- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et" umaines
1
1
,
VARIABILITE CLIMATIQUE ET INDICES
,
DE DEVELOPPEMENT HUMAIN DANS LE
,
,
SAHEL RURAL SENEGALAIS
Aminata NDJAYE
Université Cheikh Anta
'P
Dio
Dakar - Sénégal
RÉSUMÉ
l!
il
Il
Au travers de la recherche scientifique, il apparaît évident qu'une meilleure connaissance de la réparti- \\1
1
tion spatio-temporelle des précipitations demeure nécessité socio-économique pour les pays sahéliens .
foncièrement tributaires des rendements de l'agriculture et du pastoralisme. Or, dans ces pays à écosys-
tèmes vulnérables, en dépit du retour sporadique des précipitations noté ces dernières années, la séche-
resse persistante des années 1970 a affecté l'ensemble du cycle de l'eau entraînant de graves conséquen-
ces pour l'agriculture et la sécurité alimentaire. Au Sénégal, cette situation davantage ressentie dans les
régions où les Indices de Développement Humain (lDH) sont les plus fàibles, est source d'un profond
dysfonctionnement caractérisé par le dépérissement du mode de vie communautaire, dernier sanctuaire 1
du monde rural. S'agit-il là d'un prodrome de désarticulation d'un système multiséculaire.
1
1
Ces questionnements relatifs aux effets induits de la variabilité climatique en milieu rural sont soulevés
dans cet article qui focalise son expression dans l'espace géographique du Sahel sénégalais, en
l'occurrence, les Régions de Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga et Thiès.
Mots-clés: Sahel, environnement, variabilité du climat, indice de développement humain.
Il ABSTRACT
'I
Trough scientific research, it becomes obvious that a better knowledge of the distribution in time and
1
space ofrainfal1s remains a socio-economic necessity of Sahel countries largely dependent on agriculture
and animal husbandry. However, in these countries with a vulnerable ecosystem, despite on sporadic
return of rainfalls in the last few years, the persistent drought of the 70s has affected the water cycle with
serious consequences on agriculture and food security. In Senegal. the situation, which is more severe in
areas with lower Human Development Indexes is the cause ofprofound disruptions characterized by the
weakening of forms of community life, which are the last sanctuary of rural areas. Can this be forseenas
the prodrome of the disjointment of a multisecular system?
Questions regarding the effects induced by climate variability in rural areas are discussed in this article,
which will focus in the geographic space of a senegal 's Sahel areas, special1y, the areas of Diourbel,
Fatick, Kaolack, Louga and Thiès.
,
Key lvords: Sahel, environment, climatic variability, Human Development Index.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2·m• Semestre)
133

Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
dance d'un hypothétique hivernage pluvieux. Cela
INTRODUCTION
davantage encore dans le Sahel sénégalais situé au
nord du 14ème parallèle et qui constitue la partie la
Plusieurs études ont montré la forte
plus chaude du pays. Cette zone à faible pluviomé-
variabilité et la baisse pluviométrique qui
trie s'inscrit entre les isohyètes 100 et 500 mm et
affectent la zone sahélienne et soudanienne depuis
enregistre une fréquence accrue des vents de sable
la fin des années 60 (Adam, 1966 ; Leroux, 1983 ;
dont la célérité est accentuée par la réduction de
Albergel 1989 ; Lamarre, 1997 ; Association
l'écran végétal.
Internationale de Climatologie (AIC), 2000 ; etc.).
Cependant, même si les recherches qui tentent
Ainsi, en dehors de la Région du fleuve Sénégal où
de comprendre les mécanismes à l'origine de ce
la solution au déficit hydrique a plus ou moins été
phénomène climatique sont nombreuses et les
efficacement apportée par la réalisation d'ouvrages
avancées significatives, le déficit pluviométrique
hydrauliques (barrages de Diama et Manantali) qui
survenu dans un contexte de démographie
assurent la pérennité de l'eau permettant ainsi
galopante au Sahel a des répercussions
l'irrigation toute l'ann~e, partout ailleurs, dans le
considérables sur l'environnement et sur les
Sahel sénégalais, l'agriculture est étroitement
rendements agricoles. Or, à plusieurs égards,
dépendante du climat (organisation et dynamisme
l'agriculture sous pluie joue un rôle majeur dans
du flux de mousson, emplacemt:1nt de la ZCIT etc.,
l'économie de ces pays à écosystèmes fragiles.
