- - - -
Sciellces sociales et" IImaines
,
1
i
1
LE BIEN ET LE MAL DANS
,
LA MORALE DU VECU
.JohIl AGLO
Ullil'er....ité de Lomé - Togo
-.--~----==========================================il
~~t-SUM-ft--
1:tiJisant simrlement comme témoins deux exemples de système de pensée morale. sous-tendue par
.
r~critllrc. la /Jhi/osophie morale des l:;\\'(/ngiles ct la philosophie morale de Kant, le présent exposé met
1 1:11 é\\ idenœ dL'S fondcments ou des soubassements possibles du bien et du mal dans un type de système
mor~t1 ayant pour support la tradition orale ou la tradition vécue. Il fait apparaître que c'est la notion
(.1" univcrsaJ ité qui constitue une des di rt\\:rences importantes entre un système normatif moral ayant pour
supp()rt le VL'L'U ct un autre ayant pour support récriture. Dans la tradition écrite, la validité de la loi
l11oralL' dépend de son universalité. Dans la tradition vécue, le principe considéré semble être le suivant:
un individu ne vaut un autre (/ priori qu'à J'intérieur d'un cercle social fermé qui est appelé la.fàmille.
Ce constat banal permet d'expliquer un grand nombre de faits de société et de moralité. Il peut aider à
repL'nser et à œuvrer pour le développement social et économique, la réduction de la pauvreté, la culture
du sens du biL'n commun ou celle de l'idée républicaine.
Mols dés: Bien, écrit, écritu1'l!, famille. individu, loi (morale). mal. morale. oralité.
lrodilion. unil'ersel. uniwr,wlilé,
1
L -..
-_-_-.- ========== ---=-=--=-==-=-=============================::::...J
--f;\\IJSTI~ACT
1Jsing as simplc examples two moral systems supported by written character, the moral phi/osophy
!/al/gh/ in/he (jospel and the one olKon/. the present paper presents foundations and basis of good and
l'vil ~IL'L'ording to a moral system based on oral character and living tradition. It shows that the notion of
ullin.'rsality makl's one of the most important points of difference between a moral normative system
wi lh :1 living tradition support and anothl'r with written character support. In the written tradition, validity
ol"morallaw dcpends on its universality. In the living tradition the principle ofmorality seems to be that:
an individual is CI priori equivalent to another only in the framework ofa tight social circle calledfamily.
This hanal observation hl'lps to cxplalll an important number of facts of society or of morality. It could
also hl'lp in rcthinking and in working I(Jr social and economic development, reduction of poverty, in
rL'huilding a culture of sense of common good and of republican idea.
Keyn'onh': Evil. fÙmily. ~ood, individual, (moral) laH; morality. oral (character) , Iradition.
universal. universuli/)'. writlen (ll'ord or character).

Revue" u CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 11119 N° 2-2007 (2 im• Semestre)
157

Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
fondée sur la transmission orale, pourrait-elle avoir
INTRODUCTION
les mêmes caractéristiques, se tenir aux mêmes
Une des particularités de la philosophie
principes, recevoir les mêmes fondements qu'une
(traditionnelle) et de son histoire ou des religions
morale traduite ou conduite au moyen de l'écriture?
révélées, c'est d'avoir été prises en charge et
C'est cette interrogation qui forme le soubassement
conduites jusqu'à nous rien que par l'écriture, ou à
du présent examen.
la rigueur par l'enseignement prenant lui-même
appui essentiellement sur l'écriture, sur le contenu
L'analyse des tenants et aboutissants de cette
transmis de l'écriture ou sur son interprétation. Or
interrogation sera conduite au moyen d'une
la principale caractéristique de l'écriture c'est de
confrontation indirecte entre deux types de morale:
n'être en définitive que le sceau et la marque d'une
d'une part la morale traduite par l'écriture telle
individualité. Il n'y a pas d'écriture collective.
qu'elle est enseignée dans la doctrine chrétienne et
Même lorsque l'écriture prend en charge un destin
dans la philosophie morale de Kant, et d'autre part,
collectif, qu'elle est porte-parole de la vie d'une
la morale telle qu'elle peut se reconstituer à partir
communauté, qu'elle incarne ou exprime la vie, les
des enseignements éthiques en cours dans une
pratiques et les pensées d'une société, ou qu'elle
société de tradition orale, telle que celle des
est purement et simplement la transcription figée
Eveawo.
des modes d'existence et de comportement d'une
1. MORALES CHRETIENNE ET
collectivité, même dans ces cas-là, la marque
KANTIENNE
individuelle de l'auteur ne manque pas de déteindre
sur le fait ainsi reproduit par l'écrit. La différence
Dans la religion chrétienne tout comme dans la
entre la reproduction écrite de la vie de Socrate par
philosophie kantienne4 postcritique, ou plutôt, dans
Platonl , et par Xénophon2 ou par Aristophane3 , ou
la philosophie morale kantienne telle qu'elle fait
la différence entre la version du Sermon sur la
suite à la Critique de la raison pure, la
montagne de Mathieu et celle de Luc, sont des
problématique morale est intimement liée à l'idée
expressions de cette marque de l'idiosyncrasie d'un
d'universalité. Dans ces deux approches,
auteur sur sa prise en charge d'un fait extérieur,
l'universalité est posée comme exigence ou comme
même si dans les cas concernés, les faits pris en
condition de la forme et de la portée de la décision
charge ne sont même pas collectifs. Dans un cas, ce
morale, tout en se rapportant fondamentalement à
n'est que la vie extérieure d'un personnage
l'individu ou à la personne, faisant office de sujet
historique: Socrate, et dans l'autre cas,
au cœur de cette décision, le sujet moral. En d'autres
l'enseignement d'un très Grand Maître: Jésus le
termes, dans ces deux perspectives, une décision
Christ.
n'est considérée comme morale que si elle est
valable en principe pour toute personne humaine,
Si ces remarques ont une certaine pertinence, alors
c'est-à-dire, si elle n'admet aucune restriction de
, elles nous enjoignent de nous interroger avec rigueur
type préférentiel, si elle ne tolère aucune
, ,sur ce que nous savons de sérieusement objectifsur
discrimination. Ainsi, le plus grand commandement
la vie et les mœurs véritables des sociétés passées
christique contient deux règles d'or: la première
et peuples historiques. Cette question est d'autant
porte sur l'amour inconditionnel de Dieu (Marc, XII,
plus injonctive que dans un domaine normatif tel
28-32 ; Matthieu, XXII, 34-40 ; Luc X, 25-37 ;
que la moralité, l'héritage qui nous a été légué ne
Romain, XIII, 8-10)5, et la seconde sur l'amour du
l'a été essentiellement que par le biais de l'écriture
prochain (Marc, XII, 28-32 ; Matthieu, XXII, 34-
et peut-être même sous son contrôle rigoureux.
40; Luc X, 25-37 ; Romain, XIII, 8-10)6. Dans le
Même si dans le cas de la chrétienté, l'écriture n'a
premier de ses Epîtres, Jean montre d'ailleurs que
pris le relais que de façon très relativement tardive,
non
seulement
les
deux
règles
sont
le produit reçu tel qu'il nous est parvenu, ne peut se
complémentaires, elles sont surtout les deux formes
démarquer de son emprise totale. La question qui
d'une même réalité. Plus exactement, elles sont
se pose à cet égard est la suivante: une morale
consubstantielles: « Bien-aimés, aimons-nous les
158
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2èllle Semestre)

- - - -
Sciences sociales et humaines
uns les autres, car l'amour est de Dieu, et quiconque
entre le prochain et le soi-même constitue l'objet
aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui
principal de l'enseignement du Sermon sur la
n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est
montagne. En d'autres termes, cet enseignement
Amour» (1 Jean IV, 7-21).
répond entre autres choses à la question suivante:
comment, par quelles manières, par quels actes se
L'amour du prochain comme impératif est aussi
construit l'amour du prochain? A cette question,
commandé dans le Lévitique (Lévitique XIX, 18)1 .
une réponse est donnée. Elle pourrait être interprétée
Cependant, tandis que dans le Lévitique, la distance
de la façon suivante: pour aimer son prochain, il
entre frère de sang, enfant consanguin d'Israël et
faut toujours être et demeurer soi-même! Et la
prochain ne se fait pas voir clairement, la version
question revient: à quelle condition, un être humain
christique et surtout son interprétation johannique
est et demeure lui-même? Ou, plus exactement, que
semblent tenir pour prochain toute personne née
veut dire être et demeurer soi-même? Alors,
d'une femme, l'être humain universel. Le prochain,
l'enseignement du Sermon sur la montagne sous
dans la conception chrétienne, n'est pas simplement
forme de préceptes, dresse un grand tableau de
le semblable, celui que nous sommes capable de
méthodes pour être et demeurer soi-même.
