_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
1
1
L'ACTE D'ECRIRE ET LES SYMBOLES
DANS L'ŒUVRE DE RICHARD
WRIGHT
KOIUls!'ii Zamina JOHNSON
..
.
VII/vers/te de Cocody-Cote d'/vOire
Départemellt d'Allglais
Abidjan-Côte d'Ivoire
rr--~
Il
;,
RÉSUMÉ
i i
li
L'écriture engagée de Richard Wright traduit une tentative de résolution du racisme et d'oppression
li vécus par le Noirtàce au Blanc. L'auteur utilise des symbolesd'édification des conditions de vie des Noirs
'1,
et de l'environnement qui produit ces conditions. Une telle écriture consiste à refléter, à produire la réalité
américaine sous tonne d'images artistiques. perceptibles aux sens. L'acte d'écrire est ici synonyme du récit
1
des rapports du personnage noi l'avec l'Amérique blanche du Nord et du Sud, rapports dont chaque nègre
1
porte les cicatrices dans son esprit. Wright avait à extérioriser ces rapports sous forme de fiction en utilisant
des symboles conmle supports de combat social et politique.
,
Mols-cle.I' : Symholes. contradictions sociales, oppression. causalisme, précarité,
"
Il
sensations riscérl1les. désadapta/ion.
il
i\\
,
'1
Ilil1 ABSTRAeT
Richard Wright's attempt to end up racism and oppression underwent by Blacks face to Whites, is
translated into his committed wliting. 111e author uses s)'TI1bols to underscore Blacks' living conditions and
the social environment that produces these conditions. Such writing consists in reflecting and producing the
,
Âmerican reality in the [mm ormtistic images perceptible to the senses. The act ofwriting refers to the
(1
naiTative relationslùps ofhlack charactcr \\Vith northem and southem wlùteAmerica, the relationships from
which any NebTfO is scarred in mind. Wright had to externalize these relationships in fiction using symbols as
social and political supports.
Keyt1;ords :
Symbols. sucial contradic:tiuns, uppression. causalism, precariousness,
visceral sensations, disadoptaliul1.
IL
I,,===================:-===~.
Dans toute société. les honmles n'ont pas uniquement
d'expression de la vitalité, de la personnalité et de la
comme besoin~ fondamentaux le fait de sc vêtir. de
spécificité d'lill peuple. L'art en tant qu'aspect important
manger. .. et de boire. Leur vie culturelle a aussi une
est Lme partie constitutive de laculture et une des fonnes
importanœ considérable en ce sens qlle c'est llne lom1e
de la conscience sociale. De ce fait, l'art est un
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° t-2007 .(1" Semestre)
285

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
phénomène social extrêmement important qui embrasse
La création littéraire est certes fonction du talent
un vaste domaine et comprend des branches diverses,
et du tempérament de l'écrivain mais elle est aussi et
à savoir la sculpture, la peinture, la musique, la danse,
surtout fonction des conditions socio-cultureIles, socio-
le cinéma, ...et la littérature.
Mais dans la pr~sente
politiques et socio-économiques dans lesquelles évolue
étude, nous ne prendrons en compte que la littérature
l'écrivain, d'où l'évocation d'affirmation de l'identité
comme une forme d'art: la littérature afro-américaine
parce qu'elle enregistre les contradictions sociales qui
engagée, c'est à dire la littérature de protestation née
montrent qu'elle est singulière et s'écarte de la norme
de la volonté de la race noire de lutter contre les
culturelle ou sociale en vigueur dans la société.
conditions inhumaines de vie que la race blanche lui
Ainsi l'œuvre engagée pose les problèmes
impose et de réguler les crises raciales auxquelles les
majeurs que rencontre la société afin de contribuer à
communautés doivent faire face.
un progrès. En agissant ainsi, l'auteur se fait l'écho de
De ce fait, notre devoir consistera a montrer
la communauté dans laquelle il évolue. C'est d'ailleurs
comment l'écriture de l'auteur véhicule des conditions
pour cette raison qu'Aimé Césaire affirme:
de vie a travers des images reflétant la position sociale
et économique du Noir afin de le conduire a une prise
" Ma bouche sera la bouche des malheurs
de conscience des menaces qui en découlent.
