Pharm. Méd. trad. afro 1995, pp ]-18
LA BIODIVERSITE TROPICALE FACE AU DEVELOPPEMENT
DES INDUSTRIES PHARMACEUTIQUES *
Par le Professeur Emérite Edouard t. ADjANOHOUN
Université de Bordeaux
1 - PROBLEMATIQUE GENERALE
Le cadre dans lequel intervient notre analyse est celui des plans d'action
élaborés par la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement
durable (CNUED 1992). Les mots clés susceptibles d'induire des directives positives
exploitables
à court, moyen et long termes sont : développement durable et
écologiquement rationnel - accroissement des activités économiques -biodiversité et
environnement -
conservation et protection des ressources de la biosphère -
amélioration de la qualité de la vie et de la santé humaine et les six actions, déclarations
et conventions de cette conférence mondiale, à savoir:
1· - Action 21 sur la préservation de l'avenir de l'être humain,
2· - Déclaration sur l'environnement et le développement,
3·- Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements,
4·- Convention sur la Diversité biologique (Biodiversité),
5·- Déclaration des principes de gestion, la conservation et l'exploitation
écologiquement viable de tous les types de forêts...,
6· - Création du fonds pour l'environnement mondial...
Les préoccupations des états majors des Nations Unies focalisent le débat sur
l'exploitation de la Diversité Biologique en tenant sans doute pour acquises les mesures
préconisées pour sa protection face aux dégradations en cours et sa conservation qui
présente deux aspects complémentaires, un aspect statique de stricte protection et un
aspect dynamique de mise en valeur rationnelle qui doit permettre de tirer un meilleur
parti des ressources naturelles et des milieux biosphériques.
Le milieu tropical est celui dans lequel les règnes végétal et animal connaissent
une exubérance et un développement impressionnant et nous sommes en droit de
* Conférence inaugurale du Colloque.

-4-
pressentir que l'avenir de la planète dépendra de sa survie ; survie menacée par des
attaques catastrophiques dues aux variations climatiques provoquées ou non et aux
interventions humaines contrôlées ou non.
Il nous a donc paru plus urgent de présenter ou d'examiner les impacts des
industries sur la biodiversité tropicale (l'Afrique étant essentiellement tropicale).
L'industrie pharmaceutique parmi tant d'autres est, quant à elle, essentiellement
basée sur la recherche, l'expérimentation, la standardisation et la commercialisation des
médicaments nécessaires à la santé des hommes et des animaux d'élevage. Sa matière
première est fournie prioritairement par les plantes auxquelles s'ajoutent des éléments,
plus réduits, animaux et minéraux.
Le Règne végétal compte près de 350.000 espèces actuellement identifiées dans
le monde : parmi elles, se trouvent les Phanérogames ou plantes à fleurs évaluées à
250.000 espèces auxquelles font suite les Conifères au sens large, avec 700 espèces ;
les Ptéridophyres ou fougères comptent 12.000 espèces environ ; les Bryophytes ou
mousses comptabilisent 25.000 espèces; viennent enfin les Thallophytes subdivisés en
Algues et en Champignons; leur inventaire indique respectivement: 30.000 espèces
pour les Algues et 31.000 espèces pour les Champignons, toutes subdivisions
taxonomiques confondues. Cet important matériel pharmaceutique existant et connu des
Botanistes ne prend pas en compte les microflores, les microfaunes et les planctons dont
nous sommes loin d'évaluer les disponibilités réelles; nous pensons fermement que leur
nombre est de plusieurs milliards de taxons.
Il faut être conscient que 80%, au moins, de cette diversité biologique est
réunies et prospère dans les régions tropicales d'Afrique, d'Asie, de Madagascar,
d'Océanie et d'Amérique, dans des écosystèmes multiples, terrestres ou aquatiques d'eau
douce et marins.
Un bref historique montre
que
les
pharmacopées les
plus
anciennes
dénommées "Pent Sao" (Chine -3.000 ans avant nôtre ère), "Vedas" (Inde - 2.000 ans
avant notre ère), "Papyrus" (Egypte - 1.500 ans avant notre ère), n'ont pas généré de
véritables industries. Les industries pharmaceutiques actuelles et futures ont pris essor
et importance au 20è siècle et n'en sont qu'à leur début.
Tout a commencé dans les pays développés par l'observation des résultats
spectaculaires de la médecine traditionnelle confrontée aux pathologies les plus
diversifiées, qui permit la mise en place de tout un processus de recherche
pharmacognosiques,
phytochimiques,
pharmacologiques,
phannacotechniques
et
cliniques. Le médicament élaboré devra affronter différents instruments juridiques
conduisant à l'obtention du brevet de commercialisation ou d'exploitation.
Mais l'approvisionnement massif du matériel végétal ou animal qui a mis en
évidence des principes actifs médicamenteux universellement utilisables, pose quelques
problèmes sérieux qu'il va falloir contourner par la recherche des équivalents