cf. Leroux, 1983). Or, depuis le début des années
70, on y enregistre des sécheresses récurrentes,
Au Sénégal, elle constitue le fondement
marquées par des totaux pluviométriques en deçà -
de l'économie nationale dans la mesure où elle
de ceux des années 1950 et une mauvaise
occupe près de 60% de la population, englobe
distribution
spatio-temporelle
des
pluies
plus de 10% du programme d'investissements
caractérisée par de longues pauses qui entravent la
public, contribue à l'amélioration de la sécurité
.viabilité de l'agriculture.
alimentaire, assure la fourniture de matières
premières à l'agro-industrie (arachide, coton...),
1.1.
Baisse soutenue des totaux
absorbe une partie de la production du secteur
pluviométriques
industriel et semi industriel et de l'artisanat
(engrais, pesticides, matériel agricole...), etc. Il
L'évolution de la série pluviométrique 1951-2001
devient donc impérieux, pour une planification
(fig.l) à la station de Diourbel montre la persistance
judicieuse au vu de prises de décisions et mesures
de la sécheresse entamée au début des années 70 et
adéquates, d'apprécier l'ampleur des effets induits
caractérisée par une baisse tendancielle des totaux
de la variabilité pluviométrique dans le Sahel rural
annuels; ce qui entrave les conditions d'existence
sénégalais, sachant que celui-ci, essentiellement
dans ce milieu précaire à vocation agricole.
à vocation agricole, est davantage exposé.
Il re~sort de la série des données, deux phases
I.
CRISE
CLIMATIQUE
plUVIOmétriques distinctes qui mettent en évidence
MULTIFORME
ET
INSÉCURITÉ
une période pluviométrique humide 1951-1971 et
ALIMENTAIRE
une période de sécheresse soutenue qui s'étend de
1972 à 2001.
Au Sénégal, 96% des cultures sont tributaires de
l'hivernage, soit directement (cultures sous pluie),
soit indirectement (cultures de décrue dans la
vallée du fleuve Sénégal ou maraîchage dans les
Niayes1). Les ruraux qui constituent plus de la
moitié de la population sont donc soumis aux
1 Il s 'agit de la zone déprimée occupée par des formations dunaires et des
d.épressio~s inter - dunaires issues des différentes transgressions et régres-
vicissitudes du climat et restent sous la dépen-
sl~ns m~mes datant du Quaternaire. Cette zone abrite bon nombre de lacs
salsonmers et permanents.
134
Revue du CAMES - Nouvelle Série H, Vol. 009 N° 2-2007 (2eme Semestre)

---------~------------------ Sciences sociales et humaines
- -..-------.--.-.--.--.---------.----. - - Pluies annuelles .
.•..•.. Moyenne
i.! ... +--------\\-f---\\,-"'\\d--'l....-\\-f-V'-\\---......,.---H-------A,---I \\--tl---ll
..
Fig. 1 : Evolution interannuelle de la pluie à Diourbel (1951-2001)
1.2. Des déficits pluviométriques chroniques
Depuis 1972, à quelques exceptions près,
à plus de 20% inférieurs, à la moyenne de la série
1974, 1978, 1988, 1995 et 1999, soit 5 saisons sur
(fig.2). Les cas d'extrême déficit, plus de 50% in-
une période trentenaire, tous les hivernages sont
férieurs à la moyenne sont 1983 et 1986, saisons à
déficitaires en eau p1uviale.15 saisons sur 25 le sont
bilans pluviométriques exceptionnellement négatifs.
100,00
80,00
60,00
"#.
40,00
Il
.. 20,00
t!III... 0,00
...
