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UNIVERSITE CHEIKH ANTA D10~ - DAKAR
FACULTE DES LETrRES ET
SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMEN-r D'HISTOIRE
LES TRANSF'()RMATIONS DES
SOCIETES WOLOF ET SEREER DE
L'ERE DE LA CONQUETE A LA MISE
EN PLACE DE L'ADMINISTRATION
COLONIALE - 1854-1920
THESE D'ETAT DE MUAYE GUEYE
CHARGE D'ENSEIGNEMENT SOUS LA DIHECTION
DE Mme CATHElUNE COQUERY-VIDROVITCH
ANNEE 1989-1990
DEDICADE
A la mémoire de mon père Maguèye Fatim Ndiogou GUEYE
A celle de ma mère Marne Diana Bousso DIOP
A celle de ma tante Fatou CISSE
A Serigne Abdou Fattah MBACKE en témoignage de ma profonde
gratitude
A Aminata TALL
A mes enfants
A Fatou Kiné GUEYE
A Modou Ndiaye KAIRE
A mes frères: le Colonel Coumba Ndoffène FALL et Mbar FALL
A Diadié GUEYE
A Modou Khabane FALL, au parent et à l'ami
A Guedj FALL
A mon ami le Professeur Madior DIOUF
A Ndiamé HANE
A Monsieur le Recteur Souleymane NIANG
A Monsieur le Doyen Aloyse Raymond NDIAYE
A mes collègues du Département d'Histoire
Boubacar BARRY
Abdoulaye BATHILY
Ibnou DIAGNE
Adama DIOP
Mamadou DIOUF
Mamadou FALL
Yoro K. FALL
Rokhaya GNINGUE/FALL
Mamadou Moustapha KANE
Oumar KANE
Aboubacry Moussa LAM
Mohamed MBOD]
Penda MBOW
Saliou NDIAYE
Babacar SALL
Iba Der THIAM
(
Je remercIe aussi du fond du coeur M. Babacar SINE
Directeur du CESTI et ses collaborateurs, MM. Birahim Moussa
GUEYE et El El Hadj DIOUF pour l'appui logistique qu'ils m'ont
apporté. Je réserve une mention spéciale pour Mesdemoiselles
Fatou SECK, Rosalie DA SYLVA, FALL du CESTI qui ont
dactylographié ce texte.
TRANSCRIPTIONS
Pour lire correctement les transcriptions voici les correspondances phonéti-
ques entre l'alphabet officiel du Sénégal et l'alphabet latin.
A- CONSONNES ET LES VOYELLES
La valeur phonétique des lettres suivantes est la même que dans la langue
française.
P, B, M, F, T, D, N, S, R, L, K, G, W, l, é.
Le S est toujours prononcé sourd comme dans SI et son sonore, le G toujours
occlusif.
B- LES VOYELLES i ET é
Les lettres suivantes ont dans l'alphabet officiels du Sénégal la valeur phoné·
tique suivante.
C : Tieu comme dans Tiens.
CAM: Thiam.
J: Dieu.
" ' "
1
. ,
JAM : Esclave.
N: gn comme dans agneau.
X: Correspond au JOTA Espagnol ou CH Allemand: ACHTUN.
XOL: Coeur.
Q : Comme dans l'Arabe Haq (vérité).
Naq: Sueur.
Ni : Essaie de rendre le son qu'on entend dans Parking.
Njaam : mâchoire.
C- VOYELLES
ë : Son e du Français comme de Bët (oeil).
0: 0 ouvert comme dans pomme. GOR (abattre).
o : 0 fermé comme dans beau. JOG (se lever).
U : C'est le son ou du français comme dans trou.
Les doubles voyelles transcrivent les voyelles longues. Les doubles consonnes
les consonnes fortes.
Ces précisions sont empruntées à Abdoulaye Bara Diop dans son ouvrage la
SOCIETE WOLOF (pages 9-10).
ABREVIATIONS
- A.N.S. : ARCHIVES NATIONALES DU SENEGAL.
- B.CAF. : BULLETIN DU COMITE DE L'AFRIQUE FRANCAISE.
Souvent suivi de R.C. : RENSEIGNEMENTS COLONIAUX.
- B.C.E.H.SAO.F. : BULLETIN DU COMITE D'ETUDES HISTORIQUES
ET SCIENTIFIQUES DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE
FRANCAISE.
- B.I.F.A.N. : BULLETIN DE L'INSTITUT FRANCAISE D'AFRIQUE NOIRE
devenu BULLETIN DE L'INSTITUT FONDAMENTAL
D'AFRIQUE NOIRE.
- B.S.G.C.B. : BULLETIN DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE COMMERCIALE
DE BORDEAUX.
- C.E.A. : CAHIERS D'ETUDES AFRICAINES.
- C.O.M. : CAHIERS D'OUTRE-MER.
- A.N.F.O.M. : ARCHIVES NATIONALES. Section Outre-Mer.
- A.N.S.O.M. : Idem.
- JAH. : JOURNAL OF AFRICAN HISTORY.
- J.O.S. : JOURNAL OFFICIEL DU SENEGAL.
- J.OAO.F. : JOURNAL OFFICIEL DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE
FRANCAISE.
- GVf GL. : GOUVERNEMENT GENERAL.
- GVR : GOUVERNEUR.
.,
INTFiODUCTION
En inscrivant comme sujet de thèse d'ETAT LES TRANSFORMATIONS DES
SOCIETES WOLOFS ET SERE ER DE L'ERE DE LA CONQUETE A LA MISE EN
PLACE DE L'ADMINISTRATION COLONIALE 1854-1920, notre premier mouvement
était d'étudier, dans toutes leurs dimensions, les facteurs qui ont rompu le rythme de
vie des populations dans la période ccnsidérée. Mais lorsqu'il se fut agi de passer du
projet à sa réalisation pratique, nous nous rendîmes comptes que la chose n'était pas
aisée. Car malgré leur abondance, les documents ne répondaient pas toujours à notre
curiosité et sur certains points nous nous sommes résigné à nous contenter de fragiles
hypothèses. Au bout du compte le résultat est nettement en deçà de notre ambition
de départ.
Il est maintenant établi que le~ royaumes Sénégambiens avaient tiré un certain
parti de leurs contacts avec les Européens. C'est pour cela qu'ils ne furent pas
totalement désarmés devant la conquête. Toutefois ils furent tous plus ou moins
profondément atteints dans leurs forces vives et ce, en rapport avec leur degré de
participation à la traite atlantique. Les rancoeurs accumulées chez les uns et chez les
autres par les interminables guerres suscitées par le commerce négrier les avaient si
solidement ancrés dans leur divisions que même devant le danger commun qui les
guettait, ils furent dans l'incapacité de refaire leur unité afin de donner plus d'erficélcit6
à la lutte qu'ils avaient engagée contre l'agression étrangère. Malgré le morcellement
politique de la Sénégambie, l'unité de sa civilisation n'était pas contestable. Elle
reposait sur une certaine conception de l'homme, de sa vie terrestre, de son au-delà,
même SiiÇà et là)a présence plus ou moins copieuse de communautés musulmanes
apporta~ une note discordante à cette harmonie.
Malgré la diversité des motifs qui inspirèrent cette farouche résistance à
l'envahisseur, les dirigeants n'eurent aûcune difficulté à mobiliser toutes les ressour-
ces locales pour tenter de sauver leur pays dont l'indépendance politique et les
institutions étaient menacées de nullité par le conquérant. Ils refusèrent la capitulation
qui excluait leur liberté, abolissait leurs droits et les réduisait à l'état de simples sujets.
Devant la supériorité de l'armement ennemi, certains préférèrent, avec un courage
6
lucide, se sacrifier sur le champ de bataille pour sauver avec leur dignité, celle de leur
peuple. D'autres souverains, aprés avoir tiré la leçon des défaites de leurs homologues
décidèrent de négocier avec le conquérant, espérant pouvoir, par les trailés, assurer
avec la survie de l'institution monarchique l'éternité de leur peuple.
Le triomphe du conquérant fut suivi de la mise en place de l'administration
coloniale qui fut pour les populations un traumatisme non moins violent que la
conquête. partout le colonisateur exerçait sur les vaincus une pression constante. par
tous les moyens il voulait intégrer l'économie du pays dans celle de la métropole,
transformer les indigènes en auxiliaires dociles de la colonisation. Le résultat fut que
la civilisation locale subit partout de profondes modifications et le cadre social de
graves lézardes. La perte de l'indépendance politique
enleva aux vaincus toute
capacité de mener, de façon autonome, les réajustments indispensables pour main-
tenir en permanence l'équilibre de leur société.
En revanche les autorités coloniales multipliaient les mesures oppressives pour
faciliter l'exploitation de toutes les ressources disponibles du pays. Mais la perte des
terres, la confiscations des libertés ir;dividuelles ou collectives ne purent venir à bout
de la vitalité des autochtones qui inventèrent de nouvelles modalités de lutte mieux
adaptées aux nouveaux rapports de forces.
Mais à mesure que le temps passait le travail d'assimilation portait ses fruits. Les
éléments qui échappaient au cadre traditionnel sous la pression du capital étaient pour
ainsi dire happés par la civilisation française. ils étaient de plus en plus receptifs aux
influences extérieures diffusées à partir des foyers culturels qui étaient les villes et les
escales de commerce. là ils s'adoilnaient à l'imitation du modèle proposé par le
conquérant.
Il s'ensuivit une acculturation. En absorbant certains éléments introduits par
l'étranger, la civilisation locale subit d,)s changements plus ou moins profonds. les
indigènes qui en furent les porteurs/tlssayèrent de se faire reconnaître comme la
nouvelle élite. Toutefois de vastes zones restaient à la périphérie de cette civilisation
et dont les habitants continuaient d'être encadrés par les institutions traditionnelles.
.'
~", ";' Y'
Nous aurions aimé pouvoir ~'esurer dans tous les secteurs de notre champ
d'étude la profondeur des transformations sur les hommes et les institutions. En effet
entre les Sénégalais partisans d'unl3 assimilation à outrance et ceux qui, encore
retenus par des traditions dont rien n'avait pu neutraliser la vigueur, les nuances
intermédiaires étaient multiples. Mai~; consciemment ou non ils devenaient d'autres
hommes du fait même des bouleverserilents intervenus dans les structures économi-
ques du pays.
Ainsi donc l'occidentalisation du sénégal a provoqué partout des ruptures dans
le rythme de la vie des populations. On voudrait bien pouvoir cerner toutes les atteintes,
les évaluer avec précision afin de déterminer la portée' réelle des transformations
subies par la société locale sans jamais faire abstraction des modalités nouvelles de
la lutte secrètée par tous ceux qui ne croyaient pas la défaite irrémédiable. Ils étaient
nombreux, les autochtones qui refusÈrent de rester les bras croisés devant le triomplle
de la force année. Ils déployèrent un gl'and dynamisme dans leur combat souterrain
en mobilisant toutes les ressources du terroir. Leur objectif était de maintenir une
tension permanente contre le colonisateur. Dans certains secteurs comme en pays
sereer ils sont parvenus, à imposer tant bien que mal, un dirigisme étroit aux
consciences en procédant de temps fi autre à l'élimination physique de ceux qu'ils
considéraient comme des collaborateurs.
C'est l'ensemble de ces phénorr:ènes que nous nous proposions d'étudier. En
d'autres termes notre ambition était 0'3 parvenir à comprendre le processus par lequel
certains habitants du pays étaient devenus d'autres hommes alors que d'importants
groupes continuaient de demeurer fidèles aux traditions de leurs ancêtres.
Mais unefois sur le terrain de l'hdoire, des difficultés de toutes sortes ont surgi.
De nombreuses zones d'ombres sont restées inexplorées en raison d'une documen-
tation lacunaire. Celle-ci est pourtant fort abondante pour qui ne considère les choses
que du point de vue de leur volume. Mais quand on cherche à déchiffrer certaines
énigmes elle garde sur certair)Point5 Ull silence irritant. Si elle nous donne d'amples
informations sur les hommes du camp I.-ançais, elle est en revanche fort sobre sur les
protagonistes indigènes. Ainsi elle ne nous livre aucune information sur les passions,
les drames, les traumatismes ~til~S\\iÏ~$Sil:lln$ ~écus par les indigènes. Ceci n'est pas
fait pour surprendre. Les rédacteurs de ces textes étaient souvent acteurs dans les
évènements qu'ils relataient. Ils ne pouvaient pas toujours résister à la tentation toute
naturelle d'infléchir les raits d'une façon intéressée en réduisant ou en taisant let.U(,
défaites tout en exagérant celles de leurs ennemis. Ceux-ci ne consignaient que
rarement par écrit leurs gloires ou leurs malheurs. C'est pour cela qu'il est difficile de
confronter les versions des uns et des autres pour y déterminer la part de la réalité et
de l'invention. On aurait bien pu mu!tiplier les exemples ou les documents écrits ont
pris une grande liberté avec ce que l'histoire a fini par admettre comme la vérité. Les
relations de certaines batailles ont travesti la vérité pour induire en erreur les autorités
parisiennes. il en était de même pour les traités de protectorats dont les versions
françaises et arabes comportaient de graves divergences. Celles destinées aux chefs
locaux étaient toujours édulcorées afin de leur en faire accepter facilement le contenu.
Mais l'autorité coloniale prenait toujours la précaution de mentionner qu'en cas de
divergence d'interprétation seule la version française ferait foi. Comme on peut s'en
apercevoir, ces textes, auxquels no'.Is sommes en grande partie redevables de notre
information ne nous donnent pas toujours une vision correcte des choses. Aussi pour
combler les vides de notre documentation avons nous fait appel à la tradition orale.
Il ne nous paraît pas utile d'insister sur les limites de cette source historique.
Nous savons qu'elle est grevée d'une certaine imprécision chronologique. Les
populations ne rattachaient les évenements importants de leur existence qu'à de
graves calamités ou à des fait glorieux. Pour mieux les fixer dans la mémoire cles
auditeurs, les messages à transmettre étaient affectés d'un fort coefficient d'exagéra-
tion, Dès lors la tradition orale ne pouvait pas avoir le souci de l'exactitucie. Les
bouleversements de l'ordre chronologique des évènements étaient pour ainsi dire
secondaires pourvu que l'objectif fût atteint. On ne retenait dans la suite des événe-
ments que les épisodes essentiels dor,t la connaissance était necessaire à l'édification
morale des jeunes générations,
Ce dernier aspect constituait la finalité de la tradition orale, Elle était le véhicule
privilégié des normes et valeurs de lél~~ociété. Doncelle ne transmettait que les «véritésn
",.
112
9
du groupe. Elle assurait la formation intellectuelle et morale des jeunes générations en
leur proposant les modèles choisis parmis les ancêtres les plus illustres. Elle avait donc
le culte du passé. En l'honorant et en puisant à ses sources elle créait un sentiment
perm~nent de continuité entre les vivants et les morts. C'est à ce juste titre qu'on la
considérait comme la première enseignante des différentes générations. En effet
c'était l'autorité qui dirigeait la raison individuelle et qU~Saisissant chacun des membres
de la collectivité à son entrée dans la vie ~t lui traçait sa voie. Aux uns et aux autres elle
apportait la lumière quand ils étaient envahis par le doute, leur donnait de solides points
d'appui dans les moments de défaillance. Pour apporter les consolations et les
espérances il lui suffisait de rappeler le souvenir des hommes aux grands caractères,
aux fortes convictions et qui donnè~ent l'exemple des dévouements sublimes. Elle
raccordait ainsi en permanence le présent au passé pour préparer la fécondité de
l'avenir.
Cette fonction dévolue à la tradition orale a rendu sa collecte difficile dans notre
secteur d'étude. Sans doute nos informateurs ont-ils été prolixes pour ce qui était des
institutions politiques, pour les structures sociales, comme pour ce qui était du droit
foncier. les vieillards nous ont indiqué la hiérarchie structurée qui cimentait les familles
et la société, et les dispositions coutumières qui protégeaient le patrimoine foncier.
C'était l'époque où les garmi et les autres Kangam vivaient au milieu des populations
rurales sur lesquelles ils exerçaient une influence incontestable. Ils n'étaient pas mûs
par la soif dévorante du gain. le sens du groupe ou de la famille l'emportait sur les
tendances individualistes.
En revanche nos informateurs ont été discrets sur la période qui nous intéresse.
Elle correspond à la phase la moins brillante de leur histoire parce qu'elle est marquée
par l'amertume de la défaite et les hl.miliations imposées par le régime colonial. Les
chutes sociales de l'aristocratie ont eu partout un immense retentissement. Aucun
artifice littéraire ne pouvait transformer les défaites en victoires. On décida d'occulter
cet aspect peu honorable du passé. Les griots n'éprouvèrent pas le besoin d'élaborer
des textes oraux dont la récitation servirait de stimulant pour les jeunes générations.
sur beaucoup de points essentiels à la compréhension de certains événements nos
10
informateurs se contèrent de mentions incidentes. Ils ne voulaient pas fournir des
indications, sur des faits qui les aVê,ient douloureusement marqués. On est loin des
traditions représentant les annales des groupes et relatant avec un luxe plus ou moins
grand de détails leurs fastes d'antan. Il fallait une forte dose de patience pour leur
arracher quelques confidences. pour eux la tradition n'est digne d'être transmise que
quand elle véhicule l'orgueil et les hauts faits du groupe. Sur les effondreme~t
politiques elles doit garder le silencE.
Ainsi donc les traditions orale:, ne nous a pas permis de toujours compléter les
lacunes des textes. Les renseignements obtenus sont souvent fragmentaires. Même
si les contemporains avaient saisi l'ampleur des enjeux ou des transformations qui se
déroulaient sous leurs yeux, ils n"3n avaient pour autant précisé les modalités.
L'historien est souvent désarmé de··:ant le mutisme des informateurs.
On s'étonnera peut-être des illégalités relatives à la largeur des châpitres. Nous .1\\,
~'I \\,,,'. j'CC\\\\('\\'
les avons pas développés selon l'a:-;ondance de la documentation ç>u, selon les
résultats des recherches. Aussi la thèse de M. Iba Der Thiam, sur la vie politique et
syndicale dans les quatre communes comme celles de Marc Michel sur l'effort cie
..·~'~j<I·--77'~ ..,
guerre de L'A.O.F. de Milo Bouch~.svr I:enseignein~nt, de Abdou Sow sur les Sociétés
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" ".
d.e Prévoyance de Babacar Fall s.ur,II,cTrp':'i3il Fàcé 'nous ont allégé le fardeau en nous
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~--':.' E,
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dispensant de revenir sur des CbOS(lS déjàèonnuês. C'est pour cela qu'i,l? n'ont pas
eu le développement
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qU'exigeai~leLJ:~p~ë~:'
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I;-;C:1\\-
Nous remercions tous ceux qui nous aidé dans la réalisation de ce travail. Nous
(.'-
pensons aux archivistes de Dakar, Qjo ceux de la section Outre-Mer des Archives
Nationales de France, et d'Aix-Marsr;;ille. Nous tenons à exprimer ici notre trés sincère
reconnaissance à Madame Coquery-Vidrovitch qui a dirigé ce travail avec une
attention toute particulière Nous n'ou:Jlierons jamais tout ce qu'elle a fait pour nous~ors
de nos deux années passées à Paris.
GLOSSAIRE
- AWO : Titre de la première femme d'un ménage.
- ALMAMI : Titre porté par le chef de l'Etat du Toro ou du
Badibu aprés le triomphe de leur révolution.
- BADOLO : Paysan libre, d'origine rot..Jrière.
- BAW LEKK : Ceux qui aboient pour manger. (Une catégorie de castés).
- BRAK : Titre du roi du Walo.
- BUMI : Vice roi au Siin, au Salum, au Kayoor.
- BUR : Titre porté par les rois du Siin du Salum et du Jolo!.
- CALAW : Héritier présomptif au Bawol.
- CEDDO : Guerrier professionnel, membre de l'aristocratie
dirigeante. Dans la bouche des musulmans il désigne
païen.
- DMRA : Ecole coranique.
- DAMEL : Titre porté par le roi du Kayoor.
- DOMI-BUR : Fils de roi, désigne les oescendants non, garmi
des souverains.
- DOROBE : Famille utérine garmi.
- FARA FARBA : Titre porté par les ministres ou les commandants
territoriaux appartenant à la catégorie des
esclaves de la couronne.
- GARMI : Prince appartenant par sa lirJnée utérine à l'une des
familles habilitées à donner des souverains.
- GEJ : Famille garmi du Kayoor.
- GEER: Personne non castée.
- GEWEL : Griot.
- GOR: Homme libre.
- JMM : Esclave.
~.
- JAMBUR : Homme libre, désigne pm extension les
gros propriétaires fonciers.
- JAM-GAIIO : Esclaves d'une famille.
- JAM-I-BUR : Esclave de la couronne.
- JAMBOR : Héritier présomptif du Kayoor.
- JARAAF : Titre porté par des chef,; de village, de canton, de
province ou par les ministres.
- JAWRIN ou JAWDIN : Président du conseil des grands électeurs.
- JEF-LEKK : Artisans qui gagnent 18ur vie à la sueur de leur
front
- JUNG-JUNG: Tambours de guerre royaux.
- KANGAM : Titre d'un chef de l'administration territoriale.
, 1
- KER: Maison ou branche patrilineail·e.
- LAMAN : Gestionnaire de la terre familiale.
- L1NGEER : Reine-mère.
- MAG ou MAK : Le grand ou le premier.
- MEEN: Désigne la filiation utérine.
- NEEK : Case, famille maternelle.
- NENO : Gens des castes artisanale:;.
- NOOLE : Bouffon.
- SAB-LEKK : Ceux qui gagnent leur 'iie en imitant les champs
oiseaux. Ce sont les musiciens.
- SALTIGE: Maîtres initiés chez les Sereer Saax-Saax. Chef de
canton ou de village en pays Sereer.
- SEGTEFF : Descendants en ligne patrilinéaire du fondateur
des dynasties.
- SERIN: Marabouts, maîtres d'écc'le5 coraniques.
13
- TAALIBE : Elève d'une école coranique ou membre d'une
confrérie religieuse.
- TATA: Enceinte fortifiée.
- TE EN : Titre du roi du Bawol.
- XEET : Famille étendue par filiation u<érine.
PREMIERE
PARTIE
LES SOCIETES WOLOF ET SEREER
A LA VEILLE DE LA CONQUETE
1
PREMIERE PARTIE:
CHAPITRE 1:
LES HOMMES Er LEUR ENVIRONNEMENT
AU MILIEU DU DIX NEUVIEME SIECLE
Entre les lisiéres du delta du fleuve Sénégal et les abords de la vallée du Salum
s'étend une bande de terrain de largeur variable qui fut jusqu'au dix neuvième siècle le
domaine de l'empire des Wolof au temps de leur unité nationale.
On y distinguait toutefois, deux ensembles géographiquement homogènes de
part et d'autre du méridien de Kees. Si à j'Ouest de cette ligne nous avons le vigoureux
relief de la falaise de Kees et le Cap· ",'€cli, à l'Est de cet escarpement s'étendaient "des
, V
Confins du fleuve Sénégal au Nord, jusqu1a,ll,llisiére du Ferlo à l'Est et jusqu'aux
approches» de la vallée de la Gambie les plaines actuellement connues sous le nom de
bassin arachidier' . Cet ensemble asse:' monotone paraitrait triangulaire si le côté Sud et
lesommet Sud-Est n'en étaient trop vagues. C'est un pays sablonneux qui semble à peine
émerger des eaux. "Les différents étages marins accumulés dans le bassin sédimentaire
du Sénégal, sont, en effet voilés par une couverture continue de formations quaternaire5
sur toute l'étendue du territoire étudk!2" Le sol inachevé est trés mou et ne porte aucune
trace de ruisselement ni la marque d'un modelage diluvien'. Bref alors comme aujourd'hui
Il
c'était un immense filtre qui absorbait avidement toutes les précipitations qu'il reccvoil
Cette particularité exerçait L'ne influence certaine sur le climat, la flore, sur la
civilisation et le genre de vie des hommes, sur leur état social et politique.
Aptitude des sols
Cette grande unité morphologique présentait néanmoins des sols aux capacités
naturelles variables que les paysans exploitaient selon les circonstances.
La topographie dunaire est cdractéristique du paysage du Kayoor, du delta
jusqu'à la falaise de Kees. Nous avions h une succession de collines et de bas fonds dont
la direction générale étaient parallèle au bord de la mer en "en suivant une ligne
légérement infléchie du nord-est au sud-ouest». Ces collines n'étaient, en fait, que la
He
è
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continuation des dunes du littoral. Elles s'abaissent graduellement à mesure quo l'on
s'avançait vers l'Est. Les bas-fonds qu'elles délimitaient étaient moins accusés et leurs
pentes étaient plus douces, de tellr:, !;orte que le pays semblait relativement plat et
présentait dans certains secteurs, des plaines d'un horizon trés étendu'.
Le rebord septentrional de cet ensemble était représenté par une dépression
constituée par le lac de Guier. Appelé Lac Paneful par les riverains, il communiquait avec
le Sénégal par une rivière La Taoueg ~JUI n'était que d'une importance trés modeste pour
la batellerie. Cette dépréssion se prolongeait vers le Sud jusqu'à Lingeer. Ce couloir était
toutefois entrecoupé de seuils. Mais chaque fois les précipitations étaient abondantes on
pouvait l'utiliser pour se rendre de Saint-Louis à la capitale du Jolof Yang-Yang sans
rompre chargeS.
Dans toute cette zone on constatait les mêmes ondulations plus ou moins larges
qui venaient mourir dans les riay. Au ~ud du Lac de Guier se trouvait le marigot de Bunulll
dont l'orientation était perpendiculaire à celle de la Taouey et qui était entouré d'une
succession de collines perpendiculaires ou faiblement obliques à la vallée et tombant en
pente abrupte au bord du marigot"-
Ici comme ailleurs les paysans {taient parvenus à la suite de longs tatonnements,
à distinguer les inégales qualités des sols. Ils opposaient fondamentalement les sols sur
dunes appelés Joor aux sols "des dÉpressions interdunaires, des bas-fonds7" qu'ils
nomment sols dock.
Les sols joor se composent d'un sable quartzien qui s'enrichit peu à peu de
dépôts organiques et d'humus par la culture et se transforme ainsi "en terre végétale qui
altère progressivement sa nature prim:\\ive"". Tous les sols joor sont légers meubles et
perméables ce qui limite étroitement <<leur capacité de rétention de l'eau9".
Le lessivage actif qu'ils subisse"t pendant l'hivernage accentue leur pauvreté en
argile et entraîne "l'accumulation de:, éiéments fins vers le pied des versants et les bas
fonds'O".
.·
1
Les sols deck, moins répandus que les premiers, correspondent généralement
aux dépressions interdunaires, aux cuvelles, au pied des versants. Ils sont plus com-
pacts, plus imperméables que les scds joor en raison de «l'influence d'une roche-mère
moins pauvre lorsque les dépôts de calcaire ou de marnes lacustres affleurent dans les
interdunes ou ne sont recouverts que par une mince pellicule de sable"». C'est entre ces
deux types que se répartissent en gros les sols de notre zone d'étude avec, bien sûr,
quelques nuances notables par endroit.
Au delà de la dépression du Bunum et prés de Yang-Yang affleurent des marbres
et des gisements d'un calcaire saccharoïde trés dur, renfermant des traces de fer. On y
trouve pareillement une argile noirât"e qui a été trés tôt utilisée dans la poterie par les
populations locales. Toutefois dans le Ferlo, son aspect se modifie. Du sable quartzeux
succède un terrain dur, comme «recouvert d'une sorte de macadam naturel rougeâtre
où affleurent çà et là, et comme il l'état erratique, des concretions ferrugineuses en
masses dures et parfois effutées» : c'est la latérite.
Entre le Jolof et le Bawol et jusqu'aux environs de Kess l'aspect du sol connait
d'autres variations. Une roche noirâtre assez friable portant de minuscules cristaux de
quartz succède au sable rouge et ;'elativement compact du ferlo. C'est une marne
argileuse colorée par l'oxyde de fer c'est un sol riche pouvant supporter des cultures trés
diversifiées".
Ce domaine que nous venon,,; de voir et qui est un immense «matelas de sable»
ne serait habitable qu'à condition d'être copieusement arrosé par un régime pluviéll
généreux puisque le sol absorbe avid'3ment les précipitations qu'il reçoit et ne les restitue
pas toujours en cours d'eau fertilisaleurs. Il est donc inapte à remplir le rôle de régulateur
des eaux. Dès lors il ne faulÇ~tonnEr que la première industrie des populations ait été
de retrouver çà et là cette eau qui se dérobait «en creusant aux endroit les plus favorables.
~I
C'était une condition de vie ou de mort etAl'habitabilité du pays en dépendait".
Dans ce secteur, l'habitat ~élait groupé autour des points d'eau. Les habitants
avaient creusé des puils dont le nomhre dépendait de l'effectif de la population. Le puits
W·~·;;1 R
le plus célébre au Kayoor était celui de Ndand d'une profondeur de 40 mètres sur 7 mètres
de diamétre. Il donnait une eau de bonne qualité un peu douceâtre".
La tradition orale fait mention de gros villages ayant selon l'abondance des eaux
une population variable de SOO à SOOD âmes. Les plus importants pour le Kayoor ont été
ceux de !igick, Caari, Gewul Jookul, Mbul, Ngigis, Mexey'5.
Les mares étaient également utilisées pour le linge et pour abreuver les trou-
peaux. Certaines d'entre elles étaient intimement associées à l'histoire militaire du pays.
L'armée qui parvenait à contrôler la mare prôche du champ de bataille avait un avantage
stratégique certain sur sa rivale dans ce pays où les chaleurs sont excessivement torrides.
Ces sols poreux, absorbant avec avidité tout ce qui tombe des nues, avaient
cependant l'avantage de rendre l'atmosphére plus saine que dans les secteurs maréca-
geux. La vie bactérienne et microbienne y était moins intense, ce qui faisait courir moins
de risque aux grandes concentration humaines. Les ravages de certaines maladies y
étaient plus rares en raison des difficiles conditions de reproduction des vecteurs. Les
villages occupent en général le sommet des collines afin de tirer partio de tous los
courants aérant l'atmosphére. Les collectivités humaines avaient fini par prendre cons-
cience de l'excessive fragilité des sols. Aussi avaient elles déployé des trésors d'ingénio-
sité pour freiner le processus d'érosion, qui à plus ou moins brève échéance, menaçait
leur existence. Un long passé de tatonnements leur avait fait comprendre le rôle
primordial que joue la végétation dans la protection du sol. L'exposition au soleil et à la
pluie altére les propriétés du sol. L'élévation des températures du sol par insolation
provoquait la disparition progressive de l'humus sous l'action de processus chimiques
plus que microbiologiques. A la disparition de l'humus était associée la diminution de
l'azote, d'où l'appauvrissement rapide du sol.
l'exposition à la pluie qui tombait souvent sous forme de tornade déclenchait
pareillement des phénomènes d'érosion pédologiques surtout dans les zones en pente.
Les couches superficielles étaient brutalelement exportées et avec elles, les plus riches
éléments fertilisants.
Wl
1 9
Contre ces phénomènes, le paysan avait pris des mesures de protection qui ne
manquait pas d'efficacité. Les champs, les villages, les pistes, les voies à grande
.\\'. "-t
circulation étaient toujours bordés, ceinturés d'un ruban d'el1nphorbes. Ces plantes trés
résistantes, gorgées de sève, formant des haies vives, constituaient un écran tenace
contre non seulement l'érosion éolienne, mais aussi contre les feux de brousse '". Celte
défense de «l'écosystème» était demeurée trés efficace jusqu'au triomphe de la culture
arachidière.
Malgré la sévérité des données pédologiques, le pays woloff était parvenu tant
bien que mal à tirer sa nourriture de sa terre grâce à une jachère qui permettait au sol de
se régénérer aprés quelques années de repos.
La déprimante monotonie des paysages comportait néanmoins quelques avan-
tages en compensation. En effet aucune ondulation ne venait gêner les courants de
circulation sauf dans la falaise de Kees. La platitude du relief, l'abs~ence d'un véritable
réseau hydrographique avaient même favorisé le déplacement des groupes qui furent
contraints sous l'effet des guerres, de la pression démographique ou de ca~fnités
naturelles, à aller chercher ailleurs la conclusion de leur existence. Les armées n'éprou-
vaient non plus de difficultés à parcourir en tous sens ces immenses étendues. En un mot
ces espaces avaient connu, selon les époques, des mouvements migratoires d'ampli-
tude variable surtout dans la direc!ion Nord-Sud ou d'Est-Ouest. C'est selon ces
directions qu'étaient venus les groupes ethniques qui furent à l'origine du peuplement de
l'espace sénégambien. Il n'y a dans ce domaine «ni montagne à gravir, ni rivière à franchir
ni f~ndriére à contourner. C'est l'espace horizontal si propice aux muovements rectili-
gnes, aux chevauchées, à l'action17».
Créer une voie de communication dans ce pays consistait à débroussailler une
piste suivant un tracé qui tînt compte des nécessités économiques et des points d'eau
sans lesquels cette voie serait impr:'lticable dans cette contrée où l'atmosphére est
souvent torride. Les voies à grande circulation ne servaient qu'aux caravanes de
chameaux transportant du sel, aux cavaliers, aux animaux de bât parmi~ lesquels figurait
le boeuf porteur'"' C'étaient les itinéraires traditionnels des Jula.
20
Sous le rapport routier, les centres politiques étaient les mieux désservis. Une
route reliait Yang-Yang à Lingeer. Une piste faisait la jonction entre le jolof et le futa. Le
Jolof était également en communicéltio:m avec le kayoor, le Walo, le Bawol, Le Siin et le
Salum. Les capitales des différents royaumes étaient reliées les unes aux autres par ces
pistes muletiéres par lesquelles tram~itaient aussi le bétail et les jula qui se rendaient dans
les différents marchés hebdomadaire:;.
Ainsi donc, si «nulle vallée bi;,;nfaisante ne prêtait au voyageur sa fraîcheur et son
ombrage, rien ne s'opposait non plus à la marche de celui-ci qui pouvait se mouvoir là en
tous sens, comme sur une mer subite,nent pétrifiée I9". Cette aisance dans les commu-
nications n'est probablement pas sanf. incidence, sur l'excessive centralisation adminis-
trative constatée dans les royaumes y~/oloff constitutifs de ce domaine.
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I:~ [ ( "~:'~ \\_ Les Naay
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A l'Ouest du mé~idieri de K~:A~~ données géomorphiques étaient dilférents.
Tout au long de la côte entre saint-Louis et Dakar s'étendait la région des Naay, P8YS
accidenté par une série de collines el. d'3 bas-fonds dont la direction est parallèle au borel
de la mer, Les bas-fonds, situés immécliatement en arrière des dunes, de 6 à 8 Km de la
plage formaient la ligne des Naay, Elle commençait au village de Ker, et se continuait
jusqu'àMboro en passant par potu, Vindé-Jatmi, Vindé-Burli, Mbar, Dambukhol, Lompul,
Tiakmat, Mbetet, Gelkup20.
Les Naay étaient des réservoirs naturels ou les pluies de l'hivernage formaient
soit des étangs d'eau douce, soit des marais saumâtres recouverts d'une végétation
aquatique de roseaux, de joncs, de plantes variées".
Pendant la saison pluvieuse, elles communiquaient entre elles par l'élévation de
leur niveau. Au retour de la saison sèche l'évaporation les rendait indépendantes les uns'cS
des autres.
2 1
-,1"'
Les bords de ces lacs étaient toujours embellis "de massifs de grands arbres dont
la riche verdure et les frais ombrages contrastaient avec l'aridité d'un pays"", brulé par
un soleil tropical. Ces oasis de verdUll' où les palmiers dominaient étaient exploitées pour
leur vin de palme par des gardiens préposés à cette tâche par les chefs du pays"'.
La presqu'île de Ganjool avait des terrains composés de sable gris ardoise. L'eau
y était à une profondeur de 9 m. Les culi.ures qui couvraient le sol étaient l'arachide, le mil,
la patate et la tomate dans les dépréssions. Les peuls faisaient circuler 50000 boeufs dans
cette région.
De Mbar à Lompul on ne rencOiltrait que des dunes formant un plateau de sabla
rouge absolument désertique. Au pied de ces dunes se déroulait une plaine au sol silico
argileux riche en eau douce. Entre les N0ill' de Lompul et de Tiakmat le terrain était couvert
d'étangs à eau douce. De nombreux troupeaux paissaient dans le secteur?'. A Mboro une
plaine magnifique s'étendait à perte de vue et couverte d'une herbe fine qui ne rappel lait
en rien celle de la brousse tropicale25.
Le sol des environs de MbidJem était formé par une couche assez épaisse
d'humus sablonneux, aride dans la saison sèche, mais devenant un superbe tapis de
verdure peu de jour aprés les premières pluies. Le sol descendait en pente trés douce
jusqu'à une plaine basse, marécageuse dont le sous sol argileux était noirâtre. Cette
plaine était ceinturée de tous côtés par :.Jne des collines sablonneuses. Elle porte le nom
de Tamna. Elle était recouverte par les eaux dès le début de l'hivernage. Pendant celle
saison le lac Tamna communiquait avec les marigots du voisinage. A partir de novembre
la communication était intérrompue et la Tamna n'était plus qu'une immense mare que
l'évaporation diminuait chaque jour"
Le bassin de la Tamna était limité au Nord par des dunes de sable de 3 km de
largeur atteignant une altitude de 30 à 40 m, et qui était le résultat du refoulement des
sables de la baie de Yoff par l'océan. A l'Ouest et au Sud c'était le plateau de jander qui
lui servait de limite. Ces conditions faisaient que la Tamna était un lac sans ouverture".
22
Cette région au sol d'une grar,de fertilité n'était pas mise en culture par les
populations qui, avec leurs moyens rudirr,8ntaires, s'étaient sentis incapables de domes-
tiquer cette nature rebelle. Pour affronter Je problème sanitaire de l'eau stagnante, il leur
aurait fallu soustraire ces terres aux empiètements des eaux mais aussi parvenir à utiliser
des eaux disciplinées quand le besoin s'en fait sentir. Il était bien évident qu'un tel contrôle
des eaux ne pouvait être obtenu qu'avec d'importants moyens techniques ou en
mobilisant des masses de travailleurs pour l'exécution des grands travaux d'assainisse-
ment. Le problème des terres ne se posant pas aux paysans, cette éventualité ne fut pas
envisagée par les autorités du Kayoor.
Ici le joug de la nature avait pesé lourdement sur la société humaine. Les Naay
étaient une zone répulsive. La nature y était un ennemi implacable. Des étangs comme
de la végétation surgissaient toutes sortes de calamités qui accablaient l'être humain. Le
typhus, la dysenterie, le paludisme, la maladie du sommeil empêchaient J'homme de fixer
son habitat dans ce secteur. Les épidérr,es ou les endémies ravageaient tous ceux qui
s'obstinaient à vouloir y maintenir leurs byers.
Ces délicieuses oasis créée «par la providence divine comme un lieu de repos,
comme une image de l'Eden «n'étaient pa:; habitées, carnon habitable2•• Ce territoire était
en eHet un immense foyer de miasme fébi ige~nes. Pendant la saison sèche, les eaux en
se retirant laissaient «à nu une vase épaisse et boueuse. Durant cette saison, chaque jour,
la tamna était recouverte d'un brouillard ,§pais, d'une fétidité extrême, qui s'élevait dans
l'atmophère pendant la journée en servdnt de véhicule aux miasmes, et qui redescendait
le soir avec le refroidissement de l'air. Sous un ciel essentiellement favorable au
rayonnement, la rosée se condensait toutes les nuits dans des proportions énormes et
mouillait de nouveau les détritus déjà désséchés par l'action du soleil des jours précé-
dents 29".
En janvier l'apparition des vents :J'Est augmentait l'évaporation par leur séché-
resse. La vase se fendillait mais le fond humide des crevasses laissait encore se dégager
quelques émanations30•
23
7
•
Ainsi l'évaporation énorme qui s'opérait sur ces masses d'eau stagnantes,cles
rosées abondantes produites par ,ln rayonnement intense,les brouillards épais qui
envahissaient régulièrement cette zone, les exhalaisons malsaines,les fortes amplitucles
quotidiennes étaient autant de causes 'unestes qui ruinaient inexorablement la santé des
populations.Tous ces facteurs engendraient des diarrhées, des dyssenteries, des
pneumonies auxquelles les humains ne résistaient pas longtemps".
Cette région des Naay était également un bouillon où la vie microbienne et
bactérienne était d'une intensité extrême. C'était aussi le lieu de prédilection de Juin à
Janvier de myriades de moustiques, cie maringouins, d'insectes de tous genres qui en
rendaient le séjour désagréable, voire impossible"2. Ici l'homme s'était trouvé complete-
ment désarmé en présence d'une nature qui ne lui ménageait pas ses cruelles fureurs.
La maladie du sommeil était l'obstacle majeur à l'établissement de villages
sédentaires dans ce monde répulsif. L.a zone infectée par les glossines de la tripanoso-
miase humaine s'étendait de la petite côte jusque dans la partie méridionale des Naay non
déboisées où les marigots donnaient une végétation exubérante qui servait de refuge au
vecteur de la maladie"". La présence, ,je la mouche tsé-tsé contraignit les populations qui
s'y étaient aventurées à aller fixer leur habitat dans la zone salubre du KayoorJ4 •
Cette zone qui aurait bien pu servir d'appui à une agriculture riche et diversifiée
ne donnait que quelques produits de cueillette. Sans doute les peuls y entretenaient un
immense troupeau de bovins, mais ses possibilités économiques étaient loin d'être
exploitées. Cette vocation pastorale q'Je lui imposaient les peuls ne donnait qu'un bilan
médiocre en raison de l'éloignement des marchés qui auraient pu consommer le lait.
Le poisson des mares était pêcllé sur une petite échelle, car la conservation des
prises était difficile avec les grandes chaleurs. Bref les Naayfournissaient du vin de palme,
du miel dans les zone encore boisées. Dans leur partie septentrionale où le déboisement
avait rendu le paysage plus ouvert les populations s'étaient trés tôt livrées à l'exploitation
du sel, produit alors merveilleux.
24
~r
Les principales salines étaient celles de Ganjool. Elles s'étendaient le long du
rivage sur un parcours de 8 Km envil'On. Les villages qui les exploitaient étaient ceux de
Ndijanu, Cenn, Vay, Deuk-Burey, NdQD:Jbur, Jum". Elles étaient constituées en apanage
pour la Lingeer ou Reine-mère du Kay;:JOr. Elles lui rapportaient au milieu du siècle un
revenu de 50000 francs par an en moyenne.
SINGULARITE DE LAF:ALAISE DE KEES
Toujours dans cette partie occidentale du méridien de Kees la falaise de même
nom domine avec vigueur tout le paysage et établit le contact entre le Kayoor et le Cap-
vert. C'est un véritable amphithéâtre qui constituait la limite orientale du Cap-Vert. Celle
série de hauteurs trace une ligne de ci6marcation entre le Sénégal intérieur et le Cap-Vert.
Si le premier est un pays de plaines monotones, le «second est une étroite apophyse
accidentée, récemment accolée au flanc du continent africain". Une tectonique active est
responsable «d'une grande diversité morphologique".
A Kees, l'altitude de la falaise estde 70 mètres. Elle
s'abaisse progressivement
vers le Nord, mais augmente si l'on va vers le Sud-Ouest. On arrive alors à une crête dont
l'altitude moyenne est d'une centaine de mètres dont les points culminants alleignent1't 0
mètres et même davantage. Celle crête est orientée du nord au sud. En direction du Nord
la falaise pert progressivement de l'altitude et «finit par disparaitre, relayée, à l'approche
de l'océan, par les chapelets de dunes qui bordent la côte septentrionaleJG".
Vers la Petite Côte elle se manifeste par une série d'accidents dont «le mieux
individualisé est le massif de Ndiass 37",
Dans le voisinage de Kees, la falaise tombe par un abrupt violent. Il y a là une
brêche profonde bien connue sous 1., nom de ravin des voleurs. C'est là que les .tiQQrr
s'embusquaient pour détrousser les voyageurs.
Géographiquement ce ravin correspond dans sa partie méridionale à la vallée de
la Somone et vers le nord au bassin dE la Tamna, Il s'étendait aussi d'une côte à l'autre,
isolant du plateau de Kees tout le Jander et la presqu'~e du Cap-Vert "". La Somone n'était
en fait qu'un estuaire qui ne recevai', d'eau douce que par les torrents formés par
l'hivernage39• Au de là du ravin, le pays '3e relève trés vite sans toutefois atteindre l'altitude
,
de Kees. Nous sommes en présence iJ'un pays de plateaux de Bargny, de Mbao où la
couverture sableuse devenait «un moutonnement de formes confuses». Le relief dunaire
retrouve quelque vigueur dans la rénion de sangalkam'o". Les mêmes alignements
. ~'.'
dunaires se poursuivent jusqu'à Dakar où les formations volcaniques prennent le relais.
Le secteur de Kees, de Ndiass et du Joobas est une région trés difficile. Même si
les collines ne sont que d'une élévation assez modeste, elles laissent souvent entre elles
des lignes de thalweg formant des ravins broussailleux propres aux ambuscades. Cette
configuration du relief fut mise à profit par les Sereer-Noon, guerriers farouches sans pitié
pour ceux qui s'aventuraient dans leur domaine. Ils étaient admirablement secondés
dans leurs opérations par l'épais rideau de verdure dérrière lequel ils s'abritaient pour se
défendre ou attaquer avec une remarquable tenacité. Aussi n'a t'on pas hésité à dire que
ce pays a été bien organisé pour être «habité par une race de pillards"».
Au milieu des grandes clairières cultivées se dressaient les villages avec un
nombre de cases aussi restreint que possible et un puits. Cette dispersion de l'habitat
répondait à des considérations militaires. A la moindre alerte la petite communauté sc
disolvait rapidement dans la nature pour rejoindre les autres dans la défense commune
du terroir. Les villages étaient sépall1s les uns des autres par une bande boisée larÇJe
souvent de plusieurs kilomètres dans laquelle <<les arbres épineux s'enchevêtrant les uns
dans les autres aussi bien que les lianes flexibles enlacées en massifs épais et qui olfraient
à la marche un obstacle insurmontabi'3. C'est au milieu de ce bois que se réfugiait la
population en cas d'alerte. Bien que dépendant administrativement du Kayoor ou du
Bawol1Ces sereer purent conserver en réalité leur indépendance et leur originalité jusqu'à
la conquête coloniale. Ils y vécurent en autarcie, vivant de l'agriculture, des produits de
l'élevage, de la cueillette, ne demandant aux gens de l'extérieur que les denrées qui leur
manquaient.
LE SIIN-SALUM
26
Le passage des terres sabloneLlses du kayoor et du Bawol au Siin-Salum se
«traduit...par un brutal contraste pédo1ogique 42». Sur d'immenses étendues la vallée du
Salum est tapissée par un «matelas d'alluvions récentes déposées à la faveur des
transgressions quaternaires'3». Bien quc;; divisés historiquement en deux royaumes dis-
tincts le Siin et le Salum sont un seul et même ensemble géographique dont les caractères
«géologiques et la flore les distinguent» de leurs voisins du Nord". La vallée du Salum
était comme la colonne vertébrale de cet organisme géographique.
Le pays de Siin est compris entre la rivière de la Fasnah au Nord jusqu'à la pointe
de Sangomar au Sud. Il est limité à l'Ouest 'par l'océan atlantique, au Sud par la rivière le
Salum jusqu'à son confluent avec le Siin ."et par une ligne imaginaire partant du bord de
la rivière Siin par le travers de Combi et qui partage la forêt située entre le Siin et le SalUlll
à l'Est par une ligne également imaginaire qui coupait l'immense fôret servant de pâturagu
aux Peuls du Bawol,du Jolof, du siin et clu Salum 45".
Dans sa partie occidentale, le sol du Siin était coupé de nombreux marigots salins
appelés Bolong par les Sereer dont certélins s'embranchaient sur le tronc principal, alors
que d'autres comme le Manmangeej, le Bolong de Fadioulh, le Goussa prés de Joal,
communiquaient directement avec l'océan. Ce sol était dans la majeure partie du pays,
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un produit de l'océan et des rivières. Il était formé de Tann ou Terra~)1îl salins composés
de vase séchée recouverte d'une mince couche de sable et de sel cristallisé sur lesquels
desîles, des ilôts de terre arable, "alluvions arrachées des collines de Gambie par le Salum
ou des ondulations des pays Sereer par le Siin et du sel que laisse le retrait de la mer'6"
étaient piquetés ça et là comme autant d':Jasis. Ces tann occupaint d'immenses surfaces
"grillées par le sel, le soleil et le vent"" dans la plus grande partie de leurs surfaces la haute
teneur en chlorure a chassé toute vég9tation'8.
Sur ces vastes espaces dés séchés par le soleil brûlant et impropres à toute
culture, circulaient tantôt des cavaliers, tantôt des ânes et des chameaux qui tiraient profit
de ces pistes naturelles. Dès les premières pluie cette terre ferme devenait un marécage
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fangeux ont les enlisements sont tres·r'3 outes es voyageurs
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l'eau et la terre se confondaient et créaient une sorte de zone mixte où l'eau étaient remplie
de terre et où la terre était gonflée d'eauso.
Dans l'Est et dans le Nord du~:in qui s'élève progréssivement en pente douce
de la région des tann et des marigots jusqu'au plateau du Bawol, et du Jolof, le sol était
en revanche trés fertile. C'estlàque l'on trouvait les gros villages du Siin dontl'importance
élait comparable à ceux du Kayoor. Recouvert d'une couche de sables siliceux assez
épaisse, ce sol porte de puissantes forêts qui faisaient progressivement place aux terrains
de culture à mesure que s'intensifiait la pression démographique. Même en défrichant,
les cultivateurs laissaient en grand nombre dans leurs champs les arbres qu'ils utilisaient
soit pour leur bois, soit pour leurs frui1s5 ' •.
Le Salum, qui est le prolongement à l'Est du Siin, est limité au Nord par le Bawol
et le Jolof à l'Est par le village de Warn-"J qui lui servait de frontière avec le Nani. A l'Ouest
il est borné par le canal de banjolla dit bolong de Jiloor qui séparait l'île de foundiougne
du Salum et dont la direction est orientée Nord-Est52 .Sud-Est. Bref ce royaume a l'aspect
«d'un polygone irrégulier dont le grand axe entre Sokone à l'Ouest et Warneo à l'est a
environ 200 Km de long et dont la plus 'Jrande largeur est d'environ 80 KmSJ•
Ici comme au Siin, c'est le Salum qui constitue l'axe principal de la géographie de
la région. Cette masse d'eau n'est pas une rivière. C'est un bras de mer qui s'enfonce
profondément dans les terres «qui s'irradie en un nombre infinie de marigots, et, dont les
eaux restent salées.. ."sauf pendant l'hivernage"'. L'embouchure est obstruée par une
barre de sable. Entre la pointe deSangomaretleCap Marie à l'embouchure de la Gambie,
la côte semble s'enfoncer et former un golfe de faible profondeur.
Une fois la barre franchie, on constate que la côte est coupée de multiples
échancrures formant comme autant d'embouchures de rivières dont les plus notables
étaient le Jomboss, le Banjoola qui sont en fait des bras du Salum. Nous sommes donc
en présence d'un golfe parsemé d'ù,s nombreuses dont les plus importantes sont
habitèes, «et de criques aHectantla forme de rivières qui se rétrécissent à mesure qu'elles
pénétrent à l'intérieur des terres55". La plus importante de ces criques est le Salum qui a
2 B
pour source l'océan lui-même. Les nombreuses branches qui se raccordent au tronc
principal où s'en détacl~entet «voht serpentant ~u travers des Tann à peine solidi[iés sont
autant cie témoins de l'ancienne dom[[iation de la mer», et constituent la preuve que nous
avons sous les yeux une terre en voie de formation, un pays inachevé56•
Sangomar est une langue étroite de sable de 3,5 Km de longueur et dont la largeur
maximum ne dépasse pas 100 m. Elle est accidentée par une ligne de petites dunes
orientées Nord-Ouest Sud-Ouest dont l'altitude est généralement trés modeste. Elle était
envahie par une belle végétation composée de palmiers, de datiers nains formant des
taillis impénétrables mais qui fournissaient d'importantes quantités de vin de palme aux
populations voisines. Quelques mimosées, des fucus et beaucoup de baobabs faisaient
également partie de ce paysage57• En face de Sang omar, sur l'autre rive du Salum s'étend
la région du delta constitués par les archipels du Gandul et du Nombato.
Le Gandul est l'espace compris entre le Salum et le Jomboss. C'est un pays plat,
sablonneux, piqueté d'iles plus ou moins vastes entre lesquelles serpentent de nombreux
canaux ou bolongs. Ce delta, d'origine récente est formé des seules alluvions du fleuve.
On n'y trouve ni rocher, ni de la latérite. Les parties basses sont saturées de sel. C'estpour
cela que l'industrie du sel y était relativement ancienne principalement dans les villages
de Sivo, Falia et de Nojoor56•
Les principaux bolongs qui s'embranchent sur le Salum sont ceux de Djilor, de
Falia, de Djirnda. Ce dernier permet de se rendre à l'entrée de la rivière Djomboss et de
parvenir à la barre du Salum sans passer par Sang omar. Au nord, sur ce même bassin,
aboutissent les bolongs de Narr, de Favaye et de Sakor qui se joignent à ceux de djilor
et de SiliH avant d'aller se perdre dan", le Siin5"
A foundiougne le Salum reçoit le bolong de Fatick appelé rivière le Siin qui
s'enfonce dans la direction du nord ·est»en une succession de lacets désespérants""».
C'est à cet endroit que le Salum qui, jusque là avait servi de frontière méridionale au
royaume du Siin, commence seulement à pénétrer dans le territoire dont il porte le nom.
"g
2 9
Ces bolongs servaient à la fois de lieux de pêche, de réserves de bois et de voies
de communications. Le poisson éta!t abondant et ses variétés multiples. Au pied des
palétuviers on trouvait des milliers de crabes·'.
Le bolong séparant le territoir'e du Salum de l'île de Funjün rejoint le banjola prés
de Sokone et permet de se rendre de K30lack en Gambie. Aprés Furijuri, le Salum reçoit
les bolongs de Jilor, de Koknit et de Gambul sur la rive nmd, et ceux de Kanatan, de Velm
et de Joffat sur la rive opposée. Au de là de Velor, le Salum se rétrécit. Les mangliers
pV.\\\\f.l
servant de haies à ses rives, devenaient pli!lf clairsemés, plus rabougris et laissaient voir
d'immenses Tann.
Aprés Kaolack le Salum prend ia direction du Sud-est en direction de Kocambe
où il tourne à l'est pour former l'île de !5uyon trés boisée, d'une longueur de 3 Km et ou
se déroulaient, à certaines période dE' l'année les chasses royales du Salum. De là le
Salum, devenu squelettique, court en lacets sur un vaste Tann qui s'enfonçait dans la
forêt.
-
~~
Le Nombato est le prolongement vers le Sud du Gandoul~l s'étale du jomboss
jusqu'à l'estuaire de la Gambie. Le BanjQla et son affluent sont les grandes artères de cette
région. De nombreux bolong se raccordent aux deux rives du banjola et forment une
multitude d'îles dont les plus étendues sont celles de Btenty et de Ceel. Seule la première
était habitée les autres étaient utilisées par les habitants comme terrains de culture, cie
paturages et surtout des rizières.
Exception faite de Betenty, le:; villages du Nombato étaient établis sur la terre
ferme en arriére de la rive orientale du f3anjola avec lequel ils étaient en communication
par d'étroits canaux. Les principaux villages étaient Sangako, Toubacouta, Dassilame,
Nema. Aprés ces localités le Banjola ;;'élargissant se divise en deux branches toutes
frangées de palétuviers.
Le sol du Nombato, faisant pa,tie de la terre ferme, est constituée d'une assise
de roches ferrugineuses qui affleurent en maints endroits, recouverte d'une couche
d'argile sablonneuse. A partir de Sokone, le terrain s'élève en pente douce jusqu'il
Sangako. De là, jusqu'au village de N(ma, ils forme un plateau dont le relief mouvementé
domine le Banjola. Ces terres d'une !~rande fertilité abritaient de nombreux villages. La
forêt de bambou, qui limitait les terrains de culture de sokone et de missirah, fournit du
krinting employé dans le pays.
Les pays d'eau que sont lei}ilndoul et le Niombatone furent occupés qu'à une
époque relativement récente. Zone rElfuge ils servirent d'asile à tous ceux qui voulurent
échapper à la servitude ou qui y furent attirés par les énormes richesses que l'on peut si
aisément tirer de la mer. Sur les bolcn!;IS les populations faisaient des navettes incessan-
tes. Pendant l'hivernage elles se dispersaient dans les villages de culture.
Ici les villages permanents étaient groupés, car les emplacements favorables
étaient rares malgré/la forte densité qu'on trouvait dans les zones d'établissements, les
risques d'épidemie y étaient nuls. C\\lll,rairement à ce que nous avons constaté dans les
Naay où l'insalubrité était de régie, ici la brise de l'océan brassait perpétuellement
l'atmophère et y créait des conditions d'hygiène excellentes. L'alimentation était co-
pieuse grâce au riz et au poisson66.
Si de ce large fossé de la région deltaïque on se dirigeait vers l'Est on trouvait alors
la fin du Salum "avec les collines qui furent les berges d'anciens affluents du fleuve
Gambie. Ces cours d'eau étaient prl:,sque tous désséchés et n'avaient laissé à leur place
que des ravins pariois tl'és profonds où la végétation restait active et verdoyante".
La partie orientale du Salum était donc mouvementée et d'aspect agréable. ilia
platitude souvent déprimante des tanil dénudés et sans vie, succedait un pays sillonné
de ravins et s'élevant progressivement pour atteindre par endroit quelques dizaines de
mètres d'altitude. La végétation y était exubérante. Elle donnait avec le baobab, le ditaldl,
le houl une gamme variée de fruits qui ·:;ontribuaient, dans des proportions importantes,
à l'alimentation de la population. la forêt était partout présente sauf autour des villages OLl
elle dût reculer devant les terrains d3 culture.
r.·'~.:31
Ainsi donc les pays Wolof-Sereer étaient marqués par la prépondérance des
plaines qui permettaient partout une ut;:isation agricole du sol. Les populations s'étaient
établies dans les zones salubres où elles n'ont défriché de la forêt environnante que les
1 ••
surfaces nécessaires à la production de leur subsistance. Ces défrichements ne pre-
naient de l'ampleur que quand la pression démographique devenait obsédante où quand
les rendements baissaient fortement en raison de l'appauvrissement des sols. Au milieu
du XIXe siècle les forêts occupaient la majeure partie du pays.
LES PROBLEMES DE POSITION
On ne peut pas parler correctElment d'un pays si l'on fait abstraction de son ciel.
Le climat est une donnée fondamentale qui renforce la personnalité des pays ci-dessus
délimités. I/s ont leurs vocations mais aussi leurs lacunes. L'agencement climatique de
cet ensemble résulte de la rencontre entre les influences auxquelles ils sont exposés en
totalité ou en partie: influence de l'alizé maritime, celles des vents d'Est et de fa mousson
du Sud. Elles entrent parfois en combinaison, parfois ne font que se succeder dans
l'espace. Ici le climat est marqué par de grandes différences selon la latitude et la position
par rapport à l'océan,
En gros on note l'existence de deux saisons: une saison pluvieuse et une saison
sèche. Cependant les paysans, tré~ sensibles aux moindres variations atmosphériques
en avaient retenu quatre, à savoir le N'Jor de Janvier à Mars, le corone d'Avril à Mai-Juin
où le paysan prépare ses champs pour les prochains semis, Le Navet ou hivernage qui
dure jusqu'en Octobre et enfin le loi,i qui est consacré aux récoltes.
Dans le système de la circulation atmosphérique on peut diviser notre domaine
en trois ensembles climatiques, Le premier est constitué par le littoral qui va de Saint-Louis
à Gorée, le second est constitué par le climat sahélien qui intéresse les régions s'étendant
du Bawol au fleuve et enfin le Siin-Sal!Jm à climat soudanien.
~~
3 Z
Le littoral atlantique a un climat subcanarien.Pendant la majeure partie de l'année
il est assujetti à l'influence de l'alizé maritime qui le prend en écharpe. Ce vent issu de
l'anticyclone des açores de direction nord à nord-ouest est toujours humide, fraisjvoire
froid. Il ne donne pas de précipitation cor sa structure verticale bloque le développement
des formations nuageuses. Mais son humidité se dépose pendant la nuit sous forme de
rosée. Il arrive qu'à certains moments, l'harmattan refoule vers le large le front des alizés
maritimes et prenne possession de l'esp3ce. On a alors des alternances de périodes de
fraîcheur et de grandes chaleurs qui donnent des variations de grande amplitude trés
nuisibles à la santé.
Pour la zone sahélienne comme pour celles du Siin-Salum les vents d'est ou
harmattan apparaissent à partir de Janvier et exercent leur prépondérance dans ces pays
jusqu'à l'arrivée de l'hivernage. L'harmatlan est une branche puissante de l'alizé conti-
nental saharien caractérisé par une grande sécheresse liée à son long parcourt continen-
tal. Ces vents secs,brulants sont également chargés d'un sable fin qu'ils font pénétrer
partout et qui "fatiguent extrêmement par suite de l'évaporation considérable qui se fait
à la surface cutanée. L'exposition aux vents d'Est amène souvent des corysas intenses
quelques fois des épistaxies par suite de la déchirure de la muqueuse nasale».
Cette action désséchante de l'harmattan s'exerçail"également sur les mares et
les plantes. Sous son effet la végétation de l'hivernage était rapidement brûlée par le soleil
et les mares se tarissaient obligeant les pasteurs peuls à un nomadisme d'amplitude
variable à la recherche de terrains de parcours plus généreux" pour leurs troupeaux.
C'est l'harmattan qui transforme les zones sahéliennes et soudanienne en une
immense chaudière pendant la saison :,èche. Les températures de jour et de nuit
subissent de fortes oscillations. Entre ,ianvier et Mars elles peuvent descendre trés bas
la nuit au point de contraindre les popul3lions à allumer des feux de bois dans l'intérieur
de leurs cases.
Pendant le lolli la domination de l'narmattan est absolue. Tout l'intérieur du pays
est surchauflé et devient une aire dE.: I)asses pressions. Il est alors au centre des
tl9
33
perturbations qui apportent les pluies d'il moussons provenant de "anticyclone de Sainte-
Hélène. Ce vent qui fait un long trajet maritime est chargé d'humidité. Celle-ci diminue à
mesure qu'il progresse vers le nord GU l'ouest. C'est l'hivernage qui s'installe à partir de
Mai ou de Juin selon les lieux, avec ses orages violents, souvent diluviens mais parfois
brefs car aucun relief ne vient ralentir leur progression. "Pendant toute la durée de l'orage
il souffle un vent rafraichissant qui donne une sensation délicieuse6?».
'~J~(A I\\,l.~ {\\\\(fq,'1
La pluviosité diminue du f1Gll1d au §u'dl Le Siin-Salum reçoit environ 900 mm d'eau,
le Bawol et le Kayoor central 600 mm et le Kayoor du nord 400 mm.
Pour modeste(qu'elles fussent. ces quantités étaient suffisantes pour permettre
une polyculture de subsistance appuyée sur un élevage plus ou moins intégré et une
exploitation de la forêt sans ampleur. Celle-ci fournissait surtout le bois de chauffe et les
variétés avec lesquelles on fabriquaitlef; ustensils de cuisine et la sellerie pour la cavalerie.
L'une des caractéristiques fondamentales de ces pluies était leur irrégularité.
Nous ne disposons malheureusement pas de statistiques météorologiques pour la
période qui nous intéresse pour saisie leur intensité et le rythme de leur fréquence. Mais
il n'est pas interdit de dire, compte tl;n:J de l'expérience de la fin du X/X" siècle, que IDS
risques de sécheresse prolongée étaient réels même si leur périodicité était plus longue
que de nos jours. C'est au compte de ces sécheresses qu'il faut mettre certaines ramine~';
qui coutèrentla vie à un grand nombre de populations et poussèrent quelques autres à
s'établir dans le Salum dont les conditions climatiques leur paraissaient plus supporta-
bles.
Certes ces pluies abaissaientl.Jn peu la température mais les ctlaleurs humides
qu'apportait la mousson n'en étaien~ pas moins accablantes pour l'organisme humain.
Elles affaiblissaient les individus, les rendaient débiles et les prédisposaient aux maladies
tropicales qui hantaient cet univers.
Qu'il s'agisse de la zone sahélienne ou du secteur soudanien, ces rigueurs
climatiques étaient des obstacles difficil amentfranchissables pour tous ceux qui n'étaient
pas habitués à vivre dans ces moiteLII·s. Dans la période précoloniale beaucoup de
~
34
victimes étaient signalées panni11es Européens qui avaient osé s'aventurer loins de leurs
comptoirs du littoral. A la veille de la conquête les Européens ignoraient encore comment
se défendre contre le climat, les fièvres paludéennes et autres endémies. La méclecine
n'avait pas encore découvert les puiss,mtes «vertus fébrifuges de la quinine, ni le mode
de transmissions des épidemies66•
L'HOMME ET LE TAPIS VEGETAL
Ici comme ailleurs la vie humaine s'était organisée dans un milieu forestier qui
s'était progressivement dégradé du félit des différents modes d'utilisation du sol, des
genres de vie et des densités de la population. Il y eut une interaction permanente entre
les hommes et le milieu naturel qui les enveloppait. Par le feu ou par la hâche ils finirent
par se faire une place dans la forêt en y créant des terroirs. Nous ne sous-estimons pas
le rôle des conditions édaphiques dans l'évolution du tapis végétal car sa vigueur dépend
en partie de la profondeur de la nappe phréatique, du degré de perméabilité des terres
et leur capacité de rétention de l'humidité. Mais dans le domaine qui nous préoccupe le
climat et la latitude nous apparaissent comme les facteurs les plus importants dans cette
lutte des hommes contre la forêt"9.
L'absence de ruissellement superficiel qui se traduit tous les ans par une longue
sécheresse exerce une influence sur la flore des zones sahelienne et soudanienne. Sauf
au voisinage du littoral, l'évolution 09 la végétation dépendait en grande partie de la
latitude qui commande souvent la durée de la saison pluvieuse. Exception faite de
l'enclave des NaaV. les paysages véÇlétaux correspondaient aux zones climatiques
sahéliennes et soudaniennes7o
La zone des NaaV., à la latitude du domaine à climat sahélien, bénéficiait d'une
végétation fossile de type guinéen. C'est une exception qui put se maintenir grâce à la
fraîcheur que procurait l'alizé maritime d à un sol argileux qui retenait l'eau aprés la fin de
l'hivernage. Ce sont ces facteur qui SOlJstrayaientles NaaV. à la rigueur des vents d'est".
Hg
:f.if
Chaque étang de cette enclave étaif'~einturé par une végétation puissante qui formait
autant d'oasis délicieuses à la vue. L'élément le plus remarquable de ce paysage végétal
était le palmier à huile (Eléiis guineensis) qui procurait aussi du vin de palme. Parmi les
'"
autres espèces considérées «COm'YI8 les vestiges de la forêt guinéenne et facilement
reconnaissables, on peut citer le Ficus Congensis arbre qui émet des racines adventives
pendantes... l'alchornéa cordifolia ... e~ le cyclosurus goggilodus, fougère abondante au
pied des palmiers».
En quittant les Naay pour péné:rer dans l'intérieur de la zone sahélienne du 8awol
du Kayoor et du Jolof on se heurtait d'abord à un terrain aride et inhabité en raison dc
l'insalubrité du secteur. La végétation représentée par des arbustes épineux, augmentait
ensuite et finissait par former un tapis de broussailles et de fourrés au milieu desqucls
serpentaient d'étroits chantiers.
Une fois cette zone franchie, on pénétrait alors au coeur de Kayoor, dans la
contrée habitée avec ses champs et ses villages ceinturés de hautes haies d'euphorbes
qui délimitaient les habitations72• Ici les populations, par le défrichement avaient su
arracher leurs terres à la forêt. La sécheresse du climat rendant l'arbre moins résistant
au feu permit aux hommes d'éla;qir facilement leurs. clairières à mesure que les
nécessités l'exigeaient. L'absence de la mouche tsé·tsé avait rendu
possible l'élevage
et son intégration plus ou moins harmonieuse dans l'agriculture. Dès lors le tapis végétal
initial ne pouvait pas ne pas reculer devant les attaques des paysans et des pasteurs. Sur
de grandes surfaces la forêt primitive finit par céder la place aux terrains de culture. Peu
à peu la savane se substitua à elle. Toutefois l'élimination des arbres se fit selon des
critères qui tinrent compte de leur r61e comme fournisseurs de produits de cueillette ou
de leurs vertus thérapeutiques. La iJharmacopée locale utilisait surtout des remèdes
végétaux.
A l'exubérance de la végétat/o.l des Naay s'opposait l'aspect squelettique de la
flore du tapis végétal de l'intérieur. Partout on observait des arbres rachitiques qui
donnaient «cette impression mélancolique de forêt manquée, artificielle et mourantc"'".
:; 6
Partout s'offrait le spectacle lamentable d'arbres entre la vie et la mort aux «branches
pantelantes comme les vergues d'ur(nilvireen détresse rongées par les parasiles7'». Des
arbustres nains étaient pique lés çà e! là comme pour accentuer le caractère déprilTl::Jlll
\\
du paysage.
Les associations végétales les plus représentatives de cet espace étaient les
euphorbiacées formant partout des rideaux protecteurs autour des champs comme des
villages. Le Sump (bala~te aegyptiaca) donne du bois de construction de l'huile extraite
de son fruit qui est également recommandé contre l'hypertention artérielle. Ses racines
fournissaient des manches pour cel' 3ins instruments aratoires. Le tamarinier dont le fruit
est utilisé comme laxatif et comme médicament contre certaines affections et même dans
le traitement de la peste.
Le verek (acacia albida) donnilit la gomme arabique employé dans l'apprêt des
vêtements. Il en était de même du fromager. Le baobab (adonsonia digitata) fournit un
fruit quotidiennement employé dans la nourriture. Les feuilles entraient également dans
la préparation du couscous,l'écorœ dQnnait des fibres à partir desquelles on fabriquait
/
les cordages. Le Kad (acacia albida) donnait un bois de chauffe trés prisé et ses fruits
servent comme appoint à l'alimentation du bétail pendant la saison sèche. Les combré-
tacées étaient représentées par le raat trés efficace contre les fièvres bilieuses et certains
Rhumes.
En réalité il y avait une interpénétration des flores sahéliennes et soudanicnIH:JI:'
Toutes ces espèces que nous venons de recencer se retrouvaient pareillement délns la
zone soudanienne. Mais l'exemple le plus frappant était le ronier ou Borassus f1abellifer.
Ainsi «autour de Pire Goureye, se truuvait une roneraie d'une densité remarqual)le qui
formait une enclave inattendue, vérité\\ble paysage soudanien fossile au centre d'une
région dominée par les influences sallélienn eç5». Toutes les parties de cet arbre sonl
utilisées par les populations dans l'habitat, le mobilier et la fabrication d'objets à usage
domestique. Le rônnier fournit un bois trés dur; imputréscible et inattaquable par les
insectes. Il est employé dans la contrllction des charpenles des cases comme piquets
q.'?,
.
des clotures». Les troncs entiers étaienrutilisés dans la construction des ponts et warfs
de Dakar et de Rufisque76. Le pétiole des palmes donne des meubles lits, fauteuils, tables,
tabourets, des supports de grillage pau r les tamis. Des fibres on extrait une espèce de
gants de toilette appelé njampé. Le limbe fournit des nattes, des vans, des coufins, des
paniers, des éventails. Avec les nervures secondaires on fabriquait des chapeaux. Les
palmes entières recouvrent les toits des cases. Le r6nier donne un fruit trés sucré appelé
Koni77•
Le r6nier était également exploité pour son vin par la méthode de la saignée
Certains arbres donnaient jusqu'à 10 litres par jour.
Des peuplements de type soudanienétaient constitués par le Tamarinier, le Ven
(pterocarpus erinaceus), les Guediane, les faux platanes, le kapokier. Dans la direction
du Sud on note pareillement la présence d'espèces sahéliennes comme le soump
(balanite aegyptiaca), le gommier Verek.
La zone soudanienne constituée par le Sinn-Salum était trés boisée. Les condi-
tions naturelles y étaient plus favorables à la croissance végétale que dans le Sahel et
dïmmenses étendues de ce domaine ne reçurent leur peuplement qu'à partir de 13
deuxieme moitié du XIX" siècle.
Dès que l'on s'éloignait des marigots du delta où ne vivaient que les palétuviers
aux longues racines échasses et vivant en régime de submersion constante, et de tann
dénudés on traversait par des pistes " une région couverte non pas d'épaisses forêts,
mais d'arbustes nombreux... Parfois même de grands arbres aux troncs colossaux aux
branches dirigées horizontalement et à angle droit donnant l'impression... réelle de la
grande nature7.». Les essences dépendaient de la nature du sol. Le Kad (acacia albida)
pousse sur les terrains sablonneux (lU argileux du Siin. Le Salum produit, outre les
essences qui lui sont communes avec la zone sahélienne, le mbeb ou arbre à gomme qui
entre dans la préparation du couscous, des bois trés durs tels que le Ven (Pterocarpus
erinaceus), le Guedj, l'Oloan, le Yir, le c,iicedrat (khaya senegalensis) et le fromager7'.
...,.
38
Ainsi malgré la sévérité du milieu naturel, les populations étaient parvenues tant
bien que mal à rendre habitables leul's domaines. Mais l'équilibre naturel risquait à tout
moment d'être rompu sous la pression de facteurs allogènes ou internes. De leur lutte
contre la nature ils avaient fini par créer de nouveau paysages botaniques, instauré un
type d'habitat tout à fait adapté à leur~; besoins. Ils étaient conscients que leur survie
dépendait du maintien de cet équilibre fragile.
1- Pelissier P.: les paysans du Sénégal (Page 44)
2- Pelissier.P.ldem (page 44)
3- Valliers : compte rendue de mission dans le Mbafar, Le Jolof, Fouta-Ferlo : J.O.
Sénégal 1904 Mai
4- Barthelemy benoit-Ibidem
5- Valliers Compte rendue de mission J.O.S. 27 Août 1904
6- Cligny et Rambaud: Le Sol du Sénégal ou la Géographie 15 Juillet 1901 (page 4)
7- Pelissier Op. cité (page 54)
8- Valliers rapport cité j.O.S. 3 Septembre 1904
9- Pelissier Op. Cité (page 55)
10- Pelissier Ibid (page 55)
11-Pelissier (page 56)
12-ldem, Ibidem 3 Septembre 1904
13-Villiers rapport cité J.O.S. 27 Août 1904
14-Mavidal Le Sénégal 1863 (page 61)
15-Mavidal Op. cité (pages 64-65)
17-Valllers : J.O.S. 09 Mai 1904
18-Valliers : J.O.S. 27 Aâut 1904
19-Valliers : J.O.S. 27 Aâut 1904
20-Berthelemy Benoit: Rapport médical sur les opérations du Cayor Février-Avril Rc-
vue maritime et coloniale Juin 1861
21-ldern, ibidem
22-Mavidal : Le Sénégal 1863 page 61-62
23-Barthelemy : Ibidem
24-Pierre Veterinaire: Le Cocotier au Sénégal: J.O.S. (4 Juin 1904)
25-ldem - Ibidem
26-Berenger Feraud: Etude sur la Sénégambie: Un moniteur Sénégal (1873)
27-ldem, ibidem
28-Mavidal OP. Cil. (page 62)
29-Serez-Edouard : De l'affection paludienne et de la fièvre hematurique au Sénégal
Montpellier 1868 (page 8)
30-Serez-Edouard Op.Cit.(page 8)
31-Serez-Edouard
32-Barthelemy art.cité : Revue maritime et coloniale (1868)
33-Thiroux: Dufreville de la Salle: La Illaiadie du sommeil (Paris 1912, page 144)
34-Barthelemy Benoit: Op.Cit.
~
39
35-Gruvel : Les salines et le sel au Sénégal (page 223)
36-Pelissier (page 43)
37-Pelissier (page 43)
38-Cligny et Rambard (page 7)
39-idem
40-Barbey (page 69)
41-ANFOM, SénegallV. 102 : Colonne centre Sereer Diobas (13- 27 Avril 1891) Com-
mandant Herbin
42-Péllissier (page 60)
43-pelissier (page 52)
44-Camille Guy: Le Siin-Salum sur 1;.1 géographie 1908 (page 297)
45-Noirot : Notice sur le Siin-Salum
46-Camille Guy (page 299)
47-Pel lissier (page 53)
48-ldem. Ibidem
49-Camille Guy: Sur la géographie 1908 (page 299)
50-Camille Guy :Ibidem
.
51-Noirot: Notice sur le Siin Salum,J.O.S.1892
52-Noirot : ibidem
53-Noirot: ibdem
54-Camille Guy: Op.Cit.(page 298)
55-Noirot : Op. Cil.
56-Noirot : Ibidem
57-Noirot: Ibidem
58-Lafond : Le gandoul et les Niominka in B.C.E.H. AOF 1938 (page 387)
59-Noirot : Op. Cil.
60-Noirot
61-Noirot
62-Noirot : Op. Cil.
63-Noirot
64-Noirot
65-Noirot
66-Lafont : Op. Cil. (page412)
67-Camille-Guy
68-Pelissier (page 63)
69-Pelissier (page 63)
70-Pelissier : Ibidem
71-Pelissier : Ibidem
72-Bathelemy Benoit (rapport médical sur les opérations du Kayoor
73-Valliers J.O.S. 17 Septembre 1904
74-Valliers J.O.S. 10 Septembre 1904
75-Pelissier (page 63)
76-Niang, Madicke. Le rônier dans la région de Thies : in notes africaines Juillet 1975
(page 79)
77-ldem. Ibidem
78-Camille-Guy (page 301)
79-Camille-Guy (page 301)
CHAPITRE Il :
QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE PEUPLEMENT
DES ETATS WOLOf-SEREER
Les prospections archéologiques de ces dernières années nous autorisent à dire
que l'espace sénégambien a abrité des populations relativement importantes au paleo-
lithique et au néolitique. La carte actuelle des sites protohistoriques montre également
..une occupation importante du territoim et une répartition assez équilibrée du peuple-
ment à proximité des axes hydrographiques dont beaucoup sont aujourd'Ilui à l'étéll
fossile l", Nous savons aussi que les tumulus coquilliers des îles du Saluln contiennent les
restes d'individus dont le nombre est vé:riable. Sur la base des sept tumulus fouillés on
peut établir à environ vingt quatre le nombre de morts enterrés dans chaque tas. C'est
pour cela qu'on estime à vingt mille2 personnes la population inhumée dans les neuf cent
trois tumulus décomptés.
La marque de ces hommes s'esl également matérialisée sur le paysage botani-
que. Les associations végétales du Sahel ou de type soudanien sont constituées pm des
arbustes nombreux et toutes sortes de ::anes qui en rendent le franchissement difficile
voire impossible. Ce tapis végétal s'est reconstitué aprés les premiers défrichements et
forme donc une forêt de type secondeire.
Nous ne sommes pas en mesure d'identifier ces peuples qui ont été les premiers
occupants de cet espace à l'époque r:rotohistorique. Tout au plus pouvons-nous nous
hasarder à dire que, du fait même de l'intl:!nsité relativement forte des vagues migratoires
dont les causes nous échappent, ils furent progressivement bousculés vers le Sud où ils
formèrent une partie des peuples paléonégritiques occupant une partie de la Casa-
mance, de la Guinée-bissau. Cette pression était l'oeuvre des grands Nègres. Dès
l'époque historique, ce territoire abrita'~. des rives méridionales du fleuve Sénégal jusqu'à
la Gambie, un chapelet dense de villages, Partout les arrivants tenaient compte, lors de
la fixation de leur habitat, de l'abonda,lce ou du manque d'eau, des conditions de
salubrité du voisinage, de la fertilté des sols, des avantages défensifs qu'offrait l'environ-
nement mais aussi de la force des voisins.
, 'l'
ff 1
',""
Notre domaine était peuplé de groupes ethniques variés mais essentiellement cie
Sereer et de wolof qui coexistent par endroit, avec d'autres minorités tels lus
Mandingues,les Maures. Leur prés<'rlce dans ce territoire est ancienne mais nous
sommes incapables, dans l'état actuel de la recherche, de préciser l'ordre chronologique
d'arrivée des différents groupes ni lade.te de leur installation. Il ne nous parait donc pas
utile d'émettre des hypothèses qui ne déboucheront que sur des conclusions illusoires.
Les traditions orales' sont ur.animes pour dire que les premiers occupants de
l'espacesénégambien à l'époque historique, sont les Mandingues qui, par petits groupes
s'étaient éparpillés dans le Kayoor, le Gap-Vert, le Bawol occidental. D'autres vagues
migratoires composées surtout de wolof 9u de Sereer vinrent par la suite se surimposer
à eux et les assimiler plus ou moins cemplétement.
La vallée du fleuve Sénégal ef;[ considérée comme l'avant dernière étape des
Wolof et des Serrer avant la fixation four leur habitat actuel. La grande densité de la
population de la vallée; la pression des Berbères Sanhadja ou de l'empire du Ghana
étaient peut être à l'origine de ces mouvements migratoires de peuples alertés par
l'inquiétude quotidienne et qui se lançilient à la recherche de cieux plus clément. Aussi
n'est- il pas exclu que ces mouvement:3 des uns et des autres fussent concomitants.
Les wolof habitent le nord du pays depuis le bas Sénégal jusqu'au contact de \\8
ligne Sereer. Pour autant qu'une limite éthnique ait un sens entre ses deux groupes, celte
ligne de démarcation irait de Kees à Diourbel. Les Wolof, dans cet espace, formaienlla
majorité des populations du Jolo!, ou Walo, du Kayoor, se trouvaient dans les franges
septentrionales du Bawol. Ils fonnaient des colonies d'importance variable au Siin et au
Salum. Même si les Wolofs sont venus d'ailleurs comme le laissent entendre les traditions
orales, l'ancienneté de leur présence ef;t telle qu'on les considère comme les arborigènes
dans le Jolo! qui porte leur nom'. Ils sont grands de stature, élevés de taille, posés'.
Ces Wolof ont quitté la vallée du Sénégal, leur patrie d'origine sous la pression
berbère qui était devenue trés forte avec la diffusion du chameau à partir du quatrième
siècle de l'ère chrétienne. En reculantdc-Nant d'autres groupes les Wolof auraient pénélr6
dans le Jolo! immédiatement abandonné par .Ies Sereer qui y «seraient établi::sans
ll9.
r. ?
.;.<
't L
violence6". Dans ces conditions, la pénétration Wolof était moins une invasion qu'une
infiltration. Les traditions ne font mention d'aucun exploit accompli par les ancêtres pour
prendre possession du pays. Elles gardent à cet égard un mutisme complet.
Au Bawolles wolof vivaient en étroite symbiose avec les Sereer. Malgré leur réalilé
minoritaire ils dominaient politiquement le pays auquel ils fournissait ses chefs. Il étaient
établis:dans les villages généralement installés dans la partie septentrionale de ce
royaume. On les trouvait dans les villa{jes de Wakane, du Lah, de Mbacké, à Keur Ibra
Kane, Ndoukoumane, Pi l'oum ndari, T<i1ba Ndao, Ndogal.
Les wolof païens étaient autour de Lambay la capitale ceinturée de villages
Ceddo, Kees, Mexey, Kaba, Jaring.
A partir du XV· siècle on assiste à un véritable essaimage des Wolof en direction
de l'Ouest, du Sud et du Sud-Est. La traite atlantique en apportant des modifications dnfls
les axes commerciaux semblait avoir infléchi certains courants migratoires dans le sens
de l'orientation nouvelle du commerce. Des villages furent crées le long des axes par
lequels passaient les caravanes afin d,:) tirer parti du commerce négrier. C'est le lieu de
souligner que le climat permanent de guerres civiles instauré par la traite négrière avait
contraint certains groupes ethniques à chercher des endroits-refuges où ils seraient plus
à même de défendre leur indéper,c1ance et leur originalité contre l'impérialisme des
voisins. A la suite de querelles dynastiques à la fin du XVIe siècle le Jander et le Cap-Vert
servirent de terre d'accueil aux groupe~;qui avaient préféré aller s'établir loin de celte zone
de turbulence. jusqu'à la veille de la conquête11a presqu'île a été l'un des pôles vers
lesquels convergeaient certains mouvements migratoires.
Les guerres religieuses de la fin du XVIII· et du début du XIX· siècle contraignirent
les marabouts vaincus à demander l'hospitalité au Cap-Vert pour échapper à la servitude.
La falaise de Kees. et les régions el1'lÎ!onnantes furent comme des écrans protecteurs
pour quelques minorités. Des wolof s'y établirent à la limite du domaine Sereer. Le
mouvement migratoire Wolof conduisit pareillement vers le Salum des groupes qui se
sentaient plus en sécurité ou qui pour aèrer la pression démographique, prirent la
~J
direction des immenses espaces enéore incult€l>du
Salum oriental. Quelques Îlots cie
peuplement Wolof existaient aussi al! ~;iin.
Les Sere el' occupaient l'espace compris entre le Cap-Vert et le Salum. Leur
domaine englobait le Njeghem, le Bqwt2L le Jobas, le Ndut, le Njaxène, le Fandèen, le
Lexar, Le Ndoïch, la zone comprise entre la baie de Gorée, le Siin et toute la partie
occidentale du Salum?
Les Sereer se répartissaient en deux groupes selon des critères purement
linguistiqUeS~"sereerSiin et~:sereE'r Noon. Ces derniers vivaient dans la région de
Kees. Leur habitat était étalé dans la contrée comprise entre le Jander, la Tamna, la mer,
le Ndut, le lekhar, le Ndoïch, le Njan:5een, le Fandeen et le Joobas. Ce groupe se
subdivisait en cinq entités linguistiques. Les noon dans les cantons de fandeen, du
Ndoïch. Les Safeen établis entre Kee~ et Popeguine occupaient les villages situés à
l'Ouest de la Tamna et le Jobas. Les Palor avaient leur habitat dans le Ndut, le Soriofil, Put
Wanjaxat, sancasoffet, Boulel"
Ces groupes ethniques ne se heurtèrent, semble t'-il, à aucune résistance au
moment de leur installation. Cette contrée montagneuse était envahie par une forêt
impénétrable, véritable bouclier protectt3Ur pour les habitants. La traite négrière accentua
son caractère de site-refuge. Aprés :a destruction de leur royaume au début du XVIII"
siècle par Meissa Tend wedj, fils et successeur de Lat-Sukabé, les Sereer s'enfonçérent
davantage dans la forêt et évitèrent ains! de laisser transformer leur pays en réservoir de
captifs pour les négriers. Dans ces sauvages solitudes ils se regroupèrent par famille aux
endroits qui leur paraissaient les plus piOfitables à la culture et à l'élevage. Les relations
entre les diHérents groupes familiaux étaient réduites à leur plus simple expression.
L'absence de toute voie de communk:ation rapide, l'extrême rareté des pistes dans
l'intérieur de leur domaine permirent à chaque entité de conserver son originalité.
Leurs traditions ne font nulle mention de migrations ultérieures qui semient
venues modifier les premières donnÉ!èr, humaines. Les apports qu'on évoque, sont de
date récente et sont à mettre au compte de la colonisation qui a ouvert, par la force de
ses armes, ce pays jusqu'alors fermé aux influences extérieures. Toutefois malgré l'uni-
"2
44
formité des conditions naturelles o~o-a pu déceler des nuances sensibles d'un village à
l'autre selon le degré de métissage ou d'interpénétration avec les populations du
voisinage.
Ainsi les Ndut et les Lexar établis dans le secteur de Mont-Rolland et le voisinage
de Tiwawan ont été pendant longtemps les cibles préférées des entreprises guerrières
du Kayoor. Certes ils se sont organi!3és à leur tour pour empêcher le viol de leur pays et
leur réduction en servitude en pillant S3ns retenue tous ceux qui s'aventuraient clans leur
pays9. Leur habitat était favorable aux embuscades par ce qu'il était couvert par une
végétation trés dense Ma'is la supériorité militaire du Kayoor ne donnait à leur guerilla
aucune chance de succès. Ils se résignèrent à accepter l'autorité du Damel à qui ils
versèrent un tribut annuel lO Une fois cetie obligation accomplie, Le Ndut et le Lexar
avaient toute la latitude pour organise. leur vie selon leurs convenances. Des intermaria-
ges eurent même lieu entre ces Sereer et les Wolof! du voisinage surtout parmi les agents
que le Damel déléguait pour percevoir les taxes.
Les contacts avec les vainqueur qui avaient aussi l'avantage du nombre,
entrainèrent des modifications du oialecte Sereer Ndut au point de le rendre incompré-
hensible à leurs voisins Noon.
Ces derniers dont le territoi:"e était beaucoup' plus vaste que celui des Nd1!!
habitaient le secteur montagneux de Fees. Ils ont laissé chez leur voisins une renommée
totalement détestable au point que ie vocable par lequel on les désigne signifie en Wolof
ennemi mortel. Nous ignorons le vocable par lequel ils se désignaient eux même~,
Présentement ils adoptent le terme utilisé par leurs ennemis pour les nommer. Ils étaient
réputés cruels envers les voyageurs qui essayaient de traverser leur contrée. La crainto
qu'ils inspiraient aux étrangers étê:~ telle que les voyageurs qui, du Bawol, se rendait à
Bargny ou au Cap-Vert, préféraient passer d'abord par Mbour pour, de làJ'uivre le rivage
jusqu'à Rufisque. Certaines caravanes, par Goram passaient par le col de Kees et
franchissaient de nuit le territoire de :Sanofil et de Wanjaxaat dont les habitants étaient
pourtant crédités d'un fort contingent de méfaits".
, 1';-
-,,_y
\\If
4 !J'
les Noon produisait ia quar::,;té de mil nécessaire à leur subsistance et de coton
qu'ils échangeaient dans les comptoirs de la Petite Côte contre les marchandises euro-
péennes_
Ils vivaient presque isolés des populations qui les entouraient. Ils n'entretenaient
avec elles que les rapports strictement nécessaires pour échanger leur miel, leur coton
contre le vin de palme du Jander ou de Pir-Gurey. Ils s'habillaient avec les tissus qu'ils
fabriquaient eux mêmes du produit de leurs champs et de leurs troupeaux. Ils étaient sous
la sûre protection de leur forêt et des myriades d'abeilles guerrières qu'ils élevaient autour
de leurs habitations et le long des pistes qui y menaient".
C'est cet esprit d'indépend,mce qui leur a valu cette sinistre renommée de
méchanceté et de cruauté. leur organisation politique pouvait être considérée comme
la réponse aux tentatives de leurs voisins de faire de leur territoire un terrain de chasse
à l'homme. Certaines traditions nous (iisent que ces différents groupes Sereer de la
région de Kees ont connu une certaine unité politique sous l'autorité de leur souverain
jusqu'au début du XVI \\1' siècle. C'est ,.lors qu'une entreprise conduite par Meissa-Tend
c(\\ i", (,1'\\
Wedy cumulant les couronnes du Kayocr et du Bawol attaqua Mboy Ciss le roi des Nones
et fit la conquête du pays. Mais une chose était de défaire une armée, autre chose était
de prendre véritablement possession du pays vaincu. Malgr~ la violence de la réprés-
sion qui frappa les vaincus/le Kayoor et le Bawol ne parvinrent jamais à administrer les
provinces Sereer qui leur échurent en partage.
les attaques de leurs ennemis eurent pour effet d'inciter les Noon à mettre sur
pied une organisation socio-politique mieux adaptée à la configuration du térritoire pour
rendre stériles les attaques de leurs voisins. Ils assassinaient systématiquement les
''-
étrangers qui fréquentaient leur villages". les Safen en faisalt:~~tant.
l.E GROUPE SINIG
les Sereer Siin occupent donc le reste de l'espace que nous avons délimité
comme la zone d'habitat des Sereer.1I s'agit du Bawol qui doit son nom à la tribu sereer
des Ol", du Siin et du Salum. la lang;je Siin n'était comprise ni des Ndut, ni des Safen,
ni des Noon.
Les Mandingues étaient conbidérés comme les premiers habi~!nts de c~ 6
domaines du moins à l'époque historiqu~J. Leur présence était attesté sur quelques points
de la côte entre Dakar et Portudal où ils furmaient quelques ilôts éparpillés entre le Salum,
le Siin et le Bawol. Ils étaient là beaucoup plus en chasseurs ou commerçants qu'en
conquérants".
A la suite des perturbations intervenus dans la vallée du Sénégal à partir du V·
siècle de l'ère chrétienne, les Sereer aiertés comme d'autres peuples par l'inquiétude du
lendemain se lancèrent sur les routes dH l'exil. Le mouvement migratoire semblait avoir
atteint son apogée à l'époque almoravide quand les berberes vainqueurs voulurent
imposer leur foi à tous les habitants du Ghana ou du Tékrour. Cette dernière vague se
dirigea vers les régions méridionales de l'Etat du Jolof dans la zone qui leur sert d'ilabitat
présentement.
Au moment de leur établissement à la periphérie de ce qu'on appelait alors
l'empire du Jolof, les Sereer n'y trouvèr~mt que ces petites colonies mandingues qu'on
appelle Soce et qui s'y étaient infiltrés depuis une époque difficile à préciser. fi ces
Mandingues il faudrait ajouter, sans doule, d'autres groupuscules qui ont été ou refoulés
vers le Sud ou alors progréssivement assimilés par les Sereer. Malheureusement nous
sommes pas en mesure d'en dire daval,tage. Nous savons seulement que les vestiges
archéologiques découverts dans cette élire géographiques administrent la preuve que la
présence humaine y est trés ancienne.
Dans leur marche vers le Sud les Sereer réussirent tant bien que mal, à conserver
,.[
leurs structures sociales traditionnelles. L'exode semblait' être déroulé dans un ordre
relativement parfait. Les différentes familles ou tribus gardèrent leur cohésion initiale.
C'étaient des groupes apparentés qui prenaient ensemble le chemin de l'exil. Aussi
lorsqu'ils mirent pied sur la terre qui allait devenir leur nouvelle patrie, pouvait-il sans
grande;difficultés, donner à leur nouvel abri l'image de leur premier habitat avec les
normes et valeurs qui les régissaient. La tribu des 01 occupe le Bawol, celle de Njafatt et
de Naul se fixent autour de Johinn, les Singandum et les Fefey élirent domicile dans l'aire
comprise entre Fatick, Gandiaye, et Gossas, les Hirena elloisirent le secteur marécageux
de palmarin à Fatick)et les Njeghem s'il13tallèrent le long du littoral de Mbour à Joal. Ces
, .
~
47
tribus ou groupes familiaux étaiènt·séparés les u~s des autres soit par d'épaisses forêts
soit par des marécages. Ils ne chercllérent guère à élargir leurs horizons en élaborant
ensemble une construction politique plus vaste et plus solide, intégrant en une entité bien
soudée ces différents rameaux éparp(lI{ls dans l'espace. Alors ils auraient constitué une
force capable d'imposer respect aux voisins et une résistance opiniâtre à tout éventuel
envahisseur. Mais les chefs ne semblèrent pas avoir perçu cette nécessité. Chaque
groupe préféra conserver son identité tribale en refusant de la dissoudre dans un
ensemble plus vaste. Peut être avaient-ils trouvé suffisante l'autorité du roi du Jolof à qui
les différents chefs versaient un tribut annuel'·.
Au XIV· siècle les Sereer du Siin et du Salum furent envahis par les Gelowar partis
du Gaabu, pays mandingue qui s'étendait·sur la Casamance et la Guinée-Bissao. Selon
la tradition orale recueillie par Pinet-Laprade, Soliman koli régnait sur le Gaabu.
A sa mort son frére et successeur naturel au trône prétendit hériter de ses biens
et de ses captifs. Ces derniers refusèrent de reconnaitre ses droits et se donnèrent à
Bouré, fils du défund. Une atroce guerre civile s'ensuivit. Souré vaincu par son oncle
s'enfuit avec ses partisans. Une fraction des fugitifs se fixa en basse Casamance, le reste
aprés avoir traversé le Fogny, la Gambie, le Rip occupa le village de Koular dans le
Nombato. De là ils passèrent au Siin, s'emparèrent de Mbissel dont ils firent leur première
capitale. C'est là que vit le jour Mbonan vVali Jonn, plus connu sous le nom de Mansa Wali
considéré comme le fondateur du royaume du Siin.
Nous aurions voulu connaître l'importance numérique de la fraction gelowar qui
fit du Siin sa nouvelle patrie. Mais la tradition orale est totalement muette sur cette
question. Mais ce n'est pas excéder les droits de l'hypothèse que dire qu'ils constituaient
une minorité par rapport à la masse r!es Sereer qui les y avaient précédés. Sans doute
cette invasion proVOqu}~lIe des perturbations de toutes sortes en pays sereer. Pour
sUbsister)ces fugitifs durent vivre sur le ~)ays. On peut facilement imaginer des affronte-
ments avec les maîtres des lieux. Mais à mesure que le temps passait les Gelowares
s'adaptaient de mieux en mieux à leur nc'uvel habitat. Anciens agents de l'empire du Mali;
ils ne purent résister trop longtemps à la tentation de regrouper en une entité politique les
différentes tribus semé~!entre la côte atlantique et le Salum 17•
·
~
49
Cette oeuvre d'unification polili':Îue initiée par Mansa Wali Jonn fut poursuivie par
ses successeurs. Mansa Wagane décide de briser la puissance des Laman, gros
propriétaires terriens et maîtres du P<;fs. Il leur imposa son autorité. Toutefois la position
marginale de Mbissel par rapport au coeur du Siin où l'on trouvait les fortes densités de
population détermina les souverains Gelowares à transférer d'abord la capitale à Djilass,
puis à Njogolor et enfin à Jaxaw. Ainsi aprés la conquête, les Gelowares parvinrent à
souder entre elles les differentes tribu~ Sereer".
Les Gelowares cherchèrent à obtenir l'assentiment des Sereer qu'ils venaient
d'assujetir en assoçiant les chefs S;JjF"erl à l'exercice du pouvoir. C'est parmi leurs
1
nouveaux sujets qu'ils choisirent les chefs de province, de canton ou de village.
En prenant possession du SiiOjeS Gelowares étaient parfaitement conscients de
leur réalité minoritaire. N'ayant pas l'avantage du nombre, ils se refusèrent à cultiver les
différences'·. Par des intermariages ils pratiquèrent une politique qui tendait à supprimer
toutes les barrières ethniques. Les unions matrimoniales unirent les princesses GelolY.a-
res aux dignitaires Sereer et cette politique de fusion des groupes éthniques se généralisa
pour envelopper les différentes strates de la société20•
Bien sûr, cette politique matrimoniale élargit la base humaine du groupe des
envahisseurs, car elle permettait de tisser de nouveaux liens de parenté. Les chefs Sereer,
époux des princesses devinrent les principaux alliés des conquérants et les aidèrent à
consolider leur autorité sur le pays. La fusion s'opéra à mesure que le temps passait. Mais
comme les Gelowares formaient la mi;lorité, l'assimilation se fit aux dépends de leur
identité'l.
Nous savons que cette fusion a été trés lente. Car au milieu du XV· siècle Alvise
Da Ca Mosta notait la juxtaposition des deux groupes qu'il appela Barbacins (Gelowares)
et Sereer. Avec le temps, les disparité~; s'estompèrent et la civilisation Sereer devint le
moule dans lequel prit forme la nouvel18 civilisation. Il ne saurait en être autrement. Avec
les inter mariages, ce n'était plus la famille mandingue mais la maison sereer qui servait
désormais de cadre à l'éducation des enfants. Ceux-ci se trouvaient, dès leur naissance,
dans un milieu purement sereer dont ils adoptaient les coutumes et la religion. Progres-
,
49
sivement la civilisation sereer envallit' les conquérants et leurs descendants. Pour
parachever leur oeuvre d'unification ils firent appel à la religion22•
Il n'est pas besoin d'insister longuement sur la solidarité naturelle qui, dans les
sociétés pa"iennes, existe entre les vivants et les morts. Le culte des morts n'intéresse à
priori que ceux qui se réclamaient du même ancêtre. Par de là la commune croyance à
un dieu suprême et aux génies bienfaisants ou malfaisants qui étaient censés peupler la
terre, chaque famille avait son autel propre. Les guelowares qui désiraient unir ces tribus
~c \\-: •.,;,-
pour donner à leur étatuune origine de droit divin, instituèrent le culte des ancêtres
fondateurs du royaume. Chaque anne.a des festivités de grande ampleur étaient organi-
sées en l'honneur de Mansa Wali Jonn entérré à Mbissel, de Jomay Nan à Sangha"ie, et
de Narone à Jaxaw. Le peuple venait verser sur leur tombe du mil et du vin. La religion
donnait ainsi à l'Etat la légitimité qui semblait lui faire défaut".
L'idiome qu'employaient au départ les envahisseurs conserva pendant un
certain temps ses particularités. Mais la politique de fusion postulait sa disparition à plus
ou moins brève échéance en raison de l'inférioté numérique de ses locuteurs qui
n'avaient aucun moyen d'imposer leur langue à l'ensemble de leurs sujets. Au bout (lu
compte le mandingue disparut au profit du Sereer qui devint la langue de la cour, do
l'administration et des communications. Sans doute note-t-on çà et là des variations
syntaxiques, des différences de proflonçiation selon le degré de densité de substrat
mandingue, mais le Sereer resta maître du terrain".
Dans l'onomastique on constate également la survivance de certains noms ou
prénoms typiquement mandingues. Ainsi donc de cet apport mandingue ne sumage que
des vestiges linguistiques sans consistance aprés la fusion inter_ethnique. Mais ces
mandingues furent les ouvriers d'un systéme politique qui en articulant les différentes
tribus, donna à la société du Siin une b8se humaine et territoriale plus viable25.
Le Salum faisait également par:ie de l'espace des Sereer Siin. Mais sauf sur la
partie occidentale du royaume où il formait un groupe homogène, les Sereern'étaient que
des ilôts dans les provinces centrales et orientales, de ce royaume.
,
~2' . 5 ()
Selon la tradition, les Gelowares'bien que maîtres du Siin ne purent maintenir sur
le Salum qu'une autorité fragile26.
Le burba JoJof leur disputat le c:ontr61e du pays ainsi que quelques minorités
toucouleurs. Sous le régne Mbegan'm.Ndur le royaume passa en définitive sous ICl
souveraineté des Gelowares qui y insta!lèrent une nouvelle dynastie. Le retour oHensif du
Jolof pour s'emparer à nouveau du pays fut sans lendemain.'
Le fait que les Sereer ne fussent pas la majorité de la population du Salum eut pour
conséquence une organisation administrative trés élastique pour respecter la spécificité
des ethnies constitutives du royaume,
La province du Ndukuman était cc;mposée surtout de woloyl'et de quelques petits
ilots de Sereer. Le Mandakh situé entre ia précédente et le'Niani, avait une population
uniquement Wolo~. Le Pakala, le Kaymor étaient habités exclusivement par des Wolof ou
des toucouleurs musulmans La province du Lageen comprise entre le Salum et le Rip
n'abritait que des Sereer".
Les districts de l'Est comme ceux de Pafa·Warneo, de Kucao, de Jama·
Toucouleur abritaient des minorités Wolof, toucouleurs, peul dont la présence dans le
royaume était relativement récente.
La région deltaïque formé par le Gandul et le Nombato était habitée par des
Sereer et par des Soce. Le Gandul était le domaine des Sereer alors que les Soce s'étaient
installés dans le Nombato. Les habitant~; de cet ensemble insùlaire appelés Nominka se
considéraient comme des Sereer ayant subi des influences mandingue ou Socé alors
qu'on pense de plus en plus que c'étail~nt des mandingues finalement assimilés pClr la
civilisation Sereer28• Quelle que soit la thèse à laquelle on adhère, on reconnaitra que la
cause déterminante de cette migratior, a été le climat d'insécurité provoqué par les
multiples guerres intestines qui oppos::>ient les uns aux autres, et ce, depuis le déclenche·
ment de la traite atlantique, les différents chefs ou groupes ethniques qui se disputaient
la prépondérance politique dans la régir.m, Les groupes battus ou qui se sentaient trés
faibl~Jace à des ennemis mieux équipés décidèrent d'échapper au pillage et à la captivité
N~
5 1
en se refugiant dans "les Îles qui, de'par leur situation géographique, constituaient un
asile à peu prés sûr29•
Administrativement le Gandul dépendait du Salum par l'intermédiaire du roi de
Jonick, mais tirant profit de son insularité et donc des difficultés d'accès pour les gens
de la terre ferme, les habitants du Ga,idul réussirent à acquérir une grande autonomie"".
La salubrité du climat rendait possible l'accroissement de ln population qui
s'attela à la mise en culture des nombreuses nes non habitées.
L'occupation du fÏlombato, beaucoup plus récente que celle du Gandul fut
l'oeuvre des Socé. Elle était causée par les nombreuses guerres de religion entre les
Socé musulmans et les "Soninké.. ou Socé paiens qui se disputaient la suprématie
politique de la région à partir du début du XIX· siècle. La région deltaïque du Salum était
devenue àla longue un creuset où S'~ rencontrèrent les influences Sereer et mandingue
qui donnèrent pour résultat le peuple métis des fÏlominka.
Les Sereer Siin du Bawol se r~partissent en trois ensembles selon leur degré
d'intégration dans l'~tat du Bawol. Les Sereer de Nqujan, de Mbusnax, de Sandog, de
Gilad, de Gaat, de lliJ.Qy, de Mbaya<:>,r et de Sambe qui, fermant une ceinture autour de
Lambay, la capitale, avaienttrés facilement été assujetis par l'aristocratie dirigeante. Les
plus fortes densités de population eurent une incidence sur le paysage qui devint trés
ouvert facilitant ainsi les déplacements des colonnes chargées de la perception des
taxes. Tous reconnaissaient l'autorité des Teerï et des chefs qui les adminitraient. Mais
quand la pression fiscale était trop fClrte, ou quand les Ceddo voulaient razzier leull)
troupeaux ou les réduire en servitude, ils n'hésitaient pas à se soulever pour faire échec
aux caprices des agents royaux. Ces Sereer conservaient l'originalité de leurs us et
coutumes, et restèrent fidèles à la religion ancestrale".
Il n'en était pas de même pour les mbalonjafèn c'est à dire pour ces minorilé~;
sereer qui vivaient au milieu des wolol et étaient donc totalement soumis au Teen et à
ses agents. Ils n'avaient pas d'abri dans des forêts isolées où ils pouvaient trouver
N~
52
facilement refuge. Ils étaient quotidiennement victimes de toutes sortes de déprédations
et supportaient le poids d'une fiscalité inique".
Dans les provinces situées il la périphérie du royaume, comme le Jobas, le
Mbadaan, les Sereer n'étaient soumis il l'autorité royale que de façon toute théorique.
Défendus généralement par un épais rideau de forêts avec leurs abeilles guerrieres, ces
Sereer étaient bien protégés par la nature pour contester l'autorité du Teen ou fixer des
limites aux excès de ses agents. Depui~; la généralisation de l'insécurité consécutive à la
traite, ces Sereer avaient mis en place lin système défensif efficace pour empêcher les
voisins et les agents des royaumes cie transformer leur territoire en terrain de chasse à
l'homme. Peu nombreux mais fort couragl;'lux ils s'ingénièrent à se doter d'un arsenal de
combat en faisant appel à toutes les armes que leur procurait la nature. Le venin des
serpent/certaines plantes vénéneuses, les abeilles et les armes à feu étaient utilisés
contre ceux qui tentaient les réduire en servitude.
Bien que dépendant administrativement du Bawol, le Jegeem était parvenu,
grâce à la pugnacité de ses habitants, à défendre son indépendance au point que les
rares voyageurs qui s'aventuraient dans leur domaine n'hésitèrent pas à parler cie
République du Ndièglem. Pour les :,utorités du Bawol cette province était un nid cie
brigands et d'assassins3J.
Les autorité du Bawol voulaient faire du Njeglem un réservoir de captifs. La
servitude était en effet la sanction naturelle qui frappait tous ceux qui contestaient
l'autorité de l'Etat. Les Njeghem comme les autres groupes éthniques sereer relevant cie
l'administration clu Bawol, entendaient défendre, avec l'indépendance de leur terroirs, la
liberté cie leurs femmes et de leurs en:ar.ts,et leur mode de vie. Pour eux l'esclavage éloil
]
/
,
une souillure insuportable quelque fû', celui qui en patissai!"'.
C'est pour cela que chaque fois qu'ils étaient attaqués, ils se défendaient avec un
courage admirable, et ce, malgré les incendies de leurs habitations et la destruction cie
leurs récoltes. Devant la fréquence ciElS razzias ordonnées par le pouvoir central, ils
inventérent un système défensif élastique qui consistait à se mettre à l'abri à l'intérieur de
1
~q
5 3
leur forêt, pour ne revenir au village q'ü'aprés la fin du torrent dévastateur. Le cap Naze
et les profondeurs de leur forêt étaie,·,t inaccessibles à la cavalet;\\~e.
Ces razzia qui se faisaient à une cadence trés rapprochée les mirent dans la
nécessité de trouver un compromis allec le Teeri en acceptant de lui verser un tribut
annuel. En revanche l'agent royal char\\;:é de l'administration du territoire ne portait qu'un
titre honorifique car les Sereer refusèrent de le laisser établir sa résidence chez eux. Il
n'exerçait donc sur eux qu'une autorité nominale et c'est une ou deux fois par an qu'il y
faisait des apparitions trés brèves peur lever l'impôt36•
LES AUTRES MINORITES ETHNIQUES
A côté des Wolof et des Sereer vivaient des Peuls dont l'activité essentielle était
l'élevage. Le Jolof était en grande partie peuplé par eux. La recherclle de terrain de
parcours pour leurs troupeaux et la nécessité de contrôler les points d'eau importants les
mettaient souvent en conflit armé avec !es paysans sédentaires.
Les peuls formaient dans les royaumes Wolof·Sereer, un groupe éthnique
important mais trés mobile, ce qui faisuit dire qu'ils habitaient partout et nulle part. Les
longs contacts avec les populations sédentaires débouchèrent sur des intermariages qui
finirent par atténuer notablement les riv<llités qui les opposaient à leurs hôtes. Malgré ces
métissages ils conservèrent les cheveux lisses, le visage allongé, les traits fins "un teint
intermédiaire entre le cuivré et le noirJ7».
Les peuls vivaient en tribus ou clans sous l'autorité d'un chef appelé ardo. Il était
toujours choisi dans la même famille. Leur éparpillement sur de vastes étendues les
rendaient vulnérables face aux exigeno:!s souvent draconiennes des agents royaux. Ils
ne constituaient pas de force homogène et structurée capable de s'opposer, les armes
à la main, aux pillages de leurs biens. Généralement c'est par l'émigration vers d'autres
cieux qu'ils espéraient plus cléments qu'ils tentaient de se dérober aux exactions des
agents du fisc.
'.
~
54
Dans les relations avec les soùv8rains ils parvinrent à trouver un modus vivendi
en acceptant leur autorité et en leur versant un tribut en rapport avec l'importance
numérique du bétail. Une fois cette condition remplie, ils bénéficiaient du droit d'abreuver
leurs troupeaux au puits du royaume quand les mares étaient à sec, de poursuivre leur
errance dans les différents paturages, sauf à respecter les biens des paysans.
Comme les sereer, les peuls se divisaient en clans et en tribus possédant chacun
son terrain de parcours. Dans chaque pâturage ils constituaient un hameau de cases
c'estle Winde qu'ils occupaient selon les saisons. A ces peuls il faut ajouter quelques Îlots
de maures wolofisés à l'intérieur du Kayoor et des groupes mandingues qui avaient
conservé leur spécificité propre dans les provinces orientales et méridionales du Salum
au contact avec le Nani,Wuli et le Badjbu.
Si certaines petites minorités serviles ont finalement été assimilées par les
groupes qui les avaient accueillies, il en a été autrement avec celles qui, dans leur
migration avaient tenu à conserver fidèlement leur spécificité culturelle.
Leur capacité à défendre leur originalité face aux influences environnantes
dépendait généralement de leur importance numérique. Les états comme le Salum qui
furent les pôles vers lesquels convergèrent certains de ces mouvements éprouvèrent de
réelles difficultés à opérer l'unification ~loiitique de leur territoire. Il en a été ainsi avec les
toucouleurs et les Wolof souvent musulmans qui refusèrent de se fondre dans les
groupes sereers païens auprés desquel;; ils vécurent. Mais isolés les uns des autres ils
ne purent exercer aucune influence politique sauf dans les provinces du Pakala et du
Ndukuman où leur prépondérance numérique était incontestable.
LA POPULATION OI:S. ETATS WOLOF SEREER AU MILIEU
DU XIX SIECLE,
On voudrait pouvoir chiffrer, même de façon approximative,l'importance numé-
rique de la population des états Wolof. ~13reer du Kayoor, du Bawol, du Siin et du Salum
au milieu du XIX' siècle. Malheureusement la documentation est presque totalement
muett
. t t 1
d' .
l "
"2
e sur ce po ln e a tra Itlon ora e,[l est guere plus loquace en raison
5 5
probablement
')";
de la coutume qui interdit tout dénombrement de la population. C'est à la fin de la
conquête, que pour raisons fiscales, des enquêtes furent conduites dans les zones
urbaines et rurales par les commandants de cercle. Sur la période précoloniale nous
n'aurons rien sur la fécondité, la natalité. la mortalité et la nuptialité sauf pour les comptoir
français de Saint-Louis et de Gorée, de Dakar et de Rufisque.
Pour restreindre les limites de rJotre champ d'incertitude il nous faut recourir aux
mentions incidentes qu'on découvre élU détour des textes et dont l'analyse donne un
éclairage sur la démographie des pe'Jples envisagés. La Sénégambie a été trés tôt
impliquée dans le commerce atlantique. Par les fleuves Sénégal et Gambie les négriers
remontaient à l'intérieur des terres pour inciter les populations à leur vendre des esclaves.
Les comptoir de Saint-Louis et de Gorée ainsi que les factoreries de Rufisque de Portudal
et de Joal alimentèrent en esclaves jusqu'au milieu du XIX· siècle l'archipel du Cap-Vert
les autre TIes de l'atlantique et les anlilles. Cette traite finit par créer partout un climat de
violence. En effet si les voleurs, les criminels, les marginaux de toutes espèces réduits
sans ménagement en captivité et vendus aux négriers, il n'en demeurait pas moins vrai
que la guerre, les raids de pillage étaient les méthodes les plus fréquemment employées
pour se procurer des captifs. Dès lors on ne peut ignorer à côté de ceux qui sont réduits
en servitude, tous les individus morts les armes à la main ou exécutés aprés le combat
ri
.
pour avoir refusé J$14t asservissement'·.
Les stratégies conduisaient le~; bélligérants à détruire les greniers, à saccager les
champs de leurs ennemis. Les faminos faisaient partie intégrante du cadre de vie et
promenaient partout leur spectre hideux. Elles n'étaient pas le triste privilège de telle
région ou de telle ethnie. Elles étaient devenues le lot commun de tous les royaumes
branchés sur le commerce atlantique,Toute la Iitterature orale relative à cette période ost
remplie d'incendies de villages, de massacres sur les champs de batailles, et des
gémissements des victimes'".
Ce climat permanent de vi(,:ence qui se traduisait par d'incessantes guerres
intestines, de meurtres, des rafles d'innoncents, des razzia chez les peuples faibles, des
destructions des ressources, des vols, des viols rendait impossible la mise en valeur
'5 6
W2
véritable progréssive des richesses du pays. Dès lors le paysan n'avait aucun intérêt à
dépenser des efforts soutenu:ipour déflicher, fertiliser la terre, conquérir sur la forêt de
nouveaux terrains du moment qu'il n'était pas sûr de tirer profit de son labeur. A chaque
instant la mort le guêtait. Il se résignait à la médiocrité des rendements et préferait
conserver intact le manteau forestier qui lui servait de bouclier protecteur.
On comprend facilement la ~3i~;on d'être de ces immenses étendues de terre
laissées en friche, sous-peuplées et au milieu desquelles végétaient misérablement
quelques groupes. Ce sous-peuplement eut pour effet d'empêcher pendant la durée de
la traite la croissance d'une solide économie de marché du fait de l'élimination de la
pression «démographique qui aurait cOclduit à une colonisation interne, au défrichement
des forêts et à une plus grande concentration de la population. La colonisation interne
aurait amené à une différenciation d'une région à l'autre des fonctions économiques en
raison de la diversité des climats, des ressources naturelles et des densités
de
population'o.
Ainsi donc la densité était squelettique, la population dispersée, éparpillée. Les
forêts étaient intactes ou ne subissaient que des pressions discrètes. Dans cel"laines
zones comme le Njegem chez les Sereer des alentours de la falaise de I<ees, cer·tains
défrichements furent même abandonnés au profit de la forêt qui les recolonisa avec ses
espèces à croissance rapide. Le paysan ne cherchait pas à produire des excédents.
Toule sa production était utilisée pour:a consommation familiale. Souvent elle était môme
insuffisante en raison du rétrécissement des champs pour des raisons de sécurité surtout
dans les "isolats"". Il se trouve aussi qUe! les guerres et la traite qui lui était subséquente,
tendaient à n'emporter que les éléments les plus dynamiques et les plus valides. Il
s'ensuivit une baisse prodigieuse de la production agricole en raison de la prédominance
des vieillards et des impotents qui ne fournissaient que des rendements bien médiocres.
Dés lors les récoltes étaient loin de couvnr les besoins des populations restantes. La peur
du lendemain interdisait toute tentativ'3 cl 'amélioration de la production. L'introduction de
quelques plantes à tubercules comme le manioc, la patate ou des produits comme
l'arachide et le maïs n'améliora que médiocrement la situation alimentaire. Exception faite
de la caste di~igeanteles populations é-t~ientvictimes de graves misèresM~hYSiOI09i~U~S
qui influèrent dangereusement sur l'état de leur santé'2.
La sous-alimentation était deve:lue un phénomène pour ainsi dire naturel. Ln
destruction des récoltes par nécessité stratégique modifia la mentalité des paysans qui
ne produisaient plus que ce qui était nécessaire à leurs besoins immédiats. Ils refusaient
de faire des provisions puisqu'ils n'étaient pas sûrs d'en tirer profit, car une razzia pouvait
tout réduire en cendres. Comment préparer l'avenir dans une pareille atmosphère de
terreur où personne n'était jamais certain de se réveiller dans la liberté? Tout le monde
vivait au jour le jour".
Ainsi la traite fut un facteur paralysant pour la démographie sénégambienne. On
estime entre 500 et 3000 selon les périodes le nombre de captifs.~'exportéspar Gorée,
Saint Louis et les comptoirs de la Gamtlle. Ce qui autorise à dire que la contribution de
cette aire géographique fut énorme par ,apport à sa population. Le départ des éléments
jeunes rendait aléatoire le remplacement des pertes par les naissances. Un grave
problème de procréation se posait d'autant plus que la promiscuité favorisée par la
captivité facilita la diffusion de certaines maladies vénériennes".
Le commerce atlantique dans CEJrtaines zones, altéra profondément la santé des
populations. Les énormes quantités de vin et de liqueurs introduites dans le pays
développèrent l'alcoolisme dans les .wnes païennes dont les habitants ignoraient les
conseils de tempérance prodigués par l'islam. La tuberculose connut une vaste diffusion.
Dés la fin du XVIII" siècle quelque~' voyageurs, tirant argument de l'état physique
lamentable de certains dirigeants, victimes d'abus de spiritueux, n'hésitèrent pas;) parler
de la dégénérescence de la race noire. Tout cela fut accentué par la dégradation des
conditions sanitaires. Le déséquilibre entre l'homme et son milieu naturel prit partout des
proportions inquiétantes. Le choléra, les dysenteries, la variole, la fièvre jaune, le
,\\,.·,A·
paludisme, la maladie du sommeil exerÇ3ient leur empire sur d'immenses régions,où les
populations étaient régulièrement décimées. Les épidémies étaient d'autant plus dévas-
tatrices que les habitants constituaient un terrain bien préparé par la misère physiologique
et la sous alimentation. Cette immense f"isère jettait parfois des masses nombreuses sur
~2
5 8
les routes de l'exil à la recherche d'un territoire où il pourrait vivre dans une relative
sécurité'"'
Ainsi toutes les zones exposées aux incursions des voisins comme les secteurs
frontaliers furent systématiquement viciées de leurs habitants. En revanche les domaines
montagneux ou forestiers eurent la prédilection de certains fugitifs qui y cherchèrent non
à vivre, mais à survivre.
Pour toutes ces considérations nous sommes fondés à dire que le commerce
.\\;u.."'."\\"
atlantique/t les facteurs qui lui connexe~/eurent sur la démographie de la Sénégaml)ie
un effet hautement paralysant et qu'à juste titre on peut parler d'une réelle stagnation
démographique. En effet tous les éléments qui dans une société normale travaille ::.
l'accroissement continu de la population, constituaient ici un faisceau de donnée:;
négatives faisant que les pertes en vie humaines l'emportaient largement sur les
naissances'·. Le prodige a été que les populations aient pu survivre à tant de cataclysmes.
Dés lors il est aisé de deviner ce que furent le taux naturel d'accroissement
démographique et l'espérance de vie des populations, c'est à dire des données
numériques particulièrement bassI3.3. En 1891 l'enquête effectuée par Noirot fixa à
142395 l'effectif de la population du Siin-Salum. En 1904 cet effectif n'était que de
154000". En 14 ans cette région de trés forte immigration n'avait gagné que 11605 unités.
Dans ces conditions le taux de mortalité était supérieur à celui de la natalité. En 1904\\es
cercles de Luga, de Tiwawan, de Kees et du Cap-vert qui correspondaient aux territoires
des anciens états Wolof-Sereer abritent respectivement 1'76000 , 125000, 218000 et
45000 habitants soit 564000 individus qui, ajoutés aux 154000 du Siin-Salum donnent un
ensemble de 718000 habitants. Par le même recensement la population globale du
Sénégal est évaluée à 1134000 habitants'·
soit 63 % du total général.
Si l'on projette ces chiffres, diminués de leur coefficient d'erreur et en faisant
intervenir tous les éléments qui ont pu influer négativement sur l'évolution démograplli-
que, on peut sans grands risques d'erreur, estimer à environ 600000 habitants lél
population des Etats Wolof-Sereer. Cette époque avait été marquée par les atroces
guerres religieuses au Kayoor, au Walo, au Salum, au Rip, aux luttes sans fin qui
Hg
5 9
opposèrent le Kayoor au Bawol. Partout prévalait l'industrie lucrative de la guerre sur le
travail agricole.
Exception faite des comptoirs de Saint-Louis et de Gorée, il n'y a pas de vie
urbaine dans l'aire géographique qui nous préoccupe. Les habitants étaient des ruraux
qui vivaient de l'agriculture ou des activités para-agricoles.
Ces populations, dont la distribution est trés discontinue sur cette aire géogra-
phique faiblement mise en valeur mais transformée en un immense champ de bataille
avec son cortège de morts, de f~;;;~~, 'die ruines, de dévastations, étaient-elle en mesure
de transcender leurs rivalités intestines pour essayer de faire échec au danger impéria-
liste qui menaçait de frapper de nullité leurs institutions?
1-Becker, Diouf, Mbodj : Les sources démographiques de l'histoire de la Sénégam-
bie. Communication au colloque sur les sources de l'histoire démographique des
pays du Sahel. Dakar 9-12 Mars 1987.
2- Idem-Ibidem.
3- Tradition orale fournit par Ibra Fall Lamp, Modu Ngone Dieye de Njefun, de Saliou
Mboup de Mboul qui fixent à l'Est OL: en Mauritanie la patrie d'origine des wolof et des
sereer.
4- Berenger-feraud : Les peuplades de la Sénégambie. Paris. 1879 (pages 1-2).
5- RRS 1 G 291 : Forigé notice sur le cercle de Louga.1904
6- RRS 1 G 291 : Forigé. Ibidem
7- Capitaine Martin Note sur le Bawol. ln moniteur du S. et D. 1867.
8- 1 G 33 Laprade-Pinet: Notice sur les Serrer.
9- 1 G 33 Pinet- Laprade: Notice sur les Sereer.
10-ldem, Ibidem
11- 1 G 33 Laprade note sur le Jander i 0 Novembre 1860
12- 1 G 33 Laprade note sur le Jander (pages 4-5) 10 novembre 1860.
13- Boilat : D.Esquisses sénègalaises : édition Khartala (pages 59-60).
14- L'affixe Ba ou Fa ou Wa, est la marque du pluriel en wolof et en sereer Siin, le
Baol, ou Waol, Faol est le pays des OL
15- 1 G 33 Laprade: Notice sur les Sereer (page 3).
16- Gueye Mbaye : Les Gelewar et le Siin : Communication au congrés Mandingue
(Londres Juin 1972).
17- Gueye Mbaye: Les Gelowares elle Siin.
18- Idem, ibidem.
19- Idem, ibidem.
20- Gueye Mbaye : Les Gelewares.
21- Idem, Ibidem.
22- Idem, ibdem.
23- Geuye Mbaye : Op. cil.
fl9
6 a
24-ldem.
25-ldem.
26- Gambie The Wolof of Sénégambia. Ethnographie survey of Africa.
27- Monot: Notice sur le Salum. J.O.S. 1892.
28- Van-chi: Bonnardel. Exemple de migrations multiformes intégrés les migrations
des Niominka îles bas Salum B.IFAN 1977).
29- Lafont P. Le Gandoul et les Niominka B.C.F.H.S. AOF 1938, (page 391).
30- V.Martin et C.Becker : Document pour servir l'histoire du Salum, (page 4).
31- Notice sur le Baol extrait de notes rapportées par un Spahis en 1820 de la mission
Marmier. Renseignement coloniaux numéro 6 (1898).
32- Idem, Idem.
33- BoHat ( pages 89 à 91).
34- Boilat (page 95).
35- Boilat (pages 89 à 91).
36- Notice sur le Bawol R.C. 1898 (page 162).
37-Valliers: Livraison Octobre 1904.
38- Gueye Mbaye : L'Afrique et l'esclavage.
39-Gueye Mbaye : Ibidem.
.
40-lnikori,l.E. : La traite négrière et les économies atlantiques 1451-1871. UNESCO
(page 72).
41-Gueye Mbaye : (page 74).
42-Gueye Mbaye: OP. Cit. (page 74).
43-ldem (page 75).
44-ldem, Ibidem.
45-Gueye Mbaye (article cité page 72).
46-Gueye Mbaye : (page 73).
47-Becker C. Diouf M.Mbodj : Colloque sur les données de l'histoire démographique
du Sénégal 1987 (page 10).
48-Guy C. : Le recensement opéré au Sénégal en 1904. J.O.S.7 Octobre 1904.
CHAPITRE III :
(j'r
l'ORGANISATION POLITIQUE DES ETATS
WOlOFF SEREER JUSQU'AU MILIEU DU XIX! SIEClE.
A une époque difficile à prédser, mais qui, selon toute vraisemblance, était
contemporaine de l'empire du ghan~a région comprise entre les fleuves Sénégal et
Gambie avait vécu d'une vie commune que commandaient l'appartenance à la même
entité politique, et l'adhésion de ses habitants aux mêmes conceptions sociales et
religieuses.
Cet empire abritait en majorité des Woloff d'où son nom de J%f. Mais sous
l'effet des perturbations politiques intGrvenues dans son voisinage, sa composition
éthnique subit quelques modifications. Les Woloff coexistaient désormais avec des
peuls, des Mandingues et des Sereer. Les uns et les autres étaient tous trés attachés
à leurs traditions qui étaient la base de leur identité éthnique.
Au XV· siècle, pour des raisons non encore suffisamment élucidées, le Jolof
se disloqua en autant de royaumes correspondant aux provinces qui le constituaient.
Le Walo, Kayoor, le Bawol, le Siin et le Salum proclamèrent leur indépendance.
Toutefois dans la mise en place de leur institution ils ne firent aucune innovation. Ils se
contentèrent de transposer chez eu:< les institutions politiques du Jolof.
Au sommet de l'Etat trônait le souverain portant le titre de Brack au Walo, de
Dammel au Kayoor, de Teen au Bawol ou Bur au Siin et au Salum. Ce roi était
inaccessible dans sa transcendance car ses sujets le considéraient comme un dieu.
On lui attribuait une puissance surnaturelle. De son charisme dépendaient la fertilité du
sol, la paix intérieure et la prospérité du pays et l'éloignement des calamités'. Ainsi ÈJ
l'époque des semailles on lui apportait les échantillons de tous les produits cultivés
dans le pays. Il les méttait en contact avec son corps afin de leur communiquer ainsi
par sympathie une vigueur accrue, gage de bonnes récoltes. En cas de calamités
naturelles, sa responsabilité était totale et entière. Du moment qu'il n'avait pas pu
. J
rw.
fi Z
conjurer les malheurs qui décimaient son peuple, il était destitué et contraint à l'exil par
le Grand Jaraaf ou Jawdin, représentant des Jambur?
Le souverain était surtout pen~u comme l'incarnation de l'unité spirituelle et
politique du pays. Les différentes ethnies, formant la population du pays, voyaient en
lui leur dénominateur commun. Il apportait à toutes la même protection. Son pouvoir
était donc d'essence religieuse. Il avait droit de vie et de mort sur tous ses sujets. Juge
suprême il était le dernier recours des !usticiables en matière criminelle. L'une de ses
fonctions fondamentales était moins d'administrer le pays que de travailler à son
unification' .
Il se trouve que toutes les composantes de la population ne participaient
pareillement à cette oeuvre dans laquelle semblait s'inscrire leur avenir. Certains
groupes, jaloux de leur spécificité préféraient vivre en marge de la vie nationale pour
mieux sauvegarder leur identité. Pour atténuer ces particularismes locaux ou éthni-
ques des festivités étaient périodiquement célébrées sur toute l'étendue des royau-
mes soit en l'honneur des grands rois comme chez les Sereer du Siin, soit sous forme
de carnavals appelés Folgarou Gamou qui étaient des occasions pour des gens vivant
les uns loin des autres, de se rencontr'3r, de se mieux connaitre et de faire disparaitre
les préjugés qui souvent étaient à l'origine des incompréhensions. Ces cérémonies
rituelles finirent par donner à tous :'25 groupes le sentiment d'appartenir à la même
communauté. L'adoration des mêmes «dieux vivants ou disparus» faisait naître de
solides liens spirituels entre ces éléments disparates qui apprenaient ainsi à vivre en
communauté.
Si le pouvoir du souverain était en principe illimité, la réalité était en fait plus
nuancée. En tant que dieu, le roi ne descendait pas dans l'arène politique quotidienne.
11 devait restertrés souvent invisible, solitaire dans satranscendance. Ses interventions
«publiques» n'avaient lieu qu'une fois par an quand il tranchait les procès criminels en
dernier ressort.
C'est pour cette raison que le gouvernement était dirigé par le représentant de
ceux dont les ancêtres avaient été les premiers occupants du pays, c'est à dire des
propriétaires terriens appelés ]"aman.i;'e chef portait le nom de Jaraaf Ju Re~' Au Siin fi J
et au Salum, de Jaraaf Bawol dans ce dernier royaume et de Diawdin, Mboul Jambur'
au kayoor. Les droits fonciers de ces laman étaient antérieurs à la création de la
monarchie. Le laman était l'aîné de la famille propriétaire du terroir. Il gérait le bien
commun au nom de la collectivité familiale. Les étrangers qui désiraient s'établir sur ses
terres lui versaient des redevances qu'il redistribuait aux chefs des concessions
membres de la collectivité familiale. Ainsi donc l'importance politique d'un laman
dépendait de l'étendue des terres familiales et de l'effectif des membres de la famille.
Tous ces royaumes nés de l'éclatement du Jolof n'étaient en réalité, que des
juxtapositions de "Lamanats». Chacune de ces entités était une espèce de république
autonome où l'autorité reconnue était celle du patriarche. Chaque laman administrait
son domaine et l'ensemble du groupe constituée par les chefs de concession, ne se
réunissait qu'en cas de conflit entre certains de ses membres ou pour fixer le calendrier
agricole et la répartition des champs pour la saison agricole.
Ces laman étaient aussi les intermédiaires entre le pouvoir central et leurs
administrés. Dés lors on peut facilement deviner le caractère trés décentralisé d'une
administration dont l'autorité des agents émanait davantage de la tradition familiale
que du pouvoir central.
Evidemment les monarchies qui s'étaient surimposée5à cette organisation
"lamanale» portait nécessairement en elles même des vices inhérents à ce système
socio-politique;du moins pour ceux qui considèrent que l'Etat idéal doit être unitaire et
fortement centralisé. De plus l'organisation politique de tous ces régimes reposait sur
le matrilinéat, modalité juridique selon laquelle la femme, seule détentrice du pouvoir
politique ne l'exerçait que par l'entremise de ses enfants mâles. Les dynasties des
Etats Woloff-Sereer étaient donc au départ des dynasties utérines même si par la suite
au Kayoor et au Bawol des restrictions furent apportées au principe de base, par
l'adjonction de certaines dispositions patrilinéaires.
La royauté étant partout élective. Tout candidat à la monarchie devait appar-
tenir à l'une des sept lignées utérines princières6 seules habilitées à donner des
~
64
souverains et descendre par son père de Amari Ngoné Sobel Fall. 7 Ces familles par la
filiation utérine s'appelle Xeet ou meen. Ces lignées ~ utérines formaient les
familles garmi8• Au Siin et au Salum la lignée utérine Gelowar monopolisa le pouvoir
jusqu'à l'abolition de la royauté par la France.
La multiplication du nombre de lignées utérines princières semblait répondre
au souci des Laman de se doter d'une grande marge de manoeuvre dans le choix du
souverain. L'existence de plusieurs candidats émanant de lignées différentes rendait
possible une rotation polydynastique pour supprimer les risques de dictature au profit
d'une seule famille. Au Siin et au Salum la lignée des Gelowar ne tarda pas à se
fragmenter en plusieurs branches rivales dans la lutte pour le pouvoir.
Dans chacun de ces royaumes siégeait un conseil des grands électeurs
appelé assemblée des Wa Rew ou des Seb ak Bawor9• Ce consei'thargé de choisir
le ro~était composé soit de sept membres soit de neuf membres selon les royaumes.
Ils étaient toujours recrutés parmi les laman les plus influents par l'étendue de leurs
terres et par l'importance numérique de leur famille. C'est en leur sein qu'ils choisis-
saient le grand Jaraaf ou le Diawdin qui faisait fonction de chef de gouvernement. Il
disposait de la réalité du pouvoir. Il gouvernait le pays au nom du roi mais en tenant
compte des interêts des premiers occupants du sol. La royauté n'était de ce point de
vue qu'un titre honorifique. Le roi de par sa nature divine, n'avait pas de prise directe
sur la réalité politique bien que tous les actes du chef du gouvernement f~nt pris en
son nom. Le grand Jaraaf présidait le conseil des grands électeurs. C'est ce conseil
a-t<tL
~
qui fixait l'orientation de la ~extérieure, déclarait la guerre ou faisait la paix.
Le grand Jaraaf appliquait les avis qu'il dégageait.
Le grand Jaraaf était de par la constitution coutumière, seul habilité à destituer
le roi sous certaines conditionsflors que la réciproque n'était pas vraie. Seul le conseil
des grands électeur qui l'avait élu à ce poste était habilité à l'en chasser. Avec
l'évolution, les charges de grandJaraaf devinrent héréditaires dans certains royaumes
où, comme au kayoor Ja famille utérine des Xagaan en avaitlj:f fait une espèce de
patrimoine. Les autres grands électeurs en avaient fait autant et les charges électives
N2
65
étaient devenues héréditaires. En cas de décés de l'un des grands électeurs, sa
collectivité familiale, libre de toute pression et conformément à ses rites et coutumes
désignait le successeur.appelé siéger au conseil. Le principe même de l'hérédité des
charges dans l'organisation politique et administrative constituait un obstacle de taille
pour toute politique de centralisation.
Pour pUissan~u'ils fussent, ces électeurs n'étaient pas éligibles. D'un autre
côté les princes éligibles n'étaient pas électeurs et en principe ils devaient s'abstenir
de toute manoeuvre tendant àinfléchir en leur faveur les délibérations du conseil. Cette
démarcation trés nette entre éligibles et électeurs constituait une garantie supplémen-
taire pour l'équilibre des pouvoirs'o. Ce grand conseil se réunit périodiquement pour
débattre des problèmes interessant le pays. N'échapait à ses prérogatives que la
justice en dernier ressort qui relevait du roi. La guerre et la paix faisaient partie de ses
attributions. En cas de déclaration de guerre les différents contingents levés par les
laman se plaçaient sous l'autorité du grand Jaraaf ou du Diawdin. L'armée était
immédiatement licenciée aprés la campagne".
Ainsi donc les Etats n'étaient au départ qu'une juxtaposition de domaines
autonomes dont le seul lien politique résidait dans la personne du souverain. La
vénération dont le roi était l'objet de la part de ses sujets, faisait de lui un être lointain
sans aucune morsure directe sur la vie politique du royaume. Etre mythique, son rôle
était plutot religieux'". Sa fonction primordiale était de souder spirituellement les unes
aux autres les différentes collectivités «lamanales» juxtaposées et qui formaient le
corps des royaumes. Aussi n'avons nous pas hésité à qualifier de «lamanales» ces
monarchies sans forces intrinséque, incapable de supprimer l'autonomie de ces
groupes familiaux qui étaient en fait les vrais détenteurs du pouvoir'3.
LES TRANSFORMATIONS DU SYSTEME POLITIQUE
Ces régimes politiques connurent des mutations sous l'action conjuguée de
l'islam et de la traite négrière. L'introduction de l'islam dans les cercles aristocratiques
M2
fi 6
entraina chez les néophites une remise en question de certains aspects du système
politique. L'islam leur enseigna que les souverains n'étaint que de simples créatures
et comme telles mortelles. La religion diffusée par Mouhammed interdit sévèrement
toute adoration d'un être humain, car c'est Dieu seul qu'i1faut adorer. Cette foi nouvelle
dans les cercles dirigeants était en porte à faux avec la conception traditionnelle qui
faisait du souverain un dieu. En restituant aux rois leur dimension humaine, elle
introduisait dans le système politique des germes de fragilité. Les nouveaux convertis
s'abstenaient de vouer un culte à un homme qu'ils savaient périssable et qui par
dessus le marché professait une foi que l'islam rejettait aux derniers cercles de l'enfer.
L'élargissement de l'horizon religieux s'accompagna donc d'une désacralisation
brutale de la personne du roi. Plus l'islam se développait, moins les sujets s'accro-
chaient à des croyances qu'ils considéraient comme caduques car inaptes à porter
leurs espérances temporelles et spirituelles".
La traite négriére donna aussi une impulsion accrue à ce processus de
transformation de la nature de l'autorité. De la fin du XVII" siècle jusqu'à la conquête
coloniale, elle a été le facteur déterminant dans la rupture de l'équilibre institutionnel
dans les Etats Woloff-Sereer. Elle y a provoqué des désaxements d'une ampleur telle
que toutes les sociétés furent obligées d'ac&>ter leurs institutions aux données
politiques nouvelles pour assurer leur survie. Les autorités essayèrent de trouver des
solutions adéquates aux défis qui les sollicitaient. La traite négrière avait bouleversé la
base de la société. La peur était devenue générale. La chasse à l'homme créa partout
une atmosphère de terreur. L'industrie de la guerre incitait les souverains à s'attaquer
à leur voisins en vue de se constituer un cheptel humain dont la vente ou l'utilisation
comme main d'oeuvre leur donnerait des revenus substantiels. Dès lors les anciennes
structures politiques subirent des modifications. Mais au profit de qui? Le système
lamanal où le pouvoir était diffus, non encore suffisamment individualisé fut frappé de
caducité. Son maintien signifiait la mort de l'Etat à plus ou moins brève échéance'5.
La sécularisation de la royauté s'accompagna d'une plus grande emprise des
souverains sur les affaires de l'Etat. Ils s'attachèrent avec une volonté inflexible à la
réunification oolitiaue de leur territoire. Au XVIIe siècle on ooéra une réforme adminis-
67
trative au Kayooret au Bawol. Les Lamanats, trop nombreux pourconstitufrdes unités
administratives, sont regroupés par la force, en cantons dont l'administration était
confiée àla famille qui y détenait la prépondérance foncière. Ce commandement était
héréditaire. Les bénéficiaires, ainsi associés au pouvoir étaient naturellement des alliés
du roi. Malgré tout, les forces centrifuges conservaient toute leur vitalité. Certains
Laman demeurèrent réfractaires à l'ordre nouveau. Avec l'accroissement continu du
volume de la traite au XVIIIe siècle, les souverains firent sauter tous les verrous qui
paralysaient leurs réformes afin de parachever leur politique de centralisation. L'épar-
pillement de l'autorité en plusieurs centres de décision compromettait la survie de leur
pays. Il concentrèrent tous les pouvoirs entre leurs mains.
Au Kayoor et au Bawol cette crise politique conduisait à la création d'une
dynastie utérine populaire: Celle des Geedi.'6
Les Geedj issus d'une famille de Laman perçurent mieux que quiconque les
. préoccupations de leurs compatriotes toujours menacés par les guerres et les
dépradations de certains chefs. En 1695 aprés le coup d'Etat de Latsukabé, fondateur
de cette dynastie, le processus d'intégration fut poursuivi. Conscien~ue les laman
étaient trop jaloux de leurs privilèges pour accepter les réformes envisagées, les Geedj
recrutèrent leurs collaborateurs chez les esclaves de la couronne. Sans doute ce corps
avait toujours existé dans les monarchies de la Sénégambie. Mais ses fonctions étaient
jusqu'alors limitées à l'étiquette de cour, et à des emplois plus ou moins modestes17•
A la faveur de la traite négrière Latsukabé acheta beaucoup de captifs dont il
fit une armée permanente et qu'il intégra aussitôt dans la catégorie des captifs de la
couronne. La création de cet instrument permit aux souverains de l'emporter dans la
lutte pour le pouvoir entre eux et les grands Jaraaf. Les esclaves obéissaient
aveuglément aux ordres de leurs maîtres. Le grand Jaraaf et les laman ne disposant
pas d'une armée permanente, virent leur puissance s'effriter au profit de celle des rois.
Grâce à cette armée d'esclaves, les souverains instaurèrent des régimes personnels,
voire de véritables autocraties. La plupart des charges politiques et certaines grandes
fonctions administratives étaient désormais confiées aux esclaves de la couronne.
Ainsi certaines provinces constituées par la réunion de plusieurs cantons étaient
placées sous l'autorité d'esclaves de la couronne. Le grand avantage de cette formule
résidait dans la suppression de l'hérédité de ces charges. Les rois disposaient d'un
pouvoir absolu de nomination, de mutation de révocation sur leurs agents esclaves.
Ces gouverneurs de province portaient le titre de fara ou de farba. Ils surveillaient les
chefs de canton percevaient les impôts mobilisaient les guerriers en cas de besoin. On
en arriva aussi à cette situation paradoxale où les individus se trouvant au bas de
l'echelle sociale, étaient hissés aux sommets du pouvoir par la volonté de leurs
souverains'·.
L'hérédité des charges qui jusqu'alors avait été le principal obstacle à la
centralisation était aussi contournée. Les départements ministriels les plus importants
étaient confiés aux esclaves. A côté du grand Jaraaf qui resta le président du conseil
des grands électeurs, siégeait le Farba Ju Rey ou Grand Farba au Siin, au Salum au
Bawol et diawdine Mbul Gallo au Kayoor. Les ministères de la défense, de l'intérieur,
de la diplomatie étaient détenus pareillement par les esclaves de la couronne'·,
Ces mesures n'ôtèrent pas aux Laman tout l'espoir de recouvrer leurs
anciennes prérogatives. Les grands électeurs profitaient toujours des vacances du
pouvoir pour essayer d'élire des candidats respectueux des dispositions de la
constitution coutumière. Mais les captifs mus par leur clairvoyance intéressée ne leur
donnaient pas la possibilité de savourer cette joie. Au moment de l'élection ils
campaient dans le voisinage du lieu d'election et par des salves nourries rappellaient
aux grands électeurs le bon choix.
LES NUANCES LOCALES
Ces changements ne revêtirent pas partout les mêmes formes ni la même
intensité dans les Etats Woloff-Sereer. Le degré de centralisation finalement obtenu fut
fonction du rôle de chacun des royaumes dans la traite négrière, de l'importance des
forces centrifuges;de l'étendue de son territoire, de la variété éthnique de son
peuplement.
. ,
NQ
9
Au Kayoor où le système était le plus élaboré les souverains étaient ~arvenus 6
à un haut degré de centralisation. Au Siin où l'effectif des captifs de la couronne était
modeste et où le grand Jaraaf avait pu conserver la totalité de ses prérogatives, la
constitution du pays fut rarement violée. En revanche au Salum où le peuplement était
hétérogène, et où chaque groupe entendait faire respecter son originalité le pouvoir
central resta trés faible.
Pour l'élection à la royauté du Kayoor et du Bawol tout candidat devait remplir
deux conditions. Il était nécessairement Taan et Seggteff. Etre Taan c'est être garmi.
Cela signifiait que le candidat par la filiation utérine appartenait àl'une des sept familles
matrilinéaires seules habilitées à donner des souverains. La deuxième condition lui
faisait obligation de descendre par son père de l'artisan de la sécession du Kayoor et
du Bawol Amari Ngoné Sobel Fall. Son patronyme était donc Fall.
Au Kayoor l'assemblée des grands électeurs se réunissait à Jamatil sur
convocation de son président le Diawdine Mbul Jambur. Prenaient part à cette élection
le Diawdin Mbul, le Lamane Jamatil, le Lamane Gaal, le Lamane Palmew. 2O
Le candidat choisi était celui qui en principe, présentait le plus de garanties
pour le fonctionnement normal des institutions, tant par ses qualités morales et
humaines que par sa capacité intrinsèque à diriger l'Etat. Une fois élu, il manifestait sa
gratitude à l'endroit de ses électeurs par de grandes largesses avant la cérémonies du
sacre.
Celle-ci avait lieu à Mbul pour le Kayoor, à Lambaay pour le Bawol, à Jaxaw
pour le Siin, et à Kahone pour le Salum. C'était toujours un grand événement pour le
pays. Elle mobilisait beaucoup de monde. Elle se déroulait dans une vaste plaine
inculte où l'on élevait un monticule de sable à côté de ceux qui avait été érigés lors des
cérémonies précédents. Le roi allait s'y établir en grande pompe. Le grand Jaraaf suivi
de ses collègues du conseil des grands électeurs arrivait à son tour avec les symboles
de l'autorité. A ce moment précis tous les griots du royaume faisaient une musique
étourdissante avec tous les instruments de musique Ndioung-Ndioung,21 Njanjari,
Deeg-Daw,22 qui sont les tambours royaux donnaient le ton. Des cris, des chants
éclataient de tous côtés. Alors le grand Jaraaf offrait au souverain au so~met de sI 0
pyramide, un vase contenant les échantillons des graines de toutes les plantes
cultivées dans le pays. Il lui ceignait la tête d'un turban rouge orné de gris-gris qui
servait de couronne depuis le début de la monarchie. La foule contemplait son
souverain pendant un moment, puis on l'emportait sur une espèce de pavois ou de
hamac jusqu'au bois sacré où il restait en retraite le temps de recevoir l'initiation
mystique qui lui conférait la puissance surnaturelle nécessaire à l'exercice de ses
hautes fonctions. C'est aprés seulement qu'il commençait à régner23• Les prétendants
mécontents entraient souvent en dissidence et le contraignaient ainsi à défendre son
pouvoir les armes à la main.
Au Siin, aprés les funérailles du défund roi le grand Jaraaf consultait les
représentants des différents catégories sociales habilités à prendre part à l'élection du
nouveau souverain. Comme en pays Wolof c'était les descendants des premiers
occupants du sol constitués par Sur Joïne, Sur patar, Sandigee Njob, Lam Niafacc,
Saax-Saax-Faway et le grand Farba.
Devant cette assemblée, le Grand Jaraaf en général proposait le Sumi comme
roi. Car en principe lorsqu'un roi mourait c'était son dauphin qui le remplaçait. Son
choix respectait en effet l'ordre des naissances des princes Gelowar tel que le grand
Farba l'avait enrégistré. C'est individuellement que les grands électeurs se pronon-
çaient sur la position du grand Jaraaf. Si les interpelés gardaient le silence c'est que
le candidat suscitait des craintes. Dans ce cas le grand Jaraaf se soumettait à la volonté
populaire sinon la guerre civile éclataiF4.
Le couronnement du roi avait lieu un Vendredi. Tous les Gelowars, les domi-
burs, tous les dignitaires habillés de blanc s'assemblaient à la place réservée à cet effet.
Deux hommes appartenant à la lignée utérine Sangom étaient autorisés à toucher l'élu.
L'un portant le nom de Novi qui signifie vis et l'autre celui de Minan reste avec nous
étaient placés devant lui. Ils étaient chargés de faire au peuple la présentation du roi.
L'un des Sangome s'avançait vers lui le prenait par la main. Tout le monde s'accrou-
pissait. Le Jaraaf et ses hommes construisaient un tas de sable au pied duquel le roi
s'asseyait pendant que le Sangom lui posait la main sur la poitrine. Le rof~renait alJsT
dans ces mains de la terre du tertre et la jettait derrière lui à sept reprises". Puis il
montait "à cheval caracolait sous les yeux des spectateurs et se rasseyait. Il re'ltérait
sept fois cette cérémonie. Ensuite il faisait le tour de quelques arbres fétiches; et tout
le monde le saluait pour la première fois du titre de roi26".
Au Salum le cérémonial d'intronisation était semblable à celui du Siin. Seule-
ment le Bur Salum effectuait sept allées et venues d'Est en Ouest, se promenait aux
champs de culture avant de recevoir du grand Jaraaf un rameau de chacun des
produits cultivés dans le pays2? •
Si au Kayoor et au Bawoll'autorité du souverain était devenue absolue, au Siin
au Salum elle était toujours tempérée par celle du grand Jaraaf armé du droit de le
bannir au nom du peuple chaque fois que sa conduite ou sa moralité déplaisait à
l'opinion publique. Aprés son intronisation, le roi procédait à la distribution des charges
politiques et administratives entre les différentes catégories sociales. Les départe-
ments ministériels les plus importants étaient là aussi confiés à des esclaves de la
couronne.
Toutefois les premières nominations intéressaient les garmi. Ils choisissaient
en premier lieu leurs dauphins appelés bumi au Siin au Salum, Calaw au Bawol, Jambor
au Kayoor. C'étaient généralement des frères cadets ou des neveux du souverain.
Pour éviter les graves crises de succession on désignait un deuxième vice-roi portant
alors le titre de Bumi au Kayoor, de Bar-Diack au Bawol de Cilaas au Siin. A chacun de
ces titres étaient rattachés des cantons ou des provinces dont les revenus leur
revenaient de droit.
Les souverains nomma~eillementla reine-mère du royaume. Elle portait
le nom de Lingeer. Le matrilignage était à la base de la société politique, il n'était pas
surprenant que les femmes jouassent un rôle politique de premier plan. Cette Lingeer
était soit la mére du roi, soit une de ses tantes maternelles, ou une de ses soeurs
utérines. Elles était toujours consultée sur les décisions importantes qui concernait le
pays comme la guerre ou la paix2••
~
r i 2
Chaque Lingeer avait, en apanage, un canton dont les habitants lui versai{lides
redevances. La Lingeer du kayoor possédait en apanage, les salines de Ganjool qui
lui rapportaient au milieu du XIX· siècle 50.000 francs environ. Les Lingeer avaient leur
cour avec étiquette. C'est là que se faisait l'éducation des jeunes princesses. Pour
nourrir leur maisonnée elles recevaient aussi des cadeaux de tous les hauts dignitaires
nommés par le roi au moment de leur entrée en fonction. Elles tiraient aussi des
revenus du travail de leurs esclaves.
Au dessous de la Lingeer venait l'Awo, titre que porte la première femme du
roi à condition toutefois qu'elle fût garmi c'est à dire qu'elle appartint à l'une des lignées
utérines princieres au Kayoor et au Bawol. Au Siin et au Salum il était trés rare de voir
un roi épouser une princesse Gelowar car elle s'arrogeait le droit de réduire en
servitude toutes ses coépouses. C'est pour cette raison que les souverains Sereer se
contentaient de prendre femmes parmi~les familles des grands dignitaires Jambur. Au
Siin et au Salum le titre de la première femme du souverain ~tait Jee. On la considérait
comme la reine de la maison du roi. Elle avait autorité sur toutes les épouses du
souverain. Elle recevait en apanage un canton ou quelques villages. Au Kayoor c'est
le canton de Sugeer qui lui servait d'apanage. Au Siin elle avait autorité sur le village
de Njaan-diaye prés de Fatik. Dans le Salum c'était le village de Mbodaye. Les ministres
et les grands commandants territoriaux lui apportaient des cadeaux en rapport avec
l'importance de leurs charges29•
Parmi les esclaves de la couronne titulaires de charges importantes figurait en
premier lieu le grand-farba appelé Jawdin Mbul Gallo au Kayoor. C'était le chef de tous
les esclaves de la couronne. Il avait mission de briser, au besoin par la terreur, tous
ceux qui s'opposaient à l'expansion de l'autorité de son maître. En principe les captifs
de la couronne n'appartenaient à aucune famille mais à la couronne. C'étaient des
fonctionnaires reyaux «esclaves de la loi et du devoir envers l'Etat""". Mais ils se trouve
que certains souverains au Kayoor et au Bawol avaient incorporé dans cette catégorie
quelques uns de leurs captifs de case qu'ils considéraient comme plus sûrs et plus à
même de les aider à consolider leur pouvoir. Ces esclaves portaient alors abusivement
comme en pays woloff le titre de captifs de la couronne.
su~
Le grand farba était un homme trés craint. Il semait la terreur
tous les 7 3
villages peuplés d'esclaves et placés sous son autorité c'était lui qui préparait les
entreprises de dépradation par lesquelles il' lançait ses farouches guerriers au pillage
des villages, à la confiscation des récoltes. Chef de la garde prétoriennJil veillait sur
la personne du roi. Tout étranger passait par lui s'il désirait une audience du roi. Le
Farba-Birkeur était le ministre de la cour, sorte de maître des cérémonies. Il était chargé
de l'entretien de la cour, de la rentrée des amendes, des contributions en nature. Il était
trés redouté en raison de ses exigences. C'était une sorte de ministre des finances
chargé de la gestion des redevances fournies par les différents agents du fisc. Quand
il se déplaçait il se faisait précéder d'un tambour qui rendait un son particulier «dont la
batterie précipitée était connue detous. C'étaitle KhinnTamado31 ». Rien ne lui résistait.
Aprés son passage c'était la désolation pour les Badolo.
Le Farba-Birkeur était secondé par un jaraaf-beuknek également esclave de la
couronne. Il était l'intendant de la cour, le représentant de tout le personnel domestique;
hommes et femmes attachés à la personne du roi ou à celle de ses femmes. Le
ministère de la défense était confié à Fara seuff'2 secondé par le J araaf-Seufftous deux
esclaves de la couronne. Ils s'occupaient de l'armée, de son organisation, de son
ravitaillement en armes et munitions, en chevaux, mais aussi en ânes et chameaux
pour le transport de toute la logistique. Chaque métier artisanal relevait d'un départe-
ment ministériel. On peut citer le Fara dioung-dioung ou Becc Geevel chef de tous les
griots, le Fara Gambara chef des griots qui jouait de la guitare, le Fara Laobé chef des
boisseliers, le Fara-Lamb chargé des sports est l'organisateur des séances de lutte,
le Fara teugg était le ministre des forgerons, le Fara Woudé celui des cordonniers. Sous
leur responsabilité les différents artisans travaillaient dans les ateliers du prince pour
fabriquer des armes, les harnachements de la cavalerie royale, des ustensiles de
cuisine, des instruments aratoires/des chaussure:"des instruments de musique. A
chaque grande cérémonie de cour ou de famille, ils avaient droit aux cadeaux des non
castés et surtout des grands dignitaire33• Ils étaient sous la protection directe du roi et
oersonne ne oouvait les réduire en servitude.
Kg
i~774
D'autres fonctions d'importance moindre étaient aussi attribué~ des escla-
ves de la couronne. C'est le cas de Fara Mata chargé de percevoir un grenier de mil
par village au profit du souverain. Le Fara Wat confisquait le troupeau de tous ceux qui
étaient convaincus d'avoir dénigré le roi. Le Jaraaf Nguiguis était l'échanson du damel.
Tous ces personnages étaient esclaves de la couronne ou de la famille maternelle des
souverains. Bu Siin le Fara Jafann gardait tous biens volés ayant franchi le seuil de sa
- /
maison"".
Le grand Baie d'origine maure, était le grand écuyer. Il avait la charge de la
cavalerie royale et des palefreniers qui tous appartenaient à la noblesse. Les jeunes
princes ou nobles devaient être palefreniers d'abord avant d'avoir le droit de soigner
un cheval arabe. le conseiller le plus autorisé du roi s'appellait Bissik35• Il était consulté
par le roi sur tous les projets de décision. Il était le seul dignitaire du royaume, habilité
à faire des remontrances à sa majesté.
Les agents chargés de prélever des taxes sur les peuls étaient aussi de statut
servile. Chaque tribu peul relève d'un Jarga àqui son Ardoversait les redevances dues
au roi. L'ensemble des Jarga était placé sous l'autorité d'un ministre, esclave de la
couronne, portant le titre de Jaligee. Il assurait la transmission des ordres du roi et en
controlait l'exécution.
L'~INISTRATIONTERRITORIALE
Dans l'administration territoriale on avait fait un savant dosage entre les chefs
qui devaient leurs charges à leur naissance et ceux dont le commandement ne
dépendait que du bon plaisir du roi qui pouvait les révoquer ou les muter selon les
nécessité du service. Les cantons correspondant aux anciens «Lamanats» conservè-
rent le bénéfice de l'hérédité des charges. Certesp'était le roi qui agréait les chefsrais
il était tenu "de les choisir dans la famille, ayant droit au pouvoir par droit de naislance».
Ces chefs entretenaient un certains nombre de guerriers et se rendaient avec cette
troupe à l'appel du roi.
Au Kayoor les cantons relevant de cette catégorie étaient nombreux. C'étaient
Le Jamatil. Le Niunob. Le Ganiool. Le Tube. Le Xatta. Le Geet. Le Dembarian. Le Niob.
Hg
75
Le Njaface. Le Joïnn, Le Fawoy et le pataar. Au Salum c'est le cas des provinces du
/
!
Pakala, du Ndukumane, et du ~.
En regroupant des «Lamanats» en cantons on surimposa à l'autorité des
laman, celle d'autres chefs Jambur ou esclaves.. de la couronne jugés plus aptes à
défendre les secteurs névralgiques qui leur étaient attribués. Les zones frontalières, en
raison du danger d'invasion qui les menaça~étaient le plus clair du temps placées sous
la responsabilité de captifs de la couronne. Il en était de même des territoires, comme
les zones refuges, sur lesquels le pouvoir central n'exerçait qu'une autorité fragile. Leur
administration était assurée par des esclaves de la couronne des domi-bur que le roi
nommait et révoquait à son gré.
Au Kayoor la province du Njambur était donnée à un Jaraaf qui étaiteaptif de
la couronne. Les invasions· du Kayoor par le Trarza, le Walo, Le Jolof avaient eu li~~-:J
parle Njambur.llétait donc plus prudent d'en attribuer le commandement àun homme
t,
digne de confiance. Le Jander érigé en province appelé digedj était placé sous
l'autorité du fara-digedj également de statut servile". Il administrait le Jander, mais n'y
résidait que par intermittence. Il s'occupait alors de la perception des impôts au niveau
des neuf cantons qui le constituaient.
Des domi-bur étaient employés dans l'administration territoriale. C'était le cas
de Bejeenn au Kayoor, du bur Jokul au salum de Saax-Saax au Siin, au Bawol et au
Salum38 •
Tous ces commandants territoriaux dont l'autorité dépendait de la volonté du
roi étaient des agents d'une docilité absolue. N'exerçant pas des charges héréditaires,
et pouvant être destitués à tout momenys étaient tenuJde faire preuve d'une fidélité
sans faille à l'endroit de leur bienfaiteurJet souvent aux dépens de leurs administrés.
Malgré le fort contingent d'abus dont on les gratifiait, ils étaienttout de même parvenus
à donner une certaine consistance à l'administration territoriale de leur pays'". Toute-
fois il faut observer qu'au Bawol l'administration territoriale était loin de donner
satisfaction au pouvoir central. Si la caste dirigeante était Woloff l'immense majorité de
la population était formée de Sereer qui refusaient d'entourer l'Etat de la moindre
·
~
76
Lors de la fondation de leurs villages, les Sereer réservaient toujours autour de
leur terroir une ceinture de forêt, véritable rempart naturel de brousses épineuses trés
épaisses dans lesquelles ils se retiraient à la moindre alerte et où les agents royaux
n'osaient les suivre. Chaque district défriché était séparé de ses voisins par des
lanières de taillis quasi impénétrables d'un à deux kilomètres de profondeur. Elles
servaient de refuge en cas de besoin. Sur les frontiéres septentrionales du Bawol
comme dans ses marches de l'Ouest et du Sud, s'étendait la même bande protectrice
de brousse impénétrable, mais plus large, car elle atteignait par endroit 20 kilomètres
d'épaisseur"".
Gràce à ce rideau défensif, les Sereer du Bawol s'étaient maintenus dans
l'insoumission et avaient réussi ainsi tant bien que mal à limiter l'autoritarisme du
pouvoir central. Ces différentes unités familiales étaient à peu prés indépendantes
sous "la réserve de remplir les obligations qui leur étaient imposées"" et qui consis-
taient à payer tribut. Lorsque les agents du pouvoir central se présentaient pour la
collecte des redevances, les chefs de famille de la clairière ou du canton Sereer se
concertaient et fixaient eux même les quantités de produits qu'ils acceptaient de livrer.
Si les agents refusaient de s'en contenter et menaçaient d'employer la force, la petite
assemblée délibérait à nouveau, comparait la force de l'escorte au nombre de ses
fusils et suivant le côté ou semblait pencher la balance, accédait à la demande des
agents ou passait vigoureusement à l'attaque'2. Jusqu'à la veille de la conquête les
souverains du Bawol ne purent maintenir dans la soumission ces différents cantons
Sereer et ce, malgré la fréquence et l'intensité des mesures répressives. Par leur
insubordination, ils compromettaient la politique de centralisation administrative dont
teen Candella avait été l'initiateur. Ils s'étaient délibérément mis à la périphérie de l'Etat.
Cette attitude se traduisait par leur refus de prendre part aux luttes violentes qui
opposaient les unes aux autres les différentes factions qui se disputaient le pouvoir. Ils
n'avaient pas pris parti. Peut être étaient ils convaincus que le vainqueur, Quelqu'il fût
ne leur ferait connaître de son autorité que le poids d'une fiscalité toujours de plus en
plus lourde et de plus en plus injuste.
Hg
Ainsi le Mbayaar, le Jak. le .!:'jgQy, le Mbadann étaient des provinces adrln?s-
trées par des princes ou des domi bur mais leurs populations restèrent refractaires à
toutes les mesures tendant à leur ôter leur autonomie.
La situation était plus grave encore dans les «isolats» qui éta~zones de
.k~
refuge qui ceinturaient la falaise de KeesIles populations ne»voulaient ni rois, ni
empereurs, ils voulaient se gouverner eux mêmes par leurs vieillards sans jamais
consentir à se soumettre à aucune domination étrangère43». C'était le territoire de
groupements trés particularistes vivant dans une zone d'accès difficile ce qui leur
t
permettait de secréter des institutions conformes à cette vision «anarchiste». Leur
~~
système dit/démocratie rurale resta vivace. Ces sociétés ne pratiquaient pas l'escla-
vage qu'elles considéraient toutes comme une institution abjecte. En évitant toute
admission d'éléments étrangers en leur sein, elles conservaient inaltérées avec leur
relative pureté ethnique, l'originalité de leurs us et coutumes. Les membres de la
communauté villageoise se réclamant tous du même ancêtre, les critères de hiérarchi-
sation sociale ne reposaient donc pas sur le sang. La considération qu'on accordait
aux individus n'était pas fonction de la naissance mais des qualités morales intrinsé-
ques de chacun et surtout de l'âge qui donnait à chacun sa vraie place dans la société.
Ici plus qu'ailleurs les habitants étaient persuadés que le capital de sagesse acquis au
/
cours de l'existence était en étroite corrélation avec le nombre d'années vécues. Le
plus âgé était désigné comme le chef naturel du groupe ou de la famille.
Si l'autorité du chef de chaque concession était absolue il en était différemment
pour ce qui était de l'ensemble. A ce niveau l'autorité était trés fractionnée. Les
décisions concernant la communauté devaient toujours être prises à l'unanimité des
membres du conseil des anciens. Le patriarche, ne disposant ni de force armée ni de
police pour faire respecter les décisions, était tout à fait désarmé quand certains
membres refusaient de se soumettre à la volonté de la majorité. Toutefois les chefs de
familles qui avaient acquis une certaine prépondérance par leurs richesses, ou leurs
actes de bravoure dans la défense du terroir étaient plus écoutés que leurs congénères
moins nantis. Mais le désir de vivre libres poussait certains chefs de familles à la suite
d'un désaccord avec l'assemblée, à quitter le village avec leur famille pour aller
C
\\
l'~ ~J7 8
défricher une clairière dans la forêt afin d'y établir leurs hameaux. Ces différents
hameauxse refusaientà toute fusion avec les voisins sauf en cas de danger commun".
Alors tous s'entendaient pour assurer collectivement la défense du terroir. Chacun
reprenait son rythme de vie aprés le passage de la tourmente. Le Jobas établi sur le
versant oriental des collines qui bordent la Tanma à l'Est conservait comme les Noon,
une indépendance presque complète. Le pouvoir central y était en principe représenté
par un gouverneur portant le titre de Calaw'5. Les Joobas ne lui payaient aucun impôt
et s'administraient eux-mêmes. Ils nommaient leurs propres chefs qui prenaient le titre
de jaraaf. Ils étaient choisis parmis les notables les plus riches du groupement. Mais
pour éviter tout risque de tyrannie le titre n'était pas héréditaire. A chaque vacance du
poste les chefs des différents villages s'entenda~r le choix d'un successeur. Le
Jaraaf ne percevait aucun impôt. Sa fonction était de rendre la justice en accord avec
le conseil des anciens4ô•.
A côté de ce Jaraaf qui semblait incarner l'unité des groupements Jobas, se
trouvaient les laman qui géraient les domaines fonciers familiaux. Ici l'occupation du
sol reflétait les préoccupations polititiques. Comme chez les Noon les Jobas ne
vivaient pas en agglomérations compactes. Chaque chef de famille avait son hameau
séparé de celui du voisin par des champs de culture. Le Bawol les considérait tous
comme ses vassaux mais n'avait jamais pu leu~~~ettre son autorité. Tout au plus
parvenait-il de temps à autre à y faire opérer quelques raids plus ou moins fructueuxJ
ce qui ne faisait qu'accentuer encore davantage leur méfiance vis à vis de l'Etat".
Le Njegem et les autres pays Sereer jusqu'à la mer relativement plus acces-
sibles que le Jobas avaient préféré devenir trés tôt tributaires du Bawol afin de mettre
un terme à ses fréquente incursions dans leur pays. Ils accueillaW'tériodiquement les
agents du Teeri qui )sous le titre de Saax-Saax leur faisaient subir toutes sortes
d'exactions".
r
Au Siin ces différentes forces centrifugees n'avaient pas la même vitalité qu'au
Bawol. La politique de fusion pratiquée par les Gelowar au lendemain de leur triomphe,
le paganisme sans réserve qui était la religion de la quasi totalité de la population, la
Mq
7 9
grande homogénéité ethnique du peuplement avaient rendu les habitants sensibles à
l'institution monarchique.
En revanche la situation était bien différente au Salum. L'immensité du pays,
la variété éthnique, la variété des voies de communication, la diversité religieuse
constituaient un faisceau de forces centrifuges qui paralysaient la politique du pouvoir
central. Sauf sur la partie occidentale et dans la région deltaïque du Salum où les Sereer
étaient majoritaires, le reste du pays était soumis à la prépondérance des ethnies;
Woloff originaires du Jolof et du Kayoor, Toucouleurs en provenance du Futa et de
Manding arrivésde l'Est ou du Sud49• Il est vrai que c'étaient les Gelowar, donc Manding
Sereerisés qui gardaient la suprématie politique mais au niveau de l'administration
territoriale ces groupes ethniques forment des contrepoids qui bloquaient souvent
l'action de pouvoir central. Ainsi le roi du Salum nommait le Sur Jilor mais cette
nomination était nécessairement entérinée par "ensemblée du peuple. Aux XVIIe et
XVIIIe siécles la famille Mbodj était parvenue à faire de la province de Jilor un
commandement héréditaire et le roi du Salum était tenu de choisir le chef de cette
province en son sein. Le Nkukuman,le Pakala,le Mandakh provinces habitées par des
musulmans en firent autant. Le Ndukuman était devenu un fief héréditaire au profit de
la famille Ndaw, le Pakala était dévolu à une famille maraboutique/ Celle des Sisse. Il
en était pareillement pour les districts de Ndemen, de Wannar, de Paffa-Warneo50•
Toutes ces chefferies étaient devenues héréditaires en lignée patrilinéaire. Ce
qui retrécit notablement les prérogatives du roi pour la désignation des titulaires. Les
intermariages entre les familles de ces grands dignitaires et la famille Gelowar
permirent à certains de ces puissants patrilignages comme les Ndaw d'accéder à la
royauté51 • Comme on peut s'en apercevoir la politique de centralisation administrative
s'était donc heurtée en général à l'hostilité des populations. Les différents groupes
eurent à son endroit des réactions allant de la soumission consentie, à la reconnais-
sance résignée voire à l'hostilité ouverte. Ceux qui se complurent dans la voie de
l'insubordination se trouvaient dans les zones répulsives où ils formaient des groupe-
ments territoriaux dont le particularisme était entretenu par le culte des ancêtres qui les
nouait à leur espace et leur donnait conscience de leur identité propre. Dès lors ils
~I
M g R 0
\\
refusaient de se laisser intégrer dans des ensembles administratifs plus vastes qui
risquaient de broyer leur personnalité et de dénaturer leurs institutions. Les chefs
qu'on leur imposait étant tous étrangers au terroir, avaient tendance à abuser de leur
autorité et ne présentaient pas toujours les garanties souhaitables de naissance et de
moralité. En définitive l'autorité de l'Etat n'était consistante que quand ses agents
réussissaient à imposer la prépondérance de la force.
LES MUSULMANS ET LE POUVOIR CENTRAL
D'un autre côté les musulmans n'entouraiej~Etat d'aucune considération.
Pendant longtemps ils étaient au centre d'une opposition politique qui s'était souvent
traduite en rebellions armées. Au KaYOOsau Bawo~comme dans les parties orientale
et méridionale du Salum les musulmans formaient des peuplements homogènes avec
leurs chefs portant le nom de Serigne;,
Au Kayoor ils occupaient les cantons duTube, du geet,le Njambur,le MbakoL
le Njob,le Njack,le Pankey, le Ndob,le Saiioxor,le Jander,la presqu'île du Cap-Vert52•
Les musulmans du Bawol étaient concentrés dans le~d-~CupationWoloff comme le
canton de Keur Samba Kan, le Ndogal, le NgewuL Au Siin certains marabouts Woloff
avaient obtenu depuis longtemps droit de cité. «Ils exerçaient une influence trés
grande sur les principaux chefs et dans les conseils du roi. Ils avaient introduit l'usage
de la langue Woloff dans les familles les plus considérablef'" Leur action sur la masse
sereer était superficielle, voire nulle. Au Salum ils étaient majoritaires dans les
provinces de l'Est et du Sud avec comme composantes éthniques des Woloff des
Toucouleurs et des manding.
Les musulmans gens d'ordre et de travail, accordaient un rôle primordial à la
(
valeur de l'effort individuel ou collectif. Ils inculquaient à leurs adeptes la notion d'une
responsabilité individuelle indépendante de l'ethnie et du statut social, Cette concep-
tion qui érigeait le travail en valeur avait rendu prospères les zones qu'ils habitaient qui
/
portaient toutes de belles cultures et de nombreux troupeaux : Leurs énormes
\\'
~~
WT
richesses attiraient la convoitise des agents du fisc. Avec les progrès de leur prosély-
tisme qui gagnait de jour en jour les masses populaires ils se prétèrent l'intention de
J
redemoler tout l'ordre social. Dès lors leurs révoltes armées prenaient une intensité
/
accrue en raison de l'intolérance dans laquelle ils s'ancraien) en dénonçansavec
vigueur/les extravagances impies de la caste dirigeante.
Le premier affrontement armé eut lieu vers la fin du xvue siècle. Il avait mis aux
prises les musulmans du Kayoor et du Bawol et les aristocraties qui, fortement
impliquées dans la traite négrière, faisaient de la force brutale la seule valeur sur
laquelle il faisait reposer le pouvoir. Les pillages, les meurtres, les incendies, les
escarmouches et les guerres de grande amplitude servaient de plus en plus de toile
de fond à la vie quotidienne. Les marabouts, les badolo et tous ceux qui étaient sans
défense vivaient en permance sous la menace de la mort ou de la servitude. Ces
violences gratuites ou intéressées enlevaient aux autorités toute légitimité. C'est pour
cela que les marabouts qui avaient un projet de société fondé sur les provisions de la
loi coranique et qui étaient également victimes d'un ordre injuste qui les enfonçait dans
un profond désarroi, avaient décidé de passer à l'action dans l'espoir d'instaurer un
régime théocratique dont l'avènement aurait entrainé l'abolition de la traite négrière
dans le pays et restauré la justice, l'équité, la paix et la concorde.
Dans leur entreprise ils furent aidés par un Maure Nacer Eddine qui dans sa
lutte contre la tribu des Hassanes avait connu quelques succés. En 1673 les mara-
bouts s'emparèrent du pouvoir au Kayoor et y nommèrent un damel musulman qui
resta en place jusqu'en 167454 • La mort de Nacer Eddine, l'intervention du comptoir de
saint-Louis qui tenait à poursuivre son activité négrière rendirent possible un retour
offensif de l'ancien régime. Beaucoup de musulmans furent faits prisonniers et vendus
aux négriers. Sans être intolérante, l'aritocratie était décidée à détruire les musulmans
qui essayaient de se constituer en force politique
Ces évènements marquèrent, sans conteste, le début de la rupture entre ces
deux groupes. La foi devint un puissant discriminant qui établit un clivage net entre les
musulmans et ceux qui continuaient d'adorer les mânes de leurs ancêtres. Malgré la
~I
~
tfl
sévérité des mesures répressives qui les frappaient, les musulmans ne baissérent pas
les bras et se persuadèrent que le temps de leur triomphe était proche.
Dans leurs sermons ils dénonçaient avec vigueur les turpitudes des autorités
politique~les assimilant à un troupeau de b~;S immondes constamment vautrées
dans les festins et la luxure. Ils leur attribuaiflUn fort contingent de défauts. C'était des
buveurs de sangara, d'absinthe frelatée, d'hydromel, avec cela incrédules, fourb~n
bons païens, «sans foi ni probité55", sans pitié pour les faibles, sans respect pour les
Saintes Ecritures. L.,es musulmans affirmaient qu'ils ne devaient plus se soumettre à
;\\:~Q..
une autorité qui avait perdu "'légitimité du fait qu'elle n'assurait plus la protection des
biens et des personnes, ni ne garantissait la liberté de leur culte. A leu{Iyeux le salut du
pays passait nécessairement par l'instauration de la loi islamique qui était seule à
même de rétablir l'ordre, la paix et la justice dont rêvaient les fidèles.
L'islam, disent-ils, affirme "égalité de toutes les créatures devant I)ieu. Le
système fiscal que préconise le coran fixe le taux de l'impôt en fonction des capacités
contributives des sujets. Il n y a pas de place à l'arbitraire des agents du fisc.
Ces fulminations des marabouts contre l'Etat et son personnel politique
traduisaient la profondeur de la cassure que la foi islamique avait introduite dans la
société. La propagande que les marabouts développaient risquait à brève échéance,
de déboucher sur la destruction de l'Etat pàien et son remplacement par un Etat
islamique. IL n'était pas acceptable pour les autorités qu'une pareille hypothèse fÛt
même envisageable. Aussi n'hésitèrent-elles pas à accentuer la répression pour les
contraindre à l'obeissance.
Vers la fin du XVIII" siècle, encouragés par le triomphe des marabouts du Futa
Toro contre la dynastie1 Deniyanke, les musulmans du Kayoor se soulevèrent à
nouveau,aidéS"par lesrtcfreligiOnnaires du Walo, du Bawol et du Futa. Amari Ngoné
Ndella Kuma damel-teeri regroupa ses forces et attaqua les marabouts dont les
,
}
troupes furent réunies à Polo avec à leur tête Matar Mamou de Tàlba, Amadou Fa
Khoudia serigne Koki, et Mandoumbe Mbaye serigne Nomre. Les marabouts subirent
Ng
8 J
une grave défaite. Tous les marabouts faits prisonniers furent vendus comme escla-
ves.
Les débris de l'armée maraboutique se regroupèrent alors à Pir dont la célèbre
université avait formé la plupart des chefs de la rebellion. Mais là aussi lesort des armes
n'était pas de leur côté/et ils furent mis en fuite et poursuivis par "armée du Damel. /ls
finirent par trouver refuge au Cap-Vert où les Lebu leur accordèrent l'asile et leur
J,~
fournirent des contingents qui leur permirent d'arrêter la marche victorieuse / leurs
ennemis. L'intervention de Abd El Kader, Almamy du Futa qui décida de mener une
croisade contre les impies du Kayoor ne fut guère plus heureuse. /1 fut fait prisonnier
et son armée taillée en pièces56•
Au lendemain de son triomphe Amari Ngoné Ndella prit les mesures qu'il
croyait salutaires à son royaume. Tous les musulmans faits prisonniers furent vendus.
Beaucoup de mosquées furent détruite~écoles coraniques fermées. Cette terrible
répression valut au Kayoor et au BaWO~UelqUeS décades detranquillité en maintenant
les marabouts dans une soumission résignée57•
Mais le lourd contingent de vexations, d'humiliations que les vainqueurs ne
cessaient de leur infligerrs conduisit à nouveau dans la voie de la dissidence. Aucun
des camps ne semblait se soucier du danger que leul)1uttes faisait courir à l'Etat.
Chacun jettait l'anathème sur son ennemi. Les marabouts disaient qu'ils étaient prêts
à s'allier avec n'importe qui afin de hâter la destruction de cette abominable tyrannie.
En 1827 sous la conduite de Njaga Issa Serigne Koki les marabouts du
/
/
Njamburprirent encore les armes, mais connurent à nouveau l'amertume de la défaite.
Leur chef se réfugia au Walo où Il rallia à sa cause les musulmans du pays victimes).
comme les badOlo}e la politique de colonisation agricole qui les avait dépossédés de
leurs terres. Les Français inquiets pour leurs concessions intervinrent énergiquement
contre les rebelles. Njaga Issa s'échappa et alla s'établir au Cap-Vert alors que son
lieutenantDiiie Fatim Cam fait prisonnier fut pendu en public56 • Le danger avait été jugé
A
trop grave par Saint-Louis de voir s'installer au Walo une force hostile et qui de surcroit
-
I l !
~
84
avait pour objectifs avérés de mettre un terme à la colonisation agricole et de
redistribuer les terres aux badolo.
Malgré le grand retentissement des échecs des marabouts, l'islam n'en
continua pas moins à faire des adeptes. Il attirait de plus en plus les victimes de l'ordre
établi qui avaient la certitude que la réalisation du programme des marabouts pouvait
seule les libérer de l'oppression. La multiplication des conversions portait systémati-
quement atteinte à l'assise politique et humaine de l'aristocratie dirrigeante.
LES LUTTES DES FACTIONS
les membres de l'aristocratie s'étaient toujours entendus pour lutter ensem-
ble contre le danger maraboutique qui menaçait leur prépondérance. Aprés le
rétablissement de l'ordre, les
différentes factions politiques retournaient à leurs
rivalités sanglantes.
Au SUn et au Salum la loi successorale était relativement respectée. Les rois
se succèdaient en général dans la ligne collatérale maternelle en respectant l'ordre
suivant: D'abord les frères, puis les neveux en lignée utérine. Cette filiation collatérale
utérine devait aux yeux du peuple donner des souverains ayant réellement têté le lait
sacré de l'aieule gelowar.
Pour écarter le spectre de la guerre civil, le grand Jaraaf tenait une sorte d'état
civil mental dans lequel il inscrivait les noms des princes gelowar selon l'ordre de leur
naissance. Pour éviter toute erreur, il plantait, dans un endroit réservé à cet effet selon
un alignement sûr, un arbre auquel il donnait le nom de l'enfant dont la naissance venait
de lui être annoncée. Ainsi à chaque vacance du trône il n'éprouvait aucune difficulté
à identifier avec certitude le plus âgé des princes gelowar devant accéder à la royauté.
Le second sur la liste devenait Bumi et le troisième Cilas. C'est la parade qu'on
avait trouvée pour éviter les frustrations toujours porteuses d'une grande instabilité
politique. Le fait que tous les princes du Siin et du Salum appartinssent à la même
filiation utérine gelowar n'était pas étranger à cette commune fidélité à l'institution
étatique. Le grand Jaraaf et le grand Farba réussissaient toujours en cas de menace
H2
8 5
de rebellion, ou de conflit armé entre les princes gelowar à les accorder sur une solution
qui reposait en définitive sur le respect de la constitution. I/s barraient ainsi la route aux
ambitieux au seuil de la révolte en leur montrant qu'en se dressant contre l'opinion
/
publique, ils n'avait aucune chance de parvenir à leurs fins. Ces mesures plus ou moins
habiles furent salutaires au Siin et au Salum qui restèrent pendant longtemps à l'abri
des guerres civiles.
Toutefois le système portait en lui même des germes de discorde qui
s'exteriorisaient, de temps à autre en affrontements violents. En effet les différentes
grandes familles patrilineaires Diouf, Faye et Ndiaye unies par des intermariages avec
les gelowars entendaient faire élire un candidat de leur patrilignage dans l'espoir de se
faire octoyer les grands commandements territoriaux. A chaque vacancefils multi-
pliaient les intrigues auprés du grand Jaraaf pour faire élire un prince de leur geno59•
Jusqu'au milieu du XIX· siècle le grand Jaraaf avait respecté la légalité. Mais à sa
première défaillance ce fut la guerre civile. Au Kayoor et au Bawol l'existence de
plusieurs matrilignages princiers habilités à donner des souverains a eu des consé-
quences tragiques dans la lutte pour le pouvoir. C'est ainsi qu'à la fin du XVII· et au
début du XVIII· siècle le matrilignage Geei, appuyé sur une imposante armée d'escla-
ves put imposer sa prépondérance à ses rivaux non sans difficultés. Car les autres
refusèrent de se résigner à une situation qui donnait aux Geei le monopole du pouvoir.
S'alliant tantôt avec le trarza ou le WaljilS contestèrent la suprêmatie des Geei les
armes à la main. De 1749 à 1758, Mahawa, de matrilignage dorobe, put s'emparer du
pouvoir au Kayoor et contraingnit ses cousins ou frères Geei à l'exil. Mais cette victoire
fut sans lendemain et ne remit pas fondamentalement pas en cause une prépondé-
rance acquise depuis la fin du XVII" siècle.
En revanche ceux qu'on appelle Domi Bur, c'est à dire les enfants issus de
mariages entre hommes de patrilignage Fall et de femmes libres ou esclaves sont au
centre des rivalités politiques auxquelles ils donnaient une dimension nouvelle. la
stratégie matrimoniale des différents princes et des différents matrilignages accrut le
nombre de descendants de Amari Ngoné Sobel. la recherche d'alliés puissants chez
les grandes familles libres donna finalement naissance à cette catégorie qui bénéficia
-
N~
Q 6
d'un statut social élevé car dans la hiérarchie sociale leur ordre venait immédiatement'
aprés celui des Garmi60•
Ces domi bur se répartissaient en trois branches rivales toutes issues du
même ~~ari Ngoné Sobel Fall. Ce sont les K~jJr"' Majoor, Candella, Ceyasin.
Tout se passait comme sipour sortir de l'anonymat qui avait été jusqu'alors le sort de
tous ceux qui n'étaient pas nés garmi, ces descendants de roi ou de gens de sang royal
décidèrent de valoriser leur patrilignage afin de justifier les privilèges qu'il revendi-
quaient. Au Kayoor et au Bawol la pluralité des matrilignages princiers habilités à
donner des candidats à la royauté eut, dans la compétition pour le pouvoir des
conséquences tragiques. L'objectif de chacun de ces clans patrilinéaires était de faire
élire un candidat issu de son segment. Jusqu'à lafin XVWsiècle la branche Keur Majoor
avait conservé le monopole du pouvoir au Kayoor et au Bawol. Puis elle fut éclipsée
par ses rivales Keur Candella et Keur Ceyasin qui se disputèrent le pouvoir du règne
de Latsukabé à la conquête coloniale.
Désormais chaque fois qu'un roi était élu, les commandements qui revenaient
de droit aux Domo-Bur, étaient distribués à ses parents de même clan patriliéaire que
lui. 1/ savait que leur sort serait intimement lié au sien, que sa mort ou sa destitution
entraineraient un changement du personnel administratif et politique au profit du clan
vainqueur. C'est pour cela que les Domi-Bur mettaient un point d'honneur à défendre
le régime de leur clan patrilinéaire avec d'autant plus de vigueur et de constance que
~
c'étaient leurs propres privilèges qu'~ sauvegardaient.
Les rivalités entre ces différents clans s'ajoutèrent aux compétitions entre
matrilignages princiers. Les guerres civiles devinrent plus fréquentes et plus atroces.
Vainqueurs et vaincus ne vivaient que de pillage. La loi du plus fort régnait exclusive-
p"sei."l
ment. Les prétendants au trône n'avaient plus ~è:Je faire preuve de sagesse, de
moralit,pour obtenir les suffrages des grands électeurs, mais de courage, de témérité
voire de cruauté. Chaque vacance du pouvoir était l'occasion de luttes sans merci à
l'issue des~IIes les candidats évincés se jettaient sur les routes de l'exil avec leurs
partisans;achevant de dépeupler leurs pays déjà terriblement dévastés par leurs
querelles. Avec l'appui de quelques rois voisins ils essayaient de rallumer à nouveau
N~
8 7
la guerre toujours féconde en morts et en destructions·2• Aucun clan n'acceptait de se
laisser ravaler au rang de badolo par une longue éviction du pouvoir.
Sous le règne de Amari Ngoné Ndella Kumba, Birima Fatma Cub du clan Ktpr
Candeil a émigra au Siin et au Salum pour n'avoir pas à subir la malveillance de son
oncle. A la mort de ce dernier, appuyé par son clan patrilinéaire, il prit le pouvoir au
Kayoor puis envahit et conquit le Bawol aprés la bataille de Njardem en 1822. Le clan
Ceyasin battupbtint à son tour l'asile politique au Siin d'où il multiplie,. les incursions
contre le Bawol pour rendre fragile l'autorité du vainqueur"'.
A la mort de Birima en 1832 Meissa Teind Joor de K~,r Ceyasin lui succéda.
Avec l'aide des esclaves Geej il s'empara du BawoJ que venait d'occuper Makodu du
clan Keur Candella. A la faveur d'une invasion du Kayoor par le Trarza en 1844 un
prince Malikumba Jaring Fall Candeil a entre dans le pays et se fait nommer Teerï64. Le
damel se mit aussitôt en campagne et le Bawol fut mis à feu et à sang. Malikunba
mourut empoisoné en 1850 non sans avoir entrainé dans sa rebellionla mort de tous
les enfants mâles de son rival à la bataille de PUt"5. A "avènement de Birima Nqoné Latvr
les mêmes affrontements se poursuivirent entre les deux clans avec la même âpreté.
Maître du Kayoor, Birima profita du soulèvement de son jawrin Mbul, soutenu par
Ceyasin roi du Bawol pour conquérir et donner ce dernier pays à son père. Ceyasin
vaincu dans les différentes rencontres recourut à une guerilla qui ruina totalement le
pays pendant cinq ans. Ces clans qui se disputaient ainsi le pouvoir prenaient l'allure
de "partis politiques" dont l'objectif était la conquête du pouvoir par les armes. Les
différents matrilages alliés aux différents clans rivaux sont tiraillés. Au gré des mariages
ils ont des enfants qui appartiennent à tous ces clans. Les conflits armés leur
apportaient toujours le deuil.
Ainsi quand on considère l'ensemble des Etat Woloff-Sereer au milieu du XIX·
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que
fussent les modalités de leur accession au pouvoir, les souverains parvenaient
toujours à donner à leur régime les apparences de la force. L'autorité semblait être
légitime du moment que l'élu ou l'usurpateur appartenait à l'un des matrilignages
K2
88
princiers. Mais à l'analyse ces pouvoirs étaient tous frappés de déficiences plus ou
moins profondes qui étaient autant d'hypothèques pour leur avenir.
Sauf au Siin et au Salum, les conseils des grands Electeurs dont la fonction
primordiale était de veiller à l'équilibre des pouvoirs pour empêcher l'instauration de
la tyrannie, n'étaient plus que de vulgaires chambres d'enregistrement prêt~à
entériner la volonté des captifs de la couronne ou celle de la faction victorieuse entre
celles qui se disputaient le pouvoir.
Malgré les progrés de la centralisation, certaines collectivités préféraient rester
à la périphérie de l'Etat car leurs relations avec le pouvoir central se réduisaient au
paiement d'un tribut annuel. Jalouses de leur autonomie, fidèles à la religion ances-
trale, elles observaient des rites qui les enracinaient chaque jour davantage dans leur
terroir et les mettaient en état d'insurection perpetuelle contre l'autoritarisme du
souverain. Les clans C8S Domi Bu: par leursrivalités sanglantes ignoraient les risques
qu'ils faisaient courir à leur pays. Les différentes factions guettaient à tout moment
l'occasion d'exprimer leur contentieux en luttes violentes. Le personnel politique au
sommet du pouvoir n'est plus au service de l'Etat mais d'un homme dont le sort était
devenu inséparable du sien. La notion de service public n'existait plus.
Les sujets ne bénéficiaent que d'une sécurité relative, compromise à chaque
instant par les troubles politiques. La loi successorale n'avait plus de consistance. La
désignation à l'avance d'un Bumi, d'un Calaw ou d'un Jambur ne suffisait plus à
empêcher la compétition.
Ces faiblesses ne signifiaient pas pour autant une débilité totale des Et4)
Une armature solide existait pour assurer une certaine continuité dans l'insta-
bilité. Les victimes de pillages en l'occurence les Badolo ne se constituèrent jamais en
bandes pour essayer d'assurer par la force la protection de leurs biens et de leurs
personnes que leurs défenseurs naturels n'étaient plus en mesure de leur offrir. La
révolte qu'on mettait à leur actif étaient circonscrites à quelques villages et la sévérité
et la promptitude de la répression de la dissidence ôtaient aux autres toutes idée de
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N2
8 9
En revanche les marabouts se présentaient comme force politique prête à
prendre le relai et éprouvaient un malin plaisir à dénoncer sans retenue les scélérates-
ses impies des dirigeants. Chaque fois qu'ils se sentaient assez forts pour prendre le
pouvoir ils n'avaient pas hésité à prendre les armes. Pourtant leurSéchecs successifs
ne les conduisirent pas à ce morne sentiment de l'inanité de l'effort qu'on nomme
résignation.
En passant en revue, les uns aprés les autres, les différents éléments qui, par
leur consistance intrinséque, auraient dû concourir au renforcement de la puissance
des Etats Woloff-Sereer au milieu du XIX· siècle, on est obligé de constater qu'ils sont
tous frappés de fragilité. La force érigée en valeur politique enlèva aux Etats toute
profondeur humaine et provoqua un divorce quasi total entre les sujets et l'aristocratie
dirigeante. Cette rupture rendra difficile la mobilisation des populations autour des
notions de liberté et de patriotisme. Pour justifier la défaite on fera totalement
abstraction des faiblesses des Etats provoqués par les guerres incessantes sous la
pression de la traite négrière et on invoquera les trahisons pour leur attribuer les
malheurs de la patrie.
1- Modu Ngoné Jey : Tradition recueillie en Mars 1976 à Njefun.
2- Modu Ngoné Jey : Tradition recueillie en Mars 1976 à Njefun.
3- Idem, Ibidem.
4- Jaraaf Ju Rey: signifie Grand Jaraaf.
5- Jambur signifie libre pour le différencier du diawdine Mboul Gallo le chef des
captifs de la couronne.
6- Les lignées utérines les plus connues sont celles des Wagadou, Mouyoye, Dia-
fougne, Dorobe, les Sogno, Bey, Guelewar
7- Amari Ngoné Sobel Fall est l'artisan de la secession du Kayoor et du Bawol c'est
pour cela que dans les royaumes le patronyme du souverain est toujours Fall.
8- Ce sont familles royales. On est Garmi par sa mère quelque soit le statut du
père.
9- Seb Ak Bawor : signifie ceux qui cultivent ou qui pêchent.
10- Gueye Mbaye : Le pouvoir politique en Sénégambie du XVI· au milieu du XIX·
1980.
11- Gueye Mbaye : Ibidem.
12- Gueye Mbaye : Ibidem.
13- Gueye Mbaye: Ibidem.
9 0
14- Gueye Mbaye : Ibidem.
15- Gueye Mbaye.
16- Gueye Mbaye : Le pouvoir en Sénégambie.
17- Gueye Mbaye :Ibidem.
18- Gueye Mbaye : Op. cit.
19- Gueye Mbaye : Op. cit.
20- Mboul, Jamatil, Ndiol, Gaten, Mekhe, Gaal, Palmew sont les lieux de résidence
de ces Lamanes qui portent le titre de Botal à Ndiob, de Badie à Gaten.
21- Ndioung-Ndioung sont les tambour royaux au Siin et au Salum
22- Njanjari et Deeg-Daw sont ceux du Kayoor et du Bawol. Ils sont faits les pre-
miers avec des peaux de lions les seconds avec celles des lionnes.
23-Berenger F. : (page 46).
24-Carlus : Les Sereer de la Sénégambie: Revue de géographie VI. 1880
(page105).
25- Carlus: Op. Cit. (page 104).
26- Carlus: Op. Cit. (page 104).
27- Noirot. Notice sur le Siin Salum (Fatick, 5 Décembre 1894)
28- Renseignements fourni par Kanni Sambe
29- Aujas : Op. Cif., (page 299).
30- Noirot: Notice sur le Siin 13 G 327 (1896).
31- ANS 13 G 327: Notice sur le Siin 1896.
32- Seuff signifie transporter. Ils doivent fournir à l'armée les moyens de transporter
à l'endroit désiré toute la logistique.
33- Oumar Bâ : La pénétration française au Cayor 1976 (pages 162-163-164 ).
34- AN.F.O.M., AO.F. XVIII- 2 Bis Noirot : Aperçu sur la situation du Siin 1896.
35- ANS 13 G 327 : Noirot notice sur le Siin 1896.
36- Bâ Omar La pénétration française au Cayor 1976 (page 163)
37- Bâ Omar: Op. Cit. (pages 164-165).
38- ANfOM : XVIII 2 bis: Notice sur le Sine 1896.
39- Idem, Ibidem.
40- Marmier : Notes sur le Bawol in BCAF 1898.
41- Labouret: A la recherche d'une politique indigène BCAF 1930.
42- Marmier : Op.cit ibidem.
43- Boilat: Esquisses sénégalaises (page 91).
44- Aubry Le Comte: Rapport sur la collone du Ndieghem (1 Avril 1898)
45-AN.S. 1 G 337 Merigraphe du cercle de Thies 1910
46-AN.S.1 G 337 Ibidem
47-Laprade : Notice sur les Sereer .In annuaire du Sénégal et dépendances 1865
(page 137)
48-Laprade:ibidem (page 138)
49-Noirot : Notice sur le Sine Salum
50-Idem Ibidem
51-Klein: Islam and imperialisme
52-Ba Omar Op.Cit. (pages 163-164)
53-Pinet Laprade :Op.Cit.(pages 139)
54-Diop AB. : La société Wolof (page 220 à 222)
55-Lamiral: L'Afrique et le peuple affricain Paris 1789 (page 187).
56- Sabatier: Le Sénégal, sa conquête et son organisation :1925, (pages 391-392)
57- Renseignements de la tradition orale fournis par Kani Sambe.
58- Diop A.B. La société Woloff Khartala 1981 ,(pages 229-231).
59- Geno signifie ceinture et par extension désigne la parenté consanguine.
60- Diop A.B. : OP. Cit. (page 174).
61- Keur signifie maison paternelle, par extension clan patrilinéaire.
62-1 G 291 : Monographie du cercle de Louga. Belstem Ferige 1904
63- Sabatier: OP.Cit. page 393.
64- Boifat Op.cit (page 62-63).
65- Boifat OP.Cit. (page 63).
f=
92
CHAPITRE IV:
L'ORGANISATION SOCIALE
La société des Etats Woloff-Sereer était fortement hiérarchisée sauf dans les
(,isolats» du pourtour de la falaise de Kees et dans la zone deltaïque du Salum où
l'évolution des populations avait suivi un rythme plus lent. Partout régnaient soit les
distinctions sociales, soit des classifications de clans'. Mais toutes ces populations
communiaient dans le même culte à la terre nourricière. Le travail de la terre était pour
elles le travail noble par excellence. C'est pour cela,que même avec la naissance de
la monarchie, les cultivateurs furent considérés comme la première couche sociale qui
assura sa prépondérance sur les léviers de l'Etat. Ceci était si vrai que les cérémonies
de couronnement ne manquaient pas de rappeler aux souverains que leur fonction
primordiale était d'apporter la prospérité à leurs sujets en écartant du pays tout ce qui
était susceptible d'y compromettre les récoltes. Le culte des ancêtres ou des génies
associés au contrôle des phénomènes de la nature n'avait d'autre objectif que
d'obtenir d'abondantes récoltes et de faire prospérer les troupeaux.
Personne ne devait échapper à l'obligation du travail agricole auquel l'enfant
était trés tôt initié. Seul le travail permettait à l'homme d'acquérir de la dignité et de la
conserver. Ceux qui vivaient de mendicité étaient naturellement méprisés. C'est donc
en fonction des exigences de la terre que s'établirent les contingences sociales et que
se réglèrent leur statut et leur place dans le cadre du système des valeurs ainsi élaboré.
Les gens des castes artisanales étaient dans une position infériorisée par rapport aux
paysans éleveurs et pêcheurs parce que leurs activités n'étaient perçues que comme
de simples appoints du travail agricole. Il en découla des préjugés sur leur prétendue
infériorité sociale qui déboucha sur une certaine ségrégation. On disait que ceux qui
n'avaient pas la même salive ne devaient pas «manger le couscous à la même
calebasse2».
On peut dire que la première structuration de la société Woloff-Sereer était
surtout commandée par la position des groupes par rapport au travail agricole ou para-
agricole. La société était divisée en deux catégories. Les geer c'est à dire tous ceux qui
Iig .'''Ji: 9 ~
exerçaient un métier autre qu'artisanal. L'artisanat leur était interdit. A côté de ce
groupe étaient les lÏleeno ou tous ceux qui faisaient profession d'artisans. Ils étaient
répartis en castes dont les caractéristiques essentielles étaient la fixité héréditaire de
la condition sociale, l'endogamie, et l'artisanat dans la profession3•
Cette hiéarchisation sociale fonctionna dans les sociétés qui nous intéressent
sans grandes modifications, et ce, jusqu'au moment où la traite négrière introduisit un
autre critère de différenciation sociale fondée sur une distinction du statut des individus
entre les hommes libres (Gor) et les esclaves (les Jam).
L'esclavage était certes une institution trés ancienne en Sénégambie. Mais
avantlatraite atiantiqu51etrafiCqui l'alimentait était de dimension modeste. Il permettait
de réintégrer socialement des individus ayant perdu leur famille à la suite de guerre
malheureuse ou de calamités. Car dans son essence, l'organisation de la famille
africaine excluait l'isolement des individus. L'idéal social c'était une existence commu-
nautaire fondée sur de puissants rapports familiaux en vue «d'une vie ordonnée et
sûre'». L'homme ne comptait ~_~Ié'ri;'~nt d'un ensemble harmonieux et
homogène. Dans ces conditions un homme isolé, sans famille, n'avait aucune chance
de survie. L'asservissement des vaincus ou des victimes des calamités naturelles ou
accidentelles n'était qu'un moyen commode et humain de leur redonner un cadre de
vie toujours accordé à leurs préoccupations terrestres. Livré à lui même, l'individu
connaissait une situation précaire. Son salut ne résidait plus que dans son insertion
dans une autre cellule familiale. Celle qui l'accueillait l'assimillait totalement en lui
conférant une nouvelle identité. En effet on lui faisait porter le patronyme de sa nouvelle
famille. Il bénéficiait de droits précis. L'intégration de ces éléments ne présentait pas
de danger majeur pour le groupe acquéreur. Elle ne modifiait ni l'équilibre de la famille/
ni ne portait atteinte à la pureté éthnique du moment qu'elle neconcernait que de toutes
petites minorités.
Avec la traite atlantique l'effectif de la population servile prit de grandes
proportions. L'accroissement du nombre des esclaves amena les maîtres à pratiquer
à leur endroit une véritable ségrégation. Certes on cherchait des esclaves pour
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n'était plus l'agriculture mais la guerre. Les nobles, s'adonnant de plus
plus à
industrie fort lucrative, recrutèrent une main-d'oeuvre toujours plus nombreuse pour
cultiver les champs dont ils ne s'occupaient plus ou les utilisaient comme auxiliaires
lors de leur opérations militaires. Ces esclaves étaient devenus les piliers de l'écono-
mie de ces sociétes guerrières.
C'est pour cette raison qu'on les parqua dans des villages spéciaux de culture
appelés daga par les Sereer, gallo par les Wolof. Dès le début du XVIIIe siècle les
campagnes des Etats Wolof-Sereer étaient hérissées de villages d'esclaves. Dans les
villages des maîtres ils occupaient des quartiers spéciaux appelés encore gallo. Dans
l'administration du Kayoor, les esclaves de la couronne étaient nombreux depuis que
Latsukabe et ses successeurs avaient décidé de les utiliser comme instrument de leur
puissance. Cette augmentation du nombre des esclaves dans la société créa un autre
clivage fondé sur le statut de la personne. La place de l'individu dans la société était
désormais commandée par sa condition libre ou servile. \\1 y eut là une autre partition
binaire entre les hommes libres (Gor) et les esclaves (Jam). Cette hiérarchisation ne
•
f4ifpas disparaitre pourtant celle qui avait été établie sur la base professionnelle. Elle
l'intégra tout en lui laissant ses modalités de différenciation.
Avec les progrés de l'islam à partir du XVIIe siècle un autre clivage, fondé sur la
)
foi comme discriminan),fait son apparition dans la société. Aprés avoir essayé, à
plusieurs reprises/mais en vain, de s'emparer du pouvoir par la force, les marabouts
transfèrèrent la lutte sur le plan idéologique. Contre la strate dirigeante ils multiplièrent
lesanathèmes, dénoncèrentavecvigueur leurviede débauche etde banditisme. Dans
leurs sermons ils condamnaient sans réserve toutes les conduites non conformes à
la loi islamique. Dans ce conflit qui les opposait à l'aristocratie dfrigeante, les
marabouts remplirent le mot Ceddo, par lequel on désignait cette caste, d'un contenu
péjoratif qui n'avait rien à voir avec son acception première. Au départ le mot Ceddo
désignait les guerriers. Par extension le mot inclut tous ceux qui faisai~rtie du
personnel politique et administratif y compris les captifs de la couronne intimement
associés à l'exercice du pouvoir. Parmi les hommes libres (Jambur) seuls acquirent ce
titre ceux qui avaientfait leurs preuves à la guerre ou qui étaient descendants d'anciens
~
95
Dés le XVII" siècle le mot prit une connotation péjorative pour dénoncer les
1
turpitudes de l'aristocratie passant son temps en festins et en amours. Bref le ceddo
était le païen paresseux, ami du plaisir, ennemi de la religion et du travail, capable des
pires perversités et des pires cruautés. On les disait avides de pillages, vivant de
meurtres et de rapines et qui formaient de temps en temps des bandes de rapaces par
centaines dont «la voracité était bien supérieure à celle des sauterelles6". Bref ils
constituaient pour les agriculteurs comme pour les éleveurs une vraie peste intérieure
répandant partout la mort, la souffrance la ruine et la servitude.
Si les marabouts détestaient à ce point le ceddoJc'est que leurs prédications
avaient passé sur lui, sur sa terre, sa famille, ses villages, sans le marquer de leur
empreinte. Il ne s'était jamais plié à l'étroite loi religieuse et politique du prophète. Il
croyait en un Dieu mais il ne supportait aucun joug. «Libre il était né, libre il mourait, et
gaiement, toujours debout, bravant l'ennemi et lui jetant, avec une dernière insulte, une
dernière volée de poudre et de feu7".
Dans son existence quotidienne le ceddo chantait, riait et buvait. Il respectait
ses coutumes, méprisait le marabout qu'il considérait comme un badolo. Entre les
deux groupes aucun compromis n'était possibles. Pour le musulman la place de
l'individu dans la société était fixée par la Foi, la crainte sincère du créateur. C'est pour
cela qu'ils essayaient de ramener les différentes catégories sociales à deux groupes:
Les musulmans et ceux qui demeuraient fidèles à la religion ancestralel.
Comme on peutie remarquer Je binôme marabout païen n'était pas suffisament
riche pour traduire toutes les nuances de la société Wolof-Sereer. L'égalitarisme
musulman qui proclamait \\' égalité de tous les croyants devant Dieu n'admettait pas les
critères traditionels fondant la hiérarchisation sociale sur des considérations étrangè-
res à leur religion.
En jetant donc un coup d'oeil sur le rythme d'évolution de la société on se
persuade rapidement que la bipolarisation entre hommes libres et esclaves étaient
plus opératoire pour la compréhension de la société wolof-Sereer.
N~
9 6
Celle-ci se composait donc de deux groupes les Jambur (libres) et les Jam
(esclaves). L'un et l'autre étaient subdivisés en catégories sociales prenant en
considération tantôt la profession tantôt le statut juridique.
LES HOMMES LIBRES
Au sommet de la catégorie des hommes libres étaient les garmi ou les princes
des royaumes. Ils étaient issus des princesses appartenant auxmatrilignages habilités
à fournir des candidats à la royauté. Le statut de garmi se transmettait uniquement par
la filiation utérine. Au Kayoor et au Bawol il y avait sept matrignages garmi : Muyoy,
Wagadu, Jaafun, Sono, Bey, Dorobe, Geej9. Exception faite du matrilignage Geej, le
dernier en date, les autres étaient d'origine étrangère Manding ou Toucouleur. Au
lendemain du coup d'Etat qui lui ouvrit les portes de la royauté, Latsukabé fit de son
matrilignage une lignée garmi à laquelle il donna le nom de Geej qui signifie la mer pour
rappeler que les armes qui lui ava~nné la victoire sur ses frères lui avaient été
vendues par des gens venus de l'océan.
Au Siin et au Salum c'était le matrilignage gelowar qui fournissait exclusivement
les garmi éligibles dans ces royaumes. C'était également une dynastie utérine
d'origine étrangère qui s'était imposée à la population, première occupante du sol.
Avant l'islamisation, ces familles garmi, parmi lesquelles on choisissait les
candidats à la royauté, étaient l'objet d'un véritable culte de la part de leurs sujets. Le
souverain quel que fût son matrilignage était divinisé. Il incarnait l'unité spirituelle d'un
peuple aux composantes ethniques diverses et dont les particularismes pouvaient à
tout moment compromettre la politique de centralisation du pouvoir central. L'islami-
sation ne modifia pas fondamentalement leur place dans la société} [{çlr le peuple I#i
ne prononçait son nom qu'avec respect. Aucun homme n'osait porter la main sur eux.
"Même à laguerre, il fallait avoir une balle d'or dans son fusil pour oser viser un Gelowar.
Si un prince gelowar était fait prisonnier on se contentait de l'entourer et de lui couper
seulement la bride de son cheval pour l'empêcher de fuir. Puis on l'amenait sans
brutalité au chef'o". Le peuple était convaincu qu'en versant le sang garmjle terribles
calamités viendraient semer la mort et la désolation dans le pays. C'est pour cela que
"
N~
9 7
quand le grand Jaraaf décidait même dEi destituer le roi, il évitait de le tuer. Il faisait battre
les tam-tams royaux d'une certaine façon pour l'inviter à prendre ses bagages et à
gagner la frontière. Une guerre n'était vraiment meurtrière aux yeux de la population
que quand elle avait entrainé la mort de deux ou de trois garmi.
Avec les cllangements intervenus dans l'organisation de l'Etat consécutive-
ment à la traite négrière, les garmi se spécialisèrent à la guerre. Ils formèrent une
aristocratie militaire de «princes de lait" parce que ce qui faisait leur supériorité ce n'était
pas le sang paternel qu'ils partageaient même avec des esclaves au gré des mariages
de leurs péres, mais le lait maternel qu'ils avaient têté. L'enfant suivait la condition de
sa mère. Le ventre de la mère anoblissait ou avilissait. Personne ne pouvait devenir
garmi si sa mère ne l'était pas.
Ces «princes de lait» étaient les seuls candidats éligibles au Siin et au Salum.
Mais au Kayoor et au Bawolles candidats devaient descendre par leur père de Amari
Ngoné Sobel Fall, artisan de la secession de ces royaumes du Jolof. Dans l'état actuel
de la recherche il ne nous est pas possible d'expliquer les fondements de la supériorité
des garmi sur les autres couches de la population. Sauf pour les Gelowar dont la
prééminance reposait sur le droit de la conquête et pour les Geei qui se s'étaient arrogé
cette qualité par la force de leurs armes, aucune tradition ne fournit de renseignements
crédibles sur les fondement de cette supériorité des garmi. Peut-être qu'à l'instar de
certaines sociétés africaines on avait préféré dans un premier temps faire appel à des
étrangers pour leur confier le pouvoir monarchique afin d'en faire des dénominateurs
communs entre les différentes collectivités familiales. Il se peut aussi que la force fût
à l'origine de leur prépondérance p':Jlitique, mais qu'une idéologie bien distillée
transforma en supériorité, biologique. Le garmi était toujours crédité d'un pouvoir
surnaturel. On lui attribuait la capacité de se transformer en animal pour se protéger
des maléfices de ses ennemis. Mais sous l'elfet de l'islam il prit progressivement sa
dimension humaine. Chaque famille Garmi gérait en général plusieurs apanages. C'est
parmi les garmi que le souverain choisissait les dauphins tels que les Bumi, le Cillas,
le Callaw, le Jambol', le Bejenne. Lesfernmes garmi recevaient également en comman-
dement des unités administratives quand elles étaient Lingeerc'est à dire reines-mères
. f'
ou Jee premières femmes du souverain. Pourtant dans leur vie intérieur/ces souverains
menaient une vie simple. Leurs cases, leur nouriture, leurs vêtements ne différaient
guère de ceux d'un Jambur (homme libl·e). Mais lorsqu'une cérémonie leur donnait
l'occasion de se produire en public, ils fai~;aient étalage de tout leur orgueil. Montés sur
des chevaux qui coutaient jusqu'à dix e~;claves, portant de belles armes, ils apparais-
saient en public précédés de leurs griots qui chantaient leurs louanges et entourés de
leurs captifs en armes dont le nombre élait fonction de leur puissance.
L'éducation physique des jeunes garmi était trés soignée. Trés tôt ils s'exer-
çaient à l'équitation, à la lutte, autir à l'c.rc et au fusil et souvent sur des cibles humaines.
En revanche pour leur éducation morale et intellectuelle, on s'attachait à ne développer
chez eux que l'orgueil. Nuit et jour les griots chantaient les hauts faits de leurs ancêtres
et leurs propres louanges. Comme camarades de jeux ils avaient à leur disposition de
jeunes esclaves dressés à leur obeir en tout, «à satisfaire leurs moindres caprices"".
Orgueilleux et autoritaire à l'excès, confian\\Jdans leur seule force physique, les garmi
arrivaient à l'âge d'homme tout préparés à devenir des tyrans, d'autant plus terribles
que beaucoup d'entre eux dans leur cesoeuvrement s'adonnaient au sangara, à
l'ivrognerie. Malheur au pays si le souver.'lin manquait d'autorité 1Tous ces hobereaux
qui ne reconnaissaient d'autre droit que la force se transformaient en coupeurs de
route. La chasse aux captifs et aux boeufs devenait leur principale distraction. «La
supériorité des garmi ne se traduisait pas comme pour les Geer «dans le système des
castes, par un échange de don inégal en leur faveur, mais par une exploitation des
ordres inférieurs; et si par ailleurs ils entretenaient généreusement une clientèle, celle-
ci suivait leurs ambitions pour les aider à contrôler le pays ou à accéder au pouvoir'>.
A l'intérieur de ce microcosme qarmi (i/1 décele une certaine différenciation. Le garmi
qui est d'un père se dit garmi des deux côtés: il est garmi gararar et se disait supérieur
à celui qui avait obtenu cette qualité que par sa mère.
LES DOMI-BUUR
Au dessous des garmil venaient les domi-buur La stratégie matrimoniale des
matrilignages garmi conduisait les souverains à prendre femme même dans les milieux
castés. Ainsi des épouses Jambur (libres) badolo (roturières) esclaves (Jam) et garmi
99
-
cohabitaient souvent dans les cours rr:yales du kayoor et du Bawol. Au Siin et au Salum
les rois évitaient de prendre pour femmes des épouses gelowar car dans ces
conditions ils se seraient condamnés à la monogamie. En effet la princesse Gelowar
ne tolérait la présence de co-épouses qu'à la condition de les réduire en esclaves et
qu'elles acceptassent de lui abandonner tous leurs biens. Le roi nécessairement
polygame choisissait ses femmes en dehors des gelowar"- .
Les domi-buur (fils des rois) ét3ient les enfants issus de Amari Ngoné Sobel Fall
parleurs pères ou leurs mères et qui Il'étai~e statut garmi. C'étaien{~~ants de
patrilignage Fall au Kayoor et au Bawo!. mais fils de gelowar et de femmes libres ou
esclaves au Siin et au Salum, ou frères Cc)t soeurs de pères gelowar. Les enfants issus
de ces unions qui avaient du «sang rOYéil» dans leurs veines formaient la catégorie des
Domi-buur. Certes ils ne pouvaient accéder au trône en raison du statut de leurs mères,
mais trés rapidement ils réussirent à donner à leur patrilignage une importance
)
politique trés grande. La lutte pour le pouvoir prit en considération leur appartenance
à l'un ou l'autre segment patrilinéaire r]ui se disputait le pouvoir. Pour eux le travail noble
par excellence n'était plus l'agriculture mais la guerre.
Métier plein de risques et qui devait conférer à ceux qui s'y adonnaient des
privilèges. Ces domi-buur, tous Ced_do se consacraient entièrement à l'industrie de la
guerre. Souvent ils se répandaient en vastes chevauchées, raflaient les troupeaux
aprés avoir tué les bergers «risquant toujours loyalement leur vie"». Cette aristocratie
du sabre et du fusil réussit par son coumge à se faire admettre comme la catégorie des
grands Jambur. Ils exerçaient des commandements de provinces, de cantons,
recevaient en apanage un ou plusieurs villages selon le statut de leurs mères ou la
considération que leur accordait le souverain. Ils prenaient le titre de Buur, de
Sandigee, de Saax Saax, de Laman. Tous entretenaient à leur solde un certain nombre
de guerriers et de chevaux 15.
Si au Siin et au Salum tout prince gelowar était éligilible à la royauté quel que fût
le statut de son père, au Kayoor et au 8awolla situation se présentait autrement. Les
unions hypogamiques de femmes [!~rrni avec des hommes d'un statut inférieur n'y
,
Wg
1 0 0
étaient pas rares. Il s'agissait toujouh de mariages avec de Jambur détenteurs do
grands commandements territoriaux et apparentés depuis longtemps~~f$aux
familles princières. C'était le cas de Jawrin Mbul'6, du Bar-geet'7, du JogomaylO, et du
Jawrin Njigeen'9. Les enfants issus des unions entre femmes garmi et ces grands
Jambur étaient des taan. Ils étaient garmi par leurs mères et n'éta~ éligibles au
Kayoor20 et au Bawol contrairement à la situation faite aux Gelowar qui étaient dans un
état identique au Siin et au Salum. Ces Jaan formaient la couche supérieure des domi-
buur.
LESJAMBUR
La troisième catégorie sociale était représentée par les Jambur c'est à dire les
grands hommes libres. Antérieurement à la constitution de la catégorie des domi-buur
les Jambur occupaient la deuxième place de la hierachie aprés les garmi.lls continuè-
rent de former néanmoins la noblesse. C'éta~ros propriétaires terriens dont les
ancêtres étaient les premiers occupants du pays. Avec la militarisation du pouvoir, ces
Jambur finirent par faire de la guerre leur activité principale. Ils firent appel de plus en
plus aux esclaves pour mettre en valeur leurs domaines. Ils comprirent que pour éviter
de voir les souverains et les domi-bur6les écarter totalement des avenues du POUVOij
il leur fallait se soumettre à la nouvelle èchelle de valeur secretée par le climat a'e
violence. A leur tour ils donnèrent au mot jambur, qui signifiait au départ, homme libre,
un contenu en adéquation avec l'idéal social. Le Jambur devint le notable, le proprié-
taire terrien membre des anciennes grandes familles lamanales et acceptant de
prendre une part active à la guerre. Il était avant tout guerrier s'alliant à l'un des clan~;
que formaient les dorni-bur dans leur compétition pour le pouvoir. Il n'était que trop
évident aussi que cette attitude constituait pour eux la seule parade à l'asservissement
qui les menaçait. Mêmerles collectivités familiales des Sereer du Bawol qui rejettaient
l'Etat avaient fini, pour se préserver ci,~~; razzia continuelles par choisir, parmi les clan:;
garmi,Un protecteur, qui royennant tribut, s'engageait à les défendre.
Cette noblesse terrienne était souvent unie par des alliances matrimoniales aux
garmi et a4l-domi-buur. Les enfants issus de ces unions devenaient immédiatement
domi-buur. Ces Jambur occupaient dl3 hautes responsabilités politiques et adminis-
H2
1 0
tratives. C'esten leur sein qu'étaitchD:si le grand Jaraafou Jawrin Mbul qui pouvait être
légitimement considéré comme le de'u:'ième personnage du royaume. L'administra-
tion de certains cantons et de certaines provinces leur était également confiée. Ces
charges étaient souvent héréditaires clans la lignée paternelle ou maternelle et se
y
transmettairPar «héritage brisé de frèrE à frère ou d'oncle à neveu"». Cette catégorie
était ouverte. Elle s'enrichissait d'éléments nouveaux acceptant de se conformer à ses
normes et valeurs. On y entrait par le courage et la fortune. Les hommes libres appelés
badolo ou roturiers y étaient admis chaque fois qu'ils faisaient preuve de courage voire
de témérité sur le champ de bataille. Ainsi dans un combat au lieu de se cacher ou de
demeurer dans les bagages de son suzerain un badolo pouvait s'accrocher à «la
queue du cheval de son maître et tous deùx, cavalier et fantassin entraient d'un élan
fantastique dans la phalange ennemie. l.e badolo n'avait que son poignard pour anne;
comme costume un lambeau de Guinée... Il était frotté d'huile d'arachides et glissait
comme la couleuvre hors de l'étreinte de l'adversaire; son gobard (poignard) coupait
les jarrets des chevaux, s'enfonçait dans leur ventre pendant qu'il clamait le nom du
guerrier auquel il s'était attaché en .); joignant le sien, encore inconnu. Le combat
achevé, il rentrait avec son maître, blessé comme lui, plus que lui presque toujours.
Et son maître le présentait au roi en disant: «Je te donne cet homme qui aujourd'hui
est devenu mon frère; tu as deux fils. Dès lors le badolo était un guerrier, un di amtu1'22".
Si le sort des armes était contraire, que le badolo revenait seul du combat
portant sur sa tête la selle de son maître, il était également sacré guerrier. Il venait
d'administrer la preuve qu'il était capable de défendre son pays et son peuple. Il avait
le droit d'assister aux délibérations des anciens2J. Pour intégrer la catégorie cles
Jambur par la fortune, le badolo se lançEj( généralement dans le commerce de détail,
faisait tous les métiers en réalisant des économies. Devenu riche il revenait dans son
village, achetait des troupeaux et des captifs agrandissait ses cases, distribuait des
cadeaux aux chefs, aux notables, étalait au grand jour ses richesses. S'il venait à
épouser une jeune fille dont les parents étaient des Jambur en leur versant une dot
considérable, il conservait son statut de badolo mais les enfants qui naissaient de cette
union suivaient la condition de leur m(jre et étaient Jambur.
1 0 'j1.•
C'est ainsi que se recrutaient les membres de cette catégorie sociale. Elle
s'appuyait sur des fondements solides, car elle «émanait de la bravoure et de la
richesse, et elle se rajeunissait sans cesse par l'apport de ces éléments, bases de toute
société forte2'». Avec l'expansion de l'islam certains marabouts qui avaient noué des
1
relations matrimoniales avec certaines familles garmi ou jambur bénéficiaient aussi du
statut de Jambur. Outre leur métier c:enseignement, ils exerçaient les fonctions de
prêtres, de medecins. Cette considération dont on les entourait, traduisait l'impor-
tance que l'on accordait de plus en plus au savoir. La science était en voie d'être érigée
en valeur dans le système social des Etats wolof-Sereer.
LES BADOLO
Le menu peuple libre et non casté formait la catégorie des Badolo c'est à dire
des gens totalement exclus du pouvoir,lls portaient le poids de toutes les iniquités
sociales. Ils étaient exploités par les domi-buur et les Jambur. Les prélévements qu'on
opérait sur leurs récoltes et leurs biens les mettaient en permanence dans une situation
de misère. Leur existence était précaire, ce qui expliquait en grande partie la faiblesse
des rendements agricoles car ils n'étaient jamais sûrs de tirer un parti quelconque du
produit de leur labeur. La moindre protestation de leur part entrainait des sanclions
pouvant aller jusqu'à leur réduction er, servitude et l'incendie de leur village25• Ils
vivaient toujours dans un climat de violance, de peur. On devine facilement les trésors
de haine, de rancoeurs qu'ils ont secrétés en eux contre leurs dominateurs qui leur
imposaient un régime d'asservissement.
LES ARTISANS
Le bas de l'échelle dans la catégorie des gQ[ (hommes libres) était occupé par
les gens de métiers c'est à dire ceux qui e:<eçaientles professions artisanales. Au milieu
du XIX· siècle ils ne jouissaient en Sénénambie que de peu de considération et dans
certains endroits ils étaient franchement méprisés. Dans cette société les métiers
nobles étaient la guerre et l'agriculture; ceux qui faisaient profession d'artisans étaient
dans une position inférieu~Leu~métierf, avaient subi depuis le XV· siècle la violente
concurrence de l'industrie europeenne qui avait inondé le marché d'importantes
1 0 J
quantités de marchandises à meilleur marché. Ceci entraina la dégradation de leurs
conditions d'existence, car les geer, les non.cast~ne percevaient plus la nécessité
d'entretenir des gens dont l'utilité était devenue discutable. Il n'est pas interdit de
penser que le mépris qui les frappait trouvait son origine dans la concurrence
européenne.
Ces gens de métiers ou de castes, si l'on veut, étaient repartis en trois grandes
corporations qui se subdivisaient chacune en un certains nombre de sous...castes.
C'étaient les Jëff-Lekk26 (ceux qui gagnent leur vie à la sueur de leur front.) Les Sapp-
Lekk27 (ceuxqui gagnent leur vie en imitant le chant des oiseaux) et enfin les Baw-Lekk26
Ceux qui aboyent comme des chiens pour gagner leur vie.
LesJëff-Lekk étaient ceux qui exerçaient les fonctions artisanales les forgerons,
bijoutiers (Ieugg) les cordonniers ~'i!!de), les boisseliers (Seen ou Laobé). Les
tisserands (Rabb).
Les forgerons fabriquaient les instruments de culture, des couteaux, des
hâches, des parures en or ou en argent pour les femmes, des ustensiles de cuisine.
Ils réparaient les fusils ou en fabriquaisnl par contrefaçon. Les poignards, les lances,
les sagaies provenaient de leurs ateliers. Avant la concurrence des produits euro-
péens, les forgerons, comme les autres artisans avaient le monopole des marcllés
locaux source de revenus fort substantinls. Les articles importés d'Europe, grâce à la
traite négrière, étaient plus diversifiés et souvent de meilleure qualité que les leurs. Ainsi
au lieu d'adresser des commandes aux forgerons on préféra acheter ce qui venait
d'Europe et l'utilité sociale du forgeron en reçut un coup. Certes les bijoutiers
continueraient à travailler pour la hau~e société, mais ceux qui s'étaient spécialisés
dans la fabrication des armes et autres instruments à usage domestique ne tardèrent
pas à constater la ciétérioration de leur conditions d'existence. Sauf pour certains
grands travaux que le roi leur demandait sous la haute surveillance du ministre chargé
de la forge, les artisans ne menaient qu'une activité réduite pendant la plus grande
partie de l'année. Les Geer qui les entretenaient cessèrent de les entourer de
considération et ils secr~tèrent même v:s à vis d'eux des comportements de rejet.
Hg
1 a1.
Les Wude ou cordonniers fais;;:ient des sandales, des selles, des brides. Ils
n'étaient pas non plus tenuJen haute estime en raison de la nature de leur travail qui
les obligeait à «manipuler des peaux en voie de putréfaction, à utiliser pour le tannage
et la teinture du cuir, des produits à forte odeur29». Pour éviter les nuisances qui
émanaient de leurs ateliers, ils habitaient des villages distincts appelés Kure où ils
avaient leurs puits propres. Forgerom; et cordonniers étaient souvent unis par des
intermariages bien que les premiers se considérassent comme supérieurs aux
seconds.
Les boisseliers (Seerï) se livraient à la coupe des arbres pour fabriquer des
pirogues, les armatures des selles, des écuelles. Ils habitaient toujours l'une des
extrêmités du village afin de ne pas salir les habitations avec les déchets de leurtravaiPO.
Les Seerï d'origine Wolof furent su;:plantés par les Lawbe qui les contraignirent à
changer de métier pour devenir forgerons, bijoutiers et cordonniers. Ces Lawbé
parlant, la langue peu le façonnaient comme les Seerï les mortiers, les pilons les
manches de hâches,et autres ustensiles en bois. Ils n'avaient pas de résidence fixe.
Ils s'installaient «dans une forêt se livraient à leur fabrication jusqu'à ce que tout le
monde aux alentours se fût procuré le nécessaire et s'en allaient ailleurs. Ils dormaient
à la belle étoiles"".
Les tisserands (Rabb) avaient subi plus douloureusement que les autres la
concurrence des textiles européens. Jusqu'au XVII" siècle chaque cellule familiale
cultivait son champ de coton dont ie produit travaillé par le tisserand (rabbJ2) de la
famille permettait de vêtir la maisonnée et de faire face aux autres besoins. Les bandes
de coton ainsi tissées étaient utilisées comme monnaies dans les transactions de faible
valeur vénale. Mais le commerce négrier inonda de tissus les marchés intérieurs. Avec
la vente d'un esclave un père de famille se procurait les pièces de guinée nécessaire$'
b"-~Oll'(\\)
aux ~de la famille. Dès lors letisserand perdit de son importance. De plus certains
chefs de famille puissants firent apprendre le tissage à leUl)eSClavesfondamnant ainsi
au chômage les tisserands qUPUsqU'c\\IOrjtravaillaient pour eux. Ne conservèrent leur
métier que ceux 6qui travaillaient pour la haute aristocratie. Au milieu du XIX" siècle la
situation des tisserands s'était sérieusement dégradée. Les progrés de l'indutrie textile
~R
1 0 5
européenne les mirent dans une siÎuation difficile. La plupart des tisserands se
reconvertirent dans d'autres métiers comme les Seen.
La corporation des Sapp-Lekk était constituée par ceux qu'on appelait les
maîtres de la parole allant des musiciens aux détenteurs des traditions historiques du
pays. La première couche était représentée par les griots (geeval en Wolof) (KC!!JJ en
Sereer). Les voyageurs Européens les créditaient d'une détestable renommée. Il les
•
considéraient comme les saltimbanques du pays leur reprochà!'ent de corrompre les
)
moeurs parce que l'islam n'avait pas pu avoir de prise sur eux». L'habitude de la
débauche, dit Herice, les tenait continuellement dans un état semblable à celle de la
brute. Les griots vivaient aux dépen~de la population et lui arrachaient, presque de
force, le salaire peu mérité de leur vile profession qui consistait à battre le tam-tam pour
amuser la jeunesse, jouer la comédie avec ballets et chants3J• Pour Bérenger-Feraud
le griot était un "musicien, un bouffon at par dessus tout un malhonnête qui, de père
en fils, allait s'imposant aux grands comme aux petitsphantant des louanges et des
viles flatteries; disant quelquefois de dures vérité au milieu des gambades et des con-
torsions les plus grotesques, épiant tout, faisant le magicien, espionnant les riches et
les puissants, enfin, tenant avec le man:\\boutla place importante dans la vie du pays"».
Les griots chantaient les louanges des riches et des puissants. Ni le roi, ni les ministres
ni le détenteur de la plus petite parcelle de l'autorité ne se déplaçaient, sans avoir dans
leur suite une troupe de "ces troubadours que n'effrayaient ni les hyperboles les plus
audacieuses, ni les mensonges les plLis grossiers. Ces griots avaient étudié l'histoire
des temps passés ; ils connaissaient, pour en avoir fait une étude spéciale la
généaologie... des races royales, et en mêlant habilement le nom de celui qu'ils
voulaient exploiter avec ceux des plus antiques aïeux, il stimulait la générosité de leur
auditeurs"'". Dans cette société de,!sllue militariste, ils étaient comme les censeurs
chargés de faire respecter par les membres de l'aristocratie les normes et valeurs nées
du climat de violence. C'est pour cela qu'ils célébraient avec emphase les prouesses
des gens hauts placés, le courage lucide de ceux qui dans des circonstances
exceptionelles avaient reçu "une bell'3 mort36". Ils vantaient toujours le courage, la
témérité la noblesse et la générosité cie leur Geer.
1
-
N2
1 0 6
Ces gens dont l'éloquence se nourissaient des prouesses de leur "geer" étaient
aussi trés courageux. Au combat ils marchaient en tête avec les tam-tams de guerre
qui rythmaient la marche de la cava/eris. Leurs paroles enivraient les guerriers et les
amenaient à mépriser la mort, à se jet'3r follement dans la mêlée37, bref à faire de la
guerre un jeu ou chacun rivalisait de témérité avec ses frères, ses cousins ou ses
parents par alliance. Ils subissaient souvent de lourdes pertes lors des combats. Ils
étaient toujours au coeur de l'action pour être à même d'en faire un fidèle compte
rendu.
Il n'y avait pas de fête, ni do cérémonie sans le concours des griots. Leur
présence était pour ainsi dire essentiell9 au fonctionnement de la société. Pourtant les
griots ne bénéficiaient pas, pour la période qui nous intéresse, des honneurs de la
sépulture. I/s étaient comme des paria. Quand ils venaient à mourir on le jettait dans
le creux d'un baobab tête en bas.
Les traditions historiques des familles et des royaumes étaient détenues par les
griots qui se les transmettaient de pères en fils. Pour assurer la bonne conservation de
ces traditions, les généalogistes récitaient périodiquement les listes officielles et toute
erreur dans la transmission était sandonnée d'une peine trés sévère. I/s étaient donc
les archives vivantes du pays dont la science était souvent nécessaire pour légitimer
tel pouvoir ou pour justifier telle autre ambition.
La hiérarchie des geewal épousaitfidèlement celle des geer. La position sociale
de chacun d'eux était déterminée par celle de la famille à laquelle il était rattaché par
le pacte de sang qui avait scellé l'alliance de leurs ancêtres. C'est pour cela que chaque
famille noble était liée à une famille de griots appelés (Geewal U Judu) griots de
naissance qui avaient la haute main ~,ur l'organisation des cérémonies familiales. Le
griot du roi se considérait comme supérieur aux autres geewal et sa famille refusait
souvent de se mésallier avec les griots occupant une position inférieure dans la
hiérarchie sociale. La question que l'on se pose est de savoir pour quoi ces griots
étaient méprisés alors qu'ils obeissaient aux normes secrètées par la société. A la
guerre ils marchaient en avant pO..tê'lt le drapeau (Raya), battant les tambours de
guerre, rallumant l'ardeur défaillante des combattants.
1 0 7
Au dessous des griots étaient les maabo, tisserands d'origine Tukuloor qui en
pays Wolof ou sereer avaient abandonné «leur profession et même tout artisanat pour
se faire chanteurs, musiciens, laudateurs38". Ils travaillaient aussi la terre et joignaient
à la culture des arts celle «d'un peuple' de mendicité et de beaucoup de vol'9».
Au bas de l'échelle sociale des hommes libres (gor) étaient les Baw-Lekk qui
exerçaient les fonctions les plus abjectes «Ils étaient portiers dans la demeure des
grands, assuraient la police des cérémonies... Porte parole de leurs maîtres, dans les
circonstances les plus délicates, ils faisaient preuve de liberté de parole, d'insolence
même capables de dire des vérités osées, rudes'O". Ces baw-lekk étaient représentés
par les Toole, les Noole et les bisseet. C'étaient les boufons du pays. C'est pour cela
qu'on les assimilait à des chiens. Selon la tradition orale recueillie par Diop abdoulaye
Bara cette catégorie d'individus serait le fruit d'une union sexuelle d'un homme mort
et de sa femme. L'enfant issu de cette union est l'ancêtre des Noole qui ont la
caractéristique «de se décomposer rapidement aprés leur mort"». On dit que les Baw-
Lekk étaient originaires du Ganjool. Leurs danses d'une lubricité extrême défiaient
toute description. Ils jouaient toujoul"S avec l'ordure, et l'insolence. Les bisseet
ajoutaient à ces extravagances le vol qui semblait être leur véritable profession, Ils ne
craignait pas la prison. S'ils étaient pris en flagrant délit, on les empêchait d'emporter
les objets convoités. Si le vol était commis, les bisseet jouissaient du produit de leur
rapine. Avec eux le vol était élevé à la hauteur d'une institution'2.
Les cérémonies, quelles qu'elles fussent, étaient pour les Toole et Boole
l'occasion de faire étalage de leurs détestables excentricités. "Ils poussaient à l'excès
l'attentat aux moeurs. Dans leurs Bacchanales, dans leurs danses lascives, ils se
découvraient se livraient aux contorsions les plus obscènes, les plus déhantées
capables de faire baisser les yeux aux moins chastes... Ces infames jongleurs se
faisaient payer le spectacle scandaleux qu'ils imposait à la population par une fatigante
obsession"". Ces neeno se rencontrai'ant essentiellement dans les sociétés au stade
de l'organisation étatique où la division du travail, sous toutes ses formes, s'était
opérée de façon nette. Les peuples non intégrés au système politique ou qui ne
l'avaient été que superficiellement avaient conservé les structures simples marquées
1 0 R
par l'absence des nobles et des artisan'o. Les habitants étaient tous agriculteurs car le
labourage était resté le travail noble par excellence.
Ainsi au Njegem, au Mbadaan, au Sandeg dont les habitants n'avaient jamais
voulu se dissoudre dans l'identité dl; 83wol, il n'y avait pas de noblesse. Tous les
habitants se considéraient comme égaux. Chaque famille vivait indépendante de sa
voisine. Aprés avoir versé au représentant du Teeri le tribut qui lui était dû, les différents
groupements familiaux se comportaient comme si l'Etat se trouvait dans un continent
autre que le leur. Toutefois on y décelait la présence de griots et de Lawbé au début
du XIX· siècle.
Chez les Sereer Noon, Safen, PalQrvivant dans le secteur refuge du plateau de
Kees l'absence de castes artisanales Uait quasi totale à l'exception d'une toute petite
minorité de griots. Ici l'organisation sociale était restée villageoise et familiale et sa
hiérarchisation se réduisait à une segmentation en classes d'âge féminines et mascu-
lines correspondant aux différentes générations. La caste des griots était le résidu de
leur première organisation monarchique qui fut détruite par Meissa Tend we~ fils et
successeur de Latsukabé. Chez les NqoQ, le griot était dans une situation comparable
à celle de pariah. La répulsion qu'il inspil'ait aux geer était telle que toute fille geer qui
s'aventurait à aller chercher du feu dans une maison de griots était immédiatement
déchue de~atu$~r;-venaitgriote". Les autres castes artisanales n'y existaient pas.
Pour se procurer les objets dont ils avaient besoin ils avaient recours au procédé des
échanges.
Cette absence de castes profes~;ionnelles se constatait pareillement chez les
Nominka du Gandoul. Zone refuge d:)nt les habitants avaient pu défendre leur
indépendance contre l'assimilation administrative et culturelle du Salum. Ici le travail,
quel qu'il fût était noble. C'est pour cl':'la qu'il n'y avait ni nobles, ni badolo. Tous les
habitants avaient le même statut juridic;ue. Rien ne les différenciait «sinon l'âge, le
savoir et la situation de fortune. Celui qui connaissait un métier ignoré de ses
compatriotes, loin d'être mésestimé comme les artisans du continent, était consid~ré
comme un homme socialement utile dont les avis étaient écoutés"...
LES ESCLAVES
1 0 !J
Les esclaves formaient la deuxième grande division de la société. On les
répartissait en quatre sous groupes I;,n raison de l'existence de la catégorie des
affranchi~s distincte de celle des hommes libres. Ils existaient dans les villages Wolof
et Sereer comme dans les postes français de Saint-Louis et de Gorée. Leur condition
restait encore beaucoup plus proche de celle des esclaves que de la situation des
hommes libres. Leur effectif étai modeste car les conditions de rachat de leur liberté
étaient souvent draconiennes. Le postulant à la libération devait donner à son maître
au moins deux esclaves de qualité.
Ce prix trop élevé dépassait souvent les possibilités économiques de l'esclave.
Aussi peu d'esclaves furent à même de conquérir leur liberté par ce moyen. C'est pour
cela que dans tous les Etats Wolof-Seq,er les affranchissements furent davantage le
fait de la générosité des maîtres que de l'effort personnel des esclaves.
Ce changement de statut ne plaçait pas pour autant l'affranchi dans la catégorie
.~
des hommes libres. Celui qui était né e~;clave port&tle toute éternité la macule servile
même s'il était libéré de la servitude. Sans doute l'affranchissement lui permettait de
conserver pour lui même la totalité du produit de son labeur.tftlis dans la société où
il viva~ce n'est pas la richesse matériplle qui situait l'individu dans la mécanique sociale
mais le lait maternel. La richesse lui procurait une certaine aisance mais était incapable
de lui ouvrir le chemin de J'anoblissement. On disait toujours de lui et de ses
descendants qui c'étaient d'anciens esclaves,,{pr, ceux qui n'étaient pas nés dans la
liberté et ceux qui étaient issus de parents affranchis n'étaient jamais perçus comme
des hommes libres mais comme cie simple affranchis en raison de la souillure
congénitale qui salissait toute leur descendance.
Certes ces affranchis avaient 1,;1 f;3culté de posséder, d'hériter et même de faire
des testaments. Mais on ne les consil:Jérait jamais comme libres en raison de leur
condition servile précédente qui les avait naguère placés au bas de l'echelle sociale.
Ils étaient donc dans une situation iOltmmédiaire entre les esclaves et les hommes
1 '1 1/
libres. En d'autres termes ils étaient au sommet de la hiérarchie des esclaves ou à
l'échelon qui précédait celui des hommes libres'B.
L'affranchissement les maintenait donc dans un état permanent d'infériorité el
de dépendance vis à vis de leurs 2nciens maîtres. Pour avoir subi l'esclavage, ils
avaient oublié jusqu'au souvenir de leur famille originelle. Livrés à eux même dans cette
société où l'individu n'avait de considération que dans la mesure où il appartenait à une
collectivité familiale puissante, ils ne pouvaient, sans risque de retomber dans la
servitude, rompre les liens qui les unissaient naguère à leurs anciens maîtres. Ils en
devenaient des clients. Dans la vie quotidienne, les affranchis entouraient d'un profond
respect les membres des familles dont ils furent les esclaves. Même ceux d'entre eux
qui étaient trés riches, devaient le salut au'x hommes libres qu'ils rencontraient sur leur
route. Il leur était interdit de riposter ou de répondre à leurs insultes. En présence d'un
homme Iibre,ils étaient tenus de s'accroupir devant lui47• Leur affranchissement ne leur
conférait jamais le droit de quitter le Gallo, le quartier des esclaves, pour aller habiter
dans celui de leurs anciens maîtres. S'il n'était pas marié au moment de leur libération,
le choix de leurs femmes restait circonscrit aux affranchies et aux captives. Marqués
pour de bon par leur état passé; ils n'osaient demander la main d'une fille libre sachant
qu'on leur opposerait un refus catégorique'·.
Dans les comptoir français de Saint-Louis et de Gorée une législation précise
garantissait aux affranchis les droits acquis et les protégeait contre toute tentative de
les replonger dans la servitude. De plus le décret d'émancipation du 27 Avril 1848 leur
accorda plus de droits que la coutume ne leur en reconnaissait auparavant.
Le décret leur attribua en effet les mêmes droits qu'aux citoyens français.
Antérieurement à ce décret, les affranchis étaient assimilés, dans les po~ie6j là'il')
françaises aux étrangers nés en France et habitant le territoire. Ils n'étaient pas
autorisés à réclamer les avantages attachés à la qualité d'hommes libres que trois ans
aprés leur affranchissement, s'ils étaient affranchis étant mineurs'9.
Les parents collatéraux n'étaient pas habilités à hériter des affranchis morts
sans laisser d'héritiers légitimes. Leurs biens revenaient de droits à leurs anciens
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ceux
1
qui avaient racheté leur liberté revenai', de droit à l'Etat.
Qu'il se fût agi des pays de l'intérieur ou des comptoirs français, la situation des
affranchis était beaucoup plus proche c:.3 celle des esclaves que de l'état des hommes
libres, Les affranchis portaient partout la marque indélébile de la servitude qu'ils
transmettaient héréditairement à leurs descendants,
LES ESCLAVES:
Les esclaves proprement dits "e répàrtissaient en captifs de traite, esclaves de
cases et esclaves de la couronne, Le dé'/eloppement de la traite atlantique avait donné
une plus grande intensité aux relations Interrégionales et internationales des pays de
la Sénégambie, Les produits de ce commerce portaient sur des articles de luxe, dont
les esclaves constituaient un des éléments essentiels,
Ces esclaves mis sur le marché, appelés également captifs ordinaires étaient
désignés par le vocable de «Jam Sa1iQ'" par opposition aux autres espèces d'escla-
ves, Ces esclaves de traite étaient à la fois marchandises et moyens de paiement, Sans
doute les cauris, la poudre d'or, les palles de fer, les bandes de tissu étaient utilisés
pour l'achat de certains articles dans les transactions modestes, mais dans les
opérations de grande valeur vénale c'{ltaient les esclaves qui servaient de monnaie,
Les esclaves de traite entraier,t également dans la constitution de la dot dans
les mariages princiers"" alors que les ro(uriers se contentaient de quelques feuilles de
tabac et de quelques chèvres,
A l'époque de la traite atlantique les esclaves raflés ou capturés à la guerre
n'étaient pas toujours vendus aux néuriers. Certains restaient dans le pays pour
constituer quelques éléments de la domesticité servile des maîtres. Ils faisaient les
mêmes travaux que les esclaves de case, mais ne bénériciaient pas du même
traitement. On pouvait les vendre sa:1S en courir de blâme. La coutume ne les
~2
1 1~
protégeait guère contre les caprices' de leurs maîtres, libres de leur infliger toutes
sortes de châtiments. Les maître avaient toute latitude de les inclure dans les biens
qu'ils donnaient en paiement pour l'acquisition d'objets quelconques, ou de les mettre
en gage chez un créancier soupçonneux. Les «aptifs ordinaires accusés de mauvaise
volonté dans l'accomplissement des corvées quotidiennes, ne recevaient qu'une
maigre nourriture, alors que les coups leur étaient généreusement distribués. La
plupart d'entre eux «mouraient de besoin et de désespoir5'». Leur existence était
malheureuse. Ce qui les préoccupait essentiellement c'est la satisfaction de leurs
besoins primaires: «Manger quand il le pouvaient, dormir le plus souvent possible et
se reproduire à l'occasion52».
Avec le développement continu de la traite atlantique les couches dirigeantes
prises dans l'engrenage du commerce négrier avaient fini par faire de la guerre leur
principale industrie. Il leur fallait donc une main d'oeuvre abondante pour cultiver les
,
champs en vue du ravitaillement des populations en produits vivriers. Une partie des
récoltes était vendue aux négriers pour l'alimentation des captifs au cours de la
traversée de l'atlantique. On multiplia alors les villages de culture que l'on peupla
.'
d'esclaves achetés ou capturés soit il ia guerre, soit à la suite de raids de pillage.
Pendant l'hivernage ces captifs ordinaires étaient employés aux travaux des
champs. Du lever du soleil jusque ve~, quatorze heures ils travaillaient pour le compte
de leur maîtres. Ils consacraient l'aprés-midi à leur compte personnel. Ils disposaient
également de la journée du vendredi et des jours de fête. Le fruit de ce labeur leur
revenait de droit. Ils l'utilisaient pour se racheter ou pour se marier. Les captives
ordinaires n'étaient pas autorisées à tra'iailler pour leur compte personnel. Elles étaient
constamment au service des femmes de leur maîtres.
Les captifs de traite ayant séjourné longtemps dans la maison de leurs maîtres
pouvaient demander à se marier. Sans se soucier des préférences du postulant le
•. J'I
Lw\\\\-
maître l6lf'attribuait d'autorité une captive qu'il pouvait l4i enlever à tout moment.
Toutefois le captif ordinaire, assez chanceux pour recevoir en mariage une esclave de
case, née dans la maison du maître, bénéficiait du coup du régime de faveur qui était
Ng
1 1 3
celui de sa conjointe. On ne le venda:! que s'il cherchait à s'enfuir ou s'il commettait un
crime.
Ces captifs de traite étaient-:lonc soumis à l'arbitraire de leurs maîtres qui
avaient sur eux droit de vie et de mort. Pourtant les traditions orales n'ont pas gardé
le souvenir de leurs rebellions qui les eu:,sent incités àformer des bandes armées pour
essayer de reconquérir par la force leur liberté.
Nous ne sommes pas en mesure de chiffrer leur importance dans la société.
Rien dans l'état actuel de la documeniation ne nous permet de nous risquer à une
approximation même grossière de leur effectif. Les maigres informations dont nous
disposons sont toutes tardives. Elles datent de la fin du XIX" siècle et du début du XX"
siècle. Elles provenaient des enquêtes administratives sur l'état général de la capLivité
en A.O.F. Ce sont des informations qui portaient davantage sur la lutte contre la traite
intérieu~ue sur la traite elle même. '
Quoi qu'il en fûy ne nous parait pas téméraire de dire que son apogée se situait
entre la fin du XVII" et la moitié du XIX" siècle. Avec les guerres napoléoniennes et
l'abolition de la traite décidée par les puissances européennes en 1802 et 1815 un
problème sérieux d'écoulement se r'l~:a aux Africains qui avaient subitement perdu la
plupart de leur clients. Les esclaves non exportés étaient désormais employés aux
besoins intérieurs. Certains maîtres ;lrientèrent l'activité de leu/Sesclaves vers la
production de matières industrielles PClv.~es Européens. Une transformation se
produisitlentementdans l'économie lo:;ale. La culture de l'arachide permit à beaucoup
de maîtrejde tirer des revenus relativement importants de la main d'oeuvre de leurs
esclaves. 53 Les esclaves de case arpelés Jam Juddu chez les Wolofet Pad chez le~;
Sereer étaient nés dans la maison d'3 leurs maîtres. Cette naissance sous le toit
domestique constituait pour eux un titre notoire à l'allègement de la servitude et pour
le maître «une sorte de contrat d'assurance de sa propriété». Avant l'extension de la
servitude consécutive à la traite négrièrEJla famille patronale les assimilait entièrement
en leur donnant son patronyme. L'esclave de case bénéficiait de droits précis, car le
propriétaire n'avait ni le droit de le tller, ni de le vendre. Avec l'invasion de la société
'r 1 4
par ces masses compactes d'esclô\\iBS lune ségrégation sociale s'instaura et les
maîtres finirent par adopter une idéok)lJie esclavagiste.
Comme nous venons de le voir avec les esclaves ordinaires, l'esclavage de
case connut aussi des proportions gigantesquesaprés l'abolution de latraite. Tous les
enfants des captifs ordinaires qui aVé,;.~nt vu le jour dans la maison de leurs maîtres de
leurs parents furent immédiatement ve~s~ans la catégorie des esclaves de case.
Puisque les courants qui alimentaient la traite intérieure conservaient toute leur vitalité
jusqu'au début du XX· siècle, on assistH durant toute cette période à l'accmissernent
ch-
vertigineux11'effectif des esclaves de case.
Selon les chiffres fournis en 1904 par l'enquête sur la captivité domestique en
A.a.F.les cercles de Lugaet de Tiwawar~abritaient 23940 esclaves, le BawoI24500,Pl5'.
Leffiliâtre évalua de son côté la populalion servile du Siin Salum à 3000055 individus.
Pour l'ensemble du Sénégal les chiffres sur la population captive nous donne un total
;
de 192645 sur une population totale estimé à 1134000 habitants. Ces chiffres ne
donnent qu'un ordre de grandeur. Ceux qui fiRent l'enquête n'eurent pas toujours
compris l'utilité de leur tâche. Au Même moment certains chefs de canton, de statut
servile, ne prirent pas en compte les membres de leurs familles dans les statitiques.
Quoi qu'il en fût les données fournies pour le Kayoor et le Bawol nous paraissent en
)
.
deçà de la réalité. La forte centralisation et le militarisme y avaient développé la
servitude dans de grandes proportions. Ceux qu'on appellait domi-buur et dont les
mères étaient captives étaient de statut servile et appartenaient légalement aux
propriétaires de leurs mères. Leur nombre était si élevé dans la société Wolof que les
Sereer, par ironie n'hésitaient pas à qualifier l'aristocratie Wolof de servile. Ceux qui
étaient «fils de roi» mais ~ères esclaves suivaient la condition de leurs mères. Rien
n'effaçait chez eux la macule servile \\lucun de ces éléments ne figurait sur les
e
statistiques. Si au Bawol on estimait à JC' % de la population la proportion des esclaves
ce pourcentage était au moins de 40 % au Kayoor ou l'esclavage était plus étendu.
Au Siin et au Salum où l'institution servile était moins développée que dans les
Etats wolof, les esclaves formaient les <l5 % de la population5G • Pourtant les esclaves
n'étaient nombreux qu'aux environs cles capitales, et des anciens chefs-lieux de
!/Q
1 'f
canton ou de province tels Njob, Somg, Marut, Naxar, Pataar, Ngayoxem, Jongolor
pour le Siin, Ganjaye, Kahone Wadiur pour le Salum:
Au Kayoor au Bawol comme au Siin et au Salum l'activité économique reposait
essentiellement sur le travail servile sauf dans les «démocraties rurales» des zones
refuges dont les habitants demeuraiellt réfractaires à l'esclavage. Les esclaves
constituaient la richesse des habitar,t~; aisés et souvent l'unique ressource des
propriétaires pauvres qui les employaient à des travaux variés. Toutefois la coutume
attribuait à l'esclave de case qui travaillait la moitié du produit de son labeur. Les jeunes
esclaves étaient au service de leurs parents jusqu'à ce qu'ils fussent en mesure d'être
autonomes. Alors ils passaient entièrement sous l'autorité de leurs maîtres dans les
mêmes conditions que leurs parents,
Les jeunes captives appartenaient à la domesticité des femmes de leurs
maîtres, Elles ne quittaient la case patrohale qu'aprés leur mariage. Elles préparaient
les repas/'occupaient des menus travaux ménagers, Si elles étaient belles)les maîtres
les prenaient comme concubines ou les livraient comme telles à des demandeurs en
empochant la dot tout en conservant intacts leurs droits de propriété sur elles57.
Absorbés par le métier des armes, les nobles créèrent des villages de culture
qu'ils peuplèrent de leurs esclaves de tr2;te et de case, Les habitants de ces «Gallo ou
daga» envoyaient à leurs maîtres le sixibme des récoltes. Toutefois le maître avait à tout
moment le loisir de les réquisitionner pour les soumettre à des corvée ponctuelles.
Ainsi en cas de conflit ils acheminaient sur le champ de bataille la nourriture des
guerriers de leurs maîtres, et les munitions, Pendant la campagne ils pansaient les
animaux surveillaient les bagages du patron5••
Les esclaves habitants le même village que leurs maîtres étaient assujettis à un
emploi de temps précis, Pendant l'hivernage ils étaient au service de leur maîtres du
lever du soleil à quatorze heures. Le maître leur fournissait comme aux captifs
ordinaires le repas du milieu de la journtie. Ils consacraient le reste de la journée <lUX
~'80S0.i~
lopins de terre que les maîtres leur concéJaient et ~également de deux jours
francs par semaine pour leur compte personnel. Le produit de ce lougan leur revenait
N~
1 'i 6
de droit et leur permettait d'assurer 1035 dîners de leur ménage, Durant la morte saison
les esclaves de case comme les captifs ordinaires édifiaient les cases, les tapades,
coupaient du bois prenaient soin des chevaux et puisaient l'eau aux puitss"
Dèsl'approchede l'hivernage, ils reprenaientle chemin du retour, A leur arrivée,
ils partageaient avec leur maître :_e qu'ils avaient économisé au cours de leurs
pérégrinations, Ceux qui avaient eu la chance de connaître la vie aventureuse de:,
laptots marins JObtena~ revenus suffisament substarfieis pour racheter ou leur
liberté ou celle de leurs enfantsGO• Mais force est de reconnaître que, dans lour immense
majorité, les esclaves travaillaient dans les comptoirs français n'étaient quo de:;
manoeuvres dont le salaire journalier était trés bas, De plus leur emploi était occasion·
nel6 ',
Certains maîtres cherchèrent (les compensations dans l'exploitation des cap-
tives en les livrant à la prostitution, On a des raisons de penser que la plupart des
,
pileuses employées dans les embarcations exerçaient ce métier au même titre que
celles qu'on envoyait aux marchés hebdomadaires pour y préparer des repas pour les
Jula et leurs clients. Au lendemain de l'abolition de la traite la situation empira.
L'ordonnateur Guillet fixa à 37,20 F le revenu moyen annuel qu'un captif procurait
désormais à son maître dans les comptoirs français62 ,
Vers la fin de la première mei:.ié du XIX· siècle certains maîtres commencèrent
à miser sur la culture arachidière, Les habitants des banlieues de Saint-louis et de
Gorée donnérent l'exemple en demandant àleurs esclaves de se consacrer àla culture
de l'arachide63, Le même engouement pour cette plante ne tarda pas à gagner les
provinces limitrophes. D'immenses superficies furent de plus en plus réseNées à cette
plante parles propriétaires d'esclaves, L'adhésion à cette économie monétaire par les
maîtres prôches de Saint-louis et de Gorée fut à l'origine d'un processus de destruc-
turation sociale à mesure que se dôveloppait la culture de l'arachide.
CONDITION DES ESCLAVES
En théorie l'esclave de case "étant une chose privée, une propriété particulière,
l'autorité publique restait nécessairement étrangère à son existence. Car elle ne
l'
1i2
1 ,. /'
pouvait pas s'immiscer, en ce qui leëoncernait, sans franchir le seuil domestique el
pénétrer inquisitorialement dans l'intérieur de la famille"'". La réalité était plus nuancée
dans la société Wolof-Sereer. En el'fet les autorités et la tradition avaient enlevé à
l'esclavage domestique tout caractèle de brutalité, La coutume accordait aux esclaves
le droit de conserver pour eux la moitié de leur revenus. Le fait de naître sous le toit
patronal constituant pour le maître "U119 sorte de contrat d'assurance de sa propriété"
«lui faisait obligation de traiter son esclaves avec douceur. En définitive le sort de
l'esclave était intimement lié à la position sociale de son maître.
Les esclaves de case exerçant un métier bien l'énuméré réalisaient des
économies leur permettant de racheter leur liberté. En revanche ceux qui n'étaienl que
manoeuvres, employés à des besogn'3s exténuantes et pour des salaires de misère,
ne connaissaient que des lendemains inquiets. Pour se marier l'esclave de case était,
au préalable, tenu d'obtenir l'autori~oation de son maître. Du fait que l'enfant suivait
toujours la condition de sa mère, les maîtres s'arrangeafll'foujours pour que les
mariages de leurs gens se fissent avec leurs captives. Ce qui consacrait aussitôt leurs
droits de propriété sur les enfants issus de ces unions. Si le maître n'avait pas de captive
disponible, l'esclave reçevait alors la permission de se marier en dehors du toit
patronal. Dans ce cas il pouvait être amené un jour à se séparer de ses enfants, si le
1
.
maître de la femme venait à mourir et que les héritiers fussent dans l'obligation de se
partager lasuccession65 . Les esclaves r'astaient en elfet soumis, comme propriété, aux
lois qui en assuraient la conservation66. Ils figuraient comme les autres biens meubles
ou immeubles, sur la liste des objet~; que se partageaient les héritiers.
Les esclaves n'étaient habilités ni à ester en justice, ni à hériter. Les biens des
captifs morts revenaient de droit à ledrs maîtres. Leurs enfants passaient sous le
contrôle du maître de leur mère. La veuve n'héritait rien de son mari, pas plus que les
enfants de leur père. Quelques maÎtras magnanimes laissaient souvent aux orphelins
les rares biens laissés par leur parents. Ils savaient qu'ils en disposeraient en totalité
ou en partie en cas de besoin6'. L'esclélve ayant le droit de posséder, conservait pour
lui le produit de ses champs, sauf à pa'l'er à son maître les redevances qui représen-
taient environ le dixième de la récolte; aussi n'était-il pas rare devoir des esclaves aussi
Ir.
118
aisés que leurs maÎtres, ayant des gre:'liers de mil, du bétail, et même «des captifs, en
gros, tout ce qui constituait la richesse des indigènes de l'intérieurG8••. Ces esclaves de
case ne devaient être séparés de leurs maîtres que dans des cicon stances exception-
nelles. Si un esclave causait, par agres:;ion une incapacité de travail à un esclave d'une
autre personne, il était remis au maÎtre de sa victime qui, à son tour allait s'installer chez
le propriétaire du coupable jusqu'à r;a guérison. Les esclaves étaient considérés
comme d'éternels mineurs. Leurs ma~tres étaient civilement responsables des délits
ou crimes qu'ils commettaient. Si la victime était un homme libre l'esclave était vendu
ou mis à mort.
~~S~
En période de famine, le maÎtr6 dans le be~n et ne possédant pas de captifs
.
)
ordinaires était autorisé par la coutume àvendre quelques uns de ses esclaves de case
)
ou à les donner comme gages pour obtenir des provisions. Les créanciers avaient
aussi la possibilité de saisir les esclaves de leurs débiteurs jusqu'au rembourssement
de la créance69. Lors des partager, des successions, les enfants étaient souvent
séparés de leur mères, les maris de leurs femmes au hasard des lots. Mais cllaquü
fois que les conditions le permettaient on attribuait»au même héritier un ménage
complet'o».
Si l'autorité des maÎtres, en matière de châtiments corporels, se bornait en
principe à une correction raisonnat.le, la coutume limitait les pouvoirs disciplinaires
des maîtres sur leurs esclaves en pen',lettant à ceux-ci de recourir à certains subter-
fuges pour échapper à la tyrannie de leL!rs patrons. En cas de faute grave commise par
un esclave, son maître ne le vendüit qu'aprés s'en être reféré au chef du lieu qui
examinait si la sanction n'était pas dî.:;proportionnée à la faute. Si l'esclave était en
permanence victime des mauvais traitements de son maître la coutume lui reconnais-
sait aussi la possibilité de changer de ;Jatron. Il choisissait dans son esprit celui dont
il voulait devenir le captif et allait lui cvuper «un morceau de l'oreille». S'il ne pouv::lil
atteindre ce maître désiré, il se cont€l1tait
de l'oreille de son enfant, de son cheval
même, et dés lors l'ancien propriétélin: n'avait plus le moindre droit sur lui; l'esclave
devenait la propriété de celui dont il a'/ait versé le sang".
119
La pensée morale de celte coutume se comprend facilement; le captif semblait
dire ainsi qu'il préférait s'exposer au juste courroux de quelqu'un qu'il avait offensé
plut6t que de rester à la merci des r::aprices d'un mauvais mêiitrel- et comme le
propriétaire nouveau avait le droit de r,lVendre l'esclave à son ancien patron pour un
-
prix variable, appelé le prix du sang or, comprend «que le captif eût intérêt à se iJicn
conduire pour ne pas retomber sous la coupe de celui qu'il avait voulu fuir72•
Dans les zones ou les musulmans étaient nombreux, la tutelle des esclaves était
confiée au Kadi, c'est à dire au juge. Il était habilité à prendre en compte les plaintes
des esclaves maltraités par leurs maîtres.
Les captifs de la couronne formaient le dernier groupe des esclaves. On les
appelle aussi Fekk-Bayyi73 pour exprimer l'idée que c'étaient des fonctionnaires de
l'Etat qui n'appartenaient en propre ni au souverain, ni à son matrilignage. Les rois
passaient mais les esclaves de la couriJnne deumeuraient. Jusqu'au XVI" siècle cette
catégorie existait dans les Etats Wolo,i-Sereer. Ses membres étaient bien tenus en
laisse par le grand Jaraaf et le souverain qui ne leur confiaient que des tâches
subalternes. A partir du XVII" siécle;e climat permanent de guerres civile7secreté par
la traite négrière/ncita les souverains à multiplier leur nombre pour disposer d'une
armée permanente sûre. Au Kayoor el' au Bawolla rupture de l'équilibre institutionnel
en faveur du roi et des esclaves de la couronne se produisit avec l'avènement de
latsukabé vers 1695. Aprés avoir battu et tué ses demi-frères qui lui avaient confié
l'intérim du royaume à la suite d'un empêchement temporaire, Latsukabé réorganisa
l'administration du Kayoor et du Bawolen s'appuyant essentiellement sur les esclaves
de son matrilignage qu'il versa dans la catégorie des esclaves de la couronne et qui
portèrent abusivement ce titre. Ses sûcesseurs développèrent ce système parce qu'ils
redoutèrent de mettre, entre les mains de nobles ou de princes, des pouvoirs étenclus
qu'ils pourraient utiliser pour les renverser. Ils trouvaient donc dans "les esclaves de
la couronne" des auxiliaires plus sûrs.
Ces esclaves de la couronne appelés Jami-buur étant généralement identifiés
par le nom de la capitale du royaume 3uquel ils appartenaient. Au Siin c'étaient des Jam
Jaxaw, au Salum des Jam Kahoon, ,lU Kayoor les Mboul Ngallo, au Bawolles Jam
Lambaay.
Ces esclaves de la couronne élevés à la dignité de ministre ou pourvus cie
commandements territoriaux exerçaient partout une autorité tyrannique. Ils ne souf-
fraient jamais que leurs décisions ou leurs caprices fussent contestés. Les homllle~,
libres placés sous leur juridiction, les méprisaient sans doute, mais leur obeissaient,
voire les flattaient. Chacun de ces esclaves fonctionnaireJ!:Jisposait d'une petite troupe
de miliciens, ivrognes invétérés auxqurls il confiait le recouvrement de l'impôt".
Les hommes libres n'entouraient ces parvenus d'aucune affection. Mais ce
système avait permis aux souverains <j'éviter de confier des commandements impor-
tants à des gens qui, unissant aux avanlages de la naissance les moyens de tirer parti
du privilège qui en résultait, pourraient tenter de les évincer du tronc. Les esclaves tirés
du néant, comblés de priviléges par le·.)Jrs maîtres pouvaient y être replongés par la
volonté de leur maîtres".
Ces esclaves de la couronne étaient les types même des fonctionnaires
partiaux qui exécutaient à la lettre les c(lnsignes du souverain et qui n'hésitaient pas
à l'occasion de pénétrer de façon inquisitoriale dans le domaine privé de leurs
administrés. Malgré leurs abus aucun s()uverain ne voulut les sacrifier en raison de leur
dévouement. Pour leur rappeler en permanence leur statut servil'les esclaves, grands
dignitaires des régimes comme le Gr'md Farba ou le Jawrin Mbul Gallo avaient
constamment «des fers suspendus sur la tête de leur lit, de sorte qu'étant couchés ils
les eussent sans cesse présents à leur!; yeux pour leur rappeler continuellement leur
état de servitude?6». C'était là un moyen tout à fait mineur pour brider l'ambition el
l'orgueil de ces palvenus.
L'armée permanente sur laquelle s'appuyaient les souverains pour faire la
guerre, ou conduire les opérations de pillage, était constituée d'esclaves de la
couronne. Nous ignorons leur nombrE au milieu du XIX· siècle. Les documents les
appellent par le terme générique de ç'3ddo, englobant tous les guerriers libres et
esclaves. Leur importance numérique était fonction du degré de centralisation de
H2
1 21
l'administration et de l'effectif de lé' population. Au Kayoor et au Bawol ils étaient
nombreux. En 1902 Dupérier De Larso:l commandant le cercle de Kees les évaluait ~I
500077, chiffre ne concernant que les esclaves adultes du Bawol. Au KaYOQr on pouvait
selon toute vraisemblance les estimer à 22000. Au Siin Noirot affirme qu'en 1892 I~l
population ceddo du Siin était de 15211 répartis en 59 villages. Les esclaves appélrto-
nant au roi étaient de 559. Il ne précise pas la proportion des esclaves dans la catégorie
des Cfddo7•• Au Salum nous constatons les mêmes lacunes dans la documentation.
Les esclaves de la couronne y étaiellt plus nombreux qu'au Siin.
Ces armées permanentes étaient les instruments de la politique des souve-
rains. Tous leurs ennemis surtout les musulmans et les badolo les présentaient comme
les ennemis du travail «trouvant plus commode de piller le voisin, de le tuer même, au
risque de recevoir un mauvais coup que de gagner honnêtement.. leur vie7". Au
moindre signe de leurs chefs;ces esclaves de la couronne «mettaient le fusil sur
,
l'épaule, et le pied sur l'étrier pour courir aux rendez-vous indiquéoo... Sur l'ordre de
leurs maîtres ils fonçaient à l'imprO\\'j>lf) sur un village, le mettaient à sac et aprés avoir
«fait d'un ample butin et capturé des esclaves.. ils incendiaient les cases·'. Aprés
l'opération les captifs ramassés étaien~ présentés au maître qui en distribuait quelques
uns aux grands de sa suite. Ces raids (le pillage étaient pour ainsi dire quotidiens. Les
énormes quantités d'alcool qu'ils ingurgitaient tous les jours avaient fini par les rendre
orgueilleux, querelleurs, ivrognes, et Silns pitié pour les faibles·2. Les grands comman-
dants territoriaux, les ministres libres ou captifs avaient «leur monde affidé, leurs
domestiques qui pillaient pour eux·).
A l'aube}le village, condamné à la destruction, était assiégé. Les guerriers
étaient placés en embuscade aux différentes sorties ensuite on incendiait les cases.
A la faveur de la panique ainsi créee commençait alors le pillage. Les guerriers en
embuscade ramassaient les fuyard;;, tuaient ceux qui résistaient. Esclaves produc-
teurs d'esclaves, ces esclaves de la couronne avaient fini par prendre une place
prépondérante dans l'Etat, en raison de la confiance aveugle de leurs maîtres qui leur
avaient délégué la plus grande partie de leurs énormes prérogatives, Les esclaves de
lacouronne jouissaient d'un régime privilégié. Ils étaient considérés comme d'éternels
mineurs et par conséquentjuridiqu~~e~ti~responsables. Ils n'étaient paJl~unis pdu? ?
les délits et les crimes qu'ils commettaient. Ces larges faveurs dont ils bénéficiaienl
incitaient certains hommes libres à changer délibérément de statut en devenant
esclaves de la couronne en allant mordre l'oreille du roi ou de son cheval dans l'espoir
de redorer ainsi le blason de leur farnil:e.
Ces esclaves de la couronne, malgré leur statut, faisaient partie intégrante de
l'aristocratie dirigeante. C'était parmi eux que le souverains choisissaient leurs diplo-
mates, les administrateurs de lapOliCEjde l'armée, des finances. Approchant quoti-
diennement la personne des souverains, ils fournissaient tous les renseignements
concernant le pays. On les appellait "les oreilles des rois". En raison de la confiance
ainsi placée en eux, ils avaient fini par monopoliser la réalité du pouvoir en infléchissant
dans le sens de leur intérêts la politique des rois et en faisant élire le candidat de leur
choix. Gorgés de biens, exerçant "os responsabilités les plus hautes de l'Et~).ils
contrôlaient tout le pays. Ils avaient re~du possible l'absolutisme monarchique. Mais
leur aisance matérielle' ne les hissait pas au niveau des hommes libres qui les
méprisaient de toute la force de leur âme.
QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA FAMILLE
Au Kayoor et au Bawol comme au Siin et au Salum la famille étendue ou globale
était la cellule de base de l'organisation sociale. Cette famille globale comprenait tous
les descendants vivants de l'ancêtre commun ou tout au moins tous ceux de ses
descendants qui n'étaient pas trop éloignés de lui dans le temps et l'espaceB'. Elle
comprenait aussi les esclaves de case et leurs descendants. "Une famille globale se
composait de quatre générations: le Ghef de famille et ses frères et cousins, leurs
enfants les enfants et petits enfants de ceux-ci avec un nombre égal de générations
de serfs85». Le chef de la famille glolale avait les mêmes droits qu'un père de famille
sur ses enfants non encore émancipés.
Chaque famille disposait d'un bien commun appelé «Joo» constitué en or, e n l
argent et en troupeaux et qui lui permettait de faire face à toutes ses dettes el
1 2 J
obligations, de payer les rançons pOUl' obtenir la liberté de ses membres fait prison-
1
f '
•
1
niers. Tout déshonneur' qui frappait un éléme'nt de cette cellule rejaillissait sur
l'ensemble du groupe. C'est pour cela que la liberté ou le bonheur de l'individu étaient
considérés comme accessoires. En; tlvanche on réservait une place importante à tout
.
,-
)
ce qui était susceptible de renforcer l,; cohésion et la puissance de la famille. Peu
importait que l'individu fût sacrifié si la famille s'en trouvait fortifiée. C'est celte
puissance qui déterminait en définitive la position de ses membre dans la hiérarchie
sociale.
Dans la société Wolof-Sereer les familles pratiquaient la double appartenance
patrilinéaire et matrilinéaire avec une nette prédominance de celle-ci sur celle-là en
C)v
paysS!3reer. Le matrilignage (connu sous le nom de tim en Sereer, de meAn dp Kheet
ou de [Ieek en WoloO devait sa prééminence au fait qu'il constituait le fondement des
droits politiques. Pour être éligible il fallait être nécessairement de mère Gelowar ou
"
garmi au Siin et au Salum au Kayom et au Bawol même si/dans ces deux derniers
royaumes le matrilinéat était atténué par l'adjonction de dispositions faisant obligation
1
aux candidats de descendre par leur père de Amari Ngoné Sobel Fall. Les patrilignages
appelés Sim ou Simangol en Sereer, Geerio en Wolof devenaient de plus en plus
importants en raison des progrés dl': l'i~ilam et de la centralisation monarchique.
. Dans le matrilinéat qui était en vigueur chez les Wolof et les Sereer malgré la
présence de plus en plus manifeste du patrilinéat, la femme ne cessait jamais
d'appartenir à sa propre famille qui était celle de sa mère. Quelles que fussent les
conditions du mariage et l'importance :Je la dot, elle ne sortait jamais de son groupe
familial. Dés lors les enfants qu'elle en(Jendrait appartenaient à son matrilignage. Le
Jllari avait bien sûr certaines prérogatives dans lavie conjugale mais il n'était pas maître
absolu de la femme ni de ses enfants s,~uf si la femme était de la même lignée utérine
que lui. Sinon la femme et les enfants étaient sous la domination de leur fréres utérins
et de leurs oncles maternels. Le mari intervenait dans les affaires de ses propres soeurs
et de leur progéniture. Tout ceci fais".'it que quand un chef de famille mourait ses fils
n'héritaient de lui que les champs qu: E.ppartiennent à la lignée patrilinéaire ainsi que
ses instruments de culture et ses cas·:Js. En revanche les troupeaux et tous les autres
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biens meublés appartenaient à ses neveux utérins. Ces richesses provenaient en
général de biens qui avaient servi à dotf" ses soeurs ou ses nièces.
Chaque famille appelée Mbind el1 Sereer, Kër en Wolof désignait en fait la
maisonnée et correspondait à la définition de la famille traditionnelle. L'administration
coloniale lui donna le nom de carré qu'on subdivisat en «foulang» rassemblant des
segments de Iignage06. Dans chaque carré on trouvait des ménages correspondant
aux groupes familiaux restreints formé par le mari la femme et les enfants:
Aprés avoir subi le rite de la circoncision les enfants étaient autorisés à travailler
pour leur propre compte le lundi, leieudi ainsi que les aprés-midi des jours de la
semaine. Les gains qu'ils en tiraient étaient confiés à leur oncle maternel qui leur
préparait ainsi un petit pécule pour leur entrée dans la vie adulte.
Les chefs de famille assuraient aux membres du groupe l'alimentation. Géné-
ralementles déjeuners étaient à leur char ge. C'est pour cela que tous les éléments du
groupe familial leur consacraient cinq rT<3tinées par semaine dans leur champs. Ils
avaient beaucoup plus de greniers que les autres. car les hôtes de passage étaient à
leur charge, ainsi que l'impôt du carré. ils rétribuaient les menus travaux exécutés pHr
les forgerons, les cordonniers ou les tis:;erands. Le reste du temps disponible était
employé par chacun des membres de la famille pour cultiver son champ particulier qui
lui donnait les produits permettant d'as:;urer les dîners. Dans chaque carré le chef
«commandait ordonnait et punissait. .. Il dépendait à son tour d'un autre chef de village.
Le groupement des carrés, formait en eftetle village, unité administrative dirigée par
un chef qui portait le nom de jaratt et qui était en principe choisi dans la famille qui avait
créé l'agglomération"7». Le chef de village était assisté d'un conseil de notables
composé de tous les chefs de carré.
Les chefs de famille étaient Souv,,!nt polygames. Chacune de leurs épouses
disposait, dans le Mbind ou le I<ër de sa I:ase. Celle habitation désigna par extension
la lignée utérine à laquelle elle appartenait. Il était vrai que le cllef de famille déten8il
l'autorité Jcommandait et donnait son nom aux enfants issus du mariage, mais le
matrilignage conservait sa prééminence ..A.insi les biens de l'épouse restaient dans «la
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/jY n.
1 2 !;
ligne ascendante maternelle. Il incombait au mari de subvenir aux dépenses de la
famille et si, en cas de besoiri, il faisait é'ppel à la fortune de sa femme, ce n'était qu'à
titre d'emprunt. Il en devrait finalemenHa restitution"".
Dans les foyers polygames, les cg-épouses étaient autant de familles maternel-
les séparées «quoique vivant dans un même carré sous l'autorité d'un même père89».
Dés leur sevrage les enfants étaient en ;Jénéral envoyés chez leurs oncles maternels
qui prenaient en mains leur éducation. On pensait que le père au milieu des querelles
entre ses nombreuses femmes était Incapable de donner l'éducation adéquate à sa
progéniture. Dés lors il était de l'intérêt de chaque lignée utérine de récupérer les
enfants issus de ~ femmes afin de leur transmettre les vertus sociales qui les
mettraient à même de compétir victorieusement avec leur demi-frères. Une fois l'enfant
moralement armé, il retournait à la maison de son père pour faire respecter ses droits
sur la terre commune.
Pour ce qui était des terres du patrilignage, la succession était réglée de façon
minutieuse. Elle passait des gens de la première génération avant d'échoir à ceux cIe
la deuxième génération. Pour les autres biens c'était le matrilinéat qui l'emportait el los
neveux héritaient de leurs oncles maternels.
Ainsi donc à premiére vue la société Wolof-Sereer donnait les apparences de
la solidité. Par ses structures fortement intégrées, les familles sauvegardaient la
prédominance du social sur l'individuel, donnaient à tous leurs membres une certain;
atmosphère sécurisante. D'un autre côté la stratification de la société établissait une
gamme variée de groupes qui se différenciaient par le métier, le statut juridique ou la
profession de foi. On était en droit de se demander si cette société était en mesure de
faire en permanence les ajustements que les circonstances lui imposaient. Les gens
de métier, les esclaves qui, à bien des éçlards, se sentaient toujours dominés, meuriris
par la définition d'eux mêmes, particulière et fonctionnelle que leur imposait leur casio
rigide, n'allaient-ils pas trouver dans le colonisateur l'instrument de leur libéralion
d'autant plus qu'en 1848 la France avait aboli l'esclavage dans ses possessions de
Saint-Louis et de Gorée et affirmé que sol français affranchissait l'esclave qui le
r···~·.
~
126
touchait. Accepteraient-ils de confondre leur cause avec celle de leur pays? Seraient-
ils suHisamment clairvoyants pour enterr(~r les rancoeurs et les malentendus accumu-
"
lés depuis des générations?
BREF APERCU SUR LA RELIGION DES POPULATIONS
Le paganisme, l'islam et le christianisme étaient les religions qui se disputaient
les consciences des populations Wolof et Sereer à la veille de la conquête, Le
christianisme était alors pratiqué par une toute petite minorité de catholiques vivant
dans les comptoirs de Saint-Louis et de Gorée où on les appell~OUrmeltes. C'étaient
surtout des mulâtres et quelques Noirs libl'e~ous possesseurs de nombreux esclaves
cie casel. Sur la Petite Côte une pet:~e communauté catholique avait pu aussi s'y
maintenir depuis l'époque portugaise. L'insécurité qui sévissait dans le voisinage de
Joal n'avait pas permis aux missionnaire:, de développer avec rigueur leur action sur
l'arrière-pays.
Ici comme dans les comptoir71es Wolof ou Sereer christianisés n'avaient pa:;
totalement assimilé leur nouvelle foi qui se limitait pour eux au signe de la croix, ô
l'observance du dimanche. En d'autres termes, tout en se proclamant catholiques, les
convertis continuaient de demeurer iidèles à la religion du terroir, celle de leurs
ancêtres.
Si une importante proportion cie la population du Kayoor et du Bawol s'est
convertie à l'islam, en revanche l'immeme majorité des Sereer du Kayoor, du Bawol
du Siin et du Salum se détournaient de lui. Faute de statistiques nous ne pouvons
préciser l'importance numérique des mU3ulmans. Nous savons qu'ils étaient surtout
concentrés dans les provinces septentrionales du Kayoor et du Bawol ainsi que dans
le Sarïoxoor, La presqU'Île du Cap-veii et quelques cantons du Kayoor central.
Du point de vue social, l'influence islamique était superficielle. Les convertis
n'avaient pas abandonné dans l'eau bilptismale leur âme d'autrefois. Ils superpo-
saient aux croyances et pratiques anciennes, secretées par la religion du terroir celles
véhiculées par l'islam. Ils ne pouvaient brusquement renoncer à leurs traditions
sociales et familiales qui avaient assure l'équilibre de leur existence au profit de
~
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'1 2
provisi0'9légales qui leur étaient totalèinent étrangères. Le système social subordon--
nait les droits et les intérêts de l'individus à ceux de sa famille ou de son clan. Le
matrilinéajqUi était la modalité de transmission de l'héritage chez beaucoup de
collectivités créait des conflits de droit avec l'adoption des provisions de la loi
musulman' Ceci expliquait la relative lenteur des progrés de cette religion dont la
plupart des adeptes ne s'en tenaient encore qu'à ses aspects extérieurs90. Ils obeis-
saient à leurs coutumes, solides armatures de leurs sociétés.
Toutefois au milieu du XIX· sièclej"islam fit de grand~progrés en pays Wolof à
la faveur de la décomposition de la monarchie consécutive aux incessantes guerres
civiles. Toutes les victimes de l'ordre ceddo semblaient adhérer à l'islam qui proclamait
"égalité de tous les croyants et promeWlit urie «éternité de joie continue et souveraine"
à ses adeptes.
Les propagateurs de cette religion étaient les marabouts formant un groupe
original surtout dans lasociété Wolof. ll~; se répartissaient en marabout (ou Serin) Fakk-
Taal91 en Serin Lamb9' . Les premiers étaient pour ainsi dire des marabouts ambulants
qui se déplaçaient de village en villag') pour instruire la jeunesse et faire aussi leur
commerce de gris-gris9J. Leurs fonc~i()ns religieuses faisaient d'eux une espèce de
plèbe écclésiastique. Ils assuraient le cUlt~/t étaient ,invités à donner le cachet
islamique aux cérémonies familiales comme les baptêmes, les mariages et les
funérailles.
Ces marabouts de fortune cumulaient avec leurs fonctions d'enseignement
celles de medecins et de devins. Parmi eux on trouvait les tafsir ou grands exègètes
ou docteurs de la loi coranique. Ils appi'enaient aux enfants à lire, à réciter les versets
du Koran tracès sur des planchettes (Je bois arrondies. Ces marabouts étaient une
partie intégrante de la population agricole du Kayoor et du Bawol. Mais du fait des
exactions dont ils étaient souvent victimes leur seul souhait était la disparition de l'ordre
Ceddo qui freinait leur action missionnaire"'.
Pourtant certains grands maralJouts collaboraient de façon étroite avec les
chefs politiques en leur confectionnant des amulettes pour la réalisation de leurs
"~
1 ) B
aspirations. En retour ils recevaient des rétributions en or, en bétail et même en
.
esclaves. Par leurs relations avec les grands chefs ils essayaient de moraliser la vie
politique en donnant des conseils de paix et de conciliation96• Ces Serin Fakk-Taal
étaient pour la plupart d'ethnie man ding ou d'origine maure; dans ce dernier cas on
les applle Naaru Kayoor. 97
Les Serin Lamb étaient les marabouts dont les familles étaient unies pm c1e~;
alliances matrimoniales à celles des g3rmi, des doomi-bur et des Jambur. Ceci n'e,,1
pas fait pour surprendre car la première islamisation avait touché la strate dirigeante
des nobles et des fortunés de la société. Les marabouts étaient des conseillers trés
écoutés des souverains qui les consultaient avant de s'engager dans n'importe qu'elle
entreprise. Cette collaboration étroite avec les hauts dignitaires avait fini par les
associer à l'exercice du pouvoir. Progressivement des cantons et même des provinces
furent donnés en apanage aux marabouts Lamb. C'était le cas des Serin Luga, Pir,
"1
Pankey, Giiaan, Walalan, Peex, koki, !~omre96
Ces Marabouts étaient également chefs de guerre. En cas de mobilisation
générale ils marchaient à la tête de ;eurs troupes.
Dès lors on ne doit pas s'étonn8r qu'ils aient cherché, à la faveur de l'affaiblis-
sement de l'Etat consécutif aux incessantes luttes fratricides, à s'emparer du pouvoir
pour instaurer dans le pays une théocratie. L'échec de leurs ambitions politiques ne
les écarta pour autant pas dérinitivement des avenues du pouvoir. Pour la période qui
nous intéresse, ils maintinrent leur collaboration avec les dirigeants sans renoncer à
leur objectif qui était de mettre fin à cette lamentable situation de violence qui entravait
leur travail. Malgré ce lourd contentieu>: avec la caste dirigeante, les marabouts étaient
néanmoins perçus comme les détenteurs d'un pouvoir nouveau: le Savoir. Leur
culture religieuse leur permettait non ~;eulement de maîtriser la littérature arabe mais
encore de faire du Wolof ou du pulaa[ une langue littéraire. Des signes diacri~ques
furent ajoutés à certaines lettres de l'alphabet arabe pour rendre les ~~"
locaux inconnus dans cette langue. Cette élite intellectuelle experte en matière
gg
1 ')
d'exègese coranique produisit beaucoup d'ouvrages dans les langues locales. C'est / ..Q
ce qui explique l'efficacité de leur propagande contre les ceddo qui sous leur plume
devinrent l'incarnation du mal même.
Leur culture religieuse n'était plJS homogène dans sa distribution. Alors que
l'immense majorité des convertis restait analphabète, les marabouts atteignirent des
cimes élevées dans la pensée islamique. Ils ne cherchaient pas à approndir chez leurs
adeptes le sentiment religieux. Peu importait, disent-ils, que la foi fût superficielle si les
convertis s'accordaient dans une commune fidélité au message coranique qui
rythmait/eur vie. Avec le temps ils espéraient pouvoir procéder à la purification de
l'islam mal compris par leurs adeptes. Au Kayoor, au Bawol comme dans les provinces
orientales et méridionales du Salum les marabouts n'hésitaient jamais à tirer parti de
la moindre erreur des dirigeants pour reprendre l'offensive.
Mais l'islam n'avait pas ébranlé 1;;, croyance religieuse traditionnelle des serre;
même si les marabouts exerçaient une certaine influence "dans les affaires générales"
du Siin et du Salum99• Cette religion reposait sur la croyance en un dieu suprême
géniteur de l'univers: Roog-Seen. Entre ce Dieu et l'homme existaient des génies
bienfaisants ou malfaisants qu'on amadouait par des cultes et des rites magiques pour
conjurer leurs malifices ou obtenir leurs faveurs. Le système était couronné par le culte
en l'honneur des mânes des ancêtres appelés pangol en Sereer et Xamb en Wolof. Ces
pangg! ou xamb étaient les lieux dE; résidence des mânes des ancêtres ou leurs
tombes. C'étaient les fondateurs des viliGges qui avaient conclu avec les génies locaux
l'alliance assurant la prospérité du groupe'oo .
Les croyances locales ne comportaient aucun message universel bien que lil
notion de survie ne leur fût pas étrangère. Les ancêtres et les génies associés ilU
contr61e des phénomènes de la nature jouaient dans les cultes dynastiques une
fonction unificatrice du groupe afin de lui donner sa cohésion par la sanction immédiate
de toute violation des normes sociales'''',
Pour assurer la pérennité de la sociét71es individus étaient consubstantielle-
ment liés aux ancêtres et à leurs descendants par des rites de passage. L'émancipa-
1"\\ n
'.
tion physique et morale des adolescents passait par des épreuves et des rites censés
les nouer solidement à leur espace et à leur famille, faite de vivants et de morts. Le rite
le plus important était celui de la circoncision"à l'occasion de laquelle les jeunes gens
recevaient l'initiation qui les transfigurait en hommes à part entière. Les vertus de
solidarit,de courage physique, les connaissances indispensables à la vie en groupe
leur étaient inculquées pendant leur retraite. Toutes ces pratiques avaient pour but de
renforcer la cohésion du groupe. Les jeunes initiés en même temps ne seconsidéraient
plus comme de simples parent~ mais comme de véritable frères de lait et de sang. Le
md\\lien de ces rites créait chez l'adepte de la religion du terroir le sentimenl de
continuité vécu par la collectivité. Elle secretait la conscience historique qui leur
permettait de se distinguer des autres. Elles les enracinait dans l'espace. Les valeurs
de la société étaient ainsi transmises à la postérité par une éducation appropriée. Ils
étaient aussi perpétuellement raccordés à leur histoire.
"
Parmi les génies qu'invoquaier.t les Sereer figurait TaxaI' qui avait la charge de
la justice. II avait pour ministres ou prêtes des yaal pangol, responsable des lliillQol
dont les fonctions étaient héréditaims dans certaines familles. C'était par ces prêtres
qu'étaient résolues toutes les affaires de vo,?e sorcellerie102. Le Curax était le génie que
l'on invoquait «pour obtenir la réalisation de ses désirs ou écarter les malheurs qui vous
frappaient. Le cultivateur, pour obtenir d'abondantes récoltes ou faire cesser l'épicl6-
mie qui décimait son troupeau, la femille stérile qui désirait des enfants, le malade pour
recouvrer la santé lui faisait des offrandes de boeufs, de poules, de chèvres, de mil cie
lait suivant les circonstances. Ces oifrandes étaient religieusement déposées au piecl
de l'arbre'OJ" que ce génie avait choisi pour temple. Ces sacrifices n'étaient pas la
marque d'une quelconque adoration de Dieu ou de ce qui en tenait lieu. Ils créaient une
certaine fraternité entre le destinataire et les sacrificateurs.
Périodiquement les chefs de famille réunissaient leur monde pour faire des
libations solennelles en faveur de leurs ancêtres. Ces cultes familiaux limités à une
seule concession ou à un seul village jouaient un r61e important dans les conduites
religieuses des païens'o,. Presque ctlaque famille possédait un autel pour son culte
personnel. Tous les lundis et tous Ir,' jeudis les sacrifices avaient lieu en l'honneur des
~
1 ., 1
ancêtres pour qu'ils exerçassent une surveillance vigilante sur leurs descendants.
