Pharm. Méd. Trad. Afr. 1998, Vol. JO, pp. 114-127
QUELS REMEDES POUR LES PRINCIPALES PATHOLOGŒS
DU DROMADAIRE CHEZ LES TOUAREGS DE LA REGION
DE TCHIN-TABARADEN (NIGER)
Par
AG ARYA Moussa
Université Abdou Moumouni de Niamey
Faculté des Sciences, Département de Biologie
B.P. 10662 Niamey - Niger
RESUME
Les
éleveurs
touaregs
utilisent,
pour
traiter
les
pathologies
camelines,des
tradimédicaments qui s'inscrivent dans le cadre de leur environnement immédiat. Ces
derniers varient de la saignée aux planes médicinales en passant par les produits et
sous-produits animaux. Quelques vingt principales pathologies ont été décrites contre
lesquelles une centaine de remèdes sont utilisés. La collaboration de ces éleveurs avec
les services d'élevage, quand elle existe, est très timide, rriâlgré les limites d'efficacité
de tradimédicaments. Le traitement le plus utilisé en matière de pathologies camelines,
est la saignée, qu'elle soit seule ou associée à des produits animaux ou à des plantes
médicinales.
Mots-clés : Pathologies camelines - Remèdes - Tradimédicaments -Saignée -
Produits animaux - Plantes médicinales.
INTRODUCTION
L'élevage, seconde activité économique du monde rural, occupe et fait vivre une
frange importante de la population nigérienne, composée essentiellement d'éleveurs
nomades. En zone pastorale, ces derniers sont traditionnellement attachés à des aires
de transhumance qu'ils parcourent en fonction de la disponibilité des pâturages. Ces
pâturages saisonniers et tributaires des eaux de pluies, en raison du type de climat qui
prévaut dans notre zone d'étude, conditionnent de façon importante la vie et/ou la
survie des animaux et indirectement celle des éleveurs.
Tchin-Tabaraden, situé au Nord de Taboua et au Sud Ouest d'Agadez a un clirruit de
type semi-aride, impropre aux activités agricoles en particulier dans sa partie Nord,
du fait de la mauvaise répartition des pluies aussi bien dans le temps que dans
l'espace.
.
..
- 114 -

Les animaux ont une ration alimentaire suffisante seulement en saison hivernale,
période au cours de laquelle ils doivent récupérer des forces pour affronter et surtout
survivre à la longue traversée de la sécheresse.
L'àptès hivernage, caractérisé par une insuffisancèd'eau et de pâturages, à laquelle
s'ajoutent des maux spécifiques à chaque saison, rend les animaux davantage plus
vulnérables à toutes les formes d'agressions microbiennes. Cette situation est d'autant
plus justifiée que les éleveurs et leurs animaux sont très peu touchés par l'action
médicale. Nous nous sommes intéressés au cours de notre étude, à l'élevage camelin
et plus particulièrement aux pathologies les plus fréquentes du dromadaire, ainsi que
les divers remèdes utilisés par les éleveurs pour traiter ces maladies.
Les éleveurs, contraints de trouver, dans leur propre environnement, les médications
nécessaires pour soulager la souffrance des malades, ont appris à connaître les plantes
et en particulier celles à vertu médicinale.
Nos interlocuteurs appartiennent à toutes les couches sociales de la région et sont
disséminés dans un rayon de 50 km tout autour de Tchin-Tabaraden.
L'étude s'est déroulée durant la saison pluvieuse 1998, année où le Niger dans
l'ensemble, a connu une pluviométrie jamais égalée depuis les années 1930 selon le
service météorologique national. Les pâturages ont été très abondants dans l'espace,
en particulier dans la zone d'étude, où nous avons parfois eu à visiter de très
importants campements du fait de la très faible mobilité des éleveurs (contrairement
à leurs habitudes).
Il faut cependant souligner que les pathologies du dromadaire ont été étudiées chez les
touaregs, car il nous semble que de façon générale, ils sont beaucoup plus experts du
dromadaire bien qu'ils fassent l'élevage des caprins, ovins, asins, équins ....
Nous avons ainsi répertorié, sur la base des informations recueillies, une vingtaine de
maladies que nous citerons en vrac avec leur dénomination en Tamacheq (langue
touareg) et le nom scientifique entre parenthèses pour celles qui ont été identifiées ou
reconnues.
J.
RECONNAISSANCE DU DROMADAIRE MALADE
De façon générale, les touaregs admettent que le dromadaire est un animal noble à la
fois sensible et très expressif dans son comportement. D'autres iront jusqu'à dire que
le dromadaire a quelque chose d 'humain ou que Dieu a créé le dro~aire et le
touareg ensemble, car ce sont deux êtres dont le sort est toujours lié car l'un est fait
pour l'autre. Tout comportement inhabituel du dromadaire est suspect et fera l'objet
d'une attention particulière de l'éleveur.
- 115 -

