine par les Etats africains
depuis la période de leurs indépendances, avec une accentuation marquée
autour du moment de la constitution de l'OUA; ensuite parce que de nom-
breux pays africains ont choisi de donner au principe une consécration
unilatérale ou, le plus souvent conventionnelle, en en faisant la base es-
sentielle d'arrangements ou de réglements de stabilisation territoriale.
On pourrait alllSI citer l'exemple du Libéria qui accepta, de façon
unilatérale, de renoncer à ses revendications territoriales contre ses voi-
sins au profit du maintien des frontières coloniales (307), ou l'exemple de
(307) - Le Libéria renonça ainsi, le 9 décembre 1958, à toute réclamation
540
la République centrafricaine s'agissant de sa reconnaissance de la frontiè-
re qui la sépare du Cameroun (308).
territotiale
contre
la
Guinée,
cf.,
M.
CHEMILLIER-
GENDREAU ct D. ROSENBERG, op.cil., p. 81. En 19611e Prési-
dent libérien William TUBMAN fit dans le même sens une décla-
ration en vue du maintien des frontières coloniales établies entre
son pays et la Côte d'Ivoire, cf., Abdelmoughit BENMESSAOUD,
thèse précitée, p. 143.
(308) - La République centrafricaine précisa dans une décret du 2 juillet
1966, la délimitation de sa frontière avec le Cameroun qui ne don-
na lieu à aucune contestation depuis les indépendances,JO
Rép.
centrafricaine 1er août 1966, p.375,
voir M.
CHEMILL1ER-
GENDREAU, op.cit., p. 77. L'exemple du Cameroun pourrait ici
être cité bien qu'il s'agisse d'un cas à certains égards différent,
dans la mesure où les revendications de ce pays surviennent après
son accession à l'indépendance en 1960 et, à la suite de la parti-
tion, le Il février 1961, du Cameroun anglophone et le rattache-
ment de sa partie nord au Nigéria. Après quinze années de protes-
tation, le Cameroun dut abandonner ses revendications. Le Prési-
dent A. AHIDJO devait en effet déclarer lors d'une visite en
France en juillet 1976 que :
"tout en contestant la régularité du scrutin de 1961, qui a entraîné
le rattachement de l'ancien Cameroun septentrional au Nigéria
par voie référendaire, nous nous sommes inclinés devant les faits.
Nous avons tenté sans succès de faire appel à l'ONU, à la CIl de
la Haye. Aussi, ayant épuisé les
recours aux juridictions interna-
tionales compétentes, préférons-nous nous abstenir de toute re-
vendication territoriale" cité par E. JOUVE,
Relations internatio-
nales du Tiers Monde et Droit des Peuples,
2è éd., Paris, Berger-
Levrault, 1979, p. 409.
541
Les exemples sont encore bien plus nombreux pour illustrer la prati-
que du recollrs il l'accord ill/emaliollal en vue d'opérer des délimitations ou
des démarcations dans le respect de l'hérituge co\\oniul. Ce qui, suns aucun
doute, fait l'objet d'un uccord général des Etuts ufricains. L'Etude déjà
signalée des professeurs M. CI-IEMILLIER-GENDREAU et D. ROSEN-
BERG a permis d'asseoir bien nettement un tel constat à travers un exa-
men minutieux du sort d'une soixantaine de frontières concernant 17 pays
africains (309). L'accord général ainsi réalisé au niveau des Etats africains
est d'une étendue telle que les revendications territoriales peu nombreu-
seS et la rareté des conflits significatifs ne manquent pas d'emprunter l'al-
lure d'un phénomène secondaire et marginal. Aussi, importe-t-il de le sou-
ligner, lorsque le survenance de conflits n'a pas pu être empéchée, les
parties à de tels conflits se sont quasiment toujours entendues, pour les
résoudre, à leur appliquer le principe de l'intangibilité des frontières.
On peut à cet égard rappeler qu'après son accession à l'indépendance,
l'Algérie soutint que les frontières des Etats nouveaux devaient être éta-
blies d'après les frontières des anciennes provinces coloniales auxquelles
ces Etats succèdent (310). Le conflit qui opposa l'Algérie à la Tunisie dans
(309) - M. CI-IEMILLIER-GENDREAU et D. ROSENBERG, Op.Cil., pp.
75-86.
(310) - Voir la déclaration faite dans le même sens à Colomb Béchar le 10
décembre 1963 par le Président Ben Bella, cf., "Le conflit fronta·
lier algéro-marocain", Maghreb, janvier-février, 1964, p. 15.
542
l'affaire dite de la borne 233 fut résolu dans ce sens par les accords du 20
janvier 1967 (311) et du 16 avril 1968 (312), consacrant tous deux le princi-
pe de l'intangibilité des frontières. Le Niger et la Haute-Volta consignè-
rent ee principe dans les accords concernant leur frontière commune si-
gnés le 23 juin 1964 (313) et en 1968 (314). La Côte d'Ivoire et le Libéria
confirmèrent par un accord conclu entre eux en novembre 19611e tracé de
leur frontière commune résultant d'un échange diplomatique franco-bri-
tannique relatif à l'étendue des possessions françaises. Et, même l'Ethio-
pie et le Soudan parvinrent, non sans quelques difficultés cependant, à se
mettre d'accord pour réaffirmer, dans un communiqué commun signé le 4
janvier 1967, "leur désir de reconnaître leur frontière commune et d'en
respecter le statut quo" (315).
(311)
cf, RGD!? 1967, pp. 724-726.
(312)
RGDIP 1968, pp. 148-149.
(313) - Il s'agit d'un protocole de délimitation, cf, Africa Report, Août
1964, p.20 et le décret W 66-055 du 24 mars 1966, JO Niger, 1966,
p. 150.
(314) - Il s'agit d'un accord portant modalités de matérialisation de la
frontière; accord prévu dans un communiqué publié le 10 janvier
1968, Afrique Nouvelle, W 1067, 18 janvier 1968.
(315) - RGDIP 1967, p. 776.
543
De mème le Soudan et la République Centrafricaine acceptèrent dans
un communiqué du 25 mai 1966 la reconnaissance du principe de l'intangi-
bilité applicable à leur frontière commune (316).
Enfin la valeur juridique du principe de l'intangibilité a été reconnue
par la doctrine, et la jurisprudence a consacré l'intangibilité des frontières
comme un principe majeur du droit frontalier et régional africain.
La reconnaissance doctrinale ne s'est pourtant pas faite sans quelques
réticences. Certains auteurs ont en effet soutenu qu'il s'agit d'un principe
politique et nullement juridique. Le Professeur D. I3ARDONNET écrit à
ce sujet que le principe de l'uti possidetis n'est qU'lin instrument politique
conservatoire (317). Le Professeur DUTHEIL de LA ROCHERE, sans se
prononcer directement, indique que les Etats africains considèrent
l'uti
possidetis africain "plus comme un principe politique que comme un prin-
cipe juridique d'un droit international à la formation duquel ils n'ont pas
contribué" (318).
(316) - Voir M. CHEMILLIER-GENDREAU et D. ROSENBERG, op.cit.
p. 78.
(317) - D. I3ARDONNET, "Les frontières terrestres et la relativité de leur
tracé", RCADI, 1976, V, p. 99.
(318) - Jacqueline DUTHEIL de LA ROCHERE, "Les procédures de ré-
glement des différends frontaliers" in, Lafrontière, précité, p. 125.
L'auteur soutient plus nettement encore que "L 'uti possidetis est
retenu non comme un principe juridique, mais comme un principe
politique que les Etats africains s'efforcent collectivement de faire
respecter par des voies diplomatiques", op.cit., p. 135 (passages
soulignés dans le texte).
S44
De même les Professeurs M. CI-lEMILLlER-GENDREAU et D.
ROSENI3ERG se contentent d'observer que pour les Etats africains "j'uti
possidetis est davantage un principe politique qu'un principe juridique"
(319) tout en prenant en compte une nuance qui nous paraît être d'une
grande pertinence. En effet selon ces auteurs l'Afrique "interprète le prin-
cipe de l'uti possidelis juris comme un principe politique. Et pourtant elle
tente de se garder de solutions trop politiques aux éventuels différends en
cherchant pour les régler une instance offrant des garanties d'objectivité
juridique" (320).
Cette nuance permet sans doute de saisir le prix que les Etats afri-
cains attachent au respect d'un principe qu'ils s'accordent en général à
considérer comme s'imposant à eux dans leurs relations mutuelles.
C'est pourquoi plusieurs auteurs ont à leur tour pris le contrepied de
la thèse précédente en reconnaissant une valeur juridique obligatoire au
principe de l'intangibilité (321). Le Professeur J.-M. B1POUN-WOUM le
(319) - Op.cit., p. 74.
(320) - Ibid.
(321) - On peut citer parmi ces auteurs, B. I30UTROS-GHALI, Les con-
flits de frontière en Afrique, précité, p. 14; Ibou Ibrahima FALL,
Contribution à J'étude du droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes en Afrique, thèse, doc. droit, Paris I, 1972, pp. 349 et s.; R.
YAKEMTCHOUK qui voit dans le principe "une remarquable
construction juridique" in, "Les frontières africaines", AFDI 1970,
p. 31, et J.-M., I31POUN-WOUM, Le droit international africain,
Paris, LGDJ, 1970, pp. 127-128.
545
souligne bien vivement en faisant observer que
"il ne s'agit pas seulement d'un triomphe du principe de ]'uti
possidetis comme le remarque M. BORELLA ... , mais égaIe-
ment de la formulation du plus important des principes du
droit positif interafricain, puisque SOIl respect est la condition
de J'existence de l'ensemble du système" (322).
Le Professeur BIPOUN-WOUM soutient en outre fort judicieusement
que le fondement de la force obligatoire du principe réside formellement
dans la "bonne volonté" des Etats, leur seule volonté dirions-nous, puisque
pas plus que les autres règles également consacrées par les Etats africains,
celle du respect des frontières n'est assortie d'aucune_ sanction, tant du
moins qu'il s'agit d'une "mise en cause d'une ou de plusieurs frontières"
(323). En fait il existe bien une sanction. Car selon l'auteur:
"l'intangibilité des frontières ne comporte en réalité, qu'une
sanction, mais elles est vraiment efficace et contraignante:
c'est le sentiment que chaque Etat a que tous les autres y
tiennent fermement, et pour tout dire, qu'il est nécessaire.
(322)
J.-M., BIPOUN-WOUM, op.cit., p. 128.
(323) - Ibid.
546
C'est Ull fondement aussi subjectif que la volonté, si l'on veut,
mais en fait il est aussi extérieur à la volonté des Etats pour
autant qu'aucun 'ne se risquerait à disparaître'" (324).
Une telle approche du fondement du caractère obligatoire du principe
africain de l'intangibilité quoique solidariste et reposant en définitive sur
des nécessités sociales, n'cn permet pas moins de soutenir, nous semble-\\-
il, qu'en Afrique, le principe de l'intangibilité soit devenu tout au moins,
une règle coutumière locale, de portée régionale, c'est-à-dire limitée au
Continent.
Cette évolution aurait pu être conduite à un terme plus achevé si le
principe de l'intangibilité parvenait à être inserré dans un instrument juri-
dique liant tous les Etats africains. C'est ce qu'ont bien compris les diri-
geants africains lorsqu'ils favorisèrent la réunion, en 1982, du Comité de
Révision de la Charte de l'OUA (325) avec entre autres tâches, celle de
réviser certaines dispositions de l'article III de l'Acte fondamental. Le
Comité accepta sur proposition de l'Ouganda d'inserrer dans les disposi-
tions de cet article un paragraphe 4 libellé en ces termes :
"respect par les Etats membres des frontières existant au mo-
(324) - Ibid.
(325) - Il s'agit de la troisième session ordinaire du Comité de Révision de
la Charte qui s'est tenue à Addis Abéba du 10 au 24 mai 1982 suite
à l'invitation du Secrétaire général de l'OUA adressée à tous les
Etats membres de l'Organisation.
547
ment de leur accession :1 l'indépendance nationale" (326).
L'intérêt d'une telle modification, comme l'ont rappelé' plusieurs
membres du Comité de révision aurait été tout d'abord d'accorder, au
sujet du maintien des territoires et frontières coloniaux, l'intention des
fondateurs de l'OUA ct son expression dans la Charte. La modification
aurait ainsi mis un terme aux nombreuses tentatives d'interprétation du
principe de l'intégrité contenu dans la Charte par le moyen du principe de
l'intangibilité affirmé dans la résolution A.I-I.G/Rés.16 (1) et qui ne sau-
raient toutes déboucher que sur de malheureuses extrapolations.
Le second intérêt de la modification aurait été de renforcer incontes-
tablement j'autorité du principe de l'intangibilité qu'un rang de coutume
locale ne manquerait certainement pas d'affaiblir dans sa portée juridique
(327).
(326) - Voir sur les travaux du Comité, le Projet de rapport du Rapporteur
du
Comité
de
Révision
de
la
Charte
de
l'OUA,
CAB/LEG/97 /DRAFT/RAPT.RPT (III) Rév.2, dans, Abdoul
BA et autres,
l'Organisation de l'Unité Africaine. De la Charte
d'Addis Abéba à la Convention des Droits de l'Homme et des Peu-
ples,
Paris, Ed. Silex, 1984, p.83.
(327) - Le souci de clarification qui a prévalu lors des travaux du Comité
aurait pu être utilement complété par l'idée qui y fut discutée de
mettre en place une Commission sur les frontières dont la créa-
tion a été proposée par le Nigéria au cours de la réunion du Con-
seil des Ministres tenue en juin 1981. Le but de cette Commission
serait en effet, selon l'auteur de la proposition, de prévenir les
différends éventuels concernant la démarcation des frontières en-
tre les Etats membres de l'OUA.
Mais la modification envisagée ne put aboutir. Et il revint à la Cour
Internationale de Justice de "clore" le débat, et même d'aller plus loin, par
l'arrêt que sa Chambre rendit le 22 décemlHe 1986 à propos du différend
frontalier opposant le Mali ct le Burkina-Faso. La Cour reconnut formel-
lement une valeur de principe juridique à l'uti possidetis qu'elle éleva mê-
me au rang de règle de portée générale.
L'extrait suivant de sa décision est, dans cc sens, particulièrement
édifiant :
"Il faut voir, dans le respcct par les nouveaux Etats africains
des limites administratives et des frontières établies par les
puissances coloniales, non pas une simple pratique qui aurait
contribué à la formation graduelle d'un principe de droit in-
ternational coutumier dont la valeur serait limitée au conti-
nent africain comme elle l'aurait été auparavant à l'Amérique
hispanique, mais bien l'application en Afrique d'une règle de
portée générale."
"... l'obligation de
respecter les
frontières
internationales
préexistantes en cas de succession d'Etats découle sans aucun
doute d'une règle générale de droit international, qu'elle
trouve ou non son expression dans la formule uti possidetis. A
cet égard aussi, par conséquent, les nombreuses affirmations
solennelles relatives à l'intangibilité des frontières qui exis-
taient au moment de l'accession des Etats africains à l'indé-
pendance, émanant tantôt d'hommes d'Etats africains, tantôt
d'organes de l'Organisation de l'Unité africaine elle-même,
549
ont manifestement une valeur déclaratoire et non pas consti-
tutive : elles reconnaissent et confirment un principe existant
et ne préconisent pas la formation d'un principe nouveau ou
l'extension à l'Afrique d'une règle seulement appliquée jus-
que là, dans un autre continent" (328).
Il s'agit en réalité, selon la Cour, d'un principe appartenant aux "prin-
cipes juridiques les plus importants" (329).
Le juge ad /zoe Jiménez de ARECHAGA émit une opinion concordan-
te à propos de l'affaire du Platcau contincntal (Tunisic/Libyc) lorsqu'il
conclut en ces termes:
"Il découle de ce qui précède que les
deux principcs de droit
intcrnational invoqués par la Tunisie ... - Le principe de l'uti
possidetis colonial sur lequel les Etats africains se sont mis
d'accord et le principe de la succession d'Etat - obligent à
respecter la délimitation résultant du modus vivendi entre la
France et l'Italie" (330).
(328) - Affaire du Différcnd frontalicr (Burkina Faso/Mali) éd. provisoire,
parag.23. C'est nous qui soulignons.
(329) - Greffe de la CU, Différcnd frontalicr (Burkina Faso/Mali), CU,
communiqué non officiel W 86/18 du 22 décembre 1986, p. 5.
(330) - Opinion individuelle du juge ad /zoe Jiménez de ARECHAGA, CU,
Rccueil, 1982, p. 100.
550
On pourrait en conclusion considérer que l'opinion de la Cour relève,
en l'espèce, d'une bonne doctrine (331) et nous interroger dès lors sur la
nature des rapports du principe de l'intangibilité et du principe de la table
rase dans l'application de celui-ci aux traités de frontières. Il aurait été
tentant de considérer le principe de l'intangibilité comme une interdiction
de l'application du principe de la tablc rase aux traités de frontière; autre-
ment dit, le principe de l'intangibilité aurait pour effet de neutraliser le
principe de la table rase dans son application aux traités de frontières, ce
qui ferait de ccs derniers une véritable exception au principe de la table
rase.
Il semble qu'une tellc conclusion, même si on la rencontre très fré-
quemment au niveau de la doctrine, devrait être repoussée, dans la mesure
où, comme nous avons déjà tenté de le montrer, ce qui constitue une exep-
tion à l'application du principe de la table rase ce sont les frontières ainsi
que les droits et obligations qui forment leur régime et non les traités
proprement dits qui ont servi à les établir.
(331) - On pourrait toutefois pousser la réflexion et se demander si la
Cour a eu raison d'opérer une complète assimilation des deux
principes, celui de l'intangibilité et celui de la succession d'Etats
en les plaçant tous les deux dans une même perspective de durée.
On sait en effet que l'affirmation du principe de l'intangibilité est
un engagement pour l'avenir, à partir de l'indépendance, alors
que le second principe s'inscrit dans j'instant de la mise en oeuvre
du mécanisme de la succession d'Etats et s'attache à régir les ef-
fets directs de celle-ci. Mais il reste que la coincidence des deux
principes est parfaite au moment de la décolonisation. Sous ce
rapport l'opinion de la Cour est tout à fait acceptable.
551
Dès lors, la portée de l'affirmation du principe de l'intangibilité coin-
cide, au moment de l'acccssion à l'indépendance, avec les effets d'une
telle exception sans que cela n'autorise la moindre assimilation entre l'op-
tion définitive du maintien des frontières coloniales qu'implique l'affirma-
tion du principe de l'intangibilité et le gel momentané des frontières que
nécessite tout mécanisme de succession et que l'application du principe de
la table rase ne saurait remettre en question.
Certes l'application aux traités, du princIpe de la table rase dans le
cadre du maintien des frontières est facilitée par la mise en oeuvre du
principe de l'intangibilité. Il reste cependant qu'une différence fondamen-
tale sépare ces deux applications car, autant le gel des frontières se limite
au cadre et au moment de la succession d'Etats du fait que les frontières
pourraient être ultérieurement remises en cause pour d'autres motifs que
celui de la succession d'Etats, autant le maintien des frontières africaines
héritées de la colonisation tel qu'affirmé par le principe de l'intangibilité
s'inscrit durablement dans le temps dans la mesure où ce principe traduit
l'engagement des nouveaux Etats africains d'accepter l'héritage colonial
et de ne point y revenir, méme au moyen de titres juridiques jugés vala-
bles.
C'est donc à la lumière de cette conclusion que nous proposons d'exa-
miner le différend frontalier entre la Guinée-Bissau et le Sénégal dans les
limites des rapports que ce différend entretien avec le principe de l'intan-
gibilité des frontières et le problème de la succession des nouveaux Etats
aux traités conclus par les anciennes puissances coloniales.
552
2. Le différend frontalier entre la Guinée-Bissau et le Sénégal
JI conviendra ici d'évoquer brièvementies origines du différend avant
d'en décrire l'objet et de proposer quelques éléments de solution.
a) Genèse du différend
Le différend qui est né entre le Sénégal et la Guinée-Bissau et qui a
été soumis à un tribunal arbitral par un compromis d'arbitrage intervenu
le 12 mars 1985 (332) s'est déclaré à partir de la contestation, par la Gui-
née-Bissau, du traité relatif au tracé de la frontière en mer entre les deux
pays. Le différend se rapporte ainsi à l'échange de lettres franco-portugais
du 26 avril 1960 qui a établi cc tracé, et dont la validité et l'opposabilité à
la Guinée-Bissau sont contestées par cet Etat.
L'accord du 26 avril 1960 avait été conclu par les deux pUlssances
française et portugaise responsables, j'une d'une colonie, l'autre de tout ce
(332) - Sur le différend, voir le quotidien national du Sénégal, Le Soleil,
notamment dans ses numéros du 12 janvier, 27 février et 9 novem-
bre 1984. Rappelons également que lors d'une visite au Sénégal le
Ministre bissau-guinéen de l'éducation remit, le 18 octobre 1985,
un message au chef de l'Etat sénégalais avant de déclarer que
l'objet de sa visite était la constitution du tribunal arbitral qui
avait déjà été créé par une compromis signé le 12 mars 1985 à
Dakar à l'occasion de la visite de travail effectuée au Sénégal par
le Président 10ao Bernardo VIEIRA, voir Le Soleil, 13 mars 1985
qui publie également le texte du Compromis d'Arbitrage.
553
qui touche le territoire cie Guinée-Bissau alors considéré comme une pro-
vince outre-mer du Portugal.
L'accord franco-portugais était vcnu compléter la Convention du 12
mai 1886 par laquelle la France ct le Portugal avaient délimité leurs pos-
sessions respectives en Afrique occidentale. Mais cette convention concer-
nait les seules frontières terrestres entre ce qui était alors la Guinée por-
tugaise et les colonies françaises du Sénégal et de la Guinée, et n'opérait
aucune délimitation de frontière maritime même si les travaux préparatoi-
res de cette convention révèlent l'existence d'une proposition française
allant dans ce sens. La convention décida toutefois de l'attribution au Por-
tugal des îles situées en deçà du méridien du Cap Roxo et de la limite Sud
formée par le parallèle 10° 40' (333).
A peine quelques décennies après la conclusion de cette Convention,
les intérêts économiques de la mer se sont révélés aux membres de la
Communauté internationale avec d'autant plus d'acuité que les avancées
technologiques et la conclusion en 1958, des Conventions des Nations
Unies sur le droit de la mer ouvraient de nouvelles perspectives à l'exploi-
tation des ressources biologiques et minérales de la mer.
(333) - Le paragraphe 4 de l'article 1er de la Convention désigne ces îles
de la manière suivante
"... tou tes les îles comprises entre le méridien du
Cap Roxo, la Côte ct la limite Sud formée par une
ligne qui suivra le Talweg de la rivière Cajet et se
dirigera ensuite au Sud-Ouest à travers la passe des
Pilotes pour gagner 10° 40' latitude Nord avec le-
quel elle se confondra jusqu'au méridien du Cap
Roxo".
554
Les parties il la Convcntion de 1886 prirent conscience de ce fait et
accordèrent de plus cn plus de permis d'exploration et d'exploitation des
ressources des plateaux continentaux dcs "territoires" concernés à des
compagnies étrangères. Mais J'intervention de ces dernières souleva des
problèmes juridiques séricux relatifs à la délimitation des espaces mariti-
mes contiguës à ces territoires. C'est donc afin de résoudre ces problèmes
et ainsi, d'éviter le chevauchement des concessions qu'elles accordent, que
les Parties décidèrent d'entamer des négociations en 1958.
Ouvertes à Lisbonne le 8 septembre 1959, les négociations relatives à
la délimitation de la frontière en mer entre le Sénégal et la province por-
tugaise de Guinée aboutirent à la conclusion par échange de lettres, le 26
avril 1960, d'un accord de délimitation qui fixe la frontière maritime ainsi
qui suit:
"Jusqu'à la limite extérieure des mers territoriales, la frontiè-
re serait définie par une ligne droite, orientée à 240 degrés
partant du point d'intersection du prolongement de la frontiè-
re terrestre et de la laisse de basse mer, représenté à cet effet
par le phare du Cap Roxo.
"En ce qui concerne les zones contiguës et le plateau conti-
nental, la délimitation serait constituée par le prolongement
rectiligne dans la même direction, de la frontière des mers
territoriales" (334).
(334) - Cf, Décret N" 60-504 du 25 mai 1960 portant publication de
]' échange de lettres, fORF, 31 mai 1960, pp. 4914-4915. Texte de
l'échange de lettres et carte en annexe de cette thèse.
555
Cet accord signé par l'Ambassadcur de France ct le Ministre portu-
gais des Affaires étrangères par intérim, a fait l'objet, depuis la date de sa
conclusion, d'une application continue non seulement par le Sénégal mais
aussi de la part du Portugal, du PAIGC qui ne l'a pas contesté durant toute
sa lutte de libération nationale dirigée contre ce dernier et, de la Guinée-
Bissau depuis son indépendance en 1973, jusqu'en 1977, date de sa contes-
tation de l'accord.
Le Sénégal s'est constamment tenu, depuis son accession à l'indépen-
dance et conformément à j'accord de 1960, à sa frontière en mer des 240°.
L'exercice de ses compétences, aussi bien dans la délivrance des permis de
recherche que dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs de police s'est régu-
lièrement effectué dans les limites d'une juridiction située au nord de cet-
te ligne divisoire.
Le Portugal n'a jamais contesté la validité de l'accord de 1960 et s'est
constamment référé à son contenu dans l'exercice de ses compétences de
souverain territorial de la province portugaise de Guinée, aussi bien dans
le contrôle des espaces maritimes adjacents aux côtes de la province que
dans la conclusion des contrats de concession qu'il signa jusqu'à l'acces-
sion à l'indépendance de la Guinée-Bissau en 1973.
Le comportement du PAIGC avant la contestation en 1977 de l'accord
de 1960 ne fut guère différent dans son orientation. Aucune réserve ne fut
émise par le PAIGC durant cette période, aussi bien dans la conduite de
ses opérations militaires que dans la coopération qui s'était établie entre
son état major et celui de l'armée sénégalaise.
556
La contestation de la validité de l'accord de 1960 par la Guinée-Bis-
sau survint en 1977, année qui vit ce pays réclamer la modification du
tracé de la frontière maritime définie par l'accord. A partir de cette année
le Sénégal et la Guinée-Bissau s'engagèrent dans des négociations qui se
poursuivirent pendant huit années durant lesquelles certains incidents fu-
rent observés dans la zone litigieuse qui résultèrent du refus de l'une des
parties d'accepter l'exercice de certaines activités, notamment de pêche et
de prospection pétrolière, menées sous la responsabilité de l'autre partie.
Ces négociations (335) débouchèrent sur la signature par les deux
parties, le 12 mars 1985, d'un Compromis d'arbitrage qui soumet le diffé-
rend à la Cour Internationale de Justice et pose à la Haute juridiction
deux questions liliellées, aux termes de l'article 2 de ce compromis, comme
sui t :
"1. L'accord conclu par un échange de lettres, le 26 avril 1960,
et relatif à la frontière en mer, fait-il droit dans les relations
entre la République de Guinée-Bissau et la République du
Sénégal ?
2. En cas de réponse négative à la première question, quel est
le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes qui
relèvent respectivement de la République de Guinée-Bissau
et de la République du Sénégal ?"