5 ' ~
- -
synthétiques et des procédures biotechnologiques appropriées qui sont et demeurent
fort onéreux et loin de donner toutes les satisfactions espérées.
La plantation des plantes médicinales est plus ou moins maîtrisée dans les pays
développés,
elle l'est
beaucoup moins
dans
les
pays
tropicaux
en voie de
développement dont la flore demeure encore très mal exploitée. Les molécules
synthétisées entraînent à l'usage, dans bien des cas, des intolérances et des effets
secondaires qui diminuent leur efficacité ou leur crédibilité. Les utilisateurs potentiels
reviennent à la phytothérapie, à l'aromathérapie, à l'homéopathie, aux médecines
populaires.
La médecine traditionnelle tropicale n'ayant jamais eu les moyens suffisants
pour se hisser au niveau de la médecine moderne, est condamnée à l'élaboration des
ethnopharmacopées que ne sont autre chose que la compilation des enquêtes
ethnobotaniques 1 •
La première Pharmacopée africaine stricto sensu a vu le jour en 1985, éditée
par l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), mais ses composants ne sont que des
extraits des pharmacopées des pays industrialisés. Il ne s'agit en fait que d'une centaine
de
plantes
médicinales
africaines
déjà
étudiées
et
exploitées
par
l'industrie
pharmaceutique moderne.
Le but de cette édition est de donner aux industriels africains un instrument
technique condensé leur permettant d'organiser une industrie parallèle répondant à
l'offre et à la demande du commerce mondial, compte tenu de l'importance des matières
premières brutes disponibles sur place en quantité et en qualité, et des revenus
financiers et économiques loin d'être négligeables.
II - APPORTS DE lA BIODIVERSITE TROPICALE
r Plantes tropicales suffisamment étudiées et industrialisées
Parmi les espèces dont les molécules naturelles ont survécu à la compétition de
la chimio-synthèse, il existe encore de nos jours quelques centaines de plantes
tropicales
très
célèbres
commercialisées
ou
exportées
vers
les
industries
pharmaceutiques des pays développés.
1
_
De 1977 à 1987 l'Agence de la francophonie (ACCT) a financé des enquêtes ethnobotaniques pour 6 pays d'Afrique
noire, 1 pays du Maghreb, 1 pays des Caraïbes, 5 pays de l'Océan Indien, le Vietnam et l'ile de Madagascar.
- L'OUA vient d'entamer la création d'ethnopharmacopées pour les pays anglophones (Nigéria 1988 ; Ouganda 1993).

-6-
a - Produits de haute spécialité:
1 - Catharanthus spp. (Apocynaceae) ou pervenches, plantes herbacées afro
asiatiques et malgaches dont la pervenche de Madagascar, subspontanée ou cultivée qui
fournit la Vincaleucoblastine, alcaloïde utilisé avec succès pour le traitement de
certaines leucémies.
2 - Carica papaya (Caricaceae) ou "papayer", arbuste originaire du Mexique,
largement cultivé dans toutes les régions tropicales, dont le latex fournit un complexe
protéolytique très puissant, "la papaïne" avec deux peptidases stables, utilisée en
pharmacie et en médecine dans de nombreuses pathologies.
3
-
Cinchona spp.
(Rubiaceae)
ou
"quinquina",
arbustes
originaires
d'Amérique latine, introduits et cultivés dans plusieurs pays tropicaux et dont les
écorces de tronc contiennent la quinine, alcaloïde réputé contre la malaria.
4 - Rauvolfia spp. (Apocynaceae), petits arbres afro-asiatiques dont les racines
contiennent la "réserpine" et autres dérivés utilisés dans le traitement des hypertensions
artérielles.
5 - Centella asiatica (Umbelliferae), herbe rampante originaire d'Asie, devenue
pan tropicale dans les stations humides. Elle fournit le "madecassol", substance
recherchée pour les rétinopathies et la cicatrisation des plaies incurables et la lèpre.
6 - Strophanthus spp. (Apocynaceae) qui sont pour la plupart des buissons et
des lianes d'Afrique intertropicale, dont les graines fournissent divers composés parmi
lesquels "l'Ouabaïne", réputée pour le traitement des cardiopathies.
7 - Tabernanthe iboga (Apocynaceae), arbrisseau d'Afrique centrale dénommé
"Iboga", dont les racines produisent "l'ibogaïne" alcaloïde utilisé comme tonique
nerveux et musculaire.
8 - Voacanga spp, (Apocynaceae), ou "arbres afro-malgaches dont les écorces
de tronc et les racines sont riches en "voacangine", alcaloïde cardiotonique et dont les
graines contiennent la "tabersonine" transformable en Vincamine utilisé pour une
meilleure oxygénation du cerveau.
9 - Coffea spp, (Rubiaceae), ou "caféiers", arbustres originaires d'Afrique et
d'Arabie, cultivés en Afrique et en Amérique tropicale dont les graines contiennent de la
"caféine", alcaloïde largement utilisé en médecine.
10 - Thea spp, (Thaeceae) ou "thés", arbrisseaux ongmaires de la Chine,
cultivés sur les montagnes intertropicales et dont les feuilles contiennent également de
la "caféine".