mettre à notre propre place, celui de qui nous
attendons qu'il nous fasse comme nous sommes prêt
Ce tableau comprend, énoncés en termes clairs, des
à lui faire, celui qui normalement mérite notre
attitudes de vie et des modes pratiques et précis de
attention et égard, ce n'est pas simplement celui-là.
comportements par lesquels s'édifient l'intériorité
Le prochain, c'est aussi, c'est surtout, c'est même
et donc l'individualité autonome. Il s'agit par
la personne à qui nous aurions normalement le droit
exemple de l'acceptation de soi et de sa condition
de reprocher quelque chose, notre ennemi par
quelque misérable, pénible et malheureuse qu'elle
exemple, celui qui nous aurait haï, qui nous aurait
puisse être ou être devenue, de la culture du
maudit, qui nous aurait maltraité, qui nous aurait
renoncement matériel et du désintéressement, de la
offensé, qui nous aurait voulu du mal ou aurait
culture de la miséricorde, de la pureté du cœur, de
perpétré du mal contre nous. C'est d'ailleurs ainsi
la paix, de la souffrance pour la justice, du respect
que le présente le Christ lui-même dans le Sermon
de la loi, du zèle pour la justice et l'observance de
sur la montagne (Matthieu, V-VII et Luc, VI, 20-
la loi, du zèle pour le pardon et la tolérance, la
49).
contenance et la fermeté face à toute chose, de la
culture de la confiance en soi en toute occasion et
de la culture de la lumière intérieure, de la
Dans l'approche morale du christianisme, le
transformation de soi ,en exemple: la culture de
prochain est un sujet universel et absolu. Il se
l'exemplarité. C'est en quelque sorte le sens des
confond simplement avec l'être humain. En
différentes béatitudes.
revanche, dans les grandes religions asiatiques telles
que le bouddhisme, le brahmanisme, le jaïnisme,
Mais les béatitudes font dans l'hyperbole. Elles
ou même le confucianisme, par exemple, le
indiquent avec emphase des comportements à
prochain se confond avec toute la créature vivante,
encourager. Suivre ces comportements devient une
et il faut lui étendre la charité. C'est ce que montre
façon de se construire, une méthode positive de
Mohandâs Karamchand Gândhî dans Gandhi,
conduite de soi. En appliquant ces méthodes, c'est-
autobiographie ou mes expériences de vérité:
à-dire, en travaillant à être et à demeurer soi-même,
on devient d'emblée quelqu'un qui aime son
Prenez la charité du Gautama! m 'éeriai-je. Elle ne se limitait
prochain. Autrement dit, en cherchant à être soi-
pas à l'humanité .. elle s'étendait à toutes les créatures
même, on rencontre ce qui fait être un prochain. En
vivantes. Est-ce que le cœur ne déborde pas d'amour, à la
cherchant à se rencontrer, on découvre le prochain.
pensée de l 'agneaujoyeusement perché sur ses épaules? Cet
En ramenant ce qui fait être soi-même et ce qui fait
amour pour toute créature vivante n'apparaît pas dans la vie
le prochain au même niveau, on construit
de Jésus (Gândhî, 1964, p. 200).
l'universalité. On devient, en même temps que le
prochain, universel. Le travail pennanent sur sa
La construction ou plutôt la résolution de l'équation
propre moralité, l'examen de la validité morale de
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2em• Semestre)
159

Science.fi .mdll/es el hllmlline.'i - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . , . . . . - - -
ses propres actions ct la tolérance incunditionnelle
transcendantal dans la Critique de la raiSOY4 pure.
dans une forme très élevée qu'on appelle l'amour
devient sujet concret ct individuel mail' ,non
ou la charité, sont les soubassements du sujet moral
déterminé, support de la pureté ou de l'univcrsplité
chrétien. L'intériorité ou l'individualité devient le
de l'action morale, dans les œuvrcs qui fùnt suite à
pilier de l'universalité.
la CritÎclue de la raison pure. Lu loi fondunwntal~
de la raison pure pratique ou loi morale, telle quicHe
L'édification de l'universalité de la loi morale à
est présentée dans la ('ritÎcjlU! de la raison pratique,
partir de l'individualité peut être aussi attribuée à
n'cst qu'une loi de translation, pennettant d'établir
Kant dans les Fondements de la métal'hysÎcjue des
lin couloir de légitimit~, entre individuel ct
mœurs, mais aussi dans la Criliqllt' de la raison
universel, une espèce d'ouverture de frontière de
pratique. Mais les racines ou plutôt les fondements
l'individualité sur l'universalité.
de cette universalité se trouve dans la Critique de
la raison pure,
plus exactement dans la notion de
Mais la morale chrétienne et œll~ de Kant peuvent
sujel transcendantal. Dans le premier des trois
être classées comme étant des morales du jivre
ouvrages qui viennent d'être cités, Kant, selon ses
s'inspirant du titre d'un livre d'Ortigues intitulé
propres déclarations, se propose de procéder à « la
Reli~ions du livre el religions de la coutume
recherche et l'établissement du /winc:ipe suprême
{Ortigues E., 1981). Si h:s exigences de pureté, de
de la moralilé »8 (Kant E., 1974, p. 84). Il fait
désintéressement et d'universalité peuvent être des
coïncider la pureté de la bonne volonté avec
caractéristiques principales d'une morale dll livre,
l'universalité de la loi morale. Plus exactement, il
ce n'est pas toujours le cas pour une morale dll vécu,
établit l'universalisation de la maxime de l'action
l'elIe est l'hypothèse principale qui sous-tend le
comme critère essentiel de la morale. 11 élève au
présent travai 1. Son objecti f est donc de montrer que
rang d'impératif catégorique la formule de
l'importance prise par les concepts de honnI.'
J'impératif de la moralité.
volonté, d' universalitr!, du re''1'e('t inconditionnel
de la /Jersonne ou l'autollomie de 1" v%J11é, que
En examinant l'impératif catégorique: « Agis
ce soit sous une forme fornlelle dans l'approche
uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux
kantienne ou sous une forme plus directe dans la
vouloir en même temps qu'elle devienne une loi
pensée chrétienne, rencontre une certaine limite
universelle » (Kant E., 1974, p. 136), on ne peut
dans la société classique ou traditionnelle. Toutefois,
s'empêcher de se dire qu'il s'adresse à quelqu'un.
il ne s'agira pas ici de prendre point par point Ics
L' impérati f catégorique est un commandement, une
concepts en question et de montrer par quels points
expression, au moins un acte loculoire pour parler
ils sont limités dans les pratiques et conceptions
comme Austin dans Quand dire. c 'estjàire. Et, en
des cultures traditionnelles. Il va être plutôt question
tant que commandement ou ordre, l'impératif
de présenter dans une vision globale, l'esprit de la
catégorique est un acte i1/ocU1oire (Austin, 1970).
moralité telle qu'elle se déploie dans le vécu des
La personne à qui s'adresse l'impératif catégorique
gens dans une société traditionnelle donné~.
en tant qu'expression, n'est pas difTérente du sujet
qui incarne ce que Kant dési~ne sous le nom c:
volonté. En d'autres tennes, la volonté kantienne
est incarnée par le sujet de l'action morale. Cette
1 cr. notammel1l, l'Apolo~ie de Socrale. mais aussi nombreux autres
reîatîon entre le sujet kantien et la volonté est mise
dialogues.
2 Cf. notamment l'Apolo1(ie de Socrate. mais surtoul/es Mémorables.
à jour, de façon lapidaire mais suflisante pour être
J Voir notamment les Nuées.
, Dans un aulre travail ft paraître. nous aurons à mOnlrer que même si dans
remarquée, par Victor Delbos (Kant E., 1974, p.
la forme la loi morale kantiennc se rapprochc de la loi morale dlr~ticnne,
87)9 . C'est donc ce sujet qui est au cœur de la morale
par leur principe, la moralc kantienne se présente en rupture avec Ull principe
que la moralc chrélienne partage avec ((JUles les Hutres lois morales y compris
kantienne. L'évidence même des différents concepts
celles des sociétés traditionnelles d'Afrique. Ce principe nous l'appellerions
autour desquels se structure la morale kantienne,
le principe du fondement consanguin dl! la lé1(ilimilé ou validité morale.
1 « Ecoute, Israel. le Seigneur. noIre Dieu, est l'unique Seigneur: et :
tels que l'universalité de la loi morale, le respect de
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu. de lout ton cœur. de toule Ion âme.
de toulC ta pcnsée. et de toute tH tilree ».
la personne ou le règne des tins, l'autonomie de la
l, « Tu aimeras Ion prochain cOlllmc toi-même ».
volonté, et la liberté, ne requiert une signification
, « Tu aimeras ton prochain comme loi-même n.
, En italique dans le tex le.
que par rapport au sujet. Le sujet kantien,
•Cr. note de bas de page n027 à la page indil.luée dans Ic tcxte.