Qui n'ont point de bouche,
Ainsi, l'œuvre de Richard Wright à laquelle nous
Ma voix, la liberté de celles
faisons allusion comme champ de notre étude, est
Qui s'affaissent au cachot du désespoir" 1
composée de Uncle Tom:~ Children, un recueil de
nouvelles, de Native Son, un roman, et de Eight Men,
Il s'agit là de dénoncer les maladresses et
un autre recueil de nouvelles.
les maux dont la société souffre. Car l'acte d'écrire,
Ici, nous définirons l'acte d'écrire comme l'engagement
dans le contexte multiracial américain dont il est ici
ferme émaillé de réalisme qui traduit une tentative de
question, est un acte de purification en ce sens qu'il
résolution du racisme et de toutes sortes d'oppression
apparaît comme un moyen de supporter la vie et la
vécus par le Noir face au Blanc. En parcourant cette
société en permettant à l'auteur de se libérer de ses
oeuvre, une question effleure notre esprit: pourquoi
tendances, de ses pulsions, de tout ce qui rétro r
e
certains symboles sont-ils récurrents dans l' œuvre de
sa vie intérieure comme extérieure. C'est donc un
Richard Wright?
moyen de formation: l'observation de la société et
Pour répondre à une telle question, il convient
l'identification de ses problèmes, donc de lui-même,
entre autres, de mentionner que le crime et la culpabilité,
conduisent l'écrivain à mieux connaître son
l'évasion ou la fuite, le vol, et la mort sont des symboles
environnement, à mieux analyser les mécanismes
assez fréquents chez l'auteur. Ils reflètent l'état moral
sociaux. Tout cela débouche sur une transformation
et psychologique du Noir, voire ses conditions
progressive de sa façon de juger et partant. de tout ce
matérielles de vie.
qui l'entoure dans la société.
Le caractère spécifique de cette littérature est
Ici, Richard Wright et son écriture sont le
de refléter, de produire la réalité américaine sous forme
produit d'une époque et d'une société données. Ils
d'images artistiques, perceptibles aux sens. Par ailleurs,
doivent ainsi refléter les préoccupations majeures de
la création littéraire est un phénomène social très
celles-ci afin d'instruire et moraliser le peuple. C'est
important, car l' œuvre littéraire s'adresse à un public.
pourquoi l'acte d'écrire est ici une nécessité à la fois
C'est un moyen de communication, une forme de
pour les Blancs, les Noirs et les autres minorités
langage, un moyen de propager certains sentiments, de
d'Amérique. Cette écriture, en se basant sur
provoquer des émotions.
l'environnement social et les conditions morales et
Le caractère de moyen de communication de la
matérielles de vie des personnages, met en exergue
littérature est particulièrement marqué dans l'écriture
l'atmosphère précaire du milieu par des symboles
engagée de Richard Wright. Dans une société
représentatifs de la situation qui prévaut.
multiraciale américaine dominée à tous les niveaux par
Pour en parler. notre étude portera
les Blancs, 0Ù le quotidien des Noirs ou des autres
essentiellement sur deux aspects qui forment le socle
minorités raciales est un cauchemar, il convient, qu'il
de notre sujet: d'une part, l'acte d'écrire et de l'autre,
est tout à fait inadmissible pour ces minorités, de
les symboles récurrents dans l'œuvre de Richard Wright.
défendre la conception de l'art pour l'art si elles rêvent
(Footnotes)
r Aimé Césaire, Cahier d'un Retour au Pays Nota!, Ed Présence
d'un changement qualificatifpour un avenir radieux.