Avant d'ensemencer, des sacrifices étaient également offerts aux ancêtres dont les
interventions auprés des génies étaient censés avoir beaucoup plus d'efficacité en
raison de l'alliance qui les liait au moment de leur établissement dans la région. A la fin
des récoltes les villages d'un même canlon se regroupaient pour faire un dîner général
afin de remercier, les ancêtres et les génies, de leur protection.
Cette religion du terroir gardait au milieu du XIX· siècle une grande vitalité
surtout en pays sereer sur lesquels l'islam et le christianisme n'exerçait qu'une
influence bien discrète. Elle était l'expression de l'équilibre fragile que les populations
étaient parven~ établir avec un milieu naturel et un environnement social ou politique
souvent difficiles. Cette inquiétude du lendemain qui hantait les consciences expliquait
le recours à des cultes où les rites de magie devant soumettre la nature à la volonté des
hommes. Tant que les adeptes restaierit confinés dans les horizons limités du village
et du canton, cette religion pouvait conserver tout son dynamisme. Mais elle pouvait
être frappé de caducité si des perturbation de grande ampleur obligeaient ses
sectateurs à s'éloigner à titre temporaire ou définitif du foyer de leur ancêtres. Car ces
cultes ne se transportaient pas. Les '1uiels étaient fixés une fois pour toutes.
1- A.N.S.13 G 67 Maritz.
2- A.N.S. 13 G 67 Maritz.
3- Diop A.B. (page 33).
4- Hennessy J.: La traite des Noirs à travers l'atlantique. Paris, Fayard, 1969 (page
37).
5- Aujas : Les Sereer du Sénégal. (Page 311).
6- A.N.S. 2 : Administrateur du Sine-Saloum au gouveneur Sénégal Kaolélck 19 Juin
1894.
7- Gausserou, B.H. : Un Français au Sénègal. (page 140).
8- Gausserou B.H. OP. cit.,(page 140).
9- Sabatier: Op.cit., (pages 378 et suivantes).
10- Aujas : Les Sereer du Sénégal.
11- Marmier: Note sur le Bawo11898. (Renseignement coloniaux).
12- Diop A.B.: OP.cit. (page 157).
13- Sabatier Op. cit.(page 315).
14- Gausseron : Op. cit. (page 140).
15- Sabatier: (page 316).
16- Le jawrin Mbul est de matrilignage Xaagan.
17- Le Bar-get de patrilygnage Diop.
18- Jogomay est Gueye.
19- jawrin Njigeen est Dieng.
20- Diop A.B. (page 176).
21- Berenger-F. : Revue d'anth. 1879 (page 29).
22- Gausseron : Op. cit. (pages 138-139) : Un diambor est une mauvaise trans-
cription de diambour Uambur).
23- Gausseron Op. cit. (page 139).
24- Gausseron.
25- Bouteiller: De Saint Louis à Sierra Leone. Paris 1891, (page 51)
26- Jeuf-Iekk : Ceux qui gagnent leur pain, nourriture par leur labeur.
27- Ceux qui gagnent leur nourriture en imitant le chant de l'oiseau.
28- Ceux qui gagnent leur nourriture en aboyant.
29-Diop AB. : (page 50).
30- Diop AB. : Ibidem.
31- Carlus: Les Sereer de la Sénégambie. In revue de géographie (page 415)
32- Diop AB. (page 64).
.
33- Heries : Mémoire au ministre de la marine sur la colonie du Sénégal 1847.
(page 9).
34- Berenger feraud : Etude sur les Wolof! in Revue d'anthropologie 1875, (page
30).
35- Guy C. Le Sine Salum in Revue de géographie (page 309)
36- Pour le griot la belle mort c'est celle qu'on reçoit sur le champ de bataille le
corps criblé de balles.
37-Guy. : Op. cit.
38-Diop AB. : (page 93).
39-Carlus : (page 413).
40-Diop AB. : (page 62).
41- Diop AB.: (page 43).
42-Carlus : (page 413).
43- Herice : Memoire au ministère de la marine sur la colonie du Sénégal. 1847,
(page 9).
44- Ces informations ont été fournies par Moustapha Ndione de Thies Noon.
45- Lafont. Le Gandoul et les Niominka. (page 414).
46- Carrere et Halle: De la Sénégambie française 1855 (page 54).
47- Carrere et Halle: Ibidem.
48- Carrère et Halle: Op. cit. (page 54).
49- 1 B 23 : Folio 228 : Ministère de la marine et des colonies au Gouverneur. 4
Septembre 1835.
50- A.N.S. : K 7 : Rapport Poulet sur la captivité domestique.
51- Champagac et Olivier (page 396).
52- A.N.S. K 18 : Rapport du commandant de Podor 1906.
53- Le Joop : Information recueillie à i'Jaxeen en Avril 1979.
54- ANS. K 18 : supérieur de Larson : Rapport sur la captivité au Bawo11904.
55- ANS. K18 Lefilliatre : Rapport sur sur la captivité dans le Sine Salum 1904.
56- Lefilliatre : K 18 Rapport sur la capti'Jité au Sine-Salum 1904.
57- Gueye Mbaye : L'Afrique et l'esclavage (page 166).
58- Idem,lbidem.
59- K 18 Rapport de Descemet mairie de Saint-louis sur la captivité.
60- ANS 13 G 195 : Rapport sur la captivité, cercle de Bakel.
61- ANS K 7 : Notes de l'ordennateur Guillet sur la captivité 29 janvier 1836.
62- ANS K 7: Notes de l'ordonnateur guillet sur la captivité 29 Janvier 1836.
63- ANFOM : Sénégal XIV- 14 - Le Directeur des Colonies au ministre, 40ctolxo
1847.
64- Idem, Ibidem.
65-Joucla. L'esclavage en AO.F.: in bulletin de la société des anciens élèves de
l'école coloniale 1905.
66-Moreau de Jonnes : Recherches statistiques sur l'esclavage colonial, Paris.
1842, (page 142).
67-AN.S. K 18 Descemet : Rapport sur la captivité.
68- AN.S. K 18 Descemet : Rapport sur la captivilé.
69- Mungo-Park op.cit page 429
70- Saint Pére; Les saracollets du Guiclimakha (page24)
71- Béranger-Feraud Op.Cit. (Page 29)
72- Idem, Ibidem.
73- Fekk-Bayyi : Signifie ceux qu'on trouve là et qu'on laisse là en partant.
74- AN.s.: Poulet rapport sur la captivité. (Tivaouane)
75- AN.s. 1 G 291 : Forige rapport sur la captivité dans le cercle de Louga.
76-Lamel Op. cit. (page 187).
77- AN.S. K 27 Dupérier De Larson : Enquête sur la captivité dans le cercle de
Thiés 1902.
78- Noirot: J.O.S. 1892.
79- Berenger F. : Op. cit. (page 36).
80- Bouteiller: De Saint Louis à la Sierra Leone. Paris. 1891, (page 51).
81- Bouteiller: Ibidem, (page 56).
82- Berenger F. Op. Cit.
83- Bouteiller: (page 56).
84- Moreau: (pages 295-296).
85- Moreau: (page 296).
86-Martin, R.P. : Structure de la famille chez les Sereer et les wolof du Sénégal.
1970, (page 773): Extrait de population. Revue bimestrielle de l'institut national
d'études démographiques 25° année 1870
87- Aujas L. : Op. cit. (page 308).
88- Aujas Op. cit. (page 307).
89- Aujas Op. cit.(page 319).
90- Delafosse. L'islam et les sociétés noirs de l'afrique. Renseignements colonies
n012/1922
91- Fakk-Taal : Signifie dégager le sable pour y allumer un feu. Ce sont donc géné-
ralement des étrangers
92- Lamb: signifie arène de lutte.
93- Gris-gris: signifie talisman
94- Joseph Du Sorbiers de la Tourasse : Au pays des Wolof. 1891 (page 76).
95- Diop A.B.(page 238).
96- Boilat Op. cit. (page 301).
97- Naar-u-Kayoor : Signifie maure du Kayoor.
98- Ba : Op. cit. (page 164).
99- Pinet Laprade: Op.cit. (page 148).
100- Labouret: A la recherche d'une rJolitique indigène B.C.A.F. 1931 (page 45).
101- Beranger-F: Les sereer. In moniteur du Sénégal 1873
102- Pinet Laprade: (page 148).
=
103- Pinet Laprade: Op. cit. (page 14~J).
104-Martin V. et Becker C.: Lieux de c'.Jltes et emplacement célèbres dans les pays
Sereer.
105- Carlus J.: Op. cit (pages 417-41U).
~
CHAPITRE V:
n'
LA VIE ECONÔMIQUE DES ETATS
WOLOF-SEREER A~J MILIEU DU XIX!!.SIECLE.
Les habitants des Etats Wolof-Sereer étaient principalement des agriculteurs.
Le tral/ail de la terre y passait pour trés noble. Cette prééminence de la terre
apparaissait dans les institutions politiques et administratives. Le roi régnait sur des
paysans. Lors de son intronisation leur représentant lui donnait les échantillons de tous
les produits cultivés dans le pays. La première organisation administrative avait donné
aux Laman les commandements territoriaux les plus importants. Dans les différents
royaumes ils formaient le conseil des gra'nds électeurs.
Chez ces ouvriers de la terre c'était vers le sol que s'était concentré le sentiment
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de la noblesse parce qu'il conférait aux individus comme aux collectivités leur lIlt.e1l$
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qui exerçaient une pr~fession artisanale étai~;rçus comme non
nobles et situés au bas de l'échelle sociale.
Mais on doit se poser les questions de savoir à qui appartenait véritablement
la propriété du sol? Au lendemain de la création des monarChies)es Etals avaient-ils
eu le domaine éminent ne laissant aux agriculteurs que le domaine utile ou le droit de
jouissance ? La principale difficulté a laquelle on se heurte est le problème cie
terminologie. Le langage du droit français n'est pas superposable à celui du droit local
et les fonnes d'organisation sociale de la France et des pays Wolof et Sereer ne sonl
pas non plus identiques. Il nous faut cfonc partir de la conception autochtone pOUl'
répondre aux questions que l'on s'est posées plus haut.
Pour ce faire, il n'est peut-être p'iS inutile de jeter un regard rétrospectif sur les
différentes phases de l'évolution du problème foncier dans les Etats Wolof-Sereer.
Avant la dislocation de l'empire du Jolof intervenue entre le xyoet le XVIO siècle
les pays du Kayoor et du Bawol du Siin ~;omme du Salum avaient été occupés par des
collectivités familiales qui, par le feu ou par le fer, avaient délimité des tenitoires sur
lesquelles elles exercèrent leur droit d,'! propriété. Ainsi chaque collectivité disposail
Hg
'f 3 6
d'une étendue de territoire cultivée ou vierge qui lui était reconnue par la tradition ou
par des conventions tacites ou explicites avec les collectivités voisines. Le chef
administrant les droits territoriaux de la collectivité s'appelait le Laman. "était l'aîné ou
le patriarche du lignage patrilinéaire ou matrilinéaire qui fut le premier occupant du sol.
"gérait ce bien commun au nom de la collectivité'.
L'instauration de la monarchie ne changea pas fondamentalement la situation.
Amari Ngoné Sobel Fall, artisan de la sécession du Kayoor et du Bawol, était le fils du
Laman Ndand Decce Fu Njoqu. " continua à reconnaitre et à respecter les droils
fonciers des premiers occupants autochtones. La seule innovation fut la transforma-
tion, en terres domaniales, des territoires qui jusqu'alors appartenaient à son lignage
patrilinéaire. Avec la réorganisation administrative qui accompagna la création de la
monarchie, certaines terres furent distraites de certains territoires de laman pour doler
les chefs de province de champs de culture. Quand l'étendue du Lamanat était
,
suffisamment vaste pour constituer Uil canton, le Laman détenait le pouvoir adminis-
tratiftout en continuant d'administrer les droits fonciers de sa collectivité familiale. Ainsi
le chef du Geet se recrutait toujours dans la famille des Joop comme celui cie Njunob
dans celle des Gey.'
Ces terres, mises à la disposition des chefs de canton ou de province quand ils
étaient étrangers à la famille première occupante du sol, leur permettaient d'assurer
la subsistance de leur famille en y faisant travailler par corvées leurs administrés.
Au Siin et au Salum où les gelowar s'étaient imposés aux Sereer par la force de
leurs armes, le sort de la terre ne suivit pas pour autant celui des armes. Comme au
Kayoor et au !?awolles collectivités disposaient d'immenses étendues de terres pour
des populations clairsemées qui n'exerçaient leurs droits que sur de faibles superficies
de terre. Le problème de l'expropriation ne se posait pas, car les Gelowar menaient
une existence nomade qui les concond'Jisait de Mbissel à l'ouest à Jaxaw à l'Est. Au
cours de leur progression vers l'Est ils se constituèrent des domaines qui furent
finalement utilisés au profit de leurs chefs de canton. La propriété des Laman fut
respectée. C'est peut-être ce qui explique l'absence de rancoeur chez les Sereer au
lendemain du triomphe gelowar-"
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Ainsi dans les Etats Wolof-Sereer l'établissement de la monarchie n'avait paé;
entrainé une modification du système foncier dans le sens d'une main mise de l'Etal
sur la propriété du sol. Le damel, le !.eerï ou le bur n'étaient pas les propriétaires
éminents du sol de leurs royaumes f"isant de leurs sujets de simples usufruitiers. En
réalité ils n'y détenaient que des droits de souveraineté sur le sol qui demeurait pour
l'essentiel propriété des Laman.
Ainsi les terres des Etats Wolof-Sereer se répartissaient en propriétés royales
et en propriété de famille. Les souverains utilisaient les proprités domaniales pour doter
certains de leurs agents de concessions leur permettant de se livrer à l'agriculture. Les
principaux bénéficiaires de ces concessions ou «Ieff» se recrutaient parmi les membres
des clans royaux et les marabouts scuvenld'origine étrangère. Avec la militarisation
de plus en plus accentuée de la monarchie, les différents souverains multiplièrent les
dotations territoriales au profit des clients de leur lignage maternel ou paternel et de
ceux dont on voulait obtenir l'alliance. Des territoires furent donnés en apanage par les
rois à leur fils, leurs frères, leurs femmes et à certains esclaves de la couronne. Ces
terres étaient prélevées sur le domaine royallsoit sur celles que les collectivités
lamanales avaient accepté de rétrocéder au roi pour les besoins de l'administration
territoriale. Dans ce cas aucune redevance n'était perçue sur la concession.
Des marabouts souvent sollicités par les souverains pour leur efficacité magico-
religieuse recevaient également des donations faites d'abord à titre viager «des con-
cessions presque toujours renouvelées en faveur des fils. Elles devinrent à la longue...
de véritables propriétés de famille'». Dans leur politique de fixation des étrangers, as-
similés aux captifs de la couronne, des lopins de terre leur étaient distribués dans les
zones où la densité des populations étaient squelettiques. Ces donations avaient pour
but la mise en valeur du sol et aussi l'établissement d'un rideau défensif contre des
voisins souvent entreprenants. Les bénéficiaires de ces concessions royales payaient
un droit annuel proportionnel à la récolte. Cette taxe pouvait être perçue en bestiaux".
La propriété de famille provenait d'un ancêtre commun à plusieurs familles «et
restait toujours indivise entre les descendants et les collatéraux"». Celle propriété
n'était ni individuelle ni aliénable. Le sol appartenait aux familles qui devaient le
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transmettre intact à leurs descendants. Cette tenure familiale s'exerçait en outre aussi
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bien sur les terres directement utilisées, dans l'agriculture que sur celles qui, inoccu-
pées, paraissaient vacantes. Celles-ci constituaient des réserves pour les collectivités
et rentraient dans la sphère d'utilité prochaine de ces collectivités à qui elles étaient en
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..'
conséquence «nécessaires d'ores et déjà, autant au moins que celles qui servaient à
nourrir actuellment les familles parla culturel». Faute d'engrais la terre s'épuisait
rapidement. Les collectivités, propriétaires d'immenses étendues de terre, avaient tout
le loisir de déplacer leurs cultures en régénérant les sols par de longues jachéres. La
propriété de tout le territoire cultivé ou non appartenait à la famille. Les lopins laissés
en friche comme les terres vierges étaient en apparence vacantes mais elles n'étaient
jamais sans maîtres·.
Avec l'accroissement de la population, les possibilités de gaspillage des sols
entrainant le nomadisme cultural, se rétrécirent. La multiplication des familles rai'
essaimage rendit nécessaire une meilleure gestion du sol. Le laman, administrateur dll
droit répartissait le sol en lopins en vue de l'exploitation. Les concessions remises ô
chaque famille pour les besoins de son agriculture ne remettaient pas en cause je
caractère collectif de la propriété. La terre/dans son intégralit'Jemeurait éternellement
la propriété de la famille considérée comme la première occupante du terroir".
Outre les membles de la famille, les laman faisaient des concessions à des
étrangers à titre précaire et révocable et moyennant le paiement de certains redevan-
ces. Au début de son installation le è:oncessionnaire payait au Laman un Ndalu lO ou
taxe d'établissement puis il donnait une certaine proportion de la récolte qui sous
l'influence de l'islam fut finalement fix~u dixième.
Les diHérents membres de la collectivité lignagère avaient la faculté de s'appro-
prier des parcelles du territoitre collectif et de les exploiter. En les cultivant san:;
interruption, ils en faisaient finalement une sorte de propriété personnelle qu'ils
transmettaient à leurs héritiers Les terrains non mis en valeur et qui n'avaient pas fait
l'objet d'une «appropriation privative ou qui cessaient d'être occupées et cultivéees,
restaient ou rentraient dans le domaine collectif, qui existait toujours et constituait la
base de la société... Le chef de la collectivité, d'accord avec les notables, pouvait en
~
., 3 9
disposer dans l'intérêt ct au profit de la collectivité"». Les terres familiales étaient une
propriété collective inaliénable «exclusive de toute propriété privée et de tout droit réel
individuel"». C'est la terre des anc&lres qu'il fallait transmettre intacte aux descen-
dants. '3"
C'est pour cette raison que les laman assumaient aussi des fonctions religieu-
ses. Ils étaient prêtres de la terre chargés de faire les offrandes non seulement aux
ancêtres mais encore aux génies locaux avec lesquels ils étaient liés par des pactes
d'alliance.
Les redevances que les lamar} percevaient sur les tenures concédées f.~ cles
cultivateurs étrangers, aux groupes leur procuraient les moyens de fournir aiclc el
. .
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assistance à tous ceux qui étaient dans le t:il&6iW'Y. Les ménages en difficulté, les
pauvres ou les victimes d'accidents étaient pris en charges par les laman à défaut c1es
membres les plus proches de leurs familles.
Le système foncier Wolof-Sereer était donc original. Les terres domaniales
coéxistaient avec les propriétés cles familles qui exerçaient sur leur terres des droits
exclusifs et absolus. Cette propriété ;rldivise et collective «avait pour corollaire naturel
son inaliénabilité».
La principale source de richesse pour les Wolof et les SereQr était donc
l'agriculture qui portait la marque d'une originalité particuliére au milieu clu XIXosiùc:le.
La longue période de guerres civiles provoquées par la traile négrière se solda, ci;"lIl;;
notre zone d'étude, par un énorme retard dans la mise en valeur des sols. Les densités
de population étaient clemeurées longtemps trés faibles en raison des ponctions
humaines opérées par la traite, et les épidémies. La concurrence des produits
européens dans tous les secteurs de l'activité économique rendait impossible toute
amélioration des techniques culturales. La routine prit partout le pas sur l'innovation.
Ce climat de peur accentua chez tout le monde le sens de la famille, de la
solidarité pour faire face à la menace permanente. La préoccupation majeure du
groupe étaitsa survie. Cetle économie avait des dimensions trés modestes à l'échelon
local ou régional. L'appropriation collective du sol interdittoute innovation dans la mise
Wg
1 4 0
en valeur. La culture était extensive. L'absence d'engrais épuisait les sols qui retour-
naient à la friche aprés deux ou trois récoltes.
Comme instrument de culture le paysan n'avait ni charrues attelées de chevaux
ou de boeufs, ni de bôches, ni des pioches «remuant et retournant la terre"», mais l'iler.
C'est un instrument d'une vingtaine de centimètres de large ayant la forme (l'un
croissant. Il était doté en son centre d'une douille d'où partait un trés long manche".
C'est un sarcloir, «mais ses multiples usages, depuis la préparation du terrain et le
semis jusqu'à la récolte en faisait l'outil polyvalent et caractéristique des cultivateurs
du bassin de l'arachide'"». Cet outil était adapté «aux sols sablonneux et meubles qu'il
permettait d'aérer de désherber sans bouleverser ni détériorer leur structure».
Outre l'iler le paysan Wolof ou Sereer disposait aussi de petites houes tel le
Konko employé dans les opérations de sarclage et de binage et également pour le
semis d'arachide. Le coupe-coupe et la daba «longue branche de bois fourcllue dont
le manche était muni à son extêmité d'une pièce de fer tranchante'·». Elle était utilisée
pour le débroussaillement, le transport des branchages et de la p8ille. Méllgré
l'indigence de leurs instrument:"ils se montraient cultivateurs exp~rimentés dont donl
le souci primordial était de maintenir à la terre sa fertilité.
Toute l'organisation économique était pensée dans une perspective de sécu-
rité collective. Le danger planant sur les populations interdisait toute libération de
l'individu, Les familles maintenaient une pression constante sur leurs membres en
renouvelant à chaque hivernage le pacte d'alliance avec les génies protecteurs et la
soumission aux ancêtres. Porter atteinte à ces traditiOIlS')c'était mettre la société en
danger, Les individus étaient donc entravés dans leurs initiatives par tout un système
d'interdits. Cette attitude exclut toute innovation. le cultivateur ou le pasteur ne
manifestaient aucun esprit d'entreprise. La famille voulait conserver à tout prix sa
cohésion dans laquelle résidait sa cllance de survie.
Dès lors l'activité économique était le fait du groupe familial tout entier, C'est la
collectivité qui la dirigeait. De puisantes disciplines collectives fixaient pour tous les
membres du groupe la date des travaux agricoles, l'emplacement des dé!richements
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dont les terres étaient périodiquement répartie entre les familles dans le cadre cie lé'
rotation des soles.
Même si, dans ce système, (les ménages ou des individus cultivaient des
lougans personnels, il existait toujours pour le groupe familial un champ commun qu'il
défricllait et ensemençait. La récolte était faite en commun et le partage s'opérait en
proportion des ménages. «Les vieillards présidaient à cette distribution sans qu'il
s'élevât la moindre altercation, ou bien elle était déposée dans des cases élevées de
terre sur des pieux hors du village, et qui servaient de magasins publics, autour
desquels s'exerçait une active surveillance; on distribuait ensuite selon les besoins'·».
On peut toutefois noter une certaine division sexuelle du travail. Les femmes symboles
de la fécondité étaient les premières à placer le grain en terre, les boutures de manioc,
les plants de riz dans la zone rizicole du Salum. Les hommes défrichaient, ouvraient
le sol, bref faisaient les travaux exigeant beaucoup de force physique.
Au début du XIX" siècle, l'abolition de la traite négrière incita les dam el du Kayoor
Birima Fatma Cub (1809-1832) et son successeur Maïssa Tend Joor (1832-1855) à
encourager l'agriculture afin de trouver une compensation aux revenus perdus par
cette mesure. Les peuls furent également invités à s'établir dans le pays où cles
garanties leur furent données. On assista alors à une éjmélioration des techniques
culturales. pour éviter l'épuisement rapide des terres les peuls furent autorisés à établir
leur pacage dans les soles livrées à la jachère. Cette combinaison de l'agriculture et
de l'élevage donna des résultats appréciable. L'arachide connut un rapide essor, dès
1849 le damel perçut une coutume de 150 pièces de guinée20.
Les sereer/yant intégré l'élevage dans l'agriculturejPurent édifier par leur
labeur un véritable paysage agraire. Au centre des terres familiales se trouvait le village
avec ses différents enclos correspGndant aux différents ménages, avec les cases
familiales et leurs dépendances. Ils étaient formés de palissades et de haies vives. A
l'intérieur quelques arbres et quelques planches où les femmes soignaient les légumes
comme le manioc ou les courges. C'étaient les baobabs, les kad, qui opposaient un
obstacle à l'érosion éolienne et entraient aussi par leurs feuilles et leurs fruits clans
l'alimentation humaine ou animale. Dans cette organisation économique l'objectif était
de produire tout ce qui était nécessaire à la vie du groupe. La polyculture vivrière et
l'élevage formaient un couple devant assurer la vie autarcique du groupe. Certes les
échanges avaient lieu, mais la part de l'autoconsommation restait considérable dans
la production2 '.
L'activité économique de ces sociétés rurales Wolof et Sereer était fondée sur
céréaliculture d'hivernage. Cette culture sous pluie «était fondée sur deux famill~e
graminées: celles du mil et du sorgho plds généralement qualifiés de petit mil. .. et de
gros mil22". Il existait deux varietés de petit mil, le Suna et le Sana. Le premier avait un
cycle végétatif bref environ de 90 jours et s'adaptait à merveille aux sols sablonneux.
Le cycle du second était plus long. Son oomaine de prédilection était constitué par les
sols dek plus riches en matières organioues. Ces deux variétés étaient résistantes à
la sécheresse.
Ces petits mils formaient les céré~les de base du territoire Wolof-Sereer. Elles
assuraient l'essentiel de la nourriture quotidienne. C'est de leur récolte que dépendait
en grande partie la sécurité alimentaire. A leur déficit provoqué par la sécheresse ou
par une invasion de sauterelles étaient r.§es les famines et les disettes23.
Les Sorgho jouaient un r61e d'appoint. Ils exigeaient une humidité plus abon-
dante et de plus longue durée. La diversité du genre sorghum permettait aux paysans
de disposer d'une gamme de variétés differenciées par la durée de leur cycle
végétatif". Ils étaient cultivés dans les sols qui tapissaient les dépressions, les cuvettes
et les axes de drainage. C'est pour cela que leur domaine était discontinu. Ils
occupaient les terres de culture d'ou les «pénicellaires était exclus par la compacité du
soj25". Du Kayor au Salum les villages réservaient des lougans au gros mil chaque fois
que les exigences pédologiques étaient satisfaisantes. On y trouvait cinq espèces
formant la collection suivante: Le tin (Sorghum gombicum Snowden), le Kongosane
et le Voyende deux formes de sorghum guineense, le Mboratel (Sorghum exsertuill
«et enfin le fela (Sorghum Cernuum), sans doute le plus fréquemment cultivé26". Ses
rendements élevés lui valurent la préférence des paysans.
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A côté de ces céréales de bôse, signalons la présence du riz qui était la
principale culture dans la région deltaïque du Salum. Elle se faisait dans les villages de
culture sélectionnés parmi les îles de cet archipel. Les grandes rizières étaient voisines
des villages permanents qu'elles ceintumient presque complètement.
Dans cette zone où il n'y avait pas de marigots d'eau douce cette culture exigeait
beaucoup d'ingéniosité. Les cultivateurs avaient à résoudre le problème de la retenue
des eaux de pluie. Cette tâche étaient rendue difficile par la configuration du pays trés
plat. C'est pour cela que les rizières furilnt installées sur les pentes insensibles se
trouvant dans le voisinage des tann. Car si la salinité de l'eau n'était pas trop forte le
riz s'accommodait d'une eau saumâtre "Les rizières étaient entourées de murettes de
terre; deux ou trois terrasses contiguës étaient ainsi accolées les unes aux autres à des
niveaux légérement différents. De la sorte l'eau était utilisée au maximum2?".
,
Les instruments de culture étaient identiques à ceux des cultivateurs Wolof ou
Sere~r. C'étaient l'iler, la daba, le Koby et le Galanka. Le koby est une sorte de daba
adapté à un grand manche coudé et qui permettait de travailler le sol sans se pencher
autant; c'est par excellence l'outil des femmes. Le galanka ressemblait à un grand
aviron ferré; cet outil convenait "le mieux au travail dans l'eau2.».
Les autres cultures vivriéres n'occupaient dans le paysage rural qu'une place
discrète. Toutefois le iiebe (vina sineuse) "papilionacee voisine des haricots" tenait
une place importante dans l'alimentation. Il se présentait sous différentes variétés:
SëQ, Bay-Ngaii, Ndut, Njasiw. Elles étaif:'nt ensemencées dans les champs de mil
aprés le prelnier sarclage. En raison de leur facilité de conservation on leur réservail
quelque fois des champs particuliers'"' A côté des champs de mil étaient souvent de
vastes jardins semés de citrouilles, de :nelons, "le tout confié aux pluies du ciel. "l;;1
patate poussait sur les sols sablonneux'o. L'agriculture était pratiquée par tous les
villages. Les arbres étaient surtout en pays sereer, couverts de ruches donnant un miel
utilisé pour sucrer certains repas. La cueillette des fruits de certains arbres venant
compléter l'alimentation.
~
1 4 4
Ces groupes vivant en autarcie, consacraient une grande partie de leur activité
à la culture du cotonnier et de l'indigotier,'Les champs de coton étaient comme en pays
Ndut bien défrichés, sarclés et entourfJs de fortes haies de bois épineux pour les
protéger contre lestroupeaux. «Les plants decotonniers n'étaient renouvelés que tous
les dix ans environ, ils donnaient de belles récoltes. Mais quand le coton était
ensemencé dans les mêmes champs que le mil, les pieds étaient arrachés aprés la
récolte, et par suite, les produits n'étaient pas abondants3l ". Le coton filé et tissé
donnait des vêtements souvent teints élvec de l'indigo. Il entrait souvent aussi dans
certaines pratiques cultuelles.
La suprématie du mil dans ce système de production était écrasante. «Son rôle
fondamental dans l'alimentation elles préoccupations paysannes et même l'emploi de
ses tiges comme matériau de construction des habitations autorisant à parler d'une
véritable civilisation du mi!,2".
L'ARACHIDE AU ~:m.lEU DU DIX NEUVIEME SIECLE
Depuis le XVIe l'arachide était cultivée dans notre domaine d'étude mais pour
l'autoconsommation principalement. Elle entrait dans la préparation des sauces pour
le couscous ou le riz et même pour la bc.uillie de mil qui servait de déjeuner en général
aux populations rurales Wolof ou Sereer. A partir de 1840, elle était utilisée comme
produit d'exportation pour les maisons de commerce française de Saint-Louis et de
Gorée. Avec l'abolition de la traite, les cultivateurs et les autorité des Etats Wolof-Serer
trouvèrent en elle un produit de substitution au commerce négrier.
Le développement de la culture arachidière ne sembla se heurter à aucun
obstacle. La main-d'oeuvre existait pour le travail méticuleux qu'elle exigeait. Les chefs
de famille avaient la possibilité de se fairE: aider des membres de leur famille ou de leurs
esclaves. Ils n'avaient pas de grosses dépenses à assumer. Les zones du Kayoor, du
Bawol, du Siin et du Salum se trouvant dans le voisinage des ports d'embarquement
furent les premières à répondre favorabiement à la demande du commerce français.
Entre 1840 et 1850 on constata une ,;mélioration du commerce français consécutive
à la vente par les gens du kayoor de quantités d'arachide de plus en plus importantes.
~
1;,;:".1
Le commerce de détail fondé sur le troc'''des marchandises contre l'arachide connut
alors une prospérité bien réelle et sembla même promis à un bel avenir.
1..
Les revenus qu'elle procurait à ceux qui s'y adonnaient provoquilênt chez les
voisins une intense émulation au point de pousser certains paysans à négliger les
cultures vivrières. En 1848 le gouverneur Baudin notait que la récolte du mil était
devenue presque nulle dans le Kayoor depuis que ses habitants se consacraient
presque exclusivement à la culture de l'arachide"". Les chefs qui, jusqu'alors, avaient
fait de la traite des esclaves et de la guerre leurs activités primordiales, trouvèrent dans
l'arachide le produit qui leur permit de renoncer définitivement au commerce négrier
et de valoriser leurs esclaves en réorientant leur activité vers cette culture d'exporta-
tion.
Mais tous ces territoires n'étaient pas pareillement disposés à faire cette
reconversion économique que leur offraitl'arachide. L'acheminement de la récolte aux
points d'embarquement exigeait l'établissement de routes. Les Etats jaloux de leur
indépendance refusèrent d'en confier la construction à des étrangers. De plus
l'expérience malheureuse constatée avec l'abandon des cultures vivrières au profil de
l'arachide ne pouvait qu'inciter les autorités à surveiller attentivement les progrès de
cette plante.
Sans doute le damel tirait de ce commerce des revenus substantiels. En 1849
il reçut comme coutume de Saint-Louis 150 pièces de guinée. Il percevait sur les
producteurs à partir de 1852 une taxe de 2 kg pour 30 à 40 kgexportés dans les différents
ports de Ganjool. C'est pour cela ~;iue le Njambur songea à se détacher de la
souveraineté du Kayoor. Le 6 Juin 1852 les dignitaires du Ganjool demandèrent au
gouverneur de les protéger de tous les Illaux susceptibles de leur venir du Trarza, du
Brack, du Damel et du Burba-Jolof.3< L.es marabouts du Ndambur terre arachidièrc,
étaient aussi prêts à entrer en rebellion à la moindre défaillance du pouvoir centl'8l.
L'élevage n'était pas encore perçu COl'lme une activité économique. La possession
d'un troupeau ne débouchait pas sur la commercialisation. Elle était un indice du
niveau social, un facteur de consid(~ration. Peu importait l'état des bêtes, ce qui
comptait c'est leur nombre.
Les Wolof bien moins habiles éleveurs que les peuls et les Sereer avaient des
troupeaux de boeufs, de moutons et de chèvres «qui trouvaient une abondante
nourriture dans les immenses prairies que la nature seule avait semées de toutes
sortes d'herbes. Les esclaves étaienlchargés de les garder35... Mais l'obstacle le plus
sérieux que rencontrait cet élevage était la longueur de la saison sèche. Pendant Sept
à huit mois de l'année, il ne tombait aucune goutte de pluie. L'ardeur du soleil, les vents
désséchants du Sahara tarissaient les mares et faisaient disparaitre rapidement toutes
traces de végétaux. Seulement l'essor pris par l'arachide permit d'obvier à ce défaut.
La paille d'arachide engrangée assurait l'alimentation du bétail pendant cette longue
période de soudure.
Mais ici, comme ailleurs dans les autres pays Wolof, les Peuls avaient ou
presque le monopole de cette activité. La sévérité des conditions naturelles les
contraignait à pratiquer un nomadisme de grande amplitude. Au milieu du XIX· siècle
i
ils s'étaient fixés dans le voisinage de Saint-Louis et dans la zone des Nay où les bêles
se comptaient par dizaines de milliers cie têtes.
Grâce à l'humidité qu'elles conservaient pendant une bonne partie de l'année,
les ~Jay, portant une végétation spontanée de graminées, constituaient pendant les
mois de la saison sèche, d'abondantD5 ressources pour les troupeaux qui y vivaient.
Les Sereer pratiquaient aussi un élevage intégré dans l'agriculture. Le bétail
était parqué dans les enclos hors du village dans la sole destinée au mil. Ce troupeau
n'était pas destiné au commerce. Son importance donnait de la considération au
propriétaire. C'est lors des funérailles que de nombreuses bêtes étaient immolées en
nlonneur des défunts. Le troupeau représentait le " bien familial par excellence, il était
en même temps le centre d'intérêt commun, le noeud des relations entre les membres
d'une même famille. Il était le patrimione collecti!""".
Chaque famille essayait d'accro'tre le nombre de ses bêtes pour se procul'er
facilement du lait et du beurre pour son alimentation et de la fumure pour ses champs.
Les animaux n'étaient vendus que dan:; les circonstances exceptionnelles: Le Mba-
dan, Le Njegem, Le sendog possédait environ 60000 têtes de boeufs37• Les peuls
1 If 7
étaient présents dans le Siin et le SalurTLOÙ ils se consacraient à leur activité préférée.
Ils n'y cherchèrent pas às'intégrer danslé cadre social qui les accueillait. Cet isolement
relatif les mettait dans une situation diHicilevis à vis des Sereer qui entendaient résorver
à leurs bêtes les pâturages et les point!; d'eau. Les rapports entre ces deux groupos
se traduisaient souvent par des rixes sanglantes chaque fois que les peuls empiétéliont
sur los domaines réservés des Sereer''''.
La question était de savoir corflment les amener à cesser cet élevago de
prestige pour une activité plus importante et plus rénumératrice. Comment incitor les
uns et les autres à s'engager dans l'exploitation rationnelle de leur:;troupeaux ?
LA PECHE
Dans les zones cotières de Sa:,-:,t-Iouis, du Cap-Vert, de la Petite Côte et du delta
du Salum la pêche était active. Les rivières et certains marigots fournissaient aussi du
poisson en abondance, Les villageois riverains des fleuves ou des points d'eau
poissonneux consacraient le plus clair de leur temps à la pêche, A Saint-Louis on lo!'
appelait mool, mais Napp Kat ailleurs,
Pour pêcher le poisson certains pêcheurs plantaient de longues perches dans
la longueur du marigot, auxquelles ils attachaient leurs filets. «Dans la nuiL ils y
arrivaient avec leurs pirogues et saisissaient le poisson qui se trouvait pris, Ils
revenaient de cette pêche... et emporta:ent plus qu'il n'en fallait pour le village; le reste
était ouvert pour être désséché au SOiE:" et vendu dans l'intérieur, pour du mil et des
pagnes,:::>
Chez les Sereer de Joal et du Bas Salum la pêche en mer se faisait àl'épervier.
Elle était libre partout sauf pour certaines portions de fleuves ou de marigots exclusi-
vement réservées aux villages riverains. Au Siin et au Salum les pêcheurs étaient tenus
d'envoyer à leur souverain et à la Lingeer la reine-mère, un sac de poissons par
pirogue. C'était une dîme obligatoireJ9.
Au Kayoor les salines étaient données en apanage à la reine-mère alors qu'au
Siin et au Salum elles étaient la propriété des souverains qui en accordaientl'exploi-
tation àdes individus moyennant le versement d'une redevance annuelle'o. Les salines
1fl
'1 'i 8
du Kayoor étaient constituées par celles du Ganjool situées à 25 Kmau Sud de Saint-
Louis. Elles étaient au nombre de dix sept echelonées sur un parcours de sept à huit
kilomètres. La récolte avait lieu soit une fois )soit deux fois par an suivant que
l'évaporation avait été plus ou moins rapide.
"Chaque récolte donnait lieu à un mouvement considérable parmi les femmes»
de la région qui étaient seules habilitées à procéder à cette opération". Les deux tiers
de la récolte revenaient de droit à la LingeEI' le reste aux femmes en guise de salaire".
Entre Bargny et Yen deux salines naturelle!, étaient exploitées sur une grande échelle,
Un certain nombre de marigots de la Petite Côte laissaient "aussi des efflores-
cences salines au moment de la saison sèche". mais seules les salines de palmarin
étaient l'objet d'une exploitation suivie. Pendant la saison sèche les Tann des villages
du Siin de lliurup, Ngoye Ndofongor, FavclY, Simal, JiJor, Fayil, Fatik constituaient de
véritables salines naturelles, Des salines du même genre existaient dans le fond du
Salum aux environs de Kaolack". Tout ce sel était utilisé dans la consommation locale.
Une grande partie était employée dans la préparation des poissons séchés car les
grands chaleurs rendaient impossible la conservation du poisson frais. Nous ne
sommes pas en mesure de déterminer les revenus que les souverains Sereer tiraient
annuellement de leurs salines, Mais pour le Kayoor elles rapportaient à la Lingeer une
valeur de 50000 francs au milieu du XIX" siècle si l'on en croit Faidherbe.
La chasse fournissant un important appoint en protides, n'était soumise à
aucun régime spécial. Elle était autorisée pour tous les habitants. La faune qu'on
rencontrait au Kayoor ou au Bawol était ide'1tique à celle du Siin et Salum, Le gibier était
représenté par les oiseaux surtout des pintades, les merles métalliques et diverses
sortes de perruches.
Dans les taillis, au coeur de la brousse pullulaient les biches les antilopes aux
flancs rayés, de nombreux troupeaux de Koba. L'éléphant n'y était pas rare. Le dernier
éléphant de la région de Kees avait été tué en 190445• Selon la coutume, lorsqu'un
éléphant était abattu, la défense la plus rapprochée du sol appartenait au roi du pays
et l'autre demeurait la propriété du chasseur'B.
· "
L'ALIMENTATION
L'alimentation du Wolof et du Sereer était trés sobre surtout pour les badoloo.
Ceux-ci se nourissaientde cous-cous «farine de mil pilé et préparé àl'étuve»; de sanglé
bouillie, de mil assaisonné de lait caill3 et de miel. Les protides étaient apportés par le
poisson s'il yen avait, les produits de la chasse. Sinon on se contentait des produits
laitiers. Les badolo étaient mal nourris tant quantitativement que du point de vue de la
qualité. Il est vrai que la chasse ou la pêche aidaient à varier les plats. Mais la grande
insécurité interdisait de s'éloigner trop loin de ses bases.
L'aristocratie dirigeante menait un genre de vie totalement différent de celui des
padoloo. Elle passait, aprés la guerre, le plus clair de son temps en festins. Lcs
traditions orales mentionnent les immenses troupeaux de bovins pris aux peuls à la
suite de raids de pillage conduits jusqu'au coeur du Jolo!. Elles nous disent que des
Damel comme Meissa Tend Wedj et Birema Fatma Cub immolaient une quarantaine
de boeufs par jour pour l'alimentation de la population de la capitale. Même diminués
de leur coefficient d'exagération naturelle à ce genre de littérature, ces chiffres nous
donnent néanmoins une idée de ce qu'avait dû être la vie de cour des Etats Wolof-
Sereer à la veille de la conquête.
Cette vie de luxure se faisait aux dépens des badoloo qui ne connaissaient que
des lendemains incertains. Tout prétexte était pour l'agent du pouvoir central, l'occa-
sion de confisquer la plus grande partie de la récolte. Si les sécheresses furent
relativement rares au cours du XIX· siècle, La visite des sauterelles fut POUl" ainsi dire
permanente. S'y ajoutèrent les méfaits de la présence d'un puceron blanc qui il
plusieurs reprises détruisit en quelques semaines les champ de mil, condamnant les
paysans à la famine.
Ces calamités avaient des répercutions sur l'état physique de la population.
Leurs inconvénients étaient amplifiés par l'alcoolisme qui sévissait presque partout.
Sauf chez les musulmans où l'islam constituait une véritable ligue anti-alcoolique, le
reste de la population se livrait sans retenue à la consommation de boissons
alcoolisées. Hommes, femmes, enfants dans les familles non converties à l'islam
'1 /' 'If)
.J
abusaient du sangara, terme générique pour désigner toutes les boissons alcoolisées.
Il englobait le gin, le rhum, les liqueul'sJ!ortes, et le vin rouge.
Les chefs de canton ou de provinces, les païens, bref tous ceux qu'on désignail
du terme de Ceddo s'adonnaient à l'ivrognerie. "les chefs passaient leur vie dans une
ivresse qui commençait le jour de leur entrée en fonctions pour ne cesser qu'à leur
mort"".
Les Ceddo pillards ou destructeurs des villages "étaient préparés dès leur plus
tendre enfance à leur infâme métier par l'anéantissement de leur facultés intellectuel-
les. En effet... les enfants des ceddo buvaient autant d'alcool que de lait'·".
Lorsque le sangara venant à mo.',lquer on utilisait le vin de palmier et de ronier,
ou bien on fabriquait une espèce d'hydromel «avec du miel, du mil pilé et de l'eau qu'on
laissait fermenter pendant trois ou quatre jours'9». Ces boissons qui pouvaient troubler
,
la raison ne causaient cependant pas f,ur la raison et la constitution des hommes les
mêmes ravages que l'eau-de-vie.
L'eau de vie de traite qu'on sn procurait dans les comptoirs français était
composée» de quelques feuilles de tabac, d'une poignée de poivre en grains, de
quelques piments rouges infusés ou bouiliis dans huit Iit.res d'eau. On ajoutait à ce
liquide deux litres d'alcool de qualité inférieureso. Ceux qui consommaient une pareille
boisson trouvaient une ivresse qui paralysait leur entendement; puis c'était bientôt la
mort ou la sénilité précoce51 •
Au milieu du Xlxe siècle, la consommation des spiritueux était restée énorme
dans les Etats-Wolof. En 18631es chi~'res officiels ont été de 473000 francs de sangara
pour le Sénégal. Cette eau-de-vie ne ccutant que 40 centimes environ le litre c'est une
moyenne de 1.182.500 litres qui avaient été vendus aux clients"2. Ces énormes
quantités d'alcool menaçaient les popu:ations dans leurexitence, car elles üntrainaicnl
la déperdition de leur facultés intellectuelles et la ruine de leur organisme. Cette éco-
nomie d'autoconsommation était trés fragile. Les cultivateurs et les éleveurs ne pro-
duisaient pas pour le marché même "'ils faisaient des échanges pour obtenir les
articles ou les denrées qui leur manquaient. L'environnement politique ne s'y prêtait
151
pas. Les guerres, l'alcoolisme opéraient des ponctions considérables sur les popula-
tians. Tout ceci se traduisait par de;; terres incultes et de vastes solitudes. Les
agriculteurs n'avaient aucune garantie contre les spoliations de leur chefs et des
Ceddo"'.
L'ACTIVITE COMMERCIALE
L'organisation du commerce était trés ancienne en Sénégambie. Elle avait
permis aux différentes régions de mieux tirer parti de leurs complémentarités. Les
biens mis en mouvement étaient dava'ltage appréciés comme éléments de prostige
que comme marchandises. Ils circulaient par échange direct. Dans chaque canton ou
province se trouvait un marché pour l'échange des condiments, de la viande, des
produits laitiers et agricoles. Ces marchés à cycle hebdomadaire était le domaine du
colporteur, connu sous le nom de bana-bana. Il manipulait surtout des produits
exotiques importés d'Europe. Il était:souvent en articulation avec le commerce à
longue distance dont les opérateur~ étaient souvent d'ethnie mandingue.
Les marchés les plus connus au f<ayoor étaient ceux de Kaki, de Saqata, l'okes,
Cilmaxaa Mbakol. Ceux du Bawol étaient Kër Mejoop, Mbaba-Garago, l<ëL$i!!.!J!:).çl
Kane, Tul, Mbafay. Au Siin, Njogoloor, Jaxaw attiraient ceux qui avaient c1es procluil~;
à troquer comme le faisaient Gandiay. Kahan, Ndoffan, kaffrin pour 10 Sqlum.
Ce commerce régional étaitd'ull volumetrés modeste. Les royaumos n'avaient
pas de villes consommatrices, exception faite des comptoirs ou des factoreries établis
par les français. ainsi les pêcheurs échangeaient leurs poissons secs contre du mil.
Souvent ils n'avaient même pas beSOin de faire le déplacement, car les Maures se
rendaient jusque dans leurs villages pour faire les opérations. La production agricole
était semblable du Nord au Sud de notre domaine. Le régime alimentaire était partout
pareil. Il était fait à base de mil. Il était trés frugal et n'autorisait donc que des
transactions modestes et de faible valeur vénale. L'insécurité provoquée par la
fréquence des raids de pillage et les guerres intestines rendait les routes peu sûres
même à ceux qui voyageaient en escmte. Les brigants qui tendaient des embuscades
aux groupes isolés chassaient finalement les colporteurs de certaines zones. Tout ceci
1 t' '1
,1 "-
était couronné par des taxes qui gi'evaient lourdement la marge bénéficiaire cio
l'opérateur.
.....
Le commerce international s'etait orienté depuis le XV· siècle vers le lilIoral
atlantique. Auparavant il était en articulation avec le commerce à longue distance qui
unissait l'Afrique Noire à l'Afrique méditerranéenne. Le commerce négrier centré sur
l'Atlantique se substitua à l'antique route transsaharienne. En quelques années
l'arrière pays du littoral sénégambien était connecté au commerce triangulaire. Les
Africains livraient aux Blancs des esclaves, accessoirement de l'or, de l'ivoire, des
peaux, de la cire, quelques céréales et obtenaient en contre-partie du sel marin, du fer,
des tissus et de la quincaillerie. l'abolition de la traite négrière par les puissances
européennes au début du XIX· siècle provoqua le déclin du grand commerce dans le:;
Etats Wolof-Sereer dont le bois d'ébène entrait jusqu'alors pour une grande part dan:;
leurs exportations. La lutte contre la pc:ursuite de la traite menée avec une vigilance pDr
,
les fJottes françaises et anglaises tarit progressivement cette source de revenus. Alar:;
que les Maures, Le Walo, Le Jolof et le I=uta parvenaient tant bien que mal à poursuivre
une certaine activité commerciale grilce à la gomme, Le kayoor, Le Siin et le Salum qui
n'en avaient pas, traversèrent des moments difficiles. Les souverains recevaient de
moins en moins de coutumes en raison de l'indigence des transactions qui s'opéraient
dans leur pays. Saint-louis et Gorée Gomme les autres postes français établis en pays
WolQf et Sereer achetaient aux habit,mls des produits vivriers, du lait, du miel, du coton,
des peaux dont la valeur vénale étaii trés faible. Ils étaient surtout échangés contre du
Sangara des biscuits, du tabac. Certe:; des peuls installés dans les banlieues de Saint-
louis et de Dakar vendaient quelques boeufs à l'administration française pour l'alimen-
tation de ses troupes. Mais ici comrne ailleurs le volume était faible et les taxes qu'en
tiraient les autorités locales ne couvraient guère leurs besoins en produits européens.
L'avenir de leur armée était fortement C'ompromis au moment où leurs voisins du nord
se procuraient toutes sortes de produits grâce à la gomme.
Le déclin du commerce avec lél France incita Birima Fatma Cub (1809-1832),
Meissa Tend-Joor (1832-1854), le Bur-:3iinAma Diouf Faye (1832-1853) etle bur Saiulli
Balle Ndugu Ndaw (1825-1853) à mlcourager l'agriculture. Lorsqu'aprés lO~O 10:;
~~
1 c- 7
..";
.J ,)
traitants français établis dans ces différents pays acceptèrent d'acheter l'arachide
jusqu'alors réservée à l'alimenlation locale, les souverains engagèrent sans réserve
leurs sujets dans la culture arachidière qui leur donna enfin un produit de subslilution
à la traite. Des mesures sévères furent prises par le bur Salum contre les CeddQ qui
pillaient les cultivateurs
d'arachide"5. La France essaya de redonner vie à se:;
comptoirs de Saint-Louis et de Gorée et à leurs dépendances, car l'industrie y était
morte et le commerce à l'agonie dEpuis 1817. Elle décida de faire de l'arachide
l'instrument de cette politique dont l'objectif était de transformer en une colonie
agricole ses differentes possessions de la Sénégambie.
LES REVE;N!JS DES SOUVERAINS
La politique de centralisation administrative poursuivie par les monarchies à
partir du XVI" siècle avait débouché ~;ur la constitution d'une pléthore d'agents qui
aidèrent les souverains à instaurer des régimes autoritaires. Pour rétribuer ce person-
nel, ils furent obligés de fermer 103 yeux sur les exactions et les pillages qu'ils
pratiquaient aux dépens des badolo. Ell outre ils empochaient une part des taxes dont
ils assuraient le recouvrement'6. Les contribuables étaient soumis à toutes sortes de
prestations. La. lourdeur de la fiscalité finit même par compromettre la sécurité
alimentaire des sujets qui ne disposaient d'aucun moyen pour empêcher les dépréda·
tion des Ceddo.
En sus des fonctionnaires, le~;. s:Juverains entretenaient les ceddo cie leur' garde:
personnelle et noyau de leur armée, C:'3S griots dont le nombre était en étroit rapport
avec le degré de centralisation, les ministres de la couret leurs suites,les domi-bur sans
charges qui sollicitaient un emploi. On estimait que le roi du Kayoor avait à sa charge
au moins cinq cents griots dans sa capitale Il en était de même pour les autres
souverains.
Mais les domi-bur titulaires d'<lpanages étant exempts d'impôts comme le
grand Jaraaf et certains grands marAbouts. Toute la fiscalité n'était supportée que par
les badoloo. Pour faire face à leurs énormes dépenses les souverains multipliaient les
taxes.
N~
.
.~
1~J 4
La première source de revenus pour les rois résidait dans l'attribution des
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commandements territoriaux de village, de canton ou de province. Les titulaires de ces
emplois versaient des cadeaux prc~êrtionnés à l'importance de leurs ctlarges. Ces
dépenses étaient vite compensées par les abus au moment du recouvrement des
,-",-;{"!.
redevances annuelles dues par leurf; administré/s. Les terres domaniales étaient
également mises à contribution par les souverains pour la mise en valeur agricole du
pays et pour "augmentation des ressources fiscales. Outre les apanages qui y étaient
taillés au profit des domi-bur, des tenures y figuraient pour les étrangers décidés à
s'établir définitivement dans le pays ou pour des travailleurs saisonniers appelés
navetan. Chaque terre rapportait au roi une redevance généralementtixée au 1/50 de~;
produits récoltés. Cette taxe s'appelait Nfubemeen. Sous l'influence de l'islam il fut
porté~au dixième de la récolteY
L'affermage des salines, des nay pour l'exploitation du vin de palme ou de
ronier, de certains secteurs forestiers aux Lawbé-bûcherons procurait des revenus
substantiels au pouvoir centraiS•. D'autres redevances foncières étaient perçues sur
tous les villages des royaumes. Non seulement chaque chef de famille donnait le
cinquantième de sa récolte au fisc mais le villageS9 cultivait un champ dont la récolte
entière était versée au représentant du pouvoir central. Les musulmans payaient lu
dîme60. Tous les contribuables étaient assujetis aux corvée sur les champs de~;
titulaires des commandements terri\\ariaux Jaraaf, Farba, Saax-Saax petits I:)LLL!'.
l'impôtsur le bétail était d'une bête par troupeau quand ce dernier n'était pnsimporlélnl,
sinon i/ atteignait le cinquantième"'. Pour les Ovins et caprins l'impôt sur le butilil
s'appelait Njewat dont le taux était un animal par carré. Il existait aussi une sorte dl)
fourrière constituée par tous les animaux errants munis d'une entrave ou d'un lien
quelconque indiquant qu'il s'étaitéctlappé de chez son maître. L'animal était confisqué
au profit du roi.
Les rois devenaient les propriétaires des terres sans maîtres, des successions
en deshérence. A l'occasion des fêtes musulmanes, ou de cérémonies concernant la
famille du roi, des cadeaux étaient apportés non seulement par les titulaires des
commandements territoriaux mais aussi par les badolo. A "occasion de la fête de la
1 5 r
. J
Tabaski qui commémore le sacrifi.Ge"rrAbraham chaque chef de famille était tenu
d'apporter à la cour un bêlier ou un bouc: C'était le Njapum Tabaski.
Les justiciables, avant de se présenter devant le tribunal de canton ou de
~.h
province apportaient le Lalu Geew,"3 o'u cadeau au juge qui, selon l'importance de
l'enjeu allait d'une dame Jeanne de ~;anqara à quelques génisses. Les amendes
infligées aux plaideurs étaient perçues au profit du souverain. Elles ne servaient jamais
à dédommager les victimes. Les délits les plus véniels étaient sévèrement punis. Avec
latraite négrière, on avait en effet, pris !'h3bitude de condamner à la servitude tous ceux
qui étaient convaincus de délit ou de crime. Aussi les débiteurs insolvables, les voleurs
étaient sanctionnés par cette peine. Au lendemain de l'abolition de la traite, le marché
s'était fermé, la peine de servitude fut remplacée par de fortes amendes que payait la
famille du coupable. Le meurtre d'un hO'Tlme était compensé par le dio au prix du sang
qui entrainait souvent la ruine de la famille du meurtrier. Les rois s'arrogeaient le droit
cie confisquer les biens de ceux qu'on taxait de sorcellerie ou d'anthropophagie"'.
Les crimes d'adultère punis par les impôts du ventre, étaientfrappés de pénalitéf
trés sévères. L'amende atteignait souvent le prix d'une esclave quand le fautif était un
homme libre. La femme versait la moitié de la valeur infligée à l'homme. L'esclave était
moins sévèrement sanctionné quand il avait eu des rapports avec une captive. Les filles
et les femmes ayant des enfants hors rlariage payaient des amendes particulièrement
lourdes. Les familles des deux coupables étaient presque toujours complètement
ruinées en raison de la lourdeur des Emendes qui portaient sur plusieurs têtes de
chevaux, de vaches, de moutons de chèvres et sur les greniers·5•
Les caprices du chef local accentuaient la pression sur les baclolo qu'on
accusait oportunément de toutes sortes de délits réels ou imaginaires pour rafler le peu
de biens qui leur restaient. S'il donnait en mariage une des parentes à une esclave
devenu riche, l'amende lui coûtait ses ctlévres et ses boeufs alors qu'en réalité il n'était
pas interdit à une femme libre d'épouser un esclave66•
Les commerçants locaux paynisilt aux souverains des taxes appelées Kubal.
Elles étaient perçues aux frontières par des agents appelés alcati préposés exclusive-
U~
1 '1 6
ment à cette tâche. Cet imp6t de circulation frappait tout ce qui entrait ou sortait du
:,"l
pays. Les tarifs variaient selon la v;:lleur des marchandises. Ils s'élevaient parfois
jusqu'au dixième des marchandises transportées soit par chameau, par boeuf, par
âne ou par homme"'.
L'arbitraire le plus absolu régnait sur les recouvrements de ces taxes. Aucune
rétribution n'étant prévue pour les ,Iivers agents de perception au service des Jaraaf,
des Farba, des petits Bur. Ces derniers lesdésinteressaient en leur donnant une partie
des taxes perçues avant leur acheminement vers la capitale"".
Jusqu'en 18551es Français versaient des coutumes aux rois Wolof et Sereer en
contrepartie de l'autorisation qui leur était accordée de commercer avec leur pays et
de la protection de leurs biens et de leurs personnes assurée par les souverains. Leur
importance était fonction du VOlUmE! cles transactions opérées dans chaque royaume.
A l'époque de la traite/es coutume~; procuraient aux rois et aux chefs du p<:lYs une
gamme variée de produits Européens. L'abolition de la traite, et le déclin commercial
qui s'en suivit plongèrent les royaumes et les comptoirs français dans un marasme
profond, C'est avec le développemEnt de la culture archidière que les coutumes re-
commencèrent à avoir leur importance d'antan pour les monarques. En 1849 le damel
reçut 150 pièces de guinée comme coutumes pour l'arachide vendue par ses sujets,
Bien que multiples, diverses, ces redevances ou taxes étaient loin de couvrir les
immenses besoins des cours. Les souverains et les chefs d'une certaine importance
recouraient aux pillages de leurs sujE'(S ou à des opérations guerrières pour obtenir le
butin nécessaire au maintien, voire au renforcement de leur puissance ou de 1(,111'
prestige. La grandeur d'un souverain dépendait de sa capacité à entretenir uno lonçjuo
t11éorie de courtisans, et à étaler à tout instant un certain luxe avec des chevaux bien
pansés, beaucoup de griots et de c'3ptifs.
Pour se faire aimer de leur~; f()I'ces armées, les rois multipliaient les largesses
à leur endroit et fermaient les yeux sur le fort contingent de méfaits et d'exactions que
légitimement on leur imputait. Le lël ou pillage occupait le plus clair de leur temps. Sous
pretexte que tel village avait «mcl parlé du roi» ils décidaient sa destruction et la
N2
'1 5 7
réduction en servitude de ses habitants. De nuit le village était encerclé par les sicaires
préposés à cette besogne. A l'aubefl'attaqUe était déclenchée par l'incendie des
casesG9. Le produit de ce pillage, fait clans le royaume, appartenait aux deux tiers au
roi et le reste aux capteurs. Le butin obtenu à la guerre était partagé pour moitié entre
le roi et ses guerriers qui «avaient soin de dissimuler la plus grande partie de leurs
prises?o». Cette part congrue qu'on ki laissait l'incitait à multiplier les ordres de pillage.
En défitive le système fiscal était lourd, et inégalement réparti. C'était sur les classes
les plus démunies que tomba~ le pClids de toutes ces iniquités fiscales. Et ce n'est
pas excéder les droits de l'hypothèse que de dire que le silence de ces opprimés n'était
nullement le signe d'une adhésion à 1':Jrdre établi.
L'ARMEE
L'armée qui était l'instrument cie la politique du pouvoir était une sOl1e de milice
au service du souverain. Elle était coinposée de Ceddo c'est à dire de guerriers
professionnels qui entraient en campagne dès le signal du roi. Toutefois ces guerriers
exerçaient aussi des tâches admini<itratives. En d'autres termes il n'y avait pas une
séparation nette entre le métier des étrmes et des fonctions administratives. L'une
n'excluait pas les autres.
Lorsque les souverains avaient l'intention d'entrer en guerre ils convoquaient
tous les princes, les domi-bur, les chefs des Jambur pour leur en faire part. Les titulaires
des commandements territoriaux mobilisaient leurs Ceddo ou milice ainsi que tous les
hommes assujettis au métier des armes dans leur circonscription?'. Celui qui ne
répondait pas à la réquisition était cha ;sé du pays, et ses biens confisqués.
Une fois mobilisée, l'armée était répartie en contingents correspondant aux
différentes provinces. En principe les h·:>mmes libres étaient placés sous le comman-
dement du grand Jaraaf ou du Diawriii Mboul, les captifs de la couronne sous celui de
Farasëff. Chaque unité possédait son drapeau (raya) porté par le griot du chef et qui
servait de signe de ralliement au moment de la mêlée. Chaque chef fournissait aux
éléments de son contingent, surtout à ses esclaves, des armes et des chevaux72• Les
Liir ou fantassins formaient le gros des troupes.
112
1~il
Pendant la marche, des éclaireur's appelés, Yër en Wollof ouvraient la roule. Le
.'"
souverain était toujours à l'arrière-garde au milieu du corps de réserve constitué par
les captifs de la couronne commandés par le Jaraaf sëff. Faute de statistiques
précises, il ne nous est pas possible d'évaluer l'effectif des troupes que les diffél'ents
souverains pouvaient mobiliser en cas de conflit. Noirot nous dit qu'en 1892 le roi du
Siin disposait de 3627 Ceddo homme::. 'tous aptes pour le service au buJ:., En ton;:lIlt
compte des défaillances, il était à même de mettre en ligne 2500 fusils", Le 9alum 3500
peut être, le Bawol 4000 et le Kayoor environ 10000 guerriers dont 4000 cavaliers.
Les armes offensives de ces guerriers étaient le fusil à silex, la lance, le sLlbre,
le poignard. Les fantassins avaient eux .aussi des fusils mais surtout des armes
blanches tels que les poignards pour éventrer les chevaux ennemis. Ils utilisaient aussi
des sagaies des arcs et des flêches empoisonnées. La mixture était faite avec le venin
des serpents les plus dangereux et des E;xtraits de plantes venéneuses. C'est pour cela
que leurs blessures entrain aient inexorablement la mort des victimes.
Chaque armée disposait d'un selvice d'intendance. Dès que la décision de faire
la guerre était prise, les femmes réquisitionées pilaient du mil en abondance. On tuait
également des boeufs dont la viande entrait dans la préparation du couscous. Viande
et couscous étaient séchés pour faciliter leur conservation. Chaque guerrier remplis-
sait son sac de provisions avant de se rendre au lieu de rassemblement.
Dans le champ de bataille, chaque armée établissait un camp fortifié appelé
Sane. Les fortifications étaient constiturSes par des branches d'arbres fixées dans le
sol. Elles sortaient de terre jusqu'à une llauteur de 4 mètres environ. En dellors de la
circonvallation, ils creusaient d'énormes fossés pour arrêter la cavalerie ennemie. fi
l'intérieur du Sane se trouvait un camp plus petit appelé Ndogtal destiné au roi. Faute
d'al1il/erie ces camps ne se prenaient que parla famine. Pour ne pas mourir d'inanition,
il arrivait que les guerriers se frayassent un passage sanglant à travers le dispositif
ennemi au prix de trés lourdes pertes. LE: capacité défensive de cette stratégie était trés
limitée face à une puissante ar1illerie.
..
~~
1 5 9
Quand l'armée ennemie était [ln mauvaise posture, le vainqueur lançait ses
troupes de réserve pour accelèrer sa·~jéfaite. Le vainqueur enterrait ses morts et ceux
,,.'
du parti ennemi d'une condition élev~:e. Les autres étaient livrés en pâture aux fauves
et aux charognards.
Du moment que le gros des armées était constitué de fantassins chargés du
transport, sur les champs de bataille, (j'une partie des munitions et des vivres, c'était
parmi eux que se recrutaient la plupart des prisonniers de guerre réduits en servitude.
Les vainqueurs avaient aussi tout le loisir de pénétrer dans le territoire du vaincu pour
y ramasser des esclaves surtout parmi la population non guerrière des badolo. Si parmi
les prisonniers, il se trouvait des Jùmbur, le vainqueur leur rendait leur liberté
moyennant le paiement d'une forte rançon calculée en fonction de son statut social".
Elle oscillait entre deux et dix esclaves selon qu'il était captif de la couronne d'un rang
élevé, Jambur ou prince.
Ces fondements de la puissance des Etats Woloff-Sereer étaient à l'analyse
particuliérement fragiles au milieu du XIX' siècle. Leur cadre géographique manquait
de consistance en raison même de la faiblesse des densités humaines qui laissaient
inoccupées d'immenses étendues de terre. La permanence des guerres civiles
multipliait les rancoeurs chez les victimes et enlevait aux Etats toute profondeur
Ilumaine. Les exclusions entrai née::, par les discriminations professionnelles ou reli-
gieuses, alourdissaient le poids des malentendus. Les guerriers bien que courageux
et nombreux n'étaient dotés que d'armes rudimentaires. Par la terreur qu'exerçaienl
leurs Ceddo les souverains maintenaient dans leurs pays les apparences de la force.
Il n'était besoin d'être prophète pour leur prédire un avenir sombre face à l'impôria-
lisme de l'occident.
~
160
1- Modu Ngoné Jey : Conversation à Njefuri en Mars 1980.
2- Modu Ngone Jey : Njefuri Mars 19130.
3- Lat Garang Njay: Conversation à Dakar en Avril 1976.
4- Gasconi : La propriété au Sénégal.
5- Gasconi : La propriété au Sénégal.
6- Idem Ibidem.
7- A.N.S. L31 : Organisation du régirne domanial en A.O.F. (1899- 1908), 7juin
1905.
8- A.N.S. L 31 Delafosse: Mémoire sur le régime domanial en A.OF 1908.
9- A.N.S. 32 Oelafosse : Comité conw/tatif des affaires indigènes. 11 Fevrier 191'1.
10- Ndalu signifie: Commencement.
11- A.N.S. L 31 : Organisation du régime domanial en A.O.F. 1905. (Hugues).
12- Salus : Op. cit., (page 169).
13- Moreau: (page 296).
14- Boilat : Op. cit. (page 305).
15- Boilat : Op. cit. ( page 307).
16- Pelissier : Op. cit. (page 89).
17- Pelissier P.: Ibidem.
18- Pelissier P. (page 90).
19- Boilat : Op. cit.
20- Sabatier: Op. cit. (page 394).
21- A.N.S. 1 G 283 Chaudron: Monographie du cercle de Nioro du Rip 1901.
22- Pelissier : (page 87).
23- Pelissier : (page 87).
24- Pelissier : (page 87).
25- Pelissier : (page 87).
26- Pelissier : (page 87).
27- Lafont: Le Gandoul et les Niominkas. (page 417).
28- Lafont : Op. cit. (page 417).
29- Pinet-Iaprade : Op. cit.{page 153).
30- Boilat : (page 307).
31- Pinet Laprade: Op.Cit. (page 1~j::I).
32- Pelissier (page 89).
33- A.N.S. 6 G 13, pièce 6 Gouverneur Baudin au ministre 4 Avril 1848.
34- A.N.S. 13 G 256 pièce 136 : Montel, Serigne Boye et les principaux chefs du
Ganjool au Gouverneur 01 Juin 1852
35- Boi/at, Op. cit. (page 311).
36- Pelissier P. : Op. cit. (page 256).
37- Aubry Le Comte: Colonie du Ndieghem 1889.
38- Guy C. : Le Siin Salum (page 307).
39- Aujas : (page 327).
40- Aujas : Ibidem.
41- Guivel: Les Salines et le sel au Sénégal (page 223).
42- Idem, (page 225).
43- Idem, (page 226).
44- Idem, (page 226).
45- Cette information m'a été fournie par le professeur Oebien en 1965.
46- Aujas, (page 327).
47- Berenger-F. : Op.cit., Moniteur 1EI73 (page 226).
48- Pinet Laprade: Op. cit.(page 154).
49- Pinet Laprade: Ibidem.
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f (, 1
50- Berenger-Feraud: Op. cil. Moniteur (page 226)
51-Idem, Ibidem.
52-Idem ,Ibidem.
53- A.N.S. 2B 33 FF 39-40, Jaureguiberry au ministre. 7 Mars 1862.
54- Person : Samori une révolution ,Iula Tome l, (page 101).
55- Klein M.: Islam and imperialism inSenegal, Siin Salum (1847-1914).
56- A.N.S. 1G 291 Forgé: Monographie du cercle de Louga 1904.
57- Aujas (page 325).
58- AN.s. 2 D, Allys : Administrateur cercle Tivaouane au Gouverneur du Sénéual
26 janvier 1905.
59- AN.S. 1 G 296: Monographie cercle de Thiès 1903-1904.
60- Folize: Le Ndiambour. Revue coloniale 1857.
61- AN.S. 2 D 14-4 : Allis Op. cil.
62- AN.S. 2 D 7- 6: Dupuy : Rapport sur les indigènes du Bawol (Diourbel 7 Avril
1911.
63- Lalu Geew : Ce qu'on met devant tout le monde (AN.S. 2 D 14-5.
64- Flize: Le diambour, in revue coloniale 1857.
65- AN.s. 2 D 14 -4 Allys :Administrateur Cercle de Tivaouane 26 Janvier 1905.
66- A.N.S. 2 D 14-2 : Semou Wade au gouverneur général, Mekhé le 2 Mars 1905.
67- A.N.S. 2 D 7-6: Dupuy rapport sur les indigènes du Baal Diourbel, 7 Avril 1911.
68- AN.s. 2 D 7-6: Rapport Dupuy le 7 Avril 1911.
69- Faidherbe: Le sénégal, la France en Afrique occidental.
70- Carrère et Halle: De la Sénégambie française, (page 139).
71- Carrere et Halle: (page 69).
72- Boilat : Op. cil., (page 308).
73- Noirot : Notice sur le Siin Salum 1892 (page 176).
74- Mungo park: Travels in the interior districts of Africa in the years 1795-1797,
Landre 1800 (page 433).
CHAPITRE VI
LES POSSESSIONS FRANCAISES AU MILIEU DU XIX! SIECLE :
A la veille de la conquête, les possessions françaises en Sénégambie, se
réduisaient à un chapelet de postes ~()utenus par les comptoirs de Saint-Louis et de
Gorée et éparpillés le long du fleuve S6négal, sur la Petite Côte, et en Casamanco. Il:;
n'avaient aucun lien physique entre eux. Les moyens de communication entre Saint-
Louis et Gorée étaient lents par l'océarl, car l'accès de Saint-Louis par la voie maritime
présentait de grandes difficultés en raison de la présence d'une barre obstruant
l'embouchure. Les navires restaient sou",ent plusieurs jours soit en rade, soit dans le
port, attendant une occasion favorable pour entrer ou pour en sortir'.
Pour remédier à cette situation difficile on ouvrit une communication entre Saint-
Louis et Gorée par voie de terre. Là distance était parcourue en six jours. Les
commerçants se réunissaient pour former une caravane. Dans les gîtes d'étape des
baraques étaient construites pour servir d'asile aux voyageurs'.
Les dépendances de Saint-Louis étaient constituées par des postes ou facto-
reries établis sur le fleuve à Dagana, Podor, Sakel, Maxana, Médine, Sénudebu, et
Merinaghen sur le lac de Guier. Ces postes étaient les centres des transactions avec
les Maures pour le commerce de la gornme, avec le Walo, le Futa et les pays Soninké
et Bambara pour le commerce de l'or, de l'ivoire, de la cire, du miel, des boeufs et des
céréales.
Gorée, port de relâche pour les bateaux qui se rendaient en Amérique du Sud,
avait établi des factoreries à Rufisque et Bargny pour commercer avec le Kayoor, Ù
portudal et Mbur pour ses transactions avec le Sawol, à Joal pour ses transactions
avec le Siin. Au Nium, à l'embouchure de la Gambie, Le poste d'Albréda lui permettait
de participer au commerce dans la vallée de la Gambie. Dans le Salum ses traitants
avaient reçu du bur Salum Sadene Ndaw l'autorisation de s'établir dans l'Île de
Kastiambe pour y faire leurs opérations commerciles. En 1836 un poste fut crée à
Karabane et deux en 1837 à Séju et JirnbéringJ
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16l
Ces différents postes, dont cer"'iains étaient dotés d'une force militaire trés
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modeste donnaient cependant une rela1ive sécurité aux commercants français qui les
fréquentaient. Mais l'autorité française ne dépassait guère la portée des canons des
forts. Les traitants s'en éloignant, le faisaient à leurs risques et périls. Ils n'y trafiquaient
qu'en se soumettant à la volonté des chefs locaux à qui ils payaient des coutumes trés
lourdes en contre partie de la protecti.:>n qu'ils leur assuraient. Mais même aprés s'en
être acquittés, ils n'avaient pas toujours la certitude de soustraire le reste de leurs
marchandises à la rapacité des Ceddo ou des brigands qui infestaient les routes.
A la faveur des guerres de la Révolution et de l'Empire, l'Angleterre se rendit
maîtresse des possessions françaises du Sénégal. Mais le traité de Paris du 30 Mai
1814 restitua à la France ses anciens Gomptoirs et postes de la côte d'Afrique, y
compris le comptoir d'Albréda sur la Gambie. Aprés les cent jours, un traité complé-
mentaire conclu entre l'Angleterre et la France obligea cette dernière entre autres
clauses, à abolir la traite négrière.
Schamaltz fut nommé commandant pour le Roi du Sénégal et dépendances
pour reprendre possession des comptoirs. Aprés le tragique épisode du naufrage de
la Méduse, il s'établit au Cap-Vert où il engagea des négociations avec son homologue
Anglais pour la remise des établissements français. Le 25 Janvier 1817 l'accord était
conclu.
L'abolition de la traite négrière par l'ordonnance du 8 juillet 1817 priva les
comptoirs de Saint-Louis et de Gorée d'une de leurs ressources les plus importantes
et plongea les populations dans une profonde détresse. Le programme de mise cn
valeur décidé par le baron Portal préconisa le développement du pays par la création
de plantations de canne à sucre, de coton, «au moyen de la main d'oeuvre locale pour
remédier au tord considérable portée à son trafic ancien'".
Saint Louis et Gorée n'étaient qiJ(, des embryons de ville où les compagnies de
commerce avaient bâti quelques maisons où vivaient, au milieu des Noirs libres ou
esclaves, des Blancs et des mulâtres. Les Blancs se recrutaient parmi les agents des
compagnies et, les soldats de la garni,:;on. Les difficiles conditions de vie sous les
1 r:; JÎ
tropiques ayant, au début, interdit l'accès du continent noir aux Européennes, la
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médecine n'était pas encore parvenuf'fl vaincre certaines maladies qui ravageaient les
populations, les agents et les soldats étaient donc condamnés à prendre des femmes
ou des concubines parmi les femmes du pays souvent même celles de statut servile.
Ces unions étaient appelées «mariages à la mode du payss", dont la dissolution
intervenait avec le rapatriement ou la mort du conjoint.
De ces unions temporaires naquirent des mulâtres qui surent tirer de grand
avantages de leur position à la croisée des deux races. Leurs contacts faciles avec les
uns et avec les autres firent d'eux les intermédiaires naturels entre les compagnies
d'une part, les Jula et les chefs de l'intérieur d'autre part. Les mulâtresses portaient le
nom de «Signares». Elles avaient beaucoUp d'esclaves et de nombreuses maisons. Si
l'on en croit l'abbé Boilat, elles étaient 109ées au milieu du XIX· siècle comme en France.
Grâce aux énormes bénéfices réalisé:; avec le trafic négrier, les cases avaient été
systématiquement remplacées par des'construtions en dur pour diminuer les risques
d'incendie".
Toute céromonie, même religi'3I.1se, était pour les Signares l'occasion de faire
étalage de leurs richesses. Dans l'énumération des objets de valeur de la toilelle
entraient «les bijoux d'or de Galam, les nombreuses boucles qui entourent le lobe des
oreilles, les massifs bracelets des poiçin~)ts et des chevilles ainsi que les superbes Tien7
d'or qui ornent les vastes poitrines de~; opulentes bourgeoises·". Ainsi parées, elles
promenaient du faste et de la dignité dans les rues des comptoirs. Le mode de vie des
négresses libres n'était pas trés différent de celui des Signares. Cette communauté
mulâtre avait joué un rôle important dans la traite. Ses membres avaient conquis ou
presque le monopole du commerce, comme courtiers, dans la vallée du fleuve Sénégal
et dans les dépendances de Gorée, et ceci, vers la fin de la première moitié du XVIII"
siècle. Elle était restée active durant taule la période négrière et dans la première moitié
du XIX· siècle où elle joua un rôle politique et économique de poids grâce fi ses
relations avec Bordeaux.
Les mulâtres et certains non libres étaient courtiers ou traitants. Avant de se
rendre dans les différents marchés de l'intérieur, ils signaient des contrats par lesquels
1 (' ~.
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ils s'engageaient à fournir une quantité déterminée de marchandises aux bailleurs de
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fonds qui étaient soit des négociants soit des agents de la compagnie. On s'entendait
avec le traitant sur le prix qu'on lui donnait pour chaque article traité. Les esclaves de
case servaient de gages en cas de malheur dans les transactions. Au début du XIX·
siècle beaucoup de mulâtres s'étEwnt enrichis au point de devenir des négociants
employant de nombreux traitants dans les différent~épendances de Saint-Louis et
de Gorée.
Cette activité fut à l'origine de la relative prospérité de Saint-Louis et de Gorée
dont la population ne cessa d'augmenter au cours du XIX· siècle malgré le marasme
consécutif à l'abolition de la traite négri·.;'Jre. En 1819 Saint-Louis abritait9000 âmes dont
5000 esclaves de case. En 1832 Garéù comptait 4362 esclaves sur une population cie
5264 habitants. En 1835 la population de Saint-Louis était de 10797 dont 6113
esclaves9 . En 1837 l'amiral Roussin d~1manda aux autorités françaises du Sénégal de
procéder à un recensement précis de la population du Sénégal et dépendances. Le
résultat donna pour l'ensemble de~; possessions françaises du Sénégal 18047
personnes ainsi réparties: 140 Europ€Jens, 5712 habitants indigènes, 1693 engagés
à temps et 10096 esclaves de case, 72 employés et agents civils, 334 soldats noirs.
Parmi les 10096 esclaves figuraient 5U87 femmes lO
Au lendemain de l'abolition d':il'esclavage en Avril 1848, on fit un recensement
en vue de l'indemnisation des maîtres dont les esclaves venaient d'être libérés par le
décret du 27 Avril 1848. Le nombre des esclaves pour Saint Louis et Gorée était estimé
à 10075 individus. Ce qui donna lieu à de sérieuses contestations de la part de'
l'administration".
Cette population des comptoirs étant plongée dans un marasme économique
profond depuis la reprise de possession. La prohibition de la traite avait enlevé aux
commerçants français leur activité la plus lucrative. On décida de faire du Sénégal une
colonie de production agricole sans pour autant négliger les gisements aurifères.
Le traité de Paris de 1814 fit perdre à la France "une de ses plus belles
possessions d'Amérique: Saint-Domingue. La mise en valeur agricole du Sénégal
"
rtl
1~6
servirait de compensation à cette pene. Elle lui fourni~ait les denrées coloniales
indispensables à sa consommation. Le~Sénégal deviendrait aussi un «nouveau et large
débouché aux produits de son industrie manufacturière".
La réalisation de ce plan permettrait de régénérer le "maigre commerce du
Sénégal en remplaçant le système d'oçcupation sans avenir, presque sans but, par
une vaste organisation agricole do,-,t la réussite doterait la France d'un continent
immense","
Sur les indications de Schmaltz une société philanthropique envoya en Mars
1817 cent immigrants pour mettre en valeur la presqu'île du Cap-vert. La tentative fut
sans lendemain et on rapatria les colol)sl4. Cet échec n'empêcha pas Schmaltz
d'inonder le ministère de la marine et des colonies de mémoires d'un optimisme
exagéré sur les potentialités économiques de la vallée du fleuve Sénégal. Il affirmait que
le Sénégal était susceptible de fournir qlpidement de grands profits au commerce de
la France, surtout en indigo et en sucl'e si on lui donnait les moyens de former des
établissements agricoles et de les protéger15• Le 8 Juillet 1817 il renchérit en disant que
«tout semblait concourir pour faciliter à la France la fondation des établissements qui
devaient placer sous sa dépendance cette vaste et fertile contrée susceptible de
redonner en peu de temps àson commerce toute la splendeur qu'il avait, avant la perte
de Saint-Domingue'·. Pour faire disparaître les dernières réticences de Paris il s'adres-
sa au ministre le 28 Décembre 181 r en ces termes: «Les difficultés à vaincre sont
nulles, les résultats positifs et prochnins. Une terre promise nous présente les
richesses des bords du Nil et du Gange. Une population de 4 à5 millions d'âmes, active
et laborieuse, attend avec impatienc'~ nos lumières et notre proteclion pour les
cultures17».
Aprés l'acceptation du plan de colonisation de Schmaltz par le ministre de la
marine et des colonies, on envisagea, dans un premier temps, d'installer la colonie
agricole au Futa-toro. Mais les exigences de l'almamy parurent si draconiennes que
Schmaltz préféra porter son choix final, sur le Walo. Aux termes d'un traité signé le 8
Mai 18171e brak du Walo céda à la France des terres moyennant le paiement d'une
redevance annuelle de 10000 francs'·.
A la veille de l'éxécution du plfln, on pensa que les exploitations agricoles
seraient tenues par des Noirs libres dont les récoltes seraient achetées par la France,
soit par des Européens qui y feraient travailler leurs esclaves. On se rendit cornpto quo
la première hypothèse n'était pas réalisable. Les hommes libres trop habitués au
commerce de naguère refusèrent de se consacrer à une activité qui ne donnerait pas
des bénéfices substantiels et immédiats. Comme par le· passé ils continuèrent
d'envoyer à la traite sur le fleuve, leurs esclaves plutôt que de les acheminer vers des
exploitations dont l'avenir leur paraissait trés aléatoire.
Quoiqu'il en fût, le problème de la main d'oeuvre nécessaire à l'exploitation des
concessions agricoles finit par trou'.'er une solution. Du moment que les colonies
américaines avaient été mises en valeur avec des bras africains, ceux-ci ne pouvaient
pas manquer quand les plantations éte;ent transplantées sur la terre d'Afrique'"' Les
autorités constatèrent rapididement que les esclaves de Saint-Louis et de Gorée
étaient inaptes à l'agriculture, que les noirs libres montraient de la répugnance à louer
leur force de travail aux concessionnaires des établissements agricoles~'û. On emprun-
ta alors à l'Angleterre le système des engagements à temps qu'elle avait déjà instauré
dans ses colonies d'Afrique et qui autorisait l'introduction dans ses possessions de
captifs de l'intérieur sous réserve d'un affranchissement immédiat et d'un engagement
de quelques années au profit de celui qui avait payé le prix de rachat de la libération.
En Janvier 18221e gouverneui' Roger reçut des instructions dans ce sens. Les
planteurs furent autorisés à acheter (',es captifs encore en grand nombre à l'intérieur,
où selon les dires, les mauvais traitements qu'on leur infligeait abrégeaient leurs jours
depuis que l'abolition de la traite atlantique avait fermé les marchés où on les écoulait.
Toutefois ces captifs étaient, à l'instant même du râchat, déclarés libres par un acte
public dont minute était déposée au g..effe de Saint-Louis. C'est à cette seule condition
qu'il pourraient être accueillis dans les possessions françaises où leur engagement
n'excéderait pas quatorze ans. Roger exercerait une surveillance vigilante pour
empêcher l'esclavage de se développE,r sous les dehors de l'engagement à temps".
Pour éviter toute fraude préjudiciable aux intérêts des engagés, le gouverneur ferait
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168
tenir par l'inspecteur des cultures ur: i'égistre matricule sur lequel seraient portés les
décès, les désertions et les mutations des engagés".
Avec l'expérience, les concessionnaires constatèrent que l'emploi d'une main
d'oeuvre libre, salariée, leur était plus profitable que celui des engagés. En '18221;1
plantation Boissard occupait 25 ouvriers presque tous des hommes libres, celle de
Brunet un nombre important d'hommes libres et huit à dix engagés". Les premiers
dénombrements des engagés dans les plantations montrèrent que leur nombre était
encore modeste en 1826. Sur les 1500 travailleurs employés 100 étaient des esclaves
de case, 1100 des hommes libres loués au mois et 300 engagés. Cette main d'oeuvre
nombreuse et à bon marché n'empêcha pas l'échec final de la colonisation agricole
du Walo. Dès 1827 Roger notait avec amertume: «il est des illusions contre lesquelles
il est d'autant plus difficile de se défendre qu'elles satisfont à des vues élevées, à des
sentiments généreux. C'est ce qui est a(rivé aux personnes qui, les premières, se sont
occupées de la colonisation. Son succés pouvait procurer à la France les avantages
presque sans limites et la gloire d'avoir porté; la civilisation en Afrique. Elles se sont
hâtées de croire aux apparences, à la possibilité du succès. Il leur manquait le bénéfice
du temps qui seul, pouvait faire connaitre la vérité",>.
En 1830 les derniers espoirs s'évanouirent. «De loin en loin/crit le gouverneur
Brou, se livrera t'on peut être à de belles utopies, mais ici, ce n'est plus possible, trop
de faits matériels sont venus faire justice d'un spirituel et séduisant roman qui mériterait
(les éloges dans l'espèce s'il n'avait été donné et payé pour de l'histoire'''».
Aprés l'abandon des cultures et le sauve-qui-peut des planteurs, tout le monde
chercha son salut dans le commerce de la gomme. Mais, il se trouvait que celle article
de refuge était déja arrivé àsaturation et qu'un surcroît de traitants risquait de multiplier
les faillites en raison de l'âpreté de la concurrence.
A l'ouverture de chaque traite l'opérateur prenait, à crédit, auprés des négo-
ciants, des marchandises payables en gomme. Il ignorait le prix de ce produit aux
différentes escales du fleuve, Le volume des transactions. C'est au hasard qu'il
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169
achetait des marchandises. Il lui fallait ;~ tout prix acquérir de la gomme pour honorer
'-':~
ses engagements vis à vis des bailleurs de fonds. C'est pour cela que les traitants
étaient dans la nécessité de se faire ulle concurrence à outrance pour conquérir le
marché afin d'en contrôler la meilleure part. Aussi offraient-ils des primes aux maures
et se soumettaient-ils avec docilité aux prix qu'ils fixaient. Cette lutte sans merci entre
les traitants permit aux Maures d'être les maîtres réel du marché26•
Lorsque le volume de la traite n'atteignait pas le niveau escompté le traitant était
dans l'impossibilité de payer ses dettes auprés des négociants. En cas de succession
de mauvaises traites il était nécessairement dans une situation d'insolvabilité. Le
négociant recourait alors à l'expropriation. Mais, en réalité, il ne faisait que retarder
l'échéance de la liquidation de son entreprise car il ne pouvait plus rentrer dans ses
avances.
Entre 1835 et 1848 Saint Louis connut une succession de traites catastrophi-
ques. Beaucoup de traitants furent poursuivis en justice par leurs créanciers alors que
leurs immeubles étaient déja grevés d'hypothèques. Comme ressources disponibles
ils n'avaient plus que des embarcations et des esclaves. Or ceux-ci étaient devenus
peu productifs entre leurs mains, en raison de la paralysie qui les frappait depuis que
les négociants leur avaient fermé ft· crédit. Pour les aider à sortir de la crise, on
envisagea alors l'immobilisation des esclaves". Le caractère mobilier que la loi
attribuait aux esclaves amenait les créanciers à les considérer comme une «garantie
trop fugitive des rembourssements2B». En assimilant les esclaves aux immeubles, les
créanciers seraient sûrs que ces gagEls ne leur échapperaient plus et accepteraienl
alors d'ouvrir leurs magasins aux traitants dont le crédit se releverait immédiatement.
L'intérèt que les traitants attachaient à leurs captifs les porterait à ne rien négliger pour
les dégager de l'hypothèque. Ils travaill':Jraient avec prudence et s'imposeraient même
«des privations pour les maintenir sous le toit domestique29». Ce projet ne reçut pas de
suite. Les enquêtes que faisait faire le gouvernement français à la même époque en vue
de l'abolition de l'esclavage, interdisaient de prendre une mesure tendant à perpétuer
l'esclavage dont la suppression parai~;sait imminente.
" ::-.
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170
Le commerce européen pâtit pareillement de celte douloureuse situation. Le
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retard dans le paiement des deltes des traitants et des négociants lui fit perdre
beaucoup d'argent ou diminua dans ·-,e notables proportions sa marge bénéficiaire.
En tout cas l'Européen était gêné «dans ses remises à la métropole, il avait toujours
ses fonds découverts, toujours arrêté dans le développement qu'il pourrait donner à
ses affairesJO".
Le commerce de la gomme n'avait donné que des déceptions à ceux qui
s'étaient abandonnés avec trop de confiance à celte denrée «qui nait d'un caprice de
la nature, dont la création n'est soumiSE' à aucune loi, dont la récolte est dûe au IJon
vouloir des tribus"'" maures, et n'est pas indéfiniment extensible. Les rivalités entre
traitants profitaient aux maures qui tiraif,nt parti de celte aubaine pour imposer leurs
prix et créer de nouvelles taxes tout en maintenant les anciennes sur les transactions.
Aprés la traite de 18481a misère !ut à son comble. Les deltes des traitants qui
s'élevaient à plus de 2.000.000 furent le résultat de ces opérations menées sans
rationalité. Elles furent ruineuses pour tout le monde. Car le négociant, créancier
privilégié, n'était pas mieux traité que le traitant débiteur insolvable. En vain ils usaient
de leurs droits en faisant opérer des ~;aisies et jeter en prison leurs débiteurs. Celte
rigueurne faisait qu'ajouter ledécouragernent à la misère et çJéterminait même certains
traitants à essayer d'échapper par la fuite à la sévérité de leurs créanciers.
Ce marasme généralisé frappant toutes les couches de la population provoqua
un conflit entre les négociants et les marchands européens d'une part, les négociélilts
et les traitants Saint Louisiens d'autre part. Les premiers étaient les maîtres du grand
commerce. Ils avaient des associés dans les ports de Rouen, le Havre, Nantes,
Bordeaux et Marseille. Ils avaient donc sur les destinées de Saint Louis et de Gorée une
influence souvent en porte à faux avec les intérêts du Sénégal. Commerçantes clans
la colonie, ces maisons de commerce représentées par les Lombard, Monteillet,
Gasconi, Regis, Devès, Calvés, Maurelet Prom, faisaient également de l'armement.
A ce double titre elles pesaient sur les :-:onseils coloniaux de toute leur importance
métropolitaine. Leurs désirs passaient «facilement dans les chambres de commerce
pour l'expression d'un voeu coloniaI32".
ln
1 7 1
Exception faite de trois ou de quatre maisons de négoce dirigées par des
Sénégalais, les négociants étaient tous européens. On trouvait parmi eux des mar-
chands dont les situations allaient du "modeste détaillant jusqu'au grossiste qui
échangeait les marchandises européE!ennes contre des produits locaux: Gomme,
cire, peaux et ivoire. Certains consentaient des avances de marchandises à de petits
traitants auxquels les négociants avaient refusé des crédits. D'autres enfin se spécia-
lisaient dans le ravitaillement de la ville en mil et en bétail""». Dans leur immense m8jorit6
ces marchands étaient également des blancs. Le plus en vue étaient Héricé dont la
fortune avait été bâtie sur le commerce des bovins.
Les traitants les plus prospères se recrutaient parmi les mulâtres. Ils possé-
daient des embarcations, des immeubles et beaucoup d'esclaves qui les aidaient dans
leurs opérations commerciales. Les plus connus "appartenaient aux familles Ali;
Alsace, Crespin, d'Erneville et PeliegrinJ4». Ils entendaient défendre contre les négo-
ciants européens, la spécificité de leurs intérêts en sollicitant des autorités supérieures
des mesures capables de les protége: contre les accaparements du grand négoce".
Vers 1840 la situation du commerce de Saint-Louis était aggravée pélr la
clécouverte d'une gomme artificielle, la dextrine immédiatement employée délns
l'apprêt des tissus communs. Aussi l'i.'ldustrie réserva t'elle l'usage de la gOlTllTle
originaire du Sénégal à l'emploi pharmaceutique et aux tissus de luxe. Dès lors le prix
de la gomme fut réduit de moitié et l'importance commerciale de Saint-Louis se trouva
notablement amoindrie36•
Aprés l'échec de la colonisation agricole du Cap-Vert par la société philanthro-
phique, les habitants de Gorée continuèrent de demander au commerce le plus clair
de leurs ressources. La vie des traitants se passait à parcourir les factories de la Petite-
Côte, les rivières du Salum, de la Gambie, de la Casamance, du Rio Nuriez et du Rio
Pongo". Jusqu'en 1827 ils participaient activement à l'exportation frauduleuse des
esclaves. Mackou note qu'en 1817 f,,1819Ia population de Gorée s'était livrée "à ce
commerce avec ardeur et une publicité trés remarquables36».
Devant la virulence des aécfisations du gouvernement britannique qui lui
reprochait de ne pas respecter les clauses du traité de 1815, la France créa la Station
Extérieure qui entretenait une croisière habilitée à visiter les bâtiments français et à y
prévenir et empêcher les infractions à la loi abolissant la traite négrière. Mais l'éradi-
cation totale du commerce négrier était particulièrement difficile en raison du grane!
attachement des populations à une activité fort lucrative. L'embouchure du SénéÇF11,
un marigot prés de Ganjool, Rufisque, Portudal, Joal, la Casamance et l'archipel do
Bissagots étaient des centres de traite trés actifs.
Jusqu'en 1823 trois unités de léJStation extérieure étaient chargées de surveiller
tout cet espace. Les possibilités de rélJss.ite pour les fraudeurs étaient évidentes. C'est
pour cela que les habitants de Gorée dépouvus de tout produit de substitution capable
de les aider à compenser les perte3 consécutives à la suppression de la traite,
refusèrent de renoncer au trafic qui les,!aisait vivre et ce, malgré les navires de la Station
extérieure. Mais les nombreuses confiscations de bateaux négriers opérés par 1<1
station, les pénalités sévères qui punissaient les contrevenants à la législation sur l,]
traite finirent par les décourager.
Les habitants de Gorée connurent une profonde crise. Dans le COrTliTIOrCll
légitime qui se faisait sur la petite côte, dans le Salum et les rivières du Sud, les traitant!;
de Gorée étaient concurrencées par ceux de Bathurst qui contrairement à leur rivaux.
disposaient d'importantes quantités de produit industriels à trés bon marché. De plus
du fait même du système de l'exclu~;if, les commercants Goréens ne devaient se
procurer que des produits Français".
Pour atténuer la misère des traitants, on fit de Gorée un entrepôt fictif où les
produits, non originaires de l'Europe, transitaient sans être soumis à des taxes. Le
résultat fut un accroissement du volume du commerce de Gorée. Les caboteurs de
Gorée avaient désormais les moyens de fréquenter les rivières du Sud'o. C'est dans
leur marche vers le Sud qu'ils trouvèl'ent en 1833 l'arachide dans le Rio Nuriez, en
Sierra Leonne et en Gambie. Le produit de substitution capable de donner une
impulsion nouvelle à l'activité des comptoirs de Saint Louis et de Gorée était enfin
~
17.1
trouvé. En 1840 l'expérimentation de sa culture au Sénégal donna des résultats
probants. En 1841 une tonne d'ara6~iCje du Sénégal était débarquée à Marseille.
L'ARACHIDE
Les résultats obtenus par les Anglais en Gambie incitèrent les Français à les
imiter au Sénégal, d'autant que l'arachide présentait d'incontestables avantages.
Cette plante, de la famille des légumineuses, donnait une huile limpide. Elle servélit Ù
faire du chocolat, et était employée dans la fabrication des savonneries par les
industries" .
Gràce à cette plante, les opérateurs économiques pensaient pouvoir créer au
Sénégal une industrie nouvelle afin qu'il pût vivre d'une vie qui lui fût propre et «non plus
de cette vie factice qui consistait à ne rien produire par elle même et seulement à se
livrer à des spéculations et à des échanges sur une denrée qui n'était pas elle-même
le produit du travail"». Cette industrie iivait sa base dans le travail de la terre qui avait
toujours été, pour ceux qui savaient l'exploiter, une source d'abondance et de
richesse. Le tabac qu'on avait voulu cultiver au Sénégal était d'une qualité inférieure
et le coton n'avait pu non plus entrer en compétition avec ceux de l'Egypte, do
l'Amérique et de l'Inde".
L'arachide était donc pour les négociants la planche de salut.
Dans leur pétition au gouverneur le 24 Août 1842 ils écrivaient: «Si nous arrivons
à exporter dans un an ce que les Angl,lis se vantent d'avoir exporté de Gambie en un
mois (8000 tonneaux), il est facile de voir que la navigation entre la France et le Sénégal
prendrait un développement considérable. Ce qui serait un avantage important sur le
plan politique et commercial. Il est certain que la richesse de la colonie en serait
subitement augmentée et qu'elle irait toujours en croissant. Or cette augmentation
reposerait non sur la récolte d'un produit qui, comme la gomme, doit tout à des
circonstances atmosphèriques, mais sur la culture d'une denrée que l'intelligence et
le travail peuvent multiplier et qui tml/V'3 un placement assuré en France.
Monsieur le gouverneur, si un jour ce pays doit s'ouvrir à la civilisation, il est
certain qu'il n'entrera dans le cercle des idées européennes que lorsque la culture de
la terre aura fixé les populations tOUjOL!S] plus ou moins errantes, et lorsque l'habitude .
~
du travailleur aura fait secouer la pareSSé! séculaire qui les accable. Quand des besoinS
nouveaux auront été crées aux Noirs de la rive gauche, qu'ils éprouveront le le désir
de les satisfaire et le désir de les voir 3ccomplir, au moyen du produit de leur travail,
leur activité réveillée ne s'arrêtera pas en chemin et finira par leur faire adopter nos
idées, nos arts et notre civilisation. PO~Jr I3n arriver là peu à peu il faut trouver une plante
qui rapporte abondamment, d'une eXJ:.loitation facile et d'un débouché avantageux.
Celte plantec'estl'arachide".,. Celte plante favorisait aussi l'élevage des bestiaux. Les
feuilles d'arachide fournissaient aux al1imaux un fourrage excellent surtout pendant la
période de soudure. Pour décider les paysans à se livrer à la culture arachidière, de
puissantes mesures incitatives étaient nécessaires, sinon comme par le passé ils
continueraient de concentrer leur activité sur la culture du mil qui assurait leur
subsistance quotidienne et leur procurait, par l'échange, les denrées qu'ils ne
produisaient pas eux-mêmes.
Pour les faire entrer dans cette voie nouvelle, il suffisait de tirer partie de
l'organisation même de la société indigène. En effet chaque agglomération était
gouvernée par un chef. En le stimulant, par des cadeaux, il inciterait ses administrés
à consacrer une partie de leurs emblal/ures à la culture de l'arachide. Les coutumes
seraient proportionnées au volumes de la récolte traitée. Des primes à la production
récompenseraient les gros producteurs. Au départ les semences pourraient été
fournies gratuitement à ceux qui le (iésiraient.
Pour que la culture de l'arach:·je pût se faire sur une grande échelle, les
cultivateurs devaient trouver une solide protection pour leurs personnes et leurs biens.
Sinon au moment des récoltes ils risquaient de voir leurs espérances détruiles et Icur:;
bestiaux enlevés par une incursion de Maures ou de Ceddo. Aussi les négoci,ull:;
préconiseraient-ils de confiner les Maures sur la rive droite. "II est temps de IneUre Ull
obstacle invincible aux violences exercées contre les personnes, qu'ils laissent les
habitants de la Sénégambie se livrer au travail de la terre"."
f=
17i1
Entre 1842 et 1845 une impulsion était donnée à la culture arachidière.
. "'';-'
Quelques négociants essayèrent de faire de l'agriculture de type capitaliste en utilisant
des esclaves ou des ouvriers salariés dans leurs exploitations. Toutes les opérations
se soldèrent par un échec. La dernière fu~ celle de Adolphe Teissère qui lui coûta une
perte de 12000 francs. On en déduisit que l'arachide cultivée sur une grande échelle
ne présentait que des risques de ruine. En effet même si les aléas climatiques ne
venaient pas compromettre les récolte.-3, le prix de cette graine oléagineuse ne
permettait guère au producteur de couvrir les frais d'exploitation de son entreprise
fonctionnant avec des journaliers ou avec des esclaves'"' Toutefois ces inconvénients
disparaissaient ou étaient du moins fortement atténués pour "la petite culture entre-
prise par les négres qui travaillent chez eu;<, aidés de leurs captifs et de leur famille Sélns
frais ni dépense. Aussi avons nous vu ce produit croître rapidement chez la population
du fleuve. Le Kayoor surtout a fourni de 'Jrandes quantités. Les négres de la grande
terre viennent chaque jour apporter à Sailit-Louis leurs arachide échangées contre les
marchandises. C'est l'une des causes de la prospérité du commerce de détail qui
prend un développement assuré d'un bel avenir".
Les région du haut Sénégal COr:lme le Goy, le Damga, le Kamera n'hésitèrent
pas à orienter leur activité vers la culture arachidière mais la l'énumération du travail y
était aussi si dérisoire que les populations finirent par y renoncer. De plus les
communications entre ces régions et Saint-Louis étaient interrompues pend;.1nt
plusieurs mois de l'année. De ce fait même, si l'arachide du haut fleuve était de qualité
excellente en raison de lacontexture des sols qui «reproduisaient avec une abondance
extraordinaire les semences qu'on leur confiait», il fallait néamoins constater que ces
graines enfermées pendant la baisse <:les eaux, dans des magasins en paille y
subissaient de graves avaries. Leurteneu: en huile diminuait en raison de l'évaporation
sous l'influence des vents d'Est. En Mai, avec les premieres pluies de l'hivernage, les
produits mal abrités s'imprégnaient d'une humidité qui causait des altérations dans les
graines. Si à ces inconvénients majeurs on ajoutait les frais de transport de Bakel à
Saint-Louis, on comprend que le prix offert au producteur dans le haut Sénégal fût si
Ng
peu encourageant pour le producteur qui en définitive préféra renoncer à un~ activitl 7 6
-:
qui ne lui procurait aucun bénéfice'B.
L'abandon de la culture arachidière par les cultivateurs du haut Sénégal lit du
l\\aY.9or et du WalQ les zones où elle était susceptible se développer sur une grande
échelle en raison même des relatives facilités d'écoulement que constituait la proximité
de Saint-Louis et de Gorée par rapport aux producteurs. Toutefois l'extention de 1<.1
culture arachidière impliquait l'instauration d'un climat de paix et de sécurité pour les
cultivateurs et les traitants. En ettetles coutumes qu'ils versaient aux chefs de l'intérieur
ne les mettaient pas toujours à l'abri de leurs vexations. Ils ne commerçaient que dans
des escales déterminées où ils payaient des droits considérables.
Ces obstacles ne freinèrent pas cependant l'essor de celle plante qui réunit un
triple avantage. Par le commerce don' elle était l'objet, elle faisait vivre la population de
Saint-Louis et de Gorée, pourvoyait auxi~~~W~huileriesmétropolitaines et donnail
une impulsion nouvelle à la navigation française et partant aux «interêts de diverse
nature, mais trés impo/lants qui s'y ra~tachaient et s'en alimentaient. '"»
Pour transformer les comptoirs français en une véritable colonie seule capable
de donner l'orientation désirée à l'activité des populations, on décida d'y établir la
prépondérance du nom français50. C'e~.: à cette entreprise que s'attacha le gouverneur
Edouard Bouët-Willaumez (1843-1845). En 1844 il fit un diagnostic sans complaisance
de l'économie des comptoirs. Il aboutit à la conclusion que la politique qui avait prévalu
depuis l'abandon des cultures du Walo ;1'avait eu en vue que les interêts commerciaux
du moment plutôt que ceux de l'avenir. Saint-Louis et Gorée étaient dans le voisinage
de royaumes indépendants dont les chefs n'hésitaient pas à piller les biens des
traitants français malgré les taxes qu'oilleur payait en contrepartie de la sécurité des
transactions commerciales qu'ils devaient assurer. Les gouverneurs n'avaient pas la
possibilité d'exercer une quelconqu'.:' influence sur les populations indigènes dont les
habitations se trouvaient même dans le voisinage immédiat des comptoirs. Le Walo,
le Jolof, le Kayoorqui auraient dû être les greniers des possessions françaises n'éta~ \\;
pas trés florissants en raison du climat de violence des rois et des chefs qui ne
laissaient à leurs sujets aucune sécurité pour leurs biens et leurs personnes51.
lJ~
n·
1 7 '1
Ces contrées ne seraient donc prospères aux yeux des Français que s'ils
. ,
parvenaient à y instaurer un climat de naix. Pour cela il fallait commencer par mettre
un terme aux incursions des Maures qui multipliaient leurs raids de pillage depuis que
les revenus qu'ils tiraient de la gomml) avaient accusé des baisses sensibles. l'our
obtenir ce résultat, le recours à la force ,,'avéra nécessaire, car il s'agit de se mellre du
cÔté des faibles contre les forts. Selon Bouët Willaumez, le moyen le plus efficace
d'interdir l'accès de la rive gauche du Sénégal aux Maures était de placer le Walo sous
la souveraineté directe de la France, ainsi que le Ganjool dont les salines fournissaient
des revenus substantiels à la couronne du Kayoor. Ces territoires ainsi placés sous
l'autorité directe de la France serviraient d'asile à tous les sujets maltraités par leurs
chefs et qui s'y consacreraient en toute tranquilité à l'agriculture et à l'élevage.
L'administration avait également !'inl:;nlion de proportionner les coutumes au volume
des arachides traitées et non plus au tonnage des bateaux. La solidité du glacis
protecteur dont elle entendait entourer ,Saint-Louis, postulait aussi le démembrement
du Futa-toro qui ne devait pas constituer une menace pour le comptoir clu Nord"" .
En d'autres termes Bouët-Willaumez préconisait la transformation des comp-
toirs en colonie par une augmentation territoriale des possessions françaises. Ce qui
permettrait au gouverneur d'exerœr une action sur les populations tout en leur
assurant la jouissance des fruits de leur travail".
Les moyens militaires nécessaires à la réalisation de cet ambitieux programma
politique n'existaient pas encore dans les possessions françaises. Le gouvernement
de la monarchie de Juillet trés prudent ne voulut pas engager des opérations mililaires
pour des intérêts aussi lointains. On s',m tint au statu-quo.
L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE EN 1848
A SAIIIT-LOUIS ET A GOREE
Sur ces entrefaites le gouvernement provisoire issu de la révolution du 24
Février 1848 abolit l'esclavage dans les colonies françaises par le décret du 27 Avril de
la même année. Cet acte fut promulgué au Sénégal le 23 Juin 1848 tous les esclaves
"&
.
qui se trouvaient à Saint-Louis et à ('l'rée aussi que dans l'enceinte des f~rts fure~t 7 ~
i~
légalement affranchis.
L'abolition eut pour effet de rendre plus précaire la situation des traitants qui,
tant bien que mal, cherchaient à sortir dE! la détresse dans laquelle les aVéliellt plong6s
les mauvaises traites de la gomme, tout en rendant plus difficile la vie des élffrancilis.
En effet des maîtres, voyant qu'on leur (jéfendait de tirer profit du travail de leu'lgens,
refusèrent de les nourrir et les mirent à 1,1 porte. Le gouvernement français jit faire une
enquête pour vérifier l'origine de tous œux qui étaient esclaves ou qui étaient donnés
pour tels. Il s'agissait de supprimejdes listes d'esclaves donnant droit à l'indemnité,
tous ceux qui avaient été introduits frauduleusement dans les possessions françaises
ou qui seraient issus de parents ayant cette origine. Cet ordre ministériel exclut donc
de l'indemnité les nombreux esclaves introduits dans les comptoirs postérieurement
àl'actede 1823 qui prohibait leur entré'3. Seules seraient indemnisées les possessions
conformes à la loiS<.
Si le recensement de la popula'ion servile pour le partage de l'indemnité établit
l'existence de 10075 esclaves pour SElint-louis et Gorée, la commission n'admit
finalement que 6703 esclaves ou engagés donnant droit àl'indeminité. Tous les autres
avaient été introduits dans les comptoirs en violation des dispositions légales. A Gorée
les demandes d'indemnisation interessèrent 195 propriétaires alors que celles éma-
nant de Saint-Louis concernait 671 proplÎétaires55• Au total 3372 individus considérés
comme esclaves ne devaient pas donnel" lieu à l'indemnité, ce qui constituait pour les
propriétaires un immense manque à ça!Jner.
Le 4 Septembre 18481a part du ::',énégal dans le fonds de l'indemnisation était
fixé à la somme de 1245000 francs. PUi:3 elle fut portée à 2215572 francs. Aprés les
enquêtes effectuées pour déterminer les fraudes chaque propriétaire reçut par esclave
331,50 francs. Si une moyenne à jamais un sens on peut dire que les propriétaires de
Saint-louis reçurent chacun 1650 francs chacun, ceux de Gorée 5000 francs environ.
Mais tous les maîtres n'avaient pas eu le même nombre d'esciaves. Certains comme
les Valentin, les Laboure, les Pelleguin t'n avaient des dizaines. D'autres plus modestes
n'en avaient qu'un ou deux. Ils formaient l'immense majorité des anciens maîtres. Ils
K2
1 7 9
n'avaient vécu jusqu'alors que des'.Jvenus qu'ils tiraient de la location de leurs
esclaves. Ils furent donc les premier~' ruinés par l'émancipation.
Les traitants connurent un surcroît de difficultés. C'étaient leurs captifs qui les
aidaient dans leurs opération commerciales. En 1828 on dénombrait sur les embarca-
tions de Gorée qui faisaient /e cabotage sur la Petite Côte et les rivières du Sud 332
laptots ou marins dont 300 captifs. A Saint-louis en 1837 ils étaient 2704 répartis sur
406 embarcations. Les 2500 étaient des esclaves58• Avec l'émancipation ils étaient
désormais obligés de n'employer qu'une main-d'oeuvre salariée. C'est ainsi que le prix
de louage des laptots connut une montÉe vertigineuse entrainant une diminution, dans
de fortes proportions, des bénéfices rJes traitants. Ceux-ci perdirent également la
possibilité de les déposer en gages auprés de leurs créanciers ou de s'en servir dans
les ventes à réméré avec les négoci;;lnts pour certaines opérations ponctuelles. Le
marasme des affaires apporta la misf:re dans beaucoup de famillef-Pour survivre
,
certaines d'entre elles durent vendre leurs bijoux d'autant plus que les fonds que
l'indemnité injecta dans la colonie servir"mt à payer des dettes relatives aux mauvaises
années de traite5? Le 29 Novembre 13L,91e gouverneur Baudin demanda au ministre
d'accorder une indemnité plus large que celle votée par le parlement français. Selon
cette autorité 500 francs au moins semblaient indispensables pour éviter la ruine du
grand nombre des habitants qui, à Gorée surtout ne pouvaient remplacer par aucun
autre moyen le produit du travail de leurs anciens captifs58• Cette situation atroce
persista jusqu'en 1854. L'émancipation ct l'accroissement de la population appelèrcnt
un plus grand nombre de têtes au partage du produit de la gomme et de l'aracliiclc.
Les grains devinrent insuffisants non I=as pour alimenter l'ancien luxe, mois simplc-
ment pour suffire aux besoins ordinaires de la vie. Beaucoup d'anciens patrons furenl
lourdement endettés, forme nouvelle de ieurdéchéance. Leur avenir était trés sombre.
Ces chutes sociales spectaculaires eurent un retentissement atroce jusqu'en
France où les autorités chercher~ent d'3s palliatifs à ce mal dont la gravité provoqua
un changement brutal dans la façon de percevoir les solutions. Négociants, traitants,
fonctionnaires prirent un ton agressif et préconisèrent l'emploi de la force pour régler
les différends avec les indigènes en vue de leur imposer la suprématie ct l'influence de
1?!1i
la France, Dans la revue coloniale cJ~a 1850 Raffenel écrivait que «parlout l'injure;
•
partout d'insolentes bravades pousui'/aient nos nationaux et les habitants de Svinl-
Louis lorsque la force ne les protégeait pas; el la force n'était nulle part, C'estla menace
qui les remplaçait, triste expédient qui aggravait la situations9», Bref les changements
politiques et économiques désirés p3ssaient nécessairement par l'affrontement armé
avec les pays constitutifs de la sénégambie, Le commerce local demanda au gouver-
nement de prendre l'initiative de la guerre et de renoncer «à la fade diplomatie qui
étouffait, par des concessions toujours trés humbles, les difficultés politiques de tous
les joursGO».
Les négociants Marc Maurel, Teyssere, Grange, Herisse, Bancal, Derneville
envoyèrent le 8 Décembre 1851 une pétition au gouverneur du Sénégal Protet pour lui
proposer des remèdes à la situation difficile dans laquelle se trouvait le commerce. II~;
reprirent le projetque de Bouet Willaurnez avait soumis au ministre de la marine el cles
colonies le 6 Novembre 1844.
Les commerçants demandaicn~ deux points fortifiés sur le fleuve à Dagana et
à Podar qui pourraientt être facilement armés avec les troupes disponibles à Saint-
Louis dont la présence en ces endroits empêcherait les exactions des maures ou des
Ceddo. Ainsi seraient protégés les faibles contre les abus de la force. Beaucoup de
noirs de la rive gauche ne manqueraient pas de venir chercher la sécurité autour de
ces établissements. Et ajoutaient-ils "l'avenir du pays était dans la culture. Sans la
culture le Sénégal ne serait jamais qu'un qu'un comptoir où l'on acheterait annuelle-
ment 2000 à 2500 tonneaux de gomme, et rien de plus. Cependant la population
augmentait, et il était temps, sinon dùj3 trop tard, de songer à donner un aliment à son
activité. C'est de l'arachide dont nous vous parlonsG1 ".
Ces considérations exposaient Saint-Louis à une guerre avec les Maures
Trarza, propriétaires des escales du Walo depuis le XVIIIe siècle. Le Walo avait, en effet,
cédé au chef Trarza en 1750 l'escale du Désert la première sur le fleuve. L'escale du
Coq, ou des Darmankou, avait également été donnée à cette tribu maraboutique par
le Walo"'. Pour évitertout conflit armé aV'3C les Maures, les pétitionnaires préconisèrent
~~
'UI 1
de payer aux princes Maures une coutume fixe chaque année «afin que les traitants
n'eussent rien à démêler avec quelque roi que ce fût".
Ces suggestions du commerce ne semblèrent pas avoir d'échos à Paris. Car
une autre pétition datée du 11 Noveflbre 1854 adressée au Gouverneur Prolel
reprenait avec plus de vigueur les doléances formulées en 1851. Ce que désiraient les
commerçantes c'était la suppréssion des abus dont étaient victimes journellement les
traitants, le respect de l'autorité française et des opérateurs français. Pour cela il fallait
mettre une fin aux demi-mesures6J". A peine sortis de l'oe, écrivaient-ils, «les Français
représentants du gouverneur ou simples commerçants étaient méprisés par les
moindres chefs de village et dédaigneusement traités de chiens et de tributaires.
Nos officiers étaient inquiétés jusque dans nos postes du fleuve, faule cl 'avoir
une garnison, car on ne pouvait pas donner ce nom à une réunion de Sept ou Huil
soldats. Aussi nous enlevait -t-on quelque fois des bestiaux à main armée à une Irés
faible distance des forts. De temps en temps on nous pillait des embarcations et nous
ne pouvions obtenir, malgré nos instances, la simple restitution de ces pillages.
Tous les jours les chefs du Futa se permettaient d'arrêter nos navires en cours
de voyage et en obtenaient des cadeaux forcés par la menace ou par la violence ...
Pas une année ne passait sans que les gens du Cayor ne pillassent nos navires
naufragés sur la côte, et, non contents de s'approprier les cargaisons tout entières, ils
maltraitaient les équipages, et ne nous les remettaient que moyennant bonne rançon.
Dans le Cayor, les habitants avaient une inquiétude de tous les instants, car ils
savaient qu'en un clin d'oeil leurs trouçeaux, leurs récoltes et même leurs personnes,
pouvaient être enlevées de jour ou de nuit, suivant le caprice de quelques Scélérats.
Ils avaient en outre à se défendre contre l'insatiable rapacité des envoyés du Damel
qui, sous prétexte d'impôts leur enlevaient arbitrairement le quart des récoltes.
Dans le Walo, malgré les traités que depuis plus de vingt ans les Maures ne
cessaient de violer de la manière la plU5 flagrante, ils étaient en pays conquis, avec
.,
~
1 B
notre consentement tacite, saccageant les villages et emmenant une partie cles
.~
habitants en captivité"".
Les pétitionnaires n'avaient d'autre objectif que de faire du Sénégal unocolonio.
Son occupation ne couterait rien puisque le fleuve, forteresse imprenablo, vaudrail
mieux qu'une armée 65. Pour terminer ils déplorèrent le peu de temps que restaient les
gouverneurs dans le pays, ce qui les empêchait de réaliser lesprogrammes économi-
ques ou de conduire une politique conséquente. Ils souhaitaient que les gouverneurs
pussent rester au moins sept ans dans la colonie. Ils suggèrèrent la nomination du
capitaine Faidherbe qui était au Sénégal depuis 185266. Les commerçants eurent gain
de cause. Sous leur pression, la France renonça à l'impérialisme disjonctif des
comptoirs à base exclusivement commerciale. On prit la résolution d'étendre autour
des comptoirs la zone de sécurité pour un réseau plus ou moins dense de fortifications
qui faciliteraient aussi la domination de l'hinterland. L'accroissement continu de la
;
production arachidière entre 1851 et 1854 détermina les opérateurs à tenter d'infléchir
la politique de Paris dans le sens d'url'3 occupation pure et simple des royaumes. La
production arachidière passa de 15559 quintaux métriques en 1851 à 66683 en 185467.
Faidherbe fût le réalisateur de celte politique. Faidherbe qui eut mission de donner une
réelle cohésion territoriale aux possessions françaises du Sénégal naquitle3 Juin 1818
à Lille d'une famille modeste. Entré à polytechnique en 1838 il en sortit en 1840 sous
lieutenant élève du génie. En 1842 il quitta l'école d'application de l'artillerie et du génie
de Metz prenant à son «compte toutes les dettes de sa famille avec sa solde pour touto
ressource60». Aprés un bref séjour à Arras comme lieutenant au premier régiment du
génie, il obtint son envoi en Algérie qui lui donna le goût du service colonial. EnIB'18
il fut envoyé à la Guadeloupe d'où il fut rapatrié en raison de ses sympathies pour les
esclaves insurgés. Il retourna en Algérie où il participa à la répression du mouvement
de résistance Kabile.
Titulaire de la croix de la légion d'honneur, il fut muté au Sénégal où il arriva le
6 Novembre 1852 en qualité de sous directeur du génie. Ses fonctions lui permettaient
de faire le tour des forts éparpillés rj,ms la Sénégambie et de prendre part à des
expéditions militaires au Sénégal, et en Côte d'lvoires9.
ln
1RJ
Sa bonne connaissance du p~ys poussa les commerçants à en faire leur· ,
candidat au poste de Gouverneur laissé vacant par le départ de Protet.
En lui notifiant sa nomination p3r lettre du 9 Novembre 1854,Ie ministre Ducos
lui fit toutefois comprendre que le recours à la force ne devait se faire que dans des
circonstances exceptionelles. "Votre nomination, écrit-il, n'est pas le commencement
ou la continuation d'une ère belliqueuse, mais votre mission est d'amener le dévelop-
pement pacifique des intérêts commerciaux, en leur donnant des issues nouvelles et
en montrant aux peuples des deux rives que nous serons toujours prêts à mettre la
force à l'appui de notre autorité toutes les fois qu'ils voudront être plus maîtres que
nous dans le réglement des affaires du fleuve depuis Saint-Louis Jusqu'aux cataracle
du Félou10". Les instructions du 8 Décembre 1854 sur les affaires politiques et commer-
ciales lui demandaient de se conformer aux doléances des commerçants contenues
dans leur dernière pétition,Faidherbe s,upprimerait les escales pour leur donner la
liberté de traiter la gomme aux points qui leur plairaient. Il créerait aussi sur la rive
gauche plusieu§établissements pour sE,rvir de point d'appui aux transactions tout en
assurant la sécurité des exploitations agricoles qu'on pourrait entreprendre dans le
Walo et le Futa. Pour cela Faidherbe était invité à mettre le Walo à l'abri des incursions
maures en le prenant sous la protectirJn de la France. On lui avait également dem8ndé
de supprimer les coutumes payées aux chefs indigènes. Bref il lui "fallait convaincre
les populations des deux rives que sans vouloir conquérir leurs territoires. "La FréUlco
exigeait d'eux la reconnaissance de sa suzeraineté et le respect pour le gouvernelll()nl
du Sénégal"."
Pour mieux focaliser son attention sur cet objectif de grande importance, un
decret en date du 1 Novembre 1854 sépara administrativement de Saint- Louis, Gorée
et les comptoirs du bas de la côte".
Le second empire ne semblait pas vouloir conquérir toute la vallée du Séné:g8L
La conquête matérielle lui paraissait inutile. Car pour lui, l'habileté consistait donc à
chercher à vivre en paix avec les indigènes et à les inciter, par une juste rénumération
de leur travail à orienter leur activité dans le sens désiré par le commerce". Mais
,
1 8 ff
Faidherbe savait mieux que quiconque que cette façon devoir était irréaliste c'est pour
cela qu'il n'hésita pas à prendre à l'égard des instructions de grandes licences.
L'ARMEE DE FAIDHERBE
Les forces militaires à sa disposition en 1854 étaient composées de qUé1lre
compagnies d'infanterie de marine, d'un détachement du troisième régiment du génio
et d'un bataillon de tirailleurs Sénégalais à quatre compagnies, d'une compagnie
cI'artilierie, d'un escadron sénégalais du premier régiment de Spahis. La milice locale
était formée de trois compagnies donl. une à Gorée. La station locale compte sept
avisos à vapeur, deux cannonières à hélice, un côtre à voile, une citerne flottante, cieux
batteries flottantes74.
Connaissant le caractère guerrier des populations qu'il entendait assujolir,
Faidherbe s'attacha à développer en priorité l'organisation militaire. Contrairement
aux commerçants et au ministre de la marine et des colonies qui affirmaient que cles
régies purement militaires ne sauraient présider aux destinées d'un pays, Faicillorbe
était convaincu que seule la conquête militaire, en assurant la paix et la sécurilô Ôlé!il
seule capable de permettre aux facultés de se produire etde se clévelopper. Il clôciclêl
de construire méthodiquement à partir cie Sain-Louis une série de blockaus et de forl~;
qui seraient les muscles, les nerfs, les os et la chair de cette oeuvre75 .
Dès 1855 il restaura les fortsde Bakel, et de Médine dont il fit des dépots d'armes
et de munitions. Les avisos et les batteries flottantes sillonnaient en permanence le
fleuve. Des postes fortifiés s'élevèrent clés 1855 à la frontière du Kayoor. Une route fut
tracée de Podor vers le camp de Koundi et le lac de Kayoor sur les rives duquel il
projettait de construire un fort. Les travaux de reconnaissance qu'il multiplia dans
toutes les directions76 indiquaient les écarts qu'il prenaient vis àvis des instructions trés
timides de Ducos et son intention d'imposer non la suzeraineté mais la souveraineté
de la France sur le pays qui grav:taient autour de Saint-Louis. Pour donner un
fondement moral à ses opérations militaires il invoqua hypocritement la civilisation qui
devait faire reculer la barbarie le plus loin possible.
Dés le début de son mandat Faidherbe décida de cantonner les Maures sur la
rive droite et de placer le Walo SOUL; la souveraineté française. Le 15 Janvier -1855 il
inaugura ses fontions en prononçant une violente attaque contre le village de Bokal au
Dimar qu'il accusait de faire déserter les solda'1l0irs. Puis sans déclaration de guerre
il mit pied au Walo sous pretexte d'en chasser les Maures. C'est alors que la reine de
ce pays Ndate Yalla , qui venait de sllccéder à sa soeur Jëmbët Mbodj se rallia aux
Maures et souleva son pays contre les colonnes françaises. Faidherbe marcha sur
Nder, capital du Walo brûlant tout sur son passage. II voulait inspirer la terreur aux
populations pour les détacher de la callse de leur reine et de celle de ses alliés rnaure~;
La colonne en dix jours pilla 2000 boeufs, 30 chevaux, 50 ânes, beaucoup de moulons
et de cllévres, fit 150 prisoniers, tua 100 hommes, brûla 25 villages. Elle ne perdil que
3 hommes et 8 blessésn
Bien que vaincus, les chefs du pays refusèrent de déposer les armes et
chercllèrent à tisser des alliances avec le pays limitrophes. En Décembre 11355
Faidherbe annexa le Walo, le divisa en 5 cercles placés chacun sous l'autorité d'un
chel. 7"
Faidherbe concentra alors ses efforts contre les Maures Trarza clont le roi
Mouhammed El Habib exigeait la destruction complète de tous les forts français établis
au Walo, l'interdiction à tout bâtiment de guerre de naviguer dans le fleuvo, ("
l'augmentation des coutumes, mais aw;si le renvoi de Faidherbe avant toule négocio-
tion. Aprés quatre années d'une guerre atroce, Mouhammed El Habib signa le 25 Mai
18581e traité reconnaissant la souveraineté française sur le Walo, sur les territoires du
Tube, de Njalaxaar, de Ganjol, de Cong, de Njagoetson droilde protection sur le Dirnar
et le ,Lolol. Les coutumes du gouvernement furent supprimées; celles du commerce
réduites et devinrent proportionnelles à la quantité des marchandises traitées. Elles
étaient perçues sur les marchandises qui sortaient du pays à raison d'une pièce de
guinée pour 500 Kg de gomme soit environ 3%. Toutefois les caravanes maures étaient
autorisées à aller commercer librement sur la rive gauche mais sans être années. Les
Français obtinrent la réciprocité en pay:; Trarza.
Le 10 Juin 1858 Mouhammed Sidi ; roi de la tribu Srakna signe un traité
analogue.
Sur la lancée de cette victoire Faidherbe tenta de démembrer immédialenlent
le Futa. Sien stylé par le gouverneur le chef de la province du Dimar se proclama lilJre
et par un traité signé le 1[3 Juin 1058, plaça son pays sous protectorat français7". La
présence de El Hadj Oumar dans le haut Sénégal avait déterminé Faidherbe à loul
mettre en oeuvre pour tenir ouverte la route vers Sakel. En 1860 il signa un traité Llvec
l'envoyé de El Hadj Oumar. Aux termes de cet acte, le Safing devint la ligne cie
démarcation entre les Etats du marabout et les pays placés sous la protectioll
françaiseBO• Pour modeste qu'il fOt, ce résultat était trés important pour le gouverneur
qui avait désormais toute la latitude pour conduire à sa guise sa politique du Kayoor
dont il voulait faire une terre arachidière.
Toutefois de 1854 à 1858 Faidherbe ne conduisit en direction du Kayoor qu'une
politique trés prudente en raison des opérations militaires qui se poursuivaient de
temps à autre dans la vallée du Sénégal. Il se borna à initierou à parachever des travaux
devant créer un glacis protecteur autour de Saint-Louis afin de donner une relative
sécurité aux transactions avec la Kayoor. Au moment où il prêta serment le 16
Décembre 1854 la construction du pont de Leybar était terminée. Son but était de
faciliter les communications entre Saint-louis et le Kayoor. Toutefois il envisagea
diriger deux postes entre Saint-Louis et la barre afin d'enlever le Ganjool en tenlps
voulu au Kayoor pour le rattacher au territoire placé sous la domination française"'.
En attendant la réalisation de cet objectif Faidherbe multipliait les menaces
voilées en direction du damel en faisant étalage des grandes victoires qu'il avait
remportées sur les Maures. Il lui demanda de rompre toute alliance avec eux, de le~3
chasser du Kayoor, sinon il se chargerait de le faire à sa place. «Je vais cOlltinll(J['
comme cela jusqu'à ce qu'on ne voie plu!> un maure armé sur la rive gauclle. QuarKI
bien même tous les rois du pays se réuniraient contre moi, je ferai ce que j'ai décidé
de faire. Si je n'ai pas assez de force, la France m'en enverra, deux, trois, quatre fuis
~
1 Po 7
plus tant que j'en demanderai8'". Malgré ces menaces le Damel Birima Ngoné LatYI'
protesta contre l'érection,sans son autorisation, de la tour de Leybar dans son pays.
Le roi du Kayoor était dans l'impossibilité de réagir militairement à la violation
de son territoire. En effet depuis le déb~Jt de l'année, les forces du Kayoor étaient
immobilisées au Bawol où elles chercllaient à imposer, comme souverain du pays,
Makodu père du damel. Si l'armée semblait avoir réussi dans son entreprise entre la
fin de Juin et le début de Juillet 1855, elle devait, pour consolider ces conquêtes,
maintenir beaucoup de contingents dan:; ce pays. Bien que vaincu, Ceyacin, Ng9DQ
Degen refusa de déposer les armes et recourut contre l'armée d'occupation à une
longue guérilla.
En Décembre 1855 le Damel fut à nouveau confronté au soulevemenl du
Diawrin Mbul6J• Faidherbe mit à profit cette crise politique pour essayer de cllasser cie
ce pays les Walo- Walo qui y avaient trouvé l'asile depuis l'annexion de leur pays. La
reine du Walo Ndate Yalla, son fils Sidya, son neveu Ely fils pe Mouhamed El Habib
avaient en effet trouvé refuge dans le Jambur d'où ils conduisaient de temps à autre
de fructueuses opérations de pillage contre ceux qu'ils considéraient comme cles
traitres à leur patrie.
Sur cette terre du Kayoor, ils se croyaient en sécurité, convaincus cie l'extraor-
dinaire puissance de l'armée de leur Ilôte. Le gouverneur n'oserait pas appliquer ln
droit de suite sinon ce serait l'ouverture des hostilités avec le Kayoor. L'éventualité cie
ce conflit dont l'issue n'était guère douteuse pour eux, les remplissait de joie et amenait
les chefs à prendre des mesures draconiennes à l'encontre de leurs sujets qui
désiraient «rentrer pour se soumettre8-l". Les mesures de terreur que les exilés
ri
prenaient contre les collaborateurs risquaient
elles prolongeaient, de rendre pré-
caire la domination française au Walo. Les populations refusaient d'accorder un
quelconque crédit à une autorité incapable de leur procurer la sécurité. Faidherbe
décida de tirer parti de l'enlisement de l'armée du Kayoor au Bawol pour conduire le
17 Décembre 1856 un corps expéditionnaire contre le village de Nguick où campait le
chef des exilés du Walo : Ely fils de Jëmbët Mbodj et de Mouhammed El Habib. Pour
1 Il Il
cette opération il mobilisa 600 hommes de troupes et 1200 volontairess. Le village fut
1
livré au pillage et à l'incendie. Le marabout, chef du village fut fait prisonnier"G. Les
villages voisins habités par les gens d'Ely subirent un sort identique. Mais prévenu à
temps Ely s'échappa et reçut l'asile au Jolo!"7.
Faidherbe était parfaitement conscient que l'ouverture d'un autre front contro
le Kayoor pouvait à tout moment inciter le Damel à entrer dans une alliance militairo
avec le trarza etle Walo. Du moment qu'il était déjàen guerre contre les Maures, le Fulél-
Toro et El hadj Oumar qui tous lui disputaient la prépondérance dans ILl valléo (iU
Sénégal, il n'osait courir le risque de distraire une partie de ses forces loin de ce champ
de bataille. Au lendemain de l'expédition de Nguick il eut recours aux ruses diploma-
tiques pour essayer de faire entrer en dissidence la province du Jambur dont los
habitants exclusivement musulmans avaient de réels griefs contre le pouvoir central.
Serigne Nguick fut utilisé comme otage r~our exercer un chantage sur les marabouts
du Jambur qui étaient prêts à faire des concessions pour sa libération. La condition
qu'il mit à la satisfaction de cette doléance était de voir les autorités du Jambur chasser
de leur province les ennemis de la France. " Lorsque, écrit-il à Serigne Coki, toi et tous
les autres serignes vous m'aurez donné la preuve que vous êtes bien décidés à ne plus
souffrir chez-vous les guerriers maures et lestiédos d'Ely, je vous accorderai la grâce
de Serigne Nguick."
Le damel protesta contre la violation de son territoire mais Faidherbe manoeu-
vra adroitement pour éviter l'affrontement. Il s'en tint toujours à l'idée selon laquelle,
tant qu'il n'en aurait pas fini avec la rive droite, tout sujet de querelle avec le I<ayoor
pourrait être fatal à son projet. Pour calmer le courroux du Damel il n'exigea plus
l'expulsio~ du Kayoor d'Ely et de Sf,S gens, mais il lui demanda de les empêcher
de commetre des brigandages sur les Français et leurs sujets90. Faidherbe déplOYé!
des trésors de ruses pour briser l'alliance liant le Damel à Ely en recourant à dos
considérations raciales pour dresser les Noirs contre les Maures. "Une race qui est
venue du Nord par le désert semble avoir juré de détruire complétementla vôtre, c'est
la race maure, votre plus mortelle ennemie.
"Q
1 fJ 9
Contre elle vous aviez votre nombre et votre force physique supérieure mais ils
avaient la ruse et l'astuce, et grâce à leurs chevaux, ils l'emportèrent sur vous. Ils
commencèrent par chasser les Ouolofs du Ganar sur la rive gauche du Sénégal et à
enlever journellement vos femmes et vos enfants pour en faire leurs esclaves... Tous
les ans ils faisaient des courses continuelles dans le N'Diambour, le Taube et le Cayor
à tel point que l'enfant ne pouvait s'éloigner de sa case, et que les Noirs n'osaient plus
cultiver leurs jardins91 ". C'est pour mellre un terme à celle situation injuste, intolérable
qu'il se fixa la mission de forcerr les maures à rester sur la rive droite afin que les Wolof
pussent paisiblement se livrer à la culll.re à l'élevage des bestiaux et au, commerce".
Ledamel ne tomba pas dans le piège du gouverneur qui ignorait que malgré des
relations souvent marquées par des affrontements sanglants, beaucoup d'unions
matrimoniales unissaient les deux races y compris dans la classe dirigeante. Mais le
soulèvement du Jawrin Mbul donna à Faidherbe le moyen de pression le plus efficace
,
contre le Damel. En effet Faidherbe avait accueilli dans la banlieue de Saint-Louis les
débris des vaincus sous la conduite de Samba Maram Xaay. La présence de sos
ennemis dans le voisinage de Saint-Louis donna au Damel des inquiétudes et il exiqeLl
l'extradition de leur chef. Faidherbe refusa en alléguant que le comportement de
Samba MaranQ Xaay dans le territoire, sous contrôle français, n'était nullement
comparable à celui de Ely qui avait fait de nombreuses irruptions sur le territoire
français, avec l'aide de quelques uns des sujets et avait toujours trouvé ensuite un
refuge au Kayoor. Puis le gouverneur d'ajouter: "Samba Maram Khay n'est ni ton
ennemi, ni le mien puisque tu lui fais toute espèce de promesses pour le faire rentrer.
Du reste si ses gens cherchaient à faire nu tord dans le Cayor, il faudrait m'en prévenir,
et je les forcerais à quitter Saint-louis pour ne plus y revenir ou même je te les livrer~\\is
immédiatement93•"
Conscient de la gravité de la menace que constituait l'armée de Samba Maram
dans sa province du Nord, Birima, espérant la réciprocité, chassa Ely de sa capitale
et lui demanda d'aller s'établir au ,Jolof ou de retourner au Trarza. Ely contre toute
allente aller s'établir dans le Jambur à Nomré qu'il quitta quelque temps aprés pour
relourner en Mauritanie. Avant son départ il confia la garde de son cousin Sidiya Diop
~
190
fils de sa tante Ndate Yalla à SerigneNomre Maxtar Binta. Faidherbe invita cette
personnalité à lui livrer immédiatement ce jeune homme dont la présence dans le
Jamb~r éloignait encore du Walo un grand nombre d'insoumis quYépandus dans les
villages de Mbirama, de I<oki, faisaient fréqemment des incursions au Walo sous la
direction du chef des ceddo Yugo Faali95• A cette requête Serigne Niomré répondit que
Sidya était un dépôt et un dépôt ne devait être rendu qu'à celui qui l'a confiéoo ," qu'il
ne leur était pas possible de faire plaisir au gouverneur en violant les principes sacrés
de l'islam sur l'hospitalité et le respect du bien d'autrui.
Cette attitude, malgré sa haute tenue morale/n'eut aucun effet sur la décision
de Faidherbe qui la mit au compte de leur goût à l'indépendance, de leurs répugnances
religieuses à obéir à une autorité chrétienne au point de les inciter à exciter contre la
France la défiance et "le mauvais voulJir même de certaines populations que nous
voulions protéger9'."
Il eut recours à toutes sortes de subtilités pour dire qu'il n'était jamais dans sos
intentions de se faire livrer Sidya, qu'il voulait simplement l'envoyer à l'ôcole dus
otages.
Il provoqua ensuite les marabouts de Nomre en leur dépêchant le sous-
lieutenant Alioune Macodé Sali avec vingt Spahis. Comme ii fallait s'y attendre NiOll1re
refusa de laisser partir Sidya. Des coups auraient été tirés mais le gouverneur ne
signala aucune perte. Mais peu importait pour Faidherbe qu'il y eût ou non affronte-
ment entre le village et ses envoyés. En tout cas il tira de l'affaire argument pour
dénoncer, à l'émotion du conseil privé et du ministre, l'insulte faite au drapeau français
et proposa de "tirer vengeance de ces actes odieux de sauvagerie des habitants du
Niomre98."
Faidherbe prépara minutieuse!TIent son expédition. Il savait que le Damel ne
pourrait pas porter secours à ses sujets puisque son armée était absorbée par la tâche
salutaire de la conquête du Bawol. Toutefois ces marabouts était crédités d'une
«grande réputation de bravoure""" acquise à force de lutter contre les Ceddo qui les
pillaient sans cesse. Ils ne se présenteraient pas en victimes consentantes devant la
we
1 9 f
colonne du gouverneur d'autant plus que ce dernier passait à leurs yeux comme
l'agent de diffusion de la religion chrétienne perçue comme rivale de l'islam.
La colonne était composée d'un millier d'hommes de troupes régulières, d'un
millier de volontaires de Saint-Louis. La banlieue fournit 500 volontaires et les villages
de Ganjolles chameaux pour le transport des vivres et des munitions. Le 4 Mars 1858
la colonne quitta Mpal pour Nomre SOLIS le commandement de Faidherbe'oo.
Informés de la progression de la colonne, quelques contingents de Nomre
allèrent à sa rencontre pour la harceler à Nguick à la faveur de la nuiLArrivée à
Merinaghen la colonne fut renforcée par les guerriers du Walo soit 700 Ilolnlnes dont
cent cinquante cavaliers. Pour desserrèr l'étau que les combattants cie Nomrô
établirent autour de la colonne, Faidherbe fit incendier tous les villages qui les avaient
hébergés. Wadane, Ntogueul, Kër snni Joop, Mbirama-Djibi furent la proie cles
flammes. Lâchés dans cette province relativement riche, les volontaires raflèrenllous
les biens qui se présentèrent à leur portée. Aprés la prise et l'incendie de NOInré les
chefs du Njambur. demandèrent la paix que Faidherbe accepta à condition qu'ils
s'engag~~~gerlessujetsfrançais etàneplusdonnerl'asile à sesennemis. En
revanche faidherbe leur promit d'intervunir auprés du Damel pour qu'il ne fît plus piller
leurs biens par des Ceddo. '°'
Si Faidherbe ne tira pas tout le profit que sa victoire lui octroyait c'est qu'il n'avClit
pas encore réglé définitivement son conflit avec les Maures. Mieux que quiconque il
savait que la conquête d'un pays était une chose, mais que son occupai ion ol SOIl
organisation en étaient une autre. L'occupation militaire du Jambur l'aurait obligé i.
distraire une partie importante de ses !orces dans une province relativement vaste,
dépourvue de postes fortifiés où les c:>mmunications étaienttrés difficiles en raison de
la raréfaction de l'eau, alors que les rvléures maintenaient encore leur pression sur la
rive droite. Le Damel malgré le peu d'é:ffection dont l'entouraient les musulmans du
Njambur serait contraint de prendre les mesures adéquates pour faire respecter
l'intégrité de son royaume. Mais il se peut aussi que le souci de ménager ces
marabouts, hommes d'ordre et de labeur qu'il considérait par ailleurs comme la seule
force capable de l'aider à développer ia culture archidière, l'eût poussé à une plu,;
. ,
grande modération pour éviter toute (L'pture irréparable avec eux. Dans son rapport
au ministre l'expédition fut réduite aux ülmensions «d'un incident en dehors de ID liDlle
politique que nous avons adopté au Sénégal et qui consiste à protéger en général les
Noirs sédentaires et cultivateurs contre les Maures nomades et pillards et en particulier
les noirs marabouts et les travailleurs inoffensifs contre les brigandages des Tiédos».
Quoiqu'il en fût l'expédition de Nomre eut pour conséquence immédiDte
l'expulsion du Njambur de tous les exilés du Walo qui y résidaient. La signature du traité
de paix le 20 Mai 1858 avec Mouham;lled El Habib consacra définitivement l'annexion
du Walo et frappa de caducité les droits de son fils Ely à la couronne de ce pays. Lil
grande publicité donnée à cet acte par Faidherbe incita beaucoup d'exilés à su
résigner à rentrer dans leur pays, MÊme Sidya, l'un des princes hériliers reprit hl
chemin du retour'03, Seuls les esclave~;, de la couronne du Walo sous le commancle·
ment de leur chef Natago Fall refusèrent de se soumettre par fidélité à Ely""-
Par la même occasion le gouverneur se vanta d'avoir affaibli la puissance du
Kayoor en aggravant la cassure psycholique qui séparait les musulmans du Njambur
de leur roi qui n'avait pas volé à leur secours au moment de l'invasion et du pillage cie
leur province par ses forces. Les populations du Tube, du Ganjol qui furent, grâce à
leurs volontaires, associées au pillage clu Njambur, commencèrent à trouver un plaisir
certain à la domination française105•
Au milieu de l'année 18581e ton 1riomphaliste jusqu'alors affichépar le gouver-
neur céda la place à une inquiétude bien réelle. En effet des informations concordantes
lui apprirent que le marabout El HalJj Oumar était à nouveau dans le Bambuck, le
Bundou et le Futa et s'apprêtait à unir IE:Llrs populations à celles du Kayoor et du Jolof
pour détruire l'influence française dans le fleuve et restaurer partout la prééminence
de l'islam. Faidherbe essayait de maint ~mir contre El hadj Oumar le Statu quo. Il mit le
damel en garde contre le complot que tramaient les habitants du Njambur décidés à
entrer dans une alliance avec le Futa peur le renverser. En Août/1858le directeur des
affaires indigènes Flize fit savoir au Damel que ce danger était réel, car El Hadj oumé1l
·
~
193
était dans le Marigot de Donay prêt à mmcher avec ses guerriers contre le Kayoor. «Le
moment est venu de veiller et de préparer tes forces pour combattre cet ennemi qui
est aussi le nôtre. Il faut surtout éviter en ce moment... de te faire des ennemis dan:::
ton propre pays en autorisant tes thiedcls àpiller tes sujets et les villages du NcliamlJour,
sans cela tu comprends bien que le jour où El Hadjse présente tous ces gens auxquet::
tu as fait du tort se joindront à lui contre toi""'», Parallelement à ces conseils au darnel,
Faidherbe multiplia les mises en garde contre les chefs et les habitants du Njambur en
les menaçant de les détruire en coopération avec l'armée du damel, s'ils accueillaienl
dans leur villages les émissaires de El Hadj Oumar'o" Mais! s'il ne s'agit pas de
contester la présence réelle de quelques agents du grand marabout; venus recruter
des guerriers pour la guerre qu'il menaill contre les Bambaras, il faut tout de même
contater qu'elle n'avait pas eu l'ampleur que Faidherbe lui attribuait. Il suffit de lire le
rapport qu'il adressa au ministre de l'Algérie et des colonies le 14 Octobre 1858, lors
de son congé en France, pour se rendre compte que tout ce montage n'avait d'autre
but que d'obtenir l'augmentation des crédits qu'il sollicitait et le maintien dans la colonie
de la compagnie d'infanterie euroréenne entre autres doléances. «quoiqu'il en soit,
de ce que le fanatisme nous ménage pour l'avenir écrit-il, j'ai pu tenir tête à tout jus-
qu'aujourd'hui. Mais d'une part des embarras financiers nous entravent pour des
misères et d'autre part, la guerre sainte nous menace encore de danger trés sérieux,
non pour la sécurité pour nos personnes, et nos postes, mais pour l'avenir de noire
commerce.
Je demande donc, sous peiile de ne plus pouvoir répondre de rien, que le
gouvernement vienne sérieusement en aide à la colonie'oo». On ne saurait mieux dire
ni du coup déceler le subterfuge auquE.1 il eut recours pour arracher les crédits néces-
saires à la poursuite de son action. On comprendrait difficilement que devant la gravité
de la situation Faidherbe eût osé prendre un congé en France du 4 Septembre 1858
au 12 Fevrier 1859. Mais en amplifiant plus que de raison cette menace oumariennne
contre les intérêts français du bas Sénégal il obtint non seulement les crédits désirés
mais surtout l'adhésion pleine et entiÉ're du ministre de l'Algérie et des colonies aux
vues qu'il avait exposées dans son mémoire et qui»tendaient à l'extension» de lêl
puissance française vers l'intérieur (:Je l'Afrique"",
Le 26 Fevrier 1859 un décret impérial réunit à nouveau Gorée et toute la côte
jusqu'à Sierra-Léonne au Gouvernement du Sénégal, ce qui accrut notablement les
forces militaires dont disposait Faidherbe. Le chef de bataillon du génie Pinet- Lapr;lde
arrivé au Sénégal depuis 1848 fut nommé au même moment commandant de Gorée
et dépendances. Dés son entrée en fonction, Pinet Laprade remit à Faidherbe un
dossier contenant toutes les plaintes émanant des factoreries entre le Cap-Vert et le
Salum ou étaient établis les ressortissants français. Il y dénonça avec viguerur tous les
méfaits, les exactions, les humiliations que les ceddo ne cessaient de leur infliger et qui
devaient trouver une réparation immédiate"O . Les conditions étaient réunies pour le
commencement de la conquête des Etats Wolof et Sereer.
1- Robert: Chanoine de Paris. Du Sénégal au Niger. (Rouen 1878) (page 11).
2- Berenger-Feraud: Etudes sur la Sénégambie: Moniteur 30 Avril 1873.
3- Hardy, Faidherbe (pages 28-29).
4- Sabatier: Op. cit.(page 44).
5- Lamiral : Op. cit. (page 245).
6- Boilat : Ouvrage (page 106).
7- Tien est une déformation Wolof du nlot chaine.
8- Anficeville de la Salle: Notre vieux Sénégal, (pages 30-31).
9- AN.S. 1 G 9: Dénombrement de Id population de Saint-louis 1835.
10- Roussin: Notices statistiques. Pâri:;, 1840, page 223.
11- AN.S. 2 E 21 : Conseil privé séanC':J du 25 Octobre 1849.
12-AN.S. 2B Folio 112 Gouverneur au Ministre de la Marine. Saint-Louis, le 25 Août
1827.
13- RaHanel : Tome 2, (page 67).
14- Sabatier: (page 44).
15- A.N.S. 2 B 2: Schmaltz au Ministre, 3 Janvier 1817.
16- AN.S. 2 B 2: Schmaltz au Ministre, 8 Juillet 1817.
-17 AN.S. 2 B 3 Schmaltz à Portal, 2;1 Décembre 1817.
18- Saulnier, La compagnie de Galam. Paris 1851, (page 85).
19- Schefer, instruction, Tome 1, (pagE;8 228-229).
20- Amédée Tadieu, Sénégambie et Guinée, Paris. 1847, (page 58).
21- Schefer: Op.cit. Tome l, (page 363).
22- Schefer : Ibidem.
23- A.N.S. 2 B 7: Folio 82, Rogre au Ministre 5 Septembre 1822
24- A.N.S. 2 B 27 : Folio 112, Roger au Ministre.
25- AN.S. 2 B 14 : Folio 37, Gouverneu.. au Ministre 2 Janvier 1830.
26- Darrican, Le Sénégal sera l'-il une Colonie ou un Comptoir? 1850 (page 9).
27- AN.S. 2 B 18 FF 120-121 Gouvemeur au ministre 16 Septembre 1841.
28- Idem, Ibidem.
195
29- A.N.S. 2 B 18 FF 120-121 gouverneur au rninistre, 16 Septernbre 1841.
30- Darrican : Op.cit., (page 10).
31- Revue coloniale, 1857.
32- Ricard: Le Sénégal Etude Intirne. (11365), page 412.
33- Pasquier R. Fortune, Race et pouvo;r : La crise 1837-1838 au Sénégal Melange
Mauny (page 945).
34- Pasquier: Op. cit., (page 945).
35- Pasquier: Op. cit., (page 945).
36- Ricard: Op. cit. (pages 230-231).
37- ANS. 2 B 29 Folio (pages 136-13"1).
38- Anforn S.A. 153-1273: Rapport au conseil des rninistres sur la rnission Mackau.
39- Klein: Islarn and Irnperialisrn in Seneijal : Siin Salurn 1847-1947 (page 33).
40- Klein: Op. cit., (page 34).
41- Mavidal : Le Sénégal, 1863, (pages 171-172).
42- Mérnoire envoyé au gouverneur par le conseil de la société pour la traite de la
gornrne par LaubaCarrere, Steight, Pourrilhon, Pellen, Parquet, Descernent (24
Août 1842).
43-ldern
44- Mérnoire des négociants envoyé au gouverneur par Lornbard, Carrere,
Streight, Descernent, Pourilhen, Pellen, Parquet, 24 Août 1842.
45- Idern.
46- A.N.S. R 29 Haube au Gouverneur: Note sur les cultures du Sénégal, 1tl46.
47- A.N.S. R 29 : Haube au GouvernhT hote sur les cultures 1846.
48- Idern, Ibidem.
49- Carrere Op. cit. (pages 5-6).
50- Idem, Ibidem.
51- AN SOM : Sénégal l, 53, Le Vice Amiral Bouët-Willaumez au Ministre. 6 Novem-
bre 1844.
52- Idem, Ibidem.
53- ANSOM : Sénégal 1,53 : Bouët Willaumez au Ministre 6 Novembre 1840.
54- ANS. 1 BU 8 Folio 258: Ministre au gouverneur 4 Mai.1848
55- A.N.S. 2 E 21 :Conseil privé séance du 25 Octobre 1849.
56- Roussin: Notice statistique (page 277).
57- Darrican : Op.cit., (page 10).
58- A.N.S. 2 B 27 Folio 145 : Gouverneur Baudin au Ministre 29 Novembre 1049.
59- Raffenel : la situation du Sénégal en 1850. In revue Colonial 1850.
60- Idem.
61- Maurel J.: Bordeaux et la pacification du Sénégal. Bordeaux 1953 (page 5).
62- Sabatier: (page 50).
63- Maurel J.: Bordeaux et la participation du Sénégal. (Page6). La pétiton est si-
gnée par Marc Maurel, Teyssere, Herisse, Bancal, Derneville, Martin, Merle, Gros,
Bernard, Larrier, Chaumette, Besson, oomec.
64- Maurel J. : Op. cit. (page 7).
65- Idem, Ibidem.
66- Idem, Ibidem.
67- Mavidal : Le Sénégal, (pages 171-172).
68- Fulerand, Colonel, Le Général Faidherbe: Paris, Librairie militaire 1890, (page
5).
69· Bathily A. : Aux origines de l'Africanisme: Le rÔle de l'oeuvre ethno·historique
de faidherbe dans la conquête française du Sénégal.
70- Schefer Op. cit. Tome l, (page 257).
,,
196
71- AN.S. 1 B 64 Folio 322: Ducos à Faidherbe 8 Décembre 1854.
72- Schefer : Op. cil. (page 258).
T~- Carrere: Op.cit. (page 5).
74- Sabatier: Op.' cit. (pages 287-283).
75- Duval J.: La colonie du Sénégal. 1858, (page 33).
76- Duval J.: Op. cil. (page 33).
77- Sabatier: (page 58).
78- Sabatier: (page 59).
79- Sabatier: Op. cil. (page 103).
80- Sabatier: ibidem.
81- A.N.S. 3 B 91 : folio 18, Gouverneur à Damel et à tous les chefs du Kayoor 1
Mai 1855.
82- A.N.S. 3 B 91 Folio 18 Gouverneur à Damel et à tous les chefs du Kayoor 1 Mai
1855.
83- Faidherbe: Notice sur le cayor. In Bulletin de la société de géographe, 1883
(page 39).
84- Annales Sénégalaises. 1854-1885, (pçges 190-192).
85- Faidherbe: Notice sur le Cayor. 1870, (page 10).
86- ANS 3 B 91 : Folio 26, Faidherbe à Damel à propos de la libération de Serigne
Nguck intervenu le 24 janvier 1857.
87- Faidherbe: Notice sur le Cayor. (page 10).
88- AN.S. 3 B 91, Folio 26 : Faidherbe ~ Serige Coki. Saint-Louis le 27 Décemllre
"
1856.
~
89- AN.S. 13 G 23 Faidherbe à Moul gouverneur P.1. 12 Juin 1856.
90- A.N.S. 3 B 91, Folio 26 : Faidherbe au Damel, le 13 JANVIER 1857.
91- AN.S. 3 B 91, Folio 36: Faidherbe à Damel 5 Mai 1857.
92-ldem.
93- AN.S. 3 B 91 Folio 41: Gouvernpljr Faidherbe à Damel Birima. Le 9 Oclobre
1857.
94- Sidia Léon Diop, fils de Ndate Yalla soeur de Jëmbet, mére de Ely.
95- Annales Sénégalaises. 1858-1885, (pages 193-196)..
96- ANSOM Sénégal 1,43: Faidherbe au Ministre. Le 13 Mars 1858.
97- ANSOM Sénégal IV 46 a Faidherbe au Ministre le 13 Mars 1858
98- A.N.S. 1G 36: Notice sur le Cayor, par Faidherbe (page 10).
99-ldem.
100- AN.S. Folio 69, Faidherbe à Ministre 13 Mars 1858.
101-ldem.
102- A.N.S. 2 B 32 Folio 69: Faiderbe au Ministre le 13 Mars 1858.
103- A.N.S. 3B91 Folio 55 : Faidherbe à Sidya le 29 Juin 1858.
104- A.N.S. 3B 91 Folio 52: Faidherbe aux chef des villages de Ndia 20 Mars
1858.
105- A.N.S. 2B 32 Folio 69: Faidherbe au ministre 13 Mars 1858
106- AN.S. 3 B Q 1 Folio 55. Le Directeur des affaires indigènes Flize au Damel:3
Août 1858.
107- A.N.S. 3 B Q 1 Folio 56: Le gouverneur aux chefs et gens du Ndiambour 1
Septembre 1858.
108- ANSOM Sénégal l, 45 Mémoire slir la colonie du Sénégal par Faidherbe le 14
Octobre 1858
109- A.N.S. 1B 75: Le ministre de l'Algérie et des colonies aux Gouverneur 22 Fé-
vrier 1859.
110- Sabatier: Op. cil. (page 161).
)
.
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DEUXIEME
PARTIE
LA CONQUETE
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198
DEUXIEME PARTIE:
CHAPITRE 1
LE KAYOOR DE LA MORT DE BIRIMA NGONE LATYR
A L'ABDICATION,DE MAKODU 1859-1861
En 1859 la réunification administrative de Gorée et dépendances au gouverne-
ment de Saint-Louis élargit le rayon d'action du gouverneur dont le ressort englobClit
désormais la partie méridionale du Kayoor, le Bawol, le Siin, le Salum et les Rivières du
Sud jusqu'à la Sierre-Léone. Dés qu'il reçut notification de cette décision, FaidherlJC!
appliqua dans cet arrondissement la même politique que celle qui donna ô la Fr,mcc
la prépondérance dans ses relations avec les provinces septentrionales du I\\ClYoor, Ir:
Walo, les Maures et le Futa. Il s'agissait de créer dans les différents royaumes Woloi
et Sereer des ceintures de sécurité appuyées sur la Petite Côte, le long du Salum afin
de favoriser la mise en valeur agricole de l'arriére pays.
Dans le cadre de sa lutte contre les Maures et le Walo Faidherbe avait établi des
postes fortifiés à Njalaxaar et à Leybar. Il avait essayé de détacher progressivemellt du
Kayoor les cantons de Ganjol, du Tuubl~ en y assurant la police tout en demandant aux
populations de payer au damell'impôl qui lui était dû. Pour se conformer aux voeux
du commerce il abolit les coutumes en 1856.
Cette suppression suscita des réactions trés violentes. Alors que chez les
Maures cette taxe était assimilée à le Djézia que les chrétiens étaient tenus de payer
pour avoir le droit de résider, de commercer et de célébrer librement leur culte dans
les pays musulmans', les souverains païens les considéraient comme des droits de
douanes exigibles sur toutes les marchandises à l'importation ou qui sortaient de leur
territoire. Les réactions violentes des souverains locaux en réponse à la décision
abolissant les coutumes amenèrent ie gouverneur à rechercher un compromis Clvec
eux. Depuis l'établissement des relations commerciales avec l'Europe, les coutumes
avaient toujours été le complément des transactions. C'était donc poussel les
autorités de la Sénégambie à une résistance opiniâtre que de leur enlever, sans
compensation aucune, une de leurs principales sources de revenu. Décidé à imposer
partout la prépondérance française, le gouverneur décida d'ôter à ces taxes leur
caractére de tribut que les chefs leur avaient toujours attribué. Un adroit accommode-
ment concilia l'honneur et les intérêts des deux camps. Les traités imposés par
Faidherbe aux rois de la Sénégambie leur reconnurent le droit de retirer du commerce
de leur pays un profit devantleur procurer des revenus substantiels. Tous les produits
exportés des royaumes étaient grevés d'une taxe représentant environ 3%de la valeur.
Les taxes étaient perçues par des agents préposés à cette tâche et portant le titre de
alcali. Malgré tout le manque à gagner pour les rois locaux fut considérable car les
marchandises apportées par les traitants des comptoirs français circulaient en pleine
franchise.
Entre 1856 et 1858 Faidherbe parvint tant bien que mal à imposer cette façon
de voir aux souverains de la vallée du fleuve. Les maures, les chefs du Futa et le roi du
Kayoor se résignèrent à cette situation. Aprés une guerre de quatre ans les Maures
furent battus et l'annexion du Walo entérinée. Le Kayoor paralysé par ses contradic-
tions internes était incapable de conduire une politique d'affrontement contre le
gouvernement de Saint-Louis. C'est le lieu de rappeler qu'à la mort du Damel Meissa
Tend Joor en 1854 les esclaves Geedj avaient fait élire par le conseil des Grands
Electeurs un jeune homme de dix huit ans: Birima Ngoné Latyr, petit fils par sa mère
du défund souverain. Lajeunesse de ce roi leur donnait bien sûr la possibilité d'exercer
la réalité du pouvoir à tous les niveaux de la vie politique. Le conseil du Bawol porta son
choix sur Ceyacin Ngoné Degen. Les deux couronnes naguère réunies furent à
nouveau séparées. Mais le Damel prit la résolution de conquérir le Bawol pour y faire
régner son père Makudu dont ne voulaient pas les esclaves Geedj qui craignaient de
le voir les écarter des avenues du pouvoir au profit des esclaves gelowar du Salum.
Il semble qu'entre la fin de Juin et le début du mois de Juillet 1855 la mission de
cette armée fut remplie à la satisfaction du damel au point de lui valoir une lettre
élogieuse de Faidherbe qui le félicitait d'avoir donné, à la suite de sa victoire, la
couronne du Bawol à son père'.
,
Mais Makudu ne l'avait pas emporté par un total triomphe. Son ennemi, Ceyasin
Ngoné Degen eut recours à la guerilla pour s'opposer à la consolidation de son
autorité. Les escarmouches ensanglantèrent la pays. Les villages de Ngujan, Amgal,
Mbus Naax, Tarxiss, Gaat, Peul-Lamasaas, Lukuk furent les théâtres d'affrontements
violents. Les pillages, les incendies des villages et des récoltes furent pour ainsi dire
monnaie courante. C'est le moment que choisit le Jawrin Mbul pour tenter un coup
d'Etat au Kayoor.
Ce deuxième personnage de l'Etat du Kayoor avait été investi dans ses
fonctions par le dame/ Birima Ngoné Latyr en violation de la constitution du pays. Selon
la charte coutumière le Jawrin Mbul, chef des hommes libres du pays était désigné par
ses pairs du conseil des Grands Electeurs. Il présidélit cette assemblée chargée de
l'élection du Damel. Celui-ci n'avait nullement à intervenir dans son choix. Du moment
que la dynastie utérine des Geedj monopolisait pratiquement le pouvoir depuis la fin
du XVIIe siècle, grâce àl'appuide ses esclaves, il s'en était suivi une crise institutionnelle
qui avait transformé le Conseil des Electeurs en simple chambre d'enregistrement de
la volonté des esclaves de cette dynastie. les Damel avaient mis fin à cette fiction qui
faisait croire encore au fonctionnement normal de la constitution coutumiére en
s'arrogeant le droit de désigner le Jawrin Mbul. Du coup les Geedj placèrent à la
présidence de ce conseil des hommes toujours dévoués à leur cause. Cette dignité
revenait de droit à la famille utérine des Xagaan. A chaque vacance de la charge elle
devait choisir en son sein le successeur du disparu. Ce choix sans aucune pression
extérieure garantissait l'indépendance du titulaire dans l'exercice de ses fonctions.
Mais les captifs de la couronne, maîtres du pays, s'opposèrent au fonctionnement
normal des institutions. Ils firent sauter tout ce qui était susceptible de brider leur toute
puissance.
Les hommes libres ne se résignèrent pas cependant à cette situation. Ils
essayèrent tant bien que mal de faire respecter l'équilibre institutionnel. Mais en 1855,
bravant la volonté des esclaves de la couronne qui souhaitaient la nomination à ce
poste d'un homme sans grandeur, le damel nouvellement élu nomma Jawrin Mbul
Amari Mberi Ngone Fall, frère consanguin du défund roi. Dés son entrée en fonction
Amari Mberi donna des commandements territoriaux importants aux membres de sa'
lignée utérine. Makudu Kura Gey fut nommé Jogomay, Sala Faly Ngone Ndumban
Samb Jeng devintJawrin Jengeen. Les cantons de Peex, de Walalan furent également
dirigés par des chefs Xagaan.
Si l'on en croit la tradition orale', L'objectif primordial de Amary Mbery était de
restaurer l'équilibre institutionnel en restituant aux hommes libres leurs anciennes
prérogatives confisquées au profit des esclaves de la couronne. Aussi demanda t-il au
Damel de mettre un terme aux dépradations de ses esclaves qui paralysaient l'activité
économique. Aces remontrances le Damel répondit par le pillage de Belly, village natal
du Jawriri Mbul qui abandonna le Kayoor pour le Bawol où il trouva un allié en la
personne de Ceyasin Ngone Degeen, ennemi de Makudu et qui avait repris la
couronne de son pays lorsque l'armée du Kayoor fut rappelée de toute urgence du
Bawol pour faire face au soulèvement du Jawrin Mbul.
Appuyés par les contingents du Bawol commandés par leur roi Ceyacin Ngoné
Degen, Jawrin Mbul et ses parents ainsi que beaucoup d'hommes libres partisans de
réformes politiques de nature à mettre un terme au régne des esclaves, passèrent à
l'offensive le 4 Décembre 1856. L'affrontement majeur eut lieu dans Mbul, la capitale
même du Kayoor. Tous les chefs de la révolte tombèrent les armes à la main. Les débris
de leur armée se sauvèrent en partie vers le Bawol, en partie vers Saint-Louis sous la
direction d'un cousin du Jawriri Mbul Samba Maram Xay Joop. Faidherbe les autorisa
à s'établir à Mberay dans la banlieue de Saint-Louis afin de les mettre à l'abri de la haine
vengeresse du damel et surtout de les utiliser éventuellement comme moyen de
pression contre le Kayoor si Damel se conduisait mal contre Saint-Louis'.
Cet échec du Jawriri Mbul compromit l'espoir des hommes libres de voir leur
pays procéder aux réformes essentielles à leur survie. Le Damel donna l'ordre à son
armée d'aller restaurer son père sur le trône du Bawol. Les excès des guerriers du
Kayoor créèrent dans ce pays une atmosphère irrespirable de violence. Les raids, les
pillages, les embuscades occupaient une grande place dans cette guerre où la mort
assiégeait en permanence les vivants. Ce climat de terreur persista au Bawol jusqu'en
1859. C'est ce que Faidherbe avait mis à profit pour conduire ses expéditions de
Nguick (1856) et de Nomré (1858) contre les populations du Njambur.
Malgré le contentieux qui l'opposait à la population musulmane de cette
province, Faidherbe ne désespéra point de les utiliser comme auxilliaires de sa
politique contre le Kayoor. Dans le mémoire qu'il remit le 14 Octobre 1858 au ministre
de l'Algérie et des colonies, le gouverneur préconisa la construction dans le bas fleuve
de trois caravansérails entre Saint-Louis et Gorée qui, «outre leur utilité pour les
relations de toute nature entre Saint-Louis et Gorée, ... deviendraient des centres à
notre influence et une base à nos opérations en cas de guerre5» ; l'extension de la
puissance Française dans le Kayoor accroitrait sensiblement le volume du commerce
avec ce pays en joignant à l'arachide, les bestiaux, les cuirs, le coton et l'indig06• Le
ministre adopta pleinement les vues expos~e par le gouverneur mais décida d'en
...
ajourner l'exécution «jusqu'à ce que de plus grands moyens financiers» eussent été
mis à sa disposition?
Faidherbe essaya de contourner cet obstacle que le ministre venait de dresser
devant lui. Il s'attacha à faire faire une révolution intérieure au Kayoor en incitant les
marabouts à se battre contre la caste Ceddo, ennemie des agriculteurs dont l'activité
était tout à fait nécessaire à la prospérité du commerce des comptoirs. Faidherbe
n'ignorait pas que la foi, surtout chez les m.usulmans constituant un puissant discrimi-
nant. Les marabouts du Njambour détestaient certes le damel et les membres de son
entourage, mais ils ne l'entouraient pas lui non plus d'une quelconque affection. La
propagande des émissaires de El Hadj Oumar pouvait àtout moment les inciter à entrer
dans la croisade contre le gouvernement de Saint-Louis.
Bien que conscient de cet exclusivisme musulman, Faidherbe n'en essaya pas
moins d'en faire ses alliés dans la lutte que, méthodiquement, il conduisait contre le
Kayoor". Pour lui, ces musulmans faisaient partie de la population laborieuse. Leur
province renfermait une soixantaine de villages dont la population était relativement
aisée. Le Damel n'y exerçait qu'un pouvoir fragile, contesté et qui ne se traduisait que
par des pillages et des enlévements de troupeaux et d'esclaves. Malgré tous les
échecs qu'ils avaient subis dans leurs tentatives de se délivrer de l'autoritarisme des
. '
Ceddo, ces musulmans ne refusèrent pas pour autant de renoncer à la lutte. Faidherbe
décida d'utiliser leur combativité pour réformer politiquement le Kayoor en attendant
de recevoir le feu-vert de son ministre pour la conquête du pays.
Malgré les préjugés voire l'hostilité des milieux coloniaux vis àvis de l'islam où
certains comme Carrere et Holle considéraient la relative tolérance dont il bénéficiait
àSaint-Louis comme un obstacle invincible aux progrès de la «civilisation", Faidherbe,
par tactique décida de s'appuyer sur les musulmans du Kayoor pour parvenir à ses
fins.
Pour avoir vécu en Algérie, et parcouru le Njambur, fréquenté les milieux
musulmans et Ceddo du Sénégal, il avait pu observer les ressorts que cette religion
donnait aux âmes pour le bien. L'islam avait élevé le sens moral des populations qu'il
avait arrachées au paganisme. Il avait réfaimé les moeurs dans le sens de l'austérité
en constituant une véritable ligue antialcoolique trés efficace face à l'intempérance des
ceddo. Chez les musulmans le respect du serment était une réalité; la politique était
soumise dans la guerre comme dans la paix à des régies précises. L'éducation
intellectuelle étaient doublée chez eux d'une solide formation morale. Ici comme
ailleurs l'islam travaillait à épurer les âmes. La société politique et religieuse dont les
habitants du Njambur voulaient être les artisans, serait, si elle se réalisait, supérieure
à celles des Etats Wolof et Sereer qui étalaient sans retenue «le triste spectacle de leur
dégradation9".
Le suprême intérêt de Faidherbe était donc de contribuer à la réussite de cette
révolution qui lui aurait épargné de périlleuses expéditions militaires dans un pays
encore mal connu.
Faidherbe consacra une bonne partie de l'année 1858 pour empêcher l'alliance
entre les musulmans du Njambur et El hadj Oumar. A plusieurs reprises il les menaça
de terribles représailles pour avoir accueilli les émissaires du grand marabout. Quand
la menace oumarienne s'estompa, il les engagea à nouveau dans la voie de la
dissidence en leur faisant comprendre que leur intérêt véritable résidait dans la
destruction du militarisme pillard des ceddo. Les chefs des differents cantons du
Njambur furent invités à travailler au renforcement de la cohésion de leurs différentes
forces, appelées à être les instruments de leur délivrance. Il promit à tous le soutien
qu'ils désiraient dés qu'il aurait constaté chez eux la volonté de prendre les armes pour
lutter contre le damel. Le 28 Avril 1859 il fit part au Serigne Luga, chef des musulmans
du Njambur de sa volonté de régler les affaires du Kayoor'o. C'était à la veille de son
expédition contre le Siin Salum. Il leur conseilla de ne rien faire qui pût compromettre
l'issue heureuse de leur projet. "Laissez-moi faire, écrit-il et fiez-vous à moi. Soyez bien
d'accord et soyez prêts àtout, n'attaquez pas, mais si l'on vous fait du tort ne le souffrez
pas. Vous savez que vous pouvez compter sur notre appui"". Peut-être envisageait-
il d'utiliser cette force maraboutique pour faire une opération de diversion au cas où
le damel s'avisait à voler au secours de son frére consanguin, Samba Laobé Latsuk
du Salum à qui le gouverneur entendant imposer le protectorat français dans le cadre
~'.
de sa politique d'encerclement du Kayoor.
TENTATIVE O'ENCERLEMENT OU KAYOOR
Cette expédition était dirigée contre le Siin, le Salum et la partie occidentale du
Bawol devenus de gros producteurs d'arachides. L'accroissement du volume com-
mercial avait incité les souverains à augmenter les coutumes qui leur étaient dues. La
suppression des coutumes n'était pas encore appliquée dans ces royaumes naguére,
exclus de la sphère d'intervention de Saint-Louis depuis que Gorée en avait été
détachée en 1854. Faidherbe prit prétexte des plaintes des traitants de Gorée qui
dénonçaient sans cesse les exigeances sans bornes des autorités locales, de leurs
interventions dans les transactions pour intervenir dans ces royaumes afin de leur
appliquer le régime qu'il avait imposé aux Maures, au Futa et au Kayoor. Cette
expédition devait lui permettre, avant l'hivernage de 1859, d'occuper les positions les
plus importantes au Bawol, au Siin, au Salum afin d'isoler le Kayoor, de l'entourer d'une
ceinture de forts d'où partiraient facilement des troupes en cas d'affrontement armé
avec le dame!,2. Les traitants de Gorée, se plaignant également de la concurrence
sévère que les américains et les Anglais leur faisaient dans la petite côte, avaient fait
entendre leurs gémissements et exigé des mesures de protection. Ces motifs furent
invoqués par Faidherbe pour justifier cette expédition.
~~ 20 5
Son champ d'intervention fut limité aux pays compris entre la presqu'TIe du Cap-
vert et le Salum et qui étaient sous la domination du Kayoor, du Bawol, du Siin et du
Salum. Alléguant les fumeuses clauses du traité de Nimègue de 1678 et les prétendus
traités imposés par Ducasse aux rois de ces pays en 1679 et selon lesquels les
souverains locaux auraient cédé à la France une bande de terrain de six lieues de
profondeur depuis le Cap-Vert jusqu'au Salum, et en vertu des traités de 1783 qui
réglaient les droits respectifs de la France et de l'Angleterre sur les côtes occidentales
d'Afrique et enfin par le traité de 1814 aux termes duquel l'Angleterre s'engageait à
restituer à la France ses anciens comptoirs, Faidherbe en conclut que les droits de la
France dans cette zone étaient bien réels et qu'il s'agissait maintenant de les faire
respecter".
Les souverains de ces royaumes avaient interdit à tous les traitants de leurs
escales d'y construire en maçonnerie. Descases en pailles servaient d'entrepôt àleurs
opérations ce qui les rendait vulnérables aux exactions des Ceddo. A plusieurs
reprises ils firent des réclamations auprés du commandant de la station navale pour
vols, pillages mais en vain. Les missionnaires catholiques, établis à Joal, avaient joint
leurs voix à ce concert de protestations. Les Ceddo du Siin leur faisaient subir toutes
sortes d'outrages. En Mars 1859 l'église fut envahie par des hommes et des femmes
ivres qui y burent de l'eau de vie. Une autre fois c'était le grand fitor, préposé àla collecte
des impôts et coutumes des pays littoraux du Siin qui s'était introduit de force avec ses
hommes armés, à la mission où les missionnaires furent fouillés dans leurs poches.
L'un d'entre eux reçut même une blessure à la main droite.
Selon Faidherbe les habitants du Cap-vert n'étaient pas moins coupables que
les Ceddo du Siin et du Salum.lls pillaient les navires naufragés sur les côtes". S'il ne
s'agit pas de disculper les Ceddo de tous ces méfaits dont on les chargeait, il faut
cependant noter que le gouverneur semblait avoir noirci le tableau plus que de raison
pour faire vibrer les fibres religieuses du ministre qui ne pourrait qu'approuver des
mesures contre des individus dont la rapacité ou l'ardeur guerrière faisaient même bon
marché des choses sacrées. Et ce furent ces griefs ou prétendus tels qu'il réunit en
faisceau pour donner une justification morale à son entreprise qu'il déclencha en réalité
pour la défense des intérêts du commerce.
En Mai 1859 Faidherbe conduisit personnellement l'expédition contre le Siin et
le Salum. Deux cent tirailleurs sénégalais et quelques canonniers, 160 hommes
d'infanterie de marine, formaient les troupes régulières. Le Cap-Vert fut contraint de
fournir 225 volontaires au total. L'effet de surprise aidant, Faidherbe régla au mieux des
intérêts des traitants français le problème des coutumes dues au damel. Comme dans
levoisinage de Saint-Louis, il supprima les droits d'importation perçus jusqu'alors sur
les marchandises françaises et ne laissa subsister qu'un droit de sortie sur les produits
du Kayoor fixé au même taux que du côté de Saint-Louis. Ce droit serait perçu par un
alcati du damel agréé par le gouverneur. Il décida pour couvrir le Cap-Vert contre
d'éventuel/es incursions des guerriers du Damel, de construire
un blockhaus à
Rufisque à proximité duquel les sujets français pourraient construire en dur. Les
habitants de Rufisque répondraient désormais de la vie et des biens des sujets français
qui résidaient chez eux. 15
Sur la côte entre Bargny et Joal Faidherbe réaffirma aux populations sa volonté
de faire respecter les intérêts français au besoin par la force. De Joal Faidherbe se
rendit à Fatick au coeur du Siin où le Bur réunit en hâte son armée pour défendre son
royaume. Ce roi s'appelait Kumba Ndoffeen 1. Il avait été élu en 1853 à la mort de Ama
Diouf Faye. Tout le monde s'attendait à ce que son élection aux dépens du Bumi
Sanoumone Faye fût le signal d'une guerre civile. Il n'en fut rien. Cet homme, mélange
d'audace et de prudence était parvenu à créer et à maintenir un climat de paix à
l'intérieur de son royaume. Pendant tout son règne il manoeuvra pour empêcher la
résurgence des luttes intestines qui avaient ravagé le pays sous son prédécesseur.
C'est pour cela qu'il avait réussi à accorder ses éventuels successeurs, Sanoumone,
Semou et Niokhobaye sur une solution qui reposerait désormais sur le respect de la
constitution. Cette unanimité qu'il venait de forger autour de sa personne lui permit,
malgré l'effet de surprise de l'ennemi, de mobiliser d'importantes forces pour la
bataille. Celle-ci eut lieu 16 Mai 1859 dans le quartier de Fatick appelé Longanden où
la supériorité de l'armement du gouverneur l'emporta sur le courage des guerriers du
Siin'6. Selon Faidherbe le Siin eut 150 hommes tués ou blessés. Le village fut brulé.
M20 7
Aprés cet épisode sanglant où les moyens les plus violents furent employés
pour terroriser les populations en laissant dans le paysage de nombreuses ruines,
Faidherbe poursuivit sa marche vers le Salum. Ce pays venait à peine de sortir d'une
longue guerre civile. A la mort de son souverain Balle Ndugu Ndaw en 1853 les deux
branches du matrilignage gelowarétaiententrées en conflit: L'une, celle de Keve Bige,
l'autre celle de sa soeur Jogop-bige. Les grands électeurs du Salum ne respectaient
plus l'alternance entre ces deux segments matrilinéaires. Le défund roi Balle Ndugu
était le quatrième candidat de la branche Jogop Bige à avoir été élu sans solution de
continuité. Sa mort devait nécessairement provoquer un conflit successoral'7. Malgré
tout, le souverain fut choisi dans le même ségment en la personne de Baia adan Njay
qui mourut en 1856. Les grands electeurs portèrent à nouveau leur choix sur Kumba
Ndama Mbodj toujours de la branche Jogop Bige. Aprés trois ans d'une ruineuse
guerre civile, il fut tué en Avril 1859. Fidéle'à sa ligne de conduite le grand conseil élut
Samba Laobe Latsuk, fils de Teeri Makudu et donc frère consanguin de Birima Ngoné
Latyr damel du Kayoor. Il était âgé de 18 ans.
Ce roi n'exerçait sur ces sujets qu'une autorité fragile. Il était incapable de faire
face à cette force de Faidherbe qui l'attaquait par surprise. Pour sauver son trône il
accepta les conditions imposées par le gouverneur et se chargea même de traduire
au Bur Siin les propositions du vainqueur. Les rois du Bawol, du Siin, du Salum furent
contraints de reconnaître aux Français seuls le droit de fonder des établissements sur
la côte entre Dakar et Sangomaar ainsi que sur la rive droite du Salum à l'exclusion de
toutes les autres nations. Les commerçants reçurent le droit d'y bâtir en maçonnerie
à charge pour eux d'acheter les terrains aux propriétaires légitimes. L'accés des
escales de traite était interdit aux princes et aux ceddo armés. Les sujets français
bénéficièrent aussi de l'exterritorialité car ils n'étaient plus justiciables que devant les
autorités françaises. Comme pour le Kayoor les coutumes furent supprimées et
remplacées par une taxe de 3% sur les produits qui sortaient du pays; le Kubal, taxes
perçues même sur les produits en transit vers les comptoirs français subirent le même
sort'". L'abolition de ces sources de revenu affaiblit la puissance des autorités locales
qui pourraient être davantage portées à encourager les rapines des ceddo qu'à les
interdire.
A la suite de cette expédition, furent construits les postes de Kaolack, prés de
Kahone la capitale du Salum, de Fatick et de Joal au Siin, de Sali au Bawol et de
Rufisque au Kayoor. Aprés le passage de J'orage, les souvera:ns se ressaisirent en
essayant de restaurer leur autorité sur les escales qu'on venait de leur arracher.
Kumba Ndofeen dépêcha ses émissaires pour percevoir les taxes qui lui étaient dues
par les traitants français. Il essaya pareillement de faire le Blocus du Cap-vert en
arrêtant les troupeaux qui devaient passer par le Siin pour se rendre à Dakar. Le roi du
Salum interdit de son côté à ses sujets toute relation commerciale avec les traitants
français et notifia au gouverneur que les transactions avec le Salum ne reprendraient
qu'aprés la démolition de la tour de Kaolack'·.
Le gouverneur fut sévérement rappelé à l'ordre par son ministre de tutelle qui
désapprouva cette expédition dirigée dans les rivières du Siin et du Salum. Elle ne
figurait pas dans ses instructions ni dans celles qui avaient été envoyées au comman-
dement de Gorée antérieurement à la réunification de cet arrondissement au gouver-
nement de Saint-Louis. «II eût mieux valu, écrit le ministre, demander et attendre un avis
de mon département, avant de vous engager dans une opération dont les résultats
politiques pouvaient avoir une importance plus grande encore que le but militaire qu'il
s'agissait d'atteindre et qui, ainsi que vous en avez jugé vous-même, doit nous
entrainer à une extension d'occupation et à des dépenses nouvelles20". Tout en
reconnaissant que loin du théâtre d'opérations, il est difficile de prescrire de façon
précise, la ligne que devait suivre le gouverneur, le ministre n'en affirma pas moins que
ce qui importait aussi c'était que le gouvernement ne se trouvât pas «entrainé au de
là des limites qu'il ne faudrait pas franchir"". Cette dépêche brida le gouvreneur. Mais
du moment qu'il avait occupé de solides positions dans les dépendances de Gorée,
il avait toute latitude pour poursuivre sa politique de démembrement du Kayoor en
attisant ciniquement les discordes ou les rancoeurs qui opposaient les musulmans du
Njambur au Dame/. A la veille de son expédition du Siin-Salum en Mai 1859, Faidherbe
avait déjà commencé à utiliser les musulmans du Njambur comme auxiliaires, comme
moyen de pression contre le damel pour le contraindre à lui, accorder l'autorisation de
construire les trois caravansérails qui serviraient également de relais à la ligne
télégraphique entre Gorée et Saint-Louis. Ils seraient en maçonnerie mais le gouver-
"02
N;
a 9
neur était prêt à s'engager à n'y entretenir ni canon, ni cargaison. Un seul gardien y
serait maintenu si le damel assurait la sûreté et la tranquilité des voyageurs qui y
passeraient22•
Le damel n'avait guère confiance dans les promesses du gouverneur dont la
collusion avec les dissidents du Njambur était connue de tout le monde. Aussi opposa-
t-i1 un refus catégorique à la demande que lui présenta le Lieutenant de vaisseau
Brossard de Corbigny en l'accompagnant de la liste de tous les griefs qu'il avait contre
le gouverneur. Le dame! déclara que ses ancêtres n'avaient jamais permis à des
étrangers de construire en maçonnerie dans son pays. Car ces maisons dont la
construction était envisagée par Faidherbe, seraient à coup sûr les lieux de refuge de
tous les esclaves en rupture de ban et des mécontents dréssés contre les autorités du
pays. Le damel souligna avec force les préjudices que lui et ses parents avaient à faire
la police dans les cantons septentrionaux du Kayoor à savoir le Ganjol, Le Tube et
Njalaxaar qui étaient devenus des pôles vers lesquels convergeaient tous leurs
ennemis. Quel crédit le damel pouvait accorder à la parole du gouverneur qui lui avait
promis de chasser de la banlieue de Saint-louis Samba Maram Xay et les débris de son
armée s'il chassait du Kayoor Ely Jëmbet? Aprés le départ de Ely, Samba Maram Xay
était toujours à Mberay où il réorganisait les débris de son armée pour attaquer à
nouveau le Kayooret ce, avec la bénédiction du gouverneur. L'autorisation ne pourrait
donc être accordée au gouverneur que s'il restituait les esclaves fugitifs et procédait
à l'expulsion de Samba Maram Xay et de ses gens23•
Pour Faidherbe, les conditions du Damel étaient une fin de non recevoir. Depuis
1848 la France avait aboli l'esclavage dans ses possessions du Sénégal et proclamé
que le sol français affranchissait l'esclave qui le touchait. Le gouverneur ne pouvait pas
légalement donner satisfaction au damel sur ce point essentiel d'autant plus que la
plupart des fugitifs avaient reçu, dés leur installation sur le sol français, des patentes
de liberté.
Cette réponse du Damel ota à Faidherbe tout espoir de voir l'influence de la
France s'étendre pacifiquement sur ce Kayoor fertile. Le ministre de tutelle lui
recommanda la prudence, car une guerre avec le Kayoor compromettrait les sources
' )
" .. '1
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! t.
d'approvisionnement en arachides, Tout en approuvant l'idée de la création lie:ô '
caravansérails le ministre exclut le recours à la force, du moins dans l'immédiat. Pour
faciliter les communications entre Gorée et Saint-Louis, il suggéra d'imiter ce qui se
passait en Algérie et qui consistait à confier le courrier à des "indigènes d'une fieJélilé
,
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'D<C.,c,,,\\ (y\\
eprouvee, montes sur e petits c evaux u pays et en con ulsant au ~n un autre
en laisse, pour porter la malle. Indépendamment de l'installation du service télégraphi-
que, l'institution derelais de courrier à cheval deSaint-Louis à Gorée pourrait être d'une
grande utilité tant à l'administration qu'au commerce2'."
Selon le ministère{es moyens bien qu'encore modestes, seraient suffisants
pour augmenter l'influence de la Franœ sur le Kayoor. Contrairement à Foidherbo 10
ministre rejeta toute idée de conquête terri'toriale. Pour lui le Sénégal ne sourait jaIT1Di~;
,
être une colonie de peuplement comme l'Algérie. Le gouverneur était invité à s'y bOlller
à une occupation restreinte. Le caractère répulsif du climat faisait que la terre ne
pouvait être mise en valeur que par les 'autochtones. La conquête était superflue, La
présence française devait être circonsGrite «aux points nécessaires pour assurer ln
répression des brigandages, la liberté des transactions et la tranquillité des popula-
tions laborieuses. Le sol cultivé par elles donnerait des produits et ces produils
deviendraient ensuite l'objet d'un trafic lucratif pour l'Européen, seul genre de travail
auquel il puisse se livrer sous ce climat:"'». L'objectif du ministre était nettement en de
çà de ce que Faidherbe avait projeté de faire et qui n'était rien moins que la conquête
territoriale de la Sénégambie. Le ministre lui prescrivit d'assurer la sécurité des
paysans en les affranchissant des rapines de leurs chefs.
S'agissant du Kayoor, dont la population étaif", essentiellement agricole, le
ministre recommanda de "ne marcher que trés lentement dans cette voie et d'éviter
les conflits qui pourraient jeter de l'agitation dans un pays d'une superficie considéra-
ble, et prêter ainsi de nouveaux auxilliaires aux mécontents des autres Etats noirs, aux
maures eux-mêmes et enfin à AI HadJi2•• En d'autre)termes le ministre craignait 18
création d'une alliance de tous les Etats de la sénégambie y compris les Maures contre
le gouvernement de Saint-Louis qui Eerait ainsi contraint de faire face simultanélTJ()[lt
à plusieurs fronts avec des moyens biE',n modestes.
#
Faidherbe qui se trouvait désormaisdans l'impossibilité de fournir un appui militaire
aux musulmans du Njambur dont il avait préparé méthodiquement le soulévement.
C'était sur la base de ses encouragements et de ses conseils que les chefs du Njambur
avaient tu leurs querelles. C'était Faidherbe qui leur avait dépêché Samba Maram Xay
pour organiser leurs guerriers et en faire une force disciplinée27. Faidherbe savait que
les marabouts n'avaient aucune chance de l'emporter sur le Damel sans son appui.
Aussi s'attacha-t-i1 à se servir de l'armée des marabouts comme d'un épouvantail pour
amener le Damel à lui accorder l'autorisation de construire les caravansérails. Dans la
description qu'i! fit de cette armée, il souligna son importance numérique, la qualité de
sa composition dans laquelle on retrouvait tous les hommes libres du pays, les grands
Jambur qui avaient survécu à la défaite du jawrin Mbul. Faidherbe soutint qu'il pouvait
encore les arrêter dans leur entreprise si damel prenait l'engagement d'interdire les
pillages de ses Ceddope protéger le commerce, de laisser à nouveau les roulu:;
ouvertes2".
Vers la fin de Novembre les Marabouts s'apprêtèrent à passer à l'offensive,
lorsqu'à leur grande stupéfaction, ils apprirent que Faidherbe leur refusait tout appui,
même logistique. "Vous avez voulu attaquer le Damel, maintenant il vous menace, cela
vous regarde, nous n'avons pas à nOlis mêler de cette affaire, écrit-il aux chefs du
soulevement. Tirez-vous en comme VOIJS pourrez. Si vous battez le Damel, j'en serai
bien aise parce que vous valez mieux que les tiédos, si vous êtes battus vous trouverez
refuge chez nous29». Cette lettre jeta le désarroi chez les insurgés. Certains contin-
gents trouvèrent plus prudent de rentrer chez eux. Mais la disparition de celle force qui,
malgré ses insuffisances, servait dans une certaine mesure d'écran protecteur il 1,1
banlieue de Saint-Louis, était également le seul moyen de pression qu'il pouvail encore
manipuler à sa guise contre le dame'. Aussi décida-t'il d'atténuer l'effet produit par ,,8
lettre en donnant à nouveau aux marabouts l'illusion qu'il était toujours de leur côté.
Il fit comprendre à Serigne Nomre, l'un des chefs de la rebellion que tous les
musulmans de la province devaient demeurer fidèles à l'alliance et se préparer à la
guerre contre le damel sous peine d'être considérés comme des ennemis et troilôs
comme tels"".
#
21 2
Birima Ngone Latyr n'ignorait'rien de cette collusion du gouverneur avec les
rebelles du Njambur. Mais pour l'obligpr à faire étalage de sa duplicité, ses espions
firent courir le bruit de sa mort. Faidherbe convoqua a/ors /e conseil d'administration
pour lui faire part de son intention d'intervenir dans les affaires du kayoor pour y faire
élire Ceyasin, roi du Bawol ou tout autre candidat qui accepterait de lui accorder, par
traité, le droit de construire les trois car;wansérails, Il donna aussi l'ordre aux popula,
tians de la banlieue de Saint-Louis d'aller se joindre à l'armée du Njambur pOUl
participer activement à l'oeuvre de rénovation politique du Kayoor31 • Le gouverneur:>a
porta à Mpal à la tête d'une colonne d'ol:Jservation pour peser de toutes ses forcos !;Ur
le choix du futur dame\\. Par ce fait il tomba dans le piège que lui avait tendu le daine\\.
Puis il invoqua toutes sortes de subterfug!:5pour restaurer le climat de confiance avec
ce souverain. Il lui fit comprendre que son intention n'était pas d'envahir le Kayoor mais
de prendre des mesures conservatoires pour assurer la sécurité des possessions
françaises. Il lui envoya en cadeau un.,cheval pour lui exprimer sa joie de le savoir
encore en vie. Etant donné qu'on était à la veille de la commercialisation do la récolte
des arachides, il lui proposa ses bons of1ices pour trouver un compromis avec les qons
du Njambur afin de rendre possible la traite. Pour preuve de sa bonne foi Faidl'lorbo
accepta enfin de se débarasser de Samba Maram Xay et de ses gens qui saraienl non
seulement obligés de quitter le Njambur mais encore la banlieue de Sainl-Louis.
Les révoltés décidèrent de mettre le gouverneur devant le fait accompli on
prenant l'offensive. Ils dirent partout que c'était avec l'appui de Saint-Louis qu'ils
faisaient la guerre au dame\\. Ils dirigèrent une violente attaque contre le Geet dont le
chef refusa le combat32• Les marabouts occupèrent alors Gumbo-Géul, chef-lieu du
Njambur pour couvrir leur province. Ceyasin, roi du Bawol promit de faire uno diversion
dans le Sud. Le sort du Kayoor semblait scellé.
Makudu, pére du damel, revint du Bawol à marches forcées, et prit le comman-
dement de l'armée du Kayoor. Celle-ci était aguerrie par quatre ans d'une lutte sans
merci au Bawo\\. A sa première rencontre avec les rebelles, leur chef Serigne Luga fut
tué et la panique s'empara d'eux. Ce fut le sauve-qui- peut. Ils coururent en désordre
dans toutes les directions et n'eurent plus d'autre souci que d'échapper à la terrible
41-
II"
2 1 ·-r.-
répression dont les avait menacés le damel. Cinquante villages de cette province furent
livrés aux flammes, les récoltes pillÉ'e~; ou détruites_ Des centaines de femmes el
,- '';-
d'enfants furent mis en esclavage_ Ceux qui échappèrent aux vainqueurs allèrent à
Mérinaghen au Walo, se placer sous la. protection du fort français. En deux jours ce
poste accueillit 2000 à 3000fugitifs chassant devant eux leurs troupeaux". En définitive
plus de 20.000 personnes trouvèrent asile au Walo".
L'épisode le plus dramatique de cette guerre eut lieu à Nomredontles habitants
n'avaient pas mérité la colère du damel. Aprés la défaite de leur coreligionnaires, ils
sollicitèrent auprés de Makudu la permission d'accueillir dans leur village leurs parents
en débandade. Makudu accepta mais contre toute attente, il se rendit à Nomre où il
somma le chef de lui livrer tous les rebelles qui venaient d'y trouver refuge. Ce qui fut
fait. Tous furent emmenés en captivité sauf ceux qui résistèrent et qui eurent imm6c1ia
tementla gorge tranchée". Au total le tiers de la population fut réduit en servitur:Jo""_
Ce soulévement compromettait à l'évidence la traite des arachides. Pour la
sauver, le Gouverneur prit ses distances vis à vis des rebelles. 1\\ félicita le damel de sa
victoire et expulsa Samba Maram Xay et ses gens du territoire de la banlieue de Saint-
Louis. Il demanda au damel de pourvoir au remplacement de Serigne Luga en vue d'y
faire percevoir le tribut qui lui était dû sous prétexte que sur ses conseils les rebelles
avaient accepté de se soumettre et de lui payer l'impôt dû à leur souverain. La paix
revint progressivement et la commercialisation des arachides put commencer vers la
mi- Janvier 186037•
Cette révolte altéra profondément les relations entre le gouverneur et le dam el.
Pour se disculper de l'accusation d'avoir été l'initiateur de ce soulèvement marabou-
tique, Faidherbe proclama son innoncence et affirma qu'il n'avait jamais eu l'intention
de s'emparer par force du Kayoor. Au contraire il avait même essayé d'user de son
influence pour brider les rebelles. En d'Butres termes il avait été neutre/t pour prix de
sa neutralité il sollicitait à nouveau l'autorisation de construire les trois caravansérails
et la ligne télégraphique"". Il prit toutefois soin d'accompagner sa demande d'un projet
de traité que devait signer le damel en cas d'acceptation de la requête.
11
2 14
Le machiavélisme de ce plan n'apparaissait que trop clairement. Faidherbe était
convaincu que ce traité n'aurait pas la même signification pour les autorités du Kayoor ,c.\\-
pour la diplomatie française39• Si le traité était même signé par Birima il n'aurait peul-
être pas la même valeur aux yeux de son successeur. Mais il aurait légalement J~C;;LYl\\':'')
~réer à la France des droits qui serviraient de prétexte à son intervention dclll;; le:;
affaires intérieures du Kayoor.
Faidherbe le fit comprendre au ministre que sa passivité dans les affaires du
Njambur avait failli compromettre ln traite. Car les instructions ministérielles l'obli-
geaient à adopter une telle attitude. Dés lors le moment lui paraissait venu;pour éviter
la répétition de pareils errements, de régler «vigoureusement et définitivement la
question du Kayoor"°". Les instructions ministérieilles du 21 Décembre 1859 donnè-
rent une plus grande marge de manoeLJvre au gouverneur chargé d'étendre, mais de
manière pacifique, l'action de la France sur le fertile pays. Il lui suffirait d'utiliser les
éléments de la population hostiles au damel sans toutefois s'exposer «à des éventua-
lités telles qu'elles rendissent nécessaires des expéditions trop longues, et par suite,
à de nouvelles annexions"". La per'~iJective de la mort du damel considérée comme
imminente, en raison de ses intempérances chroniques, incita le ministre à demander
au gouverneur de tout mettre en oeuvl'e "pour peser sur le choix de son successeur
et pour arriver à en faire notre allié sincn notre vassal. .. Loin donc de vous engager à
vous abstenir dans cette circonstance décisive peut être pour assurer pacifiquement
notre influence sur cette partie importante des contrées Sénégalaises. je vous invite au
contraire à vous mêler trés activement, mais autant que possible secrètement des
affaires de ce pays, de manière à vous mettre en mesure d'agir au moment opporlun
en vue d'assurer l'election au poste cie damel du candidat qui se montrera le plus
favorable à nos idées. Promesses, présents et au besoin menaces en déploiement de
forces au moment décisif, si cela devenait indispensable, devront être par vous
employés dans ce but... Dans le cas enfin où ses mesures n'ameneraient pas un
résultat favorable à nos vues. lesquelies... excluent tout esprit de conquête. vous
devrez vous mettre en mesure de soutenir et au besion de susciter un compétiteur au
nouveau damel. Par ses mains et sans nous mêler trop ostensiblement des affaires
intérieures du pays, nous pourrons ,;Hiver au but désiré"". Par la même dépêche le
gouverneur était autorisé à prendre le terrain nécessaire pour construire les trois
~
.
caravansérails indispensables à la sécurité du commerce.
..iJ'
Ces recommandations étaient pleines de risques. Les clans multiples, divers
avaient consacré le plus clair de leur temps à s'entretuer. En essayant de les opposer
les uns aux autres pour asseoir les bases de son influence,ile gouvernement de Saint-
:
Louis ne ferait qu'exacerber les rivalité~; qu'il devait éteindr!l pour favoriser l'extension
de la culture arachidière. En usant de ces moyens déguisés il pourrait être amené à
soutenir la faction, politiquement la moins représentative mais la plus malléable et au
bout du compte la généralisation dg "insécurité. De plus les vaincus de la vieille
pouvaient être les vainqueurs du lendemain qui seraient parfaitement fondés à refuser
toute valeur aux actes ou engagements souscrits par leurs prédécesseurs. A priori
cette tâche ne semblait pas pouvoir s'accomplir sans difficulté.
1
LA MORT DE BIRIMA NGONE LATYR
Quoiqu'il en fût, le damel mOUlut le 22 Janvier 1860. Faidherbe décicia de
profiter de cette vacance du pouvoir pour obtenir satisfaction sur les doléances
concernant les caravansérails et la li!Jne télégraphique', Pour cela il lui fallait une
marionnette sur le trône du Kayoor. De leur côté les hommes libres, lassés de la vie de
maraude, de pillage des ceddo souhaitaient élire un roi suffisamment énergique pour
brider les ceddo, sinon les détruire afin de restaurer enfin dans le pays un climat de paix
et de concorde nécessaire à sa puissance et à sa prospérité.
La nouvelle de la mort du damel mit Faidherbe dans une situation inconfortable.
Il ne sut quel parti prendre et recourut à une tactique sans cohérence. En effet pour ne
pas donner prise aux critiques du commerce, si jamais il recourait à la force contre le
Kayoor, Faidherbe affirma devant le conseil d'administration convoqué pour délibérer
sur la situation de ce pays, que le darnel, avant sa mort, "avait consenti à passer avec"
lui un traité", En lisant à la même séance la lettre de la Lingeer, la reine-mère qui
l'informait de la disparition du damel, le gouverneur lui prêta cette phrase: <<le damel
? 1{)
" .oP
nous a recommandés à l'amitié qui ej<i~;tait entre vous et nous et nous a fait promettre
de suivre le traité que vous avez pas~;é ensemble"." De toute évidence le gouverneur
avait fait subir des modifications à la leUre de la Lingeer pour éventuellement justifier
des mesures répréssives pour non obs·srvation des clauses du traité. Cet acte n'avait
jamais été signé par Birima qui lui avait dit avec force que ,l'étranger ne devait jamais
\\
construire en dur dans le pays de ses ancêtres.
Cette crise politique était intervenue à la période de la traite des aracllides.
L'entrée des troupes françaises dans le Kayoor y aurait arrêté la traite. Le conseil fut
finalement d'avis de laisser le Kayoor lilxe de nommer qui bon lui semblait à la seule
condition qu'il acceptât d'accorder les caravansérails·5 •.
Plusieurs candidats se firent connaître. La moins sérieuse fut celle de Ceyacin
,1
roi du Bawol que Faidherbe avait voull' utiliser comme auxiliaire dans sa lutte contre
le damel. Calculateur froid, il refusa de braver le damelllJrs du soulèvement du Njambur
en se gardant de faire la diversion puissante que le gouverneur lui avait demand~our
soulager les rebelles. Il était trop content d'avoir recouvré son trône à la faveur de ce
soulèvement pour se lancer à nouveau dans une périlleuse aventure contre le Kayoor.
Les autres candidats à la royauté étaiwt Madiodio, le bar-geet, Lat Joor et Makodu
père du défunt souverain.
Majojo de lignée utérine dorobé appartenant par son père à la branche Kër
majoor évincée du pouvoir depuis le milieu du XVIIIe siècle. Son assise politique était
réduite. Il n'avait pas de milice capable' de rivaliser avec celles des autres candidats.
Il était du côté des révoltés lors du soulùvement du Jawriri Mbul en 1856 et l'insurrrec-
tion des marabouts en 1859. La faibles'.,e de sa clientèle faisait de lui le candidat idéal
pour Faidherbe qu)en contrepartie de son appui/btiendrait de lui la signature des
traités désirés.
Makodu, père du roi défunt était également en lice. Depuis Novembre 1859 il
exerçait la réalité du pouvoir à la place ,je son fils malade. Il connaissait les projets de
Faidherbe sur le pays. Aussi s'était-il attaché à entretenir de bonnes relations avec les
Maures Trarza pour en faire des alliés en cas de nécessité, Faidherbe craignait que son
11
2 17
élection n'incitât les maures à reprendn3 les hostilités. Mais son énergique fermeté
pourrait utilement servir à mettre un terme au militarisme pillard des ceddo. Makodu
avait recruté ses partisans parmi les hommes libres plus décidés que jamais à mettre
un terme au règne des esclaves par la reconquête des prérogatives que leur
reconnaissait la constitution coutumière". La mère de Mal<odu était Gelowar, ce qui
i
donnait à sa base politique une certainE! étroitesse. L'appui des grands electeurs lui
=nécessairepoursemainteniraupouvoir.C'estpourcelaqueMakoduleur
promit de revenir au fonctionnement normal de la constitution. Son parti était donc celui
de l'ordre". Makodu pouvait encore compter sur une partie de l'armée qu'il avait
commandée contre le Bawol et le Njambur.
Le parti des Geej qui avaient presque totalemenbt monopolisé le pouvoir
depuis la fin du XVIIe siècle était représe~~é par la Lingeer Debo et son neveu Lat-Joor.
~
Cette famille
s'était constitué une nombreuse clientèle parmi les commandants
,
territoriaux . Mais son hégémonie sur les autres dynasties utérines provenait de
l'immense armée d'esclaves qu'elle s'était forgée au cours des siècles. Ces esclaves
avaient fait mains basse sur l'Etat. Ils exerçaient toutes les responsabilités ministériel-
les et certains grands commandements provinciaux. Leur sort était intimement lié à
celui de leurs maîtres et ils intervenaient, à chaque vacance du pouvoir, pour faire élire
leur candidat qui, impuissant devant leur force, fermait les yeux sur leurs abus.
Selon la constitution du Kayoor, la candidature de la Lingeer n'était pas
recevable ni celle de son neveu Lat-Joor. Pour le premier cas parce qu'une femme ne
saurait être damel, dans le second parce que Lat-Joor ne remplissait que l'une des
deux conditions d'éligibilité exigées par la constitution. Il était Taari, c'est à dire garmi
par sa mère, mais non Senggteff. Il était Diop par son père et le damel était
nécessairement de patronyme Fall.
Si la famille Geedj s'était résolue à poser la canditure de Lat-Joor en violation
des dispositions constitutionnelles C''3st qu'elle n'avait pas à l'époque de candidats
majeurs. Samba Laobé Fall et Samba Yaya Fall remplissaient les conditions d'éligibi-
lité, mais ils étaient encore trop jeunes. Aucun d'eux n'était encore sevré. Sans doute
leur élection aurait été bien accueillie par les captifs de la couronne mais le pays n'aurait
'.
.'
'
.;.'
,
peut être pas accepté une trop longue régence. Mais l'election d'un prince appartenant
à une autre lignée utérine signifiait la pel1e du pouvoir par les Geedj. Ils décidèrent de
s'y accrocher au besoin en violant la constitution. Evidemment c'étaient les esclaves
Geedj, qui étaient à la pointe du comhat. Leur clairvoyance interessée les avait incités
à tout entreprendre afin de conserver leurs privilèges'·. Ils savaient qu'ils seraient les
!
premières victimes des mesures que pmndrait le successeur de Birima Ngoné Latyr.
,
L'élection de ce dernier leur avait fait connaitre les avantages qu'il y avait à mettre sur
le tr6ne un enfant. Car le damel trop jeune se livra sans retenue à ses intempérances
et leur abandonna la totalité de ses énormes prérogatives.
Lat-Joor n'étant âgé que de quinze à seize ans ne serait qu'un jouet entre leurs
mains. Ils continueraient à exercer la réalité du pouvoir. Les hommes libres disaient
qu'avec Lat-Joor ce serait la perpétuation de l'arbitraire. Faidherbe reconnut que ce
parti était celui du désordre, des pillardsso. Mais il se trouve que parmi tous les
,
candidats, seul le parti de Lat-Joor par sa tante Lingeer Debo aurait accepté par écrit
d'accorder au gouverneur l'autorisation de construire les caravansérails à Xellere,
Mboro et Kanak. Elle multiplia les appels à Faidherbe pour lui demander d'intervenir
militairement pour imposer Lat-Joor au Kayoor. 51
Constatant que la Lingeer disposait d'un parti nombreux, "puissant, compact
et discipliné, composé des captifs de la couronne» qui menaçaient d'attaquer ceux qui
se rendraient à Mbul dans une autre intention que celle de proclamer Lat-Joar,
candidat de la Lingeer, le gouverneur décida de l'appuyer. Au dernier moment il se
ressaisit pour donner deux lettres dont les termes étaient identiques, l'une pour
appuyer le parti de Lingeer, l'autre celui de Makudu52•
Sur ces entrefaites le roi du Jolof Tanor Fatim Kura Nguy Jeng qui avait été
Jawrin Jengeen au Kayoor au temps de Birima Ngoné Latyr arriva au Kayoor à la tête
de son armée pour épauler le parti de la Lingeer. Peut être nourissait le secret espoir
de l'épouser et d'exercer en définitive la régence53•
L'arrivée du roi du Jolof pour soutenir Lingeer réveilla l'esprit national qui prit
"Makudu pour appui"". Le parti de la Lingeer se désintégra. Les Ceddo ne voulaient
obeir à ce musulman qui faisait étalalage de son intolérance et de son amitié avec le
"
Trarza. Une importante fraction des esclélves de la couronnese ralliaà Makudu devenu
l
subitement symbole de l'indépendance nationale.
j
LA GUERRE DES GEEDJ CONTRE MAKODU
Avec l'arrivée des contingents du ,Jolof,l'armée de la Lingeer passa à l'offensive
contre celle de Makodu. L'affrontement eJécisif eut lieu à Bery-Ngaraaf, la victoire sourit
à Makodu. Mais au lendemain de cette victoire Makodu se heurta à d'insurmontables
difficultés. Ses partisans, divers autant dans leur recrutement que dans leur pro-
grammf)ne purent s'entendre sur l'organisation du pouvoir. Ils se scindèrent en deux
factions rivales, Leur vision de l'avenir était trop divergente pourqu'un compromis pût
"
être trouvé. Les esclaves de la couronne exigèrent le maintien de l'ancien régime qui
leur auraiit conservé leurs privilèges. Ils firent comprendre à Makodu que s'il ne leur
laissait pas la réalité du pouvoir, comme son fils l'avait fait, il ne serait jamais maître du
Kayoor. Poussant l'audace "plus loin ils le proclamèrent damel sans la coopération des
hommes libres55.,. Ils venaient ainsi d'administrer la preuve que la constitution était
frappée de caducité, que seule la force brutale tenait désormais lieu de conseil des
grands electeurs. D'un autre côté les hommes libres considérèrent comme nulle et non
avenue cette désignation. Ils rappelèrent à Makodu l'engagement qu'illeur avait donné
de détruire ou de ramener à l'ordre Cl3 ramassis de pillards qui terrorisaient les
populations. Ils étaient prêts à l'élire damel, à condition qu'il respectât son programme
initial. Pour manifester leur mécontentement face à ce simulacre d'élection, ils se
retirèrent en emportant les Ndiung Ndiung ou tam-tam royaux, signes du pouvoir. Ils
lui reprochèrent de vouloir "continuer le système de son fils en donnanttous les emplois
aux captifs et leur laisser dévaster le pays"". Ils refusèrent d'entériner cette élection.
Ce malentendu, s'il persistait, ne profiterait qu'au parti de la Lingeer. Aussi
Makodu convoqua t-il les deux factions à une conférence pour trouver une issue
1/-
2 2 n
satisfaisante au litige. Finalement lê'~conseil des Grands Electeurs se réunit poUr
procéder à l'election de Makodu comme damel c'était le 7 Mars 1860.
Au lendemain de son élection;'Makodu eut à faire face à l'opposition incarnée
. . . .,
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par le parti de Lingeer Debo et à la pblitique de Faidherbe qui entendait lui dicter les
\\
orientations de sa politique. Le gouverneur affirma qu'il ne 'permettrait plus, aux portes
i
de Saint-Louis, ni à la portée des canons de ses postes ou blockhaus, les ravages des
ceddo. Une entente avec Makodu ne serait possible que s'il prenait de sévères
mesures contre les ceddo afin de les empêcher de détouner de la culture du sol les
populations laborieuses par leurs incessantes terreurs. Le ministre pensa de son côté
que le moment était donc venu «d'exercer une influence efficace sur les destinées clu
Cayor. Il ne s'agit pas de l'occuper militairement... mais d'y faire obtenir une bonne
police, y protéger les présentes propriéJés et les personnes et y développer enlin I;cl
production et par là même les transactions commerciales57,,_
Le conflit réapparut à propos de caravansérails dont l'autorisation aurait été
accordée par Birima avant sa mort. Faidherbe essaya d'accréditer l'idée que ce traité
était réel. Persuadé que Makodu ignorait la nature de ses relations avec son prédes-
se/Faidherbe essaya de l'induire en erreur en lui demandant de se déterminer par
rapport au traité signé par son fils. «II faut me répondre c;atégoriquement au sujet du
traité qui existe entre le Cayor et le Sé,légal et me dire quelle est ton intention... Je te
préviens que je considérerais ton refus de reconnaitre et d'exécuter les conditions de
ce traité comme une déclaration de guerre de ta part58".
Conscient que son pouvoir manquait encore de solidité, Makodu répondit
évasivement. Il avait multiplié les prévenances en direction de Lingeer pour obtenir le
ralliement Geedj, mais en vain. Aussi déclara t-il à Faidherbe qu'il ne lui donnerait
satisfaction que quand son pouvoir serait solidement établi.
Les Grands Electeursleuls habilités à délibérer sur la politique extérieure de
leur pays et qui venaient de recouvrer la totalité de leurs prérogatives à la faveur de
l'élection de Makodu totifièrent au gouverneur leurs refus. «Le traité que vous
prétendez avoir signé avec Birima, n::>us n'en avons jamais entendu parler. Le damel
· ....
'1J _.
2 2 1
est un étranger dans le Cayor. Par s~'rnère il est du Saloum, Nous ferons du Cayor ce
que nous voudrons. Mais nous ne ferons que des choses justes sans faire tort à
personne et nous n'accepterons pas non plus qu'on nous fasse tort50". Ce refus
prenait d'autant plus de relief qu'il émanait des représentants du peuple qui semblaienl
,
avoir reconquis leur puissance d'antan. C'étaient eux seuls qui pouvaient opérer les
1
réformes politiques essentielles à la prospérité du pays. !ls étaient jaloux de SOIl
indépendance et savaient qu'ils n'étaient pas investis du pouvoir de porter atteinte à
son intégrité territoriale60• Makodu finit par dire au gouverneur que le traité auquel il se
référait dans sa correspondance n'existait que dans son imagination. En effet dès le
début du soulèvement des marabouts, Makodu avait abandonné le Bawol pour venir
conduire la représsion contre les rebelles. Jusqu'à la mort du dam el il gouvernait le
pays. Il aurait été informé de l'existence de ce traité s'il avait été signé car c'est lui qui
l'eût signé. Adroitement il fit comprendre au gouverneur que son affirmation relative au
traité n'était qu'une contre vérité. «J'ai èjompris, dit-il, ce que vous me dites concernant
l'établissement que Biraïma vous avait autorisé à faire, mais Biraïma, qui était mon fils
ne faisait jamais rien sans me consulter d'abord. Et en fait je n'ai jamais entendu mon
fils parler de cela sinon je le lui aurais interdits'". Le Damel regretta de ne pouvoir lui
donner satisfaction par respect pour les ancêtres qui avaient interdit de livrer une
quelconque parcelle du pays à des étrangers62.
Faidherbe préconisa la solution militaire tout en reconnaissant que depuis son
avènement Makodu avait opéré une réforme notable dans le pays, mais comme ses
prédecesseurs il finirait par ordonner la destruction des villages. Pour le gouverneur
ces désordres ne disparaitraient que par l'intervention de l'armée de Saint-Louis, qui,
au moins une fois devrait, «montrer la puissance de ses armes dans le Cayor"o,,_ Le
ministre Chasseloup-Laubat donna SOIl adhésion à cette solution et fit un rapport dans
ce sens à l'Empereur. Pour exercer une prépondérance certaine sur le Kayoor, il était
indispensable que la France étendît son autorité sur le littoral du Kayoor en vue d'y
construire les caravansérails qui faciliteraient les communications parterre entre Saint-
Louis et Gorée et d'établir entre ces deux points une ligne télégraphique. «Cette
dernière création est surtout nécessitée par les intérêts du commerce qui pourrait ainsi
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profiter plus facilement des occasions dont l'état de la barre du fleuve ne lui laisse pas
toujours la libre disposition.
"La réalisation de ces desseins ne saurait présenter d'obstacles. Notre droit tout
d'abord est incontesté, ajoute le ministre. Il Ya eu promesse ~e la part du dernier damel
1
d'autoriser le gouverneur Faidherbe à bâtir trois postes. Depuis lors il est vrai, ce chef
est mort ou plutôt le chef qui gouverne nous son nom parait se refuser à ratifier celle
convention. Nous ne pouvons nous soumettre à ces variations de la politique
indigène"'''. Le ministre reprenait à son compte les ruses que le gouverneur avait
utilisées pour le convaincre de l'autoriser à recourir à la force contre le damel. Sous sa
plume le traité devint tantôt promesse d'autorisation, tantôt convention que le succes-
seur refusant de ratifier. En fait Birima avait renvoyé au gouverneur le projet de traité
qu'il lui avait fait parvenir par son émis!'aire et Faidherbe se garda de parler de ce refus.
C'est aprés qu'il parla pour la première {ois de ce fumeux traité. Ce qui importait pour
lui c'était la concordance de vue de son ministre avec sa politique du Kayor.
Au moment où le ministre tentEJit de persuader l'Empereur de donner son
accord sur les positions de Saint-Louis, Faidherbe multipliait les réquisitoires contre
le Kayor qu'il considérait comme la terre par excellence du brigandage et de l'ivrogne-
rie. Makodu qui avait naguère droit à ses éloges devint sous sa plume un pillard, cruel.
Les agents de Faidherbe poussérent tous ceux qui nourrissaient des sympathies à
l'endroit de la Lingeer d'abandonner le Kayor et d'aller rejoindre leur reine au Bawol où
elle avait trouvé asile65•
Sentant l'imminence du conflit, Makodu réorganisa ses troupes et passa
immédiatement aux actes. Il commença par exiger du gouverneur la restitution totale
et entière de tous les territoires du Kayoor sur lesquels l'autorité française s'exerçait
de fait depuis 1854. En Mai 1860 il dépêcha une colonne au Ganjool pour y percevoir
le tribut qui lui était dû et y installer COrT,me Ceem c'est à dire chef de canton, son oncle
Njogu Penda. Rufisque reçut la visite d'un collecteur venu à la tête d'un contingent de
500 hommes pour percevoir les impôts du roi. Les chefs du Sarioxoor, et de Ta'lba
prôches de la zone convoitée par Saint·Louis firent acte d'allégeance à MakoduG7•
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11
Makodu s'attacha aussi à rallumer l'alliance entre le Trarza et le Kayoor. Son
appel fut entendu par Ely Jëmbët qui se mit immédiatement en route pour se renclre
au Kayoor. Sa présence y attirerait plus facilement ses partisans du Walo qui ne
pouvaient se résigner à l'abolition de la monarchie dans leur pays. Des émissaires de
Makodu se rendirent aussi au Siin et au Salum pour inviter leurs souverains à entrer
dans celle alliance contre Saint-Louis".
Ainsi, malgré la défection des Gef;j et de leur armée d'esclaves Makodu pouvail
encore compter sur des guerriers nombreux et sur l'appui des hommes libres décidés
à se battre pour l'indépendance et l'intégrité de leur pays enfin de le libérer aussi de
la rapacité des Ceddo.
Faidherbe proposa le mois de Janvier comme le moment le plus favorable pour
l'exécution de son projet contre le Kayoor. "Un mois plus tard le commerce des
arachides de l'année seraitcompromis69.,. Toutefois il demanda l'appoint de quelques
forces de l'Algérie. Le gouverneur mit à profit cette accalmie pour isoler Makodu. En
Mai 1860 il menaça de répression terrible les Maures résidant au Kayoor si jamais ils
s'immisçaient dans les affaires intérieures du pays70 Les chefs du Walo nommés par
le Gouverneur reçurent l'ordre d'interdire l'accès de leur canton aux Maures qui vou-
draient y passer pour se rendre au Kayuor71 • Les habitants du Tube, du Njalaxar, de
Lampsar devaient en faire de même. LES habitants de la banlieue furent invités à se
soulever contre les chefs nommés par Makodu. Le Ganjool devait, de toute urgence,
chasser Njogu Penda oncle de Makodu et ennemi irréductible de la France72•
Cette guerre des nerfs donna des résultats inespérés à Faidherbe. Devenu
prudent Mouhammed El Habib préfé:'a attendre l'ouverture des hostilités avant de
s'engager dans une alliance avec le Kayoor et fit même ramener au camp son fils Ely
qui avait pris la route du Kayoor7J• Bien stylé par Faidherbe Samba Maram Xay se rallia
à Lingeer7" elTanor Fatim Kura Nguy campa dans le Njambur avec l'armée du Jolof'".
La diplomatie du gouverneur avait eu raison des alliances du damel qui constatait avec
amertume l'échec de son projet de contraindre le gouverneur, en cas de guerre, il se
battre simultanément sur plusieurs fronts.
11
22/'
Son camp fut également abandonné au profit de celui de la Lingeer par les
esclaves qui ne lui pardonnaient pas' de les avoir écartés lors de l'attribution des
commandements territoriaux, L'uniquE! bonne nouvelle qui apporta un peu de baume
dans son coeur vint du Siin et du Salum dont les souverains prirent la résolution de le
secourir, En Décembre 1860 son fils, Samba Laobé Latsuk, roi du Salum interdit à ses
sujets de vendre leurs arachides aux Français et leur intima l'ordre de les conduire en
Gambie?6,
L'INVASION DU KAYOOR PAR FAIDHERBE
Dès l'arrivée du renfort constitué par trois compagnies algériennes, Faidt1erbe
proclama son intention de se rendre au Kayoor pour y établir sur la route entre Soint-
Louis et Gorée les trois caravansérails et la ligne télégraphique. Le gouverneur étaiL
persuadé que la vue d'arabes sourni$ à la France et enrégimentés produirait un
immense effet moral17 sur les populations et leur prouverait que la France n'était pas
l'ennemi de l'islam.
Sous le commandement de Fai(jherbe, cette force quitta Ganjoolle 2 Janvier
1861, se dirrigea par les Nay sur Mboro oùle 7 elle fit sa jonction avec la colonne de
Gorée commandée par Pinet Laprade. L'effectif comprenait alors 380 hommes
d'infanterie de marine, trois compagnies de tirailleurs algériens, un escadron de
Spahis (100 chevaux) la milice mobile de Saint-louis 250 hommes, celle de Gorée 125.
Il y avait 300 volontaires de Gorée. L':;.rtillerie comprenait deux canons rayés, OUélLro
obusiers de montagne et 200 hommes. La colonne comptait au total 2200 110mme:.;,n
Avant de pénétrer dans le Kayoor Faidherbe avait placé 600 auxiliaires du Walo
en observation à Mérinaghen au cas oliles hostilités avec le Kayoor prendraient une
tournure tragique. 300 volontaires de la banlieue de Saint-Louis avaient de leur côté
•
pris position à Ker pour contenir au besiôllJla population du Mbawor.
La rapidité de l'intervention du gouverneur sans déclaration de guerre mit
Makodu dans un profond désarroi. Il quitta sa capitale pour Ndand pour y réunir ses
, ...
fI-
225
guerriers. Il écrivit au gouverneur pour lui marquer son étonnement de le voir envahir
.!.: 'f
son pays avec une armée. Il fit connaÎtre'à'Faidherbe qu'il acquiesçait à ses demandes
et le pria de ne pas dépasser Mexé79•
C'est alors que Lat-Joar et son ailié Tanor Fatim arrivèrent à Pir à la tête de leurs
forces afin de soulever le pays contre Mal<odu. CeUe venue menaçait de compliquer
la situation et pouvait provoquer une guerre civile toujours préjuciable au commerce
de Saint-Louis. Aussi Faidherbe leur fit savoir qu'il n'était pas en guerre avec le Kayoor
du moment que le Damel acceptait de lui donner satisfaction sur les points qui étaient
l'objet de leur litige. Si Faidherbe rejeta le concours du parti de la Lingeer c'est qu'il le
considérait encore comme celui du désordre et qu'ils n'aurait pas les moyens d'arrêter
l'insurrection aprés l'avoir allumée. CeUe guerre aurait peut-être menacé le tr6ne de
Makodu, mais aurait également frappé le commerce de Saint-Louis et de Gorée de
pertes énormes, sans compensations appréciablesoo. Elle aurait «arrêté les culturos,
,
plongé le royaume dans l'anarchie, livrÉ· las campagnes au pillage des Thiédos, suscité
entre diverses provinces des haines héréditaires, appauvri pour longtemps la con-
trée·'." Pour ces motifs Faidherbe signifia il Lat Jooret àTanor son refus de les associer
à son entreprise et désaprouva leur conduite. Le gouverneur fit construire les trois
caravansérails à Mboro, Mbidjem et Lompul.
Aux termes du traité signé par Makodu le damel cédait toute la c6te à la France.
Les limites septentrionales du Kayoor furent fixées à Winde-Burli et au lac Tanma au
Sud. Le Kayoor perdait donc en d'autre termes le Jander au Sud et les salines de
Ganjool. Le damel était tenu de garantir 'a sécurité sur les routes de Saint-Louis et
Gorée aux courriers, aux voyageurs isolés, aux caravanes et aux détachements de
troupes. En compensation des territoires enlevés le damel reçut quittus de toutes les
sommes dues au gouverneur pour les pillages des ceddo sur les sujets français, trois
beaux chevaux et 10000 francs en argent et en marchandises·'.
Faidherbe avait commencé le dépècement du Kayoor auquel il venait d'enlever
les parties les plus riches de son territôlre. Les postes de Mbidjem, de Mboro et de
Lompul, établis sur des sites d'ou l'on dorninait les pays d'alentour dans des rayons
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étendus constituaient surtout de bonnes bases d'opérations en cas de reprise des
hàstilités.
En amputant le Kayoor de ses provinces du nord du sud et de son littoral
Faidherbe exacerba le nationalisme du damel et de ses sujets. Comment pourraient-
1
~J:J'o.<'
ils entériner une pareille décision, eux qui avaient refusÉl d'envisager la plus'>"atteinte à
1
!
l'intégrité territoriale de leur pays au point de s'opposer" à la construction des
caravansérails? Makodu avait signé le traité sous la contrainte de la nécessité, et parce
qu'il croyait que les clauses se limitaient strictement aux caravansérails et à la ligne
télégraphique. Aussi n'hésita-t'il pas 3 faire volte face lorsque les véritables clauses
furent porté~à sa connaissance. Il fit dire.au gouverneur qu'il n'avait autorisé que la
construction des caravansérails et de la ligne télégraphique83, Certes il ne désirait que
la paix car les souffrances de la guerre '!l'épargnent ni les vainqueurs ni les vaincus. Il
ne pouvait donner autre chose que ce qu'il avait accordé. «Le Cayor m'appartient,
l
écrit-il, mais je ne le donne pas. Sachez que je vous ai accordé des choses que mon
fils, damel Birima avait refusées et que mon fils Ibrahima du Salum n'ajamais faites. Moi
seul a~fait ça pour avoir la paix. Si cela vous convient aussi c'est bon. Dans le cas
contraire c'est la derniére lettre que je \\fOUS écris et si vous n'êtes pas content, je vous
attends".')
Cette lettre traduisait l'opposition unanime des autorités du Kayoor à la politique
de démembrement de leur pays par Faidherbe et leur volonté de recourir même aux
armes pour faire respecter leurs droits.
Il n'est pas inutile de revenir ici sur l'importance du sel de Ganjool et des
palmeraies du Jander non seulement dans les revenus de la couronne mais encore
dans la vie quotidienne des populations. Aux dires du gouverneur les salines de
Ganjool rapportaient 50000 francs de recettes par an à la Lingeer dont elles étaient
l'apanageB5• Les 10000 francs versés au damel ne compensaient pas le préjudice subi
par "annexion de Ganjool. De plus Faidherbe savait que le Kayoor n'était pas un Etat
patrimonial. Le damel avait un droit de souveraineté sur le pays mais n'était jamais
habilité à en vendre la plus petite parcelle. Comme conquérant il aurait pu dire qu'il
l
prenait de force los territoires nécessaires à la sécurité des comptoirs sans avoir à
recourir à des subtilités juridiquos qui'. firent .'apparaitre avec netteté toute sa
mauvaise foi.
Makodu diffusa dans le 'pays les mesures que Faidherbe venait de prondro
,
1
contre le Kayoor et invila tous les cllefs à se prép~rer à I~ lutte contro 10 gouvon )0\\ Ir,
Il donna l'ordre à sos guerriers de «piller tous les gens de Gandiole qui ullaiont cllOrcl}("
des arachides dans son pays et mêm0 d'attaquer» le poste de Mborooo•
Faidllerbe se reféra à nouveau au conseil d'administration pour savoir la
politiqua à suivre contre le Kayoor. llJS autorités administratives furont d'avis d'agir
avec la plus grande sévérité pour contraindre le damel à exécuter le traité. Chaullloi
représentant du commerce préconisa de rechercher la conciliation et se demanda si
la responsabilité du damel était entière et totale dans la signature du traité. Le darnel
ne sachant ni lire, ni écrire l'arabe ne pouvait pas comprendre les enÇjagefnenls qu'il
contractait en signant ce traité. Le traducteur qui lui en fit la traduction pmaissGit ne jJG,;
comprendre parfaitement l'arabe. Damel avait signé le traité en obéis,;ant éII.1X «( hJsir
d'un de ses intrigants (le nommé Latir Diop) qui paraissait avoir intérôt ft cacher; lU;:
principaux chefs influents du Kayoor lBS termes de cet acteO?». Selon Chaumel, il r1\\
aurait donc pas déshonneur pour le pavillon français à revenir sur ce twilé ~;urlout qu':'
«défenseurs de la civilisation, nous devons être les premiers à désirer que los contrab
par lesquels on s'oblige, contrats qui ont pour objet de changer des limites de
frontières, de céder des territoires et de faire l'abandon de marais salants, qui
paraissaient être "apanage dc' la COWrJllne du Cayor, Plutôt que la propriété du déll nel,
•
soient bien compris afin d'être bien ex'?-cutés8B».
,
Chaumet craignait une inlerrupL:on des relations avec le Kayoor si le gouver-
•
neur $3 décidait à la guerre, Ce roynum3 était le greflier de subsistances des hatitants
de Saint-Louis et de sa banlieue. Avl'C son arachide il fourniss,?it beaucoup d'aliments
à la marine marchande. Dans l'intérêt ju commerce et des populations laborieuses du
Kayoor qui, innocentes, seraient les I~mmiers victimes de la guerre, Cilaumet pressa
le gouverneur de «Gherçh."!f. t!~ moyeil conciliateur des intérêts de tous09».
22A
Une majorité se dégagea poùr la guerre. Le gouverneur pensa que la force
seule permettrait de détruire les Geddp, «ces misérables brigants toujours ivres, et
toujours occupés à voler les travailleul·s"'".
Faidherbe commença les hostilités par une guerre psychologique. Il demanda
.
1
aux principaux chefs du pays de destituer Makodu et de le faire remplacer par un
i
homme qui accepterait d'exécuter les clauses du traité9'. De son côté le damel interdit
àses sujets de vendre leurs arachidE:S et les produits vivriers à Saint-Louis qui connut
alors une pénurie92• Des espions furer,'( dépêchés vers les caransérails car le darnel
avait la certitude que l'invasion de son pays prendrait appui sur ces points. Le gros des
troupes fut concentré à Nguiguis et àMexe. Quelques contingents furent envoyés en
direction de Jati avec mission de surveiller les troupes qui pourraient venir de Gorée"'.
~;
Le 5 Mars 1861 commença la 'deuxième invasion du Kayoor avec les seules
forces de la garnison de Saint-Louis soit 1200 hommes. De Lompulla colonnEl9 de
Faidherbe se dirigea sur Nguiguis,la capitale de Makodu)en laissant derrière elle un
paysage de ruinEl)et de deuils. Tous les villages considérés comme appartenant aux
Geddo furent incendiés. Ils étaient au nombre de 25 y compris Nguiguis et Mexe qui
. .
.
furent livrés au pillage. Tous ceux qui éts.ient pris les armes à la main fur.ent sur le champ
exécutés sur l'ordre du gouverneur. Pourta'nt c:était la CO\\Jtume che~ les populations
de se déplacer avec leurs armes mêml3 en temps de paix. Mais à défaut de pouvoir
identifier les ennemis il préféra procéder à l'élimination physique de tous les suspects
afin de ne pas laisser s'échapper d\\~\\'entuelsGeddo.
Aprés Mex~taidherbe reprit la route de Mboro et alla camper à Jati où une
échauffourée mit aux prises les éclaimurs du damel aux Spahis de Saint-Louis. La
charge des guerriers du damel fut si violente que les jeune~ soldats de la colonne
française perdirent leur calme et les prisonniers raflés par Faidherbe depuis son entrée
au Kayoor profitérent de ce désarroi pour se sauver. Par une habile manoeuvre les
guerriers du Kayoor obligèrent Faidherbe à se battre dans un endroit relativement
éloigné de ses bases. Le 11 Mars 1861 la bataille reprit. Faidherbe pensait que c'était
l'occasion ou jamais de détruire une fois pour toutes les Geddo. A mesure que le temps
•
passait les guerriers du Kayoor, mob41lisés par leurs chefs, arrivèrent par corps sur le
•
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champ de bataille de Jati. En prenanfles positions qui leur étaient affectée,i1s finirent
par encercler le camp de Faidherbe qui était aussi coupé de ses bases de ravitaille-
ment.
Tirant les leçons du premier alfrontement avec le gouverneur les guerriers du
1
Kayoor utilisèrent une adroite tactique pour l'obliger à épui?er ses munitions avant de
. i
lui infliger une sérieuse défaite. Cette troupe qui voltigeait autour du camp de Faidherbe
était pour l'essentiel formée d'éclaireurs chargés de le fixer sur ce point. C'est le soir
seulement que le gros de l'armée du Kayoor arriva à Jati sous le commandement du
frère du damel Calaw Sambou et du Fara Seuff Daw Kumba Joor"", Malgré l'effet
meurtrier de l'artillerie et des fusils qui déversèrent un torrent de feu, les guerriers du
Kayoor se battirent avec un courage admirable jusqu'à la tombée. de la nuit. Le
lendemain «de trés bonne heure"7», r:aidherbe leva son camp pour Mboro où il arriva
à 11 heures du matin aprés 8 heures de marche. Pour iustifier ce départ précipit~il
..,
invoqua la fatigue des chevaux et des hë,mmes et le manque d'approvisionnement. En
cours de route le gouverneur pilla 500 boeufs équivalant au nombre que les troupes
du damel avait enlevé quelques jours plus télt dans le Ganjol à Ker".
Dès son retour Faidherbe parla avec une gène manifeste de ce qu'il appela la
victoire de Jati. Mais contrairement à SOI1 habitude il ne chiff.ra pas les pertes ennemies.
Il préféra se contenter de renseignements recueillis aprés coup et qui et qui parlaient
de «pertes considérables99» pour le ~;ayoor. Pour apprécier les résultats de son
expédition Faidherbe jugea utile d'attendre quelques temps afin de pouvoir en étudier
les effets.
Lesguerriersdu damel interprètèrent le départ précipité du gouverneur comme
le signe manifeste de leur victoire parœ qu'il restèrent sur le champ de bataille pour
enterrer leurs morts. Le damel donna des directives à son frère pour la reconquête du
Jander et des cantons du Nord. Il mit l'embargo sur toutes les transactions avec Saint-
Louis qui dépendait du Kayoor pour son ravitaillement.
Enhardis par leur succès les guerriers du damel multiplièrent les opérations de
razzia contre les villages'dont les habitants étaient convaincus de collaboration avec
1.;. '>~. '. :'. :' -';:;~ . d' -
,-ô,
.'
le gouverneur. Des Ceddo se rendirent dans le'Jander pour reprendre possession de
cette province. Le capitaine Millet chClr~lé de défendre cette frontière reçut la directive
de ne s'engager contre les Ceddo que lorsqu'il aurait "la certitude d'un succès
complet. Dans les circonstances où nous trouvons un demi succès serait considéré
_.,."
par les populations comme un échec et consoliderait l'influ~nce du damel sur le pays".
1
i
•
Désirant atténuer le retentissement de la victoire du damel à Jati dans le Walo
annexé, Faidherbe invita le commandant de cette province à faire connaitre la version
française afin de «détruire le plus vite possible et le plus complètement possible l'effet
que peuvent produire des paroles mensongères répandues àdessein chez les Maures
et chez les Noirs et qui tendent à faire cr:.Jire que nous avons eu le dessous dans notre
lutte avec le damel'oo". Pour ne plus subir les évènements, Makodu essaya de
conserver l'initiative. Des contingents furent dépêchés vers le Jander au moment où
le Jawriri Mbul Mbar Tako réunissait SElS hommes à Cakaw d'où il devait aller brûler
'1
Ganjool et les villages de la banlieue de Saint-Louis1O'. Makodu établit son camp à
Nguick pour entrer facilement en contact avec le Walo et encourager les rebelles qui
à Nder, ancienne capitale du Walo avaient repris les armes, à l'annonce de la victoire
de Jati, dans l'espoir de restaurer la monarchie en faveur de Ely'02.
Le Gouverneur se rendit compte du danger que l'e.xpédition du Kayoor faisait
courir aux résultats de sa politique dans le bas Sénégal. Il essaya de calmer les forces
qu'il avait libérées. Il demanda aux principaux chefs du Kayoor leurs sentiments au
sujet de la guerre qui venait de commenc.er. Il leur avoua que la victoire ne lui avait pas
souri à Jati car il n'avait pas la moitié de ses forces et ajouta-t-il "vous ne pouviez rien
contre nous'OJ". A la prochaine rencontre les guerriers du Walo, du Jolof et du Bawol
seraient mobilisés contre le Kayoor.
Makodu transporta le 24 Mars son camp à Njaxer prés de lompul pour couper
les communications entre Saint-Louis et Gorée. Fara Birkeur, Jaraaf Mbawor et Ardo
Labba à la tête d'une soixantaine d'hommes firent une incursion dans le Ganjool où ils
raflèrent 190 boeufs. Les guerriers du damel voulaient transférer chez les sujets
français la peur qui jusqu'alors ne visitait que les habitants du Kayoor. Le commerce
231
;
...~
se plaignit amèrement de cette situation et préconisa la 'recherche d'un compromis
avec le damel. Mais le gouverneur s'étaittrop engagé dans la guerre pour reculer sans
avoir obtenu un succès lui permettant de négocier en position de force. Ses troupes
"--...
lourdement équipées étaient sérieusl~ment handicapées dans un pays chaud, sec,
sablonneux et qui manquait d'eau. GR qui faisait la force ?e l'armée du Kayoor c'était
sa capacité d'imprimer à ses déplacements une grpnde ~obilité. En décidant d'enva-
hir à nouveau le Kayoor, Faidherbe décida d'utiliser comme' auxilliaires les troupes do
Lingeer et de Tanor Fatim qu'il en(;(,uragea à attaquer le damel'04. En Janvier il avait
décliné leur offre de collaboration parce qu'ils symbolisaient à ses yeux le désordre.
Au contact de la réalit~ces considérations furent mises aux oubliettes. Le gouverneur
qui n'avait cessé de parler de la nécessit.é de détruire les ceddo decida néanmoinsde
les utililiser contre Makodu sans êtretcutefois sûr de pouvoir les brider aprés la victoire.
Aprés avoir interdit aux commerçants de Gorée et dépendances de vendre des
armes ou des munitions au Kayoo~le' gouverneur entreprit une nouvelle invasion du
Kayoor. Avant cette expédition il avait inondé le ministère de rapports si optimistes sur
sa capacité de soumettre le Kayoor qu'il lui fallait à tout prix présenter un résultats posit~
d'autant plus que, selon ses proprf's prévisions, les compagnies algériennes ne
devraient pas faire plus de cinquante jours au Sénégal et elles y étaient déjà depuis la
fin de l'année 1860. La nouvelle tactique qu'il mit au point/ut trés simple. Par des actes
de brigandage, il sémerait la terreur parmi les populations en y encourageant la
rapacité de ses alliés.
Le 4 Avril 1861 Faidherbe pénétra dans le Kayoor . . . .avec les troupes de la
garnison et les trois compagnies algf'Jriennes. Les villages sur le trajet de la colonne
furent incendiés. Les volontaires, pires que des sauterelles furent lâchés dans le pays
pour rafler les biens des habitants. 1CJOO boeufs au moins furent pillés, beaucoup de
prisonniers capturés'05.
L'armée du Kayoor avait refusé l'affrontement en opérant un repli vers l'Est à
l'approche des troupes du gouverneur. Au total plus de 25 villages furent victimes de
la vengeance de Faidherbe. Mais tenaillée par la fatigue et la soif la colonne retourna
à Saint-Louis aprés avoir construit le poste de PotoU.HM;
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232
Les résultats obtenus ne fur~~t pas à la mesure des efforts déployés. Cette vie
de peur, de menace perpétuelle que !e gouverneur avait décidé d'ériger en système
de combat attiédit l'énergie de certains chefs qui pensèrent que le moment était venu
de trouver un compromis avec le goùverneur. Celui-ci affirma qu'il répondrait désor-
mais à tout pillage ordonné par le danlel au sac des villagks du Kayoor sans souci de
1
leur culpabilité. «Si donc vous voulez que le Cayoor soit détr!Jit, écrit-il au Jawriri Mbul,
Gallo Majoor Jaârl, comme le Walo et le pays des Trarza l'ont été, ou bien chassez
Makodu pour nommer un autre dar.1el, ou bien forcez Makodou à restertranquille107,..
Le gouverneur mit en exergue les origines étrangères de Makodu Guelewar par sa
mère, ce qui était de nature à l'éloigl']E1r des préoccupations de ses sujets dont le sort
ne semblait pas l'intéresser'06.
L'approche de l'hivernage, et· l'imminence de son départ pour la Franco
condamnèrent Faidherbe à trouver uns solution au problème du Kayoor. Il ne comptait
·1
plus sur une victoire militaire décisive en raison de la nouvelle tactique de l'armée du
damel, fondée sur la guérilla. Il penSé! que la solution résidait dans l'imposition d'un
autre damel qui se soumettrait totalement à ses décisions. La crainte de voir le chef
d'un parti puissant sur le trône du Kayoor l'amena à porter son choix sur Madiodio. Le
29 Avril 1861 Faidherbe fit porter à la connaissance de Majojo qu'il le désignait comme
damel, Samba Maram Xay comme Jawriri Mbul des hommes libres, et Majoor Jaan
comme Jawriri Mbul des esclavesIl)''. Ces collaborateurs du gouverneur s'établirent à
Lompul sous la protection du canons du fort pour y regrouper leurs forces en vue de
la conquête du pouvoir. Malgré l'appui dont ils bénéficièrent ils ne purent regrouper
que 157 fusils et 20 chevaux à la date du 29 Avril' 10. La volonté de nommer Majojo avait
plongé beaucoup de ceux qui avaient rompu avec Makodu, dans une situation difficile
parce qu'il ne leur paraissait guère er. mesure de résoudre les problème du Kayoor.
Ils restèrent alors chez eux, refusant de soutenir un choix qu'ils désaprouvaient.
Pour nourrir leurs hommes, los partisans du gouverneur conduisaient des
rezzou contre les villages demeuréz firJèles à Makodu. Mais ce dernier réprimait avec
une extrème sévérité ceux d'entre eux qui avaient le malheur de tomber entre ses
mains. Tel fut le sort de vingt homme:; de Majoor Jaari qui furent exécutés dans des
r,'
-.
233
conditions atroces pour enlever à leurs alliés toute idée de récidiver"'. Ces mesures
répréssives dépassèrent en horreur tout ce à quoi les gens s'étaient habitués
jusqu'alors. Mais elles n'empêchèrent nullement les défections de se multiplier. Les
hommes libres désiraient sauver l'Etat (lu Kayoor. Faidherbe leur avait fait comprendre
qu'en prolongeant la lutte, ils risquaient de faire connaitre ~à leur pays le sort qui avait
1
était celui du Walo. Le Jaraaf Njambur Detubab fit aussi d~fection ainsi que la plupart
des guerriers du Geet province natale de Lat-Joor.
En faisant le vide autour de Makodu, les Njambur mettaient le damel dans une
situation intenable. Ils n'osèrent cependant pas se rendre à Mbul pour prononcer sa
destitution et procéder à son remplacement'''. Bien que militairement affaibli, Makodu
avait encore autour de lui son frère CalaiN Sambu, les guerriers de son clan patrilinéaire
KërCandella, quelques hommes du Salum soit300 cavaliers «aguerris et tous dévoués
à sa personne113» prêts à exercer uT,e terrible vengeance sur la famille de ceux qui
,
s'aventureraient àl'abandonner. Ils n' hésitèrent pas à le faire à la première occasion '''.
Pour Faidherbe le moment était tout à fait opportun pour conduire une
expédition contre le Kayoor en vue d'y introniser Majojo. Pour n'avoir connu que des
échecs dans ces entreprises guerrières contre le damel, il confia cette tâche au
lieutenant colonel Faron commandant le bataillon des t!railleurs sénégalais. En se
rendant à Mbul cette colonne passerait parPotu, Janawur, Jokul et Ndand. Des
émissaires seraient envoyés dans tous les villages pour en convoquer les chefs à Mbul
où ils feraient acte d'allégeance à Majojo. Il ouvrirent l'oeil sur tous les personnages
importants, vaincus de la vieille afin de connaitre leur importance, leur influence de
parenté ou de richesse, leur caractère et faire concourir ces nombreux détails au
succés de sa mission qui était que le nouveau damel pût rester maître de sa position
aprés le retour de la colonne à Saint-Louis"5.
Cette colonne composée de 1200 hommes quitta Ganjoolle 14 Mai 1861 et se
rendit à Ndand où la rejoignit Majojç avec 500 hommes dont 100 cavaliers. Le 181e
bivouac fut établi à Kure à 2 Kilomètms de Mbul dans la direction de Tagar où se
tenaient Makodu et son armée. Les cavaliers de Makodu escarmouchèrent avec les
avant postes français. Mais instruit par rexpérience de Jati, Faron donna l'ordre de tirer
.~~i~
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.
peu pour ménager ses munitions. Il espérait ainsi que Makodu déploierait toutes ses
forces. Devant la force de plus en plJS copieuse du Damel Faron passa à l'offensive
mais Makodu donna à ses troupes l'ordre de décrocher. Ceux qui n'attendaient que
cette occasion pour changer de camp allèrent faire acte de soumission à Majojo. Ce
\\
dernier et Faron attaquèrent l'arrière ~Iarde de la troupe ~e Makodu à Kancax le 20
Mai. "6 Makodu entouré d'un petit noyal.ldefidèles prit la route.du Salum pays d'origine
de sa mère et sur lequel régnait son fils Samba Lawbé Latsuk.
Le 23 Mai 1861 Majojo était reconnu damel par les principaux chefs du Kayoor.
Il reçut du lieutenant colonel Faron Iilburnous d'investiture et prit envers la France
j'engagement d'exécuter non seulement les «clauses du traité existant entre le Cayor
et la France, mais encore
«d'user de tout son pouvoir pour empêcher-tout pillage' 17."
Flize le directeur des affaires indigènes 'resta à Mbul pour l'aider à affermir son autorité
et à recevoir la soumission de Bargeet Lat-Joor. Le 26 Mai la colonne rejoignait Saint-
.,
Louis.
Le gouverneur félicita chaleureusement la colonne qui à ses yeux venait de
mettre glorieusement fin à une pénilJle guerre de cinq mois avec le Kayoor, qui avait
«résolu la dernière question militaire pendante de la colonie, supprimé le dernier refuge
du brigandage et abattu le dernier obslacle à notre domination du Sénégal.
Vous n'étiez pas encore rentrés de Saint-Louis que déjà les caravanes sillon-
naient les routes pour rétablir les relations qui, grâce à la sécurité conquise par 110S
armes, vonttransformer en quelques années ce beau pays du Cayor que nos colonnes
ont aujourd'hui parcouru dans toutes los parties"6».
Faidherbe avait des raisons, à la. veille de son départ pour la France, d'être fier
de l'oeuvre qu'il venait d'accomplir au Sénégal. Outre les résultats obtenus au Futa,
au Trarza, il avait également atteint par c! es moyens militaires et par la ruse des résultats
appréciables pour ce qui était de ICi prépondérance française au Kayoor. Des
Blockhaus, des postes fortifiés échelonnés sur le Salum et entre Joal et Saint-Louis
étaient comme des sentinelles chargées d'imposer la suprématie de Saint-Louis. La
défaite du damel Makodu et la nomin::-tion d'une marionnette totalement soumise il sa
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volonté l'autorisait à penser que le- ressort des âmes de ceux qui incarnaient la
résistance s'était cassé et qu'aucun:o}?stacle sérieux ne s'opposait plus à l'extension
de la culture arachidière. Seulement il lui manquait le bénéfice du temps pour se rendre
compte que son oeuvre ne reposait que sur de ruineuses illusions et son successeur
ne tarda pas à s'en apercevoir.
1- ANSOM: Sénégal 1-45 : Faidherbe, Mémoire sur la colonie du Sénégal le 14 Oc-
tobre 1858.
2- AN.S. 3 B 91 Folio 19, Faidherbe à Birima, Saint-Louis le 13 juillet 1855.
3- Kani Samb : Entretien en Mars 1976 à Dakar.
.
4- Moniteur officiel du Sénégal et dépendances, 16 Mars 1856.
5- ANSOM sénégal l, 45 Mémoire sur la'colonie du Sénégal par Faidherbe le14
Octobre 1858.
6- AN.S. 1B 175 Folio 93 Le prince Napoléon Jérome, ministre Algérie et Colonies
à Gouverneur du Sénégal 22 Février 1859.
7-ldem.
8- ANSOM Sénégal Faidherbe au Mir'iistre le 6 Janvier 1860.
9- Duval J.: LA COLONIE DU SENEGAL. 1858, (pages 35-36).
10- AN.S. 3 B Q 1 Folio 57 : Faidherbe à Serigne Luga, 28 Avril 1859.
11- AN.S. 3 B Q 1 Folio 57 Faidherbe à Serigne Louga 28 Avril 1859.
12- ANSOM Sénégal l, 46 A: Gouverneur au Ministre 6 Janvier 1860.
13- AN.S. 2 B 32 Gouverneur au Ministre, le 14 Juin 1859.
14- A.N.S. 2 B 32 Folio 132 : Faidherbe rapport sur l'expédition du SUn et du Salum
14-6-59.
15- AN.S. 2 B 32 folio 131 : Faidherbe au ministre 14 Jl!in 1859.
16- Idem.
17- Klein: Op.cit., (page 45).
18- AN.S. 2 B 32, Folio 131: Gouverneur au Ministre le 14 Juin 1859.
19- Sabatier P.: Op. cit., (page 166).
20- AN.S. 1 B 175, Folio 307: Ministre au Gouverneur 10r Septembre 1859.
21- Idem, Ibidem.
22- A.N.S. 3 B 84, Folio 6 : Faidherbe instruction à Brossard, Saint-Louis, 9 Avril
1859.
23- AN.S. 1 D 13 piéce 28: Brossard de corbigny au Gouverneur Nkelle, le 18 Avril
1859.
24- AN.S. 1 B 175, Folio 413: Le Ministre au Gouverneur 21 Novembre 1859.
25- Idem, Ibidem.
26- A.N.S. 1 B 175: Ministre au gouverneur 21 Novembre 1859; il s'agit de El Hadji
Oumar.
27- AN.S. 1 BQ 1, Folio 59: Faidherbe à Serigne Koki et à Silmakha diey 20 Octo-
bre 1859.
28- AN.S. 3 B Q 1, Folio 60: FaidhE.ri)e à Damelle 6 Décembre 1859.
29- AN.S. 3 B Q 1, Folio 60: Faidherbe à Serigne Luga et Samba Maram Khay, 16
Novembre 1859.
30- AN.S. 3 B Q 1, Folio 61: Faidherbe à Serigne Niomré le 13 Décembre 1859.
'.:
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2J6
31- A.N.S. 3 E 28, Folio: 107 Procès verbal conseil d'administration séance du 13
Décembre 1859.
32- ANSOM Sénégal l, 46 A: Gouvern~urau ministre le 6 Janvier 1860.
33- AN.S. 13 G 88: Commandant roste Merinaghen au Gouverneur 26 Décembre
1859.
34- AN.S. 13 G 88 pièce 100 : Commandant Merinaghen au directeur affaires incli-
génes, 30 Décembre 1859.
.
35- A.N.S. 1 D 13 pièce 100 : Idem.
1
36- ANSOM Sénégal IV 46 A: Gouverneur au Ministre 141Janvier 1860.
,.
,
37- ANSOM Sénégal IV 46 A: Faidherbe au Ministre.14 Janvier 1860.
38- AN.S. 3 8 Q 1, Folio 63: Gouverneur au Damel31 Décembre 1859.
39- AN.S. 4 841, Folio 39: Commandant de cercle au Ministre 22 Aout 1859.
40- ANSOM Sénégal l, 46 A Gouverneur au Minitre 6 Janvier 1860.
41- AN.S. 6 8 2 pièce 388: Le Ministre au Gouverneur 21 Décembre 1859.
42- Idem, Ibidem.
43- AN.S. 6 8 2 pièce 388: Ministre au Gouverneur 21 Décembre 1859.
44- AN.S. 3 E 28 ft 128 et suivant séance du 26 janvier 1860
45- Idem, ibidem.
46- Idem, ibidem.
47- AN.S. 3 E 28 ft 131-133 : Conseil d'administration séance du 13 Février 1860.
48- AN.S. 3 E 28 ft 131-133: Conseil d'administration séance d'administration
séance du 13 Fevrier 1860
49- AN.S. 3 E 28 Folio 130 : Séance du 26 Janvier 1860.
50- AN.S. 3 E 28 Folio 131 : Séance du 13 Février 1860.
51- AN.S. 13 G 257 : pièce 49, Debo Issa Tend à Faidherbe, Février 1860.
52- ANSOM: Sénégal l, 46 A: Gouverneur au Ministre, 16 Fevrier 1860.
53- Idem: lettre de Tanor à Faidherbe, 16 Février 1860.
54; ANSOM Sénégal IV 46: Faidherbe au Ministre, 14 Mars 1860.
55- ANSOM: Sénégal IV 468: Faic'r.erbe au Ministre, 14 Mars 1860.
56-Idem, ibidem.
57- ANSOM Sénégal IV 46: Ministre à Faidhe~be, 22 Ma.rs 1860.
58- AN.S. 3 8 Q 1, Folio 67: Le Gouverneur à Damel Macodou, 21 Mars 1860.
59- AN.S. G 262 pièce 3 : lettre de Thialao Dembagnane, Lamane Diamatil, Diaw-
dine Mboul au Gouverneur reçue le 15 Avril 1860.
60- AN.S.O.M. Sénégal IV 468: Faidherbe au Ministre, 18 Avril 1860.
61- AN.S. 13 G 257 pièce 34: Damel Makodu au Gouverneur 21 Avril 1860.
62- Idem, Ibidem.
63- ANSOM Sénégal IV 468 Gouvernaur au Ministre le 13 Avril 1860.
64- ANSOM Sénégal IV 46 A Rapport du Ministre à L'Empereur 12 Juin 1860.
65- ANSOM Sénégal IV 46 A Faidherbe au Ministre 15 Juin 1860
66- AN.S. 4835 Folio 23 : Commandant de Gorée au Commandant de rufisque 22
mai 1860.
67- A.N.S. 13 G 35 Folio 22: Laprade note annexe à carte 8aol10 Novembre 1860.
68- A.N.S. 4 835 Folio 26 : Commandant de Gorée à Commandant Cap-Vert 30
juin 1860.
69- ANSOM Sénégal IV 46 8 gouverneur au Ministre.
70- A.N.S. 3 8 Q 1 Folio 71 : Faidherbe aux Maures du Cayor 21 Mai 1860.
71- A.N.S. 3 8 Q 1 Folio 25: Gouverneur aux habitants du Walo 25 juin 1860.
72- A.N.S. 3 8 Q 1 Folio 72 : Flize à Madické Diop le 17 juillet 1860.
73- ANSOM Sénégal 146 A : Gouverneur au ministre 15 juin 1860
74- AN.S. 13 G 257 piéce 38 : Samba Maram Khey au Gouverneur 4 Septembre
1860.
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75- AN.S. 13 G 253 piéce 91 Tanor Fatim à Faidherbe 8 Septembre 1860.
76- AN.S. 2 E 4 Folio 83 séance du 13 Décembre 1800.
77- ANSOM Sénégal IV 46 B: Gouv'è[f,eur au Ministre 13 Avril 1860
78- Idem, Ibidem.
79- Sabatier P.: Op. cit.,(page 134).·
80- Mavidal, Op. cit., (pages 171-1i'2).
81 -Idem, Ibidem.
82- ANS 3 E 29 FF 37-38: Séance du 28 Janvier 1861.
83- AN.S. 3 E 29 : Conseil d'administ;'ation séance du 26 Février 1861. Lettre de
.
1
Makodu.
84- Idem, Ibidem.
85- AN.S. 3 E 29 FF 54-56: Séance l.~u 26 Février 1861
86- Idem, ibidem.
87- 3 E 29 FF 57 et suivants séance C:J 28 Février 1861
88-ldem.
89-ldem.
90-ldem.
91- AN.S. 3 B Q 1, Folio 74 : Le Gouverneur aux principaux chefs du Cayoor, 10r
Mars 1861
92- 3 E 29, Folio 64 : Séance du 5 Mal's 1861.
93- AN.S. 3 E 29 Folio 64: Séance du 5 Mars 1861.
94- AN.S. 3 E 29 Folio 65: Séance d~1 17 Mars 1861.
95- AN.S. 3 E 29 Folio 65 et suivant f:·ganCe du 18 Mars 1861.
96- Idem, Ibidem.
97-ldem, ibidem.
98- Idem, ibidem
99- AN.S. 3 E 29: Séance du 18 Mar~) 1861.
100- AN.S. 3 B 79 Folio 256 : Faidhel'be au Commandant du Walo 18 Mars 1861.
101- ANSOM Seyall, 46 A: Faidherbe au ministre 12 Mai 1861
102- AN.S. 3 B Q 1 Folio 74, Faidherbe aux principaux chefs du Cayor, 20 Mars
1861.
103- AN.S. 3 B Q 1, Folio 74 : FaidhE'~be aux principaux chefs du Cayor,20 Mars
1861.
104- AN.S. 3 B Q 1, Folio 75: GOL:,'e,neur à Lingeer 10' Avril 1861
105- AN.S. 3 E 29 Folio 69: séance du 13 Avril 1861
106-ldem, ibidem.
107- A.N.S. 3 B Q 1, Folio 75 : Gouverneur à Jawrin Mboul Gallo Madior Digne 19
Avril 1861.
108- A.N.S. 3 B Q 1, Folio 75 : Gouverneur aux Gens du kayoor le 2 Mai 1861
109- A.N.S. 13 G 269 pièce 12: Cdt (lu poste de Lompoul au Gouverneur le 29 Avril
1861.
110- Idem, ibidem.
111- A.N.S. 13G 269, pièce 16 : Cdt L.ompouJ au directeur affaires indigènes, 11
Mai 1861.
112- AN.S. 13 G 270 pièce 6 Cdt pm,te de Mboro au gouverneur 5 Mai 1861.
113- AN.S. 3 B 73 Folio 55: Instructi·:m au Colonel cdt bataillon 15 mai 1861.
114- Idem, ibidem
115- Sénégal 146 A: Faidherbe au r.linistre le 28 Mai 1861
116- ANSOM Sénégal l, 46 A : Faidherbe au Ministre Saint·Louis le 28 Mai 1861.
117- A.N.S. 13 G 5, Folio 5 : Déclar.:Jtion de Majojo le 23 Mai 1861
118- ANSOM Sénégal 1 46 A: Gouvemeur au Ministre, 28 Mai 1861
238
CHAPITRE 2
~.~
DE LA POLITIQUE DU DEMEMBREMENT DU KAYOOR
A SON ANNEXION 1861·1865
\\
La nomination de Majojo par 10 gouvernement d~ Saint-Louis résolvait en
,
1
apparence l'inquiétant problème du Kayoor. Elle était intervenue au moment où
l'approche de l'hivernage imposait aux chefs du pays de trouver une trève afin de
permettre aux populations de reconstruire les villages détruits par les belligérants et
de préparer les champs aux prochaines cultures. Le parti des Geei se rallia à Majojo
et Faidherbe déclara avec anthousiasme que l'union du pays était complète'. Dés le
6 Juin 1861 il leva la mesure d'interdiction qui frappatt les ventes d'armes au Kayoor. Tout
semblait tranquille. Les transactions entre Saint-Louis et le Kayoor2 avaient repris leurs
cours normal. On ne craignait plus u~ retour offensif de Makodu3•
Cette soumission des chefs du pays n'était que de surface. Comment pouvait-
il obéir sans murmure, à l'autorité d'un roi qui leur était imposé par des étrangers?
Quelle valeur pouvait avoir à leurs yeux les mesures ou les actes qu'il prenait à
l'instigation de ses protecteurs? Certains d'entre eux avaient abandonné le camp de
Makodu parce qu'ils étaient convaincus qùe c:était sa p~ésence seule qui valait au
Kayoor l'acharnement destructeur des troupes françaises, Que Makodu parti, le
Kayoor recouvrerait son intégrité terrilOl'iale. Mais lorsqu'ils constatèrent que Majojo
n'était qu'une marionnette mise en place pour couvrir de son titre dedamelles mesures
de démembrement de leur pays, la plupart des chefs se dressèrent contre lui et ses
protecteurs dans une irréconciliable hostilité. Ils comprirent que le destin de leur pays
était dans leurs mains et que s'ils ne se battaient pour défendre son indépendance et
son intégrité, ils connaitraient à brève échéance le sort du Walo asservi.
Le parti Geej de Lat-Joor devint aiors le parti national vers lequel convergèrent
tous ceux qui refusaient de se soumuttm à un pouvoir imposé par l'étranger. Malgré
l'intermède représenté par le règne de Makodu les Geej exerçaient encore une trés
grande influence dans le pays et disposaient de l'armée la plus nombreuse et la plus
aguerrie. Majojo multiplia les griefs contre lui en destituant sans ménagement tous les
.'
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2.19
hommes libres ou les captifs de la couronne qui devaient leurs charges à Birima Ngoné
Latyr ou à Makodu. Les uns et les autref):lui reprochèrent d'avoir accepté d'entériner
le traité qui amputait le Kayoor de ses territoires du Nord et du Sud et contre lequel avait
courageusement lutté Makodu. Il se:l1blait oublier que le devoir primordial de tout
damel était de garantir l'intégrité du pays'. Pour les Geedj la r~cupération des territoires
•
1
pris
par le gouverneur constitua le programme autour çjuquel ils firent presque
l'unanimité du pays contre Majojo.
Dès la fin des travaux agricoles, certains partisans de Majojo bien travaillés par
les Geej firent défection. D'autres tout en restant dans la capitale lui firent ouvertement
de l'opposition. Le damel, conscient de la faiblesse de ses forces et de son isolement
n'osa sévir contre eux et préféra attendr;i Peut être avait-il le préssentiment que les
premières mesures contre les opposants provoqueraient le soulèvement qu'il voulait
à tout prix conjurer. Cette pusillanimité d~; damel fut exploitée par le parti Geej de Lat-
':1
Joor qui encouragea le ralliement de tous ceux qui avaient de griefs contre Majojo. Il
leur promit la restitution de leurs privèges aprés la conquête du tr6ne.
En Janvier 1862, Koki était devenu le point de ralliement de toutes les forces
favorables à Lat-Joor. Majojo essaya de leur faire une guerre préventive. Aprés avoir
regroupé son armée à Njaxeen il ma~ cha sur Koki. Samb? Maram Xay époux de la
Lingeer Debo, tante de Lat-joor fit défection et rejoignit Lat-Joor à Sagala".
Le gouverneur Jauréguiberry qui n'avait pris son commandement que depuis
Décembre 1861 et qui n'était.* renseigné sur la position du Majojo ni sur les causes
qui étaient à l'origine de ce soulèvement s'abstint d'intervenir dans la querelle7• Privé
de l'appui du gouverneur sur lequel il comptait pour battre les Geei. Majojo prit la
précaution de mettre toutes ses femmES sous la protection du poste de Lompul. Le 24
Janvier 1862, il était facilement mis en déroute par Lat-Joor. Bou El Mogdad, interprète
du gouverneur, dépêché au Kayoor pour enquêter sur les molifs réels du soulèvement
se contenta d'expliquer cette défaite dl; damel par la trahison des partisans de Majojo
qui, avant même d'engager le combat, a..'aient déjà battuen retraite, laissant le damel,
ses parents et leurs captifs supporter seuls les attaques de l'ennemis. Bou EL Mogdad
totalement acquis à la cause française, n'était pas disposé à comprendre cette force
240
de résistance qui poussait les habit~nts du Kayoor à lutter avec opiniâtreté contre
l'homme qui symbolisait à leur yeux l'agression étrangère.
L'erreur tactique de Majojo avait surtout été d'aller combattre Lat-Joor dans sa
province natale qui était totalement aCljuise à sa cause. Les marabouts du Njambour,
J
malgré les atroces mesures répréssives dont ils furent l'objet de la part du frère utérin
,
!
de Lat-Joor, n'hésitèrent pas à se rallier à lui et à lui apporter des contingents dont
l'intervention fut décisive dans cette bataille". Samba Maram Xay avait refusé do
prendre part au combat. Mais il eut l'audace de se rendre à Ndand auprés du damel
battu comme s'il lui avait prêté main/orte. Peut-être craignait-il d'être châtié par le
gouverneur s'il restait trop ostensiblement dans le camp de sa femme Debo.
Lat-Joor ne put recueillir le fruit de sa victoire car le gouverneur Jauréguiberry
décida d'intervenir pour rétablir Ma,iojo. Mieux informé par ses conseillers, il était
convaincu que ce soulèvement n'avai~ d'autre objectif que de frapper de caducité le
traité qui démembrait le Kayoor.1I se décida en dernière analyse à prouver au parti Geej
que les traités étaient sacrés et qu'il entendait faire respecter celui qui liait Saint-Louis
et le Kayoor. Si le gouverneur s'inclinait devant la suprématie du parti de Lat-Joor, il
aurait été à craindre que cette révolution ne fît tâche d'huile et ne compromît et
l'influence française dans le bas Sénéçal et les espérances commerciales de l'année.
On était à l'époque de la traite. Le Trarza et le Walo pourraient être tentés de recourir
aux armes afin de restaurer par la fOl'ce l'ancien régime aboli par Faidherbe.
Le 28 Janvier 18621e gouverneur partit de Saint-Louis avec 550 hommes pour
entrer dans le Kayoor afin d'y raffermir l'autorité fragile de Majojo.1I passa par Ganjool,
Potu et Lompul où Majojo était venu se cacher. Arrivé à Ndand Jauréguiberry obtint la
soumission de Lat-Joor et des principaux chefs contestataires. Lat-Joor surpris par la
rapidité des mouvements de la colonne promit même de se retirer sur ses terres pour
se consacrer à l'agriculture. L'autorité de Majojo était donc momentanément rétablie'O.
Pour surveiller plus facilement los intérêts français dans le Kayoor et ouvrir au
commerce une nouvelle voie de communication, Jauréguiberry imposa à Majojo un
traité aux termes duquel ce damel s'engagea à ouvrir une route entre Ndand et Potu
·....
d'une largeur de 30 mètres. Majojo '.~3da pareillement à la France en toute propriété,
à 200 mètres du puits de Ndand un carré de «500 mètres de côte pour y construire c1e~,
magasins ou autres établissements jugés nécessaires aux opérations que la France
c:. , ..
peut-être amenée à faire pour l'exécution de ses engagements vis à vis de damel"".
1
;
En rentrant à Saint-Louis, Jauréguibérry lajssa s~r place le cOloJ1nel Faron
commandant des tirailleurs sénégalais avec 450 hommes pourveil\\er à l'exécution des
engagements du damel et pour raffermir aussi son autorité. Faron était toutefois invité
à s'abstenir de tout acte deviolence car le Kayoor devait être considéré comme un allié.
De son contact avec Majojo, Jauréguiberry tira la conclusion que ce damel
n'avait aucune des qualités d'un chef régnant sur des populations turbulentes. Son
manque d'énergie, son intempérance I;empêchaient ge s'occuper sérieusement des
affaires. Il envisagea alors de le remplacer ou plutôt de substituer l'autorité française
à la sienne par une pure annexion dl: 1<::;;yoor'2. Le gouverneur semblait ignorer que la
cause profonde du mécontement des populations résidait moins dans le manque
d'énergie du damel que dans les mesures impopulaires qui, sous le couvert de son
nom, portaient atteinte à l'intégrité et à j'indépendance du Kayoor. Ge régime détesté
de tous les patriotes ne pouvait prolonger son existence qu'autant que durerait 18
présence des troupes françaises à Ndand. Et cette présence n'était pas suffisamment
dissuasive pour interdire aux partisans de Lat-Joor la poursuite de la lutte. Aprés leur
victoire de Koki, ils s'étaient rendu:, à Mbul, semble-t-i1, dans l'espoir de voir le
Gouverneur nommer Lat-joor à la place de Majojo.
Dans un camp comme dans l'autre on se prépara à l'affrontement inévitable.
Majojo donna l'ordre à ses Geddo d,') piller les villages des partisans de Lat-joor
espérant qu'en semant la terreur pûl1out, on ne lui reprocherait plus son manque
d'énergie et que ses ennemis finiraient par obeir par crainte d'être aussi persécutés.
Des villages proches des postes français demandèrent au gouverneur de passer sous
l'autorité directe de Saint-Louis dans le seul espoir d'échapper aux exactions des
Geddo de Majojo13.
Majojo désirait aussi par une victo;re militaire, redorer son blason bien terni par
sa défaite de Koki. En Mars 1862 il provoqua son Jawrin Mbul Samba Maraxay en allant
s'établir avec son armée à Njuki, village appartenant à la lignée utérine des Xaaxaan.
De là il pensa tomber à l'improviste sur le Geet en vue d'y détruire le noyau de l'armée
Geej".
!1
,
i
Samba Maram Xay conseilla alars à Lat-Joar de se rendre àGanjool pour faire
sa soumission au gouverneur. Il s'exécuta et livra même comme otages au gouverneur
deux enfants «appartenant à de bonnes familles du pays'5». Par la même occasion il
exprima sa volonté de développer l'agriculture alors que les hommes de Majojo
s'acharnait à détruire les récoltes et semer.le désordre dans le pays'6.
Jauréguiberry accueillit avec faveur cette démarche de Lat-joor et en tira trop
hâtivement la conclusion que ce comp3titeur ne nourissait aucune hostilité vis à vis de
la France. Pour calmer le jeu, il préconisa là destitution inévitable de Majojo qui risquait,
si le gouverneur n'en prenait l'initiative, de se faire aux dépens de l'influence fran-
çaise". Dans sa correspondance avec le ministre il parla de Majojo en termeJPeu
flateurs. Pour lui le damel était «un ivr·)gne abruti par les excés, privé de toute
considération '6».
Lat-Joar demanda la paix à Majojo qui se préparait à l'attaquer aprés qu'il eut
licencié son armée à la demande du gouverneur. Samba Maram Xay et le Laman
Jamatil conseillèrent au damel de faire droit à cette requête de Lat-Joor. Majojo refusa
en disant qu'il ne pouvait admettre dans ses états un sujet qui avait osé prendre les
armes contre lui et avait profité de la lâcheté de ses guerriers et de la trahison de
certains dignitaires pour le battre et le poursuivre, l'épée dans le dos, jusque dans le
poste de lompul'·.
Samba Maram Xay, le Jawrin Mbul, était également époux de la Lingeer Debo.
Il déclara nettement qu'il ne se battrait jamais contre sa femme. Celle-ci brava le damel
en lui faisant dire que les Geedj n'habiteraiwt que le Kayoor, que pour y habiler et y vivre
ils étaient désarmais prêts à faire couler le sang20•
·-.
Majojo destitua alors Samba Maram Xay et Majoor Majigeen Jaan Jawriri Mbul
des esclaves. Ils se rallièrent à Lat-Joor non sans faire comprendre à Majojo que ni le
gouverneur ni Flize, le directeur des affaires indigènes, ne pourraient plus le maintenir
sur le trÔne du Kayoor21 .
i,
La guerre était inévitable. Les Gl~ej mobilisaient leur!; troupes pour faire face à
,
t
cette éventualité. Samba Maram Xay s'établit à Njuki avec là plus grande partie des
contingents Jambur. Il demanda le soutien de Ceyacin roi du Bawol. Son projet était
de destituer Majojo avant L'interventiull du gouverneur22• La cavalerie de Lat-Joor avec
les esclaves de la couronne installa son camp à Sugeer. Le parti de Lat-joor était décidé
à vaincre ou à émigrer mais n'accepterait. plus de vivre sous l'autorité de Majojo23.
Jauréguiberry hésita à soutenir lVIajojo pour qui il n'avait aucune sympathie. Il
était persuadé que son maintien sur le trÔne ne résolvait pas le problème du Kayoor.
La destitution du damel risquant de se faire contre la France, le gouverneur proclama
à nouveau sa neutralité et laissa le sorl des armes décider de celui qui prendrait le
pouvoir. Il rappela à Saint-Louis la colonne qui se trouvait à Ganjool24.
Lat-Joor fit courir partout le bruit que le gouverneur avait lâché Majojo. Celui-ci
demanda des armes àSaint-Louis pour annihiler les méfaits de la propagande du clan
de lat-Joor. Il fit savoir à Jauréguiberry que le refus de lui fournir des armes entrainerait
la défection de la plupart des gens qui t'ltaient encore avec luj25.
Le nombre des partisans de Lut-Joor augmenta rapidement. Il promit des
récompenses à tous ceux qui le souter:'ail~nt. Pour faire de son parti le pÔle de ralliement
de tous ceux qui protestaient contre les traités, il leur fit savoir qu'aprés l'élimination de
Majojo son objectif primordial serait lagu.erre aux blancs" en vue «d'affranchir le Cayor
de toute intervention27...
A la veille de l'hivernage on évita il tout prix le déclenchement des hostilités qui
pourraient avoir un effet paralysant sur la production. Aussi Jauréguiberry s'avisa-t'il
de demander aux grands électeurs du Kayoor de se «réunir et de choisir un chef
capable de gouverner.. leur pays28. Le 'j.') .Juin Lat-Joar fut élu damel, bien qu'il ne fût pas
fi
' 1
244.
Faal par son père. Le gouverneur lui demanda de faire régner l'ordre, la justice et la
bonne harmonie entre tous29».
Majojo contesta l'élection de Lê.t-,Joor et adressa à Jauréguiberry une violente
protestation. Il lui fut répondu que sa propre faiblesse avait détruit son autorité. S'il
1
s'était résigné à rester neutre dans cette querelle c'est qu'il tenait à savoir quel était «le
voeu réel du Cayor, non pas des ivrognes, des gens qui parl~ntet qui ne se battent pas
sur le champ de bataille, qui fuient coml,le dernièrement à Coki; mais des hommes
courageux, sages, dignes d'être écol~~é530». Le gouverneur ajouta qu'il ne favorisait
pas plus Lat-joor que Majojo. Mais il reconnaitrait celui qui serait librement choisi pal
le pays et qui observerait les traités".
En Juillet 1862 Majojo attaqua Lat-Joor mais fut à nouveau battu. Il trouva refuge
dans les possessions françaises et Jauréguiberry l'engagea à fonder un village de
culture prés de KerJ2•
"
Le nouveau damel fut assez adroi~ pour ne prendre aucune mesure répressive
contre les partisans de Majojo.llforma son gouvernement en nommant Samba Maram
Xay Jawriri Mbul, Madegeen Laman Jamatil, Makodu Ndella Callaw Dembariaan,
Mutufa Guy Bar-Geet, Massamba Jawrlri Mbul des esclaves"". Son couronnement
n'eut lieu qu'en Novembre 1862 afin de dCl1ner à la cérémonie toute la solennité désirée.
Au lendemain de son succès, Lat-joor s'attacha à la réalisation de la partie de
son programme relative à la récupération des territoires enlevés au Kayoor depuis 1861.
Il essaya d'y parvenir par des moyens indirects. Tout en envoyant des protestations
d'amitié au gouverneur, il prenait dr::s mesures pour détacher de la France les
populations jusqu'alors dociles aux ordms du gouverneur. L'armée était réorganisée.
Pour éviter toute trahison des notables qui pourraient nouer des relations secrètes
avec les autorités de Saint-Louis, il intardit à tous les dignitaires du royaume de
fréquenter les endroits habités par les Blancs".
Il mit à profit l'hivernage qui condamnait les troupes du du gouverneur à
l'immobilité pour essayer de reprendm pied dans les territoires perdus. Il nomma un
nouveau chef appelé Farbadigeedj à la hJte du Jander. Cette province ne communi-
.
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'~',
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; . '
.
245
'/
quaitavec le Kayoorque par l'étroit pas~:age compris entre les dunes située au pied des
montagnes impraticables qui bordent la Tanma; et encore ce passage était-il couvert
pendant une bonne partie de l'année P?r le lit vaseux de la rivière. Le gué que suivaient
alors les voyageurs se trouvant à la hauteur du petit village de Mbidjem, assis sur une
petite éminence qui le mettaient àl'abri des inondations de làTanma. C'était le passage
[,
le plus fréquenté pour se rendre au Kayoor. C'est pour cette raison que Mbidjem fut
choisi pour abriter l'un des caravansl3rails. Il permettait d'arrêter facilement toute
tentative d'invasion du Jander par le Ka~!oor. Car la Tanma et les montagnes du Ndut
constituaient de véritables barrières naturelles"'.
La province du Jander s'étendait donc de la Tanma à Mbaw son gouverneur
portait le titre de de Farbadigeedj. Jadis .il résidait à Rufisque. Mais par suite du peu de
sécurité que lui inspirait la présence de:3 Français, il transféra le chef-lieu à Thor. Il ne
visitait la province qu'au moment des récoltes pour la collecte des tributs. Sous
l'autorité du Farbadigeedj étaient placé~ des Jaraf qui commandaient des cantonsJO•
C'est le titre de Farbadigeedj aboli au lendemain de l'annexion du Jander en 1861
que Lat.Joor rétablit en 1862. Ce damel Eavait que les anciens chefs n'approuvaient pas
les mesures imposés par le gouverneur. Elles réduisaient notablement leurs revenus.
Ces victimes de l'ordre établi voyaient al/ec déplaisir la pré()ence des Français dans le
Jander. Certains chefs comme ceux de Ngorom ou de Mbijem ne cachaient guère leur
hostilité vis àvis de l'autorité française et n'attendaient qu'une occasion favorable pour
tenter de reconquérir leur indépendancI3J7.
Lat-Joar dépêcha de nombreux ilmissaires pour renouer les contacts avec los
anciens chefs du pays en leur promEttant de leur restituer la plénitude de leurs
prérogatives. Pinet- Laprade brandit la n·'enace de sanctions sévères contre ceux qui
~c(..\\.\\tA~·v4-
~ les messagers du damelJ6• Peine perdue, car le Jander était traversé par
des influence favorables à Lat-Joor. CEda ne doit pas surprendre car au temps des
damel, les chefs exerçaient une autorité presque absolue sur leurs administrés. Outre
la part qui leur revenait de droit sur les impôts, il ne faisaient pas faute d'empocher la
quasi totalité des amendes qu'ils infligeaient aux prévenus lors des procès. C'est pour
cela qu'aprés quelques mois de présence française ils commençèrent à regretter le
«bon vieux temps», Cette hostilité commença à prendre "allure d'un mouvement
concerté, d'une révolte organisée à la faveur de la propagande des émissaires de Lat-
joor, Ce dernier chargea Farat Ndut de coordonner le mouvement dans le Jander, cie
donner "assurance à Jogomay chef de Ngorom et cerveau de la résistance que les
troupes du Kajoor entreraient dans le J;nder dès le déclen6hement du soulèvement
1
Du reste il avait déjà nommé Moussa Gaye Farbadigeedj pour leur prouver qu'il
n'attendait que leur signal pour procéder à la reconquête du Jander"9,
Lat-joor fit piller les villages limitrophes du Jander, compris entre Ta'lba et la
Tanma et dont les habitants sollicitaient la protection de la France, JauréguibelTY
comprit que Lat-joor n'avait rien sacrifié d~ son programme qu'il chercha à réaliser
avec un entêtement farouche. Il fit publier partout que Lat-Joor n'avait été reconnu
comme damel qu'à la condition expresse de se «montrer scrupuleusement fidèle aux
traités qui liaient le Kajoor à la France'O, ~Tout acte opposé à ces traités.. , amenera un
1
_
châtiment immédiat et s'il y a lieu un changement complet de gouvernement au Kayoor.
Il faut que les tiédos se soumettent ou abandonnent le pays, Nous ne voulons pas de
conquêtes mais nous luttons contre le désordre préjudiciable à la prospérité de la
Sénégambie"», Toutefois il commanda aux populations de Ta'iba et du Njambur qui
désiraient devenir des sujets français de continuer comme par le passé d'obéir au
damel et de lui payer tribut. Le gouverneur était confronté au tenace problème du Futa
dont l'Almamy AlraAmadu Cerno s'était avancé à la tête de son armée jusqu'au village
de Bokol avec l'intention de reconquérir le Toro et le Dimar annexés en 1860. Ce
mouvement, s'il n'était rapidement circonscrit, risquait de remettre en cause tous les
acquis politiques obtenus par la France dans le Trarza et le Walo depuis 1858"', Dès lors
la priorité était fixée et le gouverneur', refusant d'ouvrir un second frond contre le
Kayoor, conseilla la modération aux gen~; de Talba et du Njambur43, Lat-joor n'eut cure
de ces menaces du gouverneur et poursuivit avec application l'accomplissement cie
sa tâche qu'il pensait salutaire à l'avenir de son pays, La sévérité des mesures prises
contre les chefs contestataires les rar:lena à la soumission, Le Sarioxoor se tint
tranquille", aussi que le pays Ndut et le Ta'lba45,
Lat-Joor fit de Nguiguis sa caplt~le: Le pays connut une relative tranquililé. Les
raids de pillage cessèrent car les con1estataires s'étaient soumis au pouvoir. Toutes
les couches de la société semblèren: se trouver confondues dans une commune
soumission à l'autorité de Lat-Joor. Er\\':lJIars 1863 le Jander bien travaillé par ses agents
se souleva contre "autorité française'~
;
Parmi tous les chefs du Jand':!rle plus touché par "annexion était Jogomay de
Ngorom. Avant 1861 son village était lo,point central où se réunissaient les agents du
faradigeedj chargé de la collecte d,,' l'impôt. Ce qui, évidemment, lui procurait
d'importantes ressources et beaucoup de considération. Le système administratif mis
en place au lendemain de l'annexion 11~!sait les intérêts des chefs qui n'avaient plus la
possibilité de spolier leurs administrés. Ceux-ci ne tardèrent pas àfaire bon marché de
l'autorité traditionnelle. C'est pour C8S raisons que Jogomay, bien stylé par Lat-Joor
décida de se soulever.
~
Jogomay nourissait une vive ·;nimosité contre les Français{lébergeait comme
par le passé l'oncle de Faradigeedy et ses Ceddo venus pour collecter les impôts dus
au damel. Il signifia au commandant du poste de Mbidjem que les Français n'avaient
\\
''I(
rien à voir dans son village et ne pouv;Jient rien y faire. Il était ~en cela par le chef
de Mbidjem. L'attitude de ces deux chers n'était pas isolée..Par une inertie bien calculéo
les autres chefs refusèrent d'adhérer ~;incerement au nouveau régime'6•
En Février 1863 Jogomay do"na asile à un voleur de profession qui venait de
s'emparer de 25 boeufs au village de 'l'off. Un autre habitant de Ngorom, MandiayeTut
enleva quatre boeufs au village de Jander-y-Geej et refusa de les rendre, Quelques
jours plus tard un voyageur fut dévali~;é par les habitants de Ngorom47• Le 6 Mars 1863
le commandant du poste de Mbidjem 31~ présenta àNgorom pour faire le recencement
de la population. Il réclama le concou:s de Jogomay qui lui retorqua fièrement qu'il
ignorait le nom des habitants'6• Le 14 Mnrs Jogomayconvoqua une réunion de tous les
principaux chefs du Jander pour leur laire part de la proposition de Lat-Joar de se
soulever contre l'autorité française. II~' lut décidé qu'avant de déclencher les hostilités,
on exciterait d'abord les populations à ne reconnaitre plus ('autorité française. Les
villages qui ne se plieraient pas aux conseils de désobéissance seraient duremenl
: - .!
248
châtiés. Ainsi, en faisant régner dans (oÙt le Jander une atmosphère d'insécurité et
d'insoumission on contraindrait à brève,échéance les français à l'abandonne!'"".
Malgré l'expédition du Futa qui occ:upa~ le gouverneur depuis Janvier 1863 Pinet-
Laprade décida d'intervenir. Les vols qui se commettaient sur les gens qui passaient
1
la nuit à Ngorom, les boeufs enlevés aux villages considérés comme trop soumis à la
,.
i
France, les sympathies que Jogomay et ses amis affichaient pour l'ancien état de
choses et l'intention manifeste de se soustraire, au besoin par la force, à la domination
française étaient pour Pinet-Laprade, des actes qui, s'ils n'étaient pas réprimés, se
perpétueraient et trouveraient des imitateurs" dans certains autres villagesso. Il fut
décidé par le gouverneur qu'un châtiment exemplaire serait administré à Jogomay et
à ses amis. L'autorité française ne crai\\lnaitpas de conflit généralisé. Lat-Joor était
paralisé par un problème intérieur et les badolo qui formaient la grande majorité de la
population, affranchis du pillage des CE.ddo par la France, n'accorderaient pas leur
,
.
soutien aux révoltés dont le triomphe eClt signifié le retour pur et simple à l'autoritarisme
sans limite des chefs51 •
Sous le commandement de Pinet-Laprade une colonne de 200 hommes partit
de Gorée le 14 Mars 1863 pour arrêter .Jogomay. Le 17 au matin le quartier de Ngorom
habité par le notable fut cerné. Les femmes etle!i enfants sÇlrtirent du village selon les
dires du chef de la colonne. Malgré l'effet de surprise les habitants essayèrent
d'organiser la résitance. Jogomay fit connaitre par la voix de son fils qu'il ne se rendrait
pas à la convocation de Pinet-Laprade. Les hommes du village prirent leurs armes5'.
Le griot s'empara du tam-tam sonne' l'alerte et transmit par la même occasion le
message aux villages environnants. Devant la détermination de cette population qui
entendait s'opposer par la force à l'arrestation de son chef, Pinet-Laprade décida de
recourir aux armes. Sous le prétexte qUlJ l'engagement de ses troupes dans les rues
étroites et tortueuses de Ngorom aurait donné l'avantage aux guerriers de jogomay,
il ordonna de mettre le feu aux cases et d'attendre la sortie des défenseurs pour les
attaquer. A leur sortie de cette fournaise ils se ruèrent sur la place occupée par les
tirailleurs où s'engagea une atroce lutte en corps à corps. Jogomay et ses hommes
refusèrent de se rendre et préfèrenlmo:.Jrir dans les cases en flammes que de subir
l'humiliation de la prison. Presque tous les défenseurs du village tombèrent les armes
à la mainSJ•
L'expédition de Ngorom rétablit momentanément l'ordre dans le Jander mais ne
fit que creuser encore davantage le fossé qui séparait les partisans de Lat-Joar des
i
autorités de Saint-Louis. Les rares survivants furent condamnés à payer de lourdes
,
amendes prononcées par Pinet-Laprade"'. Lat-Joor'ne putrien entreprendre en raison
de la soudaineté de l'attaque et du bit qu'il devait faire face à une sérieuse crise
politique
LES INTRIGUES DE SAMBA MARAM XAY
Samba Maram Xay, époux de Lingeer Debo voulait en effet écarter Lat-Joar du
pouvoir car il ne le trouvait pas mallé<lIJ(e à son gré, Enlui apportant son soutien contre
Majojo, il espérait monopoliser la réalilo du pouvoir en raison du jeune âge du damel.
Aprés la destitution de Majojo, il continua à entretenir avec lui de solides relations
comme s'il voulait montrer à Lat-Joar qu'un renversement des alliances était possible.
Ces ruses de Jawriri Mbul n'eurent aucune prise sur le jeune damel qui trouva un appui
sans faille auprés des esclaves de la couronne comme Meissa Mbaye et Sangono Joor
Sali qui firent échec à touiPses~. ~urieux)le ~awriri Mbul somma alors le
damel d'exiler ces Ceddo pillards qui ;ui portaient ombrage et dont la conduite troublait
la tranquillité du pays. Devant le refus (je Lat-joor il essaya de créer un parti en faveur
de Amady Fall âgé de quatre à cinq ans55•
Cette manoeuvre n'avait d'autre but que de rappeler à Lat-joor que son pouvoir
était une usurpation, dans le meilleur des cas une régence, parce qu'il n'était pas de
patronyme Faal. L'enfant qu'il voulait faire élire était fils de Lingeer Debo et de Ceyasin
Ngoné Degeen Teeri du Bawol. Si donc son fils adoptif était élu, il assumerait la régence
avec la bénédiction de sa femme L','geer Débo.
Samba Maram Xay, réussit èans un premier temps du moins, à obtenir
l'assentiment de certains Grands Electeurs à son projet. Ceux-ci supportaient mal la
trop grande influence qu'exerçaient les esclaves' de la couronne dans les décisions du
damel qui, à ses yeux, n'était qu'un jo.liet entre leurs mains56• Samba Maram Xay,
.",d
Laman Jamati!J30talup Njob regroupèrent leurs forces à Jamatil avec l'intention d'élire
Amady Fall au poste de dame!. Les esclaves de la couronne jurèrent fidélité à Lat-joor
et se dirent prêts à infliger à l'autre clan une défaite dont il ne se releverait jamaiss".
1
Samba Maram Xay avait fait croire aux gens du Kayoor qu'i1:a9issait de concert avec
le gouverneur. Peut-être lui avait-on fait savoir que Jauréguiberry était remplacé par
Faidherbe et que ce dernier rétablirait Majojo sur le trône du Kayoor.
