1"
\\
UNIVERSITE PARIS-SORBONNE (PARIS IV)
Institut de Littérature Française
o
Satire et polémique au XVIe siècle :
ETUDE
DE L'OEUVRE POLITIQUE FRANCAISE
DE
LOUIS DORLEANS
(1542-1629)
000 Cf P
Thèse
pour le
Doctorat
ès Lettres (nouveau)
Présentée par :
Sous la Direction de :
PAPA GUEYE
l\\1. Le Professeur Robert AULOTTE
- J u i n
1 9 8 8 ·
l,

1
Reconnaissance
Nous
remercions
notre
professeur
et
directeur
de
recherches
Monsieur
Robert
Aulotte
pour
la
disponibilité,
l'attention
et
l'attachement avec lesquels il a suivi ce travail tout le long de notre
séjour parisien. Il nous a frayé un chemin dans les études seizièmistes.
Nous lui témoignons ici toute notre gratitude.
Nos remerciements vont également aux professeurs
- Claude Blum
qui nous a donné le goût du seizièmisme français
en guidant nos premiers pas dans la recherche littéraire. Qu'il soit aussi
remercié pour son soutien inestimable.
- Daniel
Ménager pour l'aide appréciable qu'il nous a apportée
dans nos recherches.
- Nicole
Cazauran pour son soutien.
Nous remercions enfin notre ami Babacar GUEYE pour son appui
moral et matériel, nos
amis
étudiants
sénégalais
d'ATHIS-MONS.
l

A mon ami et frère Ibra DIENE
A ma femme bien aimée Sophie DIOP pour les sacrifices consentis.

3
INTRODUCTION GENERALE
Depuis quelques années,
la deuxième moitié du XVIe siècle,
période
de
troubles
politiques
et
religieux,
a
suscité
un
regain d'intérêt chez les chercheurs. Considérées naguère comme
source d'informations sur les mentalités,
les oeuvres produites
pendant la Ligue font maintenant l'objet d'études systématiques
et
approfondies.
Les
approches
littéraires,
bénéficiant
des
dernières
conclusions
des
spécialistes
de
l 'histoire
des
idées (1), commencent
à
reconsidérer
leurs
démarches
et
leurs
instruments d'analyse.
Le renouvellement des études portant Sur
cette époque peut être considéré, pour une grande partie, comme
le résultat d'un changement d'attitude à l'égard des textes. La
critique
s' at tache
désormais
à
cerner
tous
les
aspects
des
productions littéraires,
sans préjuger de leur valeur.
Il
est
aussi,
dans
une
autre
perspective,
à
mettre
en
relation avec le développement que les méthodes d'approche, des
discours de type agonistique ont connu ces dernières années.
( 1)
Par exemple:
Myriam
Yardeni,
La
Conscience
nationale
en
France
pendant
les
guerres
de
religion
1559-1598, Louvain - Paris 1971 :
F.
J.
Baum9artner,
Radical
reactionaries: the
ooliticai
Ihouqht
of
the
french
catholic leaque. Genève Droz : Paris, Minard 1975 :
E.
Barnavi,
Le
Parti
de
Dieu
-
Etude
sociale
et
politique
des
chefs de
la
Ligue
parisienne
1584-1594, Louvain, Nauwelaerls 1980 :
R.
Descimon,
Qui
étaient
les
Seize
?
Mythes
et
réalités
de
la
ligue parIsienne.
Paris, Klincksieck, 1983.

4
En effet,
généralement pris pour une "infra-littérature",
une
"para-littérature" ou une "sous-littérature",
les pamphlets ont
commencé à avoir droit de cité dans la République des lettres.
Des
études
de
première
importance
ont
été,
par
exemple,
consacrées
aux
oeuvres
polémiques
des
guerres
de
religion,
études qui ont montré tout le parti que notre connaissance
du
XVIe
siècle
pouvait
tirer
de l'analyse textuelle de cette
littérature
dite
politique. (1)
A
la
faveur
d'une
telle
situation,
les oeuvres et les auteurs polémistes de la Ligue ont
connu aussi
un sort
nouveau et
certains
sont même
sortis de
l'oubli des chercheurs. C'est à la suite de ce regain d'intérêt
général
pour
la
littérature polémique de
la fin du
seizième
siècle que
se
situent
nos
recherches
sur
l'oeuvre politique
française de Louis Dorléans.
Cette
étude
est
intéressante
pour
plusieurs
raisons.
Louis
Dorléans est aujourd'hui connu comme un ligueur de premier plan.
Pour les uns,
il était un membre de ce noyau dur et radical de
catholiques que leur zèle religieux avait conduits jusqu'à la
( 1) Par exemple Les Cahiers du Centre V. L. SAULNIER,
1 . Le pamphlet en France au XVIe siècle, Paris, Coll. E.N.S. de Jeunes Filles N°25, 1983 ;
2· Traditions
polémiques, Paris, Coll. E.N.S. de
Jeunes Filles N"27, 1984 ;Le
pamphlet
jusqu'à la Révolution, actes du XXXVe congrès de l'A.LE.F., CA \\ E,F N"36, 1984 ; Eludes
sur la Satyre Ménippèe. Genève. Droz, 1987 ; etc...

5
rebellion contre le pouvoir légal. Pour les autres,
il était un
personnage "docte et éloquent mais calomniateur".
De l'avis de
ces derniers Dorléans a eu le tort d'avoir utilisé son talent à
la
composition
de
"libelles
séditieux
qui
troublèrent
la
tranquillité
publique".
On
aime
se
rappeler
les dernières
années de sa vie pour souligner sa réconciliation
jugée -non
sans une pointe d'ironie- comme palinodique et opportuniste avec
Henri IV.
Il semble ainsi se constituer une légende noire autour
de sa personne. Le vrai et
le faux ne peuvent,
dès lors,
être
distingués et les jugements retenus sont,
le plus souvent,
loin
de la réalité. Pour une meilleure connaissance de la Ligue et de
ses acteurs,
il fallait donc chercher à rétablir le véritable
~e
rôleYDorléans
dans
ce mouvement.
Mieux,
une
approche de son
oeuvre s'imposait comme le moyen de restituer non seulement le
personnage historique mais aussi l'homme de lettres qu'il a été
et
que
nous
avons
plus
ou
moins
méconnu
jusqu'ici. Notre
compréhension de la Ligue n'en serait que renforcée.

6
La
nécessité de mieux connaître Louis Dorléans provient
aussi
d'un
constat
de
carence.
Il
n' y
a
pas,
à
notre
avis,
d'étude systématique de cette oeuvre pourtant importante.
Les
analyses monographiques portant Sur les pamphlets de la Ligue
lui réservent quelques pages plus historiques que littéraires.
Elles
se
soucient
rarement
d'interroger
les
textes
pour
,
eux-mêmes mais se font le devoir d'y chercher les réponses aux
questions que l'histoire des idées s'est posées ailleurs. Ces
investigations
critiques
qui
se
situaient
à
la
fin
du XIXe
siècle et
au début
du XXe,
souffraient
aussi
de difficultés
d'attribution et d'établissement de ces textes pour l'essentiel
anonymes
et
clandestins.
Mais,
depuis
des
années
des
études
bibliographiques de première importance ont rendu leur approche
pl us facile en levant l'anonymat de certains. (1) Notre travail a
tiré un grand parti de cet apport.
Louis Dorléans a écrit en latin et en français.
Son oeuvre
latine, essentiellement poétique, est restée manuscrite, sauf un
(1) Citons entre autres, Henri Hauser, Les sources de l'histoire de France XVIe siècle (1494·1610),
Pans, Picard et Fils Tome 3 et 4, 1906·1916 ; Robert a.Lindsay and John Neu, French political
pamphlets 1547·1648. A Catal09 of Major Collections in American Libraries. The Univer sity of
wisconsin Press, Madison Milwankee, London, 1969 ; Denis Pallier, Recherches sur l'imprimerie à
paris pendant la Ligue 1585·1594, Genève, Droz, 1976.

7
pamphlet
Ludovici
Dorléans,
uni us
ex
confoe
deratis.
(1 )
publié
pendant
la
Ligue
et
adressé,
à
ses
collègues du Parlement de Paris. En revanche,
ses écrits édités
le sont tous en français,
bien qu'une bonne partie soit aussi à
l'état de manuscrit. Composée de
textes
poétiques et de prose,
cette oeuvre française porte sur des domaines aussi variés que
la morale,
la justice,
l'amour et la politique.En effet,on peut
affirmer que Dorléans s'est essayé à tous les genres,
avec plus
ou
moins
de
bonheur,
Devant
l'importance
des
titres et
des
matiéres,
i l
nous
fallait
opérer
un
choix
qui
semblait
d'ailleurs s'imposer dès l'abord de l'oeuvre.
Les
textes
politiques
qui
ont
contribué
à
le
faire
connaitre
dominent les autres et présentent une continuité pouvant être la
base
de
conclusions
plus
enrichissantes.
L'ètude
de
l'oeuvre
politique
nous
semble
donc
plus
intéressante
pour
la
connaissance de l'homme,
de son art et des particularités de la
littérature de cette époque de guerres civiles.
( 1)
Ludovici Dorléans
unius ex confoederatis pro catholica fide Parisien si bus ad A
S. (Antopium
Seguierl
unum ex sociis pro haeretica perfidia Turoniensibus, expostulatio, Paris chez François
Morel. 1593 (Lyon. 1594), in - 8". 255 p. BN Ib35 508.

8
Cependant,
notre
choix
ainsi
justifié
mérite
certaines
précisions. Nous considérons comme politique non seulement les
pamphlets
ligueurs
mais
encore
],es
textes
écrits
avec
des
objectifs idéologiques avoués. De cette dernière catégorie nous
avons retenu les deux publications en faveur du règne d'Henri
IV,
l' Histoire
de
l'origine
de
la
Ligue,
l'Apologie
des
Guises
et
les
poèmes
portant
de
manière
explicite
sur
les
troubles sociaux.
Le corpus,
ainsi délimité,
nous permet de suivre l'évolution
de l'auteur,
car,
dépassant les écrits des batailles politiques
de
la
Ligue,
nous
examinons
ceux
des
périodes
de
sérénité
relative -durant son exil,
par exemple- ou de combat royaliste.
Il nous donne aussi les moyens de déterminer les constantes qui
autorisent la
définition des
particularités littéraires. C'est
pourquoi les manuscrits dont nos recherches ont bénéficié sont
d'un apport fondamental.
Ils restent une source de rectification
d'éventuelles
erreurs
d'appréciation
et
de
jugement
sur
les
textes édités.
Ils nous aident ainsi à préciser les ambiguïtés
et
à
répondre
à
des
interrogations
pour
lesquelles
les
publications ne nous fournissent pas des éléments importants.

9
Dans notre étude,
les pamphlets occupent une place de choix,
comme modèle de littérature politique. Mais ce sont eux qui nous
ont
posé
les
plus
grandes
difficultés
d'analyse.
Textes
clandestins et anonymes lors de leurs éditions,
la certitude de
leur attribution à Dorléans s'imposait comme un préalable à leur
examen.
Face à cette exigence,
nous avons adopté une attitude
prudente. Nous avons retenu les pamphlets qui étaient attribués
à Dorléans de manière presque unanime par les bibliographes et
les historiens de la Ligue. Néanmoins,
il nous a paru nécessaire
de
donner
toutes
les
indications qui
pouvaient
fonder
cette
attribution
à
chaque
fois
que
nous
avons
à
analyser
les
conditions de leur parution.
Nous
avons
aussi
privilégié
les
pamphlets
dans
notre
investigation
parce
qu'ils
constituent
l'essentiel
de
la
production littéraire de Dorléans. Dans la perspective satirique
et polémique de notre étude,
il pouvait difficilement en être
autrement.
L'importance et la variété des genres du corpus ne
facilitaient pas notre méthode d'approche de l'oeuvre.
Il nous
fallait mener de front des études de sources,
de genèse et de
procédés
purement
littéraires.
En
effet,
les
indications
bibliographiques
et
les
contextes
de
publication
étaient
à
préciser,
de
même
que
devait
être
restituée
la
biographie
authentique de Dorléans.

10
Aussi,
notre première partie
s'attache-t-elle à
reconstituer
-non sans difficultés-
les grandes étapes de
la vie de Louis
Dorléans. Ce travail qui restait à faire présente, à notre avis,
un double intérêt.
Il permet d'abord d'effacer une bonne partie
de la "légende noire"
qui entourait l'existence de cet ancien
ligueur,
en
le présentant
sous
un
jour nouveau.
Ensuite,
en
éclairant le contexte psychologique et historique de composition
des
oeuvres,
il en
facilite
l'approche et
la
compréhension.
L'étude biographique épouse
les
grandes étapes
de
la vie de
Dorléans.
Celle-ci peut être divisée en trois périodes :
de la naissance à l'exil en passant par la carrière ligueuse;
ensuite,
les années d'exil à Anvers,
et,
enfin,
le retour en
France,
époque au cours de laquelle il se fera une tout autre
réputation.
Cette brève présentation biographique est en même
temps bibliographique: elle s'accompagne d'indications Sur les
oeuvres.
L'étude de
l'oeuvre proprement dite constitue l'essentiel de
notre travail. A ce propos,
nous essayons,
autant que faire se
peut,
d'en donner
une vue
complète.
A cet te
fin,
il
fallait
d'abord
l'examiner
au
plan
de
son
contenu
et
de
ses
orientations. Notre deuxième partie se propose de répondre à de
telles préoccupations.

11
(>
(\\.,
Elle se charge de présenter et d'expliquer l'ensemble des textes
édités
ou
manuscrits
retenus
dans
le
corpus.
Ce
travail
d'exégèse
doit
être
précédé,
à
notre
avis,
d'une
réflexion
synthétique sur la littérature politique produite par la Ligue
pour les besoins de sa propagande.
Il nous
faut alors situer
l'essentiel des textes de Dorléans dans ce vaste
mouvement de
prolifération
des
pamphlets
pour
mieux
comprendre
leur
originalité et
leur
filiation.
Le premier chapitre cherche à
déterminer
les moyens,
les méthodes
et
les publics visés de
cette polémique de la fin du XVIe siècle. Dans
le suivant,
nous analysons,
par ordre de publication attestée,
les pamphlets ligueurs de Dorléans. Composés de six textes,
ils
sont le produit et les instruments de lutte d'une situation de
combats idéologiques.
Ils portent en eux-mêmes les empreintes
des
conditions
historiques
de
composition
et
de
lecture.
Cependant, leur examen prouve qu'ils ne sont pas uniquement des
reflets
plus
ou
moins
fidèles
des
mentalités
et
des
idées
politiques de l'époque,
mais ils apparaissent aussi et surtout
comme des oeuvres de réflexion et de méditation sur les grandes
questions de la vie.
Le chapitre troisième porte sur les deux
textes royalistes écrits au retour
d'exil.

12
Ils scellent
définitivement
la réconciliation avec
Henri IV.
Louis Dorléans y revient sur
quelques aspects des questions
politiques abordées naguère dans les libelles, mais c'est pour
en avoir une autre conception.
Nonobstant
leur coloration de
panégyrique,
ces oeuvres sont le lieu d'une profonde polémique
entre deux moments contradictoires de l'évolution idéologique de
l'auteur.
Quant
aux
manuscrits,
ils
sont
abordés
dans
le
quatrième chapitre. Textes composés à des périodes différentes
et de genres variés,
ils constituent un aspect intéressant de
l'oeuvre de Dorléans.
Leur ensemble est
très
volumineux.
La
Bibliothèque Nationale,
à
Paris,
dispose de deux recueils
celui
des
poésies
dans
un
volume
in-folio
contenant peu de
textes
pol i tiques (1)
et,
un
autre
d i t " oeuvre
posthume",
en
prose.( 2 )
Les poèmes politiques que nous examinons proviennent
du premier et les autres écrits en prose du second.
Entre les
pamphlets de
la Ligue et
les textes d'allégeance au
roi,
les
manuscrits
se
lisent
comme
une
oeuvre
bien
spécifique.
Ils
entretiennent avec les publications antérieures ou postérieures
des
rapports
d'éclairage
mutuel
très
importants
pour
la
connaissance de Dorléans.
( 1) B.N, ms. Ir. N° 863
(2)
B.N, ms. tr. N° 4922

13
Mais connaître une oeuvre ce n'est pas seulement maîtriser le
contenu et la thématique,
c'est encore comprendre les mécanismes
de
fonctionnement
interne et
les procédés d'écriture qui ont
présidé à
sa composition.
Notre troisiéme partie,
tirant
les
conséquences de la place de choix occupée par les pamphlets,
essaie de
définir
la poétique qui
les
constitue comme texte
polémique. Elle se propose d'abord de saisir,
dans un premier
chapitre, la source idéologique
qui nourrit l'argumentation
et
légitime
la
mission
de
l'auteur
publiciste.
Dans
cette
perspective,
les
idées
politiques
de
Dorléans
s'avèrent
un
creuset

les
visions
du
pouvoir
monarchique
autrefois
défendues
par
les
Calvinistes
côtoient
des
positions
théocratiques dans un éclectisme idéologique très particulier.
La
conception
de
l'état
chez
Dorléans
ne
se
confond
pas
totalement avec celle de son parti,
la Ligue. Les rapports entre
les textes polémiques et l'histoire immédiate s'éclairent aussi
à partir de la fonction idéologique qui sous-tend l'écriture.
Ils peuvent être de reflet et d'influence. Quelquefois le regard
de l'auteur sur son propre camp est très satirique. Et c'est à
ce moment précis que le pamphlétaire rejoint le moraliste dans
des préoccupations politico-religieuses très
intéressantes à
analyser.

14
Discours de persuasion par excellence,
le pamphlet met en oeuvre
tout un travail rhétorique sur lequel s'appuie la démonstration
des opinions proposées au lecteur.
L'étude de cette rhétorique
de
la
polémique
nous
semble
très
enrichissante
pour
la
caractérisation de la parole agonistique. Elle peut permettre de
comprendre les relations complexes qui unissent,
dans une meme
instance
d'énonciation,
l'art
de
la
connivence
et
l'art
de
convaincre,
deux statuts complémentaires de la persuasion. Dans
la
logique
de
sa
démonstration
et
pour
l'efficacité
de
sa
propagande,
l'auteur joue non seulement sur la raison mais aussi
sur
les
sentiments
du
lecteur.
Autrement
dit,
l'écriture du
pamphlet
intègre
un
travail
de
séduction
qui
se
l i t
comme
habileté
rhétorique.
Louis
Dorléans,
pétri
d'éloquence
classique,
sait
le parti
important
que
pouvait
en tirer
la
pertinence de son discours.
le destinataire est ainsi au coeur
'de
l'écriture
polémique.
Il
en
détermine
le
caractère
polyphonique
qui
fait
coexister
à
l'intérieur
du
texte
des
points
de vue
venus
d'ailleurs
avec
ceux
de
l'auteur.
Chez
Dorléans,
par exemple,
l'analyse
rhétorique montrera que les
discours calviniste,
"Politique" et ligueur se répondent dans
l'énonciation. Le contexte de lecture reste un élément important
de la composition.

15
Interrogée
Sur
sa
structure
interne
l'oeuvre
politique
de
Dorléans
révèle
aussi
une
architecture
poétique
solidementconstruite.
Le dernier
chapitre de
cette troisième
part ie
essaie
d' ét udier
la
fonct ion
textuelle
de
certains
procédés d'écriture dont se sert
le polémiste pour donner de
l'éclat à son discours. Le pamphlet est alors considéré comme un
genre littéraire dont nous chercherons à
déterminer les
lois
internes qui
régissent
son efficacité comme propagande.
Nous
examinerons ainsi tous ses éléments constitutifs, du titre à la
postface, en passant par l'utilisation partisane de l'histoire,
par le travail de la métaphore, par l'implication de Dieu comme
garant des
idées exprimées et par ce silence particulier que
Dorléans adopte dans son discours pour mieux en camoufler les
impasses démontratives. L'analyse de la poétique pamphlétaire de
l'auteur du Catholique Anglois
nous
conduira,
enfin,
à
nous
interroger sur les aspects de la composition qui
concourent à
faire de l'écriture polémique une sorte d'action dont les visées
aspirent à se réaliser,
d'abord et surtout,
dans le champ même
du discours.
Le texte devient
alors un lieu où s'affrontent,
dans une guerre des mots,
les idées de Dorléans et celles de ses
adversaires.

16
L'étude de l'oeuvre de Dorléans nous amène aussi à voir en guise
de
conclusion,
les
rapports
complexes
qui
pouvaient
unir
les
batailles politiques et les oeuvres littéraires.
C'est reposer,
dans
une
certaine mesure,
la
problématique
si
délicate
de
la
notion de "littérature engagée"
à
la lumière des troubles de la
fin du XVIe siècle. Dans cette même perspective,
nous essayerons
de dégager les caractéristiques qui serviront à une tentative de
définition du pamphlet
ligueur par rapport aux libelles de la
Fronde et aux textes modernes de type agonistique. Nous pourrons
en
même
temps
aborder
la question
des
spécificités
du
genre
pamphlétaire par rapport
à
la satire et
à
la polémique,
sans
prétendre,
i l s'en faut de beaucoup,
lui trouver une réponse. Si
nous
l'avons
jusqu'ici
évitée,
c'est
surtout
à
cause
des
contraintes
théoriques
qu'elle
comportait
et
qui
ne
nous
paraissaient pas à la mesure de l'intérêt que nous en tirerions
dans
l'étude de
l'oeuvre
de
Dorléans. Par ailleurs,
nous
ne
faisons
pas
de
différence
pertinente
entre
la
notion
de
"polémique"
et
celle
de
"pamphlet",
et
c'est
de
manière
indifférente que nOus les employons dans notre terminologie.

17
Cette
recherche
dont
les
articulations
sont
ainsi
définies
permettra peut-être d'apprécier la valeur de l'oeuvre de celui à
qui un anonyme disait à
juste titre
:
"
Et toy nouveau Phoebus,
avec
non moindre gloire
La France tu raviz,
chantant en tes beaux vers,
La route des mutins,
et du Roy la victoire.
"
(1)
(1) Vers tirés d'un sonnet mis à la suite du Cantique de Victoire.... lait par Dorléans après la victoire
de Jarnac (1569), Paris, chez le Man9nier, 1569, in-S', SFF.
L'auteur de cet éloge ne donne que les initiales de son nom: P. T.

18
PREMIERE PARTIE
La vie de Louis DORLEANS
1542 -1629

19
INTRODUCTION
Il peut arriver qu'un simple hasard de l'Histoire tire de
l'anonymat un paisible citoyen, pour le propulser au devant d'un
phénomène social qui finit par se confondre avec sa propre vie.
L'on ne
connait
alors,
le
plus
souvent,
de cet
homme que les
âges
qui
correspondent
à
ce
phénomène.
Ce
n'est
pourtant
pas
dire
que,
devenu
personnage
public,
l ' Histoire,
comme
les
mentalités ne s'intéressent guère à ce qui précède. Cependant ce
qu'on en
retient
épouse
parfois
les
contours
de
l'événement,
avec
tout
ce
qu'il
charrie
comme
légendes
et
comme
contrevérités.
Cela advient
le plus
souvent
si cette histoire
-ici
celle
de
la
Ligue-
est
condamnée
par
l'Histoire,
c'est-à-dire par le pouvoir dominant dont
la version des faits
ne souffre que rarement la contestation. (1)
(1) L'histoire de la Ligue a été l'oeuvre des vainqueurs, et le parti des vaincus est présenté sous un
visage négatif qui en rend encore plus légitimes la défaite el la répression.

20
Louis Dorléans est bien de ces hommes
dont
la vie présente,
à
cause
de
ce
curieux
phénomène,
des
parties
plus
ou
moins
connues,
et d'autres à propos desquelles l'on n'a retenu que des
oui-dire
à
la
faveur
d'une
vindicte
polémique
pas
aussitôt
calmée après
sa mort.
Si Dorléans le ligueur est plus ou moins
connu,
en revanche,
on sait peu de choses de son enfance,
de sa
formation et de sa famille.On ignorera de la même manière sa vie
d'exilé,
considérée comme une sorte de parenthèse à une carrière
d'avocat recommencée après la grâce royale.
C'est pourquoi nous
disposons de peu de documents,
surtout pour les périodes qui ne
concernaient
pas
la
Ligue.
La
biographie
que
nous
établirons
sera ainsi,
à beaucoup d'endroits,
parcellaire.
Toutefois, nous
pensons être en mesu r'e de corriger un certain nombre d'erreurs
relatives à la vie de Louis Dorléans.

21
CHAPITRE 1
De la naissance à l'exil: 1542-1594
A - De la naissance à la Ligue
Il existe beaucoup de témoignages contradictoires
à propos
de la date et du lieu de la naissance de Dorléans ;
de même que
Sur
l'année
de
sa
mort.
Certaines
dates
avancées
par
des
historiens
de
la
Ligue
proviennent
des
mêmes
sources
dont
la
diffusion
s'est
effectuée
par
répétition
purc
et
simple
des
erreurs
précédentes.
Pourtant,
i l existe
des
fils
conducteurs
pour fixer
avec exactitude
les périodes
de
sa vie.
Il Y a
son
âge,
87
ans
11 année
de
sa
mort,
sur
lequel
les
témoignages
s'accordent,
les affirmations de Dorléans lui-même à l'intérieur
de
son
oeuvre,
et
enfin
les
renseignements
donnés
par
les
contemporains.
Le
recoupement
de
ces
diverses
sources
peut
permettre d'avancer des hypothèses à peu près certaines.

22
1.
Date
et
lieu
de
naissance
Louis Dorléans naquit en 1542 à Paris et non à Orléans comme
l'ont indiqué certains historiens de la littérature. (1) D'autres
dates ont été avancées,
dont 1540/ par ceux qui ont soustrait 87
ans,
son âge de 1627 année présumée de sa mort. Cette hypothèse
n'est pas plausible car Louis Dorléans vivait encore en 1627.
Les
historiens
se
prononcent
d'ailleurs
rarement
sur
cette
question,
préférant indiquer l'âge et la date de sa mort.
La
date
de
1540
quelquefois
indiquée
a
sa
source
dans
un
témoignage d'un contemporain. En effet, Gui Patin, dans une des
lettres à son ami Charles Spon, médecin à Lyon, dans laquelle il
l'informait
Sur
un
certain
Mayern
Turquet,
auteur
de
la
Monarchie
aristo-démocratique,
dit
que
Louis
Dorléans
est
mort 1627, à quatre-vingt-sept ans. (2) Patin parlait de Dorléans
( 1) Par exemple :
Abbé P. Goujet,
Bibliothèque francaise ou histoire de la littérature francaise, Paris, H. L. Guérin et Mercier,
1753, 18 vol., P 267 tome XV
Supplément au grand dictionnaire ... de Louis Moreri, Paris, Lemercier, Vincent, Coignard,
Boudet, 1735, 2 vol., P 180 tome 2 .
A. Martin dans l'édition Gallimard (1958) du Journal de l'Estoile... , tome 2, note 77, p 582.
(2)
G. Patin. Lettres, éd. J. H. Reveillé . Parisa, Paris, J. B. Baillière. 1846, 2 tomes, p 366, tome 1.

23
parce
que
celui-ci avait
contredit
les
thèses
de
Turquet
au
sujet du règne d'Henri
IV. (1)
Les
informations que donne Patin
sur
notre
auteur
montrent
qu'il
le
connaissait
simplement
à
travers
les
témoignages
de
l'époque
sur
son
oeuvre.
C'est
pourquoi il ne pouvait pas savoir l'année de sa mort.
La preuve
qu'il vivait encore au début de 1629 est donnée par le privilège
qu'il
a
demandé
et
obtenu
pour
la
publication
des
Quatrains
moraux,
le 26 février
1629.
Mais
il
faudra
attendre deux ans
après pour voir cette oeuvre publiée de manière posthume.
Les
annotations
de
Sénéque
par
Dorléans
datent
aussi
de
cette
époque,
1627.
Patin Sera repris par l'éditeur,
R.
Lefèvre,
du
Journal
de
l'Estoile,
chez
Gallimard. (2)
La date exacte de 1542 a été cependant retenue par tous ceux
qui ne Se
sont pas
contentés de
reprendre,
sans vérification,
les témoignages.
L'Abbé Pierre Goujet qui s'est intéréssé très
tôt à Dorléans
fut
le premier à vouloir rétablir la vérité sur
ce
ligueur.
Dans
son
supplément
au
grand
dictionnaire
de
Moreri,
il Se proposait déjà de faire la lumière sur certains
témoignages. (3)
Il
reprendra
les dates
de 1542-1629 dans La
Bibliothèque
française. (4)
Les éditeurs de
la Croix du Maine
donnent la même chronologie et renvoient à Goujet(5).
(1)
Dans son ouvrage, La plante humaine sur le trespas du Roy Henry le Grand. Paris, F. Huby, 1612,
396 P + 22 If non paginées.
(2)
Journal de L'Estoile oour le règne de Henri III, Paris, Gallimard 1943, p 739, note 563
(3)
Abbé Goujet, Supplément .. , p 179, tome 2
(4)
Abbé Goujet, Bibliothègue.., p 272
(5)
La Croix du Maine et A. Verdier, La Bibliothèque francaise, Paris, Sailiant et Nyon, Lamber! 1772,

24
A.
Martin,
dans
la
suite de
l'édition Gallimard de
l'Estoile,
corrigera l'erreur de son prédécesseur.
R.
O. Lindsay et J, Neu,
dans
leur
"catalogue
des
pamphlets
français
dans
les
/1
bibliothéques
américaines
sont
d'accord
avec
ces
dates. (1)
Le
bien
fondé
de
cette chronologie est
enfin
attesté par Robert
Oescimon
qui
a
consulté
de
près
les
archives
notariées
du
Minutier Central des notaires de Paris. (2)
Où est né exactement Louis Oorléans ?
Sur cette question aussi
beaucoup d'auteurs ne se prononcent pas.
L'Abbé Goujet qui situe
la
naissance
à
Orléans
n'en
donne
pas
la
preuve,
ni
des
indications pouvant
fonder cette hypothèse.
A Martin,
dans
son
édition de L'Estoile,
reprend Goujet.
Nous pensons que la tentation de faire naître Oorléans à Orléans
s'explique d'une manière tout à fait banale:
Louis de la ville
d'Orléans.
L'orthographe
"0' Or léans",
en deux mots,
qui
n'est
d'ailleurs pas celle de l'auteur lui-même,
pouvait aussi être la
source
d'une
telle
tentation.
Le
père
Goujet
considère
cette
écriture "D'Orléans" comme incorrecte.
En plus,
un témoignage
(1) R. O. Lindsay and J. Neu, French
politjcal
pamphlets
in
amerjcfljo
librairies, Univ.
press. of
WisccAsin. Madison, Milwanker London, 1969, p 82.
(2)
R. Descimon, Qui étaient les SeÎze ? Mythes et réalités de la Ijgue parisjenne, Paris, Klincksieck,
1983, p 133.

25
d'un
contemporain,
celui
de
Colletet,
fait
de
Dorléans
un
parisien,
sans autre précision. (1)
Ne pouvant pas avoir la preuve de la naissance à Orléans,
nous
nous
sommes
limité
à
interroger
l'auteur
lui-même,
à
travers
son oeuvre.
Selon Dorléans,
c'est bien à
Paris
qu'il est né.
Dans
son
pamphlet,
Plaidoyé
des
gens
du
Roy
faict
en
Parlement .. . ,
i l déclare qu'il est né à
Paris où i l a
aussi
étudié. (2) Il dira la même chose de manière plus claire dans son
oeuvre
manuscrite,
Plan de
la maison
chrestienne
'
"Paris berseau de ma plus tendre enfance
Qui le premier ma clameur entendit
Lorsque naissant j'aparus à la France
Et qu'en ses bras ma mère me rendit" (1)
(Quatrain N° DCCXXII)
( 1)
Guillaume Colletet, Traité de la poésie morale et sentencieuse, Paris, chez Antoine de Sommaville
et Louis Chamhoudry, 1658, p 190.
(2)
L. Dorléans, Plaidoyé des gens du Roy fajct en Parlement en plaine audience Ioules les chambres
assemblées le 22 jour de décembre mil V-C quatre-vingtz-douze, Paris chez Jehan Musar, 1593, P
162, SN LF25 47.
(1)
Plan de la maison chrétienne, manuscrit français N'863 PP 549-551 (SN). Un recueil in-fol des
Poésies
chrestiennes de L. Dorléans. Pour l'orthographe des passages manuscrits cités, nous
retenons la graphie des recueils.

26
2 • La famille,
la formation
et la maturité
Le père de Louis,
maître Julien Dorléans,
était procureur au
Parlement.
Sa
mère
s'appelait
Marguerite
Babée.
Louis
était
l'aîné
d'une
famille
qui
sera composée
de trois enfants:
une
Soeur
Marguerite
et
un
frère
Raouland
qui
sera
secrétaire
de
l'ambassadeur
d'Espagne
et
qui
épousera
la
fille
de
Louis
Saincton.
Les Saincton sont
une célèbre
famille
de
ligueurs. (1)
Les
Dorléans
sont
certainement
d'origine
noble,
mais
d'une
pet i te
noblesse
quelques
historiens
de
la
Ligue
le
pensent. (2) A la faveur de sa situation,
maître Julien assura à
son
fils
Louis
une bonne éducation
intellectuelle et morale,
selon
les
traditions
humanistes
de
l'époque.
Dorléans
étudia
alors sous Dorat,
le célèbre helléniste, mvÛ~ de i(DI\\IJ~.
Ce dernier est
l'un des poètes préférès de Louis Dorléans,
i l
s'en est beaucoup inspiré dans sa poésie amoureuse.
Guillaume
Colletet mentionne d'ailleurs le nom de Dorléans parmi "ceux qui
honorèrent par leur doctes vers les restes de Ronsard" . (3)
(1) Voir R. Descimon, op cit, P 133·134
(2)
R. Descimon par exemple, QlL..Çjl., p 133·134
(3)
G. Colletet, pierre de Ron"illil: ses juges et ses imitateurs. Paris, Nizet, 1983 (nouvel. éd.) p 90.

27
Dans
cette
liste,
notre auteur côtoie son ancien maître Dorat,
des professeurs de renom comme Passerat,
un magistrat célèbre, A
Loisel et de grands poètes
: R.
Garnier,
J.
A.
de Baïf et tant
d'autres.
Louis
Dorléans
nous
apprend qu'il
a
pris
goût
à
la
poésie pendant ses études chez Dorat
: "Or cet amour de la Poésie
me prit estant escolier soubs monsieur Dorat" . (1) Dorléans fit
de solides études de latin et de grec. Même devenu avocat,
cette
formation
humaniste
le
poussait
sans
cesse
verS
les
lettres,
surtout
vers
la
philosophie
et
la
poésie.
Il
composait
des
poèmes
en
latin,
traduisait
Synésius,
annotera
Sénéque
le
Rhéteur et Tacite. Et i l est certain qu'il a commencé.très jeune
à
composer de la poésie en français. (2)
Sur
le
nom du
collège

i l
étudia
avec Dorat,
comme
sur
ses
études
de
droit
qui
suivront,
nous
ne
possédons
ni documents
écrits ni témoignages de l'auteur ou des contemporains.
Il
se
maria
avec
la
demoiselle
Michelle
Dudère,
fille
d'un
auditeur des comptes Jehan Dorléans.
Il est possible qu'il soit
lié avec cette femme par une parenté plus ou moins éloignée.
( 1)
L. Dorléans, Quatrains moraux pour l'instruction de la jeunesse, Paris, Fr. Targa, 1631, in - 12 0,
128 P "au lecteur" p 4.
(2)
L. Dorléans, Quatrains moraux; p 4. - SN, ms. tr. W 863.

28
Avant son mariage,
très
jeune,
il était tombé amoureux d'une
certaine Catherine de La
Sale,
à
qui
i l a
adressé plusieurs
poèmes,
sous le nom de Sylvie. (1) Elle fera d'ailleurs plus tard
partie du groupe de ses amis.
La date et les circonstances du
mariage
restent
aussi
à
déterminer.
Une
autre
question
à
laquelle les documents consultés ne permettent pas de répondre
porte sur la date de son entrée au Parlement de Paris comme
avocat.
Toutefois,
on peut retenir qu'il est nommé,
jeune au
Palais,
entre 1569 et 1577. Un manuscrit de la B. N. intitulé:
Mélanges
sur
l' histoire
de
France
porte
en
sous
titre
"livre d'extraits pour Monsieur Dorléans, advocat en Parlement,
1577".(2)
Il
contient,
entre
autres,
le
texte
du
Discours
merveilleux
de
la
vie
et
déportement
de
Catherine
de
,
Médicis
;
Dorléans
y
ajouta
des
remarques
manuscrites
très
sévères à l'endroit des Huguenots.
La première publication connue de Dorléans est un Cantique de
Victoire(3)
sur la bataille de Montcontour où les protestants
furent défaits en octobre 1569.
(1)
Voir Les amours de Sylvie, SN, ms tr W 863, P 557-600.
(2)
SN, ms. tr. W 10194
(3)
L. Dorléans, Cantique de victoire par leouel on peut remarquer.... Paris, Le Mangnier. 1569, in _
8°, 8 Il.

29
Il fit par la suite des
imitations de
l'Arioste en mettant le
premier
livre
du
Roland
en
vers
héroïques,
en
1572. (1)
La
composition de ce
poème
peut être antérieure à cette date car
les imitations,
selon Goujet, se lisaient manuscrites. C'est une
période
au
cours
de
laquelle
il
s'est
beaucoup exercé à
la
poésie
de
circonstances
cantiques
de
victoire,
élègies, tombeaux,
épithalames,
sonnets
de
célébration, comme
celui
sur
la
Franciade
de
Ronsard
en
1572,
et
d'amour
pétrarquisant.
Les
poèmes
des
Amours
de
Sylvie,
restés
manuscrits,
datent, pour plusieurs d'entre eux,
de cette époque.
Beaucoup de ses poèmes composés entre 1569 et son entrée à la
Ligue resteront manuscrits. Exception faite de quelques uns que
signale Goujet dans
sa Bibliothèque,
ils se trouvent dans le
manuscrit
des
Poésies
chrestiennes, (2)
brouillon
d'une
édition posthume jamais faite,
à notre connaissance. Le sonnet,
assez
célèbre,
sur la mort
de
l'Amiral Coligny est aussi
de
cette époque. (3) De cette vocation pour la poésie,
l'auteur n'a
pas tiré le parti qu'il fallait.
Il a préféré faire du commerce
des Muses un passe-temps,
une activité secondaire par rapport à
sa carrière parlementaire, plus importante à ses yeux.
( 1) Voir l'édition du recueil des Imitations d'Arioste, Paris, chez Lucas Breyer, 1572, in - 8'.
( 2)
BN, ms. Ir. N' 863.
(3)
Voir: - Bordier (H) "Sonnet de Louis Dorléans sur la mort de l'Amiral Coligny", dans Bulletin de la
société
de
l'Histoire du
Protestantisme, 1ère série, tome 1-4, 1855, P 538.
- Tricotel (E)
"Quelques vers sur la mort de Coligny", dans B S,H P
2ème série, tome 24, 1875, P 83-85.
Celui-là remarquait justement à propos de Dorléans : "Pour être juste en tout, il faut convenir que
ces vers sont d'un bon style, et d'autant plus digne d'être loués sous ce rapport, que Louis Dorléans
les écrivait à une époque où Malherbe, à peine adolescent, était encore inconnu", p 538.

30
Cela
explique
partiellement
l'inexistence
de
publication
intégrale
de
cette
oeuvre
relativement
importante.
Dorléans
lui-même fait une remarque très significative à cet effet
:
"Je te confesse
(au lecteur)
que de mon naturel,
j'ay aymé et
estimé
la
Poésie
autant
que
jeune homme qui
ait
esté de mon
temps
( ... ).
Non que
j'en voulusse
faire profession,
bien que
mon naturel y
fut porté de say-même, mais parce que j'avais une
vacation honorable au
Palais et
qui
jeune me retenait,
et
~
laquelle j'estais affectionné: car d'estre appellé poète je ne
le désirais ... " (1)
La dernière partie de cette déclaration peut d'ailleurs
fonder
la thèse,
une
fois
encore,
de
sa nomination au Parlement à un
âge
très
jeune. Cette
position
vis-à-vis
de
la
poésie
sera
rappelée dans les Oeuvres manuscrites.
A cette période,
i l eut aussi une grande responsabilité sociale.
Le
12
juin
1565,
Dorléans
signa
le
contrat
de
mariage
de
sa
soeur
Marguerite.
En
mars
1576,
i l
partage
avec
son
fère
Raouland et leur soeur,
la succession de leur aieule maternelle.
(1) L. Dorléans, Quatrains
moraux ... , "au lecteur" p 3-4.

31
Au mois de juin 1577 Dorléans fit avec sa femme un don mutuel,
oeuvre de bienfaisance communale hautement appréciée à l'époque.
Quatre années plus tard,
en 1581, il signa le contrat de mariage
de sa belle soeur. (1)
On peut déduire de ces informations que Dorléans avait commencé
une vie
sociale
qui
s'annonçait paisible
et
prometteuse
sa
carrière était
assurée
et
sa
famille
semblait
vivre
dans
un
bonheur relatif.
Son appartenance à la première Ligue,
celle qui se constitua à
cette période en 1576,
n'est pas attestée par les historiens,l2J
Comme
on
s'en
rend
compte,
l'état
actuel
des
recherches
ne
permet
pas
de
faire
de
manière
linéaire
et
certaine
la
chronologie
de
cette
tranche
de
vie.
La
généalogie
de
sa
famille,
ses années de
jeunesse et de formation,
son entrée au
Palais restent,
entre autres,
des points vers
lesquels devront
être orientées les investigations ultér·ieures. (3)
(1) Voir R. Desclmon, .QlLQ1.. p 133.
(2) Voir Baumgartner. Radical
reactionaries: the political thought of the french catholi~
league.
Genève, Droz. 1976. p 251, note 24.
(3) L'auteur des remarquessur la Satyre Ménippée rapproche L. Dorléans d'un certain François Dorléans.
libraire réformé. massacré en 1572 ; voir goujet. Bibliothèque .... p 268.

32
B - La Carrière ligueuse: 1585 - 1594
Cette période va constituer un tournant dans la vie de Louis
Dorléans. Elle scellera pour toujours un destin que cet amoureux
des traditions aurait certainement refusé s ' i l n'avait . dépendu
que de sa volonté.
La Ligue va aussi lui forger une réputation
que quatre
siècles d'Histoire n'ont
pas encore
effacée.
C'est
pourquoi
ce
sera
la
période
de
sa
vie
la
plus
riche
en
renseignements
et,
bien
sûr,
en
légendes.
C'est
l'époque
de
composition et de publication de son oeuvre polémique qui fera
de lui l'un des pamphlétaires les plus célèbres de la Ligue.
La
seconde
Ligue
fut
fondée
en
janvier
1585,
à
la
suite
du
traité de Joinville entre Philippe II et les princes lorrains.
Nous reviendrons plus loin sur les raisons et les conditions de
cette formation. Cl}
Et dès les premiers
jours,
Louis Dorlèans
fut coopté par Charles Hotman dit La Roche Blond,
chargé par le
noyau
fondateur
de chercher des
membres
parmi
les
hommes de
qualité
au Parlement.
Dorléans entra
ainsi
très
tôt
dans
la
Ligue en même temps d'ailleurs que son collègue Jean de Caumont
avec qui il va être le futur pilier de la Sainte Union à la Cour
parlementaire. (2) De Thou situe son adhésion en 1587. (3)
(1)
Voir lnllil..., 2éme partie chap
1
(2)
Voir E. Barnavi et R. Descimon, La Sainte Ligue' le juge et la potence, Paris, Hachette, 1985, p46.
(3) J. A. De Thou, Histoire Universelle depuis 1543 jusqu'en 1607, (trad. sur l'éd. de Londres) Londres,
1734, 16 vol. T. 9, P 650.

33
Cette
date
est
en
fait
erronée
comme
sont
tendancieuses
les
raisons que l'historien donne de cette adhésion.
Selon lui,
L.
Dorléans faisait partie de ceux qui cherchaient dans la Ligue de
quoi payer leurs dettes. (1) Avant la date avancée par De Thou,
notre auteur était déjà bien connu comme ligueur convaincu à
travers ses deux premiers pamphlets publiés en 1586,
quelques
temps seulement après sa cooptation.
Un document de l'époque,
Le
dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
le
Manant,
situe
Dorléans parmi les premiers membres de la cellule dirigeante de
la Ligue. (!/-) En fait,
i l y adhéra à un moment où le succès de sa
carrière
était
assuré.
Comme
i l
le dira plus tard,
Dorléans
était de ceux qui défendaient leurs convictions dans la Sainte
Union
et
n' y
cherchaient
ni
la
gloire
ni
la
fortune. (3)
Loyaliste et farouchement
opposé aux principes défendus par la
Ligue,
De Thou qui faisait
l'histoire d'un mouvement vaincu ne
pouvait qu'accentuer les charges qui pesaient sur les membres de
cette organisation considérée comme séditieuse.
(1) J. A. De Thou, Histoire Universelle depuis 1543 jusqu'en 1607, (trad. sur l'éd. de Londres)
Londres, 1734, 16 vol. T. 9, P 650.
J. A. De Thou, ibid.
(2)
Dialogue d'entre le Maheustre et le Manant..., s. 1. , 1593 édition de 1595201 If· f 64 SN. Lb35
509C.
(3) Voir sa lettre au Chancelier Sellièvre, depuIs la Conciergerie où il était emprisonné à son retour
d'exil, en date du 18 avril 1603 . SN ms. fr n" 15900(2} lettre n"440.

34
La
détermination
de
Dorléans,
servie
par
une
culture
très
importante et une éloquence certaine,
lui donna très tôt une
grande influence au sein de ce Parti. Certaines réunions de la
cellule de dix membres,
qui était le noyau dirigeant duquel il
faisait part ie,
se tenaient quelquefois chez lui (1). Malgré cet
engagement,
Dorléans
ne publia
aucun
pamphlet
pendant
cette
première année de la Ligue.
Les écrits polémiques n'ont certes
pas encore atteint un nombre important;
17 pamphlets seulement
ont été édités par les presse ligueuses à Paris.(2)
Toutefois,
il
est
un
orateur
apprécié
sur
les
places
publiques
;
il
contribua ainsi amplement à la diffusion des idées de la Sainte
Union. (3)
A
partir
de
cette
période
Dorléans
devient
essentiellement un homme public, et les témoignages de l'époque
n'ont retenu que ce qui concernait sa vie de ligueur.
Sa vie
familiale
fut
donc
mise
entre
parenthèses
aux
yeux
de
l'Histoire.
(1) Voir
:
• Dialogue d'entre le Maheuste el le Manant, f. 65
• Satyre Men;poée... , édit. Nodier, Paris, Delangle/Dalibon 1824, 2 vol. in - 12°, TL M LX-LXI.
(2) Voir Denis Pallier,
Recherches sur l'imprimerie à paris
pendant la Ligue, 1585-1594, Genève,
Droz, 1976, P 55 et 57.
(3) Voir Ch. Lenient, La satire en France ou la littèrature militante au XVIe siècle, Paris, Hachette,
1877 (nouv. édi,), Tome 2, p 87.

35
L'année
suivante,
1586,
Dorléans
va
faire,
comme pamphlétaire,
son
coup
d'essai
qui
sera
d'ailleurs
tenu
pour
un
coup
de
maître.
L'imminence
de
l'arrivée
au
trône
d'Henri
de
Navarre,
héritier présomptif aprés
la mort du Duc d'Anjou,
avait remis à
l'odre
du
jour
des
débats
politiques
la
question
de
la
loi
salique.Celle-ci
constituait
un
rempart
que
la
Ligue
devait
abattre
pour
éviter que
l'Etat
de
France
tombe
aux mains
d'un
roi
non
catholique.
La
situation
se
compliquait
d'autant
plus
pour
la
Ligue
que
des
magistrats
loyalistes
soutenaient,
à
l'intérieur du Parlement,
que la loi salique était
le fondement
de la monarchie française.
Cette opinion fut
reprise et diffusée
dans
les
textes
des
Politiques.
Les
publicistes
ligueurs
se
devaient
donc
de
réagir
et
d'opposer
d'autres
arguments
aux
raisons ainsi avancées.
Dorléans
s'acquitta
de
cette
tâche
en
publiant,
au
début
de
cette
année,
un pamphlet
d'une
trentaine de
pages,
entièrement
consacré
à
la
loi
salique,
malgré
son
t i t r e
Apologie
ou
défence
des
catholiques
unis
les
uns
avec
les
autres,
contre
les
impostures
des
catholiques
associez
à
ceux
de
la
prétendue
Religion. Il)
(1)
L. Dorléans, Apologie ou dérance des catholiques unis les uns avec les autres contre les impostures
des catholiques associez à ceux de la prétendue religion. s. l, 1586, in -8 0 32 p.

36
Ce
texte
anonyme,
est
aujourd'hui
considéré
avec
certitude
comme de Dorléans. (1 ) La polémique qu'il engage ici contre les
idées des Politiques et des Protestants au sujet de la monarchie
de succession lui permet de disqualifier la loi salique au nom
de
la
loi
de
Dieu.
Le
succès
mesuré
de
ce
premier
écrit
l'encouragea. Et quelques mois plus tard il acheva et publia un
second
pamphlet
que
l ' Histoire
retiendra
comme
l'un
des
meilleurs
de
l'époque.
L'advertissement
des
catholiques
anglois
aux
françois
catholiques
du
danger

ils
sont
de
perdre
leur
religion
et
d'expérimenter
comme
en
Angleterre
la
cruauté
des
Ministres
s'ils
reçoivent
à
la
Couronne
un
Roy
qui
soit
hérétique,
paraît
ainsi
la
même
année. lt) Il eut un succès éclatant. Les ennemis déclarés de la
Ligue reconnaissent même la portée de ce pamphlet. (3) Il suscita
une levée de boucliers chez les partis adverses qui ne tardèrent
pas à réagir par plusieurs publications polémiques. Le rôle joué
par
ce
texte,
devenu
célèbre
sous
le
nom
du
Catholique
Anglois,
dans
la propagation des
idées de l'Union lui valut
d'être réédité plusieurs fois.
(1) - Voir: A. A.
Barbier, Dictionnaire
des
ouvrages
aoonymes
et
pseudonymes.
Paris, imp.
bibliographique, 1806, 4 vol., T2, P 507. - E. Barnavi, Le parti de Dieu
étude sociale et politique
des chefs de la Ligue parisienne 1585-1594. Pans Publication de la Sorbonne, NS recherche N° 34
et Louvain édit. Nauwelaerts, 1980, p 343. - F. J. Baumgartner, Radical reactionarjes.. , p 67 et
note 44. - Hauser, Les sources de l'Histoire de Fraoce. Paris, Picard 1906-1916, Tome III, p 301.
- R. O. Lindsay and J. Neu, French po1itical... , p 82.
(~) L. Dorléans, Advertissement des catholiques anglois aux francois catholiques du danger où ils sont
de perdre leur religion ... , s. l, 1586, in_8°, 133 p, BN Ib34 311 D.
(3)
Par exemple cette remarque de L'Estoile : 'Ce beau livre intitulé 1e catholique anglois, et imprimé
à Paris en cet an 1586 (... ) courait à
Paris,
s'y voyait et lisait avec grande ardeur et
recommandation de ceux de la Ligue .. :. Journal pOllr le règne de Henri 111., p 479,
Voir aussi Barnavi, Le Parti de Dieu, p 71.

37
Il
servit
même
de
modèle
à
d'autres
pamphlets
du même bord. (1)
Jusqu'à
prèsent
la
dèmarche
polémique
de
Dorléans
suit
une
logique
cohérente.
Après
avoir
fondé
en
théorie
le
refus
de
choisir
Henri
de
Navarre
comme
roi
de
France,
dans
son
Apologie . . . ,
i l
lance
un
appe l
à
l ' act ion,
en
mont ra nt
les
dangers liés au respect du choix selon la loi salique,
dans son
catholique
Anglois. (2)
Après ce succès obtenu par ces deux premiers pamphlets,
Dorléans
sait
maintenant
que
désormais
son
destin
est
lié
à
jamais au
sort de la Sainte Union.
Il savait aussi que sa vie pouvait être
menacée à tout
instant.
Mais
l'ardeur
"révolutionnaire" aidant,
i l ne s'en souciera vraiment
qu'au moment
de
la défaite totale
en 1594,
bien qu'entre temps,
des
sanctions exemplaires fussent
prises
par
un
roi
débordé,
ne
contrôlant
presque
plus
sa
capitale,
Sous
la
pression
d'Henri
III
maître
François
Le
Breton,
avocat,
collègue
de
Dorléans
est
pendu
le
22
novembre
1586,
par
arrêt
de
la
Cour pour avoir été
"déclaré
atteint
et
convaincu
de
crime
de
lèse-majesté
et
comme
séditieux
et
perturbateur du repos public". (3)
(1) Il fuI même réédité en 1587 el en 1588, et servit de modèle en 1589 à l'Advertissement
des
catholiques de Bearn aux catholiques franeais,
touchant la déclaration faicte au pont St Cloud par
Henri IV roy de Navarre
le 4ème jour d'a oust, Lyon 1589, Troyes 1589,
(2) Voir infra 3ème parlie : La Stratégie polémique dans l'oeuvre politique de L. Dorléans.
(3)
L'Estoile, Journal pour le régne d'Henri III.. , p 458·459.

38
Et
ce,
en
raison d'un
pamphlet
qu'il
avait
composé
et
fait
éditer
à
Paris.
Malgré
cet
avertissement,
qu'il
devait
considérer comme lui étant adressé,
Dorléans va persister dans
sa guerre par la plume
contre tout
ce qui pouvait
nuire aux
projets de la Ligue.
Toutefois,
on
peut
croire
que
la
pause
marquée
dans
la
composition de ses pamphlets en 1587 s'explique, en partie, par
une certaine peur de la répression royale. Pendant cette année,
Dorléans ne publia pas d'écrit polémique. Mais il continuait le
combat par d'autres moyens.
Il était de ceux qui servaient de
relais aux idées des prédicateurs pour répandre le message du
Parti
de
Dieu
au
sien
des
foules
rassemblées
pour
la
circonstance.Il
passait
ainsi
l'essentiel
de
son
temps
à
expliquer et
à convaincre les hésitants.
Au Parlement,
comme
dans
les réunions publiques des Seize il se faisait
remarquer
par son éloquence. Palma Cayet l'appelait d'ailleurs, bien qu'il
ne l'aimàt point,
un "grand et docte personnage éloquent mais
calomniateur". (1) Ce changement
de méthode provenait-il d'une
demande
des
Seize
qui
avaient
pu
mesurer
la
portée
des
harangues l2) de Dorléans sur les masses, pour la majorité peu
(1)
Palma Cayet,
Chronologie
novenaire contenant l'histoire de
la guerre sous
le règne du
Tres·chrestien roy de France et de Navarre Henry IV, Paris, 1838 (coll. Michaud & Poujoulat).
(2)
Lenient pense que Dorléans était aussi un orateur éloquent qui s'adressait quelquefois aux ligueurs
réunis en assemblée. QJLQL, p 87.

39
cultivées à
l'époque? On peut
le penser,
car cette pause dans
la composition des libelles fut
individuelle.
D'autres ligueurs
continuaient
à
publier
;
entre
1586
et
1587
le
nombre
de
pamphlets est passé de 21 à 78 à Paris. (1)
A partir de 1588 son engagement au sein des Seize devient encore
plus
marqué.
Il
reprend
sa
plume
de
pamphlétaire
et
publia
contre
ceux
qui
défendaient
la
continuité
de
la
monarchie
de
succession.
Ecrite
avec
un
ton
très
incisif,
la
description
de
l'homme
politique
de
ce
temps
avel!
sa
foy
et
religion.
Qui
est
un
cataloque
de
plusieurs
hérésies
et
athéismes

tombent
ceux
qui
préfèrent
l'estat
à
la
religion
catholique,
s'attaque
aux
thèses
des
Politiques
et
des
Huguenots.(2)
C'est
un
pamphlet
en
vers,
bien
écrit,
s'agissant
d'une
poésie
polémique,
qui
dénonçait
surtout
les
opinions de Michel de l'Hospital,
que Dorléans considérait comme
un traître à
la cause catholique.
Dans
son dernier pamphlet,
il
n'hésita d'ailleurs pas à écrire le nom du chancelier au milieu
(1) D. Pallier, Recherches ... , P 56-57.
(2) L. Dorléans, pescription de l'homme politicgue de ce temps avec sa foy et religion ... , Paris, G.
Bichon, 1588 in-8°, 12 p BN, Rés. ye 3828.

40
d'un extrait où il ne figurait pas dans l'édition. (1 ) Ce texte
d'une dizaine de pages sera plusieurs fois publié dont deux fois
avec des titres différents
. Il est réédité la même année sous
l'intitulé
La
description
du
politique
de
nostre
temps
faict
par
un
gentilhomme,
François. (2 )
Il
n'est
plus
disposé en vers comme le texte original,
mais on remarque les
rimes
à
l'intérieur de
la prose.
C'est un pamphlet que l'on
confond
souvent
avec
un
autre
resté
toujours
anonyme
Portrait
et
description
du
politique
de
ce
temps,
extraict de l ' Escriture Sainte (3). Ce
dernier est
accompagné
de
gravures
et
de
légendes.
Il
est
écrit
en
alexandrins
regroupés en strophes de
6 vers,
chaque strophe est précédée
d'une citation de la Bible.
A la fin de cette année 1588, Louis Dorléans est élu député de
Paris
aux
Etats
Généraux de
Blois
du
16 octobre.
Dorléans,
Etienne de Nully,
La Chapelle Marteau,
Jean de Compans, Nicolas
Anroux
et
Louis
Bourdin
représentaient
le
Tiers-Etat. (4)
Dorléans fit à ces assises une intervention trés remarquée.
( 1)
Il s'agit du Banauet du Cante d'Arèle ... , vair infra
2ème partie
chapitre 2
( 2)
L. Dorléans, La description du pollticque de nostre temps faie! par un gentilhomme français, Paris,
chez la veufve Fr. Plumion, 1588, in-8° 7 If BN. Rès. ye. 3831.
(3)
POrlrait et description du politique de ce temps extraiet de l'escriture sainte, s.1. n. d.
(4)
Voir E. Barnavi et R. Descimon, La Sainte Ligue..., p 62.

41
Ce zèle qu'il n'a cessè de manifester pour la dèfense de l'Union
sera rècompensée d'une promotion dans sa carrière d'avocat. En
1589
les
Seize
contrôlent
toute
l'Administration
à
Paris.
~1ayenne devient
"lieutenant
général
du Royaume"
et
la Ligue
place alors aux postes clefs ses hommes de confiance. Dorléans
est nommé avocat général le 21 janvier de cette année,
en même
temps
que
son
collègue
Jean
le
Maistre. (1)
Son
influence
au
Parlement s'en trouva
alors
considérablement
renforcée.
Il a
critiqué sévèrement
le procureur général Molé,
nommé par les
Seize,
quand ce dernier a aidé Chartier,
doyen du Parlement,
à
se défendre contre les accusations de la Ligue. Dorléans faisait
remarquer au procureur que son attitude profitait aux défenseurs
du Béarnais. (2) Notre avocat a été parmi ceux qui eurent l'idée
de
faire
jurer aux membres du Parlement
leur allégeance à
la
Sainte Union. Et le 30 janvier 1589 Dorléans fut des premiers à
prononcer
le serment
de
fidélité
imposé par
les
Seize
;
326
membres
du
Parlement,
au
total,
s'engagèrent
de
manière
solennelle
à
défendre
la
Ligue
et
la
Religion
catholique
(1) Voir BN. ms. tr
399S pièce 38 el L'Estoile, Journal pour le règne d'Henri Il! f1574-15891, P
S09.
(2)
L'Estoile, Journal Dour Henri IV.. " p 99.

42
apostolique et romaine,
même au prix de
leur vie. (1)
La
description
de
l'homme
politicque
de
ce
temps
e s t
rééditée
à
Lyon
sous
le
t i t r e
La
vie
des
traistres
politicques
Navarrois,
à
partir
d'un
exemplaire
de
la
première
édition
rimée
à
Paris en
1588. (2) Entre
1589 et 1591
les évé~ements vont s'accélérer pour les ligueurs. Henri III est
assassiné
(2b18)
et Henri de Navarre a déjà commencé le siège de
Paris.
Les
publications
polémiques
atteignent
un
nombre
impressionnant à l'intérieur de la capitale,
passant de 157 en
1588
à
362
en
1589
après
la
mort
de
Henri
II 1.
C'est
selon
Pallier le chiffre annuel le plus élevé.(3)
En
1590,
l'accession au trône de France devient plus imminente
pour Henri de Navarre.
Les menaces du Catholique anglois sont
alors plus que
jamais actuelles.
Dorléans va les revoir et les
augmenter.
Ainsi
il édite son pamphlet le plus long
: Premier
et
second
advertissements
des
catholiques
anglois
aux
(1)
Simon Goulart. Mémoires de la Ligue... , nouv. édit.
Amsterdam, 175a, Tome 3, p 179.
(2)
L. Dorléans, La yie des trais!es politicques navarrois, Lyon, par Loys Tantillon, 15a9 13 p, in·a"
SN., Rés ye 49a9.
(2bls) Le 1er aoQt 15a9 par le moine J. Clément.
(3)
D. Pallier, Recherches ..., p 57.

43
françois
catholiques
et
à
la
noblesse
qui
suit
à
présent
le Roy de Navarre. (1) Il
contient
dans
la première partie une
mise
à
jour du
Catholique
Anglois
de
1586.
Ce
texte
aura
plusieurs
éditions
il
sera
même
tradui t
en
espagnol
en
1592.(2) C'est un pamphlet qui dénonce aussi certains excès de
la
Ligue,
il
annonce
pour
certains
points
le
Dialogue
du
Maheustre.
En
1591
Dorléans
joua
un
rôle
important
dans
la
bataille
politico-juridique qui
opposa le Parlement
de Paris à
celui,
royaliste,
de Châlons. Le 10 juin 1591 le Parlement de Châlons
vota un arrêt très sévère à l'égard des Seize. Il fustigeait,
en
effet,
la bulle du Pape qui rappelait l'excommunication d'Henri
de Navarre. La structure du texte de l'arrêt épouse d'ailleurs
la
forme
des
libelles
de
l'époque. (3) Le
8
juillet,
selon le
texte de
l'arrêt du Parlement de Paris -le 17
juillet d'après
L'Estoile- Dorléans rédigea de sa main la réponse de Paris aux
attaques de Châlons.
(1) L. Dorléans, premier et second advertissement des catholîques anglais aux 1rancais catholiques el à
la noblesse qui suit à présent le Roy de Navarre, Paris, chez G. Bichon, 1590, in-Bo, 2 parties: 86
ft et 2éme partie 167 fI. Bibliothèque historique de laville de Paris, Rés 550024.
(2) La traduction est de Félix de Guzman. Advertencias que dan los catolicos ingleses, Madrid, 1592,
În~8° - voir Hauser 2IL-.91" p 300.
(3) Voir le texte complet de l'arrêt de Châlons BN, ms. fr.
W 2751, P 71-72.

44
En dépit de sa sévérité le texte ne plut pas aux docteurs de la
Sorbonne
parce
qu'il
utilisait
des
qualificatifs
qui
"ne
seyaient
pas
au
Roi
de
Navarre
excommunié". (1) La
faculté
de
Théologie
demanda
au
procureur
Molé
de
revoir
la
rédaction.
C'est
alors
que
se
produit
un
retournement
qui
montre
l'importance
de
Louis
Dorléans
aux
yeux
des
docteurs.
Ayant
appris que le texte est de Dorléans,
ces derniers le laissèrent
passer
sans
rien
y
ajouter. (2)
Paris
considèrait
les
déclarations de Châlons comme traduisant un mépris trop grand
pour
la
puissance
pontificale,
et
"contenant
schisme
et
hérésie" .
Cette
année
va
être
aussi
celle
de
la
première
querelle
de
Dorléans avec la Ligue.
Le 15 novembre 1591 le président Brisson
fut
pendu
à
l'aube.
Ayant
appris
la
nouvelle,
Dorléans
fut
indigné.
Il traita les auteurs de
"méchants et meurtriers" (3)
devant les envoyés des Seize venus l'informer.
Il exigea que les
coupables
soient
jugés
et:
suppliciés.
N'ayant
pas
été
écouté
Dorléans s'éloigna de ses amis.
(1) L·Estoile. Journal d'Henri IV.... p 120.
(2) L'Estoile, ibid.,
p 120
(3) L·Estoile. ibid,
P 139.

45
Certains
témoignages
considèrent
même
qu'il
a

démissionner
2près
l'assassinat
de
Brissor..
L'un
des
plus
perspicaces
chroniqueurs
de
la
Ligue,
L'Estoile
en
fait
cet te
relat ion
"L'avocat
Dorléans
fut
de
la
Ligue
et
des
plus
avant,
si
n'était-il plus des Seize depuis la mort du président Brisson,
car il en avait trouvé l'acte si barbare et si vilain qu'il les
en détestait et haïssait".
(1)
Sans être aussi catégorique que L'Estoile,
on peut affirmer que
maître Dorléans avait suspendlJ ses activités pour manifester son
mécontentement
et
son
désaccord
avec
de
telles
méthodes
de
lutte.
Les Seize,
qui
savaient ce qu'il
représentait pour leur
combat,
ne tardèrent pas à venir le rassurer et le récupérer. A
Boucher,
qui
lui
avait
demandé
à
quel
jeu
la
Ligue
l'avait
perdlJ,
i l avait répondu avec ironie
"à la rafle". (2) Une mission
fut
alors
envoyée
à
son domicile
pour
négocier
avec
lui
les
conditions de son retour à la Sainte Union. Elle était conduite
par Boucher, prévôt des marchands.
(1) L'Estoile, Journal d'Henri IV... , p 143
DorJéans a même fait un tombeau à fa mémoire de B.
Brisson.
(2) • L'Estoile, ibid.,
p 143.

46
Dorléans
faillit
les
expulser
de
son
domicile
parce
que
Louchart,
l'un des assassins de Brisson était des messagers. La
remarque de Dorléans à
l'égard de Louchart est ainsi rapportée
par P.
Fayet
"meschant,
oses-tu bien accompaigner monsieur le
prévost
? Tu as
faict
sortir deux prisonniers par argent,
tu
n'es que ung voleur; mais que
justice ait lieu,
je te feray
pendre ; sors de ma maison"
(1)
Cela se passait
le 26 novembre
1591,
quelques
jours seulement
après la mort de Brisson. Rendus inquiets par la désapprobation
générale qui suivit
cet événement,
les
Seize avaient
plus que
jamais besoin de leurs polémistes et de 1eu~orateurs. Dorléans
revient ; et un peu moins de huit
jours plus tard le 4 décembre,
Louchart est
jugé et pendu sous la pression secrète de Mayenne.
Etait-ce l'une des conditions imposées par le fameux auteur du
Catholique Anglois ?
Les documents historiques ne permettent
pas de l'affirmer comme ils n'autorisent pas non plus à dire que
Dorléans a reçu de l'argent pour son retour au sein desSeize.
L'Estoile qui rapporte la dernière hypothèse n'en donne pas la
preuve. (2)
( 1) P. Fayet, Journal historique sur les troubles de la Ligue .... Tour Ladéveze.
1852, édit. V.
Luzarche, p 114.
( 2)
L·Estoile. Journal d'Henri IV .. , écrit
"Les Seize avaient donné deux cents écus de l'argent
d'Espagne à Dorléans. réduit à cela par la nécessité". p 203.

47
Cependant
l 'histoire
retient
ce
marché
pour
vrai,
Mais,
à
ce
propos
nous
n'avons
que
le
seul
témoignage
de
Pierre
de
L'Estoile, (1) Et pourtant,
on connaît maintenant
la partialité
historique de cet historien royaliste. (lbis)
L'année
suivante 1592,
ébranle cette reconcialition encore peu
solide.
Indigné
par
les
méthodes
repressives
radicales
pratiquées
par
les
Seize
contre
leurs
adversaires,
Dorléans
critiqua violemment
ses
amis,
Le vendredi
30
octobre 1592,
au
Parlement
devant
Mayenne
et
les
principaux
dirigeants
de
l'Union,
il accusa la Ligue de vouloir disposer de la couronne
et de l'Etat pour les offrir aux Espagnols,
d'après L'Estoile,
Il
dénonça
surtout
l'impunité
des
meurtriers
et
des
brigands
protégés par les Seize,
Il souligna encore que la religion pour
laquelle on devait se battre n'était plus qu'un prétexte pour
frustrer les Princes de France de leurs droits et prérogatives.
Dorléans demanda aussi fermement aux prédicateurs de ne pas se
mêler des affaires de l'Etat où ils n'avaient aucune compétence,
( 1)
Un des plus sérieux historiens de la Ligue, E. Barnavi reprend malheureusement la version de
L'Estoile qu'il rapporte comme une vérité historique, Le Parti de Dieu .. " p 178-179.
(1 bis) Voir - Schrenck, "Jeu et théorie du pamphlet dans Le journal du règne d'Henri 111(1574-1589)
de Pierre de L'Estoile", Traditions polémiques, cahier V. L. Saulnier, 2, Paris, Collection ENS de
jeunes filles, 27, 1984, P 69-79.
- P
M. Smith "Réalisme et pittoresque dans le Journal de P.
L'Estoile", B. H. 8., XXIX, 1967, P 153.
- R. Trinquet
.. La méthode de travail de P. de L'Estoile",
B. H R., XVII, 1955, P 286.

48
Enfin il précha la paix pour la France pour la ville de Paris
pour la Religion catholique.
Intrigués par ce réquisitoire trop
sévére
à
leur
endroit,
les
prédicateurs
demandèrent
au
Lieutenant de chasser Louis Dorléans,
considéré comme "mutin qui
s'est bandé contre l'Eglise de Dieu"
(1)
Mais Mayenne répondit
simplement
"Pour
le
regard
de
la
Religion,
je
reconnais
Dorléans pour si bon catholique que pas un d'entre vous n'y peut
mordre.
Touchant l'estat ce n'est pas à vous de vous en mêler:
j'y suis pour y donner ordre.
Mêlez-vous seulement de précher
votre
Evangile
cela
est
de
votre
charge,
et
non
pas
le
reste". (2) Le lieutenant avait ainsi des opinions un peu proches
de celles de Dorléans sur cette question. Après cet incident,
survenu en plein Parlement,
les
Seize pensèrent que Dorléans
avai t
tourné casaque. (3)
Ce ne fut
pas le
cas
deux mois plus tard Louis Dorléans
se
faisait remarquer par son engagement à combattre les hérétiques.
le Parlement royaliste de Châlons accentua la teneur polémique
de ses arrêts-libelles contre Paris et le Légat.
(1)
L'Estoile. Journal d'Henri IV.... p 189-190
(2)
L·Estoile. ib.iJ:L.. p 189-190.
(3)
ibid. P 189-190.

49
Le 19 novembre 1592 un arrêt très injurieux traitait la Ligue et
son lieutenant de rebelles et de criminels. (1) Ce fut l'occasion
pour Dorléans d'accentuer son retour vers Mayenne et ses amis en
rédigeant
la
réponse
du
Parlement
parisien.
Et
le
mardi
21
décembre,
i l présenta à l'approbation de ses collègues un texte
où Henri
IV,
qu'il appelle
"le prince
de Bearn",
est traité
;
d'héretique et d'excommunié. Sous la présidence de Nully l'arrêt
fut voté et envoyé à toutes les villes de l'Union. (2 )
pendant deux ans Dorléans ne publia pas de pamphlet mais il mena
son combat par
les
harangues
et
les
plaidoiries
;
quelquefois
même i l le fit contre les excès de son propre camp.
Il sera pour
beaucoup de témoins un ligueur éloquent mais versatile. (3)
Les deux dernières années de
la Ligue,
1593-1594,
étaient très
agitées pour notre auteur.
Le vent de la défaite qui commençait
à
souffler pour les Seize avait
ranimé
son
zèle des premières
années.
(1)
Voir BN ms. fr W 2751, P 133-134.
( 2) Voir BN ms. fr W2751- pièce 13.
( 3)
E. Barnavi, Le Parti de Dieu, p 179.

50
Il était aussi
réconforté dans
ses prises de positions par le
Lieutenant.
Et
le
12
février
Dorléans
répondit
de
manière
élogieuse
au
dicours-programme
prononcé
par
Mayenne
au
Parlement. (1)
Il
devient
alors,
peut-on
dire,
un
secrétaire
permanent pour le Parlement,
chargé de rédiger les arrêts et de
répondre
aux
requêtes
approuvées
par
le
lieutenant.
Le
16
févr ier
de
la
même
année
i l
fit,
au
nom
du
Parlement,
les
louanges du nouvel amiral de France M. de Villars qui prononçait
son serment. (2)
Un pamphlet qu'il avait déjà
commencé à
rédiger en 1592,
lors
des controverses
juridiques avec Châlons,
fut édité en ce début
d'année.
Le
plaidoyé
des
gens
du
Roy
faict
en
Parlement
en
plaine
audience
toutes
les
chambres
assemblées
le
22
jour
de
décembre,
mil
V-C
quatre
vingtz
douze
sur
la
cassation
d'un
prétendu
arrest
donné
au
prétendu
Parlement
de
Châlons
le
18
jours
de
novembre
au
dict
an, (3)
parut à un moment où
le
nombre
des
libelles ligueurs
(1)
L'Estoile, Journal d'Henri IV... , p 221.
( 2)
L'Estoile, ibid .. p 221.
(3)
L. Dorléans, Plaidoyé des gens du Roy faict en Parlement. .. , Paris, chez Jehan Musar, 1593,
in-8°, 167 pages (composé en 1592). SN, U 25 47. Ce plaidoyé a eu effectivement lieu le 22
décembre 1592 au Parlement de Paris. Tous les chroniqueurs de l'époque en font mention. Le nom
de Dorléans figure d'ailleu's au début du texte cf. ms. fr. SN, W 2751, pièce 13.

51
était en regression remarquable. (1)
Il est ainsi accueilli comme
un
élément
d' espoi r,
surtout
venant
d'un
part isan
dont
on
n'espérait plus qu'un silence complice. Bien qu'étant un peu en
retrait par rapport à l'actualité -car i l demandait la tenue des
Etats Généraux pour l'élection d'un roi alors que ces assises
étaient déjà terminées- ce pamphlet, parce qu'il s'attaquait aux
thèses des Politiques et des royalistes,
constituait une réponse
aux rumeurs de débandade de la Ligue.
Au cours de cette année,
le contrôle du Parlement par les amis
de Dorléans commença à s'effriter de façon inquiétante.
Le 28
juin 1593 l ' "Arrest
Lemaître" dit de la loi salique est voté
contre l'avis des Seize.
Le titre lui-même
"arrest contre les
Espagnols, leur infante et partisans"
suffit pour montrer qu'il
ne pouvait que susciter la haine de l'Union.(2) Il fut pris sous
la pression des Politiques,
devenus majoritaires au Parlement,
en cette période où le vent de la défaite commençait à souffler
pour la Ligue. Dorléans,
conscient du danger que représentait
(1) Ils passent de 362 en 1589 à 26 en 1592, Pallier, Recherches sur l'imprimerie ... , p 57.
( 2)
Voir SN, ms. Ir. W 2751, pièce 16.

52
pour
les
siens ce
regain
d'influence politique,
réagit
par un
pamphlet
très
violent.
Ecrit
en
latin
et
trop
savant
pour le
ligueur
moyen,
le
Ludovici
Dorléans,
unius
ex
confoederatis
pro
catholica
fide
Parisiensibu$
ad
A.
(Antonium
Séguier)
unum
ex
sociis
pro
haeretica
perfidia
Turoniensibus,
expostulatio,
s'adresse
en
réalité
à
ses
collègues
du
parlement,
soupçonnés
d'être
les
défenseurs
de
l ' hérésie. Il)
La loi salique que brandissaient les Politiques pour fonder
leurs positions avait été plusieurs fois
refusée par Dorléans au
prof it
de
la loi du Deutéronome. (2) Le vote d'un tel. arrêt ne
pouvait
être
que
le
signe
d'une
défaite.
C'est
que
les
Politiques
n'y
vont
plus
de
main
morte
pour
défendre
la
légitimité.
Ils sont aidés en cela par la désertion massive qui
éclaircit
les
rangs
de
la
Ligue
après
la
pendaison
de
Br isson. (3)
Député aux Etats Généraux de Paris du 26
janvier 1593,
Louis
(1) Louis DorJéans, Ludovici porléans
unius ex confoederatis pro catholica fide Parisiensibus.•. , Paris,
Fr. Morel, 1593, (Lyon, 1594) in-8°, 255 p. BN Lb 35 508.
L'évêque de Senlis, Rose y avait mis de sa main des notes marginales en signe d'approbation, sous
la pression du Parlement il sera amené à les rétracter verbalement. Voir Goujet, Supplément Tome
2, p 180,
(2)
Voir surtout son Apologie ... de 1586 et le Banquet ... , 1594.
(3)
Voir E Barnavi, Le Parti de pieu... , p 221.

53
Dorléans
s'était opposé à la candidature de l'Infante d'Espagne
pour le trône de France. (1) Sa participation à ses assises fut
très
remarquée.
La
Satyre
Ménippée
en
donne
une
relation
très riche en renseignements malgré son caractère caricatural.
La
harangue
de
Rieux
l'apostrophe
ainsi
"Et
toy
généreux
arc-boutant
de
l'Union,
L.
Dorléans,
ton
catholique Anglais
et
ton expostulation
(2)
et
la
harangue
faite
en
faveur et à
l'honneur du légat et des Espagnols méritent qu'on te mist en la
place du Président Brisson ; mais on ne récompense pas les gens
de
bien
comme
i l
faut". (3)
Dorléans
est
l'une
des
cibles
préférées des auteurs de la Ménippée car ils savent son rôle
dans la propagation des
idées de l'Union.
On ne peut pas être
plus clair que D'Aubray qui le traite,
avec les autres députés
ligueurs du Tiers-Etat : Nully,
La Chappelle Marteau,
Compan et
Roland,
de
"principaux
autheurs
de
la
rebellion
et
les
instruments
( ... )
pour tromper le peuple".
(4)
C'est aussi un
orateur
peu
éloquent
et
impertinent
que
nous
présente
la
Ménippée sous la personne de Dorléans.(S) Il fallait pour les
( 1) Baum9artner, Radical reactionaries ..., p 209.
(2)
Le catholique Anglais iadvertissement des Catholiques Anglais) est de 1586, l'exposlulation, un
autre pamphlet en latin de 1593.
(3)
Satyre Ménippée. éd. cil., Tome 2, p 189.
( 4)
jQjQ, Tome 1, P 55.
(5) jQjQ, Tome 1 p 191.

54
auteurs ternir à
jamais sa réputation d'orateur éloquent
quoi
de plus naturel dans une polémique de bon ton
!
(l)
A la fin de 1593 Dorléans devient de plus en plus radical dans
ses convictions ligueuses.
Le 22 novembre,
i l refusa d'assister
à
l'ouverture
du
Parlement parce que
le
discours
devait
être
fait par Charles Hotman avocat du
roi.
Dorléans ne partageait
plus les idées d'Hot man qu'il considérait comme un défenseur de
l'hérésie et d'Henri IV,
A ses collêgues qui lui en demandaient
la
raison,
il
allégua
simplement
ce
verset
des
Psaumes
: "eum
impiis non sedebo"
Il estimait ainsi,
selon L'Estoile
"tous
ceux méchants
qui
n'étaient
de
la
faction
des
Seize
et
de
l'Espagnol,
de la libérali té duquel i l dépendai t". (2) L'auteur
du
Journal
n'était
pas
tendre
avec
Dorléans
qu'il
compare
d'ailleurs, dans ce passage, à Epaminondas,
l'un des plus grands
hommes selon Montaigne,
"qui
était
contraint
se tenir au l i t
pour racoutrer ses chausses". (3)
(1)
Le discours de l'imprimeur de la Ménippée ironise ainsi sur le sort de Dorléans el des ses amis:
"Je ne doute point que le petit Olivier, et Boucher et Dor/éans ne soyent maintenant bien empeschez
pour la ire un anticatholicon et des apologies contre des tableaux et tapisseries car ils ont loisir à
revendre ; mais on les y attend si leurs lucubrafjons le méritent. Quant à moy je conseilleray
toujours à mon cousin de s'amuser à autre chose qu'à leur répondre". Satyre Ménippée, p 226·277.
(2)
L'Estoile, Journal d'Henri IV... , p 326 . Hotman était celui qui a introduit Dorléans au sein des
Seize.
(3)
L'Estoile, ibid" p 327.

55
La défaite
devenait
imminente
pour
les
Seize.
Les
principaux
arguments
qui
servaient
de
fondements
à
leurs
théories
s'estompaient avec l'abjuration d'
Henri IV le 25
juillet 1593.
Le
dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
la
Manant(l) ,
en
tirant le bilan de la Ligue,
semblait annoncer la fin du combat,
du moins contre un roi devenu catholique.
Seuls les extrémistes
comme Dorléans refusèrent cette éventualité.
Dès
le
début
de
1594,
notre
auteur
publia
un
pamphlet
très
sévère
contre
la
conversion
d'Henri
IV.
Le
banquet
et
après-disnée
du
conte
d' Arète

i l
se
traicte
de
la
dissimulation
du
roy
de
Navarre
et
des
moeurs
de
ses
partisans (2) fut accue i l l i de manière mitigée,
même au sein des
Sei ze
radicaux. (3)
Certains trouvaient que le ton étai t
un peu
trop injurieux à l'égard d'Henri de Navarre. Toutefois,
le texte
connut deux éditions
la même année et
fut
diffusé dans
toutes
les
villes
encore
fidèles
à
l'Union.
L'Estoile
pense
que
ce
pamphlet circulait déjà en 1593. (4)
( 1) Voir le Dialogue d'entre le MahelJstre et le Manant, f 194-198
(2)
Louis Dorléans, Le Banquet et après-dis née du conte d'Arète... , Paris, G. Bichon, 1594, In-8° 351
p - BN, Lb 35 608 at 608A,
(3)
Voir L'Abbé Goujat, Supplément au 9rand dictionnaire..., p 180.
( 4)
L'Estoila, Journal d'Henri IV..., p 345-346.

56
Mais ce banquet ...
ne
sera
qu'un banquet
de
funérailles.
Le
glas fut sonné pour la Ligue par la victoire et l'entrée d'Henri
IV à Paris le 22 mars 1594. Ce fut alors le début de la prise de
conscience
de
cette
défaite
au
sein
même
des
ligueurs
qui
refusaient encore de croire à la fin de la lutte.
Menacés par
les royalistes maintenant maîtres à Paris, Dorléans et ses pairs
s'n allèrent vers des lieux plus cléments.
A quelle
date
et
comment
i' auteur
du
Catholique
Anglois
a-t-il quitté Paris? L'Estoile,
dans ses chroniques nous dit
que le nom de Dorléans figure sur une liste de gens qui devaient
sortir de Paris après l'entrée du Roi.
Il ajoute à la date du 24
mars
1594 (1)
que
la
communication
des
noms
se
faisait
en
cachette.
La
liste est bien
réelle
elle se trouve dans
un
manuscrit de la Bibliothèque Nationale. (2) Cependant, elle porte
une date antérieure à celle que donne L'Estoile.
Contenant 120
noms dont celui de Louis Dorléans répartis selon la résidence,
la liste est du 5 mars 1594,
donc bien avant l'arrivée d'Henri
IV à Paris.
(1)
L'Estoile, Journal d'Henri IV ... , p 146,
(2)
BN ms. Ir. W 2751.

57
Et pourtant le préambule précise "liste des gens qui sortirent
de
la
ville
de Paris
suivant
la
volonté
du
Roy et
dont
ils
seront advertiz par les quarteniers cy spécifiez en tiltre". (1)
On
peut
penser
que
la
dédsion
a
été
prise
par
les
officiers
royaux restés loyalistes pendant les derniers mois de la Ligue.
Craignant pour sa vie Oorléans laissa sa famille et ses biens et
s'enfuit à Anvers,
en Belgique. (2)
Il le fit
certainement avant
d'en recevoir l'odre comme i l l'affirme dans
son Remerciement
au Roy. (3)
Il aurait changé peut-être d'attitude s ' i l avait su
avant l'exil qu'on donnait aux anciens ligueurs la possibilité
de se réhabiliter.
En effet,
le texte du bannissement ajoutait
que
ceux
qui
prêteront
serment
de
fidélité
au
roi
pourront
conserver
leurs
biens
et
offices
et
aller
vivre
quelque part
en-dehors de Paris avec la garantie nécessaire.
La
ligue
vaincue,
on
élimina
ses
restes.
Les
pamphlets
de
Boucher et de Oorléans furent brûlés à la Croix-du-Tiroir et à
( 1) BN ms. tr. N° 2751 . J. A. De Thou s'est trompé en rapportant que le nom de Louis Oorléans ne
figurait pas sur la liste. Histoire Universelle depuis 1543 jusqu'en 1607.... Tome 12. p 151.
(2)
Les vers qu'on lui a déjà adressés dans la Menippée. p 177, constituent une menace suffisante.
(3)
Louis Oorléans. Remercjemenl au Roy, Paris, chez Regnauld Chaudière. 1604. in·8°. ff 64-65.

58
la Place Maubert le 2 avril 1594.
L'imprimeur ligueur Guillaume
Bichon fut banni de Paris par un arrêt. (1)
Ma 19ré
sa
réputation d 'hormne
versatile,
Dorléans
a
gardé,
à
peu
prés
la
même
attitude
à
l'égard
de
la pensée
ligueuse.
Toutefois
des
contradictions,
liées
généralement
aux
oscillations
idéologiques
de
son
Parti,
ont
été
quelquefois
perceptibles
dans
son
comportement
de
publiciste.
Nous
reviendrons
sur la philosophie politico-religieuse qui fondait
dans
une
perspective
polémique,
les
variations
de
cette
sorte. (2)
( 1) L'Estoile, Journal d'Henri IV.... p 408.
( 2)
Voir J..Dlr.iJ., 3ème partie
chap.

59
CHAPITRE II
L'exil: 1594-1603
En allant en exil, Louis Dorléans laissa quatre enfants et
une femme:
deux garçons Raulet l'ainé,
Jean le benjamin et deux
filles Margot et Gabrielle,
la plus jeune. A quelle époque de sa
vie
eut-il
cette
progéniture
?
On
ne
saurait
le
dire
avec
exactitude. On peut supposer,
avec peu de risques d'erreurs, que
Raulet et Margot sont nés avant la Ligue entre 1578 et 1585, et
Gabrielle et Jean pendant la Ligue,
La charge de cette famille,
avait
encore
accentué
les
difficultés
sociales
de
Dorléans
pendant
les
années
de
combats
politiques. (1)
Les
privations
endurées par les enfants dans la ville frappée par les épidémies
et par le marasme économique qui régnait à Paris à l'époque les
prédisposeront très tôt aux maladies.
( 1) Les difficultés économiques de Dorléans vers les dernières années de la Ligue ont amené, pour une
part, L'Estoile et De Thou à penser que les Seize lui avaient versé deux cents écus pour le ramener
dans leur sein, après la mort de Brisson, voir supra, ChaR. 1

60
C'est ainsi que les deux fille
ne
reverront pas
leur père,
au
retour
de
l'exil.
Malheureuse
et
chargèe
d'enfants,
Michelle
Dudère regardera en larmes son mari s'enfuir de Paris, une nuit,
vers
Hun
havre voisin". (1)
A· Anvers, le séjour malhcurcux d'un réfugié politique
La terre d'accueil pour le quinquagénaire catholique exilé comme
séditieux
est
Anvers
et
non
Bruxelles,
ainsi
que 'l'ont
cru
certains
historiens. (2)
Le Choix de
cette ville
située
sur la
rive
droite
de
l'Escaut
n'était
pas
gratuit.
Propriété
des
Habsbourg à l'époque,
Anvers vivait dans une ferveur religieuse
sans précédent. Les églises étaient restaurées et augmentées, et
i l se développait toute une littérature religieuse appelant à un
catholicisme
austère.
Le
luthéranisme
y
était
complètement
éliminé
et
une
chasse
implacable
aux
hérétiques s'en était
(1)
L'expression est de Dorléans, Remerciement..., p 64-65.
(2)
L'Estoile par exemple, Journal d'Henri IV... , p 95.
- Voir Gui Patin, Lellres, p 366 et Abbé Goujet, Supplément ", p 180.
Il a néanmoins fait un bre! passage à Bruxellesc!. plante Humaine... , Paris, F. Huby, 1612.

61
suivie. Il)
Anvers
était
aussi
une
ville

le
pouvoir
réel
revenait aux autorités municipales grâce à un système politique
d' élect ion et
de
représentation.
meilleure
terre
d'accueil
ne
pouvait
être
trouvée
pour
celui
qui
se
considérait
comme une
victime de
l'hérésie.
Dorléans y fut
reçu par le père
jésuite
Carolus Scribanius
(Charles Scriban),
chez qui il passa tout son
exil.
Il s'en souviendra jusqu'à sa mort. III
Ce fut,
à ses yeux,
un séjour malheureux à tous points de vue.
Dorléans
se
croyait
un
martyr
pourchassé
par
les
ennemis
de
Dieu.L'aspect politique de l'exil,
ainsi occulté,
ne figure que
très rarement dans ses réflexions.
Les raisons qu'il donnait de
son
bannissement
sont
toujours
religieuses.
Pour
lui,
i l
a
quitté la France parce que
la Religion en avnit été également
bannie.
"Quand je veilsic)
l'hérézie en la France receuë
Et l'Eglise de Dieu à ses piedz abatue
Que je la vei fuitive,
et crainte de la mort
1. . . )
Outre de deplaizir,
je ne voulais plus vivre
Et résolu soudain de quiter, pour la suivre
Et pour l'accompagnez en sa calamité
Maison,
femme et enfans et bien et dignité."
(3)
( 1) Voir P. Brachin, "La fermentation religieuse à Anvers sous le règne de Charles Quint" dans i l l
cités au temgs de la Renaissance, actes du Colloque du Centre de Recherche sur la Renaissance de
Paris - Sorbonne, éd. M. T. Jones-Davies, Paris 1977, P 105-120.
( 2)
G. Patin, Lettres... , p 366.
(3)
L. Dorléans, Poésies chrestiennes ... , ms. fr. N° 863 (BN).

62
Même s ' i l disait
à
son hôte qu'il
avait
le témoignage de sa
conscience et des gens
de bien d'avoir
servi
son pays et sa
religion, Dorléans ne pouvait accepter l'exil. Il le considérait
comme le fruit
de l'ingratitude humaine;
et cette pensée le
révoltait encore plus. Il traversa, pendant les premières années
surtout,
des
moments
très
difficiles
:
moralement
abattu et
économiquement dans le besoin. A ces pensées amèrement ruminées
s'a j out aient
le
souveni r d ' une
fami Ile
démunie
et
sans
assistance, victime potentielle de la vindicte populaire, et les
calomnies
qui
arrivaient
jusqu'à
Anvers,
colportées
par
d'anciens adversaires.
Il nous dit bien que son lot quotidien se
résumai t
ainsi "mépris,
sol i t ude, pauvreté". (1)
Cette situation difficile
le
rendait
irascible et déplaisant,
elle
lui ôtait aussi
le
goût
de
la
lecture
et de
la poésie,
naguère ses plus chères délices. Aidé par les toniques pensées
de
son
hôte
le
père
Scribanius,
Dorléans
retrouve
un
peu
d'espoir.
Il recouvra alors la foi qui l'avait
amené à
prendre
( 1) L. Dorléans, Remerciement..., f 65-66.

63
les armes pour défendre les lois et la Religion.
"Sans mon christianisme qui
fournissoit
de patience,
toute ma
philosopie estoit par terre". (1)
C'est
ainsi
qu'il
fit
siennes
ces
paroles
de
Saint
Paul
à
Timothée:
(Epître II,4)
"Je n'attends rien de ce monde mais je
serai récompensé de Dieu juste et miséricordieus".
(2)
Avant de se laisser aller à cette sagesse bien chrétienne,
i l
avait
épuisé
toutes
les
formes
de
combat.
Aussitôt
arrivé
à
Anvers 1
i l rééditait
le Banquet.
.qu'il signa de son nom pour
braver le roi Henri IV.
Le texte fut
imprimé à Arras,
en aoü.t
1594,
à
partir
d'un
exemplaire
d'une
édition
parisienne.
Théodore de Béze possédait d'ailleurs cette édition. 13) Ce fut
comme
un
coup
d'épée
dans
l'eau,
Paris
était
trop
navarriste pour écouter les plaintes d'un séditieux vaincu.
Aprés
quelques
années
d'exil,
i l
eut
l'appui
de
l'infante
d'Espagne,
Isabelle Claire Eugénie, archiduchesse des Pays-Bas,
( 1) L. Dorléans,Jllid., f 72.
( 2)
L. Dorléans, pe suo exilio, BN, ms. tr 4922
- St Paul, A Timothée
Epitre Il 4
( 3)
Voir Le catalogue de sa bibliothèaue... , p 348.

64
fille d'Elisabeth de Valois femme de Philippe II.
Elle lui fit
don d'une petite pension de son père. L'Estoile évalue la somme
à
"six vingt
écus
tous
les
ans". (1)
Dorléans
se
souviendra de
cette
bienfaisance
dans
un
poème
"remerciement
à
la
Reine
Marguerite", (2)
parlant du père de l'archiduchesse,
il déclarait
: "Il me fut comme un dieu,
comme un père
amiable .. me tira du
gosier de la nécessi té".
Ce soutien matériel lui donna un peu plus de goOt pour la vie.
Il se résigna alors à
rester à Anvers pour y recommencer une
existence paisible et
studieuse.
"Loin
d'amis
et
parens,
et
rouge de soucis,
de honte et de malheurs ma demeure est ici".
(3)
dira-t-il à ses hôtes.
Il eut alors,
par la suite, quelques
amis même chez
les grands du pays. (4)
Pourtant
cet abandon de
toutes
villéités
de
lutte
ne
lui
évita
pas
d'être
pris
pour
l'auteur d'un libelle contre Henri IV qui circulait à
Paris en
1602.
Ce
pamphlet
tardif,
intitulé
L'inceste
du
mariage
de
,
Henri
IV avec Marie
de Medlcis,
fut
imprimé
à
Bruxelles

DOrléans est supposé être.
( 1) L·Estoile. Journal d'Henri IV... , Tome 2, p 95.
(2)
L. Dorléans. Poésies diverses. BN ms. Ir. N° 863, P 735·736. Signalons que le titre du poème
comporte une erreur. il s'agit d'isabelle Claire Eugénie et non de Marguerite. voir la note en
apostille au texte p 735.
(3)
L. Dorléans, Poésies diverses, BN ms. Ir. N" 863, P 735.
(4)
L. Dorléans, Remerciement .... f. 69.

65
Il eut à souffrir une terrible maladie pendant son séjour belge.
Il pensait même,
un moment,
qu'il allait mourir dans l'oubli et
le désespoir.
Dans
un poéme
qu'il
composa
un
peu aprés
cette
période,
il pleurait ainsi son infortune
:
"J'esperois de revoir ma compagne et ma joie
Ma maison,
mes enfans,
avant que de périr
( ... )
je n'ai rien qui me reste
( ... )
Mes parens, mes amis m'ont tous abandonné". (1)
Et,
pendant longtemps il regretta d'avoir quitté son pays et sa
famille. (2)
Ses instants heureux de naguére lui semblèrent alors
bien trop fugaces.
Dorléans l'exprime clairement qui
reprend à
son
compte
ces
deux
vers
d'Ovide,
dans
un
texte
composé
à
Anvers
:
"Nos quoque floruimus,
sed fias suit ille caducus
Hammaque de stipula fluxa brevisque fuit" . (3)
Ayant
retrouvé
la
santé
physique et
l'espoir,
il
lui
fallait
apaiser son amertume par le commerce des livres.
(1)
L. Dorléans, ms. Ir. W 863 -Prière pendant une maladie.. .". p 170-171, quaI. XIX-XXIV
(2)
L. Dorléans, Remerciement... , f. 71.
(3) Ovide, Ir.l1..ê..>., l, 9.

66
B
La consolation par les Muses
Le
secours
moral
dont
i l
avait
réellement
besoin
Dorléans
le
trouva dans
la lecture et la composition littéraire.
Il en tira
un bénéfice qui lui permettra de dire,
bien après son exil,
que
"les
livres
sont
des
mèdicaments
de
l'âme".(l)
Ce
fut
pour lui
une
époque
de
seconde
formation.
Il
lut
beaucoup
de
traités
théologiques,
surtout
de
Tertullien
dont
la
pensée
marquera
profondément
sa
ré flexion
ul tér ieure. (2)
Notons,
par
ailleurs,
que Dorléans partage avec ce théologien une volonté farouche de
défendre l'idéal chrétien même au sein de l'Etat.
Tertullien est
aussi l'auteur d'une méthode de combat contre les hérétiques De
praescriptione
haereticorum
(vers
200
après
J-C)
(3)
dont
Dorléans avait gardé quelques copies de l'édition originale.
L'autre
philosophe
qu'il
étudia
fut
Synésius.
Celui-ci
lui
enseigna
surtout
des
vertus
morales
et
politiques.
La
vie
de
Synésius
(370-413)
ressemble quelquefois à
celle de Dorléans.
A
Alexandrie

i l
s'établit,
i l
avait
farouchement
lutté
contre
les
abus
de
l'administration impériale.
(1)
L. Dorléans, Remerciement..., f. 69.
( 2)
Tertullien sera fréquemment cité dans les commentaires des Quatrains
moraux, surtout des
extraits de son Apollll:letigue figurent dans les pamphlets de Dorléans.
(3)
Voir J. Berton, Tertullien le schismatique,
1928, Fischbacher.