-7-
11 - Azadirachta indica (Meliaceae), dénommée "Nime", lilas des Indes,
margose.petit arbre originaire de l'Inde mais largement introduit et cultivé dans toutes
les régions tropicales, pour différentes utilisations, dont les usages médicaux, des
multiples substances chimiques extraites de son appareil végétatif (stérols, terpènes,
flavonoïdes ).
12 -
Cassia angustifolia (Caesalpiniaceae), dénommé "séné de l'Inde",
arbrisseau afro-asiatique qui fournit les sennosides largement utilisés en pharmacie
comme laxatifs.
13 - Cassia alata (Caesalpiniaceae), ou " dartrier", arbrisseau d'origine
américaine, largement cultivé dans le monde tropical, il fournit l'acide chrysophanique
utilisé en thérapie contre les mycoses et les dermatoses.
14 - Cassia occidentalis (Caesalpiniaceae), ou "faux kinkéliba", arbrisseau
originaire du Brésil. Doué d'un grand pouvoir d'expansion, il est devenu pantropical,
cultivé ou subspontané et produit des alcaloïdes, des flavonoïdes, des acides gras
largement utilisés.
15 - Pausinystalia yohimbe (Rubiaceae), vulgairement appelé "yohimbé", un
arbre centrafricain dont l'écorce du tronc contient un alcaloïde, la yohimbine utilisée
comme aphrodisiaque, excitant et défatigant.
16 - Pyguem africanum (Rosaceae), arbre afro-malgache dont l'écorce du
tronc produit le "tadenan", médicament réputé dans le traitement des adénomes
prostatiques.
b - Produits à large spectre d'exploitation
A l'énumération précédente succincte, et purement démonstrative, devra
s'ajouter une autre, non moins significative dont nous limiterons la présentation à une
brève citation de groupes commerciaux de spécialités tropicales à large spectre,
exploitées par l'industrie à diverses fins médicamenteuses, alimentaires, hygiéniques,
cosmétiques etc... Il s'agit 2
- des épices (gingembre, piments, clous de girofle, poivres noirs ou gris,
maniguettes, cannelle, poivre de guinée, cardamome, cumin, basilic, safran des indes,
muscade ...etc)
- des plantes aromatiques (ilang-Ilang, laurier, citronnelle, vanille, fleurs
d'oranger, vétiver, anis étoilé ou badiane, géranium, eucalyptus) ;
2 _
Les exemples choisis sont désignés par leurs appellations communes vulgaires ou d'exploitations
industrielles.

-8-
- des teintures (drosera, rocou, teck, algues, indigo, palétuvier, lawsonia,
acacias, colorants-tannins (bois de campêche, parasolier, amander des tropiques, filao
...etc);
- des huiles essentielles (huiles ou essences de cajeput, du bois d'Inde, du
goménol, du cinéol, du niaouli, d'eucalyptus, de camphre, de chaulmoogra ...etc);
- des oléagineux et des huiles végétales (huile de palme, de palmiste, de coco,
de sésame, de karité, d'arachide, de ricin, de coton, baume de toul, ...etc);
- des résineux (encens, gomme arabique, gutta percha, tragacanthe .. etc) ;
- des hallucinogènes (champignons supérieurs, iboga, stupéfiants... etc) ;
- des plantes stimulantes (noix de cola, tabac, guarana, maté, cacaoyer, caféier,
théier, cocaïer, ipeca ... etc)
- des plantes toxiques et vénéneuses (fève de Calabar, orties, pignon d'Inde,
érythrique, datura, derris, euphorbes, thevetia, strychnos, phytolacca, ricin, tephrosia,
cubé, champignon amanite, jequirity, quassia, laurier rose ... etc) ;
- des plantes anti-microbiennes, anti-fongiques, anti-virales, antibiotiques
(dartrier, centrella-madecassol, cassia, Euphorbia hirta, ail, chenopium, kalanchoe,
champignons inférieurs divers ...etc);
- des tisanes variées (menthe, verveine, citronnelle, harpagophyton ....etc);
- des vins et boissons fermentées (vin de palme, de rônier, de raphia, bière de
mil, de sorgho, jus de tamarin, de gingembre, citron... etc);
-
des fruits médicamenteux (bigaradier,
citronnier,
tamarinier,
courge,
avocatier, mombin, anacardier, corossolier, annona, manguier, bananier, grenadier,
grenadille, goyavier. ..etc).
c - Tonnage
Le prélèvement et la commercialisation de ces plantes tropicales de cueillette ou
de culture destinées aux firmes pharmaceutiques des pays développés, sont organisés de
façon régulière ou clandestine, le plus souvent par des sociétés privées non autorisées et
non contrôlées, au détriment des économies nationales. Voici quelques exemples des
tonnages de matières premières médicamenteuses exportés chaque année:
- Pervenche de Madagascar: 400 tonnes de racines séchées
- Rauvolfia vomitoria : 500 tonnes d'écorces de racines séchées

