COLLOQUE DU CAMES SUR LA PHA..~YJ.ACOPEE ET LA MEDECINE
Lo~œ 19-22 Novembre 1914
L'INVENTAIRE ETHNOBOTANIQUE SYSTEMATIQUE DES PLANTF..8
MEDICINALES ET TOXIQUES, POINT DE DEPART DE TOUTE
ETUDE SUR LES l1EDECIlfES ET PHARMACOPEES AFRICAINES TRADITIONNELLES
par
J. KERHARO
(Dakar)
Une explication de termes nous parait nécessaire au
début de cet exposé. Si, en effet, nous employons ici celui d'ethno-
botanique, alor~u:ppliqué au cas envisagé celui i'ethnopharmacogno-
sie conviendrait mieux, c'est pour metre en évinence le r8le pri-
mordial de la botanique, substrat de toute recherche.
L'ethnobotanique, tout naturellement liée à la botani-
que peut se définir avec Portères comme étant une discipline scien-
tifique qui s'attache à connaitre et à. interpréter "les faits d'in-
terrelation entre les Sociétés humaines et les plantes en vue de
comprendre et d'expliquer en partie la naissance et le p~ogrès des
civilisations, depuis leurs débuts végétaliens jusqu'à. l'utilisa-
tion et la transformation des végétaux eux-mOrnes dans les Sociétés
primitives ou évoluées".
Or, en dehors même de l'ethnobotnnique proprement dite,
la nécessité de l'identification scientifique des plantes médicina-
les, av~nt d'aborder toute autre étude directe ou indirecte à leur
sujet, n'est plus à démontrer en rai.on des échecs du passé impu-
tables à cette méconnaissance.
Le cél~bre chimiste T. Reichstein, lauréat du prix
Nobel de médecine 1950 pour ses magnifiques travaux réalisés préci-
sément sur les Strophanthus africatns, avouait modestement, ~ cette
occasion, qu'en raison des confusions commises sur l'identification
des végétaux étudiés, il avait du reconsidérer la question et ae
faire bot~iste avant de se faire
chimiste.
De son c8té, R. Goutarel, Directeur Scientifique au
CNRS,é-ori"aiten 1964 : "Pour notre part nous ne commençons jamais
'ua travail de recherche chimique, sans nous 3tre d'abôrd assuré de

- .. -
l'exactitude de li; ~p&C'l.L, ;.~;:t~(jn botf; nique des plantes étudiées,
ainsi que de leur lieu de récolte".
De ma~e, paraphrasant ces auteurs, on peut déclarer que
pour étudier valablement les médecines et les pharmacopées africai-
nea traditionnelles, il faut se faire ethnobotaniate avant de se
taire etbnomédeltn, chim~ste, pharmacodyname ou clinicien.
Pour embrasser le problème dans son ensemble il est
donc indispensable, préalablement à toute autre étude,· de pratiquer
des enqultes ethnobotaniques systématiques auprès des thérapeutes
empiriques. Celles-ci conduisent à la fois à l'établissement ~~
inventaire botanique des plantes utilisées dans une région donnôe
pour leurs propriétés médicinales ou toxiques et à la collation des
renseignements verbaux foùrnis, tous éléments permettant une exploi-
tation rationnelle ulté~ieure du contenu des pha~macopées.
L'importance fondamentale, comme iDtrument de travail,
de cet inventaire commenté est souvent minimisée, voire meme' igno-
rée par les scientifiques qui, de près ou de loin et à des titres
divers, ont à connattre ces plantes dans le domaine de leurs recher-
ches.
C'est pourquoi,nous 90US proposons ici, à-titre d'in-
formation de donner 8uccinot. . .ltun aperçu sur les méthodes dtenqut-
tes telles que nous les pratiquons et sur 'les premiers résultats
qu'on peut en attendre.
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Le déroulement de l'enqulte et l'exploitation des ré-
sultats obtenus doit idéalement passer par quatre ét.apes distinctesl
- une étape de préparation ;
- une étape de travail et de recherches sur le terrain;
- une étape ~e classement du matériel: végétal récolté
(herbie~s, organes) et des renseignements recueillis;
- une étape terminale d'exploitation'des résultats ob-
tenus.
l - Etape de ~réparation.
,\\
En dehors de la préparation purement matérielle de le
prospection il est indispensable d'établir un plan de campagne,puis
de réunir et d'assimiler tous les éléments dt intorme,ti()n nécessaires-
sur la région de l'enquAte.
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Celle-ci sera d.élimi.tée en fonction du binome ethnique
et botanique. La responsable devra par conséquen~ avant le dépar~
avoir pris connaissance de tous les éléments permettant d'avoir une
certaine préperception concernant la flore, les habitants et leur
histoire, les races, les coutumes, les croyances, les maladies en-
démiques et les plus courantes de la pathologie.
II - Etape de travail et de recherches sur le terrain.
Ainsi armé, il complètera sur place ses conn~issances
par des visites auprès des autorités administratives,
~es diffé-
rents chefs de service (santé, agronomie, forestier) susceptibles
de lui fournir de nombreux renseignements, et aussi des personnages
importants & divers titres.