~~------------------------------------
160

Revue du CAMES - Nouvelle Série R, Vol. 009 N° 2·2007 (2~m. Semestre)
,

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Il. MORALE DU VECU OU MORALES DES
SOCIETES TRADITIONNELLES
Nous
souhaiterons
alors
nous
intéresser
particulièrement à la catégorie du bien et du mal
dans le OoHe du Bénin et plus exactement chez les
L'attribution de la morale du vt><'u à la « société
Eveawo, peuple que les gens ont pris l'habitude
classique ou traditionnelle "~, pourrait donner lieu à
de désigner improprement Ewc, Alpna, Ayigbe,
une certaine ambiguïté ou même à une confusion.
Evhe, Popo, Kreppy ou AlJb et que beaucoup,
Cette confusion pourrait être dissip~e si l'on
sans doute par ignorance, opposent souvent aux
montrait que par « société classique », ou « société
Mina, opposant des choses qui ne sont pourtant
traditionnelle '>, on voulait en même temps
point à opposer et contondant ainsi la partie avec le
simplement entendre société naturelle ou non
tout, l'unité avec ses manifestations sous forme de
artificielle et communauté humaine issue
diversité, les noms d'origine ou de distinction
primaire à pertinence interne mais sans valeur
simplement du fait de la vie elle-même, et dans
externe avec des noms de rassemblement, de
laquelle elle se déploie entièrement et totalement
communication ou de classification à valipité
de façon quasi homogène en n'ayant pour acteurs
externe, se faisant prendre sans quelquefois s'en
essentiels que les membres de la société eux-mêmes.
rendre compte à diftërents pièges, rendant é\\insi
Le modèle d'une telle société est naturellement
service à des adversaires aux dépens des ami5\\, ou
constitué par les sociétés traditionnelles, celles que
victimes d'idéologies qu'on est supposé co~b~ttre
les anthropologues désignent quelquefois par
ou de faiblesses qu'on est supposé abhorrer.
l'expression sociétés primitives, expression
inadéquate à nos yeux.
En cristallisant l'attention sur la catégorie du rien
et du mal chez les Eveawo, entendus comme groupe
ou ensemble culturel tirant sa réalité de son histoire
. Néanmoins, en présence d'un thème tel que « Le
propre, et non de la réalité présente des populations
bien et le mal dans les sociétés traditionnelles » par
et des gens qui en sont issus et donc pas
exemple, nous serions tout de suite confrontés à un
nécessairement comme base ethnique pour
certain nombre de petits problèmes ou remarques.
l'affirmation
identitaire
d'une
personne
Tout
d'abord,
l'ex pression
« sociétés
individuelle, il taut admettre que nous nous situons
traditionnelles », s'opposerait-elle à « sociétés
essentiellement et nécessairement dans une société
modernes» ? Dans ce cas aurait-on affaire aux
africaine de type traditionnel, dans une société de
sociétés traditionnelles en général, en pensant par
tradition orale, et dans une société de type
exemple aux anciennes sociétés d'Europe telles que
principalement agricole ou « piscarin »1 et non
les Celtes, les Ibères, les Ligures, les Teutons, les
évidemment urbain, du moins au sens moderne
Normands ou Vikings? Serait-il question de
devenu courant du terme. Mais nous nous situons
traditions africaines, chinoises, tibétaines,
aussi dans une société dans laquelle l'essentiel de
amérindiennes (Aztèques ou Mayas par exemple),
la vie morale est une morale du vécu et dans laquelle
indiennes ou perses (pensons aux Arya),
elle pourrait être circonscrite et étudiée d'une t~çon
araméennes,
hébraïques,
ou
helléniques,
appropriée.
polynésiennes ou australiennes? Ou encore
voudrait-on
parler
de
sociétés
rurales
A partir des hases qui viennent d'être énoncées, des
préindustrielles des cinq parties du monde ou de
inductions, analogies ou projections peuvent être
sociétés de traditions orales de certaines parties du
prudemment autorisées. Avec circonspection et tout
monde?
en tâtonnant, il est possible d'étendre, av~c des
ouvertures et sans aucune prise de position raqicale,
Eu égard à ces questions, il devient pour nous un
expériences et acquis à d'autres sociétés de
impératif d'apporter des précisions quant à
l'orientation que va prendre le présent exposé. Pour
caractéristiques analogues ou proches en Afrique
éviter toute dispersion et conduire cette présentation
ou ailleurs. Mais les résultats produits icj ne
avec concision et cohérence, il s'impose à nous de
sauraient ni explicitement ni directement .être
délimiter l'aire géographique de notre thème. Nous
considérés comme rendant compte des fé\\its et
nous pernlettons de suggérer comme lieu sur lequel
données attestés ailleurs.
porte notre étude, l'Afrique. Mais là encore, il faudra
aller plus loin, car l'Afrique est immense et plurielle.
1 Nous appuyant sur l'étymon du verhe pécher en latin populaire « piscarc »
Et l'Afrique traditionnelle est complexe et diverse.
ou en latin classique (, piscari », nous avons formé l'adjectif « piscarill )'
(donl le fémillilllàil « piscarine »). pour distinguer l'adjectif des noms
Cl pécheur, pêcheuse» en usage.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2~m. Semestre)
J61

l'Ices sociales et IlIIm{lÏlles
_
t CONVER(;ENCES ET IHVEI{GENCES
Kpéto
Q.èka-l, telles qu'elles sont dictl?cs et
i~S TRADITIONS SUR LE HIEN ET LE MAL
pratiqul?es panni les adeptes d'Alqjia Vudu 5 pour
s'apercevoir de la similitude d'inkrdits ct de
lot cette mise au point fuite. il faut insister sur le
commandements ici et là.
1que le bien et le mal appartiennent à la catégorie
c 'Jceptuelle des valeurs. c'est-à-dire. des choses
Même si les codes et les prescriptions prises
ql ,) les gens. individuellement ou collectivement,
globalement ct mUlatis mutandis ne semblent pas
re, 'nerchent ou œuvrent à obtenir ou ci éviter ou
présenter d' importantes contradictions d'une
qu "Is sonl appelés ou conduits d 'une/ùçon ou d'une
tradition à l'autre, des divergences ou diversitl?s
aUlre cl rechercher ou cl éviter2 • Ou plus exactement
peuvent toutefois s'observer entre les traditions au
et du point de vue strictement moral ct
niveau des principes et des Condements. Il est
psychologique, la valeur serait une chose que les
évident que l'examen qui sera fait ici du bien ct du
gens,
individu<!/Iement ou collectivement,
mal, ne saurait se présenter comme un registre de
rec!1Im:hent ou œuvrent li o/7fenir el doni le contraire
rccetlt:s, un tableau de valeurs, une taxinomie dt'
est à éviter. ou qu'ils sonl appeh',\\' ou conduits d'une
conduites. De la catégorie du hien et du mal ct
jàçon ou d'une aulre à recherâler ou Li obtl!nir et cl
suivant les limites ci-dessus énoncées, nous
en éviter le contraire. De ce point de vue, une chose
voudrions simplcment décrire quelqucs fondements.
constitue une valeur ou I"incame pour un individu
dresser une esquisse (l'état des lieux qui pemlettent
ou une communauté, lorsqu'eJ1e est une chose qui
de comprendre et d'interpréter certains des
entraîne chez cet individu ou chez les membres de
comportements individuels ou collectifs, de leur
la communauté, estime et adhésion. Dans ce cas
attacher un sens, une valeur déterminée, une
une valeur est, analytiquement ou implicitement.
expl ication, une j lIst iticat ion de type intellectuel.
nécessairement positive. Son contraire est
Au total, l'etTort aboutira à donner de œs catégories
nécessairement à éviter. ct les gens recherchent ou
normatives. ce qui fonde leur recevahilité, leur
œuvrent à l'éviter ou sont appelés ou conduits d'une
validité. leur effectivité, leur nonnativité.
façon ou d'une autre à l'éviter ou à l'écarter.
