Pharm. Méd. trad. afro 1995, pp. 73-80
EFFET HYPO THERMISANT ET TOXICITE GENERALE AlGUE
CHEZ LES SOURIS DES ECORCES DE TRONC DE KASE
M. LOMPO; I.P. GUISSOU; I.Z. KABORE; M. SAWADOGO
* Institut de Recherche sur les Substances Naturelles
03 B.P. 7192 Ouagadougou 03
** Faculté des Sciences de la Santé FSS/U. OUAGADOUGOU
*** Centre Hospitalier National OUAGADOUGOU (CHN- YO).
RESUME
Maya senegalensis (Desr.) A Juss. (Meliaceae) ou cailcédrat également appelé
Acajou du Sénégal ou Quinquina du Sénégal (8), est une plante couramment utilisée en
tradithérapeutique au Burkina Faso dans le traitement de diverses affections. Une étude
pharmacologique de l'extrait aqueux (macéré) des écorces de tronc a révélé un effet
hypothermisant chez la souris.
Cet effet hypothermisant corrélé aux manifestations de la toxicité générale
aiguë (DL 50) pourrait constituer un support pharmacodynamique explicatif de l'usage
comme fébrifuge en médecine traditionnelle au Burkina, et un signe étiologique de
l'intoxication générale aiguë.
MOTSCLES
Khaya senegalensis - Tradithérapeutique -Température corporelle - Effet
Hypothermisant -Plante médicinale - Toxicité générale aiguë (DL50).
SUMMARY
Khaya senegalensis (Desr). A. Juss. (Meliaceae) or caïlcedrat is also named
"Acajou du Sénégal" or "Quinquina du Sénégal" (8). H'S a plant currently used in
Burkina Faso in Traditional Therapeutic. A pharmacological study of aqueous extract
of the stem barks has shown off an hypothermisting effect on mice.
This
hypothermisting effect added with the manifestation of general acute toxicity can be a
pharmacodynamie support explaining a febrifuge utilization in traditional medecine and
an etiologie sign of general acute toxicity.

KEYWORDS
Khaya
senegalensis
-
Traditional
therapeutic
- Body
temperature
-
Hypothermisting - Medicinal plant - General acute toxicity (DL 50).
1 - INTRODUCTION
Khaya senegalensis (Desr.) A. Juss. (Meliaceae) ou caïlcédrat est un grand
arbre de 25 à 30 m typique des savanes arborées planté sur les abords des routes.
D'usages très variés en médecine et pharmacopée traditionnelles, 'toutes les parties de la
plante sont utilisées. L'écorce est employée comme tonique et fébrifuge (8;11); utilisée
dans les douleurs digestives (3) à localisation intestinale ; et antiparasitaire contre les
vers solitaires (13). Les feuilles réduites en poudre sont prisées contre les céphalées (1).
De nombreuses autres utilisations en cardiologie, en dermatologie, en gynécologie, en
odonto-stomatologie ... sont citées dans la littérature et par les tradithérapeutes. L'étude
dont
nous
rapportons
les
résultats
a
pour
but
de
rechercher
un
support
pharmacodynamique explicatif à l'indication fébrifuge de l'extrait aqueux des écorces de
tronc de la plante. Pour ce faire, une investigation a été réalisée sur la température
corporelle de la souris à la recherche d'un effet hypothermisant. Parallèlement, une
évaluation de la toxicité générale aiguë a été faite pour situer les doses de manifestation
de cette hypothermie. (Relation dose-effet) (9).
II - MATERIEL ET METHODE
1 - MATERIEL D'ETUDE
1-1 - MATERIEL VEGETAL
Des écorces de tronc de la plante sont récoltées dans la région de Saponé
(BAZEGA) à 32 km au sud de Ouagadougou. Elles sont séchées à l'air à l'abri de la
poussière et du soleil puis pulvérisées et conservées à l'abri de l'humidité dans des
sachets adaptés. 30 g de proudre d'écorces de tronc sont mis en macération dans 100 ml
d'eau distillée sous agitation magnétique pendant une heure. Le macéré est ensuite
conservée au réfrigérateur pendant 24 h. Il est alors filtré à l'aide d'un papier filtre.
1-2 - LES ANIMAUX
Des lots homogènes de 10 souris femelles de souche N.M.R.I. pesant entre 20
et 30g, provenant d'un élevage de l'animalerie de l'Institut de Recherche sur les
Substance Naturelles ont' été utilisés. Les conditions de stabulation sont: température
maintenue entre 20 et 25eG ; humidité 75% ; éclairage naturel du jour (6h à 18h) et
obscurité le soir (18h à 6h).
Cinq lots homogènes d'animaux ont été constitués:

-75 -
-, Ilot témoin pour le solvant d'extraction;
- Les quatre autres lots reçoivent respectivement l'extrait aqueux de plante à des doses
croissantes 750 - 1000 -1125 -1500 mglKg.
1-3 - MATERIEL DE MESURE
- Un thermomètre électronique digital a été utilisé pour la mesure de la température
rectale: Physitemp Model
BAT-12 avec un thermocouple Sensortek NJ. 07013
USA mesurant entre moins (-)lOO·C et plus (+)200·C ; de résolution O,l·c.
- un chronomètre pour le contrôle des temps de mesure.
- Papier millimétré log-Probit pour la courbe de toxicité générale aiguë.
2 - METHODE D'ETUDE
Les animaux mis à jeun pendant 12h avant l'expérimentation, reçoivent en
intrapéritonéal (l.P.) les produits suivants:
* lot témoin: 0,15rnl d'eau distillée.
* les quatre autres lots: l'extrait de plante respectivement aux doses de
750 ; 1000 ; 1125 ; 1500 mglKg.
La température rectale initiale (avant l'administration des produits To) est
mesurée puis des mesures sont faites aux temps T = 3h, 5h, 24h après administration.
L'évolution de la température rectale en fonction du temps après administration pour
tous les lots est suivie. L'analyse des données expérimentales nous permet d'établir les
courbes d'évolution des températures et les courbes d'abaissement des températures en
fonction du temps après administration; la relation dose-effet est également établie.
Ces cinq lots de souris sont suivis pendant 72h au cours desquelles le nombre
de morts par lot et leur comportement sont notés. La
courbe
représentative
de
l'évolution de la mortalité en fonction des concentrations d'extrait est établie. On
recherche la dose cumulée ayant provoqué 50% de morts (DL50). Elle est évaluée selon
la méthode de MILLER et TAINTER (12;6). L'évoltution de la température corporelle
est rapprochée de celle de la mortalité en vue de rechercher un rapport éventuel entre les
deux éléments.
III - RESULTATS
1 - EFFET HYPOTHERMISANT
1-1-
EVOLUTION DE LA TEMPERATURE RECI'ALE
APRES ADMINISTRATION DE L'EXTRAIT VEGETAL.
(Tableau 1 et Figure 1)
Au niveau du lot témoin, la température est restée stable autour de 3r pendant
le temps d'observation (ToH à 48h après administration).

-76-
A la dose de 7S0 mg/kg (lot 1), on observe que la température rectale (fig.1)
subit une baisse rapide qui atteint un maximum (33-2) à SH après administration.
Ensuite, la température initiale se rétablit à environ 24H après adminstration de l'extrait
végétal.
A la dose de 1000 mg/kg, le maximum de baisse de la température (31-S) se
situe également à SH après administration du produit ; toutefois le retour à la
température initiale ne se fait qu'au bout de 48 h (Fig.1). L'effet est donc plus durable.
Aux doses plus fortes (112S et lS00 mg/kg) (Fig. 1), le maximum de baisse de
la température intervient autour de 19H après administration avec une valeur de 28-7 et
26-9 respectivement. L'action est plus prononcée et prolongée dans le temps. Au bout
de 24H, après l'administration, la température reste autour de ces valeurs et au-delà de
ce temps d'observation (24H), une mortalité de plus de SO% des animaux est
enregistrée. Nous n'utiliserons donc pas les valeurs obtenues au-delà de 24H pour ces
deux doses, plus de la moitié des animaux étant morts.
Tableau 1: Evolution moyenne de la températue corporelle des animaux en fonction du
temps selon la dose administrée. (n : nombre d'animaux par lot = 6)
Poids (g)
00
~H
a"n
allJH
a'nH
a48H
LotI
2S.92
38- 3
34- 4
33- 2
36- 7
37- 4
38- 1
750mglkg
:f2.87
±O-7
±D-8
±O- 6
:±:l- 2
:±:l- 1
±D-S
Lot II
2S.S0
37- 1
31- 6
31- S
34- 1
3S- 3
38- 1
1000mg/kg
:f2.66
±1- 0
±1- 7
±1- S
:±:l- 8
:±:l- 6
:±f)-4
Lot III
26.08
38- 3
32- 1
30- 2
28- 7
28- 8
-
1125mglkg
:±:l.86
±O-3
±1- 4
±l- 4
::!D- 6
::!D- 8
-
Lot IV
2S.33
37- 7
31- 3
28- 6
26- 9
27-
-
1500mglkg
B.78
±O-6
±1- 9
±O-7
:f2- 3
:f2- 4
-
Lot
27.17
37-2
37- 1
37- 9
37- 7
37- 8
37- 7
témoin
:±:l.13
±O-4
±O-6
±O-4
::!D- 4
::!D-3
:±f)-3
Figure 1: Evolution de la t- C corporelle