(335) - Sur j'une des dernières étapes de ces négociations, voir Le Soleil du
9 novembre 1984, à propos de la réunion tenue le 7 novembre 1984
à Bissau en présence du Ministre des Affaires étrangères du Séné-
gal et le Ministre bissau-guinéen de l'Education nationale. Les né-
gociations avaient débuté les 13 et 14 novembre 1977 à Bissau
avant de se poursuivre sans résultat les 26,27 et 28 novembre 1977
toujours à Bissau et, par la suite, du 3 au 4 juillet 1978 à Dakar et
du 27 au 29 mai 1981 de nouveau à Bissau.
557
Une tellc formulation établit un ordre de priorité entre les deux ques-
tions posées et su bordonne la réponse à donner à la deuxième question à
celle qui serait donnée à la première. Ainsi une réponse affirmative à la
première question rendrait la seconde sans objet; et la frontière définie
dans l'accord de ] %0 ferait droit entre le Sénégal et la Guinée-Bissau.
Mais les problèmes soulevés par ces questions et, singulièrement par
la première, sont relativement complexes et semblent de ce fait appeler un
examen particulier qui doive les replacer dans le contexte qui nous paraît
le plus approprié, celui de la problématique de la succession des nouveaux
Etats africains aux frontières coloniales.
b) Problèmes soulevés
Au strict regard de la succession seule la première question posée à la
Cour semble devoir nous intéresser, à la fois sous l'angle du droit interna-
tional des traités et celui de la succession aux traités. Il conviendra dès
lors de l'aborder ici ù la lumière des conclusions auxquelles notre étude a
abouti, tant en ce qui concerne la consécration du principe de la table rase
dans les successions par décolonisation qu'en ce qui touche le sort, dans
cette même hypothèse, des frontières coloniales africaines.
558
Lc libellé de la premièrc question posée au Tribunal tend essentielle-
ment à faire admcttre que cc dcrnier dcvra, avant dc déclarcr éventuelle-
mcnt que j'accord de 1960 fait droit entre le Sénégal ct la Guinée-Bissau
et, quc le respect de la frontière que cet accord définit s'impose aux par-
ties, s'assurer que (336) :
- l'accord est valide,
- l'accord s'impose aux parties en vcrtu des règles de la succes-
SlOn d'Etats nonobstant l'application du principe de la table rasc dans
l'hypothèse d'une décolonisation, DU en vertu du principc de l'intangibilité
des frontières coloniales. L'évocation de cc dernier principe suppose qu'il
s'applique aux frontières maritimes et s'impose dès lors aux deux parties.
La Guinée-Bissau qui conteste l'opposabilité à son égard de l'accord
s'attèlerait vraisemblablement, d'une part, à trouver des vices de forme
comme de fond affectant l'accord et, d'autre part, à invoquer le principe
de la table rase, appuyé par celui de l'autodétermination, pour repousser
toute idée de succession de sa part, tout cn écartant l'application du prin-
cipe de l'intangibilité aux frontières en mer.
Dès lors la position du Sénégal risque d'être l'exact reflet inversé des
thèses bissau-guinéennes sur la validité de l'accord, sur le principe de la
succession et sur l'intangibilité des frontières coloniales.
(336) - La contrainte pèse bien évidemment sur nous de nous en tenir à
l'esquisse de thèses les plus plausibles pour chaque partie compte
tenu du fait qu'il s'agit d'une affaire non encore tranchée par le
Tribunal et dont la conduite repose sur le caractère confidentiel
des éléments du dossier.
559
On aura cependant il regretter que le débat suscité par la première
question posée au Tribunal ne fût pas de nature à prendre en compte
l'exacte portée du princi[1e de la table rase dans les successions des Etats
nouveaux aux traités, et du principe de l'intangibilité des frontières colo-
niales en Afrique (337).
En effet, la première question posée semble exclure du débat toute
considération qui tendrait il accréditer l'idée qu'une succession d'Etats
peut conduire au maintien d'une frontière ou respecter ce maintien en
dehors de toute considération de validité du traité ayant servi à l'établir
ou, après que soit appliqué il ce traité le principe de la table rase. De
même semble être exclue l'admission du principe de l'intangibilité d'une
frontière qui ne reposerait pas sm un titre ou qui s'appuyerait sur un titre
juridique contestable.
Les éléments de solu tion qui nous semblent pouvoir être proposés
intègrent dans leurs fondements ces données apparemment exclues de la
problématique du compromis d'arbitrage et que nous avons déjà eu il pré-
senter comme des acquis bien établis de la pratique et du droit positif. Il
convient à présent de tenter d'illustrer brièvement de tels acquis à travers
l'examen d'une solution possible au cas d'espèce.
(337) Ceci explique que nous ayons choisi de ne retenir que le seul exem-
ple d'une réponse affirmative du Tribunal à la première question,
étant entendu que l'examen d'une réponse négative de ce tribunal
imposerait d'adopter sensiblement la même démarche avec toute-
fois une inversion probable des éléments que comporterait la ré-
ponse affirmative.
560
c) Eléments de solution
Il s'agit ici d'indiqucr dc simplcs oricntations esquissées d'un trait
humble que recommandent les précédents développements consacrés à
l'étude du problème de la succession aux traités de frontière, ct que con-
seille la confidentialité d'une instance non encore vidée.
Ces orientations guideront notre réflexion autour de trois questions
qui nous paraissent naturellement s'imposer et qui touchent la validité de
l'accord du 26 avrill9GO, le problème de la succession à cet accord et celui
du maintien de la ligne de frontière telle qu'elle est définie par l'accord.
- DE lA VALIDITE DE L'ACCORD DU 26 AVRIL 1960
L'étude du problème de la validité de l'accord du 26 avril 1960 ne
semble ici s'avérer utile ou s'imposer que dans deux hypothèses:
. S'il peut ètre démontré que les deux parties au différend ont succédé
à cet accord, lequel devra dès lors être considéré comme faisant droit dans
leurs relations;
. Si la validité de l'accord doit confirmer l'existence, durant la coloni-
sation, d'une ligne divisoire des eaux de 2400 d'azimut du Cap Roxo dont
l'opposabilité aux parties découlerait de l'application du principe de l'in-
tangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Au trement dit, l'existence de la frontière maritime des 2400 serait
prouvée par un titre juridique opposable aux parties par la voie d'une
succession effective ou, en vertu du principe de l'intangibilité des frontiè-
res.
561
Mais, comme on peut aisément le constater, une frontière peut bien
exister et s'imposer aux Etats qu'elle sépare sans repos'er nécessairement
sur un accord de délimitation. Dès lors, la solution du problème de l'oppo-
sabilité au Sénégal et à la Guinée-Bissau de la frontière des 240' ne passe
pas nécessairement par une reconnaissance mutuelle, par voie de succes-
sion, d'un accord de délimitation dont la validité aurait été prouvée. Il
suffit en effet qu'une des parties au différend déclare au moment d'accé-
der à l'indépendance, ou même après, lorsque la preuve du contraire ne
peut être fournie, n'avoir pas succédé au traité même valide, pour que
l'opposabilité de l'accord à cette partie, du seul fait de la succession
d'Etats, soit écartée. Et cette preuve contraire peut s'avérer difficile à
établir du fait de l'inexistence, dans le droit international contemporain,
d'un principe imposant une succession obligatoire, même en matière de
traités de frontière, lorsqu'il s'agit d'un cas de décolonisation.
C'est donc sous ces réserves que nous pouvons envisager l'étude du
problème de la validité de l'accord du 26 avril 1960. D'ores et déjà l'exa-
men des procédures de conclusion de l'accord ainsi que des conditions de
son application peut nous permettre de considérer qu'il s'agit d'un accord
valide. Plusieurs raisons peuvent en effet conduire à une telle conclusion.
Tout d'abord, l'accord du 26 avril 1960 qualifié d'''échange de lettres"
ou encore, selon la pratique portugaise, de "accordo por troca de notas",
est un accord en forme simplifiée dont la nature est bien connue dans le
droit et la pratique aussi bien français que sénégalais. Il s'agit d'un accord
de volontés dépourvu de tout caractère solennel et qui peut être conclu
sans la ratification du chef de ['Etal. Comme en droit français, l'accord ne
nécessite pas en droit portugais une approbation parlementaire. Il relève
562
normalement de la compétence du Ministre des Affaires étrangères. C'est
pour cette raison que l'échange a eu lieu entre l'Ambassadeur de France,
le Comte de MENTI-ION, et le Docteur Antonio SALAZAR, Président du
Conseil et Ministre des Affaires étrangères par intérim. Sous cet angle, il
ne pourrait être prétendu que l'accord aurait été conclu en violation mani-
feste, par le Portugal, d'une disposition de son droit interne d'importance
fondamentale concernant la compétence pour conclure des traités interna-
tionaux.
De même, le recours à un accord en forme simplifiée en vue d'opérer
une délimitation maritime là où une frontière n'était pas fixée auparavant
ne saurait constituer une violation de la disposition du droit constitution-
nel portugais qui prévoit une approbation parlementaire dans l'hypothèse
d'une aliénation, par l'Etat, d'une partie du territoire national (338),
(338) - Cf, l'article 2 al. 1er de la Constitution portugaise de 1933 en vi-
gueur au moment de la conclusion de l'accord de 1960. La nouvelle
Constitution du 2 avril 1976 confirme la distinction qu'il convient
d'établir entre l'''aliénation'' et la "délimitation" de territoire dans la
mesure où celte Constitution reprend les dispositions de l'article 2
al. 1er de la Constitution de 1933 relatives à l'aliénation de territoi-
res (art. 5, 2e) auxquelles s'ajoutent celles qui traitent séparément
des délimitations de territoire (art.S, 3 et 164), voir La Documenta-
tion française, NED, N" 4387-4388 du 2juin 1977. Notons enfin que,
comme dans nombre de systèmes juridiques nationaux, la pratique
des accords en forme simplifiée a précédé et préparé, ainsi qu'au
Portugal, une consécration formelle et constitutionnelle.
563
Il en va ainsi du droit français qui établit une nette distinction entre
\\cs accords du type de celui du 26 avril19GO qui opère une délimitation de
frontière maritime ct ceux qui, comme le prévoit J'article 53 de la Consti-
tution française de 1958, "comportent cession, échange ou adjonction de
territoire" et qui, pour être valables, nécessitent en principe "le consente-
ment des populations intéressées".
L'accord du 26 avril ne peut être rangé parmi les accords qui, selon le
même article 53, doivent être "ratifiés" ou "approuvés" "en vertu d'une loi".
S'agissant du défaut de publication qui a pu être observé dans l'ordre
interne portugais, il faut préciser qu'il ne s'est heurté à aucune règle cons-
titutionnelle portugaise durant la période de la conclusion et de l'entrée
en vigueur de l'accord. L'obligation de la publication n'a en effet été posée
qu'ultérieurement dans les dispositions de l'article 8 de la Constitution
portugaise de 1976. Avant cette date, il revenait à un décret du 7 décembre
1955 de confier à l'Imprimerie Nationale la tâche de publier les textes des
actes internationaux.
Mais le défaut de publication ne fait pas obstacle, en droit internatio-
nal, à la validité internationale de l'accord qui, en l'espèce, déploie sa
Ainsi c'est en 1971 que l'art. 1ü9-2e y pourvoit en disposant qu'''il
appartient au Gouvernement... d'élaborer des décrets lois et d'ap-
prouver les traités ou accords internationaux qui traitent de matiè-
res législatives ou de sa compétence"; c'est nous qui soulignons.
564
force obligatoire vis-à-vis de ['Etat portugais dans une première phase
puis, ultérieurement vis-à-vis de la Guinée-Bissau. Il est en effet établi, en
droit positif que la publication des traités dans l'ordre interne d'un Etat
est seulement destinée à conditionner leurs effets dans cet ordre juridique.
De son côté, la partie sénégalaise tient pour valide l'accord du 26 avril
1960 et ne lui trouve aucun vice de forme comme de fond, que seul l'Etat
français pourrait au demeurant invoquer, précisément lorsqu'il s'agit d'un
vice du consentement autre que celui résultant de la violation d'une norme
du jus cogens (339).
(339) - La CVDT s'y est clairement prononcée en disposant dans son arti-
cle 46 que:
"Le fait que le consentement d'un Etat à être lié par
un traité a été exprimé en violation d'une disposition
de son droit interne concernant la compétence pour
conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat
comme viciant son consentement, à moins que cette
violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle
de son droit interne d'importance fondamentale".
S'agissant du Jus Cogens, voir les articles 53 et 64 de la Convention
ainsi que, pour ce qui touche la procédure à suivre, lorsqu'une
cause de nullité est invoquée, les articles 65 (qui renvoie à l'article
33 de la Charte des Nations Unies) et 66.
565
On aurait pu ajouter, sans que cela ne soit nécessaire au strict regard
de l'appréciation de la force juridique obligatoire d'un accord déjà valide
et en vigueur dès sa signature, que celui-ci a fait l'objet d'une publication
aussi bien dans le Journal Officiel de la République française du 31 mai
1960 que dans celui de la Communauté en date du 15 juin 1960 ou encore
dans celui de la Fédération du Mali du 20 août 1960.
La Guinée-Bissau, qui conteste la validité de l'accord de 1960, ne
saurait reprocher au Portugal d'avoir violé une norme du jus cogens si ce
n'est en tentant de lui opposer le respect du droit à l'autodétermination du
peuple bissau-guinéen au moment de la conclusion de l'accord. L'affirma-
tion d'un tel droit aurait pour objet la prise en compte de l'ensemble des
intérêts économiqucs inscrits dans les espaces maritimes revendiqués, à
partir seulement de 1977, par la Guinée-Bissau et que le Portugal aurait,
dix-sept ans plus tôt, bradés par malveillance, au détriment des popula-
tions guinéennes coloniales.
Mais le droit à J'autodétermination de l'Etat ou du peuple bissau-
guinéen ainsi élevé au rang d'une norme du jus cogens ne saurait être
considéré comme ayant été violé par le Portugal pour un tel motif.
D'abord, parce qu'aucun Etat ne pouvait, mieux que le Portugal, sau-
vegarder les intérêts de la Guinée portugaise alors considérée, depuis
1951, comme une province d'outre-mer du Portugal, et donc comme une
partie intégrante de l'Etat portugais.
Ensuite, parce que le processus d'acquisition de l'indépendance par la
lutte armée ne s'est déclenché en Guinée portugaise que bien après la
566
conclusion de J'accord de 1960, précisément en 1963 (340) et q'ue la Gui-
née- Bissau ne saurait donc prendre en compte, pour les contester, des
situations juridiques qu'a consolidées sans ambiguïté une longue pratique
de reconnaissance, aussi bien de la part de la puissance administrante que
de celle de l'organisation guinéenne qui a mené contre le Portugal une
guerre de libération nationale. Le droit à l'autodétermination qui s'affir-
me aussi à travers la mise en oeuvre de la souveraineté permanente des
Etats sur leurs richesses et ressources naturelles a donc bien eu à s'exercer
effectivement, à travers l'exemple de l'accession à l'indépendance du nou-
vel Etat de Guinée- I3issau, dans le cadre des données objectives héritées
de la colonisation, précisément celles qui délimitent l'espace territorial et
maritime sur lequel s'est substituée la souveraineté bissau-guinéenne à
celle du Portugal.
Si l'on a pu ainsi établir que l'accord du 26 avril 1960 est un accord
valide, il restera à déterminer de quelle manière cet accord s'impose éven-
tuellement aux parties au différend par le biais de la succession.
- DE LA SUCCESSION A L'ACCORD DU 26 AVRIL 1960
Le problème ici directement posé est celui de savoir si l'accord de
délimitation de la frontière en mer, que l'on vient de considérer comme
valide, s'impose aux parties par voie de succession.
(340) - C'est également la date qui a été retenue par Tribunal arbitral
chargé de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée
et la Guinée-Bissau; voir Sentence du 14 février 1985, parag.30.
567
La réponse qu'il convient d'apportcr à cette question n'est pas des
plus aisées. En effet, on ne saurait envisager de dire, même s'il s'agit d'une
opinion très répandue au niveau de la doctrine, que l'accord de délimita-
tion, parce que jugé valide, s'impose aux nouveaux Etats bissau-guinéen et
sénégalais et que ces derniers y auraient obligatoirement succédé dans la
mesure où il s'agit d'un traité établissant une frontière. Une telle affirma-
tion reposerait sur un postulat selon lequel la succession aux traités de
frontière est une succession obligatoire et de plein droit. Ce postulat tra-
duit aussi l'idée entretenue dans la doctrine et selon laquelle les traités de
frontière constituent une exception à l'application du principe de la table
rase. Un tel postulat, qui devra évidemment demeurer non démontré, re-
pose en réalité sur une appréciation inexacte de la pratique et une.lecture
sans doute erronée du droit successoral contemporain comme nous avons
déjà tenté de l'indiquer.
Si donc il peut être clairement établi que le Sénégal, qui a continuel-
lement considéré que la limite des 240· d'azimut du Cap Roxo formait sa
frontière maritime avec la Guinée-Bissau, a succédé, à l'échange de lettres
du 26 avril 1960 notamment à travers la note, déjà citée, diffusée le 20
février 1960 par le Ministre sénégalais des Affaires étrangères et qui affir-
me la reconnaissance des "conventions bilatérales d'ordre territorial inté-
ressant le Sénégal", une aussi nette déclaration de succession semble faire
défaut du côté de la partie bissau-guinéenne.
Il demeure cependant que le recours à d'autres formes de reconnais-
sance indirecte de la frontière des 2400 telle qu'elle a été délimitée par
l'accord de 1960 peut être imputée à la partie guinéenne. Nous tenterons
de le montrer dans la rubrique suivante.
568
Il convient dès à présent, en l'absence d'une preuve tangible établis-
sant la succession de la Guinée-Bissau à l'accord du 26 avril 1960, de
renoncer à la considérer comme liée de plein droit par cet accord du fait
d'une prétendue succession automatique découlant de l'objet même de
l'accord, celui d'opérer une délimitation de frontière.
En effet, comme il ressort des développements déjà consacrés dans ce
même chapitre et dans celui relatif à l'étude de la codification des règles
successorales, le droit international cohtemporain en affirmant le principe
de la table rase dans le cadre des successions par décolonisation et, en
l'appliquant à tous les traités sans exception aucune, confirme la liberté du
nouvel Etat que fonde le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes d'enta-
mer son existence internationale libre de tout engagement souscrit par son
"p rédé cesseu r".
Cette liberté de repousser les traités antérieurs, y compris ceux éta-
blissant des frontières est celle que s'emploie à respecter la Convention de
Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités, précisément en ses
articles Il et 16 (341).
(341) - Rappelons que l'article 16 détermine selon la règle qu'il énonce, la
position du /louvel Etat à l'égard des traités de l'Etat prédécesseur.
Selon les termes de cet article :
"Un Etat nouvellement indépendant n'est pas tenu de
maintenir un traité en vigueur ni d'y devenir partie du
569
Mais la liberté du nouvel Etat de ne pas se considérer comme lié par
les traités antérieurs à son accession à l'indépendance, y compris ceux
établissant des frontières, ne saurait empêcher la reconnaissance et le
maintien de telles frontières pour divers motifs parmi lesquels celui qui
tient dans l'exigence du maintien de j'identité du territoire objet d'une
mutation de souveraineté dans tous les cas de succession.
Ces raIsons expliquent qu'il convIenne d'explorer d'autres voies qui
soient plus propres, dans le cas d'espèce, à conduire à la reconnaissance
de l'opposabilité de la frontière telle qu'elle existait au moment de l'indé-
pendance de la Guinée- l3issau, en plus de celle qui s'ouvre avec tout
mécanisme de succession et qui oblige à prendre en compte l'ensemble du
territoire objet de la mutation de souveraineté.
seul fait qu'à la date de la succession d'Etats le traité
était en vigueur à l'égard du territoire auquel se rap-
porte la succession d'Etats";
alors que l'article Il, qui figure parmi les dispositions générales de
la Convention, ne fait que sauvegarder les frontières établies par
des traités, étant entendu que ces derniers ne sont pas soustraits de
l'application du principe de la table rase. Selon les dispositions de
cet article:
"U ne succession d'Etats ne porte pas atteinte en tant
que telle
a) à une frontière établie par un traité; nI
b) aux obligations et droits établis par un traité et se
rapportant au régime d'une frontière".
570
Ces voies sont nombreuses ct il convient à présent de les explorer:
- DU MAINTIEN DE LA FRONTIERE MARITIME
TELLE QUE DEUMITEE PAR L'ACCORD DU 26 AVRIL 1960
On pourrait tout d'abord rappeler que selon le droit positif, lorsque se
produit une succession d'Etats, le territoire objet de la mutation de souve-
raineté doit demeurer rigoureusement identique au moment de cette mu-
tation et immédiatement après, à ce qu'il était immédiatement avant.
Le maintien de cette identité de territoire, nécessaire pour que puisse
s'opérer la mutation de souveraineté, ne saurait dépendre uniquement de
l'existence d'un traité de délimitation jugé valide. S'il devait en être ainsi,
nombre de cas de succession connus, survenus notamment par dêcolonisa-
tion, seraient parfaitement irréalisables dans la mesure où les frontières
délimitant les territoires concernés par les différentes mutations de souve-
raineté n'ont pas toujours été fixées par des traités ou, lorsque ces traités
existent, ils peuvent ne pas être valides ou enfin, lorsqu'ils existent et sont
valides, le principe de la table rase peut leur être appliqué, à l'exclusion
toutefois des dispositions relatives au régime frontalier qu'ils établissent.
Voilà pourquoi il n'est pas nécessaire, dans le cas d'espèce, qu'existe
un traité lnternational valide entre le Portugal et la France s'il ne peut
être établi que la Guinée-Bissau a succédé à un tel traité. En effet, la
frontière entre Etats antérieurement colonisés peut n'avoir pas été définie
par un traité et exister néanmoins selon d'autres procédés lorsque sa réali·
té découle notamment de limites administratives tracées par un même
souverain colonial, d'une coutume ou encore d'une pratique de puissances
coloniales consolidée de part et d'autre d'une ligne reconnue comme étant
571
une frontière internationale.
Ainsi il nous paraît suffire, et il s'agit là de notre premier argument,
que la frontière en mer entre le Sénégal et la Guinée-Bissau ait bien existé
au moment où celle-ci accède à l'indépendance, pour que cet Etat, qui n'a
pu devenir indépendant que dans les limites du territoire de l'ancienne
Guinée portugaise, soit tenu au respect des frontières de ce territoire.
Le Professeur A. GONCALVEZ PEREIRA a pu écrire à ce sujet:
"l'obligation pour le nouvel Etat de reconnaître les frontières
fixées par le prédécesseur pour le territoire faisant l'objet de
la mutation territoriale étant constante dans la pratique et ne
se heurtant à aucune opposition de la doctrine, il est donc
superflu d'en fournir des exemples" (342).
L'auteur appuie en réalité son opinIOn sur l'idée selon laquelle la
mutation de souveraineté qui s'opère sur un territoire donné exprime en
quelque sorte une dévolution de territoire que le Professeur Mario BET-
TATI devait à son tour décrire en ces termes:
"Le territoire est dévolu à l'Etat nouveau sur la base des fron-
tières préexistantes indépendamment de la procédure qui a
(342) - A. GONCALVEZ PEREIRA, la succession d'Etats en matière de
tra ité, Préci té, pp. 109-11 O.
572
été SUIVie pour établir ces frontières, que ce soit un traité
international, une loi interne, un acte unilatéral" (343).
C'est ainsi qu'on peut conclure avec le Professeur A. GONCALVEZ
PEREIRA qui considère qu'en définitive, "la délimitation de frontière
constitue une donnée dans la théorie de la succession d'Etats" (344) et
appuie son propos par une réflexion de O.-P. O'CONNELL qui va même
plus loin en affirmant que le fait pour le successeur d'être lié par les fron-
tières antérieures n'est pas lin problème de succession d'Etats et, encore
moins, de théorie des traités (345).
(343) - M. BETTATI, "Souveraineté et succession d'Etats", in, La souverai-
neté au XXe siècle, Paris, A. Colin, 1971, p. 66.
(344) - A. GONCALVEZ PEREIRA, op. cit., p. 111.
(345) - O.-P. O'CONNELL, The law of State succession, Cambridge, 1956,
p. 49. Le Professeur GONCAL VEZ PEREIRA considère en effet
que:
"Les traités de frontière sont en général des traités
d'une nature hautement politique... (et) peuvent con-
tenir d'autres dispositions ne se rapportant pas aux
frontières" avant d'ajo'uter que "le maintien indiscuta-
ble de la frontière n'implique pas en soi la validité
des autres clauses du traité attendu que, du fait que
le traité est considéré comme offrant un caractère
hautement
politique,
il
ne
s'opère
pas
né-
cessairement de dévolution successorale" op. cit., p.
112.
573
CAVAGLIERI et WINIAR5KI s'étaient depuis longtemps déjà pro-
noncés dans ce sens lors lies travaux lie l'Institut du Droit International.
Selon CAVAGLIERI, "lorsqu'un Etat a des frontières reconnues, le
traité qui les a fixées n'a plus qu'une valeur historique. Le territoire, déli-
mlté par elles, fait partie de l'Etat, qui y exerce sa souveraineté de jure et
de facto(346). L'auteur conclut cependant par J'affirmation que nous ne
pouvons partager, de la survivance lies traités de frontière. Une telle con-
clusion découle liu fait que ['auteur ne distingue pas nettement, comme
WINIARSKI, le problème du respect des frontières de celui de la dévolu-
tion ou du sort des traités ayant servi à les établir.
En effet, selon WINIARSKI, lorsqu'une frontière a été établie par un
traité dont les dispositions ont été exécutées et par-là même consommées,
cette frontière
"existe non pas en vertu d'un traité à effet continu, mais sim-
plement parce que le territoire ainsi délimité fait partie de
l'Etat en question que cet Etat y exerce sa souveraineté de
facto et de jure et que cette situation juridique est opposable à
tous" (347).
(346) - Rapport à l'Institut de Droit International, Annuaire de l'Institut de
Droit International, 1931, p. 255.
(347) - WINIAR5KI, Annuaire de l'Institut de Droit International, 1931, pp.
238-239. L'auteur devait aussi ajouter:
574
Commentant ces propos, le Professeur GONCALVEZ PEREIRA de-
vait enfin souligner que :
"si nous nous souvenons que, pour la conception moderne des
titres d'acquisition territoriale, cc n'est pas le traité de fron-
tière qui fait surgir la souveraineté de l'Etat sur le territoire
délimité, mais bien l'application du principe de l'effectivité,
nous devons conclure qu'il s'agit là de la bonne doctrine"
(348).
On peut en conclusion admettre qu'une succession d'Etats ne peut en
tant que telle porter atteinte à une frontière et que la mutation de souve-
raineté qui s'opère sur un territoire est conditionnée par le maintien de
l'identité de ce territoire et donc par un gel momentané de ses frontières
au moment de cette mutation.
Il semble toutefois que le maintien de telles frontières au-delà de la
succession d'Etats doit appeler un fondement différent, que le droit positif
"Le traité qui avait fixé la frontière n'a désormais
qu'une valeur historique. En cas de doute sur le tracé
exact de cette frontière, il peut être invoqué comme
document; s'agit-il de savoir si la portion contestée
du territoire appartient en droit à un Etat, alors il
constitue une preuve; mais c'est tout", ibidem.
(348) - Op. cil., p. 114.
575
et la jurisprudence internationale trouvent dans des impératifs de stabili-
té, de sécurité et de paix dans les rapports internationaux qui constituent
la substance de notre deuxième argument.