Les comportements les plus fréquemment cités sont : la tristesse, le regard pitoyable,
l'irwnination, les poils piqués, larmoiements, les oreilles lâchées, une position assise
ou debout longuement entretenue, pas de, broutage ou de breuvage, le cou
fréquemment allongé sur le sol. Nous avons 'eu'te privilège de rencontrer quelques
spécialistes du dromadaire qui nous ont affinnéqu'ils n'ont jamais eu affaire aux
services de l'élevage, car leurs médications ont toujours merveilleusement bien marché
et n'envisagent d'ailleurs pas faire recours à leurs soins, malgré l'avancée de la
science médicale.
n.
LES PRINCIPALES PAmOLOGIES DU DROMADAIRE
1.
Ami ou Eguer n'imi (congestion)
Eguer n'izni ou Ami plus simplement est l'une des maladies qui attaquent le
dromadaire à tout âge. Les touaregs pensent qu'elle a principalement deux causes :
1.
l'animal est soumis à un effort trop intense auquel il n'a pas été préparé ou
entraîné (course de vitesse subitement amorcée, très longue marche avec ou sans
poids .. ),
2.
l'animal a brouté de l'herbe avec la rosée matinale, ou a bu une eau polluée
ou croupie.
1
Le remède le plus couramment utilisé est la saignée. Elle peut se faire sur la veine
frontale, la veine jugulaire ou la veine caudale. La saignée de la veine frontale est
surtout pratiquée sur les jeunes individus (chamelons de 2 à 3 ans) et celle de la veine
jugulaire beaucoup plus pratique pour les dromadaires de plus de quatre ans surtout
s'ils sont gras. La saignée de la veine caudale est rarement utilisée et toujours associée
à l'une des deux précédentes (ou aux deux en cas d'atteinte grave). Très peu
d'éleveurs utilisent le garrot ou la ligature pour faire saigner par incision, au niveau
de la veine jugulaire. Il suffit simplement de baisser la tête de l'animal pendant
quelques 3 à 5 min pour que la veine jugulaire soit gonflée de sang et la saignée dure
en fonction de la gravité de l'atteinte (beaucoup de sang pour les individus gravement
malades). D'autres éleveurs recommandent un abreuvage très abondant des animaux
atteints avant de faire la saignée, qui peut être unique ou en une fois pendant -3 jours.
Lorsque le volume de sang dégagé est jugé suffisant, on relâche la tête de l'animal,
qui en la relevant, provoque systématiquement l'arrêt de l'écoulement sanguin.
Certains éleveurs, en plus de la sai~née, mettent de la poudre de tabac dans les yeux
de l'animal ou le jus concentré de tabac dans la gueule et les narines.
Une autre recette consiste également à piler les feuilles de Boscia senegalensis, les
diluer dans l'urine de brebis, laisser reposer le mélange pendant 24 h, fIltrer et donner
à l'animal le filtrat par voies orale et nasale pendant trois jours (pas de saignée dans
ce cas).
- 116 -