67
On
lui
doit
une
harangue
assez
célèbre
sur
la
Royauté
prononcée devant Arcadius
en
399.
Dorléans qui
a
traduit
ses
hymnes
en
français (1)
s'inspira
de
la
pensée
morale
de
Synésius
pour
composer
ses
Quatrains
moraux J Tertullien,
Synésius et l'historien Tacite furent les auteurs les plus lus à
l'époque par no~ exilé.
Ils seront par la suite,
ses penseurs
préférés. (2)
Il lut aussi des écrivains antiques comme Plutarque
et
des
contemporains
comme
Juste
Lipse, (3)
La
lecture
luifut
d'un
grand
secours
en
ces
moments
de
malheurs,
et
i l
pourra
dire,
parlant des livres
:
"Avec eux comme avec mes bons amis je
devisais familièrement ... ".
(4)
Toutefois sa plus grande consolation lui est venue de la poésie.
Parlant
des
muses
et
de
leurs
vertus
i l
remarquait,
entre
autres
leur
"Entretien
m'a
esté
non
seulement
délectable
durant ma vie paisible mais au temps fascheux j'estais tombé,
de tout utile, mais très nécessaire pour l'adoucissement de mon
malheur". (5)
( 1)
L. Dorléans, BN, ms. Ir. W 863, P 11.
(2)
L'Estoile, Journal d'Henri IV, Tome 2, P 95.
(3)
Voir le ms. Ir. W 863, quatrains moraux commentés - CCCCLXII - P 388. /1 a trouvé chez Lipse un
stoïcisme bien adapté à sa situation du moment.
( 4)
L. Dorléans, Remerciement... , r. 69.
( 5)
L. Dorléans, Préface des Quatrains moraux... (édi. poslh.) 1631, p 5.

68
La poésie lui permit
ainsi d'adoucir l'aigreur de son exil.
Il
composa
pendant
celui-ci
la
majeure
partie
de
son
oeuVre
poétique
les quatrains moraux,
des poémes
divers dont
ceux
qu'il
envoyait
à
une
dame
qu'il
aima
à
Anvers et à qui
i l adressera cette phrase à
la veille de son retour à Paris.
"On
me
replante
en
mon
pas,

je
retourne
pour
jet ter ma
dernière
feuille
vous
n'aurez
plus
de
moi
que
de
la
souvenance". (1)
Les poésies chrestiennes
comme
le Plan de la
maison chrestienne furent
commencés
à
cette pér iode. (2)
Dorléans composa aussi en exil une série d'oeuvres en prose aux
sujets variés
:
une histoire de l'origine de la Ligue
une apologie pour Messieurs de la maison de Guise
un
recueil
de
pensées
et
de
proverbes
contenant
ses
remarques
sur
la
paix,
la
guerre,
sur
les
titres
de
chrétien
et
de
catholique.
Les
textes
latins
y
côtoient
les écrits en français.
une
chrestomathie
de
vers
anciens
traduits
et
dont
la
signification rappelle étrangement sa situation à Anvers.
(1)
BN, ms. fr. W 4922, P 190.
( 2)
Voir le recueil de toutes ces compositions, pour la plupart restées manuscrites, dans: BN, ms. fr.
W 863.

69
Ces
écrits
divers
sont
rassemblés
dans
un
recueil
manuscrit
intitulé
Oeuvre
posthume
de
M.
Dorléans. (1)
On
y
perçoit
encore les opinions du pamphlétaire pas encore repenti.
Pendant
son
séjour
chez
le
père
Scribanius
il
fit
la
connaissance d'un autre jésuite,
le père Coton futur confesseur
du roi Henri
IV.
Dorléans va se servir de son influence à la
Cour de France pour bénéficier de la grâce royale.(2) Il rédigea
une lettre trés élogieuse à l'endroit d'Henri IV dont il chanta
les
victoires
et
les
grandeurs,
avant
de
terminer
par
cette
prière :
" Je
vous ai
fait
requeste pour mon regard,
laquelle
je vous
fais encore très instament et très humblement vous supliant de
me recevoir en votre grâce". (3)
Cette lettre sans date fut certainement remise au père Coton en
plusieurs exemplaires,
un pour le président Jeannin et un autre
pour le secrétaire d'état Villeroy. Ces derniers usèrent de leur
pouvoir pour hâter la décision royale.
( 1) Voir SN ms. Ir. N'4922, microfilm N' 352.
( 2)
Gui Patin, 1 ettres .... p 366.
(3)
SN, ms. Ir. N' 4922, P 184.

70
Ils en
furent
bien remerciés par Dorléans. (1) La
lettre montre
aussi que les déclarations de l'auteur du Remerciement au Roy
au
sujet
du
pardon
spontané
et
gratuit
ne
sont
qu'une
pose
littéraire
destinée
à
rendre
plus
méritoires
des
éloges
si
excessifs. (2)
Ces démarches furent entreprises quelques années seulement après
son
arrivée
à
Anvers.
Par
l'intermédiaire
du
père
Coton,
Dorléans
reçut
du
roi
une
lettre-permission
l'autorisant à
retourner
en
France.
Elle
est
datée
de
1598
d'après
le
manuscrit
Mémoires
servans
à
l'histoire
soubz
le
règne
du
roy
Henry quatre. (3 )
Il ne
se décida pas aussitôt
à
retourner
à Paris alors même qu'il en avait la possibilité.
En effet, ses
amis belges lui firent
entrevoir les dangers que comportait un
retour précipité en France où la haine pour la Ligue ne s'était
pas dissipée. (4)
Dorléans a partagé leurs craintes pendant près
de cinq ans.
Son indigence était d'ailleurs un autre obstacle à
sa
venue
à
Paris.
( 1) L'Estoile, Journal d'Henri IV, tome 2, p 95.
(2)
L Dorléans déclare dans le Remerciement ... , que le roi Henri IV l'a 9râcié, sans qu'il le lui ait
demandé.
(3)
SN, ms. Ir. W 4020.
(4)
Voir sa lettre au chancelier Sellièvre en date du 18 avril 1603 depuis la Conciergerie, ms. Ir. W
15900 (2) lettre N° 440.

71
Pourtant en 1603,
il obtint un passeport royal lui permettant de
rentrer en France sans trop de risques.
L'archiduchesse des Pays
Bas avait encore intercédé en sa faveur auprès des autorités de
Paris. l !)
Louis
Dorléans
revient
donc
en
France
à
la
fin
du
mois
de
Mars
1603,

l'attendaient
sa
femme
et
ses
enfants
"qu'il avait bien de la peine à nourrire" nous dit L'Estoile.(2)
Agé
de
soixante
et
un
ans
il
retrouva
une
famille
à
moitié
diminuée par
la misère,
une
ville dont
l'administration avait
acquis de nouveaux maîtres,
et des amis qui avaient maintenant
oublié les dures années de bataille ligueuse. (3)
Il lui fallait
aussi reprendre sa carrière d'avocat au sein d'un Parlement où
dominaient les adversaires d'hier.
La réintégration
sociale
et
professionnelle
s'annonçait
donc
difficile,
voire
impossible.
Et
nous
pouvons
bien
accorder
notre
crédit
à
Dorléans
quand
i l
avoue
avec
tritesse
"bien
que
les
ma ux
soient
fréquent s
et
di vers,
voire
très
grands
au
monde,
si
est-ce qu'il n 'y a mal comparable au mal d'exil".
(4)
(1)
Voir Bemercjement. ... f. 65-66
(2)
L'Estoile, Journal d'Henri IV. Tome 2. p 95
(3)
Certains comme Génébrard et Bose onl reçu le pardon royal et sont revenus, pour le premier en
1597 et pour l'autre en 1598. - Voir F. Baum9artner. Badieai reactionaries .... p 229
(4)
L. Dorléans. Remerciement. •.. f. 67-68.

72
A propos de cette étape de la vie de Louis Dorléans certaines
erreurS
ont
été
retenues
par
quelques
historiens
de
la
littérature.
Citons,
entre
autres,
cette
confusion
dans
les
événements
rapportés
par
La
Croix
du
Maine
dans
sa
Bibliothèque
française.
Parlant
de
la
carrière politique de
Dorléans i l écrit "C'était un homme vain,
un ligueur séditieux
( ... )
Le président de Harlay le fit
arrêter .. Après neuf mois
de prison,
i l s'échappa,
se sauva en Flandre,
revint à Paris où
le
roi 1 ui pardonna". (1)
Cette présentation sommaire,
et peut-être tendancieuse,
cherche
manifestement à se conformer à
l'image générale de Dorléans que
l' Histoire a toujours accréditée. (2)
( 1) La Croix du Maine, Du Verdier, Bibliothèque Francaise... , Tome 2, p 56.
( 2)
Voir, parmi d'autres :
L'Abbé Goujet, bibliothèque francaise ... , Tome XV.
La Satyre MéniD~ée... , Tome 1 et Tome 2.
L. Moreri, Le grand dictionnaire historique... , Tome VIII
Gui Patin, Leltres ... , p 366
etc...

73
CHAPITRE III
Le retour en France
et les dernières années de sa vie
(1603 - 1629)
Ayant
regagné
Paris
et
les
siens,
Dorléans
croyait
pouvoir
retrouver
un
bonheur
familial
qu'il
n'avait
pas
eu
àepuis
ses
premières
années
professionnelles.
Paràonné
par
le
roi,
i l
pensait
aussi
qu'il
l ' é t a i t
par
sa
cour.
Mais
la
présence
àe
Dorléans
ranima certains
sentiments que
l'on croyait éteints et
l'espoir
à' une
vie
paisible
enfin
revenue
se
transforma
très
vite
en
àésillusion.
Il
eut
alors
à
subir
à'autres
épreuves
avant
àe
bénéficier,
àéfinitivement
àe
la
grâce
àu
roi
et
àu
paràon àe la capitale àe France.

74
A
L'arrivée à Paris
Après
les
retrouvailles avec
sa
femme et
ses deux enfants qui
avaient survècu à son dèsastre, Dorléans reprit contact avec ses
amis
et
ses
anciens
collègues.
Il
rendait
visite
aux
uns
et
recevait
celle des autres.
Il parla des malheurs de
l'exil et
regrettait d'avoir quitté Paris et la France. 11) Ce comportement
naturel pour certains fut considéré comme arrogant par d'autres.
Et L'Estoile,
qui suit toujours son dossier,
notait à propos des
premiers
jours de Dorlèans à Paris
: i l "portait la téte haute
comme
de
coutume,
bravait
et babillait
j
Paris
avec autant
d'audace et présomption qu'il avait jamais fait" (2)
Ce fut l'occasion pour ses ennemis de se souvenir de la période
noire
de
la
Ligue.
On
rappela
les
principaux
pamphlets
de
Dorléans.
Certains s'indignèrent même qu'il eut été aussi vite
réhabilité. Dans une lettre rapportée par L'Estoile, un certain
( 1) Voir Remerciement au Roy
, r 66-67.
( 2)
L'Estoite, Journal d'Henri IV
, Tome 2, p 95.

75
M.
de
Lescale
remarquait
en
juin
1603
"Voilà
Dorléans
restitué ... "
et
il ajoutait aVec regret
"Il ne
faut
que mal
faire
en France pour avoir du bien". (1) Pourtant,
à
ce moment,
Dorléans avait déjà perdu la grâce royale.
L'Estoile note aussi
que la colère du président Janin lui porta préjudice,
Dorléans,
en effet,
n'avait pas rendu visite à celui-ci à son retour pour
le
remercier,
Ces
vers
à
lui
adressés
par
les
auteurs
de
la
Ménippée revinrent à l' espr;\\" de tous ceux qui avaient vécu cette
période de déclin de la Ligue :
"Si pendre te voulois,
tu ne ferois que bien
puisqu'on ne peut avoir de toy miséricorde
Mais si tu veux sauver quelque peu de ton bien
Va te jetter en l'eau tu gagneras ta corde."
(2)
Deux semaines après son arrivée,
le samedi 12 avril 1603, Louis
Dorléans fut réveillé chez lui par les gardes royaux et arrêté à
cinq heures du matin.
Il est alors envoyé à
la Conciergerie. (3)
Les lettres de grâce du roi
et les
protestations qu'il fit ne
( 1) L'Estoile, Journal d'Henri IV .... T 2, P 106.
( 2)
Satyre Ménippée, p 177
(3)
L·Estoile. Journal d'Henri IV.... T 2, P 99.

76
lui valurent que d'être transféré dans une chambre plus noire et
plus
isolée. (l)
On l'accusa de sédition,
de
lèse-majesté et de
perturbation
de
l'ordre
public.
Dorléans
savait
que
derrière
tout
cela
i l
y
avait
la
main
de
ses
anciens
adversaires
au
Parlement.
Car
le
roi
était
absent
de
Paris,
i l
se
trouvait à
Metz pour quelques
jours.
Ayant appris la détention de Dorléans,
à
son retour de voyage,
le mercredi
16 avril,
Henri
IV ordonna
qu'on le mît hors de prison "à pur et à plaisir".
Il voulait lui
faire
bénéficier
de
sa
grâce
nonobstant
les
pamphlets
que
Dorléans
avait
rédigés
contre
lui
et
son
règne. (2)
Cette
décision ne plaisait pas à
la
justice de Paris qui voulait,
par
la prison,
punir
un
ancien adversaire.
On
fit
alors
devant
le
roi
la
lecture
des
plus
virulents
passages
des
libelles
du
Catholique
Anglais
et
du
Banquet.
Henri
IV,
un
moment
indigné,
déclara
tout
de
même
"0
le méchant
!
mais i l
est
revenu en France sur la foi de mon passeport ;
je ne veux point
qu'il ait de mal: d'autant plus,
disait-il
encore
qu'on ne
devait pas lui vouloir plus de mal et à ses semblables qu'à des
furieux
quand ils
frappent,
et
à
des
insensés
quand ils se
promènent tout nuds".
(3)
( 1) L'Estoile, Journal d'Henri IY... , T 2, P 99.
( 2)
L'Estoile, ibid, p 99
(3)
Abbé Goujet, Supplément au dictionnaire ... , p 180.

77
Cette
volonté
royale
ne
fut
pas
aussitôt
mise
en
pratique.
Informé,
certainement par la rumeur,
Dorléans adressa,
depuis la
Conciergerie,
une
lettre au
chancelier Bellièvre.(l)
Dans cette
correspondance,
rendue
possible
par
la
compréhension
d'un
capitaine
des
gardes,
Dorléans
revient
sur
les
raisons
essentielles
de
son
retour
en
France.
C'est
parce
que
le
roi
l'avait
grâcié
et
lui
avait
octroyé
un
passeport
et
des
garanties
contre d'éventuelles repressailles qu'il était revenu
à
Paris.
Même
arrêté
et
condamné,
i l
croyait
toujours
à
la
clémence royale.
Il rappelait à M.
de Bellièvre que les princes
étrangers,
qui
l'avaient
naguère
aidé,
s'étonneraient
de
son
emprisonnement. Dorléans ne nia pas avoir écrit contre Henri IV,
mais
i l
l'avait
fait,
disait-il,
i l
y
avait
longtemps
et
i l
pensait que
"la
mémoire
d'un
temps calami teux ne doit être
rafraîchie". (2)
Et
i l
se
défendait
dans
la
lettre,
d'être
un
rebelle
et
un
criminel
de
lèse-majesté.
Pour
terminer
i l
demandait que son procès fût fait,
si on le souhaitait,
mais par
des
Parlements
neutres,
autres que
ceux de
Paris
et de Rouen
(sic
!)
(Châlons),
ces
derniers
pouvant
se
souvenir
de
leurs
anciennes querelles.
( 1) voir BN. ms. fr. N° 15900(2) lettre W440.
(2)
Dorléans, lettre du 18 avril au chancelier, BN ms. fr. 15900(2) lettre W440.

78
Il s'engageait aussi à être désormais un serviteur modèle:
"Je
puys pour luy faire
autant de services que je me suys efforcé
contre luy" (1)
C'était
le vendredi 18 avril
1603.
La réponse
du
chancelier
n'est
pas
connue.
Cependant
on peut
penser
que
cette
première
lettre
resta
sans
suite
concrète.
Car,
quatre
mois
après,
Dorléans,
toujours
à
la
Conciergerie,
reprit
la
correspondance avec Bellièvre.
Il lui adressa alors une seconde
lettre,
datée du 28 septembre 1603.
Il rappelait
que malgré la
garantie de la parole royale et l'appui du chancelier lui-même,
i l se trouvait toujours en prison,
depuis plus de cinq mois. En
plus i l avait obtenu la bienveillance de Villeroy,
le .secrétaire
du
roi,
et
de
Sillery.
Il
n'avait
jamais
cru
aux
dangers
de
represailles que lui faisaient entrevoir ses hôtes d'Anvers.
Et
i l déplorait surtout ses conditions de détention
"es plus noirs
cachots de la Conciergerie", (2) comme s'il était un scélérat.
Il
implorait
la
complaisance
du
Chacelier
qu'il
suppliait
d'accepter
qu'un
capitaine
des
gardes
le
libérât
immédia temen t . (3)
Il regret tai t
néanmoins qu'on force ainsi les
régIes de la justice.
( 1)
Dorléans, lettre du 18 avril au chancelier, BN ms. fr. 15900(2) lettre W440.
(2)
L Dorléans, lettre au chancelier du 28 septembre 1603. BN, ms. fr. N'15897, lettre W 541.
( 3)
L. Dorléans ibid,

79
Cette
lettre
eut
plus
d'effet
que
la
première.
Dorléans
fut
libéré
quelques
semaines
plus
tard.
Peut-être
le
roi
avait-il
été
informé
par
le
chancelier
que
Dorléans
était
encore
au
cachot.
Les suites de
cette correspondance restent tout
de même
obscures.
Dorléans
retrouva ainsi
la
liberté après
six mois de
pr ison et
non trois
comme le pense
l'Abbé
Gou jet. (1)
Il
gardera
un souvenir atroce de ce séjour.
"On y parle que de mort et de
maux,
des
saevices
( s i c ' )
et
de
supplices,
on
n 'y entend que
des
plaintes
et
regrets,
on
n 'y
voit
que
choses
misérables"
dira-t-il de la Conciergerie. (2)
( 1) L'abbé P. Goujet. Supplément.... P 180.
(2)
L. Dorléans. Remerciement..., f 85.

80
B
La carrière finale
Aussitôt hors de prison,
Dorléans alla trouver Henri IV pour le
remercier et lui renouveler sa fédélité et son attachement à la
royauté française.
Peut-étre avait-il alors compris les exigences
protocolaireS de
la
Cour.
Au
Jardin
des
Tuileries

i l
le
trouva,
le
roi
reconnut
quO "il
avait
toujours
esté homme de
bien,
et qu'il le fOt encore davantage".
(1) Ce témoignage donné
devant
la
reine
et
plusieurs
princes
et
courtisans
fut
pour
Dorléans un gage de la grâce royale. A partir de ce moment il se
considérera toujours comme redevable au roi à
qui i l lui fallut
désormais témoigner la plus grande reconnaissance.
Ce qu'il fit de manière éclatante en composant un Remerciement
au Roy qu'il publia en novembre 1604. Dans ce panégyrique,
que
d'aucuns
prirent
pour
des
flatteries
intéressées,
Dorléans
utilisa tout son talent de poète et d'orateur pour chanter les
vertus exemplaires d'Henri
IV en qui
i l voit
le meilleur des
Bourbons.
( 1)
Voir Remerciement..., f 85.

81
Le
livre était d'une qualité que
les adversaire~ de Dorléans
eux-mêmes reconnurent. L'Estoile remarque à ce propos
"est le
dit
livre assez bien
fait
pour un homme duquel
le
style est
tourné
à
la
médisance".
(1)
Cette
beauté
du
texte
n'avait
d'égale
que
la grandeur des
vert us
qu'il
célébrait.
Henri
IV
réunit
des
qualités
du
roi
de
France
très
chrétien,
très
catholique et très brave
la charité et la générosité ne sont
point ses moindres attributs.
Dorléans insiste particuliérement
Sur
le
pardon
royal
"Vous
m'avez
absous
au
lieu
de
me
condamner,
vous m'avez loué au lieu de me blasmer,
vous m'avez
aimé au lieu de me hayr".
(2)
Il
retrouvera par la suite son siège d'avocat au Parlement de
Paris.
Sa
situation familiale
s'améliore en même temps que sa
réputation.
En
1606
il publia Les
ouvertures
des
parlements
faictes
par
les
roys
de
France,
tenant
leur
lict
de
justice,
ausquelles
sont
adjoustées
cinq
remonstrances,
autrefois
faictes
en
icelles
au
Parlement
de
Paris,
qui
(1)
L'Estoile, Journal d'Henri IV ... , T2, P 157.
( 2)
L. Dorléans, Remerciement au Roy ... , r. 89-90
Nous reviendrons sur le contenu de cet ouvrage, infra, 2è et 3è parties.

82
fut dédié au Roi
Henri IV. Il}
C'est un recueil de ses discours
prononcés
naguère
au
Parlement,
mais
revus
et
corrigés
en
focntion de la nouvelle situation. En effet, Henri IV n'est plus
banni du trône et de Paris,
il est devenu celui qui tient entre
ses mains le pouvoir judiciaire,
comme un de ses attributs. Les
cinq discours qui constituent
la
seconde partie du
livre sont
dédiés aux principales autorités de la cour après le roi. Dès sa
publication le livre est saisi sur la requête de l'avocat du Roi
Servin. Selon L'Estoile
c'était
'plus en haine de l'auteur et
de la Ligue
(pendant laquelle ont été faites ces ouvertures)
que pour autre chose qui y soi t
à reprendre".
(2)
Ce texte dont
"les
hommes
doctes
font
état",
nous
dit
L'Estoile, (3)
fut
néanmoins
vendu
à
Paris
très
cher.
La
requête
de
Servin
ne
devait pas avoir des suites graves pouvant empêcher la diffusion
du livre.
Parrallèlement
à
sa
fonction
officielle
d'avocat,
Dorléans
composait
plusieurs
ouvrages. Il
poursuit la
rédaction
des
( 1)
L. Dorléans, Les ouvertures des parlements faictes par les roys de France .... Paris. chez Guillaume
Des Rues. 1612. 2è édition revue el corrigée. (1ère édi. 1604).
(2)
L'Estoile, Journal d'Henri IV.... p 211.
(3)
L'Estoile, iQii... , p 214.

83
Quatrains
moraux et
des
poésies
commencés
pendant
l'exil.
A
la mort
du
roi
Henri
IV,
i l
publia
un
essai élogiéux
sur le
régne
de
celui-ci.
La plante humaine
sur
le
trespas
du Roy
Henry
le
Grand(l)
est
en
même
temps
une
réponse
aux
théories
de
Turquet,
dans
sa
Monarchie
aristo-démocratique.
Sa
réconciliation
avec
le
roi
fut
sincère
et
i l
eut
pendant
le
reste
de
sa
vie
une
grande
estime
pour
Henri
IV.
Dorléans
compOSun d'ailleurs deux épitaphes célèbres après le meurtre de
Ravaillac.
On
peut
les
lire dans
Le Jardin
d'Epitaphes
choisies
publié
en
1648(2)
la
seconde
est
une
reprise
condensée
des
principales
qualités
qu'il
avait
déjà
chantées
dans
son Remerciement
"Toutes les vertus font le deuil
D'Henry,
seul honneur des Histoires
L'univers sera son cercueil
Ses titres seront ses victoires".
(1)
L. Dorléans. La plante humaine.... Paris. chez François Huby, 1612.396 + ff non p. avec privilège.
(2) Jardin
d'épitaphes
choisies. éd. Pierre Guillebaud, 1648 ; voir l'Abbé Goujet. Bibliothèque
francaise .... t XV. P 271.

84
En janvier 1612, Dorléans se fera remarquer au Parlement par une
consultation sur deux testaments. (1) La maniére avec laquelle il
résolut cette controverse judiciaire traduisait,
aux yeux de ses
collégues,
une maîtrise parfaite du droit.
Il
continue
à
composer
de
la
poésie
mais
sans
rien
publier
désormais
les
Muses
lui
servent
surtout
de
récréation
et
de
méditation en ces années de vieillesse.
Après avoir dit
qu'il
avait ce plaisir de s'adonner à la poésie isolé dans sa maison,
Dorléans signifiait ce qu'il attendait des Muses de façon tout à
fait
métaphorique
"Je
ressemblay
donc
le
cygne,. qui
plus
proche de sa mort tempère la tri~esse de ses derniers jours par
la
douce harmonie des belles
chansons qu'il
compose".
(2)
En
février
1629
Dorléans
sollicita
un
privilège
pour
ses
Quatrains
moraux
dont
certains,
peut-être,
se
lisaient
en
manuscrit,
mais
i l
n'avaient
pas
eu
d'édition
antérieure
contrairement
à
ce
que
pense
Colletet.
(3)
La
mort
viendra
interrompre la réalisation de ce projet quelques semaines plus
tard,
Louis
Dorléans
mourut
d'une
pleurésie
en
1629,
âgé
de
quatre-vingt-sept-ans. (4)
( 1) Voir BN. ms. tr N" 15535 piève 42.
(2)
L. Dorléans. 1es guatrains moraux.... Préface. p 5. - Cette image du cygne est déjà présente chez
du Bellay dans ses Regrels. sonnel 16.
(3)
- Voir: - G. Colletet. Trailé de la poésie morale et senlenlieuse, Paris. chez A. de Sommaville el
L. Chamhoudry, 1658. 203p.. P 189. et Abbé Goujel. Bibliothègue francaise ..., p 275.
(4)
- C'esl la version donnée par ceux qui l'onl connu. elle est atteslée par l'oeuvre-mème de I·auteur.
- Voir: - Gui Patin• .QQ-Ql.. - Colletet. !ll2.-lli., - Abbé Goujet .QQ-Ql., et les ms. tr. N" 863 el
4922.

85
La
date
de
sa
mort
ne
fait
pas
l'unanimité
au
sein
des
historiens,
et beaucoup d'erreurs sont restées tenaces. Le père
Lelong
donne,
dans
sa
Bibliothèque
historique,
deux
dates
différentes sans commentaire:
1622 et 1619.(1) L'une et l'autre
sont
inexactes
au
regard
des
documents. (2) Alexandre
Barbier
reprendra d'ailleurs,
sans vérification,
la première date donnée
par le père Lelong. (3)
Comme la date de naissance,
1542,
celle
da la mort,
1629 ne fait plus de doute. (4)
Dorléans laissa une famille malheureuse par la suite.
Les deux
fils
qui
lui
restaient
ne
réussirent
pas
leur vie.
Selon
le
témoignage de Gui Patin,
l'un était aveugle et l'autre galérien
à Marseille. (5) On ne sait rien de ce qui advint de sa femme.
En
revanche,
un manuscrit de la BN nous indique que l'ainé Raulet
est mort en 1635 et Jean en 1652. (6)
(1)
Lelong. Bibliothèque ... , p 413 et p 721. éditions 1769.
( 2)
Par exemple l'âge 87, la date de naissance 1542 el le témoignage des proches de Dorléans.
(3)
Voir A. Barbier, pictionnaire des ouvrages anonymes.... Tome Il. p 507
( 4)
Voir aussi ;- R. Descimon, Oui étaient les Seize... , p 133. - R. O. Lindsay et John Neu, French
political ... , p 82 - A. Manin dans l'édition Gallimard du Journal de L'Estoile pour le règne d'Henri
l'L, Tome 2, p 582, note 77.
(5)
Gui Patin, Letnes ... , p 366
(6)
SN, ms. Ir. N° 863.

86
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
De cette vie à plusieurs facettes,
l'Histoire ne retient souvent
qu'un aspect,
malheureusement
le plus négatif.
Les témoignages
que
nous avons
conservés
sur
sa personnalité nous
présentent,
pour
l'essentiel,
un
homme
fanatique,
arrogant
et
rebelle
à
l'ordre et
à
la
justice.
La seule circonstance atténuante que
lui accordent ces jugements est son talent. Les observations des
historiens
de
cette période sont
hautement
significatives.
De
Thou remarque que "son fanatisme lui
fit
faire un mauvais usage
de ses talents" (1)
et d'Aubigné d'ajouter qu' "il était disert
en
ses
médisances". (2)
A
un
ami
qui
lui
demandait
des
renseignements
sur
notre
auteur,
Gui
Patin
répondi t
"
L.
Dorléans
est
un
vieux
ligueur,
bateleur et
méchant
homme",
soulignant
ainsi
tout
le
mépris
qu'il
avait
pour
lui. (3)
Le
jugement
de
Guillaume
Colletet,
qui
l'avait
fréquenté, nous
( 1)
De Thou. Histoires universelle.... Tome X, p 595.
(2)
D'Aubi9né, Histoires universelle ... , 10 volumes, Paris, 1886-1909.
(3)
Gui Patin. Lettres ... , p 366.

87
paraît plus proche de la vérité
:
"Pl usieurs
années
avant
qu'il
mourDt,
je
l'a vois -connu
et
pratiqué assez familièrement
et
je trouvois son entretien fort
divertissant et fort
solide, mais principalement en matière de
lettres et d'histoires,hormis de celles de son
temps.
Car en
cette occasion il sembloit que le zèle ardent, mais indiscret,
qui
l'avoit
autrefois
emporté
comme
un
torrent,
contre
le
service
de
son
Prince
légitime,
luy
causoit
de
nouveaux
enlèvemens d'esprit et de certains esgaremens qui faisoient bien
connoistre
que
jusques
au
déclin
de
son
âge,
les
violentes
passions n'escoutoient pas toujours en luy la voix de la sagesse
et de la raison". (1)
Louis Dorléans reste,
après tout,
un personnage complexe.
Pétri
d'érudition antique et médiévale il a pu supporter les grandes
épreuves de sa vie avec philosophie. De l'existence i l avait une
conception stoïcienne qui lui vient directement de Juste Lipse
qu'il a étudié (2) et
peut-être
connu,
et
de
la
vision
d'un
( 1)
Guillaume Colletet, Traité de la poésie morale... , p 190.
( 2) Voir~. Chap. 2. il a lu et médité le pe constaotia (1583) pendant son exil.

88
christianisme austère,
faisant
la part belle à l'ascétisme et au
fatalisme.
Elle transparaît clairement dans son oeuvre~'morale(l)
et
dans
le
texte
politique
portant
sur
la
mort
du
roi
Henri
IV. (2) La
vie
reste,
à
ses
yeux,
une
carrière
semée d'embûches
et au cours de laquelle l'individu doit
se préparer à affronter
la mort avec constance. (3)
Mes opinions de Louis Dorléans sur la
~ u.l'ït<l
mort
sont
les
mêmesX que
Montaigne
a
déjà
développées
dans
l'essai
"Que
philosopher
c'est
apprendre
à
mourir". (4)
Toutefois,
un
certain
zèle
religieux
vient
compliquer
son
stoïcisme
par
rapport
à
celui
de
l'auteur
des
Essais,
resté
dans
la
lignée
de
Sénéque.(5)
En
effet,
selon
Dorléans
la
conformité de la vie aux principes religieux enseignés à travers
les leçons de l'existence du Christ doit conduire le fidèle à un
mépris
des
biens
terrestres
au
profit
d'un
bonheur
céleste
garanti par la foi. (6)
Cette perception du destin de
l'homme explique,
pour une part,
la passion avec laquelle il a toujours
défendu ses
différentes
( 1) Les poésies chres\\iennes~ et les Quatrains moraux, par exemple, voir suora, chap. 3
(2)
Il s'agit de la plante humaine... , voir jnfra, 2è partie, chapitre 2
(3)
Plante humaine~ .. ,
(4) Montaigne, Essai, l, 20.
(5) Cette compréhension reste valable uniquement pour le premier Montaigne d'avant le 3è livre des
Essais. - voir H. Friedrich, Montaigne, Paris, Gallimard, 1968, p 71- 78.
(6) Voir Dorléans, le Plan de la maison chrestienne ou maison de vertu, SN, ms. tr. N° 863, P

89
convictions politiques.
Intellectuel polémiste,
il vivait aussi
avec
ses
contradictions,
ses
inconséquences
et
avec
ses
"vérités". Pourtant,
les divers jugements sur Dorléans semblent
s'accorder sur un aspect de sa personnalité: l'importance d'une
culture qui fait de lui un humaniste attardé. III
( 1) Marc Fumaroli insiste sur cet aspec t en étudiant 1 es ouvertures des Parlements...de Dorléans,
l'Age de l'éloquence
Rhétorique el lires literaria~ de la Renaissance au seuil de l'époque classique,
Genève, Droz, 1980, p 427-429.

90
DEUXIEME PARTIE
APPROCHE
DE L'OEUVRE POLITIQUE FRANCAISE
DE
DORLEANS

91
Introduction
L'oeuvre politique
française
de
Dorléans
fut
produite pendant
des périodes de lutte au cours desquelles l'auteur s'est engagé
corps et âme pour la défense de ses convictions politiques et
religieuses.
C'est
donc
une
oeuvre
qui
mérite
d'abord d'être
située
dans
le
contexte
social
au
sein
duquel
elle
a
pris
naissance.
L'histoire de cette deuxième moitié du XVIe siècle,
c'est aussi celle de la Ligue parisienne. Episode des guerres de
religion,
celle-ci fut particulièrement marquée par les enjeux
politiques.
L'unité religieuse était seule
jusqu'alors entamée,
désormais
l'intégrité
territoriale
et
le
pouvoir monarchique
risquaient
d'éclater
â
leur
tour. (1) C'est
pourquoi
nous
considérons comme un détour nécessaire l'examen, même rapide, de
la
littérature
de
propagande
suscitée par
la Ligue.
Aussi
le
premier chapitre de cette partie s'attache-t-il â présenter de
manière succinte
l'origine,
les objectifs
idéologiques
et les
moyens de propagande de la Ligue parisienne.
(1)
Voir M Yardéni, op. cit, p 263-281

92
Quant
à
l'oeuvre proprement dite,
elle a
suivi trois grandes
étapes,
correspondant,
à quelques différences près,
aux grandes
périodes de la vie de l'auteur. La première époque est celle des
pamphlets ligueurs. Oeuvre essentiellement polémique, elle porte
les marques bien profondes. Ces écrits que nous nous proposons
d'examiner dans le deuxième chapitre furent faits,
à la manière
des
Discours
de
Ronsard
d' "une
pl ume
de
fer
sur
un
papier
d'acier".!l)
L'ordre
revenu en France,
Dorléans,
ayant obtenu
la grâce de son ancien adversaire Henri IV,
revient à Paris pour
y
recommencer
une
carrière
fèconde
en
production
littéraire.
C'est la période des textes
royalistes que nous analysons dans
le
chapitre
troisième. (2)
Mais,
entre ces
deux épisodes
de sa
vie,
il y a l'exil pendant lequel il composa une autre partie de
son
oeuvre
politique,
Ces
écrits
restés
manuscrits
et
quelquefois incomplets sont examinés dans le dernier chapitre de
cette partie.
La continuité est très nette entre ces textes et
ceux de la période ligueuse.
La démarche que nous avons adoptée
fait
ainsi
une
distinction
entre
les
publications
et
les
manuscrits.
( 1)
Ronsard, "Continuation du Discours des misères de ce temps" (1562) Oeuvre complète, éd. P,
Laumonier, 1. Silver et R. Lebé9ue, Paris, Didier, S. T. F. M., 1973, Tome XI. Discours des misères
et autres pièces 1562-1563, vers 6.
( 2)
Il s'agit des textes d'éloges du roi Henri IV :
- Le remerciement au Roy, Paris, R. Chaudière, 1604
• La Plante humaine sur le trespas du Roy Henry le Grand, Paris, F. Huby, 1612.

93
La
variété
des
titres,
leur
importance
et
leur
échelonnement
dans
le
temps
noUS
imposaient,
pour
l'analyse,
un
cheminement
global qui privilégiât un tel déèoupage.

94
CHAPITRE 1
La ligue parisienne et ses pamphets :
une littérature de publicrtes
:::::--
Il nous faut souligner ici que nous ne cherchons pas à reprendre
ou
à
refaire
une
histoire
de
la
Ligue.
Les
travaux
sur
la
question ne manquent pas,
les chroniques de l'époque de même. (1)
On peut même dire que c'est l'une des périodes qui ont le plus
intéressé
l'histoire politique et celle des mentalités,
et qui
continue
toujours
de
susciter
l'intérêt
des
spécialistes. (2)
Nous
inspirant
de
ces
diverses
sources,
nous voudrions
plutôt
insister sur
les
conditions de production de cette
littérature
de
combat
dans
ses
aspects
qui
ont
le
moins
préoccupé
les
historiens
la
transformation
d'un
contexte
polémique
en
élément littéraire.
( 1) Signalons, entre autres, en ce qui concerne les anciens:
- S. Goulart,
Mémoires de la Ligue ... nouv. édi. Amesterdam 1578. - L. P. Anquetil, L'esprit de la
Ligue ou histoire politioue des troubles de France pendant les XVIe et XVIIe siècles, Paris, chez H
Nicolle, 1808 (5è éd.) ,3 tomes -
Les Mémoires-Iournaux de Pierre de L'Estoiie, la chrQnQIQgie
novenaire de Palma Cayet - Le Journal histQrique de P. Fayet. elc...
( 2) Les travaux les plus récents SQnt : - Elie Barnavi, Le parti de Dieu
élude sQciale et oQlitigue des
chefs de la Ligue parisienne, 1585-1594, Paris, publi. de la SorbQnne et LQuvain Nauwelaerts,
1980 - R. OescimQn, Qui étaient les Seize?
Mythes et réalités de la Ligue parisienne, Paris
Klincksieck, 1983 - E. Barnavi el R. OescimQn, 1a Sainte Ligue' le juge et la Potence, Paris,
Hachette, 1985.

95
1 -
Origine
et objectifs idéologiques de la Ligue
Dans
son Histoire
de
l'origine
de
la
Ligue,
Dorléans
fait
remonter la naissance des troubles au début du luthéranisme et
du
calvinisme. (1)
La
ligue
ne
fut
en
effet
qu'une
étape dans
cette histoire des guerres causées en France par la Réforme et
la contre-Réforme. Les débuts du calvinisme ont été relativement
calmes
grâce aux effets
conjugués
d'une
monarchie ferme,
sans
concession
sur
les
questions
d'ordre
public
et
de
tradition
catholique,
et
d'une
Eglise
faisant
espérer
une
réforme
intérieure de ses propres pratiques. (2)
La situation va changer
avec l'avènement des rois
jeunes et sans expérience
François
II
(1559),
Charles IX
(1560)
et Henri III
(1574. Cette situation
politique
favorisait
un
regain
du
calvinisme
qui
avait
déjà
triomphé en Allemagne,
en Angleterre,
en Suisse. Et dès le début
de la deuxième moitié du siècle,
les guerres de religion étaient
inévitables. Elles éclataient le 1er mars 1562
avec le massacre
( 1) L. Oorléans, Histoire de l'origine de la Ligue, BN ms. Ir. W 4922, P 7. voir inlra, chao 2, II.
(2)
Cette période correspond à peu près aux ré9nes de François 1er et d'Henri Il (1515-1559) : la
chambre ardente était instituée, et le bûcher d' E. Dolet (1509-1546) encore présent à l'esprit des
gens de l'époque.

96
des prostestants à Wassy sur les ordres du duc de Guise. (1)
Désormais les protestants ont compris qu'il leur fallait sauver
leur foi et leur vie beaucoup plus par l'épée que par la plume.
Très
vite
le
"parti"
huguenot
s'implanta
au
sein même
de
la
haute noblesse et devint en même temps une force politique que
la monarchie ne pouvait ignorer. De guerre de religion en guerre
de
religion,
et
de
concession en
concession de
la part de
la
monarchie
le
"parti" protestant était devenu un pouvoir social
et politique qui commençait à inquiéter les catholiques.
Pour
ceux-ci,
qui
ne
pouvaient
pas
accepter
la
division
religieuse de
la
France,
le moment
était
venu
de
réagir pour
mettre fin à ce qu'ils considéraient comme une grave hérésie. (2)
Et ce fut l'ère des ligues catholiques.
( 1) Barnavi et Descimon, ~ p 35.
(2)
Voir Joseph Leclerc, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, Aubier, 1955.

97
1.
La
naissance
L'histoire retient l'existence de deux ligues:
la nobiliaire de
1576 et celle de 1585 dont Paris fut le centre incontesté.
La première Ligue a été de courte durée.
Elle fut
fondée pour
s'opposer aux concessions de la "Paix de Monsieur"
de mai 1576,
jugées
trop
favorables
aux
protestants.
Elle
vit
le
jour à
péronne et était essèntiellement composée de nobles catholiques
qui déclaraient vouloir appuyer le roi dans l'administration de
son royaume. On sait
néanmoins que les visées de cette noblesse
catholique
étaient
tout
autres. (1)
Le roi,
pour tuer le germe
dans l'oeuf,
s'en était déclaré le chef.(2)
Pour n'avoir pas eu
une base sociale plus large,
cette première Ligue fut san grand
effet
et
vite
abandonnée.
Les
catholiques
dans
leur
immense
majorité espéraient encore un déclin du parti huguenot et une
pluS grande fermeté du roi à son égard.
Le
10
juin
1584
disparaissait
le duc d'Anjou,
frère
cadet du
roi. La France se trouvait désormais privée d'un héritier direct
( 1) Voir E. Barnavi et R. Oeseimon, La Sainte Ligue le luge et la potence, p 37 et p 39. - R. Oescimon,
Qui étaient les Seize? .... , p 19 et p 70.
( 2) Les plublicistes de la seconde ligue le rappelleront plusieurs fois pour se chercher une légitimité.
par exemple L. Oorléans dans son Apologie QU délence des Catholiques ... 1586.

98
pour
le trône,
car on ne croyait plus aux chances d'Henri III
d'avoir un fils.
Une éventualité difficilement acceptable pour
les catholiques de
l'époque se présentait
à
leur conscience
celle
d'un
roi protestant
en
la
personne
d'Henri
de Navarre,
chef
et
protecteur
des
Eglises
réformées.
Farouchement
anti-huguenote,
l'opinion publique catholique était troublée par
l'imminence
d'une
monarchie
protestante.
La
situation
servit
alors de prétexte à
la mise sur pied d'une ligue plus vaste et
mieux
organisée
que
celle
de
Péronne.
Cependant,
l'état
de
discrédi t
total
dans
lequel
était
tombé
le
règne
d' Henr i
III
était le terreau sur lequel germa vite et grandit le mouvement.
Une
crise
socio-économique
sans
précédent
frappait
depuis
quelques
années
la
France.
Les
dépenses
royales
entraînaient
l'augmentation
des
charges
venant
sur
le
petit
peuple.
La
vénalité des offices se généralisait même jusqu'au Parquet. Pour
trouver
l'argent
nécessaire au
financement
des
caprices
de
sa
cour,
Henri
ne
reculait
devant
rien
aliénation des biens du
clergé,
détournement
des
rentes
de
l ' Hôtel
de
Ville.
Ce
qui
exaspérait le plus les Parisiens c'était que ces sommes étaient
destinées,

99
pour
l'essentiel,
aux
fêtes
de
la
cour
et
des
mignons,
à
l'entretien de
la ménagerie du
roi.
Une part très
faible devait
soutenir
l'effort
de
guerre
contre
les
Huguenots.
Il
est vrai
que Henri
III n'était pas
le modèle du
roi
chevalier plus porté
à
gagner des
victoires
qu'à organiser des
bals
et
des banquets
au
milieu
des
courtisans.
Il
eut
même
la
réputation
d'être
un
faible,
pris
sous
l'influence
de
la
Reine
et
des
Guise
très
puissant s
il. la cour. (1)
Cette
situation
socio-économique
fut
déplorée
par
toutes
les
chroniques
de
l'époque. (21
Elle alimenta
la propagande
ligueuse
pendant
longtemps.
Ayant
bénéficié
d'une
situation
propice
la
Ligue grandit
très
vite.
Le
traité de
Joinville qui
scella,
le
31
décembre
1584,
l'alliance
entre
le
roi
d'Espagne
et
les
princes
Lorrains
en
fut
le
baptême
officiel.
Et
quelques
mois
après) 15 mars 1585) le manifeste de péronne fut
lancé sous le nom
du
cardinal
de
Bourbon.
Il
expliquait
les
raisons
qui
avaient
amené
"les
Princes,
Pairs,
Prélats,
seigneurs,
villes
et
( 1) E. Barnavi et R. Descimon, ibid
p 35 el p 37.
(2)
Dans le Dialogue d'entre le Maheustre et le Manant..., Le Manant justifie ainsi la rebellion contre
Henri III
"ayant luy seul sans guerre enlevé plus d'argent de son pauvre peuple que les trois
précédens Rois". f. 43 . voir aussi P. de L'Estoile, Journal d'Henri 111. ..

100
communautez catholiques de ce Royaume de France,
à
s'opposer à
ceux qui veulent subvertir la Religion et l ' Estat".
"Le parti de
Dieu"
était ainsi né,
et dès les débuts Paris fut le moteur et
le centre du mouvement.
C'est parmi ses cadres et son clergé que
s'était
recruté
le
premier
noyau
de
publicistes
dont
notre
auteur fut l'un des plus brillants.
2.
Les
objectifs
Après avoir expliqué les causes qui ont présidé à la fondation
de la Ligue -"l'hérésie supportée,
et la tyrannie ouverte"(l)-
le
Manant
résume
ses
objectifs
en
trois
points.
Il
fallait
d'abord
as surer
la
conservat ion
de
la
Re lig ion
Catholique
Apostolique et Romaine; ensuite expulser et combattre l'hérésie
et
les
sectes
contraires
au
catholicisme.
Enfin,
la
Ligue
se
proposait de réformer les vices les impiétés,
les injustices,
et
tous les maux dont souffrait la France en tous ses états. (2) Et
( 1 ) . Le Dialogue d'en're le Maheustre et le Manant.QQ...QL, f 64.
(2)
',bid, f 68.

101
pour
rendre
plus
clair
ce
programme
politique
et
social,
i l
ajoutait que le dessein des Seize!l)
était de
"faire observer la
religion sans symonie,
la
justice sans concussion,
la Noblesse
sans tyrannie et le peuple sans désobéissance". (2)
De
telles
idées
ne
pouvaient
que
susciter
la
méfiance
de
la
monarchie
et
ent raîner
l ' adhés ion
des
couches
moyennes
de
la
population,
premières
victimes
de
la politque
jugée tyrannique
du
dernier
Valois.
Le
manifeste
de
Péronne
contenait
de
quoi
attirer la majorité des
"Estats"
l'abolition des
impôts créés
depuis
le
règne
de
Charles
IX,
le
contrôle
exercé
sur
les
dépenses
de
l'Etat,
des
réunions
plus
régulières
des
Etats
Généraux,
l'élimination
des
favoris
d'Henri
III
la
garantie
des
charges
et
offices
aux
magistrats
subalternes.
Ainsi
s'élabora
sous
l'habit de
la
région
un vaste projet
de société
dont
les
conséquences
changèrent,
pendant
quelques
années,
les
principes
de
gouvernement
qui
avaient
jusqu'ici
fait
la
stabilité du royaume de France. (3)
( 1) La Ligue avait établi dans chacun des seize quartiers de Paris, à l'époque, un conseil particulier
composé de 9 membres. Les chefs de ces conseils, au nombre de seize, avaient formé un conseil
secret qui intervenait comme organisme distinct du conseil général. Ce noyau dur qui était très
influent dans toutes les instances de l'Union valul à la Ligue d'ètre appelée les "Seize".
Voir R.
Mousnier, "Les structures administratives, sociales révolutionnaires de Paris au temps de la
seconde Ligue (1585-1594)". Les cités au temos de la Renaissance... , p 153-172.
(2)
Dialogue ... , f 85.
(3)
Voir E. Barnavi, Le Parti de Dieu .. " 1ère partie - chao 3 p 59 et 3è partie
chap. IV, p 149-171

102
Cette contre-réforme religieuse,
pour avoir voulu entraîner un
changement profond dans
les
structures
sociales accentua aussi
la confusion des visions politique et religieuse de la société
qui caractérisait la mentalité de l 'honune du seizième siècle. (1)
Les
objectifs,
ainsi
définis
avec
plus
ou
moins
de
clarté,
furent précisés,
étoffés et quelquefois
réorientés en fonction
de l'évolution de la situation socio-politique. Conscients qu'il
leur
fallait
des
moyens
immenses,
à
la
mesure
de
leurs
ambitions,
les Seize mirent sur pied une
importante machine de
guerre idéologique pour gagner la faveur
de
l'opinion publique
----- -
~.- --
française.
(1)
R. Mandrou, Inlroduction à la France moderne 1500-1640, Paris, Albin Michel, 1961, pp 321-350

103
II
Les moyens
de la
propagande
Le
mécontentement
général
des
Français
devant
le
marasme
économique
causé
par
la
politique
de
dilapidation
des
biens
publics,
la crainte des catholiques de se voir proposer à court
terme un roi hérétique et l'ascendant des princes Lorrains sur
le peuple ne suffisent pas à expliquer l'ampleur politique prise
par la Ligue. Le talent de guerriers de ses chefs ne pouvait pas
non
plus
être
un
facteur
déterminant
car
l'affrontement
militaire ne se fera que bien plus tard,
après les Barricades de
1588.
Il nous semble que si les Seize ont fai~ tant de bruit et
(de fureur c'est grâce à un art consommé de la propagande. Ç'e~~
parce qu'ils ont.. c:9I11pris très tôt l'effet que pouvait avoir su.!_
( --- ---- -- ---
-
.-
-
i
les Ç?tBpliques_cette qic~ature des_consciences·qu~ consistait~_
" man_ipuler
et
à
orienter
leurs
prOprs:~ vis.ions. du
monde.
Les
moyens
mis
en
oeuvre
pour
arriver
à
cette
fin
étaient
aussi
variés que les
facultés mentales
auxquelles
ils
devaient faire
appel,
les sermons,
les affiches et les libelles en étaient les
formes
les plus pratiquées. (1)
( 1) Nous savons qu'il existe d'autres instruments de propagande que la Ligue a utilisés. La terreur, par
exemple, lui a beaucoup servi sous ses divers aspects,' parce qu'ils ne font appel ni à l'écrit ni au
raisonnement, ils ne concernent que de très loin la satire et la polémique,

104
1.
Les
moyens
oratoires
et
visuels
Ce sont essentiellement les prédications des ecclésiastiques et
les spectables quotidiens que les Seize proposent aux Parisiens
pour faire pression Sur eux.
a)
La
harangue
politico-religieuse
Auréolés de l'autorité de leur statut de chefs religieux,
les
hommes d'Eglise,
piliers essentiels de la Ligue,
faisaient de
leurs sermons des moyens d'endoctrinement politique. Les effets
de leurs harangues étaient
remarquables
sur les
fidèles.
Une
tradition séculaire fait de l'ecclésiastique le porte-parole de
Dieu.
Esprits écoutés et auxquels
le peuple avait une grande
créance, Cl)
les prédicateurs distillaient
les idées de l'Union
dans les églises. C'est que le sermon était un moment idéal pour
le travail idéologique
: le contact y était direct et solennel.
Cette situation permettait toutes les mises en scènes possibles.
Une nouvelle déjà connue du curé pouvait
être rapportée
comme
/
( 1) "Le prédicateur l'a dit" suffisait quelquefois pour. prendre une parole comme certaine, voir
Barnavi, Le Parti de Dieu ... , pp 179·182 et L'Estoile. op. cit

105
une
éventualité,
avant
d'être
confirmée
par
un
messager
venu
directement
interrompre
le
sermon.
Pour
le
catholique
spectateur,
Dieu est avec la Sainte-Union. Ces mascarades furent
plusieurs
fois
utilisées
pour
annoncer
des
victoires
ou
des
défaites,
avec
plus
d'éclat
pour
les
premières
et
moins
de
décept ion pour les
secondes. (1)
L'éloquence
de
ces
prédicateurs
était
incontestable
malgré
la
caricature
qu'en
a
donnée
la
Satyre
Ménippée.
Certains
étaient
d'ai lleurs
des
pamphlétaires
chevronnés
Boucher,
Launoy. (lbis)
Leur
influence
Sur
les Parisiens
est
reconnue par
les
chroniqueurs
de
l'époque.(2)
C'est
que
le
sermon,
plus que
la propagande écrite,
bénficiait
de
la
compréhension
immédiate
et directe par une
foule
au sein de laquelle existaient encore
bien
des
analphabètes,
ou
des
gens
à
qui
leur
formation
ne
permettait
pas
de
comprendre
les
arcanes
de
la
controverse
développée par les pamphlets. (3)
Cette position stratégique dans
la bataille
des
idées
pour
le triomphe
de la Ligue poussait
(1)
La défaite d'Ivry (14 mars 1590) fut annoncée à la fin d'un sermon qui s'intitulait "Dieu aime Paris
et le met à l'épreuve".
(1 bis) Jeans Boucher était curé de Saint-Benoît et Matthieu de Launoy Chanoine de Soissons. Ces deux
prédicateurs furent les premiers piliers de la Ligue de Paris.
(2)
L'Estoile, Palma Cayet, par exemple.
(3)
Voir: Livres populaires du XVIe siécle, Paris, C N R S, 1986 surtout la section FP, Littérature
politique par G. Demerson, p p 318 - 333.

106
fréquemment
les
autorités
de
l'Etat
à
chercher
la
faveur
des
prédicateurs.
Ainsi,
même au coeur de
ses années
de puissance
incontestée à Paris, Mayenne avait cherché par tous les moyens à
les avoir de son côté. (1)
A une
échelle
moindre,
se
situaient
les
débats
politiques
suscités par
les placards
et
les tableaux placés
le
long des
carrefours par les Seize.
Mais
ici
la propagande était diluée
dans
la
fascination
et
l'indignation
selon
que
la
réalité
présentée était favorable à
la Ligue ou au contraire opposée à
ses visées politiques.
b)
Les
moyens
visue~s
Ce sont d'abord les insignes distinctifs du ligueur:
la croix
cousue
sur
l'habit
et
l'écharpe
verte
dont
Madame
de
Montpensier,
soeur
du
duc
de
Guise,
fut
l'inventrice.
La
première avait un symbolisme qui impressionnait les Parisiens.La
croix signifiait le sacrifice du Christ pour sauver l'Humanité.
{ 1} Même par la promesse de promotions importantes dans leur hiérarchie, voir Barnavi. Le parti de
Dieu ... , p 180.

107
Elle
était
surtout
l'emblème
mystique
de
l'Eglise
sous
l'étendard de
laquelle
combattait
la Ligue.
Les
souffrances du
ligueur
pouvaient
indirectement
être
assimilêes
à
celles
du
Christ
et
son
parti
à
l'Eglise.
Une
telle
identification
se
,
faisait
comme
un
reflexe
dans
l'esprit
des
catholiques.
On
comprend
alors
toute
la portée
de
ce
symbole
comme
élément de
propagande.
L'écharpe verte,
l'autre
signe
extérieur,
avait
un
effet beaucoup plus incertain.
Placer des tableaux et des portraits était aussi devenu un moyen
d'information
et
de
propagande
pour
les
Seize.
Destinés
à
exciter
le
zèle
des
Parisiens,
ils
étaient posés
aux endroits
les plus
fréquentés
de
la ville.
Même
les
cimetières n'étaient
pas
épargnés,
au
contraire,
pour
leur
symbolisme,
on
les
préférait
aux
autres
surtout
quand
i l
s'agissait
de
représenter des
scènes
ayant
un
rapport
avec
la mort. (1)
Quand
la défaite
s'annonça pour
la Ligue
les portraits devinrent des
scènes
du
jugement
dernier

les
Seize,
de
leur
paradis,
observaient
leurs ennemis au milieu des
flammes. (2)
( 1) Après l'exécution de Marie Stuart, nièce des Guises, en février 1587, on plaça au cimetière
Saint-Séverin, par les soins de Madame de Montpensier, un tableau illustrant les sévices infligés
aux catholiques anglais par leur reine, comparée ici à la Jezabel biblique
- voir Barnavi, op. cit,
P 174.
(2)
Voir Ch. Lenient, La Satire en France .... p 336.

108
Cependant,
les
plus
spectaculaires
moyens
de
pression
sur
l'opinion
étaient
l'oeuvre
des
ecclésiastiques.
Les
messes
solennelles,
les
serments
collectifs de
fidélité
à
l'Union et
surtout les processions demeuraient des moments favorables à la
réception
des
idées
politiques
de
la
Ligue.
Les
processions
étaient
le
spectacle
le
plus
permanent.Elles
avaient
lieu
le
jour comme la nuit et leur impact sur la mentalité des Parisiens
devait être importants.
C'est du moins ce que pensait L'Estoile
non
sans
ironie. (1)
Ces
moyens
visuels
de
propagande
permettaient
d'amener
les
catholiques
à
vivre
avec
la
Sainte
Union.
Ils
effaçaient
les
frontières déjà évanescentes qui séparaient
leur vie dévote du
monde profane. Parce qu'ils faisaient appel à
leur affectivité,
les
spectacles
ainsi
proposés
suscitaient
une
grande
émotion
chez
les
Parisiens.
lnsidieusement,
le
ligueur
est
posé
en
exemple et le peuple est appelé par une voix intérieure à suivre
et à exécuter, comme pour un acte
de
dévotion,
les
ordres
de
( 1)
"Le peuple estait tellement eschauffé et enragé (... ) après ces belles dévotions processionnaires,
qu'ils se levaient (sic !) bien souvent de nuict de leurs lits, pour aller quérir les curés et prestres
de leurs paroisses pour les mener en procession", L'Estoile, QQSlL

109
l'Union.
La célébration des
"Saints martyrs"
était de nature à
avoir les mêmes effets sur l'opinion. (1)
2.
Les
pamphlets,
les
placards
et
les
tracts
Ce sont
les véritables véhicules
de
la propagande.
Depuis le
début de la Réforme la chose écrite avait acquis la redoutable
réputation d'être un moyen de combat aussi efficace que l'épée.
Ce
fut
l'arme
essentielle
du
calvinisme
à
ses
débuts. (2)
Consciente très tôt du pouvoir du livre sur l'opinion,
la Ligue
s'arrogea le monopole de l'imprimerie à Paris et dans les autres
villes de l'Union,
comme Lyon. (3)
Les placards étaient généralement rédigés à
la main
alors que
les tracts pouvaient être imprimés quand ils atteignaient trois
ou quatre feuilles.
Les premiers
se posaient
sur les portiques
d'Eglise.
Ils étaient souvent accompagnés de graffiti complétant
(1) Jacques Clément, meurtrier d'Honri III, et Louchard victime de la répression de Mayenne contre les
Seize après la mort de Brisson (15 novembre 1591) étaient considérés comme de "Saints
Martyrs" - voir Barnavi, 1e Parti de Dieu,
p 175.
(2)
Voir P. Mesnard, L'essor de la philosophie politique au XYle siècle, Paris, Vrin, 1936 - E.
Eisenstein,
"L'avènement
de
l'imprimerie
et
la
Réforme",
Annales
Economje
Sociétés
CiYilisations
W6, 1971, P 1355-1382.
(3)
Abbé Reure, La presse politique à Lypn pendant la Ligue (février 1589 - février 1594), Lyon,
Bernoux et Cumin 1898, - Dénis Pallier, Recherches sur l'imprimerie.

110
le message.
Les tracts,
ou "billets" comme on disait à l'époque,
étaient répandus au coin des rues,
devant les portes du Louvre,
au Palais et près des églises. Même les arrêts de la Sorbonne ou
les bulles papales suivaient cette voie de diffusion. 11) D'accés
commode,
ces instruments de propagande suscitaient une réaction
à
chaud qui pouvait ouvrir un débat sur leur teneur ou souvent
sur leur saveur. (2)
Billets de
circonstances
généreusement
distribués,
ces
écrits
étaient voués à une destruction rapide. Nonobstant la minutie de
Pierre de L'Estoile une bonne partie aurait ainsi échappé à la
curiosité
de
la
postérité.
Littérature
populaire,
sources
indispensables
à
l ' histoire
des
mentalités,
ils
contenaient
quelquefois des pièces de vers d'une beauté certaine.
Mais la voie royale de la propagande était celle des pamphlets.
Les
presses
ligueuses
f
en
ont
produit
une
quantité
impressionnante dans une période relativement courte.
( 1) cf. Livres oopulaires du XVIe siècle, p p 318-333.
( 2)
Ils étaient très appréciés du public ligueur, en revanche, les adversaires Politiques ou Royalistes y
voyaient la manifestation des esprits débordés. Pierre de L'Estoile qui en a recueilli une partie était
de ceux-la. - cf. L'Estoile, Les belles figures et drolleries de la 1 igue, Paris, librairie des
Bibliophiles, 1876.

111
Leur
édition
et
leur
diffusion
étaient
censées
être
clandestines.
Et
Pourtant,
sous
la
bénédiction
de
la
Sainte
Union ce ne fut point le cas.
Les noms des imprimeurs et leurs
adresses
figuraient
sur
les
pages
de
titres.
L'anonymat
des
auteurs était maintenu dans un premier temps mais très vite les
auteurs
signèrent
leurs écrits.
C'était
"pour se faire gloire"
nous rapporte De Thou. Il)
Environ 120 libraires ou imprimeurs ont travaillé à Paris pour
la
Ligue.
Certains
d'entre
eux,
une
vingtaine
d'après
Pallier, 12)
ont eu une activité permanente.
Entre 1585 et 1594
les presses ligueuses ont
sort/'~~)éditions de pamphlets dont
~
la
longueur
variait
entre
huit
et
plus
de
cent
pages. (3)
Un
petit nombre dépassait
les 200 pages.
Mais
si on tient
compte
des textes détruits ou perdus,
on peut estimer la production à
pluS
d'un
millier
de
titres, (4)
compte
non
tenu
des
éditions
lyonnaises. La présentation matérielle des pamphlets était assez
soignée pour des écrits de propagande immédiate.
( 1) De Thou. Histoire universelle .... 1 10. P 595.
(2)
D. Pallier. Recherches .... p 130 : Rolin Thierry. Robert Nivelle et Guillaume Bichon. par exemple.
(3)
ibid. P 149.
( 4)
ibid P 57

112
Le souci du titrage y était manifeste et découlait d'une volonté
de
faire
pression
Sur
l'opinion
par
des
slogans
et
des
proclamations.
Les
intitulés ne correspondaient
d'ailleurs pas
toujours aux contenus. (1)
Les destinataires de la propagande étaient variés. Contrairement
à
ce que pense M.
Yardéni,
ce n'était pas seulement à
"des gens
crédules"(2)
que s'adressaient
les pamphlets.
Un public savant
et pas toujours
favorable
aux thèses
des
ligueurs
servait
de
cible
aux
publicistes.
C'était
souvent
les
adversaires
royalistes
les politiques
sceptiques à
qui on démontrait la
légitimité de la cause de
l'Union.
Certains pamphlets-traités
exigeaient de leurs lecteurs une culture supérieure à
celle du
Français
moyen
de
l'époque.
Ils
étaient
alors
généralement
écrits
en
latin
classique.
Louis
Dorléans
en
fit
un
de
très
violent
contre
les parlementaires passés
aux
côtés
du Roi
de
Navarre. (3)
Des humanistes de
renom comme Estienne Pasquier se
sont beaucoup intéressés à ces pamphlets. (4)
( 1) Nous reviendrons sur ces aspects de la stratégie pamphlétaire à propos des oeuvres de Dorléans,
voiri.fra, 38 partie, chaD 3.
(2)
M. Yardéni, La conscience nationale en France pendant les guerres de religion
(1559·15981, Paris
Louvain Nauwelaerts, 1971, P 241.
(3)
Dorléans, Ludovici Dorléans
uni us ex con/oederat;s pro catholica tide Parjsiensibus ad A.S
(Antooium Séguier)
unum es sociis pro heretica perfidia Taroniensibus expostulatiQ, Paris, Fr.
Morel, 1953 (réed. Lyon, 1594) - BN. Lb35 508.
(4)
Voir ses Lettres historigues pour les années 1556-1594, Genève, Droz, 1966, édit. D. Thickett.

113
Toutefois,
les
destinataires
les
plus
sollicités
étaient
la
grande
foule
des
catholiques.
A défaut
de
les
convaincre,
on
cherchait
à
installer
le doute dans
leur
esprit
à
propos
des
thèses légalistes. A cette masse il fallait aussi faire oublier
les
rigueurs
de
la
crise
pour
les
prèparer
à
en
supporter
d'autres ; on visait à leur fournir cette nourriture idéologique
et spirituelle qui permet de galvaniser la foule des mécontents.
Cette cheville ouvrière de toute l'entreprise ligueuse était la
cible appropriée des publicistes de tous bords.
Quelle
était
la
portée
politique
d'une
telle
méthode
de
propagande
?
Palma
Cayet
nous
dit
que
les
libelles
étaient
"l'appast
avec lequel
on
attire
le menu peuple ... ", (1)
avant
d'ajouter
"( . . . )
qui,
selon que la nouveauté lui plaist se la
forme
tellement
en
son
esprit,
qu'il
est
impossible
de
luy
aster,
et principalement i l va de la religion". (2) Les effets
de
ce
combat
verbal
étaient
servis
par
l'émotivité
et
l'hypersensibilité
des
hommes de l'époque. (3)
Elles rendaient
( 1)
P. Cayet, QJlliL p 27.
( 2) lilid. P 27
( 3)
R. Mandrou, QQ.J;il... p 324.

114
plus facile cet ascendant irrésistible que l'homme pouvait avoir
sur
son
prochain.
Fins
psychologues
avant
la
lettre,
les
pamphlétaires savaient répondre au goût des émotions fortes qui
habitait
les
esprits
du
temps.
Ces
aspects
d'une
mentalité
J
collective
imposaient
aussi
aux
publicistes
une
certaine
recherche
de
la
beauté
littéraire,
levain
très
important
de
\\
l'admiration
du
lecteur.
L'étude
esthétique
de
certains
pamphlets
révèle
une
recherche
sur
ce
plan
extrêmement
importante
à
laquelle nous
nOus
arrêterons
plus
loin. (1)
Cela
explique aussi,
à
notre avis,
la part considérable prise par la
poésie dans la polémique
; même les écrits de pure controverse
politique contiennent quelquefois des fragments poétiques. C'est
pourquoi,
nous
semble-t-il,
l'opinion
selon
laquelle
la
l i t térat ure
polémique
serait
une
"sous-littérature",
ou
une
"para-littérature"
est de plus en plus abandonnée,
au moins pour
cette période.
Mais aussi puissante qu'elle soit,
la propagande a ses limites.
( 1) Voir notre 3ème partie. Nous n'abordons pas ici l'étude des thèmes de la propagande. Ils sont
généralement les mèmes pour tous les pamphlétaires, même si on observe quelques thèmes
particuliers chez certains. La grande différence qui existe entre les auteurs se trouve dans une
manière de les traiter qui définit l'originalité de chacun. Nous y reviendrons dans le chapitre
suivant.

115
La
ligue
parisienne
l'a
certes
appris
à
ses
dépens
et
tardivement.
Et
quand
le
Manant
expliquait
sa
défaite
par
l'absence de
chefs militaires dévoués
à
la cause,
le Maheustre
lui
rétorquait
avec ironie
"~ présent l'on ne croit plus en
paroles,
nous
faisons
plus
de
cas
d'un
soldat
que
d'un
docteur". Il)
L'allusion nous parait très claire.
La Ligue avait
trop
demandé
aux Parisiens
dans
des
circonstances
extrêmement
difficiles
famine généralisée,
terreur permanente et présence
des
ennemis
aux
portes.
Comme
l ' homme
n'est
pas
seulement
esprit,
i l
leur
fallait
aussi
ce
support
déterminant
pour
la
conscience
:
le pain.
Et pour avoir trop compté Sur les talents
de
ses pamphlétaires,
ces soldats de
la plume,
la Ligue perdit
la guerre des armées,
gage d'un pouvoir durable à
l'époque.
( 1)
Le Dialogue r. 59.

116
CHAPITRE II
Les pamphlets ligueurs
Ils
sont
consitutés
de
huit
titres
dont
trois
pour
un
même
texte. Composés dans le feu de la lutte,
au gré d'une polémique
souvent désespérée,
ils ont connu des fortunes différentes.
Si
certains
pamphlets
comme
l'Advertissement
des
catholiques
Anglois(l)
sont
restés
célèbres
aujourd'hui,
d'autres,
en
revanche,
ont été rangés,
en même temps que les autres produits
de
la Ligue,
dans les
rayons de l ' Histoire.
Ils n'intéressent
malheureusement souvent que des spécialistes de la période à la
recherche de renseignements sur les mentalités.
Pourtant,
comme
on peut s'en rendre compte à la lecture,
leur valeur littéraire
méritait un tout autre sort.
( 1) Nous ne reviendrons pas ici sur les questions d'allribution que nous pensons avoir posées dans la
première partie.

117
1 -
L'apologie
ou
défence
des
catholiques
unis
les
uns
avec
les
autres,
contre
les
impostures
des
catholiques
associez
à
ceux
de
la
prétendue
Religion,
1586
Au bout d'un an,
à peine passé,
la Ligue commençait de susciter
l'inquiétude du Roi et des légalistes, Politiques ou royalistes,
soucieux de respecter les traditions de la monarchie française.
La question de
la succession
se posait
alors
avec
une acuité
redoutable
pour
tous
les
partis.
Du
côté
de
la
Ligue,
la
position affirmée excluait du trône tout protestant.
Pierre de
Belloy,
l'un des plus fulminants
adversaires de l'Union réagit
par un pamphlet qui rappelait avec vigueur que
la loi salique
était le seul principe qui régissait la succession au trône de
France. (1)
Cette
loi,
disait-il,
s'appliquait
même
pour
un
prétendant hérétique. L'écho obtenu par ces déclarations mettait
les ligueurs dans une position inconfortable.
( 1)
P. de Belloy, Apologie catholique contre les libelles
déclarations
advis
et consultation faictes
escrites et publiés (sic) pour les Ijguez perturbateurs du repos du royaume de France, Paris, 1585.

118
L'Apologie . .. parut
au
début
de
1586
comme
une
réponse
aux
thèses
des
défenseurs
de
la
loi
salique.
C'est
bien dans
un
contexte de débat politico-juridique que se place la polémique
avec ceux qu'on appelle ici les "catholiques associez". Ce texte
d'une
trentaine
de
pages
commence
par
une
indignation
de
l'auteur
devant
les
griefs
portés
contre
son
Parti.
Cette
"captatio
malevolentiatiae", (1)
bien
recherchée
de
certains
polémistes,
lui
permet
de
retourner
l'accusation
contre
l'adversaire,
ce procédé de rétorsion qui
prend tout son sens
ici puisque selon Dorléans,
ceux qui accusent
ses partisans de
se
liguer
"se
bandent
et
contreliguent
contre
ceux
qui
ne
prétendent que maintenir la Religion ancienne de France".(') Ils
mènent
alors
le
même
combat
que
les
hérétiques,
véritables
ennemis du repos du peuple Français.
Deux postulats fondent cette apologie de la Ligue. Au royaume de
France ne sera acceptée que la Religion catholique Apostolique
et Romaine. Le second
principe
est
qu'en
conséquence on n'y
( 1) L'expression est de M. Angenot. La parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982, p 305 . Nous avons
un peu gauchi l'emploi d'Angenot.
(2)
L. Dorléans. l'Apolo9ie .... p 3

119
recevra à
la couronne qu'un roi
catholique.
La défense de ces
deux principes
constitue,
aux yeux de
Dorléans,
l'objectif de
l'Union,
la raison de son existence. La justification du premier
point lui permet de démontrer que les troubles sociaux sont nés
avec le calvinisme dont il situe les débuts en 1563.(1) L'amitié
ne peut exister où
il y a
la diversité des
religions.
Et pour
l'auteur,
la
France
ne
peut
pas
suivre
la
voie
anglaise qui
consiste pour le peuple à prendre la religion de son monarque.
Royaume très
chrétien depuis Clovis,
la France ne tolérera que
la religion que ses traditions ont perpétuée.Pour récuser l'avis
de
ceux
qui
privilégiaient
la
paix
et
l'unité
des. Français,
Dorléans rappelle les malheurs des catholiques anglais sous une
monarchie protestante. Ensuite,
il distingue deux sortes de paix
entre lesquelles il voit une différence capitale
:
"Il
y
a bien
différence
entre
la
paix de
Dieu et
celle des
hommes". (2)
( 1) L. Dorléans, l'ApoloQie .... p 5
( 2) ibid. P 8

120
La
première
s'acquiert
par
la vie
en
catholique
alors
que
la
seconde
s'obtient
par
l'entente
avec
les
hérétiques.
C'est
pourquoi i l souligne qu'il n'y a que deux partis possibles celui
des catholiques ou celui des huguenots.
Il dénonce tous ceux qui
cherchent
à
les
unir. (1)
Pour conclure
le développement de son
premier
postulat,
le
pamphlétaire
examine
le
rôle
du
roi
vis-à-vis
de
la
Religion.
Henri
l II
est
d'abord déclaré
très
chrétien et dévot.
On n'est pas enCOre à
l'époque où la Ligue
tirera à
boulets
rouges
Sur ses débauches.
Toutefois,
Dorléans
lui rappelle qu'il n'est
roi que
"pour maintenir l'honneur de
Dieu",(2)
"que c'est
son devoir d'avoir soing du salut de son
peuple
et
qu'il
a
promis
à
son
sacre
qu'il
maintiendra
la
Religion
catholique". (3)
Pasteur
du
troupeau
du
Seigneur
sur
terre,
le roi,
comme aiment à le répéter les pamphlétaires de la
Ligue,
doit
"chasser le lion de la bergerie". (4)
C'est pourquoi
le peuple
a
toujours
applaudi
les
édits
qui
interdisaient
le
calvinisme en France.
Et
surtout
ces vaillants Parisiens,
dont
l'auteur chante la détermination et l'engagement à préserver la
( 1 ) L. Dorléans. I·Apologie .... p 9
( 2 )
ibid. P 10
( 3 ) ibid.p11
( 4 )
ibid.p11

121
foi
catholique,
ont toujours brandi comme devise
"un Dieu,
un
Roy,
une
foy,
une
loy". (1)
Et
de
l'avis
de Louis Dorléans
la
guerre contre l'hérétique est légitime même si elle incommode le
peuple.
Cette première partie de l'Apologie ...
constitue une fuite en
avant
face
aux
accusations
des
loyalistes.
Dorléans
semble
concéder à
ceux-ci qu'il est bien vrai que son parti pertu~b~
l'odre public mais il le fait,
affirme-t-il,
pour le bien des
Français et pour l'honneur de Dieu. On sent ainsi se dessiner,
dès ces premières
années,
un certain radicalisme
ligueur qui
prendra toute son ampleur après les Barricades. (2)
Le second point qui constitue l'essentiel du pamphlet et l'objet
de
la polémique avec de Belloy concerne
la loi salique.
Ayant
rappelé que la Ligue n'acceptera pas un roi hérétique, Dorléans
pose
trois
hypothèses
qui
se
réduiront
en
définitive
à
un
dilemme rhétorique.
D'abord,
il
suppose que Henri
de
Navarre
( 1)
L. Dorléans, l'Apologie .... p 12
( 2)
Voir F. J. Baumgartner, Radical réactionaries
,.Q.Q.iili. surtout les chapitres V, VI, VII

122
n'est point hérétique,
comme certains
l'affirment,
alors il ne
doit pas s'offusquer de l'attitude de la Ligue qui n'exclut de
la couronne que les hérétiques. Ensuite,
s'il est prêt à quitter
et à
abjurer sa foi
calviniste pour être roi de France,
comme
disent les autres,
alors il peut le faire et les gens de l'Union
seront grandement loués d'avoir été à l'origine de la conversion
d'un royal pécheur.
Et troisièmement,
Henri de Navarre est,
et
désire
rester protestant,
les
Français
ne
veulent
pas
de
lui
comme roi,
et dans ce cas la Ligue aura le mérite d'avoir sauvé
la
foi
catholique. (1)
Comme
on
l'a
remarqué.
le
Parti
de
l'auteur sort grandi quelle que soit l ' eventualité . .Remarquons
que
ces
trois
hypothèses
étaient
les
principales
positions
avancées
de
part
et
d'autre,
la
dernière
étant
celle
de
la
Ligue.
A propos
de
la
loi
salique,
Dorléans
adopte
une
attitude
extrêmement négative. Pour lui,
la Ligue ne viole pas cette loi
en refusant
Henri
de
Navarre
car ce dernier "en refusant de
( 1) L Dorléans, .QlLdt...• p 15

123
suivre
les
lois
du
sacre
comme
ses
ancestres,
s'est
rendu
incapable de porter la couronne". (1) Et il demande de choisir un
roi parmi les autres princes du sang restés catholiques.
Ce ne
serait pas rompre
la
loi
salique qui
fut
d'ailleurs plusieurs
fois contournée. L'auteur cite alors des exemples historiques de
rois
refusés
pour
incapacité
civile
ou
morale.
Puis
vient
l'argument massue: "rompant avec la loi salique on ne viole pas
un
droi t
di vin et humain" (2)
car de l'avis de
Dorléans cette
loi
fut
l'oeuvre d'un païen mécréant.Ne
fut-elle
pas
inventée
bien
avant
l'arrivée
des
Français
en
Gaule
pour
écarter
les
femmes
jugées
indignes
de
commander?(3)
En vertu de cette loi
~ d'ailleurs, Henri de Navarre, né d'une fille de roi de France ne
J
devrait pas prétendre au trône,
nous explique Dorléans.(4) Cette
loi viendrait-elle du ciel,
Dieu nous ordonne de la refuser si
elle professe quelque chose de contraire à
la foi.(S)
( 1 )
L. Dorléans, op. ci!.... p 15
( 2 )
L. Dorléans, l'Apologie .... p 17
( 3 ) ibid. P 17
( 4 )
ibid. P 17
( 5 ) lQiQ.,., P 18

124
Ce principe qui régissait la succession est ainsi vidé de toutes
les
lois
religieuses
et
humaines,
qui
en
fondaient
traditionnellement la validité. Au nom de Dieu et des hommes, on
peut donc s'arroger le droit et le devoir même de le contester.
Il reste alors à définir les principes nouveaux qui ordonneront
les règles de
la succession.
C'est ce à
quoi va
s'employer la
dernière partie du texte.
Se
rappelant quelques principes politques naguère soutenus par
les
polémistes
calvinistes, (1)
Dorléans
considère
que
la
couronne
n'est
pas
un
patrimoine
mais
une
magistrature
pour
commander. (2)
Et
comme l'Evangile recommande qu' "il
vaut mieux
obéir à Dieu qu'aux hommes", (3)
on peut bien refuser un roi au
nom
de
la
loi
de
Dieu.
Il
cite
des
exemples
bibliques
de
"succession contraire" comme ce fut le cas de David sur Salomon.
C'est pourquoi,
de l'avis de Dorléans,
la loi du Deutéronome
prime sur
la
loi
salique. (4)
Cette
suprématie
absolue
des
( 1) Sunout: Bèze. pu proit des Magistrat sur leurs subiects 5.1. 1575 - nous examinerons l'influence
des théories politiques protestantes dans la 3ème Qill1lli, chap 1. - les Vindiciae contra tyrannos,
Etienne Junius Brutus, s. 1. 1579, (trad. fr 1581)
(2)
L. Dorléans, l'Apologie .... p 19
(3)
ibid.,
( 4)
ibid. P 29. Selon lui, le Deutéronome recommande au peuple de Dieu, de choisir un roi parmi ses
frères, car à roi hérétique, peuple hérétique.

125
considérations religieuses
sur les traditions et les principes
politiques
tendait
inexorablement
vers
une
conception
théocratique du pouvoir monarchique.
Pour
conclure
sa
démonstration,
l'auteur
revient
sur
les
objectifs
généraux
de
la
Ligue.
Il
s'agit
de
défendre
la
Religion
et
l'Etat.
Et
i l
affirme
ici
le
refus
d'un
débat
théologique
qui
est
l'affaire
des
Docteurs
de
Sorbonne.
Ce
détour lui permet de préciser sa fonction de polémiste. En effet,
plus averti que les autres,
le pamphlétaire s'adresse à
"ceux
qui
ont
encores
quelque
crainte
de
Dieu
et
pour
estre mal
informez se scandalisent de ceux qui
les resveillent de leur
sommeil". (1)
La
ligue est
sainte parce qu'elle défend l'Eglise
de Dieu; elle est légitime et légale puisqu'elle s'est faite il
y
a
dix
ans
sous
l'autorité
du
Roi
et
des
princes
catholiques. (2) Cette filiation qu'il cherche à établir entre la
Ligue
de
1576 dont
Henri III s'était
déclaré le
chef, (3) et
( 1) L. Dorléans, l'Apologie ...• p 27
( 2)
ibid, P 28
(3) voir supra 2éme partie chapi. 1

126
celle
de
1585
permettait
à
Dorléans
de
refuser
le
crime
de
lése-majesté
dont
on accusait
les membres
de
la
Ligue.
De son
avis,
seuls
les
tyrans
interdisent
les
associations
de
citoyens, (1)
et
i l
tient
son
roi
Henri
III
pour
chrétien
et
"débonnaire".
On
sent
une
certaine
prudence
qui
consiste
à
ménager
le
roi
à
qui
on
souhaite
par
ailleurs
d'avoir
un
héritier.
Cette Apologie,
c'est aussi celle des Guises et des Espagnols.
Les premiers
sont
considérés
comme des
Français
valeureux de
pure
souche,
nobles
et
grands
défenseurs
de
la
monarchie
française.
Quant
aux
seconds,
c'est
le
zèle pour la Religion
catholique qui explique leur intervention.
Dorléans esquisse,
par ailleurs,
la question de la succession en ligne collatérale
à
propos
d'Henri
de
Navarre.
Toutefois,
i l
le
fait
en
pamphlétaire,
c'est-à-dire
par
insinuation.
En
effet,
i l
se
contente de remarquer que
celui qui est à
21 degrès de parenté
( 1) Cette idée lui vient des Politiques d'Aristote qu'il connaissait d'ailleurs très bien.

127
avec le Roi
(le cardinal de Bourbon)
est plus proche que celui
qui
ne
le
touche
qu'au
22e
degré
(Henri
de
Navarre)
Ces
dernières
remarques
autorisent
à
penser
que
la
Ligue
avait
échafaudé,
très
tôt
un
plan
de
succession
pour
le
trône
de
France.
Pamphlet
de début pour
la Ligue
et pour Dorléans,
l'Apologie
n'en
est
pas
moins
un texte bien écrit
et
efficace pour
la
propagande.
L'auteur,
tirant parti de sa formation d'avocat,
a
séparé de manière très nette les parties de
son discours.
Il
manie avec un bonheur relatif le procédé de la rétorsion,
cette
technique polémique qui permet de retourner contre l'adversaire
ses propres accusations. (1) Quant à son efficacité pamphlétaire,
la
réponse
retentissante
qui
lui
fut
donnée,
la
prouve
éloquemment. (2)
Malgré
son
titre
Briefve
responce
d'un
catholique . ..
on y sent la pensée d'un protestant.
( 1) Nous reviendrons sur cette rhétorique du pamphlet dans la 3è oartie chao 2
(2)
Srlerve responce d'un cathollgue francois à l'Apologie ou delfence des ligueurs el perturbateurs du
repos public
se disant faussement catholiques unis les uns avec les autres. Bordeaux, 1586.
(anonyme).

128
Elle ne parle pas de la loi salique mais se contente d'aligner
les principales accusations qu'on portait alors contre la Ligue
"vous entreprenez la deffence
de nostre religion pour vous
garder d'estre punis
de
vostre
ambition", Il)
"Ses
(la
ligue)
plus belles actions sont crime de léze-majesté ... elle a mis la
famine en France". (2)
Pour
un
coup
d'essai
l'Apologie
a
failli
être
un
coup
de
ma1tre.
( 1)
Srierve responce d'un catholique trancois à l'Apologie ou deffence des ligueurs et perturbateurs du
repos public. se disant faussement catholiaues unis les uns avec les autres. Bordeaux, 1586.
(anonyme). p 10
(2) ibid, P 11

129
II -
L'advertissement
des
catholiques
Anglois
aux
François
catholiques
du
danger

ils
sont
de
perdre
leur
Religion,
et
d'expérimenter
comme
en
Angleterre,
la
cruauté
des
Ministres,
s'il
reçoivent
à
la
Couronne
un
Roy
qui
soit
hérétique,
1586
L'ouvrage
parut
en
1586,
peu
après
l'Apologie . . . ,
dans
un
climat
social
déjà
surchauffé
par
les
premiers
chocs de
la
polémique autour de la loi salique. L'absence d'héritier direct
pour Henri III continuait d'inquiéter les catholiques de tous
bords
même
si
les
raisons
de
leurs
appréhensions
étaient
différentes. En ce milieu de 1586, Henri de Navarre le huguenot,
était
l'unique
prétendant
légitime
au
regard
des
lois
du
Royaume.
Comble du paradoxe,
il avait été déjà excommunié et
renié par l'Eglise catholique qui maintenant courait le risque
de le sacrer roi de France.

130
Conscient de sa situation d'héritier présomptif du trône,
Henri
de
Navarre
se préparait
à
contourner les
objections
suscitées
par sa religion protestante. Aidé des Huguenots,
des Politiques
soucieux du maintien de l'Etat,
il avait déjà envoyé à tous "les
estats du Royaume" des lettres d'explication sur sa foi, (1) et
sur les atteintes à la sacro-sainte loi salique que préparait la
Ligue.
Réconcilié
avec
Henri
III,
i l
avait
ainsi
levé
un
obstacle
majeur
à
sa
conquête du
pouvoir.
Aussi,
une
année
à
peine après
la formation de la Ligue de
1585,
la venue sur le
trône d'un roi protestant,
Henri de Navarre,
n'etait-elle plus
sentie,
par beaucoup,
comme
le
pire
des
sacrilèges
pour
la
monarchie française. (2)
Pour
la
ligue
il
fallait
donc
réagir,
et
fermement
avant que
cette opinion nuisible à son idéologie ne soit reçue des foules
parisiennes.
( 1) Surtout sur la volonté de se faire instruire à la Religion catholique.
( 2) Voir Barnavi, Le parti de pieu ., Barnavi et Descimon La Sainte 1igue \\e juge et la potence
,

131
Ce fut alors le début d'une vaste campagne de propagande contre
les
prétentions
du
Roi
de
Navarre
et
de
son
Parti.
L'Advertissement . . .
s'inscrit
en
droite
ligne
dans
un
tel
contexte politico-religieux.
Le
prétexte
du
pamphlet
est
des
plus
naturels.
Malades
incurables depuis longtemps,
les Anglais catholiques ne veulent
pas que leurs voisins Français soient atteints du même mal. Ils
se proposent alors de les avertir du danger qui les guette. Les
conseils des Anglais sont,
affirment-ils)dignes de foi car chez
eux sévit la même maladie dont les Français présentent,
en ce
moment,
les
symptômes.
Les
catholiques
anglais
peuvent donc
établir un diagnostic et proposer des remèdes.
Le discours de
l'Advertissement
se
fonde
ainsi
Sur
une
utilisation
systématique de la métaphore médicale. (1)
La France est malade de 1 'Hérésie,
"genre de mal violent, malin
et contagieux". (2)
En
bons
pédagogues, les
médecins
anglais
( 1) Nous reviendrons sur cel aspect. 3ème partie chaR 3
( 2)
l'Advertissemen1... p 5

132
divisent
leur
diagnostic
sans
complaisance
en
cinq
points,
étape s
nettement
marquées
d'un
a vert is sement
qu i
se
veut
menaçant
la
nature
du
mal,
les
causes
et
l'origine,
sa
progression,
pourquoi la guérison a tardé et enfin les
"remèdes
prompts
et
asseurés"
(1)
de
ce
mal.
La
maladie
est
célèbre.
L' Héré sie,
le
virus
principal,
a
ca usé
l'affaiblis sement
du
corps Français dont
l'Etat est la tête.(2)
Les Anglais brossent
un tableau très
sombre des troubles de France
: guerres civiles
meurtrières,
saccages de biens sociaux et ecclésiastiques. Cette
maladie
est
d'autant
plus
dangereuse
qu'elle
conduit
à
l'athéisme,
ennemi
du
repos
public.
L'exemple
de
l'Angleterre
est présent pour attester l'imminence d'un danger plus grand en
France
: "L'Eglise despouillée,
destruicte et violée
( ... ), les
prétres questionnez,
penduz,
deschirez et bref les gibets,
les
places,
les
portes
des
villes
estoffées
de
testes,
bras
et
jambes de nos pauvres frères catholiques".
(3)
( 1) l'Advertissement... p 4
(2)
La métaphore de la société
'comme un corps était fréquente au XVIe siècle. Les écrivains
l'employaient pour marquer les étapes de la vie des sociétés et des civilisations et pour montrer
quelquefois leur fragilité. Voir: . Du Bellay, les Antiquités de Rome (1558) ; • Montaigne, Essais,
(l, 31), (11/, 6) et surtout (III, 12) où il parle de la France comme un corps malade de ses guerres
(1588) ; . Ronsard, Les Discours (1562). Nous reviendrons sur cetle question dans la 3è partie.
(3)
l'Advertissement .. p 6

133
La maladie a été causée par plusieurs erreurs.
D'abord un
roi
faible
qui
a
toléré,
par
les
Edits
de
pacification,
le
développement
des
idées
protestantes.
Les
hérétiques
ainsi
encouragés
ont
redoublé
leurs
attaques
contre
l'Etat
et
le
peuple
catholiques.
Enfin,
avaient
disparu
les
vertus
traditionnelles en France.
A été engendrée aussi une situation
d'anarchie et de
corruption de l'ordre
naturel des
choses.
Et
jamais "Dieu
(ne
fut)
moins servi,
Roy moins honoré, magistrat
moins révéré et sages moins prisez".
(1)
Cette France où "chacun
vivait
sans Dieu,
sans
foy
et
sans loy"
(2)
était
un terrain
favorable au développement de l'Hérésie. Les médecins du Royaume
que
sont
le
Roi
et
ses
magistrats
ont
traité
le
mal
avec
douceur,
quelquefois
même
l'ont
aggravé.
Les
catholiques
Anglais
dénoncent
alors
le
renoncement
à
un
combat
qui
s'imposait contre les Huguenots. Considérant l'Hérésie comme un
membre pourri et gangréné qui risque de ruiner les autres, les
(1)
l'Advertissement. .. p 12
(2)
ibid
P 13

134
médecins
Anglais
ordonnent
sans
pitié
aux
Français
" ( ... )
coupez,
tronquez,
cizaillez,
ne pardonnez 6
parens ny amis,
Princes
et
subjects".
(1)
Et
reprenant
une
remarque
qu'il
attribue à
un ancien personnage de l'Eglise,
Dorléans ajoute:
"c'est
une
souveraine
clémence
que
d'estre
cruel
en
cest
endroict. Le zèle de Dieu dévore tout".
(2)
Les
catholiques
anglais
regret tent
aus si
l'absence
d'entente
entre les catholiques de France.
Ces derniers servent une bonne
cause mais ils la défendent mal
en revanche,
les Huguenots ont
une
mauvaise
cause,
mais
la
défendent
bien,
remarque
l'auteur.(3)
Toutes
les mesures de
tolérance naguère prises en
faveur des Protestants sont déclarées malheureuses pour la cause
des
catholiques.
Le
colloque
de
Poissy
(1561)
aurait

être
interdit car i l a permis aux Protestants de venir défendre leur
hérésie au coeur de la France catholique. L'Edit de janvier 1562
n'aurait pas dû être fait.
Ensuite,
les catholiques n'ont pas
( 1) ibid. P 21
( 2) ibid. P 21
( 3)
L'Adyertissemeot...p 29

135
poursuivi,
comme
i l
se
devait,
leurs
belles
victoires
de
Montcontour et
de
Jarnac
de
1569. (1)
Même
la Saint
Barthélémy,
(1572)
violemment
réprouvée par les Huguenots et
considérée par
certains
catholiques
comme excessive,
est
pour
le pamphlétaire
une "cruelle
clémence
et
inhumaine miséricorde". (2)
C'était
la
saignée
nécessaire
à
la
guérison
mais
elle
fut
malencontreusement
interrompue
par
les
ennemis
de
l'Eglise.
Pourtant,
le
polémiste
n'attaque
pas
le
roi
Henri
Ill.
Comlne
dans
l'Apologie . . . (3 ),
i l
lui
rappelle
incidemment
qu'il
doit
respecter
ses
engagements
envers
l'Union,
fer
de
lance
de
la
lutte
contre
l'Hérésie. (4)
L'abandon
de
la
première
Ligue lS }
fait aussi partie de ce qui a retardé la guérison de la France.
Après un diagnostic
si sévère,
i l fallait
proposer des remèdes
puissants.
Les
médecins
anglais
prescrivent
comme
unique
ordonnance
la
lutte
contre
les
Huguenots,
mais
surtout
contre
leur chef et protecteur patenté,
Henri de Navarre.
(1)
Dorléans est d'ailleurs l'auteur d'un cantique de victoire sur la bataille de Montcontour, (1569 )
( 2) ibid
P 21
( 3) Voir sURfa, 2è partie, chap 2, (Il
( 4)
ibid. , P P 95 98
( 5)
Celle de 1576.

