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~ J2.e:r:,s.o.nne du gué.risseua;: et les conditions dG.ns~esCluel­
les se déroule la cure traditionnelle suggèrent 8ussi, à l'évidencc,
que l'intervention bénéfique ne se limite pss au niveau du biologique.
Ne
devient pas guérisseur
qui veut,
à
moins de
joucr nu
guérisseur et Cl. , "tre un ma.rlatan exploitant la crédulité des autres ~
Le gu6risseur est élu,
formé,
reconnu.
L'éleotion est un message
transoendanta1 qui indiQue à
l'homme qu'il a
le pouvoir de guérir : r~ve , maladie initiatique ou
indice siGnificatif po~œ lui seul ou le groupe. La formation c'est un
appren-i;isso..c:e plus ou moins ~ong, qui peut durer 5 ou 10 ?ns, e.u
cours duquel i l n'y a
pas seulement transmission de recettes ou de
versets,
mais aussi évolution de la personno.li té du futur guérissem"
vers une
plus grande maturité et l',c~cquisition de quali-l:;6s
particulières ou exceptionnelles. La reconnuissance du st~tut et du
rele du gU8risseur,
de son pouvoir ot de son savoir le situe parmi
les aùtros
;
c'est par cette reconnaissance qu'il s'éprouve confirmé
et qu'il peut accomplir avec l'accord de tous
son travail de guéris-
seur~
On a
tendance à reconna1tre o..u guérisseur des trc\\i-i;s para-
no~aques : sar de lui, ne doutant pas de son pouvoir, m~rginal, supé-
rieur au cownun des mortels, dédaigneux de la science
occidentale~•••
Cette perception est celle de l'observateur
occidental à
qui manque
souven-!:; pour peroevoir cet autre,
guérisseur,
la dimension de 1D. tro.:ns-
cendan ce ~
I l est s~ de lui m~is i l reconna1t ses limites. D~ns ses
limites i l ne doute ~~s ;
la èertitude 1ui est donnée par la nature
m"me d'une conn~issance dont i l est le dépositaire,
d'illl POUVOll~ dont
i l est le médiateur ;
connaissance et pouvoir qui lui sont donnés pnr
les esprits et les dieux pour les autres hommes~
n nous est apparu comme lU1. ~tre entièrement disponible,
sensible, libéré des composantes n~rcissique, sado-masochiste ou
affl."essive
a disponible, ayant f'üit ln paix avec lui-m~me et les .:J.utres,
entiorcnwnt ô. la di sposi tion des autres
;
sensible, de
ce-c-ce seD.8ibi-
l i t é qui peut saisir l'autre et ses problèmes par l'écoute,
le reg,-·.rcl
et peut-etre une o.utre perception extra-sensorielle
;
sans agressivité
précis6men Jc pD.rce qu'il a
évacué ses propres conf'li t s ,
son ll;.'rcisoisl.lc
et son s;;.disme.
(
L'ensemble de ces qualités font de lui le thér<~peute par
e xc o LLeri c e ,
I l est très dif:fic ile dl obtenir cet état
;
;c::.uc~me :form.:1.-
tion ni y
p~'J:'v:i.ent aisément, même pas la formation analytique !
Lorsque le
guérisseur p<-'l.rle de sa "connaissance", i l ernp Lod e
l'expression " c o nnaissance de la nuit"
;
c onnod aeo.nc e
acquise :rar urie
triple vàie
: donnée au d
pa r-b par D:;_eu,
acquise p"1.r l'e::périoace
é
auprù s
cl' airt r-e e
guéris seurs,
révélée quotidiennement p2cT urie iFuncrsion
dans
les profondeurs de l'inconscient,
immersion qui prend
J_<-:".
f or-mo
de messages a-?portés pendant Le r~e, la méditation ou les diverses
formes de déprivation sensorielle ritualisée.
~es .modalités _de la c~UC'~
sont variables,
en accord avec
!
les diverses représentations,
c'ost-à-dire les mode.Ld t
s
c1t;.:,cression
é
r
qui sont à
J_' orieine de la ma Lad.Le ;
Le rituel thérapeutique
est plue
if
1

-
197 -
ou moins complexe. Son but est de rétL:~blir l'ordre social : illH-L;~1.tr'er
une bonne r-e Lc.t Lon entre l'homme
et les autres hornmes ou entre lthol1U:le
et l a loi du groupe qui est celle auss~ de Dieu et des anc~tres.
