Pharm. Méd. Trad. Afr. 1997, Vol. 9, pp. 85-93.
ETUDES ETHNOBOTANIQUE, PHARMACOLOGIQUE
ET CHIMIQUE DES PLANTES UTILISÉES DANS LE
TRAITEMENT DES DERMATOSES "MWANDZA"
M. ONANGA, E. EKOUYA, A. OUABONZI, C.B. )'J'OUA
Laboratoire de Chimie (les l'I<lntes Méllicin<llcs.
Faculté dcs Sciences, Université Maricn NGOUAJ3I
B.P. oC) Brazzavi Ile, Congo,
Notre équipe a mené une enquêle ethno!10!illlique dans la conlrée de l3okouélé,
Région de la Cuvelle (République du Congo), pour recenser la plu parI des plantes utilisées
par les tradithérapeutes locaux contre la maladie localcmcnl désignée: "Mwandza".
Dix (10) tradithérapeutes ont élé consultés individuellemenl et ont livré chacun.
les recettes utilisées pour combattre les différentcs formes de "M wandza".
Une soixantaine de plantes ont été ainsi signalées el recensées. Une étude
statistique de l'utilisation des différentes plantes dans les protocoles présumés les plus
efficaces nous permis d'identifier une vinglaine de planles prioritaires. Des tests
pharmacologiques sur cette vingtaine de plantes prioritaires ont révélé des plantes à
activités antihactérienne el/ou antitumorale. D'après les études chimiques préliminaires, ces
plantes contiennent des composés de diverses i'éllnilles chimiques comme les alcaloïdes,
les fJavolloïdes, les tanins, les saponines, les q uinones, les lerpénoïdes cl les stéroïdes.
Il existe au Congo une lerrihle maladie mortelle connue de longue dale dénomméc
localement "Mwandza" (ce qui signifie foudre en langue mhochi).

En réalité, "Mwandza" est actuellement une affection mal définie au plan
biomédicaL L'importance sociale de l'endémie "Mwandza", ainsi que la grande efficacité
établie de la médecine traditionnelle dans la thérapic de cette endémie, justifient l'intérêt
de ces études, qui visent une meilleure connaissance de "Mwandza" et une valorisation
de sa thérapie traditionnelle.
- 85 -
1
!
t
f
1

C'est dans le cadre de la valorisation de cette thérapie que notre équipe entreprend
des études ethnobotanique, pharmacologique et chimique des principales plantes utilisées,
en visant l'atteinte des objectifs spécifiques suivants:
i. Déterminer les seules plantes utiles, afin de simplifier le protocole des soins et lutter
de fait contre l<l mystification ;
li. Obtenir et utiliser les extraits et/ou les principes actifs
seuls nécessaires dans des
formules améliorées;
iii. Ecarter les extraits et/ou les composés toxiques ou possédant des effets secondaires
importants;
iv. Systématiser et populariser les traitements.
Les études préliminaires dans différents domaines de recherche ont permis déjà d'aboutir
ù certains résultats prometteurs.
METHODOLOGIE
. Enquête ethnobotanique
L'enquête ethnobotanique s'est déroulée à BokouéJé et ses environs, dans la région
de la Cuvette, au Nord Congo à environ 450 km cie Brazzaville. Cette conlrée est réputée
comme foyer important de la thérapeutique cie "Mwandza".
L'enquête a consisté à recenser et interroger individuellement les guérisseurs afin
de rassurer chacun en protégeant ses secrets. De la même manière l'identification et la
récolte des plantes sur le terrain se sont effectuées chaque fois en présence d'un seul
traclithérapeute.
Une dizaine de guérisseurs ont été contactés.
Chaque guérisseur a été consulté sur les signes cliniques des différentes formes
de la maladie, les protocoles mis en oeuvre pour chaque forme, enfin, le mode opératoire
et les plantes utilisées dans chaque protocole.
- 86-