-9-
- Strophanthus gratus : 300 tonnes de graines
.;'
- Pygeum africanum : 300 tonnes d'écorce de tronc séché
- Carica papaya : 300 tonnes de latex provenant de l'extraction de 600
millions de fruits verts pour l'USA seule.
- Voacanga spp. : 200 tonnes de graines.
r) Plantes tropicales exploitées mais insuffisament
ou incomplètement étudiées
Définition
Il s'agit de plantes dont les analyses, sans être terminées, sont suffisamment
avancées pour être exploitées par l'industrie pharmaceutique. Elles ont fait l'objet de
découvertes exploitables mais les recherches continuent dans la mesure où elles
contiennent d'autres principes actifs peu connus. Elles sont évaluées à plusieurs
centaines d'espèces, et bon nombre d'entre elles ont fait l'objet de monographies
publiées par des pharmacopées des pays industrialisés. On peut citer en exemples:
- Combretum micranthum (Combretaceae) dont certains principes actifs sont
complexes et non encore individualisés et, de ce fait, il est difficile d'exploiter toutes les
actions thérapeutiques attribuées à la plante. (Cf. Pharmacopée Africaine OUA, 1985),
- Euphorbia hirta (Euphorbiaceae), plante pantropicale largement utilisée en
médecine populaire, est connue pour son efficacité pour le traitement des amibes. C'est
l'extrait total qui est généralement employé en attendant une étude précise sur ses
préparations pharmaceutiques. (Cf. Pharmacopée africaine -OUA, 1985),
- Aframomum melegueta (Zingiberaceae) ou "maniguette", la graine est
largement utilisée, à cause de son caractère aromatisant et stimulant. Les travaux
pharmacologiques récents réalisés sur cette espèce sont inexistants ...etc.
:1
Conclusion
j ' ,
Leur analyses sont réalisées en grande partie dans les Universités, dans les
Instituts Technologiques du Tiers monde et ceux des pays industrialisés qui accueillent
. des étudiants et stagiaires étrangers. L'idéal serait de doter les laboratoires spécialisés de
J,.,ée.s pays d'appareils performants et de créer des Centres régionaux d'Excellence, de très
"haut niveau pour y terminer les analyses et élaborer des brevets d'exploitation pour leur
développement industriel 3.
3 _ L'Organisationdes Nations Uniespour le Développement Industriel (ONUDI)s'investitdans une
voiesimilairedont les résultatsdevront êtrepris en considération ici.

-10 -
C'est parmi ces plantes que l'on recense de nombreuses préparations simples,
célèbres, très anciennes et populaires qui ont fait leurs preuves. On devrait pouvoir
cultiver celles-ci dans leurs sites d'expansion, les conditionner et assurer leur
distribution dans les pays qui en sont dépourvus.
3·) Plantes expoitées mais non étudiées scientifiquement
Définition
Il s'agit de l'important lot des plantes médicinales utilisées en Pharmacopée
traditionnelle mais n'ayant fait l'objet d'aucune étude scientifique; elles sont évaluées à
plusieurs milliers d'espèces ; elles constituent, avec celles du groupe précédent le gros
lot du matériel immédiatement disponible pour un vaste champ de recherches et de
découvertes nouvelles pour la science, la médecine, l'industrie et l'économie. Leur
protection et leur conservation sont confrontées aux problèmes de mutilation, de
destruction et de disparition.
Exemples:
- la Pharmacopée africaine, OUA - 1985 publie une liste d'environ 100
espèces devant faire l'objet de monographies pour la seconde édition de cette
pharmacopée,
- dans l'Encyclopédie des Médecines Naturelles (1991), ADJANOHOUN
mentionne une soixantaine de plantes dont les études pharmacologiques précises sont
souhaitables;
- dans les ethnopharmacopées éditées par l'ACer, c'est un très grand nombre
des 3 000 espèces recensées qu'il faut prendre en compte.
Conclusion
Signalons que des chercheurs tiers mondistes de plus en plus nombreux
s'investissent dans les recherches sur les multiples possibilités offertes par l'exploitation
des
plantes
des
ethnopharmacopées.
Les
enquêtes
ethnobotaniques
dont
la
méthodologie a été mise au point par des tropicalistes, sous l'égide de l'ACer, ont déjà
été réalisées dans 12 pays francophones membres de cette agence, elles s'étendent
actuellement aux pays anglophones de l'OUA, et à la plupart des autres pays sous
développés. Ces enquêtes prennent en compte tout le milieu naturel, ses écosystèmes et
leur évolution et les aménagements conduisant à une meilleure connaissance des taxons
inventoriés.