I l importe de souligner ici
:
1 ~ L2.. pz:,rtici:;xltion collective au secours do l'inc.ividu
agressé par un esprit ou pur un ho~nc. Les participants sont le gU0-
risseur et ses assistants,
le
grou~c fa~ilial et social, le DGlade,
leG anc~trGs et les esprits. L'accord est r-é a.Li.e
entre tous IX-~ les
ê
conditions du rituel,
mise en ordre symbolique à
laquelJ_e ·COUS ~:i.­
oipent pc.r le verbe,
La d anc e et le rythme.
2~ La direction m~me de l'2.,0te thérapeutique
;
ce qui
est
visé p:"l.r le guérisseur,
c'est l'iJ<orcsGeur
et non le
rœ.Lnd c
lui-L1~k1C~
I l n'y ;;~ ni ma.nLpu.La b i.ori ,
ni contrainte à
l'éeard du ma.Lud o qui OS"i:;
respeotê d~ns G:\\ liberté et sa. v o Lorit v; ,
qui res'te malgré sa folie
membre à pnrt entière du groupe,
accepté et reconnu pGr l u i .
Ces
conditions,
s i éloignées de
celles qui situent l'nc-bion
du psychi~tre, suffiraient à rendre compte de l'efficacité de 10,
médecine tr<J,c1itioYl..nelle.
I l nt y a
Pé:.S isolement,
mise à
l'écê'.rt, rejet,
rupture de communication entre l'individu D~lade, sa famille et le
groupe ~ Le me.Lad e ne subit p<::I.S la contrainte des autres
j
i l est res-
pecta dcms
sa dignité de personne.
No ue avons trouvé:là un modele
qui nous a aidé à
J:.'efuser les
modèles occidentaux asilaires et nous Q, permis de proposer cl' ~'.utres
forDOS dt~ssist2~ce psychiatrique que celles,
inadéquates,
inefficaces
et ali6I1.<."l.ntes,
que le co Lon Ls c t euz- rxsr«:..i t
importées et que
J.es Pouvoirs
Publics del;K'ZJ.(lent
enc ore actuellement. C'est un eri o e i.gn ome rrf e Lmp Lo
et Iruma Ln que l 'Afriq ue peut apporter au Inonde occiccente.l.
LES H~':...1['.f..D ' I,NTERVFflNT ION
Essayons de mie~~ situer l'action du guérisseur pnr souci
de oompr-eridz-e ,
de ma5:triser ou de s '~q;Jproprier.
Les conditions mêrno a
du déroulement de
1<.1. cure sont impor-
t::::.ntes
;
ra,',is
on ne
peut
en percevoir toute l~ richesse })o.rce qu'é-tre.:n-
ger à J_<.'. cultur'e ~
ID. releveion guérisseur/ me.Lad e
est a.ussi un ph6nouène
très
comp Le xe de'.ns
leque l
i l est possible de définir trois n Lv ecvux op6rc'.-
tiOl1l1.els
:
a ~ Un premier n i.v orvu peut ~tre nppelé .l2.s'ychologi,s,ue ~ I l nous e cc
familier et nous renvoie à
ce que nous c orirxe.Le e orre de ln relé'/cio:n. li10cLe-
oin/L12.12..de. J.1:.'.is la différenc e
est gr;J,nde
;
ce qui 0. été dit de le,.
personne du [;u.érisseur et du déroulement de le, cure 12. lc.isE"!C deviner.
Le gu6risseur n'applique ;,);_'-8 seul.ement et simple',lent d o s
recet'ces ou urie
-technique. La richesse des
oho.rige e verbaux, non vcr-
é
'baux ,
los é'.ctions sur le
corps,
le rythme,
la d arie e
tissent; urie relo.-
tion qu 1 iJ_ est cliff'icile de transforr,lCr en une corincd.e e o.nc e tra.nsmis-
e LbLc ,
cJUscGptible d'~tre réduite en une
technique,
snnr::l un c\\'1;)}J8.uvris-
sement considérable, voire une
évacuation totale de son contenu~ Ces
échances oorrt portés pe.r une concept ion partagée de l' Iromrao eJc d u
monde,
p;~r un lc~ngage co mrnuri ,
po r- des représ en to.-t ions qui orr;c'.ni "'38n-i:; 1
pour tous,
un ordre soc ial impliquo.nt aussi le désordre ou un <:,l,utro
ordre,
celui de 1:'. f'o Ld.e ,

-
198 -
b~ Un autre niveau, difficilement séparable du premier si ce
n'est par souci d'an&lyse,
pourrait
~tre appelé rnyyhigue et rituel.