136
Ce combat auquel le pamphlétaire invite les Français passe par
une
réfutation
systématique
des
thèses
soutenues
par
les
adversaires de la Ligue. L'essentiel du texte va donc s'attacher
à
soutenir qu'Henri de Navarre est incapable,
en droit, de tenir
le
sceptre de
la Royauté
française
;
pour proposer ensuite le
recours aux princes catholiques comme le remède approprié à
la
maladie
de
la
France.
La
tactique
pamphlétaire
est
ici
classique
récuser
une
imposture et
installer à
la place
la
légitimité longtemps bafouée,
celle-ci se confondant,
bien sûr,
avec les thèses du discours du moment.
Henri de Navarre souffre de trois incapacités notoires. Du point
de
vue
moral,
étant
cruel,
meurtrier et
ennemi
de
toutes
les
vertus,
il ne peut accéder au trône qui exige d'un prince qu'il
soit
d'abord
un
modèle
de
comportement.
Le
polémiste
rappelle
alors
les
accusations
nombreuses
de
viol
de
vol,
et
même
d'adultères retenues contre lui.(l)
( 1) L'Adverlissement...p p 76 à 84

137
La
deuxième
incapacité
ressort
du
politique
convaincu
de
sédition et de crime de lèse-majesté,
Henri de Navarre ne doit
pas
prétendre
à
une
couronne
contre
laquelle
il
a
toujours
combattu. (1) D'ailleurs ce peuple Français affamé par les levées
de deniers et par les subs ides ne voudra paS de lui. (2)
N' est- il
pas
accusé
de
conspirer
contre
la
France
avec
les
princes
étrangers?
Mais la plus grave incapacité est bien d'ordre religieux. Cheval
de
bataille
de
la
Ligue,
cette
objection
sert
de
fondement
essentiel
à
l'argumentation
du
pamphlétaire.
Etant
hérétique
Henri de Navarre ne peut être reçu roi de France.
la monarchie
française
exclut
tout
prince
non
catholique. (3)
Dorléans
rappelle,
à cet effet les conclusions d'un sonnet attribué à un
poète français,
dont l'opinion prend tout son sens ici
"Mais oyez huguenots oyez vostre malheur
Que qui n'espousera la Messe de bon coeur
Jamais n'espousera la couronne de France" (4)
( 1 ) ibid
pp 46-48 et 60-73
(2)i!;llil
pp 112-113
( 3 ) Déjà souligné dans I·Aoologie ...•
( 4 ) i!lli!.. p 60

138
La cérémonie du
sacre,
dont on accentue
l'importance pour les
besoins
de
la
démonstration,
reste
une
voie
obligatoire
et
fondamentale
vers
la royauté.
Henri de Navarre,
le
"Bearnais"
jamais
n'acceptera
cette
cérémonie,
car,
nous
dit
le
pamphlétaire,
"celuy ne mérite d'estre Roy qui se rit et gosse
de
l'onction
des
Rois". (1)
Ces
défauts
du
prétendant
sont
aggravés
par
l'excommunication
qui
le
frappe
encore.
Cette
incapacité est en fait
un vice rédhibitoire pour un prétendant
au
trône
de
la
France
catholique.
En
plus,
Dorléans
dénie
à
Henri de Navarre toute possibilité de rédemption.
Excommunié et
relaps,
Henri de Navarre doit être plutôt chassé et traqué par
l'Eglise.
L'éventualité de sa conversion et de son repentir,
un
instant envisagée par le pamphlétaire est vite récusée
: ayant
déjà trompé l'Eglise il pourrait bien récidiver une fois sur le
trône.
Il est aussi blâmé pour avoir changé la religion de ses
ancêtres
Français
dont
Dorléans
loue
la
piété.
Le
socle
politico-religieux
sur
lequel
s'appuie
généralement
( 1) L'Advertissemen1...p 73

139
l'argumentation ligueuse est ici bien exploité.
Jésus Christ,
le
roi des
rois,
a
confié son épouse,
l'Eglise aux princes qui lui
servent
de
chevaliers d' honneur. (1)
Les
rois
sont donc oints du
Seigneur et,
comme tels,
ont pour vocation naturelle de
servir
et défendre l'Eglise catholique.
"Un hérétique étant pire qu'un
roturier"(2)
ne
peut
être
sacré
roi
de
France,
pays
du
catholicisme.
Poussé
jusqu'à
son
terme,
cette
logique
de
l'argumentation
semble poser l'équation suivante
noble =
catholique. Une telle
équivalence,
déjà
soutenue
par
d'autres
pamphlétaires
de
la
Ligue,
comme
Caumont,()
permettait
d'éluder
la question de
la
loi
salique,
inacceptable
pour
Dorléans. (4)
La
Religion
est
ainsi posée comme
le fondement
de
l'Etat(5~ on est très loin de
la
laïcité
de
la
royauté
que
soutiendra
le
Maheustre. (6)
Et
comme
l ' a déjà
avancé Dorléans,
"à roi hérétique"
on
semble
( 1) illllL P 96
( 2) illllL P 92
( 3) Jean de Caumont, pe la vertu_ de la Noblesse. Paris. 1585
(4) cf son Apolog;e ...• s..u..o.ra. 2è Qill1ie.. chapitre II, (1)
(5)
Dans un pamphlet ultérieur. le Banquet.... 1594. Dorléans écrira: "s'il n'est bon à l'Eglise (... ) il
ne vaut rien à la royauté." p 313
(6)
Dialogue d'entre le Maheustre et le Manant"" f 10-11

140
devoir
faire
correspondre
un
peuple
hérétique,
l'exemple
de
l'Angleterre
faisant
foi. (1)
Pour
guérir
de
sa
maladie,
la
France n'a alors qu'un remède,
l'exclusion d'Henri de Navarre du
trône.
Et
comme
le
réclame
souvent
l'efficacité
du
genre
le
pamphlet
n'indique
que
des
solutions
radicales.
Parce
qu'il
invite
à
une action
"révolutionnaire",
le dilemme
semble être
aussi son procédé
rhétorique favori.
Quelles que puissent être
les alternatives,
la survie de la France impose le refus pur et
simple
du
roi
hérétique.
Cette
réécriture
des
lois
de
la
succession amène une autre conception des "estats"
de la société
surtout de la noblesse.
Devenue tributaire de la foi,
la noblesse cesse d'être liée à la
naissance
"Les catholiques sont marqués d'une autre marque que
le
reste
des
citoyens
de
la
terre". (2)
Le
zèle
religieux
devenait
ainsi
le
seul
critère
de
noblesse.
C'est
pourquoi
Dorléans critique
de
manière
très
sévère
les Princes restés
( 1) cf. l'Apologie .. , supra. 2ème Pilllig, chap Il
( 2)
L'Advertissement...p 50

141
neutres. Ces derniers,
par leur attitude,
perdent leur honneur,
leur courage mais surtout
leur rel ig ion,
donc leur noblesse. (1)
Ce
tour
de
passe-passe
lui
permet
de
séparer
les
nobles
de
France en deux groupes
les Princes
ligueurs dont
il
loue le
courage
et
l'ardeur
religieuse,
et
les
autres,
Politiques
ou
navarristes contre lesquels il engage la polémique. La faiblesse
du
roi
Henri
III
que
l'on
déplore
est
vue
comme
le
résultat
fâcheux des mauvais conseils que lui prodiguent les faux nobles
de
sa
cour.
En
attendant
d'avoir
un
monarque
à
sa
guise,
la
Ligue déclarait vouloir protéger le Roi dont elle déplorait, par
ailleurs,
la faiblesse. (2)
Comme i l semble désormais
naturel,
le pamphlétaire reprend par
la suite l'ensemble des
accusations
portées
contre
son Parti,
contre
les
Guises
et
contre
les
Espagnols.
L'intervention de
l'Espagne dans les affaires politiques Françaises avait suscité
une vague de protestations chez les adversaires de la Ligue.
( 1) jbid
P 59
( 2) Voir Barnavi, Le Parti de dieu, p 13·23

142
Pour Dorléans la haine des hérétiques à
l'égard de ce pays est
tout
à
fait
naturelle
car
jamais
le
loup n'aimera le berger.
L'Espagne,
pour avoir restauré la Religion catholique
"non par
édicts de pacification mais par armes" (1) est devenue l'ennemie
des
hérétiques.
Les
Espagnols
ont aussi eu
le
mérite
d'avoir
chassé les protestants de Flandres.
L'exemple espagnol est donc
présenté comme un modèle, celui d'une royauté très chrétienne.
Quant
à
la
maison
des
Guises,
elle
est
disculpée
de
deux
accusations.
On
reprend
sa
généalogie
à
ses
débuts
pour
démontrer qu'elle est bien française. Mieux,
les Guises sont les
descendants
du
bon
roi
Louis
XII
"père
du
peuple". (2)
Et
le
polémiste
s'élève
contre
toute
autre
filiation
qu'il
juge
fausse.
La maison des Lorrains est aussi un appui irremplaçable
pour la monarchie. Elle n'a jamais eu pour souci que la défense
de son roi et la sauvegarde de sa religion.
( 1) L'Adverlissemenl. .. p 123
(2)
jbid.
P 113 . Les calvinistes onl toujours accusé les Guises d'être des étrangers peu soucieux
des intérêts de France

143
C'est pourquoi elle est redoutée des hérétiques qui ne cessent
de la combattre et de la calomnier. (1) Ensuite l'auteur rappelle
les victoires de Jarnac et de Moncontour
(1569)
comme ayant fait
pour toujours la gloire de cette maison.
Le polémiste revient sur la mission religieuse de la Ligue, mais
pour dénoncer les pamphlets adverses qui
considéraient l'Union
comme une entreprise visant à la ruine de
l'Etat de France. (2 )
La Ligue est dès lors
bien
"sainte et non feinte".
Elle a été
mise sur pied POU! préserver l'Eglise de Dieu et les intérêts du
peuple
catholique.
Donc
pour
les
catholiques
Anglais,
les
Français
doivent
"se
liguer",
lise
cotiser ll ,
Se
supporter,
s'armer pour défendre au prix de leur vie même ce
"Chasteau
de
la
Religion
Catholique" qu'est
la France. (3)
On
leur rappelle
que "François"
signifiait jadis "Catholique".
(1) ibid
pp10a-112
( 2) Les noms de Belloy, de la Popelinière sont cités. La Eraoco-Galia (1573) d'Hotman est aussi
considérée comme "l'un des plus destestables livres qui ait (sic) veu le jour". p 75, et pourtant il
s'en servira plus tard dans les pamphlets les plus radicalistes. (Second Adyerlissement...)
( 3) L'Advertissement... p p 39-47

144
A la fin du texte,
la polémique épouse les contours d'une vision
apocalyptique,
avec en arrière-plan la situation dramatique des
Catholiques
Anglais.
C'est
d'abord
l'image
d'une
Eglise
pantelante et moribonde,
tendant les bras à
la France pour lui
demander
secours
la
sauver
ce
sera en même
temps guérir la
France de la sa maladie.
Enfin,
par un procédé de dramatisation qui sied bien à un débat
à
connotation religieuse,
Dieu lui-même intervient pour menacer
le peuple Français :
"Je vous donneray un ciel d'airain,
et
une terre de feu...
je
mettray une telle confusion en la France que vous regretterez à
jamais,
vous maudirez à
jamais le
jour par vostre lascheté
vous
aurez
donné
le
chemin
au
Roy de
Navarre
de parvenir à
vostre couronne".
(1)
Cette prosopopée permet au pamphlétaire de se poser en prophète.
( 1) ibid
P 113

145
La
citation
des
paroles
de
Saint-Jérôme
sur
la
défense
de
l ' Eg lise
qui
termine
le
texte
con firme
aussi
cet te
volonté.
Illuminé et
inspiré,
le po lé mi ste ant icipe
sur l ' Histoire pour
tracer à
la France la voie de
son salut. (1)
Cette fin
à
la fois
apocalyptique
et
prophétique
remplit
une
fonction
idéologique
certaine,
i l
s'agit
d'apeurer
les
Français
pour
mieux
les
entraîner à
l'action voulue.
N'est-ce pas
là une des
fonctions
du pamphlet ?
Pour
rendre
son
"Advertissement"
plus
menaçant,
et
pour
lui
donner
l'écho
nécessaire
à
sa
propagande
politique,
Dorléans
tire parti volontiers d'un ensemble de procédés rhétoriques sur
lesquels nous reviendrons. (2)
Le succès de l'Advertissement
fut
reconnu par les
adversaires
mêmes de la Ligue.
De Thou parle du
"tocsin général" (3) donné
(1) D'Aubigné accentua une telle pose lilléraire dans sas Tragiques,(1616) édi. J 8ailbé, Paris, G. F.
1968
( 2) Voir i.o.!..rn. 3èma partie chaD 1 à 3
( 3)
De ThDu, .QjLljl.,

146
par ce texte et L'Estoile concluait ses remarques ainsi
"(ce
livre)
étant au reste bien fait pour une médisance,
une mauvaise
cause ayant rencontré un bon avocat
( ... ) mais peu sage et avisé
d'employer sa rhétorique et son esprit à dénigrer de la maison
de France". (1)
Cette
réussite
idéologique et
littéraire
lui venait en grande
partie
de
l'argumentation
bien
menée,
et
du
procédé
de
la
lettre-avertissement,
très nOuveau à
l'époque.
Comme technique
pamphlétaire
elle
connut
une
belle
fortune.
Elle
a
inspiré
l'auteur
de
l'Advertissement
des
catholiques
de
Bearne
(1589),
le ligueur Caumont dans son pamphlet l'Advertissement
des
advertissements
au
peuple
chrestien,
(1587).
Quant
à
la métaphore médicale,
elle a profité à
l'auteur de l'origine
de
la maladie
de France
(1589).
(1) L'Estoile, Journal. .., p 479

147
Comme
propagande
politque,
l'Advertissement,
plus
connu
maintenant
sous
le nom de
Catholique
Anglais,
a
ébranlé la
conscience de plusieurs lecteurs.
Son ton mélodramatique et la
rigueur qui sous-tendait la démonstration,
étaient bien indiqués
pour toucher les hommes de l'époque,
habitués aux controverses.
Inquiets de ce succès,
les royalistes rédigèrent -
cela allait
désormais de soi -
des réponses plus ou moins réussies. (1) Les
catholiques
ligueurs
eux-mêmes
jugèrent
bon,
un
an
après
ces
réponses,
d' Y apporter d'autres formes de "Responses". (2)
La
cèlébrité
de
ce
pamphlet
lui
vaudra
d'être
réédité
trois
annèes de suite. (3) La réédition de 1588 avec un privilège signé
de Mayenne sera augmentée d'un sonnet en guise de postface(') et
d'une "missive des catholiques François aux catholiques Anglois"
sorte de réponse à
la lettre-avertissement des Anglais,
elle
déplorait surtout la mort de Marie Stuart
et
les
persécutions
( 1 ) Philippe Mornay, Lettre d'un gentilhomme catholique francois contenant brève response aux
calomnies
d'un
certain
prétendu
anglais, s.1. 1586 - Un autre royaliste, Response
d'un
gentilhomme francois à l'Advedissemenl des catholigues Anglais, s.1. 1587.
(2) Responses des vrays catholiques Francois à l'avertissementdes catholiques Anglais
pour
l'exclusion du Roy de Nayarrre de la couronne de France. 5.1. 1588 - Réplique pour le catholique
Anqlois contre le catholique associé à des Huguenots, s.1. 1588, attribué à Dorléans par cedains
historiens.
(3)
En 1586, 1587, 1588, à Paris comme à Lyon, voir Hauser, op.cil. , T3 P 300.
( 4 ) Voir infra,

148
subies
par
les
catholiques
Anglais
sous
une
monarchie
protestante.
On
y
regrettait
aussi
l'indifférence
de
certains
Français devant le péril de leur royaume.
Plus tard en 1590,
on lui adjoindra un Second Advertissement.
Mais celui-ci n'obtiendra pas autant de succès,
ses critiques à
l'égard des abus de l'Union en empêcheront la large diffusion.
L'Advertissement . . .
a
joué un rôle de premier plan dans cette
vaste campagne politique orchestrée par la Ligue autour de la
succession. Beaucoup plus que les autres pamphlets ligueurs,
i l
lie
de
manière
systématique
désordre
politique
et
hérésie,
diversité de religion et conflits sociaux.
Par ses échos i l a
aussi valu à Dorléans d'être pris pour l'une des plumes les plus
efficaces du Parti face à ses adversaires. (1)
( 1) Voir les témoignages de De Thou et de L'Estoile.

149
Les
sonnets
de
l' "Advertissement"
La première édition de 1586 en contenait deux
l'un en préface
et l'autre inséré à l'intérieur du pamphlet.
- A propos du premier sonnet,
L'Estoile remarquait qu'il était
suffisant
pour
envoyer
son
auteur
au
gibet. (1)
Le contenu du
poéme est en effet très sévère à
l'égard de la France et de sa
monarchie.
Dans
ce texte,
Dorléans trouve naturel que ce pays
soit
le
théâtre de
l'horreur et
du
désastre.
La guerre et
la
famine qui ruinent le Royaume constituent la manifestation de la
colère
divine suscitée par le péché des
Français.
L'impiété a
été de tolérer le développement de l'hérésie. L'entente avec les
Huguenots et
le voisinage de la monarchie anglaise en sont les
principales formes.
La France est alors comparée à une Babylone
"mère de toute ordure". (2)
Et
l'auteur entrevoit
à travers tout
ce désordre la mort imminente de la couronne
dont le
lys
est
( 1) L'Estoile. Q.lUlL P 149
(2)
V 11

150
maintenant une
fleur pestilentielle auprès de Dieu
"Ton lis
s'en
va mourir,
l'en peux-tu
garentir
?"
(1)
Ce symbole de la
Royauté française,
en même temps emblème de pureté et de vertu,
est à
jamais condamné à la disparation.
Espèce d'avant-goût de la polémique,
cette ouverture annonçait
déjà la coloration du texte.
Il fallait susciter la colère et la
terreur
des
Français
devant
la
perspective
d'une
monarchie
protestante, et Dorléans y parvenait dès le prologue.
- Le deuxième sonnet se trouve au milieu d'un développement sur
ce que l'auteur appelle la dissimulation du Roi de Navarre. (2)
Il constitue un élément rhétorique de l'argumentation, et il est
présenté comme la citation d'un poète français.
Cette situation
textuelle rend très difficile son analyse séparée. Les idées qui
l'entourent
en
sont
d'ailleurs
une
sorte
de
résumé.
Henri de
Navarre y est présenté sous les traits d'un renard cherchant à
(1)
V 13
( 2 )
Dorléans, L'Advertissement. .. p 60

151
prendre
la
couronne
de
France.
La
volonté
qu'il
affiche
de
s'instruire constitue pour Dorléans un vrai
subterfuge que lui
ont
suggéré
des
conseillers
opportunistes.
Ces
derniers
sont
accusés d'avoir agi dans l'espoir d'une fonction importante dans
le
futur
état huguenot.
Mais
pour
le pamphlétaire
le
jeu est
découvert
et
le
chemin
de
la monarchie
ne passera que par la
messe. (1)
Ce
sonnet
va
se
retrouver
dans
toutes
les
rééditions
de
l'Advertissernent,
même
dans
celle
qui
contient
le
Second
Advertissernent. (2)
- L'édition de 1588 sera augmentée d'un sonnet de postface. (3)
La France y est présentée comme une nef attaquée par la tempête
et sans gouvernail, ni voile.
Les orages dont elle est le jouet
sont l'ambition et l'hérésie qui l'attaquent de tous côtés. A ce
sort
malheureux s'ajoute l'infidélité des propres enfants de
France,
accusés d'avoir accentué ses outrages.
( 1) 12 à 14 - P 60
(2)
Celle de 1590, voir infra, 2è partie, chap Il
(3)
BN Lb34 311 D, P 136

152
Cette
critique fait
écho à
la dénonciation de
la déloyauté des
Français
de
l'époque
que
fera
le
sonnet-préface
du
Second
Advertis sement (1)
Le
poète-pamphlétaire
termine
sa
peinture
tragique par une prière au Seigneur
:
"Empesche d' abismer dans ce gouffre béant,
Notre terroir François le peti t
oeil du monde". (2)
On peut noter que ce poème a
une coloration plus pessimiste que
les
autres
sonnets.
Aux
menaces
et
à
l'indignation
s'est
substitué la présentation mélancolique de
la situation tragique
de France.
Eléments
isolés
d'un
dispositif
polémique
généralement
bien
construit,
ces
sonnets
antéposés,
insérés
ou
postposés
aux
pamphlets
remplissent
une
fonction
textuelle
que
nous
examinerons pl us
loin. (3)
( 1) Voir jnfra, 2è partie chao Il, (IV)
(2)
BN Lb 34 311 D, P 136
(3)
Voir iJl.lr..a, 3è llill1i.e., chaR III

153
111- Description
de
l'homme
politique
de
ce
temps
avec
sa
foy
et
religion,
1588
et
ses
deux
autres
titres
C'est
un
pamphlet
entièrement
en
vers,
un
peu
moins
de
deux
cents
alexandrins.
Il parut
à
la veille des
Barricades.
Paris
était
devenu
certes
le bastion de la Ligue,
mais
l'opposition
"Politique" y avait déjà pris de l'ampleur à la faveur des actes
de
désobéissance
au
Roi
accomplis
par
certains
chefs
1 igueurs. (1)
De
l'avis
des
publicistes
de
l'Union,
les
Politiques menaient désormais le même combat que l'Hérésie.
Ils
les attaquèrent alors dans leur pamphlets avec plus de violence.
Cette "Description de l'homme politique" se fait par des étapes
bien
marquées.
Dorléans
présente
d'abord
ce
qu'était
le
"Politique"
jadis, ce qu'il est devenu et quelle doit être enfin
l'attitude des vrais catholiques à son égard.
( 1) Par exemple. le 2 septembre 1587, la foule est ameutée pour défendre Boucher et J. Prévost que
le Roi voulait faire arrêter pour crime de lèse-majesté, c'est la journée de St Séverin - Voir
Barnavi, .QQ&l!.., P 73

154
Le "Politique"
était un gouverneur juste et loyal qui avait pour
mission
de
maintenir
la
cohésion
sociale.
C'était
donc
un
magistrat qui se recommandait par sa sagesse,
sa loyauté envers
les
citoyens
mais
surtout
par
sa
capacité
à
apaiser
leurs
querelles.
"Et qui saige et accord,
par accordans discords,
De citoyens divers tiroit de bons accords".
(1)
A ces qualités passées l'auteur oppose les défauts actuels. Le
"Politique" a failli maintenant à sa mission. De rass.embleur de
citoyens qu'il fut,
i l est devenu celui qui crée les troubles
sociaux.
Il est aujourd'hui,
selon Dorléans le flatteur,
mauvais
conseiller du Roi et source de tous les vices qui détruisent les
cités.(2)
Cependant,
ce
que
le
pamphlétaire
reproche
surtout
aux
"Politiques"
c'est leur neutralité,
cette position intermédiaire
entre la Ligue et les autres Partis.
( 1) Description de l'homme politique .. , p 3, vers: 1 à 10
( 2) ibid, V. 11 à 27 pp 3·4

155
Comme tous les polémistes,
il
juge que celui qui n'est pas avec
lui est
en
fait
contre
lui.
Le
rOle des
vrais
"Politiques" de
jadis est de créer la concordé sociale.
Ils ont,
au contraire,
abandonné
la
Religion
pour
soutenir
les
opinions
ennemies
de
celles
de
l'Eglise.
Celle-ci
est
pourtant
le
gage
unique
de
l'union des citoyens
"
Et négligeant le ton d'une religion
Mère de l'harmonie et de toute union
Ont pensé que f1atant la haute Chanterelle
Obéissant aux grands,
espousant la querelle
Des premiers de l'estat que Dieu tient aveuglez
Accordan
(sic)
à leurs voix leurs songes déreig1ez
Et par le vain discours. d'une humaine prudence
Tenant les deux partis en esga11e balance
Il (1)
L'auteur rend responsable de
l'erreur "Politique"
un vieillard,
conseiller du
Prince,
sous
les
traits
duquel
on
reconnait
le
chancelier Michel de l'Hospital.
Son
nom
sera
d'ailleurs cité
( 1)
Description ... p 4 " ,Chanterelle" sjgnifie chanteuse, d'après Huguel.

156
plus tard par Dorléans lui-même,
dans l'extrait qu'il fera de ce
texte
dans
son
Banquet
du
conte
ct' Arête. (1)
Dorléans
l'accuse
ici
d'avoir
été
catholique
le
jour
et
protestant
la
nuit.
De
la lignée de
l'Hospital
sont
nés
les
"Politiques"
qui
vendent
auj ourd' hui
la
just ice
et
ourdi s sent
des
plans
de
destruction
de
l'Eglise. (2)
Parce
qu'ils
cherchent
à
concilier
des
contraires ils sont les principaux responsables du désordre
social.
L'auteur
les
traite
de
"coqs
de
République",
de
"celestes mondains"
qui se couvrent de la Religion et de l'Etat
pour les détruire
:
"
Ainsi soubs le couvert d'un catholique voille
Le politique ourdist sa détestable toile
( ... )
Que de là vient le mal qui nous meine au trespas.
"(3)
Dorléans
insiste
beaucoup
sur
la
dissimulation
du
"Politique"
qui
abuse
de
la
confiance du Roi
et
de
l'Etat.
De
sa
position
privilégiée,
le
"Politique
médit
de
Dieu
et
du
parti
de
la
Ligue.
( 1)
Ces attaques contre De L'Hospital étaient fréquentes chez les pamphlétaires de la Ligue qui n'ont
pas pardonné au chancelier sa politique de tolérance envers les Huguenots. cf. M. Yardéni. I.i!
conscience nationale ... , p 77 à 97
(2)
Description ... p 6·7
(3)i!llil,pB

157
Le
nom
de
Belloy
est
cité
comme
un
"Politique
découvert",
Dorléans
continue
ici
avec
lui
la
polémique
déjà
commencée à
propos de la loi salique. (1)
La deuxième étape du pamphlet aborde le problème de l'attitude à
prendre à l'égard des menées "Politiques". C'est d'abord au Roi
Henri III que s'adresse l'auteur pour lui signifier qu'il risque
d'être le complice des adversaires de la Religion et de l'Etat.
Sur
un
ton
très
sévère,
épousant
un
instant
la
forme
de
la
dénonciation,
il lui rappelle par un jeu d'anaphores tout le mal
que l'on fait sous son autorité:
"
Sire pardonnez nous, mais un chrestien monarque
Ne peut estre souillé d'une plus laide marque,
Ainsi soubs vostre nom se renforce le vice
Ainsi soubs vostre nom s'esgorge la justice
Ainsi soubs vostre nom se perd la piété
Ainsi soubs vostre nom règne l'iniquité.
Il (2)
( 1) Voir supra, 2è parlie chap Il, (1)
(2)
Description ... p 10

158
Dorléans demande alors au Roi
le rétablissement de la chambre
ardente qui brûlait les ancêtres des
"Politiques" assimilés ici
aux Hérétiques. Mais,
déjà prophétique et menaçant,
il voit Dieu
faisant
descendre
sa
justice
implacable
pour
détruire
"ces
meschants testons"
qui,
pour ruiner la maison de Jésus Christ,
"Portent le nom de Dieu et l'image du Roy" (1)
Ce texte
connut
la même
année
au moins deux autres
éditions.
L'une d'entre elles est présentée dans les cathalogues comme un
autre pamphlet
de Dorléans à
cause d'abord d'un changement de
titre.
En effet,
le texte fut réédité chez la veuve Fr. Plumion
sous l'intitulé:
-
La
description
du
politique
de
nostre
temps.
Faict
par
un
gentilhomme
françois,
avec
la
mention
"approbation
des
docteurs".
Dorléans ne signant pas comme gentilhomme,
ce qu'il
n'est pas d'ailleurs,
on peut
affirmer avec certitude que le
titre n'est pas de lui. Ensuite le texte est maintenant présenté
( 1)
ibid. P 12

159
sous
forme
de
prose
cependant,
on
sent
les
rimes
à
la
lecture. (1)
Une année plus tard,
en 1589,
le même texte est repris par les
presses
ligueuses de Lyon,
chez Louis Tantillon,
avec un autre
titre
La
vie
des
traistres
politicques
navarrois. (2)
On
n.ous
signale après le titre,
que l'édition est faite à partir d'une
copie imprimée à Paris,
chez fizelier.
Cette fois est maintenue
la disposition en vers,
et le pamphlet est présenté comme lors
de la première édition parisienne.
Se pose alors la question de savoir qui est l'auteur de ce titre
devenu
plus
polémique.
Sans
doute
l'éditeur
lyonnais
qui
essayait ainsi d'adapter son texte à la nouvelle situation que
l'assassinat d' Henr i
l II avait créée. (3)
( 1) Nous avons pu comparer les deux exemplaires. voir SN Rés ye 3831
( 2)
BN Rés. ye 4989
(3)
Surtout la radicalisation de la Ligue et J'intensification des ralliements à Henri de Navarre qui s'en
est suivie; - voir E. Barnavi et R. Descimon, l"a Sainte Ligue ... Il n'y a pas, à notre connaissance,
d'exemplaire parisien de 1588 portant un tel titre

160
La
question
des
intitulés
de
pamphlets
était
trés
complexe,
beaucoup de paramètres pouvaient intervenir dans
leur choix. (1)
Au
plan
de
l'argumentation,
la
Description
est
bien
moins
réussie que les deux premiers pamphlets de Porléans.
Si elle est
restée connue et même célèbre,
elle le doit à la beautè des vers
qui
témoigne,
en
bien
des
endroits,
de
l'influence
de
Rons ard. (2)
( 1)
Voir!..O.lli!. 3è ~. chao III
( 2) Porléans était un vrai disciple de Ronsard. Il utilise très souvent dans ses pamphlets. des extraits
des Discours des misères de ce temps (1562) - voir.!i!!.lllil. 1ère partie

161
IV- Premier
et
second
advertissements
des
catholiques
Anglois
aux
François
catholiques
et
à
la Noblesse qUi
suit à
présent
le
Roy
de Navarre,
1590.
Ce texte parut à
une période de grande
effervescence pour la
Ligue.
Les
meurtres
qui
s'étaient
succédé
avaient
marqué
pYOPJndément la conscience des Français. (1) La terreur instaurée à
Paris PQr
les Seize,
l'injustice,
les jugements sommaires et la
famine accentuée par le siège de la ville par Henri de Navarre,
avaient
fini
par exténuer
et
exaspérer
les
l'braves
parisiens".
Et d'une seule voix ces derniers,
avec l'appui des Politiques,
crièrent,
le matin du 8 août 1590,
"du pain
ou la paix"
.
Les
ligueurs
réprimèrent
violemment
les
fauteurs
de
troubles
et
l'ordre continua de régner à Paris dont les habitants résignés
attendaient une mort prochaine. Dans cette atmosphère de soufre,
le doute semblait devoir s'installer de manière définitive.
( 1) L'assassinat du Duc, puis du Cardinal de Guise le 24 décembre 1588, puis celui du Roi Henri III par
le moine J. Clément, le 1er août 1589.

162
Pour ranimer l'espoir des partisans et dissiper l'inquiétude des
autresJ les
publicistes
commencèrent
à
rappeler
l'idéal
de
l'Union.
Quant
à
Dorléans,
i l
sera
plus
objectif
que
ses
camarades,
car i l va dénoncer les excès mêmes de son camp. (1) En
effet,
le
Second
Advertissement
contient
dans
sa
première
partie une
autocri tique
de
la Ligue
,. sur bien
des point s
ce
pamphlet
est
plus
sévère
à
l'égard de
l'Union
que
le
futur
Dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
le
Manant
de
1593.
Cependant,
i l reste un texte ligueur par le tonJpar le contenu
qui défendait haut et fort les principales thèses de la "Sainte
Union"
sur
la
question
toujours
actuelle
de
la
loi
de
succession.
a)
Le
premier
Advertissement
Il présente à l'exception du titre qui exigeait une modification
liée
au
contexte
le
pamphlet
de
1586
que
nous
avons
déjà
analysé. (2)
( 1) Dorléans avait aussi tenu devant Mayenne, au Parlement, un discours encore plus critique à l'égard
de la Ligue. II n'approuvait pas certaines de ses pratiques qu'il trouvait scandaleuses - voir supra,
1ère oanie, chaD \\
( 2)
Voir supra 2éme partie, chap Il,

163
b)
Le
second
Advertissement
Les
Anglais
rappellent
d'abord
les
raisons
qui
les
avaient
amenés
à porter secours aux Français,
il y a longtemps. C'était
par pitié pour l'état moribond où se trouvait ce royaume. Mais
les médecins de France restèrent sourds aux remèdes proposés par
leurs voisins d'outre-Manche. C'est qu'alors tout était devenu
plus malheureux en France,
surtout "la Religion estoit divisée
en
plusieurs
religions
qui
finalement
revenoient
à
nulle
Religion". (1) véritable Babylon, aux yeux des Anglais,
la France
avait pour devise
"5ymonie,
avarice,
luxure,
ignorance" (2) où
on vivait,
"sans
Dieu,
sans
foy,
sans
loy".
Seul
le peuple
gardait un peu de religion et tout espoir de guérison devrait
venir de lui. Après un résumé circonstancié,
l'auteur explique
les
raisons
possibles
du
silence observé
depuis
le
"premier
Advertissement"
: espoir d'une fin prochaine du mal,
confiance
en
la
détermination
des Français de
guérir
leur Etat.
mais
quelques années après,
la position des Anglais ne pouvait plus
rester la même.
Leur "second Advertissement"
adopte alors,
dès
le commencement,
les allures d'une sévère critique de la Ligue.
( 1) Second Advertissement..., f 3
( 2)
ibid, f 3

164
Les catholiques Anglais précisent aux Français qu'ils ont commis
des
erreurs
qu'il
leur
faut
dénoncer
avant
de
préconiser
les
remèdes
appropriés. (1)
De
l'avis
des
Anglais,
l'Union
des
catholiques a
commis huit fautes graves.
La première est que les
membres de
la Ligue n'ont
pas
renoncè à
leurs péchés et à
leur
vie
dissolue.
C'était
pourtant
l'une
des
recommandations
essentielles
de
l'Union
lors
de
sa
fondation,
et
le
point
sur
lequel
les
premiers
remèdes
des
Anglais
avaient
beaucoup
insisté.
Pour
les
auteurs
du
"Second
Advertissement",
Dieu
n'exauce
pas
les
voeux
de
ceux
qui
cont inuen t
à
pècher.
La
dèvotion
doit
être
prècédée
d'un
repentir
honnêtement
et
complètement maintenu.
C'est d'ailleurs pour ne l'avoir pas fait
que
Paris
s'est
ridiculisé
avec
ces
processions
devenues
inut iles.
Sont
ci tés
en exemples,
les
sacrifices bibliques qui
n'ont pas èté suivis d'effet
: celui de Nabuchodonosor,
de Caïn
et
de
Saül. (2)
S'affirme
dans
ce
passage
une
volonté manifeste
de
démystifier
une
pratique
très
courante
à
Paris
pendant
la
Ligue celle des processions.
( 1) ibid. f 6
(2) Second Advertissement. f 8

165
La deuxième
faute
concerne
le
marche
même
de
l'Union.
Pour les
Anglais Paris n'a pas bénéficié de
l'aide des autres villes.
La
capitale
supportait
seule
et
difficilement
les
efforts
de
guerre.
Les
autres
villes
sont
accusées
d'avoir
détourné
les
deniers
normalement
destinés
aux
dépenses
de
la
Ligue.
Pour
mieux
appuyer
son
argumentation,
le
pamphlétaire
a
accentué
l'importance stratégique de Paris,
siège de L'Union et des Roi:
"qui estait Roi de Paris estait Roy du Royaume", (1) car à Paris
se trouvent
"tous les ornemens de la dignité royalle".12 l Plus
loin l'auteur chantera le courage de ses habitants,
fer de lance
de la lutte contre l'Hérésie et l'attitude des Politiques. Paris
est
aussi
la
ville
martyre,
héroïne
de
la
Saint-Barthelémy,
l'amie
des
bons
rois
du
passé
comme
Saint-Louis,
Louis
XII,
François 1er et Henri II. (3)
Le texte est très éloquent ici.
Henri de NaVàrre
luttait encore
pour
se
faire
reconnaître des
Français,
surtout
des ·Parisiens.
Pour
ses
partisans,
le doute
n'était
pas
permis
il
était
( 1)
Second Adyerlissement, f 10
(2) illliLfl0
(3)
ibid. f 54-55

166
1 'héritier
depuis
la
mort
d' Henri
III.
Au
rebours,
pour
le
polémiste le véritable roi de France est Charles X qui se trouve
à Paris.
En accentuant cette position priviégiée de la capitale
et en en faisant le lieu incontournable de l'établissement de la
monarchie
française,
Dorléans
montrait
que
Henri
de
Navarre
n'étant
pas
roi
à
Paris
ne
l'était
point
pour
le
reste
du
pays. (lbis)
Par
ailleurs,
Dorléans
insiste
sur
l'importance
accrue
des
capitales en période de troubles.
Il montre clairement que Paris
perdue,
la Ligue sera vaincue.
Cette idée prend ici d'ailleurs
une
valeur
prémonitoire. (1)
L'affaiblissement
de
la
capitale,
poursuit-il,
est
aussi
l'effet
de
la
volonté
d'autonomie
des
autres
villes.
Et
il propose
la création d'un conseil général
qui réglerait à Paris les affaires des autres villes,
comme ce
fut naguère le cas pendant les absences du Roi. (2)
La troisième faute est très grave selon l'auteur.
Elle concerne
les desseins malhonnêtes des membres de l'Union.
(1 bis)
Il importe de souligner ici que J'auteur confond, et à dessein, siège du Roi et siège de Dieu, Cette
confusion est un aspect fondamental de l'idéologie ligueuse, Voir illil.. 3ème partie - chapitre 1
( 1) Notons qu'en cette année 1590, elle était avec Lyon les seules villes d'importance à échapper auX
partisans d'Henri IV, La perle de Paris marquera aussi le déclin de l'Union,
(2)
Second Advertissement ... f 13

167
Beaucoup
sont,
en
effet,
venus
à
la
Ligue
dans
le
but
de
s'enrichir
de
manière
déloyale
situation
d'autant
plus
déplorable
que
l'Union. mène
la
lutte
pour
une
religion
plus
pure.
"Nous
sommes marys
que
d'une
cause
saincte,
d'une
cause de
religion ils en ayent fait une cause de proye et de brigandage,
et
que leurs actions ayent
dégousté plusieurs
gens d'honneur
d'embrasser vostre party".
(1)
La
critique
la
plus
grave
est
celle
qui
considère
certains
dirigeants de l'Union comme des despotes et des tyrans pires que
le Roi défunt
"ils ont mis un Tyran dehors pour nous en faire
sous tenir
cinq cens". (2)
Tout
se
passe,
nous
dit-il,
comme
si
c'était
être
zélé
que
de
voler
et
piller
les
biens
d'autrui,
alors que
"qui est catholique doit avoir les mains propres". (3)
Les
opinions
exprimées
ici
par
Dorléans
rejoignent
celles
des
adversaires de
la Ligue. (4)
( 1) ibid. f 13
( 2)
ibid. f 14
(3)
ibid. f 14
( 4)
De Thou, L'Estoile et les pamphlétaires royalistes pensaient que l'on adhérait à l'Union pour fuir la
justice ou pour s'enrichir. Il est établi aussi que l'ascension sociale de certains membres de la Ligue
faisait peu de cas de la compétence et du mérite. cf. E. Barnavi, Le Parti de pieu ... ,

168
Dorléans admet d'ailleurs -et c'est la quatrième faute- que les
ambitieux voulaient
utiliser l'organisation pour assouvir leur
soif d'honneurs mal acquis et de fonctions
usurpées.
Il s'élève
en
même
temps
contre
cette
confusion
des
ordres
et
des
compétences dont Paris offrait
l'image.
mais surtout i l dénonce
le
peu
de
sérieux
avec
lequel
les
Seize
distribuaient
leurs
accusations
et
incitaient
les
Parisiens
à
la
terreur et
à
la
délation
:
"Bref,
qui ne veut tailler bras et jambes,
cestuy-là
est
un Politique,
c'est
un papellard,
c'est
un meschant".(l)
Cette
situation d'anarchie
et
d'intolérance
a
chassé de Paris
des gens de bien exténués par les médisances et
les ~xactions.
Elle a
rendu aussi plus
facile
la tâche des agents
secrets du
Roi de Navarre qui cherchent à diviser l'Union. (2)
Une autre
faute
vient
des
riches
qui ont
refusé
d'assister la
Ligue.
Ils n'ont pas répondu à l'appel de l'Eglise qui implorait
tant
leur
secours matériel.
Cela
a
constitué
une
ingratitude,
aux yeux de Dorléans.
( 1) Second Advertissement, f 20
(2)
Second Advertissemenl. f 22

169
Le mépris de la justice et du Parlement a été la sixiéme faute.
Le blocage continu des procédures
judiciaires a
ainsi accentué
les
facteurs
du
désordre
social.
C'est
pourquoi
la
justice,
"soeur germaine de la Religion" était bannie de Paris. (1 )
S'appuyant sur une opinion de Tacite qui soutenait que l'argent
était l'âme et le nerf de la guerre,
l'auteur considère comme la
septième erreur l'absence de fonds de guerre.
Une autre
faute des Ligueurs est d'avoir réservé à
la Noblese
une place secondaire dans
la conduite des affaires de l'Union.
L'importance historique de cette classe méritait qu'elle fût le
fondement
solide de l'Etat et de la Ligue.
Mais
la Noblesse a
été
un
pilier
mis
par
terre
et
oublié
"Il
falloit
(la)
rechercher avec honneur,
affin que par ses armes elle aydast
l'exécution de
voz bons et
justes conseils". (2)
Signalons que
cet
éloge
de
la
Noblesse
était
plus
que
nécessaire.
Dans
le
contexte historique de 1590 la Ligue accusée de vouloir établir
( 1) Second Advertissement, f 23
( 2)
Second Advertissement, f 29 - f 30

170
un
"état
populaire"
était
désertée
par
les
nobles
qui
cherchaient
alors
des
attaches
auprès
du
Roi
de
Navarre.
Néanmoins,
une
certaine
noblesse,
corrompue
et
vendue
selon
l'auteur,
est
ici
insultée.
Cette
dernière
est
d'ailleurs
assimilée à celle que l'on accusait naguère d'avoir poussé,
par
ses conseils machiaveliques,
Henri III vers la tyrannie. Il)
Cette première partie du Second Advertissement est une sévère
et
originale
critque
de
la
Ligue.
Elle
montrait
aussi
l'indignation
d'une
certaine
catégorie
de
Seize (2 )
devant
la
dictature de la Ligue.
Mais,
cet aveu,
naturellement malvenu en
milieu
ligueur' zélé,
était
aussi
une
autodéfense
pour
le
pamphlétaire.
Reconnaître
ses
propres
fautes
avant
les
autres
est une manière subtile d'atténuer la sévérité des
jugements de
l'adversaire.
La
seconde
partie
du
texte
s'attache
à
démontrer
les
effets
positifs
de
l'Union
et
à
justifier
l'assassinat
du
Roi
Henri
I I I .
( 1) Second Advertissement. 130
(2)
Celle des hommes de lois, par exemple. inquiets des effets de la justice expéditive que rendait la
Ligue et que leur lonction ne saurait accepter. Voir E. Barnavi et R. Descimon, La Sainte-Ligue; le
juge et la potence,

171
Les ennemis de la Ligue sont d'abord assimilés à ceux de Dieu et
de
l'Etat. (1)
Certes,
l'argument
est
courant,
mais
ici
les
responsabilités
de
chacun
sont
clairement
situées.
Seuls
les
Politiques
et
les
Huguenots
considèrent
comme
l'émanation
du
vice et du désordre les entreprises salutaires de la Ligue.
De
l'avis de l'auteur,
ils cherchent à éloigner la Noblesse.
mais
l'Union ne sollicite pas l'assentiment de ces Politiques et de
ces Huguenots car
"c'est l'honneur que de leur déplaire,
c'est malheur que leur
complaire". (2)
Dorléans
interprète de façon très
radicale ce qu'il appelle la
devise des vrais catholiques Français :
"Un Dieu,
un Roy,
une Foy,
une Loy. Pour Dieu Jésus Christ, pour
Roy le cardinal de Bourbon,
Foy la loy de l'Eglise catholique,
pour Loy la loy des gens de bien qui haïssent,
qui
fuyent
les
hérétiques comme peste". (3)
( 1)
Second Adyertjssement. f 33
( 2) illliL f 36
( 3) lJllih, f 36

172
Ces opinions étaient bien celles de
l'Union à
l'époque;
elles
émanaient directement de son programme qui rejetait tout ce qui
pouvait assurer l'avènement d'un roi protestant. Faisant appel à
l'histoire biblique ou païenne,
Dorléans affirme que les ligues
ont
toujours
existé
au
cours
des
civilisations.
Elles
constituent quelquefois même une nécessité sociale;
"c'est une
salubre
médecine
au
corps
des
estats" (1)
précise-t-il.
Objectivement,
selon
l'auteur,
les
bienfaits
de
l'Union
sont
nombreux.
Celle-ci
a
révoqué
en
une
matinée,
par
exemple,
vingt-cinq édits qui étaient contre la liberté du peuple. Elle a
sauvé
les richesses de Paris
de
la
rapacité
des
seigneurs,
et
rétabli
la
messe
et
la
Religion
dans
un
certain
nombre
de
provinces
d'où
elles
avaient
été
chassées
par
les
Mignons.
D'autre part,
la Ligue a montré la fausse foi des Politiques et
écarté
du trone
les
Huguenots.
Elle
a
ainsi
sauvé
l'Etat
des
"funestes dangers qui l'eussent desjà englouty" (2) sans elle.
La Ligue est vue comme un remède envoyé du ciel pour sauver les
Français. Son roi Charles X est loué comme pieux et sage.
( 1) Second Advertissement, f 37
(2)ibid .• f38

173
Et
les Princes Lorrains deviennent aussi,
dans ce panégyrique,
des
martyrs
de
l'Eglise,
et
des
"agneaux
et
sacrifices
expiatoires des péchez de France",
trônant déjà au Paradis à la
droite du Seigneur. (1)
Après une présentation aussi
favorable de
la Ligue,
i l devient
maintenant facile de réfuter,
une seconde fois,
les accusations
de
l'adversaire.
L'Union
est
dirigée
par
les
Princes,
ce
qui
signifie pour
l'auteur qu'elle
ne
veut pas
instaurer un
"état
populaire" ;
ce qui serait aller du plus haut au plus bas. (2) La
répétition
des
torts
de
l'adversaire
est
l'un
des
procédés
d'insistance. Mais les pamphlétaires l'utilisent volontiers pour
réaliser les visées didactiques de leur argumentation auprès du
lecteur.
Les
Seize ont
combattu Henri
III
parce
qu'ils ne
supportaient
pas qu'un roi
"qui
se
disait
catholique,
trahist,
vendist et
livrast
secrêtement
à
l'hérétique,
l'espoux
de
l'Eglise
( 1) ibid
f 38 - Cet éloge funèbre des Guises est conforme à la pensée de Darléans à leur égard. Il a
d'ailleurs rédigé, pendant so'n exil, une Apologie pour la maison des Guizes, restée manuscrite -
voir infra, 2ème partie, chao IV.
( 2)
ibid, f 39-42

174
catholique". (1)
Pour
la Ligue
le roi défunt
avait
injustement
promis la couronne au Roi de Navarre.
Tous les griefs réels ou
supposés
portés
contre
son
règne
sont
alors
évoqués
par
le
polémiste avec une très grande sévérité de ton.
Henri III était le Prince de la luxure qui courait "les males de
force
au
su
et
au
vu
de
toute
la
cour". (2)
Il
était
aussi
sorcier magicien.
Son goût du luxe,
ses banquets,
ses parures et
ses mignons ont, pense-t-il,
rendu "les François plus Françaises
que François". (3) Il se moquait ainsi de tout ce qui relevait de
Dieu
et
de
sa
sainteté.
Il
a
surtout
délapidé
les
biens
de
l'Etat et de l'Eglise,
placé les mignons
et les Huguenots aux
postes importants de l'administration. Feignant l'indignation la
plus intense le polémiste s'écrie:
"Quels
tybères,
quels
Caligules,
quels
Nérons
se
pouvaient
comparer à luy !" (4)
Il pleure
alors
les
homicides
qu' Henri
III
a
corrunis.
Le goût
qu' avai t
ce dernier pour les
animaux était,
pour l'auteur,
le
signe d'une deshumanisation tragique.
( 1) Second Adyertissement. f 43
( 2)
Second Advertissement. f 45
(3) i!2.!.!L., 1 47
- O'Aubigné qui s'est peut-étre
inspiré de Oorléans
sera aussi sévère
à
l'égard
d'Henri III :
"Si qu'au premier abord chacun estait en peine
S'il voyait un Roy lemme ou bien un homme Reyne".
- Les Tragiques, "Princes", vers 795-796,
p 114
(4) i!;lli!.. f 45 ; ce sont-là les plus célèbres tyrans de l'histoire romaine.

175
En attaquant
ainsi
un mort
dont
l'auteur désormais cherche si
manifestement
à
ternir
la
mémoire,
le
pamphlétaire
vise
en
réalité à discréditer ses dernières volontés.
Au terme du
raisonnement,
c'est
contre un
tyran que
la Ligue
s'est
élevée
pour
l'abattre.
Action
tout
à
fait
légitime
au
regard
de
l ' Histoire
et
de
la
Bible.
Dorléans
énumère
un
certain nombre de rois dont i l dit qu'ils ont été bannis pour
atteinte grave à leur fonction:
Charles le Simple pour s'être
confédéré avec les Normands,
Charles le Chauve pour sa mauvaise
foi.
De même Henri III pour avoir été responsable de tous les
malheurs de la France et de l'Eglise a
deshonoré la fonction
royale.
Arr ive
la
conclus ion
à
laquelle
le
lecteur
a
été
préparé
"En quelles provinces,
en quel pais n'a
il
esté loisible de
déposer
les
Roys
quand
on
les
a
recogneuz
pernitieux
au
public".(l)
En
tuant
Henri
III,
les
catholiques
ont
donc
débarrassé
le
Royaume d'une gangrène nuisible à la paix des ho~mes et de Dieu.
( 1) Second Adverlissemenl. f 48

176
Ils ont ainsi appris
"aux Reys à
craindre Dieu,
à redouter sa
main
qui
les
verse
qui
les
brise". (1)
La
main
de
ce
pauvre
moine,
Jacques
Clément,
a
été,
selon Dor léans,
celle de
Dieu
lui-même manipulant le couteau salvateur. ~e fut donc un miracle
qu'un simple moine ait défait un tel monarque. (2)
Pour le polémiste,
la Bible et les Pères ont permis de critiquer
et de menacer par écrit les Princes qui ont oublié leur mission
envers le peuple de Jésus Christ.
Le but des pamphlets contre le
Roi
défunt
était
donc
de
l'amener
à
réformer
ses
vices
et
à
cesser ses péchés.
Jésus même reconnaissant les moeurs d'Hérode
l ' a
appelé
"un
renard",
saint
Basile
a
dénoncé
Julien
l'Apostat.(3) En définitive,
combattre les tyrans plaît à Dieu.
Cependant,
pour mieux montrer qu'Henri III a été un grand tyran
Dorléans
le compare
longuement
à
Néron.
Comme ce dernier i l a
commencé par la piété,
"Néron vola les temples,
Henry vola
( ... )
les reliques,
Néron viola la Vestale Rubria,
Henri
viola
les
( 1) Second Advertissement. f 48. "verser" signifiait renverser au XVIe siècle.
(2)
Second Adyertjssement. 149 - 147 - 148
(3)
Montaigne, quant à lui, considérait Julien l'Apostat comme un empereur qui possédait beaucoup de
vertus; il donnait, nous dit l'auteur des Essais, plusieurs exemples de chasteté et de justice, (l,
19) , De la liberté de conscience".

177
moniales, Néron espousa Pytagora,
Henri espousa d'Epernon
( ... ),
Néron se disoit estre chaste,
Henry se disoit estre saint
( ... ),
Néron
fit
mourir
ses
parents,
Henry
a
fait
mourir la
Roine
d'Ecosse.
Néron
fit mettre le feu à Rome,
Henry l'a mis en son
Estat.
Néron fut abandonné d'un chacun,
Henry fut quitté de tous
ses subjects.
Néron s'enfuit de Rome,
Henry s'enfuit de Paris
( ... ),
Néron mourut misérablement,
Henry est mort cruellement".
( 1)
Sur deux pages le parallèle continue sarcastique.
tout se passe
comme
si le tyran romain,
dont
l'image était très
vivace dans
les esprits, était ressuscité en la personne d'Henri III. Sur la
conscience de
ce
roi
l'auteur fait
aussi peser le meurtre des
Guises à Blois. L'assassinat est d'abord présenté comme l'oeuvre
des pamphlétaires politiques
et huguenots
qui
ont persuadé le
Roi de le perpétrer. (2)
Ensuite,
la mort du Duc dans
le cabinet
d'Henri III,
considéré comme lieu de débauche acquiert,
sous
la
( 1)
Second Advertlssemenl, f 44bis - 45bis
( 2)
Second Adyert;ssemenl, f 45bis

178
plume de Dorléans, une valeur hautement symbolique :
"La prescience de Dieu avait résolu que la vertu de ce Prince ne
pouvait mourir qu'au lieu où mouroient toutes les vertus". (1) Le
sang du Duc est assimilé à celui des Roi de Jérusalem de Louis
XII,
"le plus pur et le plus généreux sang" du Royaume. (2)
Le
passage
se
clôt
par
une
justification
du
tyrannicide
que
l'auteur a fondé en droit biblique et populaire. Les catholiques
font
le
serment
d'obéir
d'abord
à
Dieu
qu'au
Roi.
Ils
sont
chrétiens
avant
d' étre
Français.
Pour
avoir
été
rebelle
et
déloyal à Dieu,
Henri III a été combattu et tué.
Ainsi
"tuer le
tyran
ce n'est pas bastir un
estat
populaire mais.conserver
l 'Estat ". (3)
Ces
idées
très
audacieuses
à
l'époque
sous
la
plume
d'un
catholique étaient déjà soutenues par les calvinistes persécutés
au
lendemain
de
la
Saint-Barthelémy.
Dorléans,
à
l'instar de
beaucoup de polémistes de la Ligue,
utilise ici les armes avec
lesquelles
certains
pamphlétaires huguenots
avaient
naguère
( 1)
Second Advertissemenl, f 45 bis
( 2)
Second Adyertissemenl, f 46 bis
(3)
ibid .. f 50 - Rappelons que l'auteur da l'Advertissement n'a jamais soulenu la théorie du
tyrannicide avanl l'assassinat d'Henri III. C'est seulement après l'acte de J. Clément qu'il essaie ici
de le justifier.

179
attaqué la monarchie française. (1)
C'est
maintenant
à
la
Noblesse
que
s'adresse
le
discours
du
pamphlétaire.
Le
titre
a
déjà
souligné que
"l'Advertissement"
lui est aussi destiné.
Dorléans explique d'abord que les nobles
ont les mêmes ennemis que la Ligue
: une façon subtile de faire
d'eux
des
alliés.
Il
leur
rappelle
les
pamphlets
huguenots
d'autrefois contre
la Noblesse.
Les
"Perles du Cabinet", (2)
le
"miroir des François"
ont défini,
selon l'auteur,
des formes de
gouvernement

les
Nobles
seraient
méprisés
et
persécutés.
"Etant une perle de très grand pris en ce Royaume",
la Noblesse
a
donc
sa place au
sein de
l'Union pour
sauver
l'Etat et la
Religion. Elle n'a pas pour vocation de suivre un hérétique et
un relaps.
La noblesse qui suit le Roi de Navarre a perdu son
honneur
et
son
statut
;
elle
est
devenu
l'équivalent
de
la
roture
car
"il
n 'y
a
rien
de plus
grand que
les
titres
de
chrestien et de catholique". (3)
( 1) Par exemple: Fr. Hotman, Franco-Gallia (1573) - Le pamphlet anonyme. Le Reveille-matin des
Francois (1574) - Nous reviendrons sur ces emprunts, 3è partie. chap 1,
(2)
Le lilre exact est le Cabinet du Roi de France dans lequel il y a trois perles prétieuses.
par NDC,
s.l., 1581 et 1582.
(3) ililQ. f 62 - Ces idées sont amplement développées dans le Premier Advertissement voir...§.l!lllil. 2.ê
partie chap 2. (II)

180
Dorléans cite en exemple les
anciens preux chevaliers qui ont
jadis combattu les Turcs durant
les croisades.
Ceux-là avaient
refusé de rassembler en un même royaume la messe et le prêche.
Etant
les
descendants
de
Clovis,
de
Charles
Martel,
de
Charlemagne,
de
Saint-Louis,
ces
rois
dont
l'épée
n'a
tué
qu' hérétiques,
les
nobles
français
devraient
plutôt
être
des
ennemis mortels du Roi de Navarre. Il)
Pour mieux faire comprendre que cette entente serait illégitime
et contre nature,
l'auteur montre ce qu'il
considère comme les
véritables intentions du Roi de Navarre une
fois
sur le trône.
Celui-ci établirait deux religions pour la France alors que la
foi
ne
se
divise
pas.
Il
est
déjà
responsable
de
toutes
les
cruautés faites au Princes. Dorléans reprend ici les accusations
qu'il
avait
auparavant
portées
contre
Henri
de
Navarre. (2)
Il
utilise
les mêmes bêtes
sauvages pour l'insulter. (3)
Son désir
de se faire instruire dans le catholicisme est dénoncé comme une
ruse. A ce propos l'auteur le compare au tyran biblique Hérode.
( 1) l!2lsL.,! 66
(2)
Voir~, 2è partie cbop 2 (II)
(3)
Second Advertissement. • ! 71 par exemple: "loup", "lion",

181
Ce parallèle est d'ailleurs du même modèle que celui qui a été
fait entre Henri III et Néron.
Hérode
n'était
pas
juif,
pas
plus
Henri
de
Navarre
n'est
catholique.
Pour
épouser
une
belle
juive
Hérode
se
fit
circoncire,
et pour
"espouser la Couronne de France,
Henri de
Navarre,
se
fera
catholique".
Après
l'avoir
épousée
et
maltraitée Hérode la répudia et revint au paganisme,
de même le
Roi
de
Navarre
une
fois
sur
le
trône,
reviendra
au
calvinisme. (1)
Selon Dorléans,
il est une maxime huguenote qui
dit
"se
faire
calviniste avec les calvinistes,
luthérien avec
les luthériens et catholique avec les catholiques". (2)
Sous la
plume du pamphlétaire la couronne même de Navarre devient
"une
couronne de papier"
et le roi lui -même
"un roi de paille".
(3)
Il précise par la suite que les hérétiques ne sont pas capables
d'être bons:
"s'ils font bien c'est d'aventure,
s'ils font mal
c'est par nature". (4)
( 1) Second Adyerlissement, f 73
( 2) i!lliL f 75
(3)
ibid.,f104
(4) i!lliL f 114

182
Dorléans
insiste
beaucoup
sur
la
gravité
de
l'excommunication
qui frappe Henri de Navarre.
Son désir est ici de donner la plus
grande
force
à
cette sanction formelle que
les partisans. du Roi
de
Navarre
prenaient
pour
une
farce
grotesque.
Il
cite
abondamment
l'exemple
des
roi s
foudroyés
par
cet te
punition
divine
aux effets
imparables.
Le
prince
de
Condé en est
mort,
Henri III de même. (1)
Le dernier recours de
l'argumentation est,
comme
c'est
généralement
le
cas,
la
menace
et
l'insulte.
Dorléans demande à
la Noblesse de redouter au moins
le
jugement
dernier,
jour
de
la
vengeance
divine,
mais
surtout
cette
punition
immédiate ordonnée par Dieu
:
"Ne craignez-vous point
que
le
ciel
venge
ses
injures,
que
les
é1èmens
s'esmeuvent
contre vous et que la Terre ne se fasche de supporter ceux qui
travaillent leur créateur et
font
si estrangement la guerre à
son Eglise". (2)
La
noblesse
qui
suit
le
Roi
de
Navarre
fait
aussi
preuve
de
déloyauté à
l'égard du peuple.
Par un processus
de
dégradation
(1)
Second Adyertissemenl. .. , f 147
( 2)
Second
Advertissement. f 86 ; "travailler" signifiait tourmenter, fatiguer, faire souffrir, d'après
Huguet.

183
et
de
déclassement,
le polémiste
lui
fait
perdre non seulement
sa
noblesse
mais
encore
son
statut
même
de
français
car
"François" veut dire
"" franc" c'est-à-dire franc de la servitude
des hérétiques,
franc de l'orgueil des Ministres,
franc du joug
de
Sathan". (1)
Cette
fausse
étymologie
prend
ici,
outre
sa
valeur d'argumentation,
une
coloration polémique
très
marquée.
Ce
renversement
de
situation
sociale
et
nationale
pour
la
Noblesse
s'accompagne d'une
transposition
des accusations.
Les
Seize dont
les adversaires
ont tout
le temps
dénoncé l'absence
de
conscience
nationale,
deviennent,
à
la
faveur
d'une
telle
définiton,
les véritables Français.
L'autre
combat
contre
l ' hérésie
est
selon
Dorléans,
d'ordre
idéologique.
"Non
seulement
les
François
ont
guerroyé
les
hérétiques avec les armeS mais avec le sçavoir,
les livres et la
plume,
ils leur ont faict
une sanglante et mortelle guerre". (2)
L'auteur
était
bien
conscient
du
pouvoir
meurtrier
de
l'écriture. (3)
( 1) Second Adyert;ssement, f 88
( 2)
Second Advertissement. f 89
(3)
voir infra, 3è partie, chao III

184
Pour
émouvoir
davantage
la
Noblesse,
i l
donne
la
parole
à
la
couronne
de
France.
Celle-ci
demande
aux
Princes
avec
des
accents
suppliants
et
pathétiques
de
ne
pas
choisir
Henri
de
Navarre
car
ce
Roi
l ' a
plusieurs
fois
violée
et
pillée.
Elle
exhorte la Noblesse à
conserver par tous les moyens
la Religion
et
les traditions
politiques
des anciens
rois
de France. (1)
Une
fois
encore
le pamphlétaire
éprouve
le besoin
de
préciser que
"la Religon catholique est la porte et le chemin par où
(les)
ROYS entrent à la Royauté" (2)
;
et par conséquent qui renonce à
la messe décline en même temps la Couronne. (3)
Selon Dorléans,
les raisons alléguées par la Noblesse sont sans
importance
pour
le
choix
d'un
monarque.
La
noblesse
de
naissance,
le
courage,
la
beauté
et
l'éloquence
ne
pouvaient
suff ire
pour
le
sacre
d'un
roi. (4)
Il
croit
même
qu'il
Y a
eu
quelque fatalité
qui empêche cette Noblesse de donner foi à
ses
avertissements.
( 1) Second Advertissement, f 105
( 2)
Second Advertissement, f 10
(3)
idée déjà soutenue dans l'Advertissemenl
de 1586, supra, 2éme partie chap Il (1)
( 4 )
ibid.
f 118

185
Mais
Dieu,
l'éternel
vainqueur
est
avec
les
catholiques.
Le
polémiste
revient
sur
leurs
victoires
qu'il
présente
comme
celles
de
Dieu
sur
Satan
celles
de
Dreux
(1562),
de Meaux
(1567),
de Montcontour et de Jarnac
(1569).
La Saint-Barthelémy
même a été un
jour saint.!l)
Avec un humour très noir il décrit
ainsi la mort de Coligny au soir du 24 août 1572
"Cet
admiral
qui
estoit
ceste
grande
statüe
adorée par les
huguenots,
fut
si
hautement
eslevé
au
plus
haut
estage
de
Montfaucon,
après avoir esté tranché,
tronqué,
taillé de toutes
les parties par lesquelles i l avoit irrité la fureur de Dieu et
dont i l avoit pourchassé la ruine du Royaume de France". (2) Le
pamphlet fait feu de tous bois,
seule l'efficacité importe dans
la
construction du
discours. {3l
Comme ici,
souiller la mémoire
d'un mort accroit la portée satirique.
L'auteur revient ensuite
sur les
causes qui ont
donné
naissance à
la Ligue et qui font
que
Dieu aide
les
catholiques à· supporter
les
rigueurs
de
la
lutte.
De
son
avis,
c'est
un
miracle
que
Paris
ait
soutenu
pendant onze mois la famine,
les maladies
et les
attaques des
( 1) Second Advertissement. f 132
(2) illiQ., f 132 • Nolons que Dorléans est j'auteur d'un sonnet satirique sur la mort de l'Amiral. Voir
infra chao IV
(3)
Voir Marc Angenol, 1a Parole pamphlétaire

186
hérétiques
qui
l ' ass iégeaient. (1)
C'est

une
façon d'appuyer
le
courage des partisans,
de
les nourrir par
l'espoir à défaut
du pain tant désiré.
La
dernière partie
du
texte
légitime
le
choix
du
cardinal
de
Bourbon
comme
roi
de
France. (2)
D'abord
Dorléans
récuse
les
principales
réserves
opposées
par
les
Nobles
à
une
telle
candidat ure.
Son
état
de
prêtre
est
bien
indiqué
pour
cette
fonction
la
dignité
des
ecclésiastiques
étant
plus
éminente
que
celle
des
rois.
Les
religieux
commandent
aux
âmes
et
les
rois au corps,
ceux-là reçoivent leul'Smissions du ciel alors que
ceux-ci
sont
désignés
par
la
terre.
Et
Dorléans
ne
voit point
l'incompatibilité
entre
une
croix
et
un
sceptre. (3)
Il
pense
plutôt
qu' "en
ce
temps impie et
irreligieux",
(4)
i l
faudrait
bien
un
roi
cardinal
pour
réhabiliter
l'Eglise
et
la
foi
catholique.
Ensuite
viennent
quelques
arguments
vraiment dérisoires
le
(1)
Second Advertissement, f 150
(2)
Second Advertissement, f 152 à f 163
(3)
ibid,f156
(4)
ibid, f 156

187
nombre
"dix" est le plus parfait des nombres.
Les papes et les
rois
venus
sous
ce
nombre
ont
porté
bonheur
à
leurs
sujets
tandis que les "quatrièmes"
ont été de mauvais augures. li) Quant
à l'âge du Cardinal,
le polémiste,
se référant aux patriarches
de la Bible comme Abraham et Moïse,
souligne que la vieillesse
a
été
de
tous
temps
garantie
du
salut
des
royaumes. (2)
La
jeunesse,
en revanche,
les a toujours ruinés.
la France a donc
plutôt besoin d'un monarque sage et non bouillant pour rétablir
l'ordre et l'équité. Dorléans ironise d'ailleurs sur la vigueur
et la jeunesse du Roi de Navarre
"certainement
voyla
un beau
souhait
s ' i l
fallait
choisir
un
gendarme
et
non
un
Roy". (3)
Selon lui les vertus royales sont la douceur et da débonnaireté.
Pour des raisons polémiques les qualités traditionnelles du roi
chevalier sont ici oubliées.
Le pamphlétaire en vient ensuite à la prétendue préséance du Roi
de Navarre Sur son oncle par rapport au trône.
Il pense qu'il
faut simplement considérer la proximité vis-à-vis du roi défunt
( 1) Charles X roi de la Ligne, Henri IV roi des "hérétiques", l'éloge du nombre fonctionne, comme le
discours partisan qui l'utilise, à des fins d'argumentation.
( 2)
Second Advertissemenl. f 158
( 3) illid...-, f 158

188
et
le choix se fait
de lui-même.
L'oncle étant plus proche que
le neveu d'un degré,
il appartient,
dit Dorléans,
au cardinal de
succéder
à
Henri
I I I .
Le
droit
de
représentation(l)
qu'évoquaient les Politiques et les partisans du Roi de Navarre
est inconnu en France,
précise l'auteur.
C'est un point du droit
romain.
Et comme
"la France ne tient que de Dieu et de l'espée
et n'est aucunement subjecte à l'Empire", (2) Henri de Navarre a
tort
d'évoquer
ce
droit
pour
fonder
ses
prétentions
à
la
couronne.
D'ailleurs,
souligne
Dorléans,
la
représentation
directe l'écarterait puisqu'il n'est pas le fils
du dernier roi
décédé,
et
en
ligne
collatérale,
il
serait
aussi
exclu
car
celle-ci appelle le neveu ou le frère du feu roi.
Pour
conclure
son
pamphlet,
l'auteur
résume
l'essentiel
des
idées Sur lesquelles il cherche l'adhésion des distinataires. Ce
procédé
didactique
suscite
chez
les
lecteurs,
l'attitude
que
l'argumentation a déjà préparée.
(1)
Second
Advertissemenl, 1 162. Le droit de représentation permet que les héritiers du défunt
viennent à sa succession "non de leur chel" mais à la place d'un ascendant prédécédé. Il empêche
aussi d'exclure le neveu au profit de l'oncle concernant la succession.
( 2) Second Advertissement, 1 162

189
Comme
dans
le premier Advertissement
(1586),
Dieu
lui-même
intervient pour proférer des menaces terribles. Mais cette fois,
c'est à la Noblesse qu'il promet des sanctions implacables et
exemplaires.
Cette Noblesse rebelle à
l'Eglise
catholique ne
sera alors qu' "une fange et une ordure qui se foullera aux pieds
et bien heureux celuy,
qui cent et cent
fois le
jour marchera
pardessus
(elle)
pour
(lui)
faire outrage". (1)
Par son attitude quelquefois critique à
l'égard de la Ligue et
par
le
rappel
des
conditions
de
sa
fondation,
le
Second
Advertis sement
annonce
le
Dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
le Manant
de
1593.
Son écho
fut
pourtant
moins
important
que
celui
de
l'Advertissement
de
1586.
Plusieurs
raisons
peuvent
expliquer
ce
phénomène.
D'abord
le
changement
de
contexte socio-politique ;
après l'assassinat du Roi Henri III
on sentait les signes de la perte de crédibilité de l'Union.
( 1) Second Advertissement, f 167

190
Beaucoup
de
catholiques
en
avaient
été
éloignés
par
son
radicalisme ; surtout les Nobles qui craignaient légitimement la
ruine de leur classe. Le Parti des Politiques était aussi devenu
une
force
active
qui
organisait
une
propagande
discréte
mais
efficace
contre
les
idées
de
l'Union. (1)
Ensuite,
la
critique
des
excès
de
la
Ligue avait
fait
que
ce pamphlet
n' avai t
pas
bénéficié d'une ample diffusion.
Malgré tout,
il a eu un grand succès de librairie. En effet,
il
a été plusieurs fois
réédité.
Hauser signale deux rééditions à
Lyon en 1591 et en 1598 et une traduction en espagnol publiée à
Madrid en
l592.(2}
Il a été réédité aussi à Toulouse en 1591
et
le
père
Lelong
mentionne
une
réédition
à
Saragosse
en
1592. (3)
Même
si
l'argumentation
est
bien
menée,
la
fiction
de
la
lettre-avertissement des Anglais est quelquefois détruite. Dans
plus de quatre passages,
le "nous"
des Anglais
est
devenu
le
( 1)
Voir E. Barnavi, Le Parti de pieu...
(2)
Hauser, 1es Sources ... , tome 3, p 300
( 3)
Père Lelong, Bibliothèque ... , N'19235

191
"je ll
de
l'auteur,
et
le
"vous"
par
lequel
les
catholiques
d'outre-Manche
s'adressaient
aux
Français
est
transformé
en
"nous ll ,
quand Dorléans,
l'auteur réel,
présente la situation de
ses compatriotes. (1)
Le
sonnet
de
préface
du
"Second
Advertissement"
Très sévère de ton comme le pamphlet dont il annonce la couleur,
le sonnet insiste sur la dégénérescence morale des Français de
maintenant.
les Anciens sont d'abord présentés comme les héros
éternels de la bataille contre les ennemis de la foi catholique.
L'auteur
loue
leur
courage
et
leur
détermination à
défendre
l ' Eg 1 ise. (2)
Ensui te,
i l les appelle,
et comme s'ils pouvaient
l'entendre,
il leur souligne les crimes perpétrés contre Jésus
Christ,
et
ses
fidèles
par
les
Français
de maintenant. (3)
Des
ennemis
de
leurs
Ancêtres
et
de
leur
foi
ils
ont
fait
des
associés.
Cet
oubli
de
la
mission
de
défense
de
l'Eglise
qu'avait
traditionnellement
la
France
amène le pamphlétaire-
( 1)
Second
Adyertjssemenl, f 7 - 8 - 24 .. '
(2)
V. 1 à 4
(3)
V. 5 à 8

192
poète à faire remarquer avec regret aux Ancêtres invoqués la fin
de leur belle race :
"Vous n'avez plus d' enfans François ny catholiques". (1)
Le portrait des Français de
jadis s'oppose à tous points de vue
à
celui
de
leurs
descendants
d'au jourd' hui.
Ce
contraste est
bien marqué par la construction du sonnet.
Le premier quatrain
chante les vertus des Anciens alors que le deuxième dénonce les
trahisons
des
contemporains.
En
ce
qui
concerne
les
tercets
l'opposition se fait par l'alternance des verS de louange et des
vers d'injure.
Relativement indépendant du pamphlet par sa situation et par son
sens
propre,
le
sonnet
n'en
constitue
pas
moins
un
des
constituants
au plan de
la
stratégie polémique.
Il
se charge,
entre autres choses,
d'accentuer les accusations portées contre
les adversaires. (2)
( 1) V. 14
( 2) Voir infra 3ème Danie chaD III

193
v - Plaidoyé des gens du Roy raict en Parlement
en
plaine
audience
toutes
les
chambres
assemblées
le
22
Jour
de
Décembre
mil
V.
C
quatre
vingtz
douze, (1)
1593
Depuis
son
pamphlet
de
1590,
le
second
Advertissement
des
catholiques Anglais,
beaucoup de données avaient changé dans
la situation politique de la France. Le fameux roi de la Ligue,
Charles X étant mort.
L'Union avait subi bien des revers: en
août 1591 aux élections échevinales,
elle s'était vu opposer la
résistance des Politiques; l'assassinat du Président Brisson en
novembre 1591 lui
avait
fait perdre beaucoup de son crédit à
Paris. Même ses défenseurs comme Dorléans s'en étaient un peu
éloignés. (2) Mayenne,
le nouveau chef de la Ligue,
avait puni de
manière très sévère les auteurs de la mort de Brisson.
( 1) Avec en sous titre: "Sur la cassation d'un prétentu arrest donné au prétendu Parlement de
Chalons le 18 jour de novembre audict an",
(2) Voir supra, lére partie chap Il

194
La conversion du Roi
de Navarre était
désormais demandée avec
plus de vigueur par une population exténuée par la famine. (1)
Conscients
de
leur position
de
force,
les
royalistes
avaient
utilisé le Parlement de Chalons pour dénoncer l'excommunication
du Roi de Navarre et rappeler les principes inaliénables de la
monarchie.
L'arrêt,
dont
la
forme
épousait
la
structure
des
pamphlets,
s'achevait par des menaces proférées contre ceux qui
étaient devenus désormais "les rebelles de Paris". (2)
Attaquée
de
tous
côtés
et
à
la
veille
d'Etats
Généraux
déterminants
pour
son
avenir
politique,
la
Ligue
ne
pouvait
laisser
les
attaques
de
Chalons
sans
réponse.
Beaucoup
de
pamphlets fUrent alors écrits pour combattre les conclusions du
Parlement de Chalons.
Ce
"Plaidoyé",
réellement fait par Louis
Dorléans
en tant
qu'avocat
général de
l'union,
n'était qu'une
réponse parmi d'autres. (3)
(1) Voir le mouvement des "Semonneux" pour la conversion du Roi de Navarre, d'octobre 1592,
(2) Voir BN ms. Ir. W2751 pièces 71-72. - Le Parlement de Chalons a, en fait, édicté deux arrëts
contre Paris et la Ligue ; le 1er est du 10 juin 1591 et le dont il s'agit ici est du 18 (19 ?)
juin 1592.
( 3) Sur l'attestation historique du "plaidoyé", voir supra, 1ère partie chapitre 1
. les autres pamphlets-réponses de la Ligue sont: . CooftJtatjoo du faulx et scandaleux arm,.:;f du
supposé Parlement de Chaalons contre le Sainl-Siège apostolique et la Sainte-Union des catholigues
aux trois estaIs de la France
s. L , s.d. (1592 ?) el Arrest de la cour du Parlement· contre· un
certain Prétendu acres! donné à chaaloos sur le taie1 des bulles de la légatjon, Paris R. Nivelle, R.
Thierry,
1592.

195
Entre la plaidoirie effective et celle qui est rapportée par ce
texte apparaissent des écarts chronologiques.
Le pamphlet parut
à la fin de l'année 1593 alors que la séance réelle du Parlement
eut
lieu,
comme
l'indique d'ailleurs
le titre,
le 22 décembre
1592.
Entre
les
deux
événements
Dorléans
a
publié
un
texte
polémique en latin contre les parlementaires soupçonnés d'être
des
partisans
du
Roi
de
Navarre. (1)
Ce
"plaidoyé"
se
lisait
aussi
comme
une
réfutation
des
points
de
vue
de
François
de
Clary,
auteur des Philippiques,
teKte très hostile aux idées
de l'Union.(2)
Le pamphlet est entièrement
structuré comme un plaidoyer et le
lecteur a
l'impression d'assister à une
véritable audience de
tribunal.
C'est bien maître Dorléans
avocat qui plaide ici la
cause de
son Parti devenu partie civile.
Si cette
fiction
est
entretenue
jusqu'au
bout
c'est
certainement
parce
que
l'éloquence du barreau nourrit le texte d'une rhétorique maniée
( 1) voir supra, 1ère partie
chapi!. 1
(2)
F. Clary Philippiques contre les bulles et autres pratiques de la faction d'Espagne Tours 1592 (il
Y a eu quatre philippiques)

196
avec aisance. (1) Le lieu de la dispute ne fait pas oublier qu'il
s'agit d'une
lutte au
nom de la Religion catholique.
L'auteur
cite
en
une
exergue
deux
phrases
du
Deutéronome,
particulièrement significatives pour un orateur chrétien :
"5' ils
étaient
sages,
voici
ce
qu'ils
comprendraient.
Et
il
penseraient à ce qui leur arrivera". (2)
Au début du texte,
l' hérésie est
cons idérée comme un virus qui
se développe par la ruine et la désolation des royaumes et des
états.
Elle est une drogue capable de pervertir les Princes et
les sages.(3) Perfide et perverse elle ne se montre pas souvent
sous
son véritable
jour.
A l'hérésie,
la paillarde,
s'oppose,
comme toujours dans la pensée de Dorléans,
l'Eglise catholique,
Princesse
des
princesses.
Celle-ci
est
considérée
comme
dispensatrice de
"toutes les bonnes moeurs,
conservatrice des
Estatz et protectrice des Empires et Royaumes". (4) L'Eglise est
la Reine du monde, et c'est ce titre que les hérétiques et les
( 1) voir infra, 3ème gartie
chagit. Il
(2)
Deutéronome 32.,2.9, en latin dans le texte.
(3)
Plaidoyé des gens du Roy H' P 4
(4)
Plaidoyé, pp 10-11

197
schismatiques
veulent
aliéner en
se
couvrant
du manteau de
la
Religion. Dorléans cite ici De Belloy et Clary à qui i l reproche
d 'Bvoir
déclaré
que
le
Roi
de
Navarre
était
catholique. (1)
La
polémique entamée avec De Belloy depuis 1586 se poursuivait donc
avec vigueur.
Après
avoir
cité
une
phrase
de
Saint
Bernard
disant
que
les
anciens
tuaient
les hérétiques
sans
jugement,
l'auteur déclare
louer le zèle,
mais i l désapprouve cette façon.
On entrevoit ici
la
position
qu'il
avait
adoptée
à
l'endroit
des
auteurs
du
meurtre
de
Brisson. (2)
En
effet,
Dor léans
considère
comme
un
péché
la
punition
qui
se
fait
sans
justice
car
"c'est
une
irreligion
de
venger la Religion
de
ceste
sorte". (3)
Mais
i l
faut
juger et punir ceux qui ont abandonné la cause de Dieu pour
aller soutenir les ennemis de
l'Eglise.
Paris
est
le
l i t de la
Religion
catholique,
c'est

qu'elle
est
défendue. (4)
La
naissance
de
l'hérésie
et
son
développement
sont
toujours
(1)
Plaidoyé "', p 13
( 2)
Voir supra 1ère partie, chap Il : Dorléans était mayenniste, il ne partageait pas les opinions de
la Ligue radicale.
( 3)
plaidoyé... , p 16
( 4)
ibid. , P 17

198
annoncés par la nature.
Le ciel se peuple de comètes,
d'étoiles
filantes qui "nous présagent la désolation des Estats,
la ruine
et
subversion
des
Royaumes". (1)
L'auteur
prolonge
cette
description d'un monde agonisant et affreux dont
un avant-goût
pouvait s'apercevoir dans l'atmosphère de famine et de mort que
vivait
Paris
en
ces
périodes.
Cette présentaion
d'un
univers
terrifiant
suivait
habituellement
des
menaces
et
servait
de
conclusion
au
pamphlet.
En
revanche,
elle
est
ici
placée
à
l'ouverture dans le but de préparer les
juges à être sans pitié
pour une cause aux conséquences si graves.
C'est
seulement
aprés
cette
mise
en
condition
que
le
pamphlétaire en vient au sujet véritable. L'acte du parlement de
Chalons est d'abord
jugé audacieux,
téméraire et traduisant la
grande et mortelle haine que ses auteurs ont contre l'Eglise et
contre les peuples catholiques. (2) Ensuite Dorléans
présente la
( 1) plaidoyé ... , p 20
(2) ~,p26

199
teneur de l'arrêt de façon très succinte
"Pour le premier chef ils nous tiennent comme rebelles. Pour le
second,
que
nous
avons
introduit
les
anciens
ennemis de
la
France en ce royaume
Iles Espagnols).
Pour le
tiers que nous
avons interverty les loix de nostre Estat et la juste succession
de noz Roys.Pour le quart,
que les villes estants prestes de se
rendre,
nous avons suscité un légat avec des bulles. 1... ) Pour
le
quint,
ils
ordonnent
que
Paris

les
Estats
se
doivent
assembler sera rasé". (1)
Le texte de l'arrêt est
ici repris
sans modification ce qui est
tout
à
fait
exceptionnel
pour
les
lois
du
genre. (2)
L'auteur
prend
ses
argument s
pour
un
blasphème
directement
envoyé
de
Genève.
Car la France et
ses parlements catholiques n'utilisent
pas
un
tel
style
dont
les
termes
expriment,
aux
yeux
de
Dorléans,
toute l'impiété de ceux qui en sont
les auteurs. (3)
( 1) plajdoyé ... , p p 27-28
( 2) Voir in!ill.. 3ème partie chaD! et Il
(3)
plaidoyé ... , p 29

200
La
justice et
la religion doivent être
considérées comme deux
soeurs
Et
c'est
à
cause
de
cela
que
ceux
qui
trahissent
la
0
justice ont aussi trahi
la Religion.
Les
hommes
de
loi passés
aux
côtés
d'Henri
de
Navarre
sont,
dit
Dorléans,
ceux
qui
avaient
rendu
Henri
III
machiavélique
et
despote. (1)
Cette
précision
une
fois
donnée,
le
plaideur-pamphlétaire aborde
la
réfutation des cinq griefs portés contre son Parti.
L'accusation de
rebellion
est
totalement
assumée
par Dorléans
mais il en change complétement la nature.
En effet,
l'acte est
devenu
lui-même
positif
parce
qu'il
sert
de
défense
à
la
Religion catholique contre ses ennemis.
Se rebeller contre ses
adversaires devient ainsi urie
légitime défense.
Cet
"honorable
crime", (2)
selon l'expression même employée ici,
est
revendiqué
avec force
:
"Nous confessons que nous sommes rebelles à Sathan,
au Roy de
Navarre,
à
tous
ses
Parlemens,
à
ses
Présidentz
et
à
ses
Prêdicans et à ses Magistratz et à
tous ses officiers et tous
les estançons du Royaume de l'Antéchrist". (3)
( 1) Plaidoyé
p 31
n O ,
( 2)
ibid
P 37
0
( 3) ibid.
P 37
0

201
S'il
faut
punir son Parti pour
"ce
religieux délict ",
alors,
nous
dit-il,
avec
lui
sera
jugé
tout
le
peuple
François qui
depuis
des
siècles
à
vécu
sous
la
bannière
de
l'Eglise
catholique.
Arrivé
à
ce
point,
Dorléans
répond
à
une
accusation
que
son
résumé
de
l'arrêt
ne
contenait
pas.
Le
Parlement
de
Chalons
avai t
bien
précisé,
références
bibl iques
à
l'appui,
que
la
Religion
pour
laquelle
la
Ligue
combattait
recommandait
l'obéissance
aux
rois
quels
qu'ils
soient. (1)
Certes,
répond
l'auteur,
mais
pour
défendre
l'Eglise
qui
l'ordonnait,
le
chrétien peut s'opposer au Roi.
Et Dorléans donne l'exemple des
Pères
qui
ont
combattu
contre
l ' hérésie
même
des
Princes.
A
propos
de
ce
point,
i l
reprend
l'essentiel
des
arguments
contenus
dans
le
Second
Advertissement.
Cependant,
la
différence qu'il établit ici entre obéir par volonté et obéir
pour nécessité nous paraît nouvelle.
Selon Dorléans,
les peuples
qui
ont
obéi à
un roi de
religion différente et
que
la Bible
évoque en plusieurs endroits,
l'avaient fait par nécessité; ce
(1) Voir BN ms fr 2751 pièces 71·72

202
fut
le
cas,
note-t-il,
du
peuple
d'Israël
à
l'égard
de
Nabuchodonosor. (1)
Et pour conclure ce premier point,
l'auteur précise que ce sont
surtout
les
nobles
qui,
en
Israël
jadis,
comme
en
France
aujourd'hui,
ont
suivi
la
religion
du
Prince
à
cause
des
plaisirs de la cour. (2)
Pour
récuser
la
deuxième
accusation
Dorléans
démontre
que
l'Espagne
a
toujours
été
l'alliée
de
la
France.
Depuis
que
Clovis a donné en mariage sa fille à un roi d'Espagne,
les deux
royaumes se sont à chaque fois secourus pendant les périodes de
troubles. (3)
Pour l ' histoire,
l'Espagne n'est pas
l'ennemie de
la France. (4) Le danger vient plutôt d'Angleterre; de l'avis de
l'auteur,
ce sont les ennemis de la monarchie française qui ont
introduit les Anglais pour faire la guerre au peuple.
Quant au Roi d'Espagne,
très chrétien,
il défend le Royaume par
fidélité d'abord
à
la
mémoire de son
beau
père
Henri
I I ;
( 1) Plaidoyé ... , p 51
(2)
ibid ... , P 54-55 - Voir aussi le Second Advertissement.... B!illi!. 2ème partie chap Il,
( 3) lQlsL, p 60
(4)
Il souligne une parenthèse d'hostilité pendant les règnes de Louis XII et de François 1er, mais le
traité de 1559 a depuis 10ut apaisé. p 61

203
ensuite,
pour
empêcher
l 'Hérésie
de
s'établir
en
France
et
entraîner
ainsi
la mort
de
la
Religion
catholique
dans
toute
l'Europe. (1)
Le roi d'Espagne ne convoite donc pas
la couronne
de France,
entre lui et
l'Union n'existe aucun pacte secret ou
public. Cependant,
fidèle à sa position,
au besoin antinational,
Dorléans
pense
qu'il
faudrait
remettre
la
couronne
au
Roi
d'Espagne si on devait l'abandonner à un hérétique. Ce point de
vue que partageait la majorité des publicistes de la Ligue était
certes,
comme
l'a
montré
M.
Yardéni, (2)
une
manifestation
de
l'absence de conscience nat ionale
;
mais,
compris à
la lumière
de l'idéologie politico-religieuse de l'Union,
il devient plutôt
le
signe
d'un
"internationalisme
chrétien"
fondateur
d'un
Royaume de Dieu,
nation unique des catholiques. (3)
Avant de réfuter la troisième accusation,
l'auteur proclame avec
force son mépris des nouveautés et son désir de voir appliquées
les lois
du
Royaume
telles
que
les
ancêtres
les
avaient
( 1) Plaidoyé ... , p 66
( 2)
Voir M. Yardéni, La conscience nationale... p 223 à 296
( 3) Voir 3è partie ~

204
laissées.
Il
considère
ensuite
l'Etat
comme
l'être
dont
la
Religion est
l'âme et
le temporel le corps. (1)
Cette métaphore
lui permet de cerner le rôle crucial que
joue la Religion dans
le développement des sociétés. (2)
Cependant,
le point essentiel
de la controverse porte sur la loi de la succession
; question
amplement discutée dans les textes antérieurs, (3)
Les arguments
avancés ici sont à peu près les mêmes.
Henri de Navarre évoque
le droit de proximité après la mort de son oncle,
le cardinal de
Bourbon,
Les
lois
de
la
succession
autorisent
le
peuple
à
considérer la capacité du prétendant.
De l'avis de Dorléans,
le
Roi
de Navarre,
à
cause de
sa religion protestante est devenu
illégitime.
Les trois incapacités que l'Advertissement de 1586
avait déjà montrées nourrissent aujourd'hui les arguments pour
refuser Henri de Navarre. (4)
D'abord
l'Ancien
Testament
recommande
d'élire
un
frère pour
I.'oi 1
et
l'auteur
précise
qu'il
s'agit
d'une
fraternité
( 1) Plaidoyé .... p 83
( 2)
jbid . P 84
( 3)
Voir suora • chap II. 2éme partie
( 4)
Voir supra. 2éme partie. chao. Il, (IV)

205
spirituelle
plutôt
que
de
sang. (1)
Ensuite,
le
Nouveau
Testament,
en
prenant
la
Terre
comme
un
domaine
du
Christ,
oblige
les
croyants
à
désigner
les
fils
de
Jésus
pour
la
gouverner.
Le
troisième
argument
découle
de
la
métaphore
précédemment posée,
la tête doit être faite en conformité avec
le corps
pour éviter
les êtres monstrueux.
C'est pourquoi
il
serait dissonant de poser sur des membres catholiques une tête
hérétique. (2)
Le quatrième argument
opposé
par Dorléans est en
conformité
avec
le
lieu
du
plaidoyé
puisqu'il
est
d'ordre
juridique.
Etant
déjà
tombé
sous
le
coup
des
lois,
Henri
de
Navarre ne peut prétendre à les commander,
on dirait aujourd'hui
qu'il
a
perdu
ses
droits
civiques.
La
dernière
objection
au
choix
du
Roi
de
Navarre
prend
en
compte
ses
entreprises
militaires
et
politiques envers
Paris
et
la Ligue. (3)
L'auteur
reprend ici
l'ensemble des accusations de meurtres de trahison
et
de
rebellion
généralement
retenues
par
la
Ligue
contre
le
"Bearnais". (4)
L'excommunication
est
aussi
évoquée
comme
( 1) Déja avancé dans 1'l\\QQl.Q.~ voir =, 2éme partie, chap II, (1)
( 2)
Plaidoyé, p 98
(3)
ibid ... , pp 100-101
( 4)
Voir surtout j'Advertissement de 1586, surora
2éme partie ch Il (II)

206
pouvant
le
priver
de
la
dignité
royale.
Tous
les
états
du
Royaume ont ainsi des raisons suffisantes pour refuser,
au Roi
de Navarre la couronne de France. (1)
Louis
Dorléans
en
vient
alors
au
quatriéme
point
de
sa
plaidoirie.
Il
s'agit
de disculper
le
légat
et,
à
travers
sa
fonction,
le Saint-Siège. Pour cela,
il rapelle le respect et la
vénération
que
les
Princes
de
France
ont
toujours
eus
à
l'endroit
des
légats
comme
ambassadeurs
du
Pape.
En
les
attaquant
ainsi
par
injures,
le
Roi
de
Navarre
a
commis
un
sacrilège car
"leur fonction
est
saincte,
elle est vénérable,
elle est honorable,
elle est recommendable". (2)
Cette attitude
d'Henry
de
Navarre
constitue,
pour
l'auteur,
une
rebellion
contre le Saint-Siége et contre Dieu. (3 ) Et c'est en ce sens que
l'auteur la trouve inadmissible par le peuple catholique.
Le cinquième et dernier point du "Plaidoyé"
concerne la ville de
Paris et les Etats qui doivent s'y tenir.
(1)
Plaidoyé ... , pp 116-124
( 2)
iQiQ., P 134
( 3)
llilii.., P 142

207
L'auteur
trouve
d'abord
naturel
que
le
Roi
de
Navarre
et
ses
partisans méprisent les Etats car depuis Blois ils ont plusieurs
fois cherché à
les violer. Mais maintenant,
c'est de l'élection
d'un roi qu'ils ont peur.
Dorléans
revient
alors
sur la place
privilégiée
de
Paris
dans
la
sauvegarde
de
la
Religion.
Aujourd'hui
"cité de Dieu", (1)
comme elle fut naguère celle des
lettres,
Paris supporte de manière miraculeuse un siège de plus
de cinq mois. Cette capitale de la chrétienté où se situe le lit
de
justice
de
France
doit
être
défendue
avec
la
dernière
énergie. (2)
La
fin
du P laidoyé
est
très
classique
pour
une
plaidoirie.
Elle
rappelle
les
torts
subis
par
la
partie
plaignante
et
requiert une peine exemplaire
:
"Il est temps Messieurs,
il est temps que la Justice voyant sa
soeur la piété cruellement lésée,
exurgat in iras et que touchée
de juste déplaisir elle ne laisse impunies l'audace de l'impiété
et la violence de ses oultrages. Elle
a
les
yeux jettez sur
( 1) plaidoyé ... , p 159 - Ces idées sont déjà développées dans le Second Adyer1issement..., voir
supra chap Il, ~ 2éme partie.
(2)
ibid., pp 161-162

208
vous,
elle
réclame
vostre
valeur,
elle
implore
vostre
courage".
(1)
La sanction proposée par Dorléans condamne dans
les termes les
plus violents l'arrêt et les Parlementaires de Chalons.
Ils sont
déclarés
criminels
de
lèse-majesté
divine
et
royale,
mais
surtout ennemis cruels du peuple catholique et de la France, (2)
Aussi l'auteur propose-t-il de déchiqueter et de brûler le texte
dont les cendres seront
jetées au vent. Mais toute autre est la
question de son élimination de
la mémoire des
hommes.
A cette
fin,
Dorléans demande l'interdiction d'obéir aux injonctions de
l'arrêt et d'en faire mention sous peine d'être déclaré criminel
de
"lèze-majesté di vine et humaine". (3)
Le
texte
définitivement
arrêté
par
le
Parlement
de
Paris
ne
présente pas de différence de contenu avec les propositions du
Plaidoyé(4) .
Au
plan
rhétorique,
ce
texte
est
un
modèle
du
pamphlet
séducteur
argumentation
limpide,
érudition
amplement
(1)
Plaidoyé ... pp 162-163
( 2)
ibid.. P 164
(3) illkL P 165
(4)
Voir le texte de i'arrét, BN, ms. Ir W 2751 pièce 72. Nous sommes, à ce propos, tout à fait de
l'avis de L'Estoile qui en attribuait la rédaction à Louis Dorléans, voir Journal d'Henri IY p 203

209
étalée, (1)
injures
et
calomnies
enveloppées
d'un
style
fleuri. 121
Pourtant,
il eut peu d'effets dans
le domaine de la
propagande.
Son
échec
eut
pour
cause
le
contexte
de
sa
publication.
En effet beaucoup de ses points de vue étaient en
retrait par rapport à
l'actualité.
Les Etats dont il annonçait
la
tenue
avaient
connu
l ' échec.
Le
siège
de
Paris
qu' il
dénonçait
avec
vigueur avait
été
levé par
la trêve du
10 mai
1593.
La
situation
politique
avait
aussi
beaucoup
changé.
L"'arrêt Lemaitre'·(3) avait permis au Parlement de réaffirmer la
préeminence
de
la
loi
salique
que
Dorléans
combattait
encore
dans ce texte.
Toutefois,
la
cause principale
de
son
échec
nous
semble être
l'abjuration du Roi de Navarre de sa religion calviniste le 25
juillet
1593.
En
devenant
officiellement
et
publiquement
catholique,
Henri
IV détruisait
en
même
temps
l'objet
de
ce
pamphlet. Sa publication dans un tel contexte relevait un peu du
( 1) Il contient plus de 185 citations en latin et en Français, ces deux langues sont quelquefois mêlées
dans une même phrase.
( 2) Nous reviendrons sur les aspects rhétoriques dans la 313 partie
( 3) Arrêt donné à Paris le 28 juin 1593, dont le but est ainsi libellé "pour empescher que soubs
prétexte de la religion, la couronne ne solt transférée en mains estrangères, contre les loix du
Royaume". voir BN ms. Ir. W2751 pièce N°16.

210
paradoxe.
En
effet,
dans
la
situation
de
dénouement

se
trouvait la crise,
seuls les textes de bilan pouvaient avoir un
retentissement
Le
Dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
le
Manant
allait
justement être
de
ceux-là. (1) Mais en ce moment
même s'ouvrait pour Dorléans et pour son Parti la période des
combats d'arrière-garde après
la conversion du Roi de Navarre,
Ne pouvant plus le récuser pour hérésie,
on allait le condamner
pour dissimulation. (2)
( 1) Il parut en décembre 1593, après l'abjuration mais sa rèdaction est bien antérieure à l'événement.
(2) Jusqu'à l'entrée d'Henri IV à Paris, le 22 mars 1594, cerlains ligueurs comme Dorléans feront de
la conversion même du Roi le sujet de leurs pamphlets ; ce sera l'objet du Banquet du coote
d'Arêle.

211
VI -
Le
banquet et
apresdisnée
du
conte
d'Arète, où il
se traite de la dissimulation du
Roy de Navarre et
des
moeurs
de
ses
partisans,
1594.
Ce texte parut au début de l'an 1594. Le vent de la défaite
soufflait
en
ce
moment
très
fort
pour
la
Ligue.
Depuis
son
abjurat ion
"Henry
l ' hérétique"
était
désormais
le
roi
très
chrétien et très
catholique.
Théoriquement
la Ligue perdait en
même
temps
sa
raison
d' êt re.
Espérant
arr i vée
la
f in
de
son
calvaire
le peuple de Paris exprimait
son soulagement à
grands
cris.
Mais
pour la Ligue Henri de
Navarre
restait
toujours un
ennemi des catholiques,
un hérétique et un relaps.
L'abjuration
était alors
pour
elle
une
perfide
dissimulation qu'il
fallait
dénoncer avec énergie.

212
Cependant,
ce point de vue était bien celui de la minorité,
car
Paris
continuait
à
réclamer
son
nouveau
roi
catholique. (1)
Au
sein même de l'Union le refus était très mitigé.
N'ayant plus
les
moyens
de
la
répression
physique
les
Seize
utilisèrent
l'arme
qu'ils
possédaient
encore
la
propagande.
Après
les
Sermons
de
la
simulée
conversion (2)
de
Jean
Boucher,
ce
fut
le Banquet du conte d'Aréte de Louis Dorléans.
Si l'objet de
la controverse a changé,
en revanche,
les accusations restaient
toujours graves et infamantes pour Henri de Navarre.
Pamphlet d'une autre saison,
le Banquet est aussi une polémique
d'une autre raison.
Il s'agit maintenant de montrer qu'Henri de
Navarre
n'est pas un vrai
catholique même
s'il
a
abjuré son
hérésie et assisté à la messe sous les auspices d'un évêque .(3)
Cette matière
nouvelle
a
aussi
suscité
une manière propre
l'idée
du
"banquet"
qui
était
unique
dans
le
genre
pamphlétaire. (4) Le dialogue ici institué entre des ligueurs
de
( 1) De Thou, avec une pointe d'ironie, en donne cette relation "Le peuple aussi inconstant dans sa haine
que dans son amour, faisait éclater son indignation. Plus on le retenoil dans la ville, plus il
témoignait d'attachement pour son Roi, et semblait aimer avec transport un Prince qu'il avait
autrefois deteslé". - op ci!
Tome 12. l..i.Y.N CVII P 35.
(2)
J. Boucher, Sermons de la simulée conversion, Paris, 1594.
( 3)
Notons que les prédicateurs de la Ligue. comme Boucher, faisaient de cette conversion le thème de
leurs sermons. L'image biblique du loup qui vient en habit de brebis était automatiquement appliquée
au Roi de Navarre. Voir l'Estoile. Mémoires, T VI p 69 70.
(4)
L'utilisation du cadre d'un banquet selon la tradition platonicienne comme support d'un pamphlet
était tout à fait exceptionnelle. On na retrouvera pas la forme parmi les nombreuses mazarinades
de la Fronde -cf. C. Moreau, Bibliographie des Mazar;nades. Paris, Renouard, 1850 et Tami2ey de
Laroque Mazarjoades incoonues, Paris, champion, 1879.