-20,00
-40,00
-60,00
;;:;
'<t
.,.,
~
~
années
Fig. 2 : Evolution comparée'de la pluie à Diourbel : totaux annuels et moyenne de la série (1951- 2001)
Aussi, faudrait- il souligner que ces périodes de
Ces anomalies pluviométriques qui ont des origi-
sécheresses sont parfois aggravées par des aléas
nes complexes, en rapport avec des phénomènes
ponctuels, telle l'invasion de criquets pèlerins qui,
planétaires comme ENSO\\ mais aussi les variations
par exemple en 2004, a engendré un taux de sinis-
de températures de surface dans l'Atlantique (AIC,
tre de 80%, pour ce qui concerne la culture du mil
2000) se traduisent par la baisse de la production
et 35% pour l'arachide.
agricole (15% du PIB contre 20% en 1965 et un
Revue du CAMES - Nouvelle Série'B, Vol. 009 N° 2-2007 (2imo Semestre)
135

Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
taux de croissance de 2,4%, inférieur au taux de
pêcher les faux départs dus aux fréquentes pauses
croissance démographique) entravant, ainsi, le dé-
pluviométriques (fig.3) constatées durant la phase
veloppement social et économique des populations
d'installation de la mousson.
concernées.
Ces préoccupations ont également concernées les
A cet égard, on assiste, partout dans le Sahel
longues phases sèches au sein de l'hivernage (fig.3),
rural sénégalais, à une dégradation des conditions
leurs impacts sur les rendements du mil étant
de l'environnement écologique, socio-économique
corrélativement négatifs (fig.4). La « crise»
et sanitaire (Ndiaye A. 2000); ce qui fragilise
climatique en ayant des répercussions directes sur
davantage les capacités de production agricole
les activités socio-économiques des populations
exposant les populations traditionnellement
rurales foncièrement agricoles et pastorales a
paysannes à une insécurité alimentaire récurrente.
contribué à accentuer la pauvreté dans la Sahel rural
En conséquence, davantage soucieuses de leur
sénégalais, plus singulièrement, dans les régions du
autosuffisance alimentaire, celles-ci privilégient de
Centre.
plus en plus l'agriculture vivrière, notamment le
mil à cycle court qui, du reste, résiste mieux à la
Cette pauvreté manifeste est amplifiée dans les
'
sécheresse.
zones à risque alimentaire (Kaël, Ndame, Ngohé
etc.), exposées en permanence à la famine. Dans
1.3. Longues pauses pluviométriques et
ces régions, le bilan vivrier tributaire de la
conséquences sur les rendements du mil
production céréalière, affiche depuis quelques
années des déficits considérables avec un taux de
couverture, par endroit, inférieur à 34 % ; soit une
La culture du mil qui, pendant longtemps, a
période de soudure de plus de 8 mois par an.
été délaissée au profit de l'arachide, source de
revenus financiers substantiels, a depuis quelques
18 1
années, repris le dessus. De ce fait, même si l'ara-
16 +----_~-.-----------
~
12 +--.-
14 +-1
-.---------~
chide reste la principale culture de rente, sa pro-
-1
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duction a de plus en plus baissé considérablement
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au profit d'une-diversification agricole avec
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l'adoption d'autres produits comme le niébé, la
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pastèque, les fruitiers, etc., mais aussi et surtout
en faveur d'un retour appuyé au mil souna (Diop,
2000) de plus en plus, culture de prédilection des
Annœs
' - - - - - - - - - - - - - _ . _ - - - -
ruraux. D'ailleurs, il ressort des publications an-
Fig.3 : Durée des pauses pluviométriques au
nuelles de la Direction de l'Agriculture, que celui
cours de l'hivernage (Kaolack)
là occupe plus de 80 % des surfaces réservées aux
,._----------~
cultures vivrières.
1
Dans le même temps, les recherches concer-
nant l'optimisation de cette variété culturale ont
affiché des résultats significatifs. La délimitation
de la période propice au démarrage de la saison
Année
culturale et la recherche d'espèces plus adaptées
, - - - - -
c::::J rendements -précpi(ation~l
1
ont constitué, pendant plusieurs années, la préoc-
L
~
_
cupation majeure des chercheurs du domaine sa-
Fig.4 : Evolution comparée: rendements - précipitations
(station de Kaolack)
hélien. Le souci principal étant d'optimiser la pla-
nification du semis à temps propice et donc d'.em-
1 Le souna (nom local) adapté aux sols légers et à cycle végétatif court (90
à 120 jours) est privilégié au sanio (nom local) qui mûrit en 120 jours et
1 El Nino Southern Oscillation.
préfère des sols riches en matières organiques.
136
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2èm• Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - :;~lencessociales et humaine',
II.