La cure est C\\,ussi un rite qui réactualise le mythe véhiculé
pe.r les représentations des maladies mentales. L'exemple parf~it en
est
d orirré par le ndop wolof et lébou du Sénée"l,
que
le. plu:p~1rt d 1en-
tre vous connaissent bien. D'autres exemples pourraient ê t r-e d ormo o ,
en rc-pport avec les représentations f'orid amerrt c.Le e de La mc.Lad Le 1'1en-
tale et leurs variations ethniques.
Pourquoi l'efficacité de l'intervention à
ce niveau?
-
cl' abord parce~:alade, guérisseur et participants p;:;,rt'::-l,gent
les m~mes représentations,
c'est-à-dire les m~mes mythes et que ces
mythes sont
encore vivants
-
ensuite parce que le mythe est fondateur de la perSOlllîe et
du croupe socie,l. Le rituel qui le ré',ctuo,lise expulse J_' ,~~gressivi-'G6
aussi bien l'o,eressivi té de l'individu que
celle du groupe soci'::"l,
agressivité qui est source de maladie individuelle et de d6sorr1re
soc ial (1)
enfin les rites opèrent
our une vérité profonde, m~squée
à la oonscience claire, vaguement perçue sans ~tre dévoilée, animant
l'inconscient
et ses projections. Cette vérité,
c'est l'~cressivits
fondamentale,
originaire,
première,
source aussi de tout ordre cymbo-
lique qui va organiser l'existence commillk~utaire.
C'est ici qu'il faut
souligner la remarquable
c~îérence
entre represent~tions des maladies mentales, rituels thérapeutiques
et eénGse ou source de la maladie mentale.
rC:l',is là e.ussi,
comment récupérer,
puisque
tel est le sens
de oe colloque, des mythes qui s'c!,ff~J..iblissent et qu'une science re-
jette cl.. ns l ' obscuro..n tisme
et les superstitions s~~,ns fondement
?
c ~ Un troisième ni ve:::',u est d'ordre trans cendantal • IJ_ est en
ré:llJi)Ort aussi avec la conception du morid e ,
les forces qui gniment
l''LUîivers sensible, les d Leux et les i:\\.ncêtres.
Le guérisseur se dis-
tinGue des Cl.utres par
un pouvoir qui pour-r-o.Lf
t r-e appel6 suru:-',t1.lrel,
ê
c'es-'c-à-dire non conforme .1 ce que nous c onna.Le e oria des sciences bio-
loCiq v.es ou hwno..ines actuellement.
C'est l ' a.ccès au cla nnrp de l.:1. nlCl.eie,
du md r-a c Le , de l'inexplicable,
champ r~énér<::tlement refuss-po..rce que
hors de la. science.
Ce:,?ondant,
bea.ucoup de r-o che r-che e
ont été
faites dc:'/uis quel-
ques ann6es pour vérifier,
sinon expliquer ces phénomènes IIl[),~iqueB,
mystiques ou t,urn,,:,turels dont les guerisseurs de tous les y,--.ys -
-bout
au mo Lno c c.c t a Lrie peuvent témoigner.
I l a
été reconnu l'existence d'une perception extrCl.-senso-
rielle,
c'est-à-dire non reçue par les écrans sensoriels COIlllUS,
sus-
ceptibles de s'organiser en dehors des règles l0giques h-vbd, tuelLes
(temps, espace,
causalités)
un pouvoir télékinétique, mobilis;~L~ à
d.i.s trvno e et ac.ns méci.iD.tion <::~ppr;,rente des objets matériels; une pos-
sibilité d'6l;:,rgir le
cha.mp de conscience
(conscience de l ' c..utre,
(1) Paradox~lement, l~ guerre aux ~liénés, fauteurs de troubles,
déolenchée ),XJ"r les Pouvoirs Publics,
peut être
considérée o omme un
désordre social.

- 199 -
consoienoe des autres espèces, de hè matière, de l'univers)
(1).
Deux "explications" soni; {";énéralement données pour rexnre
oompte de ces phénomènes
:
-
ou bien i l s'agii; de personnalités extrnordinnires, ~out
au moins pouvc<.nt disposer à
certnins ruomen-b e
et d arie
certaines condi-
tions de cc,;pacii;é s
extraordinaires,
('~r."lce à des états de conscience
particuli.ers qui ne
sont pa a
à
l~·'. po r-t o de tous
J
é
-
ou bien i l s'agit d'U1l. pouvoir qui vient d'une interven-
~ion e::l::~6rieure à l'homme ; l' homme ri r est d<~',ns ce CQS que le média-
teur d'une force sacrée et religieuse qu'il peut mobiliser à des fins
thér2.peutiques~
Pour ce qui concerne la médecine trGditionnelle,
nous cons.