213
bonne
famille
est
aussi
une
innovation
pour
l'auteur.
Après
trois
quatrains
de
préface
qui
évoquent
le
sentiment
très
catholique
des
convives,
Dorléans
commence
son
pamphlet
à
la
manière
d'un
récit.
Monsieur
de
Crisante,
le
narrateur,
s'adresse
à
un
ami
Camille,
à
qui
i l
fait
remarquer
les
difficultés liées à la connaissance des hommes.
Il compare alors
les
pensées
humaines
aux
vagues
impétueuses
de
la
mer,
profondes,
changeantes
et
obscures. (1)
L' espr i t
de
l ' homme lui
apparaît
comme
un
labyrinthe.
Et
i l
précise
ensuite
que
son
discours a pour but de faire connaître les véritables intentions
du
roi
de Navarre
et
"les
effects
de
ceste
inespérée
et
si
soudaine conversion". (2)
Il n' y a pas de doute le Roi de Navarre
est en train de dissimuler son hérésie.
Monsieur de Crisante propose
alors
à
son ami de
lui
rapporter.
les
propos
tenus
en
un
dîner
et
après-dîner
chez
le
conte
d'Aréte où i l avait été invité.
Il indique le lieu,
une
maison
( 1) Le Banquet... pp 3·4
(2) illiL P 11

214
de campagne au milieu des plantes et des cours d'eau,
le moment,
une
journée
ensoleillée
du
mois
d'août.
Le
cadre
du Banquet
est
enchanteur
et
l'auteur
insiste
dans
la
description
sur
toutes
les
grâces
qui
lui
sont
attachées.
A cette beauté de
l'endroit
répond
l'honorabilité
des
convives
aux
noms
bien
significatifs. (1)
Outre
le narrateur,
avocat de
fonction,
et sa
compagne la demoiselle d'hassarach,
"belle,
gentille et de bonne
grâce"
i l y avait au banquet
le
sieur de Symvol,
conseiller au
Parlement
"homme
de
grand
jugement",
la
dame
de
Fronize,
"de
grande
prudence",
l'Evesque
d'Eusébie,
"homme
de
religion
grande",
l'Abbé
d'Epistème,
"père
de
sciences",
et
la
Dame
d'anney
dont
la
pudicité
et
la
grâce
sont
soulignées
par
l'auteur. (2)
Le marquis de Saint-Eusénie membre de la "Sainte et
religieuse
Noblesse"
et
la
belle
Euphrosine,
"la
Sagesse"
se
joignent au groupe.
Les hôtes sont aussi de même importance:
le
comte,
Madame
la
Comtesse
et
leur
fille
Cariclée,
"belle
et
richement parée".
( 1)
Nous reviendrons sur leur sens symbolique, infra, 3ème partie, chap III
( 2) i!lliL., pp
14-16

215
Après le dîner fastueux et la musique de la belle Cariclée qui
jouait
du
luth
et
chantait
les
louanges
de
la
Ligue,
la
compagnie s'installa au
jardin,
autour d'une fontaine claire et
fleurie. (1) La conversation menée par l'Abbé d' Espistème a pour
unique sujet la conversion du Roi de Navarre. Alors,
rapidement
la
beauté
du
cadre
et
la
gaîté
de
l'assemblée
font
place à
l'indignation
et
aux
insultes.
Avant
d'attaquer
l'objet
véritable
du
pamphlet,
l'auteur
fait
passer
le
débat
par
les
vertus qui petit à petit amènent la question de la dissimulation
et de la trahison.
L'Evesque distingue deux sortes de prudence
dont la meilleure est celle qui consiste à défendre la Religion.
Le comte rappelle qu'aujourd'hui,
à
la chasse contre l'hérésie
il y
a plus
de
"mestis
que de
lévriers".(2)
De
l'avis génèral
des
convives
les
Politiques
sont
de
ceux
qui
détruisent
la
Religion
sous prétexte de
la protéger.
Dorléans
développe ici
tous les griefs déjà portés contre eux dans sa Description du
( 1) Le Banaue!. .. pp 35-36
(2) lI2i.i..... P 22 "mes!is" signifie indécis entre deux partis.

216
. Politique
de
ce
temps. (1)
De
l'avis
de
l'Abbé,
seuls
les
ligueurs
sont
les
vrais
politiques
parce
qu'ils
veulent
conserver l'état traditionnel de la société.
La dénonciation des malheurs de la belle Euphrosine sauvée des
mains d'un méchant seigneur huguenot
sert
de transition pour
attaquer Henri de Navarre et ses partisans. Après avoir rappelé
la perfidie des hérétiques,
leurs trahisons et les violations de
la
parole
donnée
nobles
tués,
Duc
de
Joyeuse
assassiné,
l'auteur traite "leur nouvelle messe"
de "Requiem pour la pauvre
Religion". (2)
Cette
cérémonie
qui
devrait
marquer
la
réconciliation entre la Monarchie et la Religion est présentée
plutôt comme le début de la mort de celle-ci.
L'auteur insiste
sur
la
surprise et
l'étonnement que
la
conversion
a
suscités
chez
les
Ministres
mêmes.
Ce
fut
pour
Dorléans
"une
simulée
reversion"1 3 l
car Henri de Navarre a écouté un prêche quelques
instants mêmes avant la messe. L'effet sur les gens,dont on sait
( 1) Voir surtout La descriptioo du polit!, de oQsfre temps, ~ 2ê partie chaD Il - un long extrait est
rapporté dans le Banquet...pp 27-30
( 3)
Le Banquet... p 50, "reversion" signifie retour au bien.

217
. d'ailleurs
qu'il
était
très
fort,
est
ainsi
dégradé
par
la
bouche
de
l ' Evêque
"Les
uns
ont
peu
s'esbahir
d'une
si
soudaine
distraction
et
les
autres
d'une
si
nouvelle
et
inespérée reversion". (1)
Et
pourtant,
pour
cette
auguste
réunion
cette
conversion
est
l'effet
de
la
Ligue
"0
foüet
de
la
Ligue
combien
tu
vaus
d'escus au Soleil
'" s'écrie l'Abbé". (2) Ne pouvant pas violer
la Religion sous les vêtements d'un protestant, Henri de Navarre
voudrai t
le
faire
sous
ceux
d'un
ca t hol ique .
L'Abbé,
qui
maintenant
commence
à
montrer
sa
science,
établit
la
traditionnelle
différence
entre
la
"vraie
Noblesse",
la
ligueuse,
et
la
"Noblesse
bastarde
et
corrompue",
celle
qui
défend
le Roi
de
Navarre. (3)
Ne peuvent
désormais
être nobles
que
ceux qui,
comme le
cante
d'Aréte,
considèrent
la messe de
conversion comme une supercherie.
( 1) Le Banquet... p 51
) L"escu au soleil" était une monnaie d'or frappée
) sous Louis XI marquée de l'écu de France surmonté de la
( 2) i!:lliL P 54
) couronne royale au-dessus de laquelle figurait un soleil.
(3)
Ces idées sont déjà bien soulignées dans les textes antérieurs, les deux Adyerlissements. le
Plaidoyé ... Voir ~ chap 2

218
Son orientation donnée et ses
jalons posés la controverse peut
maintenant
évoluer.
L'Abbé
promet
de
dévoiler,
malgré
la
difficulté
qui
est
inhérente
à
la
quête,
les
intentions
profondes qui se cachent derrière cette messe.
Il applique alors
à
sa démonstration
l'image de
la chasse
;
les termes utilisés
relèvent,
pour une bonne partie,
du registre de la vénerie. (1)
L'Abbé
commence
par
trouver
naturel
que
le
peuple
cherche à
connaître
l'esprit
de
son
roi
avant
de
le
sacrer
car
les
monarques corrompus et vicieux rendent leurs sujets irreligieux
et
pervers.
Les
exemples
donnés
ici
proviennent
tous
de
l'histoire grécolatine
: l'orgueil d'Agamemnon a amené la peste
sur
les
Grecs,
l'adultère
de
Paris
a
détruit
Troie
et
la
tyrannie de Néron a perdu Rome.
Le salut moral et religieux du
peuple est encore posé par Dorléans comme tributaire de la vertu
de son roi.(2) L'Abbé récuse de manière très ironique certaines
( 1) Par exemple: ·bons limiers" ; "meutes de chiens· ; ·Le cerf se reconnait au train· ... p 63 . Nous
reviendrons sur l'image de la chasse, 3ème partie, chao !II
( 2)
Idée soutenue dans tous ses pamphlets contre Henri de Navarre

219
qualités attribuées à Henri de Navarre par l 'Anti-Espagnol(li:
"dire le Prince est haut et droit
( . . . )
cela est bon pour louer
une perche.
Il est robuste et
fort bon pour un valet qui porte
la malle.
Il a le nez aquilin,
cela est bon en Perse et non en
France noz Charlemagnes estaient camus
( .. )
Il est perpétuel
au travail c'est la louange d'un aide à masson". (2) Pour un roi
il
faut
plutôt
considérer
sa
piété et
ses bonnes moeurs.
Les
vies de Philippe Auguste,
de Louis VIII, de Louis IX et de Louis
XII constituent,
aux yeux du pamphlétaire,
l'aurie à
partir de
laquelle il faudra mesurer la moralité des Princes de France.
Très méthodique,
l'Abbé va diviser
son
raisonnement
en étapes
bien
marquées,
entre
lesquelles
i l
permet
à
l'assistance
d'intervenir pour accentuer les accusations ou pour les varier
par l'ironie et la caricature.
Une
autre
raison
apparaît
presque
suffisante,
aux
yeux
de
l'Abbé,
pour croire à la dissimulation
du Roi de Navarre:
les
(1)
Il s'agit de la Satyre Ménippée, (1594)
( 2) Le Banquel... p p 74-75. Dans le Second
Advertissement de 1590 Dorléans avait aussi senti le
besoin de railler les vertus guerrières attribuées à Henri IV. C'est qu'à l'époque ce dernier s'était
déjà forgé l'image d'un Prince courageux et d'un grand stratège militaire. La Satyre Ménippée a
beaucoup insisté sur ces qualités. - Voir D. Ménager, "L'image du Prince dans la Satyre Ménippée".
Actes du col loque, l'Image du Souverain dans les lettres francaises des guerres de religion à la
Révocation de l'Edit de Nanles, Strasbourg 25-27 mai 1983, édi. Paris. Klincksieck, 1985, p
201-210

220
monarques
sont par nature
des
dissimulateurs. (1)
Cette idée,
à
la limite anti-monarchiste,
constitue une radicalisation dans la
pensée politique de Dorléans.
Les
rois sont
ici comparés à des
caméléons qui se transforment
au
gré des
exigences pour
ravir
des
provinces
ou
des
royaumes,
et
l'auteur
conclut,
après
plusieurs exemples historiques,
qu' "il se trouve presque autant
d'Estat usurpez par dissimulation,
qu'il s'en trouve acquis par
succession". (2)
A ce vice commun aux Princes,
Henri de Navarre
ajoute
ses défauts
propres.
Il
est
d'abord hérétique,
ce qui
signifie pour l'auteur être déloyal et trompeur. Le renard et le
serpent
deviennent
ici
les
figures
emblématiques
du
Roi
non
catholique.
Les attributs d'Henri IV sont alors pervertis selon
le
procédé
de
la
rétorsion,
habituel
chez
Dorléans
pamphlétaire
"S' i l est très grand,
c'est en perfidie,
s'il est très Auguste,
c'est en cruauté,
s ' i l est très clément c'est envers les impies
s ' i l
est très chrestien,
c'est selon le perfide christianisme
des Poli tiques". (3)
( 1)
Le Banquet... p 83
( 2)
ibid .. P 90
(3)
ibid., P 102

221
Cette
première
étape
de
la
démonstration
se
termine
par
la
mention de quelques pamphlets huguenots dont l'Abbé prend Henri
de Navarre pour l'auteur réel. (1)
Encouragé par l'auditoire qui y trouve un malin plaisir,
l'Abbé,
en
vient
à
la
deuxième
conjecture
qui
porte
sur
les
moeurs
d'Antoine
de
Bourbon,
père
du
Roi
de
Navarre.
Se
présentant
comme
ancien
aumônier
de
François
II,
L'Abbé
confère plus de
crédit à
ses propos
sur le père du Roi de Navarre.
Antoine de
Bourbon s'était fait catholique par dissimulation pour avoir le
Royaume de Sardaigne.
Comme
les
ruisseaux ont
le goût de leur
source,
l'auteur
explique
que
le
Bourbon
d'aujourd'hui
a
enfourché
le
cheval
de
celui
d' hier.
Une
conversion
aussi
soudaine ne peut être que feinte,
déclare l'Abbé.
De son point
de vue,
elle relève soit du miracle,
soit de la dissimulation.
Ayant
passé
vingt
ans
à
vouloir
établir
par
les
armes
le
calvinisme en France,
Henri de Navarre ne peut,
en un instant,
devenir catholique. Ce prodige difficilement imaginable
relève
. ( 1)
Il cite: Les Perles du Cabinet (1581 J, Le Miroir des Francois, par Nicolas de Montand. s.L, 1581.

222
pour l'Abbé de la parodie de conversion.
Le
lecteur est ainsi
préparé à accepter le second postulat
"A la voix de Monsieur de Bourges (1)
le ciel s'ouvre et l'air
se
fend,
les
nues
s'écartent
et
voit-on
cest
admirable
conversion descendre en terre,
comme une deesse qui se manifeste
aux hommes avec joye,
qui
fut
oye comme la nuict de Noël et qui
prometoit
la
paix aux homme qui
envers
1 'hérésie
seroient
de
bonne volonté". (2)
Cette transformation comique de la prière de Noël vidait l'acte
de la conversion de toute la sainteté qui pouvait le légitimer.
Le miracle dont
vou laient
l'entourer
les part isans du Roi n'a
pas
eu
lieu.
Tout
au
contraire,
ce
sont
des
raisons
bien
politiques qui
justifient
cette
conversion.
Le Roi de Navarre
avait
peur de
l'élection d'un roi par les Etats de Paris dont
l'auteur regrette ici l'échec.
Il craignait aussi que le Duc de
Guise devienne Roi en épousant l'Infante d'Espagne. (3)
Et
tout
( 1)
/1 s'agit de l'Archevêque de Bourges qui avait officiê lors de la messe de la conversion d'Henri de
Navarre.
( 2)
Le Banquet pp 125-126 - A Noël on dit plutôt "Paix aux hommes de bonne volonté".
(3)
ibid
pp 128-131

223
semble
cohérent
selon
l'idée
du
pamphlétaire
qui
explique
autrement le cheminement de la conversion
"voilà
comme i l se métamorphosa soudain d'impie en religieux,
d'Hérétique en catholique et de Huguenot en Hipocrite".(l)
En prêtre,
l'Abbé indique les différentes
sortes de conversion.
D'abord
celle
par
l'instruction,
la
dispute
et
par
la
prédication,
moyens
par
lesquels
la
raison éclairée peut alors
entrevoir
la
vérité
divine
et
rejeter
l'erreur
de
l'hérésie.
Mais
le
Roi
de
Navarre
n'a
pas
suivi
ce
chemin
spirituel. (2)
Ensuite
la
conversion
par
voie
divine
et
miraculeuse
qui
se
manifeste par la parole vive de Dieu et par les rêves. (3)
Cependant
rien
de
cela
n'est
arrivé
à
Henri
de
Navarre.
De
l'avis du pamphlétaire Dieu ne
convertit
jamais les hérétiques
par
cet te
dernière
voie.
En
défini t i ve,
au
regard
des
moyens
humains
et divins,
Henri de Navarre,
comme d'ailleurs tous les
hérétiques,
"en croyant ne croient pas". (4)
( 1) Le Banquet. p 132
(2)
ibid.
pp 133-134. La tradition patristique en donne quelques exemples que l'auteur rapporte
Ambroise Valentinian converli par Origène, Saint Augustin manichéen par Saint-Ambroise.
(3)
ibid.
pp 138-141
Saint Mathieu et Saint Paul furent convertis de cette façon rappelle l'auteur.
(4)
ibid
P 146. La ph~ase est en réalité de Tertullien. Elle était déjà reprise dans l'Adyertjssement. l&
plaidoyé. Elle est tirée de l'Apologéticum. sur l'influence de Tertullien sur Dorléans, voir
~
1ère partie
ch 2

224
Il
faut
alors
chercher,
aux
yeux
de
l'Abbé,
d'autres
expl ica tions
et
i l
pose
que
si
le
Roi
de
Navarre
s'est
converti
par
agrément
à
la
demande
des
siens
alors
la
conversion,
faite
avec
"une volonté contre sa
volonté" (1),
ne
mérite pas les grâces de Dieu. Ceux qui l'ont d'ailleurs poussé
vers la messe étaient fatigués des rigueurs de la guerre et de
la cruauté des Ministres. C'est pourquoi,
"il se résould tout à
coup d' aller à la Messe et combat tre la Messe par la messe". (2)
Les autres convives apportent à
leur tour des
facéties qui se
racontaient
autour
de
cette
cérémonie
de
conversion.
Du
remplacement de la formule
"mea culpa, mea gravissima culpa" par
les
menaces
"si
je
les
atrape
je
ne
leur
failliray
pas"
attribuées à Henri de Navarre,
à
la présence de sa concubine,
tous les propos rapportés faisaient de la messe une parodie du
genre.
(1)
Le Banauetp 149
(2)
ibid.p152

225
Les
véritables
régles
de
la
conversion
ne
sont
donc
pas
respectées.
Henri de Navarre n'a pas fait
de pénitence.
Il n'a
pas, non plus eu de regret. Mais "feintement converti" Henri de
Navarre ne pouvait suivre les canons de l'Eglise en la matiére.
L'auteur critique pour cela l'archevêque de Bourges qui est ici
traité de "Pape de la Sodome de Genève". (1)
Dorléans
en
vient,
ensuite,
aux
conséquences
liées
à
l'excommunication
du
Roi
de
Navarre
i l
réfute
l'idée
des
partisans
du
Roi
selon
laquelle
l'archevêque
de Bourges
a
le
pouvoir de
l'absoudre
au
même titre
que
le
Pape.
Pendant que
l'Abbé
parlait,
une
troupe
de
rossignols
s'approchait
de
la
fontaine
et
égayait
l'auditoire
de
belles
chansons. (2)
La
logique du récit insinue subtilement que les propos tenus sont
irréfutables
par
leur
cohérence
avec
le
réel.
Le
chant
harmonieux
de
la
Belle
Cariclée
comme
celui
délicieux
des
rossignols sont

pour en
attester l'harmonie et
sont comme
( 1) Le Banquet p 179
(2)
ibid P 184-185 et page 220

226
l'écho des positions véridiques du pamphlétaire.
La conversion
du Roi de Navarre est donc,
de l'avis général,
un fameux
"coup
d' ét a t " . (1)
A la suite d'une autre hypothèse,
l'Abbé affirme que le Roi de
Navarre
n'a
pas
changé
se s
moeurs
de
pécheur
même
après
la
conversion.
Alléguant
Saint-Augustin
qui
pensait
que
la
foi
était
le
balai
de
la
conscience,
i l
souligne
que
le
Roi
de
Navarre
vit
toujours
dans
le
vice
de
l'adultère
et
de
la
concupiscence. Tout l'auditoire déplore avec lui que la France,
pays de la piété,
ait accepté un tel Prince. (2)
Aux yeux de l'auditoire le roi n'a pas chassé le prêche hors de
France.
L'Abbé l'accuse d'aimer à la fois Dieu et son ennemi. (3)
Lié au précédent le huitième postulat constate que les Ministres
continuent toujours d'officier dans le Royaume et dans la cour
du Roi.
La maison des Rois de France jadis "une vigne en fleurs"
( 1) Le Banquet p 224
( 2)
ibid, pp
228·238
( 3) lQkLpp 242

227
est
aujourd' hui
un
"cloaque
publique". (1)
C'est
pourquoi,
explique
l'auteur,
Ronsard s'était
plaint
à
juste raison,
que
les Rois n'aient pas fait la guerre à Genève. Dorléans fait ici
une
longue
citation
des
Discours

le
polémiste
Ronsard
comparait
les Rois de France à des
jardiniers négligeants qui
ont laissé se multiplier les chenilles qui maintenant détruisent
les plantes. (21
Les
Ministres
ne
se
sont
point
préoccupés
de
l'abjuration du
calvin:s",e par le Roi de Navarre car,
selon l'Abbé",
ils
savent
qu'elle
est
feinte.
Les
avertissements
des
Anglais
sont
ici
rappelés comme étant en train de se réaliser.
La démonstration
de
l'Abbé
est
interrompue
par
deux
petits
oiseaux
venus
se
cacher dans le giron de la comtesse pour se protéger du vautour
qui les poursuivait.
Pour l'auditoire ce sont les messagers de
Dieu.
L'Evêque souligne la nature prophétique des
oiseaux
qui
( 1) Le Banquet pp 245-246
(2)
Ronsard. "Continuation du Discours des misères de ce temps" 1562 vers 351 à 368. cités à la page
251 du Banquet. La métaphore du champ attaqué par les chenilles était déjà dans l'Advertissement
de 1586 - sur l'influence de ronsard, voir supra, 1ère partie

228
présagent
toujours
le
bonheur. (1)
Le
sous-entendu
nous
paraît
très clair,
le sens symbolique du passage,
de même.
La Ligue et
l'Eglise,
les deux oisillons,
chassées par le Roi de Navarre, le
vautour,
viennent se réfugier auprès de la Noblesse catholique.
C'est le présage de Dieu qui montre aux ligueurs leur victoire
future.
Pourtant,
à bien y réfléchir on
se rend compte que ce
n'est
pas
une
victoire
mais
une
défaite
dont
on
cherche
à
limiter les dégâts.
Il appert ainsi clairement que le Parti de
cet illustre auditoire est un camp vaincu et traqué mais qui se
console par
l'espoir
et
l ' espr i t
de
coterie.
Le
sentiment
de
dépit
qui
pointe
souvent
dans
les
répliques
en
constitue une
autre preuve. (2)
Cependant,
les attaques contre la messe se poursuivent et l'Abbé
soutient
que
des
lettres
ont
été
surprises
dans
lesquelles
le
Roi de Navarre assurait ses anciens alliés Anglais et Allemands
que
sa
conversion
était
nécessaire
au
développement
du
Calvinisme. (3)
( 1) Le Banouet.. pp 259·260
(2)
ibid. P P 261-262
(3)
ibid.,'p 263

229
La onzième accusation montre qU'Henri
de Navarre n'a pas
fait
d'effort
pour
rétablir
la
Religion
catholique
en
Béarn. (1)
Au
contraire,
i l
a
demandé
qu'on
lui
envoie
de
Genève
des
séminaristes
cette
conjecture
est
aussi
confirmée
par
le
courrier
du
Roi.
La
conversion
est
ainsi
présentée
comme
une
terr ible
machination
montée
depuis
l ' ét ranger.
L'Abbé
nous
apprend en effet que le Roi de Navarre a reçu l'autorisation de
dissimuler pour rendre toute la France hérétique
résolutions
d'un
conseil
secret
tenu à
Genève et
surprises
par
le Duc de
Guise en 1587 le prouvent bien selon l'auteur. (2)
En même temps
que le reste des convives l'Abbé se met à déplorer la corruption
de
ce
siècle
qui
n'est
pas
capable
de
distinguer
une
telle
dissimulation.
Le dernier point du débat accuse le Roi de Navarre d'avoir déjà
placé les huguenots aux offices importants de la couronne et des
Provinces. (3)
Le
discours
de
l'Abbé
s'achève
comme
une
chasse
heureuse
"Maintenant
que
tant
de
conjectures
comme de bons
chiens ont mis bas ceste dissimulation,
il
est raisonnable que
( 1) Le Banquet p 269
( 2)
ib.kL P 283
(3)
ibid.
P 296

230
je la vous monstre morte,
abatue,
pleine de hideur et d'effroy,
et que sonnant haut et clair la curée,
j'en face un spectacle à
tous les veneurs catholiques ... ". (11
Pour conclure son texte,
l'auteur permet aux autres membres de
l'auditoire
d'ajouter
aux propos
de
l'Abbé
des
accusations de
leur propre cru.
L'Evêque regrette la folie des Français qui ont
rejoint
le Roi converti.
De
son point
de vue,
ils
confirmaient
Henri de Navarre dans son hypocrisie,
rompaient le serment fait
envers
la Ligue et manifestaient ainsi
leur mépris de Mayenne,
chef
légitime du
Royaume. (21
Pour la Dame de Fronize si
le Roi
.
est
nuisible,
à
la
religion
c'est
qu'il
est
inutile
à
la
monarchie. (3)
Le comte
d' Aréte
déplore
la
déloyauté des Nobles
qui ont trahi les vertus de leur classe pour aller vivre au sein
des plaisirs et du péché. Bien placé pour les
juger,
le Comte ne
croit
plus
au
pouvoir
de
la
Noblesse
de
chasser
le
Roi
de
Navarre. (4)
Ensuite on
chante le courage
des ligueurs qui ont
(1)
Le Banguet
p 300·301 , voir i!lllii., 3ème parfie, chap III pour l'analyse de l'image de la mise à
mort de l'adversaire.
(2)
ibid
P 309 - A défaut d'un Roi couronné la Ligue considérait Mayenne comme Lieutenant du
Royaume, donc régent de la couronne,
(3)
ibid
P 313 - Idées déjà développées dans le Second
Advertissement, 1590, voir ~, ~
partie chap 2
(4)
ibid. pp 314-322-324.

231
tout
sacrifié
pour
la
défense
de
l'Eglise.
En
saluant
leur
courage
l'auteur
leur
rappelle
aussi
que
le
combat
est
loin
d'avoir pris fin
"Vi ve la
guerre
si
la
guerre nous conserve nostre Religion,
périsse la paix si elle nous faict perdre nostre Religion". (1)
Ce
slogan
assez
paradoxal
dans
cette
période
de
trève
veut
séduire
les
ligueurs
hésitants
et
leur
donner
la
force
d'âme
nécessaire
pour
cont inuer
la
lutte
en
faveur
d'une
cause
que
l'on
sait
désormais
perdue.
La
lenteur
et
l'insuffisance
de
l'aide
espagnole
sont
considérées
comme
regrettables. (2)
Arrivé
ici le pamphlétaire réaffirme qu'il est espagnol de religion et
non de Nation.
La position de
l'auteur sur la question a un peu
évolué.
En effet,
Dorléans
croyait
auparavant
à
la
possibilité
d'une
nation
chrétienne
qui
transcenderait
les
frontières
des
différents
Etats. (3)
( 1 )
Le Banquet
P 330
( 2 )
Le Banquet
P 333
(3 )
Voir ~ 2ème partie chapl. Il et infra, 3ème partie chao 1

232
L'auteur
insiste
par
ailleurs
sur
le
mythe
de
la
royauté
en
affirmant
que
la
France
a
accueilli
Henri
de
Navarre
parce
qu'elle ne peut pas vivre même un
instant,
sans roi.
Le pouvoir
de
ce
mythe
devait
être
fort
sur
le
peuple
et
i l expliquerait
l'engouement manifesté pour Henri de Navarre dès l'annonce de sa
conversion.
Dorléans
souligne
ainsi un point de
la psychologie
du
peuple
Français
qui
nous
parait
tout
à
fait
juste
à
l'époque. (1)
Pourtant,
pour
les
raisons
de
la
propagande
i l
n'excuse
pas
la
population,
au
contraire,
i l
dénonce
son
impatience et regrette
l'échec des Etats de Paris. (2)
La chanson de la Belle Cariclée qui clôt la conv!'xsdll~n est en fait
un aveu de désespoir et de résignation qui demande néanmoins aux
Seize,
ou
à
ce qui
en
reste,
de
persévérer dans
la défense de
l'Eglise. Et en même temps,
il les prie de placer désormais tout
leur espoir en Dieu qui vengera les siens.
( 1) Voir Georges Weill, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion,
Paris, Hachette 189 1.
(2 )
Le Banquet ...•
pp 342-343

233
Ce pamphlet marque bien un tournant dans l'écriture polémique de
Dorléans.
Les personnages et le cadre des débats ont changé. A
la parole peut-être
jugée tendancieuse de publicistes zélés ou
d'Anglais
intéressés
l'auteur
a
préféré
l'enseignement
plus
remarquable et plus autorisé d'un Abbé qui est censé se situer
beaucoup plus en-dehors des querelles politiques. A l'invective
et à
la déclamation
il a
aussi préféré l'exposé didactique de
ton serein et savant,
donnant l'air d'une maîtrise parfaite du
sujet,
donc plus susceptible d'être tenu pour vrai.
Enfin,
aux
scènes
d'horreur
et
de
ruines!l)
s'est
substitué
le
cadre
enchanteur d'une
nature
riante
et
les
prières,
les
voeux ont
remplacé
les
menaces
dans
les
conclusions.
Cet
apaisement
de
l'ardeur
polémique
reflétait,
comme
un
miroir
fidèle,
une
acalmie dans
la propagande à
Paris. (2)
En cette année 1594,
14
pamphlets seulement sortirent des presses de l'Union.(3) Et cela
montrait la défaite du Parti de Dorléans.
La prière de Cariclée
était
donc
un
voeu
de
survie
pour
une
organisation
que
l'actualité avait déjà condamnée.
( 1) Voir sunout le Premier et Second Advertissements de 1590, Jill.Jlli!, f!L2. (II )
(2)
Voir supra 3ème pa nie chapt. III
(3)
Voir D. Pallier, ~, p 57

234
Le Banquet
connut
un
succès
relatif.
Il
circulait
sous
le
manteau
à
la
fin
de
1593
en
manuscrit,
si
l'on
en
croit
L'Estoile qui le traite d'ailleurs de "livre rempli de sornettes
et de médisances". (1)
Il est rèédi té la même année sans la liste
d'errata
de
la
fin
corrigeant
des
dates
et
des
faits
bien
postérieurs
au Banquet,
comme la prise de Meaux en décembre.
Cependant,
les noms de ceux qui étaient attaqués par les vers
insèrés dans le texte figuraient sur la marge.
Il est réédité
aussi à Arras en 1594,
avec le nom de Dorléans. (2)
Quant au genre du Banquet,
Dorléans
connaissait très bien le
texte de Platon, D'abord des références textuelles rappellent de
près ou de loin les personnages du Banquet de Platon. Les deux
principaux acteurs du Banquet sont nommés par le français
:
"Il
[aut
[aire
comme
Socrates
qui
allant
voir le bel Agathon se
[aisoit beau pour aller voir un beau". (3) L'Abbé
d'Epistème est
( 1)
L'Estoile, Journal d'Henri IV... pp 345-346
(2)
Voir BN. Lb 35 608 B
(3)
L. Dorléans. Le Banouet .... p 161

235
aussi comparé au sage grec par le Comte
"je voy bien,
dit le Comte,
que rien de luy couste, pour veu que
dans les
forests Académiques,
il recherhe la vérité". (1)
Cette
image
d'un
Socrate
chrétien
affirmant
la
vérité
de
la
mission
de
l'Eglise
comblait,
par
ailleurs,
l'espace
contradictoire qui séparait la vertu,
la sagesse du Grec et sa
religion
paienne,
contradiction
qui
avait
naguère
intrigué
Montaigne. (2)
Alcibiade,
un autre invité du Banquet de Platon est aussi cité
dans le texte. (3)
Ensuite,
par sa composition le texte de Dorléans rappelle celui
de
Platon.
Le
luth de
la Belle Cariclée évoque
la
joueuse de
flûte
chez Platon. (4)
Les
bouquets de
fleurs
que
distribue
la
Comtesse à
la fin du repas avec l'accompagnement de la musique
de
sa
fille
perpétuaient
la
tradition
du
banquet
grec.
L'annonce,
à la fin du festin,
d'autres visiteurs est
aussi
un
( 1) L. Dorléans, Le Banquet ... , p 267
(2)
Voir Montaigne, Les Essais, (II, 12)
(3)
L. Dorléans, Le Banquet ... , p 303
( 4)
Platon,
Le Banquet
tra. de E. Chambry, Paris, Garnier, Flammarion, 1964, p 74

236
indice
significatif
le
Baron
de
Béléze
chez
Dorléans,
un
groupe
de
buveurs
chez
Platon. (1)
L'Abbé
d' Epistème occupe la
place
qu'avait
jadis
Socrate
dans
le
Banquet
de
Platon.
Pourtant,
l'objet et la nature des propos sont forts différents
pour les deux Banquets. Chez Platon c'était le bel Agathon qui
fêtait une victoire alors que chez Dorléans la Ligue faisait le
bilan de ses pertes. Le débat chez le Grec portait sur l'amour
alors qu'il porte sur l'inimitié chez le Français.
Le banquet
de Dorléans, par ses contradictions internes, est cependant plus
symbolique que celui de Platon. (2)
Les
quatrains
de
préface
Placés à l'entrée du "Banquet"
les trois quatrains définissent
les qualités des convives et celles du menu. Le premier confère,
dès
le début,
une
fonction didactique à
ce repas:
il s'agit
pour l'auteur d'y
étudier l'Eglise. La
nourriture servie
est
( 1) Platon,
Le Banquet .... p 85
(2)
Voir infra 3ème partie chapt. III

237
donc essentiellement spirituelle car qui ne s'intéresse pas à la
Religion
n'y
ferait
qu'un
"piteux
repas".
(1)
Le
deuxième
quatrain,
avec
des
termes
culinaires
en
donne
la
raison.
Le
repas des catholiques fait monter la moutarde au nez des ennemis
de l'Eglise. (2 )
Quant au troisième i l définit,
peut-on dire,
le
prix du menu dont on a déjà une idée. En effet,
la foi reste le
seul écot qu'il faut donner pour avoir droit au banquet. On peut
noter aussi
qu'ils
sont d'une qualité
littéraire
inférieure à
celle des
autres poèmes
de Dorléans.
Enfin,
leur ton plaisant
annonçait l'atmosphère détendue du Banquet.
Le
sonnet
de
postface
Il est entièrement adressé aux Politiques. C'est une réponse de
la Ligue à ceux qui tenaient
que la défaite avait
sonné pour
elle. Les Politiques,
comparés ici à des monstres,
sont accusés
d'avoir vendu
le pays
au
Roi
de Navarre.
Les
lieux de rudes
batailles entre
l'armée des
Seize et le
Roi de Navarre,
sont
( 1) V. 4
( 2)
V. 5-8

238
pour le polémiste
un
théâtre
de
cruauté. (1)
La
réprobation des
Politiques,
loin d'avoir émoussé le
courage des
Ligueurs,
l'a,
tout
au
contraire,
raffermi.
Se
nourrissant
de
leur
piété
catholique
l'auteur
et
son
parti
deviennent
alors
plus
déterminés à
se défendre. (21
L'attitude des
Politiques est pour
l'auteur ondoyante et changeante.
Les
images du premier tercet
sont trés suggestives
: "vrays cachets à
tous vents,
girouettes
legères". (3)
Pour
clore
sa
diatribe
le
poète
leur promet
une
vengeance implacable et exemplaire de Dieu,
tout en les assurant
de la pérennité du courage catholique. (4)
Ce sonnet injurieux au
~on enflammé
jure un peu avec l'allure générale d'un
"Banquet"
qui
a
fini
par
de
la
musique
et
des
fleurs
gracieusement
offertes aux convives. Cette dissonance nous semble le signe de
la contradiction entre l'univers du Banquet et la réalité d'une
époque meurtrie par la guerre,
entre la gaîté affichée par les
participants et leurs inquiétudes réelles,
entre l'intimité de
la table et l'inimitié des propos.
( 1) Sonnet. V. '-4 . Vitry est par exemple cité
( 2)
ibid .• V. 5-8
(3)
ibid .• V. 11 - "cochet était le diminutif de coq.
(4)
ibid., V. 12-14

239
Produits
d'un
contexte
de
débat
historiquement
limité,
les
pamphlets
de
Dorléans
n'en
constituent
pas
moins
une
oeuvre
riche
et
bien
structurée
au
plan
thématique.
Les
questions
abordées par notre auteur sont certes celles qui alimentaient, à
l'époque,
la
controverse
passionnément
soutenue
par
les
publicistes
de
la
Ligue
contre
leurs
adversaires
mais
la
continuité et la cohérence de l'argumentation permettent ici de
détermminer clairement une idéologie pamphlétaire assez complexe
à
cause des procédés polémiques mis en oeuvre. (11
La variété des
techniques d'écriture nous semble un critère de différenciation
des
publicistes
ligueurs.
Cette
stratégie
polémique,
parce
qu'elle
demande
un
véritable
travail
rhétorique,
peut
seule
faire d'un soldat de
la plume un écrivain accompli.
Avant même
d'avoir
entrepris
de manière plus
approfondie
l'analyse de
la
technique
du
pamphlet (2),
nous
pouvons
souligner
que
les
préoccupations esthétiques,
contrairement
à
Ce
que
l'on croit
souvent,
sont
bien
présentes
dans
l'écriture
de
ceS
textes
polémiques.
Leurs
destinataires
ne
s'intéressaient
pas
uniquement à l'idéologie,
ils savaient bien apprécier la manière
dont on leur présentait les idées politiques.
( 1) Voir inllii, 3ème partie; chap 1
( 2)
Ce sera l'ojet de notre 3ème partie

240
CHAPITRE III
L'OEUVRE ROYALISTE
1-
LE REMERCIEMENT AU ROY, 1604
Mis en prison à son retour d'exil,
Dorléans fut
libéré quelques
mois
après
à
la
suite
d'une
intervention
personnelle
du
roi
Henr i
IV. (1)
Agréablement
surpris
par
la
généras i té
de
celui
qu'il avait naguère combattu et insulté,
i l s'était brusquement
senti redevable à son ancien ennemi. Ce sentiment était d'autant
plus
justifié
à
ses
yeux que la majorité
de la cour
du
Roi
( 1) Voir~, 1ère Qillllg, chaR 3

241
n'approuvait
pas
cet
acte
de
clémence
fait
par
Henri
IV. (1)
Ayant
ainsi
recouvré
sa
liberté
et
espérant
peut-être
une
réhabilitation
professionnelle,
Dorléans
reprit
sa
plume
de
combattant mais,
cette fois,
au profit d'un tout autre idéal. A
la faveur de la mode des panégyriques qu'avait suscitée le début
du règne
d' Henri
IV,
il
rédigea
un Remerciement
au
Roy pour
chanter les vertus de son ancien adversaire politique. Le texte
parut en novembre 1604 mais
le privilège est d'octobre de la
même
année.
Au-delà
des
éloges
du
roi
Henri
IV,
le
Remerciement . .. apparalt comme une
réaffirmation solennelle de
la monarchie du droit divin.
L'appréciation
des
qualités
d'Henri
IV
est
précédée
d'une
analyse des vertus fondatrices de la monarchie française et de
la royauté en général. D'abord,
le roi est enfant de Dieu; tout
( 1) Voir L'Estoile, Journal pour le règne d'Henri IV, - L'entourage du Roi considérait la grâce faite à
Dorléans comme trop gratuite pour un homme tenu pour Irès coupable.

242
au
moins
i l
est
à
la
fois
l'image
et
l'ombre
de
ce
dernier.
Cette opinion
explique,
aux
yeux de
Dorléans
les
excellentes
vertus
des
rois. (1)
Etant
l'image
de
Dieu,
le
roi
représente
celui-ci
sur terre
i l a
sa
splendeur et
sa
science. (2)
Très
proche
de
la Divinité il
est
son
lieutenant
ici-bas
: mortel,
certes,
i l tire de cette parenté le pouvoir d'édicter des lois
immortelles, (3)
Ce
statut
divin
oblige
aussi
le
roi
à
être
l'ennemi des vices et
l'ami de l'équité.
Dorléans souligne par
ailleurs,
la nécessité pour le monarque d'être un guerrier pour
protéger son royame. (4)
Après le rappel de ces principes généraux,
l'auteur en vient à
la
monarchie
française
et
à
"Henri
le
Grand".
Celui-ci
est
d'abord
comparé
à
Hercule
Dorléans
l'assure,
en
l'apostrophant,
qu'à la base de sa statue on devrait bien écrire
"Henri
IV dompteur des montres". (5)
Comparant
le Roi à David,
l'auteur regrette la faiblesse de sa voix et de
sa plume
pour
( 1) Dorléans. Remerciement.... f. 2
(2)
ibid ", f. 4
(3) l!lliL. .., f. 13
( 4)
ibid .... f. 7
(5)
ibid f. 6 • L'image élait fréquenle d'un Hercule, guerrier invincible luant les monstres ennemis du
genre humain. Hercule c'était aussi l'homme éloquent. "Hercule gaulois". capable de séduire son
auditoire pour l'amener à agir à sa guise. Voir M. R. Jung, Hercule dans la littérature francaise au
XVIe siècle . Genève, Droz, 1966, P 73·93.

243
chanter la majesté et les grâces du souverain. Ce discours qu'il
fait,
déclare-t-il au lecteur, n'est point une adulation mais i l
sent,
bien au contraire,
"le
sel
d'une pure
affection". (1)
Du
point de vue de Dorléans,
Henri IV prend de Dieu deux qualités
exceptionnelles:
la puissance et la douceur.
Les ennemis du Roi
ont expérimenté la première,
alors que pour la seconde l'auteur
se
dit
un
témoin
digne
de
foi,
lui,
à
qui
le
Roi
a
si
généreusement
pardonné. (2)
Cette
derniére
vertu,
chantée
par
tous
les
sujets
anciennement
hostiles
au
Roi,
est
admirable.
Henri IV, par ses qualités personnelles devient ainsi le Roi des
rois,
l' "Auguste de nostre Rome". (3) Dorléans le compare à tous
les grands rois de l' Ant iquité. (4)
Pour accentuer le mérite particulier du Roi,
Dorléans souligne
d'abord les grandeurs de
la France et
les vertus de la maison
des
Bourbons à
laquelle appartient Henri
IV.
La France est le
pays berceau de
tous les grands
Princes de la Terre.
Elle
a
( 1) Dorléans. Remerciement.... f. 11
(2)
ibid. f. 11
(3)
iQilL..f.14
( 4) iQiQ., f. 14 - Agamemnon, Auguste. aux rois de la Bible
David. Moïse.

214
founi
les
rois
les plus illustres par leur courage,
leur vertu
et leur foi. Il)
Le Roi Henri IV a eu les meilleurs t i t r e s ; être
Prince de France est déjà
"une mer de grandeurs". (2) Ensuite i l
est
issu
du
sang
de
Saint-Louis
et
surtout
de
la
maison
de
Bourbon,
la meilleure qui fût en France. (3)
La race des Bourbons
a,
selon
l'auteur,
trois
qualités
admirables
la
vertu,
la
générosité
et
la
fécondité.
Maison
très
pieuse
et
très
chrétienne,
elle est riche de
femmes
qui,
depuis près de mille
ans,
peuplent de leur progéniture les Royaumes chrétiens. Quant
aux mâles,
ils sont nés pour défendre
la foi et l'Eglise. (4) La
maison des Bourbons devient ainsi une "vigne d'or"IS) que Dieu a
généreusement
offerte
à
la
France.
C'est
pourquoi,
soutient
Dorléans,
les
Français
ont
toujours
appelé,
par
des
élans
inexplicables,
les Princes Bourbons à la monarchie.
De cette race glorieuse, Henri IV est le fleuron.
La couronne de
France le désirait pour des raisons
secrètes à
l'époque
mais
( 1)
Dorléans, Remerciement .. ,
f. 19-20-21
( 2)
ibid. f. 16
( 3)
Dorléans, Remerciement..., f. 21
(4)
ibid., 1. 22-23 - Dorléans dit depuis 959 ans. On a vite remarqué que les pamphlets ont soutenu
exactement \\e contraire: vOir
.i.o.f.r..2.. chap 1 3è partie, "la polémique avec soi-même".
( 5) i!lliL f. 22

245
étalées
maintenant
au
grand
jour.
Dor léans
semble
accepter
l'existence
d'une
heureuse
fatalité
qui
a
conduit Henri
IV au
pouvoir
nonobstant
la
farouche
opposition
qu'il
avait
rencontrée.
Il
le
dira
plus
loin
de
manière
plus
claire.
Les
mérites du Roi sont innombrables.
Il est né de roi et de reine,
ce
qui
l ' a
hissé
au
sommet
de
la
royauté. (1)
Il
a
obtenu deux
couronnes
majestueuses,
ce
que
Dorléans
prend
pour
un
mérite
double car ces sceptres lui sont attribués par Dieu. La couronne
de
France
et
celle
de
Navarre
ont
connu
d'ailleurs
la
plus
grande
prospérité
depuis
leur
union. (2)
La
France
est
devenue
aussi un royaume élu par la grâce de Dieu depuis
l'avènement du
Roi Henri IV :
"elle a le ciel serain et tempéré,
elle a le sol
foecond,
le bled,
le vin,
les toilles,
les laines,
les eaux, les
bois,
le
bestail
en
très-grande
facilité,
et
très-facile
fécondité
et
très-féconde
félicité". (3)
C'est
parce
que
la
Religion y a prospéré,
la
justice et les lois du Royaume y ont
été aussi respectées.
La France est aussi le pays des
"lettrés
( 1) Dorléans. Remerciement.... f. 27
(2)
ibid.
f. 32
(3)
ibid, f. 32

246
célèbres et des artisans ingénieux". (1)
Dorléans reconnaît que
le
mérite
àu
Roi
est
à' autant
plus
louable
que
les
troubles
passés avaient tué tout espoir àe renaissance àe la prospérité
et
àe
la
gloire
traàitionnelles
àe
France.
Les
sujets
sont
reàevables à Henri IV à'avoir ramené la concoràe et la confiance
entre eux.
Toutes
les àifficultés que le Roi
a
rencontrées et
toutes
les
misères
enàurées
par
le
peuple
ont
été
ainsi
salutaires pour le Royaume car elles ont conàuit à un règne àe
prospérité,
àe bonheur et àe concoràe. (2) Au vu àes résistances
àe
naguère
l'avènement
à'Henri
IV
semble
relever,
selon
Dorléans,
àe la volonté àe àieu qui,
voyant par sa prescience le
bonheur
futur,
l'a
établi
contre
la
volonté
aveugle
àes
Français. (3)
Le refus à'hier s'est maintenant transformé en un
appel solennel
"et peut -on dire que vous avez esté les voeux,
le
désir
et
le
souhait
universel
de
tout
le
Roiaume
de
France". (4)
( 1) Dorléans, Remerciement..., f. 34
(2)
jbid.,f.37
( 3)
ibid. f. 39
(4)
ibid., f. 40

247
Poursuivant le bilan qu'il fait du règne d'Henri IV,
l'auteur en
arrive à
son propre passé.
Il admet alors avoir été hostile au
Roi
mais
c'était
par
fidélité
à
un
parti à
l'idéal duquel
i l
croyait. (1)
Les effets positifs produits de façon paradoxale par
les troubles du Royaume,
Dorléans les a
individuellement sentis
de manière intense. Pour avoir été vaincu par le Roi,
il a eu un
destin
admirable
"mon
deshonneur
a
esté
mon
honneur,
mon
malheur a esté mon bonheur, ma honte a esté ma gloire, ma perte,
mon gain,
et ma desroute le laurier de ma victoire et la palme
immortelle de ma bataille". (2) Et Dorléans se montre abattu avec
sa plume sous les pieds de cet illustre roi dont la magnanimité
a terrassé et transformé tous ses anciens ennemis. (3)
"Henri le Grand"
joint à ses vertus de coeur et de naissance les
qualités d'un grand chef d'Etat et d'Armée.
Il a fait cesser la
guerre dans le Royaume au sein duquel il a
instauré l'amour et
la force,
garants de l'ordre et de l'équité. 14l
Il a aussi nommé
( 1) Dorléans. Remerciement.... 1.41
(2)
ibid .. f. 44
( 3) i!llQ..., f. 45-46
(4)
ibid. 1. 47-48

248
de
sages
administrateurs
et
mis
fin
aux
abus
du
temps
des
guerres
civiles.
Comme
stratège,
il
a
reconquis
les
villes
anciennement
perdues,
et
suscité
la
crainte
des
pays
traditionnellement
ennemis
de
la France. (1)
Henri IV est ainsi
un
Prince
courageux
et
d'une
clairvoyance
politique
jamais
égalée.
Dorléans
fait
d'ailleurs
un
jeu de
rimes
internes
sur
ses attributs
·on vous donnait
~ bon droict les tiltres de
très-vaillant,
très-véillant et travaillant,
qui sont les trois
vertus
ou
plutost
les
trois
couronnes
immortelles· (2)
mystique du roi chevalier et sage qui était naguère refusée avec
force. (3)
La dernière partie du Remerciement
porte essentiellement sur
la clémence du Roi Henri
IV qui
a pardonné à
tous ses sujets
rebelles.
Dorléans
insiste
d'abord
sur
les
bienfaits
généralement
attribués
à
la
clémence.
Celle-ci
engendre
le
plaisir et l'estime; elle sert aussi de
tempérance à la
force
( 1)
Dorléans, Remerciement..., 1.49
(2)
ibid
f. 49
(3) Voir ~ 2è partie chao 2 . nous y reviendrons plus loin.

249
pour qu'elle ne devienne pas cruelle. (1) Cette clémence est bien
une
vert u
chrét ienne.
Elle
s'impose
d'ailleurs
envers
les
citoyens car leur punition peut quelquefois être ressentie comme
une
cruauté. (2)
En
même
temps
Dorléans
insiste
sur
le
devoir
qu'ont
les
sujets de
rechercher la paix et
la tranquillité de
leur Etat.
Dans ce domaine Dorléans
rappelle que le Roi avait
toujours demandé à
sa
cour de
ne pas profiter de la victoire
pour devenir cruelle envers le parti vaincu
;
il cite plusieurs
exemples bibliques et antiques illustrant
les vertus du pardon
royal pour l'unité et pour la paix des sociétés. (3)
Considérant son propre cas,
l'auteur souligne deux gestes du Roi
en
sa
faveur
qui
montrent
bien
cette
clémence.
Henri
IV l'a
ramené d'exil et i l l'a mis hors de prison. Le premier acte lui
donne
l'occasion de
revenir sur son départ pour un exil qu'il
qualifie, pour la circonstance, de volontaire.
Il rappelle alors
au Roi toutes les misères qu'il y a connues,
les malheurs de sa
( 1) Dorléans, Remerciement..., f. 52-54
(2)
Les idées de Dorléans sont ici très proches de celles d'un pamphlétaire huguenot qui faisait la
différence entre une victoire sur des ennomis étrangers et une autre sur les citoyens; ce qui est
droit de guerre là lu] semblait cruauté pour le deuxième cas, voir RespQose au crue! et pernicieux

cooseil de Pierre Charpentier
chjquao8u[
tendant à fin d'empescher la paix et nous laisser la
~, par Pierre Fabre, may 1575, p96, SN Lb 34 99.
(3)
Doriéans, Remerciement.., f. 60-62

250
famille
restée en France et
comment
i l s'est essayé à
adoucir
les difficultés par les Muses.!l) La présentation de cet épisode
de sa vie a été amplement exagérée, moyen bien subtil de rendre
encore
plus
louable
le pardon
royal.
Les
lettres qui
lui ont
permis
de
revenir
sont
aussi
considérées
par
le
Remerciement . . .
comme
un
geste
gratuit
et
généreux
du
Roi,
alors que nous savons qu'il les a demandées avec insistance. (2)
Dorléans réaffirme aussi son allégeance sans faille et désormais
indéfectible au Roi. (3)
Le deuxième geste du Roi a consisté à le libérer de sa détention
à
la Conciergerie. (4) Dorléans dresse ici un tableau très sévère
de
la réalité des prisons de
l'époque.
Il les considère comme
des lieux de deshumanisation dans lesquels l'individu se trouve
confronté à
tout ce qui peut provoquer sa déchéance. (5) On peut
certes sentir,
comme avec le rappel des rigueurs de l'exil,
une
certaine
pointe
d'emphase,
mais
la
situation
que
l'auteur
rapporte ici l'a marqué profondément.
( 1) Dorléans, Remerciement..., f. 66 à 81 . voir ~, 1è partie chap 2
( 2)
Voir o.!1ll@, 1è partie chap 2 el 3
(3)
Dorléans, Remerciement..., 1.77-80
( 4)
Voir B!.Qffi, 1è partie chap 2
( 5)
il2lL 1. 85

251
A la joie de la grâce royale,
Dorléans a ajouté celle de l'éloge
qu'Henri
IV a
fait
de lui publiquement. (1)
Cette bouche royale
qui
profère
un
si
positif
témoignage
acquiert
une
valeur
exceptionnelle aux yeux
de
l'auteur
elle
est
le
lieu de
la
vérité.
L'immortalité qu'il souhaite au Roi lui semble en être
la
récompense
appropriée. (2)
Dorléans achève son texte par des
voeux qui ont
tout
l'aspect
d'une
réserve
équivoque après
un
portrait si flatteur
"Bref que vous soiez un Prince digne de la couronne de France,
digne de la maison de Bourbon,
digne de tant de grands Rois vos
devanciers,
digne du sang de monseigneur Sainct-Louis . . . " (3)
Pourtant jusqU'ici Henri IV était la perle des Princes de France
et le meilleur des Bourbons. C'est peut-être parce que,
tirant à
sa
fin,
l'emphase
du
panégyrique
s'est
épuisée
et
a
cédé
la
place à
l'objectivité et à
la sincérité relatives de
l'auteur
d'llinstitution
du
Prince"(4)
En
effet,
la
conclusion
du
Remerciement
pourrait
bien
être
celle
d'une
bienveillante
remontrance.
(1)
Dorléans. Remerciement.... f. 88 - voir supra. 1ère partie chap 2
(2) lJ;ùQ.. f .91
(3)
ibid.
f. 91 - Dorléans fait par ailleurs l'éloge de la Reine et du dauphin.
(4)
Voir Robert Aulotle, 'Ronsard et l'Institution pour l'adolescence de charles IX", French Renaissance
sludies in honor of Isidore Silver, Valencia, Artes Graficas soler. 1974, P 21-38

252
L'évolution historique que la monarchie française a connue avec
l'avènement d'Henri IV transparaît ici dans les idées politiques
exprimées. (1)
Au-delà
du
registre
souvent
gr«ndiloquent
du
panégyrique,
nous «vons
remarqué une autre présentation de la
monarchie
française
chez Dorléans.
En-dehors
des
exigences
de
l'éloge qui réclament surtout l'exagération des qualités et le
silence
sur
les
vices
de
celui
dont
on
chante
les
vertus,
Dorléans
reconsidère
dans
le Rèmerciement
l'essentiel de ses
opinions Sur la Royauté.
Ce débat qu'il engage avec lui-même
nous
semble
relever
d'une
complexe
évolution
de
sa
pensée
politique; ce n'était pas une simple palinodie comme l'ont cru
certains
contemporains. (2)
Considéré
comme
une
oeuvre
d'adulation,
à
certains
égards
injustifiée,
le
Remerciement
fut
très vite
jeté aux
oubliettes,
en effet,
après
l'unique
réédition corrigée de 1605,
il fut éclipsé par les autres textes
de l'auteur.
( 1) Voir Jean Pierre Babelon. Henri IY. Paris, Fayard. 1982 - R Mousnier, La monarchie absolue en
Europe, Paris, P. U. F, 1982
( 2)
Voir i..o..fm. 2è partie chap 3 et supra
1ère partie chap 3 . Dorléans dira dans la Plante humaine
(1612) que ses ennemis se sont moqués de lui à cause de ces éloges excessifs. f. 31

253
11-
La Plante humaine sur le
trespas du Roy Henry le
Grand ...
1612
(1)
Henri
IV fut
assassiné
le
14
mai
1610
par Ravaillac dans
les
conditions que l'on sait.
Son fils Louis XIII était encore jeune
et la Reine Marie de Médicis devait assurer la régence.
La mort
du Roi et
les événements qui
l'avaient précédée ont prouvé que
la paix intérieure apportée naguère par l'Edit de Nantes
(1598)
était
bien
précaire. (2)
La
Régence
de
la
Reine
remit
alors
à
l'ordre
du
jour
certaines
questions
politiques
autrefois
soutenues
par
la
Ligue.
Entre
autres
la
loi
salique
fut
évoquée
pour
contester
l'autorité
de
la
Régente
que
certains
considéraient
par
ailleurs
comme
une
étrangère.
Ce
bouillonnement politique, qui n'avait pas épargné l'entourage du
Roi,
a suscité aussi des oeuvres politiques.
L'une d'elles avait
particulièrement
attaqué
le
principe
monarchique
la
( 1) Avec le sous-titre suivant : 'où il se traicte du rapport des hommes avec les plantes qui vivent et
meurent de mesme façon : Et où il se refute ce qu'a escril Turque! contre la Régence de la Royne et
le Parlement, en son livre de la Monarchie Aristo-démocratique". SN Lb 35 962 voir Jil!llli!, 1è
partie, chap 3
(2)
Voir J Garrison, l'Edit de Nantes et sa révocation' Histoire d'une intolérance Paris, Seuil, 1985.

254
Monarchie·
Aristo-démocratique...
de
Mayerne Turquet. (1)
Prenant
prétexte
de
l'anniversaire
de
la
mort
d'Henri
IV,
Dorléans reprit sa vieille plume de polémiste pour réfuter les
principales thèses de Turquet,
Ce débat n'occupe cependant que
la
fin
de
la Plante
humaine,
le
plus
volumineux
ouvrage
politique de Dorléans,
dont les trois quarts sont consacrés à la
consolation de la Reine à travers une méditation stoïcienne Sur
la mort.
Ces
réflexions
philosophico-politiques
s'appuient,
COmme l'indique le sous-titre,
sur un parallèle entre le destin
des plantes et celui des hommes. Nous intéresse essentiellement
dans
cette
oeuvre
la
partie
polémique
qui
lui
donne
son
caractère politique.
Dorléans
ouvre
ses
méditations
par
un
rappel
de
l'idée
platonicienne selon laquelle l'homme serait une plante noble.
Après avoir énuméré tous les fondements de cette comparaison il
en vient au point essentiel de leur convergence qui est la mort.
(1)
Le titre exact est: La Monarchie Aristo-démocratique ou le qquvernement composé et meslé de
trois formes de léqitimes Républiques, Dédié aux Etats Généraux des Provinces confédérées des
Pays-Bas, Paris chez 1 Barjou et chez J Le Bouc, 1611, avec privilège du Roy par Lays Turquet de
Mayerne. Le conseil du Roi avait fait saisir les exemplaires restés disponibles en maga5in et
interdit la diffusion du livre. L'auteur avait bénéficié de la protection de la Reine, ce qui a empéché
son arrestation. cf. R Mousnier "l'opposition politique bourgeoise à la fin du XVIe s et au début du
XVII siècle. L'oeuvre de Louis Turquet de Mayerne", revue Historigue, W213 , pp 1à 20.

255
Dieu est le jardinier qui les surveille et les fait mourir selon
son bon vouloir.
Comme
"toutes nos raisons ne sont que vanitez
devant
luy", (1)
l'homme doit
se
soumettre
à
sa volonté.
Ayant
fondé le caractère inévitable de la mort,
Dorlèans demande à la
Reine d'en
"cueillir
une
belle
fleur
de
consolation", (2)
Il
développe après
une douzaine
de
rapports entre
l'homme et
la
plante.
Cette réflexion est quelquefois ponctuée par des éloges
du Roi défunt,
par une prière pour le bonheur de la Reine et du
dauphin,
le
jeune
Louis
XIII.
Dorléans
insiste
aussi
sur
l'importance de l'éducation religieuse du Prince,
surtout en ces
périodes
d'impiété
affirmée. (3)
La méditation
sur
la mort
se
poursuit de manière stoicienne.
Dorléans pense que la mort est
le but de la vie;
l'homme doit se préparer à l'affronter avec
sérénité.
Avec les accents du Montaigne des premiers Essais,
i l
exprime
clairement
"car
ces
extremitez
bien
preuveues
et
préméditées,
et diligemment pourveues de choses nécessaires, la
mort ne nous espouvante point, nostre fin ne nous trouble point.
( 1) La Plante humaine ... 1. 20
( 2) illisL..-f. 20
( 3)
ibid
f. 134 . 145

256
C'est une reigle de nostre mathématique d'avoir souvent l'oeil
sur cette dernière ligne". {l}
Cette nécessité de la mort lui semble être le gage d'une autre
vie meilleure et
éternelle.
La vraie exist~ce est donc celle
d'après
la fin de ce monde éphémère et accessoire.
Dorléans en
profite pour exprimer à la Reine la certitude de la vengeance de
Dieu sur les meurtriers du Roi.(2) Pour achever cette partie des
méditations sur la mort,
il prie la Régente de mener une vie de
prières
et
de
louanges
à
Dieu,
l'arbitre
suprême
de
notre
sort. {3}
Aux
Français
i l
demande
d'être
maintenant
fidèles
à
celui
que
la
loi
de
succession
a
désigné
pour
avoir
la
couronne. (4)
La
Plante
humaine
commence
ici
à
avoir
sa
véritable dimension politique avec l'analyse des différences
entre une élection et une succession. De l'avis de Dorléans, les
mérites de la seconde sont plus
importants et plus légitimes
pour plusieurs raisons.
Dans
l'élection
les
hommes
qui
( 1) La Plante
humaine ... f. 201 - Pour Montaigne voir (l, 20) "que philosopher, c'est apprendre à
mourir". Il peut être très intèressant de comparer, au plan de la vision de la mort et de l'amitié,
Montaigne et Louis Oorléans. - voir supra, 1ère partie, conclusion pour le stoïcisme de ce dernier.
( 2) illliLf. 250- 251
(3) illliLf. 310-311
(4)
ibid
f.
340-347

257
choisissent
peuvent
être
"corrompus
par
argent
ou
par
affection" (1),
i l arrive aussi qu'ils se trompent eux-mêmes de
bonne
foi
ce qui n'advient pas dans
une
succession où c'est
Dieu,
tout sage et tout bon,
qui choisit pour les hommes. (2)
Ces
réflexions
qui
préparent
la
réfutation
de
Turquet
se
poursuivent avec l'examen des raisons pour lesquelles le peuple
Français
doit
aimer
le
jeune
Louis
XIII.
Selon Dorléans,
le
sacre à Reims a fait du Roi un monarque saint et inviolable. Ce
dernier est aussi reconnu et accepté par tous les sujets par les
Princes étrangers,
et
les Parlements de France l'ont tenu pour
successeur
légitime.(3)
A ces raisons politiques et religieuses
s'en ajoutent d'autres dynastiques;
Louis XIII est de la race
de
Saint-Louis et
fils
du
Roi
Henri
IV qui
a
rendu
Paris
si
prospère
et
si
heureux
après
une
longue
période
de
grands
malheurs. (4)
Dorléans salue,
en passant,
les vertus chrétiennes
de la Régente qu'il compare à celles de
ses devancières
comme
( 1)
La Planle humaine .... f 348
( 2) illk!..-f. 348
(3)
ibid. f. 348
(4)
ibid. f. 354

258
Louise de Savoie et Catherine de Médicis. Il) Cette réflexion sur
le gouvernement des femmes lui sert de transition pour examiner
les attaques de MayerneTurquet.
Il ne fait
pas de doute pour Dorléans
que
le livre de Turquet
est personnellement adressé à la Reine et à sa cour. Après avoir
demandé l'autorisation à la Régente d'être son humble défenseur,
Dorléans
rappelle,
de
manière
sommaire
et
tendancieuse
d'ailleurs,
les
objections
de
la
Monarchie
Aristo-
démocratique
au
gouvernement
des
femmes. (2)
Turquet
accusait
les Parlements de France d'avoir mal
interprété la loi salique
qui selon lui écartait les femmes même de la Régence.
Il croyait
aussi que
le bien du pays
voudrait que
les Rois
se marient en
France. (2bis)
Dorléan
place
la polémique,
dès
le
commencement,
sur un plan religieux. C'est parce que la Reine et la monarchie
française
sont
toutes
chrétiennes
qu'elles
sont
la
cible
de
telles
critiques
"hérétiques".
Il
accuse
alors
Turquet
de
vouloir introduire en
France le système
de
gouvernement
des
(1)
La plante humaine .... f 357-361 . Louise de Savoie. mère de François 1er assura la Règence en
1525 quand le Roi fut retenu prisonnier par Charles Quint après la défaite de Pavie. Quant à
Catherine de Médicis. elle fut régente en 1560 pendant la minorité de son fils Charles lx, après la
mort de François II.
( 2) Voir R. Mousnier, "L'opposition politique bourgeoise à la fin du XVIe siècle et au début du XVllè
siècle: L'oeuvre de Louis Turquet de Mayern",
Revue historique. N'213. 1955. pp 1-20.
(2 bis)
Marie de Médicis était italienne.

259
étrangers.
Dorléans plaide pour
la
conservation de la vieille
monarchie française.
Mayern Turquet prend ainsi les armes contre
la
patrie
et
la
chrétienté
pour
établir
des
nouveautés
politiques
néfastes
aux traditions.!l)
Jouant
sur la paronymie
entre
IITurquet"
et
"Turc" f
Dorléans
souligne
qu 1un
homme
qui
signe
son
oeuvre
de
ce
nom
ne
mérite
pas
la
confiance
des
chrétiens,
ennemis
des
Turcs. (21
Refusant
le
subterfuge
du
sous-titre
dédiant
le
texte
aux
Pays-Bas,
i l
lui
trouve,
en
revanche,
une filiation avec les premiers pamphlets huguenots
:
La
France-Gaulle
(1573),
les
Perles
du
cabinet
(1581),
le
Réveille-matin
(1574),
tous destinés,
pense-t-il,
à
"coupper
le
chef,
les
bras
et
les
jambes
à
nostre
Françoise
monarchie". (3)
Mayern
Turquet
rejoint
ainsi,
dans
la
logique
polémique de
la Plante
humaine,
les
publicistes
protestants
qui cherchaient naguère à établir en France un état populaire.
Le
sonnet
136
des Regrets
(1558) (4)
de
Du Bellay où celui-ci
parlait
des
calvinistes
de
manière
railleuse,
lui
sert
d'argument d'autorité pour montrer que Turquet est un luthérien
caché. (5)
( 1) La Plante humaine... , f 366·370
( 2) i!l.i.Q...., 1 374-375
( 3)
ibid" 1 376·377
( 4)
Du Bellay écrivait par exemple; "Je ne vis onques tant l'un l'autre contredire
Je ne vis onques tant l'un de l'autre médire" ...
( 5)
Louis Turquet de Mayem était réellement calviniste.

260
A propos de la loi salique qui interdirait aux femmes d'assurer
une régence, Dorléans établit, pour réfuter cette objection, une
di fférence
de
nature
et
de
pr incipe
entre
la
royauté
et
la
t.
régence. (1)
La premiere relève de la succession et la seconde de
l'élection; l'une fait appel à la nature,
l'autre à la volonté.
La
régence est provisoire
alors
que
la
royauté
dure
toute
la
vie.
Dorléans mentionne
les cas d'interruption de la royauté
maladie,
minorité
ou
captivité du
Roi
auxquels
cas
on fait
appel
à
la
régence.
Il
aperçoit
même
une
différence
de
prérogatives qui se manifeste par leurs sceaux
: le régent signe
de son nom pendant que le roi le fait au nom du Royaume.
Concernant le pouvoir des Parlements de s'opposer à une pareille
interprétation
de
la
loi
salique,
Dorléans
souligne
l ' antér ior i té
du
principe
de
la
Régence
sur
celui
du
droit
parlementaire. (2) C'est pourquoi les Parlements n'ont sur cette
loi qu'un pouvoir d'enregistrement.Pour avoir été ignorant de la
( 1) La plante humaine.... f 380
(2)
ibid .• f 382-383

261
véritable
signification de
la
loi salique,
Turquet
a
inventé,
selon
l'auteur
de
la
Plante
humaine,
"des
droicts
merveilleux". (1)
Il lui rappelle qu'il est tout à fait naturel
que les femmes commandent à la mort de leur mari,
"ceste loy est
dans le
ciel". (2)
Dorléans demande à
son adversaire de laisser
les rois
s'occuper du bien être de leurs
sujets et
les reines
veuves
exercer leur régence.
Il cite à
cet effet
les nombreux
bienfaits que les
femmes de vertu et
de sagesse ont apporté à
leur
pays.
Pour
revenir
à
la
métaphore
de
la
plante
et
du
jardin,
il se compare au bon jardinier qui débarrasse les arbres
de la vermine qui les tue. (3)
Pour conclure son texte,
l'auteur fait quelques remarques Sur le
procédé d'écriture utilisé.
Il souligne d'abord qu'un sujet si
important méritait un bien plus grand auteur.
Mais après tant
d'écrits sur le sujet il était fort difficile d'en parler mieux.
Cependant Dorléans reconnaît le mérite d'avoir employé une forme
( 1)
La Plante humaine.... f 387
( 2)
jbid. f 388
(3)
ibid" f 391

262
jamais
pratiquée
avant
lui. (1)
Ces
pages
de postface
ont
l ' a i r
d'être un avis
au
lecteur
elles
justifient ainsi
l'invention
et présentent
la manière propre de
la t rai ter. 12)
( 1) 1a planle humaine... , f 394-396
( 2)
A la fin du livre d'autres textes non paginés sont ajoutés
Un cantique de "louange à la Vierge" où il demande à Marie de bénir le sacre de Louis XIII en
rendant son règne prospère.
Un texte latin avec sa traduction, présentant Henri IV dans un somptueux palais, au ciel.
Un poème sur la force et la grandeur du même Roi.
Un autre sur son courage de lion. Ces deux derniers poèmes sont aussi en latin et en français.
Un petit poème sous forme d'~gramme adressé à la Reine sur la naissance de ses trois enfants.
Un recueil d'errata, avec à la fin une "table des choses les plus remarquables contenués en ce
présent livre". Il s'agit en réalité d'un glossaire qui donne le sens de plusieurs lermes classés
par ordre alphabétique. L'inconvénient c'est qu'il ne comporte pas de renvois au texte de
l'ouvrage.

263
La
Plante
humaine
.. fut
rééditée
en
1613,
nous
apprend
l'Abbé
Goujet, Il)
le
catalogue
de
la
Bibliothéque
Nationale
mentionne aussi une édition lyonnaise de 1622 mais il n'indique
pas
l'existence d'un exemplaire.
On peut
retenir que seule la
première édition nous est parvenue. (lbis)
Oeuvre royaliste comme
le Remerciement dont elle constitue une sorte de continuation,
la
Plante
humaine
réaffirme
la
prépondérance
des
lois
traditionnelles
du
Royaume
de
France
sur
toutes
autres
considérations politiques. Après avoir restitué la monarchie du
droit
divin
dans
ses
véritables
dimensions
avec
le
Remerciement,
Dorléans
rend
ici
à
la
loi
salique
ses
principales prérogatives. (2)
Toutefois derrière ce monarchisme
affirmé transparaît une philosophie du
détachement
des
soucis
(1)
Voir Abbé Goujet, Supplément.... p 180
(1 bis)
R. Mousnier. art cit , mentionne une édition de 1632
( 2) Voir in1r.a. 3è partie. chap 1

264
terrestres
au
profit
d'une
vie
de
méditation
et
de
recueillement.
Au-delà du ton polémique de
la réfutation des
thèses de Turquet(l)
on sent la sérénité d'un engagement assagi
et
réfléchi,
s'inclinant
volontiers
vers
les
questions
eschatologiques.
-
Le
sonnet
de préface
Comme tout l'ouvrage,
il est dédié à la Reine Marie de Médicis.
L'éloge
de
la
régente
est
bâti
autour
de
trois
qualités
considérées
ici comme
ses propres attributs
vert u,
bonté,
beauté. Le premier quatrain présente la Reine commQun~providence
chargée de purger par ses qualités les vices dont le siècle est
rempli.
Le deuxième la présente comme rayonnante de vertu,
de
bonté et de beauté.
Par des anaphores construites à partir de
ces trois termes,
les tercets estiment que la bienveillance de
cette
reine des beautés
sera pour le
livre
l'unique gage de
succès.
Véritable
célébration
des
qualités
de
Marie
de
( 1) Turquel rjsposta aux attaques contre son ouvrage par une Apologie conlre les détracteurs du livre
de la monarchie aristodémocratigue, s. 1. 1617. Outre Louis Dorléans, J. Barricave avait réagi aux
thèses de la Monarchie aristodémocratigue. par une Défense de la monarchie francaise Toulouse,
1614.

265
Médicis,
ce sonnet accentue le caractère courtisan de la Plante
humaine.
L'outrance stylistique -multiplication des anaphores
et des exclamations- gâche un peu la facture du poème.
Vues
dans
leur
ensemble
les
publications
de
Louis
Dorléans
constituent ainsi deux blocs d'oeuvres bien distinctes au plan
des
idées
politiques
développées.
Les
pamphlets
ligueurs
s'opposent sur bien des points auX essais royalistes des règnes
d'Henri IV et de Louis XIII. Même si certains points de vue ont
persisté
dans
les
dernières
publications,
ils
ont
gagné
en
complexité. La fougue et l'âpreté qui caractérisaient le ton des
premiers
textes
se sont
édulcorées,
laissant
la place à une
réflexion plus sereine et plus dense. Le changement du contexte
politique
survenu
à
la
suite
du
règne
d'Henri
de
Navarre
explique certes le changement
d'orientation observé dans
les
idées
de
Dorléans
à
propos
de
la
monarchie.
Toutefois,
ces
dernières
publications
restent
l'étape
ultime
d'un
vaste
processus de maturation de la pensée politique de l'auteur
dont

266
les pamphlets ligueurs avaient représenté une période de crise
majeure.
Cette
lecture
dialectique
des
textes
politiques
de
Dorléans
peut
bien
constituer
un
approfondissement
de
cette
opposition entre les deux blocs de publication. (1)
( 1) Voir infra, 3è partie, chap 1 ~I~: "La polémique avec soi-même".

267
CHAPITRE IV
LES MANUSCRITS
Placé
dans
une
perspective
purement
biographique
l'exil
de
Dorléans
semble être une parenthèse entre une vie de rebellion
contre le pouvoir monarchique et une autre de pur royalisme.
Il
serait
alors
une
sorte
de
purgatoire
chargé
d'éliminer
les
passions maléfiques de l'ancien ligueur,
condition sine qua non
d'une existence de paix et de concorde avec l'autorité politique
légale. Mais au plan des oeuvres produites,
la réalité est toute
autre.
Les écrits manuscrits de cette période constituent bien
une
forme
de
continuation
des
pamphlets
ligueurs.
Certains
poursuivent par une polémique aussi virulente les développements
politiques
naguère
soutenus
par
ce Parti.
D'autres,
plus

268
sereins sont des oeuvres de bilan. Toutefois,
ces caractères ne
concernent
que
les
manuscrits
en
prose
au
nombre
de
deux. (1)
Quant
aux
poès ies
pol i tiques,
leur
thème
comme
leur
date
de
composition en font une oeuvre hybride
: ligueuse ou royaliste,
selon le moment de l'écriture.
Elle constitue à l'intèrieur des
manuscrits un bloc tout à
fait
à part. (2)
Si les manuscrits en
prose, par leur titre et
par leursprojetsaffirmès,
peuvent être
facilement
classés
comme
textes
politiques,
en
revanche,
le
choix des poèmes réclamait une lecture suivie
(3)
leur nombre
impressionnant
ne
facilitait
pas non
plus
notre
tri.
Extrait
enfin du secret du cabinet qui les retenait jusqu'à présent, ces
manuscrits
peuvent
contribuer
à
la
"reconsidèration"
de
l'appréciation critique de l'oeuvre de Louis Dorléans.
( 1) Apoologie pour Messieurs de la Maizon de Guize} I-jistoire de l'orjgine de la Ligue
Voir ~ i l
Jlill1ill. BN ms tr N" 4922
(2)
Les textes en prose portent le titre d' Oeuvres
posthumes, les poésies celui de poésies
Chrestjeooes, sans distinction entre les poèmes politiques et les autres: chrétiens, mondains ou
amoureux· Voir lil!Jllij" 1è partie, chap 2 • BN ms tr N° 863 et 4922.
(3)
Voir l'Introduction Générale. lil!Jllij"
pour les critères du choix de l'oeuvre politique.

269
1
Apologie pour Messieurs de la maizon de Guises
Commencée pendant la ligue,
cette oeuvre fut achevée sous Louis
XIII
à
qui
elle
s'adresse
d'ailleurs
par
endroits.
Le
rassembleur du manuscrit nous signale que les calomnies contre
cette maison avaient repris au début du règne de Louis XIII,
ce
qui
avait
incité
Dorléans
à
parfaire
l'Apologie
esquissée au
cours
des
derniers
troubles. (1)
Mais
ce
dessein,
pour
des
raisons
jusqu'ici
inconnues
ne
fut
pas
conduit
jusqu'à
son
terme.
On
peut
avancer
par
conjecture,
comme
fait
le
rassembleur,
que l'auteur en a été empêché par défaut de santé
ou par dissuasion d'un ami ou d'un membre de cette famille.
Cet
étalement de la composition dans le temps,
se fait sentir par la
variété du style et du ton employés.
Son caractère inachevé en
fait aussi une oeuvre,
peut-on dire,
suspecte car rien ne
nous
prouve que
(1)
Al'0logie ... p 152-153

270
Dorléans l'aurait ainsi présentée.
Cependant au plan des idées
qu'elle
exprime,
l'Apologie .. . se
situe
bien
dans
la pensée
politique de son auteur. En effet,
défendre les Guises face aux
attaques politiques de leurs adversaires a été toujours un point
de
ses
pamphlet s
ligueurs. (1)
Toutefois,
ce qui n'était qu'un
aspect dans un développement est devenu ici une oeuvre à part
entière.
L'Apologie
commence
avec
le premier
livre,
le début
n'ayant
pas
été
retrouvé.
Ce
chapitre traite
"de
la
calomnie
comme
naturelle aux hérétiques". (2)
L'auteur
s'adresse
au
roi
Louis
XIII
pour
lui
promettre
de
dévoiler
ce
qu'il
considère
comme
les
ruses
des
ennemis
de
l'Eglise.
Il fait remonter les débuts de l'hérésie au temps des
apôtres et de la première église, période pendant laquelle Satan
leva par corruption sa faction d'hérésiarques. Et
depuis
trois
( 1) Voir ~,2è partie. chap 2
(2)
Apologie pour... p 77 - la pagination concerne toul le recueil de l'oeuvre posthume

271
escadrons ont été les piliers de son armée
: les gens puissants
comme
les
rois
et
les princes,
les
philosophes
et
idéologues
païens
et tous
les athées
juifs et
hérétiques. (1)
Les premiers
avant
de déposer
leurs armes
devant
la croix,
ont produit les
Nérons et le Domitians tyrans qui ont plusieurs fois
décimé le
troupeau du Christ. Dans le second escadron, Dorléans place les
philosophes de l'Antiquité gréco-romaine,
Tertullien lui-même son
penseur favori fut de cette bande,
à ses débuts.
Dans la lignée
de
ceux-là
se
situent
tous
les
adversaires
de
l'auteur,
en
l'occurrence
les
pamphlétaires
protestants
ou
politiques.
Dorléans les accuse de toujours répondre
'par moquerie et jamais
par solidité de discours". (2)
Certains textes de huguenots sont
ainsi nommés et décriés
l'Amande honorable de N.
Durant,
le
Procès
d'Artus
déchiré
(sic
!) (3),
un livre de Béze Sur
"leur
histoire ecclésiastique" 13b1s),
sont traités de
"sornettes ", de
"jargon
facétieux" et 1 'histoire de De Thou devient ici
"des
contes qui
sont
bons à
dormir
debout".
( 1) Apologie pour... p 78
( 2)
ibid. P 82
(3) illliL P 82 - Artus Désiré étail devenu célèbre par ses écri~contre les protestants (1543-1577) ..
Le Mireer des francs Taulpins, 1546 est l'un de ses plus célèbres textes.
(3bis)
Il s'agit de l'Histoire ecclésiastique des églises ré/ormées écrite par Bèze en 1580.

272
Des
textes
antipapistes
sont
aussi
dénoncés
de
la
marmite
du
Pape
renversée . . . , le
Sac
et
les
quilles
du
Pape . . . et
les
rogatons
du
Pape. (1)
La polémique du temps
de la Ligue se
poursuit ici avec force.
Comme
le
premier,
le
second
livre
prend
le
Roi
Louis
XIII à
témoin avant de développer des fins de non recevoir opposées aux
adversaires des Guises. (2) Etant à la fois
"menteurs, imposteurs
et
détracteurs",
les
hérétiques,
naturellement
ne
peuvent
soutenir la vérité,. L'histoire de l'Eglise a toujours prouvé,
aux yeux de l'auteur,
qu'on perd son âme en les écoutant. En
pluS ils ont une grande haine pour la maison des Guises.
Cette
inimitié semble être une raison suffisante pour rendre leurs
accusations irrecevables.(3) Et Dorléans de remarquer que leurs
historiens comme Popelinière,
ont écrit que les Guises étaient
leurs ennemis jurés et qu'ils ont cherché à les tuer pendant la
conjuration d'Amboise. (4)
L'auteur fait le bilan
de
ce
qu'il
( 1)
Ces textes se trouvent dans les Satires chretiennes de la Cuisine papale
éditées par Conrad
Badius, 1560, cf. Ch. L~rlient. op. cil.
( 2)
Apologie pour Messieurs des Guizes. p 83
(3)
ibid P gO
(4)
Lancelot Voisin, sieur de La Popelinière était protestant, auteur de la Vraie et entière histoire des
troubles et choses mémorables
3è édi. 1573 - Il sera plagié et déformé par un catholique Jean
Lefrère en 1573.

273
considère
comme
une
guerre
contre
la
Religion
catholique.
Les
hérétiques sont ainsi tenus pour responsables de la mort du duc
de
Guise
et
de
son
frère
le
cardinal
de
Lorraine. (1 )
L'assassinat
à
Blois
(1588)
des
Guises
a
été,
aux
yeux
de
Dorléans,
la
source
de
tous
les
malheurs
dont
la
France
a
souffert.
Et
i l affirme que
les Réformès ont
écrit depuis
1550
plus de 250 libelles contre cette maison. (2)
Morts pour leur religion et pour leur roi,
ils ne devaient plus
être
calomniés,
car
l'Ecriture
Sainte
recommande
de
louer
les
hommes
après
leur
mort.
Cette
fin
de
non
recevoir
permet
à
l'auteur
d'avancer
le
nombre
de
43
000
prêtres
tués
par
les
protestants.
Dorléans
affirme
que
ce
chiffre
a
été
produit et
imprimé
de
façon
déguisée
chez
Henri
Estienne. (3)
La manie des
chiffres
que
l'on
observe
souvent
chez
Dorléans
relève
d' "une
volonté
de
vérité"
qui
cherche
à
susciter
l'adhésion
du
lecteur. (4)
Ce point s'achève sur une déploration de
l'anonymat
( 1) Accusation plusieurs fois reprise dans ses pamphlets, supra chp 2,
( 2)
ibid P 94 - Les pamphlets huguenots contre les Guises n'ont commencé que bien plus tard avec
l'EDitre envoyée au Tigre de France, 1560, de Fr. Hotman contre le cardinal de Lorraine.
(3)
i!2l!L P 99
(4)
Voir infra, 3è partie, chap 2

274
des
écrits
polémiques
très
rapide,
Dorléans
se
souvenait
peut-être qu'il avait plusieurs fois utilisé un tel subterfuge
dans ses pamphlets.
Une autre fin de non recevoir s'appuie sur le droit civil d'un
état catholique.
Etant hérétiques,
les Réformés sont privés de
tous les droits et déclarés eux-mêmes illégitimes,
ce qui annule
leurs accusations. (1) Le dernier argument de l'auteur consiste à
les écarter aussi de la société des
catholiques.
Parce qu'ils
sont d'une autre
foi
ils ne devraient pas s'occuper de la vie
des fidèles de l'Eglise.
En passant,
Dorléans les accuse d'être
la
vermine
qui
détruit
les
"Estats"
de
France. (2)
Quant
à
prouver que les Guises sont catholiques "ce serait,
pense-t-il,
vouloir prouver qu'il fait
jour quand le Soleil éclaire". (3)
(1)
Apologie ...• p 102
(2)
jbid.p102
(3) ililiLp 110

275
Le
troisième
et
dernier
livre
disculpe
les
Guises
de
quatre
accusations.
Sorte de coup de grâce contre les adversaires dans
le schéma guerrier que
l'auteur avait esquissé dès
le début de
sa querelle,
ce chapitre fait alterner injures des adversaires,
arguments de dénégation et éloges des Guises de manière souvent
déconcertante .La
colère
de
Dorléans
est
très
perceptible
ici
contrairement
aux
autres
passages
du
texte.
C'est
peut-être
parce que les Guises qu'il a toujours pris pour le modèle de la
Noblesse
catholique
sont
accusés
d'avoir
voulu
embrasser
la
confession
d'Augsbourg
et
proposer
au
Concile
de
Trente
des
articles de foi calviniste. III Cette famille,
rétorque Dorléans,
qui a tant de fois
sauvé le trône et l'Eglise n'a
jamais eu une
autre intention que celle de mourir en catholique.
Il accuse une
fois encore
les pamphlétaires huguenots,
comme La Pope linière ,
d'avoir
été
les
auteurs
de
telles
calomnies,
écrites même
en
latin
pour
qu'elles
soient
plus
facilement
communiquées
aux
peuples étrangers. La rencontre de Saverne au cours de laquelle
( 1)
Apologie ... , p 110. La confession d'Augsbourg: Texte contenant les principales professions de foi
des luthériens. Il était rédigé par Mélanchlho. dans un esprit conciliateur à la suite d'une diète
réunie par Charles Quint dans cette ville allemande d'Augsbourg en 1530. L'empereur avait chargé
les théologiens catholiques d'y apporter une réfutation. Cette confession a d'ailleurs été remaniée
plusieurs fois au XV lé siécle. Voir R. Stupperich, "La confession d'Augsbourg au coiloque de
Poissy", Actes du collogue : l'Amiral de Coligny et son temps, Paris 24-28 oct. 1972, édit.
Société de l'histoire du Protestantisme français, 1974.

276
les
Guises auraient
fait
un tel
aveu n'a' jamais eu lieu,
dit
Dorléans,
si elle s'est produite ce fut sur les ordres du Roi et
pour
la
paix
de
la
France.
Poursuivant
sa
réfutation
des
attaques
réformées
Dorléans
semble
accepter,
le
temps
d'une
argumentation,
les allégations adverses.
Si la rencontre a lieu
le 15 février,
affirme-t-il,
pendant que le cardinal de Lorraine
était au colloque de Poissy,
celui-ci devait alors avoir le don
d'ubiquité.
Très sarcastique,
Dorléans retourne,
par le procédé
de la rétorsion,
l'accusation en visant la foi des calvinistes:
"( ... )
vous
niez
que
le
corps
du
Christ
puisse
le
faire.
Vraiment on a tort de vous demander des miracles pour preuve de
vostre
mission
extraordinaire,
quand
vous
faites
tant
de
merveilles et tant d'oeuvres qui sont par-dessus la nature" (1)
Plusieurs vers de la
"responce
aux injures . . . " sont cités 06
Ronsard dénonçait la présomption d'un Ministre qu'il accusait,
entre autres reproches,
d'être un calomniateur. (2)
Ils servent
ici d'arguments d'autorité pour fonder l'idée selon laquelle les
calvinistes ont traité d'athées tous les gens de bien.
(1)
Apologie ... , p 124. \\1 fait allusion au refus des calvinistes de croire à la présence du corps du
Christ dans l'hostie.
( 2)
Ronsard, "Responce aux injures et calomnies.. ." (1563) .Piscours voir i.!J..lliL. conclusipn de la 2ème
llli1lê...

277
A
propos
du
Concile
de
Trente,
ce
sont
les
propositions
protestantes
qui
sont
plutôt
énoncées
et
considérées
comme
émanant
d'une
volonté
farouche
de
détruire
la
Messe
et
la
monarchie. Parlant de la traduction en français des Psaumes une
autre exigence des calvinistes Dorléans accuse Clément Marot,
auteur d'une traduction d'avoir été un
'~auvre rimasseur"
qui
"fut mauvais poète et plus mauvais homme" Il). le "dictionnaire"
d'E.
Dolet
est
aussi
récusé
parce
qu'il
serait
rempli
"de
vilains mots", tout comme celui d'Henri Estienne. (2)
Pour
démontrer
que
les
Guises
sont
de
véritables
Princes
français
et
détruire
ainsi
les
deux
dernières
accusations,
Dorléans les fait
descendre de Louis XII.
On remarque bien que
la filiation a un peu varié des pamphlets aux manuscrits car les
Princes
étaient
naguère
du
sang
de
Charlemagne
ou
de
saint Louis. Dorléans utilise la généalogie de manière polémique
et quelquefois fantaisiste.
Le roi Henri II
est
un de
leurs
( 1) Apologie de Messieurs ... p 134, Marot publia en 1541 la traduction de 30 psaumes. Comme l'église
n'aimait pas les versions françaises des textes sacrés, il eut encore quelques démêlés avec les
autorités ecclésiastiques, ce qui l'obligea à s'exiler de nouveau en 1542, à Genéve
(2)
ibid
P 135. Robert Estienne, père d'Henri Il, était l'auteur d'un Dictionnaire; celte famille
d'imprimeurS a beaucoup travaillé sur les langues grecque, latine et française. Ce que Dorléans
appelle ici le "Dictionnaire" de Dolet n'est autre que les Commentarii lingae latinae (1536-1538)
dans lesquels l'auteur expose, à propos des famille de mots, des idées qu'un catholique ne pouvait
partager. Dolet finira d'ailleurs au bûcher. Bien que Dorléans ne mentionne pas les opinions
désapprouvées dans ces textes, on peut bien penser qu'il s'agissait des articles de foi.

278
proches parents,
fait-il remarquer à Louis XIII. Et pour asseoir
son
point
de
vue
i l
prend
les
faits
Comme
le
reflet
de
la
légitimité
les Guises sont appelés
"Princes Lorrains"
par la
cour,
par
les
seigneurs étrangers
et même
par
leurs
ennemis,
preuve irréfutable de leur sang noble.!l) Quant à
leur statut de
Français,
il ne peut souffrir de contestations. L'auteur reprend
ici
ses
vieux
arguments
du
temps
de
la
Ligue
l'apport
militaire des Guises à
la couronne,
leur dévouement au Royaume
et leur haine pour les ennemis de l'Etat et de l'Eglise font de
cette famille l'une des meilleures de France. (21
Le caractère incomplet de cette oeuvre est certes un élément qui
rend
un peu
aléatoire
tout
jugement général
sur
son contenu.
Mais
i l
est,
en
revanche,
légitime
d'y
voir
la
synthèse des
passages
qui
concernaient
les
Guises
dans
les
pamphlets
ligueurs.
Si
les
raisons
avancées
ont
quelque
peu
évolué
les
accusations
de
Dorléans
contre
les
Réformés
sont
restées
les
mêmes. Certes,
le
rassembleur du manuscrit nous a signalé
que
(1)
Apologie de Messieurs _.
p. 140 - 141
(2)
ibid.
p. 144-152

279
les Guises étaient devenus la cible d'une certaine critique avec
le début du
règne de
Louis XIII,
mais
nous pouvons penser que
les
termes
de
l'Apologie
n'étaient
plus
de
saison,
qu'ils
risquaient d'être l'huile qui ranimerait le feu que personne ne
désirait plus voir renaître. Le ton employé ici est celui de la
polémique avec toutes les exigences rhétoriques du genre. (1)
II- Histoire de l'origine de la Ligue
Composée au cours de l'exil
(1594-1603)
de l'auteur cette oeuvre
est
censée
faire
le
bilan
d'une
vaste
entreprise
politico-religieuse qui n'a pas atteint ses objectifs. Histoire
d'une
lutte
et
d'une
défaite,
elle
est
aussi
la
revue
d'une
expérience personnelle dont l'auteur était en train de vivre les
répercussions. Si le
texte,
comme l'indique le titre,
insiste
( 1)
Voir infra, 3è partie chap 2 et 3

280
sur
llorigine
de
la
Ligue
c'est
pour
mieux
en
dégager
les
conséquences.
Et,
à
bien
des
égards,
l'ardeur
polémique
des
temps
de
la
grande propagande
est
présente
dans
le
texte
et
concourt
à
lui
donner cette orientation partiale qui
fait
de
l' Histoire
de
l'origine
de
la
Ligue
l'oeuvre
attardée
d'un
combat
d' arriére
garde.
Cependant,
l'intérêt
de
l'oeuvre se
trouve dans la manière toute particulière de mettre en parallèle
l'histoire des règnes des rois de France depuis François 1er
avec celle de la Réforme et de la contre-Réforme. C'est pourquoi
il est regrettable que le texte soit incomplet,
s'arrêtant à la
fin du règne de Charles IX,
donc avant même la Ligue dont il se
propose de retracer l'histoire.
Le texte s'ouvre Sur une profession de foi d'ojectivité
"j'écris ce que j'ai veu et seu .. ,." (1)
( 1) Histoire de l'origine de la Ligue p. 1

281
Le livre est ainsi placé sous le signe de la relation véridique
d'une expérience vécue.
Mais
les divers portraits que Dorléans
brosse
de
la
France
trahissent
dès
le
début
les
sentiments
partisans
de
l'auteur.
Depuis
l'établissement de
la monarchie
française
avec
Clovis,
ce
royaume
a
connu
plusieurs
visages
différents.
Une France de piété du temps de Clovis,
de courage
et de gloire militaire sous Charlemagne,
de justice et d'équité
avec les Capets. (1)
A cet te France s'oppose ce lle d'au jourd' hui
que
l'auteur
considère
comme
"corrompue
souz
le
dernier
des
Valois,
.impie
et
l.ibertine
souz
le
premier
de
Bourbons". (2)
Cette répartition des situations du Royaume est une continuation
des jugements déjà tenus sur ces Rois dans les pamphlets.
C'est ensuite par le bilan des dégâts que l'auteur commence son
Histoire.
Organisation jamais faite en France pour cause de la
Religion,
la Ligue a aussi eu des conséquences malheureuses
:
mort
d'un roi
et de
plusieurs
princes.
Mais
l'ampleur
du
( 1)
Histoire de l'origine de la Ligue p. 1
(2) illiQ.. p. 1- "le dernier des Valois" est
Henri III (1574-1589) tandis que "le premier des Bourbons"
est Henri IV (1589-1610).

282
phénomène
n'a
eu
d'égale
que
la
brutalité
de
la
défaite.
Et
Dorléans explique que si son Parti est vaincu c'est par suite de
l'infidélité,
de la lâcheté et de l'ambition de plusieurs de ses
dirigeants.
Le
nombre
des
membres
et
des
villes
de
l'Union,
l'aide des Princes étrangers auraient
suffi à
le conduire à
la
victoire
si
la
trahison
des
ennemis
de
l'Eglise
n'était
pas
venue l'affaiblir de l'intérieur,
Maintenant
le bilan est bien
amer pour Dorléans car ce colosse aux pieds d'argile n'a "laissé
de
restes
qu'un
bruit
de
sa
cheute,
par
l'Univers,
un
épouvent ement
aux
voi z ins,
une
ri zée
aux
ennemi s
et
une
merveille,
voire
une
pitié
à
ceux
qui
en
contemplent
les
ruines". (l)
Et
i l
demande
au
lecteur
de
pleurer
avec
lui
la
fin
de
la
Religion
catholique
et
les
misères
du
royaume
de
France.
La
présentation mélodramatique de la situation socio-politique de
la
France
d' Henr i
IV
rapproche
le
texte
beaucoup
pl us· du
pamphlet que du traité historique.
( 1) Histoire de l'origine de la Ligue p.2

283
Si
la Ligue
n'a été qu'un moment
de
l' histoire de France,
en
revanche la Religion,
pour la défense de laquelle elle fut mise
sur pied,
remonte aux fonts baptismaux de la monarchie. Dorléans
fait
commencer
celle-ci
avec
Clovis
qui
fut
le
premier
roi
chrétien, et depuis,
précise-t-il,
63 monarques se sont succédé
sur le trône très chrétien de France. Ces rois par leur vertu et
par
leur
zèle
religieux
avaient
farouchement
combattu
les
ennemis
de
l'Eglise
catholique.
Ils
ont
aussi
plusieurs
fois
rétabli les Papes sur leur siège. (1 ) Ces services rendus à Dieu
et à ses fidèles leur ont valu le titre de
"Trés-chrestiens et
de premiers
fils
de
l'Eglise".
L' hérésie
ainsi
vaincue,
la
France avait retrouvé la paix et la piété.
Fidèle
à
son découpage
du début,
Dorléans
fait
commencer
la
perversion
de
cette
situation
à
partir
de
son
siècle
qui
correspond aux débuts de
la Réforme.
D'une manière succincte
mais polémique,
il esquisse les grandes étapes du calvinisme. Ce
( 1) En 799, par exemple, Charlemagne permit au Pape Léon III de retrouver son siège à Rome.