La nécessité d'un règlement frontalier stable a été à plusieurs reprises
soulignée par les tribunaux internationaux, en particulier par la Cour In-
ternationale de Justice, notamment dans SOli arrêt rendu le 15 juin 1962
dans l'affaire du Temple de Préah Vilzear. La Cour estima en l'espèce que:
"D'une manière générale, lorsque deux pays définissent entre
eux une frontière, un de leurs principaux objectifs est d'arrê-
ter une solution stable et définitive. Cela est impossible si le
tracé ainsi établi peut être remis en question à tout moment
sur la base d'une procédure constamment ouverte, et si la rec-
tification peut être demandée chaque fois que l'on découvre
une inexactitude par rapport à une disposition du traité de
base" (349).
Cette jurisprudence a été par la suite plusieurs fois confirmée notam-
ment par la sentence du Tribunal arbitral rendue dans l'affaire du Canal
de Beagle entre l'Argentine et le Chili (350) et par la décision de la c.u.
(349) - C.U., Recueil 1962, p. 34.
(350) - Sentence arbitrale du 18 avril 1977, International Law Reports,
vo1.52, parag. 18.
576
rendue le 19 février 1978 à propos de l'affaire du Plateau continental de la
Mer Egée opposant la Grèce et la Turquie (351).
Elle est aujourd'hui considérée comme une jurisprudence remarqua-
ble bien établie en matière de délimitation de frontière aussi bien terres-
tre que maritime.
Cet impératif de stabilité apparaît ainsi comme un principe qui impo-
se, au-delà de la succession d'Etats, le respect des frontières établies. Et il
importe ici de préciser, en particulier dans l'affaire Guinée Bissau/Séné-
gal, qu'un tel principe s'applique avant tout aux frontières en tant que
teUes, qu'elles reposent ou non sur un titre juridique jugé valable. Il suffit
, qu'elles aient seulement acquis, du fait de l'effectivité, une existence re-
connue.
L'argument de la stabilité et de la paix n'exclut pas cependant l'hypo-
thèse parfaitement envisageable où deux Etats décident d'un commun ac-
cord, et en dehors de tout motif directement lié à la succession d'Etats,
d'apporter quelques modifications à leurs frontières communes.
(351) - La Cour affirma en l'espèce ce qui suit
"Qu'il s'agisse d'une frontière terrestre ou d'une limite de pla-
teau continental, l'opération de délimitation entre Etats voi-
sins est essentiellement la même: elle comporte le même élé-
ment inhérent de stabilité et de permanence...",
CIl, Recueil 1978, parag.85.
577
L'exigence de stabilité posée en faveur des solutions retenues en ma-
tière de délimitation de frontière se double, dans le contexte africain, et il
s'agit là de notre troisième argument, du principe de l'intangibilité qui la
prolonge par le moyen d'un engagement des nouveaux Etats de respecter à
partir de leur accession à l'indépendance et pour l'avenir, l'ensemble de
leurs frontières héritées de la colonisation.
Dès lors, le principe de l'intangibilité peut parfaitement bien être in-
voqué en vue d'opposer à la Guinée-Bissau la frontière en mer des 240°
dont elle conteste le tracé.
En effet, déjà dans sa Déclaration d'indépendance du 24 septembre
1973 (352), l'Etat souverain de Guinée-Bissau reconnaissait ses limites
territoriales dans celles de l'ancienne Province portugaise de Guinée in-
cluant ses parties maritimes correspondant à sa mer territoriale (353).
(352) - Texte de la Déclaration publié dans Le Soleil du 28 septembre
1973.
(353) - En termes techniques la Déclaration délimite le territoire bissau-
guinéen comme suit:
"Les frontières de l'Etat de Guinée-Bissau délimitent le terri-
toire dont la surface est située dans l'hémisphère Nord entre
12°20' et 10°59' de latitude et entre 16043' et 13090' de longi-
tude-Ouest, c'est-à-dire entre la République de Guinée (au
Sud et à l'Est) et l'Océan Atlantique (à l'Ouest)".
578
Selon les termes de cette Déclaration
" Ce territoire est composé d'une partie continentale, d'un
cordon d'îles côtières et de l'Archipel de Bissagos avec toutes
scs îles. Il couvre une superficie terrestre de 36.125 km2 et les
eaux territoriales respectives, ce qui correspond à la superfi-
cie dc la région désignée, dans le passé, comme une colonie
de la Guinée portugaise".
La Déclaration confirme ainsi l'adhésion de la Guinée-Bissau à
l'application aux frontières en mer du principe de l'intangibilité quelle
que soit par ailleurs la différence de statut entre l'espace terrestre et les
autres zones maritimes. Il apparaît clairement qu'en mentionnant les
"eaux territoriales respectives" des différentes composantes de l'ancienne
Guinée portugaise, la Déclaration non seulement se réfère, indirectement,
à la frontière en mer des 240' sur toute la largeur des eaux territoriales,
mais fait surtout appel au principe de l'intangibilité tel qu'il a été procla-
mé par j'O.U.A. notamment dans sa résolution AHG/Rés. 16 (I) adoptée
en 1964.
Cette reconnaissance de l'applicabilité en mer du principe de l'intan-
gibilité des frontières ne saurait, sans risque de contradiction, répondre
aux besoins de paix et de stabilité et manquer, dans le même temps, de
s'étendre aux plateaux continentaux des deux Etats côtiers voisins. La
C.IJ. s'est nettement prononcée dans ce sens dans les affaires du Plateau
579
continental (Tunisie/Libye) (354) et ùe la Délimitation de la frontière mari-
(354) - Dans cette affaire, la Tunisie a soutenu, dans son Mémoire relatif à:
la ligne ZV 45 0, que le principe de l'intangibilité s'appliquait en l'espèce·
alors qu'il s'agit ù'une délimitation maritime (CU, Recueil 1982, p. 100). ;
Ce point de vue a été confirmé par l'opinion individuelle, da os la même:
1
affaire, du juge ad hoc Jiménez de ARECHAGA qui rappela que la Réso- 1
1
lution adoptée cn 1964 par les Etats africains sur l'intangibilité:
"ne s'applique pas seulement aux frontières établies par trai- i
tés ou en terre ferme ... (mais) vise aussi les arrangements i
frontaliers et même les compromis tacites concernant les 1
frontières maritimes qui séparent les zones de pêcheries sé- i
dentaires" (ibid. parag. 100).
Revenant au cas d'espèce, le Juge ad hoc devait conclure en soutenant que:
"Les principes de droit international relatifs à l'uti possidetis 1
des frontières africaines et à la succession d'Etats en matière 1
1
,
de délimitations frontalières s'appliquent aussi à la délimita- i
i
tion des pêcheries d'éponges effectuée à l'époque coloniale, !
ainsi que la Tunisie l'a soutenu dans son Mémoire du 3 mai 1
1
1976 au sujet de la ligne ZV 45°0 (ibid., parag. 101-102) !
580
time dans la région du GolJe du Maine (Canada/Etats-Unis) (355).
En outre, la Guinée-Bissau en tant que membre de l'OUA ne peut
manquer d'être liée par le droit de l'Organisation panafricaine qui réserve
une place importante au principe de ['intangibilité des frontières colonia-
De même, le juge AGO, dans son opinion individuelle au sujet de la même
affaire, soutint qu'une délimitation allant au delà de la mer territoriale a
bien existé avant l'indépendance des deux pays et devait ainsi être consi-
dérée "comme une donnée de base, s'imposant aux Parties après l'indé-
pendance" (ibid., p. 95).
La Cour, quant à elle, prit en compte la comportement des puissances
coloniales qui fit naître un modus vivendi que les Parties au litige ont
continué dans les faits à respecter après leur indépendance. Mais la Cour a
manqué ici d'être suffisamment explicite sur la question de l'application
du principe de l'intangibilité.
(355) - Dans cette affaire, la Chambre de la Cour donna une interprétation
de l'arrêt rendu dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Libye) dans
un sens qui confirme l'opinion de la Cour selon laquelle, en ['espèce, la
Tunisie et la libye ont continué après leur accession à l'indépendance à
respecter le modus vivendi découlant du comportement de la France et de
l'Italie, Puissances antérieurement responsables des affaires extérieures
581
les dont le contenu a été précisé par la Résolution du Caire du 21 juillet
1964. Ainsi, même si l'appréciation de la portée juridique de ce principe
ne devait lui reconnaître qu'une valeur de règle coutumière locale, le prin-
cipe de l'intangibilité serait néanmoins opposable à la Guinée-Bissau qui
non seulement a adhéré à l'OUA sans émettre de réserve touchant l'affir-
mation du principe, mais a surtout exprimé, en fait, son accord à ce
principe dans la pratique qu'elle a mise à jour, comme nous l'avons déjà
signalé, depuis son accession à l'indépendance jusqu'à la date de sa con-
testation,' en 1977, de l'accord du 26 avril 1960.
De même, l'affaire de la Délimitation de la frontière maritime entre la
Guinée et la Guinée Bissau tranchée par la sentence arbitrale du 14 février
1985 ainsi que les positions défendues par la Guinée-Bissau dans cette
affaire, indiquent on ne peut plus clairement que la Guinée-Bissau recon-
naît que les délimitations maritimes sont des frontières et que le principe
de l'intangibilité s'applique à de telles frontières maritimes.
En effet, le Compromis d'arbitrage signé à Bissau le 18 février 1983
(356) par la Guinée et la Guinée-Bissau rappelle expressément:
de la Tunisie et de la Tripolitaine. Un respect qui semble bien traduire
l'application par les deux nouveaux Etats indépendants du principe de
l'intangibilité d'une délimitation maritime, voir CIl, Recueil 1984, p. 246,
parag. 50.
(356) Tribunal arbitral pour la délimitation de la frontière maritime Gui-
née/Guinée-Bissau, Sentence du 14 février 1985, p. 6.
582
"la déclaration solennelle de la réunion des chefs d'Etat et de
gouvernement de l'Organisation de l'unité africaine tenue au
Caire du 17 au 21 juillet 1964, au cours de laquelle les Etats
membres firent le serment de respecter les frontières existant
au moment où ils ont accédé à l'indépendance",
et proclame le SOUCI des gouvernements des deux pays,
"de trouver une solution fraternelle à la question de la délimi-
tation de lajrontière maritime entre le République de Guinée-
Bissau ct la République populaire révolutionnaire de Guinée
dans les meilleurs délais" (357).
Enfin,
le comportemant des Parties initiales à l'accord du 26 avril 1960,
comme celui des parties au différend,
pourrait être surabondamment invo-
qué en vue d'établir,
comme nous l'avions déjà esquissé dans l'exposé
de la genèse du différend, qu'il existe depuis 1960 une pratique constante
et concordante des Parties, qui révèle l'existence d'une frontière maritime
d'azimut 240' du Cap Roxo entre le Sénégal et la Guinée-Bissau.
En effet, avant j'accession de la Guinée-Bissau à l'indépendance en
1973, la pratique des deux souverains territoriaux, le Portugal et le Séné-
gal, en matière de délivrance de permis ou d'attribution de concessions a
toujours respecté, de la façon la plus rigoureuse, la ligne divisoire d'azi-
(357) - Ibid., c'est nous qUi soulignons.
583
mut 2400 du Cap Roxo de part et d'autre de laquelle ont été répartis les
périmètres couverts par les permis et concessions accordés (358).
Après j'indépendance de la Guinée-Bissau, le Sénégal a continué à
porter le même respect à la ligne des 2400 toujours considérée comme
constituant sa frontière avec la Guinée-Bissau. Cette dernière ne fit avant
1977, année de sa contestation du tracé établi par l'accord de 1960, aucune
réserve ou objection devant la pratique prolongée du Sénégal qui concor-
de avec celle naguère mise en oeuvre par le Portugal autour de la recon-
naissance d'une ligne divisoire d'azimut 2400 du Cap Roxo. Ce qui doit
pouvoir être interprété, à l'encontre de la Guinée-Bissau, comme un as-
sentiment tacite au comportement de l'Etat prédécesseur.
(358) - Le Portugal accorda deux concessions à une Compagnie pétrolière
en 1966 et en 1973 qui ont été toutes deux publiées; voir le décret na
46.878 du 19 février 1966 autorisant le Ministre d'Outre-Mer à signer un
nouveau contrat de concession avec Esso Exploration Guiné, Inc., publié
dans le Diario do Govcrno de la métropole en date au 19 février 1966,
Série 1, na 42, p. 253, et également dans le Bolctim Oficial de la Guinée
portugaise du 22 mars 1966, na 12, 2è supplément, p. 5; et le décret 16-73
du 13 janvier 1973 autorisant le Ministre d'Outre-Mer à signer un nouveau
contrat de concession avec Esso Exploration Guiné, Inc., Bolctim Oficial
da Guinéa du 29 mai 1973, na 22, p. 377. Ce même Bolctim Oficial a même
continu'é de publier, au-delà de ['indépendance de la Guinée-Bissau, d'au-
tres actes relatifs à la concessions de 1973.
5&4
Bien plus nettement encore, la Guinée-Bissau s'est engagée en 1984,
donc bien après la naissance du différend, dans des activités menées par
l'entreprise publique chargée des opérations en matière
d'hydrocarbure
en Guinée-Bissau; activités matérialisées par la conclusion d'un accord
avec un Consortium de sociétés pétrolières qui couvre une zone dont la
limite Nord-Ouest épouse sans défaillance la direction de l'azimut des
2400 du Cap Roxo (359).
Il paraît donc clairement résulter de cette pratique, qui est vraisem-
blablement bien plus riche que ce qui vient d'en être analysé que, d'une
part, un accord informel ait été conclu entre le Sénégal et le Portugal, dans
la période 1960-1973, autour de la reconnaissance d'une ligne divisoire de
facto correspondant à l'azimut des 2400 du Cap Roxo et que, d'autre part,
un accord tacite entre le Sénégal et la Guinée-Bissau se soit constitué sur
la même ligne divisoire entre 1973 et 1977.
La coincidence entre cette ligne divisoire des 2400 et celle établie par
l'accord du 26 mars 1960 paraît suffire à prouver que la frontière retenue
dans cet accord est la seule qui corresponde à la réalité d'une ligne divisoi-
re en mer à laquelle se sont toujours référés les souverains territoriaux
dans l'exercice de leurs compétences respectives.
(359) - Cf., l'accord de participation du 9 février 1984 conclu entre Petro-
minas, l'entreprise publique en question et le Consortium dirigé par Elf
Aquitaine; voir Lettre Afrique Energies du 17 septembre 1984, na 27, ex-
traits publiés dans Oil & Gas Journal du 20 février 1984.'
1
585
Ainsi, même à supposer qu'il n'existe pas de traité de délimitation
valide entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, la frontière maritime d'azimut
2400 du Cap Roxo n'en existe pas moins et découle d'un accord informel
entre le Portugal et le Sénégal. A ce titre, non seulement, cette frontière
ne saurait être affectée par la seule survenance d'une succession d'Etats,
mais encore le principe de l'intangibilité des frontières viendrait en impo-
ser le respect à la Guinée-Bissau.
De même, l'accord tacite entre le Sénégal et la Guinée-Bissau qUi
reconnaît cette frontière en impose directement le respect à ces deux
parties.
A l'issue de cette brève étude d'un aspect important du différend fron-
talier entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, les conclusions suivantes sem-
blent pouvoir être tirées.
1. Le problème du maintien de la frontière en mer d'azimut
2400 du Cap Roxo entre le Sénégal et la Guinée-Bissau ne
dépend pas nécessairement de celui de la validité de l'accord
du 26 avril 1960 délimitant la frontière en mer entre ces deux
pays. Ce dernier problème n'est utile à prendre en considéra-
tion que si la preuve peut être apportée que la Guinée-Bissau
a effectivement succédé à l'accord de 1960.
2. A défaut d'une telle preuve de succession de la part de la
Guinée-Bissau, il conviendra de s'orienter vers la solution du
maintien de la frontière, appuyée sur d'autres motifs qui
devraient autoriser:
586
a) un maintien momentané de la frontière maritime justifié
par la mise en oeuvre du mécanisme même de la succession
d'Etats dans la mesure où le maintien de j'identité du territoi-
re objet d'une mutation de souveraineté est unc condition né-
cessaire de toute succession d'Etats,
b) un maintien plus durable de cette frontière parce qu'inscrit
dans un engagement pour l'avenir et qui découle de l'applica-
tion il la Guinée-Bissau du principe de l'intangibilité des fron~ .
tières coloniales, même en ce qui conccrnc Ics délimitations
en mer.
4, Surabondamment, le comportement notoire des souverains
territoriaux, anciens et actuels, permet d'invoquer:
a) L'existence d'un accord informel entre le Portugal et le
Sénégal établi dans la période inscrite entre 1960 et 1973 et
reconnaissant comme frontière maritime entre les deux Etats
la ligne des 240' d'azimut du Cap Roxo, permet de considérer
que la Guinée-Bissau a accédé à l'indépendance dans les limi-
tes de frontières comprenant celle, en mer, des 240', Frontiè-
re à laquelle une succession d'Etats en tant quc telle ou,
mieux, l'application du principe de la table rase en matière de
traité, ne saurait porter atteinte, alors qu'en revanche, l'appli-
cation du principe de l'intangibilité viendrait, à partir de
1973, consolider une telle frontière,
b) L'existence d'un accord tacite entre la Guinée-Bissau et le
Sénégal établi dans la période allant de 1973 à 1977,année de
587
la première contestation par la Guinée-Bissau du tracé de la
frontière maritime. Un tel accord s'inscrit dans la continuité
de l'accord précédent conclu entre le Portugal et le Sénégal
qu'il confirme à travers notamment l'assentiment donné par
la Guinée-Bissau à ce dernier accord lequel établit la réalité
d'une frontière en mer d'azimut 2400du Cap Roxo.
4. Or, l'accord de délimitation du 26 avril 1960 existe bien et
doit être considéré comme valide. Si cet accord apporte ainsi'
la preuve de l'existence d'une frontière des 2400 d'azimut du
Cap Roxo teUe que cette preuve nous semble ressortir du
comportement notoire des. souverains territoriaux depuis
1960, y compris la pratique subséquente de la Guinée-Bissau,
plus aucun doute ne devrait être permis sur l'opposabilité de
la frontièreà'cet Etat, en vertu du principe de l'intangibilité
des frontières..issues de la colonisation.
Cette étude de la pratique de continuité volontaire relative aux traités
bilatéraux et qui prend fin à présent, se justifie, osons-nous J'espérer, par
l'importance du débat doctrinal qui s'est instauré autour du problème très
discuté de la transmissibilité de certaines catégories de ces traités. Un
débat d'une telle ampleur a quelque peu fait défaut en ce qui concerne les
traités multilatéraux dont l'accès par les nouveaux Etats obéit générale-
ment à des règles spécifiques aux institutions qui ont produit ces traités ou
qui en sont régies.
L'étude de la pratique relative à ces traité~,dont certains aspects ont
pu être examinés dans le cadre de l'analyse et l'appréciation des méthodes
588
successorales en général et, des déclarations unilatérales en particulier,
sera en conséquence moins étendue.
PARAGRAPHE II - Les traités multilatéraux
La conception volontariste exprimée dans la pratique des Etats nou-
veaux et, en particulier dans celle des Etats africains en matière de succes-
sion, ne distingue pas fondamentalement entre traités bilatéraux et traités
mul tiJatéraux. La liberté de j'Etat nouveau de ne pas succéder aux traités
et qui, s'exprime à travers le principe de la table rase est demeurée la
même vis-à-vis des deux catégories d'accords.
On constate cependant que les Etats africains ont bien souvent préfé-
ré continuer à se considérer, après leur accession à l'indépendance, com-
me liés par de nombreux traités généraux. Une telle continuité successora-
le, qui ne laisse pas d'être volontaire, a été favorisée par la mise en oeuvre
de procédures spécifiques d'acceptation globale, de confirmation ou de
nouvelle adhésion.
Cette forme de succession "organisée" est généralement due à l'initia-
tive des dépositaires des conventions multilatérales générales ou des con-
ventions relatives aux organisations internationales comme les actes cons-
titutifs ou les conventions élaborées par ces organisations. Ce qui ne sau-
rait toutefois pas conduire à ignorer l'importance non négligeable des dé-
clarations spontanées de continuité faites parfois par les nouveaux Etats.
Il conviendra ici d'examiner, dans ses orientations majeures, la prati-
que africaine relative aux conventions multilatérales générales, aux char-
589
tes constitutives des organisations internationales et aux conventions con-
clues par les organisations ou en leur sein.
I- Les conventions multilatérales générales.
La succession aux conventions multilatérales générales, parfois dé-
nommées "traités-lois" (360) ne semble pas se heurter dans la pratique, à
de véritables difficultés. Sa mise en oeuvre paraît même relativement ai-
sée du fait notamment du caractère moins "personnalisé" de telles conven-
tions.
Dans la pratique des Etats africains, la volonté d'assurer une continui-
té relativement large s'est assez nettement affirmée en ce qui concerne
cette catégorie de traités. La liste établie par le Ministère des Affaires
étrangères du Sénégal après l'indépendance de ce pays, et déjà mention-
née, fait état d'une reconnaissance de principe des "traités-lois" sous réser-
ve toutefois de l'exercice d'une droit d'adhésion formelle.
(360) - Voir C.W. JENKS, "State succession in respect of Law-making trea-
ties", BYIL, 19S2, pp. lOS et s.. L'auteur considère que ces traités sont
"transmissibles". Mais cette transmissibilité soulève des pro-
blèmes d'interprétation particulièrement délicats eu égard,
en particulier, au principe de libre détermination des Etats
issus de la décolonisation. Pour une critique cf, D.-P. O'CON-
NELL, State Succession... , U!, op.cit., p. 212.
590
La jurisprudence interne des Etats concernés par les successions afri-
caines consacre une telle solution (361).
S'agissant des traités pour lesquels le Secrétaire général des Nations
Unies assure une fonction de dépositaire, les Etats africains ont adopté,
sauf en de rares cas concernant notamment J'Algérie et la Haute-Volta,
une solution quasi générale de continuité volontaire (362). Certains autres
Etats tels que le Cameroun, la République malgache, le Togo et la Tunisie
ont adopté une attitude favorable à la continuité pour un nombre plus
limité de ces traités.
(361) - Voir,à titre d'exemple, Cour d'Appel de Dakar, arrêt du 15 mars
1963, Compagnie Air France c/ Consorts Diop. Revue française dt droit
aérien, 1963, pp. 234 et s., spéc. p. 235, à propos de l'application de la
Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines
règles relatives au transport aérien international. Dans le même sens, voir,
s'agissant de la succession du Sénégal à cette Convention, Trib. de grande
inst. de la Seine, 10 avril 1964, Veuve MacKinnotr c/Cie Air France, ibid.,
1964 pp. 129 et s., note Gas. Pour le Maroc, voir Trib. de première ins. de
Rabat, Eccoffard c/CieAir France, ibid., pp. 177-179, arrêt rendu en 1964.
(362) - Il en va ainsi par exemple de la République centrafricaine, du
Congo-Brazzaville, de la Côte-d'Ivoire, du Maroc et du Dahomey.
591
En ce qui concerne les traités administrés par d'autres dépositaires, la
pratique révèle, sauf quelques rares exceptions (363), une attitude tout
aussi favorable à la continuité. Il en est ainsi notamment des conventions
en matière aérienne telles les Conventions de Chicago de 1944 et de Var-
sovie de 1929 ct des Conventions humanitaires de Genève de 1949. S'agis-
sant de ces dernières, les Etats africains ont été "considérés" selon l'inter-·
prétation du dépositaire, comme ayant succédé à ces instruments avant
d'être invités à confirmer -une télle "succession" "]J'ar voie,de notification.
Ainsi. de nombreux Etats africains comme.le Cameroun,Je'Congo (Brazza-
ville); JaCôte d'Ivoire, le Dahomey, le Gabon, la Haute~Voltil, la Républi-
que ~ malgache, 'la Mauritanie, le Niger, la République. ce'ntrafricairie,{ le
Séné"gal, le: Togo, la République démocratique du Congo -et.le ·Rwanda
conürmèrent par. des détlarations de continuité; leur .participation à ces
conventions (364).
Une pratique semblable de continuité a également été favorisée et
,organisée en vue de permettre aux Etats nouveaux d'accéder aux conven-
(363) - On peut citer le cas de la Côte-d'Ivoire s'agissant de la Convention
de 1953 sur les droits politiques de la femme, pour le motif invoqué de la
non-extension de son application à cet Etat avant son accession à l'indé-
pendance; celui du Mali ou du Tchad en ce qui concerne la Convention de
Londres de 1930 sur les lignes de charge.
(364) - Voir H. COURSIER, "Accession des nouveaux Etats africains aux
conventions de Genève", AFDJ, 1961, pp. 760 et s.
592
tions de l'OIT en liaison avec leur admission au seIn de l'Organisation
(365), tandis que le GATT, afin d'éviter toute rupture dans l'application
de ses dispositions, a mis au point une procédure de succession provisoire
conçue pour une durée indéterminée à partir de la date d'accession des
nouveaux Etat à l'indépendance (366) ..
Le recours à la procédure prévue par le GATT conformément aux
dispositions de l'article XXVI (paragraphe 5, alinéa Cl de l'Accord géné-
ral qui réputent partie contractante tout nouvel Etat auquel les dispos-
tions de l'Accord ont été appliquées avant son indépendance, a permis aux
Etats africains dans leur quasi totalité d'être définitivement considérés
comme parties à l'Accord. En ce qui concerne toutefois la Guinée, l'appli-
cation de fait de l'Accord général aurait pris fin le 1er décembre 1961
conformément à la recommandation du 12 décembre 1959 (367).
(365) - Voir, F. WOLF, "Les Conventions internationales du travail et la
succession d'Etats", AFDJ, 1961, pp. 742-752.
(366) - Cf. La Première recommandation du GATT approuvée le 1er no-
vembre 1957, in, GATT, Instruments de base et documents divers, suppl. n°
6, 1958, pp. 1i-12; et la recommandation du 18 novembre 1960 fixant une
"période raisonnable" d'application de deux ans, ibid., suppl. n09, 1961, pp.
16-17; une prorogation d'une année a étéretenue en 1961 avant la levée,
en 1967, de toute limitation de durée. Sur tous ces aspects, voir. Doc. des
Nations Unies, A/CNA/200/Rev.2 et A/CNA/200 Add. 1 et 2.
(367) - GATT, Instruments ... suppl. n08.
593
Il convient à présent d'examiner la pratique africaine vis-à-vis d'une
deuxième catégorie de traités multilatéraux que forment les constitutions
des organisations internationales.
c
Il - Les Chartes constitutives des organisations internationales
A la différence de la plupart des conventions multilatérales générales,
les Chartes constitutives des organisations internationales ne font pas en
principe l'objet d'une succession soumise à la libre volonté ou au seul bon
vouloir des nouveaux Etats "successeurs". L'application des règles du droit
de la succession à de telles chartes et conventions demeure en réalité
subordonnée aux règles pertinentes de l'organisation concernée.
En effet, lorsque la succession concerne un acte constitutif d'organisa-
tion internationale, elle cède en principe le pas à un problème d'admission
à la qualité de membre de l'organisation; et cette admission reste généra-·
lement soumise à des conditions particulières qui relèvent plutôt du droit
des organisations internationales (368).