Quoiqu'il en fût, Lat-Joor prit des mesures punitives contre les partisans de
Majojo, de Samba Maram Xay et tous' ceux qui avaient des sympathies pour les
autorités françaises. Ainsi les villages qui :;;e trouvaient le long de la ligne télégraphique
ont été soumis à de violentes actions de pillage58• Pour neutraliser Samba Maram Xay
il dirigea sur levillage de Ngana Sali, Lingeer Debo, les femmes et les enfants. Ils étaient
'1
sous la protection directe des esclaves dE' la couronne. Il interdit la sortie des denrées
\\-
~~C\\.~'~'_-e,.. ~\\ 't'<
du Kayoor. Aprés avoir regroupé ses guerriers à Nguiguis, il ~_, les
Français se préparaient à prendre ce qui restait du KayoorS9• Le damel ne s'était pas
trompé. Car dès le départ de Jauréguiberry, Pinet-Laprade assumant l'intérim se livra
à une critique acerbe du successeur de Faidherbe et préconisa la restauration de
Majojo.
Pour Pinet-Laprade, la neutralité de Jauréguiberry qui permit l'élection de Lat-
Joor avait livré ce pays aux tiraillements oas partis. Si le gouvernement avait franche-
ment soutenu Majojo, personne n'aur3it songé à s'élever contre la prépondérance
française acquise grâce aux succès militaires. Majojo eût cédé forcément aux direc-
tives du Gouverneur. Mais Jauréguiberry préféra prendre le contre pied de la politique
initiée par Faidherbe. Il en résulta une attlmosphère d'insécurité. «Ce fut un pays en
arrière et depuis cette époque le Cayor, malgré les protestation les plus vives que nous
fait Bar-guet, se trouve quant àla tranquillité intérieure dans la même situation qu'avant
l'expédition de 1861... La partie centrale du Cayor occupée en grande partie par les
tiédos se trouve divisée entre les partisam: de Lat-Joor et de Majojo. Cet état de chose
me parait favorable au démembrement du Cayor qui est le but de notre politiqueGO». En
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d'autres termes Pinet-Laprade préconisait le remplacement de Lat-Joor par Majojo
plus docile et prêt à tous les abandons. Du reste Faidherbe ne pouvait pardonner à
Jauréguiberry d'avoir désavoué sa politique et de lui avoir imputer des erreurs qui, à
ses yeux, n'étaient dues qu'à son ignorance des problèmes du pays.
i
Dès son retour au Sénégal le 14 Juillet 1863 Faidherbe travailla au rétablissement
•
1
du statu quo, c'est à dire au retour de Majojo sur le trône du Kayoor. Il était convaincu
que Lat-Joor ne s'inclinerait jamais devant le démembrement de son pays, qu'il ne se
courbait que pour gagner le temps nécessaire à l'organisation de ses forces. Au mois
d'Août Faidherbe commença à recencer les griefs contre le damel pour justifier à priori
une nouvelle invasion du Kayoor. Sou:; son régne, lui écrit-il, le pays était livré aux
violences des bandes de voleurs. L'ins~curite était générale. Les maures avaient toute
latitude pour y venir «piller, voler, assassiner.. des innoncents. Le gouverneur termina
en affirmant qu'il établirait de gré ou de force un régime capable de protéger les
paisibles travailleurs6 ' ,
C'est avec la même virulence dans les termes qu'il présenta en Août la situation
du Kayoor au ministre en insistant sur la 'lécessité de mettre immédiatement un terme
aux brigandages et au désordre. Ses pl'Opositions furent approuvées par la dépêche
ministérielle du 22 Octobre 186362• Dès Novembre, époqu~ marquant la fin des travaux
champêtres, Faidherbe adressa une proclamation aux «honnêtes gens du Kayoor..
pour leur dire que le «régne des tiédœ; voleurs, amis et associés des Maures Hassan..
était fini dans le Kayoor comme dans le Walo63•
Faidherbe sous estimait de toute évidence la force de Lat-Joar qui pendant un
an avait consacré une grande partie cie ses ressources à la consolidation de son
autorité. Les postes de responsabilité~. les plus importants furent confiés soit à ses
alliés libres soit aux esclaves Geej. Méllgré les luttes intestines qui pendant longtemps
avaient dévoré les populations du Kayom, les chefs étaient décidés à soutenir une lutte
désespérée pour empêcher la désintégration de leur patrie, Même Samba Maram qui
avait intrigué pour destituer Lat-joor ~u dépêcha de dire à Faidherbe que Majojo él8il
incapable de se maintenir sur le trône. Son armée n'était composée que de gOIl~;
.....
fi
252
pauvres qui à la première attaque cli~r"Ëheraiei1t refuge sous le canon du poste de
Ndand. En revanche Lat-Joor avait beaucoup de monde des troupes aguerries et une
juste cause64 •
Malgré cet avertissement, Faidherbe envahit le Kayoor le 23 Novembre 1863
!
avec l'intention de restaurer Majojo et de créer des postes militaires au coeur même
!
du Kayoor. Un crédit de30000 francs f.'ail accordé pour l'occupation du posle de Kecs
et un autre de 70000 francs pour établir trois autres postes dans l'intérieur du Kayoor"o.
Le gouverneur fit construire un fort à Nglliguis «point, qui par sa position, au centre du
Cayor et son importance politique», paraissait remplir «mieux que Ndand les condi-
tions voulues pour rendre notre occupc:tion fructueuse» ..
A l'approche de la colone de Faidherbe, Lat-joor battit en retraite et trouva
refuge au Bawol avec ses esclaves et quelques Jambur du Kayoor"". En présence de
cette émigration interprétée abusivemEnt comme une renonciation au pouvoir par Lat-
Joor, le gouverneur reconnut à nouveaL, pour roi du Kayoor Majojo et lui fit signer le 4
Décembre 1863 un traité dont les clauses'étaient plus draconiennes que celles de 1861.
En effet· les provinces du Njambur, du Mbawor, de l'Andal et du Sanoxoor furent
séparées du Kayoor et annexées aux possessions françaises67•
Faidherbe chargea le lieutenant Colonel Pinet-Laprade de consolider l'autorité
de Majojo et de vaincre les dernières résistances que le parti de Lat-joor opposait à la
réalisation du programme du gouve·:IIEiur. Il devait à tout prix expulser Lat-joor du
KayOO".
Pinet-Laprade avait sous son commandement 600 hommes de troupes régu-
lières, 100 volontaires de Gorée, 150 peuls de Saint-Louis et les armées de Majojo et de
Tanor Fatim Jeng du Jolof soit un ensemble 500 cavaliers et 1500 fantassins. Lat-Joor
quitta le Geet et prit la direction du Bawol où il entendait mettre en sûreté sa famille
auprés du Baye Bayaar Penda Coro. Lé'.t-joor bivouaqua à Ndari qu'il abandonna à
l'approche de la colonne de Pinet-LapracJe. Les partisans de Majojo et de Tanor Fatim
Jeng ramassèrent quelques boeufs rest!is en arrière, et s'avancèrent assez loin pour
jeter l'alarme au milieu des femmes et d8s enfants qui formaient l'arrière garde. Il se
'., ~ ..
253
décida à combattre pour leur permettre de se mettre à l'abri. Par une violente attaque
il sema le désarroi dans l'avant garde ennemi. Il poursuivit les assaillants jusque devant
,_ ,cil"':,'
le camp de Pinet-Laprade. Le com.)"t s'engagea avec impétuosité. Lat-joor décrocha
devant la supériorité de l'armement ennemi68• Ses pertes furent insignifiantes. Aux
dires de Pinet-Iaprade il ne perdit que 15 chevaux"'.
L'armée de Lat-Joor se scinda en plusieurs colonnes pour faciliter sa retraite
Quelques contingents prirent la direclion de l'Est, Lingeer partit pour le Bawol, Lat-joor
et les esclaves de la couronne allèrent à l'Ouest. Samba Maram Xay abandonna Lat-
joor et alla à Njuki et à Xawlu où il fit sa soumission à Majojo. La colonne, dans
l'impossibilité de poursuivre une armée fractionnée en petites unités trés mobiles,
rentra à Ngigis le 14 Décembre 186<1. Pinet-Laprade rentra à Gorée non sans avoir
recueilli en cours de route la soumission des chefs du Sarioxoor dont la province venait
d'être annexée70•
'!
Les travaux du poste de NgiOis étaient terminé~râce à la diligence du capitaine
Lorans. Appuyée sur ce poste, l'autorité de Majojo serait peut-être à l'abri" de toule
attente sérieuse de la part» des guerriers qui suivaient Lat-Joor".
Ce dernier avait fait le vide devant la colonne envoyée contre lui par le
gouverneur. Il ne désespérait pas encore de trouver un compromis avec lui, rnLlis il
prenait aussi la précaution de mettre cn lieu sûr ses biens et sa famille. Il refusa de sa
résigner à la situation que Faidherbe v:)ulaitimposer à sa patrie. Il tint pour lâcheté toute
soumission à cette politique de démembrement de son pays. Il revint au Kayoor invita
les populations à briser la servitude qu'on infligeait à leur pays. Il demanda à tous les
chefs de mobiliser les hâches de leurs circonscriptions pour démolir le fort de Ngigis,
construit dans sa capitale et qui symbolisait même l'humiliation du pays. Il mit en place
un réseau efficace d'espions pour fournir sur son compte des renseignement erronnés
aux autorités françaises". Il rendit visite aux chefs qui étaient résolus à se battre à ses
cOtés. Il visita le Geet sa province natéde. De là il partit pour le Njambur le 24 Décembre
1863 où il était sûr de trouver un appui ;;omme en 1862 contre Majojo. Faidherbe pensa
annihiler les effets de la propagande de Lat-joor en envoyant une petite colonne
d'observation à Koki sous le commanl'ement de Flize Directeur des Affaires Indigènes.
Ùll-joor qui imprimait il ses déplacemcnts une grande mobilité, sortit (lu NjmlllJur, fi:
~, ~
courir le l.1ruit qu'il n'en voulait qu'à M<ljOjO et se dirigea sur Ngigis. Pinel-UJjlI';:lcle rc(~ul
. 1
l'orclre (10 mollre immédialernenlune colonne en route. La colonne de S;lilli-Ioui~;s' li):;
le cornrnandurncnt du cl le! cJe IJalaillon de Barolet se mil égéllement enlnélrche, ,lWle
l'clio cio Flize, ollesdovnionl prenclre Li.1Hoor et ses lroupes clans unetaLI el 1"'.: (Iùlllli<".
1..05 volontaires qui les accoll1pae)ll:Jienl seraionl Ifl(;iJ6:; dnn:; le pays PUI Ir pill," if,,;
villé'ÇJos CilJIIlour6s ficlèles nI_:JI-Joor'''.
/\\vanl cie so renclm à Ngigis Lal-,Joar avait pu mobiliser cl es forcos con:;id':'1 ,,-
bics dont nous n'ilvons pu chiffrer l'importanco. Il avait obtenu cles conlinC!OIII:; <Ill
Uawol sous le cOl1lmandement cie Coya~;in Tiuk". La plupart clos clignilairm.: (lIIU.,wul
ôlaiont do coeur el d'espril avoc Lat-Joor dont la défaite cnlraincraill'as"ervissollll)1I1
cie lour IX1YS <'J brève échéance.
LA VICTOIRE DE NGOLNGOL
A son arrivée à Ngolngol Lat-Dior y laissa le gros cie ses troupes IH ICI Il Iii
prondre des positions cie cOIllIJal. /\\ l;:llé'.o d'une pelile colonne il allallarccl<:r 1" p, \\:.i\\,
do Ngigis./\\ 18 vue du pOlit nombre qui entourait Lat-Joor, Ses elliloinis l'II (:<" lcll "'" il
Cjuïl avail été ab<.lnclonné de tous sos parlisans et que c'llinill'occasion (lu lui dU11I1l '1'
10 coup do gr6ce. Majojoot Samba Maralll X8Y persuaclèronl810rs Lorans, Il" Capil;,i, Il:
COlllmi:lncl;:lnl 10 poslo rio N~Jigis, qu'ils pouvilient laciiomuili bal/re Lat-jour :;ïllu:;
~lpplJyail. Lo 2:1 /)ôcellll)rulllG3 ;121louros clu n.alil' ils so nliront Oll roulo .;.Ia tôtn 1le
leurs (roupes!!;.
Lorans était sorti 8vec une compagnie de tirailleurs, un obusier et 8 canonniors,
25 spahis, 20 ouvriers suivis de M8jOjO do Samba Maran 1X8Y et de leurs honlllles. 1-',)1'
des marcllos et des conlro marclles Lal-Joor les conduisil il Ngolngol. /\\rrivés on co
lieu au petit malin aprés trois heures de marcha'o, On consoill8 à Lorans cie moUro 10
[ou aux pailles qui enlouraient le village/l. C'eslalors que Lat-Joar donna l'ordre d'ouvrir
le feu. Lorans se précita dans le village 'iuivi des spahis, et de (artillerie, Les gens cie
Majojo et cIe Samba Maram Xay pénétrèrent clans le village simullanél nent sur
plusieurs points. Aprés doux houres de combat, lorans «voyant qu'il était tombé dans
#
25.5
un piège ne reconnaissait plus ni les""Êlliés, ni les ennemis, chercha à se frayer un
chemin à travers cette fourmilière qui nous cernait de toutes part?8".
Les troupes de Lat-Joor étaienl donc plus nombreuses que ne le croyaient ses
ennemis. Au moment où ceux-ci coml~lfJncèrent à perdre du terrain, Lat-joor lâcha sa
\\
cavalerie qui, débordant par les ailes, les entoura complètement. Ce fut alors le
,
'.
massacre sans pitié de la colonne Lorans et des guerriers de Majojo et de Samba
Maram Xay. Des 169 hommes dont se composait la colonne Lorans, ne survécurent
que 18 spahis dont 7 bléssés, dont 2 ofiiciers, un docteurs et6 tirailleurs dont 3 bléssés.
Les pertes subies par les hommes du clamel furent également trés 10urdes79 .
Pour avoir voulu rétablir le statu-quo qu'il avait laissé en rentrant en France en
1861, et prouver en même temps que le désordre intervenu au Kayoor en son absence
n'était imputable qu'aux maladresses de Jauréguiberry, Faidherbe subit un grave
échec. Bien sûr que son long séjour au Sénégal le mettrait certes à même de connaiLre
à fond les affaires du pays, les aspiratians des populations et «de savoir sur quels
auxilliaires il pouvait compter"" pour réa:iser son programme. Mais il avait totalement
# fait abstraction du sentiment national des victimes de sa politique, qui devaient néces-
sairement réagir contre des mesures qui tendaient à frapper de nullité les institutions
de leur pays.
Devant l'ampleur du désastre, le gouverneur chercha un bouc émissaire qu'il
trouva en la personne de Samba Maraln Xay qu'il accusa de trahison. Pourtant des
témoignages sûrs comme ceux de Calaw Dembariaan et du fils de Majojo dirent que
les troupes de Samba Maram Xay s'étailmt trés bien battues8'. Comment, aprés avoir
trahi Majojo, Samba Maram Xay pouvait·i1 avoir la témérité de rester auprés du damel
jusqu'à Ngigis? La raison d'Etat supérielire à toutes les autres considérations exigeait
le sacrifice de cet homme qui avait eu le tord de naviguer, depuis 1856 entre le clan de
Majojo et celui de Lat-joor. Sur le rappc;r t de Flize qui soutint que ce chef et ses hommes
avaient tourné leurs armes contre la petite colonne et fait feu à bout portant sur elleB',
Samba Maram Xay fut arrêté et emprisonné à Gorée. Il se suicida immédiatement dans
sa cellule avec la ceinture de son pantalDn. Car selon une tradition fortement ancrée
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2 TC' A
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dans les esprits un garmi, ou un Jar,ùGr ne devait jamais accepter la souillure cIe la
prison perçu comme une nouvelle forme de servitude.
Ce désastre de Ngolngol eut pour le gouverneur de Saint-Louis des consé-
quences immédiates plus déplorables. La nouvelle d'une pareille défaite, la première
1
subie par Saint-Louis depuis la nomination de Faidherbe amplifiée par "ardente
,
,
1
éloquence des griots «pouvait réveille:- leurs sentiments hostiles, contenus par la
crainte, leurs espérances d'affranchisS8ment gardées au fond de leurs coeurs, une
prise d'armes générales était à craindre sur les deux rives du fleuve ... Dès lors il fallait
que cette nouvelle fût promptement suivie de celle d'un coup terrible frappé sur Lat-
Joor et les chefs qui suivaient sa fortune»63.
Lat-joor avait en effet ramassé les uniformes, les canons les armes individuelles
des soldats de Lorans pour en faire de~; trophées. Il en envoya comme cadeaux aux
différents rois du Bawol du Trarza, dU"Siin et du Salum, pour leur prouver que les
"
Français n'étaient pas invincibles et les inviter à se joindre à lui dans une solide alliance
~ en vue de les chasser de leurs royaumes. Les Blancs avaient été vaincus les
armes à la main, dans une bataille rangée, Leur prestige étaitfortement terni et Lat-Joor
pressa tous ceux qui avaient subi les humiliantes conditions des traités du gouverneur
de prendre exemple sur lui et de secoum le joug. Ils étaient en état de se libérer mais
,
.
pour ce faire il fallait encore oser"".
Pour annihiler les effets de ceet propagande, empêcher les velléités de
soulèvement de s'extérioriser, FaidherlJe donna aux troupes déjà dans le Kayoor
l'ordre de faire leur jonction à Ngigis. Pinot-Laprade qui en prit le commandement reçut
mission de «se mettre à poursuivre Lat-Joor à outrance, même dans le Baol» où il était
nécessaire d'intimider les chefs afin de les détacher complètement de sa cause.
Les troupes régulières de Pinel-Laprade étaient composées de 750 hommes
environ. Mai elles étaient secondées par 3000 volontaires du Walo, du Jolof de Saint-
Louis qui furent lancées dans le Kayoor. On peut facilement deviner les résultats d'une
telle mesure. «Semblables à ces nuées de sauterelles qui en quelques heures font lin
désert des champs les plus fertiles, Cil.; bandes de pillards semèrent partout sur leur
•
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25···
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passage la ruine, la désol~tion ~t la m6're On pe~t affimier que dès cette époque ces
contrées si riches et si peuplées furent ruinées pour une période de temps incalcula-
....... '1'""
.
La poursuite contre Lat-Joor commença le 3 Janvier. La famille de Lat-Joor était
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en sûreté au fond du Bawol avec Pend a Coro. Evitant d'attir~r la colonne française de
.
' 1
ce côté, il quitta la frontière du Bawol et partit avec son armée en direction du Nord dans
sa province natale du Geet. Dans ce sanctuaire il lui serait facile, par la persuation ou
par la terreur de soulever la province du Njambur nouvellement annexée dont les
populations musulmanes ne souhaitaient nullement vivre sous l'autorité d'un pouvoir
chrétien. Là il serait plus à même de nouer des contacts àvec le Trarza.86
La peur de voir se former, grâce à l'active diplomatie de Lat-Joor, une coalition
offensive et défensive des Etats de la SÉJnégambie contre le gouvernement de Saint-
Louis, amena Pinet-Laprade à rappeler "u teen du Bawol son ancienne amitié avec la
France et à ranimer ses espérance sur 1,1 Kayoor. " menaça cependant de ravager le
pays si ses Kangam se faisaient les alliés de Lat-Joor. S]
Pendant que Pinet-Iaprade négociait avec les autorités du Bawol, Lat-Joor
préparait ses positions de combat à Lom Les fantassins étaient blottis dérrière une
haie d'emphorbes qui «couronnaient II~s bords les plus avancées d'un plateau au
centre duquel se tenait Lat-Joor avec une forte réserve. De telle sorte que le vallon""»
que ses ennemi~evaient franchir était admirablement battu par sa mousqueterie. Sur
les ailes il avait disposé sa nombreuse cavalerie. Le choix des positions de Lat-Joor
«était judicieusement fait. Il n'aurait pas été désavoué par un militaire expérimentés9».
Lat-Joor entendait profiter de sa nombreuse cavalerie pour mettre en déroute les
volontaires, les pousser en désordre sur les troupes régulières et «profiter cie la
confusion occasionée par ce mouven;unl» pour faire subir à cette colonne un désaslre
pareil à celui de Ngolngol90•
Pinet-Laprade préféra utiliser l'artillerie dès le début du combat convaincu qu'à
400 mètres les projectiles des soldats de Lat-Joor n'atteindraient pas ses troupes. Mais
Lat-joor lança sur les flancs et les arrières de la colonne sa cavalerie qui fut contenue
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"fI
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par le feu des obusiers". Comprenant qu'il ne pouvait plus neutraliser l'artillerie
ennemie, Lat-Joor donna l'ordre à ses troupes de décrocher. Il entendait conserver
intactes ses forces pour ne les utiliser que s'il était sûr de la victoire. Pinet-Laprade
lança ses spahis et les volontaires contre les trainards. La cavalerie de Lat-Joor, dit le
commandant de la colonne «ne dut son ~;alut qu'à la rapidité~de ses chevaux"». Pinet-
i
Laprade fit incendier tous les villages de 18 région. Les volonta.ire.s ramassèrent un riche
butin. Ses pertes s'élevaient à trois volontaires tués, 23 soldats et 26 volontaires
blessés. Celles des troupes de Lat-Joor sont estimées sous sa plume à 30093 mais à
500 tués sous celle de Faidherbe94• On a I.me preuve de la grande licence des autorités
vis à vis de la vérité. Pinet-Laprade rendit compte à Faidherbe en disant que la «colonne
expéditionnaire a vengé ce matin de la maRière la plus écla~tante le massacre du 29
Décembre,
L'armée de lat-Joor est en déroute presque toute son infanterie a été écrasée,
"
Plus de 300 cadavres jalonnent la route par laquelle il s'est enfui... La colonne peut-être
fière de nos soldats et de ses enfants, tOLJS ont fait leur devoir. Ce succès l'un des plus
beaux, ajoute Pinet-Laprade, qui ait i1lustrt~» les armes françaises au Sénégal". De Lora
la colonne se rendit sur le champ de NgC'ilngol pour rendre les derniers honneurs aux
soldats français qui y avaient trouvé mort96• La plupart des victimes de Lora apparte-
naient aux troupes auxilliaires abattues, lorsque sous la pression de Lat-joor elles
,
faillirent semer le désordre dans le dispositif des troupes régulières. Sur la lancée de
ce succès Faidherbe bannit du Kayoor des chefs et des marabouts influents partisans
de Lat-Joor. Amadou Aminata de Kaki, son frère Moctar Bineta, Amadou Diop chef du
village de Merina Diop, Algal Gey chef de Maka, Tam Baye esclave des Geej et Veynde
Tai furent expulsés de leur pays pour un tamps illimité97• La tête de Meissa Mbaye chef
des esclaves de la couronne fut mise à prix pour 1000 francs'B,
Toutes ces mesures répressivE ~ traduisaient l'inquiétude qui hantait encore les
autorités coloniales. Elles savaient que l'insignifiante victoire de la bataille de Lora OlJ
Lat-joor avait pu conserver intactes se!; forces, ne vengeait qu'imparfaitement le
désastre de Ngolngol99• Les pillages et le~; destructions à l'actif de la colonne de Pinet-
Laprade étaient insuffisantes à détacher les populations de Lat-joor. Devant la
259
puissance des canons et des fusil~ elh3~; pouvaient faire une soumission de surface,
quittes à reprendre la lutte au moment opportun.
Par une nécessité politique fort compréhensible. Faidherbe et Pinet-Laprade
1
exagérèrent l'importance de leur victoire de Loro pour restaurer la docilité, ébranlée
des populations assujeties. Cette propagande et les sévères mesures répressives ou
de pillage qui l'accompagnaient n'affaiblil'ent nullement le prestige de Lat-Joor sur ses
partisans «et la confiance qu'ils avaient placés dans son intelligence et son audace'oo.
Dans ses affrontements avec les Françai, il avait acquis la certitude que le dévouement
sublime de ses guerriers, la ténacité de S'3S cavaliers étaient certes impuissants contre
l'artillerie ennemie qui disposait de fusil" plus performants que les mousquets, les
sagaies et les f1êches empoisonnées. Aussi en tira-t'Hia conclusion que tout combat
de type classique était exclu face à III supériorité de l'armement ennemi. Pour
conserver l'initiative des opérations, il jc.ua sur la mobilité de sa cavalerie fort légère
pour surprendre l'ennemi et le détruire. C'était la guérilla à outrance.
Il savait qu'il pouvait compter aussi sur deux alliés dont rien ne pouvait
neutraliser la vigueur. D'un c6té les rigu,aurs du climat qui condamnaient les troupes
de Saint-Louis à l'immobilité pendant l'hivernag~, leur imposaient les souffrances de
la chaleur et de la soif pendant la saison 3èche. De l'autre les maladies tropicales qui
décimaient les Européens et qui setrC"JVaient à l'état pour ainsi dire endémique dans
tous les Etats de la Sénégambie.
Aprés avoir essayé de faire de la partie orientale du Kayoor d'abord, du Bawol
et du Siin ensuite des bases d'opérations pour la guerilla qu'il était décidé à livrer aux
Français il alla finalement s'établir au Rip ou un marabout Tukul6r nommé Maba Jaxu
Ba venait de créer une théocratie musulmane. Fort du soutient de ce Marabout à qui
il apporta la force de sa nombreuse c:walerie, il put élargir le conflit qui l'opposait au
gouverneur iii Faidherbe, aux dimensions de la Sénégambie.
LAT-JooFi'EN EXIL AU RIP
260
..,'
Le départ de Lat-Joor pour le Rip donna un répit au gouverneur Faidherbe qui
en profita pour consolider les bases de sa domination au Kayoor. Il nomma prés de
Majojo un commissaire pour indiquer au damelles mesures qu'il devait prendre pour
rétablir la paix qui feule pouvait rendre la reprise des cultures et la réparation des
.dégats commis par les hommes de Lat-Joar mais surtout par l'ouragan dévastateur,
que furent les volontaires, lâché)sur le pays par les autorités de Saint-Iouis'o,. La
présence du commissaire du gouvernement donna à l'autorité de Majojo les apparen-
ces de la solidité. Mais personne n'était dupe de cette situation. On savait que le damel
retomberait «inévitablement dans la boisson et l'inertie,02>>. Le poste de Ngigis fut
maintenu pour protéger Majojo et empêcher le retour de Lat-joar'o3.
Dès le mois de Juillet 1864 les cavaliers de Lat-Joar commencèrent leurs
incursions contre le Kajoor où ils venaient chercher des vivres pour leurs partisans qui
les avaient suivis au Rip, où leur présence copieuse entraina une grande pénurie
alimentaire. Tout en demandant des contributions volontaires à leurs sympatisants du
Mbakol, du Geet et du Njambur,04, il ne se faisaient pas faute de piller les villages soumis
à Majojo et de menacer de représailles terribles tous ceux qui cultiveraient de
l'arachide. Ainsi ils poussèrent leurs raids jusque dans le Sanoxoor où ils s'emparèrent
de tous les biens et des captifs du nommé Ibra Seen chef du village de Mbaye'os.
Grâce à leur mobilité, et à la collaboration de leurs partisans les hommes de Lat-
Joor visitaient les provinces de leur choix réprimant les alliés de Majojo, distribuant des
encouragements à ceux qui restaient fidèles à leur cause. Le damel ne prit aucune
contre mesure. Sans l'appui des troupes régulières il n'osait pas s'éloigner de sa
capitale et on était en plein hivernage.
La terreur semée par les raids punitifs et de pillage empêchèrent les paysans
du Kayoar central de cultiver en toute sécurité leurs champs. Les récoltes furent
médiocres. Les populations connurent des lendemains douloureux.
261
A la veille de son départ définif du Sénégal, Faidherbe prit un parti définitif à
l'égard du Kayoor. En Février 1865 il jugea que cette situation économique catastro-
phique était uniquement due à la complète incapacité de ce chef qu'il avait placé là et
qui «n'était bon à rien et qui se livrait à toutes sortes d'excès"l6». Faidherbe le révoqua
définitivement et lui accorda avec l'hospitalité, dans les environs de Potu, une pension
viagère annuelle de 6000. Pour relever le pays de la situation déplorable où il était
tombé, il fallait, dit le gouverneur, une main plus puissante que celle de Majojo. A
compter du 4 Mars 18651e Kayoor était annexé à la colonie du Sénégal comme l'étaient
le Njambur le Jander, le Sanoxoor'07.
Cette partie centrale du Kayoor fut divisée en sept provinces dont les chefs ne
relevaient que de l'autorité du gouverneur, Le Mbul fut confié à Ceyasin Joor, le Gewul
à Maroso, le Geet à Maysa Kumba, le Mbakol à Omar Nan, le Dembanan à Njogu
Penda, le Kell compris dans le triangle formé par Kell, Belgoor et Jookul à Daw Kumba
Joor, Le Xatta à Yugo Faali. Cette province fut créée pour ne pas donner à celle du Mbul
une importance trop grande et pour faire droit au voeu des musulmans qui consti-
tuaient la quasi totalité de sa population,08.
Les esclaves de la couronne furent déclarés libres. Ils étaient libres de se fixer
dans les différentes provinces pour y ~ivre de leur travail. Furent supprimés les droits
perçus sur les produits du Kayoor à leur sortie de ce pays. Tous les habitants des
provinces étaient assujetis à l'impôt de capitation fixé à 1,50 francs. Les chefs (qui ne
savaient ni lire ni écrire) devaient dans les meilleurs délais dresser la liste des
contribuables'09. Le poste de Ngigis était évacué.
Pinet-Laprade fit une tournée pour présenter aux populations les chefs dési-
gnés et leur donner l'investiture symbolisée par un manteau vert. Ces mesures selon
Pinet-Laprade devaient apporter la prospérité dans le Kayoor central "0.
Pour une simple question d'amour propre, Faidherbe avait déclenché une
révolution qu'il ne put arrêter. Au lieu de faire un diagnostic sans complaisance des
résultats de sa politique au Kayoor, il préféra s'engager dans l'engrenage sans fin de
la force. Comment ceux qui se battaient contre les amputation du territoire de leur pays
...
pouvaient-ils accepter cette annexion? L'abolition de la monarchie facilitait davantage
la propagande de Lat-Joor. Pour l'immense majorité de la population qui était encore
païenne, le damel était le symbole de l'unité spirituelle du pays. L'abolition de la royauté
entrainerait nécessairement des calamitéjlue rien ne pourrait conjurer.
La nouvelle organisation administrative du Kayoor faisait de ce pays une proie
facile pour les guerriers de Lat-Joor. En effet aucune coordination n'existait entre les
différents chefs qui se défendaient individuellement s'ils étaient attaqués. Avec leurs
forces réunies ils n'étaient jamais parvenus à empêcher leurs courses dans le pays,
ce n'était pas avec des contingents squelettiques qu'ils les dissuaderaient de commet-
1
tre leurs dépradations. Le licenciement des captifs de la couronne faisait d'eux des
alliés potentiels de Lat-Joor. La désignation des chefs de province en dehors des
normes de la tradition ancestrale mais uniquement sur la base de leur docilité au
nouveau maître augmentait les motifs de mécontentement. Les victimes de l'ordre
nouveau ne pouvaient que s'incliner dev,mtles avances du parti de Lat-Joor dont l'un
des objectifs était la restauration monan;hique dans dans toute la plénitude de ses
prérogatives. Ainsi donc à la veille de son départ définif pour la France, Faidherbe avait
imposé au Kayoor une organisation administrative qui était de nature à exacerber le
puissant sentiment national des populations qu'elle espérait cependant neutraliser
pour maintenir dans la paix ce territoire annexé. Pinet-Laprade, qui lui succéda à la tête
de la colonie le 18 Avril 1865'" et qui «avait, plus peut-être que son prédécesseur, une
tendance marquée vers les idées d'orgélnisation et d'administration militaires"2», ne
tarda pas à se rendre compte que ce peuple qu'il croyait facile à soumettre à ses vues,
cachait une force de résistance qui lui permît de «soutenir les luttes les plus désespé-
rées et de déjouer les prévisions des "sprits les plus sagaces"J.,.
263
1- ANSOM Sénégal l, 46 A : Gouverneur au Ministre, 28 Mai 1861.
2- ANS 3 E 29 : Conseil d'administration, séance du 6 Juin 1861.
3- ANSOM Sénégal l, 47 B : Gouverneur par intérim au Ministre.
4- ANS 13 G 257 : Fagment de notice non signé situation politique, juin Octobre
1861.
5- ANS 13G 257: Ibidem.
6- ANS 13 G 270 pièce 20: Cdt poste de Mboro au gouverneur 18 Janvier 1862.
7- ANS 3 B 81 Folio 5: Jauréguiberry au Cdt de Gorée, 24 Janvier 1862.
8- ANS 13 G 260 pièce 20 : Bou El Mogdad au Gouverneur Lompoulle 24 janvier
1862.
9- ANS 13 G 269 pièce 2 : Bou El Mogdad au gouverneur Lompoul 24 Janvier
1861.
10- Annuaire du Sénégal et dépendance 1866, (pages 163-165)
11- Traité avec le damel Madiodio, 2 Février 1862, Ibidem, (page 221).
12- ANSOM Sénégal148 B: Jaureguibery au Ministre, 17 Janvier 1862.
13- ANSOM Sénégal 148 B : Jaureguibery au Ministre, 18 Avril 1862.
14- ANS 13 G 269 pièce 26: Bancal Cdt poste Lompul au gouverneur, 30 Mars
1862.
15- AN SOM Sénégal 148 B: Jaureguiberry au Ministre, Le 18 Avril 1862.
16-ldem, ibidem.
17-ldem, ibidem.
18-ldem, ibidem.
19-ANS 13 G 269 pièce 28: Bancal élU Gouverneur, Lompoulle 27 Avril 1862.
20- Idem, Ibidem.
21- A.N.S. 13 G 269 pièce 36: Madiodio à Flize, le 18 Mai 1862.
22- A.N.S. 13 G 269 pièce 45: Cdt Lompoul au directeur aHaires indigènes, 18 Mai
1862.
23- A.N.S. 13 G 269 pièce 39: Commilndant Lompoul au directeur des aHaires in-
digènes, 22 Mai 1862.
24- A.N.S. 3 B 81 Folio 73: Jaureguiberry à Laprade, 27 Mai 1862.
25- A.N.S. 13 G 269 pièce 52: Madiodio à Gouverneur, 2 Juin 1862.
26- A.N.S. 13 G 278 pièce 88: Commandant poste Mbidjem au Gouverneur, 5 Juin
1862.
27- A.N.S. 1 D 21 : Dorval à Laprade, 1'3 19 Juin 1862.
28- A.N.S. 3 B 91 Folio: Jauréguiberry aux Kaujam du Cayor, 7 Juin 1862.
29- A.N.S. 3 B 91 Folio 208 : Gouverlleur à Lat-Joor, 13 Juin 1862.
30- A.N.S. 3 B 91 Folio 1 : Jauréguiberry à Madiodio, 19 Juin 1862.
31- Idem, Ibidem.
32- Sénégal 148 B: Gouverneur au Ministre, 16 Juillet 1862.
33- A.N.S. 13 G 269 pièce 42: Bancal Commandant Lompoul au Gouverneur, Le
22 Juin 1862.
34- A.N.S. 13 G 278 pièce 100 : Commandant poste de Mbidjem à Laprade, le 23
Juillet 1862.
35- A.N.S. 5 D 3 pièce 8 Capitaine Vincent: Rapport de reconnaissance militaire, 15
Novembre 1860.
36- Pinet-Laprade: Notice sur les Sereeres.
37-ldem.
38- A.N.S. 1 D 22: Etat politique du pays en rapport avec force, Le 22 Août 1862.
39- A.N.S. 13 G 301 Folio: Laprade au Gouverneur, 21 Mars 1863.
40- A.N.S. 1 D 22: Etat politique du pays en rapport avec Gorée, 22 Août 1862.
41- A.N.S. 3 B 81 Folio 74: Jauréguiberry à Laprade, 27 Août 1862.
'.,.,., ..
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264
42- Sabatier P.: Op. cil., (page 108).
43- A.N.S. 3 B 81 : Jauréguiberry au Commandant de Gorée, 27 Décembre 1862.
44- A.N.S. 4 B 35 Folio 13 : Commandant de Gorée au Commandant Mbidjem, 2
Janvier 1863.
45- A.N.S. 13 G 278 pièce 149 : Commandant poste Mbidjem à Laprade, 6 Janvier
1863.
46- A.N.S. 13 G 278 pièce 10: Commandant de Mbidjem au gouverneur 1861.
47- A.N.S. 4 B 20 FF 77-78: Laprade à Jauréguiberry, 18 Février 1863.
48- Idem, ibidem.
49- A.N.S. 4 B 20 FF 36-37: Pinet Laprade au Gouverneur, 21 Mars 1863.
50- Idem, Ibidem.
51-Idem, Ibidem.
52- A.N.S. 13 G 299 FF 154 à 157 : Laprade au Gouverneur, 21 Mars 1863.
53- Idem, ibidem.
54- A.N.S. 13 G 301 Folio 16 : Laprade au Gouverneur, 21 Mars 1863.
55- A.N.S. 13 G 277 pièce 4: Derval Commandant de Mbidjem à Pinet-Laprade, 15
Mai 1863.
56- A.N.S. 13 G 269 pièce 63: Commandant Lampaul à Gouverneur, le 24 Mai
1863.
57-Idem, ibidem.
58- A.N.S. 13 G 269 Folio 64: Sergent Lampaul à Gouverneur, 31 Mai 1863.
59· A.N.S. 13 G 269 Folio 65: Sergent Lampaul à Gouverneur, 31 Mai 1863.
60- A.N.S. 13 G 301 Folio 66: Pinet-Laprade au ministre, 18 Juin 1863.
61- A.N.S. 3 B Q 4 Folio 5: Faidherbe à Lat-joor, le 19 Août 1863.
62- A.N.S. 1 B 83 Folio 415 : Challeloup Laubat à Faidherbe, 22 Octobre 1863.
63- A.N.S. 313 G 4 Folio 6: Faidherbe aux honnetes gens du Cayoor, 12 Novem-
bre 1863.
64- A.N.S. 1 D 26 : Lettre de Samba Maram Khay à Faidherbe (sans date).
65- A.N.S.O.M. Sénegall, 50 B : Faidherbe au ministre, 18 Décembre 1863.
66- A.N.S.O.M. Sénégal l, 50 B : Faidnerbe au Ministre, le 18 Décembre 1863.
67- A.N.S. 13 G 5 FF 9-10: Traité de Majojo et de Faidherbe, 4 Décembre 1863.
68- A.N.S. 1 D 24 dossier 4: Laprade à Faidherbe Mbijem, le 18 Décembre 1863.
69- A.N.S. 1 D 24 dossier 4 : Rapport de Pinet-laprade à Faidherbe, 18 décembre
1863.
70- A.N.S. 1 D 24 dossier 4: Rapport de Pinet-Laprade à Faidherbe, 18 Décembre
1863.
71-ldem.
72- A.N.S. 1 D 24: Faidherbe à Lorans, le 28 Décembre 1863, à la même date on
dit que Lat-Joar est à Dexële, et à Tivaeouane prés de Ganjol, voir Sugeer.
73- Idem, ibidem.
74- A.N.S. 1 D 24: Flize au gouverneur, 31 Décembre 1863.
75- A.N.S. 2 B 33 FF 107 à 109 : Faidherbe au ministre 22 Janvier 1864.
76- A.N.S. 1 D 26: Le maréchal des logis commandant le détachement des Spahis,
2 Janvier 1864.
77- A.N.S. 1 D 24 : Le chef de poste de Lampaul à gouverneur, 31 Décembre 1863.
78- A.N.S. 1 D 26: Le maréchal des Logis, 2 Janvier 1864.
79- A.N.S. 10 24 : Flize au Gouverneur, le 30 Décembre 1863
80- A.N.S. 1 B 83 folio 415: Le ministre au gouverneur, 22 Octobre 1863.
81- A.N.S. 1 D 24 : Le chef de poste de Lampaul au Gouverneur, 31 Décembre
1863.
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"'-~
82- A.N.S. : Flize au Gouverneur Faidh8rbe, 30 Décembre 1863.
83- Sénégal Il, 4 : Aube Capitaine dn frégate: mémoire sur le Sénégal 6 Août 1867.
84- A.N.S. 13 G 301 FF 124-128 : Laprade au Gouverneur, 16 Janvier 1864,
85- A.N.S. 2 B 33 FF 107 à 109 : Faidherbe au Ministre, 22 Janvier 1864,
86- A.N.S, 13 G 301 Folio 124-128: Pinet-Laprade au Gouverneur, le 16 Janvier
1864.
87- Idem, ibidem.
88- Idem, ibidem.
89- Idem, ibidem.
90- Idem, ibidem.
91- A.N.S. 13 G 301 FF 128-129 : Pinel-Iaprade à Faidherbe le 16 Janvier 1864.
, 92-ldem.
93-13 G 301 Ft 128-129 : Pinet- Laprade
94- Annuaire du Sénégal et dépendances: Journal des opérateurs de guerres au
Sénégal de 1861 à 1866, (page 173).
95- A.N.S. 1 D 26: Pinet-Laprade à Faidherbe, Le 12 Janvier 1864.
96- Idem, ibidem.
97- A.N.S. 3 E 31 FF 95-96: Séance du 27 Janvier 1864.
98- A.N.S. 1 D 24 : Flize au Gouverneur, le 12 Février 1864.
99- A.N.S.O.M. Sénégal Il, 4 : Aube: Mémoire sur le Sénégal, Le 6 Août 1867.
100-ldem, ibidem.
101- A.N.S. 1 D 24: Flize à Faidherbe, Le 12 Février 1864.
102- A.N.S. 13 G 271 pièce 5: Commandant poste de Ngiguis au Gouverneur, 1
Mai 1864.
103- A.N.S. Idem, Ibidem.
104- A.N.S. 1 D 25: Commandant de Gorée au Gouverneur, le 10 Juillet 1864.
105- A.N.S. 1 D 25: Commandant Gorée à Gouverneur, le 23 Juillet 1864.
106- A.N.S. 3 E 32: séance du 17 Février 1865, Folio 9
107- 13 G 29: Pinet-Laprade à Faidherbe Ngigis, le 7 Mars 1865, pièce 60.
108- Idem, ibidem: pièce 60.
109- A.N.S. 13 G 301 Folio 99: Pinet Laprade au Gouverneur, Nguiguis, le 5 Mars
1865.
110- A.N.S. 13 G 29 pièce 60: Pinet-Laprade au Gouverneur, 5 Mars 1865.
111- A.N.S. 3 B 89 Folio 1 : Pinet-Laprade prend les fonction de gouverneur par in-
térim, 18 Avril 1865.
112- Carrere: Op. cit.
113- A.N.S.O.M. Sénégal Il, 4: Aube: Mémoire sur le Sénégal, le 6 Août 1867.
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CHAPITRE III
266
LAT-JOOR ET MABA JALMAMY DU RIP 1864-1867
Après Laro, Lat-Joor avait été contraint de quitter le Kayoor pour aller à la
recherche d'une terre d'asile qui pût lui servir de base d'opérations pour la lutte qu'il
entendait prolonger contre ceux qui avaient fait main basse sur son pays. Le roi du Siin,
Kumba Ndoffen lui accorda pour un temps l'hospitalité mais dut se raviser sur les
protestations du commandant de Gorée. L'ancien damel fut invité à poursuivre son
chemin vers des cieux plus cléments.
Lat-Joor se rendit alors au Rip ou Badibu, auprés du marabout Maba Jaxu Ba
j
qui venait d'y créer une théocratie musulmane. Lat-Joor et ses gens acceptèrent la
seule condition mise par Maba à l'octroi de l'asile politique, à savoir la conversion à
l'islam. Par ce geste Lat-Joor renouait a'(ec cette religion que sa famille paternelle avait
embrassée depuis le début du XVIII' siècle. Son apostasie était récente et ne datait que
du règne de son frère utérin Birima Ngoné Latyr.
Ce séjour de Lat-Joor au Rip eut pour résultat la conjonction de forces qui,
jusqu'alors étaient antagonistes. Cette alliance entraina chez Lat-Joar la transposition
de son opposition politique au gouvernement de Saint-Louis sur le plan religieux, et
donna à son combat une dimension nouvelle qui lui appporta le ralliement des
nombreux musulmans dont le rêve avait toujours été de mettre un terme au règne des
Ceddo. Il ne s'agissait plus pour lui de, se battre seulement pour la reconquête du
pouvoir politique/mais d'agiter surtout l'épouvantail que la victoire des Français aurait
pour conséquence la christianisation des populations.
LA THEOCRATIE DU RIP
La région qui venait d'accueillir Lat-Joar était depuis quelques années une
véritable zone de turbulences. Les Manding qui farmaient l'aristocratie dirigeante du
Nomi, du Bad/bu, du Pakala, du Nani et du Wuli étaient en conflit ouvert avec les Tukular
et les Woloff. Les détenteurs de l'autorité politique étaient franchement païens.
L'emprise de l'islam sur eux était superiicielle, voire nulle. En revanche les wolof et les
!\\
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Tukulor faisaient profession de foi musulmane et supportaient mal les. caprices
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incohérents de leurs chefs ~ Ces Ceddo ou Soninké ne se souc!aient pas des
prescriptions coraniques. Les musulmans les détestaient et ne rêvaient que de
remplacer ce système despotique par un gouvernement islamique qui serait respec-
tueux de la justice et de la dignité des hommes '.
Ce déclin des autorités traditionnelles était accentué par la présence des
Anglais et des Français qui leur disputaient l'hégémonie. Les britanniques comme les
Français avaient tendance à recourir à la force pour réprimer les pillages dont étaient
victim~leurs traitants établis dans le secteur. Ils n'hésitaient pas à diminuer, voire à
supprimer les coutumes qui formaient la principale source de revenus des chefs
locaux. C'était la fin de leur prépondérance politique d'autant plus que l'islam était
devenu le pôle vers lequel convergèrent toutes les forces qui souhaitaient un change-
ment radical dans cette société. Cette division de la société en païens, Soninl<é,
membre de l'aristocratie dirigeante et en musulmans dans une position infériorisée,
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exclus des hautes charges de l'Etat )<;levait ~ déboucher sur des
affrontements sanglants. La différence du genre de vie s'était traduite par une
ségrégation dans les habitations, Les musulmans préférèrent s'établir en des endroits
éloignés de ceux des chefs mais néanmoins proches du fleuve Gambie pour faciliter
l'exportation de leurs récoltes arachidières. Là ils essayaient de mener une exitence
conforme aux prescriptions de la loi coranique2 . Ils attendaient l'occasion favorable
pour allumer le flambeau de la révolution religieuse.
Cette opportunité leur fut donnée par le conflit entre les autorit~britanniques de
Bathurst et cell~du Badibu. En Septembre 1859 Bathurst reçut de nombreuses
plaintes des marchands anglais contre le roi du Bad/bu Jereba Marone dont les agents
parcouraient le pays pour exploiter les populations surtout les musulmans qui s'étaient
enrichis grâce à la culture arachidière. _
En 1860 D'Arcy, le gouverneur de Bathurst, remonta le fleuve pour aller
négocier un accord avec Jereba Marane afin de mieux assurer la protection du
commerce britannique dans ce pays. Selon la convention Jereba fut désormais
considéré comme responsable de la sécurité des biens et des personnes des traitants
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anglais. Malgré cet accord les pillages continuèrent et le roi Jereba Marone refusa de
dédommager les traitants qui en furent les victimes. Aprés avoir constaté l'inéfficacité
du blocus du Badibu, d'Arcy recourut à une expédition punitive3 • Le 21 Février 1861
le port de Suwarekunda était bombardé puis ce fut un sanglant corps à corps. Mais~_
0J"'{l IM-II
~
peur de détruire ce pays, terre par excellence d'arachide,! d'Arcy~négoci&favec
quelques chefs locaux et leur imposa un traité aux termes duquel le gouverneur anglais
serait l'arbitre dans les litiges qui opposeraient désormais les chefs du Badibu aux
traitants de Bathurst. En outre le roi du Badibu était condamné à payer, comme
compensation aux dommages subis pm les sujets anglais 100 livres Sterling, 400têtes
de bétail, 15000 mesures de commerce d'arachides. Des otages furent pris en garantie
du paiement de l'amende. Devant les risques d'affrontements entre Soninké et les
marabouts qui refusaient de payer leur part dans l'amende, D'Arcy libéra les âtages
et réduisit dans de fortes proportions, l'amende'.
Cette tension entre les deux groupes avait été exacerbée par l'attitude qu'avait
prise Maba Jaxu lors de l'attaque du Badibu par D'Arcy. Le lendemain du bombarde-
ment de Suwarekunda, Maba avait Wis contact avec d'Arcy pour lui dire qu'il se
désolidariserait d'avec les chefs du Badibu si le Gouverneur acceptait d'épargner les
membres de la communauté musulmane. Quelles que fussent les raisons qu'il invoqua
pour justifier cette attitude, le roi Jereba IlAarone ne pouvait la considérer que comme
de la trahison. Pour Maba l'heure du soulèvement avait sonné. Il se rendit à Bathurst
pour acheter des armes et des munitions"'
A son retoUjla guerre Sainte commença à la suite d'une mesure de Jereba
Marone, décidé à infliger à Maba une sévère sanction. Selon la tradition orale recueillie
par Abdou Buri Ba, Jereba avait chargé un de ses fils d'aller assassiner Maba, mais ce
dernier ivre exposa publiquement le prejet et c'est lui qui fut mis à mort. Une autre
version dit que le prince Majaxeer avait non seulement ravi à un maître d'école
coranique Mamour Saxoo sa femme qu'il estima trop belle pour un musulman, mais
encore avait eu le cynisme de faire supporter par la communauté musulmane les frais
des festivités, Maba à la tête de ses coreligionnaires se rendit à Passy-Xur où ils tuèrent
Majaxeer. C'était le déclenchement du Jihad,
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Maba Jaxu, l'initiateur de cette guerre sainte naquit vers 1809 au Badibu. Son
grand père Ibrahima Ba était originaire du Bossea. Il avait participé à l'islamisation du
JoJof. Pour des raisons que nous ignorons Njugo Ba, fils de Ibrahima quitta le Jolof pour
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le Rip où il fonda le village de Tawa. Sa réputation de sagesse et de piété fit le tour de
la région et lui attira de nombreux adeptes. Njugu créa alors d'autres villages comme
Yassi Ruba et Médina Ba. C'est dans cette ambiance de ferveur religieuse que Maba
vit le jour. A l'âge de sept ans il l'envoya apprendre le Coran au Kayoor auprés du
marabout Momar Mbaye de Longor. Il y resta jusquà l'âge de vingt ans. De là il partit
pour le Jolof où il épousa Maty Ndiaye nièce du roi du Jolo!. Il retourna ensuite au
Badibu pour prendre le commandement de la famille laissé vacant par la mort de son
père6.
Vers 1850 Maba reçut la visite de El Hadj Omar qui l'initia à la confrérie Tijane
et l'investit comme son représentant cians la région. Cette Tariqa avait la particularité
d'enseigner que des musulmans ne doivent accepter de vivre que sous une autorité
musulmane. Ce principe donna à la force de Maba une grande capacité de mobilisa-
tion dans la défense de la foi.
Aprés le succés de Passy-Xur, les forces maraboutiques parcoururent le
Badibu en laissant derrière elles un paysage de ruines et de désolation. Tous les
villages dont les habitants avaient refusé de se convertir furent livrés aux flammes. Le
roi fut exécuté. Se sentant incapable de faire face à cette force dévastatrice, l'aristo-
cratie du Badibu abandonna sa patrie ilour aller se réfugier soit sur la rive gauche de
la Gambie, soit à Bathurst soit au Salum.
Au spectacle des victoires des marabouts du Badibu, les musulmans qui se
trouvaient dans les autres Etats païens je la région se soulevèrent et demandèrent
secours à Maba. Ce fut le cas du N,)rni que Maba ne put occuper en raison de
l'intervention du Salum qui ne souhaitait pas voir dans son voisinage un Etat trop
puissant. C'était pour cela que les Soninké refugiés au Salum reçurent un appui
militaire du Bur-Salum Samba Lawbé. L'iilcendie de quelques villages du Badibu par
la colonne de Samba Lawbé décida Maba à intervenir dans les affaires du Salum, déjà
La colonie ne disposait alors que de 800 hommes de troupes régulières pour
défendre la vallée du fleuve Sénégal, et le Kayoor. Pinet-Laprade voulait à tout prix
éviter une invasion du Kayoor par les marabouts. La dévastation du pays aurait
compromis les 80.000 francs que le commerce avait avancés à la population du kayoar
et qu'il devait se faire rembourser sur la récolte prochaine.
Pour conjurer cette catastrophe imminente, Gilbert-Pierre ord~nateur et
gouverneur par intérim, prit le risque de mettre en campagne les troupes disponibles
et 600 volontaires. Il espérait ainsi "préserver autant que cela serait possible les
provinces menacées» par Lat-Joar29 . Le colonel d'Arbault se porta vers lÏJomre pour
y établir une redoute et un blokhaus pour servir de point de ralliement à la population
du Njambur. Le colonel était invité à la prudence. Tout échec apparent aurait des
conséquences dramatiques pour la sécurité du Kayoar et des territoires de la banlieue.
L'objectif des autorités de Saint-Louis étaitde contenir, l'armée des marabouts jusqu'à
la fin de l'hivernage où une expédition se chargerait de les détruire dans le Jolof, le
Salum et le Rip. Les Ceddo qui passaient naguère pour les symboles de tous les vices,
de toutes les t~pitudes étaient désormais perçus comme plus utiles à la politique
française que les marabouts qui s'opposaient de toute la force de leur conviction aux
projets de Sain-Louis30.
Le gouverneur demanda à ses alliés africains du Kayoor, du Bawol et du Siin de
prendre des mesures conservatoires pour se mettre à "abri de toute surprise
désagréable. Le Siin païen de Kumba Ndoffeen se sentant menacé par la croisade
musulmane se dit prêt à aller en guerre contre Maba3l . Cette détermination lui valut un
soutien logistique en armes et en munitions. On lui conseilla comme aux autres de
rester sur la défensive et d'une manière imposante "pour enlever à "ennemi l'idée de
pousser plus avant dans ses conquêtes32». Cette attitude était plus sage que celle qui
consistait à pousser les rois du Bawol et du Siin à aller affronter l'armée des marabouts.
Loin de leurs bases, il y avait de fortes chances qu'ils fussent battus et les armes que
Pinet-Laprade venait de leur livrer risqueraient alars de se retourner contre les troupes
françaises.
Le bur-Siin critiqua cette passivité du gouvernement colonial. Pour lui c'est
pendant l'hivernage qu'il fallait livrer bataille à Maba en menant des opérations
dévastatrices dans son pays" pour empêcher les populations de cultiver la terre. La
famine les frappant avec sévérité, Maba serait privé de ressources pour se procurer
des armes.
Ceyasin du Bawol dont l'autorité était contestée par certains chef comme le Bay
BayaI' Pend a Coro se contenta de placer quelques contingents àsa frontière orientale
pour dissuader les marabouts de piller son pays. Le poste français de Kees lui envoya
de la poudre et des balles".
Ces mesures ne dissuadèrent pas Lat-Joor de poursuivre à travers les plaines
du Kayoor et du Bawol ses rezzou dévastatrices. Le 5 Août 1865 quelques uns de ses
cavaliers pénètrèrent dans le Njambur, malgré le blockhaus de Nomré, pour y piller le
camp peul de Bouly". Un autre groupe de cavaliers au même moment pénétra dans
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le Bawol et ravagea la province du Wokam dont quinze villages furent brûlés'G. Au
début de Septembre le Mbakol, province du Kayoor peuplée surtout de musulmans
ne fut pas épargnée. Elle subit quelques déprédations de la part de Samba Saraxolee
lieutenant de Lat-Joor. Les villages de Sagatta, Kër Mataar Xaari, Keur Majaxate Ka\\a,
Kër Amadu Yala, bref tout le secteur entre Njaan et Dexële étaient contrôlés par les
hommes de Lat-Joor'? Beaucoup de villages furent laproie des flammes et le mil
emporté'".
Les raids de pillage de Lat-Joar, la répression qui frappait les paysans qui
cultivaient l'arachide, la propagande religieuse développée avec virulence par ses
partisans provoquèrent un changement d'attitude chez beaucoup d'habitants du
Kayoor. Certains d'entre eux préférèrent s'éloigner du camp français qui semblait
incapable de leur assurer la sécurité dont ils rêvaient. Ouelques notables se rallièrent
à lui. D'autres, tout en obéissant en public aux directives de Saint-Louis, entretenaient
des rapports confiants avec l'ancien darnel. En Octobre 18651es habitants de Nomré
manifestèrent leur volonté de ne plu:, exécuter les ordres du gouverneur. Ces
musulmans étaient mis dans une situ8tion inconfortable par Saint-Louis qui voulait les
contraindre à prendre les armes contre leurs coreligionnaires du parti de Maba qui, à
#
270
trés affaibli par les luttes de faction qui y opposaient Makudu ancien damel du Kayoor
à son fils Samba Lawbe Latsuk.
Dés son départ du Kayooren Mai 1861, Makodu avait pris la direction du Salum
pays d'origine de sa mère. Il s'établit au village de Malem dans la province du
Ndukumaan dont le chef Bëlëp Temp;;s Farateekk lui prêta son appui. Aprés avoir, en
vain, demandé à son fils de lui céder le trône, Makodu et ses alliés marchèrent sur
Kahone, la capitale du Salum. Les esclaves de la couronne du Salum qui lui étaient
hostileslar crainte de se voir supplantés dans leurs charges par les guerriers du
Kayoor qui formaient la garde de l'ancien damel allèrent à sa rencontre et le défirent
/
à la bataille de Guy Njulli au cours de laquelle Callaw Sambu frère de Makodu perdit
la viel.
Au même moment les musulmans du Sabax et du Sanjaal, deux petites
principautés tributaires du Badibu se soulevèrent. Au départ leur mouvement était
indépendant de Maba et était dirigé par trois marabouts Usman Jop, Samba Umane
Ture, et Mandiaye Xureja. Ce succès agrandit la réputation de Usman Jop et accrut le
nombre de ses adeptes, Il s'attaqua alors à la province du Kaymor, dont le Bumi
Gumbu Awa, également beau frère de Samba Lawbe, avait refusé de livrer les fugitifs
qui y avaient trouvé asile. Ce chef-lieu du Kaymor fut détruit en Juin 1862".
Samba lawbe vola au secours de son beau frère, battit les marabouts à
Ndemeen ou Sambu Umane et Mandiaye Xureja furent tués. La tentative de Cheikh
Usman Jop ne fut guère plus heureuse car elle subit un grand échec à Ndama,
Cette défaite humiliante de Usman Jop qui disputait à Maba le commandement
de la communauté musulmane permit à Maba de prendre la haute direction des
affaires musulmanes. Usman se résigna à n'exercer son autorité que sur un petit
détachement Tukulor. Pour accroitre ses chances de succès Maba accepta l'alliance "
que lui proposait Makodu. Il lui promit la couronne du Salum à condition qu'il se
convertît à l'islam, Makodu promit de se faire musulman une fois sur le trône du Salum,
"II abjurèrent sur la tombe de Sambou» l'un de ses frères tué à la bataille de Nguy Julli
et se ferait raser la tête."
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Une fois cet accord conclu M[,ba profita de l'hivernage pour marcher contre le
Salum. Il établit son camp à Cikett où le rejoignirent les forces de Makodu. Croyant
n'avoir affaire qu'aux forces de Usman Jop, Samba Lawbe marcha contre ce camp
avec les seuls contingents de Kahone. Il espérait réediter son triomphe de Ndemen.
Ce fut un grave revers pour lui. Talonné par les musulmans JSamba Lawbe trouva
refuge au Siin. Maba et son allié Makodu marchèrent sur Kahone qu'ils prirent sans
aucune difficulté.
Au lieu d'abjurer le paganisme comme il l'avait promis, Makodu célébra sa
victoire par des beuveris. Maba surprit personnellement son allié en train de déguster
un verre d'eau- de-vie. Il rompit l'alliance avec cet Ceddo incorrigible et rentra au Rip.
Samba Lawbe profita de cette désunion pour obliger son père à lui abandonner sa
capitale' 0.
Makodu, comprenant qu'aves ses seules forces il ne parviendrait jamais à
s'emparer du Salum, négocia à nouveau avec Maba. Leur nouvelle alliance fut scellée
à Korki. Il accepta de se faire raser la tête séance tenante. Ensemble les deux alliés
marchèrent contre les troupes de Samba Lawbe qui étaient dans la province de Signy
pour leur infliger un véritable désastre. Forts de cette victoire ils foncèrent à toute allure
sur Kahone pour y attaquer Samba Lawbe qui se refugia dans le fort français de
Kaolack défendu par douze soldats de l'infanterie de marine commandé par le sergent
Burg".
Les forces maraboutiques étaient de loin supérieures en nombre à celles de
Samba Lawbe. Outre les troupes de Maba, elles comptaient les forces maraboutiques
du Pakala, du Signy, les Peul du Salum, les dissidents Gelowar de la branche Kewe
Bigeequi s'étaient ralliés àMakodu soit un ensemble de plus de 5000 hommes. Samba
Lawbe avait à peine 1500 guerriers'2.
L'attaque de la ligne défensive occupée par les guerriers de Samba Lawbe
commença le 5 Octobre 1862. Sous la pression du nombre, les soldats du but>. Il.,
lâchèrent prise et se refugèrent da'ls le fort. Les gens de Maba voulurent les y
poursuivre. Ce fut alors que les canons du poste firent pleuvoir sur les assaillants un
, '.
'fr
274
Cette demande fut rejetée par d'Arcy qui allégua que la vue du pavillon français
dans la Gambie, flottant sur un bateau autre qu'anglais aurait un effet moral désastreux
chez les autochtones et serait préjudiciable, par la suite, au commerce britannique"'.
Informé de ce projet par les autorités de Bathurst, Maba mobilisa les forces
maraboutiques pour la croisade contre les régimes païens du Siin et du Bawol placés
sous l'influence ou sous le protectorat français2 '. En Mai Faidherbe avait pensé pouvoir
limiter les dégats en faisant comprendre à l' Almamy qu'il ne s'opposerait pas à sa main
mise sur le Salum et le Slin s'il acceptait d'exclure de ses opérations le Bawol et le
Kayoor avec lequels le commerce français était trés important. Aprés sa victoire il
devrait respecter les traités passés avec les anciens chefs de ces pays, respecter les
sujets français".
Les propagandistes de Lat-Joor parcouraient le Bawol et le Kayoor pour
préparer les esprits à faire bon accueil il l'armée des marabouts. Faidherbe jugea
prudent de ne pas affronter les 20.000 gllerriers~arabouts et signalen Octobre 1864 )
avec Maba d'un côté, les rois du Siin, du Bawol, du Kayoor de l'autre/un traité qui
reconnaissait le marabout comme Almamy du Badibu et du Salum. Faxaa Fall frère et
successeur de Samba Lawbé alla s'établir au Si~n. Maba prit l'engagement de
respecter l'intégrité territoriale du Jolof du Bawol et du Si~n. Seuls les Français auraient
le droit defonderdes établissements sur les rives du Salum. Le gouverneur serait choisi
comme arbitre pour les différends qui surgiraient entre ces différents souverains".
Ce traité consacra le succès du Jihad et permit à Maba d'élargir les bases
géographiques de son Etat. Peut-être avait-il envisagé alors de marquer un temps
d'arrêt dans les conquêtes pour réorganiser ces territoires sous-administrés, dont
l'économie était devenue fragile en raison des dévastations consécutives à plusieurs
années de guerre. Dès l'approche de l'hivernage, il recommanda aux habitants de
l'Etat de se consacrer aux travaux champêtres2'. La commercialisation de l'arachide
pouvait seule lui procurer les revenus nécessaires à l'achat des armes, des munitions,
des chevaux et des articles d'origine européenne.
Mais Lat-Joar n'était pas homme à accepter ce compromis qui semblait
~. '
impliquer sa renonciation à la reconquête du kayoor. Pour lui la guerre sainte devait
se prolonger encore. Au Bawol, au Siin comme au Jolof et au Kayoor des milliers de
musulmans étaient victimes de régimes iniques et ils n'attendaient leur libération que
de Maba25 . La rupture entre Maba et les Français intervint en 1865. L'accalmie d'un an
fut mise à profit pour la préparation des futures entreprises de conquête. Avant son
retour en France Faidherbe mit en garde les autorités de Saint-Louis contre un retour
offensif de Lat-Joor.
L'ancien damel avait appris par expérience que l'hivernage était le moment le
plus favorable pour la lutte contre les colonnes françaises condamnées par les
intempéries à l'inaction. Au mois de Juin 1865 Maba envahit le Jolof en violation du
traité d'Octobre 1864. L'expédition fut conduite par Lat-Joar, Balla Soxna de Kaki, et
Yugo Faali. Dés leur entrée au Jolof, les troupes de Maba reçurent l'appui de nombreux
contingents venus du Njambur. Les troupes
du Jolof qui avaient une meilleure
connaissance du terrain obligèrent celles de Lat-Joar à se replier sur Xatali-Tata aprés
de violents combats. Elle y fut assiégée par le Burba-Jolof. Maba vola alors au secours
de son allié26• Aprés une violente attaque du marabout, le Burba-Jolof Bakantam Xaari
Jaloor s'enfuit de Xatali-Tata poursuivi par les marabouts qui lui infligèrent une
sanglante défaite à Mbayeen. Il alla au Walo se placer sous la protection des autorités
françaises2'.
La conquête du Jolof ouvrait à rvlaba la route du Kayoor. Il marqua un temps
d'arrêt pour tenter de nouer de nouvelles alliances avec les Etats voisins. Il dépêcha
des émissaires au Futa et chez les Tra,za pour leur demander de se joindre à lui et de
passer à l'offensive dès que la baisse des eaux leur permettrait de s'approcher du
fleuve. Le roi des Trarza accueillit favorablement cette proposition. Le Futa ne fut pas
moins bien disposé à l'égard des émissélires de Maba qui eurent toute latitude pour y
recruter des volontaires pour la guerre sainte. Maba était donc sur le point de former
une ligue islamique composée des maures, du Futa et de l'Etat théocratique du Salum
et du Badibu. 28
· - ..
"1r
278
leurs yeux se battaient pour la grande gloire de Dieu. Le coran menace de la damnation
éternelle les musulmans qui, non contents de s'abstenir de prendre part à la guerre
sainte agiraient dans un sens contraire aux intérêts de la communauté musulmane.
Dérrière une soumission de façade ils entretenaient des rapports solides avec l'armée
!
de Maba. Mais ils firent tomber le masque lorsqu'on leur demanda d'apporter une
contribution pratique à la lutte contre les marabouts. Ainsi ils refusèrent de fournir des
chameaux pour le transport des impédimenta de la troupe. Leur attitude ne changea
pas lorsqu'on les pressa de réunir des cavaliers, de les acheminer à Potu afin de les
joindre à la colonne expéditionnaire devant attaquer Maba au Rip même. Le Comman-
dant du poste de Nomré comprit :mcore que c'était de façon délibérée que ces
marabouts lui donnaient des renseignements inexacts sur MabaJ9
Forts de l'appui de tous leurs partisans dans le Kayoor, Maba et Lat-Joar
s'apprêtaient à l'envahir lorsqu'ils apprirent la félonie de Usman Jop'o Ce marabout
n'avait accepté l'autorité de Maba qu'au lendemain du soutien que ce dernier lui fournit
aprés sa défaite devant les troupes de Samba Lawbe. Rien dans l'Etat actuel de la
recherche ne permet de comprendre sa volte face. On se contente, pour expliquer
cette dissidence, d'évoquer son ambition personnelle ou son particularisme Tukulor.
Il est exclu que ce marabout eût pu agir à l'instigation du commandant du poste de
Kaolack. S'il entra dans la voie de la sécession c'est qu'il conservait au coeur la
morsure d'une rancune que les ans n'avaient apaisée.
Quoiqu'il en fût, Usman Jop conquit le Pakala aprés avoir fait courir le bruit que
Mabaavait été tué au Jolot. De là il s'apprêta à envahir le Badibu pour assurer la sécurité
de ses lignes de ravitaillement par les traitants britaniques.
Avant de quitter le Jolof Maba y laissa une colonne sous le commandement de
Lat-Joor pour maintenir dans l'obéissance cette nouvelle conquête. Puis à marches
forcées, il retourna au Rip pour aller y rétablir l'ordre un moment troublé par Usman
Jop' '. Cet intermède épargna au Kayoor les malheurs de la guerre et les transféra sur
les populations musulmanes du Rip.
L'INVASION DU RfP PAR PINET-LAPRADE
Le gouverneur Pinet-Laprade avait mis sur pied un plan d'invasion du Rip. Pour
écarter la menace que les marabouts faisaient planer sur le Kayoor et les possessions
françaises il fallait transpoter la guerra cllez eux. L'opération était fixée pour Novembre
ou Décembre.avant que la baisse d'.3s eaux ne permît aux Trarza et aux Tukulor de
coordonner leurs mouvements avec ceux des marabouts'2. C'était l'époque où les
troupes blanches redevenaient opérationnelles".
Dans le tracé des itiniraires que devaient suivre les divers détachements
destinés à former la colonne du Rip, Pi:let-Laprade se laissa guider par des considé-
rations politiques et militaires. Le prestige de Maba était grand chez tous les musul-
mans de la Sénégambie, même chez ceux qui vivaient dans les territoires annexés.
Pour les détacher totalement de Mabél, le recours à la terreur s'avéra nécessaire. Il
décida de faire traverser les pays annexés ou alliés par des colonnes bien armées,
prêtes à infliger des sanctions sévères à toute veilleté de résistance. Par ce moyen il
espérait obtenir leur collaboration fréinche dans le combat contre les marabouts".
On peut se demander quelle effi,~acité IJU~~~ ces contingents
levés par la force pouvaient avoir sur le champ de bataille? Mais une chose reste
certaine, Pinet- Laprade en mobilisant les forces des pays non encore soumis à
l'autorité de Maba, avait la possibilité C~ réduire la proportion des pertes de ses troupes
régulières et se mettre à l'abri des critiques de son ministère de tutelle qui lui
recommandait toujours de ménager les faibles ressources de la colonie. Face aux
critiques éventuelles des graves excès auxquels se livreraient ses hommes, car le
théâtre d'opérations était prôche de la Gambie anglaise, il lui serait facile d'en imputer
la responsabilité aux troupes auxiliaires noires dont il ne pouvait brider l'ardeur
guerrière.
Les pays annexés ou alliés fournirent des contingents commandés par leurs
chefs de canton ou leurs rois. Le Walo et le Cayoor donnèrent 500 chevaux et un millier
de fantassins. Le Cap-Vert, le Si~n, le Eawol mirent sur pied 2.000 cavaliers et 3.000
fI---
280
fantassins. La levée de ces contingents porta "effectif de la colonne à 8.000 hommes".
Le colonel d'Arcy dit que l'expédition fut faite par 3000 soldats des troupes régulières
et 10.000 alliés'·.
Les forces furent concentrées à Kaolack le 23 Novembre 1865 d'où elles
s'ébranlèrent le lendemain pour le Badibu. Les marabouts prirent à leur tour des
contre-mesures. Sur les conseils de Lat-,Joor, on fit occuper tous les points d'eau et
on combla certains puits pour rendre difficile le ravitaillement de cette cohue. La
consigne était de n'attaquer que quand les canons qui faisaient leur supériorité
seraient neutralisés grâce au piège tendu.
Lat-Joor avait établi ses forces dans la forêt en mettant les guerriers les plus
aguerris, et les plus importants perpendiculairement au sentier sur lequel défilerait la
colonne française. Des contingents fonnant une ligne oblique attaquerait le flanc
ennemi pour l'envelopper. Pour enlever il ces guerriers toute idée de se sauver par la
fuite, la cavalerie a été placée loin du théâtre de combat.
Ce dispositif fonctionna comme prévu. Au moment où les troupes blanches de
l'arrière garde commençaient à s'engouffrer dans le sentie/une violente fusillade
éclat~'parce que des guerriers du Rip, qui n'avaient jamais vu d'Européens seraient
sortis de leur trous de camouflage pour les observer".
La forêt fut un excellent allié pour les marabouts. Pinet-Laprade éprouva de
sérieuse difficultés du fait de la tenacité des guerriers de Maba qui se battirent pour la
défense de leur fo>pour l'honneur de leurs femmes et de leurs enfants. Tout le monde
savait qu'aprés chaque victoire remportée par les colonnes françaises, leurs auxilliai-
res violaient les femmes, raflaient toutes les richesses disponibles.
Les opérations de la colonne française commencèrent par la destruction de
Maka la ville sainte de Maba et sa place d'armes dans le Salum. Le 26 Novembre la
colonne franchit le Salum au gué d'Igeer, campa à Cikett. Pinet-Laprade constata que
toute la région était couverte d'une forêt trés fourrée" mais ne renonça pas à son
projet. Le 30 Novembre l'affrontement décisif eut lieu prés du village de Pate Bajaan
qui donna son nom à cette bataille. Il fut d'une rare violence.
,;
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2~·-
L'âpreté de la lutte se refléta dans les pertes des troupes blanches qui forma~nl
l'arrière garde. Le capitaine Croizier commandant du premier peloton de l'infanterie de
marine, le chirurgien charbonnier, le lieutenant de vaisseau Duplessis furent tués. Le
capitaine Canard de l'escadron eut UI1 bras traversé. Bref un quart de l'effectif des
compagnies de débarquement fut tué ou bléssé. La compagnie du génie eut 6
hommes tués et Pinet-Laprade lui même reçut une balle à l'épaule gauche.
Les marabouts attaquèrent le train d'artillerie, tuant plusieurs mulets dont ils
emportèrent les charges". Aux prix d8 lourdes pertes Pinet-Laprade atteignit Noro
pour y mettre aussitôt le feu. Le 1·'etle 2 Décembre il lâcha ses auxilliaires pour l'oeuvre
de pillage, de dévastation. Plus de 30 villages furent livrés aux flammes. Ils firent plus
de 1.000 prisonniers parmi les paisibles villageoisso.
Dès son retour à Saint-Louis, Je Gouverneur se dépêcha de rendre compte au
ministre «des heureux résultats.. de cette campagne. "Le Rip est détruit, les bandes de
Maba sont écrasées, ce qu'il en reste est dispersé; le succès de la campagne est
complet"".
Ces affirmations doivent être diminuées de leur coéfficient d'exagération. Si
nous ignorons les pertes des marabouts, le gouverneur n'a donné des informations
que sur les pertes des soldats europliens. Il garde un mutisme complet sur les soldats
noirs de la garnison et sur les volontaires. Tout laisse croire que c'était pour cacher
l'importance de ses pertes qu'il se borna à faire porter ses statistiques sur les
Européens dont il fallait informer les parents du sort qui leur était arrivé.
Les traditions orales sont unanimes pour dire que la victoire de cette bataille de
Patee-Bajaan ou de Pawus Koto avait plûtot souri aux marabouts. Le gouverneur
D'Arcy de Bathurst qui avait envoyé une dépêche au Colonial Office pour relater cette
bataille sur la base des informations fOL:rnies par Pinet-Laprade n'hésita pas à revenir
sur sa première correspondance ql,;and il reçut les rapports des marchands et des
commerçants anglais qui se trouvaient dans le voisinage de la zone des combats.
Cette expédition n'était pas si triomp"a~ ~~~Iait le faire croire le rapport du
gouverneur. Les résultats étaient plutôt variables. Si Maba perdit beaucoup de monde
·'.-,- 2R2
les Français souffrirent des fièvres causés par les nuits trop froides et les journées trop
chaudes5'.
Selon Puissel l'avant garde de la colonne fut taillée en pièces-. Il avait vu
)
.
également un chameau pris à la colonne, et un plan du pays envoyé par Maba à son
ami Salem Jubante comme un trophé~' pris à la guerre, et deux officiers considérés
comme tués et qui avaient été faits prisonniers lorsque l'arrière-garde française fut
attaquée par des guerriers marabouts supérieurs en nombre. Ces officiers ainsi que
les prisonniers faits par les autres corps furent fusillés en Décembre'". Le capitaine de
frégate Aube fut du même avis quand il dit à propos de Lat-Joor : "Chaque année
constate par des résultats tels que ceux de l'expédition du Rip... la sagesse de sa
conduite"'". Les affirmations du gouverneur Pinet-Laprade appartennaient à ce genre
de ruses auxquelles avaient souvent recours les subordonnés pour éviter les sanc-
tions qui les menaçaient pour faute grave ou imcompétence. Si l'importante levée en
masse effectuée avant l'expédition du Rip ne donna pas les résultats escomptés, le
ministre des colonies n'aurait plus de raison de Maintenir le gouverneur à la tête de son
commandement.
Si l'expédition du Rip n'atteignit pas l'objectif militaire qu'on lui avait fixé; elle
permit néanmoins d'écarter pour un moment la menace maraboutique sur le Kayoor
et à Bakan Tam Xari Jaloor de reprendre possession de la couronne du Jolof. Elle eut
aussi pour effet de rompre l'alliance entre Maba et les chefs maures et Tukulor des
bords du Sénégal. Mais elle provoqua surtout une profonde cassure entre les
collaborateurs du gouverneur qui s'étaient livrés à toutes sortes d'atrocités sur leur
passage et leur compatriotes qui entendaient conserver leur fierté par la défense de
leur pays et de leur foi vis à vis des conqérants.
LA CONTINllATION DE LA GUERILLA
Dés lors ce ne pouvait être que la lutte à mort. Lat-Joor mit sur pied un plan trés
simple qui consistait à ravager sans merci les territoires annexés et les pays alliés de
la France. C'étaient désormais des Rf:ZZOU systématiques au cours desquelles on
incendiait les villages, comblait les puit~; et on détruisait les récoltes qu'on ne pouvait
283
emporter. Il était convaincu que par ce climat de terreur les populations mal défendues
privées de ressouce émigreraient. L'autorité française s'établirait alors sur des zones
vides.
Dés le début de 1866 Maba et Lat-Joor firent acheter en Gambie d'importantes
quantités d'armes et de munitionsss. Au prochain hivernage, il leur fallait bouleverser
le rythme de la vie rurale chez leurs ennemis pour y empêcher surtout la culture
arachidière.
Dès le mois de Mai les escarmouches reprirent. Une troupe forte de 500
hommes essaya de surprendre le poste de KaolackSG • En Août les opérations de
dévastation se poursuivirent avec viguE!ur. Maba divisa son armée en trois colonnes.
L'une sous le commandement de Lat-Joor s'établit à Ta'lba à proximité du Jander, une
deuxième avec Maba était chargée du Njambur où il recruterait des volontaires pour
aider la troisième colonne à reconquerir le Jolof. La présence des troupes marabou-
tiques sema partout le désordre. Dans le Njambur des fugitifs prirent la route de Njaan
et de Koki pour se mettre sous la protection des postes français. Certains des fugitifs
n'étaient que des espions de Lat-Joor qui profitèrent de la panique générale pour
pouvoir donner des informations précises sur les mesures que prenait l'autorité
françaiseS?
Beaucoup de marabouts du Kayoor préférèrent se rallier à leu~coreligionnai
res. Ce fut le cas des habitants de Mewndu, de Ngaan, de Koki, de Luga et de Nomre.
Sonko chef de Ta'lba invita aussi Mabél à venir lui rendre visite dans son cantonS". Cet
accueil qui semblait prôche du délire n'était peut-être qu'une docilité de façade car ses
sujets français craignaient surtout pour leurs biens et leurs personnes. Il se peut aussi
que la nouvelle de la victoire de Maba sur la colonne du Rip les ait lib~rés de la peur
que leur inspirait l'appareil militaire des blokhaus éparpillés dans le Kayoor et dont
l'inéfficacité était patente. Les cavaliers de Lat-Joor aidés de leurs sympathisants
parcoururent le Kayoor en «semant sur leur passage l'influence de Maba59" Serigne
Koki donna rendez-vous à Maba au village de Njann où, au lieu de faire tirer sur lui, il
s'entendrait avec lui pour massacrer les hommes du poste60.
1}-
284
Lat-Joor réserva un traitement spécial aux provinces du Kayoor central annexé
en 1865 et dont les chefs avaient participé à l'invasion du Rip. Cette partie du pays fut
pillée avec une rare violence. Le secteur le plus touché fut l'espace compris entre Mbul
et Njegeeti dans le Sanoxoor. Les champs d'arachide furent détruits, les villages
incendiés, les vivres emportés. A la première fusillade les quelques volontaires qui
avaient pris la résolution de défendre leurs terres s'enfuirent dans toutes les direc-
tions"'. Des villages entiers abandonnés par leurs habitants furent détruits. Sonko chef
de Ta'rba sommé par le commandant du poste de Kees de voler au secours de son
voisin jugea prudent de se déclarer malade"'.
Les 300 cavaliers de Lat-Joor lâchés dans la région coupèrent aussi la ligne
télégraphique entre Nguiguis et Mbetet. Ces populations qui avaient élu domicile le
long de la ligne télégraphique pour y chercher la protection française subirent la
répression la plus atroce. De Jati à Robnan tout était saccagé par cette troupe
commandée en personne par Lat-Joor secondée par les esclaves de couronne
Massamba Joor, Sangone Joor, Dembawar Joor et Samba Saraxolee. Lat-Joor ne
chercha pas à prendre d'assaut le poste de Mbetet, mais il s'empara des femmes et
des enfants qui n'avaient pu fuir et qu'il réduisit en servituderh1• Leurs parents qui
s'étaient fait volontaires contre le Rip avaient également pris les armes pour défendre
la ligne télégraphique mais s'étaient finalement sauvés à l'approche de la troupe64 •
Ainsi tous les volontaires réunis en hâte par le commandant du poste de Kees soit 700
personnes n'opposèrent aucune résistance aux hommes de Lat-Joor. La plupart
d'entre eux jugèrent plus prudent dB s'éloigner du Théâtre d'opération. Les Sereer
trouvèrent refuge dans leurs forêts. Les hommes du Sanoxoor partirent pour le Bawol.
Avec la petite troupe qui leur rèstait les chefs du Sanoxoor Mar Jop, et Bubakar
Fall Serin Pir, rentrèrent tranquillement dans leurs villages. On a des raisons de penser
que cette région fortement islamisée avait refusé de prendre les armes contre des
coreligionnaires etfsidérés comme des soldats de Dieu. La répression ne s'y fit que de
1
manière trés sélective et ne frappa que :es collaborateurs veritables du gouvernement
de Saint-Louis65• Il en fut de même pour Ta'lba, Ngalgu, Minaam dont les habitants
allèrent au devant des hommes de L8k1oor,le chapelet à la main, les assurant de leur
ri
285
bonnes intentions. Leurs villages furent épargnés, contrairement à ceux de la partie
orientale du Sanoxoor où le pillage fut sans merci comme dans le Njobeel et Keur Salla
Mata66•
Dans la province du Njambur le commandant du poste de Njaan se heurta à la
force d'inertie des habitants qui, tenant à leur foi avec une conviction farouche,
refusèrent de se soumettre à ses directives. A l'annonce de l'arrivée des guerriers de
.. Lat-JOor/ parvint à réunir à la hâte 130 cavaliers et 900 fantassins pour leur interdire
l'accès de la province et pour recueillir sur les marabouts des informations utiles. Il ne
tarda pas àconstater le mauvais vouloir de ces musulmans àcollaborer avec lui. Aucun
renseignement de valeur ne lui fut fourni sur Maba. Les partisans de Lat-Joor
bouchèrent presque tous les puits p::lur empêcher les soldats de s'éloigner trop de
leurs bases.
Tout en refusant de fournir de~; renseignements au commandant du poste de
Njaan, les marabouts tenaient Maba informé de tout ce qui se faisait dans le Njambur.
C'est ainsi qu'il sut dès le 4 Octobre par un espion de serin Koki qu'une colonne
française marchait sur Njaan.67 Les marabouts ne quittèrent le Kayoor qu'en Décem-
bre lorsqu'une colonne de 500 hommes commandée par le lieutenant-colonel Millet
fut chargée de faire une démonstration de force pour s'opposer à l'invasion du Kayoor.
En réalité il s'agissait de restaurer la confiance dans l'autorité française qui avait subi
des atteintes sérieuses dans le coeur (les sujets. Une partie de cette colonne resta à
Njaan et l'autre rentra à Saint-Louis le 15 Janvier 1867. Nous ne pouvons évaluer le
résultat de cette opération de représaille au Kayoor. Sans doute les marabouts étaient
repartis au Rip chargés de butin. Mais au cours de leur séjour relativement long ils se
préoccupèrent surtout, par l'emploi sélectif de la force, à maintenir les habitants du
Kayoor dans une fidélité sans faille à leur cause. Les misères qu'ils semèrent çà et là,
l'emploi systématique de la coercition autorisent à dire que chez certains l'adhésion
n'était que de façade. Mais c'était suffisant pour Lat-Joor qui venait de prouver à ses
compatriotes que le gouvernement d~ Saint-Louis était incapable de les protéger s'il
décidait d'envahir le Kayoor.
286
·',.~
Maba et Lat-Joor utilisèrent les ressources que leur procura la commercialisa-
tion de la récolte arachidière du dernim hivernage pour acheter des armes et des
munitions en Gambie pour conquérir le Siin dont le souverain Coumba Ndoffeen leur
étaittrés hostile. Ce pays serait un excellent tremplin pour leur main mise sur le Bawol
et les raids de pillage contre le Kayoor.
Entre la fin du mois de Février et au début de Mai Maba parvint à imposer son
autorité sur les villages du delta du Sa:lJrll. Les villages de Bam, de Wonge où résidaient
quelques traitants français furent brûlés, des pirogues du comptoir de Joal arraison-
nés. C'était le prélude à l'attaque contre le Siin6B •
Pinet-Laprade prit la résolution cie s'opposer aux progrés de Maba.II essaya de
le fixer au Rip en faisant courir le bruit qu'il préparait à nouveau une grande expédition
à partir de Kaolack69• En réalité le Gouverneur voulait prendre position à Fatick où les
cotres lui apporteraient aisément le ravitaillement de la colonne70•
Le 26 Mars 1867 Pinet-Laprade fit partir de Gorée pour le Salum une colonne
de 270 hommes sous le commandement de Flize qui se borna à punir les villages
considérés comme des alliés de Ma.ba. Il brûla les villages de Fura, de Jooge et de
Juuce mais ne put recueillir aucun renseignement sur Maba qui s'était éloigné de la
zone à l'approche de la colonne".
Cette expédition fut désapprouvée par le ministre par une dépêche du 23 Avril
1867. Il disait que tout en ne méccrmaissant pas les inconvénients qui pourraient
résulter de cette agression des forces (je Maba contre le Siin et les territoires annexés,
il lui était impossible «d'augmenter les 11)rces militaires et navales dont vous disposez,
et que je dois condamner d'avance toute opération qui serait de nature à créer des
•
besaM65auxquels ces forces ne pourraient suffire. Jusqu'à nouvel ordre, dès que
l'expédition engagée sera terminée; vous resterez sur la défensive72". A l'époque les
problèmes posés par l'unité allemande et celle de L'Italie avaient crée en Europe une
crise politique sérieuse. En présence des éventualités qui pouvaient se produire il
importait que le gouvernement évitât cie créer de nouvelles complications".
fi
287
Aprés les opérations de police dans le Siin et le Salum Flize jugea nécessaire
de laisser à Kaolack un camp d'obsé'fvation de 150 hommes commandés par le
capitaine Lecreurer qui, récemment arrivé de France, n'avait aucune expérience du
pays mais semblait avoir été recomm'andé au gouverneur par un sénateur".
Le 20 Avril, alors que cette colonne s'apprêtait à retourner à Gorée sur le
Crocodile qui l'attendait en rivière, LecrE.'Urer fut avisé que, dans les environs du poste
on entendait des coups de feu. Il pensa q<.Je c'étaient des soldats de Maba qui rôdaient
dans le voisinage du camp et décida de les surprendre. Ces faux renseignements lui
avaient été fournis par des espions qui le conduisirent ensuite au milieu du guépier75•
Ce camp d'observation constituait un danger majeur pour Lat-Joor et Maba à
qui il barrait la route du Siin et du Kayoor. Aussi avaient-ils mis au point un plan pour
le neutraliser.
Malgré les observations des officiers plus expérimentés que lui, Lecreuser sortit
du poste. Il ignorait tout du pays il se mil à errer pendant deux heures. Il arrêta, alors
sa troupe fatiguée par une chaleur torride et par le manque d'eau prés de l'ancien
village de Coffat. On se mit à creuser des puits. Brusquement l'ennemi se révéla par
•
une vive fusillade venant de tous côtés. C'était l'armée de Maba en marche sur le SiCln
et qui avait décidé de détruire ce camp pour éviter d'être entre deux feux. Entourés de
toutes parts les soldats de Lecreuser succombèrent sous le nombre.
L'échec de cette colonne avait les proportions d'un désastre. Trois officiers sur
quatre dont Lecreuser restèrent sur le champ de bataille. De la colonne ne survécurent
que 30 bléssés qui purent gagner péniblement Kaolack situé à 10 Km du village. Le
sous lieutenant Lafond qui avait pressenti un piège échappa au massacre grâce à la
vitesse de ses jambes76•
Ce grand succès des marabouts qui sema le deuil dans beaucoup de familles
fit trembler surtout Pinet-Laprade. Arrés avoir tout d'abord renoncé au congé de
convalescence qu'il s'était fait donner, il E:e ravisa et partit le 8 Mai pour aller se disculper
auprés du ministre de cettefauten Il y réussit car par sa présence il put conjurer l'orage
11"· 288
qui menaçait de l'emporter aprés le désastre de Coffat. Il sacrifia le Commandant Flize
"sur lequel il fit peser la responsabilité de ce désastre et à qui par suite on retira le
commandement de Gorée?"». Il fut alors nommé Directeur des Affaires Indigènes?9.
Les autorités françaises ne cherchèrent pas à tirer vengeance de cet échec.
Une dépêche ministérielle rappela à Trédos, gouverneur par intérim,la conduite à tenir
pour éviter d'engager "ses moyens d'action sans une nécessité absolue, pour ne pas
exposer les troupes à un désastre pareil à celui de Tioffat80". Il essaya d'assurer la
sécurité du Kayor en faisant construire trois postes sur la frontière méridionale du
Kayoor à Ker Mandumbe Xaari, Xawlu et Celeman dans l'espoir que le cantonnement
de quelques soldats en ces endroits en éloignerait les colonnes de Lat-Joor'''.
Aprés sa victoire de Coffat, Lat-Joor marcha sur le Siin où il détruisit quelques
villages dont Marut. Il retourna au Rip avec beaucoup de butin. Cette incursion des
marabouts mit Kumba Ndoffen dans un véritable état de rage. Depuis son élection à
la royauté en 1853 Kumba Ndoffeen avait essayé de maintenir la paix à l'intérieur de
son royaume en amenant les différents princes Gelowar suceptibles de lui succéder
à s'accorder sur une solution reposant sur le respect stricte des dispositions de la
constitution.
Aprés "expédition de Faidherbe contre le Siin en Mai 1859, il sembla s'incliner
devant la suprématie française qui disposait d'armes plus performants que celles de
son armée. Mais aprés le passage de l'orage, il se ressaisit en remettant en cause les
amputations territoriales que Faidheri:.e venait d'infliger à son pays à coup de canon.
En juillet 1860 il menaça de faire tuer tous les nationaux français qui résidaient au Siin
si la France ne lui restituait pas sa province maritime avec les villages de Joal, Nguk,
Fajutt, Mburjaan. Puis il mit l'embargo sur le commerce avec la France et interdit à ses
sujets de se rendre à Joal. Les traitant~; français de Fatick furent maltraités pour les
contraindre à quitter 1er pays. Ceux qui restaient étaient tenus de payer les taxes dues
au roi.
Kumba Ndoffeen ferma aussi les pistes par lesquelles passaient les troupeaux
destinés au ravitaillement des comptoirs français du·Cap-Vert. Il demanda aussi aux
11,::- ',-, ")'f) f1,
, !
Il ~ d,~ (li:';
paysans du Siin de réduire, dans de grandes proportions, les surfaces jusqu'alors,
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consacrées à l'arachide dans l'espoir ,j'accélérer les départs des Français de son
pays,
Contre ces mesures/Faidherbe réagit par l'envoi d'une deuxième colonne
expéditionnaire qui força Kumba Ndoifeen à observer non seulement les clauses du
traité de 1859 mais encore à payer une amende de 200 boeufs et à reconnaître à la
France le droit de construire un poste militaire à Fatick pour assurer la protection de
ses nationaux, Dés le retour de l'hivernage les agents de Kumba Ndoffeen se rendirent
dans la province maritime pour collecter les taxex qui lui étaient dues, Aux observations
du commandant supérieur de Gorée il répondit qu'une paix véritable entre la France
et le Siin n'était possible qu'aprés la restitution au Siin des territoires qui lui avaient été
enlevés,
o~Cl1-Ü~Y.e,f
f/J'U~é par sa province maritime, Kumba Ndoffeen n'accorda qu'une atten-
tion discrète aux entreprises de conquéte de Maba, Il évita de porter secours à ses
cousins Gelowar du Salum sérieusement malmenés par les marabouts, Pourtant le
voisinage d'un Etat théocratique aurait dlJ lui faire percevoir le danger qui menaçait son
pays à plus ou moins longue échéance, Il préféra s'abstenir de toute intervention qui
l'tfut entrai né dans un cycle de violenCS:$avec ses entreprenants voisins, Peut-être
demeurait-il. soutenu par la certitude que le vrai ennemi du Siin n'était pas Maba mais
le gouverneur. Dès lors il n'est plus étcnnant que Kumba Ndoffeen se fut comporté
comme si ce danger maraboutique était inexistant
En Janvier 1864 lorsque Lat-Joor lui demanda l'asile politiquejlle lui donna sous
réserve de l'approbation de sa décision par la France, Dans son esprit il s'agissait de
faire de Lat-Joor une monnaie d'échange contre la province maritime,
J
Le calcul de Kumba Ndoffeen s'avera juste, Pinet-Laprade lui demanda de
chasser non seulement Lat-Joor mais aussi de lui ravir les trophées qu'il avait pris aux
français aprés sa victoire de NgolngoL C'était à ce prix que la France accepterait
d'étudier avec bienveillance la revendication territoriale du Siin sur Joal et les autres
villages, Sûr de pouvoir restaurer l'intéwité territoriale de son royaume en épargnant
J'.
290
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à son peuple une guerre dont les conséquences ne pouvaient être que désastreuses,
Kumba Ndoffeen invita Lat-Joar à chercher ailleurs la conclusion de son aventure non
sans lui avoir confisqué quelques unf, des canons qu'il expédia à Garée comme la
preuve éclatante de sa bonne foi à l'égard du gouverneur.
1\\ ne s'agit pas ici d'excuser sur le plan maral une mesure qui violait la loi de
l'hospitalité, mais de replacer les chose::; dans l'ambiance de l'époque. Pour Kumba
Ndoffeen la condamnation morale des autres était sans l'objetf si cette mesure dont
il chargea sa conscience pouvait valoir àson pays une certaine tranquillité et le ramener
aux limites de ses frontières d'avant 1859. Cette mesure ne lui donna guère les résultats
escomptés et le mit surtout en mal avec Lat-Joar.
Le traité d'Octobre 1864 par lequel la France reconnaissait la suprêmatie de
l'Almamy dans la Sénégambie amena Kumba Ndoffeen à prendre conscience du
danger qui guettait son pays. Il dépêcha des agents dans la vallée du fleuve et en
Mauritanie pour acheter des chevaux et stocka des armes et des munitions. Aprés
l'expédition du Rip, Pinet-Laprade poussa Kumba Ndoffeen à faire la reconquête du
Salum pour en chasser les marabouts. En 1866 il le reconnut même comme le roi de
ce pays dans l'espoir de le voir entrer er, campagne contre les marabouts pour prendre
possession de ce trône. Mais le roi du Siin se borna à occuper la partie occidentale du
Salum peuplée en majorité de Sereer trés attachés à la religion de leurs ancêtres. Une
troupe d'élite occupa même Gandiay comme une sentinelle avancée du Siin chargée
d'interdire l'accès du pays aux guerrier:: du Rip.
Cette prudence de Kumba Ndoffeen fut prise par Pinet-Laprade pour de la
Couardise. Mais l'objectif primordial (Je ce roi semblait se limiter à créer un rideau
défensif autour de son pays pour le mettre à l'abri des guerres qui avaient déjà rendu
désert le royaume voisin.
Les mesures de Kumba Ndoffeen étaient perçues par les marabouts comme
des actes d'hostilité qui justifaient alars la croisade contre ce pays païen. Aprés
l'affrontement du 23 Avril avec la colonne de Lat-Joar à Marut Kumba Ndoffeen établit
un puissant camp à Ndoffaan-O-Mad qui occupait une position plus stratégique que
Jaxaw. Au mois de Juin, par un audacieux coup de main, Lat-Joar envahit la capitale
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et la mit à sac. Cette destruction de la capitale fut douloureusement ressentie par toute
la population du Siin. aprés l'incendie de la capitale Lat-Joor repartit vers le Siin par
Cupaan résidence de la Lingeer où elle captura une des princesses qu'il épousa.
Pour disculper Kumba Ndoffeen de sa négligeance qui avait rendu possible le
viol de la capitale, on fit courir le bruit qu'au moment de l'attaque le roi était à Kër Ngor
pour assister aux funérailles de l'une des femmes du grand Farba Die Tass. Il semble
que le roi fût dans sa capitale au mOlTlent de l'attaque. Dés le début des hostilités on
le fit sortir de sa cité par une porte dérobée. Njaak Latjigeen organisa la résistance, aidé
par les gens des villages de Ngulangeem. Jalaw. L'arrivée des renforts appelés par les
Njung Njung obligea Lat-Joar à déguerpir· avec son butin.
Cette attaque fut pour Kumba Ndoffeen l'occasion de cristalliser autour de lui
toutes les forces vives du pays. Les Sereer sentirent qu'une victoire des marabouts
signifierait leur asservissent,1:fin de leur genre de vie. L'indignation de cette attaque
fit taire toutes les rancoeurs, toutes le" ambitions. Le seul mot qui était sur toutes les
lèvres était vengeance. Kumba Ndoffeen réunit son conseil pour délibérer sur la
conduite qu'il convenait d'adopter vis à vis des marabouts. Tous opinèrent pour une
déclaration de guerre. Semu Juuf dont 1'3 père avait trouvé la mort lors de l'attaque de
la capitale fut chargé d'aller au Rip notifier à Maba cette déclaration de guerre. Il semble
que Maba n'était pas d'accord avec cette attaque contre le Siin. Son chef spirituel El
Hadj Oumar lui avait conseillé de nE jamais faire la guerre sainte au Siin dont les
habitants, bien que païens notoires ne constituaient pas de danger pour la communau-
té musulmane. Depuis le début de son Jiilad Maba s'était toujours interdit de violer les
frontières du Siin. Maintenant que son lieutenant avait transgressé cette reccomanda-
.
tion, sa responsabilité était totale et entière;dans l'agression dont le Silm était victime)
en tant que chef du Rip.
Maba prit acte de la déclaration de guerre du Siin transmise par Semu Juuf. Son
Etat-major essaya de le dissuader d'entreprendre une expédition contre ce pays
pendant l'hivernage car les Sereer p8~saient pour de grands magiciens capables de
faire tomber la pluie qui rendrait inutilisable la poudre des guerriers. Maba fit prévaloir
le principe que quand les païens menacent la sécurité de la communauté musulmane,
'.
celle-ci ne devait pas se laisser surprendre et donna l'ordre à l'armée de marcher sur
le Siin. Pendant ce temps Kumba Ndoffeen mobilisait ses troupes. Tous les villages
du Siin envoyèrent des contingents pour la défense de leur patrie, de leur religion et
de leur genre de vie. Il demanda aussi (jes troupes au gouverneur pour le soutenir dans
sa lutte contre les marabouts. Il ne reçut que des munitions.
Les Satigi ou prêtes de la religion du terroir, convoqués à Jaxaw prédirent tous
.la victoire de leur pays. Certains d'entre eux firent le serment de faire tomber la pluie
pour tremper la poudre de l'armée Dt) Maba. Ils insistèrent toutefois sur la nécessité
de ne livrer le combat que sur le territoire de la patrie. Dans ce cas en effet, les guerriers
de Kumba Ndoffeen seraient plus motivés. Chacun d'eux aurait conscience de se
battre pour sa liberté, celle de sa fEmilie et de sa patrie. La défaite signifierait
l'asservissement, et l'imposition d'une loi étrangère.
Vers le 15 JuilJet Kumba Ndoffeen était informé que l'armée de Maba était en
marche vers le Siin. Comme l'avaient prédit les devins des pluies torrentielles tombè-
rent sur toute cette région dans la nuit du 17 au 18 Juillet 1867. Le 18 au matin l'année
de Maba s'arrêta pour essayer defaire sécher sa poudre. C'est alors que les éclaireurs
du Siin conduits par Semu Galo Juuf et Mban Samb Fay se mirent à escarmoucher avec
eux. Voyant leur petite troupe, l'armée de Maba les poursuivit. Les éclaireurs, par une
habile retraite, conduisirent méthodiquement leurs ennemis à l'intérieur de leur pays
où les assaillants se heurtèrent au gros des troupes de Kumba Ndoffeen. Ce fut entre
le village et la rivière de Cucun qu'eut lieu l'affrontement décisif'''.
La bataille fit rage durant toute ia journée. De part et d'autre on se battit avec un
courage sublime. Les marabouts en guerre sainte devaient vaincre ou périr. La fuite
devant les ennemis de Dieu était intolérable et Dieu menace de sanctions sévères les
musulmans qui ne se conformeraient pas à ce principe. De l'autre côté les Sereer
n'entendaient pas se laisser surclasse: par leurs ennemis qui leur imposeraient des
pratiques et des dispositions légales étrangères à leur de genre de vie.
Au milieu de la journée Dembawar Sali fit part à Maba d'une blessure reçue par
Lat-Joor. L'alrnarny répondit qu'il ne voulait entendre parler que de mort ou de
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victoireB'. Sur ces entrefaites Lat-Joar et ses partisans, déjà trés réticents sur l'oppor-
tunité du déclenchement des hostilités quittèrent le champ de bataille. Pour eux le
problème du Siin était secondaire, l'important c'était le Kayoar qu'il fallait à tout prix
reconquérir.
Quels que fussent les motifs invoqués pour justifier cette défection de la troupe
du Kayoor, il était difficile de ne pas l';~ppeler trahison d'autant que le conflit était
provoqué par une initiative personnelle de l'ancien damel.
La fuite des gens du Kayoor fut immédiatement exploitée par le Siin qui occupa
les positions abandonnées par Lat-Joor. Kumba Ndoffeen fit encercler les marabouts,
et bloqua par des contingents fraichement arrivés toutes les issues susceptibles de
faciliter la fuite des marabouts. Le Dauphin, le Bumi Salmon s'établit àl'Est, les hommes
du grand Jaraaf prirent position au Sud, les guerriers de Bur-pataar fermèrent le Nord
et Kumba Ndoffeen se chargea de l'OuestB'.
A mesure que les pertes de~; marabouts augmentaient l'étaurdu Siin se
resserrait de plus en plus sur ~~~UlB. Maba comprit que la bataille était perdue.
Il étendit sa peau de mouton pour faire sa dernière prière. Il y fut alors atteint d'une
décharge qui le tua net. La plupart des membres de son Etat-major subirent le même
sort. La mort de Maba jeta la débandade dans son armée. Ce fut le sauve-qui-peut. Les
sereer firent de nombreux prisonniers parmi lesquels un nommé Mama Gallo qui fut
libéré deux jours plus tard pour aller 'aconter les évenements dans son paysB5.
Vainqueurs, les Sereer enterrèrent leur morts ainsi que ceux du parti ennemi. Ils
dénombrèrent sur le champ de bataille 500 corps de guerriers de Maba. Le Siin avait
payé par un lourd tribut en vie humaines cette éclatante victoire. Sept des frères de
Coumba Ndoffeen étaient tombés sur le champ de bataille de Semb. Aprés le combat
le roi fit identifier le corps de Maba. On lui coupa la tête et le bras qu'on envoya à Jaxaw
comme les preuves irréfutables de la victoire du Siin. La tradition orale du Siin trés
prolixe sur cette bataille dit que le corps de Maba fut découpé en petits morceaux
distribués à tous les villages qui avaient fclurni des contingents. Dans tout le Siin ce fut
fi'"
2914•
l'euphorie, Ce que les Français n'avaient pas pu faire contre les marabouts, le Siin
venait de le réaliser, Des chants furent composés par les griots à la gloire du roi.
Cette victoire du Siin profitait également au gouvernement de Saint-Louis en
faisant disparaitre pour un moment la pression que les marabouts exerçaient sur les
territoires annexés. Si le Si in avait été battu, Lat-joor «serait tombé sur le Cayor, et à
cette époque de l'hivernage, il eut été difficile de mettre sur pied des forces convena-
bles à lui apposer. Il y avait déjà beaucoup de malades et à la fin d'Août, la fièvre jaune
éclatait presque en même temps dans toute la colonie. Les postes du Kayoor «étaient
dégarnis et il eût été impossible de leurs envoyer des secours à cette période où le fléau
«faisait ses plus terribles ravagesB6".
Le gouverneur intérimaire Trédos voulut saisir l'opportunité que lui offrait la mort
de Maba pour demander aux populations qui avaient quitté le Kayoor, le Bawol, le Jolof
de rentrer dans leur pays respectifs pour s'y livrer à l'agriculture. Les sujets français ne
seraient pas sanctionnés. Ces circulaires n'eurent pas l'assentiment de Pinet-Laprade
qui, revenu à Saint-Louis le 11 Octobre pensait qu'elles étaient conçues «dans un sens
trop absolue"'". Malgé la défaite, Lat-Joor et ses hommes n'envisagèrent pas de
capituler sans conditions. Leur situation était devenues précaire. Leur salut semblait
ne résider que dans la lutte à outranCEl contre les autorités de Saint-Louis et leurs
collaborateurs du Kayoor.
1- Quin AC.: MANDINGO KINGDOMS OF SENEGAMBIE, Northwestern U.P.
1972, (page 30).
2- Quin AC. : Op. cil., (page 60).
3- Quinn AC.: Op. cil., (page 102).
4- Quinn AC.: (page 102).
5- Quinn : Op. cil., (page 108).
6- Tradition recueilli par Abdou Buri Ba '1971.
7- Klein M. : (page 73).
8- Pinet-Laprade: NOTICE SUR LES Sr::RERES, (page 143).
9- Idem, ibidem.
10- Pinet-Laprade: Op. cil., (page 144).
11- Pinet-Laprade: (page 144).
12- A.N.S. 1 D 22: Pinet-Laprade à Jauréguiberry, le 19 Octobre 1862.
13- Pinet-Laprade: Op. cil., (page 145).
fi
295
14- A.N.S. 1 D 22: Pinet-Laprade à Ja'Jreguiberry le 19 Octobre 1862.
15- Pinet-Laprade: Op. cil., (page 14E,).
16- Pinet-Lprade: Op.Cil. (page 146).
"17- A.N.S. 2 B 33 bis Folio 13 : Faidherbe au ministre, 17 Juin 1864.
18- Archives de Gambie CO 87 Vol l, 78 : Faidherbe à Gouverneur d'Arcy, le 17
Juin 1864.
19- Idem.
".
20- Archive Gambie CO.f87, 80 vol.:?;' D'Arcy à E. Cardwel, 16 Septembre 1864.
21- Idem, ibidem.
22- A.N.S.O.M. Sénégal IV, 48 séance du 2 Septembre 1864.
23- ANNUAIRE DU SENEGAL DEPENDENCES 1866-1867, (page 239).
"24- A.N.S. 4 B 20 Folio 103 : Laprade au Gouverneur, 29 Juillet 1864.
25- Ba T.D.: ESSAI HISTORIQUE SUR LE RIP. B.I.F.A.N. 1957, (page 580).
26- Ba Abdu Buri, (page 8).
27- Ba Abdu Buri : Op. cil. (page 8).
28- A.N.S.O.M. Sénégal IV, 48 : ConsEdl d'administration séance du 13 Octobre
1865.
29- A.N.S. 1 D 26 pièce 6: L'ordonnateur Gilbert-Piéne au colonel d'Arboult, 26
Juillet 1865.
30- A.N.S.O.M. Sénégal IV, 48 : Conseil D'administration, séance du 13 Octobre
1865.
31- A.N.S. 1 D 28 pièce 6: L'ordonnateur Gilbert Pierre à D'Arbault.
32- A.N.S. 1 D 27: Comandant Rinjot au Gouverneur, 24 Juillet 1865.
33- A.N.S. 1 D 27: Le gouverneur à Commandant supérieur de Guerre, 2 Août
1865.
34- A.N.S. 1 D 27: Commandant de Gorée au Gouverneur, le 29 Juillet 1865.
35- A.N.S. 1 D 27: Commandant poste de Merinaghen au Gouverneur, 8 Août
1865.
36- A.N.S. 1 D 27 Commandant Rinjot au Gouverneur, le 27 Août 1865.
37- A.N.S. 13 G 271 pièce 33: Nguisguis au Gouverneur, le 3 Septembre 1865
(Teleg.off.).
38- A.N.S. 13 G 281 pièce 9: poste de Thies au gouverneur, 21 Septembre 1865
(Télég. off.).
39- A.N.S. 1 D 28: Commandant poste de Niomre au Gouverneur, le 29 Octobre
1865.
40- A.N.S. 1 D 27: Commandant de Gorée au Gouverneur, le 9 Octobre 1865.
41- A.N.S. 1 D 27: Commandant de Gorée au Gouverneur, le 9 Octobre 1865.
42- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48: Conseil d'administration séance, 13 Octobre 1865.
43- A.N.S. 2 B 33 Folio 52: Laprade au ministre, 16 Octobre 1865.
44- ANNUAIRE DU SENEGAL ET DEPENDANCES. 1866-1867 (pages 211-220).
45- Sabatier P.: Op. cil. (page 177).
46- Arg. CO./87-83 volume 2 D'Arcy au Colonial Office 23 Décembre 1865
47- Tradition orale recueilli auprés de ~;ani Sambe
48- A.N.S. 2 B 33 Folio 152-154 : Gouverneur au Ministre 18 Décembre 1865.
49- Idem, ibidem.
50-Idem.
51- A.N.S. 2 B 33 FF 150-154: Pinet-Laprade, au Ministre 18 Décembre 1865.
52- AR.G. CO/87-83 Volume Il: D'Arcy à Cardwel, 23 Décembre 1865.
53- AR.G. CO/87-83 Volume Il: D'Arcy à Cardwel, 23 Décembre 1865.
54- A.N.S.O.M. Sénégal Il, 4 : Aube: Mémoire sur le Sénégal, Le 6 Août 1867.
55- AR.G. CO/87-84 Volume 1: 11 Janvier 1866, D'Arcy au Colonial Office.
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56- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 B : L'ordônnateur Tiédos. Quelques pages sur la si-
tuation politique du Sénégal depuis 3 aris, le 14 Février 1870.
57- ANS. 1 030: Télégr. Off. chef de ;Joste Betio au Gouverneur, 24 Septembre
1866.
58- A.N.S. 1 030 Chef de poste de Betio au Gouverneur, 24 Septembre 1866 (Té-
légr. Off.).
59- Idem, ibidem.
60- A.N.S. 1 030: Chef de poste de I~diagne au Gouverneur, 25 Septembre 1866.
61- A.N.S. 1 030: chef de poste Mbetat au commandant de Gorée, 28 Serptem-
bre 1866 (Télégr. Off.).
62- A.N.S. 1 030: Chef poste de Thiès au Gouverneur,28 Septembre 1866.(télégr.
off.).
63- A.N.S. 1 030 : Commandant poste de Nguiguis au commandant de Gorée, 28
Septembre 1866.
64- ANS. 1 030: Commandant posie de Nguiguis au commandant de Gorée, 28
Septembre 1866.
65- A.N.S. 1 030: Commandant poste de Thies à Commandant supérieur Gorée,
le 3 Octobre 1866.
66- AN.S. 1 030 : Commandant poste de Thiès à Commandant supérieur de Go-
rée, le 3 Octobre 1866.
67- ANS. 1 030: Bou EL Mogdad au Gouverneur, le 13 Octobre 1866.
68- AN.S.O.M. Sénégal IV- 48: Conseil d'administration séance du 29 Août 1867.
69- A.N.S. 1 030: Note remise le 14 Mars au commandant de Gorée sur les opé-
rations militaires qu'il est chargé de diriÇJé dans le Salum et le Siin, 14 Mars 1867.
70- Idem, ibidem.
71- Sabatier, Op. cil., (page 181).
72- A.N.S. 1 B 91 Folio 140 l'Amiral Ministre secretaire d'Etat département de la
Marine et des Colonies au Gouverneur du Sénégal, 23 Avril 1867.
73- Idem,ibidem.
74- ANS.O.M. Sénégal l, 54 C: Remol fils et C". Saint-Louis, le 30 Avril 1867.
75- ASO.M. Sénégal l, 54 C : Remol fils et C". Saint-Louis le 30 Avril 1867.
76- Idem, ibidem.
77- ANS.O.M. : Sénégal IV 48 B : Tmdos : quelques pages sur la situation politi-
que du Sénégal, 14 Février 1867.
78- ANS.G.M. : Sénégal IV 48 B : Trédos, 14 Février.
79- Idem, ibidem.
80- AN.S.G.M. : Idem, ibidem.
81- ANS. 1 030 poste de Ndiagne au Gouverneur, le 2 Mai 1867.
82- Tradition orale fournie par Cheikh Mbaye, Mars 1980
83-ldem.
84- Tradition orale donnée par Saltigi Senghor de Tagjam en Février 1979.
85-ldem.
86- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 B: Trédos : Quelques pages". le 14 février 1870.
87- ANS.O.M. : Idem, ibidem.
CHAPITRE IV
:; ....
LA GUERRE FRANCO-PRUSSIEN~IEET LA RESTAURATION DE LA ROYAUTE
AU KAYOOR AU PROFIT DE LAT-JOOR 1867-1871
La mort de Maba fut suivie au Rip d'une profonde crise politique due à l'absence
cI'une loi successorale précise. Fallait-il maintenir le pouvoir dans la famille du disparu
.et nommer son fils Saer Mati en confiant provisoirement la régence au jeune frère de
Maba jusqu'à la majorité du titulaire? Ou fallait-il considérer le régime mis en place par
Maba comme une sorte de République égalitaire dont la direction appartiendrait au
musulman jugé le plus digne de l'assumer, quelles que fussent ses origines sociales.
Certains chefs de provinces tels que Samba Jobay et Mataar Kalla, anciens alliés de
Usman Jop refusèrent d'entériner le choix de Mamu Ndari comme successeur légitime
de Maba et entrèrent en dissidence ouverte.
Lat-Joor dont la conduite à Somb faisait l'objet de critiques acerbes songea à
quitter le Rip pour le Kayoor. Dans cotte atmosphère de suspicion, et pour éviter de
prendre parti pour l'une des fractions qui se disputaient la succession de Maba, il
pensa plus sage de quitter le Rip où la famine sévissait. Son premier mouvement fut
d'envoyer des émissaires auprés de Bay Bayaar Penda Coro pour lui demander
hospitalité, et au cas où il se heurterait à une fin de non-recevoir? envisageait cie se
soumettre au gouvernement de Saint-Louis'.
Il avait appris que des circulaires étaient diffusées dans tous les pays soumis
à l'autorité française ainsi que dans le Bawol, le Siin et le Salum, le Rip pour inviter tous
ceux qui avaient marché à la suite de Maba à rentrer dans leurs pays respectifs avec
leurs familles 2• De retour dans la colonie le 4 Octobre 1867 Pinet-Laprade donna l'ordre
au Gouverneur intérimaire Trédos de su,seoir à l'envoi des circulaires qui n'avaient pas
encore quitté son bureau sous prétexœ qu'elles étaient conçues dans un sens trop
absolu. Le gouverneur entendait réduire la portée des mesures d'amnistie. Il en
excluait tous ceux qui avaient exercé un commandement important soit dans le
Kayoor, soit dans l'armée de Maba depuis 1864. De toute évidence ces mesures
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dIscnmlnatolres ne Visaient que Lat-Joor et ses lieutenants dont le profil correspondai-
tà celui défini par Pinet-Laprade".
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Le gouverneur finit par se raviser et généralisa la mesure car la soumission de
Lat-Joor dans cette période où la fièvre jaune faisait des ravages, créerait un climat de
paix indispensable à la reprise économique. Depuis son exil au Rip, Lat-Joar revenait
chaque année dans son pays pour le ~;oumettre à un pillage sans merci. Les colonnes
françaises épuisaient leurs forces à le poursuivre. Avec la régularité d'une mécanique
bien huilée, il se présentait chaque hivernage pour appliquer les châtiments qu'ils avait
promis l'année précédente à ceux qui s'aventuraient à faire de l'arachide. L'autorité
française était «incapable de les protéger autrement que par des paroles dans ces
moments critiques'». Aussi l'hésitation des gens cessa-t-elle rapidement et tous se
soumirent à l'emploi tenace de la forœ".
Il s'ensuivit une restriction, VO:'9 un abandon de la culture arachidière dans les
zones d'intervention de Lat-Joor. Les quantités d'arachides achetées par le com-
merce furent trés faibles6 • Ces raids de pillages provoquèrent aussi de sévères
pénuries alimentaires pendant trois 81lS. Les populations cruellement éprouvées
abandonnèrent leurs villages pour des cieux plus cléments malgré les avances
importantes que le gouvernement et le commerce leur consentirent en mil et en
arachide à l'approche des semailles'.
La guerre contre le Si in menél~ ,Jar les Marabouts donna aux populations du
Kayoar un répit qui leur permit de se consacrer en toutes sécurité à leurs champs
pendant l'hivernage 1867. Les récoltes ètaient belles. Elles dépassèrent «de beaucoup
celles des années précédentes les plu>; abondantes6». Le retour de Lat-Joor comme
chef de sa province natale du Geet aurait des résultats heureux sur l'économie du pays
dont le volume ne cesserait d'augmerlter avec le rétablissemeent de la paix. Lat-Joar
devait toutefois accepter de commancler le Geet sous les ordres du gouverneur et
prendre l'engagement de ne faire de querre qu'avec l'assentiment de Pinet-Laprade9•
Les garnisons des postes de Njaan et de Ker Mandumbe Xari le détruiraient s'il tentait
de se soulever.
2 9''.'
Le retour de Lat-Joor dans son pays priverait les partisans de Maba d'une force
importante au moment où l'autorité de);on successeur était battue en brèche par des
contestataires. Dès lors le parti national du Salum pourrait faire sa réapparition et
travailler à la restauration de la monarchie gelowar. Vainqueur, le Salum servirait
d'écran protecteur contre le Rip, S;non l'anarchie provoquée par les luttes entre
marabouts et Ceddojen se prolongeë'll) donnerait un long répit aux pays naguère
soumis aux dévastations des guerriers de Maba'o.
Mais le malentendu des premiers jours suivant la mort de Maba finit par se
dissiper. Mamu Ndari sucesseur désigné comme l'Almami dissuada Lat-Joor de
quitter le Rip. Aprés les lourdes pertes subies par les marabouts àSomb, seule l'armée
de Lat-Joor paraissait en mesure de venger Maba. Il n'était pas non, plus exclu que
Mamu Ndari essayât de l'utiliser comrne un épouvantail pour ramener à obeissance
les chefs de province qui s'étaient rebellés contre son autorité.
Dans l'immédiat le Rip ne semblflit pas capable d'entreprendre une opération
militaire de grande envergure. La famine sévissait partout. Les paysans n'avaient
récolté que peu de produit en raison de leur mobilisation qui était intervenue au seuil
de l'hivernage. Cette famine jetait beaucoup de paysans et surtout des éleveurs peuls
sur les routes du Bawol. Cette situation économique critique paralysa Lat-Joor et
Mamu Ndari qui décidèrent de surseoir à l'attaque contre le Siin"-
Si Lat-Joor avait accepté de rester au Rip, c'est qu'une rupture avec le
successeur de Maba lui aurait supprimé la seule base sûre de repli dont il pouvait
encore disposer. Leur collaboration s'avéra nécessaire. Ils élaborèrent ensemble des
plans dont l'exécution leur donnerait l'initiative des opérations. Dans un premier temps
ils s'attaqueraient au Siin dont les villages regorgeaient de récoltes. Aprés avoir vengé
la mort de Maba, et pillé le pays ils marcheraient ensemble sur Koki, "et dans le cas où
l'accueil des populations serait sympathique ils agiraient pour reconquérir le Cayor
sinon ils rentreraient au Rip'2".
Lat-Joor essaya de s'approcher du Kayoor en demandant à son ami le Bay
BayaI' Penda Coro de prendre sous sa protection "ses femmes et son troupeau parce
#
300
qu'il voulait venir dans le Cayor et qUE: s'il n'obtenait ce qu'il voulait il se battrait"". Lat-
Joar ne désirait rien d'autre que lae-0yauté pleine et entière du Kayoor que "ses aïeux
ont commandée pendant douze g(Jnérations. Si on ne veut pas me l'accorder, dit-il,
Dieu qui juge l'accordera à la force de mon sabre"".
A l'approche de l'hivernage il accentua sa pression sur le gouvernement de
Saint-Louis en faisant étalage de ses préparatifs contre le Siin et le Kayoor. En Mai
1868, dans une lettre qui ne manqu3it pas d'allure il demanda à Pinet-Laprade "pour
la dernière fois et avant de ne rien entreprendre contre le pays, à être roi'5". De surcroit
les Français retireraient tous leurs postes du Kayoor afin de le laisser gouverner à sa
guise, "Sinon il le demanderait à Dieu 16". Cette situation ambiguë de ni guerre ni paix
dura jusqu'à l'hivernage. Il évita la ruplure avec le gouverneur en s'interdisant de faire
des incursions dans le Kayoor pendant la saison des pluies. Il tourna son agressivité
contre les pays du Niani, du Wuli et le royaume de Tamba. L'expédition s'avéra difficile.
C'était dans une région où la vigueur de la végétation servait d'écran protecteur contre
sa cavalerie. Les arbres étaient transformés en redoutes. A ces obstacles les popula-
)
tians ajoutèrent leurs abeilles guerriares. Les pertes subies dans cette province avaient
les proportions d'un désastre17. C'est là que mourut Meissa Mbaye Sali chef des
esclaves de la couronne. Il est vrai que Lat-Joar était revenu de cette expédition avec
un immense troupeau de boeufs fort utile dans cette période de famine.
A son retour au Rip en Août 18613, Lat-joor fit part à Mamu Ndari de son intention
de rentrer au Kayoor où la famine n'i;tait plus qu'un triste souvenir. L'almamy lui donna
son accord à condition qu'il restituât à l'Etat du Rip les armes et les chevaux que Maba
lui avait donnés. Lat-Joar était décidé à tout emporter, et si nécessaire il enverrait
quelques coups de fusils au marabout'6. Un compromis fut finalement trouvé et Lat-
Joar accepta d'attendre l'issue de ses négociations avec le gouverneur. Pour soulager
les populations du Rip terrassées par la famine il fit vendre une partie de son troupeau
pour acheter du mil'·. Ce geste n'était peut-être pas étranger à la solution du litige qui
l'opposait à Mamu Ndari.
En Novembre Lat-Joar dépêcha deux émissaires à Keur Mandumbe Xaari pour
s'assurer des conditions que lui ferait le gouverneur s'il faisait sa soumission. Malgré
if
. '.
'='--J01.
son souci de rester au Rip pour particip'er à l'opération contre le Siin pour venger la
mémoire de Maba, il se résigna au départ car "sa mère, les femmes de ses gens
malades dans le Rip, atteintes de plaies aux jambes réclamaient à grands cris le retour
au Cayor20". Dans un premier temps il laissa partir certains membres de sa suite dont
la présence constituerait la preuve de ses bonnes dispositions. La mort de Maba,
l'affaiblissement du Rip tiraillé par des guerres intestines lui avaient donné la certitude
que la prolongation de son séjour chez les marabouts équivalait à une renonciation au
En Janvier 1869, il pénétra dans le Kayoor et s'établit à Sugeer. Ses compa-
gnons reçurent la permission d'aller voir leurs familles avec l'ordre formel de respecter
les biens d'autrui. Dans sa nouvelle résidence il déploya un certain prosélytisme qui
amena certains habitants du secteur à embrasser l'islam22• C'est ce zèle qui l'aurait
décidé à rentrer dans son pays car un faisceau de renseignements lui apprit qu'un
mouvement religieux se développait dans le Futa-Toro sous l'égide de Ahmadou Seku.
Il serait venu dans le Kayoor dans l'espoir de tirer profit de cette agitation.
Aussitôt installé à Sugeer, il fit purtir des envoyés pour Saint-Louis afin de
négocier son retour avec le gouverneur. A l'époque le pays était sous l'empire d'une
épidémie de choléra qui en un mois et (Iemi avait fait 4000 à 5000 victimes parmi la
population indigène de Saint-Louis. Aucune partie du pays n'était épargnée. Le
Kayoor, le Bawol, le Sud furent ravagés par le fléau". Cette situation excluait toute lutte
année.
Pinet-Laprade, désireux de justifier ce qu'il avait dit au ministre que le Sénégal
était entièrement pacifié, voulait la paix à tout prix et offrit à Lat-joor le canton du geet
auquel il avait des droits par la naissance. Le 2 Mars 1869, à la tête d'une colonne de
600 hommes Pinet-Laprade partit pou; Njaan pour aller reconnaître Lat-Joor comme
le chef du Geet et lui donner l'investiture2'. Au cours de cette entrevue certaines
questions évoquées par Lat-Joor ne reçurent aucune réponse satisfaisante de la part
du Gouverneur. Il rèclama ses anciens e~;claves qui étaient restés dans le pays, Ainsi
que ceux de sa tante la Lingeer Debo. Suree point le gouverneur répondit évasivement.
fi
JO 2
.. ?:
Depuis Faidherbe, la position du gouvernement de Saint-Louis sur l'esclavage
était ambiguë. L'article 7 du décret d"§rnancipation du 27 Avril 1848 disposait que le
sol français "affranchit l'esclave qui le touche». Mais le souci de peupler les territoires
des banlieues de Saint-Louis et de Gorée de famille dévouées à la France amena
l'administration à abandonner la prétention d'imposer les lois françaises à tous ceux
qui viendraient se placer sous sa protection. C'eût été inspirer la défiance aux chefs
de famille que de leur demander de renoncer à leur~nstitutio~t surtout à l'esclavage'".
En 18651e Kayoor avait été annexé. Il était devenu territoire français. En principe tous
les esclaves qui s'y trouvaient étaient légalement affranchis. Il en fut autrement.
L'esclavage était maintenu.
Il se trouve que certains esclaves de Lat-Jooret ~ux deses gens avaient profité
de l'éloignement de leurs maîtres pOlil· s'affranchir par l'obstention de patentes de
liberté que l'administration leur délivra nénéreusement dans le cadre de la lutte sans
merci qu'elle menait contre Lat-Joar. Celui-ci n'était pas homme à laisser prescrire ses
droits de propriété sur ses captifs. Pinet- Laprade commit la faute de ne pas réglerd'une
façon définitive la question des escla'!e~; que réclamait Lat-Joor en lui proposant une
indemnité puisqu'il "ne pouvait légalement lui restituer» ceux qui étaient munis de
patentes de liberté26• Pourtant il eut l'audace de dire à Lat-Joor qu'il pouvait les
réclamer dans les postes où ils avaient trouvé refuge2'.
Cette attitude de Lat-Joor était l'indice que sa soumission n'était que ruse qui
lui permettait d'attendre le moment opp:Jrtun pour agir en ennemi du gouvernement
de Saint-Louis. Comment Lat-Joor qui fut roi de ce pays et qui était parvenu à le ruiner,
en le soumettant systématiquement à ses incursions dévastatrices, depuis qu'il avait
été contraint à l'exil, pouvait-il subitemen', se résigner àentériner l'annexion de sa patrie
et considérer "comme un bienfait et S:3ns arrière-pensée le r61e de simple chef de
canton2"» ? tout laisse supposer que l.at-Joor n'acceptait cette position que pour
reprendre pied dans son pays et le préparer à un soulèvement29•
Déja en Février 1869, en se renclant à Koki pour voir ses parents il avait invité
sur son passage les chefs et leurs administrés à se çonvertir à l'islam. Pinet-Laprade
1
......,
désapprouva cette action missionnaire de Lat-Joar qui lui répondit non sans fierté qu'il
était un homme libre et qu'il n'était pas sous ses ordres. «Quand un chef veut faire la
paix avec un autre chef, ajouta-t-il, il ne lui assigne pas certairi'limites, car il n'y a que
les hommes amarrés ou aux fers qui restent dans le même endroit'". Pinet-Laprade
. '.~:.
n'était peut-être pas dupe du marché qu'il voulait faire admettre à Lat-Joar. Tenu en
bride par les instructions ministérielles qui lui recommandaient de rester sur la
.défensiver par l'épidémie de choléra qui lui interdisait de parcourir avec ses colonnes
. un pays contaminé par le fléau, il chercha lui aussi à gagner du temps, attendu que
dans son esprit les postes de Xawlu, de Kër Mandumbe Xaari, de Njaan et de Kaki
seraient en mesure de le contenir ou de l'écraser s'il se soulevaitJ1 .
Aprés son installation Lat-Joor se mit à récupérer ses esclaves dont il vendit
quelques uns pour acheter des chevaux et des armesJ2. Son armée avait subi de
lourdes pertes lors des expéditions du Bambouck et il entendait lui redonner son
ancienne aptitude opérationnelle. Il déclara que sa soumission n'interviendrait que si
le gouverneur lui redonnait la royauté alJsolue du Kayoar. Il se disait prêt à attaquer et
à détruire les poste du Kayoar et à y imposer l'islam à tous les pa'jens.
Pinet-Laprade lui repprocha d'avoir repris dans le Sarïoxoar ses esclaves qui
s'y étaient refugiés et de les avoir surtout vendus. Le nouveau chef du Geet lui fit cette
réponse: «Je ne puis subsister dans ce pays, où il n'y a rien. Je suis obligé de donner
des chevaux et des armes aux gens qui m'ont accompagné dans le Rip et qui se sont
dévoués. Le seul moyen dont je dispose pour faire de l'argent, c'est de vendre mes
captifs et encare une fois je réclame les miensJJ••• Parallèment à ces mesures d'ardre
militaire, Lat-Joar prit contact avec certains dignitaires des provinces en vue de les
intéresser à sa cause. Ainsi les musulmans de Bargny)de Wayembaam, de Garom se
réunirent au village de Mbodé pour discuter les propositions de Lat-Joar apportées par
l'ancien Fara digeej Massamba Joar 1~bay et relatives au rétablissement de Lat-Joar
comme Damel et à l'expulsion des blancs du pays".
A mesure que l'hivernage approchait, il devenait de plus évident que le Geet
n'était qu'une étape pour la reconquête du pouvoir par Lat-Joar, et qui devait intervenir
11
304
pendant cette période. En Juin 11369ilcrut le moment propWJPour se soulever dans
l'espoir de réaliser son projet.
ALLIANCE DE AHMADU ET DE LAT-JOaR
Depuis 1868 les ravages du choléra sur les populations surtout autochtones
prenaient les proportions d'une apocalypse. Pour la seule ville de Saint-Louis on
dénombrait plus de 100 morts parjou,. Oans l'intérieur, les victimes étaient encore plus
: nombreuses. Les marabouts cherchèl'ent à expliquer aux hommes désabusés le's
ravages du fléau en l'attribuant à la colère de Dieu, C'était un châtiment qu'II avait
envoyé aux peuples pour les punir cJe la tiédeur de leur foi. Ahmadu Sexu de Wu ru
Mahdiyyu saisit cette circonstance pour prêcher la guerre Sainte contre les Blancs en
faisant croire aux populations que c'étaient ces étrangers qui avaient apporté le fléau
dans le pays. Il annonça que seuls ses adeptes en seraient protégés. Sous l'empire
de la peur certains musulmans répondirent avec exaltation à son appel. "Ahmadu
Sekhou put aussi se constituer un noyau d'hommes résolus avec lesquels il se décida
à lever l'étendard de la révolte"'». Le père de Ahmadu Sexu, nommé Hamme Ba avait
pris letitre de Mahdi, c'està dire le Messie qui doit venir à la fin des temps pour restaurer
j'islam dans sa pureté originelle. Il avait immolé un de ses enfants un jour de Tabaski
qui marque l'anniversaire du sacrifice d'Abraham, pour administrer la preuve de la
divinité de sa mission'"'
La peur de mourir d'une mOlt \\iiolente que l'on percevait comme la pire des
sanctions divines rendit les musulmans de plus en plus perméables à la propagande
religieuse de Ahmadu Sexu. Il avait pour premier lieutenant son ~ frère consanguin
Ibra Penda Buya neveu et ennemi de ~;erigne Koki. Ibra Penda avait suivi Lat-Joor au
Rip et était partisan d'un combat sans merci contre les païens et les musulmans dont
les comportements étaient trop laxistes vis à vis des prescriptions coraniques. Il ne
tarda pas à entrer en conflit avec son oncle".
Prenant prétexte de ce différent, Ahmadu Sexu entra dans le Kayoor pour les
réconcilier. Le 20 Juin 1869 il quitta son village de Wuro Mahdiyyu avec ses adeptes.
Il passa par le Walo sans être inquiété. En effet Sidya ~éon Jop, héritier du trône du Walo
'# -- - J 0 5
venait d'être exclu du bataillon des tirai'IÎ~urs Sénégalais où il servait avec le grade
~
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d'officier indigène malgré son jeune âge, sous le prétexte que sa conduite n'était pas
toujours irréprochable. Cette humiliation fit de lui un ennemi de Pinet-Laprade. Ses
collaborateurs prirent contact avec ~at-Joor en vue de la coordination de leur
. '}"":
.
.
soulévement éventuel. C'est pour cette raison qu'il favorisa le passage de Ahmadu
Sexu dans sa marche vers le Kayoor".
A son arrivée à Budy village situé prés de Koki son frère Ibra Penda Buya fit sa
jonction avec lui. Le marabout dépêcha un émissaire à Koki pour dire à l'oncle qu'il
venait le réconcilier avec le neveu alors qu'il avait l'intention de le destituer au profit du
neveu. Le gouverneur ordonna à Serigne Koki de s'opposer par la force à l'entrée de
Ahmadu Sexu dans son village39• Il avait (jéja envoyé l'escadron des spahis qui devait
arriver à Koki le 26 Juin au soir. Mais se croyant en mesure de repousser les assaillants
Serigne Koki attaqua avec ses partisam; la petite troupe de Ahmadu Sexu le 26 au
matin. Mais la défection de la plupart df:l ses guerriers le contraignit à se mettre à l'abri
dans le poste de Njaan. Les vainqueurs massacrèrent ceux qui ne purent s'enfuir. De
là le marabout se rendit à Njop dans le Nguewul dont il tua le chef Maroso dans une
embuscade pour l'empêcher de porter secours à Koki'o. Puis ils se rendirent à Dexële
le 30 juin pour faire leur jonction avec Lat-Joor".
Ensemble ils commencèrent le pill.3ge des villages dont les habitants refusèrent
de les suivre. Le canton de Mbul fut leur première cible. Puis ce fut le tour de Ndand,
de Batal, de Xandaan42.
Pinet-Laprade comprit qu'il avait commis une faute grave en voulant faire fi du
passé de Lat-Joor au point d'accepter sa présence dans le Kayoor et de lui confier la
chefferie de sa province natale. Aussi essaya-t-il de montrer qu'il n'y a pas de
concertation entre les deux chefs que La~-Joor n'avait accepté de se rallier à l'idée du
soulèvement "qu'aprés de longues hésitations". Ce qui prouve que cette alliance
n'était pas préméditée, dit-il, c'est que la reine-mère partie du Rip, arrivait au Geet pour
s'y établir avec toute sa suite et ses biEns, en apprenant la conduite de Lat-Joor, elle
s'est rendue au poste de Khaoulou en me faisant annoncer qu'elle désavouait son fils,
11
30 ()
qu'elle se plaçait sous la protection de la France'"' Elle ne pouvait faire autrement,
,
surprise qu'elle fut de se trouver dans le voisinage d'un poste français au moment du
déclenchement de l'insurrection. Son influence sur Lat-Joor était annihilée depuis
longtemps par celle des esclaves de la couronne. En raison de l'ampleur de l'insurrec-
tion et des enjeux qui étaient en cause, seules les armes étaient capables de trancher
la question du Kayoor. En quelques jocrs Lat-Joor mobilisa 6000 hommes. Le 27 Juin
une colonne de 600 hommes commandé par le chef de bataillon Brunon fut mise sur
pied. Elle avait pour mission de ravitailler le poste de Njaan «d'y rallier l'escadron de
spahis ainsi que les contingents du Njambur et de poursuivre l'ennemi jusqu'à sa prise
ou à son expulsion" du territoire français". A Njaan Brunon trouva réunis 4.000
volontaires et 800 cavaliers qui furent immédiatement placés sous les ordres du
capitaine des Spahis Audibert directeur des affaires politiques.
Le ministre critiqua ce choix de Brunon, directeur du génie comme comman-
dant de celle colonne d'infanterie alors qu'il revenait de droit à l'un des officiers
supérieurs de l'infanterie de marine en l'occurence le lieutenant colonel Lecamus ou
le cllef de bataillon Hopfer". Peut-être que dans le désarroi avait-il manqué de lucidité,
ou voulait-il continuer sa politique de favoritisme qu'on lui reprochait souvent au risque
de compromettre la vie des hommes. Il se peut qu'il eût fait appel à l'homme qui, à
l'époque acceptait d'appliquer ses consignes selon lesquelles les Noirs suffisaient à
la défense des possesssions françaises, que la colone blanche ne devait plus
participer aux combats sinon pour appuyer les auxilliaires par l'artillerie'",
Aprés avoir ravitaillé Njaan, Brunon se mit à la poursuite de Lat-Joor et de son
allié. Comme toujours l'ancien damel épuisa ses poursuivants par ses marches et
contre marches. Il savait pouvoir compter sur ses alliés naturels à cette période de
l'année: "les chaleurs torrides du Sén.o.gal. .. et l'absence d'eau potable"". Quand
Brunon arrivait dans un endroit dans l'espoir d'y trouver Lat-Joor, les informateurs lui
disaient qu'il avait quitter les lieux quarante huit heures plus tôt. Il en fut ainsi entre le
1"' et le 8 Juillet 1869.
A cette dernière date le commalldant Brunon prit la route de Xandaan où la
présence de Lat-Joor lui était signalée. Al'rivéeà Xalla,ïl y fut rejoint par le chef de village
- ...;-~
#
307
de Mexe, probablement un espion de Cal-Joor qui lui dit que ce dernier avait passé la
nuit dans son village, qu'i', y était encore. Espéranialors y surprendre Lat-Joor, Brunon
leva son camp et se dirigea à march8s forcées vers le village indiqué'" Du fait de la
fatigue de ses hommes. Brunon établit son camp à Risso à environ 600 mètres de
Mexe où il avait un puits «important pouvant suffire à rafraichir les hommes et les
animaux'"». Se conformant aux directives du gouverneur, il donna l'ordre, aux
volontaires mieux habitués au climat, de faire une reconnaissance vers Mexe et en
«même temps au capitaine Canard de les servir d'appui avec son vigoureux esca-
dron50". Pour mettre de l'ordre parmi ses nombreux volontaires ils furent encadrés par
le lieutenant De Pardailhan des Affaires Indigènes et le capitaine Audibert des Spahis.
Ce dernier forma son ordre de marche en plaçant au centre les gens à pied, aux ailes
les cavaliers, l'escadron se tenant à 200 mètres prêt à les soutenir.
Peu aprés le départ les cavaliers des ailes se portèrent au galop de charge sur
le premier village de Mexe que Lat-Joor avait abandonné pour le deuxième village où
il y avait des puits". Il avait fortifié ce village de tapades en terre et paille. Il connaissait
mieux les volontaires que le chef de la colonne. Ils n'étaient mus que par le désir du
pillage, du butin àmoindre frais. On m~ remarquait pas chez eux ces sentiments élevés .
qui conduisaient souvent les hommes aux dévouement sublimes. Aussi dès qu'il
sentaient que la mort était proche n'hésitaient ils jamais à se sauver dans toutes les
directions.
Audibert dont l'objectif était de S8 saisir de la personne de Lat-Joor marcha en
tête des volontaires dont les têtes étaient ornées de branchages pour les distinguer
des guerriers de Lat-Joor. Au feu des volontaires, les gens de Lat-Joor répondirent par
une salve qui «jeta la panique parmi tous les volontaires du Diambour et du Cayor,
lesquels étaient cependant en arrière de ceux de Saint-Louis, tirèrent en l'air et prirent
la fuite». Ce résultat obtenu, les gens de Lat-Joor se portèrent en avant et ce fut la
débandade des volontaires de Saint-Louis. «Toute cette masse confuse se rua affolée
sur l'escadron des SpahisS2 qui éprouva beaucoup de difficulté à maintenir son ordre
\\\\
dans la bataille. Il dut supporter seul le choc des forces de Lat-Joor et de Ahmadu Sexu
réunies. Malgré deux charges violentes de l'escadron, les guerriers de Lat-Joor
restèrent maîtres du terrain. Embusqués dérrière de gros baobabs,les fantassins
tiraient sur les chevaux et démontaient les cavaliers. Les assaillants finirent par battre
en retraite. Le capitaine Audibert avait payé de sa vie sa témérité. 22 Spahis dont 20
européens et 45 chevaux furent tués ou laissés pour tels sur le champ de bataille"'. Lat-
Joar envoya un détachement s'interposer entre Mexe et Risso obligeant les rescapés
du massacre à se diriger sur Xawlu à pied qu'ils atteignirent à la nuit tombanteS<.
Brunon, privé des volontaires qui s'étaient dépêchés de rentrer chez eux,
n'ayant plus d'éclaireurs ni assez de vivres pour poursuivre Lat-Joar, n'eut pas la
présence d'esprit d'aller sur le champ de bataille et sa conduite en cette circonstance
fut jugée regrettable. Il éùt peut-être sauvé beaucoup de bléssés qui furent achevé par
l'armée de Lat-Joar qui s'empara par ailleurs des armes et des vêtements des Spahis
dont il fit comme d'habitude des trophées qu'il promena dans tout le Kayoar. La
colonne Brunon rentra à Saint-Louis le 20 Juillet 1869.55
La mollesse de la résistance des volontaires fut mise par le gouverneur au
compte du réveil du sentiment religic;Jx. Pour lui ils auraient eu peur de se battre par
crainte d'offenser Dieu56• Il semblait oublier que la plupart de ces volontaires avaient
participé au pillage du Rip, alors Etat théocratique. Ce désastre de Mexe eut une
funeste influence sur sa santé. A l'amertume de cette défaite, les ministres de la marine
et de la guerre ajoutèrent leurs hostilité~ «le premier regrettant qu'un officier de l'armée
de terre fût gouverneur d'une colonie, et trouvant naturellement que tout allait mal; le
second ne voulant pas lui donner d'emploi en France sous le prétexe qu'il n'avait servi
qu'au Sénégal, et qu'il ne pouvait diriger avec fruit une direction du génie en France57».
Le 25 Juillet il quitta Saint-Louis pour Gorée et y tomba malade. Revenu de Garée il fùt
pris d'une violente attaque de choléra dans la nuit du 16 au 17 Août 1869 et succomba
sans dire un mot58•
Pinet-Laprade mourut, victime des contradictions de la politique coloniale de
Paris, qui tout en approuvant les annexions restait hostile à toute opération militaire de
grande envergure alors que la résistance locale gardait toute sa vitalité, et n'entendait
pas baisser les bras devant la confiscation de son pays. Sans doute le cantonnement
de quelques garnisons militaires consistantes dans les postes militaires de Njaan
#
Joa
(1866) de Kër Mandumbe Xaari (1867) de Xawlu (1867) de Talem (1867) aurait pu
faciliter la défense du Kayoor et le protéger contre le retour des chefs chassés. Mais
leurs effectifs squelettiques environ 10 el12 personnes n'étaient capables, tout au plus
de maintenir ces populations récalcitrantes que dans une obéissance discontinue.
Elles étaient impuissantes à interdire l'accès du pays à Lat-Joor surtout pendant
l'hivernage où elles étaient bloquées dans leur enceintes9• En acceptant la soumission
de Lat-Joor dans l'espoir de voir s'instaurer un climat de paix durable, il donna au chef
du parti national le tremplin rêvé pour déclencher son insurrection au moment le plus
opportun. Le retour précipité de la colonne Brunon laissa Lat-Joor maître du Kayoor
et lui livra les villages demeurés fidèles au gouvernement de Saint·Louis. Comme à son
habitude illes soumit à des dépradations systèmatiques. Les villages furent incendiés,
les habitants exécutés ou réduits en servitude. Pour isoler encore davantage les poste
français de Xawlu, et de Kër Mandumbe Xaari il y interdit la culture dans tout leur
voisinage. Ainsi il transforma en désert la quasi totalité du Kayoor central dont les
rescapés trouvèrent refuge dans le BawolGD
Les habitants du Njambur, terrorisés, préférèrent se rallier à Lat-Joor devant le
silence que Saint-Louis opposait à leur demande de secours. Les chefs de village ou
de canton cédèrent à l'entrainement de la grande majorité de leurs administrés et
livrèrent aux vainqueurs l'entrée de leur secteur". Ce fut le cas des chefs de Ta'lba tels
que Yugo Meissa Jeen, Massamba Degeen, Makodu Xuja62 .
Pour gêner les communications entre Saint-Louis et les les poste du Kayoor
il fit brûler les poteaux de la ligne télégraphique entre Gariaax et Maka·Biram-Gey pour
tout dire entre Saint-Louis et Njaan63. Il intercepta 35 chameaux sur les 49 chargés de
vivres et destinés au ravitaillement du poste de Njaan. Sachant qu'il ferait courir
beaucoup de risques à ses troupes s'il leur donnait l'ordre de prendre d'assaut le poste
de Njaan, il décida de le soumettre à un blocus afin que la famine contraignît ses
occupants à se rendre6'. En apprenant la victoire de Lat·Joor à Mexe, les marabouts
du Rip lui Dépêchèrent des contingents sous le commandement d'un des frères de
Maba, Abdou Ba qui arriva au Geet le 2;~ Août 1869. Les informations sur le ralliement
des populations à la cause de Lat·Joor leur avait donné l'espoir de reconstruire avec
lui l'alliance au moment où les données politiques prenaient, pour eux, une tournure
dramatique.
310
Cette menace que Lat-Joor faisait pla.f"ler sur le poste de Njaan décida, Trédos,
,'-
le gouverneur intérimaire à le ravitailler et Q~ relever la garnison qui s'y trouvait. Il fit
partir de Saint-Louis le 14 Septembre '1869 un convoi de vivres et un troupeau de 100
boeufs accompagnés d'une colonne de 450 hommes de toutes armes sous le
commandement du Lieutenant Colonel Lecamus, Aprés quelques jours de marches
l'eau vint à manquer, car Lat-Joor avait fait combler les puits qui se trouvaient sur la
route qui menait vers Njaanû". Il avait été informé par ses espions de la marche de ce
convoi sur Njaan.6û Ce travail fait, il alla se poster prés du dernier puits utilisable avant
d'arriver à Luga. Le 15 Septembre le C<lpitaine Bois fut chargé avec 150 hommes de
faire une reconnaissance pour découvrir un puits et les forces de Lat-Joor s'il y en
avait6l.
Lat-Joor avait dissimulé sa présence et celle de ses gens en se camouflant dans
les broussailles épaisses qui entouraient le puits. "Puis il tendit une embuscade rasante
autour du puits unique où la colonne ne pouvait éviter d'aller faire de l'eau tant pour les
besoins des hommes que pour ceux des animaux. Cette embuscade se composait
d'une ligne de trou assez rapprochés les uns des autres et assez profonds pour couvrir
les hommes en grande partie, pendant que les broussailles et la terre du déblai
couvraient le haut du corps.68 Arrivé à ~roximité du puits, Bois fit tirer sur les cavaliers
qu'il y avait aperçus et sur la haie d'e~r;horbes qui cachait les gens de Lat-Joor dont
il ne soupçonnait pas l'importance numérique. A ce signal, un feu nourri lui répondit
et lui fit éprouver des pertes trés sensibles. Le capitaine Salmon des tirailleurs et le
sergent-major Piétin furent tués sur le coup, Malassagny sous-lieutenant des discipli-
naires bléssé. Lat-Joor lâcha ensuite sa cavalerie de 300 chevaux contre ce détache-
ment dont les hommes furent écrasés sous le nombre6'. Au total cette colonne perdit
34 disciplinaires, 68 tirailleurs tous ':ués ou disparus et 19 blessés. Les autres
gagnèrent laborieusement le camp poursuivis par les cavaliers de Lat-Joor.
Lat-Joor savait que la situation de la colonne était précairefes hommes n'avaieJ<
pas pu boire ni manger. Toute la nuit il maintint une pression trés forte sur elle par des
#
J '11
fortes décharges de mousquetterie. Le lendemain dès que la colonne se remit en
marche, il l'attaqua sur trois côté à la fois,,!-'1ais son élan vint se briser contre la formation
en carré de la colonne malgré les 7000 guerriers qui formaient alors sa troupe selon
Lecamus. Exagération manifeste de l'auteur et qui n'avait d'autre but que d'atténuer
sa responsabilité dans l'échec du combat du puits mais qui donnait une idée sur
l'ampleur des adhésions de la population à la cause de l'ancien dame!. Cette deuxième
attaque se solda par un échec car l'artillerie et les chassepots eurent raison de la
hardiesse, du courage, de ses partisans qui dans cette circonstance se conduisirent
"comme des héros»,
Même si Lat-Joor subit des pertes lors de ce second affrontement qui dura
environ quatre heures de temps, Lat-joor n'en resta pas moins dans le Kayoor, décidé
à poursuivre la lutte/ûr de pouvoir compter sur ces nombreux partisans.
Dés que la colone arriva à Njaan, les chefs du Njambur se dépêchèrent, de leurs
villages refuges, d'envoyer des félicitéltions au lieutenant colonel Lecamus qui savait
que ce loyalisme n'était que simple ruse, Ces autorités ne s'étaient jamais aventurées
à prendre les armes contre Lat-Joor qui bénéficiait toujours dans leur province de
l'appui logistique et de la collaboration dont il avait besoin'o. Ce qui était grave dans cet
insurrection c'est que des chefs nommés par la France à la faveur de l'annexion
s'étaient battus, tel Bubakar Fall du Sarioxoor aux côtés de Lat-Joor, Pour nourrir tout
ce monde il lui fallait pressurer les rares populations qu'on disait encore acquises au
gouverneur,
Aprés Luga, les propagandistes parcoururent les pays limitrophes du Kayoor
pour dire que la défaite française de Luga était plus sanglante que celle que Lat-Joor
avait infligée à la colone de Mexe. Cete situation compromettant les récoltes il était à
craindre que de nouvelles disettes vins~3ent fondre sur le Kayoor. Le gouvernement
français nomma Valière gouverneur du Sénégal en remplacement de Pinet-Laprade
avec l'espoir de le voir restaurer la paix dans ce pays meurtri. Il prit le commandement
de la colonie le 17 Octobre 1869.
#-
3 1 ;{
Dans les instructions qu'il lui donna, l'amiral ministre Sécretaire d'Etat à la
Marine et aux Colonies Rigault De Geno'.'lilly écrit: "A la période militaire doit succéder
une période de paix et de tranquillité. Vos premières préoccupations doivent être
dirigées vers la pacification des pays que nous avons annexés. Vous emploierez à la
fois dans ce but les ressources militaires mises à votre disposition. Nous ne voulons
plus de nouvelles annexions, mais il serait impolitique d'abandonner les territoires que
nous possédons. Ce qu'il faut agrandir c'est notre influence et nos relations commer-
ciales parce qu'avec elles, se développeront la civilisation, la richesse publique, les
ressources locales et le bien être général qui doit nous attacher les populations7l ». Le
gouverneur n'étant pas impliqué dans les événements de la colonie, avait donc toute
latitude pour présenter au ministre la situation générale réelle du Sénégal d'une
manière objective.
Il ne tarda pas à se rendre compte que les rapports envoyés par Pinet-Laprade
au ministère étaient farcis de contres-vérités. Alors que dans sa dépêche du 4 Août
Pinet-Laprade parlait encore du loyalisme des populations prêtes à le seconder dans
la lutte contre Lat-Joor, Valière constata dans son rapport du 31 Octobre, que si le
Bawol et le Siin étaient en paix avec Saint-Louis malgré les sollicitations de Lat-Joar qui
leur demandait de le rejoindre dans son combat, il en était autrement pour les pays
annexés du Kayoar, du Toro, du Dimar où la révolte était générale. Ce qui était plus
grave c'est que Ahmadu Sexu était retourné dans son village du Futa de Wuru
Mahdiyyu pour synchroniser sa lutte avec celle de Lat-Joar afin de contraindre Saint-
Louis à se battre sur plusieurs fronts à la fois72•
D'un autre côté le Walo était sur le point de se soulever en raison de l'humiliation
infligée à Sidya Leon Jop. Les chefs de canton, désireux de revenir à l'ancien régime
monarchique étaient en pourparlers avec Lat-Joor pour dresser de concert avec lui un
plan d'attaque générale contre les intérôts français. Aussi quand l'armée du Walo fut
envoyée pour soutenir le Lam-toro attaqué par Ahmadu Sexu fit-elle défection dès le
début de l'affrontement, faisant ainsi massacrdpar cette fuite "préméditée les seuls
gens du Taro restés fidèles7J» au gouvernement de Saint-Louis. Lat-Joor et Ahmadu
Sexu avaient des contacts avec les trarza et les Brackna pour une meilleure coordina-
#
3 13
tion de ces mouvements. Chez les uns comme chez les autres l'islam était devenu le
support idéologique de la lutte. Ils prêchaient «la guerre sainte d'extermination des
. ,
infidéles, l'expulsion des blancs"».
Pour le gouverneur, il était utopique de maintenir les territoires annexés dans
la soumission tout en restant sur la défensive. Pour lui comme pour Trédos qui lui
servait de conseil, le système de3 annexions devait être abandonné. On ne le
maintenait qu'en recourant à des expéditions continuelles. Les populations devant la
force présentaient l'apparence de lasoumission. De coeur et d'esprit elles étaient avec
ceux qui se battaient pour la défense de leur patrie. Aussi, chaque fois que l'occasion
s'offrait de faire cause commune avec les patriotes n'hésitaient~mais à déserter le
camp français.
De plus)l'annexion qui en principe débouchait sur l'assimilation des popula-
tions, n'avait aucun effet sur elle dans la mesure où elles conservèrent leurs moeurs,
leurs usages, leurs langues". Tout en adoptant une position trés critique. vis à vis de
ses instructions, Valière travailla à restaurer la confiance chez les anciens alliés de
Saint-Louis. Depuis le retour de la colonne Le Camus, Lat-Joor était devenu le maître
du Kayoor. Pour affamer les postes de Njaan, de Xawlu il se mit à cheval sur la route
par laquelle avaient passé les colonnes chargées de les ravitailler. Ainsi il occupait
Merina-Jop, Gewul, Luga, 1ÏJomre et tous les pays compris entre ces localités. C'est là
qu'il attendait la colonne, pour lui tendre des embuscades et lui faire le plus mal
possible, sans être atteint. Il bénéficiait de la collaboration de ses compatriotes et à
l'occasion recourait à la terreur contre ceux qui se montraient réfractaires à son
autorité76.
Valière pensa qu'il lui fallait redonner espoir aux alliés qui, lassés par des
promesses jamais tenues, avaient jL;gé plus prudent de s'approcher de Lat-Joar. Le
20 Novembre il fit partir pour le Ka'(oor une colonne de 500 hommes sous le
commandement de Canard, capitaine de l'escadron des Spahis avec 110 chameaux,
65mulets, 80 boeufs pour ravitailler le poste de Njaan77 • Lat-Joor avait comblé la plupart
des puits qui se trouvaient sur le trajet de cette colonne.
#
3 14
Canard avait pour mission, aprés le ravitaillement de Njaan, de poursuivre et
d'expulser Lat-Joor du pays avant qu"'.I')'eût le temps de réaliser son projet d'alliance
avec le Walo, les Toucouleur et les MaL'Ces. Aprés la première phase de sa mission,
Canard décida, dans le cadre de la lutte contre Lat-Joor de terroriser les populations
pour les détacher de sa cause. Il ne s'agissait plus pour lui de faire une distinction entre
les alliés et les ennemis. Toutes les populations étaient à ses yeux complices de Lat-
Joor. Seule leur active collaboration' avait rendu possibles les succès qu'il avait
remportés sur les troupes françaises depuis Juillet 1869
Kër Demba Faal fut le premier village à subir la colère de Canard qui le fit piller
et brûler ainsi que le village de BaI07'. Ces mesures répressives incitèrent les partisans
de Lat-Joor à quitter leurs villages aprés les avoir incendiés pour aller vers Curongeen,
à la frontière du Kayoor et du Jolof où l'ancien damel avait établi son camp. Ainsi les
villages de Mexe, de Jati, de Paal, de Gaati, de Daxxar Kebe furent désertés par leurs
habitants7".
Lat-Joor remit sa vieille tactique qui consistait à refuser tout contact avec la
colonne en attendant qu'elle fût bien fc.ligu;fpour la surprendre et lui infliger de lourdes
pertes. Grâce à ses nombreuse espions Lat-Joor connaissait heure par heure la
position de Canard alors que ce dernier ignorait tout de son ennemi. Toutes les
populations du Kayoor étaient avec leur ancien damelBO• Canard mit à sac le Mbawor
et le Gewul qu'il considérait comme totalement acquis à la cause de Lat-Joor'". il
infligea à la population de ces provinces de fortes amendes en boeufs en signe de
soumission. Kër Alibeng, Kierim furent la proie des flammes et leurs habitants
condamnés à payer une contribution cie 100 boeufs. Paal qui était trop pauvre fut livré
aux 1200 volontaires·2•
Lat-Joor rétrograda vers Pir-Gl.lrey afin d'alleger la pression de la colonne sur
ces provinces du Nord et de pouvoir compter sur les Jobaas et leurs forêts en cas de
besoin. Sur son passage, il invita les habitants à transformer le pays en désert en
incendiant les villages et les biens qu'ils ne pouvaient emporter et en comblant les puits.
Ces directives furent immédiatement mises en application. Canard le constata dans
#
3 15
toutes les parties du Kayoor où il promcna sa colonne et le gouverneur en fit part au
ministre: ''Telle est, écrit-il, cette pOpu:3tlon qu'on nous disait soumise et entièrement
disposée à vivre tranquille sous» la domination française"3".
Malgré les difficultés consécutives au manque d'eau, Canard se résolut à
prendre la même direction que Lat-Joc:r. Ce dernier avait établi une embuscade à Palel
village situé entre Mexe et GatL Sa pr"J~13nce fut signalée par les Spahis envoyés en
éclaireurs. Le combat s'engagea le 7 Dlicembre mais Lat-Joor décrocha dés qu'il se
rendit compte qu'il ne pouvait neutraliser l'artillerie. Massamba Joor Mbaye Sali qui
chercha à s'emparer des canonniers fut coupé en deux par un boulet"'. Le lendemain
Canard appliqua avec rigueur la politi~IJf' qui était désormais la sienne, celle de la terre
brûlée. Les villages de Mexe, de Njegetti furent détruits. Puis ce fut le tour des villages
du Sanoxoor et surtout de Pir-Gurey"5 haut centre d'enseignement qui préféra enterrer'
les livres de sa riche bibliothèque pour i;'viter de les voir souillés par les infidélesB6
Sous la pression de la colonne Ca:lard, Lat-Joorfit semblant de quitter le Kayoor
pour le Rip en passant par le Bawol. C'e:;t pour cela que Canard promit 50.000 francs
au Teen s'il tuait Lat-Joor. Il fit la mêr~ re,Jromesse au Bur Siin"l La colonne Canard
quitta le Sanoxoor avec un énorme buti;], ses soldats et les volontaires capturèrent 150
femmes appartenant aux gens de Serin Pir""
De Pir-Gurey, Canard se renéit ,3 Njaan où il avait donné rendez-vous aux
maral)outs du Njambur. Là il leur nof,i,1 les amendes en boeufs pour les punir des
rapports qu'ils entretenaient avec Lat-Joor. Le canton de Koki fut condamné à payer
150 boeufs, ceux de Luga et de Nomre 200 boeufs et Guick 150 boeufs. Le gewul subit
une razzia qui donna 71 boeufs. Ainsi au \\otalles cantons favorables à Lat-Joor, aprés
avoir assisté à la destruction et au pillJg ,) de leurs villages furent dans l'obligation de
fournir 700 boeufs à Canard"9. Il rentra avec sa colonne le 18 Janvier 1870 à Saint-Louis
laissant derrière lui un paysage de ruines, de désolation. Il pensait avoir prouvé aux
habitants de ce pays qu'avec les chass ::pots et l'artillerie le gouvernement de Saint-
Louis serait toujours maître du pays qucnd il le voudrait90• Ce châtiment dépassait en
sévérité toutes les horreurs que ces populations avait endurées depuis le début de la
conquête. De toute évidence Canard voulait se venger de la défaite de Mexe où
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3 16
contraint de fuir vers Xawlu il.fut dans la triste nécessit~ de boire son urine pour
étancher sa soif. Cette terrible vengeance fut sévèrement jugée par l'opinion publique
française. Selon le ministre, la guerre «a de dures nécessités auxquelles l'intérêt
général commande quelquefois d'P9éir, mais il faut éviter de les exagérer, en
généralisant de moyens de répression peu compatibles avec notre mission civilisatrice
et dont par conséquent nous ne devons faire usage que dans des cas trés rares. Je
tiens donc àce que ce système de destruction ne soit mis en pratique que lorsque nous
rencontrons des résistances ouvertes à main armée et des agressions sérieuses et
persistantes.
Inutile d'ajouter que lorsque vous vous trouverez dans la douloureuse obliga-
tion de recourir à de telles extrémités, '/OUS aurez tout en m'en rendant compte à vous
abstenir de leur donner de la publicité9'».
Les incendies, les amendes en nature, les massacres des populations ou le
pillage de leurs biens par leurs congènères militairement dressés à cette besogne
donnèrent des résultats tout à fait opposés à ceux escomptés. Tous ceux qui avaient
des griefs contre la colonne Canard rejoignirent Lat-Joor dans la lutte. Ils le considé-
raient de plus en plus comme l'incarnation de la fierté nationale vis à vis des
conquérants.
Même les Sereer du Jobaas décidèrent de le soutenir dans son combat. Ils lui
envoyèrent trois Saltige qui devaient le guider dans les forêts qu'il pouvait désormais
utiliser en toute tranquilité comme base d'opérations et où il mettrait aussi en sûreté
ses femmes el ses biens. Cette marche verl-jobaas fit croire à Canard que Lat-Joor
était retourné au Ri p92. Le 31 Décembre l'ancien damel reparut dans le Bawol Oriental
prés du marigot de Yoly avec l'intention de se «soumettre9J». Les populations ne
pouvaient s'accommoder de cette crainte permanente que faisait peser sur elles tantôt
les colones de Saint-Louis, Tantôtles inGursions de Lat-Joar. Le retour de la prospérité
n'était possible qu'avec l'instauration d'un climat de paix véritable.
Le diagnostique fait par Valière lui révéla les causes profondes des malenten-
dus qui opposaient les uns aux autres, 18S habitants du Kayoor aux autorités de Saint-
#- 317
Louis malgré l'association de certains chefs locaux à la politique des gouverneurs.
Interrogés sur les causes de la crise qui sévissait au Kayoor, les notables l'attribuèrent
à la violation des anciens usages par l'autorité française. Celle-ci avait nommé dans le
commandement territorial des badoloJ comme chefs dont l'autorité ne fut jamais
acceptée ni par les autres badolo ni par les notables. Un pays comme le Kayoor ne
connaitrait la prospérité que quand il serait placé sous l'autorité d'un garmi, d'un
prince. Le gouverneur n'eut aucun respect pour les droits au commandement de
certains familles qui étaient seules hab.jlités à élire ou à proposer la nomination et la
destitution des chefs. Ces droits comme d'autres charges/dignités et prérogatives
plus ou moins importantes ont été abolies par les français qui leur ont sutJstitué le
régime en quelque sorte absolu des ,~hefs actuels devenus à peu prés inamovibles9'»
et dont l'autorité pour la plupart d'entre eux n'émanait nullement de la tradition. Se
sachant détestés de leurs administrés, il continuaient les excès de leurs prédeces-
seurs avec cette différence, que craiçlnant les santions de Saint-Louis, ils avaient le
talent de dissimuler leurs exactions aux français.
Ces parvenus n'avaient plus de respect pour les normes et valeurs cIe la société
qui les avait vu naître. Alors qu"'aulrefois en effet les chefs n'oubliaient pas que les
nobles étaient leurs égaux par la naissances et pouvaient devenir chefs à leur tour, ils
leur témoignaient des égards ainsi qu'aux notables desquels dépendait en grande
partie leur maintien. Ils ménageaient les badolo parce qu'ils étaient placés sous la
protection des notables. Tous étaient J'objet de leur attention, de leurs générosités.
Aussi quand il s'agissait d'une guerre tout le village marchait comme un seul homme.
~
La haine excitée par ces chefs tombait sur les Français dont ils étaient ~s agents95".
Ceyasin Joar qui fut Jawrin Mbul sous le règne de Majojo conclut à la nécessité
de restaurer la monarchie. Il prop~:,sa la nomination de Lingeer qui assumerait la
régence jusqu'à la majorité de son fils Samba Yaya"". L'avis du conseil d'administration
ne fut pas trés différent de celui exprimé par les chefs de province. L'ordonnateur qui
eut à assurer l'intérim du gouvernement à plusieurs reprises, déclara que les an-
nexions étaient inoportunes dans la mesure où les Français ne cherchaient pas à créer
des centres agricoles. L'agriculture était assurée par les autochtones qui vendaient
#
J -, 8
leurs produits aux commerçants établi:; dans les villes ou les escales. Cette colonie
essentiellement commerciale n'avait pas besoin de ce système coûteux des an-
nexions maintenues par d'incessantes expéditions militaires. La solution idéale sem-
blait être le protectorat qui serait garant: par des traités qui réserveraient à la France
"la propriété des territoires jugés nèèessaires au développement de ses intérêts
commerciaux·'. Cette nouvelle politiqUE' impliquait l'abandon des postes de l'intérieur
du Kayoor tels que Njaan, Xawlu. Ne se:'aient maintenus que ceux du littoral de Saint-
Louis à Dakar et assurant les communications télégraphiques entre les deux villes. Le
conseil préconisa la su pression de l'impôt de capitation qui poussait certains groupes
à l'émigration dans le seul but d'échapper à cette charge trés lourde. Les populations
seraient libres de se choisir des chefs cemme elles le faisaient autrefois""' En d'autres
termes le conseil émit le voeu d'un ~)artage du Kayoor en deux parties. L'une
demeurant annexée serait toujours pl::lcée sous l'autorité directe du gouverneur,
l'autre qui redeviendrait autonome sous la suzeraineté de la France aurait la liberté de
se choisir son chef. En fait il s'agissait ce revenir aux clauses du traité signé par Makodu
le 1er Février 1861.
Valière avait convoqué le conseil d'administration pour lui faire entériner les
idées inspirées par l'ordonnateur Trédos. La seule note discordante intervint quand il
se fut agi de créer une régence au prû:,t de la Lingeer Debo. Cette solution aurait peut-
être provoqué une cassure entre Lat·.Joor et sa tante et le sens de la famille le
dissuaderait peut-être de recourir à la force pour s'emparer du pouvoir. Il est vrai, que
dès qu'elle eut connaissance du projet ,:Iu gouverneur, Lingeer Debo s'était attachée
à faire revenir ses gens pour repeupler Il; Kayoor. Ses émissaires parcouraient le pays
pour inviter tout le monde à regagner Ic,s villages abandonnés·"'
Le directeur de l'intérieur exp:inia son désaccord avec cette solution qui lui
paraissait inadéquate à régler le problèl ne de l'autorité au Kayoor.9-u moment que le
gouvernement envisageait de désanne):er certains territoires du Kayoojil se devait de
chercher à y laisser un damel assez puissant et assez populaire pour qu'il fût possible
de passer avec lui un traité qui donne, ait des garanties de sécurité aux postes, et à la
ligne télégraphique.
1/- "'- J 'r 9
Lingeer Debjmalgré sa bonne volonté/e disposait pas de cette autorité. En
la nommant régente, on risquait de ml faire connaitre au pays qu'une tranquillité
éphémère. A brève échéance il retomberait sous l'autorité de Lat-Joor. Ce dernier était
le seul chef puissant et courageux qui pût en saisir la domination. A l'approche des
troupes de Lat-Joor les partisans de la l.ingeer l'abandonneraient. Pour épargner aux
troupes les risques des expéditions, donner au pays le climat de paix nécessaire au
développement de ses productions, il fallait chercher un compromis avec Lat-Joor qui
'était le maître du Kayoor par le droit de la force. Le directeur de l'intérieur pensait le
calmer en lui faisant croire que si le choix des populations l'appelait à nouveau à la
roya'tl.é, la France le reconnaitrait à condition qu'il acceptât de signer un traité proposé
par Saint-Louis.
Valière se rangea à cet avis. Il laissa toute latitude aux chefs du Kayoor pour
pourvoir les postes dont les titulaires participeraient à l'election du damel. Pour celui
du Jawrin Mbul, président de l'assemblée des grands electeurs, leur choix porta sur
Omar Naan qui remplaça Ceyasin Joor Sig a demeuré fidèle à Majojo"lO, A la même
réunion les électeurs destituèrent Lingeer Debo de la Régence qu'elle commençait à
exercer au nom de son fils. Ils préférèrent sursseoir à l'election du damel faute de
candidats à leur goût car Majojo était devenu vieux et avait déjà fait preuve de son
imcompétence.
Les Grands Electeurs dépêchèrent des émissaires auprés de Lat-Joor pour lui
dire de faire sa soumission au gouverneur afin de leur permettre de l'élire comme
dame!. Il accepta de faire la paix, Le gouverneur .le s'opposa pas à sa candidature. Il
était convaincu que lat-Joor était le seul damel possible dans le Kayoor. Les nombreux
esclaves de sa famille, ses succès contre les Français au Rip et au Kayoor avaient fait
de lui l'idôle de tous ceux qui refusaient de baisser les bras face aux conquérants.
Depuis son entrée sur la scène politiqu8)il s'était montré inaccessible au décourage-
ment, réorganisant ses forces aprés ,,'hiJque échec. Les Grands Electeurs qui appré-
ciaient sa ténacité savaient aussi que Lat-Joar .le se résignerait jamais à voir un autre
que lui occuper le trône du Kayoor. VéJlière bien pénétré de la situation de ce pays
#
320
préféra négocier avec Lat-Joor dont 1" armée renforcée de quelques contingents du Rip
n'attenclait que l'hivernage pour rewendre son activité dévastatrice contre le
Kayoar'o,.
Pour ramener la paix dans ce ra\\'S meurtri, le gouverneur entra en contact avec
Lat-Joar qu'il considérait cornme le sl3Lii homme capable de respecter le traité qu'il lui
imposerait afin d'en terminer avec cette question du Kayoar qui était finalement devenu
. «le noeud Gardien de la pacification du Sénégal'°2".
Le 16Juillet 1870 Valière eut une entrevue avec Lat-Joar qui fut autarisé à poser
sa candidature à la royauté du Kayoar. On réserva les questions de délimitations de
territoire et des relations réciproques qui feraient l'objet d'un traité. Lat-Joar prit
l'engagement de ramener la paix et ia prospérité dans son pays'o",
Dés le lendemain de cette entrevue Lat-Joar leva le masque et réaffirma sa
volonté inébranlable de redonner au ~:ayoar ses anciennes limites. Ses émissaires
répanclirent, dans le Sanoxoor., dans le Jander, le bruit que le gouverneur lui avait
rendu la totalité de son pays, que les t,lancs n'y avaient plus d'autarité, que Lat-Joar
était le seul maître du pays.
Dès la fin d' Août)Lat-joar se mit à revendiquer le retour au Kayoor de toutes les
provinces qui lui avaient appartenu. Il n,! concevait pas de Kayoor sans ses anciennes
frontières. A la suite d'une punition infligee parValière aux habitants de Mpaal, Lat-Joor
lui fit part de son mécontentement. Il lui demanda s'il y avait une différente entre une
violation d'un pacte de paix et d'amitié et ce qu'il venait de faire contre Mpaal. Cette
action punitive était menée, selon Lat-.Joor, parce que le gouverneur prétendait que
certains cantons du Kayoar étaient plc..:és sous l'autorité française. C'est pour cette
raison que la colonne de Mpaal s'était permise de tuer, de piller et de faire des captifs
dans ce village"". Pourtant, ajouta Lai-Joar, la circulaire du Gouverneur du 25 Avril
1870 adressée aux chefs du Kayoar ::Ji':~ait qu'ils avaient à nouveau toute latitude pour
disposer de leur pays. Les seules Cla'Jé·9s auxquelles devait se soumettre le damel élu
seraient la protection de la ligne télégraphique, des caravanes et des voyageurs. Il
#
32 r
termina en lui faisant comprendre qu'ii ne souscrirait jamais à l'amputation du Kayoar
de ses villages, que s'il décidait de les QE,der il violerait la paix et l'amitiéft s'il persistait
ce serait la Rupture 'os
Dès qu'il connut, par ses amis de Saint-Louis la défaite française à Sedan, Lat-
Joar passa à l'offensive pour récupérer tous les territoires enlevés au Kayoor depuis
le gouvernement de Faidherbe. Le retentissement des malheurs de la France lui fit
croire que le gouverneur était obligé de iaire partir toutes les troupes de la garnison du
Sénégal pour aller secourir leur patrie. LC\\t-Joar envoya des contingents dans le Jander
et à Rufisque pour en reprendre possession, et collecter les impôts qui lui étaient dus.
Le 5 Septembre il se présenta en personne à la tête de son armée à Rufisque.
Dans un grand palabre qu'il tint avec le;; notables de la ville, il leur déclara que tout le
tJ1
pays lui appartenait, que ceux qui ne voulaientYse soumettre à son autorité avaient à
quitter Rufisque dans les meilleurs délai~;. Il invita les musulmans à se joindre à lui dans
la mission divine qu'il s'était fixée et qui était de faire de tous ses sujets des musulmans
sincères. Toutefois il exigea de Serione Ndakaru de lui livrer tous les esclaves qui
s'étaient refugiés chez lui'O". Les Noirs furent contraints de payer l'impôt au souverain.
De plus des arachides furent enlevées d,want des magasins européens sous pretextes
que tout appartenait à Lat-Joor'o/.
Lat-Joor mit les Noirs qui avaiem affermé les palmiers du Jander en demeure
de s'acquitter à nouveau de leur impôts. Il nomma des chels à la tête de tous les villages
et leur interdit de donner des guides 01.1 des courriers aux Français,oB.
Cette démonstration de force t:le Lat-Joor eut/ur les populations dont les
territoires étaient encore annexé; tout l'effet escompté. Si Lat-Joar était entré en
guerrier triomphant à rufisque c'est qu'il était redevenu le maître incontesté du Kayoor,
que le gouverneur était dans l'incap,,,·:;icé de l'en empêcher'o",
Cette attitude de Lat-Joar incita 'valière à tenter de trouver avec lui un compro-
mis pour maintenir ce climat de paix wcore fragile en lui faisant "des concessions
compatibles à l'honneur du pavillon (,:t à l'intérêt du commerce pour éviter toute
rupture"o".
#
32~
Valière chargea son chef d'Etat !\\~ajor de négocier avec le damel pour arrêter
les conditions de la paix et régler la question de délimitation des territoires. Lars de cette
entrevue Lat-Joar réclama avec insistance la possession de la banlieue de Saint-Louis
et celle du Jander. Son interlocuteur I!ii fit savoir que cette demande était exorbitante,
que si elle était satisfaite elle signifierait l'abandon même de Saint-Louis, de Rufisque
de Dakar par les Français dont il serait le premier à subir les inconvénients car il n'aurait
plus de débouchés pour ses produits. "Peu importe, répondit Lat-Joar, que le pays
souffre, soit pauvre, improductif, si je i'econstitue l'intégralité du territoire de mes
pères'''».
Le damel avait des raisons d'être :.rés exigeant, car par de là le rentissement de
la défaite française face à la Prusse, il savait que le problème de l'échange de la Gambie
contre les autres possessions françaisE)s de la côte Occidentale d'Afrique jusqu'à la
côte d'Ivoire n'était plus à l'ardre du jour. Il avait donc la certitude de pouvoir utiliser le
.Rip comme base refuge ou d'opération:> selon les circonstances.
Le 29 Novembre 1870 le gouverneur lui fit savoir sa volonté de maintenir le
Jander, le Xateet et le Mpaal dans les '3anlieues sous administration française. La
veille, le commandant, de Gorée partit de Dakar avec une colonne de 300 hommes
pour faire une tournée dans le Jander Diin d'y rétablir l'influence française qui y était fort
compromise. A ce moment tous les can!!Jns du Jander étaient occupés par les Jaraaf
de Lat-Joor qui d'un commun accord avec les chefs du pays avaient décidé d'abolir
tous les prétendus droits français sur celte province. La présence de la colonne permit
de montrer aux populations que la Frarlce était encare présente dElns le Jander"2.
Dans la banlieue de Saint-Louis ce fut u'le mission identique que conduisit le chef de
bataillon Davau. Il
fit connElitre aux oopulEltions des territoires demeurés dans
l'annexion qu'elles étaient libres d'alle.-';'établir dans le royaume de Lat-Joar si elles
n'étaient pas satisfaites de l'administration française, mais le gouvernement conser-
verait à tout prix le territoire destiné à servir de banlieue à SElint-Louis. Il engagea les
gens épmpillés dElns les hameElux dl;. culture, à former des faisceElux capables de
repousser les gens de Lat-Joor qui s'y aventureraient'l3. La mort de Ceyacin Ngoné
Degeen le 4 Janvier 1871 mit fin à cett8 tension entre Lat-Joor et le gouvernement de
#
323
Saint-Louis. Le damel accepta d'entrer <'I composition avec le gouverneur pour avoir
les mains libres du côté du Bawol. ValieJr!Cl profita de cette bonne disposition du damel
pour lui envoyer le projet de traité du '12 Janvier 1871 qui consacrait la bipartition du
Kayoor. Selon ce texte la France abandonnait en toute souveraineté à Lat-Joor toutes
provinces composant l'ancien royaurlw du Kayoor à l'exception de la province du
Jander, du Gangune du Pankey comprenant les territoires du Ganjool, du Tube, du
Xaateet et de Mpaal qui restèrent sous sa souveraineté"'.
Lat-Joor s'engageait à protége.. la ligne télégraphique de Saint-Louis à Gorée
conlre toute violence dans toute l'étendue de son terriloire, à garantir aussi la sécurité
de tous les sujets français. Tout sujet français pouvait désormais faire du commerce,
cultiver, voyager, et faire paître ses troupeaux dans le Kayoor sans être assujetti. Le
31 Janvier Lat-Joor retourna le texte ~'igné avec cette mention qu'il acceptait les
conditions que lui imposait le gouverneur'15. Toutefois la partie occidentale du Kayoor
comprise entre Potu et Mbijem cessa de faire partie des possessions françaises. Les
Nay de Mbetet seraient désormais expl'Jitées au profit du Damel"".
Par sa pugnacité Lat-Joor a·Jail prouvé aux autorités de Saint-louis qu'il
n'acceptait jamais de voir prescrire la dignité royale au kayoor. Sans doute le
compromis ne lui donnait pas entière sejsfaction. Mais il lui permettait de consolider
son autorité, de réorganiser ses forces. Il essaya comme d'habitude de nouer des
alliances avec les maures, le Walo, le Futa au point d'amenerValière a lui prêter le projet
de réunir sous son commandement tous les Etats Wolof et d'en former un empire"'.
Exagération d'un gouverneur qui, donnant des dimensions démeusurées à l'ambition
de Lat-Joor, soulignait du même coup, les mérites d'une politique salutaire qui sut
garantir aux comptoirs français, et ce, se.ns coup férir, des banlieus essentielles à leur
sécurité. Ce traité entrainerait selon Valiere une ère de tranquilité pour les populations
qui n'auraient plus à émigrer pour faire respecter leurs coutumes et leurs traditions.
L'expérience de la guerre qu'il aliait menée contre les français depuis 1862 lui
avait montré la nécessité de pouvoir disposer d'immenses espaces dans la guerilla
qu'il menait contre ses ennemis. Si le Kayoor avait une longueur de 300 Km environ de
Saint-Louis à Dakar, sa profondeur était relativerment modeste entre 40 et 80 Km.
,
324
L'hostilité du Bawol etdu Siin l'obligeait, lors de ses raids de pillage, à passer parle Jolof
où le manque d'eau était souvent gênant pour ses troupes. Aussi lorsque la vacance
t.. '~o.,~
du pouvoir se produisit au Bawol, il ne résista pas à ~~ de le conquèrir pour
élargir son champ de manoeuvre en cas de besoin. C'était cette perspective qui le
poussa à mettre en sourdine ses revendications territoriales contre Saint-Louis dans
l'espoir d'obtenir sinon l'aide du gouverneur dans la réalisation de son projet du moins
)
sa bienveillante neutralité118.
1- A.N.S. 1D 30 : Gouverneur au Commandant du poste de Njaan le 11 Novembre
1867.
2- A.N.S.O.M. Sénégal 152 : Gouverneur P.1. Trédos à Ministre, Saint,Louis le 10
clobre 1867.
3- A.N.S. : Gouverneur Pinet-Laprade au Commandant poste de Ndigne, 16 Octo-
bre 1867.
4- A.N.S. 2 B 34 Folio 58: Valier au Ministre, 17 Décembre 1869.
5- Idem, ibidem.
6- A.N.S.O.M. Sénégal Il, 4 : Aube ml~moire sur le Sénégal 6 Août 1867.
7- A.N.S. 3 B 89 Folio 1 : Pinet-Laprade au Commandant de Gorée, le 10 Mai 1865.
8- A.N.S. 13 G 23 Pièce 16 : Trédos Gouverneur Pinet-Laprade exposé général
situation de la colonie, 30 Septembre 1,367.
9- A.N.S. 3 B 89 Folio 207: Laprade à Lat-Joor, 20 Novembre 1867.
10- A.N.S. 2 B 33: Laprade au MinistrE', 27 Novembre 1867.
11- A.N.N. 13 G 263 pièce 6: Commandant poste Keur Mandombe Khoni au gou-
verneur, 26 Avril 1868.
12-ldem, ibidem.
13- A.N.S. 13 G 263 Piece 7 : Commar.dant Khaoulou au Commandant Supérieur
de Gorée, 24 Mars 1868.
14- Idem, ibidem.
15- A.N.S. 13 G 263, pièce 10: Comrn;mdant de Gorée le 13 Mai 1868.
16-ldem, ibidem.
17- A.N.S. 13 G 267 pièce 19 : Poste de Ndiagne au Gouverneur le 23 Août 1868.
18- A.N.S. 13G 263 pièce 18 : Poste keur Madoulllbe Khani à gouverneur 26 Sep-
tembre 1868.
19-1dem, ibidem.
20- A.N.S. 1 G 35 pièce 1 : Capitaine Aude: Mission politique, Saint-Louis, 18 No-
vembre 1868
21- Idem, ibidem.
22- A.N.S. 13 G 264 pièce 5 : Khaoulou au Commandant de Gorée, 22 Janvier
1869.
23- A.N.S.O.M. SénégallV-48 B : Trédos Gouverneur 14 Février 1870.
24-ldem.
25- A.N.S. K 11 : Arrêté de Faidherbe du 18 Octobre 1855.
26- Brunon : l'insurrection de 1869 in Bulletin de la santé.
#
3 ') ,-
l.. :J
27- A.N.S.O.M. Sénégal IV 45 B GI : Pelissier : Note sur la situation du Sénégal, 15
Février 1870.
28- Général Brunon : Op. cil., (pag'Ol 13).
29- Général Pelissier Sénégal IV 45 b's : Note sur la situation du Sénégal 15 Février
1870.
30-AN.S. 13 G 264 pièce 51 : Commandant poste de Ndiane au Gouverneur, 5 Fé-
vrier 1869, bibliographie officielle.
. 31- A.N.S. 2 B 34: Laprade au Ministre, 18 Février 1869.
32- A.N.S. 13 G 264 pièce 12 : Commandant de Gorée au Directeur des affaires
politiques, 6 Avril 1869.
33- A.N.S. 13 G 264 pièce 12 : Lat-.Joor au Gouverneur Avril 1869.
34- AN.S. 2 D 13 1 : Commandant (:;ercle Thies Rajant à Commandant de Gorée,
le 15 Avril 1869.
35- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 Trédos (quelques pages ... ), 14 Février 1870.
36- Tradition orale recueillie à Tiénabë' : Important écrit de cette branche tijane.
37- AN.S. 2 B 34 FF 32-33: Pinet-Lal:.rade au Ministre 2 Juillet 1869.
38- Brunon: Op. cil., (pages 13-14).
39- AN.S. 13 G 266 pièce 1 : Brunon rapport sur la colonie de Ndigne, 22 Juillet
1869.
40- A.N.S.O.M. IV - 48 B : Trédos, 14 '~évrier 1870.
41- A.N.S. 13 G 266 pièce 1: Rapport Brunon, 22 Juillet 1869.
42- A.N.S. 13 G 266 pièce 1 : Rapport Brunon 22 Juillet 1869.
43- A.N.S. 2 B 34 Folio 36: Pinet-Lup"ade au ministre 13 Juillet 1869.
44- A.N.S. 13 G 266 pièce 1 : Rappûn: Brunon, 22 Juillet 1869.
45- A.NS. 1 B 227: Lettre N° 2 Ministre à Gouverneur, Paris 24 Juillet '1869.
46- A.N.S.O.M. Sénégal IV bis: Note sur la situation politique et militaire du Séné-
gal, 15 Février 1870.
47- Idem, ibidem.
48- Brunon : Op. cil., (page 20).
49- Brunon : Op. cil. , (page 20).
50- Brunon : OP. cil., (page 21).
51- A.N.S. 13 G 266 pièce 1 : Brunc;) t'apport sur les opérations, 22 Juillet 1869.
52- Brunon : Op. cil., (page 25).
53- Brunon : Op. cil., (page 26).
54- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 B: Trédos, le 14 Février 1870. Brunon dit que le ca-
pitaine Canard pour étancher sa sc·;f fut dans la (Iure nécessité de boire son urine,
(page 26).
55- A.N.S.O.M. 26 Sénégal IV 48: B Tredos, 14 Février 1870.
56- A.N.S.M. Sénégal 154 A: Gouvel,leur au Ministre, le 4 Août 11369.
57- Brunon : Op. cil., (page 28).
58- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 B : Tréc!os, 14 Février 1870.
59- A.N.SO.M. Sénégal IV 45 bis: Giméraral Pelissier note SUI' la situation politi-
que, 15 Février 1870.
60- AN.S. 1 D 31 Commandant poste de Mbidjen au Gouverneur, Le 1e' Août
1869.
61- A.N.S.O.M. Sénégal IV 45 Bis: Général Pelissier note sur la situation, 15 Février
'1870.
62- A.N.S. 1 D 30 : Commandant pesee de Mbidjem au Gouverneur, le 10 Août
1869.
63- A.N.S. 1 D 31 : Comnlandant de tJdiane au Gouverneur, le 10 Août 1869.
. : .
. .'
64- A N.S.O.M. Sénégal IV 45 B : Général Pelissier, 15 Février 1870.
65- A.N.S.O.M. Sénégal IV 48 B : TrécJos au Gouverneur, 14 Février 1870.
66- Brunon : Op. cil. , (page 29).
67- A.N.S. 1 D 32 pièce 46: Lecamus au Gouverneur, 14 Septembre 1869.
68- Brunon : Op. cil., (page 29).
69- A.N.S.O.M. Sénégal l, 55 A : Trédos, Gouverneur Pinet-Laprade au Minitre, 21
Septembre 1869.
70-A.N.S.O.M. Sénégal 1 55 A: Trédos, Gouverneur Pinet-Laprade au Ministre, le
15 Septembre 1869.
71- A.N.S. 13 G 23 pièce 17 : Instruction du Ministre à Valière.
72- A.N.S. 2 B 34 Folio 54: Valière au Ministre, le 31 Octobre 1869.
73- A.N.S. 2 B 34 Folio 54: Va li ère au Ministre, le 31 Octobre 1869.
74- Idem, ibidem.
75- A.N.S.O.M. Sénégal IV- 48 B : Trédos Gouverneur Pinet-Laprade, 14 Février
1870.
76- A.N.S. 2 B 34 Folio 55: Valière al' Ministre, le 31 Octobre 1869.
77-A.N.S. 2 B 34 Folio 55: Gouverne'jr au Ministre 1869.
78- A.N.S. 1 D 32 pièce 76: Commandant poste de Mbijem au Gouverneur, le 23
Novembre 1869.
79- A.N.S. 1 D 32 pièce 83: chef de poste de Mbelet au Gouverneur, 29 Novembre
1869.
80- A.N.S. 1 D 32 pièce 16 : Canard EiU Gouverneur, le 4 Décembre 1869.
81-ldem, ibidem.
82- A.N.S. 1 D 32 pièce 20: Canard ElU Gouverneur, le 11 Décembre 1869.
83- A.N.S. 2 B 34 Folio 59 Valière au ~ninistre, 17 Décembre 1869.
84- Tradition orale donnée par Saliou Mbup de Mbul.
85- AN.s. 1 D 32 pièce 52 Canard: Rapport du combat de Palel, 17 Décembre
1869.
86- Tradition orale.
87- A.N.S. 13 G 273 pièce 11 : Khaoulou, 21 Décembre 1869.
88- AN.S. 1 D 32, pièce 121: Canard au Gouverneur Pire-Goureye, 20 Décembre
1869.
89-A.N.S. 1 D 33 pièce 3: Canard au Gouverneur Saint-Louis, le 22 Janvier 1870.
90- A.N.S.O.M. SénégallV-48 B Trédos, 14 Février 1870.
91- A.N.S. 1 B 227 Folio 5 : Le Mindre au Gouverneur Paris, le 3 Mars 1870.
92- A.N.S. 1 D 32 pièce 26 : Mbijem, le 31 Décembre 1869
93- A.N.S. 13 G 264 pièce 145 : Khaoulu au Gouverneur, le 31 Décembre 1869.
94- A.N.S. 2 B 37 Folio 39-43 : Valièrr. au Ministre, 14 Avril 1870.
95- Idem, ibidem.
96- 13 G 258 Thieyacin Dior: Chef du Mboul au Gouverneur, 17 Janvier 1870.
97- A.N.S. 3 E 25 FF 127-129 : Séances des 11 et 12 Avril 1870.
98- Idem, ibidem.
99- A.N.S.: Idem, ibidem.
100- A.N.S. 2 B 35 FF 65-68 : Valière au Ministre, 15 Juillet 1870.
101- A.N.S. 2 B 35 FF 65-68: Valie:"8 3U Ministre, 15 Juillet 1870.
102- Idem, ibidem.
103- A.N.S.O.M. Sénégal l, 56 B VEllil;re au Ministre, 14 Août 1870.
104- A.N.S. 13 G 306 pièce 14, : Lat-,Joor au Gouverneur Août 1870.
105- Idem, ibidem.
#
106- A.N.S. 13 G 306 Pièce 18 : Com!T12,ndant de Gorée au Gouverneur, 9 Septem-
bre 1870.
107- A.N.S. 13 G 306 pièce 16: Commandant de Gorée au Gouverneur, 5 Septem-
bre 1870 (Télé. Off.).
108- A.N.S. 13 G 306 pièce 16 : Commandant de Gorée au Gouverneur, 5 Septem-
bre 1870.
109- A.N.S. 13G 306 pièce 18 : Comma'ldant de Gorée au Gouverneur, 9 Septem-
bre 1870.
110- A.N.S. 2 B 35 ft 92-93 : 12 Octobre 1870, Valière au Ministre.
111-A.N.S. 3 E 35 FF 263-266 : Conseil d'administration, séance du 26 Novembre
1870.
112- A.N.S. 2 B 35 FF 115-118 : Valière [lU Ministre, 15 Janvier 1871.
113- A.N.S. 1 D 33 pièce 5: chef de bat:;1illon Davau au Gouverneur, 3 Janvier
1871.
114- A.N.S. 3 E 35 FF 328-329 : Conseil d'administration, 3 Février 1871.
115-ldem, ibidem.
116- A.N.S. 3 E 35 Folio: Conseil d'administration, séance du 25 Février 1871.
117 - A.N.S. 2 B 35 Folio 141: Valière au Ministre, 15 Avril 1871.
118- A.N.S. 2 B 35 Folio 196: Valière au Ministre, le 15 Septembre 1871.
CHAPITRE V:
#
3 2 B
LAT-JOaR, LE BAWOL ET AHMADU SEXU: 1871-1882
L'acceptation du traité du 12 Janvier 1871 était motivée chez Lat-Joar par sa
volonté de conquérir rapidement le Baw:Jl, ce qui aurait élargi son champ de manoeu-
vre dans un conflit éventuel avec le gouvernement de Saint-Louis. Mais la réalisation
de ce projet se heurta à des obstacles imprévus. En effet devenu maître du Jolof,
Ahmadu Sexu, son ancien allié lui vouait désarmais une haine implacable, et le Bawol
ne se présenta pas comme une proie facile.
Au lendemain de la mort de teen Ceyacin Ngoné Degeen, de la ligne utérine
Jonay le conseil des Grands Electe'.Jrr3 ou Jambur-u Rew eut à délibérer sur la
candidature de Malikumba Ngoné Degeen frère du défunt et sur celle de Ceyacin
Saput de meen Sono. Le premier était appuyé par leJaraafBawol Massamba Ndabaw,
le second par Penda Cora qui cumul3it les commandements des provinces du
Mbayaar et du Ngoy. C'était un grand 5mi de Lat-Joar. Lars de l'exil de Lat-Joar en
1864, il avait pris sous sa protection sa famille et ses biens. Chaque fois que Lat-Joar
partait au Rip, pour une expédition punitive contre certains villages du Kayoar, il savait
toujours pouvoir compter sur sa complicité. Il hébergeait ses gens, les couvrait en
fournissant aux autarités françaises de Gorée ou de Kess de faux renseignements sur
l'intention et les positions de l'ancien darnel'. Guerrier intrépide, nationaliste intransi-
geant, la pente de sa nature le conduisait vers Lat-Joar dont il approuvait le combat.
Ne pouvant mettre les forces du Bawol au service de Lat-Joar, il s'arrangea pour
qu'elles ne fussent jamais utilisées contre l'ancien darne!. Lars de l'expédition de Pinet-
Laprade contre le Rip, il prit le commandemant des contingents du Bawol mais
manoeuvra pour n'arriver au Rip qu'aprés fin de la bataille. Il agit de même en 1867 où
il n'arriva au champ de bataille de SO,71t, pour secourir le Bur-Siin Kumba Ndoffene
qu'aprés la mort de Maba et la débandade de ses troupes2 •
C'est sur ce Kangam que misa Lat-Joar pour parvenir à ses fins. Il savait que
les Jambur-u-rew ou les Grands Electeur:3 du Bawol ne l'éliraient pas en raison de son
patronyme jop qui l'excluait de la liste des garmi éligibles. De plus il venait tout juste de
reprendre possession de son royaume à la ruine duquel il avait participé par ses
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incursions dévastatrices pendant son exil au Rip. Même si son armée était opération-
nelle, un problème de logistique n'aur,,:it pas manquer de se poser à elle. C'est pour
cela que tout en achetant des armes et des munitions à Dakar, Rufisque et à Saint-
Louis' il préféra dans un premier temps recourir aux intrigues pour atteindre son
objectif.
Avec Penda-Coro, il soutint la rm'didature de Saput. Il concentra d'importantes
.forces à la frontière du Kayoor et du f),jwol précisément à Sinu-Makumba pour faire
pression sur les Grands Electeurs. Si Saput était élu, Penda Caro et Lat-Joar se mettrait
d'accord pour l'éliminer, Le damel s'emparera~ du Bawol dont il donnerait le
commandement effectif à Penda Cora. Ce royaume serait annexé au Kayoor'. Des
chevaux, des esclaves et d'autres cadeaux de grandes valeur comme de l'or et de
l'argent furent envoyés à certains Kan~Jam ou hauts dignitaires du Bawol pour les
inciter à se rallier à Penda Cora. Mais f:n définitive ce fut Malikumba Ngoné Degeen J
désigné comme Calaw c'est à dire comme héritier présomptif ÇJui eut les suffrages des
)
}
membres du Conseil des Wa-rew. Sé;n régne fut trés court. Il ne dura que quelques
mois'.
A l'issue de cette nouvelle vacan :;e du pouvoir le conseil des Grands Electeurs
porta son choix sur le candidat de Pel'da Caro, Saput plus connu sous le nom de
Ceyacin JoorGallo Gana Saput. Cette élection ruina les espoirs de Lat-Joar d'accéder
à la royauté du Bawol sans coup férir. l'n effet la mort emporta aussi sail allié Penda
Caro et le fils de ce dernier le Bay Bayailr fJleissa Anta Ngoné refusa de cautionner cette
collaboration avec Lat-Joar qui sentai',' trop la trahison. Du coup s'affaiblit le parti
favorable à Lat-Joar dans le Bawol. Dé~; lors il ne restait au damel que de passer à la
conquête. Il y consacra le plus clair de ses ressources en stockant des armes, en
achetant des chevaux, Une guerre éclair, pensa t-il, était le seul moyen de réaliser ce
projet car il lui fallait parvenir au but avec le minimum de pertes possibles, car il
n'excluait pas une attaque éventuelle de Ahmadu Sexu contre son pays.
Pour des raisons que nous ignorons et qu'on pourrait, peut-être, mettre àl'actif
des intrigues de Lat-Joar, Le Calaw Gu Bawol, héritier présomptif fit défection et alla
solliciter l'aide de Lat-Joar dans sa lutt(; contre le Teerï". L'arrivée de ce dissident fut
.-., .
11 7 " J J n
le signal des escarmouches entre les armées des deux pays. Le Teen sollicita l'aide
l'
du gouverneur qui lui recommanda de~;e défendre contre Lat-Joor. Valière ne chercha
pas à arrêter le conflit. Sachant qu'il ne lui était possible ni de soutenir le Teen du Bawol,
ni d'empêcher Lat-Joor de poursuivre son entreprise de conquête, il adopta une
attitude neutre dans ce conflit dans l'espoir de laisser subsister une sorte d'équilibre
dans la puissance des divers souverLlins qui par ambition étaient souvent «en lutte les
uns avec les autres?".
Pour parer à la menace que Ahmadu Sexu faisait planer sur le Kayoor, Lat-Joor
9' llJ<\\-
divisa son armée en deux corps dont \\t.li fut confié à son neveu Samba Lawbe avec
mission de s'emparer du Bawo\\. Avec le deuxième il resta à Kër Amadu Yala pour faire
échec à toute tentative d'invasion du I<ayoor à partir du Jolo!. Comme toujours les
rezzou qui précédaient les grands affrontements furent menées de part et d'autre avec
\\ .
vigueur. Mais dans ces premiers engagements Lat-Joor eut le dessus. Malgré le refus
qui lui fut opposé à sa première demande d'aide, le teen fit à nouveau comprendre au
commandant de Gorée la situation critique dans laquelle il se trouvait. «Le Cayor, écrit-
il, nous donne des tracas etdes trouble~; sans cesse. Je viens implorer ton secours afin
que tu viennes tout de suite et promptement dans le Baol pour m'accompagner
immédiatement dans le Cayor pour venger les tords qu'il a faits sur le Baol'".
A défaut de recruter des partisans nombreux dans le milieu Ceddo du Bawol,
Lat-Joor essaya de s'attirer la simpatliie des musulmans de ce pays en disant que son
combat était une guerre sainte contre le3 païens qui étaient encore fort nombreux dans
ce pays. A côté de chaque village se trouvait un arbre fétiche qui servait d'autel à la
célébration du culte des ancêtres. Son but était de détruire toutes ces idôles et les
amener à la vraie foi"'
Depuis son retour du Rip il portait le titre de EmirAI Muminin, ou commandeur
des croyant~,Eit avait troqué son nom de Lat-Joor contre celui de Silmaxa.qui veut dire
aveugle pour traduire son dédain des splendeurs terrestres.
)
Nous n'avons aucune informaticn sur la portée réelle de cette propagande de
Lat-Joor chez les musulmans du. BallVo\\. Ceux qui étaient toujours victimes des
dépradations Ceddo souhaiteraient sans doute la victoire du dame\\. Mais dans des
#
3 3 1
. 1't
luttes dont l'enjeu était l'avenir même'd,) la patriEJle sentiment religieux ne primait pas
nécessairement sur le sentiment national. Nulle part, nous n'avons vu mention de
cohortes musulmanes se ralliant à Lal··Joor pour renverser le régime du Bawol. Valière
constata rapidement qu'il n'y avait pas d'équilibre entre les forces de lat·Joor et celle5'
de Teen Saput. L'armée du Damel éiail plus nombreuse, plus aguerrie que celle du
Bawol qui, depuis le début de la conquête, n'avait jamais été impliquée dans un conflit
de grande envergure. Aussi chercha t-i! à tenir Lat-Joor en bride en lui faisant savoir
qu'en intervenant au Bawol il violait le traité qu'il avait signé.
Cette mise en garde ne le détoù:'na pas de cette tâche qu'il croyait essentielle
. à la grandeur de l'islam. «Les gens du Baol, répondit·il au Gouverneur, sont mes
ennemis. Nous avons possédé leur pays de temps en temps depuis nos ancêtres soit
sans guerres soit aprés guerres. En ce mgmentje dois leurfaire la guerre à moins qu'ils
se convertissent. S'ils continuent leur métier de ceddo, faisant tord à tout le monde je
suis obligé de les combattre. Ce sont eux d'ailleurs qui ont commencé les hostilités en
me tuant sept hommes et en faisant de,; prisonniers. N'ayant pas réagi ils ont cru que
je suis faible. C'est le contraire'o". Lat-Joor avait l'intime conviction d'être dans le
chemin de celui qui fait laguerre sainte au nom de Dieu. C'étaient des païens qui avaient
pris l'initiative d'attaquer et de tuer de:,; musulmans. Son devoir était de garantir la
sécurité de sa communauté musulmanE! en ôtant définitivement aux païens les moyens
de lui faire du tort. Ainsi sous le man~eau de la religion il poursuivit ses objectifs
impérialistes.
Au Gouverneur il déclara qu'il n'avait pas conscience d'avoir violé le traité pour
la simple raison que le Bawol avait été indépendant de Saint-Louis, que l'intérêt du
Gouverneur était de le voir accéder à l". royauté du Bawol pour renforcer davantage
l'amitié qui les liait".
Cette menace à peine voilée du ;]ouverneur l'incita à donner plus de mordant
aux escarmouches afin de le mettre (:evant le fait accompli. Entre la fin de Décembre
1872 et le début du mois de Janvier il obl.int un succès important sur l'armée du Bawol.
C'était la période de la commercialisation des arachides. Cette opération visait surtout
à enlever au teen :es taxes qu'il percevait sur ce produit et qu'il pourrait utiliser au
renforcement de sa puissance militai~e. Aprés ce succès qui était loin d'être décisif, il
promit de maintenir l'ordre dans le'Bawol'2. L'opération avait été conduite contre
Lambaye la capitale du Bawol d'où s'enfuit Ceyasin. Lal-Joor s'y fit proclamer teen.
Mais bien qu'en fuite, l'armée de Ceyasin était loin d'être détruite. A l'approche de celle
du Kayoor elle préféra faire la politique de la terre brûlée. Les populations prirent la
direction du Sud-Ouest où elle s'établirent dans les forêts du Mbadaan et du Njegem.
Solidement établie dans cette ;:one forestière, l'armée de Ceyasin était à même
de poursuivre le combat parce que Lat-Joar ne prendrait jamais le risque de s'y
aventurer car il se serait trop éloigné de ses bases et dans un milieu hostile. Il se serait
/
.
heurté à des problèmes logistiques qui auraient réduit ses capacités offensives. Dans
ce camp retranché Ceyasin fit bloquel' toutes les routes qui menaient vers le comptoir
français de RufisquerMbur/\\Ianing. Il i~terdit a ses sujets de commercialiser leurs
récoltes car il ne voulait pas voir le produit des taxes tomber entre les mains de son
ennemi. L'ordre était donné de tuer tous ceux qui ne se conformeraient pas à cette
prescription 13.
Lat-Joar protesta auprés du gouverneur contre la protection qu'il accorda au
Teen qui, établi dans le territoire relevélnt de la colonie, multipliait les intrigues pour
empêcher les populations de rentrer dans leurs villages.
En Mars 1873 la menace exercé par Ahmadu Sexu sur le Njambur contraignit
les contingents de cette province à rentrer chez eux pour faire face à cette situation.
Il furent remplacés par les contingents du Futa conduits par les alliés du damel : Ibra
Almamy et Mamadu Siley 14.
L'armée de Lat-Joor maintint sa pression sur le Bawol. Il lui fallait en finir avant
l'hivernage qui obligerait les combattants à se consacrer aux travaux champêtres. Le
19 Avril, à la faveur d'une attaque surprise, Dembawar, chef des esclaves de la
couronne du Kayoorfit main basse sur les villages deJumm, Njarne, Jobel. Avant qu'ils
ne fussent revenus de la surprise tou~; les habitants étaient ou tués ou réduits en
servitude. Bay Bayaar Meissa Antaaccourut avec quelques contingents du Bawol. Les
gens du Kayoor perdirent beaucoup de chevaux et une partie de leur butin 15.
#
3 3,~
Cette réaction du Bay Bayaar, fils de Penda Coro traduisent la volonté des
Kamgam du Bawol de s'opposer avec détermination à la conquête de leur pays.
Canard commandant du deuxième arrondissement à Gorée pensa que c'était le
moment de secourir le Bawol en obligeant Lat-Joor à changer de tactique. Selon
Canard, Lat-Joor était décidé à empécher la culture arachidière au Bawol pendant
l'hivernage comme il le faisait lorsqu'il était en exil au Rip.
A la fin du mois d'Avril les villages de Jaring, Gaal, Njamo-Jobel, Jummi furent
à nouveau attaqués par des contingents du Kayoor 27 personnes furent tués 121
réduites en captivité. La panique s'empara des populations frontalières du Bawol dont
certaines allèrent se mettre sous la protection du fort français de Kees'6. Sous la
pression de ses Kangam, le Teen se ,ésolut à réagir. Il appela auprés de fui son année
qu'il avait répartie en petites unités '~parpillées dans tout le pays afin d'y mener la
guerrilla contre les gens de Lat-Joor. Il alla s'établir à Lambaay sa capitale d'où il
pourrait surveiller les mouvements de l'ennemi.'7
Lat-Joor tendit un piège au Teen Ceyasin. L'expérience lui avait montré qu'il ne
pourrait jamais détruire l'armée de Ceyasin quand elle trouvait refuge dans les forêts
du Sud du pays. Avec l'approche de l'hivernage il fit semblant de surseoir à son projet.
Il quitta son camp, jusqu'alors établi entre Kër Matar-Jop et Pirum Ndary prés du
marigot de Yaajiin'B, pour Xandaan. Le 12 Mai il mit fin à cette lutte languissante en
prononçant une violente attaque contre le Bawol à Njelbeer'9 Cette bataille dura trois
jours du 12 au 14 Mai. Les troupes du Bawol furent rompues et dispersées. Ceyasin
abandonnée par son armée en débandande se refugea avec une poignée de fidèles
et sa famille à Jaak chez les sereer20.
Une panique générale s'empara des gens du Bawol qui s'enfuirent dans toutes
les directions. Le poste de Kees vit arriver un millier de fugitifs chassant devant eux
autant de têtes de bétail etqui sollicitaiéJnt la protection du poste. D'autres jugèrent plus
prudent de retourner dans les forêts du Njegem, considérées comme inaccessibles à
la cavalerie ennemie. Le Bawol était à la merci de Lat-Joor qui, au lieu de marcher sur
Lambay, préféra fortifier son tatade Njelbeer. Valière accueillit cette victoirede Lat-Joor
avec beaucoup d'appréhension. Par intérêt il souhaitait la victoire du Teen. Il n'ignorait
11
334
pas que Lat-Joor avait avec lui un des prétendants à la couronne du Siin, Semu Juuf
qui refusait l'élection de son rival Savy~~oon Fayet était en rebellion armée pour la
conquête du pouvoir. En aidant Semu à ,Jccéder à la royauté du Siin, Lat-Joor pourrait
aider à la réconciliation de ce pays avec le Rip et il deviendrait le chef le plus puissant
de toute la Sénégambie. Il reposerait le problème des banlieues qu'il considérait
toujours comme appartenant de droit alJ Kayoor21 •
Malgré tous les risques qui dÉr;()uleraient de la victoire de Lat-Joor, Valière
s'interdit d'intervenir aux côtés de Ce iasin. Pour empêcher la consolidation de
l'autorité du damel sur le Bawol, il fit conseiller aux fugitifs établis autour du poste de
/
Kees de recourir à la guérilla contre 15s Iroupes du Kayoor. Toutefois il prescrivit au
)
commandant du poste de Kees de ne pmndre parti pour aucun des deux belligérants.
Sa mission devait se borner à éviter des dfrontements entre les guerriers du Bawol et
y.
Sereer vivant dans le voisinage du postf)n
Si Lat-Joar avait tardé à occupAr i._ambaay c'est qu'il se souciait de donner le
temps nécessaire aux gens du parti qu'il était parvenu à se ménager23, de se concerter
avec les membres de l'assemblée des :'eb Ak Bawor afin de lui attribuer le pouvoir
selon les normes coutumières. Par la mÊme occasion il évitait de trop s'éloigner de la
frontière en raison de la menace de Ahmadu Sexu sur son pays. Mais lise pouvait aussi
qu'il eût simplement voulu prouver par cette attitude qu'il n'en voulait qu'au Teen,
qu'une fois souverain de ce pays les anciens Kangam qui feraient leur soumission
conserveraient leurs commandemanté: Far réalisme les kangam du Bawol firent acte
d'allégeance à Lat-Joor au cours du mcis de Juin 1873. Les fugitifs rentrèrent dans
leurs villages pour se consacrer à leurs cultures. Lat-Joor se mit à organiser ce pays
susceptible de lui fournir des revenus sL,ostantiels.
Selon la tradition orale le personr,el administratif du Bawol ne fut pas modifié.
Un seul grand commandement échut 3 lin captif de la couronne, ce fut celui de Fara
Kaba, titre que pOliait le chef des esclav10s de la couronne du Bawol et qui fut donné
à Dembawar Sail".
Valière désirait voir la France renoncer au Sénégal à sa politique de recueille-
ment consécutive à la défaite face à la Plusse. Elle donnait à Lat-Joor toute la latitude
#
3311
pour réaliser méthodiquemaent son projet dont l'objectif ultime était l'expulsion des
Français de ce pays ou leur réduction au simple rôle de traitants. Le gouverneur avait
"
la conviction qu'aussitôt le Bawol réorganisé/at-Joar s'altaquerait au Siin pour s'en
emparer. "Déjà ses bandes sont campées à la frontière, écrit-il au minislrE7,ret prêtes à
envahir ce pays au moindre signal. Alors donnant la main d'un côté aux marabouts du
Rip qui se trouvait maîtres du Salum/t l'autre au Futa par le Joloff courbé sous le JOu5'
d'Ahmadou il peut nous susciter des ambarras sérieux. Et il ne faut pas s'y méprendre.
Lat-Joar ne nous ajamais pardonné de l'avoir chassé du Cayor.1I faut donc s'attendre
à ce qu'il fasse une guerre dès qu'il se sentira appuyé à droite et à gauche par tous les
pays musulmans dont les chefs sont nos ennemis naturels25".
Sans doute Lat-Joar, commandeur des croyants, avait-il placé cette expédition
sous la bannière de l'islam, afin de tisser l!n réseau d'alliances avec toutes les forces
maraboutiques de la Sénégambie. Mais dans chacun des pays son intervention se
heurta à la résistance d'un clan qui en limita la portée. Au Futa-Toro son allié lbra
Almamy était contraint à la défensive par son rival Abdul Bocal' Kan, au Jolof Ahmadu
Sexu jurait de le détruire et les forces de Semu Juuf étaient loin de pouvoir balancer
celles de son rival Sanumoon Fay. Même si Lat-Joar avait l'intention de réunifier la
Sénégambie septentrionale à son profit, les contradictions des sociétés constitutives
de cette entité s'opposaient à sa réalisation. Mais il n'empêche que l'islam, sous la
bannière duquel il menait son combat, était exclusif de toute autre religion. C'était en
cela que Lat-Joar compromettait à plus ou moins longue échéance la sécurité des
possessions française du Sénégal. Même s'il ne parvenait pas, comme le craignait
Valière, à regrouper toutes les forces islamiques du pays sous son égide, avec celles
du Bawol et du Kayoor seules, il ne résisterait pas à la tentation de remettre en cause
le traité de Janvier 1871 dans l'espoir de recouvrer les banlieues perdues par le
Kayoor.
Si la lutte se déroulait sous le couvert de l'islam)e gouverneur trouverait aléatoire
de compter sur les volontaires de Saint-Louis qu}danS ces conditions/efuseraient de
sacrifier leur foi aux avantages matériels des pillages. C'était peut-être cette situation
ambiguë dans laquelle on les avait mis à Mexe qui expliquait leur marque de mordant
et [e désastre de la colonne. La condamnation est sans appel pour les musulmans
.~, -
,
1/:
336
engagés dans la guerre sainte. Pendant l'hivernage Lat-Joor réduisit sensiblement
l'effectif de ses forces stationées au Bawol sous les ordres du captif de la couronne
, ,::ra
gratifié du titre de Fara Kaba. Sa mission était de faire échec à toutes les tentatives
armées de Ceyasin2".
Ce dernier ne resta pas inactif durant l'hivernage. Il multiplia les raids de pillage
contre les positions tenues par les hommes de Dembawar. Lat-Joor fit interdire la
culture arachidière au Bawol moins pour expulser les Français du pays que pour ôter
.
/
aux gens du Bawolles moyens de disposer de ressources que pourrait leur procurer
ce produit. Ils s'en seraient servis pour acheter des armes et des munitions2'.
Ceyasin fit appel aux Noon du Jobaas, aux Sereer du Mbadaan pour la
reconstitution de son armée affaiblie par les défections des chefs. Pendant l'hivernage
il essaya de consolider ses positions, mais Dembawar reçut des contingents levés sur
le Jander par les chefs de cette province qui ne supportaient plus l'autorité française 2••
Dés la fin des récoltes Lat-Joor se prépara à reprendre à nouveau l'offensive
contre Ceyasin dont j'activité s'était manifestée pendant l'hivernage par des actes de
pillage contre les villages frontaliers. Il pensa la mener avec vigueur en mettant à profit
le départ de Ahmadu Sexu pour le Futa en Octobre 1873. Il profita de cette absence
du Mahdiyanke pour installer son neveu Alburi Njay sur le trône du Jolof. Mais les
populations ne lui réservèrent qu'un accueil mitigé car elle craignaient le châtiment du
marabout. Il abandonna son trône pour rejoindre Lat-Joor au Bawol, quand il apprit
queAhmadu revenait vers le Jolof à mar::hes forcées 29 . Le camp de Lat-Joorétait établi
à Ngaacc. Le Teen fixa son sane à un camp fortifié à 6 Km de celui de son ennemi"',
se préparant à une résistance sérieuse. Par sa présence dans le voisinage de sa
capitale il espérait rallumer le courage défaillant de certains Kangam. Mais il entendait
surtout prendre les mesures adéquates pour empêcher les revenus tirés de la vente
de l'arachide de tomber entre les mains de Lat-Joor. Ainsi il interdit à nouveau toutes
les communications entre le Bawol et 11ufisque. Mais par Mbur et par Naning il
obtiendrait des revenus lui permettant cie se procurer des armes. Les routes qui
aboutissaient à Rufisque étaient sous le contôle de l'armée du dame!. Ceyasin autorisa
ses alliés de Jobaas de piller toutes les caravanes qui passeraient dans leur territoire
pour se rendre à Rufisque.
II
337
Lat-Joor décida alors que les nravanes partant du Bawol à destination de
Rufisque ne transiteraient plus par Kees et Put mais par Sanoxoor pour accéder au
territoire sous contrôle français par Il' ;Joste de Mbijem~e31 qui doublerait au moins la
.
)r
distance à parcourir.
Ces difficultés avaient surgi avec: la complicité de Canard commandant Supé-
rieur de Gorée qui vouait à Lat-Joor une haine tenace depuis la défaite de Mexe. Il aida
'Ceyasin à résister tant bien que mal en lui facilitant l'acquisition d'armes et de munitions
et en incitant le Siin à l'épauler pour éliminer, par une guerre préventive cette menace
.
/
du damel.
Lat-Joor ne tarda pas à se rendm compte de l'inefficacité de cette mesure qui
,
ne frappait en fait que les caravanes d,) ses partisans. Celles dont les propriétaires
,.
étaient demeurés fidèles à Ceyasin ccnlinuèrent comme par le passé de transiter par
Kees et Put. Lat-Joor comprit que Canerd, le commandant supérieur de Gorée était à
l'origine de ses difficultés. Il tenta de le faire changer d'avis. En février 1874 il lui envoya
un cadeau de dix boeufs tout en sol'icitant l'autorisation de placer ses alcali ou
collecteurs des taxes à Kees pour la perception des droits de sol"lie du Bawol. "attendu
que le Bawol, dit le damel, a été conqe,is par nous, attendu que le roi et les principaux
chefs ont été chassés du Baol, attendu que les habitants deviennent mes tributaires,
je crois qu'il est juste que les droits que percevait le tègne sur les produits provenant
du Baol nous appal"liennent par droit du conquête. Il est donc convenable que tu aies
l'obligeance de nous autoriser de placer un alcaty à Thies3Z".
Bien sûr que Canard déclina cette offre car à ses yeux toute mesure susceptible
de consolider l'autorité de Lat-Joor Sllr le Bawol était préjudiciable aux intérêts de la
France. Pour convaincre Valière à se rai!ier à sa façon de voir il lui dit que Ceyasin était
dans le Sud du Bawol et que le Siin était (,isposé à lui prêter le secours qui lui permettrait
de chasser les troupes de Lat-Joor. Ce qui serait, selon lui, une bonne solution pour
le pays, car le jour où Lat-Joor serait lil;lÎtre absolu du Bawol il attaquerait le Siin et le
Salum33. Dans ce confl~la prudencerecl)mmandait de ne prendre aucune décision qui
aurait été interprétée comme un soutiell manifeste apporté à Lat-Joor3.'.
#
Il répondit à Lat-Joor que le lieu de perception des taxes n'était plus Put mais
Fandeen, village marginal par rapport ;lUX routes et qui permettrait à beaucoup de
cara"vanes d'échapper aux collecteur:; du roi. Cette mesure ne profitait qu'à Ceyasin
dont les alcatis résidaient toujours à pU1ébOUChé naturel des pistes descendant de
la falaise de Kees, et qui continuaient de' percevoir les taxes sur les produits exportés
du Kayoor.
Lat-Joar n'en fut pas dupe. Il savait que Canard le détestait de toute la farce de
son âme. Mais ce n'était pas le momentue rallumer un autre conflit. Par machiavélisme
il tut son inimitié contre le commandernant de Gorée en réaffirmant sa fidélité au traité
qui le liait à la France. Il espérait faire disparaitre cette rancoeur qui chez Canard,
commandant supérieur de Gorée, prenait l'allure d'une véritable obsession. «je ne fais
tort à personne, lui dit Lat-Joor, ... Maintenant je ne cherche qu'à oublier les voluptés
de ce monde pour ne penser sérieusE:ment qu'à celles de la vie future ... Je suis le sultan
des croyants dans le pays des Noirs, mais je sais que les Blancs leur, sont supérieur
à tous et pour cette raison, jamais je ne me considérerai comme ton égal. Seulement
je désire de bonnes relations.
Je t'informe que la guerre que nous entreprenons contre le Baol sera fini dans
trois mois. Sois bien convaincu que si cette fois-ci nous nous rencontrons en bataille
rangée avec Tègne, nous le mettrons en déroute complète et nous le tuerons lui et son
armée ou je mourai"S". Cette lettre n'eut pas l'effet escompté. Canard lui promit
toutefois que l'accès du Jander serait césarmais interdit aux partisans de Ceyasin en
cas de victoire de Lat-Joor. Le commandant du poste de Kees reçut des directives
dans ce sens"".
Entre la fin du mois de d'Avril et les premiers jours de Mai 1874 Lat-Joar
déclencha son offensive contre l'armée de Ceyasin qui, pour éviter l'encerclement,
s'étira jusqu'à Sambe où elle subit un désastre. Lat-Joar se fit confirmer dans son titre
de damel-teerP'. En Juin il licencia Ui19 partie de son armée et fixa sa résidence à Ker
Amadu Yalla d'où il surveillait les mouvements de son ennemi Ahmadu Sexu. Quelques
contingents sous le commandement de Fara Kaba Dembawar demeurèrent au Bawol
pour y maintenir l'ardre.
If
339
,
1~
Pour rapide qu'elle fût, cette bat'lille de Sambe n'en était pas moins sanglante
pour les deux parties. L'année du Kayoor y rut saignée à blanc. La tradition dit que pour
éviter la défaite de ses troupes dont le,Ecchefs étaient subitement envahis par un vent
de panique, Lat-Joor fut obligé de leur faire savoir qu'il destituait tous les détenteurs
des commandemants territoriaux. La r<idistribution ne se ferait qu'aprés la victoire el
elle tiendrait compte de la combativité (~es uns et des autres. Puis il mit aux enchères
les commandemants territoriaux du l:'-a"lol dont il n'avait pas voulu modifier profondé-
ment le personnel administratif. C'est ainsi qu'il promit le titre de Bar-Jaak ou dauphin
en second dans la hiérarchie du Bawol;j celui qui abattrait le Lamasass Meissa Tabara
Maram Babu.
Ce dernier était l'âme de la résiE;lance du Bawol. Il connaissaa Lat-Joor pour
l'avoir suivi au Rip, parce que pa,' sc!
mère il appartenait à une famille maure
"·',-il
musulmane. A Sambé il avait imité la stratégie employée par Lat-Joor à Ngolngol. En
effet avec le gros des troupes du Bawol J campa à Sambé à 8 Km à l'Est de Jurbel. Ses
Liir ou fantassins s'abritèrent dans des 'rous d'ou ils éventraient les chevaux ennemis.
C'est pour cela que dés le début de "offlJnsive l'armée du Bawol s'étira vers Sambé non
seulement pour éviter d'être encerclée mais surtout pour conduire l'assaillant vers ce
champ de bataille solidement OCCUpA par ses guerriers. Maîtresse des points d'eau,
l'armée du Bawol put opposer une rési~;tance opiniâtre à celle de Lat-Joor qui procéda
à une expéditive terreur pour se procurer de l'eau dans les villages environnants.
Aucun chiffre n'est fourni par la traditiorr orale sur les pertes subies parles belligérants.
Celles de Lat-Joar semblaient trés éli"vùes. C'est pour celle raison qu'illa licencia dés
le mois de Juin pour permettre aux l:.Iessés de se faire traiter et aux Kangam de
reconstituer leurs contingents.
L'ENTREE EN C~\\MPAGNEDE AHMADU SEXU
Ahmadu Sexu profita de cet affaiblissement de l'armée de Lat-Joar pour
attaquer le Kayoor. Ce marabout était ~;on allié en '1869. Leurs forces réunies avaient
infligé à la colonne Brunon le désastrE' de Mexe de Juillet 1869. Pour des motifs non
encore éclaircis Jles deux chefs se querellèrent probablement lors du partage du
#
340
butinO". Mais il n'est pas exclu que ce marabout rigoriste à l'excès eût mal apprécié le
/
comportement des esclaves de la couronne qui formaient le gros des troupes de
l'armée de Lat-Joor et dont la cond~lite était en porte à faux avec les prescriptions
cor4niques. Il les considéra comme de grossiers hypocrites qui, sous le manteau de
l'islam, commettaient les plus graves turpitudes.
Aprés avoir quitté le Kayoor, Ahmadu Sexu s'était rendu au JoJof à l'appel des
musulmans de ce pays qui se plaignaient des dép4ations des Ceddo. Il surprit le
Burba-Jolof qui s'enfermant dans son tata, ou forteresse, dépourvu de puits, se rendit
)
en définitive avec ses hommes pour ne pas mourir de soif. Il accepta de se faire raser
la tête""' Aprés ce succès Ahmadu consolida ses positions en faisant occuper tous les
puits du JoJof par ses gens, grâce surtout aux contingents que lui envoyèrent en
renforts ses partisans du Rip et du Futa.
A partir de 1872 les relations entre Ahmadu Sexu et Lat-Joor se tendirent à
nouveau. La diplomatie du damel désireux de ne s'entourer que d'Etats amis ou
neutres, le conduisTf~ à chercher des alliés dans tous les pays de la Sénégambie.
C'est uinsi qu'il noua des liens solide~; avec Ibra Almamy du Futa à qui il donna en
mariage sa fille Gansiri et qui était un ennemi de Abdul Bl><at\\ du Bossea, ami de
Ahmadu Sexu. En 1873 un talibe de Ahmadu Sexu qui se rendait au Jolof avec les
chevaux que lui avuit remis Abdul Bokar pour le marabout avait été tué par les gens du
clan de Ibra almamy. Quand en Octobre, ahmadu se rendit au Futa pour exiger
réparation de ce crime'o, Lat-Joor profita de son absence pour installer AI 8uri Njay sur
le trône du Jolof. Dès lors l'affrontement entre les anciens alliés était inévitable.
Ce conflit était exacerbé pa. le caractère enclavé du Jolof qui faute de
débouchés n'avait pas encore la possibilité d'accroitre le volume de ses ressources
par le développement de la culture arachidière". Sans doute le Jolof aurait pu faire
appel aux Maures pour assurer par leurs chameaux l'évacuation de sa récolte. Mais
en passant par le Kayoor ce produit payerait des taxes si élevées que sa culture
cesserait d'être rentable. Cette situation privilégiée du Kayoor par rapport au Jolof et
qui donnait des ressources substantielles fut le motif profond qui poussa Ahmadu à
attaquer Lat-Joor sous le couvert de !a religion. Ahmadu Sexu commença par une
fi
341
active propagande en direction du Njambur, du Mbakol peuplés de musulmans pour
leur demander de s'unir à lui dans la tâche de réforme religieuse qu'il envisageait pour
le Kayoor. Tout en se faisant passer pour le roi des croyants, Lat-Joor n'était à ses yeux
qu'un imposteur entouré de Geddo. L'isiam ne prendrait son essor dans ce pays que
quand tous les Geddo en seraient balaY'és.
Au Walo sa propagande lui apporta le ralliement à sa cause de Sidiya, nommé
depuis peu chef Supérieur du Walo et qui mit ses partisans au service de Ahmadu
Sexu".
Au début de l'hivernage, alors qua tout le monde était préoccupé par les travaux
champêtres, Ahmadu Sexu fit son entrée dans le Kayoor et établit son camp à Koki en
plein coeur de la province musulmane avec 2500 guerriers environ. Lat-Joor et son
gendre lbra Almamy du Futa réunirent â'la hâte 3000 hommes. Le damel appela les
contingents restés encore au Bawol. Les ennemis se fortifièrent dans leurs sane.
Aucun des belligérants ne demanda l'assistance du Gouverneurde Saint-louis qui était
d'ailleurs convaincu de tirer un avantage immense de cet affrontement qui diminuerait
de toute évidence les forces de ces deux chefs alors perçus comme les ennemis les
plus dangereux et les plus entreprenants de la France au Sénégal. <J
Le 22 Juillet 1874 Lat-Joorquitta sa base de Kër Amadu Yala, s'avança jusqu'à
6 Km de Koki au village de Belel, où il campa sans prendre les mesures essentielles
à la sécurité de ses troupes. Vers 9 heur es du soir alors que tout le monde se reposait
des fatigues de la journée Mamadu Galidu et Ibra Penda frères de Ahmadu Sexu
sortirent de Koki avec 300 hommes et marchèrent silencieusement sur cette position
du damel. Arrivés prés du camp ennemi ils déchargèrent leurs armes. Gette surprise
mit le désordre dans le camp de Lat-Joor. Tous les chevaux prirent la fuite. Lat-Joor
fit mettre le feu aux cases pour éclaiœr le champ de bataille. Une fusillade violente
opposa les deux camps jusque tard dans la nuit. Les gens de Ahmadu, battirent en
retraite devant la supériorité numérique de leurs ennemis. Get engagement fit dix mort
du côté de Lat-Jooretdixbléssés. A l'aube les chevaux échappés étaienttousde retour
au camp"-
f1~'
3" 4 2
Le 24 Juillet Lat-Joor marcha sur Koki et s'arrêta à une portée de fusil du village.
Les fantassins et les cavaliers mirent pied à terre et commencèrent à planter des
piquets devant leur camp pour gêner les mouvements de la cavalerie ennemi. Puis il
plaça l'infanterie embusquée derrière les buissons et les haies d'euphorbes. La
cavalerie était sur les flancs pour envelopper l'ennemi dès que ce dernier serait aux
prises avec l'infanterie. Lat-Joor n'avait plus confiance aux combattants originaires du
Njamburdont la plupart des chefs étaient soudoyés par Ahmadu Sexu. C'est pour cela
qu'il les répartit en petites unités dans les rangs de ses esclaves et des tukulor cie Ibra
Almamy'5.
Le marabout sortit alors de Koki' avec tout son monde et le combat s'engagea
avec une grande violence. Mais aprés quelques minutes de combat, le Jawdinn Mbul
des hommes libres Omar Nan, adeptèau marabout, prit la fuite et entraina à sa suite
ses complices. Lat-Joor resta sur le champ de bataille avec ses esclaves et les Tukulor
d'Ibra Almamy. Il y eut un cheval tué 8t fut bléssé à la jambe. Il fut alors enlevé par ses
captifs et toute l'armée du damel b,lttit en retraite sur Njaan, poursuivie par celle de
Ahmadu Sexu qui y mit le feu'"'
Lat-Joor se retira à Gaat à 12 Km au Sud de Sugeer avec une partie de ses
guerriers. Ibra Almamy campa à Kër Arnadu Yala, Ahmadu retourna à Koki. Malgré la
trahison du Jawdinn Mbul, le damel ne considéra pas sa cause comme irrémédiable-
ment perdue et se prépara à reprendre le combat. Mais tirant la leçon de cet échec,
il évita de lui livrer une bataille de type classique tout en manoeuvrant pour le fixer dans
la Njambur en attendant la bonne saison pour le contraindre à sortir du Kayoor. Sa
présence dans les autres provinces du pays aurait eu un immense effet de propagande
sur les chefs dont la fidélité avait été fortement ébranlée par l'échec de koki.
Dembawar Sail fut chargé de conduire cette guerilla dans les arrières du
marabout pour détruire ses munitions ou s'en emparer. Il réussit à lui prendre quelques
charges de chameaux mais ce n'était pas suffisant pour immobiliser le marabout".
Dès qu'il reçut les renforts que lui apporta du Futa Abdul Bocar Kan du Bossea,
Ahmadu prit à nouveau l'offensive et attaqua Lat-Joor à Cowan le 14 Septembre 1874,
11
343
village situé prés de Ndaat dans lek~yoor central. L'armée du damel ne tint que
mollement devant la témérité des soldats de Ahmadu qui la coupa en deux par une
rapide percée. Une partie s'enfuit vers l'Ouest et le Sud-Ouest sous la conduite de
Dembawar qui rencontra sur sa route Omar Naan et le mit à mort'·. L'autre partie, dans
laquelle se trouvaient Lat-Joor et Ibra Almamy et les principaux chefs, battit en retraite
jusqu'à la frontière de la banlieuQçJe Saint-Louis à Celeman où le damel essaya de
rassembler les débris de son armée. Cette victoire maraboutique contraignit les
cultivateurs du secteur à abandonner leurs cultures pour des zones moins exposées.
Beaucoup d'entre eux prirent le chemin de Jander, certains trouvèrent refuge dans la
banlie{de Saint-Louis"'.
VALIERE AU_SECOURS DE LAT-JOaR
Devant ces succès éclatants de Ahmadu, le gouverneur Valière changea
d'attitude et prit parti pour Lat-Joor. Sa position neutre avait cependant été approuvée
par le ministre Montaignac qui tout en déplorant les incidences fâcheuses que celle
guerre aurait sur les intérêts cbmmerciaux français n'en observait pas moins qu'elle
)
empêcherait les belligérants de s'immiscer dans les aHaires du Walo. "Vous avez
sagement agi, ajouta-il, en vous abstenant de vous prononcer soit en faveur du
marabout, soit en faveur de Lal-Dior et en laissant se prolonger une lulle dont nous
n'aurons pas à souffrir sérieusement50».
Mais la guerre se déroulait pendant "hivernage. Les cultivateurs avaient
abandonné leurs champs pour se mettre à l'abri. La production agricole du Kayoor
pour la campagne 1874-1875 risquait d'être nulle pour le commerce. Valière usa de
toute son habilité pour amener le ministre à épouser ses idées sur la nouvelle situation
du Kayoor en soulignant le danger qui St; profilait à l'horizon contre les intérêts français.
L'influence du Marabout dans le Kayoor était devenue considérable. De plus)les
opérations militaires qui s'y déroulaien:: depuis le début de l'hivernage contraignaient
beaucoup de cultivateurs à chercher r:1fuge dans les banlieues de Saint-Louis el de
Dakar. En se prolongeant indéfinime~t cette guerre ferait éprouver au commerce des
pertes considérables, car les traitants n'auraient aucun moyen de rentrer dans les
#
J " 4
avances qu'ils avaient consenties, aux iW'oducteurs, et dont le remboursement devait
intervenir avec la commercialisation cie l'arachide. La famine menaçait de frapper à
nouveau les populations du Kayoo: Gomme celles de la banlieue en raison de
l'abandon des cultures. Pour ces raisons; Valière écrit à Ahmadu une lettre dans
laquelle il lui rappela que le Kayoor etait sous la protection française et «qu'en
persévérant dans sa conduite, ce n'est plus à Lat-Dior» mais au gouverneur qu'il
attaquait. Ille somma d'évacuer le K:;yoor dans huit jours,
A cette période de l'année, Valière était dans l'incapacité d'entreprendre
quoique ce fût contre Ahmaduld'autant plus que l'hivernage était trés pluvieux, trés
chaud et la banlieue de Saint-Louis couverte «d'eau et de marécages. La colonne ne
marcherait qu'avec difficulté. Les insolations décimeraient les troupes51 », Malgré tout
il prit quelques dispositions de défense qui ne tardèrent pas à parvenir à la connais-
i '
sance du marabout dont les adeptes 81.aient nombreux à Saint-Louis et au Walo, En
efletValière réunit les notables de Saint-Louis et de ses faugbourgs pour leur faire part
de son intention de faire partir le marabéJut du Kayoor, C'était dans leur intérêt aulant
que dans celui du gouvernement. Il leur demanda de «compter, de réunir et d'armer
tous les volontaires de la ville et des faubourgs">>>. Une circulaire fut envoyée aussi à
tous les chefs de canton de la banlieUE et du Walo pour les inviter à «tenir tous leurs
volontaires prêts à entrer en campagnE' au premier ordre''''»,
Enfin il invita Lat-Joor à se forLiier dans une bonne position militaire proche de
la banlieue «de s'y refaire, d'y organiSE:" son armée, d'appeler à lui tous les gens du
Cayor sur lesquels il peut compter, de rester sur la défensive et de gagner du temps"'».
Valière espérait réunir un millier d'hommes à Saint-Louis 2000 au Walo. Avec
l'armée de Lat-Joor cela ferait environ 4000 à 5000 guerriers avec lesquels il comptait
battre le marabout avec l'appui des troupes régulières de la colonie,
A l'ultimatum du gouverneur Ailrnadu Sexu répondit en exigeant j'expulsion de
Lat-Joor du territoire français"'. En s'a',enturant à attaquer Lat-Joor dans la position
qu'il occupait dans le voisinage de Sainl-Louis il s'exposerait à une défaite certaine. Il
if
345
se serait trop éloigné de ses bases de f(oki et de Jolof alors que son ennemi recevait,
.;-'~.
de son allié du moment, le secours qu'il lui avait promis.
En Octobre contre toute attente Ahmadu abandonna toutes les provinces du
Kayoor qu'il venait de conquérir pour retourner à Koki. Il était dans la nécessité de
réorganiser ses forces car son allié du Futa Abdul Sokar était rentré dans le Bossea.
Son frère Ibra Penda venait d'être tué clans une embuscade tendue par les gens de
Dembawar. Il lui avait apporté le ralliement du canton de Koki'''. Mais ce départ n'était
peut-être que feinte pour amener Lat-Joor à revenir au coeur de son pays où il serait
plus vulnérable. Le damel resta prudent. Il se porta dans le voisinage de Luga où il s'y
retranchaS?
Ahmadu donna alors l'ordre de piller Saqq village de Dembawar afin de
contraindre l'armée de Lat-Joor à :,e battre. A la tête de quelques contingents
Dembawar se rendit dans son village pour en assurer sa défense. Croyant que toute
l'armée de Lat-Joor était tombée dans le piège qu'il lui avait tendu, Ahmadu accourut
avec ses troupes et encercla Dembavlar et ses hommes dans le village. Aprés un
sanglant corps à corps les troupes du Damel réussirent à se dégager et à gagner la
banlieue. Aprés cet engagement qui eut lieu le 1·' Novembre 18741e Marabout occupa
le Sanoxoor et y procéda à la nomination des chefs5B •
Le soutien de Valière à Lat-Dior n'était pas fait pour obtenir l'approbation du
Ministre. Depuis 1862 ce damel était dépeint sous la plume des gouverneurs comme
un ennemi implacable des Français. Par ses ruses, ses intrigues il avait souvent mis
les colonnes françaises dans des situations difficiles et leur avait infligé parfois de trés
lourdes pertes. Il était normal que le ministre fût surpris par cette volte-face du
gouverneur qui, sous prétexte de bal8.ncer l'influence trop considérable du marabout,
affirma sa sympathie pour le Dame!.'9 «,Je regrette, lui dit le ministre que vous ayez cru
devoir sortir de la réserve que vous gardiez et je crains qu'en adoptant le parti de Lat-
Dior vous n'ayez prêté votre appui à un ambitieux dont l'attitude vis à vis de nous a
souvent manqué de sincérité. Il est à crélindre qu'Ahmadou ne devienne notre ennemi
déclaré tandis que nous ne pouvons trouver dans Lat-Dior un ami sincère. Je pense
qu'il eût été préférable de laisser les deux concurrents s'affaiblir par la lutte et que votre
#
346
intervention eût été plus profitable à titre d'arbitre qu'en prenant couleur pour un allié
douteux.
Vous avez été conduit par le desir de soustraire le pays aux chances de durée
d'une lutte qui est une entrave pour le commerce et une menace de disette. La nouvelle
que vous me donnez de l'attitude ambiguë gardée par Ahmadou, malgré vos
communications pressantes me prouve que la manifestation de vos sympathies pour
la cause de Lat-Dior ne peut l'arrêter dans ses projets...
Lat-Dior doit payer par une soumission complète et par la renonciation aux
avantages douaniers qui lui ont été fait~;, l'assistance qu'il aura reçue de nous. Notre
intervention ne saurait se produire qu'à ce prix60".
Montaignac accepta donc de cGuvrir le gouverneur qui n'ignorait pas que la
conquête du Kayoor par Ahmadu ferait de ce marabout rigoriste le chef le plus puissant
de la Sénégambie. Les musulmans de toute obédience se rallieraient à lui. Il avait
inculqué à ses disciples un sens élevé (lu sacrifice qui les conduisait, sur les champs
de bataille, à des dévouements digm:s d'éloge. Pour ne pas fuir devant l'ennemi, ils
remplissaient leurs pantalons de sable. Quand l'un d'entre eux tombait, frappé à mort
par une balle, ses voisins lui donnaient un baiser sur le front en priant Dieu de leur
donner une mort semblable"!.
En Novembre, avec la fin de l'hivernage, Lat-Joor commença à rallier son
monde dans son camp de Celemaan. 1\\ utilisa même le service du télégraphe pour dire
à ses chefs de mobiliser leurs gens et de le rejoindre au camp. Les commandant des
postes de Mbijem et de Mbeteet transmirent au Kangam de Lat-Joor l'ordre de le
rejoindre de toute urgence à Celemaanr:'. Makudu Ndellaet Amary se mirent immédia-
tement en route en suivant le rivage dès qu'ils reçurent notification du message"3.
De son côté le gouverneur Valière se prépara à l'affrontement inévitable avec
le marabout. Il nes'agissait plus de faire un appui moral à Lat-Jooren faisant une simple
marche militaire «utile à tous les points de vue aux troupes de la colonie"'" mais de
prendre des mesures énergiques pour éteindre «le foyer d'une hérésie naissante"'».
Pour Valière le mouvement de Ahmadu Sexu n'était rien d'autre que cela. Il était temps
#
347
pour lui d'arrêter à tout prix ,<les progré''';?d'un fléau qui pourait se répandre avec une
rapidité prodigieuse et gagner la banlie·je de Saint-Louis"o". Les raisons invoquéc?par
le marabout pour faire la guerre au i<ô'loor étaient irr·ecevables. La population était
musulmane et son roi s'était donné le titre de commandeur des croyants. Les Ceddo
ne se rencontraient que parmiIl les e~c1aves de couronne. En réalité Ahmadu ne
faisant, selon Valière, qu'affubler de pr,lll)xte ses préoccupationsterresLres. Le Kayoor
était devenue une proie trés tentante pO'Jr luien raison de sa relative prospérité née du
développement de la culture arachidièw". Le Gouverneur de Saint-Louis fut l'obstacle
majeur qui s'opposa à la réalisation do ::,on projet. Aussi Valière lui prêta t-ill'intentioll
d'en délivrer "son pays par l'extermir,.llion des blancsO"". Dès lors il devenait pour lui
urgent d'agir sous peine de voir la disparition de l'influence française de cette contrée.
Les renforts demandés par le gal :verneur pour mettre ses corps à leurs effectifs
/:~~,j '.
réglementaires arrivèrent à Saint-Louis 1820 Janvier6'. Le gouverneur décida de régler
militairement la question du Kayoor.
Cette expédition ne serait pa~ une simple promenade militaire. Ahmadu
connaissait le pays où il avait recruté be;Jucoup de partisans. Ses disciples, audacieux
et tenaces avaient la certitude d'obte"ir toutes les récompenses de l'au de là s'ils
mouraient au combat pour la cause ';J"lte du marabout.
Sur instruction du gouverneur, 1.., lieutenant Rozet commandant le poste de
Ganjool eut des réunions avec l'Etat Maj:.lr de Lat-Dior'"' Le damel chargea Dembawar
de trouver immédiatement tous les chal',leaux nécessaires pour acheminer les provi-
sions et les munitions de la colonn•.'. Les espions envoyés auprés du marabout
affirmèrent que le marabout était décidÉ à allendre l'ennemi à Luga pour l'attaquer dE:
nuit et le détruiren
Il disposait d'uno cavalerie nombreuse et de beaucoup de
fantassins?>.
Le 4 Février une colonne forte de 516 hommes d'infanterie, 65 Spahis et deux
pièces de 4 rangées cie montagne, qu::.tait Saint-Louis à 4 heures du matin sous le
commandement du lieutenant colonel13egin. Elle rallia au passage l'amiée de Lat-Dior.
Dans la nuit du 10 au 11 Février elle campait à Pété, village situé à 11 Km au Nord de
Koki. Les avants postes du camp étaient ferm~ par les guerriers de Lat-Dior qui
formaient aussi comme une ceinture cie sécurité pour la colonne de Saint-Louis".
Le 11 Février, à 6 heures du matin la colonne s'ébranla vers Koki éclairée par
toute sa cavalerie. Eile pensait que Ahmadu s 'y était retranché dans son Sane avec ses
guerriers. L'armée de Lat-joor marchait parallèlement à la colonne et sur le flanc
gauche. Malgré toutes ces dispositons la colonne se fit surprendre par l'armée de
Ahmadu qui avait tendu son piège dans cette zone trés broussailleuse. Sa présence
ne fut décelée par les éclaireurs de pointe qu'à 50 mètres. A peine le lieutenant colonel
Begin eut le temps d'arrêter la colonne pour former le carré que le combat s'engagea
avec une rare violence7'.
A ce premier choc beaucoup d'h'ommes furent blessés ou tués aussi qu'un
grand nombre d'officiers qui ne purent plus s'occuper de leurs peletons. Les guerriers
du marabout cachés dans les herbes, gagnaient sans cesse du terrain et par un
mouvement tournant, essayèrent d'appliquer la tactique de Lat-Joor en s'attaquant
aux tirailleurs et surtout aux volontaires moins solides au feu pour atteindre le convoi.
Le feu terrible des canons et des cllassepots ne put arrêter ses musulmans qui avaient
la certitude de se battre pour la plus grande gloire de Dieu.
Une certaine inquiétude gagna la colonne, étonnée de constater l'irrésistible
progression des guerriers de Ahmadu qui ne cessaient de continuer leur mouvement
offensif vers le convoi". Bégin ordonna alors un mouvement offensif pour se dégager.
Reybaud et ses tirailleurs se portèrent en avant à la baïonnette ainsi que Lamolles avec
sa cavalerie. Un sanglant combat corps à corps s'engagea car les disciples de
Ahmadu avaient attendu cette charge de pied ferme. Mais l'impulsion était donnée. "la
masse des Tidianes qui était cachée derrière un pli de terrain et qui ne prenait pas une
part directe au combat prit la fuite/et l'armée de Lat-Dior7''', encouragée par cet élan,
et se rendant compte du mal fait aux ennemis, se rua sur le marabout. La fusillade
s'engagea dans les broussailles. L'armée de Ahmadu était vaincue, poursuivie par
celle de Lat-Joor sur la route du Jolof où elle lui infligea de lourdes pertes. Le marabout
.'-~
fi.
3 Id}
fut rattrapé par Baya Fall à Jaay Jorde et exécuté", Sa tête fut apportée à Lat-Dior qui
.<;;.
le reconnut formellemenFB
L'armée de Ahmadu perdit au cours de cet affrontement447 morts dont399 sur
ce champ de bataille qui passa à la postérité sous le nom de Samba Sajo en référence
au nom du village peul qui lui servit de cadre'" La plupart des chefs de Ahmadu
restèrent sur le champ de bataille, Tous les prisonniers de guerre d'un rang élevé furent
fusillés séance tenante, Les autres réduits en servitude et vendus à l'encan,
De son côté lacolonne avait perdu 88 blessés dont 9 officiers et 14 hommes tués
dont un officier indigène Ahmady Samba,
Aprés la mort de A~lmadu une p8,1ie des débris de son armée rejoignit Abdul
Bokar Kan dans le Bossea,
Cette expédition arrêta moment:mnément les effets de la propagande reli-
gieuse de Ahmadu SexuGO Ceux de ses disciples qui survécurent à la défaite de Samba
Sajo subirent l'expéditive terreur du darnel qui ne leur pardonna jamais d'avoir aidé son
ennemi à la battre à plusieur reprises, Conscient que l'islam interdit à un musulman de
réduire ses coreligionnaires en servitude Lat-Joar demanda à son cadi et secretaire
de sorlir une fetwa ou consultai ion juridique légitimant l'asservissement de tous les
musulmans du Kayoor qui avaient pri~; fait et cause pour son ennemi. Ce qui fut fait.
Le cadi allégua qu'en se faisant pélsser pour un prophète, Ahmadu était devenu un
hérétique et méritait en conséquence la sanction suprême, Cette vision était contraire
à la vérité, Mais il fallait ruser avec les principes de la religion pour donner au damel les
moyens de légitimer l'arsenal réprésssif qu'il entendait utiliser contre les disciples du
défunt marabout.
Saint-Louis en fit autant. Les partisans de Ahmadu originaires des territoires
annexés furent sévèrement chatiés, Ainsi Babacar Anta, qui trouva refuge au Jolo!
aprés la mort de son maître fut arrêté et envoyé à Saint-Louis où sur proposition du
directeur des affaire politiques il fut condamné à la déportation au Gabon pour sept
ans·',
, .,",
fi
3 5 0
Ce succés permit le retour au i<'àyoor des sujets qui avaient émigré pour
échapper aux méfaits de la guerre. La commercialisation des arachides put se faire
aprés la réouverture des roules naguèr,:;rermées par le marabout"2.
Lat-Dior profita de celte victoire pour conquérir le Jolofà son neveu Albouri Njay.
En effet les princes du Jolof s'étaient dispersés à la suite de la conquête de leur pays
par Ahmadu Sexu. Les uns comme 8iram Njeeme s'étaient rendus au Salum, les
autres comme le Tuube Sanoor avaient flmigré à Dagana. Alburi était depuis sa tendre
enfance éduqué à lacourdu Kayoor pays d'origine de sa mère. Sanor eut l'imprudence
de se mettre au service du marabout. Il n'osa retourner dans son pays aprés la mort
du marabout. Biram Njeeme n'avait pas assez de forces pour s'opposer à l'intronisa-
tion de Albury. Malgré le combat san:è merci que lui livrait Ahmadu, Lat-Dior maintint
au Bawol quelques têtes de pont qu'il espérait utiliser pour la reconquête de ce
, .
royaume. Elles étaient occupées par les guerriers du Bawol qui s'étaient ralliés à lui et
menaient une ruineuse guerilla contre le:; troupes de Ceyasin. 1/ semble que Lat-Joor
eut distrait une partie de ses forces au Ba'Nol dès qu'il eutl'appuidu gouverneur Valière
dans sa lutte contre Ahmadu,.l€n
Octobre 1874 le capitaine Boilève, commandant
intérimaire de Gorée donna l'ordre au chef de poste de Kees d'interdire l'accès du
Jander aux gens du 8awol en cas de ddaite devant Lat-Joor. Car, bien que battu à
plusieurs reprises par Ahmadu, le damei ne songeait qu'à attaquer le Bawol":I.
Teen Ceyasin profita des difficu'tés de Lat-Joor pour récupérer son trône. Il se
mit à réorganiser ses forces de manière à repousser toute nouvelle invasion de son
pays par le dameill'.
Une fois le danger représenté par Ahmadu écarté, Lat-Joor reprit ses expédi-
tions de pillage contre le Bawol sur une grande échelle. Malgré les pertes subies
pendant la guerre contre Ahmadu et le~ contingents qu'il avait dépêchés au Jolof pour
aider Albury à consolider son autorité, il pensait en finir avec le Bawol avant l'hivernage.
En Mai une troupe à la tête de laquelle se t;ouvaient les chefs Amady Njay, Meissa Galo
et Ceyasin Cuk razzièrent des troupeaux, des chevaux au Bawol85. Le Teen demanda
au gouverneur d'interdire à Lat-Joor de mcommencer l'espèce de guerre sainte qu'il
avait conduite contre son pays en 1873 8t 1874.
1.
"
#
351
A partir de Janvier 1876 il reprit ies opérations de grande envergure. Ainsi les
cantons de Jaxal et du Ndukuillaan furent pillés par son armée qui s'empara d'un butin
important. Les traitants du deuxième arrondissement protestèrent au prés du Gouver-
neur contre cette guerre larvée menée par Lat-Joor et qui rendait impossible la
commercialisation de la récolte araclliclière du Bawol. Valiére ne chercha guère à le
brider. Il ne souhaitait, à la veille de SO/1 départ définitif pour la France, de nouvelles
complications. Il osa même affirmer en Juin que le Kayoor ne parlait plus de faire la
conquête du 8awol, que les deux pays étaient tranquilles exception faile des «troubles
passagers et sans importance"7», et consécutifs aux raids de pillage faits de part et
d'autre de la frontière par les partisans des deux souverains, Si l'on en croit le
gouverneur, il serait aisé de faire cesser cet état de choses le jour où il deviendrait
préjudiciable au commerce"",
Pour raison de santé Valière fut relevé de son poste et remplacé par le colonel
Brière de L'Isle qui prit fonction le 18 JUil', 1876. Féru d'autorité, il entendait mener une
politique personnelle. Aussi décida-t'il de changer l'orientation de la politique du
gouvernement de Saint-Louis fondée depuis 1870 davantage sur la diplomatie que sur
l'action militaire directe. En 1877 il fit sm'oir à Lat-Joor qu'il opposerait à son projet de
conquête du 8awol. Lat-Joor avait dépêché auprés de lui une mission conduite par le
Jawdinn Mbul el Dembawar pour
,'i;clamer le droit de conquêrir le 8awol en
compenséltion à la perle du Jander et cie la banlieue de Sainl-Louis enlevés au Kayoor
par le traité du 12 Janvier 1871"". Sur ce problème le gouverneur s'en tint à l'idée
exprimée par Valière au début de la conquête du Bawol par Lat-Joor, à savoir que le
succès de celle entreprise aurait des incidences néfastes pour le gouvernement de
Saint-Louis. Selon le gouverneur «le Baol, les Serères, le Sine et le Salum forment la
zone qui empêchent jusqu'à présent le cercle que le Mahometisme tend à former
autour de nos possessions. Or laisser le damel prendre le Bao1, ce serait lui donner les
moyens de tendre la main à bref delai aux marabouts du Rip qui de leur côté étendent
leurs relalions religieuses et enlretie"nent le fanatisme jusque dans le Foula et à
Bakel90».
352
.'
"t;.
#
C'est pourquoi il fit comprendre à Lat-Dior que le maintien de l'amitié qui le liait
àla France était assujettie à sa renonciation définitive à son projet d'annexion du Bawol,
~
qu'il ne devait jamais oublier~ gralitude à l'endroit de la France qui l'avait aidé à se
débarrasser de Ahmadu"'.
En Juillet Lat-WVr lui répondit qu'il tenait beaucoup à cette amitié de la France
qui l'a secouru à un moment difficile de sa carrière. Mais le gouverneur n'était pas sans
savoir que c'est lui qui leur avait livré Sidiya, son parent et cousin germain de Ely du
Trarza. «C'était une mauvaise action car, dit Lat-Joor, nos deux familles étaient liées
par une forte amitié maintenant brisée à jamais92».
Du moment que le damel acceptait de renoncer au territoire de la banlieue de
Saint-Louis, qu'il mettait même son pays à la disposition du gouverneur, il était normal
qu'il trouvât des compensations telTitoriales au Bawol. Il semblait convaincu que
l'hostilité de Brière de l'Isle à son projet ne s'expliquait que par son ignorance des
problèmes du pays. Il essaya al0l3 de le convaincre aprés lui avoir donné la preuve
matérielle de sa fidèle amitié avec la France. Lat-Joor lui 'fit savoir que Teen et lui
descendaient d'ancêtres damel-teen, c'est à dire d'ascendants qui avaient cumulé les
couronnes du Kayoor et du Bawol. A leur tour ils en vinrent aux mains. Lat-Joor fui
vainqueur à Njelbejà Nguigne, à SarnbjCeyaSin abandonna le Bawol pour se refugier
au Siin. «C'est à la'suite de ces évènements, ajouta Lat-Joor, que je nommais les chefs
du Baol. Ahmadou, approchait, je 185 rappelais autour de moi. Aprés la guerre, il me
parait juste de reprendre le Baol. Quand vous le penserez nécessaire je l'exécuterai9'».
Brière De L'Isle ne changea pas d'avis sur ce problème. Le damel, malgré ses
airs de soumission n'en continuait pas moins d'ordonner le pillage du Bawol. En
Septembre, Dembawar qui regrettait la perte de soJii;1u Jander et son poste de Fara
Kaba, et son frère Sangone attaquèrent le village de Golby dont ils tuèrent le chef et
firent beaucoup de prisonniers. De là ils se rendirent au village de Goi auquel ils
infligèrent un sort identique"'.
A partir de 1878 Lat-Dior eut un lourd contentieux avec la famille de Dembawar.
Il suspendit toutes les opérations contre le Bawol. En Mars 1882 il voulut réactualiser
son projet de conquête du Bawol à la faveur d'un conflit qui avait opposé le Teen au
11
~,,~
Jaraat Bawol Massamba Ndumbe Ndir Jey. Ce dernier venait d'être destitué par Teen
-.:1':',
qui avait de surcroit pillé ses terres. Il s:3'endit auprés de Lat-Joor pour l'inciter à envahir
le Bawol. Lat-Joor obtint l'appui de son neveu Albury du Jolot qui se présenta à Sugeer
à la tête de son armée. Mais au dernier moment certains chets, ~ qui ne pardonnaient
pas à Lat-Joor de les avoir humiliés quelques années plus tôt manilestèrent leur
hostilité au projet qui avol·ta"';.
L'opposition du Damel à la construction de la voie ferrée Dakar-Saint-Louis mit
fin à l'entente qui depuis 1875, présidai, tant bien que mal aux relations entre le clarnel
)
Î;>.e...>~ \\1'0-
et le gouverneur. Lat-Joor avait ~ljfldu Bawol comme champ de manoeuvre pour
la lutteà laquelle il était acculé. Aussi proposa t-il au Teen un trailé que ce dernier refusa
en soulignûnt qu'il entretenait d'excellnnts rapports avec le gouverneur qui lui avait
rendu service et que pour le chemin de fer qui ne le regardait point il ne voulait pas
/
s'aliener son amitié. Lat-Joor lui fit C,1(,eau de chevaux en lui demandant d'oublier le
passé. Mais Teen persista dans son n'fus en lui avouant avec malice que s'il avait le
malheur de rompre avec les Français, il ne resterait pas longtemps roi du Bawol, que
Lat-Joor lui même irait Je détrôner""'
En Décembre la colonne Wendling mit définitivement fin au régirne de Lat-·~jbr.
Ainsi Lat-'8Jbr guidé dans sa volonté de conquérir le Bawol par des préoccupa-
tions essentiellement stratégiques, avait besoin de grands espaces pour sa cavalerie
légère pour manoeuvrer les colonr,":, lourdement chargées. Le teen du Bawol ne
disposait pas de forces suHisantes pour s'opposer victorieusement à l'avance de
l'armée du Damel. Mais un sort contr2:re ravit à Lat-Joor le bénéfice de sa victoire et
l'obligea même à solliciter l'appui de ses anciens ennemis pour arriver à bout de
Ahrnadu. La victoire de Samba Sajo n'eut pour lui qu'une portée toute relative en raison
des lourdes pertes que le marabout lui avait fait subir. Les querelles avec ses généraux
accentuèrent son atfiblissement que ne compensa pas son alliance avec Albury. A
l'approche de la colonne Wendling, il dut maudire à nouveau Ahrnadu dont l'interven-
tion inopportune l'avait empêché de consolider son autorité sur le Bawol qui lui aurait
été d'une grande utilité au moment où une colonne ennemie marchait contre lui. Sans
doute mesura-t-il avec amertume l'immense déception que lui couta la poursuite de ce
réve qui n'était pas pour lui un rêve l,T'possible.
#
354
1- 13 G 306 pièce 26 : Canard, Coml,vo1ndant de Gorée au Gouverneur, 14 Janvier
1871.
' , , '
,
2- Sabatier: (Page 177).
3- A.N.S. 2 B 35 Folio 196: Valière au'Ainistre, 15 Septembre 1871.
4- Informations fournies par Waly MLl'Èî/e à Lambaay Mars 1976.
5- A.N.S. 1 G 337: Monographie du cercle de Thies, 1910.
6- AN.S. 1 G 275 : Lettre de tègne 'Thk,yacine au Commandant de Garée, reçue le
5 Avril 1872.
7- A.N.S. 2 B 40 Folio 54 : Valière au rvinistre, 12 Décembre 1872.
8- A.N.S. 13 G 306 pièce 60: Lettre de Tegne reçue par Commandant Gorée, 9
Septembre 1872.
9- AN.S. 13 G 258 pièce 155 : Lat-Joor au Gouverneur, Lettre reçue le 6 Janvier
1873.
10-A.N.S. 13 G 258 pièce 155 : Lat-Joor au Gouverneur, Lettre reçue le 6 Janvier
1873.
11- Idem.
12- A.N.S. 13 G 258 pièce 158 : Lettre è Commandant de Garée reçue le 23 Février
1873.
13- A.N.S. 13 G 258 pièce 158 : Lat-Joor à Canard, 28 Février 1873.
14- Robinson: Abdul Bocar Kan, (pago 125).
15- 13 G 307 pièce 3 Commandant po:;te de Thies à Commandant Garée, 20 Avril
1873.
16-13 G 307 pièce 5 : Commandant poste Thies à Commandant Gorée, le 30 Avril
1873.
17- 13 G 307 pièce 5: Commandant Doste de Thiés au commandant Garée, 30
Avril 1873.
18- Idem, ibidem.
19- AN.S. 2 B 40 Folio 135 : Valière au ministre, 23 Mai 1873
20- Idem, ibidem.
21- A.N.S. 13 G 307 pièce 21 : 19 Mai 1873, gouverneur à Commandant de Gorée.
22- Idem, ibidem.
23- A.N.S.O.M. Sénégal 1-56 B : Valiè; e au Ministre, Saint-Louis le 23 Mai 1873.
24- Tradition recueillie auprés de Kan, ~;3mb.
25- A.N.S. 2 B 40 FF 154-155 : Valière au Ministre
26- A.N.S. 2 B 40 folio 167 : Valière au lIlinistre, le 23 Juillet 1873.
27- AN.S. 13 G 307 pièce 50: Canard Commandant Gorée au Gouverneur, 1 Sep-
tembre 1873.
28- A.N.S. 13 G 307 pièce 39: Commal!dant Garée au Gouverneur, Mai 1873.
29- A.N.S. 2 B 40 FF 222-223: Valière au Ministre, le 13 Décembre 1873.
30- A.N.S. 2 B 40 FF 222-223: Valièr.) au Ministre le 1, Septembre 1873.
31- A.N.S. 13 G 307 pièce 47: Commandant à Gouverneur, 31 Octobre 1873.
32- A.N.S. 13 G 307 pièce 12 : Lat-Joar :)U Commandant supérieur Gorée, 9 Février
1874.
33- AN.S. 13 G 307 pièce 9: Canard all Gouverneur, 28 Février 1874.
34- Idem, ibidem.
35- A.N.S. 13 G 307 pièce 11 : Lat-Joor:3 Canard, reçue le 19 Février 1874.
36- AN.S. 4 B 53 Folio 24 : Commandant de Garée au Commandant du poste de
Thies, 4 Avrilm 1874.
37-A.N.S. 13 G 307 pièce 54: 4 Avril 18i1, Commandant du 2ü arrondissement au
Gouverneur.
38- AN.S. 2 D 13 : Rajant Commandant de Thiès à commandant supérieur Gorée,
21 Juillet 1869.
39- A.N.S. 2 B 35 FF 131-132: Valière, 15 Mars 1871.
40- Robinson: Op. cil., (page 128).
41- AN.S. 2 B 73 Folio 45: Au ministr:l, 20 Décembre 1874.
42- ANS. 2 B 73 Folio: Valière au ministre, 11 Septembre 1874.
43- ANS. 2 B 73 Folio 19: Valière au Ministre, 11 Août 1874.
44- ANS. 2 B 73 FF 23-24: Valière au Ministre, le 11 Août 1874.
45- ANS. Idem, ibidem.
46- 2 B 73 FF 23-24: Valière au Ministre, le 11 Août 1874.
47- Tradition orale Saliou Mbup.
48- Tradition orale recueillie auprés de Mabenda Mbup.
49- A.N.S. 2 B 73 FF 31-34: Valière aL', Ministre, le 23 Septembre 1874.
50- ANSOM-Sénégall,58 = Le Ministre au Gouverneur 23 Août 1874
51- ANS. 2 B 73 FF 31-34: Valière au Ministre, le 23 Septembre 1874.
52- A.N.S.O.M. Sénégal 1-58 A: Valièm au Ministre 24 Septembre 1874.
53- Idem, ibidem.
54- Idem, ibidem.
55- ANS. 2 B 73 FF 31-34: Valière au Ministre, 23 Septembre 1874.
56- A.N.S.O.M. Sénégalll-58 A: Valièl'8 au Ministre Saint-Louis, le 21 Octobre
1874.
57- AN.S.O.M. Sénégal 1-58 A: Le 21 Octobre 1874, Valière au Ministre.
58- AN.S.O.M. Sénégal 1-58 A: Le 22 Novembre 1874, Valière au Ministre.
59-A.N.S. 1 B 108 Folio 606 et suivant; : Montaignac à Valière, 4 Novembre 1874.
60-AN.S. 1 B 108 Folio 606 et suivant: le Ministre au Gouverneur, 4 Novembre
1874.
61- Tradition, orale recueillie à Cenabu.
62- ANS. 1 D 34 pièce 2 : Télégran',;nes déposés à Gandiol, le 9 Novembre 1874.
63- A.N.S. 1 D 34 pièce 3 : Commar!dant poste Mbijem au Gouverneur, 9 Novem-
bre 1874 (telg.).
64- AN.S. 2 B 73 folio 49: 21 Janvier '\\874 Valière au Ministre.
65- AN.s. 2 B 73 folio 41-42: 22 Novembre 1874 Valière au Ministre.
66- Idem, ibidem.
67- ANS. 2 B 73 FF 43-47 : Valière au Ministre, 20 Décembre 1874.
68- AN.S. 2 B 42 folio 99 et svts : Vi!lière au Ministre.
69- A.N.S. 2 B 73 folio 49: Valiére au iI~inistre, 21 Janvier 1875.
70- A.N.S. 1 D 34 pièce 5 : Rozet chef poste Gandiole au Gouverneur, 2 Févreier
1875.
71- A.N.S. 1 034 pièce 7 : Begin Commandant colonne Gandiole, le 4 Février
1875.
72- AN.S. 1 D 34 pièce 12: Begin au Gouverneur, le 6 Février 1875.
73- AN.S. 1 034 pièce 50 : Begin rê'pport sur bataille de Bondu, 12 Février 1875.
74- Idem.
75-ldem.
76- A.N.S. 1 D 34 pièce 50: Bégin au Gouverneur Koki, le 12 Février 1875.
77-ldem, ibidem.
78- AN.S.O.M. Sénégal l, 58-A: Valiè,-e au Ministre, le 20 Février 1875.
79- AN.S. 1 D 34, pièce 50 : Begin au Gouverneur Koki, le 12 février 1875.
80- ANS. 2 B 73 Folio 50: Valière au Ministre, 21 Mars 1875.
81- ANS. 3 E 41 FF 44-45 : Conseil d'administration, séance 15 Avril 1875.
356
82- A.N.S. 2 B 73 Folio 50 : Valière au r'''''inistre, 21 Mars 1875.
83- A.N.S. 4 B 35 Folio 35: Boilève 8 cdt Thies, le 1"' Octobre 1874.
84- A.N.S. 13 G 307 pièce 59: Wenc!:ing au Gouverneur le 1"'Octobre 1875.
85- A.N.S. 13 G 308 pièce 90: Thieyacine au Commandant de Gorée 5 Juin 1875. -
86- A.N.S. 13 G 308 pièce 5: Thieyacilïe au Commandant de Gorée, 1"'Février
1875.
87- A.N.S. 13 G 24 pièce 2 : 1"'juin 18?6, Gouverneur au Ministre.
88- A.N.S. 13 G 24 Pièce 2: le Gouverneur au Ministre, 1"' Juin 1876.
89- A.N.S. 2 B 73 Folio 127: Brière de "Isle, au Ministre 22 Mai 1877.
90- A.N.S. 2 B 75 Folio 121-127: Brière de l'Isle au Ministre, 7 Avril 1877.
91-A.N.S. 2 B 73 Folio 127: Brière de L'Isle au Ministre, 22 Mai 1877.
92- A.N.S. 13 G 259 pièce 34: Lat-Joar au Gouverneur, le 9 Juillet 1877.
93-A.N.S. 13 G 259 pièce 34: Lat-Dior au Gouverneur, le 9 Juillet 1877.
94- A.N.S. Sénégal l, 61 : Brière de l'Isle au Ministre, le 16 Septembre 1877.
95- A.N.S.O.M. Sénégal l, 66 B Gouverneur au ministre, 22 Mars 1882.
96- A.N.S.O.M. Sénégal 166 B Gouverneur au Ministre, 22 Mars 1882.
#
CHAPITRE VI:
LE KAYOOR ET LE CHEMIN DE FER DE 1875
A L'AVENEMENT DE SAMBA LAWBE 1883
Aprés la mort de Ahmadu, Lat-Joc!..[fut saisi d'une crise de mysticisme religieux
qui l'incita à accentuer sa politique d';,c;l<:"misation du pays au point de provoquer un
contentieux trés lourd avec ses anciens collaborateurs. Le désir du gouverneur de
Saint-Louis de construire la voie ferréE entre Dakar et Saint-Louis le contraignit à
transiger avec les dissidents. Mais la ca~;sure était si profonde qu'ils lui refusèrent leur
appui à l'approche de la colonne Wend'ing.
L'accroissement continu du volL'me de la production arachidière fit sentir la
nécessité de construire une voie ferrée p()ur faciliter l'écoulement de cette production.
A ce moment la seule voie naturelle, dont dépendrait en grande partie l'économie des
possessions françaises du Sénégal, était le fleuve Sénégal accessible à des bateaux
à vapeur d'assez fort tonnage, mais seulement pendant l'hivernage. La barre qui
obstrue l'embouchure du fleuve, rend,;it difficile l'exploitation véritable des pays de la
vallée et du Haut-Sénégal-Niger. Cetto 'Sujetion entravait l'essor du commerce. Elle
interrompait souvent pendant des moi~, toutes communications entre Saint-Louis el la
mer. Cela se traduisait par un accroissement énorme sur le frét des navires pour le
compte de l'Etat ou des particuliers'.
Dès 1856, Pinet-Laprade, Commandant Supérieur de Gorée avait préconisé,
pour des raisons économiques et militaires, la construction d'une voie ferrée entre
Dakar et Saint-Louis pour remédier aux inconvénients de la barre et pour assurer plus
facilement la possession du Kayoor. Celte ligne devait aboutir au «point de la côte la
plus voisine où fût possible la création d'un port en eau profonde: Daka'r».
Des études ultérieures comme cE~les de Freycinet insistèrent sur la nécessité
de prolonger la voie fluviale à p8rtir de Kaé]Y vers le Niger pour permettre, par la réunion
des deux grancles vallées du Sénégal t:l du Niger, la pénétration française du Sudan.
Cette voie ferrée, en aidant à contour:ler la barre, faciliterait l'écoulement de la
production de l'arrière pays par la mere'. alfranchirait le commerce du Bas-Sénégal des
#
358
incertitudes liées à cet obstacle et donnerait une impulsion nouvelle à la production
agricole. Le rail serait le complément naturel du port de Dakar par lequel il écoulerait,
sans difficulté, les produits du Kayoor et de la vallée du Sénégal.'
Au point de vue politique, celte voie ferrée serait pour ~a France un puissant
<;}.As,<-
moyen pour asseoir sa domination sl~rlp Kayoor. Elle rendrait le transports:iOOat;I:8~
des troupes, des fonctionnaires, la pénétration des produits métropolitains et l'écou-
. lement des richesses locales. Le rail serait aussi un instrument de pacification moins
onéreux que les canons et les chassep':lts et d'une portée plus grande et plus efficace.
Sa présence entrainerait aussi l'abolition du portage'. Le rail réaliserait à plus ou moins
longue échéance une révolution dans l'état social des populations indigènes qui
auraient de plus en plus de possibilités d'aller louer leur force de travail dans les centres
actifs de la colonie5• La faiblesse des moyens militaires de la colonies inclina Brière De
L'Isle à donner une impulsion à ce projet de chemin de fer dont la réalisation faciliterait
le maintien de l'ordre dans le Kayoor souvent livré aux turbulences belliqueuses de ses
chefs et lui éviterait, le cas échéant «do siériles dépenses de représsion militaire. Le rail
ne (dépendrait) plus de l'ordre, c'est l'ordre qui (dépendrait) du rail»"-
Le 16 Septembre 1877 Brière de L'Isle avertit Lat-Joor de son intention de
construire une voie ferrée entre Dakar et Saint-Louis. Le damel pensa le moment
opportun de faire chantage pour récupérer ses provinces annexées. Il refusa son
autol'isation malgré «le profit dos rich0sses que pourrait en retirer le pays et la facilité
qu'on aurait pour faire le commerce des pistaches et autres produits7 ». Il n'accepterait
de donner son accord que si le gouverneur lui rétrocédait les territoires qu'il lui avait
arrachés de Dakar à Ganjool. JI ajou;a qu'il avait accepté la paix parce que les
émissaires du gouverneur lui avaient fait comprendre qu'on lui restituerait la totalité de
son pays. Mais c'est quand il se présenta à Ganjool qu'on lui apprit que le Kayoor était
amputé du Jander et des cantons du NOl d.11 en garda une profonde blessure au coeur.
Son principal grief portait toujour:; sur les esclaves fugitifs qui se rendaient dans
les territoires français pour y obtenir lE;ur libération. Ces territoires annexés étaient
devenus le paradis de tous les ennemis du Kayoor et de tous ceux qui désiraient
échapper à la fiscalité (lu damel dont les revenus se réduisaient aux rares amendes
",' t.
#
359
perçues sur les assassinats, les crirn~s d'adultères et à la dîme. S'il donnait son accord
pour l'établissement du chemin de fer qui placerait "de distance en distance des
endroits pour le cornmerce» le gouverneur lui enleverait son pays et le dépouillerait du
peu d'autorité qui lui restait encore".
Malgré l'hostilité du damel ce projet fut l'objet d'une étude détaillée conduite par
le chef du service des travaux publics de la colonie en 18789• La crise qui opposa en
1879 Lat-Joor à ses principaux Kang'lnl donna à Brière De L'Isle l'occasion inespérée
de faire disparaitre l'hostilité du dame~ à son projet.
LES LUITES DE CLANS AU KAYOOR
Depuis la victoire de Samba Sajo sur Ahmadu Sexu, la préoccupation primor-
diale de Lat-Joor était de donner un ccntenu à son titre de commandeur des croyants
en consacrant la plus grande partie do son activité à l'islamisation du Kayoor. Cette
attitude était sans doute la réponse qu'il opposait aux nombreuses critiques de la
plupart des musulmans de la Sénéç,larnbie qui lui reprochaient de s'être allié avec le
gouverneur contre Ahmadu, d'avoi;' fait mutiler son corps aprés sa mort, alors que
c'était un musulman sincère. De surc:-oÎt il avait réduit en servitude la plupart de ses
disciples, en violation de la loi coranique, pour les vendre ensuite comme de vulgaires
païens lO•
L'entourage de Lat-Joor était désormais constitué de marabouts de renom
cornme BekkayeJMajaxate Kala qu'il Qorgea de biens, et qui, en toute circonstance,
furent consultés pour dire le droit".
Par cette politique personnelle, Lat-Joor, avait décidé de transformer la nature
de l'Etat qui prit l'allure d'une théocratie. Les impôts se réduisirent à ceux prévus par
la législation islamique. Pour ce qui était des taxes, les chefs étaient tenus de se
conformer aux modalités prévues pal' l'islam. Sans doute cette innovation valait aux
contribuables un soulagement certélin comparativement à la fiscalité oppressive qui
leur était jusqu'alors appliquée. Les ç:'3ddo furent invités à cesser leurs pillages sous
peine de sanctions sévères, et à uni) meilleure observance des prescriptions corani-
En matière civile et pénale, les Kadi ou juges musulmans se substituèrent
partout aux chefs territoriaux dans l'administration de la justice. Leurs sentences
étaient en principe conformes aux dispositions de la loi islamique.
.....;,.~:."
Ces mesures, lésaier1\\, sans conteste, les intérêts des lieutenants de Lat-Joor
qui n'avaient pas été associés à leur élaboration. Bunama Joor Sail et ses frères
Oembawar et Sangone, leur cousin !bra Fatim Sarl' élevèrent des protestations en
raison de la baisse bien sensible de leurs revenus. Le dam el s'entoura d'hommes de
moindre envergure comme Oemba Salli .:jU'il nommaJaraaf Njamburet Massek Ndoya
qu'il avait en haute estime'". Pour l'iSI)lu( de ses anciens collaborateurs, ils encoura-
gèrent le damel à faire de Kër AmadL: "ala, son village natal, la nouvelle capitale du
Ce transfert de la capitale se j'~sliliant aux yeux du damel par sa volonté de se
démarquer de Mbul ou de Ngigis qui étaient le symbole par excellence de la
dépravation des moeurs. C'étaient les '~entres où se donnaient libre cours tous les
vices condamnés par la religion. De [HUS, elles étaient devenues trés vulnérables
depuis que les Français les avaient en.ourées d'une ceinture de postes fortifiés qui
faisaient du damel un otage en sursis. [n effet à partir de Potu, Lompul, Mbetet, Mboro,
MjJijem, Njaan il leur était facile d'y faire converger leurs colonnes. En revanche Kër
Amadu Yala était éloigné de ces poste~: parce qu'il était à la frontière avec le Jolof. Dans
les situations de crise le damel aurait le femps de prendre les dispositions adéquates
pour faire face à la situation, de bénéficier éventuellement du soutien du Jolof'''.
Le transfert de la capitale pruvoqua une levée de boucliers. Les Kangam
l'utilisèrent comme prétexte pour faire échec à la politique du dame!. Ils exigèrent la
tenue d'une réunion à Mbul, la capital:-! l',istorique, pour lui signifier que la constitution
du pays ne l'autorisait guère àchanger ~ ·Jn statut. S'il n'acceptait pas de laisser à celte
cité sa fonction administrative, il le des~itl1erait au profit d'un autre souverain'"' Lat-Joor
leur demanda de surseoir à leur déci::,ion jusqu'à la fin de nlivernage où il soumettrait
le problème à la justice musulmane17.
#
J 6' 1
Les Kangam ne furent pas dupes de cette manoeuvre car les Kadi chargés de
rendre la sentence n'étaient que ses propres créatures. Aussi lui firent-ils savoir que
les arguments qu'il invoquait contre Mbul étaient spécieux. Depuis l'instauration de la
monarchie, tous les damel qui régnèmnl sur le pays avaient leurs maisons dans cette
capitale où ils tenaient leurs cours, rendaient la justice en dernier ressort. C'est là qu'ils
discutaient toujours avec les Kangam des grandes affaires du royaume. Sa situation
au centre du pays rendait faciles les déplacements des justiciables, alors que celle de
Kêr Amadu Yala ne profitait qu'aux g::ms du Njambur et du Mbakol. Il était exposé à
toutes les invasions soit qu'elles vinssent du désert par le Walo, soit du Jolof par la Forêt
du Bunum, ou du Bawol par la même forêt'"'
Ils lui rappelèrent qu'il s'était enfui de cette capitale à l'approche de Ahmadu
Sexu, avant d'avoir reçu les renforts. Lù, il était trop éloigné de ceux qui avaient des
affaires à soumettre à son tribunal, qu'il était tenu, par ses courtisans en dehors du
véritable esprit public qui, seul, devait être le sien et son guide dans les actes de sa
politique 1".
Le damel ne se laissa pas convaincre par ces arguments qu'il essaya de démolir
en prétextant qu'il avait choisi Kêr Amadu Yala par devoir envers ses ancêtres, que
c'était là que sa famille avait pris naissance. Cet endroit n'était plus exposé comme
avant à un coup de main, qu'il y avait é:igé un tata comme celui des malinke20
Ce tata était entouré d'un mur crémaillère avec quatre tours qui le flanqaient. Les
murs étaient en terre. Il avaient une épaisseur de 60 centimètres au moins. Aprés les
murs, venait un grand fossé de circonvolution avec «du retour dans le fossé pour le
flanquer. Enfin en avant du fossé, une quantité de petits trous que nous appelons trous
de loup et qui défendent encore l'approche du tata21 ".
Devinant les intrigues de ses anciens lieutenants, il demanda à Brière De L'Isle
de les incarcérer si jamais ils allaient le calomnier au prés de lui. «Ils ont toujours été mes
sujets ainsi que leurs pères et leur sort est de rester tels et de se soumettre à mes
ordres'2" ajouta-t-il en conclusion.
#"'1'6:?
Cette crise était sur le point de déboucher sur l'irréparable. C'est alors que
Dembawar Sail et Ibra Fatim Sarr qui;An plusieurs occasions, lui avaient donné les
marques de leur dévouement, tentèrent de régler le contentieux. Il se rallièrent aux
mécontents tout en atténuant les griefs qu'ils formulaient contre le damel et aprés les
avoir modifiés ils les présentèrent de façon plus adroite à Lat-Joor. Ils n'exigèrent plus
le séjour permanent du damel à Mbul. Ils consentirent à ce qu'il continuât d'habiter Kër
Amadu Yala. Seulement dans tous les cas Mbul serait la capitale officielle et il y viendrait
le plus souvent y rendre la justice et s'inspirer des voeux de ses principaux chefs.
Ces propos conciliateurs eurern l'effet désiré. A la surprise générale Lat-Joor
se présenta à Mbul pour discuter avec les dignitaires du royaume. Le premier à prendre
la parole fut Ibra Fatim Sarr pour sou!igner que les réclamations des gens étaient
fondées. Pour la justice il s'était déchargé sur un étranger, mais que cette erreur était
surtout imputable à ses conseillers qui étaient des ambitieux, qui, aprés avoir vécu des
largesses du damel, n'aspiraient plus qu'à l'exercice du pouvoir dans de grands
commandements «alors que leur naissance et tous les droits les en (tenaient) éloignés.
Ils (savaient) que les grands commêndements étaient entre les mains de chefs
anciens, aimés de leurs administrés et en possession jusquà ces jours derniers de
l'estime de leur roi».
Pour conserver, la direction exclusive de l'esprit du damel, ajouta ce chef, ils le
retinrent à Ker Amadu Yala «l'excitant illa résistance contre ses sujets et travaillant à
déconsidérer tous les chefs qui n'avaient encore fait aucune opposition au roi mais qui
ne l'avaient pas non plus approuvé dans le changement de résidence2'».
Lat-Joor répondit en insinuant que Ibra Fatim Sarr et Dembawar s'étaient laissé
corrompre par le gouverneur qui leur avait envoyé des chevaux dans l'espoir de les voir
user de toute leur influence pour laisser' construire le chemin de fer. Il souligna que les
gens qui voulaient le garder prés d'eux ne cherchaient qu'à le tenir en tutelle25• C'était
à l'âge de 14 ans que les captifs de la couronne en avaient fait le candidat des Geej.
Maintenant Havait environ 35 ans. Il avait décidé de s'émanciper totalement de leur
influence. Sur ces entrefaites il quitta la réunion et rentra à Kër Amadu Yala.
Pour se laver de l'accusation de trahison et exercer sur la damel une pression
discrète mais efficace, Ibra Fatim Sarr le rdjoignit à Kër Arnadu Yala. Là il lui rappela les
immenses services que lui et ses cousins Dembawar, Bunana, Sangone lui avaient
rendus, les sacrifices qu'ils avaient con~·entis pour lui donner le pouvoir, et qui dans
les moments difficiles avaient fait de leur corps son rempart lors des fusillades. Les
hommes qui formaient sa cour étaient incapables de montrer des titres de fidélité
comparables à ceux dont il venait de faire étalage. Il lui répéta qu'il devait consentir à
prendre Mbul pour capitale officielle même s'il devait rester aussi longtemps qu'il lui
plairait à Kër Amadu Yala. En faisant cette concession aux Kangam il aurait la
sympathie de tous ceux qui étaient attachés à sa cause. Malgré ses injustes défiances,
ils étaient encore nombreux'".
En terminant il lui glissa adroitement que le Teeri du Bawol, le bur Salum, «le
Gouverneur de Saint-Louis, tous les chef', seraient fiers de les commander. Alors que
toi, tu persistes à les mépriser?7". Ce dignitaire chargea le lieutenant Vallière, en mission
au Kayoor, de dire au gouverneur cie conseiller au damel de se méfier de son
entourage. Ses véritables intérêts étaient non avec la faction qui dirigeait mais avec la
majorité de ses sujets. La prospérité du pays ne sortirait que de l'ordre et de l'entente
générale des sujets avec leur roi20 .
Pour accentuer leur pression sur Lat-Joor. Les esclaves de la couronne firent
courir le bruit qu'ils allaient introniser Samba Lawbe neveu utérin du damel. C'était une
façon trés habile de rappeler à Lat-Jooi' que son pouvoir n'était qu'une usurpation,
dans le meilleur des cas qU'une régence, car il ne remplissait pas les conditionsd'éli-
gibilité à la royauté. Maintenant que Sa:llba Lawbe était majeur, il fallait revenir à la
légalité. Ibra Fatim Sarr demanda au jeune prince d'instruire son oncle de cette offre
qu'on lui avait faite. Il pensait qu'en m\\Ottant le damel devantl'eventualité de sa chute,
il l'inciterait à prendre en considération las doléances des notables du pays. Mais en
informant Lat-Joor de ce qui se tramait contre lui, il espérait reconquérir une situation
compromise en lui donnant une marqu,'! de fidélité réelle ou simulée2".
Les conjurés poussèrent Samba Lawbe à écrire au gouverneur pour solliciter
son appui contre son oncle Lat-Joor qui lui devait céder le trone. Dans cette démarche,
"
il eut l'appui des grands électeurs mais aussi de la plupart des esclaves de la
couronne: Fara Sëff, Jaraaf Buntu Kër, Ibra Fatim, Dembawar et ses frères, Meïssa
Sele Jaraaf Xandan. Selon Samba Lawbe les musulmans, les étrangers, les chefs et
les sujets les faibles et les puissants se plaignaient des pillages et des injustices que
commettraient les gens de la faction ,je Lat-Joar et du manque de considération qui
frappait les gens de mérite. «tous m'ont dit, écrit le prince, que ce pays est celui de mes
ancêtres et que c'est une honte pour moi aussi de le laisser dans l'anarchie, qu'il n'y
. avait personne que moi pour le sauver et qu'il m'aiderait de tout leur pouvoir à le faire
par leur soumission à mes ordres,
Quand à Lat-Dior, il n'a de droit que sur la province du Guet si nous voulons bien
la lui donnerJ O", Samba lawbe termina sa lettre en prenant l'engagement de respecter
les traités, la manoeuvre des captifs de la couronne était astucieuse, En envoyant
Samba Lawbe en première ligne cor.tre son oncle, ils paralysaient le damel qui serait
dans l'impossibilité de faire la guerre à son neveu. Si leur plan réussissait, il auraient
à nouveau un damel dont la jeunesse (C9 prince n'avait que 19 ans) leur permettrait de
reconquérir leur ancienne autorité, car ils le tiendraient comme en tutelle,
Dès qu'il en fut informé, le damel, pris de rage destitua de leurs fonctions
Dembawar Sail, Bunama Sali, Sangone Sail, Ibra Fatim Sarr, Cukuli Yasin, Musa Joar
Ngaan, Meissa Sele et les remplaç8 par leurs ennemis vivant à Kër Amadu Yala,
Dembawar demanda au gouverneur c1'autoriser les notables du Kayoor à élire un autre
damel, et dans le cas cor 1\\ raire, cie permettre aux victimes des mesures répressives de
Lat-Joor d'élire domicile dans la banlieue de Saint-Louis" ,
Le gouverneur Brière de L'Isle devint l'arbitre de la situation, Il savait qu'aucun
des deux partis n'avait de chance de l'emporter sans son soutien, Il préféra donner son
appui à Lat-Joar mais en contre partie le damel dut signer le 10 Septembre 1879 la
convention qui autorisait, la construction du chemin de fer à travers le KayoorJ2,
Lat-Joor dressa quelques jours plus tard contre ses anciens lieutenants un
violent réquisitoire auprés du gouverneur, Il les lui présenta comme des gens avides,
ingrats qui, malgré toutes les faveurs c,'J'illeur avait accordées, avaient osé nourrir le
#
365
noir dessein de l'assassiner. Il pria le gouverneur d'écrire à Biram Kumba Sail, père de
Dembawar, à Ibra Fatim Sarl' et à leurs complices pour les rappeler à leur devoir de
soumission au damel et leur faire savoir que le Damel était le protégé du Gouverneur
et que c'étaient «toujours ceux soutenus par les Français qui ['(emportaient)."
Lat-Joar fit ses préparatifs de combat,car malgré l'appui du gouverneur les
rebelles étaient résolus à faire élire Sarnba lawbe. Avec le soutien de Alburi, Lat-Joar
était décidé à les réduire à néant aprés les avoir déshononorés33.
Dans les premiers jours de Novembre les rebelles essayèrent de mettre Brière
de L'Isle devant le fait accompli en lui disant qu'ils avaient élu Samba Lawbe
contrairement à toute vérité. A leur tour ils recensèrent les griefs réels ou imaginaires
qu'ils reprochaient au dame!. Ils l'accusèrent de maltraiter les chefs, de rançonner les
étrangers, les pauvres, les bergers e:'13S cultivateurs, que c'étaient ces considérations
qui les avaient déterminés à élire «Samba lawbe parce que, dirent-il, nous étions
convaincus de ses bonnes intentions et que nous avons pu apprécier son mérite. C'est
d'abord un homme de coeur et il le proU'Je par ses paroles et par ses actes... (Lat-Dior)
méconnait l'amitié, viole les traités et ravage le pays.