284
fut
d'abord
Luther
qui
s'est
élevé
contre
les
traditions
de
l'Eglise.(ll L'auteur le considère comme un renégat qui a eu les
mêmes
effets
que
la peste
qui
frappe
le
genre humain.
Calvin
est
tenu
pour
le
deuxième
hérésiarque.
Homme
"de
v i f
entendement",
nous dit Dorléans,
il est ainsi le plus dangereux
parce
qu'il
a
accentué
le luthéranisme
et
fait
école de
ses
opinions
hérétiques. (2l
La
pensée
politique
et
l'histoire
indi viduelle de Cal vin
sont présentées
de manière injurieuse.
Les réformes religieuses qu'il réclamait étaient de l'athéisme
au plan politique les rois étaient pour lui des Nérons.
Après
Calvin,
ce
fut
Bèze
et
Viret (3)
qui
sont
venus asseoir
l'établissement
de
la
Réforme
en
France.
La
conséquence
fut
terr ible
pour
l'Eglise. catholique
et
pour
la
royauté.
la
première fut
divisée et
calomniée,
et
la seconde combattue et
trahie par rebellion ouverte. Comme dans ses pamphlets, Dorléans
compare les Ministres à une vague de chenilles
venues
dévaster
( 1 )
Martin Luther (1483-1546) : Théologien allemand et père de la Rélorme dans son pays. Il
s'opposa au principe mème des indulgences dans ses 95 thèses en 1517. Il lut condamné par
l'Eglise en 1520 mais il n'arréta pas son enseignement. La doctrine de Luther constitue, aux yeux
des catholiques, une hérésie.
(2)
Théoricien du protestantisme, Calvin (1509-1564) a donné à la Réforme la cohérence d'une
doctrine politico-religieuse. Sa pensée théologique tourne au tour du libre arbitre. de la
prédestination et de la providence. l'institution de la reli~ion chrétienne (1 ère éd. latine 1536, à
Bâle), 1541 est son oeuvre maîtresse.
(3)
Théodore de Bèze (1519-1605) lut l'adjoint et le successeur de Calvin comme chef des réformés
lrançais, il joua un grand rôle au colloque de Poissy (1561). Il est d'ailleurs auteur d'une Histoire
ecclesjastique des éQlises réformées au royaume de France, (1580) à laquelle Dorléans a déjà lait
rélérence - Ses traités politiques sont aussi bien connus de DDrléans, voir iJJ.J.lli. 3è ~' dlliJ;l
1.. Quant à Pierre Viret (1511-1571), il était l'organisateur de l'Eglise de Lausanne. Très
satirique, il a sévèrement attaqué les catholiques qu'il traite de ·papistes· dans ses écrits. Il
était aussi un grand Drateur.

285
"le parterre de la France"
et dévorer ses fleurs de lis. (1) Les
anciennes
accusations
contre
le
prêche
des
calvinistes
sont
abondamment reprises ici.
Pourtant,
les prélats catholiques ne
sont pas oubliés dans cette critique-bilan.
Ils sont accusés de
léthargie et de concupiscence.
Plus fréquents
la cour qu'en
leur diocézes", (2)
ces évêques ne pouvaient être d'aucun secours
pour la Religion.
Dorléans dénonce aussi
leurs vaines querelles
scolastiques au moment où le peuple des fidèles réclamait d'eux
une vie plus chrétienne et un enseignement plus clair
et plus
édifiant.
Ce laxisme des ecclésiastiques fut,
pour Dorléans,
un
appui dont s'est servi la Réforme à ses débuts. (3).
Dorléans
examine
ensuite
les
règnes
qui
ont
à
peu
près
correspondu à la naissance et au développement de la Réforme. Le
point de vue qu'il
adopte
ici
est très
radical
car
le bon roi
est celui dont le règne a été,
d'une façon ou d'une autre,
une
période de recul du calvinisme.
( 1) Histoire... p 10-12 La Métaphore est en réalité de Ronsard, "Discours des misères.....
'." cf.
supra, 2è partie, chap 2.
(2) JllliL P 12 - Il a composé un sonnet manuscrit très sévère à l'endroit des prélats catholiques - voir
•l.!ilLi!. " Poésies catholiques".
(3) illlil., P 12 - Ce qui nous paraît conforme à l'opinion généraiement admise.

286
François
1er
qui
ouvre
la
liste
se
voit
accorder
de
bons
jugements.
Il a toutes
les vertus du Prince chrétien;
brave à
la
guerre
contre
les
ennemis
de
l'Etat
et
de
l'Eglise,
il
ajoutait à
ces qualités politiques celles d'un esthète,
aimant
les
arts
et
les
lettres
dont
i l
a
tant
favorisé
le
développement.
mais
ce que
Dorléans
apprécie
surtout
dans
son
règne c'est son attitude de fermeté à l'égard de la Réforme. III
Henri II,
son fils,
est
jugé de manière beaucoup plus mitigée.
Il a certes la piété de son père mais on l'accuse d'avoir été en
accord
avec
les Turcs pour combattre
l'Espagne.
Cette entente
coupable, aux yeux de Dorléans,
fut sévèrement punie par le ciel
qui priva ses enfants d'héritiers,
mettant ainsi fin à son nom
et
à
sa
race. (2)
Cependant,
l'auteur
reconnaît
qu' i l
s' était
repenti
et,
que
par
la
suite,
i l
a
farouchement
combattu
l'hérésie.
(1) l.I<iJL P 13 • François 1er sut favoriser le développement de l'Humanisme tout en contrôlant avec
l'aide de la Sorbonne les effets de la Réforme,
(2)
ibid, P 14·15 . Les 3 Iils d'Henri Il qui ont régné n'ont pas eu d'enfant pour leur succèder :
François Il, Charles IX et Henri /II. Dorléans est très sévère avec celle famille à laquelle il n'a pas
pardonné l'assassinat des Guises par un de ses membres,(Henri /II)

287
Le règne si bref de François II est présenté comme une période
de grands troubles suscités par les Calvinistes.
C'est surtout
sur la Conjuration d'Amboise que s'arrête l'analyse de l'auteur.
De l'avis de Dorléans,
c'est à Genève que fut
ourdi le complot
dont
Antoine
et
Louis
de
Bourbon
ont
été
les
dirigeants
exécutants.
Le prétexte avancé -sauver le Roi de l'emprise des
Guises- était à
ses
yeux une
façon
de masquer leur dessein de
tuer les Princes Lorraini. (1 )
Peut-être,
est-ce en considération
de
son
jeune
àge et de
la brièveté de
son
règne
que Dorléans
n'attribue pas d'erreur à François
II.
Quant
à
Charles
IX
qui
lui
succéda,
l'auteur
le
trouve
jeune
mais
"grand et
généreux
Prince".
(2)
Son
règne
fut
cependant
très agité au plan religieux. Le bilan qu'en dresse Dorléans est
fort
symptômatiqJe
de
cette
recrudescence
que
la
Réforme
a
connue
à
cette
époque.
Si
le
roi
est
épargné,
en
revanche
Catherine de Médicis,
la Reine-Mère,
est tenue pour responsable
(1)
Histoire .. ' p 17
(2)
ibid., P 21

288
de beaucoup d'erreurs politiques ayant
favorisé
le calvinisme.
On
l'accuse
même
d'avoir
été
gagnée
un
moment
par
le
protestantisme. De manière générale, Dorléans lui reproche cette
sorte
de
neutralité
coupable
qu'elle
a
cherché
à
maintenir
vis-à-vis
des
deux
Partis. (1)
Sa
politique
de
tolérance
est
aussi
considérée
comme
une
trop
grande
faveur
accordée
aux
hérétiques.
C'est même,
de l'avis de l'auteur,
ce qui a permis
au
Calvinisme
de
s'implanter
définitivement
en
France.
La
politique de pacification de Catherine de Médicis fut négative à
tous points de vue.
Le colloque de Poissy,
véritable cheval de
Troie,
a
donné naissance à
la
ruine du Royaume.
Le chancelier
Michel de
l'Hospital qui était
l'initiateur de cette politique
de
tolérance
est
vivement
pris
à
parti par
Dorléans,
ce
qui
n'est
pas
nouveau
dons
son
oeuvre. (2)
Dor léans
ne
lui a
pas
pardonné l'Edit de janvier 1562, qui fut
co~~e une autorisation
officielle
accordée
au
culte
calviniste.
Et
c'est
de

que
l'auteur
fait
naître
toutes
les
guerres
de
religion
dont
il
brosse,
par la suite,
un sombre tableau.
( 1) Histoire...
p 21·22
( 2)
Dorléans le considérait déjà en 1588, dans son pamphlet pescription de l'homme politique de ce
temps, comme le père de l'hy'p0Grlsie politique. Voir 2lIDill, 2èpartie
chap 2,

289
Dorléans trouve que 2150 églises réformées ont vu le jour depuis
le colloque de Poissy. Il)
S'en sont suivi des
sacages d'églises
catholiques
et
des
assassinats
de
prêtres.
Dans des
batailles
célèbres
les
armées
catholiques
ont
farouchement
défendu
leur
foi
: Dreux,
Jarnac,
Montcontour ; des noms qui devaient sonner
fort
au
coeur
de
Dorléans
qui
les
rappelle
volontiers
dans
presque
tous
ses
textes. (lbis)
Les
traités
qui
suivaient
les
guerres étaient précaires,
et pour l'auteur ils étaient toujours
violés par les calvinistes. (2)
La chronique du règne de Charles
IX se poursuit.
Le mariage de Marguerite de France,
soeur de ce
roi et princesse catholique avec le protestant Henri de Bourbon,
le futur Henri IV,
étonna tout le monde nous signale l'auteur de
l'Histoire.
La suite des événements est présentée de
façon accélérée et à
la
limite
comme
s ' i l
s'agissait
de
nouvelles.
Les
tranches
chronologiques
sont
indiquées
par
des
adverbes
ou par
des
( 1) Histoire
,p 27 • Ce chiffre esl arbitrairement donné, il nous paraît gonflé pour les besoins de la
polémique.
(1 bis) Comme d'ailleurs la plupart des pamphlétaires catholiques, mais Dorléans a, entre autre,
composé un cantique de victoire sur la bataille de Montcontour.
( 2) lb.ili.. p 30

290
prépositions /
jamais avec des dates.
Ensuite,
les périodes qui
n'intéressent pas
directement
l'argumentation de
l'auteur sont
particulièrement abrégées.
Ainsi les suites de ce mariage sont
relatées à la manière d'une oeuvre de fiction:
"Peu de temps après,
suivit le jour Saint-Barthélémy ... le Roy
fi t
t uer
les
Huguenot s
venus
a ux
noces
d /Henry
de
Navarre,
Gaspard de Coligny
fut
trainé partout
en
ville
avant
d 'être
attaché au gibet de Montfaucon et le Roy disait que l'odeur est
toujours bonne de son ennemi mort". (1)
C'est après une présentation si teintée de cruauté que Dorléans
revient sur le massacre pour le
justifier. D'abord il récuse la
peinture que les Huguenots ont faite de ce jour. Acte de cruauté
et de lâcheté sans précédent pour les calvinistes,
le massacre
est plûtot pour Dorléans
"la vengeance du Seigneur". (2) Comme il
l'a déjà avancé dans ses
pamphlets,
ce
jour
mémorable
était
(1)
Histoire.
p 32
( 2)
ibid, P 42

291
prédit
dans
les
Psaumes
de
David(l),
ce
fut
aussi
un
remède
plusieurs
fois
employé
pour
mettre
un
terme
aux
maux
de
la
Religion, Du point de vue de l'auteur,
les calvinistes ont tu la
vérité sur la Saint Barthelémy.
De nature calomnieuse,
ils ont
voulu
y
voir
un
acte
criminel
fomenté
par
les
Guises,
dont
l'auteur loue le zèle religieux et l'amour pour la couronne. Les
Huguenots,
en revanche,
sont tenus pour responsables de la mort
de ces Princes et de tous
les
catholiques qui se sont opposés
vaillamment à l'expansion de l' hérésie, (2) Pendant cet te période
Dieu avait assisté les
catholiques de
sa puissance,
mais
lors
des derniers troubles à cause de leurs péchés,
ce secours divin
leur fit défaut
seule explication pour Dorléans de cette fin
surprenante de la Ligue.
L' Histoire . .. s'achève
ainsi
sur
les
conséquences
de
la
Saint-Barthelémy.
Ecrite
sans
les
marques
du
genre
-repères
chronologiques
datés,
présentation
des
faits
avant
leur
(1)
Histoire ... p 44-45 Dorléans fait allusion aux Psaumes 26,27,28 où David demande au Seigneur de
punir sévèrement ses persécuteurs.
(2)
ibid P 56-70 - ils ont aussi, dit-il, empoisonné le Roi Henri Il après sa blessure, J. de Caumont, un
autre pamphlétaire ligueur p 70-71. Popelinière est citè comme le témoin qui l'a noté dans son
Histoire ...

292
commentaire,
sérénité du ton et refus de l'engagement explicite-
cette
oeuvre
peut
être
considérée
comme
une
histoire
pamphlétaire.
On
y
sent
toujours
chez
l'auteur
cette
verve
polémique à laquelle nous avaient habitués ses textes ligueurs.
La démarche de l'argumentation n;a pas non plus varié.
Amputée
de
sa
dernière
partie
l'Histoire
est
plutôt
une
histoire
abrégée et tendancieuse de la Réforme écrite par un catholique
zélé.
Même
comprise
ainsi
la
passion
qui
l'habitait
n'est
pourtant
pas
conjurée
au
point
que
l'oeuvre
devienne
véritablement historique. C'est peut être aussi parce que écrire
sa propre histoire est en même temps faire une autre histoire.
Pour n'avoir pas retrouvé le contexte favorable pour recevoir
une
telle
histoire,
Dorléans
s'était
certainement
abstenu
d'achever la composition de cette oeuvre. Et le regret qu'avait
naguère Hauser d'une histoire ligueuse de la Ligue,
reste ainsi
ent ier. (1)
(1)
Henri Hauser, QQ&lh, T. IV P 9 . L' Histoire de Charles Valois n'était pas non plus compléte. (1589)

293
III-
Les
poésies
politiques
L'oeuvre
poétique
manuscrite
de
Dor léans
se
trouve
dans
un
volume
in-folio portant
le titre
de
"Poésies
chrestiennes".ll)
Comme
les textes en prose
de
l'oeuvre
dite
"Posthume" elle fut
recueillie
et
préparée
par
celui
que
nous
avons
appelé
le
"Rassembleur".
Ce
dernier
a
cherché
manifestement
à
les
faire
publier. (2)
Trés
nombreux,
(plus
de
deux
cents
poèmes
à
forme
fixe),
et
très
varié
(tous
les
genres
poétiques
du
sonnet
à
l'épigramme)
ce
recueil constitue une
sorte
de
"pot-pourri"

le Rassembleur avait mis tout ce qui n'était pas écrit en prose.
Il
nous
fut
très
difficile
de
choisir
des
poèmes
politiques
parmi
un
ensemble
si
hétéroclite
de
textes
aux
formes
et
aux
propos
si
différents.
Les
titres
des
poèmes
n'étaient
pas
de
nature à
nous guider;
certains,
comme le notait Montaigne pour
ses
Essais,
n'en
embrassaient
pas
la
matière
et
beaucoup
pouvaient
venir
du
Rassembleur
lui-même.
Compte tenu
de
( 1) SN ms Ir N° 863
( 2)
L'attestent la disposition et les "avis au lecteur" qui ouvraient les livres.

294
l'orientation de notre recherche qui porte essentiellement Sur
l'oeuvre
dont
l'engagement
politique
est
explicitement
attesté(l),
nous avons retenu dix poèmes dont un de 167 vers.
Ces poésies ont
été
composées
à
des époques
variées.Certaines
remontent même aux débuts des guerres de religion.
La datation
que
nous
avons
tentée
pour
chaque
texte
se
fonde
sur
une
critique
interne
qui
essaie
de
retrouver
dans
le
poème
des
références à
l'époque de
sa composition.
Si nous
avons
réussi
ainsi à donner avec précision certaines dates,
en revanche, pour
dl autres
nous
n'avons
pu
fournir
que
des
"fourchettes Il ,
chronologiques souvent larges.
Nous avons procédé comme pour le
reste
de
l'oeuvre
nous
les
analyserons
par
ordre
de
composition.
L'évolution du style et des idées sera alors plus
facile à mesurer.
( 1) Voir supra, Introduction générale.

296
La référence au Prince de Condé, mort à Jarnac en mars 1569 nous
permet de situer la composition du poème avec plus d'exactitude.
En effet,
entre
la première guerre
de
religion,
(1562)
et
la
bataille de Jarnac deux édits
seulement
ont été
signés
: Paix
d'Amboise,
19 mars
1563
et
Paix
de
Longjumeau
23
marS
1568.
Portant
sur ces deux édits
le poème est
certainement écrit en
1568, après la signature du second.
Comme
le
souligne
son
titre,
le
poème
est
bâti
autour
d'un
dialogue
entre
les phrases
de
l'auteur
et
leur
écho.
Cette
technique poétique permet ici à Dorléans de répondre de manière
habile à
ses propres questions.
Le sentiment du poète
sur les
édits
de
pacification
est
très
négatif.
La
France
est
malheureuse à cause de la rage de ceux qui s'acharnent sur elle
pour des motifs religieux.
L'Amiral de Coligny et le Prince de
Condé sont ainsi désignés co~~e les principaux responsables des
souffrances du Royaume. Sous prétexte
de protéger
le Roi,
ils

295
1. "Echo fait après les deux édits de pacification"(l)
Qui est la nation qu'on dit être en soufrance ?
. . . . .
France
Qui l ' a mize en ce poinct ? qui a meu cet orage ?
. . .
rage
De qui ? de l'AdmiraI,
Dandelot,
de Mouï ?
'"
oui
Qui fait que De Condé tant de Reistres atire ?
.
ire
Quels prétextes ont-ils pour couvrir leurs desseins ?
seins
~
-
Religion est-elle entre ceus là du nombre ?
.
ombre
Ils dizent qu'ainsi fort pour le Roi se tourmentent ..
mentent
Quel moien avoit-on pour les rompre et mater ?
.
hater
Hé quoi? de pendre ceus qui sont traitres en cour ? .
court
Ce fait,
aurions bientôt victoire,
je m·asseüre
seure
Pour traiter cete pais qu'y gagnera la Reine ?
haine
Qui fait que nous n'aurons fin de cete querelle ?
...
elle
Pour y remédier un seigneur i l faudrait
droit
Tu m'entens,
c'est assez,
je me clorai la bouche . . . . .
bouche
Toutefois que de deus bientôt elle choizisse
isse
De Paris pour aller en ses lointains païs
hais
Ou bien en l'autre monde avoir son examen
amen
( 1) BN ms. fr. 863, p 677-678.

297
laissent
les
Réitres
combattre
le
pouvoir
établi.
Dorléans
propose
alors
de les
arrêter et de
les
exécuter pour assurer
l'ordre à
l'intérieur du pays.
Le poète s'en prend à
la Reine
Catherine de Médicis qu'il accuse d'avoir accepté les édits de
pacification
par
opportunisme,
car
c'est
elle
seule
qui
en
profite ; cependant Dorléans ne précise pas en quoi Catherine de
Médicis bénéficiait de
ces édits.
Il
réclame aussi un Prince
intègre et
ferme qui remédierait à
cette déplorable situation
politique. parallèlement,
i l souhaite pour la Reine à la fois un
départ
précipité
vers
"ses
lointains
pays" et
une mort
qui
serait bien salutaire pour la France.
Comme
moyen
d'expression
fondé
sur
le
jeu
sonore
entre
une
parole
et
son
mot
final,
l'écho
pose
des
questions
d'interpréation pas toujours faciles,(l) C'est une forme poétique
qui naît d'un désir de l'auteur d'amplifier la sphère d'audition
de
ses
propres
paroles
auxquelles
est
donnée
une
autre
( 1)
Par exemple le sens des trois vers suivants ne nous paraîl pas évident:
"Pour traiter cete pais qu'y gagnera la Reine? ... haine
Qui fait que nous n'aurons fin de cele querelle ? .. elle
Pour y remédier un seigneur il faudroit..
droit ":

298
répercussion.
C'est
donc un
moyen
d'insistance.
Mais
l'écho
c'est aussi une parole sans instance, non assumée. Un son qui se
manifeste dans
l'anonymat le plus total.
Détaché ainsi de la
parole
qu'il
prolonge,
l'écho
devient
alors
une
opinion
autonome. Cependant,
on peut l'imaginer comme la manifestation
d'un acquiescement,
celui des éléments de la Nature,
à la parole
proférée par le poète. Dans ce sens il prend les dimensions d'un
verbe mystique qui confirme l'idée exprimée.
Ici,
par exemple,
Dorléans
semble
dialoguer
avec
Dieu
lui-même,
ce
dernier
répondant à ses angoissantes questions. Toutefois,
dans son for
intérieur le poète sait que l'écho est bien la manifestation du
Néant,
de ce silence qui entoure la profusion de ses propres
opinions.
Le
rapport
qu'il
entretien
avec
l'écho
devient
finalement
une
relation
ludique,
l'écrivain,
l'auteur
des
paroles
reprises,
jouant
avec
sa
propre
voix
qui
a
pris
désormais
des dimensions
extraordinaires.
L'écho réaliserait
alors,
pour le poéte,
un désir inconscient d'omniprésence ou
d'ubiquité.

299
La facture des vers porte ici les marques d'un apprentissage ou
d'une
maturation
de
la
technique
de
l'écho.
La
structure
du
poème
est
des
plus
simples,
l'écho
ne
reprend
quelquefois
d'ailleurs que la dernière syllabe du vers,
et
il est toujours
en forme de rèponse à la question posée par le poète. Ce qui est
cependant intéressant c'est le
jeu de substitution progressive
des
affirmations
de
l'écho
aux
opinions
que
devraient
naturellement assumer la première voix du texte.

300
2 - "Des Ministres" (1)
Ne verrons-nous jamais cete race périe
et
Qui sans religion,
sans amour sans foi
S'arme contre son Dieu,
son païs et son Roi,
Hazardant son salut,
son honneur et sa vie.
r---- -
Ce sac,
ce sang,
ce feu,
ce- fer,
cete furie
Qui desja par trois fois regorge dessus toi
T'a-elle point apris,
0 France,
que la loi
Des Ministres caf ars n'était que piperie?
Par elle on void le Roi de son bien dépouillé,
Par elle au sang François le François est souillé
Par elle est mis à bas l'orgueil de nos saints Temples.
Sacrilèges, meurtriers et traitres,
aprenez
Que Dieu,
France et son Roi vengeront pour exemple
Leurs Temples,
leurs sujets et leurs biens ruinez.
( 1) BN ms r 863 p 631.

301
La date de composition de ce
sonnet est difficile à préciser.
Une
seule
indication peut
autoriser
une
hypothèse.
En effet,
apostrophant
la
France
après
avoir
dènoncé
le
combat
des
Calvinistes contre le pouvoir et
la religion établis,
le poète
affirme
"
Ce sac,
ce sang,
ce feu,
ce fer,
cete furie
Qui desjà par trois fois regorge dessus toi
"
{l)
En comprenant l'expression "par trois fois" comme traduisant le
nombre
des
guerres,
à
l'époque,
entre
catholiques
et
protestants,
nous pouvons alors situer la composition du poème
entre
1568
et
1569,
période
à
laquelle
avait
commencé
la
troisième guerre de religion.
Ce
sonnet
est
écrit
avec
un
style
et
un
ton
oratoires
et
solennels. Le poète profère d'abord des imprécations contre les
Ministres
considérés
ici comme une race
dangereuse.
Par
une
( 1) ibid
vers 5-6

302
juxtaposition de
la
préposition
négative
"sans",
l'auteur
les
prive de tous les attributs qui pouvaient faire d'eux des hommes
de
Dieu
ou
des
citoyens
honorables.
Les
Ministres
deviennent
ainsi dès le premier quatrain une faction
:
"
Qui,
sans religion,
sans amour,
sans foi
S'arme contre son Dieu,
son païs et son Roi
n (1)
Ensuite,
c'est
à
la France que
le poète
s'adresse.
Ce dernier
cherche
visiblement
à
lui dessiller
les
yeux,
sur
la perfidie
des
Ministres.
Les
accords
de
paix
violés
et
le
massacre
qui
s'en
est
suivi montrent
bien,
pour
l'auteur,
que
l'engagement
des
Ministres
ne
mérite
pas
la
confiance.
Pour
accentuer
la
gravité des ravages et de la férocité des prêtres calvinistes le
poète
tire
parti
d'une
allitération
double
qui
lui
permet
de
concentrer
dans
un
même
vers
l'importance
de
la
force
et
du
nombre des actions qu'il dénonce
"Ce sac,
ce sang,
ce feu,
ce fer,
cete furie ... "
(2)
( 1)
BN ms Ir W 863 P 631 vers 2-3
(2)
ibid ... ,
le rythme des monosyllabes et l'allitération en (F) accentuent la tristesse du poète devant
les faits ainsi évoqués.

303
Les accusations ainsi exprimées par les quatrains sont illustrés
par
le
premier
tercet
dont
chaque
vers
donne
un
exemple
des
effets nuisibles de la loi des Ministres.
Les trois
termes qui
orientaient
la
dénonciation
-" r oi",
"Dieu",
"païs ll -
dans
les
quatrains désignent ici aussi les plus lésés.
Le second tercet exprime une menace.
Le poète
croit en effet à
l'imminence de la vengeance de Dieu,
de la France et du roi qui,
sans
pitié,
châtieront
les
"sacrilèges,
(les)
meurtriers
et
(les)
traitres".ll]
Ce poème
rassemble
toutes
les
qualités
essentielles du
sonnet
satirique.
Les
idées
des
tercets
répondent
à
celles
exprimées
dans
les
qua trains.
Les
anaphores,
chères
à
la
rhétorique
du
temps,
sont
aussi
utilisées
sobrement
et
avec
bonheur.
L'accumulation
de
certaines
expressions
et
la
récurrence
d'autres
-les
possessifs
employés
douze
fois
par
exemple-
donnent
au
poème
une
allure
oratoire
au
sein
de
laquelle
la
prosodie s'est parfaitement alliée à l'éloquence.
(1)
ibid., vers 12-13

304
Rapprochées aussi de la signification que Dorléans donnera à la
mort
de
Coligny
et
au
massacre
de
la
Saint-Barthélémy,
les
menaces proférées
ici
contre
les Ministres prennent une
valeur
prémonitoire. (1)
( 1) voir le sonnel suivan1, W3

305
3- "Sonnet composé sur la mort de l'Admirai de
Coligny, l'heure même"(l)
Celui qu'onquesvivant mes ieus n'ont voulu voir
Irritez qu'il bravait par audace nouvèle
Mon Dieu trop patient,
mon Roi par trop fidèle
Mon païs trop benin pour ses fait recevoir.
Depuis ètant meurtri,
et contre son espoir
Aiant avec le sang vomi l'âme cruele
Mes ieus l'ont voulu voir,
pour remarque éternelle
De l'ire que mon Dieu sur sa tête a fait choir
Je l ' a i donc veü pendu sans chef,
sans mains,
sans bras,
La fable des enfans,
des corbeaux le repas,
La terreur des méchans,
et des bons l'asseurance
Qui mort nous enseignait,
come on doit en tout lieu
Craindre de s'ataquer à l'honeur de mon Dieu
Au septre de mon Roi,
au bonheur de ma France.
( 1) BN ms Ir. N° 863 P 632

306
La date de composition est très clairement indiquée
: août 1572,
au
lendemain de
la
saint-Barthélémy,
quand le corps
de Coligny
fut
hissé au gibet
de
Montfaucon.
Ce
poème
est
plus
connu que
les
autres.
Lié
à
un
événement
mémorable
i l
a
vu
ainsi
sa
fortulle
en
bénéficier.
En
effet,
i l
est
signalé
dès
1854
par
Bordier qui est le premier à découvrir le manuscrit des "Poésies
chrestiennes". (1)
Quelques
années
plus
tard
Tricotel,
en
examinant les vers suscités par la mort de l'Amiral,
mentionnera
ce
poème
de
Dorléans. (2)
Comme
ce
fut
le
cas
naguère
avec
les
victoires de Jarnac et de Montcontout
(1569),
écrire Sur la mort
de
Coligny
était
devenu
un
lieu
commun
pour
les
auteurs
catholiques.
Beaucoup
de
textes
furent
ainsi
composés
pour
sal uer
ce
qu'on
considérait
comme
"la
vi ct oire
du
ciel
sur
l'enfer". (3)
En
écrivant
sur
l'exécution
de
Coligny
Dorléans
sacrifiait
donc à
une mode
littéraire. (4)
En-dehors du bénéfice
qu'il
tire
de
l'événement
sur
lequel
i l
porte,
ce
poème
est
aussi d'une belle construction.
(1)
H. Bordier, "Sonnet de Louis Dorléans sur la mort de l'amiral Coligny", B.S.H.P F. lére série,
Tomme 1-4 - 1855, P 538
(2)
E. Tricotel "Quelques vers sur la mort de Coligny", B,S.H.P F, 2è série, Tome 1-16, 1875, P
83-85
(3) J. Pineaux, "Poésie de cour et poésie de combat: l'amiral Gaspard de Coligny devant les poètes
contemporains", B.S H.P F , Janv- lév, 1972 ,p 32-54. Il ne cite pas Dorléans parmi ces poètes.
(4) Voir Acles du colloque L'amiral de Coligny et son temps, Paris, 24-28 oct. 1972, édit. Société de
l'Histoire du Prostestantisme lrançais, 1974.

307
Le sonnet est bâti sur un jeu d'oppostions et de correspondances
des destinées et des attitudes. Le premier quatrain qui rapporte
une
situation
passée
constitue
en
effet
avec
le
second
une
double
antithèse.
D'abord
l'opposition
des
situations
de
Coligny. Celui-ci durant sa vie se moquait de Dieu,
du Roi et de
la Patrie
: trois autorités les plus dignes d'être honorées par
l'homme.
Mais
une
fois
mort,
Coligny
connaît
un
tout
autre
destin ; tué de manière violente et impitoyable,
il est présenté
sous
les
traits d'un monstre dangereux foudroyé
par la colère
divine. (1)
A ces
deux
sorts
totalement
opposés
correspondent
aussi deux attitudes différentes du poète à l'égard de Coligny:
"
Celui qu'onques,
vivant mes ieus m'ont voulu voir
Depuis, étant meurtri et,
contre son espoir
Mes ieus l'ont voulu voir pour remarque éternelle.
"(2)
( 1)
V.8
( 2)
V. 1 ; 5 ; 7

308
Au refus du vivant que signale le premier quatrain se substitue
le
désir
malin
de
contempler
le
mort
que
décrit
le
second
quatrain.
Le
cadavre est
présenté en
réalité par un
seul vers,
sous
les
traits
d'un
corps
devenu
monstrueux
à
cause
des
mutilations.
Dorléans
jette rapidement son regard sur Coligny mort mais d'une
manière
qui
en
dit
beaucoup
plus
long
qu'une
description'
détaillée
: "je l'ai donc veu pendu,
sans chef,
sans mains,
sans
bras". (1)
Cette ouverture des
tercets au
lieu de se poursuivre
en peinture du gibet
se transforme plutôt en méditation sur la
signification
que
doit
revêtir,
aux
yeux
du
poète,
la
fin
si
cruelle
d'un
homme
aussi
mauvais.
Le
sens
de
cette
mort
est
abondamment souligné. D'abord par une présentation du corps d'où
ne
transparaît
aucune
pitié
"la
fable
des
enfants,
des
corbeaux le repas". (2)
Le cadavre de Coligny est ainsi assimilé
à une carcasse de bête.
Au-delà
d'une telle
identification
le
( 1) jQjQ.... vers 9, p 632
(2)
ibid., vers 1D, P 632

309
poète suggère l'existence d'une symbolique:
la mort de l'Amiral
devient
l'emblème
de
la
vengeance
que
Dieu
prend
sur
les
méchants
pour rassurer
les bons.
Les
leçons
qu'il en tire sont
alors éminemment politiques:
i l faut
respecter l'Eglise,
i l est
dangereux de braver la monarchie et de troubler la France. (1) La
mort
de
Coligny
devient
ainsi
un
élément
qui
nourrit
une
certaine
propagande
politique
et
religieuse.
La
réflexion
a
largement
pris
le
pas
sur
la
description
et
la
jubilation en
face
d'un
ennemi
terrassé.
Si
le
poète
a
éprouvé
du
plaisir
devant
cette mort,
c'est parce qu'elle
le
conforte dans
sa foi
et dans
ses
convictions politiques car,
à
ses yeux,
c'est Dieu
tout
puissant
qui
aide
les
catholiques
à
triompher
de
leurs
ennemis.
Dorléans a ainsi évité de faire d'amples descriptions du cadavre
mutilé
de
Coligny,
ce
qui
était
habituel
chez
les
poètes
catholique de l'époque
;
(2)
cela
constitue,
à
nos yeux,
son
(1)
Vers:
12-13-14
( 2)
Voir E. Tricotel, J. Pineaux, art. cil.

310
originalité.
Le
poème
est
aussi
d'une
belle
facture
alexandrins
réguliers,
rimes
intérieures
aux
hémistiches.
Utilisant
les
possibilités
assez
larges
du
sonnet
satirique
Dorléans
joue
sur
les
oppositions
entre
les
quat:rains
et
les
tercets
d'une
maniènz complexe
grâce
à
la
double
articulation
entre
le
sort
de
Colign::f
et
l'attitude
du poète à
son égard.
Signalons enfin que Dorléans sera plus
sévère devant
le cadavre
de l'Amiral quand i l l'évoquera dans
ses textes ligueurs. (1)
( 1) Voir~, 2è J2.il11jg, chao. 2 Les Pamphlels

311
4
"Sur l'édit de pacification (1)
Le pacifique édit comme argent monoié
Qui avoit pris son cours es païs de la France
Fut forgé sur le fer d'une guerrière lance
Et marqué souz le coin d'un boulet foudroié.
Pour montrer qu'il n'étoit ni faus ni décrié
Il eut le nom de roi qu'il porte pour semblance
Tellement qu'un chacun peut avoir asseurance,
Qu'il ne fut onque fait d'aloi falsifié.
Mais les faus monoieurs qui soudain l'empoignèrent
Pour faire leur profit peu à peu le rognèrent
Tant qu'il fut méconeu pour monoie de Roi.
On le met au billon,
la fournaize s'allume,
On reprend derechef et le coin et l'enclume,
Pour lui donner sa force et son premier aloi.
( 1) SN ms fr 863 p 638-639

312
Un
vers
du
poème
nous
permet
de
le
dater
avec
exactitude
parlant de ce édit Dorléans écrit en effet
" I l
eut le nom de
roi
qu'il porte pour semblance".(l)
Or nous
savons
que
l'édit
qui porte le nom d'un Prince est celui qui fut
signé à Beaulieu
le 6 mai 1576,
et qui est connu sous l'appellation de "Monsieur"
en l'honneur de François d'Alençon.
L'importance des concessions
que
ce
texte
faisait
aux
protestants
avait
d'ailleurs
été
à
l'origine de la formation de la première ligue. (2)
Ici
l'opposition
dans
la
construction
du
poème
est
classique
pour
un
sonnet
satirique,
elle
porte
uniquement
entre
les
quatrains
et
les
tercets.
Dans
le
premier
quatrain
Dorléans
présente
la paix
ainsi
signée
comme
le
fruit
d'une
âpre
lutte
entre
les
partis.
Elle
est
aussi
considérée
comme
un
échange
dont les termes sont désormais courants en France.
Et l'on voit
( 1) Vers 6
(2)
Voir Barnav~ Descimon, QJL.9L, p 37

313
déjà paraître l'hostilité du poète pour de tels accords avec les
protestants
:
"
Le pacifique édit comme argent monoié
Qui avoit pris son cours es pais de France.
"(1)
Cette attitude négative se manifeste aussi dans la contradkhon
entre
certains termes
l'pacifique
édit'r/"fer
d'une
guerrière
lance".
Pourtant,
le
deuxième
quatrain
semble
souligner
le
caractère positif
de
la
paix ainsi
rétablie.
Il
rappelle
ses
éléments
de
crédibilité
on
lui
donne
"le
nom de
Roy"
pour
montrer que de part et d'autre l'accord était sincère.
Mais cette présentation de la cohérence des termes de l'édit et
des suites qu'on pouvait lui donner prépare un coup de théâtre.
Les
tercets,
en
effet,
nous
montrent
la
trahison
d'une
des
parties
qui
s'en
est
suivie.
Les
"faus
monoieurs"
-les
calvinistes- n'ont pas tenu leurs engagements.
Ils
ont surtout
( 1)
Vers
1-2

314
perverti les termes de l'édit,
entraînant ainsi la reprise des
affrontements et des négociations. (1)
L'engagement
de
Dorléans est
ici moins
nettement
exprimé.
Une
certaine sérénité se manifeste dans
la présentation,
néanmoins
partiale,
de
"Monsieur"
que
les
futurs
ligueurs
avaient
si
fortement décrié.
Au
plan
de
la
composition,
il
est
intéressant
de
noter
le
registre de bruit et de
fureur
ici employé pour parler d'un
accord de paix
nforgé
sur le
fer",
"guerrière
lance",
"un
boulet
foudroié",
"le rognèrent",
"la
fournaize
s'alume".
En
suscitant ainsi dans son texte une contradiction entre les mots
et
la
chose
qu'ils
sont
censés
exprimer,
l'auteur
cherche
délibérément à montrer la vanité de l'édit.
(1)
Ibid., Vers
12-13-14

315
5 - "Sur le gouvernement de la France" (1)
Quand nos Rois les plus grans,
un Lays,
un François,
Se contentaient du nom ou de Roi ou de Sire,
La France florissoit souz leur croissant empire,
Estans les noms égaux aus moindres que les Rois.
Mais depuis qu'on aveu corompre toutes lois,
L'insolence de ceus qui font un Roi de cire,
Esclaves,
éhontez de son plaizir ou ire,
Ne délaissant au Roi que le nom et la vois
La France,
décroissant pour toute récompense
A pris sur l'Espagnol l'idolatre ventence,
Qui égale de nom l'homme à la Deité ;
Et or que son état ruineus hypocrize,
Et double ses propos,
qui est-ce qui n'avize
Leurs Majestez en France estre sans majesté.
( 1)
BN ms fr. 863
p 639

316
Le sonnet a sans doute été écrit avant la Ligue et sous Henri
III. En effet, certaines idées du texte font penser au portrait
que
l'on
faisait
de
ce
roi,
même chez
les
catholiques
un
prince aimant les plaisirs et de caractère très vélléitaire. Au
plan de
la
satire politique Dorléans
semble partager ici le
point de vue des pamphlétaires
huguenots
au lendemain de la
Saint-Barthélémy.
Ce sonnet invite les monarques à
faire preuve d'humilité,
de
modestie
et
de
fermeté
devant
les
flatteries
excessives de
courtisans
trop
intéressés.
La
France
de
jadis
est
encore
opposée à l'état actuel du Royaume.
Ses Rois du passé étaient
les
modèles
du
genre
grâce
à
leurs
vertus
morales
et
religieuses,
alors qu'aujourd'hui les rois de France vivent dans
un univers de péchés et de plaisirs. Ensuite au plan économique,
le poète note que la France des anciens rois avait toujours été
prospère
alors
que
celle
d'aujourd'hui
connaît
un
sort
malheureux.

317
Les
rois
donnés
en
exemples
sont
ceux
que
citeront
les
pamphlets
ligueurs
"Loys,
François ... ".
Cette
opposition
exprimée par le premier quatrain est accentuée par le second qui
insiste davantage sur la déchéance morale de la cour de France
de l'époque.
La contradiction qui se situe entre l'attitude des monarques de
jadis et celle des princes d'aujourd'hui est
introduite par un
"mais"
qui permet de rendre l'opposition des idées beaucoup plus
nette dans l'expression.
L'image donnée de la France est aussi
doublement négative.
Ses
rois
sont
faibles,
corrompus par les
vices d'une cour sans
foi
ni loi.
Cette dégénérescence morale
prépare
le
lecteur
à
l'affirmation
de
l'affaiblissement
économique du royaume,
ce sur quoi insistera le premier tercet.
L'image du
souverain que donne ce quatrain nous montre un roi
baignant dans la concupiscence au milieu de courtisans eux-mêmes
sans scrupules.
C'est aussi une image conforme au
portrait que

318
les pamphlétaires huguenots,
et un peu plus tard Dorléans et les
autres
ligueurs,
donnaient d'Henri
III
;
"un roy de cire"
(1)
donc
maniable
par
des
conseillers
devenus
selon
le
poète
"esclaves éhontez de son plaizir ou ire", (2)
Le
premier
tercet
continue
l'opposition
exprimée
par
les
quatrains.
Il suggère surtout que la décroissance économique que
connaissait
la France
d'alors
était
le prix à
payer pour les
vices de ses rois et de leur cour.
Le vice,
qui est reproché aux
Français
est
en
réalité
un péché,
celui d'avoir
fait
de
leur
roi,
à
la manière des Espagnols rappelle le poète,
le semblable
de Dieu.(3)
Cette attitude d'orgueil,
qui dénote une absence de
foi,
demeure à
ses
yeux la
cause des malheurs
de
France.
Les
charges
retenues contre
les
rois
et
leur cour
s'accumulent et
s'accentuent
dans
le
second
tercet.
La
France
est
ainsi
présentée
comme
le
pays
de
la
vanité
et
de
1 'hypocrisie,
un
royaume

le
roi
se
soucie
beaucoup
plus
des
paroles
( 1) illliL Vers 6
(2)
ibid., Vers 7
(3)
Vers 11.

319
lénifiantes de conseillers et de magistrats désormais gagnés par
l'hypocrisie.
Un gouvernement de
l'imposture est ainsi érigé à
la place du
règne
saintement ordonné par
les
lois du royaume.
Cette situation engendre,
c'est naturel de l'avis du poète,
une
perversion
de
la
fonction
méme
des
rois
de
France.
Dorléans,
utilisant
l'antanaclase,
figure
par
excellence
du
jeu
polysémique,
suggère
qu'une
telle
décadence
semble
étre
désormais l'état définitif de la monarchie:
" ( ... )
Qui est-ce qui n'avize
Leur Majestez en France estre sans majesté.
,,(1)
Ce
sonnet
est bien un
modèle
de
satire politique.
Méme
si le
Prince de l'époque n'est pas nommé les allusions devaient être
très
explicites pour
les
lecteurs
de
ce
temps.
Au
plan de
la
composition,
Dorléans
ne
fait
que
reprendre
ici
les
jeux
antithétiques que permet
le
sonnet entre
les quatrains et les
tercets.
(1) i..Q.lQ., vers 13-14

320
6
"A la louange et blâme des
feus
sieurs
cardinal de
Loraine et Duc de Guize" (1)
Par l'aliance
et amour éternelle
D'un cardinal,
faite avecque le Roi,
On void tout mal
ne trouver plus de quoi
Batre la France
et sa fleur immortele
Qui Dieu déprize
Il sent sa main cruele
Lui jusqu'au bout
aime et soutient la foi
Qui pille tout
et veut vivre sans loi
Son frère Guize
aflige de bon zèle.
Ces deus fort bien
aians un coeur uni
Gardent que rien
demeurant
impuni
Ne leur échape ;
o très heureuze France
Car l'un de soi
canais sant combien craint
Veut être un Roi
sa
justice i l avance
Et l'autre un Pape
invite,
tant est saint.
( 1) BN. ms Ir N° 863, P 637

321
Ce sonnet,
malgré son titre,
fut
composé du vivant des Guises,
donc avant
décembre
1588. (1 )
Le contenu du texte ne permet pas
le
doute
sur
l'actualité
des
actes
loués
ici
ou
des
blames
suggérés.
Il nous montre aussi que le titre du poème n'est pas
de
Dorléans
mais
du
rassembleur
qui
a
jugé
nécessaire
de
mentionner la mort des princes Lorrains.
La structure du poème est bien soulignée par le titre
:"louange
et
blame . . . " En
effet,
i l
s'agit
d'un
sonnet
rapporté (2 )
ou
sonnet à double sens de lecture.
Il est partagé en deux colonnes
,
qui,
lues separément
dans
le
sens
vertical,
présentent
deux
contenus tout à fait différents.
Toutefois,
la deuxième colonne
en
elle-même
ne
constitue pas
un
sens
elle
se
lit
avec
la
première pour donner
le
sens
général
du
texte
qui est
ici un
éloge des Guises.
En revanche,
la première colonne présente une
signification tout à
fait opposée,
elle est une satire plus ou
moins voilée du Cardinal de Lorraine et du Duc de Guise. Un seul
sonnet permet ainsi à l'auteur de faire cohabiter dans une même
instance deux jugements contradictoires.
( 1) Date à la quelle les Guises furent assassinés à Blois sur ordre du roi Henri III (23 décembre)
(2)
Ainsi appelé par la critique, voir Henri Marier, pictionnaire de poétique el de rhétoriaue, Paris,
PUE. 1961 (3è éd. 1981) Estienne Pasquier pense que son petit fils, en est l'inventeur, Recherches
de la france ... t VII, chap. IX p 793, cité par Marier.

322
Lu comme un ensemble,
le poème est bien une louange des frères
Guises.
Le premier quatrain prèsente
les
effets positifs qu'à
eus
l'entente
entre
le
roi
et
le
cardinal
de
Lorraine
la
France
devenue
tranquille
mène
une
vie
heureuse.
Le
deuxième
quatrain accentue l'éloge en soulignant l'importance de l'appui
que le cardinal apporte à la Religion. Les ennemis de Dieu et du
roi sont devenus,
aux yeux du poète,
les victimes du cardinal et
de son frère.
Le premier tercet
les présente
comme
de
véritables
justiciers
dans une France maintenant débarrassée de tout ce qui pouvait la
perturber
et
la
rendre
malheureuse,
car
ces
princes
n
gardent que rien demeurant impuni
Ne leur échappe ;
0 très heureuze France
"
(1)
Le deuxième tercet détermine précisément la fonction sociale de
chacun deS deux frères.
Le duc comme bras droit du roi assure le
(1)
Vers 10-11

323
respect
et
la
grandeur
du
pouvoir
monarchique.
Le
cardinal,
quant
à
lui,
figure
par
sa vertu
la
sainteté du Pape dont
il
veille à ce que les ordonnances soient suivies.
La première colonne des vers rapportès dresse,
au contraire,
un
portrait bien différent des deux frères.
Le premier quatrain de
cette moitié du sonnet dit le contraire de ce qu'avait exprimé
le quatrain de
l'ensemble.
Le
cardinal de Lorraine est
ici le
responsable
des
malheurs
advenus
en
France.
Il
est
aussi
considéré par le
second quatrain comme un ennemi de Dieu,
son
frère
le
duc
de
Guise
comme
un
accapareur
des
richesses
du
royaume.
Les
deux
tercets
accentuent
les
accusations
de
vols
et
de
rapines.
Les derniers
vers
sont
très
sévères
venant de
la
plume d'un thuriféraire des Guises la dénonciation nous paraît
relever du paradoxe
:
"
Car l'un de soi
Veut estre un Roi
Et l'autre un Pape
"
(1)
(1)
ibid
Vers
12-13-14

324
Cette accusation fréquente dans
les textes calvinistes!l)
devait
être très exceptionnelle chez les catholiques.
Ce
sonnet
rapportè
permet
ainsi
à
Dorléans
de
jouer
sur deux
points de vue opposés sans éliminer sa faveur pour la première
lecture.
Si
le
deuxième
sens
de
lecture,
celui
de
la première
colonne,
est
bien
marqué
par
la
division
du
texte,
i l
ne
se
situe pas au même niveau,
que celui du sonnet.
le texte lu cOmme
une
totalité
acquiert
des
qualités
poétiques
qui
incitent
le
lecteur à considérer l'autre sens comme un sous-poème,
comme une
seconde
voix
à
la
résonance
bien
faible.
Cette
dissonnance
voulue par
le poète entraîne
la prééminence de
l'éloge
sur
le
blâme des Guises.
Beaucoup plus qu'un jeu sur la disposition des
vers
et
des
rimes
le
sonnet
rapporté
devient
ainsi
un
texte
ambivalent
assurant
de
manière
complexe
l'entrelacement
de
points de vue antithétiques.
(1)
Voir J Pineaux, La Poésie des protestants de langue francaise (1559-15981, Paris, Klincksieck,
1971 ... On peut aussi, à juste raison, s'interroger sur J'origine réelle de ces vers.

325
7
"Des
derniers
trou bles" (1)
La France est aujourd'hui le public eschafaut,
Sur lequel la discorde insolente et hardie
Jouë à notre malheur sa tr1te tragédie,
Ou la fureur sanglante et le mal ne défaut.
L'avare Italien,
l'Espagnol fin et caut,
Le paresseus Anglois,
et la troupe étourdie
Des mutins Alemans,
que la France mendie
Regardent ce téâtre,
et bien peu leur en chaut.
Le premier en nourrit sa gourmande petrize
L'autre acroit cependant,
et le tiers en devize
Bien joyeus que le quart se charge du butin.
Mizérable François,
qui sers de nourriture,
D'accroissance,
de fable,
et de dépouille seure
A l'avare,
au ruzé,
à
l'oisif,
au mutin.
(1)
BN ms. fr. W 863 P 637-638

326
Composé
certainement
pendant
la
Ligue,
comme
a
voulu
le
souligner par le titre le rassembleur des manuscrits,
ce sonnet
pleure
les
malheurs
de
France
aveC
un
accent
qui
frise,
à
quelques
endroits,
le
tragique.
Les
pays
voisins,
alliés
ou
ennemis de la France,
sont ici considérés comme des spectateurs
intéressés du drame français.
Le
premier
quatrain
avec
un
langage
bien
en
images
situe
clairement l'ampleur et l'origine du mal. La France est comparée
à
un théâtre sur lequel évoluent la discorde et
son cortège de
malheurs. la querelle entre les citoyens est considérée comme la
SOurce de la catastrophe que le pays était en train de vivre.
Continuant l'usage du registre dramatique,
le deuxième quatrain
implique dans le drame les quatre voisins de la France auxquels
Dorlèans
attribue
un
défaut
particulier
"L'avare
Italien,
l'Espagnol
fin
et
caut,
le paresseus Anglais
( ... )"
et
les
"mutins Alemans". (1)
Ils sont présentés par les tercets
comme
( 1) .i.!l.l.\\L. vsrs 5-6-7

327
des
opportunistes
qui
tirent
profit
de
cette
situation
de
France.
La
distribution
du
profit
entraîne
celle
des
qualificatifs
avec
des
accents

le
pathétique
côtoie
le
dépit
Dorléans
achève
son
poème
par
une
accusation
à
peine
voilée des état voisins
"
Mizérable François qui sers de nourriture
D'accroissance,
de fable et de dépouille seure
A l'avare,
au ruzé,
à l'oisif,
au mutin.
"
(1)
Le langage de théâtre utilisé ici entraîne certaines
métaphores
la
discorde
personnifiée,
la
France
représentée
comme
un
"public
eschafaut"
et
les
voisins
considérés
comme
des
spectateurs.
Cette
présentation
allégorique
des
troubles
de
France accentue la charge satirique du poème en lui donnant une
coloration
tragique.
Même
si
les
pays
dénoncés
ici
ont
une
certaine part de responsabilité dans ces malheurs,
la France est
loin
d'être
une
victime innocente; bien
au contraire, elle
(1 )
~ vers 12-13-14

328
subit les effets pervers de la discorde qu'elle nourrissait. Les
attaques
contre
les
Espagnols,
alliés
traditionnels
des
catholiques
français
s'expliquaient
difficilement
à
l'époque.
Comme la critique des Guises,
cette dénonciation est tout à fait
exceptionnelle chez Dorléans.
8 - "Aus Prélats de France"(l)
Ce
sonnet
est
certainement
écrit
à
la
fin
de
la
Ligue.
Les
plaintes de Dorléans contre les prélats
insistent beaucoup sur
l'abandon par ces derniers du combat contre les adversaires de
l'Eglise.
C' étai t
probablement
pendant
les
périodes
qui
ont
suivi l'abjuration d' Henri de Navarre. (2)
( 1)
BN ms Ir 863 - p 644
(2) 25 juillet 1593, Dorléans compose à la même époque son Banquet du conte d'Arête... voir ~ 2è
partie, chap 2

329
Les dignitaires de la Religion catholique dont la mission était
de
protéger
l'Eglise
contre
toute
perversion
sont
devenus
complices des ennemis de Dieu. Le prélat que l'auteur apostrophe
ici est le représentant d'un
ordre religieux déloyal et rebelle
:
de berger il est devenu loup pour le troupeau du Seigneur.
Pour le poète ces
dirigeants de
l'Eglise,
par
leur attitude
d'expectative,
encouragent
la
destruction
violente
de
la
Religion.
"C'est à vous qu'à bon droit, et de vous je me plains
Prélats trop endormis au grand mal qui nous mine". (1)
Ce que leur reproche surtout Dorléans c'est d'avoir abandonné le
combat
contre
les
ennemis
de
l ' Egl ise,
alors
qu'ils
devaient
continuer
à
user
des
seules
armes
idéologiques
dont
ils
disposaient
:
"
Toutefois nul de vous pour la cauze divine
N'a les cris en la bouche et les écrits aus mains
"(2)
( 1)
ibid ..
(2)
lJ2ld...., vers 13-14

330
]comme
s ' i l
s'agis sai t
d' hérét iques,
le
poète
leur
promet
le
Ichâti~ent exemPlai~e de Dieu. Bien que les ennemis de l'Eglise
ne Salent pas nommes ici on a bien le sentiment que ce sont le
!roi de Navarre et ses partisans qui sont visés par le poéte.
la
ISévérité du ton cache mal le dépit qui transparaît,
quelquefois,
l~s
\\dans
jugements de l'auteur.
La hardiesse des propos loin de
,soutenlr
une
ardeur
combattante
annonçait
alors
l'imminence
Id'une défaite que le poète savait désormais inévitable.

331
9
-" Contre
les
Huguenots
sur
la
prize
de
la
ville
de
Cambraï" (1)
C'est
un long poème de
167 vers,
plus
sévère
à
l'égard cie la
noblesse catholique passée aux côtés du roi de Navarre qu'envers
les Huguenots,
Le texte est une virulente satire politique qui
fait
le bilan des torts et des trahisons supposés ou réels des
princes
de France au cours
des
neuf
années
d'existence de
la
Ligue. Comme le sonnet précédent,
ce texte fut composée au début
de
la défaite des Seize;
les anciens alliés,
les nobles sont
aujourd'hui
pris
pour
des
traitres
pour
avoir
accueilli
le
J'Bearnais"
devenu Henri IV.
Le portrait de la noblesse française est des plus accablants.Les
quatre vertus qui traditionnellement rendaient quelqu'un
noble
( 1 ) SN, ms fr W 863 P 744 à750. Cette ville de Cambrai dont le texte du poème ne fait mème pas cas
est plutôt rendu célèbre par la "Paix des dames" qui y fut signée en 1529 entre Louise de Savoie au
nom de Français 1er et Marguerite d'Autriche au nom de Charles Quint, son neveu. Elle ne sera
",'unie à la France qu'à la fin du XVIIe siècle.

332
sont niées chez les princes de France
"
( .. )
vous Noblesse foie
( ... )
Qui ne tenez honneur,
foi,
ni loi,
ni parole". (1)
En
effet
les
"nobles"
par
déloyauté
ont
livré
à
l'ennemi
les
villes
du
royaume
et
les
temples
de
Dieu.
Le
courage de
leurs
ancêtres
est
aujourd' hui
abandonné,
et
l ' hérésie
manifeste
partout
son
insolente
victoire.
Contrairement
à
la
vieille
noblesse,
la
"noblesse folle" a
ses
"dextres dégoutantes ... du
sang de
(ses)
sujets". (2)
Alors
que
la première protégeait
les
citoyens
et
leur
religion,
la
seconde
les
vend
à
leurs
pires
ennemis.
L'opposition
entre
ces
deux
sortes
de
noblesse,
déjà
présente dans
les
pamphlet
ligueurs
de
Dorléans,
fonde
ici
le
développement du poème alors qu'elle
se
greffait
simplement au
texte
dans
les
autres
oeuvres. (3)
De
la bravoure,
de
l'honneur
et de la
foi
sont
issus paradoxalement
les plus
grands vices
:
le poète présente la noblesse du temps comme
l'exact
contraire
( 1) ibid.. P 745
(2) iQilL, P 745
(3)
Dans l'Advertissemen! de 1586, par exemple,

333
de celle qui
lui a donné naissance.
Se réalise alors
l'une des
plus monstrueuses perversions naturelles
:
"
On dit que le lion du lion prend naissance
Mais les aigles ont fait des buzes en la France
"
(1)
Au
tribunal
de
la
postérité
les
"nobles
bâtards"
seront
sévèrement condamnés.
pourtant,
pour le poète,
ces plaies que la
trahison
fait
à
leur
honneur
ne
les
préoccupent
pas
outre
mesure,
divertis
par
les
vices
de
la
cour
ils
ont
perdu
le
sentiment même de l'honneur.
La
richesse
malhonnêtement
acquise
devient
alors
leur
unique
souci.
Jouant
sur
le
double
sens
du
mot
"écu",
bouclier
du
chevalier
et
pièce
de
monnaie,
Dorléans
exprime
ainsi
la
déchéance morale des nobles
:
"
L'argent est le vrai Dieu dont vous faites mémoire
L'argent est votre
honeur,
l'argent est votre gloire
Sans l'argent vos écus seraient mal blazonez
Et sans l'or qu'ont paié vos sujets rançonez.
"
(2)
( 1) ibid..
P 746. Les buses sont des oiseaux rapaces, aux formes lourdes, qui se nourrissent de
rongeurs.
(2)
ibid. , P 747

334
Ayant
ainsi
abandonné
les
vertus
chevaleresques
de
leurs
ascendants,
les nobles ont causé la ruine du royaume de France,
aujourd'hui à
la merci des armées huguenotes.
En quelques vers
Dorléans
dénonce
la
cruauté
des
calvinistes
comparés
une
nouvelle fois à une troupe de sauterelles affamées dévorant tout
sur leur passage.
Cependant,
malgré le titre donné au poème par
le rassembleur,
les véritables cibles des attaques du poète ne
sont
pas
les huguenots.
La noblesse est
considérée plutôt
ici
comme l'unique responsable des malheurs de France
"
Voilà comme c'est vous,
0 peu sage Noblesse,
Qui avez aiguisé le couteau qui nous blesse,
Qui avez contre nous les élémens armez
Qui faites qu'on ne void que peuples afamez,
Qui
faites que le ciel reserre l'abondance
Qu'autrefois à grands seaus i l versoit sur la France
" ( 1 )
( 1)
ibid. , P 748 - "reserre" a le sens de diminuer très fortement.

335
Pour
avoir
délibérément
choisi
la
voie
de
la
faute
et
de
l'erreur,
la noblesse doit
subir les châtiments exemplaires de
Dieu.
Les
menaces
sont
beaucoup
plus
cruelles
qu'elles
ne
l'étaient dans les pamphlets,
cette fois avec la noblesse toute
la France sera décimée.
Conscient
un moment
que
les
calimités
promises sont trop excessives pour être crues,
Dorléans s'écrie
qu'il ne demande pas plus de crédit que n'en avait eu Cassandre
des Troyens.
L'allusion historique donne au passage des allures
bien
prophétiques
pour
n'avoir
pas
cru
les
paroles
de
Cassandre les Troyens ont été massacrés et leur ville détruite.
Le
poète
inspiré,
se
fait
le
porte-parole
d'une
puissance
supérieure qui lui dicte les choses à advenir :
"
C. . . )
atendez seulement,·
• Vous verrez de ma vois le triste événement.· (1)
Au plan du style des procédés rhétoriques devenus habituels chez
Dorléans,
sont
abondamment
utilisés.
L'anaphore
et
l'accumulation
par
exemple,
donnent
au
poème
des
accents
( 1) iQi.çL
P 750

336
oratoires
très
marqués
ce
qui
rend
l'invective
contre
la
noblesse plus
incisive.
Il faut
noter,
enfin,
que les opinions
avancées dans ce long poème sont,
pour l'essentiel,
celles que
Dorléans avait déjà affirmées dans
les pamphlets de
la période
radicale de la Ligue. (1)
( 1) Surtoul après août 1589, (mari d'Henri III),

337
10
"Des troubles de Fr'ance et de Flandres" (1)
Si je puis bien
juger de cete passion
o Flandre où je te voi, et toi ma chère France
Votre mal est pareil,
en pareille oubliance,
Et des auteurs pareils en pareille action.
Deus Princes,
atirez de pure ambition
Deus Cardinaux poussez de haine et de vengeance,
Deus rois
joints de bonté,
comme ils sont d'alliance
Nourrissent, et non vous,
votre sédition
Les deus Princes devoient incontinent mourir,
Les cardinaux devoient à
leur troupeau courir,
Les Rois devoient punir de tous deus la malice
Princes,
cardinaux,
Rois r
aprenez vérité
Vous perdez vos états,
votre honneur,
et service
Par votre ambition,
et vengeance,
et bonté.
( 1)
BN ms f. 863, P 628-629

338
Ce
sonnet
a
été
certainement
composé
au
cours
de
son
exil à
Anvers. (1)
Les
références aux réalités politiques des deux pays
ne
sont
pas
assez
explicités
pour
nous
permettre
d'en
situer
l'année.
Le
texte
laisse
cependant
transparaître
un
certain
apaisement de
la passion polémique,
produit
du temps qui doit
s'être écoulé depuis la fin
de la Ligue.
L'invective politique
a, en effet,
laissé la place à la poésie morale.
La Flandre
et
la France
souffrent,
selon Dorléans,
des
mêmes
malheurs,
effets
de
causes
elle-mêmes
semblables.
Le premier
quatrain,
sans indiquer les origines véritables de la situation
déplorable des deux pays,
insiste fortement sur la similitude de
leur destin
:
"
Votre mal est pareil en pareille oubliance,
Et des auteurs pareils en pareille action.
"
(2)
La répétition de "pareil" permet alors au poète de renforcer cette
communauté de sort. pourtant,
l'ouverture
du
poème
admet
une
(1)
Voir supra 1ère partie chao 2
( 2)
Vers 3-4

339
éventuelle erreur dans l'appréciation de l'auteur:
"Si je puis
bien
juger
de
cete
passion". (1)
Pourtant
la
formulation
est
suivie,
dans
tout
le
texte,
de
certitudes
considérées
comme
relevant
du
bon
sens.
C'est
entre
les
termes
d'une
telle
contradiction qui se situe le caractére polémique du poème.
Le deuxième quatrain,
sur un ton plus
ferme,
expose les causes
véritables
du
mal
commun
déjà
annoncé.
En
Flandre
comme
en
France,
les
vices
des
guides
politiques
et
religieux
ont
entraîné
les
troubles
dont
ces
pays
sont
le
regrettable
théâtre
:
"
Deus Princes atirez de pure ambition
Deus Cardinaux poussez de haine et de vengence ..
"
(2)
Cette perversion morale de l'élite politico-religieuse alimente
une
sédition
devant
laquelle
les
rois
des
deux
pays
sont
complétement impuissants.
Le
poète
semble
d'ailleurs admettre
( 1)
Ver 1
( 2)
Vers 5-6

340
ici
une
certaine
bonté
des
rois
régnants
de
Flandre
et
de
France.
Après
cet
exposé
des
fautes,
le
poète
profère
les
condamnations
la
mort
aux
"deux
Princes lI ,
aux
cardinaux,
i l
ordonne de rejoindre leurs ouailles
;
quant aux rois,
Dorléans
leur
demande
une attitude de
fermeté
à
l'égard des
vices des
grands.
Le deuxième tercet,
sorte de
conclusion ayant
un caractère de
vérité générale,
présente les vertus cardinales du bon prince et
du bon cardinal.
Le ton employé est certes moralisant,
mais les
échos des paroles sont réellement menaçants
"
Princes,
cardinaux, Rois aprenez vérité
Vous perdez vos états,
votre honneur et service
Par votre ambition,
et vengence,
et bonté.
"
(1)
(1)
ibid. , vers 12-13-14

341
Ces
leçons morales donnent
à
la fin
du poème
les allures
d'une
fin de fable.
En effet,
tout s'est passé comme si ayant
raconté
une
histoire
exemplaire
-la
fable-
l'auteur
en
tirait
dans
ce
tercet,
la moralité appropriée.
Signalons,
enfin,
que
ce
sonnet
a
été
traduit
en
italien.
Le
texte manuscrit
de
la traduction
suit dans
le
recueil celui du
poème en français. 11)
Nous n'avons pas pu déterminer l'auteur de
cette
traduction
comme
Dorléans
n'avait
pas,
à
notre
connaissance,
de
compétence
linguistique
en
italien,
nous
pouvons dire qu'elle ne pouvait être de lui. (2)
Les manuscrits que nous venons d'analyser constituent une oeuvre
protéiforme à bien des égards.
la variété du style et des formes
pratiquées,
bien
qu'elle
soit
un
signe
de
richesse,
laisse au
lecteur
une
impression de
désaccord entre
les
diverses parties
de l'oeuvre.
On
se croit un
moment
devant un
texte qui est à
( 1) ms. fr. N" 863, P 629
(2)
Cette traduction pouvait étre "oeuvre de quelqu'un qui a voulu donner aux idées du texte une plus
grande résonance en les utilisant comme armes idéologiques dans un contexte Halien. Rappelons
que l'Advertissement des catholiques Anqlois de 1590 de Dorléans avait été traduit en Espagnol
pour des raisons d'efficacité de la satire politique.

342
l'état de brouillon,
au stade d'élaboration.
Il est vrai que le
rassembleur du manuscrit
a beaucoup contribué
à
susciter ce
sentiment d'être devant une oeuvre inachevée. La disposition des
textes,
leur
agencement
comme
leurs
intitulés
découlent
du
choix,
arbitraire
quelquefois,
du
rassembleur.
Ce dernier a
fortement posé sa marque sur cette oeuvre à laquelle il a essayé
d'imprimer une forme qui ne serait certainement pas celle que
l'auteur aurait choisie.
Nous pensons
d'ailleurs
que
Dorléans
n'en
destinait pas une
bonne partie à la publication,
il lui était par exemple plus
facile d'éditer les poèmes anticalvinistes au moment où il les
avait
composés. (1)
Les
règnes
d'Henri
IV et
de
Louis
XIII,
époques
de
relatif
apaisement
des
tensions
religieuses,
n'étaient point propices pour de telles publications. Dorléans
en était
certainement
conscient
qui
a
préféré
abandonner
ses
manuscrits dans le secret de son cabinet de travail.
Cependant,
( 1) Comme il a d'ailleurs fait avec son Cantioue de Victoire ... (1569) sur Jarnac et Montcontour.

343
ils
ont
une
valeur
littéraire
importante.
La
continuité
des
opinions politiques et religieuses de l'auteur y est manifeste.
La diversité des
formes
littéraires mises en oeuvre ici montre
que
la polémique et
la satire s'insinuent très bien dans tous
les genres quand le talent de l'écrivain décide d'en varier les
formes
canoniques.
Les manuscrits nous prouvent,
en effet,
que
les pamphlets du temps de la Ligue n'étaient pas l'unique voie
du
débat
polémique,
même
s'ils
en
sont
la
plus
fréquentée.
Toutefois,
les
écrits
inédits,
si
enflammés
qu'ils
puissent
être,
restent toujours une polémique manquée car ils sont privés
de
ce
travail
de
lecture
qui
les
situe
et
les
comprend.
Cet
achèvement indispensable de l'oeuvre est le gage de l'efficacité
polémique et satirique escomptée par l'écrivain engagé.

344
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
La ligue parisienne,
comme organisation de combat,
a
ainsi
produit une
littérature â
son
image et pour
les besoins de sa
cause,
Cette oeuvre de publicistes a eu aussi ses chefs-d'oeuvre

le
travail
de
la
forme
n'a
pas
été
sacrifié
aux
visées
polémiques, (1)
Par bien
des
points,
les
pamphlets
de
Dorléans
constituent un modèle au sein de cette littérature ligueuse,
Considérée
dans
SOD
intégralité
l'oeuvre
de
Louis
Dorléans
apparaît comme trés variée au double point de vue des titres et
des
genres
littéraires
pratiqués,
C'est
également
une
oeuvre
riche
et
complexe
malgré
l'apparente
facilité
que
l'on
croit
souvent avoir â
la classer parmi "ces libelles très rapidement
dépassés par l'actualité",
L'originalité de certaines
idées de
Dorléans
et
l'ambiguïté
observée
dans
ses
attitudes
socio-politiques
déroutaient
un
peu
les
chroniqueurs
de
( 1) Le Dialaaue d'enlre le Maheustre el le Manant.... l'Adverlissement des Catholiques Anqlais de
Darléans el les Paraboles de Chicot en torme d'advis sur l'Estal du Roy de Navarre, s. L, 1593
(imité de Rabelais et prêté à Chic 0, fou du roi) sont malheureusement les seuls à être tenus pour
bien faits par les témoignages de l'époque; et un lei jugement est quelquefois reproduit même
aujourd'hui.

345
l'époque.
Son
oeuvre
est
marquée
par
les
grandes
questions
sociales et politiques de la fin du seizième siècle.
Elle reste
leur produit certes,
mais elle
leur apporte aussi une réponse.
Ces
rapports
sont,
à
notre avis,
un
élément essentiel dans
la
détermination
controversée
d'une
littérature
engagée.
Les
pamphlets
ligueurs
sont bien
l'aspect
principal de
l'oeuvre de
Dorléans.
Ils
lui
ont
d'ailleurs
valu
une
réputation
de
polémiste que l'histoire a retenue.
Mais aussi variés que soient les titres et les genres,
l'oeuvre
demeure
une
entité
cohérente
au
plan
politique
malgré
la
variation
des
situations
historiques.
Les
fondements
de
la
monarchie
française,
ses
rapports
avec
l ' E"glise
catholique
et
avec
la
société
des
fidèles
dans
un
respect
scrupuleux
des
traditions
de
chaque
ordre,
constituent
l'axe
autour
duquel
gravitent
les
divers
aspects
de
la
pensée
politique
de
Dor léans . (1)
( 1) Voir infra. 3è partie. chap 1.

346
L'oeuvre porte aussi la marque du temps par l'érudition qu'elle
manifeste
et
la
rhétorique
qu'elle
utilise
amplement.
Les
références
à
la Bible et
à
l'Antiquité gréco-romaine y sont
nombreuses à travers citations et paraphrases.!l)
L'agencement
des
diverses parties de
l'argumentation politique et
le style
souvent
fleuri
de
certains
textes
manifestent
une
parfaite
maîtrise
de
la
rhétorique
classique. (2)
Le
souci
de la
forme
adéquate préoccupait Dorléans quand il composait ses textes, les
jeux sur les paronymes,
les rimes internes dans un fragment de
prose
sont,
entre
autres,
des
indices
qui
permettent
de
le
penser.
C'est pourquoi des auteurs comme Ronsard l'ont beaucoup
influencé.
Le poète des Discours des misères lui a,
en effet,
fourni
le
modèle
d'une écriture polémique alliant
la beauté
littéraire et la verve satirique.
Les opinions de Ronsard sur
les
calvinistes
servent
à
bien
des
passages
de
Dorléans
d'arguments d'autorité.
La forme poétique de la
"Responce aux
injures ..
"
a
été
aussi
le
modèle
de
la
Description
du
Politique
de
ce
temps. (3)
(1)
Le Second Adyert;ssement, le Plaidoyé ... et le Banquet... en comptent chacun plus de 150 ; le
Plaidoyé qui n' a que 167 pages contient 185 citations en latin pour la plupart. cf. supra, 2è partie,
chapIl ,
(2)
Favorisée par sa profession d'avocat.
( 3)
Voir sllpra 2è partie chap Il

347
Dans
cette
fin
de
siècle
troublée

la
littérature
sent
le
soufre
d'une
inspirat ion
de
bruit
et
de
fureur,
les
auteurs
comme
Dorléans
ne
sont pas
des moindres.
En effet,
son oeuvre
politique
porte
bien
les
marques
d'une
littérature
militante
dont
l'efficacité polémique
n'a
plus
besoin
de
démonstration.
Cette
oeuvre
montre
aussi,
surtout
si
l'on
considère
les
manuscrits,
que
l'engagement
de
l'auteur
et
sa perception même
du discours dépassent l'idéologie transitoire d'une organisation
politique -
la Ligue -

348
TROISIEME PARTIE
LA STRATEGIE
POLEMIQUE DANS L'OEUVRE POLITIQUE
DE
DORLEANS

349
INTRODUCTION
L'étude du contenu des textes devait naturellement nous conduire
à
l'examen de leur structure interne.
Les pamphlets ne sont pas
seulement
des
passages
d'opinions
politiques
qu'ils
"
reflèteraient
comme
une
sorte
de
miroir
fidèle. (1) Ils
sont
aussi et surtout des objets rhétoriques et littéraires à la base
desquels
on
peut
remarquer,
à
l'oeuvre,
un
véritable
travail
poétique.
Il
faut
donc
les
interroger
sur
les
procédés
d' écr it ure
qui
les
cons-l:i tuent
comme
textes.
La
manière
de
bâtir le discours polémique n'étant pas indifférente aux visées
idéologiques,
nous pensons
qu'il est utile de prendre d'abord
connaissance
de
la
nature
des
idées
politiques
à
partir
desquelles
Dorléans
prend
la
mesure
de
sa
mission:
de
publicIste.
Autrement dit,
l'examen de ce qui fait
du pamphlet
un
modèle de
discours
engagé
nous
parait
intéressant pour
la
compréhension de la pensée.
( 1) Voir SURra. 2è Rartie chaR 2.

350
. L'oeuvre polémique est aussi construite en vue de parvenir à une
persuasion dont les moyens se trouvent au coeur de la rhétorique
de l'argumentation. L'auteur inscrit à tout moment son travail
dans un mouvement de démonstration et de charme très complexe,
dont
i l
faut
saisir
les divers
aspects
pour en
apprécier la
valeur esthétique.
L'étude des
jeux rhétoriques des textes de
Dorléans peut alors être un enrichissement de la compréhension
\\
de ceux-ci. Le pampcllet comme objet littéraire obéit à des lois
de fonctionnement interne qui en font un genre à part. L'analyse
poétique devient
ainsi
la
dernière
étape
de
l'investigation
critique qui s'attache à comprendre les mécanismes de l'écriture
polémique. De l'idéologie dévoilée au style "démonté",
l'étude
littéraire peut
nous
révéler des
richesses
insoupçonnées dans
l'oeuvre de Dorléans. Et peut-être même nous livrer les indices
esthétiques
qui
en
font
la
particularité.
Les
chapitres qui
suivent se proposent ainsi d'étudier les procédés de composition
qui ont présidé à la naissance de ces pamphlets.

351
CHAPITREI
LE PAMPHLET COMME MODELE DE LITTERATURE ENGAGEE
La littérature produite au cours de
la deuxième moitié du
XVIe siècle est
habitée par la passion d'hommes voulant
faire
partager
par
les
autres
des
convictions
souvent
marquèes
de
fanatisme. Elle remplissait ainsi une fonction sociale autrement
plus marquée que celle de la tradition humaniste et renaissante.
Forgés sur le modèle de ces affrontements sociaux,
les pamphlets
de
cette
pér iode
const i tuaient
la
forme
non
phys iquement
violente
de
la
guerre
que
se
livraient
catholiques
et
protestants,
avec Comme conséquence majeure les troubles de la
Ligue.
La mission qui leur était fixée restait
essentiellement
de propagande
: prèsenter et
justifier une vision du monde que
l'on voulait imposer en lieu et place de
celle de l'adversaire,

352
décriée Comme une imposture.
Cette stratégie de la bataille des
idées était bâtie sur un socle idéologique dont la constitution
n'a pas
toujours
été nette
dans
la pensée de
Dorléans,
comme
d'ailleurs au niveau de la philosophie de
son parti.
Les vues
sur
l'Etat
qui
déterminaient
chez
lui
le
refus
et
la
condamnation
des
lois
de
la
monarchie
devaient
beaucoup
aux
théories
politiques
déjà
élaborées
par
les
humanistes
mais
surtout par les calvinistes au cours de leurs conflits avec le
pouvoir monarchique.
Ce qui lui était cependant propre,
c'était
cette
vision
théocratique de
la
société qui
se
nourrit d'une
lecture
politique
des
textes
bibliques.
Une
telle
démarche,
parce
qu' elle
all iai t
des
vues
prises
aux
sources
les
plus
variées,
conduisait à une doctrine politico-religieuse que nous
considérons,
faute de terme meilleur,
comme éclectique.

353
1 - LE SOCLE IDEOLOGIQUE
Dorléans,
comme
d'ailleurs
la Ligue,
n'a pas
élaboré,
de
manière
systématique,
une
théorie
du
pouvoir
politique.
A
travers son oeuvre se dégage néanmoins une vision de l'Etat et
de
la
société
qui
permet
de
reconstruire, par
une
critique
interne
des
textes,
les
modèles
idéologiques
que
l'auteur du
Catholique Anglois-proposait
comme alternative à
son rejet de
la légitimité des rois de son temps. Il)
A
- Les
théoriciens
du
pouvoir avant
la
Ligue
La philosophie politique antérieure à
la formation de la Ligue
est bien connue. Des études de premier plan se sont attachées à
en
préciser
les
fondements
et
les
particularités,
alors
que
d'autres se sont beaucoup plus intéressées aux filiations et aux
( 1) Voir supra 2è partie chap 2

354
évolutions qui en déterminaient les orientations. Il nous paraît
alors peu
indiqué
de nous
appesantir
sur
un
sujet ayant
fait
l'objet d'analyses aussi variées. Il)
1
-
Traditions
antiques
Sans
jamais
remettre
en
cause
le
droit monarchique,
les philosophes de
l'Antiquité ont cherché
néanmoins à
lui donner des principes de régulation chargés de
brider l'autorité excessive des rois.
Cette réflexion sur
Le
pouvoir s'attachait
à
préciser de manière
nette l'opposition
entre le monarque et le tyran. Platon, Aristote et Xénophon sont
essentiellement
les théoriciens
les plus
fréquentés,
au XVIe
siècle,
par
les
humanistes.
Pourtant,
dans
les
vues
de
ces
penseurs
antiques,
la
monarchie
n'est
qu'une
des
formes
historiques
que
peut
prendre
le
gouvernement
des
sociétés.
Platon,
même
s ' i l
ne
La récuse pas
automatiquement
donne
sa
préférence à la république,
censée être l'émanation des volontés
diverses mais complémentaires des habitants de la cité. Quant à
( 1) Citons entre autres
Georges Weill, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les
guerres de religion Paris, Hachetle. 1891 ; Pierre Mesnard, L'essor de la philosophie politique au
XVIe siècle, Paris, J. Vrin, 1935 ; Myriam Yardéni, la Cooscience oalgna/ft en France pendant les
guerres
de
religion
11559-15981,
Paris
Louvain,
Nauwelaerts,
1971
; M.
Soulié "La
Sa\\nt-Balhélémy et la réllexlon sur le pouvoir", Culture et politique en France à l'époque de
l'humanisme et de la Renaissance, Turin Accademia delle Scienze, 1974, p 414-425. H We:ber "La
Boétie el la tradilion humaniste d'opposition au tyran", iJllil.. p 355-374.

355
Aristote,
il
pense
que
la
royauté
est
le
meilleur
des
pouvoirs. (1) Il lui oppose alors la tyrannie,
présentée comme la
pire
des
mauvaises
institutions
politiques.
L' auteur
de
la
Politique
donne cependant
comme modèle
d'exercice du pouvoir
politique le mélange de la démocratie et de l 'aristocratie. (2)
2
Les
réflexions
sur
le
pouvoir
au
XVIe
siècle
La
nature du pouvoir politique a très tôt intéressé les humanistes.
Au cours de la redécouverte qu'ils entreprenaient de l'Antiquité
cette
question
devait
inéluctablement
surgir
dans
leurs
investigations.
Même
s ' i l s
en
critiquent
les
excès
et
les
déviations,
la monarchie apparaît à leur yeux comme la meilleure
forme de gouvernement des hommes.
Héritiers des conceptions de
Platon,
d'Aristote auxquelles ils ont ajouté certains principes
politiques élaborés par la traditon chrétienne(3},les humanistes
distinguent les deux aspects opposés du pouvoir d'un seul
: la
royauté et la tyrannie.
Si la première est chantée à travers les
(1)
Aristote, Politique, (III, 14.)
(2)
Aristote, illliL.... , (IV, 2),
(3)
Par exemple les positions de Saint Thomas, pe Regimine princip um. et de Saint-Augustin, ~
!<.lvilate pej

356
figures
de grands
monarques
comme
Louis
XII,
François
1er et
Henri
II,
la
seconde
alimentait,
en
revanche,
les
plus
virulentes satires
(1).
Cette vue générale ne peut cependant pas
effacer les particularités que l'on peut observer dans certaines
théories.
Trois
sources
différentes
alimentaient
les
vues
politiques en présence
le principe gréco-romain,
le principe
féodal
et
le
principe
chrétien (2 ) •
Les
doctrines
se
distinguaient
selon
le
principe
qu'elles
privilégiaient
dans
leurs fondements.
Alliant ces trois principes ,
Claude de Seyssel,
dans la Grant
monarchie
de
France,
1519,
pose
les
fondements
d'une
monarchie absolue mais modérée. En fait,
Seyssel distingue comme
freins
au
pouvoir
du
roi
la
religion,
la
justice
(les
Parlements),
la "police" constituée par les ordonnances et les
lois fondamentales et enfin,
le gouvernement par grand conseil.
La
"loi de la coutume"
lui
paraît
aussi
un
autre
élément
( 1) Les poètes chantaient l'image du roi Pasteur de son peuple. Cette image venue d'Homère et de la
~ fut pendant longtemps un mythe qui alimentait la littérature de l'époque. Les oeuvres de
fiction l'incarnaient quelquefois dans leurs personnages, c'est le cas avec les rois des textes de
Rabelais : Grandgousier. Gargantua... eIc.

( 2)
P. Mesnard, QQJjl. p 8·9.

357
important dans l'administration des sociétés.
Ainsi,
à
coté
des
positions de
Seyssel,
se
sont
dégagées deux
principales
tendances.
l'une
considérait
la
poli tique
comme
ayant pour fin de rendre harmonieuse sur Terre la vie du fidèle
auquel elle offre les meilleures conditions d'épanouissement pour
sa
foi.
Cette
conception
considère
alors
l'Etat
comme
"la
communauté
chrétienne
politiquement
organisée" (1).
L'idée sera
reprise et
réorientée
par
la Ligue dans
un
sens plus
radical.
C'était
généralement
la
pensée
de
Calvin
qui
précisait
que
l'autorité est un ordre émanant de la volonté de Dieu,
ce qui la
rend
respectable
pour
les
fidèles(2).
L'auteur
de
l'Institution
chrétienne
ajoutait
qu 0 i l
y
a
trois
facteurs
d'unité politique
:
"le magistrat,
la loi et le peuple" dont la
nécessaire collaboration établit
la discipline
au
sein de
la
société (3) •
( 1) P. Mesnard,J.QiQ. p 8·9
(2)
P. Mesnard,.J]llii. p 277
(3)
P. Mesnard.J!lli!.. p 277

358
Dans
la même
tendance
chrétienne,
Erasme
se
distinguait
par
l'idée que le gouvernement devait concourir à
la réalisation,
dans
la
société,
d'" idéal
éthique
ou
religieux" (1).
Cette
doctrine
évangélique
définit
ainsi
une
philosophie politique
plus sentie que vécue.
L'autre
tendance,
sans
ignorer
complètement
la
religion,
considère
néanmoins
le
pouvoir
comme
ayant
pour
but
de
déterminer et d'administrer une société civile où les valeurs de
justice
seraient
maintenues
par
le
respect
de
principes
universels
de
morale
et
de
liberté.
Cette
tendance- qui
privilégie les apports de la coutume et de la tradition romaine
se
soucie
beaucoup
plus
d'édicter
des
lois
sociales
qui
rendraient possible l'avènement d'un Etat fort mais
juste. Elle
favorisera le développement des
idées de Machiavel pour qui le
pouvoir
doit
surtout
assurer
l'ordre
dans
la
cité.
Le
machiavélisme situe aussi la
politique
en
marge de la
morale
( 1)
P. Mesnard•..lliQ. p 137

359

proprement
dite
et
du
droit
dans
son
acception
traditionnelle!l) .
Entre ces deux mouvements politiques, des penseurs comme Luther,
Thomas
More
ont
élaboré une
théorie plus
complexe
en
alliant
quelquefois
les trois principes qui structuraient,
à
l'époque,
la vis ion de l'Etat et du pouvoir (2) .
A la
fin
de
la première moitié
du
XVIe
siècle
l'ensemble des
théories politiques s'accordait néanmoins sur un certain nombre
de
princpes
généraux.
Le
caractère
hériditaire
du
tr6ne,
l'inali~nabilité du domaine, le rejet du gouvernement des femmes
et la nécessité de consulter les "tstats"
ou les conseils royaux
en
constituaient
l'essentiel(3).
La Boétie,
l'ami de Montaigne
reste un
cas
à
part.
Son livre,
Le
Discours
de
la
servitude
volontaire,
sorte de dissertation politique contre
le tyran,
fut exploité et publié pour la première fois, .en 1574,
par
les
( 1) J. J. Marchand, "Le juste et l'injuste chez Machiavel: ses premièrs écrits politiques au "Prince"",
Le Juste et J'injuste à la Renaissance et à l'âge classique actes, coll. Int. St Etienne, 21'23 Avril
1983,
(2)
P. Mesnard, op cit. p 17·85 el p 141·180.
(3)
Voir Georges Weill, .Qll,..CjL p 271·278.

360
pamphlétaires réformés.
C'est parce que la vision du pouvoir qui
y
est
soutenue
éclairait
d'un
jour
nouveau
la
monarchie
française
des
guerres
de
religion.
La Boétie
s'est ainsi
fait
passer pour un classique de la théorie politique de l'opposition
au tyran (1) .
Avec
les
guerres
de
religion
commence
une
longue
ère
de
bouleversements
sociaux
au
cours
de
laquelle
apparaissent
d' autre~ théories plus hardies et
plus
vécues
que ne
l'étaient
celles
des
humanistes
et
des
renaissants.
En
effet,
cette
deuxième moitié du siècle,
qui voit s'affirmer la Réforme Comme
force politique, est dominée par la présence de deux conceptions
bien séparées de l'Etat: celle des calvinistes forgée au feu de
leurs conflits avec le pouvoir établi et
celle des catholiques
héritée
de
la
tradition
humaniste
fondée
sur
la
coutume,
le
droit romain et le principe chrétien maintenant catholique.
( 1) Voir H. Weber, art. cit. p 355-374. Bien que le Discours ... soit de la période des troubles religieux
(1562 sur l'édit de janvier, avec sa publication en 1574 dans le Reveille-matin) nous avons voulu
le séparer des positions calvinistes qui lui sont contemporaines pour bien marquer la continuité
entre celles-ci et les vues des ligueurs.

361
Après
la
Saint-Barthèlémy,
1572,
les
Huguenots
sont
devenus
hostiles
à
la
monarchie
hériditaire
jugée
tyrarllique.
Leurs
théoriciens
s'attachent
alors
à
mettre
Sur
pied une
nouvelle
.-
conception du pouvoir qui empêcherait la repression exercée sur
une
partie
de
la
population
par
l'autre (1).
Les
fondements
traditionnels de la royauté
française
sont ainsi repensés dans
un sens plus populaire et plus démocratique.
Trois oeuvres ont
fourni
l'essentiel
de
la
doctrine
politique
du
calvinisme
français.
La Franco-Gallia,
1573,
de François Hotman cherche à
établir que la monarchie française était régie par l'élection
des
rois.
La
loi
salique,
même
si
elle
y
était
connue,
s'appliquait pour le droit privé consacré par la coutume et ne
contenait pas de disposition sur les formes de transmission de
la couronne(2) .Dans les vues de Hotman trois principes doivent
alors
être
les
règles
de
fonctionnement
du
gouvernement
la
consultation obligatoire d'une "Assemblé nationale" pour tout ce
qui touche l'Etat,
la détermination collective et à partir de la
(1) Marguerite Soulié. "La Saint-Barthélémy ... ". art.cit.
( 2) Georges Weill. Q.Q..ÇjL p gg

362
coutume
des
lois
de
succession,
et
enfin
l'inaliénabilité
du
domaine(li.
Cela
permettrait
de
ménager
un
équilibre
entre
le
pouvoir
d'un
seul,
le
roi,
et
celui
du
peuple.
Le
second
théoricien
des
huguenots
est
Théodore
de
Bèze.
Dans
son
Du
droit
des
Magistrats
sur
leurs
subjects,
1575
i l
définit
un
Etat
fondé
sur
un
double
contrat
entre
Dieu
et
le
Souverain,
entre
le
souverain et
le peuple.
Les termes de ce
contrat font obligation au Magistrat de veiller à la fidélité de
ses
su jet s
à
Dieu
et
au x
su jet s
de
respecte r i ' engagement
d'obéir
à
celui
que
Dieu
a
désigné
comme
leur
roi (2 ).
Liée à
cette double alliance
l'idée que
le Souverain,
étant un
simple
tuteur du peuple de Dieu,
peut être rejeté,
au nom des prinopeS
mêmes
du
contrat
chaque
fois
qu'il
devient
injuste
et
tyrannique C)).
Le
cas échéant,
les
sujets
sont
déliés
de
leur
promesse de fidélité.
En dèfinitive,
Bèze en arrive à
une forme
de
régime
politique
que
Pierre
Mesnard
considère
comme
( 1)
George Weill, iQjQ, p 99
( 2)
M, Soulié, , art cil
p 420
(3)
M, Soulié,
op cil P 326

363
· paradoxale
et
qui
se
résume en trois points essentiels
ilLe
régime
est
formellement
monarchique,
son
fondement
est
démocrat ique,
son gouvernemen t arist ocra tique" Cl) •
La troisième oeuvre importante de cette tendance politique est
Les
Vindiciae
contra
tyrannos,
1579,
d'Etienne
Junius
Brutus(2)
L'auteur
arrive,
dans
sa
réflexion,
à
quatre
pr incipes qui fondent,
à
ses yeux,
le meilleur gouvernement de
la société.
D'abord,
les
sujets ne sont pas obligés de rester
fidèles à un souverain qui viole les recommandations divines(3).
Ce droit de révolte est
justifié par l'idée que le Prince est un
vicaire
de
Dieu
sur
terre.
Junius
Brutus
développe
aussi
la
théorie
du double contrat.
Son
second postulat
est
qu'il
est
permis au peuple de s'opposer par les armes au roi qui enfreint
la loi divine. Ce droit d'insurrection accordé aux sujets n'est,
cependant,
appliqué que par leurs représentants choisis en leur
sein (4) •
Le simple
intérêt
social permet
aussi la résistance
( 1) P. Mesnard, op cit p 326
(2)
Hubert Languet en serait j'auteur véritable
( 3)
Georges Weill, QQ&lL p
( 4)
G. Weill, ibid. p C'est aussi l'idée de Béze.

364
contre
le
souverain
devenu
tyran.
Ce
troisième
principe
est
fondé sur le caractère électif des Princes. En effet,
le peuple
cherche un monarque pour administrer la
justice et assurer la
défense du pays.
Dans
la pensée de
ces
calvinistes,
il est
des
idées qui sont
constantes
et
fondamentales.
La
royauté
devient
une
fonction
bien distinguée de la personne des Princes(l).
La résistance au
tyran est aussi une obligation pour les sujets car le pouvoir de
choisir
a
comme
corollaire
celui
de
pouvoir
déposer.
Ces
conceptions
politiques
ont
subi,
comme
l'a
montré
Marguerite
Soulié,
l'influence
"d'un
humanisme
hébraïssant"
venant
directement de l' histoire des rois de l'Ancien Testament
(2)
A ces théories du pouvoir populaire et du tyrannicide s'opposent
celles
des
catholiques
modérés
connus
sous
le
nom
de
"Politiques".
Héritiers
des
idées
de
la
Grant
Monarchie
de
France,
ils
proposent
dans
leurs
réflexions le modèle d'une
( 1) M. Soulié, .il..d.&!.L. P 424
(2)
M. Soullé, ibid. p 413. Béze, Mornay et l'autre anonyme seront appeiés les monarchomaques. cf.
Ralphe E. Giesey, "The monarchomaches triumvirs: Hotman, Beze and Mornay" E R HO' XXXII,
1970 P 41 56.

365
. monarchie
tempérée
par
le
pouvoir
des
"Estats"
et
des
Parlements(l).
La République
de
Bodin,
1576,
en
fournit
le
meilleur exemple.
Se déclarant hostile aux vues de Fr. Hotman,
l'auteur considère que le but de l'Etat est d'assurer l'ordre et
la
justice au sein de la société.
Pour réaliser un dessein si
noble,
il faut autre chose qu'une forme mixte de pouvoir. Selon
Bodin
la souveraineté ne
se partage pas
(2)
Les
adversaires
visés
ici
sont
les
monarchomaques
contre
les
idées
desquels
lutte l'auteur de la République.
Il distingue dans l'Histoire
trois formes d'Etat:
la monarchie,
l'Etat populaire et l'état
aristocratique.
Sa préférence va à la première quand elle est
instituée selon une tradition qui donne toute
sa valeur aux
réunions
des
"Estats" (3}.
Les
"Politiques",
sans
remettre en
cause les principes de
la monarchie
française,
en
réclamaient
simplement la limitation et la régulation par des assemblées et
des conseils représentatifs des
divers corps de la société.
Ni
( 1) G. Weill,
op cit p 278
( 2)
P. Mesnard. ll.Q.tiL p 494
(3)
Georges Weill, op cil.
p 278

366
le principe
féodal,
ni
le principe
religieux ne
devaient,
de
leurs points de vue,
faire disparaître les exigences d'équité et
d'ordre sans
lesquelles le royaume devenait
un Etat d'anarchie
et d'arbitraire (1 ). L'unité politique incarnée par le roi et son
Etat leur apparaissait plus importante que les autres nécessités
sociale s (2) •
Ainsi à
la veille de la formation de la Sainte Union,
ces deux
visions
opposées
du
pouvoir
alimentaient
les
querelles
politiques
et
orientaient
les
conflits
socio-religieux.
Si
la
référence aux textes bibliq'Jes constituait l'unique autorité des
protestants pour légitimer leur "séditon",
en revancher
du cOté
des catholiques,
le principe religieux était évoqué pour fonder
la
soumission
obligatoire
au
pouvoir
royal.
Mais,
quelques
années
plus
tard,
les
positions
allaient
s'inverser
avec
l'imminence d'une monarchie protestante.
Alors paradoxalement,
la Ligue des
catholiques
s'empara de
l'essentiel des
théories
politiques des calvinistes pour les adapter à une idéologie,
à
des principes qui n'étaient pas toujours cohérents.
( 1) Ces exigences orientaient plus ou moins l'altitude de tolérance adoptée par le chancelier Michel de
L'Hospital aux débuts des guerres de Religion, cf. M Yardeni, la Conscience ... , p 81.82.
( 2) Voir M Yardeni, La Conscience... p 80-85.

367
. fi
La
doctrine
politico-religieuse
dans
les
pamphlets
de
Dorléans.
Ainsi que
nous
l'avons
rappelé précédemment,
la tradition
politique
avait
considéré
un
certain
nombre
de
principes
politiques comme fondateurs de la monarchie française.
Ces "lois
du Royaume" avaient été déjà contestées par les calvinistes au
nom d'une
compréhension
idéologique
de
l'Ancien
Testament (1) •
La Ligue,
à
son tour,
remettait
en
question
l'essentiel de
ce
qui
les
légitimait
jusqu'alors. La
bataille
politique
ainsi
engagée
cherchai t
à
établir
la
nullité
de
la
loi
salique.
Pourtant,
i l
n'y
a
pas
d'uniformité
de
pensées
entre
les
pamphlétaires ligueurs,
encore moins d'élaboration chez eux d'un
nouveau
droit
cohérent
et
systématique
pouvant
servir
de
principe à un autre Etat français.
Il y a
tout
simplement des
(1)
Voir §.llil..@., 3ème partie,
~1' riA

368
vues
politico-religieuses
qui
tracent
les
contours
d'un
gouvernement catholique qui mettrait -on ne sait trop comment-
le pouvoir temporel sous l'autorité du pouvoir ecclésiastique.
Chez Dorléans,
l'idéologie ligueuse se constitue autour de trois
axes(l)
: les rapports de l'Eglise et de la royauté,
le pouvoir
du
sacre
et
les
prérogatives
politiques
des
prélats
dans
l'administration de la cité.
1
"Les
lois
du
Royaume"
C'est essentiellement contre la loi salique et ses dispositions
que Dorléans mène son combat politique.
Pour cela,
il
adopte
trois
stratégies.
A la
suite
des
monarchomaques,
il
pense
d'abord
que
cette
loi
n'est
pas
d'origine
française (2 ) .La
succession s'était toujours
faite,
à
ses yeux,
en fonction de
principes étrangers et païens. Ensuite,
il
établit
que la loi
( 1) C'est aussi généralement le cas chez les autres ligueurs.
(2)
Dorléans, Apologie p 12·18, Second Advertissement...