Tout comme dans le Léviliqul! et surtout dans le
I\\: LES CATEGORIES nu BI EN ET LEURS
Décalogue. dans le Tao fij king (Lao-tseu. 1967),
SOUBASSEMENTS
dans le Hûvomôl (Sacmundsson M. V. et Lemarquis
:j. 1994), dans les Veda, ct dans biens des Codes,
Dans la culture des Eueawo comme dans toutes
Ir. description du chemin du Bien ct des impasses
les cultures, le bien n'est posé que dans une relation
du Mal peuvent donner lieu, chez les Eueawo
d'exclusion avec le mal. Le mal se dit en eveglJe
aussi, à une recette, à une liste de préceptes ou plus
v;jè, Iluv;j, miv;jqf, ou Iluhw/.a. et le bien, nyui,
~xactement à lIne taxinomie ou à lin code tcl qu'il
nunyui. Le bien, nyui. l1unyui dans ses divers aspects
apparaît déjà chez Sam Obianim avec son ouvrage
intitulé Eue k:lI1uwo (Obianim S.. 1976), ou chez
2 Celle définition de la vall:ur est plutôt à connl'tation mathématiquc. Elle
cst valable en économie, en logique. cie. Flle est contestahle du poilll de
Roberto
Pazzi
dans
l' Homme
vue moral. Car elle: permet d'admelln: le conccpl de ,'aleur nt!gatil'l!.
eue, (~/a, gen, fm
et son univers
(Pazzi R.,
Avec un regard malhématique, II.' I/Ial serait un exemple de l'all:ur néga-
tive : quelque chose qu'on œuvre à él:arter ou à éviter. Les nombres /-
1976), ou encore chez l'auteur du présent texte dans
8... , -2, -l, 01, conœpts salis r~férents possihll.'s, ou plutôt concepts qui
n'ont d'autres référellls que ceux que peul leur allribuer la réf1exion à
Les Fondements philosophiques de la morale dans
travers une relation, solll eux aussi des l'aleurs négatives. car leur réalité
une société Li Iradition orale. Le 5j'ystème àQ.àlJù
se situe dans IIne relation qui se détemline par mlcul en tant que maté-
rialisation ou détennination conceptuelle ou idéelle d'un ddàut ou d'unc
(Agio J.. 2(01), ou dans La Vie et le vïvre-ensemble.
irréalité par rapport à quelque ehose dont l'occurrence est réelle. C)uoi-
que le principe de la valeur morale soit II: même que celui de la valeur
Le principe organisateur de la vie dans le .\\ystènU!
mathématique, la .:araetérisation de la valeur en morale ne peut s'acwm-
àd.àl)Ù (Agio J., 20(2).
n1<ldcr de l'idée d'une valeur négative. Du point de vue stri.:temenlmoral
et non du point de vue dialectique ni métaphysique. le mal n'est pas une
vakur négatiw. il n'est simplement et purement pas un... valcur. A vrai
D'ailleurs à l'exception de l'interdit des idoles ou
dire, la différence: entre Ic point de vue mathématique et le point de vuc
moral ne repose que sur des nuances de type métonymique. Il y a dans
plutôt de la défense de leur adoration et de certaines
toute situation axiologique plusieurs paramètres: 1 "lIa situation qu'on
veut obtenir, 2) l'énergie, la démarche ou les activités pour l'ohlenir. J )
particularités cu1tueJ1es dont les lévites sont les seuls
la situation du départ qu'on veut changer. 4 ) la situation ou le' résultat
à avoir la maîtrise et la règle. presque tous les
dlèetivement ohtenu. Lorsque l'on est dans un dllmaine de l'activité hu-
maine où les concepts sont sans rétërents ou conllmdus avec leurs réfé-
commandements du Décalogue et surtout la plupart
rents possihles comme en mathématique. ce sont les points 1 ) et 2 ) qui
déterminent la valeur et il ya nécessairement assimilation entre 1 ) et 4 "l,
des ordonnances du Lévitique trouveraient grâce et
pare< que les deux sont de nature idéelle. Un glissement métonymique
reconnaissance chez les Eueawo. 1\\ suffit
pourrait raire quc l'on continue d'utiliser le nom de l'ohjet au point 3 "1.
l'objet sur lequell'effon a poné, tandis que dans la compréhension on se
simplement de regarder les prescriptions d' Afdgg
dise que c'esl son contraire qui est la valeur. Lorsque l'on se trouve dans
ou Kp)/(fg
un domaine où les concepts sont des significations distinctes dc leurs
3 telles qu'elles sont transcrites à leur
r~férell/S possibles, la réalisation du point 4 ) implique le rejet du poilll
siège à Dalave-Amebleve, au Togo ou celles de
3 ). Aucune métonymie n'est alors possible. Car le résultat ne se confimd
pas avcc l'objet contre lequel il se réalise.
162
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, VOl IlI)9 N° 2-2007 (2""" Semestre)

_____________________________ Sciences sociales et Illlmainej
et utilisations, se trouve organisé chez les EUeawo
la pratique du bien, est indirectement la cité, relayée
à travers trois catégories fondamentales: le bien
concrètement par la Famille, les deux mettant en
culturel, le bien moral et le bien « carmenique »1 ,
œuvre les directives émanant des autorités
Chaque catégorie est dominée par un même
traditionnelles, culturelles, religieuses et cultuelles,
principe. Ainsi le bien culturel est dominé par le
telles que le représentant de l'Ancêtre fondateur de
principe de l'entente, de l'harmonie et de l'ordre;
la Cité, Dut5, Asafog~ 0 u Asafohene, présidant
le bien moral par le principe du bien-être et du
le Corps des représentants de l'Ancêtre fondateur
confort matériel et intérieur; et le bien
des quartiers, Asafowo
ou K6mesafowo
et les
« carmenique » est dominé par le principe de
Grands Prêtres, Trjnuggwo. Si la permanence de
l'élévation personnelle, du succès ou de la victoire
la Famille comme autorité de mise en œuvre du bien
et du prestige. Un chevauchement est souvent
est constante pour le bien culturel et le bien moral,
observé entre le bien culturel sou.s ses aspects
tel n'est pas le cas pour le bien« cQl-menique »pOUl
politique et juridique et le bien« carmenique » quels
lequel ce sont les relations personnelles du sujet ou
que soient ses aspects, c'est-à-dire esthétique et
de l'acteur qui sont responsables de la fécondation
mystique.
du bien dans sa conduite.
.
Chacune de ces catégories a ses subdivisions, Ainsi,
Dans des cas extrêmes, lorsqu'il est question de faire
au bien culturel sont associés les biens politique,
porter sur le comportement d'un slljet ou d'un
juridique et ludique. Au bien moral sont associés
acteur, une appréciation ou une évaluation, les
le bien économique et le bien que constitue le fait
autorités en charge d'une telle opération, les
d'être en sécurité. Au bien « carmenique », sont
autorités de contrôle du bien, pour le bien culturel,
associés le bien esthétique et le triomphe mystique.
et surtout pour les sous-catégories du bien politique,
Il est entendu que l'éducation et la transmission de
du bien ludique, sont l'opinion du citoyen ou
la culture sont les instruments de construction du
l'opinion publique, et si nécessaire, les autorités
bien. Toutefois, la mise en œuvre quotidienne de
traditionnelles, culturelles, religieuses et cultuelles,
chaque catégorie de bien est attendue d'un type de
telles que le représentant de l'Ancêtre fondateur de
sujet ou d'acteur. Ainsi le bien culturel a pour sujet
la Cité, Dut6, ou Asafogg, présidant le Corps des
ou acteur, la cité ou lafamille; le bien moral a pour
représentants de l'Ancêtre fondateur des qumiiers,
acteur l'individu membre d'une famille; et le bien
Asafowo ou K6mesafowo et les Grands Prêtres,
« carmenique » a pour acteur, la personne
Trjnuggwo que nous avons citées ci-dessus. Pour
singulière,
le bien juridique, les autorités de contrôle sont les
autorités administratives et judiciaires d'instance
Les autorités chargées de transmettre la valeur et
intermédiaire, c'est-à-dire Dufia2 , ou Fiahawo3 et
la pratique du bien et d'enféconder la conduite du
Dumeggwo". Pour le bien moral, la Famille
sujet ou de l'acteur sont, pour toute la catégorie du
constitue les autorités de contrôle, Elles sont
l'opinion générale pour le bien « carmenique
bien culturel et pour la catégorie du bien moral,
}>,
Remarquons qu'une diffërence très impOliante est
directement et toujours la famille, Pour la sous-
à faire dans ce cadre-ci entre l'opinion du citoyen
catégorie du bien politique, et seulement pour cette
ou l'opinion publique et l'opinion générale. La
catégorie, l'autorité de transmission de la valeur et
première est une opinion fondée sur la culture
partagée,
une culture commune assurée à l'intérieur
J Afa est un ordre initiatique traditionnel du Golfe du Bénin. Son aire de
validité va du pays des Yoruba au Nigeria où il est appelé Ifa,
de la cité, tandis que la dernière est faite d'un savoir
à celui des
EUea va (Bénin, Togo et Ghana) où il est appelé afa, en passant par le
hétéroclite lié à l'expérience personnelle de la
pays des Fons ct peuples apparentés (Bénin), où il est appelé Fa. C'est un
personne qui l'émet.