(368) - C'est pour cette raison que la CDI, après une brève étude de la
question, a très tôt décidé de réserver le problème de la succession à la
qualité de membre d'une organisation internationale. Des dispositions ont
alors été prises dans ce sens lors de sa 19è session tenue en 1967. La CDI
ne désigna donc pas de rapporteur spécial pour cette matière, qui con~ti-
594
Sous cette réserve, on peut considérer,comme la COI l'a souligné dans
ses travaux, que :
"La pratique semble maintenant avoir établi le principe qu'un
nouvel Etat n'acquiert pas automatiquement le droit de deve-
nir partie au traité portant création de l'organisation et de
devenir membre de l'organisation et en tant qu'Etat succes-
seur du simple fait qu'à la date de la sucession le traité était
applicable à son territoire et que celui-ci était du ressort de
l'organisation" (369).
tuait pourtant Je troisième axe d'étude initialement proposé par la Sous-
Commission sur la ssucession d'Etats, estimant que la "succession et la
qualité de membre des organisations internationales" est liée tout à la fois
à la "succession en matière de traités" et aux "relations entre Etats et orga-
nisations internationales".
(369) - Rapport de la Commission à l'Assemblée générale, Document
A/9610/Rév. 1, Rapport de la COI sur les travaux de sa vingt-sixième
session, A CD! 1974, vol.U, Première partie, p. 182. La COI fut dès lors
amenée à proposer à la codification un projet d'article 4 dont le contenu a
été entièrement repris, sauf une très légère harmonisation de rédaction,
par les dispositions de l'article 4 de la Convention rédigées comme suit:
arL4 Traités constitutifs d'organisations internationales et trai-
tés adoptés au sein d'une organisation internationale.
595
La participation des nouveaux Etats africains aux organisations inter-
nationales est à cet égard loin de constituer une exception. Elle s'inscrit
sans discordance réelle dans le sens d'une pratique bien établie, notam-
ment au sein des organes et institutions de l'ONU; pratique bien admise et
reconnue au niveau de la doctrine où l'on considère qu'une admission au
sein de ces organisations se fait illluiti personae (370).
La réponse donnée
par l'ONU à la question soulevée en 1947 au
niveau de l'Organisation du fait de l'apparition de deux Etats indépen-
dants, J'Inde et le Pakistan à la suite de la division de l'Inde britannique, a
permis de lever le doute sur l'impossibilité d'une succession à la qualité de
membre d'une organisation de cette nature (371). Le Secrétariat de l'Or-
"La présente Convention s'applique aux effets de la succes-
sion d'Etats en ce qui concerne :
a) tout traité qui est l'acte constitutif d'une organisation in-
ternationale, sous réserve des règles concernant l'acquisition
de la qualité de membre et sous réserve de toute autre règle
pertinente de l'organisation;
b) tout traité adopté au sein d'une organisation internationa-
le, sous réserve de toute règle pertinente de l'organisation".
(370) - Cf, la note précitée du Ministère des Affaires étrangères du Séné-
gal.
(371) - Cf, l'avis émis dans ce sens par la Commission juridique de l'ONU
qui dut s'exprimer en termes généraux ainsi qui suit :
596
ganisation avait en effet soutenu auprès
du Conseil de Sécurité que le
Pakistan devait être considéré comme un nouvel Etat né de la division de
l'Inde. Le Conseil de Sécurité put en conséquence considérer que l'Inde
conservait sa qualité de membre originaire et recommander l'admission
du Pakistan en tant que nouveau membre. Ce que l'Assemblée générale
admit par la suite.
Les conséquences, à cet égard, de la dissolution de la Fédération du
Mali ont également permis d'illustrer quelque peu une telle pratique en ce
qui concerne J'admission des deux Etats du Sénégal et du Mali, même si en
l'occurrence il ne s'agit pas proprement d'une succession à une qualité
déjà acquise de membre des Nations Unies.
Devenue indépendante le 20 juin 1960, la Fédération avait informé le
"Lorsqu'un nouvel Etat est créé, quels que soient le
territoire et la population qui le composent, que
ceux-ci aient ou non fait partie d'un Etat Membre des
Nations Unies, ce nouvel Etat ne peut, dans le systè-
me prévu par la Charte, se prévaloir du Statut de
Membre des Nations Unies que s'il a été formel-
lement admis comme tel conformément aux disposi-
tions de la Charte",
Doc. A/CNA/149 et Add. 1, ACDI 1962, vol.II, p. 121; également
dans Repertory of practice of UN, 1, artA, parag. 32 et s.
597
Secrétaire général, le 23 juin, de sa décision de demander son admission à
l'Organisation. Le Conseil de sécurité adopta lors de sa 869è séance tenue
le 28 Juin 1960 une résolution recommandant à l'Assemblée générale
d'admettre la Fédération du Mali comme membre de l'Organisation.
Mais l'éclatement de la Fédération survint peu après. L'Assemblée
législative du Sénégal vota le 20 août 1960 une loi proclamant l'indépen-
dance de la République du Sénégal et son retrait de la Fédération. Le
même jour le Gouvernement du Sénégal en informa le Secrétaire général
de l'ONU et demanda l'admission de la nouvelle République aux Nations
Unies. La demande fut renouvelée le 23 août et le 22 septembre 1960, date
à laquelle le Secrétaire général fut avisé que la République du Soudan,
second membre de la Fédération, avait proclamé son indépendance et pris
le nom de République du Mali qui demanda elle aussi son admission à
l'ONU.
Les deux demandes d'admission émanant des deux nouvelles Républi-
ques furent examinées par le Conseil de sécurité lors de sa séance du 28
septembre 1960 à l'issue de laquelle il fut constaté que la résolution du
Conseil en date du 28 juin 1960 et recommandant l'admission de la Fédé-
ration du Mali était devenue sans objet. Le Conseil adopta alors, le même
jour, deux résolutions pour recommander séparément l'admission du Sé-
négal et du Mali. En conséquence, j'Assemblée générale adopta, à la mê-
me date, les deux résolutions 1490 (XV) et 1491 (XV) admettant les deux
pays comme membres de l'Organisation.
On observe qu'il a été jugé nécessaire, dès l'instant où les Etats du
Sénégal et du Mali étaient redevenus séparés, d'obtenir de chacun d'eux
598
une nouvelle demande d'admission appelant du Conseil de sécurité deux
reeommandations distinctes autres que celle qui fut nécessaire à la candi-
dature de la Fédération.
De même, l'admission des Etats africains aux institutions spécialisées
des Nations Unies et au sein de la plupart .d'autres
organisations inter-
nationales demeure en général soumise aux règles fixant la procédure
d'accession propre à chacune de ces institutions et organisations. L'exi-
gence du respect de telles règles n'écarte pas toutefois la prise en considé-
ration de la nécessité du maintien en vigueur, de facto de certains rapports
juridiques antérleurement établis avec le territoire devenu indépendant.
Ainsi, une demande d'adhésion est nécessaire pour l'Etat nouveau qui
désire participer en qualité de membre à part entière et .de. partie à l'acte
constitutif d'organisations telles que l'Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) (372), l'Organisation Maritime Consultative Intergouvernementa-
le (OMCI) normalement ouverte aux membres de l'ONU et qui n'admet
en son sein les Etats nouveaux non-membres de l'ONU que selon une
procédure d'admission spécifique (373), l'Union Postale Universelle
(UPU) en ce qui concerne les anciens territoires non métropolitains d'un
(372)
- Article
4 de
l'Acte
constitutif,
vOir Doc.
Nations
Unies,
A/CNA/150, Mémorandum préparé par le Secrétariat, ACDI 1962,
vol.II, p. 144, parag. 145.
(373) - Ibid.
599
Etat membre qui n'ont pas été antérieurement admis pour leur propre
compte (374) et ['Organisation Météorologique Mondiale (OMM) dont
l'acte constitutif exige de tout nouvel Etat une ratification formelle ou une
déclaration de continuité si l'acte liait au préalable ce même Etat.
Les Etats africains ont également déposé des instruments d'adhésion
pour devenir membres de l'Union Internationale des Télécommunications
(UIT), les méthodes successorales habituelles ayant été de nouveau écar-
tées (375).
En ce qui concerne l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimenta-
tion et l'Agriculture (FAO), seuls les Etats membres sont parties à sa
Constitution, le statut de membre associé ne comportant pas cet effet.
L'Etat associé devenu indépendant doit donc souscrire une délaration
d'acceptation des obligations de l'acte constitutif si la demande préalable
d'admission avait déjà été approuvée, ou alors demander son admission en
tant qu'Etat nouveau. Tel fut le cas par exemple pour le Gabon, la Répu-
blique malgache, le Mali, le Sénégal et le Tchad (376).
(374) - Les Etats africains ont en général formulé des demandes d'adhé-
sion après leur accession à l'indépendance.
(375) - Cf., Doc. A/CNA/225, ACDI 1970, vol.II, pp. 106-107.
(376) - Cf., Doc. A/CN.4/210, ACDI 1969, vol.II, pp. 42-43, spéc. parag.
75.
600
La participation des Etals
africains à la Communauté Economique
Européenne (CEE) a été quant à elle réglée par voix de négociation. Mais
D
dans l'attente de la conclusion d'un accord d'association, le régime d'asso-
ciation prévu dans le Traité de Rome a été maintenu à titre provisoire à la
demande des Etats africains, à l'exclusion toutefois de la Guinée (377).
La pratique relative aux conventions conclues au sein des organisa-
tions internationales est quant à elle relativement plus souple et bien plus
diversifiée même si elle demeure régie par les règles spécifiques de ces
organisations.
..Ill. Les conventions conclues
au sein des organisations internationales
La pratique des institutions internationales comme celle des Etats
africains est loin d'être uniforme.
On observe par exemple que l'organe dépositaire de l'Accord de
(377) - Cf., J-c. GAUTRON, op. cit, pp. 848-49; P.-F. GONIDEC, "Note
sur le droit des conventions internationales en Afrique", AFDI
1965, p. 881; ainsi que, du même auteur, "L'association des pays
d'outre-mer au Marché commun", ibid., 1959 pp. 598 et s.
601
Bruxelles de 1924 a d'autorité considéré que l'Accord était applicable aux
nouveaux Etats membres de l'OMS sans qu'aucune déclaration ne leur ait
été demandée (378).
En outre d'autres organisations comme l'OIT ont favorisé une prati-
que de continuité dans lc respect des conventions de l'Organisation en
suscitant des nouveaux Etats une déclaration de continuité relative à une
liste d'accords déterminés. les Etats africains se sont ainsi en grand nom-
bre reconnus liés par les conventions d'application générale de l'Organisa-
tion (379).
La pratique relative aux accords conclus dans le cadre de la FAO
écarte en revanche la possibilité d'une participation des Etats nouveaux
par le moyen de déclarations de continuité. Ces derniers ont pu dès lors
accéder à de tels accords par le moyen volontaire de l'acceptation ou de
l'adhésion. Tel fut le cas par exemple pour le Mali et la République malga-
che en ce qui concerne l'acte constitutif de la Commission Internationale
(378) Voir A.G. MOCHI ONORY, "Les aspects récents du problème de la
succession aux traités", RGDIP 1968, p. 630 note 63.
(379) - Cf., F. WOLF, "Les conventions internationales du travail et la
succession d'Etats" AFDI 1961, pp. 742 et s. et D. MARCHAND,
Les conventions internationales du travail et les Etats nouveaux,
thèse ùoc. Paris, 1966.
CONCLUSION DU CHAPITRE II
Nous avons tenté dans cc qui précède de dégager le sens et la portée
de la pratique successorale africaine en matière de traité. Cette pratique
concerne une masse considérable de traités internationalement applica-
bles aux territoires africains dépendants, et auxquels ces derniers ont pu
exercer leur droit de participation ou de "succession" dès leur accession à:
1
l'indépendance. Elle s'inscrit sans nul doute dans le cadre des successions'
par décolonisation qui restent essentiellement dominées par le principe de i
la table rase.
La consécration de ce principe, loin d'être contredite par les métho-
des successorales mises en oeuvre par les nouveaux Etats éfricains à tra-
vers une grande abondance et une très grande diversité d'accords de dévo-
lution et de déclarations unilatérales relatifs au sort des traités conclus
par les Etats prédécesseurs, a plutôt été confirmée par le contenu et la
portée généralement reconnue à de tels instruments. Il a été ainsi établi
que les nouveaux Etats africains ont en général entendu, à travers ces
instruments, non pas se soumettre à une règle leur imposant une succes-
sion obligatoire et de plein droit, mais essentiellement proclamer leur li-
bre volonté de décider de leur succession, bien souvent provisoire, aux
traités conclus par leurs prédécesseurs.
Mais si la liberté de l'Etat nouveau de ne pas succéder aux traités,
ainsi qu'elle s'exprime à travers le principe de la table rase, demeure la:
1
même vis-à-vis des traités bilatéraux, même établissant des frontières, et
1
multilatéraux, on doit cependant constater l'existence d'une pratique de
604
continuité volontaire bien plus marquée pour cette dernière catégorie dei
1
traités et qui reste favorisée par la mise en oeuvre de procédures et de,
règles spécifiques aux organisations internationales concernées ainsi quel
par les nombreuses initiatives que la plupart des dépositaires des conven-i
i
tions multilatérales ont développées dans le sens du maintien de l'apPliCa-'l
tion de ces instruments.
.
CONCLUSION
DE LA DEUXIEME PARTIE
La substitution de souveraineté intervenue sur le territoire d'un
E~at accédant à l'indépendance implique, en vertue du principe de la
table rase, l'affirmation du droit du nouvel Etat d'entamer son existen-
ce internationale libre de toute obligation de succéder aux traités con-
clus par son prédécesseur et dont l'application aurait été préalable-
ment étendue à son territoire.
Ainsi compns, le principe de la table rase a été pns en compte
dans l'oeuvre de codification et de développement du droit internatio-
nal conduite par la Commission du Droit international et qui a abouti
à la conclusion, en 1978, de la Convention des Nations Unies sur la
succession d'Etats en matière de traité. Cette convention qui reflète
amplement- la pratique contemporaine des membres et institutions de
la Société internationale consacre une typologie successorale qui re-
connaît la spécificité des successions par décolonisation dominées par
le principe de la table rase, au demeurant très clairement reconnu et
accepté par les Etats.
Cette très large reconnaissance du principe par les Etats est cor-
roborée par une pratique africaine tout aussi favorable à son affirma-
tion dans les successions par décolonisation; pratique qui n'admet,
comme du reste la Convention, aucune exception même en faveur des
traités de frontière.
Le principe de la table rase comporte cependant le droit du nou-
vel Etat de participer sous certaines conditions aux traités antérieurs.
La mise en oeuvre de ce droit a rendu possible une pratique relative-
ment importante de continuité volontaire touchant en principe les
o
traités bilatéraux dont le caractère politique est le moins marqué et,
davantage encore, les traités multilatéraux, sous réserve toutefois
dcs particularités et des spécificités propres aux institutions déposi-
taires mais surtout au droit et à la pratique des organisations inter-
nationales pour ce qui concerne l'accès de leur charte constitutive,
ou aux conventions conclues en leur sein.
"L'ail Ile dot( pas se homer à codIfier les solucions apportées par des
textes caducs et encore moins par des textes morts-nés, car ce ne serait
pas le fidèle reflet d'une pratique internationale réelle. Les textes qui
gOllvernen( la succession ... pe/H'ent n'être jamais entrés eIJ applicutioll,
ou avoir été frappés de caducité au bout d'un certain (emps, ou avoir été
rapidement dénoncés par l'une des parties ou enfin a\\'oir été révisés
d'ul1 comf11Wl accord",
Mohammed I3EDJAOUI
Devant la complexité des problèmes juridiques soulevés par les phé-
nomènes de succession d'Etats par décolonisation, singulièrement en Afri-
que, ainsi que la grande diversité d'opinion qui caractérise le débat doctri-
nal sur la question, nous avons choisi de ne pas laisser un foisonnement
apparemment contradictoire de solutions observées prendre le pas sur un
souci de synthèse d'autant plus souhaitable, pour le traitement de ces solu-
tions, que l'unité de la matière successorale étudiés - l'ordre juridique - le
permet et que l'orientation générale de la pratique africaine, au-delà de
ses nuances de forme, le recommande.
Tout en tenant compte de l'éclairage doctrinal sur chaque question
étudiée, nous avons estimé nécessaire de retourner aux sources réelles du
droit successoral, en phase de transformation ou de nouvelle consolida-
tion, que représente la pratique irremplaçable des Etats et des institutions
intéressées.
609
Il a donc fallu réinterroger le sens profond des méthodes successora-
les ainsi que le contenu réel des solutions qu'elles expriment afin de tenter
de corriger certaines interprétations trop abruptes, et au demeurant parti-
culièrement répandues, concernant la conception africaine du principe de
la table rase ou encore la prétendue reconnaissance par les Etats africains
du principe d'une succession obligatoire et de plein droit qui leur serait
opposable dans la plupart des cas.
Il nous semble que les acquis suivants ont pu être établis au
terme d'une telle investigation.
1. Tout d'abord, la substitution de souveraineté intervenue sur le ter-
ritoire d'un Etat accédant à l'indépendance implique, selon le principe de
la table rase, le remplacement de l'ordre juridique interne de l'Etat prédé-
cesseur par celui de l'Etat nouvellement indépendant. Cette substitution
d'ordres juridiques concerne l'ordre législatif, l'ordre juridictionnel ainsi
que la nationalité et touche ['ordre conventionnel précédemment applica-
ble au territoire du nouvel Etat, et qui reste affecté par la mutation de
souveraineté intervenue.
2. Mais, autant les nouveaux Etats africains ont dans l'ensemble réaf-
firmé dans leur pratique, leur libre volonté de substituer leur nouvel ordre
juridique à celui précédemment en vigueur sur leur territoire, autant ces
Etats ont-ils admis l'existence d'une limite d'ordre pratique à l'application
du principe de la table rase en aménageant une certaine continuité, même
provisoire, dans l'application de la législation ancienne et dans l'adminis-
tration de la justice. En matière de nationalité, cette limite d'ordre prati-
que qui correspond au souci du nouvel Etat de protéger son propre patri-
610
mOine humain, se double d'une limite d'ordre juridique reconnue dans
l'institution du droit d'option.
3. Cette double affirmation de rupture et de continuité qui est expri-
mée aussi bien au travers des solutions unilatérales que dans Je recours à
l'accord international, se retrouve également dans la pratique successora-
le relative à l'ordre conventionnel. Elle traduit une mise en oeuvre certai-
ne du principe de la table rase amplement pris en compte dans j'oeuvre de
codification et de développement du droit international contemporain et
nettement consacré à la fois par la pratique des Etats africains et par la
Convention des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière de
traités adoptée à Vienne en 1978.
4. Mais,si le principe de la table rase signifie en matière de traité, que
le nouvel Etat entame son existence internationale libre de tout engage-
ment international et, que cette liberté ne saurait souffrir aucune excep-
tion, il demeure que le principe comporte aussi le droit pour le nouvel
Etat de participer sous certaines conditions aux traités antérieurs. Les
nouveaux Etats africains ne sont pas privés de mettre en oeuvre ce droit à
travers une large pratique de continuité volontaire touchant ceux des trai-
tés bilatéraux dont le caractère politique est le moins accusé et, davantage
encore, les traités multilatéraux, sous réserve du respect des particularités
propres aux institutions dépositaires et des spécificités du droit des orga-
nisations internationales.
5. Il Y a là, sans aucun doute, ['affirmation d'une conception relative-
mentsouple et raisonnable du principe de la table rase qui, dans la prati-
que, s'écarte de tout rejet global et sans nuances de l'ordre juridique hérÎ-
611
té de la colonisation pour mieux s'accorder avec une réelle volonté des
nouveaux Etats de se déterminer progressivement en s'aménageant un
temps de réflexion destiné à leur permettre d'éviter à la fois l'installation
d'un vide juridique et le maintien durable d'un legs colonial incompatible
avec l'affirmation de leur l'indépendance souveraine. Cette souplesse dans
la mise en oeuvre pratique du principe de la table rase a sans dou te été à
l'origine du très large consensus qui s'est formé, tout au long des travaux
de la COI, autour du principe tel que formulé dans le Projet de codifica-
tion et de développement du droit successoral en matière de traité. Ce
consensus présida ultérieurement à l'adoption des dispositions qui consa-
crentle principe de la table rase dans la Convention, tranchant ainsi radi-
calement avec l'opposition ou les hésitations dont a fait traditionnelle-
ment montre une certaine doctrine particulièrement attachée au droit
classique et à un certain degré d'immobilisme de ce droit.
Mais il ne suffit pas qu'un droit, et plus encore celui qui touche de si
près le devenir des jeunes Etats qu'est le droit de la succession d'Etats,
soit reconnu et proclamé. Encore faut-il qu'il puisse être valablement in-
voqué chaque fois que de besoin, et appliqué.
Quelques suggestions pourraient être faites à cet· égard.
1 - Il importerait beaucoup d'obtenir des Etats africains qui n'y au-
raient pas encore procédé, qu'ils accomplissent les formalités nécessaires
afin d'être liés par la Convention de Vienne sur la succession d'Etats con-
clue depuis plus d'une dizaine d'années.
L'utilité d'une telle opération serait d'obtenir que les dispositions de
cette Convention prévues pour les cas de décolonisation, et autour des-
612
quelles s'accordent tous les Etats africains ainsi que leurs anciennes puis-
sances administrantes, puissent s'appliquer, grâce à la clause de rétroacti-
vité contenue dans la Convention (381) aux effets des successions récen-
tes, notamment africaines, généralement ouvertes depuis moins d'une
trentaine d'années et qui soulèvent des difficultés non encore aplanies.
2 - En outre, devrait être encouragé le règlement -pacifique, et selon
un mode juridictionnel, des différends qui pourraienthaître ou qui persis--
tent encore du fait d'une succession d'Etats.
(381) - Un paragraphue supplémentaire rajouté à l'article 7 du Projet (de-
venu l'article 7 de la Convention) dispose ce qui suit:
"Un Etat successeur peut, au moment où il exprime son con-
sentement à être lié par la présente Convention ou à tout
moment par la suite, faire une déclaration indiquant qu'il ap-
pliquera les dispositions de la Convention à l'égard de sa pro-
pre succession d'Etats, laquelle s'est produite avant l'entrée
en vigueur de la Convention, par rapport à tout autre Etat
contractant ou Etat Partie à la Convention qui aura fait une
déclaration par laquelle il accepte la déclaration de l'Etat
successeur. Dès l'entrée en vigueur de la Convention entre les
Etats qui auront fait ces déclarations ou dès la déclaration
d'acceptation, si celle-ci est postérieure, les dispositions de la
Convention s'appliqueront aux effets de la succession d'Etats
à compter de la date de ladite succession."
61J
Il s'agira en réalité d'encourager et de renforcer une tendance qui
s'est manifestée depuis une dizaine d'années chez les Etats africains dans
le sens d'un recours de plus en plus fréquent aux solutions arbitrales et
d'une confiance grandissante témoignée par ces Etats à la Cour Internatio-
nale de Justice. Une tendance d'autant plus salutaire pour la stabilité des
solutions recherchées aux différends africainsJsingulièrement ceux relatifs
aux frontières, que les mécanismes mis en oeuvre dans le cadre de l'OUA
pêchent le plus souvent par un manque évident d'efficacité du fait notam-
ment de leur nature hautement politique et de la profonde léthargie dans
laquelle se trouve encore plongée la Commission de Médiation, de Conci-
liation et d'Arbitrage de l'OUA. L'image que nous laisse cette commission
devrait en effet inciter à plus de prudence et de réserve devant toute tenta-
tion de créer de nouvelles institutions juridictionnelles en Afrique.
3. IL conviendra aussi de renforcer les bases juridiques du traitement
des problèmes successoraux nés des décolonisations africaines en veillant
en particulier à consolider l'autorité juridique du princiepe de l'intangibi-
lité des frontières.
Certes, les Etats africains considèrent ce principe comme s'imposant à
eux et, la Cour Internationale de Justice y a vu un principe général du droit
international. Il demeure cependant que le fait que les fondateurs de
l'OUA ne l'aient pas expressément consacré dans la Charte de l'Organisa-
tion que les Etats africains et les pays non-alignés ne l'aient proclamé que
dans des résolutions et que la tentative de révision de la Charte aux fins
d'y insérer le contenu de la clause sur l'intangibilité telle que formulée
dans la Résolution pertinente de l'OUA de 1964 n'ait pas abouti, paraît
justifier l'adoption dans les meilleurs délais d'un instrument qui lierait
614
sans conteste tous les Etats africains autour d'une claire confirmation de
leur engagement à respecter les frontières héritées de la colonisation.
4 - Enfin, en vue de prévenir les conflits de frontière et de résoudre
pacifiquement ceux qui sont déjà déclarés grâce à l'adoption de solutions
stables et définitives, il conviendrait d'inciter les Etats africains à privilé-
ger les modes juridictionnels de règlement et, à cette fin, d'éliminer les
entraves traditionnelles qui jalonnent en Afrique tout effort sérieux tour-
né vers la saisine d'un juge ou d'un arbitre international. Il nous semble à
cet égard, qu'un accord international semblable, dans son esprit, à l'Acte
de Lima du 31 août 1949 sur le règlement des différends ayant permis à
l'affaire du droit d'asile d'être soumise à la CU, et qui lierait tous les Etats
africains autour de la conviction ou de l'engagement selon lequel une par-
tie qui souhaiterait qu'un différend frontalier qui la concerne soit soumis à
la Cour Internationale de Justice ou à un tribunal arbitral ou, qui présen-
terait même directement une requête à la Cour, ne fût pas considérée
comme ayant
commis un acte inamical à l'égard de l'autre partie.
Si un tel accord devait voir le jour pour être entouré d'un respect
constant, nul doute qu'il contribuerait utilement, au travers des solutions
juridiques qu'il favoriserait, à la préservation et à la consolidation de la
paix et de la stabilité en Afrique.
616
ANNEXE N° 1
Option en faveur du Statut d'Etat membre de la Communauté.
Option exercée par délibération des Assemblées territoriales, dont la
loi-cadre de 1956 avait permis le renouvellement au suffrage universel.
TERRITOIRES
DATE
VOTE A L'ASSEM-'
ETATS MEMBRES
DE LA
D'OUTRE-MER
DE L'OPTION
BLEE NATIONALE
COMMUNAUTE
Madagascar
14 octobre 1958
208 / 240
Rép. Malgache
Soudan Français
24 novembre 1958
64 / 70
Rép. soudanaise
Sénégal
25 novembre 1958
53 / 60
Rép. du Sénégal
Mauritanie
i
28 novembre 1958
29 / 34
Rép. Islamique
1
,
de Mauritanie.
1
i
1
,
Gabon
:
28 novembre 1958 '
Unanimité ,
Rép. Gabonaise
i
1
,
Moyen Congo
28 novembre 1958
44 / 45
Rép. du Congo
,,
Tchad
28 novembre 1958
62 / 65
Rép. du Tchad
1
:
1
Oubangui-Chari
1er décembre 1958
Unanimité
Rép. centrafrlc.
i
1
Côte d'Ivoire
4 décembre 1958
Unanimité
Rép. de Côte
d'Ivoire
Dahomey
4 décembre 1958
53 /60
Rép. du Dahomey
Haute-Volta
11 décembre 1958
68 /70
Rép. de Haute
Volta
Niger
18 décembre 1958 .
49 / 60
Rép. du Niger
617
ANNEXE N° 2
COMITE CONSULTATIF CONSTITUTIONNEL
2ème SEANCE DU MARDI 12 AOUT 1958
(13ème SEANCE)
PRESIDENCE DE M. PAUL REYNAUD
La séance est ouverte à 16 heures.
