Pharm. Méd. Trad. Afr. 2004, Vol.i3, pp.i33-i39
Activités trypanocides comparées de quelques composés naturels isolés des
plantes médicinales camerounaises.
Igor NGANTCHOU. Jean-Jules NONO
Laboratoire de Chimie Bio-organique et Médicinale, Département de Chimie Organique,
Faculté des Sciences, Université de Yaoundé l, BP 812 Yaoundé, Cameroun.
E-mail: nwete@yahoo.fr
Résumé: L'étude phytochimique de quelques plantes médicinales camerounaises (Entada
abyssinica, Polyalthia suaveolens, Flueggea virosa, Enantia chlorantha) a permis d'isoler
entre autres composés naturels, cinq dont les activités .trypanocides ont été démontrées sur les
cellules de Trypanosoma brucei et sur l'enzyme GAPDH de ce parasite.
Introduction: La Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) ou Maladie du sommeil causée
par Trypanosoma brucei est une des nombreuses maladies dites « orphelines» qui a
longtemps décimé les populations africaines et qui est transmise à travers la piqûre d'une
mouche tsé-tsé (Glossine) infectée. Signalée pour la première fois en ]374 lors de la mort du
Sultan malien décédé après une longue maladie se terminant dans un état de sommeil continu,
elle n'est découverte en Afrique Centrale et au Cameroun que vers les années 1920, durant sa
deuxième pandémie grâce aux travaux du Dr. Eugène Jamot [1]. De nombreux foyers sont
alors, découverts progressivement à travers tout le territoire national. Les principaux foyers
sont enregistrés pour l'Ouest à Fontem et Manfé, pour l'Est dans la région du Nyong et à
Bafia, pour la côte camerounaise c'est le Wouri et Campo et en fin pour le grand Nord dans le
Logone et Chari [2]. C'est dans la vallée du Nyong que le Dr. Jamot mettra en œuvre ses
principes de lutte qui marquent encore profondément les services des grandes endémies
d'Afrique Centrale et Occidentale. La maladie re-émerge dans les années 1980 [3] et l'OMS
en 1998 estime à 60 millions les populations à risque et 36 000 nouveaux cas enregistrés [4].
Depuis lors, de nombreux travaux ont été menés pour lutter efficacement contre cette maladie.
Cette thérapeutique a évolué en deux phases principales: les traitements symptomatiques
(opérations
chirurgicales, applications
des
produits
vésicants,
utilisation des
plantes
médicinales) et la chimiothérapie marquée par des médicaments tels l'Atoxyl, la Suramine, la
Pentamidine, le Mélarsoprol et l'Eflornithine, Malheureusement ces médicaments sont rares,
toxiques, chers, pas toujours efficaces à tous les stades de la maladie et font face à la
résistance des parasites [5,6, 7,8]. JI est donc plus que nécessaire de continuer de chercher de
nouveaux composés naturels qui pourraient constituer de nouveaux chefs de file dans la
synthèse de nouveaux médicaments et qui offriraient le meilleur rapport qualité/prix. C'est
dans
ce
contexte
que
nous
avons
choisi,
sur
la
base
des
connaissances
ethno
pharmacologiques, quatre plantes utilisées dans la médecine traditionnelle camerounaise. Il
s'agit de Entada abyssinica (Mimosaceae) principalement utilisée pour soigner la Maladie du
sommeil
et
le paludisme
[9,
10,
l l ], Polyalthia
suaveolens (Annonaceae)
utilisée
essentiellement contre les douleurs rhumatismales [12], Flueggea virosa (Euphorbiaceae)
employée comme astringent, tonique, laxatif [] 3] et Enantia chlorantha (Annonaceae)
principalement utilisée comme antipaludéen []4]. Nous présentons donc ici, cinq composés
organiques parmi ceux isolés qui sont les plus significatifs et nous comparons leurs résultats
sur les tests d'inhibition de Trypanosoma brucei de même que sur l'enzyme glyceraldehyde-
3-phosphate déshydrogénase (GAPDH) de T brucei.
Résultats et discussion:
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Chimie
L'acide 15-méthylester kolavique (1), diterpène, est une poudre blanche ( PF: 162-163°C)
isolée à partir de l'extrait au chlorure de méthylène des écorces du tronc de Entada abyssinica
(Mimosaceae), au cours de I'élution de la colonne de chromatographie de gel de silice avec
des mélanges à portions croissantes d'acétate d'éthyle dans l'hexane.