2.
Ajiwid (gale)
Ajiwid se reconnaît par une peau dégarnie par endroits avec parfois des parties
suintantes. C'est une maladie très contagieuse qui survient en saison sèche. Les
remèdes utilisés sont divers :
a.
Appliquer l'huile de vidange sur les parties atteintes,
b.
Mélanger des morceaux d'os pilés aux amendes de fruits de Balanites
aegyptiaca, faire cuire très longtemps et mettre le goudron obtenu sur les parties
malades,
c.
Mettre du HCH dans du beurre frais et appliquer sur les zones malades,
d.
Faire cuire des coloquintes amères (Citrullus colocynthis) dans du sable chaud,
puis casser en petits morceaux et frotter sur les parties malades,
e.
Mélanger amendes de fruits, écorces et Balanites aegyptiaca et gomme de
Acacia seyel ou de Acacia ehrenbergiana ; faire cuire le mélange pendant plusieurs
heures, et le goudron obtenu sera appliqué sur les parties dégarnies,
f.
Mélanger Tribilus terrestris , amendes de fruits de Balanites aegyptiaca dans
une mannite qu'il faut recouvrir d'un tesson d'argile cuite perforé par endroits. Mettre.
dessus, une 2ème mannite renversée et enfouir le montage dans un trou contenant du
feu pendant 6 à 12 h. Le lendemain, recueillir une solution noirâtre qu'il faut
appliquer sur les parties malades. Cette recette est communément appelée "alkabri".
Dans
ce
mélange,
on
peut
également
retrouver
les
écorces
de
Calotropis procera et Boscia senegalensis.
3.
Azarwal
Le symptôme le plus frappant est que l'animal ayant le cou tendu et la tête haute, est
incapable de la baisser pour brouter l'herbe et ne peut manger que dans les arbres
hauts. Pour guérir cette maladie il y a un jeu de remèdes divers:
a.
Repérer au toucher toutes les articulations du cou (sur les deux faces), faire
une incision en croix au niveau de chaque articulation,
b.
Faire un garrot à la base de la queue et inciser sur sa, face interne la veine qui
fait saillie,
c.
En plus de la recette a., faire des incisions au niveau des épaules, y introduire
un petit bâton comme pour détacher la peau de la chair et faire une grande
scarification au dessous et en demi-lune, à la base du cou,
- 117-

d.
Maintenir . l'animal en position assise (baraquée), l'asperger d'eau froide,
ensuite allumer du feu et appliquer par moments, les bouts de bois brûlants .sur son
corps mouillé.
4.
Awininak
Cette maladie se reconnaît par l'apparition d'une crevasse au milieu de la bosse
thoracique (excroissance sternale) et d'une grosse plaie au dessous et à la base de la
langue. Les remèdes utilisés sont variés:
a.
Tirer la langue et dégager sur sa face interne, à l'aide d'un scalpel, la plaie
et appliquer du sel à l'endroit ensuite faire des scarifications entre les épaules, les
oreilles, à la base de la queue et .-ea1.!-t~fiser chaque scarification, .
b.
Soulever la langue et faire une incision au dessous et à la base de la langue; sur
toute sa largeur, puis appliquer du sel. Cette opération est accompagnée d'une)~utre
saignée au niveau de la veine frontale,
c.
Scarifier tout autour de l'excroissance sternale, cautériser toutes ces
scarifications et appliquer aussi le fer rouge dans la blessure siégeant au milieu de la
bosse thoracique,
. ..,.1,"
d.
Retirer complètement la langue et inciser en ligne sur toute la longueur de III
langue et faire des scarifications en croix entre les oreilles, à la base du cou (~uri leS
deux faces), entre les épaules, à la base de la queue et sur la bosse thoracique à
l'endroit où siège la crevasse.
5.
Manchach (Trypanosomiase)
Cette maladie est caractérisée par un amaigrissement prononcé et une grande tristesse
(larmoiement, prostration...). Elle serait due à une sous-alimentation, ou à l'ingestion
d'une "mauvaise eau". Les éleveurs la soignent par plusieurs procédés:
a.
Ecraser les feuilles de Boscia senegalensis dans l'eau contenant du sel rouge
et donner le ftltrat en Qüisson,
b.
Poudre de tabac et feuilles écrasées de Boscia senegalensis, à diluer dans
l'urine de brebis. Laisser reposer et le lendemain, ftltrer et donner en boisson et dans
l-
1es narines,
I.
c.
Ecorces et feuilles de Boscia senegalensis, pétioles de tabac et écailles
d'oignons à piler et diluer dans l'urine de brebis, laisser reposer le mélange et le
lendemain, le filtrat est administré par les narines et le résidu à faire avaler,
- 118-