PAUVRETÉ
ET
INDICES
DE
vaises politiques agricoles, entraves techniques et
DÉVELOPPEMENT HUMAIN
financières) ne manquent pas d'avoir eux aussi une
forte prégnance dans les conditions de vie aussi bien
Les indices d'accès aux services sociaux de base,
expression patente du niveau de pauvreté, montrent
de la communauté que des ménages
que la quasi-totalité du Sahel rural sénégalais,
notamment le Ferlo, l'ancien et le nouveau bassin
En comparant la situation de la Région de Dakar à
arachidier, enregistrent des taux de couverture très
celle de la zone étudiée, (tableaux 1 et 2), la pau-
en deçà de la moyenne nationale. La concentration
vreté est manifeste sous différents degrés et à plu-
de la pauvreté dans cette région est confirmée par
sieurs strates de la structure sociale. Il ressort des
les travaux de l'EPPS1, 2001 (Document de
analyses que les taux maxima d'extrême pauvreté
Stratégie de Réduction de la Pauvreté), avec des
(<< très pauvre» 48,6% à Kaolack) et de pauvreté
incidences considérables pour le monde rural de
relative (<< pauvre» 74,4 à Fatick) concernent plus
l'ordre de 72% et 88 % contre 44% et 59 % pour la
la communauté que les ménages pris isolément.
zone urbaine.
Cependant, le cumul des taux de ces deux niveaux
Dans un contexte où l'agriculture et l'élevage, socles
de pauvreté (<< pauvre et très pauvre») dépasse
de l'économie, demeurent encore extensifs et peu
partout 50% avec des extrêmes de plus de 88% pour
modernisés, le secteur industriel embryonnaire
les ménages à Louga et Fatick et de 88,7 et 91,8%
malgré
les
énormes
potentialités
pour
pour la communauté à Kaolack et Louga. Cela
l'agroalimentaire et où la pression anthropique et
confirme le fait que dans la région étudiée, la
les ponctions démesurées sur les ressources
précarité des conditions d'existence est beaucoup
disponibles entament profondément les potentialités
plus ressentie par la communauté que par les
environnementales et forestières, la faiblesse des
ménages pris isolément.
IDH s'explique aisément.
Seule Fatick semble déroger à cette règle en
La baisse tendancielle de la pluviométrie, l' adop-
inversant légèrement cette tendance par des taux
tion de techniques rudimentaires et destructrices du
cumulés de pauvreté de l'ordre de 87,6% pour la
capital foncier, le désengagement de l'Etat en ce
communauté et de 88,2% pour les ménages; ce qui
qui concerne les crédits pour l'achat de matériels
en d'autres termes pourrait signifier que c'est
agricoles, la baisse constante des prix aux produc-
seulement dans cette région que le système
teurs, les difficultés de stockage et d'écoulement
communautaire garde encore quelques marques au
des produits agricoles et l'endettement des paysans
détriment du ménage autonome.
incapables d'honorer leurs dettes sont autant de fac-
teurs qui n'ont fait qu'ajouter à cette situation de
précarité.
Au regard de tous ces faits, on peut facilement af-
firmer que les principaux facteurs de basculement
dans le processus de paupérisation pour les popula-
tions du Sahel rural sénégalais ont une double ori-
gine, à la fois conjoncturelle et structurelle (natu-
relle et anthropique). Et que même si les facteurs
naturels qui découlent de ruptures dans l'écosys-
tème et de leurs conséquences prédominent les fac-
teurs anthropiques (déforestation qui affecte plus
de 80.000 ha fan, abandon de la jachère, surpres-
1 Enquête sur la Perception de la Pauvreté au Sé-
négal.