-77 -
1-2-
ABAISSEMENT DE LA TEMPERATURE CORPORELLE
A UN MOMENT PRECIS EN FONCTION DE LA DOSE ADMINISTREE
Le tableau II et la figure 2 indiquent la cinétique de la variation de température
en fonction de la dose administrée pour des temps précis après cette administration. La
représentation graphique de cette variation laisse apparaître des sigmoïdes dont la
médiane est une droite pour les temps d'observation à 5h ou plus.
Tableau II: Abaissement de la température corporelle à des moments précis, en fonction
de la dose administrée. (n: nombre d'animaux par lot =6)
Abaissement
Abaissement
Abaissement
3h (en %)
5h (en %)
24h (en %)
Lot 1 (750mg/kg)
10.18
13.32
2.35
Lot II (lOOOmg/kg)
14.82
15.09
4.85
Lot III (1125mg/kg
16.19
21.15
24.80
Lot IV (1500mg/kg)
16.98
24.05
28.38
Figure 2 : Abaissement de la température rectale en fonction des doses
3,5,24 Heures après administration de l'extrait.
Af!t\\{SS[WfNT DE: LA nl,lrep.ATUAE RECTALE (lb)
30
.
: '
25
:
: '
20
: . ;
15
serie 1: t~3h
: i
10
: !
serie 2: t~5h
5
1
;
.
1
serie 3: t=2411
o
. . . 1..
10000
100
2 - LA TOXICITE GENERALE AlGUE
Les résultats de la mortalité cumulée sont consignés dans les tableaux III, IV et
la figure 3. Ces résultats permettent d'évaluer la dose léthale 50% (DL50) selon la
méthode de MILLER et TAINTER (12).
Elle est d'environ 1250 mg/kg après 48h d'observation (fig. 3). La DLI et la
DL99 (valeurs extrêmes) sont respectivement 775 et 1850 mg/kg. Les observations de
la manifestation de hi toxicité par rapport au lot témoin ont fait apparaître la tendance au
regoupement des animaux, la perte du tonus et de la vivacité, l'immobilisation,
l'endormissement, la baisse de la température corporelle et le refus de boire et de
s'alimenter.

-78 -
Tableau III: Résultats expérimentaux de la mortalité cumulée en 24H
(n : nombre d'animaux par lot =6
LotN"
Dose administrée
Pourcentage de mortalité
(mg/kg) en I.P.)
cumulée (24H)
Témoin
Eau distillée
a
1
750
0
3
1000
17
4
1125
20
5
1500
50
Tableau IV: Résultats expérimentaux de la mortalité cumulée en 48H
(n : nombre d'animaux par lot =6)
LotN"
Dose administrée
Pourcentage de mortalité
(mglkg) en I.P.)
cumulée (48H)
1
750
a
3
1000
17
4
1125
33
5
1500
83
IV - DISCUSSION ET CONCLUSION
Les résultats obtenus mettent en évidence un effet hypothermisant de l'extrait
aqueux de la poudre d'écorces de tronc de Khaya senegalensis qui peut être discuté
avec la toxicité aiguë.
L'effet hypotherrnisant se manifeste déjà à des doses infratoxiques ; dose de
750 mg/kg chez la souris qui est inférieure à DU trouvée égale à 775 mglk:g (2;5) (Fig.
3). Il s'accentue lorsque les doses administrées croissent, sans toutefois présenter une
proportionnalité dose-accroissement. L'effet est réversible (retour à la température
corporelle normale) avec des variations du temps de réversibilté liées à la dose
administrée.
En effet les doses infratoxiques provoquent une hypothermiemoins prononcée
suivie d'une réversibilité relativement rapide. Aux doses toxiques (doses supérieures à
1000mglk:g proches de la DL50 trouvée égale à 1250 mg/kg) (Fig.3), l'hypothermie est
très prononcée et lentement réversible avec des décès des animaux au-delà de 24h
après administration.
L'hypothermie serait alors un témoin voire un signe de la toxicité de l'extrait
aqueux de la plante à l'instar de ce qui est observé avec certains psychotropes tels les
neuroleptiques (4;7). Une action centrale pourrait alors être envisagée si l'on considère
les manifestations associées à l'hypothermie au cours de la toxicité générale aiguë:.' .