.
Africaine, Paris, 1956. p.22.
286
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1.2007 (1" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
la vie de Bigger ou du Noir en général. soient perçus
dans le même instant. Voilà pourquoi il s'efforce de
I. L'ACTE D'ECRIRE
"rendre" et' 'dépeindre", pas seulement de raconter
l'lùstoire.
Pour nous, l'acte d'écrire de Richard Wright,
En écrivant de cette façon, Wright est
~'est faire connaître en décrivant, une fois de plus les
contraint parfois d'utiliser tille technique de courant de
rapports du personnage noir avec l'Amérique blanche
conscience, puisd'avoirrecours au monologue intérieur
du Nord et du Sud, rapports dont chaque nègre porte
pour ensuite passer à un état de rêve et arriver enfin à
les cicatrices quelque part dans son corps et son esprit.
une description prosaïque de ce que le Noir dit. fait et
Nous avons aussi à montrer ce que l'oppression a fait
ressent. Alors, il va lui être impossible de dire ce qu'il
des rapports du personnage noir avec les siens,
veut dire sans intervenir en-son propre nom ; mais quand
comment elle l'a séparé d'eux, comment elle l'afiustré,
cela arrive, il doit s'efforcer toujours de conserver le
comment elle semble réduire ou étouffer chez lui ses
climat de 1'histoire; expliquant uniquement selon les
qualités de caractère, qui seules lui permettraient de
termes de la vie des personnages et si possible, selon
lutter efficacement contre l'oppresseur.
le rythme de la pensée de ces personnages. Mais, du
Tout comme un homme se lève le matin pour
début à la fin, c'est 1'histoire du personnage noir, sa
gagner sa vie en allant au travail, Wright travaille surie
. panique, ses meurtres, en un mot son destin qu'il
~uotidien de sa société afin de donner un contenu
s'efforce de décrire.
idéologique et politique de l'œuvre qui fait le portrait
Nous dirons en définitive que. Wright ou tout
:.le cette société.
autre écrivain du genre, écrit en étant intimement
Pour le réussir, il pense à quelque principe
convaincu àtort ou à raison que la trame essentielle de
~bstrait conditionnant la conduite de Bigger Thomas
toute œuvre littéraire de fiction sérieuse repose sur la
dans Native Son par exemple, et aussitôt, son esprit le
prédestination des personnages et les aspects sociaux.
traduit en un acte qu'il a vu ce dernier accomplir. Un
politiques et personnels de cette prédestination.
acte qu'il espère suffisamment familier au lecteur
Que ça soit Uncle Tom sChi/dren, Native Son
arrtéricain pour qu'il le trouve crédible.
ou Eight Men, il y a un seul et même constat: la majeure
Mais tout en écrivant scène après scène,
partie de l' œuvre est écrite au présent. Il nous vient à
,auteur n'est guidé que par Wl seul critère: exprimer la
l'esprit que l'auteur veut donner au lecteur l'impression
réritételle qu'il la voit et la ressent. A savoir, objectiver
que 1'histoire de Big-Boy, BiggerThomas ... ou Saul
:ri mots ce que la vie lui a fait pressentir, sous forme
SaWlders se déroule maintenant, comme une pièce de
l'actions, de scènes et de dialogues.
théâtre sur scène ou un film à l'écran. L'action suit
En un mot, le degré de moralité dans son
l'action comme dans Wl match de boxe. Chaque fois
criture dépend du degré de vie et de vérité qu'il peut
que c'est possible, l'auteur décrit la vie du personnage
xprimer sur sa propre expérience et celle de son
noir en gros plan, au ralenti, donnant la notion du passage
tltourage. Par exemple, il ya Wle scène dans Native
du temps. Ainsi, nous avons la conviction que c'est la
'm où Bigger, prisonnier, se trouve dans une cellule
meilleure façon d'enfermer l'esprit du lecteur dans un
rec un prédicateur noir, le Révérend Hantlffiond ; Jan
monde nouveau. d'effacer toute réalité en dehors de
rlone, le communiste; Max Boris, l'avocat
cequ'il lui mconte.
