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U RECHERCHE DE MEDICAMENTS NOUVEii.UX D.ù...NS LE C.t:..iJRE
DB LfBTUDE ET DE LIEXPLOI'fATION DE LL'~ J?}L'..Rr·1i\\C0 PEIi; AFRICLIEEl
TRl:...:o IT l mn-œ ]JLE
par Jooeph KEmL~O
Nombreuses sont les
moti~tions et les techniques qu'on
peu-t invoquer en faveur de l'étude et de l ' exploitation d c la ph.<:>.r-
maoop6e africaine traditionnelle, étant entendu unanimement que le
seul point de départ possible est l'établissemen~ d'un inventaire
de pL~~tes médicinales dftment identifiées avec mention de leurs u-ti-
lis2,tions empiriques.
A par-tir des résultats ainsi obtenus deux types cl'exploi-
tation peuvent ~tre envisagés : le premier qui s'attache à L~
poursuite de l'étude de la pharmacopée et que nous appelons, p01J.r
cette raison, la voie africaine, 8. pour but précisément, (le servir
cette phartn['"copée en la rénovant ; le second,
envisage ["U corrbz-ad.r-e
de se servir de cette pharmacopée pour la recherche universelle de
médicaments nouveaux~
Dans le premier cas i l s'agit de réaliser un ensemble de
reoherohes bibliographiques, phytnchimiques, pharmacologiques et
~n~o~bnLquês conduisant à la connaissance de la constitution
chimique et à un emploi thérapeutique raisonné de drogues inventoriées;
de prendre ensuite dans un contexte socio-économique des mesures de
Santé publique pour l'instauration d'une véritable phytothérapie
africaine ; de réaliser enfin des cultures industrielles de plantes
médicinales~
Quant à la recherche de médicaments nouveaux,
c'est-à-dire
de molécules pharmacologiquement actives,
ce n'est plus lm ~roblème
propre à la pharma.copée, mais un problème qui se pose à l'échelle
mondiale ~ Cette recherche présente, quelle que soit la voie, ..Q.h.o~:h..e..,
des dixficultés considérables pour ~tre menée à terme jusqu'au sucoès.
D'::~.s oeiii;e perspective, l'exploitation des données fournies par
l'étude de la ~harmacopée traditionnelle peut constituer une des xoie~
~~_rec~e~ohe, laquelle, pOLIT aut2nt, n'est pas moins ardue que 'les
autres et ne peut donner des résuli;2.ts qu 1 à longue échéance. C' e:TG
un fait acquis sur lequel nous reviendrons.
Ces deux exploitations possibles, l'une à
court, l'autre
à très long terme sont à
cet égard fondamenta~ement différentes~ Sont
différentes aussi les teohniques mises en oeuvre, et donc les appa-
reillages,
oe qui, nous le savons d'expérience, n'est pas toujours
compris des nutori tés responsabJ.es des financements ~
Un bref aperçu du déroulement des opérations à p::'.r-l;ir de lu
cue~ette du végétal vivant fera mieux saisir le processus suivi et
l'intrication des problèmes.
Au départ, le travail sur le . terrain est un travail de
prospection botanique et de récolte de matériel végétal qui par la

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sui~e es~ soumis à des opérations de séchage, de broyage, de gtookage,
puis à des essais chimiques et ph2rmacodynamiques.
Lors d'opérations plus poussées de chimie extractive, la
mise en évidence de fractions actives ou de principes actifs cons-
titue encore ~~e étape intermédiaire. Celle-ci peut cond~ùre ro.yide-
ment en Afrigue à des applications thérapeutiques par l'emploi de
formes gal8niques appropriées, voir rn~me de totums hétérosidiques ou
alcaloidiques. C'est ce qui a
été réalisé, par exemple, à l'Insti~u~
PGsteur de Dakar durant ~~ dernière guerre avec les alcaloïdes
antidysentériques de l'Holarrhena folklorjlbunda •••
Une
telle mise en évidence de fractions actives suivies
d'une application pratique est une chose; l'obtention de subs~ances
pures,
eristallisées, pouvant ~tre soumises à l'analyse structurQle
en est un e autre, bien différente,
et qui ne conduit pas -'couj ours, i l
sle~ faut, à la découverte d'un médicament nouveau.