M. COSTE-FLORET. - Le groupe de travail s'est rallié à l'opinion de M.
Tsiranana qui souhaitait voir éliminer du texte les mots "Fédération" et
"Confédération", il propose d'intituler le titre XI " La Communauté", de
disjoindre le titre XI bis relatif à la Condéfération et d'intituler le titre
XII: "L'association des Etats libres". Le plus sage me paraît être de pour-
suivre l'examen des articles.
M. LAMINE GUEYE. - Je tiens à préciser l'esprit dans lequel nous avons
travaillé. Plutôt que de faire une fédération qui n'en était pas une et une
confédération qui n'en était pas une, nous avons préféré chercher un mot
nouveau "Communauté". Le mot "Communauté" a un caractère essentiel-
lement pragmatique; il nous évitera les reproches auxquels était sujet le
texte précédent.
M. MARCILHACY. - Je me réjouis de voir que le groupe de travail a
finalement adopté le mot" Communauté" qui correspond à une suggestion
que j'avais faite antérieurement. Mais il serait bon de préciser qu'il s'agit
de la communauté "française". Personne, j'y pense, n'y verra d'objection.
Article 69_
Texte du Gouvernement :
"Le domaine de la compétence de la Fédération comprend, sauf ac-
cords particuliers, la politique étrangère, la défense, la monnaie, la
politique économique et financière commune ainsi que l'exploitation
des matières premières stratégiques, le contrôle de la justice et l'en-
seignement supérieur."
618
Rédaction proposée par le groupe de travail
"Le domaine de la compétence de la Communauté comprend
- la définition et la garantie des libertés fondamentales,
la justice,
- l'enseignement supérieur,
la politique étrangère,
la défense,
la monnaIe et la politique financière commune,
la politique économique et sociale commune,
les transports fédéraux et les télécommunications,
- la politique des matières premières stratégiques."
Ce texte est moms restrictif que celui de l'avant-projet. Nous avons
ajouté la définition et la garantie des libertés fondamentales, qui sont
normalement de la compétence de l'organisme central, la politique socia-
le, et, sur la demande de M. Lisette, la politique des matières stratégiques.
M. LISETIE. - J'avais déposé plusieurs amendements sur l'article 69. Je
les ai réunis en un seul qui tend à rédiger ainsi cet article:
" Le domaine de la compétence de la Communauté comprend néces-
sairement :
la garantie des libertés fondamentales,
la défense et la politique des matières premières stratégiques,
la monnaie et la politique économique commune.
Et, sauf accords particuliers
- le contrôle de la justice,
- l'enseignement supérieur,
- le transport communs et les télécommunications inter-Etats et exté-
fleures,
- d'autres compétences communes peuvent être créées par accords
particuliers sur la proposition du Président de la Communauté ou d'un
Etat membre."
619
M. DEJEAN. - Nous ne savons pas encore dans quelles conditions le Gou-
vernement et l'assemblée de la Communauté seront amenés à se pronon-
cer sur les matières
communes. Il paraît inopportun de donner, dès le
début, des pouvoirs trop importants à cet Etat qui est encore à naître.
C'est pourquoi je serais porté à me rallier à l'amendement de M. Lisette,
bien que ses modalités d'application demandent à être précisées. Le grou-
pe de travail parle de "la politique économique et sociale" : on peut tout
faire entrer dans ce chapitre. Je préfère, d'autre part, "le contrôle de la
justice" à "la justice" tout court.
M. SENGHOR. - Il faut être clair. Si votre Fédération est un Etat, elle
doit avoir une justice. C'est un fait qu'à l'heure actuelle, dans la
plupart
des territoires - je ne parle pas du mien - les fonctionnaires sont révoqués
arbitrairement, que l'on incendie des maisons, que l'on assassine et que
l'on n'arrête ni les incendiaires, ni les meurtriers. La tendance au parti
unique et au fascisme - pour appeler les choses par leur nom - est manis-
feste. Si vous n'inscrivez pas la justice dans la matières communes, ne vous
faites pas d'illusion, la situation s'aggravera. A tout le moins faudrait-il
préciser, comme je le propose dans un amendement, que la compétence de
la Communauté comprend; " La justice de droit français, la juridiction
administrative et la police judiciaire". Vous vous plaignez parfois que les
juges de la métropole ne soient pas indépendants; quel sera notre sort à
nous autres qui faisons l'apprentissage de la démocratie?
M. COSTE-FLORET. - Peut-être pourrions-nous, dans l'amendement de
M. Lisette, inscrire le contrôle de la justice au chapitre des matière qui
seront nécessairement de la compétnce commune, ainsi que l'avait fait le
Gouvernement? Cela signifierait qu'en tous cas l'unité de la jusrispruden-
ce sera assurée par une Cour de cassation unique. la justice, en général,
figurerait alors parmi les compétences qui peuvent faire l'objet d'accords
particuliers.
M. LISETIE. - J'accepte cette suggestion. Dans notre esprit, la juridiction
suprême doit en effet, relever de la compétence de la Communauté; mais
il importe de tenir compte des particularités locales et du droit coutumier
qui peuvent justifier des legislations spéciales.
620
M. LE PRESIDENT. - M. Senghor propose de remplacer le mot "justice"
par les mots "justice de droit français, juridiction administrative et police
judiciaire".
M. SENGHOR. - Je me suis inspiré de la \\oi-q.dre qUI laisse de côté la
justice coutumière.
Sans les précisions que je demande d'apporter, qui empêchera les tri-
bunaux locaux de juger des citoyens de droit français selon le droit local?
M. TSIRANANA. - Je m'étonne de n'avoir pas entendu appeler un amen-
dement que j'avais déposé et qui limitait à quatre matières la compétence
de la Communauté. Mais, je suis d'accord avec M. Lisette. Le code fran-
çais n'est pas adapté aux moeurs de nos pays; à Madagascar, par exemple,
nous ne pouvons pas efficacement réprimer les vols de boeufs, faute de
dispositions appropriées.
M. JANOT, Commissaire du Gouvernement.- J'approuve pleinement les
observations de M. Tsiranana.
M. ROLAND PRE. - Le plus simple, pour lever toutes les objections, ne
serait-il pas de préciser que des accords particuliers pourront définir
J'étendue sur le plan local des compétences de la fédération?
M. TEITGEN. - J'ai renoncé à participer à cette discussion depuis que le
vote de ceratins amendements lui ont donné un tour qui, selon moi, nous
amène tout droit à des catastrophes sans précédents. J'ai pourtant le de-
voir d'appeler l'attention du Comité sur la gravité des décisions qu'il peut
prendre, et c'est pourquoi, je me permettrai, Monsieur le Commissaire du
Gouvernement de vous poser certaines questions; j'ajoute que je me con-
tenterai des réponses, quelles qu'elles soient, que vous voudrez bien me
faire.
Au titre VIII- de la justice, - le Gouvernement écrit que l'indépendan-
ce des magistrats est assurée par la loi. La loi de qui ?
M. le COMMISSAIRE du GOUVERNEMENT. - Loi de la République,
puisqu'il s'agit des magistrats de la République.
621
M. TEITGEN. - Au titre VIII, il s'agit June de la justice de la République.
M. le COMMISSAIRE du GOUVERNEMENT. - Oui.
M. TEITGEN. - Mais au titre IX - de la Fédération· le Gouvernement
inscrit, parmi les matières qui sont de la compétence de la Fédération, le
contrôle de la justice. la justice de qui ?
M. le COMMISSAIRE du GOUVERNEMENT. - Avant de vous répondre,
je préférerais que vous posiez toutes les questions que vous avez à poser.
M. TEITGEN.- Je désire savoir si le contrôle de la justice métropolitaine
est de la compétence de la Fédération.
M.le COMMISSAIRE du GOUVERNEMENT. - Le contrôle de la justice
est en effet de la compétence de la fédération, mais il est certain que, dans
une très large mesure et pendant un temps relativement long, ce contrôle
sera assuré par la Cour de cassation. Tous les représentants des territoires
d'outre-mer sont d'accord sur ce point. Peu à peu notre fédérations renfor-
cera peut-être sa charpente. Mais il serait paradoxal de vouloir, dès à
présent, créer des institutions fédérales spéciales alors que chacun est
d'accord pour utiliser sur le plan fédéral certaines institutions de la Répu-
blique comme la Cour de cassation.
M. TEITGEN. - Cette réponse me laisse sans voix. Il est entendu que ce
nous votons n'a pas de sens et que l'avenir décidera. Mais soyez sûr que
lorsque M. Senghor parle d'inscrire la justice dans les compétences fédé-
rales, il ne vise pas seulement le contrôle de la Cour de cassation.
M. le COMMISSAIRE du OUVERNEMENT. - Bien entendu. Mais le
problème de J'administration de la justice ne se pose pas de la même façon
dans le territoire de M. Senghor et dans celui de M. Tsiranana. C'est préci-
sement pourquoi des accords particuliers seront nécessaires. Ne cédons
pas à la tentations d'une construction abstraite: demeurons dans le con-
cret.
622
M. TEITGEN. -Je ne plaide pas en faveur des abstractions. Je vous ai prié
de m'expliquer les disposilions que nous sommes appelés à voler. Je cons-
tate qu'elles sont inexplicables.
(Extraits des Travaux préparatoires de la Constitution. Avis et débats du Co-
mité consultatif constitutionnel, Paris, Documentation française, 1960, pp.
141-142).
623
ANNEXE N° 3
COMITE JURIDIQUE DE L'UNION FRANCAISE
AVIS DU 19 AVRIL 1950
"Le Comité a été consulté sur les conditions selon lesquelles les trai-
tés conclus par les Gouvernements de la République avec les Puissances
étrangères sont applicables aux différents éléments de j'Union française
autres que la France métropolitaine.
La question soumise à l'examen comporte d'abord la détermination
du champ imparti à l'application d'un traité qui ne contient aucune dispo-
sition spéciale pour en étendre ou en limiter le domaine territorial.
I. Pour déterminer, en l'absence de toute disposition expresse y relati-
ve, la portée extra-métropol itaine d'un traité conclu par le Gouvernement
français, il est nécessaire d'envisager d'une façon distincte le cas des dé-
partements d'outre-mer, des territoires d'outre-mer, des territoires asso-
ciés, de la Tunisie et du Maroc ainsi que des Etats d'Indocbine.
a) En ce qui concerne les départements d'outre-mer, leur assimilation à
la France métropolitaine, dont le principe est posé par la Constitution,
conduit à admettre qu'ils sont entrés de plein droit dans le cbamp d'appli-
cation des traités conclus par le Gouvernement de la République. Déjà
consacrée par la pratique pour les départements algériens, cette règle a
été confirmée expressément par la loi du 20 septembre 1947 portant statut
de l'Algérie. Elle doit être considérée comme valable également pour les
départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la
Réunion, dont la législation est en principe identique à celle de la Métro-
pole.
Il s'agit toutefois d'une régie d'interprétation qui ne s'impose qu'à
défaut d'indication contraire portée dans le traité. Outre que celui-ci peut
préciser qu'il ne vise qu'une
partie seulement du territoire national, on
devra considérer qu'il n'est pas applicable aux départements d'outre-mer
lorsque son objet est par nature limité à la métropole, soit à une autre
partie du territoire français, ou lorsqu'il modifie un acte antérieur qui lui-
même ne s'appliquerait pas aux départements d'outre-mer.
624
b) A l'cndroit des tcrritoircs d'outrc-mcr, une hésitation provient de
leur intégration formelle dans la République aux termes de la Constitu-
tion. Lorsque le gouvernement n'a pas précisé la portée de son engage-
ment, il semblerait naturel d'admettre qu'il s'est lié pour l'étendue entière
de la République, y compris, par conséquent, les territoires d'outre-mer
qui y sont inclus.
Cependant en dépit des divergences dans la doctrine et d'incertitudes
dans la jurisprudence, le principe prévalait avant 1939, à la fois en France
et dans la plupart des pays étrangers, que les traités ne s'étendent pas de
plein droit aux colonies si une disposition formelle n'a pas prévu cette
application. Aucune raison déterminante ne contraint à abandonner cette
règle. En effet, si les territoires d'outre-mer ont reçu de la Constitution un
statut qui les fait participer d'une façon beaucoup plus active et intime à
l'organisation politique de la République, les colonies dans le régime an-
térieur constituaient déjà en droit des éléments territoriaux de la Républi-
que de sorte que la transformation opérée n'a pas affecté la délimitation
de l'Etat. D'autre part, le principe de la spécialité de la législation subsiste
pour les territoires d'outre-mer, puisque les lois métropolitaines n'y sont
applicables que moyennant une mention expresse ou un acte spécial d'in-
troduction.
II semble donc que la solution traditionnelle doive continuer à préva-
loir. En s'y référant, on reprendra également les limites qu'elle compor-
tait. La présomption qu'elle invoque n'est pas absolue et l'application d'un
traité aux territoires d'outre-mer peut résulter non seulement d'une dispo-
sition expresse, mais encore de J'objet même de l'engagement, lorsque
l'ensemble de l'Etat s'y trouve nécessairement soumis, comme au cas d'un
traité de paix.
c) A l'égard des territoires associés, c'est-à-dire du Togo et du Came-
roun soumis au régime international de la tutelle, le Gouvernement fran-
çais possède, en tant qu'autorité chargée de l'administration, la compéten-
ce nécessaire pour conclure des traités applicables à ces pays. Mais, en
raison d'un statut qui les laisse extérieurs à la Répubique et selon les
termes des articles 6 et 14 des accords de tutelle en date du 13 décembre
1946, les territoires associés ne peuvent être 1iés qu'en vertu d'un engage-
ment spécial. Les traités n'y sont applicables que sur une mention expresse
insérée à cet effet.
625
d) A l'égard de la TUllisie et du Maroc, en vertu des traités de protecto-
rat, la France déticnt la charge d'assurer la représentation internationale
de ces Etats. Cettc représentation constitue l'exercice d'une compétence
spéciale dont on ne peut présumer la mise en oeuvre dans les engagements
souscrits au nom de la République. Elle ne peut jouer que par la mention
expresse selon laquelle le traité est conclu pour le compte des Etats inté-
ressés.
e) Les Etats associés de l'Indochine détiennent, sur la base des accords
intervcnus avec la France, la capacité de conclure eux-même, selon certai-
nes procédures, les traités internationaux relatifs à leurs intérêts particu-
liers. Le Gouvernemcnt de la République ne traite plus désormais pour le
compte du Viet-Nam, du Cambodge ou du Laos, sauf le cas où ces Etats lui
auraient conféré le pouvoir de les représenter."
626
ANNEXE N° 4
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA SEINE
(1ère Ch., 2èrne Sect.)
JUGEMENT DU 10 A VRlL 1964
VEUVE MAC KINNON Cl AIR FRANCE
Le Tribunal,
Attendu que le vingt-huit août mil neuf cent soixante, Mac Kinnon
avait pris place à bord de l'appareil Lockheed 1 049 G Super-Constella-
tion F-BHEC appartenant à la Société Air France et assurant le transport
régulier sur la ligne Paris-Dakar-Abidjan;
Que le Lundi vingt-neuf août mil neuf cent soixante après six heures
cinquante-sept l'avion tombait en mer au large de Dakar
Que Mac Kinnon trouva la mort dans cet accident ;
Attendu que suivant exploit de Sermont, huissier de justice à Paris en
date du vingt-sept août mil neuf cent soixante-deux, la dame Edna Emma
Mac Kinnon, veuve de la victime, agissant tant en son nom personnel que
comme tutrice de ses deux enfants mineurs Malcom Bruce et Victoria An-
ne, a assigné la Société Air France pour s'entendre condamner à lui payer
la somme de cinq cent mille francs en réparation du préjudice subi tant
par elle-même que par ses enfants du fait dudit accident;
Que suivant acte du Palais du dix-sept janvier mil neuf cent soixante-
trois, la Société défendresse conclut au débouté, et par nouvel acte de
Palais du vingt-six février mil neuf cent soixante-quatre, précise que la
demande doit être rejetée en tant que fondée sur l'article vingt-cinq de la
Convention de Varsovie, conclut à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'il
échet de faire application de l'article vingt-deux de la même Convention et
de répartir entre les ayants cause de la victime l'indemnité limitée prévue
par ledit article;
Que par acte du Palais du vingt-sept février mil neuf cent soixante-
quatre, la demanderesse conclut susbsidiairement, au cas où l'article
627
vingt-cinq susvisé serait déclaré inapplicable en la cause, à ce que la com-
pagnie défenderesse soit condamnée à lui payer les intérêts de droit à
compter du jour de l'accident ou en tout état de cause de la date de l'ex-
ploit introductif;
Attendu qu'il est admis par toutes les parties que le vol de l'avion
Constellation F-I3I-IEC rentrait dans la catégorie des transports interna-
tionaux régis par les dispositions de la Convention de Varsovie, le Sénégal
se trouvant lié par la Convention du fait de la signature de la France
antérieure à son accession à l'indépendance, aucune dénonciation n'étant
par ailleurs intervenue postérieurement à cet évènement;
Que les demandeurs, se référant à ['article vingt-cinq de cette conven-
tion, soutiennent que la compagnie défenderesse ne pourrait se prévaloir
de la limitation de responsabilité édictée par l'article vingt-deux, au motif
que le dommage aurait été causé par une faute du Commandant de bord
qui, d'après la loi française devrait être considérée comme équivalente au
dol, l'article quarante-deux de la loi du deux mars mil neuf cent cinquante-
sept, précisant que la faute envisagée à l'article vingt-cinq susvisé est la
faute inexcusable et "qu'est inexcusable la faute délibérée qu'implique la
conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire
sans raison valable"; que la compagnie défenderesse soutient au contraire
que les demandeurs sont incapables de justifier cette prétention alors que
la cause du sinistre demeure inconnue, et qu'au surplus le comportement
du pilote, tel qu'il peut être reconstitué, ainsi que la conjoncture du trafic
sur l'aéroport de Dakar au moment de l'accident sont absolument contrai-
res à ce critère ;
Attendu que les éléments de fait concernant l'accident sont fournis
par la rapport de la Commission d'enquête créée par le
Ministre des
Travaux Publics et des Transports, suivant arrêté en date du dix-neuf sep-
tembre mil neuf cent soixante; et par la bande magnétique sur laquelle a
été enregistrés la conversation du pilote avec la tour de contrôle de J'aéro-
port;
Attendu que pour obtenir la réparation intégrale du préjudice qu'ils
ont subi, - il appartiendrait aux demandeurs de rapporter la preuve que
628
l'accident aurait été la conséquence d'une faute commise par le transpor-
teur ou son préposé et présentant les caractéristiques définies à l'articles
vingt-cinq de la Convention de Varsovie et à l'article quarante-deux de la
loi du deux mars mil neuf cent cinquante-sept, qu'ils soutiennent vaine-
ment qu'une telle faute pourrait être effectivement reprochée au Com-
mandement de bord du Super-Constellation;
Attendu qu'en effet la cause immédiate de la chute en mer demeure
totalement inconnue, des derniers messages de l'avion et l'examen de ses
débris n'apportant aucune indication sur ce point;
Attendu qu'il convient donc de rejeter la demande tendant à la répa-
ration intégrale du préjudice subi par les demandeurs en application de
['article vingt-cinq de la Convention de Varsovie, et de dire que la compa-
gnie défenderesse devra leur verser une indemnité telle que prévue et
limitée par l'article vingt-deux de ladite convention;
Attendu que cette indemnité qui représentait une valeur de cent
vingt-cinq mille francs (constitués par soixante-cinq miligrammes cinquan-
te d'or au titre de 900/1000 de fin), aux termes de la Convention susisée, a
été fixée à deux cent cinquante mille francs par l'article onze du protocole
signé à La Haye, le vingt-huit septembre mil neuf cent cinquante-cinq,
lequel, en application de son article vingt-deux, est entré en vigueur le
premier aoû t mil neuf cent soixante-trois;
Attendu que la compagnie défenderesse soutient que cette disposition
du protocole ne serait pas applicable à la présente instane aux motifs
d'une part, que le protocole n'était en vigueur ni à la date de l'accident, ni
à celle des exploits introductifs, d'autre part, que la preuve ne serait pas
rapportée que le Sénégal fût partie à ce protocole et qu'ainsi le transport
au cours duquel l'accident s'est produit ne s'effectuait pas entre deux Etats
liés par ledit accord international;
Attendu, sur ce dernier point, que l'article vingt-cinq édicte que le
protocole "s'appliquera à tous les territoires, qu'un Etat à ce protocole
représente dans les relations extérieures, à l'exception des territoires à
l'égard desquels une déclaration contraire aurait été faite au moment du
dépôt de l'instrument de ratification ou d'adhésion";
629
Attendu que la ratification par la France a été autorisée par ordon-
nance n° 58.1188 du dix décembre mil neuf cent cinquante-huit et publiée
par décret n° 59.1579 du trente et un décembre mil neuf cent cinquante-
neuf, après dépôt des instruments de ratification le dix-neuf mai mil neuf
cent cinquante-neuf; qu'à cette époque le Sénégal n'avait pas accédé à
l'indépendance; qu'il n'est pas allégué par la compagnie défenderesse que
le Sénégal ait fait l'objet d'une déclaration d'exclusion en application de
l'alinéa deux de l'article vingt-cinq sus-visé ou d'une dénonciation confor-
mément à l'alinéa quatre du même article; qu'en conséquence cet Etat se
trouve lié par le protocole, du fait de la ratification de celui-ci par la
France ;
Attendu, en second lieu, qu'il est constant que ce protocole n'a été
applicable qu'à compter du premier août mil neuf cent soixante-trois;
qu'il convient donc de rechercher s'il doit recevoir cette application immé-
diate et, ce, même à l'égard d'une instance née d'un contrat de transport et
d'un sinistre antérieurs à son entrée en vigueur;
Attendu que la convention constitue le statut de tous les transports
aériens internationaux, auquel les parties ne peuvent déroger par une sti-
pulation contractuelle; que le protocole s'intègre à ladite convention et
modifie ledit statut à compter de son entrée en vigueur ;
Qu'il en est ainsi, notamment de l'article onze qui élève de cent vingt-
cinq mille à deux cent cinquante mille francs la limite de la responsabilité
du transporteur; que cette limitation qui, en mil neuf cent vingt-neuf, a
été inspirée par des motifs d'opportunité en considération de l'état de la
navigation aérienne à cette époque, ne permet pas la réparation intégrale
du préjudice causé à la victime lorsque la valeur de ce préjudice s'avère
supérieure à ce chiffre plafond; que la modification apportée par le proto-
cole a donc pour effet de rapprocher le statut de la responsabilité aérienne
du régime de droit commun, et ainsi d'atténuer, pour les victimes, les con-
séquences d'une mesure d'exception à laquelle elles ne pouvaient se sous-
traire par une stipulation contraclllelle ;
Attendu que, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le protocole susvisé
a pu avoir le caractère d'acte interprétatif de la convention initiale, et, ce,
en l'état des prescriptions de son article vingt-neuf, il suffit pour décider
que le texte s'applique en la cause de constater qu'il a pour effet de modi-
630
fier un statut légal qui s'impose à tous les transports aériens internatio-
naux ;
PAR CES MOTIFS,
Déboute la dame Mac Kinnon de sa demande tendant à obtenir en
application de l'article vingt-cinq de la Convention de Varsovie, la répara-
tion intégrale des préjudices subis tant par elle-même que par ses enfants
mineurs du fait de J'accident du vingt-neuf août mil neuf cent soixante;
Condamne la Cie Air France à payer avec intérêts de droit du jour de
la demande :
1°) A la dame Mac Kinnon pour la réparation du préjudice subi par
elle personnellement en raison du décès de son époux, l'équivalent en
francs français au cours légal du jour du payement de la somme de cin-
quante mille francs constitués par soixante-cinq milligrammes cinquante
d'or au titre de neuf cent millimètres de fin ;
2°) A ladite dame ès-qualité de tutrice de ses deux enfants mineurs, la
somme de deux cent mille francs constitués comme ci-dessus, soit cent
mille francs en réparation du préjudice subi par chacun desdits mineurs;
Déclare l'offre de la compagnie défenderesse insuffisante et non satis-
factoire ;
Rejette comme non fondées toutes conclusions plus amples ou con-
traires ;
Condamne la Cie Air France aux dépens.
Président: M. Fiamat.
Avocats: MCS Binder et Garnault.
631
ANNEXE W 5
TEXTE DES HUIT RESOLUTIONS
DE L'INTERNATIONAL LAW ASSOCIATION
SUIVI DES "POINTS ADDITIONNELS" PROPOSES
PAR LE RAPPORTEUR DE L'ASSOCIATION
D.P. O'CONNELL
1. Sous réserve de dispositions contraires du traité, un Etat qui accède à
l'indépendance a pu ou peut invoquer un traité internationalement appli-
cable, avant l'indépendance, à l'entité ou au territoire lui correspondant:
a) S'il lui a été notifié ou s'il sait par ailleurs que le traité était inter-
nationalement applicable, avant l'indépendance, à l'entité ou au territoire
lui correspondant:
b) i) Et s'il a expressément reconnu avec la ou les autres parties être
lié par les clauses du traité;
ii) Ou bien s'il a appliqué les clauses du traité inter se avec la ou les
autres parties;
iii) Ou bien, dans le cas d'un traité bilatéral, s'il n'a pas déclaré,
ainsi que l'autre partie, dans un délai raisonnable, après l'accession à l'in-
dépendance, que le traité ne les lie plus;
iv) Ou bien, dans le cas d'un traité multilatéral, s'il n'a pas déclaré,
dans un délai raisonnable après l'accession à l'indépendance, que le traité
ne le lie plus.
Les "Points additionnels" proposés par le Rapporteur de ,'ILA étaient
contenus dans le 2ème rapport intérimaire du Comité créé par l'Associa-
tion en 1961 en vue d'étudier la question de la "succession des Etats nou-
veaux aux traités et à certaines au tres obligations de leurs prédécesseurs".
ces "points additionnels" ont été considérés par le Comité comme simple-
ment "soumis aux fins d'études" à l'ILA réunie en Conférence à Buenos
Aires en 1968.
632
2. Dans le cas d'unions d'Etals ou de confédérations d'Etats, les traités
sous réserve de dispositions contraires, restent en vigueur dans les limites
régionales prévues lors de leur conclusion, pour autant qu'ils aient été
exécutés conformément à l'acte constitutif de l'union ou de la confédéra-
tion.
Si le traité reste en vigueur, la responsabilité de l'union ou de la con-
fédération relative à son exécution dépend de la compétence des gouver-
nements membres pour négocier directement avec les Etats étrangers et
pour devenir parties à des procédures arbitrales.
En cas de dissolution des unions ou des confédérations, les éléments
constitutifs de l'Etat composé ont pu ou peuvent invoquer les traités de ce
dernier dans la mesure où ils sont compatibles avec le changement de
circonstances résultant de la dissolution.
3. L'extinction d'un traité entre les parties originaires, au moyen d'un noti-
fication ou d'une autre manière, ne met pas fin en elle-même à l'applica-
tion du traité viso-vis des Etats successeurs ou dans les rapports entre les
Etats successeurs.
4. Lorsque les Etats successeurs de deux ou plusieurs parties à un traité
restent liés entre eux, il est recommandé que l'Etat successeur qui confir-
me le traité ou y met fin examine si ce traité est en vigueur à l'égard
d'autres Etats; et lorsqu'il souhaite y mettre fin l'Etat successeur doit
adresser des notes à cet effet aux autres Etats successeurs qui n'ont pas
clairement précisé leur intention de continuer d'être liés par le traité.