•mmuniste de Bigger; David Buckley, l'avocat
Tout en considérant par exemple Bigger
'néral ; M. Dalton et sa femme; Mme Thomas, la
Thomas dans Native Son et sa signification, nous disons
~ede Bigger, son frère Buddy Thomas, sa sœur Vém
qu 'ilincarne une manière de vivre, une nécessité qui
lomas ; ses amis, AI, Gus etJack (332-335).
exprime un sentiment de liberté que l'écrivain en tant
Il écrit cette scène tout en sachant
que membre d'une société donnée cherche. L'auteur
rraisemblablement que tant de personnes aient été
l'exprime en ces termes: "1 must write this novel,
orisées à entrer dans la cellule d'un meurtrier, mais il
no! anly for o!hers ta read, but to free myselfofthis
ldrait que ces gens dans cette cellule provoquent
sense ofshame und ftar "1
.
.
,z Biggerune violente réaction émotionnelle.
Une des particularités de cette œuvre. c'est sa
Nous pouvons estimer que le message transmis
capacité de mettre en exergue d'une part. la passivité
cette scène, est plus important que sa réalité
morale des Noirs et de l'autre. des valeurs
arente ou sa plausibilité. L'auteur essaie là d'écrire
révolutionnaires auxquelles certains personnages noirs
açon àce que lesaspects objectifs et subjectifs de
se réfèrent comme repères de changement qualificatif
_
que l'auteur met sous la forme d'images propres aux
.e du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
287

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociale!>' et humaine
réalités sociales quotidiennes de ces Noirs dont il fait le
concussion, qu'ils ont de bonne foi oublié qu'Ur
portrait
gouvernement peut préserver quelque simulacre d(
Ainsi, nous aurons, au cours du récit de l'œuvre,
bienséance. Toute cette ambiance maléfique dans ur
des images comme le rat, le vol, le crime et la
envirOImement allX allures contradictoires, aussi bier
culpabilité; la croix en bois qui Symbolise l'Eglise et les
au Sud qu'au Nord, pourrait forcement enferme,
valeurs spirituelles; l'évasion ou la fuite comme
l'esprit du Noir dans le crime, le vol, la fuite
l'expression d'un mécontenternçnt et de refus du
etc ....devenus des symboles tàmiliers à j'œuvre dt
système dans lequel le personnàge vit et à travers lui,
Richard Wright;
l'auteur ettous les Noirs en Amérique.. .
. .
En outre, la neige, la pluie et l'inondation, ::~là
2.1. L~ ,'01 .ct la culpabilité
mort, sont autant d'images, PQl,Ir necitérque celles-Iii, .
qui sèrvenl de symboles récw:rèn~ 9ue Richard Wright'
<L~voLauquei nous faisons.allusio~ici, c·es
essaie d'utiliser afin de conduire le lecteur à voir, à'
1'açtionàe celui qtJi prend ce quiappartient à autrui
resSentir et à penser dans le but d'urt effet plus saisissant,
ûne~oustraction fraùduleuse. Le vol est un des thème~
capable de le ~onduire enfm'à une prisé de conscie~~e
'qmfWright dévélôppe dans;.on d:ùvre. Mai~le plu:
des réalités du Noir en.Am~rique:
.
.
..
.
fra~pintet lepl~ si~ficatif sur lequelrious àt~o.l1S nQw
,
Ce réalisme inspiré de là doctrine qui dRque
. appesàrltitest èefui,que Fred Dani~ls·çorrtmet.dans l(
l'houime n'est que le résultat de conditiOnnements; il!'
réci~ de la nouvejle'intitulée "Ille'Man Who Livec
somme de conduites sociales et cultUrelles, donné un~
'. Underground"; exti~ite durecu!lil de nouvelles Eigh
Men.