Nous croyons que l'élection cJe Samba Laobe est avantageuse pour les
Français comme pour nous. Il ne reste plus aujourd'hui du parti de Lat-Joar que les
gens de peu d'esprit et les malfaiteu.s qui craignent que nous leur fassions justice.
Nous voulons le bien el nous ne croyons pas qu'il suffise que le pays ait appartenu à
nos ancêtres pour y faire toutes nos volontés sans nous préoccuper de l'équité.
Aujourd'hui nous sommes fati'Jués de la guerre et sachant que nous ne
pouvons l'éviter tant qu'il sera roi, nous l'avons destitué. Donnez lui l'ordre de se
soumettre à notre décision car notre désir n'est pas de lui retirer la vie bien que lui en
veuille à la nôtre. Devant toutes ses tracasseries nous avons voulu émigrer et nous
refugier chez vous en le laissant régr",r sur un désert. Lorsque Samba Laobe est venu
nous trouver et a juré de ne jamais nous quitter et d'écouter nos conseils, nous avons
résolu de rester dans notre pays avec l'espérance de voir des temps meilleurs"".
#.
:i/if;
Mis au courant de cette correspondance par le gouverneur/at-Joor taxa les
rebelles de mensonge. Il traita Demba'Nar d'orgueilleux qui voulait à tout prix faire la
guerre au Bawol pour retrouver son titm perdu de Fara-Kaba, que c'était lui qui faisait
des pressions inadmissibles sur les [i'3I"1S pour les pousser à émigrer. Le gouverneur
ne devait pas mettre en balance les calomnies de Dembawar et de ses complices et
les informations véridiques qui émanaient de lui. «sachez, conclut-il, si mes ennemis
viennent vous trouver, qu'ils ne sont que mes captifs comme l'étaient leurs pères. De
plus ce sont des ingrats qui ne cherchent qu'à bouleverser le pays et s'ils ont réussi
à engager Samba Laobe dans une mauvaise voie, ils ne peuvent trouver de parti-
sansJ5". Lat Joor demanda à Brière de L'Isle d'intimer l'ordre à Samba Laobe de se dé-
solidariser de ces individusJ ".
Ce conflit était l'expression de l'antagonisme entre les partisans d'une société
islamique et les défenseurs de l'ordre traditionnel dont les sectateurs se recrutaient
parmi les Ceddo, surtout chez les captifs de la couronne habitués à vivre de rapines.
On était à la veille de la traite arachidière. L'affrontement entre ses factions compromet-
trait son déroulement d'autant que l'armée de Alburi comptait dans le voisinage de Kër
Amadu Yala, prête à intervenir au premier signal de Lat-Joor.J? Brière dépêcha au
Kayoor, Boislève directeur des affaires politiques en vue de réconcilier les protagonis-
tes. Aprés 26 jours de négociations slmées, il trouva les bases d'un arrangement. Lat-
Joor annula les sanctions qui avaient trappé les rebelles. Meissa Sele devint Jaraaf
Njambur, SangoneJoor Jawdin Mexe, Ceyasin Baro, Wara, Dembawar chef des Peuls
Njengal et percepteur au poste de Mbijem. Le damelleur imposa une convention qui
les engageait à lui apporter le produit des impôts perçus et sur lequel illeur donnerait
ensuite leur part.JD
Cette réconciliation, n'était, de toute évidence, qu'un compromis boiteux qui ne
pouvait qu'être éphémère. La soumission des rebelles avait été obtenue lorsqu'on leur
fit savoir que le gouverneur était décidé à intervenir en faveur de Lat-Joor. Pour Brière
de L'Isle comme pour ses prédécesseurs, les Ceddo symbolisaient le désordre, les
pillages et la guerre. Par cacul il ne pouvait être que du côté du damel qui, sous le
couvert de l'islam, essayait d'inaugurer une politique moins capricieusEjfonclée
#
367
davantage sur la justice que sur j'arbitraire des chefs. Dés le départ de Boislève ce
furent les récriminations de part et d'autrl'L Le Damel se plaignit que Dembawar qu'il
considér,lit comme le chef des conjurés, eût reçu comme redevance 10 boeufs et 10
moutons et refusé cependant, en violation des termes de la nouvelle convention qui
les liait, de les donner à l'homme qu'il avait envoyé les chercher. Pour cette faute grave
qui était une provocation, Lat-Joor lui enlliVa ses responsabilités de chef des Njengal
mais lui laissa néanmoins celles de percepteur à Mbidjem'",
Les esclaves de la couronne n'accordaient aucune importance à l'arrangement
obtenu grâce aux bons offices de Boisleve. Conscients de leur force, puisque de tout
temps ils formaient l'ossature de l'armée de Lat-Joor, ils ne songeaient plus qu'à
l'écarter du pouvoir pour y mettre leur créature Samba Lawbe.
Ce dernier annulait les décisions de son oncle quand elles frappaient ses
partisans. Lorsque Lat-Joor destitua Fara Sëff, Samba Lawbe le remit en place à
Ngigis. Il procéda de la même façon avec silmaxa Faal Ceyasin, Fara Ndut, qu'il établit
dans ses fonctions aprés qu'il fut démis de ses fonctions par Lat-Joor'o Tout se passait
comme si le Kayoor avait deux damel qui prenaient des décisions contradictoires. Ce
qui créait un prolond désarroi chez les suje ts. Cette atmosphère profita au gouverneur
qui vit se constituer un pal'ti pro-Français dans la classe d~igeante du pays.
Dembawar, ses frères et Ibra Fatim ::Jarr envoyèrent des lettres à Brière de L'Isle
pour lui dire qu'ils se soumettaient à son autorité. Il lui fournirent des renseignements
sur tout le Kayoor pour obtenir son amitié. Ils savaient eux mêmes que leur conduite
n'était pas loyale à l'égard de leur roi parce que c'était la crainte de voir Lat-Joor
prendre en otage leurs familles qui les retint d'aller à Saint-Louis prendre contact avec
le gouverneur".
Dans la mesure où l'attitude du dam el ne compromettait pas alors les intérêts
français, le gouverneur continua de le :;outenir contre ses vassaux révoltés qui
déversaient sur lui toutes sortes de calomnies. Avec j'appui de Brière De L'Isle et de
AlbouritLat-JOor put appliquer les sanctior.:; qui frappèrent les dissidents. Dembawar
fut destitué de toutes ses fonctions. Ote coup il s'adressa au gouverneur pour lui
exposer sa situation afin de recevoir cie lui une aide. «Je suis sans place et n'ai rien pour
me nourrir. Lat-Dior m'a destitué en me promettant une autre place mais je sais bien
qu'il ne me rendra rien»'2.
Cette crise laissa beaucoup de rancoeurs dans le coeur des esclaves de la
couronne qui, bien que rétablis par la suite dans leurs prérogatives n'attendaient que
la première occasion favorable pour se venger de ce qu'il appelèrent l'ingratitude du
damel. Le chemin de fer leur en fournit l'occasion.
Ainsi donc, à la faveur de celle crise politique qui mit le Kayoor au bord de la
guerre civile, Brière de L'Isle obtint (Je Lat-Joor la signature de la convention relative
à la construction de la voie ferrée If) 10 Septembre 1879. Que pouvait-il faire d'autre?
Ses ennemis n'étaient bridés que par' la crainte de voir le gouverneur mettre ses forces
à ses côtés comme il le fit en 1875 contre Ahmadu Sexu. La contre partie de ce soutien
fut que Lat-Joor signât le projet de convention que lui apporta à Kër Amadu Yala
l'interprète du gouvernement El Haclj Bu EL Mogdad. 43
Aux terme de ce texte, la France assura à la famille Geei le monopole du pouvoir
au Kayoor et ce, au besoin par la force. En revanche Lat-Joar s'engagea à accorder
aux Français la jouissance d'une rOl~te commerciale, qui irait de Dakar à Saint-Louis
à travers le Kayoor. Toutefois les gares qui se trouveraient le long de cette route
n'abriteraient jamais de garnisons militaires dans le territoire du Kayoor sous l'autorité
du damel.
Le rôle de cette voie serait de faciliter le commerce, le transport rapide des
marchandises, des produits du sol, des voyageurs au moyen «de voitures trainées par
des machines à vapeur"». Les puits forés dans les gares pour le ravitaillement des
locomotives seraient mis gracieusement à la disposition des populations environnan-
tes: Les stations de la voie ferrée ne serviraient jamais de refuge ni aux ennemis du
damel ni aux captifs en rupture dl" ban. Une convention spéciale réglerait le taux de
l'indemnité qui serait versée au damel. Ce dernier, avec une suite de 20 personnes au
plus, aurait le droit de circuler sur cette route". La perspective devoir Lat-Joor accroitre
ses revenus grâce à ce chemin cie fer ne fut probablement pas étrangère aux
#
369
calomnies dont il fut l'objet auprés du gouverneur postérieurement à cette date et de
la part de ses anciens lieutenants qui proclamèrent Samba Lawbe damel du Kayoor.
Le damel émit des réserves sur l'acte additionnel lui faisant obligation de faire
travailler ses sujets comme ouvriers dans les chantiers de la voie, Malgré la situation
périlleuse dans laquelle il se trouvait, il n'était cependant pas homme à accepter la
prescription de la dignité royale en recevant des ordres du gouverneur comme il en
donnait «à ses chefs de canton de la baillieue», Il était un souverain indépendant qui
n'avait d'ordre à recevoir de personne. Aussi déclara t-i1 que les autorités de la voie
ferrée ne devraient pas soumettre les ouvriers du Kayoor à des tâches au dessus de
leurs forces'G. Dans le cadre des dispositions de la convention, Brière de L'Isle
demanda en Octobre 1879 un cheval pour le damel."
La société des Batignolles ayant proposé les conditions les plus avantageuses,
fut déclarée adjudicataire le 30 Octobre 1880. Les reconnaissances et les études
commencèrent en 1881. Lorsque les inQénieurs chargés de l'étude du trajet arrivèrent
au Kayoor, les principaux cllefs du pays, bien soudoyés par les opposants de Lat-Joor
feignirent de s'émouvoir devant ce qu'ils considérèrent comme le bradage du pays,
consécutif à l'existence d'un traité secret passé entre le damel et le gouverneur.
Beaucoup d'entre eux consultés par le pouverneur s'étaient ralliés à ce projet. Mais le
damel n'auraitdû signerla convention qu'aprés avoir reçu l'aval du conseil des Grands
Electeurs, seule instance habilitée à engager l'avenir du pays dans des questions à
caractère international. A la décllarge du damel c'est que) par calcul politique, il ne
pouvait refuser la proposition du gouverneur qui lui avait promis son appui contre ses
chefs en révolte. Il ordonna la cessation des travaux pour l'établissement du tracé du
chemin de fer.'"
Cette hostilité de Lat-Joar vis à vis du chemin de fer fut mise à profit par ses
adversaires qui déclarèrent que sa conduite était inadmissible parce que cette route
apporterait la prospérité dans le pays. \\I~; espéraient ainsi voir le gouverneur transferer
sur eux l'appui qui lui permit de maintenir son autorité sur le pays malgré l'opposition
de ses principaux Kangam. Les gens du Njamburdirent au Gouverneur qu'ils lui étaient
soumis et qu'ils n'émigreraient pas I:lalgré les ordres du damel.'"
37()
Lat-Joor fit battre le tam-tam pour mobiliser ses forces en vue de la lutte contre
Saint-Louis. Il constata avec amertufTI:~ que la plupart des Kangam l'avaient trahi et
qu'ils n'attendaient que le premier engagement contre les troupes françaises pour faire
défection. 5O Il changea de tactique. Avec les seules forces de Alburi demeuré fidèle à
leur alliance et les rares contingents qui se présentèrent à Kër Amadu Yala, Lat-Joor
comprit qu'il n'avait aucune chance de l'emporter. Il essaya de gagner du temps.
Il se réconcilia avec son neveu Samba Lawbe en le nommant dam el adjoint. Il
priva ainsi ses ennemis du seul candidat crédible capable de donner une base légitime
à leur mouvement. Lat-Joor menaça de tuer quiconque fournirait quoique ce fût aux
troupes ou aux ingénieurs français. '"
Content d'avoir été associé au pouvoir, Samba Lawbe épousa le point de vue
de son oncle à propos du chemin de f2:r et le dit sans équivoque au gouverneur. Il avait
perçu lui aussi que le passage du chemin de fer, au coeur du Kayoor, signifierait la fin
de l'indépendance de son pays, une totale prise de possession du Kayoor par le
Gouverneur. Car pour pouvoir continuer de vivre comme peuple libre, il ne resterait
. plus aux habitants du Kayoor qu'à déE·erter leur pays ou en dernière extrémité à se
défendre avec l'energie du désespoir avec au bout du compte «la ruine du commerce
et des cultures»5' Pour Samba Lawbc, comme pour Lat-Joor le commencement des
travaux serait un casus belli.S:'
Le conflit parut imminent. Le gouverneur interdit des ventes d'armes et de
munitions au Kavoor. Grâce à une active diplomatie, le damef était parvenu à acquerir
l'alliance du grand chef du Bosséa Abdul Bocar Kan dont les forces ajoutées à celles
de Alburi compenseraient celles défaillantes de ses anciens lieutenants. En juillet 1881
t'épidémie de fièvre jaune qui sévissait au sénégal emporta le Gouverneur De Lanneau.
Cafnard qui assuma l'intérim temporisa.
Le damel voulut mettre à profit cette opportunuité pour reprendre la conquête
du 13awol où un conflit grave opposait le teen au Jaraaf Bawol qui j'invita à prendre la
couronne du Bawol. La faiblesse des effectifs militaires français stationnés au Sénégal,
car "essentiel des troupes était absorbés par le Haut-Sénégal-Niger, incita Canard, le
.:>c"
# ... J 7 i
Gouverneur intérimaire, à encourage~,Lat-Joor dans cette voie. Le Bawol serait
l'exutoire où le damel déverserait sasurabondance d'energie. Même si sur lesconseils
.
}
de Ibra Fatim Sarr, Lat-Joor renonça à cette entreprise, cette éventualité lui permit de
se procurer beaucoup d'armes et de munitions que le Gouverneur lui avait fait vendre
dans l'espoir de le voir les utiliser contre le Bawol. 55
Jauréguiberry, à nouveau ministre demanda au gouverneur de maintenir de
bonnes relations avec Lat-Joor. Pour avoir été Gouverneur du Sénégal il avait eu à
mesurer la lénacité de ce damel qui savait mettre dans son combat beaucoup de
détermination. Il fallait le rassurer sur les captifs par des mesures apaisantes. L'amitié
de Lat-Joor lui était indispensable pour mener à bonne fin les projets de chemin de fer.
«Je vous recommande donc, ajouta t-il, d'éviter avec soin toute démonstration armée
qui ne vous paraitrait pas absolument réclamée par les circonstances. Il demeure
entendu d'ailleurs que vous ne devez faii-e usage de la force qu'au cas où vous aurez
à défendre nos établissements el à n'er.lreprendre d'opérations de guerre qu'aprés
avoir obtenu mon assentiment formel s6". Pour le ministre la campagne du Haut-Fleuve
conservait la priorité dans ses préoccupations.
Le damel informé que les travaux allaient commencer incessament s'adressa
au gouverneur en ces termes: «Tant que je vivrai, sache le bien je m'opposerai de
toutes mes forces à l'établissement de ce chemin de fer. Passer outre serait de ta part
un projet dangereux... La vue des sabres et des lances est agréables à nos yeux. c'est
pour cela que chaque fois que je recevrai une lettre de toi relative au chemin de fer, je
te répondrai toujours non, non et je ne te ferai jamais une autre réponse. Ouand bien
même je dormirai, mon cheval Malaw lui même te ferait la même réponsesl". On ne
saurait mieux dire ni du même coup dénoncer ceux qui ne virent dans cette altitude du
damel que le caprice d'un féodal sans aucune souci de l'intérêt de son peuple.
L'expérience des postes militaires, l'anr,exion des territoires des banlieues étaient
suffisamment édifiantes pour le convaincre que cette voie ferrée signerait l'acte de
décès de l'indépendance du Kayoor.
Il envoya de tous côtés prévenir les chefs et les notables du pays de le rejoindre
à Sugeer pour délibérer sur cette question. Des envoyés se rendirent auprés d'Ely
J ï ~
Jëmbët du Trarza, D'Abdul Bokar et D'/èllburi. Les Maures avaient été sensibilisés sur
le danger que représentait pour eux la c~Jnstruction du chemin de fer qui réduirait clans
,
de fortes proportions le monopole qu'ils exerçaient sur le transport des arachides et
des autres produits dans les escales d,:) traite. Ely dans un message envoyé à 81buri
se disant prêt à détruire au premier Signai toute la banlieue. 59
A cette réunion, Lat-Joor déclara qu'il ne céderait le terrain que par la force et
dit qu'il ne prendrait jamais plus connaissance d'une lettre du Gouverneur. Des
hommes de confiance furent dépêchés dans la banlieue et à Saint-Louis pour leur
expliquer les conséquences tragique:, qu'entrainerait la réalisation du projet du
Gouverneur. Il prévint Samba Jama chef de la banlieue que dès le commencement des
travaux du chemin de fer il mettrait à feu et à sang toute la banlieue, tuerait tous ceux
qui seraient contre lui et les jetterait dans le fleuve. 5O A Descemet président du conseil
général il expliqua les raisons de son hostilité.
L'interprète Samba Fall lui avait fait comprendre que le chemin de fer devait
servir à s'emparer de sa plsonne. La paix ne pouvait continuer d'exister entre le
Kayoor et Saint-Louis que si le gouverneur abandonnait son projet et s'engageait à ne
plus jamais en parler. «Si le gouverneur persiste les plus grands malheurs et de longues
guerres auront lieu. Moi Lat-Joor je ne désire que la paix mais je défendrais toujours
le pays de mes ancêtres ou j'émigrerai''!».
A son ami Alexis Béziat, représer:tant de la maison Maurel et Prom il tint à peu
prés le même langage."2 Tous devaient faire pression sur le gouverneur pour le
persuader de renoncer à son projet.
De leur côté les membres du con~eil des Grands-Electeurs. Les Jambur-u-Rew,
Jawdinn Ceyasin Joor, Calaw Dembanaaii, Makudu Ndella, Laman Jamatil
.Madegeen, Bajee Gateeii, Ndaw Ndew, Botal Up Njob Mory Gey, Laman Ndand
Mutufa Fatim, Jawriii Mexe Meissa K0_dq firent comprendre au gouverneur leur refus
de laisser le chemin de fer traverser le Kayoor. Depuis plusieurs années ils avaient
réussi à brider Lat-Joar qui voulait reconquérir les provinces annexées les armes à la
main, car ils entendaient respecter les traités qui liaient le Kayoor au Gouverneur de
J7J
'"
Saint-Louis. La construction de la voie ferrée équivaudrait à une violation de tous les
traités et ils seraient en droit de défendre, les armes à la main, l'intégrité et l'indépen-
dance du pays de leurs aïeux."J
Lat-Joor comptait sur l'influence de ses amis négociants pour faire fléchir le
gouverneur car certains d'entre eux avaient encouragé le damel à persister dans son
refus. Parmi eux on citait Gaspart Devès négociant à Saint-Louis, Justin Crespin
conseiller général, l'interprète Samba Fall, le Cadi de Saint-Louis Mali sail, Makam
Seck, Xuut. Des relations d'affaires existaient entre Lat-Joor et Deves qui lui consentait
ainsi qu'à certains de ses chefs de fortes avances à rembourser sur les récoltes. Le
damel obligeait ses chefs à vendre la production de leurs administrés à Deves qui
parvenait à acheter ainsi une grosse part de la récolte du Kayoor. En effet cette
influence qu'il avait acquise au Kayoor lui attira la sympathie interessée des traitants
noirs qui monopolisaient les opérations de traite avec le Kayoor et avec les autres pays
comme le Futa et le Jolor. Tous avaient la certitude que l'avènement du rail, en mettant
directement l'opérateur européen en contact avec le producteur indigène, en suppri-
mant les intermédiares6' aurait pour effet inévitable de supprimer le monopole de fait
qui leur avait été dévolu jusqu'à ce jour."5 Deves et crespin étaient donc trés hostiles
au chemin de fer par pur égoïsme. Ils railièrent à leur cause Samba Fall, interprète du
gouvernement qui présenta de façon tO'.lt à fait caricaturale le projet de chemin de fer.
Samba Fall avait dit à Lat-Joorque les Français de tout temps cherchaient à le tuer, que
le gouverneur ne tenait jamais compte des observations que le damellui faisait dans
le cadre des relations entre leurs deux pays, qu'il ne voulait faire le chemin de fer que
pour s'emparer de sa personne. Ce chemin "était plus rapide que l'éclair""' Ainsi s'il
partait de Dakar, Lat-Joor aurait à peine le temps de fermer les paupières qu'il serait
devant sa porte. La route serait élevée à la taille d'un homme de taille moyenne et que
les personnes de l'Ouest ne pourraient communiquer avec celles de l'Est qu'aprés
l'ouverture des portes qui aurait lieu deux fois par jour".
En encourageant le mouvemellt d'hostilité au chemin de fer; le parti des
négociants et des traitants accroissait le volume de leurs transactions avec le Kayoor.
Les préparatifs de guerre de Lat-Joor se traduisaient toujours par la vente à grande
Il
.,.
J 7 ilt
échelle de poudre, de balles, de fusils souvent chèrement payés au moyen de boeufs
razziés ou d'amendes perçues et aceplées à bas prix.
De son côté le gouverneur demar.da aux notables du Kayoor acquis à sa cause
d'user de leur influence pour faire echee: à Lat-Joor ou de l'amener à renoncer à son
projet ruineux pour le Kayoor en se démarquant nettement de lui. Depuis la crise
politique de 1879, certains anciens Lieutenants de Lat-Joor faisaient montre de la plus
grande docilité à l'égard du Gouverneur. Dembawar ne lui affirmait-il pas en Mai 1880
que tout en habitant le Kayoor ses affactions étaient de son côté6'. Par la même
occasion il l'assura de son amitié la plus entière.
Les deux hommes envoyés par le gouverneur au Kayoor avaient pour mission
de prendre contact avec ces chefs afin de les détacher de la cause de Lat-Joor, de lui
créer des embarras qui pourraient le retenir s'il s'avisait de passer à l'offensive. Meissa
Se le Jaraaf Njambur se déclara du parti du Gouverneur contre Lat-Joor. Le Jawdinn
Mbul Ceyasin Joor Siqa et d'autres gens du Njambur furent du même avis'"" L'espion'
Samba Turé constata que les chefs ne feraient pas la guerre aux Français, ni
n'émigreraient. Seulement ils montraient à Lat-Joor les apparences de la soumission
de peur d'être châtiés. Ils étaient décidÉls à le trahir dès le début des hostilités."9
L'autre espion, Mambaye Fara Biram prit contact avec les esclaves de la
couronne lbra Fatim Saar, Sangone, Dembawar, Bunama, Tous se dirent prêts à
abandonner Lat-Joor le moment voulu. Ils le voyaient avec plaisir s'engager dans une
voie qui le perdrait. Le gouverneur pouvait d'or~'èt déjà compier sur leur collaboration
'---
pour l'exécution de son projet. Par leurs intrigues ils empêchèrent les chefs de
répondre à son appel et dès le début des iroubles ils se déclaraient ouvertement contre
lui, '0
En définitive Lat-Joor semblait être le seul opposant au chemin de fer, et
abandonné deses lieutenants il n'aurait rJ'autre solution que d'émigrer et de reprendre
sa classique guerre de guerrilla contre le Kayoor. 71
Le gouverneur travailla à semer aussi la zizanie dans l'alliance tissée par Lat-
Joor et qui l'unissait à Alburi, au Trarza C:Jt à Abdul Bocar Kan, Au moment où la crise
·
#'37S
semblait atteindre un point de Ilon retour,ïe gouverneur accueillit Ely du Trarza à Saint-
Louis et donna la plus grande publicité à cette audience. Il espérait ainsi ébranler la
confiance que Lat-Joor avait en SOIl allié. En semant la division parmi les sujets du
damel, en leur montrant les avantages qui résulteraient pour eux de l'ouverture du
chemin de fer, le gouverneur pensa aboutir à l'isolement total de Lat-Joor pour le
renverser dès l'entrée de ses troupes dans le Kayoorn
Mais Lat-Joor n'était pas homme à capituler devant des difficultés. Il percevait
nettement l'attitude ambiguë de ses anciens collaborateurs dont les émissaires se
relayaient à Saint-Louis. Parmi eux, seul lbra Fatim Saar semblait lui garder une
certaine fidélité. A la veille de l'intervent.ion française il envoya dire au Gouverneur que
Lat-Joar malade, abandonné d'une paltie de ses fidèles se serait décidé à faire sa
soumission." L'avaient-il dit pour déterminer le Gouverneur à surseoir à son plan
d'invasion du Kayoor ou pour permettre il Lat-Joorde bénéficier d'un certain répit pour
achever la réorganisation de ses forces? On ne le saura jamais.
Quoiqu'il en fût, Lat-Joor fit ses préparatifs. Il se procura à Saint-Louis de
l'arséniate de potasse pour empoisonner les puits du Kayoor dès le franchissement
de la frontière du Kayoor par les troupes françaises. Ses guerriers reçurent l'ordre de
piller des boeufs qu'il rassembla à Sugeel: et qui étaient destinés à l'alimentation de son
armée. La fièvre jaune qui sévissait dans le Jander rendait improbable l'envoi d'une
colonne à partir du deuxième arrondi::sement. Il ne craignait donc rien du côté de
Dakar.?' Le 14 Novembre 18821e Gouverneur Servatius, successeur de Vallon débar-
qua au Sénégal et se trouva confronté avec le problème du Kayoor. Conformément au
voeu du commerce qui désirait à la tête du gouvernement des civils, on le choisit en
dehors de l'armée et pourtant c'est lui qui prit la décision de recourir aux armes pour
trancher le conflit avec le damel .
Dès son arrivée à Saint-Louis, il reçut de Lat-Joor une lettre pleine de récrimi-
nations amères et même de menaces 6~ dans laquelle il disait que la paix ne serait
durable que si le gouverneur renonçai~ à construire le chemin de fer, y compris dans
le territoire de la banlieue, qu'il ne souf1rirait jamais d'y voir passer le rajL7' Servatius
#.
376
interpréta ce texte comme un ultimatum qui lui permet d'imputer la responsabilité des
hostilités au dame!.'· Aussi arrêta-il immédiatement avec le commandant supérieur
des troupes les dispositions de la colonne expéditionnaire chargée d'imposer le
chemin de fer au Kayoor.
Le travail de sape effectué par Vallon conserva toute son efficacité. Malgré la
nomination d'un nouveau gouverneur ils ne renoncèrent pas à leur projet de trahir leur
chef dès l'ouverture des hostilités. Toutefois ils demandèrent au gouverneur de
patienter encore pour leur donner le temps d'agir sur l'esprit de Lat-Joar et l'amener
à consentir à la construction du chemin de fer. 77
Servatius refusa parce qu'il croyait se trouver en présence d'un piège, car ce
délai risquait d'être été mis à profit par Lat-Joar pour concentrer ses troupes. Le
gouverneur avait hâte d'en finir avec le problème du Kayoor pour s'attaquer ensuite
à celui que lui posait Abdul Bokar Kan du Futa qui s'opposait à l'établissement de la
ligne télégraphique devant relier Salde-Matam et Bakel, et qui mettrait le Gouverneur
à même de suivre au jour le jour les opérations qui se déroulaient dans le haut· Fleuve.'6
Le 26 Décembre 1882 la colonne expéditionnaire entra dans dans le Kayoor
sous le commandemant du colonel Wendling. Elle passa par Mpaal, tlguick, Nomre,
h!dgQ, Gewul, Mbella-Xoor, Mbul et arriva ,l Sugeer le 3 Janvier 1883. 70 A son approche
Lat-Joar se déroba en recourant à la politique de la terre brûlée. Les populations
demeurées sur place reçurent des chefs flrovisoires. Mais en raison des destructions
systématiques auxquelles se livra la colonne qui incendia les villages considérés
comme partisans de lat-Joar, l'immensc: majorité des habitants qui se trouvaient dans
l'axe de progression de la colonne jugèrent prudent de fuir. Le vide se fit devant cette
troupe.oo Le 7 Janvier elle arriva à Kër rvlandumbe Xaari sans rencontrer Lat-Joar.
Wendling le déclara déchu de son litre.
LES INTRIGUE;S DE WENDLING
Servatius avait d'abord envisagé la conquête du kayoor et son annexion pure
et simple au territoire coloniale comme en 1865. Mais Wendling trés lié avec Deves,
conduisit non seulement les opérations d'une manière toute différente de celle qui lui
était indiquée au point d'éviter de passer à un endroit où il aurait pu surprendre le damel
sans défense,a. mais encore il présenta la situation du pays dans un sens favarable aux
intérêts de Deves et des négociants. Sous prétexte que sa marche armée lui avait
permis d'observer avec soin l'état des populations, et de se rendre compte exactement
de la situation, il conseilla au gouverneur de n'appliquer l'annexion qu'à une partie du
Kayoar. L'autre devait être concédée à un damel qui serait reconnu indépendant mais
à des conditions avantageuses pour la France. La suppression de la monarcllie aurait
signifié pour les négociants la pertes de~ marchandises qu'ils avaient consenties au
roi et à ses dignitaires au moment de la traite arachidière qui commencerait avec le
retour de la paix. 02
Selon Wendling la partie du KayQor à placer sous la suzeraineté française
comprendrait les cantons de Ngick, Luga, Koki, Merina-Jop, Xaateet et le Mbawar. Au
Sud de cette ligne on concéderait le territoire à Samba Vay cousin germain de Lat-Joar.
Du fait que dans la partie septentrionale du Kayoor et dans le tnambur la
colonne française avait été accueillie avec empressement parles populations qui lui
prêtèrent même leur concours, le gouverneur décida, sur recommendation de Wen-
dling, de les détacher du Kayoor, et (l'en faire des cantons indépendants dont
l'administration serait confiée aux hommes influents qui avaient trahi Lat-Joar. 83
Mais aprés Gewul, les habitants avaient accueilli les Français avec résignation,
sans aucun enthousiasme. Ils étaient cierneurés fidèles à la famille de Lat-Joar. Leur
sentiment patriotique n'était altéré ni par la haine, ni par la peur. Pour eux Lat-Joar
incarnait la légitimitéB ' Dans ces conditions la nomination, à la tête des cantons,
d'hommes sans influence réelle sur leurs administrés, aurait eu pour résultat, en les
isolant, de rendre aisé le retour offensif do Lat-Joar qui trouverait des appuis chez les
f#'
mécontents. Livrés à eux mêmes, aprés le départ de la colonne, ils seraient non
seulement dans l'incapacité de se rn~,intenir,.mais encore d'empêcher les cruelles
représailles qui frapperaient tous ceUY. qui seraient considérés comme soumis à la
France. Faute de troupes consistantes}a prise de possession de la totalité du Kayoor
n'était pas à envisager. Ce serait, selon Wendling manquer de sagacité ou de sens des
responsabilités que de prendre des mesures qui à brève échéance, conduiraient le
)
gouvernement à recourir aux incessantes colonnes pour faire respecter une autorité
dont ne voulaient pas les administrés.os
Ces territoires arrachés au K'woor et qui se trouvaient dans le voisinage de la
banlieue ne devraient pas être annexés mais simplement placés sous le protectorat et
la suzeraineté de la France. Leur annexion aurait entrainé un supplément de dépenses
et créé des problèmes complexes avec les administrés qui, de toute évidence, ne
pouraient renoncer du jour au lender,lain à l'institution servile dont la suppression
devrait découler du principe même de l'annexion.BB
Ces vues de Wendling furent purtagés par le gouverneur Servatius qui les fit
adopter par le conseil d'administration. Le 15 Janvier 1883 il autorisa le commandant
de la colonne à négocier avec Samba Yaya Faal, fils de Lingeer Debo et de l'ancien
Te~ du Bawol Ceyasin Ngoné Degeen. Il avait fait sa soumission à Ntagar dès le 31
Décembre 1882 en déclarant qu'il n'avait pu le faire plus tôt car sa mère et ses soeurs
étaient comme des otages entres les mains de Lat-Joor. Ses droits à la royauté étaient
incontestables et comme Lat-Joor et Samba Lawbe il était garmi GeeL Wendling était
persuadé qu'il parviendrait à grouper 8isément autour de lui les éléments de forces et
de commandement qui demeuraiert encore fidèles aux traditions ancestrales."l
Samba Yaya se plierait nécessélirement aux conditions que lui imposait Wen-
dling, car son régne ne durerait qu'aulant qu'il recevrait l'appui matériel et moral de
Saint-Louis. Mais il était grevé d'une lourde hypothèque. La plupart de ses futurs sujets
qui accordaient une importance essenlielle à la solidarité familiale lui tiendraient rigueur
d'avoir rallié le camp des ennemis au moment où ses parents, les armes à la maiise
battaient pour la défense de l'indéplOndance de leur pays.
#···37fj
Le 15 Janvier 1883, accompé'.gné des notables de son parti, Samba yaya se
rendit à Kër Mandumbe Xaari pour prendre connaissance des termes du traité que le
gouvernement de Saint-Louis entendait imposer au Kayoor. Cet acte annula tous les
traités conclus antérieurement avec Lat-Joar et plaça les habitants du Kayoor sous le
protectorat de la France. Ce royaume devint dans le texte une simple province
comprenant le Sanoxoar, le Dembanaan, le Xaata le Mbakol, le Geet, le t1giqis, le
Mbawar, le Gewul. Toutefois le poste de Mbeteet et le terrain qui l'environnait dans un
rayon d'un kilomètre étaient français.""
C'est sur cette province du Kayoar que Samba Yaya, qui prit le nom de régne
,
de Amadi Ngoné Failli, fut nommé damel. Le pouvoir restait héréditaire dans sa famille.
Mais Lat-Joor et Samba Lawbe étaienlà jamais exclus du Kayoor 89
Amadi Failli accepta de donner toutes les facilités possibles pour la construc-
tion de la voie ferreé et de fournir au besoin des travailleurs. Des postes fortifiés
pourraient être construits le long de la voie, dont la pleine propriété appartiendrait à la
France ainsi que le terrain des forts d;:ms un rayon d'un kilomètre. Il était reconnu à la
France le droit de construire dans toute l'étendue du Kayoor des routes, des chemins
de fer des lignes télégraphiques, des postes fortifiés et dam el était tenu de les faire
respecter. Enfin le commerce était déclaré entièrement libre.!lO
Comme Majojo, en 11361, Amacli Ngoné Fall souscrivit au démembrement du
Kayoor, mieux à la prise de possession du pays par la France. Le damel n'était qu'une
marionnette pour couvrir de son nom les mesures que souhaitait prendre le gouver-
neur jusqu'à l'achèvement des travau;, de la voie ferrée. Il était devenu un véritable
otage entre les mains du commandant de la colonne qui sous les apparences d'une
certaine légitimité lui faisait accepter des décisions que seules l'assemblée des Grands
Electeurs était habilitée à prendre. De fait, ce fut une annexion sans sacrifices pour
Saint-Louis et de solides garanties pour l'accomplissement de l'oeuvre de chemin de
fer.
Ces conditions acceptées, Wendling reconnut officiellement Samba Yaya dit
Amadi Failli comme damel du Kayo_Q[. On était le 16 Janvier 1883. Les guerriers de
'.
380
. ,1.-
Amadi Failli se réunirent à 16 heures sur une colline au Nord du camp. Wendling fit
prendre les armes aux troupes et ranger les Français en face. Le traité fut solennelle-
ment paraphé par le nouveau roi qui p8ssa en revue les troupes. Le Colonel annonça
au pulllic le rétalliissement de SamtJa Yaya et le renversement de Lat-Joor. Ce fut
ensuite le défilé des troupes devant les deux autorités· '
Aprés le rétablissement d'un dam el sur le trône du Kayoor central, le gouver-
neur s'attela à l'organisation administrative des provinces arrachées au Kayoor. Le
Njambur et le Mérina Jop avaient été enlevés au Kayoor. Le premier fut transformé en
protectorat et reçut pour chef Ibrahima Njay fils du Jaraaf Njambur Meissa Sele que Lat-
Joor avait fait assassiner par son Jaraaf Demba Sali «à cause de son amitié pour la
France">". Pendant l'expédition, ce r,Quveau promu avait fait preuve de beaucoup de
dévouement et rendu lleaucoup de services par ses cavaliers.
Majoor Coro, fils de Majojo ancien damel fut nommé chef supérieur de la
province du Jinaax-Merina-JoQ pour le récompenser pareillement de sa collaboration.
Servatius envisagea l'installation d'un commandant de cercle chargé de superviser
l'administration de tous les territoires protégés du Kayoor·3 En Février 1883lmadi
Ngoné Faalll rendit visite au Gouverneur Servatius à Saint-Louis avec une nombreuse
escorte pour protester «de sa soumission et de son dévouement à la France. JI y fut
reçu avec les plus grands honneurs et signa le traité" paraphé à Ker Mandumbe Xaari."<
Servatius donna l'ordre de piller tous les animaux qu'on croyait appartenir à Lat-
Joor. Entre le 20 et le 28 Février 1883 furent razziés 4 chevaux, 1065 boeufs, 12 ânes,
694 moutons·5 Ces opérations de pilla;.]e jetèrent sur les routes de l'exode beaucoup
de populalion;qui se sauvèrent du côté du Bawol,du Jolof et même du Rip où elles
allèrent grossir les rangs des guerriers de Lat-Joor. La plupart de ces animaux
n'appartenaient pas à l'ancien dam8i qui avait pris la précaution, bien avant le
déclenchement des hostilités, de meltrlJ en lieux sûrs au Jolof et au Rip la plus grande
partie de ses lliens.
J 8 1
.,
LA GUERILLA CONTfŒ AMADI NGONE FAAL Il
Dès le 18 Mars 1883, Lat-Joor et ses partisans étaient de retour au Kayoor.
Amadi Ngoné Fall Il constatant que is's populations ne l'entouraient pas de toute la
sympathie désirée, trouva plus prudent d'aller chercher refuge avec ses 300 guerriers
au poste de Mbeleet. C'était le retour offensif de Lat-Joor auquel le gouverneur avait
voulu parer en mettant sur pied la nouvelle organisation du Kayoar et qui ne pouvait
qu'exacerber le patriotisme des populations qui se rallièrent massivement à Lat-Joar
dans l'espoir de le voir restaurer à nouveau l'intégrité de leur pays.
Lat-Joar n'ignorait pas que les esclaves de la couronne qui formaient l'armature
guerrière des Geej ne lui avaient pas pardonné les humiliations qu'il leur avait infligées
entre 1879 et 1880 en les destituant de leurs commandements. Depuis ils entretenaient
des relations ambiguës avec les autorités de Saint-Louis. Pour faire disparaitre leurs
préventions et leurs réticences il abdiqua en faveur de Samba Lawbe. Toutefois il se
rendit à Mbul pour inviter ses partisans à se préparer au combat libérateur. Samba
Lawbe et Ibra Fatim Saar s'établirent à Xandann avec beaucoup de cavaliers et de
fantassins. Albury commença ses prél;aratifs pour venir épauler son oncle et, acheta,
à cet effet 200 chameaux."? La tactique adoptée con~sistait à ouvrir plusieurs fronts
pour contraindre la colonne française à cie longues marches dans un pays hostile, et
en synchronisant ces actions avec celil:,s des chefs du Futa qui étaient également
convaincus que le gouverneur voulait SB rendre maître de leur pays.
Sur les conseils de Lat-Joor, on décida d'envoyer une colonne mobile au
Kayoor pour tenir la campagne afin d'y empêcher la consolidation de l'autorité des
chefs recemment nommés par le gouverneur. Pendant l'hivernage, quand les troupes
françaises seraient condamnées à l'immobilité par les intempéries, les troupes de Lat-
Joar et de Alburi réunies feraient alors leur jonction avec avec celles de Samba Lawbe
qui pourraient facilement prendre possession de son trÔne. 9B Durant cette campagne
Samba Lawbe recevrait du JoJof tout le :30utien logistique dont il aurait besoin.
#"Jfl'/
Dès qu'il apprit la présence de l_at-Joar au Kayoar, le gouverneur fit pariir de
Saint-Louis, le 21 Mars 1883, une nc,J<elle colonne expéditionnaire de 400 hommes
~r
!f
et de 4 pièces de campagne, et quelqL'es jours plus tard de Dakar, malgré l'épidémie
de fièvre jaune, deux compagnies d'infanteries de marine. Pour couvrir la banlieue une
.."" :,.
garnison de 100 hommes était maintellue à Njaago; une autre de 40 à Mpaal et une
de 30 à Ganjool. La sécurité de ceux lui travaillaient à la construction de la voie ferrée
était assurée du côté de Dakar par un camp de 150 hommes établi sur le plateau des
carrières de Bargny.""
La colonne mobile du Kayoar était commandée par le chef de bataillon Dodds
qui, tirant expérience des dirférentes guerres menées contre Lat-Joar, prit le parti de
l'imiter dans sa mobilité. Des tirailleur:; montés sur chameaux, trés sobres et trés
résistants aux cllaleurs torrides, furen. n.djoints à la cavalerie et formèrent une colonne
légère qui opéra avec une grande rapidité.'oo
La colonne avait été divisée en !mis fractions distinctes qui devaient manoeu-
vrer de façon à enserrer Samba Lawbtl1lt ses hommes et à les mettre dans la nécessité
ou d'accepter le combat ou de capitul:)r. Malgré cette «cavalerie» légère de Dodds,
-
Samba Lawbe tint la campagne pendant un mois grâce au renseignements que lui
fournissaient ses nombreux partisans, disséminés dans tous les villages. Il réussit à se
dérober detous côtés. «Tandis qu'on le c:herchait dans une direction, il fuyait dans une
autre. De là des marches et des con;,-e marches qui épuisaient les hommes'D'». Le G
Avril Samba Lawbe était à Nomre qu'il quitta le soir pour Koki où il refarma ses forces.
Dodds pensa qu'il se dirigerait vers le ,Iolof, mais il prit la direction de l'Ouest, vers le
Sanoxoar d'où il remonterait vers le NClrd pour mieux fatiguer la colonne en donnant
sur tous les territoires où il passait l'ordre aux paysans de ne pas cultiver de
l'arachide. '02 En remontant vers le Nord il passa à Kër Mandumbé Xaari, Cameen,
Belgarki, Kidi, Kër Amadu Yala, Cilm.axê...tlgijem. lOJ Cette mobilité de Samba Lawbe
fatiguait la colonne. La température a.,eignait 40degr~à l'ombre et la marche était trés
pénible pour les hommes comme pc;ur les animaux. Wendling commandant des
troupes, soit parce qu'il craignait un massacre de lacolonne comme en juillet 1869, soit
parce qu'il obéissait aux directives oc:c:ultes du clan Deves décida de mettre en garde
#.
38.3
le gouverneur contre la poursuite d'une ~pérationfort périlleuse pour ses hommes. «Je
ne crois pas, dit-il, au gouverneur, que nous disposions dans la colonie des moyens
nécessaires pour atteindre le but que vous proposez... je ne vois pas pour le moment
qu'il soit profitable de faire venir une compagnie de Dakar, rien ne nous démontrant
que les bandes ennemies une fois refoi'mées ne vont pas filer vers le Sud à l'abri de
la frontière du Djolof qui nous est incunnue." '0'
L'Etat de guerre qui sévissait au !<ayoor depuis Décembre 1882 ruinait le pays
et empêchait surtout la commercialisation de la récolte. Le commerce fit entendre sa
voix. La prospérité du pays passait par la cessation des opérations militaires. Dodds
reconnut de son côté que les poursuites seraient infructueuses et étaient même à la
limite ridicules. On décida de négocier avec Sarnbe Lawbe. Le Buur NjambLJr Ibrahima
.!'JillY, qui comptait parmi les partisans du prince beaucoup de parents et d'amis, entra
en pourpalers avec lui et tâcha de le mettre en contact avec Victor Ballot. Aprés de
longues hésitations Sambe Lawbe envoya un de ses Jaraaf Muse Buri Degeen Jeng
porter ses propositions de soumission il Ballot qui suivait les opérations. L'entrevue
entre Sambe Lawbe et Ballot, pour les préliminaires de paix, eut lieu à Kër Baasin à 40
Km de Luga. Samba Lawbe accepta de déposer les armes et de se rendre même à
Saint-Louis pour négocier directement avec le gouverneur. Servatius mieux renseigné
savait que le parti de ce prince était majoritaire dans le pays et était seul à même de
rappeler les cultivateurs qui avaient fui à l'approche de la colonne française.
Sambe lawbe accepta les conditions du gouverneur, parce que on lui aurait
promis la couronne du Kayoor. Sinon on ne voit pas les raisons d'une soumission alors
qu'avec l'appui du JoJof et de celui dE: Abdul Bokar il était en mesure de tenir la
campagne jusqu'aux premières pluies. Peut-être que Ballot s'était trop engagé à
l'endroit de Samba Lawbe et avait finalement pensé que la complexité de ce problème
nécessitait l'intervention personelle du gouverneur. Sambe Lawbe I$:J se rendit à Saint-
Louis pour aller négocier avec le gouverneur, nous dit la tradition orale du Kayoor,'Oû
pour aller faire sa soumission) déclara l3allot.
Le 30 Avril, bravant les interdits, Sambe Lawbe était à Ganjool avec ses 400
cavaliers en compagnies de Ballot. 107 flliec son détachement de Spahis. Ce fut l'em-
#.
384
barras à Saint-Louis qui ne disposait plus de forces capables de neutraliser cette
troupe du prince s'il s'avisait de refuser de faire sa soumission. La colonne Dodds était
à Luga, la garnison de Ganjool était infime. Finalement Servatius prit le risque de dire
à Samba Lawbe d'aller déposer les armes devant lui à Saint-Louis. 108 Le 2 Mai Samba
Lawbe se présenta au pont de Xor avec: certains des chefs qui l'avaient suivi; Ibra Fatim
Saar, Makor Ndella, Muse Suri Jenq.· Ceyasin Gey, Fara Sëf, Jaraaf Sëf, et de
nombreux cavaliers. 109 Là ils déposèrent leurs armes qui furent prises par une compa-
gnie d'infanterie de marine. Puis ils er;(rèrent à cheval et sans armes à Saint· Louis où
la population leur fit un accueil triomphr.,1. 110 Le 4 Mai Dembawar, qui au pont de Xor
n'avait pu se resoudre à déposer les armes et avait repris le chemin du Kayoor fut
contraint par la colonne Dodds à aller à :3aint-Louis. Il fut à son tour reçu avec le même
cérémonial. 111
UN MAl1c.HE DE DUPES
Les négociations avec Samba Lawbe commençèrent le 9 Mai. Elles étaient
conduites du c6té de Saint-Louis par Ballot, Directeur des Affaires Politiques et Le
Boucher, Directeur de L'Intérieur. Sé\\[Ilba Lawbe était entouré de Ibra Fatim Saar,
DembawajMakOr Ndella et des autres dignitaires. Dès le départ on lui fit savoir que la
base de toute discution était son acceptation du traité passé avec Amadi Ngoné Faal
il. Ensuite il devrait s'engager à user de son influence pour faire revenir ceux qui
s'étaient enfuis. C'étaient le seul moyen de faciliter la mise en valeur immédiate des
terres si l'on voulait épargner au pays ~:,ne famine pire que celle qu'il avait connue sous
le régne de Majojo. Samba Lawbe rest·nait à Saint·Louis presque comme otage en
garantie de ces engagements. Le Directeur de l'Intérieur leur fit toutefois entrevoir que
toute espérance n'était pas fermée à Sa[nba Lawbe si sa conduite personnelle et celle
de ses partisans étaient, à l'avenir, de nature à lui concilier la bienveillance du gouver-
nement français. Dans l'immédiat on lel:r garantit un bon acceuil au prés du dame! et
leur intégration dans les avantages qu'i:s occupaient avant la guerre.' 12
Samba Lawbe retorqua au Directeur de L'Intérieur qu'il avait accepté de se
rendre à Saint-Louis parce que les correspondances qui lui étaient adressées pendant
385
la campagne, et qu'il croyait émaner du;gouverneur, lui assuraient la possession du
Kayoor comme prix de sa soumission. Le gouverneur décida de mettre fin à ces
négociations et signifia à Samba Lawbe et à ses conseillers que s'ils n'étaienL pas
d'accord sur les propositions de l'administration ils seraient reconduits à la frontière
et l'accès du Kayoor leur serait alors 'nterdit.'13
Les négociants Deves et Pellegrin qui avaient soutenu avec ardeur les droits de
Samba Lawbe sortirent une pétition en sa faveur. Ils protestèrent contre la déchéance
de ce prince. Pour eux la nomination de Amadi NGoné Fall devait être provisoire. sa
présence sur le trône du Kayoor serait source d'une grande instabilité car Ballot avait
même reconnu qu'il pouvait à peine réunir 40 cavaliers, alors que Samba Lawbe avait
avec lui tous les captifs de la couronne'" Même s'il acceptait de vivre en simple
particulier au Kayoor, il ne résisterait, pas à la longue, à l'incitation de ses partisans et
à l'appel de son oncle Lat-Joor. Il ne s'était soumis qu'avec la promesse d'avoir la
couronne. Le maintien de cette situation exposait le gouvernement de Saint-Louis à re-
commencer des expéditions coûteuses/atigantes pour les troupes surtout pendant
l'hivernage. Bref elle hypothéquait l'avenir par les troubles qu'elle allait susciter et qui
en rendant aléatoires les travaux agricoles, ameneraient la famine dans le pays et de
graves perturbations dans les affaires commerciales.
De surcroît, dit la pétition, le traité signé par Amadi Ngoné Faal n'avait aucune
1
valeur juridique car quand il le signait il n'était pas «revêtu de la puissance elective du
1
1
Kayoor"\\,. Ce n'était donc qu'un modus vivendi nécessité par les circonstances mais
.
1
qui devrait être frappé de caducité depuis la soumission de Samba Lawbe qui était seul
capable de rétalJlir la quiétude nécessaire au retour des émigrés. Maintenant que le
Kayoor acceptait le passage du chemin de fer, il fallait lui permettre d'élire son chef
selon les modalités traditionnelles afin de contracter «régulièrement avec les person-
nes investies de la puissance publique"o1" car il était de noloriété que le damel était élu
à Mbul au suffrage restraint par sept Grands Electeurs."7
Les pétitionnaires étaient des négociants qui, en s'adressant au président de
la chambre de commerce de Bordeaux, pensaient obtenir gain (Je cause. Ils
défendraient Samba Lawbe avec une vivacité d'autant plus grande que c'étaient leurs
# ... 3 86
propres intérêts qu'ils voulaient sauvegmder. Car ils craignaient de ne pas rentrer dans
leur argent pour les marchandises qu'ils avaient données à crédit à Lat-Joar et à
Sambe Lawbé.
Sommés de se soumettre aux propositions du Directeur de L'intérieur, SamQ~
Lawbe et les captifs de la couronne se 'résignèrent à adhérer à l'ordre des choses
établies au Kayoor et reconnurent Amadu Ngone Faalll comme damel. Samba Lawbe
prit même l'engagement de s'opposer au besoin par la force au retour de Lat-Joor
dans le Kayoor."o
Fidèle à ses engagements)SambaLawbe travailla à faire revenir les fugitifs qui
rentrèrent dans leurs villages désertés depuis les opérations de la colonne Wendling.
Les captifs de la couronne en firent autant. Ils se rendirent dans les différentes
v
provinces pour encourager leurs gens à faire les opérations de désarclage avant les
pluies."9 C'étaient là des indices évicJants que le peuple était avec lui, que l'influence
de Amadi Faal Il était pratiquement nulle.
Le 20 Juin 1883 Servatius mourut à Saint-Louis et le Boucher, Directeur cie
L'lntérieurjassura l'intérim. Comme son prédécesseur/il s'opposa à la présence au
,
Kav.Qar de Lat-Joar qui pensait cepenoant bénéficier d'une situation similaire à celle
faite à Samba Lawbé. Abandonné de Sangone qui l'avait suivi jusqu'au Rip, il partit au
JoJof en compagnie de Masseck Ndoa, 'je son frère Abdulaye Jop et de son secretaire
Majaxate Kala et d'une centaine de cavaliers. '2ü
A l'approche de Lat-Joor Amadi Ngoné Faal alla se placer sous la protection du
résident de Ndand. Etait-ce l'aveu de son impuissance ou simple refus de se battre
contre son cousin germain qui était aWisi son beau-frère? Car Lat-Joor avait épousé
Fatma Cub soeur utérine du damel.
Quoiqu'il en fût, Lat-Joor décida d'agir à la faveur de l'hivernage afin d'obtenir
des compensations aux troupeaux c!u'il avait perdus entre le Rip et le Kayoor. 121 En
compagnie de Alburi et de 400 cavaliers, il tomba le 4 Juillet 1883 sur le village de Budi,
situé dans la banlieue de Saint-Louis. Yamar Mbodj, chef du Walo qui tenta de
l'intercepter eut 11 tués et 18 bléssés,m
r
Le gouverneur intérimaire voullJt imputer la responsabilité de ce pillage à
Samba Lawbe qu'il taxa de complicité a'Jec son oncle'" alors qu'il avait renvoyé sans
vouloir les entendre les deux émissaires qu'il lui avait dépêchés '24 . Cette incursion de
Lat-Joar était dans l'ordre naturel des choses. Pendant l'hivernage, comme à l'époque
de la récolte du mil, Lat-Joor était dans 1; nécessité de piller pour se nourrir et assurer
aussi l'alimentation de son monde. Lé1 présence des forts de Luga et de Merinaghen
n'y pouvaient rien. Tout au plus pouvait-on l'empêcher de rester et de faire acte
d'autorité. On décida, outre le fort de Luga de construire un autre à Mpaal et de remettre
en activité celui de Mbetet,125
Le gouverneur décida d'imputer au damel Amadi Ngoné Faal Il les dépenses
occasionnées par l'installation des postes de Luga et de Mpal. '26 La redevance qu'on
lui imposa fut fixée à 20 boeufs par mois. On avait pensé que les produits de l'impôt
perçu selon les coutumes du pays lui permettraient de faire face à cette charge. Il n'en
fut rien. Car dès son retour au Kayoor, Samba Lawbe rallia immédiatement autour de
lui tous les partisans de Lat-Joar qui l'avait reconnu comme le damel légitime dès
Janvier 1883. Par ce fai~i1 hérita des esdaves de la couronne et de leurs biens. Il se
trouva aussi à la tête des forces du Kayoor qui ne reconnurent d'autre autorité que la
sienne. C'était à lui qu'étaient versés les impôts. De sorte que simple particulier, il était
plus puissant que le damel 127 et d'autant plus respecté qu'il ne prenait jamais d'alcool
contrairement au damel qui se grisait tous les jours. '2•
Amadi Ngone Faal Il n'eut guère à compter sur cette rentrée normale des
contributions. Pour exécuter le diktat du Gouverneur, il n'eut d'autres recours que piller
plusieurs villages dont il razzia les troupeaux, enleva les femmes aprés une lutte
sanglante, et ce, au nom de la France. Plus grave encore, certains troupeaux raflés
appartenaient à Samba Lawbe. D'autres étaient la propriété des ouvriers qu'il avait
réquisitionnés pour les faire travailler sur le chemin de fer. '29
Ce raid provoqua un violent mécontement chez les partisans de Samba Lawbe
qui le pressèrent de réprimer par la foreC) ces débordements dudamel.ll préféra calmer
cette effervescence populaire tout en dt:~mandant à Laude commandant du poste de
Ndand, d'empêcher Samba Yaya de faile du mal à ses gens. Certains de ses fidèles
JI~ R
furieux de n'avoir pas reçu l'ordre de se venger allèrent rejoindre Lat-Joor au Jolo!.
Si Amadi Faal Il commit des exactions aussi graves qui faillirent dégénérer en
une guerre civile, la faute était imputable au gouverneur de Saint-Louis qui lui
demandait une redevance annuelle dB 20 Boeufs représentant une valeur de 2000
francs environ alors qu'il ne possédait rien. Il pilla pour payer de peur d'être chassé du
trône.'''' Le damel qui s'était engagé il donner 80 à 100 travailleurs par jour pour le
chemin de fer n'en fournissait qu'une vingtaine qui généralement se sauvaient pour ne
plus réapparaitre. '31
Le Boucher était d'avis que le c~;oixfait sur Amadi Faal ne pouvait être maintenu.
Le ministre pensa qu'il serait facile le cas échéant de l'amener à renoncer au pouvoir
qu'il n'exerçait que de nom puisqu'ii n'avit ni prestige ni partisans
Il fallut faire vite, car avec le retour de l'hivernage Lat-Joor et Alburi se
préparaient à soumettre le Kayoor à leurs razzia. Entre le 8 et le 9 Août ils étaient dans
le Geet, à Sagatta province natale de Lat-Joor. Il était à craindre que Samba et ses
guerriers ne fissent leur jonction avec eux conformément au plan initialement établi. '3'
Le 10 ils étaient à Njaan avec une armée nombreuse.
A leur arrivée à Mérina-Mbabu!3 défection de Samba Lawbe Penda, prince du
Jolof qui entraina avec lui une grande partie des hommes de Alburi arrêta leur marclle.
Lat-Joor reçut de Samba Lawbe son neveu l'ordre de quitter de suite le Kayoor sinon
il l'attaquerait avec toutes ses force3. 133 Il battit en retraite et rentra au Jolo!. Samba
Lawbe venait de prouver la sincérité de sa soumission. Il semble que ce fût sur les
conseils des esclaves de la couronne qui se réunirent avec lui à Jompi que Samba
Lawbe ne rejoignit pas son oncle. '34
Cette incursion de Lat-Joor ':l'Jt pour effet de mettre à nu la faiblesse du darne!.
Sans volonté, ni courage, entouré d'hommes sans consistance sociale, il ne chercha
pas à opposer de résistance à l'invasion. '35
Le 22 Août 1883 le Gouverneur Bcurdiaux soumit au conseil d'administration la
question de la déchéance de Amadi Ngoné Faalll . Il fit remarquer que ce damel était
#
389
incapable de faire respecter son autorit(\\ et de tenir les engagements qu'il avait pris en
vertu du traité du 16 Janvier 1883. Il ~9.gravait encore la sitution en pillant ses sujets
au nom de la France. Il proposa la déposition du roi qui fut adoptée à l'unanimité. Il fut
remplacé par SambaLawbe.'JG Aprés œtte abdication forcée Samba Yaya reprit son
ancien titre de Jambor et conserva son apanage du Mbawor.
Aprés un séjour de quelques semaines, Samba Yaya alla grossir les rangs de
l'armée de Lat-Joor. Au cours de ses 8 mois de régne il n'avait pris aucune mesure qui
pût lui aliéner la sympathie de son cousin.
1- Gouverneur Général de l'AO.F. : LE CHEMIN DE FER DE THIES AUNIGER
1931 (pages 2-4).
2- Gouverneur Général AO.F. : LE CH/::MIN DE FER DE THIES AU NIGal 1931
(pages 2-4).
3- Bois: SENEGAL ET SOUDAN, T.P. n CHEMIN DE FER (Paris 1886)
4- Rotte C.: LES CHEMINS DE FER ET TRAMWAY (Paris 1910, page 12).
5- H. Rivière: LES CHEMINS DE FER ET LES POSTES 1913 (pages 18-19).
6- Faw J.C. LA MISE EN VALEUR FERf10VIAIRE DE L'AO.F.(Paris 1969, page 27).
7- A.N.S. 13 G 259 pièce 18 Lettre de Lat-Joor au Gouverneur 1877.
8- AN.S. 13 G 259 pièce 18 Lettre de Lat-Joor au Gouverneur 1877.
9- A.N.S.O.M. Gouin: Administrateur de la Société Batignolles Paris 1887, Sénégal
X I I - 4 2 ' "
10- Les marabouts comme Cheikh BJrnba protestèrent contre l'asservissement de
ces musulmans authentiques.
11- A.N.S. 1 G 48 Pièce 6 Rapport du lieutenant Vallière sur le Kayoor 1879 (page
17).
12- Tradition orale avec Kani Samb.
13- AN.S. 1 G 48 : Rapport du Lieutenant Vallière.
14-AN.S. 13 G 260 pièce 10 Lat-Dior au Gouverneur le 22 Juin 1879.
15- Idem.
16- Idem.
17- Idem.
18-AN.S.1 G 48 Mission Valliere (pages 2-3-4) 1879.
19- AN.S. Idem 1 G 48.
20- AN.S. Idem, ibidem.
21- Dupré: LA CAMPAGNE DU CAYOR (page 25) 23 Janvier 1883.
22- AN.S. 13 G 260 Pièce 10 Lat-Joor 8U Gouverneur, leUre reçu le 22 Juin 1879.
23-AN.S. 1 G 48 MISSION VALLIERE (pages 5-6) 1879
24-AN.S.1 G 48 MISSION VALLIERE (page 7)
25- A.N. S. 1 G 48 (page 8)
26- G 48 pièce 6 RAPPORT VALLIERE AU KAYOOR (pages 12-14) 1879
27- Idem
28- Idem
#. '. 39()
29-1 G 48 Pièce 6 RAPPORT VALU ER!:' (pages 11-14) 1879
30- ANS. 13 G 260 pièce 23 Samba Lawbe au Gouverneur S.O. 1879
31- ANS. 13 G 260 pièce 12 Oembawar au Gouverneur le 1"' Septembre ·1879
32- ANS. 2 B 52 Folio 66 Le gouvern~,ur au ministre le 23 Septembre 1879
33- ANS. 13 G 260 pièce 12 Lat-Joar au Gouverneur
34- ANS. 13 G piece 24 : Lettre du Jawdin Mbul Gallo Biram Kumba Sali et ses fils,
Jawdin Ceyasin Joor, Laman Jamatif au Gouverneur
35- 13 G 260 pièce 21 Lat-Joor au GOLNerneur reçu le 1"' Décembre 1879
36-ldem
37- A.I\\I.S.O.M. Sénégal l, 63 A Brière (;e L'Isle au Ministre le 9 Janvier 1880
38- A.N.S. 13 G 260 pièce 32 Lettre cie Lat-Joor au Gouverneur 31 Janvier 1880
39- AN.S. 13 G 260 pièce 32 Lettre de Lat-Joor au Gouverneur 31 Janvier 1880
40- A.N.S. 13 G 260 pièce 32 Lettre de Lat-Joor au Gouverneur 31 Janvier 1880
41-AN.S. 13 G 260 pièce 4 Oembawar au Gouverneur 22 Janvier 1880
42- ANS. 13 G 260 pièce 49 S.O. Oembawar au Gouverneur
43- AN.S. 13 G 5 : Convention entre Gouverneur et Lat-Joor. Kër Amadu Yala 10
Septembre 1879
44-ldem
45-ldem
46- AN.S.O.M. Sénégal IV 98 Gouverneur au Ministre Saint-Louis le 23 Septembre
1879
47-ldem
48- 1 040, pièce 74 Commandant Gorée au Gouverneur 23 Avril 1881
49- AN.S. 13 G 261 pièce 14 Les m<l:abouts du Njambur au Gouverneur 11 Mai
1881
50- ANS. 13 G 25 pièce 1 Rapport situation politique, Gouverneur au Ministre 27
mai 1881
51- AN.S.O.M. Sénégal 64 B Lanneau au Ministre 24 Mai 1881
52- ANS. 13 G 261 pièce 16 Samba Lawbe au Gouverneur 29 Mai 1881
53- Idem, Ibidem
54- Idem, Ibidem
55- ANS. 2 B 55 folio 143 Canard au Ministre 7 Mai 1882
56- 13 G 25 Pièce 4 Jaureguiberry au Gouverneur 19 Février 1882
57-ANS. 1 040 pièce 39 Lat-Joor à Vallon reçue le 25 Juillet 1882
58- A.N.S.O.M. Sénégal 167 B Vallon élU Ministre 23 Juillet 1882
59-Idem
.
60- AN.S. 1 040 pièce 41 Lettre de Lat-Joor à Amadu Jama Muit 3 Août 1882
61- ANS. 13 G 261 pièce 65 Laat-Joor à Oescemet 18 Août 1882
62- ANS. '13 G 261 pièce 66 Lat-Joor à emir maison Hileine 19 Août 1882 ; Cette
lettre a été communiqué par Beziat
63-AN.s. 13 G 261 Pièce 64 Lettre de:; notables du Kayoor au Gouverneur 18 Août
1882
64- AN.S.O.M. Sénégal 168 B Gouverneur au Ministre le 8 Avril 1883
65-ldem
66- 13 G 261 pièce 67 Lettre de Ibra Fntim Sarr au Gouverneur reçue le 4 Septem-
bre 1882
67-13 G 260 Pièce 47 Oembawar au Gouverneur, Lettre reçue le 14 Mai 1880
68- AN .S. 13 G 82 Pièce 34 Comm<;11dant Merinaneghem au Gouverneur le 12 Dé-
cembre 1882
69- ANS. 13 G 261 piece 62 Samba T'Juré au Gouverneur le 15 Août 1882
J 9 1
70- ANS. 2 B 74 folio 140 Gouverneur au Ministre 20 Aoùt 1882
71-AN.S. 13 G 261 pièce 68 Vallière au Ministre 8 Septembre 1882
72- AN.S. 1 B 227 Jaureguiberry au Gouverneur le 26 Aoùt 1882
73- AN.S. 1 D 40 pièce 104 Commandant Cercle de Saint-Louis au Gouverneur le
14 Décembre 1882
74- AN.S. 1 D 40 pièce 40 pièce 33 Commandant 2" Arrondissement au Gouver-
neur 1"' Aoùt 1882
75- AN.S. SénégallV-98 Lettre de Lat-Joor au Gouiverneur 17 Novembre 1882
76- ANS.O.M. Sénégal 1-68 B Servatus au Ministre 23 Novembre 1882
77-ldem
78- Sabatier Op. Cil. (page 122)
79- AN.S.O.M. Sénégal 168 B Serval.us au Ministre le 8 Janvier 1883
80- Dupré (Capitaine): LA CAMPAGNE DU CAYOR EN 1883; Paris 1934 (page 16)
81- A.S.O.M. Sénégal l, 91 A Lamathe au Sous-Sécretaire d'Etat aux colonie 16
Janvier 1891
82- ANS. 3 E/47 If 56-58 : Séance du 9 Janvier 1883
83-ldem
84-ldem
85- ANS. 3 E/47 If 56-58 séance 9 Janvier 1883
86-ldem
87- ANS. D 40 pièce 233 Wendling au Gouverneur: Mission de colonisation Fé-
vrier 1882-1883
88- Moniteur du Sénégal et dépendances 30 Janvier 1883
89- Moniteur du Sénégal et dépendances: Traité du 16 Janvier 1883 na 30 Janvier
1883
90- Idem, ibidem
91- Dupré, COMPAGNIE DU KAYOOR EN 1883 Op.Cil. (pages 22-23)
92- AN.S. 2 B 74 Folio 153 à 155 Servatus au ministre 8 Février 1883
93-ldem
94- Fallot: Le sénégal (page 106)
95-AN.S.O.M. SénégallV-98 : Le DireGteur des affaires politiques au Gouverneur
28 Février 1883
96- ANS. 1 D 44 pièce 244 Mbidgen au Directeur affaires politiques 19 Mars 1883
97- A.N.S. 1 D 44 Commandant Dagana au Gouverneur 20 Mars 1883
98- AN.s. 1 D 44 pièce 334 Commandant Cees au gouverneur 21 Avril 1883
99- AN.S.O.M. Sénégal l, 68 B Serv:'JtlJs au Ministre 24 Mars 1883
100- Folliot, Op. Cil. (page 106)
101- Martineau Introduction à la Campagne du Cayoor de Dupré: Revue D'histoire
coloniales 1933
102- AN.S. 1 D 44 pièce 63 Doods au Gouverneur Xabnan 15 Avril 1883
103- A.N.S. 1 D 44 pièce 65 Dodds au Gouverneur Xabnan 17 Avril 1883
104- ANS. 1 D 44 pièce 86 Servatius à Ballot 26 Avril 1883
105- Idem
106- Tradition orale du Kayoor
107- Moniteur du Sénégal le 15 Mai 1883
108- A.N.S.O.M. Sénégal 168 Servatiu:;; au ministre 24 Mai 1883
109- Moniteur du Sénégal (partie non oflicielle;le 15 Mai 1883
110- AN.S.O.M. SénégallV-98 : Bo'xher Directeur de l'interieur au Gouverneur 9
Mai 1883
392
111- Idem
112- AN.S.a.M. SénégallV-98 C Rapport du Directeur de l'Intérieur
113- 3 E /47 Folio 220 Conseil d'Admi;listration séance 2 Mai 1883
114- 3 E / 47 ff 204-219 Conseil d'administration séance 9 Mai 1883
115- Sénégal IV 98 C Pétition en faveur de Samba Laobé 11 Mai 1883 signé par les
négociants Maurel et Prom, Beyni, Fornie Gerre, crespin, Blachard et Gros, Porte
devos, Montfort, Lenormand fils AUnlon, Delmas et Laporte, Pellegrin et Frères
Newbouye
116- Idem
117-ldem
118- ANS. 3 E/ 47 FF 227 à 230 séance du 14 Mai 1883
. 119- AN.S.a.M. Sénégal 168 B Servatius au Ministre 9 Juin 1883
120- AN.S.a.M. Sénégal 169 A Le Boucher Gouverneur P.1. au ministre 24 Juin
1883
121- ANS. 2 B 74 folio 171-172 Gouverneur au Ministre 2 Juillet 1883
122- AN.S.a.M. Sénégal l, 69 A Gouverneur P.1. au Ministre 9 Juillet 1883
123- ANS. 1 D 44 pièce 148 Leleg. affaires politiques à Commandant Ndand 5
Juillet 1883
124- ANS. 1 D 44 pièce 157 Commandant Ndand à Directeur Affaires politiques
12 Juillet 1883
125- ANS. 3 E 47 ff 294-297 Conseil (j'administration séance du 5 Juillet 1883
126 - AN.S. 2 B 54 ff 22-23 Gouverneur au Ministre 9 Aout 1883
127- 1 D 44 pièce 164 Commandant Ndand au Gouverneur: Le 18 juillet 1883
129- 1 D 44 pièce 164 Idem
130- 2 B 54 If 22-23 Gouverneur au Ministre le 9 Août 1883
131- ANS. 3 E/ 47 If 316-318 séance du 2 Août 1883
132- ANS. 1 D 44 pièce 164 Commandant de Ndand le 18 Juillet 1883
133- AN.S. 1 D 44 pièce 196 Lande Commandant Ndand au Gouverneur telg. 10
Août 1883
134- AN.S.a.M. Sénégal 170 A Bourdiaux au Ministre le 24 Août 1883
135- AN.S. 1 D 44 pièce 195 : Commandant Ndand au Gouverneur, 11 août 1883.
136- ANS. 2 B 54 Folio 26-27 Bourc;iélux au Ministre 24 Août 1883
CHAPITRE VII:
LA FIN DE LA ROYAUTE AU KAYOOR
En recevant la singulière faveur de remplacer Samba Yaya sur le trône du
Kayoor, Samba Lawbe réalisait un vieu:< rêve qu'il avait poursuivi avec constance et
ténacité au point de rompre avec son ollcle Lat-Joar. Mais prisonnier du gouverneur
et des vieux esclaves de la couronne, il Ile tarda pas à se rendre compte que son titre
n'était plus qu'une fiction. La mort l'interrompit dans sa tentative de restituer à la
royauté la plé~itude de ses prérogatives.
Le directeur des affaires politiques Ballot se rendit à Mbeteet dans le Kayoor
pour contraindre Amadi Failli à abdiquer au profit de Samba Lawbe. Le 28 Août 1883
Ballot passa avec le nouveau damel un traité qui reprit, à quelques nuances prés, les
termes de celui qui avait été imposé le 16 Janvier à Samba Yaya. Aux précédentes
clauses il ajouta celles qui disposaient que sur une profondeur de 50 mètres de chaque
côté de la voie ferrée qui traverssait 18 Kayoor, et sur un rayon de 100 mètres autour
de chaque gare, l'espace devenait propriété du gouvernement. Samba Yaya reprenait
son titre de Jambor et le damel continuerait de percevoir les droits habituels dans les
limites du Kayoor.'
Le 30 Août, à la tête d'un dét3chement de Spahis et d'artillerie, Ballot se
présenta à Mbul pour reconnaitre officiellement Samba Lawbe qui reçut l'investiture
des Grands Electeurs. Il obligea les captifs de la couronne à jurer sur le Coran
d'observer les clauses de ce traité de Mbeteet. Les 7 électeurs entérinèrent cet acte
publiquement en y apposant leur signature. La forme était au moins respectée pour ce
qui était de ce traité. 2
Cette nomination de Samba Lawbe fut désapprouvée par le ministre qui trouva
superflu le maintien de la royauté. Il opinait pour l'abolition définitive du régime des
damels. Il recommanda, aprés ce fait e,ccompli, de maintenir avec le nouveau damel
"des relations aussi bonnes que possiblE$' jusqu'au moment de l'ouverture du
chemin. 3 Cette solution avait été adoptée en Janvier sur recommandation de Wendling }
commandant des troupes qui avait affirmé que toute tentativ7Pour créer des cantons
#'
394
libres et indépendants, aurait abouti à Lin chaos gigantesque et à une anarchie de tous
~ ...
les instants' Pour ces raisons,le statu'quo fut maintenu.
Aprés son intronisation Samba Lawbe s'attacha à calmer les esprits, à conso-
lider son régime en cherchant à s'entendre avec Samba Yaya. 5 11 avait besoin de son
soutien pour être en mesure d'opposer une résistance victorieuse àson oncle Lat-Joor
allié de Alburi. Il s'adressa aussi à Ibrahima Njay Bur Njambur dans le même sens'"
A la fin de Novembre et au début de Décembre 1883, Lat-Joor reçut en renfort
des contingents du Futa. Dans le cadre de la lutte sans merci qui opposait Abdul Bokar
à Ibra Almamy. le gouverneur dépêcha une colonne pour soutenir ce dernier qui était
son allié. La défaite de Abdul Bocal' dans le Law poussa la plupart de ses guerriers à
venir au Jolof où Lat-Joor les embrigada pour accroître le potentiel de sa force de
frappe.? Avec ces guerriers et ses anciens partisans Lat-Joor pénétra dans le Kayoor,
s'installa à Ware à8 Km de Njaan où il construit un tata. B Albury ne put l'épauler car deux
prétendants à la couronne du Jolof, Bir.;1m Pate à Mérina et Samba lawbe Penda dans
la forêt du Bunum s'apprêtaient à l'attaquer. Livré à ses seuls moyens et évitant
d'engager la bataille contre son neveu Lat-Joor quitta son camp à la première
J
sommation du dame!.9 La présence de Samba Lawbe à la tête du Kayoor gênait Lat-
Joor qui ne pouvait courir le risque de lui faire la guerre. Aussi chercha t-il à conduire
ses opérations punitives vers la frontière du Walo qui administrativement ne relevait
pas du Kayoor. Le gouverneur convoqua les chefs de ces provinces pour leur dire de
prendre les dispositions adéquates arin de lui interdire l'accès de leur domaine.
En détournant l'agréssivité de Lat-Joor vers des provinces autres que le
Kayoor, le Damel semblait donner des gages de fidélité. Puisqu'il était capable
d'éloigner son oncle du Kayoor, pourquoi le gouverneur ne lui confierait-il pas le
Kayoor restauré dans les limites qui furent les siennes sous le régne de son oncle? A
l'instigation des esclaves de la couronne qui avaient vu d'un mauvais oeil l'amputation
du Kayoor en 1883 du Njambur et du Mérina Ngick qui étaient leurs apanages sous le
régne de Lat-Joor, Sambe Lawbe s'adressa au gouverneur pour réclamer leur retour
dans la mère-patrie en Mai 1884.'0 Pour Saint-Louis cette réclamation n'était pas
recevable, car le Kayoor tout entier ava:l été conquis par les Français en 1883 qui, au
'# " " J 9S
lieu de le garder et en chasser les princes et les ceddo, avaient préféré le partager en
trois territoires commandés chacun pélr un chef indépendant". On le pria de ne plus
s'immiscer dans les affaires du ~am!21![ et du Mérina dont les chefs respectifs étaient
Ibrahima Niay et Majoor Coro."
Le gouverneur pensa qu'il fallait éviter toute rupture avec le damel avant la fin
des travaux du chermin de fer. en atteflclant on le surveillait pour empêcher son alliance
avec Alburi et Lat-Joor. Les risquesd'une telle alliance étaientsi obsédants pour le
gouverneur qu'ils l'incitèrent à trouver un compromis avec Alburi qui signa avec Ballot
le 18 Avril 1885 un traité aux termes duquel il plaça le Jolof sous le protectorat français
et s'engagea à ne plus donner asile aux ennemis de la France." Chacun des
signataires y trouva son compte. Le C:Duverneur chassa Samba Lawbe Penda du Walo
et le burba demanda à Lat-Joor de quiWJr le Jolof. L'ancien damel s'établit à la frontière
du Kayoor et du Jolo!.
Samba Lawbe entra en contact avec lui dans l'espoir de le convaincre de le
laisser intercéder en sa faveur pour lui obtenir du Gouverneur J'autorisation d'habiter
le Kayoor et y faire ses cultures. Il refusa disant que lui vivant aucun prince n'avait le
droit à la courone, qu'il voulait régner dvec ou sans l'assentiment des Français." Ils
évitèrent d'en venir aux mains. Cette situation de ni guerre ni paix dura jusqu'en 1886.
L'HOSTILITE DES POPULATIONS VIS A VIS DU CHEMIN DE FER
Pendant que les rivalités opposaient les différents chefs, les travaux du chemin
de fer se poursuivaient activement malgré la terrible épidémie de fièvre jaune qui
emporta les 5/6 des premiers agents envoyés au Sénégal. Pour éviter la répétition de
pareilles hécatombes, on décida de .'lf: faire des campagnes que pendant la saison
sèche de Décembre à Juin. Pendant l'hivernage on rapatriait le personnel européen.
La ligne fut construite en trois campagnes. La première commencée en Février 1882
se termina en Juin. Les deux autres commencés en Décembre se terminèrent en Juillet
1884 et 1885. '5 Signalons que les travaux furent entrepris du c6té de Saint-Louis en
1882 et du côté de Dakar en Février 1883 en raison de l'épidémie de Fièvre jaune qui
y sévissait.
-
JQ6
La section Dakar-Rufisque fut inaugurée le 23 Juillet 1883 et livrée à l'exploita-
tian. Les autres sections furent ouvertes aux dates suivantes:
Mpaal-Saint-Louis 23 Km le 23 Janvier 1884
Rufisque-Put
27 Km le 7 Mai
1884
Put-Tiwawan
37 Km le 24 Juin
1884'6
Dès la mise en marche de l'exploitation des incidents éclatèrent. En Juin 1884
une rixe, suivie d'effusion de sang se produisit à Puut entre les agents de la compagnie
et un autochtone à qui on voulait interdire d'abreuver son troupeau au puits de celle
station. Un des agents fit usage de son arme et le blessa. Le 18 Juin entre Dakar et
Caroy un gros paquet était placé sur la 'laie par un homme qui réussit à s'enfuir.'? Il en
fut de même trois jours plus tard où un terain de matériel se heurta à un dépôt de
matériaux.
A son retour vers 15 heures, le même train retrouva presque au même endroit,
en face du puits de Puut, un nouvel amas de grosses pierres disposées sur chaque
rail. Au moment où le conducteur descendit pour poursuivre l'auteur de cet acte de
malveillance des hommes armés tirorent sur lui et le train démarra. Il n'y eut pas de
victimes. 18
Cette hostilité au chemin de fer se poursuivit le 23 Juin 1884 contre deux trains
dans le secteur compris entre Kees et Tiwawan où l'un d'entre eux subit des avaries
graves.'9 Le 24 des coups de feu furent tirés sur un train de marchandises au Kilomètre
84 et une baraque inhabitée au Kilomètre 89 fut livrée aux flammes.""
Cos actes do malvaillance étaient la réponso à la conduite souvent irresponsa-
ble des agents de la compagnie. Ainsi un boeuf écrasé sur la voie avait été emporté
et mangé par ceux-ci malgré les prote~,tations du propriétaire. Les deux coups de feu
tirés sur le train était le fait de deux jeunes gens dont le père avait été battu par les agents
du chemin fer." Il se peut aussi que CEl chemin de fer fût détesté par les Sereer de la
région de Kees qui n'avaient plus la possibilité de détrousser les voyageurs qui
empruntaient de préférence ce moyen qui leur conférait une plus grande sécurité.
Quelle que fussent les causes réelles deGes actes d'hostilité vis à vis de la voie ferrée,
on demanda à la compagnie d'inviter ses agents à se montrer plus circonspects,?2 car
les populations Sereer qui étaient au centre de ces incidents étaient belliqueuses et
pouvaient faire subir de sérieux dommages à la voie.
Les négociants et les traitants s'établirent dans les gares et stations à mesure
que les tronçons de la voie étaient livrés à l'exploitation. Lors des délibérations du 14
Mars et du 20 Mai 1884 la chambre de commerce de Saint-Louis demanda au
gouvernement de la colonie de mettre à !a disposition des habitants de la colonie les
terrains réservés dans le Kayoor au profit du gouvernement français autour de
chacune des gares et stations. Ils voulaient y établir des boutiques pour faciliter leurs
transactions avec les populations locales."
L'administration fit mettre en vent'3 au début de 1884 les terrains de Mpaal. Elle
procéda également au lotissement des points qui comme PuuJ, Kees, Caroy, Mbaw,
Rufisque faisaient partie des territoires compris dans le périmètre des banlieues de
Saint-Louis et de Dakar et étaient directement placés sous l'action directe de l'admi-
nistration de la colonie.
Mais entre Mpaal et Kees qui formaient les limites des «banlieues» se trouvaient
9 stations ou haltes faisant partie du territoire du Kayoor où l'autorité du Damel seule
pouvait s'exercer en ce qui touchait «les concessions que ce dernier jugerait à propos
d'accorder»2'. Par arrêté du 13 Mars 1883 on décida que le rôle du Gouverneur se
bornerait à donner l'autorisation «de s'établir sur ces concessions à ceux qui les
auraient obtenues25». Ainsi Neuboug prit possession, dans ces conditions à Luga, Pir-
Gu Rey, Tiwawan, Kebemeer et Ndand de 100 hectares de terrain qu'il avait achetés.
La chambre de commerce souhaitait voir le gouvernement concéder aux
commerçants les terrains avoisinant les gares sur un rayon de 100 mètres selon les
clauses du traité de Mbeteet du 28 Août 1883. Mais ces terrains appartenaient à l'Etat
et non à la colonie, et la décision appartenait au ministre et non au gouverneur de la
colonie. 26
. ..
~
..
-
39
Le commerce demanda qu'oli lui réservât autour des nouvelles gares du
Kayoor des emplacements pour faciliter, comme dans la banlieue, la formation de
nouveaux centres de population qui G:mtribueraient à la construction des bâtiments
et à l'exploitation de la voie ferrée.
Pleigneur, Directeur des affaires politiques, négocia avec Sambe Lawbe afin de
l'amener à accepter de porter de 1OU à 300 mètres de rayon autour des gares la zone
concédée à l'Etat. Le damel fut réticert mais la demande était Un ordre auquel il était
tenu de se soumettre sous peine de perdre son sceptre.
En contrepartie, le gouvernenwnt ne lui offrit que le droit gratuit de circulation
sur la voie ferrée de Dakar à Saint-Louis. Cette faveur lui avait été promise depuis
longtemps.2?
L'acte additionnel au traité du 28 Août 1883 fut signé à Xadann le 21 Décembre
1884. Le damel perdait toute poss~~,ilité d'exercer un quelconque contrôle sur ces
contrées de la voie ferrée.
L'année 1885 vit l'achèvement [ia la construction du chemin de fer. Le 2 Février
le tronçon Gumbo-Gewul-Luga était mis en exploitation. Le 16 Mars c'était le tour des
sections Tiwawan- Mexe et Kebemer-Gumba-Gewul. Le 1e' Mai Mexe-Ndand. 2D Une
première inauguration marqua, le 12 Mai 18851a jonction des deuxtronçons de la ligne.
"A Ndémde à égale distance de Dakar el de Saint-Louis, le gouverneur plante le dernier
clou (d'argent) au milieu d'une affluenc!:, de spectateurs29». L'inauguration officielle eut
lieu le 6 Juillet 1885. La ligne avait une longueur de 264 Km 202. Ce fut l'occasion pour
Je Gouverneur d'insister sur le rôle stra'.égique de cette voie qui consacrait la prise de
possession du Kayoor par la France. On envisagea de supprimer certains postes qui
avaient été crées pour maintenir dans l'obéissance certaines populations jugées
turbulentes. Les suppressions concernaient pour le Kayoor les postes de Mbeteet, de
Jy1bijen, de Mpaal, de Puut.
Seuls les forts de Luga et de 1<3E;l.â seraient maintenus pour surveiller le Kayoor
et le Bawol. 30 Le rail s'avéra plus efficeG8 pour le maintien de l'autorité française que
ces postes dont l'éparpillement réduisait l'aptitude opérationnelle des colonnes.
.. ;.
Désormais avec le rail, les troupEiS avaient une plus grande rapidité d'interven-
tion il suffirait de les débarquer dans la gare la plus prôchè du point névralgique.
Les transformations opérées par le chemin de fer furent d'une rapidité décon-
certante. Le mouvement commercial prit un grand développement. A peine achevée,
la voie ferrée vit s'installer dans son voisinage les populations locales. De nombreux
villages s'élevèrent aux abords du mil. Les terres qui, jusque là, étaient laissées en
friche se mirent à porter d'immenses champs d'arachide." Les facilités d'écoulement
de la production libérèrent les paysan~;. Naguère, lorsque les champs se trouvaient à
une grande distance des escales de traite, ils memaient beaucoup de temps à y
apporter le produit de leur récolte. Les laxes à payer aux maures étaient lourdes. C'est
pour cela que certains d'entre eux étaient tenus de différer longtemps leur écoulement
avec tous les risques d'avaries qui les guettaient. 32
Désormais ils avaient la possibilité de déposer leurs produits à la station la plus
prôche. Certains traitants leur épargnaient même le déplacement en allant à leur
rencontre, envoyés par les grandes maisons.
Les stations situées le long de cette voie devinrent d'immenses entrepôts d'où
les arachides prenaient le chemin jusqu'à de et Dakar en vue de leur embarquement
pour les ports français. Le voisinage df1la voie ferrée permit aux agriculteurs du Bawol
d'augmenter la superiicie de leurs champs consacrés à l'arachide.33 Aussi le rail, par
une sorte de vertu magique, attirait le~, autochtones, provoquait l'extension de la
culture arachidière "apportait la vie, le tmvail et la paix". 34
La voie ferrée Dakar-Saint-Louis donna naissance àdes embryons de villes. Les
stations devinrent des pôles d'attracticn de populations qui s'y établirent à demeure
pour des raisons économiques ou particulières. Quelques maisons de pierre, de
vastes et de nombreux magasins leur donnaient l'aspect de centres actifs «d'un pays
neuf». Les trains allaient et venaient sar,:> encombre aprés les incidents de 1884. Le rail
assura l'essor du commerce, vivifia le Kayoor par "impulsion qu'il donna à l'activité des
villes et des villages. 35 Le damel encourageait ses sujets à étendre leur:s champS
d'arachide. 36 Aucun mouvement politique ne vint troubler la quiétude des populations.
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ces des populations.
En Juillet 1885, Lat-Joar sembla se résigner à renoncer à la lutte. De jour en jour
le nombre de ses partisans se réduisait puisqu'il ne pouvait se résoudre à faire la guerre
à son neveu. Il sollicita du Gouvernl3ur l'autorisation de rentrer dans le Kavoar
"uniquement pour cultiver et s'y livrer jusqu'à la fin de ses jours aux pratiques
religieuses",>. Malgré les exhortations du gouverneur qui lui demandait d'expulser Lat-
Joar, .9ambe Lawbe le laissa vivre à 12. frontière du Jolof d'abord au Bawol ensuite à
Ndongo. 38 Finalement Samba Lawbe ferma les yeux sur la présence de Lat-Joar au
Kayoor précisement à Jajj où il construisit une mosqée pour s'y livrer à ses dévotions.
Maintenant que le Kayoor oHr'ait l'image de l'opulence, il était tentant pour le
Gouverneur de le placer sous le contrôle stricte de l'adrninistration comrne l'avait
préconisé le ministre aprés l'éviction de Samba Yaya en Août 1883. Arrivé dans la
colonie en Mai 1886, le gouverneur Genouille montra de suite que c'était dans ce sens
que l'entrainait la pente de sa nature P, la session du conseil général du 29 Mai 1886,
il fit part de sa volonté de faire disparaitre L'hétérogéneité administrative du Kayoor. Les
deux centres principaux de la coloniE' Saint-Louis, Dakar et leurs banlieues étaient
séparés par le royaume du Kayoor dont le roi supportait avec peine le protectorat qu'on
lui avaient imposé. Cette situation devait cesser maintenant qu'une voie de commu-
nication rapide, sûre et permanente donnait au gouverneur les moyens d'assurer la
sécurité de tout le pays par la répression de toute tentative de désordre. En d'autres
termes ce qu'il voulait c'était de chanrler le régime du Kayoor.
"Partout, dit-il, il Y a une loi qui doit dominer, c'est le respect entier et sans
conteste de la souveraineté française. Vis à vis de ceux qui la nient, il faut agir vite et
agir implacablement. Ceci n'exclut ni les efforts soutenus tendant à l'amélioration
morale et matérielle des populations soumises ou protégées, ni la justice la plus
scrupuleuse à l'égard des humbles, ni l'indulgence à l'égard des égarés; ni enfin le
respect des usages, des moeurs el des croyances ... 11 faut qu'on sache que la
répression sera rigoureuse et prompte contre les fauteurs de désordre et contre les
promoteurs de guerresaintes ou autres39". Son objectif était d'asseoir plus solidement
rq"'4nl
"•• if
que jamais l'autorité française au Ka:,~o:2[. Le conflit entre Samba Lawbe et Alburi en
Juin 1886 lui en fournit l'occasion.
LA BAT~ILLE DE GILE
Le 6 Juin 1886 Alburi Njay burba jolof infligeait une sanglante défaite à l'armée
du Kayoor commandée par damel Snmbe Lawbe. Depuis lors, cette mémorable
bataille diversement commentée, prit des proportions variables dans la bouche des
détenteurs de la tradition orale des dCL:x camps. Les griots du Kayoor, s'évertuant à
minimiser la portée réelle de la victoire d'Alburi, lui donnent les dimensions d'une
escarmouche. Ils se sont ingéniés à véhiculer des versions qui éludent les questions
fondamentales. On les comprend. Ils Ile peuvent faire étalalage des faits qui parlent de
la conduite honteuse de l'armée du darne!. De leur côté les tradition ni stes du Jolof ont
affecté d'un fort coéfficient d'exagération cet affrontement dans leur souci de faire du
Surba l'incarnation par excellence de toutes les vertus de courage, d'honneur et de
dignité. Dans un camp comme dans l'autre les calomnies et les médisances servent
de toile de fond au récit et ne manqul:mt pas d'oreilles complaisantes.
Pour ce cas d'espèce, les tradir;ons sont grevées de lourdes hypothèques.
Mais en les confrontant avec d'autres informations glanées çà et là nous espérons
réduire notre champ d'incertitude.
Aprés l'éviction de Lat-Joor du t~6ne du Kayor et le bref règne de son cousin
Amadi Ngoné Faalll, Samba Lawbe acc6daà la royauté. Alburi accorda l'asile politique
à Lat-Joor qui se servit, pendant un moment, du Jolof comme base d'opération de ses
expéditions punitives contre le Kayoor. Aprés cette soumission de Samba Lawbe,
Alburi menaça à plusieurs reprises d'intervenir dans les affaires du Kayor en invoquant
les clauses du traité d'alliance qui le liait à Lat-joor. Le gouvernement de Saint-Louis
poussa à la dissidence les opposants de Alburi. Sambe Lawbe Penda fit défection au
moment où en sa compagnie, le Bll1!!ba conduisait un raid contre le Kayoor. La
présence de ce dissident du Jolof au Kêyoor fut mise à profit par le gouverneur qui mit
sur pied une coalition regroupant Yamar Mboj chef de canton chef de Merinaghen, les
autres chefs du Walo et Samba Lawbe Penda. La mission de cette force était de
chasser Alburi du Jolof et d'y introniser son demi frère. Au dernier moment on les retint.
'iI<.,d;'
En cas d'échec le gouvernement de Saint-Louis n'aurait aucun moyen de d'empêcher
le pillage et la balieue.
Mais le succès de cette entreprise serait moins aléatoire, si le dam el Sambe
Lawbe acceptait de joindre ses forces à celles des coalisés. Le Directeur des Affaires
Politiques adressa dans ce sens une lettre au commandant du postes de Ndand pour
le prier au nom du gouverneur, «de con~,eiller en sous-main à Samba Laobe de s'unir
à Samba Laobe Penda du Djolof pour chasser de ce pays ou d'enlever Lat-Joor et
Alboury40». Toutefois celte proposition ne devait pas lui être faite officiellement au nom
du gouverneur. Le chef de poste se bornait à lui en faire la suggestion."
Le damel demanda alors la réintégration du Njambur dans le Kayoor. Le
démembrement de ce royaume, poursuivi avec constance par les gouverneurs qui
s'étaient succedé depuis Faidherbe, avait fini par réduire le Kayoor aux dimensions
1
d'une petite province. Le Kayoor «sous l'autorir~ du damel» était militairement trop
faible pour que son souverain pût entreprendre, sans risques, des opérations de
guerre contre le J%f. Le gouverneur rr)jeta la requête du dame!.
Alburi, n'ignorant rien des intrigues du gouverneur qui voulait lui faire la guerre
par personne interposée, signa à son tour des traités d'alliance avec tous ceux qui
passaient pour des ennemis de la France. Ses émissaires entrèrent en contact avec
Abdul Bokar Kan, avec Ely, Saer Maty fil:, de Maba Noxobay Juuf du Siin. En Avril 1885
il accepta le traité de Menele signé avec Ballot. Malgré un début d'exécution la France
refusa finalement de le ratifier.
Le gouvernement français coné;irJéra comme irrecevable la clause qui prévoyait
j'explusion de Samba Lawbe Penda du territoire français. Celte mesure aurait retardé,
selon le gouverneur, l'échéance du changement dynastique au Jolof d'autant plus
qu'Alburi encourageait partout les musulmans à s'opposer à la politique de Saint-
Louis.
La non ratification de ce tra·lté montrait clairement toute l'hypocrisie de l'admi-
nistration coloniale qui n'invoquait les dauses des traités que dans la mesure où elles
lui fournissaient des justifications à ses entreprises de conquête.
,-
Le Jolof était un pays semi désertique ou l'eau était rare et qui était inconnu des
militaires de Saint-Louis. Toute expédition militaire dirigée contre lui semblait au départ
vouée à l'échec. Ce traité de Meriele apparut donc comme un moyen d'isoler Albury
. en le poussant à rompre ses liens a'lec ses alliés afin de mieux le détruire.
Conscient de la duplicité du gou'/erneur, Alburi en tira toutes les conséquences
en reprenant son entière liberté d'action aprés avoir profité de cette trève pour
reconstituer ses stocks d'armes et de munitions par des achats massifs à Saint-Louis.
Le Buurba Jolof soutint tous les mouvements islamiques du Siin, du Salum et du Rip
en lutte contre les vieilles autocraties païennes de plus en plus dociles au gouverne-
ment de Saint-louis. Le gouverneur se risqua à essayer de détruire le régime de Alburi
sans avoir à envoyer de colonne dans une périlleuse mission au Jolof.
Pour Ahmadu Dugay Kledor, comme pour les détenteurs de la tradition orale
au Kayoor, les causes que l'on invoque pour expliquer le déclenchement de cette
guerre font état du refus de Alburi de payer à son beau-frère le damel Sambe Lawbe
la dotde sa soeur qu'il venait de répudiEr. Joseph Sorbier De La Tourasse se fitl'échos
de cette version qu'il reçut de la bouche même du damel. Celui-ci lui affirma en effet
que le Buurba l'avait gravement insulté en ne lui rendant pas, selon l'usage antique,
la dot de sa soeur, qu'un «simple diambour aurait vengé cette affaire dans le sang".
Cependant tous les chefs de canton et de province intérrogés sur cet événement par
le commandant de cercle de Luga en 1904 furent unanimes à dire que la répudiation
n'eut lieu qu'aprés la bataille. La preuve c'est que Makodu Nilaan, frère de Samba
Lawbe ayant été bléssé et fait prisonniE,r par le Jolof, sa soeur, la femme du Burba lui
donna les soins. Elle était donc encore au foyer conjugal. 42
Sambe Laobe attribua aussi à A:bury J'intention de conquérir le Kayoor pour le
donner peut-être à Lat-Joor, en exil chez lui. Mais une chose parut certaine, la
soumission de Samba Lawbe en Mai 1883, à la veille de l'exécution de la deuxième
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partie du programme de reconquête du Kayoor par les forces de Alburi et de Lat-Joor
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réunies, avait mis ces derniers dans de mauvaises dispositions contre Sambe Lawbe
qu'ils taxèrent de trahison. Depuis, ;9 ,Jolof accueillait tous les ennemis de Sambe
Lawbe surtout au lendemain de son inv,;)stiture par le gouverneur. Samba Yaya et ses
partisans, beaucoup de fidèles de Lal-Joor étaient au JoJof et manifestaient leur
intention de chasser le damel de sor, trône.
Les princes du Jolof dissidents qui avaient trouvé refuge au Kayoor poussaient
eux aussi leur hôte à chercher l'affrontement avec le Jolo!. Avec l'appui de Saint-Louis,
ils ne doutaient plus de l'issue du combat qui leur procurerait enfin, la joie de retrouver
avec leur patrie, leurs anciens commandements et leurs biens. Leur victoire serait
aussi celle de Saint-Louis qui verrait s'évanouir les risques de constitution d'une ligue
tijane que l'on reprochait à Alburi de vouloir former contre la France.
A la lumière de ces faits, il n'est plus permis de douter que l'attaque du Jolof par
le damel n'ait été dictée par les préoccupations du gouverneur, décidé à se débarasser
de Alburi à moindre frais. Samba LawiJe avait accepté d'être l'instrument de cette
politique. En Juin 1886 le Kayoor était. un protectorat français. A ce titre Salnba Lawbe
ne pouvait faire ni la guerre, ni la pi.li>: sans l'autorisation du gouverneur. Ainsi s'il
mobilisa ses troupes, marcha contre le ,)olofen passant par le Njambur et le Walo sous
contrôle français sans provoquer la colère du gouverneur, il devient difficile de ne pas
parler de concertation entre lui et SOil chef.
Deux mois avant la bataille de GÎle, le Lieutenant Minet, aide de camp du
Gouverneur, eut une entrevue avec Sambe Lawbe. Même si rien n'en filtra, nous
inclinons à penser que Minet avait pu décider le damel à en découdre avec Alburi.
Pour éviter, nous dit-on, l'obslJcle que constituait le manque d'eau sur la route
du Jolof, Samba Lawbe s'abandonna :,;, une véritable aberration stratégique. Il établit
un itinéraire qui obligea ses forces à tripler les distances qu'elles devaient parcourir
pour arriver au Jolo!. Mais cette absurdité n'était qu'apparente. En passant par le
Njambur, en marche vers le Walo, il a'lait la possibilité de racoler en cours de route
quelques guerriers et des provisions. I.e «roi" de cette ancienne province du Kayoor
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ne fit rien pour s'opposer au passage des troupes du dame!. Aux protestations qu'il
éleva le gouverneur répondit en lui dépêchant son aide de camp qui lui fit fermer les
yeux sur les petits larcins de cette troup-e, en regard du résultat escompté.
Aprés le Njambur, le damel arriva dans le Walo précisément dans le canton de
Merinaghen commandé par Yamar Mbqj qui se plaignit lui aussi de la présence de
l'arrnéedu damel dans son canton. Minetlui expliqua que Samba Lawbe était étaitl'allié
du gouvernement de Saint-Louis.»11 r,ous a fait sur son passage le moins de mal
possible et s'est conduit à cet égard en véritable allié. Ainsi que vous le reconnaissez
trés bien, Albouri et Lat-Dior qui se proposent de le secourir ne se conduisent pas ainsi
dans nos villages. Eux sont nos ennemi:;. Nous avons donc intérêt à favoriser notre
allié. Lui vainqueur nous n'avons rien à craindre, vaincu c'est le désordre dans le
Kayoor et le pillage chez nous. Ne vous rr;éprenez pas donc sur ma conduite à l'égard
de Samba Lawbe. Reprenons avec lui nos bonnes relations. Aidons le sans toutefois
sortir de la neutralité dans» cette affair",:13
La partialité du gouverneur était manifeste. Pour la cacher il écrivit à Alburi pour
lui dire que son souhait était de voir ee~;ser tous les bruits de guerre qu'il ne souffrirait
pas de le voir envahir les territoires placés sous sa protection. Sinon il serait dans
l'obligation de sortir de sa réserve et de pl'Otéger par tous les moyens ses sujets et ses
alliés." En d'autres termes le gouverneur couvrait l'agression du dam el et lui donnait
même la garantie de défendre le Kayoor en cas de besoin. Bref il en faisait un sanctuaire
pour le damel qui pouvait sans retenu'.' ~e livrer à toutes sortes de provocations.
Le damel qui avait surestimé SilS forces sur la base des promesses du
gouverneur ne sembla pas obtenir l'adhésion des esclaves de la couronne à son
entreprise. Ceux-ci ne comprirent pas le:; motivations profondes qui l'avaient incité à
entreprendre cette guerre. Aprés avoir, mais en vain, essayé de le dissuader de
pousuivre cette équipée ils commencèrer,! àlui opposer leurforee d'inertie. La tradition
du Kayoor dit que Fara Sëf fit savoir c1almment aux cavaliers de l'armée que ceux qui
perdraient leurs chevaux seraient tenus d'en rembourser le prix. Les esclaves de la
couronne auraient dépêché des émissairns chez Alburi pour le tranquilliser en lui disant
que "c'était du couscous sans viande q~l'ils lui apportaient». En d'autres termes ils
viendraient mais ne se battraient pas. Cette guerre que le damelleur imposait risquait
d'être une atroce guerre civile. Beaucoup de princes du'Jolof partisans de Samba
Lawbe Penda étaient dans l'armée du J<ayoor. Dans celle de Alburi se trouvaient les
partisans de Lat-Joor, son frère Amadu Maxureja oncle utérin de Alburi, Samba Yaya
ancien damel et ses partisans. Une bonne partie de la garde de Alburi était originaire
du Kayoor ? Ce combat prenait l'allure d'un suicide collectif par les membres d'une
même famille. On ne peut reprocher aux esclaves de la couronne de refuser un pareil
combat.
Samba Lawbe commit l'erreur de conduire ses opérations en Mai, début Juin,
à une période où l'eau faisait cruellement défaut, où les chaleurs torrides réduisaient
les capacites de résistance des êtres vi-"ants. La rencontre des deux armées eut lieu
le 6 Juin 1886 à Gîle ou Mbë/ëxe. Au bout de deux heures de combatl'armée du Kayoor
se débanda, les esclaves de la couronne en tête. Le damel était battu. Le 9 Juin l'armée
de Alburi qui poursuivait les fuyards fit30n entrée à Koki. Allié de Lat-Joor il pouvait
menacer la voie ferrée. Minet fut envoyé auprés du Buurba pour lui dire qu'il se rendait
coupable de violation d'un territoire sous protectorat français et l'engagea à cesser
immédiatement la guerre.'"
Alburi qui était déjà à Kër Amadu Yala et s'était assuré l'appui de Lat-Joor ne
voulut pas entendre parler de conciliatÎO!l. Victime d'une agression, il était néanmoins
vainqueur, c'était son droit de s'empéirer du pays de celui qui l'avait offensé. Comme
force disponible, le gouverneur ne pouvait compter que sur 25 spahis. Toutes les
forces de Saint-Louis étaient mobilisée~; contre Mamadu Lamine. Pour le décider à
renoncer à sa marche, le gouvernement promit de lui verser une indemnité de guerre
de 20000 francs que lui paierait le damel. Celui-ci n'accepta pas cette convention mais
la plus grande partie de ses chefs, Dembawar et ses frères s'engagèrent à sa place.'"
Le 13 Juin le gouverneur Genouille se rendit à Ndand et imposa au damel outre
les 20000 francs promis déjà à Alburi, lél présence d'un résident au Kayoor avec un droit
absolu de surveillance et de contrôle sur les actes du damel, l'extention du terrain cédé
à la France autour des gares et des stations à 500 m et à 100 m de chaque côté de la
voie ferrée.
'If . ..
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'"
4 0 1
Minet rapporta ces propositio,.is à Alburi et s'entendit avec lui sur la compen-
sation que devait lui verser le dame\\. UI', tribut de 300 boeufs, comme dommages de
guerre, lui serait livré par l'intermédiaire du commandant du poste de Luga. 47 Alburi
prit l'engagement d'empêcher Lat-Joor de fomenter des troubles dans le Kayoor. Dés
le 17 Juin le gouverneur ratifia cette convention.'B
Sambe Lawbe ne put accepter cette humiliation que lui infligeait le gouverneur
qui dans son inquiétude l'avait pur~rnJnt sacrifié sur l'autel de la paix avec Alburi.
C'était une faute de l'avoir encouragé à entreprendre cette opération comme allié de
la France et de le sanctionner d'une amende au profit d'un homme qui passait comme
un ennemi irreductible du gouvernement de Saint-Louis.
Cet acte était illégal, voire arbitraire. Car aucun texte ne conférait au gouverneur
le droit d'infliger cette amende au damel et qui de surcroit ne s'était pas rebellé contre
l'auroritéfrançaise. Ille fit sans consulter le ministre, ni même en saisir "son conseil
privé qu'il devait... interroger dans cette grave circonstance.>.'"
Certains membre du conseil d'administration qui savaient que le gouverneur
avait outrepassé ses prérogatives cons:Jillèrent au damel de ne pas s'exécuter, ou de
retarder le paiement de l'indemnité. 50 l.es rapports entre le damel et Saint-Louis se
tendirent. Le gouverneur envisagea de prendre à son égard des mesures énergiques
par "la suppression de celle royauté inquiétante entre Dakar et Saint-Louis»."'
Pour payer cette forte amende, S8mba Lawbe s'adressa àses administrés à qui
il fit savoir que c'était sur l'ordre du gouverneur qu'il la leur demandait. Avant la
commercialisation de l'arachide ces populations étaient dans l'impossibilité matérielle
de lui fournir cette somme. Ille fit savoir au gouverneur. En dernier recours le damel
réclama aux commerçants et traitantr, français installés dans son territoire une rede-
vance sur les transactions qu'ils y effectuaient. Il se rendit à Tiwawan où beaucoup de
colons s·étaient établis pour exiger le paiement de cette patente extraordinaire.
L'arrivée de Sambe Lawbe plongea l'escale dans une grande inquiétude. Il était
accompagné de 150 guerriers et en ~~3S d'attaque certains suspects qui étaient déjà
.
.
U'"
nombreux dans la cité pouvaient, par~~lveillance, mettrele feu aux barrils~e pouje0 8
entreposés. 52
- :1'<."
La situation était d'autant plus'~jrave qu'au mois d'Août des mouvements de
révolte trés graves avaient été observÎJs chez lbra Fatim Saar et Dembawar Sail. Le
','"
premier, à la tête d'une cinquantaine de cavaliers avait conduit une razzia dans le
Njambur. Mais l'opération ne lui rapporta que sept boeufs.f>3 Le second avait encerclé
la gare de Tiwawan où s'était refugiée une famille sur laquelle il avait un droit de
•
propriété et qui avait obtenu du gouvernement de Saint-Louis des certificats de liberté
pour ses membres. Malgré leur étabiissement sur ce territoire comme Français,
Dembawar, obligea le chef de gare à les lui livrer. Le gouverneur songea alors à
procéder à l'arrestation de ces deux chefs. Il fit envoyer à Ndand 25 spahis qui furent
logés par la compagnie de chemin de fer. 54
On peut se poser la question de savoir pourquoi les deux chefs considérés
comme les plus sûr alliés de la France dans le Kayoor avaient pris ces risques qui
relevaient de la provocation? Etait-ce parce qu'ils ne voulaient plus respecter leur
engagement de payer les 20000 francs et que devant l'énormité de la somme ils
recoururent à des expédients qui feraient retomber l'odieux de cette indemnité sur les
protégés et les citoyens français?
A son arrivée à Tiwawan, les trait,mts lui demandèrent une entrevue à laquelle
le damel consentit. C'était pour lui dire que les redevances qu'il leur réclamait, il les
avaient déjà payées au gouvernement français. "Vous êtes chez moi leur répondit-il. ..
Je ne relève de personne et j'ai le droil dans mon royaume de vous imposer mes
volontés. Vous elle Borom Ndar55 vous n'êtes que des mercenaires ou des esclaves".""
Les colons réclamèrent alors protection du gouverneur et cette question des
patentes qui aurait bien pû être traitée par la négociation le fut alors par les armes. Le
gouverneur était préssé d'en finir avec le système des damels.1I n'usa d'aucun moyen
de conciliation. Il envoya sur les lieux le capitaine Spitzer de l'infanterie de marine qui
avait rallié à Ndand les 25 spahis du saLis-lieutenant Chauvet.
Dès on arrivée Spitzer entra en contact avec le damel pour lui faire observer que,
selon les clauses des traités qu'il avait signés, l'espace entourant les gares dans un
rayon de 300 m était territoire français eL échappait donc à son autorité. Le damel s'était
même engagé à porter ce rayon à 500 m et à 100 mètres l'emprise le long de la voie
ferrée. 57
Pour des raisons non encore éclaircies Spitzer adopta une attitude totalement
en porte à faux avec le rapport officiel envoyé au ministre par le gouverneur. Si nous
en croyons le commerçant Joseph Du Sorbiers De La Tourasse, Spitzer reprocha au
damel d'avoir violenté les traitants et le somma de sortir de Tiwawan sinon Hie ferait
charger par ses spahis. 5B Au mome"t r'ù se déroulaient ces conciliabules, un homme
de l'escorte du damel tira dans dans la direction de la troupe française et disparut suivi
de quelques cavaliers. Spitzer donna il Chauvet l'ordre d'attaquer le damel dont toute
l'escorte s'était enfuie. C'est pour cela que certains traditionnistes sont convaincus
que ceux qui avaient accompagné Samba Lawbe à Tiwawan étaient des complices du
gouverneur. Ils l'aidèrent à liquider physiquement ce jeune damel sans expérience.
Aprés l'exécution du damel, on chargea sur deux chevaux son corps atrocement
mutilé et on l'exposa sur la grancJe place du village afin que tout le monde pût
reconnaitre son identité. «Au milieu de la nuit le cadavre de Samba Lawbe est enfin
cousu dans un sac d'arachidew ". Sous bonne escorte il partit pour le poste de Kees
où il fut enterré.· ' Ainsi finit le dernier damel du Kayoor.
Cette fin tragique de Samba Lawbe fut pour Crespin et Deves l'occasion de
dénoncer avec vigueur la politique de Genouille dont la raideur fut à l'origine de ce
drame, alors que les parents de Samba Lawbe le mirent au compte de la trahison des
esclaves de la couronne. Devant les risques d'un soulèvement, le gouverneur assura
avant tout la protection de la voie ~errée. «Deux petits détachements avec un train
mobile armé de deux Hotchkiss parC:lurentla ligne l'un de Ndand à Lum! vers Saint-
Louis, l'autre de Ndand vers Tiwaouane52". CHacun de ces trains précèdaitles trains
des voyageurs qui circulaient dans le,; deux sens afin de protéger éventuellement les
passagers en cas de besoin. 6J
La question se posa de savoir quel régime réserver au Kayoor ? Fallait-il
l'annexer et lui appliquer les lois administratives de la colonie? La transition ne serait-
il pas trop brusque ? Fallait-il maintenir le régime du protectorat en modifiant les
;'-.'
modalités de son application?
Conformément au voeu du ministre, Genouille décida la suppression de la
royauté au Kayoor. En y maintenant le protectorat, il évitait de recourir, comme
précédemment, à un chef unique qui, s'il étaitfaible comme Samba Yaya, inciterait des
prétendants ambitieux à la conquête du pouvoir. En revanche dans le cas où il aurait
une influence personnelle comme Lat-Joor, il échapperait au contrôle de l'administra-
tion. Dès qu'ils furent au courant des p-ojets du gouverneur de diviser le Kayoor en
provinces dont l'administration serait confiée à des gens dont la fidélité à la France ne
serait pas douteuse, les esclaves de la couronne dépêchèrent des émissaires auprés
du commandant du poste de Ndand pour le prier de transmettre au gouverneur leur
engagement d'assurer à tout prix la sécurité de la voie ferrée B ' Mis au courant de la
volonté du gouverneur de supprimer le protectorat du Kayoor sous un chef unique, les
esclaves de la couronne étaient décic'és à demeurer au pouvoir en essayant de
prouver que la paix et la sécurité du pays :le dépendaient que d'eux. Aprés avoir écarté
le principe même des familles régnanh3~;, le gouverneur se demanda s'il fallait confier
les nouvelles divisions administratives dJ Kayoor aux Jambur, notable du pays ou aux
captifs de la couronne dont certains avaient toujours exercé de grands commande-
ments sous la monarchie.
A la question posée par le gou'>',arneur aux notables de savoir s'il approuvaient
la mort de Samba Lawbe, ils répondirent que «tout ce qU)3 faisait un fort contre un faible
était toujours joli pour le faible6"> pour traduire l'idée de la raison du plus fort. Toutefois
à propos l'abolition de la monarchie, ils manifestèrent leur opposition en affirmant que
pour assurer la tranquillité du pays il fallait nommer un dame!. Car le gouverneur «qui
(était) assez fort pour tuer un roi sans IEl conseil de personne (devait) être assez fort
pour le remplacer sans aucun conseii"B". C'était la désapprobation de la politique de
Genouille en direction du Kayoor.
ff • "
J -J{ ~
li'
'f fT
Ce refus des hommes libres cie cautionner la politique du gouverneur amena
.
.
celui-ci à entrer en contact avec les esclaves de la couronne qui sans hésiter se mirent
à blâmer «leur ancien souverain"7» à<qui ils imputèrent un fort contingent de maladres-
ses et d'erreurs. Genouille décida alors de leur confier l'administration du pays en
faisant abstraction de tous les préjugés qui éloigneraient les hommes libres de ces
chefs dont les origines sociales étaient une grande hypothèque dans ce pays trés
attaché à ses traditions. Sans doute ces captifs exerçaient-ils au temps des damella
réalité du pouvoir aux dépens des hommes libres. Mais leur autorité émanait du damel,
ce qui lui conférait une certaine légitimité.
Genouille essaya de justifie~ le choix porté sur les esclaves de la couronne en
alléguant qu'il redoutait, en les écartant, un mécontentement qui se serait traduit par
un soulèvement dont aurait profité Lat-Joor qui pourrait passer à l'offensive avec
l'appui de Albury.611
Le 19 Octobre Genouille eut une entrevue à Ndand avec tous les dignitaires du
Kayoor pour leur faire part des déci~ions qu'ils avaient prises concernant le Kayoor.
Ils s'y rendirent en compagnie de leurs guerriers. Malgré le désir des jambur de voir
un damel à la tête du Kayoor, Le gouverneur maintint sa décision de diviser le pays en
six provinces qui furent confiés aUl( esclaves de la couronne. Ce fut la suprême
humiliation qu'on pouvait imposer au pays aprés lui avoir fait connaître la honte de la
défaite.69
Le Kayoor conservait toutefo:s son «indépendance» ses coutumes. Demba-
war, Sang one, Madegeen Samb, BirC'.ïma Issa, Ibra Fatim Saar, Bunama Sail et Samba
Lawbe Buri furent les titulaires des nouvelles unités administratives. 70 Avant de leur
donner l'investiture, Genouille leur .-Jemanda s'ils étaient disposés à chasser Lat-Joor.
Tous furent d'accord et Dembawar proposa qu'on leur fît jurer sur le coran fidélité à la
France. Ils prirent l'engagement de combattre par les armes tous ceux qui conteste-
raient le nouvel état des choses. La !Jrestation de serment eut lieu devant le gouver-
neur.
.JJ. . . . . __ •.
.~ --
4-1 ?
Le 23 Octobre, le Gouverneur se rendit à nouveau à Ndand pour communiquer
à ses chefs l'ordre d'expulser du Kayooi' Lat-Joor qui s'y trouvait encore en violation
du traité du 28 Août 1883.
Dés qu'il apprit la mort de son neveu, Lat-Joor l'imputa aux esclaves de la
couronne «calomniateurs et malfaiteurs» qui poussèrent le damel à se rendre à
Tiwaouane avec l'intention de lui faire commettre une erreur pour le remplacer." Il se
mit à rallier son monde avec "espoir que le gouverneur ferait encore appel à lui. Ses
clients de Saint-Louis travaillaient à sa restauration. Par calcul, il écrivit au Gouverneur
pour lui dire la joie que lui procura la mort de Samba Lawbe et sa disponibilité à
coopérer avec lui pour ramener la paix dans le pays. L'inquiétude des populations les
jetait sur les routes du Bawol. Certains anciens partisans de Sambe Lawbe lui
demandèrent conseil devant l'incertitude du lendemain. Le gouverneur se devait de
trouver un chef pour administrer le..!53voor et il se dit prêt à mettre ses capacités au
service de Saint-Louis. 72
A cette démarche de l'ancien damel, les autorités de Saint-Louis ne répondirent
que de manière vague, en lui demandarlt de prendre patience. Car des affaires aussi
sérieuses que le choix d'un monarque pour le Kayoor ne pouvaient se faire dans la
précipitation. Lat-Joor se mit à battre le rappel de ses partisans qui se réunirent dans
son Tata de Jajj prés de Sugeer. Ses émissaires parcouraient le pays annonçant que
leur maître serait prochainement sur le trône. Deves et Crespin multipliaient les mises
en garde contre le gouverneur et dévelc,ppaient pareillement une active propagande
dans leur journal le «Reveil» affirmant quo rien de stable ne pouvait se faire au Kayoor
sans Lat-Joor et que le gouverneur dev,lit se "hâter de lui offir le pouvoir"."
Les négociants étaient d'autant plus confiants que les directives ministérielles
émanant, tant du Sous-Secrétaire De La Porte que du Ministre Aube, prescrivaient au
Gouverneur d'éviter toute action militaire. Le matériel et les troupes réunies à Saint-
Louis étaient destinés en priorité à fOiïner la colonne Gallieni qui devait partir pour le
Haut-Fleuve en Novembre."
·.
Ce fut à la demande insistante des chefs nommés par le Gouverneur que ce
dernier prit la mesure d'expulsion qui frappa Lat-Joor. Le statut personnel de l'ancien
damel, son influence dans le pays, ses mlations avec le Jolof, le Futa et le Rip seraient
autant d'obstacles à l'instauration de leur autorité. Comment Lat-Joor les Garmi ainsi
1
1
que les Kangam libres pouvaient-ils exécuter des ordres émanant d'individus dont le
statut social était inférieur au leur?
Aussi personne ne fut surpris de l'état de rage dans lequel plongea Lat-Joor
lorsqu'il reçut, le 25 Octobre de l'émissaire du chef de poste de Ndand, notification de
l'ordre qui l'expulsait du Kayoor, pays de ses ancêtres. Dans un long monologue, nous
dit la tradition orale, il énuméra tous le:' '::ümbats qu'il avait livrés aux Français et à leurs
alliés pour assurer l'intégrité et l'indépendance de son pays. Il en tira la conclusion qu'il
préférait mourir que de ne plus revoir le Kayoor ou de cautionner les trahisons de ceux
qui aprés avoir participé à l'exécution dé: Sambe Lawbe, livraient le pays au Gouver-
neur. Des "souris le lui apprendraient sous terre"75. Il prédit que son sang versé pour
la cause de sa patrie serait la semence de vertus qui serviraient au peuple de remparts
contre les turpitudes des chefs.
Avec une détermination qui lui fait Ilonneur, il mit en branle ses 300 partisans qui
avaient répondu à son appel. Il envoya à))éxële sa famille et se rendit à Mbacké Kayoor
où il eut une entrevue avec le marabout Ahmadu Bamba Mbacké à qui il fit part de sa
volonté inébranlable de mourir pour la c;,\\use à laquelle il avait consacré l'essentiel de
son combat. 76
Dembawar, ses fréres et les autl·es chefs soutenus par 45 spahis sous les
ordres du capitaine Vallois à la tête de leurs gens, suivaient Lat-Joor pour s'assurer
qu'il quittait le pays. Dans la nuit du 2~;3U 26 Octobre ils se portèrent sur Jajj que Lat-
Joor avait déjà quitté pour Dexële. Le 27 à 2 heures du matin, les spahis et leurs col-
laborateurs prirent la route de Dexële. 77 A Cilmaxa Vallois apprit que Lat-Joor n'était
pas à Dexële qu'il en était parti en direction du Bawol. Cette information érronée avait
été donnée par les habitants de Cilmaq qui voulaient voir les chefs subir un atroce
échec devant l'homme qui était l'incarne~ion de l'hbnneur de leur pays. En réalité par
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une rapide manoeuvre qui avait écllapù à Vallois et à ses alliés Lat-Joor s'était placé
entre les Spahis et la voie ferrée.' ~.
A dix heures du matin Vallois fit ~ccuper Dexële par les volontaires et poussa
des reconnaissances dans les villages voisins de Curageen, Afia, Njogick. Les
patrouilles rentrèrent sans rencontrer les guerriers de l'ancien damel. Vallois fit
occuper le puits qui se trouvait à 2 Km du village.
Les abords de ce puits étaient couverts de hautes herbes qui dépassaient
même de beaucoup la tête d'un cavalil;r à cheval. C'est au moment ou Vallois et ses
alliés commençaient à abreuver leu:s chevaux que, par une marche extrêmement
rapide dont il avait le secret, Lat-Joor et ses guerriers, divisés en deux groupes
déclenchèrent une violente attaque de front et de flanc. Six hommes iurent mis hors
de combat et trois chevaux tués chez les spahis. Ce fut la débande chez les soldats
du Gouverneur qui reprirent courage face à la détermination des chefs.7• Ceux-ci
savaient qu'une victoire de Lat-Joor serait suivie de terribles représailles contre eux et
leurs familles. Ils décidèrent de vaincre ou de mourir.
Le combat se déroula avec <Icharnement. On se fusillait à bout portant.
Beaucoup de guerriers de Lat-Joor eurent leurs vêtements brûlés par la poudre. La
supériorité numérique et de l'armemerlt des alliés eut raison du dévouement sublime
des partisans de Lat-Joor. Celui-ci, deux de ses fils Candella, Nabass et Saxewar
Nabass restèrent sur le champ de batilille ainsi que 80 autres guerriers du même camp.
Les pertes des volontaires ne sont pes connus, ni celles des alliés mais les Spahis
perdirent le tiers de leurs effectifs en hommes et chevaux.
Selon la tradition orale lorsque J,.at-Joor tomba frappé de trois balles dont une
en or spécialement préparée pour la circonstance Dembawar ne put retenir ses larmes
et courut l'embrasser. L'ancien damellui exprima le souhait de n'être pas vu par les
Français. L'ancien serviteur cacha le corps dans la maison du marabout Mamur Jey
qui l'inhuma aprés le départ de Vall'ois, en présence de Bunama Sal1.79
On peut se poser la question dl) savoir pourquoi les esclaves de la couronne
avaient joué la carte du gouvernement de Saint-Louis contre ceux qu'ils appelaient les
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gens de "race royale80». Par calcul peut-être parce qu'ils étaient convaincus que la
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supériorité de l'armement de la Franèi3 'ne leur laissait aucune chance de succès. Mais
il se peut qu'ils eussent cherché à limitür les dégats en manoeuvrant pour éviter ù leur
pays le régime administratif des pays annexés. Lors de son entrevue avec Joseph Du
Sorbiers De Tourasse Dembawar lui <Ivait fait comprendre avec pertinence que les
Français n'avaient appris aux Noirs du Sénégal, qu'à mépriser le Koran et à boire du
sangara. "Vous nous vantez vos moeurs, vos lois, vos habitudes et vous n'avez ni
religion, ni tempérance et votre loi et celle du plus fort. Les lumières que vous prétendez
répandre sur nous ne sont qu'un prétexte pour nous asservir"'». Dés lors il n'est pas
interdit de penser que lui et ses frères é:vaient adopté une position de souplesse pour
sauver leur pays de la destruction. après avoir à peine maintenu leur autorité sur les
provinces dont on venait de leur confier le commandement, ils adressèrent une lettre
au Gouverneur pour dire qu'ils désiraiflnt "conserver (leur) nationalité (leurs) libertés
leurs moeurs, (leurs) coutumes·'», Sans elles ils ne sauraient envisager l'avenir avec
quiétude et assurance,BJ Pour se mettre à l'abri de toute surprise, ils désarmèrent les
anciens partisans de Lat-Joor.·'
LA REACTION DES GARMI
La nomination des captifs de la couronne comme chefs du Kayoor fut accueillie
par un concert de réprobations non seulement par les garmi du Kayoor. mais encore
parceux des royaumes voisins qui refusèrent de se résigner à cette brutale interversion
des rôles. Tous y virent la volonté délibérée de la France de les humilier. Aprés avoir
demandé, mais envain, au Gouverneur de lui redonner la couronne du Kayoor, Samba
Yaya encouragea ses partisans et les irreductibles de Lat-Joor à faire de l'agitation
dans tous le pays. Les villages de Ta1la dans le Sanoxoor encouragés par le marabout
J
Momar Pendafemandèrent à être détachés de la circonscription de Dembawar. Des
tendances identiques furent constat(Jes dans les autres provinces."s
Le 24 Novembre 1886 les garmi du Kayoor et du Bawol qui ne pouvaient
accepter l'idée de voir leurs anciens serviteurs contrôler leur pays, pénétrèrent au
Kayoor sous la direction de Samba Yaya et s'emparèrent des enfants de Lat-Joor
jusqu'alors sous la garde de Demb,:',/ar, sous prétexte de leur donner une éducation
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conforme à leur statut.oo A la fin de Novembre Alburv lliêY du Jolof, Samba Yaya, Fama
Rup Gay du Bawol, Bay Bayaar Meissa 'Anta, Noxobay Juuf ancien roi du Siin, Calaw
Ndup prince héritier du Bawol, Jaraaf Bawol Massamba Ndumbe, Makodu Ndella
ancien Calaw DemballQall> Naan, Tanor Jong bref tous les garmi du Jolof, du Bawol, du
Kayoor, certains gelowar se réunirent !Jour étudier la situation créée au Kayoor par le
Gouverneur. On y déplora sa volonté de détruire les garmi pour les remplacer par des
gens qui n'avaient ni légitimité ni consistéll1ce sociale. Pour échapper à la honte d'avoir
à obéir à des gens qui leur étaient inférieurs à tout point de vue, il ne leur restait qu'à
vivre en garmi, c'està dire refuser l'ordre colonial établi, età ignorer surtout ses agents.
Ils envisagèrent de conduire une autre expédition de pillage contre le Kajoor pour y faire
«le plus de mal possible. On les tuerait si l'on veut"' mais il auraient fait leur devoir et
mourraient «avec la satisfaction d'avoir lutté jusqu'au bout».""
Ces menées des garmi n'échappèrent pas au nouveaux chefs qui se dépêchè-
rent de les porter à la connaissance du gouverneur. Ils imputèrent le mouvement à
Albury qui, dirent-ils, était le cerveau dg ce mouvement et qui promettait aux insurgés
de les soutenir militairement dès le déclenchement des hostilités.89
Ces soubresauts traduisaient le désaroi des princes et des populations qui
savaient que la défaite des autres royaumes était inéluctable. Mais la supériorité des
conquérants n'était pas une raison d'." se résigner à ce «morne sentiment de l'inanité
de l'effort qu'on appelle le fatalisme». La lutte à outrance était la voie royale dans
laquelle ils s'engagèrent. Cette ultime détermination ne fut peut-être pas étrangère
dans le choix du personnel adminitratif dans les autres royaumes au lendemain de leur
occupation effective par la France.
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.~ .
41 7
1- AN.5. 1 D 48 pièce 75: Traité de Mbeteet, le 28 Août 1883.
2- A.N.S. 1 D 44 pièce 216: Ballot au Gouverneur, Ndand le 30 Août 1883.
3- A.N.S. 2 B 54 folio 70-71 : Peyon ~i}Gouverneur, Paris le 19 Septembre 1883.
4- A.N.S. 2 B 51 folio 117-118: Bourdiôux au Ministre, 24 Septembre 1883.
5- A.N.S. 1 D 44 pièce 108 : poste de Luga au Gouverneur, 31 Décembre 1883.
6- AN.s. 1 D 44 pièce 105 : Commandant poste de Luga au Gouverneur, 28 No-
vembre 1843.
7- AN.S.O.M. Sénégal 170 A : Bourc!iaux au Ministre, 23 Décembre 1883.
8- A.N.S.O.M. 2 B 54 Folio 37 : Bourcliaux au Ministre, 8 janvier 1883.
9- A.N.S.O.M. Sénégal l, 70 A: Bourdiaux au Ministre, 8 Janvier 1883.
10- Sénégal 171 : Seignac au Minitre, le 9 Mai 1884.
11- A.N.S. 13 G 264 pièce 4: Gouverneur à Samba Lawbe, 1884.
12- A.N.S. 13 G 264 pièce 4: Gouverneur aux habitants du Njambur, 1884.
13- AN.S. : Moniteur du Sénégal et Dépendances, 5 Mai 1885.
14- 13 G 41 Pièce 55 : Commandant Cercle de Jander au Gouverneur Thies, le 20
Août 1885.
15- Vigne: Société de Géogra. de Bordeaux 1887 (page 455)
16- A.N.S.O.M. Sénégal XII-42 Gouin: Note sur le chemin de fer Paris 1887.
17- A.N.S.: 2 B 58 folio 226 : Seignac au Ministre, 8 Juillet 1884.
18- Idem.
19- Idem.
20-ldem.
21- 2 B 58 Folio 267-270: Ouintrie: Directeur de L'Intérieur au Ministre, 9 Août
1884.
22- A.N.S. 2 B 58 Folio 267-270 : Ouintrie au Ministre, 9 Août 1884.
23-ldem.
24-ldem.
25- A.N.S. 2 B 58 folio 306-307: Ouintrie au Ministre, 9 Septembre 1884.
26-ldem.
27- A.N.S. 0-35 pièce 8: Xadann, le 21 Décembre 1884.
28- A.N.S.O.M. Sénégal XII-42 : Gouin: Note sur le chemin de fer Dakar-Saint-
Louis, Paris 1887.
29- Garnier: LAT-DYOR ET LE CH Er,lli'J DE FER DE L'ARACHIDE, B.IFAN 1965,
(page 246).
30- A.N.S. 2 B 64 folio 57-58: Segnac De Lesseps au Ministre, 26 Juillet 1885.
31- Violette: L'AO.F. 1913, (page 26).
32- Vigne: Op. cil., (page 461).
33- Songy: LA FRANCE D'AFRIOUE, AU SENEGAL 1904 (pages 198-199).
34- Guy. C. : L'A.O.F. 1913, (page 26)
35- Anfreville De La Salle: NOTRE VIEUX SENEGAL (page 175).
36- Ganier Op. cil. , (page 248).
37- A.N.S.O.M. Sénégal 173 : Seigncc au Ministre, 12 Juillet 1885.
38-ldem.
39- Conseil Général session ordinaire de Mai 1886 Discours de Genouille, 29 Mai.
40- AN.s. 1 D 44 Directeur des Affaires Politiques au Commandant de Ndand, 8
Septembre 1883.
41-ldem.
42- Joseph Du Sorbiers De La Touras~G : AU PAYS DES WOLOFFS, 1897 (page
105).
43- Voir Amadu Dugay Cledor: LA BATAILLE DE GILE N.E.A., 1987.
44- Idem.
45- Sénégal 174 B Genouille au Ministre: Saint-Louis, le 14 Juillet 1886.
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46- A.N.S. 1 G 291 : NOTE SUR LE CEflCLE DE LU GA FORIGE, 1904.
47- A.N.S. 2 B 64 Folio 92-93: Saint-Louis, le 14 Juillet 1886.
48- Idem.
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49- Gasconi in moniteur des colonies, 31 Octobre 1886.
50- A.N.S.O.M. Sénégal 174 B : Gouverneur au Ministre, le 14 Juillet 1886.
51- A.N.S. 2 B 75 Folio 127 : Gouverneur au Ministre, 12 Août 1886.
52- Joseph Du Sorbiers De La Tourais~.a : Op. cil., (page 109).
53- A.N.S. 2 B 75 Folio '131 : Gouverneur au Ministre, 15 Septembre 1886.
54-Idem.
55- Borom Ndar : Terme par lequel on désignait le Gouverneur de Saint-Louis.
56- Joseph Du Sorbiers De La Touraisf.e : Op.cil. (page 109).
57- A.N.S. 1 048 pièce 1 : Rapport bureau des affaires politiques au gouverneur,
15 Octobre 1886.
58-Idem.
59- A.N.S. 1 048 pièce 1 : Spitzer au Gouverneur Tiwawan, le 8 Août 1886.
60- JOSEPH DU SORBIER DE LA TOURASSE : Op. cil., (page 113).
61- Idem.
62- Sénégal 176 A : Gouverneur au Ministre, 28 Novembre 1886.
63- GARRIER : Op. Cif., (page 252).
64- 1 0 48 : Commandant de Ndand <lU Gouverneur, le 13 Octobre 1886.
65- A.N.S. 1 048 Pièce 5 : Les notables du Kayoor Laman Jamatil, Laman Kuli,
Botal Up Njob, Baye Caten au gouverneur, le 15 Octobre 1886.
66-ldem.
67- A.N.S.O.M. Sénégal l, 76 A : Le GO'.Iverneur au Ministre, 15 Octobre 1887.
68- A.N S.O.M. Sénégal 176 A: Gouve'neur au Ministre, 13 Novembre 1886.
69-ldem.
70- A.N.S. 1 048 pièce 92: 14 Octobre 1886.
71- A.N.S. 1 048, Lettre de Lat-Joor à Spitzer, le 18 Octobre 1886.
72- A.N.S. 1 048 pièce 15: Lat-Joor au Gouverneur, 11 Octobre 1886.
73- A.N.S.O.M. Sénégal " 75 A: Genouille au Ministre, le 13 Novembre 1586.
74- Ganier: Op. cil., (page 253).
75- Tradition orale: fournie par SaliOl.! Iv1bup.
76- Tradition orale: «Demain avant 14 heures je serrerai la main de Maba mon ma-
rabout".
77- A.N.S. 1 048 pièce 104 : Dexële, le 27 Octobre 1886.
78- A.N.S.O.M. Sénégal l, 76 A Gencui!ie au Ministre, Saint-Louis.
79- Tradition orale fourni par Saliou Mbup à Mbul.
80- Joseph De Sorbier De La TourassE, Op. cif., (page 107).
81- Idem, (page 108).
82- 1048 pièce 18 : Dembawar, BUrVlnla, Sagone, Ibra Fatim etc... 18 Octobre
1886.
83-ldem.
84- 1 048 pièce 42 : Laude commandant Ndand au Gouverneur, le 4 Novembre
1886.
85- 1 048 pièce 43: Laude Commaildant de Ndand au Gouverneur, le 18 Novem-
bre 1886.
86- 1 048 pièce 181 : Commandant de Ndand au Gouverneur, le 24 Novembre
1886.
87 - 1 048 pièce 178 : Commandant Ndand au Gouverneur, le 1e' Décembre 1886.
88- Idem.
89· 1 048 pièce 31 : Sangone Joar au Commandant Ndand : 16 Décembre 1886.
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CHAPITRE VIII
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LES SEREER : DE L'ANNEXION DU JAN DER
A LA CREATION DES'PROVINCES AUTON'OMES
Les Sereer du Nord-Ouest dont le territoire comprenait le Njegem, le Sandog,
le Mbadaan, le Jobas, le Ndut, le Njanxeen, Le Fandeen, Le Lexaar, le Ndoich et la
contrée comprise entre la baie de Gorée et le lac Tamna avaient toujours vécu en
marge de la vie politique des royaumes dont ils relevaient. Leur pays accidenté et trés
boisé, était un véritable isolat qui leur permettait de défendre leurs particularismes, leur
identité contre les influences culturelles Wolof. Les opérations militaires entreprises
par la France contre le Kayoor et le Ba'Nol eurent pour premier effet de les affrancllir
presque totalement de l'autorité de leurs souverains. Ils mirent à profit cet affaiblisse-
ment des royaumes pour s'ancrer dav:mtage dans leurs tendances séparatistes, en
engageant une longue épreuve de force contre tous ceux qu'ils considér·aient comme
des ennemis cherchant à violer leur domaine. Ils ne succombèrent qu'aprés un demi
siècle environ de guérilla. La nature de leurs forêts où tous les sentiers qui menaient
aux hameaux étaient piquetés de ruches d'abeilles guerrieres étaient en elle même un
obstacle difficile à franchir. La supériorité des armes françaises finit par avoir raison de
leur ténacité. Ils se résignèrent comme les autres peuples de la Sénégambie à vivre
sous l'autorité française et à s'ouvrir pmgressivement sur l'extérieur.
Aprés l'annexion du Jander pal' la France en 186) les Sereer de la frange
méridionale de cette province reçurent Gomme chef un nommé Meissa Leye originaire
de Bargny avec le titre de Alcaty. Il avait mission de dire aux seree/dont le territoire
venait d'être annexé)qU'iIS étaient dèsormais placés sous la domination française.
L'impôt régulier, naguère perçu au profit du damel revenait désormais à la France.
Faute de monnaie il serait acquitté en '1ature. En 1862 les villages Sereer du Jander
apportèrent l'impôt à Rufisque soit deux tonnes de coton.' La modicité de cette
contribution traduisait le faible nombre des contribuables Sereer. En effet ne s'étaient
soumis à cette obligation que ceux dont les villages étaient vulnérables devant les
colonnes françaises et qui s'étaient r:3bitués d~puis longtemps aux caprices des
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agents du fisc du damel ou qui étaient Gonvaincus que le nouveau régime fiscal était
plus supportable que le précédent.
En revanche les Sereer dont l'habitat se trouvait dans «des contrées monta-
gneuses» couvertes de forêts impénétrables et qui étaient parvenus à défendre tant
bien que mal leur indépendance contre les empiétements du kayoor ou du Bawol,
refusèrent de renoncer à leur genre de vie, de remettre leur avenir, leur liberté à une
puissance qui n'aurait pas tardé à la leur confisquer. Mais la position de leur pays sur
l'un des axes d'expansion de la France au Sénégal, rendait inévitable l'affrontement
avec le gouvernement de Saint-Louis.
L'autorité française s'aperçut rapidement que la soumission des Sereer ne
serait pas une tâche aisée. Etablis dans un domaine formé de collines abruptes ou de
forêts impénétrables, ils vivaient dans une sorte de sanctuaire jusque là inviolé faule
de voies de communication véritables le traversant. A plusieurs reprises ils avaient
commis des assassinats sur les personnes qui s'étaient aventurées à passer par leur
pays pour se rendre aux comptoirs français de Bargny ou de Rufisque. Les Jobaas
firent même quelques incursions dans le Jander, "territoire français" pour y voler des
troupeaux de boeufs. 2
A la suite d'une de ces razzia un,) colonne expéditionnaire fut dirigée contre le
village de Kees dont le chef Daliton passait pour l'un des patrons des voleurs de la
contrée. Il avait refusé de déférer à la convocation du commandant de Mbidjem qui lui
avait demandé de se rendre au poste pour s'expliquer sur les accusations de vols de
boeufs portés contre lui par les habitants du Jander. L'interprète Omar Jop envoyé
pour lui apporter le message fut reçu à coup de fusil et perdit deux hommes et deux
chevaux de son escorte.3
Cet incident qui vit la débande d~)s autres membres de l'escorte de Omar Jop
fut une prime d'encouragement pour les Sereer, convaincus de bénéficier de l'impu-
nité grâce à la configuration de leur pays. Ils redoublèrent d'audace dans leurs
incursions contre le territoire sous prc>iection française. Les villages compris entre
Mbijem et Soriofil reçurent la visite des voleurs de Kees. Ils se plaignirent amèrement
Il
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421
au prés des autorités françaises, en leur faisant comprendre qu'ils avaient payé l'impôt,
mais qu'en contre- partie de leur soumission à la France, ils n'avaient pas encore
bénéficié de la sécurité qu'on leur avait promise. Les Sereer de Kees, de Njanxeen, de
Bomboï s'étaient substitués aux Ceddo dans le pillage de leurs maigres ressources.'
Pour eux les habitants de ces localités étaient tous des voleurs et pas un boeuf de ce
qu'ils possédaient ne leur appartenait."
Le gouverneur décida d'infliger aux Sereer incriminés un châtiment sévère pour
montrer à leurs victimes que ce n'était pas la crainte qui le retenai1et qu'elles pouvaient
compter, en toutes circonstances, sur sa potection. Pinet-Laprade, commandant
supérieur de Gorée reçut l'ordre de conduire la représsion contre les habitants de
Kees. Sa colonne partit de Rufisque le 10 Mai 1862. Malgré toutes les précautions qu'il
prit pour faire jouer pleinement l'effet de surprise, il ne put empêcher les bergers de
donner l'alarme à leurs compatriotes qui se sauvèrent dans leurs forêts ne laissant aux
envahisseurs que quelques cases qui furent de suite livrées aux flammes. La colonne
put toutefois s'emparer de quelques 200 boeufs qui furent conduits jusqu'à Mbijem
malgré l'opiniâtreté avec laquelle les Sereer lui disputèrent ce butin.6
Les pertes de la colonne s'élevèrent à un soldat disciplinaire tué, 13 soldats
bléssés, 5 contusionnés.' Le commandant de la colonne garde un mutisme complet
sur les pertes des 50 volontaires qui l'avaient accompagné."
Les pertes des Sereer n'étaient pas non plus importantes. Pinet-Laprade
n'essaya même pas de donner un ordre de grandeur. Tout au plus se contenta-t-il
d'écrire que quelques uns «furent sabrés par nos Spahis ou fusillé par nos tirailleurs»9
De toute évidence les Sereer avaient subi un important préjudice matériel avec la perte
de ce troupeau de 200 boeufs razzié par la colonne. Mais leur puissance était loin d'être
détruite et il fallait s'attendre à les voir Inultiplier les actes d'éclat pour tirer vengeance
des pertes que la colonne venait de leur faire subir. Les voyageurs qui passaient dans
la contrée furent dévalisés, voire assassinés. Les Sereer les prirent pour des espions
au service des Français à qui ils fournissaient des informations sur leur pays.
L'engrenage de la violence était enclenché.
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422
Faute d'infrastructures routières fiables à travers cette contrée hostile, le
gouvernement de Saint-Louis se borna à pratiquer une politique plus modeste qui
consista à contenir les Sereer dans leur terroir afin de les empêcher de commettre des
1
déprlîJjations dans le territoire protégé par la France et le long des axes par lesquels
transitaient les caravanes à destination de Rufisque. Le mieux eût été le percement
d'une route à travers ce bois. En attendant on recourut au système des postes fortifiés.
On
créa un poste à Puut, prés de la Tamna pour en imposer aux Jobaas qui
continuaient leu~incursionJJans le territoire annexé par la France. Le site fut choisi au
point où la route des caravanes pénétrait dans le bois. 1O Il serait là comme une
sentinelle chargée de neutraliser les Jobaas dans leurs entreprises de pillage contre
les caravanes. Ce poste serait aussi un dépôt de vivres1de matériaux nécessaires pour
une intervention ultérieure contre le Jobaas. C'était une espèce de tête de pont pour
les opérations à venir. 11
Le poste de Puut fut construit en Avril 1863. Les Sereer du secteur comprirent
rapidement que c'était comme une épée suspendue sur leurs têtes et qui pouvait à tout
moment rendre vulnérables leurs sanctuaires. La sauvegarde de leur indépendance
passait par la destruction de ce poste qui n'était occupé que par une petite garnison.
1
Les différents villages interessés par cette entreprise commune turent pour un moment
leurs petites querelles et entrèrent dans une alliance spontanée pour faire sauter ce
verrou qui les menaçait de toutes ses bouches à feu. Les Jobaas furent épaulés dans
cette opération par les villages de Sane-Safet, Palaal, Wanjaxaat.
Le 13 Juillet 1863 les conjurés passèrent à l'action. Pendant l'hivernage, il le
savaient, les colonnes françaises étiOient condamnées à l'immobilité. De plus des
espions qu'ils avaient réussi à introduire dans le postel leur avaient fourni d'amples
1
informations sur les habitudes des garnisaires. Il savaient que le sergent Collin chef de
poste, n'avait trouvé rien de mieux à faire que d'enlever leurs armes pour les empêcher
de les employer à la chasse. 12
Aussi lorsque les éclaireurs débouchèrent le matin du 13 Juillet des bois et
tirèrent quelques coups de fusils sans recevoir de réponse à cette attaque furent-ils
,
rejoints par des assaillants qui envahirent le poste. Les soldats n'eurent pas le temps
.
1;
·
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de défoncer la porte du rez de chaussée du blokhaus où étaient stockées les
cartouches. Ils "se réfugièrent dans la iJarraque qui leur servait de logement où ils
furent tués à l'exception d'un seul qui survécut à ses blessures»."
Aprés le massacre de la garnison, les Sereer enfoncèrent la porte du Blokhaus
s'emparèrent des caisses de vin, des cartouches, des fusils avant de rentrer chez eux.
Le sergent Collin qui se trouvait à l'extérieur du fort au moment de l'attaque fut le témoin
impuissant de ce carnage.
Pour limiter la portée de la victoir e du Jobaas et empêcher les autres Sereer de
les imiter dans leurs entreprises de gueri!la, l'autorité française, décida malgré l'hiver-
nage, d'infliger une terrible répression aux auteurs de ce massacre. Dans leur
précipitation les assaillants avaient oublia d'incendier le poste qui fut immédiatement
réoccupé par une nouvelle garnison plus forte, commandée par le sous-Lieutenant
Couvin et composé e de 26 hommes de deux canonniers et de dix tirailleurs."
A tout prix il fallait éviter de voir IGS habitants du Jander annexé douter de la
puissance de la France et surtout empêcher les Sereer de consolider leur alliance qui
pourrait inciter d'autres groupes à les rejoindre où à rester dans une position neutre
afin d'éviter de subir les sanctions de ceux qui avaient engagé la lutte contre le poste.
Aprés l'occupation du poste de Puut, !e sous-Lieutenant Cauvin mena une véritable
politique d'intoxication en direction des Jobaas pour les inciter à réitérer leur coup
contre le poste. Des espions furent envoyés chez eux pour les pousser à renouveler
l'attaque. Il leur firent savoir qu'il était bien pourvu en vivres, munitions et en eau-de-
vie. On promit une récompense de 200 !rsncs à quiconque donnerait des informations
précises sur le jour et l'heure de l'attaque.'5
Le 20 Août 1863 vers 7 heures du matin les Sereer prononcèrent à nouveau une
violente attaque contre le poste toujours aidés par leurs collaborateurs des villages
Sereer du Jander annexé. Malgré toutes les disposition prises par le commandant du
poste un grave désordre régna chez les soldats de la garnison au début de l'attaque.
Les tirailleurs ne tenaient nullement CDmpte des ordres qu'on leur donnait. Ils se
mettaient "à vociférer, à sauter, à gaml),lder, à tiret à tort et à travers».'6
" . ..
$-:'124
Le feu de part et d'autre ne dura que 25 minutes. Le nombre des assaillants fut
estimé à 150. Il en était «resté au moins'le double sur la lisière des bois voisins 17». Au
moment où les Sereer décrochaient 3 tirailleurs franchirent les palissades pour les
poursuivres et se trouvèrent placés dev;~nt le feu du poste qu'on dut faire cesser pour
ne pas les tuer. Un seul cadavre Ser~er était resté sous les palissades. ,.
Ce bilan fort maigre fut amplifié, pour des raisons forts compréhensible) par
Pinet-Laprade Commandant Supérieur de Gorée qui parla de 49 morts et de plus de
20 blessés chez les assaillants." Sans doute l'indiscipline des tirailleurs avait avait fait
capoter le plan du chef de poste, mais il n'est pas non plus exclu qu'aprés avoir
constaté, au début de l'attaque, la vigueur de la réaction dù poste, les Sereer eussent
trouvé plus sage de rebrousser chemin du moment que les conditions n'étaient pas
identiques à celles du 13 Juillet.
Ouoiqu'il en fût, la leçon n'eut pa la portée désirée. Les Sereer profiteraient de
la moindre défaillance du poste pour tenter de renouveler leur exploit. L'autorité
coloniale s'aperçut que seul le poste de puut, trop isolé, était incapable de contenir les
Sereer dans leur territoire. L'erreur avait été de privilégier l'aspect répressif du poste.
De ce fait il restait isolé et beaucoup trop étranger au pays. Les Sereer ne le regardaient
qu'avec beaucoup de méfiance. La g:-.rr1ison aurait dû également avoir pour mission
de travailler à la conquête des coeurs en rendant visite fréquemment aux populations
afin de s'enquérir de leurs problèmes.
Pour favoriser les communications entre Gorée et le Bawol, il fallait une ligne de
postes qui permettra~celui de Puut d'accroitre sa capacité d'intervention en milieu
Sereer. Le choix porta sur Kees d'autant plus que les postes construits, au Kayoor en
1861 pour servir de station à la ligne télégraphique ne répondaient plus aux nécessités
du moment. On envisagea de les déplacer et de les porter loin des rivages sablonneux
de la mer «dans les terres au milieu des populations productives du Kayoor».20
Le choix de !<ees se justifiait parce qu'il était le centre du pays Njanxeen que
,
traversait l'unique route suivie par les cal'avanes du Bawol qui alimentaient Rufisque.
L'occupation de Kees rendait inutile celle de Mbidjem. Ainsi donc, les postes,
-"-1'-
établissements provisoires,jOueraient un rôle primordial dans l'oeuvre d'extension
progressive de l'influence françaised~~s la zone, car ils permettraient de suivre
«facilement les intérêts que les circons!<:inces politiques ou le caractère» des popula-
tions pouvaient déplacer. 2I
Le poste de Kees serait invulnérable en raison de la proximité de Gorée et de
l'incapacité des populations, dépourvues d'artillerie à s'en emparer. La guerre du
Kayoor à la fin de 1863 et au début de 1864 fit ajourner jusqu'au mois d' Avril l'opération
de construction du poste de Kees. L'état d'esprit des populations, même celles qui
étaient annexées, rendait urgent la cons truction de ce poste. On avait constaté qu'elles
n'avaient versé qu'une minime partie de l'impôt. Les succès remportés par Lat-Joor
en Décembre 1863 et Janvier 1864 sur les colonnes françaises semblaient les pousser
vers le soulèvement.
En avril 1864 l'expédition contre le Jobaas fut décidée. elle avait pour objectif0'
de tirer à la fois vengeance du massacre de Puut et d'ouvrir une route à travers le défilé
de Kees et l'occupation de cette dernière localité par un poste fortifié afin do mettre un
terme aJx dépricJations des Sereer sur l'unique voie de communication entre le Bawol
et Rufisque. Une fois les matériaux de~;tinés à Kees réunis à Puut, Pinet-Laprade
chargea le capitaine Balot des disciplinaires d'aller'à Mbijem y rallier 1500 volontaires
du Jandor et du Sarioxoor et de se porter ensuite sur Kees de manière à occuper le
\\
-~
26 Avril 10 débouché du défilé dont les Joobas avaient l'intention de leur disputer le
passage.
Le 27 Avril Pinet-Laprade partit de Puut avec 1500 volontaires de Dakar,
Rufisque et Bargny portant une partie du baraquement du poste de Kees. Le passage
difficile du défilé fut franchi sans peine et les deux forces firent leur jonction. Le
lendemain tout était réuni à Kees. Les travaux du poste furent menés à un rythme
acceléré grace à l'activité déployée par tous. Le 29 au soir les travaux de défense
étaient assez avancés pour autoriser Pinet-Laprade à tenter une incursion dans le
Jobaas à la tête de quelques troupes régulieJtSet qes 3000 volontaires. 22
Arrivés par surprise au centre des villages du Jobaas Pinet-Laprade livra le pays
)
aux volontaires dont le passage était pire qu'une invasion de sauterelles. Les Jobaas
se défendirent courageusement à Baback où devant le fléchissement des volontaires
le commandant de la colonne dut les soutenir par les tirailleurs et un obusier de
montagne. Dix villages accusés d'avoir participé au massacre de Puut furent détruits.
Les volontaires revinrent à Kees chargés de butin. Le 1N Mai au soir leurs pertes se
chiHrèrent à 6 morts et à 20 bléssés.?J
Nous ne pouvons chiHrer, même de façon approximative les pertes du Jobaas.
Les rancunes tenaces que les populations du Jander nourissaient contre eux, les
avaient poussées à laisser libre cours à des excès dans la vengeance que Pinet-
Laprade s'est gardé de rapporter pour ne pas encourir les reproches de Paris. Il se peut
aussi que l'immense majorité de la population eût préferé se dérober par la fuite dans
les bois impénétrables à un combat dont l'issue n'était pas douteuse.
Ouoiqu'il en fût, Pinet-Laprade jugea dès le 2 Mai que la question militaire était
réglée. Les troupes de Saint-Louis retGurnèrent dans leur garnison, les compagnies
du Jura et de l'Archimède rentrèrent à bord.
Le poste fut construit à l'extrêmité orientale du «ravin des voleurs» qu'il contrôlait
sur le seul endroit d'accès facile du pl3teau de Kees. Il était comme une sentinelle
chargée de surveiller les villages environnants dont les habitants pouvaient à tout
moment reprendre les armes pour venger leurs morts. Le poste était toutefois à la
périphérie du village de Kees pour mieux en surveiller les agissements. Au même
moment il protégeait la porte du Bawol dont il devait accroître le mouvement commer-
cial avec le comptoir de Rufisque24 • Il avait été construit sur un espace de 31 mètres
de côté, entouré d'un mur de pierres sèches, étayé de robustes rondins, à l'intérieur
deux pièces d'artillerie étaient aménagées et qui, par leur disposition Nord-Est et Sud-
Ouest se trouvaient dans l'axe de la route du Bawol. 2S Tout autour de la palissade on
creusa un fossé circulaire avec un pont Levis. Deux barraques servaient de logement
à la troupe dont l'eHectif était de 30 hommes.
•
Ir
•
, •
.~ -. --·'4 2 7
La colonne déboisa aussi sur 20 mètres de largeur la route qui traversait la forêt
de Kees. 26 Cette large voie de communication ne fit pas tomber dans l'immédiat les
barrières psychologiques qui séparaient les Sereer de l'administration. La sécurité
qu'on pensait assurer aux caravar:,::s ne fut que de courte" durée, le temps de
permettre aux sereer d'inventer de nouvelles méthodes de lutte. 27
Le commandant supérieur de Gorée ne tarda pas à s'en rendre compte. Dès
Décembre 1864 il dénonçait avec vigueur les «habitudes de brigandage des Sereer~..
constamment enfermés dans leurs forêts. A ses yeux cette situation était artificielle-
ment maintenue par les trafiquants Tukulor et Wolof qui avaient tout intérêt à entraver
l'extension de l'influence française dans ce milieu "pour acheter leurs produits à vil prix
et pouvoir les rançonner à leur guise":>!'. En imputant aux trafiquants indigènes l'e'chec
relatif de sa «politique Sereer... Pinet-Laprade jetait un voile pudique sur la dure
répression de ses troupes qui ne pouvaient ne pas laisser de profondes morsures dans
le coeur de ses victimes. Les malentendus des premiers jours étaient aggravés par les
rancunes nées des violences militaires_ En se pérennisant, cette situation compromet-
tait l'oeuvre dévolue au fort et qui était de créer un vrai climat d'entente avec les
populations environnantes.
Pinet-Laprade finit par s'aper(;~ëvoir que l'expéditive terreur, dont il frappait les
Sereer, ne faisait qu'approfondir encore davantage le fossé qui les sôparait de
l'administration dont l'influence sur eux était demeurée presque nulle. Aussi changea-
1\\ t.<:.In..\\ '1l'~ "",,1-
t-il de tactique en ~t au command"nt du cercle du Jander et aux chefs de postes
de Puut et de Kees l'ordre de visiter «fréquemmment les populations de leurs districts
pour reconnaître par eux mêmes leur moral, leur disposition d'esprit à notre égardJO...
Force est de constater que l'existence des postes de Puut et de Kees incita les
Sereer à la prudence. La peur d'une répression comparable à celle de mai 1864 leur
ota momentanément tout désir de commettre des pillages ou des assassinats sur les
caravanes qui du Bawol se rendaient il Flufisque. En revanche ils tuaient sans pitié les
gens qui s'aventuraient dans leurs villa!Jç's en tentant de nouer des relations d'échange
avec eux.J1
"
.
moment leur avait paru favorable en 'raison de la proximité de l'hivernage et du fait de
"aide promise par les émissaires de Lat-Joor. Cet acte était l'indice d'inquiétantes
prémisses d'une insurrection qui, si elle n'était pas jugulée, compromettraient la
présence française en pays Sereer. Le commandant de Gorée opta pour un châtiment
prompte des auteurs de cet attentat dont l'empreinte détruirait la confiance des gens
soumis à l'autorité française. Il importait que la route entre le Bawol et Rufisque eût une
réelle sécurité afin que «le service de la correspondance etdu ravitaillement des postes
de j'arrondissement» fût assuré de façon sérieuse au moment ou Lat-Joor s'apprêtait
à tenter des mouvements au Kayoo[."
La répression aveugle avait montré ses limites. Il fallait éviter d'approfondir ce
climat d'incompréhension entre les Sereer décidés à défendre l'intégrité de leur
territoire et l'autorité coloniale qui enlendait leur imposer sa domination. On se borna,
dans un premier temps, à prescrire au commandant du poste de Kees de se faire
remettre les individus signalés comme les coupables de cet attentat. Ce cas de figure
était irréaliste. Le produit du pillage était sans aucun doute réparti entre les villages
d'origine des auteurs. Ils étaient donc tous coupables au même titre que ceux qui
avaient conduit l'opération. Dans ces conditions, comment pouvaient-ils livrer quel-
ques uns de leurs parents aux autorités françaises qui, dans des cas similaires, avaient
sévi avec la plus extrême rigueur contre les coupables.~
L'administration en était consciente. Aussi, dans l'éventualité du refus des
villages d'obtemperer, envisagea t-elle de leur infliger de fortes amendes proportioll-
nelles au pillage commis. Et dans le cas où elles ne seraient pas versées on aurait
recours à l'intervention militaire pour' "assurer d'une manière efficace la sécurité des
caravanes."45 L'arrivée de l'hivernage l'it suspendre toutes les opérations. Les Jobaas
avaient compris que pendant cette saison le fort de Kees était dans l'incapacité d'agir
contre eux.
Au cours de l'année 1869 leur entente avec Lat-Joor les encouragea dans leur
dissidence. En Janvier ils attaquèreGt une caravane de Wolof de Puut qui se rendait à
Rufisque. Ce pillage était l'oeuvre des Sereer de Toglu qui bénéficièrent de complicités
42.~
L'hivernage 1864 avait été catastrophique du fait d'une invasion de sauterelles.
Epargnés par cette calamité, les Sereerdont les greniers regorgeaient de mil étaient
.7
1
sollicités par des Jula qui espéraient les décider à vendre leur mil. Ils furent pris alors
pour des espions à la solde de la France et exécutés. Au début de 1865 huit personnes
qui faisaient du commerce d'eau-de-vie ;lVec eux furent tuées. 3> La répétftion de ces
crimes constituait un indice probant de l'hostilité des Sereer à l'endroit de l'adminis-
tration. Sans doute ne songeaient-ils plus pour l'instant à attaquer Puut, Sonofil et les
autres villages situés en territoires annexés pour chàtier ceux qu'ils taxaient de
trahison, mais les meurtres contre les voyageurs isolés étaient là pour rappeler à tous
que la domination française était encore superficielle. Cette hostilité se lisait même
dans le comportement des populations considérées comme soumises. Dans les
villages de Fandeen qui avaient reconnu l'autorité française, les populations n'accep-
tèrent de payer qu'une faible fl!'portion de l'impôt personnel. Ce qui était un moyen
de s'affranchir de l'autorité française. Les Sereer prirent leursdistanc~vis àvis des chefs
I)(W/) Ill.h."",.•·(.
de village respectueux de l'autorité française. Ils critiquèrent aIf~l1f\\ le laman
Sangaan de Janak qui avait accompagné à Fandeen un Tukulor victime d'un vol d'une
vache. La population refusa non seulement de rendre l'animal mais reproclla encore
au Laman ses bonnes relations avec la France. Pour reloger une partie de la garnison
dont le baraquement était envahi par des eaux de pluies le chef de poste demanda des
cases au chef de village de Caly qui ne lui en donna qu'une en trés mauvais état."
Les Sereer administraient ainsi la preuve qu'ils ne s'étaient résignés qu'à la
force et qu'ils entendraient poursuivre 1::1 lutte en opposant leur force d'inertie aux
décisions de l'administration. Comment pourrait-il en être autrement? Ils ne connais-
saient de l'administration que des corvées et les charges d'une fiscalité trop lourde
pour leurs modestes ressources et d'autant qu'ils n'en voyaient pas l'utilité. Entre 1864
et 1867 il ne virent apparaître ni écoles, ni formations sanitaires. Cette domination leur
était d'autant plus insupportable qu'ils n'en retiraient aucune amélioration morale ou
matérielle tangible. L'administration multipliait en revanche les sanctions sous forme
d'amendes34 ou d'expéditions punitivn.3. Les rancoeurs qu'elles suscitaient les an-
craient davantages dans leurs pratiques ancestrales qui leur servaient de boucliers
,
protecteurs contre les influences étrangères.
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Pourtant au lendemain de l'ann'exion du Jander,la France avait envisagé la mise
en valeur agricole du territoire Sereer annexé à la colonie. La guerre de sécession
américaine, rendant aléatoire le ravitaillement de son industrie en coton, incita les
autorités coloniales locales à encourager la culture cotonnière dans le secteur de Puut.
Le coton y était déjà cultivé par les Sereer pour leurs besoins domestiques. Dès 1864
un champ d'expérimentation fonctionnait à Puut. 35 On essaya par des mesures inci-
tatives à encourager les indigènes à développer la culture du coton. On leur distribua
<S"'-
gratuitement les semences erleur donna des primes. 36
En 1865 eurent lieu des séances sollennelles de distribution des primes pour
créer une vraie émulation chez les producteurs. Les paysans de Puut qui avaient
accepté de se conformer aux conseils des Européeens reçurent 250 francs. Il
s'agissait de récompenser tous ceux qui avaient accepté de cultiver, à côté de la variété
locale, l'espèce de Bornéo envoyée par le ministre de la marine et des colonies. Les
résultats de la première campagne étaient encourageants. Le pays eut un aspect plus
satisfaisant et une valeur plus réelle qL:e celui compris entre Rufisque et Puut. 37
L'essor de la culture cotonnière amena Bertrand Bocande, négociant établi à
Karaban, à envoyer un de ses agents à Bargny pour la commercialisation de ce
produit. Il fut imité par d'autres opérateurs économiques persuadés de pouvoir en tirer
de gros bénéfices. La maison Feray et compagnie d'Essonnes écrivit au ministre dès
Janvier 1863 pour lui dire que le coton des Sereer était souple, assez fin et égalait en
qualité celui de l'Amérique quoique un peu plus court. Elle en demanda 1000 balles et
souhaitant l'extension rapide des surfaces consacrées à ce produit.
A la faveur de l'expédition de Kees, Drouet de Rouen débarqué au Sénégal en
1862, obtint du gouvernement une concession de 1000 hectares entre Puut et la vallée
de Sanofil. 36 Cette concession lésa les intérêts de certaines familles dont les terres
furent comprises dans le périmètre livré à Drouet. On ne leur versa qu'une modeste
indemnité à raison de 5 Francs par hectare. 39
L'exploitation de Drouet devait servir de modèle aux Sereer qui désiraient se
lancer dans la culture commerciale du coton. L'Impact de celte concession sur les
$
430
populations du voisinage fut pour ainsi d;re dérisoire. La décision de Drouet de recruter
à la place de la main d'oeuvre locale, dés manoeuvres originaires du Salum hypothé-
qua les chances de maintenir dans la paix les territoires conquis.
Cette exploitation ne put avoir tout le succès désiré malgré les importants
moyens matériels et humains (300 manoeuvres) dont elle disposait. Les épidémies de
fièvre trop fréquentes perturbaient le dé"oulement des travaux. En 1865 les invasions
de sauterelles dévastèrent toute l'exploitation. A ces calamités naturelles, les expédi-
tions punitives contre les insoumis ajoutaient leurs méfaits. La force qu'on voulut
imposer aux vaincus les poussa à s'abstenir de cultiver le coton dans l'espoir de rendre
fragile la domination du conquérant. C'est pour cela que le commerce de Marseille dit
que l'accroissement du volume des produits agricoles et surtout du coton ne s'obtien-
drait que le jour où les courriers du Sénégal n'apporteraient plus de bulletins de
bataille.·o La fin de la guerre de sécession mit fin à cette expérience agricole. En 1868
à la suite de la reprise de la guérilla par LaJ-Joor contre le Kayoor, les Sereer du Jobaas
décidèrent de passer à l'action. Ils avaient été travaillés par les partisans de l'ancien
damel qui leur demandaient de synchroniser leurs opérations avec les leurs pour
contraindre les troupes d'occupation à se battre sur plusieurs fronts. Ils acceptèrent
de faire de leur territoire un sanctuaire pour Lat-Joor qui était autorisé à y pénétrer à
tout moment pour y reconstruire ses forces. En février 1868 les Sereer des environs
de Puut se concertèrent avec ceux du Jo.baas en vue de réitérer leur attaque du poste
de Puutqui n'était plus gardé que par quelques volontaires commandés par Omar Jop.
Ne parvenant pas à s'en emparer, ils décidèrent de s'attaquer aux caravanes qui
passaient par la route reliant Rufisque à ~ees." Devant la recrudescence de la guérilla,
le gouverneur jugea plus prudent de fair!? réoccuper le poste de Puut par 50 militaires
avec leurs casernements et des vivres pendant des mois. Pinet-Laprade pensait
éliminer la résistance Sereer en recourant à la terreur contre les villages refractaires.
C'était à ses yeux le seul moyen «d'évi~er les alertes auxquelles les postes de Pout et
de Thies» étaient exposés'2
En Juin 18681es Jobaas conduisirent une action de pillage contre les indigènes
chargés par les autorités coloniales d'acheminer des denrées de Puut à Kees." Le
.. .
$-
4.12
auprés de certains chefs de village de.Apnder annexé. C'était le cas de Pesse Gey' chef
de Deen-y Dak·a
Devant la recrudescence de l'insécurité consécutive aux attaques des Jobaas
sur la route du Bawol, l'autorité coloniale essaya d'exploiter les rivalités interethniques
(
pour opposer les Wolof aux Sereer dans des combats fratricides. L'épidemie de
clloléra qui sévissait dans la Sénégambie et les signes avant coureurs d'un souléve-
ment de Lat-Joor interdisaient de fai~e sortir les troupes de leurs casernements. On
chargea Mbor Ndoy, alcaty de Jander de mobiliser les guerriers de son canton pour
attaquer les Sereer. Ngaparu et Mbir;am lurent détruits par les Wolof. Mais aux
premiers coup de feu les Sereer du Sandog, Xoodeba, Sebixotaan, Duga Yeba et
Toglu et quelques uns de Sanofil accoururent pour porter secours à leurs parents.
L'alcaty de Puut qui était Sereer refusa ds.donner des munitions aux Wolof. Les Sereer
avancèrent contre les villages Wolof établis en pays Sereer et les mirent en feu. Sancan
Seydu, Kar Mori Njaz, Ker Massamba Jop lurent livrés aux flammes. Dans cet
aflrontement 5 Sereer furent tués ainsi que 2 Wolof.
Vers la mi-Juin les Sereer du Jobaas donnèrent une plus grande amplitude à
leur mouvement contestataire. Ils décidèrent d'attaquer le poste de Puut le 14 Juin
mais finirent par y renoncer lorsqu'ils constatèrent, lors d'une réunion tenue à
Banjuluuf. que leurs compatriotes de Toglu et de Paka «sur le concours de qui ils
comptaient» refusaient de s'associer à leur entreprise. 47
Aigris par la défaite, les Jobi:;)s persistaient dans la' lutte avec l'énergie du
désespoir. Cette ~dans le combat écartait toute possibilité de compromis avec
':occupant. Aprés avoir employé la forca, l'autorité coloniale essaya une politique qui
rendit possible l'interpénétration des civilisations. Elle chercha à former les fils des
chefs Sereer à l'école des otages pour en faire les futurs auxilliaires de son action dans
ce pays qui semblait rebelle à toute forme de coéxistence avec le conquérant. Les
Janxeen, les Palor opposèrent une fin de non recevoir aux demandes du chef de poste
qui s'adressa alors aux Laman du Le)(§ar et du Ndut'B dont les habitants avaient subi
un 10rt vernis de culture Wolof. Sous la pression de la nécessité, l'autorité coloniale
,
essaya de transiger en inventant une politique de compromis, Mais la morsure de la
-
$
433
défaite était encore trop fraîche dans le coeur des Jobaas pour qu'ils se résignassent
à déposer les armes. Le fort de Kees.matérialisait la prépondérance du conquérant
dans leur pays. Faute d'artillerie ils ne songèrent pas à l'attaquer. En revancl18 ils
tentèrent de l'isoler en créant une atmosphère d'insécurité sur les routes qui y
menaient. Le 26 Août 1869 ils tuèrent dans ledéfilé l'homme chargé de porterie courrier
à Puut, et deux autres venant de Rufisque.
Les événements du Kayoor déclenchés par Lat-joor en 1869 donnèrent un
certains répit aux Sereer qui eurent toute latitude pour piller les caravanes sur la route
du Bawol pour interdire aux étrangers l'accès de leur territoire. Ces actes n'étaient aux
yeux de l'administration que du brigandage pur et simple. Pour les Sereer ils tradui-
saient le rapport de forces qui leur était défavorable. Avec des moyens et des méthodes
rudimentaires ils essayèrent avec une ',olonté farouche de défendre avec leur hon-
~:
neur, le sol de leur patrie.
En 1872 la conquête du Bawol préoccupa Lat-Joar au point de le contraindre
à mettre en sourdine ses revendications sur les banlieues de Saint-Louis et de Gorée.
Ce répit fut mis à profit par le gouverneur de Saint-Louis pour essayer de faire tomber
les barrières qui tenaient les Sereer du Jobaas isolés de l'influence française. Le poste
devait aider non seulement le Bawol à se défendre contre l'impérialisme du damel en
lui fournissant les armes dont ils avait besoin pour sa défense, mais encore multiplier
les interventions en direction du Jobaas pour le contraindre à la soumission.
En Avril 1872, Canard, Commandant supérieur de Gorée se rendit à la tête
d'une petite colonne dans les territoires annexés du deuxième arrondissement afin
d'assurer la sécurité des routes fortement compromise par lesJobaas. Les renseigne-
ments fournis par les espions lui apprirent que le village de Bomboï était le refuge
ordinaire de tous ceux qui avaient créé le climat de terreur sur les pistes caravanières,g
Un émissaire fut dépêché auprés du Larnan de Bomboïpour l'inviter à se rendre à Kees
afin d'avoir un entretien avec Canard sur les mesures qu'il conviendrait de prendre
contre les pillards. Un refus catégorique fut opposé à cette démarche.
Canard partit le lendemain pource village, 9vec l'espoir, dit-il, que la présence
de ses troupes serait suffisante pour amener les ,Lobaas à composition.5O A l'approche
...
_.
$
434
de sa colonne, le village fut évacué pw ses occupants. Tous les guerriers étaient
embusqués dans la brousse. Bomboï refusa toute entrevue craignant sans doute que
ses délégués ne fussent pris et fusillés. Ouand Canard voulut occuper le point
stratégique qu'était le puits, ils ne dOL'.tèrent plus de ses intentions belliqueuses et
décidèrent de l'en empêcher. Ce fut le début du combat. 5I
De toute évidence des arcs e( des f1êches et des fusils de traite étaient
incapables de l'emporter sur cette armée de fusils à tir rapide de chassepots et de
canons. La nature du terrain et le caractère touffu de la végétation leur permirent de
réduire les dégats, voire de mener une riposte trés énergique qui obligea Canard à
rentrer à Kees avant la tombée de la nuit.52 Le butin amassé ne fut pas récupéré.
Peut-être que la peurd'uneopé~ation de repression comparable àcelle de 1864
avait finalement décidé le Laman Batta de Bomboï à se rendre le lendemain à Kees pour
demander la paix et à promettre que ses gens ne pilleraient plus53... Cet affrontement
aurait coûté 25 morts ou bléssés au village de Bomboï selon les dires de Canard.
Il n'était pas besoin d'être devin pour savoir que cette démarche de Laman
n'était que subterfuge. ~p~1ient";;usquementrenoncer à une fonne de
lutte qui, malgré ses lacunes, leur avait permis, avec des coups de main heureux, de
garantir l'intégrité de leur territoire contre les étrangers 0
Peu aprés le passage de l'orage,les Jobaas reprirent leurs pratiques habituel-
,
les. Entre 187354 et 187555 beaucoup de voyageurs furent assassinés sur la route qui,
de Kees, conduisait à Rufisque. En 1817 le Commandant supérieur de Gorée notait
avec dépit que malgré les contacts avec l'autorité française,les Sereer des cantons de
Puut et de Kees étaient demeurés craintifs, ombrageuxY Ils s'habituaient difficilement
à cette forme d'administration qui leur était étrangère dans toute la force du terme. Mais
~~
.
il Yavait bkftde reconnaître que l'échec de cette politique était en partie imputable aux
autorités françaises et aux maisons de commerce qui avaient favorisé chez eux le
développement de l'ivrognerie pour se procurer leurs produits à vil prix. Un change-
ment de leur altitude à l'égard de l'autorité française ne pourrait s'obtenir que
lentement quand les rancunes accumulées se seraient progressivement apaisées.
•
1/
..
"
$--:-4,5
L'administration se trouva dans un cercle vicieux. Chaque fois qu'elle essayait
de prouver aux Sereer que son objectif était d'instaurer un climat de paix et de justice,
elle constatait de suite une recrudescence des attentats sur la route du Bawol.
L'époque de la commercialisation de l'arachide était le moment béni qui voyait se
multiplier les actes de pillage.
En début de 1878 les Sereer du Jobaas enlevèrent dans le ravin de Puut un
chameau chargé de riz de l'administration pour le poste de Kees. 58 Quelques jours plus
tard une caravane du Bawol y reçut des coup de fusil. Il fallut, pour empêcher
l'interruption des communications sur cette route, envoyer un peleton de spahis pour
intimider les Sereer et en même temps rassurer les voyageurs. 59 Mais les forêts et les
broussailles, encore denses sur le rebord du plateau de Kees, rendaient peu efficaces
'-1•.
ces opérations d'intimidation.
Toutefois quelques changeméJnts étaient perceptibles dans le comportement
de certains Sereer dont le territoire tré" exposé aux mesures repressives les incitail à
moins braver le pouvoir colonial. Mais lBS Jobaas demeuraient remuants et donnaient
le plus souvent lieu à de vives plaintes. Ils étaient aidés dans leur refus de la soumission
par la configuration de leur pays qui leur conférait une certaine invulnérabilité. Non
seulement ils attaquaient tous ceux qui s'aventuraient sur les pistes de leur sanctuaire,
mais encore ils " recevai~~z eux tous les malfaiteurs des pays Sereer.~
En Août 1878 deux attentats furent commis entre Puut et Kees et les auteurs
trouvèrent refuge dans le village de Fandeen en plein Jobaas.61 Pour briser cette
tendance qui ne cessait de prendre de l'ampeur, le commandant Supérieur de Gorée
préconisa une nouvelle expédition militaire contre le Jobaas. Malgré les nombreux
attentats intervenus en 188052 l'expédition militaire resta à l'état de projet. Le gouver·
neur Brière de l'Isle violemment critiqué par le député Gasconi et Le Commerce et
préoccupé par les problèmes du Haut·Fleuve préféra ne plus prêter le flanc aux
attaques de ses adversaires. 53 A pariir de 1882 le refus de Lat-Joor de laisser passer
la voie ferrée à travers son royaume mit en second plan le problème des Sereer du
Jobaas.
$"'436
La construction de la voie ferrée en 1885 leur enleva l'initiative des opérations.
Le chemin de fer atteignit Puut en 1884 où une station fut construite. Le 6 Mai on mit
en exploitation la section Rufisque-Puut. 64 En décembre 1884 on acheva la section
Puut-Kees-Tiwawan 65 Les Sereer du Jobaas, constatant que le train acheminait
désormais les récoltes vers Rufisque, tentèrent à plusieurs reprises de le faire dérailler
dans le ravin des voleurs. Des coups de feu furent aussi tirés sur le train entre Puut et
Kee~. Ces tentatives furent sans lendemain. Le train consacrait la mainmise française
sur leur territoire.
CONQUETE QU NJEGEM ET DU MBADAAN
L'absence de voies de communication dignes de ce nom à travers le Jobaas,
en raison de la disposition spéciale du relief, interdisait toute prise de possession réelle
du pays. Les Jobaas agissaient à l'abri de leurs forêts et sans crainte de représailles.
Les Sereer des cantons côtiers du Njegem, du Sandog, du Mbadaan avaient
profité de la crise politique qui sévissait au Bawol depuis 1887 pour reconquérir leur
indépendance. Les caravanes du 8a'.'l01 qui n'osaient plus s'aventurer au pays Jobaas
et celles qui passaient désormais par le détour de la Petite Côte étaient régulièrement
pillées. Ils terrorisaient également, les populations avoisinantes. La peur de voir les
étrangers reccueillir des informations sur leur pays les amena à fermer les routes
même celle qui traditionnellement conduisait à Naning. Les commerçants qui s'y
aventuraient étaient pillés, voire assassinés.
Sur plainte des traitants de la petile côte, le gouverneur fit organiser une colonne
ayant mission de faire restituer "les objets volés, livrer les assassins, payer le prix du
sang versé aussi qu'une contribution de guerre fixée à 800 boeufs. 56 Cette façon de
voir manquait d'honnêteté. Ces canions Sereer dépendaient administrativement du
Teen lié à la France par le traité de protectorat de 1883. C'est à lui qu'on aurait dû
adresser ces exigences. Il est vrai qu'il n'exerçait sur ces secteurs qu'une autorité
théorique et que dans cette phase de déliquescence de son pouvoir, il n'était guère en
,
mesure de se faire entendre de ses administrés.
· " ~
L'autorité coloniale se substitua à lui pour exiger réparation des "torts» subis par
ses nationaux. La direction de la coloiÎrie échut au commandant Schneider secondé
par Aubry- Lecomte le Directeur des Affaires Politiques, homme d'un tempérament
violent qui n'était pas loin de penser qu'il pouvait tout obtenir par la terreur. Cette
colonne de 300 hommes, dotÉtd'une batterie de 4 pièces de 80, se réunit d'abord à
Naning d'où elle partit pour le l'!iegem La premier village qu'elle rencontra fut Mburuck
qui fut mis en cendres et perdit un troupeau de 60 boeufs. Sesseen ne lut guère plus
heureux. Toutefois il épargna les habité.nts Lebu de la localité, adeptes du marabout
de Yoff, Seydina Limamulay, venus s'établir dans cette localité pour y cultiver la terre
et échapper à la persécution des autorités coloniales.6?
De Seseen à Soob tout le secteur fut frappé inexorablement sur ordre de Aubry-
Lecomte. Rien ne fut épargné. "II était r,écessaire, dit-il, de nous bien convaincre que
nous ne pouvons frapper juste qu'en frappant fort, puisque nous avions affaire non à
une population à demi civilisée mais bien à un rassemblement de brutes sauvages6"".
S'il ne s'agit pas d'excuser sur le plan moral des actes incontestablement cruels
<>(-'-oL
de la part des Sereer, il faut cependant reconnaître' le massacre ,auquel procédait
Aubry- Lecomte ~épassait en horreur tout ce que les Sereer avaient pu commettre
jusque là. Il diposait d'armes dont la puissance de destruction était sans commune
mesure avec les moyens rudimentaires des Sereer. Il avait dépassé la mesure dans
cette opération de repression qui pr:mait J'allure d'un génocide.
Sans doute on ne saurait demander au chef d'une colonne les qualités d'un
missionnaire, mais en songeant à ce qu'on appelait «la mission civilisatrice de la
France'i il aurait dû essayer de replace, les attentats dans le contexte de leur époque
afin de rester dans les limites du tolérable dans les sanctions au lieu de prendre des
mesures plus barbares que celles contre lesquelles il manifestait son indignation.
Gidiann, village considérable fLJ:'livré aux flammes ainsi que les greniers à mil.
Celui de Sakum eut le même sort. Aubry -Lecomte était mû par la rage de désorganiser
ce pays prospère, trés riche en mil, en troupeaux et en miel. SaW fut brûlé à son tour.
La violence sema la panique dans les rangs des Sereer qui n'eurent même pas le temps
d'organiser la résistance. Les petits villages cachés au rr;ilieu des bois n'échappèrent fPO
à la répression) car le Directeur des Affaires Politiques voulut démontrer aux Sereer
qu'ils ne devaient désormais se crglrE?dans leur sanctuaire à l'abri de la vengeance
française"9. Le 21 Mars la colonne P.oursuivit sa marche contre les cantons du Sandog
etdu Mbadaan. Une résistance sérieuse l'arrêta à Joobqui fut balayé par l'artillerie. Les
villages les plus prospères de cette province, Ngerïeen, Saseen, Sonding, Ndundu,
Njaan, Fissel Ndofaan et qui passaient pour la terreur des caravanes venant du Bawol
furent incendiés.?o Devant cet ouragan dévastateur qui n'épargnait ni les biens ni les
personnes quelques notables essB)'èrent de limiter les dégâts en proposant leur
soumission. Elle fut acceptée moyennant le paiement d'une amande collective de 1GO
boeufs. 71
Le 23 Mars la colonne rebroussa chemin en passant par Njagarïaw renommé
pour la fréquence des assassinats commis par les habitants et qui fut la proie des
flammes. Ces nombreuses destructions créèrent une grave famine qui contraignit les
Sereer à vendre à la Petite Côte une partie de leur bétail à vil prix. 72
Cette terreur devait inspirer aux Sereer le respect de la force afin d'assurer la
liberté des routes que fréquentaient les traitants selon Aubry-Lecomte. Le plus difficile
restait à faire: la conquête des coeurs.
Mais à quel régime allait-on soumettre ces populations arrachées à la domina-
tion du Bawol et qui du point de vue social en étaient encore au stade de la démocratie
villageoise? On décida de regrouper les provinces du Sandog, du Njegem et du
Mbadaan en une espèce de principauté tributaire comme le Njambur. Cette entité prit
l'appelation de Provinces Sereer indépendantes.
Sanor Niay, ancien alcaty du Tee6 à Naning, fut nommé à la tête de cette entité
administrative. On le disait intelligent et énergique ~onnaissa~~ bien le pays, ses
moeurs et sa langue. C'était la récomp'3nse à la collaboration qu'il avait apportée à la
colonne Schneider à laquelle il avait rendu de précieux services. 73
En deux ans Sanor obtint des résultats encourageants par le climat de terreur
qu'il répandit chez ses administrés. Comme le teerï, il fut sans pitié pour ceux qui
contestaient son autorité. Ce personnage n'a pas laissé une bonne presse dans ce
pays où les populations n'ont conservé de lui que l'image d'un homme se plaisant à
exercer, en toute occasion, des mesures persécutrices particulièrement atroces."
Cette crainte de l'autorité qu'il réussit à obtenir de ses administrés grâce à des
méthodes discutables, lui valut les félicitations du gouverneur qui décida en février
1891 de lui confier aussi l'adminitration du Jobaas annexé aux provinces Sereer. Il
devait y ouvrir des routes à travers ces brêts jusqu'alors inviolées afin de faire perdre
aux populations cette confiance dans leur sanctuaire qui faisait leur audace. Seule la
crainte de représaille était à même de les amener à respecter le pouvoir colonial. 75
Le 9 Avril 1891 Sanor Njay fit son entrée à Baback premier village Jobaas avec
400 cavaliers et fantassins. Il fit prévenir le Laman qu'il venait prendre possession cie
la province dont le gouverneur venait de lui confier le commandement. Surpris par la
soudaineté de l'opération, les différents Laman firent semblant de se soumettre el lui
apportèrent de l'eau et lui promirent fidélité. 76
Sanor entreprit la construction d'un sane ou camp fortifié pour servir d'abri à ses
troupes. C'est le moment que choisirent les jobaas pour déclencher leur attaque. En
un clin d'oeil il perdit 64 hommes tués, 45 blessés, 31 chevaux tués et 51 blessés."
L'entreprise de Sanor était trop risquée. Il n'avait pas de connaissances précises sur
la géographie du pays qui était d'un accès difficile et se prêtait mal à la guerre de type
classique. Les collines qui formaient le paysage n'étaient certes pas élevées, mais elles
laissaient souvent entre elles des lignes de thalweg formant des ravins broussailleux
peu propres aux manoeuvres de la cavalerie. 7B
En revanche ce pays était trés fal/orable à la guerre de guérilla. Au milieu des
grandes plaines cultivées se trouvaient quelques hameaux avec un nombre de cases
trés restreint. Ces habitations sont séparées les unes des autres par une ceinture
boisée large souvent de plusieurs kilomètres «dans laquelle les arbres épineux
s'enchevêtrant les uns dans les autres aussi bien que les lianes flexibles enlacées en
massifs épais79,. opposait à la marche un obstacle insurmontable. C'était au milieu de
ce bois que la population trouvait refu';jG en cas d:alerte. BO C'étaient ces fourrées qui
,. .
--
permirent à la population alertée de conduire silencieusement sa manoeuvre qui fit
payer cher à Sanor sa grande témérité.
Malgré les lourdes pertes subies par sa troupe, SaiÏor parvint à se maintenir
dans cette position en attendant l'arrivée des renforts. Pendant deux jours il résista aux
assauts des jobaas renforcées de ceux du Sandog, du Mbadaan et des environs de
Kees qui trouvaient l'occasion idéale de se venger des atrocités dont il les avait
accablés depuis la création des Provinces Sereer. Il était cerné, sans espoirde pouvoir
échapper à ses ennemis qui, méthodiquement, faisaient des travaux d'approche pour
pouvoir tirer à bout portant sur ses guerriers. BI
A l'annonce de ces faits le gouverneur dépêcha une colonne de secours sous
le commandement du chef de bataillon Herbin. Deux compagni~e tirailleurs parties
de Saint-Louis, un peleton d'inlanterie de marine et une section d'artillerie de monta-
gne partis de Dakar et 25 Spahis arrivèrent à Baback le 16 AvrilB'. A son approche les
Jobaas se retirèrent vers Sangeen à l'Ouest de Baback. Les auxilliaires marchant en
avant, avaient débrousaillé la route. Conscients que toute résistance était vaine les
chefs du Jobaas firent leur soumission et restèrent annexés aux provinces Sereer de
SaiÏor B '
Pour enlever à leur pays son caractère de sanctuaire on y ouvrit de grandes
voies de communication pour le mettre à la merci des colonnes expéditionnaires.
Outre la route de Kees-Baback on en construisit d'autresB' qui aboutirent respective-
ment à Toubab Jalaw, à Naning et à Fissel Mbadan. Le percement de ces routes
marquait le début de la prise de possession des pays Sereer par la France.
Sachant la portée qu'il convenait de donner à la prétendue soumission des
Sereer, le chef de bataillon décida de ùésarmer la population pour leur ôter tout moyen
de compromettre à nouveau la sécurité du pays. Cette mesure était dangereuse car
les fauves étaient nombreux dans le secteur. Il n'était pas sûr de les attaquer avec des
arcs et des flêches. c'est pour cela qu'on décida de laisser leurs armes aux chefs de
villages aussi qu'à deux ou trois hommes par village. Dans l'immédiat on confisqua 360
fusils B5
Le gouverneur infligea une amende collective de 500 boeufs aux villages du
Jobaas sur laquelle il préleva une part~ pour accorder une large compensation aux
familles des guerriers de Sanor tués ou bléssés en exécutant les ordres de Saint-
Louis BG
Malgré toutes les impertections inhérentes à ce nouveau système administratif
appliqué aux Provinces Sereer, force est de constater qu'il était plus supportable que
celui mis en vigueur dans les territoires annexés où l'on s'évertuait à appliquer aux
populations certaines dispositions de la loi française. Ici le gouverneur inaugurait une
politique de «races» avec des chefs au courant des moeurs et des coutumes de leurs
administrés.
1- A.N.S. R 29 : Laprade au Gouverneur de Gorée, le 28 Février 1862.
2- A.N.S 1 D 21 : Martin Commandant Mbijem au comandant de Gorée.
3- A.N.S. 1 D 21 : Pinet-Laprade au Gouverneur, le 13 Mai 1862.
4- 1 D 21 : Martin au Commandant de Gorée, 14 Mai 1862.
5- 1 D 21 : Dorval Alvarez Commandant poste de Mbijem au Commandant de Go-
rée, 22 Mai 1862.
6- 1 D 21 : Pinet-Laprade au Gouvernwr Thies-Mbidjem, le 13 JUIN 1862.
7-ldem.
8- 1 D 21 : Pinet-Laprade au Gouverneur rapport sur la colonne de Thies, 13 Juin
1862.
9- 1 D 21 : Idem.
10- Idem.
11- 1 G 33 pièce 6 : NOTICE SUR LES SEREER, par Pinet Laprade (page 6).
12- A.R.S. 13 G 301 : Folio 20 Pinet-Laprade au Gouverneur, 18 Juillet 1863.
13- 13 G 301 folio 20 : Pinet-Laprade au Gouverneur, 18 Juillet 1863.
14- 13 G 301 If 27-28: Pinet-LapradE: 2U Gouverneur, 2 Septembre 1863.
15- A.N.S. 13 G 301 If 27-28: Pinet-Laprade au Gouverneur, 2 Septembre 1863.
16- A.N.S. 1 D 25: Cauvin au Commandant Supérieur de Gorée, 26 Août 1863.
17- A.N.S. : Idem.
18- A.N.S. 1 D 25 : Cauvin au Commandant Supérieur de Gorée, 26 Août 1863.
19- 13 G 301 FF 27-28: Laprade au Gouverneur, 2 Septembre 1863.
20- 13 G 280 pièce 1 Pinet-Laprade: F:apport annexé au projet d'occupation de
Cees Gorée, le 6 Juillet 1862.
21-ldem.
22- 1 D 25 : Pinet-Laprade au Gouverneur Faidherbe, Fort de Thies, le 9 Mai 1864.
23- 1 D 25, Idem.
24- 1 D 25 : Pinet-Laprade au Gouverr.eur, 9 Mai 1864.
25-ldem.
26- 1 D 25 : Pinet-Laprade au Gouverr,eur, 9 Mai 1864.
27- 1 G 33: Pinet Laprade: NOTICE SUR LES SERE ER, (page 32).
28- 1 D 25 : Commandant de Goréeà'Gouverneur, 11 Décembre 1864.
29-ldem.
30- 1 D 25 : Commandant de Gorée DU Gouverneur, 11 Décembre 1864.
31- 1 D 27 : Lettre Commandant de Ce':cle Jander au chef de Cees, 4 Mai 1865.
32- 1 D 27 : Idem.
33-ldem.
34- AN.S. 1 D 25 : Commandant de ('orée au Gouverneur, le 6 Février 1868.
35- AN.S. 4 B 35 : (page 26). Commandant de Gorée au chef poste de Puut, Mars
1864.
36-ldem.
37- AN.S. 13 G 278 : Mission du CapitGine Poulain, 1864
38- A.N.S. MONITEUR DU SENEGAL ET DEPENDANCE: CULTURE DE COTON
1864 (page 162).
39- A.N.S. 13 G 301 pièce 115 : Commandant de Gorée à celui du poste de Puut
1864.
40- Cité par Alioune Ndiaye, in memoira, La province du Jander 1861-1885 (page
77).
.
41- A.N.S. 1 D 25: Commandant de Gorée au Gouverneur, le 6 Février 1868.
42- A.N.S. 1 D 25 : Commandant de Gl5fée au Gouverneur, le 8 Février 1868.
43- 1 D 25 : Commandant Supérieur d{J Gorée au Gouverneur, le 6 Juin 1868.
44- A.N.S. 1 D 25 : Commandant Supérieur Gorée au Gouverneur 6 Juin 1868.
45- A.N.S. 1 D 25 : Idem.
46- AN.S. 2 D 13 1 : Rejant Command,lIlt de Cees à Commandant Supérieur de
Gorée, 27 Juin 1869.
47- A.N.S. 13 G 264 pièce 27 : Rajant chef de poste de Cees au commandant, Go-
rée 15 juin 1869.
48- idem.
49- A.N.S. 4 B 48 Folio 113 : Canard au Gouverneur de Gorée, le 4 Mai 1872.
50- 4 B 48 folio 113 : Canard au Gouverneur Gorée, le 4 Mai 1872.
51- Idem.
52-Idem.
53- A.N.S. 4 B 48 Folio 113 : Canard au Gouverneur, Gorée le 4 Mai 1872.
54-Idem.
55· 4 B 48 Folio 200 : Canard au Gouve,rneur, 2 Mai 1873.
56- 4 B 48 Folio 443: Canard au Gouverneur, 1"' Avril 1875.
57- 4 B 53 Folio 127 : Instruction pour ~lilloir Lieutenant Commandant le cercle de
l'hies, Dakar, le 25 Novembre 1877.
58- A.N.S. 4 B 64 Folio 10: Canard au Gouverneur 1"' Janvier 1878.
59- A.N.S. 13 G 24 pièce 24 : Gouverneur au Ministre Rapport sur la situation de la
colonie, 22 Février 1878.
60- 1 G 337: Monographie Cercle de l'hies, 1910.
61- 13 G 24 pièce 31 : Gouverneur au Ministre, 7 Août 1878.
62- 4 B 64 Folio 296 : Jacquemart Commandant 2om" arrondissement au Gouver-
neur' 15 Juin 1880.
63- MONITEUR DU SENEGAL, 1"' mars 1881, (page 43).
64- A.N.S. 0-33 : (page 72), Gouverneur à Inspecteur de la Marine, 6 Juin 1884.
65- A.N.S. 0-33: (page 84) : Directeur Technique chemin de fer, au Gouverneur, 17
Juillet 1884.
66- Sabatier: Op. cil. (page 195).
67- AN.S. 1 D 53 : Colonne contre les Sereer AubriLecomte au Gouverneur, 1"
Avril 1889.
68- Idem, ibidem. .
69- 1 D 53: AUbry-Lecomte Rapport sur la colonie du Ndieghem le 1·' Avril 1889.
70- Idem, ibidem. -
71- Idem.
72- 1 D 53 Aubry-Lecomte Rapport colonie Sereer, 1·' Avril 1889.
73- ANS. 2 B 77 Folio 46-48: Clement Thomas au Secretaire d'Etat, 6 Mai 1889.
74- Tradition orale recueillie à Fissellv1bedaan auprés de Latyr Caw.
75- 2 B 77 FF 46-48: Clément Thoma~; au Ministre, 6 Mai 1889.
76- A.N.F.O.M. Sénégal IV 102 C Rapport chef de bataillon Herbin sur la colonne
du Diobas 13-27 Avril 1891.
77- Idem, ibidem.
78- idem, ibidem.
79- AN.F.O.M. Sénégal IV 102 C Rapport Herbin Thiès, le 27 Avril 1891.
80- Idem, ibidem.
.
81- Sabatier: Op. cil., (page 197).
82- Journal officielle du Sénégal, 16 Avril 1891.
83- AN.S. 1 G 296 pièce 4: Notice sur le,BaoI1903-1904.
84- Journal Officiel du Sénégal extrait du rapport de l'administrateur Patterson.
85- Journal officiel du Sénégal, 23.A.vril1891.
86- Conseil Général discourt du Gouverneur, 12 Décembre 1891.
.. :
CHAPITRE IX:
LA FIN DE LA ROYAU-fE AU BAWOL (1874-1894)
La mort de samba Lawbe et celle de Lat-Joor consacraient la mainmise
française sur le Kayoor qui servait jusqu'alors de bouclier protecteur au Bawol, au Siin
et au Salum. Toutefois, la nomination d'anciens esclaves de la couronne à la tête des
provinces nouvellement créées, provoqua, dans ces royaumes encore indépendants,
un profond désarroi surtout chez les membres de l'aristocratie qui n'entendaient guère
devenir les victimes d'une pareille interversion sociale. Les uns et les autres réagirent
selon leur tempérament en essayant d'assurer à tout prix la survie des institutions
traditionnelles. Par la lutte ou le compromis ils réussirent tant bien que mal à prolonger
la vie de leurs royaumes. Mais ils finirent par connaître un sort semblable à celui du
Kayoor sauf que la vieille aristocratie dirigeante fut entourée d'une certaine considé-
ration dans les années qui suivirent l'imposition du protectorat français.
A la faveur du départ en exil de ~~t-Joor en décembre 1882 devant la colonne
Wendling,le gouverneur invita le capitaine Dupré de l'escadron des spahis àse rendre
de toute urgence au Bawol pour signer 2vec son roi Ceyasin Joor Gallo Gana un traité
qui placerait son pays sous protectorat français. Il s'agissait en l'occurence
d'empêcher Lat..Joor d'en faire une ba~;e d'opération contre la Kayoor. Ce traité de
protectorat fut signé le 8 Mars 1883 à I-Idengleer entre le représentant du gouverneur
d'une part, Teeri Ceyasin, Calaw Ndup l'tléritier présomptif et le Jaraaf Bawol Massam-
1
.
ba Ndrfnbe Ndir Jey. Les autorités du l3awol s'engagèrent par cet acte à accorder
toutes les facilités au gouvernement français pour la construction d'un chemin de fer.
Des postes fortifiés pourraient également être érigés dans le but de protéger les
intérêts français, mais n'auraient aucune incidence dans les affaires du pays. Le
commerce était déclaré libre et le traité r'~connaissait à la France le droit de construire
dans le Bawol des routes et des lignes télégraphiques.
Le Bawol prit l'engagement d'inlerdire son territoire à Lat-Joor et à tous les
ennemis de la France. En revanche le gouvernement français promit son aide et sa
protection au Teeri dont les droits au trône ainsi que ceux de ses successeurs étaient
garantis par la France qui s'opposerait, au besoin par la force, à toute tentative du
Kayoor de conquérir le BaViol. 1
~ J~
Ce traité constituait une aubaine pour le teen qui avaient besoin(~ ces
garanties pour consolider son pouvoir plus que chancelant. Ce souverain était de
matrilignage Sono écarté du pouvoir depuis la mort de Amadi Dior Borso en 1818", La
lignée utérine Joonay sa rivale, avait réussi à monopiliser le pouvoir de façon quasi
permanante de 1860 à 1871, Cela se traduisit par l'acquisition d'une nombreuse
domesticité servile intimement associée aux privilèges du règne, Dès lors il n'était pas
surprenant qu'à la mort de Ceyasin Ngoné Degeen en Janvier 1871, les esclaves
Joonayparvinssent à faire élire Malikumba Ngonee degeen, frère du défunt dont le
règne ne dura que sept mois. L'absence d'un candidat Joonay rempliss~s
conditions prévues par la constitution coutumière rendit possible l'élection de Sapout
qui prit le nom de Ceyasin Joor Gallo Gana.
Les Joonay n'avaient pas pour autant renoncé à conquérir le pouvoir en raison
de l'importance numérique de leurs esclaves. Ils trouvèrent en Tanor Jeng le candidat
apte à les aider à reconqurir le trône. Toutefois Tanor n'étant pas de patronyme Faal
était inéligible au regard de la constitution.' Mais l'exemple des esclaves Geej qui
avaient bravé tous les interdits pour imposer Lat-Joor au Kayoor les incita à s'engager
dans la voie de l'illégalité. Ils se livrèrent dans le pays à toutes sortes d'excès instaurant
partout un climat d'insécurité surtout aux dépens des classes laborieuses de la
population.
En 1886 les incontestables excès des partisans de Tanor, les princes Calaw
Ndup et Jaffe qui laissèrent libre cours à leurs fantaisies sanglantes, amenèrent le chef
du Ndogol, canton peuplé de musulmans à la frontière du Kayoor et du Sawol, à
demander l'annexion de son territoire au Kayoor alors
protectorat français. Les
clauses du traité de 1883, qui garantissant l'intégrité du Sawol, empêchèrent de lui
donner satisfaction. On lui conseilla la modération" malgré l'avantage que l'on se plut
à accorder à une alliance avec le Serigne Ndogal dont le terroir tenait la porle du llip5
•
t ,
•
. .
$ ._-.,- 4 4 fi
Aprés la mort de Lat-Joor, l'aristocratie du Bawol dénonça avec vigueur le traité
de 1883. Elle le perçut comme une atteinte à la souveraineté du Bawol qui risqait de
subir à brève échéance le sort humiliant du Kayoor désormais administré par des
esclaves de la couronne. La peur de voir leur pays subir un sort identique conduisit les
adversaires du Teeriàs'unir avec les mécontents du Kayoor pour mener d'un commun
accord la lutte pour la sauvegarde de l'indépendance et l'intégrité du Bawo!.
Samba Yaya ancien damel du Kayoor et fils de l'ancien Teeri Ceyasin Ngone
Degeen prit la tête du mouvement. Avec ses alliés il fit une incursion au Kayoor où il se
saisit des enfants de Lat-Joor pour les soustraire à l'autorité de Saint-Louis et des
esclaves." Il se concerta aussi avec son cousin Albury Njaay du Jolof et avec Noxobaay
Juuf du Siin et avec Mamadu Lamin pour coordonner leurs mouvements contre
l'ennemi commun. 7
Ces tentatives de concertation des partis nationalistes dans les différents
royaumes encore indépendants et ce, sous le couvert de l'islam décidèrent l'autorité
coloniale à intervenir militairement contre le Rip en 1887, perçu comme l'un des centres
les plus actifs de ce qu'on appelait alors la «ligue tiiane"».
La colonne Coronnat écarta momentanément du Salum le danger que consti-
tuait la menace maraboutique du Rip incarnée alors par Saër Maty fils de Maba Jaxu.
A la fin de l'expédition du Rip, Minet aide de camp du gouverneur, à la tête d'une petite
escorte, décida de passer par le Bawal pour mettre en garde les princes du Bawol qui
nouaient des intrigues contre Ceyasin allié de la France. En se rendant à Ngabu il fut
abattu par Tanor qui crut faire face à une attaque par surprise. 9
La mort de Minet mit en évidence la faiblesse du souverain du Bawol qui fut
incapable de prendre des sanctions contre les meurtriers qui décidèrent même de le
renverser avant qu'il n'eût le temps de faire appel à Saint-Louis. Tanoravait conscience
qu'il lui fallait se battre désormais et contre Ceyasin et contre Saint-Louis. Aussi
groupa-t-il autour de lui les princes et les Kangam dont l'objectif avéré était de destituer
le souverain. Devenu musulman fervent aprés avoir perdu le titre de Jawriri Jengeen
que lui avait attribué au Kayoor damel Majojo en 1865, Tanor revint au Dawol où sa
.. .
-
$--
1,47
famille maternelle disposait d'une nombreuse clientèle aprés avoir combattu dans
~:
l'armée de Ahmadu Sexu jusqu'en 1[175, puis dans celle de son frère Bra jusqu'en
1880. Il fixa sa résidence au Bawol avec la ferme intention de détroner le Teen régnant.
Il obtint sans difficulté l'appui de Calaw Ndup l'héritier présomptif et allié de Alburi ainsi
que celui de son matri\\ignage Joonay encore trés puissant dans le pays.
Apparut alors un autre clan qui sembla lui disputer le pouvoir. C'était celui des
Gewul qui détenait de grands commandements terrioriaux dans le Bawol. Lors de la
conquête du Bawol par Lat-Joor le c,",ef de ce clan était parvenu à se faire nommer
Jaraaf Bawol en violation de son statut de garmi. Au XVIIe siècle un des siens, en
l'occurence Lat Ndella Paraar avait régné sur le Bawol et était considéré comme
l'initiateur de la politique de centralisation administrative poursuivie ensuite par son fils
Ca Ndella.
A La faveur de l'affaiblissement du pouvoir royal Massamba Ndumbe Ndir Jeey
se fit nommer en 1875. Jaraaf Bawol avec mission d'empêcher le retour de Lat-Joor
dans le Bawol. Il Confia les commandemants les plus importants aux Kangam de son
matrilignage. A Meissa Anta Ngoné Faal échut le Mbayaar naguère administré par son
père Lat-Jande Fatma Bînta. Mbaar Degeen Jaxu fut Lamassas et son frère NjogU
Oegeen Bur Mbadan. 0' autres commandements d'importance moindre furent confiés
à des clients de ce matrilignage qui était devenu prépondérant dans le Bawol.
En acceptant d'assumer la charge de Jaraaf Bawol, ce matrilignage dérogeait
en réalité à son statut de garmi, mais il put mettre à profit sa situation nouvelle pour
accroitre sa puissance et son influence dans l'Etat. Tanor qui nourrissait les mêmes
ambitions n'était pas non plus éligible. Tout se passait comme si l'un et l'autre camp
n'attendaient que le moment propice pour écarter son rival du trône.
En Août 1888, Meissa Anta, ie candidat Gewul rendit visite à Oembawar
président de la confédération des provinces du Kayoor pour lui faire part de son
intention de se soumettre à l'autorité de Saint-Louis et de devenir l'ami des Français.
Sa clairvoyance lui avait fait comprendre que la réalisation de son projet nécessitait
l'appui du gouverneur. Il sollicita de Dembawar son intercession au prés de ce dernier
•
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•
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4 4 Q
afin qu'il l'acceptât comme le souverùin du Bawol. Il dressa un violent réquisitoire
contre les abus des Kangam etl'impuis.sance du Teeri et les excès de son frère Calaw
NduR clontles pillages étaient unanimement condamnés par la population du Bawol.
Meissa Anta se sentait suffisament puissant pour expulser du Bawol le Teeri et ses
gens dès son avénement au trône. 10 Te~ri Ceyasin prit alors conscience du danger qui
le guettait. Par l'entremise de son frère Calaw Ndup il chercha non seulement l'alliance
de Albury"_mais encore l'aide de la Fra:lce dans sa tentative de restaurer son autorité
plus que chancelante. Il se résolut à entrer en campagne contre le meurtrier de Minet,
Tanor Jeng, dont l'expulsion du Bawol était exigée par le gouverneur. En décembre
Teeri établit son camp prés de Ngaraff et se mit àbattre le rappel de ses hommes. C'est
alors que se produisit un véritable coup de théâtre. Les deux clans de Tanor et de
Meissa Anta qui se disputaient le poul/oir se réconcilièrent sur le dos du Teeri dès qu'ils
surent que le gouvernement français était décidé à soutenir le souverain du Bawol.
Celte alliance fut scellée par le mariage de Jaraaf Bawol avec une cousine de Tanor.
Ces deux forces réunies, groupant tout ce qu'il y avait de princes, de marabouts mais
aussi «de canaille et de pillards dans le Baol»'2 étaient plus fortes que celles du Teeri.
Ceyasin, sûr de pouvoir compkr sur l'appui du gouverneuyrévoqua Meissa
Anta de son commandement du Mbatilar mais dut rapporter la mesure devant le refus
du Jaraaf Bawol d'entériner la mesur~'J La peur de voir les aHaires du Bawol lui
échapper totalement décida le gouverneur, en vertu du traité de 1883, à Y dépêcher
en décembre 18881e capitaine Loyer pour aider le Teeri à restaurer son autorité c'était
le début de la traite arachidière qui risquait d'être compromise par la révolte de ces
Kangam.
Le capitaine Loyer était secondé dans sa mission par Yamar Mbodj, chef du
Walo. Ensemble ils se rendirent au camp du Teeri, à Ndaga où il procèdèrent à la
réconciliation de Ceyasin et du Jarac.1 Bawol. A l'approche de l'armée du gouverneur,
Tanor s'enfuit dans le Jolof par le désert du Mbaafar. Ce départ éloignait pour un
moment du Bawolle spectre de la guerre civile et sauvait pareillement la campagne
commerciale de l'arachide". En retournant à Saint-Louis le capitaine Loyer ramenales
objets appartenant au lieutenant Minet et à son interprète Abdou Seck. '5
La conviction du gouverneur était faite que le Bawol devait passer sous l'autorité
. -:;~,
d'un homme énergique, intelligent, droiÎ'et capable d'assurer la sécurité des person-
nes etdes biens tout en donnant une réelle impulsion à la culture de l'arachide. Ceyasin
avait administré la preuve de son impéritie en laissant dans l'impunité les pillards qui
semaient partout la désolation. En attendant de trouver l'homme providentiel, le
gouverneur, décida, en violation des clauses du traité de 1883 d'amputer le Bawol de
ses provinces Sereer du Mbadaan, du ::;andog et du Jobaas qui formèrent adminis-
trativement les provinces Sereer confiées à Sanor Ndiaye. C'était en Mars 1889. Se
posait toujours le problème de l'homme qu'on devait mettre à la place de Teen
Ceyasin. Fidèle à l'idée que les Ceddo ne pouvaient être que des pillards dont les
atrocités décimaient les populations et ruinaient le pays, le gouverneur écarta la
canditure de Bay Bayaar Meissa Anta au profit de celle de Tanor Jeng meurtrier du
lieutenant Minet et qui passait cependant pour l'un des farouches ennemis de la
France.'û Toutefois Tanor était un musulman fervent et on pouvait compter sur lui pour
mâter les Ceddo. Il accomplirait cette besogne avec d'autant plus de vigueur que ces
individus étaient encore païens.
Mais comment amener le ministre des colonies à donner son accord à ce
projet? Depuis la mort de Minet en Mai 1887 Tanor avait toujours été présenté par le
gouverneur sous les traits d'un véritable scélérat. On lui imputait de noirs desseins et
surtout la responsabilité de l'instabilité politique dans laquelle baignait le Bawol. Mais
au contact avec la dure réalitéies principes fléchissent ,et le gouverneur n'eut pas de
peine à trouver des circonstances atténuantes pour Tanor dans le meurtre du Lieute-
nant Minet.
Faisant fi de l'inéligibilité de TiJnor au trône du Bawol, clément Thomas lui
reconnut des droits essentiels à la cour:Jnne et affirma que par son autorité person-
nelle, par son énergie et son intelligence il était le seul candidat capable de faire la
révolution politique et économique qu'on désirait pour le Bawol. «Malheureusement,
bUr.
f~~-i1, Tanor «passait pour avoir traitreusement assassiné le lieutenant Minet. Je fis
faire une enquête, ajouta-t-il, suivie et minutieuse pour arriver àdéterminer exactement
les conditions de la mort du Lieutenant, car il m'était revenu, de différents côtés, que
l'assassinat, tel que je l'avais trouvé raconté dans les archives, n'était qu'une légende
, :f'f.
néede ce qu'au début on n'avait pas d'informationssuHisantes. De cette enquête issue
}
de la déposition d'un grand nombre d'indigènes de diverses nationalités et de divers
partis il en est résulté que le lieutenant Minet avait été victime d'un malentendu dont il
était lui même la cause:~S
En arrivant à Ta'lba Ndaw, Minet apprit de la bouche du Marabout Mutufa que
Tanor était au village de Ngabu. "demanda à son hôte de le conduire auprés de Tanor
en vue d'avoir une causerie avec lui. Craignant le pire pour Tanor, le marabout se
montra méfiant mais finit par accepter la proposition de Minet. Le départ pour Ngabu
fut fixé à 16 Heures. Mais à 14 heures Minet partit avec l'escadron des spahis pour
Ngabu à l'insu du marabout Mutufa qui ,dépêcha alors un cavalier à fond de train
prévenir Tanor de l'arrivée imminente de cet escadron dont le chef lui paraissait
particulièrement dangereux. 13
Arrivés à Ngabu les spahis l'entourèrent dans l'idée de protéger les issues.
Cette précaution fort naturelle et le ton ardent "avec lequel Minet "et son interprète
voulurent se faire indiquer la case de Tanor, la promptitude avec laquelle ils étaient
entrés à la suite de leur guide dans les r'Jelies du village au lieu d'attendre à quelques
distances au dehors selon les usages du pays, confirmèrent les habitants de Ngabou
dans l'idée qu'on venait les attaquer et chercher à leur enlever leur hôte, et comme ils
se tenaient sur leurs gardes la fusillacl'3 éclata de toutes parts'"».
Pour le gouverneur il n'avait pas été possible d'identifier celui qui avait tué Minet
puisque les coups partaient de toutes parts. Tanor, ajouta le gouverneur, ne tira qu'au
bout d'un long moment " aprés que ie lieutenant Minet et son interprète eurent
déchargé leurs révolvers sur la case où il se trouvait et en disant: puisqu'on veut ma
mort je ne périrai pas au moins sans m'être défendu20». La tradition orale du Bawol
recueillie par Modou Oieye est formelle. C'est Tanor qui de deux charges abattit et
Minet et son interprète. 21
Mais une fois la "Vérité» de la mort de Minet restaurée, le gouverneur n'avait plus
de raison péremptoire de rejeter la possi~ilité d'élévation de Tanor au trône du Bawol.
' "
~
..
t -c-~. t.5 '1'
On lui demanda d'aller faire sa sOI~mission à Saint-Louis malgré les interdits qui
défendent aux garmi de voir la mer ou de franchir le fleuve. Tanor brava tous les tabous,
.j' 'j'.
envoya au gouverneur dans un premier temps son cheval de guerre et un de ses fils
comme, otage. 22
La mort de cet enfant, peu aprés son arrivée à Saint-Louis, ne modifia pas le
projet de Tanor de se rendre à Saint-Louis pour faire sa soumission. Toute fois il fut
suffisamment clairvoyant, pour faire accréditer l'idée, parmi ses gens, que l'objet de
sa mission était d'aller présenter ses Gondoléances au Gouverneur et à la famille de
Bou El Mogdad pour le meurtre des deu)( hommes qui avaient osé le braver à Ngabu.23
Aprés Saint-Louis, il resta tranquille dans le Bawol conformément à l'engage-
ment qu'il avait prit auprés du gouverneur qui eut alors la certitude que ce garmi était
le seul homme capable de sauver le Bawol tout en dispensant Saint-Louis d'une
intervention ruineuse pour le pays.
Le prétexte de l'intervention française pour le changement dynastique fut une
incursion en 1890 de quelques cavaliHs du Bawol dans les provinces Sereer naguère
dépendances de leur pays. Ils y auraient commis des pillages, des destructions. 2< Le
r
territoire du Kayoor fut pareillement victime des dépr~ations des Ceddo du Bawol.
Des villages furent brûlés, des bestiaw: enlevés. 25
Albert Jeandet, délégué du KaYQor, reçut l'ordre de mobiliser les contingents
du Kayoor et du Njambur pour repousser l'envahisseur et protéger la frontière En
quelques jours il rassembla 6000 guerriers. Au même moment)le colonnel Comman-
dant Supérieur des troupes était invitÉ. à former une petite colonne composée de
l'escadron des Spahis et de quelques tirailleurs qui, une fois à la frontière du Njegem
et du Bawol, adresserait un ultimatum au Teen. Cette colonne était commandée par
le capitaine de spahis Villiers. Son effectif était 71 Spahis et de 58 tirailleurs. Le 11 Mars
1890 Villiers somma Teen Ceyasin de réparer les vols commis dans les provinces
Sereer et le Kayoor dans un délai de 4 Jours. La mission de cette colonne étant de
donner confiance aux Grands Electeurs et aux chefs du parti pro-français pour leur
permettre de procéder en toute qt.:::)tude au remplacement du Teen par Tanor,
candidat du Gouverneur.
$ -". 4 52
Une lettre du gouverneur pleine de menaces aux Njambur, grands electeurs
disait qu'ils avaient intérêt, autant que fé-:gouverneur, à voir la fin des exactions dont
les populations étaient victimes de la -"
pa'rt des membres de l'entourage du Teen. Du
moment que Ceyasin était incapable ,j'assurer un état de sécurité et de tranquillité
durable, la seule solution était de le destituer etde procéder conformément aux usages
du pays à l'élection de son remplaçant.""
L'assemblée des Grands Electeurs se réunit à Gaat le 21 Mars 1890 pour
désigner le remplaçant de Ceyasin déposé et de surcroit fait prisonnier par Albert
Jandet qui le conduisit à Tiwawan:' Cette réunion se passa sous la présidence du
capitaine Villiers en violation de toutes les régies coutumières. De la façon dont il
conduisit les débats, il entendait imposer Tanor aux suffrages des Grands Electeurs.
«l'homme qui est à côté de moi, leur dit·il, possède les qualités d'un bon souverain.
Vous n'avez qu'à dire un mot et il sera roi2"». Ces propos furent accueillis par un froid
silence. Mais l'assemblée finit par se rallier à la proposition du capitaine Villiers, aprés
qu'il eut écarté toutes les objections de l'inéligibilité de Tanor etsur la procédure même
de l'élection. Bref on se soumit à la forc!'l. Comme le déclara le Jaraaf Bawol qui aurait
dû présider cette assemblée: «le faible doit se résigner à obéir au fort29».
Aprés cette mascarade électOiale, Calaw Ndup l'ancien héritier présomptif,
frère de Ceyasin et Jafee son neveu furent mis hors la loi. On les considérait comme
des boutefeux perpétuels, et que la tranquillité du pays ne se rétablirait qu'ils ne
fussent abattus. Une atroce chasse à l'h·Jmme commença alors'-'affefut rejoint et tué
à Ganjay le 2 Avril 1890Jo. Calaw put atteindre le Nani grâce à la complicité de Mbqcké
Il roi du Siin et de Gedei Mbodj celui du Salum qui refusèrent de livrer le fugitif, garmi
comme eux. Cet acte aurait été considéré comme une trahison qui les aurait salis eux
et leurs descendants pour toujours. J1
Calaw Ndup parvint à gagner le Nani avec un certains nombre de ses partisans.
Ce ne fut qu'au bout de plusieurs jours .j'une chasse à courre qu'il fut tué le 26 Avril
aprés avoir livré cinq combats à ses pOllrsuivants. J2 La mort de ces deux princes fut
un soulagement pour Tanor dont le règne était ainsi débarassé de l'une des hypothè-
ques les plus sérieuses susceptibles cie paralyser son action. Le choix de Tanor
comme Teeri du Bawol fut même désapprouvé par AlbertJeandet du Kayoor qui refusa
', ..... ,
de prendre part à son élection, convaincü<:lue Tanor était le meurtrier de Minet et qu'il
était détesté dans le Bawol.3.1 Le Colone! Dodds Commandant Supérieur des troupes
fut du même avis et regretta publiquement cette désignation. 34
Dans le Bawol )beaucoup de Jambur hostiles à la nomination de Tanor
manifestèrent leur mécontentement en s'exillant au Walo où leur nombre était estimé
à 2000. D'autres alertés par l'inquiétude du lendemain prirent le chemin du Siin et du
Salum.
La nomination de Tanor permit à Clément Thomas d'écarter momentanément
l'annexion du Bawol à la colonie en le faisant entrer dans le mouvement agricole et
commercial que réclamaient les maisons de commerce. Dans le traité qu'on passa
avec lui; il était spécifié qu'un tribut pourrait être levé par le gouvernement français.
Pour un temps plus ou moins long ce tribut ne serait pas une source de revenus pour
la colonie. Son but était de donner au Teeri un revenu honorable "tout en supprimant
certaines perceptions incommodes pour l'indigène3S». Tanor était invité à prendre des
mesures pour qu'aucun habitant de ce territoire protégé par la France ne pût être réduit
en servitude. JO
Le Teeii avait conscience que sa désignation n'était qu'une usurpation aux
yeux de l'immense majorité de ses sujets. Pour dompter celle opposition multiforme,
il recourut àla terreur. A défaut de l'assentiment de ses sujets il entendait faire subsister
son régime par la répression. Les partisans de Calaw Ndup furent ses premières
victimes. Sous prétexte que tel fidèle de son ancien ennemi avait mal parlé de lui, il lui
infligeait une amende trés forte dont le paiement entrainait inéxorablementla ruine du
prétendu coupable. Il accusa, d'autres, de crimes de sorcellerie pour se saisir de la
totalité de leurs biens. Ce fut le sort qu'il infligea à Amadu Mbaye de Peul Lamasass
dont tous les biens furent raflés par ses sicaires qui lui mirent des amarres aux mains
et aux pieds pour faciliter leur pillage. 0,1 lui prit son troupeau de boeufs, 500 francs
en argent, l'or et l'argent de ses femme:, mais aussi ses 15 esclaves."
$
454
Pour piller les biens de Calaw Ndup sous la garde d'une de ses esclaves Coro
kt'
.
Latyr Gey, Tanor demanda la main de c~fte dernière mais essuya un refus. Furieux de
ne pouvoir l'avoir pour femme, Tanororcibnna le pillage de tous ses biens. 23 esclaves,
10 hommes et filles libres, 3 Juments, un cheval, 40 chèvres, un troupeau de boeufs
lui furent pris. Ces biens appartenaient ÈJ Calaw Ndup que Tanor poursuivait encore de
sa haine vengeresse. Jll
La tradition orale à conservé tous ces excès dans les mesures répressives de
Tanor contre ceux qui contestaient la légitimité de son pouvoir. Les abus prirent des
proportions inquiétantes au point de déterminer certaines populations à vouloir
chercher dans l'exil la solution à leurs problèmes. Des juin 18911e gouverneur Lamothe
successeur de Clément thomas recc,nnut que Tanor avait dépassé «les limites dans
les actes de rigueur'9".
L'éventualité d'un exode massif de la population pour échapper aux caprices
incohérents de Tanor créa une crain!e salutaire à la chambre de commerce de
Rufisque dont les intérêts risquaient de pâtir de cet exode. C'était du Bawol que lui
venaient les 2/3 des produits qu'elle traitait. La crise politique du Bawol prenait à ses
yeux les dimensions «d'un véritable péril commercial et colonial'o". En effet décidés à
émigrer pour échapper aux excès de ce bon «pillard que zélé rnumusulman"» qu'était
Teen Tanor, les Jambur s'abstinrentd'e,lsemencer leurs champs. Le Sous-Secrétaire
d'Etat des Colonies reprit à son compte :es doléances du commerce et dénonca avec
vigueur auprès du gouverneur le «zèlE: n:!Iigieux intolérant" dont faisait montre le Teen.
Malgré ces protestations, le gouverneur ne jugea pas utile de révoquer Tanor
qui ne se souciait nullement des problènes qui se posaient à ses sujets. Avec l'accord
tacite du gouverneur, il était décidé àdétruire les Ceddo, «ce peuple d'ivrognes» pour
la grande gloire de l'Islam. Dès la fin cie l'hivernage 1891 il s'attaqua au clan Ngewul
dont la suprématie politique lui portait ombrage. Les dignitaires de ce clan qui
exerçaient quelques unes des charges les plus élevées du Bawol n'avaient pas été
nommés par lui. Leur clientèle était nombreuse. La plupart des légitimistes avaient fait
bloc autour de Meissa Anta qui passail alors comme le chef du parti national contre
$--' 4.ri S~=
l'usurpateur. C'estlui qui encourageaitpnrtout la dissidence ou l'agitation politique. Ce
'~'i'Ü
parti acceptait difficilement que le Teelï dépouillât les membres de l'aristocratie de leurs
anciens privilèges. 42
Tanor profita d'un petit écart de conduite de Samour Anta Ngone, frère de Bay
Bayaar Meissa Anta pout lui infliger unA amende dont le paiement eût entrai né la ruine
irrémédiable de cette famille. La tradition orale parle de 45 juments, 45 chevaux, un
troupeau de boeufs, une grande quantil'~ d'esclaves et des objets de grande valeur
comme l'or et l' argent. 4J Meissa Anta répondit à ce verdict que tanor n'était pas qualifié
pour infliger à un homme d'un statut ég:tl au sien une sanction qui ne devait frapper
que des esclaves ou des roturiers. 11 refu:;a de se soumettre à cette sentence du Teen.
Ce dernier donna l'ordre d'arrêter le coupable. Meissa Anta fit signe à ses troupes de
se préparer au combat. 500 guerriers l'avaient acompagné à Lambaay où il répondait
à la convocation du Teen." Tanor se ravisa et s'addressa au gouverneur pour obtenir
L1ne sanction contre Meissa Anta.
Bay Bayaar Meissa Anta fut convoqué par le gouverneur à Saint-Louis pour
répondre de ses« dispositions factieu~;e':; à l'égard du Tègne Tanor45». Sur rapport du
Directeur des Affaires Politiques, le cons'3i1 privé émit l'avis que la présence de Meissa
Anta dans le Bawol n'était plus possible. Le gouverneur décida de le bannir du Bawol
et des provinces limitrophes. 11 fut exilé au Walo Occidental et placé sous la surveillance
et la responsabilité du chef Yamar Mb'.ljj4G Cet exil de Meissa Anta n'anéantissait pas
les espérances de ceux qui demeuraient profondément hostiles à Teerï Tanor et qui
n'attendaient qu'une occasion favorabl~: pour allumer à nouveau le flambeau de la
révolte. Pour calmer le jeu et ôter auxennDmis duTeen toute idée de tenter un nouveau
soulèvement armé, le gouverneur ordonna le désarmement des Ceddo. Cette tâche
fut confiée à Teen Tanor lui même et à l'arJministrateur Patterson qui en quelques jours
confisquèrent plus d'un millier de fusils. On espérait que cette mesure encouragerait
les populations paisibles à cultiver et à rf!colter en paix pour la plus grande prospérité
du Bawol et permettrait à Tanor de dompter définitivement l'indiscipline des Ceddo. 11
en profita pour infliger des mesures particulièrement sévères contre les partisans de
Meissa Anta". Masoxna Penda Caro, !\\Dladi Gey, Daby Seye suivants de l'ancien Bay
, .
, "
.
Bayaarvirentles envoyés du Teeri venir rafler tous leurs biens y compris leurs esclaves.
Bigee Mbodj femm~'de Meissa Anta ne îtJi1jû'ère épargnée. On lui prit tous ses esclaves
et ses parures.'8 Parfois le pillage des biens des victimes s'accompagnait d'actes
d'une rare cruauté. en Août1S91 Lat-Ndama fut mis aux amarres à Lambaay et laissé
pendant plusieurs jours exposé à la pluie et au soleil. Il n'avait pour toute nourriture que
du gros mil qu'on jetait devant lui et pour boisson que l'eau des pluies déposée dans
des excavations formées par les averses. "Les liens qui lui servaient d'attache, pourris
par le contact de l'air, de la chaleur et de l'eau provoquèrent une décomposition qui
amena la chute du poignet'9».
Tanor multipliait les rezzou au nom du gouvernement français ainsi que les
exécutions de ceux qu'il considérait comme des ennemis. Ainsi les Jaraaf Mbissane,
Oede Ygane, Maxo furent jetés dans un puits par ordre de Tanor. Il poussa le cynisme,
dans la collecte de l'impôt qu'il percevait à deux reprises jusqu'à imposer le foetus des
femmes enceintes. Bref c'était le règne de l'arbitraire à l'état pur. 5O Par cette terreur
Teeri Tanor espérait réduire à l'impuissance l'opposition de la caste Ceddo qui s'était
dressée contre sa nomination et que son intolérance religieuse incitait à détester de
toute la force de son âme au point de considérer ses membres comme des chiens qu'il
fallait dresser à coup de bâton.'"
L'énergie qu'on lui reconnaissait et qui était nécessaire pour diriger un pays
aussi complexe que le Bawol, avait surtout été employée à commettre des exactions
contre ses sujets. Tout en satisfaisant ses vengeances personnelles, tout en se créant
une situation pécuniaire fort confortable le garantissant de tout souci du lendemain, il
osa même imputer à ses ennemis de:; fautes commises par leurs ancêtres pour les
dépouiller de tous leurs biens. 52 Aussi chaque fois qu'un Seree l', parvenait, par son
travail et ses économies à se rendre propriétaire d'un cheval, Tanor le lui confisquait
sous le fallacieux prétexte que les gens de sa race ne faisaient pas partie de ceux qui
devaient en avoir. 53
Ces abus d'autorité forts nombreux permirent à Teeri de rétablir l'ordre, du
moins l'ordre matériel. Une main de fer dompta l'indiscipline des Ceddo du Bawol. Si
les pillages furent proscrits, le Teeri n'hésita pas à en faire un luxe exclusivement
..•.
,~',D
457
réservé à ses agents: Le mal ne disparut pas mais son intensité diminua dans de
..'
sensibles proportions.
Aprés les Ceddo, Tanor s'attàqua aux marabouts dont les adeptes se multi-
pliaient àmesure que se lézardait le viel ordre social sous son action énérgique. L'islam
devint le refuge de ces gens longtemps habitués àtoutes les licences, àtous les excès
d'un régime païen. Il était à craindre qu'ils ne fissent de leur nouvelle foi une force
politique capable de s'opposer avec eHicacité aux projets du Teeri. C'était le début de
l'expansion mouride. Les adeptes de cette confrérie refusaient de faire acte d'allé-
geance à Tanor qu'ils assimilaient à un Ceddo affublé du manteau de marabout. Tanor
ne voulait pas d'une autorité qui éclipsât la sienne dans son pays. Par la terreur il se
décida à amener tous les musulmans du Bawol à le reconnaître comme leur chef
spirituel et temporel. Beaucoup de dignitaires mourides comme Cheikh Babacar
Diargaan, Serigne Mor Mané, Aliou Juuf Lambaay furent sommés de rompre avec
Cheikh Bamba fondateur du mouridisme.54 Sur leur refus ils furent torturés. Mais il fut
emporté au cours de l'accomplissement de cette oeuvre qu'il croyait salutaire pour
son royaume. En effet 15 Juin 1894 la mort vint lui fermer les yeux.
Cette disparition survint au moment où sous la violence des récriminations le
gouverneur envisageait de le contraindre à abdiquer. Aussi la population parla t-elle
d'un empoisonnement du Teeri par le commandant de cercle de Kees à qui il avait
remis trois jours plus tôt le produit de la collecte de l'impôt du Bawol. 55
L'ABOLITION DE LA MONARCHIE
A la suite de ce decès, le gouverneur réunit à Kees le 3 Juillet 1894 une
assemblée plénière des notables du Bawol pour leur faire part de la nouvelle organi-
sation administrative qu'il envisageait d'imposer au Bawol et dont le point le plus
saillant étaitl'abolition de la monarchie. Aprés avoir souligné les mérites de Teeri Tanor
qui ,en quatre ans javait réussi à obtenir l'obéissance de la caste Ceddo malgré les
incontestables excès dans les mesures représsives, le gouverneur souligna la néces-
sité de poursuivre cette tâche en l'améliorant dans ses méthodes. 56 Certes les chefs
chargés de l'administration seraient choisis conformément aux traditions auxquelles
étaient encore attachées les populations. On voulait éviter aux gens du Bawol
...
l'humiliation de leur imposer des captifs de la couronne comme chefs.
Toutefois les bénéficiaires des commandements territoriaux ne se recruteraient
que parmi les fils de chefs initiés aux méthodes d'administration par un séjour à l'école
des fils de chefs et de surcroît tout à fait acquis aux intérêts de la France. C'était parmi
les jeunes gens formés dans cet établissement que seraient pris désormais les
candidats destinés à remplir les vacances intervenues dans le personnel~~efs
indigènes Y Le gouverneur, semlait ignorer que la plupart des élèves envoyés à l'école
des fils de chefs étaient d'ascendance servile et que le problème de la légitimité de leur
autorité se poserait chez leurs administrés.
Pour rendre l'administration plus performante, il fallait la sortir de la routine qui
la régissait. Elle était basée sur la mémoire du chef et sur la connaissance personnelle
qu'il pouvait avoir de ses sujets, et de ces collaborateurs immédiats. Avec la population
du Bawol estimée à 150.000 personnes environ, le maintien de l'ancien système n'était
plus viable. On fit disparaitre le titre de Teeo fort lourd pour celui qui le portait en raison
des obligations d'étiquette et de dépenses que lui imposait la tradition, et qui se
traduisaient en actes de pillage aux dépens des administrés qui subvenaient ainsi aux
frais exigés par l'entretien de la cour. Le gouverneur divisa donc le Bawol en deux
provinces. Le Bawol oriental renfermant la majorité de l'élément Wolof de la population
dont le chef-lieu fut fixé à Sambe. Le Bawol Occidental, avec pour chef lieu Tull abritait
la majorité de l'élément Sereer dont les territoires n'avaient pas été rattachés aux
provinces Sereer. Les titulaires de ces commandements portaient le nom de chefs
Supérieurs. Ils possédaient autant ,j'autorité que "ancien Teeri mais n'étaient plus
tenus à l'observation minutieuse des pratiques inhérentes au titre. 58
Le gouverneur investit du titre de chefs supérieurs des deux nouvelles provin-
ces, deux jeunes princes appartenant à des familles ayant régné sur le Bawol. Salrnoon
Faa!, fils de Teeii Ceyasin, déposé en Mars 1890 reçut le Bawol occidental, Mbaxaan
Jop fils de Lat-Joor Ngone Latyr le Bawol Oriental. Tous deux étaient encore élevés à
l'école des fils de chefs. Ils étaient même sur le point de se rendre à Tunis pour
$
459
compléter leur éducation. En attendant,leur retour la direction supérieure des affaires
du Bawol fut confiée à l'administrateur du cercle de Dakar-Kees."9
Dans chacune des provonces devait résider un adjoint des affaires indigènes
chargé d'administrer le pays selon les coutumes du pays avec l'assistance d'un
conseil de notables. Cette réforme devait rendre plus facile le contrôles des actes de
l'administration indigène par une répartition plus équitable des charges et une
meilleure distribution de la justice. 61
L'accord des populations était nécessaire au succès de cette réforme. Aussi le
gouverneur prit-il quelques mesure:; généreuses en faveur de certains Kangam.
Conformément à la coutume il déclara que les chevaux de la couronne distribués par
Teen Tanor aux cavaliers de sa suite devenaient la propriété de leurs détenteurs. Il
accorda à tous ceux qui s'étaient dérobés par l'exil aux violences de Teen Tanor
l'autorisation de regagner leurs pénates à condition de mettre un terme à tout
ressentiment. Les Jaraaf et autres dignitaires en fonction furent maintenus dans leurs
emplois. Il promit de consacrer les ressources disponibles à des achats de riz pour
secourir les populations les plus touchées par les ravages des sauterelles afin de les
aider à passer sans dommages le cap de la période de soudure.
Toutes ces réformes semblaient être bien accueillies par les 700 dignitaires qui
n'avaient aucun moyen de s'opposer à la volonté du gouverneur. La création de
conseils chargé de régler les questions conformément aux coutumes du pays leur
donna l'illusion qu'ils avaient sauvé l'essentiel de leurs institutions alors que leur pays
venait de franchir l'étape décisive sur le chemin de sa mise au pas par le gouverneur
de Saint-Louis.
i$ .,-
4 Il D
1- Moniteur du Sénégal et Dépendances, 20 Mars 1883.
2- V. Martin et Becker C. : LES TEEN DU BAWOL, ESSAI DE CHRONOLOGIE: B.
IFAN. 1.38 serie B. 1976-462.
3- A.R.S. 2 G 275 : Lettre de Tanor au Gouverneur pour lui demander de l'aider à
conquérir le pouvoir au Bawol, 2 Mars 1880.
4- A.R.S. 1 D 48 Laude Commandant de Ndande au Gouverneur, 26 Novembre
1886, pièce 180.
5-ldem.
6- A.R.S. 1 D 48 Laude chef de poste de Ndand au Gouverneur, 24 Novembre
1886, pièce 181.
7- A.R.S. 1 D 48 Lande à Gouverneur de Saint-Louis 1"' Décembre 1886, pièce 178.
8- Klein: Op. cil., (page 132).
9- Sénégal l, 77 A : Situation politique du Sénégal Gouverneur au Ministre 23 Juin
1889.
10- A.R.S. 2 D 7 - 1 : Administrateur délégué du Kayoor au Gouverneur, le 15 Août
1888.
11- AN.F.O.M. Sénégal 180 : Clement Thomas au Ministre, 6 Janvier 1889.
12- AR.S. 2 D 7-1 : administrateur délégué dans le Cayor au Gouverneur, 18 Dé-
cembre 1888
13- A. R.S. 2 D 7-1 Administrateur Cuyor au Gouverneur 23 Août 1888
14- A.R.S. 2 B-77 ft 25 Clement Thomas au Ministre 6 Janvier 1889
15-ldem
16- Sénégal IV 102 C Le Gouverneur au Sous Secretaire 16 Avril 1890
17- Sénégal IV 102 C Le Gouverneur au Sous Secretaire 16 Avril 1890
18- Idem.
19- A.R.S. 2 B 77 FF 128-136 : Le gouverneur au Sous secretaire d'Etat 16 Avril
1890.
20-ldem.
21- Modou Dieye : Version recueilli en Novembre 1976 à Khombole
22- A.R.S. 2877 FF 128-136: Gouverneur à Sous secretaire, 16 Avril 1890.
23- Cette version permit aux griots de broder sur la témérité de Tanor qui a osé
aller présenter ses condoléances au Gouverneur aprés lui avoir tué un de ses
meilleurs officiers.
24- 2 B 77 Le gouverneur au sous Secretaire d'Etat, 16 Avril 1890.
25- Gausseron : UN FRANCAIS AU SENEGAL, Albert Jeandet, (pages 134-135).
26- Sénégal IV 102 C : Gouverneur au Sous Secretaire d'Etat, 16 Avril 1890.
27- Gausseron : Op. cil., (page 134-135).
28- A.N.S. 2 D 7-1 Villiers: Procès verbal election de Tanor, 21 Mars 1890.
29- A.N.S. 2D 7-1 Villiers procès verbal de l'election de Tanor 21 Mars 1870.
30- ANS 2 D 7-1 : Commandant Colonie du Baol à Commandant des troupes
Joal, 2 Avril 1890.
31- AN.S. 2 D 7-1 Villiers au commandant des troupes Ngohe Ndoffane, le 5 Avril
1890.
32- 2 8 77, folio 138-139: Le gouverneur au Ministre, 7 Mai 1890.
33- Gausseran, op. cil., (page 136).
34- A.N.F.O.M. Sénégal VII, 7 bis: Gouverneur au Ministre, 9 Juillet 1894.
35- 2 B 77, folio 175 : Clément Thomas au Ministre, 10 Août 1890.
j
ft
•
••
36· Idem.
37- A.N.S. 2 D 7-1 : Amadu Mbaye au GÇJuverneur, 28 Novembre 1890.
38- AN.S. 2 D 14-1 Réclamation de Coro contre Tanor Tivaoune, 18 Novembre
1890.
39- 2 B 78 Folio 129-130 Lamothe au ministre, 20 Juin 1891.
40- AN.F.O.M. SénégallV-102 Chambre de commerce de Rufisque au Gouver-
neur, le 3 Juillet 1891.
41- Idem.
42- Conseil général du Sénégal, discours du Gouverneur à la séance du 9 Décem-
bre 1891.
43- Modou Dièye: tradition recueillie à Khombole en 1976
44- idem.
45- AN.F.O.M. Sénégal l, 91 A Lamothe au Ministre, 17 Novembre 1891.
46- AN.F.O.M. Sénégal l, 91 A Gouverneur au Sous Secretaire 17 Novembre.
47- A.N.F.O.M.: Idem.
48- A.N.S.O.M. 2 D 7-1 : Patterson administrateur Cercle de Thies à Tanor Dakar,
le 19 Octobre 1892.
49- A.N.S. 2 D 13-14 S D 1893 : Amat Bana interprète au Gouverneur.
50-Idem.
51- A.N.S. 2 D 13-14 S D 1893 : Amat Barra interprète au Gouverneur.
52- A.N.S. 2 D 7: Note sur l'administrateur Merlin Mbadane, 30 Décembre 1892.
53- A.N.S. 2 D 7- 2 Donis au Gouverneur Pout le 13 Mai 1894
54- Moussa Ka: JAZA U SAKOR.
55- Modou Dièye : Tradition recueillie en 1976 à Khombole
56- J.O.S. juillet 1894 Baol
57-Idem.
58- J.O.S. Sénégal, juillet 1894.
59- Idem.
60- J.O.S., Juillet 1894.
61- A.N.F.O.M. Sénégal VI-128 C Administrateur du Cercle de Thiès Dakar au Di-
recteur des affaires indigènes 11 Juillet 1397
CHAPITRE X
LE SUN PROTECTORAT FRANCAIS
Les années qui suivirent la victoire du Siin en 1867 sur les marabouts du Rip
furent marquées par l'euphorie du triomphe, Les habitants exprimaient sans retenue
leur fierté d'avoir défait l'armée qui avait fait reculer celle de Pinet- Laprade en 1865.
Cette fierté devint un orgueil sans limite lorsqu'en Avril 1869', le même souverain
infligea à l'armée des mêmes marabouts une défaite non moins sanglante quand ils
tentèrent à nouveau de venger leur chef: Maba.
Malgré tous les dangers que les marabouts faisaient courir à son pays Kumba
Ndoffeen était convaincu que la France constituait pour son pays le péril le plus sérieux
qui le menaçât depuis qu'elle lui avait enlevé, en 1859 et en 1861 ses provinces
maritimes avec les localités de Joal, Njuk, Fajutt, Mbuyaann. Cette amputation lui ôtait
. toute possibilité de conduire à sa guise ses transactions commerciales avec les
traitants. Son ravitaillement en armes et munitions dépendait du bon plaisir du
gouverneur alors que ses ennemis dd Rip avaient toute latitude de se procurer des
armes au prés des commerçants anglais. La défense de l'intégrité territoriale du Simn
était inséparable de son droit de reprendre possession des provinces perdues pour
diversifier à sa guise ses sources de ravitaillement. De 1859 à 1869 Kumba Ndoffeen
considérait comme non négociable celte atteinte à "intégrité de son royaume. Il ne
cessait de répéter, que de bonnes relations avec le gouverneur passaient au préalable
par la restitution au Siin de sa province maritime. Il insinuait adroitement que c'était de
la satisfaction de cette exigence que dépendaient la liberté et la sécurité des nationaux
français qui tenaient commerce dans son royaume.'
Obsédé par cette province maritime, Kumba Ndoffeen n'accorda qu'une
attention toute relative aux entreprise!3 cles marabouts qui, faillirent lui ravir son trône.
La proximité d'un Etat théocratique ne lui causa aucune inquiétude. Quelle que fût
l'appréciation qu'il portait sur les marabouts, il semblait convaincu que le vrai ennemi
du Siin demeurait le gouverneur de Saint-Louis. A son endroit il fit preuve de bonne
volonté en chassant Lat-Joor de SG<; Etats en 1864. Finalement il comprit que le
;p
6f h ,1
gouverneur se jouait de lui et que par de simples lettres de protestation, il ne ramenerait
jamais son royaume aux limites de ses',anciennes frontières rnaritimes. Les invitations
que lui lançait en 1866 Pinet-Laprade pour le pousser à prendre possession du Salum
n'étaient que des manoeuvres subtiles pour le détourner de Joal.
Aussi, une fois le problème des marabouts du Rip réglé, Kumba Ndoffeen
n'hésita pas à revenir à la charge. Se sentant soutenu, dans ses revendications, par
tout son peuple il nomma un Saax-Saax à Fajal dont les populations lui payèrenl
l'impôt.' Les complications de la politique européenne incitaient le gouverneur à
sursoir à toute opération contre le Siin d'autant plus que Lat-Joor avait à nouveau levé
l'étendard de la révolte.' Faisant semblant d'ignorer cet acte de souveraineté de
Kumba Ndoffeen sur Fajal et Joal, le gouverneur Valière lui conseilla même d'envahir
le Rip pour détruire à jamais cette puissance maraboutique. Pour le Bur l'essentiel était
sa province maritime sur laquelle il entendait exercer la pleinitude de ses droits de
souveraineté.
A la faveur de l'hivernage, Août 1871 Kumba Ndoffeen se rendit à Joal avec une
nombreuse escorte armée pour reprendre possession de sa province. 5 Il savait que
sous la pression des événements int~rvenus en Europe, Vallière avait été contraint de
jeter du lest en reconnaissant Lat-Joor comme damel du Kayoor et en lui rendant les
territoires annexés depuis 1861 exception faite des banlieues immédiates de Saint-
Louis et de Gorée. Pourquoi n'en serail-il pas de même à l'égard du Siin ? C'est pour
cette raison qu'il décida de recourir il )a force pour obtenir la rétrocession de son
territoire convaincu que le gouverneur céderait devant le déploiement de ses troupes.
La petite garnison deJoal n'était pas en mesure de lui interdire l'accès de la cité.
Dès son entrée dans Joal ses collecteurs se répandirent dans toute la localité pour
exiger de la population indigène comllle des traitants français le paiement des impôts
et taxes qui lui étaient dus. C'est alors qu'un traitant du nom de Béccaria blessa
mortellement le roi d'un coup tiré à bout portant.6
Ainsi face à la double pression qui menaçait la survie même de son pays, Kumba
Ndoffeen était parvenu tant bien que rnal, et ce malgré la modestie de ses moyens, à
$
"64
assurer à son peuple une certaine sécurité. Il n'avait reculé devant aucun sacrifice pour
la réalisation de son rêve de laisser à ses successeurs un pays débarrassé de ces deux
hypothèques. S'il n'y parvint pas totalement ce n'était pas faute d'énergie. Il lutta sans
répit pour lui éviter les défaillances fatales. C'est finalement avec son sang qu'il a
finalement accroché au sol qu'il revendiquait, sa vérité personnelle.
LA GUERRE CIVILE AU SUN
Au lendemain de la mort de Kumba Ndoffeen, le conseil des Grands Electeurs
choisit comme souverain Semu Mak. Le Bumi, Sanumon Fay, premier prince héritier
dans l'ordre de succession, entra immédiatement en dissidence soutenu par certaines
forces du Bawol' où il s'était exilé. i<umba Ndoffeen s'était résigné il l'obliger à
s'éloigner du Siin en raison de ses excès dans le pillage contre les Badolo, les traitants
et les missionnaires.
Celle vacance du pouvoir fut pour le grand conseil l'occasion de l'écarter
définitivement du trône en choisissant comme bur Semu Mak Juuf. Celle élection était
une entorse à la constitution du pays qui faisait du Bumi le successeur naturel du roi
défunt. Pour justifier cette décision on se plut à dire que l'ordre de succession ne
dépendait pas du titre que l'on portait mais de l'ordre de déclaration de naissance des
princes Gelowar auprés du grand Jaraaf qui tenaient une espèce d'état civil oral. Dans
ce cas d'espèce, même si Sanumon Fay était plus âgé que son rival ce fut la naissance
de ce dernier qui avait été enrégistrée avant la sienne. Du coup à Semu Mak revenait
la préséance sur Sanumon 8
Celle version de la tradition orale nous parait difficilement recevable. Elle parait
être élaborée aprés coup pour justifier une élection contestable. Si Sanumon avait été
choisi comme Bumi par Kumba Ndoffeen c'était probablement pour respecter l'ordre
de succession auquel tous les interessés semblaient avoir adhéré. La tradition orale
du Siin affirme que Kumba Ndoffeen était parvenu à accorder ses éventuels succes-
seurs en l'occurence Sanumon, Mbake, Noxobaay, sur une solution qui reposerait sur
le respect strict de la constition du pays'" C'était le seul moyen, pensait-il de barrer la
route aux ambitions contenues et dont l'extériorisation sonnerait le glas de l'Etat clu
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Siin. A notre connaissance, aucune de 'ces princes n'avait contesté le titre de Bumi
attribué à Sanumon qui devenait le premier sur la liste des princes héritiers. En réalité
Sanumon avait été écarté du trône par les Grands Electeurs qui avaient peur de donner
le pouvoir à un homme qui aurait conduit une politique incontestablement sanguinaire.
Mais leur parade ne fit que précipiter le danger de guerre civile que Kumba Ndoffeen
avait réussi à conjurer. Avec l'appoint des forces du Bawol Sanumon battit les troupes
de Semu Mak et s'empara du trône 10 Le'iaincu trouva refuge dans le poste de Kaolack.
1/ comptait sur l'appui de Saint-Louis pour reconqurirson trône. Il essaya d'exercer une
pression discrète sur Saint-Louis en faisant courir le bruit qu'à défaut de l'aide française
il ferait appel aux forces maraboutiques du Rip. Au moment où ses forces étaient en
voie de reconstitution il fut attaqué à nouveau à l'improviste par Sanumon qui l'obligea
à poursuivre vers le Kayoor son aventure."
Devant l'hostilité des gens de Jaxaw, Sanumon fit de Njongoloor sa capitale.
Pour s'attirer les bonnes grâces du gouverneur, il indemnisa les victimes des agents
de son prédécesseur. Cette mesure lui valut l'appui des autorités françaises avec
lesquelles il désirait maintenir des relations confiantes pour la prospérité de son pays.'2
Une fois tranquillisé du côté de Gorée, Sanumon s'attacha à consolider son
pouvoir au Siin. La tradition orale est trés prolixe sur les mesures incontestablement
cruelles qu'il avait prises pour sefaire craindre à défaut de se faire adorer. Les femmes,
les enfants, les vieillards étaient tous, à des degrés divers les victimes quotidiennes de
ses caprices sanglants. On nous dit qu'il éventra des femmes enceintes, que le
charognard qui lui servait de Totem atait nourri de chair humaine.'" Sans chercher à
justifier ces mesures de toute évidence cruelles, on voudrait pouvoir identifier de façon
sûre ceux qui en étaient les victimes. Le souverain frappait-il aveuglément tous ses
sujets sans distinction de statut social, ou triait-il ses victimes parmi les gens qui lui
faisaient une opposition ouverte et que légitimement il pouvait compter parmif ses
ennemis? En d'autres termes les mesures repondaient-elles à une atroce thérapeu-
tique politique ou n'étaient-elles que l'expression d'une cruauté gratuite?
Tout en poursuivant de manière10rt contestable la consolidation de son autorité
sur son pays, Sanumon prit des mesures adéquates pour empêcher le retour offensif
$--
46 E
des marabouts du Rip. Sur les conseils du commandant supérieur de Gorée, il s'allia
avec le roi du Salum pour faire échec aux entreprises des marabouts. Les raids de
pillage de part et d'autre des frontières compromirent pendant un bon moment la
sécurité des transactions commerciales au point de déterminer les autorités anglaises
de Gambie à dépêcher un émissaire auprés de Sanumon pour l'inviter à tout mettre en
oeuvre en vue de parvenir avec son allié du Salum à un compromis avec les marabouts
du Rip. Le souverain refusa. En Juin 18741es forces de Nahul du Salum réunies à celles
de Sanumon infligèrent à nouveau une sanglante défaite à celles du Rip.14
Mais les alliés se brouillèrent à propos du partage du butin. Le Bur Salum Nahul
dressa contre Sanumon une longue liste de griefs allant de la réduction en servitude
de certains de ses sujets qui avaient trouvé refuge au Siin à l'approche de l'armée du
Rip à de vrais raids de pillage conduits par les Ceddo du Siin contre certains villages
du Salum. Il protesta aussi contre la mesure prise par Sanumoon d'interdire aux gens
1
du Bawol de passer par son pays pour se rendre au Salum. Peut-être le souverain du
1
Siin cherchait-il à attirer vers Fatick les marchandises que les gens du Bawol condui-
saient soit à Kaolack soit vers la Gambie.15 Cette mesure n'avait probablement d'autre
but que de développer le commerce de Fatick ou de se prémunir contre une attaque
1
par surprise de son rival Semu refugié au Bawol depuis la victoire de son allié Lat-Joor
sur le Teen Ceyasin. '6 L'exaspération du Bur Salum fut si violente qu'il en vint aux armes
contre son ancien allié. La rupture de son alliance fut accueillie avec joie par les
ennemis de Sanumon. Ils n'osèrent certes pas manifester leur désapprobation de la
politique du souverain, mais les plus audacieux allèrent grossir l'armée de Semu. La
défection la plus importante fut sans doute celle de Farba Mbaar, chef des captifs de
la couronne. Il abandonna Sanumon pour rejoindre l'armée de Semu. Il fut imité peu
de temps aprés par les notables et les principaux chefs du pays. Toutefois avant de
partir au Bawol il prit la précaution d'écrire au commandant Supérieur de Gorée une
lettre pour lui notifier que les partisans de Semu étaient favorable au développement
des relations commerciales avec la France, qu'en cas de victoire ils assureraient la
protection des biens et des personnes des traitants français."
$
467
Ces promesses ne modifièrent nullement l'attitude des autorités françaises qui
les portèrent à la connaissance du souverain pour obtenir de lui de nouvelles
concessions. Ce qui fut fait aprés le difficile succès remporté par Sanumon sur le camp
filnnemi.
La puissance grandissante du clan de Semu, sans cesse alimenté par les dé-
fections de ceux qui ne croyaient plus à son étoile ou qui étaient persuadés que le retour
de la paix passait par son éviction (tu pouvoir, amena SanUrTlOn à chercher la
protection de la France pour lui et pour sa famille. Le colo#nel Canard Commandant
Supérieur de Gorée qui ne souhaitait pas voir sur le trône du Siin Semu allié de Lat-Joor
proposa un nouveau traité à Sanurnon qui en accepta toutes les clauses. Ce qu'il
désirait c'était la protection du gouvernement français afin que sa famille ne fût pas
bannie du Siin aprés sa mort.'·
Quand il fallut signer le traité, Sanumon refusa de se rendre à Gorée pour se
conformer à la coutume qui interdisait au roi régnant de voyager par mer. Il n'accepta
pas non plus Joal où son prédecesseur avait été tué. Il opta pour Fawey.1I obtint gain
de cause sur ce point. En Septembre 1877 le lieutenant Colonel Reybaud alla lui
présenter à Fawey le projet de traité qu'il signa sans chercher même à l'amender. Le
traité disposait que la France reconnaissait Sanumon Fay comme roi du Siin, lui
accordait son soutien aussi longtemps qu'il n'entreprendrait pas d'action sans la
consulter. Furent réactualisés les traités de 1859 et de 1861 accordant aux traitants
français le droit de construire à Fatick et à Siliff. '9 L'accès de ces centres était interdit
aux guerriers armés, aucune taxe supérieur à 3% n'y serait plus levée. Le roi interdirait
à ses gens d'exiger des cadeaux des trctltants. 20 Aprés la signature du traité Sanumon
fit un cadeau de 25 boeufs au Commandant Supérieur de Gorée. Sanumon ne tarda
pas à se rendre compte que ce traité lésait trop ses intérêts. Certaines de ses clauses
lui faisaient perdre une grande partie des ressources au moment où il en avait le plus
eb.M~
besoin~w luttef contre ses ennemis. Dès Décembre 1877, au moment de la traite des
arachide, il se présenta à Fatick pour exiger le paiement des coutumes dues par les
traitants. Deçu par celle
volte-face prévisible du Buur, Canard ne pensa qu'à
supprimer les escales où le roi avait exercé des violences ou à tuer ce dernier pour le
Il
remplacer par Semu. 21 Mais conscient de la fragilité de son pouvoir dont l'assise
sociale ne cessait de se retrécir, Sanumon accepta de dédommager ses victimes pour
conserver l'amitié du commandant de Gorée."
En février 1878 Sanumon provoqua la colère de Sajuka Mbodj, roi du Salum
dont il fit mettre à mort un de ses émissaires. Furieux le roi de Salum s'allia au clan de
Semu. Le 4 Mars 1878 à Hojil Sanumon fut vaincu et tué. 2:1 La mort de Sanumon atténua
pour un moment l'anarchie des coeurs et des esprits qui avait ensanglanté le pays.
~AVENEMENTDESEMU
La préoccupation majeure de Semu fut de travailler à la restauration de cette
paix si désirée. A l'intérieur, il ne prit aucune mesure répressive contre las partisans de
Sanumon. Il encouragea ses sujets à cultiver la terre pour faire revenir la prospérité
dans son pays. Il remit en marche le fonctionnement normal de la constitition, persuadé
que c'était l'unique moyen d'éviter à sa patrie la répétition de la guerre civile avec son
cortège de malheurs.
En direction de Saint-Louis il se montra fort accommodant en assurant le
commandant Supérieur de sa volonté de maintenir des rapports confiants avec lui. Sa
clairvoyance lui avait fait comprendre Gue la présence française était devenue un pion
important sur l'échiquier politique de la région, que le succès de son entreprise de
restauration de la paix dans son pays dépendait en partie du climat de ses relations
avec Gorée. Sur la demande de Canard, Commandant Supérieur de Gorée, Semu
accepta les clauses du traité de 187T'. L'autorité coloniale se demandait, sans doute,
si ce traité signé par un roi, considér§ par l'immense majorité de son peuple comme
un usurpateur, pouvait avoir une quelconque valeur pour son successeur. Aussi avec
une ténacité admirable Semu s'était attaché à supprimer tous les foyers d'incendie
susceptibles de compromettre son oeuvre. Mais subitement il mit fin à ses jours en
Novembre 188125 pour des raisons que la tradition orale n'a jamais chercllé à élucider.
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$-·~Ii(j·
LA GUERRE CIVILE
La mort de Semu fut le signal d'une terrible guerre civile qui Dressa les uns
contre les autres les différents princes du pays. L'une des factions devint même un clan
maraboutique soutenu non seulement par les musulmans du Rip mais encore par
Albury Njay toujours soucieux de regrouper toutes les forces musulmanes de la
Sénégambie dans le cadre de sa lutte contre l'impérialisme français. Les interventions
étrangères dans la guerre civile du Siin, marquées du sceau de l'intolérance religieuse,
donnèrent aux affrontements une tournure atroce. On tuait l'ennemi avec d'autant plus
d'acharnement qu'il appartenait à une religion abhorrée.
Pourtant l'élection de Amadi Baro comme successeur de son frère Semu se fit
sans accroc. Pour maintenir l'équilibre entre les deux factions qui se disputaient le
pouvoir, on lui conseilla de choisir comme bumi Mbacké neveu de Sanumon Fay.'" Le
poids des rancunes accumulées dans les deux camps rendait l'atmosphère irrespira-
ble. Il n'était pas besoin d'être devin pour se rendre compte que le temps de la rupture
était proche. Le clan Ceddo représenteé par Mbacké reprochait à celui de Amady Bara
d'avoir toujours noué des relations avec les musulmans ennemis mortels du Siin. Pour
lui la survie du royaume passait par le respect de ses coutumes et de sa religion
ancestrales. En situant, dès le départ le conflit sur le plan religieux, le clan de Mbacke
obtint sans peine le ralliement d'une importante fraction de la population fidèle à ses
traditions malgré le souvenir douloureux laissé par son oncle. Dès lors il n'était pas
étonnant que le clan Ceddo s'emparât du pouvoir.'?
Amady Baro fit appel au Rip malgré le lourd contentieux qui opposait ce pays
au Siin. Cette alliance fut violemment combattue par Gedel Mbodj, roi du Salum qui
n'entendait pas se résigner à voir son pays encerclé par des forces maraboutiques
contre lesquelles il était en guerre depuis son avènement. Il secourut Mbacké. Mais
avec des alternatives de succès et d'échecs Amadi Baro réussit à se maintenir sur le
trône jusqu'au début de 1884 où Mbacké le tua.'·
Mbacké 1essaya de consolider son pouvoir encore fragile en cherchant l'appui
des autorités de Gorée. Dans son pays tiraillé par la guerre civile, la force ne venait que
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du nombre de fusils et de la quantité des munitions. Dès lors pourquoi ne pas chercher
,
l'amitié de ceux qui les vendaient? Lors·de sa rencontre avec Bayol, Gouverneur des
Rivières du Sud, Mbacké lui avait fait des promesses généreuses. En contre partie de
l'aide française qu'il sollicitait, il se dit prôt à autoriser les traitants français à construire
en maçonnerie à Fatick et à Silif, et à reconnaitre aussi au Gouverneur le droit de
construire dans le Siin deux nouveaux postes fortifiés aux endroits de son choix. 29 En
d'autres termes il chercha une couverture militaire française pour dissuader l'autre
camp de l'attaquer.
L'autorité française répondit par un attentisme qui lui parut intolérable. Aussi se
mit-il à contester aux étrangers le droit de construire en dur.JO Cette brouille fut mise
à profit par le clan adverse qui passa à l'offensive, sûr de pouvoir compter sur la
neutralité sinon la sympathie de Gorée. Ce fut Jalige Sira Juuf neveu de Amadi Baro
qui le chassa du pouvoir avec l'aide des contingents du JoJof et du Bawol. J1 Jalige fut
mis à mort en Février 1886 par Mbacké 1 qui ne conserva le pouvoir que jusqu'en
Juillet." En effet le roi fut attaqué et tué le 12 Juillet 1886 par Noxobay Juuf, frère de
Jalige. Cette victoire du clan maraboutique avait été acquise grâce au soutien des
contingents du Jolof dépêchés par le Burba Alburi Niqy pour épauler son fils adoptif
Noxobay dont il avait épousé la mère. 3J La guerre civile connut une accalmie, le temps
de permettre au parti vaincu de reconsuuire ses forces.
Mbacké Il neveu de son prédecesseur de même nom prit la direction du partie
Ceddo. Il savait pouvoir compter sur l'appui de Gedel Mboj, Bur Salum qui entourait
les marabouts d'une haine passionnée. Mbacké Il soutenu par les guerriers du Salum
chassa Noxobay du trône.
Albury décida de tisser une solide alliance contre Gedel pour mieux parvenir à
ses fins au Siin. Contre le bur Salum,le burba fit alliance avec son neveu Saer Maty chef
du Rip et fils de Maba, Mamadu Lamin chassé du Bundu et du Wuli par Galliéni. Le sort
de Gedel semblait scellé, lorsque mesurant la gravité d'une victoire musulmane sur les
intérêts français, le gouverneur dépêcha la colonne Coronnat pour chasser Saer Maty
du Rip, Mamadu Lamin du voisinage du Salum et rendre enfin possible la consolidation
du pouvoir de Gedel.""
"
Noxobay se retira dans l'une des provinces du Siin d'où il multipliait les raids de
pillage contre les zones favorables à son rival. Pour mettre un terme à ces expéditions
punitives auxquelles se livraient les troupes des deux compétiteurs, le gouverneur
demanda à Mbacké Il de laisser Noxob-mr tranquille dans la province qui lui restail. Il
accepta avec d'autant plus d'empressement que les forces de Noxobay étaient encore
trés respectables. Il se savait impuissant devant son rival si l'aide française lui faisait
défaut. Cette dépendance du roi à l'égard du gouvernement de Saint-Louis faisait de
Mbacké Il un jouet du gouverneur qui avait désormais toute latitude pour introduire au
Siin toutes les réformes qu'il voulait. Les engagements de ce roi lieraient juridiquement
ses successeurs.""
Sans doute cette politique faisait du gouverneur l'arbitre de la situation, mais elle
avait aussi l'inconvénient de faire durer la crise politique incompatible avec une
quelconque prospérité économique..
Noxobay pillait pour nourrir son monde, frappait les gens du Siin, enlevait les
récoltes, les femmes et les enfants dont la vente lui procurait des fonds nécessair"es
à l'achat d'armes et de munitions. Sous l'empire de la peur, les populations du Si~n se
trouvant dans les zones d'intervention de Noxobay abandonnèrent le pays.37 De son
côté Mbacké Il en faisait autant. Le pays était à feu et à sang. Chacun raflant ce qu'il
trouvait pour faire des cadeaux destinés à augmenter le nombre de ses partisans.
Bien que chassé du pouvoir, Noxobay n'en conservait pas moins l'autorité
morale que lui donnaient alors les droits de préséance sur son neveu usurpateur. Cette
menace permanente qu'il faisait peser sur son rival décida Mbacké Il à se rendre à
Saint-Louis pour faire des concessions au gouverneur afin d'obtenir un traité lui
donnant un appui moral et matdriel efficace contre son ennemi. Bravant les interdits,
il se rendit à Saint-Louis où il signa avec le Gouverneur Lamothe le 15 Septembre 1891
un traité qui plaçait son pays sous le protectorat et la suzeraineté de la France. Il n'était
rien changé aux moeurs, coutumes et institutions du pays. Mbacke Il conservait ses
anciens droits et privilèges. Il promit d'assurer avec efficacité la protection des
travailleurs, de s'abstenir de faire des pillages, bref de faire son possible pour restaurer
la prospérité du pays.3B
· " - ..
$---472
Le gouverneur reconnut Mbacké Il comme bur Siin. Ce titre et le pouvoir qui s'y
attachait, demeuraient héréditaires d~'~'ls sa famille d'aprés l'ordre de succession en
usage dans le royaume. Les transmissions héréditaires seraient soumis à la sancflon
du gouverneur du Sénégal.
Mbacke Il s'engagea à donner toutes les facilités possibl;pour la construction
de routes, de chemins de fer, de lignes télégraphiques, de postes fortifiés dans toute
l'étendue du Siin. 39 Ces moyens de communication seraient la propriété de la France
ou des compagnies qui les construiraient. Ils devaient comprendre une bande de
terrain de 50 m de chaque côté des voies ferrées et un carré dans chaque station d'un
kilomètre de côté dont la gare serait le centre. De même le terrain compris dans un
rayon d'un kilomètre autour des postes fortifiés construits dans le Siin serait pareille-
ment propriété de la France. Pour ces travaux le Bur fournirait les manoeuvres dont les
salaires seraient fixés par le gouverneur. On déclara libres le commerce, l'industrie,
l'agriculture pour les Français et les sujets français vivant au Siin.·o Pour Mbacké Il ce
traité consacrait la perennité de L'Etat du Siin qui conservait ses armatures tradition-
nelle. Il lui épargnait non seulement une situation comparable à celle du Kayoor mais
encore les inconvénients de colonnes expéditionnaires avec leurs cortèges de ruines.
Il écartait aussi du pays le spectre a'une intervention du Ri p4'
L'avantage le plus immédiat qu'il en tira fut la neutralisation de son oncle
Noxobay. Le bruit de la signature du traité et surtout les clauses relatives àla protection
armée promise au souverain suffirent pour ébranler la confiance de ses partisans. La
plupart d'entre eux, lassés de la guerre ou se sachant incapables de résister aux forces
réunies du Gouverneur et du roi abandonnèrent leur guide qui se refugea au Bawol.
Informé de l'intention de Teer'i Tanor de l'arrêter pour le livrer au Gouverneur il se rendit
à Saint-Louis pour se remettre entre ses mains. 42 Cette attitude courageuse ne lui valut
aucune espèce de pitié. Le Gouverneur le traduisit devant le conseil privé qui proposa
son internement au Congo français. Mbacké se chargea de subvenir à tous les frais
d'entretien et de voyage de son adver~;aire. Débarassé de cette lourde hypothèque il
put régner sans encombre jusqu'à sa mort en 1898. Malgré les apparences le Siin
n'était qu'une simple province relevant comme les autres pays protégés de l'autorité
de la France.
1- Klein: Op.cit, (page 105).
2-ldem.
3-ldem.
4- Voir chapitre sur la révolte de Lat-Joar en 1869-1871
5- Klein: (page 105).
6- Klein: (page 106).
7- A.N.S. 13 G 321 : Commandant de Kaolack au Commandant de Gorée, 4 Octo-
bre 1871.
8- Tradition orale: livrée par Lat Garay Ndiaye ancien chef de canton en 1974.
9-ldem.
10- A.N.S. 13 G 321 : Commandant de Kaolack au Commandant Supérieur de Go-
rée, 4 Octobre 1871.
11- A.N.S. 13 G 321 : Commandant de Kaolack au commandant Supérieur Gorée,
29 Octobre 1871.
12-AN.N. 13 G 318: Sanumon Fay au commandant Supérieur de Gorée, 26 Octo-
bre 1871
13- TRadition orale fournie par Lat Gar(3Y Ndiaye. Se trouve aussi dans la chroni-
que du Siin de Noxobay Juuf, B. IFAN'(page 729).
14- A.N.S. 13 G 321 : Commandant de Kaolack au Commandant Supérieur de
Gorée, 28 Juin 1874.
15- A.N.S. 13 G 321 : Commandant Kaolack à Commandant Supérieur Gorée, 27
Décembre 1874.
16- Idem.
17- AN.S. 13 G 318: Farba Mbaar au Commadant Supérieur de Gorée, Fevrier
1876.
18- AN,S. Sanumon au Commandant Supérieur de Gorée, Mai 1877
19- Annales Sénégalaises 1854 à 1885, Paris 1885, (pages 412-413).
20- Annales Sénégalaises (pages 412-413).
21- AN.S. 4 B 64: Canard au Gouverneur, 8 Décembre 1877.
22- AN.S. 2 B 74: Lettre na 252 Gouverneur au Ministre 22 Février 1878.
23- A.N.S. 13 G 318: Commandant de Joal à celui de Gorée, 17 Mars 1878.
24- A.N.S. 13 G 311 : Gouverneur du Sénégal au Ministre, 21 Avril 1878.
25- A.N.S. Commandant de Joal à celui de Gorée 16 Janvier 1882
26- AN.S. Sénégal l, 66 B : Gouverneur au Ministre, 23 Février 1882.
27-ldem.
28- Klein, (page 110).
29- Klein, ibidem.
30- A.N.S. 4 B 74 : LI gouverneur des regions du Sud à Gouverneur du Sénégal, 6
Mars 1885.
31- Klein, (page 111).
32- Idem, ibidem.
33- AN.S. 1 D 2 52 pièce 20 : commandant particulier de Kees au Gouverneur, 5
Septembre 1887.
34- A.N.F.O.M. Sénégal 176 A: Saint-Louis, le 25 Avril 1887 Gouverneur au Minis-
tre.
35- AN.S. 13 G 321 : Administrateur Salum au Gouverneur, 28 Janvier 1888.
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36- AN.S. 13 G 321 : Administrateur P.1. Cercle Sine Salum à Gouverneur, 30 Août
1888.
37- AN.S. 13 G 321, Administrateur Sine Salum au Gouverneur, 28 Janvier 1888.
38- J.O.S. , traité signé avec le Sine, le 15 Septembre 1891. Signèrent ce traité
Mbacké Il, Suur Siin, Gnoko Juif Jar~,af, Mandingo Nday, Bissette, Ngoor Ndiay
Bumi.
39-ldem.
40-ldem.
41- AN.F.O.M. Sénégal l, 97 A: Lamothe au Ministre, 17 Novembre 1891.
42-ldem.
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CHAPITRE XI
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LE SALVM DE 1867 A 1894
La mort de Maba et les rivalités qu'elle entraina dans l'Etat théocratique du
Badibu permirent à Faxa Faal, succe'oseur de Samba lawbe Latsuk, de reprendre
t",i
possession deson trône du Salum perdu depuis 1864. La victoire de Maba avait coûté
l'amputation de ses provinces les plus riches comme le Ndeemen, le Lagem, le
I\\aymor, le Pakala, le Mandax, le Joonif; et le Jale-Jale qui lurent annexées au BaclilJu. 1
De plus les populations en majorité Sereer, vivant dans le Salum Central, allèrent
s'établir dans le voisinage du Siin pour échapper aux opérations de pillage menées de
part et d'autre de la frontière par les armées des deux pays.
Assagi par sa délaite de 1864, Faxa ne chercha pas à tirer parti des rivalités qui
opposaient les héritiers de Maba lors du partage du pouvoir. La désignation de Mamu
Ndari comme successeur de l'Almamy avait été accueillie avec réticence par certains
grands dignitaires qui, comme Biran Sisse du Kaymor, Mamour Sambe Jobay et MataI'
a....J;"VJ, (<A.\\-
.llJV\\. J....:;). l' cl '-"" v-
'Rfdèfl:Ult ouvertement ii«étldartt~!l'1'~l1Q. Pour n'avoir pas su entreprendre des
actions de grande envergure contre les marabouts en vue de reconstruire l'Etat du
Salum dans ses limites traditionnelles, Faxa lut déposé2 . Il rejoignit j'année du Rip
comme l'avait lait son père Makodu. A la place de Faxa Faal, les Ceddo intronisèrent
en 1871 Nawul Mbodj qui, malgré une santé précaire parvint à maintenir tant bien quo
mal une autorité sur les provinces dL~ Salum central peuplées de Sereer. Il essaya de
repeupler les villages abandonnés ali'l de restaurer l'économie de son royaume"
Toute sa politique extérieure lut orientèe vers une alliance avec le Siin et la lutte sans
merci contre le Rip pour empêcher la contamination de ses sujets par l'influence
islamique. Homme d'action, il tenta de reprendre aux marabout l'initiative des opéra-
tions. Un mois aprés son avènement, soutenu par des contingents du Siin ,Nawut
1
attaqua une colonne du Rip à Colfat prés de Kaolack. Bien que l'issue du combat lut
indécise, le bur parvint à y construire :.11'1 camp lortiliél/pour servir de base d'opération
à ses troupes. Les exigences de la gU1;Jrre le contraignirent à augmenter le taux des
coutumes que les commerçants devaient lui verser.'
,
~-,
4 7 fi
Paralysé par le soulèvement de quelques dignitaires et surtout par les expédi-
<·J'it
tions qu'il avait ordonnées contre le N:lni et le Wuli, Mamu Ndari fut contraint de se
contenter de mouvements de faible envergure pour contrer les projets de Nawut.5
Toutefois en 1873 Mamu Ndari rappela ses troupes en opération au Nariet au Wuli pour
les orienter contre le Salum. Malgré leur infériorité numérique, les forces de Nawut
opposèrent une courageuse résistance aux envahisseurs. Le demi échec de l'armée
maraboutique était dû à l'énergie de fWwut et à son courage à la tête de ses troupes.
Il demanda même au commandant du poste français de Kaolack où certains de ses
guerriers commençaient à trouver rejuge, de les mettre aux fers s'ils refusaient d'aller
reprendre leur poste de combat dans lE- Tata de Coffat. Devant les lourdes pertes que
lui faisait subir Nawut, Mamu Ndari leva le siège de Coffa!." Nawut ne put tirer parti de
cette retraite des marabouts. La mort l'emporta le 4 Décembre 18747.
Nawut fut remplacé sur le trône par un de ses jeunes frères Sajuka Mbodj qui
régna de 1874 à 1879. Grand guerrier comme son prédecesseur il avait même apporté
une contribution décisive à la victoire clu Siin sur les marabouts du Rip en Juillet 1867H
Pamllèlement au reclressement cie 1'2.griculture pour augmenter ses ressources,
Sajuka continua avec persévérance fa lutte contre le Rip. Aclossés à la Gambie, ayant
beaucoup cie facilités à se procurer des armes à Bathurst, les marabouts firent échec
à toutes ses tentatives. Malgré les rivalitiis qui opposaient les chels musulmans les uns
é\\,,()',-
<\\i.;l:o- autres, il leur arrivait, quanclla situation était critique, cie taire leurs querelles, pour
cI'un commun accorcl faire échec aux attaque clu Salum.
A la faveur d'une offensive diiclenchée par Sajuka pour reconquérir les
provinces sous le contrôle du Rip, et qui lui permit de s'emparer du tata de Maka et
d'infliger de lourdes pertes à la gamisoil de Cikat, les marabouts mirent en commun
leurs forces et contre attaquèrent les troupes du buur le 31 Mars 1879. Victorieuse,
l'armée musulmane ravagea le Salum et se rendit même maîtresse de Coffat,
résidence de la reine-mère Kumba DaDa qui y fut tuée. Parmi le butin raflé par les
marabouts se trouvait Juka fille du roi qu'on avait promise à Biran Sise et qu'épousa
Saer Mati. Une contre-attaque vigoureuse des Ceddo se termina par la défaite des
marabouts. Les Ceddo profitèrent de ce succès pour livrer aux flammes les villages de
$ - .. 47/
la rive gauche du Salum dépendant administrativement du Rip· L'armée de Sajuka se
rendit même maîtresse de Kumboff. La R.9ursuite lui rapporta beaucoup de prisonniers
mais ne put libérer sa fille Juka. Selon ia tradition orale rapportée par abdu Buri Ba. Ce
fut la mort de sa mère et la capture de sa fille qui abrégèrent les jours lO du buurqui rendit
l'âme le 11 Avril 1879".
Dés le 20 Avril 1879 Gedel, frère du défunt, était intronisé. Sa préoccupation,
primordiale fut d'éliminer de son rcyaume les rivalités qui opposaient les deux
branches gelowar pour la conquête du pouvoir. Aussi désigna t-il comlne Bumi Semu
Jfl\\mit chef de file du clan rival Kewe Bige. Une fois les forces du Salum réunifiées grâce
à la réconciliation entre les deux clans rivaux,Gedel tourna ses regards vers Gorée. Il
avait besoin de l'appui du gouverneur pour \\e ravitaillement de son armée en fusils et
en munitions. Les Français préoccupés par le haut fleuve et le Kayoor n'accordaient
que peu d'importance à ce qui se passait dans le Salum et le Badibu. Alors que les
marabouts avaient tout le loisir de se procurer des armes auprés des traitants anglais
le Salum constatait que l'aptitude opérationnelle de son armee était hypothéquée par
les faibles quantités que lui apportaient les nationaux français. Homme énergique et
lucide, il disait que le salut du Salum passait par la liquidation de l'Etat théocratique du
Rip. Malgré cette hostilité de principe vis à vis des marabouts, il fut cependant
suffisament clairvoyant pour y recruter des alliés dont la collaboration se révela
particulièrement efficace lors des opérations militaires.
Le Rip était tiraillé par les luttes de clan entre les chefs religieux, compagnons
de Maba. Ces conflits étaient accentués par les fortes tendances autonomistes de ses
provinces périphériques. Mamu Ndari, n'avait pas le charisme de son frère. Il ne réussit
jamais à faire accepter son autorité par les Mandingues fort nombreux dans son pays. 12
Le danger le plus sérieux auquel se heurta son autorité provenait surtout des
chefs de provinces de la deuxième gÉinération. Certains d'entre eux n'avaient pas
hésité à tirer parti de la vieillesse de Mamu Ndari pour s'affranchir de la tutelle du
pouvoir central. Ce fut le cas de Biran Sise, fils de Andola Buri Sise chef, d'une
importante famille musulmane du Sabax. A partir de 1877 il avait commencé à se tailler
un Etat dans le Kaymor et dans la partie orientale du Badibu aux dépens de Mamu
Ndmi. Vers 1879 il était devenu maître ~\\3la plupart des zones du Badibu riveraines de
la Gambie et contrôlait le port de Kau,1[ sur la Salum-" Il s'allia aussi avec Musa Molo,
roi du Fuladu dont le soutien lui permettait de neutraliser Fode Kaba, partisan de Mamu
Ndari.
Saer Mati décida d'écraser la rebellion de Biram Sise qui,oublieux des principes
de la Jihad, ou guerre Sainte s'était allié avec Gedel roi du Salum et avec les ceddo du
)
Siin. Pour avoir les mains totalement libres Saer Mati déposa son oncle Mamu d~ari et
exerça la plénitude de l'autorité de l'Etat du Rip."
Dès Juillet 1881 Gedel exploita ces dissidences maraboutiques en passant à
l'offonsive.1I envahit le Rip, fit beaucoup de butin et de prisonniers. '511 ne put cependant
conlrôler le reste du Lageem, ni les autres secteurs occupés par des populations Wolof
dans le Salum Oriental. De tous les Kangam du Salum seul le Bur Jilor put reconquérir
son canton.'·
Aucun des deux acteurs n'obtint le succès décisif qui lui eût permis de se rendre
maÎlre du royaume de son voisin. Le 10 Juillet 1885 Gedel fut attaqué à l'improviste par
Saer Mati à Kernalo où il subit de lourdes pertes. Il battit en retraite mais contre attaqua
le surlendemain et infligea à son tour une défaite des plus sanglantes à son ennemi.
Ce succès lui permit de sauver le SalulTl de la domination des marabouts. 17 En réalité
Saer Mati avait été paralysé dans son offensive par les troupes de Biram Sise qui, par
de violentes attaques l'avait contraint, à stopper sa progression. Pour échapper à la
destruction complète de son armée, Saer Mati se refugiadans son Tata de Latminge. '•
Saer Mati eut à faire également face aux contingents envoyés contre lui par son
oncle Mamu Ndari qui refusait de se résigner à la mesure de déposition qui le frappait.
Dans ce climat de haine et de violence, les traitants anglais et français subirent de
lourdes pertes. Leurs magasins furent pillés par les guerriers des deux camps.'9
La situation de Saer Mati fut un moment désespérée. Il fut sauvé par l'interven-
tion de son oncle Alburi Njay du ,lolof qui ne put accepter la défaite du camp des
marabouts. Non seulement il envoya des forces pour le secourir mais encore il massa
•
/1
•
"
$-... 479
des troupes à sa frontière avec le Salum. Gedel dut distraire rapidement une partie de
ses forces pour la défense de sa frontière septentrionale. Les affrontements entre les
deux armées se limitèrent à quelques escarmouches20 sans gravité. Mais Saer Mati
était sauvé.
Alburi Njay, Lat Joor<l, Abdul Bokar Kane étaient tous unanimes à penser que
le prolongement de la guerre entre le Salum et le Rip d'une part entre les différents
factions maraboutiques au sein du Rip d'autre part rendaient aléatoire l'avenir de la
Sénégambie. En s'affaiblissant récoproquement ces differentes forces ne faisaient
que faciliter la main mise de la France sur leur pays. Tour à tour ils se rendirent dans
la région ou y dépêchèrent des émissaires pour essayer de réconcilier les frères
ennemis. Il fallait trouver un terrain d'entente entre Mamu Dnari et Saer Mati et entre
ce dernier et Biran Sisse. 22
Les différentes opérations militaires lésaient les intérêts du commerce français
et britannique dans la région. Ils reprirent de plus belle aprés l'échec des tentatives de
réconciliation. Biran Sise refusa de déposer les armes et de détruire ses tata comme
l'exigeaient ses ennemis. Leur élimination les aurait encouragés àl'attaquer. Saer Mati
fit étalage de la haine implacable qu'il vouait à Biran Sisse en assassinant deux de ses
émissaires. 2J
Devant la paralysie du commerce, les Anglais proposèrent leurs bons offices.
Biran accepta de se soumettre aux exigences de ses ennemis à condition que l'autorité
anglaise prît l'engagement de le défendre ainsi que les siens èn cas de violation de la
trève par ses ennemis. Les Anglais refusèrent cette proposition de peur d'être
imbriqués dans cette interminable guerre civile. Ils n'acceptèrent pas non plus le
protectorat qu'il leur proposa pour son pays.2'
Les interventions anglaises ne furent pas étrangeres aux démarches de même
nature entreprise par Bayol Gouverneur des Rivières du Sud. L'émissaire français
obtint de Gedelle droit de construire de nouveaux postes et surtout d'aller négocier
avec les marabouts au nom du Salum. Lors de son entrevue avec Mami Ndari, qui
demeurait malgré tout le responsable moral de l'Etat du Rip, Saer Mati déclara que la
$-
4 fi n
guerre ne prendrait fin qu'avec la c,lnversion à l'Islam de Gedel. Aprés de longues
discussions, les marabouts acceptèrent la paix à condition que Gedel détruisit son
Tata de Dagamiaiian qui avait toujours été sa base d'opération contre les villages du
Rip, qu'il renonçât à la rive gauche du ~:,alum et restituât les prisonniers. Cette partilion
du Salum que préconisaient les marabouts fut rejetée avec mépris par Gedel qui dit ne
pouvoir abandonner des terres sur lesquelles ses ancêtres avaient régné. 25
Cette mission fit comprendre au gouverneur la fragilité des positions françaises
dans le Salum et le Rip face à celle des Anglais. Même si les troupesétaid~s leur
immense
majorité dans le Haut Sénégal-Niger, quelques mesures ponctuelles
pourraient toujours aider à sauvegarder les intérêts de la France dans le secteur. Le
gouverneur décida de construire un fort à Fatick, un poste de douane à Funjuii. De plus
il envisagea de faire remplacer le sergent de Kaolack par un Commandant de Cercle
capable de prendre des responsabilités politiques et économiques.
Aprés le passage de Bayai, une trève s'ensuivit et qui dura jusqu'en Mars 1886
époque où Ali Xuga Ba fut mis à mort par Saer Mati qui lui reprochait d'entretenir cles
relations traitresses avec les Français. Ce crime mit le feu aux poudres. Biran sise qui
se tbùvait dans le Fuladu où il secondait son allié Musa Malo contre Fade Kaba, revint
à marches forcées vers le Nord. La victime était un neveu de Maba, gendre de Mamu
Ndari et parent de GMel. Aussi Biran Sise, Gedel et Mama Ndari formèrent-ils une
coallition contre Saer Mati. 26
Les hostilités reprirent avec plus d'intensité que jamais. La guerre devint
générale. Personne n'était plus en sécurité. Par le jeu des alliances et des intrigues,
l'insécurité toucha tout ['espace compris entre la Gambie et le Kayoor,.Gedel fut en effet
soutenu par le Teeii du Bawol Ceyasin Joar, et le buur Siin Mbacké Il. Le 4 Mars à
Darmamaiian il déclencha son offensive. Saer Mati était soutenu par les guerriers du
Jo\\of envoyés par son oncle Albury, du Wuli)du Bundu et des contingents D'AbcJul
Bocar Kane du Bosséa, allié de Alburi. 27
Cette guerre ne connut de trève que pendant l'hivernage. Dès Décembre elle
reprit de plus belle. La traite était compromise. 2. Ce qui était nouveau c'était le caractère
. -- .----.
_._--._~--
..
. ..
général du conflit dans lequel étaient impliqués tous les chefs de la Sénégambie. D'un
côté il y avait les musulmans qui entendàient faire de l'islam l'instrument de leur combat
politique pour la défense de leur indépendance. De l'autre côté les çeddo que
Faidherbe et ses successeurs s'étaient engagés à détruire, parce que perç~ comme
facteur de désordre et qui bénéficièrent alors de toutes les sympathies des autorités
françaises, maintenant convaincues que l'intransigeance, l'intolérance des mara-
bouts seraient nécessairement source de conflit avec Saint-Louis.'"
Cette alliance des musulmans que Clément Thomas finit par appeler la ligue
tiiane pouvait, en se structurant, former un front uni contre lequel il aurait été difficile de
lutter. En 1887 ce front uni fut renforcé par l'arrivée dans le voisinage du Salum de
Mamadu Lamin, chassé de sa patrie par Gallieni. Les forces de Saer Mati de Noxobay
Juuf, et de mamudu Lamin renforcées par celles d'Alburi et de Abdu Bokar étaient à
même de renverser Gedel, Bur Salum. Le gouverneur craignit que cette victoire ne
donnât le contrôle de tout le Salum et le Rip à Saer Mati qui en lort bons termes avec
les Anglais, aurait été, pour les intérêts français de la région, pour le Salum, le Bawol
et le Siin un voisin peu commode.30
Le gouverneur décida d'agir pour briser cette alliance en Avril 1887. La
commercialisation des arachides était terminée. Il se rendit personnellement au Salum
pour négocier avec Gedel qui avait mobilisé son armée pour parer à toute attaque de
Saer Mati. JI
Saer Mati prit l'offensive le 10 ' Avril, mit à sac Kahone la capitale de Salum. Il
voulait détruire la puissance du Salum avant l'arrivée de la colonne française. La
demande de secours adressée au Gouverneur par Gedel fut accueillie avec joie. Elle
lui permettait d'occuper le Rip avant les Anglais tout en freinant, au moins provisoire-
ment la progression de l'islam.32
Le 4 Avril 18871e colonel Coronnat fut nommé au commandement de la colonne
du Rip. Le 8 les troupes étaient à Kaclack. La colonne comprenait 4 officiers, 147
hommes d'infanterie, 206 tirailleurs, 40 spahis, 65 artilleurs, 15 hommes du Génie, 9
ambulances soit au total 482 hommes. Le transport était assuré par 39 mulets, 18
chameaux, 100 ânes et 65 chevaux.""
· ,. .. ..
t-_·[,P?
Les renseignements fournis par les hommes de Gedel indiquèrent que Saer
Mati concentrait ses troupes aux alent5urs de Gumboff, en face du Gué qui semblait
se prêter le mieux au passage de la rivière Le Salum par une colonne lourdement
chargée. Un autre corps campait dam; son tata de Latminge. Une formation mobile
circulait en face de Kaolack afin de s'opposer à toute marche sur Noro."
La colonne débarqua à Jooraan à 1500 m environ de Kaolack. Le 20 Avril elle
se mit en marche. A Maka, Gedel fit sa jonction avec Coronnat. Puisque le pays lui était
inconnu Coronnat se fit prudent. Il ne voulait pas faire subir à sa colonne un sort
identique à celui de Pinet-Laprade en 1865. Elle marcha en carré. Aprés quelques
kilomètre dans ce pays broussailleux, elle fut attaquée par les cavaliers de Saer Mati.