d~
Ecraser les feuilles de Bosda senegalensis dans l'eau froide ou le lait de
vache; filtrer et introduire la solution dans les narines,
e.
Tuer un animal bien gras (chacal, loup, chien, et rarement mouton), cuire la
viande pendant longtemps, dégager les os et faire avaler au dromadaire, toute la
viande avec son jus,
f.
Farine de mil diluée dans du lait aigri, y ajouter du piment et mettre dans une
petite outre (aimouar) qu'il faut fermer hermétiquement en attachant l'ouverture
pendant 4 à 7 jours. Ce délai atteint, remuer le contenu de l'outre et lé
fa ire
avaler à l'animal.
6.
Inalagh ou lnaguamba (charbon symptomatique)
Cette maladie est caractérisée par une inflanunation des épaules et de la base du cou.
Son remède le plus efficace serait un "rafraîchissant" (Issismad), car il semble que
c'est une maladie provoquée par la chaleur. Les soins apportés au dromadaire malade
sont variés :
a.
Saignée au niveau de la veine jugulaire et privation d'eau (diète hydrique)
pendant 14 jours, mais douche froide régulière,
b.
Poudre de pierre rouge à diluer soit dans du lait de vache soit de brebis (on
y ajoute quelque fois des écailles d'oignons écrasées) et appliquer la pâte sur les
parties enflées,
c.
Diluer la bouse de vache dans l'eau, laisser reposer jusqu'au lendemain et
appliquer la pâte sur les parties enflées.
7.
Akarzoukid (charbon bactéridien)
L'indice qui permet de reconnaître cette maladie est la chute des larmes directement
au sol sans couler sur les joues. Les épaules enflées, des nodules sont observés à l'aine
ou parfois dans la région amygdalienne. Pour les traitements, il y a quelques remèdes:
a.
Douche froide qu'il faut administrer au dromadaire malade, le garder à
l'ombre,
b.
Asperger les parties enflées d'eau froide, l'administrer par voie nasale
plusieurs fois par jour pendant 4 à 7 jours et toujours à l'ombre,
c.
Donner en boisson du lait de brebis seul ou mélangé à son urine,
- 119-

d.
Diluer la poudre de pierre rouge dans du lait de brebis, appliquer la pâte sur
les parties enflées et maintenir l'animal à l'ombre.
r
8.
Tozza (broncho-pneumonie)
Cette maladie est fréquente en saison froide et disparaît en saison sèche. Elle est
caractérisée par beaucoup de jetage, larmoiement, toux intense ressemblant à la
coqueluche des enfants. Deux remèdes sont apportés :
a.
Diète hydrique pendant 3 jours accompagnée de douches froides, tout en
gardant l'animal à l'ombre,
b.
Faire courir le dromadaire malade sur près d'un km contre le vent, pour
"casser" la membrane pulmonaire supposée emprisonner la maladie, ce qui amènera
l'animal à tousser et à rejeter le mal, soit par expectoration soit par reniflement.
9.
Eguêd (toux sèche)
Prendre un bois en V, l'intercaler entre les 2 mâchoires du dromadaire, introduire la
main dans la gueule jusqu'au delà de l'épaississement de la langue pour tomber dans
une sorte de poche, prélever en plusieurs fois le liquide qui s'y trouve jusqu'à la
vidange complète. Cautériser entre les oreilles, en cercle avec une croix à l'intérieur.
10.
Tenaday (fièvre de 2 à 3 jours)
Le dromadaire a les poils hérissés avec très souvent des manifestations tétaniformes,
et le corps chaud. On la soigne en:
a.
Imposant une diète hydrique de quelques jours à l'animal,
b.
Attachant l'animal à l'ombre, lui administrer une douche froide (plusieurs fois)
et lui mettre dans les narines le filtrat d'un mélange composé de piment, poudre de
Phyllanthus pentandrus, écailles d'oignons écrasées dans du lait ou de l'eau froide.
1
11.
Tabbaket (Cataracte ou cancer de l'oeil
i
?)
!
1
1
Dans ce cas, il se dépose une pellicule blanchâtre qui peut parfois recouvrir totalement
j .
l'oeil, à cela s'ajoute un larmoiement abondant et l'oeil est demi-ouvert. Il y a un jeu
de remèdes pour cette maladie :
1
j