. '.
image nouvelle de l'individu noir que!'auteur présente.
A la puissance de la raison, au pçéstige de la vie émotive
Il faut bien que Fred Daniels Sc cache en ta ni
que l'environnement social engendre, se substitue un
que Noir dans la société américaine.Laraiso.n es
réseau dense d'instincts, de sensations, de causalisme
purement sociale: c'est t'exclusion qui le conduit sou:
évident, celui des besoins physiques, matériels, moraux
terre. De son exil souterrain, il regarde la société, je~
et spirituels, et une vie profonde, complexe, qui reste
hommes qu'il a quittés et leurs gestes. Dans ce miliel
proprcment énigmatique. D'où l'existence des images
souterrain, un assassinat survient. Fred Daniels sait qu' i
insolites dont l'évasion, le crime, le vol et la mort comme
est innocent, mais comment le prouver ~
symb~les à élucider dans la présente étude.
Quoiqu'innocent, il se sent coupable, donc condamné
Il réussit par des manœuvres teclmiques, à ouvrir uni
porte pour voler des billets de banque. Il vole pour s
II. LES SYMBOLES RECURRENTS
nourrir, s'éclairer, puis aussi de façon toule gratuitl
CHEZ RICHARD WRIGHT
commet le plus sensationnel des cambriolages.
Enlevé ct séquestré, le Noir est donc abattu i:
Selon le Dictionnaire Usuel IIIustré/, le mot
fond de son trou à la tombée de la nuit parce que SI
élucubrations mettent l'ordre social établi en danger
symbole est un signe de reconnaissance. C'est un
D'abord. nous devons reconnaître que
objet, une figure ou une image servant
cambriolage de Fred Daniels représente une véritat
convcntionnellement à désigner tel objct ou telle valeur.
création esthétique dont la gratuité même fait la soci(
Ici, les symboles ne sont pas forcement conventionnels
américaine. L'auteur emprunte à ce geme sllspense
mais récurrents. lis sont le reflet de la création littéraire
violence, mais il transforme la contestation du systèl
et artistique de Richard Wright qui les puise dans son
en quelque chose de plus fondamental qu'une rem
environnement social dominé pardes crises répétitives.
Il y a aussi la cité fabuleuse où vit le persOlmagc
en question des rapports de propriétés.
Daniels n'est
noir. Une cité indescriptible, monstrueuse, malpropre,
pa~ un vulgaire voleur, 10rsqu'l
main glisse en tremblant des liasses de billets dans 1
bruyante et brutale; une cité d'extrêmes avec neige,
manche, il s'indigne et surtout parce que ce geste,
pluies,....et hivers torrides; des Blancs et des Noirs;
autre sens que le vol qu'il projette:
des gens nés ailleurs et des indigènes; unc pauvreté
"Hefeft that his slealing oj"money and
infecte et un luxe tapageur; un idéalisme élevé et un
man J' stealing were IWo entirely different things
cynisme. Enfm, une cité où les habitants sont àtel point
wanled ta sleal maney mere/y for the sensa
accoutumés aux gangsters, aux meurtres; à la
invo/ved in getting if, .... but he knew that the
(Footnotes)
, Richard Wnghl. "How Biggel Was Born". Native San, p. XXIl .
288
Revue du CAMES - Nouvelle Série D, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Sem.

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
who was then stealing money was going ta spend
un moindre degré une forme de refus, de rupture et de
if, perhaps for pleasure " (64).
prise de conscience.