véritable système scolaire complet avec plusieurs cycles d'études sanc·
tionné par un diplôme de sortie à utilisation à la fois théorique et prati-
que. L'enseignement est fondé sur l'utilisation des hiérogrammes. Cette
Le mode de transmission du bien, mais aussi de son
école adaptée à la vie et aux croyances en cours dans la société, a fini par
imprimer sa marque aux systèmes de valeurs et au fondement des normes
en vigueur dans la société. En tant qu'indiquant un système de vie et de
1 Ne retrouvant pas dans l'usage actuel un adjcctif proche ue ( clmrl11e »
pensée, cette école comprend plusieurs obédiences ou rites parmi les-
qui puisse rendre avec force en même temps l'idée de puissance causée
quelles, nous pourrions citer : Afa-Dzis~, Afa-Nagonu, Afa-Sake et
par une action à la tbis personnelle et artificielle, c'est-il-dire non natu-
Kp:llffa ou Afaga Afa, traduit généralement par oracle, est conçu comme
relle, et insister sur le fait que cette action soit cause de cctte puissance à
le père ou Je principe de la connaissance. Considéré comme le premier de
effet magique, nous recourons à « carmen », l'étymon ùu nom « charme»
tous les ancêtres qui, devenu une divinité, éclaire les vivants sur la con-
en latin, à partir duquel nous formons l'adjectif (( carmenique» qui signi-
duite à tenir pour demeurer en parfaite harmonie avec l'univers. On l'in-
fie propre à provoquer des effets de type mystique ou merveilleux.
terroge par une technique divinatoire basée elle-même sur une connais-
lCe terme signifie « Roi » ou « Chef supérieur d'une Cité ».
sance concrète, une véritable encyclopédie orale, organisée en 256
JCe terme signifie « les Autorités auministratives de la Cite» par opposi-
hiérogrammes ou textes d'écriture sacrée appelés Kp:J/lduwo. Chaque
tion au peuple, dul6wo. Saisissons cette occasion pour inùi(lUCr que le
hiérogramme est un livre fondé sur la mémoire décrivant une situation
existentielle possible et comportant un message lié
suffixe «wo
à cette situation.
» est la marque du pluriel en langue eue, euegbc.
'II s'agit d'une divinité dont le culte requiert des pratiques de type mixte
'Ce terme désigne « ('ensemble des personnalités posséuant une autorité
religieux-cBrmenique.
morale ct susceptible d'intervenir dans les affaires 'Je la Cité d'ulle façon
générale ». L'administration traduit ce terme par « les notables ».
l Cf. note précédente.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2ime Semestre)
163

Sciences sociales et humaines
_
contrôle s'exerce pour l'essentiel du bien culturel
va/h/flé. il faut dire que pour le l'lien culturd dt' lype
par l'opinion publique, s'organisant sous l'arhre il
politique, la reconnaissance et la validité se font à
palabre et dans les cas extrêmes à la place puhlique
l'intérieur de la région ou du territoire culturels. Pour
de la sous-cité ou de la cité, abDme ou
v:mu.
les autres types de hien culturel, c'est le territoire et
Lorsqu'il s'agit de bien proprement politique. le
la région de la t'ité centrale qui sert de domaine de
mode de tnmsmission ou de contrôle prend la t()fJne
reconnaissance d de validité, Pour le bien du type
d'un procès puhlic se déroulant exc!usivemt'nt à
moral, la communauté qui reconnaît sa validit~ est
la place publique centrale de la cité. ab/!Jgame ou
la
clllllmunautt:
familiale.
Pour
le
hien
V!JIlU. Le mode de transmission ou d'évaluation
« carmenique », son domaine de reconnaissanœ et
du bien de type juridique à caractère intennédiaire
de validité, en tant qu'il se contond avec l'espace
se passe au palais royal. Fiqfëme, sous forme d'un
d'une opinion génùak est indétenniné. illimité,
procès de typejudicillire. Quant au bien moral, son
ou trans-territorial.
mode de transmission et son lieu de transmission
se font à l'intérieur de la tàmille. Elle prend la fonne
Cette organisation ou strul'turation du concept de
d'éducation au sens strï'ct de ce temle et comprend
bien se trouve résumée par le T'ah/eau des clJlégories
ici connaissance. apprentissage. exercice, procès
du him suivant:
métaphysique et procès moral. Pour le bien à
caractère « carmenique », ce sont les awntures et
initiatiws personnelles de l'acteur qui constituent
son mode de transmission,
Par rapport au champ li l'intérieur duque//e hien
en !anl qlle contenu précis de l'une des caléxorfes
devie11l pert inenl et entraîne reconnaissance et
Catégoril.'s
l'rindllt'S
Suj~'tIa~1eur
Autfll;t~ dl'
Autorité
lk'
MINlc
R"'C11lOaiSSllncc ct
mist- l'n
~'onlrôll'
Validité
OCUHl'
Opinion. l'Amr.: il
tc'TTÎtnir.: c'l r':!?inn d.: III
1
hU'1/ <'/llllIrel
Famill.:. Cit':
Duk5. DULî.
palahr.:. procè'S puhlic
dt':
Asal(lWll.
à ahl~m~
hien polili'lu,:
Cité. Famill~
Dllt5.
Tr~mlwo
proc~s puhlic à ahl~m.:
ASllt(,W(I.
ré!?ion .:t lerritoire
1
hi.:n ludi'lw
Hannoni~. .:ntent.:.
Tr5nuwo
culturds
ordre
hicn.iuridi'lu~
Famille
Famille
Duna. Fiahawo
prnc~s de lyp.:
l)ume!?~Wll
judiciair~ à Fia.f<:me
tc'TTÎloir~ c'l r':!?ion d~ III
cité
hien m(Jral
étlu('at;1II1
c{,"naissance
hi.:n oomomi'luc
Bic'11-êlre nllMrid
individu
Familk
Famille
appr.:ntissage
conœssion làmiliak
':l moral, hllrmonie
cx\\"Ycic~
hhm de sécuril':
.:t ordre intéri.:urs
procès mélaphysi'lu.:
prncès mora1
hkn « t:armeniquI' j'
1 aventure. et illitiativc~
InMterminée. illimitée Oll
bien esthétique
Prestige et Ovation
la personne
les relalions
l'opInion
personnelles
transterrilnrialc
1
bien mystique
i
----.J
Tableau des catée:ories du bien
164
Revue du CAMES - Nouvelle Série 8, Vol. 009 N° 2-2007 (2;m. Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences soci(l/es et "umaille~'
V. LE PRINCIPE lU] BIEN
réduit pas ù l/,/l{énlefJ et l{/l/,Jmeyi
qui sont
respectivement un lieu ct un moment de rupture
A trawrs ces ditTérentcs catégories se dépillie k'
d'activité ou de mouvement.
prin~.'ipe du hien unique et constant. [)ans la culture
des EtJeawo, est bien l't' lfui ctlflduit l'individu et
En dépit de ["implHtanCl? de son attachement
la t'ommu/1maJ vas un état ou un état d'êtrl'
conceptuel et làctud au mouvement, vovô est un
l'aractérisé par un apaisement intérieur ct une
état. tandis que [e bien ct [e mal SI)Jlt des formes
jouissance profonde et douce, et qui se traduit par
d'activités ou de conduites. Ce ne sont pas d~s
une ahsence lfangoissl' à l'intérieur et d'obstade
idéaux. Tout en en étant un état, vôvô ne Sl' déiinit
ou d' entraVl.' à l" extérieur. Un tel état se vit comme
pas comme un cadre pour le bien et le mal en tant
une h:ndance vers un RelJOS ttll{iours plus grand el
qu'ils sont des ltJn11CS de l'activité ou de la conduite
"lus apaisa11l et plus sali.~fa;.\\'{l11t. JI est appelé viJviJ
humaine. Il se présente comm~ ['horizon, l'idéal
ou
v(JViJkp,)kl'''' Nous nous permettrons de le
OU le canon en relation avec Iequ~[ l'activité se
traduire par tendance vers un Repos lo('olnot!lou
détinit en tant que bien ou mal. VÔ1'Ù incarne ici la
Lihent!. Est ('n revanâre maul'ais, ou constitue un
visJe, l'i/1/('/1/ion qui guide et encadre l'expàience,
mal, t 0 ut cc! (1 ui conduit 1ï nd; vidu 0 u la
contrôle ractc réalisl; ou etTectivement accompli et
commu/1aultJ vers le co11lrair(' du Repos IOCO/1lOt!t.'
lui sert d'étalon de valeur. L'activité qui vis~ vovo
Le Repos loco/not!loula Liherté suppose l"ahsence
doit déjà par sa forme montrer qu'il l'engendrera
de toute crainte l't de t(lute contrainte dues à la
ou LJu'il )"eng~ndre eff~ctivement déjà. Mais
restriction de l'espace, à l"absence de charge,
comment détennincr qu'un~activité qui s'accomplit
d'occupation et de souci. La fonne la plus concrète
dans un prés~nt peut conduire dans le futur à1'ovo ?
de cet état est appdée ùbD4è, lihertt! et abondance.