a.
Cautériser tout autour de l'oeil atteint,
1
1
1
!k
!
- 120-
~l

b.
Faire une incision en demi-lune sur l'arcade sourcilière,
c.
Ecraser des dattes dans l'eau froide ou dans le lait de brebis et mettre en
instillation, quelques gouttes dans l'oeil malade pendant 5 à 10 jours.
12.
Tamaqataste (déchirure musculaire)
Elle survient lorsque le dromadaire chute dans Un trou, fait un faux pas, glissade ou
une forte ruade violemment amortie. Le seul remède qui nous a été rapporté consiste
à faire 4 incisions verticales et parallèles sur l'endroit douloureux, mettre le couteau
sous les 2 scarifications du milieu et soulever la peau de façon à les communiquer
l'une à l'autre, retirer le couteau et introduire les poils tirés de la queue et bien
attacher la peau comprise entre les deux incisions médianes.
.
13.
Atoufi (trouble nerveux)
Le dromadaire atteint, court dans tous les sens, tombe, roule, se mord les flancs,
plonge la tête dans les feuillages d'arbres. Les touaregs considèrent qu'un tel
comportement inhabituel est imputable à une folie subite. Ils incriminent les génies ou
le mauvais sort. Deux remèdes nous ont été ràpportés :
a.
Faire des incantations coraniques pour sauver le sujet, qui doit aussi boire une
eau (sainte) avec laquelle on a lavé des versets coraniques écrits sur des ardoises en
bois,
b.
Faire baraquer l'animal, attacher ses genoux, poser des garrots sur ses épaules,
puis 3 à 5 min après, faire de nombreuses scarifications sur les deux épaules. Laisser
couler le sang pendant un certain temps, puis enlever les garrots et appliquer du sable
chaud sur les deux épaules sanguinolentes ~
14.
Ajarjar
C'est une maladie dont les touaregs ignorent la cause. Il y a deux indices qui
permettent de la reconnaître: l'animal en pâture tombe subitement (alors qu'il paraît
bien portant) et/ou par des mouvements de va et vient, fait passer l'une de ses pattes
postérieures entre les pattes antérieures comme s'il veut gratter la région thoracique.
Le remède approprié est la saignée selon deux procédés :
a.
Faire des scarifications sur les 2 côtés du cou, de la base jUsqu'aux oreilles et
au niveau de toutes les articulations, appliquer ensuite le fer rouge sur les incisions
sanguinolentes ,
- 121 -

b.
Faire des scarifications au niveau, et à la fois, des veines frontale et jugulaire,
de toutes les quatre pattes et de la queue.
15.
Adyal ou Amanos (plaie dans la patte antérieure)
Elle se traduit par l'infection d'une petite et bénigne blessure au départ, due à une
épine ou une crevasse et qui s'aggravera lorsque la sole est maltraitée par un terrain
rocailleux, marécageux ou même très dur. Il y a quelques remèdes:
a.
Mettre un couteau au feu, puis couper l'ongle à la base, de la patte atteinte,
pour faire couler pus et sang contenus dans l'enflure (cautérisation souvent ajoutée),
b.
Mettre des écorces de Acacia senegalensis dans l'eau, puis chauffer. L'eau
brûlante sera ensuite versée sur la plaie,
c.
Mélangé le latex de CaJotropis procera au beurre frais ; laisser reposer un
moment et appliquer en douceur sur la blessure.
16.
Tafaday (plaie de bât ou de selle)
a.
On incise la plaie pour vider le contenu (pus et sang) et y mettre une pâte faite
à base de feuilles écrasées de Cassia crassifoiia cuites dans du beurre ou la graisse
animale. On attache ensuite un morceau de chiffon aux poils de la bosse, pour
prévenir la venue des oiseaux et autres insectes qui seraient attirés par la blessure,
b.
Après incision et expression du contenu de la plaie, remplir de poudre de sel,
ou de résidu noir de pile sèche ou également de poudre de tessons de bouteilles,
c.
Cautériser en cercle tout autour de la plaie.
17.
Anafad (Sinusite)
a.
Inciser la partie enflée, généralement le chignon, vider le contenu et cautériser
en cercle avec une croix à l'intérieur,
b.
Inciser l'enflure, exprimer le contenu et appliquer les feuilles écrasées de
Cassia crassifolia cuites dans du beurre,
c.
Faire une scarification longitudinale qui débute entre les oreilles, passe entre
les yeux, et s'arrête au niveau de la région sinusale et transversalement, d'autres
incisions du chanfrein au devant des yeux, puis entre les oreilles et après cette saignée,
appliquer du beurre frais.
- 122 -