L'intervention de l'artillerie qui fouillait 1'3 bois par des obus à mitraille fut nécessaire
pour atténuer l'ardeur combative des musulmans. 35 Au moment où se produisaient
ces premiers contacts on vit s'élever sur la droite de la colonne une fumée épaisse.
Saer Mati l'avait fait allumer, croyant que la colonne marcherait perpendiculairement
au Gué dans l'espoir de l'attaquer au milieu de la fumée et du désordre du convoi. \\1
espérait annuler la supériorité de l'armement de ses ennemis en faisant éclater les
munitions qui étaient dans des caissonr;. Cette manoeuvre bien combinée, malgré son
échec, ne manquait pas de perspicacilé. 36
Devant l'incendie, la colone obliqua à gauche dans le marigot de manière à
tourner les herbes en feu, à se diriger sur Gumboff aprés avoir opéré une conversion
à droite. Aprés quelques escarmouches dans la brousse avec certains guerriers de
Saer Mati, la colonne alla camper à 300 m de son Tata. L'artillerie ouvrit le feu sur les
terrasses des tourelles d'où partaient les coups de feu les plus dangereux. Le courage
des défenseurs était digne d'éloge."
Saer Mati tenta une autre manoeuvre sur la droite de la colonne mais ses
cavaliers furent impuissants devant la mousqueterie et les boîtes à mitraille qui
semaient partout la mort. Les défenseurs entrèrent dans le tata. Arrivées à 200 m du
tata les deux sections d'artillerie y ouvrirent une brêche. Le feu des marabouts était plus
violent que jamais. Les assaillants pénétrèrent malgré tout dans la brèche. Un violent
combat au corps à corps s'engagea. L'intérieur du Tata était une série de comparti-
·. .
$"
4'8.1
ments qu'il fallait conquérir un à un. Malgré l'opiniâtreté des défenseurs la victoire fut
~ '{';
pour Gedel et ses alliés. Saer Mati avait perdu 100 tués dans le tata. La colonne
française eut 3 tués, 15 bléssés, le goum de Gedel1 0 tués ou bléssés. Ordre fut donné
de démolir le Tata. 38
Coronnat marcha ensuite sur Cikett et Latminaet. Le 14 Mai elle campait devant
Noro. Le 14 Mai 1887 un traité était imposé aux différentes entités politiques de la
région. En effet Gedel Mboj buur Salurn, Mamu Ndari cllef du Rip, Biran Sise chef du
Nani, Amal' Xuja du Nom signèrent avec le gouverneur Genouille un traité de
protectorat afin de mettre fin aux guerres continuelles qui désolaient le Salum et le Rip. J'
A L'arrivée de la colonne Coronnat, Musa Malo du Fuladu franchit la Gambie et fit sa
jonction avec les Français pour attaquer d'un commun accord la localité de Tubakuta
où Mamadu Lamin s'était retiré depuis son départ du Bundu. Musa Malo prit le risque
de charger sa conscience du meurtre de~~-~ t", ~O""
Saer Mati trouva refuge en Gambie, alors protectorat anglais. Il était définitive-
ment exclu du Rip et leterritoire qu'il commandait fut partagé entre les chefs signataires
du traité de protectorat. Le pouvoir restait héréditaire dans leur famille. Mais toute
transmission héréditaire devant être soumise à la sanction du gouvernement français.
Le gouverneur intima l'ordre clUX chefs du nouveau protectorat de mettre hors
d'état de servir à la défense, tous les tata qui se trouvaient dans le pays dont il venait
de leur confier le commandement. Al.:cune nouvelle construction de ce genre de
fortification ne serait plus tolérée à l'avenir sans l'autorisation formelle du Gouver-
neur. 40 Le gouverneur français reçut le droit d'établir partout, où il le jugerait nécessaire,
des postes militaires pour assurer la protection du pays. Pour chacun de ses postes,
l'autorité indigène concernée lui céderait gratuitement et en toute propriété un carré
deterrain de600 m de côté. Les terrains nécessaires lui seraient cédés dans les mêmes
conditions s'il voulait construire des routes, des lignes télégraphiques ou de chemin
de fer. Le bur Salum Gedel et Mamu Ndari chef du Nom s'engagèrent à faire exécuter
sans retard, chacun sur son territoire et sur une largeur de 300 mies travaux de
débroussaillement nécessaires à l'établissement d'une route allant de Kaolack à Nora.
"
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Ils feraient également creuser et entretenir des puits le long de cette route. Ces
infrastructures rendraient le Rip encdre plus vulnérable aux colonn3expéditionnai-
res"
Le buur Salum reconnut aux Français seuls le droit de fonder des établisse-
ments cie commerce sur les deux rives et dans les marigots de la rivière du Saluill. Les
,
,
autres chefs prirent pareillement l'engagement de donner aux commerçants frai I<;Cli,;
toutes les facilités pour installer des maisons de traite sur les divers points cie lonr
territoire. Mais le prix de vente ou de location des terrains nécessai,'es aux COllllllf)!·
çants serait débattu entre les parties intéressées."
Les chefs signataires du traité pe~cevraient à leur profit un droit fixe cie 3% su,'
tous produits sortant de leur territoire lit ~~tgiem~!J1ilIlfl'liJl€01En dehors cie ce
droit aucune autre charge ne viendrait frapper les opérations des traitants." On mit sur
pied il f~oro, sous la présidence d'un fonctionnaire délégué du Gouverne,; une
commission comprenant les représentants des chefs pour régler une fois pour toules
les conl estations relatives aux front'érfJ1} aux échanges de prisonniers et autres
1
difficultés résultants de l'etat de gunrre.
Un poste fut laissé à Noro pour pacifier et organiser le Rip ut le r;Jw1i. UWl
garnison composée d'un officier, 50 tirailleurs, 15 hommes d'infanterie (lu ITlLIrilH' P' il
possession du Tata. Pour mieux contrôler cet immense territoire le gouverneur pl:ic·'
un administrateur à Funjuri."
Dès Octobre 1OO? la garnison de Noro intervint dans le Sanjal pour soulenir
Biran Sise, chef Wolof que l'élément Sose de la population voulait remplacer par un
chef de son éthnie, JUllumazen, ami des Anglais. La garnison cie Noro fut épaulôn pélr
des~illiers d'auxiliaires dépêchés par le Nom, le Rip et le Salum. Saral<unda le village
du contestataire fut brûlé. Junumazen trouva refuge en Gambie. Cette expédition clans
le Nani permit d'étendre solidement le protectorat françaisjusqu'à la frontière de la
Gambie et ouvrit à Saint-Louis une voie nouvelle et facile vers le haut-Sénégal.Niger'"
L'éviction de Saer Mati du Rip, grâce à l'alliance
des signataires du traité du
14 Mai 1!38japporta un répit dans les affrontements. Rassuré du côté du Sud, Gedel
.'/:
th5'
inaugura une politique nouvelle en direction des zones habitées par des musulmans
dont l'hostilité vis à vis des Ceddo était pour ainsi dire viscérale. Les mesures
susceptibles de lui rallier le camp maraboutique seraient naturellement combattues
par les factions Ceddo. En reduisant les taxes aux seules impositions reconnues par
l'islam, il diminuerait ses ressources et partant les salaires des agents de son
administration. II décida de recourir à une solution constitutionnelle qui consista à
essayer de faire reconnaitrecomme son héritier présomptif, en violation de ses
engagements précédents, Wack Njuka Ba. Ce dernier était le gfils de Saer Mati et de
Njuka, fille de Sajuka que les armée de Mamu Ndari avait capturé en 1885. Fils d'une
princesse Gelowar, Wack Njuka était éligible à la royauté du Salum.'r,
Gedel avait profité de la colonne Coronnat pour récupérer Njuka sa nièce et
mère de Wack Njuka pour en faire sa femme du moment que Saer Mati avait trouvé
refuge en Gambie. Toutefois Wack Njuka préféra suivre son père dans son exil en
Gambie. Son abscence du Salum fit capoter le projet politique de Gedel."
Malgré tous les griefs qu'il avait contre les marabouts, Gedel décida de se
convertir à l'islam vers 1890 pour des raisons personnelles. Peut-être n'était-il pas loin
de penser comme Faidherbe que l'islam ne représentait un danger pour les pouvoirs
établis que quand ses adeptes cherchaient à en faire une force politique. Ce fut un
marabout du nom de Mulay Nasr qui lui fit embrasser l'islam. Cette conversion créa un
violent mécontentement surtout chez le Grand Jaraaf qui exhiba à la cour toutes les
blessures et les cicatrices qu'il avait reçues dans les combats contre les musulmans.
Les populations Sereer de l'Ouest désaprouvèrent dans leur majorité la converjlon de
leur souverain. '6
La paix que connut le Salum à partir de 1887 ne fit pas pour autant disparaître
la lulle pour le pouvoir entre les deux branches Guelewar. La solution Wack Njuka
naguère tentée par le Buur Salum Gedel pour maintenir le pouvoir dans sa branche
maternelle n'était pas faite pour plaire au dauphin Semu Jimit de la branche rivale Kewe
]2igee. Les membres de l'entourage de Gedelle détestaient, convaincus que dès son
élection il leur enleverait tous les privilèges au profit des gens de son segment
maternel. Devantla menace maraboutique on l'avait nommé Sumi pour réaliser l'union
de toutes les forces du Salum. Du moment que le danger n'était plus qu'un lointain
souvenir, il n'y avait plus péril pour l'écarter de cette charge au profit d'un prince de la
branche régnante. Malgré son titre de Bumi, Semu Jimit n'était attributaire d'aucun
apanage. Il n'avait qu'un village et travaillait personnellement ses terres.'"
Cette crise latente finit par s'extérioriser à la faveur d'un projet de mariage
d'Ancu, membre de l'entourage de Semu Jimit avec une princesse Gelowar. Bien
qu'apparenté au Bum~le prétendant était un Tann-aann c'est à dire un roturier. Semu
était hostile à ce mariage mais il chassa avec fracas les sicaires que Gedel avait
envoyés chez lui pour arrêter Ancu. Cette réaction du Bumi fut perçue par Gedel
comme le signe avant coureur de sa rebellion armée. La crainte d'être attaqué par son
Bumi le jeta sur la route de Saint-Louis à l'instar de Mbacke II. Rompant à son tour avec
toutes les traditions de sa famille, il alla à Saint-Louis signer un nouveau traité pour
nouer à nouveau d'une façon plus étroite, les liens qui l'unissaient depuis 1887 à la
France. Cet acte vit le jour le 28 Novembre 1891 entre lui et le gouverneur Lamothe.
A quelques variantes prés c'était la copie conforme de celui signé quelques jours
auparavant avec le Bur Siin Mbacke II. Ainsi pour ce qui était de la transmission du
pouvoir, le gouverneur se réservait le droit de choisir dans la famille royale le candidat
qui aurait donné le plus de preuves d'attachement à la France et qui se serait le mieux
initié au langage et à la civilisation du pays protecteur. Le traité disposait aussi que tout
différent civil ou commercial entre UII Européen ou un Sujet français et un habitant du
/ '
Salum serait jugé en première instance par le bur ou par un de ses délégués
conjointement avec l'administrateur du cercle, et en appel sans frais ni procédure par
le gouverneur en conseil privé. 50
Pour écarter les Anglais du Salum, le traité disposait qu'aucun Sujet d'une
puissance autre que la France ou des pays protégés par elle ne pourrait s'établir ou
circuler dans le Salum sans l'autorisation de l'administrateur chargé du protectorat, et
l'approbation du gouverneur du Sénégal. Les personnes qui auraient obtenu cette
autorisation seraient assimilées, en ce qui concerne la juridiction pénale, civile et
commerciale aux Français et Sujets français. 51
Eu.égart aux avantages qu'il pouyait retirer de la présence de l'administration
française, Gedel s'engagea à verser chaque année une part des impôts perçus par lui
dans le Salum entre les mains du Gouverneur pour rembourser au gouvernement
français ses frais de protection, et assurer dans le royaume l'exécution des travaux
d'utilité publique. 52 A l'avenir aucun habitant libre ou libéré du Salum ne serait réduit en
esclavage.
Ce traité annulait ceux qui avaient été conclus précédemment entre le gouver-
neur de Saint-Louis et le Salum et constituait désormais la base des relations entre les
signataires. 53
Jusqu'à sa mort Gedel appliqua les directives émanant de l'administrateur du
Salum. Il déploya beaucoup d'énergie pour le premier recensement de la population
du Salum qu'il fit faire de façon astucieuse. Convaincu comme ses sujets que le
dénombrement démographique s'accompagnait toujours de calamité~ J,r demanda
à chaque chef de village de lui apporter autant de noyaux de pain de singe qu'il avait
de personnes dans sa concession.""
Le 23 Novembre 1894 au cours d'une tournée dans les provinces orientales de
son pays pour y percevoir l'impôt, il succomba à une bronchite. C'était un homme
énergique, d'un esprit réfléchi et ces deux qualités lui permirent de sauver son royaume
au moment précis où les forces maraboutiques menaçaient de l'anéantir.
L'AVENEMENT DE SEMU JIMIT JUFF
Semu Jimit qui lui succéda, fut intronisé le 3 Décembre 1894 par le Grand
Jaraaf.55 L'investiture officielle eut lieu par le Gouverneur Lamothe qui proclama
solennellement Semu Jimit Juuf bur Salum au nom du gouvernement français. La
succession s'était donc faite selon le compromis établi au début du règne de Gedel qui
l'avait désigné comme son Burni. Le gouverneur entérina ce choix, car le nouvel élu
avait fait preuve d'un courage exceptionnel lors de la guerre contre Saer Mati. Ce qui
lui avait même valu de la part de Coronnat le titre de premier guerrier du Salurn.
$
Toutefois le gouverneur lui conseilla d'agir avec l'impartialité la plus absolue entre les
..,
différentes catégories de ses sujets qui devaient avoir toutes les mêmes titres à sa
sollicitude. Il devait rapidement faire disparaître certaines coutumes comme les procès
de sorcellerie et certaines pratiques comme le serment du feu et les châtiments
corporels. Il était invité à accorder une imp&ance particulière à la protection du
commerce et de l'agriculture ~perçuscomme les véritables sources de la fortune
1
du pays. Le Suur en fit le serment. Comme cultivateur il connaissait les besoins des
badolo. Il promit d'envoyer les enfants du Salum à l'école et prit comme secrétaire
l'instituteur Isaac Konare. 58
Ainsi donc aprés un quart de siècle de combats alternant succès et
échecs les Etats Wolof et Sereer de la Sénégambie furent soumis à la domination
coloniale française. Au moment où Faidherbe lachait ses colonnes contre eux, ils
recelaient de graves faiblesses. Les douloureuses séquelles de la traite négrière
avaient créé partout une athmosphère irrespirable de suspicion et d'incompréhen-
sion. Face à la menace commune, les dirigeants, paralysés par le lourd poids des
malentendus d'antan, ne cherchèrent presque jamais à réaliser leur unité pour écarter
le risque de la défaite ou en retarrjer l'échéance. Tous s'accrochèrent avec une
ténacité invincible à cet émiettement qui ~facilitait les entreprises du
conquérant.
Mais la conquête insufla un dynamisme à l'expansion de l'islam qui luttait à la
fois contre l'aristocratie Ceddo enco:-e païenne/et contre les envahisseurs qui repré-
sentaient un péril non moins grave en raison de la prépondérance que le cllristianisme
pourrait acquérir dans le pays s'ils venaient à triompller. Les guerres Saintes,
déclenchées çà et là, ajoutaient leurs sanglants méfaits à ceux provenant des luttes de
factions se disputant le pouvoir. Tout ceci rendait difficile, voire impossible la construc-
tion d'une société plus juste, réconciliée avec elle-même. Ces défiances structurelles
n'étaient compensées par aucune de ces forces intrinsèques qui permettent aux
pouvoirs de cacher leurs lacunes. L'utilisation de la quinine réduisait dans de fortes
proportions les ravages que le paludisme opérait dans les rangs des troupes euro-
péennes. Mieux le gros des troupes de la conquête était africain avec un encadrement
· "
européen. Ces tirailleurs n'avaient point de problème d'adaptation climatique. De plus
les troupes régulières étaient secondées par des milliers d'auxilliaires ou de volontai-
(
res dont les déprêdations étaient pires que celles des invasions de sauterelles.
A cela s'ajoutait la supériorité de l'armement ennemi. Les mousquets, armes
locales qu'on chargeait par le canon, étaient aussi dangereux pour les utilisateurs que
pour leurs ennemis. Les Sane et les Tata n'avaient qu'une valeur défensive toute
relative face à l'artillerie du conquérant. Celui-ci disposait aussi de fusil à tir rapide dont
la portée ballistique était nettement supérieure à celle des mousquets. S'y ajoutaient
les chassepots, les canons à mitraille, les bateaux à vapeur le télégraphe et le chemin
)
de fer qui en résolvant le problème de communication et de logistique/endirent encore
)
.
plus aléatoires toutes les mesures militaires prises par les résistants.
La guerilla était donc le moyen le plus adéquat auquel ils recoururent dans
l'espoir de supprimer ces lourdes hypothèques qui grevaient leur lutte. Dans biens des
royaumes elle permit de retarder l'échéance de la défaite.
Mais en dépit de toutes les lacunes essentielles à l'architecture des institutions
des Etats, des rancoeurs ensemencées
depuis des siècles et de la supériorité
intrinseque de l'armement ennemi, la plupart des dirigeants qui sont entrés dans la
galerie des résistants, ont fait, au moment où les institutions de leurs pays risquaient
d'être frappées de nullité par l'agression étrangère, ce que l'histoire attendait d'eux et
qui par la suite apparut aux yeux de leurs héritiers comme la vérité, parce que la seule
conduite conforme à l'idéal de grandeur, d'honneur et de sacrifice enseignée par les
ancêtres. Même en sollicitant le protectorat français les souverains du Bawol, du
Kayor, du Siin et du Salum n'avaient d'autre souci que de prolonger autant qu'il le
pouvaient la vie de l'institution monarchique. Ils n'écartèrent aucun expédient pour
assurer la survie de leur royaume. Ils crurent, à chaque signature de traité, avoir sauvé
l'essentiel, surtout quand certaines clauses précisaient que le pouvoir était maintenu
dans leur famille.
Les uns et les autres se reféraient aux traditions ancestrales ou de grands
caractères avaient donné, dans des circonstances semblables, l'exemple de dévoue-
ments sublimes. Sur les chemins semés d'embûches ils firent preuve de courage,
d'abnégation et de désinteréssement. C'est pour cela qu'ils n'avaient pas toujours
cherché à savoir ce que pouvait coûter à leur pays la poursuite de leurs rêves. En
délinitive ils ne ménagèrent ni leur sang, ni celui de leur peuple pour fixer sur le sol cette
vérité qui est aujourd'hui celle de I;;urs descendants qui réservent à leur mémoire
vénérée une place primordiale dans l'histoire du pays.
1- Ba A.B. : ESSAIE SUR L'HISTOIRE DU SALUM ET DU RIP, B.IFAN Série B n° 4
1976, (page 884).
2- Idem, ibidem.
3- Ba A.B. : Op.cil., B.IFAN, (page 847).
4- Klein M.: (page 103).
5- Ba A.B. : Op. cif., B. IFAN., (page 847).
6- Klein: Op. cil., (page 104).
7- A.N.S. 13 G 318 : Commandant Supérieur de Gorée au Gouverneur, 24 Décem-
bre 1874.
8- BA A.B. Op. cit., B. IFAN, (page 8413).
9- A.N.F.O.M. Sénégal 163 : Brière de l'Isle au Ministre, 23 Avril 1879.
10- Ba A.B. : Op. cil., B. IFAN, (page 848).
11- A.N.F.O.M. Sénégal 163 : Brière de L'Isle au Ministre, 23 Avril 1879.
12- Quinn C.A. : MANDINGO KINGDOMS OF THE SENEGAMBIE, (page 164).
13- Idem, ibidem.
14-ldem, ibidem.
15- A.N.F.O.M.: Sénégal l, 65 A: Saint-Louis, le 23 Août 1881, Gouverneur P.1. au
Ministre.
16- Ba A.B.: B. IFAN, 1976 (page 849).
17- A.N.F.O.M. Sénégal l, 86 Victor Ballot LI Gouverneur des Rivières du Sud au
Gouverneur du Sénégal, 4 Août 1885.
18- Idem, ibidem.
19- Idem, ibidem.
20- A.N.F.O.M. Sénégal 186 A : Rapport Politique sur le Salum Ballot, 4 Août 1885.
21- A.N.F.O.M. Sénégal 163 A BRière de L'Isle au Ministre, 6 Novembre 1878.
22- Klein, (page 132).
23- Klein, (page 135).
24- Klein, Op. cil., (page 135).
25- Klein, Op. cil.
26- A.N.F.O.M. Sénégal 173 A : Seign03c de Lelleps au Ministre 12 Mars 1886.
27- Idem, ibidem.
28- A.N.F.O.M. Sénégal l, 76 A : Situa~ion politique du Sénégal, 10 Décembre 1886.
29- A.N.F.O.M. Sénégal l, 73 A: Seynac de Lesseps au Ministre le, 12 Mars 1886.
30- A.N.F.O.M.: Sénégal, 176 A à GOL'verneur Saint-Louis 25 Avril 1887.
4 9 Kr,
31- A.N.F.O.M. Sénégal l, 76 A Gouverneur au Ministre Saint-Louis, le 25 Avril
1887.
32- A.N.F.O.M. SénégallV-105 Coronnet Rapport sur la colonne du Rip, 8 Juin
1887.
33- idem, ibidem.
34- Idem, ibidem.
35- A.N.F.O.M. SénégallV-105 Col. Coronnat, 8 Juin 1887.
36- Idem, ibidem.
37- A.N.F.O.M. SénégallV-105 Coronnat au Gouverneur, le 8 Juin 1887.
38-ldem.
39- A.N.F.O.M. SénégallV-105 : Traité 3vec le Salum, Rip, Nom, Nani 14 Mai 1887.
40- Traité du 14 Mai 1887.
41- Idem, ibidem.
42- idem, Ibidem.
43- Sabatier A. : Op. cit., (page 186).
44- Idem (page 187).
45- Klien, Op. cil., (page 156).
46- Klein, Op. cil., (page 156).
47- Klien, Op. cil., (page 157).
48- Klein, Op. cil., (page 155).
49- Traité du 28 Novembre entre Gedel et Gouverneur Lamothe.
50- Idem, ibidem.
51-Idem, ibidem.
52- Le traité a été ratifié, le 7 Mai 1892 par le Président Sadi Carnot.
53- Ba A.B. : B.IFAN, (page 850).
54- A.N.S. 2 D 815: Fatick, le 5 Décembre 1894.
55- J.O.S. Décembre 1894, cérémonie d'investiture de Semu, Jimit Juuf.
--
TROISIEME
PARTIE
LES RAPPORTS ENTRE COLONS
ET COLONISES
1 CONSÉll AFRICAIN
ET MAlGACHEl
j POUR l'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR i
i C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU l
Arrivée .. ·f 6· M·AI· ·1-995 ..... i
:nregi st~~,~~~~.~:~Jl_'U.:Q~5.-:~_1
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493
TROI:;IEME PARTIE
CHAPITRE 1:
LA POLITIQUED'ASSIMILATION DANS
LES TERRITOIRES ANNEXES 1855-1893.
Dès la reprise de possession Er 1817, la France pratiqua dans ses comptoirs
de Saint-Louis et de Gorée une politi'1'.1e de d'assimilation. Ces centres étaient des
zones de contact entre autochtones et EJropéenset où se diffusaient avec une relative
facilité les influences culturelles de la France. Une population de Noirs libres et leurs
esclaves y cotoyaient les agents des compagnies et les soldats des garnisons. En
raison des ravages qu'opérait le climat tropical parmi les Européens, les agents des
compagnies comme les soldats des garnisons prenaient des femmes ou des concu-
bines parmi les autochtones. Ces unions, appelés «mariages à la mode du pays'»
cessaient avec le rapatriement du mari.
De ces unions temporaires naquirent des mulâtres dont la préoccupation
majeure était de se rapprocher des Européens par leur genre de vie. Grâce aux
énormes bénéfices tirés du trafic né~Jr ier ils avaient remplacé leurs cases par des
constructions en dur. Toutes cérémonifls, même religieuses étaient pour ces mulâ-
tresses, appelées signares, l'occasion cie faire étalage de leur bon goût, et surtout de
leur grande fidélité aux influence culturililes de la France.
Il se créa ainsi au début du XIX· siècle, un petit espace français dans les cités
de Gorée et de Saint-Louis où le conte.ct donna naissance à un hybridisme culturel
matérialisé par un début de créolisatic'n de la langue française chez ceux qui tenaient
à la parler sans avoir été à l'école. Dans ces noyaux de contac~les influences se
croisèrent. La prépondérance économique détenue par les agents européens conféra
une importance au français comme lorgue de communication.
Exception faite pour les esclaves :lui Yétaient conduits de force, la présence des
autochtones dans ces comptoirs s'était déroulée sans drame. C'était de bon gré qu'ils
s'y étaient établis. Mulâtres et Noirs libms aisés étaient tous porteurs d'une bivalence
Hg
4 9 4
culturelle et déployaient des efforts d'iri!Jéniosité pour s'intégrer dans le courant de la
civilisation française. Les mûlatreset les gourmettes, c'est à dire les chrétiens noirs
revendiquaient leur appatenance à la culture française. Ils ne manifestaient aucune
fidélité à leur patrie africaine.
Ils avaient fini par se croire supérieurs aux africains de l'intérieur qui n'avaient
reçu aucun vernis de la culture françaif3e. Celle-ci représentait pour eux l'idéal vers
lequel il tournaient toutes leurs espérances.
Dès lors l'assimilation était nat'Jrellement la politique que l'administration
française pratiquait dans ces comptoirs.. Ils s'agissait de rendre tous les habitants des
deux comptoirs, quelles que fussent leurs races ou leurs croyances, tributaires des
moeurs, des méthodes et de la façon d'sgir et de penser des Français.' Cette politique
découlait de la psychologie classique qui parlait de l'homme universel, de l'homme en
soi «identique à lui même àtravers l'espace et letempsJ». Auxyeux des tenants de cette
doctrine la diversité humaine n'était que provisoire. Elle disparaitrait à plus ou moins
longue échéance grâce à la «civilisatiw qui raménerait tout à l'unité foncière de la
nature humaine» en faisant disparaÎtril les différences.
Les autorités françaises du Sénégal, héritières de la révolution de 1789/taient
convaincues que les institutions métrop:Jlitaines avaient une valeur absolue, indépen-
dante du temps etdes milieux. Puisque l'homme était partout l'égal de l'homme, quelle
que fût la couleur de l'épiderme, elles crurent pouvoir administrer les autochtones du
Sénégal comme les Français en essayant de leur inculquer» les mêmes moeurs, les
mêmes goûts, les mêmes aptitudes, les mêmes conceptions de la vie familiale, sociale
et politique, les mêmes cultes, le même, hymne et la même patrie'».
En effet les idées républicaines issues de la révolution furent invoquées pour ne
pas faire aux indigènes un traitement bssentiellement distinct de celui des Européens.
Les principes de liberté, d'égalité, de fratNnité devaient régir tous les hommes sans
aucune distinction de race ni de civilisation. A tous «devaient s'appliquer les lois
françaises considérées comme le résultat le plus parfait de la liberté dans la société
humaine'». Dès lors on est en droit d'a'firmer que chez les héritiers de la Révolution de
~2
4 9 5
1789, le contenu de citoyen reposài( sur une base idéologique. La citoyenneté
renfermait toutes les valeurs qui constilJaient les fondements spirituels de la nation
française.· Leur objectif était de créer un ordre universel. Leurs institutions/eposant
sur une base rationnellE) étaient à lellrs yeux meilleures que celles des indigènes.
Puisque une bonne loi était bonne pOlir tout le monde, pourquoi les lois françaises ne
feraient-elles pas le bonheur des peupkls d'Outre-Mer7 ?
Les pays extérieurs étaient pentus comme des parties intégrantes du territoire
métropolitain. Ceci devait logiquement déboucher sur la similitude politique "de la
métropole et de ses territoires détachés·.. par la création 1entre les organismes
hétérogènes et l'Etat souverain "une solidarité aussi précieuse qu'artificielle9...
)
~~ ,
En d'autr~term3Ia France ne concevait l'universel que sous la forme reproduite
de sa propre image. Elle voulait transpcser Outre-Mer le genre de vie, les institutions,
bref elle cherchait à créer entre elle et S0.S colonies une uniformité administrative,
politique, sociale et économique. Sans doute le fondement de cette doctrine ét~
généreux puisqu'elle reposait sur le principe de la stricte égalité des hommes. Mais
dans la réalité, elle était nécessairement oppressive. En prenant la métropole comme
l'unique critère de référence, elle amenait à nier l'indigène dans la totalité de son passé
national qui se trouvait du coup "destitué de toute valeur humaine'o...
Cette doctrine conduisait dorc à la croyance à l'infériorité intrinsèque des
..
institutions locales autochtones qui n'auraient pas été soumises au crible du proces-
sus assimilatif. Tout se passait, en réalité, comme si l'indigène n'était regardé comme
personne dotée de qualités humaines qu'aprés avoir reçu l'éducation française. Ceux
qui se trouvaient en dehors de son champ d'application étaient du même coup exclus
du bénéfice de l'égalité proclamée f::ar la doctrine. Apparut alors nettement ce
paradoxe dans le comportement de ceux qui prêchaient l'assimilation, qu'en voulant
sortir les indigènes de leur milieu et leur imposer leurs propres conceptions, ils
adoptèrent, vis à vis d'eux, des mèt~lodes oppressives pour faire disparaitre les
différences de culture.
Ug
4 9 6
Dès le départ, la politique d'assimilation cherchait donc à dissoudre les indigè-
nes dans l'identité française. L'originéllilé ou la spécificité des cultures et des civilisa-
tions indigènes n'étaient que l'expression de la «barbarie locale». L'administration
ignorait que tout peuple, quel que iû. l'état de son développement, tenait à ses
coutumes, à son droit, à sa religion aux différentes formes d'expression de sa culture.
Les indigènes ne se faisaient pas fa'Jte de formuler des critiques acerbes sur les
aspects de la civilisation française qui les paraissaient scandaleux. Leurs institutions,
leurs croyances, les acquisitions iniellectuelles, leurs normes morales étaient les
manifestations tangibles qui matérialisaient !'équilibre relativement harmonieux auquel
ils étaient parvenus avec leur environnement."
Les indigènes étaient incapables de faire table rase de leur passé, quels que
fussent les moyens utilisées pour les dénationaliser. Chaque peuple a son caractère,
. ~i'
,
h\\~
.
ses aptitudes, sa mentalite, son mode de vie que commande sa propre conception de
l'homme de son existence terrestre e: de son au-delà.'2
C'est la raison pour laquelle la politique d'assimilation pratiquée durant la
conquête ne pouvait déboucher que sur des réactions négatives de la part des
autochtones qui ne trouvaient aucune raison valable de renoncer à leur cadre
traditionnel de vie. Il est vrai que pour les tenants de l'assimilation, les indigènes
n'étaient encore que des barbares. Ils n'avaient pas de droit mais des coutumes, pas
de religion mais des supertitions, pas d'art mais du folklore, le tout en référence aux
catégories correspondantes de l'occi·jent. 13
Cette politique d'assimilation pré~entait un inconvénient majeur. Son résutat
pratique devait être d'accorder aux indigènes les droits civils et politiques reconnus
aux Françaisd'Europe. Le système devait en principe déboucher sur l'égalité entre les
civilisateurs et les conquis. Ce qui signifierait la fin de la colonisation à plus ou moins
brève échéance. On ne tarda pas à se r'3ndre compte que la réalisation de cet idéal était
impossible, car ces peuples avaient d~'s Garactéristiques différentielles rebelles àtoute
unification. A y réfléchir de prés, la politique d'assimilation pratiquée au Sénégal n'en
était pas une, du moins à ses débuts. C'était plutot une politique d'imitation qui
demandait aux autochtones de singer leurs dominateurs dans les comportements de
H2
4 9 7
leur vie quotidienne. L'imposition, à c'~~ peuples conquis, d'institutions identiques à
celles de la métropole ne pouvait pas leur donner la même civilisation. Si certains
indigènes, par intérêt ou par snobi~më-révendiquaientleur appartenance à la civilisa-
tion française, l'immense majorité d'entre eux demeuraient fidèles aux valeurs ances-
trales et les jugeaient préférables à celles qu'on voulait leur imposer."
En réalité une véritable politique d'assimilation aurait dû se borner à une
diffusion désinteressée des normes et valeurs de la civilisation française, à charge pour
les autochtones de les assimiler en ~rquant le modèle de leur personnalité au lieu de
le reproduire servilement. l~uraiffa.it~'L:bir aux emprunts les adaptations nécessaires
en rapport avec les facteurs qui commandaient leur environnement et leur philosophie
de la vie.'5 Ainsi aurait vu le jour une civilisation hybride originale, expression du nouvel
équilibre né de la conquête. Mais il en fut autrement.
C'est cette doctrine qui servit de fondement à l'action de la France au Sénégal
dès la reprise des possessions de Saint-Louis et de Gorée en 1817. Les comptoirs de
Saint-Louis et de Gorée, les seules poséiessions françaises dignes de ce nom au
Sénégal furent gratifiées du droit françai:; dés 1830. En effet l'arrêté du Gouverneur en
date du 5 Novembre 1830 et relatif à l'application du code civil à Saint-Louis et à Gorée
semblait catégorique pour ce qui était dB l'application des lois françaises aux habitants
de ces deux localités. «Le territoire de la colonie, disait-il, est considéré dans l'applica-
tion du code civil comme partie intégl'8:1te de la métropole. Tout individu né libre et
habitant le sénégal ou dépendance jouira dans la colonie des droits accordés par le
code civil aux citoyens français'6". Aucune disposition ne réservait le statut personnel
des musulmans qui étaient nombreux dans les deux villes. Le texte fondamental en ce
qui concernait le statut des indigènes fut la loi du 24 Avril 1833 relative à l'exercice des
droits civils et des droits politiques dan:> ce qui constituait alors la colonie. Promulguée
la même année au Sénégal elle disposait que «toute personne née libre ou ayant acquis
légalement la liberté jouit dans les colonies françaises: Premièrement des droits civils,
deuxièmement des droits politiques sous les conditions prescrites par les 10is17•
Les habitants de Saint-Louis et de Gorée étaient donc des citoyens français à
part entière. Le statut personnel qui est le reflet des moeurs, des coutumes, du milieu,
498
de la religion n'était pas pris en compte. Pourtant il était d'importance pour les
musulmans soumis au coran qui leur ~:~Ivait à la fois de loi civile et de loi religieuse. En
leur appliquant les dispositions des lois françaises surtout civiles on les mettait en porte
à faux avec leur religion. Dès 1843 ils demandèrent à bénéficier des droits accordés
aux musulmans d'Algérie'· qui, eux, n'étaient pas citoyens français.
Quoiqu'il en fût, ces nouveaux citoyens étaient soumis totalement à l'empire de
la loi française tant du point de vue public que privé. Cette citoyenneté leur conférait
certes le droit de vote mais leur faisa,t obligation de se soumettre au corps de droit
métropolitain. Les difficultés étaient sérieuses pour les musulmans tenus de se
conformer aux prescriptions coranique:, alors que les autorités locales affirmaient que
les éléments de droit étaient essentiels et inséparables du statut de citoyen et
refusaient de considerer comme citoyens les indigènes non soumis au code civil.'·
\\~,
.
Malgré ces obstacles le gouvernement provisoire de 1848 n'en continua pas
moins cette politique d'assimilation des personnes. L'article 6 du décret du 5 Mars
1848, abolissant "esclavage dans les colonies françaises, disait que celles-ci, purifiées
de la servitude, seraient représentée~; ,3 l'assemblée nationale. L'instruction rédigée
par le gouvernement provisoire en exécution du décret du 5 Mars 1848 précisait que
les indigènes du Sénégal et dépendallces, justifiant d'une résidence de plus de cinq
ans seraient dispensés de toute preu\\ie de naturalisation20, car ils devenaient automa-
tiquement citoyens français. Les élections du 30 Octobre 1848 pour choisir le
représentant de la colonie au parlemellt français virent la victoire de Durand Valantin. 21
La constitution de 1852 sUpprilT'.iltoute représentation du Sénégal à l'assem-
blée nationale française. La présence tje Faidherbe à la tête de la colonie à partir de
1854 permit d'apporter un correctif à cette politique d'assimilation à outrance qui
mettaitles musulmans dans une situation délicate vis à vis de leurreligion. L'expérience
qu'il avait acquise en Algérie lui avait fait comprendre que le droit musulman était un
droit essentiellement religieux. Les institutions façonnées selon les principes du
prophète étaient différentes de l'espl'it de laïcité qui avait présidé à la naissance des
institutions françaises 22• Il ne lui semblait donc pas possible de faire des musulmans
"~
4 9 9
de la colonie des citoyens français,au sens plein du terme. Il tenta une première
naturalisation dans le statut en réservant flar un texte leur statut personnel.
Sur sa proposition, Napoléon III signa le 20 Mai 1857 un décret créant dans la
colonie du Sénégal un tribunal musulman présidé par un cadi secondé par un
assesseur et un greffier. Ce tribunal connaissait exclusivement des affaires entre
indigènes musulmans et relatives aux questions intéressant l'Etat-Civil: Les mariages,
les successions, les donations et les testaments et suivant les formes de procédure en
usage chez les musulmans. En appelletribunal était constitué par un conseil constitué
par le Gouverneur, un conseiller de la cour impériale, le Directeur des Affaires
indigènes et le chef de la religion musulmane appelé Tamsir.23
Cette concession importante, faite par le Gouvernement aux musulmans, sans
remettre expressement en cause leur qualité de citoyens français,finit par créer une
situation ambiguë. Aprés la conquête on se demanda si les originaires de Saint-Louis,
de Gorée de Dakar et de Rufisque,2' pouvaient continuer à bénéficier de la qualité de
citoyen français tout en conservant leu,- E,tatut personnel. Pour les indigènes il ne faisait
guère de doute que ce statut leur était acq:.Jis même s'il n'étaient plus soumis depuis
1857 à la partie des lois relatives au droit civil français.
En regart de cette interprétation, les autorités locales déclarèrent qu'on ne
saurait envisager deux catégories dl' citoyens français : Les uns soumis aux lois
françaises, les autres régis par un ~;tatut personnel particulier et relevant d'une
juridiction spéciale. Dès lors les dispm;itions légales, qui assuraient aux musulmans le
bénéfice d'une juridiction d'exception, ne s'appliquaient qu'à des sujets français. 25
Ainsi les successions musulmar,es traitées par le tribunal musulman avaient
toujours échappé à l'action de l'administration et par conséquent aux taxes dont
étaient passibles les citoyens non musulmans en cette matière. Ils devenaient du coup
de super citoyens français car il pouvaient être aussi polygames sans encourir les
rigueurs de la loi. Le maintien du statut personnel empêchait l'assimilation complète
des originaires musulmans. Les deux camps s'affrontèrent à coup d'arguments aussi
judicieux les uns que les autres. En 181G à la faveur de la guerre, Blaise Jaan député
fran~aise
du Sénégal fit voter la loi qui conféra le bénéfice de la citoyenneté
aJx 0 0
fli<,.....":,
.
habitants des quatre communes et àInurs descendants.26 Le problème n'était pourtant
..'-,r.
pas résolu car cette loi restait muette ~·Lir le statut personnel des originaires. Ce silence
-,
était constamment évoqué par les au'.orités locales pour leur dénier leur qualité de
citoyens français malgré tous les saGrifices qu'ils avaient consentis pour la France
pendant la conquête et pendant le premier conflit mondial. 27
La solution de ce problème ser~blait résider dans la naturalisation dans le statut
qui, tout en permettant à l'indigène c1'obtenir la qualité juridique de citoyen, récom-
pense de son attachement et de SOI'l dévouement à la france, lui aurait pareillement
fourni «le moyen de rester fidèle à ses institutions traditionnelles, de vivre selon les
préceptes juridiques... conformes à son tempérament, à sa race à sa religion»2".
..
Devant l'échec relatif de cette'f,politique d'assimilation globale et immédiate
qu'on avait voulu opérer dans les communes de plein exercice, on recourut à une
politique d'assimilation sélective. Les tenants de ce courant ne parlèrent pas de réaliser
l'égalité immédiate des hommes, mais crurent plutôt en l'égalité potentielle des
hommes. Pour eux les indigènes cle'/aient se montrer dignes de la citoyenneté
française avant de pouvoir l'acquérir. flle seraient alors admis dans la cité française que
ceux qui auraient expressément renor1cé à leur statut personnel et dont la manière de
vivre serait un décalque de celle des Français. En d'autres termes la naturalisation
individuelle, aprés enquête de la gendarmerie, devait être l'unique moyen de sélection
de ceux des indigènes qui désiraient .3ccéder à la cité française.
Toutes ces réticences à l'octroi de la citoyenneté française aux indigènes
résultaient souvent des luttes poiitiqu8S qui opposaient les Européens aux mulâtres et
à leurs alliés Noirs lors des consulta!ions electorales pour la députation, le conseil
général ou les municipalités. L'arithmétique était favorable aux mulâtres et à leur alliés.
Pour ne pas toujours succomber sous If' poids du nombre, les Européens recoururent
aux arguties juridiques pour enlever à la majorité du corps électoral illettré son droit de
vote. Pour eux les deux maux les plus graves qui menaçaient la survie de la colonie
étaient «la fièvre jaune et le vote nègrfl29». Outre cette politique d'assimilation person-
nelle, la France avait également pratiqué une politique d'assimilation politique et
Ng
5 0
administrative. Dès 1848 Gorée et S<c.i.çlt-Louis élurent le député Valantin à l'assemblée
nationale française. Cette représentalion fut supprimée en 1852 et rétablie en 1871.
Les indigènes furent à nouveau autorisés à voter avec les Blancs.
La supériorité numérique des Noirs par rapport aux Blancs créa des difficultés.
La politique d'assimilation qui était à l'origine de l'octroi de droit de vote aux habitants
indigènes de Gorée et de Saint-Louis n'y trouvait plus son compte. La plupart des
électeurs ignoraient la langue de De:3cartes et étaient loin de se conformer à la loi
fran~a~s~. Ces électeurs ignorantsrppliquaient les directives d.e vote .',par g~oupes
disCiplines sous le commandemek (lu cheF". Cette assimilation politique etait un
échec. Au lieu d'inciter les citoyens il entourer la France d'une affection passionnée,
elle les poussa au contraire à proclarner des tendances autonomistes, voire indépen-
dantistes. Les consultations electoralE:s étaient l'occasion, pour la plupart d'entre eux,
i ' i,
1.,.
·1,),
d'exprimer leurs sentiments anti Français en criant "à bas les Français, le Sénégal aux
Sénégalais"». Les chefs de file de la contestation étaient des mulâtres qui avaient
accaparé "nombre de postes dans I.e gouvernement, tous les postes municipaux et
formaient la majorité au conseil généraL"32 Pour ces raisons les autorités françaises
décidèrent de priver la plupart de::, habitants indigènes des communes de plein
exercice de leur droit devote. Un premier essai fut tenté en 1908 lorsque le gouverneur
du Sénégal demanda la radiation de 1563 noms des listes électorales de Dakar en
alléguant que ces indigènes étaient des sujets et non des citoyens. Mais la cour de
cassation refusa de le suivre dans cette voie.""
Lors des consultations elect::Jrales la conception politique de type africain
l'emporta sur le système importé. /J, '3aint-Louis comme à Gorée où les structures
familiales n'avaient subi qu'une érosion superficielle, la famille gardait toute sa
puissance sur ses membres. Aucun individu n'osait se singulariser en votant contre le
candidat du chef de sa famille. Les opinions personnelles n'étaient pas de mise. On
votait pour le candidat qui avait l'agrément du patriarche quelles que fussent les thèses
qu'il défendait. Cet unanimisme donnait l'impréssion à ceux qui n'appréhendaient pas
les mécanismes de la société locille, d'un viol délibéré de l'esprit même de la
consultation électorale. Chez les Européens l'individu se déterminait seul en fonction
N2
5 02
de ses sensibilités, chez l'Africain c'est le groupe en tant qu'entité homogène qui
prenait parti.
Quelle valeur pouvait avoir pour les autorités locales une élection qui ne laissait
pas de place à la réflexion et au choix personnel? Quel crédit fallait-il accorder aux
représentants élus dont les mandants ignoraient tout de leur programme politique?
En voulant faire table rase de l'organisation sociale et politique locale, les autorités
allèrent à l'échec. A chaque détour de leur action, elles se heurtaient à la réalité
persistante des institutions et de la traditIOn locale. La France pratiqua également dans
le territoire des quatre communes une politique d'assimilation administrative en leur
imposant l'organisation administrative en vigueur dans le territoire métropolitain. Ces
cités devaient être gérées comme une portion du territoire métropolitain." Le décret
du 10 Août 1872 porta organisation de communes de plein exercice au Sénégal. On
ftf
.
y décèle l'intention chez le législateur de modeler, en tous points, l'organisation colo-
niale sur celle de la métropole. Cette intention était trés nette aussi dans les decrets du
4 Février 1879 instituant le conseil général. I/s imposaient aux électeurs l'obligation de
savoir lire, parler et écrire le français,
Administrativement le territoirf.' des quatre communes de plein exercice était
assimilé à un département français. Si, pour ce qui était de l'organisation municipale,
on avait transposé sans les modifier, ies régies relatives aux municipalités métropoli-
taines, des nuances avaient été maintenues pour l'organisation du conseil général.
Cette assemblée était dotée de pouvDirs plus importants que ceux des communes,
Corltrairementà ce qui se passait en Fi'a:lce, le gouverneur avait la capacité d'augmen-
ter le taux des taxes existantes si le conseil refusait de voter les impôts pour les revenus
nécessaires au fonctionnement des ~ervices indispensables. De plus les conseillers
généraux étaient tenus de parler, lire/écrire le français. Cette disposition écartait de
cette assemblée les indigènes illettrés 'lU: formaient la majorité de la population et ce,
au profit des Blancs et des mulâtres35• ::;i au départ, la participation des indigènes se
limitait à l'acte de vote le jour de la com:ultation électorale, le conseil général, comme
les communes, avait joué un rôle d'ir'tiateur dans la formation politique des citoyens
indigènes. Mulâtres et Noirs y intervinl eilt à plusieurs reprises pour dénoncer les abus
ln
5 0 3
'i'!l>/' ~':.r·
des fonctionnaires coloniaux dans les ilé'YS de protectorat. La portée de ces institu-
tions comme instruments de l'assimila,,cll était trés réduite. C'étaient, bien sur, des
mesures libérales mais qui ne bénéficia,ant qu'aux détenteurs des leviers de l'écono-
mie. Ils n'étaient mandataires que d'une iaible paltie des territoires annexés.
LA POLITIQUE COLOr-tV\\LE ET L'INSTITUTION SERVILE
Malgré les obstacles auxquels SE' heurta cette politique d'assimilation dans les
territoires exigus de Saint-Louis et de Go,ue d'abord, de Dakar et de Rufisque ensuite,
les autorités françaises n'en demeurère!ll ,~as moins convaincues que c'était la seule
qui méritât d'êlre poursuivie.
Dès le début de l'expansion franc,ai3e en direction du Walo et du Kayoor pour
désserrerl'étau que les populations de c;i(: pays exerçaient sur Saint-Louis, Faidherbe
envisagea de déclarer français les envira: 1:; immédiats des comptoirs français. Il voulait
entourer la banlieue de Saint-Louis dl' ',illages peuplés d'hommes dévoués à la
France. Le gouverneur n'avait pas la pré: mtlon d'imposer à ces sujets «toutes les lois
françaises3û". Des distorsions trés gran,'IEs existaient entre les civilisations française
et africaine. Mais l'annexion qu'il envis,lDeait de faire, ayant un contenu juridique
précis, puisqu'eile faisait du territoire ,J,lr,,,:é, le prolongement territorial du sol
métropolitain et où donc les lois françaises lieraient parfaitement applicables, il essaya
de concilier ces deux nécessités, en dern:lrIdant à Carrère, chef du service judiciaire
de lui étudier la question. Tous savaient (''3 l'esclavage était une institution trés vieille
en Afrique et que les propriétaires n'y rer J,ceraient pas de bon gré. En leur imposant
l'empire de la loi française on les conta :ldrait à s'éloigner des zones d'influence
,
,... ~
française.
Carrère fut d'avis que pour s'att;c:18r le dévouement des populations de la
banlieue, le gouvernement devait renoncer à sa prétention d'imposer les lois françai-
ses à tous ceux qui viendraient se place: :;~us sa protection. C'eût été inspirer de la
défiance aux chefs de famille que de lel1" demander de renoncer à leur institution
servile. «Leur inspirer de prime abord r',o, principes, dit-il, faire de leur réalisation
.;". .
N2
5 0
immédiate la condition préliminaire et rigoureuse de leur établissement sur notre sol,
c'est leur offrir d'une main des avantage.:'.Ç1ue nous semblerons leur retirer de l'autre"".
Pour lui la situation politique génèrâle interdisait l'application aveugle du décret
du 5 Mars 1848, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas de conférer aux migrants la qualité
de citoyen français. J8
Hamelin, le ministre de la marine donna son adhésion à cette façon de voir. Les
indigènes qui viendraient se placer SOLIS la protection française auraient toute latitude
pour conserver leurs esclaves. Ceux··ci, dit-il, formaient une classe reconnue de la
société mais qui avait ses droits et ses garanties. 39 Ainsi donc la raison d'Etat l'emporta
sur les considérations morales. Les transformations qu'on espérait apporter à cette
institution ne pouvaient être que l'oeuvre du temps. Une fois enracinés dans le sol de
•
leur nouvelle patrie, ils prendraient goût aux moeurs françaises. Alors, aucun obstacle
ne s'opposerait à la modification de leurs idées et des régies touchant à "organisation
de la famille.'o Pour l'instant il était plus i'ldiqué deles laisser se régir par leurs lois, sans
leur imposer brusquement les dispositicns légales françaises.
Une fois retenu le principe du respect des traditions locales, le gouverneur se
lanç,a dans une politique d'annexions. Le 18 Octobre 1855 Faidherbe prit un arrêté
affirmant que les populations qui s'établiraient sous les postes français auraient le
choix de conserver leurs esclaves et le dfJcret d'émancipation ne "leur était applicable
dans aucune de ses dispositions"." Il c!emeurait entendu que les Européens et les
habitants de Saint-Louis ne pouvaient ni posséder des esclaves ni en faire un objet de
commerce.'2
En 1856 Faidherbe annexa à la colonie deux provinces du Kayoor: le Tuube et
le Gelax. Des redevances furent payées au damel en guise de compensation jusqu'en
1860 où on les supprima pour marque( leur annexion au territoire français.'3 Pour ce
qui était de la banlieue immédiate de Saint-Louis, Faidherbe y appliqua les dispositions
du decret d'émancipation. Geet-Ndar, Bouët-Ville, Ndar Tutt n'avaient plus le droit
d'abriter des esclaves. 44
I~
1) 0 !
Aprés l'expédition du Kayoor de 1861 les territoires annexes s'enrichirent de
toute la partie septemtrionale du Kà';~br et du Jander jusqu'à la Tanma. Jusqu'au
-
0""'-"·
.
départ de Faidherbe le gouvernement conserva son unité de vue sur l'esclavage dans
les territoires annexés. Par la suite les chefs successifs du parquet, suivant la pente de
leur tempérament, optaient tantôt pour ,me application stricte de la loi, tantôt pour des
accommodements avec l'esclavage. En 1873 le tribunal de Gorée refusa d'accorder
des patentes de liberté en faveur de f!kte Jop et de Tako Ka originaires du Futa et qui
habitaient Rufisque depuis 9 ans. Leur maître qui les y avait introduites y était mort peu
aprés son entrée. 45
Le président allégua que Rufisque ne jouissait pas encore du privilège d'affran-
chir l'esclave qui touchait son sol. Pour remédier à cette situation ambiguë malgré le
traité d'annexion de 1861, on déci&i l'application à Dakar et à Rufisque
des
I~~..
dispositions du décret d'émancipatio,1.'16
Les territoires annexes s'agrar.dirent avec l'achèvement de la construction de
la voie ferrée. En effet une bande de terrain de cent mètres de part et d'autre des rails
et un cercle de 600 mètres de rayon Hutour des gares furent déclarés sol français. 47
Selon l'article 7 du décret d'émancipation, ces territoires annexés, étaient des
terres de franchise. Il suffisait aux esclaves de les toucher pour acquérir, de suite, la
liberté. Toutefois le gouvernement français, craignant des litiges avec les chefs de
l'intérieur en cas d'application des di',positions légales, conseilla la prudence au
gouverneur. Il était invité à s'absten l' de provoquer la désertion des esclaves en
propageant l'opinion que le Sénégal litait un refuge où l'autorité française était prête
à les affranchir. En cas de risque de confiitavec les propriétaires, le gouverneur pourrait
même se prévaloir de ses attributic,r,s de police pour les expulser du territoire
français'8
Le principe selon lequel le sol français affranchissait l'esclave qui le touchait était
difficilement applicable dans les différents postes français. L'activité primordiale des
comptoirs était le commerce qui se faisait avec les indigènes secondés par leurs
esclaves. Il y aurait donc des risques ~ lioir ces dernièrs affluer dans les postes français
",.;
5 0 6
pour se soustraire définitivement à IWl"s maîtres. Les chefs locaux victimes de ces
affranchissements prendraient des mesures de rétorsion pour faire respecter leurs
..~rf--if"';~:
droits49 Ce problème avait souvent a~:~ombri le climat des relations entre Saint-Louis
et les chefs de l'intérieur.
Dès Août 1848,35 chefs du K,,)'::Jor avaient demandé au Gouverneur si Saint
Louis était devenu le refuge des escl,'rJos en rupture de ban et si le sol de la ville avait
la propriété particulière de libérer les e:,claves qui le foulaient. 50 Ce n'était là à leur yeux
qu'un moyen hypocrite de leur voler leurs esclaves. En quittant le gouverneur ils
profitèrent des paroles pleines de menaces. Les premières libérations de leurs captifs
par ce procédé seraient une véritable déclaration de guerre. 51
Le commandant de Gorée reç'.Jt de son côté des plaintes des chefs de Dakar
qui s'apprêtaient à prendre des mesure;, de représaille contre Gorée qui délivrait des
patentes de liberté aux esclaves qui S'{ refugeaient. Ils menacèrent de ne plus fournir
de ravitaillement à l'île attendu que la plL:part des piroguiers étaient des esclaves qu'ils
craignaient de voir déserter.52
Malgré ces menaces, letribunal de Saint-Louis affranchit en Février 1849 quatre
esclaves appartenant aux Maures et c:L: Kayoor. Les premiers refusèrent d'ouvrir les
escales pour le commerce de la gomme. Ils ne voulurent pas de l'indemnité qu'on leur
proposa comme contre-partie. Ils exi[leaient la restitution de leurs esclaves. 53
Le damel saisit de son côté un h'3bitant de Saint-Louis et mit la main sur 200.000
francs d'arachide qui venaient d'être pElyées par les traitants de Saint-Louis. En Juin
1850 des cavaliers du Kayoor se rendil"ent à Mbur et s'emparèrent de 14 habitants de
Gorée qui y faisaient du commerce. 54
Le Brak du Walo aprés avoir réclamé, mais en vain deux de ses esclaves
refugiés à Saint-Louis, ordonna le pilLlçle d'un troupeau de 200 boeufs destinés au
ravitaillement de Saint-Louis.55 Ces réc:clions des souverains de l'intérieur prouvaient
l'importance que revêtaient l'institution :servile chez les populations du Sénégal. La
porsuite des affranchissements créerait un climat de tension préjudiciable aux intérêts
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5 0 7
~*':
des deux parties. Pour faire oeuvre uti·e il fallait changer de méthode, tout attendre du
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temps et de circonstance favorables't~t:nonplus forcer le cours des choses. 56
• • >'
On proclama alors que le princip'J'de l'affranchissement par le sol ne devait pas
~....
.
se faire au "mépris de la protection à iaquelle avaient d'abord droit les citoyens de la
colonie."57 En vertu des attributions de police le gouverneur expulsa du territoire
français les esclaves fugitifs réclamés par leurs maîtres. Toutefois on se garda de les
remettre aux maîtres qui devaient S'aIJf.;tenir de les torturer sous peine de voir leurs
gens retenus à l'avenir sur les terres fr·ançaises. 58 Pourtant la politique d'assimilation
avait plus de chance de trouver des échos favorables chez les esclaves déracinés que
chez leurs maîtres.
En juin 1849 Dumont, Commandi;nt Supérieur de Gorée donna "ordre au maire
'lt
de reconduire sur le territoire de Dakar la femme Juma et ses deux enfants tout en
menaçant les maîtres de ne jamais plu31eur rendre de captifs fugitifs si cette femmme
et sa progéniture subissaient de mau'mis traitements.'g
En 1863 Le Gouverneur Jaurégui'oery précisa la procédure que devait suivre les
maîtres qui réclamaient leurs esclaves Ils étaient tenus de faire la déclaration au
commandant de l'arrondissement ou du chef de poste le plus proche dans un délai de
8 Jours en fournissant tous les détails pouvant faciliter l'identification de "esclave
évadé. On espérait ainsi écarter l'éventualité de restituer des esclaves ayant séjourné
longtemps dans le territoire de frand:'sl'J. 60
En 1867 Bazot le chef du service judiciaire pensa qu'il fallait mettre un terme à
ces mesures qui déshonoraient la Fr ar~ce en assurant scrupuleusement la consé-
quence libératrice du décret d'émancipation à tous les esclaves qui venaient réclamer
leur liberté. La restitution des esclaves à leurs maîtres ne pouvait que nuire à l'autorité
morale de la magistrature qu'on entrain ait ainsi "hors du domaine de la légalité pure
d'où elle» n'aurait dù jamais sortir. Il Sd refusa à comprendre l'attitude du gouverne-
ment qui invoquait la raison d'Etat pour justifier ces manquements graves à la loi. Ainsi
il délivra des titres de liberté à Ndomb~: Njay de Luga, à Massek de Muit malgré les
réclamations de leurs maîtres respec'if~; Demba Jop et Muse JOR.61
"H~,>;{.:
Le rapatriement de ce procu,;eur peu coopératif rendit au Gouverneur son
entière liberté de mouvement. Les eypulsions des esclaves fugitifs se faisaient sans
retenue. En Février 1878 sur ordre dl.! Gouverneur, le commissaire de police chassa
de Saint-Louis les esclaves Sunkaru,l\\madi, Julbe récla~par leur maître Samba Siré
.-.... ,'.,.
de Sakel. Quelques journaux frança's se saisirent de cette affaire pour obliger les
autorités locales à se conformer à la loi. Le 3 Octobre 1879 Charles Laurent du journal
La France déclara que dans les villes (lu Sénégal, L'administration prenait le parti "des
marchands de chair humaine contre leur marchandise réfractaire62». Les colonies
annexées au territoires métropolitain, devaient, sans aucune réserve, être des terres
de franchise pour les esclaves qui v8naient supplier l'administration de les aider à
acquérir la liberté.
Ces expulsions incitèrent aussi":3choelcher à interpeler en 1880 le Ministre de
la Marine et des Colonies sur l'état de "esclavage au Sénégal. Car pour lui la raison
d'Etat n'était pas suffisante pour circonscrire la portée du decret d'émancipation.
L'opinion publique fut du c6té des protestataires et Jauréguiberry devenu ministre de
la Marine et des Colonies ordonna ;,IU Gouverneur du Sénégal de donner une
interprétation moins restrictive au décret d'émancipation.5O
Force est de constater cependant que l'administration libérait toujours les
esclaves fugitifs originaires des pays en conflit avec Saint-Louis. L'affranchissement
massif des esclaves désorganisait li~conomie locale et rendait vulnérable l'Etat en
gueme contre la France. En revanche ceux des pays amis étaient refoulés comme
vagabonds dangereux pour l'ordre p:.Jblic'"
Malgré toutes les entJses apportées par l'administration à la loi un certain
nombre d'esclaves purent acquérir de5 patentes de liberté. Entre 1857 et 1892, 17.817
esclaves des deux sexes furent affranchis en vertu du principe du sol libérateur. Durant
la période comprise entre 1875 et 1881 le nombre des libérations oscillait entre 350 et
674 par an et aprés l'intervention de ~dloecher le mouvement se situa entre 1050 et
2198 par an entre 1881 et 1889. En 189'J, 854 patentes de liberté furent délivrées, 675
en 1891 et 491 en 1891 65•
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Ces patentes de liberté étaien1'l'ciélivrées par le chef du service judiciaire, Elle,J'
serva~ur ainsi dire d'actede naiss,w,S~ à.l'affranchi. Ille produisait au besoin pour
faire échec à la réclamation de son màî"re.G6 Seulement ce titre n'avait aucune valeur
aux yeux des patrons. Il n'avait pas la cé,pacité d'annihiler leurs droits de propriété sur
leurs gens.67
Il Y eut des esclaves qui, apré;; avoir obtenu leurs patentes de liberté étaient
retournés s'établir dans le voisinage de leurs anciens maîtres. Ceux-ci, exaspérés, et
ne comprenant pas la raison pour laqu:ll1e l'administration leur arrachait leurs escla-
ves, s'emparaient des patentes de Iibf:rté et les mettaient publiquement en pièces,
avant d'administrer aux réfractaires Line copieuse correction corporelle. Puis ils les
vendaient ou leur demandaient d'allei se plaindre auprés du Gouverneur de Saint-
Louis. 66
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.
..
;~:
Les demandes de patentes de lioerté émanaient surtout de jeunes filles et de
jeunes femmes qui espéraient trouver dans la prostitution les moyens d'une existence
facile surtout prés des zones de garnison. Aprés leur libération, les hommes avaient
tendance à mener une vie de maraude et de vagabondage. Il appartenaient à l'élément
le plus paresseux de la classe servile.
Dans leur vie quotidienne d'émancipés, ils ne prenaient que ce qu'il y avait de
«vicieux, de défectueux et de mauvai~i dans les moeurs européennes69». Les risques
que ces affranchis faisaient courir à l' Jïdre public furent si réels qu'on préconisa de
mettre fin au zèle libérateur qui ne fai"a:t qu'augmenter le chiffre des déclassés. 70
C'est le principe du sollibérateUI' de l'esclave qui le touchait qui fut à l'origine
du refus de Lat-Joor de laisser construire le chemin de fer à travers son pays. Pour lui
les escales de la voie ferrée seraient autant de gîtes où les esclaves du kayoor
trouveraient facilement refuge. Ils aurai'3nt à leur portée un moyen de se rendre dans
les postes français et d'en revenir av(:c leur patente de liberté.
Aprés la destitution de Lat-JocI et l'avènement de la voie ferrée le procureur
pouvait continuer d'enlever aux famillES leurs esclaves qui avaient foulé le sol français
et d'infliger des sanctions pénales au:{ 'naîtres qui n'approuvaient pas ses mesures.
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décidèrent de s'éloigner des territoiresir.ançais dans l'espoirde priver leurs esclaves
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du bénéfice d'un affranchissement facile. En juillet 1882 le gouvernement Vallon notait
avec~~uel'administration ne tarderait pas à payer sa philanthropie soit par
une guerre générale soit par un isole:nent consécutif au départ des populations qui
préféraient «s'expatrier que de se soumettre» aux lois françaises."
Aprés avoir envoyé des lettres Je protestation contre les mesures qui libéraient
leurs esclaves sans indemnisation, les propriétaires d'esclaves se trouvant dans les
territoires d'administration directe72 ou dans le voisinage des territoires annexés)se
1
.
jettèrentsur les routes de l'exil. Ils se dirinèrent vers le Jolof, la Mauritanie, ou le Kayoor,
le Bawol, le Siin et le Salum. Le mouverrJ9nt fut d'une grande ampleur auWalo territoire
annexé. Yamar Mboj, le chef de carlton de Merinageen dut tirer sur la sonnette
,
d'alarme pour informer les autorité;; dé Saint-Louis de la détermination de ses
administrés à déserter le pays afin de conserver le droit d'avoir des esciaves7J et de
rester seuls juges de leurs affaires «ccrnme l'avaient toujours été leurs pères"». Les
apaisements prodigués par les autorih~s ne freinèrent guère le mouvement migratoire
des populations limitrophes des territoires annexés, En 1889 Noirot essaya vainement
d'arrêter dans le Law une colonne de migrants qui s'étaient résignés à cette solution
du fait que leurs esclaves fugitifs obten 3ient spontanément la liberté avec la complicité
du gouverneur de Saint-Louis. Ce furent les peuls qui imprimèrent à cet exode
l'amplitude la plus vaste. Vers 1865 ils étaient 50.000 environ répartis entre le Walo et
la b?nlieue de Saint-Louis avec d'immenses troupeaux de boeufs. Vers 1881 c'est à
dire quand l'administration cessa, surla demande de Schoelcher, de donner une in-
terprétation restrictive au principe du sol libérateur, les effectifs tombèrent à 30.000
pour n'être plus que 10.000 en 1888. Certains d'entre eux passèrent sur la rive droite
du fleuve en face du Walo. Les villages cie Darou, Tungel, Garak qu'ils peuplèrent virent
le nombre de leurs habitants croître mpidement au détriment des villages de la rive
gauche tels ceux de Xann, Jawar, JE]sleen.75 D'autres groupes prirent la route du
Kaarta. Ces départs furent imités par leur:. frères de race du Kayoor, du Bawol, du Futa-
Toro. Les Cercles de Dagana et de Saint- Louis furent en passe de devenir des déserts.
Même le chef Peul El Hadj Samba NgL.ma qui depuis 1855 avait pris part à toutes les
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expéditions françaises et qui était cori~;jdéré comme un allié de la France ne put résister
à la tentation du départ pour Noro où !I é(lla grossir les troupes d'Ahmadu en entrainant
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à sa suite un grand nombre de Peuls du Walo, Du Dimar et du Toro. 76 Les libérations
des esclaves n'étaien~~s seules c~;G~;es du mécontentement des migrants. Il s'y
ajoutait en fait des erreurs non moi~t graves dans l'administration des territoires
annexés. Dans ces secteurs la loi fran';:aise était applicable car le sol était considéré
comme le prolongement de celui de 1;:1 métropole. Au début de leur annexion, ces
territoires étaient divisés en cercles commandés par des alcaty chargés de faire
exécuter les lois du pays, les ordres du Gouverneur, d'y faire régner la justice.
Dans le souci de faire disparaiîre les abus auxquels se livraient antérieurement
les chefs du pays, on donna aux ch!,fs de villages des revenus représentant le
vingtième de l'impôt personnel dû à 1'I::;3t et du centième du troupeau qui passait sur
le territoire et du quanrantième des produits du sol. Les cadeaux et les redevances
étaient définitivement abolis. Les crim,,:, et les délits contre les personnes et les biens
étaient jugés par les tribunaux françé\\is. 77
Cette autorité nouvelle n'avait,je chance de se faire accepter, d'une manière
durable, qu'en évitant de froisser les icl('9S ou les intérêts, les moeurs ou les pratiques
des populations locales. Sous l'empip'l de la routine administrative, de la volonté
centralisatrice à outrance, on appliquél aux territoires annexés le système administratif
métropolitain avec ses formalités fiscales et sa justice ignorant les moeurs et les
coutumes indigènes. Les chefs n'étaienl plus désignés selon le critère de la naissance
mais selon le mérite. Dans ce cas d'espllce, il ne pouvait s'agir que de gens qui avaient
preuve de docilité à l'endroit des autuités françaises. Ils étaient d'origine modeste,
voire d'origine étrangère sinon d'asclmdance servile. Leur présence secrétait chez
leurs administrés un phénomène de 'E:;et et pour se faire obéir ils recoururent à la
terreur.
Le système fiscal réduisit dans dn fortes proportions les revenus des chefs de
canton des territoires annexés. Le chelcle village percevait l'impôt sur ses administrés
et remettait les sommes perçues accor,l;Jagnées de ~iste nominatives des contribua-
bles qui avaient payé et ~ de ce J): qui n'étaient pas quittes avec le fisc. Le
r~mis au~
dépouillement de ces listes fait par vil!€,ge et par ordre alphabétique était
1 2
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chefs des postes ou autres officiers pour les vérifications d'usage lors de leurs
.:.;y~::..
tournées78• Pour maintenir un certai'i standing de vielles chefs multipliaient les
amendes même pour les fautes les plU:3 vénielles.
Les crimes et les délits soumis àla sanction des tribunaux français provoquaient
le mécontentement des justiciables. Les victimes trouvaient souvent peu sévères la
sanction qui frappait les criminels ou le~, c!élinquants. Il y avait des conflits coloniaux car
les dispositions de la loi française et lES provisions de la loi coutumière n'étaient pas
superposables. Ce qui était délit en droit Irançais comme l'adultère était crime aux yeux
des autochtones. Les naissances hors niariage étaient des crimes sévèrement punis
alors que la loi française ne les sanctionnait pas. Les pénalités prévues par la coutume
étaient réduites dans de notables proportions par le tribunal français ce qui multipliait
~"
les rancoeurs chez les justiciables. Les'~)8pulations tenaient à l'institution servile alors
que la loi française en faisait un crime qui aboutit à des sanctions pénales contre des
maîtres. Dans les territoires annexés l'c:'drninistration poursuivait sa politique d'assimi-
lation. Beaucoup d'institution locales iUrent érodées,voire supprimées parce qu'on
voulait édifier sur leurs ruines le systèrlle que l'autorité coloniale estimait le meilleur. 79
L'application de la loi française à ::les populations qui n'étaient pas préparées
pour la recevoir était à l'origine des griefs qui incitèrent les victimes à l'émigration. Pour
freiner ce mouvement on prit quelque:, mesures ponctuelles relatives à quelques
griefs. S'agissant de la prolifération des amendes prononcées par les chefs à leur profit
exclusif, le gouverneur décida que tm;:e amende, de quelque importance qu'elle fût,
ne serait désormais plus infligée sans "0:1 autorisation. Les commandants de cercles
furent invités à prendre des dispositic.m; pour y soumettre les chefs de village. En
revanche ajouta le Gouverneur, "les populations des territoires annexés (devaient
s'habituer) à se considérer comme frar,ç:aisesBO». Du point de vue pénal elles devaient
rester soumises à la loi française. 81
L'application de la loi français:l lésait trop d'intérêts pour être à même de
rapprocher les indigènes de la civilisation française. L'irritation des uns et des autres
venait donc des atteintes portées conj;f leur cadre traditionnel de vie. Tous suppor-
,
5 1
taient mal les libérations de leurs esclélves fugitifs et les sanctions qui les frappaient
}~~?
chaque fois qu'ils éméttaient des prctestations ou essayaient de reprendre posses-
·-t'ih'-
sion de leurs biens.
Devant la persistance du malaise, le gouverneur Clement Thomas fit un
diagnostic sans complaisance de la si téiation en 1890. Il reconnut que les mesures que
l'on prenait dans les territoires annexes étaient inadaptées au sol qui les supportait. Au
lieu de les pousser à se rapprocher de la civilisation française, elles ne faisaient, au
contraire, que les froisser «dans leur attachement soit à leur religion, soit aux moeurs,
soit aux coutumes de leurs ancêtres·'". Puisque l'idée de la révolte ou de l'insurrection
armée ne les animait plus, ils échappèrent par la fuite aux effets d'une politique qui leur
était préjudiciable à tout point de vue
C'était le constat d'échec de la politique d'assimilation pratiquée dans les
<.
territoires annexés depuis le gouvernement de Faidherbe. Le moment était venu de
changer de pratique politique. Car dit Clément Thomas, «le but de la France (était)
civilisateur. Elle (devait) amener à elle 1.0US les peuples environnants non plus par la
force des armes, mais par attraction naturelle qu'exerce sur les hommes le contact des
institutions Iibres·3". C'était donc sans conquête, ni violence que les peuples du
Sénégal devaient passer successiVer,l()nt "par la condition de sujets puis de citoyens
français. "84 Il fallait donc, contrairemen1 à la philosophie de certains de ses prédéces-
seurs, renoncer à cette politique qui ,l'attachait à faire des populations des Français
noirs. S'imposait alors la désannexion les banlieues des communes afin de permettre
à leurs habitants de renouer avec la civilisation locale. On rétablirait une démarcation
absolue «entre les territoires d'admini~,tration directe et les territoires complètement
français: ceux des communes·5" OLI continuerait de se faire l'assimilation. Ce qui
ressortait du decret du 10 Août 1872, portant organisation des institutions municipales,
et du decret du 4 Février 1879 instituant un conseil général.
La désannexion des banlieut's se heurta à l'opposition des politiciens qui
risquaient de perdre des masses de manoeuvre utilisées lors des consultations
électorales. Ils saisirent le tribunal qui leur donna raison. La cour d'appel soutint en effet
que les indigènes des territoires avaient la qualité de citoyens français et qu'un arrêté
5 14'
local ne pouvait la leur enlever. B6 Le .!J'iluverneur affirma qu'aucun acte du pouvoir
',..i:r'
.
souverain n'avait expressement accofS1) la qualité de citoyens français aux habitants
des banlieues des 4 communes. Aprés chaque annexion on se bornait à dire aux
populations qu'elles étaient des sujf't~; français devant obeir aux nouveaux chefs
.~' .'
désignés par le Gouverneur. A ce r,l(\\ment là aucune distinction n'existait entre
territoires annexés et territoires de put,"ctorat. C'est pour cela que l'annexion était
souvent assortie de la condition pour les indigènes de garder tous leurs usages. Ce
qui était incompatible, bien sûr, avec la qualité de citoyen français B ?
Le gouverneur rejeta également ICl possession d'Etat invoquée par la cour pour
justifier la qualité de citoyens des habitants des banlieues. Cette possession d'Etat était
récente et ne pouvait être revendiquéü que par les administrateurs qui s'en servaient
pour justifier une politique d'assimilation contre laquelle les indigènes s'étaient élevés
'l{
. \\\\j,.'
au point de fuir le pays qui les avaient vu naÎtre. 88
Le succès du colonisateur, dans cette phase critique de son intervention, ne
pouvait venir que de régies parfaiteme,'lt adaptées aux moeurs, aux habitudes aux
croyances des populations. Bref il fallélil renoncer à cette assimilation qui n'était que
tentative uniformisation.
A la séance ordinaire du conseil général le 14 Décembre 1889 le Gouverneur
Clement Thomas fit part de son intentim de constituer en province sous le protectorat
et la suzeraineté de la France, les territoires annexés du premier arrondissement à
l'insJar de ce qui avait été fait au Njan1t'ur en 1883. Cette mesure mettrait l'autorité
locale à l'abri des récriminations des populations de plus en plus réfractaires aux
dispositions de la loi française. Alors on ne leur imposerait plus les régies européennes,
ni les moeurs administratives et judici2 ims qu'ils considéraient comme des tracasse-
ries insupportables.89
Le 15 Janvier 1890 un arrêté (lU Gouverneur désannexa les territoires du
premier arrondissement et les plaçé: ~;ous le régime du protectorat. Les postes
militaires de Matam, deSalde, de POdOl', d'Aere, de Daganaavec les villages sous leurs
Lougans, les postes de Mpaal, sur un rayon de 200 m, de Richard-Tooi avec uun rayon
5 15
de 600 m de Merinhageen avec uri layon de 400, ainsi que la banlieue immédiate
'A~~f
étaient réservés comme propriété_qe la France. Le reste des anciens territoires
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annexés redevenait protectorat.
La solution présentait l'avantdge d'affranchir les indigènes des formalités admi-
Q,vAJ'v
nistratives et judiciaire qui ~ inspiraient une antipathie marquée. Suivant l'antique
usage, le chef de canton et les cadi prenaient désormais la charge de la collecte des
impôts et le réglement des différencl~:91. L'irritante question de l'esclavage restait en
suspens. Le retour du sol au régime du protectorat lui ôtait son caractère de franchise
et les esclaves qui étaient affranchis (le fait pour avoir séjourné dans le territoire français
reprirent à nouveau leur statut servile.
;, .
Cette désannexion fit apparaÎtr~l:Un des paradoxes de la colonisation. L'objec-
tif de celle-ci était de créer une civilisa.~ionfondée sur le respect de la personne humaine
: ~ J,)',
.
et le bien être matériel. La réaction hostile des populations à une politique qui lésait les
intérêts des propriétaires conduisi~ à retarder l'échéance de l'émancipation des
esclaves qui désiraient comme les '3utres bénéficier des avantages apportés par la
diffusion des idées de liberté et d'é!Wlité. Les principes invoqués pour justifier la
colonisation subirent là échec cuiS'lrt.
Outre la protestation des pol'.:iciens de Saint-Louis, on enregistra celle de
Gallieni qui taxa la désannexion de reculade. 92 Quoiqu'il en fût, en restituant aux
habitants des anciens territoires annExés la gestion de leurs propres affaitres sous la
surveillance du Gouvernement de Sa;nt-Louis on tempérait le rythme de la Iiberation
des esclaves qui fut à l'origine de l'ex:Jde de quelques maîtres.
L'administration française se h'3urta aux mêmes obstacles dans la gestion des
territoires annexés du deuxième mrondissement. Ni les Wolof ni les Sereer qui
peuplaient ces espaces n'entendaiallt renoncer à leurs coutumes. Leur hostilité à
l'application de la réglementation française alla de la force d'inertie pour «lasser les
Blancs par tous les moyens de manii~re à les obliger à quitter le pays93», à la révolte
armée comme celle de Jogomay enl H6394 . En 1893 quand on fit le bilan de la politique
d'assimilation dans le deuxième ar:e''ldissement on comprit combien était encore
superficielle l'influence de la civilisaiion française sur les populations.
5 16
En 1893 les populations ne semblaient pas encore avoir acquis les traditions
d'obéissance à la loi française. Ainsi aH~:Jébut de cette année un émissaire du chef de
~".,
canton était assassiné à Ceeki, villagE' Sereer à une trentaine de kilomètre de Dakar.
L'enquête judiciaire ne put se faire car le procureur de la République et le commissaire
de police de Rufisque furent éconduits par les villageois en armes. L'administrateur
Leclerc, chargé de se rendre sur les lieux, dut se retirer devant la détermination des
'-
0-
populations "engager le combat. Cele; signifaint que pendant 30 ans cette population
n'avait jamais compris ce qu'était l'administration judiciaire française qui était pourtant
seule habilitée à juger ses dossiers. Pour la faire fonctionner, il faudrait donc faire
escorter les agents de la justice par des colonnes expéditionnaires.95 La politique
d'assimilation ayant montré ici aussi son inéfficacité, son impuissance, il sembla
préférable d'appliquer au deuxième. arrondissement la mesure de désannexion
intervenue dans le premier arrondissement depuis 1890. Les mesures de l'administra-
tion froissaient les populations et les éloignaient de la France.
Aussi envisagea t-on la constitution de provinces comprenant plusieurs can-
tons mais toujours sous le protectorat et la suzeraineté de la France. Cela éviterait de
heurter de front les us et les coutumes des indigènes. L'administration n'y exercerait
que des droits de suzeraineté sans imposer aux populations sa réglementation
européenne. 96 On savait que les chefs de canton du deuxième arràndissement n'y
avaient que des attaches insuffisantes de tradition et de famille dans le pays qu'ils
commandaient. Ils bernaient les administrateurs par leur obséquiosité qui n'était
qu'une couverture pour multiplier les exactions contre leurs adminitrés.97
Lamothe décida de modifier l'organisation administrative du deuxième arron-
dissement. Une partie des cantons habités par les Sereer fut annexé aux provinces
Sereer de Sanor Njay. L'autre partie entre Rufisque et la mer où les Wolof et les Lebu
étaient prédominants furent constitués et confiés à un ancien élève de l'école des fils
de chef. Touchard Crespin et Monfort protestèrent contre cette mesure qui enlevait à
ces avocats et avoués une importante 'partie de leur clientèle. 98
La politique d'assimilation avait échoué parce que les Européens n'étaient
qu'une toute petite minorité recroquevillée dans ses privilèges, sans morsure sur les
Hg
5 17
autochtones. De plus l'islam interdisait à ses adeptes l'adoption de moeurs non
conformes aux prescriptions coraniq~~~s. Même chez les païens, les préférences
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locales s'affirmèrent "de toute la crainte qu'inspiraient les conquêrants99». La coutume
la religion, manifestèrent une grande viialité alors qu'on voulait les frapper de caducité.
Devant la force, les populations donrièrent l'apparence de la soumission tout en
continuant de se mouvoir dans leur atmosphère familiale et "par opposition (prenaient)
de leur personnalité une conscience cie plus en plus forte"lO». Constatons aussi que
la ville semblait être le cadre idéal où la Givilisation aurait pu développer son faste. Pour
cette période qui nous préoccupe le ti~;su urbain était encore trop embryonnaire pour
constituer véritablement des moules capables de manifacturer les Français noirs dont
révait le conquêrant.
•••
L'échec dans l'application de 1;;; doctrine assimilationniste, fut à l'origine d'une
reflexion qui aboutit à la condamnatiOll de la transposition pure en simple en Afrique
des formes politiques françaises qui '! prenaient figure de caricatures. Le système
d'administration devait subir des modifications pour être performant.
Les conquêrants avaient enfin compris, que malgré l'unité fondamentale de la
nature humaine, les hommes n'avaient pas toujours les mêmes aspirations ni les
mêmes conceptions, qu'il était donc illusoire de vouloir reconstruire au Sénégal ou en
Afrique une société identique à celle cie la métropole. Il s'agissait plutôt de créer une
civilisation nouvelle, hybride, mais ori(jil,ale faite de la fusion des éléments locaux et
des apports extérieurs.
On substitua à la politique d'as5imilation immédiate et globale un programme
moins ambitieux et d'apparence utilitaire appelé association. Celle-ci appelée égaie-
ment coopération demandait au Gouvernement qui assurait la tutelle des populations,
de travailler au rapprochement des esprits et des intérêts. Elle s'opposait à la politique
d'exploitation intégrale qui ne laissait ;:'ux indigènes que des miettes sur le produit de
leur labeur.'0'
·
•
5 1
La politique d'association était en principe fondée sur le respect scrupuleux des 8
coutumes, des moeurs et des usage~~·:bcaux. Les coloniaux n'étaient qu'une toute
petite minorité au milieu des populations locales. Comme dit Harmand le véritable
colon c'était l'indigène, et le colonisate:jr l'Etal. 102 Le succès de son entreprise passait
donc par le respect du mode vie des é!L:,tochtones. Il était nécessaire de substituer la
coopération à l'exploitation pure et simple, de mettre un terme à l'usurpation de leurs
biens et de leurs propriétés foncieres. 'O'
Il demeurait entendu que les droits de la domination étaient réservés. L'Etat ne
cherchait plus à réaliser une «égalité trop souvent impossible dans le présent mais à
établir une certaine équivalence ou compensation des services réciproques'O'». Dans
le domaine de la législation coloniale, :;(,tte politique d'association se traduisit par le
respect de la coutume indigène. Désor;rais au lieu d'appliquer les lois métropolitaines
,t~',
.
aux autochtones, on décida àles maintenir dans leur milieu natureL'°s L'Etat avait donc
accepté de respecter les civilisations irldigènes c'est à dire leurs institutions particuliè-
res, leur culture propre et leur mode d'organisation économique, bref «tout ce que la
situation géographique, les traditions historique et le génie d'une race a pu donner de
cachet particulier à une civilisation indigène")6». Ces cultures locales étaient pour
"l'humanité tout entière un véritable en(chissemenl. L'unité ici n'est pas l'uniformité
mais l'unité dans la variété'O?".
Le pouvoir métropolitain décida d'administrer les indigènes par "intermédiaire
de leurs institutions. On renonçait en principe à la centralisation qui n'avait donné que
des déboires au profit d'une politique de coopération. On réserva cependant les droits
de l'assimilation, car, des coutumes locales, on ne respecterait que celles qui n'étaient
pas contraires aux principes de la civili:;ation française. Quelles étaient les coutumes
qu'il fallait sélectionner pour les frapper cie nullité? Beaucoup de pratiques quotidien-
nes pouvaient passer aux yeux des titl'angers comme des signes de barbarie. Il
devenait dès lors possible aux administrateurs d'invoquer ces principes lrançais
difficiles à définir pour introduire des ::hangements, des transformations dans les
institutions. Dans cette politique il y avait toujours un «supérieur et un inférieur c'est à
dire qu'encore, existait l'impérialiste dist'nction entre le vainqueur et le vaincu '08».
~
"19
La tolérance envers les coutu:nes et les moeurs civiles n'était souvent que
.
,"~"f'P
superficielle. Aussi l'association avait ellE! été comparée à celle du cheval et du cavalier.
Car dans une véritable politique d'association les deux associés devaient être en
situation d'apprécier sainement et de discuter des intérêts matériels et moraux de
chaque groupe. Si tel était le cas, la :!ituation aurait débouché sur la négation de la
domination de la France et de son rôle civilisateur. L'association n'était viable que si
elle découlait aussi d'un besoin de coopération de la part des partenaires. Tel n'était
pas le cas pour les indigènes auxqu~:I:, cette politique était imposée sans leur avis.
Paternalisme fut le mot employé par les Anglais 109 pour qualifier cette politique. C'est
cette politique qui permit de différencier les entités administratives sur lesquelles la
France exerçait son action. L'associéltion était une forme atténuée de l'assimilation à
outrance. Ces deux formules étaient souvent combinées avec des intensités variables
selon les lieux et les événements' '0. L" !)~i ultime, demeurait, malgré l'apparent chan-
gement de cap, d'introduire de façon graduelle les idées françaises dont la diffusion
aiderait à consolider les bases de S8 (lomination sur les dominés.'"
1- Lamiral : Op. cil., (page 245).
2- S.CAF. : 1933 (page 582), Notee, de politiques musulmanes par un officier.
3- Hardy G. : Revue de Psychologie cies peuples: La Psychologie des populations.
4- Fayet: TRAVAIL ET COLONIIJllk:~'~ 1931 (page 105).
5- D'Asmis : LA CONDITION JURID'OUE DES INDIGENES DANS L'A.O.F. 1910,
(page 19).
6- Thiam Do. : LA PORTEE DE LA CITOYENNETE FRANCAISE DANS LES TERRI-
TOIRES D'OUTRE-MER, 1953 (page 47).
7- Vignon L. : UN PROGRAMME OF POLITIOUE COLONIALE 1919, (pages 194-
195).
8- Harmand: DOCUMENTATION ET COLONISATION. 1910, (pages 14-15).
9- Idem, ibidem.
10- AMROUCHE: NORMES ET VA,_'"URS DE L'ISLAM. Payot 1966 (p.1??).
11- Hardy G.: PSYCHOLOGIE DES POPULATIONS COLONIALES (pages 237).
12-Cosnier: L'OUEST AFRICAIN, f,)!'cl 1921, (page 167).
13- Solus : TRAITE DE LA CONDITLON DES INDIGENES EN DROIT PRIVE, 1927
(p.167).
14- Leclerc: ANTROPOLOGIE ET COLONIALISME, (page 161).
15· Moreau: LES INDIGENES DE l.'A,Q.F. 1938, (page 114).
16- Solus: TRAITE DE LA CONDITION DES INDIGENES EN DROIT PRIVE (p. 419-
420).
17- Solus : ibidem.
520
18- A.N.F.O.M. Sénégal VIII, 14 bis: L35 musulmans de Saint-Louis au Gouver-
neur, Décembre 1843.
'*,1,;
19- Thiam D. : Op. cil., (page 34).
:':'
20- A.N.S. 1 B 48 folio 261 : Ministre ad· Gouverneur, 7 Mai 1848.
21- Idem.
22- Sa/us: (page 24).
23- Bulletin administratif du Sénégal: Décret du 20 Mai 1857
24- Voir plus loin.
25- Solus, (page 22).
26- Loi du 29 Septembre 1916 voir Dal'este : LES NOUVEAUX CITOYENS FRAN-
CAIS.
27- Voir Thiam Iba Der: L'EVOLUTION POLITIQUE ET SYNDICALE AU SENEGAL,
pour ce qui est des discutions sur la citoyenneté des originaires des quatre com-
munes.
28- Solus : Op. cil., (pages 129-130).
29- Bueil: NATIVE PROBLEM.
30- Sonolet: L'A.O.F., 1912 (pages 1~,-14).
31- Sonolet : Ibidem.
32- Sonolet : Ibidem.
33- Bueil: T.I., (page 949).
34- Brunei L. : L'ETAT ET L'INDIVIDU DANS LA COLONISATION FRANCAISE MO-
DERNE, Paris 1898, (page 38).
35- Idowu : ASSIMILATION IN THE 19 TH CENTURY Sénégal, J.A.H., 1968 (p.
199).
36- ANS. 3 E 26 FF 20-21 Carrère Ch.3V de service judicière : 10 Avril 1855.
37- A.N.S. 3 E 26 : Séance du 10 Avril 1:355 Rapport de Carrère.
38-ldem.
39- ANS. 1 B 66 Folio 293 Hamelin à Faidherbe, Paris le 21 Juin 1855.
40- A.N.S. 3 E 26 FF 20-21 Carrere ch:3f du service judiciaire séance judiciaire
séance 10-11 55
41- A. N.S. K 11 : Arrêté de Faidherbe du 18 Octobre 1855.
42-ldem.
43- A.N.s. M 8 : Le directeur des Affaire!> politiques au Gouverneur, 23 Mars 1882.
44- A.N.S. K 11 circulaire confidentielle de Faiderbe, 14 Novembre 1857.
45- A.N.F.O.M. Sénégal XIV-15 Cdt de Gorée au Gouverneur, 23 Janvier 1874.
46- A.N.S. K 11 cdt de Gorée au Gouverneur, 1er Décembre 1871.
47- Ganier G. Op. cil. B. I.FAN., 1965, (page 259).
48- ANS. 1 B 48 Folio 260 Arago à Du Chateau, 7 Mai 1848.
49- ANS. 1 B 48 Folio 121 : Du chateau à Arajo, 10 Juin 1848.
50- Idem, ibidem.
51-Idem, ibidem.
52- ANS. 213-27 Folio 157 : Baudin au Ministre, 3 Février 1849.
53- Idem, ibidem.
54- A.N.F.O.M. Sénégal l, 35 Baudin élU Ministre, 16 Juillet 1850.
55- A.N.F.O.M. Sénégal xiv-15: Le directeur des colonies au Ministre, Avril 1849.
56- 2 B 27 Folio 172 : Baudin au MiniSiJ'3, 24 Mai 1849.
57-Idem.
5B-ldem.
521
59- A.N.S. 4 B 15 Dumant Command;;,nt de Gorée au Gouverneur 13 Juin 1849.
60- A.N.S. Sénégal XIV 15 D : Circulài:'!'é>de jauréguiberry, 6 Mars 1863.
61- A.N.S. Sénégal XIV-15 B : GouverLlcur au Ministre, 28 Décembre 1867.
62- AN.S. Sénégal XIV 15 B : Coupur?s' de journaux.
63- A.N.F.O.M.Sénégal XIV 15 Ministr1/au Gouverneur Février 1881.
64- A.N.F.O.M. Sénégal XIV 17 Roberdeau au Ministre 27 Septembre 1892.
65-AN.S. K 17: Rapport Poulet sur la captivité 1904
66- ANS., Idem.
67- AN.S. K 17 : Rapport Poulet sur la Captivité
68- A.N.S. K 13: Noirot: Rapport sur ia Captivité au Siin-Salum, 12 Août 1893.
69- Binger: ISLAMISM, (pages 79-80).
70- Binger, (page BO).
71- ANS. K 12 : Vallon au Ministre, Juil!et 1882.
72- Les notables du canton de MerinClgllen protestèrent contre la libération de
leurs captifs (K 12 notables au Cdt De Le Baulais 3 juin 1881), ceux du Walo le 2
Février 1889.
73- ANS. K 12: Yamar Mbodj à Tautairi, 6 Mars 1889.
74- A.N.S. K 12 : Notables du cercle de Dagana au Gouverneur.SD
75- ANS. K 12 Gouverneur au Ministre ·18 Octobre 1889.
76- AN.F.O.M. Sénégal l, 87 Ouintrie Directeur de l'Intérieur. Circulaire 30 Novem-
bre 1885.
77- A. N.S. 3 E 30 Folio 11 à 14 : Orgallisation du Jander 24 Mai 1830.
78- ANS. 4 B 20 FF 67-68 Cdt de God,e au Gouverneur 16 Mai 1862.
79- Labouret L.: Protectorat ou administration directe: Outre-Mer Revue générale
de Colonisation, 1929 (page 88).
80- Sénégal l, 87 C 30 Novembre 188:5 : circulaire de Ouintrie Directeur de l'Inté-
rieur.
81-ldem.
82- A.N.F.O.M. Sénégal VII-16 Clément Thomas au Sous Secretaire, 9 Mars 1890.
83- Idem, ibidem.
84- Idem, ibidem.
85- ANS. 2 B 78 FF 56-58 Lamothe au Ministre, 6 Avril 1891.
86- AN.S. 2 B 67 FF 110 à 113 Clément Thomas, 6 Juin 1891.
87-ldem.
88- AN.S. 2 B 67 FF 110 à 113 Clement Thomas au ministre, 6 Juin 1890.
89- Conseil Général session ordinaire Ge 1889 séance du 14 Décembre 1889, dis-
cours du Gouverneur Clement Thom2s.
90- Journal Officiel du Sénégal, 30 Janv;er 1889.
91- AN.F.O.M. Sénégal VII- 16 Etienne Sous Secretaire d'Etat au Gouverneur 3
Septembre 1890.
92- A.N.S.O.M. 2 B 77 FF 114 à 123 Clément Thomas au Ministre, 9 Mai 1890.
93- AN.S. 13 G 278 pièce 81 Cdt de Mbijem à celui de Gorée, 8 Mai 1862.
94-ldem.
95- A.N.S. 2 B 67 FF 348-349: Lamothe au Ministre, 5 Janvier 1893.
96- ANS. 2 B 67 Folio 349 Lamothe élU Ministre, 5 Janvier 1853.
97- A.N.F.O.M. sénégal VII-16 : conse! privé séance du, 13 Décembre 1892.
98- AN.S. 2 B 67 Folio 353 Lamothe ciL Ministre, 5 Janvier 1893.
99- Hardy: Op. cil.
100- Hardy: Op. cil.
,"
,q' ~22
101- Labouret H. LA POLITIQUE INdl'GENE EN AFRIQUE, in a.CAF., J~in 1930.
102- Harmand Op. cit., (page 162).
103- Labouret: LA POLITIQUE INDIGENE.
104- Labouret: Ibidem.
105- Anan; Santos: L'OPTION DES :JIDIGENES, 1943, (pages 6-7)
106- Bruno de Solages, DEVOIRS ET DROITS ET RESPONSABILITES DES PUIS-
SANCES COLONIALES, in semaine,wcia/es de Marseille 1930 (pages 165-166).
107- Idem, ibidem.
108- Melia : Op. cit., (page 25).
109- Crowder M. : WEST AFRICA UNDER UNDER COLONIAL RULE, (page 168).
110- Delavignette : SERVICE AFRICAINE, 1946, (page 87).
111- A.N.S. 2 B 78 FF 51 à 56 : Lamothe au Ministre, 6 Avril 1891.
,...'
CHAPITRE 2:
52
LA POLITIQUE COLONIALE [IANS LES PAYS DE PROTECTORAT
Le mouvement migratoire qui3.'..'ait dépeuplé la banlieue de Saint-Louis et les
révoltes individuelles ou collectives constatées çà et là dans le deuxième arrondisse-
ment)en réaction à l'application de la lui pénale française, avaient montré aux autorités
coloniales que l'assimilation n'étaitp<'s /a politique adéquate, L'élément Européen était
une quantité négligeable par rappor-: :~ la masse des autochtones. Harmand avait
raison d'appeler les colonies d'Afriq':w, des «dominations», c'est à dire des entités
dans lesquelles l'Européen représentait l'autorité dirigeante et non le nombre qui
travaillait et produisail.' Les autochtonE s tenaient à leur coutumes, à leur traditions. Ils
ne pouvaient se résigner à subir docl\\,ment l'usage d'institutions et de dispositions
légales qui leur étaient totalement él~:~ngères. Au Sénégal on renonça, au moins
provisoirement, à vouloir construire uriE civilisation unique qui eût été la patrie culturelle
de tous les habitants devenus des Français noirs. Les arrêtés et les décrets étaient
impuissants pour transformer l'âme cie,', indigènes. Aprés l'expérience malheureuse
subie dans les banlieues de Saint-Louis et de Dakar en 1891 et 1893 on changea
d'orientation politique.
L'autorité coloniale avait compris que les sociétés locales, ne pouvaient être
supprimées de la surface de la terre pd:a seule volonté d'une autre société et qu'il était
vain de leur imposer des lois et des coutumes dont elles ne voulaient pas, parce que
totalement inadaptées à leurconcepti:JrIs politiques et sociales, On s'aperçut enfin que
la solution la moins mauvaise était de respecter ceux qu'on voulait transformer en
artisans de la prospérité de la Franc6,"
Le changement d'orientation ~,uivit de prés la désannexion des territoires des
banlieues. En Mai 1895 Merlin, Direcleur des Affaires Politiques, soumit, au Gouver-
neur, en conseil privé, un projet d'arrl3té réorganisant administrativement le Sénégal
et tenant surtout compte des leçons du oassé. Il constata que depuis le gouvernement
de Faidherbe jusqu'en 1895 le mode (j'exercer la souveraineté française avait subi de
nombreuses variations. Si l'immensé', 'llajorité des territoires conquis n'avait connu
~~
5 24
que le régime du protectorat qui n'était qu'une sorte de suzeraineté purement
politique, il en était différemment pour le~ pays voisins des centres plus anciennement
occupés comme Saint-Louis et Gorée 8i 1'3S forts. Du fait de leur annexio,>tantôt on leur
imposait les régies administratives et jud:ciaires françaises, tantôt on faisait une large
part aux coutumes et usages locaux.'
Ces essais d'assimilation donnèrent les résultats que l'on sait. L'échec prove-
nait de l'abandon de la ligne suivie par Faidherbe. Sous son gouvernement le mot
annexion n'avait pas le contenu juridiqul3 dont ses successeurs le remplirent et qui était
de considérer les territoires annexés comme les prolongements territoriaux de la
métropole.' Au temps de Faidherbe l'annexion se conciliait toujours «avec la mention
expresse du maintien de la coutume et dela législation indigène},. L'abandon de cette
politique conduisit à substituer aux pouvçlirs traditionnellement acceptés par les Noirs,
f\\~~
.
l'autorité de chefs choisis par l'admiristration en dehors des régies coutumières.
Incapables de se faire à ce nouveau régime où on leur appliquait les dispositions du
code français, les indigènes émigrèrent vers les zones encore insoumises. Pour
calmer les esprits on désannexa les banlieues. Cette mesure fut suivie d'un repeuple-
ment des territoires désannexés, Les cl,efs naturels reprirent leur droit au commande-
ment. On en déduisit donc que le protectt1rat était le mode le plus adéquat pour exercer
la souveraineté française. Il était le seul adapté aux idées et aux moeurs des
populations locales. Le moment semblait donc «venu de réunir dans un arrêté
l'ensemble des dispositions contenues Clans les différents actes promulgués jusqu'ici
au Sénégal concernant le régime administratif".
Le pays protégé et les cantons d'administration directe, non compris dans le
territoire des quatre communes de plein exercice, furent groupés en 8 cercles.
Le cercle de Saint-Louis, englubant le Walo, le Dimaar, le Ngick-Mérina, le
Njambur, le Ganjolais, le Kayoar, le "lf)JQ[ ainsi que les escales ou villages d'adminis-
tration enclavés dans ce territoire; Le cercle de Podar ; le cercle de Kees comprenant
la province du Bawol, les provinces Seret:[ autonomes, les cantons de Puut, Njanxeen,
Toor-Jander, lÏJaning. les banlieues de Rufisque et de Dakar, le cercle de Funjurï
englobant le Siin, le Salum, le 1ÏJ0mbatQ, les districts de Funjurï, de Fatick ainsi que le
525
canton de Joal et l'escale de Kaolack,,~~;cercle de Nora comprenant le Nom, le Rip,
le Sanjal,le Nani, le Wuli, Sanduqu, le t<aiankadugu et enfin le district de la Casamance'.
- \\'.
A la tête de chaque cercle était placé en principe un «administrateur des
colonies chargé de la direction politique du cercle, du contr61e du gouvernement. des
chefs indigènes dans la limite des trai'és existants et de l'adminstration du budget
régional du cercle conformément à J'errêté du 31 Décembre 1891 8». Dans chaque
cercle on institua «pour la discution de,.; affaires communes, concernant les pays de
protectorat un conseil consultatif dont les chefs de provinces, investis ou reconnus par
le gouvernement français, ou en vertu des traités réguliers étaient membres de droit."
***
Le Sénégal était donc divisé dr)ux territoires administrativement distincts: Les
L~t,,:
territoires annexés et les protectorat~;.
Les territoires annexés se répartissent en communes de plein exercice à savoir
Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée et en territoire d'administration directe. Les
autres territoires annexés, ou territoire d'administration directe, ou encore territoires
réservés comme propriété de la France étaient ceux des gares le long du chemin de
fer Dakar-Saint-Louis. Chacun de ces territoires était défini par un carré de 2000 mètres
de c6té concentrique avec le rectanglE' des emprises de chacune des gares dont les
deux c6tés lui servaient de directives. Pour Tiwawan qui avait commencé à prendre de
l'importance le c6té du carré était de 4000 mètres. En 1904 on élargit de 50 mètres à
1 kilomètre la largeur de terrain, considérée comme annéxée et située de part etd'autre
de la voie ferrée. A cela il fallut ajouter le~; territoires des chefs-lieux de cercle. En résumé
les territoires annexés abritaient 60.000 habitants environ qui venaient s'ajouter aux
40.000 des communes de plein exercce'o.
Ces communes de plein exerc',ce étaient administrées par un maire, assisté
d'un ou de deux adjoints et d'un consuil municipal. Les habitants de ces communes
étaient en principe des citoyens fral1C;ais malgré les obstacles que l'administration
locale dressait sur la route de ceU} qui voulaient être à la fois citoyens francs et
musulmans orthodoxes.
!126
Les habitants de ces territoires"ej;àdministration directe étaient des nationaux
français, des sujet français. On entendait, par sujet français, des non-citoyens soumis
à la souveraineté de la France. En c"autres termes ils étaient français mais ne
jouissaient pas des droits de citoye.ls français." Ils ne pouvaient acquérir cette
citoyenneté que par naturalisation individuelle. Les sujets étaient français par l'an-
nexion. Cette situation résultait de la régie de droit international en vertu de laquelle
j'annexion comportait le changement de nationalité. Car elle mettait fin à l'indépen-
dance des peuples qui vivaient sur le telTitoire annexé. La France s'étant substituée aux
Etats qu'elle avait fait disparaître, donnait aussitôt sa nationalité aux populations
conquises. '2
De leur qualité de français, découlaient plusieurs conséquences. Ils jouissaient
de la protection diplomatique de la France, et sur le territoire soumis à la souveraineté
de la France, ils n'étaient pas traités comme étrangers, ni soumis au régime des
étrangers. Mais ils ne jouissaient ni ces droits politiques, ni des droits civils qui
s'attachaientàla qualité de citoyen français. Ils conservaient donc leur statut personnel
spécial "dont les droits dérivaient des lois et coutumes indigènes locales que la France
avaient maintenues en vigueur lors de l'annexion."" Les raisons invoquées pour
justifier ce statut hybride des habitants des territoires d'administration directe étaient
fort diverses. La première était d'ordre 'acia!. Elle s'appuyait sur la prétendue infériorité
des noirs, différents des Européens par la civilisation et la formation. En les faisant
citoyens, la loi du nombre aurait joué en faveur des conquis. On eût exposé la minorité
européenne à la loi de la majorité noin:: qui aurait défendu ses intérêts de manière
absolument consciente". Pour le maintien de l'ordre et de la domination française le
gouvernement des colonies devait êtnJ aristocratique et absolu. En raison du nombre
des indigènes/ne surveillance spéciale devait s'exercer sur eux. Les idées républicai-
nes de liberté, d'égalité, de fraternitè n'étaient pas des articles d'exportation. En
matière de liberté publique on leur imlJOSa un régime franchement discriminatoire.'5
Toutefois en raison des bavures fort nombreuses que l'on avait constatées dans
l'administration des territoires annexés avant la désannexion, on essaya de moduler,
en matière administrative, les principes qui devaient prévaloir dans le pays.
~2
5 2
,~ :1
Jadis dans le choix des chels 'de village ou de canton dans les territoires
d'administration directe, on s'en tenail éiumérite. Les méritants étaient ceux qui avaient
rendu service à la France ou fait pwuve d'un loyalisme de tous les instants à son
endroit. C'étaient pour la plupart d'entre eux des serviteurs, des cuisiniers, des
palefreniers de l'entourage des officiors ou des administrateurs coloniaux, étrangers
trés souvent au pays qu'ils commandaient, dépourvus de toute autorité morale pour
s'imposer aux populations. Ils étaient ir.capables de suppléer leur marque de prestige
par des largesses quelconques. Ils étaient méprisés en raison de l'obscurité de leur
naissance. Pour faire respecter leur éièltorité, il n'avaient d'autre solution que le recours
à la force.'·
En raison des exactions qu'ils comméttaient au nom de la France, le fossé qui
séparait les administrés des autorités de Saint-Louis ne cessait de s'approfondir. Ainsi
en 1890, dans le deuxième arrondisoement, le chef de canton de Joal Naining avait
enchainé un Sereer coupable de n'être pas venu à une de ses convocations et l'avait
fait trainer au galop d'un cheval. 17
Au lendemain des premières annexions on avait donc méconnu l'armature
locale. En réalité l'objectif de l'administration coloniale à plusou moins long terme était
de la démolir. La tendance était d'administrer directement les autochtones sans
recourir aux institutions, ni aux cadres indigènes. On pensait qu'avec des chefs,
agissant comme des fonctionnaires rnÉtropolitains, les administrés subiraient rapide-
m~nt l'influence française.
Aprés quelques années de pratiques administratives on se rendit compte que
les résultats obtenus étaient loin de répondre à l'attente du gouvernement de Saint-
Louis.
Celui-ci comprit alors que les chds n'étaient pas interchangeables. Car chaque
fois qu'un chef légitime était déposé par l'autorité coloniale, ses administrés conti-
nuaient de l'entourerderespect, voire da vénération. Inconnu de "administration il n'en
continuait pas moins de diriger son \\'illilge ou son canton.
R2
5 28
Avec la nouvelle organisation,êsJministrative, on décida de ne jamais plus
,
,
donner le pouvoir à un «parvenu marrr:tc;n ou tirailleur.))même s'il fallait récompenser
".;
les services. On se mit à rechercher les chefs légitimes, là où il se cachaient, pour les
rétablir dans leur dignité extérieure'9. C'était donc là l'un des moyens qu'on croyait
efficace pour combler le fossé qui séparait les administrés de l'administration. Une fois
restaurée l'organisation naturelle, on travaillerait à son amélioration. Le travail de
perfectionnement aurait plus de chance de réussir avec les détenteurs légitimes de
l'autorité qu'avec des fantoches. Uno::hose était primordiale dans l'organisation
traditionnelle de l'autorité, c'était le caracière sacré du pouvoir. «Dans la vieille Afrique,
la communauté exprimée par le chef élait vivante en lui et aucune vie n'était pas sans
un élément surnaturel. De là cette force qui liait les populations au chef... De là ce
sentiment quasi liturgique qui pénètre l'unité et la solidarité sociale, qui régie les belles
salutations du peuple à son chef et qui faisait couler une sorte d'essence religieuse sur
l'autorité du plus humble chef de villaQ9 chef du sol cultivé et habité20".
Comparativement à ce qui pré,~(dait, cette politique nouvelle constituait un
progrés réel. Mais dans la mesure où hl~; territoires étaient maintenus sous le régime
de l'annexion, la législation française leur était applicable selon certaines modalités.
Les habitants conservaient leur statut :eurs coutumes et les traditions sauf en ce
qu'elles avaient de contraire aux principes de la civilisation française. C'était en
quelque sorte la poursuite de la politique d'assimilation sous une forme moins brutale
et circonscrite à un territoire relativement exigu sûr lequel on pensait imposer le vernis
de lé!. civilisation française sans y boulewrser de façon révolutionnaire les assises de
la société. Cette politique fut inauguré,:, l.lar l'arrêté du 11 Mai 1895.
LES PAYS DE, PROTECTORAT
Si l'on peut se risquer à une app:oche mathématique des pays de protectorat,
on peut dire que c'était le Sénégal moim; les territoires des communes de plein exercice
et ceux des pays d'administration di'ecte. Ils abritaient l'immense majorité de la
population du pays soit 1.030.000 hat"t;;nts sur les 1.130.000 considérés comme le
total de la population du Sénégal.
, ..,
5 2 9
Dans ces pays de protectorat''ff(s populations indigènes étaient en principe
administrées par leurs cadres naturel:c:.)_es rôle du conquérant se bornait donc à la
formation de ces cadres et au contrôle de leur gestion.
Le point de départ de ces protectorats au Sénégal se trouvait dans les traités
passés avec les chefs des pays qui souvent garantissaient aux chefs locaux «leurs
dignités, leurs revenus et une large partie de leurs pouvoirs21 ».
Souvent le protectorat n'avait été établi qu'aprés la conquête définitive du pays
comme le Kajoor. Ce qui entrainait la disparition de l'Etat local. Du point de vue juridique
la souveraineté de l'Etat protégé ne devait pas disparaître complètement. Dès lors le
protectorat se caractérisait par la dualité ·Je l'autorité: l'autorité protectrice et l'autorité
protégée. Il existait alors une union de dBllX Etats exerçant en commun la souveraineté.
Cette union était organisée par un acte de droit international c'est à dire par un traité.22
Les traités de protectorat signés par la France avec les chefs du Sénégal ne
répondaient pas à la définition juridique du protectorat de droit international. Il ne
s'agissait pas pour la France de s'engager à prêter son appui aux chefs locaux
signataires des traités de protectorat contre des ennemis extérieurs mais plutôt d'une
sorte de concession «toujours révocable d'une partie des privilèges du pays conqué-
rantau pays conquis2J». La France nomrTlait les chefs locaux qui avaient les attributions
des chefs protégés, au lieu d'adminis\\rer directement le pays avec ses propres
fonctionnaires. Les traités signés avec III Kayoor en 1886 avec le Bawol en 1883 ou
1889 avec le Siin et le Salum en 1890 (jonnaient le nom de provinces à ces anciens
royaumes. Ce qui impliquait l'abolition de l'Etat local en tant que détenteur de la
souveraineté. Tous ces protectorats n'niaient en réalité que des fictions juridiques. En
effet la souveraineté indigène n'était plLs maintenue. Elle était totalement placée sous
le contrôle de l'Etat protecteur. Mais au lendemain de la conquêtel n préféra dans un
premier temps maintenir en place les chefs locaux, leur promettre de ne recruter leurs
!
.
sucesseurs qu'au sein de leurfamille et selon les modalités traditionnelles de transmis-
sion de l'autorité. Cette façon de faire permit de maintenir les hiérarchies et les
coutumes anciennes auxquelles les autc.chtones étaient trés attachées. Les transfor-
mations qu'on espérait opérer dans leur cadre de vie ne pouvaient être brutales. Il
H2
5 3
n'était plus question de pratiquer à leur ('~~ç;lroit une politique d'assimilation immédiate,
mais plutôt une politiqued'administrationjndirecte. L'indigence du personnel adminis-
,,'
tratif européen n'était pas étrangère à cet::e façon de voir qui permettait d'assujettir les
entités politiques africaines «sans assu\\er dans l'immédiat les charges économiques
,~...
et les responsabilités politiques d'une a'nnexion pure et simple24». Les protectorats
locaux n'étaient donc que des combinBisons astucieuses qui aidèrent la France à
étendre rapidement ses zones d'influ~lrIce en Afrique, surtout au lendemain de la
conférence de Berlin. Les conventions ccnclues avec les autorités locales favorisèrent
l'expansion coloniale tout en limitant les charges et les responsabilités de la colonisa-
tion.
Des traités signés, il résultait que la France éviterait d'intervenir dans les affaires
intérieures du pays considéré. Le maintien du principe de protectorat constituait un
~f~'
rempart contre les tendances à l'administration directe qui avait donné, dans les
territoires annexés, les résultats désastreux que l'on sait,25
Ainsi donc les protectorats sigr'és par la France au Sénégal comme dans le
reste de J'Afrique noire n'étaient pas des protectorats véritables, de droit international.
On appela des protectorats de «droit intEirne» ou protectorats coloniaux ou protecto-
ratsadministratifs26.lIs présentaient un caractère administratif mais n'avaient pas le ca-
ractère international pour la simple raison que l'Etat protégé n'existait plus au moment
de la signature de la convention. Les SL:CGeSSeurs des chefs, signataires des conven-
tions, étaient certes désignés selon la mgle successorale coutumièrerais ils rece-
vaient toujours l'investiture de l'autorité administrative française placée à la tête du
cercle dans lequel se trouvait la provinc'3 en question.
Les protectorats administratifs avaient pour effet de maintenir, «dans un
territoire incorporé à un Etat, les institutions indigènes en tant qu'elles (étaient)
conciliables avec l'autorité de la pui.s~;ance souveraine au lieu d'y introduire le
fonctionnement de l'administration coloniale ordinaire27», Ces protectorats ne repo-
saient en réalité que sur la volonté duégislateur français et non sur une convention
internationale. C'était le régime proviscirement octroyé à des territoires effectivement
occupés par la force mais «dont l'assimilntion à la métropole semblait... inoportune2B».
N~
5 j 1
La France put ainsi utiliser, pour l'et::e'rcice de la majeure partie des droits que lui
conférait la conquête, le gouvernemeFlt;lndigène. 29 Le territoire de protectorat colonial
faisait en réalité partie du territoire de l'Etat français, sa souveraineté y était unitaire.
A mesure que se renforçait l'B~:lIprise français dans le pays, les protectorats
furent progressivement modifiés dam; le sens de l'annexion.
En 1898 Mbacke Il, bu ur Siin mourait. Le gouverneur du Sénégal se rendit à
Jaxaw pour dire aux notables que les fonctions de buur Siin étaient supprimées. Il
divisa le pays en deux provinces ayant chacune un chef distinct. Le gouverneur donna
l'investiture aux nouveaux chefs. JO
Ces chefs n'étaient plus que des monarques de parade entièrement soumis à
la France. Ils n'avaient aucune autorité E(if les étrangers. C'étaient des agents chargés
',,"'Y
-
d'administrer les nouveaux sujets français avec lesquels des fonctionnaires euro-
péens auraient éprouvé des difficulté:; à entrer en contact. 31
La France s'engagea à resp'3cter les us et coutumes des indigènes. Les
transformations qu'elle voulait introd;Jire dans l'etat social des entités protégées ne
pouvait être ni l'oeuvre d'un jour ou d'U:le année mais celle du temps. Ce n'était donc
que par la persuasion plutôt que par la force que cette action avait des chances d'avoir
un certain impact sur la vie quotidienne des populations. Le seul régime adéquat était
celui d'un protectorat respectueux du Gadre traditionnel de vie des autochtones.
Les conventions signées avec lE Kayoor, le Bawol, le Siin et la Salum n'avaient
donc pas le caractère des traités inter'léltionaux. La collectivité représentée par le chef
signataire du traité n'était pas consultée. Le bur qui cédait la totalité de la souveraineté
de son pays n'était pas le propriétaire de ce qu'il cédait. selon les institiutions
coutumières des Etats Wolofs-Seree(, aucun des souverains n'avait le droit de
s'engager dans ce sens. Seul le consEil des grands électeurs représentant le peuple
était habilité à signer des conventions internationales. Du moment que la signature des
traités de protectorat n'intervenait qu'a::>rés la défaite militaire ou dans une période de
crise interne aiguë, l'accord ne cont;a~;rait que le rapport de force du moment. "Le
H~
5 32
territoire habité par la collectivité intef!;~:~sée était en réalité réuni au territoire métropo-
Iitain33».
DU STATUT DES Hi\\BITANTS DES PROTECTORATS
Si les protectorats imposés par la France aux populations locales avaient un
caractère international, les habitants de ces territoires auraient été des protégés de la
France. Ils n'auraient pas été des l'.ujets ni des citoyens français. Toutefois la
souveraineté interne de leur Etat ay 3l"it de maintenue ils n'auraient pas perdu leur
nationalité d'origine. Tel n'était pas lü cas avec les protectorats administratifs dont le
point de départ était la négation mêmE'f~~de l'Etat protégé.3' Ses habitants,
privés de leur nationalité d'origine du lait'de la destruction de leur Etat par la conquête,
/
appartenaient à la catégorie des suje1:> français. Le changement de leur nationalité
découlait de la suppression de leur Etat. Il;; ne pouvaient que prendre la nationalité de
l'Etat français qui s'était substitué au Iwr par le droit de la conquête. Ils conservaient
donc leur statut personnel sous cetle restriction, déjà observée pour les territoires
d'administration directe, qu'il perdait (c,ute validité lorsque ses dispositions étaient en
contradiction avec les principes de l", civilisation française. 3s
Malgré cette restriction, l'adm,listration reconnut aux habitants des pays
protégés le droit de conserver leurs esclaves de case. Toutefois elle chercha à interdire
la traite en conviant les chefs du protectorat à confisquer les caravanes d'esclaves que
les Jula essayaient d'écouler dans 185 ,erritoires de leur ressort.
Contrairement aux sujets fran,;nis des terr,toires d'administration directe, les
habitants des pays de protectorat n'él318nt pas justiciables des tribunaux français mais
de tribunaux indigènes. Avec la politiqu':! de protectorat, la France cessait de chercher
à faire des indigènes des Français no'r:3. Elle proclama son intention «de conserver et
de développer l'essentiel de la civilis3éÎon (indigène) dans ses normes, suivant son
fonds propre, de maintenir l'armature sociale existante, bannissant ou réformant
seulement ce qui dans les institutions a': les moeurs36», se révélait contraire à la morale
naturelle. Pour agir avec quelques d:ances de succès, le colonisateur prit le parti de
ne plus juger fa société locale à pal"or de sa mentalité propre ou de son échelle de
su·;(:~.société
qU'ell~avait
valeur. Elle essaya de s'appuyer
locale en partant de ce
d2 J 3'
r.. '"
plus sain.
Le protectorat reposait en d §jinitive sur la reconnaissance des droits des
collectivités, la consécration de tou~; les usages traditionnels, familiaux, sociaux et
politiques, et le respect accordé à tcules leurs coutumes religieuses et civiles3?
Force est de constater que cette politique de protectorat changea progressive-
menten une politique d'administration (jirecte par la dimunition graduelle des pouvoirs
des chefs spécialement en matière judiciaire foncière et fiscale. En 1905 on mit un
terme à cette fiction administrative par l'incorporation à la colonie du Sénégal des pays
de protectorat.38
L'EVOLUTION ADMINISTRATIVE DU SENEGAL JUSQU'EN 1920
Ce fut l'ordonnance organique du 7 Septembre 1840 qui avait donné aux
possessions françaises du Sénégal l'organisation régulière de leur gouvernement. Cet
acte précisait les attributions et les J:0uvoirs du gouverneur et réglementait aussi le
fonctionnement des services administratifs. L'accroissement continu des territoires
placés sous la souveraineté de la France rendit nécessaire des modifications dans
cette organisation administrative.39
En 1861 et 1862 Jauréguiberry prit des arrêtés regroupant les possessions
françaises en sept arrondissements Et ':m 4 cercles en déterminant les attributions des
fonctionnaires et des chefs indigènes mis à la tête de ces unités. En 1863 Faidherbe
réduisit à trois le nombre des arrondissements à savoir Gorée, Saint-Louis et Bake!.
Les arrondissements furent divisés en douze cercles dont les chefs relevaient
des commandants supérieurs d'arrondissement. Il institua auprés du gouverneur une
direction des affaires politiques. 4o
L'arrondissement de Bakel fut supprimé par arrêté ministériel du 22 Novembre
1866. Ainsi se trouva réalisée à nouveau la division des possessions françaises du
Sénégal en deux arrondissements. Avec la progression des conquêtes, les services
N~
5 J 4
civils prirent graduellement de l'impr)ri'ance au point d'être érigés en une direction
spéciale, soumise à la haute impul~?,1) du gouverneur. En effet le décret du 1er
Septembre 1869 créa la direction de l'intérieur. Le titulaire de cette fonction correspon-
daitdirectement avec les chefs d'arrondissement et de cercle chargés de la perception
des impôts. Toutefois son action admillistrative ne s'éttendait qu'aux villes de Saint-
Louis, Gorée, Dakar et à leurs banlie·Jes. Comme par le passé, l'administration des
autres possessions était du ressort cie la direction des affaires politiques.
Le 10 Août 1872 la direction de l'intérieur fut supprimée pour une raison
d'économie consécutive à la guerre franco-allemande. Un autre décret de même date
institua des municipalités à Saint-Louis et à Gorée et un conseil général fut crée le 4
Février 187941 •
Une loi du 8 Avril 1879 rétablit la représentation du Sénégal à la chambre des
députés. 42 Une troisième municipalité fut créée à Rufisque le 12 Juin 1880. Toutes ces
mesures entraient dans le cadre de la politique d'assimilation qui tendait à soumettre,
au droit commun français, les populaliCJns de ces communes de plein exercice. Dans
cette perspective une nouvelle réorgélnisation fut sanctionnée par les décrets d'Octo-
bre et de Novembre 188243•
Ces actes scindèrent le Sénégal en deux zones et firent disparaitre l'emploi du
commandant du deuxième arrondissBrnent. A la place un lieutenant-gouverneur était
chargé, sous la direction du gouverr"8'"nent du Sénégal, d'administrer les établisse-
ments français des Rivières du Sud à 3<Noir le Salum, la Casamance, le Rio Nunez, le
Rio Pongo et la Melakore. On rétablit E.ussi la direction de l'intérieur. Son chef devenait
l'ordonnateur et avait dans ces attributic.ns l'administration des escales de Saint-Louis,
Gorée, Dakar, Rufisque, Dagana, Pocler et Salde. Le territoire s'étendant entre Saint-
Louis et la Pointe de Sangomar était placé sous l'administration directe du gouver-
neur." L'application de ce d~cret prov::Jqua des confusions.
Les commandants de cercle, pl;;cés sous l'autorité du directeur de l'intérieur,
subissaient également l'action du gouverneur. A la faveur du décret du 22 Septembre
1887 créant le corps unique des admiristrateurs coloniaux, On abrogea les décrets de
~2
5 35
"~.'
.
1882. Les affaires indigènes des c~~éies relatives aux territoires annexés étaient
centralisées à la direction des affaires p'0Iitiques. La partie administrative de ces cercles
i$,"""'<
continuait de dépendre de la direction cie l'intérieur. Pour avoir voulu introduire, dans
les territoires d'administration directe relevant de la direction de l'intérieur, des
institutions administratives et judicia.ims en porte à faux avec les traditions des
populations, elle ne fit qu'exaspérer i(,s populations qui trouvèrent dans l'émigration
le moyen d'échapper à ces problèmB~,.
On en déduisit que le protectorat était le régime le mieux adapté à l'état social
de la majorité des indigènes du Séné!)u\\.
Au lendemain de la désannexion des banlieues de Saint-Louis et de Dakar qui
furent à nouveau réintégrées dans le~; pays de protectorat, on réunit dans un arrêté
d'ensemble les dispositions contenu'3S dans les divers actes promulgués dans la
colonie et concernant le régime administratif des territoires indigènes. Cette mise au
point fut réalisée par l'arrêté du 11 M<li 1895 qui consacra au Sénégal la formule
administrative des cercles. 45
Par cet acte, l'action politique du conseil général fut restreinte au territoire des
communes de plein exercice. Les pay'5 je protectorat et les cantons d'administration
directe furent réunis et répartis en 8 œrcles avec à leur tête un administrateur chargé
de la direction politique du cercle, de l'administration du budget régional et la
surveillance de tous les services civils et financiers. Un conseil consultatif lui était
adjoint pour la discussion des affaires Gc,mmunes des pays de protectorat. Il réglait les
différends entre les populations de scn cercle et les habitants des escales'"
Auprés de l'administrateur, et sous ses ordres, étaient placés un adjoint et un
commis aux affaires indigènes. Le premier était chargé de la surveillance de la
comptabilité des détails administratif~', et des travaux en exécution dans le cercle. Le
second remplissait les fonctions d'agent spécial et assuraient l'expédition de la
corespondance. <7
, "\\'
Hg-
5 3 6
Il pouvait être adjoint à l'adm: Jistrateur du cercle d'autres administrateurs
'f~ .
moins élevés en grade, des commis ,jes affaires indigènes pour diriger, sous son
<7,r:'
autorité)les circonscriptions du cercle. lB"
Toutes les affaires administratives et politiques et la correspondance concer·
nant les pays de protectorat ainsi que les affaires indigènes des territoires d'adminis-
tration directe, exception faite des communes de plein exerciceq, étaient centralisées
à la direction des affaires politiques dont le chef ne relevait que du gouverneur. Cette
réorganisation fut suivie en 1898 de la suppression pour la deuxième fois de la direction
de l'intérieur. 49
Notons qu'un décret du 16 Juin 1895 en créant le gouvernement général de
l'AO.F. avait fixé les limites respectives de chacune des colonies du groupe et placé
le gouvernement du Sénégal sous l'aulorité directe du gouverneur général. Le décret
du 1N Octobre transféra le siège du gouvernement de l'AO.F. de Saint-Louis à Dakar.
Le Sénégal fut divisé en deux zonos administratives. Les pays d'administration
directe et les 4 communes étaient grcupées en une unité administrative et placées
sous l'autorité du lieutenant-gouverneui' du Sénégal. Le pays de protectorat étaient
détachés du Sénégal pour former avec les cercles du Soudan, sous le nom de
Sénégambie-Niger, une possession administrée directement par le gouverneur géné-
rai assisté d'un secrétaire général du gouvernement et d'un délégué à Kayes. L'orga-
nisation financière prévue par les arrêtÉs de 1891 et de 1899 était frappée de caducité.
Les budgets régionaux étaient fondus avec ceux du Soudan pour former le budget de
la Sénégambie-Niger. Le reste du Sénégal conservait un budget propre voté par le
conseil général.50
On ne tarda pas à se rendre compte du caractère illogique de cette réorgani-
sation administrative. Aussi par le decret du 18 Octobre 1904, le Soudan français fut-
il érigé en colonie distincte. Le territoir'il civil de la Mauritanie et les cercles de la rive
gauche du Sénégal en deça de KaYEJs furent rattachés au Sénégal. Les pays de
protectorat et d'administration directe conservèrent leurs budgets respectifs, le
premier établi par le Iieutenant-gouvern.,ur, en conseil de gouvernement, le second
soumis à la délibération et au vote du ':onseil général. 51
537
'{tl'·
Ce mode d'administration auc~uel on parvint en 1904 n'était pas fondamenta-
lement différent de celui de 1882. il avait abouti à l'unité de direction ne laissant
subsister pour les habitants indigènes que l'illusion du respect de leurs coutumes. La
distinction entre administration directe et protectorat ne reposait que sur le plus ou
moins grand degré d'assimilation des contrées envisagées.
LE CERCLE COMME UNITE ADMINISTRATIVE
Avec la nouvelle organisation élclministrative, le cercle devint la cellule de base,
le fondement de l'administration. Celte circonscription territoriale constituait en elle
même une unité homogène tant du point de vue politique qu'économique. Sa
délimitation aurait dû épouser les contours des territoires appropriés par des groupes
ethniques homogènes avec leurs moeurs et leurs institutions particulières. Du fait de
l'enchevêtrement des ethnies au gré des mouvements migratoires, des groupes
~'f.-
humains étrangers les uns'i:autres furent amenés à coexister dans le même espace.
Peuls, Wolof, Sereer, Socee étaient souvent en cohabitation dans les mêmes sec-
teurs. 52
La division du Sénégal en cercles par l'arrêté du 11 Mai 1895 ne prit pas en
compte ces considérations ethniques. Les populations d'origines diverses, de
moeurs, de coutumes de religions différentes étaient associées dans le même cercle /
voire dans la même province dont les chefs avaient tendance à favoriser les gens de
leur propre ethnie. On savait que l'e~i:.~acité de l'action du commandant de cercle
dépendait en grande partie de l'homop€neité éthnique de son cercle. En 18950n perdit
de vue ces considérations lors du décJupage des cercles. Dans le cercle de Saint-
Louis on fit coexister le Walo, le Dim<lr, le Ngick-Merina, le Njambur, le Ganjolais, le
Kayoor, le JoJof ainsi que les escalE's d'administration directe enclavées dans ce
territoire. Le cercle de Kees comprenê'it le Bawol, les provinces Sereer autonomes les
cantons de Put Njanxen, Toor-Janc,er, Naninq, des banlieues de Rufisque et de
Dakar. 5J
'. . .
1) :nf
Le Siin, le Salum et le Nombçltq, les districts de Funjurï, de Fatick ainsi que
l'escale de Kaolack et le canton de Joal formaient le cercle de Funjurï. Le cercle de Noro
comprenant le Nom, le Rip, le Sagal, lel~ani, le Wuli, le Sandugu, le Kalandugu. 54 Ainsi
des Toucouleurs musulmans habituè~ 'à vivre sous le régime d'un état théocratique
sont associés à des collectivités pour lesquelles l'islam n'était encore qu'un vernis
superficiel. Leurs conceptions de la vie n'étaient pas les mêmes. Ce qui était encore
plus gravjC'était le détachement du Dimar peuplé de Tukuleur, du département de
Podor où se trouvait une fraction imj::oliante de cette ethnie.
Les cercles étaient souvent trop vastes pour être surveillés par un seul
administrateur. Fatalement il était contraint de s'en remettre aux chefs de province ou
de canton dont l'autorité, ainsi accrue. ouvrait la porte à tous les excès. La nomination
de résidents, auprés des chefs supéreurs, n'était qu'un expédient incapable de faire
disparaître cet inconvénient. Le carilctère récent de la conquête, l'absence d'un
personnel administratif compétent et étoffé expliquait peut-être ce découpage qui ne
semblait obéir à aucun critère de cé',tionalité. Dès lors l'on comprend que des
aménagements aient été apportés \\;È; et là, non seulement dans l'administration
provinciale, mais aussi dans celle des sercles à mesure que se réalisait la mise en
valeur dans l'intérêt du colonisateur.
Si en 1893 les cantons d'administration directe du deuxième arrondissement
étaient constitués par ceux de Put-Kens, Rufisque-Bargny, Toor Jander et N'lasaan~,
on dut procéder en 1898 à la fusion dE' la circonscription de la banlieue de Rufisque et
celle de Naning en un seul canton Ba;çlny-Naning dont le commandement fut confié
à Cupi frère de Abd El Kader Ley des provinces Sereer autonomes.56 Ce canton avait
une longueur de 100 Km au moins. Les administrés qui se trouvaient à sa périphérie
éprouvaient toutes sortes de difficultés à faire prendre en compte leurs préoccupa-
tions. La même irrationnalité semblait avoir présidé au découpage de la banlieue de
Dakar placée sous le régime de l'administration directe par le décret du 13 Février
190457 . Cette banlieue formant un pf,tit territoire compris entre les limites de la
commune de Dakar et une ligne conventionnelle coupait la presqu'île du Cap-Vert
,
,
~..
~
539
dans sa partie la plus étroite. Cette ré:~ion qui, avant 1904, faisait partie du pays de
protectorat était aussi incorporée au c~3rcle de Kees à 70 Km de son chef-lieu, tandis
:\\~, .
qu'elle avait tous ses intérêts à Dakar. Les habitants séparés de Dakar par la ligne
conventionnelle souffraient de cette situ8tion qui leur imposait de longs déplacements
pour le réglement de leurs affaires. C'es!: en 1911 qu'on mit un terme à cette anomalie
en détachant la banlieue du Cercle de Kee~ pour être administrée par le délégué du
lieutenant-gouverneur à Dakar. 58
Le cercle de Luga associa le JoIQ; et quelques anciennes provinces du Kayoor
(le Njambur, le Ganjolais et le Ngick-Me;'Îna) et une fraction du pays Trarza: Le Njago. 59
En 1883 à la suite de l'abdicatio:1 de Lat-Joor, le Njambur avait été détaché du
Kayoor pour former un royaume ou province autonome confié au bur Njambur
Ibrahima Njay. Ce dernier était le fils de Meïssa Selle Jaraaf Ndambur que Lat-Joor avait
fait assassiner à cause de ses relations coupables avec les Français. 60 Cette province,
peuplée surtout de musulmans, semblait par cette mesure, réaliser son rêve qui était
d'échapper à l'autorité des Ceddo.
Mais en 1906 cette province fut >'Gindée en deux entités confiées aux deux fils
de Ibrahima Njay, Meissa Selle et Selle,J~day qui avaient fréquenté l'école des fils de
chefs. 61 Ces jeunes chefs passèrent le plus clair de leur temps à froisser à blesser leurs
administrés au point de les contraindr'3 à fuir leur pays. En Janvier 1907 pour le seul
canton de Nomre le nombre des émigré:; s'élevait à 977. Pour l'ensemble du Njambur
on l'estima à 5.00062 . Ils furent licenciés et remplacés par Sose Sow un ancien garde
de cercle et par Samba Xary Sise fils (j'un notable du Njambur.6J
Au Kayoor la situation était plus grave encore. Du moment que c'étaient les
anciens esclaves de la couronne à l'instigation de Dembawar Sali et de ses frères qui
avaient assuré le succès des armes françaises, le gouverneur6' Genouille leur confia
l'administration du pays. D'où des conllits qui prenaient leurs origines dans la
contestation du droit au commandement des collaborateurs du gouverneur. Pour
résorber la crise le gouverneur refu~,a de leur trouver des successeurs à chaque
vacance de poste. Les grands commandements furent progressivement remplacés
,.'.,-"
H~
5 4 0
par des unités à l'échelon des cani~','~ afin de rendre plus efficiente l'action de
J'administration sur les populations. ,A:rsi Oembawar ne fut pas remplacé à la tête de
la confédération des provinces du Kayoor à sa mort en 1902. Cette fonction était une
sinécure qui avait surtout l'inconvénient de retarder la transmission et l'expédition des
ordres. 65
Cette force d'inertie des chefs à l'exécution des directives de l'autorité supé-
rieure paralysait l'action de l'adminis!r.''ltion. On songea à divisE':r tous les grands
û-u-
~.
commandements encore existants au ~:~ayoor en cantons. œe...oit,permettrai" un
contrôle plus aisé et plus efficace des agissements des chefs et un contact plus direct
avec les populations indigènes.""
En Septembre 19111e cercle du I<.ayoor fut divisé en trois provinces subdivisées
en douze cantons. Avec cette réorganisation les chefs de province n'avaient plus que
des pouvoirs de surveillance sur les chefs de canton qui étaient désormais tenus de
rendre compte directement à l'admini:;t~ateur du cercle. On préparait ainsi l'abolition
d'un rouage jugé désormais onéreux à savoir la province. 57
Le cercle le plus étendu était sans auéun doute celui de Kees qui s'étendait
d'une partie de Dakar au Ferlo, d'autrr' part de la mer au Siin sur une longueur de 200
Km d'Ouest en Est et sur une largeur de 180 Km du Nord au Sud. Il abritait une
population de 300.000 habitants de Se.mer, de Lebu, de Wolof et de Peuls. L'adminis-
tration avait aussi la charge des banlielle~3 de Dakar et de Rufisque, des escales de Put,
sébikotane de Kees, de Naning, de ,10'11, de :rul et de jurb~.611 Outre les territoires
d'administration directe, le cercle dt: l<ees comprenait Je Bawol et les provinces
autonomes Sereer.
La mort de Teeii Tanor en 1894 élvait entrainé l'abolition de la royauté dans ce
pays qui fut divisé en Bawol Oriental cenfié à Mbaxan JOR et en Bawol Occidental à
Sa/mone Faal. L'application de cette decision en 1898 au retour des titulaires envoyés
en Afrique du Nord pour leur formatiol'I provoqua quelques remous. Le Jaraaf Bawol
Ganut Bajaan et le Bur Ngoy Ceyasin C jj, se sentirent atteints dans leur prestige et leur
amour propre.69
H~
5 4 f
La nouvelle organisation adn-(ir;!istrative fournissait en effet la preuve que la
};_ :1
France avait réellement pris possession du pays. Le mode de transmission de l'autorité
n'obéissait plus aux critères anciens_ Le pouvoir de nomination n'appartenait plus à la
tradition. On ne confiait plus les commandements qu'à ceux qui acceptaient de la servir
avec au moins des apparences de Icyalisme.7O
L'administration saisit toutes le:, opportunités pour détruire les grands com-
mandements. En 1904 à la suite de la mort de Chautemp adjoint aux affaires indigènes
à Tul, le poste de chef supérieur du :J,lwol Occidental fut supprimé et celte province
répartie entre plusieurs chefs de cant'Jn7l . L'immensié de ce cercle rendait aléatoire la
surveillance des chefs de province. aussi décida t-on en 1908 à faire du cercle de Kees
un cercle de la grande banlieue de Cakar en en détachant le Bawol. 72
,.
Par arrêté du 17 Mars 1908 on créa le cercle du Bawol comprenant les
résidences de Tul et de Jurbel. Celte ciernière localité devenait le chef-lieu du cercle.
La mesure s'inscrivait dans le souci dE' diminuer l'étendue du cercle de Kees et pour
donner aux provinces du Bawol une administration suffisamment efficace afin de
favoriser leur développement." En 1!:J'10 on apporta à nouveau des modifications au
cercle de Kees. Les territoires formallt l'île et la Pointe de Sang omar furent détachés
du cercle de Kees et raltachés à celui de Kaolack. Des considérations d'ordre
économique étaient à l'origine de C8lte mesure. Les habitants n'avaient que des
rapports de commerce insignifiants avec la Petite Côte, tandis que des relations
économiques solides se tissaient de jour en jour entre eux et les villages voisins du Siin
et du Salum.7<
Les province Sereer autonome" créées en 1889 au profit de Sanor Njay mort
en 189475 ne subirent de modification qu'en 1907. Celte année fut celle de la suppres-
sion des chefs supérieurs. 76 On invoqua la vieillesse de Abd El Kader pour le licencier
du commandement des provinces Sereer. On l'admit à la retraite avec une pension de
6.000 francs et on lui confia la présiciE"ce du tribunal de province."
A la mort de Mbacké " le Siin'ullui aussi divisé en deux provinces administra-
trées par des Gelowar. Le Siin Occidl3ntal fut confié à Njuck Faay neveu de Sanumon
542
et le Siin Oriental à Kumba Ndoffen Ndeb. Dès la mise en contact des chefs avec leurs
nouveaux administrés, la plupart de:; Sereer refusèrent d'entériner l'abolition de la
.::T--t-'}
royauté qu'impliquait la nouvelle orgai'ii~ation administrative. Tous ne reconnurent que
Kumba Ndoffeen7" à qui ils payèrent l'impôt. De guerre lasse on les laissa avec leur
organisation monarchique qui gardé: ses apparences jusqu'à la mort de Mahecor le
dernier Buur Siin en 1975.
Au Salum la réorganisation de cet ancien royaume en Salum oriental et en
Salum Occidental entrainant l'abolition de la royauté ne donna lieu à priori à aucune
protestation. Mais l'attachement des ~;ereer à leur royauté obligea l'administration à
reconnaitre comme bur Salum Ndene Jogop Ndaw qui resta en place jusqu'en 1911.
Ce titre fut à nouveau reconnu à Semu Juuf fils du défunt. N'étant âgé que de quatorze
ans il était suppléé par un de ses cousins Gori Juuf. La solde annuelle de ce bur était
de 2.000 francs auxquels s'ajoutait la moitié des remises sur les recettes provenant de
l'impôt. L'autre moitié revenait à GOii à titre d'indemnité.
Après une rapide évolution on était donc passé du système grands comman-
dements au morcellements en cantons qui facilitait davantage le contrôle des chefs
locaux. Le Kayoor en 1911 comptait .31 cantons répartis en 3 provinces79 pour une
population de 123.883 personnes, le Njambur 14 cantons pour 45.700 habitants en
190480. Le recensement de la mêm<~ ilnnée donnait 10 cantons pour les provinces
Sereer autonomes pour une popula:jon de 53.625 individus."' En 1897 le nombre de
cantons du Bawol oriental était de 14, celui du Bawol Occidental de 10. Ensemble ils
abritaient une population de 112.621) j'habitants."2
L'utilisation des institutions loc:3les pour administrer les populations autochto-
nes n'eut guère l'efficacité désirèe. L"3 préoccupation de remplacer les détenteurs des
grands commandements par des chefs de cantons simples'
auxilliaires de l'admi-
nistrationfrançaise, transforma la pOiitlque de protectorat en politique d'administration
directe malgré les nombreuses déclar:3tions d'intention sur le nécessaire respect des
traditions locales. L'application de 1" politique d'assimilation avait entrainé la destruc-
tion des cadres indigènes. Le désarr'oi qui s'ensuivit contraignit les autochtones à
s'éloigner des centres français pour aller reconstituer ailleurs l'atmosphère sociale à
,,_
N~
543
laquelle ils restaient encore profondér(l(nt attachés. En revenant à la vieille politique
de protectorat initié par, Fé\\idherbE!, l'autorité franç?ise rec,onnut le droit à l'existence
des société focales dont elle souhaitait au départ la disparition. Au Sénégal comme
dans le reste de l'Afrique l'élément eUI Jpéen était numériquement faible face aux
masse indigènes qui seules étaient à 11]3me de produire la prospérité.
On s'était donc aperçu du danqHr d'une destruction brutale des organismes
locaux fort adaptés aux beso"lns des pCoiJulations. La liquidation des chefs trad'Itionneis
et leur remplacement par des créature,,: ~;ans consistance avait conduit à une politique
d'administration directe heurtant de fWllt les pratiques indigènes, expression d'un
équilibre entre les collectivités et leur E'l','ironnement. On ne pouvait commander à la
nature qu'en lui obéissant. L'action de l'administration sur les populations n'avait de
chance d'être efficace qu'en s'appuyant sur les traditions et les coutumes des
populations. Le respect de l'armature ~JGiale fut considérée comme le point de départ
de la nouvelle politique.
Il s'agissait désormais demene; U(le politique indigène capable de procurer aux
autochtones la sécurité et la prospéritô. Pour leur prouver qu'on s'occupait d'eux, il
fallait non seulement faire coincider les in:érêts matériels des indigènes avec ceux des
colons, mais encore sauvegarder leurs intérêts moraux. Sinon on ne pourrait jamais
les amener à sentir les bienfaits de la domination étrangère et éventuellement à
l'accepter au lieu de la subir. L'Europ'3lm n'étant pas le nombre, il devait éviter de
froisser les traditions ou de changer les habitudes locales. B3 Le succès de cette
colonisation résidait dans la promotiol', des institutions politiques indigènes, qui était
le seul moyen de concilier les intérêts du conquérant et ceux du colonisé."'
La victoire militaire avait déposs{,c8Ies populations de leur indépendance. Mais
la force n'était qu'une simple preuve de supériorité physique. Elle n'était pas une
preuve de supériorité morale. Pour le::::"1/onisateur la civilisation idéale était celle de
l'Europe que l'indigène rejetait avec violence parce qu'elle n'était pas faite pour lui. Au
lieu de la lui imposer il était préférable 'jp developper la civilisation indigène «sur son
propre fonds d'après ses moeurs, ses Undances et dans sa langue"."5
" . ",
544
Toute administration avait intérèt, pour réussir,<l:lll-connaÎtre les conditions
locales particulière servant de toile dl;l}?~ld à son action. Vouloir diriger des collectivités
noires à partir des conceptions européennes c'était, à coup sûr, compromettre par
ignorance l'avenir et les intérêts des deux groupes qui coexistaient dans la colonie.
Selon Labouret, il y avait en Afrique "dE,s institutions indigènes sur lesquelles on pouvait
fonder des progrés considérables pOl.'r arriver non pas à ce bouleversement dont
(parlèrent) les partisans de l'assimi!af'on immédiate mais encore à l'évolution raison-
née qui (permettrait) d'amener sans perturbation facheuse l'indigène à ... l'égalité ou
la presque égalité avec" le colon 86
La politique indigène ferait fausse route si elle s'écartait de la catégorie du réel.
Ceux qui la conduisaient devaient avoir des connaissances précises sur l'histoire, les
traditions et l'économie du pays. Cette e:<périence ne s'obtenait que parla pratique sur
place. Avant d'appliquer aux indigène.'; l;ne quelconque législation, il fallait prendre, au
préalable, appui sur le milieu et sur l'l'; hommes et leurs institutions qui avaient été
élaborées au cours des siècles. 87
Cette expérience, issue de l'examen des hommes et des choses, était le guide
le plus sûr pour l'action administrative. Le système ne pouvait subsister qu'avec
l'assentiment des assujettis. Leur con:,entement ne pouvait s'obtenir que s'ils avaient
la conviction qu'on les respectait dom'" leur genre de vie, dans leurs conceptions
religieuses et sociales. En d'autres ~e,mes la politique indigène avait le devoir de
prendre en compte les besoins matériels et moraux des indigènes dans le~ cadre de ~
civilisation. Cette façon de faire aidel3it à éviter les motifs d'incompréhension et de
froissement, porteurs de haines inexpbbles. Le bon fonctionnement de la chefferie
était la clef de voûte de cette politique. C'est en s'appuyant sur ces cadres sociaux
qu'on pouvait atteindre l'indigène. "" La nouvelle politique indigène, se fondant sur une
bonne connaissance des sociétés locales, aurait donc pour but la conservation et le
renforcement de ces sociétés et de t(IL:': ce qui dans leurs institutions était de nature
à contribuer à leur développement md,;riel intellectuel et moral. L'action du colonisa-
teur n'avait de chance d'être efficiente ql;e si elle se plaçaitdu point de vue des besoins,
et des intérêts indigènes. La législatio'l 81aborée pour les autochtones devait prendre
~2
5 4
en considération les intérêts des co::ettivitée locales sinon elle ne ferait qu'accélérer
le processus de leur désintégrationayecdJ:s cons~quences funestes. Ceci impliquait
la reconnaissance «des droits de col!ectivités indigènes sur le sol... la consécration de
tous leurs usages traditionnels, familiaux sociaux et politiques, le respect accordé à
toutes leurs coutumes civiles et rellidieuses dans tout ce qu'elles n'ont pas de
contraire ... au mieux être des sociélé~.' noires elles-mêmes». 09
Le respect des coutumes et des traditions locales était en contradiction même
avec le principe de la colonisation. C'est au nom de sa supériorité matérielle que la
France avait mis la main sur les PilYS Sénégalais avec l'intention d'assurer à ses
nationaux des débouchés de commerce, des sources de matières premières à son
industrie. Le mobile de l'expansion coloniale n'était pas de donner le bonheur aux
populations conquises. Ce n'était là qu'une justification à postériori. La certitude de la
supériorité de la civilisation européenne excluait le maintien des coutumes considé-
rées comme l'expression même de l'archaïsme des populations locales. Les transfor-
mations économiques apportées p:lr la colonisation rendait difficile le respect des
coutumes et des traditions. Le personr:el administratif chargé de l'application de cette
politique de protectorat n'était pas toujours convaincu de la nécessité de respecter des
coutumes et des traditions dont le :;élfactère suranné justifiait même à ses yeux la
conquête. Les mesures adoptées prOioquèrent des bouleversements dans le cadre
institutionnel traditionnel.
On avait cessé de remplacer les vieux chefs de province défunts. Leurs
commandements étaient répartis e:l petits cantons dont les titulaires dépendaient
directement de l'administrateur du cercle. Ainsi donc l'existence des pays de protec-
torat ne semblait pas détourner les autorités coloniales de leur volonté de faire du
Sénégal une colonie française véritaUE'. Pour rendre possible le contact entre l'autorité
et les indigènes on décida de faire du canton l'unité administrative pour l'encadrement
des autochtones. Selon le gouverne'Jr Guy cette modification n'était que la première
étape sur le chemin des transfonnetions qu'on avait envisagées. En effet l'objectif
ultime étant de faire du village la celiule vivante de l'organisation administrative avec
son chef «désigné par l'administrateu ;:ur le vote des habitants assisté d'un conseil de
·
m
546
notables élus par les chefs de carrés etjouant le rôle de conseil minicipal 90». Inutile de
'~~'-?J;
dire que cette façon de voir était îctalernent étrangère au mode coutumier de
~.~.
.
désignation de ces autorités locales. L' borom Dëk était nommé à chaque vacance
selon les critères d'âge en parfaite confcirmité avec les droits à la chefferie du candidat.
Les chefs de village élus selon la volenté de l'administration étaient plus utiles parce
que plus dociles face à l'autorité coloniale que leurs prédécesseurs désignés selon les
critères traditionnels. Leur présence permettait la suppression des intermédiaires
entre l'administration et l'indigène 91 Le pays de protectorat tombait sous le coup de
l'administration directe parce que c(~ locaux exécutaient à la lettre les directives
données par l'administrateur de cercie.
Les abus constatés çà et là clans la désignation des chefs incitèrent le
gouverneur général William Ponty à préciser en 1909 l'orientation qu'il entendait
donner à sa politique indigène. Le but p,Jursuivi, dit-il, était de parvenir à des résultats
positifs et durables sans froisser les indigènes «dans leurs coutumes, dans leurs
croyances et même dans leurs super:;titions92». L'histoire locale, qui s'était déroulée
pendant des siècles sous le signe du mouvant, avait regroupé dans certaines régions
des individus appartenant à des ethr: e:; variées dont certaines formaient de petites
minorités alors que d'autres constituaient dans certains provinces de véritables
colonies. Les peuls étaient nombreux au J%f dans certaines parties du Kayoor mais
étaient éparpillés au Siin et au Salum. Il Eil était de même pour le Sose de la Petite Côte
ou pour les Tukuleurs du Salum.
Lors du découpage des cercle~é (,u des provinces au début de la mise en place
de l'administration coloniale, on avait c:éé des commandements territotriaux qui ne
tinrent nullement compte de la configuration éthnique dans l'unité administrative. Le
chef désigné centralisait entre ses moins tous les pouvoirs et parlait au nom de tous
les échantillons éthniques réunis sous éon autonté. C'était la porte ouverte à tous les
abus, à toutes les exactions. Ce clin',al était propice à l'éclosion d'un malaise qui
risquait de prendre des proportions inquiétantes si dans la zone de commandements
du chef existaient «à la fois des group,')rnents fétichistes et des groupements mu sul-
H2
5 4 7
mans"". Ces derniers arrivaient souvent à imposer leur hégérnonie politique qui
revêtait souvent le caractère d'une prptestation plus ou rnoins dissirnulèe.9'
....':"'~
Pour ces raisons Ponty préconi'3a "de substituer à la politique du cornrnande-
ment territorial indigène, la politique des races95" qui devait consister non à morceler
l'autorité française sur la base des' indigènes, mais à la rendre plus tutélaire en
établissant un contact plus direct entre :'administrateur et l'administré'l6 Le chef devait
être de la même ethnie que le groujJ·ament qu'il commandait. Chaque collectivité
culturellement homogène conserverait ainsi son autonomie à l'égard de ses voisines.
L'évolution de chaque groupement se ferait dans sa mentalité particulière, dans
la conservation de ses particularismes,. On supprimerait ainsi la tyrannie que certains
groupes ethniques exerçaient sur d'autres et les centres de résistance que l'ancienne
aristocratie avait développés pour défendre ses derniers privilèges. 97
Cette nouvelle organisation faciliterait le recensement pour la collecte des
impÔts.98 Cet grand émiettement admi,"listratif consacrait la politique du Gouverneur
Camille Guy qui tendait à réduire l'autorité des chefs noirs à sa plus simple expression.
Les chefs locaux cessaient d'être les maîtres incontrôlés de la perception des impôts
et du recensement. 99
En épousant les contours ethniques, l'administration locale semblait vouloir
réactiver les querelles inter -ethniques que la longue coexistence de ces groupements
dansle même espace avait fortement atténuées. Les mariages interethniques s'étaient
multipliés dans les Etats Wolof-Sereer depuis des siècles et avaient érodé les particu-
larismes, facilité le métissage. Les Wolof passaient pour la résultante de tous les
métissages qui avaient eu lieu dans l,) pays. C'est pour cette raison que le Wolof est
d'abord une langue avant d'être l'appelation d'une ethnie.
Dans les commandements territoriaux traditionnels les droits des groupes
éthniques minoritaires étaient sauvegardés. Un chef issu de chaque groupement était
nommé par l'autorité supérieure pour f"ire entendre les doléances de ses compatrio-
tes auprés de qui de droit. Les régimes précédents avaient reconnu leur droit à
l'existence, tout en favorisant leur intéqration dans leur milieu d'accueil. On pouvait
Hg
5 4 8
considérer comme un recul le passage du complexe au simple, le retour à des formes
élémentaires de vie en société.
.~:"
«La politique des races" du gc,uverneur général Ponty ne recourait aux chefs
que dans la mesure où on les juge;:it utiles à j'administration. L'autorité des chefs
cessait d'émaner de la coutume pou' r,e prendre sa source dans l'autorité française.
Les chefs n'étaient que de simple auxilliaires de l'administration. Ainsi tout en utilisant
les chefs noirs l'administration françaif,e n'en faisait pas moins une politique d'admi-
nistration directe.
Cette tendance au contrôle directe des populations fut la caractéristique
essèntielle de l'action de William Ponty. Les instructions ultérieures n'avaient d'autres
objectifs que de couler tous les indigènes dans un moule à peu prés uniforme pour des
raisons d'intégration politique. Les rei3tions qui unissaient la France et ses colonies ne
devaient plus être interrompues par les aléas de l'histoire.
La désagrégation des grands commandements indigènes fut poursuivie avec
constance. Les chefs religieux musulrnans furent l'objet d'une surveillance vigilante
sous prétexte de favoriser la ré4su~ction des collectivités indigènes opprimées par la
politique de protectorat. Tout était mis en oeuvre pour envelopper en quelque sorte les
masses indigènes de façon à les faire évoluer selon les affinités de leur propre milieu.
Cette politique indigène de Fonty déboucha sur la suppression de ce qu'il
appelait la féodalité locale. La puissance économique et politique de la caste des
nobles et du groupe des marabouts fut profondément atteinte dans un de leurs
fondements à savoir l'esclavage. L'affranchissement des esclaves à mesure que se
consolidait l'hégémonie française érodait l'influence des castes supérieures qui
perdirent graduellement leur contrôle sur les masses.
La lutte contre la traite et l'esclavage de case sonna le glas de la prépondérance
de l'aristocratie locale. En Décemt·;-e 1905 on interdit officiellement la traite sans
toutefois toucher à l'institution de l' e,~clavage domestique. On fit disparaitre de la
.,
langue de l'administration le mot captit On refusa de reconnaitre en droit l'existence
de ce qu'on tolérait en fait. L'administration évitait de faire une distinction entre homme
N2
5 4 9
libre et non libre. Tout esclave qui quittait son maître avait la faculté d'aller s'installer
dans l'un des villages de liberté où il"r;Sèevait des terres de culture, une habitation et
des secours en nature. 100
Cette politique de conciliatiOrtjOui se comprenait encore à la fin du XIX· siècle
parce que la conquête de L'AfriquE' cœidentale n'était pas encore terminée, et qui
contraignait l'autorité française à respecter tant bien que les coutumes, même celles
qui étaient contraires aux principes de 'ia civilisation française, fut abandonnée sous le
proconsulat de Ponty. Ce gouverneu\\·tout en respectant les apparences s'appliqua à
hâter l'évolution. Les esclaves en rupture de ban n'étaient plus remis à leurs maîtres
et certaines stations de la voie ferrée ne tardèrent pas à abriter beaucoup d'esclaves
fugitifs.'OI
Le gouvernement de Ponly cor!sacra la politique d'administration directe qui
donna à l'autorité française, comme auxiliaires immédiats, les représentants des
groupes ethniques. Les fonctionnaire~: européens entrèrent souvent en contact avec
les indigènes et se substituèrent partois aux chefs indigènes dans l'exercice de leurs
prérogatives. La politique indigène ét3it devenue ambiguë. Elle n'était plus fondée sur
le respect scrupuleux des moeurs, d.JS coutumes et des religions des population
locales. Il s'agissait désormais du fé!it des impératifs économiques, d'imprimer une
certaine orientation à l'évolution des indigènes pour les intégrer dans le monde
moderne. Cette politique indigène d,'vint un alibi qui permit aux autorités d'intervenir
dans tous les compartiments de la Vii) autochtones pour leur imposer tout ce qu elles
croyaient de nature à favoriser leur ciéveloppement. C'était la porte ouverte à toutes
sortes d'atteintes à leur cadre traditiuf"'nel de vie. C'était de cette façon que l'autorité
coloniale pensa résorber l'incompatii)illté entre la mentalité du conquérant et celle du
colonisé. Les institutions, les coutumlJ~ devaient être infléchies dans le sens voulu par
l'administration. Celle-ci était toujou,'s hantée par le mirage de l'assimilation. Même
sous le couvert de la politique d'a;;~;ociation c'était cette même politique qu'elle
poursuivait avec une plus ou grande intensité.
LES COMMANDANTS DE CERCLE COMME ARTISAN:
5 5
DECEDE POLITIQUE
Les commandants de cercle furent les artisans de cette politique coloniale. En
principe ils auraient dû être recrutés dans la catégorie des administrateurs. Mais
l'absence de candidats obligea l'autorité à faire appel à quelques anciens de l'armée
coloniale, nantis d'une grande expérience du pays. Ce personnel imprima à l'adminis-
tration territoriale son caractère autoril.aire. Dans tous les cercles, régnait le capora-
lisme le plus total.
Les commandants refusèrent de se laisser brider par les clauses des traités de
protectorat relatives aLlA respect des-coutumes et des traditions locales. Contraire-
ment à leurs homolologues d'Afrique Occidentale britannique qui, tout en exerçant un
contrôle vigilant sur les chefs indigèn8s, s'interdisaient d'exercer une tutelle tatillonne
sur leurs administrés, convaincus que le système administratif coutumier ne manquait
ni de rationalité nid'efficacite'o/"s trouvèrent inacceptable ce rôle effacé de conseiller.
Dès lors leur préoccupation majeure ne pouvait être que de réduire à leur plus simples
expressions les prérogatives dévoluns par la coutume aux autorités du commande-
ment.
C'est pour cela que le commancant de cercle était rapidement devenu l'âme de
son cercle, «le chef de la communauté indigène ou tout au moins son protecteur'OJ».
Malgré la médiocrité des moyens dont il disposait au départ, il entendait réaliser des
miracles. Il avait adhéré àl'adageselonlequel il n'y avait pas fécondation sans violence.
Ces anciens militaires, promus admillistrateurs avaient l'ambition de faire passer en
c'". .r~4e.
~
quelques années, des peuples entièrs'rje l'économie d'autoconsommation à c6 de
marché.
L'organisation administrative conserva son caractère militaire. De même que
l'armée était structurée de façon hiérarchique excluant toute dualité de commande-
ment, de même les dispositions administratives introduites par les militaires étaient
plus centralisées que celles créees par Napoléon en France. Ils disposaient d'une
~~
1) 5 1
force militaire, les gardes de cercle qui constituaient leurs bras séculiers. 10. En matière
judiciaire ils avaient qualité de magistrat ou d'officier de police judiciaire. A l'échelon du
~,;'\\..
cercle ils étaient les dépositaires de tous les pouvoirs de la République. Les difficultés
de communication et l'immensité des cercles en rendant difficile le contrôle avaient fait
d'eux des "empereurs sans sceptre'''". C'est à dire de véritables autocrates.
Les commandants de cercle étaient investis de toutes les prérogatives, et en fait
soustraits à tout contrôle. C'étaient des potentats grisés par leur puissance et qui en
faisaient étalage à la moindre occasion par la multiplication des abus et des vexations
contre leurs administrés. A leurs prércgatives de chefs s'ajoutaient les charges de
pères pour les populations qu'ils considéraient souvent comme de grands enfants. Ils
cumulaient toutes les fonctions et "ils devaient tout apprendre rapidement afin de ne
passe discréditer, par des ignorances 9', des erreurs. Juges ils rendaient lessentences
en s'inspirant de la coutume indigène. Il levaient aussi "impôt, veillaient à l'application
des réglements d'hygiène, commandaient les forces de police, assuraient l'ordre et la
sécurité. Ils étaient en contact étroit, pour les conseiller et les guider, avec les
instituteurs, les infirmiers indigènes, les cultivateurs, les artisansHl6". En un mot ils
inspiraient toute la vie économique politique et morale. Le cercle reposait sur eux. Tous
parlaient de "leurs routes, de leurs indigènes et de leurs districts'O?" comme d'une
propriété privée. Chacun d'eux essayait tant bien que mal, de développer son
«royaume suivant des plans rigoureusement conçus et énergiquement éxécutés sans
se soucier des graves perturbations qU'iiS provoquaient chez les autochtones$08 Pour
eux la colonisation était à tout point ,je vue, avantageuse pour les indigènes. Elle
entraînait l'allègement de leurs charges, l'élargissement de leurs libertés et l'élévation
de leurs conditions matérielles et morales.
Cette façon de voir ne fut celle des vaincus: Comment pouvaient-ils donner leur
adhésion à une politique à l'élaboration de laquelle ils n'avaient pas participé et qui se
traduisait dans l'immédiat par un lourd accroissement de leurs charges? La vitalité de
leur opposition expliquait l'atroce brutalité des mesures répressive. Les indigènes
considéraienttoutes les actions de l'autorité coloniale comme autant d'atteintes à leur
cadre de vie. Et pour éliminer cette ho~;tilité, les commandants recoururent partout à
une sanglante terreur.
n~
5 ~ ;
Ces excès étaient prévisibles quand on sait les modalités selon lesquelles
étaient choisis ces chefs de cercle. L'~lJsence de volontaires civils avait, dès le départ
":,%,':
restreint l'éventail du choix des commandants. Les militaires intéressés par ces
fonctions se recrutaient chez les sou:;-·.)fficiers à la veille de la retraite, rarement chez
les officiers. Ils ne présentaient à priori aucune de ces qualités d'humanité qui fait un
chef. La plupart d'entre eux étaient violents. Leur niveau intellectuel était bas. De toute
évidence ils n'étaient pas sélectionn§~~ pour leurs qualités de caractère mais plutôt
pour le~nchants pour les mesure~; brutales qui feraient marcher au pas leurs
administrés.'09 Ils ne faisaient pas pal'tie des hommes d'élite, capables d'agir dans la
colonie par leur morale intrinsèque. Pour conquérir à la civilisation occidentale les
terres sénégalaises, défricher les forèls et les intelligences locales, il aurait fallut des
hommes de valeur intellectuelle et morale exceptionnelle. Mais ceux qu'on utilisa par
leurs intolérables abus donnèrent des raisons de contester le bien fondé de la mission
civilisatrice invoquée pour justifier la conquête.
Les rares civils dont la présence dans le commandement n'avait été constatée
qu'à partir du gouvernement de Valière, ne laissèrent à leur tour qu'une détestable
renommée. C'étaient aussi des hommes d'un passé douteux et qui pour de multiples
raisons, avaient quitté la France pour 3IJer chercher fortune dans les colonies. On disait
que c'étaient aussi des gens danÇJereux dont on voulait se débarasser à bon
compte.110 C'étaient pour la plupart des fonctionnaires sadiques, prévaricateurs qui
pensaient trouver dans une ivresse permanente un antidote aux rigueurs climatiques.
En 1879 l'un des administrateurs sentant au Sénégal avait était condamné à une
longue peine de prison pour banqueroute frauduleuse.'" Pour les uns comme pour
les autres la colonie devait était l'endroit idéal où ils pourraient s'enrichir rapidement
aux dépens des indigènes.
Les premiers administrateurs apppartenaient classes moyennes qui faisaient
souvent professsion d'un républicar:i~;me virulent, alors que l'aristocratie demeurait
hostile à l'expansion coloniale. Ses membres percevaient les colonies comme des
lieux de sanction pour les mauvais fonctionnaires métropolitains. Dans ce milieu le
commandant de cercle avait mauvéli~;e presse. Son nom y évoquait le spectre du
bureaucrate sadique dont l'état nornlill était l'ivresse.
~
553
Les titulaires des cercles fure.l'. donc recrutés sur le tas parmi les officiers et les
sous officiers, particulièrement chei"o,)uX de la marine dont la cruauté était légendaire.
C'est pour cela que dès 1862 Jauré';)l.Iiberry proposa de les remplacer par des civils. / /
,/
Le favoritisme entrait pour une grande part dans la désignation des heureux élus.
C'était d'autant plus facile que la France n'avait pas encore mis sur pied un système
cohérent de recrutement pour le personnel administratif des colonies." 2 En 1887
Eugène Etienne, sous secrétaire d'E::at aux colonies regroupa tous les administrateurs
coloniaux en un corps unique. Mais ~;on action se heurta au principe de la sénilité selon
lequel les jeunes manquaient d'expérience, il fallait continuer à faire confiance aux
vieux plus expérimentés. En 1892 fui certes créee la section Afrique à l'école coloniale.
Mais celle-ci ne fut que d'un faible secours pour l'amélioration de l'administration
territoriale. Les vieux coloniaux continuaient à défendre l'idée que les jeunes étaient
incapables d'administrer des cercIo37!"souvent trés vastes, marqués par un grand
bariolage ethnique et de multiples religions.' "
Le maintien de ce statut quo favorisa la routine. En 1900 le tiers des administra-
teurs en exercice n'avait pas fait '.'ècole secondaire. De 1900 à 1914, 52% des
commandants avaient fréquenté de~; collèges. En 1914 on constata que seul 30% Des
administrateurs avaient le niveau universitaire. La plupart des administrateurs nourris-
saient des préjugés défavorables vis à vis des indigènes, multipliaient les abus et
étaient malgré tout maintenus en place en raison de l'appui politique dont ils bénéfi-
çaient souvent.
La plupart d'entre eux se disant républicains, entendaient détruire en Afrique
tout ce qui rappelait le système de la monarchie. Ils considéraient les chefs indigènes
comme des êtres rétrogrades qU'i!'iailait à tout prix détruire pour rendre possible la
modernisation du pays. Aussi n'hésitèrent-il pas à méconnaître l'armature indigène
pour mieux la démolir. Partout c'était la capolarisation des population qu'on voulait
couler dans le même moule. Les commandants de cercle décidés à avoir leurs routes,
leurs impôts, ne lésinaient pas sur les moyens. La force brullale était le procédé le plus
communément employé pour assurer l'intégration économique et administrative de
leurs cercles àl'ensemble colonial fmrlçais. Leurfaible niveau intellectuel leur ôtait tout
Ne
554
désir d'étudier leurs administrés, de 13s comprendre, de pénétrer leurs institutions et
leurs sentioments. lis étDient incélPables de s'"l)slr'Rire cle3 Dr6ju00s C'l/Oll b ,r ''''D',t,
. :~.,~.
'
,
,
i11culqu6~; sous les drarcaux ct cei"1lii,:;) 18 supériorité de la civiliséltiofl qu'ils rcpr6~;on·
taient. Ils ne s'avisèrent pas de resf:e,:tor les coutumes localos. Ils s'abandonnèrent
sans retenue à la pratique de l'int!I,'ention pour guider leurs administrés sur les
cllemins qu'ils avaient tracés. C'étail;'J leurs yeux la façon la plus sùre pour enraciner
rapidement la civilisation fronçai se dans les possessions coloniales.
Le commandant de cercle multipliait les tournées pour assurer un contact plus
immédiat avec les populations. M,,'S il en profitait également pour fLlire rentrer les
impôts, hâter la construction des rol.ites. A l'occasion il infligeait des sanctions à
quelques chefs locaux prévaricateur:; ':lt s'arrogeait des privilèges humili,mts pour les
populations. d'aprés les traditions locales lors des tournées, les~ommandants
exigeaient qu'on leur livrât les plus be:I;~s'femmes du coin. C'est ce qU'C!l appelait d'un
euphémisme les pagnes du commandant'"
D!=S ABUS DE aUaaUES COMMANDANTS
Ces comportements forts cOllclamnables étaient rendus plus odieux par les
actes de brutalités qui frappaient tou~ C8UX qui osaient s'opposer aux caprices de ces
Ilommes grisés par les énormes poUl' );,'s qui leur étaient dévolus et qui leur avaient fait
perdre le sens de la mesure et du rela,if.
Dans leur rage de nivellement par le bas de leurs administrés, ils ne prenaient
en considération ni le statut sociLlI, ni, '.3ge, ni le sexe. lis essayaient de créer chez les
indigènes un climat de peur, de terreu:. ':~eci conduisit à desuctes si cruels qu'on douta
de leur raison. Il y eu en effet des ger' s pour dire que dès leur prise de fonction leurs
facultés morales et leurs forces physir 11lI'JS se déséquilibraient. Ils oubliaient les lois de
l'humanité et revenaient «parfois à la ;érocité des âges préhistoriques'15». Tout en se
considérant comme les pionniers de la civilisation, ils plongeaient insensiblement dans
«la barbarie qu'ils voulaient faire dispm'iitre"6». Ils n'invoquaient plus, comme mobiles
de leur présence dans ces contrées, ni le respect de la dignité humaine ni, l'amour de
la justice et la paix' 11
~!
5 5 5
En 1889 Ly administrateur du cercle de Kees fut révoqué pour avoir maltraité
certains de ses administrés au point dr:\\'Jes déterminer à chercher dans l'exode un
antidote à leurs malheurs. Ses victimes ôtaient le chef de canton de Puut, des chefs de
villages et plusieurs notables qui durent se rendre chez le gouverneur pour lui faire part
de leurs griefs contre l'administrateur. l'ourle voyage de Saint-Louis, ils quit1èrent Puut
de nuit pour aller prendre le train à Kees. Ly les menaçait de les envoyer au bagne au
Gabon. Tous les jours, ils subissaient ses caprices qui allaient des amendes arbitraires
à la prison en passant par les bastonnades."B Il n'accordait de considératiobn ni à
l'âge, ni au statut social. L'enquête diligentée par le gouverneur et confiée à Albert
Jeandet et à de Kéroman, administrateur du Kayoor établit que les récriminations des
populations n'étaient pas exagérées. Les accusations étaient biens fondées. L'admi-
nistrateur~ avait commis des actes d'une barbarie révoltante. Il avait fait bat1re un
jeune indigène qui succomba à ses d1UpS. D'autres avaient été' mis en prison et
at1achés de façon particulièremebnt atroce. Brefs ses faits et gestes dans le cercle
n'étaient «qu'un tissu de cruautés"9».
Paterson l'administrateur du cercle de Dakar-Kees, n'était guère plus humain.
En 1891 il mit aux fers 8 noirs de SaIY-P::Jrtudal qui avaient osé adresser directement
une plainte au gouverneur sans passer par la voie hiérarchique. "'" Les chefs de
cantons ou de provinces étaient frappés d'amendes pour les motifs les plus dérisoires.
Il s'appropriait le produit de ces amendes ainsi que les animaux mis en fourrière. Il
organisait des fêtes au moyen des contl"ibutions imposées aux chefs relevant de son
commandement. Il se faisait remet1re des cadeaux et même un chef lui remit comme
cadeau une captive qu'il accepta. Souvent il revendait àcertains chefs les chevaux qu'il
avait reçus comme cadeaux des autres.'21
Malgré la gravité de ses forfaitures, il ne subit qu'une rétrogradation de la 1"'"
à la 2em" classe. 122
Molleur remplaçant de Pat1erscn à la tête du cercle de Dakar-Kees était encore
plus brutal àl'égard des indigènes. Dès son arrivée il décida defrappper un grand coup
pour que l'exemplarité de la punition ôtat aux indigènes toute idée de rebellion.'24 Sous
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pretexte que le h
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e VI age e Jung ne s empressai lamaiS a execu er ses or res,
ille fit garrotter. Dans la tradition locale_se.uls des esclaves étaienttrappés d'une pareille
sanction. C'est pour cela que les habitants de Njung se rebellèrent contre cette mesure
qui ne devait frapper que ceux qui étaient déjà maculés par la servitude.'2'
La population de Njung émit par ailleurs une version totalement différente de
celle de l'administrateur. Selon les Ilabitants de ce village, lors de la tournée qu'il
effectua en Mai 1895 dans le Bawol, f,10lleur avait envoyé un émissaire auprés des
habitants de Njung leur demandant de lui préparer des provisions de la viande, des
poulets, de la paille d'arachide pour ses chevaux bref tout ce dont il avait besoin pour
passer la nuit. Tout fut préparé sur le champ. A son arrivée il fit venir le Saax Saax
Massamba Seen pour lui faire comprendre qu'il avait l'intention de le mettre aux fers.
Ce dernier lui rétorqua que ni lui ni le~' membres de sa famille, ni les gens du village ne
.
méritaient ce châtiment dégradant. '2,; Les habitants du village crièrent contre cet acte
arbitraire. Molleur avait commencé les provocations en faisant boire son cheval dans
le canari du chef de village. Devant les protestations véhémentes de la population,
Molleur décida de faire incendier le 'tillage. Les gens de Njung trouvèrent refuge au
village voisin de Golby. Le Jaraaf Bawol Ganut Bajaan les fit revenir en leur faisant
comprendre que l'administrateur avait renoncé à son projet diabolique.'26
A peine de retour dans le villa\\Je, Dembawar Sali, chef de la confédération des
provinces du Kayoor, demanda aux ~ rincipaux notables de Njung de se rendre à Mexe
pour répondre à une convocation de Molleur. De Mexe les six notables de Njung furent
convoyés par train jusqu'à Kees où Molleur les fit mettre immédiatement en prison.127
Une fois neutralisés ceux qui auraient pu être l'âme de la résistance, Molleur ordonna
l'incendie du village qui fut détruit à 1 ri 25 mn du matin. Chassés par les flammes les
habitants se refugèrent dans la brousse pour y être traqués et chassés comme des
bêtes par des cavaliers de Lambaye et les gardes de Molleur. Il avait autorisé les
cavaliers à s'emparer de tous les fU\\Jitifs et de les réduire en servitude.'2.
Aprés cette représsion, les cavaliers du Bawol chargés de cette besogne se
partagèrent le butin saisi dans le vi%ge. Il se composait de 4 chevaux, 9 juments, 7
pouliches, 3 poulains, 224 chèvres, 4 chameaux, 5 boeufs, 4 malles, 7 fusils. Ces biens
· '
Ne
5 5
furent répartis entre les chefs du Bawol, le Jaraaf Bawol Ganut Bajaan , bariaak Sala
Joar, le cadi Mutufa, Saax Saax Njas;;an, Jalige Mbamby, Jawrirî Kaba Fara Kaba Bur
S':"'..,.'i •
! ,
Gaat. En intéressant ces chefs aux dépouilles des victimes, Molleur savait pouvoir
compter sur leur concours chaque fOlS qu'il infligeait à d'autres villages un châtiment
pareil.'29
Plus grave encore, le village (If! Njung fut rayé de la carte, Ses habitants furent
distribués comme esclaves entre les chefs qui avaient pris part à la répression. Aussi
le Jawrirî Kaba, le chef le plus redouié de la province, reçut 55 personnes constituées
surtout par la famille du chef de village de Njung. Le chef de Cepp eut 27 personnes,
32 personnes furent envoyées à Gaat, les chefs de Njasaan 42'30. Sous la domination
de la France qui avait pris l'engagement de faire cesser la servitude en Afrique, des
hommes libres avaient été réduits en servitude par un administrateur et distribués
gratuitement à ses complices dans 1~'répression.1JI
Cette affaire de Njung donna l'occasion à certains parlementaires comme le
Sénateur Isaac De La Guadeloupe,',je dénoncer le désordre administratif qui régnait
au Sénégal. Les crimes des administrnteurs s'y comméttaient et demeuraient impunis.
Quand les magistrats recevaient des plaintes ils se déclaraient incompétents car
aucune juridiction n'était prévue à cet effet. Tout était laissé au bon vouloir des
fonctionnaires qui avaient intérêt à étouffer les crimes les plus abjects, les monstruo-
sités les plus révoltantes. Au bout du c»mpte ils ne faisaient que provoquer la haine des
indigènes contre la France. 132
Certains administrateurs manifestèrent leur volonté de puissance contre certai-
nes personnes qui exprimaient trop bruyamment leurs sentiments religieux. Ils pous-
saient le cynisme jusqu'à interdire l'appel à la prière des muezzin, Ils prirent des
sanctions contre ceux qui pratiquaient à haute voix leur culte. En Septembre 1905
Manetche, administrateur résident àJurbel, fit arrêter Cherif Si di Mohammed qui s'était
rendu dans cette localité pour vendre un cheval à Mbaxaan Jop chef supérieur du
Bawol Oriental. Au crépuscule Sidi Mouhamed sortit dans la rue pour faire sa prière,
on constata son absence au moment du dîner.'3.3 Les recherches effectuées des divers
côtés de la ville ne donnèrent rien. Le lendemain on apprit que Manetche l'avait fait
55 i
saisir par ses gardes et mettre en prison sous prétexte que ce musulman le génait dans
~\\: ..
son sommeil en priant trop fort. Les Iri~itants de la localité supplièrent l'administrateur
de pardonner à leur hôte, mais il leur rut répondu qu'ils se mêlaient de ce qui ne les
regardait pas. Pendant deux jours Sidi Mohammed était maintenu en prison. Durant
ce temps l'administrateur lui imposait la corvée de balayage de la ville. si$i Mohamed
objecta que son statut de marabO',Jt lui interdisait un pareil travail et que s'il avait
commis un délit par inadvertance il é'~ait prêt à s'acquitter d'une amende. '34 Pour toute
réponse Manetche donna l'ordre au garde Balla de se saisir du cherif et de lui
administrer une bonne bastonnade. Ce qui fut fait sur le champ. Pendant sa détention
on ne fui apporta ni des vêtements ni des aliments.
En vertu du code de l'indigénat il fut condamné par Monetche à8 jours de prison
"pour attitude insolente vis à vis du résident.'~5 Les excès de Dolisie, administrateur du
.7,':0:
cercle de Kees qui préférait les lupunars à son bureau incitèrent, les notables de la ville,
1
du Bawol oriental et du Joobas à adresser une petition à Liotard gouverneur général
parinterim en Août 1908 pour dénoilœr son inconduite notoire. Ils souhaitaient à la tête
du cercle un homme sage âgé de 50 à 60 ans capable de gérer correctement le
cercle. '36 Le gouverneur général vit dans cette pétition une insupportable contestation
de l'autorité française. Une enquête en attribua la responsabilité à un nommé
Abdoulaye Njayqui avait signé sous le pseudonyme de Ibrahima Faal. JI fut condamné
par le tribunal correctionnel de Dakar à 18 mois de prison, 100 francs d'amende 5ans
d'interdiction de séjour. Le procureur avait défendu la thèse de menace de mort mais
la. cour avait cependant disqualifiÉ' Ge chef d'accusation en dénonciation calom-
nieuse. 137 L'autorité supérieure, se chargea par la suite de démontrer, d'une manière
formelle, la fausseté des faits attribués à Dolisie à qui on reprochait son intempérance
et sa fréquentation des lieux de débauche. Le lieutenant-gouverneur du Sénégal sur
la demande du Gouverneur général cie L'A.O.F. certifia par un "écrit officiel la parfaite
honorabilité de Dolisie, sa bonne tenu'.>., l'inanité des accusations portées contre lui tant
du point de vue privé qU'administratif"B".
En 1910 les habitans de Ng~'l5ox se plaignirent pareillement des vexations de
ce même administrateur qui les contraignait à donner gratuitement leur mil, leur paille
d'arachide et autres objets plus ou moins importants"9.
L'autoritarisme des administrJi~lrsn'épargnait même pas les originaires des
4 communes de plein exercice menan\\'I~auractivité dans le pays de protectorat. En Juin
1913 sur la route entre Xombol et Tul, 1\\3 résident Bonvalet rencontra un traitant nommé
Makudu Fall qui, sûr de sa qualité de ciio ven français, ne lui donna pas le salut. Bonvalet
le fit convoquer à Tul où dés son arrivée, il s'acharna sur lui, le cribla de coups et le
fit aussi frapper par les membres de scn entourage avant de le mettre aux fers. Ille traita
de simple sujet et, en vertu du code (:e l'indigénat, lui infligea 15 jours de prison. Ille
fit sortir au bout du quatrième jours à la suite de la violente protestation des originaires
qui avaient saisi les autorités de Saint-Louis."o
Rien ne semblait pouvoir appOl"t,.~rdes limites à l'omnipotence des administra-
teurs et des résidents. Dans chaque cücle les faits les plus violents, les plus cruels
étaient pour ainsi dire d'une banalité quotidienne. Grandy adjoint à I:administrateur de
Luga était de ceux qui étaient les plus po:tésvers la cruauté gratuite. En 1916 il se rendit
à Sukundu chez le chef de canton Mai}ang. A son arrivée, il prit un mouton à la dame
Kama .Iallo sans son consentement, :;eus pretexte qu'il devait faire manger son
personne!.'" C'est de cette façon qU'113'était comporté avec les chefs de Galame et
de Waxal Jam dont les moutons étaient réquisitionnés sans raison valable. Ses repas
préparés par sa concubine Aïssatou '=lu'i1 entretenait par de grandes largesses aux
dépens de ses administrés."2
L'enquête administrative contre Grandy révéla son tempérament violent qui le
poussait à maltraiter les indigènes. Er; Janvier 1916 à Dêk-bu-Rey il frappa le nommé
Solé Jenn d'un coup de baton au bras. Dans le même village il tortura avec un nerf
d'éléphant une femme en état de gross"lsse qui avorta peu aprés. A Njogey il blessa
un indigène avec un bâton qui lui laissa une cicatrice au front. Dans son bureau ses
",'Y'\\ ~ ~ ~A fL.-J}
visiteurs étaient terrorisés. Les faull,s même les plus ~ leur valaient les
châtiments les plus sévères. '4J
En Janvier 1916 il fit licencier Mangone Njay chef de canton de Koki depuis 19
ans, car chaque fois que Grandy le sornmait de lui procurer des femmes, le chef lui
présentait des femmes âgées qui ne r:c.uvaient être à son goût. Ulcéré par ce chef, il
le fit même frapper par un de ses garCI€:3,'44
Maxa Tunkara. ' <5
560
En juillet 1916 il frappa le chef d~,::;ukundu qui se vengea. Arrivé dans ce village,
r
"r"l~.
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Grandy, comme à, l'accoutumée, exigea aux habitants de lui apporter des oeufs, des
poulets pour lui et sa concubine. En l'absence du chef Mariang Nang il ouvrit sa
chambre et y prit un pliant. Pour le dîner il demanda du lait et du couscous. Tout lui fut
apporté gratuitement. Mais le lait tourna lorsqu'on le faisait bouillir. Il menaça alors son
hôte de lui «amarrer les pattes"6» si jar:létis il lui présentait encore du lait sale. Puis il le
gifla. Amadu riposta. '47 Ouand le garde voulut l'attraper pour le conduire à Luga,
Mamary, père de Amadu excédé par le comportement intolérable de Grandy s'opposa
à l'arrestation de son fils. Des armes sortirent, car la population était décidée à recourir
à la force pour défendre l'honneur et ia dignité de son chef. L'enquête montra que
Grandy avait l'habitude de pratiquer les réquisitions irrégulières sans aucune indem-
nisation aux victimes. 14• Pour toute' sailction le gouverneur général lui infligea un
blâme, avec inscription au dossier, et p~bposa sa mutation dans une autre colonie. 14.
Parmi tous les administrateurs d'3S cercles du Sénégal, ce fut sans aucun doute
Brocard, le commandant de cercle du Siin Salum, qui montra le plus de dureté et de
mépris vis à vis' de ses administrés. A,1cien lieutenant de l'armée coloniale, nommé
administrateur en 1904 il bénéficiait de la protection occulte de certains sénateurs et
de quelques ministres. Dès son entrée en fonction, il ne se préoccupait qu'à inspirer
la peur aux sujets comme aux citoyem, indigènes. Ouand il passait sur une route, les
natifs devaient se prosterner devant lui Gomme le faisaient les Mossi devant le Moro-
Naba.lnaccessible à la pitié, il sanctionnait avec rigueur tout ce qu'il interprêtaitcomme
l'expression d'une hostilité à la préSenCE! française dans le pays. Les chefs de canton
et leurs administrés étaient logés à la Inôme enseigne. La peur qu'il leur inspirait était
si grande que quand il allait en congé, It}~; chefs l'accompagnaient jusqu'à Dakar avec
leur chevaux pour lui faire une haie d'ilonneur. 150
Le 13 Mai 1904 il demanda au Gouverneur général de L'A.O.F. l'autorisation
d'exécuter le condamné Musa Fatim devenu aveugle sous pretexte qu'on ne pouvait
plus le conserver en prison, en raison du caractère contagieux de sa maladie. Le seul
moyen de trancher la question était, selon son avis, l'exécution du condamné qui
verrait ainsi abréger ses souffrances el diminuer également la charge qu'il risquait
561
d'être pour sa famille qui n'aurait plus il nourrir inutilement un poids mort. '5' Cette
~~~l.
solution cruelle fut écartée par Merlin qui pensa que l'infirmité du condamné le mettait
' t ;,
dans l'impossibilité de nuire à la socié~é. Il proposa alors de le mettre en liberté.'"
En Avril 1913 Brocard comdaml;;.le sieur Laode Lafa à 3 Ans de prison aprés
avoir cerné et incendié sa maison, dispf;rsé sa famille ses élèves et razzié ses biens.
Ce marabout avait osé ouvrir une école coranique sans autorisation préalable.'53
En Mai 1913 il fit étalage de tout son sadisme contre Samba Kamara, mécani-
cien de l'embranchement Guinguinew-I(aolack qui conduisait un train spécial dans
lequel l'administrateur avait pris place. Le train tomba en panne. Le mécanicien fut roué
de coup par Brocard etle chef de latraciioh. Brocard lui infligea 15Jours de prison pour
avoir interrompu les agréments de SOli voyage.'54
;l'i...
.
Brocard essaya de restreindre surtout dans son cercle les droits qui étaient
reconnus aux originaires des communm; de plein exercice. Tirant profit de leur qualité
de «citoyens français» les originaires dénonçaient avec constance les incontestables
excès des administrateurs tant aupré:; des autorités supérieures que de la presse
locale. Brocard ne supportait pas que ces originaires se considérassent comme les
délégués de leur race humiliée. Il leur imputa toutes sortes de méfaits en leur attribuant
l'idée de vouloir dominer et les Noirs et les Blancs. Il leur repprochait de jouer «les
Sénbégalais en exil au Sénégal. 155
A la faveur de l'épidémie de pesle qui sévissait au Sénégal, Brocard essaya
d'humilier abdou Kane, qui passait à ses yeux, comme le porte parole des originaires.
Il le mit en quarantaine pendant 37 joul's pour avoir participé à l'enterrement de la
femme Fatou Gey qui serait morte do la peste. Déjà en 1909-1910 Brocard avait
supprimé son emploi de rédacteurd'anbe, fermé son école coranique. Ces mises en
quarantaine, qui frappaient les originair'3~" disait-il, étaient les seules mesures suscep-
tibles de freiner, dans cette ville, la prog:E,ssion de la maladie'56. Pour Brocard la peste
avait été apportée à Kaolack par un électeur. Les originaires avaientl'entière liberté de
se déplacer dans la colonie. Brocard trolrJa,dans cette liberté de mouvement)a cause
de l'extension de la maladie dans son cercle. C'était l'occasion qu'il exploita pour forcer
562
les originaires à se soumettre aux dispositions imposées à tous. L'administrateur les
.
~tr
obligea à se mettre torse nu pour le~;. empêcher «de promener partout leurs puces
infectéf?7».
Ces exemples choisis au ha;;8Jd donnent une idée sur l'atmosphère que
respiraient les indigènes au lendemain de la conquête. Les commandants de cercle
traitaient en malfaiteurs tous ceux. dont le comportement leur paraissait réfractaire à
leur autorité. C'était à juste titre qu'on se demandait, si une civilisation, à l'ombre de
laquelle des faits aussi accablants pour la dignité humaine étaient pour ainsi dire d'une
banalité quotidienne, avait le droit de s'imposer aux indigènes qu'elle traitait cependant
d'inférieurs? Pour s'approprier la patrie des populations conquises, changer leurs
coutumes, leurs religions, les colons, wcoururent à la force. Cette politique de terreur
contraignit les indigènes à courber la lête, à donner l'apparence de la soumission. Par
.~.
la violence on imposa [a discipline désirée à tous. Mais ces mesures ne firent que
creuser davantage le fossé qui séparaille conquérant du vaincu. La multiplication des
excès dont certains débouchèrent sur des crimes détermina le gouverneur général
Van-Vollenhoven à lancer en 1917 une mise en garde contre les commandants de
cercle trop portés à oublier ce qui dew,',itfaire «la beauté morale, la puissance spirituellle
de la France'58".
En 1917 une douzaine de fonctionnaire de L'A.O.F. se trouvaient sous le coup
de poursuites pour crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. La
justice fut saisie. Le gouverneur général dénonça les arguments généralement
invoqués pour couvrir ces graves défaillances. L'argument le plus fréquemment
avancé consistait à dire qu'une poursuite contre un administrateur provoquerait une
grosse émotion et éclabousserait tout un corps honorable de fonctionnaires. On
transigeait avec le coupable en l'invitant à démissionner, à solliciter un congé ou un
déplacement dans l'espoir de faire planer le silence, voire l'oubli sur l'affaire. 159
Ces dénis de justice augmentaient le poids des rancunes. Les victimes des
crimes et des délits qui ne voyaient ~as le châtiment frapper les fautifs, ne pouvaient
avoir aucune confiance dans une administration dont les actes portaient souvent la
n=
5 6 3
marque de l'arbitraire. Pour mettre un terme à ces abus le gouverneur général prit la
'~~~"'~
résolution de porter désormais à 10 connaissance du procureur général toutes
infractions commises par les fonctionna.ires dans l'exercice de leurs fonctions. '60
Ces instructions de Van Vollenhoven semblaient être restées lettres mortes. En
Mars 1920 le conseil général du Sénégal dénonça ce qu'il appela un Etat dans l'Etat.
Dans les cercles les administrateurs détenaient tous les pouvoirs. Eloignés de tout
contr61e de leur chefs directs ils se lais 3aient aller à des abus dont certains avaient fini
devant la cour d'assises. Il fallait donG retirer aux administrateurs leurs pouvoirs
judiciaires pour ne leur laisser que les pouvoirs administratifs.'B' Mais le Sénégal était
une domination et sa mise en valeur passait par la mobilisation par tous les moyens,
des ressources humaines locales. Pour ateindre le but qu'ils s'étaient fixé pour un laps
de temps trés court, ils n'hésitèrent pas à employer des moyens misérables justifiant
du coup les critiques qu'on leur adressait.
1- Delafosse : SUR L'ORIENTATION rJOUVELLE DE LA POLITIQUE INDIGENE EN
AFRIQUE NOIRE RENS.COLON., Juin 1921, (page 145).
2- Delafosse : Op. cil., (page 146).
3- AN.s. 13 G 30 pièce 4 Merlin: Directeur Affaire Politique en conseil privé, 9 Mai
1895.
4-ldem.
5- A.N.S. 13 G 30: Merlin Directeur des Affaires Indigènes, 9 Mai 1895.
6- A.N.S. 13 G 30 : Arrêté local du 11 Mai 1895.
7- AN.S. 13 G 30: Arrêté sur organisation administrtive du Sénégal, 11 Mai 1895.
8- Idem, ibidem.
9- idem, ibidem.
10- Songy: La FRANCE D'AFRIQUE AU SENEGAL. 1904, (page 216-217), sur une
population de 1.130.000.
11- Dareste: TRAITE DE DROIT COLONIAL. 1931, Tome Il (pages 334-335).
12- Solus : TRAITE DE LA CONDITION DES INDIGENES EN DROIT PRIVEE, 1927,
(pages 36-37).
13- Solus, ibidem.
14- Gonidec: DROIT D'OUTRE-MER, (pages 117-118). 1959.
15- Gonidec: Op. cil., (pages 117-11:3).
16- AN.F.O.M. Sénégal VII-16: Gouverneur du Sénégal au Ministre, 5 Janvier
1893.
17- A.N.F.O.M. Sénégal VII-16 : Gouverneur au Ministre 5 Janvier 1893.
18- Charlier: Un recueil, Penaut : LE~; INSTITUTIONS POLITIQUES TRADITION:
NELLES DES INDIGENES ET LA POLITIQUE COLONIALE DE LA FRANCE, 1945.
19-1dem, ibidem.
20- Delavignette : LES VRAIS DE L'ErAPIRE, (pages 135-136) 1939
564
21- Devaulx: LES PROTECTORATS (p,pge 158).
22- Solus : Op. cil., (page ~6).
.
c ·
23- Forgeron: LE PROTEèTORAT ENAO.F., Bordeaux, 1920, (pages 18-19).
24- Despagnet : ESSAIE SUR LES PF;OTECTORATS, 1896, (page 182).
25- Forgeron: LE PROTECTORAT Er~ A.O.F., Bordeaux, 1920 (pages 23-24).
26- Rolland Lampue : PRECIS DE DROIT D'OUTRE-MER, 1949 (pages 90-91).
27- Devaulx : Op. cil., (page 160).
":.1':...
28- Devaulx: ibidem.
29- Idem, ibidem.
30- Bulletin du comité de l'Afrique française, (page 134).
31-ldem, ibidem.
32- Rolland Lampue : Op. cil.,(page 81).
33- Solus : Op. cil., (pages 342-343).
34- Solus : Op. cil., (page 343).
35- Mercier. R. : LE TRAVAIL OBLIGATOIRE DANS LES COLONIES, 1933 (page
105).
36- Delafosse: Op. cil., (page 150).
37- A.N.S. 13 G 71 Pièce 63 gouverneur du Sénégal à gouverneur général A.O.F.,
1"'Juin 1907.
38- A.N.S. 1 G 359 : Cor, Rapport sur l'organisation du Sénégal pièce 84,1914
39- Idem, ibidem.
",,"'
-
40- 1 G 359, Cor : Rapport au gouverneur général de l'A.O.F., 1914.
41- Cette représentation du Sénbéga' avait été supprimée en 1852 et en 1875.
42- Sabatié: Op. cil., (page 351).
43- Sabatié : Op. cil., (page 351).
44- A.N.S. 1 G 359, lieutenant-gouvemeur Cor: Rapport sur l'organisation adminis-
trative du Sénégal 1914.
45- A.N.S. 1 G 359 lieutenat-gouvem(JU[ Cor: Rapport sur l'organisation adminis-
trative du Sénégal 1914.
46- Idem, ibidem.
47- A.N.S. 1 G 359 lieutenant-gouverneur, Cor, au gouverneur général, rapport.
48- Idem, ibidem.
49- Idem, ibidem.
50- Idem, ibidem.
51- A.N.S. 13 G 72, pièce 20: Gouverneur général à lieutenant-gouverneur Saint-
Louis, 14 Septembre 1912.
52-Idem.
53- idem.
54- A.N.S. 2 D 13 12 : Rapport politique du cercle de Dakar Kees, 21 Mars 1893.
55- A.N.S. 2 G-1 111 : Cercle de Dakar-Kees : Rapport politique, 1"' semestre 1898.
56- A.N.S. 1 G 359 : Arrêté du 26 Mai 1911.
A.N.S. 1 G 359 pièce 35: Rapport SUI· l'arrêté du 26 Mai 1911.
57- A.N.S. 1 G 291 : Notice sur le cerc:l'3 de Luga 1904.
58- A.N.F.O.M., Sénégal IV 97 Servatius au Ministre 8 Février 1883 .
59- A.N.S. 2 G 6-4: Lieutenant-Gouverneur A.O.F., 27 Juin 1906.
60-A.N.S. 2 D G 9-13: Administrateur Luga à Gouverneur Sénégal, 12 Janvier
1907.
61- A.N.S. 2 G 7-9 : Gouverneur général A.O.F. au Ministre, 5 Mai 1907.
62-A.N.S. 2 G 2-18: Situation politique 1902.
63- A.N.S. 2 G 2-18 : Situation politique 1902.
· .;
64-A.N.S. 2 0 14 : Lieutenant-gouver''i'f:îûr du Sénégal à administrateur Tiwawan, le
14 Octobre 1911.
65- ANS. 2 G 12-9 : Lieutenant-gouverneur à Gouverneur général AO.F.: rapport
politique 1"' semestre 1912.
66- AN.S. 1 G 359 : Rapport sur le cercle de Kees 1908.
67- A N.S. 2 G 1-111 Cercle de Dakar: Rapport politique 1"r semestre 1898.
68- AN.S. 2 G 4-27 Sénégal pays de protectorat: Rapport annuel 1904.
69- AN.S. 2 G 4-27 sénégal pays de 1:i,~6teétorat: Rapport annuel 1904.
70-AN.S.1 G 359: Arrêté créant le C<3rcle du Bawol, 17 Mars 1908.
71- Idem, ibidem.
72- AN.S. 2 G 10-12 : Situation politique et administrative du Sénégal. Lieutenant-
gouverneur à Gouverneur général, A.OF. 1910.
73- AN.S. 2 0 7-2 : Lamothe au Ministre, 9 Juillet 1894.
74- Suppression du bur Njambur, rév,)Cation de Mbaxan Jop du Bawol Oriental, et
licenciement d'Abdel Kader des provinces Sereer autonomes.
75- 13 G 71 Suppression des grands commandements C. Guy 1"' Juin 1907.
76- ANS. 208-1 : Alsace administrateur du SHn Salum 21 Août 1898.
77- A.N.S. 2 0 14-11 : Adminitrateur cercle au Gouverneur, 21 Décembre 1911.
78- A.N.S. 1 G 337 Forigé : Notice sur le cercle de Luga, 1904.
79- ANS. 1 G 296 : Monographie du cercle de Kees, 1903-1904.
80- ANS. 2 0 7-6: Administrateur cerclé"de Kees au Gouverneur; 11 Juillet 1897.
81- Chartier: LES INSTITUTIONS POLITIQUES TRADITIONNELLES DES INDIGE-
NES ET LA POLITIQUE COLONIALE :=RANCAISE CONTEMPORAINE, Penaut,
1945.
82- Harmand : Op. cil., (page 109).
83- Fayet: TRAVAIL ET COLONISATION 1931, (page 109).
84- Labouret: Op. cil., (page 110).
85- Hubert L. : L'EVEIL D'UN MONDE '/909, (pages 37-38).
86- Lizelair: Brene et la politique indigène en AO.F., Monde colonial illustré N°97,
1933.
87- Delafosse : Sur l'orientation nouvelle de la politique indigène: RENSEIGNE-
MENTS COLONIAUX, Juin 1925, (page 150).
88- AN.S. 13 G 71 Guy C.: REORGAllJiSATION ADMINISTRATIVE DU SENEGAL,
1907.
89- AN.S. 13 G 71 Guy C. : REORGANiSATION ADMINISTRATIVE DU SENEGAL.
90- J.O.S. : Circulaire du Gouverneur W. Ponty sur la politique indigène, 22 Sep-
tembre 1909.
91- J. O. S. : Circulaire de Ponty sur la politique indigène, 22 Septembre 1909.
92- Idem, ibidem.
93- Idem, ibidem.
94- idem, ibidem.
95- Idem, ibidem.
96- Idem, ibidem.
97- J.O.S. : Circulaire de Ponty sur la riJlitique indigène 22, Septembre 1909.
98- AN.F.O.M. A.O.F. l, 19 Gouverneur général AO.F. Ponty au Ministre, 21 Jan-
vier 1913.
99- AN.F.O.M., ibidem.
100- Geismar : DU ROLE COMPARE [lES ADMINISTRATEURS COLONIAUX
DANS LES POSSESSIONS AFRICAINI':::S DE LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE.
ln B.CAF. (page 574).
101- Deschamp H.: LA VOCATION COWNIALE OU LE METIER OU LE METIER
~2
5 fi 6
D'ADMINISTRATEUR, in Renseigne~).ërjlt coloniaux, nO 9,1931 (page 499).
102- Crawder Op. cil., (page 188).
103- Cohen B. : B. RULERS OF EUROPE. THE FRENCH COLONIAL SOURCE IN
AFR/CA,1971.
104- Beurnier : LE SENEGAL, (page~ -145-146).
105- Deschamp : Op. cif. (page 499).
106- Idem, ibidem.
107- Meunier G. : L'Afrique Noire, 19·14.
108- Deschamps: Op. cil. (page 497).
109- Cohen: W.B. RULERS OF EUROPE, (page 115).
110- Cohen.
111- Cohen W. B.
112- Kumbaass Kumandang est l'expression locale.
113- Du Sorbiers de la Tourasse J. : DE LA COLONISATION DU SENEGAL, 1897
(page 30).
114- Idem, ibidem.
115- Idem, ibidem.
116- ANS. 3 E 51 FF 341 à 345 séance du 30 Juillet 1889.
117- Idem, ibidem.
118-AN.F.O.M. SénégaIIV-103: Niang~le 16 Mars 1891.
119- AN.S. 3 E 54 FF 1 à 34: Séance (lu 20 Juin 1893.
120- Idem, ibidem.
121- Sylvain: ETUDE SUR LE TRAITEMENT DES INDIGENES DANS LES COLO-
NIES D'EXPLOITATION, 1899 (pages :~75-276).
122- Tradition locale recueilli à Lambaye.
123- AN.S. 2 D 7 10 : Saint-Louis le 26 Novembre 1895, lettre de Amari Faal, frère
de Massamba Seen Saax Saax Njun~1 RU Gouverneur.
124- ANS. 2 D 7 Amari Faal au Goul'erneur du Sénégal, le 26 Novembre 1895.
125- ANS., Idem, ibidem
126- Sylvain, (pages 275-276).
127- AN.S. 2 D 77 10 Denis adjoint de Lambaye à administrateur cercie de Dakar-
Kees, le 10 Mai 1895..
128- ANS. Idem, ibidem.
129- A.N.S. 2 D 710: Le sénateur Isaac au Gouverneur, Paris le 13 Juin 1895.
130- AN.F.O.M. SénégallV-102 Albert Monnut dans la libre parole, Jeudi 30 Mai
1895.
131- 2 D 13 5 : Le traitant Mossamba Juuf à Secretaire général du gouvernement à
Saint-Louis du Sénbégal, le 7 Septell'bre 1905.
132- Idem, ibidem.
133- AN.S. 2 D 13-5 : Régistre d'écrou Jurbel, /e 8 Septembre 1905.
134- ANS. 2 D 13-6 Anonyme au Gouverneur général, le 20 Août 1908.
135- AN.S. 2 D 13-6 Ponly gouverneur général à lieutenant-gouverneur Sénégal,
Dakar le 17 Avril 1909.
136- ANS. 2 D 13-6 Ponty Gouverneur général à Lieutenant-gouverneur sénégal
Dakar, le 17 Avril 1909.
137- ANS 2 D 137 Rufisque, le 22 Janvier 1910.
138- ANS. 13 G 67 Pièce 215: Les netables de Khombole au lieutenant-gouver-
neur, le 20 Juin 1913.
139- A.N.S. 2 D 920: Enquête sur Grandy.
140- ANS. 2 D 920: Enquête sur Grandy, 1916.
567
141- AN.S. 2 D 9 20 : Enquête sur Grandy, 1916.
142- AN.S. 2 D 9 20: Luga le 24 Fé'j1i~t1916 Mangone à Ngalandu Juf conseiller
général.
143- AN.S. 2 D 9 20 : Administrateur cercle de Luga à Gouverneur sénégal, 28 Dé-
cembre 1916.
' .~ ..
144- AN.S. 2 D 9-20 Crespin au Gouverneur: Dakar, le 29 Juillet 1916.
145- A.N.S. 2 D 9-20 Crespin au lieUle:lant-gouverneur, Dakar le 29 Juillet 1916.
146- A.N.S. 13 G 72 pièce 140, 27 Sel=tembre 1916.
147- AN.S. 13 G 72,27 Septembre '996.
148- AN.S. 2 D 14-4 Abdoulaye Jop au Gouverneur, 6 Mars 1907.
149- AN.S. M 147 pièce 1 Merlin: LE! gouverneur secretaire général du gouverne-
ment A.O.F. à administrateur de Kaolclck.
150- Idem, ibidem.
151- Journal, Le Petit Sénégalais, nOI [38, 20 Avril 1913.
152- Journal, Le Petit Sénégalais, livraison n° 192,4 Mai 1913.
153- A.N.S. 13 G 79 : Brocard réponse à la réclamation de Abdu Kaar, le 2 Avril
1915.
154- A.N.S. 13 G 79 Brocard réponsl} à la réclamation de Abdu Kaar, le 2 Avril
1915.
155- AN.S. : Idem, i b i d e m . ,
156- Gouverneur Van Vollenhoven circûiaire au personnel, 12 Juillet 1917, J.O.
AO.F.
157- Idem.
158- Gouverneur général Van-vollenlloven : circulaire du 12 juillet 1917.
159- Conseil général session extraordinaire de Mars 1920 séance du 11 Mai.
CHAPITRE 3:
5 6 8
LES CHEFS INDIGENES : DE'LA POLITIQUE DE "PROTECTORAT"
A L'ADMINISTRATION DIRECTE
Dans la période qui suivit la conquête, la France proclama sa volonté de
préserver les cadres indigènes confo"mémment aux traités de protectorat. Le recours
aux chefs locaux lui permit de faire faco à l'effectif squelettique du personnel adminis-
tratif européen. Mais sous la pressio:l des facteurs politiques et administratifs on
changea la nature de la chefferie indigène qui fut profondémment modifiée dans sa
structure interne. Le chef n'était plus qu'un agent subalterne appliquant avec docilité
les directives du commandant de cel·cle.
DE LA ROYAUTE AU CANTON
Le conquêrant avait commencé par abolir la royauté dans les pays sur lesquels
il avait imposé son autorité. Les vocalJles de bur, brak, damel ou de Teeri qui dans les
langues locales signifiaient roi furent remplacés par les termes de chefs supérieurs
dont les prérogatives étaient différentes de celles que la coutume leur reconnaissait
habituellement. Les rois étaient donc détronés et pensionnés. La domination française
était absolue. Les fonctionnaires indigènes qui disposaient d'une partie des pouvoirs
les exerçaient par délégation de l'au1Orité de la République.' Ils portaient les insignes
foùrnis par la France à savoir les mantE,aux et les décorations qui étaient les symboles
même «de leur dépendance2". Dès lors la conception que les indigènes se faisaient de
leurs rois était en porte à faux avec celle du colonisateur. Ce dernier les considérait
comme de simples fonctionnaires de l'Etat français/alors que les sujets continuaient
encore de les entourer d'un respect religieux. Les rois n'avaient pas perdu leur
caractère divin. Au Siin, au Salum cornme au Bawol et au Jolof où la monarchie n'avait
pas été brutalement détruite par l'élimination physique du souverain, les signataires
des traités de protectorat continuaient de recevoir l'adoration de leurs sujets comme
si la conquête n'avait rien modifié dElns le fonctionnement normal des institutions
Ne
5
traditionnelles. Le roi demeurait l'inc2.rnation de l'unité politique et spirituelle de son 6 9
peuple. Ils avaient tous subi les rites,~',:lntronisation qui leur conférait ce caractère
sacré.
L'organisation administrative comprenant les échelons du village, du canton et
de la provincete heurta aux mêmes difficultés. Les chefs de village descendaient des
premiers occupants du sol. La terre leur appartenait. Ils portaient souvent le nom de
Laman ou de Borom Dëk. Dans chaque village le plus âgé du lignage fondateur était
investi de la fonction de chef et s'occupait de l'administration et de la justice. Lorsqu'il
était trop vieux ou impotent pour s'acc,ultter correctement de sa charge, on lui laissait
2.R-
son titre et un de ses fils ou frères suppléait dans dans ses fonctions. A sa mort on lui
trouvait un successeur dans son matrili!]nage ou son patrilignage selon que le village
relevait de l'un ou de l'autre régime. L'3 nouveau chef était un frère.plus jeune et étai~
dans la terminologie de la parenté, nécessairement équivalent au disparu. «cet héritier
de la ceinture» ou du sein était le tuteur légal des enfants et était habilité à épouser les
veuves. Cette fonction était donc as,;umée de façon héréditaire dans la famille du
fondateur du village.
Dans tous les cas, le pouvoir du chef de village était intimement lié aux ancêtres
fondateurs. Il trouvait sa légitimité dam le culte des ancêtres et des génies qui s'étaient
associés dans le commandement du groupe. En vertu de ce contrat, aucun étranger
n'était habilité à assumer cette charge qui requêrait des sacrifices aux lieux consacrés
souvent sur les tombes des ancêtres dont la médiations était toujours sollicitée à
l'occasion de certains évènements.
Si la chefferie de village était rn;,rquée par son caractère autochtone et par
l'hérédité des charges dans la même famille, il en était autrement avec les chefs de
cantons et de province. Sans doute certains d'entre eux étaient-ils étrangers au
territoire qu'ils commandaient. La poli':ique de centralisation adminstrative pratiquée
par les différents souverains de la sénégambie, les avait progressivement conduits à
nommer à la tête des cantons et des p,-ovinces des chefs appartenant au patrilignage
royal ou à la catégorie esclaves de la couronne. Ces chefs portant des titres variés de
5 7 0
Jaraaf, de Saax Saax et de Fara étaient {évocables au gré du souverain. Ils ne devaient
leur autorité qu'au roi. Ils avaient la viol@,~~çe facile. La guerre et le pillage étaient leurs
activités principales, C'étaient surtout :ks gens de la guerre, des serviteurs royaux
appartenant à la caste des ceddo. Les titulaires de canton ou de province issus des
familles de Laman formaient de véritables dynasties locales. Le commandement
territorial leur revenait de droit. A chaque transmission du POUVOij le souverain se
bornait à ratifier le choix fait par le conseil local. Même s'jllui arrivait de ne pas entériner
cette désignation il était toujours tenu de choisir son délégué dans la famille détentrice,
de par la coutume, du droit à la chefferie. Il ne se risquait jamais à déposséder une
famille d'un commandement qu'elle détenait depuis des siècles. Ainsi le chef de la
province du Geet était toujours un Joop comme celui de Njunob était un Gey. D'autres
commandements territoriaux dévolus a'.lx Faal à Ndand, aux Mbay à Ta'iba : Ces
,-;",,"
descendants des premiers occupants g11rdaient la prééminence et la maîtrise du sol
face aux autres groupes accueillis dans If! terroir. Ils symbolisaient l'identité du lignage
qui avait scellé l'accord avec les forces :;urnaturelles du terroir.
Quelle que fût "origine de leur aulorité les chefs de canton et de province avaient
)
fini par recevoir les mêmes attributions. Agissant au nom du souverain)es uns et les
autres collectaient les impôts, administraient la justice, mobilisaient les guerriers en cas
de besoin. Aucun contrôle ne venait limiter leurs prérogatives. Mais malgré leur
excèssive dureté)a tradition ne semble pas avoir gardé le souvenir de soulèvement de
populations contre leurs chefs. La seule issue qui se présentait à elle était ou la
résignation ou l'émigration.
Au lendemain de l'imposition de l'autorité française leurs intérêts se heurtèrent
à ceux des conquérants. Le colonisateur entendait remodeler, selon ses principes, la
vieille organisation administrative afin c~, rnieux tirer parti des ressources économiques
du pays. Il ne se soucia guère des conditio'ls des vaincus qui firent cependant entendre
leurs plaintes de plusieurs manières. La chefferie devint alors le centre où se poursuivit
la lutte aprés la défaite militaire. La plupart des chefs portant encore au coeur la
morsure d'une violente rancune, voulurent se conduire comme si l'autorité française
était inexistante. Celle-ci décida alors (;.e recruter en dehors des cadres traditionnels
~,,"<,
N9
Ji 7 1
des hommes dont la fidélité et le loyalisme seraient gages de succès pour ses
entreprises. Ces nouveaux venus danse,le commandement, dépourvus de toute
légitimité coutumière, utilisèrent les mùHlodes les plus scélérates pour contraindre
leurs administrés à se soumettre à la volonté du colonisateur. Ils se plièrent sans
réserve au service du conquérant.
DES ROIS AU:1< CHEFS SUPERIEURS
Malgré toutes les clauses de style sur la nécessité de respecter les coutumes
locales, l'autorité coloniale s'attacha, avec une grande constance, à détruire les
grands commandements correspondam aux royaumes ou aux provinces, et ce, en
violation de l'engagement pris lors de la signature des traités, d'aborder toujours les
populations et les individus sans raillerie, ni violence afin de mieux les connaître, les
;"'.
comprendre «et les tenir en sympathie',,; Mais la conquête était la négation même du
principe de droit des peuples à disposer d'eux-même. Le colonisateur n'était pas tenu
de respecter les droits des indigènes puisque sa force brutale l'avait déjà emporté sur
les autres considérations morales. En quelques années le gouvernement français fit
disparaitre tous les royaumes et principautés mentionnés dans les traités de protec-
torat. Furent pareillement frappés de nullité les droits des anciennes familles régnan-
tes.
Ainsi à la mort de Samba Lawbg, le Kayoor fut divisé en 6 provinces confiées
à d'anciens esclaves de la couronne. Sans doute à l'époque de la royauté, ces
dignitaires exerçaient des charges politiques et administratives trés importantes. Mais
ils exerçaient leur prétrogatives par délégation de l'autorité royale qui conférait à leurs
actes la légitimité requise. Avec l'abolition de la royauté du Kayoor leur pouvoir était
perçu comme une usurpation par leurs administrés qui continuaient de considérer les
garmi comme les seuls détenteurs légitimes de l'autorité. Ces grands commandants
territoriaux étaient dans une situation ambiguë. Totalement placés sous le contrôle et
l'autorité du gouvernement français, iis cherchèrent à légitimer leur pouvoir en
épousant des garmi ouen prenant en main l'éducation des jeunesgarmi dont les droits
au trône étaient incontestables aux yeu:~ des populations. Malgré ces subterfuges, ces
57
chefs n'étaient que des monarqu'3s de parade entièrement soumis à la France.
!~~.
C'étaient «des agents d'administn~~i9n vis à vis de leurs sujets.;)
La même observation était applicable à Sanor Njay chef des provinces Sereer.
De simple Alcaty du teeri, chargé d," oercevoir à Naning les taxes dues à son souverain
il fut placé à la tête d'un territoire immense en récompense à la collaboration qu'il avait
apportée à la colonne Schneider. Mais malgré les bonnes appréciations du gouver-
neur pour le travail qu'il accomplit à la tête de son commandement, il n'était aux yeux
de ses administrés qu'un simple inlrus.
La nomination de chefs supérieurs au Bawol en 1894 et au Siin en 1898 marqua
une étape importante dans la pr:se en main directe des populations par l'autorité
française. Ces chefs supérieurs, ,nis à la place de ceux qui auraient dû exercer les
fonctions royales, n'avaient sur les p()a~lations qu'une autorité !?uperficielle, en raison
même des conditions de leur nomination qui ne devait presque plus rien à la coutume.
Si Salmone Faal originaire du Bawol était en mesure de se faire accepter par les
populations du Bawol occidental, il en était différemment de Mbaxaan qui faisait figure
d'étranger dans sa province. En elfe: par sanaissance, Mbaxaan Joop, fils de Lat-Joor
, aurait dû être placé à la tête de l'une des grandes provinces du cercle du Kayoor. C'est
là que sa famille avait réellement ses racines. Mais on jugea prudent de l'éloigner d'un
territoire dont les chefs étaient nagu,~re les serviteurs de sa famille. Selon l'administra-
tion, tout ce qui touchaità la puissante famille des Geej devait être écarté du Kayoor,
afin de lui ôter toute possibilité de faire, d'un éventuel commandement, un pôle
;,d'agitation politique5».
L'autorité de ces chefs supérieurs du Kayoor, du Bawol, du Siin comme du
Salum était toute fictive. A côté de cllacun d'eux se trouvait un résident chargé de les
surveiller, de les contrôler, de les empêcher de commettre beaucoup trop d'exactions
sur leurs administrés. Ainsi en 1898, sur rapport du résident de Sambe, Mbaxaan fut
invité à restituer, à leurs propriétail'es, les taureaux, chèvres, moutons qu'il s'était
personnellement arrogés comme impôt de tabaski. Cette observation lui fut faite en
public pour l'atteindre dans son amour-propre et montrer à tous qu'il n'y avait plus
qu'une seule autorité dans le pay~; : Celle de la France."
N~
" 7 3
Ces humiliations publiques frappant les chefs supérieurs soit sous la forme âe
remontrances soit sous la forme d'ami3.Qdes accentuaient leur déchéance auprés des
~ r..:'~r
populations habituées à entourer leur autorité d'un culte religieux, presque divin. Les
attributs extérieurs du pouvoir que leur avait laissés le protectorat étaient même remis
en cause dans la mesure où les commandants de cercle semblaient inciter les
administrés à ne plus leur témoigner de grands égards.
En 1898 Majoor Cooro chef du 1-J:;Jick Mérina filsdu damel Majojo subit le même
traitement de la part du commandant du Cercle de Luga. A son endroit il multiplia les
observations et les amendes auxquelles Majoor opposa sa force d'inertie. Pour mieux
l'humilier, il lui saisit un cheval qu'il vendit pour récupérer le montant des amendes.'
Dembawar Sali, président de la confédération des provinces du Kayoor, fut condamné
à une amende de 100 francs pour retard dans sa correspondance et pour ne s'être pas
"
rendu à Tivaouane saluer l'administratè'ur Aubert qui venait d'y être nommé" Chau-
dron Commandant du cercle du Rip prononçait régulièrement des amendes contre les
chefs de village ou de canton pour avoir désobéi à ses ordres ou pour avoir été lents
à les exécuter. En un mois un chef de callton fut frappé de trois amendes totalisant 120
francs dont l'une pour avoir laissé ses a"imaux divaguer le long de la route. Certains
chefs furent arrêtés par le commandant, bastonnés pour avoir failli à leurs devoirs
administratifs.
Bien que ne détenant plus qu'unI) autorité fictive ou n'exerçant qu'un pouvoir
nominal en raison des caprices des Gommandants de cercle, certains chefs n'en
étaiènt pas moins perçus comme les représentants authentiques de leurs communau-
tés. Les atteintes à leur dignité rejaillissaient sur l'ensemble du corps social dont ils
étaient l'incarnation. Les vices ou l'incompétence qu'on sanctionnait en eux ne
diminuaient pas nécessairement la cOll5idération dont on les entourait.
Chez les administrés le pouvoir' conservait tout son caractère sacré. Le chef
étaittenu d'avoir un standing devie corre,spondant à son rang social. Tous avaient une
cour plus ou moins nombreuse, entretenaient des chevaux s'entouraient d'une
escorte armée dont l'éffectif était fonction du rang social ou de l'importance de la
fonction. On ne concevait pas de chef sans griots détenteurs de la tradition familiale
N~
5 74
et sans esclaves employés aux nombreuses tâches de la domesticité. Dès lors le conflit
'~~"I
était inévitable entre les chefs et l'adrnir.istration qui avait décidé, en les fonctionnari-
'f"'"
sant, de leur donner des revenus fixes nettement insuHisants en regard des dépenses
qu'exigeait l'entretien de leur cour.
Lors de la signature des traités de protectorat, les anciens rois ou leurs
successeurs s'engagèrent à administrer leur pays avec justice, à protéger les badolo,
à s'abstenir de tout pillage. Comment .,:louvaient-ils se conformer à ces engagements
avec des revenus dérisoires? Buna N@Y du JoJof percevait une solde annuelle de
32.000 francs, Kumba NdoHeen avait 14.000 francs, Abd El Kader des provinces
Sereer 40.000 francs· Ces sommes étaient à première vue substantielles mais elles
étaient loin de couvrir les dépenses d'3~3 bénéficiaires. De ces revenus, chaque chef
distrayait la quantité correspondant à la solde de ses chefs de canton. Ceux-ci étaient
.''.
en eHet retribués par les chefs supérinur's ou de province dont ils relevaient adminis-
trativement. Le reliquat servait à faire face à leurs besoins et à ceux de leurs nombreux
suivants attachés à leurs personnes.
En présence de réalités de pILJ~, en plus diHiciles, la solution fut pour les chefs,
d'ignorer les directives les invitant à ~;'en tenir à leurs soldes. Les uns et les autres
demandèrent de l'argent à leurs administrés en dehors de l'impôt, infligeaient des
amendes dont ils conservaient les montant, exigeaient comme cadeaux des animaux
pournourrir leur maisonnée, faisaient piller les basses cours et les greniers à l'occasion
des recensements, bref recouraient ;3 toutes sortes d'expédients pour sortir d'une
conjoncture diHicile.'o La situation étai! plus rude pour les chefs de province du Kayoor.
Dans ces territoires seule la moitié de la part de l'impôt attribuée au chef indigène
revenait au titulaire de province. L'autre moitié appartenait à Dembawar, président de
laconfédération. Il en était de même du produit de la zakat et des amendes prononcées
par les cadis."
La sévérité des sanctions frappant les manquemants à la déontologie adminis-
trative poussait les chefs à déployer des trésors d'ingéniosité pour cacher leurs
exactions. Leur hostilité vis à vis de l'autorité coloniale se traduisait par une inertie
totale. Devant les atteintes à leur honilf:ur, ils se rendirent compte qu'ils ne pouvaient
',.-,
575
plus seconder l'administration avec If' sentiment de se mouvoir dans le même cadre
.,~' '.
:. "
~
institutionnel que leurs prédecesseurs. Sans doute d'autres s'étaient, sans peine, pliés
-~~:;'"..
avec docilité au service du nouveau rn<IÎlre à qui ils étaient redevables de leur accèssion
à de pareilles responsabilités, Mais nombreux furent les opposants qui se recrutèrent
surtout chez tous ceux qui avaient la conviction de ne devoir qu'à leur naissance les
fonctions qu'ils exerçaient et qui étaient souvent victimes de mesures vexatoires de la
part du conquérant. L'objectif des gr'ands chefs était de rendre fragile "autorité
française au Sénégal. Car si la force pouvait venir à bout de toute les résistances
armées, elle était incapable d'empêcher les collectivités de se détourner de cette
civilisation qu'on prétendait leur imposer,
Les commandants de cercle tax3ient d'imcompétence les chefs supérieurs ou
de province parce qu'ils avaient hâte de me~re un terme au dualisme de l'autorité qui
~,
dans certains secteurs constituait une sorte d'écran entre eux et 'les indigènes, Les
chefs étaient les intermédiairesnatureis entre l'administration et les administrés.'2Pour
eux le maintien du protectorat n'avait plus de base juridique solide du fait même de la
disparition des Etats locaux. La solutio:1 était le recours à l'administration directe par
la liquidation des grands commandements.
Pourtant certains de ces chefs supérieurs faisaient preuve d'un certain loya-
lisme pour mieux couvrir leurs abus aux dépens de leurs administrés. C'étaient les cas
de Sanor Njay et de son successeur Aodel Kader Ley à la tête des provinces Sereer,
de Dembawar Sali au Kayoor. Ce dernier avait joué un rôle important dans la conquête
du' Kayoor. Ce fut grâce à ses «intrigues que tous chefs importants, captifs de la
couronne» firent défection et abandonnèrent Lat-Joor «entrainant avec eux les Gallo
captifs qui formaient la garde prétorionne et soutenaient le pouvoir du damel"».
Malgré tout cela le commandant de cercle de Tiwawan reprochait à Dembawar
de se prendre pour un damel, car il croyait en avoir les prérogatives. Vis à vis des autres
chefs de province il tranchait en maître absolu «enlevant à celui-ci l'assaka, prenant sur
la part de l'impôt ce qui lui (plaisait) 15». Ce chef qui avait pu, par sa seule influence, réunir
un grand nombre de Ceddo pour élider la France, devenait sous la plume de
l'administrateur Leclerc «un chef plu~; que médiocre'6».
576
Des appréciations similaires étaient pareillement portée contre ses frères.
el.J.'- <M l
'.>
Sangone, chef du Mbul était:entouré '~'~;,?mmes douteux et ne faisait guère montre
d'un grand zèle. Le 14 Août 1898 illai:isa échapper l'assassin d'une femme esclave
alors qu'il avait les moyens de l'empêcher. Il fut «puni d'une amende de 100 francs pour
cette coupable négligence"». Bunama Sali frère cadet de Dembawar était crédité de
peu d'intelligence. L'administrateur lui reprochait sa docilité totale envers Dembawar.
Pourtant il aurait dû se féliciter d'avoir un chef comme lui qui aimait et protégeait
«l'agriculture dans sa province qui étaittrés riche et trés cultivée'·». Devenu musulman
fervent, il essaya de faire régner l'ordre moral dans sa province en accablant
d'amendes ses sujets trop portés vers l'adultère et les festins. Aprés son adhésion à
\\,
la confrérie mouride il démissionna en 1902 et fut remplacé par son fils Makodu alors
son adjoint. 19
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Selon l'administration, le bon chef se remarquait par sa docilité et par sa
promptitude à exécuter les ordres qu'il recevait. C'était le cas de Abdulaye Joop fils de
Lat-Joar pour qui le commandant était tout éloges. En revanche tous ceux qui
essayaient d'une façon ou d'une autre de soulager les peines de leurs administrés,
passaient pour des hommes dangereu>: à écarter de la chefferie. On leur imputait à
l'occasion tout un lot de vices pour arracher la décision du gouverneur. Majoor Cooro
était incompétent en raison de ses penchants pour la boisson. Yelbu Njay, Laman
Jamatil passait pour réfractaire à la nécessaire révolution politique qu'on voulait
instaurer dans le pays.2O
Ces observations plus ou moins rnalveillantes n'avaient d'autre but que d'ame-
ner l'autorité supérieure à faire disparaitre ces grands commandements qui deve-
naient de jour en jour des TIots où se concentrait l'opposition à la présence française.
Cette abolition se fit par étape. Les chefs supérieurs morts ou révoqués n'étaient plus
remplacés. A la place on mettait les ch'3fs de canton. En 1895 à la mort de Ibra Fatim,
chef de la province du Mbawor-Gewul, le ,~ommandementfut divisé en petits cantons.21
A la mort de Sangone en 18971e Mbul subit le même sort. A la mort de Dembawar en
1902 on supprima la confédération des provinces du Kayoor. Meissa Mbay fils de
Dembawar reçut le commandement du Sanoxoor occidentaL22
571'
En 1907 Camille Guy Iieutenant;~ouverneurdu Sénégal décida le démantèle-
ment des grands commandements par la suppréssion des titres de chefs supérieurs
f ....~ ,t,
du fait des abus qu'ils avaient comn',i,; aux dépens de leurs administrés toujours
victimes de leurs «exactions effroyable:.,23».'lPse disait convaicu que les indigènes
préféraient l'administration directe à calle des chefs de provinces. De plus, leur .
maintien grevait le budget autant que celui du contribuable et laissait croire aux sujets
que les «vieilles races royales avaient conservé ... leur prestige, leur influence, leur
autorité2'». Leur suppression entrainerait l'élimination des barrières qu'ils avaient
dressées entre les indigènes et l'administration française.
L'existence de grands commandemants rendait difficile les contacts entre les
administrés et les colonisateurs. Par crainte de représailles et autant par le respect
naturel à l'endroit du chef, aucune réclamation n'était portée à la connaissance de
.b"
1:,:-
.
l'administrateur de cercle qui ne recev"dt en'définitive que des informations préalable-
ment filtrées par le chef supérieur. Il ign,xait donc tout des abus que commettaient les
chefs aux différents degrés de la hiérarchie. Pour faire vivre leur copieuse clientèle, tous
mettaient à contribution leurs administrès, voire une partie des ressources de l'impôt.25
Au bout du compte il ne restait comme chef supérieur dans notre secteur d'étude que
Kumba Ndoffeen Il''''.11 dut son maintien '3U légitimisme de ses sujets qui ne concevaient
pas le Siin sans son roi. Moins touchés que les autres royaumes par l'islam, les Sereer
du Siin s'en tinrent encore à la conception du roi d'essence divine symbole de la
pérennité du peuple Sereer.
. La suppression des chefs supél'ieurs procura au gouvernement local une
économie de 60.000 francs sur les salai ms et de 100.000 francs sur les remises qu'on
allouait sur les impôts2? Ainsi s'acheva la formule du protectorat qui voulait maintenir
une certaine souveraineté indigène sous une suzeraineté française. Les cadres tradi-
tionnels, sur lesquels elle devait s'appuyer, ne jouèerent pas le jeu et s'accrochèrent
aux anciens privilèges inhérents à leur fonctions.
Le canton était devenu l'unité du commandement indigène. Il était plus facile à
contrôler. Avec la disparition des grands commandements l'administration n'avait plus
en face d'elle qu'une poussière d'hommes qu'elle pouvait manipuler à sa guise.
'.~
-
NR
Force était de constater que les chefs n'étaient pas interchangeables. L'~d~i-8
nistration pouvait licencier les chefs c]y'~elle jugeait incompétents, mais ceux d'entre
eux qui avaient des droits naturels au commandement n'étaient pas toujours déposés
dans l'opinion de leurs administrés. On continuait de les entourer de considération,
d'exécuter leurs ordres, d'aller prend;e conseil auprés d'eux.'6
Aussi continuèrent-ils la lutte sous d'autres formes. Le mouridisme perçu alors
~Ia confrérie anti-française fut le pôle vers lequel convergèrent tous ceux qui
avaient perdu leur emploi. 29 Ils contribuèrent ainsi grandement à conférer à ce mou-
vement son caractère anti-colonial.
Quoiqu'il en fût, j'administration ètait à même, grâce à la nouvelle organisation,
d'avoir avec les indigènes des rapports plus étroits que nécessitait le projet de mise
en valeur du pays. Une action plus directe 'de la France sur les· populations était
désormais possible. Bref d'une façon détournée on reprenait la politique d'assimilation
un moment suspendue devant la résistance des populations. Au régimes des protec-
torats s'était substitué celui de l'administration directe avec des chefs noirs simples
auxiliaires du conquérant et qu'on pouvait nommer sans aucune référence à une
quelconque légitimité coutumière.
LES CI:/EFS DE CANTON
On fit alors du canton la cellule vivante de l'organisation administrative. Les
anciens royaumes furent morcelés f.:l cantons dont les chefs étaient directement
responsables devant l'administration de cercle. Avant cette réorganisation ils étaient
désignés à l'agrément du commandam de cercle par les chefs de province dont ils
étaient les obligés et qui les rétribuaient sur leurs soldes propres.JO Ils bénéfificiaient en
toutes circonstances de la protection de leur patrons.
Leur situation était trés précaire. A tout moment leur supérieur hiérarchique
pouvait les licencier sans aucune indemnisation. Désormais ils recevaient une nomi-
nation régulière et hiérarchique par le gcuverneur sur proposition du commandant de
cercle. Le nouveau régime leur assurait ~Jlus de stabilité dans l'emploi, les rendait plus
~q
5 7 9
indépendants des contingences locales et leur donnait «un sentiment plus élevé de
leur dignité, de leur responsabilité3l ». 'Desormais le contact était permanent entre les
chefs de canton et l'autorité du cercle."2
Cette amélioration dans la condition des chefs de canton s'accompagna, dans
bien des cas, d'une sorte de «désacraFsation» de la fonction du chef. Ce dernier cessait
en réalité d'être le représentant de la Gollectivité locale sur laquelle sa famille avait
traditionnellement un droit de commandement. Il n'était plus que le mandataire d'une
administration envers laquelle il donnait des gages de loyalisme ou de docilité. Il était
devenu le rouage administratif du commandement colonial, tenu d'exécuter avec
promptitude les ordres qui lui étaient transmis. 33
Le morcellement de l'administration locale fut approuvée par le gouverneur
général William-Ponly qui s'en înspir.3 pour sa politique indigène'en 1909, Dans sa
circulaire du 22 Septembre le Gouverneur général préconisait en effet la suppression
«des commandements indigènes purement territoriaux, calqués sur les anciennes
principautés locales"». Ce régime administratif avait l'inconvénient de centraliser entre
les mains d'un seul personnage les «pouvoirs de tous les petits chefs de groupe"», et
qui devenait en quelque sorte, l'intermédiaire obligatoire entre le commandant de
cercle et ses chefs. Il fallait lui substitl.!er la politique des races qui seule permettait de
rendre l'autorité française plus tutélaire parce que plus directe. Toutefois les chefs
indigènes devaient être choisis dans une famille de l'ethnie dont-ils représentaient le
groupement. Il se constituerait ainsi dans chaque cercle «des groupements ethniques
avec leurs chefs particuliers36».
Ponly était convaincu que tout en faisant la part au mérite personnel des chefs,
le commandant de cercle ne saurait être indifférent à leurs origines sociales. Le chef
légitime même médiocre avait plus de chance de se faire obéir de ses administrés que
celui qui avait plus de valeur, mais était d'origine sociale obscure. La nomination de
chefs de caste inférieure était toujour;; 1essentie comme un manque de considération
par les administrés. 37 De plus le S131.ut inférieur d'un chef avait souvent un effet
paralysant sur son action. C'était le cas du bur Njambur qui par ses origines était
580
esclave des GeeL Il avait contre lui la famille des Joop du Geet dont était originaire Lat-
Joor. Il était balloté entre les influenc<3s contraires. Avec lui le dernier orateur avait
io/C.
toujours raison. JO
Dans leur immense majorité les :::ommandants de cercle ignorèrent ces recom-
mandations pleines de sagesse dans le choix des chefs de canton. Les critères
traditionnels de sélection des chefs furent abandonnés. A la place des cadres naturels,
on nomma des parvenus qui, tirés du néant, étaient bien sûr, d'un dévouement sans
bornes. Mais ils ne jouissaient d'aucur:e autorité dans leur canton. Ils n'étaient jamais
acceptés par leurs administrés. Les commandants ne se soucièrent plus des critères
de la naissance. Ils nommaient ceux qui :eur paraissaient méritants, c'est à dire acquis
àla cause française. Ils ne se recrutaient que chez ceux qui vivaient dans leur voisinage.
~J.ro
En 1907 lors de la réorganisation administrative du Njambur ,~es nouveaUlImis
1
à la place des fils de l'anciens bur Njarnl:>ur, n'avaient si l'on se referait à la coutume,
aucun droit au commandement des cantons de cette vieille province. Il s'agissait de
Samba Xari Sise notable à Luga et de Sose Sow simple garde de cercle qui avait fait
preuve d'un grand dévouement lors du drame de Kees qui couta la vie à Chautemps
en Avril 1904.'9
On recrutait donc d'anciens serviteurs étrangers aux cantons qu'ils adminis-
traient où ils ne jouissaient, aux yeux des populations toujours fermement attachées
aux préjugés de la naissance, d'aucunl3 autorité morale. Ainsi se poursuivait dans les
anciens pays de protectorat la ligne assimilationniste qui avait donné dans les
territoires d'administration directe les inconvénients que l'on sait. En 1895 on nomma
chef de canton de Kees, Mawade Sow ancien spahi en retraite. 40 En 1907 Mamadu
Njay ancien interprète des affaires inejigènes était placé à la tête du Sarioxoor
occidental alors que Meissa Mbay fils cie Dembawar prenait le commandement de
Sarioxoor Orientai.
Amadu Njay, d'origine Tukulur Ôt3it étranger au pays et n'était pas favorable-
ment accueilli par ses administrés qui préféraient s'en reférer à son voisin qu'ils
créditaient en revanche d'une certaine légitimité. Il en résulta des froissements qui se
1) !f 1
terminèrent par une lutte ouverte en11'e les deux chefs. La crise fut résolue par la
réunification des deux cantons au p:olit de Meissa Mbay.41
~l
Cet incident était, pour le Gouverneur général Ponly, la preuve qu'il fallait àtout
,.
prix s'en tenir à la politique des races dont l'abandon prématuré ne pouvait donner que
{r·
des déboires. Le r61e de la puissance protectrice n'impliquait pas «seulement "obliga-
tion de respecter les us et coutumes des populations, mais aussi celle de tenir compte
de leur mentalité de leurs aspirations légitimes, de ne point froisser leurs affinités et par
conséquent de ne point leur impose: des chefs étrangers, qui malgré leurs mérites,
évoquent toujours le souvenir encore vivace des haines et des rivalités d'autrefois'2,..
Selon ponly il était préférable d'avoir un chef peu capable mais dont l'autorité serait
,
accept~ar tous qu'un chef de valeur "qui ne rencontrant que résistance et hostilité",.
compromettrait à brève échéance, les efforts de l'administration.
De nombreux chefs étaient {trangers à leurs cantons. C'étaient les cas de
Serigne Cupi frère de Abdel Kader I_ey nommé à Joal Goy, de Yoro Kumba et de
Jokunda dans le cercle de Tiwaouane. Aucun de ses chefs n'appartenait aux familles
ayant des droits historiques au commé'.ndemant de ces circonscriptions. Il en était de
même pour Aliun Sylla, originaire de Bargny et placé à la tête du canton de Ngoy en
raison de ses liens de parenté avec Abd El Kader des provinces Sereer. La même
observation était valable pour Sidy :21:en nommé dans le canton de Mbayaar. Cet
ancien interprète ne jouissait donc. que d'une médiocre considération dans son
canton."
Le Salum n'était pas épargné par ce phénomène. Bubakar Ndéné était étranger
au canton du Kaymor qu'il administrait, aussi vit-il 1.000 de ses sujets émigrer en
Gambie anglaise pour échapper à son commandement." Kassum Sise, ancien adju-
dant à la retraite, fut nommé chef du canton de Xandaan. Il avait été révoqué en 1910
de ses fonctions d'agent de police à K'2!;§, avant de l'être ànouveau en 1912sur plainte
de ses administrés.'·
Dans l'ancien royaume du JoIQf, sauf Buna Njay, le chef supérieur, aucun chef
n'y était à sa place en 1917. Parmi eu>: se trouvaient deux esclaves Ali Jeng nommé
dans le canton de NjaiÏ et Sase Sow cJans le Njambur septentrional. On imputait à ses
~
582
exactions la moitié des exodes constafës"'dans le canton." La préférence des com.
mandants de cercles allait vers ceux C\\\\!Lavaient fait preuve de loyalisme à l'endroit de
~, ..
la France.
Nous voulons dire les 31lciens interprètes, anciens soldats, anciens
cuisiniers ou écuyers des officiers français. La chefferie de canton semblait désormais
la récompense allouée aux serviteurs cles hauts fonctionnaires de l'administration. A
la veille de la retraite, le commandement d'un canton était une sinécure qui leur
fournissait des ressources substantielles pour agrémenter leurs vieux jours. C'est
dans cette perspective qu'il faut comJrendre la candidature à un canton en 1916 de
Mamadu Fall garde meuble de l'hotei ou commandant supérieur des troupes."" Ces
nouveaux chefs étaient dans leur majorité des intriguants qui s'étaient imposés aux
bons soins des commandants par le mensonge, la ruse, voire la délation. Leur autorité
ne trouvait aucun appui dans le milieu qui les accueillait. 49 Aussi leur présence était-
elle incapable d'occulter la forte influE:r,ce des chefs autochtones qui continuaient de
recevoir comme par le passé l'hommage de leurs compatriotes.
Les commandants de cercle a\\'aient fait appel à ces chefs à cause de leur
aptitude à baragouiner ou à parler le français, langue de l'administration par excel-
lence. Avec eux on se passait des interprètes et le travail gagnait en efficacité et en
rapidité. Mais la présence des chefs étrangers provoqua partout un phénomène de
rejet. Si la peur des représailles copduisit certaines populations à l'exode pour
échapper à l'autoritarisme débridé de leurs nouveaux maîtres d'autres, par la voie des
pétitions, éssayèrent d'attirer l'attention des autorités sur les inconvénients inhérents
aux choix d'un personnel administratif fait sans aucun souci des critères traditionnels. 50
En 19121es habitants du KayoQ[ dénoncèrent la présence copieuse de chefs
étrangers nommés dans leur pays et qui, ignorant tout des coutumes locales, n'avaient
tendance à ne considérer que leurs intérêts personnels. «Un pays, dit la pétition, ne
(pouvait) être tranquille que sous l'administration de ceux qui y" habitaient. Ces
«étrangers, anciens Spahis, marins ou tirailleurs ne (faisaient) que du mal aux cantons
qu'ils (dirigeaient)5'». Pour qu'on ne mît pas cette pétition au compte de leurs
sentiments anti-français, ils déclarèrellt avoir déjà donné des preuves de leur loyalisme
,.
"."
583
en acceptant de voir leurs enfants prendre une part active lors des expéditions de
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Madagascar, de Côte d'Ivoire, de MaLirLtanie et du Maroc.
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:
/
Il n'a pas ét<\\!tpossible d'identifier les auteurs de cette lettre anonyme. Mais il
j.o..;-"
ne nous paraît pas téméraire'qu'ils appartenaient au milieu des notables de plus en plus
touchés dans leurs biens et leurs pers:lIlnes par les exactions des chefs.
Les chefs naturels furent donc écartés des secteurs où ils auraient été plus
éfficaces dans le seul souci de briser le,; grands commandements indigènes. Ainsi on
donna à l'autorité française des auxilliair~s dévouésmais sans consistance sociale. 52
Les revenus des chefs de canton étaient bien modestes en regard de leurs obligations.
Les anciens impôts avaient été supprimés et remplacés par celui de capitation auquel
étaient assujetis les indigènes. Les gains d'un chef se composaient d'un salaire annuel
oscillant entre 1000 et 3000 francs par ê:1 a'uquel s'ajoutaient les ristournes pour les
impôts perçus. Alors que les chefs supÉJrieurs recevaient une remise de 20%, les chefs
de canton dont la situation venait d'être régularisée par l'arrêté de 1907 n'avaient droit
qu'à 5%. Auparavant ces chefs ne touchaient en réalité aucun traitement et ne vivaient
que des libéralités de leurs employeurs: les chefs de province. 53
En 1902 Dembawar Sali touchait la moitié des parts des chefs du Kayoor sur les
ristournes soit 55.000 francs par an alors que ses chefs de province se contentaient
desommes dérisoires. Yelbu Njay chef du Mbakol percevait 62francs par mois, Souna
Sali, 50 francs, Musa Awa du SalÏoxoor Oriental 129 francs. 54 Dans ces conditions la
situation de leurs chefs de canton était encore plus précaire. Comment s'étonner que
ces chefs et leurs auxilliaires ne fussent enclins à infliger des amendes et à exiger le
paiement de taxes comme le Kubal et l'a:,saka supprimées par l'administration 55? Les
taux des ristournes accordées aux chels supérieurs étaient relativement élevées. Elles
oscillaient entre 30% et20%. Il s'agissait ;,Iors de les intéresser matériellement à l'impôt
pour en faciliter le recouvrement. Ils étélient toutefois tenus d'assurer la perception de
l'impôt par leurs propres moyens et sous leur responsabilité personnelle.56
Avec le morcellement des grands commandements, on ramena le taux en rte
15% et 5% selon les régions dans la mesure où les chefs de villages faisaient l'essentiel
Ne
5 84
du travail de recensement. Les chefs de Canton avaient aussi des charges lourdes.
il
4
Pour leur prestige ils entretenaient une G~ur, rénuméraient letravail de leurs auxilliaires.
Au bout du compte il leur restait plus «c!'t1onneurque d'argent."» Ils percevaient aussi
la moitié des amendes prononcées clans leur fief l'autre moitié revenait au budjet
régional. 58
Les dépenses somptuaires qu'exigeaient leurs fonctions, les incitaient à recou-
rir à des moyens trés condamnables. T;)us pratiquaient les fastes ostentatoires. «La
grandeur (avait) pour mesure la dépense. Le prestige se (conquérait) par la libéralité.
L'homme mesquin qui ne (dépensait) pas, (était) digne de mépris59».
Mais les largesses se faisaient ,lUX dépens des administrés préssurés sans
pitié. On leur infligeait des amendes élevées sans motifs sérieux et sans en rendre
compte à l'autorité supérieure. Cette maii1'ère de procéder donna lieu à des abus
auxquels certaines populations tentèr(,nt d'échapper par l'exode. Ce phénomène fut
constaté dans le Njambur surtout dan~ la canton de Sose Sow et dans les cantons du
Salum limitrophes de la Gambie.5O Des voyageurs étaient détroussés par les sicaires
des chefs de canton. Les peuls subis~;aient les méfaits, les rafles opérées sur leurs
troupeaux pour alimenter les festins. 51 Toutes ces exactions étaient couvertes soit par
le chef de province soit par le commandant de cercle qui préféraient sanctionner avec
rigueur ceux qui osaient dénoncer les ÉC3rtS de leurs loyaux serviteurs. Sambe Lawbe
Suri, chef de canton dans le Kayoor vola un troupeau de dix têtes de boeufs à un peul
nommé Demba Lobe,"' mais ne fut pas sanctionné pour ce délit.
Chacun des chefs s'était entouré d'une bande de rapaces à la tête desquels
étaient généralement placés leurs prôches afin que les produits des pillages ne fussent
pas détournés par les autres. Ils faisaient payer deux ou trois fois l'impôt en s'abstenant
de leur délivrer des reçus. 53 Toute protestation était punie d'une amende prononcée
immédiatement en l'absence du Cadi alin de pouvoir en conserver le produit pour leurs
besoins personnels. De leur propre Clld et ils fixaient arbitrairement le nombre des
contribuables d'une concession, et calui des têtes des troupeaux. C'éta~ la
persistance du Moyal c'est à dire des contributions obtenues au moyens des mesures
oppréssives. Lors du recouvrement de l'impôt, ces collecteurs improvisés ne se
,
.1 8!J
faisaient pas faute de piller les greniers et les basses-cours. Car t.out contribuable dans
l'incapacité d'être en régie avec le fiscr~bUr une raison ou pour une autre, voyait les
. t'..",.
agents du chef prendre possession de s\\;'maison et de ses femmes jusqu'au paiement
des sommes fixées. 54
Les chefs majoraient aussi le prix du rembourssement des semences d'ara-
chide. Les paysans ne sachant ni lire ni écrire se résignaient à accepter le tonnage fixé
par le chef «qui ne saurait menti~5».
Sans doute les châtiments corporels furent supprimés dans les pays de
protectorats par la convention du 25 Avril1S95 avec les chefs indigènes du Kayoor et
du Bawol. Mais ces derniers continuaient d'en user pour faire accepter une autorité
de plus en plus rejetée. La bastonnade était pour la plupart d'entre eux le moyen
d'é'craser leurs rivaux66 et ceux qui se montraient réfractaires à leur autorité. Chaque
chef avait son bourreau chargé d'appliquer les peines corporelles qu'il prononçait
contre ses mauvais sujets. Le fonctionnement de la fourrière était pour les chefs un
moyen commode de s'approprier le bétail errant. Une institution de ce genre se
concevait dans des centres urbains oLI les animaux en divagation constituaient un
•
danger, ou nuisaient à la tranquillité des habitants. Mais dans les cantons et les
provinces de pareilles mesures n'étaient pas nécessaires. Ce fut une aubaine pour les
chefs qui n'hésitèrent pas à appréhender les bestiaux sous n'importe quel prétexte.
Les propriétaires avaient un délai d'une semaine pour se mettre en régie entre le
moment où les animaux étaient conduits au chef lieu et celui de leur vente aux
enchères.67 Ce délai était insuffisant pOL,r avertir les propriétaires des animaux trouvés.
Souvent même les convocations ne leur parvenaient jamais. Elles étaient délibérément
détournées de leur destination normale par le chef qui ne se préoccupait que du
pourcentage que lui procurait la vente de ces animaux. Souvent il utilisait un prête-non
pour les acquérir à vil prix. Par ce moyen beaucoup de chefs étaient devenus
propriétaires de nombreux troupeaux. Il n'est pas excessif de dire que sous le régime
de la domination française s'était en elfet aggravé le système oppressif des faibles. Le
seul moyen de mettre un terme à ces 'spoliations légalisées était de ne plus allouer de
l'énumération aux chefs pour la mise sn fourrière des animaux 68 Encore faudrait-il
qu'ils acceptassent de s'y conformer.
586
Ces abus si décriés n'étaient commis qu'avec la connivence ou le silence des
commandants de cercle. Ils couvraientle!;Jrs protégés car ils mi voulaient pas donner
l'impression d'avoir fait de mauvais choix dans la nomination des chefs. Eux mêmes
participaient par leurs mesures de rigueur, à l'instauration d'un climat de peur qui
.~....
interdisait aux victimes toute" réclamation auprés de l'autorité supérieure. Ainsi le
commandant de cercle de Kees infligea trois ans de prison à Massata Faal pour avoir
osé protester contre les exactions du chef Samba Lawbe. Deux autres victimes Xali
Mafaal et Malik Ba qui avaient protesté contre les abus de ce potentat connurent le
même sort et furent envoyés, chaînéS""aux pieds, à la prison de Kees. L'administrateur
de ce cercle avait pubiquement dit aux indigènes du canton que Sambe Lawbe était
«son fils et gare à ceux" qui oseraient l'accuser d'exactions.fig Ceux la recevraient une
bonne correction. Car ajouta-il les administrés devaient «s'incliner sous l'autorité de
1
leur chef sans murmure. Levez-vous et applaudissez comme signe d'assentiment'o".
Dans le canton de l'Janine Jengo Nday, Mamadu Nday et Massamba Nday tous
1
trois habitants de Rufisque mais ayant leurs lougans à Ngekox y furent appréhendés
par Sidy Seen chef de canton et amené devant le résident de l'Janine qui les fit mettre
aux fers. Ils étaient originaires d'unecornmune de plein exercice et se croyaient à l'abri
de l'arbitraire du chef." Ainsi les admir.istrateurs donnaient des pouvoirs exorbitants
aux chefs indigènes et se contentaient :;ouvent des rapports plus ou moins véridiques
qu'ils leur donnaient de leur canton."
PONTI ET U\\ CHEFFERIE INDIGENE
Malgré le mur de silence que le laxisme de certains commandants de cercle
avait construit autour des abus de leurs auxilliaires, des plaintes motivées parvinrent
'~ ""'o"""'S'
rY'-~ chez le gouverneur génér31 William Ponty qui dénonça à nouveau avec
force en Janvier 1913 leurs «agissements tyranniques, leurs exigences puériles et
ruineuses"". Dans une circulaire surla politique indigène, il reconnut que les nouveaux
chefs de canton entrés en fonction au lendemain de la suppression des grands
commandements, étaient loin de donner satisfaction. «Choisis parmi des gens
dévoués à la France sans doute, ils n'en étaient pas moins souvent étrangers aux pays
et aux races qu'ils devaient administrer. Pour s'imposer et résister, ils créaient autour
.,
":
58'
d'eux, dès le début, une sorte d'oligarchie destinée à les soutenir et constituaflt un parti
7
qui déplaisait presque toujours aux autochtones quand il n'entrait pas en lutte sourde
1:'f··::·
contre eux"». En un mot c'était mainteni~-~ous une autre forme une véritable féodalité
indigène dont la masse ne voulait plus.
La préoccupation de Ponty était donc de ramener l'autorité des chefs à ses
justes proportions, de les tenir en mainsle ne plus les laisser «maîtres incontrôlés de
la perception des impôts et des recensements par où la taxe légère imposée aux
indigènes devint une lourde contribution, non plus que dans les opérations de
recrutement qui (permettaient) les exactions les plus criantes et les abus de pouvoir
monstrueux75». C'était par les chefs indigènes mal contrôlés que surgissaient les
malentendus qui dressaient leurs victimes contre l'ordre colonial qui les avait permis.
Ce coup de semonce de Ponty contre la place trop grande réservée aux chefs
indigènes ne fut pas d'une grande
utilité. Dès le mois D'Août 1913 il dut préciser au
lieutenant Gouverneur le sens de ses instructions du mois de Janvier 1913. Il fit
comprendre aux administrateurs des cercles du Sénégal qu'il était résolument déter-
miné à ne plus s'en tenir à des conseils non suivis, à des instructions non appliquées.
Il leur réitera l'idée que les populations ne devaient plus être «à la merci de chefs trop
influents et mal surveillés.' •
Les chefs, ajouta-t-i1, devaient a ..oir un rôle de deuxième plan dans l'action
politique et administrative de la Francl3 sur les indigènes. Son objectif était donc de
diminuer l'importance exagérée qu'on leur avait laissée jusqu'alors dans l'administra-
tion des cercles.
Sans doute, devait-on les entour<:Jr encore de marques extérieures d'honneur
et de considération, puisqu'ils étaient des auxiliaires de l'administration. Mais la
diminution de leur autorité sur les populations devait être une constante de l'action des
administrateurs. Le maintien de l'appelation de pays de protectorat pouvait encore
faire illusion chez les non initiés. Ce vocable exprimait tout simplement l'idée que ces
territoires ne relevaient pas du conseil nùnéral. Rien n'interdisait donc de prendre des
mesures «pour la sauvegarde des intér{jts matériels des indigènes de ces régions et
pour l'amélioration de leur situation morale».
~~
!j tJ eî
Dans ces conditions les chefs'::;el"aient employés à des tâches de peu d'impor-
tance. Il fallait éviter «de les laisser prendre ou de leur octroyer le rôle de véritables
administrateurs de cantons ou de provinces 77". Leurs tâches pouvaient se borner à
renseigner l'autorité sur les événements, à fournir des indications sur la situation
économique, sanitaire des cercles et à coopérer à la police de la circonscription. Le
recouvrement de l'impôt ne devait plus faire partie de leurs attributions car ces
intermédiaires étaient tous des voleurs 7B
Pour virulentes qu'elles fussent, ces diatribes du gouverneur général étaient la
fidèle traduction de la situation lamentable des indigènes. Elles avaient leurs origines
dans l'immensité des cercles, la mulliciplité des circonscriptions administratives
secondaires et dans les difficultés de communication qui rendaient difficile le contrôle.
D'une manière ou d'une autre les administrateurs se déchargaient sur leurs chefs.
.
.
Aussi pour ne pas prêter le flanc aux critiques, préféraient-ils s'entourer de chefs
dociles et qui réussissaient, par les méthodes peu orthodoxes, à faire taire les
réclamations. Les rapports mensuels cles cercles étaient alimentés par les informa-
tions contrôlées par les chefs locaux. L'effectif squelettique du personnel européen
chargé de superviser le travail des chefs indigènes rendait plus difficile encore leur
surveillance.
La présence des chefs était encore indispensable malgré tous les vices du
système. Les sanctions continuaient de frapper ceux qui n'étaient pas assez adroits
pour cacher leurs turpitudes. En 1914 presque tous les chefs de canton des provinces
Sereer furent l'objet de poursuites administratives. C'étaient Yaxam Ley du canton
Sandog Njagariaw, Mbissan Coogorn cie Saw-Dimak et Ma joop de Mbadaan Sasal.
On leur reprochait d'avoir infligé des amendes à leurs administrés tout en gardant le
montant, de percevoir en leurs qualité de délégués de la société de prévoyance du
cercle de Kees des quantités de graines d'arachides supérieures à celles que les
sociétaires auraient dû normalementv'3l"ser et d'avoir vendu ces produits à leur profit. 79
Ils alléguèrent dans leur défem.e que ces amendes n'avaient d'autres but que
de rénumérer le travail des indigènes clui avaient procédé à la mise en greniers des
·
, prévOyar;,.:·~·pour
~~itS. Le~rs8
arachides de la société de
l'arachide ilS'reconnurent les
9
oIir./lt·
malversations s'élevaient à 2361 fr~fi<';'3Bo
Les principes propres à l'administration française étaient en porte à faux avec
les réalités sociologiques locales. Le ::alaire que l'on versait aux chefs était peut-être
suffisant pour entretenir une famille au sens occidental du terme, mais il était nettement
en de ça de ce qui était nécessaire pc Lir faire face aux dépenses qu'exigeait l'entretien
d'unefamille indigène. Même les chels Supérieurs, dont les revenus étaient immenses
en regard des miettes versées aux c:l(:,fs de canton, étaient condamnés à s'endetter
lourdement pour faire face à leurs ob!i~lations. En 1903 les dettes de Kumba Ndoffeen,
bur Siin s'élevaient à 12.000 francs l'Ijquivalent de son traitement annuel. 8' A sa mort
en 1911 l'ancien chef supérieur du Fé'Nol Occidental Salmon Faal, redevenu simple
chef du canton du Mbayard ne laiss,\\ en héritage que 180 francs soit l'équivalent de
sa solde mensuelle. Les dettes qu'il 0 mit coritactées se montraient à 6993,70 francs. 82
Il est dès lors aisé de compre!lclre pourquoi ils chargeaient leurs consciences
de tant d'exactions. Beaucoup d'en.J13 eux trouvaient dans l'alcool et les festins un
antidote à leur désarroi. Ils étaient dans l'ignorance totale des mécanismes d'une
administration moderne à laquelle ils n avaient pas été initiés. Rares parmi eux, furent
ceux qui avaient fréquenté l'école des lils de chef où la formation distribuée était plutôt
sommaire. L'enseignement se bornai'.,~ leurfaire acquérir quelques brides de la langue
française. La formation était négligée: II ors qu'elle aurait dû occuper une place de choix
dans le cursus d'hommes appelés il cliriger leurs semblables.
Ces chefs étaient hantés par la précarité de leurs fonctions. Plongés dans un
monde qu'ils ne maitrisaient plus e~ où ils étaient tenus d'appliquer une politique
détestée de leurs administrés, les chels se laissèrent aller à des excès dont certains
furent sévèrement sanctionnés.
En 1902 Salmon Faal chef du Bawol occidental était révoqué pour s'être
approprié le montant des amendes ai l"trairement infligées aux indigènes placés sous
son autorité. 8J La même sanction fmt=>::la aussi Moussa Awa et Yelbu Nday ctlels du
Saiioxoor oriental et du Mbul conv3incus de nombreuses exactions contre leurs
administrés."' Amadu Faal remplaçanl de Musa Awa connut le même sort en 1904.
.M,,~
" ,
Hg
5 9
Pourtant ce chef était fils de Ibra Fatil!I.Sarr qui avait donné des gages de fidélité à la
0
France\\~hommetrés digne avait eoJait refusé de sesoumettre aux bassesses que
f .• ".'0"
le commandant voulait lui imposer. " l'accusa alors de malversations et d'abus de
pouvoir et le fit interner au Gabon cal' le commandant pensait que sa présence dans
le Kayoor pouvait y susciter des troul:iles. " le remplaça par son homme de confiance
l'interprète Amadu NjayB5
Majama Faal du Lah fut révoql..;é pour malversation en 190586, le Bay Bayaar
Marof Faal contraint à la démission p·)ur le même motif."7 Le 2 Mars 1906 ce fut le tour
de Abdulay Joop fils de Lat-Joor qui fut remplacé par Jokunda Njay à la tête du canton
du Mbakol avec une solde fixe de 3.')00 francs par ans et 5% du montant de l'impôt
perçu.""
Les mêmes motifs furent invoqués lors de la révoquation du chef de Ndondool
etdu licenciement de ceux de Sandog et du Ndog. Une enquête fit découvrir que le chef
de canton de Peeg Sirima Sigee avail' gardé une partie de l'impôt perçu par ses soins.
1
•
Lors de la confrontation avec certain;; de ses administrés «qui, d'aprés lui, ne s'étaient
pas encore acquittés, il a été obligé d'avouer ses détournements. Une somme de 978
francs fut remboursée aussitôt par lui et i/ donna une liste d'animaux qu'il avait reçus
au titre de l'impôt et conservés chez lui,,"·. S'il fut maintenu en place, en revanche, les
chefs de Naning et de Joal furent exclus du commandemant pour le même délit.
Les changements fréquents à la tête du commandement indigène portaient
atteinte, à la dignité de la chefferie. Le;, chefs devenaient de vulgaires marionnettes à
la merci des caprices du commandao, qui les faisaient valser au gré de ses humeurs.
Les sanctions frappant les abus et les malversations n'avaient pas d'effet dissuasif sur
les autres. Les mêmes pratiques étaient régulièrement dénoncées par l'administra-
tion.
Le lieutenant-gouverneur du :,énégal Camille Guy émit "avis qu'aprés ces
nombreuses révocations il fallait marquer un temps d'observation afin de laisser
s'éteindre les rancunes des chefs é'/illcés, d'utiliser durant ce délai des intérimaires
soigneusement triés sur le volet av,',nl de prendre des décisions définitives. 90 A titre
.
,
:J J
f
intérimaire Ndaw Ngone Jeng, neveu,g*,Teen Tanor reçut le canton de Ndondool,
Samba Ba fils de l'ex ardo peul Pamel 9~l..celui de Kael. 1/ fut proposé par les notables
.
) .~~,?.y:1:'
.
' .
peuls de la région. Quand au canton Njed Ndogal soumis à l'influence des marabouts
mourides il fut confié à Meissa Njande I~@y "chef énergique et consciencieux», fils de
l'ancien Jaraaf Njambur Demba Saly'" En 1907 Birima Ngone du canton de Peeg
récidiva, 1/ avait à nouveau commis des exactions, perçu indûment des amendes,
réclamé deux fois l'impôt à des admin:strés. Il fut révoqué. Dès faits similaires furent
reprochés aux chefs du Gaat, de CWJ2 et de Ngewulmais ils ne tirèrent pas à
conséquence. Au total pour la seule annÉ:e 1907 treize chefs de canton furent révoqués
ou licenciés par le lieutenant-gouverneur du Sénégal pour "exactions détournement,
abus de pouvoir93». Quatre d'entre eux furent traduits devant les tribunaux de cercle. 9'
Guy pensa pouvoir améliorer la situation en proposant que le chef fût choisi "par ses
administrés et agréé par l'administration et touchant une remise de 5% sur l'impôt».
Mais cette innovation préconisée parle lieutenant-gouverneur ne saurait recevoir l'aval
des commandants de cercle. Car sélectionné selon de tels critères, le chef devenait
moins malléable que celui qui était dé~;igné d'office par le commandant.
Les révocations étaient accueillie, avec joie ou indifférence par les populations
selon qu'elles frappaient ou non des individus étrangers aux circonscriptions qui leur
étaient confiées. Les chefs dont les familles avaient le droit au commandement
n'abusaient pas de leur autorité au del"l de ce que tolérait la coutume. S'ils le faisaient,
c'était toujours avec une parfaite connaissance des ressources et l'état d'esprit de
leurs administrés. I/s conservaienttou(ours une certaine mesure dans l'injustice. En
revanche les parvenus voulaient à tout prix se constituer une fortune aux dépens de
leurs administrés. Ils ne s'avisaient jamais qu'ils portaient atteinte à des droits de
propriété tabou." Gris~ par le pouvcir ils prenaient aussi contre les membres de
l'aristocratie des mesures humiliante~; qui traditionnellement ne frappaient que les
badolo,
Les révocation des chefs notoirement véreux receva~ toujours l'approbation
de leurs victimes. Aussi l'éviction du Q.Jr Gaat fut un véritable soulagement pour tous
les habitants du canton heureux d'êtm débarrassés des parasites qui formaient son
,. -, .
~
entourage. Le départ de Birima Bigee di! Peeg fit cesser les réclamations qui ~ffluaie~t 9 2
-~·t~
chez le résident de Tu!. L'impôt y fut imrAédiatement perçu avec une plus value de 4283
:::. -1
par rapport au rôle précédent. Pour le ê-anton de Ndondoolles populations qui avaient
émigré au Siin rentrèrent dans leurs '/illages aprés la révocation du chef. L'impôt
difficilement perçu les années précédentes rentra avec une plus-value de 2500
francs. 96
Aprés la démission de Sidy See.,l du canton de Mbayar,l'administrateur de Kees
le remplaça par le nommé François G~ ancien tirailleur, chef de village de Keur
Farang. Il avait déjà accompli quinze ans de service militaire, participé aux expéditions
du Dahomey, du Haut-Sénégal Nig.3r, de Madagascar et avait même obtenu la
médaille avec agrafes ainsi que l'étoile noire du Bénin. 97 Son profil était conforme à
l'image qu'on se faisait de plus en plus du chef c'est à dire un homme capable de faire
marcher au pas son canton. La fréquence des révocations des chefs était l'indice que
l'administration ne devait pas se faire illusion sur leur loyalisme même chez ceux qui
n'accèdèrent à cette fonction que selc,n le bon plaisir des commandants de cercle. Le
reptilisme des uns et des autres, les proclamations de fidélité indéfectible à la France
n'étaient faites qu'avec le souci de couvrir des actions peu honorables. Pour les chefs
improvisés/e canton était source d'enrichissement. Tous les moyens étaient bons
pour s'y faire maintenir le plus longtemps possible. Il faisaient à tout moment preuve
de soumission absolue et totale jusqu'au jour où on leur faisait savoir qu'ils n'étaient
plus en faveur au prés du commandant.
Les chefs appartenant aux familles traditionnellement détentrices du droit au
commandement conservaient au coedr non seulement l'humiliation de la défaite
militaire, mais encore la rancune d'avoir été traités comme de vulgaires subordonnés.
Ils vouaient une haine implacable à l'administration coloniale et à ses agents. Le
contrôle du pays, qu'ils avaient toujour~; considéré comme leur fief, leur échappai!.98
D'une manière souterraine ils éssayèrent de reconquérir leur ancienne influence en
opposant toute leur force d'inertie à tout ce qui était susceptible de favoriser la diffusion
de la culture française. Leur action fut s'3nsible dans la lutte contre les progrés de l'école
française mais également dans le renforcement d'un certain conservatisme social
marqué par une préférence trés nette (les normes et valeurs locales.
593
La valse des chefs entraina la dém,hification de la chefferie qui perdit progres-
sivement son caractère sacré. Che;~~'les populations pour qui la chefferie était
.
/
l'institution dans laquelle s'incarnait la perennité du groupe, ces mesures provoquaient
un désarroi et les détournaient ~lJf;si de ceux qui passaient pour les auteurs de
ce sacrilège. Cette instabilité avait de grands inconvénients. En faisant et en défaisant
les chefs sans s'inquiéter de savoir s'ils appartenaient ou non au groupe ethnique sur
lequel s'é~ndait leur autorité, en «haïs:;ant ou en diminuant brusquement leur prestige
et leur autorité au regard des populations"''' l'administration les désht~t et annihilait
en eux toute bonne volonté. '°O
En définitive le morcellement des grands commandements aboutit à la carica-
ture des institutions traditionnelles. Orii:;;-aintenait plus en fonction que des chefs de
village ou de canton, rarement ceux de province qu'on ne rencontrait plus qu'au Siin.
Ces chefs, sans consistance, dépourvu,de toute légitimité, facilitèrent l'instauration de
,)
l'administration directe. N'étant plus ['3:, porte parole de leurs administrés mais les
mandataires dociles de l'administraticn, ils exécutaient toutes les directives qui leur
venaient des commandants de cercle. ils épousaient les idées des administrateurs sur
la nécessité de moderniser le pays pé.r une lutte sans merci contre les différents
archaïsmes qui freinaient son développement. Ils se montrèrent d'autant plus obéis-
sants qu'ils cherchaient, par ce moyen, à mieux dissimuler leurs malversations.'o,
Cette politique eut finalement do profondes répercutions sur le paysage social
malgré les correctifs apportés par William Ponty pour en atténuer les méfaits. La
liquidation des cadres naturels, armature de la société, mit l'administration en contact
avec une poussière d'individus méprisés de leurs administrés en raison de leurs
origines roturières et dont la seule présl3nce constituait un abîme entre l'administration
et les indigènes. Ces fantoches étaient perçus comme de vulgaires esclaves du
colonisateur et non plus comme les représentants de la collectivité qu'ils dirigeaient.
Ils pouvaient faire rentrer les impôts, construire des routes mais étaient incapables de
faire aimer la France. Avec eux les commandants pouvaient agir sans tenir compte de
la spécificité des institutions et des coutumes, que leur pays s'était engagé à
respecter. '''''
I/P
594
La désorganisation des cadres locaux, l'anarchie qui régnait dans le comman-
dement, la désaffection des populatl9J!ls vis à vis de tout ce qui émanait de l'adminis-
tration firent prendre conscience à l'autorité supérieure de la nécessité de gouverner
avec les chefs authentiques dans le respect de leurs habitudes et de leurs traditions.
Les colons n'étant pas le nombre, ne J:0uvaient pas en conséquence se substituer aux
autochtones.'oo Le succés de toutE' entreprise passait par le maintien des cadres
naturels et des institutions qui avaient fait leur preuve même s'il fallait les soumettre à
un contrôle strict. Eux seuls jouissaierlt d'une influence réelle dans le pays.
LE RETOUR AUX SOURCES
L'abandon de la vieille politiqu~ d'association au profit d'une hative politique
d'assimilation ne déboucha donc que sur un profond malaise des populations
indigènes. L'élimination des grande~; familles donnait certes à l'administration un fort
sentiment de sécurité. Car ces milieu>: étaient restés des centres d'opposition active
à la présence française. Mais leur remplacement par des chefs sans envergure se
révéla à la longue inopérant. Obnubilés par leur désir de plaire aux commandants, ils
se montrèrent incapables de comprendre les mouvements de fond qui agitaient les
populations indigènes.
Leurs maladresses augmentaient sans cesse le poids des incompréhensions.
La première guerre mondiale montrél aux autorités le manque total d'influence de ces
chefs sur leurs administrés. Pour recruter des soldats, ils étaient obligés de se lancer
dans de véritables chasses à l'homrr.e alors que ceux dont l'autorité émanait de la
coutume se faisaient obéir sans difficulté. comment remédier à ce malaise avant qu'il
ne fût trop~'C'est à cela que s'attacha le gouverneur Clozel. Reprenant les principes
posés par son prédecesseur Ponly, il '3xigea dans l'emploi des chefs de canton ou de
province, que les recrutés fussent du même groupe éthnique que leurs administrés et
de la même religion que la majorité de ceux-ci. Leur désignation se ferait conformément
à la coutume en vigueur dans le canlon ou la province en question. Le choix porterait
sur les candidats dont les familles avaient des droits historiques à fournir les chefs des
territoires en question.'04
595
Lors des vacances de postE!, la désignation du remplaçant se ferait en
conformité avec les traditions locales !lt,aprés «consultation des notables qui, en vertu
de la coutume et de leur fonction ou cie' leur situation sociale (avaient) qualité pour se
prononcer à cet égard'os». Clozel déclara son opposition absolue à ce que «des
commandements territoriaux ou des emplois d'interprète, de cadi, de membre d'un
tribunal indigène (fussent) donnés en récompense de service privés, quelque écla-
tants qu'(eussent) pu être ceux-ci'06».
Angoulvant le successeur de Clozel fut lui aussi du même avis de prendre, pour
gouverner les indigènes, les mêmes points d'appui que ceux sur lesquels on se fondait
pour le choix des anciens rois. Sans doute ne s'agissait-il pas pour la France de se
déssaisir de son autorité au profit des criefs locaux, «ni de les laisser administrer le pays
à leur guise,07». Mais il fallait aussi cesser de faire des chefs indigènes «de simples
figurants ou de vulgaires porte parole 6nleur enlevant peu à peu toutes les attributions
que leur (avaient) conférées les coutumes 10cales'08». Dans la situation difficile qui
prévalait, la voie de la sagesse passait par la fidélité à l'engagement pris par la France
de respecter les coutumes et les traditions des populations locales. Il ne saurait en être
autrement. La faiblesse numérique de l'effectif du personnel européen rendait indis-
pensable l'emploi d'auxiliaires naturels dans l'administration territoriale. Cette collabo-
ration ne serait efficace que si les chefs étaient convaincus de la stabilité de leur
fonction et que leur situation n'était «plus à la merci des caprices d'un administrateur
ou de quelque indigène plus ou moins taré de son entourage'09». Seraient définitive-
ment exclus du commandement tous ceux qui, par la naissance ou par les antécédents
n'étaient pas qualifiés pour l'exercer.' '" Les administrés trouvaient toujours plus sup-
portables les rapines des chefs naturels qui savaient jusqu'où pouvait se manifester
leur dureté, que les agissements délictueux des chefs "qui joignaient à la roture des
actes la vulgarité des propos."
Pour méritoires qu'elles fussent, ces mesures étaient insuffisantes pour apaiser
les rancoeurs, restaurer la confianco des chefs profondément ébranlée par les
humiliations que leur avaientfait subir lES commandants de cercle. Seule une politique
cohérente était capable de supprimel'lout ce qui alimentait les griefs des cadres, de
tl~iendre
p~urdéb~U~
reconstruire leurs forces morales, de
leurs intérêts matériels,
6
cher sur les apaisements désirés. La ~'üciété indigène, investie de toutes parts depuis
des décennies, portant partout des léza:'des béantes, retrouverait une certaine vigueur
qui lui permettrait de répondre positivement aux sollicitations du monde moderne. A
condition que son évolution se fit dans le respect de la tradition.
C'est dans cette direction qUE' s'orienta en 1917 le gouverneur général Van
.
.
Vollenhoven qui s'était rendu compte, que malgré tous les beaux discours sur le
loyalisme de l'Afrique française, la domination de la France y était superficielle. Elle
n'était pas parvenue à s'enraciner faute de n'avoir pas su s'appuyer sur les chefs
traditionnels, véritable armature de cette société.
Le 15 Août 1917 il décida d'exclure du commandement indigène tous ceux qui
n'appartenaient pas à la chefferie traditionnelle.' Il Ils avaient déjà' fait trop de mal à
l'administration en se comportant à l'endroit des administrés en vrais tyrans. Leurs
abus blessaient les administrés davantége dans leur dignité d'hommes que dans leus
intérêts matériels. Le recrutement des chefs ne serait plus une récompense attribuée
à des indigènes dévoués. Désormais la condition primordiale, devant présider à la
désignation du chef, serait l'autorité réelle qu'il aurait sur les populations de sa
circonscription. Du moment que le lien, unissant le chef à ses administrés, était plutot
moral qu'administratif, le choix porterait sur l'homme «accepté volontiers par la
population et désiré par elle'12». La d,i~ignation ne ferait que consacrer le voeu des
administrés. En d'autres termes c'étai1: dans la famille investie du droit au commande-
ment qu'on les recrutait désormais. 11C·
Le chef désigné se conformerait, avant· son entrée en fonction, aux rites
d'intronisation censé donner à sa personne son caractère d'inviolabilité. Mais ces
mesures ne seraient efficientes que si on/eur donnait une certaine continuité dans le
temps. Il fallait trés tôt songer à trouver des successeurs aux chefs désignés, et surtout
les préparer à remplir les fonctions qui leur seraient dévolues." 4 Que faire, puisque
depuis 1909 l'école des fils de chef a\\,ait cessé de fonctionner? Cette décision avait
été prise afin de ne plus éloigner de lEUr terroir les futurs chefs. En les soustrayant à
l'autorité paternelle et à «la bienfaisante tutelle de la tradition"5», on constata chez eux
"'!;""~' .
de graves écarts de conduite.
Les candidats, aptes à recueillir!a succession du chef en exercice, recevraient
désormais rapidement une instruction primaire. Car aprés 50 ans d'occupation
française au Sénégal, la plupart des ctlefs ne comprenaient ni ne parlaient français.
Dans une seconde étape on les associerilit à l'administration du cercle en leur confiant
des tâches secondaires de surveHla~ ce de chantiers, comme auxiliaires dans le
recensement et la collecte des impôts. Le tout se ferait «sous la direction du chef
indigène en exercice et sous le contrôle de l'administrateur commandant de cercle 116...
Le gouverneur général invita le lieutenant-gouverneur à intervenir auprés des com-
mandemants pour restreindre les sanctions surtout répressives dont ils abusaient
contre les chefs. Les mesures disciplinaires dans le cadre du côde de l'indigénat ou
la poursuite devant le tribunal de cerc'e ne devaient désormais être prises qu'avec
l'assentiment du chef du territoire, '" Van Vollenhoven s'était aperçu que la grande
lacune du système résidait dans l'absence de statut pour les chefs. Aussi en décida-
t-Hla création. Il voulait leur accorder un certains nombre de garanties et d'avantages
afin de compenser «la charge du commandement et les soins qu'ils (apportaient) à
l'accomplissement de leur mission 118... ir.dépendamment des tâches purement admi-
nistratives, les chefs étaient assujettis à cie nombreuses autres besognes. Ils entrete-
naient les messagers du commandant qu'ils devaient nourrir, hébergeaient et faisaient
manger tous ceux qui se présentaient chez eux pour des affaires qui relevaient de leur
ressort. Et pourtant les salaires qu'on leur versait étaient misérables eu égard à ces
fardeaux. Leurs salaires annuels dépassaient rarement 3.000 francs. 119
La restauration de l'autorité des cllefs impliquait l'amélioration de leur situation
matérielle, le lieutenant-gouverneur fut autorisé à supprimer dans les cercles quelques
emplois pour mieux les rénumérer.'20
Ces représ~ntants de l'autorité r,c·ur Van Vollenhoven devaient être logés avec
décence dans les habitations aux abords dégagés, se distinguant des maisons du
voisinage par leur propreté et leur belle tenue. On pourrait les construire avec le
concours du service des travaux publiGS et au compte du budget.'2' Pour la mise en
-"-?'. .
Hg
5 9 8
valeur de leurs terres, les chefs recevraient des outils, des semences sélectionnées et
des plans d'arbres. Ils bénéficieraiert!/1e l'assistance des agents de l'agriculture. Ce
qui serait une autre façon d'augmente.r leur rémunération. Les champs leur fourniraient
des revenus d'appoint qui viendraier.' enrichir leur maigres budjets. Ces champs
serviraient aussi de modèle aux administrés. 122
Le registre des sanctions ne su limiterait plus aux seules punitions. Les services
rendus seraient désormais récompemiés par des décorations qui ne seraient remises
qu'avec un grand cérémonial.'23
Ces mesures, selon le gouverneur général Van Vollenhoven étaient de nature
à mettre un terme à la désagrégatior, trop rapide de la société indigène et au malaise
qu'elle avait généré. Mais cela ne ~ignifiait nullement un retour à une politique de
protectorat au sens où ce régime iml:,liquerait une dualité d'autorité dans le pays. Car
malgré ce recours aux cadres indigènES, il n'y avait dans le pays qu'une seule autorité
: celle de la France. "La souveraineté française ne se partage pas 12'" dit le gouverneur
général. Les chefs indigènes n'avaient aucun pouvoir propre. Dans le cercle, n'existait
que l'autorité du commandant seul r93ponsable de tout le cercle. «Le chef indigène
n'(était) donc qu'un instrument un auxiliaire'25" qui mettait au service de l'autorité
)
supérieure son dévouement et sa ccnllaissance du pays pour un meilleur enracine-
ment de la domination française. Il ne devait donc parler qu'"au nom du commandant
de cercle et par délégation formb:,e ou tacite de celui-ci'26". Il appartenait aux
administrateurs de cercle de précisor :es tâches qu'ils voulaient bien confier à ces
auxiliaires.
Sans doute l'application de CI3:; instructions pouvait dans l'immédiat apaiser
l'amertume de la vieille aristocratie duublement humiliée par la défaite et son éloigne-
ment du commandement. Mais cett,: ·~irculaire ne faisait pas disparaitre les causes
profondes de leur désaffection vis ;:, 'lis de l'autorité française. Perçus comme de
simple auxiliaires ils n'étaient associl'," à aucune décision ni consultés à propos des
problèmes relatifs à leurs circonscriptions. Il n'étaient là que pout exécuter les ordres
qu'on leur donnait. En réalité c'était le Gommandant de cercle qui seul traitait les affaires
locales. L'administration était directe <-Jus des chefs noirs.
5 9 9
Le refus de restaurer les grands commandements maintenait chez les popula-
tions le vide psychologique provoqué'tpar la disparition de la royauté. Les petits
cantons indépendants les uns des autres consacraient la désagrégation du peuple qui
tenait à son unité. Chez les wolof C,Jrnme chez les Sereer l'Etat existait avant la
conquête. Chaque royaume était forte,llent administré avec des chefs hiérarchisés et
dont les commandements dépendaient de leur statut social. Ils trouvèrent dans l'islam
la compensation à la perte de leur unité politique. Cette religion leur permit de retrouver
leur cohésion rompue par la conquête.
Ce furent surtout les impératifs de la guerre qui rendirent aléatoire l'application
des instructions de Van Vollenhoven. Il lui a ainsi manqué le bénéfice du temps pour
en surveiller l'exécution et en mesurer le résultat. En effet il démissionna de ses
fonctions à la suite de la nomination de Blaise Jaan comme commissaire au recrute-
ment. Le nouveau promu sut exploiter avec dextérité les erreurs de l'administration.
Dès son arrivée il entra en contact av·~ les chefs pour les inviter à se conformer à la
tradition des ancêtres en matière de m:'Jbilisation. Il les pria de donner l'exemple en
s'engageant les premiers. Ils seraient alors suivis par leurs sujets. Ceux qui ne se
conformeraient pas à cette recommandation seraient privés de leur commandement,
et leurs prôches écartés de la cheffere de leur région en cas de vacance de poste.
Beaucoup d'entre eux se firent enrôler wivis de leurs anciens sujets. C'était le cas de
Mbaxaan Joopfi/s de Lat-Joor, de Han!ft Faal neveu de Birima Ngoné, de Sidi JoOp.'27
En attendant l'application de ces réformes, les exactions des chefs continuaient
comme par le passé. Les handicapés n'ôtaient même pas épargnés par la rapacité des
chefs. Dans le canton de Ndangaan, ra'Jeugle Bop Juuf du village de Jaxanoor remit
à Coli chef de village de Palmarin 43 francs pour une patente semestrielle sans en
recevoir de reçu. Peu aprés, Coli se renciit chez cet infirme, mit aux fers sa femme pour
l'obliger à payer 240 francs de patente nf1core. Ce qui futtait, mais là encore aucun reçu
ne lui fut remis. Coli infligea aussi des amendes, dont il s'appropria le montant, à des
femmes dont les maris n'avaient p8S pris part à la recherche des déserteurs. Il
confisqua les récoltes de tous ceux qui s'étaient enfuis à l'annonce du recrutement.
Pour l'impôt, tous les vivants quelque füt ,'âge, étaient imposés avec un taux de 8 francs
, .
".,".
6 a0
au lieu de 7 francs. Il mit la main sur les bestiaux de la fourrière à savoir 17 vaches et
15 génisses'2•. On pourrait multiplier les exemples de ces exactions des chefs même
g':, .
chez ceux nommés selon les critères traditionnels. Les uns et les autres poursuivirent,
à des degrés divers, des pratiques d'une orthodoxie administrative contestable. Mais
que pouvaient-ils faire d'autre dans la mesure où aucune décision ne venait leur
apporter légalement le bien-être auquel i:savaient droit. Nous n'entendons pas justifier
les procédés souvent cruels de ces chels vis à vis de leurs administrés. Nous voulons
simplement noter qu'en circonscrivant la crise sociale qui frappait les populations in-
digènes, au problème du choix des chefs, l'administration coloniale ne prenait que des
mesures dont l'efficacité n'était qu'illusoire. La prétendue rénovation du commande-
ment indigène n'avait changé que le personnel administratif, mais aucune modification'
n'était apportée aux méthodes de l'administration coloniale. Alors comme par le passé
on ignorait les besoins et les aspirations des administrés. Investie de toutes parts la
société indigène avait perdu toute autonomie. Les directives qu'appliquèrent les chefs
ne prenaient guère en compte les intérêts des indigènes. Les chefs n'avaient pas les
moyens de les infléchir puisqu'il n'étaient plus les représentants des habitants de leurs
circonscription mais les mandataires du pouvoir colonial. Leur rôle était de mettre au
service de la France, l'influence qu'il exerçaient encore sur les populations de par leur
naissance. Ils servirent donc de couverture à la politique qui en définitive désagrégea
leur société. Leur association à l'exercic8 du pouvoir, facilita la centralisation adminis-
trative qui permit de gouverner de la mëme manière les collectivités indigènes du pays
et ce, malgré la diversité de leurs institutions et de leurs coutumes. Il se trouvait encore
des 'commandants pour dire que les institutions locales n'étaient pas dignes d'être
maintenues ni dévelopées, que la civilisation française devait être imposée aux
populations.
La réforme de Van-Vollenhoven, comme celles qui l'avaient précédée, n'avait
de chance de réussir que si elle posait correctement le problème des atteintes subies
par le cadre social et les moyens d'y remédier. La transformation de la chefferie en une
hierarchie bureautique de fonctionnaires subalternes sans aucune prise sur les
décisions pouvait supprimer pour un temps l'intensité du mal mais non le mal lui même.
Le décret de Décembre 1920 créant le conseil colonial donna une plus grande
~
601
envergure aux chefs qui siégeraient dé~',ormais aux côtés des conseillers élus par les
quatre communes. Mais là aussi on.~:aperçut qu'ils étaient encore manipulés par
"administration qui les dressa contre leurs compatriotescitoyens français des quatre
communes.
PFiQFILS DE CHEFS
Nous aurions aimé disposer d'in,'ormations consistantes et faisant mieux suite
pour esquisser les portraits de quel~ues uns des chefs indigènes de l'époque
coloniale. Mais la grande instabilité com;tatée dans le commandement n'a pas permis
de le faire. Pour les motifs les plus diver~" ils étaient révoqués et leurs remplaçants les
suivaient souvent dans la chute aprés quelques mois ou quelques années de régne.
-.,
Les archives n'ont gardé d'eux que de 'Tlaigres souvenirs essentiellement centrés sur
\\,;,..
la relation des délits qui leur furent reprochés. La tradition locale n'est guère plus
prolixe. Elle les a presque tous conclamnés à un oubli total. Ne sont sortis de cet
anonymat collectif que ceux qui eurent la chance d'être longtemps à leur poste malgré
les aléas de la vie coloniale. Aliun Sylla de.llilm' et Makudu Sali du Geet ont fait partie
de cette petite troupe de privilégiés qui gardèrent leur commandement jusqu'à la
proclamation de l'indépendance en 1%0.
Le premier fut nommé chef de ('a:lton du.llilm' au Bawol sur les recommanda-
tions de son oncle Abd El Kader Ley des provinces Sereer. Originaire de Bargny il était
au départ perçu comme étranger dan~; cette circonscription peuplée essentiellement
de Sereer. Son appartenance au matrilignage xagaan trés influent au Kayoor fit
progréssivement disparaître les préventions contre ce lébu. Chef intelligent Aliun prit
des mesures pour s'attirer l'affection de:, administrés. Il décida de se faire Sereer avec
eux en apprenant leur langue et en se soumettant à tous les rites qui scandaient leur
existence. La tradition locale dit qu'il avait même pu se faire coopter par la société des
hommes hyènes du canton. Dès lors il ôtait au courant de toutes les intrigues qui se
tramaient dans le canton. Car c'était lo's des réunions nocturnes de cette société que
l'on arrêtait les décisions relatives aux f'. réoccupations du canton et éventuellement les
sanctions contre les manquemants à la loi coutumière. '29
f(R
6
Aliun utilisait ses griots pour accréditer l'idée qu'il n'étaitlà que pour les défendre
contre les sévères exigences de l'a,qil),inistration, Il déclarait toujours que les ordres
j
dont il demandait l'application, étaie,1! nettement en deça des directives qu'il avait
reçues de l'administrateur':JO En les E:xécutant donc à la lettre, ses administrés écar-
teraient l'éventualité de son remplacernent par un homme plus docile et par consé-
quent plus brutal à leur endroit Cettn politique fondée sur la ruse faillit toutefois lui
coûter son poste lors des opérations de recrutement de 1914, Au lieu de faire appel
à ses administrés il essaya de recruter des Sereer étrangers à son canton provoquant
aussitôt leur soulèvement Il fut blâml3 pour ce matit 131 Mais ses administrés eurent
tous la conviction que ce chef défendait avec courage et ténacité leurs intérêts. Cette
bonne entente entre Aliun et ses sujet; était en elle même compromettante, A tous les
recrutements le chef fournissait rapidement le quota demandé à son canton. Les
populations avaient confiance en lui. Mais il est vrai qu'avant le départ des recrues il
faisait venir à ses frais beaucoup de marabouts et d'initiés Sereer qui priaient pour le
retour sans accroc des jeunes gens d,ms leurs familles.'32
La jalousie qui nait souvent du ,;Lccès multiplia les commérages et les insinua-
tions malveillants contre Aliun, Beaucoup de chefs de canton aux prises avec le
douloureux problème du recrutement accusèrent Aliun Sylla d'attirer dans son canton
les déserteurs et les insoumis. En 19'18 l'administrateur Brocard du Siin-Salum osa
affirmer qu'il recevait une rémunération pour l'asile ainsi offert. Mais l'enquête diligen-
tée par le lieutenant-gouverneur Levecque fit rapidement justice de ces accusations
sans fondement 133 Aliun Sylla nous apparait avec l'éclairage du temps comme un
homme adroit qui sut tenir le langage adéquat à l'autorité supérieure et à ses
administrés,
Quand il accédait au command,~rnent de la province du Geet en 1902, Makodu
sali n'avait que vingt ans environ. fils de Bunama frère de Dembawar Sail et de Kange
Jey, Makodu était garmi dorobe. Ce statut social conférait une certaine légitimité à son
commandemant même si sa circonscription avait de tout temps été le fief des Joop,
Comme tous les garmi titulaires d'une chefferie il adopta une attitude ambiguë, Face
à l'autorité coloniale il donnait des gages de loyalisme en faisant exécuter les directives
603
du commandant de Tiwawan tout en proclamant par ses propagandistes qu'il le
méprisait. Ils l'avaient même surnommé dans leurs chants la "terreur des Blancs".