La culture dl's Eocawo a tixé des cadr~s concr~ts
L'idée premièrl' derrière ces conceptions est [a
d'actions dont le suivi répond à la qu~slion ainsi
jouissancc pure de délices et de tranquillité sans
posée. C'est de ces cadres qu'il va ètr~ question à
aucune soulfranœ, sans aucun e1Tnrt. sans aucune
présent.
l'cine: ùght!l/,l/(I.u ou ùgjl/.l/(I.u' .
VI. LES CABRES I)E PERTINENCE nES
Notons d~ià que vovo ne doit pas ~tre confondu avec
CATE(~ORIESnu HIEN
l/,hl.h/émt', le repos physique. Le pœmier contient
le second sans pouvoir s'y ~tre réduit. Tandis que
Le tout premier critère de validité du bien ou de
f)il/it/l!me met l' acœnt sur le vécu du repos dans
pertinenl'e du mal, le premi~r fondement
sa l'dation avec le sujet qui lait l'expérience, et peut
axiologiLJue du bien ou du mal est d'ordre social.
être délini comme cessation de mouvement ou
Cesllaji.flJlille :.fiJmè. x/nl1èl . p/J/llè3, dont la di-
d'activité, inertie ou rupture de volonté ct de
mension la plus directemcnt et concrètement con-
décision, l'(h~() établit la l'dation entre le sujet
œmée ici est le ôvimë' , que l'ClIl l'l'ut appeler aussi
considéré l:omm~ une unité d'action ou une unité
quoiLJue improprement {,?/iJ11lè. I.h'tlnè", t.Jp/nnè".
impliquée dans le mouvement et le C(lntext~ ou
D'une 1~I\\;on générale. une action n'a d~ signitica-
l'espace dans lequel sc déploie l"activité.1I connote
tion morale au s~ns strict, qu'à ['intérieur de ce
le fait que I"expérience de r~pos est un moyen
cadr~. En delll)rs de ce Œd re, l' act ion est gratui t~,
d'action sous le contrôle d'un sujet. C'est une
bénévole ct sans val~ur nécessairemcnt morale. Ellc
condition ou un instrument au protit du sujet ou de
a la même dimension qu'un~ œuvre d'art. En
sa volonté. Il est aussi un l'spart' ou un contexte
d'autr~s tem1es, [a vaII!ur esthétique possèd~ ici une
rendant possible l"intensité et la LJualité du
I.'xtension sociologique plus grande que la valeur
mouvement en tunt (lU 'il est posé et vécu. La
morale. Tandis que la soumission d'une valeur es-
jouissance ici se trouve dans l'intensité ou la qualité
thétique oujuridiqut' à une évaluation d'ordr~ moral
de mouvement dans sa rdation avec ["espace ou le
~st admise, la soumission d'un~ valeur morale à une
cont~xte. Ainsi. vfJvt!lé ou viJviJyi en tant qu~
~valliation d~ type esthétique ou juridique est en
lieu ou momenl rendant possible ou agréable Je
principe inadmissihle. Pour l'administration et la
mouvement l.'st cadre pur de jouissance. [1 nl.' se
Revue du CAM ES - Nouvelle Série 8, Vol. 009 N° 2-2007 (2'·" Semestre)
165

Sciences socÏtlle... et IUlnut ines -
_
conduite de la vie, il y a primat des cat~gories
relentissl.:'ment est sans contrepartie rend dure ct
morales sur les cat~gories esthétiques et juridiques.
impulsive ou explosive la vengeance. ljui est
Justement pour celte raison, l'appréciation morale
supposée épouser la forme d'un spectacle ou y
de l'artiste n'est pas toujours positive. Le sort de
conduire. Elle aboutit à l'esthétique. au tragique.
l'artiste est cumparable à ce qu'il cn est dans la
Même atroce. la vl.:'ngeance n'est pas ici une
RépubliLjlU' de Platon (Platon, 1966. p. 370)7.
catégorie morale, elle est lIIll' catégorie ludique.
exactement comme cda se fàit au jeu. le but encaissé
Le contlit entre dcux fàmilles relève dujudidaire.
doit être réparé', rendu. égalisé.
ta.ndis que celui qui oppose les membres d'unc
même iàmillc relève du mural. Il y a des points OLI
Ici, la notion kantienne ou chrétienne d'universalité
le judiciaire et le moral se rencontrent ou
n'a uucune pertinence. Entre l'intérieur. la tàmille.
s'achoppent. Entre la valeur judiciaire et la valeur
ct l'extérieur. le dehors de la ülmille, la continuité
esthétique. il y a énormément de points communs.
est J'ordre culturel. La culture ici sert (il'
En iàit, la m~me conduite n'u pas la même valeur
soubassement il l'art. au droit, plus exactement il la
si elle est posée par, avec. envers ou contre
justice et ù certaines croyances. Mais elle n'est
quelqu'un de la même tàmille ou par. avec, envers
qu'indirectement concernée par l'économie, et
ou contre quelqu'un d'une tàmille uutre. De même.
seulement comme référence conkxtuelle pur la
un service rendu ou accompli par quelqu'un d'une
défense. Si l'on se pose la question de savoir
autre t~unille a la valeur ct l"importance d'un
pourquoi au temps de l'esclavage ou de la
sp~ctacle ludique. A ce titre il est specTaculaire et
colonisaTion. des familles peuvem coopérer <.ivec
donc admirable. mais pas /l('cessairt'menl bien Il
I\\~sdavagiste. ou le colonisateur pour tàire mal ou
est jugé comme une œuvre d'art ou comme un jeu.
trahir des membres d'autres tàmilles. à une telle
Il n'a pas de retentissement moral et ne donne lieu
question, vous pouvez désormais vous raire un
à aucune cristallisation ou sédimentation dans la
débllt àe réponse.
mémoire collective nécessaire. Est vécue comme
dramatique et donc à la fois esthétique ct éthique la
Vous comprendrez aussi pourquoi. une unltt'
douleur ou l'amertume causée à un membre d'une
d'al'lion collective Je type national pour résister il
famille à partir d'une tàmille diflërente. Pour la
une domination. une colonisation. une dictature ou
tàmille victime, elle est vécue comme gratuite,
d'autres formes de joug est plus dinicile ici. Vous
comme un objet de valeur esthétique, elle rencontre
pourrez aussi essayer de vous former un début
une réaction de type moral: un retentissement.
d'explication pour le fait quïl n'y a pas si
Tandis que dans la tàmille qui la tàit subir, elle n'a
longtemps. lorslju' un ministre est nommé, les
pas ce retentissement. Parce qu'elle est sans
membres de sa famille. élargie quelquefois à son
retentissement pour la famille qui la commet. et
village LlU à sa région. allaient t~,ire un acte de
qu'elle en a un pour la fàmille de la viclime, elle est
remerciement ct d'allégeance à l'aUTorité qni l'a
source de révolte et de vengeance multiples,
nommé.
multiformes ct complexes.
Dl' même. il est tàcile à une autorité dans l'exercice
de l'arbitnlire de s'appuyer sur une tàmille à qui
Vil.
PISTES Il"ANALYSE OU
elle octroierail des tàveurs pOlir nuire à un élément
n'INTERPRETATION DE CERTAINS
d'une ütmille voisine. Les fitmil/es sonl dalls 1/11('
COMPORTEMENTS INI>IVIHUELS ET
rivalilé (,'onslanle. ella,lfm'e de la règlu el du re.'pl!c1
COLLECTIFS
n'a de validilé el d 'e.tfi!clil'ilé qu 'ù l 'inlérieur d 'une
mJmejàmil/e. Comme on pellt le voir, la lutte pour
Le sentiment qui sous-tend cette révolte ou
l'av~nl.:'ment d'un EtaT républicain véritable, la lutte
l'l'Hl'
vengeance est la tricherie méprisante, l'exploitation.
contre ta corruption, le népotisme. le détournement
amel(((u. La vengeance ici est vécue comme une
Je denier public, les passe-droits, ne peuvent ici être
réparation, un rééquilibrage. Le fait que cc
véritablement gagnées que si l'on maîTrise les faits
J66
Revue du CAM ES - Nouvelle Série R, Vol. 009 N° 2-2007 (2'm. Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociale~' et humaines
dont il est 4uestion, et si on les ah\\lrde non plus à
conçue ici comme hostile, dillicile, arhitraire, sans
la manière de 1'Ol'Cident, mais avec des mécanismes
valeur ~t rar conséqu~nt sans civilisation tiahle,
d procédures 4ui trouvent leur enracinement dans
d'où l'expression « étsi ghe )) pour dire que
nos propres cultures.
quelqu'un manque de référence en matière de
culture ou de civilisation. Elle sc dit de queJq~'un
7.1. Lieux de Vie, d'activités dt' soutien de la vie
qui est demeuré trop longtemps à l'étranger, loin
ct de culture
d'afe. " est considéré et traité comme un acculturé,
dé~aciné, sans repère véritable, et sans référence
axiologique adéquate, et donc indélicat et presque
Si.fomè la famille est le premier cadrt" à l'intérieur
toujours indigne de confiance et même quelquefois
duquel l'acte moral reçoit sa validité, le lieu naturel
da~gereux.Même Lomé, même Accra, même Paris,
d'existence, d'expression et de manifestation de
même Londres, même N~w York sont à prendre
fomè est ùte. ùxwé ou ùpé.