18.
Touffite (diarrhée)
Elle est rarement observée chez le dromadaire adulte mais très fréquente chez le
chamelon. 11 y a quelques remèdes, mais qui ont montré leurs limites :
a.
Donner l'eau savonneuse en boisson ou régulièrement de l'eau froide au petit
matin,
b.
Ecraser les feuilles de Acacia radiana et Boscia senegalensis, les mélanger à
de l'argile puis diluer dans l'eau, laisser reposer et donner le filtrat en boisson,
c.
Donner du lait frais de vache ou de brebis en boisson,
d.
Ecraser les feuilles de Acacia radiana'puis faire avec, des boules à mettre dans
la gueule du chamelon pour mâchage,
e.
Mélanger écorces de Cordia sinensis et argile, puis diluer dans l'eau, filtrer
et donner en boisson.
19.
Iban-tanakra (stérilité)
Lorsque la chamelle, après plusieurs accouplements n'est pas fécondée, quelques
remèdes sont utilisés :
a.
Mettre la main dans la partie vaginale, faire des triturations de la vulve comme
pour la déboucher et faire l'accouplement. Cette technique est souvent accompagnée
d'une saignée abondante au niveau de la veine jugulaire, et parfois on dépose sur les
bords de la vulve quelques grains de sel,
b.
Faire souffrir la chamelle par une longue et difficile épreuve de marche. Après
épuisement, procéder à l'accouplement,
c.
Faire une saignée abondante au niveau de la jugulaire et présenter la chamelle
au mâle,
d.
Poser un garrot à la base de la queue, et inciser dans la zone terminale de sa
face interne, laisser couler beaucoup de sang avant de faire l'accouplement.
20.
Intoxication
L'ingestion de quelques espèces végétales toxiques, provoque .des troubles pouvant
entraîner la mort de l'animal. Il Y a des remèdes pour secourir le dromadaire

intoxiqué:
- 123 -

a.
Faire courir l'animal contre le vent pour le purger,
b.
Lait frais ou aigri (caillé) à administrer par voie orale ou nasale,
j
c.
Asperger régulièrement l'animai d'une eau froide avec souvent des incisions
au bout des oreilles,
d.
Donner de l'huile ou du beurre fondu par voies orale et nasale,
1
e.
Tuer un animal gras et recueillir son sang pour le faire boire à l'animal
intoxiqué, puis cuire la viande sans épices et donner son jus en boisson,
f.
Donner de l'eau salée ou contenant la poudre de tabac en boisson, puis faire
courir -l'animal,
g.
Mélanger les feuilles écrasées de Ziziphus TTIlluritiana et la poudre séchée de
jujubes (fruits de Ziziphus TTIlluritiana), puis diluer dans l'eau. Laisser reposer et
donner le filtrat en boisson,
h.
Faire des scarifications sur les pattes postérieures au niveau des cuisses, avec
ou sans incisions supplémentaires au bout des oreilles.
(
21.
Assam (Morsure de serpents)
a.
Inciser la partie enflée et verser dessus, par moments, du lait chaud,
b.
Scarifier ou piquer à l'épine l'endroit enflé et laisser couler le liquide
venimeux,
c.
Brûler un morceau de pneu, pour fumigation de l'animal,
d.
Brûler des feuilles de Calotropis procera et mettre la poudre noire sur la partie
enflée,
e.
Placer un garrot au dessus de la morsure, réciter des versets coraniques sur
l'endroit enflé.
Nous ne terminerons pas ce répertoire de maladies et remèdes sans évoquer une bien
curieuse maladie pour l'esprit cartésien, causée par la mauvaise langue ou le mauvais
oeil et encore l'oeil envieux et communément-appelée Taguarchark en milieu touareg.
1
r
C'est une maladie d'ordre psycho-sociologique fortemenf-redoutée car d'approche
thérapeutique complexe. Pour comprendre ses contours, il faut déjà dire que les
1;
compliments en milieu touareg, sont très tnal acéeptés et <sùscit~ntplus de méfiance
que de plaisir. n est impoli et même incorrecftle dire à quelqu'un qu'il a un beau
dromadaire, un beau chien, une belle -selle ou même de beaux yeux. La seule
- 124 -