5. Sous réserve de dispositions contraires, un Etat nouvellement indépen-
dant, qui succède à un traité multilatéral, devient titulaire des droits et
tenu des obligations qui en découlent vis-à-vis de toutes les parties au
traité, y compris son propre prédécesseur et les autres Etats y succédant,
qu'ils soient successeurs du même Etat prédécesseur ou d'autres parties.
6. Déterminer si les Etats successeurs ayant l'intention de se considérer
comme liés par des traités qui ne sont pas entrés en vigueur au moment de
l'indépendance peuvent être pris en compte pour que la convention entre
en vIgueur, soulève un problème qui exige une étude plus approfondie.
7. Un Etat nouvellement indépendant n'est pas tenu des droits ou des
obligations découlant d'une convention ratifiée par l'Etat prédécesseur,
633
malS qui n'est pas entrée en vigueur à la date de l'indépendance.
8. Lorsqu'un traité prévoyant la délimitation d'une frontière nationale en-
tre deux Etats a été exécuté, en ce sens que la frontière a été tracée et que
nulle autre mesure n'est nécessaire, le contenu du traité se trouve exécuté
et la succession ne porte pas sur le traité, mais sur J'étendue du territoire
national ainsi délimité; mais lorsqu'un traité de frontières prévoit des me-
sures ultérieures pour délimiter le territoire ou des droits réciproques à
venir concernant les frontières, la question de savoir s'il y a ou non succes-
sion au traité doit être tranchée en se référant aux principes de la section 1
supra lorsqu'ils sont applicables et, dans le cas contraire, en se référant
aux autres principes juridiques susceptibles de jouer en la matière.
TEXTE DES "POINTS ADDITIONNELS"
10. Un Etat successeur ne peut maintenir que la situation juridique-établie
à la suite de la signature ou de la ratification de l'Etat prédécesseur. Etant
donné qu'une réserve délimite ladite situation juridique, il s'ensuit que,
s'il y a succession au traite, elle s'étend à la réserve.
11. Un Etat nouveau qui ne soulJaite pas maintenir les réserves faites par
son prédécesseur peut retirer lesdites réserves ou en redéfinir les limites
pour assumer une plus large part des engagements prévus dans le traité.
12. Un Etat nouveau, dans sa déclaration de maintien du traité ne peut
formuler de réserves nouvelles, sans le consentement des autres parties.
Toutefois, conformément aux règles existantes du droit international, ce
consentement peut être tacite et si la réserve ne fait pas l'objet, dans un
délai raisonnable, d'objections d'une autre partie, elle peut être considé-
rée comme applicable par l'effet d'un consentement tacite. Toutefois, le
consentement tacite ne peut être présumé lorsque les dispositions du trai-
té excluent les réserves ou ne les permettent qu'à l'égard de certains arti-
cles et que les réserves de j'Etat successeur prtent sur d'autres articles que
ceux-Cl.
13. En prenant à son compte la situation juridique de son prédécesseur, un
Etat nouveau fait siennes les conséquences des objections dudit prédéces-
seur à une réserve incompatible dont un traité multilatéral aurait fait l'ob-
jet de la part d'une tierce partie. En conséquence, la réserve ne pourrait
634
pas s'appliquer il l'égard de l'Etat nouveau, il moins que celui-ci ne renon-
ce officiellement il ces objections.
14. Toute déclaration interprétative de son prédécesseur produit égaIe-
ment ses effets il l'égard d'un Etat nouveau tant que ce dernier n'a pas fait
une déclaration différente, qu'il peut inclure dans la déclaration de main-
tien.
635
ANNEXE N° 6
RESOLUTION CONCERNANT LES FRONTIERES
ET LES TRACES FRONTALlERS
ET LES FEDERATIONS,
ADOPTEE A LA PREMIERE CONFERENCE
DES PEUPLES AFRICAINS
ACCRA 5-13 DECEMBRE 1958 (EXTRAITS)
3. Considérant que les frontières et tracés artificiels établis par les impé-
rialistes pour diviser les peuples africains jouent au détriment des Afri-
cains et doivent en conséquence être abolis ou rectifiés;
Considérant que les frontières qui séparent des groupes ethniques ou
divisent des peuples de même souche sont contre nature et ne constituent
pas un facteur de paix ou de stabilité;
Considérant que les chefs des pays voisins doivent coopérer pour trou-
ver à de tels problèmes une solution définitive qui s'accorde au mieux des
intérêts des peuples concernés et qui, de ce fait, accroît les perpective
pour réaliser l'idéal d'un Commonwealth africain d'Etats libres;
Considérant que le 20 février 1959, jour où l'Assemblée Générale des
Nations Unies tiendra une session spéciale pour débattre de la question de
l'unification et de l'indépendance des Camerouns, sera désormais une da-
te importante dans l'histoire de ce pays;
La Conférence des Peuples africains, par le présent acte, décide que
ladite conférence :
a. - DENONCE les frontières artificielles tracées par les puissances
impérialistes pour diviser les peuples d'Afrique, notamment, celles qui
passent au milieu des groupes de même origine ethnique et qui divisent
des peuples de même souche;
636
b. - ADRESSE un appel pour l'abolition ou la rectification de telles
frontières, à une date rapprochée, et dans un sens qui réponde au Illleux
aux désirs véritables des peuples concernés;
c. - DEMANDE aux Etats indépendants d'Afrique d'appuyer une so-
lution définitive;
d. - NOTE avec satisfaction que l'Assemblée Générale des Nations
Unies tiendra une session spéciale pour débattre de la question de !'unifi-
cation et de l'inépendance des Camerouns, le 20 février 1959;
c. - INVITE tous les Africains à considérer cette date comme étant la
journée des Camerouns.
637
ANNEXE W 7
RESOLUTION AHGjRES. 16
RELATIVE AUX PRONTIERES AFRICAINES:
ADOPTEE LE 21 JUILLET 1964
PAR LA CONFERENCE DES CHEFS D'ETAT
ET DE GOUVERNEMENT DE L'O.U.A.
La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement réunie au Caire
R.A.U. pour sa première session du 17 au 21 juillet 1964,
Considérant que les problèmes frontaliers sont un facteur grave et per-
manent de désaccord,
Consciente de l'existence d'agissements d'origine extra-africaine VI-
sant à diviser les Etats africains,-
Considérant en outre que les frontières des Etats africains, au jour de
leur indépendance, constituent une réalité tangible,
Rappelant la création à la deuxième session ordinaire du Conseil, du
Comité des Onze chargé d'étudier de nouvelles mesures de nature à ren-
forcer l'uni té africaine,
Reconnaissant l'impérieuse nécessité de régler, par des moyens pacifi-
ques, et dans un cadre purement africain, tous les différends entre Etats
africains,
Rappelant en outre que tous les Etats membres se sont engagés, aux
termes de l'Article VI de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine,
à respecter scrupuleusement les principes énoncés au paragraphe 3 de l'Ar-
ticle III de ladite Charte,
1. Réaffirme solennellement le respect total par tous les Etats membres de
l'O.U.A. des principes énoncés au paragraphe III de la Charte de ladite
. Organisation ;
2. Déclare solennellement que tous les Etats membres s'engagent à respec-
ter les frontières existant au moment où ils ont accédé à l'indépendance.
631\\
ANNEXE W 8
ECHANGE DE LETTRES FRANCO-PORTUGAIS
DU 26 AVRIL 1960
"AU SUJET DE LA FRONTIERE EN MER
ENTRE LE SENEGAL ET LA GUINEE PORTUGAISE"
J.O.R.F., 31 MAI 1960, P. 4914
AMBASSADE DE FRANCE AU PORTUGAL
Lisbonne, le 26 avril 1960.
A son Excellence le Professeur Docteur Antonio
de Oliveira Salazar,
Président du Conseil,
Ministre des Affaires Etrangères par intérim,
Lisbonne
Monsieur le Président,
A la suite des conversations qui ont eu lieu à Lisbonne les 8, 9 et 10
septembre 1959 en vue de définir la frontière en mer entre la République
du Sénégal et la Province Portugaise de Guinée, en tenant compte des
Conventions de Genève du 29 avril 1958, élaborées par la Conférence des
Nations-Unies sur le droit de la mer, j'ai l'honneur, au nom de la Républi-
que française et de la Communauté, de proposer à Votre Excellence ce qui
suit :
Jusqu'à la limite extérieure des mers territoriales, la frontière serait
définie par une ligne droite, orientée à 240 degrés, partant du point d'in-
tersection du prolongement de la frontière terrestre et de la laisse de bas-
se-mer, représenté à cet effet par le phare du Cap Roxo.
En ce qui concerne les zones contiguës et le plateau continental, la
délimitation serait constituée par le prolongement rectiligne, dans la mê-
me direction, de la frontière des mers territoriales.
639
Dans l'esprit d'amitié et de bon voisinage qui a toujours prévalu entre
nos pays, les autorités compétentes favoriseraient, le cas échéant, la coo-
pération mutuelle des personnes physiques ou morales autorisées à exer-
cer des droits de part ou d'autre de la ligne ci-dessus définie.
Je serais reconnaissant à Votre Excellence de bien vouloir me faire
savoir si ces propositions rencontrent l'agrément du Gouvernement portu-
gaIs.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, les assu-
rances de ma très haute considération.
Signé
B. DE MENTHON.
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES
CABINET DU MINISTRE
Lisbonne, le 26 avril 1960
A Son Excellence
Monsieur le Comte Bernard de Menthon,
Ambassadeur de France
Monsieur l'Ambassadeur,
J'ai J'honneur d'accuser réception de la Note de Votre Excellence,
datée du 26 courant, dont la teneur est la suivante:
"A la suite des conversations qui ont eu lieu à Lisbonne les 8, 9 et 10
septembre 1959 en vue de définir la frontière en mer entre la République
du Sénégal et la province Portugaise de Guinée, en tenant compte des
Conventions de Genève du 29 avril 1958, élaborées par la Conférence des
Nations-Unies sur le droit de la mer, j'ai l'honneur, au nom de la Républi-
que française et de la Communauté, de proposer à Votre Excellence ce qui
suit :
"Jusqu'à la limite extérieure des mers territoriales, la frontière serait
définie par une ligne droite, orientée à 240 degrés, partant du point d'in-
tersection du prolongement de la frontière terrestre et de la laisse-mer,
représenté à cet effet par le phare du Cap Roxo.
"En ce qui concerne les zones contiguës et le plateau continental, la
délimitation serait constituée par le prolongement rectiligne, dans la mê-
me direction de la frontière des mers territoriales.
"Dans l'esprit d'amitié et de bon voisinage qui a toujours prévalu en-
tre nos pays, les autorités compétentes favoriseraient, le cas échéant, la
coopération mutuelle des personnes physiques ou morales autorisées à
exercer des droits de part et d'autre de la ligne ci-dessus définie.
"Je serais reconnaisant à Votre Excellence de bien vouloir me faire
savoir si ces propositions rencontrent l'agrément du Gouvernement portu-
gais.
"J e vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, les assu-
rances de ma très hau te considération".
J'ai l'honneur de faire savoir à Votre Excellence que les termes de la
note de Votre Excellence reproduite ci-dessus rencontrent l'agrément du
Gouvernement portugais, étant entendu que ladite Note et la présente
réponse constituent les instruments de l'accord intervenu en la matière
entre les deux Gouvernements.
Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour présenter à Votre Excellen-
ce, Monsieur l'Ambassadeur, l'assurance de ma plus haute considération.
Le Ministre des Affaires Etrangères,
A.O. Salazar
641
ANNEXE N° 9
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ATLANTIC'OCEAN
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Carte portant tracé de la frontière maritime entre le Sénégal ct la Guinée-Bissau telle que délimitée dans
l'échange de lettres du 26 avril 1960. Carte reproduite dans la réplique du Canada relative à l'affaire de la
Délimitation de la frontière maritime dans b région du Golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d'Amérique),
CIJ, Annexes à la Réplique du Canada, Livre J, La pratique des Etats, 12 décembre 1985.
642
ANNEXE W 10
CONVENTION DE VIENNE
SUR LA SUCCESSION D'ETATS
EN MATIERE DE TRAITES
(Adoptée le 23 août 1978)
Les Etats parties à la présente Convention,
Considérant que le processus de décolonisation a entraîné une trans-
formation profonde de la communauté internationale,
Considérant également que d'autres facteurs pourraient conduire à
l'avenir à des cas de succession d'Etats,
Convaincus, dans ces conditions, de la nécessité de codifier et de dé-
velopper progressivement les règles relatives à la succession d'Etats en
matière de traités en tant que moyen de garantir une plus grande sécurité
juridique dans les relations internationales,
Constatant que les principes du libre consentement, de la bonne foi et
pacta sunt servanda sont universellement reconnus,
Soulignant que le respect constant des traités multilatéraux généraux
qui portent sur la codification et le développement progressif du droit
international et de ceux dont l'objet et le but intéressent la communauté
internationale dans son ensemble est d'une importance particulière pour
Je renforcement de la paix et de la coopération internationale,
Conscients des principes de droit international incorporés dans la
Charte des Nations Unies, tels que les principes concernant l'égalité des
droits des peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes, l'égalité souverai-
ne et l'indépendance de tous les Etats, la non-ingérance dans les affaires
intérieures des Etats, l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force
et le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés
643
fondamentales pour tOllS,
Rappelant que Je respect de J'intégrité territoriale et de l'indépendan-
ce politique de tout Etat est exigé par la Charte des Nations Unies,
Ayant présentes à l'esprit les dispositions de la Convention de Vienne
sur le droit des traités de 1969,
Ayant également présent à l'esprit l'article 73 de ladite Convention,
Affirmant que les questions du droit des traités autres que celles aux-
quelles peut donner lieu une succession d'Etats sont régies par les règles
pertinerites du droit international, y compris par celles des règles du droit
international coutumier qui sont incorporées dans la Convention de Vien-
ne sur le droit des traités de 1969,
Affirmant que les règles du droit international coutumier continueront
à régir les questions non réglées dans les dispositions de la présente Con-
vention,
Sont convenus de ce qui suit
PARTIE 1
DISPOSITIONS GENERALES
Article premier
Portée de la présente Convention
La présente Convention s'applique aux effets de la succession d'Etats
en matière de traités entre Etats.
Article 2
Expressions employées
1. Aux fins de la présente convention
a) L'expression "traité" s'entend d'un accord international conclu par
écrit entre Etats et régi par le droit international, qu'il soit consigné dans
un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et
quelle que soit sa dénomination particulière;
b) l'expression "succession d'Etats" s'entend de la substitution d'un
Etat à un autre dans la responsabilité des relations internationales d'un
territoire;
c) l'expression "Etat prédécesseur" s'entend de l'Etat auquel un autre
Etat s'est substitué à l'occasion d'une succession d'Etats;
d) l'expression "Etat successeur" s'entend de l'Etat qui s'est substitué
à un autre Etat à l'occasion d'une succession d'Etats;
e) J'expression "date de la succession d'Etats" s'entend de la date à
laquelle l'Etat successeur s'est substitué à l'Etat prédécesseur dans la res-
ponsabilité des relations internationales du territoire auquel se rapporte
la succession d'Etats ;
645
f) l'expression "Etat nouvellement indépendant" s'entend d'un Etat
,s~cesseur dont le territoire, immédiatement avant la date de la succes-
sion d'Etats, était un territoire dépendant dont l'Etat prédécesseur avait la
responsabilité des relations intenationales ;
g) l'expression "notification de succession" s'entend, par rapport à un
traité multilatéral, d'une notification, quel que soit son libellé ou sa dési-
gnation, faite par un Etat successeur, exprimant le consentement de cet
Etat à être considéré comme étant lié par le traité;
h) l'expression "pleins pouvoirs" s'entend, par rapport à une notifica-
tion de succession ou à toute autre notification faite en vertu de la présen-
te Convention, d'un document émanant de l'autorité compétente d'un Etat
et désignant une ou plusieurs personnes pour représenter l'Etat en vue de
communiquer la notification de succession ou la notification, selon le cas;
i) les expressions "ratification", "acceptation" et "approbation" s'enten-
dent, selon le cas, de l'acte international ainsi dénommé par lequel un
Etat établit sur le plan
international son consentement à être lié par un
traité;
j) l'expression "réserve" s'entend d'une déclaration unilatérale, quel
que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il signe,
ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, ou quand il fait une
notification de succession à un traité, par laquelle il vise à exclure ou à
modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur ap-
plication à cet Etat;
k) l'expression "Etat contractant" s'entend d'un Etat qui a consenti à
être lié par le traité, que le traité soit entré en vigueur ou non ;
l) l'expression "partie" s'entend d'un Etat qui a consenti à être lié par
le traité et à l'égard duquel le traité est en vigueur;
m) l'expression "autre Etat partie" s'entend, par rapport à un Etat
successeur, d'une partie, autre que l'Etat prédécesseur, à un traité en vi-
gueur à la date d'une succession d'Etats à l'égard du territoire auquel se
rapporte cette succession d'Etats ;
n) l'expression "organisation internationale" s'entend d'une organisa-
tion intergouvernementale.
646
2. Les dispositions du paragraphe 1 concernant les expressions employées
dans la présente convention ne préjugent pas l'emploi de ces expressions
ni le sens qui peut leur être donné dans le droit interne des Etats.
Article 3
Cas n'entrant pas dans le
cadre de la présente Convention
Le fait que la présente Convention ne s'applique aux effets de la suc-
cession d'Etats, ni en matière d'accords internationaux conclus entre des
Etats et d'autres sujets du droit innternational, ni en matière d'accords
internationaux qui n'ont pas été conclus par écrit, ne porte pas atteinte:
a) à l'application à ces cas de toutes règles énoncées dans la présente
Convention auxquelles ils sont soumis en vertu du droit international indé-
pendamment de ladite Convention;
b) à l'application, entre Etats, de la présente Convention aux effets de
la succession d'Etats en matière d'accords internationaux auxquels sont
égale met parties d'autres sujets du droit international.
Article 4
Traités constitutifs d'organisations
internationales et traités adoptés au sein
d'une organisation internationale
La présente Convention s'applique aux effets de la succession d'Etats
en ce qUI concerne;
a) Tout traité qui est l'acte constitutif d'une organisation internatio-
nale, sous réserve des règles concernent l'acquisition de la qualité de
membre et sous réserve de toute autre règle pertinente de l'organisation;
b) tout traité adopté au sein d'une organisation internationale, sous
réserve de toute règle pertinente de l'organisation.
647
Article 5
Obligations imposées par le droit international
indépendamment d'un traité
Le fait qu'un traité n'est pas considéré comme étant en vigueur à
l'égard d'un Etat en raison de l'application de la présente Convention
n'affecte en aucune manière le devoir de cet Etat de remplir toute obliga-
tion énoncée dans le traité à laquelle il est soumis en vertu du droit intera-
tional indépendamment dudit traité.
Article 6
Cas de successIOn d'Etats visés par
la présente convention
La présente Convention s'applique uniquement aux effets d'une suc-
cession d'Etats se produisant conformément au droit international, et plus
particulièrement aux principes du droit international incorporés dans la
Charte des Nations Unies.
Article 7
Application dans le temps
de la présente Convention
1. Sans préjudice de l'application de toutes règles énoncées dans la
présente Convention auxquelles les effets d'une succession d'Etats se-
raient soumis en vertu du droit international indépendamment de la Con-
vention, celle-ci s'applique uniquement à l'égard d'une succession d'Etats
qui s'est produite après son entrée en vigueur, sauf s'il en est autrement
convenu.
2. Un Etat successeur peut, au moment où il exprime son consente-
ment
être lié par la présente Convention ou à tout moment par la suite,
faire une déclaration indiquant qu'il appliquera les dispositions de la Con.
648
vention à l'égard de sa propre succession d'Etats, laquelle s'est produite
avant l'entrée cn vigueur de la Convention, par rapport à tout autre Etat
contractant ou Etat partie à la Convention qui aura fait une déclaration
par laquelle il accepte la déclaration de j'Etat successeur. Dès l'entrée en
vigueur de la Convention entre les Etats qui auront fait ces déclarations
ou dès la déclaration d'acceptation, si celle-ci est postérieure, les disposi-
tions de la Convention s'appliqueront aux effets de la succession d'Etats à
compter de la date de ladite succession.
3. Un Etat successeur peut, au moment où il signe la présente Conven-
tion ou exprime son consentement à être lié par elle, faire une déclaration
indiquant qu'il appliquera provisoirement les dispositions de la Conven-
tion à l'égard de sa propre succession d'Etats, laquelle s'est produite avant
l'entrée en vigueur de la Convention, par rapport à tout autre Etat signa-
taire ou contractant qu aura fait une déclaration par laquelle il accepte la
déclaration de l'Etat successeur; dès que la déclaration d'acceptation au-
ra été faite, ces dispositions s'appliqueront provisoirement aux effets de la
succession d'Etats entre ces deux Etats à compter de la date de ladite
successIOn.
4. Toute déclaration faite conformément au paragraphe 2 ou au para-
graphe 3 devra figurer dans une notification écrite communiquée au dépo-
sitaire, lequel informera les Parties et les Etats ayant qualité pour devenir
Parties à la présente Convention de la communication qui lui a été faite de
cette notification et de ses termes.
Article 8
Accords portant dévolu tion d'obligations
ou de droits conventionnels d'un Etat
prédécesseur à un Etat successeur
1. Les obligations ou les droits d'un Etat prédécesseur découlant de
traités en vigueur à l'égard d'un territoire à la date d'une succession
d'Etats ne deviennent pas les obligations ou les droits de l'Etat successeur
vis-à-vis d'autres Etats parties à ces traités du seul fait que j'Etat prédé-
cesseur et l'Etat successeur ont conclu un accord stipulant que lesdites
obligations ou lesdits droits sont dévolus à l'Etat successeur.
649
2. Nonobstant la conclusion d'un tel accord, les effets d'une succes-
sion d'Etats sur les traités qui, à la date de cette succession d'Etats, étaient
en vigueur à l'égard du territoire en question sont régis par la présente
Convention.
Article 9
Déclaration unilatérale d'un Etat
successeur concernant les traités
de l'Etat prédécesseur
1. Les obligations ou les droits découlant de traités en vigueur à
l'égard d'un territoire à la date d'une succession d'Etat ne deviennent pas
les obligations ou les droits de j'Etat successeur ni d'autres Etats parties à
ces traités du seul fait d'une déclaration unilatérale de l'Etat successeur
prévoyant le maintien en vigueur des traités à l'égard de son territoire.
2. En pareil cas, les effets de la succession d'Etats sur les traités qui, à
la date de cette succession d'Etats, étaient en vigueur à l'égard du territoi-
re en question sont régis par la présente Convention.
Article la
Traités prévoyant la particIpation
d'un Etat successeur
1. Lorsqu'un traité dispose qu'en cas de succession d'Etats un Etat
successeur aura la faculté de se considérer comme partie au traité, cet
Etat peut notifier sa succession à l'égard de ce traité conformément aux
dispositions du traité ou, en l'absence de dispositions à cet effet, confor-
mément aux dispositions de la présente Convention.
2. Si un traité dispose qu'en cas de succession d'Etats un Etat succes-
seur sera considéré comme partie au traité, cette disposition ne prend
effet en tant que telle que si l'Etat successeur accepte expressément par
écrit qu'il en soit ainsi.
650
3. Dans les cas relevant du paragraphe 1 ou du paragraphe 2, un Etat
successeur qui établit son consentement à être partie au traité est considé-
ré comme partie à compter de la date de la succession d'Etats, à moins que
le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit autrement convenu.
Article 11
Régimes de frontière
Une succession d'Etats ne porte pas atteinte en tant que telle
a) à une frontière établie par un traité; ni
b) aux obligations et droits établis par un traité et se rapportant au
régime d'une frontière.
Article 12
Autres régimes territoriaux
1. Une succeSSIOn d'Etats n'affecte en pas tant que telle:
a) Les obligations se rapportant à l'usage de tout territoire, ou aux
restrictions à son usage, établies par un traité au bénéfice de tout territoi-
re d'un Etat étranger et considérées comme attachées aux territoires en
question ;
b) les droits établis par un traité au bénéfice de tout territoire et se
rapportant à l'usage, ou aux restrictions à l'usage, de tout territoire d'un
Etat étranger et considérés comme attachés aux territoires en question.
2. Une succession d'Etats n'affecte pas en tant que telle:
a) les obligations se rapportant à l'usage de tout territoire, ou aux
restrictions à son usage, établies par un traité au bénéfice d'un groupe
d'Etats ou de tous les Etats et considérées comme attachées à ce territoi-
re;
b) les droits établis par un traité au bénéfice d'un groupe d'Etats ou
de tou~ les Etats ct se rapportant à ['usage de tout territoire, ou aux res-
trictions à son usage, ct considérés comme attachées à ce territoire.
3. Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux obliga-
tions conventionnelles de l'Etat prédécesscur prévoyant l'établissement
de bases militaires étrangères sur le territoire auquel sc rapporte la suc-
cession d'Etats.
Article 13
La présente Convention et la souveraineté
permanente sur les richesses et
les ressources naturelles
Rien dans la présente Convention n'affecte les principes du droit in-
ternational affirmant la souveraineté permanente de chaque peuple et de
chaque Etat sur ses richesses et ses ressources naturelles.
Article 14
Questions relatives à la validité d'un traité
Rien dans la présente Convention n'est considéré comme préjugeant
en quoi que ce soit toute question relative à la validité d'un traité.
652
PARTIE II
SUCCESSION CONCERNANT
UNE PARTIE DE TERRITOIRE
Article 15
Succession concernant une partie de territoire
Lorsqu'une partie du territoire d'un Etat, ou lorsque tout territoire
pour les relations internationales duquel un Etat est responsable et qui ne
fait pas partie du territoire de cet Etat, devient partie du territoire d'un
autre Etat:
a) les traités de l'Etat prédécesseur cessent d'étre en vigueur à l'égard
du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats à compter de la date
de la succession d'Etats; et
b) les traités de l'Etat successeur sont en vigueur à l'égard du territoi-
re auquel se rapporte la succession d'Etats à compter de la date de la
succession d'Etats, à moins qu'il ne ressorte du traité ou qu'il ne soit par
ailleurs établi que l'application du traité à ce territoire serait incompati-
ble avec l'objet et le but du traité ou changerait radicalement les condi-
tions d'exécution du traité.
653
PARTIE III
ETATS NOUVELLEMENT
INDEPENDANTS
Section 1
REGLE GENERALE
Article 16
Position à l'égard des traités de
l'Etat prédécesseur
Un Etat nouvellement indépendant n'est pas tenu de maintenir un
traité en vigueur ni d'y devenir partie du seul fait qu' la date de la succes-
sion d'Etats le traité était en vigueur à l'égard du territoire auquel se
rapporte la succession d'Etats.
Section 2
TRAITES MIlLTILA TERAUX
Article 17
Participation à des traités en vigueur à la date
de la succession d'Etats
1. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, un Etat nouvellement indépen-
dant peut, par une notification de succession, établir sa qualité de partie à
tout traité multilatéral qui, à la date de la succession d'Etats, était en
vigueur à l'égard du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas s'il ressort du traité ou s'il est par
ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat nouvellement
indépendant serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou change-
rait radicalement les conditions d'exécution du traité.
3. Si, aux termes du traité ou en raison du nombre restreint des Etats
ayant participé à la négociation ainsi que de l'objet et du but du traié, on
654
doit considérer que la participation au traité de tout autre Etat exige le
consentement de toutes les parties, l'Etat nouvellement indépendant ne
peut établir sa qualité de partie au traité qu'avec un tel consentement.