terme qui désigne
comme ghèdzi. lieux ou pays dïnculture, par rapport
'tantôt fov~r
. , tantôt maison, tantôt patrie. Par
aux bourgades de Kédzl ou d' Antl.)in ou d' Ag::)lnè-
éducation, l'état du Repos locomoti f est associé au
Y~3 ou aux cités d' AlJbg~, de Glidzf, de Dàlâve,
phénomène d' l{te. Il est enseigné ou intériorisé
par exemple ou de tous les dùwo ou villes quelques
comme cadre concret de possihilité d'un Repos
minuscules et rurales qu "ils puissent être ou paraître.
locomotif: Si ùlé est la maison-patrie. l'équivalent
Ainsi, par rapport à ghèdzi, le pays étranger dont la
du hO/ne anglais ou du heslia grec tel qu'il est décrit
grandeur et l'éclat ne peuvent à la rigueur qu'être
dans Mylhe el pensée chez les Grecs par Jean Pierre
esthétiques et jamais morales. c'est bien Me qui
Vemant (Vemant J.P., 1982, pp. 124-170)8, sa tonne
est source de valeur et de rétërence. Mais aghlèdzi
d'ù(émè. maison d'hahitation, s'oppose à ghemC!
et gbèdzi ont en commun de soutenir l'activité
ou -aghlèdzi, les champs, la brousse. l'espace non
économique
dont
le
résultat
permet
de
habité devant être mis en valeur, être exploité, être
construire et de soutenir à(émè.
travaillé pour assurer le hien au foyer. Cest le cadre
de l'adversité ou de l'hostilité naturelle pleine de
menace et de danger d'origine naturelle ou humaine
7.3. L'investissement dans la pierre
que l'on doit dominer, maîtriser en vue du Repos
locomotif.
Ali!. tùyer ou maison d'habitation, surtout constntite
a~ pays, à aIt!. ou même simplement au lieu où on
Par rapport àgheme et a!!,hlèdzi, c'est il l{femè qu'il
réside. est source de repos et de tranquillité. La
ya la possibilité de Repos 10comotiC Toute activité
construction de sa maison propre est dans la vie
qui conduit à l{(émè. ou qui l'assure ou qui a
des
gens
une
réalisation
capitale.
Selon
tendance à v conduire, ou encore qui le rend attirant
l'enseignement oral du Dumcg~ Akakpo Sîab)
et attrayant. est nécessairement du bien. Afémè
de Dalave-vùevc, tel qu'il est rapporté dans
s'oppo;e au~si à glùmè, le dehors, le 1ieu de sortie
l'ouvrage intitulé Le Syslème àqàuù,ùtl.ùuù comme
et de promenade, là où on va quand on sort de la
prindpe organisaleur de
la
vie
(vie
el
maison, où l'on est exposé à l'adversité humaine,
D';l'elvppemenl- Dillgnoslic el Déhiaiemeno( Agio
aux co~t1its,là où il n'y a ni sûreté, ni assurance, ni
.1., 1988, p. 189) :
confiance, et même pas d'apaisement spontané,
mais où s'étalent ou doivent s'étaler ou se manifester
Le jeune homme-eue
doit avant tOlite chose étahlir son
la culture et la personnalité forgées à (ljen1(~. Le seul
domaine de prod/letion: avoir /In champ ou un métier. De
lieu où le repos locomotif est conçu comme
l'économie réalisée LI partir des produits de son champ ou de
prévisible ou assuré, c'est lljëmè. Hors d'lVémè, il
son métier, il devra se procurer un/ilsil d'abord el une maison
n'y a pas de repos locomotif.
ensuite, C 'est après cela qu'il doit s 'lin il' à sa premièrejèmme
et commencer à produire les vivants,
7.2. Illace et valeur d'une terre d'accueil
étrangère
Aje, terre des ancêtres, terre d' origine, pays ou
patrie, s'oppose aussi à gbèdzi, terre étrangère.
Ke\\'ue du CAMES - Nouvelle Série H, Vol. 009 N° 2-2007 (2"n.. St'mestre)
167

Sciences sociales et 1"lIl1a;"es - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
En fait. la valeur d'un être humain ne dl'vient
Il est apparu que la particularité de la norme morale
conlirmée que quand il devient propriétaire de sa
est d'avoir toujours pour sl~iel de la /1orme
maison. D'ailleurs la responsélhilité civique n'est
l'individu. Autrement dit. à la dil1ërence de la nom1e
considérée qu'en relation avec l~lë
comme
juridique pour laquelle la communicat ion llonna1ive
J'attesknt les syntagmes c?ft5r.> et c{fc;n.) aVt'c les
se fait par Il' truchl'ment d'institutilllls et des
variantes ùxwét.5 et àxwén:\\ ùpél.5 et ùpén;)
structures apprnpriées, d n'atteint Ill/Jersonne que
maître et maîtresse de la maison. L'lm et l'autre
relayét' par ces structures et institutions, la norme
termes renvoient au masculin l't au fëminin des
moral\\.' s"adresse 100(iours el directement li l'individu
tennes seigneur, patron, hùte, monsieur. L'usage
el scms aucune slrllelllre il1lermJdiail'e. Cette
courant des tem1es l?fét,) et l{fën.J les 0PPOSl' à
constance scion laquelle le sujet de la nonne moru\\l'
.r.Jluiyât:S, locataire de maison. Nul n'ignore quelk'
est toujours et avant tout l'individu est véri fiée
valeur déplaisante est attachée à ce terme dans
lorsque la norme morale a pour support l'écriture
l'eveghe de tome, et quelk idée d'ahsence de
aussi hicn que lorsqu'elle est prise en charge par
tranquillité et de paix il connote.
l'oralité ou Je vécu.
CONCLUSION
En revanche, là où une premlere différence
importante est à noter entre un système normatif
JI convient de din.~ que, duns la perspective
moral ayant pour support l'oralité ou la vie d un
considérée par cette étude, « oralité» ou « tradition
autre uyant pour support l'él'riture, c'est que pour
orale» est ussociée de fa~'on quasi intime à
la pensée morale élahorée ou conduite par l't~crilure,
{< tradition vécue ». L'une des préoccupations sous-
jaccntes à la présente étude a été de voir si l<{qualité
une assimilation se làit entre auteur de la ~nsée
d'un système de pensée et plus exactement d'un
morale et autorité de la norme. De plus, quelle que
système normatif moral pellt être uffectée Oll
soit la source réclle du système de pensée lJ.u'elle
intluencée dans son fondement même et de façon
prend en charge, la caractéristique de l'écriture étunt
essentielle par le caructère écrit ou oraL c'est-à-dire
de n'être en définitive que le sceau ct lu marque
vécu. du medium lui servant de support. Cette
(fune individualité, la morale prise en charge par
préoccupation n'a pas été attaquée de front. UtiJ isant
l'écriture se conli.lI1d il une morale dont la source
simplement comme témoins deux exemples de
est plutôt un individu. Eu égard il cela, c'est plutôt
système de pensée morale, sous-tendue par
à vrui dire une réflexion sur la morale qu'unt' morale
récriture, le présent exposé s'est attelé à mettre en
proprement dite, c'est une éthique plutôt qu'une
évidence des fondements ou des sououssemenls
morale, pour emprunter une distinction que nous
possibles du hien et du mal dans Ul! type de système
ne partageons pas nécessairement 1 • Nous dirons
moral ayant pour support la tradition orale et pour
plutôt qu'il s'agit d'un pn?iel JI! morale et nun de
cadre, la vie comme elle se vit par une communauté
morale proprl..'ment dite.
d'êtres humains.
Une autre dillërem:e importante entre' un système
normatif moral ayant pour support l'oralité ct la vie
1 Il làut préciser que celle j'luissanœ n'esl posée ni comme ahsoluc ni
comme pennanentc. E1k doit être préparée par k (ravail. rclrort et la
et un autre ayant pour support récriture, c'est
soul1rancc. La seule chose qui est mise en relief c'est que pl"ndant
qu'die Sl" déroule. il est exclu qu'ait lieul"n mème temps œ qui pourrail
l'importance de la notion d'universalité. D'après
la l"Ornpromellre. (Cf. Agio.!., 19XX. pp. 22)-~22)
les deux exempll's témoins de la tradition écrite que
, Variantl" diakl"tak Je .Iilm", « famille H.
J Variante dialel"tak de)iI/I/(\\' « làmille ».
nous avons indiqués, la valeur de la loi morale est
, Famillt' engendrée par l'asl"endanl"t' de ligne patemclk du père (d.