explication que l'on trouve aux compliments est une envie exprimée, avec en toile de
fond, une méchanceté dont l'objectif est de détruire ou abîmer: ce qui fait la
particularité de celui qui reçoit les compliments. Pour prévenir donc ce mal de cause
abstraite, on fait recours aux croyances mystico-réligieuses qui sortent du cadre de la
présente étude faisant beaucoup plus état, des guérisseurs laïcs et qui utilisent, pour
guérir ou soulager, tout ce qu'il y a de concret dans l'environnement naturel immédiat
(plantes, animaux, lait, urine, sang, excréments, ...).
DI.
ANALYSE ET COMMENTAIRES
Sur l'ensemble des données collectées, nous pouvons scinder les remèdes en trois: la
saignée, les plantes médicinales et les produits animaux (lait, beurre, urine,
excréments). La saignée représente 38 % des remèdes utilisés dans le traitement des
maladies du dromadaire, tandis que les produits animaux et les plantes médicinales
'interviennent respectivement dans les proportions de 27 et 18%. Dans les trois cas,
ces remèdes peuvent être utilisés seuls ou en combinaison avec d'autres produits, ou
techniques. L'ordonnancement ainsi obtenu confirme les données générales selon
lesquelles les maladies plus fréquentes du dromadaire sont celles du "sang" et qui se
soignent inéluctablement soit par la saignée seule ou associée à d'autres techniques.
Viennent ensuite les produits animaux puis enfin les plantes médicinales composées
essentiellement d'arbres épineux et arbustes.
Il est cependant important de souligner que Boscia senegalensis, plante non appetée
par les animaux, est utilisée dans près de 50% des traitements à base des plantes
médicinales. Elle est omniprésente dans ces médications et dans le même temps,
menacée de disparition.
L'utilisation d'arbres et arbustes, avec souvent des herbes saisonnières ainsi que les
produits animaux, est la parfaite illustration de l'adaptation des éleveurs touaregs à
leur environnement naturel.
Il n'y a pas à proprement parler de classe ou de tribu de tradipraticiens en société
touarègue. La maîtrise de la médication s'acquiert sur la base de la diversification
d'expériences vécues et précisément sur un sens poussé de l'observation et une
méticuleuse assimilation des remèdes qui se sont avérés efficaces.
Dans cet univers apparemment simple, tout est perçu comme s'il y a un ensemble de
forces convergentes et divergentes mais. dont la résultante tend vers un être à la fois
abstrait et puissant qui semble merveilleusement diriger le monde entier. Ce dernier
est le seul à pouvoir créer, supprimer, autoriser ou empêcher.
.
La pratique de la médecine traditionnelle vétérinaire n'est ni héréditaire ni rémunérée
chez les touaregs, et l'efficacité des traitements administrés tient beaucoup plus au
pouvoir ou à la crédibilité du prescripteur plutôt qu'à la valeur intrinsèque de la
drogue. Le tradipraticien est d'autant plus crédible qu'il a accumulé dans sa riche