tcctonfJ que 10 ao.cz-é et le
reJ.ie;ieux f'ori t
partie inté[~;r8.n~ce de 12. cur-e ~
On pc u t
fèle d ornorid e r- d'e,illeurs s i lE;s possibilités exi;ré:'.ord.inaires
reeOilll.ues
chez quelques guérisseurs ne sont p:?'.s plus fréquentes
chez
l'hol'lme africain. Personnellement
je le penserais. L'Occiden~c ne
f':~.i~
plus de mir,-',cle
; les
cultures tech11iques orit; orienté l'a,ctivité de
l ' homme vers b
c orrq'uê t e
de lD.
m.~~.tière et lE'. maîtrise de l ' erivd r-ormo-,
ment,
oc qui d~ns une certaine mesure éloigne du sacré et Œiminue les
possibilités de communication à tous
J.es niveaux.
Nous cvons morcelé la curo traditionnelle
et séparü nrtif'i-
cd.o Ll.e morrt tJ.~ois ri Lv e aux d' in-cerven-cion du guérisseur. Dr.ris J.o. réalitG,
la cure est une unité
à
la fois psychologique,
mythique,
mystique et
socL~,le~ Le r6seQu de c ommuni.c o.tLon p::.r lequel elle opère s'orGanise
selon des moc.c.Li, tés d.ivere~o,compte tenu des individus mo.Lad ors , de
leur cJ.eur.'.nde cons ciente ou inconsciente,
de ];:1 perception qu'en ont
le thérc.peute,
10. famille
o t
le
groupe social.
IL.' n~T=Q.GRf~TIOlJ DE LA 11EDECIN'.2 TRADITIONNEL~
I l est relativement facile de conna1tre et d'utiliser les
plantes qui on~c quelque va,leur thér:""Deutique,
selon les concepts de 1D.
phytoth6rapie.
Tb.is Jn médecine traditionnelle rdriccdne ne se li;j1it;e p~'.s à
quelques recettes d'herboriste;
elle est aussi une conception de
l'homme, de ses rapports ':-1VCC les c'.,utres,
l'univers ct les dieux J
elle vdJ.ic"LLl.c des veleurs que
l' Occiclent ne reconne.1t p Lue ,
Cette
méd e o Lrie
e et po.rtie
intée;rante de lr'.
culture,
des repr6sentc'.tions,
des systèmes de vCtleur qui f'o nd errt
~!_, existence ct lui d ormont tm sens ~
El18 est lé J.~e:flet d'un choix qui a
orien té l' homme vers J.' etrc ei;
non vers llc-voir,
vers l'~tre enscr,lble ct non l'être seul, vers le
respeot du monde
et non s~ conquête agressive.
Co~nent peut-on sauver cette médecine trGditioru1.elle, alors
que les oultUJ..~es D.frics.ines sont mortellement menacées par J_es cul-
tures o c c Ld e rrt e.Le e
qui morcellent l ' homme :J.ussi bien que
J_c'. p Larrt o
et
l'univers ~ L'incohérence de l'entre:r:>rise est évidente
:
COLlElent")on-c-on
s'ap-"rop:L~ier ln connaissance des guérisseurs pour ln main-cenir , 8.10rs
que l'on détruit les cultures qui cri sont le fondement?
Le retour aux sources peut-il être prêché
S~l~ dérision
ou s.nG hypocrisie
?
(1) "La fr:'.Î blesse de b c.vuo oup d 'horlmes est qu'ils ne peuven't; devenir
ni une pierro ni un arbre"
écrit Aimé
Césaire.

-
200 -
:NOf: :r.-appori:s avec les guérisseurs ne sont pns une -ton-to:tive
dtappropria-tion. C:-;::-Jendant ils nous ont beaucoup appris par une i'ré-
quen-tation s~ns question directe à la :façon des enquêteurs. Peu-t-on
ess~yer d'au-tres rapports? Que masquent les mots d'intégra.-tion, de
coJ.l.abora-tion au-delà d'une intention de bonne volonté et d'un souci
de ne pas h,isser perdre les richesses de leur savoir. N'~a--t-il pas
dans co-t-te intention une condamnation, c'es-t-à-dire une destruo-tion
ou une per-te de quelque chose qui serait l'essentiel de leur "oonn.aJ.s-
sanoe Il ?
Ces questions sont plus embarrassantes que des direo-tives dl~c­
-tion ou des programmes très cle.irement dé:finis. Elles on-t au moins
ltavan-tage de nous interroger et de serrer au plus près la réali-té~