sion démographique etc.,) et institutionnels (mau-
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2im• Semestre)
137

Sciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Tableau 1 : Pauvreté dans la communauté
Riche
Moyenne
Pauvre
Très
Total
pauvre
Dakar
5,2
41,3
34,6
18,8
100,0
Diourbel
2,3
27,0
58,9
Il,8
100,0
Kaolack
0,6
Il,1
39,7
48,6
100,0
Thiès
0,8
22,0
54,4
22,7
100,0
Louga
0,3
7,9
57,0
34,8
100,0
"-
Fatick
0,3
12,1
74,4
13,2
100,0
Source: Enquête sur la perception de la pauvreté au Sénégal 2001
Tableau 2 : Pauvreté du ménage
Riche
Moyenne
Pauvre
Très pauvre
Total
Dakar
6,9
48,7
31,2
13,3
100,0
Diourbel
3,5
46,2
42,4
7,9
100,0
Kaolack
0,3
18,7
45,9
35,1
100,0
Thiès
3,5
29,8
48,7
17,9
100,0
Louga
1,5
10,1
61,5
26,9
100,0
Fatick
0,9
23,1
65,7
10,4
100,0
Kolda
0,7
11,1
40,9
47,3
100,0
Source: Enquête sur la perception de la pauvreté au Sénégal (volet statistique), 2001
Les critères indiciels du degré de pauvreté sont
kilomètre. Pourtant, Louga reste de toute la Région
nombreux·. Selon les populations (EPPS, 2001) les
concernée par nos analyses, la seu1e qui dispose d'un
principaux signes de la pauvreté sont, dans
cours d'eau pérenne (le Lac de Guiers et la basse
l'ordre, la difficulté à se nourrir, le manque de
vallée du Ferlo remise en eau). Partout ailleurs, les
travail, le manque de soins, le manque de logement
nappes souterraines de profondeur et de qualité
décent. Dans le cadre de cette analyse, deux indices .
variables assurent l'alimentation en eau des
qui reflètent mieux les réalités de la région étudiée,
ménages, du bétail, du maraîchage et des quelques
seront retenues. Il' s'agit des difficultés d'accès à
structures industrielles existantes.
'
l'eau potable, compte tenu du fait que cette partie
du Sahel sénégalais est uniquement à vocation
Dans le secteur hydraulique où la salinisation des
agricole et pastorale, mais également du manque
eaux de surface et des nappes souterraines altère la
d'infrastructures sanitaires, sachant que tout
qualité de celle-ci, d'importants efforts restent à
développement implique indubitablement une
effectuer pour atteindre les objectifs de l'OMS qui
couverture sanitaire convenable.
recommande 35 litres d'eau par habitant et par jour ;
la consommation en eau est seulement de 28 litres
2.1. Difficultés d'accès à l'eau
par habitant et par jour en moyenne à l'échelle
nationale.
Les régions qui se caractérisent par une' faible
pluviométrie, étant les plus défavorisées,
En milieu rural, les ménages pauvres qui n'ont pas
connaissent les plus faibles taux d'accessibilité à
accès à l'eau potable, s'approvisionnent
l'eau. Il s'agit de Diourbel et surtout de Louga
essentiellement à partir de sources d'eau non
(fig.5) où plus de la moitié de la population ont des
protégées. Ils s'exposent ainsi aux maladies
difficultés d'accès à l'eau potable à plus de 1
hydriques qui sont une des causes principales de la
138
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2ime Semestre)

-------------------~-------- Sciences sociales et humaines
mortalité infantile.
général, l'eau destinée à la consommation humaine
est stockée dans des canaris traditionnels"surtout
Là ou l'accessibilité à l'eau potable est plus ou
en milieu rural où 90,3% de la population
moins résorbé, se pose le problème de la
conservation; les normes d'hygiène n'étant pas
s'alimentent à partir de ces canaris contre 47,7%
souvent respectées. Des résultats d'enquêtes
en milieu urbain.
(ESAM 2 ) dans ce domaine ont montré qu'en
ProportiOD cl. 1. pop.latloe. ranlo .,..t ~
MIIHSTItRE (,Ji) L'ECONOMIE ET DJ;;S "INANCJi)t'
Dirll:,..
• sae .Otlll'O. CS·.pproftelo
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;,L".! 50· 7D
_
7O,1lil
,~~~-_._-_ .....-
Fig. 5 : Pourcentage d'accès à l'eau à moins de lkm pour les populations dans la Région de Louga
2.2. Difficultés d'accès aux services de santé
25,5 ; 35 et 35,3% dans les régions de Diourbel,
Kaolack et Fatick.
Le secteur de la santé se caractérise par un manque
Par ailleurs, seuls 39% des ménages ont accès à une
notable d'infrastructures sanitaires et sociales, une
maternité et 31,8 % à une case de santé. Ces faibles
insuffisance en prestation de services, un personnel
résultats sont également confirmés par les données
très mal réparti avec des moyens d'évacuation
du (ESAM, 2001) où le taux d'accessibilité aux
limités, en particulier au niveau des zones pauvres
services médicaux (moins de 30 mn) est estimé à
et reculées.