.;':.',
A la suite d'une querelle relativt3 à la délimitation de sa frontière avec le Jolof de
Buna Nday, Makudu envahit les villagl3s contestés provoquant du coup l'affrontement
•
avec le Burba. Makudu avait peut-être oublié, sous l'emplf8ç de la colère, que la seule
province du Geet ne disposait pas de forces suffisantes pour défaire le Jolof. La
supériorité numérique des troupes de son adversaire "obligea à battre en retraite.
On peut se demander pourquoi Makodu, s'était risqué à cette aventure. Il savait
que le Jolof et le Kayoor ne relevaie:lt plus que de l'autorité de la France, que son
pouvoir comme celui de son rival n'émanait plus de la loi coutumière. N'avait-il pas été
poussé dans cette entreprise par des gans qui voulaient le perdre? Nous aurions aimé
connaitre le rôle de l'administrateur de Jiwawan dans cet affrontement parce que dans
ses rapports il n'étaitjamais tendre avec Makodu. Des informations le concernant nous
retenons sa grande compétence et son immense orgueil. Son statut de garmi qui le
hissait au sommet de la hiérarchie sociale traditionnelle explique peut-être ce trait de
caractère. Les administrés sont unanimes pour saluer ses sentiments d'équité en
matière judiciaire. En revanche les administrateurs ne semblaient pas l'avoir en grande
estime. En 1913 l'administrateur D,my lui reprochait de vouloir ignorer la réforme
intervenue dans l'administration et qui limitait les fonctions des chefs de province aux
pouvoirs surveillance et de contrôl'3 de leur circonscription. Ils n'avaient plus à
s'occuper de l'administration des pro'/inces. Les chefs de canton devenaient donc
réellemenbt les chefs devant s'occuper réellement, de l'administration de la circons-
cription. '34
Makodu Sali voulut conserver la surveillance sur la province du Geet tout en
exerçant l'administration des canton~'cie Sagata, de Mérina Geet et des Peuls de Ndur.
Parmi ces trois cantons celui de Ndur était le plus important pour lui. Mais la mobilité
des Peuls rendait difficile leur recensement. C'est pour cela que Makodu émit la
prétention d'aller recenser ces famille:; peuls sur les cantons où elles étaient établies
et de conserver sur ces peuls le haut commandemant. On lui supprima son titre de chef
des peuls de Ndur.'J5 Cet exemple illustre le caractère de Makodu qui passait auxyeux
60 4
de ses administrés et des pairs comme lin homme ferme, autoritaire ne cédant jamais,
sans avoir lutté jusqu'au bout chaque fpirqu'il était convaincu que le droit était de son
côté.
Les modifications apportées au fonctionnement normal de la chefferie contri-
buèrent à accélérer le processus des transformations jugées indispensables par le
conquérant au triomphe de son oeuvre de colonisation l'exploitation des ressources
matérielles et humaines put ainsi se faire sans grandes difficultés.
1- Maunier : SOCIOLOGIE COLONIALE, 1932, (pages 34-35).
2- Maunier : Op. cil., (page 35).
3- Forgeron: Op. cil., (page 65).
4- Despagnet : Op. cil., (page 215).
5- A.N.S. 13 G 75: Administrateur de:; Colonies, Ch. Mathieu, Cercle de Luga à
Gouverneur du Sénégal, 7 Janvier 19'; 7.
6- Tabaski : Fête qui commèmore le S3crifice d'Abraham.
7- A.N.S. 2 G 1 97: Rapport mensuel Cercle de Luga, Juillet 1898.
8- A.N.S. 2 G 1 116: Rapport mensuel Cercle de Tiwawan, 5 Septembre 1897.
9- A.N.S. 13 G 71 : Camille Guy auGoU'verneur Général, Saint-Louis, le 10' Juin
1907.
10- A.N.S. 13 G 71 : Idem.
11- A.N.S. 2 D 14-2 : Chaudre à administrateur de Tiwawan, Saint-Louis, le 11 Juin
1897.
12- A.N.S. 2 D 14 : Chaudre à administrateur Tiwawan, Saint-Louis, le 11 Juin 1897.
13- A.N.S. 13 G 50: Dossiers de chefs Dembawar, 22 Novembre 1897.
14-lbidem, idem.
15- A.N.S. 2 D 14-2 : Administrateur Leclerc au directeur affaires indigènes, 28 Fé-
vrier 1897.
16- Ibidem, idem.
17- A.N.S. 2 G 1 118 Administrateur Tiwawan : Rapport politique, 3omO trimestre
1898.
18- A.N.S. 13 G 50 pièce 4: Dossiers des chefs, 15 Juin 1894.
19-1bidem, idem.
20- A.N.S. 13 G 50: Dossiers de chefs Majoor Cooro, Sangone Joor, Abdulay
Joop, Yebbu Njay.
21- A.N.S. 13 G 50 : Dossier Ibra Fatim Sar, 1894-1895.
22- A.N.S. 2 D 14-11 : Vienne, rapport rEllatif à la réorganisation du cercle du
Kayoor, 10 Juin 1909.
23- A.N.S. 13 G 71 pièce 63: Réformes pays de protectorat, 1"' Juin 1907.
24- Ibidem, idem.
25- A.N.S. 13 G 71 Camille Guy: Suppression des Grands Commandements, 10r
Juin 1907.
26- AN.S. 13 G 71: Camille Guy à Gouverneur Général, 1'"Juin 1907.
27· AN.S. 13 G 71 : Idem.
28· Forgeron: Op. cil., (page 49).
29· Voir chapitre sur l'Islam et la colonisation.
30· AN.S. 2 D 14-11 : L'administrateur du cercle du Kayoor au Gouverneur, 21 Dé-
cembre 1911.
31- AN.S., ibidem.
32- AN.S., idem, ibidem.
33· Forigé: MONOGRAPHIE DU CERCLE DE LUGA, 1904.
34- Circulaire du Gouverneur Général William Ponty sur la politique indigène, 22
Septembre 1909.
35- Idem.
36- Idem.
37- A.N.S. 2 D 14-11 : Inspection des affaires administratives des Cercles, 1909 Ti-
wawane.
.
38· 2 G 1-97 : Rapport 1er trimestre du cercle de Luga, 1898.
39- A.N.S. 13 G 71 : Réformes pays de protectorats, 1erJuin 1907.
40- A.N.S. 13 G 51 : Bulletin individuel de note 17 Août 1897, Mawade Sow.
41- AN.S. 2 D 14·11 : Gouverneur Général AO.F. à Gouverneur Sénégal, 2 Mai
1904.
•
42- Ibidem, idem.
43· A.N.S. 2 D 14 11 : Gouverneur Général AO.F. à LI gouverneur, 2 Mai 1909.
44· A.N.S. 2 G L-38 : Provinces Sereer.
45- A,N.S, 2 D 814: Administrateur du Siin Salum à Lieutenant-gouverneur Kao-
!?C:!-:l 19 Fé'/r!sr 1912.
46- AN,S, 2 G 129 : Saint-Louis, le 7 Septembre 1912,
47 - A N.S. 13 G 75 : L'administrateur maire de Luga à Delafosse, Janvier 1917
48- AN.S. 13 G 72: Lieutenant-Gouverneur du Sénégal à Gouverneur Général, 25
Août 1916,
49· A.N.S, 13 G 72 Gouverneur à Lieutenant-gouverneur Sénégal, 14 Septembre
1912.
50- A.N.S. 2 D 14·6: Pétition des gens du Kayoor, Mexe le 5 Février 1912.
51-Ibidem, idem.
52- AN.S. 2 D 14-11 : Ponty à LI Gouvernuer du Sénégal, Dakar le 14 Septembre
1912.
53- A.N.S. 13 G 71 Lieutenant·Gouverneur du Sénégal à Gouverneur A,O,F., 1er
Juin 1907,
54- A.N.S, 2 G 2-40 : Rapport politique Tiwawan, Janvier 1902
55- A.N.S" Idem.
56- A.N.S, 2 G 2·18 : Rapport annuel des cercles; 1902
57- AN.S. 2 D 14-4 Allys Commandant Cercle de Tivaouane à Lieutenant-Gouver-
neur, 26 Janvier 1905.
58- AN.S. 2 G 1-162: Rapport trimestriel Cercle de Dakar-Kees 3" trimestre, 1898.
59- Maunier Op. cil., (page 132),
60- A.N.S. 2 D 135: Administrateur Lefilliatre à LI Gouverneur, 12 Mai 1905.
61- A.N.S. 2 D 15 1 : Cercle de Noro, 1896,
62- AN,S, 2 D 9-3 LI Schneider: Comandant poste de Luga au Directeur des affai-
res politiques, 1887,
63- AN, S. 2 G 2-40 : CC"i~i~,::, ~ -: ,":c ~_'""c ""~'~'c~ ii-isr,~ ,-'oc 1.L,CC:: ~ 2=2,
64- A.N.S. 13 G 71 Pièce 63: Lieutener,t-Gouverneur du Sénégal au Gouverneur
général, 1e'Juin 1907. c · .,
65- Idem, ibidem.
66- A.N.S. 2 D 14-11 : Lieutenant-Gouverneur du Sénégal à Gouverneur AO.F., 17
Avril 1909.
67- A.N.S. 4 G 12 : Mission pherivo, 1!~11.
68-ldem.
69- Le Petit Sénégalais n° 194, livraison, du 11 Mai 1913.
70- Le petit Sénégalais n° 194, livraison du 11 Mai 1913.
71- A.N.S. 2 D 137: Pierre Cadeau Conseiller général à Lieutenant-Gouverneur, 1e,
Mai 1910.
72- A.N.S. 4 G 12 : Observations de P'Jnty à la note de Pleurey, 21 Avril 1911.
73- A.N.F.O.M. AO.F., 19 Rapport politique indigène, 21 Janvier 1913.
74-ldem, ibidem.
75- idem, ibidem.
76- A.N.S. 13 G 75 : Ponty Au Lieutenant Gouverneur du Sénégal Circulaire sur le
rôle des chefs indigènes dans l'administration des cercles, 27 Août 1913.
77- AN.S. 13 G 75: Ponty au LI GouV8'11eUr, circulaire sur les chefs indigènes 27
Août 1913.
78- A.N.S. 13 G 75 : Idem.
79- AN.S. 2 D 13-7 AdministrateurCercle de Kees à LI- Gouverneur Sénégal.
80- A.N.S., idem.
81- AN.S. 2 D 8-1 : Administrateur Cercle de Siin Salum, Avril 1903.
82- AN.S. 2 D 8-1 : Administrateur Cercle de Siin Salum, Avril 1903.
83- A.N.N. 13 G 51 Bulletins individuels de notes, dossier Samon Faal, 18 Août
1902.
84- A.N.S. 2 G 2-40-1902: Allys: Tiw"wan, rapport mensuel Août.
85- A.N.S. 2 G 4-26 : Tivaouane, rapport d'ensemble, 25 Août 1902. Amadu faal fut
gracié en 1909 (2 D 14-5, 11 Septemtm 1909).
86- A.N.S. 2 G 5-8 LI-Gouverneur à Gouverneur Général A.O.F., le 29 Décembre
1905.
87- A.N.S. 2 G 5-8 LI- Gouverneur à GGuverneur Général AO.F. Rapports politi-
ques, 27 Juillet 1905.
88- AN.S. 2 D 14-4 Administrateur Tivaouane à LI-Gouverneur, Mars '1906.
89- A.N.S. 2 G 6-3 1906 : Rapport situation politique LI- Gouverneur à Gouverneur
Général 13 Octobre.
90-AN.S. 2 G 6-3 Camille Guy à Gouverneur général, 13 Octobre 1906.
91-ldem.
92- A.N.S. 2 G 7-9 : LI-Gouverneur Sénégal à Gouverneur Général AO.F. 1 e, tri-
mestre 1907.
93- A.N.S. 13 G 71 pièce 63: Réformes des pays de protectorat 1e'Juin 1907.
94-ldem.
95- Dans certains canton il y a des viJlaçJes dont les habitants ne payaient jamais
l'impôt.
96- AN.S. 13 G 71 : CamiJle Guy réor'.Jimisation administrative du Sénégal, 1e' Juin
1907.
97- AN.S. 2 D 13-7 : Administrateur de Kees à Gouverneur, Novembre 1910.
98- A.N.S. 2 D 8-6: Noirot Rapport politique, 4 Août 1894 Kaolack.
99- 2 D 14-11 : Gouverenur général Ponty au Lieutenant-gouverneur du Sénégal,
14 Septembre 1912.
100- Idem.
1/'
60 7
101- Labouret: A LA RECHERCHE D'UNE POLITIQUE COLONIALE. B.C.A.F.,
1939, (page 494).
. k
102- Delavignette : Op. cit., (page 96).
103- Labouret: PROTECTORAT OU ADMINISTRATION DIRECTE EN OUTRE-
MER. Revue général de colonisation, 1929, (page 88)
104- A.N.S. 2 D 14-7 Clozel : Gouverneur général AO.F. à Lieutenant-gouverneur
sénégal, 29 Avri/1916.
105-ldem, ibidem.
106-ldem, ibidem.
107- A.N.S. 13 G 75: Gouvereneur g3riéral à LI-gouverneur général Sénégal, 22
Août 1916.
108- Idem.
109- AN.S. 13 G 75: Gouverneur général Angoulvant à lieutenat-gouverneur séné-
gal, 22 Août 1916.
110- Idem, ibidem.
111- Van Vollenhoven : Circulaire au sujet des chefs indigènes J.O. AO.F., 18 Août
1917.
112- Idem, ibidem.
113- Idem, ibidem.
114- Van Vollenhoven : Circulaire sur les chefs indigènes J.O., A.O.F., 18 Août
1917.
115- Idem, ibidem.
116-ldem, ibidem.
117-idem, ibidem.
118- Van Vollenhoven, circulaire du 15 Août 1917.
119- Idem, ibidem.
120- Idem, ibidem.
121-ldem, ibidem.
122- Van vollenhoven : circulaire du i ~j Août 1917.
123- Idem, ibidem.
124- Idem, ibidem.
125- Van Vollenhoven, circulaire du '15 Août 1917.
126-ldem, ibidem.
127- Voir chapître sur le recrutement.
128- AN.S. 2 D 8-3: Sadaux rapport ôs Tournée du 5 au 14 Février 1919.
129- Jeen Juuf notable à Ndidor, co~versation, Mars 1980.
130-ldem.
131- A.N.S. 2 D 7-10 Cercle du Baal Antonetti, le 2 Décembre 1914.
132- Jeen Juuf: Conversation Mars 1980
133- 2 D 7-10 Levecque à administrateur de Kaolack, 6 Septembre 1918.
134- 2 D 9 20: Luga, le 28 Septeùmbre 1913 au Gouverneur.
135- 2 D 9-20 : Administrateur Cercle de Tivaouane.
LES MESURES COERCITIVES
CHAPITRE 4
6 0 !
LE n'l/h/AIL FORCE
Refusant toute tolérance en mat:ère économique, l'autorité coloniale décida de
transformer rapidement le Sénégal en dépendance économique de la France. Pour ce
faire, elle eut recours à un arsenal coercitif pour contraindre les populations à se
soumettre avec une totale docilité à ses idées et àses lois. Le code de l'indigénat, la
fiscalité, le travail forcé et le travail obliuatoire furent les principaux instruments de cette
politique tendant à faire passer les popl;lations de l'économie d'autoconsommation à
celle de marché.
Au lendemain de la conquête, l'a:Jtorité coloniale constata que l'obstacle le plus
sérieux à la mise en valeur du pays résidait dans l'insuffisance de la main-d'oeuvre.
Pour remédier à cette disette de moy:ms matériels et humains, elle prit des mesures
pour forcer les indigènes à travailler aux grands travaux entrepris au profit de l'intérêt
général ou à louer leur force de travailler aux particuliers. On invoqua alors la paresse,
J'indolence, l'imprévoyance du Noir pour justifier des mesures incontestablement
draconiennes,'
Au sénégal comme dans le r€s~e de L'A.O.F., L'Européen ne pouvait guère
coloniser en raison des difficiles conciitions climatiques. Il était dans l'impossibilité de
travailler lui-même le sol. Son but étaiè de faire fortune le plus rapidement possible et
de rentrer en Europe. Pour lui, les populations locales n'étaient que des troupeaux à
préssurer, Il ne pouvait obtenir un profit substantiel dans les contrées qu'il exploitait
que s'il obtenait la main-d'oeuvre à béiS prix. Le travail forcé et le travail obligatoire
formèrent un faisceau de mesures tout à fait favorables à l'exploitation des indigènes
par Je colonisateur. Pour justifier le reGours au travail forcé on émit l'idée que la mise
en valeur des colonies passait néces~;airement par le travail des indigènes qu'il fallait
soumettre par la contrainte au travail qJ'i~ ne voulaient pas faire de plein gré. Ce labeur
réquisitionné n'était employé que pOlir des travaux d'utilité publique. Cette modalité
r.
6 1 0
permit de créer des routes qui attémi!J.r,ent les méfaits du p&age et ouvrirent des
régions enclavées à l'économie de marché.'
Les prestations ou corvées étaient des contributions accessoires à l'impôt.
Elles étaient imposées aux indigènes, non comme une obligation traditionnelle, mais
comme un devoir de par leur qualité de sujets français. L'administration y recourut dès
le lendemain de la conquête car le:5 ressources de l'impôt étaient notoirement
insuffisantes pour couvrir les dépens()s qu'exigeaient les travaux publics.
Aussiassigna t-on aux corvées 1'3 même but qu'à l'impôt àsavoir qu'elles étaient
des moyens simples et efficaces pour obtenir la participation des autochtones "à la
création et à la mise en oeuvre de l'outillage économiqueJ»du pays. Les travaux étaient
faits sous le contrôle des command2.nls de cercle' qui traçaient annuellement un
programme de travaux à exécuter. En elfet la construction des routes et leur maintien
étaient le fait de l'administration locale et non du département des travaux publics. En
principe, ces prestations devaient posséder les mêmes qualités que l'impôt. En
d'autres termes elle devaient être juste" "procurer aux indigènes certains avantages,
être équitablement réparties entre eux et d'un emploi facile'». Dans la réalité ce
système ouvrit la porte à toutes sorte~; d'abus. Beaucoup d'indigènes, éloignés des
lieux de travail y échappèrent. Comrr,e l'impôt de capitation, les prestations ne
frappèrent que ceux qui vivaient dans il" territoire OlJ s'exerçait réellement l'action de
l'autorité administrative. Commandants, de cercle et chefs de canton conjuguèrent
leurs efforts pour obtenir cette main-d'oeuvre essentielle à la construction des routes,
des ponts et des rades, bref à tout ce qui était de nature à faciliter la mainmise française
sur le pays. Il ne nous paraît pas utile de revenir ici sur les incontestables excès des
chefs et des administrateurs lors des réquisitions de celte main-d'oeuvre. 5 Aussi vit-
on dans le travail forcé un régime "habillement plagiaire de l'esclavage"". Car en forçant
au travail des indigènes on portait alle;nte à leur dignité d'hommes. 7 Les artifices
littéraires utilisés pour attribuer au trava;! forcé une valeur éducative ne purent cacher
les atrocités qui l'accompagnaient. PaJ1<Jut les voies de communication furent obte-
nues au prix de nombreuses pertes en ·,ies humaines. L'administration réquisitionna
le labeur des indigènes pour créer, à moindres frais, les infrastructures de communi-
· <i.. ,.
6 11
cation qui, en permettant l'accélération de la vitesse de déplacement des hommes,
supprimerait la plupart des obstacles q~~;'t"opposaientencore au contrôle total du pays
par la France. Dans tous les cercles 18S commandants avaient recouru aux corvées
avant l'institution officiel du travail forcé.
Dès 1893 l'administrateur Noirol. fit ouvrir par le système des prestations la route
Funjuri-Noro, Funjuri-Fatick. B Pour la r~)ute Kees-Fissel-Mbadaan on fit appel aux
corvées et à des travailleurs salariés. La modicité du budget régional n'autorisant pas
de prendre plus de 20 salariés pour cette tâche, des directives furent alors données
à Sanor des Provinces Sereer pour que le débroussaillement fOt entièrement fait par
des corvées ainsi que le dessouchagll. De cette façon les salariés n'auraient plus à
s'occuper que du terrassement, ce qui ferait avancer rapidement le rythme du travail.9
Devant les résultats obtenus grâce au labeur réquisitionné, l'administration
décida de généraliser l'emploi des prestations. Chaque administrateur entendait
couvrir son cercle d'un réseau de routes et de pistes pour en faciliter le développement.
Entre 1894 et 1898 Je cercle de Dakar-Kees construisit de nombreuses routes. Aussi
Kees fut relié à Fissel, à Tul, à Jurbel. Sur cette route vint s'y greffer celle reliant Tul à
Tiwawan. Une autre route longue de 50 Km reliait aussi Kees à Naninq en passant par
Babak, Xaban, Gilack et Saren. Cette "cie facilita le contact entre Naninq et l'intérieur
dont il était jusqu'alors séparé par une épaisse forêt de 25 Km d'étendue à travers
laquelle les âniers et les chameliers ne passaient que difficilement. La route Ngurijan-
Tul~t celle de Kees-Tiwawan complétè',-ent le réseau routier du Bawol occidenta!.'o
Dans le Bawol oriental une grand'9 route fut ouverte sur une longueur de 48 Km.
Passant par Jurbel, elle se prolongeai, par le sud par Jaxaw et Kaoclak pour aboutir
à Noro. Vers le Nord cette route se cnntinuait par le Geet, le Njambur, le Walo pour
aboutir à Richard-Toli. Cette voie de communication, l'une des plus importantes de la
colonie, développait sur un parcours de plus de 300 Km un chemin de commerce
traversant la colonie du Nord au Sud.
De cette voie parallèle à la voie ferrée, mais située à une centaine de kilomètres
à l'Est, on drainait aisément les produits de l'intérieur. ~ marche des
J'.JO'
n=
ur l.
caravane!' était facilitée par l'établissement de puits et de gîtes d'étapes, Ainsi fut
.".j"
étendue la zone commerciale des trè~~actions.ll
Le cercle de Tiwawan ne fut pas en reste. Il raccorda certaines de ces routes
à celles du Bawol et ouvrit des pistes de production. C'est par le travail forcé que la
...;;... '
.
route Mexe, Pekes-Cilmaxa fut constfuite ainsi que celle de Mexe, Mbaba Garage,
Bambey. S'y ajoutaient aussi les routos de Mexe et de Gewul à Raw. Ainsi au début du
siècle le Kayoor s'était doté en une année d'un réseau de 1200 Km de voies de
communication dont l'entretien était confié aux chefs de village sous la responsabilité
des chefs de province. 12
Le cercle de Luga connut pareillement une grande mutation routière grâce au
travail forcé. Les routes Luga-Njaan, IJ;:ga-Celeman, Luga-Nomre furent terminées en
1897. En 1898 le cercle acheva la cOl1E,truction de 160 Km de rou~es reliant Lugaaux
principaux villages du Njambur et du ,lolof. 13 Des gîtes d'étape furent construits le long
de ces routes afin de permettre aux chameliers et aux animaux porteurs de se reposer
dans des endroits dotés de puits."
Si ces corvées de route n'occasionnèrent pas des exodes massifs de popula-
tions parce qu'elles y trouvaient leur compte, il en était différemment quand elles ne
percevaient pas dans l'immédiat l'utilité de la besogne qu'on leur faisait effectuer. On
constatait alors leur mauvaise volonté pour les travaux de prestation. Elles devenaient
de plus en plus indociles, de plus en plus refractaires aux réquisitions.
II en fut ainsi dans le Salum oriental en 1896 lors de la construction de la ligne
télégraphique devant relier Kaolack au Sénégal oriental. Les grosses corvées néces-
sitées par le transport d'un matériel considérable et le percement d'une large route à
travers une forêt puissante étaient Ur:le tâche qui dépassait les possibilités d'une
population dont la densité était particulièrement faible. A cet effort physique excessif
qu'on leur demandait, leurs chefs ajoutaient leurs exactions. Demmolel et Ahib, les
deux fils du chef de coin profitèren:: des moindres défaillances pour pressurer les
villageois réquisitionnés à coups d'amendes qu'ils empôchaient, bien sûr, pour leur
compte personnel. Les habitants exaspérés par ce difficile labeur et ces mesures
.~ . -'
N~
6 1 3
vexatoires prirent la résolution d'émigrer en masse dans la Gambie voisine. Le déclic
. , ' "
~-
,
avait ete provoque par une amende do '150 Irancs infligee par Oemmolel à un habitant
. ; .
de Kungël qui était chargé de ravitail1t3r les travailleurs en eau potable et que le chel
accusait de n'avoir pas travaillé du tou!. Ce qui était contraire à la vérité et qui provoqua
la réaction que l'on sai!. Les habitants da Kasasa, de Taba, d'Ida, de Kulania, Lampur,
Kungël, Kumbija, Voron, Kasew se résolurent à l'émigration pour se soustraire à leurs
oppresseurs. L'administrateur régla ln problème par la révocation des chels incrimi-
nés.'5
Cette mesure lit baisser la tenCon mais ne supprimait pas radicalement les
)
causes du mécontentement des populations contraintes de travailler comme des
bagnards sur les chantiers de l'administration. Il n'est moralement pas défendable de
lorcerdes innoncents à travailler gratuitement pour le compte de l'Etat, de leur infliger
des châtiments corporels, des amendes pour des lautes souvent imaginaires. Ce
travail qu'on exigeait d'eux aurait dû être le résultat d'un contrat entre les employés et
leur employeur et ce contrat aurait dü i!tre consenti de part et d'autre. Les réactions
brutales souvent tragiques provoquéIls par les prestations amenèrent les autorités à
les rendre moins insuportables. En 1W9 le lieutenant-gouverneur du Sénégal préco-
nisa de nouvelles modalités d'utilisation de la main-d'oeuvre par l'allocution d'une
rénumération équitable aux indigènes qui seraient désormais employés aux travaux
d'intérêt général.' 6
Cette limitation de l'emploi de indigènes prestataires procédait du souci de ne
plus imposer sans retribution des charçJ~s aux populations. C'est dans cet esprit que
lut pris l'arrêté du 25 Novembre 1912 du gouverneur général stipulant que les
indigènes ne pourraient être astreints aux prestations précis que pour l'entretien des
voies de communication. Il Ce lut en 1914 seulement qu'un arrêté réglementa au
Sénégal la prestation des indigènes en pays de protectora!.'· Cet acte disposait que
les sujets étaient assujetis dans chaque cercle à un nombre de journées de prestation
précisé par un tableau avant le 1e'Oécembre de l'année précédente. Les prestataires
le désirant, pourraient racheter leurs journées de prestation. l'administration indique-
rait pareillement le taux de la ration puur les prestataires travaillant à plus de 5 Km du
lieu de leur résidence.'·
f/9
614
Par cet acte, on créa donc un~:irilpôt personnel supplémentaire payable en
journées de travail ou er;J argent. En .,flet toute liberté était en principe laissée aux
'(-
indigènes de s'exonérer%ette obligation par le paiement de la taxe de remplacement.
Mais en raison du grand nombre de jcumée (entre 8 et 10) et du taux élevé de rachat
(4 francs), rares furent ceux qui firent le rachat. 20 Les indigènes y étaient déjà habitués,
car cet arrêté ne faisait que consacmr le fait en régularisant un état de choses
antérieurement existant. Comme avec l'impôt de capitation, le régime de la prestation
fut une source d'abus pour les chefs de cantons chargés de désigner et de répartir les
prestataires sur les différents chantiel's de leur cercle.
Les commandants de cercle ne tinrent pas compte non plus de l'esprit de
l'arrêté instituant la prestation, Sans doute présentaient-ils au lieutenant-gouverneur
leurs plans de campagne pour les tra'/aux qu'ils entendaient faire exécuter dans leur
cercle, et établissaient-ils les rôles indiquant par village le nombre des prestataires et
celui des journées de travail. Mais dam; la réalité il ne tenaient aucun compte de ces
données. Ils n'hésitaient pas àemployer les indigènes au moment des cultures et dans
les chantiers éloignés de leur villages à des distances considérables.21 Au lieu de leur
verser le pécule journalier de 0,50 francs prévu pour la ration des indigènes employés
à plus de 5 Km de leur lieu de résidenœ, les commandants de cercle trouvaient plus
simple de réquisitionner, au profit des: prestataires, les vivres des villages qui étaient
dans le voisinage des chantiers. Ces mesures mettaient les victimes dans une situation
alimentaire dramatique, surtout pendant la période de soudure.22
L'indigence des moyens matériels ne permettait pas de donner aux pistes et
aux routes la solidité qui devait leur clssurer une certaine longévité. Chaque année,
aprés l'hivernage les prestataires étaient mObilisés pour refaire le travail accompli
l'année précédente avec son lot d'ablJf. dont la gravité amena en 19171e gouverneur
général Van Vollenhoven à envisagm la suppression ce cet impôt 2 ' L'objectif de
l'impôt était en principe de contraindre les indigènes à orienter leur activité vers
l'économie monétaire, l'impôt de capitation suffisait largement à cette besogne.
Partout les indigènes faisaient des cultures de rente ou louaient leur force de travail à
ceux qui s'y adonnaient. De plus la guerre, avec les charges trés lourdes qu'elle
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entrainait, avait créé partout un c1imat,t~ndu qui pouvait pousser les indigènes dans
'Ja voie de la révolte,
Les abus, inhérents au régime du travail forcé, provoquèrent dans le pays
beaucoup de protestations. A plusieurs reprises le conseil général émit le voeu de voir
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cesser un système qui ouvrait la voie, il trop ~~ cÀ 1'<. i- G(JJ
Pour justifier les procédés incontestablement vexatoires auxquels ils recou-
raient'pour mobiliser la main-d'oeuvre prestataire, les commandants de cercle invo-
quèrent l'insuffisance des budgets qu'on leur allouait pour l'établissement du réseau
de leur cercle. L'ampleur des travaux interdisait de libérer même ceux qui avaient
accompli sur le chantier le nombre de journées réglementaires. En définitive les pres-
tataires mobilisés sur le chantier déterminé n'étaient autorisés à rentrer chez eux
qu'une fois le travail terminé,
La seule consolation pour les autorités locales résidait dans le fait que c'était la
prestation qui avait permis de maintenir à un taux relativement léger l'impôt de
capitation, et de doter le pays d'un réseau routier dense qui désenclava certains
cercles, facilita les relations économiques avec l'extérieur et les liaisons inter-région-
nales, Même si ces avantages étaient occultés par les mesures oppressives qui
frappaient les victimes du labeur réquisitionné, force est de constater que celles-ci
n'atteignirent pas au Sénégall'ampleL'r qu'elles connurent dans les autres territoires
de la fédération 24 où la mise en place des infrastructures de communication ne fut
obtenue qu'»au prix de nombreuses hécatombes de travailleurs'5»,
Quoiqu'il en soit, par le travail forcé l'administration créa l'outillage public
indispensable au développement du pays. Partout des routes, des ponts, des voies
ferrées ou des ports virent le jour grâce au travail forcé. 26 De son côté le privé entendait
contribuer à la mise en valeur du paYé'" Pour ce faire il lui fallait trouver la main-d'oeuvre
nécessaire au fonctionnement de sr:,s entreprises, On recourut alors à la contrainte
indirecte pour lui donner les bras dont il avait besoin, Par des mesures réglementaires,
ou législatives l'administration mit les ir',digènesdans l'obligation de chercher du travail
afin de trouver le numéraire lui permettant de se mettre en régie avec le fisc, C'est pour
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Islinctlon tre,; nette entre le travail forcé, obtenu par voie de
réquisition de l'autorité administrativI'!, et le travail obligatoire, obtenu par des moyens
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indirects et «destinés à combattre l'c:i~:iveté des indigènes, moyens tels que l'établis-
sement de l'impôt personnel ou la dÉfinition et la répression du vagabondage. Les
indigènes ainsi contraints de travaille~ et de produire demeurent libres de le faire pour
leur propre compte ou pour le compte d'autrui moyennant salaire27».
En principe ils demeuraient libres de choisir le genre de travail qu'il préféraient.
Malgré tout ils subissaient une certaine contrainte puisqu'il s'agissait pour eux d'éviter
les sanctions relatives au non paiem'~nt de l'impôt ou des peines prévues par le code
de l'indigénat et réprimant le vagabc1ndage. 2'
La justification idéologique de ces mesures fut aisément trouvée. On allégua
que sous les tropiques l'homme, par suite des rigueurs climatiques, était naturellement
porté au farnienté, à une vie ralentie. La générosité du milieu naturel n'incita pas les
hommes à fournir de gros efforts peul' vivre. Ils bénificient d'un long repos durant la
saison sèche. le travail de quelques mois qu'ils fournissaient pendant l'hivernage
suffisait à assurer leur subsistance pour le reste de l'année. Bref en Afrique, les
indigènes se procuraient sans aucune difficulté la nourriture, le vêtement et le logement
nécessaires à leur existence.29
Celte facilité de vie était renforcée par l'absence, sauf en certaines circonstan-
ces, de toute misère en raison de l'étroite solidarité qui perméltait aux uns de trouver
auprès des autres les moyens dE, :-::atisfaire aux besions de leur existence. Les
conditions naturelles fort avantageusss incitaient donc les Noirs à mener une vie de
paresse, de nonchalence. Rien ne los prédisposait à la continuité de l'effort pour une
meilleure rentabilité de leur action:"
Cette passivité des indigènes était un obstacle à l'exploitation de leur pays dans
la mesure où ils constituaient la main-d'oeuvre indispensable à la mise en valeur de la
colonie. Elle entravait le développement des ressources économiques désirées parla
métropole. Dès lors le colonisateur considérait comme un devoir primordial d'inciter
les indigènes à produire davantag'~ en obligeant à travailler selon les orientations
décidées par le conquérant. 31
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Cette obligation au travail éta.'! en opposition absolue avec les principes de
liberté individuelle proclamés par lé, révolution française. Le norl1\\respect de ces
principes ne pouvait guère porter attEinte à J'ordre public colonial dès "instant où elle
était dictée par le souci de sauvegardee les intérêts du colonisateur. Cette obligation
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légale au travail, en contraignant les indigènes à chercher des emplois salariés, les
amenerait à contracter l'habitude de l'effort et surtout de tirer parti des avantages que
leur procureraient les ressources de Iw:travail.lls trouveraient goûtà déployer par eux
mêmes l'activité nécessaire à la satisf3ction des besoins qu'ils se seraient ainsi créés
du fait de leurs contacts avec les colonisateurs." Dans les zones où le régime des
concessions prévalut, des milliers de fravailleurs vendirent leur force de travail aux
planteurs. Au Sénégal outre les navelaan dans les zones arachidières, beaucoup de
manoeuvres furent épisodiquement employés par les maisons de commerce pour la
manutention des arachides et des autres marchandises importées.
Dans les centres urbains les ir,digènes ne travaillant pas pour leur compte et
incapables d'exhiber un contrat de tra"iil avec un colon étaient poursuivis en vertu du
code de l'indigénat et punis comme vilÇ",abonds. A leur sortie de prison on les ventilait
vers les maisons de commerce qui avaient besoin de bras.
Ces travailleurs ne bénéficiaient d'aucune protection légale. Ils étaient livrés à
la discrétion de leurs employeurs qui fixaient unilatéralement le salaire qu'ils leur
versaient. Les gains étaient à peine suffisants pour couvrir les frais relatifs à leur
nourriture et leur logement. Aucune garantie ne leur était apportée en matière
d'hygiène. Avant l'avènement du front populaire, l'autorité coloniale persistait à dire
que les lois sociales n'étaient pas deE articles d'exportation.
Dans les périodes d'abondance, les entreprises privées éprouvaient des diffi-
cultés à trouver la main-d'oeuvre indispasable à leurs opérations de manutention. Elles
s'adressaient alors à l'autorité administrative dans l'espoir d'obtenir, par des mesures
de contrainte indirecte, les travailleurs désirés. C'est à cette modalité que recourut en
1920 le directeur des salins du Siin<i?!um qui invita l'administrateur de Kaolack à
aiguiller les indigènes vers son entreprise. Pour lui cette mesure pouvait être assimilée
;"
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ln eret pu IC, car en refusant de travailler dans ses salins les admi-
nistrés compromettaient l'avenir de 1,,; r'~étropole. Cette entreprise avait reçu des de-
. ~
mandes de sel plus importantes qUE: ses possibilités de production. Il lui fallait un
supplément de main-d'oeuvre pour mettre en valeur les salines qui lui étaient concé-
dées et assurer la récolte du sel fabriqué. 3J
Les difficiles conditions de l'exploitation du sel avaient éloigné de ses chantiers
les travailleurs. Le Directeur de l'entreprise interpréta cette abstention comme l'expres-
sion de la paresse des indigènes à qui il fallait faire comprendre que le travail était un
devoir envers la société. Bref il demanda à l'administrateur d'user de tous les moyens
pour lui procurer ces bras indispensables au fonctionnement de son entreprise.34
L'administrateur lui rappela que le travail forcé pour des fins particulières n'était
pas autorisé par la réglementation, qu'il lui était interdit de mettre même à sa disposition
la main-d'oeuvre pénale. On était à la période de la traite. L'argent circulait parmi les
indigènes de la brousse. Ils refusaient d,:) s'engager comme manoeuvres. Légalement
l'administrateur ne pouvait pas considÉrer comme d'intérêt publicj un travail destiné
à une entreprise privée d'autant plus que les travailleurs qu'on devait réquisitionner
étaient en régie avec le fisc.
De plus le gouverneur lui avait interdit de punir les indigènes refusant d'effectuer
pour le compte du privé des travaux ~)[\\yés, que c'était interpréter trop largement les
textes que de considérer comme un tnvail d'intérêt public l'évacuation des arachides.
La main-d'oeuvre ne reviendrait en grand nombre sur le marché que quand les
indigènes auraient épuisé leurs revenus tirés de l'arachide."
L'attitude de cet administrateur était tout à fait surprenante. Elle était en porte
à faux avec les intérêts du capital qu'il devait défendre. Elle paralysait l'activité
économique d'une entreprise qui ne di:;posait d'aucun moyen de contrainte pour se
~
.~
procurer la main-d'oeuvre. Si l'administrateur avait opposé une fin de non recevoir à
la requête du Directeur des Salin, ce n'était pas par respect des principes humanitai-
res, mais par esprit de vengeance. Ce :j;recteurfaisait partie d'un clan qui s'était donné
la mission de discréditer par tous les n,oyens l'autorité de ce commandant.
"""i:r~
A son tour il refusa de procéder pour lui, à un recrutement appuyé de contrainte
ou de quelques punitions. Dans la pll:iI:'art des cercles, c'était par des procédés de ce
genre que l'autorité administrative procurait la main-d'oeuvre obligatoire. Venaient
st{ajouter les mesures relatives aux cultures obligatoires. Pour éloigner de la colone Je
spectre de la famine, de la sous-alirnentation, obligation fut faite aux indigènes de
produire des cultures vivrières et dE:~. produits de rente. Ils étaient tenus, par des
cultures imposées par l'administration fDrcées de couvrir non seulement leurs besions
vivriers, mais encore de répondre à l'attente des colons industriels ou commerçants.
Le régime du travail forcé joua c'onc un rôle déterminant dans la vie économique
du pays. Les réquisitions, malgré ie. cortège d'humiliations et de morts qui les
accompagnaient, finirent par doter le pays d'un immense réseau de routes et de pistes
1
qui facilitèrent le raccordement des régions même enclavées à l'économie monetaire.
Par les cultures forcées ou obligatoires on contraingnit les paysans à augmenter sans
cesse l'étendue de leurs terres à enS,:Plencer grâce à la présence d'une nombreuse
main-d'oeuvre fournie par les Naveta~\\!J. La politique du travail en vue de procurer des
travailleurs libres aux colons, bien qUE: manifestement réactionnaire, contribua à la
transformation de l'assise économiqL;e des cercles. La répression du vagabondage,
l'établissement d'une fiscalité même légère, les amendes prononcées en vertu du
code de l'indigénat mirent beaucoup de sujets dans la nécessité de rechercher un
travail salarié afin d'échapper aux brimades de l'administration. Les salaires qu'on leur
versait étaient bien bas, sous prétexte que les besoins des Africains étaient limités et
que même des salaires raisonnables r,'3 serviraient qu'à les inciter à la paresse, au
repos. L'insulte et le bâton étaient d'un usage courant dans les différents chantiers du
pays. Au bout du compte ce régime j'lua un rôle déterminant dans la transformation
de l'économie par les nombreux bras qlJ'il mit tant au service de l'administration que
dans celui des entreprises privées. Son nom évoque dans l'esprit des populations qui
fNt.."A..r~c'l.S
.J<n:&.AA ~ ~ I-eç
en furent les victimes, des ~~~
1- Pour ce chapitre je renvoie le lecteur à la thèse de B. Fall Le travail forcé en
A.O.F., 1900-1946, 3· cycle.
2- Ninive: LA MAIN-D'OEUVRE INDIGENE DANS LES COLONIES FRANCAISES
1932, (pages 128-129).
'
3- Cuvillier Fleury: LA MAIN-D'OEUVnE INDIGENE DANS LES COLONIES FRAN-
CAISES DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE ET DU CONGO, Paris, Larose 1907, (page
58).
4- Cuvillier : Fleury: Op. cil., (page 59).
5- Voir à ce sujet la thèse de B. Fall.
6- Ninive: Op. cil., (page 134).
7-ldem, ibidem.
8-- A.N.S. 2 08-6: Noirot : Rapport de Juillet 1893.
9- A.N.S. 20 13-3: Molleur: Administr"teur cercle de Dakar-Kees au Directeur des
Affaires politiques, 2 Janvier 1894.
10- A.N.S. 2 G 1-111 Cercle de Dakar-Kees : Rapport politique, commercial et agri-
cole, 1·' semestre 1898.
11- Idem, ibidem.
12- AN.S. 2 G 240 Administrateur Vifnlle: Rapport mensuel Mars: Tiwawan, le 6
Avril 1902.
13- A.N.S. 2 G 1-97 : Administrateur d-;) Luga au Directeur des affaires politiques,
Février 1898.
14- A.N.S. 2 G 1-99 : ADministrateur :je Luga : Luga, rapport mensuel, Avril 1899.
15- A.N.S. 2 0 15-1: Cercle de Rip N<;ni, 15 Juin 1896.
16- AN.S. 2013-6 Lieutenant-gouverniJurà Comandant de cercle de Kees, 12 Mai
1909.
17- A.N.S. S 21 pièce 15: Lieutenant-gcuverneur au gouverneur général, 18 Octo-
bre 1913.
18- J.O. du Sénégal: Arrêté du 20 Janvier 1914 du lieutenant-gouverneur Cor,
(page 323).
19- J.O. Sénégal: Arrêté portant reglementation de la prestation, 20 Janvier 1914.
20- A.N.S. S 21 pièce 6 Gouverneur g,§néral du Sénégal, 8 Janvier 1914.
21- A.N.S. S 23: Lieutenant-gouvernw'_ Leveque à gouverneur général AO.F., 14
Novembre 1914.
22- Renseignement recueillis au prés de certaines personnes à Pekesse et Naxen.
23- A.N.S. S 23, pièce 5 Lieutenant-gouverneur Levèque au Gouverneur général
A.O.F., Saint-Louis, le 14 Novembre 1914.
24- Fall B. Op.cil., (page 104).
25- Sarraut: Op. cil., (page 134).
26- Ninive: LA MAIN D'OEUVRE DANS LES COLONIES FRANCAISES, Paris 1932,
(page 125).
27- Dareste : TRAITE DE DROIT COLONIAL, tome Il, 1932, (page 541).
28- Mercier R . : LE TRAVAIL OBLIGA TOIRE DANS LES COLONIES FRANCAISES,
Paris 1933, (page 35).
29- Ninive: Op_ cil., (page 128).
30-ldem, (page 128).
31- Idem, (page 129).
32- Mercier R. : Op_ cil., (page 7).
N~
6 2 1
33- A.N.S. 2 D 8-3 : Le Directeur de~; Salins du Siin-Salum au Lieutenant-Gouver-
neur du Sénégal, Kaolack le 16 Févrle'r 1920.
34- Idem, ibidem.
35- A.N.S. 2 D 8-3 : L'administrateur (le Kaolack au Directeur des Salines du Siin-
Salum, le 13 Février 1920.
CHAPITRE 5
622
LE CODE DE L'INDIGENAT OU LA. REPRESSION DES DERNIERES FORMES
DE RESISTANÇE DES POPULATIONS
Pour intégrer les possession:; Sénégalaises à l'économie métropolitaine,
l'autorité coloniale mit en place un imposant appareil de répression pour détruire chez
les vaincus les dernières velleités de I·ésistance. Le code de l'indigénat fut l'un des
instruments de "pacification» de l'er::prit des indigènes.
La défaite du Kayoor et la
soumission des autres états Wolof-Sereer consacrèrent la prépondérance politique de
la France en Sénégambie. L'apparente fidélité des chefs aux traités qui les liaient au
gouvernement de Saint-Louis donr:a une relative stabilité dans le pays. Les luttes
,
politiques qui se produisaient à chaql~e vacance du pouvoir connurent une certaine
accalmie. Les garnisons française:; du voisinage étaient prêtes pour imposer le
candidat du gouverneur' Tout se passait comme si la nation Wolof tout entière avait
retrouvé son unité sous le protecto',at de la France. Sans doute chaque ancien
royaume gardait sa personnalité propr.~, mais tous les chefs reconnurent à leurs sujets
le droit de circuler librement d'un pays;~ l'autre, de s'établir là où ils le jugeaient àpropos
sans s'exposer à leur revendications. Ils consentirent pareillement à ce que tous les
captifs fussent considérés comme esclaves de case avec tous les droits que la
coutume reconnaissait à ces dernier~. Tous acceptèrent la suppression des petites
taxes qui gênaient le commerce interrégional. A la place on institua un impôt unique.
Est-ce à dire que les populations avaient adhéré sans réserve à l'ordre colonial et
oublié les raisons qui les avaient pcu3sées à prendre les armes contre les envahis-
seurs? Nous ne le croyons pas. Cet accommodement auquel étaient parvenus
l'autorité coloniale et les représenta",s naturels des populations ne pouvait être que
de courte durée. Sous la pression du capital métropolitain qui voulait assurer des
débouchés à son commerce, des matières premières à son industrie, l'autorité
coloniale s'attela à transformer les autochtones en simples instruments de production.
AI'économie de subsistance ou d'aUoconsommation illallait substituer une économie
de marché fondée sur la production de matières premières en l'occurence l'arachide.
·.f.-.\\ .
En quelques années certain~f'régions du pays connurent des bouleverse-
ments aux Proportionsfré~olution~airits. Les ranc~nes~'~ccumulèrent partout du fait
de la violation des engagements pris par les autorités françaises de respecter le cadre
institutionnel autochtone. A cette emprise directe de l'administration coloniale, les
~'?ir.';,'
populations réagirent de façon mu!lifbrme. La résistance se faisait tantôt de façon
souterraine, clandestine, tantôt ouverte par l'élimination physique des collaborateurs
des conquérants. Beaucoup de mécontents se rallièrent à des mouvements qui
opposaient leurs forces particularistes à la colonisation. D'autres moins bien organi-
sés, répondaient par la désobéissance à toutes les sollicitations de l'administration.
Bref "toutes les préférence locales se (renforcèrent) de toute la crainte qu'inspiraient
les nouveau-venus. La coutume, la religion, l'obéissance aux forces cachées, toutes
les ressources mystérieuses du for intérieur (regagnèrent) en efficacité ce que les
;
atteintes au cadre institutionnel (avaient fait) perdre à l'individualité des groupements.
L'âme des populations, même quand elles se soumettaient en apparence et s'adap-
taient superficiellement aux exigences du moment, continuait de se mouvoir dans son
atmosphère familière et par opposition prenait de sa personnalité une conscience de
plus en plus forte2".
Par de la
docilité de surfé1C'" que commandait le rapport de force,
les
populations indigènes conservèrent toute leur vitalité. Beaucoup d'entre elles tenaient
trop aux normes et valeurs de leur terroir avec un entêtementtenace pour se soumettre
sans retenue aux directives du conquérant. Ce dernier réagit contre cette vitalité dont
elle ne percevait que trop la menace par le renforcement de ses pouvoirs répréssifs.
Il lui fallait à tout prix faire échec à la révolte politique par des mesures préventives tout
en assurant la croissance économique au service du capital. Déjà en 1886 dans les
cantons de Ganjool et de Barrii qui laisaient partie des territoires d'administration
directe, le gouverneur Genouille avait constaté les mêmes influences occultes qui
excitaient les sujets à la méconnaissance de l'autorité française. L'hostilité vis à vis de
l'administration semanifestait par le refus de payer l'impôt ou "par des démonstrations
injurieuses pour la France'". En com;équence Genouille demanda des pouvoirs de
coercition pour briser la résistance des récalcitrants.
,êi!~
ij~
f) 2 4
Seul un système répressif, peri's<l Genouille, était capable d'enlever aux indigè-
nes toute volonté de se concerter pOUl' remettre en cause l'ordre établi. Comment faire
pour que ces mesures ne fussent pas en contradiction avec les motifs invoquées pour
justifier la conquête, à savoir le devoir pour la France d'accomplir en Afrique «sa
"
mission civilisatrice"? On cessa alors de parler de l'égalité des races et des hommes,
Tirant argument de la différence des modes de vie, on attribua aux Africains toutes
sortes de défauts, voire de tares congénitales qui rendaient aléatoire, voire impossible
l'application, en leur faveur, des principes qui régissaient la justice française. On se
laissa aller à direque les indigènes é':aient «dans un état d'irrémédiable infériorité du
fait de leur race et de leur civilisation. ,<l,u point de vue intellectuel c'étaient de grands
enfants qu'il fallait traiter en eternels mineurs'".
Il ne nous parait pas utile de revenir ici sur le caractère relatif de la barbarie. Dans
l'Europe dite civilisée c'était l'injure constante, le vocable privilégié qu'on utilisait pour
dénigrer son adversaire,b~ ~ J.
~ I~~s~ ~
1\\11' rA- ~ ~\\A~~ "r-J l7V\\
ov' Sw'~ ~ Les exigences de la colonisation firent des indigènes une catégorie spéciale
d'individus auxquels il fallait appliquer un code particulier conforme à leur nature, plus
adapté à leur «mentalité primitive, à (16urs) défauts, à (leurs) préjugés5». Pour eux la
justice serait «plus directe, plus immcidiate et moins scrupuleuse 6 Les sanctions
seraient «aussi à la portée de leur entl"ndement fruste et de leur robuste organisme7».
Les châtiments corporels seraient employés en priorité car c'étaient les seules
pénalités susceptibles de produire des effets durables sur leurs comportements·.
On emprunta à la législation de l'Algérie le régime disciplinaire qui consistait à
reprimer par la voie administrative les Infractions spéciales aux indigènes. «II répondait
à la nécessité pour l'autorité administrative de réprimer avec rapidité certaines actions
ou abstentions commises par les indigènes, de nature à nuire à l'ordre public, qui
risqueraient soit à demeurer impunies en l'absence de sanction spéciale prévue par
la législation en vigueur, soit à n'encourir, en raison du formalisme et des lenteurs de
l'action judiciaire qu'une sanction tardive et par la même inéfficace9».
625
Les indigènes devaient, sans 'r-:3'~Aigner, se soumettre à la souveraineté fran-
çaise. Vis à vis de ceux qui la niaient il failélit agir et implacablement. La répression serait
rigoureuse et prompte «contre les fau:,elJrs de désordre et contre les promoteurs de
guerres saintes ou autres lO". Le comrnerce avait besion de calme, d'ordre et de
sécurité pour assurer sa prospérité. " .
Pour les indigènes non préparés à comprendre ni concevoir les subtilités du
code de procédure pénale français, la réponse à une infraction devait, aux yeux de
l'autorité coloniale, avoir la soudaineté (l'un réflexe. Car un trop grand intervalle entre
la faute commise et la sanction diminuait la portée de celle-ci. Le décret du 30
Septembre 1887 instituant le code ciE' l'indigénat au Sénégal fut promulgué le 3
Novembre de la même année.'2 Ce textE) faisait savoir qu'au Sénégal et dépendances,
les administrateurs coloniaux statuaient «par voie disciplinaire sur les infractions
commises par les indigènes non citoyens français contre les arrêtés du gouverneur
rendus en exécution de l'article 3 du décret du 6 Mars 1877'3".
Ces infractions pourraient «être ~;anctionnées par des pénalités allant jusqu'à
15 jours de prison et 100 d'amende all rnaximum. Enfin ce décret disposait que le
«l'internement des indigènes non ciioyens français et de ceux qui leur (étaient)
assimilés ainsi que le séquestre de leurs liens pouvaient être ordonnés par le
gouverneur en conseil privé. Les arfiltés rendus à cet effet (étaient) soumis à
l'approbation du ministre de la Marine et des Colonies. Ils (étaient) provisoirement
exécutoires '4".
Ainsi donc en matière de simple police l'administrateur jugeait sans l'assistance
d'un greffier ni d'un ministère public. Il :;tatuait en toute souveraineté sur les contraven-
tions. C'est l'ensemble de ces pouvoirs de haute police et des pouvoirs disciplinaires
qui constituaient le système répressif connu sous le nom de code de l'indigénat.
Les administrateurs avaient donc reçu le droit d'infliger séance tenante sans
délais ni procédures des peines relati'tements légères mais immédiatement applica-
bles pour des fautes déterminées. L'arrÊllé du 12 Octobre 1888 énuméra les infractions
spéciales que l'administrateur était autorisé à sanctionner. La lecture de cet arrêté
.,.;,!!,
H~
6 2 6
montre que la préoccuaption majeul"e de l'administration était de détruire toutes les
formes de résistance à la préseinœ françaisè. Tout :cel par quoi les populations
~~'t.'!.
pouvaient exprimer leur refus contre"r6rdre établi était dans ce document. Ainsi les
propos tenus en public contre l'autorité, les déplacements sans l'autorisation de
q:.~ .
voyager pour échapper à l'impôt ou poi1rse soustraire à des poursuites faisaient partie
de cette nomenclature des infraction:ftl'en était de même pour le fait de donner "asile
à un vagabond qui pouvait être un messager chargé de préparer un mouvement
insurrectionnel. L'administration n'ignorait pas que l'hospitalité est une vertu africaine.
Les armes non déclarées, les collectes d'aumônes pour les confréries ou les sociétés
secrètes ainsi que le retard dans le paiement de l'impôt étaient également reprimés par
les dispositions du code de l'indigénaL 15
Point n'est besion d'insister ici :;ur l'importance des confréries et des sociétés
secrètes au lendemain de la conquête. Les marabouts essayèrent malgré les nom-
breuses obstacles dressés par le conquérant, de remodeler la société selon les
principes islamiques. Les sociétés S~icrètes fort nombreuses en pays Sereer, procé-
daient souvent à la liquidation physique de ceux que l'on accusait d'avoir sacrifié leurs
congènères à quelques avantages matériels. Elles dressaient tout autour de leurs
adeptes un rideau défensif contre les influences du colonisateur. Bien sûr leur hostilité
ne se manifestant pas en actes publics, il était difficile d'atteindre les instigateurs. Le
colonisateur frappait avec sévérité œux qu'il considérait comme appartenant à ces
sociétés. '•
Sous l'emprise de ce régime, les indigènes étaient privés de tous les droits. Il
n'avaient que des devoirs ou des cc'rvées à exécuter. Le droit de réunion, la liberté
d'opinion, le droit de se déplacer à sa \\Juise étaient soit interdit soit soumis à un contrôle
tatillon. Presque tous étaient condamnés à vivre en résidence forcée dans leurs
habitations. Il fallait à tout prix empêcher les victimes de se concerter pour tenter de
reconquérir par la force les droits élémentaires qu'on venait de leur enlever. En les
maintenant dans l'ignorance de leur misère commune, on évitait de leur faire prendre
conscience de la nécessaire solidarité qui devait les inciter à engager la lut1e contre
l'ordre établi.
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6 2 7
Forts de leur Pouvoi~exorbitan111,jqui leur permettaient à ia fois d'instruire et de
juger les infractions, les administrateurs ne tardèrent pas à instaurer dans leurs
cercles, un régime tracassier, inquisitorial que certains appelèrenHe régime du bon
plaisir et de la brutalité odieuse"". f,n effet les indigènes n'avaient aucun moyen
d'appel contre les décisions d~s commandants de cercle chez qui l'exécutif et le
judiciaire se confondaient. Car dans ces dominations, la séparation des pouvoirs
passait pour un danger pour l'ordre CC1/onial.
Au départ aucun indigène n'était exempté des punition disciplinaires. Les buur,
les chefs et leurs administrés étaient sans distinction frappés des pénalités prévues par
le code.
Dès qu'une infraction était commise l'administrateur frappait de suite. En 1891
Patterson administrateur du cercle de Oakar-Kees mit aux fers 8 Manding venus lui
présenter leurs doléances. 19 En 1887 Serigne Qmy chef de canton de Naning fut puni
de 50 francs d'amende pour abus d'autorité et de négligence dans j'administraflon du
canton. 20 Ngor Tinn habitant de Wakal, canton de Jander fut condamné à 65 Francs
d'amende par le chef de Put pour adultère avec la nommée Birarn Mbeng de Mbidjem
mariée avec Momar Mbay.21 Fawura 8a ex cadi de Tiwawan se permit aussi d'infliger
une amende de 100 francs à un indigène. 22 En 1898 Mantu Faal originaire de Saxx fut
puni de 11 jours de prison et Masseck Gey de 10 jours pour insulte à "autorité.23
Ce qui était inquiétant c'était de voir des chefs de canton ou des cadi punir des
infractions en vertu des dispositions du décret du 30 Septembre 1887 qui n'attribuait
ces prérogatives qu'aux seuls administrateurs. Les mêmes constatations se firent
dans tous les cercles comme si les COlT mandants s'étaient déchargés d'une partie de
leurs larges prérogatives sur leurs ChE,fs de circonscription.
Les amendes que prononçaient les uns et les autres étaient lourdes. Dans les
premières années du XX· siècle le quintal d'arachide ne coûtait encore que 10 francs.
Il fallait donc~tonne~pour acquitter une amende de 100 francs ce qui était trés
lourd. La fréquence de ces amende~; Incitait encore davantage les populations à se
lancer avec plus de détermination dall~; la culture arachidière. Dans la distribution des
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62
peines, les commandants ne faisaient pas de distinction entre les garmi, les Njambur,
8
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les Sadala et les esclaves. Tous étaient soumis au régime de l'arbitraire administratif.
Ceux qui formaient autrefois la parure des cours ou l'armature de la société pouvaient
àtout instant être mis aux fers pour le simple plaisir d'un commandant décidé à détruire
la morgue de la noblesse.
Le conseil général s'émut dès 1901 de l'autoritarisme sans bornes des com-
mandants qui faisaient monter partout les plaintes des victimes. En Juin 1901 Deves
qui, de par ses relations avec le pays du protectorat, était informé des récriminations
des victimes, proposa une modificatiœ du décret de manière à lui ôter son caractère
arbitraire. 2' Pour cela il suffirait de rendre publiques les audiences et obligatoire la tenue
d'un régistre où seraient consignées tou/es les condamnations. Il préconisa aussi le
droit d'appel et de défense pour les indigènes, et pour le gouverneur le droit de
supprimer ou d'atténuer la définition des infractions. Il savaient que les administrateurs
de cercle reprimaient tout ce qui leur parai3sait coupable. "Ne consultant pour cela que
leur conscience ou leur bon plaisir. L'éq:Jilé des peines variait selon leurs scrupules ou
leur indifférence."25
La plupart des infractions que punissaient les administrateurs ne figuraient pas
dans la nomenclature de 1888. Le refus de salutation était puni au même titre que les
infractions prévues par l'arrêté. Du moment que le decret du 30 Septembre 1887
disposait que les administrateurs étaienl des officiers de police judiciaire; ils relevaient
àce titre du procureur général qui devait pouvoir exercer son droit de contrôle sur tous
les jugements qu'ils rendaient. 2•
Cette intervention du conseil geiléral incita le gouverneur général à apporter
des atténuations dans la distribuation des peines disciplinaires sans pour autant suivre
Deves dans la totalité de ses propositi:Jns. Une circulaire (du 22 Août 1902 du
gouverneur général) prescrivit aux corn mandants de cercle la tenue d'un régistre
d'écrou dont l'examen relèverait de l'autorité judiciaire qui, dans chaque colonie, avait
«un droit de surveillance sur les priso:ls de son ressort. L'envoi trimestriel au
gouverneur général d'un état des arrest<:itions àquelque titre que ce fût était obligatoire
pour le commandant de cercle.
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reprochait aux commandants de cercle. En effet un étattrimestriel ne pouvait pas éviter
aux victimes de purger les peines qui les frappaient même injustement, puisque
l'application en était immédiate. Bien I,JluS, tout en se conformant aux dispositions
formelles de l'arrêté l'administrateur p'JI.lVaitsanctionnertout ce qui relevait de son bon
plaisir. On ne pouvait humaniser un régime qui reposait sur la négation même des
droits les plus élémentaires des indigÈù'ies en maintenant le decret qui l'avait institué.
Malgré l'énormité de leurs prérogatives, certains commandants éprouvèrent le
besoin d'en surajouter. Dans les pénalités ils dépassaient le quautum prévu parle texte
ou frappaient de sanctions disciplinaires des délits qui auraient dû être de la compé-
tence des tribunaux indigènes. En Janvier 1904 Kor Seen du village de Geloor dans le
Bawol occidental fut condamné par Ii~ résident de Tul à un mois de prison alors que
"i"
le maximum que Je décret lui permeaaitÔ'infiiger était de 15 jours: 27 Le 1"' Avril 1904
Biram Cam, Mambay Demba Cam, Lclmin Gay furent condamnés à 15 jours de prison
par Lefilliatre administrateur du cercle de Kaolack pour avoir incendié la forêt lors de
son passage. >8 De toute évidence cette punition n'était pas conforme à "esprit du code.
En effet, s'il s'avérait que le motif invoqué par l'administrateur était fondé, seul le
tribunal de province ou de cercle aurai',:dû connaitre du dossier car l'acte incriminé était
un délit ou un crime et non une infraction. Les commandants invoquaient toutes sortes
de motifs pour justifier les punitions c u'ils distribuaient généreusement à leurs admi·
nistrés. L'autorité supérieure était dans l'incapacité totale de les brider. Dès lors la
sel!le borne susceptible de freiner l'arbitraire des administrateurs résidait dans le refus
de certains individus qui n'hésitèrent pus à utiliser la violence pour défendre au moins
la dignité de leur vie.
C'est ce qui se produisit le 7 Avri/1904 lorsque l'administrateur du cercle de
Kees voulut appliquer au garmi Jerry ,Joor Faal les pénalités de l'indigénat pour un
problème qui aurait dû relever du tribunal de cercle.
"
Au mois de Novembre 1903 Sal;lf,JorGorsa du village Waxaljamm fit comprendre
au résident de Tul qu'il avait identifié les auteurs de l'enlévement de ses quatre enfants
disparus depuis Septembre 1902. C'étaient les cavaliers de Kanar Faal, chef supérieur
630
du Bawol Occidental et Bukar Cilaas IZub son oncle chef de canton du Ngewul. Les
-'''"-:J.''"
~ .,
enfants avaient été répartis entre ces deux chefs et la mère de Kanar Faal.29
Pendant qu'il cherchait à voir clair dans cette affaire, le résident de Tul, Dupérier
De Larsan était avisé que trois autres esclaves avaient été enlevés dans la région de
Puid! par les cavaliers de Kanar Faal et amenés dans le Bawol Occidental. Il apprit que,
fidèle à la coutume qui exigeait qu'on donnât en dot des esclaves lors des mariages
princiers, Kanar Faal avait fait prendre tous ses enfants à l'occasion de son mariage
avec l'une des soeurs de son cousin ,Jery Joor, garmi, c'est à dire prince, un des fils
du damel Samba Yaya connu sous le l10m de Amadi Ngoné FaalIlJO• Il y avait donc eu
enlèvement et trafic de personne malwé les instructions réitérées de l'administration
française.
Jerv Joar reconnut avoir reçu de son cousin Kanar Faal deux captives et un
garçon. L'une avait été vendue, l'autre placé en gage chez un commerçant. Le garçon
était encore dans le carré en attendant son tour d'être envoyé sur le marché. Pour
prévenir de tels actes l'administrateur décida de sévir. Kanar Faal, Bokar Cilaas Cub
et Jeri Joor furent convoqués à Ke~~ devant le commandant de cercle. Ils s'y
présentèrent le 7 Avril 1904 avec une suite nombreuse. Prempain le commandant de
cercle infligea à Kanar Faal100 franc!; d'amende à Jery Joor la même somme et 15
jours de prison ferme. Bucar Cilaas sonait de l'affaire comme un innocent."
Ces 15 jours de prison stupéfièrent Jéry. Il demanda si c'était au nom de la loi
française ou au nom du Coran qu'il était puni. Prempain lui fit savoir que c'était lui qui
le punissait ainsi pour décourager à l'avenir ceux qui seraient tentés de trafiquer des
êtres humains. Mais Jery était garmi. En conséquence il ne pouvait pas, aux yeux des
gens du pays, purger une peine de pri~;on. Son père Samba Yaya, ancien damel, en
résidence surveillée à Saint-Louis, ayant demandé à aller au prés de sa mère malade
et ayant essuyé un refus, s'était tenu pour prisonnier et suicidé en 1891 en se jetant
dans le fleuve Sénégal. Aussi Jery demanda t-il au commandant de cercle de
transformer la peine de prison en supplément d'amende." Le commandant de cercle
avait fait toute sa carrière en Indochine. l' n'était au Sénégal que depuis un an. Il ignorait.
ou connaissait mal l'esprit des nobles, l'importance qu'ils accordaient à l'éthique de
._~
~~
6 3 1
l'honneur. Il ne répondit àJery qu'en d'il'mandant au garde Sose Sow de faire exécuter
la sentence immédiatement.
Alors Jery se retournant brusquement sortit un révolver et tira deux coups sur
les gardes. Prempain et son adjoint Denis terrifiés se précipitèrent hors de la pièce. Au
0. (( "'"'""" 1-
bruit des détonations, Chautemps acljoint aux affaires indigènes1du rez-de-chaussé
suivi des courtisans de Jery. Au momlJnt où Chautemp cherchait à maîtriser Jery, il fut
frappé d'un coup de poignard qui le tua. L'auteur de ce meurtre était SaricaJey un des
suivants de Jery. Kanar Faal et Bukar Cilaas Cub qui craignaient la réprobation
publique en aidant les gardes à maîtriser leur parent, étaient restés assis spectateur
de la scène.
Jery qui avait mesuré la gravité de.la situation demanda à son griot de chanter
ses louanges car il allait mourir. Quelques jours plus tard il fut en e'ffet abattu par son
cousin Kanar Faal qui fit couper sa tètE! et le bras droit de Jery pour apporter à Kees
les "preuves sanglantes de son acte».:\\J
Le 7 Mai 1904 Kanar Faal et BulŒr Cilaas Cub avaient été arrêtés et conduits
à \\a prison de Dakar. Dans \\a nuit même Bukar Cilaas se pendait dans sa cellule, Le
tribunal infligea à Kanar Faal2 ans de prison qu'il purgea." Pour un noble, accepter
d'aller en prison c'était accepter de se laisser ravaler au niveau des roturiers et des
captifs. C'est pour cela que dès qu'il WI1it de prison, Kanaar Faal se convertit à l'islam
parce qu'il avait été le premier garmi à avoir purgé une peine de prison. La mort de
Chautemps fils d'un ancien ministre donna au drame une grande publicité. L'erreur de
Prempain avait été de recourir à des punitions disciplinaires pour trancher un cas qui
relevait du tribunal de cercle. Cette instance était trop lente à son gré. 1/ préféra user
des pouvoirs disciplinaires que lui conférait le décret de 1887 pour trancher de manière
expéditive un problème fort complexe
Malgré ce drame les adminis'cr,lieurs continuèrent dans leurs errements. Ils
continuaient de distribuer les sancti(:>ns sans se soucier de leur conformité avec les
textes. En Août 1905 l'administrateur ou cercle de Luga punit de peines disciplinaires
un vol et un délit de coup et blessure très graves en prononçant respectivement pour
632
ces deux délits deux mois et 16 jourS: <Je prison. Il y avait là un excès de pouvoir car
c'était le tribunal indigène qui était compétent. 35 Quand au résident de Fissel il ne
prenait même pas le soin d'indiquer dans le régistre d'écrou les motifs des peines
prononcées. JO
Ces violations systématiques des textes réglementant le code de l'indigénat,
amenèrent le gouverneur général POllty à mettre dans un nouvel arrêté toutes les
actions ou abstentions susceptibles d'être sanctionnées en vertu du code de l'indigé-
nat. Cet acte reprenait certaines des dispositions de l'arrêté de 1888. Les sanctions
disciplinaires punissaient ceux qui refusaient de payer l'impôt, les amendes ou les
autres sommes dues à la colonie. Le refus d'exécuter les prestations en nature ou
même la néglige.Jnce dans leur exécution tombaient sous le coup du code de
l'indigénat37• Le départ d'une région pO'.Jr se soustraire à l'impôt, le refus de fournir des
renseignements aux représentants el agents de l'autorité, les déclarations sciemment
fausses, étaient frappées des pénali1t~s de l'indigénat. Cette dernière infraction y avait
sûrement été ajoutée à la suite du drame de Kees. Sarica Jey le meurtrier de Chautemp
avait pu gagner la Gambie grâce aux renseignements inexacts fournis par les
populations aux gardes qui le poursuiliaient. 3Il
Les refus ou négligence de faire les corvées, de se présenter devant le
commandant sur convocation, tout ac.te irrespectueux ou des propos offensants vis
~o.-''io-<'~'
r-!:~
à vis du représentant ou d'un agenl de l'autorité ~ également des infractions
spéciales aux indigènes. J9 La vraie innovation dans cette nomenclature était relative
aux chants, aux bruits alarmants, aux propos séditieux mis en circulation dans le but
d'agiter les indigènes ou de nuire à l'autorité. Dans un pays où la liberté d'opinion
n'existait pas, les rumeurs donnaient aux faits les plus ténus des grossissements
théatraux. On en profitait pour régler "es comptes avec l'administration''o
Les pratiques charlatanesques, l'asile accordé à des agitateurs religieux, les
ouvertures sans autorisation d'établi:;sement religieux ainsi que les associations non
autorisées étaient pareillement pupies de sanctions disciplinaires." Ces mesures
visaient surtout les musulmans qui Iravaillaient avec vigueur à l'islamisation des
II~
6 3 3
populations. Leur activité dressait leurs fidèles contre l'administration décidée à
,,,TI.
t'~'
enraciner l'influence française dans i,'! pays.
Les coups de feu tirés sans autorisation à moins de 500 m de toute agglomé-
ration européenne, les tam-tam et autres réjouissances bruyantes au de là de l'heure
fixée par l'autorité entraient aussi dans la catégorie des infractions. 42 Au total cet arrêté
énumérait 25 infractions. Leur lecture montre que l'autorité craignait à tout moment des
soulèvements. Donc tout devait être mis en oeuvre pour empêcher les indigènes
d'atteinter à la vie des colons. il est vrai que le tam-tam animait toutes les cérémonies
familiales. Mais la nuit il était l'instrumerlt de communication qui envoyait dans toutes
les directions les messages codés, fi>:ant les rendez-vous au cours desquels étaient
prises les décisions graves pouvant même déboucher sur la révolte armée. L'ensem-
ble des infractions recencées mettait les indigènes dans un climat de terreur. Leurs faits
et gestes en apparence les plus anondins étaient perçus comme autant d'atteintes à
la souveraineté française. L'administration put ainsi annihiler toutes les formes de
protestations pour acculer les indigènes à se résigner à la soumission. La rapidité de
la répression empêchait la constitution cJe mouvements contestataires soudés par leur
communes volonté de lutte contre l'oppression coloniale. C'est pour cela qu'on les
maintint dans ce régime d'exception, hors du droit commun, dans une infériorité
morale, sociale et politique qui, en principe devait leur ôter toute idée de se rebeller.
La publication de l'arrêté du 14 Septembre 1907 ne mit pas un terme aux abus.
Touten punissant les infractions, les commandants n'hésitaient pas à dépasser, selon
leurs humeurs, les bornes fixées par le texte. Les vérifications trimestrielles des relevés
d'écrou effectuées par le procureur iJénéral faisaient toujours apparaître le peu de
considération que les commandant, de cercle accordaient aux textes régissant
"indigénat. 4J En effet des faits qui n'auraient dû donner lieu à aucune répression par
voie displinaire, avaient cependant été retenus et reprimés directement par les admi-
nistrateurs. Des infractions tombant sous j'application des textes réglementant "indi-
génat avaient été punies de peine dépassant le maximum prévu pour le décret du 30
Septembre 1887". Plus grave encore, les indigènes avaient été détenus au de là du
terme imparti par les condamnations qui les avaienttrappés. Le gouvernement général
· :;;.'
6 j 4
'..."{cj.
Ponly rappela à nouveau aux commandà'nts de cercle leur devoir de se conformer aux
textes dans l'application des pouvoirs pl'ivatifs de la liberté individuelle. Selon cette
haute hautorité, les commandants devaient bien retenir que les pouvoirs disciplinaires
qu'ils tenaient du décret du 30 Septembre étaient "tout à fait exceptionnels, partant
inapplicables en dehors des dispositions expressement limitatives des arrêtés qui en
(précisaient) l'étendue."·5 Les administr3teurs devaient en user avec sagesse afin de
ne pas compromettre l'oeuvre de colonisation qu'on leur avait confiée. Pour ce faire,
ils devaient rester dans les limites fixées par les textes et surtout éviter de prononcer
des condamnations illégales ou arbitraires qui n'auraient d'autre effet que d'éloigner
de plus en plus les indigènes de l'influence française.
Armés de ces pouvoirs exorbitants, les commandants de cercle étaient invités
à ne les employer qu'à bon escient en vérifiant non seulement si l'infraction commise
,
.
était prévue par l'arrêté du 14 Septembre '1907, mais encore en cherchant à connaitre
les motifs profonds qui avaient poussé l'indigène à la commettre.·6 Loin de consolider
l'autorité française, la multiplicité des me~ures répressives ne faisait qu'approfondir le
fossé qui la séparait des indigènes. Aussi Ponty était-il d'avis que tout en assurant le
respect de l'autorité, les administrateur" avaient aussi le devoir de travailler à gagner
la confiance des indigènes qui ne pouvait s'obtenir que par "la pondération dans les
actes de fermeté et l'esprit de justice"» qui devait y présider. Mais habitués à la
discipline militaire, la plupart des commandants de cercle continuèrent à distribuer
sans retenue les punitions disciplinaires avec les excès qui souvent, les accompa-
gnaiént. Brocard administrateur du Siin Salum, Vienne celui de Jurbel se montrèrent
les partisans les plus virulents de l'application des peines disciplinaires. Le premier mit
en prison Mody Mbay originaire de Saint-Louis et qui avait dénoncé son cruel
autoritarisme dans le journal LE PETIT SENEGALAIS. Le second voulu l'appliquer à
Serigne Cheikh Anta Mbacké frère de Cheikh Bamba fondateur de la confrérie
mouride.
Les administrateurs appliquaient ~ans discernement leurs pouvoirs disciplinai-
res aux indigènes. Brocard en voulait particulièrement aux originaires des quatre
communes qu'il appelait des «Sénégalclis en exil dans leur propre pays» en raison de
-
'.t'~.
635
la qualité de «citoyen français». En effetj~~uIS les citoyens français étaient exemptés
de l'indigénat. Mais puisque les originaires n'avaient pas renoncé à leur statut
personnel il refusait de leur reconnaître C<3tte qualité. Aussi malgré les preuves fournies
par Mody Mbay, Brocard le mit en prison. Il fallut l'intervention personnelle du
gouverneur Général William Ponty pour le sortir de la prison de son bourreau.'"
Certains notables indigènes ayant compris la situation privilégiée accordée aux
originaires des quatre communes, essayèrent d'échapper aux dispositions du code
de l'indigénat en se faisant délivrer des jugements supplétifs les faisant naître dans
l'une des quatre communes de plein e):ercice. C'est ce que fit serigne Cheikh Anta
Mbacké qui put se procurer un bulletin de naissance à Rufisque en 1911 afin
d'échapper aux tracasseries de l'administrat~iennedécidé à tout prix, à le mettre
en prison pour prouver à la confrérie mouride qu'aucun de ses membres n'était à l'abri
de la répression administrative. Dans le cercle, l'administrateur était la loi. Il était facile
de dire que tel était en faute pour le condamner. C'est ce qui poussa Cheikh Anta
Mbacké à obtenir un papier qui lui permettrait de «se refugier derrière une justice
devant laquelle les petits et les grands, lE's Noirs et les Blancs'9» étaient égaux. C'était
la grande notoriété de l'intéressé qui avai!fait avorter le projet. Ce n'était un secret pour
personne que Cheikh Anta Mbacké était né à Poroxaan au Rip. D'autresavaient réussi
là où il avait échoué. C'était le cas de Mocjy Mbay né à Kébémer mais qui put se faire
établir un jugement supplétif à Saint-Louis.
En 1917 le gouverneur général Van Vollenhoven étendit les exemptions du
code de l'indigénat aux chefs de canton, de province, de village, aux agents indigènes
faisant partie des cadres réguliers de "administration, aux membres indigènes des
assemblées délibérantes, ou consultatives, aux assesseurs des tribunaux, aux indigè-
nes titulaires du brevet élémentaire ou diplôme supérieur, aux commerçants indigènes
patentés à établissement fixe. 50 Cette dernière disposition fut la première brèche
ouverte dans le code de l'indigénat au profit des gens d'un certain standing de vie. Par
le décret du 14 Janvier 19181e gouvernement français, pour récompenser le dévoue-
ment de ses sujets africains, décida de soustraire à l'application du régime de
l'indigénat les militaires indigènes, non citoyens français, qui avaient servi pendant la
036
durée des hostilités ainsi que leurs fenm)~s et leurs enfants. Toutefois on assortit cette
,".'
faveur de quelques réserves afin de ne pas leur donner le bénéfice d'une impunité
systématique. Quand ces anciens milit8ires comméttaient des infractions qui auraient
dû être punies en vertu des pouvoirs (ji'3ciplinaires, on les traduisait devant le tribunal
de cercle qui se prononçait sur leur sort. Ils n'étaient plus sanctionnés par le chef de
circonscription ou de subdivision. D,ms tous les cas les sanctions n'excédaient pas
celles qui avaient été «limitativement indiquées par le texte organique de l'indigénat51 ».
Il était par ailleurs recommandé de ne prononcer à leur encontre des peines d'empri-
sonnement qu'en cas de récidive et ce, «en faisant preuve, de la plus grande
Les relevés trimestriels d'écrou laissaient toujours apparaître les abus des
administrateurs ou leurs erreurs dan:; l'interprétation des textes malgré les observa-
tions réitérées des autorités supérieures. En 1912 l'administrateùr de Luga infligea
irrégulièrement à Mariano Sey et à Amadu Njay Seen chef de villages une amende 50
francs. Il les rendait responsables de négligence commises dans l'exercice «du service
par des indigènes de leur groupements.",. L'administrateur semblait ignorer que la
faute était personnelle. 54
Avec la réforme de la justice ind',gène intervenue en 1912 certaines infractions
relevant jusqu'alors du code de l'indigénat furent transférées aux tribunaux indigènes.
Malgré cette modification, quelques unes d'entre elles continuaient de faire l'objet de
punition disciplinaire par application d,;; l'arrêté du 14 Septembre 1907. Ainsi Samba
Mbodj, Mary Kobar, Mbay Anta punis pour mauvaise volonté dans le paiement de
"impôt auraient dû être jugés par le tribunal de cercle s5 Le commandant de cercle du
Bawol infligea une punition disciplim;ire à Ibrahima Juuf pour ivresse sur la voie
publique en invoquant les articles 474 et 483 du code pénal. 56 Cet administrateur
semblait n'avoir jamais pris contact avec les textes qui réglementaient ses pouvoirs
disciplinaires. Le code pénal français n'était applicable qu'aux citoyens français. Des
abus plus graves avaient également été constatés dans l'application de la contrainte
par corps en application des dispo:;it.ions de la loi du 22 Juillet 1867. Les amendes
étaient trop lourdes par rapport aux ressources monétaires des indigènes. Rares
--
637
étaient ceux qui avaient la possibilité de payer séance tenante les sommes qu'on leur
infligeait. Ceux qui possédaient des biens étaient condamnés à les vendre pour être
quittes avec l'administration. Les insoh;èbles subissaient les rigueurs de la contrainte
par corps. Selon la loi du 22 Juillet 1867, la durée de la contrainte par corps était de deux
à 20 jours lorsque l'amende n'excédait pas 50 francs mais de 20 à 40 jours lorsqu'elle
était supérieure à 50 francs et n'excédant pas 100 francs. De sorte qu'un administra-
teur qui condamnait un indigène non solvable à 15 jours de prison et 100 francs
d'amende avait toute la latitude de le maintenir en prison pendant 55 jours. La
contrainte par corps expliquait peut-être le maintien en prison au delà du temps fixé,
de quelques indigènes punis en vertu des dispositions du code de l'indigénat.
Les commandants de cercle ne faisaient pas la distinction entre la punition
disciplinaire, mesure spéciale d'ordre administratif et la condamnation judiciaire qui
devait être prononcée par le tribunal de droit commun. Ils n'en voyaient pas toujours
la nécessité puisque c'étaient eux qui rendaient les sentences dans les tribunaux de
cercle. Dans leur esprit, punir un indigène d'une sanction disciplinaire ou le condamner
par un tribunal présidé par la même pmsonne ne changeait rien dans la situation de
l'indigène. Cette confusion qui se créait dans leur esprit, entre punition et condamna-
tion, ainsi que les autres abus relevés soit par le procureur général soit par l'inspecteur
Rheinard58 en 1912-1913 décidèrent à nouveau le gouverneur général William Ponty
à intervenir pour circonscrire de façon précise la portée des pouvoirs disciplinaires des
administrateurs. Ille fit le 22 Septembre 1913 en rappelant les modifications apportées
au régime de l'indigénat par le décret clu 16 Août 1912 relatif à la justice indigène. Les
pouvoirs disciplinaires des administrateurs ne s'étendaient en fait qu'aux contraven-
tions de police simple, et aux infraci'ions aux arrêtés et décisions du lieutenant-
gouverneur relatifs aux matières d'administration et à l'exécution des lois, décrets et
réglements promulgués au Sénégal. ::es pénalités ne pouvaient excéder 15 jours de
prison et 100 francs d'amende. Si les infractions étaient commises par des citoyens
français, l'affaire était portée devant la juridiction de droit commun. Le tribunal de
simple police connaissait du dossier.59 Ainsi donc les pouvoirs disciplinaires avaient
une portée bien circonscrite. C'était violer les réglements que d'y recourir en toute
circonstance. Seulement cette procéciUl'e d'urgence évitait à l'administrateur d'avoir
~~
6 38
1,1"":i:'{~
à étudier un dossier et de ne rendre:èle verdict qu'un fois sa conviction faite. Mais
l'application des pouvoirs disciplinaires n'était régulière que si elle était prévue par les
arrêtés ou décisions du lieutenant-gouverneur ou du gouverneur général. 60
Les commandants de cercle avaient perdu de vue que la répression par voie
disciplinaire constituait un régime (j'exception mis en place au lendemain de la
conquête pour donner aux administrateurs les moyens «de sefaire respecter et de faire
respecter immédiatement la loi,,6•. La plupart des administrateurs en déduisirent que
l'indigénat était le régime répressif normal à l'égard des autochtones. Ce régime devait
être provisoire parce qu'il était d'exception, c'est à dire "qu'il ne répondait qu'à une
situation politique particulière"6'. Ce régime humiliant pour les vaincus était «une
brutalité guerrière6J" mais ne saurait demeurer «une doctrine d'Eta!"'". On ne devait
pas en faire une «application prolongée aux populations accablées par les armes65".
Puisque le Sénégal avait été doté en 1903 et en 1912 d'une administration
judiciaire, l'indigénat devait reculer "pour laisser progressivement la place au régime
de droit commun."66 Cette justice indiÇiène avait essayé de se rapprocher des autoch-
tones. Elle permettait de réprimer plus facilement non seulement les crimes et les délits
mais encore les «infractions aux réglements de police et autres actes émanant de
l'autorité locale6?". La plupart des infractions relevant naguère de la répression disci-
plinaire étaient désormais de la compétence de la justice indigène.
Les Lieutenants-Gouverneurs devaient à l'avenir éviter d'inclure dans la liste
des infractions punies par la voie disciplinaire toutes celles dont pouvaient connaître
les tribunaux indigènes. Les arrêtés an'érieurs, surtout celui de 1907 portant énumé-
ration dess infractions spéciales aux indigènes sujets français devaient être revus à cet
effet.68
Par ces mesures, Ponty espérait réduire dans de grandes proportions le champ
d'application du code de "indigénat. Il n'était pas question de l'abolir totalement mais
d'en émousser la rigueur. L'atténuation de ce régime «de brutalité guerrière" devait
être l'indice le plus certain; des bo~résultats obtenus par l'administration dans ses
rapports avec les indigènes.
11=
() 39
De toute évidence le maintien dLrré'gime de l'indigénat perpétuait l'arbitraire des
commandants de cercle qui ne se souciaient nullement de la conformité de leurs actes
'1:"~"'1
avec les réglements. Les indigènes n'avaient aucun moyen de faire entendre leurs
doléances du fait que la chefferie avait fité complètement dévoyée. Le régistre d'écrou
dont le contr61e par le procureur général n'intervenait que trimestriellement ne donnait
que des informations vagues sur les motifs des condamnations. La seule solution
conforme aux intérêts des indigènes et "à la mission civilisatrice" était la suppression
pure et simple d'un système qui faisait peu cas des droits des individus. Malgré ces
précautions on constata des violations des réglements par les administrateurs de
cercle. Des individus furent punis pour tapage devant les bureaux de la résidence de
Luga. Cette infraction n'était pas prévue par l'arrêté du 14 Septembre 190769• Avec la
guerre le code de l'indigénat fut appliqué sur une grande échelle par les administra-
teurs décidés à briser l'opposition def, sujets français au recrutement.'°
Les commandants pour contourner la loi, ne libellaient pas «les motifs des
peines d'une façon suffisamment explicite pour permettre un contr6le des sanc-
tions71 ». Le cas le plus typique était celui.je l'administrateur du Bawol qui se contentait
de la formule: "offense à l'autorité"72, Les commandants de cercle de Kees et de
Tiwawan ne faisaient pas de distinction entre absence au tribunal sur citation et refus
de se présenter devant le commandant sur convocation écrite ou verbale. Pour eux
toute absence était un refus de déférer à la convocation. Par ces motifs Babacar Caw
écopa de quelques jours de prison par'ie commandant de cercle de Kees et Babakar
de 8 jours de prison par celui de Tiwawan.7J
Le gouverneur général voulait harmoniser deux choses inconciliables, "voulait
laisser aux administrateurs des pouvoirs exorbitants tout en cherchant à les brider pour
qU'ils n'en fissent pas un usage immodéré. C'était de l'utopie d'autant plus que le
flottement des textes relatifs aux pOlJvoirs disciplinaires autorisait l'arbitraire des
administrateurs. Aussi se résigna-t-iJ finalement à codifier en un texte unique la
réglementation relative à la répression par le code de l'indigénat pour faire disparaître
l'incohérence des textes,
6 40
L'arrêté du 14 Septembre 1907 ~la.it devenu d'une application malaisée du fait-
que certaines de ses dispositions avaient été implicitement abrogées par l'article 19 du
décret du 16 Août 1912 relatif à la jUsticf~fraigène. Son abrogation s'avérait nécessaire
pour faire disparaître la confusion régf\\ant dans les attributions judiciaires des admi-
nistrateurs.
La guerre avait donné beaucoup de vigueur aux mouvements de protestation
qui, en certains endroits, avaient même pris une forme sanglante. La sagesse
commandait d'atténuer ce mécontentement qui s'alimentait dans l'autoritarisme sans
bornes des commandants de cercle. La çlénéralisation des incidents armés constatés
çà et là inquiétait le gouvernement. Les forces en garnison dans le pays n'étaient pas
suffisamment nombreuses pour réduirl3 une révolte de grande amplitude.
On essaya alors de brider les a,jministrateurs en entourant de beaucoup de
précaution l'exercice des pouvoirs disciplinaires des administrateurs. En 19151a mort
emporta le gouverneur général William ""anly. Mais ses successeurs, Clozel, Angoul-
vant maintinrent la même orientation. Tous deux étaient d'avis que le code de
l'indigénat ne devait être qu'un régime transitoire, «d'un caractère absolument excep-
tionnel et provisoire... destiné à s'atténuer progressivement au fur et à mesure de
l'évolution des indigènes vers une conception plus saine de leur devoir et de leurs
intérêts et disparaître enfin dans un aVEnir plus ou moins rapproché"» .
. En raison de la guerre les réformes relatives au code de l'indigénat n'eurent lieu
qu'en 1917. Le 31 Mars de cette année, le gouverneur général Clozel publia un arrêté
déterminant l'exercice des pouvoirs disciplinaires et des mesures propres à l'indigé-
nat. Ce texte traça une nette ligne de dé marcation entre les pouvoirs disciplinaires et
ceux qui relevaient de l'administration Judiciaire avec lesquels ils ne sauraient faire
double emploi. Leur exercice ne saurait ètre infléchi par la jurisprudence des tribunaux,
ni par la coutume locale. Ces pouvoirs étaient toujours assimilés à ceux que possédait
un père vis à vis de ses enfants. On devail les exercer de façon vigilante mais paternelle.
Leur rigueur dépendrait de la gravité de la faute et de la part de responsabilité de
chacun des auteurs dans la faute. 75
~-<"'l
,
1/0 .
-
~ q
Les punitions disciplinaires bé8éficieraient de toute la publicité désirée avec
1
mention du motif de la punition avant Îout commencement d'exécution. Les noms du
,~.
puni, son village d'origine et l'énoncé succinct du fait ayant motivé la punition, devaient
figurer dans le régistre des peines disciplinaires. 76
Une punition prononcée en cacllette prenait nécessairement, dans l'esprit de
celui qui en était l'objet, la qualité d'un acte arbitraire. Elle ne pouvait avoir aucun aspect
salutaire sur la masse de la population tenue dans l'ignorance du fait commis et de la
sanction infligée. Avant de prononcer une punition, l'administrateur, ou le chef de
subdivision, devait désormais convoquer tous les témoins en mesure de l'éclairer. La
sanction qui suivait cette petite enquête était prononcée à haute voix en présence de
l'interessé et des témoins "toutes porl€.s ouverte et de façon à ce que le public77" pût
entendre la punition provoquée par l'infraction commise.76
Si à la même date un indigènl~ se rendait coupable de deux ou de plusieurs
infractions spéciales distinctes, le wmmandant de cercle ou l'autorité investie des
pouvoirs disciplinaires ne prendrait en considération que l'infraction principale "en ce
moment au besoin en étant plus sévère dans la punition79». Dans tous les cas, la
punition devait être traduite par un interprète approprié dans la langue comprise de la
généralité des assistants et éventuellement dans celle du puni.
Il prescrivit aussi de réserver "ux prisonniers accomplissant une punition
disciplinaire des locaux spéciaux60 pour que, à leur égard, il n'y eût pas de confusion
avec les détenus de droit commun ou les prévenus. L'idéal eût été d'avoir dans chaque
poste un immeuble uniquement destiné aux prisonniers «condamnés par les tribunaux
ou en prévention devant les tribunaux et un autre ... spécialement affecté aux indigènes
punis disciplinairement61 ». Si cela n'étuit pas possible, tout devait être mis en oeuvre
pour que la partie des locaux de détention affectés aux indigènes punis lOt distincte et
~nettement séparée de la partie düs mêmes locaux affectés aux condamnés et
prévenus de droit commun"62.
Les subtilités juridiques entre punitions disciplinaires et condamnations péna-
les étaient étrangères à l'esprit des populations indigènes. Pour elles l'emprisonne-
- - - - - - - - - - - - - - - • -;~~r-
. .
~
42'
ment était le suprêpme déshonneur qu~on pouvait infliger à un homme libre quel quP
!!,.
fût le motif invoqué pour le justifier. Il n'yavait pas chez eux de différence entre un
homme condam'né pour vol ou pour '2~iine et un homme mis en prison parce qu'il avait
exprimé plus ou moins violemment ~)()n opinion personnelle ou pour avoir tardé à
s'acquitter de son impôt. Dans un CdS comme dans l'autre il se considérait comme
frappé d'une infamie qui se repercui.ait pareillement sur les autres membres de la
famille.
Ceci était d'autant plus vrai que l'emprisonnement, malgré les mises en garde
de l'autorité supérieure, était précédé d'une sévère bastonnade en public. Les punis
étaient employés à des corvées tradi!iClnnellement réservées aux esclaves et sous la
surveillance vigilante des gardes de cercle. Dans un pays ou toute privation de liberté
était assimilée à l'esclavage il était inutile de faire étalalage de tant d'ingéniosité pour
établir des différences entre condamnation et punition.
Les amendes étaient perçues au profit du budget local. S'il y avait refus ou
mauvaise volonté de la part de l'indinène puni, on lui faisait subir les rigueurs de la
contrainte par corps dont la tarification fut sensiblement modifiée par rapport à ce
qu'elle était dans la loi de 1867. Elle était désormais «de un à cinq jours de détention
au maximum pour les amendes de un à 15 francs, de cinq à 10 jours pour des amendes
de 16à 50 francs de dix à quinze jours pour des amandes de 51 à 100 francs8J,.. Cette
contrainte par corps ne revêtait pas le caractère d'emprisonnement punitif. Ce n'était
donc qu'une simple détention pour obliger le puni ou ses parents à payer l'amende.
C'est pour cette raison qu'on demanda aux administrateurs de loger les indigènes,
détenus par application de la contrainte par corps, dans une chambre spéciale. Il ne
pouvaient être astreints à aucune corvée. La contrainte par corps cessait immédiate
ment avec le paiement de l'amende."
L'indigène libéré aprés le délai prévu par la contrainte par corps, mais sujet
solvable, pouvait voir le commandant de cercle saisir tout ou une partie de ses biens,
les vendre aux enchères publiques jusqu'à concurrence de la somme due. as Confor-
mément à cet acte du gouverneur général, le Iieutenat-gouverneur du Sénégal prit le
25 Mai 1917 un arrêté portant énumération des infractions passibles de punitions
64
disciplinaires dans la colonie du Sén~rlal. Contrairement à ce qu'avait souhaité William
Ponly le lieutenant-gouverneur maintint comme infractions celles qui se trouvaient
21,:;,J,"
dans l'arrêté de 1907 auxquelles il a;'outa d'autres relatives à la détention des armes,
au désarmement de la population. B6 Leur nombre passa de 25 à 44. Malgré les belles
déclarations de principe l'autorité supérieure du sénégal demeurait encore réticente
à l'abolition du code de l'indigénat et même à \\a limitation de son champ d'application.
La guerre n'était sans doute pas étrangère à cette prudence de l'administration.
L'arrêté du 31 Mars 1917 fut transformé en decret le 7 Décembre 1917 par le
gouvernement français. Ce decret avait pour but de mettre un terme dans la confusion
qui régnait dans l'administration de la justice en A.O.F .. En effet l'exercice des pouvoirs
disciplinaires avait jusqu'alors donnélieu à des abus et certaines infractions attribuées
parle decret du 16 Août 1912 poriant réorganisation de la justice indigène à la
compétence des tribunaux de cercle' avaient continué à faire f'objet de punitions
disciplinaires.B7 L'élaboration d'un texte d'ensemble, émanant de l'autorité métropo-
litaine s'avérait donc nécessaire "pour régler définitivement tout ce qui, en matière de
pouvoirs répréssifs (dépassait) la compétence des gouvernements locaux, afin de
donner plus de poids et de précision aux instruction maintes fois adressées, à réaliser
les réformes reconnues nécessaires, i.I déterminer nettement le départ qui devait être
fai~ entre la punition disciplinaire ou l'internement et la condamnation judiciaire
prononcée par un tribunal"88.
Ce texte regroupant tout ce qL'i concernait les pouvoirs disciplinaires constituait
en quelque, sorte, le code de l'indig~'nat de L'A.O.F. Il était conçu dans le sens d'une
atténuation de ce régime. C'est pour cela qu'on avait fait de l'exercice des pouvoirs
disciplinaires un monopole pour les commandants de cercle à l'exclusion des autres
agents de l'autorité.B9 Le commandant de cercle était seul investi du droit de punir. Les
chefs de subdivision et de circonscription secondaire n'avaient plus qu'une espèce de
délégation. Les punition qu'ils distribuaient devaient au préalable recevoir l'approba-
tion du commandant.
Les pouvoirs disciplinaires demeuraient d'essence politique et avaient toujours
pour but de reprimer les infractions de nature à nuire à l'ordre colonial. La répression
Ne
6 4
par voie disciplinaire n'était pas une sar.lction judiciaire et ne créait pas en conséquence
.~".
,
d'antécédents judiciaires.'"'
. , .
Les administrateurs devaient se pénétrer de cette distinction essentielle dont la
méconnaissance avait été à l'origine de beaucoup d'erreurs. Il était interdit "de punir
disciplinairement les infractions de droit commun qui (étaient) de la compétence des
tribunaux indigènes et on ne (devait) non plus faire appliquer par ces tribunaux les
punitions disciplinaires9 '».
Seuls les indigènes non citoyens français étaient passibles des peines discipli-
naires. Etaient donc exclus de cette catégorie les indigènes naturalisés français ou nés
dans les quatre communes de plein e~ercice, les indigènes ayant acquis par natura-
lisation ou naissance la qualité de citoyen d'une nation européenne ou américaine, les
citoyens de la République de Libéria, les indigènes originaires du Congo Belge, des
'0"
-
Iles du Cap-Vert, des Canaries, du Rio d'El Oro étaient également soustraits aux
punitions disciplinaires, les militaires indigènes originaires de L'A.O.F. non citoyens
français qui avaient servi pendant la durée de la guerre ainsi que leurs femmes et leurs
enfants92 En revanche les agents indigènes gardes de cercle, interprètes, agents
politiques et les représentants des chefs ainsi que les chefs perdaient le bénéfice de
l'exemption des peines disciplinaires que leur avait octroyée en 1917 le gouverneur
général Van Vollenhoven. Ces agents étaient à nouveau soumis aux pouvoirs représ-
sifs. Pour ne pas porter atteinte au prestige des chefs, les administrateurs étaient
invités à manier ces punitions avec pondération. 93
Les infractions punissables étaient celles qui figuraient dans l'arrêté du gouver
neur de la colonie en application d€ ce décret. Aucun administrateur n'était autorisé
à créer des infractions en dehors de celles mentionnées par l'arrêté du Lieutenant-
Gouverneur. Entout état de cause le, indigènes insolvables ne devaient être punis que
de prison seulement. 94
Pour pouvoir exercer les pouvoirs disciplinaires les fonctionnaires appartenant
au corps des administrateurs devaient être chargés d'un commandement d'une
circonscription. Les administrateur:3, employés dans les bureaux ou chargés d'un
;,i"
WB
4 1
6
service quelconque, n'étaient pas investis de pouvoirs disciplinaires, Même l'adminis-
.
"r:!t"'
trateur, inspecteur des affaires administratives n'était pas habilité à exercer ces
pouvoirs. Les punitions infligées par IBs"8hefs de subdivision, les résidents n'étaient
exécutoire que provisoirement car elles pouvaient être réduites ou annulées par le
commandant de cercle. 9s Le 27 Février 1918 un arrêté porta énumération des infrac-
tions spéciales passibles de punitions disciplinaires dans la colonie du Sénégal. Il
reprenait en fait la nomenclature conte:lue dans l'arrêté du 25 Mai 1917. Quelques
nouvelles infractions étaient relatives È\\ la fabrication des armes, et à la présentation à
la vente des arachides de matière étrangères pour en fausser le poids.96
Les conseils de pondération généreusement prodigués aux administrateurs
dans l'exercice des pouvoirs disciplinaires n'arrêtèrent nullement la dure répression
qui frappait les indigènes. Les autorités savaient que le mutisme auquel l'expéditive
terreur des administrateurs avait condamné les indigènes ne donnait qu'un loyalisme
de surface. La moindre lézarde dans l'arsenal coercitif pouvait être mise à profit par les
indigènes pour manifester leur hostilité contre l'ordre qui les brimait. Le maintien du
code de l'indigénat administrait la preuve que l'administration française n'était pas
parvenue, aprés plus de quarante ans d'occupation à conquérir la sympathie des
indigènes.
En 1919 quelques administrateurs passèrent en cours d'assises sous l'inculpa-
tion de meurtres et furent condamnés è, des peines sévères. Dans l'exercice de leurs
pouvoirs disciplinaires, ils s'étaient laissés aller à des violences révoltantes qui
coutèrent la vie à ceux qui ne mériteient selon les textes qu'une punition. 97 Le seul
moyen de supprimer ces abus était l'abolition pure et simple du code de l'indigénat et
la transformation de toutes les infractions spéciales en infractions de droit commun
soumises à la compétence des tribunaux indigènes.
En 1920 les conseillers généraux Michel Sangue et Amadu Dugay Kledor Njay
demandèrent l'abolition de l'indigénat. Bien qu'originaires des quatre communes la
plupart des conseillers indigènes avaient une partie de leur famille dans ce qu'on
appelait encore les pays de protect(lr~\\t. Ils n'ignoraient rien des tracasseries, des
humiliations dont certains de leurs parents étaient victimes. ils tirèrent argument de
~
~
646
l'article 3 du code civil qui soumettait ~nù'loi pénale les français et les étrangers vivant
dans la colonie pour émettre le voeu q~,Sl",a loi pénale française fût exécutée sur toute
l'étendue du territoire du Sénégal. Car, à leurs yeux il était anormal «de traiter une partie
des habitants du Sénégal d'une manière plus défavorable que des étrangers."" Mais
c'est en 1946 qu'intervint l'abolition tanl attendu du code de l'indigénat.
L'lNTERNEMHiT ADMINNISTRATIF
Le décret du 30 Septembre 11387 prévoyait également "internement des
indigènes non citoyens français. C'étaient comme pour l'indigénat, des mesures
répressives d'ordre administratif et r:ditique et qui n'avaient rien à voir avec des
sanctions judiciaires." Ce qui le différenciait des pouvoirs disciplinaires c'est que
l'internement n'avait pas pour but de punir des indigènes coupables'CJ'une faute légère
et de faible portée, mais de mettre hors d'état de nuire des indigènes qui troublaient
gravement la sécurité publique ou la situation politique du pays en s'insurgeant contre
j'autorité de la France.
Les sanctions ne constituaient en aucune façon des condamnations à propre-
ment parler, et ne pouvaient pas frapper des indigènes dont les délits et les crimes
étaient de la compétente des tribnunaux ordinaires. Cet instrument de répression
dépassait en horreur tous les abus dont. souffraient les populations avec les pouvoirs
disciplinaires des administrateurs. Il ne s'appuyait sur aucun texte de loi. C'était en
réalité une mesure qui prolongeait la guerre afin de réprimer tous les faits non qualifiés
par la loi et qui étaient de nature à compromettre la domination française. te)()
La procédure était sommaire eU;ecrète. Le dossier n'était pas communiqué à
la victime. Elle se terminait presque toujours par l'envoi de "indigène incriminé au dépôt
des internés soit au Gabon pour les faits jugés trés graves, soit en Mauritanie ou en
Casamance selon le lieu d'origine des sanctionnés. L'internement était donc un moyen
commode pour faire disparaître sans procès les indigènes jugés dangereux pour la
sécurité française. C'était l'arbitraire rur appuyé sur la force.'o1
n.., ,..
Ne
6 47
JI était donc impossible de don1(~r une définition juridique de l'internement. Il .
n'avait pas son équivalent dans le dro\\t!!.ançais, dit Charles Dumas. Il ne reposait sur
,"<"f';
aucun principe juridique connu et pouvait réprimer tous les faits prévus ou non par les
textes. Jû2 Le présumé coupable n'avait aucun moyen de se défendre. Cette négation
même du droit qu'était l'internement donna naissance à de vives protestations. On
reprochait à l'administration de refuser d'entendre la défense des indigènes contre
lesquels étaient présentées des propositions d'internement. L'idéal pour ces protes-
tataires devait être une politique capable de sauvegarder à la fois "la prédominance de
l'influence française, les droits de l'humanité et les devoirs de la justice"'03. Mais les
conquérants préférèrent la coercition pour faire taire les oppositions à leur domination.
Bien avant le décret du 30 Septembre 1887 les autorités coloniales du sénégal
avaient commencé à punir d'internement administratif les Sénégalais influents qui
refusaient de les seconder dans la conquête du pays L'une de leurs premières victimes
avait été Sidya Leon Joop prince du Walo qui fut banni au Gabon dans les années 1870.
Ce jeune prince déployait une intense activité pour restaurer le royaume de ses
ancêtres annexé par la France depuis 1855'0'.
En 1888 Biran Sise chef du Nao; qui avait joué un rôle important dans l'histoire
du Salum et du Rip fut interné au Gabon et remplacé par Ndéri Kani Ture. 'os En raison
de sa forte personnalité qui l'opposa.it souvent aux mesures que voulait lui imposer
l'administrateur de Noro, on l'accusa de fourberie et d'instincts pillards qui troublaient
le pays. Pourtant une année plus tôt il faisait partie des collaborateurs sur qui
l'administration comptait pour accélÉorer le développement de la culture arachidière.
En réalité ce furent ses bonnes relations avec les Anglais de Gambie qui décidèrent
le gouverneur à l'écarter d'une provi;)ce névralgique.
En 1891 affaibli par les rigueuri: clu climat Biran Sise demanda à rentrer dans son
pays. Le gouverneur jugea que son retour présentait encore de sérieux dangers dans
un pays troublé et dont l'autorité du clief en l'occurence celle Mamu Ndari était trés
fragile. Biran sise n'aurait aucune difficulté à rallier autour de sa personne les anciens
partisans de Saer Maty. le gouverneur Lamothe préconisa le maintien de son
internement jusqu'au réglement des problèmes de frontières avec l'Engleterre à
propos de la Gambie HJ6
En 1891 JÏloxobaay ancien roi clu Siin fut également interné au Gabon pour
permettre au bur Mbacké Il de consolider son autorité encore chancelante sur le Siin.
En 1895 ce fut le tour de Cheikh Ahmadu Samba fondateur de la confrérie
mouride de connaître le bannissemeni au Gabon. Si sa conduite était irréprochable aux
dires de l'adrninistration, en revanche en imputait à ses disciples et à ses sympathi-
sants un fort contingent de griefs. Des ch,~fs de province dont l'autorité était sans cesse
contestée par leurs administrés et des marabouts dont les écoles se vidaient littérale-
ment au profit d'enseignants investis par Cheikh Samba multipliaient leurs dénoncia-
,
tions calomnieuses au prés des autorités françaises qui ne maîtrisaient pas encore
,
totalement le pays.
La peur d'une insurrection sous l';§gide de Cheikh Samba conduisit les autorités
françaises à l'amener au Gabon en l'accusant de vouloir troubler le Jolof, le Kayoor,
le Sawol, le Walo, et le Siin-Salum. Il revint au Sénégal en 1902. Sa présence donna
naissance à une grande effervescence clans le pays. Des pélerins venaient de partout
lui rendre visite. Parmi ceux-ci figuraient bien sûr les ceddo, anciens guerriers sans
emploi, enclins aux pillages et qui p)uvaient chercher «même en dehors de tout
fanatisme religieux à profiter de cette situation pour entreprendre leurs exactions'o,,,.
Pour écarter cette éventualité et freiner l'influence grandissante du marabout on
l'interna à nouveau en Mauritanie où il resta jusqu'en 1907.'08
En Janvier 1896 Samba Lawbe Pünda Njay, Surba Jolof prit à son tour le chemin
du Gabon à la suite d'une manoeuvre de Fara Siram Lo nommé résident auprés de lui.
Dés son arrivée cet agent du gouverneur comprit que le burba n'était pas malléable et
entendait défendre les prérogatives que lui reconnaissaient et la coutume et le traité
signé avec la France. Fara Siram lui tendit un piège en lui proposant de lui faire à Saint-
Louis un sceau portant sa signature pi)Ur sa correspondance. Muni de ce sceau Fara
Siram attribua au burba la paternité d'une lettre qu'il avait lui même écriti'destinée à
Cheikh Samba et dans laquelle il prêtait au roi du Jolof l'intention de mettre toutes ses
6 49
forces au service du marabout pour b croisade contre les Blancs. Cet habile
subterfuge lui permit de parvenir à se~; tins. Aprés l'exil de Samba Lawbe Penda,
·~'~f~·'
l'administration nomma Burba Jolof BUlla .Nday, fils de Albury.1I était encore trés jeune
et Fara Biram put assouvir son ambition en exploitant sans vergogne la jeunesse du
souverain. Il était devenu en quelque sorle le régent du Jolof.'09
En 1899 les villages de lÏlomre di) Guyb6mtt se rebellèrent contre l'autorité
française à l'occasion d'un recrutement de réservistes indigènes. Il s'agissait de
recruter dans chaque canton un certain nombre d'indigènes pour leur donner
l'instruction militaire nécessaire, afin qu'en cas de besoin, ils pussent assister les
troupes régulières. Les marabouts du f\\ijambur acceptèrent à condition que leurs
enfants ne fussent employés que dans la colonie, qu'ils eussent le droit de faire
régulièrement leurs prières et qu'on ne leur habillât pas en tirailleurs et qu'on leur versât
.'~
une solde équitable. 110
Pour des raisons difficiles à écl",ircir la population de ces villages décida de
s'opposer à la levée des contingents. Peut-être n'ava~~plus confiance dans la
parole des autorités. Peut-être aussi que les sentiments anti-francais n'avaient rien
perdu de leur virulence depuis le pillage (J!; leur pays par les troupes de Faidherbe. Ce
mécontentement était accentué par la façon dont le commandant de Luga choisissait
les chefs de villages et de canton. Car l'un des chefs de l'insurrection, Mbargu La, fils
d'un ancien serigne lÏlomre avait toujours fait étalage de ses rancoeurs de n'avoir pas
été nommé à la chefferie de lÏlomré en remplacement de son père.' 11 Quoiqu'il en fût,
les marabouts achetèrent des armes en grandes quantités puis se réunirent à Guy
Mbëtt où il prirent la résolution de se sou:3traire et à l'autorité de leurs chefs et à celle
de la France. leur croyance commune lm "islam cimenta leur union. Si l'on en croit
AubryJe..comte, le directeur des affaim~; indigènes, les directeurs spirituels de ce
mouvement attisèrent la haine des rebelles contre la domination française en faisant
comprendre à leurs adeptes que des mus'Jlmans sincères ne devaient obéir qu'à des
autorités musulmanes. Ils ref~~~nt donG de fournir les contingents demandés par
l'administration. Ils préfé~mourir "/(JS armes à la main que de donner assistance
aux chrétiens'I2».
N~
6 5 0
Le gouverneur décida une opél'i,iion de police. Une compagnie de tirailleurs
sous les ordres du capitaine Dumas pa,c.i}\\Jrut la région pour obtenir la soumission des
Ç:::::~;f:..'
populations. La plupart des insurgés "ur les conseils de l'un des dirigeants du
mouvement le nommé Alaii Joop, se jetèrent dans le Kayoor pour se mettre à l'abri des
représailles."3
L'envoi de la force de police emp.§cha le mouvement de prendre une grande
ampleur. En effet la contagion avait gagné le Jolof et le Walo. Dans ce dernier pays
serigne Lambadj Moumar Seck avait rassemblé 300 fusils et faisaient route vers
Guymbëtt pour faire sa jonction avec ItlS insurgés.' 14
Le gouvernement de Saint-Loui~: mit la main sur les marabouts les plus influents
qui passaient pour avoir incité les populations à la désobéissance. C'étaient Mbargo
Lo et Mamori Joop de Nomre, Alaji JOOll, Aly Kebe, Massamba Gaad, Mahone Hadj
..
de Koki, Serigne Bélélèl Ali Kumba Fa"l, Moor Paate Gay de Nayobe, Amadu Seck
serigne Lambadj et Majoop Aram. 115 Ces derniers avaient commencé à préparer le
mouvement dans le Walo. Ils furent arriités par le chef supérieur de cette province
Yamar Mbodj qui demanda leur déportation. Lors de séance du 27 Janvier 1899 le
conseil privé présidé par le gouverneur général Chaudié décida l'internement au
Gabon de Mbargo Lo, Alaji Joop, Mar Paate Gay, Amadu Seck." 6
S'agissant des autres détenuspl13udié trouva les accusations légères. Il exigea
des faits précis avant de prendre à leur encontre des mesures aussi graves. Toutefois
en Mais 1899 le conseil privé décida leur internement en Casamance. Etaient touchés
par cette mesure Mamori Joop, Mahone Hadi, Ali Kebe, Ali Kumba Faal, Majoop Aram,
Bakatam Fally de Wgaraff Jolof, Sapep~a Njay et Mbuss Cam de Ma'llax'17
Les mesures frappant ces indigè les étaient d'une féroce cruauté. Aucune limite
n'était donnée à la durée du bannissE,rnent parce que le décret du 30 Septembre
conservait un mutisme total sur ce point. En envoyant ces gens du Sahel habitués à
un climat chaud et sec soit dans la zone équatoriale soit dans la zone soudanienne où
les chaleurs humides sont étou/antes, on les condamnait à plus ou moins brève
échéance à une mort certaine. C'était un moyen commode de se débarasser
6 5 1
d'hommes refusant de mettre leur inJJik~nce au service du conquérant. Mais leur
<,.1 ,~
éloignement n'entrainait jamais l'oubliees motifs de l'insurrection. Ceux qui restaient
"
t'iÂ'"
continuaient de maintenir la flamme dans leurs coeurs.
Les mesures d'internement étaiEillt accompagnées d'amendes collectives qui
frappaient indistinctement coupables E,t innocents dans les zones incriminées. La
responsabilité collective permettait aux conquérants, aprés chaque opération de
police, de faire cruellement sentir sa force. Cette responsabité collective était comme
l'indigénat ou l'internement, la négation de la justice.' 1. L'autorité renonçait à trouver
les vrais responsables pour leur infliger les sanctions en rapport avec leur délit ou leur
crime.
Pour justifier le maintien de la r'3,;ponsabilité collective, on allégua que le délit
pour un noir était fréquemment l'oeu'lre d'un groupe. Les actions délictueuses ou
criminelles étaient perpétrées en COIT!~'1un. La solidarité du groupe faisait obligation à
tous les parents et aux voisins de part'ciper à l'entreprise sous peine de s'exposer à
des représailles. Sans doute, les liens de solidarité gardaient au lendemain de la
conquête toute leur vigueur. Mais ils se manifestaient surtout à l'occasion des
cérémonies familiales. Nous n'avons pa:; connaissance de familles s'étant constituées
en association de malfaiteurs pour ccmrnettre des crimes ou des délits pour le seul
plaisir de satisfaire leur goût du lucr'3. il nous parait donc pas recevable que ce
sentiment de la solidarité fût invoqué pour justifier des procédés particulièrement
1
repressifs. Les indigènes se concertaiE,nt pour mener leur révolte ou leurs mouve-
ments insurrectionnels parce qu'ils étaient victimes du même système de domination
qui les enfonçait chaque jour davanta!Jl3 dans une profonde détresse. L'expérience
leur avait appris que les révoltes individuelles augmentaient le nombre des victimes
mais étaient incapables de modifier l'ordre contre lequel il luttaient.
Le système des amendes collectives était antérieur à la promulgation du decret
du 30 Septembre 1887 au Sénégal. P,u cours de la conquête, les lourdes amendes
frappaient les pays vaincus ou les villages qui avaient refusé leur collaboration aux
colonnes. Ainsi en 1861 le Siin et le Salum furent condamnés à payer 700 boeufs pour
couvrir une partie des dépenses engagées lors des opérations militaires menées
NR
652
<?~1'."
contre eux.'19 Une fois le decret du ~O Septembre 1887 promulgué au Sénégal,
l'administration recourut à cette arme ,je terreur qu'étaient les amendes collectives
pour contraindre les populations à un "ilence résigné. Ainsi l'administrateur Patterson
du cercle de Kees utilisa ce système cc ntre le village sereer de Ceeki sous prétexte que
l'attitude de ses habitants était menar,cnte et hostile. '20 Evidemment de tels griefs ne
valaientt pas des faits précis. Mais el l'absence de délits ou de crimes constatés,
Patterson s'arrogea le droit de sanc\\onner les possibles mauvaises intentions des
sereer de ce village.
Patterson se rendit dans ce villi:l!;,e en compagnie de 800 auxilliaires Lebu qu'il
gratifia du terme de «ramassis de bons à semer le désordre et à se livrer à un pillage
en régie'''''. Avec cette troupe d'occasiDn, il put ramasser 400 fusils et contraindre les
habitants à lui payer une amende dp ;~49 boeufs, 38 veaux, 62 chèvres. Ceux qu'il
considéra comme les meneurs Mbaél!:.Ge)', Diboor Sis, MilÏaan Pu)' furent arrêtés et
dirigés sur Fissei.'22
En 18951es habitants du village da Goi eurent à payer une amende de 250 francs
pour avoir frappé le garde Sory Fatuma;a qui voulait leur extorquer quelques animaux.
Selon l'administrateur Molleur cette ;'êUte de l'agent n'absolvait pas ces villageois
coupables, malgré tout, d'avoir malméré un agent de l'autorité. En tant que subordon-
nés, ils auraient dû lui obéir d'abord e';aire ensuite leurs réclamations soit auprés du
résident de Sambe soit auprés du comr::andant de cercle. Cette amende avait surtout
pour but de leur faire savoir que partout l'autorité devait être respectée.'23
En 18981es villages de Ngoe furE:nt frappés d'une amende collective. C'était au
lendemain de l'abolition de la royauté, (lu Siin consécutive à la mort de Mbacké II. La
partition du Siin en deux provinces fut' ·3ssentie par les Sereer comme un affront, un
sacrilège. Aussi décidèrent-ils d'un commun accord de ne reconnaître comme bur
que Kumba Ndoffen /1 désigné par lE grand conseil pour succéder à son oncle.'24
Les habitants des villages qui ::·E trouvaient dans le province dévolue à Kumba
Njimbit Nia)' refusèrent de lui obéir et ,:.(,ntinuèrent à verser les redevances aux agents
désignés par Kumba Ndoffen II. Les vi'/;~ges les plus refractaires à l'autorité de Kumba
653
''1'"
Njimbitt Ndoy étaient ceux de Ngoe etcle Ndoffo-Ngor dont les chefs Sekeen Juuf et
Gode Juuf refusèrent même de répondr's à la convocation de Alsace l'administrateur
de Kaolack'25.
Ce dernier préconisa l'emploi (je force, contre ces villages, L'enquête révela
que les villages de Jaareex, Joïn et Ngayoxeem étaient au bord de l'insurrection. Le
gouverneur interdit le recours à toute opération de police. De fortes amendes pensait-
on, suffiraient à ramener la paix dans le3 esprits. A Sekeen Juufon infligea une amende
de 150 francs à Gode Juuf 100 francs. De plus une amende de 500 francs était
prononcée contre les villages de Ngoe el de Ndoffo-Ngor. '26 La lourdeur des amendes
mettait les populations qui en étaient victimes dans une situation économique précaire.
Pour récupérer le montant on vendait à l'encan tous les biens trouvés dans les villages.
En les plongeant dans une ~~ pauvreté on pensait leur ôter pour longtemps
toute idée de braver l'autorité française.
Les amendes collectives comrfie les autres punitions étaient laiss~ l'appré-
ciation des administrateurs. Elles éta;ent destinées à assurer à l'administration les
moyens de réprimer les désordres. Les s.ommes collectées permettaient à l'autorité de
récupérer une partie des dépenses nÉcessitées par l'opération de rétablissement de
l'ordre. Les textes réglementaires ne prévoyaient aucun maximum pour la durée du
bannissement ni pour le montant des amendes.
Toutefois le décret du 21 Novembre 1904 remédia à cette lacune. Il autorisait
le gouverneur général à prononcer l' intemement des indigènes et le sequestre de leurs
biens pour une durée maximum de dix ans127• L'internement et le séquestre ne
pouvaient être ordonnés que pour fait; d'insurrections contre l'autorité de la France,
sous la forme de troubles ou de manoelJllres susceptibles de compromettre la sécurité
publique. Dans ces cas, les villages sur les territoires desquel se seraient produits les
faits, ainsi que les collectivités dont les membres auraient participé aux mouvements,
seraient frappés d'amendes collectives. Toutes ces mesures, devaient à peine de
nullité, faire l'objet d'arrêté du gouverneur général pris en conseil de gouvernement.'2B
Ils étaient alors portés à la connaissance du ministre des colonies accompagnés d'un
654
rapport sur l'affaire et d'une expéditiolJ de la délibération du conseil du gouverne-
':,l'~?
ment. '29
Conformément aux disposition3 de ce décret du 21 Novembre 1904 la commis-
sion permanente du conseil du gouvernementde l'A.O.F. se réunit le 5 Mars 1906 pour
statuer sur quelques cas proposés jj~ïi Guy lieutenant-gouverneur du Sénégal. Le
premier concernant Noxor Ngoné du village de Dolfira, cercle de Kees contre qui il
demanda son internement dans le cercle de Podor pour une durée de 3 ans. f3(J Noxoor
Ngone, était un sorcier qui avait joué un r61e décisif dans une affaire d"empoisonne-
ment. Sa pratique consistait à soumettre à l'épreuve du poison les indigènes accusés
de crimes ou de délit. Le conseil fut d'avis que ces deux faits reprochés à Noxor Ngone
constituaient un crime et une complicité de crime. Leur auteur devait donc être déféré
au tribunal compétent et non être l'obj8t d'une mesure administrative. C'était le tribunal
de cercle qui était compétent. "
'
Le second cas était relatif à une agitation produite dans le cercie de LugB à
l'instigation d'une personnalité de Saint-Louis dont Guy ne précisa pas l'identité du
mois d'aprés le procès-verbal de la ré\\J:lion. Ce Saint-Louisien avait pris partie dans la
lutte engagée par les peuls du Jolof qui exigeaient le droit de nommer à la tête de leurs
clans les ardo de leur choix. " leur promit son soutien pour faire aboutir leur projet qui
n'était rien d'autre que leur détachement de la confédération du Jolof. Bien stylés par
cette personnalité les peuls se mirent à contester l'autorité de Buna Njay, Burba Jolof,
età exiger même une réduction d'imp6t. Lechef du mouvement était Demba Njindaque
la commission permanente du conseil du gouvernement de L'A.O.F. frappa d'une
mesure d'internement administratif à Sédhiou pour une durée de deux ans.'32
Cet exemple était suffisant pour montrer toute la gravité des mesures d'interne-
ment. Demba Njinda avait été poussé dans son entreprise par une personnalité de
Saint-Louis que sa qualité de citoyen français mettait à l'abri des textes réglementant
les pouvoirs disciplinaires et les m:,:sures d'internement. Pourtant tout autorise à
penser que sa culpabilité était plus grande que celle de Demba Njinda dans l'agitation
qui avaient troublé le Jolof. Mais la sanction ne frappa que le porte parole des peuls
soumis à l'empire du code de l'indigénat.
655
La sévérité de la punition était Sa!lS commune mesure avec le gravité de la faute.
Les peuls ne se dressaient pas contre l'autorité française. Ils n'avaient pas pris les
armes contre l'ordre établi. C'est parce qu'il fondait des espoirs sur la justice française
que Demba Njinda avait accompagné à Saint-Louis la personnalité qui avait promis de
défendre leurs droits auprés du goC~,~rneur. Mais du moment qu'il y avait eu agitation
il fallait sévir et les textes ne prévoyaient aucune pondération dans la sanction. Une fois
que la culpabilité de l'indigène était prouvée la mesure d'internement lui imposait un
autre lieu de résidence}loin des sienf'.
Le gouverneur général William proposa en 1913 une échelle de peines admi-
nistratives en matière d'internement. Selon la gravité de la faute il envisagea par ordre
décroissant l'internement, la mise en résidence obligatoire dans un poste avec ou sans
pension, le séjour forcé dans un lieu dciterminé et enfin l'interdiction de séjour dans une
ou plusieurs localités. cette échelle donnait à l'autorité la possibilité de moduler les
punitions. En procédant de cette façon on éviterait de faire dégénérer en acte de
vengeance politique l'exil temporaire d'un indigène.'33
....-"".
....
Les internés n'étaient employôs à aucune sorte de travail. Généralement
l'administration française leur allouait une indemnité de subsistance variant de 20
francs à 40 francs par mois. Ces sanctions imposés aux populations ayant péÏrticipé
aux insurrections étaient du domaine des punitions d'ordre administratif et non pas de
celui des sanctions judiciaires.'34 C'é'[aient non des amende,mais des contributions
des collectivités coupables pour les mettre hors d'état de récidiver.
Ainsi les mesures d'internement de séquestre des biens et la cqntribution
imposées aux collectivités avaient davantage un caractère préservatif que répressif. '35
Il n'est pas besion d'insiter ici !;lIr le caractère spécieux de ce raisonnement. Il
ne dépendait en effet que de l'administration pour transférer toutes'Ies infractions,
crimes ou délits à caractère insurrectionnel à la compétence des tribunaux locaux.
Mais le tribunal était une arène moins sOre. Les parents des justiciables s'y donnaient
rendez-vous. Toute sanction jugée injuste pouvait être à l'origine de mouvements
incontrôlables. Quant à la commission permanente, elle délibérait en l'absence du
656
présumé coupable déjà isolé de ses parents. On pouvait sans danger, lui infliger la
-.....~i?r'"-·
peine qu'on croyait susceptible de ramener l'ordre,136
L'internement n'était pas néct;;sairement accompagné du séquestre des biens
Q~'Ii.ili~c~
,
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ette mesure Intervenait quan
on craignait a 1api atlon e ses lens
en son absence soit par sa famille,-:>oit par ses adversaires politiques dont les
,
,< • .jo.;.
dénonciations plus ou moins calomni'3uses étaient à l'origine de la sanction, Cette
,
disposition permettait aussi de garantir le paiement d'une contribution collective car
l'interné était souvent le chef de la coi\\ectivité qui s'était insurgée. '37 Les contributions
étaient exigées en espèces ou en nature (bestiaux, chevaux, poudre d'or). Aucun
maximum n'était fixé en cette matière, Le gouverneur général demanda que ces
contributions n'eussent pas pour résultat la ruine de la collectivité dont les membres
,
. ,
pourraient se trouver contraints de r, lener une vie de maraude et de banditisme 138.
Ainsi donc la mise en place ,je l'arsenal coercitif constitué par le code de
l'indigénat, le travail forcé avaient fini par créer chez les indigènes un vrai climat de
terreur. Ils étaient hors du droit commun, vivant dans une totale infériorité par rapport
même à leurs congènères des communes de plein exercice. Entre les mains des
commandants, ce code n'était que 1'3 législation de l'arbitraire. Les sanctions tom-
baient sans discernemenyur les popu.lations car la fantaisie de ceux qui punissaient
étaient la seule régie, On ne pouvait as~;igner aucune limite aux infractions disciplinai-
res qui se résumaient en une «offense de j'autorité" quand la faute n'était pas évidente.
II y avait faute par l'indigène quand il s'élbstenait ou oubliait de saluer un Européen ou
quand il y avait lenteur chez le chef de village à offrir les poulets et le cabri d'usage ou
quand il manifestait sa mauvaise volollté dans le recrutement des concubines du
commandant en ne lui présentant que de vieilles femmes.
Cette terreur contraignit les vaincus à baisser la tête. Mais au fond d'eux mêmes
ils ne cédaient rien sur l'essentiel. Pou, mieux résister ils développèrent l'art du refuge.
Tout en donnant des marques extérieul'es de soumission devant l'expéditive brutalité
des commandants de cercle, ils s'accrochaient avec une détermination toujours plus
affirmée à leurs traditions qui leur serve.ient d'écran contre l'influence étrangère, A la
désacralisation de la chefferie opéroE' par le conquérant, ils répondirent par des
Ne
6 5 7
adhésions massives à "islam, Sous l~..\\;ranteau de la religion les vaincus continuèrent
leur lutte souterraine contre les vainqLieurs.
Quoiqu'il en soit, le code dn l'indigénat en dotant les administrateurs de
pouvoirs exorbitants, permitd'orientEf l'activité des populations dans le sens voulu par
le capital métropolitain. De belles âmes, à plusieurs reprises, préconisèrent sa
suppression car c'était un régime (j'oppression qui était la négation de la mission
civilisatrice de la France. Ce souhait ne fut réalisé quand 1946 quand sous la pression
des évennements la France accept,;l la naturalisation dans le statut de ses anciens
sujets coloniaux.
1- J.O.S. : Réunion des chefs indigènes avec le gouverneur Lamothe, 2 Septembre
1893.
2- Hardy G. : lJ\\ PSYCHOLOGIE DES POPUlJ\\TIONS COLONIALES, in revue de
psychologie des peuples, 1947, (pa!je 234).
3- ANS. 2 B 64 FF 90-91 : Genouilkl au ministre, le 14 Mai 1886.
4- Folliet : LE DROIT DE COLONIS,lI.TION, (page 227).
5- Folliet : Op. cit, (page 227).
6- Idem, ibidem.
7-ldem, ibidem.
8- Sylvain: ETUDE SUR LE TRAITE\\\\lIr=NT DES INDIGENES, 1899, (page 294).
9- Dareste : TRAITE DE DROIT COLONIAL, 1931 Tome Il, (pages 498-499).
10- Gouverneur Genouille: discours au consul général séance du 29 Mai 1886.
11- Idem, ibidem.
12- A.N.S. 2 D 14-2 : Note pour l'administrateur du Kayoor, 30 Octobre 1899.
13-ldem, ibidem.
14-ldem, ibidem.
15- A.N.S. 2 D 14-2 : Note pour l'adm.Jinistrateur du Kayoor, 30 Octobre 1899.
16-ldem, ibidem.
17- Villamur: LES ATIRIBUTIONS JUDICIAIRES DES ADMINISTRATEURS COLO-
NIAUX, 1902 (page 13).
18- Vignon: UN PROGRAMME DE POLITIQUE INDIGENE, 1919 (page 291).
19- ANSOM, SénégallV-103 Nany, le 16 Mars 1891.
20- A.N.S. 2 D 13-21 Cercle de Dakar·Kees, le 4 Mai 1897.
21- ANS. 2 D 13-21 Kees, le 15 Septembre 1897 : Relevé du régistre des peines
disciplinaires.
22- A.N.S. 2 D 14-26 : Relevés mensuels peines disciplinaire. Cercle de Kayoor, 30
Avril 1897.
23- A.N.S. 2 D 14-26 Tivaouane, 3 ~,Ié,is 1898, relevés peines disciplinaires.
24- Conseil général session de Mai W01, séance du 9 Juin 1901, intervention de
Deves (page 357).
25- Idem, ibidem.
26- Conseil général session de Mai 1901, séance du 9 Juin 1901 Deves .
27- A.N.S. M 110 : Cercle de Kees, Province du Bawol occidental.
or·'
28- A.N.S. M 110: Cercle de Kees, province du Bawol Occidental.
29- A.N.S. 13 G 296 (page 1), rapport Poulet, Avril 1904.
30- Amadi Ngoné Faalll régna de Janvier à Août 1883.
31- A.N.S. 13 G 296: Rapport Penvergne, Avril 1904.
32- Idem, ibidem.
33- A.N.S. 13 G 296 : Rapport Peuvergne.
34- idem, ibidem; .
35- A.N.S. M 111 : Procureur général à Gouverneur général A.O.F. 1905.
36- A.N.S. M 111 Pièce 18 : Cercle d~1 Kees, Décembre 1905.
37-ldem.
38-ldem.
39-ldem.
40- J.O.S., Jeudi 26 Septembre 1907, 2.rrêté du 14 Septembre 1907.
41- Idem.
42-ldem.
43- A.N.S. M-216 Pièce 102 : Circulaire de Ponly, 24 Septembre 1909.
44- Idem, ibidem.
45- A.N.S. M 216 pièce 102 : Circulaire du Gouverneur Ponly 24 Septembre 1909.
46- Idem, ibidem.
47- A.N.S. M-216 Pièce 102 Circulaire d.e Ponly, 24 Septembre 19Q9
48- Le Petit Sénégalais, Mai 1913.
49- A.N.S. Dossier Cheikh Ahmadu Samba. Jugement supplétif 30 Septembre
1911.
50- Moreau: Les indigènes de L'A.O.F. (pages 163-164).
51- A.N.S. M-97: Circulaire du lieutenant-gouverneur, Octobre 1918.
52- Idem, ibidem.
53- M. 220 : Relevés trimestriels punitons disciplinaires, Luga 1912.
54- Idem, ibidem.
55- M-220 pièce 14 Commandant de cercle de Tivaouane.
56- M-220 Commandant de cercle du Bawol.
57- Constantin: L'ORGANISATION DE LA JUSTICE INOIGENE, 1912 (page 116).
58- A.N.S. M 219 : pièce 3 Gouverneur général: Rapport au président de la Répu-
blique.
59- A.N.S. M-27 pièce 6: Gouverneur géneral du Sénégal 22 Septembre 1913.
60- Idem, ibidem.
61- Demontes Victoire in B.C.A.F., Janvier 1914 (page 28).
62- A.N.S. M-217 pièce 6 gouverneur général à lieutenant-gouverneur, 22 Septem-
bre 1913.
63- Demontes V. S.CAF. Janvier 1914 (page 28).
64- Idem, ibidem.
65- Idem, ibidem.
66- A.N.S. M-217 pièce 6 Gouverneur ~Jénéral à Lieutenant-gouverneur Sénégal, 22
Septembre 1913.
67-ldem.
68-ldem.
69- A.N.S. 209-19: Lieutenant-gouverneur Cor à Admisistrateur de Luga, 1913.
70- A.N.S. M-220-6 : 3e trimestre de 1915. Par exemple MataI' Bara fut puni à Ti-
vaouane, Manga Seck à Jurbel pour le même motif.
71- A.N.S. M-220 pièce 3: Directeur des affaires culturelles au lieutenant-gouver-
neur, 18Juin 1915.
",
71- A.N.S. M 220 pièce 18: relevé d'(~crou : 23 Novembre 1916.
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•
659
73-ldem. .
.
74- Clozel : Instruction relatives à l'application de l'arrêté du, 31 Mars 1917.
75- Idem, ibidem.
76- J.O.S. Arrêté du 31 Mars 1917.
77- J.O.S. instruction sur application.,de l'arrêté du 31 Mars 1917.
78- i d e m . "
"~I'"
79-ldem.
80- J.O. A.O.F. : Arrêté du 31 Mars 1917.
81- Clozel : Instruction pour l'applicaLis,n de l'arrêté du 31 Mars 1917.
82- Idem, ibidem.
83- J.O. A.O.F. : Arrêté du 31 Mars 1917, article 17.
84- Clozel instruction sur application da l'arrêté du 31 Mars 1917.
85-ldem.
86- J.O.S. : Arrêté du 25 Mai 1917 portant énumération des infractions passibles de
punitions disciplinaires article l, alinéa:; 15-16-17.
87- J.O. A.O.F. Decret du 7 Décembre 1'917 : Exposé des motifs in J.O. du 8 Jan-
vier 1918.
88-ldem.
.
89- J.O. A.O.F. : Angoulvant, instruction pour l'application du direct du 7 Décembre
1917, Dakar le 10 Juillet 1 9 1 8 . t {
90- Angoulvant : instruction pour application décret 7 Décembre 1917 J.O. A.O.F.,
10 Juillet 1918.
91-ldem.
92- J.O. A.O.F. 19 Janvier 1918.
93- Angoulvant instruction J.O. A.O.F., 10 Juillet 1918.
94- Idem,ibidem.
95- J.O. A.O.F. Decret du 7 Décembre 1917, article 8.
96- M. 219 pièce 25 : Arrêté du lieutenant-gouverneur du Sénégal, Février 1918.
97- Conseil général session ordinaire -1918 : Séance du 17 Décembre 1918 inter-
vention du consul Dupit.
98- Conseil général: Session extraordinaire de Mars 1920 séance du 11 Mars inter-
vention de Sangue et de Klédor Njay
99- Décret du 30 Septembre 1887, article 2.
100- Melia J: LE TRISTE SORT DES iNDIGENES D'ALGERIE. 1935, (page 91).
101- Melia: Ibidem.
102- Dumas C. : LIBEREZ LES INDIC:iENES OU RENONCEZ AUX COLONIES.
Paris 1914, (page 104).
103- Demontes: L'INDIGENAT. In B.C.A.F. Janvier 1914.
104- L'exil de Sidya eut lieu entre 1874 et 1875.
105- A.N.S.O.M. SénégallV-105 : Le Sous Secretaire d'Etat au Gouverneur du Sé-
négal, Paris le 31 Octobre 1888.
106- A.N.S.O.M. : SénégallV-105 B : Lamothe au Sous Secretaire d'Etat, 16 Fé-
vrier 1891.
107- Rapport de situation politique économique des cercles du Bas Sénégal 1"' se-
mestre de 1903.
108-ldem.
109- Tradition orale recueilli par MUSél Kor.
110- A.N.S. 3 E 58 fi 142 à 145 Saint-Louis le 29 Mars 1899.
!!'~" .
. '
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660
111- A.N.S. 3 E 58 FF 142-145 : séaf1é:3 du 29 Mars 1899 : Rapport de Aubry comi-
té directeur des affaires indigènes
112- Idem.
113- Idem.
114- A.N.S. 2 09-24: Conseil privé sé,)nce du 27 Janvier 1899.
115- Idem.
116- Idem.
117- AN.S. 209-24 : Chaudié en conseil privé le 13 Mars 1899.
118- Mélia J : Op. cil. , (page 79).
119- AN.S. S-11 : Pinet Laprade à Gouverneur, Gorée le 14 Février 1862.
120- AN.S. 2013-2 Patterson à GOL,verneur du Sénégal Nany, le 2 Juin 1892.
121- Idem, ibidem.
122- Idem, ibidem.
123- AN.S. 2 0 13-14 Molleur administ,ateur du cercle de Kees à Gouverneur, 7
Mai 1895.
124- A.N.S. 2 08-3 Alsace administr::lteur cercle Siin Salum à directeur des affaires
politiques, Kaolack, 21 Août 1898.
125-ldem, ibidem.
126- AN.S. 208-3 Alsace administrateur du Siin Salum au directeur des affaires
politiques Kaolack le 21 Aout 1898.
'L
127- AN.S. 17 G 40: Internement et af11endes 1903-1904.
128- AN.S. 17 G 40 : Internement et amandes collectives, 1903-1904.
129-ldem.
130- AN.S. 17 G 40: Extrait du Procès verbal de la commission permanente du
conseil du gouvernemennt de l'AO.F., 5 Mars 1906.
131- A.N.S. 17 G 40 Indigénat : Extrait du procès verbal de la commission perma-
nente du conseil du gouverneur de L'A.O.F., 5 Mars 1906.
132- Ibidem.
133- AN.S. 17 G 40 : Gouverneur général Ponty à Ministre des Colonies, 3 Avril
1913.
134- J.O.S. : Instruction du Gouverneur général pour l'application de l'arrêté du 31
Mars 1917.
135- J.O.S. : Instruction pour l'arrêté du 31 Mars 1917.
136-ldem.
137- Instruction du gouverneur général Clozel pour l'application de l'arrêté du 31
Mars 1917.
138-ldem.
CHAPITRE 6:
FISCALITE ET MONETARISATION
La conquête a été suivie de la.!nise en place d'un système fiscal dont l'objectif
"""',
était à la fois de fournir des ressourœs complémentaires au gouvernement colonial,
d'inciter les populations à reconvertir ieurs' activités vers les cultures d'exportation que
demandait l'industrie métropolitaine. Get impôt joua un rôle important dans le proces·
sus de monétarisation de l'économie du Sénégal.
En Janvier 1861 Faidherbe promit aux populations du Ganjool et du Jander,
détachées du Kayoor, la sécurité contre les incursions des ceddo du damel. L'an·
nexion de leur territoire avait fait d'eux (les sujets français. A ce titre ils étaient tenus de
s'acquitterd'un impôt de capitation fix,§~;1 ,50francs par tête. Il était payé soit en argent
soit en nature.'
Dès le départ l'autorité française se heurta au problème du recensement des
contribuables. Le dénombrement des populations était alors perçu comme une
source de calamités. Pour parler des membres de leur famille, les gens recouraient à
des périphrases comme bouts de boi~; de Dieu ou noyaux de pain de singe. L'impôt
coutumier que Je damel percevait sur ~;es sujets portait sur le nombre de greniers ou
de têtes de bétail et jamais sur l'effectif des contribuables. If était donc collecté selon
les facultés contributives des chefs de famille.
Pinet-Laprade, Commandan: Supérieur de Gorée, se contenta pour J'année
1862 de vagues estimations à défaut :Je chiffres précis exigés aux chefs des différents
cantons du Cap-Vert et du Jander. Il fixa à 18361a somme que devaient payer les villes
de la presqu'île, à 1918 celle due par le~; villages de Rufisque, Xaboor, Nakurab, Kunun
et Mba',Y, à 1170 l'impôt de Barriy, et àl151 celui du Jander. 2 Le degré de soumission
des habitants des territoires annexés !3taitfonction de la bonne volonté qu'ils mettraient
à s'en acquitter. Une chose était Sen!, c'est que les populations voyaient dans cet
impôt une charge trés lourde, une sene de tribut que les conquérants leur infligeaient
en lieu et place de la paix et de la sécurité promises.
,-
662
La collecte de cet imp6t s'avéra (pfficile. Beaucoup de chefs de famille invoquè-
ffl'
rent toutes sortes de raisons pourne Ri~~, s'en acquitter. Certains furent même au bord
~:'«"A_
de la révolte. Tous les récalcitrants furent arrêtés et leurs biens confisqués.
En 1863 le recouvrement del /int plus délicat. Les contribuables s'étaient
concertés pour, d'un commun accord, se soustraire à cet impôt. Jusqu'en Mars 1863
l'alcaty du Jander, Mbor ne collecta que '123 francs pour 5 villages, le reste de la
province avait refusé de s'éxécuter. Une sévère répression arriva à bout de cette
résistance. Les refractaires furent battus, mis aux fers etleurtroupeaux confisqués. En
Mai "administration avait encaissé 1649 francs sur 4555,50 francs prévus. 3 Outre
l'impôt de capitation, l'administratiorafferma les palmiers du Jander jusqu'alors
propriété du damel, à des laman pour u~e somme de 2.600 francs. Celle-ci fut payée
avec 25 barriques de mil, 36 boeufs el 380 francs.' Pour 1862-1863 les baux des
fermages pour les mêmes forêts furent portés à 3710 francs soit 40 Boeufs et 2110
francs 5 Le souci d'encourager le développement de la culture du coton incita j'admi-
nistration à inclure ce produit dans la liste des objets que les contribuables étaient
autorisés à employer pour le paiement de l'impôt. En 1865 on fixa à 3 Kg de coton, le
taux de capitation pour une personne, ~I un boisseau de mil pour trois personnes, un
boeuf pour 16 à 20 personnes selon b poids de l'animal. Cet allégement relatif permit
de faire rentrer l'équivalent de 6137,7:2 d'impôt dès Mars 18656•
L'adjonction des cantons de Ta'lba et du Sarioxoor aux territoires annexés porta
l'impôt du deuxième arrondissement à 10126,8 francs J Jusqu'en 18880n ne constata
aucune amélioration dans l'attitude des populations vis à vis de l'impôt. Les contribua-
bles du premier arrondissement vitupéraient sans cesse contre cette charge trop
lourde. Devant les difficultés du recens,ament, l'administration s'était contentée d'un
procédé expéditif qui consistait à meltre devant le nom de chaque chef de village le
montantde la somme due par ses administrés. Il n'existait pas de rôle surlequel il aurait
pu se fonder pour procéder à une distribution équitable de la somme à collecter. Il ne
pouvait faire qu'une répartition approximative en faisant payer le plus possible ses
ennemis el le moins possible ses par-ants.
..
".,.
"-v--" .
Les contribuables en régie aV!lC le fisc, ne recevaient aucun reçu. Ils étaient à
la merci d'un retour du percepteur (t;était à même de réclamer le même montant
autant de fois qu'il lui plaisait. Les récalcitrants qui protestaient contre ces procédés
fort contestables étaient signalés à l'alJtorité comme des révoltés, des rebelles.
Ces procédés vexatoires avaient p\\ovoqué dans les territoires d'administration
directe un puissant courant de méccntentement. Le conseil général et le député du
Sénégal Gasconi reçurent de nombrfOUses lettres de protestation contre cet impôt qui
dépassait leurs facultés contributives. Pour les apaiser le député leur promit d'interve-
nir à Paris pour obtenir sa supppres,:ion.6
L'impôt finit par y générer de Qi-aves difficultés politiques, lorsque l'arrêté du 22
Mars 1889 rendit exutoire dans le pa\\'s annexés la délibération du conseil général
,..'
élevant de 1,5 francs à 3 francs l'impôt de capitation. Le doublement de cette taxe
donna au mouvement migratoire peul des proportions gigantesques. La banlieu'0
commença à se vider. Les peuls troLvèrent leur salut dans la fuite."
A la suite de la désannexion GCnsécutive à ce profond mécontentement des
populations, le gouverneur Clément Ti'lomas essaya de mettre un peu d'ordre dans
la situation financière des régions soumises au protectorat pour la mise en valeur
desquelles la colonie ne disposait d'liucune ressource régulière. Il y créa des budjets
régionaux alimentés par les taxes payées par les populations locales conformément
aux conventions imposées à leurs clïefs. Ce fut l'oeuvre du décret du 13 Décembre
1891 '°.
L'arrêté du 9 Mai 1895 confirmé. cette orientation politique qui tendait à tracer
une ligne de démarcation nette entre les territoires des quatre communes soumises
à l'action du conseil général, les pays ::le protectorat et les cantons d'administration
directe répartis en 8 cercles dont le chef, le directeur des affaires politiques relevait
exclusivement du gouverneur. Les administrateurs de cercle avaient la haute main sur
les budgets régionaux et exerçaient une surveillance sur tous les services civils et
financiers de leurs circonscriptions. li
=
..
~
~
~.,
-
~
66
Cette dualité des deux budgets n'était pas sans inconvénients pour le gouver-
neur comme pour les contribuablefNJ'es pays de protectorat. Alors Que celui des
territoires d'administration directe étEit nécessairement soumis à la délibération et au
vote du conseil général, un simple éi;rêté administratif suffisait à déterminer le mode
d'assiètte en pays de protectorat. Pour des considérations électorales, les conseillers
généraux s'opposaientàl'augmentation de la fiscalité dans leur champ d'intervention.
Ceci aboutit à une différence de traitement pour les différents groupes de territoires de
la colonie. '2
L'assiètte de l'impôt personne' variait d'un territoire à l'autre. Dans les territoires
d'administration directe, seul le chef cie famille était imposé alors Que dans les pays de
protectorat tous les membres de la fal11ille étaient assujettis à l'impôt de capitation Quel
,
Que fût leur âge. Cette différence de traitement se constatait dans la distribution des
sanctions en cas de refus ou de nég'ioence dans le paiement de l'impôt. En pays de
protectorat les pouvoirs disciplinaire~; des administrateurs suffisaient par ramener les
récalcitrants à la soumission. Mais les tlabitants des territoires d'administration directe
tardant, à se libérer vis à vis du trésor, n'étaient poursuivis Que selon les dispositions
des lois françaises prévues à cet effet notamment les arrêtés du 8 Novembre 1856 et
du 7 Mars 1857".
Les territoires d'administration directe exerçaient un attrait singulier sur les
habitants du protectorat en raison de leuSprivilèges fiscaux. Ceux qui se trouvaient
dans le voisinage des secteurs annexés trouvèrent plus astucieux d'aller s'établir dans
les escales tout en conservant leurs champs dans le protectorat, mettant les chefs de
province dans une situation délicate. Ils ne savaient que faire pour exige~deceux qui
ne dépendaient plus de leur autorit,§, les redevances" qu'impliquaient les cultures
auxquels ils se livraient dans le pa\\'s de protectorat. On demanda au gouverneur
général de trancher selon l'idée Que le bénéficiaire de la terre aurait également la
charge de l'impôt. On espérait ralentir le mouvement migratoire en direction des
escales qui risquait de devenir «des li'lux d'asile pour les indigènes ayant tous les droits
et n'ayant aucun devoir15".
665
~
Le gouverneur maintint le statut' quo de peur de froisser les originaires des
quatre communes qui avaient essaimé dans le pays pour participer à la vie commer-
ciale et qui pendant l'hivernage se transformaient en cultivateurs d'occasion. Elec-
teurs, ils n'étaient pas assujettis à lacôte personnelle comme les autres citoyens
,.~~~
français.
Toutefois en 1903, aprés de laborieuses tractations entre le gouverneur et le
conseil général, cette assemblée, ell vue d'équilibrer le budget qui relevait de sa
compétence, se résigna à voter une contribution personnelle à percevoir sur chacun
des habitants des pays d'administra!ion directe européens et indigènes, exception
faite des habitants vivant dans les qU<itre communes. Elle fut fixée à 4 francs par tête
et devait donner environ 130.000 fran2s.
,
"
Cette mesure égalisait les char'gës entre les habitants de~ deux territoires.
Désormais les limites conventionnelles des escales ne serviraient plus à établir des
clivages entre les individus qui avaient leurs champs dans les mêmes territoires. Le
vote contribuerait à diminuer l'intensité du mouvement migratoire de ceuxqui quittaient
le protectorat dans l'espoir de se soustraire à l'impôt de capitation.'6
En définitive, les indigènes résidant sur le territoire des quatre communes de
plein exercice ou dans leurs banlieues immédiates n'étaient assujetis ni à l'impôt de
capitation ni à l'impôt locatif. C'étaient des privilègiés. On les appelait les super citoyens
français. Ils étaient également exemi)tés de l'impôt sur les maisons alors que les
Européens acquittaient, du chef de cette contribution, des droits élevés auxquels
s'ajoutaient les patentes pour leurs opérations commerciales, Le lieutenant-gouver-
neur Camille Guy proposa en 1907 de soumettre les habitants des quatre communes
à l'impôt local au taux de 3 à 5 francs par case,"
La dualité du régime administl1?,tif avait provoqué une sérieuse incohérence
fiscale même entre les Européens. Ainsi un négociant français établi en territoire
d'administration directe soit à Lugé!, à Podor ou à Joal versait au fisc la cote
personnelle, l'impôt proportionnel des patentes, la taxe de vérification des poids et
mesures et l'impôt locatif. Dès qu'il transportait son opération en pays de protectorat
or;
_:"f'-~
à Jurbel ou à Khombole, il échappait à ces redevances. Cette situation privilégiée
reconnue aux commerçants intervenclnt en pays de protectorat poussa quelques uns
de leurs collègues des pays d'administration directe à demander le retour des escales
au régime du protectorat.'·
Les disparités, dans le traitement d!3s populations en matière fiscale, dans les
territoires d'administration directe mettaient le gouvernement dans l'obligation de faire
appel aux budgets régionaux pour équilibrer celui soumis au conseil général. C'était
un pis aller. La solution juste était de faire disparaitre ces invraisemblances qui
hypothéquaient l'action du gouvernement dans les pays d'administration directe, par
l'abolition des dérogations aux principe~;d'égalité, qui devaient être à la base de toute
contribution publique.
L'essentiel des ressources de lé' colonie était fourni par les pays de protectorat.
L'opinion parlementaire métropolitaim, était hostile à toute utilisation de l'argent de la
France au financement de l'organisation administrative et économique des colonies.
Celles-ci étaient faites pour l'enrichir et non pour l'appauvrir. Les charges nécessaires
au recrutement des fonctionnaires et è. la création des services comme les postes, les
douanes, les transports, les travaux publics, devaient provenir des ressources de la
colonie exclusivement. Ces ressources n'étaient fournies, pour l'essentiel, que par les
autochtones qui en Afrique occidentale étaient ,des véritables colons '9" en raison de
l'indigence même de l'effectif des colon:, européens. Les autochtones contraints de
subvenir aux dépenses de l'occupant, portaient donc le poids de tout le système fiscal.
A son arrivée, le colonisateur avait trouvé un terrain propice à la perception de
l'impôt. Les impôts frappaient les riches,8s des contribuables. Les taux variaient selon
les Etats et la religion des imposables. En général l'Etat prenait le dixième des produits
fournis par ses sujets ainsi que celui de.s troupeaux. S'y ajoutaient les redevances
perçues chez les commerçants qui fréquentaient les marchés du royaumes. En cas de
nécessité des pillages étaient organisés contre des villages se montrant réfractaires
à la ponction fiscale.
Les musulmans, outre l'impôtdû au souverain, étaient tenus de payer la Zakat
tf'~
déformée en Assaka ou aumône Jég<:le. Elle représentait le dixième de la récolte des
produits agricoles. Elle fut détournée dEi sa destination première qui était de permettre
aux autorités religieuses de secourir les pauvres ou de l'utiliser à des oeuvres pies
comme par exemple à la construction de mosquées. Mais on en fit un impôt au profit
du propriétaire du sol lorsque la terre était une propriété privée héréditaire. Il revenait
de droit au chef nommé par l'autorité supérieure lorsque la terre appartenait au
domaine public. La perception de l'assaka était devenue la preuve de propriété pour
celui qui la recevait.
En climat musulman le bétail était imposé selon une progressivité qui permettait
de lui conserver son caractère proGuctif. En d'autres termes il évitait de mettre le
pasteur dans une situation fort inconfortable au point de le contrain.dre à l'exil pour ne
pas voir disparaitre son troupeau. Dans l'esprit de la plupart des contribuables, surtout
musulmans, l'impôt était un moyen de purifier les biens. C'est pour cela que la fiscalité
nouvellement instituée par le colonisateur ne les fit pas disparaître. L'impôt de
capitation devint un surcroît de chargE que les indigènes considèrèrent comme un
simple tribut de guerre que les vaincus versaient au vainqueur.
Comme pour le code de l'indi(Jénat, les justifications de l'impôt de capitation
furent trouvées dans ,<la nonchalence et la paresse des Noirs20". Pour les contraindre
à travailler, il suffisait de les mettre dans la nécessité de s'acquitter d'un tribut que le
colonisateur avait le droit de leur réclamer. L'impôt serait alors un puissant stimulant
au travail. Pour se libérer de cette charge, les indigènes étaient dans l'obligation de
convertir leurs activités vers les secteurs seuls susceptibles de leur procurer le
numéraire. Ce contact avec le colonisateur ferait naÎtre en lui de nouveaux besoins qui
le mettaient dans l'engrenage des cultures de rente."
Les difficultés rencontrées dans les territoires d'administration directe incitèrent
les autorités à manoeuvrer avec prudence dans les pays de protectorat. En cherchant
à obtenir les contributions par la violence, l'impôt risquait de manquer son but qui était,
malgré la charge qu'il représentait pour les indigènes, de diminuer la méfiance et
668
l'hostilité qui présidaient encore aux rapports entre conquérant et vaincus. 1\\ s'avérait
donc nécessaire d'expliquer au contribtiable l'utilisation que l'on ferait des sommes
qu'il payait à la colonie. Des réalisations tangibles susceptibles d'améliorer les
conditions matérielles de son existenœ étaient seules capables de lui faire compren-
dre que l'impôt avait été utilisé au profit de la collectivté à laquelle il appartenait". Mais
encore fallait-il que les travaux publics, 18 justice indigène, l'enseignement dispensé
aux enfants, l'assistance médicale pussent avoir une quelconque importance pour lui.
On avait beau multiplier les réalisations, l'impôt conservait toujours dans son esprit le
caractère d'amende, de tribut de guerrf~.23
Pour faire disparaître ce malentendu, il fallait créer un impôt juste pour autant
qu'il fût possible de le faire. Pour cela il aurait fallu tenir compte de la richesse de
chacun, frapper le superflu et ne jamais pr$lever la part indispensable à la survie même
JJ:1-
.'
de la famille du contribuable. Son applic<-ltion devrait se faire sans heurts, ni vexations.
Sinon au lieu d'être pour le contribuable un moyen d'encouragement au travail il
deviendrait "une contrainte faisant obst3cle à tous progrés"".
Faute d'un personnel administratif étoffé j'impôt ne fut pas perçu selon la façon
métropolitaine, avec une répartition iudicieuse des charges d'aprés les facultés
contributives de chacun. On eut recours à un impôt à assiète sommaire.
L'impôt de capitation était perçu, sur la base de rôle établi selon le lieu de
résidence des contribuables soit par li) chef province soit par celui du canton. 1/ était
élaboré d'aprés système numérique selon lequel chaque chef de village donnait des
estimations trés approximatives sur le nombre des contribuables. Evidemment c'était
la porte ouverte
à tous les abus. Les chiffres, portés sur les régistres par les
commandants de cercle sur la base des indications, n'avait qu'un rapport lointain avec
l'effectif réel de la population. Les sommes dues par les villages étaient calculés en
fonction de ces données. Le chef de village était tenu de collecter intégralement même
si, par la suite, des décès ou des départs avaient été constatés dans le village.
Les chefs de vil/age répartissaierli la somme entre les différents chefs de carrés
constitutifs du village. Il n'était pas rare d'entendre des habitants de quelques villages
669
protester contre les sommes qu'on leur réclamait et qui étaient manifestement
supérieures à celles qu'ils auraient dUe~Jerser par rapport à leur nombre.25
'f' 1'"
Quelques chefs de villages procédaient à des répartitions aussi injustes
qu'intéréssées au profit des membres cie leur famille. Cet impôt de capitation était fixé
sans qu'il fût tenu compte des profes~;ions des indigènes, de leurs charges sociales,
et de la situation économique réelle dé' la région. Aucun dégrévement n'était consenti
aux chefs des familles nombreuses qui portaient ainsi le poids d'une trés lourde
fiscalité. Les habitants des régions enclavées ou relativement éloignées des grands
axes de communication étaient tenus de trouver le numéraire nécessaire au paiement
de l'impôt. Le navétanat ou exode saislJllnier dans les régions productrices d'arachide
fut leur réponse à ce défi. La répartit10li de l'impôt ne tenait nullement compte des
facultés contributives des indigènes. En les soumettant ainsi à cette forte pression
,L
"
fiscale on les obligeait, pour être en régie avec l'administration, à se convertir de plus
en plus aux cultures d'exportation. 26
Ce système numérique, établi,;sant les rôles d'impôt selon les villages, créait
souvent des situations cocasses. en 19151e village de Bani dans le canton de Naning-
Mbayaar sur la petite côte figurait sur le~, rôles pour 265 francs pour une population de
53 habitants. Mais ce village avait été rayé de la carte depuis 1914 par la maladie du
sommeil. 2? Au moment de l'établissement, le résident de la Petite Côte s'était contenté
de reproduire les données contenues jans ses régistres des années précédentes. De
telles erreurs étaient lourdes de conséquences pour les contribuables et pour les chefs
de villages. En cas de famine, de décès, de départ définitifs pour une raison ou pour
une autre, les restants n'en payaient pas moins les sommes figurant sur les rôles.
De tels errements persistaient, parce que les secretaires chargés de faire les
recensements, se contentaient de co n'loquer à la résidence les chefs de carré pour
recueillir leurs déclarations. les résultats ainsi glanés étaient ainsi répartis au hasard
parmi des villages qui figuraient sur Il':s rôles d'impôt. 28
Pour que l'impôt de capitation:Jrésentât un certain caractère d'équité, il aurait
fallu faire un recensement sérieux de la population en vue de l'établissement de rôle
.
~
670
nominatifs. Le personnel administratif on place n'était pas préparé à cette tâche. Il est
vrai qu'un administrateur comme Noil~Q( au Siin-Salum avaitfourni de gros efforts, pour
\\''''~''f"'
donner de son cercle quelques données démographiques chiffrées qui, confrontées
à d'autres glanées dans le cercles de I<ees ou du Kayoor nous permettent de borner
nos rêves.
Aprés enquête il estima la population du Siin à 52.233 habitants en 1891 avec
24630 hommes. Celle du Salum éw.it· de 61782 avec 29303 hommes. Le Rip-Nani
abritait 28.380 dont 15.276 femmes.:!9
En 1897 l'impôt du Kayoor pour l,es six provinces était fixé à 105.451 francs, au
taux d'imposition de 1,50 francs par contribuable soit un effectif approximatif de 70.300
habitants.JO En 1898 la part de la prcvlnce du Bawol oriental dans le budget régional
était de 64.13431 au taux de 1 franc l'impôt de capitation, soit une population d'environ
64.134 personnes. La population du 8awol Occidental était donc estimée à 85.866
puisque l'ensemble du Bawol était évalué à 150.000 environ. On aurait pu multiplier de
tels sondages pour avoir des apprJ;,imations sur la population des cercles. Ces
chiffres n'avaient qu'une valeur toute relative. D'une année à j'autre ils subissaient des
variations imputables à la volonté de irauder le fisc des chefs de canton qui omettaient
de fournir la liste de tous les villages dl:! leurs circonscriptions. La population du Geet
évaluée à 11.000 personnes passa subitement à 16.947 en 1897 parce qu'on avait
découvert des villages qui ne figuraient pas sur les rôles. 32
Les mouvements de populatÎ'Jn consécutifs au déloppement économique de
certaines régions avaient fortement influé sur l'évolution démographique. La popula-
tion du Siin Salum, zone d'accueil de,; navetaan en provenance de la casamance et du
Soudan, passa de 218.509 individus en 1915 à 223.310 en 1916. Elle resta stationnaire
•
en 191733 car les navetaan dont l'efft-ctif était important en 1915 avaient commencé à
ne plus fréquenter la région en raiscn de la baisse des cours de l'arachide.
Selon l'importance de leur commandement, les chefs touchaient des remises
allant du quart au huitième des sommes collectées. Poussés par l'appât du gain
certains d'entre eux n'hésitaient pas il grossir plus que de raison le chiffre des habitants
~.~
Ne
6 7 1
de leurs canton pour accroître leUsrE;V(·,nus. C'est ce que fit Amadu Njay ex-interprète
nommé chef du Sanoxoor Occidènlill qui recensa 3.000 personnes de plus que son
prédécesseur révoqué et déporté aLI Congo. J'
Avec la disparition des grand~~,shefsde canton les traités qu'ils avaient signés
furent déclaré caducs. Ceux qui étaient en fonction en 1904 étaient nommés par la
France. On ne leur reconnaissait aul;tm droit d'invoquer les clauses de ces conven-
tions qui liaient la France à leurs prédécesseurs d'autant plus que certains d'entre eux,
étrangers au pays qu'ils commandaient, n'avaient aucun lien avec la chefferie locale.
Aussi l'administration n'eut pas de scrupules à réduire le taux de la remise qui leur était
allouée sur l'impôt sauf pour le Sur Sjin Kumba Ndoffeen qui conseNa le bénéfice des
droits acquis, il passa pour les autres du quart au huitième de l'impôt récupéré.JS Cela
se traduisait donc par la diminution de moitié des revenus des c~efs.
Malgré cette réduction la ristourne versée à certains chefs de province pouvait
paraitre substantielle. Ainsi au Kayoor ,3n 1905 Meissa Mbay du Sanoxoor Occidental
touchait une remise de 12064 francs, ,Il,madu Njay du Sanoxoor Oriental 12.111 francs
Ceyasin Faat du Mbawor-Gewul 891.5, Makudu Sali du Geet 863736•
Le taux de l'impôt de capitation était variable suivant la province ou le cercle et
leurdegré de développement économique. En 1890 il était de 1,50 francs dans les pays
d'administration directe. En 1899 il fut porté à 3 francs dans les pays de protectorat du
KayoorJ7 alors qu'il n'était que d'un francs dans le Bawol.3Il En 1907 l'impôt passa à
4 Francs dans les cercles de Casa:nance, Oagana, Luga, Tiwawan, Kees, dans la
province du Siin, dans le Noro du Rip, le Nombato et le Salum. Il restait à 3 francs dans
la Haute-Gambie, le Nani et le cercle de Podor. Depuis 1899 ce taux avait été maintenu
au même niveau en raison d'une succession de mauvaise récoltes qui avaient plongé
les populations dans un profond marasme économique.J9
En 1914 les contribuables de~; cercles de Luga, Tiwawan, Kees, Siin Salum,
Casamance et Bawol eurent à payer !j Francs l'impôt de capitation. Ce taux était de 4
frncs dans les cercles de Oogana, (',t de la vallée du Fleuve, de 3,50 dans le Wuli, de
3,25 dans le cercle de Bakel et de:;, francs dans la haute Gambie.'o
672
Les taux étaient en apparenéÎ3"supportables pour le contribuable, Le prix de
l'arachide qui fournissait le numéraire à connu un'e rapide progression même si des
chutes brutales ralentirent de temps il autre sa marche ascendante, Vers 18!p le prix
du quintal atteignit une première apoGée au lendemain de la construction de la voie
~; ~ i,;;;'.- ,
.
ferrée Dakar-Saint-Louis où il passa'à'"'17 francs en 1888. L'importance de la récolte
dans les années suivantes fit baissc,r progressivement le prix qui descendit de 15
francs en 1890 à 7,50 francs en 1896. Les mauvaises récoltes de 1902 stimulèrent à
nouveau les prix qui montèrent de 21 à 28,75 francs selon les zones. Les bonnes
récoltes de 1903 les ramenèrent de 3D à 15francs. En 1908 ils n'était plus que de 12,50
francs. Ces grandes oscillations érodélient d'une année à l'autre les revenus que les
paysans espéraient récupérer de la vente de leur produit. Ces contingences n'étaient
..
pas prises en considération lors du recouvrement de l'imp6t. Les chefs de village
devaient, même en cas de famine OLI de calamité quelconque, verser la totalité des
sommes dues par la collectivité villageoise,
C'est ici qu'apparaissait le caractère injuste de cet imp6t de capitation. En
principe l'exonération était appliquée aux enfants âgés de moins de douze ans. En
réalité cette exemption n'existait pas dans les pays de protectorat. On faisait payer les
enfants sans distinction d'âge. Certains chefs de canton ou de province poussaient le
cynisme jusqu'à taxer les femmes en:eintes pour leur progéniture à naître. Quand le
ventre leur paraissait trop volumineU!: ils n'hésitaient pas à compter 2 ou 3 contribua-
bles. Les infirmes, comme les léprfiul<et les aveugles impropres à la culture, les
vieillards n'échappaient non plus à la rapacité des collecteurs d'imp6t." Ces impotents
constituaient une lourde charge pour leurs parents, En 1908 les contribuables de Joal
demandèrent aux autorités de reveni,' au système de Faidherbe qui n'avait jamais fait
payer les vieillards des deux sexes, ni les enfants. 42
En 1911 le Gouverneur général William Ponty décida d'exonérer les enfants qui
naîtraient dans les cercles à partir de 1"' Janvier 1911. Ils le seraient jusqu'à l'âge de
huit ans où l'enfant était considéré comme définitivement entré dans la production."
L'absence d'un service d'Etat civil pour suivre les enfants et les soumettre à la taxe le
moment venu, rendait aléatoire cette exonération, Les parents seraient dans l'incapa-
673
cité de prouver de façon irréfutable.['}lge de leurs enfants. Les chefs gardaient le
ii!ll
pouvoir de fixer de manière arbitraire l'âge des enfants qu'on leur présentait. De plus
quelle valeur pouvait avoir un arrêté dont les dispositions n'étaient jamais portées à la
connaissance des véritables intéressés? Alors comme naguère les chefs de carré
continuaient de payer pour tous les !<lembres de leur famille.
C'est au cours de la première guerre mondiale qu'eurent lieu les premières
exonérations véritables à la suite d'une démarche du député du Sénégal Blaise Jaan.
Malgré la mobilisation de beaucoup de jeunes, l'administration avait voulu percevoir
l'impôt sur la base du recensement dE'; 1913. Cela constituait pour les chefs de famille
une augmentation trés notable de leurs charges. Pour cette raison le lieutenant-gou-
,
verneur du Sénégal consentit à exem::>ler à juste titre les indigènes enrôlés sous les
drapeaux aussi que leurs familles qui étaient aussi privées de leurs éléments les plus
productifs. Blaise Jaari demanda à cè' que ces mesures fussént étendues aux
personnes qui avaient été atteintes dans leurs ressources par la guerre. 44 Les réqui-
sitions des vivres et des animaux avaif,nt mis beaucoup de monde dans une situation
proche de la misère. Cette exemption des mobilisés ne semblait pas avoir été
appliquée. Le lieutenant-gouverneur Levèque dut le rappeler aux administrateurs de
cercle en 1917 en insistant sur l'idée que les familles des mobilisés étaient toutes
exonérées de l'impôt personnel. 45 Ce rappel autorise à penser que les agents du fisc
"t
ne abl'
.
Issalent pas de d'"
Istlnctlon entre 1es
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contn uables ~~=..J.
r"",.."""",mf"""~ et ceux que
des circonstances assez exceptionnelles avaient jetés dans la pauvreté.
Malgré les apparences, l'impôt de capitation n'était pas une contribution légère.
L'organisation de la famille en faisait nécessairement une charge trés lourde. Les
individus restaient encore soudés al: (Jroupe. En matière fiscale comme dans les
grands actes qui ponctuaient leur vie, les chefs de famille, au sens large du terme,
étaient les portel parole et les respor' sables des membres de leur maison. Sur eux
tombait le poids de la fiscalité. Lors des travaux champêtres tous les membres de la
famille devaient être au service du chef de famille du matin jusque vers 14 heures. Les
ménages consacraient l'aprés midi à 1ravailler pour leur compte personnel. Il en était
de même pour les esclaves. A tous le chef donnait le déjeuner. Il payait également leur
Ne
6 74
impôt. Dans ces conditions un chef d()\\lamille dont la maison comptait 40 personnes,
ce qui n'était pas rare, avait à payer au fisc entre 60 francs et 200 francs selon les
époques. L'absence de charrue limitait les possibilités d'extention des surfaces
cultivées. Une baisse brutale des prix au producteur pouvait avoir chez le contribuable
des conséquences catastrophiques (j'autant plus que l'impôt n'était presque jamais
perçu de façon irréprochable. L'administration et les contribuables étaient pareille-
ment victimes des subterfuges des C;le!S chargés de la collecte.
Les recensements des villages étaient souvent faits de façon incomplète. Les
chefs empl5chaient toutes les sommes versées par les contribuables dont les villages
ne figuraient pas sur les rôles. Ainsi en 1896 Sangone le chef de la province du Mbul
n'avait pas fait figurer sur les recensem0nts des villages qui abritaient cependant 5947
personnes'6 La même supercherie Était découverte la même année avec le chef du
,.'~ 'U·
Mbawor Gewul qui avait pu dissimul,èr5.000 habitants. Amady Njay du Sanoxoor·
'_'1
c.,
Oriental recensa en 1905, 3.000 per:;onnes de plus que son prédecesseur Amadu .
Faal.'B
~Iè
Les chefs ne se contentaient pas seulement'gruger l'administration sur l'effectif
des recensements. Pour leurs besoins personnels, ils accroissaient les charges qui
frappaient les paysans en recourant il des procédés de recouvrement fort contesta-
bles, qui n'étaient en définitive que de la spoliation pure et simple. Ils devaient remettre
des tickets aux contribuables en régie avec le fisc. Pour pouvoir réclamer à nouveau
les sommes déjà perçues ils refusai",nl de délivrer ces papiers. Dans certains cas les
reçus n'étaient pas en concordance avec les sommes récoltées. C'est ce qu'on
reprocha à Teen Tanor en Mai 1894'9.
En 1895 Dembawar Sali infligea une amende collective de 1250 francs aux
habitants du villages de Cilla Daraman que le percepteur du chef voulaient contraindre
à payer une seconde fois l'impôt de capitation. Il fallut l'émigration du village pour le
décider à rapporter cette mesure.5O Le:, percepteurs du chef de Pakala ne délivrèrent
non seulement aucun reçu aux contribuables qui étaient tous en régie, mais encore ils
~
avaient osé porterde leurjchef le taux à 2,50 francs au lieu de 2 francs réglementaires. 51
""'!'
675
Le système des tickets était mauvais. Le contribuable qui le perdait pouvait être
contraint à verser l'impôt une second~ fois. En 1905 Ceyasin Cuk, chef du Ngoy
prétendit avoir perdu les 1.000 tickets que le chef supérieur lui avait remis. C'était une
façon de couvrir la surtaxe d'un franc qu'il avait imposée à son profit à tous les
contribuables de son canton. 52
La violence était le moyen le plus couramment utilisé pour faire rentrer l'impôt.
Les commandants de cercle fermaient les yeux sur ces excès. Ce qui les intéressait
en priorité c'était la rentrée des recettes. Peu importait pour eux les moyens misérables
utilisés par les chefs pour parvenir à ce but. Le grand nombre des villages exigeait
l'emploi de plusieurs collaborateurs qui multipliaient les exactions aux dépens du
. jf
J;. Q~ c."""'"",,'sç""(}1.-
contribuable qui n'osaiflfamais porter tll'administrateur ses plus légitimes doléances.
Pour conjurer le danger, le contribuable.distribuait des cadeaux aux chefs de village,
......
.'
decanton, voire de province dans l'esp'Jird'atténuerla rapacité d~...I)agents dQfisc.53
A l'époque de la collecte de l'impôt, toute l'équipe se mettait en mouvement
sous la direction du chef. En 1894/e Buur Siin se lança au recouvrement de l'impôt suivi
de tous ses ceddo, de ses femmes et enfants. Soit un millier de personnes qui
1
s'abattirent sur les villages du Siin occidental où ils commirent des déprfuJations
rappelant le passage d'une nuée de sauterelles. 54 Les ceddo de Gedel ne procédaient
pas différemment. En Juillet 1894 le Salum n'avait encore versé que 27.000 francs au
lieu de 120.000 parce que les habitants (lU haut Salum avaient préféré aller s'établir en
Gambie pour échapper aux violences des collecteurs de Gedel. L'enquête revéla que
les populations étaient en régie avec II~ fisc. Mais quand on voulut les contraindre à
payer une seconde fois ils décidèrent d'émigrer. Un des hommes du Salum se suicida
parce qu'il avait dilapidé l'impôt qu'il avait perçu, violenté des filles et des femmes dans
/e cadre du recouvrement.55
Les exigences de l'administra',ion mettaient les chefs dans la nécessité de
recourir à la violence. En effet les comrolandants de cercle opéraient des retenues sur
la solde des chefs dont la circonscription n'était pas quitte avec le fisc. En 1901
l'administrateur de Tiwawan agit de celte façon avec les chefs du Mbawor Gewul
· .,
..-.-:~;.
676
(1.500 francs) du Sanoxoor (300 fran!~:;\\des Peuls (491,65)56. Les mêmes sanctions
r .,
furent employées en 1902, année où l'I'ivernage fut catastrophique, contre les chefs
>f.~.)
de Ngick-Merina, et du Ganjool qui Il'avaient perçu respectivement que 3400 sur
48.200 et 1100 sur 32AOO francs. ,:vs chefs avaient préféré servir de boucliers
protecteurs à leurs administrés privés de ressources et qui avaient besoin de tranquil-
lité à la veille d'une nouvelle campagne agricole. 57
La fiscalité coloniale était en définitive ruineuse pour les contribuables car ils
n'avaient aucun moyen de se prémunir contre les caprices de leurs chefs. Il fallait à tout
prix trouver le numéraire pour se libérE'· c.u fisc sinon la répression était immédiate. Les
peines de prison et les violences corporrdles étaient les sanctions les plus utilisées pour
contraindre le contribuable à s'exécul er.
Outre leurs propres sicaires, p·(,ts,à toutes les besognes, les chefs avaient la
.~
.
possibilité de réclamer l'envoi de m lidens pour les assister dans. leur travail. Ils
accroissaient par leur présence les chalges qui frappaient les villageois obligés de les
nourrir. Le refus de payer l'impôt étai! considéré comme une marque d'hostilité à la
présence française et devait être puni févèrement pour l'exemplarité de la sanction.
L'emploi de ces gardes en U:ïiforme, presque toujours étrangers au pays,
permettait à l'administration d'attiser lfis haines interéthniques conformes à la politique
du diviser pour régner. Les colonisateurs n'étaient qu'une toute petite minorité face à
la masse des indigènes. En cas de ba'iures trop criantes le commandant de cercle
rejettait la responsabilité sur l'excès de zèle de ses exécutants.
" arrivait parfois que la répression contre le refus de payer l'impôt fût conduite
personnellement par les administrateur~;. En 1893 Noirot administrateur du Siin-Salum
fit procéder à l'arrestation de tous les I;hefs des villages du canton de Funjuri. "ne les
re/acha qu'aprés que leurs administr!,~ eurent été en régie avec le fisc. 58
Une opération de police fut cOIlI~ujte contre les villages des cantons de Ngoe
Ndoffo-Ngor et Jareex en 1899 pour 1 elus de payer l'impôt. Les gardes envoyés par
Aubry Lecomte Directeur des Affaire:, Indigènes et les Ceddo de Kumba Ndoffeen
s'emparèrent de 113 Boeufs, 277 mOlltons ou chèvres, 9 ânes qui ne furent rendus à
677
leurs propriétaires qu'aprés le paiem~.~ de l'impôt. Dans le canton de Naxar on saisit
74 chevaux, 22 juments, 12 boeufs et 1.000 francs espèces. Pour l'ensemble des 3
cantons rebelles Kumba Ndoffeen appuyé par les gardes régionaux mit la main sur 400
boeufs ou chevaux pour contraindce ses sujets rebelles à s'acquitter de l'impôt
personnel. 59
Biram Sasun Joop et Dem JOClp furent punis en 1907 de 4 jours de prisons par
J'administrateur de Kees pour mauvaise volonté apportée au paiement de l'impôt.60
Malgré les difficultés apportée;; par la guerre dans le pays, les administrateurs
entendaient faire rentrer l'impôt figurant sur les rôles. Les brutales chutes des prix en
1914 et 1915 n'apportèrent aucune modification dans l'assiètte de l'impôt. Beaucoup
de contribuables dont les revenus aVElient baissé de moitié furent dans l'incapacité de
se libérer de cette charge. Les violenœs corporelles furent à nouv~au employées sur
une grande échelle.
Dans le Jambur l'administrateur adjoint Grandy se chargea de la perception de
l'impôt de 1916 et des arriérés d'impô: de 1915 et de 1914. Quand il arrivait dans un
village il en faisait fermer les issus par ses gardes régionaux. Il s'emparait ensuite de
tout ce qui avait une valeur, en forçant au besoin les cases. C'étaient les gages pour
l'impôt. A défaut de biens il ramassait les femmes et les vieillard,far tous les hommes
valides abandonnaient les villages le jour pour la brousse en raison du recrutement.
Ils les amarraient avec des cordes el, conduits à Koki où ils étaient gardés dans des
cases jusqu'au paiement de tout l'impôt dû par leur village.61
L'administrateur de Luga Gratian infligea des sanctions deshonorantes aux
chefs des villages de Ganjool (Mame Aly Joop 70 ans) de Sukundu (Mayel Gey Joop
70 ans) de GanjooJ-Maka (Sele Geen 70 ans). Pour n'avoir pas totalement versé leur
quote part d'impôt, il les mit à nu dans la cour de la résidence de Luga. Au fur et à
mesure qu'ils défilaient devant lui, il frappait avec sa cravache leurs parties sensibles. 62
Malgré les exonérations annoncées par Je gouverneur général, aucun administrateur
n'en tint compte. Les villages restaient toujours redevables des sommes qu'ils avaient
versées les années précédentes alors que leurs ressources avaient baissé dans de
~
-
6
notables proportions en raison des morts, des disparus des changements de domi-
7
"'-~
.\\ r
ciles et du recrutement.6J
L'imp6t de capitation était dever,u une charge trop lourde pour les contribua-
bles qui avaient à payer, pour le seul profit des chefs de canton et de leurs suivants,
des sommes deux ou trois supérieure,; il celles inscrites sur les r6les. La seule parade
qui leur restait contre les humiliations et la spoliation c'était l'émigration qui faisait alors
prendre conscience à l'administrateur cie cercle de la gravité de la situation.
Les populations proches de 1& Gambie anglaise abandonnaient le territoire
français, chaque fois que les exaction:, des ceddo du Salum devenaient insupporta-
bles. Ce mouvement migratoire en faveur de la Gambie avait pris des proportions telles
que pour l'arrêter, on exempta le Rip de i'imp6t de capitation." Il devint aussi un
sanctuaire pour les contribuables en butte aux caprices de leurs chefs.
Pour échapper aux violences de Abdulay Lat Joor, chef de canton du district de
Mexe, qui les malmenait à longueur d'année, fort de l'appui de Dembawar, les
habitants du canton décidèrent d'aller :,'établir en 1898 dans l'escale de Mexe en pays
d'administration directe. Auparavant ils payèrent l'imp6t de 1899. Ils étaient 4.000
contribuables.65
En 1905 les jeunes gens de canton de Ndondool dans la province du 8awol
occidental émigrèrent au Siin pour échapper aux charges trop lourdes que voulait leur
imposer leur chef de canton 8iram 8igee. Celui-ci avait délibérément augmenté
l'effectif des contribuables dans chaque carré. Il entendait empocher cette plus value
.Q..
mais la réaction de da population déjoua son projet. 66
Devant les brutalités inqualifiabl3s de Grandy et de Gratian administrateurs du
cercle de Luga beaucoup de familles du Njambur septentrional émigrèrent au Salum
et dans certaines provinces du Bawol et du Siin où l'autorité leur paraissait plus
raisonnable dans sa manière de percevoir l'impôt 6?
Le paiement le l'impôt de capitati'Jn était devenu un véritable calvaire pour les
contribuables sénégalais. Humiliés, spol;és par leurs chefs ils ne songèrent qu'excep-
tionnellement à se soustraire par la forc3 à celte charge. La fuite devant l'adversité leur
Ne
6 7 9
parut la solution la plus sage. CommenL~,ouvaient-ils former une force révolutionnaire
·~~r'
alors que les agents de la repression se 'e::rutaient parmi leurs chefs? De temps à autre
des sanctions frappaient des chefs concusionnaires. Mais les révocations ne dissua-
1
daient nullement les autres à poursui'/re leurs déprâl:lations aux dépens de leurs
administrés. Il nous parait pas utile, de revenir ici, sur les sanctions qui frappaient (es
chefs de canton concussionnaires, ni cJavantage sur la médiocrité de leur salaire
toujours invoquée pour justifier leurs ex,:ès. 68 Mais si ces exactions avaient pris par
endroit des proportions inquiétantes, c'est que l'autorité supérieure n'avait pas
cherché à les éradiquer. Sa préoccupation se bornait à dire que le pays était prospère,
car le budget connaissait un accroiSSfm lent continu. Peu lui importait la dimension
sociale de celle fiscalité qui avait réduil beaucoup de contribuables à la misère.
Les victimes risquaient, à tout moment par des actions désespérées, de
compromettre la sécurité de la domination française. Pour fairé disparaitre ces
symptomes inquiétants le gouverneur William Ponly fit prendre par le Lieutenant-
gouverneur du Sénégal Cor des mesures excluant des circuits de la perception de
l'impôt tous les chefs de canton et de provinces et leurs collaborateurs qui étaient
autant de voleurs pour le fisc et pour 183 contribuables. 11 suffisait de voir leur train de
vie, de le comparer avec leurs maigres salaires pour se rendre rapidement compte que
l'impôt était perçu de façon scandaleu'Ei.
Aussi décida-t-il de les écarter ri\\Joureusement des circuits de l'impôt où la trop
grande liberté qui leur était laissée dans les opérations de recensement et de
perception avait donné lieu à toutes sortes de fraudes. Le recensement qu'ils présen-
taient laissait sciemment de côté quantité de villages ou de contribuables dont ils em-
pôchaient l'impôt pour leur compte pr.:sonnel. Ce qui portait un immense préjudice
tant aux dépens de l'administration qu'à celui des contribuables. Ceux-ci n'osaient for-
mu1er aucune réclamation par peur des l'eprésailles de leurs chefs.
Désormais les recensements ne seraient plus faits par les chefs indigènes mais
par les fonctionnaires européens. Une feis ces rôles d'impôt établis sur la base solide
de ces recensements, les commandé~ 11" de cercle feraient comprendre à tous les
chefs des villages du cercle qu'ils étaiem les seuls habilités à collecter le montant de
l'impôt de leur village, qu'i1siraient direc\\ement verser au trésor sans aucune immixtion
.
"
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" ' ,
des chefs de canton ou de province. De cette façon le gouverneur espérait assurer la
progression des recettes tout en dimuiliant la lourde charge qui pesait, du fait des
1
dépr@çJations des chefs, sur les épaL!~~.des contribuables. 59
Les administrateurs furent inviUiS à faire connaître aux contribuables la quotité
de l'impôt qui leur était demandé de manière à empêcher les nouveaux promus de
demander plus qu'il n'en fallait. Le cOl"ltlibuable devait savoir, pour avoir l'audace de
s'opposer aux exactions de son chef, qu'une fois l'impôt payé il était quitte avec
l'administration, que le chef n'avait ni le droit de réquisition, ni celui d'une perception
quelconque à son profi!.'o
L'intention était bonne, mais l'opération était difficilement réalisable par les rares
Européens qui étaient dans les bureau)~ des résidences. N'allaient:,ils pas devant les
difficultés des communications recourir ';lUX solutions de facilité en remaniant les rôles
des annnées précédentes? Mais les résultats encourageants obtenus grâce à cette
méthode décidèrent le gouverneur général à ramener à un rôle beaucoup plus
modeste que dans le passé les chefs diS province et de canton dont l'entremise était
fort onéreuse pour le contribuable. 7I
En Janvier 1914 William Ponty réitéra ses instructions relatives à l'impôt de
capitation en insistant sur la nécessité d'l maintenir le taux à 5 francs et ce, seulement
aux populations les plus aisées ou qui avaient les plus grandes facilités à se procurer
le numéraire. Un recensement scrupuleusement effectué était à même de fournir le
complément de ressources qu'exigea'.3nt les besoins croissants du pays. Pour cefaire
les administrateurs devaient procéder au dénombrement minutieux des populations.
L'idéal était de substituer aux recencements numériques qui ouvraient la voie à toutes
les injustices, l'établissement de rôle~: nominatifs. Le recouvrement de l'impôt et son
contrôle en seraient grandement faciliti,sn
Les Européens chargés de ce :r,tvaii étaient sommés d'abandonner les régies
de probabilité sur les populations (les villages pour n'avoir pas à effectuer de
déplacement. Une administration fiscale, pour être aussi juste que possible, ne pouvait
NQ
6 8 1
ignorer les modifications intervenue(;'{3uX derniers recencements. Ainsi, on ferait
ressortir les excédents de la pOpul31ion ou un déficit à divers facteurs ou tout
simplement au fait que les recensements antérieurs étaient inexacts. Le résultat serait
la révision des rôles qui avantageait ou pénalisait les contribuables selon les cas. 7J Une
fois le recensement effectué, les rôles seraient établis numériquement par village et le
compte arrêté selon le nombre exact de contribuables recensés, multiplié par la taxe
individuelle. 74
Bénéficieraient de l'exemption les tirailleurs, les militaires, les gardes de cercle
et leurs femmes et enfants ainsi que le:, enfants au dessous de huit ans et les vieillards
indigents incapables de gagner leur v'e par leurs propres moyens. Des exonérations
ponctuelles pouvaient être accordées lors de graves calamités. 75
L'application de ces directives était susceptible d'alléger les charges qui
pesaientt sur les contribuables, tout en fournissant aux budgets régionaux le complé-'-
ment de ressources nécessaires aux r{:alisations de leurs projets.
En vue de l'accroissement de ~;E'S ressources l'administration avait institué en
1913 deux nouveaux impôts en pays cie protectorat. Le premier portait sur la propriété
bâtie et intéressait les chefs-lieux des cercles, les escales, les centres commerciaux
situés en pays de protectorat. Il était r,erçu sur les immeubles construits en maçonn-
nerie, en fer ou en bois et fixés au sol. Le taux de cet impôt était de 2% de la valeur
locative des immeubles. Les cases en paille étaient toutefois exemptées de cette taxe
ainsi que les immeubles dont la valeur réelle était inférieure à 200 francs. 76
A la même date un second arrêté créait dans les même centres, un impôt foncier
sur la propriété non bâtie. Etait consid·§ré comme non bâti tout terrain supportant des
constructions lorsque la valeur locative de la propriété était inférieure à 200 francs et
échappait de ce fait à l'impôt foncier. Cet impôt était exclusivement appliqué aux
terrains allotis des escales commerciales de Njaan dans le cercle de Luga, de Mbur
dans celui de Kees, de Xombol, BambE'y, Jurbel, Gossas dans le Bawol, de Guingui-
new, Birkilaan, Kaffrin, Missirah, San:Ji'.:o1i dans le Siin-Salum. Cet impôt était fixé à
0,10% de la valeur locative des terrain-> jont le prix était supérieur à 4 Francs le mètre
· ~.~.
682
carré. 77 En étaient exemptés les tem~g.§ utilisés à des cultures maraichères, florales
" '
ou portant des arbres fruitiers. 78
Les difficultés du gouvernemenl à trouver les ressources suffisantes eurent
raison de la ténacité du conseil génér:31 qui accepta "extention de l'impôt personnel à
.-.~~
tous les territoires d'administration C:irecte et y créa la contribution mobilière. Cette
délibération fut consacrée par le déc-et. du 14 Septembre 1913. cet acte intéressait
surtout les Européens et assimilés, les originaires des quatre communes résidant dans
les banlieues et les escales d'une Pélrt, les indigènes non assimilés habitant les
territoires d'administration directe en dehors des villes d'autre part.
Dans les territoires d'administration directe l'assiètte des impôts différait de
celle des pays de protectorat. Les enfcnls y étaient éxonorés dans tous les cas jusqu'à
douze ans. Les femmes et les enfants ne payaient l'impôt qu'au cas où ils avaient des
ressources propres indépendantes de celles du chef de famille. 79 C'est pour cette
raison que le recensement y était nominatif. Les rôles comprenaient tous les imposa-
bles européens, assimilés et indigènes vivant dans les terrtoires d'administration
directe.80
Cette réforme tout en mettam un terme à l'incohérence de l'administration
fiscale augmentait les ressources du budget puisqu'elle touchait environ 60.000
hommes sur les 125.000 qu'abritaier;t en 19131es territoires d'administration directe.
Aux taux de 5 francs cet impôt fournit au budget un minimum de 300.000 francs. C'était
suffisant pour permettre au budget des tmritoires d'administration directe de se passer
des subventions que lui versait celui dns pays de protectorat.
Le déclenchement de la première guerre mondiale ne permit pas de développer
ces réformes jusqu'à leurs ultimes conséquences qui étaient d'imposer le même
régime fiscal à tous les contribuables de la colonie. La mobilisation de la plupart des
Européens rendit trés aléatoires les recensements des contribuables tant dans les
pays de protectorat que dans les territoires d'administration directe. Le recrutement
forcé mit beaucoup de jeunes sur la route de l'exil. Les impotents qui restaient aux
villages continuaient de payer pour ceu)( qui n'étaient plus là. La dégradation de leurs
conditions de vie était manifeste. L'aci:'rîinistration ne prit aucune mesure pour alléger
I::.S:
cette pression fiscale qui les accablait parce qu'elle les considérait comme les
complices de ceux qui s'étaient enfuis.
De 1914 à 1916 il fallut recourir à nouveau au service des chefs de canton ou
de province pour l'établissement des rôles. Le chantage revint et les chefs de carré leur
distribuaient à nouveau des cadeaux pour éviter d'être surimposés par le rajout de
quelques contribuables imaginaires sur l'effectif réel de leur carré.
En 19171e gouverneur Van Vollenhoven, aprés avoir proclamé l'abandon du
recrutement qui devait être remplacé par un immense effort économique au profit de
la France, décida de relever le taux de Gapitation malgré les difficultés que connais-
saient les indigènes avec la baisse des cours des produits d'exportation.81
Les raisons invoquées étaient la nécessité de décharger la France, des lourdes
dépenses militaires qu'elle effectuait e:1 A.O.F. et qui s'élevaient à 25 millions de francs
par an. Les perspectives de la victoire qui se déssinait alors contre l'Allemagne
recommandaient de tirer de la colonie 1~ls ressources nécessaires à son propre déve-
loppement. Les destructions provoquees par la guerre en France même la contrain-
draient à utiliser l'argent des contribuables français à sa propre reconstruction. Il serait
même indécent à la colonie d'accepter quoique ce fût de la métropole qui devait bander
toutes ses forces pour relever les ruines de la guerre. 82
L'effort supplémentaire demi' ndé aux Africains servirait exclusivement au
développement de leur pays. Ces res~;ources nouvelles permettraient de rembourser
les emprunts exigés par la construction de nouveaux chemins de fer, des routes pour
transporter les richesses jusqu'aux ports. Le développement des villes rendait urgente
la mise en place des travaux d'édilité et d'hygiène sans parler des écoles, des
dispensaires, des stations d'essais agricoles. Bref il fallait parvenir à donner rapide-
ment à la colonie l'armature nécessaire à son essor économique. Les infrastructures
sanitaires étaient pour ainsi dire inexistantes et la scolarisation des enfants atteignait
à peine 1%83.
Ne
684
En regard de l'immensité de cesl:âches à réaliser dans les meilleurs délais pour
réduire le retard économique de la col.JÎlie, les ressource des budgets étaient loin d'y
suffire. L'augmentation du taux de l'irnpàt de capitation pourrait donner pour chaque
colonie des recettes substantielles. L'idi~al aurait été de frapper chacun des contribua-
bles en proportion de sa richesse. A défaut, les habitants des cercles seraient taxés
selon leurs richesses et leurs aptitudes à écouler leur production.·4
Conformément à ces directives, Levèque Lieutenant-gouverneur prit le 17
Novembre 1917 un arrêté étendant l'imp6t personnel aux Européens et assimilés
habitant les pays de protectorat. " dtwait être porté sur un r61e nominatif pour leur
personne et pour les membres de leur famille domiciliés dans le même immeuble"S
Jusqu'à cette date les Européens ou assimilés n'acquittaient pas l'imp6t de capitation
quand ils étaient établis dans les pays de protectorat. Pour cette catégorie de
contribuables le taux de l'imp6t fut fixé à 10 francs"6
Les indigènes des pays de protectorat furent taxés d'un taux variant entre 3
francs et 7 francs selon la plus ou mo:ns grande richesse des régions envisagées.
Selon le gouverneur général cette rTl5ioration ne devait pas excéder 41 % du taux
précédent. "fut porté à 7francs dans If's zones arachidières constituées par les cercles
de Luga, Tiwawan, Kees, Bawol, Siin Sedum et Casamance, à 6 Francs dans ceux de
la vallée du fleuve et du Nani-Wuli, à 4,~jO francs dans celui de la Haute Gambie et à 3
francs dans les cantons de Nankori. fil
Cette pression fiscale fut maintenue contre les populations jusqu'à la fin de la
guerre. Une augmentation intervint er-core en 1919-1920 pour équilibrer le budget qui
avait à faire face aux dépenses importantes occasionnées par le relèvement des
traitements des fonctionnaires et l'accroissement des prix des matériaux. Les cercles
producteurs d'arachides où l'on pensait que le cultivateur réalisait de gros bénéfices,
furent taxés à 10 francs soit 3 francs (Je plus qu'en 1918. Sur le fleuve où les indigènes
ne récoltaient que de la gomme et du mil procurant des ressouces moindres le taux
fut portée à 7 francs soit 1 franc d'augmentation.Ba
•
1
685
Ces recettes fiscales permirent à fa colonie de faire fonctionner les organes
essentiels à son épanouissement. F.'.our la seule année 19181a caisse de réserve des
.
····_~t~-;·
'"
pays de protectorat foumit 1.288.7EO francs de dépense de prophylaxie antipes-
teuse. 89 Des routes carrossables cornrnençèrent à voir le jour dans tous les cercles.
On les organisa' en réseaux condC'isant soit aux escales de la voie ferrée soit
directement pour l'écoulement de la :Jl'Oduction vers la métropole. Quelques forma-
tions sanitaires étaient apparues ça et là dans le paysage ainsi que quelques écoles
sans parler des autres services de police, de la justice, des postes.
Les réalisations faites à partir des ressources fournies essentiellement par les
contribuables indigènes auraient dû le:5 convaincre que l'impôt n'était pas fomme ils
le croyaientfn tribut de guerre mais un moyen de leur faire profiter du progrés afin
d'améliorer la qualité de leur exitence. Mais les indigènes continuèrent de penser que
l'impôt était l'amende de guerre annuelle qu'on leur forçait à payer au conquérant. En
effet la plupart de ces réalisations profitaient surtout aux colonisateurs installés sur
place et aux industries métropolitaines.. Les formations sanitaires intéressaient peut-
être les citadins c'est à dire les moins imposés. En cas de nécessité)Ie cultivateur
préférait faire appel à la pharmacopée locale moins onéreuse et dont l'éfficacité ne lui
paraissait pas douteuse. L'école n'avait pas encore fait ses preuves et les paysans se
méfiaient d'un enseignement dont ils ignoraient les tenants et les aboutissants.
Pour toutes ces raisons, l'impôc n'était qu'une charge dont ils ne percevaient
pas l'utilité. Depuis l'instauration de l'impôt de capitation qui vint s'ajouter aux
anciennes redevances, les contribuables des pays de protectorat vivaient en perma-
nence dans un climat de tracasserie et de brutalités inqualifiables. La rapacité des
chefs, des miliciens et de leurs sicaires réduisaient presque toujours à néant les efforts
fournis par les cultivateurs pour être en régie avec le fisc. Les augmentations de l'impôt
avaient par endroit des conséquencGs dramatiques. Aux méfaits de la guerre, la peste
humaine et bovine ainsi que les invasil)ns de sauterelles ajoutaient leurs ravages. Cette
épidémie provoqua de nombreuse pertes humaines. Le cheptel bovin perdit une
grande partie de son effectif. Sa mortalité atteignit par endroit 90% des troupeaux. Les
invasions de sauterelles causèrent à leur tour de sérieux dommages aux récoltes.9O
we
fl86
L'allégement du budget de la France par la suppression de sa participation aux
dépenses de la colonie se fit donc aux d~t;ns des indigènes du protectorat qui virent
accroitre leurs charges au moment précis où leur pouvoir d'achat subissait une
sérieuse ponction. Pendant les années 1912-1913 on estimait à 25 ou 40 millions de
francs les sommes que la vente des ar3chides procurait aux cultivateurs. Dès 1914
avec la baisse des cours ils ne retirèrent d'une bonne récolte que 8 à 10 millions. Cette
tendance ne se modifia guère pendant la durée des hostilités. Pour l'année 1914-1915
le montant des rôles de l'impôt de capitation dans le pays de protectorat était fixé à
5.006.193 francs mais on n'en recoullra finalement que 3.61280,60 francs soit 70%
environ.91 Les dégrèvements de cotes p~rsonnelles accordés aux villages atteints par
la peste n'expliquaient pas ce manque à gagner. Les paysans frappés par les fléaux
naturels avaient à faire face au remboursement de leurs dettes. Les prix de l'arachide
avaient diminué de moitié. Cette dégradation du pouvoir d'achat des contribuables
détourna certains agriculteurs de la culture de l'arachide au profit des cultures
vivrières. Dès 1917 la coercition reprit ses droits pour les obliger à produire davantage
pour la France combattante qui s'enç;agea à acheter la totalité de la récolte. Les
procédés de récupération de l'impôt ne changèrent pas jusqu'en 1919. Les contribua-
bles étaient traumatisés par l'impôt qui était l'occasion pour les chefs comme pour les
administrateurs de les spolier du peu qui leur restait.
Pour échapper aux humiliantes sanctions des collecteurs, les contribuables
étendaient toujours davantage les SUI 'faces consacrées à l'arachide. Cette pression
fiscale finit par altérer les liens familiaux. Les navetaan92 s'établirent en masse dans le
deuxième bassin arachidier à savoi:- le Siin Salum où ils donnèrent à la culture
arachidière une grande extension. Ils étaient dans l'obligation de trouver le numéraire
pour acquitter l'impôt de leur famille qui se trouvait généralement dans des régions
enclavés ou trés éloignés des grandf- axes de communication.
Pendant la morte saison qui sui'/ait la traite arachidière, un autre mouvement
saisonnier conduisait certains ruraux vers les centres urbains où ils essayaient d'y
trouver quelques ressources d'appoint. La manutention des arachides des maisons
de commerce, la vente du bois de chau1ie et de denrées d'origine agricole procuraient
lIq
Il 8 l'
à ces noraan9J un peu de numéraire. Ces déplacements saisonniers, en aérant la
pression démographique pendant ce~~~jnes périodes de l'année, jouaient un rôle
important dans la régulation des réserves vivrières. Ils diminuaient le nombre de
bouches à nourrir soit au moment où l'activité était au ralenti dans les campagnes, soit
pendant la période de soudure. Leur retour permettait de se libérer de l'impôt et
apportait aussi des articles à la famille.
Mais parmi ces migrants certains restaient finalement dans les pays d'accueil
où ils fondaient une famille tout en maintenant des rapports plus ou moins discontinus
avec la famille d'origine. Cet individualisme en se développant altéra selon une
intensité variable la cohésion de la famine.
L'impôt de capitation était donc l'un des instruments les plus efficaces em-
ployés par l'administration pour monétariser l'économie du pays. Sous l'effet de sa
pression constante, les cultivateurs ouvraient sans cesse de nouveaux terroirs à leurs
cultures arachidière tout en se livrant à des activités parallèles pour avoir des revenus
((J.j..<f\\J'
d'appoint~. Car une fois quittes avec le fisc, en régie avec leu'5créanciers il neljdi retait
que des miettes pour faire face aux dé:Jenses qu'exigeait l'entretien de la famille.
·-
... ,
68 8
1- AN.S. 4 B 35: folio 53, Commandant de Mbijem, le 13 Mars 1962.
2- AN.S. 4 B 20 : folio 68, commandant de Gorée au Gouverneur.
.... ~ ......
3- AN.S. 13 G 278 : Dorval command.3ni'de Mbidjem au commandant de Gorée,
Avril 1863.
4- AN.F.O.M. SénégallV-47 Pinet-Laprade: Note sur le Jander, 8 Mai 1861.
5- A.N.S. 4 B 20: folio 66, Avril 1862.
6- Njay A. : LA PROVINCE DU JANDER DE 1861-1885.
7- A.N.S. 13 G 264, pièce 9, commandant poste de Kess à commandant Gorée, 3
Mars 1869.
8- AN.s. Sénégal IV-VII 64 bis: Gouvl3rneur Canard au Ministre 22 Mars 1882.
9- Conseil général: session ordinaire de 1889, séance du 14 Décembre.
10- A.N.S. 1 G 359 Rapport Lieutenant-gouverneur Cor sur administration du Séné-
gal,1914.
11- Idem, (page 9).
12-ldem, (page 22).
13- AN.S. 2 D 13-7 Lieutenant-gouverneur Cor au chef du service des contribu-
tions au chef de service des contributions directes à Saint-Louis, le 23 Juillet 1913.
14- AN.S. 2 G 1 120 administrateur Tivaouane, rapport 1·' trimestre 1899.
15- AN.S. 2 G 1 120 Tivaouan : Administrateur rapport du 1·' trimestre 1899.
16- A.N.S. S-24 Lieutenant-gouverneur du Sénégal Guy à Gouverneur général 3
Juin 1903.
17- A.N.S. S-17 : L'IMPOT AUX COLONIES, 31 Juillet 1907.
18- A.N.S. S-25 Lt-gvr du Sénégal au gouverneur- général, 26 Novembre 1911.
19- Harmand: DOMINATION COLONI~,ATION, (pages 151).
20- Cuvillier Fleury (Robert) : LA MAIN D'OEUVRE DANS LES COLONIES FRAN-
CAISES DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE ET DU CONGO, Larose 1907, (page 42).
21-ldem.
22- Bobichon : LA POLITIQUE INDIGENE DANS LES COLONIES FRANCAISES,
1912, (page 18).
23- Idem, ibidem.
24- Cuvillier Fleury (R) : Op. cil., (pagE' 44).
25- AN.S. 2 D 8-6: Noirot, rapport pc:itique, 4 Août 1894.
26- A.N.S. 2 G 15-31: Note sur la situation politique des pays de protection, 1915.
27- AN.S. 2 D 13-18 Résident de la pc,tite c6te administrateur du cercle de Kees, 9
Août 1915.
28- AN.S. 2 D 8-3 Chef subdivision de Fatik : Rapport de tournée du 5 au 14 février
1919.
29- Becker: Juuf Mboj : LES SOURCES DEMOGRAPHIQUES DE L'HISTOIRE DE
LA SENEGAMBIE, 1987, (page 10).
30- AN.s. 2 G 1-116 Bulletin mensuel Octobre, Kayoor 1897.
31- A.N.S. 2 D 7-6 Sambé: Avril 1897.
32- AN.S. 2 D 14-2 : Rapport mensuel 1897.
33- A.N.S. 2 D 8-8: Recensement du Sine Salum en 1915-1911-1917.
34- AN.S. 2 D 14-4 Allys : Commandant de cercle de Tivaouane, 26 Janvier 1905.
35- AN.S. 2 D 14-4 Allys : Command2.nl cercle de Tiwawan au Lieutenant-gouver-
neur, 26 Janvier 1905.
36- idem, ibidem.
37- A.N.S. 2 G 1-119 Rapport mensuel Tivaouane, Mai 1899.
38-AN.S. 2 [;) 7-6: Sambé, Avril 1898. '
39- AN.S. 2 D 8-10: Administrateur Bdjoint des colonies Bourcines à Lieutenant-
gouverneur P.1. Van vollenhoven Saint-Louis, le 29 octobre 1907.
40- A.N.S. S 28 : Saint-Louis, le 18 Dé~èêrnbre 1913.
41- Conseil Général, session de NovEllTlbre 1908, séance du 3 Décembre 1908 (pa-
ges 279).
42- Pétition des habitants de Joallue :3U conseil général, 19 Novembre 1908.
43- A.N.S. 2 D 7-3: Theveniaud, Administrateur cercle de Baol, 24 Août 1911.
44- AN.S. 13 G 79 Blaise Jaan à Lieulenant-gouverneur au Sénégal, 1°' Mars 1915·
45- A.N.S. 2 D 14-7 : Leveque à l'administrateur de Tivawan, 2 Janvier 1917.
46- A.N.S. 2 D 14-2 Carlier commis des Affaires indigènes à administrateur du
Kayoor, Tiwawan, le 7 Mars 1897.
47- AN.S. 2 D 14-2 le même au mêm:) Tiwawan le 12 Avril 1897.
48- A.N.S. 2 D 14-4 Allys : Commandant de cercle Tiwawan à Lieutenant-gouvere-
nur, 26 Janvier 1905.
49- A.N.S. 2 D 7-2 Pout le 13 mai 1894, rapport de tournée de Donis dans le cercle
de Dakar-Kees.
50- A.N.S. 2 D 14-20 : L'adjoint Valantin à administrateur Kees, le 13 Août 1895.
51- A.N.S. 2 D 8-6: Noirot rapport, 3e trimestre 1894.
52- A.N.S. 2 D 13-5 : Mantche, résident du Bawol oriental à administrateur cercle
de Kees, 18 Mai 1905.
53- AN.S. 19 G 1 Gouverneur généré'.i Fonly à lieutenant-gouvernéur AO.F., 27
Août 1913.
54- A.N.S. 2 D 8-6 1e• semestre 1894, Noirot: Rapport politique, 4 Août 1894.
55- A.N.S. 2 D 8-6 : ibidem.
56- A.N.S. 2 G 1-122 : Tiwawan, rapport. mensuel Septembre 1901
57- AN.S. 2 G 2-29: Luga, rapport m'3nsuel, Juin 1902.
58- A.N.S. 2 D 8-5: Cercle du Siin-Sa!um Janvier 1894
59- AN.S. 2 D 8-10 Fatick, le 27 Avrillfl99 commandant de cercle à Direction des
Affaires indigènes.
60- AN.S. 2 D 13-6 Kees, le 21 JanviEr 1907 : Molleur à Lieutenant-gouverneur.
61- AN.S. 2 D 9-20: Mathieu adminis:mteur cercle de Luga, 28 Décembre 1916.
62- A.N.S. 13 G 72 : Coupure de joumal Le Démocrate du Sénégal, le 14 Juin 1916.
63- AN.S. 13 G 79 : Louis Besnard reclamatiocontre administrateur Tiwawan, 10
Février 1915.
64- A.N.S. 2 D 8-6 Noirot : Rapport pe,IiI.'que 2° trimestre 1894, 4 Août.
65- A.N.S. 2 D 14 21 : Administrateur I;ercles de du Kayoor à Direction des Affaires
Indigènes, 13 Août 1899.
66- AN.S. : Donis, résident à Tuul à administrateur de Kees, 25 Juin 1905.
67- AN.S. 2 D 9-20: Mantche au Lieutenant-gouverneur, 28 Décembre 1916.
68- AN.S. 2 G 6-3: Lieutenant-gouvelTleur à Gouverneur-général A.O.F., le 13 Oc-
tobre·1906.
69- A.N.S. 13 G 75 Lieutenant-gouvernour Cor aux administrateur du sénégal, 8
Octobre 1913.
70- Bolchon : LA POLITIQUE INDIGENE:, (page 19).
71- J.O., AO.F., 7 Février 1914 : Circulaire au sujet de l'impôt de capitation en
AO.F., Dakar, le 30 Janvier 1914.
72- Idem, ibidem.
73- Idem, ibidem.
74- J.O. AO.F., 7 février 1914 : Circuli3ire du gouverneur général du 30 Janvier
1914.
~ Q n
75-ldem.
7S-A.N.S. S-17: Arrêté portant création d'un impôt foncier en pays de protectorat,
Saint-Louis le 1"' Juillet 1913.
77- A.N.S. S-17 : Arrêté portant l'impôt foncier sur propriété non batie Saint-Louis,
le 1"' Juillet 1913.
78- Idem, ibidem.
79- J.O.S. Circulaire de Cor sur le décret du 14 Septembre 1913. 23 Février 1914.
80- J.O.S. : Circulaire de Cor sur le dllcret du 13 Septembre 1913. 23 Février 1914.
81- J.O. A.O.F. Van vollenhoven : Circulaire au sujet des ressources nouvelles pour
les budgets de l'A.O.F., Dakar le 20 Septembre 1917.
82-ldem.
83- J.O., A.O.F. Van vollenhoven : Circulaire au sujet des ressources nouvelles
pour les budgets de l'A.O.F., Dakar le 20 Septembre 1917.
84-ldem.
85- J.O.S. : Arrêté étendant l'impôt per:30nnel aux Européens et assimilés en pays
de protectorat: Saint-Louis le 8 Nove'nbre 1917.
86- A.N.S. S-18: Arrêté du 31 Décembre 1917 portant augmentation du taxe d'im-
position pour les Européens et assimilés.
87- ANS. S-18 arrêté du 31 Décembl'e 1917 sur les taux de l'impôt dans les pays
de protectorat.
88- A.N.S. S-18 : chef de bureau poli:ique : rapport au Gouverneur, le 3 Décembre
1918.
89- Conseil général session ordinaire d§cembre 1918 séance d'ouverture discours
du lieutenant-gouverneur in J.O.S. du 1,2 Décembre 1918 (page 868).
90- J.O.S., ouverture session ordinaire conseil général 20 Novembre 1917.
91- J.O.S. : Ouverture session ordinairEl 1915-1916, Décembre 1915, (page 664).
92- Navetaan : de navet qui signifie hiWJrnage : ce sont les travailleurs saisonniers
qui font des contrats pendant l'hivernane avec les chefs de terre selon les modali-
tés variables.
93- Noor, signifiant saison sèche.
L'EXPLOITATION DES RESSOURCES
MATERIELLES ET HUMAINES
CHAPITRE 7
692
DE LA POLYCULTURE VIVRIERE.A LA PREPONDERANCE DE L'ARACHIDE
LA MISE EN PLACE D)~ L'OUTILLAGE ECONOMIQUE
Le passage d'une économie essentiellement centrée sur l'autoconsommation
à une véritable économie de marché postulait la mise en place de solides infrastruc-
tures routières, ferroviaires et portuaires aptes à connecter "hinterland avec le littoral
pour l'évacuation rapide de la production. Par le travail forcé, des pistes avaient été
ouvertes dans toute la colonie pour faciliter les communications entre les différents
cercles et consolider la domination française dans le pays. Les résultats obtenus, dans
le domaine politique, stratégique et économique par le chemin de fer du Kayoor
invitaient à l'extension du réseau ferroviaire.
En 1892 Noirot administrateur du Siin-Salum et le commandant Marmier furent
chargés de l'étude d'un projet de construction d'une voie ferrée à travers le pays sereer
qui irait de Kees à Fatick avec une possibilité de prolongation vers l'Est. Toutes les
régions traversées par ce «sentier ferré» seraient rapidement converties à l'économie
de l'arachide. Ce projet fut redimensionné par le gouverneur général Chaudié en 1900
qui émit l'idée que cette voie ferrée devait partir de la côte pour aboutir au Sudan. Il
chargea le colonel Rougier, directeur du chemin de fer de Kaay au Niger de conduire
une mission pour établir l'avant-projet d'une voie reliant Kees à Kaay.
L'insuffisance de la voie fluviale du Sénégal pour désservir le Sudan était
devenue patente au fil des années aveG ;'accroissement du trafic. Le fleuve entrecoupé
de rapides ne permettait pas une na'/i!)ation régulière. Cette précarité se manifesta
plus durement en 1902 où une séche,.C'sse d'une gravité exceptionnelle entraina une
absence totale de crue. L'arrêt des transports empêcha les transactions avec les
régions du haut Sénégal-Niger.
Pour remédier aux défectuositlis du fleuve Sénégal qui rendaient aléatoires les
communications de la vallée du Niger a'iec les ports du littoral Sénégalais, il fut décidé
de construire une autre voie ferrée qui irait se raccorder à Kaay avec celle, qui, de cet
He
6 9
endroit aboutissait à Kulikoro. Elle fou nirait aux produits du Sudan comme à ceux du
~.t:··"f·
Bawol du Siin, du Salum et du Nani-Wuli un port bien abrité: Dakar accessible en tout
temps. Ainsi serait pareillement annihilée l'attraction que la Gambie exerçait sur les
secteurs du Sénégal dépourvus de tüdt moyen de communication.'
L'entreprise paraissait d'autant plus facile que les régions à traverser étaient
d'une grande monotonie. On ne s'y heurterait à aucun obstacle géographique sérieux.
Il n'y avait "ni montagnes à gravir, ni rivières à franchir ni fondrières à contourner"'. Le
gouverneur général Roume considérait comme prioritaire la réalisation de cette oeuvre
à son avis esentielle à la réussite des objectifs que s'était fixés la France au Sénégal.
Les travaux du Kees-Kaay commencèrent en 1907 sous la direction de Friry. Sa
longueur était de 667 Km. Le prix de revient fut estimé à 44.994.000 francs. J
Le financement fut assuré par urlllmprunt garanti par l'Etat fr~nçais. C'était un
prêt à long terme gagé sur les ressou,'ces propres des colonies constitutives de la
fédération de l'A.O.F.. La loi d'emprunt du 22 Janvier 1907 permit l'ouverture des
travaux. De ce crédit de 100.000.000 francs attribué à l'A.O.F. 13.500.000 francs furent
réservés à la construction du Kees-Kaay. Le premier tronçon Kees-Ngahay (140 Km)
absorba 10 millions et le reste fut employé pour celui de Kaay-Ambideji.
Une loi de Décembre 1910 autorisa le gouverneur général William-Ponty à
emprunter 14 millions pour la poursuite des travaux. Une autre loi de Mars 1914
accorda à la même ligne un crédit de 4.6CJO.000 francs pour la continuation des travaux
du kilomètre 340 au kilomètre 396'.
Les difficultés de la première gue n'e mondiale ralentirent de façon trés notable
les travaux. En 1910 les travaux avaient ,Iltaint le point 143. Trois ans aprés, la voie était
à Kusanaar (353 Km). Mais en 1916 le rail n'était encore qu'à Kocaari au Km 420. Il
restait encore 155 Kilomètres pour atteindre la Falémé. Toutefois l'embranchement
reliant Ginginew à Kaolack 22 Km était achevé depuis 1911. Le tronçon Kaay-Ambedeji
était terminé depuis 1909. Il ne restait plus qu'à faire le raccordement pour relier la
vallée du Niger au port de Dakar. Cette jonction avec le Kaay-Niger n'eut lieu que le 15
Août 1923.
69
L'écartement de cette voie ferrée était métrique. Les gares et les haltes étaient
au nombre de 51. En raison de la felti:tté du sol et de la relative forte densité des
1J .. ~
populations du Bawol on décida de 1€3 placer à 15 Km les unes des autres. Au delà!
l'espacement oscillait entre 25 et30 Km. En cas de nécessité on pouvait construire des
haltes entre les stations.
Parallèlement à la construction (je cette ligne des puits furent forés pour le
ravitaillement en eau des locomotives marchant au bois ainsi que celui des populations
qu'on voulait fixer au sol. L'abondance de l'eau était sans aucun doute un moyen
d'attirer les populations des régions environnantes. 5
L'exploitation de la ligne comm~mça bien avant l'achèvement des travaux. Ce
chemin de fer fit des bénéfices en raison de l'important trafic qu'il généra et de
l'absence de voie concurrente. La recette kilomètrique qui était de 38'18 francs en 1910
passa à 5249,80 francs en 1912 pour atteindre 5521 francs en 1914. Elle subit par la
suite le contre coup de la guerre. Elle Il'était plus que de 4193 en 19156 .
A l'exportation l'article principal était j'arachide qui connut un développement
spectaculaire. Le commerce des boeufs commença à prendre son essor. Plusieurs
trains transportant des boeufs étaient rùgulièrement expédiés à Kaolack par la gare de
Kocaari. A l'importation les tissus, les matériaux de construction, des produits
alimentaires formaient l'essentiel des chargements. Leurs poids étaient de beaucoup
inférieurs à ceux des produits exportés. On pensait pouvoir y remédier par la
commercialisation du sel de Kaolack.?
Comme au Kayoor, la ligne du Kees-Kaay opéra dans la région qu'elle traversait
)
/
de profondes transformations économ:ques, sociales et même religieuses. Le Bawol,
le Siin, le Salum et le Nani-Wuli devinrent à leur tour un immense bassin arachidier, Les
villes et les villages poussèrent le long de cette voie ferrée. Aprés le Bawol, le Siin fut
la deuxième province à accueillir cette ligne. Les populations qUi1USqu'aiors étaient
trés éloignées, des centres commerciaux, et étaient obligé~e vendre à vil prix leurs
arachides aux maures pour acquitter l'impôt, sortirent définitivement de leur isolement.
Dès 1909, 3000 Sereer originaires soit des provinces Sereer du Mbadaan, soit du Siin
K~
6 9 5
'.)';<1;
proprement/itte postèrent dans le ~:3~ton de Maruut où ils établirent leurs villages
prés de la voie ferrée. Là ils se livra;snt à la culture arachidière. A la fin du premier
semestre de 1909 les quantités d'arac hides expédiées des divers centres du cercle de
Kaolack s'élevaient à 41.000 tonnes.'
Les conditions nouvelles de transport et les nombreux puits creusés le long de
la voie ferrée peuplèrent rapidement la;:>artie orientale du Bawol surtout au lendemain
de l'établissement à Jurbel de Cheikh Bamba le fondateur de la confrérie mouride. De
l'Ouest du Bawol comme de certains calltons du Kayoor appauvris par l'intensification
de la culture arachidière, arrivaient de nouveaux cultivateurs en grande partie mouri-
des. Les dignitaires de la confrérie comprirent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de cet
instrument de pénétration pour ouvril' un front pionnier parallèle à la voie ferrée.
On constata une rapide progre'ssion de leur nombre. En t912 on dénombra
7000 mourides établis dans le cercle dE: Siin Salum à la faveur du rail. Leur dynamisme
leur permit de contrôler J'activité éCDnomique des stations comme Ginqinnew et
Gossas. Leur action économique s'ilccompagnait d'une intense activité d'islamisa-
tion des populations des régions avoisinantes encore au stade de la religion des
ancêtres."
En 1915 ce front pionnier mOIJride avait atteint le Salum oriental. Toutes les
gares de la ligne étaient jalonnées de ;~awiyya mourides sans parler des villages inter-
médiaires qui devinrent également d'importants centres de la confrérie. Les Cheikh
sollicitaien1auprés deschefs de canton,desterres soit desconcessionssurlesterrains
que l'administration considérait comlT,e vacantes ou sans maître/soit des tenures
moyennant le paiement de certains taxes. '0
La forte densité des immigrant, eut un impact profond sur le paysage qui subit
de profondes altérations. L'activité écor,omique connut un essart rapide qu'infflua sur
le trafic. En 1910, cette ligne avait transporté 130.025 personnes et 78.282 tonnes de
marchandises. En 19151es chiffres pour les mêmes rubriques étaient respectivement
de 167.353 et 123.885. En 1920 le Ilombre des voyageurs atteignit 347.440 et le
tonnage 146.624. L'augmentation du tafic fut trés nette au lendemain du raccorde-
HR
6 9 E
ment avec le Kaay-Niger en 1924 ou ie-'hombre de voyageurs passa à 936.945 et le
tonnage à 234.980." La rentabilité dl) la ligne n'était pas contestable bien que les
années 1916, 1919 et 1921 fussent dôficitaires.
Les succès enrégistrés par la ligne Dakar-Saint-Louis et Kees-Kaay incitèrent
à en construire de nouvelles dans les n',gions tenues à l'écart de l'économie de marché
par l'absence de voies de communications modernes. Les embranchements Luga-
Lingeer et Jurbel. Tuba furent constn:itdans le même ordre d'idées en 1931.
Les régions traversées par le ra',1 devinrent rapidement des zones arachidières.
Les mesures prises par l'administration,,accentuèrent le phénomène. L'arachide
devint alors la plante reine à laquelle on (levait consacrer l'essentiel de son activité. Les
.
-
manoeuvres Sénégalais employés à la construction de cette ligne furent recrutés sur
la base d'un contrat leur accordant l:n salaire journalier d'un franc. La durée de la
journée de travail n'était pas précisée. Les employés restaient au chantier du lever au
coucher du soleil avec une petite interruption vers 14 heures pour le déjeuner. Si nous
en croyons le lieutenant-gouverneur du Sénégal qui répondait à une lettre du président
de la ligue des droits de l'homme protestant contre les conditions de travail des
ouvriers européens, la durée de la joumée de travail était au moins de dix heures. Les
Européens, dit-il, employés sur les chantiers étaient uniquement chargés de la
surveillance des travaux. Les autres étélient dans les ateliers où l'on exigeait d'eux 10
Heures de travail par jour.12
Les conditions de travail des indigènes étaient sans conteste, plus draconnien-
nes. Ils étaient totalement livrées à la discrétion de leurs employeurs que ne bridait
aucune législation sociale. On répétait toujours que les lois sociales métropolitaines
n'étaient pas des articles d'exportation.
Le déclenchement de la premièm guerre mondiale rendit difficile le recrutement
de la main-d'oeuvre salariée. La peur d'être mobilisé éloignait des chantiers les anciens
engagés. La ligne se trouva dans um.' r,érieuse situation de déficit de main-d'oeuvre
à laquelle l'autorité coloniale remédia en recourant au système des réquisitions. Les
697
chemins de fer furent déclarés travaUJ111'intérêt public. Les populations des régions
voisines de la ligne étaient régulièrement embrigadées pour aller travailler sur le
chantier. Au lendemain de la guerre 1133 éléments de la deuxième portion achevèrent
les travaux.
Le réseau ferroviaire constitué ,:):31' les lignes Dakar-Saint-Louis et Kees-Kaay
devint la charnière du bassin arachicïer. Le long de la nouvelle ligne des centres
urbains firent leur apparition. Comme sur l'axe Dakar-Saint-Louis. Khombole,
Bambey, Jurbel, Gossas, Ginguinew, KaffriQ, Kungel, Kumpantun, Tambacounda
accueillirent, au fur et à mesure que lé: ligne les atteignait, les maisons de commerce
exerçant leurs activités dans la colonie. Toutes ces escales étaient autant de centres
où les autochtones s'initiaient à la vie urbaine.
Parallèlement à la mise en place de ce réseau ferroviaire, l'administration activa
aussi les travaux maritimes pour faciliter l'écoulement de la production. Le port de
Dakar par lequel s'exportaient les produits du Sudan et du sénégal reçut l'outillage
adéquat dés 1908. Rufisque, Naninq, Fatick furent doté!~ppontements.Des travaux
d'aménagement furent entrepris dans le Sénégal pour l'éclairer et le baliser. Des
études furent entreprises en vue de trouver le moyen de fixer l'embouchure du fleuve
et de supprimer la barre qui freinait le développement économique de la vallée du
Sénégal.!3 A partir de 1912 Kaolack commença à jouer un rôle important dans
l'exploitation de l'arachide. Il évitait à la production du deuxième bassin arachidier un
trajet variant de 175 à 250 Km. Les trEvaux du port commencèrent véritablement en
1928 pour ne s'achever qu'en 1932. Il exportait selon les années entre 110.000 et
150.000 tonnes d'arachides par an. Il aida grandement au désencombrement du port
de Dakar."
DU PROBLEME~DES CONCESSIONS
La mise en place de cet outillô.ge économique qui permit aux producteurs
indigènes d'accroitre, dans de fortes proportions, les cultures d'exportation, n'en
posait pas moins le problème de la place du capital français dans la production locale.
Même si les colons, vivant au Sénégal, étaient convaincus que l'agriculture de type
capitaliste n'était pas possible avec l'arachide, Car en l'absence de tout machinisme
agricole il fallait disposer d'une nombreuse main-d'oeuvre pour exécuter avec soin les
travaux qu'exigeait cette plante trés délicate, certains d'entre eux n'en demandèrent
~"';M'l
..
pas des concessions, soit pour faire [je la culture arachidière, soit pour exploiter les
produits naturels comme le caoutchouc, les palmiers et le bois qui semblaient
susceptibles de procurer de gros béMfices.
Ils se mirent à revendiquer la ter:e:'Ses vaincus au nom du droit du plus fort. Pour
eux le sort de la terre devait suivre celui des armes. La domination de la France dans
le pays ne serait incontestable que si :odle s'accompagnait d'une véritable occupation
du sol par ses colons pour lesquels les.armes s'étaient prononcées. La victoire fondait
leur droit. Il ne restait plus qu'à leur répartir les terres qu'ils estimaient pouvoir
rapidement mettre en valeur.
Ceci leur paraissait d'autant pius urgent à faire que les méthodes culturales
indigènes étaient rudimentaires et de·nc incapables d'assurer et les besoins de la
population et l'approvisionnement du mmché français en matières premières. A leurs
yeux, la réalisation d'un tel objectif pa:;~.ait par des cultures intensives et donc par le
recours à des procédés scientifiques.
Le devoir du gouvernement était donc d'accorder des concessions aux
détenteurs de capitaux qui en faisaient la demande. Le maintien du régime foncier
coutumier était un obstacle «à la bonnE=' exploitation des terres, à la libre circulation des
biens, en un mot au succès de la colonisation 15». Dès lors comment faire pour
déposséder les indigènes de leurs ter'es au profit de l'Etat ou des colons français?
L'opération devait être entourée de t(,Utes les subtilités juridiques pour donner une
sereine conscience à ses auteurs. On se mit à se demander à qui appartenait la
II'
n:
propriété du sol? A l'indigène ou à la nation conquérante? Est-ce que l'indigène était
': .,
propriétaire? Ce droit de propriété, n'Élt;Jit-il pas l'apanage exclusif des souverains ou
des chefs? Dans cette dernière hy~olhèse l'Etat français n'avait-il pas, de par la
conquête, hérité du droit absolu de propriété naguère détenu par les souverains de la
Sénégambie?
Bornons-nous à rappeler ici que la propriété du sol en droit coutumier appar-
tenait exclusivement aux collectivités. Chacune d'elles possédait le sol entier cultivé
ou vierge de l'étendue du territoire qui lui était reconnue par les groupements voisins
se/on des conventions plus ou moin~; explicites. Les autochtones étaient dans leur
immense majorité des agriculteurs. C'E;St vers la terre cultivable que se concentra le
sentiment de la propriété. Le nomadisme cultural qui était le procédé le plus couram-
ment employé pour régénérer les terre.> fragiles poussait les collectivités à en posséder
(
de grandes étendues afin de déplacer les cultures à mesure qu'e s'épuisaient les
champs ou que la pression démographique obligeait d'étendre les surfaces cultivées
pour faire face aux besoins. '•
Chaque étendue de terre, appartenant à une col/ectivité, était gérée par un chef
de terre appelé Laman qui représentait les intérêts permanents des familles constitu-
tives de la col/ectivité. Il veillait sur tout le sol dont la collectivité était propriétaire. En
accord avec les vieillards du groupe il fi,:aitle calendrier agricole, décidait de la partie
du terroir qu'on devait livrer à la jachèr3. '7
Le Laman était le patriarche de la famille première occupante du sol. La
surimposition de l'autorité étatique n'e(ltraina nullement une quelconque main mise
sur la propriété du sol. Les chefs pc'iF:jues nommés par les souverains pouvaient
exercer le commandement politique s'ils n'étaient pas issus de la famille première
occupante du sol, mais ils ne remettaier.tjamaisen cause le droit de propriété de celle-
ci sur ces terrains.
Ce facteur d'hérédité avait un caractère si contraignant que les souverains dans
/e droit administratif, préféraient recm;:er leurs chefs de canton dans les familles déten-
"il>--
trices des droits de propriété foncièrn du lieu. En effet certains territoires étaient
- - - - - - - - - - - - - , - ,---;C,,--,-_
-
J
;4,~' .
f.
7 0 0
considérés comme la propriété exclusivg,de certains patrilignages ou matrilignages.
~~. ",
Ainsi Je Geet était pour les Joop, le N~l[lob pour les Gey, le Tuube pour les Jey, le
-
~~:~.
Njengeen pour les Jeng, le Nomre pOUl' les Lo. Finalement le Lamanat avait fini par se
confondre avec le pouvoir politique danf, ces cantons.'B
Les Laman n'étaient que les gérants du droit de propriété lequel appartenait à
la collectivité tout entière. Ce droit de propriété sur le sol ne comportait pas le droit
,
d'aliénation du sol même. La terre demeurait pour toujours la propriété de la collecti-
vité. Elle excluait toute possibilité d'appropriation privée.'·
)(,L';";N\\)
Pour les ~ de leur politiqde, les souverains enlevaient à certaines
collectivités une partie de leurs terres pour doter de nouveaux migrants. Mais la mesure
s'accompagnait toujours d'une indemnisation appelée nakal.20
j; ~
Le Laman, maître du sol faisait éçlaiement fonction de prêtre cliargé de faire les
offrandes aux génies locaux qui seuls pouvaient dire si les étrangers désireux de
s'établir dans le terroir ancestral étaient cu nom les bienvenus, Les différents membres
de la collectivité qui le souhaitaient recevai'cnt du Laman une parcelle de terrain collectif
pour l'exploiter. Sous la condition de continuer à la cultivertilsen avaient la possession
et pouvaient le transmettre à leurs héritiers. Mais la distribution des terres se faisait
toujours en accord avec le conseil des anciens.
Les parcelles livrées à la jachère et toutes celles qui n'étaient pas mises en
culture pour une raison ou pour une autrE: restaient ou rentraient dans le collectif. Il y
avait donc des étendues de terrains non cultivées que pour les besoins de la cause le
conquérant se dépêcha d'appeler terres vacantes et sans maÎtre. 21
Les terres vacantes n'étaient pas ~;ans maîtres. Elles constituaient les réserves
qu'exploiterait un jour la collectivité soit sous l'effet de la pression démographique soit
sous celui du nomadisme cultural. Les lim i!';~s de chaque propriété étaient parfaitement
connues des interéssés. Tous ceux qui cultivaient les parcelles attribuées par le Laman
lui versaient des droits de fermage qu étaient comme une sorte de contribution
volontaire aux charges auxquelles le Laman devait faire face de par son statut de
patriarche. Lesorphelins, les veuves restùes dans la famille de leur mari, les étrangers,
701
les victimes des accidents étaient considérés comme des poids morts que supportait
la collectivité familiale, Les redevances perçues par le laman sur les parcelles mises en
culture servaient à soulager les faibles et les impotents,"
Ainsi donc le sol appartenait aux descendants des premiers occupants toujours
représentés par les anciens de la fanlille qui devaient le transmettre intact à leurs
descendants comme ils l'avaient rec;u de leur ancêtres. Ces tenures familiales
s'exerçaient même sur les réserves el c'est pour cela que les collectivités familiales
propriétaires terriennnes furent étonnées d'entendre les autorités coloniales parler de
terres vacantes et sans maîtres.
Evidemment quand il se fut agi d'accorder des concessions aux colons il fallait
trouver des arguments pour justifier leé. expropriations. Sous leur pression on prit des
mesures qu'on crut utiles pour faire cesser cette situation qui risquait de freiner
l'accroissement rapide de la production.
On commença par évoquer la théorie du domaine éminent en alléguant que les
occupants du sol, ne pouvant aliéner leurs parcelles, n'avaient qu'un droit précaire et
pouvaient être dépossédés à tout moment: C'étaient\\es souverains qui avaient le
domaine éminent et leurs sujets le domaine utile. On conclut de là que les anciens rois
locaux étaient les seuls vrais propriétaires de la terre, et donc avaient transmis tous
leurs droits à l'Etat français, et que œs droits comportaient "la pleine et entière
propriété de toute la partie du sol q~li (n'avait) pas fait l'objet d'une appropriation
particulière23».
Cette façon de voir était irrecevable24 pour les indigènes qui savaient que l'état
n'avait sur le sol que des droits de souveraineté. Sauf dans des cas exceptionnelle droit
de propriété des collectivités familiale:; n'avait jamais été violé par les souverains.
Quelle valeur pouvaient avoir <IU~ yeux du peuple ces conventions imposées
par la force à leurs souverains qui généralement n'en comprenaient pas le contenu?
De plus la conception française de lé'. propriété était différente de celle du droit
coutumier local. Les signataires et leuls interprètes pouvaient difficilement saisir la
7 0 r
différence juridique entre le droit de SI)INeraineté et le droit de propriété sur le sol de
"
leur pays.
En vertu de ces traités la Franœ se dit investie du droit de propriété éminent
comme successeur des anciens rois locaux. La cour d'appel de L'A.O.F. consacra par
ses arrêts de 1907 la plenitude des prérogatives de l'Etat «en sa qualité de successeur
des anciens rois indigènes et de pmpriétaire à ce titre de toutes les terres qui
composaient» leurs royaumes.'5
La cour établit que la propriélé privée était inconnue des indigènes et que
l'entière disposition du sol appartenait aux rois. La conséquence fut que les indigènes
devaient, pour régulariser et consolioor leur situation, solliciter eux aussi des conces-
sions. Mais l'idée de propriété domaniale, de domaine éminent leur était totalement
étrangère. Ils ne comprenaient qu'une chose c'est qu'on voulait usurper leurs terres.
Convaincus que leurs droits héréditairfJS traditionnels étaient de valeur supérieure à
toutes les arguties juridiques que l'on ,~Ialait devant eux, ils refusèrent dans les zones
rurales ~Rltde se conformer à 13 nouvelle réglementation. La cour d'appel de
l'A.O.F. avait proclamé en 1907 que loutes les terres sans maîtres appartenaient à
l'Etat français. Nous avons déjà vu que la tenure foncière indigène était exclusive de
l'idée de maître. Le sol appartenait aux collectivités familiales qui conservaient leur total
droit de propriété tant sur les parcelles cultivées que sur celles laissées en friche et qui
de ce fait pouvaient paraitre comme '/Cicantes.
Malgré tout, on les considéra comme telles. Elles formèrent le domaine de
L'A.O.F.. On décida toutefois de les q6rer en s'attachant à «exercer à l'égard des
indigènes, de leurs biens, et de leur droits coutumiers, une protection éclairée26».
Personne ne pourrait s'opposer à la ((Jdistribution des terres non occupées au profit
des indigènes qui en feraient la demande même s'ils étaient étrangers au secteur.
Cette mesure permettrait la mise an valeur de toutes les terres inoccupées. Les
anciens propriétaires, dépossédés n'auraient plus aucun droit de s'opposer, à
l'attribution sur leurs terres, de conceJ::sions à des navetaan ou à des marabouts qui
en faisaient la demande. Le domaine était donc le moyen le plus efficace pour accroitre
la production agricole.
:};~?
Sur ce plan, la loi, française 'ë,tait à nouveau en opposition avec le droit
coutumier. La conception de la propr,été était différente entre ces deux régimes. Le
droit de propriété indigène n'était p,'IS identique à celui du conquérant. Il fallait le
bousculer, le remanier pour qu'il pût entrer dans le moule proposé par l'autorité
coloniale. L'administration prit deuxdôcrets relatifs à la propriété foncière. Le premier,
en date du 23 Octobre 1904, portait or'~anisation du domaine, et le second, en date du
24 Juillet 1906 organisant le régime de la propriété foncière en A.O.F..
L'article 10 du decret du 23 Octobre 1904 disposait: «Les terres vacantes et
sans maître dans les colonies et territoires de l'A.O.F. appartiennent à l'Etat. Les terres
formant la propriété collective des indi~Jènes ou que les chefs indigènes détiennent
comme représentants des collectivité:, indigènes, ne peuvent être cédées à des
particuliers par voie de vente ou de location qu'aprés approbation par arrêté du
lieutenant-gouverneur, en conseil d'administration. L'occupation de la partie de ces
terres qui serait nécessaire pour la création de centre urbains, pour des constructions,
ou des travaux d'utilité publique est prononcée par le lieutenant-gouverneur, en
conseil d'administration, qui statue sur les compensations que peut comporter cette
occupation"».
En interdisant ainsi les aliénations des terres, l'autorité réussissait à faire
dériver, d'une concession de sà part, la propriété privée. Les concessions jusqu'à 200
hectares étaient délivrées par le Iieutnant-gouverneur, celles comprises entre 200
hectares et 2000 hectares par le gou'/erneur général et au delà par décret.
Lorsqu'on se rendit compte que les terres vacantes n'étaient pas sans maîtres
on essaya de réduire la portée de cel acte en disant que les indigènes conservaient
sur la terre et ses produits naturels leu,'s droits couturniers d'usage.
Dans l'intérêt même de la colonisation les indigènes devaient se rapprocher du
régime de la proprité selon la loi françe.ise. Il leur fallait s'engager sur le chemin de la
propriété en acceptant de transformer l'occupation de leur terre, sous le régime du
droit coutumier, en droit de propriété3U sens de la loi française. C'était le motif du
decret du 24 Juillet 1906 organisant 13 régime de l'immatriculation en A.O.F..
704
h:.,..-o:r~·
L'article 58 de cet acte dispose:';; Dans les parties de l'A.O.F. où la tenure du
sol par les habitants ne présente pas tous les caractères de la propriété privée telle
qu'elle existe en France, le fait, par un ou plusieurs détenteurs de terres, d'avoir établi
par la procédure de l'immatriculation, l'absence de droits opposables à ceux qu'ils
invoquent, a pour effet, quels que soient les incidents de la dite procédure, de
consolider leurs droits d'usage et de l!lur conférer les droits de disposition reconnus
aux propriétaires par la loi française2'".
L'occupation ainsi envisagée conduirait les indigènes à la propriété privée.
Cette façon d'acquérir des titres de propriété était possible dans les centres urbains.
Les habitants des zones rurales n'osai'3I1t remettre en cause le mode d'appropriation
Q:l'""LN'-"
collective de la terre. Et ceux qui le I\\i~ auraient couru le risque de subir des
sanctions trés sévères. Mais l'administration demeurait néanmoins convaincue
.
-
qu'existait désormais le cadre à l'inté':ieur duquel se ferait le passage de la forme
coutumière de la propriété collective à la propriété privée française. Le développement
de l'individualisme consécutif aux transformations économiques, sociales et les
nécessités du commerce feraient le reste. 29
Dans leur immense majorité les indigènes ne jugèrent pas utile de faire les
demandes de concession à l'administration. Ils n'en voyaient pas la nécessité. Leurs
droits de propriété sur la terre de leur ancÊ:tres reposaient sur les bases incontestables.
Une transformation de ce droit ne présentait à leurs yeux, aucun intérêt. Tout indigène
qui demandait à l'autorité française la consécration de sa tenure par la délivrance d'un
titre était obligé de demander une co.lcession. En d'autrElj terme;,il aurait admis le
caractère révocable de son droit de propriété qu'il tenait de la coutume.
En 19131e gouverneur général William Ponly décida de réduire la portée de la
dangereuse théorie domaniale attribuant. à l'Etat français «à titre de terre vacantes et
sans maître, la presque totalité du sol» de la colonie."" Les superficies laissées en
réserve étaient de beaucoup supérieur~'Sà celles mises en valeur. En y taillant des con-
cessions, au profit de tiers étrangers au pays, l'administration aurait dressé spontané-
ment contre elle toutes les collectivités Gont les terres auraient été ainsi usurpées.
~~r:
.
705
William Ponty émit l'avis que si;îi"P'g'ouvernement français entendait se porter
successeur des anciens souverains et ,~hefs de l'Afrique, son devoir primordial était de
~~>,<
,
défendre les intérêts de la collectivité indigène, et particulièrement ceux des propriétés
de famille inaliénables. Aussi recomma!lda t-i1 à ses subordonnés, d'accorder des
compensations, dans un esprit de jUf,\\9 équité, aux indigènes expropriés pour cause
d'utilité publique. Dans le même ordre d'idées, ajouta-t-i1, l'autorité locale devait veiller
à ce que l'indigène cultivant traditionnellement des terres ne fût pas subitement
«dépouillé de ses droits et privé de ses ressources au profit de tiers"". Les conces-
sions, soit du sol, soit de l'exploitation de ses produits naturels, ne devraient désormais
être accordées qu'une fois qu'on avait 13 certitude qu'elles ne violaient pas les droits
des autochtones et ne compromettai'.JrIt pas non plus leurs intérêts immédiats et à
venir. En cas de nécessité les conces"ions accordées seraient temporaires à durée
déterminée afin de ne pas engager tre',1=' rapidement l'avenir des autochtones."
Le gouverneur général préconisa une surveillance vigilante des chefs et des
représentants des collectivités indigèn,)f;souvent trés enclins à tirer un profit personnel
de leurs prérogatives administrativ:s c'uco~umières,en accordant des tenures à des
individus peu scrupuleux qui essatèr~~ la suite de les transformer en propriété
privée par la procédure de l'immatriculation, et ce, au préjudice de \\a collectivité,
légitime propriétaire. Aussi décida-t-i! oue les contrats entre les représentants des
collectivités familiales ou les chefs, et df)S tiers européens, indigènes, ou étrangers «ne
sauraient être valables qu'aprés avoir reçu l'approbation» du Lieutenant-gouver-
neur. 33
Le passage de la propriété de typa coutumier à celle de droit français ne pouvait
se faire brusquement Mais les disposi'iicns du gouverneur Ponty limitèrent le nombre
de concessions accordées dans les 10,les rurales.
Dans les pays d'administration clrecte surtout à Dakar les indigènes, dont les
intérêts risquaient à tout moment d'êtra sacrifiés à ceux de l'administration ou des
colons, déployèrent beaucoup d'énergie pour sauvegarder leurs droits. Ils saisirent
les tribunaux, voire le conseil d'Etat pcour sensibiliser les autorités métropolitaines sur
la question foncière dans la presqu'TIn du Cap-Vert en 189234 • Les Lebu comme les
~...Jt..
4~'"
7 an
autres propriétaires autochtones ne pé:;Jvaient opposer au droit de propriété tel qu'il
était défini par le code civil que la lor\\ç:'i!e et paisible possession de leurs terres. Ils
rejetaient la théorie du domaine émii;lent de l'Etat qui n'était invoqué que pour les
spolier de leurs biens.
Malgré tout, des immeubles a\\'e.ient été immatriculés dans les communes de
plein exercice comme dans les territoirE's d'administration directe en vertu du droit de
notoriété selon lequel on reconnaissiiit'à un tiers un droit de propriété sur des terres
qu'il n'avait pas fait immatriculer selon les dispositions du code. Conformément au
décret du 24 Juillet 1906 les imma,~riculations se poursuivirent dans les quatre
communes. 35
Dans les territoires d'administration directe des concessions furent accordées
aux commerçants en vertu du decret dl, 3 Août 1887. l'aliénation des terrains eut lieu
surtout autour des gares du chemin de fer Dakar-Saint-louis et le long de la ligne Kees-
Kaay.36 Entre 1906 et 1915 il Y eut 126';' concessions accordées dans les territoires
d'administration directe. les occupati'Jns de terrains dans les escales de la voie
n'étaient que provisoires du point de vue juridique. En effet les territoires des escales
n'appartenaient pas à la colonie mais t\\taient propriété de la France. les concession-
naires n'avaient donc aucun droit de !)fopriété pour l'avenir.37
Dans le pays de protectorat la terre avait toujours attiré les colons qui voulaient
faire soit de la culture capitaliste, soit exploiter les ressources naturelles comme le
(
caoutchouc ou les amandes de palme. Ainsi des l'annexion du Jander en 1861, le
marquis de Rays sollicita des conces;;il)ns auprés du gouverneur en vue de faire de
la culture arachidière tout en aidant le;; indigènes à améliorer leurs méthodes cultura
les. Il avait envisagé, avec l'augmentation de la production ainsi obtenue, d'établir une
usine pour la fabrication sur place de l'nuile d'arachide.38
En 1870 le négociant Fleury reç'ut du gouverneur un terrain de 63 hectares dans
le voisinage de Joal où il se consacra il la culture arachidière. 39 Nous n'avons aucune
information complémentaire sur les tentatives de ces négociants qui ne voulaient plus
voir la récolte arachidière dépendre du iJon vouloir des chefs locaux. Mais leur échec
N9
707
ne semble guère douteux. Car sans machinisme agricole les chances de réussite
d'une culture capitaliste, étaient minces.
;~r"
Mais une fois la conquête terminée, l'autorité française consolidée, les adminis-
trateurs multiplièrent les concessions en faveur des navetaan ou d'autres individus
dans le but d'augmenter rapidement 13 production de leurs cercles. Les tribunaux et
l'administration étaient unanimes pour dire que les terres appartenaient au gouverne-
ment de par le droit de la conquête. Il avait, en conséquence, le droit et le devoir de
distribuer des tenures à tous ceux qui, sans terres, étaient néanmoins prêts à mettre
leurs activités au service de la culture arachidière. Les commandants de cercle ne
tinrent nullement compte des protestations des ayants droit qui durent recourir à des
procédés mystiques pour interdire l'accès de leur terres à ces indésirables étrangers.
Pour cela il suffisait de solliciter les services des sorciers ou des magiciens. Selon
'«Ci·
•
l'administrateur Noirot les Sereer du Siin trouvèrent la parade à ces usurpations en
"appelant à la rescousse le néléwane"4o ou maladie du sommeil qui n'était qu'un
empoisonnement adroitement administré aux intrus. Cette calamité fît des ravages
chez les migrants et rapidement les propriétaires recouvrèrent sans procès leurs droits
sur leur terres.
Les propriétaires, qui n'avaient pas l'efficacité des Sereer dans la défense de
leurs droits, étaient souvent dépouillés de leurs biens puisqu'ils étaient incapables de
produire les titres de propriété conformes aux dispositions du code civil. En 1898
Maury, demeurant à Rufisque, demanda une concession de 10 hectares prés du
marigot de Sangalkam. Le terrain convoité appartenait à Alassan ln deuk selon le droit
coutumier. Il en fut dépossédé au profit de Maury car il fut incapable de produire à
l'appui de son droit les titres exigés à c:;8t effet par la loi française."
Partout un dialogue de sourds'~>'engagea entre l'autorité française affirmant
qu'aucune controverse n'était possible sur les droits de propriété de la France héritière
des souverains du pays, qu'elle avait donc le droit de disposer des terres comme elle
l'entendait, et les autochtones qui s'en fenaient à la forme coutumière de leur propriété
foncière. La terre demeurait pour eux Lin bien de famille qu'ils possédaient par droit
héréditaire et collectif.
708
La puissance de ce sentiment les conduisait parfois à manifester de façon
violente leur opposition à l'usurpation de leurs t'erres au profit des tiers. En 1901
l'administrateur Leffiliâtre commandant le cercle du Siin Salum accorda une conces-
sion de 900 ha à un Européen qui voulait y faire de la culture arachidière. Les Sereer,
forts de leur droit, ripostèrent en metié\\Wle feu dans la concession.'2
L'hostilité des populations à ces mesures étaient d'autant plus compréhensible
que les légitimes propriétaires n'étaient pas indemnisés. On ne prenait pas en
considération leurs droits parce qu'on s'en tenait à la théorie du droit éminent. Leur
dépassés sion n'était qu'une série d'actes arbitraires. Certains s'inclina'lent devant ces
usurpations, d'autres menèrent un combat d'arrière garde en dénonçant avec vigueur
les usurpations dont ils étaient victime~;, Les plus teméraires recoururent àla force pour
obtenir l'eviction des intrus.
En 1899 les indigènes du protiJctorat qui s'établirent à Mexe pour échapper à
l'arbitraire de leur chef Abdulay Joop firent une pétition contre Dembawar qui avait
confisqué leurs terres pour les punir de leur exode. Cette mesure fut considérée
comme illégale selon le droit coutumier. Les Laman Paleen dépossédé au profit d'un
nommé Alpha Joop tenait cette propriété de ses ancêtres dont les droits sur cette terre
étaient même antérieurs de 30 ans à l'instauration de la monarchie au Kayoor. Les
victimes comme Maxureja Gey, dépciuillé au profit de Yamar Gey, et Savambe
dépossédé en faveur de Buna Beka'i étaient les Laman incontestés des terres
confisqués. L'usurpation de Dembawar était incapable de faire disparaitre les droits
des familles sur la terre de leurs ancêtres. 43
En 1902 les habitants du village de Ndu Kuman dans le voisinage de Kees prirent
les armes contre les habitants de Keur Malic Nang qui avaient bénéficié de conces-
sions sur leurs terres. La bataille ~',e solda par 3 morts, 13 bléssés, 28 cases
incendiées." En 1909 des indigènes du cercle de Kees protestèrent auprés du
commandant de cercle contre l'attribution de terrains de culture à des étrangers.'6
La dépossession frappant les lÉgitimes propriétaires risquait de les prolétariser
à brève échéance. A défaut de pouvoir s'opposer aux spoliations, ils prirent des
~
709
mesures pour terroriser les bénéficiair~'~~des concessions, En 1909 les quartiers de
Naning occupés par les concessionllaires étaient régulièrement incendiés, Les
auteurs ne furent jamais découverts, lis appartenaient sans aucun doute aux familles
victimes des concessions, Cette inirni',ié déclarée ou souterraine contre l'autorité
administrative, et ceux qui bénéficiakw, t de ses largesses tendait à se généraliser.
C'était le résultat de l'application di) régies
en opposition formelle avec celles
auxquelles les populations étaient habituées, C'était là que résidait l'essentiel du
drame colonial. Avec les moyens du bord, les propriétaires terriens essayaient de
récuser les arguments employés par l'administration pour les plonger dans une sorte
d'inexistence juridique. Les meurtres dont étaient victimes les concessionnaires, les
incendies de leurs récoltes le refus de IGS accueillir dans le village s'ils n'acceptaient
pas se soumettre aux régies qui présidaient à la location des terres en droit coutumier,
!l>,.
administraient la preuve que la loi française ne pouvait nullement prévaloir contre le
sentiment trés fort de leur droit de pr'Jpriété.
Mais le refus du fait accompli ne remit pas fondamentalement en cause les
concessions accordées aux solliciteul::;. Les chefs de canton n'hésitèrent pas à
appliquer à leurs parents ou à des marabouts les dispositions du decret d'Octobre
1904. Ils savaient que leur promotion dépendait des rentrées de l'imp6t et par
conséquent des quantités d'arachide!; récoltées.
LE TRIOMPHE DE L'ARACHIDE
Les routes, les infrastructures ,'erroviaires et portuaires et la législation sur le
domaine formèrent un faisceau puissé'lnt pour inciter à l'accroissement continu de la
production même si leur mise en place n'eut pas lieu simultanément. La fiscalité
écrasante acheva de faire du Sénégal CJmme du reste de L.'AO.F. une annexe, une
simple dépendance économique de 1;1 France.
L'économie traditionnelle d'aulosubsistance fut brutalement mise en contact
avec l'économie capitaliste. Les indigènes ne disposaient d'aucun moyen de parade
7 10
pour atténuer les méfaits de cette rem:RQ!~' Les conquérants ne s'avisèrent pas non
plus d'en corriger les inconvénient:, persuadés que le passage de l'économie
traditionnelle à l'économie de marché, constituait pour les Africains un réel progrés.
Les cultivateurs indigènes paY'lrent cher ces transformations improvisées. En
assurant l'approvisionnement des industries françaises en matières premières, les
autochtones étaient dans l'obligation, soit de réduire les surfaces consacrées aux
cultures vivrières, soit de recourir en toute hâte à des déboisements systématiques qui
accélèrèrent le procéssus de la dése!tification du pays.
Avant l'achèvement de la conrjuête, les autorités de Saint-Louis avaient tenté
de stimuler la production arachidière par des mesures incitatives en faveur des chefs
auxquels on versait des cadeaux ou des coutumes. Le volume de la récolte dépendait
du bon vouloir des chefs qui souvent interdisaient la culture de cett;};--~~ue fois qu'ils
étaient en conflit avec le gouvernemen' de Saint-Louis. Lat-Joor damel du Kayoor et
le Sur Siin Kumba Ndoffeen avaient p;'is à plusieurs reprises des mesures défendant
à leurs sujets de se livrer à la culture arachidière convaincus que c'était ce produit seul
qui motivait la présence française d:ms leur pays. Ils n'avaient pas tort. Car sous
prétexte d'assurer la sécurité des cuWvateurs qui devaient se livrer en toute quiétude
à la culture arachidière, Faidherbe lâ,cl1a ses colonnes contre les royaumes locaux.
Aprés l'échec de la colonisation agricole au Walo, l'arachide était le produit
miracle qui se substitua à la traite des :~oirs. Au départ, le ministère de la marine et des
colonies était hostile à l'introduction eil France de ce produit inconciliable avec l'intérêt
des départements méridionaux en pa;'ti" fondée sur le commerce de l'huile d'olive, qui
risquait d'être concurrencée par celle je l'arachide. C'est pour cela que les industriels
de la région normande furent les premiers à s'intéresser sérieusement à l'arachide
sénégalaise. 47
Le volume des premières exponations fut modeste. 1/ était de 266 tonnes en
1843,155,59 en 1851,832 en 1855,8630 en 1859'8. Le climat d'insécurité consécutif
aux luttes intestines ou aux colonne:; expéditionnaires françaises et le manque de
voiesde communication pour l'acheminement de la récolte à Saint-Louis ou à Rufisque
.
~
7 1
limitèrent la culture aux régions prése~jiJnt des facilités d'évacuation. C'était dans le
Haut-Sénégal, dans les voisinages de S;3int-Louis et de Rufisque qu'était circonscrite
cette activité. La production du Kayoo[ était exportée par saint-Louisrelie du Bawol,
du Siin et du Salum par Rufisque.
En 1865 Rufisque évacua 800 10·,lnes d'arachides. En 1868, 8000 tonnes. De
1867 à 1877 la production moyenne annuelle était de 14.000 tonnes dont9.000 tonnes
de Rufisque. L'arachide n'était alors qu'un produit d'appoint qui procurait aux agricul-
teurs le moyen de se procurer des articlE'S européens surtout des tissus et des armes.
Dans le système d'assolement en vig'.lE'Ur, l'arachide prit la place du coton.
La polycuture familiale traditiolïr,:3I1e conservait dans l'hinterland son impor-
tance d'antan. Aucune mesure décisive ne vint modifier les anciennes répartitions des
.s{fl"
superficies. On continuait de produire surtout pour la subsistance du groupe. Les
agriculteurs éloignés de la côte n'avaif.nl aucun souci de distraire la moindre part de
leur activité vers cette plante spéculativE. Cependant ils vendaient les surplus vivriers
pour se procurer les denrées qui leur Ir.anquaient.
C'est avec la construction de la voie ferrée Dakar-Saint-Louis que les transfor-
mations du système de culture prirent figure d'une véritable révolution. Avec la
soumission du damel Samba Lawbe l'machide connut une rapide extension. Tous les
territoires adjeJncents à la voie ferrée "e mirent à faire de l'arachide jusqu'à des
profondeurs de 50 à 100 kilomètres. Bien encouragés par le gouverneur, les chefs du
Kayoor et Bawol firent pression sur leurs administrés pour les obliger à faire de
l'arachide. Ils s'y soumirent d'autant P'us volontiers que les prix leur paraissaient
rémunérateurs et que par le système du rllfus de vente "ou lafln ils avaient la possibilité
d'amener les commerçants à prendre /:m considération leurs exigences. En 1885 aux
22 francs le quintal que leur proposait :e commerce les producteurs répondirent par
un refus de vendre tant que les prix n'éiu:aient pas atteint 25 francs. Ils obtinrent gain
de cause.,g
Le volume des arachides commercialisées passa de 14.000 tonnes en 1877 à
26.981 en 1887. La production connl. t des fluctuations jusqu'en 1890 au gré des
~~
/ 1 2
variations des prix selon qu'ils étaient stimulants ou dissuasifs pour les paysans. Le
""';lr
commerce agissait sur cette soupap'3 de sûreté pour n'avoir pas à se trouver devant
une production trop importante susceptible de faire baisser les prix en Europe.
Au débutde chaque traite il n'off,ait au paysan que des prix bas qu'il relevait vers
la fin de la traite pour mieux les faire baisser à la récolte suivante./il'tillIfrJili!f\\6. Les prix
étaient différents d'une zone à une alJtl·e. Leur fixation dépendait de la plus ou moins
grande proximité des escales d'écoul'~ment. Le quintal d'arachide acheté 20 Francs
sur la voie ferrée n'était payé que 5 Francs au producteur à 50 ou 80 Km dans
l'hinterland. C'étaient les Mauresqui profitaient de cette aubaine, Avec leurs chameaux
ils achetaient à vil prix l'arachide des !Jroducteurs trop éloignés de la ligne ferrée pour
venir les vendre avec des bénéfices de 300 ou de 400 % .
, (
..
Par le jeu des prix, le commerce"p~rvenait à moduler le volume de la production
~
.
qui, à ses yeux ne devait jamais être trop abondante. Chaque fois que la production
augmentait les prix subissaient une fc,ne baisse qui se répercutait l'année suivante sur
l'étendue des surfaces consacrées il l'arachide.
En 1890 le Siin et le Salum n'f~portant que 5.000 tonnes d'arachide vendaient
leur produit au prix de quinze, seize, et dix sept francs le quintal. Cette production fut
de 10.000 tonnes en 1892,11.000 tonlles en 1893. Elle put à peine se maintenir aux
environ de 10.000 tonnes en 1894 et 1895 puisque les prix avaient subi une chute
continue de 1890 à 1894 en passant de 16 francs prix moyen en 1890 à 10 francs en
1894. A ce niveau de prix le payse.n, n'avait plus intérêt à se livrer à l'arachide. 50
L'établissement des budgets régionaux en 1892, et son corollaire l'instauration de
l'imp6t de capitation mit les contribuables des pays de protectorat dans la nécessité
de faire de l'arachide pour se procur 91' le numéraire indispensable pour être en régie
avec le fisc. Cette charge ajouta :;es effets au dynamisme imprimé à la culture
arachidière par le chemin de fer. Malillé la relative modération du taux de l'imp6t 1,50
francs par personne, les surfaces consacrées à l'arachide connurent une grande
extension dans tous les cercles où elli)~ représentaient environ le tiers emblavures vers
1895. Cette nouvelle fiscalité, qui vint s'ajouter aux redevances coutumières, était due
par tous les habitants des pays de r'lc~ectorat sans distinction d'âge ou de sexe. Les
7 1J
Ceddo réduits au chomage par la «pai:><"Uançaise» se reconvertirent dans la culture
arachidière afin de maintenir les ressources exigées par le fisc et aussi des revenus
substantiel pour maintenir leur traditionnel standing de vie."
Les uns et les autres privilégiaent encore les cultures vivrières. Les fréquentes
fluctuations des prix au producteur les illcitaient à la prudence. A défaut d'argent, ils
avaient au moins la certitude d'échappr à la famine ou à la disette au cas où le
commerce versait des prix trop bas pc,ur le produit d'exportation. Les hésitations du
commerce, le maintien des chefs titulaires de grands commandements territoriaux qui
bridaient leurs sujets qui voulaient se lancer à fond dans la culture arachidière
freinèrent souvent la progression de œtte ·culture. Les titulaires des grands comman-
dements avaient vu s'accroitre leurs revenus grâce à l'impôt de capitation sur lequel
ils recevraient une ristourne de 20 % . S'y ajoutaient les surtaxes qu'ils prélevaient
".,
d'autorité sur tous les contribuables.
Tous ces chefs avaient néanmoins le souci d'écarter de leur pays le spectre de
la famine. Aussi exerçaient-ils une su;veillance attentive sur les cultures vivrières de
leurs sujets. Devant les risques de pénurie de produits alimentaires qui menaçaient le
Siin en raison de l'extension de la culture 'lrachidière Kumba Ndoffeen interdit en 1901,
la culture de l'arachide à ses sujets au point de susciter la colère de l'administrateur.'2
L'abolition progressive des grands commandements rendit plus effficace
l'encadrement administratif des autOC:-ltones par les chefs administratifs, dont l'auto-
rité n'avait plus rien à voir avec la COUtume. Ils firent preuve d'une soumission totale
envers l'administration coloniale. Ils nl' ~;e souciaient plus des intérêts de leurs admi-
nistrés mais de l'application des directivE.;:; venant de l'autorité supérieure. Leur rôle fut
décisif dans le triomphe de l'arachide.
Ils donnèrent l'exemple en se t;:tillant dans le domaine d'immmenses champs
uniquement consacrés à l'arachide. Puis ils exigèrent que tous leurs administrés
eussent un champ d'arachides. Leur promotion dépendait de plus en plus du volume
produit dans le canton. En cas de besoin ils employaient la coercition contre les
récalcitrants. Ces champs d'arachide::; imposés par la volonté des administrateurs de
cercle portaient le nom de champs du commandant.
Iliell ~;ûr, les pmqrés dl,) l'arachides se faisaielll é'UX clé'pells cie 1:, 1)1 < "h" ," ,; ,
vivrié,ro, Les m611,odes culturc,les rcstélnt ellcore rudilllell taire~:, le tell 'l':; r:< "J:;: ",",
1;,1 Clllll.ll'C ;,lr;.Ichiclière tll;,lit n6cessairlllTieilt dislrail sur coli Ji 1r;.!dil iunnclll :1 11(:111 1l '
ilLlX cullures vivrières,
Le.! lib6ratioll dUé: esclélves conll'ibua pareilieillent ;,IU clévelol"I'lI."r"" Il ,)" l"
cullure araclliclière, S;.lI'lé' cloule aucune Illesurelégislalive Il'élc,it Velll\\(,' tll'.'ill,j,,:, :':
l'illSI'lI' cie cc qui sc passa à Sainl-Loui:; et à Gorée en 'ID'IU, la vil,ilie il 1:;lilllliull :":' \\Iii::
clané: le:; IJ,IYS clu protectorat. Le çJr3nci nombre d'esclaves recel l~;és. cI;.!1 r; li, 1" 'V:'
CITlllÔcl"J l' aclillinislréltion cI'opérel'I;.! iibération cles esclave~; contnl l'imlellllli: ;;i1 i')l1 ,I"
Imll':; 1lI;'ÎI"eé;, M;:Jis on clO1l1'lé1 l'orclre aux autorité éldminisiralive:; cio rej"t"I' Ir)ll": i'::,
réclalll;.!lions des rnaÎlre:; sur la per:;oilne de leurs esclélve:: 'Il li les ;d"" Il l, )1 Il li ,;'" li
pour aller :;'établir clall:; les lerritoire~; cl'3ÇJministmiioil clirecte,L'autorilé, Ir: Il H: Ii::r" i, ,,:
;.Issez forle Ilour faire respect!)r' Iél liberté des escl~IVtl'; Cil Il'l';url~ ,h' l,:", 1 ii'
(léllVl'élillllu~ cie IXllenllô:; cie lil:>Olll) qui suml:>laient illcliqllerqllll Slll iIlil'II:<' i' li i" ::"'"
oblenues élaient r'eCOIll'lUS lii)re~,IX)~OrrT'21is les e~clavcs avcliunlluule 1: Il: ""! Il Ir 'i'
:;'ôti)blir clans le lieu cie résiclence cie leur clloix,
I_i,l plupart cles eé;claves Cil ruplure, avec Iii f21111ille cie luurs lllaÎlra:;, III lir" il, 1" 'i Il
qDCIllcrlcllI' vic. ;,Icceptnl' cie :;iGI 1er cI()~; COll trais é1VeG le:: proprilll;.Iires 1(II ri Cil:;, T, 1111;
iGlloraiellt lél 1lrocéduru ;:1 suivre pour so faire 2lccoreler ele~ cOllces::iul \\::, I~II 1:< li li",
pZlliie cie la tellure qu'on leur domlclit, ils versélienl CIU propriétilire une propurtiun
précise de leurs r6coltné:, Ces illcliviclus isolés, nourris par leur~ nOUVl'CILIX pédrUI 1:,:, : Il:
culliv21ienl que cle l'arachide sur leur~; champs persollnels,
Avec les rlCIvelaan, on cOllstata le môme phénomène, Ces S21iSOmlieré; t'I,limlt
liés par des contrats avec les !aman qui leur offraient le gîte, la noulriture, Lill IUgililUi
cles semences moyenllarlt la ceSSiOll d'un pourcentaGe déterllliné cie 1;,1 récoill', A
mesure qu'auglTIonlaierllles sur'race:~ 8l'achidières, les cull ures vivrières cJemcuri,liUllt
slaliomlilires, Les cléboi~iernents cOllsl;,llés ça el lù se faisaient loujour:: "" /Jllllil rh:
l' "r;.lcilicle,
........;Jo
En 1902 les immenses forêts d,is provinces Sereer avaient été défrichées sur
une grande échelle par ces populationsmobiles qui n'y passaient que l'espace d'une
saison, car elles retournaient dans leul· pays une fois la récolte terminée. 53 L'accrois-
sement du volume de l'arachide s'acoJmpagnait partout de la destruction brutale du
tapis végétal.
Sous la pression constante de J'administration, les cultuvateurs renoncèrent à
l'assolement qui permettait la régénération des sols par leur mise en repos pendant
plusieurs années. Au Kayoor l'admini:;tr,ation trouva trop considérable l'étendue des
terres de valeur laissées en friche. Tout en reconnaissant le bien fondé de ce système,
pour ces terres légères et fragiles du Kay()or qui devenaient rapidement improductives
si on les soumettait sans discontinuer aux mêmes cultures, l'administrateur Vienne du
,.
cercle de Tivawan n'en pensa pas moins'que ce n'était là qu'un pré.texte invoqué par
les autochtones pour entretenir "leur goût un peu trop prononcé à la paresse54 ». Pour
stimuler la production et faire disparaiL·E' ces rideaux de verdure trop nombreux entre
les villages, il donna l'ordre aux chefs de village de «contraindre les chefs de carré à
doubler l'étendue de leurs terrains à ensemencer"».
Les bras que réclamait la mise en valeur des terres nouvelles étaient fournis par
les saisonniers originaires des pays enclavés ou trop éloignés des axes modernes de
communication. Un puissant mouvelmmt d'immigration toujours de plus en plus
intense conduisait beaucoup d'habitar;ts du Jolof vers le Kayoor, et certains originaires
des provinces septentrionales du KaYQDI. dont le sol avait été totalement lessivé par
la culture systématique de l'arachide ve:'s le Bawol et la Petite-Côte. 56
Les cultivateurs avaient perdu wute initiative dans le choix de leurs variétés de
cultures. Que les prix proposés fussent ou non rémunérateurs, ils n'avaient d'autre
possibilité que de se soumettre aux directives des administrateurs qui savaient fermer
les yeux sur les déprédations des chefs. Il fallait du numéraire à la colonie pour
rembourser les emprunts de son outillage économique. L'arachide était la seule plante
capable de le procurer aux contribuables.
716
Les producteurs n'avaient plus aucun moyen d'influer sur la fixation du prix de
l'arachide. L'administration, en exigqot le paiement de l'impôt dès l'ouverture de la
traite, les mettait en demeure de se débarasser d'office de leurs récoltes. Les
commerçants fixaient les prix selon leurs convenances sans se soucier du sort des
paysans dont les revenus ne connaissaient une certaine amélioration que dans les
moments de pénurie, quand l'âpreté de la concurrence les incitait à faire de la
surenchère pour s'attirer la clientèle paysanne.
En 1899 et 1900 les arachides ne furent achetées aux indigènes qu'à un prix
variant entre 12,50 francs et 17 francs enlin de campagne. Pour la traite 1901-19021es
prix atteignirent 25 francs dès le début pour teminer à 28,75 francs. La production
agricole du pays avait été détruite dans de fortes proportions par une invasion de
sauterelles. 57
L'association entre le colon et l'indigène ne reposait que sur l'exploitation du
second, producteur qui n'avait personne pour le défendre contre la toute puissance
du commerce. Ainsi, au lieu de contribuer à la dissipation des rancoeurs nées de la
conquête, en ventilant le bien-être d,ms les familles qui s'y adonnaient, la culture de
l'arachide devint un boulet de jour en jour toujours plus lourd accroché aux pieds des
indigènes. Rares, furent parmi eux, ceux qui avaient le sentiment que l'arachide
améliorait leurs conditions matérielles d'existence du moins jusqu'à l'ouverture de
second bassin arachidier.
Les paysans avaient compris qU9 l'augmentation de leur production était le seul
moyen d'atténuer l'érosion de leur pouvoir d'achat consécutive aux grandes fluctua-
tions des prix. Ils ne pouvaient pas toujours se risquer à cette aventure pleine d'aléas
et susceptible de compromettre leur ôquilibre vivrier. Toutefois les réticences disparu-
rentà mesure que les grandes compcigniesla C.F.A.O., la N.O.S.O.C.O. et la S.C.O.A.
commencèrent à assurer de façon assidue le ravitaillement en riz du sénégal. Aussi dès
la mise en exploitation de la voie ferr§e Kees-Kaay à partir de 1907 assista-on à une
véritable ruée de migrants vers cette zone presque vierge.
Ici la prépondérance de l'ar2c~ide fut incontestable dès le départ. Les immi-
grants avaient abandonné leurs villages d'origine pour avoir toute latitude de se
consacrer à l'arachide. ils n'accordi:!rent qu'une place toute secondaire aux produits
vivriers. Les revenus tirés de l'arachide servaient entre autres achats à se procurer du
milou du riz chez les commerçants du coin.
Dès 1907 la nouvelle ligne felTOviaire fut le pôle d'attraction de beaucoup de
paysans. Jusqu'alors cette zone était restée en friche en raison d'un manque quasi
total de voies de communication. Cetle ruée était d'autant plus intense, qu'aprés la
famine de 1905, le commerce avait donné des prix rémunérateurs en 1907 et 1908 où
les grains furent payés 20 francs le cuintal sur les lieux d'acnat. Aussi la progression
de la productiàon avait-elle été spectaculaire en passant de 126.308 tonnes en 1907
à 144.139 tonnes en 1908 à 224.32(; tonnes en 1909. La baisse des prix en 1909 où
ils n'étaient que de 16 francs fut compensée par l'importance de la récolte. 58 N'en
tirèrent cependant profit que les grands producteurs disposant d'une importante
main-d'oeuvre de contractuels ou de bénévoles comme les marabouts dont la
présence était copieuse dans ces ré<Jions nouvellement ouvertes à l'activité agricole.
Les mourides, qui avaient reçJ du fondateur de la confrérie mouride J'ordre de
consacrer une partie de leur activit~: ;~ la culture arachidière pour trouver les fonds
nécessaires à la construction de la r'10squée de Jurbel, avaient défriché d'immenses
étendues de terres. Les arbres furt:l1t coupés et brulés sans ménagement, laissant
présager la transformation de tout ce secteur pauvre en eau, en désert dans un temps
relativement proche. 59
Dans J'immédiat les résultats étaient tangibles. La production atteignit 229.040
tonnes en 1910. L'enorme quantité ce numéraire accumulé grâce à des cours élevés
27 francs le quintal, permit aux cultiv:3teurs de rembourser les prêts consentis par les
commerçants et de retirer les objet; cie valeur qu'ils avaient mis en gage pendant la
période de soudure.60
Mais les dévastations de la fü'êt eurent des effets néfastes dans les paysages
agraires. La disparition de lacouvertl:re végétale facilitait l'érosion des sols sous toutes
llQ
718
ses formes. Les rendements baissaient rapidement d'une année à l'autre. La catastro-
phe survenait lorsque une pluviométrie fantaisiste ou une sécheresse ajoutaient leurs
,,~
méfaits à ceux de l'érosion. Le pays ,:~ilnut deux alertes de ce genre en 1911 et 1912
où la baisse des rendements cons(jcutive à une pluviométrie déficiente ramena la
production à 164.907 tonnes et 184.ï'61 tonnes durant cette période et ce malgré
l'extension continue des surfaces cons·Jcrées à l'arachide. Dans l'euphorie de l'action,
aucune mesure ne fut prise pour pa"er à ces inconvénients que dénonçait avec
constance le service de l'agriculture.l.e tonnage avait diminué parce que les arachides
étaient trop légères faute d'eau.·'
Cette chute de la production et le manque à gagner qu'elle entraina ne
découragèrent nullement les cultivateurs de l'arachide qui se lancèrent de façon
intense dans les défrichements. Le .!Slani Wuli, la Haute Gambie et même le cercle de
~..~
Dagana furent déboisés sur de vaste:, surfaces. Les facilités de tra'nsport offertes par
la voie ferrée soumettaient les régions qui lui étaient proches à la dictature de
l'arachide. Son triomphe était rendu plus aisé par /a montée progressive des cours qui
atteignirent 34 francs le quintal en 191-3, année où le tonnage des arachides exportées
était de 230.000 tonnes.·2 Le sénégal 3 lui seul fournissait à la France prés de la moitié
de ses importations en arachide qui !Jtaient la même année de 523.000 tonnes. 53
La culture arachidière était en train d'opérer dans le pays des transformations
économiques aux proportions d'une révolution. Des milliers de producteurs et de
consommateurs, confrontés au défi cl'une économie monétarisée, s'introduisirent
brutalement dans le circuit du mar;;hé. Partout on assista à la disparition de la
polyculture traditionnelle. Le rythme du travail de l'arachide exigeant trois binages
condamnait les paysans, dépourvus Cl 'instruments modernes de culture, à sacrifier les
cultures qui ne paraissaient plus indi:3pensables à leur existence quotidienne, du
moment que le commerce français était capable de leur apporter les articles de
substitution. Les soles de coton furent/es premières àdisparaitre du paysage agricole.
Les massives importations de tissus:;'Juvraient largement les besoins de la popula-
tion. Puis chez ceux qui n'avaient plu:;; de terres à défricher, la réduction des surfaces
consacrées aux cultures vivrières fut 13 ,éponse au besoin constant de numéraire. En
Il!
7 1
d'autres termes le pays cheminait verslrifégne de la monoculture arachidière avec les
inconvénients qu'elle entrainait toujours à sa suite. Avec un rendement moyen à
l'hectare de 800 Kg c'étaient 300.000 hectares qui en 1913 étaient livrés à l'arachide.
La première guerre mondiale ralentit sensiblement le ry1hme de la progression
de "arachide. Elle éclata avant que ne s'achevât l'évacuation du produit sur la France.
L'abondance de la récolte avait fait baisser les cours dès le mois de Janvier 1914 où
ils dégringolèrent de 22 Francs à 17 francs le quintal. Sur ces entrefaites la récolte de
1914 vint accentuer le marasme par son abondance. Elle était de 280.000 tonnes. La
traite devait avoir lieu au moment où les perturbations apportées par le conflit faisaient
sentir leurs effets jusqu'en Afrique. Aucune huilerie n'existait au Sénégal pour raffiner
sur place la production. Le commerce hésita à acheter cette production qui risquait de
lui rester entre les mains. Dès le dé:Ju', de la traite 1914-1915 les cours d'arachide
s'établirent selon les régions entre 10 :et 5 francs le quintal. Ce prix était faible. La
fermeture du marché de l'Allemagne auquel étaient destinés les tourteaux, les
difficultés de communication avec la France ne le justifiaient pas. Les cultivateurs
espérant une augmentation des prix au cours de la traite retinrent leurs produits. Sous
la pression de la nécessité ils préférèrent vendre leur mil dont les prix étaient plus
acceptables que ceux de l'arachide.
Seul le gros commerce se risqua à acheter l'arachide à des prix oscillant entre
5 et 10 francs le quintal avec l'espoir de la vendre en France à 35 francs. Quoiqu'il en
fût les paysans sortirent de la première traite de la guerre, le coeur plein d'amertume.
La vente des produits agricoles ne leur procura que peu de numéraire qui, aprés
l'impôt, leur permit tout juste d'épongr31' leurs dettes.55
En 1915 les paysans tirèrent les conséquences des difficultés qu'ils avaient
éprouvées lors de la campagne précédente à écouler leurs récoltes. Ils diminuèrent
trés sensiblement les surfaces consacrées àl'arachide. En revanche ils mirent l'accent
sur la culture du mil. Ce produit était r·"devenu l'aliment de base de la population en
raison des difficultés de communication avec les colonies françaises de l'Extrème
Orient. 66
...
.';
720
Durant cette campagne agriccle on constata que dans certaines régions les
cultivateurs n'avaient même pas pris la peine de faire de nouveaux ensemensements
d'arachides. Ils s'étaient contentés de faire le binage des champs dans lesquels ils
avaient abandonné les graines. lorsqu'ils surent que les prix proposés n'étaient pas
suffisamment rémunérateurs. Ces graines germèrent dès les premières pluies. Malgré
la défaveur dont l'arachide fut l'objet durant cette campagne, son volume atteignit
190.000 tonnes contre 303.000 tonnes' l'année précédente: Pour nous faire une idée
de l'ampleur du manque à gagner subi par les producteurs pour la traite 1913-1914 il
nous faut signaler que les 303.000 tonni3s ne leur avaient rapporté que 15 millions de
francs alors que leurs gains furent de 40 millions de francs pour les 190.000 tonnes de
la campagne 1914-1915.
"
Cette amélioration dans le prix permit à la traite 1915-1916 de s'engager dans
les conditions encore plus satisfaisante~ que celles de la campagne précédente.·7 Dès
le mois de Novembre, le prix du quintal fut porté à 15 francs, puis il passa à 20 pour
atteindre 25 Francs en Janvier. Devant i'insuffisance de la récolte/quelques commer-
çants poussèrent la surenchère jusqu'à proposer aux producteurs 37,50 francs et
même 39 francs le quintal pour les inciter à se débarasser de leur réserves de
semences pour la prochaine campagne agricole. Malgré tout Les arachides achetées
durant cette traite ne dépassèrent pa[,; '124.142 tonnes. 68
Le relévement des cours fut un;) prime d'encouragement pour les producteurs
qui se mirent à entourer à nouveau la culture arachidière de l'affection dont elle avait
souvent bénéficié de leur part. Les superficies livrées à l'arachide augmentèrent à
nouveau et la récolte remonta jusqu'à 230.000 tonnes. Dés le début de la traite 1916-
1917 des prix acceptables furent proposés aux paysans. Le quintal était acheté
d'abord à 17,50 francs puis à 25 francs. Cette hausse significative incita les cultivateurs
à se débarasser rapidement de leurs graines. Mais contre toute attente les prix
flèchirentdès la mi-Décembre à 20 Francs pour tomber ensuite à 15 francs. Cette chute
décida les producteurs à suspendre la commercialisation de leurs produits dans
l'espoir d'une hypothétique remontée des cours avant la fin de la traite.·9
721
Il durent déchanter. Ce fléchissèinent des cours dépendait de facteurs générés
par la guerre qui risquait de durer encore quelques années. La fermeture des huileries
des ports du Nord qui consommaient 70.000 tonnes d'arachides par an, la mévente
des tourteaux dont l'exportation était ir!terdite à destination de l'Allemagne et de ses
alliés, l'insuffisance du nombre de ba'e,"ux devant acheminer en France cette récolte
abondante firent naître l'inquiétude dsns le coeur des commerçants qui craignirent de
ne pouvoir expédier leurs graines avant l'hivernage.'o
Dans cette éventualité, le commerce construisit dans les escales des hangars
poury stocker les arachides. Il se plaignait aussi du resserrement des crédits et surtout
des frêts excessifs qu'il payait pour le kansport de ces marchandises en France. En
effet en Décembre 19141e frêt par tor,ne du Sénégal en France était de 40 francs. En
1917 il était de 500 francs du fait de l'insuffisance du nombre de bateaux sur la ligne
.'
entre la France et L'Afrique. 71 On aUI'ait bien pu diminuer ces frais de transport si le
commerce avait accepté de décorticlul3r les graines avant leur embarquement. Au
départ on avait exclu toute idée d'instailer une quelconque industrie dans le pays, de
peur de la voir concurrencer celle de la métropole. De plus les spécialistes disaient que
l'huile fabriquée à partir des arachide" inlportées en coques était de qualité supérieure
à celle obtenue à partir des décortiquées de la côte de Coromandel.
Vers la fin de cette campagne de traite, les prix tombèrent même à 7,50 francs.
En France la situation s'améliora légérement à la mi-Juin où les prix du marché
passèrent de 22,50 à 37 francs. Cette ~:ausse était due à l'autorisation donnée par le
gouvernement aux huileries d'expoI1·,)r les huiles et les tourteaux vers les pays
neutres. 72 Cette bouffée d'air ne profita nullement aux producteurs sénégalais qui
s'apprêtaient à renouer avec la polyculture vivrière,lorsque Van Vollenhoven, porté à
la tête de la fédération de l'A.O.F., leur déclara que la France se portait acquéreur de
~JI.-
toute leur production pour la campagne agricole en cours; Les produits seraient payés
"largement et loyalement."73
Avant de s'embarquer pour Dal<ar en Mai 1917 le Gouverneur général avait
trouvé un accord avec j'ensemble des maisons de commerce exerçant en A.O.F., qui
créèrent un consortium d'achat et de Iivl'aison des produits de la colonie. C'était l'Union
7 2
du Commerce Africain. La fédératiü :1'de l'A.O.F. étant une colonie essentiellement
agricole, devait avoir pour r61e primordial dans la guerre, non seulement de fournir des
tirailleurs mais surtout d'approvisionner la France en denrées de diverses sortes.
Outre l'arachide et les autres produits oléagineux, les cultivateurs récoltaient des
céréales variées comme le sorgho, le mil, le fonio et le maïs." Par des mesures
incitatives appropriées, ces cultures pourraient rapidement occuper de vastes éten-
..,
dues. Les oléagineux et les céréal'3s tout en contribuant au ravitaillement de la
métropole, pourraient l'aider à réduire le montant de ses achats à l'extérieur, de réaliser
de notables économies sur les prix de revient. Et ce qui était encore plus important c'est
que ces achats n'exigeaient aucune sortie d'or ni aucun décaissement de numéraire
par la métropole.
,
Li
,
"",'
C'était en vue de la réalisation cie tels objectifs, que Van vollenhoven réussit à
. ~"r;!.
.'
provoquer la formation, entre les maisons de commerce de la colonie, de ce consor-
tium qui avait mission de centralisert(Jutes les questions d'ensemble afin d'empêcher
les divergences de vues «et les compétitions préjudiciables à l'intérêt général75».
L'union des maisons de commer03 's'engagea alors à donner son concours à
l'administration pour l'achat des produits qu'il serait désirable d'exporter en France.
S'agissant des céréales, l'administmtion proclama sa détermination à faire l'acquisi-
tion et à prendre livraison, soit sur les rcoints d'achat, soit dans les ports d'embarque-
ment, de toutes les quantités achetées par le commerce. Elle se chargeait aussi de
pourvoir elle-même à leur emmagèlsinage et à leur transport. Quand aux autres
produits l'administration n'acheterait que les quantités nécessaires à ses besoins. Le
solde resterait à la disposition du con·,merce. Ainsi le gouvernement mettait fin aux
réquisitions des produits agricoles qui étaient de rigueur dans la colonie depuis le
début du conflit. Les maisons de commerce signataires de l'accord, et les autres qui
viendraient apporter leur adhésion ;j ·:;et accord, avaient la certitude de vendre à
l'administration toutes les quantités i1c:letées aux autochtones. 76
Les prix seraient déterminés en accord avec Vézia mandataire des maisons de
commerce. Il était aussi chargé de l'Ô partir entre les intéressés le tonnage mis à leur
disposition par l'administration."
72:
Tel était le système mis en p'.!.~ce par le gouverneur général pour faciliter
" •.!:l" •
l'intensification de la production agricole de l'A.O.F.. D'un autre côté il se préoccupa
.
U~":~~.
.
.
d'établir une union analogue entre les compagnies de navigation desservant l'Afrique
Occidentale pour l'enlévement de là production. Celles-ci s'entendirent pour se
répartir les tâches dans les différents ports de la fédération. Les navires de la
participation bordelaise étaient chargés d'enlever le frêt dans les ports de la Petite
Côte, du Salum, de la Casarnance, clu fleuve Sénégal. Les cargos des chargeurs
réunis, de Fraissinet et de Cyprien Fabre étaient chargés des produits du goffe de
Guinée depuis Konakry jusqu'à Douala. «Des affrêtés (viendraient) charger à Rufisque
et à Dakar où il n'y (avait) pas de dif.iculés particulières?"". La certitude de pouvoir
vendre la totalité de leurs récoltes, et j'appât d'une rémunération convenable, incitè-
rent les autochtones à étendre leurs champs. Cela se traduisit par le quasi doublement
de la récolte arachidière qui passa de 124.142 tonnes en 1916 à 260.000 tonnes en
1917'9.
En accord avec le commerce le prix du quintal d'arachide fut fixé à 25 pour la
traite 1917-1918. Les paiements devaiE:nt se faire au cornptant, rnais les paysans
,
percevaient la rnoitié de leurs avoir~·; en billets de banque. "Cette clause devait
accelérer l'intégration des producteurs indigènes à l'économie rnonétaire métropoli-
taineBO".
Malgré les apparences, ces pri< étaient loin d'être rérnunérateurs pour les
paysans. Mais ils perrnirent au rnoins la stabilisation des cours. Depuis 19141e franc
avait subi une forte érosion. Il avait perdu 27 % de son pouvoir d'achat en 1915,38%
en 1916 et 56% en 1917. Les cultivaleurs s'en rendirent corn pte dès le début des
opérations de traite, lorsqu'en possession d'une rnêrne somrne d'argent ils ne purent
acquérir la rnêrne quantité de rnarchandise qu'en 1914 ou en 1915.
Les indigènes n'accordaient qu'un crédit mitigé aux billets de banque. Ils
avaient peur de les perdre ou de les voir disparaitre dans un incendie. Pour éviter de
tels risques, les paysans achetaient avec cette monnaie une gamme variée de
rnarchandises qu'ils revendaient souvent à perte à rnesure qu'ils avaient besoin de
liquidités, s'ils ne les troquaient pas wntre d'autre objets.
-·"'r'·
Le manque de numéraire était douloureusement ressenti tant par le~ citadils 2 4
'.:- ,
que par les ruraux. Il était d'autant 'r:;ius dramatique que les prix des produits
manifacturés et les denrées de premièr? nécessité, comme l'huile de coton, et le riz,
avaient subi des hausses allant du simple au double. Pendant plusieurs années
l'accroissement des surfaces arachidii.,res s'était fait aux dépens de celle des céréales
locales. Pour atténuer les inconvénients de cette crise qui détériorait de jour en jour
leurs conditions d'existence, les cutivafeurs décidèrent de transformer en huile une
partie de leurs graines d'arachides afin de tirer parti du marché fort avantageux des
matières grasses dans les villes et es~:ales de la colonie·'
Cette huile était vendue à des prix plus consistants que ceux offerts par le
commerce. Elle était obtenue avec de petits pressoirs de fabrication européenne. Le
prix du litre passa en quelques mois de 1,50 francs à 2,50 francs. Ce procédé artisanal
laissait dans le tourteau une bonne qu.~llti;é d'huile. C'est pour cela que les paysans
les utilisaient dans leur alimentation·2
On ne connaitra jamais la proportion des arachides transformées en huile par
les populations. Elle ne devait pas excéder 30.000 tonnes puisque le service d'agricul-
ture avait estimé la récolte à 260.000 tonnes alors que seules 230.000 furent exportées.
En tous cas, les quantités proposées furent en totalité achetées au commerce qui
réalisa des bénéfices fort substantiels.
La mission Revel, envoyée au Sénégal au début de 1918, trouva que les prix
proposés aux producteurs avaient été ~;urévalués par le gouverneur général sur les
conseils du consortium qui avait intérf)t à fournir suffisamment de numéraire aux
paysans pour leur permettre d'acheter les produits manufacturés et les denrées qui se
trouvaient dans leurs boutiques. Faute de revenus indigènes importants les commer-
çants auraient connu à nouveau une crise de méventes dans leurs comptoirs."