369
salique
étant
plusieurs
fois
violée
dans
l ' histoire
de
la
monarchie française,
les Seize,
en refusant Henri de Navarre,
ne
font
que
tirer
profit
de
ces
antécédents(l) .Enfin,
et
c'est
l'argument
décisif
de
l'auteur
du
Catholique
Anglais . . . ,
la
loi
du
christ
l'emporte
sur
celle
des
hommes (2).
Ce
dernier
principe,
qui
relève d'une
certaine
conception des
rapports de
l'Eglise et de la
royauté,
est développé sous plusieurs points
de vue.
L'aura
de
sacré
entourant
la
royauté
française(3)
va
être
présentée comme la manifestation de la divinité de l'Eglise qui
faisait
du
roi
l'oint
du
Seigneur(4 l .
L'alliance
du
principe
religieux et
du
principe
politique
par
la
cérémonie
du
Sacre
justifiait,
de
l'avis
du
pamphlétaire,
ce
pouvoir
mystique
reconnu au
roi.
A partir du moment

le
roi
rompt
le
serment
fait
à
l'Eglise
i l
devient
un
vulgaire
tyran
que
les
fidèles
doivent cornbattre(4).
C'est pourquoi
doit être nuancé le point
(1)
Dorléans, Apologie ... , p 16-17
( 2)
Dorléans. Plaidoyé ... p 76, Apologie ... , p 19
( 3)
Marc Bloch, Les rois thaumaturges . étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance
~, Paris, A Colin, 1961.
( 4)
Dorléans,
Second Advertissement..., f 41 bis.

370
de
vue d'E.
Barnavi qui pense que
la Ligue a
cherché à
enlever
cette
aura
de
sacré
qui
était
liée
à
l'institution
monarchique (1) •
Ainsi,
pour Dorléans,
"la religion catholique est la porte et le
chemin
par

(les)
rois
entrent
en
la
Royauté"
(2).
Une
certaine
logique
est
déjà
perceptible
dans
son
raisonnement.
Comme
la noblesse
ne provenait plus de
la naissance mais de la
foi
et
du
zèle
religieux,
i l
paraît
tout
à
fait
naturel
de
repenser
l'établissement
des
rois
en
fonction
d'un
ordre
spirituel.
Pour
la
sucession,
deux
conditions
sont
exigées
l'héritier
présomptif
doit
être
catholique
et
accepter
la
cérémonie
du
sacre
qui
fait
de
lui,
par
l ' huile
sainte,
un
vicaire
de
Dieu
sur
Terre.
Cette
nouvelle
interpréation de
la
loi
de
succession
est
nourrie
par
une
conception
du
principe
monarchique directement héritée des Calvinistes.
( 1) E. Barnavi, 2JJ.,..ÇJl., p 149
( 2)
Dorléans. Second Adyertissement .. ., f 107

371
En
effet,
pour
Dorléan s,
la
royauté
'In 'est
pas
un
patrimoine"
(1)
:
le roi est un magistrat choisi pour commander
à
ses
frères
de
religion (2 ).
Cette
nécessité
lui
paraît
une
recommandation
de
Dieu
et
c'est
au
Deutéronome
XVI l
qu' il
renvoie pour la légitimer. Pourtant,
notre auteur s'écarte ici
des positions de Béze.
Si
ce dernier,
à
la
suite des
autres
monarchomaques,
conférait
aux fidèles
le pouvoir de désigner
leur souverain,
Dorléans,
en revanche,
ne l'exprime pas. Il se
contente plutôt de reprendre la vieille idée humaniste d'un "roi
berger" de ses sujets et vicaire de Dieu.
Son point de vue est
d'ailleurs plus radical parce qu'il fait du Prince un "vicaire
de
Jésus
Christ"
et
un
fils
de
l'Eglise
Catholique(J) ",
quelquefois,
son
"lieutenant ( ... )
sur Terre(4)".
Concernant les
principes d'une élection royale,
l'auteur du Banquet ... n'est
pas très clair.
Quand il parle du choix du prince,
il insiste
plus sur les conditions que sur les acteurs,
ces derniers étant
généralement
assimilés
soit
aux catholiques,
soit
à
l'Eglise
comme autorité. Principe d'alliance entre l'Eglise et l'Etat,
le
( 1) Dorléans, Apologie ... , p 19
( 2)
Dorléans, iQ.iQ.. , C'était aussi le point de vue de Béze et d'Hotman, voir ~,
( 3)
Dorléans, Plaidoyé ... , p 76
(4)
Dorléans,
Second Advertissement...f 41 bis

372
sacre prend un relief particulier dans le combat idéologique de
la
Ligue.
Cette
cérémonie
et
le
serment
qui
l'accompagnait
const it uent,
aux
yeux
de
Dor léans,
la
voie
par
laque lie
les
Princes deFrance accèdent au trône: "celuy ne mérite d'estre Roy
qui se rit et gosse de l'onction des Rois" (1)
et
"la loi du
Royaume dit
que les rois non couronnés solennellement ne sont
pas mis au mombre des rois" (2) .Cette importance qui est aussi
donnée au sacre relevait de considérations plus politiques que
religieuses.
En effet,
Henri de Navarre qui prétendait au trône
était
dans
l'incapacité
d'être
sacré.
Son
protestantisme
et
l'excommunication
l'interdisaient.
En
faisant
du
sacre
un
obstacle sérieux pour le futur roi de France,
la Ligue exerçait
alors une forte pression sur le
Béarnais qui finira comme
on
le sait, par abjurer son calvinisme.
Les
principes
généraux
ainsi
posés
vont
servir
de
système
d'explication
à
certaines
idées
politiques.
Par
exemple,
la

traditlonnelle distinction entre le roi et le tyran est repensée
en
fonction
de
la
foi.
Le
Prince
illégitime
n'est
plus
( 1) Dorléans, Adverlissement..., p 73
(2)
Dorléans, Second Adv ... , f 163

373
l'usurpateur mais celui qui
s'écarte des
lois de l'EgliseI1).En
refusant
l'onction du Seigneur,
le monarque se
rend
indigne de
sa fonction,
i l devient alors permis aux fidéles de se révolter
contre
lui et,
au besoin,
de
se débarraser de
lui.
L'hérésie,
considérée
comme
le
refus
de
la
foi
catholique,
est
selon
Dorléans la principale cause de
la tyrannie.
Aussi,
accusait-il
Henri I I I de n'avoir
jamais prêté serment,
ce qui,
à
ses yeux,
pouvait
légitimer
son assassinat.
Dans les
idées politiques de
l'auteur du Plaidoyé,
la
question
de
l'obéissance
au
Prince
est
secondaire par
rapport
à celle de la
foi
de
celui-ci(2).
Aussi comprend-on que le tyrannicide constitue dans
l'esprit de
certains ligueurs,
comme Boucher,
un acte de dévotion(3l.
En
définitive,
on
aboutit
à
l'idée
que
l'Etat
est
soumis
à
l'Eglise
et
i l
appartient
aux
catholiques
d'en
choisir
les
dirigeants.
Dorléans
entretient
ainsi
constamment,
au
plan
politique,
la confusion des ordres temporel et
spirituel.
Leur
( 1)
Dorléans, Apologie ... , p 4 - 1 8 - 1g Advertissement..., p 76 Second Advertissement... f 41.
( 2) "Le premier degré de révolte esl con Ire Dieu el contre l'Eglise et le second de se révolter contre
les Roys". , L'Adyertissement... p 129
(3)
Boucher, pe iusta Henr;c;; lerti; abd;cat;one, Parisiis apud Nicolaum Nivellum, 1589, f 164-281,
l'exemple d'Aod dans l'Ancien testalament Uuges III. 15-30) est alors rappelé.

374
séparation
lui
semblait
relever
de
l ' hérésie,
ce
qui
le
distingue du Maheustre qui en faisait
un principe de cohésion
sociale (11.
Et
quand
i l
rappelle,
dans
son
Second
Advertissement,
le vieux principe des royalistes français
:"le
roi ne tient que de Dieu et de l'épée",
c'est pour le vider de
son
contenu
traditionnel
et
l'opposer
au
droit
laïc
des
Romains :
"La
France
ne
tient
que
de
Dieu
et
le
l'espée
et
n'est
aucunement
subjectte
à
l 'Empire"(2).
Le glissement
est assez
important.
Quant
au
pouvoir
des
"Estats",
Dorléans
est
réservé
et
circonspect.
A l'opposé de beaucoup de publicistes de l'Union,
il ne conçoit pas une assemblée popùlaire ayant des prérogatives
législatives,
pouvant aller
jusqu'au choix d'un Prince.
Sur ce
point,
sa pensée n'est
pas
très
explicite.
Alors
que Pigenat
rappelait
le vieil adage
"vox populi,
vox dei" et que Boucher
s'écriai t
"jus populi supra regem",
Dorléans
affirmait
que
(1) 'Un hérétique peut gouverner l'estaI sans gouverner l'Eglise" avait·il dit, entre autres, au Manil"'\\"
Dialogue ... f 22.
( 2) Dorléans, Second Advertissement f 161 bis

375
"la
Noblesse
estant
nourrie
d'honneur
( . . . )
(est)
très
nécessaire à
la
conduite de 1 'estat"
(1)
Nous
savons
aussi
qu'il s'était opposé au choix de l'Infante d'Espagne ou de son
éventuel époux comme successeur d'Henri 111(2).
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette méfiance.
En faisant
passer le zèle religieux avant les droits de la naissance et de
la
fonction
sociale
Dorléans
remplaçait
les
"Estats"
par
le
peuple des catholiques unis par la même foi.
Autrement dit, pour
asseoir
sa
conception
théocratique
de
l'Etat
il
lui
fallait
enlever aux
"Estats"
leur statut traditionnel.
Féru de morale
antique,
il lui était aussi difficile de vouloir dissoudre les
ordres de
la société dans
une communauté qui serait autre que
religieuse.
Le terme "Estats" apparaît d'ailleurs très rarement
sous sa plume;
il lui préfère ceux de
"peuple catholique",
de
"François catholiques",
de
"catholiques unis",
et quelquefois,
celui
de "fils de
Jésus
Christ".
Plusieurs
fois,
dans
ses
( 1) Dorléans,
Second Advertissement...f 29
(2)
cf. ~ 1ère partie, chao 2

376
pamphlets,
il
s'est
opposé
à
l'idée
d'un
"Estat
populaire"
(1)
Etait-ce
pour
défendre
son
parti
contre
l'accusation des Politiques de vouloir établir une république en
France,
ou
bien
Dorléans
le
croyai t- i l
vér i tablement
?
La
réponse nous paraît très difficile à apporter.
Ce qui semble,
en
revanche,
très
net
dans
ses
positions
idéologiques,
c'est
l'absence
de
statut
politique
pour
l ' "assemblée
des
Estats",
alors
que
le
pouvoir
de
l'Eglise
et
des
prélats
y
prend une
importance exceptionnelle.
2
-
Vers
un
état
théocratique
?
Le paradoxe de
la
conception politique
ligueuse pour ait bien
être la cohabitation de la démocratie et de la théocratie. D'une
part,
les propositions de certains pamphlets,
par l'ampleur des
pouvoirs
qu'elles
attribuaient
au peuple,
établissaient les
(1)
Dorléans, Second Adyertissement...f 13·165 et Apologie ... , p 22 à 31 par exemple.

377
bases
du
gouvernement
de
la
majorité.
Elles
s'opposaient
ouvertement
au
principe
monarchique
c'est
le
cas
du
texte
anonyme,
Le
Dialogue
du
Royaume (1) ••••
dont
l'auteur
considère
comme
néfastes
pour
le
peuple
des
règnes
pris
Jusqu'alors pour exemplaires: ceux de Saint-Louis et de Louis
XII. Cependant un tel radicalisme devait être une exception.
D'autre part,
il y a les vues théocratiques dont les idées de
Dorléans constituent une parfaite illustration. Rassembler le
glaive et
l'encensoir
dans
les
mêmes
mains est
le
rêve que
l'auteur du Banquet nourrit implicitement dans ses pamphlets.
La
domination
incontestable
de
Dieu
sur
toute
la
création
constitue le principe à partir duquel il bâtit son raisonnement
politique
: "Dieu a cela qu'il est le Roy des Roys,
le Prince
des
Princes,
le
Seigneur
des
Seigneurs" (2).
La
première
implication
d'un
tel
postulat
est
la
reconnaissance
de
l'autorité
de
Jésus Christ
et
de
son Eglise
sur les autres
( 1)
pialogue du Royaume auquel est discouru des vices el vertus des Roys et de leur Establissement .
de l'Esta' de la Monarchie et République et de leurs change mens.. , , Paris, chez Didier Millot, 1589
P 3 à 38 - BN, 8 LB 34 607,
( 2)
Dorléans, Second Advertissement... f 64.

378
créatures.
La
Bible
devient
alors
la
source
qui
alimente
la
vision
politique
du
monde.
Plusieurs
fois,
à
la
suite
de
l'Apocalypse,
Dorléans affirme que
le
"Christ
est le Roy des
Roys"
(1)
En fonction de cette idée,
le monde va apparaître comme une cité
unique où les pouvoirs humain et divin se confondraient dans une
unité mystique entre
les
mains
de
l'Eglise.
Et
puisqu'il vaut
désormais
"mieux obéir à Dieu qu'aux hommes" (2),
la hiérarchie
religieuse devient
celle de
la
vie politique.
La
"dignité
de
prêtre (étant)
plus grande
que toutes les dignités laïques et
royales"
(3)
le
peuple
doit
d'abord
obéir
à
Dieu,
à
Jésus
Christ
et
à
ses
prélats
avant
de
se
soumettre
à
toute
autre
autorité
humaine.
La
Coppie
de
trois
épistres
catholiques ... ,
pamphlet quelquefois attribué à Dorléans,
pose
aussi
la hiérarchie politique de cette manière(4).
Il apparaît
ainsi
évident
que
cette
confusion des
principes
laïque
et
( 1) Dorléans, Advertissemen1..,p 95 ; Second Ady, .. , f 99 et Apocalypse (19,16)
( 2) Dorléans, Apologie .. , p 19
(~) Dorléans, Second Advertissement.. , f 154
(4)
Coppie de trois épistres catholiques du droit de prendre les armes et de recognoistre son Roy
légitime, Orléans, pour André Habert 1589, BN Lb34, 700

379
religieux
conduit
à
la
création
d'une
caste
politique
et
sacerdotale qui
concentrerait entre ses mains tous les pouvoirs
de la société.
Unetelle
perception
de
l'organisation
de
l'Etat,
quand
elle
vient
à
s'opposer
aux traditions
et
aux
lois
de
la
monarchie
française,
remet véritablement en cause les anciennes normes de
l'entité
politique
nationale(!).
Les
vues
théocratiques
s'accordent
donc
di ff ici lement
avec
l'idée
d'une
conscience
nationale.
Comme pour suivre jusqu'à son terme la logique de sa
pensée
politique,
Dorléans
repose
autrement
la
question
de
l ' identi té de
son propre pays.
En effet,
le statut de chrétien
passe désormais
avant celui de Français de
la même manière que
l'obéissance à Dieu et à ses représentants avait pris le pas sur
la fidélité au Roi
"Les Parisiens ont le serment premier à Dieu qu'au Roy.
Ils sont
premiers chrestiens que François" (2)
(1)
Voir M. Yardéni, ~, p 210 à 222.
( 2) Dorléans,
Second Advertissement...f 50

380
L'idée de la nationalité,
traditionnellement considérée Comme le
fait d'avoir en commun un même territoire,
une même culture et
la
soumission
aux
mêmes
lois,
s'efface
au
profit
d'une
communauté
spirituelle qui
ignore
les
front iéres (1).
L'idée ne
nous paraît pas une simple autodéfense chez Dorléans devant les
attaques de ceux qui voyaient la main de l'Espagne derrière les
troubles de
la Ligue.
Elle découle aussi de sa conception même
de l'Etat.
Celle-ci fait de tout gouvernement l'émanation d'une
volonté
mystique
dont
le
but
ultime
est
de
rendre
la
vie du
fidèle en harmonie avec les recommandations du Seigneur(2). Dans
la pensée de Dorléans qui rappelle plusieurs fois le baptème de
Clovis
et
le
sacre
de
pépin,
l ' histoire
politique
française
elle-même en
est
une belle
illustration.
mais,
quand le
pays
vient
à
s'opposer
à
la
Religion,
celle-ci
cherche
alors
d'autres assises.
Le choix de l'auteur est très clair en cas de
conflit
:
"Nous
sommes Français,
nous
le
confessons mais nous sommes
chrestiens et nous l'advouons et le protestons. Le serment fait
( 1) C'est pourquoi nous pensons que cerlains jugements de Barnavi el de M. Yardéni sur la queslion de
la conscience nationale chez les ligueurs doivent être nuancés.
( 2)
Elle recoupe ici les vues d'Erasme sur la mission de l'Etat. voir P Mesnard, .QQ.fi.L. p 137.

381
à Jésus Christ surpasse et précède tous serments de loyauté, de
fidélité
faictz aux hommes" (1). Qu'importe finalement la nation
dans laquelle vit le chrétien pourvu qu'il y garde sa foi telle
que Dieu l'a ordonnée. Cela autorise le pamphlétaire à tenir,
à
l'égard de
l'actualité,
des
propos généralement hostiles à
la
France comme nation.
L'éloge de
l'Espagne procède aussi de la
même attitude.
Le raisonnement politique de Dorléans prend ainsi une direction
qui
devrait
le
conduire
vers
un
ultramontanisme
renforcé.
Pourtant,
i l
n'en
est
rien.
Le
lecteur
serait
déçu
qui
y
chercherait des passages sur les droits politiques et religieux
du Pape sur l'Etat et l'Eglise de France. Ce n'est pas l'un des
moindres
paradoxes
des pamphlets
de
l'auteur du Plaidoyé.
Le
Saint-Siège est néanmoins présent mais dans une perspective bien
religieuse.
C'est
d'abord
au
moment
de
rappeler
à
Henri
de
Navarre
et
à
ses
partisans
le
caractère
redoutable
de
( 1) Dorléans, Plaidoyé... p 76

382
l'excommunication qui
frappait
ce dernier (1).
Ensui te,
quand il
fallait
montrer
à
l'évêque
de
Bourges
les
dangers
qu'il
encourait en donnant l'absolution à
la place du Pape(2).
On l'aura certainement déjà remarqué,
les idées théocratiques de
Dorléans servent plus à
justifier une opposition politique qu'à
établir la forme cohérente d'un Etat. La hiérarchie mystique est
alors présente pour légitimer cette intrusion du spirituel dans
un temporel auquel il donne tout son sens.
le choix du cardinal
de Bourbon comme roi de France et le refus d'Henri IV obéissent
ainsi
à
une
logique
de
même
nature.
Au
terme
d'une brillante
démonstration
de
la
prééminence
de
l'oncle
sur
le
neveu,
Dorléans
donne
de
l'univers
une
échelle
des
valeurs
bien
significative pour notre propos
"le prêtre" est plus digne que
"le Roy",
"le ciel" plus digne que la
"la Terre" et
"l'âme" que
"le corps" (3). Cet ordre cosmique de la grandeur morale devient
( 1)
Dorléans, Second Adverlissement... 1 76 à 86.
(2)
Dorléans, Le Banquet..., p 186 à 212.
(3)
Dorléans,
Second Adyertjssemeot...f 154 ·155

383
en définitive l'image de la tension entre la grâce et le péché.
Le
gouvernement
idéal
pour Dorléans
devrait
pouvoir
assurer
définitivement la défaite de Satan face au peuple du Christ. En
cela
réside,
à
notre
avis,
l'utopie
de
sa
conception
politico-religieuse.
Le
mélange
de
traditions
royalistes
et
bibliques n'était pas pour faciliter la compréhension des vues
de l'auteur du Plaidoyé ... sur l'Etat et sur les rapports avec
l'Eglise. Comme l'a remarqué F. J.
Baumgartner(l),
contrairement
aux "radicaux politiques" de la Ligue dont Boucher,
Dorléans a
été toujours sceptique à l'égard du
"pouvoir populaire" et il
est
à
peu
près
resté
sur
les
mêmes
positions
à
propos
du
principe monarchique.
Il ne l'a jamais remis en question,
quant
au fond,
mais il a cherché plutôt à empêcher sa rupture avec le
principe religieux,
même s'il a privilégié ce dernier.
( 1) F. J. Baumgartner, Radical reactionaries ... , p 209·210

384
II· L'HISTOIRE IMMEDIATE
Il est
devenu classique,
pour la
critique,
de définir le
pamphlet en fonction de l'actualité qui lui fournit ses éléments
constitutifs.
Ecrit de circonstance,
condamné à
mourir en même
temps que l'évèvement qui l'a suscité,
le pamphlet serait alors
le
genre
du
transitoire.
Discours
militant,
et
pour
cause
partisan,
chargé d'attaquer et d'abattre,
si possible une cible
ponctuelle,
i l
se nourrit
de
l'actualité
tout
en
cherchant à
influer sur elle,
à défaut de pouvoir la soumettre complètement
à
sa
cause.
Les
rapports
qu'il
entretient
avec
l ' histoire
immédiate déterminent alors les visées satiriques et polémiques
qui se trouvent toujours impliquées dans le projet d'écriture du
genre.
Ces traits caractéristiques de cette littérature engagée
ont
été soulignés par la critique(l).
Cependant,
la nature des
relations entre
le pamphlet
et
l'actualité
nous
paraît plus
( 1) Voir notamment: les cahiers du Centre V. L. Saulnier, N° 1 le pamphlet en France au XYIE Siècle.
Paris, coll. ENS Jeunes Filles N' 25, 1983 ; N' 2 Traditions polémiques, Paris, coll ENS Jeunes
Filles N'27, 1984 ; 1e pamphlet iusou'à la RéYQlution, CAl E F ,N° 36, 1984, ACTES DU 36è
Con9rès de l'A.I.E.F, Paris, 20 juillet 1983, le N° spécial sur le pamphlet: Etudes H!!éraires. VQI
121 N° 2, août 1978 ; Marc Angenot. mw;lt...

385
complexe
que
ne
le
laisserait
croire
l'idée
d'une
simple
primauté
de
l'événement
sur
le
texte.
Un
important
travail
littéraire sépare,
en effet,
la matière historique de l'oeuvre.
Sorte de réaction immédiate d'un ou de plusieurs individus face
à
une
crise
socio-politique
au
sein
de
laquelle
ils
sont
plongés,
le discours polémique renvoie quelquefois au lecteur
une image plurielle de la réalité.
les textes de Dorléans en
sont un exemple révélateur.
A
Textes
polémiques
et
événements
socio-politiques
Les
intéractions
entre
le
pamphlet
et
les
circonstances
socio-politiques peuvent être de deux sortes,
étroitement liées.
D'abord celle qui porte sur la matière du texte;
le cas échéant
l' histoire
immédiate
détermine
et
oriente
la
thématique
de
l'écriture ou est masquée par celle-ci.
Ces rapports concernent

386
aussi
la diffusion et
l'organisation du pamphlet
dans
cette
perspective,
le texte est pris pour un produit de consommation
dont
on doit
soigner la présentation assurer et
surveiller la
circulation
et
le
bon
usage.
Le
va-et-vient
incessant
entre
l'histoire et l'écriture fait
du pamphlet une oeuvre dont l'un
des
caractères dominants
est
d'être
à
la
fois
un discours de
l'histoire et un discours sur l'histoire.
1
Ecriture
et
actualité
L'histoire
immédiate
agit
sur
la polémique en
trois
étapes,
liées quelquefois de manière complexe.
L'actualité nourrit et
oriente l'écriture. Tout pamphlet nalt d'une situation polémique
suscitée par un évènement historique entrainant des positions
contradictoires. Le pamphlétaire,
sous la pression d'une verité
bafouée prend alors sa plume, pour engager contre l'imposture un
combat
dont
l'issue
heureuse
est
pl us
qu'incertaine.
Cette
mission confiée au polémiste
par une
circonstance particulière

387
alimente
les
définitions
du
pamphlet(l)
Les
exemples,
pour
notre période sont révélateurs.
Il a fallu
justifier,
aux yeux des catholiques,
la formation de
la Ligue et c'est alors que des publicistes sont apparus.
Louis
l
,
Dorléans a écrit alnsl
l'Apologie ...
pour appuyer les raisons
qui
ont
présidé
à
la
naissance
de
la
Sainte
Union(2).
Pour
montrer encore le pouvoir de l'histoire immédiate sur la matière
même
du
pamphlet,
rappelons
que
les
différentes
situations
politiques
de
l'époque
ont
modifié,
à
des
degrés
divers,
le
thème des oeuvres. Les Barricades,
mai 1588,
et le rapprochement
entre les deux Henri ont rendu les propos ligueurs plus sévères
à
l'égard
d' Henr i
III,
considéré
désormais
comme
un
ennemi
ir réduct ible (3).
Au
thème
de
la
lutte
contre
l ' hérésie
s'est
alors greffé celui du combat
contre le tyran,
Nous
savons les
conséquences qui en ont découlé:l'assassinat du roi Henri III,
en août 1589, par
un moine
rendu
fanatique.
L'abjuration
du
( 1) Voir les études citées, ~
( 2)
L'Advertissemeo! de 1586 entre aussi dans cette pespeclive.
( 3)
Voir la pescrjption du politique de ce temps ... 1588, les Premiers et second Adyertissements ...
1590, ~, 2è partie,.Ql.2.

388
calvinisme par
Henri
de
Navarre,
juillet
1593,
a
aussi
mis
à
l'ordre
du
jour
d'autres
sujets
de
polémique
en
rendant
caduc
celui
du
roi
hérétique.
A
situation
nouvelle,
nouvelles
opinions.
Les
publicistes
se
sont
attachés,
par
la
suite,
à
prouver
que
la
conversion
du
roi
au
catholicisme
était
une
hypocrisie(l) .
Même
si
les
raisons
peuvent
être
nombreuses,
ce
caractère
transitoire
du
pamphlet
vient
surtout
du
fait
que
l'auteur
éprouve
"le
sent imen t
d'une
urgence" (2)
dans
le
combat
mené
contre les idées de l'adversaire.
Cette attitude,
qui découle de
la
conception
que
l'auteur
a
de
sa
mission,
détermine
une
stratégie
discursive
fondée
sur
la
démarche
du
guerrier.
le
pamphlétaire
a,
en
effet,
le
sentiment
de
lutter
contre
un
envahisseur aux portes de
sa
propre
citadelle.
Dorléans
adopte
plusieurs fois dans ses textes les accents du héraut annonçant à
(1)
Dorléans écrit le Plaidoyé (1593) et le Banquet ... (1594) et Boucher, Les sermons de la simulée
conversion Paris, 1594.
( 2)
Y. Avril, ·pamphlet : essai de définition et analyse de quelques uns de sesprocédés·, dans Etudes
littéraires. Vol 11 N' 2, 1978, pp 268. Cette pression de l'actualité affecte quelquefois la qualité
matérielle du texte.

389
son
camp les dangers
des
entreprises ennemies à
l'assaut de la
forteresse
ligueuse.
Ainsi,
dans
l'Adverstissement
de
1586,
i l s'écrie par la bouche des Anglais catholiques "l'heure vous
presse,
le temps vous haste,
le mal est prompt,
le danger est
proche et n'est plus heure de dormir" (1) •
L'écriture peut aussi occulter l'actualité,
le pamphlet cherche
alors à
masquer l'événement
sur lequel
i l porte.
Sorte d'écran
entre l'histoire immédiate et le lecteur i l substitue sa propre
thématique aux opinions dominantes du moment.
Ce
processus
discursif
tendant
à
éclipser
le
réel
socio-politique fait partie intégrante du dispositif polémique.
Les textes politiques de Dorléans ont plu sieur fois eu une telle
visée.
Très
tôt,
un exemple
nous
est
fourni
par l'Apologie ...
de 1586 (2 ).
A l'époque l'actualité était toujours dominée par la
surprise
et
l'inquiétude
suscitées,
dans
la
majorité
des
( 1) Dorléans, Advertissement. .. p 39. Cetle démarche alarmiste prend des accents tragiques quand
l'auteur ne laisse pas transparaître dans ses paroles des chances de survie pour ses partisans
devenus victimes innocentes d'une force supérieure.
( 2)
Voir ~ 2è panie chapitre 2

390
Français,
par
la
multiplication
des
actes
de
mépris
de
la
légalité dont on accusait les ligueurs. Les dangers que pouvait
encore engendrer,
pour la royauté,
la faction des Seize étaient
analysés
par
plusieurs
publicistes
"Politiques'
ou
loyalistes!l).
C'est
à
ce
moment
précis
que
la
propagande
ligueuse essaya de mettre à l'ordre du
jour du débat politique
le
thème de
la loi salique.
Celle-ci,
comme on le sait,
avait
des
implications
très
graves
pour
la
validité
des
arguments
avancés
par
l'Union
des
catholiques
pour
légitimer
ses
entreprises
séditieuses.
les
pamphlets
qui
présentaient
à
l'appréciation
du
public
une
interpréla'tion
de
la
loi
de
succession au tr6ne
se proposaient
ainsi
manifestement d'agir
sur
l'histoire immédiate pour la
réorienter.
L'Apologie . . .
de
Dorléans
commence
d'ailleurs
par
l'indignation
de
l'auteur
devant
le parti pris de beaucoup de catholiques en faveur des
ennemis de l'Eglise(2).
Or cet appui supposé apporté aux thèses
adverses
a
été
le
refus
général
d'adhérer
spontanément à
un
mouvement dirigé,
aux yeux de beaucoup,
contre la monarchie.
( 1)
Par exemple, Ph. Mornay, Responce aux déclarations et protestations des messieurs de Guise, s.1.
1585.
(2) Ces ennemis sont. d'après Dorléans, ceux qui "considèrent la ligue comme contraire aux lois de
l'étal et nuisible au repos public"., Apologie ... p 3.

391
Le
polémiste
espérait
alors transformer la rumeur publique en
l'alimentant
avec
les
conséquences. désastreuses
qu'aurait
une
application de
la
loi
salique dans
l'éventualité
d'un héritier
pré sompt i f
hérétique.
Dépa ssant
le
simple
reflet,
l ' écri ture
nourrit
autrement
l'actualité
au
lieu
d'en
être
un
simple
reflet.
Cette intention généralement
inavouée du pamphlétaire de masquer
un
aspect
de
l'actualité
par
un
autre
événement
peut
être
quelquefois
explicite
dans
le
texte(l).
Le
8
août
1590,
Paris
étai t
agité
par
la
journée
"du
pain
ou
la
pa ix".
Le
peuple
affamé par un siège qui durait encore demandait ainsi à manger
ou à faire la paix avec le roi de Navarre.
le mouvement fut très
sévèrement
réprimé
par
la Ligue(2).
Cette
réaction brutale,
au
lieu de
calmer les esprits,
fournissait
plutôt aux adversaires
de
l'Union
un
argument
supplémentaire.
Pourtant,
selon
les
publicistes c'était un
incident mineur.
Ils cherchaient alors à
orienter l'opinion vers
une
interprétation
biblique du siège.
( 1) C'est le cas avec le pamphlet ligueur qui proposait aux Parisiens une autre interpréttion des
Barricades: Le Discours véritable sur ce qui est arrivé à Paris le douzième de may 1588, Paris
chez Didier Millot, s. d.
(2)
Voir Barnavi, op. cit., p ,186,

392
Dorléans,
par
exemple,
dans
son
Second
Advertissement,
attirait l'attention des Parisiens sur le miracle de Dieu qui a
permis
aux
catholiques
de
survivre
dans
une
ville
sans
vivres" (1).
Cette
mystification,
qui
visait
manifestement
à
faire oublier la terreur des Seize et
les rigueurs de la vie,
était servie par des raisons plus politiques que le pamphlétaire
exprime ainsi
"L'ennemy est en voz
faulxbourgs qui ne demande que voz gorges,
et dedans
vous concevez,
vous engendrez,
vous enfantez mille
di visions" (2)
Le polémiste choisit et accentue,
dans l'actualité,
les aspects
qui
peuvent
corroborer
ses
thèses
du
moment
tout
en
affaiblissant
l'argumentation
adverse.
La
même
stratégie
pamphlétaire
est
utilisée
par
Dorléans
dans
le
Banquet
pour
vider la cérémonie
de
conversion
du
roi
de
Navarre
de
la
(1)
Dorléans.
Second Advertissemenl...f 150
( 2)
Dorléans
iQiQ.... f 17

393
sainteté dont l'opinion publique avait voulu l'entourer(l). Elle
lui
permet,
en
définitive,
de
mettre
au
premier
plan
des
événements
la
mise
en
scène
hypocritement
organisée
par
les
partisans
du
"Béarnais"
pour
jeter de
la
poudre aux yeux des
catholiques (2) •
Exceptionnellement,
l'écriture elle-même peut devenir actualité.
La notoriété passe alors de l'histoire immédiate au pamphlet qui
alimente
en
retour
l'opinion
publique.
Cette
inversion
des
rapports
entre
le
texte
et
l'événement
est
le
signe
de
la
réussite
du
projet
polémique
de
l'auteur.
L'Advertissement
des
catholiques
Anglois . . .
a
eu ce destin en 1586.
Il a été
pendant
des
mois
l'événement
qui
nourrissait
l'activité
polémique
à
Paris(3).
Le
Dialogue
d'entre
le
Maheustre
et
le Manant ...
a
joué le même rôle lors de sa diffusion en 1593.
Les liens entre l'actualité et le pamphlet peuvent ainsi revêtir
plusieurs aspects.
( 1) Par exemple les pigeons qui ont volé au cours dela cérémonie étaient considérés par les
spectateurs comme la manifestarion de l'Esprit Saint alors que, pour Dorléans "c'est une troupe de
pigeons qui niche ordinairement sur le portail de l'Eglise de Saint-Denis", p 147 le Banquet...
( 2)
Dorléans,
1e BanQUet... p 125-147
(3)
Voir supra, 2éme partie chap 2.

394
Faire du texte un
simple
reflet de
la
situation constituerait
une simplification d'une réalité complexe.
2
-
Les
fonctions
idéologiques
des
réécritures
et
des
rééditions
Louis Dorléans n'a pas eu,
à proprement parlé, de texte réécrit.
Il a néanmoins ajouté des passages à ses écrits comme il en a
modifié
d'autres.
Nous
appelons
donc
"réécritures"
les
transformations partielles apportées à
l'oeuvre originale.
Si
ces remaniements textuels étaient toujours faits par l'auteur,
en revanche,
les rééditions pouvaient être aussi l'oeuvre des
libraires
et/ou
de
l'Union.
Dans
tous
les
cas,
elles
remplissaient une fonction polémique précise et obéissaient aux
impératifs d'une actualité généralement peu favorable aux thèses
du pamphlétaire.

395
Les
ajouts
qui
se
produisent
toujours
lors
des
rééditions
concernent
deux
textes
de
Dorléans
l'édition
de
1588
de
l' Advertissement . ..
et
celle
d'Arras
du
Banquet
du
comte
d'Arête
en
1594.
pour
le
premier,
les
additions
visaient
à
parfaire une démarche pamphlétaire qui avait déjà fait
la preuve
de son efficacité!l). Le privilége si ostensiblement placé après
le titre et se réduisant à une simple approbation des "Docteurs"
était,
aux
yeux
des
lecteurs
catholiques,
la
marque
d'une
reconnaissance
solennelle
faite
par
l'Eglise
au
texte
d'un
soldat
de
Jésus
Christ.
Est
ajoutée
aussi
à
ce
texte
une
"missive
des
catholiques
François
aux
catholiques
Anglois".
Cette sorte de réponse remplissait une
fonction précise
: elle
servait
de
confirmation
de
la
lettre
attribuée
aux
Anglais.
Dorléans
cherchait
implicitement
à
duper
son
lecteur
en
le
faisant douter du caractère fictif de l'avertissement. Le sonnet
de postface,
dernière addition à ce pamphlet,
participait aussi
de ce subterfuge.En effet,
i l était censé être une prière et une
( 1) Voir §.lill.ill, 2éme oarlie chao 2
et Hauser, Qll....Q.il, Tome III
0 "

396
lamentation
des
Français
devant
les
malheurs
qui
les
accablaient.
La
coexistence des
deux points
de
vue accentuait
l'illusion du destinataire d'avoir à
lire une lettre réellement
envoyée d'Angleterre.
Les
réécritures étaient ainsi au service
d'une efficacité polémique que l'auteur améliore en fonction des
contextes de lecture.
Les ajouts du Banquet ...
concernent
les adversaires
attaqués.
Alors
que
la
première
édition
avait
maintenu
leur anonymat,
celle d'Arras
(1594)
soulignait,
à côté des passages,l'identité
des
personnes
visées.
Le
nom
de
Michel
de
L'Hospital,
par
exemple,
est
plusieurs
fois
mentionné
à
l'intérieur
de
développements

i l
ne
figurait
pas!l) .Ces
modifications qui
traduisaient
une
radicalisation
de
la
position
idéologique de
l'auteur,
dont
le
nom
est
même
inscrit
cette
fois
après
le
t i tre,
étaient plutôt le signe d'une défaite.
Sur le chemin de
l'exil,
notre ligueur savait
bien que
s ' i l n'avait plus rien à
( 1) Voir supra, 2è partier cha 2

397
espérer,
il n'avait
non plus
rien à
craindre.
Contrairement à
celle de
l'Advertissement
qui
découlait
des
exigences de
la
polémique ligueuse(ll, la réécriture dans le Banquet répondait à
un besoin individuel de l'auteur.
Les
rééditions
sont beaucoup plus tributaires
des événements
socio-politiques.
Les
conditions
qui
pouvaient
les
rendre
nécessaires étaient
de plusieurs
ordres.
Le
succès du texte
-c'est
la
raison
la
plus
évidente-
poussait
à
la
fois
les
éditeurs,
les auteurs et les dirigeants de l'Union à reprendre
sa
diffusion.
Le
premier Advertissement
de
Dorléans
devait
ainsi ses nombreuses rééditions au succès qui lui était attaché
depuis sa publication. Toutefois, ces reprises,
qui ne tenaient
pas
toujours
compte
de
l'actualité,
finissaient
souvent par
lasser un public préoccupé par d'autres événements.
( 1) Certains pamphlets au début des guerres de religion peuvent être réadaptés à la nouvelle
conjoncture et servir la propagande ligueuse, Hauser en donne des exemples dans les Sources
Tome III, p 296.

398
D'autres
raisons
plus
intéressantes
pouvaient
expliquer
la
réappar i t ion
d'un
pamphlet.
Au
rebour s
de
ce
qui
se
passe
souvent
avec
les
autres
genres,
l'échec
d'un
texte
polémique
appelait presque toujours sa réimpression 11) . C'est parce que le
retour ou la pérennité de la question socio-politique à laquelle
le
pamphlet
cherchait
à
répondre
rendait
nécessaire
la
réitération de ses premières attaques.
Dans cette perspective,
l'oeuvre rééditée subissait généralement
des modifications dans sa présentation.
C'est,
par exemple,
la
disposition
du
texte
qui
était
affectée
comme
c'était
le
cas
avec
la
première
réimpression
en
1588
de
la
Description
de
l'homme politique de
ce
temps

la poésie était
devenue de
la prose( 2 ).
Le changement peut aussi porter sur le t i t r e ;
ce
même pamphlet a eu trois
intitulés différents au cours de ses
diverses publications. Réécritures et rééditions sont ainsi plus
ou moins
imposées par un
contexte
au
sein
duquel
le pamphlet
doit se lire comme propagande.
1
( 1)
Le Second Adverlissement de Dorléans fut plusieurs fois réédite peut-être à cause de l'indifférence
relative affichée à son endroit par l'opinion publique manifestement "agacée" des injonctions des
Anglais. Voir ~ 2$ partie chao 2. p
( 2)
Voir~, 2$ oartie chao 2

399
Par tous
les points de vue où on l'examine
l'oeuvre polémique
conduit
aux
évènements
socio-politiques.
Mais
ceux-ci
n'impriment
pas
simplement
leurs marques
aux textes,
ils sont
quelquefois,
et de manière complexeJoccultés et réorientés par
la logique de l'écriture pamphlétaire.
B
Les
visées
satiriques
Dans son étude sur le pamphlet, Marc Angenot fait une différence
d'ordre
théorique
entre
la
satire,
la
polémique
et
le
pamphlet (1).
Tout
en
conservant
leur
spécificité
les
trois
genres
se
retrouvent
dans
ce
qu'il
nomme
"discours
agoniques
( 2 ) " .
La satire,
conune
la polémique consituent,
dans
l'analyse d'Angenot,
des genres voisins
du pamphlet.
Au regard
( 1) M. Angenot. Ql1.!;1l. pp 27·45
( 2) M. Angeno!, ibid., P 34

400
des
textes
suscités
par
la
période
qui
nous
intéresse
la
démarcation entre ces trois formes de discours contestataires ne
nous
paraît
pas
si
marquée.
En
effet,
si
l'on
considère
la
satire
comme
une
attitude
critique
vis-à
vis
d'une
réalité
contraire à une norme généralement partagée par la société,
i l
paraît
alors
difficile
de
concevoir
un
pamphlet
sans
visées
satiriques.
La
rhétorique
de
la
dévaluation
et
de
la
dégradation,
volontier mise en oeuvre par ce discours,
serait en
même temps
incompréhensible
si,
à
la
base
de
sa
constitution
comme polémique,
i l n'y avait pas de condamnation au nom d'un
idéal
social,
politique
ou
religieux(l).
Tout
pamphlet
nous
parait
être
d'abord
une
satire,
même
si
celle-ci
se
trouve
diluée
dans
une
pensée
aux
objectifs
plus
idéologiques
que
moraux.
Ce
n'est
pourtant
pas
ignorer
la
différence
qui
peut
exister
entre
la
satire
en
tant
que
genre
classique,
qui
légitime
ses
jugements
à
partir
d'une
norme
universellement
partagée,
et le pamphlet dont l'auteur juge le monde en fonction
de valeurs qui sont les siennes propres ou celles de son camp.
( 1) Les trois aspecls sont intimement imbriqués pour le XVIe siée le.

401
. Les
visées
satiriques
sont
inséparables
de
"la
parole
pamphlétaire". Pour atteindre son but idéologique,
le polémiste
fait le procès de tout ce qui,
dans le système socio-politique,
légitime,
justifie ou appuie les opinions de l'adversaire.
Et
c'est bien par rapport à une norme qu'il se détermine vis-à-vis
de ce qu'il attaque.
Chez Dorléans les cibles de la satire sont généralement celles
de la tradition du genre
:
cibles socio-politiques et cibles
religieuses.
1
-
La
satire
politique
et
sociale
Elle porte sur l'ambition des princes et des hommes d'Etat,
sur
la corruption de la justice et des moeurs,
et sur les charges
injustifiées
qui
appauvrissent
le
petit
peuple.
Cette
dénonciation,
au
nom
de
valeurs
morales
traditionnellement
respectées,
est chez
Dorléans
plus
sévère
à
l'égard de
son

402
propre
camp.
Une
remarque
s'impose
d'ailleurs
à
propos de
la
satire
politique
Henri
de
Navarre
et
ses
partisans
sont
beaucoup
plus
décriés
au
plan
moral
que
politique.
Dans
la
conception idéologique de Dorléans et de la Ligue,
n'étant plus
nobles à cause de leur hérésie les protestants ne pouvaient être
jugés
au
nom
des
valeurs
de
loyauté
et
de
générosité
qui
caractérisaient la vieille noblesse française.
A l'endroit des
huguenots,
notre auteur est plus injurieux que satirique, et son
discours devient en ce moment essentiellement pamphlétaire.
La
coexistence
de
ces
deux
attitudes
constitue
une
des
caractéristiques
des
textes
de
Dorléans.
Le
Second
Advertissement ...
nous en donne une parfaite illustration.
En
effet,
très
satirique au
début
quand
i l
fallait
désigner du
doigt
les
tares
des
catholiques,
le
texte
se
transforme en
insultes,
calomnies
et
invectives
au
moment

Dorléans
s'adresse au "Béarnais" et à son groupe (1) •
( 1) L. Dorléans. Le premier el Second Adverlissements ... f 61 - 135 et passim.

403
L'auteur
du
banquet
du
Conte
d'Arête
reproche
essentiellement aux Princes la perte des valeurs de probité et
de chevalerie qui ont jusqu'alors fait la bonne réputation de la
noblesse française.
Parce que
"les grand font
les grands maux
aux républiques (1)",
il exige d'eux une morale plus rigoureuse.
Mais pour Dorléans,
"la noblesse dégénérant
de sa générosité
(2)"
,
ne peut être" "que piasse,
orgueil
et
ambition
(3) ".
La
dégradation morale qu'il déplore chez les Princes se manifeste
d'abord par la fin de la bravoure qui faisait les chevaliers de
grande étoffe. Dorléans clame sans ambages que l'ancien courage
des
Français
"n'est
aujourd'hui
que
fumée"(4).
Ensuite,
la
noblesse
est
devenue
"argentée
puisqu'elle
a
l'argent
si
cher" (5) .Cette
perversion
du
statut
des
valeurs
qui
traditionnellement constituaient
la vertu des Princes entraine
la
transformation
de
cette
classe
en
une
faction
avide
de
pouvoir et de richesses.
Le processus satirique de dévaluation
sociale continue,
et la noblesse devient
un
corps qui livre sa
( 1) Dorléans, le Banquet p 67
( 2)
Dorléans, Plaidoyé ... p 88
(3)
Dorléans, L'Advertissemen! des catholiques ... p 13
(4)
L. Dorléans, "Sur laprise de Cambraï.." SN, ms. fr 863 p 745
( 5)
L. Dorléans, Second Adyerlissement... f 27

404
conscience au plus offrant et fait ployer un peuple sans défense
sous le poids de charges abusives.
En définitive,
en même temps
et
de
la
même
manière
que
les
princes
dont
ils
servent
les
intérêts,
les
autres
dirigeants
de
l'Etat
et
les
courtisans
deviennent,
selon Dorléans,
aussi coupables devant les Français.
La
naissance
et
la
fonction
qui
devraient
leur
imposer
le
respect
de
l'équité
et
de
l'honneur
se
transforment,
tout au
contraire,
en un moyen d'assouvir leurs désirs de
jouissance et
de
richesses (1).
Cette
rhétorique
de
l'indignation
mise
en
oeuvre par Dorléans s'appuie sur une démarche satirique tout à
fait simple: creuser l'écart entre ce qui est et ce qui devrait
être,
et
terminer
par
la
présentation
d'un
monde
dont
les
valeurs sont
inversées.
Le lecteur se trouve ainsi en présence
d'un
discours
qui
rend
encore
plus
légitime
l'appel
au
changement que lui lance le pamphlétaire(2) ,
( 1)
Rappelons que certaines de ces idées étaient déjà devenues, à l'époque, des thèmes communs de la
satire politique; Erasme dans son Eloge de la Folie (1511) et J. Tahureau dans ses Dialogues, ..
(1565) les avaient déjà abordés.
(2)
L'auteur du
Dialogue d'entre le Maheustre el le Manant a été quelquefois aussi sévère, voir f 52 à
62.

405
Quant
à
la
satire
sociale,
elle
est
dénonciation
de
la
corruption
de
la
justice,
des
moeurs
et
de
l'exploitation
,
inJustifiée des citoyens.
La vénalité des
jugements rendus fait
du pauvre un condamné
innocent et du
riche
l'éternel détenteur
de
la
vérité.
Cette
situation
de
déchéance
dans
laquelle
stagnaient
les
cours
et
tribunaux
à
Paris
est
fréquemment
condamnée par Dorléans.
Il y voit le signe d'une mort imminente
de
la
société française(l) ,
car le mépris qui s'en est suivi de
la
fonct ion
du
mag ist rat
engendre
un
éta t
d'anarchie
et
d'arbitraire
incompat ible
avec
l ' harmonie
d'une
société
bien
administrée (2) .
Cette
justice
qui
n'était
"que
faveur,
corruption
et
convoitise"(3)
allait
de
pair
-cela
paraît
naturel
au
pamphlétaire-
avec
une
vie
sociale
faite
d' "improbité
(de)
malice et
(de)
dépravation"(4).
Le procès que fait
Dorléans de
la moralité des ses contemporains se réfère toujours à un
idéal
(1)
C'etait une "plaie soubs laquelle si on ne remédie il faut que le patient meure", Second
Advertissemenl... f 22.
( 2)
Oorléans, Second Adv
f 24-26 et pescription ... Vers 4, p 6
( 3)
Oorléans, L'Advertissement des catholiques ... p 13
( 4)
Oorléans, illli!.. p 13

406
de
vertu
incarné par
les
anciens
Français.
Cette
vision
d'un
passé fait d'épanouissement moral,
spirituel et économique, bien
qu'il soit un élément de l'argumentation,
prend dans son oeuvre
des
résonances
particulières.
Les
Quatrains
moraux,
le plan
de
la
maison
chrestienne
ou
maison
de
vertu
et
les
autres
poésies morales en sont fortement marqués.
L'autre aspect de la satire sociale chez
l'auteur du Plaidoyé
est
la
réprobation
des
charges
jugées
trop
lourdes
pour
le
peuple démuni.
L'augmentation des tailles et autres impôts lui
semble d'autant
plus
immorale
qu'elle pressurait
les petites
gens pour assurer aux grands de la cour et de l'Etat une vie de
luxe
et
de
débauche(l).
Cette
situation
suscite
chez
le
satiriste un
sentiment d'indignation qui
l'amène à
prendre les
Princes et leur conseillers pour de cruels cannibales qui
"( ... )
se
sont creus,
du
sang de
leurs
sujets
qu'ils
dévorent
tous cruds" (2)
Henri de Navarre lu i
sert d'exemple de monarque
( 1) Voir surtout le Second Advertissement f 2 à 61,
( 2) Dorléans. ·Sur la prise de Cambra',-. BN, ms fr 863 p 749

407
cruel qui/tel
un lion affamé,
fait croupir les Bearnais sous sa
cruauté
Dorléans
flétrit
alors
une
situation
sociale
et
politique
au
sein
de
laquelle
toutes
les
valeurs
qui
avaient
naguère fait l'honneur de la France se perdent inéluctablement:
"L'antique vertu Françoise,
sous laquelle vostre royaume avoit
hautement flory estoit grandement altérée et diminuée" (1)
Cette déchéance morale,
désapprouvée par le polémiste,
devait le
conduire
à
constater
avec
amertume
qu' "aujourd' hui
tout
est
honneste
en
France"(21.
La
société
comme
l'époque,
lui
semblaient
alors
un
"mundus
inversus
"
un monde
renversé dont
les
effets
néfastes
ne
devaient
jamais
prendre
fin,
Univers
d' absurdi tés
et
d'incohérences,
telle
apparaît,
au
lecteur de
Dorléans,
la vie du peuple français
sous le dernier des Valois
et le premier des Bourbons.
Et cette
image
justifie le titre de
tyran attribué au
premier(3 1 .
Nous pouvons pourtant penser que
la
satire
politique
et
sociale
dans
l'oeuvre
politique de
( 1)
Dorléans, l'Advertissement des catholiques... p 14
( 2)
Dorléans, 1e Banquet ... p 237
( 3 )
Cependant, le procès de la tyrannie n'est pas londamental dans la satire politique de Dorléans. Les
arguments
qu'il
avancera
pour
justifier,
d'ailleurs
après
coup,
le
tyrannicide
seront
essentiellement d'ordre religieux, voir
~ 2ème padie ch 2

408
Dorléans
se
situe,
au
plan
thématique,
dans
la
tradition
du
genre.
Cependant,
les
procédés
mis
en
oeuvre
s'en
écartent
quelquefois.
A l ' ironie et
à
la parodie,
volontiers
utilisées
par
la
satire
classique
Dorléans
préfère
l'invective,
le
paradoxe et le procès sommaire beaucoup plus aptes à développer
une rhétorique du mépris et de l'indignation.
Il remplace ainsi
l'humour du satiriste par le sérieux et
le pessimisme affichés
du pamphlétaire.
2
-
La
satire
religieuse
Dans
des
libelles
qui
sont
destinés
à
combattre
une
foi
considérée comme de l'hérésie,
i l paraît tout à fait légitime de
prendre les condamnations pour de la satire religieuse. Ce qui
équivaudrait à tenir le pamphlet pour de la satire pure. Aussi,
les dénonciations du calvinisme et de la vie de son protecteur
en France,
Henri de Navarre,
ne seront-elles pas analysées ici
comme relevant des visées satiriques. Matière fondamentale des
textes de Dorléans,
elles
donnent
son
sens
et son caractère
(1)
Dorléans, L'Adyertjssemen! ... p 13

409
incisif au pamphlet(l). Sera donc pour nous satire religieuse la
critique
des
pratiques
repréhensibles
d'une
communauté
de
fidèles au nom de principes qui lui sont propres. C'est Dorléans
stigmatisant les péchés de ses frères catholiques ou les écarts
de
conduite
du
clergé
au
regard
des
canons
de
l'Eglise
catholique
Apostolique et Romaine.
Selon le satiriste, la religion était en voie d'extinction parmi
les catholiques} car
la perversion de la société française dans
son ensemble avait
fait
que
"chacun vivait
sans
Dieu,
sans
fay"
.
Cet oubli des devoirs envers Dieu et son Eglise n'était
pas corrigé par un clergé qui "n'estoit que simonie,
avarice,
paillardise
et
ignorance".
On
remarque

les
griefs
généralement portés contre les ecclésiastiques par les auteurs
de
satire
classique(2).
Dorléans
a
beaucoup
insisté
sur
ces
tares qui lui semblent devoir entraîner la perte de la mission
de l'Eglise. En
effet, toute
la
hiérarchie
est touchée; les
( 1) Elles ont été déjà longuement analysées aux chapitres 2 et 4 de ta 2éme partie, et nous y
reviendrons au chapitre 3 de la 3éme partie, infra,
(2)
Par exemple. Erasme a beaucoup ironisé sur l'avarice, le goût des biens terreslres et t'ignorance
des ordres religieux dans son Eloge de la Folie, 1511, chap UV notammenl ; et beaucoup de satires
français d'ailleurs.

410
évêques sont
"plus fréquents à la cour qu'en leur diocèzes" (1),
les docteurs perdus dans leurs questions scolastiques ne peuvent
e/clairer
les
fidèles
Sur
des
points
de
leur
foi,
Au
plan
religieux,
la France de l'époque lui apparaît quelquefois comme
l'image
de
la
baby lone de
l'Apocalypse,
une
terre
de
péchés
vouée à la destruction (2) ,
Ces
attaques
contre
une
pratique
dévoyée
de
la
religion
catholique ont leur place dans
le dessein plus vaste de montrer
les
rapport s
qui
existent
ent re
désordre
socio-poli tique
et
péchés,
Par
ce
biais
l'auteur
cherche
ainsi
à
établir
la
nécessaire
imbrication
de
l'Eglise
et
de
l'Etat
dans
un
corps
social auquel ils servent de tête et de coeur(3) ,
Rapprochée du
projet
pamphlétaire
-empêcher
l'avènement
d'une
monarchie
protestante-
cette
idée
assume
une
fonction
argumentative
l'hérésie ou
la
foi pervertie,
aux yeux de
Dorléans,
ne
règne
que sur un univers corrompu,
En
appelant
à
une pratique
plus
( 1) Dorléans, Histoire de l'origine de la Ligue, BN, ms. Ir 4922.
(2)
Dorléans, Second Advertissemenl... 1 3-4
(3
) C'est la métaphore que Dorléans utilise souvent pour parler de ce type de relation. cf. inIr.a... 3è
partie, chap 3.

411
rigoureuse
du
catholicisme,
l'auteur
du
Plaidoyé...
entend
couper
le
chemin
au
calvinisme
au
double
plan politique
et
religieux.
Cette
stratégie
polémique
nous
montre
enCOre
les
liens étroits qui unissaient,
à l'époque,
ces deux domaines de
la
vie
sociale.
A la perte
de
l'antique vertu
des
autorités
politiques Dorléans fait d'ailleurs correspondre la mort de la
piété
traditionnelle
des
Français (1).
La
satire
religieuse
fonctionne alors comme l'écho de la satire politique et sociale.
Les procédés traditionnels de la satire sont rarement employés
ici.
Contaminée
par
le
projet
pamphlétaire (2),
la
satire
religieuse
utilise
volontiers
l'invective
qui
allie
l'indignation et la volonté de dévaluation.
La violence verbale
l'emporte ainsi sur les images mises en oeuvre.
Dans une autre
perspective,
combattre pour l'orthodoxie catholique est aussi,
selon Dorléans,
un aspect
de la lutte cosmique
que Dieu
mène
( 1) L'abbé d'Epistème développe celle idée dans le banquet .'. p 236 et ss
( 2) Qui consiste à comballre une foi au nom d'une autre,

412
contre l'Esprit du mal incarné par Henri de Navarre et par ses
partisans (1) .
Les
visées
satiriques,
dans
le
pamphlet,
proviennent
d'une
volonté,
inavouée
le
plus
souvent,
de
guérir
un
mal
social,
politique ou religieux,
dont l'auteur lui-même se sent indemne.
C'est
pourquoi
les
pauses
dans
la
polémique
sont
souvent
le
moment de
la satire.
Dorléans
sait
alors
devenir un moraliste
implacable
qui,
par-delà
sa
position
de
publiciste
défenseur
d'un camp,
distribue sans discrimination ses condamnations avec
des menaCeS à peine voilées. Dans un poème manuscrit,
écrit à la
fin de la Ligue,
la satire prend ainsi le dessus sur la simple
dénonciation
:
"
Princes,
cardinaux,
Rois,
aprenez vérité
Vous perdez vos états,
votre honneur et service
Par votre ambition,
et vengence, et bonté
"
(2)
( 1) Dorléans. Second Adyerlissement ... 13
( 2)
Dorléans. "Des troubles de France.. ." BN ms Ir N° 863 P 629

413
III - LA POLEMIQUE AVEC SOI-MEME
Comme
nous
l'avons
déjà
remarqué,
une
opposition
-difficilement compréhensible d'ailleurs pour les contemporains
de la Ligue- existe entre les vues politiques de Dorléans dans
les
pamphlets
et
celles
que
nous
trouvons
dans
l'oeuvre
royaliste(l).
Ce
retournement
idéologique,
signe
entre autres
d'un
changement
de contexte historique,
se
constitue à partir
d'une
polémique
que
l'auteur
du
Remerciement
au
Roy
entreprend avec soi-même à propos de la monarchie française et
des pamphlets ligueurs.
En effet,
le débat ici entretenu entre les deux oeuvres peut se
manifester à deux niveaux de lecture.
Le premier,
qui est le
plus immédiat,
apparaït dans leur confrontation. Le lecteur, en
interrogeant les différents textes,
arrive ainsi à placer entre
( 1) Voir~, 2ème partie, chao 3
. Beaucoup y voyaient une simple palinodie justifiée par des
raisons opportunistes - cf. notre première partie
cllapitre 3.

414
eux
un
fossé
infranchissable.
Sur
toutes
les
questions
politiques touchant
la monarchie,
Dorléans défend des positions
opposées à
celles de sa vie antérieure.
A propos des
fondements
de
la royauté,
la loi
salique est
réhabilitée et
chantée comme
une
émanat ion
de
Dieu
(1)
L' élect ion,
naguére
considérée
par
son
parti
comme
le
meilleur
des
systèmes
de
désignation
des
autorités de l'Etat,
est maintenant décriée comme susceptible de
cor rupt ion (2) •
Sur
la
personne
du
roi
Henri
IV,
le
bouleversement est encore plus marqué.
L'ancien
"Tigre de Bearn"
est
devenu
l ' "Agamemnon"
de
France,
plein
de
"constance
et
magnanimité,,(3). De même,
les Bourbons sont
lavés de la boue que
les pamphlets
leur
avaient
jetée
et
ils
sont
salués
désormais
comme
"la meilleure
famille
de
France" (4).
Même
Paris,
ville
que
Dorléans
présentait
comme
vouée
à
la
désolation
sous
le
règne d'Henri de Navarre(5),
est vu,
par la suite,
comme un lieu
épanoui
et

i l
fait
bon
vivre(6).
Ces
opinions
opposées,
indices d'une
palinodie
intolérable
pour
les adversaires
de
( 1 ) Dorléans, Planle humaine ... f 348.
( 2 ) Dorléans,
ililiL. f 348
(3) Dorléans, Remerciement... f 14 et 39
( 4 )
Dorléans, i!lli[.
f 22
( 5 ) Dorléans, Second Advertissement ...
( 6)
Dorléans, Remerciement... f 32·33 et passim

415
l'auteur,
apparaissent tout à fait naturelles et comme allant de
soi,
quand on les situe dans
la
logique des bouleversements de
la situation
sociale.
Henri
IV,
par
son talent
de guerrier et
son
génie
politique
est
arrivé
à
refaire,
tant
bien que
mal,
l'unité politique et territoriale de la France.
La relative paix
intérieure qu'il a
assurée
lui
a
valu
beaucoup de
ralliements
d'anciens adversaires l !).
Les prévisions alarmistes de la Ligue
pour
le
pays
ont
été
démenties
à
tous
points
de
vue.
La
conjonction de
ces
divers
facteurs
a
suscité
le mythe du
roi
guerrier et constructeur qu'on a toujours attaché à
la personne
d'Henri
IV
et
que
ses
thuriféraires
ont
plusieurs
fois
souligné(2).
En
chantant
les
vertus,
désormais
mémorables,
de
son
ancien
ennemi,
Dorléans
semblait
donc
sacrifier
plus
ou
moins à une mode politique et littéraire.
C'est
alors
que
le
deuxième
niveau
de
lecture,
qui
concerne
uniquement le second discours de Dorléans,
apparaît
comme plus
(1) Voir Jean-Pierre Babelon, Henri IV. Paris. Fayard, 1982, p 673. 676. 705-758 et p 942 - 962.
( 2)
Voir Jacques Hennequin, Qll.QL, p 145-184.

416
intéressant.
Il
ne
s'agit
plus
de
confronter
des
oeuvres
de
saisons
différentes
mais
bien
de
retrouver,
inscrits
dans
l'écriture même
des derniers textes,
les éléments
constitutifs
de
la
polémique
avec
les
premiers.
En
effet,
plusieurs
fois
Dorléans
rappelle
à
lui-même
les
positions
qu'il
défendait
naguère avant de les corriger ou les réfuter.
Cette remémoration
situe ici la polémique dans
le travail de
l'auteur et non dans
la manière de lire son texte,
comme précédemmment.
En
de
longues
pages
du
Remerciement,
Dorléans
parle
de
son
ancienne querelle avec Henri IV.
Les épisodes de la Ligue qu'il
évoque prennent quelquefois l'aspect d'un aveu de culpabilité:
"La
vraie humeur d'un bon ci toien est
d'abhorrer les guerres
civiles ... "(1)
"Vous avez passé ce que j'avois escrit sçachant que ce n'estoit
que
l'escume
de
nos
troubles
et
les
bondissements
de
nos
désordres" (2)
( 1) Dorléans. Remerciement. f 60
(2)
DorléansJQiQ.. f 86

417
"Je n' ay point de honte à publier ce qu' j ' ay esté quand chacun
voit à présent qui je suis". III
Cette
manière
de
négliger
les
effets
de
ses
pamphlets,
pour
mieux en exorciser le mal qu'ils auraient pu faire au roi Henri
IV,
appelle
une
écriture de
défaite.
En
effet,
vaincu dans
la
vie
et
grâcié,
Dorléans
traduisait
-non
sans
ressentiment
quelquefois- sa défaite
réelle
en défaite
de
son
discours.
La
polémique permet alors de proclamer un vainqueur qui,
pour avoir
remporté
la
guerre
sur
le
terrain
social,
a
gagné
celle
des
pamphlets.
les relations entre l'actualité et l'écriture,
entre
l ' histoire
et
la
littérature
s'éclairent
ainsi
d'une
nouvelle
manière.
Si
le pamphlétaire traditonnellement perdait
sa cause
dans
le
réel,
i l
triomphait,
en
revanche,
dans
l'écriture.
L'issue
de
la
guerre
des
textes
lui
était
à
chaque
fois
favorable
sous
sa
propre
plume.
Or,
ici,
l'auteur
de
l'Advertissement . . .
criait
sa
défaite
dans
l'écriture,
sans
( 1) Dorléans, Remerciement, f 40

418
jamais mettre comp1étement entre parenthèses les raisons de son
ancien combat. Ce dernier aspect autorise à nuancer l'idée d'une
palinodie,
car,
Dorléans rappelle fréquemment à
Henri
IV qu'il
se tenait aux résolutions de son parti par fidélité et par amour
de sa religion (1) •
Dans la Plante humaine,
la polémique qu'il
fait
avec lui-même
prend des résonances particulières à travers la réfutation des
idées de Louis Turquet de Mayern(21. Ce dernier devient, pour ce
débat,
l'image
de
l'ancien Dorléans pamphlétaire de
la Ligue.
Louis Turquet de Mayern a,
pour l'essentiel,
les idées qu'avait
Dorléans
sur
la
monarchie
à
l'époque
des
troubles
i l
lui
permet
ainsi
de
reviser
ses
propres
opinions par
le biais de
l'examen
critique
qu'il
fait
de
celles
de
la
Monarchie
aristodémocratique.
Protestant,
i l
donne
aussi
à
Dorléans
l'occasion de poursuivre,
sous une forme plus ou mOins déguisée,
sa polémique avec les calvinistes.
Il place d'ailleurs le livre
de
Turquet
dans
la
tradition
des
pamphlets
huguenots
des
( 1)
Dorléans, Remerciement
, f 41-60-61
( 2) voir~, 2è partie, chap 3

419
premières
guerres
de
religion Il) .
Cet
adversaire
politique
déclaré
de
Dor1éans
remplit
ainsi
une
fonction
dans
son
imaginaire
polémique
i l
sert
d'exutoire
à
un
besoin
inconscient
qu'il
a
de
s'expliquer
avec
une
autre
image
de
lui-même.
Ce désir qui est à
la base de toute polémique et qui
se réalise ici de manière complexe,
permet de dire de Dorlèans,
comme de tout polémiste,
que
"l'autre qu'il hait,
c'est l'autre
qu'il est" (2)
En
revenant
de
manière
critique
sur
ses
anciennes
opinions
socio-politiques,
Dorléans
ne
condamne
pas
simplement
une
idéologie,
celle de
la
Ligue,
il
proscrit
aussi
et
surtout un
genre,
celui
du
pamphlet.
La
polémique
et
ses
multiples
manifestations deviennent,
à
ses
yeux,
les
symptômes
d'un mal
social comme "l'escrivaillerie"
dont Montaigne faisait
le signe
du débordement de son siècle (3) •
Le genre
agonique
est
alors
( 1)
Dorléans. plante humaine ... f 367 la Franco·Gallja el le Reyeille-Matin
sont cités par exemple -
voir supra, chaD 3 2ème partie.
(2)
Michel Cusin. "le désir el laparole dans le discours polémique", le discours polémique centre de
Recherches linguistiques et sémiologiques de Lyon. Presses universitaires de Lyon. 1981, P 117.
( 3)
Montaigne, ~. (III. 9)

420
présenté comme une écriture dangereuse et à la limite immorale :
"Ma plume ne sera
jamais le poignard de Joab qui tua abner par
derrière"
(1)
Va in cu
par
une
force
supér ieure
et
socia lement
décr ié,
le
pamphlet
est
ainsi
voué
au
bannissement,
et
à
travers
sa
condamnation,
c'est l'état même de publiciste qui apparaît comme
fragile et dérisoire
:
"J'ai
contentement de
voir blotti le petit
tuiau de ma plume
abbattuë sous le cours de vostre bienheureuse magnanimité" (2).
On passe ainsi,
au plan de la pensée,
de l'éloge politique à la
dénonciation d'une forme d'écriture.
L'éthique politique vient
ici censurer le genre littéraire comme elle avait servi naguère
à le légitimer.
Le pamphlet apparaît bien ainsi comme un modèle de littérature
engagée.
Il
se situe
dans un mouvement de
va-et-vient continu
( 1) Dorléans, Remerciement... f . 11 . Abner, partisan de David après la mort de Saül, roi d'Israël, fut
tué par Joab d'un couleau dans le dos pour venger la mort de son frère Asaël 2 Samuel 3,27
( 2)
Dorléans, ibid., f. 44

421
entre le réel et l'écriture,
entre l'idéologie,
l'histoire et la
rhétorique.
Interrogée sur les raisons de son existence et les
conditions de sa production l'oeuvre polémique de Dorléans nous
révèle
alors
une
vision
politique
assez
éclectique.
Si
les
conceptions ligueuses y sont présentes avec leurs variantes,
les
positions
traditionnnelles
soutenues
auparavant
par
les
humanistes
n'en
sont
pas
complètement absentes.
Cependant,
la
pensée politique de l'auteur du Plaidoyé se rapproche beaucoup
plus de la théocratie.
Celle-ci,
en effet,
fonde
les analyses
qu'il
fait
de
la société de
l'époque,
comme
les propositions
qu'il
avance
dans
ses pamphlets.
Devant
les
abus
des divers
ordres
de
la
société,
les
textes
de
Dorléans
ont
été
aussi
satiriques.
Ils ont fustigé même les écarts de conduite observés
chez
les
partisans
de
l'auteur.
Toutefois,
l'essentiel
des
thèmes abordés en fait une satire classique,
reprenant quelques
lieux communs du genre. La palinodie plusieurs fois critiquée et
que l'on observe dans l'oeuvre royaliste de Dorléans se révèle
un changement dans ses options littéraires.
Entre le vécu et
l'écrit,
le pamphlet se pose en définitive comme le produit d'un
travail de substitution et de figuration qui en fait beaucoup
plus qu'un simple reflet du réel ou de convictions de l'auteur.

422
CHAPITRE II
RHETORIQUE DU PAMPHLET
Le pamphlet n'est pas seulement dénonciation,
insulte et satire.
Il
est
argumentation,
persuasion
et
séduction.
Les
enjeux ne
sont
pas
simplement
d'ordre
idéologique,
ils
sont
aussi
de
l'ordre
du
langage.
Le
pouvoir
de
la
parole
est
l'arme
redoutable du pamphlétaire.
Au XVIe siècle,
beaucoup plus qu'à
toute
autre
époque,
ce
pouvoir
était
reconnu
et
craint III .
L'image était encore bien vivante d'un "Hercule Gaulois" capable
de séduire son auditoire et l'amener à agir selon sa volonté l21 •
Les
polémistes
de
la
Ligue
en
étaient
bien
conscients
qui
tiraient parti des reSSOurces de la
rhétorique
classique ou de
(1)
cf. Claude-Gilbert Dubois. l'Imaginaire de la Renaissance Paris. P. U. F.• 19S5 • P 49-50.
(2) cf. M. R. Jung. Hercule dans la Iinèrature francaise du XVIe siècle Genève. Droz. 1966
C. G.
Dubois. Mythe et iangage au seizième siècle. Bordeaux, Ducrois et Paris, Nizet, 1970.

423
la tradition de l'éloquence du barreau pour entraîner l'adhésion
des
lecteurs
ou des auditeurs à
leurs
thèses.
Comme discours
orienté et manipulateur,
le pamphlet met en place une stratégie
d'argumentation qui vise deux objectifs majeurs: disqualifier
les
opinions
de
l'adversaire,
montrer
qu'elles
ne
sont
pas
fondées en vérité,
et ensuite établir la validité de sa propre
conception
;
pour arriver à
cette
fin,
il
utilise un certain
nombre
de
techniques
discursives
cherchant
à
obtenir
ou
à
augmenter la créance des esprits pour les points de vue qu'il
leur propose(l).
Chez Dorléans,
on peut dire que la rhétorique du pamphlet fait
feu
de
tous
bois.
Le
lecteur
est
d'abord
perçu
comme
un
complice,
un
partenaire
avec
qui
i l
cherche
visiblement
à
partager une expérience exemplaire. Ensuite,
i l est pris pour un
sceptique qu'il faut convaincre et charmer. Et enfin,
Dorléans
( 1) cf Chaïm Perelman, Le champ de l'argumentation, Bruxelles, Presses de l'Université de Bruxelles,
1970.

424
peut voir en lui un redoutable adversaire, et le cas échéant,
il
s'agit
de
s'opposer
à
ses
objections
éventuelles
et
leur
attribuer
une
autre
signification.
Cette
démarche
de
l'argumentation utilise toutes sortes de preuves et d'exemples
allant du simple fait divers à la citation biblique en passant
par la fable,
la légende,
le proverbe et par l'anecdote.
1- ART DE LA CONNIVENCE ET ART DE CONVAINCRE
Parce qu'il s'adresse à
la fois aux partisans,
aux neutres et
aux adversaires,
Dorléans cherche la connivence de
son lecteur
dans le même temps qu'il déploie les arguments persuasifs pour
briser sa résistance.
la connivence est chez lui beaucoup plus
qu'un accord tacite sur une opinion ou une expérience,
elle est
cette
communauté
de
sensibilité
et
de
croyances
politico-

425
religieuses
qui
établit
une
entente
secrète
suscitant
la
complaisance devant la faiblesse des raisons avancées.
L'art de
convaincre et l'art de la connivence ne sont pas séparables. Ce
sont en fait les deux moments de la persuasion. Dans le premier,
les
arguments
et
la
structure
discursive
s'appuient
Sur une
cohérence
;
dans le second ils ont pour allié un lecteur supposé
favorable.
Un examen des textes politiques
de Dorléans montre
"
clairement cette démarche.
A-
La
structure
discursive
et
l'argumentation
La démarche
polémique
de
Dorléans
est
presque
toujours
bâtie
selon
le
modèle
de
la
rhétorique
classique
du
discours
persuasif. La division
du
texte en
proposition,
narration et

426
confirmation est généralement trés nette,
quelquefois avec leurs
sous-parties.
L'Advertissement . . . ,
le
Plaidoyé . . .
et
le
Second
Advertissement
en
constituent
des
exemples.
Dans
le
premier,
les catholiques Anglais,
auteurs supposés du discours,
respectent ce schéma rhétorique.
La proposition ou la thèse à
défendre était la nécessité de chasser Henri de Navarre du tr6ne
de France(l).
Cette première partie de
la démarche est divisée
en exorde qui exprime les raisons de l'avertissement,
et en une
sorte de
"dispositio"
00 les Anglais indiquent
les différentes
art iculat ions
de
leur
let tre (2).
Puis,
vient
la
narrat ion
ou
l'exposé des faits qui sont ici la "maladie socio-politique" de
la
France(3).
Ensuite
la
confirmation
arrive
et
établit
la
démonstration du bien
fondé du
rejet d'Henri de Navarre comme
hér i t ier (4).
Cet te
dernière
partie
appelle
une
péroraison
au
cours
de
laquelle,
les
Anglais
tirent
les
conséquences
désastreuses qui découleraient du refus de leurs propositions(5l.
Plus articulé
encore sur
ce modéle
rhétorique,
parce qu'il se
( 1) Dorléans, L'advertissement... p 2 à 4
( 2)
Dorléans, ibid p 1 à 3
( 3)
Dorléans, ibid p 5 à 32
(4)
Dorléans, ibid. p 32 à 133
(5)
Dorléans, ibid. p 131
à 133.

427
déploie
devant
le barreau,
le Plaidoyé OÙ la fin
des parties
est
bien
marquée
par
l'auteur
à
l'aide
d'embrayeurs
discursifs(l) .
Dans
d'autres
textes
de
Dorléans,
ce
découpage
général
du
raisonnement est absent,
mais à l'intérieur de
la démonstration
on
peut
le
retrouver
à
l'oeuvre
pour
rendre
plus
clairs
les
arguments
proposés.
Les
quatorze
conjectures
de
l'Abbé
d'E pistème dans le Banquet,
comme les cinq fins de non recevoir
assénées
aux
hérétiques
dans
l'Apologie
des
Guises(2),
remplissent cette fonction(3).
La division du discours en étapes démonstratives vise un premier
effet
: montrer au lecteur que le pamphlétaire maîtrise son art
et
énonce
des
jugements
impeccables.
Toutefois,
i l
semble
qu'elle
ne
soit
plus
de
saison
chez
les
pamphlétaires
modernes (4) •
Ce serait
alors
un
trait
distinctif des textes
( 1)
Plaidoyé, p 27 à 34
( 2)
Dorléans, Apologie des Guises... ms Ir. W 4922 BN
(3)
La s\\recture dialoguée du Banquet sert aussi à l'argumentation. Il s'agit, par ce biais, de varier les
opinions dans l'identité de vues ; les membres de l'auditoire s'accordent tous, en effet, sur la
question
dont
ils
discutent.
Leurs
idées ne
sont que
les
divers
aspects
de la vision
politico-religieuse de l'auteur.
( 4)
Voir Marc Angenot, op cit
p 298.

428
polémiques des XVIe et XVIIe siècles dont les auteurs sont plus
ou
moins
pétris
de
rhétorique
classique
et
de
traditions
oratoires grécolatines.
La
clarté
de
la
démarche
n' autor ise
pourtant
pas
à
faire
l'économie de la recherche des arguments dont certains font même
appel à une réelle connivence du destinataire. A ce niveau, pour
passer
de
la
présentation
de
la
thèse
à
sa
démonstration,
Dorléans
utilise un certain nombre d'artifices
rhétoriques que
l'on
retrouve
quelquefois
chez
les
autres
polémistes
de
l'époque. Parce qu'il partage avec son lecteur les mêmes schémas
culturels,
même s'ils n'en ont pas une conception identique,
le
pamphlétaire tire parti volontiers d'un ensemble de croyances et
d'habitudes
intellectuelles séculaires
dont
l'opinion publique
ne discute plus le bien fondé.
L'usage des fables,
des proverbes
et
des
dictons
lui
permet,
par
exemple,
de
persuader
le
destinataire plus qu'il ne le ferait avec un autre argument.

429
Les proverbes et
les dictons
interviennent dans
la persuasion à
deux niveaux.
Ils peuvent d'abord servir d'ouverture aux propos
en
suggérant,
avant
la
démonstration,
la
leçon
à
tirer.
Pour
souligner
l'incompatibilité
de
la
concupiscence
avec
la
foi
authentique,
l'abbé d'Epistéme se sert du dicton qui exprime que
"l'aigle ne peut cohabiter avec le dragon,
i l
faut
que l'un ou
l'autre quitte"
(1)
Ensuite -et c'est le cas le plus fréquent
chez
Dorléans-
ils
constituent
la
conclusion
exemplaire
du
raisonnement.
Le refus obstiné des partisans d'Henri de Navarre
de
respecter
la
tradition
judiciaire
améne
l'auteur
du
Plaidoyé,
à
s'écrier
à
la
fin
de
sa
démonstration
"au
royaume
des
Taupes,
i l
n 'y a
que
des
aveugles"
(2)
La même
utilisation
est
faite
du
proverbe

coeur
dolent,
l'oeil
pleure" pour montrer que les Ministres, qui ne se plaignent pas
de la conversion du roi de Navarre,
savent que celle-ci est bien
feinte (3) •
( 1) Dorléans, le BanQuet. .. p 242
(2)
Dorléans, le Plaidoyé ... p 144
< 3)
Dorléans, le Banguet... p 257, dans ce texte il avait déjà affirmé cet autre dicton pour fonder la
même idée: "Et l'art ne peut si bien cacher la nature qu'elle ne paroisse". i!llii.-- p 57.

430
Les
anecdotes
et
les
faits
divers
sont
aussi
utilisés
comme
arguments.
Mais,
au
rebours
des proverbes qui font
référence à
un fonds culturel commun,
ceux-ci n'ont de valeur persuasive que
pour
les
lecteurs
antérieurement
informés
de
l'histoire
rapportée.
Le
pamphlétaire peut alors
favoriser
la
créance de
ceux-ci
parce
qu'il
cherche
ainsi
avec
eux
une
certaine
conni vence.
Dans
l' Advertissement. ..
Dorléans
raconte
qu'un
loup qui vivait à la Conciergerie du Palais à Paris
"mangea
(en
une nuit)
les chiens et les poules du géolier avec lesquels i l
couchait plus de trois mois auparavant" (1). Ce fait divers lui
permet
d'avancer
l'idée
selon
laquelle
Henri
de
Navarre
peut
aller
à
la
Messe
pour
avoir
le
trône
mais
qu'il
retrouvera
toujours sa foi hérétique.
Dans
l'argumentation
la
fable
fonctionne
avec
les
mêmes
visées.
Faisant appel à des habitudes culturelles communes,
elle
permet
à
Dorléans
de
rendre
sa
pensée
plus
claire
et
plus
acceptable
aux
yeux
du
lecteur(lbis).
Comme
élément
de
la
( 1) Dorléans, le Advertissement... p 34
(lbis) Aristote voyait ainsi son rôle dans le discours, la Rhétorique, Paris, Belles lettres, 1960, 2
vol.

431
persuasion,
elle
se
présente
toujours
sous
forme
d'apologue
servant
à
illustrer les propos du passage.
Le destinataire se
trouve
alors
devant
une
vérité
accréditée
par
la
tradition
populaire
et
par
l 'observation(l).
Dorléans
l'utilise
généralement pour souligner les dangers liés à
la venue sur le
trône
du
roi
de
Navarre.
C'est
pourquoi
l'animal,
victime
innocente ou non,
est assimilé à la noblesse seule,
ou au peuple
de
France
tout
entier.
Les
nobles
sont
ainsi
comparés
aux
grenouilles qui choisirent,
pour
leur grand malheur,
un héron
pour roi
"Elles
grenouilloient
au
fonds
de
leurs
marets
ce
gue
vous
gazouillez du Roy de Navarre en voz maisons,
en voz chasteaux et
en voz campagnes" (2)
Les catholiques qui ont accepté la conversion d'Henri de Navarre
deviennent l'agneau de la fable que le loup mangea malgré toute
son
innocence (3) •
Les
l'Politiques",
quant
à
eux,
sont
( 1) Notons que les fables d'Esope sont déjà traduites par Gilles Corrozel, Paris, D. Janot 1542.
Dorléans y fait explicitement référence dans le Banquet p 312.
( 2) Dorléans. le Second Adverlissement.. p 117
(3)
Dorléans. le Banquet... p 321

432
ridiculisés par Dorléans à travers l'image du renard qui avait
la queue coupée et qui demandait aux autres de couper la leur
sous
prétexte
que
les
queues
ne
sont
pas
belles (1).
Il
est
intéressant de noter que le roi de Navarrre apparaît,
dans les
fables comme dans les autres passages où intervient le bestiaire
polémique,
sous
les
traits
des
mêmes
animaux,
mais
à
chaque
emploi,
un défaut particulier est mis en
relief(2).
Néanmoins,
avec le récit animalier la situation devient plus significative
que les attributs intrinséques des acteurs. Pour avoir tout son
poids comme argument,
l'apologue exige une lecture allégorique.
Le passage de la ·société animale"
à
la société humaine,
de la
fiction
à
la
réalité,
réclame
du
destinataire
un
travail
d'interprétation qui n'est pas toujours à la faveur des idées de
l'auteur. La fable du corbeau et du renard,
que Dorléans reprend
dans le Banquet,. permet une double compréhension
:
le flateur
est
ici
visé
mais
sa
victime
qui
succombe au
charme
de
ses
paroles pourrait bien être aussi condamnée pour péché d'orgueil.
(1)
Dorléans, le Banque!... p 312
(2)
Voir infra, chao 3

433
L'efficacité
d'une
telle
illustration
peut
être
quelquefois
sujette à caution. Toutefois,
la culture populaire n'en autorise
que rarement une autre lecture.
Ces arguments,
parce qu'ils apportent une preuve fondée sur une
vérité
d'expérience,
sont
quelquefois
plus
efficaces
qu'une
démonstration rationnelle.
Cependant,
pour un esprit fort,
ils
sont
insuffisants.
Le
polémiste
a
alors
d'autres
ressources
discursives et i l sait en tirer parti.
En effet, Dorléans emploie des preuves plus savantes et beaucoup
plus
capables
de
créer
l'adhésion
d'un
lecteur
réticent.
Les
arguments
bibliques
en
constituent
l'essentiel.
La Bible est
présente dans les pamphlets sous forme d'exemples, de prophéties
et d'"histoires".
Comme exemple,
la référence biblique sert à
fonder les idées à la fois politiques et religieuses. Les rois
de
l'Ancien
Testament
sont
évoqués
pour déterminer,

434
expliquer
et
juger
l'attitude
et
les
qualités
des
Princes
de
France.
La
figure
exemplaire
du
roi
que
Dorléans
propose
dans
presque
tous
ses
textes
est
celle
de
David.
Celui-ci
remplit
plusieurs
fonctions
au
plan
de
l'argumentation.
C'est
le
roi
sage
et
père
de
son
peuple Il).
rl
sert
quelquefois
de
justification
au
refus
de
la
loi
salique
le
pamphlétaire
insiste alors sur le choix de David pour Samuel au détriment de
ses
filsllbis).
A
la
lumière
de
ce
fait
biblique,
Henri
de
Navarre
héritier
légitime
peut
ainsi
être
écarté
du
trône.
L'exemple
d'Aod
qui
tua
le
roi
Eglon
pour
libérer
un
peuple
permet à Dorléans de justifier, après coup,
l'assassinat d'Henri
rrr(2).
D'autres
figures
de
rois
de
l'Ancien
Testament
sont
citées en exemple pour leurs
qualités
ou pour
leurs
défauts
:
Abraham et Moïse pour
leur sagesse(3),
Hérode,
comparé à Henri
de
Navarre,
Hérodias
à
la
reine
d'Angleterre,
pour
leur
cruauté (4) •
(1)
Dorléans. Second Advertissement... f 123 et 158, Advertissement p 73.
(1bis) Dorléans, Apologie ... p 19, 1 - Samuel 8 à 15
(2)
Dorléans, Second Advertissement f 149 - Juges III. 15-30
( 3)
Dorléans,
ibid
f 158
(4)
Dorléans, Advertissement p 89 - La reine d'Angleterre est quelquefois nommée Jesabel

435
Comme
exemples,
les faits bibliques sont là pour corroborer les
vues
politiques
du pamphlétaire.
Le
texte
religieux est alors
conçu comme un guide idéologique qui apporte aux catholiques la
meilleure manière d'organiser leur cité. Cette lecture politique
de
l'Ancien
Testament
est
même
quelquefois
affirmée
par
Dorléans. Ne loue-t-il pas le roi Alphonse X d'Espagne d'avoir
"leu quatorze
fois
les Bibles
(sic
!)
avec les gloses,
afin
d'apprendre comme il
fallait
gouverner justement le peuple de
Di eu"
(1)
Argument
au
service
d'une
vue
théocratique
du
pouvoir(2) .
Les
textes
religieux
peuvent
aussi
lui
fournir
des
arguments
d'autorité
quand
les
faits
rapportés
sont
posés
comme
prophétiques.
Ils
servent
alors
de
principe
d'explication
de
l'histoire présente en la comprenant comme
la confirmation des
affirmations bibliques.
Les
événements
socio-politiques,
ayant
ainsi retrouvé une autre lecture,
s'insèrent dans une sorte de
( 1) Dorléans, Second Advertissement... f 157
(2)
Voir lillJ2@, 3è partie, chap 1

436
figura qui les relie à l'histoire de la grâce et du péché.
La
vie du roi Hérode annonçait,
selon le pamphlétaire,
celle du roi
de
Navarre(l).
Le
siège
de
Jérusalem
figurait
déjà
celui
de
Paris(2) .
La Bible fournit enfin des fait divers ou des anecdotes que le
polémiste rappelle pour amener son lecteur à
se méfier de la
cible de ses attaques.
La fin du règne de Nabuchodonosor(]), la
libération du voleur Barabas et
la condamnation de Jésus à
sa
place par
les
Juifs
sont
rapportées
pour mettre
en· garde
les
catholiques
Français
contre
le
choix d' Henri
de Navarre pour
roi (4) .
De
l'Ancien
Testa ment
il
tire
l ' histoire
de
Sodome
et
Gomorrhe
villes
détruites
pour
leurs
péchés(4biS).
Paris
est
aussi comparé à la Babylone biblique pour la vie débauchée qu'on
y menait pendant les premiers mois du siège(5).
Les Actes
des
( 1)
Dorléans, Second AdyertissemenL f 73
(2) Dorléans, ibid. , f 14
(3)
Dorléans, i!;lliL, f 8-9
( 4)
Dorléans,
Adyertissemenl
p 36
(4bls) Genèse, 19, 1 Description .., p 8, V. 18
(5)
Dorléans, Second Advertissemenl, f 18

437
Apôtres
servent
de
confirmation
aux
critiques
religieuses
portées sUr la vie des individus.
C'est
le cas des Epltres de
Saint-Paul,
très
souvent
citées
dans
les
pamphlets(l).
Toutefois,
Jésus Christ
reste
le véritable exemple au plan des
questions
religieuses.
Sa vie est
toujours
considérée comme le
modèle que tout catholique doit suivre(Z).
Comme exemple politique ou
religieux,
comme prophétie et comme
histoire,
l'élément
biblique
vient
confirmer
l'opinion
du
pamphlétaire
parce
qu'il
porte
en
lui-même
sa
propre
démonstration,
aux yeux du lecteur,
il sert toujours d'argument
d'autorité.
Son
poids
est
encore
plus
fort
quand
les
destinataires sont appelés à agir au nom du Christianisme.
La démarche de l'argumentation pamphlétaire n'est pas linéaire,
même si sa division en parties rhétoriques est très nette.
Dans
la construction de son discours,
Dorléans utilise les arguments
sans ordre apparent. Certains,
par leur récurrence,
donnent un
( 1) Dorléans, Second Advertisserrent .. f 63, le Banquet p 284 et passim
(2)
Voir notamment, le Second Advertissement, le Banquet.

438
aspect redondant au développement de ses idées. Parce qu'il doit
réfuter la thèse adverse,
démontrer la validité de la sienne et
appeler
ses
lecteurs
à
l'action,
le
polémiste
choisit
ses
répliques
en
fonction
de
leur
efficacité (1)
Aussi,
son
raisonnement ne va-t-il pas toujours en avant,
i l lui arrive de
faire des détours ou de revenir en arrière.
Chez Dorléans cette
exigence se traduit par les rappels,
les conclusions partielles
et les
résumés (2) •
Quant aux arguments avancés pour fonder sa thèse,
ils s'appuient
tous sur le principe de l'analogie. Celle-ci avait tout son sens
au
XVIe
siècle(3).
Les
événements,
les
faits,
les
histoires
présentes,
passées,
réelles
ou
imaginaires
ont
entre
eux des
rapport s
de. dévoilement
mut uel.
L'anecdote,
la
fable
comme
l'élément
biblique
sont
cités
comme
analogues
des
choses
auxquelles
ils
servent
d'illustration.
L 'histoire
dans
les
pamphlets
de
Dorléans
sera
aussi
sélectionnée
dans
la
même
perspective exemplaire (4 ).
( 1)
M. Angenot, QQ.....Sjj. p 295
(2) Dorléans, Plaidoyé ... p 26-27; 162-163 et passim, le Second
AdvertissemenL f. 164-165
(3)
Voir L.es Hommes de la Renaissance et l'Analogie, Institut collégial Européen. L.ondres, 1976 ; C; G.
Dubois, l'imaginaire de la Renaissance ... , p 53
(4)
Voir infra, chao 3, , "l'Histoire dans le texte", ..

439
B -
Le jeu verbal comme technique de séduction du
destinataire
La
rhétorique
du
pamphlet,
en
pl us
de
sa
stratég ie
logique
fondée
sur
l'agencement
des
arguments,
utilise
d'autres
techniques
d'écriture
visant
l'affectivité
du
lecteur.
Le
discours
polémique,
comme
paro)·e,--passionnée
et
orientée,
joue
sur
la
sensibilité
de
son
destinataire
l'indignation,
la
dérision
et
la
séduction
sont
donc
indissociables
du désir de
convaincre.
Même
s ' i l
épuise
quelquefois
les
ressources
de
l'invective
et
de
l'ironie,
attitudes
inhérentes
au
genre
pamphlétaire,
Dorléans leur préfère les figures
de séduction et
de
charme,
plus
appropriées
à
la
négociation
qu'il
entreprend
avec
son
lecteur
autour
du
"vrai" (1)
C' est
aussi
parce
que,
féru de rhétorique classique,
i l sait l'effet que ne manquerait
pas d'avoir
Sur le
destinataire l'expressivité
( 1) Les modalités du discours pamphlétaire seraient ainsi "stratégies de pouvoir", il s'agit alors da
peser sur le
lecteur beaucoup plus qua
sur les arguments
adverses,
voir G. Vignoux,
"L'argumentation pamphlétaire : affets de sens, effets de pouvoir", Etudes
Littéraires, 11, 2,
1978, P 283-297.

440
de
son
discours (1),
Recherche
d' e.rguments
et
désir
d'élégance
verbale sont donc inséparables chez
lui.
La paronomase Ilbis),
le
jeu
de
l 'homophonie
des
termes
et
le
procédé
de
correction
rhétorique sont les figures les plus utilisées dans ses textes,
La construction paronymique se fait
sous deux formes,
Elle peut
réunir
deux,
trois
ou
quatre
tecmes
dont
les
sens
sont
soit
antinomiques
soit
complémentaires.
Le
premiec
cas
est
de
beaucoup plus fréquent.
Dans sa vision manichéenne du monde,
le
pamphlétaire bâtit
son discoucs
sur
l'opposition du positif et
du négatif.
A la contradiction entre
"l'honneur" de la noblesse
et
"1 'horreur" de sa pecfidie que souligne le Second Adv. (2),
répond celle qu'il
établit
entre
le
"miel" de
la messe et
le
"fiel"
du
prêche
exprimée
dans
le
Banquet (3).
La
différence
entre
ceux
qui
sont
"saintement convertis Il,
les véritables
( 1) Cicéron en faisait un point essentiel de la recherche de i'efficacité du discours de l'orateur, Q.§
Qratore
214
(1 bis) Nous entendons par paronomase la répétition d'une ou de plusieurs syllabes dans des mots
différents au point d'en faire des paronymes.
(2)
Dorléans, Second Advertissement f 34
(3)
Dorléans, Banquet., p 242

441
. chrétiens,
et les
"feintement
convertis",
Henri de Navarre et
ses partisans(l),
fait écho à celle qui exprime l'hypocrisie des
calvinistes entre la "réformation" et la "difformation" (2)
Ce regroupement des paronymes par paire joue un double rôle.
Il
permet d'abord de créer un rythme plus marqué pour la phrase, ce
qui est de nature à
faciliter
sa mémorisation et de donner un
sentiment d'évidence au lecteur.
Ensuite,
l'idée exprimée gagne
en
clarté
tout
en
gardant
sa
den si té.
En
effet,
on
peut
remarquer que,
même si le sens du second terme détruit celui du
premier,
l'écart
entre
leur
dénotation
exprime
de
manière
ironique les défauts de l'adversaire et de ses arguments.
Le
jeu
sur
les
paires paronymiques
peut
aussi
porter
sur des
termes ayant des significations complémentaires. Le deuxième mot
vient
alors
renforcer
le
sens
du
premier
en
lui
donnant
une
connotation
qui
augmente encore
les
charges retenues contre
( 1) Dorléans, Banquet... p 172
(2)
Dorléans, Advertissernent p 11

442
l'adversaire.
C'est
ainsi
que,
parlant
de
l'assassinat
des
Guises, Dorléans se sert de la paronomase de manière subtile
François
de
Lorraine,
dit-il,
est
mort
"par
Poltrot
qui
poltronnement
le
frappa
par
derrière
d'un
coup
de
pistolet" (1);
et
ailleurs,
les
ducs
de Guise,
père et
ai'euIJ
sont
morts
"l'un
par
un
Poltrot,
l'autre
par
des
Poltrons"
(2)
La paronymie concerne
quelquefois
trois ou quatre
termes.
les
mots
sont
alors
réunis
pour
des
besoins
satiriques
ou
pour
exprimer de
façon hyperbolique
les qualités décrites.
Dans le
cas d'une dénonciation la dureté des sons communs accentue aussi
l'effet
recherché.
Parlant
des
ferrnnes
impudiques,
symboles du
péché des hérétiques, Dorléans écrit
:
"elles estaient de langues raillardes,
de bouches babillardes
et de mains pillardes et de corps frétillardes" (3)
( 1) Dorléans, Apologie des Guises, BN ms. tr 4922 p 97
(2) Dorléans, Second Ady ... f 71. Cette dérivation ironique du qualificatif à partir du nom propre est
utilisée dans un poème manuscrit où il critiquait Nicolas Rapin:
"Rapin blâme la pais en rime poitevine
Il semble que B..il.Rin n'a pas tort de ta blâmer
Car de son naturel la pais hait la BaDine". - BN, ms. Ir. 863, p 640.
( 3) Dorléans, 8):>ologie des Guises, p 87.