Voler pour le plaisir de voler constitue une
2.2. L'évasion ou la fuite
activité esthétique. Voler pour acquérir d'autres biens
est une démarche utilitaire. La première représente une
En réalité, il suffit de lire "The Man Who Lived
activité libératrice puisque le vol revient à contester la
L'nderground" dans Eight Men. pour percevoir le
fonction de l'argent, àmettre en cause le système social
sentiment tragique de la précarité de l'existence humaine
qui l'utilise comme tel. Deuxièment, le voleur qui désire
à travers le personnage de Fred Daniels comme une
s'enrichir plus vite sacrifie à des impératifs sociaux tout
tendance majeure de l'inspiration wrightienne. De
en brisant certaines règles.
nombreux éléments paraissent tirés de Uncle Tom 5'
Mais Fred Daniels est une sorte de
Children et Native Son; le thème de l'évasion. de la
révolutionnaire puisque son acte vise à changer ses
fuite devant lapolice, le refuge trouvé dans lm lieu sinistre
rapports sociaux en réalisant son ambition qui est de se
et désolé, les sensations viscérales de l'homme traqué,
libérer de l'emprise du Blanc.
l'importance de la nourriture, le rôle symbolique du rat
En descendant dans l'égout, Darnels s'est libéré
et des hymnes religieux, la chaudière du chauffage
de son passé. C'est à peine s'il songe de temps à autre
central dans le sous-sol, le joumal dans lequel le fugitif
à son emploi, à sa vie antérieure, donc de sa culpabilité
lit les progrès de l'enquête, sa façon d'imiter ce qu'il a
originelle. Lavé par les eaux symboliques de l'égout, il
vu au ciném~ son triomphe précaire qui s'exprime par
abandonne les critères sur terre et redécouvre quelques
un défi, ... et son besoin final d'établir des liens avec
valeurs fondamentales centrées autour de son existence
autrui. Mais dans le contexte présent, il nous est
immédiate. C'est donc là un processus de purification
opportun de nous intéresser particulièrement au thème
et de simplification. Selon le système américain, Darnels
de l'évasion ou de la fuite.
est une victime, c'est à dire un innocent déclaré
En effet, dans "The Man Who Lived
coupable.
Underground" de Eight Men, l'auteur choisit un fugitif
Ce pèlerinage souterrain d'un jeune noir est
comme héros. Mais le fugitifest noir, victime innocente
devenu le symbole de tous ceux qui creusent sous la
des préjugés blancs ou fuyant la vindicte des lyncheurs,
surface de leur existence. Il comprend que nous
représente le personnage Wrightien par excellence. De
sommes tous des pécheurs, tous coupables, chacun un
Big-Boy dans Uncle Tom sChildren à Bigger Thomas
Caïn envers son Abel. Il est abattu par la police parce
dans Native Son, de Cross Damon dans The Outsid~.r
qu'en acceptant la responsabilité des crimes qu'il a
à Fred Daniels dans Eight Men ... , la plupart des héros
commis et d'autres qu'il n'a pas commis, il embarrasse
trouvent leur salut dans l'évasion lorsque l'oppression
trop les forces à plusieurs dimensions de son monde.
se déchaîne ou lorsqu'ils s'avisent de vouloir devenir
La nouvelle établit là une analogie morbide et
eux-mêmes.
inquiétante entre la manière dont l'oppression blanche
Le Noir en fuite constitue d'ailleurs l'un des
contraint l'âme noire àpasser "sous terre" et ce terrifiant
personnages archétypiques de la littérature américaine.
récit d'un Noir qui, fuyant la police, vit vingt-quatre
Une chanson populaire conseillait déjà à l'esclave en
heures dans des égouts, des sous-sols et des tunnels,
route pour Canaan, "Cours, nègre, cours nègre la
perdant tout contact avec le code moral que le monde
patrouille t'attrape"2.
blanc lui demande et lui interdit àla fois de suivre.