-11-
Des banques de données spécialisées se mettent de plus en plus en place et
enregistrent des inventaires et des précisions nécessaires à l'exploitation rationnelle des
ressources végétales. Signalons l'existence de PHARMEL, banque de données de
médecine et pharmacopée traditionnelles créée en 1986, par l'ACer ; son siège est à
Bruxelles sous la responsabilité du Professeur Jean LEJüLY, Directeur du Laboratoire
de Systématique et Phytosociologie de l'Université Libre de Bruxelles. Cette banque est
dotée d'une notice d'entrée des données et d'une notice d'utilisation de son logiciel.
A ce jour, elle a enregistré 16 399 recettes issues de 22 pays essentiellement
africains, tirées de 30 références bibliographiques importantes, faisant usage de près de
3451 plantes médicinales dans plus de 27741 indications thérapeutiques.
Fonctionnent également, aux USA la banque NAPRALERT, en Afrique
orientale la NAPRECA. Sont en cours de création, celle de CICIBA (Gabon) et celle
des Iles à l'Est de l'Afrique (par le Professeur PETITJEAN).
111- PROBLEMES FONDAMENTAUX
Malgré tout, les plantes tropicales actuellement utilisées par l'industrie
pharmaceutique représentent moins de 0,1% 4 du patrimoine génétique mondial
disponible ou inventorié. Les possibilités d'exploitations futures demeurent donc
considérables. Subsistent cependant d'importants problèmes fondamentaux qu'il ne faut
ni minimiser, ni contourner. Les plus importants devront nécessairement reformuler les
données relatives aux conséquences des prélèvements, à la volonté politique de tous les
partenaires potentiels et aux transferts des technologies nouvelles appropriées.
le) Prélèvements
Tous les organes des plantes sont prélevés avec ou sans précautions
particulières. Sont utilisés en Pharmacopée populaire traditionnelle, la plante entière
(lorsqu'il s'agit d'une plante herbacée annuelle), les plantules, les racines et tubercules,
les écorces de racines ou de tronc, les feuilles, les inflorescences, leurs fleurs, les fruits,
les graines, auxquels s'ajoutent fréquemment les sécrétions telles les sèves, latex, sucs,
gommes, résines, huiles, essences ...etc, éléments propres aux phanérophytes et aux
chaméphytes ligneux érigés ou lîanescents. Il ne faut pas perdre de vue des épiphytes,
les parasites, les Algues, les champignons, les Bryophytes, les Pteridophytes qui
complètent l'arsenal médicamenteux des forêts tropicales.
: " t

. 4 "-, Cette évaluation ne prend en considération que 300 taxons générateurs de médicaments
manufacturés sur les 350 000 plantes identifiées dans le monde.