- Etude pharmacologique
Nous avons procédé à une extraction aqueuse de la poudre d'écorces séchées et
à la lyophilisation de l'extrait pour chacune des plantes. Les lyophilisats ont été ensuite
testés pour les propriétés antibiotiques et antitumorales par deux Laboratoires spécialisés
de l'Institut de Chimie de Substances Naturelles (lCSN) du CNRS à Gif-Sur-Yvette
(France) : Service de détection et de titration de propriétés antibiotiques; Laboratoire de
cultures cellulaires.
· Test antibactérien: Quatre (4) souches bactériennes ont été utilisées pour chacune des
plantes: Escherichia coli, Pseudomonas, Proteus et Staphylococcus.
l
· Test antitumoral : Il a été réalisé par cytostase sur cellules cancéreuses humaines (lignée
K B). Les produits sont déposés au moment de la mise en culture. Au bout de trois (3)
r
jours, les pourcentages d'inhibition de la prolifération cellulaire sont évalués par une
f
méthode colorimétrique au rouge neutre, relativement à des cellules témoins.
- Etude chimique
1
L'étude chimique consiste au screening chimique pour la détection des principales familles
de composés chimiques en faisant usage de tests chimiques classiques.
1
t
RESULTATS ET DISCUSSION
· Enquête ethnobotanique
1
Sur l'indication des tradithérapeutes, une soixantaine de plantes ont çté recensées
et récoltées. Leur identification botanique a été ensuite réalisée à la Faculté des Sciences
f
et à l'herbier national sis au Centre d'Etudes sur les Ressources Végétales (CERVE) à
!
Brazzaville.
fr
Le choix des plantes et de la forme du traitement par les guérisseurs dépend des
(
signes cliniques présentés par le malade, comme le montre le tableau n° 1.
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ff
1
1
,
l
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1
!
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Tableau 1 : Signes cliniques et protocoles de soins correspondants.
Caractère
Signes cliniques des différentes
Protocoles
du traitement
formes
- Dépigmentation de la peau
J. incision sur les plages claires et
application sur ces incisions de la
poudre de la sélection des plantes
grillées.
2. massage local avec une sélection
des plantes
- Démangeaisons
3. enduire le corps avec une pommade
- enflures
composée d'huile (type de palmier
- consteJiation de boutons
suivant le cas) et la poudre d'écorces
des plantes spécifiques
Curatif
4. breuvage du jus des feuilles
spécifiques cuites à l'étouffée
5. consommation crue, de morceaux
d'organes de riantes judicieusement
répartis en plusieurs tas pour les
prises à des moments précis de la
journée.
6. port d'un bracelet confectionné avec
les fibres de plantes et les plumes
d'oiseaux (en fin de traitement)
- Plaies genre lèpre, avec
7. breuvage du décocté (3 verres
alternance de sensation de chaleur
matin/midi/soir) du mélange d'écorces
et de froid.
de tiges de plusieurs plantes dans le
vin de palme.
S. bain avec le macéré aqueux (une
nuit) des différentes écorces de
plantes
Préventif
néant
9. breuvage régulier (par sen~aine ou
par mois) d'une potion obtenue par
macération dans le vin de palme d'une
quinzaine des plantes les plus utilisées
en traitement curatif. La solution est
exposée au soleil plusieurs jours
- 88-

Les traitements ont une durée généralement longue et très variable : un à trois
mois, selon
le
degré
d'évolution et la
forme
de
la
maladie.
Les soins sont
systématiquement donnés dans un endroit isolé spécialement aménagé, en plein air et à
l'ombre des arbres, dans l'arrière-cour de l'habitation du tradithérapeute.
Les traitements réussis qui semblent bien majoritaires, se caractérisent soit par une
guérison totale (recouvrement de la santé et disparition définitive des symptômes), soit par
une rémission (amélioration satisfaisante de l'état de santé et disparition momentanée des
symptomes). Cependant, les formes les plus sévères comme les plaies suintantes, sont
souvent mortelles, en cas d'échec du traitement.
f
Les protocoles N°l (poudre) nO] (pommade) nO? (décocté) et n08 (macéré) du
tableau 1, supposés les plus efficaces, et la fréquence d'utilisation des plantes dans ces
protocoles par différents guérisseurs nous ont guidés dans le choix d'une vingtaine de
1
plantes retenues comme prioritaires.
L'identification botanique des 20 plantes prioritaires montre qu'il s'agit des plantes
appartenant à 16 familles différentes.
- 89-

Tableau 2 : Liste des plantes prioritaires.

Nom local
Nom Scientifique
Famille
1
ONKOUELE
Lophira alata
Ochnaceae
2
YANDZA
Klainedoxa gahonensis
Irvingiaceae
3
ONKA
Daniellia pynaerlii
Caesalpiniaceac
4
KEBA
Coelocaryon preussii
Myristicaceae
5
MBOUELE
Carapa proccra var palustre
Méliaceae
6
OPES SI
Carapa proccra
Méliaceae
7
OMAMAYI
Tetrorchidium didy mostemon
Euphorhiaceae
8
ONKOUA
Alstonia hoonei
Apocynaceae
9
ONGUEHE
Ongokea gare
Olacaceae
10
OLONDO
Chlorophora excclsa
Moraceae
11
EKONGO
Syzygium sp
Myrtaceae
12
BOLOHO
Ber1inia grandifflora
Caesalpiniaceac
13
OTELI
Ficus af. congensis engl.
Moraceae
14
ONKOUNGOU
Piptadeniastrum a fricanum
Mimosaccac
15
MWAMWANDE
Costus afer
Zingiheraceac
16
ONDZENDZELI
Olax wildemannii
Olacaceae
17
IDOUDOUHOU
Nauclea latifolia
Ruhiaceae
18
DJOA
Kalanchoe crenata
Crassulaceae
19
INDOHO
lustificia insularis
Acanthaceae
20
ITE LA MA
Emilia coccinea
Asteraceae
- Etude pharmacologique
- Test du pouvoir bactéricide ou bactériostatique
Il a révélé le pouvoir antibactérien de quatre plantes. Le tahleau qui suit restitue
les résultats des extraits aqueux de quatre plantes sur les quatre (4) souches sélectionnées
(tableau 3)
- 90-