La recherche phytochimiquE: est d'un type particulier. Tale
pose aux chimistes de multiples problèmes d'extraction de sépé),ra-tion
et d' ident if'i CE'-t ion de princi;)es c~ctifs inconnus. De plus, les chimis-
tes "font rarement a,ppel à la chimiotaxonomie, discipline ~ ....:ln-
dispensable pour guider l ' explor:::~tion phytochimique, mad.a qui exige
de solides connaissances en 'botrari Lq l'.e systématique. D'où des recherohes
longues et laborieuses aboutissant parfois à Qes principes nctifc
C01U1.UC qù'une étude chimiotaxonomique un peu fine au.r-a L t
:,:)eu-t-~tre
permis d'entrevoir plus vite
(Pelt in Bull. Phie, 1970, N° 2).
Les exemples sont nombreux de moyens importants mis en
oeuvre' poux trouver des principes bcriaux qu'un ph?rmacognosiste ;)OU-
vait s'attendre
à mettre en évidence dans
les drogues étudiées~
Hélas
r, constate notre ami Pelt, "les chimistes attelés Ù. cette
recherche ignoraient tout de la position systématique de'ces droE~es
et donc des principes qu'elles pouvaient contenir. Car ni est le }:16rit;e
de .La pharmaoognosie que de jeter un pont entre des disci;::>lines o.usni
diverses que la chimie des substances naturelles, la taxinomie et 12.
phoz-mo.coLog i,e -'coutes indispensables à la recherche de principes ac-
tifs".
Découvrir un médicament nouveau n'est donc pns f~cilc et si
~n voulait eommencer l'exploitation de la pharmacopée traditiolTI1.elle
pa.r cette t~che là, r'ln irait, au prix d'investissements :financiers
énormes, au devant de nombreux déboires,
car faible est l<:'. pro~)2.bil.i­
té d'une molécule pour ~tteindre l'état enviable de méd~~t
eomme~:cialisé•
Jusqu'à ces dernières a.nrié e e on considérait qu I un m{dica-
men~ seulement était spécialisé sur 6000 substances testées.
Aveo les lnéthodes récentes de screenines systématiques perfectiolnî~s
on l:Jeut [3,dme-ctre statistiquement, selon les spécialistes de l'AITifÂl=i.
(Agence N:?,tionale de valorisation de la recherche), que o-u nri.e ux ,
sur 1000 molécules ainsi "inventées", une seule, remplit les condi-
tions z-eq u Le e a aux points de vue activité,
inocui té, priX et rno..rché
pour ~-'cre susceptible d'aboutir à un véritable succès, Cl ('st-à-<.'irG

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210 ...
au 1anoement commercial (Courrier CNRS, 1973, nO
7,
p~ 48).*
De plus,
selon la m~me source, le développement d'un mOQi-
C2,ment depuis une molécule nouvelle
peut demander 5 à
7 ans d<:~nB les
oonditions intensives de recherohes
con~euses. Cette période corres-
pond à l'élimination de 999 moléoules qui ne parviendront p~s au
suocès.
M~me le succès de la molécule triomphante n'est pas de durée
garG.lltie sur les marchés. Elle doit encore subir l'épreuve du temp:::;
e' est-à-clire l'expérimentation thérapeutique
journalière de elilliers
et de milliers de mé d e c i.n.e , A~'_ors seulement, si elle a
pu pL',suer le
cap difficile ~Ù la plupart de ses congénères disparaissent ~u
à peu
avec discrétion,
elle entrera dnus lL-'.
famille restreinte des
·m(~êl.i­
caments perDBnents qu'aucune ooncurrence n'a p~ encore éliminer de
la mémoire du prescripteur".
Si on passe en revue les substances qui ont résisté à la
eomp<~-l:;ition que leur livrent les molécules nouvelles introduites sur
le m8.rché,
on remarque,
une fois de plus, avec Pel t ,
que i)oauooup
d'entre elles sont des molécules d'origine naturelle, héritées des
tr,'"ditions thérapeutiques très e.rio i.ozme a
et déjà corrf'dr-mô e o dC'-llS leurs
inclic;~,-l:;ions par un long US2.ee.