A partir de l'extrait à l'hexane des écorces du tronc de Polyalthia suaveolens (Annonaceae),
entre autre composé organique, nous avons isolé la Polycarpol (2), triterpène, sous forme de
poudre blanche (PF : 184-186°C) et la Polyveoline (3), alcaloïde indolosesquiterpénique, sous
forme de cristaux incolores (PF: 170-171°C), en utilisant les même techniques d'analyse
chromatographique que pour 1.
La Bergénine (4), isocoumarine, quant à elle a été isolée sous forme de cristaux incolores
(PF; 132-135°C) à partir de l'extrait au méthanol des feuilles de Flueggea virosa
(Euphorbiaceae) qui faisait suite à une précédente extraction à l'hexane.
La Palmatine (5), alcaloïde berbérinique, a été isolée sous forme de cristaux jaunes (PF : 206-
208°C) à partir de l'extrait au méthanol des écorces du tronc de Enantia chlorantha
(Annonaceae) .
Toutes les structures ont été établies sur la base d'évidences spectroscopiques et par
comparaison des nos résultats aux données spectrales déjà publiées[9], [13], [15] et [16].
Biologie
Les composés 1-5 ont été testés sur les cellules de Trypanosoma brucei et sur la GAPDH,
enzyme clé de la glycolyse de T. brucei. Les résultats des tests sur la cellule sont consignés
dans le Tableau 1.
De ce tableau, il ressort que 3 et 5 sont inactifs. Dans les conditions expérimentales 1, 2 et 4
ont une activité modérée sur T. brucei car leurs IC50 respectives sont toutes comprises entre 1
et 101lM; .
.
En se basant sur le fait que les formes sanguines de trypanosomes dépendent complètement de
la glycolyse jusqu'au stade du pyruvate comme unique source d'énergie [9, 13, 14], nous
avons choisi une des enzymes clés de cette glycolyse: la GAPDH, comme cible. Les
composées 1-5 ont donc été testés sur cette enzyme et les résultats sont reportés dans le
Tableau 2.
A partir de ce tableau, 1 apparaît comme le composé le plus actif et comme un inhibiteur
sélectif de la GAPDH du parasite, sélectivité qui est 66 fois plus importante pour la GAPDH
de T. brucei (IC50: 0,012mM) que sur celle du muscle du lapin (IC50: 0,800mM) choisi ici
comme mammifère de référence. Les meilleures activités inhibitrices sont ensuite celles de 3
et 4 qui sont deux fois plus importantes sur la GAPDH de T. brucei que sur celle du muscle
du lapin.
De plus, la faible activité inhibitrice observée sur la GAPDH du muscle du lapin ( de l'ordre
de 0,800mM) serait intéressante compte tenu du rôle important que joue la GAPDH dans
plusieurs pathologies humaines telles l'apoptose [17J et le cancer[ 18].
Partie expérimentale
Généralités:
Les points de fusion (PF) ont été déterminés sur un appareil de type Büchi Melting Point B-
540 et ne sont pas corrigés. Les analyses CCM ont été réalisées sur des plaques préfabriquées
de silice de 0,25 mm d'épaisseur (Merck, Silica gel 60 F254), elles étaient visualisées sous
lumière UV et préférentiellement en aspergeant de l'acide sulfurique dilué à 50% suivi d'un
chauffage ultérieur (spots noirs). Les chromatographies sur colonne ont été faites sur gel de
silice (Merck silica gel 60; 70-230 mesh). Les spectres de RMN ont été enregistrés sur
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différents appareils: 1, 2, 3 et 4 sur un spectromètre Brucker de SOOMHz à 2SoC et 5 sur un
spectromètre JEOL, JMN EX de 400MHz dans ~S% de solution à 2SoC. Tous les spectres IR
ont été enregistrés sur un spectromètre Mattson Polaris FTIRdans la phase solide KBr.
Matières végétales:
Les écorces du tronc de Entada abyssinica (Mimosaceae) ont été récoltées à Dschang
(Province de l'Ouest, Cameroun) en Décembre 200 1, celles de Polyalthia suaveolens
(Annonaceae) au Mont Elournden (Province du Centre, Cameroun) en Décembre 2001, celles
de Enantia chlorantha (Annonaceae) à Edéa (Province du Littoral, Cameroun) en Mars 1995 ;
et les feuilles de Flueggea virosa (Euphorbiaceae) le long de la route à Obala (Province du
Centre, Cameroun) en Mars 1999. En dehors de P. suaveolens qui a été identifiée par Koufani
Anaclet de l'Herbier National du Cameroun, toutes les autres l'ont été par le Pro B. Sonké de
l'Herbier National du Cameroun
et du « National Botanic Garden» de Belgique. Des
spécimens Voucher de toutes ces espèces ont été déposés à l'Herbier National du Cameroun.