Tableau 3 : Activité antibiotique des quatre plantes actives
- Test du pouvoir antitumoral
ACTIVITE ANTIBIOTIQUE
PlANTE
Escherichia
Pseudomonas
Proteus
Staphylo-
coli
coccus
KLAINEDOXA
0
+
+
+++
GABONENSIS
16 mg/ml
0
()
+
++
CARAPA PROCERA
13 mg/ml
0
()
+
++
SYZYGIUM SP
15,2 mg/ml
PIPTADENIASTRUM
AFRICANUM
±
+
+
++
16,8 mg/ml
1
Tous les extraits avec l'eau comme solvant sont atoxiques à 50 g/ml exceptés les
deux suivants, lesquelspré.senten.t. également une activité antibiotique:
- Klainedoxa Gabonensis : 77% d'inhibition
- Piptadeniastrum africanum : 15% d'inhibition.
1
1
- Etude chimique
f
Le screening chimique,p'une quinzaine de plantes prioritaires selon des
méthodes classiques à pattird'écorces de tronc a permis de déterminer les familles
1
chimiques des divers composés de ces plantes, comme l'indique le tableau 4.
t
f
- 91 -

Tableau 4 : Screening chimique des plantes prioritaires
Plantes
Alcaloïdes
Flavonoïdes
Tanins
Saponines
Quinones
Stéroïdes
Terpenoïdes
1. Lophira alata
-
-
+
-
-
-
2. Klainedoxa
+
-
+
-
+
±
gabonensis
3. Danieilia
-
-
+
-
-
-
pynaertii
4. Coelocaryon
+
-
+
+
-
+
preussii
5. Carapa procera
+
+
-
+
-
-
var palustre
6. Carapa procera
+
+
-
+
-
-
7. Tetrorchidium
-
-
-
+
-
-
didy mostemon
8. Alstonia boonei
+
-
-
-
-
+
9. Ongoke,l gore
+
+
-
-
-
la. Chlorophora
-
+
+
-
-
-
excelsa
II. Syzygium sp
-
+
+
-
12. Berlinia
-
-
+
+
+
grandiflora
13. Ficus congensis
+
+
+
-
14. Piptadeniastrum
-
-
+
+
-
-
africanum
CONCLUSION
A partir d'une soixantaine de plantes indiquées par dix tradithérapeutes de
Bokouélé, réputés dans le traitement d'une affection grave dénommée "Mwandza" (foudre),
nous avons choisi une vingtaine d'espèces végétales prioritaires sur la base de certains
protocoles supposés les plus efficaces et de la fréquence d'utilisation de ces plantes dans
ces protocoles.
- 92-

Les études pharmacologique et chimique préliminaires de ces plantes prioritaires
ont permis d'obtenir les résultats ci-après:
- Quatre espèces ont une activité antibiotique, dont l'intensité est variable;
- deux espèces ont une activité antitumorale, dont une avec un fort taux d'inhibition
(77%) sur des cellules cancéreuses humaines;
- deux espèces présentent à la fois les activités antibiotiques et antitumorale, et dans le
cas de l'espèce la plus active les principes actifs semblent différents car conte'nus dans des
extraits différents (à l'éther et au méthanol) ;
- la détermination des familles chimiques par screening va faciliter l'étude chimique plus
complète des principales plantes retenues.
La poursuite des études pharmacologique et chimique, en liaison si possible avec
les cliniciens, permettra certainement d'aboutir à des résultats plus intéressants comportant
la mise en place des protocoles améliorés (simples et plus efficaces) et de formes
f
galéniques plus appropriés (poudre, pommade, sirop etc...)
t
Remerciements :
Nous remercions vivement Mme C. Servy et Mme C. Tempête de
1
l'!CSN-CNRS,
Gif-Sur-Yvette
(France) pour la détermination
des activités antibiotique et cytotoxique.
BIBLIOGRAPHIE
1.
WEBB L.J., Australian phytochemical survey, part Il, buI. n° 269 C.S.I.R.O
(1952)
1
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WEBB L.J., Pacific science, 9(1955) 430-441
3.
MONROE E., WALL, MERLE M., KRIDER, KREWSON et al, J. Amer. Ph.
Ass. 43 (1954) 1-7.
4.
PARIS R., CORNILLEAU J., Ann. Pharm. Fr. 13 (1955) 192-199.
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