Pour résoudre au moins partiellement le problème de l'évacuation de la
production sur la France, on se décida à décortiquer l'arachide sur place. Cette
opération permettrait une économie cie 50 % sur le tonnage à exporter et faciliterait
l'achat des arachides dans les centres .je production trés éloignés des lieux d'embar-
quement.84
·
~
725
Le maintien d'un certain «dirig(sr'me étatique» en ce qui concernait l'arachide
encouragea les paysans à se lancer avec une grande détermination dans la culture
arachidière pour la campagne agriccle 1918-1919. Les superficies cultivées
en
arachides passèrent de 375.000 hec1i3res lors de la campagne 1917-1918 à 425.000
hectares en 1918-1919. La production ~;'éleva à 325.000 tonnes. La fin de la guerre et
l'atténuation des difficultés de l'évacuation lancèrent les commerçants dans une vive
concurence dans l'achat des arachid l3s. Dès le début de la traite le prix du quintal fut
fixé à 40 francs puis il passa rapidement à 80 francs pour terminer à 100 francs en fin
. . décembre.85
Les hauts prix influèrent sur la campagne 1920-1921. Dans l'espoir d'obtenir
des prix de même niveau, les cultivateur,s négligèrent encore davantage les cultures
vivrières au profit de l'arachide. La conséquence immédiate fut !a raréfaction des
produits alimentaires les plus indispensables aux indigènes surtout à ceux qui
habitaient les centres urbains. Les cultivateurs n'eurent pas en effet trop à souffrir de
cette situation. Ils avaient acquis du numéraires pour se procurer des denrées. La
récolte avait atteint 286.000 tonnes dont 220.000 furent exportées. 86
En réalité n'avaient en fait bénéficié des cours élevés,.que les producteurs qui
avaient vendu leurs graines dès l'ouverture de la traite. A ce moment les cours
oscillaient entre 100 francs et 120 franc:; le quintal. Mais dès le mois de Décembre ils
descendirent à 35 francs voire à 30 francs. Cette chute vertigineuse fut amèrement
ressentie par les derniers vendeurs qui ne purent acheter les marchandises indispen-
sables à leur famille en raison des CO':lts élevés comme aux plus mauvais jours de la
guerre.87
Pour lamentable qu'elle fût, cette situation était plus enviable que celle des
citadins. La guerre avait rendu rares les emplois dans les centres urbains. Les salaires
y avaient baissé de moitié alors que les prix des produits importés augmentaient dans
des proportions inquiétantes. Menuisiam, maçons, charpentiers furent pour ainsi dire
privés de leur gagne pain. Certains d'entre eux, en attendant la reprise des activités,
préfèrèrent retourner à la campagne où l'agriculture leur permit d'assurer au moins la
subsistance de leur famille.
- - - - - - . - - -
726
Ceux qui restèrent dans les esëâles de l'intérieur vécurent une situation proche
de la misère. Les ouvriers ne percevaient pas de salaire mensuel supérieur à 25 francs,
ce qui ne leur assurait que l'équivalent de 50 Kg de riz. En revanche, la manutention
des produits d'exportation employait beaucoup de manoeuvres à Dakar à Rufisque.
La vie y était sans doute plus chère mais les salaires journaliers y oscillaient entre un
franc et 16 francs."
Un charretier avec son cheval recevait 16 franc, les casseurs de pierre 6 francs,
les ouvriers de 8 à 5 francs les chefs d'équipe de manoeuvres 4 francs, les manoeuvres
2,50 francs et les apprentis 1 franc,s. L'insécurité du lendemain, les portes qui se
fermaient aux demandes d'embauclle, les licenciements pour n'importe quel motif,
poussèrent certains travailleurs du privé à déclencher des mouvements de grève afin
d'obtenir des salaires et des conditions de travail conformes à leur condition d'hom-
mes. Mais l'absence de tradition de luttes syndicales rendait hypothétique le succès
de l'entreprise.B9 A chaque tentative de grève, les employeurs réagissaient toujours
par le licenciement des grévistes remplacés sans indemnité par d'autres demandeurs
d'emploi.
Ainsi à la suite de quelques) augmentations de salaire obtenues par les
employés de quelques maisons de commerce, les charbonniers de la Société Italienne
le Sénégal, les ouvriers peintres deil'entreprise Bouquereau et les menuisiers de
l'entreprise Le Blancdéclenchèrent, élU quatrième trimestre de 1917 un mouvement de
grève en vue d'obtenir une augmentation de salaire. Les charbonniers obtinrent
rapidement gain de cause. En revar~che les employés des deux autres entreprises
,
furent licenciés et remplacés par de:; Portugais.
..
C'est alors que les ouvriers d,'; toUtes les professions décidèrent de se mettre
en grève générale le 1er Janvier 1918~'lv1ais le manque d'entente entre les ouvriers et
les manoeuvres fit échouer la grève. Toutefois les 200 maçons de rufisque obtinrent
satisfaction en Février lorsqu'ils exigèrent que leur salaire journalier fût porté de 6 à 8
francs. 90
727
Kt
Comme on peut s'en apercevoii'!'la solidarité du malheur était en train de souder
en une force homogène ces éléments épars, différents par le métier et par l'éthnie. Leur
combat se situait encore à un niveau élémentaire. Il leur manquait l'idéologie à même
de les aider à comprendre les mécanismes de l'exploitation dont ils étaient victimes.
La fin de la guerre permit de combler ce vide.
La part des anciens Etats Wolof et Sereer du Kayoor, du Bawol du Siin et du
Salum dans la production arachidière était prépondérante. Les contributions de Bakel
du Nari-Wuli et de la Casamance ne représentaient à peine que le dixième de
"ensemble.
A Côté des arachides, d'autres produits entraient dans les transactions mais en
quantités trés faibles. Pendant la guene le service de l'intendance décida d'utiliser le
mil non seulement pour la nourriture des troupes noires mais encme pour l'alimenta-
tion de la cavalerie en vue de remédier à la pénurie d'avoine. Les envois furent
modestes, car cette céréale constituait encore la base de l'alimentation indigène. En
1916, à peine 3000 tonnes furent E,xpédiées en France. En 1917 les expéditions
atteignirent 6700 tonnes.91
Le cheptel avait également été mis à contribution pour les besoins métropoli-
tains. Depuis 1913 on avait construit àLynjaan un abattoir et une usine frigorifique pour
faciliter l'exploitation industrielle du troupeau local et de celui du Haut-Sénégal-Niger.
En 1914 comme en 1915 cette unité eixpédia des viandes frigorifiées ou en conserves
soient 1150 tonnes en 1915,1350 en 1916. L'épidémie de peste bovine qui fit périr le
bétail à partir de 1917 fit arrêter les envois. Les farineux, les feuilles de baobab, le
poisson séché, les niébe figuraient. parmi les articles envoyés, mais leur valeur
commerciale était négligeable par réi,::>port à celle de l'arachide.92
L'ORGANISATION DU COMMERCE
Ce produit constinuait la base des opérations commerciales du Sénégal. C'était
lui qui focalisait l'attention des autorités et du commerce, parce qu'if rythmait toute
l'activité économique de la colonie. Les principales maisons de commerce étaient les
728
bordelaises qui avaient jeté leurs tentc.cùles sur le pays utile depuis le début du XIX·
siècle. Elles s'appelaient Maurel et Frùres, Barthes et Lesieur, Vezia et compagnie,
Buhan et Teissere, Deves et Chaumet, Maurel et Prom, Soucail et compagnie etc.·3 A
côté de ses sociètés marquées par leur caractère d'entreprises familiales se trou-
vaient, les géants comme la S.C.O.A, La N.O.S.O.C.O., et la C.FAO.. Ces oligopoles
entretenaient de solides liens organiques avec les usines man'ffacturières des produits
importés dans la colonie. Elles étaient pô~eillement actionnaires dans les campagnies
maritimes. Bref elles réunissaient toutes les conditions pour dominer le marché.
ces firmes, formant l'armature commerciale du pays, avaient leur siège social
en France. Mais les mailles de leur domination économique étaient constituées par les
commerçants indigènes ou les traitants ainsi que les libano-syriens qui concoururent
au triomphe de l'économie monétaire dans le pays. Ils étaient les intermédiaires directs
entre les producteurs et les compagnies."'
Certains Européens travaillaient pour leur compte personnel. A la fin de la traite,
ils revendaient aux compagnies le tonnage acheté moyennant une commission. Nous
n'avons que des informations fragmentaires les concernant parce qu'ils ne tenaient
pas le haut du pavé. Jusqu'en 19141eur nombre était élevé dans les escales de la voie
ferrée. En 1885 ils n'étaient que 7 dans le cercle de Luga mais 49 en 189995•
Dans les comptoirs de l'arrière pays, les maisons de commerce préféraient
employer les traitants indigènes. Ces derniers recevaient une commission sur la
quantité de graines traitées et empochaient également les bénéfices qu'ils réalisaient
sur la vente des produits importés. On n'a pas besoin de revenir ici sur le peu de cas
qu'ils faisaient des intérêts des producteurs. I/s préféraient s'établir dans les secteurs
éloignés des escales pour aller au devant des producteurs. Leur habitation se réduisait
alors à une baraque en planches COUVErtes de tuiles ou de tôle ondulée. Ils achetaient
la production àun prix toujours inférieur au cours normal, écoulaient les marchandises
que la maison leur avait données en fc.isant du troc aux dépens des paysans. 96
La plupart des traitants étaient originaires des quatre communes. Il avaient
essaimé avec le commerce jusque dar.s les parties les plus reculées du pays. Grâce
7 2 ~
à eux les maisons de commerce purent creer 980 comptoirs dans l'hinterland pour
soutenir leurs opérations commerciales. 97
;~frti:
Européens ou traitants indépendants n'avaient aucun moyen de rivaliser avec
les bordelaises à plus forte raison avec les géants. Les banques ne leur consentaient
presque pas de crédit. Pour leur ravitaillement en marchandises ils ne dépendaient que
des grandes maisons qui contrôlaient le transport. Leur situation étaitfragile. En jouant
sur les prix les grosses boîtes pouvaient les contraindre à la cessation de leurs activités.
Cette vulnérabilité apparut avec netteté pendant la première guerre mondiale. La
mobilisation de la plupart des agents des compagnies et des commerçants indépen-
dants fut pour les Lybano-Syriens l'occasion bénie d'occuper le créneau abandonné
par les partants.
Les premiers Iybano-Syriens étaient arrivés au Sénégal entre 1892 et 1897. Il
.
.
n'étaient que 28. Dès 1900 ils étaient 99 au Sénégal sur les 276 qu'en abritait L'Afrique
occidentale française. Au départ ils étaient de petits colporteurs vivant au jour le jour,
vendant la pacotille originaire du Proche-Orient. On les trouvait dispersés sur tous les
points de traite, allant de village en village, vendant leurs articles ou les troquant contre
les produits du cru.98 Leur mobilité fut à l'origine de leur réussite, car ils interceptaient
la plupart des clients des comptoirs. Aussi les Européens leur attribuaienltoutes sortes
de défauts en leur imputant la propa,]ation rapide des épidémies qui désolaient de
temps à autre le pays. Ils leur reprochaient aussi les abus sans nombre qu'ils
commettaient sur les gages remis en nantissement par les indigènes." Devant la
concurrence jugée déloyale par leurs rivaux la chambre de commerce de Dakar
demanda au gouvernement de freiner cette immigration sauvage.
La désorganisation du commerce consécutive à la guerre fit des Libano-
Syriens, citoyens de l'empire turc les principaux collaborateurs des compagnies de
commerce. Presque seuls en face des producteurs, ils les soumirent à une exploitation
systématique. Aussi à la fin de la guerre leurs affaires étaient-elles prospères.
Outre l'usure dont ils faisaient un usage immodéré contre les indigènes, les
Libano-Syriens firent également des économies en s'adaptant aux conditions de vie
HR
7 3 0
du milieu d'accueil. Vivant dans des maisons sommaires, ils mangeaient les mêmes
repas que les autochtones, et n'employaient comme agents que leurs propres
parents. Ils apprirent les langues du pays et dans les transactions pratiquèrent le
marchandage alors que les prix des marchandises étaient fixes dans les boutiques
européennes. 'OO
Les immenses bénéfices réalisés étaient immédiatement investis dans le pays
contrairement aux Européens qui rapatriaient les leurs. Pendant l'hivernage ils res-
taient maîtres du terrain au moment où les rigueurs du climat et le ralentissement de
"activé commerciale conduisaient les Européens à aller prendre leurs vacances d'été
chez eux.
Ni les maisons de commerce pliS plus que les Libano-Syriens n'avaient le souci
des intérêts véritables du pays. Leur activité se bornait à collecter principalement
l'arachide et à l'expédier en France. C'était l'économie de cueillette qui se prolongeait
sur une plus grande échelle. On n'envisagea pas de créer des industries dans le pays
en vue d'aider les indigènes à tirer un meilleur parti des richesse locales. Les
investissements étaient réduits à leur plus simple expression. Ils se limitaient à
l'érection de quelques boutiques et hangars pour la collecte de la récolte. Tous
cherchaient à faire rapidement fortune sans se soucier des moyens d'y parvenir. '°' En
face de cette organisation bien structurée, soutenue par la métropie et partois par
l'administration, se trouvaient les producteurs autochtones illétré~ignorant les méca-
nismes de fonctionnement des poids et mesures et tenus de faire de l'arachide sous
la pression toujours constante de l'administration. Quelles que fussent les fluctuations
des prix, ils étaient tenus d'avoir du numéraire pour le paiement des imp6ts.
La période de la traite était la plus animée de la vie Sénégalaise. Elle mettait en
mouvement les cultivateurs, les commerçants les agents du chemin de fer et de
l'administration. Son déroulement est trop bien connu pour qu'il soit nécessaire de le
décrire ici. Disons simplement que dès son ouverture, les chameaux, les ânes, les
boeufs porteurs étaient mobilisés pour acheminer le produit vers les points de traite et
les escales. Les paysans pauvres portaient leur récolte sur leur tête.
7 3 1
En cours de route ils rencontraient "les maîtres de langue» qui leur fournissaient
les renseignements sur les différents p,-ix payés selon les escales et essayaient de les
persuader que les boutiques de leurs patrons avaient les meilleures marchandises de
la contrée. Mais en général le choix de Iii boutique était fonction des engagements, pris
par le cultivateur à l'époque des semailles. Avaient la priorité sur leurs récoltes, les
commerçants qui leur avaient consenti ('Jes avances en vivres, en semences ou prêté
sur gages. 102
Aprés la pèsée, le cultivateur passait à la boutique où il faisait ses achats aprés
avoir dégagé les objets
de valeur qu'ils avaient laissés en nantissement pour
l'obtention du crédit. Il touchait, s'il le désirait, la somme qui lui restait. Avant 19141es
paiements se faisaient en pièces de 5 Francs appelés gourdes ou en barre d'argents.
Il en fallait 50.000.000 pour acheter une iécolte de 250.000 tonnes à20 francs le quintal.
«On voyait le long des lignes ferrées des employés de ces maisons 'circuler dans des
fourgons, dans les trains, accompagnant des sacs cachetés qu'ils lançaient sur les
quais des escales aux représentants de la firme dans les localités'03». Les comptoirs
de l'intérieur étaient ravitaillés en gourdes par des chameliers ou âniers.
Le paiement en gourdes préselltait chez le cultivateur un avantage certain. Il
pouvait le garder aussi longtemps qu'il ie désirait sans craindre de les perdre du fait des
termites ou d'un incendie. Avec la guerre on lui imposa la monnaie de papier. A partir
de 1915 la moitié des paiements se faisait obligatoirement en billets de banque.
L'acheminement de la récolte achetée (jans l'hinterland jusqu'aux ports ou escales
était une activité presque monopolisée par les maures. Leurs caravanes sillonnaient
jour et nuit les routes. Il profitaient de leur séjour dans les pays pour troquer leur sel
contre le mil mais quand l'occasion se présentait ils achetaient l'arachide des régions
trés reculées à vil prix pour aller les re'/fJndre au cours normal dans les escales.'04
Une fois en possession du numéraire les cultivateurs l'échangeaient contre les
marchandises. Les tissus, les denrées alimentaires à mesure que diminuaient les
superficies consacrées aux cultures vivrières, formaient les principaux achats du
cultivateur. S'y ajoutaient, bien sûr, les objets en pacotille qu'on trouvait à profusion
tant chez les Européens que chez les Libano-Syriens.
(f,fi:
UD .
.
~.,
7 Y
La grande originalité de ce syst~!pe commercial résidait dans l'équilibre quasi
2
, 1
parfait entre la valeur des exportations et celle des importations. Les indigènes
i'.'..L!
achetaient en fonction du numéraire qu'ils avaient acquis avec la vente de leurs
arachides. Les commerçants n'importaient que les quantités de marchandises qu'ils
croyaient pouvoir écouler au cours d\\) !a traite. A la fin de la traite ils retournaient en
France, emportant dans leurs caissEs les gourdes qui avaient servi à l'achat des
arachides. C'est pour cela que dans les statistique douanières la valeur des exporta-
tions était «calculée d'aprés les cours piatiqués sur place au lieu d'embarquement et
généralement au dessous des cotations,-tandis que les importations (étaient) comp-
tées au prix des factures en Europe r;lajorées de 25 % pour tenir compte du frêt, de
l'assurance et des frais de débarquement'05".
Ainsi la valeur des exportations du Sénégal en 1914 était de 80.447.388 francs
celle des importations de 80.068.653. En 1915, elles étaient respectivement de
80.794.801 francs et 71.264.220 francs.
Les commerçants savaient que la vente de leurs articles importés dépendait
des quantités de numéraire acquises par les cultivateurs. Ils auraient donc dû, à tout
moment, s'entendre avec eux, les encourager par des prix rémunérateurs à étendre
et à toujours améliorer leurs champ~, cie culture. A l'achat comme à la vente leurs
marges bénéficiaires étaient élevées.
La préoccupation du commerce était d'acquérir la récolte à vil prix. De
l'exploitation systématique du cultivateur dépendait sa prospérité. Les maisons de
commerce, les commerçants europée:ls indépendants comme les traitants indigènes
et les Libano-Syriens ne se soucaient pas du triste sort du producteur. La dépréciation
de la rémunération de son travail était lE' facteur essentiel qui le poussait à étendre sans
cesse ses superficies arachidières.
L'ENTENTE COMMERCIALE
De tout temps les commerçants essayaient de s'entendre pour maintenir leur
concurrence dans les limites du raisonnable. ils le faisaient toujours aux dépens du
producteur. Ici, c'est en 1888 qu'apparut le premier syndicat des maisons de com-
H~
7 3 3
merce pour le contrôle du marché. Il regroupait Maurel et Prom, Maurel et Frères,
Buhan tesseire et la C.F.A.O .. Ils sE1,,~~oncertèrent pour n'acheter le mil qu'à 17,50
francs le quintal en Novembre, alors clue deux mois plus tôt ils le vendaient à 30 francs.
De telles fluctuations n'étaient pas faites pour inciter les cultivateurs à produire
davantage. Les producteurs préfèrèl'ent garder leurs grains.'OG
Ce syndicat ne connut qu'une existence éphémère. Le choc des intérêts, la
multiplicité des opérateurs firent finalement triompher la concurrence. Chaque maison
de commerce, chaque traitant essayait de conquérir la plus grande part possible du
marché.
Malgré tout Cette expérience se' renouvella en 1907. Le syndicat réunit alors
toutes les maisons du Sénégal dans '.in accord unanime dans la fixation d'un prix
d'achat que les membres s'engagèm~i à ne pas dépasser. Refusèrent toutefois
d'adhérer à cette entente les grande~; maisons comme Maurel et Maurel et frères
Maurel et Prom, Buhan Tessere qui protestèrent contre la baisse du prix au producteur
passant de 13,50 francs à 12,50 fran:;~;. '07
L'objectif de ce syndicat était c1'acheter l'arachide à des prix trés bas. Tout était
pour ses membres prétexte pour faire baisser les cours. Les pluies tardives de
Décembre appelées «Eugg» leur faisaiant perdre tout sang froid. Ils arrêtaient bruta-
lement les achats même au risque de faire baisser les cours en Europe.Avant la fixation
du prix d'achat, ils ne faisaient expertiser que les mauvaises graines pour pouvoir
acheter la récolte à un prix inférieur à celui de la campagne précédente. L'administra-
tion n'avait pas la faculté d'intervenir dans le débat. Selon le commerce, son rôle n'était
pas de s'immiscer dans les affaires économiques mais d'assurer la sécurité du pays
et de maintenir une pression continuf' sur les producteurs pour les pousser à toujours
accroitre la production.'08
Aces expertises conduites de façon partiale par les négociants, l'administration
aurait pu opposer celles du service de l'agriculture. Grace au service du télégraphe on
fixerait alors les prix au producteur en fonction des cours d'Europe. Ainsi tout en
maintenant une marge bénéficiaire rE,isonnable pour le commerce, le cultivateur
N~
7 3 4
~""
recevrait un prix moins soumis aux cêÎprices des négociants. Il y trouverait des raisons
de s'accrocher davantage à la culture i1,rachidière. Mais les ententes finirent par porter
préjudice même au commerce. D'une année à l'autre les exportations et les importa-
tions subissaient un fléchissement important toujours en rapport avec la baisse des
l'-':'r.
cours de l'arachide. Chaque fois que'lê cultivateur constatait une notable dimunition
de la rémunération de son travail, <'J la campagne agricole suivante il privilégiait à
nouveau les cultures de céréales. Devant la défaveur momentanée dont ce produit
était l'objet, le commerce ne voyait c1'autre remède que l'emploi de la contrainte par
l'adminitration contre les producteurs.'09
La concurrence des autres ,1laisons non membres du syndicat sauva les
paysans d'une ruine certaine. Maurel et Prom, Maurel et Frères et Buhan Tesseire
refusaient de s'aligner sur le prix du 5yndicat qui ne répondait à r[en, puisqu'il n'était
pas fixé sur la base des prix en cours en Europe. Face à ce contrepoids le syndicat se
transforma en cartel pour acquerir au profit de ses membres la plus grande partie de
la récolte. Il instaura ce qu'il appela I€s prix du partage. Il s'agissait pour les membres
du syndicat de déterminer, sur la ilê,se des achats efffectués au cours des cinq
dernières années, la quantité d'arachi,jes que chaque maison pouvait normalement
traiter et acheter au prix qu'elle jugeait convenable. Si elle venait à dépasser ce chiffre
elle devait fournir le surplus aux autres commerçants qui n'avaient pas atteint la
quantité qui leur était attribuée."° UI vente se faisait au prix du syndicat. Ce qui en
langage clair voulait dire que les meml)res du syndicat devaient s'interdire de dépasser
un certain plafond pour les prix au producteur. En maintenant une baisse factice, les
commerçants réalisaient des bénéfices énormes. Selon le service des Douanes le
commerçant faisait un bénéfice de 5,50 francs par quintal d'arachide vendues en
Europe, une fois défalqués les frais de manutention, le frêt, les déchets en cours de
route. Un commerçant moyen trait8nt 1.000 tonnes réalisait un bénéfice de 55.000
francs. Les principales maison qui c·)lIectaient jusqu'à 10.000 tonnes voyaient leurs
bénéfices portés à 550.000 francs.'" En y ajoutant ceux réalisés sur les marchandises
importées on saisit l'importance de l'3urs ma~ges bénéficiaires, mais aussi l'ampleur
de l'exploitation dont le producteur ~:tait victime.
Ne
7 3 5
La recherche de bénéfices siJL'>8'tantiels et faciles conduisit beaucoup de
traitants dans des opérations de spéculation qui leur firent perdre des sommes
énormes. craignant de ne pouvoir supporter la concurence des grandes maisons à
l'ouverture officielle de lacampagne, cE'rtains traitants firent des achats par anticipation
en proposant des prix supérieurs à ceux de la campagne précédente dans le but d'en
priver leurs concurrents. Mais faute d'une surface financière subséquente, ils ne pou-
vaient dominer le marché. A L'ouvert. Ire officielle leurs concurrents maintenaient les
bas prix. Ils durent vendre à perte leur slosks." 2 Du jour au lendemain, la plupart d'entre
eux connurent la ruine. Leur tentative aurait mérité un sort moins triste s'ils l'avaient
entreprise pour défendre le pouvoir d'achat des producteurs. Mais c'était le souci du
profit personnel qui les guidait dans leum opérations. Leur succès n'aurait rien changé
dans la condition des cultivateurs.
Les traitants, subissaient donc 13 loi des grandes maisons. Ils connaissaient
tour à tour des moments de prospérité et des lendemains incertains. Aussi jouèrent-
ils un r61e important dans l'election de Blaise Jaan en 1914, qui, à son tour, se fit leur
avocat. Pour lutter contre le quasi monopole des maisons européennes sur le
commerce de la colonie, Blaise Jaan incita les traitants noirs, les colons indépendants
à s'unir dans une organisation commerciale unique afin de mieux contrer le grand
commerce. Cet organisme dénommé La Société Agricole du Sénégal vit le jour en
1917. Elle était présidée par Abdu Karim Jaan beau frère du député. Faute de moyens
financiers suffisants cette société fut d,ms l'impossibilité de réaliser ses fins. Avec elle
disparut la seule chance réelle de voir apparaitre un capitalisme autochtone mo-
deme. '13
Maîtresses du terrain, les grandes maisons s'entendaient pour fixer les prix
selon leurs convenances. Il est vrai que, pour éviter la mévente des articles importés,
elles ne pouvaient dépasser un certai~'l~ seuil. Mais les rares augmentations interve-
nues pendant la guerre étaient d'offiGf! gommés par celles des prix des produits
manufacturés. En définitive les améliOl'ations des prix en Europe ne profitaient qu'au
grand commerce dont la marge bénéficiaire ne cessa de s'accroître d'année en année.
DES MOYENS DE,LUITE DES PAYSANS
736
Pour se défendre contre ce régime commercial inique, les cultivateurs ne
disposaient que de moyens limités et d'une efficience toute relative, en raison de la
présence d'une administration pouv3nt toujours intervenir dans le débat pour leur
impos~çon de voir _ Les produc.teurs n'avaient pas le droit de se syndiquer, ni
de constituer des ententes pour mieux structurer leur lutte contre les coalitions des
commerçants. Le premier moyen c'était le "Laff.. c'est à dire le refus de vendre la
récolte. Cette suspension des ventes ne durait qu'autant qu'elle avait l'agrément de
l'administration. Sinon il lui suffisait d'exiger dans un délai trés court le paiement de tous
les impôts dus par les cultivateurs.""
Devant le caractère aléatoire de ce procédé, les paysans en vinrent à délaisser
l'arachide pour le mil chaque fois que les prix de l'arachide descendaient trop bas.
C'est ce qui se passa en 19150ù les cultivateurs mirent l'accent sur le mil à la suite des
prix catastrophiques auxquels la réGolte de 1914 avait été achetée. Les surfaces
arachidières furent réduites par les paysans qui déclarèrent que c'était pour eux le seul
moyen d'éviter la famine. la vente de l'machide ne leur offrant plus la possibilité de se
procurer du riz devenu trop cher, ils préfèrèrent faire du mil, attendu qu'ils ne pouvaient
pas se nourir exclusivement d'arachides. Ainsi avec la mévente de l'arachide, le
cultivateur renoua avec la culture du mil convaincu de pouvoir nourrir au moins sa
famille même s'il n'avait pas de numéraire." 5
L'administration était désarmée contre la toute-puissance du commerce qui
fixait les prix comme il l'entendait. Ses protestations contre les cours trop bas n'étaient
jamais prises en considération. Même quand les faits lui donnaient raison, le com-
merce voulait toujours la transformer en bras séculier pour éviter la dimunition de la
production.
Pour échapper à la malhonnetnté trop voyante du commerçant dans les poids
et mesures, les clients changeaient (le maison de traite.11. Ce nomandisme ne modifia
pas fondamentalement leurs conditions, car dans ce domaine, rares furent les com-
merçants dont la conduite était irréprochable. L'emploi des faux poids était général
737
pour tromper le paysan ne sachant ni Iii'e'hi écrire. Mais le paysan s'en rendait compte.
En comparant ses récoltes d'une année à l'autre, il constatait que le poids affiché était
en deça de ce qu'il aurait dû être. La réponse à ces fraudes fut la fraude. Les cultivateurs
introduisirent dans leurs sacs d'arachide, de la terre ou d'autres matières étrangères
pour élever le poids du produit en compfJllsation de la fausseté des pesées effectuées
par les commerçants.
Les industriels européens se plaignirent de cette adjonction d'impuretés qui
déprécaient la qualité de l'arachide sénégalaise. Elle risquait de perdre sur le marché
les cours avantageux dont elle bénéficiait. L'administration réagit avec célérité pour
mettre un terme àces pratiques. Un arrèté du 27 Juillet 1912 permit aux administrateurs
de châtier les indigènes qui ne présentaient pas à la vente un produit totalement
débarrassé de ses impuretés. '17
Deux poids et deux mesures. L'administration sanctionnait les victimes qui
réagissaient, à leur façon, contre le système du vol mis en place par les commerçants
qui les spoliaient du produit de leur travail. Mais contre le commerce, elle invoqua les
difficultés de communication, l'insuffisance du personnel du contrôle pour empêcher
les commerçants de tricher.
Brocard administrateur du cercle de Kaolack surnommé à cause de son
autoritarisme excessif "empereur du Siir:J-Salum» édicta dès 1909 des régies auxquel-
les devaient se soumettre les cultivateurs en vue de la sauvegarde de la qualité de la
récolte. Pour que les graines ne fussent pas récoltées de façon précoce, le chef de
village était seul habilité à préciser la date de la récolte. Pendant la durée de la récolte
les chef de canton étaient tenus de circuler dans leur circonscription "pour rendre
compte et tenir au courant leur résident"8». L'introduction "de matières étrangères
dans les sacs de graines ajouta t-il, paillH, terre ou autre est un vol. Je le punirai comme
tel, que ce soit un dioula ou un cultivateur ... il sera impitoyablement puni""». On finit par
faire de l'adjonction des impuretés une infraction punie en vertu du code de l'indigénat.
Il ne restait aux producteurs que'la résignation. Le commerce ne supportait pas
que l'administration prît la défense des cultivateurs. Ainsi livrés à la discrétion des
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".l1'"
Ne
7
commerçants leur situation se dégradail de jour en jour au point de les contraindre à 3 8
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toujours s'endetter pour faire face au/besoins qui les assaillaient de toutes parts.
DE l'ENDETTEMENT PAYSAN
La rupture du fragile équilibre v:vrier consécutif au recul des cultures vivrières
mit le cultivateur dans la nécessité d'emprunter pour vivre. la persistance du déficit
alimentaire fut mise à profit par le commerce pour exercer le chantage aux vivres sur
les paysans condamnés à accepter toutes leurs conditions.
Les premiers prêts du négoce aux cultivateurs avaient commencé par les vivres
pendant les périodes de disette ou de famine avant de porter sur les semences. Le taux
d'intérêt était de 100% au moins. Le débiteur s'engageait à aller vendre sa récolte à la
maison qui lui avait avancé les semences. Ce qui était une autre source de bénéfice
pour le négoce. En admettant que quelques paysans ne fussent pas en mesure de
payer, les maisons y trouvaient malgré tout leur compte. Car quelle que fût la situation,
rares étaient les débiteurs qui s'abstenaient d'honorer leurs engagements.'20
En effet pour rentrer dans ses créances, le négoce parvenait à obtenir de l'ad-
ministration la suspension des opérations commerciales jusqu'à ce que toutes les
dettes paysannes fussent recouvrées. Cet appui lésait, bien sûr, les petits traitants
dont les intérêts étaient sacrifiés à ceux des grands.'2'
Les bénéfices tirés de ces prêts étaient si plantureux qu'ils multipliaient toujours
les manoeuvres pour inciter les cultivateurs à s'endetter. A la fin de la traite ils
proposaient des cours élevés pour l'arachide, pour inciter les paysans à vendre leurs
réserves de semences. Deux mois plus tard, il donnait à crédit le même produit à un
prix deux fois plus cher. Lorsque l'administrateur prescrivait aux indigènes de mettre
des graines en réserve pour l'ensemencement de leurs champs, les commerçants
unanimes dénonçaient avec vigueur son intolérable immixion sur le terrain économi-
que. Leur attention était focalisée par:e résultat immédiat constitué par des bénéfices
élevés.'22 I/s ne se souciaient pas du sort de l'indigène dont la prospérité ou l'aisance
matérielle étaient pourtant inséparables des leurs. En aidant les producteurs à être plus
prévoyants en matière de semences, il les mettait en réalité dans les conditions
':'1
.
d'accroitre de façon continue les réco;;r~ .d'arachides et partant leurs prop!s mar~s3' 9
.-ij:.,1
bénéficiaires.
Mais puisqu'il s'agissait de faire rapidement fortune, les négociants ne se
soucièrent pas de mettre en place des régies susceptibles de favoriser la prospérité
du pays. Chacun, dans sa boutique, c'ol1duisait ses opérations comme il l'entendait.
Leur crédo était de faire des bénéfice~. à tout prix. Tous les subteriuges étaient bons
pour y parvenir.
En 1915 un commerçant qui avait avancé des semences d'arachides à 65
francs le quintal voulaient en exiger le remboursement aux taux du cours normal qui
était de 7,50 francs. Le producteur devait donc payer en quatre mois un taux d'intérêt
de 1200% . S'y ajoutait qu'il n'avait acheté cette arachide qu'à 25 francs le quintal.
Ces pratiques usuraires étaient '30uvent le fait des petits commerçants indépen-
dants qui pour échapper à la faillite -Ioulaient soumettre leurs débiteurs à une
exploitation en régie. Pendant la période de soudure les Libano-Syriens et les traitants
concouraient à mettre les cultivateurs dans le cycle infernal de l'endettement.
Outre les avances en vivres qu'ils sollicitaient pendant cette période critique de
l'hivernage, les cultivateurs empruntaiE,nt aussi pour faire face aux dépenses que
nécessitaientles cérémonies familiales surtout les baptèmes et les funérailles. L'argent
indispensable ne pouvait être obtenu qu'auprés de celui qui tenait boutique. Ceux qui
en avaient la possibilité déposaient des objets de valeur en gages auprés du créancier
qui leur donnait, en marchandises, la moitié de la valeur des objets remis. Le taux
d'intérêt variant entre 100 et 300% . S'agissant des animaux les commerçants
n'acceptaient que les femelles pour pouvoir éventuellement s'en approprier le croît si
des naissances intervenaient avant le retrait des gages.'23
Les prêts sur gages donnaient souvent lieu à beaucoup d'abus de la part des
commerçants. Au moment de la traite ils refusaient l'argent que leur donnaient leu,,'
débiteurs et exigeaient à la place du mil e'; de l'arachide dont ils établissaient eux même
le prix. Ainsi sur un objet d'une valeur de 25 francs remis en gage, le cultivateur
recevaient 12 francs qu'il devait rembourser en produits agricoles commercialisables.
.·".1.!:~
' ..' ..
740
On lui prenait le mil à 6 francs le quintal et l'arachide à la moitié du prix officiel du
::;..::'lJ..
quintaL124 Les rembourssements avaient en effet lieu avant l'ouverture officielle de la
traite.
Au moment des semailles, le paysan dépourvu de semences et de vivres pour
l'ensemencement de ses champs et la nourriture de sa famille reprenait chez le
commerçant européen, noir ou Iibano-syrien, le milou l'arachide qu'jllui avait donné
au prix de 6 Francs, pour obtenir la restitution des objets engagés, au prix de 25 ou de
30 franc. Dans cette spirale de l'endettement les commerçants avaient toutes les
facilités pour ériger en quelques années de puissantes fortunes. C'était àjuste tritre que
l'administration parlait de l'attristante théorie, selon laquelle, les années de famine ou
de disette "étaient une source de fortune pour tout le commerce'''».
Les traitants noirs indépendants ou au service des maisons européennes
comme les Libano-Syriens mirent au point un système particulièrement ruineux pour
le cultivateur. Les marchandises importées qui n'avaient pas pu être vendues étaient
désormais remises aux cultivateurs qui venaient chercher des crédits. On leur faisait
comprendre que le numéraire manquait et qu'ils pourraient toujours trouver preneur
des marchandises qu'on leur livrait.
Le prix de ces marchandises allait du simple au triple. Un paysan désirant un
crédit de 100 francs s'engageait en fait auprés du créancier pour une dette de 300
francs. Pour liquider cette marchandi';8 contre du numéraire il était obligé de les vendre
à perte. C'était alors que le même commerçant, par le canal d'un de ses agents,
proposait de les reprendre pour la moitié de leur valeur réelle c'est à dire pour 50 francs.
Les bénéfices atteignaient alors le taUx de 600%. Ce système contraignait les paysans
cherchant un crédit de 100 francs à s.'E:ndetter pour une valeur de 600 francs voire de
1GOO francs. Les taux d'intérêt prirent dans ces conditions des proportions effarantes.
Ils atteignirent entre 1000% et 1200% .
Dès lors il n'était pas étonnanl que les débiteurs fussent presque tous insolva-
bles. Comme d'habitude le commerce voulut recourir au service de son bras séculier
: l'administration. Celle-ci ignorant lE' l71écanisme mis en place par les traitants pour
74
gonfler artificiellement le volume dé'I~' dette des cultivateurs fut dans l'incapacité
d'intervenir comme l'auraient souhaité les créanciers. Elle leur imputa la responsabilité
de cette situation. Elle ne pouvait pas comprendre que l'on pût accorder des crédits
de 500 francs ou de 1000 francs de marchandises à des gens qui ne pouvaient pas
payer plus de 100 francs à la traite. C'était en apparence «un manque de bon sens que
d'engager un solliciteur à prendre plu:; de crédit qu'il n'en demandait'26».
Pris dans l'engrenage de ce système, les cultivateurs étaient dans l'impossibi-
lité de se libérer de leur dettes. A che.que campagne de traite il donnait une avance à
son créancier, pour revenir pendant l'hivernage ou à l'occasion d'une cérémonie
familliale solliciter encore un crédit aux mêmes conditions toujours draconniènnes.
En jouant sur les prix et sur l'endettement du cultivateur, le commerce était
parvenu à l'ancrer trés solidement clans la culture arachidière qui était pour lui une
source d'immenses bénéfices. Ce qui était surprenant c'était de voir les traitants
musulmans, malgré les sanctions prévues par l'islam, pratiquer l'usure au même titre
sinon plus que les autres contre leurs compatriotes désarmés.
Dans l'espoir de sortir de ce cycle infernal de l'endettement, les cultivateurs se
lancèrent de plus en plus dans la culture arachidière. Celle-ci demeurait extensive et
l'accroissement duvolume exporté ne découlait pas de l'amélioration des rendements
mais de l'augmentation des surfaces consacrées àce produit. L'épuisement systéma-
tique de ces sols fragiles par la culture continue, l'absence de procédés adéquats pour
leur restituer leur fertilité, l'incapacitÉ: pour les paysans d'accorder une égale impor-
tance aux cultures vivrières et aracilidières en raison des contraintes de temps, la
pression administrative, la naissance de besoins nouveaux avaient concouru à la
prépondérance de l'arachide. Ce produit dont la culture occupait vers 1916 prés des
deux tiers des emblavures, avait rendu le pays trés vulnérables aux disettes et aux
famines.
Si pour une raison climatique quelconque ou à la suite d'une invasion de
sauterelles ou de pucerons la récolte était déficitaire, le paysan se trouvait d'office dans
une situation dramatique. Car même si les cours connaissaient des niveaux accepta-
~
~
742
bles, la médiocrité de la récolte limitait les avantages qu'il en pouvait tirer. En définitive,
-
~~\\"t-
l'abandon de la polyculture vivrièrü' avait rendu familière aux populations l'image
hideuse de la disette ou de la famine.
LES CRISF,.S ALIMENTAIRES
Les calamités étaient devenues trés fréquentes du fait du déboisement, de la
baisse des rendements et aussi des invasions des sauterelles. Les fléaux soumettaient
les cultivateurs à la dépendance absolue du commerçant auprés de qui ils allaient
chercher les vivres.
Nous ne disons pas que ces crises alimentaires étaient le seul fait de la culture
arachidière. Certes le mal n'était pas récent mais son intensité et sa plus grande
périodicité étaient nouvelles. Avec cette plante occupant des- surfaces naguère
dévolues aux cultures vivrières le mOindre facteur défavorable avait un effet multiplica-
teur et le déficit prenait rapidement l'allure d'une catastrophe pour les populations qu'il
frappait.
En 1889 un arrêt précoce des précipitations mit les populations du Kayoordans
la gêne. La récolte de mil était faiblo, et la mauvaise qualité des arachides entraîna
l'abaissement des prix d'achat. L'administration dut se porter garante pour les prêts
en vivres de soudures que les paysan:; sollicitaient auprés du commerce.'27 En 1893-
1894 le cercle du Siin Salum connut à son tour les affres de la famine au point d'inciter
les Ceddo à cultiver du mil lors de l'hivernage 1894. Avant l'ouverture de la traite les
populations avaient déjà consommé la plus grande partie de la récolte céréalière, et
d'importantes quantités d'arachide vl3r:dues aux Maures pour avoir de quoi acheter du
riz.'2B
En 1901 les principales victimes de la famine étaient les populations de la partie
septentrionale du Kayoor dont les suis appauvris, lessivés par la culture continue de
l'arachide, ne donnèrent que des récotes médiocres. Beaucoup de cultivateurs
quittèrent le secteur dès la fin des récoltes pour le coeur du Kayoor, les provinces
Sereer et le Jander où ils espéraient trouver des terres plus fertiles. Cette famine tua
7 4
de nombreuses personnes. Pour 'es seules provinces du Geet et du Mbakol où
certaines données avaient été recueillies, on chiffra à 4000 l'effectif des pertes en vies
'tf.-;',
humaines. La baisse des rendemenüJétait général dans ce premier bassin arachi-
dier. '29
La famine de 1905 fut plus atroce. Elle frappa la totalité du pays. elle avait été
provoquée par une invasion de pucerof1s qui détruisirent toutes les récoltes de mil. Les
insectes avaient en effet couvert d'une rosée de miel les épis au moment où ils étaient
en période de maturation. Cela entraina le pourrissement des tiges. Partout les
récoltes furent perdues. Faute de statistiques, il n'est pas possible d'indiquer même
de façon approximative l'impact de ces fléaux sur la démographie. L'administration,
aprés avoir exigé le paiement des impôts, 130 préconisa d'accorder des secours d'ur-
gence aux indigènes. Les vivres étaient avancés par le commerce sous la garantie du
gouvernement colonial. Mais malgré l'ampleur du désastre, les cultivateurs trouvèrent
à manger grâce aux champs de manioc et de haricots épargnés par le fléau. Les zones
les plus touchées étaient celles voisines de la voie ferrée où la 81yculture vivrière avait
fait place à la monoculture arachidière.
Mais il en fut différemment en 1915 où la primauté de l'arachide était incontes-
table sur les deux lignes ferrées. Nous savons que la traite 1914-1915 avait été
catastrophique avec une chute vertigineuse des cours. La vente des arachides ne
procura aux producteurs que 8 à 10 millions de francs contre les 40 millions lors de la
récolte précédente. Ils ne purent, dans ces conditions, rembourser les avances
consenties par le commerce. Il en r:lsulta qu'au moment où ses ressources étaient
réduites presque à rien, le paysan se heurta au refus du commerce de lui consentir à
nouveau un crédit. Les prix des articles importés avaient augmenté dans les propor-
tions trop fortes par rapport au pouvoir d'achat des indigènes. Le riz passa de 30 francs
le quintal à 60 francs. Certains commerçants firent même de la rétention de marchan·
dises pour jouer sur la pénurie.
La mobilisation avait mis cert(lines maisons de commerce dans l'obligation de
fermer quelques uns de leurs comptoirs. Dès lors, elles ne pouvaient que s'en tenir à
des opérations sûres à court terme. Tout en augmentant le prix des articles importés,
.P
744
elles recommandaient de n'acheter les produits locaux qu'à bas pnx. Tout cecI
":~y;.
accentua la misère des autochtones e': fit dire à l'administrateur de Kaolack que les
escales avaient cessé d'être les «fo~/8rs de civilisation où nos protégés devraient
pouvoir prendre l'exem~le des vertus que nous avons accepté de leur faire acqué-
Chez les autochtones la crise (iconomique se doublait d'une crise d'alimenta-
tion d'autant plus grave que les imr,011ations des denrées de première nécessité
étaient devenues hypothétiques. De plus le pays continuait de subir les relents des
fléaux qui depuis la fin du XIX· siècle faisaient pour ainsi dire partie naturelle de
l'environnement local. Les sécheresse~; y avaient alterné leurs méfaits avec ceux des
épizooties et des épidémies.'32
Durant toute la période de la première guerre mondiale les autochtones ne
connurent que des moments difficiles. L'impôt, les fluctuations des prix, les invasions
de sauterelles gommaient tous les avontages que de rares bonnes récoltes pouvaient
leur procurer .'33
Dés lors il n'était pas étonnant que beaucoup de jeunes gens fissent montre
d'une désaffection marquée pour le travail agricole. Leur départ, en atténuant la
pression démographique, aurait pu avoir un effet salutaire si la culture attelée avait
permis à ceux qui restaient d'accroître leurs emblavures, et partant leurs revenus. Il
n'en fut pas ainsi. Et même dans certaines zones, ces départs, en privant la collectivité
de bras valides, eurent pour effet de IHisser encore davantage la production.
Ce qui était surprenant, c'étaii. que malgré l'atroce dégradation de leurs
conditions d'existence les cultivateur:'. ne se fussent constitués jamais en association
pour se lancer dans des mouvementë insurrectionnels afin d'essayer d'obtenir par la
force le minimum d'aisance matérielle que leur labeur acharné ne leur permettait plus
d'acquérir. Au plus fort de la crise, le P·3:/S ne connaissait aucun problème de sécurité.
Les comptoirs isolés n'étaient pas eXI:osés aux menaces. Nous n'avons pas de trace
d'un convoi de ravitaillement attaqué );;;1' des désespérés. Tout se passait comme si
devant le malheur persistant, les indigiines avaient décidé d'un commun accord de se
résigner à la résignation.
j.'~ •
- "-"
7 4 5
Mais dira t-on, que fit "administfKtion pour protéger les autochtones? N'avait-
elle pas penché sans réserve du côté du commerce en couvrant de son autorité tous
ses excès? Elle n'ignorait pas que lE·s méthodes d'exploitation des paysans qui se
faisaient hors de toute conscience, é::aient porteuses de risques. Seulement les
grosses firmes coloniales conditionnaient l'opinion de la métropole. L'influence des
députés de la Gironde était souvent déterminante dans le choix des gouverneurs du
Sénégal.
Nous savons la facilité avec !aquelle les Bordelaises faisaient passer leurs
intérêts particuliers pour l'intérêt gén,§ral. Le commerce ne tolérait l'intervention de
l'administration dans le domaine économique que quand elle lui était profitable. Son
rôle était de déterminer les conditions marchandes auxquelles devaient se soumettre
;
les produits et de prendre les mesures adéquates pour l'augmentation continue de la
production. En revanche elle était invitèe à s'abstenir d'intervenir dans les transactions
où le négoce avait la possibilité d'impo~;er ses propres termes aux cutivateurs.
Pendant longtemps il en fut aim;i. Les intérêts du paysan étaient totalement
subordonnées à ceux du commerce (~ui recourait aux méthodes les moins défenda-
bles pour s'enrichir aux dépens de:; producteurs. Mais la répétition des crises
alimentaires conduisit l'administration ù :;'engagertant bien que mal dans la protection
des indigènes dont elle se proclamé.it la tutrice naturelle. Malgré l'opposition du
commerce, qui disait qu'on lui causait un préjudice effroyable en conseillant aux
autochtones d'éviter d'acheter à crédit les semences ou les vivres, l'administration
n'en prit pas moins des mesures pour atténuer la trop grande dépendance des
paysans àl'égard du commerce par l'institution des greniers de réserve et les sociétés
indigènes de prévoyance.
Au lendemain de la crise alimentaire de 1895 le gouvernement coloniale exigea
pour éviter la répétition de pareilles catastrophes la création de greniers de réserves
dans chaque village. Mais pour des raisons difficiles à préciser, ce projet échoua.
Rares furent les villages qui s'en dotèrent. Les autres continuaient comme par le passé
de faire appel au commerce pour avoir E't leurs semences et leurs vivres de soudure.
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~
7 4 6
Le grand nombre de victimes;.eIJ1Portées par la famine de 1901 décida le
gouvernement colonial à intervenir po~r mettre un terme contre ce qu'il appelait trop
sommairement «l'imprévoyance des ;ndigènes'J·". Il ignorait que depuis l'introduction
de l'arachide dans l'assolement, les ~:uliaces cultivées en plantes alimentaires étaient
réduites, et qu'il était souvent dans la necessité de manger, avant l'hivernage suivant,
les vivres et les semences qu'il avait mis de côté aprés la récolte.
Quoiqu'il en fût, dès Octobre 1902 les administrateurs prescrivirent à tous les
chefs de province ou de canton d'intaller à nouveau dans chaque village des greniers
de réserves de mil et d'arachides afin d'éviter le retour de la famine. Les greniers
devaient être renouvelés à chaque récolte. Les chefs indigènes étaient responsables
de l'exécution de ces prescriptions.'JS Partout on constitua ces greniers de réserves.
Mais leur maintien ne dépendait que dEI la place plus ou moins importante des cultures
vivrières dans la production. En effet on constata leur disparition dans le second bassin
arachidier où les cultivateurs préférèrent mettre l'accent sur l'arachide, quittes à utiser
les revenus qu'il en tiraient pour faire f3ce à leurs besoins alimentaires.
En raison même de l'instabilité des cours, ces revenus étaient aléatoires et leur
pénurie pouvait à tout moment mettre le producteur dans une situation délicate. C'est
ce qui se produisit pendant les premières années de la guerre où la chute des cours
mit les paysans dans un état proche du désastre. Le refus du commerce de leur
consentir des crédits fut mis alors à profit par le gouverneur pour réprendre l'idée de
ces greniers de réserves et de la réaliser sur toute l'etendue des pays de protectorat.'36
Une fois constitués, les greniers de réserves seraient l'obget d'un contrôle
systématique par l'administrateur de' cercle et ses adjoints. L'innovation résidait dans
l'effort supplémentaire qui était demandé aux paysans pour se conformer aux directi-
ves relatives à ces greniers. Il n'était pas question d'étendre les cultures vivrières au
détriment de celles de l'arachide, bas-3 de la prospérité commerciale du pays, mais
d'accorder la même importance à ce, produits. Au besoin dans chaque village on
créerait un champ collectif exclusivernilnt consacré à des cultures vivrières.'37
W!
747
L'intention était Jouable mais e1le'rYe prenait pas en considération les impératifs
de temps qui s'imposaient aux paysans. les méthodes culturales en vigueur ne lui
offraient aucune possibilité d'augmente, les surfaces cultivées. Le temps consacré à
l'arachide était pris sur celui qu'il réser/ait naguère aux cultures vivrières. C'était un
cercle vicieux que de vouloir accorder la même importance aux produits d'exportation
et à ceux de la consomation courantf;.
Dans l'immédiat on interdit aUlI cultivateurs dans chaque village, de vendre la
plus petite quantité de sa récolte de mil é.vant d'avoir mis en réserve la part nécessaire
à leur alimentation jusqu'à la prochaine récolte. 138 Ainsi le cultivateur serait, dans une
certaine mesure affranchi de la nécessité où il se trouvait d'acheter à crédit et à des taux
usuraires, les denrées indispensabls3 sa subsistance.
Le commerce dénonça bien S(lr cette mesure comme une atteinte à la liberté
de commerce. Il avait compris que le gouvernement risquait ainsi de faire dis~œa le
système des prêts sur gages trop ruineux pour le cultivateur.
LA SOCIETE IND/GENE DE PREVOYANCE
Le commerce protesta avec la même énergie contre l'institution des sociétés
indigènes de prévoyance qui fut décidél3 en 1907 consécutivement à la grande famine
de 1906. Le déficit alimentaire avait entrainé urlènchérissement du coût de la vie. Le
prix du mil passa rapidement de 18 à 3C francs mettant dans l'embarras les régions plus
particulièrement éprouvées par les m(iuvaises récoltes comme le Siin-Salum. Dès lors
on comprend facilement que le cercle de Kaolack fût le point de départ de cette
expérimentation. Tout en reconnaissent que le rôle de l'Etat n'était pas de fournir des
semences aux cultivateurs, ni de leur clonner des secours en argent, le gouvernement
colonial n'en pensa pas moins que c'était de son devoir de mettre à la disposition de
ses protégés les moyens adéquats lr:!ur permettant de parer eux mêmesaux consé-
quences des mauvaises récoltes. Aussi mit-il en place des sociétés indigènes de
prévoyances destinées à constituer, grilce aux cotisations en nature ou en espèce de
7 4
leurs membres, un fonds de réserve :lui aiderait "à parer au manque de graines, les
1'"
•
"c'
années calamiteuses'3.».
Dès Janvier 1908 la société indigène de prévoyance du Siin-Salum comptait
1000 adhérants. Elle prêtait des semences aux paysans avec un taux d'intérêt de 5%
alors qu'il était de 200 à 300 chez les commerçants. Malgré les avantages réels qu'elle
offrait, beaucoup de cultivateurs hésitèrent à prendre les semences qu'elle leur
proposait. Ils préféraient aller chez le~ commerçants attitrés qui pouvaient refuser de
leur consentir les vivres de soudures s'ils ne prenaient pas les semences qu'ils
voulaient leur vendre à crédit. 140
Cette désaffection de la société de prévoyance du Siin-Salum par les cultiva-
teurs persista jusqu'à la fin de 1909 gràce au chantage exercé par le commerce qui
n'entendait pas perdre le bénéfice sur les graines prêtées et .sur les quantités
d'arachides que les débiteurs étaiert moralement tenus de vendre à leurs créan-
ciers. 14 '
Partout l'administration se heurta à l'opposition du commerce qui multiplia les
obstacles pour retarder la formation de ces sociétés de prévoyance. Les cercles du
Kayoor, de Kees, du Bawol où le commerce était le plus solidement implanté connurent
les plus fortes résistances. 142
Le succès de la société de prévo.vance du Siin-Salum était surtout due à l'action
personnelle de l'administrateur Brocard qui rendit l'adhésion obligatoire pour tous les
cultivateurs. En 1910 les sociétés indigènes de prévoyance furent légalement recon·
nues. Leur taux d'intérêts furent porté~; à 25% .
Les succès de Brocard dans le cercle de Kaolack incitèrent les autres adminis-
trateurs à l'imiter. Celles de Luga, de Podar et de la haute Gambie virent le jour en
1911 143 et celle du Kayoor en 1916'4<
Les Société Indigènes de Pré·/oyance avaient un rôle étendu. Elles s'intéres-
saient à toutes les activités agricoles el para-agricoles. Leurs caisses étaient alimen-
. tées par les contributions indigènes ill'aison de 5 francs par personne. Les paysans
749
n'avaient rien à dire sur l'utilisation des fonds dérivés de leur travail. Les Sociétés
.'~~r
Indigènes de Prévoyance n'étaient ps de véritables coopératives, elles étaient
autoritairement dirigées par les cOfT,mandants de cercles. Mais en dépit de leurs
insuffisances elles ont atténué la dépendance paysanne à l'égard du commerce pour
ce qui était des semences et des vivies de soudure.
Certaines Sociétés Indigènes de Prévoyance utilisèrent une partie de leurs
fonds pour faire quelques réalisatiom. essentielles à l'amélioratioil des conditions
d'existence des populations. La Soci!!t':1Indigène de Prévoyance du Siin-Salum dont
le budjet annuel était de 490.000 francé: et qui possédaient une réserve de 700.000 avait
foré entre 1910 et 1917,454 puits, oiUribué du matériel relativement periectionné,
avancé des semences, de l'argentet des vivres à ses membres."5 Celle du cercle de
Kayoor avec un actif de 350.000 franc:; >3n 1919 fit pareillement de nombreux puits afin
,:
de retenir les populations du Kayoor cie plùs en plus portées vers l'émigration. Elle
donna aussi des secours aux habitants des zones frappées par la peste en leur
avançant gratuitement des vivres et en épongeant leurs dettes de 1917146•
Tant bien que mal ces S.I.P. f;(1 substituaient même à l'administration dans la
réalisation de certaines infrastructurts qui auraient dû être à la charge des budjets
régionaux. Mais leur relative réussite n," fit que accentuer la haine implacable que le
commerce leur vouait. En 19121a S.I.P. du Bawol fut la cible du commerce. Ce cercle
nouvellement acquis à la culture arachidière était un pôle d'attraction pour les
cultivateurs en mal de terres, dont la plupart étaient des saisonniers qui ne pouvaient
de ce fait adhérer à la S.I.P..
L'évaluation de leurs besoins en semences était délicate, car le nombre variait
d'une année à l'autre. Par suite de la consommation ou de la vente clandestine, il
arrivait que cette main-d'oeuvre suppl'amentaire manquât de semences. Ce déficit
était intolérable pour le commerce qui voyait, là, la preuve de l'incapacité de l'adminis-
tration à s'occuper d'affaires économiques. La polémique éclata.
Le commerce tira prétexte de CEJS ratés pour demander la supression de ces
S.I.P.. Il se dit capable de créer un di,:ponible en graines supérieur aux besoins des
N~
7 5 0
cultivateurs. Il était préférable d'avoir un excédent que d'être confronté à un déficit au
'i~
moment des semailles.
Le comité de commerce de Flufisque n'hésita pas à dénoncer toutes les
réalisations de la S.I.P. du Bawol qui n'avaient rien à voir avec les réserves de
semences comme ce batiment qui avait été construit aux frais de la S.I.P. pour
l'hospitalisation d'une quinzaine de G1"lades qui ne pouvaient recevoir de soins nulle
part. Il servait également de logemer.i <lU docteur de l'assistance médicale. Le comité
de commerce condamna l'achat de pompe par la S.I.P. pour améliorer les conditions
d'abreuver les bovins dont on vou1élit 'assurer la commercialisation sur une grande
échelle.147
Point n'est besion de revenir ici sur ce qui motivait la colère du comité de
commerce de Rufisque.
L'extinction des bénéfices tiré, des avances en semences accordées aux
paysans l'avait dréssé comme dans 1"3 autres cercles contre l'administration qui l'avait
permise. Au moment où ses traitants VEndaient à crédit un sac de graines de semences
de 50 Kg à 25 francs. La S.I.P. n'en '3xigeait que 13 francs.
Ce qui irritait davantage le cornmerce c'était le projet caressé par l'administra-
teurThéveniaud de faire de cetteS.I.!". une sorte de banque de dép6ts où les indigènes
auraient toute la latitude de déposer )',J de retirer à volonté à la caisse de la société et
"sans aucun intérêt""». La mise en 1:,lélce de ce crédit agricole était une menace trop
grave pour le commerce pour qu'il ,.,e l'accueillît par des imprécations.
Le commerce avait choisi comme cible laS.I.P. du Bawol dans le but de collecter
le plus grand nombre de griefs possilJles dans l'espoir d'obtenir avec sa liquidation
celle des autres. Il fit appel au conCOdrs de tous les traitants du cercle, des agents
d'affaires stipendiés comme Mody ~[j;lQY, Pierre Ngom et l'avocat Vidal. "9 La contre-
enquête administrative disculpa totél:ement l'administration et la S.I.P.. '50 Mais l'insta-
bilité des cours et la première guerre mondiale eurent raison de cet organisme qui avait
fait de bonnes réalisations pour les 1);3ysans.
~2
7 5 1
Pourtant tout n'était pas faux dén~'les allégations du comité du commerce. Le
,
caractère obligatoire de l'adhésion pour tous les cultivateurs du cercle était la porte
ouverte à tous les abus d'autant plus que les chefs indigènes, chargés de percevoir
les cotisations les assimilèrent à un impôt avec tous les excès que l'on devine. Bref en
cherchant à les protéger contre les apr:étits féroces du commerce, on les exposa à
l'agressivité et à la rapacité des chefs. De quelque côté qu'ils se tournassent leur mal
était «infini». Il n'est pas excessif de pemf3rque la préférence des cultivateurs allait vers
le commerce qui les exploitait mais leur 'épargnait les humiliations et les châtiments
corporels. En effet à la façon toujours brutale de percevoir les cotisations par les chefs,
les délégués des sections de la Société de Prévoyance ajoutaient la fraude sur les
poids et mesures. Ils percevaient toujours des quantités d'arachides supérieures à
celles que les sociétaires auraient dû normalement verser. De nuit ils vendaient ce
surplus à leur profit aux commerçants établis dans la localité.
En 19141es chefs de cantons cies provinces Sereer Mbissaan Ngom, Yaxam
Ley et Majoop Juuf furent pris en flagrant délit de fraude et condamnés à rembourser
à leurs victimes respectivement 930 fr2.11cs, 988 et 443 francs. '51 On se fait rapidement
une idée de l'ampleur de ces vols quand on se souvient du prix auquel ce produit avait
été acheté en 1914.
Mais malgré leurs insuffisances, les réticences des paysans et l'hostilité du
commerce, les S.I.P. avaient malgré tout supprimé, pour les paysans, l'incertitude
d'avoir des semences à la veille de l'hivernage. Tous étaient tenus de n'envoyer dans
les Seccos de la S.I.P. que leurs graine~; les plus belles. A ce moment elles tenaient lieu
de graines sélectionnées en attendant que le centre agronomique de Bambey trouvât
les variétés hâtives adaptées aux conditions climatiques du Sénégal.
Le triomphe de la monoculture arachidière, en raccordant l'économie du
Sénégal à celle de la France consacra ,a consolidation de la domination française sur
le pays. Ce produit déterminait désormais le comportement des autorités et des
cultivateurs. De son abondance ou de son insuffisance dépendaient la prospérité du
commerce, les rentrées fiscales sans lesquelles l'administration eût été paralysée
~.
~~
75
dans ses interventions. Cette importe.nce accordée à l'arachide finit par provoquer
2
. ~-
,li(
dans le pays des bouleversements trés profonds. Tous les compartiments du cadre
de vie portèrent la marque de ce produit.
L'aspect le plus visible de la prépondérance arachidière fut la modification de
la couverture végétale. Partout on détruisit les forêts pour faire place à l'arachide sans
se préoccuper du déséquilibre de la nature. Les bandes de couverture végétale
formant jusqu'alors un solide écran contre l'avancée du désert, disparurent du
paysage. Même les haies vives d'euphorbes, efficaces dans la protection des sols
,
contre la déflation éolienne furent supprimées. Tout l'espace cultivable devait revenir
à l'arachide. La disparition des jachères considérées comme le signe extérieur de la
paresse de l'indigène donna plus d'intensité aux facteurs d'érosion en ôtant aux
paysans le seul moyen de corriger leurs effets pervers.
Grâce aux routes, aux voies ferrées, aux ports, le Sénégal dont l'économie était
jusqu'alors fondée sur la polyculture traditionnelle, fut greffée sur une économie capi-
taliste. Ce heurt brutal entre les deux économies fut surtout préjudiciable aux indigènes
qui privés de toute autonomie politique et administrative, étaient presque entièrement
soumis à la~apacité des commerçants.
La brutale monétarisation de l'économie provoqua de massifs déplacements
de population des pays limitrophes vers le Sénégal, et à l'intérieur du Sénégal même.
La recherche du numéraire incita les jeunes des régions défavorisées à se déplacer
vers les zones plus riches. Le Bawol, le ~;iin, le Salum, les provinces sereer du cercle
de Kees furent transformées en zones pionnières par des éléments venus du Futa,
Jolof et des provinces septentrionales du Kayoor. '52 De vastes mouvements migra-
toires mirent en contact des hommes appartenant à des ethnies différentes, parlant
des langues variées, finirent par donner naissance à une nouvelle humanité dont la
caractéristique maîtresse fut le métissage. Ce «melting-pot» se fit au profit de la langue
Wolof qui devint leur dominateur commun.
La grande mobilité des populations fit perdre aux familles leur cohésion d'antan.
Les départs et les retours favorisaient le développement de l'individualisme. Le
Ne
753
numéraire acquis par le navetaan, le Doraan, ou le colporteur procurait à ceux qui s'y
'Pb
adonnaient une vie facile et agréable, A force d'échapper pendant plusieurs mois à
l'autorité du chef de famille et des interdits locaux, ces jeunes gens se mirent à
apprécier de plus en plus la valeur de l'inejépendance personnelle et prenaient souvent
la résolution de conduire leur vie àleur convenance, sans aucune immixtion étrangère,
A mesure que le temps passait la cohésion sociale s'effrittait.'5J
Les intermariages se multipliaien';, On cheminait de plus en plus vers l'émiette-
ment de la famille traditionnelle en une. multitude d'individus uniquement raccordés à
la famille ancestrale que par la communauté des souvenirs,
La désagrégation de l'ancienne collectivité familiale, en favorisant la dispersion
des individus, présentait des risques, Ceux qui échouaient dans leur entreprises
pouvaient trouver dans le banditisme un antidote à leur misère, Mé!is pour l'adminis-
tration le danger résidait dans leur adhésion aux confréries musulmanes fondamen-
talement hostiles à la présence française sans le pays, Le numéraire devenait de jour
en jour la valeur sûre vers laquelle les autochtones tournaient leurs activités, La culture
arachidière ne leur donna nullement les rémunérations auxquelles ils pouvaient
légitimement prétendre, Les firmes commerciales, maîtresses du marché imposaient
leurs propres termes aux producteurs qui progressivement perdirent toute capacité de
se développer de façon autonome, Elles justifièrent les bas prix en alléguant que des
cours convenables auraient davantagl3 rivé les indigènes à leur paresse naturelle, ils
seseraient contentés de ne cultiver quela moitié de leur emblavures, C'était la négation
des principes invoqués pour justifier la colonisation, On dressait toutes sortes d'obs-
tacles devant les indigènes pour les empêcher de se mettre de niveau avec le modèle
économique capitaliste introduit par !e conquérant. En définitive aprés avoir payé
l'impôt, les dettes il ne restait aux cultivateurs qu'une portion congrue sur les richesses
qu'il avait produites par un dur labeur, Ils étaient de plus en plus prolétarisés par ce
système qui exportait l'essentiel de ce qu'ils produisaient et qui importait la plus grande
partie des marchandises qu'ils consommaient. L'absurdité était que l'immense majo-
rité de la population constituée de paysans n'était plus en mesure de nourir le petit
nombre de citadins, Le grand paradCJ:e était le refus du commerce de réinvestir sur
.4:
~e
7 5 4
place, au moins, une partie de ses immenses bénéfices tirés de la commercialisation
de l'arachide. Le résultat fut l'existeni::~ de grandes disparités dans le développement
des régions du pays. Celles traversées par les voies de communication modernes
adhérèrent à l'économie de marché alors que les autres, demeurées enclavées faute
de routes et de moyens de transport adéquats, restèrent à la périphérie de cette
économie.
Cette politique à courte vue fondée sur la surexploitation des cultivateurs faisait
fi de l'engagement primordial de la France
d'assurer non seulement la mise en
valeur des richesses matérielles du pays conquis, mais aussi et surtout celle de la
richesse humaine indispensable "pour frayer la route aux communion spirituelles de
la grande famille humaine». On était encore loin de là. Mais en s'accrochant en
aveugles à leur privilège, les firmes commerciales maintenaient les autochtones dans
un climat permanent de profonde pauvreté. Ce désespoir persitant était porteur de
troubles graves. Les manifestations plus ou moins violentes constatées vers la fin de
la guerre chez les ouvriers des centres urbains, les adhésions de plus en plus massives
des populations désorientées à l'islam confrérique, étaient l'expression du refus de
cette situation intolérable. A la suite des sacrifices consentis pendant la premiere
guerre mondiale on proposa aux maases indigènes des perspectives nouvelles mais
qui furent nettement en decà de leurs espérances.
.~- ,~.' : .
,.
l'
755
1- Godfernaux: LES CHEMINS DE FER COLONIAUX, 1911 (page 212)
2- J.O.S., Vallière: Compte rendu d'une mission dans le Mbafar, le Jolof et le Ferla,
27 Août 1904
3- A.N.S. 0 62 : Les chemins de fer dl! I<ees Kaay
4- Njaay S.: Les chemins de fer du Sen'égal, 1907-1933. Mémoire de maÎtrise, 1977
(page 31)
5- Njaay S. : Op. cil. (page 34)
6- B.C.A.F. : Renseignement coloniaux, Mars 1916 (page 82)
7- Njaay S. : Op. cit (page 36)
8- A.N.S. 2 G 9-7: LI-gouverneur Sénégal à Gouverneur général de L'AO.F., 1·'
trimestre 1909, rapport politique
9- A.N.S. 2 D 8 : Administrateur Siin Salum à Lieutenant-gouverneur Sénégal Kao-
lack 7 Janvier 1912
10- A.N.S. 13 G 67: Marty P. L'ISLAM AU SENEGAL (pages 7-8),1915
11- Idem
12- A.N.S. K 32: Tavrail et main-d'oeuvre, 1906-1914, Lettre du lieutenant-gouver-
neur du Sénégal au président de la ligue des droits de l'homme: Mars 1907
13- J.O. AO.F. : Discours de Roume au conseil de Gouvernement 9 Décembre
1905 (page 587)
14- Njaay S. Op. cil. (page 66)
15- Solus : Op. cil. (page 253)
16- AN.S. L-32 : Comité consultatif des affaires indigènes séance du 11 Février
1914, intervention de Delafosse
17- Dareste : Un recueil, Penaut, 1909 : Doctrine, LA QUESTION DE LA PRO-
PRIETE FONCIERE EN AFRIQUE OCCIDENTALE (page 51)
18- Modu Jey
19- A.N.S. L-32 : Comité consultatif 11 Février 1914, intervention de Delafosse
20- Nakaal vient du mot Wolof naak qui signifie perdre. Nakaal c'était la compensa-
tion des terrains qu'on avait perdu
21- AN.S. L-31 Organisation du régime domanial en AO.F., 7 Juin 1905
22- Hugues Hugues: LE DOMAINE DE LA PROPRIETE FONCIERE EN AFRIQUE
OCCIDENTALE, in Dareste 1918 (page 3)
23-ldem
24- Elle a toujours été appliquée depuis le XIX· siècle à Dakar contre les Lebu qui
attendaient jusqu'en 1916 pour avoir les premieres solutions satisfaisantes
25- A.N.S. L31 : Organisation du régime domanial en A.O.F. 1899-1908, anonyme
26- A.N.S. L 31 Constitution du régime domanial en A.O.F. 1899-1908, anonyme
27- J.O. A.O.F. : W. POnly circulaire au sujet de la politique agraire à l'égard des
indigènes, 5 Mars 1913
28- J.O., A.O.F. : Ponty : Au sujet de la politique agraire, 5 Mars 1913
29- Hugues: SUR LA PROPRIETE FC)NCIERE, recueil, Penaut 1918 (page 20)
30- Poiret, recueil, Dareste, 1926, UN DOCUMENT NOUVEAU SUR LA PRO-
PRIETE FONCIERE EN AFRIQUE OCCIDENTALE (page 7)
31- J.O., AO.F., 5 Mars 1913, circulaire de Ponly sur la politique agraire à l'égard
des indigènes (page 261)
32- J.O., A.O.F., 5 Mars 1913 : gouverneur général Ponly : Circulaire au sujet de la
politique agraire à l'égard des indigènes (page 261)
33-ldem
fia
756
34- Joop A : Mémoire de maîtrise : L~ PROPRIETE FONCIERE DANS LA PRES-
.
1.'l1?'~':...;
.
QU'ILE DU CAP-VERT (page 84)
. ,
35- Idem, (page 106)
36- ANS. 13 G 71 Decret du 3 Août ·1587
37- ANS. 2 D 14-21 : Note analytique au LI-gouverneur, 30 Août 1899
38- A.N.S. L 19 pièce 3 Pinet-Laprade au LI-gouverneur 18 Avril 1862
39- Moniteur du Sénégal et dépendances: arrêté du gouverneur Valence, 5 Juillet
1870
40- AN.S. 13 G 327: Noitot : Notice sur le Siin, 1896
41- A.N.S. L-22 pièce 17 : Le Directeur de l'intérieur au Gouverneur 29 Avril 1898
42- A.N.S. L-22 pièce 53-: Leffiliatre au Gouverneur à Saint-Louis 1901
43- A.N.S. 2 D 14 2 : Pétition des victimes Dembawar au Gouverneur de Saint-
Louis, Mexe le 25 Novernbre 1899
44- A.N.S. 2 G 2-5 Directeur des affaires indigènes à Gouverneur sur la situation
politique des pays de protectorat, 2'1 Octobre 1902
45- A.N,S. L 22 pièce 102 Gouverneur gl. à Saint-Louis Août 1909
46- ANS. 2 D 136 Poste Résident dB Nang au commandant de Kees 10 Mai 1909
47- Etesse : Les grands produits africains, in renseignements coloniaux, 1926
48- Marvidal: Op. ciro (pages 171-17:!) .
49- ANS. 2 B 64 Folio 40, Gouverneur Seignac au Ministre, 26 Février 1885
50- A.N.S, 13 G 327, Noirot: Situation générale du Siin Salurn aperçu général sur le
commerce
51- A.N.S. 2 08-6 Noirot : Rapport agricole 3"nmeslreOClob,e1894
52- ANS. 1 G 332 : Administrateur du Siin Salum au chef suprême de Jaxaw Kao-
lack, le 3 Juillet 1901
53- Résidence de Susun : Provinces S,Jreer : rapport mensuel, Juillet 1902
54- ANS. 2 G 2-40 Vienne administrateur Tiwawan : Rapport Mars 1902
55-Idem
56- ANS. 2 D 13-2: Résidence de Susun, 31 Juillet 1902
57- A.N.S. 2 G 2 40 : Administrateur Vienne Tiwawan, 15 Mars 1902, rapport men-
suel
58- AN.S. 2 G 6 Chef de service des douanes, rapport sur la situation économique
de la colonie en 1909
59- A.N.S. 2 G 12 Sénégal: Rapport agricole par le service d'agriculture 1910
60-ldem
61- AN.S. 2 G 11-6: Rapport d'ebnsemble du service de l'agriculture, 1911
62- A.N.S. 2 G 11-7: Service des dOlJéJnes : Rapport sur la situation économique et
commerciale en 1913
63- François B.C.A.F. renseignemen'i coloniaux 1920
64- AN.S. 2 G 15-4 Sénégal, service d'agriculture, rapport d'ensemble 1915
65-ldem
66-ldem
67- AN.S. 2 G 15-4 Service de L'agriculture du Sénégal, rapport d'ensemble 1915
68- A.N.S. 2 G 16-4 Service de L'Agriculture du Sénégal, rapport d'ensemble 1916
69- A.N.S. 2 G 16-4 Service de L'Agriculture rapport d'ensemble 1916
70-ldem
71- A.N.S. 208 Chambre de commerce de Marseille au Ministre des colonies
1916
72- A.N.S. 2 D 8-2 Chambre de commerce de Marseille au ministre des colonies,
1916
. ..~'.
757
73- J.O. A.O.F. : Circulaire sur le ravitaillement, 9 Juin 1917
74- J.O. A.O~F., 7 Juin 1917: Van vollérl'iloven : Circulaire sur l'intensification du
ravitaillement
75-ldem
76- J.O., A.O.F. : Van vollenhoven circulaire sur l'intensification du ravitaillement, 7
Juin 1917
77-ldem
78-ldem
79- A.N.S. 2 G 17-1 : Service de l'Agriculure, rapport d'ensemble 1917
80- Marc Michel: L'APPEL A L'AFRIQUE, Paris 1982, (page 205)
81- A.N.S. 2 G 17 1 : Service de L'Agriculture, rapport d'ensemble 1917
,.
82- EN 1978 devant la chute des cours d'arachide les paysans recoururent au
même procédé mais le gouvernement intervint de façon brutale pour confisquer les
pressoirs
83- Marc Michel: Op. cil. (page 208)
84- B.C.A.F., Juillet-août 1918, L'Afrique occidentale et la défense nationale,(p.
158). Pour tous les problèmes de l'évacuation de la production en 1917 et 1918
voir Marc Michel, L'APPEL A L'AFRIQUE (p. 265 et suivants)
85- A.N.S. 2 G 19 1 Sénégal service de l'Agriculture, rapport d'ensemble, 1919
86- A.N.S. 2 G 20-5 Sénégal, rapport politique 2e trimestre 1920
87- A.N.S. 2 G 20-9 Sénégal, Service de l'Agriculture rapport d'ens'emble 1920
88- Uysenga C. : La participation de la colonie à l'effort de guerre, 1914-1918. Mé-
moire de maîtrise Dakar, 1978, (p. 161)
89- Idem, (page 162)
90- Uysenga C. : Op. cil. (page 163)
91- Uysenga C. : Op. cil. (page 112)
92- Idem, (page 113)
93- 13 G 275 : Maison de commerce au Sénégal
94- Cos nier H. : L'OUEST AFRICAIN FRANCAIS 1921, (page 132)
95- A.N.S. 2 G 1 101 : Luga, rapport d'ensemble 1899
96- A.N.S. 13 G 67: Marty, rapport sur le commerce musulman 1915
97- Uysenga : Op. cil. (page 126)
98- Desbordes : L'IMMIGRATION L1BANO-Syrienne, 1938 (pages 41-42)
99- Idem, (page 46)
•
100- Desbordes : Op. cil., (page 134)
101- Crawder : Op. cil., (page 298)
102- Etesse : Op. cil., (page 682)
103- Etesse : Op. cil., (page 682)
104- A.N.S. 2 G 2 38 : Province Sereer rapport mensuel 1902
105- François G. : L'AIDE DE L'AFRIOUE FRANCAISE A LA FRANCE, in B.CAF.,
(page 195)
106- A.N.S. 13 G 321 Administrateur P.1. du Siin Salum à Gouverneur 18 Novembre
1888
107- A.N.S. 2 G 7 : Rapport sur la traite 1906-1907 par Gouverneur du Sénégal
108-ldem
109- A.N.S. 2 G 129: Gouverneur du Sénégal à gouverneur général A.O.F. : Rap·
port politique, 7 Septembre 1912
110- A.N.S. 2 G 7 : Gouverneur du Sél1égal à Gouverneur général A.O.F. : Affaire
économique du Sénégal 1907
-
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...-
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111- A.N.S: 2 G 735 Gouverneur du ~.négal : Rapport sur la traite campagne
1906-1907
112- Idem, ibidem
113- Marc-Michel: Op. Cil (page 211)
114- A.N.S. 13 G 318: Administrateur P.1. à gouverneur Funjurï le 10r déceùmbre
1888
115- A.N.S. 13-8: Administrateur du cercle de Kees au Lieutenant-Gouverneur
116- AN.S. 13 G 67 Marty: L'ISLAM AU SENEGAL, (page 10)
117- J.O. du Sénégal: Discours du gouverneur au conseil général, Décembre
1912, (page 824)
118- Etesse : Op. cil., (page 763)
119- Idem, ibidem
120-A.N.S. 13 G 321 : Administrateur P.1. du Siin-Salum
121- A.N.S. 13 G 321 : Administrateur P.1. du Siin-Salum, 18 Novembre 1888
122- A.N.S. 2 G 2 40: Vienne administrateur Tiwawan: Rapport mensuel Mars
1902
123- A.N.S. 2 G 3-34: Allys administrateur Tiwawan, 4 Août 1903
124- AN.S. 13 G 79 Gouverneur du Sénégal à gouverneur général, 14 Avril 1915. Il
cite l'exemple de Bernard commerçant à Ndand qui avait fait une jolie fortune en
faisant des prêts sur gages et en acr,etant les arachides à 6 franCs
125- A.N.S. 2 G 240: Cercle de TiwClwan, rapport politique janvier 1902
126- A.N.S. 2 G 3 34 Allys administrateur Tiwawan : Secretaire général du gourneur
général, 4 Août 1903
127- A.N.S. 2 B 62 : folio 181 Gouverneur au ministre: Saint-Louis, le 7 Avril 1889
128- A.N:S. 2 d 8-6 : Rapport commercial du 10r semestre de Noirot administrateur
du cercle de Kaolack 4 Août 1894
129- A.N.S. 2 D 14-4 Administrateur cercle de Tiwawan au directeur des affaires in-
digènes, 6 Février 1902
130- A.N.S. 2 G 2-5: Situation pays de protectorat 13 Mars 1902 et 13 G 323 Le-
filliatre : Kaolack le 10 Avril 1906
131- A.N.S. 2 G 14-40 Administrateur cercle de Kaolack 3°trmestre 1914, 6 Octobre
132- J.O.S. : Ouverture conseil général discours du gouverneur, 21 Octobre 1915
133- La peste frappa sans discontinuer le pays de 1914 à 1918. En 1915 et 1916 et
1917 des invasions de sauterelles ra'Jélgèrent une grande partie des récoltes
134- A.N.S. 2 D 14-4 administrateur ;je Tiwawan à directeur des affaires indigènes
6 Février 1902
.
135-A.N.S. 2 G 2 40 AdministrateurTiwawan : Rapport politique Janvier 1902
136- J.O.S. : Circulaire au sujet des questions de recrutement et des questions so-
ciales LI-Gvr du sénégal Antonetti 23 Septembre 1915
137-ldem
138- J.O.S. : Antonetti ; Circulaire au sujet des questions recrutement et des que-
tions sociales, 23 Septembre 1915
139-AN.S. 2 G 7 1 : Rapport agricole 1907
140- A.N.S. 2 G 91 rapport agricole 2" trimestre 1909
141- A.N.S. 2 D 13-6 Dolisie adminis;Jateur du cercle de Kees 23 Février 1909
142- A.N.S. 2 D 13-6 Dolisie administrateurs cercle de Kees 23 Février 1909
143- A.N.S. 2 G 11-7 LT-Gvr du sénégal au gouverneur général: rapport politique
10r trimestre 1911
144- A.N.S. 2 D 14-13 Rapport de pë:ssation de service 5 Mai 1919
fiR
75 9
145- J.O. AO.f., Van Vollenhoven : Circulaire au sujet des ressources nouvelles
pour les budjets 22 Septembre 1917 ..
146- A.N.S. 2 D 14-13 Rapport de pass!iÎion de service cercle de Tiwawan, 5 Mai
1919
147- AN.S. 13 G 294 Theveniand administrateur du Bawol juillet 8 Avril 1912, ré-
ponse à l'enquête effectué sur sur plainte du comité de commerce de Rufisque sur
c
S.I.P. du B a w o l ' '
148- Idem
149- AN.S. 13 G 294: Enquête sur la S.I.P. de Jurbelle 7 Avril 1912
150- ANS 13 G 294 Barthes: Président du comité de commerce et d'industrie de
Rufisque 1912
151- A.N.S. 2 D 13-7 : Administrateur cercle de Kees à Lt-gvr, 21 février 1914
152- AN.S. 2 G 16-5 Lt-gvr à gouverneur général 2" trimestre 1916
153- AN.S. 2 D 1-4 : L'administrateur chargé de la banlieu de Saint-Louis à admi-
nistrateur chef de bureau politique, Saint Louis le 26 Mai 1915
L
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760
CHAPITRE VIII
LE RECRUTEMENT ET SES INCIDENCES SUR LA PSYCHOLOGIE
DES POPULATIONS ET LES STRUCTURES SOCIALES
L'exploitation des ressources matérielles du Sénégal s'était accompagnée de
celle de ses richesses humaines. Les troupes noires jouèrent un rôle important dans
la conquête de l'Afrique française. Elles avaient également été employées dans
d'autres théâtres d'opérations comme Madagascar et la Guyane. Partout les officiers
reconnurent par leurs éloges sans bornes, leurs grandes vertus militaires faites
d'abnégation, de discipline, de couragfl. Ces grandes vertus militaires décidèrent le
gouvernement à faire massivement appel aux forces noires au cours de la première
guerre mondiale.
',.~
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Dès la fin du XVIII" siècle on pensa à la création de compagnies exclusivement
composées de Noirs. L'ordonnance du 11 Janvier 1789 fixa l'effectif du bataillon
d'Afrique à deux compagnies considérées comme suffisantes pour assurer au
Sénégal et sur la Côte de Guinée la délense des intérêts français.
Lors du recrutement de ceux qui devaient former ce corps, l'administration
constata que les Noirs libres ne présentaient aucune disposition particulière pour le
métier des armes. On se rabattit sur les esclaves qu'on racheta et à qui on donna une
formation militaire. Cette expérience tentée par le gouverneur Blanchot De Verly fut loin
d'être concluante. Mais en 1799 il reçut du gouvernement français une compagnie
d'hommes de couleur, anciens prisonr;iers faits par les Anglais dans les Antilles. Elle
était forte de 120 hommes et commandée par les officiers de couleur.'
La présence de cette unité encouragea le commandant Schmaltz à recruter
davantage d'esclaves pour combler le~; vides qui se produisaient dans les rangs des
soldats européens. Sa conviction était é:ablie que la formation des corps auxilliaires
noirs commandés d'abord par "des officiers et sous- officiers blancs» devait constituer
à brève échéance la majeure partie de la force armée dans les possessions françaises
d'Afrique.2
il
-
Malgré les avantages matériels qu'on faisait miroiter devant les populations, Zs 6 1
hommes libres refusèrent de s'engage,;:;"de renoncer à leur indépendance, à leurs
,'
habitudes pour éventuellement s'expatrier et subir un esclavage dans les terres
lointaines. Tous méprisaient le soldat assimilé à un vulgaire captif. Ce sentiment était
"
trop fort pour que des avantages matérielts pussent leur faire changer d'opinion.
Les jeunes esclaves rachetés da la captivité subissaient un engagement de
,,'
quatorze ans au profit de l'administration. Agés de 16 à 27 ans, ils étaient plus
malléables et plus faciles àinstruire. Le Haut-Sénégal-Niger était la zone par excellence
de ce recrutement. Ce préjugé contre le service militaire resta tenace chez les
populations libres, L'administration devait en constater la vigueur chaque fois que,
sous la pression de la nécessité, elle proclamait sa volonté de recruter des soldats
parmi les hommes libres,'
Les soldats accomplissaient tous les jours des corvées jugées humiliantes par
les hommes libres. Disséminés en petits détachements dans les différents postes, on
les voyait faire des besognes de propreté, arroser des jardins, conduire le bétail au
paturage. Bref ils faisaient «les corvées à la place des Blancs'». Les hommes libres,
pour qui la servitude représentait la suprême déchéance, ne pouvaient que prendre
leur distance vis à vis d'un métier où l'on risquait de les assimiler à des esclaves.
Dès sa nomination comme gouverneur du Sénégal en 1854, Faidherbe décida
de créer un corps d'infanterie indigène. Mais puisqu'aux soldats des premières
compagnies noires s'attachait une réputation malodorante du fait de leurs origines
serviles, Faidherbe envisagea de les en exclure. Toutefois il préconisa de les garder
au Sénégal comme auxilliaires en raison de leur attachement à l'autorité française.
Le décret du 21 Juillet 1857 ins'itua ce corps d'infanterie indigène sous la
dénomination de bataillon des Tirailleul's Sénégalais. Il devait être composé de 4
compagnies. Son effectif total était fixé à 522 officiers, sous-officiers et hommes de
troupe. Son recrutement se ferait par engagement volontaire. Sa durée serait de deux
ans et donnerait droit à une prime de 500 /mncs. Les rengagements étaient possibles, 5
hommes libres exclusivement. JI ne tarda pas à se heurter aux même difficultés, aux
même préjugés qui faisaient de la profession de soldat un métier particulièrement
déshonorant.6 Il y eut dans un premiel' temps beaucoup d'engagements volontaires
qui facilitèrent entre 1858 et 1861 la constitution de six compagnies au lieu des quatre
initialement prévues. 7
Cette période avait été marquét3 par une série ininterrompue de guerres avec
leurs cortèges de dévastations dont les effets avaient été rendus d'autant plus atroces
que des invasions de sauterelles avalent détruit les récoltes. La
crise alimentaire
poussa alors certains maîtres à laisser quelques uns de leurs esclaves s'engager dans
l'espoir de percevoir la prime de 500 francs supérieure alors aux prix courant des
esclaves de qualité. Dans ce climat de détresse, quelques homm~s libres, dépourvus
de tout, acceptèrent également de s'engager afin de ne pas mourir de faim.·
Avec le retour de la prospérité dans le pays en 1867 les hommes libres firent
montre d'une grande indiscipline. Le corps ne pouvait les conserver sans risque pour
la discipline. En revanche ceux qui étaient d'origine servile, habitués aux souffrances,
à la résignation ne remirent pas en cause leur nouvelle profession."
L'administration se trouva dans la nécessité de privilégier le recrutement par
rachat de captif. En 1876 Brière De L'I:,les porta la prime d'engagement de 200 à 240
francs dans l'espoir de voir les maÎtrt3S accorder à leurs esclaves l'autorisation de se
racheter à ce prix. Ce système permit de mettre au complet réglementaire l'effectif du
bataillon des tirailleurs Sénégalais. En 1881 il était de 840 hommes'o.
Les exigences des guerres de conquête, tant au Sénégal que dans le Haut-
Sénégal-Niger, furent à l'origine de la création du troisième bataillon des tirailleurs
sénégalais dont le noyau et l'administration furent transférés à Médine où l'on fit appel
pour le former "aux captifs bambare. rachetés sur place même parmi les prisonniers
d'Ahmadu.!..!.". L'administration avait ainsi "pour le Haut fleuve des hommes acclimen-
tés"". Grâce au succès dans le recrutement, le premier régiment des tirailleurs
sénégalais vit le jour en 1884.
iitlit
T~~ ~
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7 6 J
Dans ce corps la proportion 'des Sénégalais était faible. Bien que vaincu
l'élément guerrier refusait de se mel\\re au service du conquérant. L'emploi de ses
esclaves à la culture de l'arachide lui procurait le numéraire dont il avait besoin. Aucun
avantage matériel ne pouvait déracinel' les préventions des homme libres contre le
service militaire qu'on leur proposait :;GUS le drapeau français.
La plupart d'entre eux, appartenaient à la caste guerrière. Pendant la conquête,
la résistance qu'ils opposèrent aux er:vahisseurs s'éleva jusqu'aux sublimes dévoue·
ment. Leur bravoure admirable, leur folle témérité furent connues et vantées à
plusieurs reprises par leur ennemis, d() Faidherbe à Coronnat. Evidemment, ils se
ballaient pour l'indépendance de leur pays pour leur liberté et celle de leurs peuples
pour lesquelles aucun sacrifice n'étaitlrop grand.
Mais ces cavaliers ne pouvaient du jour au lendemain se transformer en
fantassins portant de lourds impédirnoanta. Leur fierté de guerriers leur interdisait
d'accepter celle reconversion. Le réçime militaire français était trop éloigné de leurs
conceptions guerrières pour qu'ils pussent s'en accomoder. En dépit de ces difficultés
l'administration coloniale entendait tirer parti des aptitudes guerrières des populations
sénégalaises. A défaut de pouvoir lus enrôler massivement dans le régiment des
tirailleurs Sénégalais, elle décida de constituer avec eux des troupes de réserve
susceptibles d'être employées sur lus théâtres d'opérations européens. Dans un
premier temps on décida de porter l'offectif de ces réserves à un régiment et un
escadron de spahis auxiliaires. En 1Sm? on le porta à 4.400 hommes pour le Sénégal.
Nous connaissons l'impact de Ge recrutement dans les cantons musulmans de
Kaki, Nomre, Guy Mbëll qui d'un commun accord refusèrent d'obéir aux ordres de
l'administrateur de Luga. Pour les ramener à l'obeissance il fallut y dépêcher une com-
pagnie de tirailleurs et un peleton de spahis."
L'habillement donnait aux réSI',rlistes une autre image d'eux·mêmes. De plus
les musulmans étaient dans l'incapacité d'observer strictement les heures de prière.
Ils ne pouvaient non plus se résoudw i\\ porter des armes en faveur d'une puissance
chrétienne. S'y ajoutait la répulsion qu'inspirait à toutes les populations libres le service
:~
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764
militaire traditionnellement perçu comme un métier pour esclaves. Quelles que fussent
les belles pages de gloire écrites par les tirailleurs sénégalais avec leur sang, ces
soldats issus de la servitude ne méritaiellt aucune considération aux yeux des hommes
libres qui les prenaient comme des esclaves au service des Blancs. Rien ne pouvait les
purifier de l'indignité qui s'attachait à leurs origines serviles et les hommes libres ne
pouvaient que refuser un métier où ils ne trouvaient que des hommes déjà maculés par
la souillure de la captivité.
Les préventions des hommes libres contre le métier militaire ne désarmèrent
pas les autorités coloniales profondément convaincues que les forces tirées de
L'A.O.F. pourraient jouer un rôle déterr:linant dans le conflit mondial dont l'imminence
était signalée par maints signes annonciateurs. Dès 1907 Mangin préconisa la création
d'une armée noire dont les camps seraient en Algérie et les rése~oirs en Afrique. Il
reprit cette idée en 1910 dans son livre FORCE NOIRE. 11 Y invitait le gouvernement à
procéder, dans ses possessions africaines, à un recrutement massif de soldats
indigènes. La présence de ces tirailleurs aiderait à atténuer la trop forte disproportion
existant entre la population allemande et celle de la France. 11 disait que 150.000 recrues
étaient possibles. 14 Ces recrutement devaient se faire sur une base non volontaire.
Ala demande du gouverneur général POnly, Mangin se rendit en A.O.F. en Mai
1910 pour évaluer les capacités militaire~; de la fédération. Aprés les palabres avec les
administrateurs il estima à 5763 recrues l'eHectif susceptible d'être annuellement
fourni par le Sénégal non compris la Casamance et la Haute-Gambie. Le nombre de
recrues du Haut-Sénégal-Niger était fî;<è à 19.30015•
Malgré les réticences de l'Etat-major françaisjPonty,chaud partisan du recru-
tement/put obtenir la signature du décret du 7 Février 1912 qui consacrait le projet de
Mangin. Cet acte instituait pour les Africains le service militaire obligatoire. Le recrute-
ment se faisait par voie d'appel et intéressait ceux qui étaient âgés de 20 à 28 ans. Son
objectif était de parvenir en quelques années à la formation d'une armée noire de
100.000 hommes.
765
La durée du service militaire étai:: de 4 ans. On conserva malgré tout le système
des engagements. C'est pour cela qu'on fixa à 160 francs la prime des appelés, à 240
celle des engagés. Les originaires des ouatre communes n'en bénéficaient pas.'6 Dès
lors apparut avec netteté le caractère intolérable de cette conscription qui frappait
surtout les sujets, individus dépourvus de tout droit. On leur imposait des obligations
militaires plus lourdes qu'aux citoyens ou electeurs l7 sans aucune contrepartie
morale. Puisqu'on les soumettait à une durée de service plus longue, il aurait fallu au
moins leur octroyer quelques droits e:1 compensation. Il n'en fut rien. Cette conscrip-
tion était perçue comme un instrument d'assimilation des populations. L'instruction
dispensée aux enfants était encore lacunaire et n'intéressait qu'une infime partie de la
population scolarisable. La formation par l'armée serait autrement plus efficace en
raison du large éventail de sanctions à la disposition de l'autorité militaire. En faisant
passer sous les drapeaux le plus grand nombre d'indigènes, on les rendrait à la vie
civile plus instruits plus disciplinés. Ils dr;;viendraient aussi d'incomparables agents de
diffusion de la langue française même s'ils n'en observaient pas les régies gramma-
ticales.
Le recrutement se faisait selon les coutumes locales. Mais ce procédé laissait
aux autorités indigènes un pouvoir tmp étendu qui laissait la porte ouverte au
chantage. Il ne permettait pas toujours une répartition équitable des charges du
service militaire. En fonction des liens (Je parenté ou des inimitiés, certaines familles
portaient la plus grande partie du lü'Jrd fardeau du recrutement. Il fallut dès 1913
rappeler aux administrateurs que les opérations de désignation des recrues récla-
maient leur intervention personnelle et l'exercice de leur contrôle vigilant.'6
En effet les administrateurs s'étaient contentés, une fois en possession du
chiffre de jeunes gens à lever dans leur cercle, de fixer le contingent de chaque
province ou canton, laissant aux chef:, iocaux le soin d'arrêter le mode de répartition
entre les villages. Pour éviter les réglernants de compte, il appartenait aux administra-
teurs de fixer le contingent à demander à chaque village ou groupe de villages et ce,
d'aprés le chiffre de la population.'· Dans la désignation des recrues, les chefs ne
prenaient en considération que les intérêts de ceux qui leur avaient donné des
cadeaux. Il
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es vrai que pour parer il
ln erven Ion al' Itralre
es c efs, certains
administrateurs avaient en recours au tirage au sort. Ce procédé, avec ses aléas,
"'t'l"'<::
n'était pas exempt de critiques. Fin;ilfTment on demanda aux chefs de famille, de
chaque circonscription de recrutement, de se réunir et de désigner soit les familles
appelées à fournir un homme soit ce~5 hommes mêmes20". L'action des chefs de
canton se limitait désormais à fixer le!; délais dans lesquels les familles étaient tenues
de désigner les hommes." Les villag€os, considérés comme responsables des insou-
missions, étaient tenus de remplacer les insoumis dans le délai fixé par le commandant
de cercle et de verser aussi la prime au remplaçant.
Les recrutements de 1912 et de 1913 selon les dispositions du décret du 7
Février 1912, donnèrent lieu à beaucoup d'excès. Les populations étaient confron-
tées, pour la première fois, à une conscription sur une grande échelle. L'autorité se
rendit compte que le loyalisme des populations dont elle parlait dans ses rapports,
n'était que de surface. L'immense majorité de la population était hostile au recrutement
qui n'avait rien de commun avec ses habitudes. On recourut à la contrainte pour
obtenir les chiffres fixés.
Dès le début du recrutement, ""S jeunes gens s'enfuirent dans la brousse avec
des armes, prêts à engager le comb;;.t :::ontre leurs poursuivants. Les commandants
de cercle prirent en otage les notables des principaux villages qu'ils savaient de
connivence avec les fugitifs. Aprés plusieurs jours de captivité de leurs parents,
certains fugitifs acceptèrent de se soumettre pour obtenir leur libération. Beaucoup
d'insoumis du Siin et du Salum émig;èrent en Gambie anglaise."
Partout le désarroi des populations était total. Elles ignoraient l'effectif des
recrues qu'on devait enrôler. Ce silence des autorités fut adroitement mis à profit par
les adversaires du recrutement qui véhiculèrent les chiffres les plus fantaisistes. Les
administrateurs tinrent beaucoup de palabres pour dissiper cette émotion. Rien n'y fit.
Les populations demeurèrent réfractaires à la conscription. En 1912 et 1913 les
Sénégalais recrutés par voie d'appel furent 2160 recrues sur les 16290 fournies par
L'AO.F."
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7 6 7
Cette hostilité évidente des populations vis à vis du recrutement, contraignit
Ponly à privilégier à nouveau ,des engagements volontaires et les rengagements qui
devaient demeurer comme par le pa\\;sé le moyen essentiel et le mode le meilleur de
recruter les tirailleurs2'». L'appel n'était plus qu'un procédé accessoire pour fournir le
complément de recrues. Pour lui le succès de la politique du gouvernement colonial
se mesurait au nombre des engagements volontaires.25
De prime abord ces engagements étaient comme l'expression de l'adhésion
des populations au cadre de vie nouvellement crée par la France. L'enrôlement
volontaire était une rupture avec la I.radition locale. Il conduisait les engagés à de
nouvelles formes de vie qui faisaient d'eux des agents conscients ou non de la culture
et de la civilisation françaises. A la réfle~ion ces engagements traduisaient l'échec de
la politique économique et sociale du fjouvernement colonial. Ne s'engageaient en fait
que les esclaves dont les maîtres étaient attirés par la prime d'enrôlement.
Quoiqu'il en fût, le nombre des engagements et des rengagements fut si élevé
en début de 1914 que certaines opéréltions des commissions mobiles furent ajour-
nées. On prit toutefois la précaution de dire aux chefs indigènes qu'en cas de besoin
on aurait à nouveau recours au recrutement par voie d'appel. 26
Ce répit fut de courte durée. Dès le déclenchement de la première guerre
mondiale, intervenue quelques moi~; plus tard, la France fit largement appel au
concours de L'A.O.F. Le recrutement reprit avec une intensité particulière. Les
Indigènes furent contraints de payer «1 'irl1pôt de sang». S'il était légitime de l'exiger des
citoyens français qui bénéficiaient dl3 tous les avantages qui s'attachaient à cette
qualité, il était en revanche difficile de le demander aux sujets qui ne connaissaient de
la colonisation que les abus des chefs et l'autoritarisme sans borne des commandants
de cercle. Quel enthousiasme pouvaj,3I1t-ils manifester dans l'accomplissement d'un
devoir qui n'était pour eux qu'une CO!V3e supplémentaire?
Les nécessités de la défense de la France prévalurent sur toutes ces considé-
rations. Comme sous le régime du clécret de 1912, on procéda à la levée des
contingents demandés par l'Etat-Major. Ceux qui étaient encore taxés de barbarie, de
L
,
768
sauvagerie furent immédiatement prorr',us «au grade suprême de défenseurs du droit
et de la liberté dont ils étaient eux mêrT~e§ dépourvus27»,
On rétorquera, peut-être, que la France avait mis fin aux pillages dont étaient
victimes les badolo qui jouissaient partout d'une sécurité. Les indigènes avaient donc
contracté vis à vis de la France des devoirs en contrepartie de l'amélioration qu'elle
avait apportée à leur existence. Mais IJne chose était sûre, c'est que les indigènes
n'avaient pas conscience de cette dette, et c'était pour cela que dans leur immense
majorité ils refusèrent les charges militaires que l'administration décida leur imposer.'·
A compter d'Août 1914, on comm3nça à recevoir les engagements volontaires
sans limite de nombre. Les déficits de la mobilisation obligèrent, dès Septembre, à
recourir au recrutement par voie d'appel. On assouplit la durée du service qui fut
ramenée à deux ans au lieu des quatre ,::wévus et les engagements vplontaires étaient
également acceptés pour deux, trois ou quatre ans. Sur les 9800 appelés que fournit
l'A.O.F. entre Septembre et Octobre 1S14 le Sénégal en donna 1400. S'il fut exempté
pour le recrutement de Décembre il dut livrer 1.000 recrues en Février 1915 et 800 en
1915 sur les 5500 ordonnés pour l'A.O.F.29 En définitive entre Août 1914 et Octobre
19151e Sénégal avait contribué pour 3200 recrues sur les 29.655 enrolés.JO
Ces troupes se battirent avec un courage et une abnégation admirables,
justifiant du coup tous les espoirs que les coloniaux avaient placés en elles. Aussi
l'autorité militaire demanda t'elle de poursuivre sans arrêt le recrutement des soldats
indigènes pour faire face aux besoins sans cesse croissants en hommes d'une
sanglante guerre d'usure. Dès Septembre 1915, sous la pression de l'opinion publi-
que, et des nécessités militaires, on prit des mesures pour intensifier le recrutement
indigène par voie exclusive d'engagement volontaire."
Le gouvernement était en effet convaincu que des compensations pécuniaires
étaient à même de faire disparaître le~ préventions des indigènes contre le recrute-
ment. Dès le 9 Octobre il prit un décret disposant que les indigènes de l'AO.F. qui
n'étaient pas sous les drapeaux, étaient admis à contracter, à partir de l'âge de 18 ans,
un engagement pour la durée de la guerre. Cet engagement leur donnait droit à une
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7R9
prime de 200 francs payables à la signature de l'acte. Il était pareillement accordé une
allocation mensuelle de 15 francs aux familles nécessiteuses des tirailleurs recrutés.
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CelleS, dont les enfants étaient tués à l'ennemi percevaient une allocation annuelle de
120 francs. JZ Dans le même ordre d'idée le gouvernement décida de répartir, sous
forme de secours pécuniaire, une somme de 500.000 francs aux collectivités indigè-
nes, «proportionnellement au nombre de tirailleurs volontairement engagés», selon les
dispositions du décret du 9 Octobre 1915.
Les allocations pécuniaires et les autres avantages matériels étaient insuffi-
sants pour attirer massivement les engagés sous les drapeaux. Les Africains savaient
que la guerre consommait beaucoup de soldats. Ils ne se faisaient pas d'illusion sur
les minces chances qu'ils avaient d'en revenir indemnes. Les avantages matériels,
qu'on faisait miroiter devant eux, étaient sans valeur, puisqu'en s'engageant, ils
n'étaient pas certains d'en tirer un quelconque avantage. Le gouvernement n'en était
pas dupe. C'est pour cela qu'il recommanda aux autorités locales de ne pas exercer
de pression sur les indigènes afin d'éviter «tout mécontentement de la population
pouvant compromettre la sécurité de la colonie qu'il importait de maintenir"».
Sur les 50.000 hommes que ce recrutement devait fournir la part du Sénégal fut
fixée à 5.500. Mais le nombre de ses recrues atteignit finalement 750634 •
Le recrutement ne garda pas iongtemps son caractère de libre appel qu'on
envisagea de lui donner. Car, à défaut de volontaires, on fit de l'enrôlement forcé. Les
recrues furent toutes incorporées d'office comme si le décret du 7 Février 1912 était
encore applicable. Les nécessités de la défense de la France justifiaient cette violation
des textes réglementaires. Tous les enrolés furent considérés comme des engagés
volontaires. Certes ils reçurent les avantages pécuniaires qui leur étaient dus. Mais ils
gardaient au coeur la morsure des humiliations qu'on leur fit subir dans cette terrible
chasse à l'homme. Plus grave, encor!:. les allocations promises à leurs familles, furent
finalement distribuées, comme primes, aux agents recruteurs c'est à dire aux chefs
indigènes et à leurs collaborateurs au prorata des hommes qu'ils avaient fait incor-
porer.JS
~
~
770
La révolte du Dédugu en Haut,~-Volta et les ré~itances multiformes au recrute-
ment, administraient la preuve que h~ilngin et Ponty, les principaux promoteurs de
l'armée noire, s'étaient trompés sur la prétendue affection des indigènes pour le
service miiitaire.J6 Les millions débloqués par la France pour les apâter par des primes
et des secours pécuniaires ne leur firent pas changer d'avis.
La raison fondamentale du succès de ce recrutement résidait dans l'incorpo-
ration des originaires des 4 communes de plein exercice réputées jusqu'alors lieux
d'asilelcar leurs enfants n'étaient pa;; encore assujettis au service militaire pour des
raisons indépendantes de leur volon:'i Dès le déClenchement des hostilités le conseil
général, réuni en session extraordinairr: demanda aux autorités de procéder immédia-
tement à la mobilisation des indigènes des quatres communes. Mais les originaires se
considérant comme citoyens français entendaient ne servir que dans les unités
métropolitaines.J7 Le gouverneur Antoletti insista pour qu'on leur appliquât les dispo-
sitions du décret du 7 Février 1912 en substituant le tirage au sort à la désignation des
recrues par les notables.J8
Les originaires ne voulaient pas de cette prime qu'on offrait aux non citoyens.
Ils acceptaient de payer l'imp6t de sang mais dans les mêmes conditions que les
autres citoyens français. Ils refusèrent de servir dans le corps des tirailleurs qui
accomplissaient certes des prodiges de valeur mais qui n'en étaient pas moins «un
corpsde mercenaires""». De plus étant journellement témoins des mauvais traitements
qu'on infligeait à ces sujets, ils «n'ét,lient nullement disposés à les subir'°».
En effet les brutalités révoltôltes qu'on employait pour «apprivoiser» les ti-
railleurs étaient connues de tout le monde. Elles expliquaient en partie la peur
qu'inspirait le service militaire. Les originaires savaient aussi qu'en s'engageant, ils ne
seraient jamais admis dans les unités métropolitaines, et s'ils venaient à mourir, ils
n'auraient laissé à leurs veuves et à leurs enfants aucune pension. Car ils auraient été
assimilés à de vulgaires mercenaires.''' Ils avaient toutes les raisons de considérer
comme une déchéance le fait d'êtrE: incorporés dans le corps des tirailleurs.
.•.~ ,.
Les originaires refusèrent de s;~;oumettre aux dispositions du décret du 26 Avril
1915 qui les autorisait à s'engager poyr la durée de la guerre dans le corps sénégalais
de L'A.O.F. Il n'y eut qu'un seul engaçlement. C'était la preuve que les habitants des
quatre communes n'entendaient ser"ir que dans les mêmes conditions que les
Français de la métropole. 42 Les effort; de Blaise Jaan furent finalement couronnés par
la loi du 19 Octobre 1915 instituant II'! :;ervice militaire obligatoire pour les originaires
dans les conditions prévues par la loi .d·J 21 Mars 1905 et du 7 Août 1913. Elle précisait
que les originaires seraient incorpol'és dans les troupes françaises et soumis aux
mêmes obligations et avantages. 4J
La loi fut accueillie avec anthousiasme par les jeunes Sénégalais qui formaient
le fer de lance de la lutte pour l'acquisition pleine et entière de la citoyenneté française.
Elle consacrait en principe leur assimilation aux citoyens français. En revanche les
vieillards dont rien n'avait pu détruire: la vigueur de l'attachement aux traditions
ancestrales y virent une innovation dangereuse pour leurs enfants qui risquaient de
revenir déracinés de leur aventure e:-:tra africaine.
L'administration n'accepta qU'El son corps défendant cette loi qu'elle jugeait
trop génereuse pour les originaires. P,ussi lui donna t-elle une interprétation restrictive
en déclarant que le mot originaire ne concernait que ceux qui étaient effectivernent nés
dans le périrnètre des communes et r;·xcluait donc du bénéfice leurs descendants nés
ailleurs.
Beaucoup d'enfants d'originairas étaient dans cette situation. Leurs parents,
souvent traitants, avaient eu à s'établir dans les escales et les postes ouverts au
comrnerce français. Blaise Jaarî fit sauler ce verrou qu'on leur opposait par le vote de
la loi du 29 Septembre 1916 accordant la qualité de citoyen à tous les originaires et à
leurs descendants."
L'incorporation de ces originaires ne fut guère aisée. En quelques mois il fallait
recenser les hommes de 27 classes ~1889-1917). L'état-civil manquait souvent de
documents, et souvent, on constatait IJlldéfaut de concordance avec l'état de fait chez
de nombreux originaires qui portaient ",jans la vie un nom différent de celui sous lequel
;
~
772
ils avaient été déclarés à la mairie. 45 .,S~ dépit de ces obstacles on put achever les
opérations d'incorporation des qU8tre classes de "active avant le 31 Décembre 1916.
';t:..r
Puis on s'OCCUpél des résorvistes ct d'3:' territoriélux qui furent tous sous les dré1p08UX
dès Avril 1917.
Les indigènes non inscrits S'.lr les régistres des mairies mais réputés, de
notoriélé publique, natifs des communes furent également incorporés en attendant
que les tribunaux statuassent sur leu,' etat-civil. En Novembre 1916,2386 jugements
contradictoires, les concernant, furent rendus par los tribunaux.'G
En application de la loi du 19 Oc,obre 1915,6500 originaires furent incorporés,
non compris ceux qui appartenaient il la réserve territoriale. Leur instruction eut lieu à
Kees et à Dakar. Comme ils le souhaitaient leur contingent fut incorporé dans
l'infanterie et non dans le corps des tirailleurs sénégalais."
La contribution des chefs des confréries musulmanes fut également décisive
dans le succès de ce recrutement. Nous savons que depuis le début de la conquête,
les marabouts avaient manifesté et 30uvent les armes à la main, leur hostilité à la
présence française dans le pays. Aussi "administration coloniale les avait-elle tenus en
suspicion en exerçant contre eux une ~;urveillance souvent tracassière. Leur prosély-
tisme finit par convertir à l'islam tous ceux qui avaient des griefs contre les conquérants,
et ceci, d'autant plus facilement que ',E; cadre traditionnel se désagrégeait de jour en
jour et jetait le désarroi le plus comp'et parmi les indigènes, La nomination de chefs
étrangers pour des raisons purement administratives acheva de détourner les autoch-
tones de l'administration au profit du GOux qu'ils prirent alors comme les nouvelles
incarnations de l'autorité légitime à o;lvoir les marabouts. L'islam était devenu le pôle
vers lequel convergèrent toutes les oppositions à la présence française.
L'administration coloniale prit alors des mesures persécutrices contre les
confréries qui lui disputaient le contrôle des populations. Des dispositions particuliè-
rementsévères frappèrent la confrérie rnouride à laquelle avaient massivement adhéré
les cadres de la vieille aristocratie qU':lrrière naturellement hostile à l'établissement
militaire et politique de la France da,',s leur pays. C'ost pour cela que dès la mise en
~
773
application du décret du 7 Février 1912,,18 gouverneur Cor demanda aux administra-
teurs, de rechercher, en priorité dansl13s milieux mourides, tous les jeunes gens
adeptes de Cheikh Samba, On les considérait comme un danger pour la présence
française.'·
Ces directives furent appliquées par les administrateurs qui pensaient arrêter
la trop rapide progréssion de ce mouvement. Le commandant du cercle du Kayoor fit
enrôler 40 mourides sur les 76 recrues du cercle de Tiwawan. '9
L'autorité avait oublié que les mesures coercitives sont puériles quand elles
frappent des individus solidement ancrés dans leur foi. Sous les drapeaux les mourides
mirent sur pied une organisation parallèle, avec ses chefs auxquels obéissaient les
adeptes en dehors dece qui était strictement militaire. N'était-il pas dangereux d'initier
au maniement des armes modernes, des hommes qu'on faisait pas~er pour les pires
ennemis de la France?
Le risque était réel, mais l'administration ne pouvait l'éviter dans un premier
temps. Sinon elle aurait contribué à accréditer l'idée qu'il suffisait d'être mouride pour
échapper au recrutement.
On s'aperçut que les inconvénients étaient plus nombreux que les avantages.
On risquait en effet de concentrer dans un même corps de troupes un grand nombre
d'adeptes de la même confrérie où ils pouvaient facilement créer un centre de
résistance, voire d'indiscipline. Dès 1913 on cessa de les considérer, lors des
recrutements, comme un groupe spécial sur lequel les recruteurs devaient focaliser
leur attention. 50
Au lendemain de la déclaration de guerre les adhésions des jeunes gens se
multiplièrent partout, encouragées par les chefs de famille. Le répit apporté au
recrutement spécial des mourides avait donné une plus grande intensité au courant
qui les conduisait vers cette confrérie. L'administration avait la force avec elle, mais son
absence de légitimité lui avait ôté l'affection des populations. L'expérience lui prouva
~tt·cfI'"'-
que les chefs administratifs sur lesqueis elle entendait appuyer son .,~ ne
~
774
bénéficiaient d'aucune considération. L'autorité légitime était détenue par les mara-
bouts. C'était à eux qu'elle devait s'adresser pour avoir des soldats.
.
-. i
Elle se résigna à le faire dès 1915 tout en le regrettant. L'autorité extra
administrative de El Hadj Malick Sy de Cheikh Samba et de leurs branches annexes
permit de trouver dans les pays de protectorat les effectifs souhaités. s.
Ce grand recrutement vit l'incorporation de 7506 personnes et fut immédiate-
ment suivie de trois autres de moindre ampleur. Pour le premier recrutement qui eut
lieu entre le 15 Avril et le 15 Novembre 1916, les indigènes eurent le choix entre le
régime prévu par le décret du 7 Février 1912 relatif au corps de L'Afrique occidentale
française, et celui du 9 Octobre 1915 dont les recrues étaient destinées pour l'extérieur.
Sur les 2213 enrôlés fournis par l'A.O.F., 300 tirailleurs étaient originaires du Sénégal
dont 63 volontaires. s2
Le second recrutement intermédiaire se déroula de Novembre 1916 à Avril
1917.11 devait se faire exclusivement sous le régime du décret du 9 Octobre 1915. Les
recrues devaient être acheminées de toute urgence en France aprés un rapide
dégrossissement. L'effectif de ce continuent fut fixé à 12.000 hommes et le Sénégal en
fournit 1783 au lieu des 1500 initialement prévus.53
Enfin en Mai 1917 eut lieu un autre recrutement sous le régime du décret du 7
février 1912. Le Sénégal devait fournir 400 hommes qui, en principe, seraient en priorité
employés à la défense des possessions africaines de la France. Les arguments
développés par le gouverneur du Sénégal, pour demander de sursseoir à ce nouveau
recrutement, furent balayés par le gouverneur général qui déclara que les intérêts
français devaient "primer sur toutes les autres considérations54».
Les chiffres d'incorporés obtenus depuis 1912 ne doivent pas faire illusion sur
le prétendu loyalisme des populations. C'était par la force qu'ils furent obtenus. Sauf
quelques rares exceptions, les populations se montrèrent tout à fait réfractaires,
hostiles au recrutement. Cette hostilité Qagnait en intensité à mesure que les opéra-
tions se multipliaient. Les autorités coloniales virent, dans le comportement des
1 t·
d ' d'
d
, " , , "
!JI.
7 7 5
popu a Ions, es ln Ices e contestation qUI pouvaient a tout moment s'extononser en
soulèvement généralisé comme ceux :jui eurent lieu dans le Dédugu.
Que faire pour dissiper ces inquiétants symptomes du mécontentement des
autochtones? A l'unanimité, les autorités coloniales préconisèrent l'abandon du
recrutement dont la poursuite risquait j'ouvrir de nouveaux foyers de guerre dans la
fédération. Cette solution fut adoptée avec la nomination d'un nouveau gouverneur
général, Van vollenhoven qui obtint, du gouvernement français, que la contribution de
L'A.O.F. à l'effort de guerre fût désormais essentiellement économique. Il confirma
cette nouvelle orientation de la politique française dès son arrivée à Dakar le 3 Juin
1917.55
Contre toute attente le gouvern9ment français décida de procéder à un autre
recrutement intensif pour trouver une certaine compensation au lendemain de l'effon-
drement du front russe. Van Vollenhoven en fut informé dès le 18 Décembre 1917.
Cette reprise du recrutement était accompagné d'une série de mesures dont la plus
spectaculaire était l'envoi en mission en A.O.F, d'un commissaire de la République
investi de pouvoirs spéciaux, le député Blaise Jaan. Van Vo/lenhoven jugea inoppor-
tune cette mission, inconciliable, à ses yeux, avec celle qu'il assumait. Il démisionna
le 22 Janvier 1918 et reprit sa place de capitaine dans le régiment d'infanterie en sevice
au front.
Le recrutement confié à Jaari devait se faire par voie d'appel. " intéressait les
jeunes gens âgés de 18 à 35 ans. Il était également étendu à L'A.E.F.. Toutefois les
appelés bénéficieraient des avantages de toute nature accordés aux engagés volon-
taires. 56 Ils auraient les mêmes soldes et une prime d'incorporation égale à la prime
d'engagement. Les familles des appelés seraienttraitées de la même façon que celles
des engagés volontaires. Le gouvernement avait conscience que les Africains ne
voulaient plus du service militaire. Il fallait les y contraindre en leur donnant les
avantages accordés aux engagés volontaires. Ils étaient exemptés de l'impôt et des
prestations en nature pendant la duréa de la guerre ainsi que leur famille. 57 Les
militaires ayant servi pendant la durée de la guerre et qui étaient décorés de la Médaille
"g
7'
militaire ou de la croix de Guerre puurraient, sur leur demande, "
-
1"
7
etre natura Ises
6
'f. .'~
français. 56
Cette disposition existait depub '1912 et n'avait cependant pas provoqué une
révolution dans le comportement des indigènes face à la conscription. Eu égard aux
avantages accordés aux citoyensfertains sujets demandèrent eux aussi à bénéficier
du régime octroyé aux originaires.59
Malgré les appâts promis aux appelés, le gouvernement n'en craignait pas
moins des soulèvements. Des instructions précises invitèrent les autorités locales à
recourir à des procédés pédagogiques pour faire comprendre aux indigènes le sens
des sacrifices qu'on leur demandait et él8savantagesqu'ils en tireraient. De la méthode
employée pour ce recrutement, dép'3ndait la tranquilité de la colonie. Le ministre
déclara que les récompenses iraient a~x administrateurs de cercle qui fourniraient les
meilleurs résultats dans le recrutement tout en parvenant à maintenir le calme dans
leur circonscription. Le recrutement rte devait plus apparaitre «comme une rafle
analogue aux cruelles incursions de,; anciens Sofas, mais au contraire, comme le
paiement d'un impôt de sang considéré... comme un honneur et un devoir'"'». Les
autorités locales devaient insister lors t:e leurs palabres sur la portée des réformes.
Toutefois l'essentiel relevait de Blaise Jaari. 11 lui appartenait de dire à ses
compatriotes ce que la France attendait d'eux, qu'en contrepartie/prés la victoire)a
France saurait récompenser les services qu'ils lui auraient rendus G'
L'envoi de Jaari donna lieu à dm; critiques trés violentes. Cette promotion d'un
Noir au rang de gouverneur général (jéplut profondément à tous ceux qui étaient
habitués à dire que la place normale des Noirs était en bas de l'échelle sociale. Cet
exemple enhardirait ceux qui, dans les quatre communes, ne cessaient de réclamer
l'assimilation et la stricte égalité qu'eile postulai!."2
Blaise Jaari reprocha aux critiques de ne voir dans les colonies qu"'un vaste
champ de leurs exploits d'intérêts mEsquins et particuliersSJ". Le député avait à coeur
de prouver qu'il était qualifié pour aPI)orler la bonne nouvelle à ses compatriotes, de
fournir les soldats demand~sans pOul' autant provoquer des troubles dans le pays.
777
Pour aider le député dans sa mission de propagandiste pour le recrutement, on
mit à sa disposition 400 gradés ou tirailleurs dont 75 furent affectés au sénégal pour
administrer à leurs compatriotes la preu'Je qu'on pouvait revenir de la guerre autrement
que mutilés.54
Blaise Jaari arriva au Sénégal/El 12 Février 1918. Il eut plusieurs rencontres avec
les chefs religieux, les vieux cadres de la société et les chefs en activité pour leur dire
que le sacrifice que la France demandait aux autochtones lui créait une lourde dette
dont elle saurait s'acquitter pleinement aprés la victoire. Il ne se souciait plus de savoir
si la contribution exigée de ses comr::atriotes était compatible avec la situation réelle
de leur pays. Pour lui la France était en danger, qu'ils le voulussent ou non c'était leur
patrie, ils devaient donc participer de toutes leurs forces à sa défense.
Il fut aidé dans sa mission par sa parfaite connaissance de la mentalité des
populations, complétée çàet là par quelques actions d'éclat contre les Européens. Aux
chefs il rappela que la tradition leur fai:;ait obligatoin de marcher en tête, suivis de leurs
sujets. Leurs ancêtres avaient toujours agi de la sorte et n'avaient jamais besoin pour
constituer leurs armées, de procédel" à des rafles. Ils donnaient à tous l'exemple du
courage, de la dignité et de l'intrépicJilé dans les moments difficiles. Ils ne s'étaient
jamais dérobés à l'heure du sacrifice. C'est pour cela que leurs sujets les entouraient
de beaucoup d'affection et de considération et acceptaient, de bonne grâce, de les
suivre sur le chemin de l'honneur.
Il invita les chefs à donner l'exemple en se faisant enrôler. C'était la seule façon
d'apaiser l'agitation qui avait gagné les jeunes qui, à l'annonce du recrutement,
s'étaient spontanément dissous darls la nature. Les villages s'étaient vidés de leurs
hommes valides. Pour arracher leur accord illeur fit savoir que ne seraient désormais
nommés chefs de canton que ceux qui.auraient fait le service militaire. La France ne
pouvait plus confier des postes de responsabilité à ceux qui, dans les moments
difficiles qu'elle traversait, n'étaientAle~ animés d'aucune foi patriotique.
Ces mots eurent l'effet désiré. Les chefs en âge de porter les armes s'engagè-
rent. Ceux qui étaient trop âgés dùs.ignèrent leurs fils ou leurs neveux. La vieille
....
,
',.
-
77r(
aristocratie en profita pour essayer dE: reconquérir ses places perdues. Au moins une
centaine de membres de la vieille chelferie fut enrolée. On y remarquait Mahecor Juuf
frère du buur Siin, Mbaxaan Joop fils dtJ Lat-Joar, Souleyman Njaay cousin de Buna
burba Jolof. Pour maintenir la hiérarClie avec leurs sujets on leur donna des grades
allant du lieutenant à caporal.65
Au cours de ses déplacement~;, Blaise Jaari fit preuve d'une extrême sévérité
contre les Européens qui lui manife~taient tant soit peu d'hostilité. Il les fit enrôler
d'office s'ils remplissaient encore les normes pour le service armé. A Khombole il fit
incorporer le chef de subdivision qui aV3it refusé d'assister à son accueil. Devant les
foules médusées il contraignit sa femmJ à lui nettoyer les chaussures.56 Ce spectacle
frappa leur imagination. Car c'était la :.11 emière fois qu'un Noir humiliait publiquement
un Blanc sans subir le contre coup de la répression. Ses propangansistes disaient qu'il
était le maître absolu du pays que dev;:lr ê lui les administrateurs qui semaient la terreur
tremblaient de tous leurs membres. Seo pouvoirs exorbitants furent facilement inter-
prétés par ses compatriotes comme la revanche des Noirs sur les Blancs.
Blaise Jaari exploita habilemf.>rlt ses coups de colère contre les autorités
européennes en faveur du recrutement. Lors de ses palabres avec les notables
indigènes, il ne cessait de leur répéte: que la guerre marquerait la fin de l'hégémonie
blanche dans le pays. Pour avoir accepté les mêmes devoirs, subi les mêmes
souffrances, ils auraient, aprés la victnire, les mêmes droits que les Français.
Que ces promesses de Blaise ,JaaIÎ fussent conformes à l'idée qu'il se faisait de
la France n'est guère contestable. Dans ses différentes interventions au parlement ou
ailleurs, il ne cessa jamais de plaider pC)'.Ir une politique d'assimilation totale et entière
pour ses compatriotes. Car il était convaincu que c'était là que résidait leur salut. Pour
lui la guerre, au cours de laquelle, les .~,fricains avaient abondamment versé leur sang
pour la France devait être l'occasion idéale de réorienter l'action coloniale de la
métropole «vers les grands achevf) T.•3nts de justice conformes aux aspirations
profondes des populations noires et (lUX plus anciennes traditions de la France6]».
t, .1\\-
Pour L'A.O.F. le contingent fut fixé à 47.000 hommes dont 7.000 pour le
Sénégal. Le recrutement commençe. en Mars et se poursuivit jusqu'en Mai.68 La
contribution du Sénégal fut en définiti'/B de 7880 dont 1797 volontaires.59 Pour l'en-
semble de L'A.O.F. et de L'A.E.F. le contingent enrôlé s'éleva à 63.378. Mais Blaise
donnait le chiffre de 75.000 dans Uil article du Midi Colonial et Maritime du 12
Septembre 1918.
Pour qui ne considère que les chiffres, le recrutement opéré par Blaise Jaari était
un succès incontestable. Il s'en attribuEde mérite, pour avoir su convaincre par la parole
ses frères de race à accomplir "leur devoir». Ils acceptèrent de le faire sans rechigner
dès qu'il surent que c'était un Noir comme eux qui présidait à l'opération. Le résultat
fut que le recrutement se déroula "paisiblemenfo». Dans la lettre qu'il envoya au
président du conseille 31 Juillet 1918, à la fin de sa mission, Jaari dis~it qu'il avait sauvé
son "pays en lui apportant des soldat~, et... sa race parce que la France ne (pourrait)
jamais dire que les indigènes (n'avai~nt) pas répondu à l'appel de la patrie com-
mune?'». Ils avaient ainsi acquis la pleine sollicitude de la Métropolen
Mais comme les recrutements précédents, celui de 1918 se déroula sous le
signe de la violence dont les excès rappelèrent même ceux de la traite négrière. Aucun
administrateur, aucun chef indigène ne voulait se montrer moins zélé que son voisin.
Ils entendaient prouver qu'ils tenaient bien leur circonscription, que leurs administrés
leur étaient dociles. Pourtant on vit, pour empêcher les désertions, les recrues attachés
les unes aux autres au cours du voyagE vers le centre de rassemblement. Des femmes
et de paisibles voyageurs furent pillüs sur les routes. Si l'on en croit le Journal
l'Indépendant Sénégalais "des portes furent enfoncées de nuit, des femmes et des
vieillards mis en état d'arrestation pmJr avoir des recrues. Des greniers de mil
séquestrés73» pendant que les familles mouraient de faim. Des malles furent cassées
et le contenu emporté. Si malgré cette répression les insoumis ne se présentaient pas,
leurs parents étaient "garroté et exposés au soleil74». On est en droit de se demander
si ces cruautés inutiles n'étaient pas ~:pécialement recommandées par les autorités
supérieures qui, en contraignant les indigènes au soulèvement, auraient prouvé
l'erreur du gouvernement de recourir [Jour cette tâche à un Noir nullement qualifié à
'''~J'
7'Q'O
leur yeux pour l'exécuter correctem'.~I'll. Certes il n'y eut pas de résistance collective
organisée pour s'opposer au recruterr,ent, mais pour n'être pas moins spectaculaire
l'opposition au service armée n'en était pas moins nette.
On pouvait penser que les recrutement intensifs s'achèveraient avec la fin de
la guerre. Il n'en fut pas ainsi. Dès 1919 Clémenceau réintroduit la conscription en
Afrique. La France avait besoin de nombreuses troupes coloniales pour faire face à ses
nouvelles responsabilités. Immédiat'3rnent aprés l'armistice le gouvernement subit
des pressions de la part des groupes économiques qui avaient besoin d'une nom-
breuse main- d'oeuvre. Les démobilisés devaient être remplacés par les troupes
coloniales dans l'occupation des zones industrielles de l'Allemagne jusqu'au paiement
des dommages de guerre que lui avait3nt infligés les traités.lllui fallait aussi des troupes
pour les anciennes colonies allemandes du Kamerun et du Togo ainsi que pour les
territoires de l'empire Turc qui lui échurent comme colonies sous'mandat. Pour ces
raisons une grande partie des troupes coloniales ne fut pas démobilisée àla cessation
des hostilités. 75
Les recrutements se firent sous le régime de l'appel au lieu de l'engagement.
La solde des appelés était moins importante que celle des engagés'· et l'expérience
avait montré toutes les préventions des Africains contre le service militaire. Ainsi, même
en période de paix, la conscription continuait de traumatiser des populations. Le
recrutement de 1919 fournit 37.600 soldats et celui de 1920,23.195. Les mêmes
méthodes demeuraient encore en vigueur."
La chasse à l'homme fut le mO'lHn normal de se procurer les soldats. Ceci était
d'autant plus paradoxal que la plupar1 des peuples de l'Afrique de "Ouest étaient
devenus du fait de la traite négrière, düs peuples guerriers. Il a fallu à la France plus d'un
demi siècle de difficiles conquêtes pour venir à bout de la résistance Sénégambienne.
Au moment où s'opéraient ces recrutements, les Joola et les Conagi n'avaient pas
encore déposé les armes. Devant cet1e force extérieure qui menaçait leur indépen-
dance les dirigeants trouvèrent les ressources morales qui les conduisirent souvent
jusqu'aux plus grands sacrifices. Il en t'ul de même pour les marabouts convaincus que
la victoire du conquérant entrainerait la christianisation de leur pays. Eux aussi se
. -:-""-
,.
P
781
battirent avec un grand désintérressen)e[1t pour la cause de leur religion, mus par la
certitude des félicités éternelles.
Ce même peuple dont les traditions orales sont saturées de hauts faits de
guerre, décida cependant de se soustraire au service armé que la France lui imposa.
L'explication de cette désaffection subitn du métier des armes fut alors sommairement
trouvée dans la sécurité instaurée dan:> le pays par la France, et qui permettait aux
indigènes de jouir pour leur personne et pour leurs biens d'une relative sécurité. C'était
donc ce climat de paix qui aurait détruit leurs qualités guerrières et qui leur faisait
préférer leur indépendance, leur tranqllillité et leur terre à l'existence aventureuse de
soldat.'·
Ces développements étaient insu:fisants pour expliquer ce refus des popula-
tions de faire le service militaire. Si le conquérant avait supprimé le pillage des Ceddo,
les populations n'en subissaient pas moins le poids de charges fiscales aussi lourdes
que les exactions dont ils étaient naguère victimes. De plus le régime administratif
auquel ils étaient soumis avait aboli toutes les libertés auxquelles ils étaient habitués
avant la conquête. Le régime d'exception de l'indigénat leur rappelait à tout moment
que c'étaient des êtres privés de tout droit et tenus d'obéir aveuglément aux ordres
qu'on leur donnait. Dans la distribution !;(JS sanctions, les administrateurs ne tenaient
compte ni de l'âge ni du statut. Les indiÇlènes étaient victimes d'humiliation quotidien-
nes. Dès lors ils ne pouvaient qu'être sceptiques quand on leur parlait de leur
appartenance à cette patrie française qui ne leur reconnaissait aucun droit. La guerre
qui laminait la jeunesse française leur étaittotalement étrangère. Aucune foi patriotique
ne les traversait. Leur préoccupation éta;t de continuer de vivre paisiblement aux foyers
de leurs ancêtres.
La politique indigène menée par "administration était responsable de cette
cassure. Elle avait accumulé partout des rancoeurs tenaces qui se traduisirent par une
profonde hostilité vis à vis de l'autorité française. Les appâts pécuniaires, les beaux
discours lors des palabres avec les c~le;3 ne purent du jour au lendemain modifier
l'outillage mental des intéressés au poin! de leur donner le sentiment d'être de la patrie
française et d'en accepter les obligatiO;l~; subséquentes.
LES POPULATIQNS CONTRE LE RECRUTEMENT we
782
Il se trouvait aussi, ~'excepti(ln faite de quelques tirailleurs de retour dans leur
'l" f
foyer pour maladies ou pour blessurE', aucun ancien soldat bien portant n'était revenu
du Maroc ou de la France. PersonnE' p'était venu raconter des choses merveilleuses
qui eussent frappé l'imagination de ceux qui étaient restés et leur eussent donner peut-
être le goût d'aller à l'aventure. En rev;,nche les cercles ne cessaient de recevoir «de
nombreux avis de décès avec de pauvres objets, porte monnaie vide, des médailles
d'identité et parfois une toute petite somme d'argent79» L'absence de libération de
tirailleurs depuis 1910 et le grand nombre d'avis de décès inclinèrent les populations
à penser que l'incorporation des jeunes gens signait inexorablement leur acte de
décès.BO La contrainte était devenue io moyen privilégié de se procurer les soldats dont
avait besoin l'Etat-Major. Que les re.crutements eussent lieu sous le régime de
l'engagement volontaire ou de la conscription par voie d'appel/on ne faisait que de
l'enr61ement forcé, quitte à considérer comme engagés volontaires tous ceux qui
étaient incorporés.·' Partout les autorités réinventèrent la chasse à l'homme pour
mettre leurs circonscriptions en régit) avec l'armée.
Cette chasse à l'hommme éxécutée par les suivants des chefs de Canton avec
la bénédiction des commandants de cercle s'accompagnaient des abus inhérents à
ce genre d'opérations. Au moment des rafles tout le monde se cachait et les agents
recruteurs avaient tout le loisir de razzier les biens des habitants trouvés dans les
habitations abandonnées.·2 Pour lever ce voile pudique que les autorités essayaient
de jeter sur les incontestables excès des agents recruteurs, quelques commerçants
s'adressaient directement au ministre des colonies pour dénoncer la rapacité qui
accompagnait les raffles forcées par lesquelles on se procurait «le bétail humain soi-
disant volontaire8J».
Les autochtones inventaient 10~Jtes sortes de subterfuges pour échapper aux
rafles. Les chefs traditionnels dont l'a'-Jtorité émanait de la coutume et qui avaient le
devoir de protéger leurs administrés, Jl'hésitaient pas à présenter devant les commis-
sions des individus visiblement inaptEs pour le service armé. Beaucoup de malades
figuraient parmis les éléments présentùs, afin de soustraire, le plus grand nombres de
~
78:
jeunes gens valides et robustes au se(;\\~ce militaire. Par ce subterfuge ils étaient à la
fois en régie avec l'administration et avec leurs administrés. Si bien que pour avoir 50
["
.
t~j:l.
.
.
recrues on n'éliminait pas moins de 400 individus.B' En pays Wolof comme en pays
Sereer les autorités se heurtaient aux mêmes fraudes. La tradition orale dit que les
magiciens étaient mis en contribution pour donner aux hommes des maladies
r,·: ~
affreuses qui les faisaient immédiateme:lt écarter."5
Les fraudes commises sur une grande échelle donnèrent aux autorités l'im-
pression que la race noire était en dégénérescence. C'est ce qui motiva dès 1916 la
création de l'école de médecine de Dak3r dont la mission primordiale était de juguler
ce mal.
Dans certains secteurs, les autochtones s'opposèrent au recrutement les
armes à la main. Un incident sérieux eut lieu dans le canton de ~ dont le chef
Alioune Sylla y avait été nommé sur recommandation de son oncle Abdel Kader Ley
des provinces Sereer. Pour ménager le ~;ang de ses administrés Alioune Sylla prit des
recrues en dehors de son canton. Ori,;)inaires du Siin elles avaient trouvé refuge au
village de Boxodaan et de Bakakak. B6 A la veille de leur présentation devant la
commission de recrutement, le carré du chef fut attaqué par une quarantaine de
Sereer. Il s'ensuivit une violente bagarre au cours de laquelle il y eut un mort et
beaucoup de blessés. Alioune Sylla fut blamé et les 28 Sereer arrêtés furent condamnés
à 5 ans de prison. Ils furent d'office enrôlés sous les drapeaux."' Le Iieutenant-
gouverneur Antonetti proposa pour l'exemple l'internement à Port Etienne en Mauri-
tanie du chef de village et des notables c.ui «mis au courant des intentions des jeunes
gens» ne firent rien pour prévenir les ê.;jI.orités.B8
Le mouvement de révolte des Let:u de la Petite Côte fut autrement plus grave.
Ceux qui avaient été désignés comme recrues, aprés entente entre le résident de
Naning et les chefs de famille, ne trouvèrent rien de mieux àfaire que de se sauver dans
la forêt. En Décembre 1914 ils furent appréhendés et conduits sous escorte au chef-
lieu du cercle. Mais entre Bandia et Ke~:?le convoi fut attaqué par un groupe de 200
Lebu qui libèrèrent leurs compatriotes. Cet acte de rebellion traduisait la détermination
des Lebu à s'opposer à l'autorité administrative en matière de recrutement.
Il
784
Cette révolte des Lebu risquait"'éie faire tâche d'huile. Aussi conseilla t-on la
modération au résident d'autant .plus qu'on avait constaté un manque de respect
notoire des autres Lebu vis à vis de l'autorité française. En Septembre les réfractaires
se contentèrent de fuir devant les agents recruteurs. En Octobre ils refusèrent de se
laisser recenser et en Décembre ils prirent les armes. En se concertant avec d'autres
groupes ils risquaient d'allumer des fOïf'rS de contestation.·9 Les populations étaient
de plus en plus excédées par les brutalités qui accompagnaient le recrutement et
étaient d'avis qu'il valait mieux mourir dans le pays de leurs ancêtres qu'ailleurs.
En 19151es cantons Sereer de Ndon~t de Gaat au Bawol entrèrent eux aussi
en rebellion à la suite du recrutement. Dans ces localités les chefs de canton furent
insultés par les populations en armes. On sortit même les Tam-tam de guerre. Tous
disaient en choeur qu'ils ne feraient plu:; le service militaire et qu'au~Istueraient
les chef de canton, le résident et le commandant de cercle. La même effervescence
fut également constatée dans le Nduk.uman.90
Faute de coordination, les mmNements n'avaient aucune chance de les
délivrer du recrutement. Néanmoins on les jugea suffisamment graves pour poursui-
vre l'oeuvre de désarmement des populations entreprise dès la fin de la conquête. En
1916 on détruisit 2.960 fusils à pierre O'J à piston. Le 30 Juin 1917 12.518 fusils furent
saisis et détruits.91
La fin de la guerre n'apporta aucun changement dans le comportement des
populations vis à vis du recrutement. En 1920 les rapports signalaient les mêmes
difficultés et la nécessité pour l'administration d'utiliser la force pour obtenir des
soldats. En Mars 1920 trois suivants du ,~Ilef Massamba Sali du canton de Mexe Mbaar
furent grièvement blessés au village d'3 Xiise à coup de sabre. Le chef lui même fut
contraint de fuir pour échapper au groupe armé qui voulait le tuer. Partout dans le
Kayoor les autochtones faisaient usage des armes de fortune qui leur restaient encore
pour s'opposer à la conscription de leurs enfants. Sabres, couteaux, pilon, ilers, et
même quelques fusils étaient employôs contre les chefs venus leur demander des
recrues."" Devant le danger les chefs:;'enfuyaient ce qui achevait de les discréditer
devant leurs administrés.
E4
7 8
Ces actes de rebellion étaient d;~ns la nature des choses. Du moment que la
guerre était finie, ils ne comprenaiery.: pas qu'on vînt leur demander encore des
hommes.
La fuite a été le moyen le plus güalement employé par les jeunes pour échapper
à l'incorporation. Partout les vieux fav:xisaient la fuite des jeunes. Les gens du Bawol
se rendaient au Siin ou au Salum d'où ils essayaient de gagner la Gambie. Les
mouvements étaient fonction de la période des recrutements qui avaient lieu à des
époques diHérentes selon les cercles. Cette mobilité n'avait pour but que d'entraver
les futures levées du contingent. 93
Bien sûr on prit des mesures f:our les obliger à ne se déplacer qu'aprés avoir
avisé leur commandant de cercle.·' Mesures vaines, car chaque fois qu'un recrute-
ment était annoncé les jeunes gens p3,iaient sans laisser d'adresse. Evidemment l'as-
semblée des notables avait beau jeu de désigner les absents pour la commission de
recrutement. L'administration était souvent impuissante à les retrouver.·s
Il est vrai que certains de ces funitifs furent raflés par d'autres chefs de canton
qui les présentèrent aux commissions en lieu et place de leu~ propres administrés.
C'est ce qui donnait une note tragique il leur sort. Leurs parents ignoraient totalement
ce qui leur était arrivé jusqu'au jour où incidemment ils apprenaient qu'ils étaient morts
à la guerre.
Les déplacements massifs des bras valides portaient un immense préjudice à
leur région d'origine. L'exode privait en eHet les villages de la partie la plus vigoureuse
et la plus valide de la population.96 L.a production en subissait le contre coup. Les
vieillards et les enfants n'étaient pas a~,tes à donner aux cultures les soins nécessaires.
Les crises alimentaires prenaient rapidement des dimensions catastrophiques pour
peu que d'autres calamités naturelle~ vinssent mêler leurs eHets à ceux de la baisse
des rendements.
Les pays d'accueil tiraient un excellent parti de cette main d'oeuvre nombreuse
et de qualité. On estimait à 15.000 hommes le nombre de Sénégalais qui s'établirent
en Gambie.·] Le gouverneur général essaya d'arrêter ce flux dès 1915 en demanda
-
~
la coopération d'Edwar Cameron gouverneur de la Gambie à l'effet d'interdire l'acc~ 8 6
~Î~'
de ce territoire aux Sénégalais qui dt~siraient s'y établir pour échapper à leurs
obligations militaires.96 Les dispositiorî~2' Jfises par l'~utorité de Gambie n'empêchèrent f <V1
la solidarité africaine de jouer en faveur des fugitifs.
, ,
L'administration coloniale sanctionna sévèrement les actes d'insoumission.
Des directives précises furent données aux administrateurs de cercle pour rechercher
systématiquement les insoumis non seulement dans les cercles voisins mais encore
jusqu'en Gambie et dans les communes de plein exercice. Des agents secrets sûrs et
intelligents étaient envoyés partout pour les débusquer. En 1915, 326 décisions
répressives atteignirent plus d'un millier de personnes qui étaient soit des insoumis soit
des complices de ceux qui cherchèrent à se soustraire aux recrutements.99
Les cas d'insoumission étaient surtout nombreux dans le Siin Salum, les cercles
de Kees et du Fleuve dont les habitants trouvaient facilement refuge en Mauritanie ou
en Gambie. Une bonne partie des insoumis se recrutaient chez les Peuls qui montrè-
rent constamment une opposition opiniâtre à tout recrutement dans le cercle de Luga.
Le mouvement d'opposition était dirigé par un notable peul nommé Gallo Pathé qui
conseillait aux jeunes de se soustraire par la fuite à l'appel des administrateurs. Il fut
saisi et condamné à 5 ans de prison. Il ~;e suicida peu aprés dans sa cellule."Xl
Les mutilations volontaires ave:; des hâches furent les dernières ressources
employées par les désespérés qui n'entendaient, à aucun prix, abandonner la terre de
leurs ancêtres. Des cas furent constati'os dans le département de Dagana. 'D1 Le refus
des populations de faire le service militaire était partout manifeste. Ceux qui se
résignaient à le faire profitaient souvent de la première occasion pour déserter.
Les désertions étaient fréquent0s. Elles n'étaient le monopole ni d'un cercle ni
d'une ethnie bien que les peuls fussent les plus enclins à s'y risquer. Durant le
recrutement de 1916 les autorités rerrnrquèrent un grand nombre de désertions
principalement dans le camp de Caroy et de Saint-Louis, Toutes les recherches pour
les retrouver demeurèrent vaines. Les déserteurs bénéficieraient du soutien des
villages qui leur donnaient le gîte et le rep'.is. Les chefs de famille voyaient dans l'image
78
de ces fugitifs celles-même de leur"~r)nfants. Ils les aidaient à voyager de nuit, leur
indiquaient les endroits où ils pouvaient trouver des refuges sûrs jusqu'au moment où
ils parvenaient en Mauritanie, en Gaïnbie ou en Guinée portugaise. Au cours de leurs
déplacements, les déserteurs véhicule.ient les propos les plus fantaisistes qui faisaient
haïr davantage les recrutements. En 1916 ils firent courir sur leur passage le bruit qu'on
allait enrôler toutes les femmes non mariées. Ceci provoqua une grande agitation et
un début d'exode dans certains villages. 102
On aurait aimé connaitre avec précision l'effectif réel des déserteurs, mais
l'autorité militaire n'a pas eu le souci de notre curiosité. Elle ne fournit que des chiffres
globaux. Mais au détour de quelques textes on trouve çà et là mention de l'ethnie des
déserteurs. Ainsi sur les 2520 recrues que fournit en 19161e cercle du Siin-Salum sous
l'autorité de Brocard 359 désertèrent et trouvèrent facilement refuge en Gambie où ils
furent cachés par les populations. 100
Les peuls recrutés dans le cercle de Luga et dirigés sur Rufisque réussirent à
s'échapper dès leur arrivée au camp. '192 d'entre eux s'évadèrent et purent gagner la
Guinée portugaise. De là ils parvinrent à se rapprocher de leur domicile en s'abstenarit
de prendre part à la vie active du pays.'04 Comment éradiquer ces désertions qui
portaient préjudice à la défense de la France et semaient des germes de contestation
dans tout le pays. Comme on l'avait fait pour le recrutement, on décida d'engager la
responsabilité collective des villages en cas de désertion. Ils étaient désormais
contraints de remplacer les fugitifs, cie rembourser la prime de 200 francs versée au
fugitif ainsi que la valeur des effets e.T,portés. ,05
Si les parents des déserteurs étaient identifiés on les mettait aux fers afin de les
contraindre à dire l'endroit où se cachaient leurs enfants. Humiliations inutiles et qui ne
faisaient qU'approfondir le fossé qui séparait l'administration des autochtones. En Mai
1916 un Sereer se suicida dès qu'il sut qu'on l'avait identifié comme le père d'un
déserteur. Il redoutait le châtiment que Brocard avait promis aux parents des déser-
teurs.'06 Et "administrateur de se sab;il' de ce suicide pour en faire la preuve éclatante
du patriotisme des populations du œrcle. Il interprêta cette mort tragique comme le
refus d'un homme qui ne voulut pas «:;urvivre à la honte qui rejaillissait sur son nom 107».
12
7 8 '
Les pressions exercées sur les Villages n'eurent aucun effet sur le comporte-
8
ment de ceux qui désertaient. On essaY8 ensuite d'intéresser les populations dans la
,
'
~
.
recherche des déserteurs. Une prim'e cie 25 francs était allouée à tout homme qui
arrêtait un déserteur. Elle était de 10 francs au profit de celui qui arrêtait un tirailleur en
absence illégale. Toutefois ces prime~~,n'étaient versées que s'il était avéré que le
capteur s'était réellement lancé à la' recherche de l'homme dont il avait opéré
l'arrestation. lOB Contrairement au but recherché elles ne donnèrent pas lieu à la
délation. Car les populations ne considéraient pas les déserteurs comme des criminels
mais comme des gens honnêtes qui ref:Jsaient d'aller mourir pour une cause qui n'était
pas la leur.
On aimerait connaître avec précision le statut social de ceux qui furent enrôlés
~'
sous le régime de la conscription ou de l'engagement volontaire. Les violences
.'
accompagnant les opérations de recrutoment étaient l'indice de l'hostilité des popu-
lations vis à vis du service militaire. '
Les chefs de canton ou de province n'osèrent pas toujours braver les notables
de leurs circonscription dans la désigna,ion des recrues. Evitant d'enrôler les fils du
pays, ils ramassaient au hasard des rencontres les hommes étrangers à leur canton
pour les conduire devant les commissions de recrutement.
Le gouverneur interdit ces procédés dès qu'il en fut informé. Il pensait que la
désignation des recrues incombait naturellement aux chefs de famille et qu'il fallait agir
dans ce sens,'09 L'exode massif des j'3lmes, à l'annonce de tout recrutement, le fit
changer d'avis. Il recommanda aux autorités locales «de recruter tout d'abord les
étrangers de passages dans (leur) cmcle. "0 Ils auraient ainsi, en premier lieu un
nombre d'hommes qui viendrait en dé:Juction de celui demandé au cercle,'" En
d'autres termes les chefs faisaient supporter aux indigènes originaires d'une autre
région les charges qui incombaient au) populations placées sous leur autorité. Le
recrutement devenait moins pénible et C8 procédé permettait de soumettre au service
tous ceux qui menaient cette vie aventul'euse pour se dérober à l'enrôOement."2 Cette
autorisation fut le signal d'une atroce ,~basse à l'homme dans tout le pays. Sur les
routes et les pistes les chefs plaçaient en embuscade leurs suivants chargés de
78
kidnapper les voyageurs qui s'y aventtJr<3ient. Puis on les conduisait attachés les uns
aux autres jusqu'au chef-lieu du canton où on les mettait aux fers en attendant de les
présenter devant la commission'" Ji, la faveur du recrutement les chefs avaient
restauré les méthodes par lesquelles les forts réduisaient en servitude les faibles. Ces
procédés expéditifs permettaient aux chefs de décharger leur conscience du fardeau
de livrer au recrutement les hommes de leur canton. Du coup ils atténuaient aussi le
caractère dramatique des incorporations qui ne frappaient souvent que des êtres
appartenant à des familles de faible épaisseur sociale.
Certains chef de canton comme Samba Lawbe du Mbayar Nanina ou Abd El
Kader des provinces Sereer préférèrer:: mettre aux fers les chefs de village ou de carré
qui pour une raison ou une autre, furent dans l'impossibilité de leur fournir le nombre
de recrues qu'il leur avait fixé. Leurs inoéniables cruautés furent simplement mises au
compte «des moeurs indigènes'''».
Quand le nombre des kidnappés était inférieur au quota du canton, le chef était
dans l'obligation de trouver le complérnent parmi ses administrés. C'était l'occasion
de honteux marchandages qui permirent aux chefs d'en tirer de substantielles
ressources. Les peuls achetaient des remplaçants pour leurs fils désignés pour le
recrutement. Ils acceptaient de payer jusqu'à 20 boeufs."5 Les remplaçants se recru-
taient toujours chez les esclaves. Aucun homme libre ne pouvait accepter de compro-
mettre pour de l'argent ou pour des bQ[~ufs la vie de son enfant.
A côté de ces opérations de racn:Jt, se déroulaient d'autres moins avouables,
plus sournoises. Le souci de se confe,-mer à la coutume avait conduit à confier aux
chefs la mission de désigner et de rél:nir les recrues. Eux seuls avaient la tâche de
présenter les hommes proposés à l'incorporation dans les limites de leur circonscrip-
tion. Ils disposaient alors de prérogativr.s qui leur permettaient de commettre des abus
d'autorité «pour assouvir à l'occasion des haines ou des rancunes"6». Les chefs ne
présentaient à la commission que des nens de la classe servile. Ils ne désignaient les
gens de la caste noble que quand il s'agissait de leurs ennemis dont ils voulaient se
débarrasser à bon compte. 117
790
Les chefs se laissaient corromprf~'par ceux qui voulaient mettre leurs enfants à
l'abri du recrutement. Des cadeaux en or, en argent ou en espèces étaient donnés en
grande quantité aux notables et aux chefs chargés de la désignation des recrues par
les familles qui ne souhaitaient pas que leurs enfants fussent inscrits sur la liste fatale.
Les sanctions pénales qui les frappaient ne pouvaient pas éradiquer le mal. Toutes les
charges imposées aux autochtones étaient pour les chefs des occasions rêvées pour
s'enrichir. Dans le cas d'espèce, on ne voyait pas comment réprimer des délits qui se
commettaient au profit de ceux qui auraient dû les poursuivre et les sanctionner.
Les désignations ne frappaient que les individus sans influence dans la
collectivité villageoise. Les esclaves et les étrangers payèrent partout un lourd tribut
pour le recrutement.
On pouvait les sacrifier sans risque pour la cohésion de la
communauté. Dans le canton du Mba'laar Nanning les Bambara, les Toucouleurs et
les Socé donnaient leurs surga c'est à dire les navétaan qui étaient venus leur vendre
leur force de travail. Le recrutement ~;ystématique de ces saisonniers en tarit la
source."· Les Soudanais et les Firdu préférèrent se rendre dans les colonies anglaises
où le recrutement forcé n'était pas pratiqué.
Les chefs de canton désignaient aussi pour le recrutement les indigènes
exerçant le métier de manoeuvre dans les escales. D'origine servile pour la plupart et
de bonne constitution physique qui leur permettait d'exécuter le dur labeur de
manutentionnaire, ils étaient tout indiqués pour le service armé. Leur inscription sur les
listes soulevait la colère des commerçants qui trouvèrent intolérables les mesures qui
leur privaient de la main d'oeuvre indi~:pensable à leurs opérations commerciales."9
Les chefs trouvaient équitable de pourchasser leurs administrés qui avaient trouvé
refuge dans les villes pour se soustrai,e à toute obligation militaire.
La contrainte fut partout le moyen normal de se procurer des recrues. Les rares
engagements volontaires que l'on constatait dans les pays de protectorat étaient le fait
d'esclaves livrés par leurs maîtres qui mettaient alors la main sur la prime d'engage-
ment. Il est facile de remarquer que le nombre des engagements dépendait de la
situation alimentaire du pays. La mi:;ère générale de la colonie consécutive aux
Ni
7 9 1
mauvaises récoltes de 1915 et à l'augl)1entation du prix des denrées de première
! "
nécessité expliquait le nombre relativernent élèvé des engagements lors des recrute-
ments de 1915 et de 1916. Certes la coutume interdisait aux maîtres de vendre les
esclaves de case. '20 Mais en raisonnant par analogie ils pouvaient les envoyer sous les
drapeaux moyennant la perception de la prime considérée comme la contrepartie que
recevait tout maître qui déposait en ga';)13 un esclave auprés d'un créancier soupçon-
neux. Sous la pression de la nécessité beaucoup de maîtres firent enrôler leurs
esclaves.
Sous le régime de la conscription, c'étaient les esclaves qu'on donnait en
priorité. La situation qui était faite aux soldats était trop deshonorante pour des princes
ou des nobles. Les autorités locales n'ignoraient rien de ces combines dont étaient
victimes les esclaves. Mais elles n'avaientqu'un souci, celui d'avoir des recrues par
tous les moyens. Aussi encouragèrent elles les maîtres à se détiarasser de leurs
esclaves bien portants contre l'indemr,isation.'2' C'est là que résidait le malentendu.
Pour l'autorité coloniale la prime perçue par l'engagé et partant par son maître était le
prix du rachat de l'esclave qui mettait fin au droit de priorité du maître. Pour ce dernier
cette indemnité n'était qu'une compensation pour le manque à gagner entrainé par
l'absence de son esclave. Jusqu'à son retour éventuelle maître était tenu de nourrir
les parents de l'incorporé.
Ce recours aux esclaves avait ravantage de ne pas mettre gravement en
danger la sécurité intérieure des cercle,·,.'22 Les intérêts des castes supérieures étaient
sauvegardés pour l'essentiel. Elles n'avaient pas de raison de se lancer dans des
mouvements insurrectionnels pour ter,ter de faire échec au recrutement.
Nous ne voulons pas dire que tous les incorporés fussent d'origine servile. Mais
il n'est pas douteux que la plupart d'entre eux portaient la marque de la captivité. Les
privilèges dont bénéficiaient les membres de l'aristocratie étaient devenus si évidents
que certains d'entre eux les dénoncèrent aux autorités comme contraires à l'ethique
de la noblesse. lat-Seen Faal, fils de Cf,yasin Joor que Faidherbe avait placé à la tête
du Kayoor en 1865 intervint pour demander qu'on mît fin au recrutement des badolo
et des esclaves qui ne portaient pas en eux de vertus militaires innées. En lieu et place
792
de ces misérables, il proposa d'incorporer les fils des nobles et en priorité tous ceux
qui avaient des prétentions «sur des places de chefs'2J». Eux seuls devaient être les
~ ',Y.l
premiers à aller au feu. Il leur appartenait. ainsi qu'à leurs courtisans et à leurs fils de
donner l'exemple. Il estimait à 3000 le nombre des courtisans qu'on pouvait immédia-
tement mobiliser. Selon la coutume la guerre était la fonction primordiale de l'aristocra-
tie, les badolo et des femmes s'occupant du ravitaillement. Le recrutement serait trés
aisé si on mettait fin à cette interversion des rôles qui maintenait à l'arrière ceux qui
auraient dû être en première ligne.'2'
Il nous sera jamais possible de déterminer avec une précision même relative la
proportion des gens d'origine servile sur les 24.000 Sénégalais recrutés entre 1912 et
1918. L'incorporation massive des nobles lors du recrutement de Jaan en 1918 n'eut
pas l'effet d'entrainement désiré. Ker Saint Gilly estimait à 75% la proportion des
incorporés d'origine servile. '25
LES CONTRIBUTIONS ACCESSOIRES DES SENEGALAIS
Le Sénégal organisa aussi des oeuvres d'assistance aux familles des combat-
tants. Toutes les couches de la population apportèrent leur contribution à cette oeuvre
de secours aux victimes de la guerre. En '1915 les souscriptions dépassèrent 400.000
francs non compris les dons particuliers de la croix rouge.'26
Les populations donnèrent égaiement leur participation à la journée du 75 à
l'honneur du canon 75 du 23 Mai 1915 (iont la recette nette futde 52.000 francs. Pour
la journée du 3 Octobre 1915 dite journél~ des «trois oeuvres» on obtint plus de 150.000
francs.'" Pour les victimes de guerre la souscription du Sénégal s'éleva à 436.262,96
sur les 1.426.258,80 francs fournis par L'A.O.F.'2'
Le concours du Sénégal à l'emJ:runt national fut de 2.527.614,94 francs pour
la durée de la guerre.'29 Ces contributir:.ns volontaires furent pour les Libano-Syriens
l'occasion de prouver leur fidélité à la France. Alléguant qu'ils ne pouvaient porter les
armes contre l'empire turc, ils acceptèrent de verser leurs obole aux oeuvres charita-
bles chaque fois que l'occasion se présentait. Un seul Syrien accepta durant toute la
guerre de s'engager pour payer l'impôt du sang.'30
il
793
Ces fonds avaient pour objectif j:"r'ïmordial, de jeter un pont entre les hommes
du front et les populations de l'arrière. U question qu'on se pose est de savoir la nature
de l'accueil reservé par les population,; i; ces demandes de souscription. En avaient-
elles saisi le sens et la portée? On pel.!t en douter. En raison du nombre de ceux qui
devaient en bénéficier on ne pouvai: fnire que du saupoudrage avec de pareilles
sommes.
Pour les sacrifices qu'on leur derr;andait, les soldats reçurent des gratifications.
Les engagés et les appelés des pays de protectorat obtinrent une prime d'engage-
ment. N'étant pas citoyens, ils ne pOllvaient faire la guerre que sous le régime du
mercenariat imposé. Nous savons q'.le dans la plupart des cas, les primes furent
empôchées par leurs maîtres. Tous puu.'aient se rengager jusqu'à 25 ans de service.
En 1910 la solde journalière du s'Jldat était calculée sur la base de 0,60 francs
soit une solde annuelle de 250 francs. Eile était nettement inférieure au salaire perçu
par les manoeuvres journaliers dans le:; ports et escales du Sénégal. Elle ne représen-
tait que le quart du salaire des agents C:3 police. En vertu du décret de 1889 les soldats
n'avaient droit à la pension qu'aprés 25:lnS de service. Une modification de ce texte
intervint en 1904 pour accorder la per"ion proportionnelle pour tous qui effectuaient
15 ans de service. 131
Un léger relèvement des soldE":3 eut lieu pendant la guerre. Si au Sénégal, la
solde du soldat originaire des quatre c'o:nmunes était de 1,50 francs par jour celle du
tirailleur de 0,75 il en était autrement quand ils séjournaient en France. Le tirailleur
percevait alors 1 franc par jour et l'oriÇJi:laire 0,75 francs.
De grandes différences existaie.,'. toutefois entre les pensions des retraités des
originaires et des tirailleurs. Là où le pr,lmier percevait entre 1500 et 1800 le second ne
touchait que 437,50 ou 572,50 franc:,. Pour la pension proportionnelle l'originaire
recevait 765 francs et le tirailleur 258,7:·132.
Les mêmes écarts subsistaient aussi pour les pensions de réforme. A 10%
d'invalidité l'originaire avait 240 francs e: le tirailleur 100 francs. A 100% ils percevaient
Ng
794
respectivement 2400 et 1000 francs. Lês originaires percevaient aussi au même titre
que les citoyens français des majorations pour enfants auxquelles ne pouvaient
prétendre les tirailleurs. ,J:)
Alors que la famille de tirailleur n'avait droit qu'à 15 francs d'indemnité de
séparation par mois si leurs enfants ~;E:rvaient à l'extérieur du sénégal, les originaires
avaient droit à 37,50 par mois auxquels s'ajoutait 0,50 francs par jour pour chacun des
enfants âgés de moins de 16 ans. ",.,
Les disparités dans le traitemer,t d'hommes originaires du même pays, appar·
tenant souvent aux mêmes famille~;, étaient douloureusement ressenties par les
sujets. Aussi leurs doléances à l'époque du recrutement furent elles de faire le service
armé dans les mêmes conditions qUE' celles qui avaient été accordées aux originaires
des quatre communes.
A la veille du recrutement de 19181e gouvernement français prit, en faveur des
tirailleurs, quelques mesures ponctuelles. Pour la durée de la guerre ils furent eux,leurs
femmes et leurs enfants exemptés d\\~~; peines disciplinaires. Par une procédure plus
simple, on accorda la possibilité d'",ccéder à la citoyenneté française les tirailleurs
ayant servi pendant la durée de la guerre et qui auraient obtenu à la fois la Médaille
militaire et la croix de guerre. Leurs femmes et leurs enfants pourraient les suivre dans
leur nouvelle condition. '35
Celte offre était dès le départ viciée de sa portée véritable, car le postulant était
tenu de renoncer formellement à son statut personnel. Ce qui excluait du bénéfice les
musulmans qui formaient l'immense majorité des tirailleurs. Les autorités étaient
incapables d'envisager une naturalisation dans le statut qui aurait rendu possible la
coexistence des deux cultures et de:, deux civilisations sur une base relativement
égalitaire. Elles n'ignoraient pas qU'fin climat musulman, aucune séparation n'est
possible entre la religion et le statut cie l'individu. C'était donc leur interdire l'accès de
la cité française que de leur demancler de violer délibérément certaines dispositions
fondamentales de leur religion.'36
we
7 9 5
De plus, l'enquête devait révéler q,Je le postulant était de bonne vie et moeurs
et qu'il n'avait jamais participé à des menées contre la domination française ni encouru
de condamnation emportant privation ~,aitielle ou totale des droits civils et politiques,
ni aucune peine afflictive prononcée par les juridictions indigènes. 137
Ces conditions draconniennes Empêchèrent les anciens combattants de
demander leur naturalisation. Les décor'3s de la Médaille militaire et de la Croix de
Guerre n'étaient pas trop nombreux et les avantages matériels qui s'attachaient à la
qualité de citoyen français ne valaient pas, à leurs yeux, l'abandon de la loi religieuse
ni la rupture avec le milieu qui les avait 'Ill naître.
LES TIRAIl.LEURS DEMOBILISES
Le retour des milliers de tirailleurs fut attendu avec apprébension par les
autorités coloniales. C'était le moment dl3tenir toutes les promesses faites pendant les
opérations de recrutement. Une chose était sûre, c'était la profonde modification
intervenue dans l'outillage mentale des vétérans. On se préoccupait alors de savoir
vers quelle pente allait les incliner l'expérience qu'ils avaient acquise au cours de leurs
différentes pérégrinations. 138 L'autorité coloniale était plutôt pessimiste. Avec le retour
des démobilisés elle s'attendait à voir ar:paraÎtre partout un climat de contestation, de
revendication voire de troubles.
Les soldat noirs étaient en effet trés conscients du rôle important qu'ils ont joué
dans la défense de la France. Ils ne S'Jpporteraient plus le maintien du statu quo
caractérisé par les brimades et les humiliations généreusement distribuées par les
chefs et les commandants de cercle. Ils éluraientle sentiment plus net de leur dignité
d'hommes, et ils étaient décidés à la fail'e respecter. Les sacrifices, sur les différents
champs de bataille, leur avaient en effet inculqué le sentiment qu'ils étaient égaux voire
supérieurs aux Blancs, restés comme des embusqués dans la colonie, pendant
qu'eux "boutaient les allemands hors dr., France".1J9 Leur héroïsme leur conférait des
droits égaux à ceux des Français ayant elfectivement participé, les armes à la main, à
la défense de leur patrie.
_
~
796
Cette situation nouvelIe était diifi(i1~ment acceptable par certains milieux
coloniaux dont la préoccupation fond[lnJentale demeurait de tout faire pour que
l'administration reprît auprés des indigènos l'influence sans partage qu'elIe exerçait
sur eux. Les administrateurs furent invi:éf; à prendre les mesures adéquates pour
enrayer tous les risques de dérapage. C'était aux yeux du gouvernement du Sénégal
la seule façon d'éviter à refaire une reconquête au lendemain de l'établissement de la
paix en Europe."o
On savait que l'une des conséqumces les plus immédiates du séjour des
tirailIeurs en Europe avait été la disparitior: du mythe de la supériorité des Blancs sur
les Noirs. La conquête et la période qui l'avi'litsuivie, étaient marquées au Sénégal par
la prépondérance de la France. Les arrr.,J0S locales les plus valeureuses avaient été
battues. Aucune force locale ne put emr-,kher l'administration de diriger le pays à sa
. convenance. La supériorité indiscutable CiE la force armée du conquérant avait conduit
les chefs traditionnels à des situations (lf'U confortables, voire ambiguës. Certains
d'entre eux se lancèrent dans une colIé'Joration totale livrant leurs administrés aux
caprices des administrateurs.
Dans tous les milieux, le Blanc pa,:;ait pour le noble par excellence. Le soldat
français était l'image même du guerrir,r intrépide. Les Européennes étaient des
espèces de déesses qu'on apercevait que loin. On ne les approchait jamais par peur
de subir les foudres du maître des lieux. lJr,~f dans les rapports humains, les contacts
entre Blancs et Noirs étaient rares et ne reoosaient que sur le principe de la soumission
des seconds aux premiers.
Dansles tranchées les tirai lIeurs ren·:ontrèrent des gens comme eux, avec leurs
souffrances, leurs problèmes et leurs esp,jrances. Ils virent des officiers gémir parce
qu'atrocement blessés, ou reculer parce q.le la pression alIemande était trop forte. En
un mot ils se rendirent compte que tous c: e:; hommes qu'on leur avait présentés sous
les traits d'êtres supérieurs étaient en réai:tüs comme eux, avec toutes leurs faiblesses.
Ces constatations purgèrent de leur es'xit le mythe savamment construit de la
supériorité du Blanc sur le Noir.
·
f.
797
Notons encore que par le canal (les marraines de guerre, des infirmières ou tout
simplement des lupanars, les tirailleur!; avaient connu les plaisirs de la conjugalité avec
des Françaises. Les privautés qui en découlaient firent sauter le dernier verrou qui les
empêchait de parvenir à l'égalité dont ii:; rêvaient. Bien avant leur retour en Afrique ils
avaient opéré en eux une révolution ps\\'chologique qui risquait de se traduire en actes
susceptibles de remettre en cause l'or:Jre colonial. Pour parer à toute éventualité on
prit quelques mesures en leur fave·Jr afin de leur montrer que la France savait
récompenser les services rendus.
L'administration était consciente du danger que représentait cette force cons-
tituée par les tirailleurs rapatriés. Ils C!v;'lient été rapprochés par la misère et la gloire.
Ils conservaient leur esprit de corps, savaient manier les armes modernes.
Dès 1917Van Vollenhoven initi3lJne politique nouvelle consistant à réacclimE1V""
ter à la vie civile les tirailleurs libérés, bléssés, malades ou inaptes afin de les mettre
dans de trés bonnes conditions matérielles. Déracinés du fait de leur expatriation, les
tirailleurs étaient revenus avec de nouvelles habitudes et des nouvelles idées. Il fallait
leur réapprendre à vivre à nouveau 8n civils.
Van vollenhoven envisagea de créer dans chaque territoire une sorte d'hotel
des invalides pour accueillir les blessé" qui, pensait-il, risquaient d'être rejetés parleurs
familles. Des informations lui avaient fait comprendre que, parmi les premiers bléssés
rapatriés, certains erraient dans le pav~; sans but à la recherche d'appui matériel et de
concours moral. Ils ne semblaient pa~; avoir personne pour s'occuper d'eux, et de
déchets, ils pouvaient devenir rapidement des épaves.'" Le spectacle qu'ils offraient
était en lui même une détestable prc:>élgande pour les recrutements futurs.
Les tirailleurs blessés, malades ou simplement fatigués furent divisés en deux
groupes. Ceux qui avaient des blessures au combat ou qui étaient victimes de
maladies en rapport avec le service eUIent droit à la pension où à une gratification de
réforme. En revanche ceux qui avaient été jugés inaptes au service n'eurent droit qu'à
une allocation de 120 à 180 francs "".
N~
"1 i)
Angoulvant enterra le projet de Van Vollenhoven en alléguant que l'hospitalité
africaine jouerait pleinement en faveur"des bléssés.'<J Leur entretien 'it~';'~ûté cller
"."- '--.
aux colonies. On préféra les condamner à une mort certaine en les renvoyai 11 clall:;
leurs foyers souvent dépourvus de toute infrastructure médicale. Même los (:.Jrélllcl:.;
mutilés furent installés dans les villages où ils constituèrent une charge trés lourcle pour
leurs parents. Car les cases d'hopitaux qu'on leur proposait dans certains centres, ne
répondaient pas à leurattente. Des Sanatoria étaient prévus pour les tuberculeux. Mais
rien ne fut fait pour les y retenir. Angoulvant se borna à dire que des précautions
devaient être prises pour que ces malades ne pussent pas «contaminer les villages Oll
ils s'étaient installés'''».
Pour calmer la colère des tirailleurs malades, licenciés sans pension, on leur
attribua, sur les budgets locaux une indemnité de 8 à 15 par mois suivant la cherté de
la vie. Par ces mesures on espérait voir les réformés et les licenciés retrouver une
existence conforme à leurs habitudes d'antan.
La réintégration sociale des autres tirailleurs rendus à la vie civile fut autrement
plus délicate en raison des problèmes qui les opposaient aux autorités administratives
et au milieu qui leur avait donné naissance. L'administration les considéra comme des
éléments perturbateurs de l'ordre établi. Ils introduisaient partout les germes de la
contestation en exigeant le respect des exonérations qu'on leur avait accordées avec
leur famille quand ils étaient sous les drapeaux. Ce n'étaient plus les hommes résign():;
mais des gens constammont animés par un esprit contestataire.
On jugea plus politique de les associer à l'oeuvre française dans le pays. On leur
réserva les petits emplois administratifs pour accroître les avantages matériels. Dans
les villages et les cantons on préconisa de les intégrer dans l'orde des notables pOLIr
mieux faciliter lour réintégration sociale.
Ce réacclimatement des vétérans se révéla difficile. En -certains endroits il fut
rnûme marqué par des incidents sérieux. Nous savons que pour ménager le sang leurs
enfants les chefs et les notables avaient f,urtout fait incorporer leurs esclaves. A leur
retour ces vétérans, porteurs d'idées de liberté et d'égalité refusèrent de se soumettre
N!
. 7 9 9
au statu quo avec ses vieilles hierarchies caractérisées surtout par l'institution
servile.'" Avec leur pension ils étaient à même de s'émanciper économiquement. Ils
rejetaient sans réserve toutes les prétèntions de leurs anciens maîtres. Plus grave
encore, certains d'entre eux adoptèrent des attitudes méprisantes pour certains rites
hérités des ancêtres. Bref ils vivaient en marge du cadre social traditionnel.
Ce mépris des choses sacrées lut amplifié plus que de raison par les chefs et
les administrateurs pour justifier la nécessaire reprise en main de ces contestataires.
Quelques vétérans furent déférés devant les tribunaux et sévèrement condamnés
~
pour l'exemple.
A mesure que le temps passait, les rancoeurs accumulées depuis les recrute-
ments se dissipaient. Sans accepter les droits de propriété de leurs anciens palI011:;,
ils parvinrent à des compromis auxquels la vie condamne ceux qui vivent dans le 111Ôl110
cadre social. Mais à la longue la réadaptation finit par devenir complète. Il semble quo
le nombre des anciens combattants qui retournèrent à la campagne fut faible
comparativement à celui de ceux qui choisirent d'aller s'établir dans les cenlres urbains
où ils pouvaient plus facilement trouver les conditions de vie les plus pr8éhes de celles
qu'ils avaient connues sous les drapeaux.
Le centre urbain était l'endroit le ;:Jlus adéquat pour tous ceux qui étaient génés
par la définition de leur statut de faire disparaitre dans l'anonymat la souillure sociale
qui les marquait. Il matérialisait la rupture avec les anciens maîtres dont cerlélin~;
voulurent s'approprier les économies et les pensions de leurs anciens esclilvoS. "e PiJl
ce fait même ils renoncèrent au travail de la terre qu'ils ne pouvaient cullivN qu'en ~;1)
soumettant aux maîtres. Le pécule ramassé leur permit de se livrer à c1es opéraliom;
commerciales qui leur procuraient des bénéfices faciles.
Ceux d'entre eux, qui ne fais'3ient pas du commerce, avaient néanmoins la
possibilité de mener une vie confortable grâce à la pension 9ugmentée des revenus
de salaire fournis par los emplois que l'administration leur avait réservés. '" Leur
concentration en ville ne permit pas d'en faire l'instrument de modernisation des zones
rurales un moment envisagé par l'administration. On peut se demander, si la crainte
' .. ..
'
~.
,
Re
800
de voir se regrouper dans les zones rurales les éléments les plus portés au change-
ment et aux revendications pour les libertés n'avait pas fait avorter ce projet. Car la
situation de j'adminitration aurait été particulièrement délicate si les populations rurales
avaient eu pour fer de lance dans leurs doléances, les anciens tirailleurs démobilisés
que ne hantait plus la peur du Blanc. N'auraient-ils pas jeté dans ce milieèu profondé-
ment résigné les semences fécondes non seulement de la lutte mais surtout celle de
la solidarité dans la lutte?
Quoiqu'il en soit, ces vétérans furent dans les lieux de leur nouvelle résidence
des agents conscients ou non de propagande pour "attribution à leurs compatriotes
de plus de libertés Ils exigeaient la réalisation des promesses qui avaient été faites
pendant les recrutements. Certains d'entre eux étaient pr6che des thèses défendues
par Lamine Senghor qui dénonçait avec une rare virulence les méthodes de l'adminis-
tration coloniale. A cela s'ajoutait le rôle primordial joué par la presse des quatre
communes dont les enfants avaient également payé un lourd tribut de sang à la
défense de la France et qui prenaient prétexte de tout excès, de toute maladresse de
l'administration pour la clouer au pilori. Leur outillage mental comportait de plus en plus
If
les notions d'autonomie ou d'indépendance. L'ambiance prédominante donnait
l'impression que la réalisation de cet objectif était prôche.
En 1920 l'administrateur du cercle de Kees notait avec regret les changements
trop rapides à son gré, intervenus dans la société locale. «Un vent d'émancipation
souffle. Ecrit-il, dans le domaine politique, l'indigène évolue trop vite, peut-être pour
nous, car notre administration ne me parait pas outillée pour pouvoir conduire, diriger
des milliers d'individualités.
Les idées d'indépendance apportées de France par les soldats ont pris germe
de tous côtés. Les agglomérations d'habitants existent encore, mais ne forment plus
un bloc obeissant aux notables et aux chefs de village.
Chaque chef de carré, pour ne pas dire chaque adulte veut l'autonomie».
Hg
Cette évolution donnera probablement au point de vue économique
résultats féconds en développant la personnalité, l'initiative de l'indigène. Mais pour le
moment elle nous crée des ennuis car il devient pénible d'administrer. Les instructions
données aux chefs de canton ou de village restent lettres mortes, si par des palabres
incessants, des tournées fréquentes le commandant de cercle n'entre pas en commu-
nication directe avec tous""».
Lemaintien de l'ancienrégime administratif présentait beaucoup de risques. Ce
qui était possible alors que la grande masse du peuple était bien tenue en mains ne
l'était plus à partir du moment où les germes d'une société nouvelle tendaient à se
substituer à la société ancienne marquée par les privilèges de la naissance. Les
énergies libérées par la guerre exigeaient davantage de liberté et de justice. Les uns
et les autres partageaient les espérances dans l'amélioration de leurs conditions de
vie. Le succès du rééquilibrage économique et social nécessité par les bouleverse-
ments entrainés par la guerre passait par la prise en compte de ces doléances. Le
gouVern~onial, pourcalmerlejeu, etapaiserlespassions, s'attachaàreconnai-
tre l'immense dette contractée par la France envers les autochtones. Aussi décida-t-
l~
~ de traduire cette reconnaissance en surc:RÎt de devoirs pour les populations de
.J.i.
.x
L'A.O.F.. En regard al'importance de la dette, ~ ne voulut pas l'acquitter en espèces,
-3
ni en prime de recrutement ni en pensions de retraite. C'était une dette qu'~ décida
de payer sur le long terme de manière à en faire bénéficier les générations ultérieures.
C'était en d'autres termes l'engagement dans de vastes entreprises de progrés social
grace à la fondation de nouvelles écoles, des hopitaux des maternités, des dispensai-
resetàl'encouragement de l'agriculture etde l'élevage.,·e Brefl'autorité coloniale avait
accepté de mettre un terme «à l'économie de pillage» qui prévalait jusqu'alors pour la
remplacer par une réelle mise en valeur.
Malgré la générosité-ode telles
déclarations, on pouvait se demander si
l'exploitation matérielle de la colonie n'allait pas accentuer sa dépendance vis à vis de
la métropole et intensifier encore le processus de prolétarisation des autochtones et
de destrueturation du cadre social. La marginalisation économique des indigènes
privés de tout capital semblait hypothéquer leurs possibilités d'ascension dans ce
nouveau projet.
1- AN.S. 2 B 14 Folio 89: Schmaltz au Ministre, 4 Septembre 1819.
2- Schefer : Tome Il, (page 287).
3- En 1840, en 1845 et en 1847 des recrutements avaient été tentés dans cette
direction mais en vain.
4- AN.S. 2 B 32, Folio 56 : Faidherbe au Ministre, 16 Décembre 1857.
5- AN.S. 1 B 72 Folio 62: Ministre à Faidherbe, 21 Juillet 1857.
6- AN.S. 2 B 32 Folio 39 : Faidherbe au Ministre, 16 Novembre 1857.
7- Hardy: FAIDHERBE, Paris 1947, (page 81).
8- AN.S. 2 B 33 Folio 109 : Faidherbe au Ministre, 26 Janvier 1864.
9- AN.F.O.M. Sénégal XVI-25 : Rapport sur bataillon noir, 20 Juillet 1867.
10- AN.S. 4 D 29 : Rapport du Ueutenant-colonel commandant le bataillon, 11
Juillet 1881.
11- AN.S. 2 B 51 : Le Gouverneur au Ministre, 21 Juillet 1882.
12-ldem.
13- AN.S. 2 G-5 : Rapport annuel d'ensemble des pays de protectorat, 1902.
14- Marc Michel, (page 9).
'15- Marc michel, Op. cil., (page 28).
16- AN.S. 13 G 72 : Chef de service des affaires civiles au chef du cabinet militaire
de L'AO.F., Novembre 1914.
17- La durée de service chez les citoyens ou électeur était de 2 ans.
18- AN.S. 13 G 75 : Ueutenant-gouverneur Cor aux administrateurs, le 13 Octobre
1913.
19-1dem.
20- AN.S. 13 G 75: Cor aux administrateurs, le 13 Octobre 1913.
21-ldem.
22- A.N.S. 2 G 12-8 : Ueutenant-gouverneur du Sénégal à Gouverneur général
AO.F., 30 Juillet 1913.
23- Marc Michel, (page 31).
24- J.O. AO.F. : Circulaire du 9 Mars 1914 du gouverneur général Ponly.
25- Pour le rôle du gouverneur général Ponly dans la constitution de l'armée noire
voir Marc Michel, (page 30 et suivantes).
26- J.O., AO.F. : Circulaire du gouverneur général Ponly du 9 Mars 1914.
27- Conseil général session du 24 Octobre 1914 discours du gouverneur J.O.S., 29
Octobre 1914.
28- AN.S. 4 G 19: Rapport sur le recrutement 1914-1915 par Picanon inspecteur
des colonies, 7 Novembre 1916.
29-ldem.
30-ldem.
31- AN.S. 4 G 19 pièce 19 pièce 34 : Rapport sur le recrutement entre le 1er Octo-
bre 1915 et le 7 Avril 1916.
32- J.O. AO.F. : Décret du 9 Octobre 1915.
33- AN.S. 4 G 19: Rapport Picanon sur le recrutement effectué entre le 1er Octobre
1915 et le 7 Avril 1916.
34- A.N.S. 4 G 19 : Idem.
35- AN.S. 4 G 19: Idem.
36- A.N.S. 4 G 19: Clozel, cité par Picanon dans son rapport du 14 Novembre
1916.
37- AN.S. 13 G 72 pièce 35: Deves président du conseil général au gouverneur
général. Saint-Louis, le 31 Octobre 1914.
militaire~
38- AN.S. 13 G 72 pièce 36 : Chef des services civiles au cabinet
Nove! 0 J
bre 1914.
39- Session ordinaire du conseil général séance du 31 Octobre 1914.
40-ldem.
41- B.CAF. 1915, (page 199).
42-ldem.
43- J.O. AO.F. : Loi du 19 Octobre 1915, article 1.
44- J.O. R. F. du 1" Octobre 1916 publiant la loi du 29 Septembre 1916.
45- Conseil général session de Novembre 1916 : Discours d'ouverture gouverneur
P.1. De La He toigne Du Mazel
46- Conseil général session de Novembre 1916, discours du Ueutenat-gouverneur
P.1.
47-AN.S. 2 G 16-5: lieutenant-gouverneur AO.F. : Rapport politique 1"'trimestre
1916.
48- AN.S. 4 D 35: Circulaire du Ueutenant-gouverneur aux administrateurs de
cercle Saint-Louis, le 28 Mai 1912.
49- A.N.S. 4 D 35 pièce 18: De Sainte Marie à Gouverneur Tiwawan, le 30 Mai
1912.
50- AN.S. 4 D 35 pièce 22 : Cor lieutenant-gouveneur, circulaire aux administra-
teurs. Saint-Louis, le 2 Septembre 1913.
51- AN.S. 2 G 15-6: Lieutenat-gouverneur du Sénégal à Gouverneur général
AO.F. : Rapport politique du 20 Avril 1915.
52- AN.S. 2 D 8: Commandant supérieur des troupes de l'AO.F. au gouverneur
général AO.F., Dakar le 18 Juillet 1917.
53- AN.S. 4 D 68: Gouverneur général au ministre, Dakar, le 23 Avril 1917.
54- AN.S. 4 D 69: Gouverneur général au Lieutenant-gouverneur du Sénégal, 30
Mai 1917.
55- J.O.S. : Discours de Van-Vollenhoven (page 486), 14 Juin 1917.
56-J.O. AO.F. : Decret du 14 Janvier 1918.
57-Idem.
58-Idem.
59- Uyisenga : Op. cit., (page 39).
60- J.O.S. : Lettre du minisstre des colonies aux gouverneurs généraux de L'AO.F.
et de L'AE.F. Paris, le 14 Janvier 1918.
61-ldem.
62- Marc Michel, (page 228).
53-B.CAF. 1918, (page 26).
64- AN.S. 4 D 88 pièce 142 : Recrutement 1918, Dakar le 25 Février 1918.
65- AN.S. 4 D 87 pièce 79 : Recrutement des fils de chefs en 1918.
66- Bueil: THE NATIVE PROBLEM IN AFRICA, (page 26).
67- B.CAF. 1918, discours de Blaise Jaanen réponse à celle de Angoulvant, le 19
Février 1918.
68- AN.S. 2 G 18-1 : Ueutenat-gouverneur du Sénégal, rapport politique du 2" tri-
mestre, 29 Septembre 1918.
69- AN.S. 4 D 77, pièce 79 : gouverneur général AO.F. au ministre.
70- B.CAF. Août 1918, (page 320) : Lettre de Blaise Jaan du 31 Juillet 1918 au
Président du Conseil.
71-ldem.
72-ldem.
•
•
804
73- Le journal L'Indépendant Sénégalais, du 22 Avril 1918, cité par Uysenga (page
49).
74- Idem.
75- Myron J. Echenberg : PAYING BLOOO TAX-MILITARY CONSCRIPTION IN
FRENCH WEST AFRICA, (page 180), in R.E.C.M. n° 2,1975.
76-ldem.
n-Idem.
78- J.O.S. : Antonetti: Discours à l'ouverture du conseil général, 24 Octobre 1914.
79- AN.S. 4 0 55 pièce 1 Antonetti au gouverneur général AO.F. : Rapport sur le
recrutement: Saint-Louis, le 10 Septembre 1915.
80-ldem.
81- AN.S. 4 G 19 Pièce 34: Rapport Picanon.
82-A.N.S. 208-3: Administrateur du cercle de Salum à Gouverneur Sénégal, le 18
Mars 1919.
83- AN.S. 13 G 79 pièce 33 : Besnar, commerçant à Ndand, télégrammme au Mi-
nistre des colonies, 14 Avril 1915.
84- AN.S. 4 G 19 pièce 59 Rapport Picanon 1916.
85- Information fourni par Ousseynou Ngom de Khombole.
86- A.N.S. 20 7 10 : Proces verbal d'interrogation prevenus, 16 Mai 1914.
87- A.N.S. 4 0 55 Antonetti au Gouverneur général, 10 Septembre 1915.
88- AN.S. 13 G 72 pièce 32 : Antonetti au Gouverneur général, 23 Septembre
1914.
89- A.N.S. 2 G 14-6: lt-Gouverneur Sénégal à Gouverneur général AO.F. : Rapport
sur la situation politique, 8 Janvier 1914.
90- AN.S. 4 0 55 Antonetti au Gouverneur général AO.F. : Rapport d'ensemble du
10 Septembre 1915 avec une pièce annexe du résident de Tul Bonvalet en date du
30 Avril 1915.
91- 2 G 17-6 : Rapport d'ensemble du 2" trimestre 1917.
92- AN.S. 2014-7: Lefilliatre, commandant de lïwawan au lieutenant gouverneur
du Sénégal, le 11 Mars 1920.
93- AN.S. 13 G 72 Pièce 51 gouverneur général à lieutenant-gouverneur sénégal,
Juin 1915.
94- AN.S. 2 G 15-6 : Gouverneur Sénégal à Gouverneur général AO.F. : Rapport
trimestre, 20 Avril 1915.
95- AN.S. 4 055 Pièce 1 : Antonetti à AO.F., le 4 Mai 1915
96- A.N.S. 2 G 15: Gouverneur Sénégal à Gouverneur général de L'AO.F., 20 Avril
1915.
97- AN.S. 4 088, pièce 145 : Comparaison entre L'AO.F. et les colonies anglaises
en matière de recrutement.
98- Archives de Londres C0-87-200 Edward Cameron au Secretaire d'Etat des co-
lonies à Londre, vol. 2,1915.
99- AN.S. 4055 Antonetti à Gouverneur général, 10 Septembre 1915.
100- AN.S. 4 055 Antonetti au Gouverneur général: Rapport d'ensemble sur le re:
crutement, 10 Septembre 1915.
101- Idem.
.
102- AN.S. 2 G 16-5: Situation politique du Sénégal au 1et trimestre de 1916.
103- AN.S. 2 G 16-5 : Situation politique du Sénégal, 2" trimestre.
.. 104- AN.S. 2 0 9-20 : Gouverneur général AO.F. à Ueutenant gouverneur du Sé-
négal, 10 Avril 1918.
105- AN.S. 17 G 38: Circulaires sur les pOlitiques indigènes 1909-1917.
106- AN.s. 2 G16-5 Sénégal : ~lapport politique 2"trimestre 1916.
107- Idem.
108- Uiy:;enga, (page fi9).
109- A.N.S. 2 0 7-4: Cor au commandant de cercle de Jurbel, 9 Mars ·lrYI·!.
110- A.N.S. 4 055: Lieutenant-gouverneur aux administrateurs de cercles, Saint-
Louis, 27 Avril 1915.
'111- Idem.
112- Idem.
113- A.N.S. 13 G 72 pièce 204 : Administrateur Jurbel à gouverneur Sénégal, ;)~)
Septembre 1917.
114- A.N.S. 2 DI3-20: Administrateur cercle de Kees à Gouverneur Sénégal, 16
Mai 1918.
115-A.N.S.4 G 19 pièce 46: Rapport Picanon.
116- A.N.S.13 G 72 : Gouverneur général à gouverneur du Sénégal: Service L1II;IÎ-
res civiles, Juin 1915.
117- Alkama: L'INFLUENCE DU RECRUTEMENT MILlTI\\I11E SUR LES POPULA-
TIONS DE L'AFRIOUE TROPICI\\LE FllANCAISE, renseignement coloniaux n"8,
1935, (page 131).
1'18- A.N.S. 2 D 13-18 Parus Leclerc: Résident de Naning au commandé"ll I<no~..
20 Mar:iI915.
1'19- I\\.N.S. ;, 0 '14-6 Maurol Frères à administrateur cercle Tiwawan, ::1 M"i 19 1'1.
120-I\\.N.S. 4 065: Ropport Picanon.
1;~1- AN.S. 4 D 55: I\\nlonetti: Rapport sur le recrutement, 10 Septell1l.ln: 'l'll:,
122- AN.s. 4 GI9 : Ilélpport Picanon, 14 Novembre 19'16.
123- Ideln.
124- AN.S. 2014-7: Lat Seen Faal au commandant cercle de Tiwawélll, :!U ,Ii lIil<:;
1917.
125- Echenberg M.: SII\\VES INTO SOLOIERS SOCIAL OlllGINES OF TIIE TI-
RAILLEUIlS SENEGAlI\\lS, Pour le colloque sur le code Noir Oal«)r 1986, (fla~ l':
30).
126- J.O.S. : Discours du Gouverneur à l'ouverture du conseil général, 21 Oclnl" (:
1915.
127- Idem.
128- Uiyscnga, (page 100).
129- Idem, Ibidem.
'130- A.N.S. 2 G 17-5: Il:.1pport d'ensemble du Sénégal au Gouverneur 1\\.01'.
1917.
"131- Echcnberg M. : Op. cit., (page 29).
132- Uiysenga : Op. cil., (page (8).
'133- Idem, ibidem.
134- Idem, ibidem.
'135- J.O.S. 20 Janvier 1918 : décret du 14 Janvier 1918 sur la natumli:"1Iir 1l1li':':
anciens combattants.
·136-ldem.
·137-ldem.
138- Pour ce qui est du séjour en Europe des Tirailleurs et de leurs rClélil(lI):; ;\\V':'.
les populations, voir Marc Michel (pages 379 et suivantes).
139- A.N.S. J. 16: Combat pour la démocratie Amadu l'artilleur ou répow;u ù Il;lr-
dy, Mars 1919.
140- A.N.S. 13 G 75 Circulaire du Gouverneur du Sénégal élUX administr<llcllI"S de
cercle, sans date.
• 80
141- J. O. AO.f. : Circulaire du Gouverneur général sur les tirailleurs.
142-ldem.
143- J.O. AO.f., 29 Juin 1918 Angoulvant : Circulaire sur les tirailleurs bléssés ou
réformés.
144-ldem.
145- J.O. AO.f. 11 Mai 1918: Circvulaire du gouverneur A.O.f. du 4 Mai 1918.
146- AN.S. 2 G 20-5 : Gouverneur du Sénégal au Gouverneur A.O.f.,rapport politi-
que 2" trimestre 1920.
147- AN.S. 2 G 19-1 : Service d'agriculture, rapport d'ensemble 1919.
148- AN.S. 2 G 20-33 : Cercle de Kees rapport 3e trimestre 1920.
149- A.N.S. J-16 Gouverneur général AO.f. Circulaire aux lieutenant-gouverneur
de L'AO.f., 1918.
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LES INSTITUTIONS COLONIALES ET
LES TRANSFORMATIONS SOCIALES
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CHAPITRE 9:
LE ROLE DE L'ECOLE DANS LA TRANSfORMATION DE LA SOCIETE
L'instruction fut l'instrument utilisé par la France pour enraciner solidement les
bases de sa civilisation dans le pays. Elle devait lui permettre d'imposer aux jeunes
générations un axe de vie accordé aux objectifs fixés par le colonisateur. La thèse de
Denise Bouche' sur l'enseignement en A.O.F. nous dispense de revenir sur les
origines de l'école française. Notre reflexion sera surtout centrée sur les transfonnations
opérées par l'école sur les structures sociales.
Aprés le rapatriement de Dard, l'école française du Sénégal fut confiée aux
frères de Ploërmel qui l'orientèrent vers l'enseignement agricole et industriel. Les
résultats furent décevants. On demanda àl'abbé Boilat, l'un des jeunes gens envoyés
en France par la mère Javouhey pour y recevoir une formation de prêtre, de créer un
collège secondaire à Saint-Louis.
Boilat entreprit alors une croisade contre les parlers locaux qu'il considérait
comme les vrais obstacles au triomphe de la «vrai dévotion•• sans laquelle dit-il, il n'y
aurait point de civilisation} L'expansion du christianisme était donc, à ses yeux,
inséparable du triomphe de la langue française sur les idiomes locaux.
Cette volonté de faire de l'école française un instrument de christianisation en
éloigna les musulmans. Faute d'un personnel compétent, on se borna à une formation
générale toute primaire sans comparaison possible avec ce qui se faisait en France.
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Dès sa nomination à la tête du gouvernement, Faidherbe essaya de remédier
à cette situation qui, en se prolongeant, risquait de provoquer une profonde cassure
entre les musulmans et les chrétiens dont l'entente était nécessaire à son oeuvre de
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conquête. En 1856 il créa une école laïque où les marabouts avaient obligation
d'envoyer leurs élèves pour la classe du soir. Au même moment il mit sur pied un autre
établissement appelé école des otages, parce que les fils de chefs qui en <<furent les
premiers élèves avaient été donnés en cette qualité par leurs pères",': A mesure que
W2
8 0
progressait la conquête l'école s'enrichit de nouvelles recrues. Elle formait également
des interprètes.
L'organisation de l'école était rudimentaire. Les otages réunis dans un même
local fréquentaient, quand cela leur plaisait, la première école primaire ouverte à Saint-
Louis. C'est en 1857 qu'un instituteur fut spécialement détaché pour leur enseigner le
Français. Les enfants des services de l'administration étaient envoyés dans cet
établissement pour y recevoir une formation apte à les lancer sur les traces de leurs
parents.'
Aprés la guerre franco-prussienne, on supprima cette école en 1871 pour ne la
rétablir qu'en 1892. " s'agissait encore d'amener les futurs chefs du pays à parler
français. Selon Faidherbe on ne pourrait considérer la conquête française comme
définitivement terminée que le jour, où les chefs locaux parleraient et écriraient en
français. En effet ils deviendraient les propagateurs les plus zélés de cette langue
auprés de leurs sujets'"
Cette école portait, dès sa naissance, une tare qui devait la marquer durant
toute son existence. Au lieu de développer une véritable autorité indigène capable de
gérer les intérêts des populations locales, elle borna plutôt sa mission à instruire des
fonctionnaires indigènes qui seraient de simples exécutants des directives de "autorité
supérieure. Aucun enseignement n'était consacré aux institutions coutumières qui
continuaient cependant de régir les populations. On n'évoquait l'histoire locale que
pour parler de l'Afrique terre bénie des dictatures. Devenus chefs, ces anciens otages
ne se considéraient plus comme les représentants naturels des populations de leur
circonscription, mais comme de simples auxilliaires de l'autorité française."
L'école des otages vit passer en 15 ans 103 éléves. 41 y restèrent trés peu de
temps. 56 profitèrent de leurs études qui leur per;nir~nt·de devenir chefs indigènes
(11), interprètes (9), officiers indigènes (2). Certains d'entre eux furent comptables à
bord de la flotille intérieure. Quelques autres trouvèrent emploi comme adjoints aux
instituteurs ou comme employés de bureau à l'imprimerie du gouvernement ou dans
le commerce!
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810
En faisant revivre en 1892 l'oeuvre de Faidherbe sous l'appelation de l'école des
fils de chefs et des interprètes, le gouvernement colonial lui fixa les mêmes objectifs.
Ils s'agissait toujours, en donnant un vernis de culture française aux représentants des
hiérarchies traditionnelles détruites, de les transformer en collaborateurs dociles de
l'administration. En 1894, âgé de23 ans Kumba Ndoffeen neveu de Mbacke 1\\ accepta
de se rendre à Saint-Louis avec sa femme, son cheval et son palefrenier pour
apprendre le français. L'administrateur Noirot avait fait comprendre au bur Siin que les
princes qui n'auraient pas fréquenté l'école de Saint-Louis ne seraient pas nommés
aux fonctions de chef de canton ou de province. C'est ce qui décida Mbacké Il à
envoyer à l'école française tous les Guelewar et les fils de notables du royaume.'
L'instruction donnée avec parcimonie aux fu1urs chefs des collectivités locales les
mettait dans une situation peu confortable. Car ceux d'entre eux qui ne reçurent pas
de commandement étaient condamnés à la médiocrité. Du fait même du bas niveau
de leur formation, ils étaient écartés des postes auxquels ils auraient pu prétendre s'ils
avaient reçu un enseignement conforme à leurs aptitudes.
Saint-Louis et Gorée s'étaient enrichies de quelques écoles avant même la fin
de la conquête. En 1890 on y dénombrait trois écoles laïques dont deux pour garçons
à Saint-Louis et à Rufisque, une pour filles à Saint-Louis contre cinq écoles congréga-
tionistes deux à Saint-Louis, deux à Gorée pour des garçons et une autre à Rufisque
pour des filles. Cette action éducative était complétée par une quarantaine de bourses
accordées à de jeunes gens envoyés dans les lycées et couvents de France. Les
bénéficiaires se recru1aient surtout parmi les enfants des fonctionnaires de la colonie.
Elle profitaient donc à une petite minorité déjà aisée.
La carte scolaire, dans les communes de plein exercice, était complétée àSaint-
Louis par une petite école secondaire tenue par les frères de Ploërmel. Une douzaine
de boursiers et une vingtaine de jeunes également entretenus aux frais de la colonie
étaient envoyés dans les écoles des Arts et Métiers de France.·
En accordant toutes ces faveurs administratives aux enfants de la petite
.bo!Jrgeoisie, l'administration donnait la preuve que l'enseignement dispensé dans la
colonie manquait de bases solides. L'instruction primaire, sur laquelle il devait
rg
9 11
préférentiels.43 Tous ceux qui n'approuvaient pas cette façon de faire se mirent à agiter
le spectre ••d'un mouridisme politique plein de danger pour inciter l'autorité adminis-
trative à le persécuter"'». Plus grave pour les traitants l'argent tiré de la vente des
arachides n'était plus utilisé à l'achat de la pacotille de traite. Ce qui non plus n'était pas
du goût des commerçants européens et indigènes qui constatèrent, dans les secteurs
ou prédominaient les mourides, une baisse trés sensible de leur marge bénéficiaire.·5
En dehors des daara la confrérie copia son organisation sur celle de l'adminis-
tration avec une hiérarchie bien structurée de cheikhs. Dans chaque village, chaque
canton, ou province des cheikhs avaient été placés pour encadrer les adeptes.
Souvent les chefs administratifs étaient obligés de passer par les cheikhs pour faire
éxecuter les directives qui leur venaient du cercle. Grâce à cette prise en charge tous
les éléments libérés par la situation économique nouvelle pouvaient facilement trouver
un cadre de vie accordé à leurs espérances.
En raison même des origines sociales de ses membres et des persécutions
dont Cheikh Samba fut systématiquement l'objet de la part des autorités françaises,
la confrérie mouride semblait être le refuge par excellence de ceux qui avaient des
griefs réels ou imaginaires contre l'administration coloniale. Cette hostilité se lisait dans
leur comportement quotidien. Elle était entretenue par la répugnance qu'ils manifes-
taient constamment pour les usages et le costume européen, le mépris dont "ils
(entouraient) quiconque n' (était) pas musulman46». Ils avaient tous conscience que le
musulman était supérieur au Kafir, à l'infidèle. Par la puissance de sa cohésion, par
l'emprise qu'elle exerçait sur ses adeptes la confrérie mouride, à l'instar de ses soeurs,
contribuafortement à l'islamisation de la société sénégalais7.Comme elles, elle réussit
à protéger ses adeptes contre les influences jugées pern1(éuses de l'occident. Cette
lutte contre l'étranger revêtit d'autres formes plus subtiles et non moins efficaces dans
les centles urbains.
Les villes étaient peuplées d'individus qui venaient à peine de rompre avec leurs
origines rurales exception faite des habitants de Gorée et de Saint-Louis. Si certains
d'entre eux faisaient profession de foi islamique, d'autres demeuraient fidèles è la
religion du terroir. Mais en acceptant de vivre dans ces escales créees par la
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colonisation, les uns et les autres avaient accepté de vivre sous l'empire de la
civilisation française. C'est en cela qu'ils s'exposaient selon les chefs des confréries
au risque de succombeià la tentation de l'ocCjde~(Se posa alors laquestion de savoir
comment faire pour les soustraire à ce danger sans donner aux autorités l'occasion
de réprimer le prétendu fanatisme des autorités musulmanes? La ville était plus facile
à contrôler que la campagne. L'étroitesse du périmètre urbain, ne permettait pas aux
confréries d'agir à leur guise. Toutes les activités des indigènes étaient soumises à l'
autorisation préalable. Les moindres dérapages étaient sanctionnés en vertu même
des pouvoirs disciplinaires des administrateurs.
En dépit de tous ces obstacles les confréries parvinrent à réaliser leur travail de
restauration sociale en direction de ces masses souvent désorientées par leur
nouveau mode de vie. Il est vrai que pour éviter l'isolement, les individus se regrou-
paient dans les quartiers selon leurs villages d'origine ou les affinités ethniques.
C'étaient en définitive des juxtapositions de groupes conservant leurs particularismes
et ne cherchant nullement à les transcender. Cette absence de cohésion les rendait
vulnérables aux dangers de toutes sortes qui les guettaient. C'est à cette situation que
tentèrent de remédier les confréries religieuses du Sénégal. Mourides, qadres, Layeen
et Ttjaan s'attachèrent à organiser ces masses d'hommes isolées en les regroupant
sous une même idée, un même sentiment. En d'autres termes on essaya de les
restructurer pour aboutir à la formation d'une société dont les éléments seraient
soudées par des liens plus solides que ceux du sang, à savoir les liens spirituels.
Sans mésestimer la contribution des autres' confréries il faut reconnaître
l'oeuvre gigantesque réalisée par El Hadj Malick et ses disciples dans ce domaine. Les
documents lui attribuent une forte dose de francophilie.- Mais il n'était pas plus
francophile que les autres n'étaient anti-français. Pour lui les rapports avec l'adminis-
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tian, permit à son actiun de se développer en toute tranquillité. Elle n'impliquat pas une
Il
9 13
reconnaissance de la souveraineté française puisqu'il ne reconnaissait que celle de
Dieu. Le colon pouvait donc prendre tous les titres qu'il voulait si toutefois il necherchait
pas à entraver par des mesures persécutrices le travail des marabouts. Comme ses
pairs il était convaincu que les marabouts devaient avoir la charge des âmes et rien ne
devait les en détourner.
Aprés bien des périgrinationsqui le conduisirent au JQ1.Qfau Walo, en Mauritanie
et à la Mecque en 1889 il finit par s'établir en 1902 à Tiwawan aprés avoir crée les
Zawiyya de Saint-Louis et de Dakar. Il ne tarda pas à être inquièté par les autorités
coloniales qui avaient peur de tous ceux qui faisaient partie de la confréries tijaan. Mais
il fit savoir au gouverneur qui l'avait convoqué à des fins d'interrogatoire que son
ambition était d'étudier, d'enseigner et de cultiver, que le chapelet était la seule arme
en sa possession.
El Hadji Malick comme les autres sufi n'accordait aucune espèce d'importance
à ce monde périssable car, disait-il, c'est «dans le renoncement que réside le bonheur
de quiconque est résolu à aller à Dieu. Le temple de la sainteté est bâti sur les quatre
piliers que sont: la faim, le silence, la veille et l'isolement"'», \\1 revenait fréquenmment
sur ce thème que ce bas monde était la demeure de la sottise et de la charogne que
se disputent les chiens. Il invitait ses adeptes qui se savaient périssables à s'accrocher
à l'éternel qui lui ne périt jamais.49
Pour mieux enraciner l'islam dans ces milieux flottants qu'étaient les centres .'
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urbains, El Hadj Malick mit l'accent sur l'instruction des maîtres qui devaient le relayer
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reçu de lui laformation religieuse adéquate constituaient les vrais cadres de la confrérie'.
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sur lesquels il s'appuyait pour diffuser et les sciences islamiques et iadoctrine de la
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9 14
accepté. "1ravaillaient eux aussi de façon à empêcher les coeurs de reprendre leurs
anciennes habitudes ou de succomber aux pièges nombreux de la vie urbaine. En ce
sens ils entravaient eux aussi l'action de l'administration. On pouvait exercer des
métiers pour gagner son pain mais les adeptes ne devaient jamais oublier qu'ils étaient
.
)
musulmans et partant tenus de se conformer strictement aux régies morales ensei-
gnées par l'islam. Il n'était plus question pour faire plaisir aux administrateurs de
consentir des contre-vérités pour échapper à la répression. L'adaptation à la vie
urbaine était aussi soutenue par une affirmation accentuée de la personnalité du
musulman qui lui restituait son orgueil et devait le mettre à l'abri des vices. C'était là le
but du travail en profondeur mené en direction des citadins.::: savoir que malgré les
difficultés, de parvenir à imprégner chaque musulman de l'esprit de l'islam pour rendre
total le triomphe de la religion dans le pays. De concert avec les autres confréries des
dispositions furent prises pour proposer aux musulmans des divertissements sains à
l'occasion des fêtes du calendrier français. Des Gamu ou célébrations de l'anniver-
saire de la naissance du prophète Mouhammed étaient systématiquement organisés
à la faveur de ces fêtes chrétiennes. Des chants religieux servaient de tribunes pour
diffuser chez ceux qui n'avaient pu faire l'école coranique, l'essentiel de ce qu'ils
devaient savoir sur la pratique de leur religion et leur façon de se comporter dans la vie
quotidienne.
Le gouvernement colonial n'était pas dupe de ce travail en profondeur accompli
par les confrèries dans les centres urbains. Les discours enflammés des sermonnaires
en direction de ces multitudes allaient à "encontre des intérêts français. Aussi Ponty
préconisa-t-i1 la surveillance étroite de certaines personnalités musulmanes dont
l'influence ne cessait de prendre de l'ampleur afin de n'être pas surpris par un éventuel
dérapage.5O
Les rassemblements réunissaient les représentants de toutes les ethnies, de
toutes les confréries. Ils permirent de donner une cohésion et un esprit communautaire
aux individus épars, sans liens définis qui risquaient, du fait même de leur isolement,
d'être trés vulnérables à la civilisation qui les entourait de toutes parts et dont ils
n'entrevoyaient que les aspects les moins beaux. Sous les apparences de la soumis-,.
li
9 15
sion, les confréries musulmanes du Sénégal poursuivirent leur action d'islamisation
des populations pour réaliser le monopole des fidèles dans lequel elles voyaient le but
ultime de leur mission. En quadrillant les zones rurales et les centres urbains par leurs
daara, elles purent encadrer les populations pour leur enseigner les provisions de la
loi islamique. Cette action se fit en profondeur, de manière souterraine. Cette nouvelle
intégration sociale, en donnant de nouveaux repères aux victimes de la colonisation,
les mettait aussi à l'abri des influences françaises que sommairement les marabouts
assimilaient à une forme de christianisation. La conséquence de ce travail fut avec la
défense de l'identité du musulman, l'abolition des cloisons qui séparaient les ethnies'"
et l'adoucissement du problème des castes avec la proclamation du principe de
l'égalité des croyants.
Les confréries musulmanes furent donc l'expression du refus des populations
d'accepter l'ordre colonial qui avait apporté des bouleversements révolutionnaires
dans la société locale. 53 Tout en assurant la cohésion des âmes, elles permirent le
maintien, dans une grande mesure, des formes sociales traditionnelles dont l'adminis-
tration paraissait vouloir les dégager pour faciliter son action. En remplaçant la
solidarité classique tribale ou ethnique par la cohésion spirituelle, l'islam donnait àses
adeptes le sentiment d'appartenir à une communauté plus vaste. Mais dans cette
communauté les milieux étaient divers. Si certains lettrés penchaient pour l'arabisation
de la société, l'immence majorité des fidèles demeurait encore fidèle aux moeurs
ancestrales dont rien ne pouvait encore neutraliser la vigueur. Il appartenait au temps
de les dégager de toutes les pratiques d'une orthodoxie fort contestable.
Si l'administration était plutôtfavorable au triomphe du christianisme, elle ne prit
cependant aucune disposition particulière pour la rendre possible. Et pourtant le
christianisme est trés ancien en Sénégambie où sa présence est attestée depuis
l'époque portugaise.
Parallèlement à leurs opérations commerciales, les Portugais avaient voulu
réaliser dans leurs possession une action en profondeur, c'est à dire une mission
fi
9 16
chrétiennne qui ne se limiterait pas «seulement aux paroles, au signe de la croix et à
l'observance du dimanChe54)jmaiS qui se traduirait «par une oeuvre d'ajustement,
d'interpénétration de valeurs ou de cultures presque toujours accompagnée de
métissage5S». Les commerçants portugais établis en milieu indigène essayaient d'y
enraciner le catholicisme. Ils s'adaptèrent aux conditions de vie de leur pays d'adop-
tion. Tout en se réclamant du catholicisme ils étaient polygames. Leur religion souffrait
de l'absence d'un clergé local. Il est vrai que l'évèquede Santiago du Cap-Vert envoyait
de temps à autre un visiteur dans les localités de Rufisque, de Porto-Novo, de Portudal
de Joal et de Palmarin qui abritaient quelques chrétiens. Mais ces visites étaient fort
espacées et ne pouvaient donner de bons résultats en raison de leur briéveté et de la
concurrence de l'islam.56
Dès lors il n'est pas surprenant que le catholicisme subît en Sénégambie de
profondes altérations. On constata un amalgame entre le catholicisme et l'islam. Les
catholiques de la Petite- Côte se promenaient avec un grand chapelet pendu au cou,
nous dit Lacourbe "quoiqu'ils ne fussent ni baptisés ni n'ayant aucune teinture de la
religion chrétienne" .57 Ils s'habillaient de la manière des Européens. Bien que Noirs ils
assuraient qu'ils étaient Blancs voulant signifier par là qu'ils étaient chrétiens comme
les Blancs.56 La plupart de de ces chrétiens faisaient les prières avec les musulmans
et quand ils voyaient des Blancs ils prenaient leur chapelet et faisaient comme eux. 59
/
Cette perméabilité de la foi nous donne l'exacte mesure du caractère superficiel de ces
conversions.
Mais malgré ces altérations le catholicisme persista dans la Petite Côte et
f
constitua la base sur laquelle s'appuyèrent les missionnaires pour la poursuite de leur
action d'évangélisation au XIX· siècle. Celle-ci avait été associée à la fin du XVIIIe et au
début du XIX· siècle avec la lutte contre l'esclavage. En France c'est le père François
Uberman qui fut "initiateur de cette entreprise en direction de la Sénégambie: En 1843
il envoya avec l'appui du ministre de la marine et des colonies Sept missionnaires dont
. les cinq moururent quelques mois aprés leur arrivée. En 18461e père BenoitTruffet était
nommé vicaire apostolique de la Sénégambie. Il était d'avis qu'il fallait détacher
totalement l'Eglise d'Afrique de tous les gouvernerT,ents européens qui essayaient de
lui donner leur protection pour mieux l'asservir.50
•
9 1'1
En 1848 Monseigneur Aloyse Kobes arriva à Gorée pour prendre la place de
Truffet décédé. Il fonda sapremière mission à Dakar. Il y resta jusqu'à sa mort en 1872.
Contrairement à son prédecesseur, il décida de s'appuyer sur l'administration fran-
çaise pour parvenir à ses fins. En quelques années, il put convertir quelques milliers
de noirs. Il créa un séminaire, une école où les garçons et les filles étaient séparés et
fit éditer beaucoup d'ouvrages en Wolof et en Sereer pour faciliter la diffusion de
l'enseignement chrétien. Mais son action resta malgré tout circonscrite à la cOte. Il ne
put atteindre les populations de l'hinterland en raison de l'antériorité de l'islam et
surtout de l'absence d'un clergé autochtone·'
Les pères Arragon et Gallais, les premiers missionnaires établis à Joal s'adap-
tèrent à la société locale afin de donner une plus grande efficacité à leur action. Mais
les Sereer demeurèrent profondément attachés à leurs croyances ancestrales et à leur
conception de la famille. La peur de voir l'établissement des missionnaires se
transformer en forts militaires dont les canons seraient dirigés contre le Siin détermina
le roi de ce pays à ordonner la fermeture de la mission de Ngazobil.
Le vernis des Sereer convertis manquait d'épaisseur. les missionnaires vou-
laient fondre leurs ouailles dans le moule du christianisme européen. La vitalité des
traditions locales rendit impossible cette assimilation. Peut être que l'intervention d'un
clergé local aurait eu plus de chance de succès en procédant, comme les marabouts,
c'est à dire en essayant de christianiser les pratiques auxquelle tenaient beaucoup les
Sereer. L'adhésion au catholicisme impliquait l'abandon total de la religion des
ancêtres alors que chez les musulmans la simple attestation de l'unicité de Dieu et de
la mission du prophète Mouhammed suffisait pour entrer dans la communauté
musu\\;,ane.62
L'action missionnaire se poursuivit avec constance au lendemain de la con-
quête. Les résultats furent nettement en deçà de ce que l'on espérait. Le christianisme
était alors perçu comme la religion du conquérant. Rien dans les rapports quotidiens
entre Noirs convertis et Blancs ne laissait transparaître cette égalité des croyants
qu'enseigne la religion. Pour maintenir la prépondér::mcc..des.colons, un certain
racisme apparut même lors de la célébration du culte. Les Noirs et les Blancs étaient
C!dition~
saupoudrage intellectuel. Ceux qui en bénéficiaient n'étaient pas dans les
1 8
idéales pour devenir de bons disciples des sciences. Le vernis culturel français reçu
faisait d'eux des gens mal instruits et malformés.
Les autorités coloniales semblèrent oublier que l'instruction n'était pas suffi-
sante pour opérer, chez ceux qui la recevaient, la révolution mentale qui les eût
transfigurés en français. Le travail ne pouvait être accompli que par l'éducation qui
seule était en mesùre d'agir sur toute la personne de l'enfant. Or il se trouve que dans
les zones rurales qui nous intéressent, cette éducation continuait à se faire selon
l'antique système des ancêtres. Les rites de passage continuaient, comme par le
passé, à préparer les jeunes gens à la vie adulte en leur inculquant les normes et valeurs
de la société qui les avait vu naître. Ces valeurs s'imprimaient profondément dans leur
esprit. Ainsi donc même
si on les mettait en contact avec d'autres valeurs, celles
auxquelles ils avaient adhéré dans leur prime jeunesse, conservaient tout leur vitalité.
Même quand ils les remettaient en question, ils ne les abandonnaient jamais. Dans
certaines circonstances elles subissaient des transformations mais rarement de façon
appréciable. En laissant à la famille le soin d'éduquer ses enfants, l'administration
condamnait, à un échec certain, l'action qu'elle entreprenait en leur direction. Le faible
nombre des enfants scolarisés était là pour rappeler que les moyens étaient trop
modestes par rapport aux ambitions proclamées. L'éducation est un tout et il est
illusoire de vouloir transformer les bases sociales d'un peuple en lui laissant le contrôle
de l'éducation de ses propres enfants.
L'échec était partout patent. Les enfants employaient certes le français à
l'école, mais dans l'ambiance familiale l'idiome maternel reprenait ses droits. La
diffusion de la culture française, par l'entremise des rares élèves, n'était pas suffisante
pour consacrer la victoire définitive des conquérants. On constata en 1903 que l'étude
des programmes avait été mal conduite, qu'il y avait beaucoup d'erreurs de méthode,
que les maîtres venus de France comme les instituteurs indigènes ne faisaient que
transposer au Sénégal les programmes et les procédés de la France. Car c'était dans
l'assimilation qu'ils croyaient trouver les réponses aux problèmes posés par la
colonisation.
•
9 1 9
religion du terroir explique à lui seulles modestes résultats du catholicisme à l'époque
coloniale.
Ce que l'on reprocha à ces convertis c'était de rechercher l'aisance matérielle
pour elle-même. Leurs loisirs étaient souvent employés à des divertissements dont
l'orthodoxie était plus que douteuse. Dans leur existence quotidienne ils adoptèrent
les moeurs françaises et même en imitèrent les excès.
Pour modestes qu'ils fussent ces résultats n'en continuaient pas moins un
succès pour la politique d'assimilation. Les convertis ne demandaient qu'à servir la
France. Dès lors on ne doit pas s'étonner qu'il n'ait pas eu au Sénégal la constitution
d'une église particulariste aux développements essentiellement Sénégalais et s'oppo-
sant de toutes ses forces à l'administration coloniale ou aux missionnaires eux mêmes.
Mais il n'a pas plu à l'administration coloniale, pour des raisons qui lui étaient
particulières, de tirer parti de ce groupe qui ne désirait que de rendre service. Les
mesures persécutrices prises à l'encontre des confréries musulmanes n'arrêtèrent
nullement leurs progrés chez les populations païennes. Face à l'hostilité des mara-
bouts, l'autorité coloniale aurait dû chercher une compensation chez les christianisés
qui acceptaient d'être associés à l'oeuvre de colonisation. Mais la peur d'ouvrir une
brêche dans le dispositif colonial empêcha l'administration de le faire. Dès lors son
action ne pouvait que rester superficielle puisqu'elle ne prenait pas appui sur des
groupes consistants et cohérents mais sur des individus dont l'influence sur les
populations était presque nulle. L'islam et le christianisme devinrent à leur tour porteurs
de la contestation politique que véhiculaient leurs adeptes. C'est dans leur dynamisme
souvent orienté vers l'affirmation des valeurs du terroir qu'il faut trouver "explication au
succès limité de l'action française au Sénégal.
1- Duval J. : La politique coloniale de la France, in revue des 2 Mondes.
2- Bizemont : La France en Afrique, in le correspondant, février 1887.
3- Crawder M. : WEST AFRICA UNDER COLONIAL RULE, (page 360).
4- Caries F. : LA FRANCE ET L'ISLAM EN AFRIQUE OCCIDENTALE Toulouse
1915, (page 67).
5- Quellien : L'ISLAM (page 194).
6- Quellien : (page 213).
7- Bizemont : Op. cil.
8- A.N.S. 13 G 67 : L'islam au Sénégal, pièce 3 S D.
9- A.N.S. 1 G 136 Angot: Commis des affaires politiques au gouverneur du Séné-
gal, 7 Avril 1889.
10- AN.S. 3 E 55 folio 254-255, Merlin: Rapport sur Cheikh Bamba, 5 Septembre
1895.
11- AN.S. 3 E 55 Folio 255 Merlin: Rapport sur Bamba, 5 Septembre 1895.
12- ANFOM, SénégallV-127 : Merlin, Directeur des Affaires politiques au Gouver-
neur, 29 Août 1895.
13-ldem.
14- Idem.
15- AN.S. 3 E 58 FF-142 à 145: Aubry lecomte au Gouverneur, 29 Mars 1899.
16- Paul Marty: La politique musulmane, in revue du monde musulman 1914,
(page 74).
17- AN.S. 13 G 67 Antonetti : Circulaire aux administrateurs, 1914. Confidentiel.
18-AN.S.: Dossier Cheikh Ahmadu Bamba 1911.
19-AN.S.: Dossier Cheikh Bamba 1911.
20- AN.S. 13 G 294 : Gouverneur général Ponty à lieutenat-gouverneur Sénégal,
Dakar, le 13 Août 1912.
21- AN.S. : Dossier Cheikh Bamba: Cor à Ponty, le 21 Octobre 1912.
22- AN.S. 13 G 67: Lieutenant-gouverneur Antonetti à Gouverneur général AO.F.
Saint-Louis, le 8 Septembre 1914.
23- Billy De E. : Notes sur la politique indigène, in renseignement généraux, 10
Mars 1914 (page 90).
24- AN.S. 13 G 67 : De l'influence des Cheikh au Sénégal.
25- AN.S. 2 D 8-6 Noirat rapport 1" semestre 4 Août 1894.
26-ldem.
27- AN.S. 2 D 8-6 Rapport politique du 1" semestre par Noirot, 4 Août 1894.
28-ldem.
29-ldem.
30- A.N.S. 2 D 8-6: Noirot, rapport 1" trimestre 4 Août 1894.
31-ldem.
32- Klein: Op. cil. (page 220).
33- AN.S. 13 G 691912-1913: Enquête sur les marabouts.
34- AN.S. 2 G 15-6: Situation politique 2· trimestre 1915.
35-ldem.
36- A.N.S. 19 G 1 : Marty, rapport au gouverneur général S.D.
37- AN.S. 13 G 67: Marty réponse sur l'islam 1915.
38- Moreau: DE LA CONDITION JURIDIQUE POLITIQUE ET ECONOMIQUE DES
INDIGENES DE L'A.O.F., (page 42).
39- Caries: Op. cil., (page 55).
40- Harmand : Op. Ci', (pages 56-57).
41- A.N.S. 2 G 15-31 Note sur la situation politique des pays de protectorat, 1"tri-
mestre de 1915.
J
921
42- AN.S. 13 G 67 Marty: L'ISLAM AU SENEGAL (pages 7-8).
43-ldem.
44- AN.S. 13 G-67 Marty, (page 9).
45- Idem, ibidem.
46-A.N.S. 2 G 16-8 Gouverneur général AO.F. à Ueu1enant-gouverneur du Séné-
gal: Correspondance pour l'établissement des rapports trimestriels.
47- Samb A: CONTRIBUTION DU SENEGAL A LA L1TIERATURE ARABE CLAS-
SIQUE.
48- Samb A : Op. ci!.
49-ldem.
50- AN.S. Dossier Ahmadu Bamba : Ponly à Ueu1enant-gouverneur Sénégal, 1'"
Mai 1911.
51-AN.S. 2 G 12-9 Ueutenant-gouverneur du Sénégal à gouverneur général
AO.F. : Saint-Louis, le 7 Septembre 1912: Rapport sur la situation politique.
52- Cruise O. Brien : THE MOURIDES OF SENEGAL, 1971 (page 1).
53- Behrman : MUSLIM BROTHERS AND POLITES IN SENEGAL, Harvard. Press
1970, (page 27).
54- Freyre G. : LES PORTUGAIS ET LES TROPIQUES, Usbonne, 1961 (page 38).
55-Idem.
56- Boulègue: Les Luso. Africains du XVI· siècle au XX· siècle 1972, (page 44).
57- Lacourbe.
58- Lacourbe.
59- Lacourbe.
60- Klein: Op. cif. (page 47).
61-ldem, (page 51).
62- Crowder M. : Op. ci!. (page 366).
63-lnformation recueillie auprés de Mame Njoon à Kees , Mars 1980.
64- Queliien: Op. ci!., (page 90).
65- Quellien : Op. ci!., (page 91).
66- Randan: Le statut des indigènes convertis au christianisme, in revus D.O.M.,
1934.
f=
R22
Les écoles de village, ou du premier degré, étaient ouvertes dans tous les
centres où le nombre d'habitants en justifiait la création. Elles étaient en principe
dirigées par un instituteur ou une institutrice indigène et exceptionnellement par un
Européen. L'enseignement, dispensé en Français devait se limiter à l'expression
d'idées courantes à la désignation des objets usuels sans raffinement de syntaxe et
sans prétention à l'élégance.43 Le but était d'apprendre aux élèves la langue étrangère
servant de véhicule à l'instruction. Quand le maître montrait un objet il le nommait
directement en français. Les écoliers en faisaient autant sans passer mentalement du
mot indigène au mot français. On estimait que cette méthode permettait à l'enfant
d'apprendre en même temps à penser et à parler français. Le maître ne devait jamais
recourir à la traduction.··
Ce procédé, qui, en principe, devait permettre à l'enfant d'acquérir au cours de
l'année scolaire un langage de 600 mots environ, s'avéra trop lourd pour le cerveau
de l'enfant. En effet il lui imposait une gymnastique difficile lorsqu'il s'agissait de lui
expliquer la décomposition du mécanisme de la lecture ou le raisonnement qu'exigeait
une opération mathématique. Le procédé n'aurait pu réussir que si les enfants étaient
totalement soustraits à l'ambiance familiale. Ce qui était loin d'être le cas·5
Les écoles de villages étaient le moyen par lequel l'administration essayait
d'entrer en contact avec le plus grand nombre possible d'indigènes. Leur rôle était de
faire pénétrer les idées françaises dans ce milieu naturellement hostile. Tout devait être
mis en oeuvre pour envoyer tous les enfants des villages environnants à l'école du lieu
pour y recevoir les rudiments de l'instruction. On demeurait persuadé que, quel que
fût le caractère sommaire de cette instruction, les enfants qui en bénéficiaient
devenaient inconsciemment ou des propagandistes de la culture française." Une
mesure particulièrement incitative M prise en faveur des parents qui acceptaient
d'envoyer leurs enfants à "école: L'exonération d'impôt pour les écoliers.
Les écoles pouvaient accueillir autant d'enfants qu'elles voulaient parce que
leur but n'était pas de préparer les enfants à sortir de leur milieu mais à y rester pour
mieux le transformer. Elles les préparaient donc à une vie économique plus productive.
On les maintenait dans leurs habitudes sociales et sans chercher à sortir de la tradition ....
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JI
823
ni bouleverser l'ordre de la société. On se préoccupait de leur faire acquérir les moyens
d'améliorer leur bien-être, leur hygiène et leurs pratiques agricoles. L'école de village
n'était pas un établissement à diplômes, elle devait seulement aider à <<transformer leur
pays sans déraciner les habitants.»
Si l'instruction dispensée aux enfants à ce stade ne devait pas les inciter à
abandonner leur milieu puisqu'elle ne durait que trois ans, les meilleurs éléments qui
avaient fait preuve d'une vive intelligence n'en étaient pas moins sélectionnés et
conduits à l'école régionale. Là aussi la durée des études était de deux ans. Elles étaient
en principe ouvertes dans les localités importantes pouvant rayonner sur toute une
région où l'enseignement était suffisament développé pour fournir les éléments d'un
cours moyen. Ce n'était plus, dit Hardy, une école populaire, mais «les rendez-vous
d'une élite sociale et intellectuelle'"».
Les programmes pour les garçons portaient sur la langue française, la lecture,
le calcul. Etaient également enseignés quelques éléments sur l'histoire moderne et
contemporaine de la France et de ses colonies et des notions de sciences physiques
et naturelles appliquées à l'agriculture et aux industries locales. Une place importante
était reconnue aux travaux manuels pour les garçons etaux soins du ménage aux filles.
Les études de l'école régionale étaient sanctionnées par l'examen du Certificat
D'Etudes Primaires Indigènes (CEP.!.).
Les titulaires de ce diplome avaient la faculté de poursuivre leurs études, soit à
l'école primaire supérieure et commerciale, soit à l'école supérieure professionnelle
destinée à former des maîtres ouvriers. Ceux qui se sentaient une voCation d'ensei-
gnant, avaient toute latitude pour préparer le concours d'entrée à l'école normale où
pendant deux ans on leur donnait la préparation appropriée à leur futur métier."
Les écoles urbaines dont les programmes étaient identiques à ceux de la
\\
métropole puisqu'elles n'interessaient en priorité que les fils des colons, ne recrutaient
comme personnel enseignant que des instituteurs Européens, car la population
blanche et mulâtre des quatre communes ne voulait pas d'un enseignement qui lût
différent de celui de la France. 5O
' . ;...
~
824
Ce plan de Guy M mis immédiatement en application dans les pays de
protectorat et les territoires annexés où la carte scolaire subit des modifications. Les,
créations d'écoles se multiplièrent. A celles des escales de la voie ferrée qui en furent
dotées s'ajoutèrent d'autres au profit des zones rurales comme Jaan, Tul, Jurbel où
fut transférée celle de Sambé, Xombol, Ngujaan, Bambey, Nora du Rip, I<afrin pour la
zone qui nous intéresse.
QUELS ELEVES POUR L'ECOLE DU PROTECTORAT?
La question qui se posa au colonisateur était d'identifier la clientèle qu'il fallait
attirer vers l'école. Fallait-il ouvrir les établissements à tous les enfants qui s'y
présentaient, ou fallait-il réseNer cette instruction aux enfants de l'élite indigène?
Comme en 1892 on opta dans un premier temps pour les enfants des notables.
L'enseignement qu'on envisageait de dispenser n'avait pas pour but de déraciner les
enfants. On le réseNait donc aux enfants de l'élite dont les membres collaboraient déjà
avec l'administration coloniale. On n'avait pas voulu courir le risque de fabriquer de
toutes pièces une élite. Ce procédé générait partout beaucoup de déchets qui
pourraient être au Sénégal un facteur de corruption pour le milieu social. Puisque l'élite
existait, c'était à ses enfants qu'il fallait faire appel peur peupler les éccles ouvertes dans
le protectorat. Faute de pouvoir distribuer l'enseignement à tous les enfants, le
gouvernement choisit la minorité qui devait en bénéficier dans le milieu aristocratique.
La SOciété indigène étant fortement hiérarchisée, les statuts sociaux y étaient nette-
ment déterminés par l'hérédité et la coutume. Dès lors, pour l'administration, le
prestige qui s'attachait à la naissance devait se renforcer du respect que conférait le
savoir. La scolarité devait revêtir pour les fils de chefs et de notables un caractère
obligatoire. 5'
Aussi fit-on comprendre aux notables indigènes que l'instruction dispensée à
l'école était utile à leurs enfants surtout à ceux qui seraient appelés à assumer des
commandements administratifs. Elle les aiderait dans leur tâche en simplifiant leurs
rapports avec l'administration. L'expérience acquise entre 1892 et 1903 avait permis
de se rendre compte'q::Je;G&-fiIs'de chefs ou de notables ne se laissaient pas griser par
\\
~
825
l'instruction. Les déclassés se recrutaient surtout chez les enfants sans famille ou
d'origine médiocre que les circonstances avaient éloignés de l'autorité familiale.
Evidemment ce fut à l'école que les vieux imputèrent l'inconduite de ces jeunes gens.
Le danger pour l'administration était de voir les notables montrer une vive désaffection
vis à vis de l'école dont la clientèle ne se composerait que du menu fretin: fils
d'interprètes, de plantons, de miliciens, de boys et des esclaves envoyés par le chef
pour faire nombre. 52 L'école serait alors le refuge des classes inférieures et aucun fils
de notable n'accepterait plus de la fréquenter) car se serait pour lui une tare que d'y
paraitre. 53
Cette politique en direction de l'aristocratie ne manquait pas de rationalité, mais
elle s'adressait à ceux qui avaient les plus grandes raisons de s'opposer aux change-
ment de la société. Pour ces notables, l'école était le champ clos où se prolongeait le
combat entre les vainqueurs et vaincus. Tout en se résignant à envoyer leurs enfants
à l'école, les parents ne se faisaient pas faute de limiter la portée réelle de cet
enseignement sur leur progéniture. A la maison ils ;nterdisaient à leurs enfants de
parler français ou d'employer même un vocable français pour désigner une réalité
locale. Certains préférèrent recourir à la vieille méthode qui consistait à affubler du titre
de fils de chefs les enfants de leurs esclaves.
L'hostilité vis à vis de l'école explique la faiblesse des effectifs constatée dans
toutes les écoles de village nouvellement ouvertes. A Luga, important centre commer·
cial, "effectif de l'école n'était que de 20 élèves en 1903. On demanda à Amadu Cam
l'instituteur du coin d'user de son influence auprés des parents pour gagner de
nouvelles recrues. 54
En 1904 Jurbel n'avait que 18 inscrits, Guiïjan 14, Fuiïjun 12, Kaolack 40. En
dehors des communes de plein exercice la population scolaire n'était que de 300
ènfants pour 180.000 scolarisables. Ce chiffre était de 2700 dans les communes de
plein exercice pour 20.000 enfants en âge de fréquenter l'école.
Le problème de l'assiduité et de la ponctualité resta entier. Les écoliers
s'absentaient beaucoup et les instituteurs éprouvaient toutes les peines du monde à
~
826
donner à leurs classes un niveau homogène. Le programme n'était pas fait. On
recommençait toujours le travail de la veille. Le découragement gagnait les ensei-
gnants qui se contentaient finalement de ne donner aux enfants que quelques bribes
de la langue française. 55 Les distances relativement importantes qui séparaient les
villages des écoliers du village centre favorisaient aussi cet absentéisme. L'école de
Gurijan au centre de la province du Jaak scolarisait les enfants des villages de
Mburwaay à 2 Km, de Kër Ibra Kan, 2,5 Km de Jaak à4 Km, de Calle à 2,5 Km. Les allées
et venues fatiguaient les enfants, souvent obligés de se lever de trés bonne heure. La
plupart des écoles de village connaissaient cette situation. Pour en atténuer les méfaits
on fit commencer les cours à 7 heures du matin pour les terminer à 12 h 30, Les écoles
étant alors fermées les aprés-midi. 56
Cette solution pouvait avoir l'agrément des parents qui avaient ainsi toute
latitude pour disposer de leurs enfants l'aprés-midi. Mais la qualité de l'enseignement
s'en ressentait beaucoup.
Quel niveau pouvait on faire acquérir aux écoliers avec une demi journée de
cours généralement répartie en plusieurs divisions, sans parler des obligations de
l'instituteur auprés du chef de canton?
A Sakai les distances étaient si grandes que les enfants élisaient domicile dans
le village. Les parents leur faisaient subir le régime pratiqué dans les écoles coraniques
où les élèves enfants étaient obligés de mendier midi et soir pour avoir leur pitance. La
plupart d'entre eux ne vivaient que du produit de leurs maraudes. Aussi les plaintes
affluaient-elles auprés de l'instituteur et donnaient-elles à l'école une détestable
renommée.
Les difficultés du recrutement étaient accentuées par la concurrence des
écoles coraniques. Depuis la fin de la conquête l'islam était devenu le refuge de la
plupart des vaincus. Les marabouts dressaient partout des réquisitoires implaquables
~
contre l'école française. Les instituteurs furent unanimes pour dire que des mesures
,
coercitives étaient nécessaires contre les marabouts pour améliorer le recrutement
des élèves et la fréquentation scolaire. En 1903 les écoles publiques des cercles de
1
we
827
!.U92, de Tiwawan, de Kees, de Kaolack et de Noro n'accueillaient que 300 écoliers
alors que l'effectif des écoles coranioque y atteignait 202357•
Pourtant dans une certaine mesure, un effort avait été fait pour mettre les
enfants non originaires du village-centre dans des conditions acceptables. Des
bourses de 20 francs leur étaient souvent accordées pour lui permettre de vivre chez
l'habitant. A Fissel 10 élèves sur 22 bénéficiaient de cette subvention. 58 A Il.!! on créa
une cantine pour faire manger les enfants à midi.59
Ainsi, dans les zones rurales où l'école était en principe destinée aux enfants de
l'aristocratie, la réalisation du programme se heurta à de nombreuses difficultés. Par
rapport à l'étendue du pays, les établissements officiels étaient relativement rares.
Leur installation même sommaire nécessitait des batiments et un personnel assez
coûteux. De telles dépenses ne se justifiaient que pour des centres d'une certaine
importance, capables de fournir par eux mêmes une population scolaire suffisante.
Malgré toutes les mesures incitatives prises en faveur des enfants dont les villages
étaienttrop éloignés de l'école, leurs parents n'en subissaient pas moins des sacrifices
souvent trop lourds pour leurs ressources. Les bourses ne bénéficiaient qu'à une
infime minorité. Leur généralisation eût été une trop lourde charge financière pour le
budget de la colonie.5O
Finalement, ceux sur qui on comptait s'appuyer pour donner une certaine
profondeur humaine à l'action administrative, se trouvèrent, dès le départ, dans des
conditions fort désavantageuses. Les effectifs et l'enseignement manquaient de
consistance. Il n'était pas nécessaire d'être un bon devin pour lui prédire un avenir
sombre.
Il en était différemment pour les écoles se trouvant dans les escales de la voie
férrée, dans les chefs lieux de cercle ou dans les centres où la prospérité économique
---
avait attiré une population relativement nombreuse. Ces écoles recrutaient les enfants
des fonctionnaires des commerçants, et même des villages proches des escales. Les
recrutements étaient moins sélectifs que ceux des écoles de village. Ceux qui avaient
accepté de vivre dans les centres urbains participaient consciemment ou non à la
1
F-
R2 g'
civilisation française dans laquelle semblait s'inscrire la somme de leurs jours. Entre
1903 et 1910, on assista à l'accroissement continu des effectifs scolaires dans les
(
escales au moment où ils stagnaient ou étaient en regression dans les écoles de
villages. Les écoles de Fissel, de Tul, de Guiijan de Saq n'avaient que des effectifs
squelettiques oscillant entre 10 et 20 élèves au moment où Tiwawan atteignait 73
inscrits, Luga 72, Bambey 42, Fatick 140 et Kaolack 11 OS'.
L'autorité coloniale ferma certaines écoles rurales pour transférer le personnel
daris les endroits où les demandes d'ouvertures de classes étaient pressantes. Dès
1907 "école de Kusanaar fut fermée et des classes d'adjoints furent créées à
Karabane, Fatick, Fuiijuri où la population exigeait davantage de classes pour ses
enfants.52 En revanche rien ne semblait pouvoir amener les populations rurales à
changer d'attitude vis à vis de l'école. Peut-être que le recrutement sélectif de départ
leur avait fait croire que, l'école était le lieu où l'on fabriquait des chefs, des interprètes,
qu'elle n'était ouverte qu'aux enfants des notables.53
Le déséquilibre entre citadins et ruraux dans la scolarisation des enfants ne
cessait de s'aggraver à mesure que le temps passait. En 19081e cercle de Jurbel dont
la population était estimée à 200.000 habitants et qui fournissait une contribution de
700.000 francs au budget n'avait que deux écoles totalisant un effectif de 21 écoliers. &l
La même année le cercle de Kees avec une population de 300.000 habitants n'avait
qu'un effectif scolaire de 141 enfants dont 100 à Kees. En d'autres termes la
scolarisation en milieu rural ne touchait que 41 personnes. 14 à Tul et 27 à Fissel. 65 De
telles constatations pouvaient être faites partout. Les paysans qui fournissaient
l'essentiel des budgets régionaux étaient marginalisés en matière de scolarisation. Les
améliorations notées dans les recrutements ne se firent qu'au bénéfice des enfants
des citadins.
Entre 1910 et 1914 les effectifs connurent un certains accroissement pour
l'ensemble du Sénégal. La population scolaire fut de 3211 élèves en 1911 et 3476 en
1912. Au même moment l'effectif des filles passa de 259 à 32466• En 1913 les élèves
indigènes atteignirent le chiffre de 3793. Ce surplus s'expliquait pa. descréations
~
8 2 9
d'école à J.!.!!!J.11!, ~, Velingara, Kedugu et par l'installation d'une nouvelle classe à
Fatick. S'y ajoutait aussi l'accroissement de "effectif des classes de Saint-Louis et de
Dakar.·7 Bref en 1913 pour l'ensemble du Sénégal dont la population était estimée à
1.245.000 habitants seuls 4393 enfants fréquentaient les écoles officielles. Ce qui
représentait un pourcentage à 1/60 si l'on évalue la population scolarisable à 260.000
enfants.
En 1914 ce chiffre connut une diminution de 203 unités en raison de la fermeture
de trois écoles en Casamance et des écoles de Rufisque et de Dakar consécutivement
à l'épidémie de peste qui y sévissait. Beaucoup d'élèv~frappés par la limite d'âge
portée à 16 ans avaient également abandonné l'école.
A la même période les écoles urbaines accueillaient 93 écoliers européens dont
41 filles et 189 assimilés dont 49 filles. 68
Les escales de la voie ferrée Kees-Kaay profitèrent aussi de la fermeture de
certaines écoles de village. En 1915 on supprima les écoles de Tul et de Gunjan pour
les remplacer par une école créee à Khombole. Pour insuffisante fréquentation, les
écoles de Maka et de Sakai connurent le même sort. Avec les méfaits de la guerre
l'effectif passa pour le Sénégal de 4194 à3988. La mobilisation des originaires en 1916
accentua la crise. Dès Janvier 1916 50% des maîtres indigènes étaient incoporés. Ceci
entraina la fermeture de leurs écoles. La plupart des maîtres servant en pays de
protectorat étaient originaires des quatre communes qui avaient été les premières
localités à être dotées d'établissement scolaires. ainsi 31 instituteurs furent mobilisés
sur 64 ainsique8 moniteurs. entre 1914 et 1916,16 écoles de garçons furent fermées
sur 40 et trois écoles de filles sur cinq." On ferma systématiquement les écoles de
village. dans les cercles on ne laissa ouverte que l'école du chef-lieu. En 1916 l'effectif
n'était plus que de 3306 élèves dont 219 filles indigènes. Seules continuaient de
fonctionner normalement les écoles municipales des quatre communes. 70 Celles-ci
avaient dans leur budget un chapitre consacré à l'instruetionj:lublique. De plus, une
;\\~s~~~~·
.
fois sous les drapeaux, bon nombre d'originaire regrettèrent den'avoir pas étéà l'école
française. Ils poussèrent leurs fil~t let\\fS frères à se faire scolariser. L'accroissement
~
830
des effectifs dans les communes atténua les effets de la fermeture des écoles rurales
... et des escales?'
La guerre interrompit un mouvement favorable à l'école, Les autorités ne
cessaient de recevoir des doléances des populations demandant l'ouverture d'écoles,
souvent à l'instigation des chefs de canton ou des traitants. En 1909 Njaari, Sagatta,
Kebemer, Malem demandèrent de nouvelles créations n
Tout en se préoccupant de distribuer l'enseignement 'au plus grand nombre
d'enfants ruraux, afin de leur donner, avec l'empreinte française, des connaissances
pratiques pour améliorer la rentabilité de leur travail, le gouvernement colonial ne perdit
pas de vue la nécessité de dégager de cette masse l'élite susceptible de recevoir une
instruction plus complète. 73
L'élite dans le protectorat était fabriquée par les écoles régionales qui rece-
vaient les élèves des écoles rurales dont les aptitudes intellectuelles étaient réelles. Le
rôle des écoles régionales était de répondre aux besoins sociaux et économiques du
pays en donnant à leur clientèle, en même temps qu'un complément d'instruction
générale, les notions d'instruction pratique industrielle, agricole, susceptible de
stimuler son activité. C'est pour cela, qu'aprés avoir sélectionné les meilleurs éléments
des écoles de villages, elles les orientaient vers les différentes branches selon les
aptitudes individuelles. Pour l'ensemble du Sénégal l'effectif des écoles régionales
était de 1822 en 1909 et de 2254 en 191074•
Les écoles régionnales n'étaient cependant pas des ateliers industriels où l'on
essayait de donner la pratique d'un métier. L'institution se contentait d'inculquer aux
enfants la notion salutaire de l'utilité du travail sous toutes ses formes, et de leur
apprendre à se servir de leurs mains par une série d'exercices productifs. seule l'école
pouvait amener les enfants à s'entrainer à des métiers qui traditionnellement étaient
réservés aux castes professionnelles. Ainsi les élèves les plus agés et les plus vigoureux
étaient CO'lduits lors des séances de travaux manuels, à l'atelier où ils exéa.rtaient divers
travaux d'apprentissage selon leurs goûts et leurs ap;itl/es naturelles.75
.... ··1.
Les travaux manuels avaient donc pour objectif de faire éclore les dispositions
naturelles des enfants afin de' pouvoir facilement les guider vers les métiers pour
lesquels ils présentaient le plus d'aptitude. Ils devaient leur faire acquérir une habilité
générale de la main et de la connaissance du maniement des principaux outils comme
le mètre, le marteau, la balance. Au bout du compte, ils constateraient d'eux même
l'absurdité de l'opinion selon laquelle les professions manuelles étaient l'apanage des
gens dont l'intelligence était faible. 76
En 1909 Ponty prescrivit de donner plus d'importance à l'enseignement des
filles. Jusqu'alors n'étaient scolarisées que les filles catholiques ou païennes. Les
familles musulmanes refusaient de faire scolariser leurs filles. Ce déséquilibre dans la
scolarisation, au détriment des filles, s'il persistait, risquait de
déboucher sur la
création d'une société baroque marquée par une grande dénivellation trés "préjudicia-
L
ble à l'harmonie eila cohésion des ménages77». En 1914 l'effectif des filles scolarisées
atteignait à peine le vingtième de celui des hommes. Sans un renversement de
tendance, le fossé intellectuel creusé entre les deux sexes risquait de s'appronfondir
davantage.
Le gouvernement colonial savait que son action ne serait vraiment efficace que.
si elle touchait les femmes. Une société éprouve des difficultés à progresser quand elle
tient la femme dans une position infériorisée. La féminité ne doit pas avoir pour attribut
l'ignorance. Une fois scolarisée la femme pourrait devenir comme l'homme un agent
de développement. Tout le monde est d'accord sur le rôle considérable de la femme
dans l'organisation familiale où se transmettent toutes les vertus sociales. Elles
donnent les premières leçons à l'enfant. L'école française ferait de grands progrés le
jour où des manresses indigènes y feraient leur apparition.'"
Malgré tous les appels lancés par les autorités et par les fonctionnaires qui
voulaient des femmes instruites, les musulmans se retranchèrent dérrière la barrière
de la religion pour maintenir leurs filles au foyer, Ils avaient trop de préventions contre
l'école et craignaient qu'on en fît des débauchées. Seule une révolution mentale était
en mesure de leur faire changer d'avis.
,
832
Les écoles primaires dispensaient un enseignement moins performant que
celui des écoles urbaines dont les programmes étaient identiques à ceux de la
métropole. On avait pensé que le séjour à la colonie ne devait pas constituer, pour les
fils des colons appelés à poursuivre leurs études en France, une cause d'échecs
ultérieurs. 79
LES PROGRAMMES
Les programmes des écoles indigènes obeissaient aux objectifs assignés à
l'enseignement qui étaient de servir au développement économique du pays en
dirigeant les populations dans le sens du progrés agricole et industriel tout en
demeurant l'instrument le plus efficace pour imposer aux indigènes l'empreinte de la
culture française.
Si dans les écoles de village, l'accent était mis sur la langue française parlée,
celle-ci devait néanmoins demeurer en rapport étroit avec le programme exclusive-
ment pratique des écoles. Une place de choix était réservée à l'éducation morale. \\1
fallait convaincre les parents que leurs enfants étaient maintenus dans l'observance
des devoirs familiaux et sociaux, dans le respect des ancêtres et des croyances
f"I'IIl1'f-":::-.fI.!'-.
religieuses. Tout devait être fait par les maîtres pour ~ l'accord parfait entre la
morale de l'école et celle des maîtres. Au vu des résultats les parents cesseraient de
voir dans l'école "un principe de désorganisation familiale et sociale"60.
Aux différents stades de l'école de village, les exercices de langage, la lecture,
le calcul occupaient l'essentiel de l'emploi du temps. \\1 s'y ajoutait, bien sûr, le dessin,
le chant. Les travaux manuels s'y réduisaient à des exercices pratiques d'agriculture.
Toute fois les élèves devaient se familiariser avec des outils comme le marteaux, les
scies, les tenailles.
Les programmes de l'école régionale étaient plus étoffés, quoique moins
denses que ceux des écoles urbaines. Leur but était de compléter l'instruction reçue
à l'école de village, de préparer des candidats aux écoles d'apprentissage, aux cours
normaux, et commerciaux et éventuellement aux écoles professionnelles. Elle prépa-
rait donc à des examens.·'
Je
833
Mais du fait même de son caractère régional, elle devait s'enraciner au sol qui
la supportait. Son adaptation au milieu était nécessaire, car les cadres qu'elle était'
susceptible de fabriquer n'étaient que des cadres locaux qu'on avait donc pas intérêt
à déraciner. Elle participait àla formation de l'élite. Elle recherchait davantage la qualité
que la quantité. Ainsi sa discipline était-elle impitoyable pour les éléments que l'on
considérait comme dangereux, Tous ceux qui étaient animés d'un esprit contestataire
en étaient exclus. on ne devait jamais leur donner l'occasion d'accéder ni au cours
normaux, ni aux écoles professionnelles àplus forte raison à l'école normale. N'étaient
jugés dignes de recevoir cet enseignement que les enfants intelligents, dociles et
obéissants.62
Là comme ailleurs, la base de l'enseignement était constituée par la langue
française, le calcul, les sciences physiques et naturelles centrées sur les notions de
cause à effet pour préciser et compléter celles reçues au cours élémentaire. La grande
originalité de ce programme résidait dans l'enseignement de la géographie et de
l'histoire.
L'objet de la géographie était de montrer aux enfants les rapports étroits
unissant l'homme et le milieu. L'enfant apprenait à réfléchir sur le milieu physique et
humain qui l'environnait.
Dans l'enseignement de l'histoire se poursuivait une active propagande pour
détacher les enfants de leur passé afin de mieux les raccorder à celui de la France. On
pensait que ce divorce d'avec leur histoire les rendait plus perméables aux influences
culturelles françaises qu'on entendait leurfaire acquérir. Les enseignants faisaientdes
Gaulois les ancêtres des Africains. Et sans se soucier de toutes les contradictions
qu'une pareille affirmation entrainait, ils leur faisaient comprendre que le passé de leur
pays était instable et sanglant avant l'arrivée de la France, que leurs rois et leurs chefs
étaient des tyrans abominables et des dictateurs haïssables. Les leçons sur les
conquêtes françaises mettaient un voile pudique sur les destructions et les brutalités
afin de pouvoir présenter toutes ces guerres comme des conquêtes de la civilisation
et comme des bienfaits. 53
Les travaux manuels gardaient toute leur importance. Les écoles étaient
enracinées dans la' région grâce à leurs programmes plus ou moins adaptés aux
différents milieux auxquels ils s'adressaient. En 1914 Ponly insista sur la nécessité de
se démarquer des programmes métropolitains en dispensant un enseignement ap-
puyé sur le milieu local. On devait l'adapter aux milieux des pêcheurs, des cultivateurs,
des pasteurs et des ouvriers auxquels il s'adressait."
Des manuels furent publiés pour faciliter l'application de ces programmes par
Sonolet, Hardy, Leguillette. Les textes choisis avaient tous pour but de faire accepter
aux élèves leur condition de futurs subalternes. Dans le livre de lecture intitulé Moussa
et Gigla on faisait comprendre aux élèves indigènes que c'était leur devoir d'aimer et
de servir la France avec loyauté. Les diférences entre les races étaient superficielles.
La bonté n'avait aucun rapport avec la race, mais que c'était un avantage pour
l'indigène de travailler pour le Blanc mieux éduqué que le Noir. Le métier auquel le bon
nègre devait se livrer était soit de porter les armes pour la France comme tirailleur soit
de rester à la terre comme agriculteur. as
Dans ces écoles régionales les études étaient sanctionnées par l'examen du
certificat d'études primaires indigènes (C.E.P.I.) dont la valeur était jugée inférieure à
celle du certificat d'études primaires élémentaires délivré dans les écoles urbaines.
Cette disparité dans la qualité de l'enseignement ne doit aps surprendre. Les écoles
indigènes formaient le petit personnel dont avait besion l'administration coloniale pour
garnir les échelons inférieurs de la bureaucratie coloniale afin de créer toutes les
conditions permettant l'exploitation des ressources du pays.
La disparité dans la qualité de l'enseignement justifiait cette inégalité dans les
traitements des agents de l'administration. Aussi la préoccupation primordiale des
intellectuels noirs lut-elle d'obtenir un enseignement de même qualité que celui
dispensé dans les écoles urbaines, afin que "obtention des mêmes diplÔmes leur
donnât le droit de prétendre aux mêmes avantages. Tous pensèrent que la solution
était de se laisser assimiler par la civilisation française.
# ..•.•
'~'J;ro' ...
Quoiqu'il en fût, les titulaires du C. E·. P.1. avaient la faculté d'aller poursuivre leurs
études dans les écoles primaires supérieures, les écoles professionnelles. L'école
primaire supérieure était un groupe central basé à Saint-Louis. Elle abritait plusieurs
sections. Le cours normal formait des moniteurs pour "enseignement et des candidats
à l'école normale d'instituteurs. D'autres sections formaient des élèves-postiers, des
élèves expéditionnaires, dactylographes et comptables, des élèves infirmières. En
plus, une école d'apprentissage préparait aux métiers de menuisier, de forgeron et
d'ajusteur et présentait des candidats à l'école supérieure professionnelle Pinet-
Laprade de Dakar. Les effectifs des sections étaient faibles. Ils dépassaient rarement
une dizaine d'élèves. En 1917 Van Vollenhoven demanda qu'on portât leurs effectifs
à 50 ou 60 élèves dans la mesure où c'était là que se sélectionnait l'élite de L'A.O.F.
L'enseignement professionnel était donné dans les ateliers de fer et de bois de
l'école supérieure professionnelle, sous le nom de pinet-Laprade. Bien qu'administrée
par le Sénégal elle était commune aux colonies de la fédération. Son recrutement
oscillait entre 20 et 30 élèves par an. Malgré l'existence d'ateliers annexés aux écoles
régionales, l'aversion des élèves pour certains métiers manuels demeuraitencore trop
forte.56
Jusqu'à la première guerre mondiale, l'instruction était donnée aux indigènes
avec parcimonie. L'élite ainsi dégagée de la nasse était toute dévouée à l'administra-
tion. Ses critiques se limitaient à demander l'assimilation qui lui permettrait d'amèliorer
sa situation matérielle. Elle ne parlait pas de révolution ni d'indépendance encore
moins de patrie sénégalaise. Elle cherchait à se dissoudre dans "identité métropoli-
taine afin de mieux tirer parti du système colonial. Les titulaires d'emploi dans
l'administration étaient dans leur immense majorité d'origines modestes. Ils appré-
ciaient le système qui leur avait permis de sortir de "anonymat en donnant au mérite
individuel la priorité sur les considérations de naissance. C'est pour cela qu'ils
insistaient, dans les doléances, sur la nécessité de supprimer les mesures discrimina-
toires.dans la distribution de l'enseignement. Leurs souhaits allaient vers une unifor-
misation du système de l'instruction afin qu'il n'y eCrt ::!us de distorsion dans le niveau
,
836
des diplômes et dans celui des traitements qui leur était subséquents. Pour les enfants
sortis des écoles urbaines, l'enseignement secondaire était représenté par l'école
secondaire de Saint-Louis qui conduisait les élèves jusqu'à la classe de troisième. On
avait troLNé superflu de créer un lycée à Dakar sous prétexte qu'il aurait été trop coûteux
et que les parents avaient des facilités, au moyen de bourses, d'envoyer leurs enfants
dans les lycées métropolitains. Un cours complémentaire était également ouvert à
Saint-Louis pour permettre aux filles, ayant obtenu le certificat d'études primaires
élémentaires d'approfondir leur instruction."' Cet enseignement n'était pas destiné aux
\\
élèves originaires des pays de protectorat.
Les résutats obtenus par les écoles indigènes ne pouvaient qu'être médiocres
au vu du niveau de formation de ceux qui étaient appelés à dispenser cet enseigne-
ment. Rares furent les instituteurs qui parvenaient à 18% de réussite à l'examen du
CEP.!. Jusqu'en 1913, année où Ponly décida de faire donner à l'école normale son
indépendance en la détachant de l'école des fils de chefs, la formation qu'on y
dispensait était approximative faute de personnel attitré travaillant sur des programmes
bien définis."" On faisait du tatonnement. Les instituteurs européens possédant les
qualifications requises, étaient employés dans les écoles urbaines ou dans celles des
escales ou la vie leur paraissait moins insupportable que dans les écoles de brousse.
Dans celles-ci on remédiait à la pénurie du personnel en faisant appel à tous ceux qui
pouvaient baragouiner le français.
Les instituteurs indigènes de l'école normale occupèrent les postes crées. Leur
nombre était faible, car en 1917 ils n'étaient que 180 pour l'ensemble de L'A.O.F. Ils
étaient titulaires du certicat d'aptitude à l'enseignement qui avait remplacé en 1908 le
brevet élémentaire. En proposant aux indigènes un diplôme sensiblement équivalent
au brevet métropolitain, on leur ôtait tout prétexte de faire des revendications salariales
tout en se réservant la possibilité de mieux adapter le contenu des programmes aux
réalités du pays. La grille de leur salaire allait de 1500 francs à 3600 par an.89 Les
premiers instituteurs ne se recrutèrent que parmi les originaires. Quelques fils de chefs
comme Yeli Manel Faal acceptèrent d'exercer ce métier en attendant d'être nommés
à la tête d'un canton.
l
•
Mt
831
Les moniteurs faisaient partie du personnel enseignant indigène. Au départ on
les recrutait sans examens. Pour la tâche qu'on leur confiait un bon élève de l'école
régionale y suffisait ou un bon interprète. Leur rôle était plutôt de surveiller cette
garderie qu'était l'école de village en essayant d'initier les enfants à la vie en groupe
tout en leur inculquant quelques notions de français parlé. Ces enseignants improvi-
sés, dépourvus de toute formation pédagogique)étaient tenus en dérision par les
administrateurs qui les surnommaient les «instituteurs illéttrés90». Pour remédier à cette
lamentable situation on ventila vers le cours normal les candidats issus d'écoles
régionales etqui étaient attirés par ce métier. A l'allocation que l'on versait se substitua
une solde variant entre 600 et 1000 francs par an."!
Lesdisparités dans la formation des enseignants provoquait un manque d'unité
et de direction dans les procédés pédagogiques, dans les méthodes, dans l'applica-
tion des programmes. Les chances de réussite de l'enfant dépendaient en grande
partie du degré de qualification de son maître. des élèves pouvaient échouer à leurs
examens sans être moins intelligents ou moins méritants que ceux qui avaient décroché
leur parchemin.
Quoiqu'il en fût le plan d'organisation scolaire mis en oeuvre donnait à
l'administration entière satisfaction. Les éléments fabriqués par l'école, occupèrent
des postes dans l'administration et ne remettaient pas en cause le système colonial.
Toutefois ils avaient conscience que la formation qu'ils avaient reçue était lacunaire et
les empêcait de prétendre à des responsabilité plus importantes. C'était le but
recherché par le gouvernement colonial de faire de l'école à la fois le principal moteur
du progrés tout en demeurant une institution inoffensive apte à maintenir les vaincus
dans une totale sujétion à l'égard des vainqueurs.92 Elle était tout à fait appropriée aux
buts utilitaires qui lui étaient fixés. Il ne s'agissait pas de donner aux colonisés un
enseignement intégral qui les aurait peut-être incités à dénoncer le système colonial.
Pour éviter de tels risques l'on se contenta d'un enseignement qui, rompant avec
l'é'chelle scolaire métr.0politaine. donnait une formation technique appuyée sur un
vernis de culture généra~n pareil enseignement ~tait frustrant pour les indigènes qu'il
maintenait dans une position infériorisée par rapport aux fils des colons et des
Il
838
assimilés. Même si les résultats obtenus étaient encourageants, force était de cons-
tater qu'ils ne profitaient qu'à une infime partie de la population scolarisable de la
fédération. Malgré J'état de guerre, Van vollenhoven projeta de lui accorder Jes crédits
nécessaires pour que tous les enfants de L'A.O.F. pussent fréquenter l'école dans un
délai de 3 ans." Les circonstances en décidèrent autrement.
La nécessité de donner à l'instruction des indigènes toute l'extension désirable
fut également exprimée par les populations avec une insistance toute particulière. Elles
ne .voulaient plus d'un enseignement au rabais. Leur souhait était une instruction
française complète, conduisant à une non moins complète assimilation. Les énormes
sacrifices qu'ils avaient consentis pour la défense de la France leur donnaient droit à
un traitement identique à celui accordé aux enfants des colons.
La guerre avait précipité le rythme de l'évolution. Les sacrifices héroïques
consentis par les Africains pour sa défense, faisaient obligation à la France de modifier
certaines orientations de sa politique coloniale pour instaurer d'autres types de
rapports avec ses sujets africains. Bref elle devait traduire autrement ses devoirs
particuliers de reconnaissance à leur endroit.
Le gouvernement colonial s'engagea à les mettre dans des conditions matériel-
les et morales confortables, par la fondation d'écoles, d'hopitaux pour augmenter la
productivité de l'activité agricole et mettre les populations à "abri des épidémies.95
Le 1"" Novembre 1918 Angoulvant prit un arrêté fixant la nouvelle organisation de
l'enseignement au Sénégal. Pour donner aux oeuvres d'intérêt social l'ampleur
qu'elles méritaient, ilfallait former un personnel technique recruté parmi les indigènes.
Car aprés la guerre, la France utiliserait ses citoyens pour réparer les dommages que
lui avait fait subir le conflit."
La nouvelle organisation créa un étage supplémentaire dans la structure de
l'enseignement appelé: Enseignement technique supérieur. Une école de médecine
de L'A.O.F. M créée pour fournir aux médecins européens les auxilliaires Indispensa-
bles à leur travail. Elle formait donc un cadre général subalterne constitué de
«médecins africains». L'école recrutait sa clientèle parmi les meilleurs élève~ ~e l'éCO~ 3 9
norma~William Ponty. Une école de sages-femmes était annexée à cet établissement
afin de faire baisser le "taux si élevé de la mortalité surtout enfantine".97 Une section de
médecine vétérinaire était également annexée à l'école de médecine pour former les
praticiens capables de donner des soins aux animaux et d'augmenter en conséquence
les ressources de l'élevage.
A Bingerville fut créée l'école d'agriculture et de sylviculture recueillant les
élèves sortant de l'école Faidherbe, pour en faire des agents d'agriculture. On décida
aussi d'accroître le nombre et l'importance des anciennes écoles des différents degrés
pour fournir aux services administratifs au commerce à l'industrie les agents qui leur
étaient nécessaires. On fit passerde 30 à 100 par an les promotions de l'école normale
William-Ponty afin d'accélerer le rythme de la scolarisation en A.O.F. 98
L'enseignement primaire supérieur et professionnel avait mission de préparer
les candi~ l'enseignement technique supérieurt tout en continuant, comme par le
passé, à former des agents pour les petits emplois du commerce, de l'industrie et de
l'administration. En dehors de l'enseignement général, les études portaient sur des
programmes spéciaux suivant les sections administratives ou professionnelles.
A l'école Pinet-Laprade les élèves apprenaient à être soit des menuisiers-
ébénistes, soit des charpentiers, ajusteurs et tourneurs, chaudronniers, ferblantiers,
forgerons, electriciens, dessinateurs, géomètres, surveillants de travaux publics. Un
cours d'apprentissage annexé à l'imprimerie du gouvernement général enseignait les
travaux de typographie, d'impression et de reliure."" Au total il y eut huit écoles
spéciales placées sous le contrOle du gouvernement général et qui préparaient toutes
des cadres subaiternes. L'ensemble M baptisé par AngoulvantJ.lne sorte d'univer-
sité ouest africaine dont le~ différentes sections avaient la possibilité d'étendre leurs·
programmes suivant les besoins du pays. En réalité cet enseignement demeurait
fidèlef aux principes qui avaient présidé à sa naissance à savoir qu'il était avant tout
pratique é1fin «de rendre possible "amélioration du sort de l'indigène""'».
IR
840
Les orientations nouvelles ne furent appliquées qu'aprés la fin du conflit. Elles
eurent pour effet d'accentuer le déséquilibre, en matière scolaire, entre les centres
urbains et les zones rurales. l'impulsion donnée à la scolarisation se fit au profit des
centres urbains exclusivement. Même dans certains de ces centres les effectifs
demeurèrent stationnaires comme pour Mexe et Xombole dont les effectives scolaires
passèrent de 58 en 1917-1918à50en 1919-1920 pour le premier et de 20 en 1918-1919
à 25 en 1919-1920'0' pour le second. En revanche pour d'autres centres la tendance
fut à la hausse. On avait l'impression que les parents voulaient rattraper le retard
imposé par la guerre. L'effectif de Kaffrine passade31 en 1919 à 118 en 1920'02. ~
connut un mouvement similaire. Le nombre d'élèves qui était de 100 en 1918 atteignit
130 en 1920'03. Mais malgré cette impulsion, le taux de scolarisation resta faible en
raison des difficultés budgétaires et de l'indigence du personnel africain chargé
d'effectuer le travail. En 1919 l'ensemble des écoles habilitées à former les différents
agents de la fédération n'abritaient que 600 élèves. Ce qui était un progrés par rapport
au passé mais était insuffisant en regard des immenses besoins du pays.
L'IMPACT DE L'ECOLE
Que l'école française ait apporté dans le pays des transformations de grande
importance, nul ne songerait à le contester. Seulement nous aurions voulu pouvoir
mesurer la profondeur des changements dans l'esprit des indigènes. Mais les
documents sont malheureusement muets sur cet aspect de la question. Une chose
nous paraît certaine, c'est que les quelques années de scolarité étaient insuffisantes
pour opérer dans l'esprit de ceux qui en bénéficièrent les transformations mentales
rêvées par "administration.'04
L'allure de semis de l'école, en rapport avec les objectifs limités qu'on lui fixa,
avait aboUti partout à un taux de scolarisation trés faible. Les cours d'adultes institués
çà et là permettaient d'augmenter les effectifs de ceux qui acceptaient d'apprendre la
. langue française. Ils n'amélioraient guère ia qualité de l'enseignement et ne débou-
,;,'
chaient, sauf dans des cas exceptionnels, sur aucun résultat positif pour les auditeurs.
Evidemment pour l'administration c'était un succès, car l'augmentation de ceux qui
employaient dans les relations quotidiennes des vocables français était un.signe que
la victoire était prtlche.
Les études subies ne donnèrent aux uns et aux autres qu'un vernis superficiel.
Dans les relations avec le milieu social les jeunes gens formés à "école se montrèrent,
en certaines circonstance, trés critiques à l'égard des normes et valeurs de leur société
d'origine. Ce n'étaient là trés souvent que des comportements de surface qui leur
permettaient d'être en accord avec ce que leur supérieur voulait entendre. C'était leur
façon de s'adapter au mode de vie dont la France était l'initiatrice. Les chets et les
autres fonctionnaires faisaient leurs rapports en français. Mais le caractère incomplet
de leur formation expliquait les tournures maladroites auxquellles ils recouraient pour
exprimer une pensée construite selon les régies de leur idiome maternel.'05 Chaque
occasion était bonne pour eux d'exprimer tout l'amour qu'us éprouvaient pour la France
etles efforts qu'ils déployaient pour la faire aimer. Quelle était la part de la sincérité dans
leurs déclarations?
Les différents agents instruits à l'école française formaient le groupe des
évolués. Pour se rapprocher des Français/ ils adoptèrent leur mode vestimentaire.
Certains portaient des complets de drap avec chapeau melon, suivis dans. leurs
promenades de leurs domestiques habillés eux aussi à l'européenne portant la trousse
de toilette des maîtres. 106 A tout prix ils voulaient entrer sans transition, dans les cadres
et les habitudes de vie de la société française. L'adoption du port vestimentaire
n'entrainait pas celle des principes de conduite des Français. Les comportements
traduisaient l'ambiguité de la situation dans laquelle ils se trouvaient: Malgré les
apparences, l'instruction ne les avait pas transformés en créatures nouvelles. Ils
n'étaient pas totalement libérés des influences séculaires dont rien n'avait pu encore
détruire la vigueur. Cette situation intolérable aiguisait leur esprit critique contre cette
formation mutilée qui les mettait en porte à faux avec les deux cultures qui se les
disputaient.
La société était devenue baroque dans les endroits où elle julÛaposait le groupe
des évolués qui acceptaient le changemert p.~ ceux qui, demeurant profondément
attachés à la tradition locale, rejettaient les idées nouvelles. Dans certaines familles les
~
8 42
parents se plaignirent de voir leurs enfants instruits n'accorder qu'une importance
toute relative à la religion ou aux rites familiaux. Quelques uns d'entre eux les condam-
nèrent comme des choses surannées.
L'administration pouvait être contente de ce résultat. Sauf en France, où
"environnement politique autorisait l'entière liberté de parole, les évolués ne remet-
taient pas en cause le système colonial. Leurs critiques portaient sur l'imparfaite
éducation qu'ils avaient reçue. Ils revendiquaient leur appartenance à la patrie
française et partant l'égalité raciale avec les Français. Ils se considéraient aussi comme
des modèles pour leurs frères de race.
Cet attachement à la France était manifeste dans les textes écrits par les
évolués. En 1911 Amadu Duquay Kledor publia un essai sur la bataille de Guoe qui avait
opposé en Juin 1886 Albury Njay à Samba Lawbe Faal du Kayoor. Un deuxième essai
du même auteur portait aussi sur les Ganjol- Ganjol au service de la France. Dans ces
textes, l'auteur présentait les évènements en Français ce qui lui valut les félicitations du
gouverneur général. Mais il manifesta son désappointement quand il vit que le chef de
la colonie l'avait appel~\\nstituteur indigèn~:107
Dans la même veine on peut citer le roman de Bakary Jallo : FORCE BONTE.
Selon cet auteur la France incarnait la force et la bonté. Dès lors la seule attitude
admissible était de l'aimer et de la faire aimer. Les indigènes devaient savoir que leur
pays était devenu partie intégrante de la France et qu'ils devaient être fiers de porter
le nom de français. Les Français ne devaient pas être perçus comme une race de
conquérants mais comme un peuple avide de diffuser sa civilisation et de répandre
auprés des peuples qui en avaient besoin son idéal de générosité et de liberté.'OB
Ces idées étaient celles de l'immense majorité des acculturés qui exprimaient
ainsi leur gratitude à la puissance coloniale. Ils s'étaient transformés en défenseurs de
la colonisation considérée comme une expérience bénéfique pour l'Afrique. Alors
qu'ils se lançaient dans cette direction qui devait les conduire à "assimilation, des
Européens comme Delafosse et Labouret montraient la valeur spécifique des institu-
, .
tions locales qui avaient droit aux mêmes égards que les institutions importées. Ils
}le
843
soulignèrent que le modèle européen n'était pas unique qu'il existait pour chaque
société une multitude de voies de développement.
Quoiqu'il en fût, l'instruction française avait provoqué des lézardes dans le
cadre social. Son action n'eut pas partout ni la même ampleur, ni la même intensité.
Elle généra la formation d'une nouvelle catégorie sociale, celle des évolués qui devint
porteuse du changement, ouverte à toutes les idées préconisant la transformation de
la société selon le modèle occidental. En revendiquant l'assimilation ils oublièrent,
,
qu'enfants d'une double culture, ils ne pouvaient faire table rase de celle qui les avait
vu naître, que leur situation était nécessairement ambiguë. Malgré leur bonne volonté
le système colonial les condamnait à la différence, car ils étaient incapables de
rejoindre les Français "dans l'identité et la similitude".
L'administration pouvait constater avec plaisir que l'école et l'armée avaient fait
t.
du français'languede communication même s'il était employé par les tirailleurs dans
sa forme créolisée. Il servait de médiateur dans les rapports entre les groupes qui ne
se comprenaient et qui ne disposaient pas d'une Koïne commune.
Mais l'école échoua dans sa mission de tirer l'élite des cadres traditionnels.
Tal:\\~que se faisait le filtrage des enfants des notables les chances existaient de
conserver à l'élite traditionnelle son ancienne prépondérance. Seulement les limites
qu'on avait fixées à son ambition étaient modestes. Les fonctions de chefs de canton
ne demandaient que peu d'études. On demandait au chef de pouvoir parler avec
l'administrateur sans le secours d'un interprète. De plus 1beaucoup de familles
aristocratiques, s'abandonnant au désesPoir, refusèrent d'envoyer leurs enfants à
('école perçue comme un lieu où se perdaient les valeurs morales de la famille et de la
société. A cela s'ajoutaient les préventions contre certains métiers méprisés dont
l'initiation se faisait à l'école. L'aristocratie refusait d'adhérer au principe de l'égalité et
du mérite. Aussi quand l'enseignement s'ouvrit au plus grand nombre d'enfants issus
des couches populaires vit elle sa prépondérance s'effriter d'autant plus que la
scolarisation s'était finalement concentrée dans les escales. Dans les zones rurales où
l'aristocratie avait 61L"~G:nicile l'école conservason allure de semis trés discontinu. Elle
n'y possédait aucune consistance. En définitive une véritable inversion sociale se
III
844
produisit. L'élite n'émanait plus des vieux cadres sociaux. Les critères de la naissance
cédèrent progressivement la place il ceux fondés sur les capacités intellectuelles de
ceux qui avaient été sélectionnés scion leurs mérites et qui avaient obtenu les diplôme
leur donnant droit à des emplois Ce n'était plus l'élite de la naissance mais du savoir
moderne faite d'hommes sortis des écoles françaises. La vieille aristocratie mit du
temps pour le comprendre et pour essayer de rattraper son retard.
En 1920 l'administration coloniale était fière de son oeuvre. La proportion des
déchets diminuait partout. Ceux qui ne réussissaient pas demeuraient à la campagne
où ils poursuivaient leurs travaux auprés de leur parents. Mais nous ne pouvons résister
à la tentation de nous demander ce qu'aurait été l'attitude des évolués si dès le départ
aucune restriction, ne leur avait interdit la route qui menait à l'université.
1- Bouche D.
2- BoHat: ESQUISSES SENEGALAISES, (page 11).
3- Faidherbe cité par Labouret, (page 119).
4- J.O.S. : Inauguration de l'école des otages, 31 Mars 1892 par Aubert, directeur
des affaires politiques.
5- J.O.S. Avril 1892, inauguration de l'école des fils de chefs, 31 Mars 1892.
6- Bueil: THE NATIVE PROBLEM OF AFRICA, N.Y. tome 1, (page 994).
7- Faidherbe: Op. cil., (page 366).
8- AN.S. J-7 : Furijuri, le 21 Décembre 1894, Noirot à Gouverneur de Saint-Louis.
9- Foncin : L'enseignement au Sénégal en 1890 : ln revue internationale de l'ensei-
gnement en 1890.
10-ldem.
11- Foncin : ln revue international de l'enseignement 1890.
12- Bouche: L'ENSEIGNEMENT EN AO.F., (page 382).
13- A.N.S. J-9 : Ecole des pays de protectorat en 1896.
14- A N.S. 2 D 8-6 : Noirot administrClteur cercle Siin Salum : Rapport de Juillet
1893.
15- AN.S. j-27 Dolisie Commandant de cercle de Kees à Ueutenant-gouverneur du
Sénégal, le 6 Août 1908.
16-A.N.S. J-9 Circulaire du Gouverneur Chaudre aux commandants de cercle, 25
Juin 1897.
17- Sarraut A. : GRANDEUR ET SERVITUDES COLONIALES, (page 149).
18- A.N.S. J-9 : Gouverneur général chaudié, circulaire du 22 Juin 1897.
19- Sylvain: LES TRAITEMENTS DES INDIGENES, (page 306).
20- A.N.S. J-19 Noirot : La diffusion de la langue française à l'école maternelle, 1"
Décembre 1909.
21- Foncin : Op. cil., 1890.
22- Foncin : Op. cil.
23- Girault: Op. cit., tome Il, (page 545).
845
24- A.N.S. J-19 : Guy C. : Rapport introductif à l'arrêté du 24 Novembre 1903.
25- Girault: Op. cit., tome Il, (page 545).
26- J.O.S. Discourt de Aubert à l'inauguration de l'école des fils de chefs, 31 Mars
1892.
27-ldem.
28- Labouret: Op. cit. B.CAF.
29- Sarraut: Op. cit, (page 185)
30- Hanis M. : ANTHROPOLOGIE LINGUISTIQUE DE L'AFRIQUE NOIRE: P.U.F.
1971 (pages 6-7).
31- Sarraut: Op. cit. (page 188).
32- A.N.S. 4 G 12 : Mission de l'inspecteur phérivong, 7 Août 1911.
-33 Foncin : Op. cit.
34- Bobichon, (page 25).
35- Labouret: Op. cit. B.CAF. (page 276).
36- A.N.S. J. 19 Guy C. : Rapport introductif à l'arrêté du 24 Novembre 1903.
37-ldem.
38-ldem.
39- J.O.S., 16 Mai 1903 : Discours de Camille Guy au conseil de gouvernement.
40-ldem.
41- A.N.S. J-19 Guy: Rapport introductif.
42- A.N.S. J-19 : Rapport introductif à l'arrêté du 24 Novembre 1963.
43- Hardy: Une conquête morale, (page 54).
44- Labouret: B.CAF. 1930, (page 276).
45- Labouret Op. cif., (page 276).
46- J.O.F. A.O.F. : Circulaire de PontY relative aux programmes scolaires, 28 Mai
1914.
47- J.OAO.F. : Circulaire de Ponty du 28 Mai 1914.
48- Hardy G. : Op. cit. (page 58).
49- A.N.S. J-19 Rapport de Guy, 24 Novembre 1903.
50- Idem, ibidem.
51- A.N.S. J-19 Guy C. : Rapport cité, 24 Novembre 1903.
52- Hady : Op. cit. (page 50).
53- Idem, ibidem.
54- AN.S. J-31 : Statistiques scolaires école de Luga, 1903.
55- AN.S. J-30 : Courcelle au gouverneur, Saint-Louis, 18 Mars 1913.
56-Idem.
57- AN.S. 2 G 3-7 : Rapport sur la situation politique et économique des cercles
pendant le premier semestre de 1903.
58- AN.S. 2 G 4-47 : Denis Rapport sur les provinces Sereer, Janvier 1904.
59- A.N.S. J-33 : Rapport sur l'école de Tul en 1910.
.
60- AN.S. 2 G 3-7 : Rapport sur la situation politique des cercles au 1"'semestre
1903.
61- A.N.S. -29 Théveniaud : administrateur cercle de Jurbel, 17 Juin 1908.
-62 ANS. J-29 Theveniand : Administrateur de cercle Jurbel17 Juin 1908
63- AN.S. J-27 Thaly : Directeur d'école à commandant Jurbel, 4 Juin 1908.
64- AN.S. J-29 Theveniand : Administrateur cercle Jurbel, 17 Juin 1908.
85- AN.S. 1 G 359: 30 Mars 1908. Réforme du cercle de Kees.
66- AN.S. J-20 : Ueutenant-gouverneur : Rapport sur statistiques scolaire, 17 Mai
1913.
67- AN.S. J-19 Lieutenant-gouverneur, Mai 1913.
846
68- AN.S. J-21 : Rapport sur l'enseignement au Sénégal.
69- A.N.S. 2 G 16-4 Sénégal: Rapport d'ensemble sur "enseignement 1916.
70- AN.S. 2 G 16-4 Lieutenant-gouverneur: Rapport d'ensemble sur l'enseigne-
ment au Sénégal 1916.
71- A.N.S. 2 G 17-18: Rapport d'ensemble sur l'enseignement 1917.
72- AN.S. 2 G 10-12: Rapport annuel enseignement 1910.
73- J.O. AO.F. : Circulaire de Ponly du 19 Décembre 1908 (pages 385 et suivan-
tes).
74- A.N.S. J-19 Ponly à Lieutenant-gouverneur, 2 Mars 1909.
75-ldem.
76- J.O. S. Gasset: Directeur école Duval: Enseignement et travail manuel, 24 Juin
1909.
77- Beurnier R. : LE SEN EGAL (page 150).
78- A.N.S. J-19 : Noirot : Rapport sur l'enseignement 1'" Décembre 1909.
79- AN.S. 2 G 10-12 Sénégal: Rapport annuel 1910.
80- J.O. AO.F. : Circulaire relative aux programme scolaires, 23 Mai 1914.
81- J.O. A.O.F. : Ponly circulaire relative aux programmes scolaires, 23 Mai 1914.
82-ldem.
83- J.O. AO.F. : Circulaire relative aux programmes 23 Mai 1914.
84- Idem, ibidem.
85- J.O., A.O.F. : Ponly : Circulaire relative aux programme scolaires, 23 Mai 1914.
86- A.N.S. J-19 Statistique de l'instruction publique 1911 : Saint-Louis, le 30 Mars
1914.
87- AN.S. 2 G 7-37 Sénégal Service de l'enseignement rapport annuel 1907.
88- Sur la formation des maîtres voir Hardy UNE CONQUETE MORALE, (pages
150 et suivantes).
89- Hardy: Op. cit., (page 178).
90- Hardy: Op. cit., (page 162).
91- Hardy: Op. cit., (page 163).
92- AN.S. 2 G 18-16 : Gouverneur général A.O.F. : Rapport au ministre des colo-
nies sur l'enseignement 1917-1918.
93- Idem, ibidem.
94- AN.S. 2 G 18-17 Van Vollenhoven : Rapport d'ensemble sur la situation politi-
que, 20 Décembre 1917.
95- J.O.S. : Arrêté sur sur l'organisation de l'enseignement 1"'novembre 1918.
96-ldem.
97- Angoulvant: Instructions relatives à l'organisation d'un enseignement techni-
que supérieure en AO.F. 1'" Novembre 1918.
98- J.O.S. arrêté réorganisation de l'Ecole Normale William Ponty 1· Novembre
1918.
.
99- J.O.S. arrêté réorganisant l'enseignement technique 1'" Novembre 1918.
100-J.O.S.: Instruction d'Angoulvant le 1· Novembre 1918.
101- A.N.S. J-3Q: Statistique scolaire de Khombole 1918-1920.
102- AN.S. J-J 30: Statistique scolaire de Kaffrine 1918-1920.
103- AN.S. J-31 Luga : Statistiques scolaires 1918-1920.
104- Hardy G. Ergaste, (page 34).
105- AN.S. J-30 : Gaconnet école de Kaolack à l'administrateur, 15 Juillet 1911.
106- Beurnier: Op. cif, (page 40).
107- Ces deux textes ont été rééditer par les N.E.A en 1980.-
108- Le Roman de Bakary Jallo a été réedité par les N.E.A. en 1986.
8
CHAPITRE 10:
LA JUSTICE INDIGENE
Le droit de rendre la justice étant l'une des attributions les plus importantes de
.
W'" {/-"'-<- ......
la souveraineté, le gouvernement de Saint-Louis mit"dans les'possessions françaises
du Sénégal une administration judiciaire afin de ne pas laisser en suspens ce droit
primordial. "
Son objectif était d'opérer une transformation radicale des moeur~ en y
appliquant le droit métropolitain qu'il jugeait supérieur au droit local. les obstacles
auxquels se heurta cette politique le contraignirent à moduler cette orientation qui
déboucha sur un compromis qui, tout en préconisant le respect des coutumes, ne
renonçait pas pour autant à introduire, dans le cadre institutionnel, les réformes
indispensables au triomphe de l'ordre colonial.
Avant l'occupation française une administration judiciaire existait dans les Etats
Wolof et Sereer. Elle réglait les rapports entre les hommes d'une part, entre les
hommes et les choses d'autre part, sans parler des relations entre les hommes et les
ancêtres. Ceux-ci exerçaient sur les vivants une domination totale. Les coutumes, les
normes et valeurs morales qu'ils avaient élaborées avaient force de loi pour leurs
descendants. On les suivait à la lettre par des répétitions systématiques afin d'assurer
leur transmission exacte et complète aux générations futures. Ce ritualisme rendait
difficile une transformation rapide des institutions. Il est vrai que celles-ci évoluaient
maissurun rythme d'une lenteurtelle qu'ellesdonnaientl'impression d'être figées. Les
innovations n'étaient acceptées que quand on avait la certitude que leur adoption ne
provoquerait pas, de façon brutale, des ruptures dans le cadre social.
Cette justice était le reflet de l'organisation sociale marquée par la prépondé-
rance du groupe sur l'individu. Celui-ci était intégré dans une communauté qui
réunissait les vivants et les morts. Les droits individuels ne se concevaient qu'au sein
de la famille à laquelle il appartenait. Le groupe se sentait collectivement responsable
des dérapages de ses membres. C'est pour cela que tout était mis en oeuvre pour les
maintenir dans le droit chemin tracé par les ancêtres. Le respect des interdits par tout
le rriunde était le moyen le plus sûr de maintenir la cohésion de la famille et de sa force.
li
848
Dans l'organisation judiciaire apparaissait nettement le souci de tout faire pour
sauvegarder cette cohésion des groupes familiaux tout en appliquant des sanctions
destinées à restaurer l'équilibre social chaque fois qu'il était détruit par des crimes ou
. des délits. Les pénalités variaient selon les milieux et les confessions religieuses. Les
musulmans avaient un code écrit qui précisait les sanctions relatives aux crimes et aux
délits selon que les auteurs et les victimes étaient ou nom de statut libre. En revanche,
chez ceux qui demeuraient encore fidèles à la religion ancestrale, les actes répréssi-
bles n'avaient pas partout la même résonance. Dans telle zone l'adultère était un crime
alors que dans le canton voisin, il n'était qu'un délit. De telles disparités dans
l'appréciation des délits et des crimes avaient rendu complexe l'organisation judiciaire
dans les Etats Wolof et Sereer.
Les degrés de juridiction reflétaient le souci de ne pas provoquer de grandes
cassures dans le tissu social en accordant une trop grande importance à la conscience
individuelle au détriment de la conscience collective. C'est pour cette raison que la
«communauté parentale'» était la base de la justice. La plupart des affaires civiles
propres à la famille, étaient traitées par le conseil de famille constitué par les chefs des
différents ménages. En cas de désaccord le chef de village était saisi. Le conseil des
anciens délibérait sur le litige sous l'arbre à palabres. Il en sortait trés souvent un
compromis toujours préférable à la sentence de l'autorité supérieure.
A ce niveaujle chef de canton ou de province connaissait des contestations.
C'étaient les saax-saax, les Jaraaf qui agissaient par délégation expresse du buur. Là
les parties en conflit intervenaient par les chefs de leurs familles respectives. La
sanction qui frappait le coupable rejaillisait sur tous les membres de son groupe. En
cas d'amende infligée à un des siens, la famille la prélevait sur le patrimoine commun.
En cas de récidive du coupable sa famille s'acquittait de cette obligation mais n'hésitait.
pas à se débarasser de lui par bannissement ou par empoisonnement. La liquidation
physique était alors imputée aux ancêtres qui manifestaient ainsi leur désapprobation
de l'inconduite de leur rejeton. La sanction était pareillement un avertissement adressé
à tous ceux qui. avaient la tentation de l'imiter.
/Ii
849
Les parties en désaccord avec les sentences des chefs territoriaux avaient la
faculté d'interjeter appel auprés du souverain qui seul avait droit de vie et de mort sur
ses sujets. son verdict était définitif.
Pour déterminer la culpabilité des prévenus ou des accusés on avait recours
aux ordalies, aux absorptions de poisons, aux brûlures de la langue par le feu, au
serment sur le coran pour les musulmans. Car on avait la conviction que les génies
chargés de concourir à la manifestation de la vérité, ou Allah sauraient distinguer les
innocents des coupables.
Les peines distribuées dans les différents stades de la procédure allaient des
peines morales (blâmes publics) à la peine capitale en passant par des sanctions
<-
corporelles souvent atroces. Au X,*I~iècle la peine de l'esclavage servait de peine de
substitution à la c<fdamnation à mort. Dans un cas comme dans l'autre il s'agissait de
débarrasser la société de ses éléments associaux.