-12
- Le prélèvement abusif des plantes herbacées perturbe leur cycles, leur
écotopes et entraîne leur raréfaction et leur disparition. Le même sort est réservé aux
plantules qui assument le nécessaire repeuplement des forêts. Le Catharanthus roseus
abusivement ramassé et vendu clandestinement, a pratiquement disparu en Côte
d'Ivoire, au Ghana, au Togo et au Bénin.
- Le prélèvement intensif des écorces de racines et de tronc') aboutit à la
suppression des fonctions physiologiques et à la mort des arbres réputés comme
Pygeum africanum, Pausinystalia yohimbe dont les individus exploitables sont de plus
en plus éloignés de centres urbains ou sont réfugiés dans les sites inaccessibles.
- Le prélèvement massif des feuilles, des bourgeons ou autres éléments de
l'appareil végétatif, par élagage, ététage et suppression des méristèmes apicaux, entraîne
la mort des porte-garines, la dégénérescence des espèces, une auto- défense fatale pour
les forêts. On connaît des forêts où l'on n'observe plus de germinations ni de plantules
telles les forêts à Okoubaka aubrevillei (Octoknemataceae), répandues de la Côte
d'Ivoire au Zaïre.
- Pour se rendre compte de l'importance des plantes médicinales utilisées par
les populations, sans ignorer que les échantillons prélevés dans la zone forestière se
rencontrent fréquemment dans les marchés des zones savanicoles plus ou moins arides
et inversement, il suffit d'évaluer les éléments de plantes vendus dans tous les marchés
urbains et ruraux des pays forestiers du monde tropical. Cette vente très ancienne, qui a
survécu aux colonisations, s'est extraordinairement développée de nos jours à cause de
l'insuffisance des médicaments transformés et manufacturés et de l'impossibilité pour
80% des populations pauvres, d'accéder aux pharmacies citadines fort coûteuses.
- En l'an 2.025, la population des pays en développement atteindra 6.800
milliards d'habitants suivant les statistiques démographiques. Si l'on considère que
chacun consomme en moyenne 10 kg, de matières végétales médicamenteuses par an,
ce sont 68.000.000 de tonnes qui seront prélevées chaque année sur la végétation
tropicale. Ce chapitre, bien qu'estimé, est significatif dans la mesure où il s'agit d'une
valeur nouvelle qui s'ajoute aux valeurs communément exprimées en matière
d'exploitation forestière.
r ) Volonté politique
Le maintien et le développement de la végétation tropicale floristiquement très
riche tiennent essentiellement de la volonté et de la détermination des hommes de la fin
du 20è siècle et des siècles futurs. Tous les aspects des processus de dégradation et de
mutilation des milieux naturels fragiles sous les tropiques, sont largement dénoncés et
publiés dans les actes des séminaires et des colloques de l'UNESCO, de l'IUSB, de
l'ICSU, de l'ACCT, du PNUE, de l'OMS, du CAMES, de la CSTR-OUA, de la FAO,
du PNUD, et tout dernièrement par la CNUED. Les recommandations, les résolutions,
les actions et les conventions élaborées à ce sujet s'accumulent sans être appliquées de

-13 -
façon efficace et spectaculaire. De nos jours les forêts d'Asie tropicale sont les plus
exploitées, celles d'Afrique sont considérablement entamées, seules celles d'Amérique
tropicale restent encore peu exploitées. Nous sommes dans une fonction systématique
régressive.
La CNUED veut se donner les moyens de stopper un processus de dégradation
environnementale mondiale ; il faut qu'elle procède au changement des mentalités
actuelles des habitants de notre planète, qu'elle libère les initiatives créatrices, qu'elle
identifie tous les partenaires potentiels, qu'elle coordonne leurs actions et assure une
gestion
globale
des
ressources
de la biosphère.
Ne s'agit-il
pas

d'une
recommandation de plus qui ira sans doute dormir, comme tant d'autres!
3e) Transfert des technologies
- Quelles technologies nouvelles pour l'exploitation rationnelle des ressources
végétales tropicales ?
C'est depuis le début des années 60 que le mot d'ordre de transfert des
technologies a été lancé au profit du développement Nord-Sud. Les moyens libérés par
les pays industrialisés pour concrétiser cette intention sont énormes mais peu de
résultats positifs ont été enregistrés.
Depuis une vingtaine d'années ce sont les BIOTECHNOLOGIES qui orientent
la recherche vers une transformation des organismes vivants et de leurs particules pour
le développement des industries agroalimentaires et pharmaceutiques. Albert SASSON
(1988) dans son livre sur "Biotechnologies and development" a présenté et analysé de
nombreux aspects des apports prévisibles ou soupçonnés pour les pays en voie de
développement dont les composants essentiels sont les pays tropicaux. L'industrie
pharmaceutique moderne réalise des recherches pharmacologiques très poussées grâce
aux méthodes de la biotechnologie, pour une augmentation et une optimisation de la
production.
De nombreux travaux sont réalisés ou sont en cours sur les arômes végétaux,
les produits pharmaceutiques d'origine marine, l'industrie cosmétique, la production des
alcaloïdes, les plantes antivirales, l'industrie alimentaire, la pharmacologie moderne,
etc... par des spécialistes, des équipes de chercheurs qui évoluent dans des structures de
recherche ultra modernes ; le coût, fort élevé des matériels et équipements déployés
n'est pas à la portée des pays tropicaux.
Il y a un décalage profond entre les pays tempérés industrialisés et les pays
tropicaux ; le même décalage s'observe entre les différentes régions des tropiques à
savoir les tropiques humides, les tropiques subhumides, subarides, les tropiques arides,
les tropiques désertiques, les montagnes tropicales, les subtropiques. Le niveau de
déVdüppement est très inégal entre les zones climatiques et ethniques correspondant à
ces différents tropiques. L'exemple du continent africain montre que l'Afrique