1
expérience, beaucoup de succès dans les traitements administrés ou recommandés.
i
L'explication communément admise est que Dieu a mis "le médicament dans les
1
mains" de quelqu'un.
i
Les maladies les plus redoutables sont Ami (congestion), Akarzoukid (charbon
bactérien), Inalagh (charbon symptomatique), Manchach (trypanosomiase) et Ajiwid
1
(gale) car peuvent provoquer la mort à court, moyen et long terme.
L'utilisation de Boscia senegalensis et/ou de Balanites aegyptiaca dans le jeu de
1
remèdes administrés dans le cas de la congestion, la trypanosomiase et la gale montre
qu'il s'agit de maladies d'origine parasitaire car d'une part, il a été montré que
Balanites aegyptiaca a de propriétés fortement antiparasitaires (Guissou et CoU') et
1
d'autre part, les éleveurs pensent que le breuvage aux eaux de mares, où pilulent
taons, moustiques et autres parasites, serait à l'origine de tous les maux précités.
1
l,
Les analyses du sang, de selles et les ponctions musculaires permettraient sans doute
~
de déterminer la ou les cause(s) de ces maladies, mais également orienteraient sur les
thérapies appropriées.
f
Quant aux troubles nerveux observés chez le dromadaire, les touaregs parlent d'animal
fou ou habité par le démon. Dans ce cas de figure, où le comportement de l'animal
change, Planchenault, D. et Richard, D.3 rapportent que ces troubles du comportement
1
sont à rapprocher de ceux provoqués par les larves de Cephalopsis titilator, parasites
1
du sinus du dromadaire. Les larves en provoquant de lésions' de sinus, peuvent
entraîner des compressions du cerveau, avec pour conséquence, le changement dans
f
le comportement avec une issue souvent fatale.
1
En ce qui concerne les maladies non identifiées (Ajarjar, Azarwal, Awininak), leur
1
détermination requiert, en plus de la symptomatologie décrite, des analyses fines de
1
laboratoires.
,
L'usage de quelques produits modernes tels que le résidu noir de piles sèches, le
"
HCH, insecticide à large spectre d'action, les morceaux de pneu, les tessons de
bouteilles .... , montre la prise en compte dans les traitements, des éléments d'un
1
apport extérieur car ne faisant traditionnellement pas partie de l'environnement
immédiat.
La liste de pathologies, loin d'être exhaustive, retrace seulement les maladies souvent
citées par les éleveurs qui, contrairement aux tradipraticiens généralement méfiants,
ont fait preuve d'une extraordinaire ouverture mais aussi d'une collaboration étanche
avec notre équipe. Ils disent souvent, non sans fierté, que si leurs médications ou
pratiques médicales étaient sans intérêts, les techniciens des services étatiques
n'allaient pas s'y intéresser de près.
- 126-

L'efficacité du tradimédicament n'est pas totalement partagée par les éleveurs, qui ont,
unanimement reconnu l'efficacité et l'utilité de la médecine vétérinaire mais aussi son
coût onéreux.
Remerciements
Nous adressons nos vifs et sincères remerciements au Docteur Vétérinaire
AMAGUERGUIS
Abdoulaye
et
Monsieur
LAMINE
Kombi,
au' service
d'arrondissement d'élevage de TCHIN TABARADEN, et au Docteur Vétérinaire
. DJIBRILOU Aboubacar du CERRA de Niamey, pour leur précieuse collaboration.
Ces remerciements s'adressent également à Salek OULD-MAHFOUD ~et Mâri~
MAHAMADOU pour l'aide apportée à la saisie de ce document.
BIBLIOGRAPIllE
1. Nicolas, F. (1950) : Tamesna. Les lullemmenden de l'Est ou les touaregs
kel Dinnik. Paris, Imp. Nat. PP 133-145.
2. Bemus, E. (1969) : Maladies humaines et animales chez les touaregs
sahéliens. J. de la soc. des Africanistes XXXIX, 1, PP 111-137.
3. Planchenault, D. et Richard, D. (1982) : Production cameline - Rapport
de la 4è mission et rapport de synthèse de la 1ère année d'étude, PP 44-55.
4. Guissou, I.P. et Coll. (1998) : Mise au point d'un modèle biologique de
tests antiparasitaires appliqué aux plantes médicinales (Communication, 10è
Colloque CAMES 98).