Dans les zones à peuplement musulman la justice était rendue par des cadis
sous la supervision des chefs locaux. Ailleurs les chefs territoriaux
exerçaient
directement cette prérogative.
Le droit de rendre la justice procurait aux chefs des avantages matériels
importants. Les plaideurs apportaient des cadeaux et une partie des amendes servait
non à dédommager les victimes mais le chef qui avait consacré une partie de son
temps à régler le litige. Dans certains délits comme l'adultère ou le vol, ils confisquaient
pour leur propre compte la totalité des amendes qu'ils prononçaient. Les coupables
étaient tous solvables, car, c'étaient les groupes familiaux qui acquittaient le montant
des~ 01J.Me..\\:(Q'V'/)
Cette justice fut considérée par le colonisateur français comme une caricature
de la justice dans la mesure où n'y existait pas de séparation des pouvoirs. Les chefs
cumulaient entre leurs mains l'exécutif et le judiciaire. Sans doute cette administration
judiciaire était critiquable sur certains de ses aspects pour qui l'étudie du point de vue
c ~"idental. Mais elle était l'expression des moeurs et le reflet du milieu. Les régies selon
lesquelles la justice était rendue «dérivaient de la nature des choses» et étaient
R~
8 5 ri
acceptées par le peuple qui les avaient élaborées. Dès le début de son implantation
au Sénégal, la France introduisit la justice dans les territoires annexés. Le decret du 9
Août 1854 régularisa au Sénégal l'organisation de la justice «qu'avaient ébauchée les
ordonnances du 7 Janvier 1822, du 13 Juin 1830 et du 19 Novembre 1840. Les deux
tribunaux de première instance crées le 24 Mai 1837 à Saint-Louis et à Gorée avaient
juridiction sur tous les habitants indigènes et Européens de la colonie et une cour
d'appel siégeant à Saint-Louis connaissait de l'appel de leurs jugements2». Mais la
spécificité de la communauté musulmane conduisit le gouverneur Faidherbe à créer
un tribunal spécial pour les musulmans par le decret du 20 Mai 1857. Par ce texte on
reconnaissait le droit de faire juger leurs procès d'aprés le droit musulman sur toutes
les matières litigieuses relatives à l'état civil, au mariage, aux successions, aux
testaments.3
L'appel des causes jugées devant ce tribunal était porté devant un conseil
supérieur présidé par le gouverneur. En matière pénale comme pour toutes les autres
attaireS)eS tribunaux français restaient compétents. Bref cette mesure apporta le
premier accroc à la politique d'assimilation à outrance en réservant le statut personnel
des musulmans de Saint-Louis.
Jusqu'à la désannexion des banlieues de Saint-Louis et de Gorée la justice
française fut appliqueé dans les territoires annexées. Les autorités françaises étaient
convaincues que le suprême bienfait, qu'elles pouvaient accorder aux populations
conquises, consistait à les soumettre à "empire de la loi française. On y introduisit une
bonne partie de l'appareil judiciaire français avec ses façons de rechercher les délits.
L'administration judiciaire était l'un des moyens que le gouvernement entendait utiliser
pour dénationaliser les indigènes et les «franciser par la loi». L'intention était peut-être
généreuse mais les résultats déplorables. On se rendit compre qu'en voulant assimiler
immédiatement les indigènes soumis, le gouvernement faisait étalage de son igno-
~.
rance des réalités locales et des .~des populations.
Les indigènes des territoires annexés étaient surtout surtout irrités par l'inter·
vention de la justice dans les attaire~ n~r~lives à l'esclavage et à la propriété. Dans ces
domaines, les décisions du service judiciaire étaient en porte à faux avec la conception
.~
R 51
que les indigènes avaient de leur droit de propriété. Sur plainte d'esclaves les maîtres
étaient traînés devant les tribunaux et condamnés. Ils ne comprenaient rien dans les
formulaires inintelligibles qu'on leur présentait, étaient terrorisés par son appareil
bizarre "sa procédure lente et formaliste, sa lenteur et ses frais, et qui leur appliquait
des textes qu'ils (ignoraient), qu'ils ne pouvaient ni apprendre ni comprendre',..
D'un autre côté la question de la propriété foncière était pareillement inextrica-
ble. Elle ne pouvait pas recevoir de solution politique ou administrative parce qu'elle
était du ressort des tribunaux français. Ceux-ci étaient en présence d'une ancienne
tradition qu'ils ne comprenaient pas et qui était en opposition avec la loi française qu'ils
devaient appliquer. La procédure était trop onéreuse pour les indigènes' Aussi,
beaucoup de litiges restèrent-ils pendants, sans solution, créant un climat de mécon-
tentement. Ces raisons constituées en faisceau justifièrent la désannexion des
banlieues et leur retour dans les pays de protectorat qui reçurent une organisation
judiciaire différente en 1890. La désannexion des banlieues de Saint-Louis et de Gorée
réduisit sensiblement le ressort des tribunaux français désormais limité aux territoires
des quatre communes de plein exercice où la loi française était applicable avec toutes
les arguties de sa procédure.·
Les populations du protectorat étaient affranchies des formalités administrati-
ves et judiciaires pour lesquelles elles montraient une grande antipathie. Le réglement
de leurs différends était laissé à l'appréciation des cadis, et des chefs selon l'antique
usage. 7 Mais le droit de rendre la justice appartenait exclusivement à la France de par
la conquête.
Le maintien des juridictions indigènes préexistantes se justifiait cependant par
le fait que les chefs locaux n'avaient pas été totalement dépossédés de leurs pouvoirs
et de leurs attributions traditionnels. Les traités de protectorat portaient la mention
expresse qu'ils continueraient à diriger leurs pays sous le contrôle et la surveillance de
l'autorité française.
Les chefs locaux étaient devenus par ce biais de précieux auxiliaires de
"administration. Car la suppression des pouvoirs des chefs et de leurs attributions
-..'-.
~
852
judiciaires aurait posé dans "immédiat le problème de leur remplacement. L'autorité
supérieure n'avait pas à sa portée le personnel administratif adéquat pour faire
fonctionner une nouvelle organisation judiciaire· Même si le pays était conquis, il était
loin d'être pacifié. Il était à craindre que l'application de la loi française n'y provoquât
des troubles beaucoup plus graves que ceux qui avaient été constatés dans les
territoires d'administration directe. Dans un premier temps on y
accepta de se
conformer aux clauses des traités ou conventions par lesquels le gouvernement
français s'était engagé à respecter les coutumes sauf en ce qu'elles avaient de
contraire aux principes de la civilisation française.
Mais en l'absence d'une organisation précise, on continua de rendre la justice
comme par le passé. La justice répressive était confiée par un décret de 1892 à des
juges européens en l'occurence les commandants de cercle, chaque fois qu'il
s'agissait de faits qualifié de crimes. Les chefs locaux étaient invités à poursuivre les
auteurs d'infractions mineures. Ils n'avaient «aucune obligation caractérisée à l'égard
des fautes graves, telles que les homicides, les actes de pillage, les attaques en bandes
et à main armée"... Une pareille distinction était motivée par le souci du conquérant de
conserver le monopole de la répression pour les actes qui pouvaient passer comme
l'expression du refus des populations de l'ordre colonial.
Du fait même des restrictions apportées à leurs prérogatives, certains chefs
trouvèrent des compensations en infligeant sans discernement de lourdes amendes
aux infractions portées à leurs connaissances. En 1887 le cadi de Luga mit un jeune
homme dans l'alternative de choisir entre 100 coups de fouets ou 250 francs d'amende
pour s'être introduit de nuit chez une jeune fille.'o Le père du jeune homme paya
"amende en donnant un cheval. La sanction était injustersi la présence du jeune
homme n'était pas suivie d'acte repréhensible. Même si le document est muet sur cet
aspect du problème on a des raisons de croire que le justiciable était tout simplement
victime de la rigueur intéressée de son juge.
Le souci de s'enrichir aux dépens des plaideurs hantait la tête de l'immense
majorité des cadis. Ils distribuèrent avec une excessive générosité des amendes dont
ils percevaient le montant pour leur compte personnel et pour celui du chef du ressort
d . . t
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.&!:!g une amende de 500 francs pour adultère avec une femme mariée. Le cadi
prétendait avoir converti en amende la peine capitale prévue par le droit musulman à
cet effet d'autant plus les relations avaient été suivies de grossesse. En application de
cette sentence, Meissa Mbay, chef du Sanoxoor dépouilla le condamné de tous ses
biens. il lui prit un cheval de 150 francs, un grenier à mil estimé à 100 francs, divers
objets d'une valeur de 30 francs, une meule de paille d'arachide estimée à 50 francs
et 50 francs en espèces. Il Aprés avoir tout perdu le condamné restait devoir au chef
120 francs.
Le conseiller général Deves, partisan d'une seule justice pour tous les habitants
du Sénégal, saisit cette opportunité pour dénoncer avec vigueur l'hypocrisie de
l'administration en matière judiciaire en essayant de couvrir des actes qui étaient aux
antipodes de ce qu'on appelait la «mission civilisatrice» de la France. Contre Seyni, le
chef avait tout simplement conduit une opération de pillage en dépit des subtilités
juridiques selon lesquelles l'amende était lourde parce que c'était la peine de substi-
tution à la sentence de mort qu'aurait dû prononcer le cadi.
Il Yavait donc là un conflit colonial entre la loi française et la loi coutumière ou
musulmane que le conquérant s'était engagé à respecter sauf en ce qu'elle avait de
contraire «aux principes de la civilisation française». Cette restriction signifait que le
respect des coutumes locales et des dispositions de la loi musulmane n'était qu'une
simple tolérance, car sur le territoire français il ne pouvait exister qu'une seule loi
pénale,'2 Dès lors pour Deves le jugement de Fawra Ba était prononcé suivant des
formes illégales et anticonstitutionnelles. Les tribunaux français ne devaient poursuivre
ni l'adultère ni la polygamie des musulmans. Pour éviter la persistance de tels
errements le gouverneur, se devait, selon Deves, de réaffirmer «la prééminence de la
loi pénale française et l'humanité de ses dispositions"» sur la coutume locale.
Du point de vue des principes, Deves avait peut-être raison quand on considère
la sévérité de la sanction infligée à Seyni. Mais dans la mesure où l'adultère cessait
d'être un crime pour n'être plus qu'un délit il devait être puni par de lourdes pt-'7la!.,é;) -.'
afin d'écarter les risques de vengeance ou de réglement de compte.
WJ
8 5
Dans les pays musulmans ou administrés par des musulmans les grossesses
hors mariages, considérées comme des crimes étaient sanctionnées par une lourde
pénalité appelée "impôt du ventre". Son taux variait selon les humeurs des adminis-
trateurs habilités à approuver ou à moduler les sentences prononcées par les cadis.
Pour des crimes semblables les administrateurs pouvaient donner leur approbation
à des sanctions totalement divergentes. En 1897 Makodu Faal fut condamné par
Dembawar Sali à 1500 francs d'amende pour avoir engrossé une femme abandonnéQ..
par son mari pendant deux ans. Le village reçuTune amende collective de 1000 francs
pour avoir voulu s'opposer à son arrestation. L'administrateur de Tiwawan confirma
la sentence en faisant comprendre à Makodu que Dembawar le ferait travailler pendant
trois ans s'il ne s'acquittait pas de cette amende. En définitive Dembawar reçut de
Makodu et de ses parents deux greniers de mil, 3 chevaux, 24 chèvres, une paire de
pagnes. Ainsi dépouillés de tous leurs biens)les parents de Makodu abandonnèrent
leur village de Tagar pour aller s'établir dans l(kbanlieue. 14 En 1897 l'administrateur de
Kees confirma le jugement du chef de canton de Naning condamnant un nommé
Kumba à 75 francs pour adultère'5 Dans le même cercle Tumani Sidibé n'eut à payer
qu'une amende de 50 francs pour un délit similaire16 et Moor Joop de Deen 100 francs
pour le même délit.l1
Les disparités dans la distribution des sanctions donnaient aux justiciables
l'impression d'être en présence d'une justice à plusieurs vitesses où les sentences
étaient fonction du statut social ou des humeurs vagabondes des chefs.
Dans les secteurs où les populations étaient encore païennes, l'administration
de la justice était dévolue au conseil des notables. C'était une sorte de conseil de
gouvernement pour chaque province. Il comprenait cinq membres et était présidé par
le chef supérieur. Le résident français assistait de droit aux délibérations. Le cadi
supérieur y était avec voix consultative. Son rôle était d'éclairer l'assemblée sur
l'application des lois musulmanes. Pour les affaires relatives aux Sereer et aux Peuls
non musulmans, on avait introduit au sein du conseil, avec voix consultative, des
délégués spéciaux élus par les notables des villages. Ils fournissaient les renseigne-
ments sur les coutumes des justiciables. ,.
Ile
855
Ces dispositions avaient pour but de supprimer cette anomalie constatée dans
l'organisation judiciaire de 1892 selon laquelle on faisait juger par des assemblées
)
)
exclusivement composées de musulmans)des prévenus qui )souvent n'avaient nul
souci des prescriptions coraniques. Les non musulmans avaient eux aussi droit au
respect de leur coutumes et de leurs conceptions religieuses.
Les cadi comme les chefs indigènes ne poursuivaient que les auteurs des
infractions dont les sanctions leur procuraient des rentrées d'argent ou de biens. Etant
déssaisis des crimes, ils se désintéressèrent des violences graves qui n'étaient plus
de leur compétence. Par calcul ou par indifférence ils ne signalaient pas aux autorités
françaises les crimes commis dans leurs circonscriptions. Beaucoup d'insuffisances
étaient également constatées dans la façon dont la justice était renduel pour les
musulmans. Le droit coranique inconnu de la plupart des justiciables avait subi de
.profondes altérations au contact avec les coutumes locales et même des déformations
par la volonté des rois qui obligeaient les cadi à interpréter la loi selon leurs directives.
L'exemple le plus frappant fut celui de Majaxaate Kala qui, sur l'ordre de Lat-Joor,
décrétalicite la réduction en servitude des musulmans, talibés de AhmaduChexu battu
à Samba Sajo en 1875. Aussi les sentences étaient-elles souvent contestées. Sous le
régime du décret de 1892 ils continuaient leurs errements en distribuant généreuse-
ment des amendes dont une part leur revenait. ,.
Pour remédier à ces vices d'organisation, le gouveneur général Chaudié
modifia les rouages de l'administration judiciaire telle qu'elle fonctionnait depuis 1892.
La Distribution d'une bonne justice n'était possible que si l'on parvenait à garantir la
probité des juges en assurant leur indépendance matérielle par rapport aux chefs. Le
gouverneur général pourvut chaque province d'un cadi spécial et chaque cercle d'un
cadi supérieur ou d'appel. Leur recrutement se fit aprés sélection ou l'on tira les plus
versés en droit coranique. Outre leurs connaissances en arabe, ces juges étaient
également tenus de savoir lire, écrire, parler ou comprendre la langue française.
Les cadis des provinces connaissaient en premier ressort de tous les différends
civils, des délits et des crimes contre la propriÉl; ~ : L~s cadi supérieurs statuaient en
dernier ressort sur les appels portés devant leur juridiction. De plus ils étaient
./If.
8 5 6
compétents pour tous les crimes contre les personnes selon les stipulations des traités
qui réglaient les relations entre le gouvernement français et les chefs locaux20• L'exten-
tion des prérogatives des tribunaux indigènes aux crimes contre les personnes était
de nature à faire disparaître l'insécurité qui grandissait sans cesse, car la police
judiciaire française, dont elle relevait, n'avait ni les moyens d'information rapides, ni
les procédés, ni les habitudes du commandement local qui savait facilement identifier
les malfaiteurs, les poursuivre et les atteindre dans la répression.
Les cadi de village n'étaient autorisés qu'à prendre des décisions arbitrales.
Mais celles-ci cessaient d'être valables dès qu'il y avait appel. Dans les pays Sereernon
encore islamisés les conseil de notables, avec les délégués à voix consultative, pour
les musulmans, etles non musulmans continaient de fonctionner comme par le passé.
Ils rendaient la justice selon la coutume et les usages locaux 21
A tous les échelons ils recevaient l'investiture du gouverneur sur proposition
,
.
des commandants de cercle aprés avis des chefs et des notables. Les cadi de province
recevaient un traitement de 600 à 1800 francs par an, ceux des cercles de 1800 francs
à 3000 francs. Les cadi des deux instances devaient tenir enregistrement de leurs
sentences sur un livre ad hoc et l'administrateur recevait «sans que les jugements
fussent formellement soumis à son approbation, un droit de veto qui lui permettait de
suspendre, jusqu'à la décision de l'autorité supérieure, l'exécution des sentences qui
ne lui paraitraient pas conformes aux régies de l'équité, ni s'inspirer des principes
d'humanité et de civilisation22,) que le gouvernement se disait vouloir enraciner dans
le pays.
Pour faire cesser la vénalité des juges, supprimer les penchants qui les
inclinaient à multiplier les amendes, le gouverneur décida qu'aucune partie dé celle-
ci ne reviendrait plus aux cadi. La moitié était versée au budget régional, l'autre moitié
aux chefs de province chargés d'assurer l'exécution des jugememv sous la respon-
sabilité et la surveillance de l'administrateur!3
Les juges qui n'étaient pas investis par le gouverneur virent disparaître leurs
juridictions. Ainsi les décisions prises par les cadi des villages et les autres chefs de
·. ',.
Ne
8 5 ;7
même niveau n'étaient plus obligatoires et prenaient le caractère "de simples déci-
sions arbitrales, exécutoires seulement de plein gré des deux parties2'.,.
La nouvelle organisation manquait de fondement juridique véritable. La circu-
laire du 21 Avril 1898 qui lui donna naissance n'était pas apte à créer des institutions
juridiques obligatoires. On trouva alors la justification dans les traités par lesquels la
France s'était engagée à déléguer aux chefs autochtones une partie de son autorité
afin de leur permettre de rendre la justice selon les modalités coutumières.25
Mais l'obstacle majeur auquel se heurta l'administration fut le choix des juges.
Sans doute existaient dans le pays des individus dont la probité morale était incontes-
table. Mais soit ils n'avaient pas les appuis nécessaires pour se faire désigner, soit ils
n'avaient pas la formation juridique adéquate pourtrancher les litiges selon la coutume
ou les dispositions du droit musulman. Mais puisque à tout prix la justice devait
fonctionner, on se résigna à recruter ceux qui connaissaient au moins le droit. Ils
n'étaient pas toujours exempts de quelques f1étrissures. 26
Cette espèce de vide juridique dans laquelle se mouvait l'administration
judiciaire dans les pays de protectorat autorisa tous les abus. Les chefs ne se
soucièrent pas de l'équité. Leurs sentences ne répondaient qu'à leur souci de se
procurer des revenus aux dépens des justiciables.
En 1899 Dembawar saisit le troupeau de Semu Wade sous prétexte qu'il avait
donné en mariage une de ses soeurs à un esclave toucouleur. 27 Il y avait là un abus
de pouvoir de sa part car avec la réforme intervenue en 1898 c'était le cadi de la
province du Saiioxoor qui aurait dû traiter cette affaire. De plus il n'y avait pas eu de
délit car aucune disposition légale n'interdisait à une femmf~é~ouser ur,. esclave.
.
La rapacité des chefs orientait leurs sentences. Pour peu que le coupable fût
riche, le verdict du juge le dépouillait de tous ses biens sous n'importe quel prétexte.
TantÔt c'était le chef qui rendait la justice en violation de la circulaire de 1898, tantôt
c'était le cadi mais toujours bien stylé par le chef.
Ne
858
En Novembre 1899 l'administrateur de Luga convertit en 200 francs d'amende
la peine de lapidation prononcée contre Ibra ,Laari de Ngik pour adultère. 26 La même
annéepembawar confisqua le troupeau de Yasin Ba du village de Taleeri pour crime
de sorcellerie. 29 Il est vrai que pour cette dernière affaire le jugement fut réexaminé et
cassé à la demande du gouverneur général Chaudié qui déclara que l'esprit des
principes de la civilisation française ne reconnaissait pas de tels crimes. Si Yasin
récupéra une partie de son cheptel, rien ne vint atténuer les rigueurs qui continuaient
de frapper encore injustement tous ceux qu'on déférait devant ces juridictions
indigènes.
Dans certains cantons du Bawolles chefs ignoraient totalement la circulaire de
Chaudié et rendaient leurs verdicts selon l'antique usage. Dans le Mbadaan comme
dans le Mbayaar ils se substituèrent aux conseils des notables qui étaient pourtant les
seuls organes habilités à rendre la justice.""Cette fonction étaittrop lucrative pour qu'ils
acceptassent de la laisser à d'autres.
Dans tous les cercles, se faisaient entendre les mêmes concerts de réprobation
contre les décisions judiciaires prononcées par les chefs ou les cadis. Ceux-ci étaient
dans l'incapacité de rendre la justice avec indépendance et désintéressement en
raison même du salaire de misère qu'on leur allouait (50 francs par mois). Il était trop
médiocre pour les mettre à l'abri des tentations. Ainsi certains chefs comme ceux de
Njagoo et de Ngik s'entendirent avec les cadis de leur canton pour les pousser à faire
un grand usage des amendes moyennant une certaine ristourne opérée sur la part qui
leur revenait dans ces pénalités. A Ngik le cadi Jibril Njay rendait ses jugements en les
justifiant par ..des citations juridiques d'une élasticité trés commode3'». Quand à
Gaydel Gav, cadi du Njambur, il se livrait à un trafic éhonté de sa charge. Il sollicitait lui
même les cadeaux des plaideurs. Il osa même plaider l'infâmie en promettant, ..àdes
femmes appelées devant lui, le gain de leurs procès
si elles consentaient à lui
agrémenter l'existence».31 "'"
Cette corruption qui sévissait à tous les échelons de l'administration de la justice
était lourde de conséquences. Les justiciables se dressaient de plus en plus contre
~
859
l'autorité des magistrats. Les modifications introduites par la France dans la sanction
des délits et des crimes suscitaient la colère de ceux qui trouvaient insuffisantes les
nouvelles pénalités. L'adultère n'était plus puni que d'une amende allant de 45 francs
à 500 francs. Cette sanction n'était pas approuvée par les familles qui en étaient
victimes et pour lesquelles cet acte était un crime et devait être puni comme tel. On se
plaignit donc de cette atténuation de la rigueur répressive dans les sanctions contre
les faits qui chez les populations locales étaient des crimes et non des délits. La
désaffection de cette justice pouvait inciter certains justiciables mécontents de senten-
ces à recourir à la vengeance personnelle.
En 1902 on restitua aux tribunaux indigènes la compétence de toutes les
infractions sérieuses. Pour contrôler le fonctionnement de ces juridictions dont
certains avaient étalé au grand jour leurs insuffisances et la vJnalité de leurs juges, on
créa un tribunal d'homologation auquel on soumit Toutes les affaires ayant entrainé
une peine supérieure à une année d'emprisonnement.32
On avait décidJ, de transformer progressivement la justice indigène en y
introduisant les formes du droitfrançais.33 L'autorité espérait rapprocher par la langue,
les institutions, les indigènes et les colonisateurs. Certes il ne s'agissait pas encore
d'introduire dans les pays de protectorat les rouages compliqués de la justice
française. Mais tout en écartant l'application des lois françaises on n'en distillait pas
moins une certaine dose d'assimilation pour provoquer au besoin l'évolution des
\\
/
coutumes.
Le contrôle des jugements M confié à des magistrats métropolitains qui
ignoraient presque tout de l'organisation sociale indigène. De plus dans la plupart des
tribunaux, les chefs illettrés étaient dans l'impossibilité de tenir un registre. Avec les
cadis, les comptes rendus étaient sommaires, imprécis et difficilement intelligibles.
C'est sur la base de ces pièces imparfaites que se prononçait la chambre. Sa tâche
était quasi impossible. Sous le régime du decret de 1902 comme sous celui de la
circulaire de Chaudié de 1898, certains juges indigènes «trafiquaient de leur influence,
recevaient des cadeaux, vendaient leur sentence au plus offrant34». Visiblement
l'administration judiciaire n'avait pas encore trouvé la formule adéquate. Le système
fig
86n
n'était pas performant, car on n.', '<It pas encore trouvé les magistrats indigènes dont
le profil répondait aux critères d, .. 'IS par le gouverneur général. On se rendit compte
qu'il était encore prématuré de p' :\\'er les chefs de leurs fonctions judiciaires tradition-
nelles.
LE DECRET DE 1903
A l'initiative du gouverneur général Roume nouvellement promu à la tête de
L'A.O.F., on élabora un décret pour donner à la fédération une base uniforme
d'organisation judiciaire à l'image de celle dont elle était dotée au plan administratif et
financier par le decret organique du 1N Octobre 1902. Le décret du 10 Novembre 1903
consacra cette organisation judiCiaire. En ce qui concernait le Sénégal, il groupa en un
texte unique les réglementations qui régissaient et les territoires d'administration
directe, et les pays de protectorat," En principe il laissa une part aussi large que
possible aux institution locales. En eHet il disposait que les juridictions indigènes
appliqueraient les coutumes locales en tout ce qu'elles n'avaient pas de contraire aux
principes de la civilisation française. Celle-ci jouait pour ainsi dire le r61e de correctif par
rapport au droit indigène. Cette réserve administrait la preuve que la France n'enten-
dait pas renoncer à son droit de maintenir, et d'assurer dans la colonie, un ordre social
et une organisation juridique conformes aux buts que poursuivait son action colonisa-
trice. Elle pouvait à tout moment écarter les dispositions du droit autochtone qui lui
paraissaient contraires à ses principes ou à ses intérêts. Selon les opportunités, elle
prendrait les mesures qui lui plairaient d'imposer aux sujets. En procédant de cette
sorte, elle poursuivait, dans les faits, une certaine politique d'assimilation. La substitu-
tion de la loi française aux coutumes n'avait d'autre but que de conduire, selon un
rythme bien mesuré, les indigènes vers les institutions, les idées et les croyances
françaises. 36
Le respect des traditions et des coutumes impliquaient le maintien de l'armature
sociale existante. Les réformes envisagées ne porteraient que sur ce qui dans les
1
institutions ou les moeurs se révelait contraire à la morale naturelle. Le colonisateur
renonçait à une assimilation illusoire en cessant de "tout ramener à son échelle et à ses
cadres habituels de pensée.""
Aprés l'échec relatif de la politique d'assimilation, la solution la mieux indiquée
était de travailler à développer la civilisation locale en prenant appui sur les moeurs, les
tendances et les langues des populations conquises. Il n'était pas possible de changer
du jour au lendemain les institutions juridiques d'un peuple. Elles étaient le fruit d'une
longue et patiente élaboration. Elles traduisaient l'équilibre auquel il était parvenu dans
ses relations avec lemilieu et avec les voisins. Elles n'avaient rien d'arbitraire. Leur mise
à mort par décret ne leur aurait pas ôté leur vitalité. Elles auraient continué de vivre
comme par le pas~é.
Avec le décret du 10 Novembre 1903 les chefs reprirent les attributions
judiciaires que Chaudié leur avait enlevées en 1898. Ils avaient une bonne connais-
sance des coutumes, ne parlaient que les langues du pays, comprenaient l'esprit des
institutions et la psychologie des plaideurs. JI!
Les coutumes formaient le droit oral des populations du Sénégal. Elles cons-
tituaient une législation non écrite, née d'un usage ininterrompu et à laquelle s'étaient
soumis les autochtones. Elles avaient leurs régies bien connues qui avaient été dictées
par les ancêtres, ce qui leur conférait un caractère sacré. La vénération dont on les
entourait, rendait difficile leur altération. Sans doute subissaient-elles des transforma-
tions, mais celles-ci n'étaient pas fréquentes. «Elles étaient suffisamment fixées pour
avoir acquis quelque consistance""». Ceux qui se soumettaient aux coutumes ances-
trales acceptaient les sanctions qui en frappaient les manquements. Le respect des
coutumes était la régie de droit à laquelle tout le monde était tenu de se conformer pour
maintenir l'équilibre de la société.
Les coutumes étaient multiples, diverses en matière pénale comme en matière
civile. Leur teneur dépendait d'un faisceau de facteurs. Le statut social de l'individu ou
du groupe, la religion, le régime social des interessés entraient pour une grande part
dans les sanctions de la loi coutumière.
~Qfi2
Le régime matrilinéaire était prépondérant chez les Sereer demeurés fidèles à
la religion du terroir. Les wolof plus ou moins profondément islamisés adhéraient de
,
1
plus en plus au régime patrilinéaire. Alors que dans celui-ci la femme appartenait à la
famille de son mari, dans celui du matrilinéat elle ne cessait jamaislelle et ses enfants/
d'appartenir à la famille de sa mère. Pour cette raison ses frères utérins prenaient en
charge l'éducation de ses enfants. En matière d'héritage les neveux héritaient donc de
leurs oncles alors que sous le régime du patrilinéat c'étaient les fils qui héritaient de
leurs pères. Il en était de même pour la propriété foncière. Certaines terres relevaient
du régime patrilinéaire, d'autres de celui du matrilinéat. Dans un cas comme dans
l'autre les modalités du partage des successions obeissaient aux régies propres à
chacun des régimes.
Les coutumes des populations islamisées différaient de celles des gens qui se
réclamaient de la religion locale. L'islam avait prévu des sanctions précises pour les
délits et les crimes. En l'absence de disposition précises1le juge procédait par analogie.
Alors que chez les païens l'adultère n'était qu'un délit généralement puni d'une
amende pour dédommager le mari, chez les musulmans les sanctions variaient selon
que le coupable était ou non marié. La sanction pouvait aller de 100 coups de fouet et
un an de bah1ssement, à la condamnation à mort. 4O
En matière pénale les sanctions destinées aux hommes libres étaient différen-
tes de celles qui frappaient les esclaves coupables des mêmes délits ou des mêmes
crimes. L'esclave meurtrier d'un homme libre était condamné à mort alors que
l'homme libre assassin d'un esclave s'en tirait avec une amende. Le pays présentait
un enchevêtrement de coutumes différentes selon l'ethnie, la catégorie sociale des
personnes ou de leur famille.
Puisque les tribunaux indigènes avaient à juger soit suivant les régies plus ou
moins façonnées par l'usage de la loi coranique, soit d'aprés les traditions locales dans
les régions non encore islamisées, il aurait été nécessaire de donner aux Juges toutes
les informations sur les coutumes locales pour les mettre à même de rendre leurs
sentences en parfaite connaissance de cause. \\1 n'en fut pas ainsi. Le tribunal de cercle
ijQ
A 63
était présidé par l'administrateur qui ignorait souvent et les coutumes et les I;;ngues de
ses administrés.
Se posa alors la question de savoir s'il fallait ou non codifier les coutumes.
L'autorité supérieure toujours fidèle à sa volonté centralisatrice espérait trouver dans
ce fatras de coutumes, un faisceau d'éléments convergents qui lui auraient permis
d'imposer un certains nombre de régies applicables à l'ensemble des justiciables.
Les partisans de la politique d'assimilation s'opposèrent à cette codification qui/
selon eux, aurait empêché "évolution des populations. Elle aurait barré la route à la
conversion des Noirs au christianisme. En leur donnant un caractère rigide, on
retarderait l'évolution naturelle des populations en contact avec la civilisation fran-
çaise." L'imposition de l'économie de marché, l'éducation, la monétarition de l'éco-
nomie, l'émergence du travail salarié, les facilités de communication rendant aisé le
brassage des groupes ethniques, entrainaient nécessairement des transformations
dans les coutumes. L'individualisme qui se développait dans les centres urbains créait
de nouveaux rapports entre les citadins et leurs traditions familiales. L'immense
mouvement provoqué par la vie coloniale ne devait pas du tout être freiné par cette
codification qui, en cherchant à réunir en un corps de lois écrites, claires et précises,
un droit oral trés divers risquait d'apporter des blocages à une évolution qui devait
conserver toute son intensité. Les adversaires de la codification avaient simplement
oublié que cette mesure ne devait pas donner une fixité absolue aux coutumes, mais de
donner une certaine unité au droit indigène. Il ne s'agissait pas d'une unité «emportant
nécessarement l'abolition de tous les rites et suppression des différentes écoles...
(mais) d'une unité de principes à laquelle (pourraient) être rattachées les différences de
détaii'2,•. L'existence d'un texte clair et précis mettrait fin aux interprétations plus ou
moins fantaisistes causées par la diversité des coutumes. Les sentences ne seraient
plus marquées par les grandes distorsions dans les sanctions. Les mêmes pénalités
frapperaient de la même manière ceux qui se seraient rendus ainsi coupables de délits
ou de crimes similaires.
A défaut d'une codification des coutumes de l'AfriCiu[: ,x-:identale, on essaya de
mettre à la disposition ~~ ceux qui étaient chargés de rendre la justice une
;,
864
documentation leur permettant d'apprécier sainement les affaires soumises à leurs
jugements. Une enquête fut ordonnée dans ce sens par le gOLNerneur général dès 1904
sur le droit civil et le droit pénal des populations. Elle permit la rédaction des coutumes
existant dans les différents cercles du Sénégal. 4J
La réunion des différents textes ne déboucha pas sur la constitution d'un code
pénal ni d'un code civil. Les délits et les peines restaient disparates. On ne chercha
guère à dresser la liste des infracftions punissables d'aprés le droit indigène ni d'établir
une échelle de peines. On craignait qu'une omission dans l'énumération des actes re-
pressibles n'entrainât une exemption de toute peine pour un acte qui l'aurait mérité.
L'utilité de la rédaction n'était pas contestable, mais sa portée paraissait limitée
parce que !e colonisateur s'était, au départ, réservé le droit d'écarter toute coutume non
conforme à l'ordre colonial qu'il entendait instaurer." La colonisation entrainait avec
elle des transformations et des innovations. Elle créait des situations et des rapports
juridiques nouveaux que la coutume locale n'avait pas prévus. L'autorité française
décida que tous les cas non prévus par les dispositions coutumières seraient du coup
soumis à la loi française. Certains administrateurs perdus dans le dédale des coutu-
mes n'hésitaient pas à abandonner la coutume indigène au profit des dispositions de
la loi française.
C'était la continuation du conflit entre le principe du respect des coutumes et la
«mission civilisatrice'5". Il n'y avait pas de critère précis pour déterminer les disposition
qu'on devait écarter parce que contraires aux principes de la civilisation française. Le
juge français prenait souverainement sa décision en sachant que les justiciables
indigènes n'oseraient pas faire appel. Mais si ces entorses aux coutumes étaient
monnaie courante en matière administrative et pénale, elles étaient en revanche rares
dans le domaine privé.'" Il n'y avait pas de démarcation nette entre la loi civile et la
religion. Toute atteinte à celle-ci aurait été une violation de la liberté de conscience et
de culte. C'eut été un pas vers l'inquisition que l'administration évita de franchir.
If'
865
Quoiqu'il en fût le decret du 10 Novembre 1003 fut la base de l'organisation judiciaire
de l'AO.F.. il établissait une distinction nette entre les tribunaux français qui appliquaient
le droit français et les tribunaux indigènes qui jugeaient selon les coutumes locales à
condition que celles-ci ne fussent pas en opposition avec les principes de la civilisation
française. 41
Les Français et les assimilés étaient jugés suivant la loi française. Les tribunaux
français étaient la cour d'appel de Dakar (article 3), la cour d'assises de Dakar, les
tribunaux de première instance de Dakar, de Saint-Louis (article 9) et la justice de paix à
compétence étendue de Ziguinchor.'·
Les juridictions indigènes avaient compétence dans les territoires non compris
dans le ressort des tribunaux français de Saint-Louis et de Dakar sur tous les indigènes
non originaires des 4 communes. «Les tribunaux de Saint-Louis et de Dakar etla justice
de paix à compétence étendue de Ziguinchor avaient, dans leur ressort, compétence
dans toutes les affaires où des Européens où des originaires des 4 communes étaient
en cause.'·
Le décret distinguait les tribunaux devillage, de province et de cercle. Toutes les
opérations de ces tribunaux étaient soumises à la surveillance et au contrôle du
procureur général.
Les tribunaux de village étaient de simples conciliateurs. Le chef de village
tranchait les litiges qui lui étaient volontairement soumis par les parties dans son village
et dans les localités qui en dépendaient. Toutefois ses décisions ne liaient pas les
parties qui pouvaient saisir le tribunal de province.
En matière de simple police le chef de village statuait en premier et dernier
ressort sur toutes les contraventions prévues par l'autorité administrative ou les
coutumes locales et susceptibles d'entrainer une sanction de un à quinze francs
d'amende et de un à cinq jours de prisons (article 48).50 Comme les chefs statuaient en
dernier ressort en matière de contravention de police, le go'uverneur général interdit
aux cornrm:01dants de cercle de modifier les jugements rendus. Mais du fait que ces
chefs étaient tous iIIétrés ils ne pouvaient pas tenir de comptabilité écrite pour les
1
amendes dont ilsSappropriaient le montant.
Au besoirye chef de village pouvait requérir des gardes de cercle pour procéder
,
à l'arrestation des individus coupables, d'autant plus que le decret était muet sur la
définition de l'infraction de simple police. 52 Est ce qu'elle n'entrait pas dans la catégorie
des contraventions punies en vertu des pouvoirs disciplinaires? Une chose était sûre,
c'est que dans l'immense majorité des villages la coutume ne faisait pas de distinction
entre les délits et les crimes.
Les tribunaux de province siégeaient aux chefs lieux des provinces. Chacun
d'eux se composait de trois juges,le chef de province ou de canton assisté de deux
notables indigènes désignés par le chef de la colonie sur proposition du procureur
général, et sur les listes dressées par les administrateurs. Dans les pays de statut
musulman, l'un des deux notables devait être un cadi (article 42).53 Les tribunaux de
province jugeaient en premier instance toutes les affaires civiles et commerciales. Mais
les jugements étaient susceptibles d'appel devant le tribunal de cercle. L'appel était
interjeté par une déclaration du chef de village ou de province et à leur défaut par le
résident ou l'administrateur (article 52). Pour empêcher les appels interjetés à la légère
l'article 53 disposait que l'appelant qui succombait pouvait être condamné à une
amende allant jusqu'à 200 francs.
En matière pénale le tribunal de province était compétent pour tous les délits
(article 51). L'appel pouvait être interjeté aussitôt aprés le prononcé du jugement. Les
verdicts et les actes d'appel étaient rédigés par les chefs. S'ils n'en étaient pas
capables, l'administrateur mettait un secrétaire à leur disposition. Généralement les
commis des affaires indigènes assuraient ce travail.
Les trois membres du tribunal de province avaient les mêmes pouvoirs de
décision. Les sentences étaient donc rendues selon l'opinion de la majorité des
membres. Il n'existait pas de ministère public dans un tribunal de province. Même s'il
était saisi par le résident ou le commandant de cercle, ce fonctionnaire ne devait pas
assister à l'audience. On peut se demander quel était le degré de dépendance du
tribunal quand il était mis en en action par l'administrateur. C'était de lui que le chef de
province tenait son investiture. Il pouvait pour le prétexte le plus fallacieux le faire
révoquer. Dès lors il ne percevait que comme un ordre de condamner les auteurs des
délitsqu'illui déférait. En sus, l'administrateur était jugé d'appel à l'égard des décisions
du tribunal de province.'"
Si l'on fit du commandant de cercle le président du tribunal de cercle c'était pour
lui permettre d'introduire dans les coutumes une certaine dose d'influence française
afin d'accélerer le rythme de l'évolution de la société. Les sentences qu'ils prononçaient
en appel faisaient en fait jurisprudence pour les juges indigènes qui y voyaient une
obligation d'y conformer leurs décisions ultérieures.55
Le tribunal de cercle siégeait au chef-lieu de chaque cercle. Il était composé de
l'administrateur et de deux notables nommés, au commencement de chaque année,
par le chef de la colonie sur proposition du procureur général. Quand des musulmans
étaient en cause l'un des notables devait être remplacé par le cadi du lieu ou par un
notable musulman (article 58).56 En cas d'empêchement, l'administrateur ne pouvait
pas procéder lui-même au remplacement des notables. Il devait faire un rapport au
gouverneur. Les notables n'avaient qu'une voix consultative.
Le tribunal de cercle connaissait de l'appel de tous les jugements des tribunaux
de province en matière civile commerciale et correctionnelle. En outre il connaissait de
tous les crimes commis dans son ressort s'ils n'étaient pas de la compétence des
tribunaux français. Tous les représentants de l'autorité étaienttenus de lui donner avis
des crimes dont ils avaient connaissance. Lorsque ses décisions prononçaient des
peines supérieures à 5 ans de prison, elles étaient soumises à l'homologation d'une
chambre spéciale instituée au chef-lieu de la cour d'appel.57
Les jugements devaient être rédigés, motivés avec un court exposé des faits, les
conclusions des parties, les dépositions des témoins et les noms des juges (articles
ïlJ).
La chambre d'homologation se composait du vice président de la cours
d'appel, président et de deux conseillers désignés chaque année par le président de
f2
8 6
la cour aprés avis du proOJreur, de deux fonctionnaires nommés à la même ép<Xlue par
le gouverneur général aprés avis du procureur général, de deux assesseurs indigènes
parlant français, choisis par le président de la chambre sur une liste de douze notables
choisis annuellement par le procureur général. Ce dernier exerçait les fonctions de
ministère public prés de cette chambre. les assesseurs indigènes n'avaient que voix
consultative. le président représentait l'élément stable de cette juridiction. 58
la chambre d'homologation connaissait en dernier ressort des décisions
rendues par les tribunaux indigènes. Elle était bien placée pour fixer par sa jurisprudence
une certaine unité de vue dans l'interprétaion des coutumes locales. Ses arrêts
pouvaient orienter l'évolution du droit coutumier vers des formes proches de la
conception française du droit. Rien ne l'empêchait de donner des directives, pour que
les affaires de même nature intéressant des justiciables, appartenant à des ethnies
différentes, reçussent les mêmes sanctions. La composition de la chambre autorise
cette hypothèse. Ses membres ignoraient les coutumes sur lesquelles ils étaient
appelés à se prononcer.
En attendant la mise en application du nouveau dé'cret les juridictions conti-
nuaient de fonctionner sous le régime de la circulaire du 21 Avril 1898. les autorités des
différentes colonies avaient jusqu'en 1905 pour parachever la mise en place de la
nouvelle organisation judiciaire. Mais dans l'ancien comme dans le nouveau régime
juridique la caractéristique essentielle résidait dans la diversité des sanctions
en
matière pénale.
En Mars 1904 le conseil des notables du Salum Occidental infligea à Samba
lawbe cinq mois de prison pour refus de faire une corvée à Kaolack. Repris aprés une
tentative d'évasion le conseil des notables porta la peine à cinq ans et cette sanction
fut immédiatement approuvée par l'administrateur Uffiliâtre59 s'il ne l'avait pas lui même
inspirée.
Le 4 Février 1904 le conseil des notables du Siin condamna à trois ans de prison
Coly Lawbé pour le vol d'un âne et à 5 mois de prison Samba Lawbe pour le vol d'un
âne et de graines d'arachides.60 Le régistre d'écrou de la province du Siin ne donne
EL
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iJur;unÜ oxplicalion sur cotte disparité des peines qui semblaient plus :;ÔV'" ,,'; 1""" l,
uloin:; CCli Jpélble. Toul {Il.! plus pout· on "~le risquer àdiro que Coly LowIJ\\.\\ t'I: ,ii 1"" ,: '
un /(',cidivisto ou que son délit s'était accompagné de circonstancos il\\lCjli'V:II'I, ';,
Même si allas étaient moins criantes, ces disparités n'on Oxistélionl Il: 1:, l'" '" 1:.
c1all,; 10:; juridictions musulmanes. Ln codi du tribunal de Somb6 condamna on 1I"b l' ~ Il
'f.oxur Secl( do tliQQ1 à deux mois de prison et 150 francs d'amendo pour 10 vul cie (/':1"
lument:;. l'our 10 vol d'un troupeau de chèvres Sire JolOQ eut un mois do 1"1';0'1 \\:1 ,::)
IrélllCJ cl' amende ot BanjQgu Nday écopa de 40 jours de prison ot 150 frélnc:; IJ'IUI Ir: v(ll
cie CJ cilùvlOs"'. On a des raisons de ponser quelo montant de:; amonde:; d(;pU!lCI:.\\li (l, ,.:
IlumuuI;; c1es juges. Pour cette période f]ui nous intJresso la Illoitiô cJe:; """ ,lld,::;
/(êvenélit :.IUX chefs du coin. Les pressions qu'ils exerçDiel1t :;ur 10:; JIIIW:; "" \\" ..
cl'élCcrOi!,ü lours revenljs expliquèrent peut être ces Iélrgesso:; déUl:; 1(1 (Id'il HI:;'" l'
En matière d'adultère les cadis céssèrent de se conformer aux di:;p' ôll(JIl:. , :,'
1:., loi Illusulmane. Le cadi du Salum oriental condamna~xall1KQYta à un;1\\ 1 cil.: 1)1 i:;, >ii
pou, adullère.Ü2 Pour le même délit Tpbo;]n Nang du villaae de 80ulem fi Il UJIKJ:111 Il If)
ù cinq jour:; de prison ct à 50 francs d'amende." Malal ,JaloQ du ,Jobaasdu vi!I:\\qc ,l':
ldtUlll1 1uçul15 Jours de prison et 25 francs d'amende pour un délit idenlicl'IU.'" [,;.
coup::JlJlc" Gtont des musulmans la sanction prévue était la lapidation s'ils ét(l<cl \\1
mariés. Dans le cas contraire la peine prescrite était de cent coups de fouet. Los caeli:;
n'ont fOUllli aucune cxpllca~OIl pour motiver leurs jugemenls qui de toute façxlil <luraici II
été convelties en peine de prison, et d'amende par l'administrateur du cercle. Di1ilS CC)
conflit colonial;'a loi française avait toujours la prééminence sur la loi indiaène.
Lec; ressorts des différentes JUI icJiclions, bien que nettement délimités par lu
lexte, n'elllpéchèrent pas certains administra leurs de juger en première instélnce dos
.
.
.", ",:'>:,!.;"~":-
'
laits qui n'otaient pas de leur compétonce. Leffiliiitre, administrateur du cercio dll
.
I<élolacl\\colillut à tartde plusieurs nffaires de vols, d'abus de confiance etelo COI "I Jli,il":
de vol qui relevaiont du tribunaf deprovinco.65 Il excédait ainsi sciemment SOI; POuvOII;:
.
"1
do é 1
- P
pUl:;qu 1 eut par momont lél sagesse
. d· forer'ŒlrltlinWCB (ifS 2~'3~'es devélllll,.I COll:" ,ij
(in:; [lOliI111<):;.le procureur dCl1léllldiJ dU guuverneur «de le roppeler il une UII" :'~I ,Ii""
fi':!
i;
plus exsdo de ses devoirs et de ses a"ril:'utionsoo". Postérieuroment all '1'" M:H';I CK l', i i' Ji
atait la date limilo pour 13 mise on marche de la nou'lelle orgonisation. I(.!~; r::le li:. , j..
cercles cio Kaolack, do !:'JXl5., do WQ.Q, (lt les consoils des notablos du.S,iiu; ri ,h 1:.,.' ii li;.
jugèront des dolit" des crimes, ot des laits de traite d'esclavos qui (,i'li,!! ,i :;, ,ii ,:
'
compétence des tribunaux de provin,;e soit de celle dos tribunaux ,y Lei cl,
passage de l'un à l'autre régime se fit dans une totale confusion.
1_016 Mars 1905 le conseil de~; notables du Siin jugea deux délits de CCJl!Il~' r,;
blessures qu'il sanctionna par un moi~ de prison. DCJns la provillce du Bawol orienl :lIle
tribunal cio province régulièrement cQn~'.titué, condamna à trois mois d'oll1jJri:;ol il Il:
ment le nommé Moussa Joop pour assassinat et pour '101. 61 Cette allaire étélil plulôl
de la compétence du tribunal de cercie. Dans la résidence de Tuulle nommé M;llicl,
Gning accusé de meu~.~re fut renvoyé dE:vant le tribunal de province. ces atlentat~; !,I:l
vie Ilumaine élaient des crimes et le tribunal de cercle était seul habilité à en connaÎtre.'m
[n '1 9051e tribunal (Je la province de Fissel commit la même erreur on infligoéllli <'J
un meurtrier douze ans de prison. Cetl ':: a!faire aurait dû être portée directement c1cv;ml
10 tribuilai do cercio G9
,(.
Los sanctions que distribuaient les juridictions ineligènes étaient (\\f' mu;, l'.' "Il
Illoins ('Jill/ormes aux coutumes et [lUX di~;p::>sitionsdu décret du 10 NovomlJlcl::XU. 1 Il
'1007 b tlibunal de la province de Kaolack, siégeant en matière correctionIleIle COllcl;1/11
na Gallo Ka, prévellu de CQUPS et blessu! 1)S à la «confiscation do ses deux Ch(~V:III': '1;
quise d·;]moncle70". Cetle étrango cond<'lmnation sOl1ait do ('ordillaire. 011 ilJi 1\\.\\11' , , ,
profit de qui ello avait été prononcée. N (lait-ce pas là pour le chef de celle jUllrlic:;j,,,,
un moy"" commode do se procurer dos chevaux salls boursos déliar ? Cill l,';
amende:; en «nature" n'étaient pas prévues par la réglomentatiof L
Lo jugement le plus étrange fut col~li qui fut prononcé en 'j 'j07 par le tribull;,I, II,
Mbôwor Gewul et relatif à .fu!QÇlkar Kan Htteint de folie/responsable de ses élcte:; "1
inculpé d'homicide. Il fut condamné il ulle 'ôlmende de 100 francs uu profit du 13uclgcl (!J:
la colonio et à 375 francs ou dix cila;nelle~;au profit des iléritiers du défunt pour 10 l"ii.
du ~;ang. Le pere de lJuQéll<ar_KaQ c ;lsidéré comma "civiloment rospon:;;111i,: (iii
,
.;, ..:.-....
•• ,-- _.- ••:...=-....:.... "'~''''''',.-:-:-~~~---=--::::....:...:.~-
-----. - - _ . - ~--"'-_.-.;- -
·,'C·,:-:'.'.:. ... ~_~., -,.,._ .-"''''-0'''''''''.-=-_':"::-:::--,''''' :~..-:-;:~:7:_~:·''''~~:''~:-
t=.,~'-!_~ '..,.,.,
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1•
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Crllno"l1 Le IrilJun<J1 avait mal appliqué le prix du sang pr6vu d~1I1S los lTl()urlr()~;, ii ' ,',,,;
pas do dix mais de cellt chameaux. ~;; les dommagos el illlèréL> payé,; HU1( Iit,rii!(,,:; ri;,
défuili so justifiaient, il en élaitaulrelllent pour l'amende pronol1côe au pj()iil (lu Iii' ;, l'
cJe la colonie, Car ni 8ubahar irresponsable, ni son père civilement nq)(1J 1:;,>1 '1
1
dovaientlien verser dans les calSS8S do la colonie, Carla sociôtulle pouv, tir 1;: ;::,-", i ""
cette mesure de répression contre les individus totalement irreSp()IISIJIJlo~; rJe> l''lil
<Jctes
Certaines diS'Cisiolls des tribunaux de corde étaient Olllachôes d'i1i6g<.llitU, [Il I~>(J;}
l' adll1il1islratour du Bawol inlligea dix jours d'emprisolll lell lent ~l Ivlallladu :<~'Illt) l ,'n 1\\
fixes el menaces à un Europ6en.'" Celle mesure ne se ju::;tifiait pas parce qu'elle n'<Jv(lii
pas eu pour objet de rcprimer une rixe opposant des indigènes 8UX citoyens fmnçl'1is.
Du moment qu'un Eu'(opéen était en cause, il n'appanenait plus à l'aciministrGlcur
cI'exelcer ses pouvoirs répressifs. Le tribunal français était seul qualifié pOUl' connaître
des f~,its incriminés.
Le même administrateur condamna SambÇl G0Y à 10 jours de prison pour
incitation d8s laptots de Kllombole à la grève"J Il pensait p8ul-être que cette déci::;ion
se justifiait. Mais le procureur général ét::tit d'avis que cette incitation à la grève n'élait
pas un rJélit d'entrave à un service public. Les manoeuvres indigènes n'ètiliont p:x: ill J
:;orvicu de l'administration mais à celui cles commerçants,"
Ces sentences en matière pénale donnent une idée cie la grélnde cOlllfJlexilù' 1,,',
problèmes rclaiifs à la justice indigène. Les administrateurs rèunisSiJnl <I~II l,c l, '" '
1nains le::; pouvoirs judiciaires et adminnistratifs ainsi que leurs pouvoirs cii:,ciplimi,,'
rendaient des sentences qui porlaient davantage la marque de l'arbitraire que 10 10::' 'l""
des coutumes. Les chels (10 village comme ceux des provinces ne montr:Jienl i" 0::
davantage de rigueur déln-, le respect,d~s textes réglementaires,
[11191110 régistre d'écrou du cercle de Tiwawan était surchargé do ratura piJi'
l'adminisirsteur Gode!. Il était dès lors difficile d'établir lil SitUiltiü ll des dôtenus dont
certains avaient dépassé:ourternps de détention, Le fonctionnelll,,,';t 0!.:s ,,';J!lIlIJUX lio
1/2
n'r f}
n
, 1 (
province n'était guère Ineilleur. Beaucoup d'affaires restaient en suspen,; ~Clif pei!
négligenr.o, soil par incurie, sail par calcul. Sinon on ne pouvait pas comprendrn qu,'
des délils précis pOilés réÇ/I.Jflèrement à la connaissance du tribunal fussent CILl:;:'Ô:;
sans suite.'>
On se plaignit aussi dus juges de la Petito Côte qui étniont loin do :a, Il'CH'''''' J"
la Ilautour do leurs tâches. Mane Jonn, Manang Lay, GÎle JonTl troliqu:Ji!",: "\\'''' ': ,"
ment do la haute fonction qui leur était confiée. Aussi leul~,<)rrels arbili,Jim:: ":I:,i";'
contestés par les Justiciables qui n'hésitaient pas ir,terjeter appel deVéll'! l" i, il)\\.1I1' li
cere/e,7" De pareils griefs étaient également formulés contre les chels [Jul';, .I:e/X!" III);:
et Koromboli .seen <lssesseurs titulaires des Provinces Soreer qui se laisuiul II renwi [1 ('
c1es cadeaux par les plélideurs. 'l L'insuffisante retribution invoquée pour justiliur cu Ir: liic
d'influence n'était pôs une excuse recevable. Sans doute à côté de ces diéllJoliqlll):; il
,.'
aurait lallu présenter les Illagistrats c1'une rigoureuse probité morale el il n'en nwnqu:li:
pas. Mais nous ne voulons pas donner un tableau complet de la situation des jugos.
Nous voulons seulemeninotor ici qu'en portant atteinte aux coutumes, ils iacilil<liclli lu
triomphB des dispositions de I:J loi française.
Los erreurs constatées clans los jugements des tribunaux de province ou cio
cercle provenaient soit de l'ignorance, soit de l'incapacité, soit de la vénalité dos
magistrals. Les juges des dilférenles juridictions n'étaient pas préparés à remplir io.'UIS
fonctions judiciaires selon les modalités fixées par le ddcret du 10 Novembre 1903. Co
texte en établissant, une dilférenciation entre les contrwentions, les délits et les crimw"
ropronéJit la c1Llssification clu coele pénal français qui proportionnait les sLlnclions :,11 lX
infractions. Le droit coutumior auquel se reféraient les magistrats indigènes iDnor,,;:
celle d.lssilication. Celle éllnbiguilé était à l'origine des malentendus al :.ilcsi d,,::
roprochos d'incompétence adressés aux magistrats indigènes, Dans 18111' (J:;!'r;: ii l '
saurait y avoir de distinction enlre une affaire civile et une affaire correclionnnilu ;-1;)
ma/trisant pas correctement la langue française en raison du éaractère superficiel (i,:
leur éducation occidentale, ils faisaient des confusions en employant des mols dOl Il
ils ignomient le sens eXLlcl. Ceci n'avait à leurs yeux aucune importance car pour (H';!
les délit,; et les crimes étaiont superposablcs
'même que les amendes et Ir):;
clomm:'Dcs et intérêtslll
Los administr'atours étaient so6ë'ent trés envallissants on matièro juclici, >"til', li::
no laissaient presquo pas do margo f,our l'indépendance cJes décisions des tri!)":" n.n:
incJigô' ',OS qu'ils inspiraiont pour n'avoir pas à les juger à nouveau. Lours inturvel liil)ll"
cii::cré, iilaienlles magistrats auprés dcôs Justiciablos7• qui pordaient do plu:.: Qll ! 'lu',
confi:Jllco dons lours CllerS.
Lél justico indigène comportai' Jnelacune non moins grave. La rei.lI{>:;Ulli:l:;' '"
des Pèlrtics par des mandataires n'y étai( pas admise. Les avocats d6feI1''I'' Il:; il' {,::,,: ,. "
pas <lulOI is6s à exercer ni dovantles tril.lunaux de province ni devant 1(": :, ilJIIII:" "
corclo présidés par les adl1linislralour~" sous prétexte que 18 coutun H.: il Il ii, i':,' l". '
gouvernait la procôdure, ignorait la représentation. 60 Ceci était contrairu il tOI Ill' v,',; ,: ,',
La structure communaut8ire de la famille f8isait du cllef du lignage le poile parole, il,
aroupe: Il assumait la,responsabilité des actes que commettaient les ITIC" Ilbl"QS ,j" 1:.1
famille. li ra tilm il était tout indiqué po!.'r agir)dans le champ uu droi)en faveur UU pem 'ni
inculpé
La présence d'avocats défense:Jrs dans les tlibunaux indigènes aurait été gmve
cie com;équences. Originaires des cOlnrnunes de plein exercice, il l'abri des pouvoir,;
disciplinaires des administrateurs, ils aUlaient profité de leur liberté de parole pour Iain]
le procès de l'adminislmlion coloniale. Certains, par leurs relations avec Bordeaux
auraient trouvé là un excellent cllamp de bataille pour livrer des combats aux gouvor-
neurs pHU accommodants. La questir;n êtait de savoir si les plaideurs auraient é[6 en
IllSSUrEl de payer les Ilonoraires de leur défenseurs et les Irais de Justice. Telle qu'ollo
était prévue par le décret du 10 Novemb~e 1903 la justice indigène était gratuite. Les
magisll"illS ne perœvaient non plus «aucune indemnité pour l'exerdce de lour lundiclll:'
DéllîS le dornaine (lu droit privé, le: gouvernement s'était abslcllU d', lOi i:,'
intrusion. IJour respecter los droits civils qui constituent 1:;1 [Jase de la POlsuIlIFl!ili,.
dGcret dol B57 avait résorvo le statut p8l"sonnel des musulmans hJbit8nls Saini-Lo,:i,
En matière d'état civil, do mariage do succession, de donLltion et de testalllenL (:"ji',
juridictioll app:;qL<t ;03 dispositions de la loi musulmane aux parties. Mais 6Ilm3:i,':, ('
do ciroil fOllcier, le gouverno:nent décida que les terres vacantes ot s<:Jn,: m.'il; ":;
!W
1174
appartenaient au lisc. Les terres pouvaient être vacantes mais elles avaient toujOllr~~
des mailres rJUllloins en :">énégarnbi'l. La complexité des institutions locales en mo[iùro
successorale était souvent si déroutante pour les administrateurs qu'ils so iaissùronl
aller à des denis de justice. les musulmans avaient adopté le régime patrilin6airo on
matière d'héritage avec par endroitur.e certaine dose de matrilinéat. Los non convortis
domouraient fidèles au régime matrilinéaire qui faisait des neveux les héritiers do lour
oncles maternels. Les administrateurs, ignorant les langues locales et les cou\\UJllO~"
ne firent él\\.lCllll erfort pour en comprendre les méccnismes. Certains se conlnnt,\\r"f li
rll! ';oluliOilS cn élpparonco simplos mais qui étaient pour les victimes lél :;upr(;!!I!'
irljustice.
EIII~) 1Cl Samba I<ura Secl\\ lut jugé en appel et dernier rossul! par lu Iril11)II. i' ..
cerclo do 1<,lolack pré:::idé par l'administrateur Brocard. Il lut dépouillé DillO'i ql'" .:;,
famille maternelle de tous les biens de la',uccession de son Irère ainé, Un aulru (I",.,~:;
frères cohéritier de cette succession lut même trainé pendant 50 I<m 10 cordo ,Ill':' ,11
pour avoir ou d'outrecuidance de réclamer son bien8 '". Le conseiller gén6réll S'.II)( ,1 1
raull:l qui nous sommes redevable de cette information est resté muet sur les clonll':".';;
cie celle ail aire ct sur l'identité des gens de la partie adverse. L'acharnemcnt des dei II;
frères à revendiquer cet héritage laisse penser que les enlants du frère défunt OVéliolli
revenuique:, les biens laissés par leur père en y incluant ceux qui appéll·tcn;:Iiell! ;, :;"
féunille Ill,llertle1Je el dont Qn'était que le gérant En pensant que les en[anlS cleV;.!;CII! {;".
les héritier:; léS)ilimes de leurw pèrqQ l'administrateur commit une gravo ()IP: 11 ji i( :,
(LclVo ç ç:/l
ciaire. De pareilles erreurs d'appréciaLion avaient fini à plusieurs/dans de:; dr;lI li'
;.1110c0S. Enl9J7 dans le secteur de Falicl< un Soreer dépossédé du troUpe;l\\J "l"ïl <i,. ,;
hériter cie son oncle au profit des fils du défunt trouva plus simple, pour r6cup':,rur 'i(" 1
bien, de liquider physiquement tous ses cousins. C'est à ce moment soulenlOni qu'-,
l'éldillinistmlcur comprit que son verdict était injuste.llZ
En 1910 l'achninistrateur du \\J;w,,!)I,
pour trancher le différent relatif à un troupeau de boeufs que se disputaient deux parlie:;,
lrouvaplus simple de vendre les boeufs au profiidu budget régional."" L'adminislraluui
du corde de DalG'lr-l(ees n'agit pas différemment A propos d'unli\\ige foncier à HuftSquo
entro Ull Woloi el un Lawbo bûcheron il donna raison au Wolof sous prétexte que la:;
'-
879
Lawbe étant d'eternels nomades n'habitaient nulle part et ne sauraient être propriétai-
res fonciers. Ces sentences n'avaient plus rien à voir avec les coutumes sur lesquelle~
auraient dû s'appuyer ces magistrats pour motiver leurs jugements.
A Yregarder de prés ces excès découlaient de cette souveraineté donnée au
J
juge pour étendre le champ d'application de la loi française chaque fois que les régies
coutumières lui paraissaient en opposition avec les principes de la civilisation du
conquérant. Chargés d'enraciner celle-ci dans les pays soumis à leur autorité, les
administrateurs étaient incapables de se départir de leurs préjugés contre les coutu-
mes qU';:staxaient de barbarie par reférence à la civilisation importée. C'était du point
de vue moral qu'ils appréciaient les coutumes locales. les décisions qu'ils prenaient
avaient pour but d'orienter leur évolution «dans le sillage de la loi métropolitaine».84
On aurait pu multiplier davantage les exemples où le statut des indigènes était
écarté au profn du droit français. Chaque fois qu'un indigène était en rapports juridiques
avec une personne de statut civil français, la loi coutumière cessait d'être applicable.
C'était de cette façon que se fit, selon Solus, le «travail de \\a civilisation85».la puissance
coloniale avait le droit de bousculer les coutumes en droit privé pour faire une place
aux besoins nouveaux, aux institutions et aux combinaisons juridiques nouvelles."
En d'autres termes la préoccupation majeure du oolonisateur était de tout mettre
en oeuvre pour attirer l'indigène vers sa civilisation. Cette idée conduisit le gouverneur
général Merlin à mettre à l'usage des indigènes certains textes qui devaientfaciliter leur
absopption progressive par les institutions françaises. La monétarisationde ,:écono-
mie, l'essor des centres urbains qui facilitaient les contacts entre les Européens et les
1
.
.
' .. ,
Indigène7mais surtout entre les indigènes de toutes les ethnies avaient apporté des
modifications dans la conception traditionnelle et coutumière de la propriétécolleetive,
.
.-
'
.
. .):,;~;',-.;/;:, ,.., ;~..'. ~
qUI en certains endroits, cédait un peu de place à la propriété privae individuelle. Les
rapports contractuels étaient journaliers. les ventes, les baux, les prêtsd'ar~~. les .
. -'
;,."
mises en gage se multipliaient de pius en plus. Pour faciliter ces différeOtes transac-
tions on décida de faire passer les indigènes du contrat à la convention écrite.
'.
Le decrot du 2 Mai 1906 institua un mode de constation écrite clus convc;;li: )I!:.
,
f);,l0StJ1JS onlro los indigùnos. Ce toXou' llisposait "que los convoniions COI 'duo'; Il' ,i,:,
indigùne:; selon les réDies et formes c.:>utumières non contraires aux principos (I" 1;.1
civilisolion française (pouvaient) en vue de la preuve, êtro constatéos pm UI i "0';; i,
affect;lnt 10 caractèm d'un acte civil."D' L'écrit devaient être rédigé on Français. Il
contel1aiU'énoncialion exacte desno'1l;; des contractants, l'eXposé précis de leurs ell-
gagomonts, ot la constatation, si c'était nécessaire, «des formes solennelles exiCJécs
pélrla coutume""». Contmctants accompagnés des témoins nécessaires à la validité
du contrat se rendraient auprés du commandant de cercle ou du chef de posto llui
légalisait le pélpior aprés leur en avoir communiqué le contenu par l'interprùto as~;or
menté. Il devait les interroger individuellement sur l'intelligence qu'ils avaient do Jour
oblig'.llions et sur la liberté de leurs consentements.
",Jete revêtu de la formule d'affil mation aprés le paiemellt dos druii:' ut 1", ,.,
;Jvaitlèllîlëmu valeur quu «l'acte sous ~;eing privé reconnu ou légalement tenu 1H)I il
rCCOllll\\.l du coel0 civilfl'J».
Cu clécrat essayait de substituer il la preuve testillloniaie qui serv:lit cl/] i 'lié"
cOllventions omles la "preuve littérale Irrefutable ... à raison du c<Jract(,re rl''','ih''II';;'-
que (c1rvélit) conferer aux écrits le visa du fonctionnaire français"«". On cspC,l;lil. '" l.I
ci illl illl lur le nombre des litiges qui occupaient une partie des temps des 1Il;.lt)i:;t i .,i 1.
Lor:, dus divorces le remboursement dc. la dot se faisait plus rapidement SIII' jJlôe;' '; ,-
Wtion dl) co contrat où le conjoint, par devant témoins aV3ientnoté tous los délai/:.; de::
::;omill8~ qu'il avait données à sa belle famille. L'introduction de l'écrit dans le clOllF';ilO
privé indigène bouscula la coutume. La preuve testimoniale qui était jUSqll'i1lol'C' l"
fonclemcnt même des contrats entre les autochtones, fut frappée de caducilé. I.',';
Il)rlTle~ <.le la loi française empiétaient sur le domainE! du droit coutumier. Lus illlôrn:;i ':'.;
s'étaient vile rendu compte que la rédac1ion d'un écrit présentait l'avant; IDu, 1'01 li ! '.
eréanciors, du conserver à tout momen; la preuvE! de leurs clroils.
Ces mesures qui venaient se surinposer au droit coutumier poursl.liv; ,iUII; ",,, l •
uno fOIlI",J \\';;:168 la poiiLqL::: (j'&3imilation. Celle-ci était de plus en plus revencliquéo l'''r
certains indigènes qui avaient reçu dans les cercles une cortaine édllCalio(l fl;lIlÇ;li:;"
\\
1
.
,
,..
6!
87';
Us souhaitaientbénéficier dutraitement accordé aux originaires des quatre communes
avec qui ils partageaient la même régie de vie. Ils étaient tout à fait disposés à accueillir
toute mesure législative tendant à les introduire dans la cité française. Ce voeu
rencontrait le souci du gouvernement colonial de créer un ordre public colonial qui
aurait solrnis tous les sujets aux mêmes loi françaises malgré la promesse de respecter
leurs coutumes.
Cette promesse s'avéra illusoire avec les entorses apportées au cadre de la
chefferie avec les nominations de chefs étrangers aux circonscriptions età l'incapacité
des commandants de cercle de s'abstraire, dans l'exercice de leurs fonctions judiciai-
res, des principes de laloi métropolitaine. Les verdicts qu'ils rendaient n'avaient aucun
rapport avec la loi coutumière.
Les problèmes soulevés par l'évolution accélérée du pays rendaient urgente la
réforme du d'cret du 10 Novembre 1903 dont les lacunes étaient trés nettes. La
persistance des abus et des jugements entachés d'illégalités était de nature à
détourner la plupart des justiciables de l'ordre établi. Comment l'administration pouvait
elle faire disparaître ces malentendus en appuyant sa politique sur une contradiction
fondamentale à savoir vouloir assurer à la fois le respect des coutumes et des traditions
indigènes et affirmer le principe de la primauté de la loi française dans le même
territoire.
Quoiqu'il en ~Ie décret du 16
Août 1912 portant organisation de la justice
indigène en A.O.F. apporta quelques modifications à celui du 10 Novembre 1903. Cette
nouvelle réglementation était comme la précédente basée sur le respect des traditions
et des coutumes. Toutefois elle tenait davantage compte des transformations qui
s'étaient opérées dans le sein de la société locale.
Les quatre degrés de juridictions furent maintenus à savoir les tribunaux de
village, de subdivision, de cercle et la chambre d'homologation."'
Les tribunaux de village continuaient de fonctionner sous la responsabilité des
rt,efs rie village.92 Toutefois on leur retira leurs attributions en matière de simple police
qui leur donnait le droit de punir les infractions d'amendes allant de 1 à 15 francs et de
~
878
1 à 15 jours de prison. la raison de cette restriction des prérogatives des chefs de village
résidait dans la constatation que les viliageois étaient des illéttrés dans leur immense
majorité, et qu'il était donc risqué de laisser aux chef)instituésiuges de simple Polic,la
possibilité d'infliger des amendes dont ils ne tenaient aucune comptabilité. En l'ab-
sence absolue d'actes écrits il n'était pas possible, pour "autorité supérieure, d'exercer
un quelconque contrôle sur ces pouvoirs naguère dévolus aux chefs de village et dont
beaucoup d'entre eux avaient fait un mauvais usage. En matière civile et commerciale
les chefs de village demeuraient investis de pouvoirs de conciliation pour le réglement
de tous les litiges dont les parties le saisissaient. Les sentences rendues ne liaient pas
les intéressés qui avaient toute latitude1~àrter leurs différends.devant les tribunaux de
subdivision. 93
Les anciens tribunaux de province furent remplacés par les tribunaux de
subdivision dont les ressorts et les siègesétaientlixés par les lieutenants-gouverneurs.
Le tribunal de subdivision était composé d'un président, de deux assesseurs indigè-
nes désignés par le chef de la colonie et choisis sur une liste de cinq notables indigènes
au moins. Tous les membres avaient voix délibérative. Le tribunal de subdivision
connaissait en matière civile et commerciale, en premier ressort, et à charge d'appel
devant celui du cercle, de tous les litiges dont les parties le saisissaient. Le délai d'appel
était d'un mois à compter du jour du prononcé du jugement. En matière répressive le
tribunal de subdivision était compétent à charge d'appel devant le tribunal de cercle,
pour juger tous les faits punissables exception faite des infractions réservées au
tribunal de cercle."
La composition du tribunal de cercle ne changea pas. Les deux assesseurs
n'avaient que voix consultative. En matière civile et commerciale le tribunal de cercle
connaissait de l'appel de tous les jugements des tribunaux de subdivision. En matière
r~préssive il était aussi compétent pour l'apppeïdes jugements des tribunaux de
subdivision et connaissant de tous les crimes. Etaient qualifiés de crimes, les attentats
à la vie humaine, les coups et blessures ou les violences susceptibles d'entraîner la
mort, les faits de pillage en bande et à main armée, les incendies volontaires, les rapts,
les enlèvements et séquétrations de personnes, les empoisonnements de puits et des
~q
p
'.
11-
U / 9
sources d'eau potabl(". les mutilalion~,. sa compétence Cil Ini.ltlère r~rll {,'dvc ~;'""·ill·
dait égi.llement aux délits relatifs aux faits de tmite d'escli.lves prévues et plHIlS p',lr lu
décret du 12 Décembre 1905. Il jUÇ]('i.lit aussi les infractions cOJmnises par le~; élgcmls
indigènes de l'autorité ou contre ses élgents dans l'exercice de leurs fonction~; ci lo~;
infractions commises par les militaims IncJigènes de cOlllplicité avec des illCligône~;non
militaires.OS
Exception faite des faits d ~ traite tous ces délits étaient auparavélllt cfo fa
compétence des tribunaux de province l1ui les sanctionnèrent de pénLllités que 1·'lclmi·
nistration jugea insuffisantes.
I,.e décret de 1912 apporta quelques modilicalions ,'1 1.1 composilioll cie \\;] cil;'I! I( 'i,'
spéciale de la cour d'clppel à slLltuer sur l'ilomologation oul'ûnnulation rJc~' jUfjC:lI"" li'.
cll,S tribunaux indig6nes qui n'étûient pas susceptible,·, de pourvoi un Cil,;:;;,J:,,,,
plésiclcnce était désormais attribuée à un conseillel', [",I plu:, cie:' (["il'; ':1 li 1 . ,,'
titulaires étaient nommés deux conseillers suppléants l1ôsignés par le p"'";ill,,, li , J,' ;.
cour, aprés avis du procureur général. Deux fonctionnélires membres titul:lil "~".i ,',,,,
assesseur:; indigènes parlant français complètaient la composition de Ci :Ill; i,;; je li,
tian.""
En plus de son droit d'llOlllologuer les jugements des tribullélrJx cil: ",'r,J;
prononçant des peines supérieures à cinq ans de prison, la chambre d'ilolllOlulFlii,,,,
donnait pi.lreillement son avis sur les jugements relatifs aux faits de traite cl :3( Ir CCl l'''
condamnant les fonctionnaires 0" agents indigènes de l'ûclminisll'.llion ;) (III'; I,,'il"
supérieure à6 mois de prison ou à 500 francs d'amende. Le procureur I.j(,' l"" id l '1' 1'1:"
déFérer à la chambre spéciale, par la voie du pourvoi d'office en ,1Il11UI,,;i, '". ;, . ri
1
jugements rendus en matière repres:;ive parles tribun,lux de subdivi,;i(" l':i' le' , .' .
Au tenne du décret du 16 Août 1912 les originaires des quatre CUI 1li il' 1/ ~J:;' l, 1
exercice perdaient le bénéfice d'être lugés par les tribunatJx français et furent J," 1( il' '
à la régie commune à tous les indigènes. Cette enlor:;e aux droits clcq(Ji:; "v:lil l'.;,
justifiée par le souci d'imposer un mode de classement unique dos ju:;ti(~i;\\tll(Y.
indigènes du protectorat comme cies communes. Les uns et les éll lire,; :1'1. ,', :11l l '
'i"
,'
, ,
1.'
U
,
,
môme fJenre de vie, La ligne de démarcation qui sépmait les originaires, dDs élU loch
torws clu pays de prolectorat ne se justifiait plus, Grâce au progrés du commerü) (.'1
des moyens de cornfnunicationleshabitants des communes comme ceux dos corccln:,;
por [,lienl également le rnêl1le vernis cie la civilisai ion française et qu'il n'était plu:;
rllor'Ollo, nent défendable cie mélintenir entre eux des barrières juridiques.Ila Los vigOlilOll'
ses protestations du député Carpot leur firent restituer le bénéfice des juridiction:;
Imnçoises par le decret du 9 Mars 19i4 qui disposa que "les indigènes originairDs cie,;
quatres communes de plein exercice du Sénégal (seraien!) désormais justiciables de:;
tribunaux français"'J» quel que fût «10 lieu cie l'infraction qu'ils auraient commise, clt l'iliCjn
déll 1:; Ir." luel il::; seraient porties,''''
U) décret du 16 AoeJtl912 apporta des innovations dans l'orgéllù:;;\\iioll ,;".,
;ril)llllillJX indigènes, ~'é\\nicle 34 clu dduet disposait que les présidc!!ll:: III"';:;' ':1:
i)él·,,'.'!icil:l· de:, services c1'un secrétaire pour \\a rédaction IIKllérielle des juq' III "-,f ,i:, , i
cles Ilote:; c1'audience, la tenue du régistrede transcriptiol\\ des jugoments et clô/iv! id i'.I'
rio:; expéclitions aux panies, Ill' Lo gooverneur général précisa que le s('(èrétQirc ::','1 ::i; , '"
indirJéllC connaissant la langue française ou à défaut un fonctionnairo fran,;:)i::. ''''
Si pOUl' les tribunaux de cercle, les administrateurs confiaiont en génér;11 cd/il
ti,kllo ,]1111 cie leurs prGêllos collaborateurs, les présidents dos tribunaux do sul >ciivi·
:;ion:, lai::é1ient appel au service des interprètes quand ils n'avaient pas de sucrél:liw;
{:lUiLI és.
L.c:c: tribunaux de subdivision étaient plus à même que ceux des provir ICl,,: i 1( " /1
garantir lu respect des coutumes des justiciables car leur composition ha Flj; D'l", <"
cie la diversité de::, usages de:; IXlfiies en cause,'O')
Ainsi, pélr la représentationn du statut du justiciélble dans la COII/i!'l!iilicOl l':"
Iribu!lal on avait pratiquement débouci lé sur l'instauration de tribunaux élilniquo:;, (l'l
espérait éviter l'envahissement des coutumes des groupos minoritaires IX\\(' colle:.: (Ir'::
collectivités numériquement pfus denses. Chaque groupe, quelque fût sonimpOrlé\\IICU,
avait clroit à êlre jugé par des magistrats choisis dans son soin. Pour los corcle:c" i,',:
mêmes oi)selvations étaient valables, Les listes d'assesseurs tenaient compte, dans
le CllOix clos personnes, dos dillérents groupement éthniquos vivant dans le cercle,"l'
Le décrel était resté muet SUi le cas de litiges susceptibles d'opposer (if,::
justiciaiJlus relevélnt de subdivisions dilfGrenles, ou des villages limitrophes du:; (:I.:!' :i,,;,
dans le:; contestations foncières. Il y a :'VélÎt des risques pour certains d'ontra tH 1)';(" '\\1 Iii
jugés péH' des méHJistrats n'appartenant pas à la même circonscription :11"111111 li,,; " ,i i,'"
L'uno des innovations du dJcrE't de 19'12 fut, on matière crÎllli1lcll':. ,r. ,',
accorda aux accusés le droit de se faire a~;s:ster à l'audience, d'undéfensuurLilui::i l ,. 1
lui péll"fni sos parents ou parmi los illdig'::nos notablos [lu lieu de son domicilo.''':'
Lo légi,;IDI cur Llvait à nouveau éeerté les avocats otles iJgents d'allélirc:: (JOI 111"
concours aurait oté trop onéreux par rapport aux cLlp8cités finJncières de,; Plilicl'"Il ::
Celle orgJllisatioll judiCiaire devait rester essentiellement gratuite. lOG En éCéll·tantles
défenseurs profo:-;sionnels, on évitait ':i8favoriser ILl projJ3gationdo la contestation.
Les propos des Llvocals, nécessLlirelw'nt
critiques vis à vis de l'administrai Ion,
Juraient rapidement foit disparaitre le caractère socro-saint de la personne du
comrnéllldant qui était comme un empereur dans son cercle. La grande difficullô
résidait clans le faitque les avocats ignoraient les langues et les coutumes des pliJidcurs
ct auraient inutilement invoqué des di~~'ositionsde la loi Irançaise non applicables aux
ju:;ticiables.
Ecartés des tribunaux do cercle et cie subdivision, les avocats essélYùléHil rlu ,:r,
ulissm. IllalÇJré tout, dalls le fonctionnement de la justice indigène par li.! voie, ,I,I
pouevoi. Par leur porte-pZlrole 80ussenol, ils revendiquèrent celle possibililÔ. Moi:; cil i
fait que ::oulle procureul"\\Jénéral était hocilité à examiner Ici valeur clu pOllvoi '" \\h Il l'"
il1türclîl ]' 'Jccos. 10i
L'application clu d&cret du 16 Aoûl 1912 provoqua un certain désanoi ,j,1I1:: l,'
fonctionnement de la justice indigène en raison des innovations qu'il yLlvait introduii!,:
Les fonctions de juges étaient séparéo~: do celles des chels de canton ou de provinr:c
qui perrlir'ont ainsi une gl8nde partie de ICL,. prestige. Le décret dissociait dos élélTlcllil;
qui étaiullt intimement unis dans le systèr.·'e politique local: 10 pouvoir administlCl\\if 111
~'.
(l '1 ')
1I3l. (J,JI.
{
los prérogatives judiciaires, Avec la perte de ces dernières les churs virenlqorp \\Jcll; '1 '1 ',' '1
une importante source de revenus,
Les nouveauxjuaes essoyèrent tant bien que mol cio ~;'élCqllillor do 11)11; Il ;/,'" 'i
La plupart d'entre eux étaient handicapés par leur ignorance lie \\a 1ElIlq 1JO II; li HJ""
l'incapacité de moduler les sunGlions en fonction de la gravill' de:; lauto::, 1:1i ""':""
de fonclionnaires européens leur dictant la conduite qu'ils liov,liont suiVI (' "',,,"'1 i
faite pour les aider à apprécier les faits avec impartialité, li'"
Ils éprouvaient des difficultés à saisir l'esprit de la loi frClllçElise, à COIlVOllil' ""
journée~;ou mois d'emprisonnement les punitions corporc:lle;,; prévues parla COUiillllU
et abolies par la loi française. En malière Civile certains prononçaient c1es puil1' ':i i i,:
prison conlre les auteurs des mutilations au lieu de verser des dommages et intél'ül::;
aux victimes. Les interventions des commElndanls de cercle clans les tribun:,llJx cio
subdivision, tant au niveau du choix des notables que de IEl conduite des dél);II:;,
réduisaient de plus en plus le champ d'application des coulumes. Là oLI le droil
musulman ne s'appliquait pas comme en pays seree l', les mElgistrats du tribunal l'II)
cercle rendaient leurs décisions en se reférant au code civil françElis qui leur était plus
familier que les coutumes 10cales. '09 Ils ne se souciaient pas que leurs sentence:;
portElient alleinte à des droits. L'essentiel pour eux était de faire prévaloir la loi françCli,,(j
sur le droit coutumier. En matière d'Iléritage, de mariage et de droits fonciet,; il,~
s'éqar:liont dans des notions métropolitaines"o qui n'avaienlsollvent rien lie COIIIII li" 1
avec le:; réalités locales.
Ain:;i la régie selon laquelle toutindigène devait être JUÇJé selon sa loi CC) 1 li Ullli:" .'
I,'était acceptée qu'en èlpparence. Le strict respect du droit coulul1lier éllJl ,lil "l" .. "
contradiction avecla volonté affichée par l'autorité coloni<.lle de lransforlllerl;, "d' ;,,i(,
locole par le contact de la civilisation française. .f}, tous les nivoclll, les coutume:; :;llhli'" li
des altémtions, mais en matière pénale plus qu'en mEllièrQ. civile. L'aiJolitiull 1 l,:::
châtiments par le colonisateur et leur remplacement par des peines ~14éprivéli ivl. ':: . j' "
firent ce:>ser l'intervention des coutumes dans les sanclions pénales. Ces pénéllitô:1 1 lu
substitulion étaie~l r-"o~C:'1cées par analogie avec celles prévues, en la rTlElti,i,re. Il''r
le coda pénal fr<Jnçais.
LI' respect des coutumes n'était",en définitive, qu'un subloriugo pout" m~n\\' "l'
'~.' ~
l'appliGiliUIl clu droit français en vue de rapprocher los inLligènos Llo Iïnfh.Joncn n[ du:·;
idées fr::1I1çaises.
IUlltos los déroCjêllions apporlée::, au principe du respect dos coutumo:;, 0111 ,"Ii
ries cosé" l' lences imporlélrltes sur la sociélé locale: La croinle cio voir !OUI:; '11[,;;" l,:
f lu,fanl le;; \\i'iiJun(ll~x (Je cercle. f\\nturiOUf(:tnent à 1'11l1lJOsii'roil Îh~ ICI eJo:nil n;!(~: 1f;: ni , .
le IrilJllililll.lu clloi ne ,erlollçdit Ô la tonlalive de conciliation que qU'JIKi;1 :," ',,";"
~.!CCl.ilé ;) i \\ ~lnC! 1er pl.1r un verdk:t nut 10 litl!)o scumis.) ~.;on Llpprôci.];.iun. : _; il !;!; li l, H;' ,
inaqcs :.\\l)ccsl:-c1UX. base cio la socié16, cr:J3îl un œrtoin vic!() juric]iq\\ iO lltl(; i;~ ;'. '!; il ~;,-~(:;
IIlOIl/JI:lil r; '.I\\I:lionl de plu,; on plus lendélLce à s'affrancllir cie 10 tlll.ulle P:lICillCi:". \\",; ,.,
tcndilllcc (I:lit accenluée par les tribunaux qui, sous couif.~ur do clÔ[rcncire IZI lily),;,',
indivicluellel clonna\\ent I<li:;on aux femp'los qui alJ;mclonnoicnll:l ciUl1lfl'JI1' coniu(jl\\h
illir.itc~:,_
L\\,~; aUuinles il la [DI nille (~lai8nl grosses de ri~ques,1I n'éL)!1 pOl; p(x;:~iIJkJ (Jn hl!
resliluer ,;;1 collésion initiale, cor lacoic,"isalion avait libéré cles [Oices qui ~.',ccen:uél\\cni
cie jour Cil juur leur pression sur 10 Œldre troditionnoi dont le c16s6qLiilibro ne CUSSL1ii de
s'intcn~ilicl';\\mesure que le temps pass~liL'12
Er! [')20 le:; verdiCi:,; souvent fanl3isistes cl8S tribuil;;l( IX incJiq6no:; Liu; );;<)"" ,:
:;IJpp,(,,;:,ioll cl leur remplé1cement par ln justice frémçaise qui cffroit HT( i""iir:i:,i.r, .. ;
Loule:; lus çFlranlies désirélbles, Pour eLI,~ lél justice indigône éUl-nluno i!.I:;ii'.:O li' <. ,,(l, '; .
:.iOIl qu'il f:lllait immédiJlernent abolir COIT:pte tenu de fous le:; sccrific:os con:;':l1li:; i) ,
les sujets cl',s pays de prolectorot dans iél défense de la méUopole"J
~
[l iH
La justice indigène n'était à tout prendre qu'une fiction juridiCiue II' ri pI)"'lil :"
ill1inistl'é,tion d'encsrcler la sociét,) locale pour mioux l'orient8r vers I,.'~; t.lI JI :.; 1 l' ,', )111'
r:lit lixôs. 185 interventions des fonctionnaires europôons dans la cii:·;lril" Iii,'" ,1., l,'
.;Ice faisaient prévaloir les éléments travaillant au succès (Je 1;) cululli::,'llioll . ".
1"
: ;ulations élaient dans un désarroi presque complet. On les SOUSlrDy;'ii ,l,' 1":1, 'r'
1;' ., juriclictioll" fr'ançaises qui leur eusscnt permis cie mieux se cJéfendre cr" 1il') l'; li':' ,
... Ti"me des commandants de cercle tout en leur appliquant des rÔCjlr'l1lulll:: {l' li
1 •• 'laient rie Il à voir avec les di"positiolls de la loi coutumière éluxqu8lIc"
il~, él');':l11
l',,: lilués. Ils ôtaient balla tés entre les cieux civilisations sans avoir le dmil cj'uptal puur
". ,il(, vers lélqualle allaient leurs préférences. Le rééquilibrage n'était po,,:;il Ilu 'l'''' ::;
1', li Jiorité française acceptait de légiférer pour les populations du Sénégéll .·non comlllo
1::' I.JOlllillélteur colonial poussant ses sujets ... Vers son idéal il lui mals COllll1le :;i la
,.
~ . -
I{,qjslation émanait d'un état indépendant africain ... guidé par l'intérêt suprêmc cie ~;es
Il:riionaux' "». De telles préoccupations ne hantaient pas l'esprit du colonisateur qui
I,,"ursuivClit méthodiquement la désagrégation des sociétés locales. En cléfinilivc la
:;ouci d'assurer et de maintenir au Sénégal un ordre et une organisation juridiqucs
CI.II dormes à co qu'on appelait lamiss;cln civilisatrice l'avait emporté sur l'cn[JiJgelllenl
cil: respecter l'étal politique, social, lé] religion, les aptitucles el les aspirations cles
;:lIllochtones. Le résultat fut l'ouverture totale de celte société aux inlluencos m:llll j,,, 1-
Il.:; 1él jlr,lice indigène rivait fait sauter le dernier verrou qui permettait à la :;00,';1 r'J locII"
,10 . c;(}lI"eIVer son originalité.
,'{ ,:
,,
1- Mamadu Nang: DI10lT PENAL MU[ 11::llNE ET SUJWIVANCE DE LA ./1/:: 1l' ./
TRADITIONNELLE. In Notes AlriCélinl'"
1075, (pélgeI12).
2- Cor : Ilapport cité, (page 25).
3- Monitour du Sénégal et dépunclé1l1i'.1 UJ57.
4- AN.S. 2 B 77 FF 63 à 79 : Clomenl Illolnas au Ministre, 18 DécOllll.1I1I illn: i
5· AN.S. 28 Tl FF 63-79: Cléll10nl Il,, 'Illas au Ministre 18, D6cemlJ! " l'Ill!!
G· Cor : Rapport cité, (page 25)
7- Cor: Ibidem, (page 2G).
8- Meunier: LA JUSTICE INDIGENE. (l'''CJC 17).
9- Labouret H. : A LA IlECHERCHE IJ'UNI:: POLITIOUE INDIGENE. B.C..'\\.!'. t:);\\II.
(page G01).
10- AN.S. 209-3: Schneider au Dire,:lcur des Affaires Politiquas. Luga, le ? 1 rk:,
tobre '\\887.
11- A.N.S. 2 0 14-20 : Deves élU Direckl/r cles Affaires Politiques, 24 Mai 1885.
12- Idem, ibidem.
13- A.N.S. 2 D 14-20 : Deves au Dircc:clll' cles Affaires Politiques. 24 Mai 1895
14- AN.S. 2 D 13-20 : Huchard au gOI/vèllleur général A.O.F., 19 Février 1897,
15- A.N.S. 2 D 13-21 : Extrait du régisl/l' cie la prison cie Kees, Février 1897,
1G- Idem: I<ees, le 2 Avril 1097.
17-ldem: Kees, le 12'Juin 1897.
18· A.N.S. 2 D 7-6 : Administrateur clu corcle de I<ees au Directeur des Affaires [Joli_
tiques. Kees, le 11 Juillel 1897.
'19- J.O., A.O.F. : Chaudié circulaire aux aclrninistrateurs, 21 Avril 189ü.
20- J.O. A.O.F. Chaudié circulaire aux ;\\clillinistreurs, 21 Avril 1898.
2'1- Idem, ibidem.
22- Meunier: Op. cil., (page 19)
23-Meunier : Op. cil., (page 22).
24- Meunier: Op. cil., (page 24),
25- Meunier: Op. cil., (page 30)
2G- Idem, op. cil., (page 32).
27- A.N.S. 2 D '14-2: Selllu Wade au Gouverneur, 2 Mars '1899.
28- A.N.S. 2 () 9-20: Aclrninistrateur LUÇJél au Direcleur des Affaires Irldiçi,rIO~;.
29- AN.S. 2 D 1'1-20: Aclrninistrateur Tiwawan à gouverneur colonie.
30- A.N.S. 2 D 21 : COI"cle de Kees. Ilolcvé des r6gistres de condiJmnn!i"ll, i,i"., . ,
bre '190;2.
31- A.N.S. 2 G 1-101 : Administrateur c1(~ I_uga, rapport allnuel1899.
32- idem.
33- Labouret: Op. cil., III B.C.A.F. 1!JJO, (page G01).
34- Mreau: Op. cil., (page 131).
35- Labouret: Op_ cil., (page G01) III IJCA.F.
36- Cor: Rapport, (page 27),
37- Moreau: Op. cil., (page 123)
38- Fayet: LE TRAVAIL OBLIGATOIHE DANS LES COLONIES.. 1933 \\pagel()~;)
39- Solus: Op. cir., -(page 339).
'10- Moreau: (pages 95-9G).
41- A.N.S. 1 G 330: COUTUMES DU SI:N SALUM. Par Leffiliatra 1907.
42- Moreau, (page 115).
43- Solus : Op. cil., (page 193).
44- Les r6ponses aux questionnaires "onl reqroupées dans le dossier 1 G :no 'illY
orchives clu Sénégal. Elles s'échelonnent de 1904 à 1910.
'15- Solus : Op. cil., (page 303).
'IG- l'outraI: LA JUSTICE LOCALE ET LA JUSTICE MUSULMANE IoN flOF III Jli:.
C1"n 1~Xi7, (page 9'1).
,11- :~()Ius: Op. cil., (page 230).
,1ij- J.O. A.O.F. Décret r.lu 10 Novernbre 1903, article 75.
'l'J- JO A.O.F. Décrot du\\O Novembre 1903.
SO Cor: Il;lpport sur 1,.1 situéllion du sénégal (pélge 2U)
;',1- ./.0 AO.F. : Décrot dulO Novembre 1903.
S:2- COl1stanlin : Op. cil., (page 123).
5J- I(Jc~III, ibicleill.
5,1· JO AOF : Déucl du la Novembre 19U3.
~i5- Meunier: Op. cil, (pélge 60).
5G- Meunier: Op. cil, (page 99).
51- JO. AO.l". : Décret dulO Novembre 1903.
58- Bel1lddy : Op. cit., (page 46).
59· Meunier: (p<:lges 72-73).
GO- A.N.S. M-147 : Justice indigène. Kaolack, le 21 MarsIGO'1.
61- AN.S. M- '110 Régistre d'écrou de la province du Siin. Fatick, le 1'" Avril 1~J()·I.
62- ANS M 1'10 : RyJevé d'écrou de la province du Bawol Oriental 2" Irinll):;lr"
190,1.
6:3· A.J·V:;. M-l10 11elové registre d'r,crou de Kaolélck,I"'OClobro 1~)()'1
6'1- IU'-I.S. : Idem.
G5- ANS M-l10: Relevé cl'écrou Province Sereer. Le la Octobre 1' 111'1.
CG- A r~.s. M-l10 Secrétaire général du gouvernement cl adlllinistr'.ItCl Ir (1" /"1' ,
lack. Le 20 Septembrol904.
Gl- Idem, ibidem.
68- A. N.s. M-l11 : Procureur général à Gouverneur général. :2'1 ,Juilll ~I i:)I J: '.
59- Iclem, ibidem.
70- AN.S. M-l11 Procureur général au gouverneur général. 1n, DéceI11111!.:I~J(I',
/1- AN .S. M-l11 Gouver'neur générill il Lieutenant-gouv'eIT1eur' du Sén(;q'll. :~ 1
M'.llc;IOOI.
/2- ANS M-Il'I : Gouverneur général à Lieutenant-gouverneur du Sôn6{J'.'1. /1-' :' 1
Mms 1907. Cet homicicle n'était pas un délit mais un crime. En correclionr1C1 il
aur;,i! été jugé pilr le IrilJunal de cercle,
'(3- A.N.S. M-! 11 Lieutcnant-gouverneur à gouverneur général : Silint-l.l)ui~:, le Il;
AOLJt 1909.
74- Idem, ibidem
75- Iden), ibidem
76- A.N.S. 2 D 14-5: Lieutenant-gouverneur Antonetti à gouverneur général. Juin
191 1.
77- AN.S. 2 D 13-1 Administrateur du cercle de Kees à Lieutenant-gouverneur. '1
Juillet 1910.
78- A.N.S. M-111 : Lieutenant-gouverneur du Sénégal à Gouverneur-générill A.OF
Le G Jilnvier 1909.
79- A.N.S. M-111 Lieulenant-gouverneur, 220ctobre 19013
00- D'Asmis : La condition juridique (j3S indigènes dans l'A.OF ~lecueil Pellélucl,
Doctrine 1910, (page 41).
81- Idem, (page '12).
82- C0n~,;;1 g(;;léral session ordinilire de Mai, séance du 6 Juin 1910. Intervention
de Sabourault (pélges 15\\ -152)
Kt
88Y
83- Cette information m'a été donné par le Saltigué Senghor de Tagjam en Avril
1975.
84- Conseil général, session Mai 1910. Intervention de Sabouraultdu<3 Juin 1910,
85- Solus : Op. cit., (page 424).
86- Solus : Op. cit. (page 424).
87- Solus : Op. cit. (page 425).
88· J.O. AO.F. : Décret du 2 Mai 1906. Publié le 20 Octobre 1906.
89- Idem, ibidem.
90- Idem, ibidem.
91- Merlin: Instructions pour l'application du décret du 2 Mai 1906 in J.O. A.O.F.,
20 Octobre 1906.
92- J.O. A.O.F. : Ce decret a été promulgué par l'arrêté du 17 Septembre 1912.
93· J.O. AO.F. : Décret du 16 Août 1912, article 3.
94- J.O. AO.F. : Décret du 16 Août 1912, article 3.
95· J.O. A.O.F.. Décret du 16 Août 1912, article 4-9-10-11-12
96- J.O. AO.F. : Décret du 16 Août 1912, article 16-17-18-19-20.
97- J.O. AO.F. : Décret du 16 Août 1912.
98-ldem.
99· AN.S. 1 G 359: Cor, lieutenant-gouverneur, rapport au gouverneur général, 7
Mai 1914.
100- AN.S. 2 G 14-42 : Sénégal pays de protectorat. Note sur la situation politique
et administrative 1'" semestre 1914-26 Avril.
101- Idem, ibidem.
102- Bendely : Op. cit., (page 52).
103- Gouverneur général AO.F. Ponly : Instruction sur l'application du décret du
16 Août 1902, 23 Septembre 1913.
104- Gouverneur généralW.Ponly: Instruction sur l'application du décret du 16
Août 1912, 22 Septembre 1913.
105- Bendely : Op. cit., (page 53).
106- AN.S. M-98 : Ponly gouverneur général: De la récusation des juges. Dakar,
le 14 Janvier 1913.
107-ldem, ibidem.
108-ldem, ibidem.
109- Sendely : Op. cit., (page 55).
110- Labouret H. : Op. cit., (page 638).
111- Idem, ibidem.
112- J.O. Sénégal: Circulaire du Ueutenant-gouverneur Antonneti au sujet de la
famille et de l'autorité du chef de famille, 17 Août 1914.
113- Conseil général, session ordinaire de Décembre 1920. Séance du 23 Décem-
bre: Intervention de Ngalandu Juuf et de Guillabert. 1921, (page 121).
114- Labouret: Op. cit, (page 602) S.CAF. 1930.
CHAPITRE 11:
LA POLITIQUE RELIGIEUSE DE LA FRANCE AU SENEGAL
DE LA FIN DE LA CONQUETE EN 1920
On voudra bien se rappeler que l'islam est une religion si ancienne au Sénégal
qu'on le considère, dans certaines régions, comme faisant partie intégrante de
l'environnement social. A partir du XVII" siècle il revêtit un caractère guerrier, car ses
fidèles avaient engagé le combat libérateur, non seulement contre les négriers
étrangers, mais encore contre ceux de l'intérieur, c'est à dire les membres de
"aristocratie ceddo qui avaient perdu toute légitimité de par leur rôle dans le trafic
triangulaire.
L'objectif des musulmans était d'instaurer une théocratie qui travaillerait à
restaurer l'ordre et la paix indispensables à la prospérité et au salut des populations
La place éminente que l'islam confère à l'homme, les valeurs de fidélité, de justice de
solidarité, d'égalité et de fraternité enseignées par cette religion étaient souveraine·
ment ignorées par les strates dirigeantes. Leur réalisation passait donc par la conquête
du pouvoir par les marabouts.
En 1776 ils triomphèrent au Futa Toro et en 1796grâce à l'aide de l'almamy Abd
El Kader ils faillirent connaître un succès identique au Kayoor et au Bawol. Le contre
coup de cette guerre entre les musulmans et l'Etat du Kayoorfutla création d'une sorte
de république Lebu au Cap-Vert où trouvèrent refuge les musulmans chassé de ces
royaumes.
Malgré les mesures persécutrices qui les frappaient, les musulmans n'en
conservèrent pas moins la volonté de réaliser leur projet desociété islamique. Au milieu
du XIX· siècle les guerres religieuses se firent sur une grande échelle. Le Kayoor, le
Bawol le Salum et les rives septentrionales de la Gambie connurent de violents
soulèvement maraboutiques. Cette période fut aussi celle du début de la conquête
territoriale à l'initiative de Faidherbe. Dès lors le drame des Sénégalais prit des
proportions gigantesques, car les aristocraties ceddo)les Français et les musulmans
tnmsformèrent le pays en un immense champ de batailles.
M~
13 fi ~
L'ambition de la vieille aristocratie était de défendre avec l'intégrité territoriale
des Etats, son genre de vie. Les Musulmans et les Français cherchaient·les uns et les
autres à refondre le pays selon leurs principes. Evidemment entre ces trois groupes
d'intérêt aucun compromis, ne paraissait à première vue, possible. Finalement la
supériorité de "armement consacra la victoire française et sur l'aristocratie et sur les
marabouts.
Aprés son triomphe, l'autorité coloniale décida de combattre j'islam avec une
grande sévérité. Elle le qualifia, l'idolâtrie, de superstition. La suppression de ce culte
fut même proposée comme but légitime de la politique française. On !e considérait
comme un obstacle majeur aux progrés du catholicisme et à la diffusion des valeurs
culturelles françaises.' Il s'agissait de combattre une religion dont les sectateurs
avaient pris les armes contre la France. Pour arrêter la progression de l'islam, voire le
faire reculer on prit la décision de profiter de chaque insurrection pour déporter les
marabouts dans d'autres colonies.
On reprochait aux marabouts de nuire à la politique française en empêchant
leurs adeptes de se rapprocher de son administration. Même aprés la défaite ils
continuaient de dresser partout des obstacles pour faire échec à l'action du colonisa-
teur}
Les Français qui avaient joué un rôle primordial dans la conquête préconisèrent
la lutte à mort contre ce qu'il appelèrent le péril de l'islam. Carrère, Paul Holle, Mage,
Archinard, Mangin étaient tous notoirement hostiles à toute expansion de l'islam.
Partout, disait-on, les marabouts créaient une sorte d'esprit en antagonisme avec la
morale chrétienne, s'opposaient, par tous les moyens à la conversion des autochto-
nes au christianisme. Leur intrigues risquaient de faire échec à l'oeuvre civilisatrice
entreprise par la France.' Bref, à leurs yeux, l'islam en Afrique, était la négation de la
civilisation. Les musulmans étaient crédités de toutes sortes de vices. On parlait de leur
mauvaise foi, de leurs instincts cruelspe leur fanatisme farouche qui les poussaient à
des haines implacables contre les chrétiens.'
890 ~
Ces préventions s'alimentaient à la même veine qui faisait de l'islam une
idolâtrie, une superstition. Il ne nous parait pas utile de revenir ici sur le rôle de l'islam
dans l'abolition des idoles partout où il avait triomphé. A chacune de ses pages le
Coran proclamme l'unicité de Dieu. L'intempérance des peuples cédait souvent place
à de solides vertus morales aprés leur conversion. L'islam n'est pas non plus l'ennemi
de tout progrés, puisqu'il recommande même aux fidèles de s'instruire du berceau à
la tombe.
Le fanatisme dont on "accusait était plutôt le fait de ceux qui croyaient détenir
le monopole de la vérité, à savoir les conquérants. Alors que les colons se répandaient
en véhémentes imprécations contre l'islam, celui-ci faisait preuve, en matière reli-
gieuse, de la plus grande tolérance. Les musulmans entourent Jésus d'une grande
vénération. Avec Moïse et Mouhammed, il fait partie des plus grands prophètes de
Dieu. Au même moment les missionnaires et les administrateurs parlaient de Mouham-
med en termes d'une rare violence et présentaient l'islam comme l'oeuvre de Satan.
L'autorité coloniale s'était dressée contre l'islam car ses armées s'étaient
heurtées à des marabouts dans certains champs de bataille. Il était facile de considérer
leurs luttes comme des guerres saintes mais en réalité elles n'avaient rien de religieux.
Il s'agissait de combats d'hommes libres qui se battaient pour l'indépendance de leur
pays et pour la conservation de leur mode de vie. Comment pouvaient-ils accueillir à
bras ouverts des étrangers qui venaient pour les dominer? Ils se battirent contre les
envahisseu~en recourant à la force mobilisatrice de leur religion. Ils savaient que la
défaite retarderait le succès de leur oeuvre missionnaire.
Pour freiner les progrés de "Islam, l'administration coloniale travailla à obtenir
leralliement à sa cause des païens dont l'opposition à la présence française n'était
cependant pas moins virulente que celle des musulmans. L'absence de dogme dans
leur religion ferait d'eux une proie plus facile pour l'action missionnaire chrétienne.
Evidemment des voix discordantes préconisèrent une politique différente à "endroit de
l'islam. Les vertus que l'islam inculquait aux convertis constituaient un progrès moral
considérable. Dans la mesure où la politique d'assimilation s'étai, i:lv~rée impossible,
·
~
89
le moindre mal pour le colonisateur était de chercher à faire évoluer les indigènes en
1
les poussant à adhérer à l'islam.5 Cette islamisation serait alors l'étape nécessaire sur
le chemin qui devait les faire accéder à la civilisation européenne. L'objectif des tenants
de cette théorie était de faire de l'islam le plus précieux auxiliaire des intérêt~";f~~O.F.
Toutefois il nous faut remarquer que l'autorité coloniale n'eut pas une politique
arrêtée vis à vis de l'islam. TantÔt elle suivait les conseils de ceux qui proclamaient que
l'islam était facteur d'ordre et de paix ')car il reprimai~ partout où il triomphait,
l'alcoolisme, supprimait graduellement l'esclavage, relevait la condition sociale de la
femme par la réglementation de la polygamie, Tantat elle se raprochait de ceux qui
sans, nier les progrés moraux qu'apportait l'islam à ses néophytes, étaient néanmoins
d'avis qu'il les ancrait dans une profonde hostilité à la présence française et que le
1
favoriser c'était lui donner les armes lui permettant de faire echec à la politique
française. 6
La répression s'étant révélée inefficace, l'administration décida, en définitive,
de laisser aux musulmans le soin de régler leurs problèmes avec Dieu à condition de
respecter l'autorité française: Ce dont elle nevou\\ait pas c'était un islam, force politique /
capable de faire concurrence au gouvernement colonial. A la faveur de la première
guerre mondiale l'administration opta pour une politique de collaboration avec les
marabouts. Elle s'était, en effet, rendu compte que c'étaient eux qui détenaient la réalité
de l'autorité dans ce pays.
Malgré la défaite les marabouts avaient travaillé, grâce à leurs confréries, à
souder en un corps homogène tous les musulmans dispersés aux quatre coins du
pays. Cette oeuvre M accomplie par les associations religieuses qui se transformè-
rent en efficaces agents de propagande. Leurs adeptes parcouraient le pays parlant
des miracies de leurs chefs spirituels, des félicités éternelles qui attendaient dans l'au
de I~es musulmansft la damnation réseNée aux impies. Partout ces propagandistes
bénévoles bénéficiaient de la protection des musulmans qui les mettaient à l'abri des
mesures répressives de l'administration. Les thèmes qui alimentaient leurs discours
étaient centrés sur la nécessité de tout mettre en oeuvre pour faire échec à la politique'
de l'administration dont l'objectif avéré était de christianiser les populations, La défaite
Re
ngï
des armées locales était perçue comme un sigl\\l'
'"mction divine contre ceux qui -
n'avaient pas voulu se rallier à l'islEJnl pour pl'
,Iter un front commun contre
l'envahisseur. Mais cette victoire des chrétiens 111
illvait être que temporaire,
C'était au nom de la pureté de l'islam qU('.
. confréries comme le Gadria et
la Tijanyya avaient pris les armes contre les enval11,urs et contre les païens locaux,
Aprés la conquête elles conservèrent la vieille orgal,' "Ilion qui leur permit de quadriller
le pays, Chaque Kalife de ces confréries était rr'i ,; ·,;enté par des Cheikhs ou des
Moqadem qui lui servaient de courroies de trill>: ;Ilission, Les affiliés ou tillibés
formaient la masse des fidèles.
Chacune de ces confréries initiait ses a(I<':,'5 à son wird c'est à dire à ICl
récitation d'une formule de prière qui d(wait les rapp' l ,r :11er (j'Allah, f\\ 18 fin du XIX· siècle
la confrérie mouride et celle de laalavène vinrent el1! k:11ir le paysage religieux. Toutes
avaient en commun leur combat contre la pénèlr:1tion chrétienne. C'est en cela
Cju'elles compromettaient les objectifs de la France "11 Sénégill: Leurs adeptes étaient
d'accord pour dire que des musulmans ne devaierl! jamais vivre sous une autorilé
autre que musulmane. Si les circonstances les y oiJligeaient, ils !'ltaient tenus de ~;e
considérer comme en exil intérieur ou en voyagr, dans un pays étranger, Par ce
subterfuge ils meltaient leur conscience en harmorw; avec la cloctrine.
L'autorité coloniale n'ignorait rien de cette rloctrine invoquée par les musul-
mans pour souligner leur différence avec les conquérants. Leur attitude inquiéta
l'administration qui prit alors le parti de la répression l'ar la terreur, il entendait arrêter
les progrés incessants de celte religion. Elle prolilerait de toute insurrection ou
tentative d'insurrection pour purger la pays de ce qu'on appelait "ces incorrigibles
agitateurs7»,
Ainsi décapité par le bannissen1')nt de ses clirigeants, l'islam cesserait d'être
une force politique et ne serait plus en mesure d'en rpêcher le gouvernement colonial
de fondre les colonisés selon les principes métropolitains.
C'était trop exiger dAs Il:''inclIs que de leur EloI rlander d'ontourer cie beaucoup
d'affection l'autorité qui leur avait fait GOnnaître les Ilumiliations de la défaite, Sous les
"~
8 9 3
apparences de la docilité, les malllbouts poursuivirent ilvec constance ce qu'ils
Qr~n
'
croyaient 6tl'e J<~ fnission auprés de leurs ouailles en les lTlettant en garde contre les
dangers que constituait, pour leur salut éternel, leur adhésion à la civilisation française,
Cheikll l1amba fondateur du mouridisme fut "une cles premieres victimes de
ces mesures répréssives contre les marabouts, devant la grave crise sociale, politique
et écononlique qui frappait le Sénégal, Cheikh Bamba cOlllme les autres marabouts
de sa génération montra aux hommes désemparés que leur' salut ne résidait pas dans
ce monde périssable mais dans une adhésion totale à l'islam qui était seul à môme de
leur procurer la joie éternelle.
Ce langage fut écouté par ces populations du Kayoor et du Bawoltotalement
désemparées depuis leur défaite devant les troupes françaises. Les nombreux
déplacernents qu'il avait effectués entre la Mauritanie et le liip, lui avaient permis do
mesurer la profondeur des atteintes subies par la société et de constater les entorses
appor'tées aux pratiques quotidiennes des musulmans, Il décida d'agir à son tour pOlI!
réorganiser la société selon les principes musulmans, Partout on remarqu3it que
l'autorité des marabouts remplaçait cellél des chefs traditionnels. La désacralisation de
cotte fonction, du faitlïntervention française, avait détruit le cadre traditionnel auquel
les populations étaient habituées. Elles se hatèrent c1'entrer dans de nouvelles
cornmunautés qui étaient les confrèries religieuses·
Beaucoup de Wolof et de Sereer désorientés par la crise adllèrérenl au
groupement naissant de Cheikh Bamba, Certes dans les premieres années de sa
naissance, son recrutement était essentiellement populaire. Ses fidèles appartenaient
aux griots et 3UX tisserands. L'égalitarisme islamique permettait de faire <:lbstmction
des castes de la société, Les musulmans devaient être rigoureusement ég<:luX dev;ml
Dieu· Le seul critère qui les différenciait et les situait dans la hiérarchie résidait d,lI1:;
la puissance et la sincérité de lour foi.
A mesure que le temps passait, l'effectif de ses fidèles ne cessait de croitre
Tous ceux qui étaient en quête d'absolu ou qui refusaient de s'accommoder de la
situation coloniale, marabouts, anciens guerriers, chefs destitués adhéraient de plus
a&.=]L.~
_= _
"
B 9
en plus à sa confrérie. La solidarité du malheur eut pour effet de soucier r~li)iclelllent
tous ces éléments disparates pour en faire une force homogène c;q);llllc (1,-, Itwer à
nouveau l'étendart de la révolte. 011 trouvait parmi ces nouveaux ralliô,; tI':mcions
guerriers de Lat-Joor tels que Biram l<odu, Mata(lr Mariama ,JOOiJ, Mall)il(l~fB.ll!JJ,
full!~ll, d'anciens compagnons de Alt)ury, Albury Penda, AIT)<!QlLMQ\\\\irçjil erl un
moltous les gens que les Français avaient rencontrés dans "les rangs cie ICllrs cnllomis
au cours de (leurs) luttes dans le Kayoor et le Jolof". '"
La présence des membres de la vieillo aristocratie dans 10 confrérie 1ll'11JlICIe lui
donna, dès le départ un caractère anti-français. Sous la plume de M8rlinl'illlllésion à
la confrérie matérialisait l'opposition à la présence française.
Cette crainte que celle confrérie inspirait à l'administration la POUSS::l3 exiler son
fondateur dans l'espoir d'annihiler ses progrés. il fut facile de trouver auprés cies chefs
les éléments constitutifs de l'accusation. Les chefs du tljambur, ciu Ki1Yoo[, [)iens
stylés par "administrateur de LIJQQ, Leclerc, fournirent les rapports dénonç,lIlt l'agita-
tion des adeptes mourides, Le résidant de Yang-Yang, Fara Giram La confirmélleurs
dires. Tous déclarèrent que les disciples de Ahmadu Gamba stockaient eJes élrmes,
achetaient des chevaux, que d'un moment à l'autre on se trouverait en présence cJ'un
formidable mouvement insurrectionnel. Pour donner plus de poids à ces accusations
on ajouta que ce marabout était devenu acJepte de la confrérie lliil<:iD qui comportait "la
prédication de la guerre sainte"».
Ce dernier argument traduisait j'ignorance des autorités coloni;Jles on rnéltière
islamique. Les confréries avaient beau être diverses, mais rien ne les différenciélit pour
ce qui était du dogme et de l'observance cies obligations religieuses. La guerre Silinte
est une obligation qui incombe à tout musulman. Seulement elle ne so fait quo contre
des païens à conrJition que ceux-ci essaient de détruire la communauté musulmane.
Elle n'est jamais une guerre agressive, mais défensive. Aprés la victoire les païens ont
le choix entre la conversion ou leur réduction en servitude.
On comprend dès lors que les musulmans ne puissent faire la Guerre Saillte ni
aux chrétiens ni aux Juifs qui, comme eux, sont monothéistes. Il est vain el'impo:;er
•
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895
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l'image du Dieu unique à ceux qui la portent déjà dans le coeur. La Guerre Sainte que
préconisaient Cheikh Samba et les marabouts de sa génération comme El hadj Malick
SV, El hadj Ibrahima Niass, Limamou Laye était celle que chaque musulman devait
lllcner con Ire les tentations qui le menacent à chaque détour de son existence
quotidienne. Elles ont pournom les illusions de l'individualité, la vanité ,l'orgueil. La lulll)
:;u lait avec l'épée du renoncement. On était bien loin de la conception que l'autorité
coloni~lle se faisait du Djihad.
Malgré tout, on décida de sévir contre lui parce qu'il avait beaucoup d'adeptes
dans le Janlbur et le Kayoor et qu'on avait trouvé d'étranges similitudes entra les
protestations d'amitié qu'il faisait et celles qu'avait faites Maba en 1864 Ahmadu Cheixu
en 1868, Mamadu Lamine en 1885 à la veille de leur campagne"". Le caractère
1
spéciaux de ce raisonnement n'echappe à personne. Puisqu'il fallait frapper un grand
coup pour terroriser les marabouts et les amener à un respect sans réserve de
l'autorité française, lad6cision fut alors prise «d'enlever Bamba et de l'inlerner pendant
quelques années dans un pays comme le Gabon où ses prédications n'<Juraient aueu! l
effet"". Les anciens guerriers de Lat-,1Qor et ceux qui formaient les dôbris de l'arrnôc
de Alburi seraient envoyés au Walo et placés sous la surveillance de Yamélr Mbollj."
Les autres talibés seraient dispersés. L'ordre leur serait donné de réintégrer leur::~
villages d'origine et de ne plus s'en absenter sans l'autorisation de l'administrateur de
leur cercle. Toute ces mesures furent appliquées dès Septembre 1895.
Dès Janvier 1896 Samba Lawbe Penda, Surba Jolof, connut le même sort du
lail surtout des intrigues de Fara Biram Lo résident de Yang-Yang. En 1899 les
Marabout du Njambur, Mbargu Lo, Aladji Joop, Mor Patlle Gay et leur alliés furent
également internés au Gabon pour s'ê~re opposés au recrutement des réservistes
indigènes. Aux dires de l'administration les notables affiliés à la confrérie tijaan
incitèrent les jeunes gens à la révo/te.'s
L'appartenance de El Hadj OUl1lar, de Maba, d'Ahmadu cheixu à la confrérie
liJaan donnait à cet argument une gr3nde 'résonnance pour les partisans de la
répression. On voulait faire de la confrarie tijaan l'incarnntion même du prétendu
fanatisme musulman. L'autorité coloniale ne se souciat guère de cette épreuve qui
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8 9 '
torturait les musulmans quand on leur demandait de se piler à une 101 non musulmane.
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Il n'y avait rien de fanatique dans leurs comportements. Ils ne pouvaient quese révolter
quand on leur demandait de se soumettre à des dispositions qui blessaient leur
conscience. Mais pour l'autorité coloniale tout refus, tout mauvais vouloir étaient
sommairement taxés de fanatisme avec les sanctions qui les accompagnaient. La
persécution n'arrêta pas les progrés de l'islam qui continua d'organiser ses oUililles
à mesure que les conversions se multipliaient. Rien ne pouvait entraver l'extension de
l'islilm. Les mesures persécutrices donnèrent même un regain de vitalité à l'ilction
missionnaire des marabouts.
Pour freiner l'expansion de l'islam l'administration coloniale essaya de paraly-
ser l'enseignement coranique. Dès 1893 elle décida de soumettre l'ouverture des
écoles coraniques à l'autorisation préalable. Mais les marabouts enseignants ignorè-
rent totalement ces dispositions. Seul Noirot administrateur du Siin Salum essaya de
contourner la difficulté en prévoyant un créneau pour l'enseignement de l'arabe dans
les écoles françaises.
En 19031e lieutenant-gouverneur du Sénégal reitéra cette décision qui restrei-
gnait l'activité des marabouts. En effet pour avoir l'autorisation, le marabout postulant
devait subir un examen devant une commission composée de l'administrateur du
cercle et d'autres personnes connaissant l'arabe, Si elle jugeait que les connaissances
étaient superficielles ou s'il appartenait & une confrérie qui n'avait pas tes faveurs de
l'administration, l'autorisation était re·fusée. On interdit aux élèves de l'école coranique
d'aller demander l'aum6ne. De plus ces écoles ne devaient pas recevoir les enfants
3gb de 6 à 1Gans pendant les heures de fonctionnement de "école française. Dans
certains cercles comme celui de Kaolack ces dispositions furent rigoureusement
appliquées contraignant beaucoup de marabouts à se replier dans les zones Oll le
cùntr61e était plus difficile et où l'absence d'école française ne justifiat plus l'application
. de lil réglementation.'6
,
Malgré tout cet arsenal répressif, les écoles coraniques étaient plus peuplées
que celles de l'administration, La propagande islamique avait réussi à accréciter !'idéa
que la fréquentation de l'école françai~;e était la première étape sur le chemin de la
N!
B9 7
christianisation des enfants, que les parents seraient comptables devant Dieu de
l'apostasie de leur progéniture. CE:tle propagande était d'autant plus efficace que
l'école française ne propOSéllt aucune finalité pratique. Son rôle était de diffusGr la
culture et la langue françaises. L8 formation pratique que l'école distribuait aux élèves
leur paraissait superflue. Bref l'école française ne présent8it pas encore les attraits qui
devaient, aprés la première guerre mondiale, lui attirer la faveur des foules.
Les marabouts de toute ~bédience étaient soumis à une étroite sU/veillance.
c'est le travail que coordonna Paul Mmty et qui lui permit de rédiger ses nombreux
ouvrages sur l'islam en Afrique occidentale. Pour accéder plus facilement à l'intimité
des marabouts, les administrateurs étaient invités à afficher des sentiments d'amilié à
leur endroit afin d'exercer un contrôle permanent sur tous leurs actes. A cet effet des
agents politiques, sûrs et discrets élaient envoyés auprés d'eux pour recueillir les
renseignements sur les visites qu'ils recevaient, les conversations qu'ils tenaient et des
correspondances qui leur parvenaient. 1]
fi ces agents ch8rgés d'espionner les marabouts on remettait de l'argent dOllt
)
une partie était donnée 8U marsbout qu'il faisaient semblant de choisir comme guide
spirituel et le reste généreusement partagé entre les hommes inlluents de l'entouroge
du Cheikh alin de pouvoir accéder à toutes les parties de la concession et voir si l'on
n'y stockait pas de la poudre ct des armes. En 1903 Oumar Nang de Tiwawan fut
envoyé à Juba pour espionner Cheikh Samba. Il s'y rendit avec 300 francs remis par
l'administrateur du cercle du Kayoor. Mais le marabout lui fit comprendre que sa
mission n'était pas de tuer, pas même les serpents mais d'amener les populations du
pays à la vraie religion qui commençait par la crainte réelle et sincère de Dieu."
Il suffit de lire les fiches dréssées sur les différents marabouts du Sénégal pour
se rendre compte de la grande intolérance c;ui animait l'administration vis à vis do
l'islam. Quelles que fussent les confréries auxquelles ils appartenaient, les marabouts
étaient collectivement taxés de sournoiserie. On leur reprochait d'entretenir dans le
coeur de leurs disciples la haine des blancs tout en se montrant obséquieux à l'égard
des administrateurs.
wg
.Q 9
·Les mesures persécutrices ne clonl":1 (;Ilt pas les résultats escomptés. Partout
8
"administration se rendit compte que 1..;;; marabouts disposaient d'une autorité
considérable qui se développait au délrilili "It de l'autorité des chefs indigènes On
essaya alors de capter au profit dE' la Fr;" ICC cette influence qui entravait partout
"action de l'administration. 19
En 19121e gouverneur général POilly précollisa ulle autre politique à l'éqard
des musulmans indiqènes. Il opta pour des 1nesures faites cJe plus d'habilité et cie tact
que de sévérité. Il avait constaté que la cIe coe:rcilion fortifiait toujours cl leZ les victimes
1<:1 certitude d'être sur le chemin de la vraie loi. L'exemplarité de leur courage, cie leur
al)négation créa le doute et la suspicion cllez ceux là mêmes qui avaiolll fsit preuve cie
loyalisme à l'égard clu gouvernement co1OIl1él 1. 2(,
Cette façon cI'aborder les problémc~; cxplique la tenliltative dc rapprocllcillenl
avec Cheikh 8amba à partir de 1912. I_e~; rapport de défiance entretenus avec lui
dopuisla fin cIe la conquête avaient eu des [(:,percutions facheuses sur l'attitude clc tou,;
ceux qui suivaient sa voie. Il en était de même pour les disciples des marabouts viClil IlCS
des mesures coercitives. Puisqu'il était avéré que, dans les zoncs islamisées, la [(',;1IiI6
de l'autorité était détenue par les marabouts, il fallait désormais les ménager pOL Ir que
leurs disciples acceptassent d'obeïr il ICl.ll·s cllefs de cnnton lorsque ceux-ci Ic~;
appeleraient sous les drapeaux. On utilisa les services d'ull des fils cie Cheikil ~ ;iclya
pour établir avec Gamba des rapports de confiance."
Malgré ces ouvertures en direction des marabouts l'administration n'cn de-
meurait pas moins convaincue que le malentendu était profond, que des germcs cio
révolte pouvaient à tout moment créer des complications faclleuses. Pour se prélllt mir
contre de pareils soulèvements on dou':Jlal'roffectif des gardes auxiliaires dès S(,plem-
IJre 1914 dans l'espoir que celle force vOlJcJrait encore au p<lYs quelques [11'111(,0:;
supplémentaires de paix."
Comme on a pu le constater les sanctions qui frappaient sans cliscernement fes
marabouts ne reposaient pas sur de~ clélits précis. Les autorités incriminaient les
disciples, mais frappaient les chefs en leur imputant la responsabiiltâ de leurs faits el
gestes.
,-'....:-..--,;...-..;.;'-~_.1 _ ••.
.
~~
8~~9
Les Inusulmans du Sénégal n'avaient pas l'intenlion de s'engager dans une
lutte armée dont l'issue n'était que trop évidente. Les ca~ de El Hadj Omar, de Mabél,
de Cheixu Ailmadu. de Mamadl,J Lamin iunvoqué pour justifier la coercition n'ét;Jienl
pLIS probants. Ils n'avaient pas pris les armes pour faire la guerre sainte aux chrétiens
Illais pour défendre l'honneur et l'indépendance de leurs pays. C'étaient en tant que
patriotes qu'ils prirent les armes contre les troupes françaises aprés que celle~;-ci les
ourent provoqués.
Les marabouts qui survécurent à la défaite continuèrent à travailler ù l"islélllli:."I-
tion de leurs compatriotes. ils avaient tous la certitude que la domination de la l'rnl Ice
n'était qu'une épreuve temporaire, et qu'il leur fallait, dès à présent, gagner tes t'lIne~;
à l"islam. Leur réussite dans l'islamisa!ion était comme la revanche des musuli nans sur
ceux qui avaient pris possession de leur pays. Le triomphe de l'islam rendait superfi-
cielle la domination française qui éprouvait des difficultés à enraciner dans le peuple
les moeurs et les lois qui étaient tout à fait contraires à l'enseignement du Coran sur
la famille, ou le statut personnel. Ainsi au moment ou le gouvernement colonial affirmait
sa loi dans sa propre civilisation, l'islam était utilisé par les marabouts comme une anne
pour la défense de normes et valeurs non moins honorables. Sous les apparences de
la soumission, les musulmans étaient en antagonisme permanent avec les autorités
coloniales. Celte animosité réciproque éclatait souvent en mesures coercitives contre
les musulmans qui avaient appris l'art de courber la tête sans rien céder sur ce qui leur
paraissailt~ essentiel?J
Cette attitude correspondait à l'enseignement dispensée par les confréries qui
se partageiaent les consciences des Sénégalais. Toutes avaient des régies dont
l'observance mettait leurs adeptes en situation de se rapprocher de Dieu. Elles
prêchaient le renoncement, l'honneteté du coeur, l'abandon à Dieu. EII.es soulignéli,,, 1\\
que la seule vérité de la foi était dans l'adhésion du coeur. Elles exaltaient pareillement
la volonté humaine que couronnait une parfaite maitrise de soCL'expérience mystique
....'
les avait habitués à la totale soumission à Dieu. Dès lors les mesures répréssivos
él8ient perçues comme l'expression de la volonté de Dieu. L'autorité coloniale n'était
qu'un instrument chargé de préparer le triomphe de la vraie foi.
Les ordres religieux étaient ouverts à toutes les classes populaires. Ils ne
faisaient pas de recrutementsélectif. Dans cet univers bouleversé par les conquérants,
tous insitaient sur la nécessité, chez leurs adeptes, de mener une djihad ou lutte
interieure contre les passions, les actes impies pour une victoire morale sur eux
mêmes.
Les confréries étaient donc devenues le moyen par lequel s'exprimait la vitabilité
du peuple en réponse à la perte de l'indépendance politique. Elles tirèrent parti de le
«pax franca» pour imprimer à leur action d'islamisation un grand dynamisme. Le travail
était d'autant plus facile qu'il s'attaquait à certains aspects de l'ordre social encore en
vigueur et proposait aux âmes païennes .désaxées par les bouleversements provo·
qués par l'administration coloniale, une religion répondant mieux à leurs besoins
spirituels. La religion du terroir, ne proposait pas de solution de rechange. Sa pratique
était devenue de plus en plus aléatoire surtout dans les centres urbains ou les sacrilices
rituels étaient interdits par l'administration. Ses adeptes étaient condamnés à faire la
navette entre le village d'origine où étaient censés habiter les génies protecteurs de la
famille et leur nouvelle résidence.
Devant le vide psychologique qu'ils ressentaient du plus profond de leur âme,
et l'inquiétude qui les agitait et le scepticisme qui les envahissait de plus en plus dans
leurs rapports avec les croyances ancestrales, ils tournèrent leurs espél'ance vel's Il)
Dieu de Mohamed. 24 L'islam promettait l'égalité à tous croyants dans ce Illonde et I[~
salut éternel aprés la mort. Le païen converti devenait l'égal des autre~3 musulrnéllls.
Aucun autre musulman ne lui était supérieur". Contrairement au christianisme qui
demandait aux néophyes d'adhérer sans aucune réserve à cette religion telle que
l'avait assimilée le génie de l'Occident, l'islam ne demandait à ses adeptes que de se
confonner au crédo et aux obligations définies par le coran. Les convertis avaient le
l,
droit de conserver leurs coutumes et leurs traditions sauf si elles étaient contraires au
dogme. Les marabouts ne cherchaient nullement à imposer la culture arabe aux
convertis. Pour eux l'essentiel était d'amener l'ancien païen à prononcer la formule de
la profession de foi musulman attestant l'unicité de Dieu et la mission du prophète
Mouhammed.
q Il 'j
0 .
l '
1
Les valeurs de la société traditionnelle n'étaient donc pas remises en cali se par
une éventuelle conversion à l'islam. L'il13titution servile était tolérée quand clle frappait
les païens et la réglementation de la polygamie ne menaçait guère les fondements de
la famille. Bref l'islam ne cherchait pas à dénationaliser ses adeptes. il se bornait, aprés
,
les conversions, à leur inculquer le sentiment du devoir et de la responsabilité en les
incitant à s'écarter de la paresse et de l'intempérance.
L'adhésion à l'islam n'impliquait aucune rupture fondamentale. seulement
.
dans la lutte que menaient les musulmans contre l'envahissement de la culture
française les marabouts jouèrent un rôle primordial. Ils avaient tous tendance à se
substituer aux chefs traditionnels pour !a réorganisation de la socièté en crise.
Toutes les couches de la société furent touchées par ce mouvement de
rééquilibrage de la société. Même chez les Sereer du Siin et du Salum qui, pendant
plusieurs décennies avaient fait preuve (j'une grande fidélité à la religion des ancêtres,
la tendance dominante fut le reniement.
En 1894 le Buur Siin Mbacke Il se convertit àl'islam à l'instigation du Teen Tanor.
C'était la condition mise par ce dernier à la célébration du mariage de l'une de ses filles
avec ce roi"Mbacké entraina à sa suite les dignitaires de son royaume. Il fit raser la tête
à tous les détenteurs de commandements et à leurs courtisans. Le grand Jaraaf, le
grand farba, le grand bissik donnèrent l'exemple de la soumission à la volonté du roi.
Les jeunes gens de son entourage immédiat s'armèrent tous de chapelets. Ils ne
perdaient pas une occasion pour faire leurs prières."
Que tous ces convertis n'eussent pas laissé dans l'eau baptismale toute leur
âme d'autrefois, n'est guère contestable On en avait la preuve dans les innombrables
bouteilles de liqueurs qui gisaient autour des cases des intimes du Buur qui, entre les
heures de Salam, retournaient à leurs anciennes amours.'"
Noirot aurait voulu freiner ce mouvement de conversion qui permettait aux
marabouts de prendre en main l'encadrement des enfants, auxquels ils n'apprenaient
jamais à chérir les Français. Ils semail'nlsur leur passage des germes do contestatioll
wg
Q02
qui pouvaient être lourds de conséquences dans le futur. Aussi Noirot préconisa-t-il de
retarder cette trop rapide progression de l'islam en lui barrant la route dans les régions
où il n'était pas encore solidement enraciné par l'ouverture de nombreuses écoles
françaises. 27 Encore fallait-il trouver les moyens financiers et le personnel adéquat pour
cette oeuvre de propagande.
La même année le Suur Salum fut converti à l'islam par un maure itinér:)! ri
nommé Moulay Nasr. C'était pour des raisons à la fois personnelles et politiques que
Guedel avait pris cette décision. La prépondérance de l'autorité française avait élboli
le caractère divin de la royauté. De plus, pays d'immigration, le Salum était habité par
beaucoup de musulmans dans ses provinces de l'Est et du centre. L'islam lui
apparaissait comme le ciment capable de souder entre eux, ces éléments disparates
qui formaient la population du royaume.
Mais contrairement à ce qui se passa au Sinn, la conversion de Guedcl
n'entraina pas celle de ses Ceddo. Le grand Jaraaf fut même le chef de file du clan anli
musulman. Il dit publiquement qu'il était Ceddo depuis le ventre de sa mère et qu'il
mourrait Ceddo. Il montra à Guedel',son moignon, les coup qu'il pOI1.ait sur le coq):;.
sa jambe dEJvenue trop courte, la cicatrice qui lui balafrait la face2"" et dit encom qu'il
avait acquis ces marques en se battant contre les marabouts, en défendélllt la famille
royale. Pour tous ces motifs il ne pouvait se faire musulman. La loi de ces ancêtres étail
bonne et il entendait la respecter jusque dans la tombe.'9
Les ceddo qui avaient )comme le grand Jaraaf !pris les armes contre les
marabouts du Rip étaient de cet avis Ils ne lui pardonnaient pas de s'entourer de
musulmans dont l'objectif à long terme était d'imposer aux populations des disposi-
tions légales qui, leur étaient totalement étrangères. Seule la crainte de voir le
gouverneur intervenir en sa faveur dissuada les ceddo de destituer Guedel.30
Mais les mécontents trouvèrent une consolation dans la personne de Semu, le
dauphin qui resta païen. On fut mêmE! au bord de l'affrontement. Le ralliement des
ceddo à Semu incita Guedel à multiplier les amendes contre ses adversaires et à les
dépouiller de tous leurs biens. 31 Les ceddo avaient beau s'accrocher à leurs pratiques
iii
90:5
anciennes, la colonisation, par ses inte'ventions dans le cadre social, entrain ait vers
une plus sCire perte cette forme religieuse dont se détournaient de plus en plus les
masses populaires. En 1898 à la mort do Semu Jimit les ceddo, constituant le principal
obstacle aux progrés de l'islamisation, n'avaient plus d'influence sur les chefs qui cJans
leur immense majorité se convertirent à l'islam. A la veille de la première guerre
mondiale les '15% de la population du Siin étaient musulmans. ce pourcentage atteignit
à la même période 60% environ dans celle du Salum?2
les disciples de Cheikh Bamba, de El fjajd Malick, de Abdoulaye Nas:;
s'établirent au milieu des païens pour essayer de les convertir à l'islam. A mesure qU()
s'intensifiait le rythme de la désagré~/ation du cadre social consécutivement ,lUX
interventions de l'administration, l'islam s'ènrichissait de ces foules clont les griof:;
contre le gouvernement colonial se cllargeaient alors d'un contenu religieux. Des
émissaires itinérants continuaient de parcourir le pays pour faire de nouveaux adeptes.
les chefs de canton et de village qui ne voulaient pas se soumettre recevaient toutes
sortes de menaces. On conseillait aux musulmans de leur désobéir puisqu'ils préfé-
raient manifester leur docilité à l'égarrJ des Blancs. On disait que le temps étaient
proches où les musulmans chasseraiElnt les Européens du Sénégal. JJ
les villages musulmans essaimaient en milieu païen. Il fallait vivre au milieu des
ceddo pour mener en leur direction lille véritable action de proselytisme. Par l'exem-
plarité de leur conduite, ils espéraient pl'Ocurer aux pa'iens le ressort moral qui leur per-
mettraient de s'arracher à la religion ancestrale. les écoles coraniques ouvertes
étaient peuplées immédiatement des enfants du coin. Car aucune intolérance ne se
manifestait ni d'un côté ni de l'autre.
Toutes les occasions étaient bonnes pour faire comprendre aux païens qu'ils
avaient tort de s'accrocher à des choses périssables. que la vraie vie n'était pas de ce
monde mais dans l'au de-là. les périodes de crise alimentaire qui avaient frappé il
plusieurs reprises les populations avaient été mises à profit par les confréries pour
donner plus de vigueur à leur propagande. Elles firent des avances sur leurs caisses
à tous ceux qui vivaient dans l'inquiétude du lendemain. En 1903, '1906 et 1915 cles
opérations de secours furent exécutées par toutes les confréries au profit des
~
9 fi 4'
nécessiteux et sans égard à leur religion. On constata que les païens bénéficiaires de
cette aide se convertirent à l'islam apr:§s le passage du fléau. Ils devinrent à leur tour
des adeptes et d'actifs propagandistes de l'islam. L'administration aurait bien voulu
empêcher ces actions caritatives. M8is elle s'abstint de le faire parce qu'elle ne pouvait
se substituer aux confréries. Son impuissance laissa en champ clos les possédants et
ceux qui n'avaient rien. Le problème du vainqueur, se posa naturellement. La palmc)
revint au premier."
Les confréries disposaient toutes d'un personnel nombreUJ1totaiemenl é;(J1.
dévoué et bénévole. Ceux qui, acculés à la misère, avaient reçu des subsides cIe:;
confréries devinrent à leur tour des adeptes de leurs bienfaiteurs. Le lieutenan\\~
gouverneur Antonetti notait avec amertumeque cette action des marabouts échappait
àtout contrôle. Elle s'exerçait à l'insu df) l'administration qui avaittoujours l'impression
que l'état d'esprit des populations était excellent alors que se faisait contre elle "un lent
travail de désorganisation35». Les adeptes affectaient de ne pas reconnaître les chefs
indigènes, ne relevant, disaient-ils, que de leur Cheikh spirituel. Quand le chef leur
transmettait un ordre de l'administration ils en demandaient confirmation à leur
marabout. J6 Ces actions missionnaires n'étaient pas l'oeuvre exclusive des mara-
bouts. Des commerçants y contribuèrent pour une large part. La sécurité qui régnait
dans le pays avait permis au traitants musulmans d'essaimer dans tous les secteurs,
même dans ceux les plus enclavés. On les retrouvait dans les agloomérations
importantes. Parallèlement à leurs op€,rations commerciales, ils menèrent une action
d'islamisation chaque fois que leurs boutiques étaient en milieu païen.
Ils étaient pour la plupart des '!'Voloff qui réussirent quelques conversions de
païens. Les mosquées qu'ils construisaient furent de puissants facteurs d'islamisa-
tion. C'étaient des lieux où se rencontraient musulmans et païens. ces derniers finirent
par être happés par la propagande des premiers."' Ces progrés de l'islam avaient étô
rendus possibles grâce à la corrosion brûtale des structures traditionnelles sous
l'action du gouvernement colonial.
La destruction des grands commandements, la nomination de chefs étrangers
aux populations de leurs clrconscripticns, la nouvelle organisation jusdiciaire en porte
~
9 fH
à faux avec celle à laquelle étaient hab'itués les justiciables et le développement rapidl!
d'une économie de marché appuyé 'sur de solides infrastructures ferroviairos oi
routières avaient ouvert de vastes lézardes dans le cadre social traditionnel. Les
repères coutumiers disparurent laissmt les populations totalement d~saxées, Dès
lors elles devenaient perméables à 13 propagande musul~ane qui leur proposait un
,
remède à leur immense désarroi. Mais dira-t- on, ce que l'islam gagnait en surface, il
le perdait en pureté. Sans aucun doute. Les religions du terroi; auxquelles il se
substituait rétaient liées à un groupe humain li~ité. Elle ne comportaient aucun
message universel dont elle aurait eu la révélation. Chacun de ces groupes avait ses
génies protecteurs qui ne valaient que pour lui, qu'ils amadouaient par des oHrandes.
Aucun ne cherchait à imposer les siens à ses voisins. C'étaient des religions terrestres
qui étaient surtout soucieuses de la réussite temporelle de l'homme et de son bonheur
terrestre. Elles ne s'intéressaient presque jamais à sa vie dans l'au de là.
C'est cet aspect utilitaire de la religion traditionnelle qui empêchait le néophyte
musulman de rompre brutalement 8vec elle. Chez lui l'islam se superposait au fond
païen. Comme par le passé, au dét,ut des semailles ou au commencement cles
récoltes et pendant les périodes de sécheresse, il continuait d'invoquer les génies de
ses ancêtres en leur vouant un culte qui était comme un pont jeté entre les ancêtres,
les vivants et tous les descendants à venir.""
Cette grande malléabilité de l'islam expliquait la rapidité son succès dans son
entreprise d'islamisation des païens. Il ne préconisait pas l'abolition immédiate cles
institutions locales. Il laissait au temps et à la patience des marabouts le soin de
parachever le travail en profitant de toutes les occasions pour faire les greffages
nécessaires. Des prénoms musulmans étaient donnés aux nouveaux-nés à l'occasion
des baptèmes. Les marabouts essayaient de faire se superposer les fêtes païennes
aux fêtes musulmanes afin de leur enlever leurs aspects carnavalesques. Ainsi
méthodiquement l'islam gagnait en profondeur dans les milieux nouvellement conver-
tis. Il y avait donc une rééducation progressive des néophiles.'9 Celle-ci commençait
par les aspects extérieurs, comme les vêtements, la coiHure la nourriture et les
boissons. Ainsi donc, l'adhésion aux confréries ne fit pas disparaître les rites [lI1ce:;-
,
~
906
traux, car ils avaient trait aux structures de parenté dont ils devaient assurer la
perennité. De "islam, ils ne prirent à priori que ce qui était compatible avec leur
conception sociale. C'est pour cela que seuls quelques aspects islamiques furent
introduits dans le corps des coutumes locales.
!
Mais peu importait pour les marabouts, que ces conversions fussent superfi-
cielles si ceux qu'elles avaient gagnés s'accordaient dans ùne commune fidélité à
l'islam qui devait désormais marquer le rythme de leur existence. L'islam les intégrait
dans un cadre plus vaste que celui auquel ils étaient traditionnellement habitués. Aux
liens de sang qui unissaient les membres d'un même groupe humai!)il ajoutait des liens
spirituels qui les reliaient non seulement aux adeptes de la même confrérie mais encore
à l'ensemble de la communauté musulmane. L'essentiel pour les marabouts c'étaient
les avantages pratiques que l'on tiraitde l'unité de religion. Les musulmans se sentaient
plus solidaires les uns des autres, p1c1s unis entre eux et faisaient mieux corps contre
toutes les forces qui étaient hostiles à leur religion. Pour les marabouts c'était le but
recherché dans l'immédiat même si les nouveaux disciples «n'avaient de purs
musulmans que l'apparence'o,,.
Ainsi donc les revers nés de la conquête, les transformations introduites dans
le cadre traditionnel avaient fini par provoquer des réactions qui se traduisirent surtout
par le développement d'un islam qui opposa toute sa force particulariste àl'adminis-
tration qui lui disputait le contrôle de!; populations.
1'\\.o..A) Les progrés de l'islam risquaient d'être sans lendemain si les marabouts ne
cherchaient pas à remodeler la société selon les normes islamiques en proposant aux
masses désorientées, vivant dans l'annoisse du lendemain, un cadre plus adéquat ail
les uns et les autres pourraient poursuivre, malgré les aléas du moment, l'espérancu
d'un même au de-là. C'est àcetteoeuvre que s'attachèrent tous les chefs de confrérie.
Ils ne pouvaient rester les bras croisés au moment où l'administration française
cherchait à imposer ses principes. -,(Jus savaient que des sanctions les menaçaient.
Ils acceptèrent certes de donner à César la part qui lui revenait, mais en revanche ils
furent intransigeants pour ce qui était cie celle de Dieu. L'imposition de la domination
française avait en effet provoqué de profonds bouleversements dans tous les compar-
'i
'"
9 0 7
timents du cadre social. La vieille aristocratie privée de ses privilèges connut une
situation matérielle délicate. Ces difficultés furent accentuées par la libération des
esclaves qui le désiraient et par le démembrement des royaumes. Même les chefs
choisis par l'administration n'étaient pas à l'abri du besoin parce que le salaire qu'on
leur versait était loin de couvrir les dépenses exigées par l'en,tretien de leur famille. Ln
monétarisation progressive acceléra le processus, de désintégration sociale. La
recherche du numéraire pour l'imp6t e,: 195 nouveaux besoins crées par la colonisation,
mirent beaucoup de jeunes gens dans la nécessité de se déplacer vers les zones
ouvertes à la culture arachidière. Sous la pression continue de l'administration tout
l'ordre ancien s'écroulait. Les populations perdaient toute possibilité de se développer
de façon autonome, Cette évolution trop, rapide brisait la cohésion des groupes
familiaux, L'individualisme se développait de jour en jour surtout dans les nouveaux
centres urbains. Les abus des chefs et du commerce maintenaient les paysans dans
une situation matérielle et morale dramatique, Les disparités dans le développement
entre les régions accentuaient les déséquilibres, A c6té de secteurs conquis par
l'économie moderne, survivaient des enclaves dont le mode de vie n'était que
superficiellement érodé par l'action de "administration, alors que leurs habitants
étaient soumis aux mêmes obligations fiscales que les autres. Les atteintes au cadm
institutionnel n'étaient pas moins graves. Les coutumes, considérées comme archaï-
ques, furent altérées par les interventiClns de l'administration qui entendaient les
soumettre au crible des principes français, Les choses même sacrées n'étaient pas
non plus respectées par l'administration qui les percevait comme des barbaries ou des
superstitions. Dans leur vie quotidienne les autochtones étaient totalement livrés à
l'arbitraire des administrateurs et de leurs collaborateurs. Bref l'administration avait
fabriqué beaucoup d'aigris, de désaxés àont l'effectif s'accroissait à mesure que se
multipliaient et s'approfondissaient les changements.
Le gouvernement colonial entendait imposer aux autochtones sa civilisation. Il
engagea une lutte à mort contre tout ce qui était de nature à en retarder l'échéance.
Le brutal développement matériel fut mai adapté au sol qui lui tenait lieu de support.
Evidemment le colon se dépêcha de mettre ces lézardes au compte de la sauvagerie,
ou de la paresse naturelle du Noirs, voire de l'islam qui invitait ses adeptes à la
q fl
,
"
contemplation, En réalité, dans cette mise en valeur de la richesse matérielle on n'av:\\ÎI
pas voulu prendre en considération les'Y'ltérêts des autocfltones qui ne furent quo cio
simples auxiliaires au service du capital colonial.
La conséquence de tout ceci fut qu'un grand nombre de déracinés vécurent en
marge cles normes traditionnelles de 1<; société. Contre ce processus de désagréga·
tian sociale qui multipliait ces desaxés rùagirent les confréries religieuses qui décidè·
rent de restructurer tous les convertis et les éléments libérés par la colonisation en une
communauté plus homogène, plus solide et plus aJJtet à résister aux érosions que la
colonisation ne cessait de faire subir à ~;on armature.
Les confréries n'étaient pas hostiles au développement économique de leur
pays. Mais il s'agissait pour elles de lui f:<er une autre finalité. L'ambition de dominer
les forces de la nature devait s'accompô[Jner d'un immense effort moral pour donner
leur droit aux forces spirituelles. Car selo:1le Coran la matière ne doit jamais l'emporter
sur l'esprit Les conquêtes matérielles ni) sont légitimes que si elles s'accompagnent
du devoir de lutter en permanence cOltre la corruption des moeurs. Les succès
matériels ne doivent pas pousser le cro/ant à perdre la pensée de Dieu.
C'est sur la base des normes islumiques que se fit cette réorganisation de l,)
société. L'action de la confrérie 11l0uride fut essentiellement orientée vers les popullt·
tions ruroles alors que celle de El Hadj Malick Sy et de ses adeptes s'intéressa surtout
aux citadins,
L'objectif des uns et des autres é'ait d'amener les musulmans à se conformer
scrupuleusement aux prescriptions coraniques. Pour Cheikh Oamba se posait le
problèmo do l'éducation de cette masse d'anciens Ceddo tard venus à l'islam. Celle
vieille aristocratie détestait de touto la (or GO de son âme l'éldministration coloniale qui
avait été à l'origine de sa déchéance s'J,;ialo. C'est son adhésion au mouridisme qui
infléchit cette confrérie pour lui donner sa coloration anti-coloniale. La guerre, naguèro
sa principale préoccupation, lui était désormais interdite de par la paix française. Cos
gens habitués à la violence, au mépri~; des badolo, avaient conscienco de lellr
supériorité sur tous ceux qui n'appartwaient pas à leur caste. Poùr en faire cl!):;
,
1
9 0
musulmans authentiques on les orgp.lli:;a en brigades appelées ~Q' C'étaient d()~;
écoles où l'on conciliait les études ette travail manuel.
La mission primordiale de ces daara était d'ancrer dans la tête et l'esprit cie"
adeptes l'idée que Dieu est le seul vrai souverain, que les hommes sont faits pour
l'adorer et l'attester Seigneur unique. On leur fit comprendre que partout où ils se
trouvaient ils ne devaient jamais cesser de réciter la Chahada ou la profession de foi
musulmane qui atteste l'unicité de Dieu. La répétition continue de cette formule leur
restituait leur liberté car le vrai esclave de Dieu ne saurait être l'esclave (l'une autre
créature.
Pour ceux qui étaient en âge d'étudier, un enseignement leur était clispon:,ù.
C'était la seule façon de les débarrasser de leurs préjugés. L'instruction utDit l'instn ,-
ment qui pouvait leur faire acquérir le sens du relatif et les armer pour la vie pratique
ou par la connaissance désintéressée. Mais l'acquisition du savoir ne devait jamais
ontrainer un affaiblissement de la foi. Elle devait simplement aider à faire les réajuste-
ments permanents qu'exigeait l'évo!L'liùn du monde. Dans ces daara se pratiquait
aussi le culte de l'amitié, de la fraternité, et surtout de la vertu qui devait pousser les
hommes, de milieux originels divers, à vivre en communion avec le maître spirituel qui
devint leur dénominateur commun.
A ces habitués de la facilité, il fallait rappeler qu'il n'était pas indigne pour un
homme, quelle que fût la noblesse de sos origines, de gagner sa nourriture à la sueur
de son corps et par le travail de ses mains. C'est pour cela que le travail manuel jouait
un rôle trés important dans ces daara. Ce fut l'instrument utilisé pour dégrossir ces
multitudes qui avaient toujours vécu du travail des autres. Par le travail manuel on leur
inculquait la religion de l'effort personnel et surtout l'humilité qui est l'une des vertus
cardinales de l'islam. Seul le travail pouvait mettre fin au parasitisme social qui avilissait
ceux qui s'y adonnaient.
Les labeurs permanents auxquels étaient soumis les adeptes portaient le nOm
cie Tarbiyya." Tous y étaient soumis à une rigoureuse discipline. La révolution morale
qu'on voulait opérer chelles nouvea':Jx venus à i'islam devait se faire en profondour.
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n e a pas question
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es reslgnes mais
es ln IVI us qUI,
ans a Vie,
sauraient développer leur goût de l'effort pour refuser la médiocrité matérielle et
spirituelle.
Une fois la formation de base acquise au daara, le Talibe ou adepte passait à
la deuxième phase de sa formation appelée Tarquyya. L'objectif était de lui faire
acquérir les vertus et les manières de vie dans une société essentiellement musul-
mane. Une fois de retour chez eux ils pouvaient avoir à leur tour des talibés et les former
selon le même moule. On leur prescrivait de vouer leur vie à l'action, de ne jamais
succomber à la tentation de la paresse, ou de la nonchalance, parce que l'islam n'a
jamais été la religion de la passivité. Il n'y a jamais été dit que le paradis était à l'ombre
de la paresse ou de la nonchalance. Aussi dans les établissements fondées par cette
confrérie, les adeptes étaient-ils invités à associer étroitement l'adoration de Dieu les
études et le travail. On espérait ainsi instaurer la vraie harmonie sociale qui doit exister
dans une société essentiellement islamique.
Toute cette ardeur se traduisit par une recrudescence d'activité dans la mise en
valeur des régions pionnières. Les cheikhs jalonnèrent de leurs carrés les escales de
la voie ferrée Kees-Kayes sans parler des petits villages intermédiaires qui devinrent
des centres pour les adeptes de la confrérie. Dans les escales les concessions furent
demandées à l'autorité administrative. Les lots urbains disponibles passèrent rapide-
ment sous leur contrôle. 42
Dès son retour au Gabon lefondateur de la confrérie avait fait part à ses disciples
de sa volonté de construire deux grandes mosquées "une à Jurbel et l'autre à Tuba.
La culture arachidière était le seul moyen de se procurer le numéraire nécessaire à
l'achatdes matériaux indispensables à ces oeuvres. C'est pour cela qu'ils s'y lancèrent
sans retenue.
La ligne Dakar-Saint-Louis fut aussi l'objet d'une forte occupation économique
par les mourides. ~eur présence donnait lieu à des plaintes vives, car au lieu de vendre
leur production aux traitants du voisinage, les cheikhs se rendaient directement à
Rufisque pour négocier avec les grosses maisons qui leur accordaient des prix
·
"g·911
préférentiels.43 Tous ceux qui n'approuvaient pas cette façon de faire se mirent à agiter
le spectre «d'un mouridisme politique,plein de danger pour inciter l'autorité adminis-
trative à le persécuter"", Plus grave pour les traitants l'argent tiré de la vente des
arachides n'était plus utilisé à j'achat de la pacotille :de traite. Ce qui non plus n'était pas
du goût des commerçants européens et indigènes qui constatèrent, dans les secteurs
1
ou prédominaient les mourides, une baisse trés sensible d~ leur marge bénéficiaire.<5
;.
,
En dehors des daara la confrériE) copia son organisation sur celle de l'adminis-
tration avec une hiérarchie bien structuré.e de cheikhs. Dans chaque village, chaque
canton, ou province des cheikhs avaient été placés pour encadrer les adeptes.
Souvent les chefs administratifs étaient obligés de passer par les cheikhs pour raire
éxecuter les directives qui leur venaient dù Cercle. Grâce à cette prise en charge tous
les éléments libérés par la situation économique nouvelle pouvaient facilement trouver
un cadre de vie accordé à leurs espérances.
En raison même des origines sociales de ses membres et des persécutions
dont Cheikh Samba fut systématiquement l'objet de la part des autorités françaises,
la confrérie mouride semblait être le refuge par excellence de ceux qui avaient des
griefs réels ou imaginaires contre l'administration coloniale. Cette hostilité se lisait dans
;,.
leur comportement quotidien. Elle était entretenue par la répugnance qu'ils manifes-
";"
!
.
-taient constamment pour les usages et le costume européen, le mépris dont «ils
}"
":
.
(entouraient) quiconque n' (était) pas musulman'6". Ils avaient tous conscience que le
":
.
.
m.usulman était supérieur au Kafir, à l'infidèle. Par la puissance de sa cohé;;ion, par
/.'
.
,
i;§mpr\\sequ'elle exerçait sur ses adeptes la confrérie mouride, à l'instar de ses soeurs,
66ritribua fortement à l'islamisation de lasocil~té sénégalaise. co~mè ~1I~s, elle réussit
/1"
.
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.
àprotéger ses adeptes contre les influences. jugées perniîèuse~d'e l'occident. Cette
lutte contre "étranger revêtit d'autres formes plus subtiles et non moins efficaces dans
les centres urbains.
Les villes étaient peuplées d'individus qui venaient à péine de rompre avec leurs
origines rurales exception faite des :labitants de Gorée et de Saint-Louis. Si certains
d'entre eux faisaient profession de foi islamique, d'autres demeuraient fidèles à la
religion du terroir. Mais en acceptant de 'vivre dans ces escales créees par la
.-------------
- -
.- --- --~_.'-----_.'
,
9 1{
colonisation, les uns et les autres avaient accepté de vivre sous l'empire de la
civilisation française. C'est en cela qu'ils s'exposaient selon les chefs des confréries
~
Il
au risque de succomber à la tentation de l'occident. Se posa alors laquestion de savoir
comment faire pour les soustraire à ce danger sans donner aux autorités l'occasion
de réprimer le prétendu fanatisme des autorités musulmanes? La ville était plus facile
à contrÔler que la campagne. L'étroitesse du périmètre urbain, ne permettait pas aux
confréries d'agir à leur guise. Toutes les activités des indigènes étaient soumises à l'
autorisation préalable. Les moindres dérapages étaient sanctionnés en vertu même
des pouvoirs disciplinaires des administrateurs.
En dépit de tous ces obstacles les confréries parvinrent à réaliser leur travail de
restauration sociale en direction de ces masses souvent désorientées par leur
nouveau mode de vie. Il est vrai que pour éviter l'isolement, les individus se regrou-
paient dans les quartiers selon leurs villages d'origine ou les affinités ethniques.
C'étaient en définitive des juxtapositions de groupes conservant leurs particularismes
et ne cherchant nullement à les transcender. Cette absence de cohésion les rendait
vulnérables aux dangers de toutes sortes qui les guettaient. C'est àcette situation que
tentèrent de remédier les confréries religieuses du Sénégal. Mourides, qadres, Layeen
et Tijaan s'attachèrent à organiser ces masses d'hommes isolées en les regroupant
sous une même idée, un même sentiment. En d'autres termes on essaya de les
restructurer pour aboutir à la formation d'une société dont les éléments seraient
soudées par des liens plus solides que ceux du sang, à savoir les liens spirituels.
Sans mésestimer la contribution des autres confréries il faut reconnaître
l'oeuvre gigantesque réalisée par El Hadj Malick et ses disciples dans ce domaine. Les
documents lui attribuent une forte dose de francophilie. Mais il n'était pas plus
francophile que les autres n'étaient anti-français. Pour lui les rapports avec l'adminis-
tration étaient secondaires à partir du moment o~l'islam était sa patrie où il poLNait
~;~.~.'
. '
.
mener comme il l'entendait son action missionnaire. Il proclama qu' Allah n'interdit pas
d'être équitable envers ceux qui en religion 'ne vous combattenf'pas et ne vous
expulsent pas de vos habitations'Y Cette concession temporelle faite à l'administra-
tion, permii à::ion action de se développer en toute tranquillité. Elle n'impliquat pas une
\\IV
913
reconnaissance de la souveraineté française puisqu'il ne reconnaissait que celle de
.;::,....:.
Dieu. Le colon pouvait donc prendre tous les titres qu'il voulait si toutefois il ne cherchait
pas à entraver par des mesures persécutrices le travail des marabouts. Comme ses
pairs il était convaincu que les marabouts devaient avoir la charge des âmes et rien ne
devait les en détourner.
Aprés bien des périgrinations qui le conduisirent au Jolofau Walo, en Mauritanie
et à la Mecque en 1889 il finit par s'établir en 1902 à Tiwawan aprés avoir crée les
Zawiyya de Saint-Louis et de Dakar. Il ne tarda pas à être inquièté par les autorités
coloniales qui avaient peur de tous ceux qui faisaient partie de la confréries tHaan. Mais
il fit savoir au gouverneur qui l'avait convoqué à des fins d'interrogatoire que son
ambition était d'étudier, d'enseigner et de cultiver, que le chapelet était la seule arme
en sa possession.
El Hadji Malick comme les autres sufi n'accordait aucune espèce d'importance
à ce monde périssable car, disait-il, c'est «dans le renoncement que réside le bonheur
de quiconque est résolu à aller à Dieu. Le temple de la sainteté est bâti sur les quatre
piliers que sont: la faim, le silence, la veille et l'Îsolement'"... Il revenait fréquenmment
sur ce thème que ce bas monde était la demeure de la sottise et de la charogne que
se disputent les chiens. Il invitait ses adeptes qui se savaient périssables à s'accrocher
à "éternel qui lui ne périt jamais.'"
Pour mieux enraciner l'islam dans ces milieux flottants qu'étaient les centres·
urbains, El Hadj Malick mit l'accent sur l'instruction des maîtres qui devaient le relayer
dans les différentes escales qu'il leur fixait comme résidence. Tous ceux qui avaient
reçu de lui la formation religieuse adéquate constituaient les vrais cadres de la confrérie
sur lesquels il s'appuyait pour diffuser et les sciences islamiques et la doctrine de la
confrérie. tHaan. Ces Moqaddem étaient habilités soit à donner "initiation à ceux qui
, ='.",~--t. ,'. . .
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.
désiraiènt intégrer la confrérie, soit à nommer d'autres Moqaddem.
Dans l'enseignement que .Iès uns et les autres dispensaient aux adeptes,
l'accent était particulièrement mis sur tout ce qui différenciait l'islam des autres
religions. Aucun amalgame n'était possible, aucun compromis sur ce terrain n'était
- ... -
accepté. "fravaillaient eux aussi de façon à empêcher les coeurs de reprendre leurs
anciennes habitudes ou de succomber aux pièges nombreux de la vie urbaine. En ce
sens ils entravaient eux aussi l'action de l'administration. On pouvait exercer des
métiers pour gagner son pain mais les adeptes ne devaient jamais oublier qu'lls étaient
.
}
musulmans et partant tenus de se conformer strictement aux régies morales ensei-
gnées par l'islam. Il n'était plus question pour faire plaisir aux administrateurs de
consentir des contre-vérités pour échapper à la répression. L'adaptation à la vie
urbaine était aussi soutenue par une affirmation accentuée de la personnalité du
musulman qui lui restituait son orgueil et devait le mettre à l'abri des vices. C'était là le
but du travail en profondeur mené en direction des cit3dins à savoir que malgré les
difficultés, de parvenir à imprégner chaque musulman de l'esprit de l'islam pour rendre
total le triomphe de la religion dans le pays. De concert avec les autres confréries des
dispositions furent prises pour proposer aux musulmans des divertissements sains à
l'occasion des fêtes du calendrier français. Des Gamu ou célébrations de l'anniver-
saire de la naissance du prophète Mouhammed étaient systématiquement organisés
à la faveur de ces fêtes chrétiennes. Des chants religieux servaient de tribunes pour
diffuser chez ceux qui n'avaient pu faire l'école coranique, l'essentiel de ce qu'ils
devaient savoir sur la pratique de leur religion et leur façon de se comporter dans la vie
quotidienne.
Le gouvernement colonial n'était pas dupe de ce travail en profondeur accompli
par les confrèries dans les centres urbains. Les discours enflammés des sermonnaires
en direction de ces multitudes allaient à l'encontre des intérêts français. Aussi Ponly
préconisa-t-i1 la surveillance étroite de certaines personnalités musulmanes dont
l'influence ne cessait de prendre de j'ampleur afin de n'être pas surpris par un éventuel
dérapage.50
Les rassemblements réunissaient les représentants de toutes les ethnies, de
toutes les confréries. Ils permirent de donner une cohésion et un esprit communautaire
aux individus épars, sans liens définis qui risquaient, du fait même de leur isolement,
d'être trés vulnérables à la civilisation qui les entourait de toutes parts et dont ils
n'entrevoyaient que les aspects les moins beaux. Sous les apparences de la soumis-
- _. --- - .
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''.''.'''.'.'''''''.~:'''''' .•• '.~''''~........"'")" ..JiJO"':';\\;·Ol.".""',·~
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9 15
sion, les confréries musulmanes du Sénégal poursuivirent leur action d'islamisation
des populations pour réaliser le monopole des fidèles dans lequel elles voyaient le but
ultime de leur mission. En quadrillant les zones rurales et les centres urbains par leurs
daara, elles purent encadrer les populations pour leur enseigner les provisions de la
loi islamique. Cette action se fit en profondeur, de manière souterraine. Cette nouvelle
intégration sociale, en donnant de nouveaux repères aux victimes de la colonisation,
les mettait aussi à l'abri des influences françaises que sommairement les marabouts
assimilaient à une forme de christianisation. La conséquence de ce travail fut avec la
défense de l'identité du musulman, l'abolition des cloisons qui séparaient les ethnies"
et l'adoucissement du problème des castes avec la proclamation du principe de
l'égalité des croyants.
Les confréries musulmanes furent donc l'expression du refus des populations
d'accepter l'ordre colonial qui avait apporté des bouleversements révolutionnaires
dans la société locale.53 Tout en assurant la cohésion des âmes, elles permirent le
maintien, dans une grande mesure, des formes sociales traditionnelles dont l'adminis-
tration paraissait vouloir les dégager pour faciliter son action. En remplaçant la
solidarité classique tribale ou ethnique par la cohésion spirituelle, l'islam donnait à ses
adeptes le sentiment d'appartenir à une communauté plus vaste. Mais dans cette
communauté les milieux étaient divers. Si certains lettrés penchaient pour l'arabisation
de la société, l'immence majorité des fidèles demeurait encore fidèle aux moeurs
ancestrales dont rien ne pouvait encore neutraliser la vigueur. Il appartenait au temps
de les dégager de toutes les pratiques d'une orthodoxie fort contestable.
Si l'administration était plut6tfavorable au triomphe du christianisme, elle ne prit
cependant aucune disposition particulière pour la rendre possible. Et pourtant le
christianisme est trés ancien en Sénégambie où sa présence est attestée depuis
l'époque portugaise.
Parallèlement à leurs opérations commerciales, les Portugais avaient voulu
réaliser dans leurs possession une action en profondeur, c'est à dire une mission
JI
9 16
chrétiennne qui ne se limiterait pas «seulement aux paroles, au signe de la croix et à
"observance du dimanche5<jmaiS qui se traduirait «par une oeuvre d'ajustement,
d'interpénétration de valeurs ou de cultures presque toujours accompagnée de
métissage55". Les commerçants portugais établis en milieu indigène essayaient d'y
enraciner le catholicisme. Ils s'adaptèrent aux conditions de vie de leur pays d'adop-
tion. Tout en se réclamant du catholicisme ils étaient polygames. Leur religion souffrait
de l'absence d'un clergé local. Il estvrai que l'évèque de Santiago du Cap-Vert envoyait
detemps à autre un visiteur dans les localités de Rufisque, de Porto-Novo, de Portudal
de Joal et de Palmarin qui abritaient quelques chrétiens. Mais ces visites étaient fort
espacées et ne pouvaient donner de bons résultats en raison de leur briéveté et de la
concurrence de l'islam.56
Dès lors il n'est pas surprenant que le catholicisme subît en Sénégambie de
profondes altérations. On constata un amalgame entre le catholicisme et l'islam. Les
catholiques de la Petite- Côte se promenaient avec un grand chapelet pendu au cou,
nous dit Lacourbe "quoiqu'ils ne fussent ni baptisés ni n'ayant aucune teinture dela
religion chrétienne". 57 Ils s'habillaient de la manière des Européens. Bien que Noirs ils
assuraient qu'ils étaient Blancs voulant signifier par là qu'ils étaient chrétiens comme
les Blancs.58 La plupart de de ces chrétiens faisaient les prières avec les musulmans
et quand ils voyaient des Blancs ils prenaient leur chapelet et faisaient comme eux.59
/
Cette perméabilité de la foi nous donne l'exacte mesure du caractère superficiel de ces
conversions.
Mais malgré ces altérations/le catholicisme persista dans la Petite Côte et
constitua la base sur laquelle s'appuyèrent les missionnaires pour la poursuite de leur
action d'évangélisation au XIX·siècle. Celle-ci avait été associée à la fin du XVIII· et au
début du XIX· siècle avec la lutte contre l'esclavage. En France c'est le père François
Uberman qui fut l'initiateur de cette entreprise en direction de la Sénégambie. En 1843
il envoya avec l'appui du ministre de la marine et des colonies Sept missionnaires dont
. les cinq moururent quelques mois aprés leurarrivée. En 18461e père Benoit Truffet était
nommé vicaire apostolique de la Sénégambie. Il était d'avis qu'il fallait détacher
totalement l'Eglise d'Afrique de tous les gouverr ,tJments européens qui essayaient de
lui donner leur protection pour mieux l'asservir.60
fii1
917
En '1048 Mon:;eiQnour Aloyso I(obos arriva à Gorée pour pronclrc 1:1 i Il'', "!'
Truffet cJécérJé, Il fondD sa première mission à Dakar, Il y rest<:! jusqu'à SD mort en 10/;>'
Contrairement à son prédecesseur, il décida de s'appuyer sur l'administmlioll f';.ln·
çaise pour parvenir à :;es fins, En queiques années, il put convertir quelques milli()\\~;
cie noirs. Il créa un séminaire, une école où les garçons et les filles étaient sép;lr'~:; el
fil éditer beaucoup d'ouvrages on Wolof et en Sereer pour faciliter fa diffusion (1"
l'enseignement chrétien, Mais son action resta malgré tout circonscrite ù la c61o. lin"
put atleindre les populations de 1'I':interland en raison do l'antériorité de l'isl:1I1I ui
surtout de l'absencc d'un clergé autochtone·'
Les pères ArraÇJon et GiJllélis, les premiers missionnaires établis ù ,Ir.>: II ::: ':1( hll
lèrcnt ;', la société 10c;Jle afin do donner uno plus grande efficélcilé à lelll ;lciiun. ie·j;;i.
le~; :~eruel demeurèrent profondément atlacllés à leurs croyances ancwcl' ;lle:; cl;', l '"
(;OIlCOplion cie la famille, La peur de voir l'établissenlollt do:; mi~;:·;i"l HI: li,,"
Ir;.llIsfollller un forts militaires dont les canons seraient diriQés cOIlI,'e le .0iillll(,I(:II. Il'
le "oi de ce IJays il ordonnel'Ia fenlleture de la mission de NÇJawbil.
Le vernis des Sereer convertis manquait d'épaisseur, les mi~;sio' \\l1;.Iil·'.'~; 'f, '"
laient ronclre leurs ouailles dans le moule du christianisme européen. Li\\ vii;,I;r" ! i, :~:
tr;Jclilions locales rendit impossible celle assimilation, Peut être que l'intervclliioll' J'II! 1
clcr~IÔ local aurail eu plus de Chèlllce cie succès en procédant, comme los m;.lInl)llIli~;.
c'est à dil'e en essayant de christianiser les pratiques auxquollo lonaient!Je;:lIlcol 'l' l,,:;
Sereer, L'adhésion au calilOlicisme impliquait l'abandon total de lél rcll"il)I' ! :,,~;
ancêtres alors que chez les musulmans la silnple allestalion de l'unicil(~ clu 1Jit ,II r:, ",.
la mission du prophète Mouilarlllneci suffisait pour entrer dans 1;.1 c' I! '1I11I1! " ,. ,'.
o
,..
rnusumallC.""·
L'action missionnaire se poursuivit avec constance au fendenl: li" Il,, \\", ",
quête. Les résultats furent nellelnent en deçà de ce que l'on espérait. Le cllri:;li;lIli~.i ''''
était alors perçu comme la religion du conquérant. Rien dans les rapport~; qII(JticliuII~:
enlre Noirs convertis el Blancs ne laissait transparaître celle égalilé cles C1oY:lI)I:.
qu'enselSlne la religion, Pour maintenir la préponcI6r'l:'!ce des colo,,:,;, 1.'11 r:rOl l, 'i; 1
racisme apparut même lors de la célébration clu culte, Les Noirs et les 81illlCS étaiell!
"
9 18
séparés comme s'ils appartenaient à deux confessions distinctes. Dans certaines
villes comme ~ les messes trop matinales étaient réservées aux Noirs et les autres
aux Européens.53
La séparation de l'église et de l'Etat en 1905 accrut les difficultés des mission-
naires catholiques. Ils ne bénéficiaient d'aucune protection spéciale. Ils pouvaient
autant qu'ils le désiraient convertir les Sénégalais mais leurs ouailles n'en étaient pas
moins considérées comme de simples sujets, dépourvus de tout droit.
Les missionnaires, contrairement à ce que faisait l'islam, décourageaient chez
les convertis tout esprit national et la confiance de l'indigène en lui-même. C'est de
cette façon qu'ils essayèrent de lui faire accepter les valeurs séculières de la société
française. Cette action aliénante faisait de lui un être flottant. En adoptant «des
vêtements européens il s'exposait à la suspicion et aux railleries de ses compatriotes
païens"'» ou musulmans. Plus grave encore était le dédain que les Européens eux
mêmes avaient pour lui. Tous parlaient en termes sévères de ses vices et de ses
extravagances vestimentaires.65
Le Noir évangélisé n'était donc pas accepté dans son nouveau milieu. Il y était
considéré comme un indigène déraciné qui ne faisait qu'imiter les actes des Euro-
péens, même ceux qui n'avaient rien à voir avec la morale. En renonçant donc à ses
coutumes ancestrales pour se faire catholiques les Noirs convertis du Sénégal non
originaires des quatre communes se trouvèrent en définitive dans une situation
singulière. Dans leur vie quotidienne ils se comportaient en assimilés alors que
légalement ils n'étaient point admis dans la cité française. En matiètre judiciaire on leur
appliquait les dispositions des coutumes auxquelles ils avaient renoncé.""
Pour avoir voulu opérer une véritable révolution par l'abolition de la dot, de \\a
polygamie et des rites initiatiques, les missions catholiques avaient trés peu de chance
de faire adopter leur religion aux population sénégalaises. La conception européenne
de la société était trop rigide pour que les païens pussent l'accepter sans concession.
Ils pouvaient se convertir à condition de ne pas rompre trop brutalement avec les
traditions de leur société. Ce refus de tout compromis du catholicisme avec leur
l'
9 19
religion du terroir explique à lui seulles modestes résultats du catholicisme à l'époque
coloniale.
Ce que l'on reprocha à ces convertis c'était de rechercher "aisance matérielle
pour elle-même. Leurs loisirs étaient souvent employés à des divertissements dont
l'orthodoxie était plus que douteuse. Dans leur existence quotidienne ils adoptèrent
les moeurs françaises et même en imitèrent les excès.
Pour modestes qu'ils fussent ces résultats n'en continuaient pas moins un
succès pour la politique d'assimilation. Les convertis ne demandaient qu'à servir la
France. Dès lors on ne doit pas s'étonner qu'il n'ait pas eu au Sénégal la constitution
d'une église particulariste aux développements essentiellement Sénégalais et s'oppo-
sant de toutes ses forces àl'administration coloniale ou aux missionnaires eux mêmes.
Mais il n'a pas plu à l'administration coloniale, pour des raisons qui lui étaient
particulières, de tirer parti de ce groupe qui ne désirait que de rendre service. Les
mesures persécutrices prises à l'encontre des confréries musulmanes n'arrêtèrent
nullement leurs progrés chez les populations païennes. Face à "hostilité des mara~
bouts, l'autorité coloniale aurait dû chercher une compensation chez les christianisés
qui acceptaient d'être associés à l'oeuvre de colonisation. Mais la peur d'ouvrir une
brêche dans le dispositif colonial empêcha l'administration de le faire. Dès lors son
action ne pouvait que rester superficielle puisqu'elle ne prenait pas appui sur des
groupes consistants et cohérents mais sur des individus dont l'influence sur les
populations était presque nulle. L'islam et le christianisme devinrent à leur tour porteurs
de la contestation politique que véhiculaient leurs adeptes. C'est dans leur dynamisme
souvent orienté vers l'affirmation des valeurs du terroir qu'il fauttrouver l'explication au
succès limité de l'action française au Sénégal.
1- Duval J. : La politique coloniale de la France, in revue des 2 Mondes.
2- Bizemont : La France en Afrique, in le correspondant, février 1887.
3- Crawder M. : WEST AFRICA UNDER COLONIAL RULE, (page 360).
4- Caries F. : LA FRANCE ET L'ISLAM EN AFRIQUE OCCIDENTALE Toulouse
1915, (page 67).
5- Quellien : L'ISLAM (page 194).
6- Quellien : (page 213).
7- Bizemont : Op. cil.
8- AN.S. 13 G 67: L'islam au Sénégal, pièce 3 S D.
9- AN.S. 1 G 136 Angot: Commis des affaires politiques au gouverneur du Séné-
gal, 7 Avril 1889.
10- AN.S. 3 E 55 folio 254-255, Merlin: Rapport sur Cheikh Bamba, 5 Septembre
1895.
11- AN.S. 3 E 55 Folio 255 Merlin: Rapport sur Bamba, 5 Septembre 1895.
12- ANFOM, SénégallV-127 : Merlin, Directeur des Affaires politiques au Gouver-
neur, 29 Août 1895.
13-ldem.
14-ldem.
15- A.N.S. 3 E 58 FF-142 à 145: Aubry lecomte au Gouverneur, 29 Mars 1899.
16- Paul Marty: La politique musulmane, in revue du monde musulman 1914,
(page 74).
17- AN.S. 13 G 67 Antonetti: Circulaire aux administrateurs, 1914. Confidentiel.
18- A.N.S. : Dossier Cheikh Ahmadu Bamba 1911.
19-AN.S.: Dossier Cheikh Bamba 1911.
20- A.N.S. 13 G 294: Gouverneur général Ponty à Iieutenat-gouverneur Sénégal,
Dakar, le 13 Août 1912.
21- A.N.S. : Dossier Cheikh Bamba : Cor à Ponty, le 21 Octobre 1912.
22- AN.S. 13 G 67: Lieutenant-gouverneur Antonetti à Gouverneur général A.O.F.
Saint-Louis, le 8 Septembre 1914.
23- Billy De E. : Notes sur la politique indigène, in renseignement généraux, 10
Mars 1914 (page 90).
24- A.N.S. 13 G 67: De l'influence des Cheikh au Sénégal.
25- A.N.S. 2 D 8-6 Noirot rapport 1er semestre 4 Août 1894.
26-ldem.
27- AN.S. 2 D 8-6 Rapport politique du 1er semestre par Noirot, 4 Août 1894.
28-ldem.
29-ldem.
30- AN.S. 2 D 8-6: Noirot, rapport 1er trimestre 4 Août 1894.
31-ldem.
32- Klein: Op. ci!. (page 220).
33- AN.S. 13 G 691912-1913: Enquête sur les marabouts.
34- A.N.S. 2 G 15-6: Situation politique 2" trimestre 1915.
35-ldem.
36- A.N.S. 19 G 1 : Marty, rapport au gouverneur général S.D.
37- AN.S. 13 G 67 : Marty réponse sur l'islam 1915.
38- Moreau: DE LA CONDITION JURIDIQUE POLITIQUE ET ECONOMIQUE DES
INDIGENES DE L'AO.F., (page 42).
39- Caries: Op. cil., (page 55).
40- Harmand : Op. cil., ([)"Ig~s 56,57).
41- AN.S. 2 G 15-31 Note sur la situation politique des pays de protectorat, 1er tri-
mestre de 1915.
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' ' " . _ "
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~
•
921
42- A.N.S. 13 G 67 Marty: L'ISLAM AU SENEGAL (pages 7-8).
43-ldem.
44- A.N.S. 13 G-67 Marty, (page 9).
45- Idem, ibidem.
46-A.N.S. 2 G 16-8 Gouverneur général AO.F. à Lieutenant-gouverneur du Séné-
gal: Correspondance pour l'établissement des rapports trimestriels.
47- Samb A: CONTRIBUTION DU SENEGAL A LA LITTERATURE ARABE CLAS-
SIQUE.
48- Samb A : Op. cil.
49-ldem.
50- AN.S. Dossier Ahmadu Bamba : Ponty à Lieutenant-gouverneur Sénégal, 1'"
Mai 1911.
51-AN.S. 2 G 12-9 Lieutenant-gouverneur du Sénégal à gouverneur général
AO.F. : Saint-Louis, le 7 Septembre 1912 : Rapport sur la situation politique.
52- Cruise O. Brien: THE MOURIDES OF SENEGAL, 1971 (page 1).
53- Behrman : MUSLIM BROTHERS AND POLITES IN SENEGAL, Harvard. Press
1970, (page 27).
54- Freyre G. : LES PORTUGAIS ET LES TROPIQUES, Lisbonne, 1961 (page 38).
55-Idem.
56- Boulègue : Les Luso. Africains du XVIe siècle au XX· siècle 1972, (page 44).
57- Lacourbe.
58- Lacourbe.
59- Lacourbe.
60- Klein: Op. cil. (page 47).
61-ldem, (page 51).
62- Crowder M. : Op. cil. (page 366).
63- Information recueillie auprés de Mame Njoon à Kees • Mars 1980.
64- Quellien: Op. cil., (page 90).
65- Quellien : Op. cil., (page 91).
66- Randan: Le statut des indigènes convertis au christianisme, in revus D.O.M.,
1934.
frI
922
CHAPITRE 12:
LES VILLES
Il ne s'agit pas ici d'étudier le phénomène urbain, né de la colonisation dans
toutes ses dimensions. Notre ambition plus modeste est d'essayer de montrer leur rôle
dans la modernisation du pays ou si l'on veut dans l'enracinement de la civilisation
française au Sénégal. Nous savons que la plupart de ces localités pompeusement
appelées villes n'étaient pas dignes d'être considérées comme telles. L'existence qu'y
menaient les indigènes ressemblait davantage à celle vécue par les campagnards du
voisinage qu'à celle dont ils contemplaient le déroulement chez les Européens et les
assimilés de Saint-Louis et de Gorée. Mais de par leur effet d'entrainement, elles étaient
les ferments véritables de l'occidentalisation des populations. Elles furent à l'origine
d'un mode de vie différent de celui auquel étaient habituées les populations. Elles
exercèrent une influence incontestable sur les villages de leur voisinage dont l'activité
fut réorientée vers les besoin des citadins. C'est pour cela que nous pensons que
dresser la géographie des villes du Sénégal, préciser l'importance numérique de leurs
habitants c'est déterminer l'importance des facteurs humains de l'action assimilatrice
de la France au Sénégal.
L'urbanisation du Sénégal est récente. Exception faite de Saint-Louis et de
Gorée dont le fondation remonte au XVII" siècle, les centres urbains du Sénégal ne
virent le jour qu'au lendemain de la conquête. Ils ont été tous des villes du colonisateur,
créées pour les besoins de la colonisation.
Ainsi Dakar occupée en 1857 connut un développement spectaculaire en
raison de sa position privilégiée au débouché de l'Ouest africain et au seuil de
l'Atlantique, facilitant ses communications avec l'Europe et avec l'Amérique. Mais c'est
le chemin defer Dakar-Saint-Louis et le Kees-Kay qui éveillèrent le pays à la vie urbaine.
Les villes naquirent le long du rail.' Sur l'axe Dakar-Saint-Louis on peut citer Rufisque,
Sebixotaan, Puut, Kees,lïwawan, Pir, Mexe, Ndan Kebemer, Luga, Mpal, Sakai, Raw.
Sur l'autre artère les centres les plus importants étaient Xombol, Bambey, Jurbel,
Gossas, Nginginew, Kaolack, Kaffrine.
'-
923
Chacune de ses escales eut son plan de lotissement. Les lots furent vendus soit
aux commerçants indépendants/oit aux maisons de commerce qui y établirent des
comptoirs. Toutes ces locantés prirent l'allure de villes en construction avec un plan en
damier où les rues se coupaient à angles droits. On y constatait aussi une distinction
trés nette entre la ville indigène et la ville européenne.
~devinrent rapidement des lieux où s'élaborait une «histoire différentielle».
Chaque escale exerçait un attrait sur les villages environnants. Les modes de
consommation et d'habillement des villageois subirent les influences de la ville. Les
structures sociales ne furent guère épargnées. Avec la perte de sa maîtrise politique,
la société indigène ne pouvait plus évoluer suivant ses propres traditions et ses
propres directives. Les facilités de communication accentuèrent la désorganisation.
. i
Les traditions n'étaient plus respectées par les migrants. Il s'ensuivit un certainlaxisme
,
dans les disciplines sociales et familiales. Partout c'était le mélange des races. "Les
organisations indigènes qui vivaient en vase clos se trouvèrent exposées aux courants
d'air vivifiants du large". Ils furent brassés par le progrés. «Nul n'était plus chez soi
parce qu'on était chez soi partout'». Progressivement la société collectiviste où
l'individu était totalement soumis au groupe, cédait le pas à une société de plus en plus
marquée par l'induvidualisme qui postuletrle triomphe des droits de l'homme sur celui
de \\a société.3 La ville fut par excellence le centre où s'opèrèrent ces transformations
sociales.
Dès lors il devient indispensable de connaître le nombre d'individus impliqués
dans ce processus de transformation. Nous aurions aimé pouvoir chiffrer leur impor-
tance, les suivre dans leur évolution, leurs déplacements, connaitre leurs sentiments
pour comprendre ce qui les attirait dans les escales, les y retenait ou les en éloignait.
Malheureusement les autorités coloniales n'ont pas toujours eu le souci de notre
curiosité. Aprés le recencement de 1904, elles ne firent pendant longtemps que
quelques mentions incidentes sur la population des escales. C'est pour cela que les
éléments que nous utilisons sont disparates et datent d'époques différentes. Les
chiffres que nous utiiisons ne sont là que pour nous donner un ordre de grandeur.
'"
924
En 1904 la population des territoires d'administration directe était de 107.826
dont 101.866 indigènes. Le reste était constitué d'européens ou assimilés et de
militaires. Chez les autochtones on constata une parité entre les hommes et les
femmes. Les jeunes représentaient 40% de l'ensemble.'
Les villes les plus importante étaient celles de Saint-Louis abritant 28.469
habitants avec sa banlieue, de Dakar avec 23.452 habitants, de Rufisque 12.446. Sur
l'artère Dakar-Saint-Louis, Kees abritait 2784 habitants, Tiwawan 4318, Mexe 1460,
Luga 1400. Dans le Siin-Salum, Fatick avait 1322 habitants, Kaolack 306, Funjun 10005•
L'essor démographique de ces villes fut bloqué par la première guerre mon-
diale. La population de certains escales stagna ou se vida des éléments jeunes
susceptibles d'être enrôlés. Ainsi Kees passa de 2.404 en 1908 à 3.044 en 1914 pour
atteindre 6427 en 1921. Tiwawan chuta de 3403 en 1908 à 2.210 en 19146 •
Par rapport à la population du pays, les habitants des territoires d'administra-
tion directe ne constituaient que 10% de l'ensemble. Pour modeste qu'il fût, ce chiffre
était à même de jouer un rôle de catalyseur de "action française sur les populations.
Ces éléments provenaient des zones proches des centres urbains mais aussi de
périmètres souvent trés lointains. Selon les périodes leurs effectifs augmentaient.
Aussi pendant la saison sèche ils recevaient des ruraux venus chercher des revenus
d'appoint. L'exode temporaire se faisait dans des conditions hygièniques précaires.'
L'argentgagné permettait de se procurer des habits ou de se constituer un pécule pour
le mariage. L'indépendance économique ainsi acquise mettait le jeune homme à
même de se soustraire à l'autorité du chef de famille."
Exception faite de ceux dont le village se trouvait dans le voisinage d'une station
du chemin de fer, les habitants des centres urbains se recrutaient surtout chez CAUX
dont les racines flottaient à la surface de la société. En effet les escales, devenues sol
français, avaient la vertu de libérer les esclaves qui s'y établissaient. Aussi constata t-
on que les premiers citadins improvisés se recrutaient dans cette catégorie sociale. La
ville leur permettait d'échapper à l'autorité de leurs maîtrps, car ils pouvaient compter
sur la protection vigilante de l'autorité française. De plus ils n'avaient pas de prévention
Ke
9 ') r;
'.- J
contre los rudes besognes, Ilabituésqu'ils étaient, aux dures corvées quoliclio' Il lU,.:.
lis n'Ilésitèrenl pas un soul instant il accepter les conditions cie travail impoé:6es pill/C'
commerce.
Pour élllirer les travailleurs nécessaires aux opérotions cles mélison~; cie COI n
mer'ce, I\\ldministr-alion proclam:.l que••.ous les esclaves fuqitifs, pour un u loi il quetee" 1·
que et qui pél/venaient sur le terriloire d'une escale acquéraient de plein droilla lil)c" lé.
I_'administration n'avait même plus besoin de leur délivrer descertiricats do Iii 1(" 1,].1':11"
~;() :;en!:Iit sulfisélmmenl forte pour sanctionner avec sévérité los ll1élÎII"l':'; 'lui r:i 1'"
cililicnl ::llairc pl"lJvaloir lours droits de propriété sur leurs gens. On leur' ;Icum hil ; i,.
,1(
cl protection :; 'ils étaient adultes on état de subvenir eux-même aux IJc:;lli, li: lif: h 11
exi.;;lencc. Toutelois on prit la précélution de confier les rninour:; aux /H ,i;Ji lif'
l'e:;cale pour éviter de·los voir s'engagor dans la voie pé"illeuso cie la ':i<':vi::lllcc."
Beélucoup d'esclaves de l'intérieur élurent domicile délns ces e:;G.l!c:; ,,,', il"
essayaient tant bien que mal cie s'adapter à leur nouvelle vie. Mais malgr61u <;:u;.u .:.'1'.
cosmopolite de ces centres on y trouva une certaine séqrégél\\ion fondée sur le :;1;lil ,1
des per:;onnes. Certaines d'entre elles avaient leur quartier réservé aux Gallu'" c·,.::1
:\\ clire aux esclaves mêllle si personne n'osait revendiquol' clos droits cie Ixoi )ri(.1 (. :;r '"
lXIX.
Ceé~ allrancllis formaient un ncyau de paupérisme péré<Jrinanl ,1'1111" viII,.,
l'é1utl'O Cil fonction des o[fres d'emploi. Ils avaient rompu :wec l'élgrir.:l ,1\\\\ "" ,'; Il ; ..
InaÎtres, propriétaires terriens, refusèrent de leur attribuer des 10UÇJélilS d;.III:; 1; 1i i Il.:
Ol! ils ne relevaient plus de leur' élulol'ilé.
A ces esclaves en rupture de ban, vinrent s'ajouter les victimes dl) l';'UIOI iL,
rismu sans bornes de certains chefs de canton. En 1099 plus de '1000 1'f1l'éll.lX :i1'
dérobèrent aux mesures persécutrices de Abdoutaye Lat-Jo.9J JQQQ en élll:.11 Il :.:'6/111 ,:11
clans le fJùrimètre urbélin de Mex~. Car les localités se trOUVélnl dans le Innii,·i,,,
d'administration directo ne relevaient jamais des chels indigènes. C'est pour cela CIlie
tous ceux qui avaient des griefs contre les chefs de canton trouvaient plus prLKlcr Il
d'élire domicile dans l'escale la plus proche.
La population plus ou moins fixé'il était renforcée, selon les époques, par dns
Noraan ou des navetaan à la recherche des ressources d'appoint. Pendant la traite
comme pendant l'hivernagjlb se présentaient aux portes des villages ou des escales
les gens les plus divers, appartenant aux kthnies les plus variées. Ces escales
devinrent des centres de melling-pot. Les différents éléments ethniques participèrent
à celte nouvelle vie sociale initiée par le colonisateur. Les intermariages en se
multipliant atténuèrent les comportements de rejet que l'on rencontrait souvent chez
(
les gens d'ethnie ou de culture différentes,
Dès le début de la conquête la banlieue de Saint-Louis abrita des Bambara
venus du Soudan, Ils occupèrent les villages de Jugob, de Xoor, de Dakar-Bango ct
cie Maxana. Il Kaolack reçut beaucoup de navetaan provenant du Sénégal oriental ou
de la Casamance. Bref toutes les ~thnies du pays et même celles des pays voisins
contril luèrent à la formation de la population de ces villes, C'étaient toutes des micro-
cosmes où se retrouvaient les différ::'lts éléments humains de l'hinterland. Woloi!,
Seree'", Toucouleurs, Peuls, Soce, Joola, Soninke, Maures coexistaient dans les
mêmes centres,
Quels que fussent les motifs qui déterminèrent les migrants à aller s'établir ou
à c11ercher des revenus en ville, les nouveaux citadins n'étaient en fait que des ruraux
transplantés dans les centres. Ils habitai'3nt généralement les bidonvilles et affichaient
des comportements différents de ceux que leur avait enseignés leur éducation.
La grande distorsion entre le gell'e de vie des Africains et celui des Européens
justifia la ségrégation qui prévalut dans les habitations urbaines, On invoqua des
considérations d'hygiène alin d'éviter la propagation, parmi les Européens, cie
maladies fréquentes dans les milieux indigènes, Aussi chacune des escales compor-
tait deux périmètres séparés, situés assez loin l'un de l'autre pour écarter tous les
risques de contagion, L'espace vide placé entre eux était occupé soit par un cimetière,
n\\ ~lV\\ des btltiments administratifs dépourvus de logements ou de jardins. '2
En réalité cette ségrégation ne reposait que sur des préjugés de race. Les
Européens établis dans les escales étaient issus des classes moyennes françaises.
Projetés dans ce pays neuf, ils y forn:~~ent une aristocratie par la peau grâce aux
privilèges que leur conférait le droit de conquête. Elle ne pouvait que s'opposer av{)c
virulellce à tout ce qui était susceptible d'apporter des changements à sa prépondé-
rance. La ségrégation des deux races était la modalité la plus efficace pour perpéluer
sa domination sur les vaincus. C'est pour cela qu'on n'admettait dans le périm8lre
européen que les indigènes qui s'engageaient à vivre selon les normes occicientLlles,
il conclitionde ne pas accueillir, dans leur loyer, leurs parents des campagnes n'offrr.llli
pas les mêmes garanties qu'eux.
La ségrégation était donc trés nette entre la ville européenne el celle des
indigùnes. L'administrateur et les privilégiés trouvèrent que c'était mieux ainsi, car la
séparation entre les deux groupes avuit l'avantage de ne pas troubler les autochtones
clans leur vie quotidienne." I~elégués dans leurs quartiers/ils continuaient de vivre
dans leurs étemelles cases, dans une totale fidélité au cadre et aux traditions fixés par
les ancêtres.
Ces quartiers n'étaient que la projection dans la ville des villages d'origine des
nouveaux citadins. Les immigrants s'établissaient dans le quartier où avaient élu
domicile les ruraux de même origine qu'eux, souvent de même sang. Nous savons
qu'un village africain n'était pas un être purement géographique. C'était une parenté."
En s'établissant dans un périmètre urbain les ruraux essayaient d'y transporter les
normes et valeurs de leur village d'orinine. Ainsi même s'ils étaient trés éloignés de leur
pays ils n'étaient pas dépaysés. ils parvenaient à ycréertant bien que mall'almospllère
/
sécurisante que conférait traditionnelE,ment la collectivité familiale. Ils réussissi.liunt
pour ainsi dire à faire émigrer leur patrie. Ils se groupaient donc par affinité villageoise
ou 6thnique. Avec les progrés de l'islam, l'appartenance religieuse servit aussi de
puissLlnt discriminant. Dans tous !IOS cas, ils développèrent un mutualisme Irés
dyn;:unique afin d'atténuer leur isolement et aussi la misère qui était leur lot quotidien.
Faute de moye'1;,lnatériels adéql~ats, les africains étaient dans l'impossibilité de
se trouver des habitations décentes dans les centres urbains. Les salaires versés aux
travailleurs étaient loin de couvrir leurs besoins essentiels d'autant qu'ils avaient à
'. ,
',' ..
928
charge les parents qui les avaient rejOints et ce, jusqu'à ce qu'ils obtinssent un emploi.
S'y ajoutaient les aides à envoyer aux parents restés au village.
On construisit les demeures avec les matériaux les plus hétéroclites. A côté des
cases aux toits coniques se dressaient les baraques fjites de vieilles caisses et
couvertes de tôles ondulées ou simplement de feuilles de zinc. L'étroitesse de l'espace
,.
t
C?nClamnait à vivre dans les mêmes concessions, lès 'familles «mélangées fraternelle-
ment avec les moutons, les chèvres» et les autres animaux domestiques."
.
Les quartiers étaient comme ces villages à l'intérieur du périmètre réservé aux
autochtones. Il existait néanmoins des quartiers éthniques dans certaines villes ou
escales. A Mexe le quartier Lebu existait à côté de celui des Bambara. A Mbllr les
quartiers Soce, Tukuleur, Sereer étaient distincts les uns des autres. Ces quartiers
éthniques étaient rares au Sénégal. En général la promiscuité était entière dans ces
lieux d'habitation avec la seule réserve que chaque concession avait tendance à
1
n'abriter que des gens de même ethnie ou de même parenté.
C'est pour cela que dans les premiers moments de l'apparition du phénomùne
urbain, les escales faisaient coexister les différentes ethnies qui vivaient sans se mêler.
Les gens venus de tous les coins du Sénégal et même des pays voisins se mssp.m-
blaient par famille, menaient la vie de leurs villages. Chaque groupe avait son coStlllnfj,
(
son idiome ses coutumes et ses rites religieux. Ni le temps, ni les évenemenls ne
sernlJlaient avoir d'action sensible sur eux.'6 On avait l'impression que la civilisation
française qui les environnait se trouvait dans un planète autre que la leur.
Mais les accommodements auxquels la vie condamne les gens poussaient ces
immigrants à adhérer de plus en plus au mode de vie des citadins. Chaque fois que
r
. leurs revenus le leur permettaient ils essayèrent d'améliorer la qualité de leur vie.
En 1917 Paul Marty notait que dans les villes et les escales de la voie ferrée et
même jusque dans certaines bourgades de brousse, des baraques de planches
recouvertes de tuiles ou de tôles ondulées faisaient désormais partie du décor des
habitations.' 7 Les indigènes suffisamment aisés pour habiter une maison en dur ou de
-./ .
9 2 9
planches ne manquaient pas de le faire. L'influence française se faisait donc senlir sur
ce chapitre de l'habitation. En 1920 ô3type d'habitation commença à se généralisOi
àKaolack. 10 Les villes, zones de contact par excellence avaient joué avec efficacité leur
rôle cie diffuseur de l'influence françélise. L'urbanisation de par son effet d'entraine-
ment était l'indice le plus sûr de l'acceptation des normes ge la civilisation française par
l
certains autochtones qui inconsci3mment ou 110~ de~enaient des agents de la
,
' ,
modernité. En d'autres termes les africains des villes s'adaptèrent tant bien que mal
"à ce nouvel environnement différent de celui auquel ils étaient jusqu'alors habitués. Ils
étaient de plus en plus en rupture a'leë la civilisation de leurs ancêtres, d'essence
communautaire. Ils créèrent en eux mêmes des forces de renouvellement. Dans celle
marche vers la modernité les africains s~ heurtèrent à l'opposition des Blancs. Ceux·
ci étaient convaincus que les fins civilisatrices proclamées par la France étaient en
contradiction avec leurs intérêts. Ils n'entendaient pas abdiquer leur prépondérance
sur les indigènes qu'ils assimilaient à des serfs taillables et cONéables à merci. Tout
~
au plus acceptaient-ils de les ménager dans la mesure où ils étaient essentiels à la
prospérité de leurs affaires.
Pendant longtemps Sénégalais et Français cohabitèrent en état de juxtaposi.
tian. Les relations inter·individuelles étaient pratiquement inexistantes. Bref les deux
sociétés se cotoyaient partout dans h~s trains, dans les 'marchés et les plages, ITlai~;
elles ne se pénétraient jamais. La ~amille africaine resta hermétique aux Français.
Chacun des groupes campant dans son domaine, demeura étranger l'un pour l'autre.
Pourtant certains indigènes citadins se rapprochèrrent des Français, pm le
vêtement, l'habitation, l'instruction. M~lis tous ces éléments ne formaient qu'une mince
pellicule "sous laquelle demeurait vivant, intangible, le fonds ancestral des croyan-
ces'9". Ils subissaient l'attrait de la civi!isation française mais continuaient de manifes·
ter une grande fidélité à celle du terroir.
Le contact des deux groupes provoqua des heurts, des frictions. Les conqué-
rants cherchaient à rafler à bas prix les produits locaux de par le droit de conquête.
L'administration était d'avis que les indigènes avaient droit à une égale protection. Il y
avait là une réelle contradiction. Chaql:6 groupe s'accrocha àsa vérité dans se SOUCiE"
·.~)
'"
. "
"
/12
9 3 ~,
e30
de ce qui constitu~ la base de la vie morale du voisin. Le heurt entre les deux groupes
Hl:
devint alors un phénomène collectif 'ïlexprimait l'opposition entre 'les régies de jaclis
et celles imposées par le conquérant.
Le groupe prépondérant était constitué par tous le$ Européens c'est à dire les
i
administrateurs, les fonctionnaires et ceux qui faisaient office de commerçant. Dans
,
.
.
l
"
les premières années de la colonisation, les administrateurs ou commandants de
:"
cercle faisaient partie des Français les moins cultivés, les moins instruits. Pour cacher
leurs insuffisances ils faisaient toujours étalage dè leur cruauté ou de leur mépris vis
à vis des noirs. Par leurs excès ils compromettaient la cause de la France au Sénégal
«par les rancunes et les mauvais sentimEmts que leur attitude éveillait dans l'âme
noire20», Ces coloniaux auraient dû être tous des des hommes d'élite sélectionnés pour
leur valeur intellectuelle et morale. Car l'action de la France n'avait de chance c1'0tm
efficiente que si elle était conduite par des hommes de grande valeur."
Les commerçants formaient le deuxième élément de ce groupe. Ils étaient eux
aussi porteurs de la civilisation que la France voulait enraciner dans le pays. On trouvail
chez eux les mêmes insuffisances Gonstatées chez les administrateurs. Eux aussi
invoquaient "le dogme de l'étemelle infériorité des races de couleur".22 Ils étaient au
Sénégal à la poursuite des richesses. Ils provènaient des classes moyennes françai-
ses. Ils formaient dans le pays une minorité privilégiée. Ceux d'entre qui en France
n'avaient jamais eu de boy pouvaient en avoir plusieurs en raison de la modicité des
salaires versés aux Africains. Ils les traitaient comme des esclaves.
Quelques éléments indésirables en France s'établirent au Sénégal pour y faire
fortune. Il n'avaient aucun scrupule quant aux moyens employés pour parvenir à leurs
fins. D'origine modeste ils étaient avides en arrivant d'avoir des gens occupant des
positions infériorisées par rapport aux leurs. Pour eux l'indigène n'était qu'un serf
taillable à volonté. Ils ne faisaient le moindre crédit moral aux indigènes toujours perçus
comme de vulgaires sujets. Aux insultes ils ajoutaient les brutalités gratuites sous
n'importe quel prétexte. 23
.'.:.
o,.
.~
.r93To.-
Leur nombre ne cessa d'augmenter .du moins jusqu'à la première;guerre
.
.~"
.
mondiale. Ils venaient avec la certitudflfl'un emploi à occuper soit dans l'administration
soit dans les sociétés de commerce. En 1913 l'administration constata que la
proportion des indésirables était trés élevée parmi les immigrants qu'il fallait assurer
leur rapatiement immédiat."
. 1
1
Avec de tels hommes l'esprit colon restait partout dominant. Il se traduisait PSI"
I~ mépris de l'indigène. Ils percevaient les mesures en faveur des autochtones comme
,
autant d'atteintes à leurs privilèges. A t0l!tes les o~casions ils faisaient montre de leul"
agressivité pour le maintien de leur pi·épondérance. Leur appétit de domination les
poussait à refouler les indigènes jusque dans leurs derniers retranchements dans
l'espoir de les maintenir dans une perpétuelle sujetion.
Pour ces gens la mission civilisE,trice de la France n'était que théorie." Elle était
bonne pour meubler les pages de quelques journaux et pour tempérer les critiques
formulées contre la colonisation. Leur avidité au gain les incitait à toujours se battre
pour que le système ne subît aucun changement favorable aux indigènes. Ce n'était
pas avec eux que l'influence françaisE, pouvait s'ancrer véritablement dans le pays.
L'opposition des colons à toute promotion dans la condition des indigônes,
était si générale que les autorités supérieures durent inviter les administrateurs à faire
preuve de bienveillance avec les originaires des quatre communes qu'ils détestaient
en wison de leur qualité de citoyen français qui les mettait à l'abri de leurs mesures
arbitraires. Ne pouvant les soumettra au régime commun et voyant en eux les porteurs
de la contestation, ils les humilièrent c~aque fois que l'occasion se présentait. Ils ne se
doutaient pas que leur attitude était «une critique irrévérencieuse et inadmissible des
actes du I~gislateur qui leur26» avait concédé ces droits politiques.
A ce groupe européen s'ajoutaient les mulâtres et les habitants des quatre
communes qui ne demandaient qu'à jouir des droits que le~r reconnaissait la loi. Les
uns et les autres affirmaient la supériorité de la civilisation dans laquelle ils souhaitaient
inscrire la somme de leurs jours à con(Jition toutefois que leur appartenance à l'islam
ne fût pas remise en cause. Ils étaient pour une transformation de la société locale dans
le cadre préconisé par la France.
932
En face de ces européens et assimilés se dressait le groupe des indigènes dont
-4 t ;;..
la présence dans les escales pouvait être interprété comme une acceptation du fait
colonial. En choisissant de vivre dam; les centres urbains qui étaient des créations des
Blancs, ils devenaient consciemment:Ju nom des instruments de sa politique d'assi-
milation. Car enveloppés de toutes parts par sa puissanbe matérielle ils subissaient
,
i
nécessairement les influences de sa culture.
Il nous faut toutefois noter la grande diversité qui caractérisait les indigènes de
ces centres urbains. Ils ,étaient différents par le statut social, par l'ethnie, par la
formation, par les aptitudes physiques, par la religion, par le métier et surtout par leur
attitude à l'égard de la civilisation française. Au bout du compte onpouvait les répartir
en deux catégories. Un premier groupe constitué par ceux qui essayaient de vivre à
l'européenne en adhérant au mode de· vie individualiste du colon et à ses manières de
penser. Ils se complaisaient dans l'imitation de la vie française. La seconde catégorie
regroupait ceux qui voulaient vivre dan.sles escales mais qu'une insuffisante formation
exclut des emplois de la fonction publique. Ils vivaient à la péréphérie de celle
civilisation. Ils allaient de chantier en chantier à la recherche d'une hypothétique
embauche. Ils formaient la plèbe flotté,nte des' escales. On y trouvait des paysans en
rupture avec leur milieu mais surtout des jeunes qui, sortis des écoles primaires, ne
voulaient plus retourner au village travailler de leurs mains. C'étaient des aigris car le
caractère inachevé de leur instruction exaltait certes leur orgueil mais ne permettait pas
de leur procurer les emploies dont ils rêvaient. Bien que marginalisés, ces déclassés
étaient proches de la civilisation française qu'ils avaient prise comme modèle dans leur
vie quotidienne. Le groupe le plus interéssant était celui constitué par les évolués. Nous
savons que la philosophie de l'éducation française au Sénégal était de fabriquer des
Français noirs dont le loyalisme permettrait de neutraliser le nationalisme local. Les
jeunes gens formés à cet effet reçumnt un enseignement centré sur les verlus clu
système colonial et de la culture française. Il leur était dit que c'était un avantage pour
l'indigène de travailler pour le Blanc, de lui obéir en toute circonstance car le Blanc était
plus civilisé et qu'il l'aiderait donc à faire de rapides progrés.
933
Le résultat fut la formation d'une petite élite qui ne reçut qu'une éducation
. ~
lacunaire qui devait la maintenir dans 'une position infériorisée. Les indigènes formés
à l'école française et nantis d'un dipiC me ou d'un emploi furent qualifiés d'évolués.
Instruits dans les méthodes et les buts du colonisateur, ils étaient ouverts à toutes les
1
influences, à toutes les innovations. On disait qu'ils avaient évolué «de leur milieu
!
~
originel vers la civilisation. Ils étaient mieux que des «adaptés», plus que des «franci-
sés». Ils étaient en marche vers le progrés qui n'est l'apanage d'aucune race, ni
d'aucune nation?'
Ces évolués étaient la catégorie la mieux indiquée sur laquelle la France pouvait
s'appuyer pour la réalisation de «ses fins civilisatrices au Sénégal». C'était une
bourgeoisie ouverte, dont la base du recrutement reposait sur le mérite intrinsèque de
l'individu. Elle ne reculait devant aucune idée neuve et partout elle conservait suffisa-
ment d'attaches avec le milieu "ancestral pour le comprendre, le réformer et le vivifier". 2"
Ces jeunes instruits étaient tout désignés pour former l'armature de la nouvelle société
indigène. Porteurs d'une bivalence culturelle, parce que acquis aux normes de la
civilisation française, ils n'avaient pas pour autant rompu les ammares qui les reliaient
à leur groupe humain d'origine. Ils allaient donc au devant du mouvement afin de
trouver chez le conquérant les ressources nécessaires à.l'adaptation aux conditions
modernes. Ils acceptèrent de se mettre à l'école du conquérant afin d'unir leur destin
à celle de sa civilisation.
Mais force est de constater que les évolués étaient surtout attirés par les
aspects extérieurs de cette civilisation, surtout ses commodités matérielles. Ils cher-
chèrent sans retenue l'aisance matérielle pour elle même, passant une bonne partie
de leur temps entre les festins et d'autres futilités. Les divertissements introduits par
le colon occupaient leurs loisirs. Dans cette existence qu'ils voulaient raffinée, aucun
apport ne venait du pays. Mais même si leurs occupations et leurs soucis étaient les
mêmes que ceux des Français, la plupart de ces évolués offraient en sacrifice
propitiatoire le sang d'un mouton ou d'une chèvre avec du lait aux génies des terroirs
qui les avaient vu naître de peur d'attirer leur vengeance. 29
..
/1R ..
934
.
Ces évolués furent considérés comme les nouvelles élites indigènes: Elles
n'étaient en réalité que des petits fori'"6ùonnaires employés à la poste, à la douane, dans
les hopitaux, au chemin de fer, ainsi que les boys.que leurs patrons administ~ateursou
commerçants payaient bien pour se les attacher. S'y ajoutaient les moniteurs et les
\\
instituteurs éparpillés aux diffétrents cercles de la colonie.
!
j. •
1
"
{
\\
, ,"
Ils étaient totalement ouverts aux influences françaises et pouvaient donc jouer
le r61e de médiateurs entre l'action française et leurs congénères. Pour cela il aurait
fallu les entourer de beaucoup de considération:éviter de les humilier mais les mettre
au moins dans de bonnes conditions matérielles de vie. Les faits en décidèrent
autrement. Dans leur aspiration vers le mieux être, ils se heurtèrent toujours à
l'opposition du capital ou de l'administration pour qui toute amélioration de la vie des
indigènes était perçue comme une lézarde dans le dispositif d'exploitation.
Aussi y eut-il des rancoeurs et des frictions. Car plus on essayait de les éloigner
de la cité française, plus les évolués déployaient des trésors d'energie pour s'en
approcher. Ils ne se contentèrent plus d'occuper quelques places dans les affaires
publiques. Ils revendiquèrent l'assimilation qui seule pourrait leur conférer les garan-
ties nécessaires contre l'autoritarisme des administrateurs. JO Les revendications
étaient conduites par les indigènes des cercles qui avaient su profiter de l'instruction
dispensée dans les écoles. Leur objectif était d'acquérir le régime octroyé 311X
originaires des quatre communes de plein exercice."
Dès lors les frictions étaient inévitables. Les évolués cessèrent de se comporler
avec les Français en hommes dociles, obéissants. Européanisés par l'accoutrement,
ils s'entrainèrent à contester, à dénoncer la situation intolérable qu'on leur imposait.
Ils étaie~i devenus trés critiques vis à vis de l'administration. Cette contestation fournit
des arguments solides à tous ceux qui étaient hostiles à la promotion des Africains. Ils
se mirent à attribuer à ces détribalisés toutes sortes de vices. On en fit les ardents
porteurs d'un patriotisme anti-français pour préconiser l'emploi immédiat de mesures
répressives. On essaya de les isoler en proclamant qu'ils ne parlaient que pour eux
mêmes, que l'immense majorité des indigènes ne réclamait aucune mesure sociale
-,~~"t~.-
~
9 3 j
encore moins le droit électoral. On demanda à l'autorité de ne pas confondre «cette .
minorité d'agités, ambitieux ou aigris;. semi intellectuels, semi primaires se faisant
illusion sur la mentalité de leur compatriotes. Ceux-ci n'avaient pas la notion du
contrôle et la discution de l'autorité"",. Le bon indigène était celui qui subissait sans
l
rechigner le régime colonial dans toub3 son horreur.
.
~ .
,
Pourtant les adversaires de œs évolués auraient dû se rendre compte qu'en
revendiquant l'assimilation, ils facilitaient le triomphe de la cause française. Ils se
mettaient en effet dans l'obligation d(~ se soumettre aux régies et aux usages du
conquérant."" Pour se rapprocher du modèle, il devait gommer en lui tout ce qui était
de nature à maintenir sa spécificité. En tout il imitait l'Européen afin de parvenir à se
mouvoir avec aisance dans ce milieu si d'ifférent du sien. Il devenait. alors un bon
fonctionnaire dont le destin se confondrait avec celui des Européens.
En définitive les évolués furent maintenus dans la sujétion. Ils continuèrent de
se plaindre d'être toujours humiliés. Aucune catégorie n'échappait aux mesures
vexatoires. Ainsi les instituteurs, le~, E,ecrétaires, les interprètes comme les autres
,
auxiliaires de "administration' et du commerce avaient conscience de n'être que de
vulgaires instruments au service du colon. Ils souhaitaient, compte tenu des services
qu'ils rendaient, être traités en collaborateurs. ~ Affublés du titre pompeux d'élites, ces
évolués mal payés, souvent misérables se trouvaient écartelés entre les deux civilisa-
tions dont l'une les rejetait et dont l'?u~re ne présentait plus d'attrait pour eux.
Le gouverneur général Van Vol:":mhoven essaya de remédier à cette situation
mais illui manqua le bénéfice du temps pour la réaliser. Il envisagea de faire à ces élites
une situation matérielle trés avantageuse en augmentant leurs salaires de 30% à 50%
.11 se refusa à les traiter comme les indi,gènes c'est à dire comme des gens devant se
contenter d'une vie de médiocrité. pCiur lui ces auxiliaires ne vivant plus sous des
paillottes, ne s'habillant plus à la manière traditionnelle, ne mangeant que rarement du
mil devaient recevoir toute l'aide nécn~;saire pour continuer, sans accroc, leur ascen-
sion vers le mieux être,35 Mais le sort e,l décida autrement. Les évolués furent encore
l'objet de nombreuses humiliations au}:quelles ils répondirent en demandant l'assimi-
lation qu'ils considérèrent commo le seul vrai antidote à leurs malheurs.
· ,. '1
''19
936
Dans le dispositif colonial umFseule passerelle permettait aux évolués, sujets,
d'accéder à la cité française: C'était !,a,;naturalisation."" Dans .leur immense majoritô ils
s'abstinrent de l'utiliser car la natur,ùsation impliquait la rupture totale avec le milieu
d'origine. Le naturalisé renonçait à son statut personnel et même à la loi coranique s'il
était musulman. Ils devenaient des apostats puisque le 'coran est un tout qu'il faut
,
-
1
,
accepter ou rejeter?' Le nouveau citoyen français était méprisé par ses frères de race
1
, \\
' ,.
et comme les originaires des quatre communes il n'était pas totalement admis dans
-,
la société française. Il était dans une "ituation douloureuse. Il pouvait autant qu'i/le
désirait singer par les vêtements, les amusements la façon de parler et de vivre des
Européens, il n'était à leurs yeux qu'un vulgaire déraciné, voire un barbare.
Tout se passa comme si ces évàlués avaient acquis la conviction qu'on ne
change pas plus de nationalité que d'espèce. Rares furent ceux qui acceptèrent cie
s'affubler du titre de citoyen français."" Si l'administration était plus tolérante elle aumit
cherché à donner, à tous ceux qui souhaitaient inscrire le restant de leur vie dans ln
civilisation française, tout en restant des musulmans orthodoxes, le droit de participer
activement à la vie publique de leur Pé'YS. Ce droit serait la conséquence logique de
l'amélioration de leur condition soci,l1e et morale. Ils pourraient J'utiliser dans le sens
d'un rapprochement avec le conquérant. Les résistances du colon furent plus fortes
que les désirs des hommes de bonne volonté.
On aurait aimé préciser le niveau de culture des évolués, en déterminer
l'épaisseur. Mais sur ce point ladocum:mtation est restée indigente. Nous savons que
leur occidentalisation était inégale en raison même des grandes disparités dans la
distribution de l'instruction. Un indigène des quatre communes avait une formation
moins approximative que celle de ces congénères du protectorat. Du fait même de leur
,
-
_assujetissement au code de l'indigéna;:, les évolués issus de ce territoire étaient dans
l'impossibilité d'exprimer en toute franchise leur sentiment, alors que les originaires le
faisaient sans accroc dans la presse cie l'époque.3• Ce qui était frappant dans cette
littémture c'est que les auteurs ne remettaient jamais en cause le bien fondé de la
,
colonisation. Ils ne revendiquaient aucune appartenance à la patrie Sénégalaise. Ils ne
cherchaient qu'à se dissoudre dans l'identité métropolitaine. Malgré ces gages de
.
. ,- .
fP
937
loyalisme ils continuèrent de vivre à distance de ceux qu'ils ne pouvaient rejoindre
:"f;--••'1
«dans la similitude...
En dépit des barrages dressés contre la promotion des indigènes parceux pour
qui l'amélioration de la situation matérielle des autochto1es était une grave atteinte à
,
leurs privilèges, la civilisation française n'en continuait pas moins d'investir la société
"
1
,
•
de tous les côtés. Son action profond3 se faisait sentir le long des axes ferroviaires et
~',
dans tous les centres et escales où la densité humaine avait une certaine épaisseur.
Elle y poursuivait, selon une intensité variable, le travail d'érosion contre les structures
..
sociales traditionnelles. Nous n'insisterons pas ici sur le phénomène bien connu du
processus de détribalisation des autochto.nes. Bornons nous à dire que l'imposition
de l'économie monétaire a eu pour corollaire l'émergence d'un individualisme qui était
un mode de vie différent de celui auquel les populations étaient habitués. Les indigènes
furent poussée aux cultures qui les, enrichissaient,ou leur permettaient de paY8[
l'impôt. Dés lors l'exploitation privév progressa aux dépens de l'exploitation collective
ou familiale indivisé. 40 La monétarisation pénétra partout. Certains ruraux, en quête de
numéraire, cherchèrent des emplois rénumérés dans les centres urbains. Le salariat
attira de plus en plus des jeunes gens valides. Leur départ entraina dans les villages
l'ébranlement, voire la dislocation des familles.
Loin des villages ces jeunes gerls n'accordaient plus aux coutumes ancestrales
qu'une attention mitigée. Le désir du !Jain les incita à travailler davantage pour leur
compte personnel que pour la famille restée au village. L'acquisition de ce pécule les
mettait à même de se passer de l'assist3nce et de la protection de leur famille d'origine.
Par leur comportement ils donnèrent plus d'intensité au processus de désagrégation
du cadre !i0cial traditionnel." Le triomphe de l'individualisme fut toutefois atténué pal
l'apparition d'associations qui, tant bien que mal maintenaient encore quelques lien~;
de solidarité entre les membres de cette population éclatée.
Dans les villes les jeunes étaient certes impatients à se dégager de la tutelle des
anciens, mais les difficultés de la vie, l'instabilité des situations les invitèrent à ne pas
tourner définitivement le dos à l'idée de ,;olidarité qui aida à atténuer certaines misères.
Parmi les cJéracinés, nombreux furent ceux qui étaient en marge de la civilisation
qui exerçait sur eux un attrait irrésistiolÔ. Les pauvres non adaptés à la vie urbaine
s'entassaient dans les taudis pêle mêle avec les paysans fugitifs de leui' brousse [lia
recllel'che (Je travail. '2 Ils alimentèrent la délinquencepar leur vie de maraude.
Ainsi donc le phénomène urbain avait provoqué de profondes ruptures dans 10
cadre traditionnel de la société locale. Malgré le contrôle que l'administration exerçait
sur les populations pour maintenir une certaine harmonie dans les villes, force est de
reconnaitre que le rééquilibrage fut un échec. Les cités ne lurent pas en mesure cie
réintégrer socialement toutes les personnes qu'elles avaient arrachées des cornpa-
gnes en leur donnant l'illusion de bons s.~laires ou d'une relative sécurité. Aussi à côté
des employés de l'administration ou du commerce, et ceux travaillant dans le sectellr
informel et qui connaissaient une relative aisance, se dressait le groupe des individus
désaxés, hésitants, instables en rupturE: avec les normes de leurs sociétés d'oriaine
et qui n'arrivèrent pas à trouver une place enviable dans la socièté nouvelle. Ils
formaient des débris humains affublés de misérables loques et qui symbolisaienlll,s
limites de l'action civilisatrice de la France au Sénégal." La vie urbaine apparia cio
profondes transformations dans l'organisation de la famille. Dans la composition de la
populLJtion urbaine, la disproportion était grande entre les jeunes gens et les vieux
d'une pari entre les filles et les garçons d'autre part. La supériorité numérique de ceux-
ci par rapport à celles-ILl Llpporta des changements dans la conception du rnariage.
Jusqu'alors les coutumes const'tuaient l'armature de la famille. Les parents
prenaientla responsabilité de marier les jeunes gens en âge de fonder de nouveaux
foyers. La dot que versaient les parents de l'époux n'était constituée que d'animaux
domestiques ou de captives dans les mariages princiers. Cette dot assurait la stabilité
du mariage car en cas de rupture, le fautif en perdait le bénéfice. Mais l'imposition du
pouvoir colonial changea tout le régim'I. Avec la rnonétarisation de l'économie les
-
jeunes filles prirent une valeur de plus en plus grande dans les zones urbaines ou le
triomphe de la monnaie était total. La dl)t ètait stipulée en francs. Le mariage prit de plus
en plus le caractère d'un prix d'achat. Le:; unions ne tenaient compte que raremenl clu
IR
939
statut social des prétendants. Les filles étaient données aux plus offrants. Cette
spéculation sur les filles Ôta aux mariages une partie de leur caractère sacré.«
Le souci du gain facile poussa certaines filles, surtout d'origine sociale mo-
deste, à vendre leurs charmes. Le relachement des contraintes fut accentué par
l'instabilité des ménages consécutive à la cupidité de certains parents qui encoura-
geaient les divorces de filles dans l'espoir de spéculer à nouveau sur leur remariage.
On peut aussi constater que le taux élevé de la dot qui dépassait les possibilités
financières de beaucoup de jeunes gens les condamna au célibat. Il en résultaque seul
les riches pouvaient acquérir des femmes. Le dévergondage fut la conséquence
logique de cet état de choses.
Les villes étaient donc les endroits où les ruptures provoquées par le conqué-
rant étaient les plus patentes. Les changements furent rapides dans le mode de vie et
la culture des indigènes. Contrairement à ceux resté dans les zones rurales ils n'avaient
pas les moyens de se prémunir contre la toute puissance de la ville qui leur imposait
ses régies. Ils étaient de plus en plus perméables aux influences françaises. Les
lézardes constatées dans le cadre social n'étaient en fait que l'expression de la victoire
du conquérant. Une menace réelle pesait sur les populations attirées par une
civilisation dont ils ne comprenaient ni les mécanismes, ni les principes. Elles adhé-
raient à des moeurs qui leur étaient totalement étrangères et qui faisaient d'eux des
instruments passifs du colonisateur. Elles ne se souciaient guère de réfléchir sur ce
qu'il convenait de conserver et de développer dans leur traditions. Bref ils laissèrent
toute latitude au conquérant pour remodeler ce microcosme selon ses principes.
C'est pour cela que les centres urbains devinrent des foyers dynamiques de
diffusion de la culture française. Les citadins n'avaient pas contre l'école, les préven-
tions constatées chez les notables de la campagne. Exception faite de l'éducation des
filles à propos de laquelle ils manifestaient encore une certaine réticence, ils avaient
accepté de se plier au rythme scolaire auquel les avait pliés le conquérant. La ville
favorisait ainsi la diffusion de la langue du vainqueur qui était l'indice le plus sûr de son .
triomphe. Il est vrai que la pureté de la langue française ne fut pas gC:i::Jr.tiE:. Mais le désir
des indigènes d.'obtenir l'assimilation les poussa à faire usage de cette langue clans le
respect plus ou moins strict de ses ré:;;ies grammaticales. "Le français tirailleur" ne fut
parlé que sous les drapeaux et par les anciens combattants. Il n'y eut pas de
créolisation du français chez ceux qui avaient fréquenté l'école. Il est vrai que celle
!
langue s'enricllit de termes nouveaux traduisant de nouvelles réalités. Nous ne disons
pas que la victoire fut complète dans les villes. Les parlers locaux continuaient d'y être
utilisés par ceux qui n'avaient pas été à l'école. Mais pour les évolués qui voulaient sn
rapprocher des vainqueurs, c'était leur idiome dp, communication par excellence. il~;
ne se soucièrent nullement de l'importance de la langue dans la défense de l'idnntil,',
d'un peuple. En ne manifestant aucun attachement à leur parler maternel, ils n~non·
çaient à la lutte. Pour eux le problème du vainqueur ne se posait plus.
Les villes symbolisaient en définitive le triomphe du colonisateur toujours ancré
dans la certitude qu'il détenait le monopole de la vraie civilisation. Elles jouèrent un rôle
de creuset en travaillant à l'ilomogéneisation entre les ethnies par les intermaria~,es,
la religion, les syndicats. Avec elles commença à naître une nouvelle société structurée
en fonction des valeurs économique~;, et prenant modèle sur les Français.
Cette victoire risquait de n'être qu'illusion si les élites nouvelles indigènes
formées à l'école française continuaient d'être exclues de la vie publique. Il fallait en
faire des collaborateurs et des a~;sC)Ciés du moment qu'ils étaient attirés par la
civilisation française. Ils seraient alors les plus sûrs agents de diffusion de l'influence
française dans le pays. L'autorité supérieure avait la conviction que l'action française
ne serait véritablement efficace que si les indigènes, sur lesquels elle s'exerçait, en
comprenaient la finalité. Puisque certains d'entre eux ne demandaient qu'à être
associés à cette oeuvre de colonisation, il fallait procéder à des réformes administra·
tives afin de leur octroyer des droits nouveaux couplés avec le relèvement du leur
condition intellectuelle et matérielle. Il s'agissait de leur olfrir la possibilité de S'initier il
la vie politique dans l'esprit défini péll'Ie colonisateur. C'est dans cet esprit que virent
le jour les communes mixtes.
9 4 1
LES COMMUNES MIXTES
On s'était rendu compte que le régime d'exclusion qui frappait les indigènes
portait en lui même des germes de fragilité. le silence obtenu par "oppression pouvait
à tout moment déboucher sur des affrontements sanglants. Seule une politique
coloniale, supprimant les barrières arbitraires pouvait, en ouvrant l'avenir à leurs
légitimes ambitions, faciliter la collaboration entre les dominés et les conquérants.
Dans cette perspective fut pris le décret du 13 Décembre 1891 qui au10risa le
gouverneur à créer dans les territoires d'administration directe des communes mixtes
et des communes indigènes45 dans les pays de protectorat."
Les communes mixtes répondaient donc à la nécessité de pourvoir, d'une
organisation particulière, les centres urbains dont «le développement était suffisant
pour justifier cette mesure, mais insuffisant pour motiver la création d'une commune
de plein exercice"... Certaines agglomérations avaient connu une rapide croissance
en raison de l'attrait que leurs établissements industriels et commerçaux exerçaient sur
les indigènes qui yvenaient chercher du travail. les excès que l'autorité dénonçait lors
des affrontements électoraux dans les quatre communes" nefurent pas étrangers aux
restrictions apportées à cette mesure qui aurait bien pu être plus libérale. On s'abstint
de donner à ces communes toutes les latitudes et toutes les responsabilités qu'impli-
quait la pleinitude de l'organisation communale.
Les commissions municipales avaient les mêmes attributions que les conseils
municipaux. Elles étaient responsables de la gestion des biens communaux grâce aux
ressources que leur procuraient les patentes et les licences commerciales. Elles de-
vaient être à même d'assurer le service de la voie rie, l'alimentation en eau des
populations, ainsi que la sécurité des biens et des personnes en raison du dévelop-
pement même de ladélinquence. 49 Les communes mixtes étaient administrées par des
commissions municipales composées de l'administrateur maire, et de cinq à neuf
habitants notables ayant voix délibérative et nommés par le gouverneur pour trois ans.
le maire était d'une nature spéciale, car c'était un fonctionnaire revêtu de fonctions
municipales. Il représentait la commune en justice, avait l'administration du budget.50
~
942
Le mode de désignation des membres de la commission municipale Ota à la
réforme tout son contenu libéral. Les administrateurs écartaient des listes proposées
au lieutenant-gouverneur ceux qu'ils considéraient comme de fortes têtes. Toute
critique de leur action était perçue comme une remise en cause du système colonial.
C'est pour cela qu'ils jugèrent dangereux de laisser les habitants des communes
choisir librement leurs représentants. Les Européens et les assimilés n'étaient pas le
nombre, la commission risquait de n'être constituée que d'hommes au loyalisme
douteux. On trouva donc prématuré d'accorder aux indigènes certains droits que
possédaient les Européens et les originaires. Pourtant ils avaient la capacité de
participer dans une plus grande mesure à l'administration de leur propre cité. Il fallut
attendre le décretdu 4 Décembre 1920 relatif aux assemblées locales pourvoir s'établir
trois degrés de commissions municipales suivant que les membres étaient nommés
parle lieutenant-gouverneur, élus au suffrage restreint etau dernierstate de l'évolution
municipale au suffrage universeL51
Dès 1904 les centres de Kees, de Luga, de Tiwawan furent érigés en communes
mixtes en raison de l'accroissement de leur prospérité. 52 En 1911 ce fut le tour de
Mexe, escale fort importante de la ligne Dakar-Saint-Louis. Pour encourager son
mouvement progressif on lui octroya un régime municipal pour lui permettre de mieux
gérer son essor.53
En 19171es centres de Kaolack, de Fur'ijur'i etde Fatick furent à leur tour érigés
en communes mixtes." Ils connaissaient alors un grand développement grâce à
l'ouverture du second bassin arachidier. En 1918 Jurbel bénéficia à son tour de ce
régime. 55 De par leur composition, les commissions municipales étaient incapables
d'initier les indigènes à la vie politique de leur pays. Les administrateurs y détenaient
la prépondérance car cette réforme ne leur avait enlevé aucun de leurs anciennes
prérogatives. Ils étaient toujours officiers de police judiciaires, conservaient leurs
pouvoirs disciplinaires, demeuraient juges au tribunal de cercle. A y regarder de prés,
ce système atténuaitle caractère militaire de l'administration mise en place au lende-
main de la conquête, mais il ne le supprimait pas.
~~ ~--~-----------------------
Parmi les cinq membres de la commission de Luga les trois étaient des
Européens les deux autres Samba Xari Cisse et Majoor Cooro étaient des chefs de
canton.56 Ils avaient certes fréquenté l'école française, mais les instituteurs indigènes
en service dans la ville, étaient mieux indiqués que quiconque pour siéger à cette
assemblée. La commission de Jurbel était composée de quatre membres citoyens et
de trois notables sujets parlant français.57 Malheureusement les documents sont
muets sur leur identité.
Dans les villes où les traitants originaires étaient relativement nombreux,
l'autorité supérieure éprouvait souvent des difficultés à établir la composition des
commissions municipales. Comme le conseil général, les ressortissants des quatres
communes étaient hostiles à ces organes qui étaient autant d'atteintes à leur mono-
pole de la vie politique locale. Ils pensaient que dans ces commissions municipales eux
seuls devaient siéger comme indigènes.56 Cette prétention étaittout à fait fondée dans
la mesure où les sujets français désignés pour les commissions ne savaient ni lire ni
écrire le Français. Ils étaient dans l'incapacité de prendre une part réelle à la gestion
communale. Ils assistaient al!JX séances sans pouvoir comprendre les débats qui se
déroulaient en français. Pour rendre plus effective la participation des membres
indigènes à la gestion des intérêts des communes il aurait fallu choisir comme asses-
seurs des indigènes sachant lire et parler français. C'est à cette condition seule qu'ils
pourraient devenir les éducateurs politiques de leur peuple.59
Pour certains administrateurs comme celui de Luga tout se passait comme si
les commissions munipales n'existaient pas. Ils continuaient à imposer aux popula-
tions le régime de l'arbitraire propre aux lendemains de conquête. Les taxes munici-
pales étaient perçues de façon brutale. 60 Certains marchands contraints de payer des
taxes qu'ils ne devaient pas. Par ces abus ils montraient aux populations que le statu-
quo était maintenu et qu'ils conservaient la plenitude de leurs anciennes prérogatives.
Dans la pratique,la portée des communes mixtes a été grandement réduite. Les
élites formées à l'école française avaient montré leur disponibilité à coopérer aux
- diverses manifestations de l'action colonisatrice française_ Elles auraient pu délibérer
NI
944
"sur les principaux problèmes à la solution desquels se trouvaient liés le développe-
ment et la prospérité de toutes les circonscriptions·'". Elles auraient pu être de bons
conseillers pour les administrateurs comme pour les autres fonctionnaires. Mais les
barrières dréssées sur la route du progrés des indigènes empêchèrent de faire des
communes mixtes des organismes représentifs dans lesquels les populations au-
raient, par leurs délégués, fait entendre leurs voix afin de participer à la gestion du
patrimoine commun. Ce fut donc l'échec dans cette tentative d'accorder aux indigènes
non citoyens français, un certain nombre de droits politiques dans leur propre cité. Cet
échec était d'autant plus prévisible que l'autorité voulait toujours couler tous les
indigènes dans le même moule en les adaptant de force aux conditions de la cité
française au lieu "de se décider à comprendre que leur évolution devait se poursuivre
dans le plan de leur civilisation, de leur tradition, de leur milieu, de leur vie sociale, de
leurs institutions séculaires"'". La sagesse commandait de donner à la représentation
indigène une réelle consistance afin qu'elle fût l'émanation directe de la population.
Mais on continua de rêver d'une civilisation unique qui serait la patrie culturelle de tous
les hommes.
Le réseau des villes servit donc de support à l'influence française. Il créa une
bipartition nette entre les nouveaux citadins et les ruraux qui s'accrochaient avec
tenacité aux traditions léguées par les ancêtres. Les villes étaient l'expression de la
prépondérance française dans le pays. Elles symbolisaient aussi toutes "les ruptures"
subies par le cadre traditionnel à la suite de l'ébranlement des bases naturelles de
l'économie et celles du système social.63 Les habitants des villes étaient aux prises
avec les besoins inconnus de leurs ancêtres. Leur adhésion sans réserve à l'économie
monétaire les poussait sans cesse à chercher à faire prospérer leurs intérêts matériels.
Ces déracinés "désaffectés de leur foi et de leur loi"'" devinrent des agents actifs de
la destruction de leur société. Ils violaient parfois les interdits qui protégeaient la famille,
les hommes et leurs biens. Ils étaient de plus en plus attirés par l'individualisme qui les
éloignait de leur famille. Ils avaient de nouveaux goûts et 'l'éducation française
changeait leur manière de penser.·5 Bref les villes étaient des endroits où se forgeait
la nouvelle société fondé" S'~~ les'1aleurs économiques. Une à une les barrières qui
tenaient isolés les peuples tombaient.
En définitive de par la présence des villes le pays fut sous l'empire de deux
civilisations qui se disputèrent les consciences. Les citadins furent du côté de celle du
vainqueur. Ils étaient prêts à entrer dans la cité française pour s'associer à son oeuvre
de civilisation comme collaborateurs loyaux et fidèles. Les autres constitués par les
ruraux demeuraient retenus par les traditions dont rien n'avait altéré la vigueur. Ils
refusèrent de se laisser absorber par le système colonial. Ils adoptèrent des compor-
tements pour limiter la portée des atteintes que l'on faisait subir àleur cadre social. Mais
pendant combien de temps pouvaient-ils encore sauvegarder la pureté de leurs us et
coutumes dans ce pays en pleine mutation?
1- Terrier A. : ln quinzaine colonial. N° du 10 Juin 1911
2- AN.S. 2 G 18-17 Van-Vollenhoven : Rapport sur la situation politique, Décembre
1917.
3-ldem.
4- J.O.S. et dépendances: Recensement de 1904, 1e'Octobre 1904, (page 527).
5- Idem, ibidem.
6- Ndour B.: Thies, (page 145).
7- AN.S. 2 G 15 : Délégation de Dakar, rapport d'ensemble 1915.
8- AN.S. 2 D 1-4 : Administreateur de la banlieu de Saint-Louis au Gouverneur, 26
Mai 1915.
9- AN.S. 2 D 14-4 Ally à Sanor Ngay, chef de canton de Gewul, 27 Février 1904.
10- Ngumbo Ngewul avait son Gallo.
11- A. N.S. 2 D 1-4 Administrateur Henri au Gouverneur des colonies, 26 Mai 1915.
12- Labouret: La politique indigène, ln B.CAF. (page 331),
13- Delaporte M. : LA VIE COLONIALE, (Page 4).
14- Detton : Op. cit., (page 54).
15- Delaporte M.: LA VIE COLONIALE, (page 41).
16- Beurnier : (page 67).
17- AN.S. 13 G-67 : Manuscrit de Marty sur l'islam au Sénégal, (page 44).
18- A.N.S. 2 G 2-5 : Sénégal pays de protectorat. Rapport politique 1920.
19- Beurnier : Op. cit., (pages 277-278).
20- Meynier: L'AFRIQUE NOIRE EN 1914.
21- Idem, ibidem.
22- Sarraut: Op. cit., (page 208).
23- AN.S. 2 G 2-40: Administrateur Vienne. Rapport mensuel Tiwawan Mars 1902.
24- 2 G 13-46 : Délégation de Dakar: Rapport mensuel Tiwawan Mars 1902.
25- Sarraut: Op. cif., (page 210).
26- J.O S. 2 Mars 1916 : Circulaire au sujet des relations administratives avec les
originaires des 4 communes.
27- Idem, ibidem.
28- Moreau: Op. cit., (page 112).
29- Beurnier : Op. cil., (page 279).
30- Moreau: Op. cil.. (page 54).
31- A.N.S. 1 G 359-: Lieutenant-gouverneur Gor au Gouverneur général, 7 Mai
1914.
32- Un Africain.
33- Saussure: Op. cil., (page 264).
34- A.N.S. 2 G 18-17 : Gouverneur général Van-voillenhoven, rapport d'ensemble
sur la situation politique, 20 Décembre 1917.
35- Idem, ibidem.
36- J.O.S. du 22 Juin 1912 sur la naturalisation.
37- Moreau: LES INDIGENES DE L'AO.F. 1938, (page 205).
38- Le dépuoillement du J.O.S. ne donne que deux ou trois cas par an.
39- Voir Amadou Duguay Clédor dans LA BATAILLE DE GUILE et LES GANDIOL
GANDIOL AU SERVICE DE LA FRANCE in B.C.E.H.S. A.O.F., 1913.
40- Delavignette R. : LES VRAIS CHEFS DE L'EMPIRE. Paris, 1939 (page 143).
41- Beurnier : Op. cil., (pages 237-238).
42- AN.S. 2G 18-1 : Lieutenant-gouverneur, rapport politique 1e'trimestre 1918.
43- Beurnier: Op. cil., (page 238).
44- Enquête sur la famille, 1904
45- Les communes indigènes ne virent le jour qu'aprés 1920 sous la forme de con-
seil de notables.
46- J.O.S. du 22 Janvier 1921, (page 90) : Décret du 4 Décembre 1920.
47- J.O.S. 22 Janvier 1921, (page 90).
48- Les colons disaient que les deux maux dont souffrait la colonie du Sénégal
étaient la fièvre jaune et le vote noir.
49- AN.S. 3 G 1-4 1918, communes mixtes.
50- Dareste : TRAITE DE DROIT COLONIAL. Tome l, (page 166-167), 1931.
51- J.O.S. 22 Janvier 1921. Décret portant réorganisation des communes mixtes et
des communes indigènes en AO.F., (Page 90).
52- J.O.S. AO.F.: Arrêté portant création de communes mixtes Gorée, 31 Décem-
bre 1904.
53- AN.S. 3 G 1-4 : Communes mixtes de Mexe en 1911.
54- AN.S. 3 G 1-4: Communes mixtes 1917.
55-Idem, ibidem: communes mixtes 1918.
56- A.N.S. 2 D 9-14 : Procès verbal de délibération de la commune mixtes de Luga,
7 Février 1905.
57- Dareste : Op. cil., Tome l, (page 396).
58- AN.S. 2 D 14-13: Tiwawan, le 28 Mai 1919, rapport de passation de service.
59- AN.S. 2 D 14-5 : Gouverneur général PI à Lieutenant-gouverneur. Dakar, 25
Janvier 1908.
60- A.N.S. 2 D 9-14 Maurel au Lietenant-gouverneur: Luga, 23 Avril 1906.
61- Bulletin du comité de l'Afrique française Novembre, Décembre 1919, (page
342).
62- Sarraut: LA MISE EN VALEUR DES COLONIES FRANCAISES. 1923, (page
104).
63- Saraut : Op. cil., (page 179).
64- Maunier : Op. cil., (page 127).
65- A.N.S. J-19 Noirot 1·' Décembre 1909.
CONCLUSION
947
A la veille de la conquête française, les Etats Wolof et Sereer conservaient
encore une grande vitalité malgré la gravité de la crise qui les frappait jusque dans leurs
fondements et dont les effets se faisaient sentir dans tous les compartiments de leur
existence. Mais au moment où ils cherchaient à recréer un nouvel équilibre interne
grâce à l'arachide, ils furent interrompus dans l'accomplissement de cette oeuvre
salutaire par les colonnes de Faidherbe. Sans chercher à savoir ce que pouvait coûter
à leurs peuples la résistance à l'envahisseur, les souverains prirent la résolution de
défendre, les armes à la main, "honneur de leur nation, le sol sacré de leur patrie.
Incarnation de l'unité spirituelle et politique de leur peuple, ils donnèrent souvent
l'exemple à leurs sujets en versant leur sang pour le triomphe de la cause qu'ils
défendaient.
Le triomphe du conquérant fut suivi de profondes transformations dans le pays.
Au nom de sa «mission civilisatrice» le colonisateur, se considérant comme le
détenteur de la Civivilisation Universelle, prit un ensemble de mesures oppressives
pour contraindre les autochtones à orienter leur activité vers la production des
matières premières exigées par l'industrie métropolitaine. Les vaincus ne disposaient
d'aucune parade efficace pour se soustraire aux mailles de la domination du vain-
queur. Tous furent tenus de s'investir dans les cultures d'exportation. Ce passage
brutal de l'économie d'autosubsistance aux cultures de rente fut facilitée par la mise
en place d'infrastructures routières ferroviaires et portuaires. Malgré leur caractère
discontinu, elles firent en quelques années de l'arachide la culture reine du Sénégal.
Il est vrai que le colonisateur ne se soucia nullement d'un développement harmonieux
du pays. A côté de secteurs totalement soumis à la dictature chl'économie monétaire,
subsistaient encore d'immense zones enclavées dont les éléments jeunes furent dans
"obligation d'aller chercher le numéraire dans le bassin arachidier en vue du paiement
de l'impôt. Ces territoires restèrent longtemps presque à l'abri de l'action profonde de
la France. C'était par leurs migra".~s~e !'idluence française leur parvenait, et donc de
façon fert atténuée.
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948
La perte de l'indépendance fut suivie partout de l'abolition du système politique
traditionnel qui reposait sur un certain équilibre entre les différentes composantes de
la société. Les prérogatives du roi étaient contrebalancées par celles des représen.
tants du peuple. Chaque communauté villageoise était une sorte de république dans
la monarchie où régnait le souci exclusif du bien public. C'est une démocratie qui
conciliait les droits de l'individu et ceux des collectivités familiales. Au lendemain de la
conquête le colonisateur ne chercha nullement à améliorer cet héritage ancestral. Il
préféra créer autre chose en mettant en place un système administratif conforme aux
intérêts du capital. Mais au bout du compte l'outillage mental des populations s'enrichit
de nouveaux concepts. Les sereerdu Siin, du Saloum, comme les habitants du Kayoor
et du Bawol cessèrent de s'accrocher aux horizons étroits de leur ethnies ou de leurs
anciens royaumes pour raisonner progressivement en Sénégalais. Ils s'habituerent à
l'idée d'une communauté plus étendue. La révolution opérée dans les transports avait,
en facilitant les intermariages, atténué les spécificités, les particularismes issus d'un
isolement multiséculaire. Les communes conditions de vie imposées par le colonisa·
teur les poussèrent à tisser entre eux de nouveaux liens de solidarités en vue de la lutte
pour la reconquête de la dignité perdue.
Ce processus de remise en cause de l'ordre établi fut accéléré par la guerre.
Partout les crises de désorientation incitaient les populations à entrer dans les voies
de la dissidence. On se rendit alors compte que le loyalisme des populations n'était
que de surface. On essaya de d'orienter cette vitalité des populations du protectorat
contre les originaires des quatre communes.
Si les populations du protectorat ont réagi de cette façon c'est que leur cadre
de vie avait été trés violemmnet touché par les mesures du conquérant. Les régies de
fonctionnement de la chefferie traditionelle ont été régulièrement violées. Ceux qu'on
plaçait en position d'autorité sur les autochtones comméttaient toutes sortes d'exac·
tions sur leurs administrés alors que leur mission première aurait dû être d'assurer la
défense de leurs intérêts auprés de l'autorité supérieure.
La diffusion de l'enseignement provoqua aussi des changements sociaux
profonds. Une élite du savoir souvent issue des classes populaires fit son apparition
et entraina une véritable inversion des rôles. Ils furent les porteurs privilégiés de tout
ce qu'il y avait de viril dans la civilisation apportée par le conquérant et jouèrent un rôle
important dans la diffusion de ses idées et de ses habitudes. Sous l'effet de la
colonisation, une société nouvelle fut en gestation. L'urbanisation entraina çà et là
l'emergence de la famille restreinte en opposition avec la famille étendue. Elle avait
tendance à se débarasser des collatéraux pour se réduire aux couples et à leurs
enfants. Cette destructuration de la famille traditionnelle introduisit des germes de
fragilité dans le tissu social. La famille cessait en effet d'être le milieu où se transmet-
taient les vertus enseignées par les ancêtres. Les collectivités familiales n'avaient plus
la capacité d'exercer un contrôle sur les innovations qui modifiaient de manière rapide
le rythme de leur vie. Elles étaient privées de l'autonomie qui leur aurait permis de faire
les réajustements rendus nécessaires par les ruptures intervenues dans le cadre
social.
Ces cassures étaient plus nettes dans les zones urbaines ou l'action éducative
de la France ne touchait qu'une infime partie de la population féminine laissant le reste
dans une totale ignorance. Pourtant les transformations qu'elle voulait produire dans
le pays n'avaient de chance de s'y enraciner qu'en prenant appui sur les femmes. Car
seule la femme-mère, convenablement instruite pouvait facilement faire adopter à ses
enfants les valeurs auxquelles elle adhérait. L'adage dit qu'éduquer un garçon c'est
éduquer un individu mais donner l'éducation à une fille c'est la donner à une famille
entière. Le refus de la plupart des musulmans d'envoyer leurs filles à l'école française
limita la portée de l'action françabe en direction de la famille. Cette éducation
déboucha sur l'édification d'une société baroque où les éléments, appelés à vivre dans
une totale complémentarité, cohabitaient pour ainsi dire dans deux univers mentaux
disjoints.
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9 5 0
La suppression de l'institution servile provoqua également de profondes
lézardes dans le cadre social. Elle se fit sans aucune indemnisation en faveur des
maîtres qui ne virent là que la manifestation d'un acte arbitraire appuyé sur la force.
Comment pouvaient-ils donner leur adhésion à une mesure qui les spoliait de leurs
biens dont ils tiraient l'essentiel de leurs sources de revenus? Ils adoptèrent des
comportements traduisant leur prétendue supériorité sur les esclaves à qui ils
attribuèrent toutes sortes de vices. La première guerre accéléra le processus d'éman-
cipation des esclaves. Mais les descendant d'esclaves pouvaient recevoir des déco-
rations, des diplomes, aux yeux de la vieille aristocratie solidement ancrée dans ses
préjugés, Ils continuaient de faire partie de son patrimoine mobilier. Et rien ne pouvait
effacer la souillure de la captivité qui les maculait pour l'eternité.
Les institutions n'ont pas été épargnées parle colonisateur convaincu qu'en les
modifiant, il pourrait imprimer plus de vigueur au rythme des transformations qu'il
entendait introduire dans le pays. Les verdicts rendus par les juges locaux furent
modifiés dans le sens des principes de la civilisation française. Aussi en matière pénale
décida t-on de supprimer la régie du rachat du sang de même que toutes les
transactions ou réparations pécuniaires en matière d'homicides volontaires, sous
prétexte que les réparations pécuniaires en matière de meurtres, atteignaient davan-
tage la famille du meurtrier que le meurtrier lui même, que cette façon de voir était donc
incompatible avec les principes de la civilisation française. C'est pour cela qu'on
substitua, dans ces cas l'emprisonnement à la réparatation pécuniaire comme
sanction répressive. Bref dans son existence quotidienne, le colonisé était totalement
soumis au colonisateur qui s'était arrogé le droit de supprimer de la civilisation locale
tout ce qui leur paraissait incompatible avec la sienne propre. Les mesures prises dans
ce sens multipliaient les cassures au sein de la société locale. Le colonisateur n'eut
aucun souci de conserver dans les traditions et les institutions ce qui aurait dû être
maintenu et développé. On.trouva que les réalités locales n'étaient pas dignes de
considération. Leur abolition ét?it j~:)é'3 essentielle au succès de l'oeuvre de colonisa-
tion.
II!
951
C'est pour cette raison que "autorité locale ne perçut pas la gravité des crises
de désorientation ni ne chercha à y remédier. La violation délibérée des coutumes fit
des indigènes qui en furent les victimes des aigris, des hésitants. Renonçant aux
normes de leur société d'origine, ils ne purent cependant assimiler les éléments
proposés par la civilisation du conquérant. Ils avaient perdu, avec l'indépendance
politique,la capacité de conduire les adaptations,les réajustements que nécessitaient
les ruptures intervenues dans leur société afin de lui restituer son équilibre interne. Mais
le colonisateur n'ignorait pas que la connaissance de la tradition créait le sentiment de
continuité vécu par la collectivité. Elle secrétait la conscience historique qui permettait
aux uns d'affirmer leur spécificité par rapport aux autres. Car c'était par elle que se
transmetaient les valeurs du groupe.
Dans le cadre de la poursuite de ses fins civilisatrices le colonisateur s'attacha
alors à détruire ce lien qui raccordait le peuple à son histoire pour les rendre plus
perméable à son influence afin de mieux l'assujettir aux intérêts des colons. Il ne
chercha pas à savoir si l'évolution qu'il imprimait au cadre social était ou non nuisible
aux indigènes. Des transformations plus ou moins profondes se produisaient à tous
les niveaux, multipliant les rancoeurs des vaincus. Ceux-ci étaient obligés dans la
plupart des cas à suivre les lois françaises sous prétexte que "ordre public exigeant
pour la colonie des lois territoiriales absolues et non plus des lois personnelles aussi
diverses que le bariolage ethnique. En imposant aux indigènes sa loi, le colonisateur
leur fit prendre conscience du danger qui les guettait de voir se dissoudre leur
personnalité dans l'identité métropolitaine. En réaction à cet envahissement des
influences françaises, certains d'entre eux mirent sur pied un système relativement
efficace de sauvegarde de leurs spécificités. Les rapports de forces étant déséquili-
brés par la supériorité technique des conquérant, les autochtones hostiles à la
présence française menèrent une action souterraine contre la prépondérance du
vainqueur. Les membres de l'ancienne aristocratie, dont les chutes sociales étaient
spectaculaires et les marabouts hostiles à toute progression du christianisme s'enten-
dirent pour mener de concert la lutte contre le colonisateur. Ils accablaient de leur
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952
mépris, voire de leur hostilité tous ceux qu'ils considéraient comme des partisans de
l'ordre établi. ils dénonçaient avec vigueur les bouleversement opérés dans la société
car si la croissance était évidente l'immense majorité des populations n'en vivait pas
moins toujours dans la misère.
Ils se servirent de l'islam dans leur tentative de remodelage de leur société. La
religion donnait plus de cohésion aux adeptes. Peu importait que son vernis fut
superficiel, car ce qui était politiquement important, c'était pour les marabouts de
pouvoir disposer d'une force homogène obeissant à leurs ordres de directeurs de
conscience. Ils évitaient, bien sûr, les affrontements violents avec l'autorité coloniale
mais dans le fond de leurs pensées, ils n'admettaient d'autorité légitime que celle qui
se subordonnait aux lois coraniques ou aux régies qui en étaient déduites. Dans leur
enseignement ils insistaient sur tout ce qui différenciait l'islam du christianisme, religion
du conquérant. par ce biais ils parvinrent à atténuer l'influence de la colonisation sur
les adeptes mais ils ils ne la supprimèrent pas. Ainsi donc la colonisation a profondé-
ment modifié la cadence de l'évolution des sociétés Wolof et Sereer. Elles les a
secouées jusque dans leur fondements en les intégrant dans les circuits de son
économie et en diffusant parmi eux ses influences culturelles. Mais en créant des
cassures ou des lézardes dans le cadre traditionnel, il ne s'avisa jamais de rétablir
l'équilibre qu'il rompait par la pratique d'une politique qui aurait maintenu au même
niveau la recherche de la croissance matérielle et «le développement de la richesse
humaine» au profit des indigènes. Rien ne fut fait pour atténuer sinon pour supprimer
les grandes disparités entre les villes et les campagnes. L'égoïsme du capital interdisait
de faire des autochtones les principaux bénéficiaires de l'activité économique.
Cette tendance se maintint longtemps aprés 1920. Le colonisateur continuait
de privilégier les cultures de rente qui poussaient les populations à des déplacements
constants dont l'ampleur était souvent sans aucun rapport avec les besoins. Aucune
mesure ne fut prise pour la mise en place d'une industrie qui, judicieusement répartie
dans l'espace, aurait fortement atténué les mutilations, les atteintes et les déchirures
de toutes sortes subies par les populations tenues de trouver à tout prix l'argent
nécessaire au paiement de l'impôt. En ouvrant le pays aux exigences du progrés, le
Nf
953
colonisateur aurait dû simultanément procéder aux rénovations inévitables qui seules
auraient permis de maîtriser le rythme des changements qui aurait épargné au pays
le spectacle qu'oHraient dans les villes et les escales les groupes de loques humaines
qui n'étaient plus que des fantomes d'humanité et dont \\'eHectif connut un accroisse-
ment continu à mesure que le temps passait. Même de nos jours le problème
primordial qui se pose aux populations du Sénégal est de savoir comment s'ajuster aux
autres en demeurant fidèles aux traditions ancestrales. Il s'agit en d'autres termes de
mettre le pays dans l'orbitre du progrés tout en lui conservant son originalité. Ceci n'est
possible que si l'action des autorités trouve ses fondements dans les authentiques
valeurs, morales et spirituelles léguées par les ancêtres qui avaient toujours accordé
une place primordiale à l'aspect humain de l'économie.
BIBLIOGRAPHIE
ARCHIVES NATIONALES DU SENEGAL
1- FONDS A.O.F.
SERIE B : CORRESPONDANCE GENERAL.
1Ji1 : Correspondance arrivée du Ministre au Gouverneur.
De 1 B 58 (1852) à 1 B 207 (1894).
2 B : Correspondance départ du Gouverneur du Sénégal au
Ministre.
De 2 B 31 à 2 B 72.
3 B : Correspondance départ du Gouverneur du Sénégal à toutes
Personnes autres que le Ministre.
3 B 91 : Correspondance avec divers chefs du Walo, du
Baol et du Cayor (1850-1862).
3 B 94 : Correspondance avec le Cayor, le Sine, le
Saloum, Madiodio, le Cap-Vert (1862-1864).
3 B 95 : Correspondance avec les chefs des pays
annexés (1864-1871).
SERIE D : AFFAIRES MILITAIRES:
1 D 15 : Expédition du Sine-Saloum et contre Maba 1859.
1 D 17 : Expédition du Cayor par le commandant Morel
(1860-1861).
1 D 22 : Attaque de Kaolack (1862).
1 D 24 : Colonne du Cayor contre Lat-Dior 1863.
1 D 25 : Expédition contre le Diobas dans la région de
de Thiès. (1863-1869).
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"
955
De 1 0 26 à 1 0 34
De 1 042 à 1 044
De 1 048, 1 052, 1 053, 1 054.
10170: Opérations militaires au Sénégal (1901-1912).
SOUS SERIE 2 01914-1920: PERIODE DE GUERRE.
201 : La guerre en A.O.F. (1914-1918).
202: La guerre au Sénégal et en Mauritanie (1914-1918)
207: La mobilisation en A.O.F. (1914-1918).
208: Idem.
2 0 21 : Oeuvres de guerres: 1916-1920.
2 0 22 : Souscription en faveurs des victimes de la
guerre 1914-1919.
2 0 23 : Journées nationales en faveur des victimes de la
guerre 1915-1918.
SOUS SERIE 40 : PERSONNEL MILITAIRE.
4 0 19 à 4 0 28 : Recrutement des originaires.
4029 (1859) à 4 090: Recrutement des indigènes.(1918)
SOUS SERIE 5 0 : DEFENSE ET ORGANISATION MILITAIRE.
503 (1840) à 5 06(1889)
5014,5016,5018,5019 (1895).
SERIE E : CONSEILS ET ASSEMBLEES.
SOUS SERIE 3 E : CONSEIL D'ADMINISTRATION ET CONSEIL PRIVE DU
DU SENEGAL.
De 3 E 24 (1852) à 3 E 42 (1920).
SOUS SERIE 4 E : CONSEIL GENERAL.
De 4 E 4 (1879) à 4 E 10 (1920).
---..---_..
-
956
SERIE F : AFFAIRES ETRANGERES.
SOUS SERIE 1 F : LA GAMBIE.
De 1 F 6 à 1 F 15 : Relations avec la Gambie (1860-1917).
SERIE G : POLITIQUE ET ADMINISTRATION GENERALE.
1 G 33 : Notice sur les Sereres et le Diander.
1 G 35 : Mission du Capitaine André au Cayor et au Bawol.
1 G 36 : Notice sur le Cayor.
1 G 48 : Mission Vallière dans le Cayor 1859.
1 G 217: Rapport du Lieutenant Obisier sur la situation
politique de Nioro et du Sine 1896.
1 G 330: Coutumes du Sénégal 1907.
NOTICES ET MONOGRAPHIES.
1 G 283 : Etude sur le cercle de Nioro du Rip par le
Lieutenant Chaudron 1902.
1 G 291 : Notice sur le cercle de Louga par
l'admistrateur Forgé 1904.
1 G 296 : Monographie du cercle de Thiès par Rocaché
1903-1904.
1 G 337 : Monographie du cercle de Thiès 1910.
1 G 359 : Circonscriptions administratives du Sénégal
1908-1920. Créations et modifications des
cercles.
1 G 360: Coupures et affaires de presse 1904-1920.
SOUS SI;RIE 4 G : LES MISSIONS D'INSPECTION.
4 G 12 : Mission Phérivang au Sénégal et en Guinée
1910-1911.
4 G 19 à 4 G 24 : Mission Picanon (1916-1917).
4 G 25 : Mission d'inspection Revel au Sénégal 1918.
,
957
SOUS SERIE 13 G : LE GOUVERNEMENT DU SENEGAL.
13 G 11 : Traités conclus avec les chefs indigènes
1785-1893.
13 G 23 à 13 G 26 : Situation général du Sénégal
1848-1879.
13 G 29 : Délimitation de circonscriptions admistratives
1851-1895.
13 G 50 à 13 G 53 : Chefs indigènes bulletins individuels
de notes au XIX· siècle.
13 G 67 : Politique musulmane 1906-1917.
13 G 68 à 13 G 69: Fiches de renseignements sur les
marabouts 1912-1913.
13 G 72: Politique indigène 1910-1918.
13 G 80 à 13 G 98: Correspondance adressée au
Gouverneur par les chefs de postes
de Gandiole, Mpal, Lampsar,
Merinaghen (1848-1880).
13 G 252 à 13 G 298: Correspondance avec les chefs de
de poste et les chefs indigènes du
Cayor et du Baal (1866-1918).
SERIE J : ENSEIGNEMENT
De J 1 (1831) à J 21 (1913-1918).
De J 27 (1903) à J 33 (1920) : Statisques scolaires.
De J 62 (1903) à J 80 (1920) : Enseignement technique et
professionnel.
J 81 à J 82: Enseignement secondaire 1907-1920.
J 83 à J 84 : Enseignement privé.
J 86 : Ecoles coraniques au Sénégal 1903-1920.
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SERIE K : ESCLAVAGE ET TRAVAIL
K 11 : Esclavage et captivité.
K 12, K 13, K 15, K17, K 18, k 27: Captivivité et
répression de la traite au Sénégal entre 1907-1920.
SERIE L : DOMAINE.
L 11 : Régime de la propriété immobilière à Dakar
1858-1892.
L 12: Propriété domaniale au Sénégal 1862-1894.
L 31 à L 32 : Organisation du régime domanial et foncier
en AO.F. 1899-1908.
SERIE M : TRIBUNAUX JUDICIAIRES.
M 13 : Correspondance du procureur général recue par le
gouverneur général à Saint-Louis 1895-1902.
M 14 : Organisation judiciaire de l'A.O.F. 1895-1904.
M 79 à M 102: Justice indigène 1900 à 1920.
CHAMBRE D'HOMOLOGATION (Sénégal)
M 141 à M 151 (1904).
PEINES DISCIPLINAIRES (Sénégal)
M 215 (1904) à M 220 (1920).
SERIE 0 : TRANSPORTS ET TRANSMISSIONS.
CHEMINS DE FER DAKAR-SAINT-LOUIS.
033 (1876-1884) à 0 51 (1917-1919).
CHEMIN DE FER THIES-KAYES.
062 à 0 88 (1915).
SERIE P : TRAVAUX PUBLICS.
P 36 (1904) à P 52 (1919) : Situations périodiques et
des travaux.
9 5 9
SERIE R: AGRICULTURE
R 1 (Sénégal) à R 3 (1857-1906).
SERIE S : DOUANES ET TRANSPORTS.
S 11 à S 27 (1862-1918) : Impôts au Sénégal.
11- ARCHIVES NATIONALES DU SENEGAL : FONDS SENEGAL.
A- RAPPORTS POLITIQUES D'ENSEMBLE TRIMESTRIELS OU ANNUELS.
2 G 1-5: Sénégal rapport politique annuel 1898.
2 G 1-37 : Rapport d'ensemble sur la situation
politique, économique et administrative du
Sénégal (1900-1902).
2 G 2-29, 2 G 2-30, 2 G 2-31 : Cercle de Louga.
2 G 2-32 à 2 G 2-39 : Cercle de Thiès.
2 G 2-40 à 2 G 2-41 : Cercle de Tivaouane.
2 G 3 : Rapports politiques mensuels.
2 G 3-6 à 2 G 3-7 puis de dossiers 2 G 3-25 à 2 G 3-32
Cercle de Thiès.
2 G 3-33 à 2 G 3-43 Tivaouane et Thiès.
2 G 4 : Rapports politiques mensuels et trimestriels.
Dossiers: 2 G 4-45 à 2 G 4-49.
2 G 5 : Dossiers: 2 G 5-8 à 2 G 5-33 : Cercle de Louga.
2 G 6: Dossiers: 2 G 6-1,2 G 6-3,2 G 6-4,2 G 6-22.
2 G 7 : Dossiers: 2 G 7-1,2 G 7-32, 2 G 7-33, 2 G 7-34,
2 G 7-35, 2 G 7-37, 2 G 7-41 (1907).
2 G 8 : Dossiers: 2 G 8-8,2 G 8-10,2 G 8-34,2 G 8-38 (1908)
2 G 9: Dossiers: 2 G 9-1,2 G 9-6,2 G 9-7, 2 G 9-8,2 G 9-38
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2 G 10: Dossiers: 2 G 10-4, 2 G 10-B, 2 G 10-12, 2 G 10-13,
2 G 10-38, 2 G 10-44.
2G 11: Dossiers: 2G 11-6, 2G 11-7, 2G 11-26, 2G 11-36,
2G 11-42, 2G 11-43, 2G 11-44, 2G 11-71,
2G 11-72, 2G 11-73.
2 G 12: Dossiers: 2 G 12-1, 2 G 12-8, 2 G 12-9, 2 G 12-33,
2 G 12-34, 2 G 12-44, 2 G 12-45, 2 G 12-50,
2 G 12-51, 2 G 12-52, 2 G 12-53, 2 G 12-60,
2 G 12-B1, 2 G 12-B2.
2 G 13: Dossiers: 2 G 13-7, 2 G 13-8, 2 G 13-46, 2 G 13-47,
2 G 13-54, 2 G 13-55.
2 G 14 : Dossiers: 2 G 14-6, 2 G 14-19, 2 G 14-27, 2 G 14-40,
2G 14-41, 2G 14-42, 2G 14-49, 2G 14-50,
2 G 14-50, 2 G 14-53, 2 G 14-55.
2 G 15: Dossiers: 2 G 15-6, 2 G 15-22, 2 G 15-28, 2 G 15-29,
2 G 15-31,2 G 15-39, 2 G 15-40, 2 G 15-45.
2 G 16: Dossiers: 2 G 16-4, 2 G 16-5, 2 G 16-25, 2 G 16-26,
2 G 16-27, 2 G 16-28, 2 G 16-30, 2 G 16-36.
2 G 17: Dossiers: 2 G 17-1, 2 G 17-5, 2 G 17-6, 2 G 17-24,
2 G 17-25, 2 G 17-26, 2 G 17-27, 2 G 17-33,
2 G 17-33, 2 G 17-38.
2 G 18 : Dossiers: 2 G 18-1,2 G 18-20, 2 G 18-21,2 G 18-22,
2 G 18-23, 2 G 18-29, 2 G 18-36, 2 G 18-38,
2 G 18-41.
2 G 19: Dossiers: 2 G 19-1, 2 G 19-12.
2 G 20 : Dossiers: 2 G 20-1,2 G 20-5,2 G 20-9, 2 G 20-18,
2 G 20-28, 2 G 20-29, 2 G 20-34, 2 G 20-35.
B- ARCHIVES DES CERCLES DU SENEGAL.
2 D 1-1 à 2 D 1-5 : Correspondance du chef de poste de Gandiol
avec le Directeur des Affaires Indigènes
(1910-1920).
2 D 2-1 à 2 D 2-8 : Dossiers de la délégation de Dakar
(1870-1927).
2 D 7: (Cercle de Diourbel Baal) : 2 D 7-1 à 2 D 7-22
(1895-1921 ).
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96
2 D 8 : Kaolack-Sine Saloum: 2 D 8 à 2 D 5.
2 D 9: Cercle de Louga : 2 D 9-1 à 2 D 9-24.
2 D 13: Cercle de Thiès: 2 D 13-1 à 2 D 13-21.
2 D 14 : Cercle de Tivaouane : 2 D 14 à 2 D 14-26.
2 D 15: Cercle de Nioro: 2 D 15-1 à 2 D 15-5.
11I- ARCHIVES NATIONALES DE FRANCE
SECTION OUTRE-MER:
SENEGAL ET DEPENDANCES 1 :
Dossier 1 : Correspondances générales 1814-1822.
Reprise de possession.
Dossier 22 : Correspondance général. Avril 1839-
Mai 1841. Charmasso.
Dossier 26 : Correspondance générale Labouret
(par intérim) Mai 1844-Juillet 1844.
Dossier 27 : Correspondance générale Thomas
(par intérim). Août 1844-Décembre 1845.
Du dossier 27 jusqu'au dossier 96 : Correspondance
générale Thomas (par intérim).
Août 1844-Décembre 1845.
SENEGAL ET DEPENDANCES IV :
Dossier 1 : Expansion territoriale et politique
indigène 1775-1855: Suppression des
coutumes.
Dossier 19 : Expansion territoriale et politique
indigène 1840-1854. (Fleuve).
Dossier 20 : Expansion territorial et politique
indigène: Cayor 1816-1854.
Dossier 21 : Expansion territoriale et politique
indigène: Gorée 1816-1854.
Dossier 45 bis: Expansion territoriale et politique
indigène: Sine et Saloum (1859-1890).
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9 6
Dossiers 46. 47. 48. 49. 50.97.98.99.100.101.
102.103.104.105.127.130.131:133 :
Expansion territoriale et politique
indigène (Cayor 1855-1860).
SENEGAL ET DEPENDANCES XII:
Dossiers 40. 41. 42. 42 bis. 43. 44. 45 bis. ter. 46.
47 bis. 48.49.50.52.53. 111 :
Travaux et communications.
SENEGAL ET DEPENDANCES XIV:
Dossiers 14. 15. 16. 17. 18. 19.23.24,25.29:
Esclavage et traite, Travail et
d'oeuvre,
L' A.O.F.:
Dossier 1 à 19 : Correspondance entre le gouverneur
général et le Ministre.
A.O.F. VIII:
Dossiers 1 à 2 : Justice.
IV - OUVRAGES IMPRIMES
A - BIBLIOGRAPHIES:
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- Moniteur officiel du Sénégal et dépendances Saint-Louis
- Journal officiel du Sénégal et dépendances 1887-1825.
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963
- Journal officiel de l'A.O.F.
- Journal officiel du Sénégal en 1900.
- Bulletin administratif du Sénégal.
C - JOURNAUX ET PERIODIQUES.
- Annales Sénégalaises 1854-1885.
- Annuaire du Sénégal et dépendances 1858-1895.
- Bulletin du comité de L'Afrique française avec les
Renseignements Coloniaux en complément.
- Réveil du Sénégal.
- L'A.O.F.
- Monde colonial illustré.
- Quinzaine coloniale.
- Recueil Penand.
- Recueil Dareste.
- Revue du monde musulman.
- Revue des deux Mondes.
- Revue française d'histoire d'Outre-Mer.
- Journal of African history.
- Journal of Modern African Studies.
- Cahiers d'Outre-Mer.
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- BETTS : Assimilation and association in french colonial
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- BORDEAUX H. : L'Epopée noire. PARIS, 1936.
- BLET : Histoire de la colonisation francaise. Paris, Arthaud
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- BONIN: C.F.A.O. cent ans de compétition. Paris, 1987.
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- BRUNSCHWIG : La colonisation francaise. Paris. Calmann Levy.
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- DEHON M. : La nouvelle politique coloniale de la France.
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- DESCHAMPS: Méthodes et doctrines coloniales de la France, Paris 1953- in 12
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- DUBOC (gl) : L'épopée coloniale. 1937.
- DUCHENE : La politique coloniale de la France depuis
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- ESPERANDIEU : La doctrine du protectorat d'aprés Lyautey.
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- GIRAN : De l'éducation des races. 1913.
- GIRARDET : L'idée coloniale en France. 1871-1972.
- GI8AULT: Principes de colonisation et de législation
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aux sources du Sénégal et de la Gambie. Paris.
2 vol. in 8°. 1822.
- MONDOT E. : Etude sur le Sénégal. Paris 1865. In 4°.
- MONTEIL V. : Lat-Dyor. Damel du Kayoor. 1842-1886. In islam
in Tropical Africa. Oxford Univ. Press. 1966.
- NDIAYE AMADOU DUGAY CLEDOR : Essai sur l'histoire
du Sénégal.
La bataille de Guîle.
Saint-Louis imprimerie du gv!.
1931.
- NDIAYE A. : La province du Jander de 1861 à 1885. Mémoire de
maîtrise. Univ. de Dakar. 1979 105 P.
- NDIAYE FR. : Le Sénégal au temps de Brière de l'Isle.
1867-1881.
- NDIAYE B. : La justice indigène au Sénégal de 1903 à 1924.
Mémoire de maîtrise univ. de Dakar. 1979. 150 P.
f.
Sg4
en plus à sa confrérie. La solidarité du malheur eut pour effet de souder rapidement
tous ces éléments disparates pour en faire une force homogène capable de lever à
nouveau l'étendart de la révolte. On trouvait parmi ces nouveaux ralliés d'anciens
guerriers de Lat-Joor tels que Biram Kodu, Mataar Mariama Joop. Mamadu Fatim,
Gallo Njay, d'anciens compagnons de Albury, Albury Penda, Amadu Maxureja en un
mottous les gens que les Français avaient rencontrés dans "les rangs de leurs ennemis
au cours de (leurs) luttes dans le Kayoor et le Jolof".'o
La présence des membres de la vieille aristocratie dans la confrérie mouride lui
donna, dès le départ un caractère anti-français. Sous la plume de Merlin l'adhésion à
la confrérie matérialisait l'opposition à la présence française.
Cette crainte que cette confrérie inspirait àl'administration la poussa àexiler son
fondateur dans l'espoir d'annihiler ses progrés. il fut facile de trouver auprés des chefs
les éléments constitutifs de l'accusation. Les chefs du Njambur, du Kayoor, biens
stylés par l'administrateur de Luga, Leclerc, fournirent le~ rapports dénonçant l'agita-
tion des adeptes mourides. Le résidant de Yang-Yang, Fara Biram Lo confirma leurs
dires. Tous déclarèrent que les disciples de Ahmadu Bamba stockaient des armes,
achetaient des chevaux, que d'un moment à l'autre on se trouverait en présence d'un
formidable mouvement insurrectionnel. Pour donner plus de poids à ces accusations
on ajouta que ce marabout était devenu adepte de la confrérie tHaan qui comportait «la
prédication de la guerre sainte"".
Ce dernier argument traduisait l'ignorance des autorités coloniales en matière
islamique. Les confréries avaient beau être diverses, mais rien ne les différenciait pour
ce qui était du dogme et de l'observance des obligations religieuses. La guerre Sainte
est une obligation qui incombe à tout musulman. Seulement elle ne se fait que contre
des païens à condition que ceux-ci essaient de détruire la communauté musulmane.
Elle n'est jamais une guerre agressive, mais défensive. Aprés la victoire les païens ont
le choix entre la conversion ou leur réduction en servitude.
On comprend dès lors que les musulmans ne puissent faire la Guerre Sainte ni
aux chrétiens ni aux Juifs qui, comme eux, sont monothéistes. Il est vain d'imposer
· NDIAYE S. : les chemins de fer du Sénégal. 1907-1933.
Mémoire de Maîtrise. Univ. de Dakar. 1979.86 P.
- OLIVIER M. : Le Sénégal en 1907.
Publication du Gvt gl de l'A.O.F. In 80 483 P.
- PASQUIER R. : Les villes du Sénégal au XIX· siècle. In revue
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au Sénégal. In Melaye Mauny. Paris 1981. T 1\\
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- PELISSIER P. : Les paysans du Sénégal. Les civilisations
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- PETER G. : L'effort francais au Sénégal. Broccard.
Paris, 1938.
- PHEFFER : Railways and aspects of social echange in
SenegaI.1873-1933. Univ. Pennsylvanie.
1975. P.H.D. 540 P.
- PICROCHOLE : Le Sénégal drolatique. Paris. 1 vol. In 80 •
Dupont 383 P.
- PIERRET : Essai sur la propriété foncière au Sénégal.
ln Revue générale de droit. 1890.
- PAUDEROUX : Le chemin de fer de l'arachide. Bulletin de la
société des ingénieurs coloniaux. 1935.
- QUESNOT: Les cadres maraboutiques de l'Islam Sénégalais.
1962.
- QUESNEL: Le Sénégal. In revue politique et littéraire.
Juillet 1881.
IR
89
l'image du Dieu unique à ceux qui la portent déjà dans le coeur. La Guerre Sainte que
préconisaient Cheikh Samba et les marabouts de sa génération comme El hadj Malicl<
Sy, El hadj Ibrahima Niass, Limamou Laye était celle que chaque musulman devait
mener contre les tentations qui le menacent à chaque détour de son existence
quotidienne. Ellesontpour nom les illusions del'individualité, la vanité, l'orgueil. La lutte
se fait avec l'épée du renoncement. On était bien loin de la conception que l'autorité
coloniale se faisait du Djihad.
Malgré tout, on décida de sévir contre lui parce qu'il avait beaucoup d'adeptes
dans le Jambur et le Kayoor et qu'on avait trouvé d'étranges similitudes entre les
protestations d'amitié qu'il faisait et celles qu'avaitfaites Maba en 1864 Ahmadu Cheixu
en 1868, Mamadu Lamine en 1885 à la veille de leur campagne '2». Le caractère
spécieux de ce raisonnement n,jchappe à personne. Puisqu'il fallait frapper un grand
coup pour terroriser les marabouts et les amener à un respect sans réserve de
l'autorité française, la décision fut alors prise «d'enlever Samba et de l'interner pendant
quelques années dans un pays comme le Gabon où ses prédications n'auraient aucun
effet"». Les anciens guerriers de Lat-Joor et ceux qui formaient les débris de l'armée
de Alburi seraient envoyés au Walo et placés sous la surveillance de Yamar MbodjY
Les autres talibés seraient dispersés. L'ordre leur serait donné de réintégrer leurs
villages d'origine et de ne plus s'en absenter sans l'autorisation de l'administrateur de
leur cercle. Toute ces mesures furent appliquées dès Septembre 1895.
Dès Janvier 1896 Samba Lawbe Penda, Surba Jolof, connut le même sort du
fait surtout des intrigues de Fara Siram Lo résident de Yang-Yang. En 1899 les
Marabout du Njambur, Mbargu Lo, Aladji Joop, Mor Pathe Gay et leur alliés furent
également internés au Gabon pour s'être opposés au recrutement des réservistes
indigènes. Aux dires de l'administration les notables affiliés à la confrérie tijaan
incitèrent les jeunes gens à la révolte. 15
L'appartenance de El Hadj Oumar, de Maba, d'Ahmadu cheixu à la confrérie
Tijaan donnait à cet argument une grande résonnance pour les partisans de la
répression. On voulait faire de la confrf.lrie !iiaan l'incarnation même du prétendu
fanatisme musulman. L'autorité coloniale ne sa souciat guère de cette épreuve qui
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8
torturait les musulmans quand on leur demandait de se plier à une loi non mU!ulmane
9 6
Il n'y avait rien de fanatique dans leurs comportements. Ils ne pouvaient que se révolter
quand on leur demandait de se soumettre à des dispositions qui blessaient leur
conscience. Mais pour l'autorité coloniale tout refus, tout mauvais vouloir étaient
sommairement taxés de fanatisme avec les sanctions qui les accompagnaient. La
persécution n'arrêta pas les progrés de l'islam qui continua d'organiser ses ouailles
àmesure que les conversions se multipliaient. Rien ne pouvait entraver l'extension de
l'islam. Les mesures persécutrices donnèrent même un regain de vitalité à l'action
missionnaire des marabouts.
Pour freiner l'expansion de l'islam l'administration coloniale essaya de paraly-
ser l'enseignement coranique. Dès 1893 elle décida de soumettre l'ouverture des
écoles coraniques à l'autorisation préalable. Mais les marabouts enseignants ignorè-
rent totaiement ces dispositions. Seul Noirat administrateur du Siin Salum essaya de
contourner la difficulté en prévoyant un créneau pour l'enseignement de l'arabe dans
les écoles françaises.
En 1903 le lieutenant-gouverneur du Sénégal reitéra cette décision qui restrei-
gnait l'activité des marabouts. En effet pour avoir l'autorisation, le marabout postulant
devait subir un examen devant une commission composée de "administrateur du
cercle et d'autres personnes connaissant l'arabe. Si elle jugeait que les connaissances
étaient superficielles ou s'il appartenait à une confrérie qui n'avait pas les faveurs de
l'administration, l'autorisation était refusée. On interdit aux élèves de l'école coranique
d'aller demander l'aumône. De plus ces écoles ne devaient pas recevoir les enfants
âgés de 6 à 16 ans pendant les heures de fonctionnement de "école française. Dans
certains cercles comme celui de Kaolack ces dispositions furent rigoureusement
appliquées contraignant beaucoup de marabouts à se replier dans les zones où le
contrOle était plus difficile et où l'absence d'école française ne justifiat plus l'application
de la réglementation.'6
Malgré tout cet arsenal répressif, les écoles coraniques étaient plus peuplées
que celles de "administration. La propagande islamique avait réussi à accréd;te~_!'idée
que la fréquentation de l'école française était la première étape sur le chemin de la
- .. ". -::....
. - --:-~_-:.-
.
r.
89
christianisation des enfants, que les parents seraient comptables devant Dieu de
l'apostasie de leur progéniture. Cette propagande était d·autanLplus.efficace que
l'école française ne proposait aucune finalité pratique. Son rôle était de diffuser la
culture et la langue françaises. La formation pratique que l'école distribuait aux élèves
leur paraissait superflue. Bref l'école française ne présentait pas encore les attraits qui
devaient, aprés la première guerre mondiale, lui attirer la faveur des foules.
Les marabouts de toute obédience étaient soumis à une étroite surveillance.
c'est le travail que coordonna Paul Marty et qui lui permit de rédiger ses nombreux
ouvrages sur l'islam en Afrique occidentale. Pour accéder plus facilement à l'intimité
des marabouts, les administrateurs étaient invités à afficher des sentiments d'amitié à
leur endroit afin d'exercer un contrôle permanent sur tous leurs actes. A cet effet des
agents politiques, sûrs et discrets étaient envoyés auprés d'eux pour recueillir les
renseignements sur les visites qu'ils recevaient, les conversations qu'ils tenaient et des
correspondances qui leur parvenaient.17
A ces agents chargés d'espionner les maraboutspn remettait de l'argent dont
une partie était donnée au marabout qu'il faisaient semblant de choisir comme guide
spirituel et le reste généreusement partagé entre les hommes influents de l'entourage
du Cheikh afin de pouvoir accéder à toutes les parties de la concession et voir si l'on
n'y stockait pas de la poudre et des armes. En 1903 Oumar Nang de Tiwawan M
envoyé à Tuba pour espionner Cheikh Bamba. Il s'y rendit avec 300 francs remis par
l'administrateur du cercle du Kayoor. Mais le marabout lui fit comprendre que sa
mission n'était pas de tuer, pas même les serpents mais d'amener les populations du
pays à la vraie religion qui commençait par la crainte réelle et sincère de Dieu.'·
Il suffit de lire les fiches dréssées sur les différents marabouts du Sénégal pour
se rendre compte de la grande intolérance q:.Ji animait l'administration vis à vis de
l'islam. Quelles que fussent les confréries auxquelles ils appartenaient, '-,s marabouts
étaient collectivement taxés de sournoiserie. On leur reprochait d'entretenir dans le
coeur de leurs disciples la haine des blancs tout en se montrant obséquieux à l'égard
des administrateaos.-
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998
TABLE DES MATIERES
INTRODUcnON
p.5
PREMIERE PARTIE
La sociétés wolof et sereer à la veille
de la conquête
p.6
CHAPITRE-I : Les hommes et leur environnement
au milieu du XIXe siècle
p.15
L'aptitude des sols
p.15
Les naay
p.20
Singularité de la falaise de Kees
p.24
Le Siin-Salum
p.26
Les problèmes de position
p.31
L'homme et le tapis végétaL
p.34
CHAPITRE-II
Quelques' observations sur le peuplement
des Etats Wolof et Sereer.
pAO
Le groupe Sinig
pA5
Les autres minorités ethniques
p.53
La population des Etats Wolof et Sereer
au milieu du XIXe siècle
p.54
CHAPITRE-III
L'organisation politique des Etats Wolof
et Sereer jusqu'au milieu du XIXe S.
p.61
Les transformations du système
politique
p.65
Les nuances locales
p.68
L'administration territoriale
p.74
Les musulmans et le pouvoir centraL
p.80
Les luttes de factions
p.84
CHAPITRE-IV: L'organisation sociale
~
p.92
Les hommes libres
p.96
Les Domi-I3uur
p.98
·,•. ,
999
Les Jambur..
p.lOO
Les Badolo
p.1 02
Les artisans
p.102
Les esclaves
p.109
Condition des esclaves
p.116
Quelques observations sur la famille
p.122
Aperçu sur la religion des populations
p.126
CHAPITRE- V
La vie économique des Etats Wolof et Sereer
au milieu du XIXe siècle
p.135
L'arachide au milieu du XIXe siècle
p.144
La pêche
p.147
L·alimentation
p.149
L'activité commerciale
p.151
Les revenus des souverains
p.153
L'armée
p.157
CHAPITRE- VI : Les possessions françaises au milieu
du XIXe siècle
p.162
L'abolition de l'esclavage
p.l77
L'armée de Faidherbe
p.184
DEUXIEME PARTIE
La conq uête
p.197
CHAPITRE-I
Le Kayoor de la mort de Birima
Ngo né Latyr à l'abdication de
Makodu-II 1859-1861
p.198
Tentative d'encerclement du Kayoor.
p.204
La mort de Birima Ngoné Latyr..
p.215
La guerre des Geej contre Makodu
p.2I9
CHAPITRE-II
Du démembrement du Kajoor
à son
annexion 1861-1865
p.238
Les intrigues de Samba Maram Xay
p.249
La victoire de Ngoi Ngol..
p.254
Lat Joor en exil au Rip
p.260
1000
CHAPITRE-III
Lat Joor et Maba 1864-1867
p.265
L'invasion du Rip par Pinet-Laprade
p.278
La continuation de la guérilla
p.281
CHAPITRE-IV
La guerre franco-prussienne et la
restauration de la royauté au
Kayoor 1867-1871
p.296
Alliance de Ahmadu et de Lat Joor.
p.303
CHAPITRE- V
Lat Joor le Bawol et Ahmadu Sexu
1871-1882
p.327
L'entrée en campagne de Ahmadu Sexu
p.338
Valière au secours de Lat Joor..
p.342
CHAPITRE- VI
Le Kayoor et le chemin de fer,
de 1875 à l'avènement de Samba
Lawbe 1883
p.356
Les luttes de clans au Kajoor.
p.358
Les intrigues de Wendling
p.376
La guérilla contre Amadi Ngoné FaaI-II
p.38D
Un marché de dupes
p.383
CHAPITRE- VII : La fin de la royauté au Kayoor.
p.392
L'hostilité des populations vis-à-vis
du chemin de fer.
p.394
La bataille de gîle
pADD
La réaction des garmi
pA14
CHAPITRE-VIII: Les Sereer : de l'annexion du Jander
à la création des provinces auto-
nomes
pA18
La conquête de Njegem et du Mbadaan
pA35
1001
CHAPITRE-IX
La fin de la royauté au Bawol
1874- 1894
p.443
L'abolition de la monarchie
p.456
CHAPITRE-X: Le Siin. Protectorat français
p.461
La guerre civile au Siin
p.463
L'avènement de Semu
p.467
CHAPITRE-XI: Le Salum de 1867 à 1894
p.474
Semu Jimit Juuf...
p.486
TROISIEME PARTIE
Rapports entre Colons et Colonisés
p.492
CHAPITRE-I
La politique d'assimilation dans les
territoires annexés 1855-1893
p.493
Politique coloniale et institutions sociales ... p.503
CHAPITRE-II
La politique coloniale dans les protec-
torats
~
p.523
Les pays de Protectorat...
p.528
Le statut des habitants des protectorats
p.532
L'évolution administrative du Sénégal
jusqu'en en I920
p.533
Le Cercle comme unité administrative
p.537
Les Commandants de Cerc1e
p.550
Les abus de quelques Commandants
p.554
CHAPITRE-III
Les chefs indigènes :
du Protectorat à l'administration directe.. p.568
De la royauté au Canton
p.568
Rois, Chefs Supérieurs
p.571
Les Chds cle Canton
p.578
· ---.-.-~~....
1002
Le Gouverneur Général Pont y et la chefferie
indigène
p.586
Le retour aux sources
p.594
Profils de chefs
p.601
CHAPITRE-IV: Le travail forcé
p.609
CHAPITRE-V : Le code de l'indigénat ou la repression
des dernières forces de résistance
des populations
p.622
L'internement administratif
p.646
CHAPITRE- VI : Fiscalité et monétarisation
p.661
L'exploitation des ressources matérielles
humaines
p.
CHAPITRE- VII : De la polyculture vivrière à la prépon-
dérance de l'arachide
p.692
Du problème des concessions
p.698
Le triomphe de l'arachide
p.709
L'entente commerciale
p.732
Des moyens de lutte des paysans
p.736
L'endettement paysan
p.738
Les crises alimentaires
p.742
La société indigène de prévoyance
p.747
CHAPITRE-VIII : Le recrutement et ses incidences sur la
psychologie des populations,
les structures sociales
p.760
Les populations contre le recrutement.. ......... p.782
Les contributions accessoires des Sénégalais p.792
Les Tirailleurs démobilisés
p.795
Les institutions coloniales et les trans-
formations sociales
p.807
1003
CHAPITRE-IX
Le rôle de J'école dans la transformation
sociales
p.808
Les écoliers du protectorat...
p.824
Les programmes
p.832
L'impact de l'école
p.840
CHAPITRE-X: La justice indigène
, p.847
Le décret de 1903
p.860
CHAPITRE-XI
La politique religieuse de la France au
Sénégal de la fin de la conquête à ) 920..... p.888
CHAPITRE-XII: Les villes
p.922
Les Communes mixtes
:
p.941
CONCLUSiON
p.946
BIBLIOGRAPHIE
p.953
ANNEXES
p.997
INDEX
ERRATA
Document Outline
- CS_00053v1
- CS_00053v2
- CS_00053v3