57,6%. Ces insuffisances se traduisent par des
résultats assez alarmants pour le secteur: sur 100
Les résultats de l'étude sur la perception des
000 femmes qui donnent naissance à un enfant, 510
populations en termes d'accès aux services de santé
meurent (450 en zone urbaine et 950 en zone rurale).
et de qualité des soins révèlent que seulement une
proportion de 35,6 % des ménages a accès à un
dispensaire, à moins de 1 km, dans la région de
Dans 4 des 5 régions concernées par nos analyses,
Kaolack. Celle-ci l'est moins avec respectivement
la mortalité infantile a augmenté entre 1997 et 2001
(fig.6). La malaria et la diarrhée quasi endémiques,
1 Pour les autres indices, cf. République du Sénégal, 2002 : Docu-
la malnutrition des enfants de moins de 5 ans qui
ment de Stratégie de Réduction de la Pauvreté
continue d'être un réel problème de santé publique
2 Enquêtes Sénégalaises Auprès des Ménages.
en constituent les principales causes. En 2001,
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2im• Semestre)
13§

·4:ciences sociales et humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
III. ACTIONS ENTREPRISES PAR LES
,resque un enfant sur 5 souffrait d'insuffisance
POPULATIONS ET LES ACTEURS AU
mndérale et 9,2 % présentaient une sous nutrition
DÉVELOPPEMENT
;~hronique ou émaciation (ESAM, 2001).
Compte tenu de la dépendance vis-à-vis de
La couverture vaccinale contre les principales
l'agriculture pluviale dans un contexte de séche-
maladies de l'enfance reste insuffisante. Et malgré
resse, la sécurité alimentaire constitue l'un des
les efforts du Programme Elargi de Vaccination
objectifs fondamentaux de la recherche et du dé-
(PEV), seuls 42 % des enfants âgés de 12 à 23
veloppement agricole au Sahel. Au Sénégal, les
mois ont reçu tous les vaccins et 31 % avant leur
investigations pour un diagnostic efficace et ra-
premier anniversaire.
pide de la situation de la campagne agricole afin
de disposer à temps des informations sur les cul-
Ces résultats guère encourageants confirment les
tures ont permis une meilléUre compréhension
thèses avancées par certains observateurs qui
des effets du climat sur l'agriculture.
. affirment qu'au rythme actuel de développement,
il faudra 30 ans environ pour doubler le PIB par
Ainsi donc, face au risque d'insécurité alimentaire
tête au Sénégal. Celui-ci fait aujourd'hui partie de
en rapport avec le risque climatique, énormément
l'un des plus faibles au monde (600 $ US).
d'efforts ont été consentis par la recherche
scientifique (amélioration de la résistance des
De surcroît, la dépendance quasi-exclusive de
variétés culturales, adaptation au contexte de
l'agriculture d'une pluviométrie aléatoire introduit
variabilité pluviométrique etc.)
une incertitude excessive qui n'encourage pas les
En plus des investigations en amont avec
investissements d'envergure dans les activités
l'élaboration de modèles climatiques d'estima-
mrales dont sont tributaires les populations de la
tion des pluies dont EPSATI qui utilise la télédé-
région étudiée.
tection en combinant l'analyse des nuages à
sommet froid et les données du réseau de sta-
Fig. 6 Mortalité infanto-juvenile par région et par année
tions pluviométriques au sol, d'autres approches,
agro-climatiques basées sur une évaluation du
bilan hydrique des cultures en cours de cycle ou
1
1
sur la productivité potentielle des cultures, ont
180 ~--
1
t--
1
été largement développées.
1
-l
1
Dans le même temps, la politique agricole adoptée
1
120 i-- -
j
par les autorités nationales s'est davantage orientée
1
vers la diversification des cultures, avec notamment
:
1
la revalorisation des cultures vivrières. Au travers
1
d'une gestion participative, des ONG et OG ont
60 l
1-
-
-
conçu des programmes de protection de
1
l'environnement, de gestion des ressources
1
naturelles, d'étude des facteurs du déficit agricole
\\
etc. Des institutions spécialisées et des organismes
1
0 i
à caractère national, international sont ainsi
1
devenus des laboratoires incontournables pour le
1
1
diagnostic, la recherche de solutions à la péjoration
1
L -
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climatique et la préservation des ressources
naturelles (ISRA2, CILSS3 , PNUD4 ).