443
La
même
construction
se
retrouve
dans
l'Advertissement

l'auteur
entasse
des
adjectifs
avec
le
substantif
dont
ils
dérivent(l).
Quand
l'effet
emphatique
est
recherché,
le
jeu
verbal rassemble quelquefois des mots dont les sens suivent une
certaine graduation sémantique.
En plus de l'harmonie rythmique
recherchée,
l'au teur semble exprimer l ' incapaci té
des
termes à
contenir toute
la
réalité des qualités ou des
faits présentés.
L'honneur
des
légats,
ambassadeurs
du
saint-Siège,
est
ainsi
exprimé,
non sans admiration
:
"leur fonction est haulte,
elle est saincte, elle est vénérable,
elle est honorable,
elle est recommandable" (2)
De la même visée rhétorique relèvent
les qualificatifs employés
par Dorléans,
pour exprimer les vertus du Duc de Guise
:
"Ce très-vaillant et très-veillant,
et travaillant Prince (3)"
Le jeu peut aussi porter sur des homonymes.
Le cas échéant,
le
sens du second mot constitue toujours une rupture
sémantique.
( 1) Dorléans.Advertissemen\\... p 72. "Subtils/subtilité" - "bruies/brutalité"
par exemple.
( 2)
Dorléans. Plaidoyé ... p 134
(3)
Darléans.
Second Adyertjssemenl.
J 137

~rencontre dans les propos traduit un tour d'esprit de l'auteur.
Il
s'agit,
souvent
chez
Dorléans,
de
noms
de
personnes
qu'il
fait s'accompagner avec des noms communs,
ce qui rend difficile
l'existence de l'homophonie. Ainsi: un Prince de Constantinople
du
nom de Basilique est pris pour
l'animal
du même nom parce
qu'il s'opposait à un concile
"Basilique
ce
vénéneux
basilic
rencontra
une
oppositon
farouche" (1)
Dans le Banquet,
le
jeu porte sur deux noms propres mais qui
ont des valeurs fort éloignées
: l ' "Ange Gabriel" est opposé à
l' "Ange de Gabrielle"
qui désigne Henri de Navarre l'amant
et
l'''ange
gardien"
de
Gabrielle
d'Estrées(2).
Le
contraste
entretenu
ici
entre
les
deux expressions
prend une
résonance
particulière dans le contexte de lecture du Banquet.
Le roi de
Navarre
venait
d'abjurer
le
calvinisme
;
pour
beaucoup
de
catholiques la messe de conversion présentait tous les indices
de sainteté et le néophyte toutes les vertus chrétiennes(3).
(1) Dorléans, Banquet... p 147
(2)
Sur les relations de cette dame avec Henri de Navarre, voir J. P. Babelon, op, cil, , P 512 el suiv.
( 3)
Voir~, 2è partie, chap 2.

445
Mais,
au lieu que l'Ange vienne pour attester la pureté,
il est
plutôt
convoqué
pour
constater
les
péchés
de
chair
et
d' hypocr isie
du
converti.
L'alliance
contradictoire
des
deux
noms
permettait
à
l'auteur
d'exprimer
l'opposition
entre
l'intention affichée par Henri de Navarre dans la cérémonie et
sa foi véritable.
Dorléans
utilise
le
même
jeu
pour
traduire
le
paradoxe
insupportable
qu'il
voit
dans
les
agissements
de
Michel
de
L'Hospital.
Ce dernier,
que la fonction politique devait amener
à toujours veiller au bonheur de la France,
cherche aux yeux de
l'auteur à la rendre malheureuse
"Ce
bon
frère
mitou
de
chancelier de
l 'Hospital
qui
a
logé
nostre Estat et la France à l ' hospi tal" (1)
Les rapprochements homophoniques se chargent aussi d'une valeur
ironique qui accentue l'effet de la dénonciation. La paronomase
(1)
Dorléans, Histoire .. , origine de la Ligue ... p 24, BN ms. fr 4922.

446
a des effets de calembour très humoristiques,
surtout quand le
sens de l'un des termes n'est pas évident dans la phrase. Dans
le Banquet du comte d'Arête
la Dame d'Anney
raconte
que son
vigneron lui avait dit qu'à la messe de conversion du Roi de
Navarre,
il avait vu "sa coquebine"
alors qu'il voulait parler
de
"sa concubine"
( l ) .
Le rire sarcastique et mêlé de dépit de
l'auditoire pouvait préfigurer la réaction du
lecteur,
même si
celle-ci
était
beaucoup
plus
incertaine.
Quelquefois
le
jeu
verbal se réduit à un artifice oratoire aux effets peu évidents
pour
le
destinataire.
La
clarté
de
l'idée
exprimée
en
est
d'ailleurs
souvent
diminuée
malgré
le
charme
de
la
tournure
employée.
A
la
cour
imaginaire
devant
laquelle
i l
faisait
son
Plaidoyé ...
Dorléans précisait avec colère:
"Nous
sommes
contraints
d'emprunter
des
paroles
que
ceux
qu'elles touchent penseront estre malséantes à nous, malsonantes
pour eux et peu consonantes à ce lieu" (2)
(1) Dorléans, Banquet.. p 157. Coquebin avait le sens de sol au XVIe siècle.
(2)
Doriéans, plaidoyè... p 6.

447
La beauté du rythme et de la construction l'autorisait à
faire
l'économie d'une justification èes raisons de son indignation.
Même si sa visée première est de séduire le lecteur pour obtenir
sa connivence et son
indulgence,
le
jeu verbal
est
un élément
important du dispositif de l'argumentation. Dans sa stratégie de
persuasion et de manipulation de
son destinataire,
le discours
pamphlétaire l'uti~se comme un moyen d'insistance. La paronomase
et
ses
variantes
homophoniques
cherchent
à
ancrer
dans
la
mémoire
du
lecteur
les
qualités
proposées
ou
les
défauts
décriés.
Une autre construction utilisée pour les mêmes raisons est celle
qui consiste à corriger une
idée par la négation du terme clef
qui sert à
l'exprimer.
Les mots s'enchaînent alors pour aboutir
à
une sorte de paradoxe qui ne laisse pas l'ombre d'un doute sur
le
bien
fondè
des
opinions
avancées
par
le
polémiste.
C'est
d'ailleurs
l'un des moyens discursifs agressifs et inquiétants

448
dont
se
sert
celui-ci
et
que
certains
critiques
considèrent
comme un "terrorisme" pamphlétaire (1). Dorléans l'emploie chaque
fois qu'il nie une qualité ou une bonne action du Roi de Navarre
et
de
ses partisans.
Leur
"prétexte
de
religion
ne
tendoit,
disait-il,
qu'à
estaindre
toute
religion"
(2)
Le
jeu de
correction devient plus insistant quand le terme est rejeté de
plusieurs manières,
comme dans ce refus d'admettre la bonne foi
d'Henri de Navarre après sa conversion
"( ... ) i l n'y a eu de volonté ou s'il y
a eu volonté
( ... ) ç'a
esté
une
volonté
forcée
qui
n'opère
rien,
une
volonté
sans
volonté ou pour mieux dire une volonté contre sa volonté" (3).
L'oxymore "vo lonté forcée" accentue aussi l'effet produit.
Font
aussi
partie
des
arguments
de
séduction
la
fausse
étymologie et ses variantes. Celles-ci cherchent manifesteme~t à
signaler
le
savoir
de
l'auteur,
autre
moyen
d'avoir
l'assentiment
du
lecteur. Cependant,
son effet sur
ce dernier
(1) M. Angenot, l a Parole oamphlétaire ... p 249·250 - M. Cusin, "le désir el la parole dans le discours
polémique.. " an cil
p 110 par exemple.
(2)
Dorléans. Advertjssemeot... p 11.
( 3)
Dorléans,
BaOQuel... p 148

449
est beaucoup plus subtil
;
en faisant confondre le signe et son
référent,
le
discours
pamphlétaire
dissout
l'arbitraire
du
premier et présente
le mot
comme
la chose elle-même.
C'est
le
cas
quand Dorléans
nous
annonce
que
le
terme
"François" veut
dire
"franc",
c'est-à-dire
franc
de
la
servitude
des
hérétiques"( 1 )
;
ou
quand
i l
subordonne
l'appellation
d' "Angletterre"
à
la
position
géographique
du
pays
qu'elle
désigne
:
"Angle de terre" (2)
La
rhétorique
de
la
persuasion
dont
se
sert
Dorléans
pour
asseoir la logique de
son discours pamphlétaire
joue à
la fois
sur la connivence et sur la conviction de son lecteur.
Il n'y a
pas
d'argument
incohérent
pour
le
polémiste,
mais
une
argumentation
inéfficace
celle-ci doit
prendre
en
compte
le
jugement
mais
surtout
l'affectivité
du
destinataire
réel
ou
apparent.
C'est
aussi
pourquoi
l'auteur,
son adversaire
et
le
lecteur
sont toujours,
d'une maniére ou d'une autre,
impliqués
dans l'écriture des textes de type agonistique.
(1) Dorléans, Second Adyertissement... f 88. Il l'avait déjà écrit dans le plaidoyé ... p 79.
(2)
Oorléans, plaidoyé ... p 62.

450
II -
L'ARGUMENTATION:
LA DIALECTIQUE AUTEUR-LECTEUR-ADVERSAIRE
Le discours
pamphlétaire est par nature polyphonique.
Derrière
la voix de l'auteur s'y font entendre celles de l'adversaire et
du
lecteur.
En
effet,
la
fonction
du
polémiste
n'est
pas
seulement
d'exposer
et
de
dé fendre
sa
thèse
-ce
serait
une
parole
didactique-
mais
aussi
d'en
détruire
une
autre.
Son
argumentation
se
heurte
constamment
à
des
contre-discours
qui
perturbent
son
développement
cohérent (1).
Pour
assurer
la
pertinence
de
sa
démonstration,
tout
en
réfutant
les
propos
adverses
inscrits
dans
son
énoncé,
i l
cherche
à
amener
le
destinataire à assumer une partie du raisonnement.
S'établit
ainsi,
au
sein
même
de
la
trame
de
son
texte, un
,
va-et-vient
incessant
entre
'
.L li l ,
l'adversaire
et
le
lecteur-témoin.
( 1)
M. Angenol, QQJ<LL. , P 285.

451
A
La double énonciation
Le texte pampHétaire s'élabore en fonction du discours adverse,
il est
"une
formulation
a
contrario" (1)
Aussi
il
renvoie à
deux contextes d'énonciation
celui de
l'énonciation présente,
celle
de
l'auteur,
et
celui
d'une
énonciation
antérieure
et
extérieure.
Le
polémiste,
pour
établir
le
bien
fondé
de
ses
opinions,
doit
alors
détruire
la
logique de
cet
interdiscours
produit ailleurs par l'adversaire.
Ce qui suppose une démarche
persuasive
qui
puisse
assurer
une
démonstration
et
en
disqualifer une autre.
La présence dans
le pamphlet des propos
de
l'autre
se
nanifeste
dans
la
rhétorique
employée.
Les
questions
oratoires,
l'apostrophe,
la
prolepse
et
la
sermocination
sont,
entre
autres,
les
indices
de
l'affrontement énonciatif dont le discours polémique est le lieu
privilégié.
(1)
J. B. Marcellesi, "Elè.·ments pour une analyse contrastive du discours politique", Langages, N' 23,
1971. P ·2:5"-?"i

452
Tout en suivant ce schéma dans plusieurs de ses textes, Dorléans
le rend plus complexe dans d'autres.
Il convoque alors dans son
discours les énoncés calviniste et
"Politique".
La présence de
la parole antagonique est
signalée généralement
dès
le titre
dans la polémique ligueuse (1)
défense des
"catholiques unis"
contre
les
"impostures
des
catholiques
associez",
par
exemple (2).
A l ' intérieur
du
texte
même
plusieurs
procédés
stylistiques
concourent
à
rappeler
les
avis
opposés.
C'est
d'abord la citation des opinions prêtées à l'autre;
soucieux de
la clarté de
sa
réfutation,
Dorléans
rappelle quelquefois
les
point s
de
vue
contre
lesquels
il
polémique.
Le
P laidoyé
en
donne l'exemple le plus révélateur:
"Pour le premier chef iJs nous tiennent comme rebelles. Pour le
second,
que
nous
avons
introduit
les
anciens
ennemis
de
la
France en ce Royaume. Pour le tiers,
que nous avons interverty
les
loix
de
nostre
Estat
et la
juste succession de
noz
Roys
"
(3)
(1) Voir i.n.lr..a, chao III,
(2)
C'est untartie du titre de l'Apologie ...
(3)
Dorléans,
plaidoyé ... p 27

453
La citation des opinions adverses est souvent tronquée pour les
besoins de l 'argumentation 11) .
L'énonciation
antérieure
apparaît
aussi
dans
la
rétorsion.
Celle-ci permet à l'auteur de se couvrir derrière les arguments
adverses qu'il
retourne à
son expéditeur.
Les
propos rapportés
ont
l'air de
servir deux positions
idéologiques opposées,
mais
en
réalité,
ils
sont
devenus
autres
dans
l'énoncé
présent.
Littéralement transcrits,
ils sont lus et traduits à travers une
logique
discursive
différente.
On
peut
même
dire
qu'avec
les
mêmes phrases les polémistes ne parlent pas de la même chose(2).
Dans la rhétorique pamphlétaire de Dorléans,
les paroles de ses
adversaires sont toujours vidées de leur contenu de départ avant
d'être utilisées comme arguments.
Cette perversion peut revêtir
deux aspects.
Le
procédé
consiste d'abord à
changer
la
nature
des référents:
c'est toujours le cas dans ce que nous appelons
(1) Dans son premier pamphlet, l'Apologie, Dorléans ne donne pas fidètement les griefs portés contre
son parti, voir p 3 à B.
(2)
Voir Dominique Maingueneau, Essai de construction d'une sémantique discursive
étude d'ua
jntertexte polémique du XYlle siècle
thèse, Uni, Paris X ' Nanterre, 1974 P 30 : le texte cité est
chez lui le "discours pa~ienl" parce qu'il subit une traduction, le texte citant "discours agent".

454
les faux aveux :
"Nous confessons que nous sommes rebelles à Sathan,
au Roy de
Navarre,
à
tous ses Par1emens
( . . . . )
à
tous les estançons du
Royaume de l'Antéchrist" (1)
Le
texte
auquel
Dorléans
répond
et
dont
i l
tire
le
passage
transformé,
posait
la question de
la rebellion par rapport aux
lois
et
aux
traditions
de
la monarchie
française.
Ce
dernier
élément de référence enlevé,
l'attaque adverse perd son sens et
son
mordant.
Ensuite,
l'autre
se
voit
dans
les
fausses
concessions qui finissent en dénonciation
:
"Je présupose en 1uy la qua1i de roy qu'il se donne,
combien
qu'il soit un Roy de Rien et que son Royaume soit un Royaume de
fumée,
une couronne de vent
( ... ).
S'il est très-grand,
c'est en
perfidie,
s ' i l
est
très-auguste,
c'est
en
cruauté,
s'il
est
très-clément c'est envers les impies . . . . " (2)
On reconnaît là,
perverties,
les qualités attribuées au Roi de
(1) Dorléans, Plaidoyé .. p 37.
(2)
Dorléans, Banquet.. p 102 - voir aussi Apologie p 23 ; Advertissement p 91 etc...

455
Navarre par ses défenseurs.
L'intérêt polémique du procédé de la
rétorsion est de dispenser l'auteur de la dénégation argumentée
que réclamaient les accusations.
La prolepse et
l'apostrophe
sont
aussi
les marques discursives
de l'énonciation polyphonique du pamphletaire.
La première,
qui
consiste à devancer les objections de
l'interlocuteur pour les
détruire,
permet au polémiste de ne pas prêter le flanc.
C'est
une précaution dont
l'effet est presque problématique,
elle se
fonde
sur une
identification momentanée entre
l'auteur et
son
adversaire,
car
celui-là
croit
savoir,
le
temps
d'une
argumentation,
la
réact ion
de
celui-ci.
Dorléans
l'emploie
souvent en l'associant avec le procédé de la rétorsion,
l'effet
obtenu en est d'ailleurs plus fort
"vous direz toutesfois que c' estoi t pour payer voz garnisons,
ou
pour subvenir aux urgens affaires de voz villes. Et certainement
nous le voulons bien,
mais il estoit besoin que ce
fut
à voz
frais
et non
aux
frais
d'autrui,
que
voz
garnisons
feussent
entretenues" (ll
( 1) Dorléans, Second Advertissement
f. 11-12

456
Dorléans
se
fait
ainsi
objection
à
lui-même
et
apporte
des
réponses
à
des
questions
qui
sont
en
réalité
les
siennes
propres,
mais,
dans son imaginaire polémique,
elles sont celles
du discours de l'adversaire.
Quant
à
l'apostrophe,
elle peut
s'adresser
à
l'interlocuteur
comme
au
destinataire.
Dans
le
premier
cas,
elle
se
charge
presque
tou jours,
chez
Dorléans,
d'une
intent ion
ironique
et
satirique alors que dans le second,
elle devient pathétique et
cherche une adhésion justifiée par la gravité de la situation ou
de la question. Les répondants sont appelés souvent
"Messieurs
les
accusateurs" (1).
ou
"Messieurs
les
calomniateurs" (2) ou
encore "Misérables personnes" (3)
l.es questions oratoires constituent enfin un indice de ce tissu
de
paroles
opposées
que
le
discours
pamphlétaire
draine
nécessairement
avec
lui.
En
plus
de
sa
valeur
habituelle,
Dorléans peut l'utiliser en
intégrant dans l'interrogation une
( 1)
Dorléans, Second Adveqissement
f. 50
( 2)
Dorléans,
ibid
f. 52
(3)
Dorléans, jbid. f. 20

457
réponse indirecte,
encore plus infamante pour son adversaire. Le
Plaidoyé nous en donne un bel exemple
"Mais
pourguoy
nous
arrestons
à
refuter
un
si
apparent
mensonge ?" (1)
La question oratoire s'adresse aussi au lecteur qu'elle invite à
prendre en charge une partie de la réponse.
Dans
la polémique
ligueuse,
l'énoncé adverse peut être présent
dans
le
discours
du
moment
par
la
structure
même
que
prend
l'argumentation.
Sou vent,
en
effet,
c'est
le
texte
de
l'accusation
qui
détermine
la
forme
de
celui
de
la
défense.
Toutes
les
réponses
apportées
à
l'Advertissement
de
Dorléans
adoptent
la démarche d'une lettre d'avertissement(2J.
L'arrêt de
Châlons,
auquel
s'en
prend
le
Plaidoyé,
a
une
structure
pamphlétaire
parce
qu'il
répond
à
des
adversaires
politico-juridiques(3) .
( 1) Dorléans, Plaidoyé ... p 112.
( 2)
Voir §.!alQ.@ , 2ème partie chao 2
(3)
Voir s!Jpra
1ère partie chap 2

458
En
vérité,
dans
les
textes
de
Dorléans
trois
énoncés
sont
impliqués
le discours
calviniste
contre
lequel
il
polémique
explicitement,
le
discours
"Politique ll
auquel
i l
cherche
à
répondre indirectement et celui des ligueurs qui se confond avec
les idées du pamphlétaire, Le premier appelle une réfutation et
des
injures,
le
second une
explication,
une
justification des
projets
del' Union des
Catholiques,
et
le
troisième
expose des
propositions
et
invite
le
lecteur
à
passer
à
l'action(ll.
Quelquefois,
les deux points de vue adverses sont confondus dans
les attaques,
c'est devenu naturel pour le polémiste qui semble
faire
du
procédé
de
l'amalgame
un
de
ses
tours
favoris
;
refusant
la
qualité
de
chrétien
à
Henri
de
Navarre,
Dorléans
s'exclame
"S' i l est très-chrétien,
c'est selon le perfide christianisme
des Poli ti gues" (2)
(1)
L'Adyertissement, le Second Adyertjs6ffilent laissent transparaître cette triple énonciation.
(2)
Oorléans, Plaidoyé ... p 102

459
Cette trame discursive peut permettre une
triple
lecture mais
dans le déroulement de celle-ci c'est une seule subjectivité qui
reçoit en même temps ces trois dimensions de l'énonciation. Le
destinataire
approfondit
alors
les
aspects
qui
répondent
le
mieux
à
ses
besoins
idéologiques.
la
polémique
ligueuse
connaitrait
ainsi
une
intertextualité plus marquée
qu'elle ne
l'est dans les textes agoniques modernes(l).
B
La lecture comme élément de l'écriture
En plus du jeu verbal où i l apparaissait comme la détermination
du
choix
stylistique(2),
le lecteur est aussi convoqué dans
le
procès d'énonciation du pamphlet.
C'est parce qu'il est l'enjeu
du discours polémique,
malgré l'apparente primauté de la vérité
à défendre.
Comme genre militant
il appelle
à
un changement;
(1) Pour ce qui est de l'énonciation dans ces derniers voir M. Angenot, ~ • P 34 et p 284-293.
(2) Voir~

460
or,
si
celui-ci
doit
advenir, i l
passe
nécessairement
par
le
lecteur.
Témoin privilégié du combat verbal,
i l est invité aussi
a être l'agent de la bataille extradiscursive,
celle qui se fait
sur le
terrain
socio-politique.
Le
succés
de
la propagande se
mesure ainsi à
sa capacité de mobiliser les destinataires. Pour
y
arriver,
les
auteurs
tirent
parti
volontiers
d'un
certain
nombre de procédés qui orientent l'écriture de
leurs pamphlets.
Chez
Dorléans,
le
titre
même
des
textes
en
caractérisant
le
destinataire
explicite place d'emblée
le
lecteur
au
centre du
processus
argumentatif(l).
Il
l'appelle
aussi
fréquemment
à
témoigner de
la
validité
des
raisons
avancées.
Les
procédés
rhétoriques
de
la
subjection,
de
l'apostrophe,
constituent,
entre
autres,
les
moyens
par
lesquels
le
polémiste
sollicite
l'assentiment
de
destinataires
souvent
réticents.
Quand i l
le
fait au nom de la religion,
les avertissements et les menaces de
Dieu
lui-même
viennent
appuyer
et
confirmer
ses
inte r pellations(2) .
(1) Voir infra
chap 3
( 2) Voir la fin des deux Advertissemenls ... et supra 2è p
chap 2

461
Le
lecteur est
d'abord sommé de prendre parti dans
le conflit
idéologique qui se déroule sous ses yeux. Le polémiste ne semble
pas devoir
lui
laisser une échappatoire et
le ton du discours
est souvent bien pressant :
"Sera
il
temps de demander secours quand vous serez perdus
?
Vous
armerez
vous quand vous serez prisonniers
?
( ••• )
ostez
ostez ces discours ridicules de voz espritz, et suffoquez le mal
devant qu'il vous estouffe" (1)
Ensuite,
le
polémiste
peut
lui
demander
indirectement
de
s'expliquer sur son attitude.
Il suggère alors insidieusement la
soumission à ses points de vue,
à défaut de pouvoir lui opposer
des arguments valables
:
"Je ne diray point ny comment ny combien, mais estant revenus à
convalescence, pourquoy tenez vous toujours ses
(il s'agit de la
France)
bras liez
après la
saignée et les empeschez de
faire
leurs nat ure11es fonctions" (2)
(1) Dorléans, Advertissement... p 70
(2)
Dorléans, Second Adyerlissement ... f 24

462
Ce procédé de prétérition ne
cherche pas
ici la complicité du
destinataire,
comme c'est généralement
le cas,
mais il sert un
projet satirique.
Quelquefois,
Dorléans apostrophe son lecteur pour lui indiquer
l'action à entreprendre.
Il le fait généralement à la fin d'une
démonstration
après
avoir
montré
tous
les
dangers
liés
au
choix d'Henri de Navarre comme roi de France,
il en tire cette
moralité
:
"Gardez-vous donc d'introduire un ROY hérét ique dedans le corps
de vostre Estat" (1)
Quand ces procédés n'auront pas suffi les injonctions se feront
alors menaces,
et le lecteur sera sur le point d'être assimilé
aux
adversaires.
Pourtant,
la
seule
issue
possible
que
le
pamphlétaire semble offrir aux destinataires est l'engagement à
ses côtés pour la victoire de son idéologie. La fin des textes
(1) Dorléans, Advertissemen1... p 52

463
de Dorléans en donne une illustration dont
le meilleur modéle
paraît bien être la conclusion du premier Advertissernent
"Voila,
messieurs,
l'estat de vostre maladie,
voila les fautes
de ceux qui
vous ont pensé,
voila le
danger ou voz médecins
précédens vous ont
jectez et les remédes prompts,
asseurez et
faciles
dont
vous devez
user pour le
recouvrement
de
vostre
santé
( . . . )
Mais si vous êtes si lasches
( ... )
je
vous
feray
(c'est Dieu qui a pris le relais de Dorléans)
le butin de mes
ennemis et des vostres" 11)
En définitive,
pour écrire son pamphlet,
l'auteur se représente
constarr.ment et à
chaque étape de son argumentation,
les divers
lecteurs
dont
i l
lui faudra
emporter la conviction.
Avouée ou
non,
marquée dans l'énonciation ou non,
l'intention de prévenir
leurs
désirs
et
leurs
objections
se
trouve
nécessairement
au
centre de
ses préoccupations.
Car,
pour atteindre son but,
la
persuasion
doit
considérer l'interprétation que
le destinataire
fera des arguments avancés.
( 1) Dorléans. Advertissement p131 et p 133

464
Conscient que
l'enjeu véritable de sa parole est
la vérité,
le
pamphlétaire
cherche
à
neutraliser
dans
son
discours
le
"mensonge
de
l'autre" qui
vient
constamment
en
perturber la
cohérence.
A ce
dessein
ne
suffisent
pas
la
pertinence
des
arguments et la logique de la démonstration,
il lui faut aussi
du charme de la séduction,
de l'émotion et même des menaces.
Comme
"sujet du dire vrai" (1)
i l s'oppose par tous les moyens
"au sujet du mensonge" (1)
pour l'efficacité de sa propagande.
C'est pourquoi,
le texte de l'adversaire est traduit et compris
à
travers une grille propre au polémiste,
i l est,
au besoin, un
simple
faire-valoir du discours de
celui-ci.
Le pamphlétaire,
son
interlocuteur
et
le
lecteur
entrent
ainsi
dans
des
intéractions discursives dont les visées dépassent le succès de
la persuasion pour déboucher vers une praxis sociale. Enfin,
la
question
du
destinataire
véritable du
pamphlet reste encore
(1) Jean Calloud, "Véridiction, vérification
et vérité à partir d'une analyse de quelques textes
bibliques", Stratégies discursives, actes du colloque du C.R.L.S. de Lyon, mai 1977, Presses Univ,
de Lyon, 1978 p 199-215.

465
posée,
car
ces
trois
acteurs
de
la
polémique
changent
quelquefois
de
statut,
ne
serait-ce que pour
l ' instant d' une
parole.
Dire que
l'auteur
"ne sai t
pas pour qui il écri t" (1)
nous paraît une manière de déplacer l'interrogation mais non d'y
apporter
une
réponse.
Dans
la
perspective
des
controverses
soulevées par la Ligue,
les publicistes avaient la conviction de
savoir à
qui
ils
s'adressaient et
de
quoi
ils
leur parlaient.
Au-delà de leur argumentation agressive,
il y avait leur foi qui
éclairait le chemin de la vérité en neutralisant le mensonge de
l'Antéchrist,
même dissimulé sous le manteau politique(2).
(1) M. Angenot, art cil p 263. Il pense que l'image de "la bouteille à la mer" est une métaphore du
pamphlet par rapport à son destinataire.
(2)
L'image est récurrente chez Dorléans, voir Second Adverlissemenl... Plaidoyé ... , el ~, ~
partie chap 1,

466
CHAPITRE III
DE LA RHETHORIQUE A LA POETIQUE
L'oeuvre ainsi produite présente,
dans sa structure interne,
un
certain nombre
d'aspects
révélateurs
d'une
qualité
littéraire
généralement
inattendue du genre.
Dans sa stratégie polémique,
Dorléans se sert de procédés relevant à la fois de l'esthétique
et de l'efficacité.
Les titres,
les préfaces,
les postfaces et
les
épigraphes,
tout
ce
"péritexte"
traditionnel,
entretient
avec le texte proprement dit et avec le contexte de lecture des
rapports intéressants à examiner. La métaphore travaille dans le
discours
polémique
à
plusieurs
niveaux.
Elle
établit
des
relations d'identité entre la société à gouverner et l'homme,

467
entre
les
qualités humaines
et
les
attributs animaux,
faisant
ainsi
du
pamphlet
un
texte
au
symbolisme
très
accentué.
Le
discours
lui-même,
parce
qu'il
cherche
à
faire
correspondre au
dire interne et textuel une action extérieure et sociale.
finit
par devenir la métaphore d'un combat
réel dont
l'enjeu
serait
l'avénement d'un monde nouveau. C'est alors que l'histoire entre
dans
le
texte
pour
attester
la
légitimité
de
la
parole
du
polémiste, pendant que Dieu,
à travers la réaction
des éléments
ou par la bouche de l"'auteur-prophète",
établit la véracité des
positions
affirmées.
On
se
trouve
devant
une
oeuvre
aux
constituants
divers
mais
concourant
tous
vers
un
même
but
convaincre,
édifier
et
enrôler
des
destinataires
dont
le
pamphlétaire
voudrait
faire
des
alliés
discursifs
ou
réels.
L'analyse des moyens poétiques mis en oeuvre dans la polémique
pourrait ainsi être à
la base d'une meilleure connaissance des
textes
de
type
agonistique
p.coduits
en
France
à
la
fin
du
seizième siècle.

468
1 - DU TITRE
Par rapport à
la substance du texte qu'il désigne,
le titre
d'un ouvrage semble généralement anodin. N'ayant pas toujours de
relation
directe
et
nécessaire
avec
le
contenu,
i l
paraît
uniquement assumer une fonction de nomination du livre.
S'il a
tendance à devenir aujourd'hui "un artefact de réception ou de
commentaire"
(1)
le
titre
jouait
un
rôle
important
dans
la
bataille
des
libelles
suscités
par
la
Ligue.
Premier
contact
avec le pamphlet,
il devait porter les marques et indiquer les
orientations
du
texte.
Le
soin apporté par
les
auteurs
à
son
choix était un indice supplémentaire de leur importance.
( 1) G. Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987 P 54-55

469
A - Les intitulés et leurs formes
Le
souci
du
titrage
est
très
apparent
dans
les
pamphlets
ligueurs Il) • Le titre n'est pas neutre,
il est chargé de lancer
un slogan ou un mot d'ordre que le texte se chargera de fonder.
Si l'intitulé "discours" connaît la plus grande fortune comme le
note Pallier,
Dorléans ne l'a
jamais utilisé (2 ).
Les titres de
ses pamphlets
sont
généralement
des
résumés
du contenu.
Guidé
par des
soucis didactiques,
il
élimine
la
séparation plus
ou
moins
factice
entre
le
"titre ll
et
"sous-titre".
Une
structure

demeure très uulisée
: indication de l'objet du texte,
du point
de
controverse
et
enfin
des
cibles.
C'est
le
cas
avec
l'Apologie des
catholiques ... ,
et
avec la première édition
de la Description
du
politicque (3 ) •••
Quelquefois,
l'auteur
1
et
les
cibles
sont
seulement
indJqués
La
description
du
politicque
de
nostre
temps
faict
par
un
gentilhomme
fran~ais.
(1) Voir D. Pallier, QIl....Qt. , p 151
(2)
D. Pallier ibid. , P 151
( 3)
Voir supra
1ère partie chaR 2

470
Deux titres soulignent aussi l'endroit et le moment du contenu
des
textes
le
Plaidoyé
des
gens
du
Roy ..
et
le Banquet
du
conte
d'Arête.
D'une édition à l'autre un intitulé peut changer. En fonction de
l'évolution de la polémique,
des parties s'y ajoutent alors que
d'autres sont enlevées.
La Description du politicque a connu
trois titres différents
: en 1588,
les adversaires "Politiques"
étaient
accusés
de
préférer
"l'Estat
à
la
religion
catholique" (l),
ce n'était là que la réponse à une accusation
faite aux Seize,
à qui on reprochait de vouloir subvertir les
"lois
du
Royaumes"
sous
le
couvert
de
la
religion.
En
1589,
quand le parti des "Politiques", profitant de la désapprobation
générale relative à
l'assassinat d' Henri
II 1,
s'est
radicalisé
dans
sa
lutte
contre
la
Ligue (2l,
le
titre
du pamphlet
s'est
réduit
à
une
simple
accusation
La
vie
des
traitres
politicques
navarrois 13 ).
De même
le premier Advertissement
(1) Voir supra, 1ère partie chap 2
( 2) Voir E. Barnavi et R. Descimon .Qll.dL
(3) Voir Supra 1ère partie chap 2

471
était
explicitement
adressé
aux
"Français
catholiques",
le
Second,
quant
à
lui,
ajoutait
en
1590
" e t
à
la noblesse
qui suit à présent le Roy de Navarre".
La forme et l'évolution de l'intitulé dépendent pour l'essentiel
du
contexte
d'écriture
ou
d'édition
du
pamphlet.
Le
titre
apparaît
déjà
comme
le
premier
lien
entre
la
polémique
et
l'actualité.
Son choix relève d'une stratégie qui intègre les
visées et les modalités de la lecture des libelles. C'est parce
que
le titre cristallise en lui-même la position de l'auteur
vis-à-vis
de
sa mission.
L'attrait
qu'on
y
remarque pour
le
vocabulaire
politique(l)
est
lié
à
la
fonction
dans
la
polémique. La majorité des titres de Dorléans pamphlétaire peut
se
résumer
en
ces
termes
"advertissement",
"apologie",
"plaidoyé"
et "description". Ils indiquent clairement le rôle du
publiciste
désigner,
avertir
et
défendre.
La
forme
de
l'intitulé
n'est
jamais
neutre
dans
un
contexte
de
débat
politique, elle sert les objectifs discursifs.
(1) D. Pallier, op.cil. , P 151.

472
B
La fonction du
titre pamphlétaire
Comme seuil du libelle,
il doit en donner quelques aspects.
La
critique
retient
généralement
trois
fonctions
pour le titée
identifier l'ouvrage,
lui
servir de nom,
ensuite désigner son
contenu
et
enfin
le
met.tre en
valeur
dans
la
perspective de
séduire
le
lecteur Il) .
Dans
la
polémique
ligueuse
les
titres
remplissaient très rarerrent ces trois rôles.
On peut même dire
que la dernière fonction était comprise autrement
: au lieu que
l'auteur cherche à charmer un destinataire avant la lecture du
texte, i l visait plutôt à honnir des adversaires sur lesquels il
se proposait d'attirer
la colère ou l'indignat.ion de
l'opinion
publique.
Les
titres des
pamphlets
ligueurs
sont toujours des
prises de positions idéologiques:
l'adversaire y est dénoncé de
( 1) Voir M. Helin " Les livres et leurs titres". Marche romane sept-décemb 1956 - Léo H Hoek "Pour
une sémiotique du titre", Document de trayail, Urbino, février, 1973 cités par G. Genette, op cjl
p
54 - voir ce dernier pour une bibliographie du titre.

473
manière
explicite
ou
par
allusion.
Certains,
d'ailleurs
se
limitent
à
de
simples
assertions
qui
avaient
une
valeur
d'évidence:
La
ligue
très-sainte,
très-chrestienne
et
très -catholique,
et
la
Retraite
de
la
Ligue(l).
Ces
libelles anonymes,
malgré leur apparente sérénité avaient une
visée bien polémique. Le premier répondait aux accusations des
"Politiques"
pour
qui
la
Ligue
se
couvrait
du
manteau
de
l'Eglise pour réaliser de bas desseins. Le second, paru en 1594,
s'adressait
à
ceux qui
croyaient
encore à
la victoire de
la
Ligue.
Parce
qu'ils
faisaient
écho
à
l'évolution
des
controverses,
les
mêmes
titres
pouvaient
servir
des
camps
différents.
Pour relier les réponses apportées aux accusations
de départ,
l'intitulé de base est presque toujours repris. La
fortune
du
"Catholique
Anglois"
de
Dorléans
en
fut
un bel
exemple(2) .
(1)
La lique très-sainte Irès-chrestienne et très-catholique, s. 1. 158931 p; La Betraile de la Li9ue.
par P.I.D.G.C. Lyon, G, Jullierou, T. Ancelin, 1594, 45 P
( 2) Voir suora 1ère partie chao 2 et 2è partie, chap 2.

474
Un
examen
des
titres
des
pamphlets
de
l'auteur
du
Banquet
révèle
qu'il
se
soucie
beaucoup
de
leur
efficacité.
Leur
première
fonction est
alors d'agir sur le
lecteur avant que
celui-ci n'accède au contenu. Le titre doit être accrocheur,
il
le devient d'autant mieux qu'il est explicite et incisif de ton.
L'attitude
que
le
publiciste
voudrait
susciter
chez
le
destinataire
est
aussi
exprimée
par
le
titre
les
"Advertissements"
de
Dorléans
sont
des
mots
d'ordre
que
le
lecteur
saisit
bien
sans
prendre
connaissance
des
livres.
L'intitulé peut aussi avoir la charge de nier l'évidence ou la
véracité des opinion adverses.
Le titre du Plaidoyé s'attache
à réduire au néant l'arrêt sur lequel il porte:
"Plaidoyé
des
gens
du
Roy
faict
en
Parlement,
en
plaine
audience,
toutes les chambres assemblées, le 22 jour de décembre
mille V-C quatre-vingtz douze sur la cassation d'un prétentdu
arrest
donné au prétendu
parlement de
Chalons ... (1)" •
En définitive,
le ton,
l'orientation
et
les
conclusions des
(1) Voir supra 2è partie. chao 2

475
libelles transparaissent
dans
leurs titres.
Ceux-ci donnent
du
texte
une
vue
condensée
chargée
de
retenir
l'attention
des
destinataires
et
attirer
leur
curiosité.
Ils
annoncent,
par
ailleurs,
la fonction de l'auteur en exprimant clairement,
sous
forme
de
slogan,
la
finalité
du
pamphlet,
Même
s ' i l
est
un
subterfuge
quand
il
permet
de
cacher
le
contenu
réel (1)
ou
allégorique en faisant
intervenir des
abstractions (2),
le titre
vise à
apprivoiser un
lecteur pas
toujours partisan(2bis).
C'est
peut-être
à
ce
niveau
qu'il
retrouve
sa
véritable
fonction de
séduction.
Chez
Dorléans,
néanmoins,
i l
est
plus
explicatif
qu'accrocheur,
et la tentative de charme ne commence
réellement
qu 1 à
l'intérieur
du
texte,
une
fois
que
le
lecteur
en
aura
franchi le seuil.
( 1) C'est le cas du pamphlet attribué à Dorléans par certains critiques Réplique pour le catholiaue
Anglais.,. s, 1. 1588, qui revendiquait un véritàble état théocratique et critiquait ies rèqnes de tous
les rois de France.
(2)
Par exempte, Discours de la vie et de la morl, 1589, Paris G. Bichon
(2bis)
Dans un manuscrit de la BN, j'auteur anonyme de l'Histoire chronologiQpe de la 1joue nous
apprend que l'usage du "catholique Anglais" était fréquent dans les libelles pour se faire passer
pour catholique. cf. BN ms. Ir, N° 23295 P 300

476
II - PREFACES ET POSTFACES
Elles
sont
toujours
de
forme
poétique
sonnets
ou
quatrains.
Tous
les pamphlets de
Dorléans
n'en
contiennent pas.
Placés à
l'entrée
du
discours,
les
poèmes
de
préface
ou de
postface y
remplissent
une
fonction
textuelle
qui
n'est
pas
toujours
évidente.
A
- Les préfaces
Comme
propos
liminaire
la
préface
a
pour
rôle
d'assurer
de
l'oeuvre une bonne lecture (1).
Elle peut en signaler la genèse,
l'intérêt
et
la
manière
de
la
comprendre.
Cette préoccupation
n'est que très rarement celle des préfaces des textes polémiques
(1) Cf. G. Genette. Q.ll.lili. p 183

477
ligueurs.
Chez Dorléans,
les poémes antéposés au discours sont
généralement
une
aggravation
des· propos
de
celui-ci.
Ils
en
indiquent une lecture qui anticipe sur les craintes de l'auteur
du pamphlet en exagérant
les conséquences possibles.
Le sonnet
placé au début
du
premier Advertissement
présente
la France
sous
les
traits d'un
corps
en décomposition
sous
les effets
maléfiques de ses péchés(ll. Or,
la colère divine qui en est la
cause est
due
à
l'entente
aveC
l' hérésie,
ce
contre quoi
les
Anglais mettent en garde leurs voisins français.
Le
sonnet
qui
précède
le
texte
du
Second
Advertissement
souligne la déchéance de la noblesse française qui a accepté un
roi hérétique(2l.
La préface est ici,
aussi,
une façon de faire
naître la peur chez le lecteur en lui indiquant,
dès le début du
texte,
la catastrophe qui adviendrait s ' i l n'agissait pas comme
le
suggère
le
polémiste.
Ces
sonnets
fonctionnent,
en
fait,
comme
des
épilogues.
Dépassant
les
limites
thématiques
du
pamphlet,
ils accentuent sa portée en ouvrant au destinataire un
(1)
Voir supra 2éme partie chao 2
( 2) Voir supra 2éme partie chap 2

478
vaste
champ
de
malheurs,
Ils
constituent
alors
un
moyen
de
préparer le lecteur à l'action proposée par la propagande.
Les quatrains antéposés au Banquet ...
sont
seuls à
remplir la
fonction traditionnelle de la préface.
Ils déterminent en effet,
les conditions d'une bonne lecture du texte(l). Sortes de cartes
de visite apposées à l'entrée du banquet, ils en définissent les
invités.
En
soulignant
d'emblée
quels
sont
les
lecteurs
souhaités, Dorléans rompt avec ses habitudes,
ce qui paéaît tout
à
fait
naturel,
car
l'oeuvre
à
laquelle
ces
poèmes
servent
d'avant-propos
est
aussi
un
pamphlet
à
pa:-t (2).
La
préface
permet d'éviter au destinataire une surprise préjudiciable à la
bonne
compréhension
des
opinions
de
l'auteur.
Elle
est,
par
ailleurs,
une manière de narguer celui qui ne se reconnaîtrait
pas dans
~a position de Dorléans,
c'est pourquoi elle entre en
parfaite
adéquation
avec
l'esprit
du
Banquet . . . .
qui
apparaissait comme une bravade aux yeux de ses contemporains().
(1)
Voir supra
2ème partie
chao 2
( 2)
Voir supra 2éme oarlie, chao 2
('3)
ct L'Es\\oile, Journal" tome Il, p 99, Ch, Lenient, op,cil., p 93 el supra
1ère et 2ème pa die
chap 2

~79
A l'entrée du texte,
et généralement après le titre sont placées
des épigraphes.
Citations mises en exergue avant
les propos de
l'oeuvre,
elles indiquent son esprit et en donnent quelquefois
un
petit
commentaire Il)
Les petits extraits de
la Bible que
Dorléans met après les titres remplissent cette fonction.
Ils
portent presque toujours sur la mission du pamphlétaire et sur
la portée
de
ses
propos.
Dans
l'Advertissement
ce
sont
les
paroles de l'Eternel au prophète Ezéchiel que l'auteur rapporte
à l'intention des français
"Celuy qui verra tomber le cousteau sur la terre et l'annoncera
au peuple, si le peuple n'en tient compte,
et que le cousteau le
frappe et le mette mort,
son sang demeurera sur sa tête" (2).
Cette fonction de l'épigraphe est plus nette dans
le Plaidoyé
Où Dorléans écrit aussitôt avant le début de son discours
"Uj.tinam sperent et intelligerent novissima providerent".
(s'ils
étaient
sages,
voici
ce
qu'ils
comprendraient,
et
ils
penseraient à ce qui leur arrivera) (3)
Les
citations
bibliques
suggèrent
ainsi
l'identification
du
polémiste au prophète dont la bouche profère la vérité à venir,
pour protéger et sauver les fidèles.
(1)
Voir G. Genette Q.I<..Çjl., p 145-147
( 2)
Ezéchiel, 33
( 3)
Deutéronome
32,29 - Nous avons pris la traduction de la...J:ill2l!L.

480
n
Les postfaces
Postposés
au
pamphlet
les
sonnets
postfacés
comme
ceux
des
préfaces
n'ont
pas
souvent de
rapport
direct
avec
les
textes
qu'ils achèvent.
Ils ne remplissent que très exceptionnellement
la
fonction
de
péroraison
du
discours
qui
les
contient.
L'édition
de
1588
de
l'Advertissement
et
le
Banquet
du
conte
d'Aréte
sont
les
seuls
textes
de
Dorléans
qui
se
présentent avec une postface. Celle du premier est une prière à
Dieu pour la sauvegarde de l'intégrité de la France menacée par
ses divisions internes. Le contenu de ce poème relève d'un autre
registre que
celui du pamphlet
;
en effet,
venant
après des
menaces
et
des
injures,
il
tend
à
tempérer
la violence des
propos de l'auteur.
C'est aussi pour l'auteur une manière de
rappeler au lecteur que le véritable pouvoir ne peut venir que
du Ciel,
ce qui est concordant avec sa vision du monde(l).
(1)
Voir supra 3ème partie chap 1

481
Quant
à
la
postface du
Banquet,
elle
aborde
un
aspect
de
la
polémique que
le texte n'avait pas développé.
S'adressant aux
"Poli tiques",
ce
sonnet
a ffirme
avec
vigueur
que
la
Ligue,
contre
leur
attente,
est
loin
d'être
battue\\l}.
Comme
partie
finale d'un pamphlet qui se refuse encore à accepter une défaite
imminente,
cette
postface
permet
de
créer
l'espoir
des
partisans.
Elle
est
en
réalité
adressée
au
lecteur
même
si
Dorléans ne le suggère pas directement.
Au sein de la machine de guerre idéologique qu'est le pamphlet,
les
préfaces,
les
épigraphes
et
les postfaces
constituent
une
partie intégrante du dispositif.
Elles mettent en valeur,
à leur
manière,
l'argumentation du polémiste en occupant les vides de
la persuasion.
Présentées sous formes poétiques et encadrant le
discours proprement dit,
elles concourent à accentuer l'attrait
de sa présentation et le charme de sa lecture, toutes conditions
non négligeables à son bon usage.
(1)
Voir supra, 2ème partie, chap 2

482
III - L'HISTOIRE DANS LE TEXTE
sélections et desseins
Au rebours de l'histoire immédiate qui agit plus ou moins Sur la
forme
et
la
teneur
du
pamphlet (1),
le
passé
apparaît
comme
soumis
à
la logique argumentative de
celui-ci.
Il est
convoqué
pour certifier et attester la pertinence des propos de l'auteur.
Mieux,
l ' Histoire dans 'le
texte est
éminemment
exemplaire.
Les
faits
et
les
figures
mémorables
de
jadis
offrent
ainsi
à
Dorléans
des
arguments
diautorité
qu'il
présente
à
l'appui
de
ses
thèses
i l
ne
fait

que
perpétuer
une
tradition.
En
effet,
bien avant
la Ligue et ses pamphlets,
les Huguenots,
dans
leurs
combat s
cont re
l ' autori té
politique
française,
avaient
abondamment puisé dans l'Histoire un lot d'exemples pour assurer
leurs
positions (2) •
Les
faits
historiques
étaient
ainsi
(1)
Voir supra 3ème parlie chapl
(2)
Voir N. Cazauran, "Exemples antiques dans quelques pamphlets des guerres de religion", Actes du
9è congrès de l'Association Guillaume Budé, Rome 1973, Paris, Les Belles Lettres... p 570 - 610.

4B3
distribués
selon
des
"loci
communes"
comme
vert u,
vice,
gloire,
dans
un
répertoire
exemplaire
de
connaissances
sur
l'homme
et
sur
la
société l11 .
Chez
Dorléans,
néanmoins,
l'histoire comme exemple subit quelquefois une nouvelle lecture
et un nouvel agencement.
Le passé permet à l'auteur du Banquet de
justifier un fait ou
une opinion en lui fournissant un précédent mémorable. Celui-ci
peut être positif ou négatif selon que le pamphlétaire propose
ou,
au
contraire,
rejette
une
attitude,
une
idée.
Aux
adversaires de la Ligue il rappelle l'existence des ligues dans
le passé (2) •
De l'histoire française il tire aussi des exemples
de violation de la loi salique pour fonder son refus d'Henri de
Navarre comme roi légitime(3).
L'exemple historique se présente
le plus souvent sous une situation dont l'issue est posée par le
polémiste comme anticipant celle du phénomène présent. Dorléans
fait un long parallèle entre la
position de Paris
assiégé
par
(1)
Bodin avait déjà indiqué quelques grilles de lecture d'une histoire exemplaire, cf. Méthodus ad
facilem historiarum cognotionem, (1566)
( 2)
Dorléans, Second Advertissemenl, f. 10, en Italie, par exemple.
(3)
Dorléans, Apologie ... p 16

484
les
troupes
d' Henri
de
Navarre
et
celle
de
la
même
ville au
temps
de
la
détention
du
Roi
Jean(l}.
Cette
comparaison
le
condu i t
à
proposer
l'a t t i t ude
d' hier
comme
appropriée
au
contexte
d'aujourd'hui.
Ce
procédé
de
persuasion
revient
fréquemment dans son argumentation,
même sous sa forme négative,
quand
le
fait
rapporté
est
donné
comme
une
mise
en
garde (2) •
L'histoire
fournit
aussi
à
Dorléans
des
faits
attestés
ou
douteux
qui
lui
permettent
d'alourdir
les
charges
retenues
contre
l'adversaire.
C'est
l'usage
le plus
polémique' du passé,
et
les
exemples
n'en
manquent
point
dans
les
oeuvres.
Les
troubles
sociaux
ont
commencé
en
France
au
moment

le
calvinisme a été autorisé,
rappelle Dorléans et pour appuyer son
opinion,
i l
fixe
à
l'année
1563
le début
de
tous
les malheurs
pour
les
catholiques!)}.
Or,
c'est
la
date
de
la
"Paix
d'Amboise"
qui
accordait aux Réformés
la
liberté de
conscience
et la liberté du
culte limitée.
L'histoire est ainsi réécrite
(1)
Dorléans, Second Avdy
f. 13-19
( 2) Voir l'Adyertjssement
,p 5
(3)
Dorléans, Apologie ... p 5

185
pour les besoins de l'accusation,
elle devient alors de plus en
plus
accablante pour
les ca:vinistes qui
sont même considérés
Comme ceux qui ont empoisonné le roi François II(l).
Cependant,
l'exemple
historique
par
excellence
est
la
figure
illustre
que
le
polémiste
propose
à
l'imitation
ou
à
l'indignation
de
son
lecteur.
Dans
cette
perspective,
deux
galeries opposées d'hommes célèbres cohabitent à l'intérieur de
ses pamphlets. Ceux qui méritent l'admiration la doivent souvent
à
leurs qualités de rois généreux et amoureux de leur peuple ou
à
leur piété et à leurs actions en faveur de l'Eglise; parfois
même à toutes ces vertus. Les rois Saint-Louis et Louis XII sont
cités
pour
la première
raison (2),
alors
que Clovis,
Philippe
Auguste et François 1er le sont pour la seconde raison(3).
Saint
Louis réunit généralement toutes ces qualités.
Ces portraits de
Princes donnés comme exemples s'étaient déjà retrouvés dans les
pamphlets huguenots des premières guerres
de
religion

ils
(1)
Dorléans, Adyert;ssemenL., p 8 et Second Adyerliss
, f 145
( 2) Dorléans, ibid, P 78 et 106
(3)
Dorléans, lQiQ... p 78 et Histoire origine de la Ligue p 13

486
remplissaient à peu près les mêmes fonctions!l).
A cette galerie
de
rois
dont
la
vie
est
proposée
à
l'imitation des
nobles
de
l'époque,
répond,
comme
son
contraire
celle
des
tyrans.
Trois
noms
illustrent,
chez
Dorléans,
la
figure
mémorable
du
dictateur
Tibère,
Caligula
et
Néron(2).
Cette
triade
est
d'ailleurs
l'image
du
tyran
que
l'Histoire
depuis
toujours
a
retenue.
Elle
jouait
le même
rôle
dans
les
textes
réformés(3).
L'histoire de France lui fournit aussi quelquefois des exemples
de rois dont les actions sont rappelées pour être déconseillées.
Charles
le Simple et Charles le Chauve sont ainsi évoqués
;
le
premier pour sa mauvaise politique extérieure et le second pour
sa vie
dissipée(4).
Que ce
soit
pour provoquer
l'admiration du
lecteur
ou,
au
contraire,
pour
entraîner
son
indignation,
Dorléans
préfère
généralement
puiser
ses
exemples
dans
les
textes bibliques,
beaucoup plus significatifs dans sa polémique
contre les idées des hérétiques.
(1) Voir N. Ca2auran, "Le roi exemplaire dans quelques pamphlets réformés 1560-1585", Actes du
colloque: l'image du souverain dans les lettres francaises ... , Paris, Klincksieck, 1985 P 185-200.
(2)
Dorléans, Second Advertjssement, f. 45-46
(3)
N. Cazauran, ·Exemples anliques .... • p 575 et ss.
( 4)
Dorléans, Second Advertissement, f. 47

487
Dans
son
emploi
de
l 'Histoire,
le
pamphlétaire n 'hésite pas à
faire passer l'efficacité de l'exemple avant la vérité des faits
rapportés.
Peu
lui
chaut
alors
que
les
événements
soient
attestés ou non,
pourvu qu'ils servent
à
illustrer ses propos.
Dorléans
se
soucie
rarement
de
l'authenticité
des
situations
passées
quand
ils
les
avance
pour
combattre
les
thèses
des
réformés (1).
Il
a
ainsi
une
position
éminemment
polémique
à
l'égard du passé récent ou lointain.
Si l'exemple historique est efficace comme argument,
c'est parce
que
son
utilisation
s'appuie
sur
une
certaine
conception
de
l'Histoire. En effet,
à
la base de son acceptation il y a l'idée
que
le
mouvement
du
monde
est
un
éternel
recommencement.
Les
événements historiques
ne sont donc pas uniques en leur genre,
ils
se
répétent
et
reviennent
sous
leur
première
forme.
Les
faits
présents
sont
ainsi
perçus
comme
analogues
aux
faits
passés.
(1)
Exemple: les chiffres des pamphlets calvinistes conlre les Guises... Apologie des Guises... p 94 ;
L'anneau donné à Henri de Navarre comme gage de la succession, Second
Ady
,f 43,
l'empoisonnement de François Il par les Réformés Advertjs p 8. etc...

488
Cette conception aristotélicienne de l'Histoire nourrissait la
compréhension
des
exemples
historiques
dans
l'Europe
du
Moyen-Age
et
de
la
Renaissance (1 ).
Convoqués
dans
le discours
pamphlétaire,
les
exemples historiques
se chargent alors d'une
nouvelle
résonance aux yeux d'un
lecteur qui les comprend à la
lumière de l'actualité.
(1)
Voir Karlheinz Sliarle, "HiSloira comma Exampla, l'Exampla comme Histoire, contribulion à la
pragmatique at à la poétique des lextes narralits", Irad, françaisa, Poétique, N" 10, Paris, Seuil,
1972, P 176-198,

489
IV - LA METAPHORE à L'OEUVRE
Dans
le corps du texte pamphlétaire apparaissent
un certain
nombre
de
comparaisons
et
d'images
qui
sont
partie
intégrante
des
moyens
de
la
persuasion.
L'appel
à
la
métaphore
est
un
procédé
discursif
qui
permet
de
donner
de
l'éclat
et
de
la
profondeur à la pensée de l'auteur. En associant une désignation
concrète
et
une
caractérisation
abstraite,
l'argumentation
cherche à
traduire et à
signifier beaucoup plus
qu'elle ne
le
ferait
avec
un
langage
dépourvu
d'images.
Dorléans
utilise
volontiers
la métaphore
pour frapper
et
émouvoir
son
lecteur.
Elle
est
généralement
à
l'oeuvre
dans
les
tableaux,
les
descriptions
satiriques
et
dans
les
portraits
polémiques
des
adversaires ou des ennemis de son camp.

490
A
La société comme corps vivant
Comparer
la
société
à
un
corps
humain
était
presque
un
lieu
commun de
la littérature politique du XVIe
siècle.
Celle-ci se
servait
de
l'analogie
pour
soutenir
une
polémique
ou
pour
illustrer
une
théorie
sur
le
pouvoir.
L'origine
de
l'image
remontait à
Platon avec son idée de
"raison ma théma t igue" qui
établit les correspon dances et les analogies entre les choses
de l'univers(~). Au XVIe siècle l'ordre social était alors perçu
comme
l'émanation
de
l'ordre
naturel
du
monde
"exprimant
la
volonté de .Dieu
inscrite dans
la Nature"(Z).
Cette vision de la
société donnait tout son poids à
l'image du corps social comme
reflet
du
corps
humain,
utilisée. dans
les
discours
politiques.
Chez Dorléans,
la société
de
son
temps
est
toujours
présentée
SOus
les
traits
d'un
corps
malade
et
presque
moribond.
Si
l'analogie corps humain-corps social permettait aux théoriciens,
(1)
Voir Henri Weber, "L'analogie corps humain - corps social dans la pensée politique du XVIe siècle",
A lravers le Seizième Siècle, Paris, Nizet, 1986, Tome Il, p 147-153...
(2)
H. Weber, illliL, p 147.

491
comme
Bodi n,
d'asseoir
une
pensée
politique
fondée
sur
l'équilibre des pouvoirs,
en revanche, elle sert ici d'appui aux
portraits les plus pessimistes
: moyen saisissant de rendre son
pamphlet
plus
persuasif,
Sa
deuxième
oeuvre
est
d'ailleurs
complétement
organisée
autour de
l'image de
la maladie de
la
France
causée
par
l'hérésie
calviniste(l).
L' "Advertissement"
des
catholiques
Anglois
se
veut,
en
effet,
un
diagnostic
objectif du corps français
"Il
nous suffit,
pour conclure les estranges accez de vostre
maladie,
de vous représenter le corps de vostre Estat,
pasle,
maigre et deffi guré . .. " (2).
Le
royaume
de
France
devient
quelquefois
une
"carcasse
sans
chair et sans os" (3),
presque sur le point de mourir.
Cette vision de la société comme un corps a nécessairement des
implications que le polémiste exploite à merveille pour soutenir
son raisonnement. D'abord,
elle autorise la division du pays en
divers membres constitutifs
de l'ensemble. Dorléans voit
ainsi
(1)
Voir suora 2éme oanie chao 2
( 2)
Dorléans. l'Advertissemenl. .. p 11
(3)
Dorléans, le pla;doyé ... p 118

492
trois parties dans
le corps
français
la tête qui est
le roi,
le pouvoir avec toute son organisation et l'Eglise que l'auteur
du
Banquet
appelle
quelquefois
"les
parties
vitales" du
corps (1),
"les bras et
les mains qui
sont
la Noblesse"
(2)
et
les pieds et les
jambes le peuple().
Ce découpage morphologique
lui permet alors de situer le mal qui affecte chaque partie de
l'organisme pour proposer les
remèdes
appropriés.
Par exemple,
en 1586,
le roi Henri III,
la tête,
était vu comme
"le chef de
ce corps
foible et estourné de la nouveauté de ce mal" (4). Un
peu plus tard,
après
son
assassinat,
l'Etat
sera pris pour le
siège
de
tout
le
mal
qui
affectait
alors
le
royaume(5).
Les
membres supérieurs qui symbolisent la noblesse,
étaient
"chargez
d'humeurs
froides
et
vitieuses" (6)
au
moment

il
fallait,
selon
Dorléans,
s'opposer
fermement
au
roi
de
navarre.
Les
membres inférieurs,
le peuple,
se débattaient dans
"la foiblesse
et la débili té" (1)
(1)
Dorléans, Second Adyert;ssement. f. 3
( 2)
Dorléans, ibid
f 3
(3)
Dorléans, ibid, f. 4 . Le découpage est le même dans le premier Adyerlissement.
( 4 )
Dorléans, l'Adyerlissemeot p 8
( 5 )
Dorléans, Second Advertissement ... f 3
( 6 )
Dorléans, i.Ill!L..... f 3
(7)
Dorléans, illliL.... f 4

493
La
deuxième
conséquence
de
l'analogie
est
l'obligation
pour
l'auteur
d'envisager
des
remèdes
et
les
moyens
de
les
administrer.
C'est
avec
ce
point
de
son
discours
que
le
pamphlétaire
se
fait
véritablement
publiciste,
faisant
des
injonctions
et
brandissant
des
menaces
on
ne
peut
plus
exagérées.
Les
solutions
proposées
sont
ainsi
radicales,
et
demandent
des
sacrifices
qui
ne
sont
pas
toujours
faciles
à
supporter,
surtout,
insinue Dorléans,
quand i l y a
des ennemis
qui empêchent la guérison
:
"Aussi tiennent les doctes medecins d'Estat que pour sauver un
public,
i l
ne
faut
respecter
le particulier et
que
si
vous
n'estouffez le venin,
infailliblement le venin vous estouffera
( ... )
Il
Y
faut
mettre le
fer
et
le
feu
bien
avant
et
sans
dissimulation" (1).
Les
médicaments
prescrits
deviennent
ainsi
la métaphore
de
la
lutte
armée
et
farouchement
soutenue
contre
les
calvinistes
considérés
comme
les agents du mal.
c'est
pourquoi
dans
la
(1)
Dorléans,
L'Adverlissemenl
H' p 22 et 24 -
la même image est employée dans le Second
Adverlissement... f 59

494
logique de la métaphore corporelle et médicale Dorléans parle de
l'hérésie comme d'un virus, d' "un venin" apportant la fièvre au
corps
des
Etats(l),
d'un
"ulcère",
"un
chancre"
et
"une
gangrène"
qui
dévorent
tout
ce
qui
est
vivant (2).
A la
description du
mal
physique
correspond donc
un
registre
tout
médical qui donne
force et coloration aux propos du polémiste,
chargés manifestement de provoquer la crainte des destinataires
et de les pousser,
par ce biais,
à
l'action salvatrice de leur
société.
Si le malade,
son mal,
les
causes de celui-ci et les
remèdes
assurés
sont
précisés
et
longuement
décrits,
en
revanche,
les fameux "médecins d' Estat" ne sont
jamais nommés.
Mais,
le
lecteur
qui
n'est
pas
dupe
sait
très
bien
que
le
pamphlétaire en est l'un d'eux qui parle en leur nom et fait un
diagnostic d'après leur art.
l'argument reste toujours efficace
car
on
avait
le
sentiment
à
l'époque
-et
même
aujourd'hui
encore- que les maladies sociales pouvaient bien mettre fin à
l'existence des pays (3) ,
( 1) Dorléans, l'Advertjssemenl p 36
( 2)
Dorléans, Second Adverlissemenl... f 4
(3)
cf. H Weber, "L'analogie .. .", p 50

q95
A ce mal physique qui subsumait chez les autres écrivains toutes
les
infections
du
corps
social,
Dorléans
ajoutait
une maladie
morale de
la France.
L'analogie devient
ainsi
complète à tous
points de vue,
ce qui rend encore plus cohérente l'argumentation.
Le
polémiste
brosse
alors
de
son
pays
un
port ra i t
à
la
fois
navrant
et
révoltant
"La
France
captive
( ... )
deschirée,
désolée et descheve1ée,
la honte sur le front,
les larmes sur
les yeux et les mains derrière le dos . .. " (1)
Pourtant,
si le mal moral et le mal physique sont par principe
différents,
ils
requièrent,
aux
yeux
de
l'auteur,
les
mêmes
remèdes,
et
ce,
d'autant
plus
que
le
premier
provient
directement
du
second.
La description de
la
souffrance morale
vient
donc
renforcer
les méthodes
de
guérison déjà proposées.
L'image
de
la
société
comme
un
corps
vivant
employée
comme
argument
politique
bénéficiait
au
seizième
siècle
de
l'idée
selon laquelle l'Eglise dans son ensemble était l'émanation du
corps mystique du Christ(2).
(1)
Oorléans. Le Plaidoyé.
p 117
( 2)
Voir H. Weber. "L'aila1og;e,,," p 151

496
B - L'image de la France et de Paris
A
la
description
du
royaume
comme
corps
malade
s'ajoutent
d'autres images qui portent
sur les destins de
la France et de
Paris.
Ces
descriptions
soutiennent
l'argumentation
du
pamphlétaire au même titre que celles qui portent sur la maladie
sociale.
La
France,
à
cette
étape
de
la
persuasion,
apparaît
d'abord
comme
un
royaume
béni
de
Dieu.
C'est
le
pays
des
grands
rois
mais
surtout,
celui
de
l'Eglise
catholique.
Et
l'auteur
n'insiste
jamais
assez
sur
ce
dernier
aspect
qui
légitimera
toutes
les
attaques
qu'il
fera
contre
les
pertubateurs
de
l'ordre
religieux.
La
France
est
ainsi
pour
Dorléans
"( . . . )
comme l'oeil entre les Royaumes chrestiens et comme la rose et
l'oeillet de toutes les couronnes catholiques" (1)
(1)
Dorléans, Le Plaidoyé, P 102

497
Le
sens
symbolique
des
expressions
est
très
significatif
de
cet te
volonté
qu'a
l'auteur
de
faire
de
son
pays
le
gardien
patenté de
l'Eglise;
un rôle qui
lui vient de
l'excellence et
de la piété de ses monarques.
La France est bien,
de
l'avis de
l'auteur,
le pays des catholiques,
elle l'est par une espèce de
prédestination
divine
"c'est
le
royaume
affecté
aux
catholiques" (1), pense-t-il. Pourtant cette belle image ne peut
plus s'appliquer à la France de son temps.
La France est souvent
présentée comme "une nef,
joüet de mille orages" (21 et qui a du
mal à
se garder d'un naufrage imminent. Elle apparaît aussi sous
les
traits
d'une
veuve,
surtout
après
la
mort
d'Henri
III
pendant cette période au cours de laquelle la Ligue s'obstinait
à
imposer
Charles
X,
le
cardinal
de
Bourbon,
comme
roi
à
la
place
de
son
neveu
Henri
de
Navarre (3).
Dans
le
Banquet,
Dorléans
décrit
la
France
dans
la
situation de
"ces pauvres
femmes
qu'une
sorcière meschante
a
ensorcelées
de
son
oeil
veneneux ou de ses composi tons funestes
( ... )" (4)
et
qui
se
(1)
Dorléans, Advertissement, p 75
(2)
Dorléans, l'Advertissement p 136 - "Sonnet de postface"
( 3)
Dorléans, Second Advertissement... r 103, voir aussi supra 2è partie chap 2
( 4)
Dorléans, Le Banquet
p 344, compositions = dispositions

498
tordent
de douleur.
Cette
image vient
soutenir le regret d'un
passé glorieux et contribue ainsi à
entraîner l'indignation et
la révolte du lecteur. Elle sert à aggraver les charges retenues
cont re
l r adversaire 1
ic i
Henri
de
Navarre
et
ses
part isans 1
présentés comme responsables d'un tel désastre.
Dans
le
même
esprit
est
utilisée
l'image
de
Paris.
Il
faut
souligner qu'elle l'a toujours été pour les mêmes raisons durant
les troubles de la Ligue!l).
Cependant,
on pouvait bien observer
des variations sur la description qu'en donnaient les différents
auteurs.
Dorléans n'est pas toujours élogieux pour la capitale
française,
comme
le
sont
les
autres
publicistes
ligueurs,
soucieux
de
préserver
leur
bastion
contre
les
critiques
des
loyalistes.
Paris,
c'est
ct' abord,
pour
lui,
la
ville élue de
Dieu
aux
plans politique
et
religieux.
Elle
est
le
siège des
rois et des plus grands d'Europe qui
Dy ont leur domicile,
leur
lict de justice,
la
cour de leurs pairs
( ... )
et
tous
les
( 1) Voir M Yardéni, "Le Mythe de Paris comme élément de propagande à l'époque de la Ligue",
Mémoires Paris Ile de France tome N" XX, 1969 (paru en 1572) p 49-63

499
ornemens de la dignité royaliste" Il). Cette position privilégiée
dans la monarchie faisait de Paris la voie obligée pour accéder
au trône.
Dorléans,
à
l'instar des autres polémistes ligueurs,
l'a plusieurs fois souligné à l'intention du roi de Navarrre. Ce
dernier,
le
savait
bien
et
toute
sa
stratégie de
conquête du
pouvoir était construite autour de la prise de cette ville.
Le
rappel
de
Paris
comme
capitale
politique
lui
permettait,
par
ailleurs,
d'indiquer qu'Henri de Navarre n'était pas encore roi
de France l2 ,. Paris,
centre du pays,
est en même temps le centre
du christianisme '~~mphant de l'hérésie, le lieu d'épanouissemnt
de la religion catholique qui y a
:
"son Pallais
( ... J sa cour, les principales pièces du trophée et
du
triomphe
de
Jésus Christ,
la
vraye Croix
( . . . J
et
autres
prétieuses marques de nostre redemption" (3)
(1)
Dorléans, Second Adverlissement. r. 10
(2) Voir supra 2è parlie chp 2..
(3)
Dorléans, Second Adyerlissemeot... f 11

500
Aussi
joue-t-elle
un
rôle
pionn~r
pour
la
victoire
des
catholiques
:
"Paris a refusé qu'on égorge sa religion et son peuple
( ... ) il
a refusé d'être confédéré aux hérétiques et d'être asservi aux
Poli tiques et d'être pillé par les harpies de cours" (1)
Le
succès
de
ce
combat
relève
d'un
appui
divin
car
selon
Dorléans,
seule
la
"sapience
de
Dieu"
a
pu
guider
cette
ville(2).
Le
siège
de
Paris
devient
alors,
sous
sa
plume,
l'équivalent moderne du siège de la Jérusalem biblique(). Cette
assimilation était aussi
fréquente
dans
les textes
ligueurs de
l'époque(4l.
Autour de cette image positive s'organise le mythe
d'une
ville
invincible
et
même
miraculée
pendant
la
longue
période
de
famine
causée
par
le
siège
des
troupes
du
roi de
Navarre (5) •
Dans l'imaginaire polémique de Dorléans,
Paris se présente aussi
sous une bien mauvaise figure.
C'est alors la ville du désordre,
(1)
Dorlèans, Second Advertissement. f. 52
(2)
Dorléans,JQis!.. f 150
(3)
Dorléans, illliL... f. 150-151 - Siège de Jérusalem (2 Rois, 25)
(4)
M. Yardéni, "Le Mythe de Paris ... " P 53-54
( 5)
C'est l'idée abondamment sDulenue, dans le
Second Adyertissement. , par les Anglais

501
. de
la
confusion
et
du
pillage,
un
"foecund
de
confusion
qui
produit force bruicts,
force suspitions et défiances
( ... ) Paris
est une mer qui bondit qui tempeste qui
furie
( ... ) où chacun se
départ de l'obéissance" (1)
La
position
de
Dorléans
rejoint
en
ce
moment
celle
des
calvinistes d'après la Saint-Barthélémy,
selon qui le peuple de
Paris
est
un
peuple
rebelle,
insolent
et
furieux(2).
Elle
s'éloigne
en
même
temps
des
points
de
vue
ligueurs.
Cette
peinture
critique
de
la
capitale
française
a
sa
place
dans
l ' a t t i t u d e
générale
d ' h o s t i l i t é
qu'a
l'auteur
de
l'Advertissernent
pour
les
excès
de
son
parti.
A
l'image
politique
négative
répond,
comme
son
corollaire,
celle
tout
aussi mauvaise d'un lieu ayant divorcé d'avec la religion:
"Paris n'est plus Paris,
c'est une Babilone" (3)
(1)
Dorléans. Second Adverlissemenl, f. 18
(2)
M. Yardeni, "Le Mythe de Paris... " p 52
(3)
Dorléans, Second Adyert;ssemenl... f 18, voir aussi f 25-26.

502
Paris perd ainsi son statut de ville phare de la royauté et du
christianisme
pour
ne
garder
que
celui,
peu
enviable,
de
capitale du vice et du péché. Le contraste entre les deux images
remplit une double fonction chez Dorléans.
Il permet surtout de
montrer avec plus de relief l'importance de la déchéance sociale
causée par le roi de Navarre et par ses partisans. Dans ce but,
il
persuade
le
lecteur
de
la
culpabilité
de
ceux-ci
et
lui
indique
le comportement à
tenir pour remédier à
la situation.
Dans
une
autre
perspective,
i l
constitue
un
moyen
d'attirer
l'attention
de
ses
partisans
sur
les
dangers
que
comportait
l'abus
du
pouvoir
ligueur.
La
première
visée,
la
plus
importante,
est partout présente dans
ses pamphlets,
alors que
la
seconde
est
exceptionnelle
et
limitée
au
Second
Advertissement
de
1590 (1).
Dorléans
polémiste
tire
un
grand
parti de cette position nuancée car son pouvoir de persuasion en
sort
renforcé
aux
yeux
des
lecteurs,
devant
qui
il
peut
apparaître comme moins partisan et plus objectif.
(1)
Voir supra 2è partie chap 2

503
C - Le bestiaire polémique
Pour mieux décrire son adversaire et tracer de
lui un portrait
répugnant
aussi
bien
au
plan physique
que
moral,
Dorléans
se
sert d'un registre d'animaux aux caractères bien significatifs
des
valeurs
polémiques
qu'il
leur attribue.
Son
argumentation
devient ainsi plus renforcée car l'usage bénéficiait déjà d'une
longue
tradition
remontant
au
folklore
médiéval Il) .
Chez
Dorléans,
le bestiaire polémique est très fourni et s'utilise de
plusieurs manières.
Il y a
d'abord les animaux qui symbolisent
le
mal
sous
ses
multiples
formes.
Ils
servent
abondamment
à
dresser le portrait de l'adversaire que Dorléans voudrait faire
condamner par le
lecteur.
Ensuite,
certaines bêtes
symbolisent
chez lui des qualités louables qu'il propose comme exemples. Et
(1)
Voir J. Pineaux" La métaphore animale dans quelques pamphlets du XVIe siècle", le pamphlet en
France au XVIe siècle.... p 35-45

504
enfin,
d'autres
possèdent
à
la
fois
une
valeur
positive
et
négative selon le trait de caractère sur lequel l'auteur cherche
à
attirer l'attention du lecteur.
La
ménagerie
infernale
intervient
dans
trois
catégories
de
défauts et de vices.
La première qui
regroupe
la férocité,
la
cruauté,
la méchanceté et
ses variantes est représentée par le
loup à qui Dorléans oppose souvent l'agneau qui lui est lié dans
la tradition.
Henri de Navarre revendiquant
le trône de France
est accusé de vouloir
"y entrer comme agneau et y
regner comme
loup" (1). Le tigre,
le léopard et la panthère font aussi partie
des
bêtes
évoquées
pour
fustiger
les
défauts
du
roi
de
Navarre (2)
La
seconde
espèce
composée
de
la
lâcheté,
de
la
déloyauté et de la ruse
regroupe le renard qui est
le symbole
par exce llence de
la tromperie
et
de
l' hypocr is ie (3),
l'ours,
l'hydre
etc ... (4)
La
troisiéme
catégorie
de
défauts
la
gourmandise,
le goût
des charognes,
la paillardise,
tout
le
(1)
Dorléans, le Second Adyertissement. f. 93, voir aussi Banquet, p 97
(2)
Dorléans, Banquet...
p 22-23 el Second
Advertissement Henri de Navarre y est nommé "tigre
Bearnois" f. 115
(3)
Dorléans, Le Banquet
p 101 : "Les hérétiques sont renard en leurs pensées et loup en leurs
actions", la phrase est en fait de St Bernard. - voir aussi plajdoyé p 56.
( 4)
Dorléans, l'Advertissement p 25, par exemple

505
contraire
de
la
pureté,
rassemble
le
bouc,
le
corbeau Il),
le
sanglier,
l'escarbot (2)
Dorléans
les
évoque
surtout
pour
souligner
l'absence
de
sainteté
qu'il
remarque
dans
le
calvinisme l ) ,
Ces
animaux
sont
toujours
mis
en
scène
pour
condamner moralement
les adversaires
du
polémiste,
ce dernier
justifiant,
par
le
même procédé
le
caractère
excessif de
ses
attaques.
Le bestiaire polémique peut aussi être positif.
Il sert alors à
exprimer
des
vertus
que
Dorléans
désigne
à
l'admiration
du
lecteur.
C'est
le
cas avec
l'aigle,
symbole
de majesté et de
bravoure,
topos très répandu dans la littérature occidentale ;
avec
l'agneau,
la
brebis,
la
poule
dont
l'image
renvoie
directement
à
leur
statut
biblique(4),
et
avec la colombe qui
traduit
la simplicité même dans
la Bible.
Ces
dernières
sont
généralement
présentées
en
victimes
innocentes
des
bêtes
féroces,
Dorléans traduisant ainsi la situation des catholiques
vis-à-vis des calvinistes.
(1)
Dorléans, L'Adyertissement. p 46 el le porc Second
Adv
f. 92
( 2)
Dorléans,Le Banquet.... p 24 . L'escarbot est une sorte de scarabée.
(3)
Dorléans, l'Adverlissement
p 46 par exemple.
( 4)
Doriéans, iQi!L..... p 29, Jésus est dit a9neau de Dieu dans St Jean (t, 19)

506
Les
bêtes
à
valeur
ambivalente
sont
au
nombre
de
trois
le
lion,
le serpent et le chien,
Le premier désigne quelquefois la
férocité
et
la méchanceté,
Dorléans
s'en
sert
pour montrer la
cruauté
du
roi
de
Navarre
ou
des
ses
partisans.
Le
roi
et
l'amiral
de
Coligny
sont,
par
exemple,
accusés
de
s'être
"acharnez comme lyons sur la chair des catholiques" (1), Moins
fréquent est le cas où le lion désigne le courage et le chasseur
habile.
Le
duc
de
Guise
et
ses
frères
sont
comparés
au
lion
quand Dorléans chante leurs vertus guerrières devant
les armées
calvinistes(2).
Notons
que
le
lion
a
dans
la
Bible
un
sens
positif quand i l
désigne
le
christ(3).
Le serpent est aussi un
animal à double symbolique,
Il est la perfidie et la méchanceté
lorsqu'il
s' adresse
aux
ennemis
du
polémiste,
Les
calvinistes
sont aussi pris pour "serpens et vipères que l'on peult appeller
et
justement ( ... )
le
venin
du
genre humain"
(4),
Dorléans
se
sert
du
terme
pour
souligner
l'idée
de
malice
camouflée mais
dangereuse
: les hérétiques sont
:
"serpents
( ... ) qui
coulent
(1)
Dorléans, L'AdverlissemenL p 47
( 2)
Dorléans, Apologie des Guises...
(3)
Le Christ est nommé "lion de la tribu de Juda", Apocalypse (V., 5)
(4)
Dorléans, Plaidoyé ... p 24

507
doucement
mais
picquent
mortellement"
(1)
Au
contraire,
le
serpent peut figurer la prudence,
l'attention et la méfiance.
Il
permet alors
de mettre en garde les
partisans du pamphlétaire
contre les dangers des engagements de l'adversaire, Le serpent a
cette valeur dans
la Bible,
et
la phrase que Dorléans emploie
fréquemment pour traduire cette idée lui vient de ce texte :
"Soyez simples comme colombes mais advisez comme serpents" (2)
Le
chien
quant
à
lui,
symbolise
la
méchanceté
("ils
mordent
comme chien" (3)
écrit Dorléans parlant des huguenots)
l'envie
injustifiée et la paillardise(4) , Mais
le terme renvoie souvent
à une qualité appréciée du polémiste:
la fidélité(5).
Le bestiaire polémique soutient à
merveille l'argumentation de
l'auteur
en
lui
permettant
de
faire
l'économie
d'une
démonstration tout en signifiant clairement les défauts attaqués
ou les vertus louées. Ce bestiaire est souvent associé aux noms
des
tyrans
bibliques
ou antiques,
quand
Dorléans
juge
le
(1)
Dorléans. Le Banquet.. p 96
( 2)
Dorléans, L'Adyertissemenl p 68. el Mallhieu (X. 16)
(3)
Dorléans. le banquet... p 97
( 4) Dorléans.
Second adverlissement... 1 93 les hérétiques ·comme chiens il sont envieux et paillards·
(5)
Dorléans. illi>L..- r 102

50S
caractère de l'animal complémentaire de celui du modèle humain.
Par
exemple,
Henri
de
Navarre
devient
"un
Hérode
( ... )
un
renard"
(1)
ou
un
Néron
assimilé
avec
le
serpent
au
venin
mortel(2).
Le processus d'animalisation peut procéder de manière
indirecte
l'auteur
se
sert
de
termes
consacrés
pour
les
attributs de bêtes bien précises. Au moyen du verbe "gazouiller"
qui traduit dans le texte leurs implorations au roi de Navarre,
les nobles sont ainsi assimilés à des oiseaux,
qui crient mais
sans
conscience
réelle
du
danger
qui
les
attend(3)
Les
pamphlétaires réformés et leurs écrits sont quelquefois dénoncés
sur un registre emprunté au monde animal.
"La nuit leurs livres estoient pondus et couvés, le matin ils se
trouvoient
esclos pour voler au Palais et au Louvre" (4).
Les
termes
"chenilles"
et
"frelons"
avaient
à
l'époque
plus
de
fortune
pour désigner
les
protestants.
Ronsard les
avait déjà
rendus populaires dans sa polémique contre eux(5). Dorlèans s'en
(1 )
Dorléans, Second Adverlissement, f .73
( 2 ) Dorléans, plaidoyé p 24.
( 3 ) Dorléans,
Second Advertissement ... f. 117
( 4 ) Dorléans, l'Adve rlisse ment p 25
(5)
Voir J. Pineaux, "Métaphore animale.. ." p 44

509
sert
abondamment
pour
traduire
le
danger
de
l ' hérésie
qui
consume
et
dévore
toutes
les
vertus,
comme
ces
animaux
détruisent
toutes
les
plantes(l).
Leur
élimination
s'imposait
donc dans la logique de son argumentation.
Liée
à
la
métaphore
animale,
la
désignation
des
lieux
d'habitation de
l'adversaire par des noms de
repôi're5'de bêtes.
Genève
est
appelé
"chenillerie
des
hérétiques"(2)
tandis
que
Tours et Châlons,
villes passées du côté du roi de Navarre,
sont
considérées
comme
"terriers
et
tasnières
des
bêtes
hérétiques"
(3)
Henri
de
Navarre
est
lui-même
"un
rameau
enveloppé d'une chenillerie de Ministres qui court par le jardin
de France" (4).
L'argumentation de
l'auteur du
Catholique Anglois épuise donc
toutes
les
possibilités
du
bestiaire
polémique.
Dorléans
s'écarte
un
peu
des
habitudes
littéraires
des
autres
(1)
Dorléans, Description ... , p 11 et l'Advertjssemenl p 25
(2)
Dorléans, l'Advertissement... p 25
( 3)
Dorléans, Plaidoyé p 25
(4)
Dorléans, l'Advetissement ... p 63

510
pamphlétaires qui se sont servi de ce topOS(l).
Il faut noter,
enfin,
que
la
valeur
que
Dorléans
attribue
aux
animaux
est
beaucoup plus proche que chez les autres pamphlétaires du sens
que
leur
donne
la
Bible.
Leur
valeur
symbolique
dans
la
tradition folklorique vient alors préciser l'image religieuse,
aux yeux du lecteur.
D
Le
symbolisme
de
quelques
supports
pamphlétaires
Pour mieux persuader et
pour
troubler
la
sérénité
du
lecteur
réticent,
Dorléans
utilise
un
certain
nombre
de
procédés
d'écriture dont le symbolisme est intéressant à examiner.
Le prétexte des
"advertissements des catholiques anglais" nous
paraît
très
significatif
à
cet
égard.
Selon
une
conception
traditionnelle et banale, un avertissement est chargé de montrer
à son destinataire le danger d'une situation dont celui-ci n'a
(1)
Voir J. Pineaux. "La métaphore animale.. ." p 35-45

511
pas enCore pris conscience.
Il propose généralement une issue de
secours. Alarmant,
il doit aussi trouver un grand écho auprès de
celui à qui il est adressé. Les "Advertissements des Catholiques
Anglais",
tout
en
suivant
ce
canevas
sont plus pressants et
peut-être
plus
crédibles
que
tout
autre
avertissement
pour
plusieurs raisons. La France des années 1580 a vu déferler dans
ses grandes villes,
surtout à
Paris,
les réfugiés catholiques
anglais fuyant la monarchie réformée d'Elizabeth 1ère. Dorléans
pouvait
facilement
imaginer
la
crainte
et
la peur que cette
situation devait inspirer à leurs frères de religion français.
Le choix de l'Angleterre,
comme une sorte d'épouvantail servant
de support à son pamphlet, bénéficiait ainsi de cette actualité.
Victimes chez eux du mal sur lequel ils attirent l'attention des
catholiques français,
les catholiques d'outre-Manche se donnent
comme l'image de la situation contre laquelle ils prémunissent
leurs coreligionnaires français.L'Angleterre apparaît alors dans

512
le
texte
comme
l'épée
de
Damoclés
dangeureusement
suspendue
au-dessus de la France
:
"Tournez
les
yeux
devers
nostre
Angleterre,
et
vous
verrez
quelle gracieuseté ils ont
fait aux catholiques anglois.
vous
n'y trouverez aucun vestige que Jésus Christ et sa religion y
ayent
autresfois
habité.
L'Angleterre
gémit
captive
sous la
tyrannie de l'Antéchrist. Nous sommes esclaves sous une Jesabel,
pire cent fois que Jesabel" (l}
L'avertissement se l i t presque COmme prédiction dont l'avénement
tire
son
imminence
de
ces
malheurs
redoutables
et
présents
à
l'esprit
des
lecteurs
d'alors.
Le
sort
futur
des
catholiques
français
ne
sera donc pas nouveau pour l'Eglise,
i l n'aura été
que
le
double
d'un
état
social
que
ceux-ci
auraient
pu
bien
éviter.
Les persécutions subies par les Anglais,
à force d'être
repétées et exagérées dans le texte,
finissent par occuper tout
(1)
Dorléans, L'Adverlissement, p 89

513
le champ du discours polémique.
Dieu lui-même les rappelle aux
Français dans une annonce sinistrement prophétique
"Voyez-vous
bien
ce
que
la
paillarde
d'Hérésie
commet
en
Angleterre.
la
voyez-vous superbe,
cruelle et insatiable:
je
l'acharneray
sur
les
François
plus
qu'elle
n'est
sus
les
Anglais"
(1)
Il
est
évident
que
l'Angleterre
et
ses
persécutions
supposées
ou
réelles
remplissent
une
fonction
symbolique bien marquée.
Dorléans
s'en
sert pour
frapper
fort
l'adversaire
dans
ses
convictions
et
pour
inciter
le
lecteur-témoin
à
agir
selon
ses
propositions.
Il
le
faisait
d'autant mieux que ce support charrie avec lui toute la peur que
devait provoquer à
l'époque dans une conscience catholique,
la
défaite de l'Eglise catholique romaine en Angleterre.
Dans
le Banquet
du
conte
d'Arête,
certains
faits
d'écriture
méritent aussi d'être analysés.
Le cadre du banquet hautement
enchanteur et en accord avec la Nature se
présente comme
lieu
(1)
Dorléans, L'Advertissement, p 133

514
idéal du triomphe de
la Ligue.
La contradi~.r;on entre ce festin
et
1 'histoire a
été déjà soulignée(l),
cependant,
le symbolisme
des
noms
que
Dorléans
attribue
aux
participants
demande
un
approfondissement.
Comme
nous
l'a
fait
remarquer
le professeur
Aulotte,
les
appellations
des
convives
sont
toutes
d'origine
grecque
et
expriment
des
qualités
morales,
spirituelles
et
sociales.
Elles se lisent comme des abstractions personnifiées,
ce qui confère au festin tout
son sens allégorique.
L'hôte,
le
comte d'Aréte,
"La vertu",
en grec "Arête",
symbolise la qualité
qui
possède,
d'une manière ou d'une
autre,
un aspect de
celle
des autres
invités.
Autour de
la
"Vertu"
vont donc graviter et
discourir sous
l'impulsion de
l'Abbé d'Epistème,
la
"Science",
la
"piété" ou l'abbé d'Eusébie,
l ' "Intelligence" ou la Dame de
Fronize,
l ' "Etre"
opposé
au
paraître
et
à
la
dissimulation
représentée
par
la
Dame
d' Anney,
la
"Gaîté"
ou
la Demoiselle
d'Euphrosine,
les
"Conventions" sociales avec le sieur de Symvol
et la "Grâce"
de corps et d'esprit ou la belle Caric1ée fille du
(1) Voir supra' 2éme partie
chap 2

515
comte (1).
Les
traits
psychologiques
des
personnages
sont
conformes
à
leur
nom.
L'Abbé
d' Epistème
qui
mène
le
débat
apparaît bien comme le savant du groupe,
mêlant à
sa science la
sagesse
catholique,
ce
qui
le
fait
passer
pour
un
Socrate
chrétien!Z).
La
Demoiselle
d'Euphrosine
est
celle
qui
exprime
les idées les plus humoristiques même envers les autres membres
de
l'assemblée(3).
La belle cariclée,
jouant de
la musique et
distribuant
les
fleurs
à
l'auditoire,
porte
bien
son
appellation.
La
franchise
de
la
Dame
d'Anney
fait
d'elle
le
symbole de
tout ce qui
est éloigné
de
la dissimulation et de
l'hypocrisie. L'ouverture d'esprit de la Dame de Fronize traduit
aussi son intelligence.
Sur l'invitation de la
"vertu",
toutes
les qualités humaines se réunissent ainsi pour condamner d'une
seule voix la conversion présumée simulée du roi de Navarre. Ce
qui apparaissait comme une fête se transforme,
en réalité, en un
tribunal allégorique au jugement sans appel. Ainsi,
l'opposition
entre la structure du Banquet et
l'histoire n'en est que
plus
(1)
Voir supra 2è partie chap 2.
(2) Voir supra 2è parUe chap 2
(3)
Par exemple, cette remarque à la Demoiselle d'Hassarach qui se prenait pour un épagneul derrière
les chiens de l'Abbé "Ne branslez plus voslre queue Mademoiselle ; mais dites nous s'il vous plais!
vostre quinzième conjecture". p 302

516
marquée.
Au-delà du caractère
invraisemblable de
son
cadre se
situe
l'incompatibilité de
la
signification philosophique des
participants
avec
les
répliques
que
Dorléans
leur
prête
de
manière si polémique.
Il devient légitime de penser que le sens
symbolique des personnages importe seul à
la persuasion et que
l'auteur lui-même n'en proposait pas une autre lecture.
Se pose
alors
nécessairement
la
question
des
limites
de
l'argument
allégorique.
Les invités du Banquet comme leur hôte constituent
l'ensemble
des
qualités
et
des
vertus
dont
le
pamphlétaire
déplore
la
disparition
chez
ses
contemporains(l).
En
les
rassemblant pour satisfaire des
visées
polémiques
l'auteur ne
réalisait-il
pas
aussi
un
désir
inconscient
de
purifier
moralement
le camp de
ses
partisans
?
(2)
Nous
ne
sommes
pas
loin de le penser.
(1)
voir supra, 2è partie chap 2
( 2) Voir M. Cusin, "le désir el la parole dans le discours polémique.. ." p 110-119

517
E
Un
monde d'apocalypse
L'image
de
fin
du
monde
se
retrouve
souvent
dans
les
pamphlets l11 .
Parce qu'il lance un appel pour la transformation
d'un
état
de
fait
jugé
inacceptable
selon
son
idéologie,
le
polémiste
donne
du
réel
une
vision
apocalyptique
chargée
d'effrayer son lecteur et blâmer son adversaire.
Chez Dorléans,
en plus du portrait très sombre qu'il
fait
de
la France et de
Paris (21,
il voit son siècle comme une époque de malheurs et de
péchés annonçant
un déluge salvateur.
Ce pessimisme accompagné
d'une
condamnation de
l'univers
social
d'alors,
apparaît
sous
plusieurs aspects.
Le seizième siècle est vu par Dorléans Comme
le
temps
du
règne
de
la
déchéance
et
de
l'absurdité,
paradoxalement érigées en norme. Différent de ses contemporains,
il est le seul à rester à l'écart des égarements de "ce meschant
(1)
Voir M. Angenot, La parole pamphlélaire ... p 9g·107
( 2)
Voir supra 3è partie chap 3

518
siècle" (1) dont il souligne ainsi la perversion
"Nostre siècle enveloppé aux ténébres espaisses de l ' Aegipte et
soubs l'obscure malignité de noz pharaons
reçoit
et
approuve
telles
dissimulations,
non
seulement
au point
de
la Religion
mais pareillement aux moeurs" (2)
Ce
monde
du
scandale,
hostile
à
la
vérité,
a
aussi
inversé
l'ordre
normal
des
choses.
La
hiérarchie
des
valeurs
est
détruite
et,
à
la
place,
s'installent
l'imposture
et
le
mensonge.
Il
n'est
pourtant
qu'un
aspect
d'une
réalité
plus
carnavalesque. L'évocation de la pourriture,
de la putréfaction,
toutes ces décompositions des éléments naturels et humains,
est
très
fréquente.
Aux
"immondices de la
vitieuse corruption des
hommes"
(3)
s'ajoutent
celles
de
la
nature
donnant
ainsi
une
image de dégénérescence physique et morale
: le corps social est
alors présenté comme moribond et puant dont
"la sanie,
l'ordure
et
putréfaction estoit
telle
qu'il
n'y avoit domestique,
ou
(1)
Darléans, Second Advertissement... 1 .27
( 2)
Darléans, Le Banquet ... p 289
( 2)
Darléans, Second Advertissement... 1. 11

519
estranger,
amy et serviteur de cet Estat qui en osast approcher
tant la puanteur de cet ulcère estoit aigüe,
aigre,
violent et
insupportable " (1)
Voir le monde en décomposition ne lui suffit pourtant pas. Pour
rendre sensible
l'urgence
de
ses propositions
le pamphlétaire
contemple
aussi
l'univers
en
train
de
s'effondrer,
de
se
renverser
avant
de
disparaître.
Sa
vision
devient
alors
crépuscusculaire
et
proclame
avec
mépris
et
pessimisme
que
l'homme n'obtient là que le salaire de ses errements:
"Le ciel de qui l'aspect est ordinairement plaisant et gracieux,
se
remplit
de
comettes
chevelues,
i l
brille
d'estoilles
crineuses,
qui nous présagent la désolation des Estats,
la ruine

et
SUbver'510n
des Royaumes.
Le soleil
( ... )
monstre un visage
affreux et sanglant,
et les pauvres humains qui le regardent ont
en leurs cueurs de grandes et insolites espouvantes" (2)
Ce siècle en voie de disparition,
Dorléans le regarde du haut du
(1)
Dorléans, Second
Advertissement... f .4 . il notait aussi dans le premier Adyertissemenl.. .. Voz
citez ne gorgeront que de voz charongnes. vos gibets ne puront que de voz voyries et les champs ne
blanchiront que de voz os'. P 133,
(2)
Dorléans, Plaidoyé ." p 20-21

520
piédestal de sa vérité.
La
peinture
d'un
présent
agonisant
fait
partie
des
moyens
rhétoriques car elle appelle deux attitudes dans l'esprit des
destinataires.
D'abord le regret d'un passé,
sorte de paradis
perdu au sein duquel l'harmonie et le bonheur régnaient sans
partage. Ensuite,
elle légitime la réaction transformatrice du
monde que demande
le polémiste.
L'âge d'or mythique,
que le
discours évoque pour fonder la nécessité de mettre un terme à
cet
âge
de
fer
qu'il
décrit,
est
toujours
sous-jacent
aux
condamnations
de
Dorléans.
Son
évocation
suit
ou
précède
généralement le tableau apocalyptique. Les verbes qu'il utilise
expriment,
le cas échéant,
le retour ou la répétition d'un état
ou d'une situation :
"Vostre
loy
reverdira
et
vostre
lis
refleurira
pl us
que
jamais" (1)
(1)
Dorléans, l'Advertissemenl... p 133

521
Le
langage
imagé
de
la
métaphore
vient
se
confondre
avec
le
discours
référentiel
qui
se
nourrit
immédiatement
du
vécu
politico-religieux.
L'instance
d'énonciation
qui
les
réunit
demeure cependant unique
: une parole pamphlétaire qui
"fait feu
de
tous
bois"
pour
améliorer
son
efficacité
auprès
de
l'adversaire et du lecteur-témoin.
v - LA PRESENCE DIVINE
Dieu
apparaît
souvent
dans
les
pamphlets
de
Dorléans
pour
appuyer
l'argumentation.
Cette
manifestation
revêt
plusieurs
formes et survient à des moments variés du discours.
La présence
la
plus
explicite
est
l'intervention
directe
à
la
fin
des
textes.
Dorléans
cède alors la parole à Dieu au
moyen de
la

522
prosopopée.
Les opinions du polémiste s'effacent en même temps
devant
les
propos
divins.
C'est
le
cas
avec
les
deux
"Advertissements"
à
la fin desquels la Divinité elle-même relaie
l'auteur dans ses injonctions:
"Mais
si
vous
estes
si
L_asches
que mes
querelles
ne
vous
touchent,
que les mespris que l'on
fait
de
moy
ne
vous
esmeuvent
:
je
vous
feray
le
butin
de
mes
ennemis
et
des
vostres . .. " (1)
Cette
présence
verbalement
assumée
nous
paraît
très
factice.
Elle occupe la place d'un corps étranger qui signale l'impasse
de la démonstration de l'auteur.
La
deuxième
manière
dont
Dieu
intervient
dans
l'oeuvre
de
Dor léans
est
impl icite et plus
subt ile.
En effet,
la réaction
des
éléments
de
la
nature
est
souvent
porteuse
de
cette
présence.
En plus de
l'interprétation
mystique que donne
le
(1)
Dorléans, L'Advertissement... p 133 - voir aussi Second Advertissement f. 166

523
polémiste
de
certains
faits
historiques(l),
i l
décrit
des
phénomènes insolites qui ont pour but de manifester l'attention
de
Dieu
aux
idées
du passage.
La présence
du
Duc
de Guise au
paradis et la vérité des propos des invités du Banquet ...
sont
ainsi suggérées
:
"Et comme ils devisoient de sa mort,
un doux Zéphire s'estant
levé leur donna
une
frescheur
souefve
et
tresagréable
( ... )
outre le frais
( ... ) il rendit en ce lieu une si parfaite odeur
que
l'on
eut
dit
qu'il
avoit· cueilly
toutes
les
fleurs
du
parterre" (2)
Un membre de l'auditoire précisera par la suite que ce vent est
venu
"recueillir
les
discours
de
ceste
dissimulation" (3),
signifiant par cette
remarque que celui-ci est
envoyé de Dieu.
Cette
forme
de
présence
est
plus
rare
que
la
première.
Elle
s'intègre aussi beaucoup mieux à la trame du discours dont elle
n'entame pas
la cohérence,
car elle
apparaît
Comme une de ses
étapes nécessaires. Dieu se manifeste dans le pamphlet Comme un
(1)
Par exemple la main de Jacques Clément, meurtrier d'Henri III, a été présentée comme celle de
Dieu, Secood Adyertjssement ... p 48-49 el supra
2è partie cbap 2
( 2)
Dorléans, Le Banquet ... p 281
(3)
Dorléans, ibid .. p. 282

524
argument massue chargé par l'auteur de garantir la vérité de son
discours.
parce
qu'il
émane
de
la
toute
puissance
même,
l'avertissement
que
lance
le polémiste,
par
la bouche divine,
prend
une
résonance
partîculière
auprès
du
lecteur.
C'est
pourquoi
Dieu
intervient
lorsque
l'auteur
a
épuisé
les
ressources
de
son
raisonnement,
c'est-à-dire
à
la
fin
des
textes.
Les menaces qu'il profère,
comme
les récompenses qu'il
promet
aux
fidèles
prennent
une
valeur
prophétique.
Le
pamphlétaire
n'assume
pas
les
paroles,
mais
il
en
est
le
véritable
responsable
il prend ainsi
indirectement
la place
d'un inspiré qui indique le chemin des
justes en souhaitant "la
paix aux hommes de bonne volonté".
Si la présence divine est
évoquée dans le discours,
c'est pour mieux illustrer la mission
messianique que le polémiste s'est donnée. Le lecteur idéal est
celui qui partage avec lui les mêmes convictions et à l'égard de
qui
l'art
de
la
connivence
a
autant
d'effets
que
celui
de
l'argumentation(l). Chez Dorléans,
les phrases prêtées à Dieu se
(1)
Voir supra 3è partie chap 2

525
recoupent quelquefois avec les dires de l'auteur,
rendant ainsi
plus explicite la confusion des deux instances du discours.
La
fin du Second Advertissement est révélatrice à cet égard :
"N'entendez-vous point le sang de tant de pauvres catholiques
que
vous
avez
massacréz
à
Estampes,
à
Poissy,
à
Paris,
qui
demandent
la
vengence contre vous et
qui
crient
lahaut..
(et
Dieu enchaîne pour poursuivre ces propos de Dorléans)
comment ?
dira le seigneur vous estes vous doncq attaquez à moy et ... " Il)
Ainsi,
dans
le champ ouvert
de son
langage,
Dorléans
ne
fait
aucune
différence
ici
entre
lui,
le
prophète
et
Dieu.
Il
apparaît
aussi,
par
ce biais,
comme un
homme
aux
convictions
religieuses très fermes,
ce qui est un autre gage de crédibilité
aux yeux des destinataires catholiques.
(1)
Dorléans, le
Second AdvertissemenL f . 166-167

526
VI - LE SILENCE DU TEXTE
L'argumentation
pamphlétaire
n'est
pas
toujours
continue.
linéaire et logique.
Dans le discours se font
remarquer souvent
des
moments
de
moindre
persuasion
au
cours
desquels
l'auteur
adopte une attitude défensive devant les opinions de l'autre. Il
supplée
à
ce
manque
instantané
par
plusieurs
détours.
Les
parades
qui
aident
la
démonstration
à
cacher
ses
propres
faiblesses
peuvent
revêtir
plusieurs
aspects.
Le
procédé
du
sous-entendu,
avec ses deux formes l'insinuation et l'allusion,
est le plus fréquent.
Le plus subtil consiste pour le discours à
dire
sa
décison de
se taire sur un point du
raisonnement.
Ce
silence affirmé devient alors un tremplin permettant à l'auteur
de mieux détruire les objections de son adversaire.
Les textes
de Oorléans fournissent quelques exemples de ces procédés.