Le mugissement des sirènes de la police signifie
Comme nous l'avons précédemment souligné,
àl'Américain de couleur qu'il doit se terrer parce qu'il
le vol et la culpabilité sont ici synonymes de révolte, de
est, par définition, le criminel, le coupable, aux yeux du
-emise en cause d'un système oppresseur face auquel
pouvoir établi. Certes, rien ne nous dit au début de la
a passivité et la lâcheté n'ont pas droit de cité, car
nouvelle que le fugitifest noir. Il suffit pourtant qu'un
~lles seraient des valeurs nuisibles au progrès et à la
visage le regarde sans le voir du haut du trou de l'égout
iberté des opprimés à savoir les personnages noirs.
pour que le visage désigné comme' ,blanc" nous révèle
Mais par manque de moyens efficaces de lutte
par contraste la couleur de l'évadé. Pourquoi fuit-il?
t de ressources morales adéquates, il convient
Parce qu'on le poursuit. Mais pourquoi le
écessairement, de s'adonner à l'évasion ou à la fuite
Dmme solution intermédiaire entre la soumission et
poursuit-on? Il a signé, au lendemain d'une nuit
engagement, car l'évasion ou la fuite constitue dans
evue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
289

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et izumaines
s'apparente par ce biais à Huis Clos, un huis clos où le
d'interrogatoire, l'aveu d'un meurtre dont il est
héros se situe hors de la salle où le mot de Jean-Pau!
Sartre, "l'enfer c'est les autres" se trouve
innocent.
littéralement retourné, car, pour Daniels, la damnation
Relégué àun niveau subalterne à l'hôpital dans
est l'absence d'autrui.
la nouvelle intitulée "111e Man Who Went to Chicago"
Le nom de Daniels qu'il apprend à écrire lui-
dans Eight Men, par une discrimination tenace,
même à la machine signifie une volonté extrême de
l'individu noir ne doute pas un instant de sa propre
monter ou asseoir son identité, car dans tous les cas,
valeur, voire de sa supériorité (290). Il se contente de
sans le noyau de son identité personnelle, il se réduit au
souligner ironiquement combien la sé.grégationnuit à
mieux à un prestigieux miroitement de reHets,
ceux qui la pratiquent.
.
d'interprétations venues de l'extérieur et impliquent la
. N0u.s sommes là, loin de 1'indi';idu rêvant 'le.
renaissance d'autrui d,ms cette dialectique du regard,
revanchés puériles et souffrant d'un complexe
Les Noirs d'Àmérique en général, devant
d'infériorité. Dans la nouvelle' 'The Man Who Lived
l'ampleur du mal qui les ronge quotidiennement et par
Underground" tirée de Eight Men, le Noir découvre
déception d'asseoir une identité, préfèrent, pour
avec émerveillement et terreur l'envers du monde', loin
certains, s'adonner à la mort pour écourter les
de vouloir se venger, il cherche à faire partager sa
douloureuses conditions de vie.
découverte à ses bourreaux dans un élan de générosité.
2.3. La Mort dans l'oeuvre de Richard
Dans la mesure ou cette situation de 1'homme
Wright
souterrain représente symboliquement celle du Noir
dans la société américaine, l'auteur se referant à sa
La mort est le thème le plus répandu dans les
propre expérience, la peint précisément en opposition
ouvrages de Wright. De Uncle Tom :\\' Children à Eight
à la perspective suivante: au lieu de remâcher les
Men, passant par Native Son, les morts se suivent et
humiliations subies, il insiste plutôt sur la possibilité que
se ressemblent: ce sont des morts violentes,
lui a donné son exclusion de considérer du dehors la
occasionnées par des rapports sociaux nuisibles
culture dans laquelle il vit.
généralement du côté des Noirs car ils sont les premiers
En somme, le thème de l'évasion ou la fuite est
à subir tous les dérapages que le racisme entraîne dans
un thème typiquement américain en ce sens: fuyant
la société américaine. Mais ce qu'il faut retenir, ce sont
l'exclusion dans l'ancien Monde, l'immigrant ne
des morts aux significations non identiques
découvre-t-il pas la solitude dans le nouveau Monde,
symboliquement et ne présentant pas les mêmes
en particulier la solitude ultime de la frontière? L'exil,
importances aux yeux du peuple.