Extractions et isolements:
S Kg d'écorces du tronc de Entada abyssinica (Mimosaceae) ont été pulvérisées et macérées à
froid
à température ambiante avec le chlorure de méthylène pendant six jours. Le résidu
obtenu après évaporation sous pression réduite a été épuisé à l'hexane. Nous avons pu obtenir
ainsi 73g d'un extrait à l'hexane. Cet extrait a été chromatographié avec succès sur gel de
silice en utilisant comme éluant le système hexane/acétate d'éthyle (4/1). Nous avons obtenu
330mg du composé 1.
6 Kg d'écorces du tronc de P. suaveolens (Annonaceae) ont subi la même technique
d'extraction mais en utilisant seulement l'hexane, on a pu obtenir ainsi ISOg d'extrait à
l'hexane. Les analyses chromatographiques successives menées nous ont permis d'isoler
3S0mg de 2 et SOOmg de 3. Leurs données spectrales (RMN I3C et IH) sont consignés dans
les tableaux 3 et 4 respectivement.
De même, 2,SKg des feuilles de Flueggea virosa (Euphorbiaceae) ont été pulvérisés et
macérés à froid et à température ambiante pendant4Sh avec le méthanol. L'extrait au
méthanol a été concentré et déposé à température ambiante, après quelques heures il y a eu un
dépôt qui a été filtré pour donner 20g de 4 impur. Le filtrat et l'extrait au méthanol ont été
mélangés et
concentrés
à sec
sous
pression réduite.
La
fraction
résultante
a été
chromatographiée sur gel de silice pour donner 3g de Bergénine (4) pure.
D'autre part, 2Kg d'écorces du tronc de Enantia ch/oran/ha (Annonaceae) ont été macérées à
froid et à température ambiante dans le méthanol pendant trois jours. Après filtration et
évaporation sous pression réduite, les 200g d'extrait obtenu ont été traités avec 21 de HClaq
(l0%) pour former un précipité qui après filtration a donné 30g d'un mélange solide jaune
(A). Le filtrat a été extrait plusieurs fois au CHCb et lyophilisé pour donner SOg d'un solide
(B). La moitié de B a été chromatographié sur gel de silice en utilisant des portions
croissantes de CHCh dans l'hexane. Cette technique nous a permis d'obtenir 2g d'un cristal
jaune qui après recristallisation dans le méthanol a donné 1,2g de 5.
Les données spectrales de ces composés ont précédemment été publiées, respectivement [9],
[13J, [ISJ et [16].
Activité inhibitrice de T. brucei :
Les screenings primaires sur Trypanosoma brucei brucei ont été réalisés dans les Laboratoires
d'évaluation et de screening WHOITDRJDDR.
Etudes d'inactivation de la GAPDH de T. brucei:
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Les
activités
enzymatiques
inhibitrices
des
composés
1-5
ont
été
réalisées
par
spectrophotornétrie suivant les travaux de Willson M. et col. de 1994 [19]. Les enzymes
GAPDH de T. brucei ont été produits et purifiées selon Hannaert et col. 1995 [20] et celles du
muscle du lapin obtenues de « Boehringer Mannheim» et « Sigma-Aldrich Chemical
Company».
Remerciements:
Ces travaux ont été réalisés grâce aux apports financiers conjoints de FIS-OMPAC (Fond
International pour la Science - Organisation Mondiale pour la Prohibition des Armes
Chimiques), de l'Union Européenne (INCO-OC , ICA4-CT-200l-10075) à B. Nyasse. Les
auteurs expriment toute leur reconnaissance aux collaborateurs B. Sonké, PAM Michels, V.
Hannaert, R. Pink, F. Opperdoes, O. Cotton, R. Brun, C. Philouze, C. Morin, C. Fontaine, C.
Denier, L. Gilmore, G. Oliva pour leur parfaite collaboration.
Références:
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[2]. www.sleeping-sickness.com/thacameroun.htm
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Tableau t : Activités inhibitrices de 1-5 sur T. brucei. (IC su en ~M)
Composés
T. brucei
Drogues de Référence
1
1,7
Suramine: 0,044
2
7,7
Mélarsoprol : 0,00395
3
18.2
Mé1arsoprol : 0.00395
4
1.0
Suramine : 0,22
5
40,0
-
Tableau 2 : Inhibition de la GAPDH de T. brucei (ICso en mM)
Composés
GAPDH de T. brucei
GAPDH du Muscle du Lapin
1
0,012
0800
2
0,660
0,830
3
0,300
0,650
4
1,000
2,000
5
0,035
-
1
137

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COOCH3
COOH
1
""IIIIOH
HO
2
3
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0
HO
~
OH
H3CO
OH
0
OH
CH20H
4
139