527
Le sous-entendu est inséparable de la parole agonistique. Cette
dernière,
parce qu'elle intègre toujours un autre discours dont
elle cherche à perturber la logique argumentative,
utilise à la
fois
des
éléments
de
dénégation
de
l'adversaire
et
de
confirmation de
ses propres opinions.
Il
lui
faut
quelquefois
asséner des raisons à l'adversaire sans abandonner la logique de
sa
persuasion
du
destinataire,
et
dans
un
même
instant
de
parole.
Elle
cherche alors
à
exprimer un
sens
que
les phrdses
produites ne portent pas mais qu'elles permettent de suggérer,
même
de
très
loin
(1)
Dorléans
utilise
cette
forme
d'insinuation
pour
faire
une
identification
entre
les
personnages dont les noms sont exprimés dans le passage :
"Je scay bien que les hérétiques,
leurs adhérans diront de nous
ce qui disaient les Sarasins du Roy Sainct Lays ..... (2)
(1)
Voir Artur de Greive, "Comment fonctionne la polémique", Le Discours polémique
Aspects
théoriques et interprétations
Etudes !iltéraires françaises N° 36, Paris, édit. Michel Place, 1985,
p 17·29.
( 2)
Dorléans, Second Advertissement .. f. 36

528
L'insinuation
peut
être
plus
profonde,
donc
moins
évidente.
Lorsque les opinions affirmées appellent une question inévitable
pour le lecteur,
le sous-entendu devient un moyen d'engager le
destinataire
dans
le
chemin
déjà
parcouru
par
l'esprit
du
pamphlétaire. Celui-ci ne fait que refuser d'aller jusqu'au bout
de sa pensée,
laissant à son interlocuteur le soin
de deviner
le
reste.
Cette
forme
de
réticence
lui
permet
de
faire
du
lecteur un complice et un messager,
un complice parce que leurs
pensées du moment se rencontrent,
et un messager car il laisse
l'autre traduire ce qu'il a lui-même suggéré.
Le procédé aide à
contourner
une
censure
qu'on
s'est
soi-même
faite
ou
que
la
position
de
l'adversaire
impose.
Dans
son
premier
Advertissement,
Dorléans déclare,
au début du texte,
qu'il ne
veut pas s'attaquer au roi Henri III qu'il considère "estably de
Dieu pour gouverner en sa crainte et sous les loix de l'Eglise"
et
à
qui
i l
porte
honneur Il)
Il
essayera
de
respecter
ce
postulat tout le long du texte,
car il ne fera pas de critiques
(1)
Dorléans, L' Advertissemenl... p 15

529
directes au Roi.
Cependant,
derrière certaines de ses remarques
apparaît
une
dénonciation
de
son
règne.
Un
exemple
qui
nous
paraît
éclairant
se
trouve
à
la
fin
de
cet Advertissement.
Dorléans
après
avoir
montré
que
tant
que
Paris
a
résisté
à
l'hérésie,
il a été la cible des attaques huguenotes,
ajoute:
"mais maintenant qu'elle prête de l'argent au Roy de Navarre,
que sa bourse subvient aux besoins de Condé,
qu'elle tolère les
presches à
ses yeux
c'est
lors
qu'ilz
laissent
Paris en
Paix"
(1)
L'insinuation
est
on
ne
peut
plus
claire
car
qui
a
les
prérogatives de faire ce qu'il dénonce,
sinon Henri III ou ses
représentants
?
Le
changement
de
propos
qui
suit
cette
affirmation montre bien que l'auteur n'épargne plus le roi.
Son
silence
n'a
été
qu'un
moyen
d'autodéfense
devant
une
satire
qu'il
ne
cherchait
pas
à
assumer
pour
des
raisons
d'opportunité(2).
Le même subterfuge discursif est employé pour
(1)
Dorléans, L'Advertissement... p 121
( 2)
Il fallait à l'époque, pour la Ligue, ménager Henri III dont elle espérait encore l'intransigeance à
l'égard du roi de Navarre,

530
critiquer les nombreux accords de paix signés par la monarchie
française.
Il lui a suffi simplement de louer le roi d'Espagne
d'avoir rétabli le catholicisme en Flandre
"non par Edicts de
pacification
mais
par
les
armes"
(1).
Le
lecteur
peut
se
représenter
facilement
les
autorités
qui
font
le
contraire.
Quelquefois,
c'est
par
un
proverbe
que
le
sous-entendu
est
exprimé.
Dorléans laisse alors au destinataire le soin de tirer
la moralité appropriée.
Déplorant
la
réticence de beaucoup de
catholiques à l'égard de ses advertissements,
il écrit
"car le fol ne s' apperçoi t,
sinon lorsqu'il reçoit" (2)
Pour
donner
plus
de
chances
d'être
compris
avec
ses
insinuations,
Dorléans en fait
des propos de conclusion de son
argumentation.
On
peut
dire
qu'elles
appellent
le
silence
de
l'auteur
et
nourrissent
l'imagination
du
lecteur.
En
tant
qu'opinions
déguisées,
elles portent
aussi
les
germes d'idées
plus hardies ou plus variées.
(1)
Dorléans, L'Adverlissement... p 124
( 2)
Dorléans, Le Banquet ... p 262

531
Quant
à
l'allusion,
Dorléans
l'utilise
pour
enrichir
des
arguments
d'aspect
secondaire
mais
apportant
un
certain éclat
aux propos.
Elle intervient
le plus
souvent
dans
les phases de
réfutation
des points
de
vue
adverses,
et
elle
sert
à
rejeter
une
objection
supplémentaire.
L'énumération
des
qualités
chrétiennes
attribuées
à
Henri
de
Navarre
est
ainsi
interrompue
"Mais
sont
des
jargons
de Belloy de dire que le
Roy de Navarre n'est hérétique" (1)
Cette
réplique
que
l'auteur
se
fait
à
lui-même
est
une
façon
détournée d'ignorer les raisons de l'adversaire. L'allusion peut
aussi
servir
d'élément
à
charge
contre
l'autre
discours,
en
convoquant dans
le texte tous
les traits négatifs qui
lui sont
attachés.
C'est le cas lorsque Dorléans accuse les "Politiques"
de
vouloir
faire
"d'un
Roy
de
France
( . . . )
un
Prince
de
Machiavel"
(2)
On
reconnaît

un
livre
qui
faisait,
à
l'époque,
l'objet
de
beaucoup
de
critiques
même
chez
les
adversaires
de
Dorléans(3),
L'insinuation peut
être associée à
l'allusion.
Le non-dit
devient alors
plus complexe
car
il
(1) oorléans,
Second
Advertissement. .. f .68, Pierre Ou Belloy était l'un des plus efficaces
pamphlétaires qui défendaient le roi de Navarre. En 1587, il reçoit, nous apprend Babelon, Henri IV,
p 438-439, une commande de livres persuasifs d'Henri de Navarre. C'est en celle année qu'i1
rédigea son texte, Le loy salique pour détruire les thèses de la Ligue sur la succession au trône de
France. Belloy était régent de l'Université de Toulouse à j'époque.
( 2) Dorléans, i!lliL.. f 41 bis
( 3 ) Si Machiavel avait eu la faveur des penseurs politiques et de certains Princes au cours de la
première moitié du XVIe siècle, en revanche lors de la deuxième moitié, ces mêmes milieux s'en
méfieront, surtout à la suite des critiques acerbes portées contre ses théories politiques par les
pamphlets réformés. Voir P. Mesnard, l'essor de la phi!osoDhie politiQue ... p 17-85

532
exige une
double
lecture.
La
référence
suggérée
doit
d'abord
être
comprise,
et
c'est
ensuite
que
l'identification devient
possible.
L'auteur,
par une
seule parole,
réunit des
discours
tenus
ailleurs mais
ayant
tout
leur
sens dans
les
propros du
moment.
L'Abbé d'Epistème,
personnage principal du Banquet est
à l'origine d'une remarque très significative de ce procédé:
"Je voy bien, dit le conte, que rien ne luy couste, pourveu que
dans les forests Académiques il recherche la vérité" (1)
L'allusion à Socrate est doublée ici d'une identification entre
lui et l'Abbé.
Par ce procédé d'écriture Dorléans réconcilie la
sagesse
antique
et
païenne
du
grec
avec
la
foi
catholique
d'Epistème.
Tous deux se retrouvent ainsi dans la recherche de
la vérité
(2)
Quelquefois,
Dorléans
se
dérobe
dans
son
argumentation.
Son
discours se replie alors sur lui-même en affirmant son refus de
( 1) Dorléans, Le Banquet ... p 267
( 2)
Voir sUPra 2è partie. chap 2

533
continuer.
Les
raisons
avancées
sont
souvent
de
deux
sortes.
Elles peuvent être liées à la nature même de l'accusation. Dans
cette perspective l'auteur juge futile d'en établir le caractère
erroné
"Mais
pourquoy
nous
arrestons
à
refuter
un
si
apparent
mensonge" (1).
Les
autres
raisons
sont
afférentes
au
lieu
ou
au
moment
du
discours.
Le polèmiste déclare la pertinence de son silence:
"Et si le subjet et 1 'heure le requeroit,
comme le
fil
de mon
discours m'y a
conduict,
nous aurions dequoy satisfaire voire
aux plus sévères et critiques estimateurs de nos actions" (2)
Ces moments de silence dans la persuasion montrent,
une fois de
plus,
la
polysémie
du
texte
pamphlétaire.
Celui-ci
implique
toujours plusieurs grilles de lecture car le polémiste convoque,
appelle,
insinue
et
même
dérobe
tout un
fonds
discursif
(1)
Dorléans, Le Plaidoyé.. p 112
( 2)
Dorléans, iQiQ..... p 44

534
antérieur à sa parole. C'est aussi un discours de zizanie parce
qu'il
joue
sur
l'allusion,
l'équivoque
tout
en
déclarant
combattre au nom de la vérité.
puisque seule l'efficacité des
arguments est le gage du succès de sa mission,
l'auteur cherche
ainsi,
de temps à autres,
à se taire à l'intérieur même de son
discours. Cet arrêt épisodique du raisonnement cache en réalité
un piège pour le lecteur car celui-ci est obligé de parler en
son
nom
propre
des
opinions
réellement
suggérées
par
le
polémiste.
Le lecteur idéal aux yeux du pamphlétaire est celui
qui se laisse entraîner à ce jeu.
VII - L'ECRITURE COMME ACTION
En effet,
la finalité du pamphlet est de faire agir le lecteur
par le biais de la parole argumentée(l).
Cet aspect utilitaire
( 1) Voir supra 3è partie chap 2 et 3

535
et
idéologique
déplace
son
action
du
texte
vers
la
société.
Pourtant,
il
cesserait
d'être
une
fiction
s ' i l n'était
qu'un
appel
orienté
vers
un
ob j et
extérieur,
complètement
coupé
de
l'instance
même
de
la
parole.
Autrement
dit,
le
discours
pamphlétaire apparaît à chaque instant de sa constitution comme
une action en train de se dérouler sous l'effet de la plume de
l'auteur.
Son dire se veut presque toujours un "faire" dont les
conséquences, pour être de l'ordre de l'écriture,
n'en demeurent
pas moins concrètes.
Il se situe ainsi dans une double situation
de
débat
et
de
combat.
Il
se
sert
d' un
langage
martial
et
accomplit
de
manière
verbale
l'élimination
physique
de
l'adversaire et de ses suppôts.
Les mots de
guerre et d'homicide
sont
fréquents
dans
l'oeuvre
politique de Dorléans. Constamment,
l'auteur cherche à traduire
tout
le
danger
attaché
au
combat
des
plumes.
Celles-ci
deviennent
des
armes
redoutables
dont les
effets sont bien

536
porteurs
de
mort.
Dorléans
ne
fait
pas
de
différence,
au plan
discursif,
entre
l'épée
et
la
plume
car
i l
sait
que
l'une
et
l'autre,
maniées avec dextérité,
peuvent
faire
des
ravages dans
le
camp
ennemi.
L'assimilation
de
l'une
à
l'autre
est
souvent
évidente chez lui
:
"Et quant à sa mère,
ils l'ont tellement découpée de la pointe
de leurs pl umes" (1).
Cette
remarque
adressée
aux
pamphlétaires
huguenots
accusés
d'avoir plusieurs fois attaqué la mére d'Henri
III,
Catherine de
Médicis,
est
reprise
dans
le
Second
Advertissement . . . ,
mais,
cette fois,
Paris en est la cible
:
"Ne la
découpiez vous pas de voz plumes comme vous
faites la
peau des prestres lorqu' ils tombent en voz mains" (2).
L'instrument
du
pamphlétaire
est
donc
posé
Comme
une
arme
de
guerre
avec
laquelle
on
peut
commettre
un
meurtre,
i l
suffit
simplement de se
jeter sur l'autre
coup de plumes,
de lanque
et de médisance" (3).
(1)
Doriéans, l'Adyertjssernent... f . 107
( 2) Dorléans, Second Advertissernent.. f. 53
(3)
Dorléans. SN, ms. fr. 4922, P 40

537
L'argumentation
devient
en
ce
moment
une
stratégie
de
guerre
avec ses exigences.
Le polémiste,
soldat de la plume,
comme le
fantassin,
fait
alors
ses
apprêts
pour
l'assaut
décisif.
Dorléans s'y conforme volontiers qui fait
dire à un personnage
du Banquet ...
à
propos du débat
"J'ayguiserois mon bec et ma langue pour la dispute,
comme nous
faisons
fourbir
noz
cuirasses
et
noz
epées pour
la
guerre
( • • • ) "
(1)
Le texte devient ainsi un champ clos où s'affrontent,
dans une
lutte
à
mort,
les
opinions
de
l'auteur
et
celles
de
son
adversaire
réel
ou
imaginaire.
La
force
et
la
cohérence
des
arguments
se
transforment
alors
en
art
martial
permettant
de
déjouer les ruses de l'autre pour le mettre hors de combat. Les
débuts
de
pamphlet
sont
quelquefois
perçus
comme
des
assauts
guerriers. La réfutation des allégations contenues dans le texte
des
parlementaires
royalistes
de
Châlons
commence
sur
un
(1)
Dorléans, Le Banquet ... p 123

538
registre martial,
traduisant tout ce sentiment de l'auteur:
"Mais,
venons à assaillir leur principal cavallier et démontons
les principales piéces de leur baterie"
(1)
Il apparaît
ainsi
que
le pamphlétaire
se
représente
son
verbe
comme
une
action
aux
effets
redoutables
sur
l'adversaire.
Il
sait
aussi
qu'il
lui
faut
prendre au
sérieux
les
répliques de
l'autre
pour
éviter
de
perdre
la
face.
Les
déclarations
d'intimidation
qui
sont
comme
le
cri
de
guerre
de
l'auteur
prennent
souvent des aspects
ludiques.
L'auteur
jouant,
le cas
échéant,
avec son discours devant un lecteur qu'il cherche,
par
ailleurs,
à
embrigader.
Le
style
qu'il
emploie
est
alors
triomphaliste.
"1 ... )
Ce sera ici ma place,
voire mon champ de bataille et ma
plaine pharsalique (2 ).
Et
comme on a coutume quelques fois aus
grandes batailles de faire avant la charge ouir quelques coups
de canon,
afin
d'alaigrement
exciter les
soldats
au
combat
( 1) Dorléans, 1e Plaidoyé
p 67
H '
( 2)
Dorléans fait ici allusion à la bataille de Pharsale, ville de Grèce en Thessalie, entre César et
Pompée en 48 avant Jésus Christ. Pompée, mis en déroute, prit la fuile vers l'Egypte.

539
( ... ) Aussi vous donnerai-je,
messieurs les Huguenots,
une volée
de fins de non recevoir
( ... )" (1)
Le discours
pamphlétaire
devient
dans
la
fiction
du
texte une
véritable
action
lorsqu'il
cherche
à
faire
disparaître
l'adversaire
ou
ce
qui
le
représente.
Le
vocabulaire
martial
conduit
à
la
mort,
étape
ultime
de
tout
ce
déploiement
des
plumes.
L'élimination
physique
de
l'autre
apparaît
comme
la
victoire attendue de
la raison sur l'erreur,
de la légalité Sur
l'imposture.
Le
polémiste
qui
se
tient
toujours
pour
le
combattant
de
la
vérité
a
nécessairement
le
dessus
sur
son
adversaire.
Dans
certains
cas,
chez
Dorléans,
la
cible
des
attaques est assimilée à
une bête féroce qu'il
faut
chasser et
tuer.
Henri de Navarre est ainsi
traité dans le Banquet ...
et
i l
fait
l'objet
d'une
poursuite
mortelle
de
la
part
des
devisants
"La
précédente
conjecture
a
pris
la beste au collet et l'a
(1)
Dorléans. Apologie pour M des Guises... p 83

540
terassée. Mais en voici une que je vous lascheray maintenant qui
l'estranglera et qui en fera
jaillir le sang et l'esprit " (1)
La métaphore de la chasse est
l'un des moyens privilégiés pour
Dorléans de
réaliser l'homicide imaginaire de
ses adversaires.
rI
s'est
toujours
reconnu
une
fonction
de
"veneur"
des
"plus
expérimentez" (2),
chargé de débusquer les
ennernis
de
l'Eglise
de
leur
cachette
pour
les
exterminer.
La
fin
du
discours
de
l'Abbé d'Epistème dans le Banquet se confond avec la mort de la
"bête-adversaire",
la dissimulation d'Henri de Navarre. Celle-ci
est
alors
éta.lée
sous
les
yeux
moqueurs
et
triomphants
de
l'auditoire
à
qui
le
maître
de
la
chasse peut
déclarer
avec
fierté
:
"Maintenant que tant de conjectures,
comme de bons chiens,
ont
mis bas ceste dissimulation,
i l est raisonnable que je la vous
monstre morte,
abatue,
pleine de hideur ... " (3)
Cette fin symbolique tra.duisant une victoire du camp de l'auteur
est
peut-être
symptomatique
d'un
désir
insconscient de tuer
(1)
Dorléans, Le Banquet... p 283
( 2)
Dorléans, Le Plaidoyé ... p 26
( 3)
Dorléans, Le Banquet .' p 300
/.

541
l'adversaire
dans
le
discours
à
défaut
de
pouvoir
le
faire
réellement.
Il
semble
que
ce
soit
une
visée
inavouée
de
la
polémique (1) •
Le processus d'élimination peut même porter,
chez Dorléans,
sur
un
objet
par
exemple
l'arrêt
de
Châlons
;
alors
la
stratégie
devient
moins
guerrière
et
ne
met
pas
en
oeuvre
un
discours
d'homicide ou de chasse.
La légitimité de l'existence de l'arrêt est remise en question à
partir
du
t i t r e
du
pamphlet
par
la
multiplication
du
terme
"prétendu TI
Il un
pretendu
arrest
donné
au
px'etendu
Par 1 ement" (2)
Dans
cette
perspective,
la
peine
requise
par
Dorléans
prend
un
sens
symbolique(3).
Brûler
le
texte
et
le
jeter
au
vent
comme
poussière(')
est
le moyen
de
l'effacer du
monde comme présence matérielle.
Cependant,
i l ne peut garantir
sa mort dans la mémoire des hommes et sa
disparition totale
de
(1) Voir Michel Cusin, art, cil. p 118-119
(2)
Dorléans, plaidoyé .. , p 1-2
(3)
Voir supra partie chap 2
(4)
Dorléans, plaidoyé .. , p 164-165

542
l'histoire.
C'est
pourquoi
le
pamphlétaire,
qui
en
a
pris
conscience,
réclame son effacement même de l'esprit des Français
par
une
interdiction
officielle
d'y
faire
même
allusion(l).
Mais,
en attendant cette décision,
i l met ses propres opinions à
la place de l'arrêt,
réécrivant ainsi un autre texte qui occupe
tout
le
champ du
débat(2).
Cette
substitution
dans
le
discours
aSSure
de
manière
métaphorique
l'élimination
des
idées
combattues.
Ainsi,
le
discours
pamphlétaire
peut
être
considéré
comme
utopique.
L'auteur croit que la parole qu'il profère se confond
inévitablement
avec
une
action
qui
se
réalise
de
manière
instantanée.
Le
polémiste
accomplirait
l'idéal
d'un
verbe
mystique
qui
réunirait
dans
un
même
lieu
le
discours
et
son
référent,
le mot et la chose.
Ce serait alors une parole magique
qui
produirait
par
le
simple
effet
du
dire
l'existence
des
phénomènes et des choses nommés.
Le discours polémique se
veut
(1)
Dorléans, le Plaidoyé ... p 165
( 2)
Dorléans, ibid .... P 165 - la fin du lexte est un autre arrêt chargé de combattre celui da Châlons at
da la suppléar.

543
l'accomplissement total du verbe unifié avec le réel, du langage
assimilé
à
l'action.
L'étude
de
la
poétique
pamphlétaire
de
Louis
Dorléans
permet
d'affirmer
que
l'auteur
du
Catholique
Anglais avait bien conscience de faire une oeuvre littéraire.
Si la visée de
ses textes reste ce travail
de propagande et
d'embrigadement
idéologiques,
il
n'en
reste
pas
moins
vrai
qu'au-delà
de
cet
aspect
utilitaire et
ponctuel,
il
y a l e
pamphlet comme objet esthétique.
Interrogé sur sa structure et
sur son fonctionnement interne,
celui-ci nous révèle ainsi la
complexité de son écriture.
De
son titre à
sa conclusion,
le
texte polémique nous apparaît comme le fruit d'une construction
poétique qui use de tous les moyens pour vaincre l'adversaire et
convaincre le destinataire.
La métaphore polémique,
comme les
silences de l'argumentation, cette espèce de régulation interne
de la persuasion,
entrent dans un système d'écriture dans lequel
la société et la divinité deviennent des moyens rhétoriques. Cet

544
ensemble
const i t ué
si
harmonieusement
par
une
mat ière
aux
origines
variées
devient
alors
une
synthèse
aux
résonances
polyphoniques,
mais dans laquelle ne parle en réalité qu'une
seule
voix,
celle
de
l'auteur.
C'esl
pourquoi
aussi
les
pamphlets se ressemblent rarement,
et il est difficile pour la
critique, d'établir des filiations dans le genre. Louis Dorléans
a
beau
être
"la
meilleure
plume
du
parti"
(1)
son
oeuvre
politique
-comme
nous
avons
essayé
de
le
montrer-
reste
différente sur bien des points de celle des autres publicistes
de la Ligue.
( 1) Ch. Lenient, QQ&lL p 87

545
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
Derrière
l'outrance
verbale
ct
le
sceau
du
transitoire
qui
semblaient
le
marquer
à
jamais,
le
pamphlet
apparaît
plutôt
comme une oeuvre construite de manière
complexe chez Dorléans.
Tous
les
éléments
constitutifs
concourent
ainsi
à
en
faire
un
discours
à
la fois
efficace et séducteur.
Parole qui prêche la
vérité
auprès
du
lecteur,
elle
provient
d'un
homme
qui
à
l'intime
conviction
d'avoir
un
idéal
philosophique
et
moral
qu'il
cherche
à
faire
partager
par
les
autres.
Ce
socle
idéologique
sur
lequel
il
bâtit
son
discours
fait
de
lui
un
homme engagé dans
les grandes questions politico-religieuses de
son temps.
Dorléans
le publiciste de la Ligue ne
se voyait pas
autrement
qu'un
"révolutionnaire",
avant
la
lettre,
dans
ce
Idébat
sanglant
suscité
par
l'imminence
d'une
monarchie
protestante
en
France.
Tous
ses
textes
portent
les
marques
lindélébiles
de
cette passion
et
de
ce
fanatisme
qui
font
les
léritables publicistes.

546
Mais,
si le pamphlet est puissant comme arme idéologique,
c'est
parce
qu'il
bénéficie
d'une
construction
littéraire
et
rhétorique.
Le discours pamphlétaire en indiquant ses étapes et
ses objectifs devient ainsi une parole éminemment didactique.
Il
semble
rappeler au lecteur que sa pensée se
conçoit bien,
car
elle
s'énonce
clairement.
Son
efficacité
tire
aussi parti
du
charme que la beauté du texte peut avoir auprès du destinataire.
Pourtant,
le polémiste
sait que
sa persuasion
est
constamment
menacée dans sa cohérence par celle de l'adversaire.
Il cherche
alors à faire taire l'autre dans son texte par la subversion de
ses opinions auprès d'un lecteur devenu désormais un complice.
La
rhétorique
du
pamphlet
est,
par
excellence,
un
art
de
connivence mèlé à une stratégie de persuasion. L'oeuvre produite
reste aussi une symbiose d'éléments poétiques qui se nourrissent
mutuellement
les
uns,
les
autres(l).
Le
péritexte
même,
traditionnellement
considéré
comme
le
seuil
du
discours
proprement
dit,
devient
un
point
important
de
la
lecture
du
pamphlet.
(1)
N'est-ce pas là un aspect d'une certaine étymologie du lerme "pamphlet" selon laquelle le terme
remonterait au mot grec "pamphlectos' employé par Sophocle el Athénée dans le sens do "qui brûle
tout" : "pan" tout et "phélgâ" : brûler, le pamphlet se nourrissant comme reu de taules les sortes
de bois? voir Saint Laurent,
Dictionnaire encyclopédique usuel, Paris, p 1842.

547
L' Histoire
y
est
t rai tée
dans
une
perspect ive
exemplaire

l ' écri ture,
COmme
pour
prendre
une
revanche
sur
l'actualité
-cette
histoire
immédiate
qui
l'embrigade
d'une
certaine
manière-
soumet
les
faits
à
ses
objectifs
rhétoriques.
Les
arguments n'étant pas inépuisables et les répliques du discours
adverses
prévues,
le
polémiste
sait
aussi
se
taire
d'une
certaine manière.
Il le
fait
de façon paradoxale,
c'est-à-dire
en le disant tout simplement. Mais cet aveu d'incompétence et de
faiblesse est chez lui une arme dont
il se sert avec précaution
parce qu'elle peut
aussi aider
l'autre.
Discours de séduction,
de persuasion,
d'intimidation,
le pamphlet finit par devenir une
parole
de
mort
qui
cherche
manifestement
le
meurtre.
C'est
pourquoi
la victoire de l'auteur coïncide
soit
avec la fin
de
l'adversaire
comme
voix,
sa
réduction
définitive
au
silence,
soit
avec
sa
disparition
physique.
La
chasse
qui
a
beaucoup
servi de modèle
stratégique à Dorléans en est une
illustration
éclatante.L'oeuvre politique de
l'auteur
du
Banquet
présente
ainsi une richesse rhétorique et littéraire certaine et que ne
laissaient
pas
soupçonner
les
conditions
mouvementées
de
sa
production (1) •
(1) voir supra
1ère partie chap 2 et 2éme partie chap 1

548
CONCLUSION GENERALE
La question des relations entre l'engagement politico-religieux
et
la
littérature
devait
surgir
inéluctablement
au
terme
de
cette étude.
En effet,
la
fin
du XVIe siècle a vu naître des
oeuvres -celle de Dorléans par exemple- fortement marquées par
les
conflits
sociaux.
Cet
engagement
a
aussi envahi tc;"s
les
genres,
du
pamphlet
à
l'histoire (1 ).
Comparés
aux
te:ct:es
du
début
du
siècle,
ces
écrits
polémiques
révèlent
une
autre
conception
de
la
littérature
chez
les
intellectuels
de
l'époque.
Si
la
critique
seizièmiste
permet
de
remarquer
souvent
que
la
culture
s'est
dégradée
avec
les
troubles
sociaux,
que l'érudition et l'imitation des modèles littéraires
grécolatins
-deux
traits
de
la
culture
humaniste
et
renaissante- ont reculé c'est parce que la littérature a aussi
changé de fonction sociale. Au début du siècle,
elle était à la
fois
L-éflexion,
méditation,
étonnement
et
investigation
( 1 ) Outre /' Histoire ... très polémique de Dorléans. il y a celle de D'Aubigné, api cit, et celle de la
Popelinière, voir ~, 2è partie chap IV, réécrite au profit des catholiques par Jean le Frère en
1573

549
philosophique. Elle se proposait ainsi de déchiffrer
L'Univers
complexe
devant
lequel
l'appétit
de
savoir
qui
animait
ces
hommes ô.vait besoin de schémas de pensée appropriés pour sonder
la mystérieuse Nature.
En revanche,
avec les guerres civiles,
la littérature acquiert
un tout
autre statut.
Elle devient un appel au combat pour la
transformation
d'un
état
de
fait
jugé
inacceptable
par
l'individu,
et quitte ainsi le terrain
de
la méditation et de
la contemplation de l'Univers,
pour rejoindre celui concret et
aux conséquences immédiates de l'action. Les auteurs deviennent
en même temps et par le même mouvement des "hommes de terrain"
et de plume,
ne se sentant plus uniquement à
l'aise dans leur
"librairie n,
naguère
domaine
de
prédilect ion
de
l f humaniste.
Ils
se
trouvent
alors
engagés
dans
des
batailles
politico-religieuses au cours desquelles sont mis en
jeu leurs
conviction,
leur statut social et bien souvent leur propre vie.
Comme
écrivains,
ces
hommes
sont
surtout
impliqués
dans
les
conflits en tant
que porte-paroles chargés de se
faire
l'écho
de
l'idéologie
de
leur
camp.
Ils
sont
alors
investis
de
la
I[mission
délicate
de
soutenir
l'effort
des
partisans
et
de
servir de boucliers
aux attaques
de
l'adversaire
contre
leur
\\doctrine.
Dans cette perspective,
leur plume a
une efficacité
,redoutable.

550
Ainsi,
la
littérature dite engagée n'est autre
chose,
à
notre
avis,
que
la
traduction
dans
l'oeuvre
de
cet
engagement
que
l'auteur
a
pris
dans
l ' histoire
de
son temps.
Car,
la pensée
politique
et
religieuse
que
le
texte
véhicule
s'est
généralement
consitituée
en-dehors
de
la
littérature
et
indépendamment
de
l'auteur.
L'oeuvre militante
que
ce
dernier
produit ne peut être que
le reflet de la position individuelle
-même si l'auteur la partage avec d'autres- prise en face d'une
doctrine
et
d'un
combat
antérieurs
à
l'écriture
de
son texte.
Dès
lors,
chaque
écrivain
incorpore dans
ses
écrits
les
idées
dominantes
de
son
époque,
a utrement
dit,
le
travail
d'auteur
est
toujours
un
engagement
dans
son
temps.
Aux
périodes
de
sérénité
relative
correspond,
en
général,
une
littérature
de
méditation
et
de
réflexion,
alors
que
pendant
les
moments
de
troubles
sociaux
la
plume
soutient
la
lutte.
Cependant,
la
réaction
de
l'auteur
peut
aussi
consister
à
occulter
les
confilts
politiques.
En
effet,
la
littérature
devient
quelquefois un moyen de se détacher des problèmes dela société.
Le
temps
des
guerres
civiles,
en
France,
a
connu
bien
des
oeuvres
d'évasion,
de
réconfort
et
de
consolation
devant
un
monde senti comme menaçant(l).
(1) Voir R. Lebègue, "La littérature française et les guerres de religion", French Review, XXIII, 1950,
P 205-213.

551
Venant d'un choix individuel de l'auteur,
cette attitude nous
semble une autre forme d'engagement.
Toutefois,
si
les
oeuvres
du
temps
de
la
Ligue
étaient
si
fortement marquées par les conflits sociaux,
c'est aussi parce
qu'elles se nourrissaient d'une conception toute pragmatique du
langage. Comme le fait remarquer C.G.Dubois,
les hommes du XVIe
siècle avaient le sentiment que la parole pouvait arracher les
choses par
"leur dénomination
à
leur inertie matérielle" (1).
participant
ainsi
de
la
révélation
du
monde,
le
langage
devenait
un
vecteur
de
la
transformation
concrète
de
la
société.
Cette idée du pouvoir du discours trouvait aussi une
,
certaine
confirmation
dans
la
pensée
judeo
-chrétienne
qui
confondait
le verbe et le créateur de l'Univers et faisait de
la parole de Dieu
la source de toute chose.
Le langage n'était
pas perçu comme
arbitraire mais
comme un aspect du monde avec
sa force et ses mystères (2).
Entre les mots et
les choses i l y
avait donc
un rapport ; et
avoir un pouvoir
sur
les
choses
( 1 ) C. G. Dubois, L',meoinaire de la Renaissanco, p 49
( 2 ) Voir M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, P 49·50.

552
c'était arriver à se servir de ce rapport qui s'exprime dans le
langage.
Dans
ce
contexte
philosophico-moral
l'engagement
de
l'écrivain,
considéré
comme
un
usage
militant
de
l'écriture,
était
tout
à
fait
naturel,
i l
ne
relevait
que
rarement
d'un
choix politique personnel.
Conçue
comme
une
réponse
aux
problèmes
que
se
posent
les
hommes,
comme un écho de leur histoire ou comme un moyen d'agir
sur
le
monde
ou
de
s'en
détacher,
la
littérature
reflète
toujours,
d'une
manière
ou
de
l'autre,
les
préoccupations des
hommes.
Aussi
imaginaires
que
puissent
être
les
oeuvres
de
fiction,
elles
n'en
demeurent
pas
moins
enracinées
dans
leur
société
et
dans
leur
temps.
C'est
pourquoi
la
notion
de
"littérature
engagée"
nous
paraIt
peu
pertinente
pour
distinguer des tendances ou des périodes littéraires.
En
revanche,
l'étude comparée de la structure des oeuvres peut
être intéressante pour la compréhension des
traits littéraires
spécifiques
à
chaque
époque.
Par exemple,
des
pamphlets de la
Ligue
aux
libelles
de
la
Fronde,
i l
semble
qu' i l
Y ait
une
modification
de
l'écriture
polémique
dont
l'analyse
apparaît
comme
le point de départ
d'une définition
du pamphlet
au
XVIe
siècle.

553
La critique interne des textes polémiques du temps de Dorléans
permet
de
relever
les
aspects
constants
de
leur
composition.
D'abord,
les
auteurs donnent
à
leur oeuvre un
sérieux et une
gravité de ton qui n'ont d'égale que la passion avec laquelle
ils défendent
leurs
convictions.
Cette
attitude vis-à-vis de
leur
discours
se
traduit,
entre
autres,
par
les
exergues
bibliques
qui
ouvrent
quelquefois
les
pamphlets,
conférant
ainsi au polémiste la position du prophète annonçant
la Bonne
Parole.
Ensuite,
les
oeuvres
sont
marquées
par
une
certaine
érudition des auteurs.
En effet,
les
références à
l'Antiquité
grécolatine,
à
l'histoire et à
la Bible
foisonnent
dans leur
argumentation. Elles remplissent,
comme citations,
une fonction
d'illustration
et
de
confirmation
dont
l'autorité
était
rarement contestée.
Du point
de vue de la progression de la
persuasion,
les pamphlets de la fin du XVIe siècle apparaissent
aussi comme bien structurés.
Les auteurs,
généralement formés
dans la rhétorique classique,
tiraient parti des avantages de
l'éloquence oratoire.
Leurs textes ont ainsi très souvent des
allures d'exposés
didactiques présentant
une vérité dont
la
démonstration suit des étapes bien marquées (1) •
( 1 ) Voir ~ 3è l'illlill. chaD 3.

554
Ces
caractères
généraux
faisaient
des
pamphlets
des
oeuvres
d'analyse dont la compréhension exigeait un niveau intellectuel
et
une
culture que n'avaient
pas
tous
les destinataires.
Dans
une autre mesure,
les textes polémiques prenaient,
quelquefois,
les
trait
d'écrits
d'édification,
beaucoup
plus
aptes
à
enseigner des véritès qu'à mener à une action sociale; même si
ces deux objectifs avaient génèralement les mêmes effets.
Entre ces
pamphlets
et
les
libelles du
XVIIe
siècle
certaines
différences
sont
très
nettes(l).
Les
Mazarinades,
moins
marquées
par
les
idées
religieuses,
sont
de
ton
serein,
associant
le
sérieux et le
plaisant.
En effet,
les polémistes
de
la
Fronde
observent
une
certaine
distance
vis-à-vis
des
événements
auxquels
ilS sont
confrontés.
Il
est
vrai
que
les
conflits
sont
beaucoup
moins
violents
que
ceux
du
siècle
précédent.
La
présence
du
burlesque
et
de
l'humour
a
aussi
empêché
le
développement
d'une
éloquence
grave
dans
les
mazarinades.
Et
pour
les mêmes
raisons,
l'érudition
se trouve
presque
superfétatoire
car
elle
ne
sert
plus
d'appui
à
l'argumentation.
( 1 ) Ce développement s'appuie sur les travaux d'Hubert Carrier, Les
Mazarinades 11648-16531
Contribution à l'étude des idées des mentalités et de la sensibilité littéraire à l'époque de la
Fronde., Thèse pour le Doctorat d'Etat, présentée en 1986, université PARIS-Sorbonne; et "Pour
une définition du pamphlet : constantes du genre el caractérisques originales des textes
polémiques du XVIe siècle", Le pamphlet en France au XVIe siécle, cahier V-L Saulnier, N° 1... P
123 - 136.

555
En devenant ainsi moins éloquent, moins,érudit et plus plaisant
qu'il ne l'était au XVlè siècle,
le pamphlet accroît le nombre
de ses destinataires. D'ailleurs,
selon H. Carrier,
la présence
marquée du peuple dans les libelles constitue un trait original
des mazarinades.
Le goût pour le fait divers,
la variété des
registres du discours et la briéveté du style leur sont aussi
un
autre
signe
distinctif par
rapport
aux
pamphlets
de
la
Ligue.
Ce
changement
stylistique
montrait
bien
que
les
mentalités et la sensibilité littéraires étaient en train de se
transformer.
Au regard des définitions généralement admises du pamphlet(ll,
certains textes de Dorléans posent problème. D'abord le Second
Advertissement . . .
qui
développe,
sur plusieurs
dizaines
de
pages,
une critique acerbe de la Ligue ne peut pas répondre à
la définition du pamphlet
comme un texte entièrement chargé
d'attaquer une
cible
qui
se
confond avec
l'adversaire.
Dans
cette
oeuvre
i l
y
a
plus
de
préoccupations
morales
que
d'incitations
à
l'action,
c'est
pourquoi
le
Second
Advertissement se rapp~oche plus de la satire.
( 1 ) Voir y, Bellenger, ill.l.ctl., et y, Avril, art
cit

556
Ensui te,
le Banquet
du
Conte
d'Arête...
présen te
certaines
particularités.
De ton serein,
de structure dialogique et de
visées didactiques très nettes,
ce texte obéit difficilement
aux
critères
traditionnels
de
définition
du
pamphlet.
La
distribution
des
propos
tenus
par
les
personnages
et
l'importance des images utilisées situent le Banquet ...
dans
une
double
tradition
celle
du
dialogue
philosophique
ou
satirique
et
celle
du
banquet
platonicien,
organisé autour
d'une
question
métaphysique.
Si
cette
oeuvre
reste,
malgré
tout,
un
pamphlet
c'est
à
cause
de
ses
rapports
avec
l'actualité et de son but
affirmé et pris pour tel par ses
destinataires
dévoiler
toute
l'hypocrisie
qu'il
Y avait
derrière l'abjuration d'Henri de Navarre.
Se pose alors, dans les définitions du pamphlet,
la question de
la nature des critères à privilégier. Faut-il caractériser le
pamphlet
à
partir
du
contexte
de
lecture
et
du
projet
d'écriture? Ou bien,
la critique doit-elle considérer le texte
dans
sa
structure
interne,
et
proposer
ensuite
des
traits
distinctifs du genre ? Si la réponse à de telles questions est

557
difficile,
c'est surtout parce que le pamphlet ne peut pas être
défini
à
la manière de
la poésie
ou du roman,
c'est-à-dire
uniquement à partir de lui-même.
Il a besoin d'un contexte de
lecture et d'une finalité pragmatique inscrite dans l'écriture.
Dans cette perspective,
tous les genres littéraires sont à même
de
contenir
des
pamphlets
;
et
des
oeuvres
antérieurement
composées
peuvent
jouer
une
fonction
polémique
quand
elles
rencontrent
un nouveau contexte dans
lequel
les
lecteurs les
comprennent
comme
pamphlétaires (1).
Toute
définition
du
pamphlet
doit
a ins i
tenir
compte
des
aspect s
internes
et
externes du texte.
les critères extradiscursifs
la nature et
l'origine
des
questions
à
traiter,
les
cibles
déclarées
et
l'attitude de
l'auteur à
leur égard placent
le pamphlet dans
des rapports conflictuels avec d'autres écrits ou avec d'autres
pensées. Ce sont ces relations de débat et de combat verbal qui
constituent,
à
notre avis,
le domaine propre de la polémique.
Celle-ci se distinguerait alors du pamphlet comme l'énonciation
se distingue de l'énoncé. Autrement dit,
le pamphlet est propre
à un auteur alors que la polémique concerne plusieurs. L'un est
la réponse et
l'autre
la
question.
C'est
pourquoi
la
( 1 ) A la faveur d'un contexte de lecture nouveau et placé dans les visées polémiques du Réyeille Matin
(1574), le piscours de la Servitude yolootaire de la Boétie est devenu, 26 ans après la date de sa
rédaction présumée, un pamphlet dirigé conlre la monarchie française par les Réformés.

558
différenciation formelle entre ces deux aspects du discours de
type agonistique nous paraît peu fonctionnelle dans une analyse
littéraire.
En définitive,
l'oeuvre de Louis Dorléans,
considérée sous les
angles biographique,
bibliographique,
historique et proprement
UJ\\
littéraire,
méritait'" tout
autre
sort
que
celui
qu'elle
connaissait
jusqu'à présent.
Même
si elle possède quelquefois
les
défauts
d'une
littérature
de
combat
-style
passionné
et
répétitif-
elle
n'en
reste
pas
moins
une
oeuvre
riche
et
variée.
Elle présente ainsi,
derrière les visées idéologiques,
un art consommé de la composition et du raisonnement au service
d'une
réflexion
et
d'une
argumentation
que
l'auteur
du
Catholique Anglois sait conduire avec bonheur.

559
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
1- OEUVRE FRANCAISE DE LOUIS DORLEANS
A - ECRITS POLITIQUES
1 -
Manuscrits
Apologie pour messieurs de la maison des Guises
B.N. Ms. fr, N° 4922, microfilm N° 352
L'histoire de l'origine de la Ligue
B.N. Ms. fr, N° 4922, microfilm N° 352
"Poésies politiques", sous cc titre, nous regroupons une
dizaine de poèmes faisant partie d'un grand ouvrage
in·folio dit Poésies chrestiennes, B.N. Ms. fr, N° 863.
2 -
Imprimés
a) Les pa ID pltlets
Apologie ou défencc des catholiques unis les uns avec les
autres, conlre les imoostures des catholiques associez à
ceux de la prétendue Religion, s.l., 1586, in·8°, 32 p.
L'advertissement des catholiques Anglois aux Francois
catholiques du danger où ils sont de perdre leur Religion.
et d'expérimenter. comme en Angleterre. la cruauté des
Ministres s'ils rcçoivent à \\a couronne un Roy qui soit
Hérétique, s.l., 1586, in-8°, 133 p. (rééd. 1587, 1588).
DescriI?lion de l'homme politique de ce temps avec sa foy
ct religion. Qui est un calalQguc de plusieurs hérésies ct
athéismes 0\\1 tomhcnt ceux gui préfèrent l'estai à la
Réligion, Paris, chcz Guillaume Bichon, 1588, avec permission,
in_8° 12 p.

560
Réédition de 158S : La description du politique de nostre temps.
faiet ppr lin gentilhomme françois, Paris, ehez la veufve Plumion,
1588, in-8°, 15 p. - lexte imprimé eomme de la prose.
Réédition de 1589: La yie des lraistres politicques navarrois, Lyon,
ehez L. Tantillon, 1588, avec permission, in_So, 13 p. (c'est la
réimpression de la 1ère édition parisienne).
Premier ct second adver1issements des Calholiques Anglois aux
François eplholiques. Cl il la Noblesse qui suil il présent le Roy de
Navnrre, Paris, chez Guillaume Bichon, 1590, avec privilège, in-8°,
1ère panie: 86 r.; 2ème panie: 167 r. (rééd. : Lyon 1591 - 1598: Cl il
Saragosse en 1592 d'après Lelong, N° 19235) - lrad. en espagool par F.
de Guzman : Adver1encias que dan los caiholicos Inglcses, Madrid,
1592, in-8°.
Plaidoyé des gens du Roy fpici eil Parlement en plaine alldience,
toutes les chambres assemblées le 29 jOllr de Décembre mil V.c. Quatre
ving!z dOllze, Paris, chez J . Mllsar, 1593, in-8°, 167 p. avec
pennission.
Le Banquet cl après disnée du conte d'Arète. oÙ il sc lraicte de la
dissimulation du Roy de Npyarre ct des moeurs de ses panisans,
Paris, chez G. Bichon, 1594, in-8°, 351 p. avec privilège. (rééd. revue
ct corrigée: Paris, chez J. Bourgcois, 1594; rééd., Arras, chez G.
BAUDAYN,1594)
b) Aulres lexies:
Remerciement au Roy, Paris, chez RCf,'nauld Chaudière, 1604, in-8°,
91 r. avec privilège. (rééd. revue Cl corrigée: Paris, R. Chaudière,
1605,91 f.)
Lp Plante humaine sur le trespas du Roy Hem:)' Le Grand, Paris, chez
François Huby, 1612, in_So, 396 f, avec privilègc (dalé de 1611), (rééd.
? 1613, 1622, 1632).

561
B - AUTRES ECRITS
1 -
Manuscrits
-
Les poésies cilrestiennes. B.N. Ms. fr. W 863, in-folio.
L'Qeuvre PQSlhume. recueil des lexIes en prose. B.N .• Ms. fr. W 4922.
microfilm N° 352. in .4°
Une eQnsu!laliQn en date du 12 janvier 1612 portant sur les
testaments. n.N .• Ms. fr. 15535 pièce 42.
Le1lres; B.N. Ms. fr. W 15897 pièce N° 541
B.N. Ms. fr. NO 15900 piècc NO 440
-
Harangues: B.N. Ms. Dupuy N° 313. pièce N° 74 et 84.
2 -
Imprimés
-
Camique de victoire par lequel Qn peut remarqller la vengeance que
Dieu a prise dessus ceux qui voulaient myner son Eglise el France.
Paris, R. LE MANGNIER, 1569. in-8°, 8 F.
Les ouvertures des parlemems faictes par les roys de France, tenant
leur liel de justice. qusquelles snnt qdjoustées einq remonstmnces.
qutrefois faictes en icelles au Parlemenl de Paris. reveuës el
augmentées. Paris, ehez Guillaume des Rues, 1612, (2è édition), 1ère
éd : 1606. date du privilège.
Ou<urains moraux OOUf l'Înstnlction de la jeunesse. Paris. chez
François Targa. 163 I. in-l2°, 128 p avec un privilège daté de février
1629, (1ère édition 0).

562
II - SOURCES ET REFERENCES DU XVIe siècle
A -
Manuscrits
Copie de pièces du XVIe siècle 1S49-1599 (eontienlles arrêts de
Châlons). B. N. Ms. fr. W2751
DiscouPi de la loy salicquc Cl de la succession de la couronne de
France. J588, B.N.• Ms. fr. W 17302 (65)
-
Histoire chronologique de la Ligue (1574-1593). B.N. Ms. fr. W23295
-
Lellrcs d'abolition à Louis Oorléalls. B.N.• Ms. Dupuy N° 89 (37)
-
Mélanges sur l'histoire de France. B.N .• Ms. fr. N° 10194
-
Nominal ion de Dorléans au Parlement" B.N.• Ms. fr. N° 3996 (38).
B -
Imprimés
1- Les pamphlets
a) anonymes
Advenissemellt des catholiques de &ame aux catholiques
francois .... Lyon. 1589. (Troyes 1589).
Arrest de la cour de Parlement contre un cenain prétendu arresl
donné à Châlons .... Paris. R. Nivelle. R. TIlierry. 1592.
Briefve rcsponce d'ull catholique fronçois à l'Apologie ou
deffence des Ligueurs ct penurilaleuPi du repos public....
Bordeaux. 1586.
Cabinet (Le) du Roi de France dans lequel il y a trois perles
prétieuses.parN. O. c., s.l.. 1581.

563
ConfUlation du faulx et scandilleux arres! du sUPPQsé Parlement de
ChailIQns.... s. L, s. d.. (1592 ?)
CQPpie de Irais epislres G\\thQliques du drait de prendre les armes
el de recQ~nQis!re SQn RQY lé~itime. Orléans. chez André Habert,
1589.
DéclaratiQn des causes qui Qnt meu MQnseigneur le Cardinal de
BQurbQn Cl les Nirs. princes prélmz. sei~neurs. villes et
communautcz de cc royaume de France de slanncr contre ceux qui
veulenl subvenir la reli~ion ell'estat. s. 1.. 1585.
-
De la différence du Roy el du Tyran, Paris. chez R. Thierry. 1589.
DialQgue d'entre le Maheustrc elle Mananl. ..., s. L, 1593 (réimp.
Paris. E.D.H.I.S .• 1978).
Dialogue du Royaume. auquel cst diSCQuru des vices ct venus des
Roys et de leur emblissemeol.... Paris. chez Didier Milio!. 1589.
-
Discours de la vie el de la mon, Paris, G. BiehQn, 1589.
Discours par lequcl il apparaislra que le Royaume de France est
électif el nQn héréditaire. LYQn, 1591.
Discours vériJable sur CC qui est arrivé il Paris le douzième de may•
.li8.l!. Paris chez D. MillQI, s. d.•
Ligue (Ja) très-suinte, lrès-chrçstienne cl Irès-çmholique, s.l..
1589.
Paraboles (les) de Chicot en fonne d'advis sur l'Estat du Roy de
Nilvarre, Paris, LYQn 1593.
Portrai! Cl description du pQlitique de cc temos extrail de l'écriture
sainte, s. 1., s. d.

564
RemonSlf"ncc il la noblesse c"n)olique de France Qui tient le pany
du ray de Navarre. Paris. Lyon. 1590.
Réplique pour le Ç\\\\tholique Anglois contre le catholiQue a,sQcié à
des Huguenots. s. 1.. 1588.
Rcsponses dcs yr"ys call1Qliques Francois il l'avenissement des
catholiques Anglois...• s. 1. 1588.
Retraite (la) de la Ligue, par P. r D G c., Lyon. G. Jullicran. T.
Ancelin, 1594,
/
Satyre Menippée, éd, d'E. Tricotel. Paris. 1877- 1881 reimp, Genève,
Slalkine, 1971.
b) attribués
Belloy Pierre de. Apologic catholique contre les libelles,
déclarations, advis et consultations [aieles. escrites et publics (sic)
par les liguez penurbateurs, du repose du royaume de France.
Paris, 1585.
Boucher Jean. Semlons de la simulée conversion et nullité de la
prétendue absolution de Heno' de Bourbon Prince dc Bearn ..,.
Paris. G, Chaudière. R. Nivelle ct R. Thierry, 1594.
Caumont Jean de. - De la Venu de noblesse. Paris. Fr. Morel,
1585 - Advenissement des advcnissements au peuple très-
chrestien. s. 1., 1587.
Clary François de. Philippiques COntre les bulles et autres
pratiques de la faction d'Espagne. Tours 1592.

565
Morn~)' Philippe de, Lellre d'un gentilhomme catholique
français contcnan! brève. rcsponcç aux calomnies d'lm certain
prétendu Anglais, s. 1. 1586.
Pigen~t Fr., L'aveuglement ct grande ineonsidération des
Politiques diets Maheustres.. , Paris, chez R. Thierry, imprimeur de
la Saincte-Union, 1592.
2 - Autres textes
Aubigné Agripp~ d', -les Trugiques, éd. par Jacques Bailbé,
Paris, G. F., 1968.- Histoire Universelle, A. de Ruble, Société d
l'Histoire de France, 1886, 1909,5 vol.
Beze Théodore de, Du droit des magist rats sur leurs subjets,
réimp (éd. de 1575 , s. 1.) E. D. H. 1. S. Paris, 1978.
Ca)'et P~lm~, Chronologie novenaire contenant l'histoire de la
guerre sous le règne du très-chrcslicn roy de France ct de
Navarre Henry IV, Paris, Richet, 1608.
De Thou Je~n Auguste, Histoire universelle depuis 1543
jusqu'en 1607. (Lrad. sur l'édition. latine de Londres) Londres, 1734,
16 vol.
F~)'et Pierre, Jou mal historique sur les troubles de la Ligue,
Tours, Ladevez, éd. par Victor Luzarehe, 1852.
Goulart Simon, Mémoires de la Ligue, Amsterdam, nelle. édi.,
1758.
Hotman François, La Franeo-Gallia, rééd. Cambridge 1972 (texte
latin R. E. Grese)' ; Lr. angl. J. H. M. Salmon.
Langue! Hubert, Viudiciae eoutm Il'rannos, par ELienne Jun.ius
Brutus, éd. critque, trad. fmnçaise de 1581 par H. Weber ct alii.,
Genève, Droz, 1979.

566
-
L'Estoile Pierre de.
Les Belles figures ct drolleries de la Ligue.
P"r;s, libr"irie des Bibliophiles, 1876.
Jou mal pour le règne de
Henri III 1574-1589, édi. L. R. Lefevre,
Paris. Gallimard, 1943.
Jou mal pour le règne de Henri IV 1589 -
.l.QQ.Q, cd. A. Manin. Paris, Gallimard, 1958.
Mayerne Louis Turquet de, La mon"rchie aristodémoeratique
ou le gDuvememen! composé ct meslé de trois formes de légitimes
Républiques... , Paris, chez 1. Barjon ct chez 1. Le Bouc, 1611.
Pasquier Estienne, Loures historiques pour les années
1556-1594, éd. par D. Thickell, Genève Droz, 1966.
Patin Gui, Leures, éd. p~r J. H. Reveillé-Parise, Paris, J. B.
Baillière, 1846; 2 lomes.
Ronsard Pierre de, Discours Cl autres pièces poli!i'lues
1562-1563, Oeuvre comolète, éd. P. L~umonier, achevée par 1 Silver
ct R. Lebègue, S. T. F.M. p"ris, Didier, 1973, tome XI.
SEYSSEL Claude de, La Gran! monarchie de France. Paris,
Regnault chaudière, 1519.

567
III -
REPERTOIRES, MONOGRAPHIES ET ETUDES
GENERALES SUR LES IDEES, LES MENT ALITES ET
SUR LA LITTERATURE AU TEMPS DES GUERRES
DE RELIGION
A -
Ouvrages généraux, nO spéciaux de revues, colloques...
Babelon Jean Pierre, Henri IV, Paris Fayard, 1982.
Hady René, Hllmanisme chrétien dans les lellres francaises.
XVle-XVlIe siècles, Paris, Fayard, 1972.
Barnavi Elie, Le Dani de Dieu. étude sociale el Dolitique des chefs de
la Ligue parisienne 1SSS-1594, Paris, publi. de la Sorbonne, 1980.
Louvain, Nauwelaens, 1980.
X' BarnavilElie, Descimon Robert, La Sainre Ligue: le juge ct la
oOlence,'Paris, Hachelle, 1985.
x- Baumgartner Frédéric J., Radical reaClionaries' The politieal
lhough! of Ihe French catholic League, Genève, Droz, 1976.
Delumeau Jean, Civilisation de la Renaissance, Paris Arthaud, 1967.
Descimon Robert, Qui étaient les Seize? Mythes Cl réalités de li!
Ligue Pi!ri.sienne (] 5S5-1 S941. Paris, Klincksieck, 1983.
Estèbejaninc. Tocsin Dour un massacre. La saison de." Saint-
Bi!nhélémy, Paris, le Centurion, 1968.
Garrisson J., L'Edit de Hmlles ct sa révocation: hiSlQire d'une
intolérance, Paris, Seuil. 1985.

568
Hauser Henri, - Eludes sur la Réfomle francaise, Paris, Picard,
1909 - Les sources de l'histoire de France, XVIe siècle C1494-1610l.
Paris, Picard 1912.
Hennequin Jacques, Henri TV dans ses oraisons funèbres ou la
naissance d'une légende, Paris, Klincksieck, 1977.
Jones-Davies 1\\1. T. éd., Les cités au temps de la Ren"issance. Actes
du colloque du Centre de reeherchcs sur la Renaissance de Paris-
Sorbonne, Paris, 1977.
Jouanna Arlette, Ordre social. Mythes ct hiérarchies dans la
France du XVIe siècle. Paris, Hachette, 1977.
Joutard Ph .• Estèbe J., Labrousse E., Le Cuir J., La Saint
Barthclémy ou les résonances d'un massacre, Neueh:ltcl Dclaehaux ct
Niesùé, 1976.
Labitte Charles, De la déllloeratie chez les prédicateurs de la Ligue,
x: Paris, Joubert Cl Labitte, 1~41.
L'Amiral de Coligny ct son temps. (actes du colloque de la S. lI. P. F.,
Paris. octobre. 1972.) PARIS, S H, P. ru 1974
-
La Saint-Banhclémy dqns la littémture. R. H. L. F. NO 5.1973.
Je Lebigre Arielle, La Révolution des curés, Paris C1588·15941. Paris
A. Michel, 1980.
Leclerc Joseph. Histoire de la tolérance au siècle de la Réfomle,
Paris. Aubier, 1955.
Les Hommes de la Renaissancc ct l'Anqlogie, Institut COllégial
Européen, Londres, 1976.

569
Lindsay R. O., and Neu John, ['rcneh politieal oamphlets
1547-1648 A eatalog of Major Collections in American Libraries,
University of Wisconsin Press, [\\'(adison, Milwaukee, London, 1969.
l\\-1ariéjol J.lI" La Réfonne.la li~lC.I'Edit de Nantes 1559-1598,
Paris, Tallandier, 1983 (Histoire de France sous la direction de
Lavisse).
Pallier Denis, Recherches sur l'imprimerie à Paris pendant la
Ligue 11588-1594), Genève, Droz, 1976.
/. -
Simone Franco éd.. Cullure Cl politique en ['rance à l'époque de
l'Humanisme ct de la Renaissance, Torino, Accademia delle
Scienze, 1974.
Stegmann André, Edits des guerres de Religion, Paris, Vrin,
1979.
>!. - Weill Georges, Les théories sur le pouvoir royal en France
pendant \\es guerres de rel igion. Paris, Hacheue, 1891.
Welseh D. V., - A Cheekllst of Frcneh Political pamphlets
1560-1644 , Chicago, The Newberry Library, 1950.
- A Second check!;st 1560-1653, Chicago, The Newberry library,
1955.
j- Yardéni Myriam, La conscience nationale en France pendant
les guerres de religion 0))9-1)98). Paris - Louvain, NauwelaerLs,
1971.
B· ARTICLES
Armstrong E., "The politieal theory of the Huguenots", 111e
English Hisiorical Review, IV, 1889, P 13-40.
Barnavi Elie, "Le cahier de doléances de la ville de Paris aux
états généraux de 1588", Annuaire - Bulletin de la Société de
l'HislOire de France, 1976-1977,p81-154.

570
Bordier II., "Sonnet de Louis Dorléans sur la mort de L'Amiral
Coligny", R. S, H P., tome 1-4, 1855, P 538.
Champion Pierre, "Henri \\li et les écrivains de son temps"
B H R,..1941,p43-172.
Crouzet Denis, "La représentation du temps à l'époque de la
Ligue", Revue Historique, Torne 270, W 2,1984, P 298-388.
LeIJègue Raymond, "La liLLéralure française ct les guerres de
/
religion", French Review, XXIll, 1950, P 205-213.
Maury AlFred, "La commune de Paris de 1588", Revue des Deux
Mondes, XCV, 1871, P 132-175.
Mercier Ch., "Les théories politiques des calvinistes en France
au cours des guerres de religion". R S, H P, F ,N° LXXXIII. 1934, P
225-260 et381-415.
Mousnier Roland, -"L'opposition politique bourgeoise à la fin du
XVIe sièele Cl au début du XVIIe siècle. L'oeuvre de Louis Turquet
de Mayeme", Revue historique, CCXII, 1955, P 1-20. - "Les
structures administratives, sociales, révolutionnaires de Paris au
temps de la seconde Ligue (1585-1594)", Lcs cités au tem]?s de la
Renaissance, Centre de recherches sur la Renaissance de Paris
Sorbonne, Paris, 1977 (éd Jones-Davies) p 153-172.
Pineaux Jacques, "Poésie de cour et poésie de combat: l'Amiral
Gaspard de Coligny devant les poètes contemporains", R, S.H P.F ,
février-mars, 1972, p 32-54.
Richet D. , "Aspects socio-culturcls des confilts religieux dans la
seconde moitié du XVIe siècle", Annales, N° IV, Juillet-Août, 1977,
p 764-789.
Smith P. M., "Réalisme et piLLoresque dans le journal de Pierre de
L'Estoile", R,H R" 1967, P 153-156.

571
Sou lié Marguerite, "La Saim-Banhelémy ella réDexion sur le
pouvoir", Culture ct politique en France à l'époque de l'Humanisme
el de la Renaissance, TOI'ino, Aeeademia delle Seienze, 1974, (édi.
Fr. simone) l' 413-425.
Tricotel E., "Quelques vers sur la mon de Coligny", B. S. H. P. ,
(ome XXI V, 1875, P 83-85.
Trinquet R.. "La méthode de travail de Pierre de L'Esloile", B. H.
R., 1955, l' 286-291.
Weber Henri, "La Boétie et la tradition humaniste d'opposition au
tyran", Culture cl politique en France à l'époque de l'Humanisme
et de la Renaissance, Torino, Accademia delle Scienze, l' 355-374.
;/- Yardéni Myriam, "Le !l1ylhe de Paris comme élémenl de
propagande à l'époque de la Ligue", Mémoires Paris-lie de France,
XX, 1969 (paru en 1972) p 49-63.
IV -
ETUDES SUR LE PAMPHLET, LA POLEMIQUE ET
SUR LA SATIRE

A -
Ouvrages généraux, N° spéciaux de revues, colloques...
/ -
Angenot Marc, La Parole pamphlétaire, Paris, Payol, 1982.
Aulolte Robert, Mathurin Regnier, les Satires, Paris, SEDES CDU,
1983.
/- Baader Horst, éd. , Onze études sur l'esprit de la salire Tübingen -
Paris, 1978.
Billy André, Les écrivains de combats, Paris, les oeuvres
représentatives, 1931.

572
De Verton L. Des smires personnelles. traités historiques et
critiqucs dc cclles qui pOJ1entlc titrc d'anti Paris, Dezallicr, 1689.
/
-
Etudcs Litléraires. Vol XI, W 2. Août 1978.
-f
Etudes sur lil Satyre Ménippéc, Gcnèvc, Droz, 1987 (réunies par D.
Ménager ct F. Lcslringant).
-
Geruzez E .. De la satire politique, Paris, Hachette, 1839.
-
Hodgart Matthew, La Satire. trad. frcse, Paris, Hachette, 1969.
Le Discollfs polémiquc, Lyon, Presses universitaires de Lyon Centre
de Recherches linguistiques ct sémiologiques, éd. N. Gelas et C.
Orecchioni), 1980.

/ - Le Discours polémique, ilspccts théoriques el intemrérC\\tIO~)actes du
colloque de Cologne, mai 1978, EIUdcs litlémires fmneaiscs W 36.
Tübingen, G. Nair Verlag. Paris J. M. Place, 1985.
Lenient Charles, Lil sil\\ire cn France ou la littérature militante au
XVIe siècle, Paris, Hachette, 1866,2 tomes.
Le pamphlet en Fmnce ilU XVIe siècle, cahier V-L Sau!nier NOl,
/
Paris, coll. ENS de Jeunes Filles N° 25. 1983.
L'image du souverain dans les lcttrcs françaises des guerres de
/
religion à la révocalion de l'E di! de Nantes, acles du colloque de
Strasbourg, 25-27 mai 1983, Paris, Klincksieck, 1985.
Maingueneau Dominique, Sémantique de la polémique. Di~ours
religieux ct ruptures idéologiques au XVIIe siècle, Lausanne, L'Age
d'homme, 1983.
Marlin Henri .lean, Livre, pouvoirs el société au XVlle siècle
1159B-170]). Genève, Droz, 1969.

573
/- Traditions polémiques, cahier Vol Saulnier N°2, Paris, coll. ENS
Jeunes filles N° 27,1984.

Articles:
Angenot Marc, "La parole pamphlétaire", Etudes lilléraires vol
XI, ND , Août 1978, P 255-264.
Ascoli Peter M., " A radieai pamphlet of late sixleenth ccmury
France: Le Dialogue d'entre le Maheustre ct le Manant", The
Sixteenth CentUlY Jou mal.: V, l, 1974.
A\\'ril Yves, "Le pamphlet: essai de définition Cl analyse de
quelques uns de scs procédés", Etudes liltéraires, vol XI, N° 2, Aont
1978, p 265-276.
Bailbé Jacques, "Agrippa d'Aubigné ct les pamphlets",!&.
pamphlet en France au XVIe siècle, cahier Saulnier ND 1. Paris,
coll. ENS Jeunes filles ND 25,1983, P 89-102.
Bayle Pierre, "Disse nation sur les libelles diffamatoires",
DiClionnaire historique ct critiques, rouerdam, Biihm, 1720, tome
IV, p 2948-2962.
/ ' -
Bellenger Yvonne, "Le pamphlet avant le pamphlet: le mol ct
la chose", CAl, E F, ND 36, 1984, P 87.
Carrier Hubert, "Pour une définition du pamphlet: constantes
du genre ct caractéristiques originales des textes polémiques du
XVIe siècle", Le pamphlet en France au XVIe sièele, eahicr Vol
Saulnier ND l, Paris, Coll ENS jeunes filles 25, 1983, P 123-136.
Cazauran Nieote, - "Exem pIcs antiques dans quelques panlphlels
des guerres de religion", Actes du IX con~rès de l'Association
Guillaume Budé. Paris, Les Belles Letlres, 1975, p 570-610.
-"La tragique peinture du premier dialogue du Réveille Matin",
Etudes seizièmisles oflCnes il V L. Sauinier, Genève, Droz, 1980, p
32~34~
\\ ,
- "Sur le charlatan espagnol de la Satyre Ménippée", R, II L. F..
'\\.
)(
nov-déc 1981, p 883-891.

574
Cnzauran Nicole, "Echos d'un mnssacre, la lillérature de la
Renaissance. mélJnges Qfferts ;\\ Henri Weher, Genève, Sa!tkine,
1984, p 239-261.
- "PQlémique ct eQmique dans trois harangues de la Satyre -JI
Ménippée", Ç.A 1 E.F, W36, 1984, l' 111-128.
r
- "Le roi exemplaire dans quelques pamphlets réfQrmés
(1560-1585)", L'imJge du SQuverain dans les lellres francaises des
guerres de religion 11 la révocatiQn de l'Edit de Nantes, (eQII.
Strasbourg mai 1983) Paris, Klincksicck, 1985, l' 185-200.
Cusin Michel, "Le désir ct la parole dans le diseQurs polémique",
Le Discours Dolémiq\\le, Lyon, Presses universitaires de LYQn, 1981,
p 109-120.
Davranches LQuis Ch., "La lib'Ue ct ses libelles", Précis
analytique des travaux de l'académie de RQuen, 1910, l' 471-570.
Dcmerson GU}', "Lillérature pQlitique", Livres pQpulaires du XVIe
~, Paris CNRS, 1986, ri 318-348.
Fclman ShQshana,"Le discours polémique", C.ALE F, N°31, mni
1979, l' 179-192.
Gaillard Jean, -"Essai sur quelques pamphlets ligueurs" ~evue
des Questions HistQriQues, W 94, 1913, l' 426-455, ct W 95, l'
101-136.- "Essai sur quelques pamphlets cQntre"'i...igue", R, E.H" 1920,
l' 36-79, ct l' 476-504.
Greive Artur de, "CQmment fQnctiQnne ln pQlémique", le
DisCQurs polémique. élUdes lilléraires françaises N° 36. Tübingen,
G. N. Vcrlag, Paris, J. M.Place, 1985, l' 17-29.
Higman Francis, "théQIQgie and frcnch religiQns pamphlets
from the CQunter-RcfQmlatiQn", Renaissance and Modem Studies.
XXIII, 1979, l' 127-146.
Ménager Daniel, -"Le Tigre cl la mi~on du pamphlétaire", Le
pamphlet en France au XVIe siècle, cahier VoL Saulnier, N°l, Paris
CQII. ENS Jeuncs filles, W25, 1983, l' 23-34.
- "L'image du Prince dans la Snt;re Ménippée" L'imnge du
'i
SQuverain dans les lellres françaises des guerres de rciioiQn il la
révocation de l'édit de Nnntes, Paris, Klincksicck, 1985, p 201-210.
- "La crise de l'éIQquenec", Etudes sur la Satyre Ménippée. Genève, !-
Droz, 1987,1' 121-149.

575
Pineaux Jacques, "La métaphore animale dans quelques
pamphlets du XVIe siècle", Le pamphici en France au XV1c siècle,
cahicr V-L Sallinier N°L, Paris, coll. ENS Jeunes filles N°25, 1983, P
35-45.
Revel Jean F., "Qu'est-cc qllc la polémique", Contrccensures
Paris, J.J. PAU VERT, 1966, l' 132-138.
Ronzeaud Pierre, "Modifications de l'image royale en situation
intel1extuelle polémique (1670-1685)", L'image du souverain dans
les lettres f,"ncaises des guerres de religion à la révocation de
l'Edit de Nantes, PaIis, Klincksicek, 1985, p 227-237.
Salmon John H.l'II., "French satire in the Iate sixteenlh
cenlury", Sixteenth CenlU!y joumal, XV, 1975 P 57-88.
Schrenck Go, "Jeu et théorie du pamphlet dans le journal du
règne de Henri III (1574-1589) de Pierre L'Estoile", Traditions
polémiques, cahier V-L Salllnier N°2, Paris coll. ENS Jeunes Filles,
W27,1984,p69-79.
Tilley Arthur A., "Some pamphlets of the French wms of
Religion", Studies in French Renaissance, Cambridge, University
Press, 1922, p294-319.
Vignoux Georges, "L'argumentation pamphlétaire: effets de
sens, effets de pouvoir", Etudes Littéraires, vol. Xl, W2, AüAUT,
1978. l' 283-297.
Weber Henri, "Poésie polémique et satirique de la Réforme sous
les règnes de Henri Il, Fran,'ois Il, Charles IX", ç A LE F WIO,
1958, P 89-118.
Winandy André, "La satire comme instrument politique au XVIe
/
siècle~'Cultureet politique en France à J'époque de l'Humanisme et
de la Renaissance Torino, aceademia delle Scienze, 1974, p 269-291.

576
v -ETUDES SUR LES MAZARINADES :
Carrier Hubert, Les Mazarinades CI 648-1653) Contribut;on à
l'étude des idées. des mentalités Cl de la sensibililé lilléraire à
l'époque de 1a Fronde. Thèse pour le Doctorat d'Etal, présentée le 29
nov. 1986, Université Paris Sorbonne.
Jouhaud Chrislian, Mazar;nades . La Fronde des 111ols, Paris
Aubier-Montaigne, 1985.
Laroque Tami1.ey de, Mim\\rinades inconnues, Paris, Champion,
1879.
-
Moreau, Bibliographie des mQzarinades. Paris, champion, 1879.
VI -
ETUDES D'INTERET GENERAL CONSACREES
ENTIEREMENT OU PARTIELLEMENT AU XVIe

SIECLE
A -
Ouvrages généraux, nO spéciaux de revues, colloques.
Auerbach E., Mimes;s. La re[)réSCmalion de la réalité dans la
littéralUre Qccidentale, Paris, Gallimard 1968.
Barbier Antoine Alexandre, Di>'t;"nnair>' des ouvrages
anonymes cl pseudonymes, Paris, Imprimerie Dibliographique, 1806,
4 vol.
Bloch Marc. Les Rois lhaumalurgcs ; étude sur le caractère
sumalurel anrihué il la puissance royale, Paris, Amland Colin 1961.

577
Dubuis C-G, - Mythe Cl langage al! XVIe siècle, Bordeaux, Du'cros Cl
Paris, Nizet, 1970. - La conception de J'hi,toire en France au XVIe
~, Paris, Nizel, 1977. - L'imaginaire de la Renaissance, Paris, PUF,
1985.
-
Foucault Michel, Lcs mots ct les choses, Paris, Gallimard, 1966.
/
Fumaroli Marc, L'Age de l'éloquence RhélQrique cl "res literaria"
de la Renaissance al! seuil de l'épQquc cla,sique, Genève, Droz, 1980.
Goujet Abbé C. Pierre, - Supplémenl au grand dictionnaire
historique. généalQgique, géQgraphique de M. Louis Moréri, Paris,
Lemercier, 1735. - BibliOlhèque française QU histoire de la lillératurc
françQise, Paris, 1-1. L. Guérin, P. G. Lemercier, 1753, 18 vol.
Jung M. R .. Hercule dans la Iilléralure francaise du XVIe siècle,
Genève, Droz, 1966.
Krynen Jacques, Idéal du Prince ct DQuvoir royal en France à la
fin du Moyen Age, Paris, Picard, 1981.
La Croix du Maine Fr., Du Verdier, La Bibliothèque française,
(2è édi.) Paris, Saillant, Nyon, Lambert. 1772.
r -La farcissure. Inrertextualité au XVIe siècle, Lillérature W55, oct.
1984.
Lelong Pèrc Jacques, Bibliothèque historique, revue cl augmentée
par F de Fonletle, Paris, Hérissant, 1768-1778.
ey. - Les méthQdes du discours critique dans les études seizièmistes, Paris,
SEDES - COU, 1987.
Mandrou R., Introduction à la Franec mQderne 1500-1640, Paris,
Albin Michel, 1961.
Marcharnd Prosper, Dictionnaire histQrique Qu mémoires
critiques et littéraires. ,La Haye, Pierre de Hondl, 1758.

578
Mesnard Pierre. L'essQr de la philQsQphie PQlilique au XVIe siècle.
Pans. vnn. 1936. (rééd. 1977).
l\\1orcri Louis, Le grand dictionnaire historique Ol! mélange
cuneux de l'histQire sacrée Cl profane...• ( 1ère éd. 1674) nQUv. éd.
revue ct cQrrigée par M. Drouet. Pans Les Libraires assQciés. 1759. 10
VQI.
Qu~rard J. M.• Les supercheries tilléraires dévQilées. Pans Paul
Dams ( 2è éd,). 1859.
Weber Henri. A 1ravers le Seizième siècle, Pans. Nizel, 1986. tQme Il
"Histoire des idées".
B . Articles
AuloHe RQbert. "RQnsard ell"'lnslilUIiQn pour l'adQ1cscence de
Charles IX" ". French Renaissance sludi,s in hQnQr Qf Isidore Silver.
Valencia, Ancs Grancas SQler, 1974, p 21-38.
Reulus Michel. "La justice. allribut essentiel du rQi de France au
XVIe siècle", Le juste ct l'injuste à la Renaissance ct à 1'3gc classiQue.
acles eQ11. St Estienne 21-23 avril 1983. Saint-Elienne. publication de
l'université. 1986. p 101-107.

579
VII -
ETUDES D'INTERET GENERAL SUR L'ANALYSE DU
DISCOURS
A -
Ouvrages généraux, n° spéciaux de revues, colloques.
Argumentation cl Enonciation, Langue Francaise, N°SO, Paris,
Larousse, Mai 1981.
Auslin J, L. • Quand dire, c'est faire, trad. frcse. G. Lane, Paris. Seuil.
1970 (éd. anglaise 1962).
BrandI W., The Rhétoric of argumentation, Indianapolis,
Bobbs-Merrill.1970.
Chariol Monica, La Persuasion nolili'lue, Paris. A. Colin, 1970.
Genelte Gérard. Seuils, Paris, Seuil, 1987.
Grize J. B., Logique de l'argumenlalion et discours argumentati r.
Neuchâtel. Centre de recherches sémiologiques. 1971.
/ " -
Groupe M. Rhétorique générale, Paris. Larousse, 1970.
Idéologies. discours. pouvoirs. communication nO 28,1978.
/
Le discours politique, Langages N° 23, Paris Didier Larousse. 1971.
Macherey Pierre, Pour une théoric de la production littéraire,
Paris, Fr. Maspéro, 1966 (rééd. 1980).
Morier Henri, Dictionnaire de poétique cl de rhétorique. Paris.
P.U.F.• 1961 (rééd. 1981).

580
Perelman Chaïm, Le champ de J'argumcntation, Bruxelles, Presses
de l'Universilé de Bruxelles, 1970.
-
RelJoul Olh-ier, Langage Cl idéologie, Paris, P.U.F., 1980.
Stratégies discursives, (acles du colloque du Centre de Recherche
linguistiques ct sémiologiques, de Lyon, mai 1977), Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 1978.
-
Todorov Tz. el alii, Lillérature cl réaliJé, Paris, Seuil, 1970.

Articles
Borel Marie Jeanne, "L'explication dans l'argumentation:
approche sémiologique", Langue Francaise, N050, mai 1981, p 20-38.
Calloud Jean, "Véridiction, vérification ct vérité", Stratégies
discursives, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1978, p 199-215.
Maingueneau Dominique, "Dialogisme ct analyse textuelle", Actes
sémiotiques, IV, 32, Paris, Institut Naliolla! de la Langue Française,
1982.
Marcellesi J. B. , "Elément pour ulle analyse contrastive du
discours politique," Langages, N023, sept. 1971. p 25-56.
Slierle K. , "1 'hisloir.e comme e'ie!!lJ)J.ç ct t.'exclllDle cO'è'me
histoire", Poétique NO 10, Paris, Seuil, 1972 (trad.allemande) p
176-198).

581
INDEX NOMINUM
Abraham 434_
AGAMemnon 218,
2437
Alençon Fr. 312
Angenot Marc 1187 384,
399,42~ 438, 44~45&)459,465,517
Anquetil,
94
Anroux 40
Aristotœ,
126,354,355.430
Aubigné A.
86,174,548
Aulotte R.
251,514
AVRIL Y.
388)355
Babée M.
26
Babelon J.P.
252,415,444)531-
BaIf A.
27
Barbier 36 J 85
Barnavi 3,32, 36,40, 49 }52 }94, 95,99, 101, 104, 106,109, 130 ,141,15
159 167,170,190,312,370,380,391,470
,
Barricave J.
264
Baumgartner 3,31,36) 53,121,383
Bellenger Y.
555
Bellièvre C.33,70,77
Belloy Pierre de,ll; 143,157,197, 531
Berton J.
66;
Bèze Th. 124,271,284;362,364
Bichon 58
Bodin J.
365)483,491
Bloch M.
369
Boétie 359 557
Bordier H.
29,306
Boucher J.
57,105) 153, 212,373,383,388
Bourbon A.
287
Bourbon (le CARDINAL de) 99, 127, 171,172,18~ 204,384,497
Bourbon (Louis de)
287
Brachin P.
61, 62
Brisson B.
52,59,1&9;193
Breton Fr.
Le 37
C.illigu1a 486
Calloud J.
464
Calvin J.
284 357
1

582
Carrier H.
554,555
Caumont 32 139
Cayet 38,105,113
CAZAURAN N.
482,486
,
Cesar 538
Charles le Chauve 175;486
Charles Quint 258, 275
Charles le Simple 175,488
Charlemagne 180.277)283
Charles IX 95 10:!') 280) 286) 287) 289
Christ
176)205)271)369,371)377,378,381,385,437,499/506
512;538
Cicéron 440
Clary 195,1977
,
Clément J.
109) 161) 176, 178) 523
Colletet 25 J26) 84,86)87
Clovis 119) 202,281/283) 485·
Col igny 29 185) 290) 296,304 .305,306 ,307, 308/309,310,506,
Compans 40 53
Cond'; (Prince de)
295) 296
Coton (Père)
70
Cusin 419)448;516)541
David (Roi)
291)420)434
Demerson 105
Désiré A.
271
D'Estrées G.
444
Descimon 3) 24,26,31)32) 40,85,94,95,99,130,159,170,312,470
De Thou 32/33)57;59)86,lll,145,148,167 212,271.
J
De Valois (Elisabeth de)
64
Dolet E.
95}277
Dorat 27
Dorléans Gabrielle 59
Dor1éans Jehan 27 59 85
Dorléans Julien 26

583
Dorléans Louis 4 6,7;9)11,12)13,14,15)16,17,18,20,21,22,23
27 28 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
43 44 45 46 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58
59 60 61 62 63 64 66 67 68 69 70 71 72 73 74
75 76 77 78 79 80 81 82 84 86 87 88 89 90 91
95 97 112 118 119 120 122 123 124 125 126 127
138 139 140 148 149 150 151 153 154 156 157
158 159 160 162 166 167 171 173 174 175 176
178 179 180 181 183 184 186 187 188 191 193
194 195 197 198 200 201 202 205 206 208 209
210 212 213 216 218 220 225 227 231 232 233
234 235 236 237 239 240 242 243 244 245 246
247 248 249 250 251 254 256 257 258 259 260
261 264 265 267 268 269 270 273 274 275 277
276 278 281 282 283 284 285 286 287 288 289
290 292 293 296 297 298 304 306 309 310 312
314 319 321 324 326 327 328 329 332 333 334
335 336 338 341 342 344 345 346 347 349 350
353 367 368 370 371 373 374 375 376 377 378
379 380 381 382 385 387 388 390 392 393 394'
397 401 402 403 405';407 408 409 410 411 412
413 415 416 417 418 419 420 421 423 424 425
426 ê27 428 429 430 431 432 434 436 438 439
441 442 443 444 446 448 449 453 454 455 456
458 460 462 463 464 465 469 475 477 479 481
483 484 486 487 489 491 494 495 496 497 499
500 501 502 503 504 505 507 509 510 513 517
518 520 521 522 523 524 527 528 530 531 532
536 537 538 539 541 543 544 548 555 558
Dorléans Margueritte 30 59
Dorléans Raouland 30
Dorléans Raulet 59 85
Du Bellay 132 259
Dubois 422 438 551
Dudère
27 60
Du Maine (La croix)
23 72
Durand \\'1.
271
Epaminondas 54
Erasme 358 280
404 409
Estienne H.
273 277

584
Estienne R.
277
Fayet P.
46
Foucault 551
François 1er 95 258 286 356 485
François II 95 286 287 487
Friedrich H. 88
Fumaroli M. 89
Garrison 253
Garnier R.
27
Genette G. 468 472 476 479
Goujet Abbé P.
21 23 29 55 72 75 79 84 263
Goulart S. 42 94 565
Greive A.
527
Guise
( les frères Lorrains),
8 68 99 106 107 126 141 142
173 177 268 269 270 272 273 274 275 276 277 278
287 320 321 322 323 328 442 443 506 523
Guzman F.
43
Habsbourg 60
Hauser H.
6 36 190 292 397
Hennequin J. 415
Henri II 286 356
Henri III 43 95 98 101 109 120 125 129 130 135 159 161 166
170 173 174 175 176 177 178 180 182 188 189 200
281 286 316 318 321 375 470 523 529
Hotman Charles 32 54
Hotman Fr.
143 179 273 361
Isabelle Claire 63
Jeanin 69
Joab 420
Joyeuse (Duc de)
216
Julien(l'Apostat),
176
Jung 242 422
Languet
363
La Popelinière 143 272 275 548
Laroque(T. de),
212
La Sale(Cathérine la),
28

585
Launoy M.
105
Laurent St.
540
Lebègue R.
550
Lec1er J.
96
Le frère Jean 272 548
L'Hospital M. de 39 155 156 366 396 445
Lelong 85 190
Le Maistre J. 41
Léon III(Pape)
283
Lenient Ch. 34 38 272 478 544
Lescale M.
75
L'Estoile
(P. de)
23 36 37 41 43 44 45 46 47 48 50 54 55 56
58 59 60 64 67 70 71 74 75 81 82 94 99 105
108 110 146 148 149 167 208 212 234 241
478
Lindsay 6 24 36 85 569
Lipse Juste 87
Louchard 109
Louis VIII 219
Louis IX 219
Louis XII 142 202 219 277 356 377 485
Louis XIII 253 255 257 265 270 279 342
Luther 284 359
Machiavel 358 359 531
Marguerite(d'Autriche) , 6 331
Malherbe 29
Maingue n-eau453
Mandrou R.
102 113
Marcellesi J.
B.451
Marot 277
Marteau(La Ch.) 40 53
Mayerne(L. Turquet de)
22 41 47 48 49 83 106 109 162 193 230
253 254 257 258 259 264 418
Médicis(Cathérine de)
28 258 287 288 297
Médicis Marie 64 253 265
Melanchton 275
Ménager D. 219
Mesnard P. 109 354 356 357 359 363 365 531
MoIse 243 434
r.lolé 41 44

586
Montaigne 54 88 132 176 256 359 419
Mon\\ensier(Madame de)
106
Moreau C.
212
/
Moreri H.
72 ..
Mor-ier- H.
321
Mornay(Ph.
de)
147 364 390
Mousnier R. 101 252 254 258 263
Navar-r-e(Henr-i de;
Roi de,
Henr-i IV) 35 37 42 43 44 48 49 54
55 64 69 75 80 81 82 83 122 123 126 127 129 130
131 136 137 138 144 150 165 166 170 174 180 181
182 187 188 194 195 197 200 204 205 206 207 209
210 211 212 213 215 216 217 218 220 221 222 223
224 225 226 227 228 229 230 232 237 240 241 242
243 244 246 247 248 249 251 253 254 257 262 265
281 282 289 290 328 330 331 342 372 382 388 392
393 402 408 414 417 418 434 436 444 345 346 455
462 471 487 497 498 499 500 504 509 529 531 539
540
Nabuchodonosor- 164 202 436
Néron 176 177 181 218 486
Nully(Et.
de)
40 53
,
OrigIne 223
Ovide 65
Pallier D. 6 34 39 41 51 109 111 233 469 471 569
Pasquier E.
112 321
Patin G.
22 60 61 69 72 84 85 86
Pépin 380
Per-elman Ch. 423
Philippe Auguste 219 243 485
Phil ippe II 64
Pigenat 374 565
Pineaux J.
306 309 324 503 508 510
Platon 212 234 235 236 354 355
Plutarque 67
Pompée 538

587
Rabelais 344 356
Rapin 442
Reure Abbé 109
Roche Blond 32
Ronsard P.
29 92 132 227 276 285 346 508
Salomon(Roi) 124
SaUl 420
Savoie Louise de 258 331
Saint Augustin 223 226 355
Saint Ambroise 223
Saint Basile 176
Saint Bernard 197 504
Saint Louis 180 377 485
Saint Mathieux 223
Saint Paul 63 223 437
Scribanius(Carolus)
61
Schrenck 47
Sénéque 88
Sillery 78
Seyssel(Claude de) 356 357
Soulié Marguerite 354 361 362.364
.
St JQ.t" le K.
488
Stuart Marie 107 / ~41
Stuppéric~'
275
Synésius 27 66
Tacite 27 67
Tahureau 404
Tertullien 66 67 223 271
Tricotel 29 306 309
Vignoux G. 439
Villeroy 69 78
Viret 284
Weber H. 354 360 490 494 495
Weill G.
232 354 359 361 362 363 365
Xénophon 354
Yardéni M. 31 91 112 156 203 354 366 379 380 498 500 501

588
T A BLE
DES
r~ATIERES
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 0 0 o
_
Reconnaissance
1
Dédicace
2
Introduction Générale
3
Première partie:
La vie de Louis.Dorléans(1542-1629). 18
Introduction:
19
Chapitre 1 : De la Naissance à
L'Exil
21
A- De la naissance à
la Ligue
21
1-Date et lieu de naissance
22
2 La famille,
la formation et la maturité. 26
B- La Carrière Ligueuse(1585-1594)
32
Chapitre II:
L'Exil 1594-1603:
59
A- Anvers,
le séjour malheureux d'un réfu-
gié poli tique:
60
B- La Consolation par les Muses:
66
Chapitre III:
Le retour en France et les dernières
années de sa vie:
73
A- L'Arrivée à Paris:
74
B- La carrière finale:
8B
Conclusion de la première partie:
86
Deuxième partie:Approche de l'oeuvre politique française
de Dorléans:
90
Introduction:
91
Chapitre I:La Ligue parisienne et ses pamphlets: une
littérature de publicistes
. • . . . . . . . . . . . . . . 94
I:Origine
et objectifs idéologiques de la
Ligue:
,
95
1- naissance:
97
2- objectifs:
100
II: Les moyens de la Propagande:.............
103
1- Les moyens oratoires et visuels:
104
â-La harangue politico-religieuSe
104
b- les moyens visuels:
106
@-les pamphlets.
les placards et les tracts .. 109

589
Cfiapitre II: Les pamphlets Ligueurs de Dorléans:
116
I-L'Apologie ou defence des Catholiques:
117
11- L'AdVertissement des Catholiques Anglois .. 129
111- Description de l'homme po1itigue de ce temps
et ses deux autres titres.'··
153
IV- Premier et Second advertissements des
Çatholigues AngJ Qj s
161
V- Plaidoyé des gens du Roy
193
VI-Le banquet et apres disnée du conte d'Arète 211
Chapitre III: L'oeuvre royaliste
24&
1- Le remerciement au Roy • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
240
11- La plante Humaine sur le tresoas dl! Roy
Henry le Grand
253
Chapitre IV:
Les Manuscrits
267
1- Apologie pour messieurs de la maizon de
Guises
269
11- Histoire de l'origine de la Ligue
279
111- Les poésies politiques
293
l - · L ' · h
ec 0
f '
al t · ·
apres I d
es
eux "
e d
l ' t8 "
• • • • • • • . . . .
295
2- "Des Ministres ~
300
~
~
3- Sonnet sur la mort de Coligny
305
4 \\'S
l ' . d ' t d
' f '
t '
b'l
311
-
ur
e l
e pacl lca lO
.
5- "Sur le gouvernement de la
~
France
315
6-\\~ la louange et blâme des feus sieurs de
Guize'!
320
,1.
,
1/
7- Des dernlers troubles
325
" .
#
8- Aus prelats de France
328
~
Jj
9- Contre les Huguenots
331
~
~
1&- Des troubles de France
; 337
Conclusion de la deuxième partie
344
Troisième partie: .La stratégie polémique
dans l'oeuvre
politique de Dorléans
348
Introduction
349
Chapitre I:Le pamphlet comme modèle de littérature
engagé
351
I-Le socJe idéologique
353
A- Les théoriciens du pouvoir avant la Ligue
353
1-Traditions antiques
354

\\
590
A- Les théoriciens du pouvoir avant la Ligue
353
1- Traditions antiques
354
2- Les réflexions sur le pouvoir au XVIe siècle.
355
B- La doctrine politico-religieuse dans les
pamphlets de Dorléans
367
1- "Les lois du Royaume"
. 368
,
~'
?
2- Vers un Etat theoç\\"QIICjUf
.. 376
11- L'Histoire immédiate
. 384
A- Textes polémiques et événements socio-poli-
tiques
385
,
1- Ecrlliture et actualite
386
2- Les fonctions idéologiques des réécritures.
et des rééditions
394
B- Les visées satiriques
399
1- La satire politique et sociale
401
2- La satire religieuse
408
111- La polémique avec soi-même
413
Chapitre II:
Rhétorique du pamphlet
422
1- Art de la connivence et art de convaincre
424
A- La structure discursive et l'argumentation
425
B- Le
jeu verbal comme technique de séduction
du destinataire.;
439
11- L'argumentation:la dialectique auteur-lecteur-
adversaire
45D
,
A- La double enonciation
451
B- La lecture comme élément de l'écriture
459
Chapitre III:
De la Rhétorique à la Poétique
466
1- Du titre
468
A- Les intitulés et leurs formes
469
B- La fonction du titre pamphlétaire
472
11- Préfaces et postfaces
476
A- Les prédlaces
476
B- les Postfaces
'
48D
111- L'Histoire dans le texte:
selections et
desseins
482
IV- La métaphore à l'oeuvre
489

591
A- La société comme corps vivant
490
B- L'image de la France et de Paris
496
C- Le bestiaire polémique
503
D- Le symbolisme de quelques supports -
pamphlétaires
510
E- Un monde d'apocalypse
517
V-La présence di vine
521
VI- Le silence du texte
526
VII- L'écriture comme action
534
Conclusion de la troisième partie:
545
CONCLUSION GENERALE...................................... 548
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
559
INDEX NOMINUM
581
TABLE DES MATIERES
588