Agio, 2002, pp. 108-112, 2X9-292. 311 )
sous-tendue par son caractère universel. ou plutôt,
5 Variante dialectale du l.Jfrlmè, familk engendrée par l'a~l"endanl"e de
la validité de la loi morale dépend de son
ligne palemclk du père.
(, Variantl" dialectak du t.ifiJmè, làmilk engendrée par rasccndanœ de
universalité. La loi morale transporte l'individu sur
ligne palernelle du père.
un champ universel en appliquant un principe qui
7« Ainsi, nous voilà bien fondés à nl" pas le reœvoir dans un Etat qui
doit èlre régi par dl"s lois sages. puisqu'il révl"ille. nourrit et fortifie Il'
peut se traduire par la formule suivante: loUl
mauvais éJ.:ment de l'âme, et ruine. de la sortt:, l'dément raisonnabk
individu en \\'1lU/ un aulre pariOU/I!I sans restrielion.
1... 1 de même. du pl)ètl" imitateur. nous dirons qu'il introduit un
mauvais gou~l"memenl dans l'âme de chaque individu. [... 1»
Dans la tradition vécue qui a été examinée ici, le
< Ce livre permet de se làire une idée des nuances qu'il pl"ul y avoir
entre la l"onl"eption grel"que et la eonœption des Eveal\\'v.
]68
Revue du CAMES - Nouvelle Série D, Vol. 009 N° 2-2007 (2ènJe Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et humaines
principe considàé est It' suivant: un individu ne
rapport à [' indép~ndance de nos pays et heaucoup
vaut un autre li I,riori qu'à [' intérieur J \\111 cercle
d'autres de nos contradictions peuvent recevoir une
social fl'rmé qui est appdé la .flunilll'. Au-ddil de
cxplicHtion à partir de ce simple constat.
ce cercle. au-delà de la fàmille. ou plutôt en dehors
de la famille. un individu ne vaut pas lin autre. Ce
A partir de lit, il est à indiquer que l'exploitation de
que vaut un individu reste alors à définir. L~ critère
ce constat dans toutes ses conséquences logiques et
de crlte délinition est lui-même fonction de cc que
matérid les. et dans celles de ses empreintes sur nos
cet individu apporte à la tàmille par rapport à
tàçons de vivre et de penser doit pouvoir fournir
laquelle il se détinit.
des éléments pouvant servir dans la mise en place
d'un ordre moral, social, économique et politique
Ce (.'onstat apparemment banal. devient nodal dans
mei lieur. Elle doit soutenir toute volonté de bâtir
la compréhension même de tout le fl)\\1ctionnement
une vision ct une espérance nouvelle notamment
de la société et de l'Etat moderne dans le Goltè du
en ce qui concerne la construction d'un Etat de type
Bénin. Il p~rmet d'expliquer un grand nombre de
égalitaire ou républicain, l'éditication de l'unité
fàits de société er de moralité, Le caractère quasi
nationale, le développement social et économique
institutionnel et la dimension quasi légale que prend
ou plus exactement la réduction de la pauvreté, la
un nomhre de plus en plus important de
culture du sens du hien commun ou plus simplement
comportements ou phénomènes tels que la
la culture de l'idée républicaine.
corruption, le népotisme, les dénis de justice. la
mauvaise gouwrnance, les contlits et violence de
type tribal ou ethnique reçoivent une explication à
partir de ce constat. Les ditlicultés pour mettre en
REFEI~ENCES IUHLIOGRAPHIQUES
place lin Etat moderne à la fois régalien et
républicain, J'incapacité à prendre au sérieux la
démocratie interprétée exactement comme lin
1. AGLO, (1.), 1988, Le l~vslème illlàyù, à4,àYll
divertissement
de
type
ludique.
les
comme principe organisateur de la vie (Vie et Déve-
dysfonctionnements
divers
de
l'Etat.
les
ft Jppement - Diagnostie et Déblaiement),
détournements des deniers de l'Etat, les fraudes
travail d'étude et de recherche présenté à
électorales etfe manque de respect pOLIr les élections
l'Université d'Abidjan.
de la part des dirigeants. le manque de foi dans les
élections de la part des citoyens, l'impossibilité
2.
1997, « Ontologie de l'œuvre
d'une vrai unité nationale, la confusion entre le hien
d'art: le primat normatif de la relation
de l'Etat et le patrimoine personnel du chefde l'Etat,
d'adhésion sur la relation de tàbrica-
la tendance à s'incruster au pouvoir, l'absence du
tion ) in Pratique / Réflexion sur l'art.
sens du bien public considéré comme objet
nO 314, Automne 1997, Presses Universi-
nécessaire de prédation et d'autres torn1es de dérives
taires de Rennes, Rennes, pp. 27 - 46.
pol itiques et morales reçoivent un début
3.
1998. Norme el Symbule. Les
d'explication à partir de ce constat.
tlJ/ldeme11ls philosophiques de l'olJ/iga-
lion, L'Harmattan. Paris. Montré~1.
Ce constat permet de comprendre également
certains points de notre histoire récente ou ancienne.
4.
2001, Les Fondemenls phi/o,\\'o-
Notre rôle et
nos comportements
face
à
phiqlles de lu morale dans une société
l'esclavagisme et au colonialisme. les causes ou
à Imdition orale, Le Système à4,àtJù.
raisons de nos diftërentes compromissions ou
L' Harmattan, Paris.
collaborations avec l'esclavagiste ou le colonisateur
er aujourd'hui même avec les multinationales et le
néo-colonialisme au dépens de nos compatriotes et
de l'intérêt national, nos divisions et contlits par
Revue lIu CAMES - Nouvellt' Série R, Vol. 009 N° 2-2007 (2'm. Semestrp )
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Sciences socitl/es et ""mailles - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
5. - - - - - - 2002. La Vie et le Vivre-ensem-
13. ORTIGUES, (E.). 198 L Religions du livre el
ble. Le principe organisateur de la vie
religions de la colllume, Editions Le
dans le système à4.àtJù, L 'Hannattan,
Sycomore. Paris.
Paris.
14. PAZZI, (R.). 1976. L '[fomme - eue. ({Ùl. gen.
6. BARTHES, (R.), 1993, (Euvres complètes, Tome
f:m - el S011 univers. Ronéotypé. Lome.
1. Editions du Seuil, Paris. notamment
« Responsabilité de la grammaire» in
15. PLATON. 1966. La Répuhlique. Introduction.
Œuvres complètes, Tome l, pp. 79-81.
traduction et notes par Robert Bacou.
Garnier-Frères. Paris.
7. GÂNDHÎ, (M. K.). 1964, Gandhi. awohiogra-
phie ou mes expériences de vérité.
16. SAEMUNDSSON. (M. V.) et LEMARQUIS.
P.U.F., Paris.
(G.). 1994. Ce que disaienl les vikings.
L 'aulhel1lique Hâvamâl. Le cJlèhre
8. KANT, (E.), 1974, Fondements de la métaphysi-
manuel du savoir-vivre des anciens Vi-
que des mœurs, Editions Victor Delbos,
kings, Gudrun Puhlishing. Reykjavik.
Librairie DeJagrave, Paris.
17. SWAML (B.). 1986. Le lil'l'e de KRSNA.
Deuxième partie. The Bhaktivedama
9.
1989. Critique de la raison prati-
Book Trust, Montréal, Ardennes. Paris.
que. trad. François Picavet, introd. Fer-
dinand Alquié, Quadrige/PUF. Paris.
18.
1995, Premier Chan! -
Deuxième Par/il', The Bhaktivedanta
10.
1990, Critique de la raison pure.
Book Trust. Montréal. Ardennes. Paris.
trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud,
Préf. Ch. Serrus, Quadrige/PUF, Paris.
19. VERNANT,(J.-P.), 1965. Myrheetpenséechez
les Grecs, Maspero. Paris.
Il. LAO-TSEH, 1967, Tao tii king. traduit du chi-
nois par Liou Kia-hway. Gallimard.
Paris.
J2. OB1ANIM, (S.). 1976, Eveb/luwo, The E. P.
Church Press, Ho, Ghana.
1 Car. die n'esl pas essentielle, sunoul du point de vue de la philosophie
du langage. En dli:L dans l'antiquil': grecque cl romaine, par l'un de.,
deux mols. on traduisait l'autrc. EL de nos jours, mème parmi les pen-
seurs. .:elle distin':lion n'est pas toujours évidentc. ellc fait souvent l'o''jd
de polémique. En Irançais, l'usagc Lies deux mols dans la langue parlée
.:ourante n'cnlrainc aucunc peninen.:.: s':mantiqu.: né.:essaire : « éthiquc»
ct « morale » s'utilisent. mème de nos jours, et onl pu s'utiliscr dans le
passé, .:ommc des synlll1ymcs.
170
Revue du CAMES - Nouvelle Série 8, Vol. U09 N° 2-2007 l2iomo Semestre)