Il se mettra ensuite au travail en modifiant son plan
et son iténéraire suivant la conjoncture qui se présente. Souvant
en effet l'enqu~te se déroule de façon imprévue en fonction des con-
tacts pris .ec les premiers guérisseurs et informateurs rencontrés.
Dans tous les cas, il est indispensable, dans la mesu-
re du possible, de suivre le guérisseur dans toutes les opérations
qui le conduisent de l'examen du malade & l'administration du médi-
cament, en passant par la cueillette des drogues et la préparation
des médicaments. Ceci suppose évidemment qu'on se déplace avec lui
en suivant et en enregistrant ses faits et gestes ce qui permet de
limiter les erreura d'inte~prétation. De plus, une telle démarche
permet de pratiquer l'identification bo~anique au pied du végétal
vivant, de recueillir d'authentiques échantillons d'herbier et
d'établir sur place la correspondance nom vernaculaire-nom scienti-
fique avec pour ce dernier, si nécessaire, référence à l'herbier.
Pour chaoue guérisseur, tous le~ végétaux sign~lés,
tous les renseignements recueillis, m3me apparemment banaux ou inso-
lites, sont consignés au fur et à masure du déroulement des opéra-
tl ."If sur un cahier de prospection.
III - Etape de classement.
l i - Herbiers recueillis.
Ils se divisent en deux catégories :
La première comprend les herbiers déterminés ou déter-
minables ~~r un centre de botanique spécialisé.
les herbiers
.
La seconde comprend ~rop 1ncomplets pour 3tre déterm1-
nables, mais qui doivent 3tre conservés pour servir d'échantillons
de référence au cours d.prospeètions ultérieures.

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22 - Clas~~ment clas r~cseignements recueillis.
CI est, en ferit, 1" exploi (,î~ tien. ct:.o cahier de pros::?ec-
tion. C'est dire que celui-ci, véritable carnet de route, doit être
r~dig~ avec Boin dau9 l!ordre chronologique des 6v~ne.edts nvoc tou-
tes les indications sur les itinéraires, les noms des villa~es et
campements, ceux des che~de canton et de village, et bien entendu
ceux des guérisseurs avec mention de leur race, de leur religion,
etc.
On pourra alors rédiger toute une s~rie de fiches et
de cahiers
à plusieurs entrées, références étant tou-
jours f~ites au cahier de prospection pour pouvoir s'y reporter à
volonté et trouver dans son contexte le renseignement complet dési-
ré.
C'est ainsi qu'il y a lieu d'établir au principal.
A - Pour chaque végétal :
- Une fiche d'identité avec le nom scientifique,les
noms vernaculaires
, le cas échéant, vulgaires et les habitats ;
- Une fiche des recoupements (permettant par la suite
d'~tablir un index général). Etant" donné que nous entendons ~ar rG-
coupements le nombre de fois qu'une m~me espèce est signalée comme
œ"'.'a&le (quelle que soit son indication th~rapeutique), cette fiche
peut 8tre tenue simplement en indiquant à la suite les pages de ré-
férence du cahier de prospection,
- Des fiches bibliographiques de type classique éte-"
blies à partir du dépouillement de la littérature mondiale,
- Des feuillets synoptiques de traitements mention~ad
les grands traitements dans lesquels entrent plusieurs espèces (trai-
tements composés de la lèpre, de la syphilis, des ict~~es, des as-
thénies, des maladies oculaires, etc.), avec toujours références du
cahier de prospection.
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Nous n'avons pas le prétention d'avoir dans ce court
exposé, épuisé le sujet. Nous avons simplement tent~ de d~montrer
l'importance fondamentale des enquêtes ethnopharmacognosiques en in-
diquant q'le lques grand. lignes de foree permettant d t arriver aux ré-
sultats sui'lants:
- Etablissement pour chaque territoire africain d'un
inventaire des drogues botaniquement définies, considérées comme mé-
dicinales ou toxiques,
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Etablissement de pharmacopées provisoires aVGC
mention complète des formules de traitements par grandes rubriques
d'affections, ceci en raison de l'imprécision des diagnos_ics ;
- Exploitation des ~entaires et des pharmacopées
provisoires par des recherches bibliographiques (géographique, his-
torique, botanique, pharmacognosique, chimique, pharmacologique,
etc.) car il ne faut pas oublier que nombre d'~spèces rencontrées
en Afrique sont non seulement spontanées, mais subspontanées, p~­
tropicales, introduites, etc. et ont pu ~tre étudiées par d&s cher-
cheurs des régions les plus diverses du globe.
B - Pour l'ensemble des végétaux répertoriés.
- Un index alphabétique des noms scientifiques, tou-
jours revisable ;
- Des index alphabétiques des noms vernaculaires, à
raison d'un index par langue ou dialecte, après avoir adopt~ une
fois pour toutes, une notation phonétique ;
- Un index de classification thérapeutique par gre~­
des rubriques ou grands syndromes (aphrodisiaques, expectorants,
diurétiques, antisyphilitiques, antilépreux, antibilharziers, etc~).
Les points ainsi acquis permettent indubitablement :
- pes études scientifiques interdisciplinaires dans
tous les domaines surIes matériaux recensés e~ une mise en commun
des résul~ats obtenus;
- Des mises au point ultérieures devant aboutir à la
rédaction d'une pharmacopée africaine sous une forme analogue à
célIe des autres continents.