-14 -
méditerranéenne et l'Afrique australe tempérées peuvent prétendre aux
progrès
biotechnologiques actuels, ce qui n'est pas valable pour l'Afrique sahélienne et l'Afrique
forestière tropicales dont on connaît le faible niveau de développement face à la
richesse extraordinaire de la diversité biologique.
- Quels transferts technologiques pour l'exploitation rationnelle des ressources
végétales tropicales? La "sagesse" commande de prendre le temps d'utiliser les modèles
classiques qui ont fait leurs preuves, en les soutenant par de puissants moyens
financiers.
IV - PROSPECTIVE Cf. Diagramme / Organiation générale intégrée).
L'industrie pharmaceutique basée sur l'exploitation rationnelle des ressources
tirées de la biodiversité tropicale doit correspondre à la finalisation de tout un système
pluridisciplinaire, organiquement lié et complémentaire, d'où notre proposition du
diagramme intitulé "organisation générale intégrée". Les conditions de développement
et de réussite de cette industrie résident dans l'excellence des traitements consacrés aux
différentes disciplines et rubriques constitutives du diagramme. L'étude scientifique et
l'exploitation des plantes médicinales font intervenir ipso facto, dans le même maillon,
d'un côté botanistes, généticiens, forestiers, agronomes, biotechnologues, pharmaco-
gnosistes, physiologistes, ethnosociologues, environnementalistes, phytogéographes...
et
de
l'autre,
médecins,
cliniciens,
phytothérapeutes,
pharmaciens,
chimistes,
thérapeutes
traditionnels,
pharmacologistes,
pharmacotechniciens,
agroforestiers,
vétérinaires industriels, économistes ... etc. Ces spécialistes opèrent dans six modules
individualisés mais interconnectés, non autonomes, regroupant les disciplines suivantes
Module n-l : Botanique - Pharmacognosie -Génétique -
Microbiologie -Virologie - Biotechnologie - Agroforesterie.
Module n-2 : Phytochirnie - Biochimie - Biologie moléculaire.
Module n-3 : Pharmacologie - Toxicologie
Module n-4 : Pharmacotechnie - Législation
Module n-S : Clinique - Centre de Santé
Module n-6 : Industrie - Commercialisation.
Les objectifs poursuivis par chaque module sont indiqués. Cet édifice que nous
pouvons dénommer "Centre de Recherche Industrielle" est géré et alimenté par deux
grands services techniques :
- la commission de la Recherche appliquée à la pharmacopée correspondant à
l'administration centrale chargée de la programmation, de la gestion et des sources de
financement;
- la documentation, véritable banque de données comportant des cellules
d'information de diffusion et de formation.

-15 -
Nous n'avons pas connaissance de l'existence d'un tel centre d'excellence aussi
complet et fonctionnel dans les régions tropicales où foisonne une diversité biologique
peu étudiée et en définitive mal exploitée.
v - CONCLUSION GENERALE
Dans la première partie de cet exposé consacrée à la problématique générale,
nous avons voulu attirer l'attention sur l'importance de la diversité biologique des
régions tropicales du monde où peu de facteurs interviennent dans la limitation de la vie
des plantes et des animaux, à l'exception de l'homme qui s'oblige à lutter contre des
maladies, dès sa naissance. Un bref historique a montré l'existence de ressources
naturelles dont l'exploitation, voire l'industrialisation n'est qu'à ses débuts, ce qui nous
impose de réfléchir sur les différents modèles de recherche et de développement
économique rationnels et durables.
Dans la deuxième partie, nous avons relevé à titre indicatif les apports de la
biodiversité tropicale en donnant des exemples de plantes médicinales célèbres et
industrialisées, des exemples de plantes médicinales en cours d'étude et de plantes
pharmacologiquement inconnues. Une troisème partie est consacrée à l'analyse des
problèmes fondamentaux concernant les prélèvements, la volonté politique et le
transfert des technologies qui nous imposent de nous préoccuper avec plus de
détermination, des modèles technologiques classiques.
Pour concrétiser les analyses qui précèdent, nous avons, dans une quatrième
partie,élaboré une prospective qui expose nos propositions (condensées dans une
organisation générale intégrée).
Industries pharmaceutiques, pourquoi, pour qui et pour quoi faire ? Nous
sommes contraints d'admettre que d'un côté, sous climat tempéré ou froid, il y a les pays
déjà industrialisés, riches, à cours de nouveautés ou en évolution rapide, et de l'autre
côté, sous climat tropical chaud, les pays sous développés, pauvres, mal organisés et
mal soutenus, en retard.
Compte tenu de l'exubérance ou du foisonnement dans la diversité biologique
tropicale, partie intégrante du même patrimoine mondial pour l'humanité, la CNUED
nous place devant nos responsabilités et promet de nous donner les moyens de mieux
poursuivre les recherches scientifiques et technologiques en cours.
Les pays sous développés ont besoin, pour dynamiser les aptitudes de leurs
chercheurs compétents qui sont motivés et disponibles, d'un encadrement technique et
financier important, focalisé sur l'organisation et le développement d'une industrie
pharmaceutique adaptée à leurs besoins réels et à leurs usages réels, tirant ses sources
d'une biodiversité scientifiquement maîtrisée.