Article 18
Participation à des traités qui
ne sont pas en vigueur à la date
de la succession d'Etats
1. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat nouvellement indépen-
dant peut, par une notification de succession, établir sa qualité d'Etat con-
tractant à l'égard d'un traité multilatéral qui n'est pas en vigueur si , à la
date de la succession d'Etats, l'Etat prédécesseur était un Etat contractant
à l'égard du territoire auquel se rapporte cette succession d'Etats.
2. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat nouvellement indépen-
dant peut, par une notification de succession, établir sa qualité de partie à
un traité multilatéral qui entre en vigueur après la date de la succession
d'Etats si, à la date de la succession d'Etats, l'Etat prédécesseur était un
Etat contractant à l'égard du territoire auquel se rapporte cette succession
d'Etats.
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas s'il ressort du traité ou s'il
est par ailIeurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat nouvel-
lement indépendant serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou
changerait radicalement les conditions d'exécution du traité.
4. Si, aux termes du traité ou en raison du nombre restreint des Etats
ayant participé à la négociation ainsi que de l'objet et du but du traité, on
doit considérer que la participation au traité de tout autre Etat exige le
consentement de toutes les parties ou de tous [es Etats contractants, l'Etat
nouvellement indépendant ne peut établir sa qualité d'Etat contractant ou
de partie au traité qu'avec un tel consentement.
5. Lorsqu'un traité dispose qu'il n'entrera en vigueur que lorsqu'un
nombre déterminé d'Etats seront devenus Etats contractants, un Etat nou-
vellement indépendant qui établit sa qualité d'Etat contractant à l'égard
du traité conformément au paragraphe 1 est compté au nombre des Etats
655
contractants aux fins de cette disposition, à moins qu'une intention diffé-
rente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie.
Article 19
Participation à des traités signés par
l'Etat prédécesseur sous réserve de ratification,
d'acceptation ou approbation
1. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, si, avant la date de la succes-
sion d'Etats, l'Etat prédécesseur a signé un traité multilatéral sous réserve
de ratification, d'acceptation ou d'approbation et que, ce faisant, son in-
tention a été que le traité s'étende au territoire auquel se rapporte la
succession d'Etats, l'Etat nouvellement indépendant peut ratifier, accep-
ter ou approuver le traité comme s'il l'avait signé et peut devenir ainsi
Etat contractant ou partie au traité.
2. Aux fins du paragraphe 1, à moins qu'une intention différente ne
ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, la signature d'un traité par
l'Etat prédécesseur est réputée exprimer l'intention que le traité s'étende
à l'ensemble du territoire pour les relations internationales duquel l'Etat
prédécesseur était responsable.
656
3. Le paragraphe 1 ne s'applique pas s'il ressort du traité ou s'il est par
ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat nouvellement
indépendant serait incompatible av~c l'objet et le but du traité ou change-
rait radicalement les conditions d'exécution du traité.
4. Si, aux termes du traité ou en raison du nombre restreint des Etats
ayant participé à la négociation ainsi que de l'objet et du but du traité, on
doit considérer que la participation au traité de tout autre Etat exige le
consentement de toutes les parties ou de tous les Etats contractants, l'Etat
nouvellement indépendant ne peut devenir Etat contractant ou partie au
traité qu'avec un tel consentement.
Article 20
Réserves
1. Lorsqu'un Etat nouvellement indépendant établit par une notifica-
tion de succession sa qualité d'Etat contractant ou de partie à un traité
multilatéral conformément à
l'article 17 ou à l'article 18, il est réputé
maintenir toute réserve au traité qui était applicable, à la date de la suc-
cession d'Etats, à l'égard du territoire auquel se rapporte la succession
d'Etats, à moins que, lorsqu'il fait la notification de succession, il n'expri-
me l'intention contraire ou ne formule une réserve se rapportant au même
sujet que ladite réserve.
657
2. Lorsqu'il fait lIne notification de succession établissant sa qualité
d'Etat contranctant ou de partie à un traité multilatéral conformément à
l'article 17 ou à
l'article 18, un Etat nouvellement indépendant peut for-
muler une réserve, à moins que la réserve ne soit de celles dont la formula-
tion serait exclue par les dispositions des alinéas a), b) ou c) de l'article 19
de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
3. Lorsqu'un Etat nouvellement indépendant formule une réserve
conformément au paragraphe 2, les règles énoncées dans les articles 20 à
23 de la Convention de Vienne sur le droit des traités s'appliquent à
l'égard de cette réserve.
Article 21
Consentement à être lié par une partie d'un traité
et choix entre des dispositions différentes
1. Lorsqu'il fait une notification de succession, conformément à l'arti-
cle 17 ou à l'article 18, établissant sa qualité d'Etat contractant ou de
partie à un traité multilatéral, un Etat nouvellement indépendant peut, si
le traité le permet, exprimer son consentement à être lié par une partie du
traité ou choisir entre des dispositions différentes dans les conditions
énoncés dans le traité pour l'expression d'un tel consentement ou l'exerci-
ce d'un tel choix.
65H
2. Un Etat nouvellement indépendant peut aussi exercer, dans les mê-
mes conditions que les autres parties ou Etats eontraeatants, tout droit
prévu dans le traité de retirer ou de modifier tout consentement exprimé
ou tout choix exercé par lui-même ou par l'Etat prédécesseur à l'égard du
territoire auquel se rapporte la succession d'Etats.
3. Si l'Etat nouvellement indépendant n'exprime pas le consentement
ou n'exerce pas le choix prévu au paragraphe 1, ou ne retire pas ou ne
modifie pas le consentement de l'Etat prédécesseur ou le choix exercé par
l'Etat prédécesseur comme il est prévu au paragraphe 2, il est réputé
maintenir:
a) le consentement exprimé par l'Etat prédécesseur, conformément
au traité, à être jié à l'égard du territoire auquel se rapporte la succession
d'Etats par une partie dudit traité; ou
b) le choix exercé par l'Etat prédécesseur, conformément au traité,
entre des dispositions différentes aux fins de l'application du traité à
l'égard du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats.
Article 22
Notification de successIOn
1. Une notification de succession à un traité mulitilatéra! en vertu de
l'article 17 ou de l'article 18 doit être faite par écrit.
2. Si la notification de succession n'est pas signée par le chef de l'Etat,
le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères, le repré-
sentant de l'Etat qui en fait la communication peut être invité à produire
ses pleins pouvoirs.
3. A moins que le traité n'en dispose autrement, la notification de
succession :
a) est transmise par l'Etat nouvellement indépendant au dépositaire
ou, s'il n'y a pas de dépositaire, aux parties ou aux Etats contractants;
b) est considérée comme ayant été faite par j'Etat nouvellement indé-
pendant à la date à laquelle elle est reçue par le dépositaire ou, s'il n'y a
pas de dépositaire, à la date à laquelle elle est reçue par toutes les parties
ou, selon le cas, par tous les Etats contractants.
4. Le paragraphe 3 n'affecte aucune des obi igations que le dépositaire
peut avoir, conformément au traité ou autrement, d'informer les parties
ou les Etats contractants de la notification de succession ou de toute com-
munication y relative faite par l'Etat nouvellement indépendant.
5. Sous réserve des dispositions du traité, la notification de succes-
SIOn ou la communication y relative n'est considérée comme ayant été
reçue par l'Etat auquel elle est destinée qu'à partir du moment où cet Etat
en a été informé par le dépositaire.
Article 23
Effets d'une notification de successIOn
1. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit
au trement convenu, un Etat nouvellement indépendant qui fait une notifi-
cation de succession conformément à l'article 17 ou au paragraphe 2 de
l'article 18 est considéré comme partie au traité à compter de la date de la
succession d'Etats ou à compter de la date de l'entrée en vigueur du traité,
SI cette date est postérieure.
2. Toutefois, l'application du traité est considérée comme suspendue
entre l'Etat nouvellement indépendant et les autres parties au traité jus-
qu'à la date à laquelle la notification de succession est faite, sauf dans la
mesure où le traité est appliqué
à titre provisoire conformément à l'arti-
cle 27 ou s'il en est autrement convenu.
3. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit
autrement convenu, un Etat nouvellement indépendant qui fait une notifi-
cation de succession conformément au
paragraphe 1 de l'article 18 est
considéré comme Etat contractant à l'égard du traité à partir de la date à
laquelle la notification de succession est faite.
660
Section 3
TRAITES BILATERAUX
Article 24
Conditions requises pour qu'un traité
soit considéré comme étant en vigueur
dans le cas d'une succession d'Etats.
L Un traité bilatéral qui, à la date d'une succession d'Etats, était en
vigueur à l'égard du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats est
considéré comme étant en vigueur entre un Etat nouvellement indépen-
dant et l'autre Etat partie:
a) s'ils en sont expressément convenus; ou
b) si, en raison de leur conduite, ils doivent être considérés comme en
tant ainsi convenus.
2. Un traité considéré comme étant en vigueur en application du para-
graphe 1 s'applique dans les relations entre l'Etat nouvellement indépen-
dant et l'autre Etat partie à partir de la date de la succession d'Etats, à
moins qu'une intention différente ne ressorte de leur accord ou ne soit par
ailleurs établie.
Article 25
Situation entre l'Etat prédécesseur
et l'Etat nouvellement indépendant.
Un traité qui, en application de l'article 24, est considéré comme
étant en vigueur entre un Etat nouvellement indépendant et l'autre Etat
partie ne doit pas, de ce seul fait, être considéré comme étant également
en vigueur dans les relations entre l'Etat prédécesseur et l'Etat nouvelle-
ment indépendant.
661
Article 26
Extinction, supension ou amendement
du traité entre l'Etat prédécesseur
et l'autre Etat partie.
1. Lorsque, en application de l'article 24, un traité est considéré com-
me étant en vigueur entre un Etat nouvellement indépendant et l'autre
Etat partie, ce traité:
a) ne cesse pas d'être en vigueur entre eux du seul fait qu'il y a ulté-
rieurement été mis fin dans les relations entre l'Etat prédécesseur et l'au-
tre Etat partie ;
b) n'est pas suspendu dans les relations entre eux du seul fait qu'il a
ultérieurement été suspendu dans les relations entre l'Etat prédécesseur
et l'autre Etat partie;
c) n'est pas amendé dans les relations entre eux du seul fait qu'il a
ultérieurement été amendé dans les relations entre l'Etat prédécesseur et
j'autre Etat partie.
2. Le fait qu'il a été mis fin à un traité ou, selon le cas, que son appli-
cation a été suspendue dans les relations entre l'Etat prédécesseur et l'au-
tre Etat partie après la date de la succession d'Etats n'empêche pas le
traité d'être considéré comme étant en vigueur où selon le cas, en applica-
tion entre l'Etat nouvellement indépendant et l'autre Etat partie s'il est
établi, conformément à l'article 24, qu'ils en étaient ainsi convenus.
3. Le fait qu'un traité a été amendé dans les relations entre j'Etat
prédécesseur et l'autre Etat partie après la date de la succession d'Etats
n'empêche pas le traité non amendé d'être considéré comme étant en vi-
gueur, en application de l'article 24, entre l'Etat nouvellement indépen-
dant et l'autre Etat partie, à moins qu'il ne soit établi que leur intention
était de rendre applicable entre eux le traité amendé.
662
Section 4
APPLICATION PROVISOIRE
Article 27
Traités multilatéraux
Si, à la date de la succession d'Etats, un traité multilatéral était en
vigueur à l'égard du territoire auquel se rapporte la succession d'Etats et
si l'Etat nouvellement indépendant fait part de son intention que ce traité
soit appliqué à titre provisoire à l'égard de son territoire, le traité s'appli-
que à ce titre entre l'Etat nouvellement indépendant et toute partie qui y
consent expressément ou qui, en raison de sa conduite, doit être considé-
rée comme y ayant consenti.
2. Toutefois, dans Je cas d'un traité appartenant à la catégorie visée au
paragraphe 3 de l'article 17, le consentement de toutes les parties à une
telle application provisoire est requis.
3. Si, à la date de la succession d'Etats, un traité multilatéral non
encore en vigueur était appliqué à titre provisoire à l'égard du territoire
auquel se rapporte la succession d'Etats et si l'Etat nouvellement indépen-
dant fait part de son intention que ce traité continue à être appliqué à titre
provisoire à l'égard de son territoire, le traité s'applique à ce titre entre
l'Etat nouvellement indépendant et tout Etat contractant qui y consent
expressément ou qui, en raison de sa conduite, doit être considéré comme
y ayant consenti.
4. Toutefois, dans le cas d'un traité appartenant à la catégorie visée au
paragraphe 3 de l'article 17, le consentement de tous les Etats contrac-
tants à une telle application provisoire est requis.
5. Les paragraphes 1 à 4 ne s'appliquent pas s'il ressort du traité ou s'il
est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat nouvel-
lement indépendant serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou
changerait radicalement les conditions d'exécution du traité.
663
Article 28
Traités bilatéraux
Un traité bilatéral qui, à la date d'une succession d'Etat, était en vi-
gueur ou était appliqué à titre provisoire à l'égard du territoire auquel se
rapporte la succession d'Etats est considéré comme s'appliquant à titre
provisoire entre l'Etat nouvellement indépendant et l'autre Etat intéressé
a) s'ils en conviennent expressément; ou
b) si, en raison de leur conduite, ils doivent être considérés comme
étant ainsi convenus.
Article 29
Fin de l'application provIsOire
1. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit
autrement convenu, l'application provisoire d'un traité multilatéral con-
formément à j'article 27 peut prendre fin:
a) par un préavis raisonnable donné à cet effet par l'Etat nouvelle-
ment indépendant ou la partie ou l'Etat contractant qui applique le traité
à titre provisoire et à l'expiration de ce préavis; ou
b) dans le cas d'un traité appartenant à la catégorie visée au paragra-
phe 3 de J'article 17, par un préavis raisonnable donné à cet effet par l'Etat
nouvellement indépendant ou toutes les parties ou, selon le cas, tous les
Etats contractants et à l'expiration de ce préavis.
2. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit
autrement convenu, l'application provisoire d'un traité bilatéral confor-
mément à l'article 28 peut prendre fin par un préavis raisonnable donné à
cet effet par l'Etat nouvellement indépendant ou l'autre Etat intéressé et à
l'extirpation de ce préavis.
664
3. A moins que le traité ne prévoie un délai plus court pour y mettre
fin ou qu'il n'en soit autrement convenu, le préavis raisonnable pour met-
tre fin à l'application provisoire est un préavis de douze mois à compter de
la date à laquelle il est reçu par l'autre Etat ou les autres Etats qui appli-
quent le traité à titre provisoire.
4. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit
autrement convenu, l'application provisoire d'un traité multilatéral con-
formément à l'article 27 prend fin si l'Etat nouvellement indépendant fait
part de son intention de ne pas devenir partie au traité.
Section 5 : ETATS NOUVELLEMENT INDEPENDANTS
FORMES DE DEUX OU PLUSIEURS TERRITOIRES
Article 30
Etats nouvellement indépendants formés
de deux ou plusieurs territoires
1. Les articles 16 à 29 s'appliquent dans le cas d'un Etat nouvellement
indépendant formé de deux ou plusieurs territoires.
2. Lorsqu'un Etat nouvellement indépendant formé de deux ou plu-
sieurs territoires est considéré comme étant partie à un traité ou devient
partie à un traité en vertu des articles 17, 18 ou 24 et qu'à la date de la
succession d'Etats le traité était en vigueur ou que le consentement à être
lié avait été donné à l'égard d'un ou de plusieurs de ces territoires, mais
non pas de tous, le traité s'applique à l'égard de l'ensemble du territoire
de cet Etat, à moins:
a) qu'il ne ressorte du traité ou qu'il ne soit par ailleurs établi que
l'application du traité à l'ensemble du territoire serait incompatible avec
l'objet et le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exé-
cution du traité;
b) que, dans le das d'un traité multilatéral autre que celui qui est visé
au paragraphe 3 d J'article 17 ou au paragraphe 4 de l'article 18, la notifi-
cation de succession ne soit limitée au territoire à l'égard duquel le traité
665
était en vigueur à la date de la succession d'Etats ou à l'égard duquel le
consentement à être lié par le traité avait été donné avant cette date;
c) que, dans le cas d'un traité multilatéral visé au paragraphe 3 de
l'article 17 ou au paragraphe 4 de l'article 18, l'Etat nouvellement indé-
pendant et les autres Etats parties ou, selon le cas, les autres Etats con-
tractants n'en conviennent autrement;
d) que, dans le cas d'un traité bilatéral, l'Etat nouvellement indépen-
dant et l'autre Etat intéressé n'en conviennent autrement.
3. Lorsqu'un Etat nouvellement indépendant formé de deux ou plu-
sieurs territoires devient partie à un traité multilatéral conformément à
l'article 19 et que, par la signature de l'Etat ou des Etats prédécesseurs,
l'intention de cet Etat ou de ces Etats a été que le traité s'étende à un ou
plusieurs de ces territoires, mais non pas à tous, le traité s'applique à
l'égard de l'ensemble du territoire de ['Etat nouvellement indépendant. à
mOins :
a) qu'il ne ressorte du traité ou qu'il ne soit par ailleurs établi que
l'application du traité à l'ensemble du territoire serait incompatible avec
l'objet et le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exé-
cution du traité;
b) que, dans le cas d'un traité multilatéral autre que celui qui est visé
au paragraphe 4 de l'article 19, la ratification, l'acceptation ou l'approba-
tion du traité ne soit limitée au territoire ou aux territoires auxquels l'in-
tention était d'étendre le traité; ou
c) que, dans le cas d'un traité multilatéral visé au paragraphe 4 de
l'article 19, l'Etat nouvellement indépendant et les autres parties ou, selon
le cas, les autres Etats contractants n'en conviennent autrement.
666
PARTIE IV
UNIFICATION ET SEPARATION D'ETATS
Article 31
Effets d'une unification d'Etats à l'égard
des traités en vigueur à la date
de la succession d'Etats
1. Lorsque deux ou plusieurs Etats s'unissent et forment ainsi un Etat
successeur, tout traité qui, à la date de la succession d'Etats, est en vigueur
à l'égard de l'un quelconque de ces Etats reste en vigueur à ['égard de
['Etat successeur, à moins:
a) que l'Etat successeur et l'autre Etat partie ou les autres Etats par-
ties n'en conviennent autrement; ou
b) qu'il ne ressorte du traité ou qu'il ne soit par ailleurs établi que
l'application du traité à l'égard de l'Etat successeur serait incompatible
avec l'objet et le but du traité ou changerait radicalement les conditions
d'exécution du traité.
2. Tout traité qui reste en vigueur conformément au pargraphe 1 ne
s'applique qu'à l'égard de la partie du territoire de l'Etat successeur à
l'égard de laquelle ce traité était en vigueur à la date de la succession
d'Etats, à moins :
a) que, dans le cas d'un traité multilatéral n'appartenant pas à la caté-
gorie visée au paragraphe 3 de l'article 17, j'Etat successeur ne donne
notification que Je traité s'applique à l'égard de l'ensemble de son territoi-
re
b) que, dans le cas d'un traité multilatéral appartenant à la catégorie
visée au paragraphe 3 de l'article 17, l'Etat successeur et les autres parties
n'en conviennent autrement; ou
c) que, dans le cas d'un traité bilatéral, l'Etat successeur et l'autre
Etat partie n'en conviennent autrement.
667
3. L'al inéa a) du paragraphe 2 ne s'applique pas s'il ressort du traité
ou s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'en-
semble du territoire de l'Etat successeur serait incompatible avec l'objet
et le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exécution
du traité.
Article 32
Effets d'une unification d'Etats
à J'égard des traités qui ne sont pas
en vigueur à la date de la succession d'Etats
1. Sous reserve des paragraphes 3 et 4, un Etat successeur relevant de
l'article 31 peut, par une notification à cet effet, établir sa qualité d'Etat
contractant à l'égard d'un traité multilatéral qui n'est pas en vigueur si, à
la date de la succession d'Etats, l'un quelconque des Etats prédécesseurs
était un Etat contractant à l'égard du traité.
2. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat successeur relevant de
l'article 31 peut, par une notification à cet effet, établir sa qualité de par-
tie à un traité multilatéral qui entre en vigueur après la date de la succes-
sion d'Etats si, à cette date, l'un quelconque des Etats prédécesseurs était
un Etat contractant à l'égard du traité.
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas s'il ressort du traité ou
s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat
successeur serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou change-
rai t radicalement les cond itions d' exécu tian du trai té.
4. Si le traité appartient à la catégorie visée au paragraphe 3 de l'arti-
cle 17, l'Etat successeur ne peut établir sa qualité, à l'égard du traité, de
partie ou d'Etat contractant qu'avec le consentement de toutes les parties
ou de tous les Etats contractants.
5. Tout traité à l'égard duquel l'Etat successeur devient Etat contrac-
tant ou partie en application du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 ne s'ap-
plique qu'à l'égard de la partie du territoire de l'Etat successeur pour
laquelle le consentement à être lié par le traité a été donné avant la date
de la succession d'Etats, à moins :
668
a) que, dans le cas d'un traité multilatéral n'appartenant pas à la caté-
gorie visée au paragraphe 3 de l'article 17, l'Etat successeur n'indique,
dans la notification faite conformément au paragraphe 1 ou au paragraphe
2, que le traité s'applique à l'égard de l'ensemble de son territoire; ou
b) que, dans le cas d'un traité multilatéral appartenant à la catégorie
visée au paragraphe 3 de l'article 17, l'Etat successeur et toutes les parties,
ou, selon le cas, tous les Etas contractants n'en conviennent autrement.
6. L'alinéa a) du paragraphe 5 ne s'applique pas s'il ressort du traité
ou s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'en-
semble du territoire de l'Etat successeur serait incompatible avec l'objet
et le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exécution
du traité.
Article 33
Effets d'une unification d'Etals
à l'égard des traités signés par un Etat
prédécesseur sous réserve de ratification,
d'acceptation ou d'approbation
1. Sous réserve des paragraphe 2 et 3, si, avant la date de la succession
d'Etats, l'un des Etats prédécesseurs a signé un traité multilatéral sous
réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation, un Etat successeur
relevant de l'article 31 peut ratifier, accepter ou approuver le traité com-
me s'il J'avait signé et peut devenir ainsi Etat contractant ou partie au
traité.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas s'il ressort du traité ou s'il est par
ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat successeur
serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou changerait radicale-
ment les conditions d'exécution du traité.
3. Si le traité appartient
la catégorie visée au paragraphe 3 de J'arti-
cle 17, l'Etat successeur ne peut devenir Etat contratant ou partie au traité
qu'avec le consentement de toutes les parties ou de tous les Etats contrac-
tants.
669
4. Toot traité à l'égard duquel l'Etat successeur devient Etat contrac-
tant ou partie en application du paragraphe 1 ne s'applique qu'à l'égard de
la partie du territoire de l'Etat successeur pour laquelle le traité a été
signé par l'un des Etats prédécesseurs, à moins:
a) que, dans le cas d'un traité multilatéral n'appartenant pas à la caté-
gorie visée au paragraphe 3 de l'article 17, l'Etat successeur ne fasse con-
naître, lorsqu'il ratifie, accepte ou approuve le traité, que le traité s'appli-
que à l'égard de l'ensemble de son territoire; ou
b) que, dans le cas d'un traité multilatéral appartenant à la catégorie
visée au paragraphe 3 de l'article 17, J'Etat successeur et toutes les parties
ou, selon le cas, tous les Etats contractant n'en conviennent autrement.
5. L'alinéa a) du paragraphe 4 ne s'applique pas s'il ressort du traité
ou s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'en-
semble du territoire de l'Etat successeur serait incompatible avec l'objet
et le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exécution
du traité.
cArticle 34
Succession d'Etats en cas de
séparation de parties d'un Etat
1. Lorsqu'une partie ou des parties du territoire d'un Etat s'en sépa-
rent pour former un ou plusieurs Etats, que l'Etat prédécesseur continue
ou non d'exister:
a) tout traité en vigueur à la date de la succession d'Etats à l'égard de
l'ensemble du territoire de l'Etat prédécesseur reste en vigueur à l'égard
de chaque Etat successeur ainsi formé ;
b) tout traité en vigueur à la date de la succession d'Etats à l'égard
uniquement de la partie du territoire de l'Etat prédécesseur qui est deve-
nu un Etat successeur reste en vigueur à l'égard de cet Etat successeur
seu 1.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas:
a) si les Etats intéressés en conviennent autrement
ou
670
b) s'il ressort du traité ou s'il est par ailleurs établi que l'application
du traité à l'égard de l'Etat successeur serait incompatible avec l'objet et
le but du traité ou changerait radicalement les conditions d'exécution du
traité.
Article 35
Cas de l'Etat qui subsiste
après séparation d'une partie
de son territoire
Lorsque, après séparation de toute partie du territoire d'un Etat,
l'Etat prédécesseur continue d'exister, tout traité qui, à la date de la suc-
cession d'Etats, était en vigueur à l'égard de l'Etat prédécesseur reste en
vigueur à l'égard du reste de son territoire, à moins:
a) que les Etats intéressés n'en conviennent autrement;
b) qu'il ne soit éabli que le traité se rapporte uniquement au territoire
qui s'est séparé de l'Etat prédécesseur; ou
c) qu'il ne ressorte du traité ou qu'il ne soit par ailleurs établi que
l'application du traité à l'égard de l'Etat prédécesseur serait incompatible
avec l'objet et le but du traité ou changerait radicalement les conditions
d'exécution du traité.
Article 36
Participation à des traités qui ne sont
pas en vigueur à la date de la succession
d'Etats, en cas de séparation de parties d'un Etat
1. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat successeur relevant du
paragraphe 1 de j'article 34 peut, par une notification à cet effet, établir sa
qualité d'Etat contractant à l'égard d'un traité multilatéral qui n'est pas en
vigueur si, à la date de la succession d'Etats, l'Etat prédécesseur était un
Etat contractant à j'égard du traité en ce qui concerne le territoire auquel
671
se rapporte la succeSSion d'Etats.
2. Sous réserve des paragraphes 3 et 4, un Etat successeur relevant du
paragraphe 1 de l'article 34 peut, par une notification à cet effet, établir sa
qualité de partie à un traité multilatéral qui entre en vigueur après la date
de la succession d'Etats si, à cette date, l'Etat prédécesseur était un Etat
contractant à l'égard du traité en ce qui concerne le territoire auquel se
rapporte la succession d'Etats.
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas s'il ressort du traité ou s'il
est par ailleurs établi que l'application du traité
à l'égard de l'Etat suc-
cesseur serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou changerait
radicalement les conditions d'exécution du traité.
4. Si le traité appartient à la catégorie visée au paragraphe 3 de l'arti-
cle 17, l'Etat successeur ne peut établir, à l'égard du traité, sa qualité de
partie ou d'Etat contractant qu'avec le consentement de toutes les parties
ou de tous les Etats contractants.
Article 37
Participation à des traités signés par
l'Etat prédécesseur sous réserve de
ratification, d'acceptation ou d'approbation
en cas de séparation de parties d'un Etat
1. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, si, avant la date de la succe r
sion d'Etats, l'Etat prédécesseur a signé un traité multilatéral sous rés<-
de ratification, d'acceptation ou d'approbation et si, au cas où il aurait é.
en vigueur à cette date, le traité se serait appliqué à l'égard du territoire
auquel se rapporte la succession d'Etats, un Etat successeur relevant du
paragraphe 1 de l'article 34 peut ratifier, accepter ou approuver le traité
comme s'il avait signé ce traité, et peut devenir ainsi Etat contractant ou
partie au traité.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas s'il ressort du traité ou s'il est par
ailleurs établi que l'application du traité
à l'égard de l'Etat successeur
serait incompatible avec l'objet et Je but du traité ou changerait radicale-
ment les conditions d'exécution du traité.