Fig. 6: Mortalitéinfanto-juvénile par région et par année
1 Estimation des Pluies par Satellite.
1 Institut Sénégalais pour la Recherche Agronomique.
2 Comité Inter -Etat de Lulle contre la Sécheresse au Sahel.
J Programme des Nations Unies pour l'Environnement.
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 009 N° 2-2007 (2ème Semestre)

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Loin d'être en reste, les ruraux ont essayé de
ont profondément bouleversé leur système de vie
contourner la contrainte climatique en adoptant
traditionnel. Il s'agit, en l'occurrence du retour à la
toute une dynamique d'adaptations. Ne pouvant,
culture du mil. Cependant, même si, pour l'instant,
maîtriser l'aléa, ils ont accepté que la nature puisse
cette solution leur paraît la mieux adaptée pour
se retourner autrement et ont tenté de trouver un
résoudre le problème de l'insécurité alimentaire, il
« équilibre» dans le déséquilibre climatique.
est capital de souligner que l'un des revers de la
recherche de solution à l'échelle locale, est le
dépeuplement du monde rural sachant que le Sahel
En dépit de quelques initiatives probantes, des
sénégalais fournit, à lui seul, plus de 67% des
stratégies d'adaptations parfois inappropriées vont,
migrants vers Dakar.
au cours du temps, constituer un facteur aggravant
du dysfonctionnement du monde rural. La réduction
de la jachère, voire même son abandon, les
La position géographique entre deux régions
ponctions démesurées sur les ressources
d'extrêmes climatiques, c'est-à-dire, à la fois
environnementales et les mouvements migratoires
bordière du Sahara et des latitudes méridionales
exacerbés vont en effet contribuer à la
pluvieuses, expose les pays sahéliens, tels que le
désarticulation de tout un système traditionnel,
Sénégal, à la menace climatique. En conséquence,
multiséculaire (Fall J.Y. et Ndiaye A., 2000).
la connaissance et la prise en compte des relations
étroites qui existent entre facteurs climatiques et
facteurs humains devrait constituer une priorité
CONCLUSION
fondamentale
dans
les
programmes
de
développement de ces pays à écosystèmes fragiles.
D'une manière générale, l'économie sénégalaise, à
l'instar de celle des pays sahéliens est
L'articulation judicieuse de ces questions
essentiellement basée sur le secteur agricole. Celui-
essentielles dans des approches cohérentes
ci fait vivre plus des deux tiers de la population
d'interprétations, de dynamiques d'imbrications
(FAO, 1997) mais sa part dans le PNB, seulement
Science-Environnement-Société aiderait, en effet,
12%, ne cesse de s'amenuiser depuis l'installation
au mieux au diagnostic des dysfonctionnements
de la grande sécheresse.
observés (migration anarchique de populations,
paupérisation, etc.) et par des propositions
concrètes, à la prise de décisions à différentes
Ainsi au travers d'études diverses, les spécialistes
échelles, dans une perspective de développement
du climat ont essayé de comprendre le phénomène
durable.
en analysant le~ facteurs à l'origine de cette rupture
d'équilibre entre l'homme et son milieu. Une
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
multitude de résultats, concernant des échelles du
trentenaire au pas de temps intra - annuel, ont pu
1. ADAM, (J. o.), 1966. Les pâturages naturels et
renseigner sur les caractéristiques de ces sécheresses
post-culturaux du Sénégal. Bulletin de
ré.::urrentes aux manifestations diverses. Des
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ont également répondu à diverses demandes des
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climatiques, gestion des risques, prévision des
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.
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Sur un autre registre, les populations ont semblé
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avoir tiré une leçon des années de sécheresse qui
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climatiques. Vol.13, 573 p.
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Sciences sociales et humaines
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Bulletin
PNUE,
journée
mondiale
pour
et dynamiques d'adaptations du Paysan
1'environnement 1991.
Séreer », In Ale, Vol.13, 573 p.
10. RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL, 200I.
6. LAMARRE, (O.), 1997. Les risques liés au
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climat, EUD, Dijon, France, 215p.
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tropicale. Thèse de doctorat d'Etat ès-Lettres,
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2 Institut Sénégalais pour la Recherche
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au Sahel.
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4 Programme des Nations Unies pour l'Environ-
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