Ll.:-: .._':~
e n co uz-e.ge arrf de constater que les exemples de
perennité des médicaments issus de l<1 P]",rmacopée ai'ric[',Îll.e ne
me.nquorrt pas avec,
par exemple,
les hétérosides des S"<.;r~th~t
les nJ.caloïdes des Strychnos, :q,atur,::::,
f~ve de C labar, &'"'1U,'tlOl-~t
etc~ D'autres molécules, corrMe les alcaloïdes des Pervenches et des
Voa02:Jl;;,a, déjà en concurrence avec "les anciennes, ne
tarderŒri:; cer-
tainemen~ p2.S à accéder aux premières places.
A ce propos, nous voudrions avant de terminer,
f~ire état
sucointement d'une aventure qui réswne et illustre notre eJ::oosé.
En ~, nous débarquions en Côte d'Ivoire, investi par
lfORSTOI-I d'mlO mission d'étude de la pharm8<copée de l'AXrique de
l'Ouest
(mission KERHARO-BOUQUET). A la suite des prospections ethno-
bot~niques ~lwédiatement entreprises, le choix de notre première
~~~~!!~ se porta sur la Rauwo~fia vomitoria. Trente kil~~=~p~Ïâ~ oec)
des-dIfférents organes, dont racines et écorces de raciEos,
furent
expédiés en France
i mais les rechérches entreprioes n'Cèyant pas
donne les résultats esoomptés furent
rapidement abandonn~es.
* Sigl'lalons à titre documentaire q ue d'après les données f'o ur-riLe a
par I I
0 ~C ..D ~B. (Organise,tion de Cooi/8rD,tion et de Dé ve Lo poeme rrt
Economique) une molécule active met,
:::,;elon .les pays, -trois à
sept
ans pour- devenir urie "innovation thC:rF~tpeutique·à gro.nd marché" ~ Une
teJ_lo d ôrionri.ne.t Lori correspond à deux critères s':ü,. doit s'agir d'une
Lrino'va-t Lon majeure
;
la mo Lé c u.Le doit fi[';urer parmi les premiers
produits en chiffre d'affaires sur le marché national cansidéré~
I l a
été ainsi sélectionné dr.n s
le -uorid.e de 1905 à 1969, l38 produits
dont 11 pour la France qui vient au quatrième rang avec 8% des llul.O-
vntions
(Courrier CNRS,l97l, nO
2, p. 57).

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En ~, 7 ans plus tard, la réserpine était isolée lJL"l~
les Suisse Mnller et Coll. du Rauwolfia ser~entina
des Indes tandis
que son action antihypertensive et sédative Cà l'origine, ne l'ou-
blions pns, de la notion des trccnquin ieonta) étant bien établie e:;:l
1953-1954 ~
En 122i, Janot à Paris, entreprenait à son tour, sur noo
éch3ntillons, l'étude du Rau~olfia africain et y découvr~it la réser-
pine à un taux plus import~nt que dans le Rauwolfia indien~~. On
conna!t la suite.
En conclusion, fort de notre expérience, nous sOlL1J.o.iterions
que cet exposé soit considéré à 10 fois comme un message de mise en
garde et d'es~oir. ~üse en garde, c~r l'arbre ne doit pas masquer
la for~t, contre un esprit d'entrcnrise qui perdrait de vue les ob-
jeotifs majeures et prioritaires d'~~e étude ~~ d'une exploitation
africD..ines de la. pharmacopée traditionnelle. l\\1essage d'espoir parce
qu'une telle applioation utilitaire apportera un mieux-~tre sanitaire
aux populations, tout en conduisant à des exploitations dépassant le
cadre de l'Afrique.
Le pE1.ssé, ancien et récent,
est dans ce domaine 18 plus sft!:-
gc~r:·.n·i:; de J_ f :J..venir • La. flore tropi cale ne nous 0. pas encore livré
tous seo secrets concernant la phytothérapie et la chimiothérapie.
CI er3t pourquoi, pL1,rmi les voies hasardeuses de la recherche de médi-
curne rrtin nouveaux, celle qui oonsiste à explorer sélectivement 10
con-tenu de lu.. phc",rmacopée traditionnelle demeure une des plus promet-
teuses de succès.