672
3. Si le traité appartient à la catégorie visée au paragraphe 3 de l'arti-
cle 17, ['Etat successeur ne peut devenir Etat contractant
ou partie au
traité qu'avec le consentement de toutes les parties ou de tous les Etas
con tractan ts.
A rtide 38
Notifications
1. Une notification en vertu des articles 31, 32 ou 36 doit être faite par
écri l.
2. Si la notification n'est pas signée par le chef de l'Etat, le chef du
gouvernement ou le ministre des affaires étrangères, le représentant de
['Etat qui en fait la communication peut être invité produire ses pleins
pouvoirs.
3. A moins que le traité n'en dispose autrement, la notification:
a) est transmise par l'Etat successeur au dépositaire ou, s'il n'y a pas
de dépositaire, aux parties ou aux Etats contractants;
b) est considérée comme ayant été faite par l'Etat successeur à la date
à laquelle elle est reçue par le dépositaire ou, s'il n'y a pas de dépositaire à
la date à laquelle elle est recue par toutes les parties ou, selon le cas, par
tous les Etats contractants.
4. Le paragraphe 3 n'affecte aucune des obligations que le dépositaire
peut avoir, conformément au traité ou autrement, d'informer les parties
ou les Etats contractants de la notification ou de toute communication y
relative faite par l'Etat successeur.
5. Sous réserve des dispositions du traité, la notification ou la commu-
nication n'est considérée comme ayant été reçue par l'Etat auquel elle est
destinée qu'à partir du moment où cet Etat en a été informé par le déposi-
taire.
673
PARTIE V
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 39
Cas de responsabilité d'un Etat
ou d'ouverture d'hostilités
Les dispositions de la présente Convention ne préjugent aucune ques-
tion qui pourrait se poser à propos des effets d'une succession d'Etats à
l'égard d'un traité en raison de la responsabilité internationale d'un Etat
ou de l'ouverture d'hostilités entre Etats.
Article 40
Cas d'occupation militaire
Les dispositions de la présente Convention ne préjugent aucune ques-
tion qui pourrait se poser à propos d'un traité du fait de l'occupation mili-
taire d'un territoire.
fi74
PARTIE VI
REGLEMENT DES DIFFERENDS
Article 41
Consultation ct négociation
Si un différend concernant l'interprétation ou l'application de la pré-
sente Convention surgit entre deux ou plusieurs Parties à celle-ci, lesdites
Parties s'efforcent, à la demande de l'une quelconque d'entre elles, de le
résoudre par un processus de consultation et de négociation.
Article 42
Conciliation
Si le différend n'est pas résolu dans un délai de six mois à compter de
la date à laquelle la demande visée à l'article 41 a été faite, toute partie au
différend peut soumettre celui-ci à la procédure de conciliation indiquée
dans l'annexe de la présente Convention en adressant une demande à cet
effet au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies et en in-
formant de cette demande l'autre Etat partie ou les autres parties au diffé-
rend.
Article 43
Règlcmcnt judiciairc et arbitrage
Tout Etat peut, au moment où il signe ou ratifie la présent Convention
ou lorsqu'il y adhère ou à tout moment par la suite, déclarer, par une
notification adressée au dépositaire, que si un différend n'a pas été résolu
par l'application des procédures indiquées dans les articles 41 et 42, ce
différend peut être soumis à la décision de la Cour internationale de justi-
ce au moyen d'une requête faite par toute partie au différend, ou bien à
(,75
l'arbitrage, à condition que l'autre partie au différend ait fait une déclara-
tion analogue.
Article 44
Règlement par un accord commun
Nonobstant les articles 41,42 et 43, si un différend concernant l'inter-
prétation ou l'application de la présente Convention surgit entre deux ou
plusieurs Parties à celle-ci, lesdites Parties peuvent décider d'un commun
accord de soumettre ce différend à la Cour internationale de justice, ou à
l'arbitrage, ou à toute autre procédure appropriée de règlement des diffé-
rends.
Article 45
Autres dispositions en vigueur pour
le règlement des différends_
Rien dans les articles 41 à 44 n'affecte les droits ou les obligations des
Parties à la présente Convention découlant de toute disposition en vigueur
entre elles concernant le règlement des différends.
676
PARTIE VII
DISPOSITIONS FINALES
Article 46
Signature
La présente Convention sera ouverte à la signature de tous les Etats,
de la manière suivante: jusqu'au 28 février 1979, au Ministère fédéral des
Affaires étrangères de la République d'Autriche et ensuite jusqu'au 31
août 1979, au siège de l'Organisation des Nations Unies à New York.
Article 47
Ratification
La présente Convention sera soumise à ratification. Les instruments
de ratification seront déposés auprès du Secrétaire général de l'Organisa-
tion des Nations Unies.
Articles 48
Adhésion
La présente Convention restera ouverte à l'adhésion de tout Etat. Les
instruments d'adhésion seront déposés au prés du Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies.
Article 49
Entrée en vigueur
1. La présente Convention entrera en vigueur le trentième jour qui
suivra la date du dépôt du quinzième instrument de ratification ou d'adhé-
sion.
2. Pour chacun des Etats qui ratifieront la Convention ou y adhéreront
après le dépôt du quinzième instrument de ratification ou d'adhésion, la
Convention entrera en vigueur le trentième jour après le dépôt par cet
Etat de son instrument de ratification ou d'adhésion.
677
Article 50
Textes authentiques
L'original de la présente Convention, dont les textes anglais, arabe,
chinois, espagnol, français et russe sont également authentiques, sera dé-
posé auprès du Secretaire Général de l'Organisation des Nations Unies.
EN FOl DE QUOI les plénipotentiaires soussignés, dûment autorisés par
leurs gouvernements respectifs, ont signé la présente Convention.
FAIT A VIENNE, le vingt-trois août mil neuf cent soixante-dix-huit.
1. Le Secrétaire général des Nations Unis dresse et tient une liste de
conciliateurs composée de juristes qualifiés. A cette fin, tout Etat Membre
de l'Organisation des Nations Unies ou Partie à la présente Convention
est invité à désigner deux conciliateurs et les noms des personnes ainsi
désignées composeront la liste. La désignation des conciliateurs, y compris
ceux qui sont désignés pou r remplir une vacance fortuite, est faite pour
une période de cinq ans renouvelable. A l'expiration de la période pour
laquelle ils auront été désignés, les conciliateurs continueront à exercer
les fonctions pour lesquelles ils auront été choisis conformément au para-
graphe suivant.
2. Lorsqu'une demande est soumise au Secrétaire général conformé-
ment à l'article 42, le Secrétaire général porte le différend devant une
commission de conciliation composée comme suit:
L'Etat ou les Etats constituant une des parties au différend nomment:
a) un conciliateur de la nationalité de cet Etat ou de l'un de ces Etats,
choisi ou non sur la liste visée au paragraphe 1 ; et
b) un conciliateur n'ayant pas la nationalité de cet Etat ou de l'un de
ces Etats, choisi sur la liste.
678
L'Etat ou les Etats constituant l'autre partie au différend nomment
dcux conciliateurs de la même manière. Les quatre conciliateurs choisis
par les parties doivent être nommés dans un délai de soixante jours à
compter de la date à laquelle le Secrétaire général reçoit la demande.
Dans les soixante jours qui suivent la date de la nomination du dernier
d'entre eux, les quatre conciliateurs en nomment un cinquième, choisi sur
la liste, qui sera président.
Si la nomination du président ou de l'un quelconque des autre conci·
liateurs n'intervient pas dans le délai prescrit ci-dessus pour cette nomina-
tion, elle sera faite par Je Secrétaire général dans les soixante jours qui
suivent l'expiration de ce délai. Le Secrétaire général peut désigner com·
me président soit l'une des personnes inscrites sur la liste, soit un des
membres de la Commission du droit international. L'un quelconque des
délais dans lesquels les nominations doivent être faites peut être prorogé
par accord des parties au différend.
Toute vacance doit être remplie de la façon spécifiée pour la nomina-
tion initiale.
3. La Commission de conciliation arrête elle-même sa procédure. La
Commission, avec le consentement des parties au différend, peut inviter
toute partie à la présente Convention à lui soumettre ses vues oralement
ou par écrit. Les décisions et les recommandations de la Commission sont
adoptées à la majorité des voix de ses cinq membres.
4. La Commission peut signaler
à l'attention des parties au différend
toute mesure susceptible de faciliter un règlement amiable.
5. La Commission entend les parties, examine les prétentions et les
objections et fait des propositions aux parties en vue de les aider à parve-
nir à un règlement amiable du différend.
6. La Commission fait rapport dans les douze mois qui suivent sa cons-
titution. Son rapport est déposé auprès du Secrétaire général et communi-
qué aux parties au différend. Le rapport de la commission, y compris tou-
tes conclusions y figurant sur les faits ou sur les points de droit, ne lie pas
les parties et n'est rien de plus que l'énoncé de recommandations soumises
679
à l'examen des parties en vue de faciliter un règlement amiahle du diffé-
rend.
7. Le Secrétaire général fournit à la Commission l'assistance et les
facilités dont elle peut avoir besoin. Les dépenses de la Commission sont
supportées par l'Organisation des Nations Unies.
681
•
PLAN DE LA nTnUOGRAPI-ITE
I. DOCUMENTS
A - DOCUMENTS DE L'ONU - ETUDES, RECUEILS DE TEX-
TES ET DE PRATIQUE
13 - DOCUMENTS DE L'ONU - RAPPORTS DE LA CDI
1 - Succession en matière de traités
a) Rapports de Sir. H. WALDOCK
b) Projet d'articles sur la succession d'Etats en matière de trai-
tés et observations des Etats Membres
c) Rapport de F. VALLAT
2 - Succession dans les matières autres que les traités.
C - DOCUMENTS DE L'ONU - CONFERENCE DIPLOMATIQUE
SUR LA SUCCESSION EN MATIERE DE TRAITES
II. REPERTOIRES, RECUEILS
ill. OUVRAGES GENERAUX
A - OUVRAGES GENERAUX DE DROIT INTERNATIONAL
B - AUTRES OUVRAGES GENErAUX
IV. OUVRAGES SPECIAUX
A - OUVRAGES D'OUTRE-MER
13 - AUTRES OUVRAGES SPECIAUX
LIVRES, ARTICLES,
COURS
• La présente bibliographie est une bibliographie sélective qui ne reprend
donc pas toutes les références contenues dans la thèse et auxquelles nous
renvoyons.
682
1. DOCUMENTS
A - DOCUMENTS DE L'ONU - ETUDES, RECUEILS DE TEXTES
ET DE PRATIQUES
A/CNA/149 et Add l, La succession d'Etats et la qualité de membre
des Nations Unies, Mémorandum préparé par le Sécrétariat, ACDI
1962, vol. II, p.119 et
s.
A/CNA/150, la succession d'Etats et les conventions multilatérales
générales
dont le Secrétaire Général est dépositaire, Mémoran-
dum préparé par le secrétariat, ACDI 1962, voUl, pp.124.s.
A/CNA/151, résumé des décisions des tribunaux internationaux
concernant la succession d'Etats, ACDI 1962, vol.II, pp. 151 et s.
A/CNA/157, Résumé des décisions des tribunaux nationaux co'ncer-
nantla succession d'Etats et de gouvernements, Etude rédigée par le
Secrétariat, ACDI1963, vol.II, pp. 101 et s.
A/CNA/160, Rapport présenté par M. Manfred LACHS, Président
de la Sous-Commission sur la succession d'Etats et de gouverne-
ments, ACDI1968, voUI, pp. 271 et s. Mémoires de MM. T.O.
ELIAS, S. ROSENNE, E. CASTREN ET M. BARTOS, annexés au
rapport de M. LACHS, ibid, pp. 292 et s.
A/CNA/200 et Add. 1et2 et Rev. 2, Etudes sur la succession aux
traités multilatéraux, préparées par le Secrétariat, ACDI1968, vol.II,
pp. 1 et s. (cinq études publiées)
A/CN.4/210, La succession d'Etats aux traités multilatéraux: Sixiè-
me étude établie par le Secrétariat, ACDI 1969, vol. II, pp.23 et s.
A/CNA/255, La succession d'Etats aux traités multilatéraux: Sep-
tième étude établie par le Secrétariat, ACDI 1970, voUI, pp.67 et s.
A/CNA.j229, La succession d'Etats en matière de traités bilatéraux
: Etude établie par le Secrétariat, ACDI, 1970, vol.II, pp.Il1 et s.
A/CNA/243 et Add.l, la Succession d'Etats en matière de traités
683
bilatéraux: Deuxième et troisième études établies par le Secrétariat,
A CDI 1971, voU l, Zème Partie, pp.ll5 et s.
ST/LEG/7, Précis de la pratique du Secrétariat Général dépositaire
d'accords multilatéraux, 1959.
ST/LEG /SER,B/3, Laws and Practices concerning the conclusion of
treaties, legisl.serie Nations Unies, 1953.
ST/LEG /SER,B/14,
Documentation
concernant
la
succession
d'Etats, série législative des Nations Unies, 1967 avec supplément
publié en 1972 A/CNA/263.
ST/LEG /S ER.B/ 17,
Documentation
concernant
la
succession
d'Etats dans les matières autres que les traités, 1978.
B - DOCUMENTS DE L'ONU - RAPPORTS DE LA CDI
J - Succession en matière de traités
a) Rapports de Sir. H, WALDOCK
A/CNA/202, Premier rapport sur la succession d'Etats en matière
de traités, ACOJ 1968, vol.U, pp, 88 et s,
A/CNA/214 Add.l et 2, Deuxième rapport, ACOJI969, vol.U, ppA7
et s.
A/CNA/224/Add.1, Troisième rapport, ACOJ 1970, voUI, pp. 27 et
s.
A/CNA/249, Quatrième rapport, ACOJ 1971, vol.U, pp 151 et s.
A/CNA/256 et Add. 1 à 4, Cinquième rapport, ACOJ 1972, voUI,
pp. 1 et s.
b) Projet d'articles sur la succession d'Etats en matière de traités et
observations des Etats Membres
Doc.A/8710/Rev.1, chap.II, sect.C, texte du Projet d'articles sur la
succession d'Etats en matière de traités, ACDJ 1972, voUI, p.248.
A/CNA/275 et Add. 1 et 2, A/CNA/L.205 et
A/9610/ Add. 1 et 2, Observations des Etats Membres sur le projet
d'articles sur la succession d'Etats en matière de traités adopté par la
684
COI à sa vingt-quatrième session, A CDI 1974, vol.II, Première par-
tie, pp. 324 et s.
c) Rapport de F. VALLAT
A/CN.4/278/ Add. 1 à 6, Premier rapport sur la sucession d'Etats en
matière de traités, ACDJ 1974, vol.", Première partie, pp. 1 et s.
2 - Succession dans les matières autres que les traités.
A/CN.4/204, Premier rapport sur la succesion d'Etats et les droits et
obligations découlant des sources autres que les traités établi par
Mohammed BADJAOUI, ACDJ 1968, vol.", pp et s. (rapport relatif
notamment à l'ordre legislatif, à l'ordre juridictionnel et à la natio-
nalité)
C - DOCUMENT DE L'ONU - CONFERENCE DIPLOMATIQUE SUR
LA SUCCESSION EN MATIERE DE TRAITES.
• Conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière
de traités,
Comptes rendus analytiques des séances plénières et
desséances de la Commission plénière, Première session, Vienne, 4
avril - 6 mai 1977, Doc. A/CONF.80/16, voU, New York, 1978,230
p.
• Conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière
de traités, Comptes rendus analytiques des séances plénières et des
séances de la Commission plénière, Reprise de la session, Vienne, 31
juillet-23 août 1978, Doc. A/CONF.80/16 Add.l, voUI, New York,
1979, 154 p.
• Conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière
de traités, Documents officiels, session de 1977 et reprise de la ses-
sion en 1978, Vienne, 4 avril-6 mai 1977 et 31 juillet - 23 août 1978,
Doc. A/CONF.80/16/ Add. 2, vol.III, New York, 1979,209 p., Docu-
ments comprenant également:
a) La Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de
traités
Doc.
A/CONF.80/31,
incorporant
le
document
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706
TOME J
AI3REVIA TIONS--
_
9
RESUME
_
13 .
INTRODUCTION GENERALE
_
lS
PREMIERE PARTIE
LE PRINCIPE DE LA TABLE RASE ET
LA SUCCESSION A L'ORDRE JURIDIQUE INTERNE _ _
48 bis
CHAPITRE 1 -
LE PRINCIPE DE LA TAI3LE RASE
ET LA SUCCESSION D'ETATS
EN MATIERE LEGISLATIVE
_
49 bis
Section 1
L'affirmation du principe de la table rase.
_
52
Section II
La pratique de la continuité législative.
_
58
Sous-Section J - L'ordre juridique reconduit.
_
58
PARAGRAPHE 1 -
Le fondement de la validité
de l'ordre juridique reconduit.
_
59
PARAGRAPHE II - Le contenu de l'ordre juridique reconduit. _ _
64 .
L Le principe de la spécialité législative.
_
65
" \\ ,
7
II. Les contours incertains de l'ordre juridique rcconduil.____
73
Sous-SeC/ioll Il - Les factcurs de la reconduction
77
Sous-Section III -
Les formes de la reconduction.
81
PARAGRAPHE 1 - La rcconduction tacite.
82
PARAGRAPHE 1 . La rcconduction formclle.
83
1. La reconduction constitutionnelle.
_
II. La rcconduction au moyen d'actes infraconstitutionnels._
A. L'intervention dc l'Etat prédécesseur.
89 .
13. L'intervention de l'Etat successeur.
94
Ill. La reconduction conventionnelle.
_
96
Conclusion du chapitre 1.
98
CHAPITRE I l ·
LE PRINCIPE DE LA TABLE RASE
ET LA SUCCESSION D'ETATS
EN MATIERE JURIDICTIONNELLE.
_
98
BIS
Section 1 L'affirmation du prIncipe de la table rase.
104
Section II La pratique de la continuité juridictionnelle.
118
Sous-Section J -
Le contrôle communautaire de la justice.
_
118 .
SarIS-Section JI - Les accords sur les dispositions transitoires
en matière de justice.
_
131,
Conclusion du chapitre II.
143
CHAPITRE III. LE PRINCIPE DE LA TABLE RASE
ET LA SUCCESSION D'ETATS
EN MATIERE DE NATIONALlTE.
.
144
708
Section [ - L'affirmation du prIncipe de la table rase.
15U
Sous-Sectioll 1 -
L'abandon de la nationalité de l'Etat prédécesseur. __
151
PARAGRAPHE 1 - La nationalité des ressortissants des colonies.
152
PARAGRAPHE II - La nationalité des ressortissants
des Etats africains membres de la Communauté._ 172
Sous-Section 1/ - L'affirmation de la nationalité
de l'E ta t su cccsseu r.
_
181
PARAGRAPHE 1 - Dans les anciennes colonies.
_
181
PARAGRAPHE Il - Dans les territoires placés
sous tu telle et les Etats
sous protection.
_
187
Section II - L'atténuation au principe de la table rase
le droit d'option.
_
204
Sous-Section 1 - L'intervention de l'Etat prédécesseur
_
209
Sous-Section II - L'intervention de l'Etat successeur.
_
216
PARAGRAPHE 1 - Les codes africains.
_
217
PARAGRAPHE II - Le code sénégalais.
_
222
Conclusion du chapitre rIJ.
_
226
Conclusion de la Première partie.
_
227
- FIN DU TOME 1 -
709
TOME JI
DEUXIEME PARTIE
LE PRINCIPE DE LA TABLE RASE
J
ET LA SUCCESSION A L'ORDRE JURIDIQUE CONVENTIONNEL._
CHAPITRE 1 - CODIFICATION ET DEVELOPPEMENT DU DROIT
DE LA SUCCESSION AUX TRAITES
Section 1 - Genèse du Projet de la Commission du droit
l
international.
_
23<
Section II -
Nature et portée du Projet de la Commission
du droit international.
_
1
24:
-1
Sous-Section J - Un Projet de convention multilatérale
~
Sous-Section JJ - Un Projet amplement discuté.
1
25.
Sous-Section III -
J
Un Projet ancré dans la pratique.
Section III - Règles successorales relatives
aux Etats nouvellement indépendants.
_
Sous-Section J - Typologie des régimes successoraux.
_
Sous-Section JJ - Règles spécifiques aux succeSSlOns
par décolonisation.
_
PARAGRAPHE 1 - Absence d'obligation de succéder aux traités.
_
28~
1. Enoncé de la règle générale.
_
1
28~
II. Problème de la succession aux traités de frontière ou aux traités
relatifs aux régimes territoriaux.
_
PARAGRAPHE 11 - Droit de participation aux traités.
_
301
L Participation aux trailés tllultilatéraux.
_
302
II. Participation aux traités bilatéraux.
314
Conclusion du chapi tre 1.
_ 318
CHAPITRE II - PRATIQUE SUCCESSORALE
_
321
Section 1 - Le régime convcntionncl.
_
Sous-Section J - L'extension des conventions internationales
aux territoires dépendants.
~
325
PARAGRAPHE J - Le contenu du pnncqJe
de la spécialité conventionnelle.
----;-
3]tj ..
1. Le principe de la spécialité,
en vertu des clauses conventionnelles.
-+
331
II. Le principe de la spécialité,
en l'absence de clauses conventionnelles.
--+ 334
PARAGRAPHE II -
La portée du pnnclpe
, :
de la spécialité conventionnelle.
;,; 349 i
ï'
• L'affaire veuve Mac Kinnon c. Air France.
---i~· 3601
1
;
Sous-Section JJ - L'insertion des normes conventionnelles
dans l'ordre juridique colonial
364
• L'Affaire Ministère public et Administration
des Douanes c. Schreiber et Air France
_
369
711
Section Il - Les méthodes successor~les
_
TI5
SOlls-Section / - Les accords de dévolution
TI5
TI6
PARAGRAPHE [ - Le sens des accords de dévolution
_
PARAGRAPHE Il - La valeur juridique
des accords de dévolution
,
1. Effets de l'accord de dévolution entre les parties
---'
386
II. Effets de l'accord de dévolution à l'égard des Etats tiers _ _
395
A - Pratique des dépositaires des traités mliltil~térallx_ _~
397
1
B - Pratique des Etats
402
Sous-Section JI - Les déclarations unilatérales
_
, 409
PARAGRAPHE 1 - Le sens des déclarations unilatérales
de succession
_
409 !
1 - Les déclarations des Etats anglophones
____
410
II
Les déclarations des Etats francophones
_
419
A
Les déclarations générales
_
421
B - Les déclarations spéciales
_
431
III - La déclaration sénégalaise du 20 février 1961
_
1
43<1
PARAGRAPHE II - La valeur juridique
des déclarations unilatérales
_
Section III - Les règles successorales.
_
, '
Sous-Sectioll 1 - L'affirmation du prIncipe de la table rase
451
PARAGRAPHE 1 - La signification du principe
_
451
PARAGRAPHE II - Le droit des peur 'es à disposer cI'eux-mèmes
comme fonclement clu principe de .a table rase
_
456
Sous-Sectioll Il - La pratique cie la continuité volontaire
_
464
PARAGRAPHE 1 - Les traités bilatéraux
_
1 - Les traités "politiques"
Il - Les traités cI'extraciition
_
469
III
Les traités cie commercc
_
479
IV
Les accords relatifs aux transports aériens
_
489
V
Les traités relatifs aux frontières
_
493
A
Problématique cie la succession aux traités
relatifs aux frontières
_
494
il - Pratique africaine du maintien
des frontières coloniales
_
506
1. Fondement et signification
de la pratique de continuité
_
506
a - Spécificité des frontières africaines
_
506
L'Afrique pré-coloniale
_
L'Afrique coloniale
_
510
b - Solutions africaines au problème frontalier
_
517
L'échec du révisonnisme frontalier
_
517
Le triomphe du statu quo territorial
~
521 '
\\
• L'affirmation clu principe
cie l'intégrité territoriale cles Etats africains.
_
521
1l',
• La consécration du principe cie l'intangibilité
1
des frontières issues cie la colonisation
_
526
7JJ
2. Le différend frontalier entre la Guinée-Bissau
et le Sénégal
_
552
a - Genèse du différend
552
b
Problèmes sou 1evés
_
557
c - Eléments de solution
560
De la validité de l'accord du 26 avril 1960.
_
560
De la succession il l'accord du 26 avril 1960.
566
Du maintien de la frontière maritime
telle que délimitée par l'accord du 26 avril 1960.
_
570
PARAGRAPHE II - Les traités multilatéraux
_
588
1 - Les conventions multilatérales générales
_
589
II - Les Chartes constitutives
des organisations internationales
~
_
593
III - Les conventions conclues au seIn.
des organisations internationales. _ _,..-
_
600
Conclusion du Chapitre 11.
---'--
_
603
Conclusion de la Deuxième partie.
_
605
Conclusion générale.
714
ANNEXES
_
615
1. Option en faveur du statut d'Etat membre de la Communauté. Option
exercée par délibération des Assemblées territoriales, dont la Loi-
Cadre de 1956 avait permis le renouvellement au suffrage univer-
sel (Tableau)
_
616
2. Comité consultatif constitutionnel, 2è séance du mardi 12 août 1958
(13 séance, extraits des travaux préparatoires de la Constitution)._ 617
3. Comité juridique de l'Union Française. Avis du 19 avril 1950.
623
4. Tribunal de Grande instance de la Seine (1ère ch., 2e Sect.). Jugement
du 10 avril 1964 Veuve Mac Kinnon cl Air France.
626
5. Textes des Huit résolutions de l'International Law Association. Suivi
des "Points additionnrels" proposés par le Rapporteur de l'Asso-
ciation D.P. O'CONNELL.
631
6. Résolution concernant les frontières, les tracés frontaliers et les
fé-
dérations, adoptée à la Première Conférence des Peuples afri-
cains, Accra 5-13 décembre 1958 (Extraits).
635
7. Résolution AHG/Res.16 relative aux frontières africaines, adoptée le
21 juillet 1964 par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouverne-
ment de j'OUA.
637
8. Echange de Lettres franco-portugais du 26 avril 1960 "au sujet de la
frontière en mer entre le Sénégal et la Guinée-portugaise", JORF,
31 III ai 1960.
638
715
9. Carte portant tracé de la frontière maritime entre le Sénégal et la Gui-
née-Bissau telle que délimitée dans l'échange de lettres du 26 avril
1960. Carte reproduite dans la réplique du Canada relative à
.....-.-.......,....~
l'affaire de la Délimitation de la frontière marïifn'ib"arfrisil'a.région
b\\·'~~·';\\
du Golfe du Maine (Canada! Etats-Unis dj~mériqu~). çIJ~ An-
i;> 1 (, 1\\ N\\~ , '1
nexes à la réplique du Canada Livre I, Laij:Jjratiqûêdes Etàts, 12
~,'.\\
1,/
décembre 1983.
\\",'''---.
/ . /
641
'--:./ / r. ,
e\\\\'. / -
''':;~~'<;(·,(.ne(f\\.. /
...
-
~............
10. Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités
(adoptée le 23 aoùt 1978).
_
BIBLIOGRAPHIE.
_
680
TABLE DES MATIERES.
_
705
- FIN DU TOME II -
Vu
Le Président du Jury de la thèse
Vu
Les Suffragants
Vu et permis d'imprimer
Le Président du Conseil de J'Université
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