-79-
L'extrait aqueux de Khaya senegalensis peut être considéré comme faiblement
toxique au regard de l'échelle des toxicités proposée par certains auteurs (2). En effet la
DL50 trouvée est égale à 1250mglkg de poids corporel chez la souris. Toutefois cet
extrait doit être considéré de maniement difficile. En effet, l'écart de dose entre la zone
atoxique (DU) et la dose surement mortelle (DL99) est faible (775mg/kg à
1850mg/kg). De plus, à partir de la zone toxique, une faible variation de dose (zone de
1000 à 1500mg/kg) provoque une importante variation de mortalité (10% à 50% de
mortalité).
L'extrait végétal utilisé étant un totum de principes chimiques, son étude
chimique permettra d'identifier la fraction ou le principe chimique responsable de l'effet
hypothermisant et de la toxicité observés. Une comparaison d'effet entre extrait aqueux
et principe chimique responsable pourrait orienter le choix de substance à développer
pour une utilisation thérapeutique. Ceci est d'autant plus important que nous avons par
ailleurs mis en évidence un effet anti-inflammatoire et un effet antispasmodique (10) du
même extrait chez la souris et le rat.
L'effet anti-hyperthermisant est en étude pour complèter des éléments de pré-
requis pharmacologique nécessaire aux essais cliniques indispensables.
BIBLIOGRAPHIE
1 - ADJANOHOUN E.J. ,AHYI A.M.R., AKE ASSI L., DAN DICKO L,
DAOUDA H., DELMAS M., DE SOUZA S., GARDA M., GUINDO S.,
KAYONGA A., N'GOLO D., RAYNAL J.L., SAADOU M. (1985).
Médecine tradtionnelle et Pharmacopée. Contribution aux études ethnobotaniques et
floristiques au Niger. A.C.C.T. 2ème Ed. Paris 99.
2 - AlAN K. DONE (1980) - Etude de toxicité : Quelques données fondamentales.
Tempo Médical afrique, 7,39-40.
3 - BERHAUT J. (1979) - Flore illustrée du Sénégal. Ed. Clairafrique. Dakar,
T. IV, 329.
4 - COHEN Y. (1986) - Abrégé de pharmacologie. Masson, 2ème Ed., Paris, 89.
5 - DUPON C. (1970) - Détermination de la DLSO chez la souris -Méthode de
LITCHFIELD et WILCOXON - J. Pharmacol., Paris, 1,407 - 414.
6 - FOUSSARD - BLANPIN O. (1981) - Diverses modalités expérimentales pour la
détermination de la toxicité aiguë. Sc. Tech. Pharm., 10, (6);251-256.

-80 -
7 - GINESTET D. ; KAPSAMBELIS V. et BRION N. (1988)
- Neuroleptiques in Pharmacologie Clinique : Bases de la Thérapeutique. Expansion
Scientifique Française, Paris, 2ème Ed., 1209-1232.
8 -
KERHARO J. et ADAM J.G. (1974) -
La Pharmacopée Sénégalaise
tradtionnelle : Plantes médicinales et toxiques. Ed. Vigot, Paris, 541-545
9 - LITCHFIELD J.T. ; J.R. ; WILCOXON F. (1949) - A simplified Method of
Evaluating Dose -effect Experiments; J. Pharmacol. Exp. Ther., 96,99-113.
10 - LOMPO M. (1993) - Etude pharmaco-toxicologique chez la souris et le rat
de Khaya senegalensis (Drs.) A. Juss. (Meliaceae) utilisé en tradithérapeutique au
Burkina Faso. Mémoire de D.E.A. Physiol, Anim. Université Ouagadougou, 83.
Il - MASCRE M. (1965) - Matière médicale végétale : Champignons, Algues,
Lichens, Cryptogames vasculaires, Gymnospermes, Monocotylédones, Dicotylédones
apétales. C.D.V. Fascicule II, Paris 377.
12 - MILLER L.C.; TAINTER M.L. (1944)
- Estimation of ED50 and Its Error
by means of Logarithmic Probit Paper, Proc. Soc. Exp. Viol. Med., 57, 261-264.
13 -
VON MAYDELL HJ. (1983) - Arbres et arbustres du Sahel. Leurs
caractéristiques et leurs utilisations. G.T.Z. Eschbom, 283-284.