-16
Pour cela, il va falloir les doter, sur place, dans l'environnement tropical 5 de
centres pluridisciplinaires complets, élaborés et rendus fonctionnels, suivant le modèle
d'organisation "d'ADJANÜHüUN". De tels centres de recherche pour l'économie et
l'industrie n'existent nulle part en Afrique tropicale.
Les centres d'excellence en question seront régionaux ou inter-régionaux,
indépendants, différents, non superposables aux universités actuelles qui sont prises en
otage, un peu partout, par l'agitation et la révolte de leurs utilisateurs inquiets pour leur
avenir.
5 _ Sur place et non à leur place, faisant allusion au grand déploiement aauel de nombreux instituts
spécialisés qui collectent et traitent aux USA, en Angleterre ... les données ethnobotaniques provenant
d'Afrique ou d'ailleurs. (Cf News Letter OUA/STRC, 1994).


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BIODIVERSITE TROPICALE INDUSTRIE PHAR\\1ACEUTIQUE
ORGANISATION GENERALE INTEGREE
Botanistes
e-
·
Généticiens
.,
COMMISSION DE LA RECHERCHE
Forestiers
:>
Agronomes
:>
Biotechniciens
APPLIQUEE A LA PHARMACOPEE
:>
·
Pbarmacognosistes
.
---------...,.
·
Physiologistes
Elaboration et coordination
Sources de financement
Ethno-Sociologues
~
des programmes
Gestion
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Environnementaliste: __
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Phytogéographes
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r'*-B-OT-A-N-I-Q-U-E---"
*PHYTOCHIMIE
*PHARMACOLOGIE
'PHARMACOTECHNIE
*CLINIQUE
"INDUSTRIE
'PHARMACOGNOSIE
*BIOCHIMIE
*TOXICOLOGIE
*LEGISLATION
'CENTRE DE SANTE
"COMMERCIALISATION
*GENETIQUE
*BIOLOGIE MOLECULAIRE
*MICROBIO-VIROLOGIE
.Dérermination des toxicités
.Standardisation des
·Protocole expérimental
.AMM
*BIOTECHNOLOGIE
.Analyses qualitatives et quantitative!
. Vérification des propriétés
préparations et médicaments
.Marchés
*AGROFORESTERIE
.Préparations-lsolement et
1
1<->
~ Profil pharmacologique
.techniques et normes de
.Essai - Contrôle
.Brevets
identification des principes actifs
.~ spécification
.~ Formulation
<->.Production
Enquêtes ethnobotaniques
.Bilan - Economie
Matériel expérimental
Cultures cellulaires
Aménagement-Protection
Conservation-Herbier-
Droguier
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BANQUE DE DONNEES - DOCUMENTATION - INFO - DIFFUSION -" FORMATION
par le Professeur Emirite E. J. ADJANOHOUN
Président du Groupe de Recherche et d'Information
sur la Phannacopée et l'Environnement Tropicale
(G.R.I.P.T.)

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REFERENCES
ADJANOHOUN, J.E. 1991 - La médecine traditionnelle africaine.
Encyclopédie des Médecines Naturelles - Ed. Techn. Paris.
ADJANOHOUN, J.E., 1991 - Forêts tropicales et pharmacopées africaines.
Acte du Séminaire régional de N'Sélé (Zaïre).
BOURDOUX, J.-L., 1983 - Plantes médicinales de la flore amazonienne.
CT.F.T. - Min. Coop. et Dév. 1989 - Mémento du Forestier 3è éd., Paris.
KABALA, M.D. 1992 - Modification de l'environnement et des milieux
naturels africaine subsahariens - Thèse Univ, Bordeaux III.
OUA - CSTR -1985 - Pharmacopée africaine -Vol.1,Ed.1 -Lagos
(Nigéria).
PENSO, G., 1980 - Inventaire des plantes médicinales employées dans les
différents pays -WHO, - DPM 8.3 - Genève.
RAMAUT, J.L., 1978 - Plantes médicinales et condimentaires Soc.
Bot.Liège-Univ. de Liège -Belgique,
SASSON, A., 1988 - Biotechnologie and development. - Pub!. UNESCO
Paris.
MAB-UNESCO - Rapports et ouvrages divers -Pub!. UNESCO -Paris.
JURS - Biology International 1994 - The news magazine - neZS - Paris.