QUELQUES REMARQUES SUR LA DYNAMIQUE
DE LA PRATIQUE DU GUERISSEUR ET SUR LES RAPPORTS
A LA MEDECINE SCIENTIFIQUE
R. F. FOURASTE 1
Nos remarques se formulent à partir d'une
de pé-nétration, système de renforcement des ef-
pratique médico-psycho-sociale, à l'Université
fets par des pratiques diverses (onctions, manipu-
d'Abidjan, s'adressant à une large population de
lations etc ... ) Ces pratiques sont liées d'une part
tout milieu, de toute ethnie et de tous les âges.
à l'image que le guérisseur s'est fait du corps et
Le symptôme somatique est signifiant, dans bien
d'autre part, à l'essence culturelle conférée à la
des cas, d'une demande psychologique et sociale
maladie. Le guérisseur est ici, au sens le plus vrai,
qui ne se verbalise pas d'abord, mais s'exprime
un praticien.
par un désir indirectement explicité de retour au
village pour suivre un traitement indigène. Le
3°1 Il sait guérir. Il utilise à cette fin le temps
guérisseur est et reste, même dans un contexte
social. Chants, danses, aspects cérémoniels, reli-
fortement occidentalisé, un pivot culturel.'
gieux, sacrificiels etc ... sont des modes de mise à
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1°1 Il sait lire dans la nuit. C'est, pour l'homme
distance du sujet et du mal et de rapprochement
souffrant. le niveau d'une adhésion à la croyance
du sujet avec son aire culturelle. Le médicament
d'une essence culturelle de la maladie. Sont en jeu
sera impliqué dans l'enchaînement de ces mani-
les ambiguités et ambivalences de la sorcellerie,
festations de telle manière qu'il devient représen-
les relations magiques au Surnaturel, les aspects
tatif d'une périodicité étiologique bien détermi-
de la divination, de la voyance, de l'oniromancie,
née. L'analyse de ces moments de la cure serait
le rôle catéchiste, prophétique etc ... Beaucoup
à effectuer pour comprendre certaines actions
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f
d'entre les termes fixent les limites de l'action
thérapeutiques qui sinon échappent. La dynami-
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thérapeutique traditionnelle. Mais ils posent aussi
que employée tient de celle des psychothérapies
f
la notion d'un rapport anthropologiquement défi-
non verbales, complémentaires d'une action phar-
i
nissable des adhésions systématiques de l'homme
macodynamique et s'ouvrant sur une catharsis.
f
et de son milieu Naturel et Surnaturel. La fonction
fétichiste pourrait en être un exemple. La place
Loin de se sentir frustré ou mis à l'écart, le
du Guérisseur est alors celle d'un intermédiaire
clinicien
scientifique,
formé
aux
modèles
social ; il assure le lien entre passé et présent,
cartésiens de la dualité entre le soma et la psyché,
1
milieu environnant et milieu de vie. Méthodologi-
devrait s'attacher à comprendre sans la revendi-
t.1
quement, cela demanderait une approche ethno-
quer cette unité psychosomatique et ethnocultu-
culturelle de sa pratique et des rituels utilisés.
relIe. Il est un technicien du diagnostic et de
2°1
l'application thérapeutique, utile à un moment, en
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Il voit le Mal. C'est la réalité du traitement
traditionnel qui est ainsi posée. Voir le mal, cela
échec dès que la maladie prend une signification
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~
veut dire pouvoir accéder à l'historicité de chacun,
sociale extrêmement fine. Dans la pratique, on
dans son groupe, à partir des conceptions que le
remarque surtout l'installation d'une complémen-
groupe a de la maladie et d'une perception très
tarité où chacun, praticien de la tradition et
représentant de la médecine moderne, prend sa
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spécifique de l'image du corps. Chaque parcelle
du corps est
place. Le « bon médecin» étant celui qui « aura
« signifiante» d'un vécu et d'une
présence dans les rapports à l'autre. S'institue
permis ce retour aux sources », tout comme le
ainsi une nosographie culturelle que seule l'appré-
« bon guérisseur» sera celui qui saura adresser ou
hension ethno-sociale des «dire» et des «non
envoyer son malade aux consultations occidenta-
dits
lisées.
» permet d'entendre. Au décodage anthropolo-
gique s'adjoint un décodage sémantique de ce
1
SERVICE PSYCHO-SOCIAL DE L'UNIVERSITE ABIDJAN
«langage du corps ». Le remède n'est appliqué
le 25 septembre 1982.
"
!
qu'en fonction d'une telle perception psychosoma-
î
tique, ce qui ne nie en rien ses vertus pharmaco-
1. FOURASTE R.F. - Enseignant de Psychiatrie à la Faculté
de Médecine d'Abidjan - Psychiatre de l'Université - Médecin-Chef
t
logiques, mais celles-ci nous semblent condition-
du Service Psycho-Social de l'Université Nationale de Côte d'Ivoi-
nées par le rituel d'utilisation : association, voies
re.
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