la fuite, considérés comme libération deviennent bientôt
De manière générale, la mort met un terme
expérience de l'exil comme traumatisme et terreur dans
définitifà la vie de chaque homme sur ten-e. Les hommes
la conscience américaine
conçoive!1t et organisent leur vie en liaison avec la mort
Sur le plan métaphysique, le cheminement de
dont ils ont une conscience aiguë car elle marque la tIn
Fred Daniels reflète une conquête difficile de l'identité
de leur vie sur terre.
et pose le problème de la définition de l'homme. Cette
Mais cequ'on peUl retenir, c'est que l'attitude
identité n'apparaît que par degrés: le protagoniste est
des hommes face à la mort est fonction de leU!
d'abord exclusivement désigné par un sinlple « il» (35-
conception du monde, Ainsi, certains éprouvent Unt
66). Mais peu à peu son apparence se précise, sa race
réelle angoisse face à la mort et sont saisis par le vertige
est donnée par contraste lorsqu'un Blanc le regarde;
A cette angoisse présentée comme la donné,
sa force physique qui est confrontée à celle de l'eau;
fondamentale de ['existence humaine, il peut avoir de
son sang-froid se mesure aux spectacles qu'il rencontre
solutions multiples.
dans le sous-sol. Il nous livre enfll1 son nom,
Entre autres solutions, il yale divertissemelr
« Freddaniels » à la machine: « Spelling in a safi
l'espérance, la tentative de faire fi de la mort, [
diffident voice, he pecked outhis name on the keys.'
Freddaniels, He looked at it and laughed. He would
learn ta type correctly now li (67).

(Footnolesl
Le désir de Fred Daniels de retour parmis les
1
Dictionnaire Usuel Illustré, Librairies Qllillct~Flalllrnanon. P.1rlS
siens traduit ici en tennes suggestifs: 1'homme n'est rien
1980. P 1740,
2 John Hope Frnnk\\in.
ne /'EsclavaKe à la UberlJ . HIS/aire des
sans l'homme, "L'homme qui vivait sous terre"
Afro-Amérrcalns, Ed. Caribéennes, Paris. 1974. p :':9
290
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semes!1

Sciences sociales et humaines
------------------------
présentation de la mort comme un faux problème ou
Quand l'auteur pense, "He had murdered and
comme une illusion... , et la préconisation d'atténuer
created a new life for himself" ( 101). cette pensée est
les effets de la représentation de la mort par une
ironiquement contrariée par le fait que de tels meurtres
accoutumance à l'idée que nous devons mourir en ce
conduiront Bigger directement à la mort dans la chaise
sens qu'exister, c'est apprendre à mourir.
électrique plutôt qu' une nouvelle vie.
De toutes ces solutions, une seule idée peut être
D'abord, légalement, la société l'a déclaré
retenue: la démystification et la dédramatisation de la
coupable de crimes qu'il n'a pas commis, car il n'a pas
mort. Mais cela ne signifie-t-il pas en réalité que les
violé Marry et son meurtre était accidentel.
hommes, de manière générale, sont effrayés, angoissés
Ensuite, moralement, une telle punition n'est pas
par l'idée de l' inéluctabilité de la mort qu'ils éprouvent
justifiée, parce que Bigger n'est pas un monstre
effectivement le désir d'éternité?
pathologique qui est une menace à l'ordre social établi,
Cependant, nous pouvons également affirmer
mais une personne qui a profondément subit un
de manière paradoxale que bien souvent, les hommes
changement psychologique qui l'a purifié de sa
ne cherchent pas à se maintenir en vie à tout prix. C'est
contrainte de la violence. Car la mort de Bigger ne peut
ce que prouvent certains phénomènes sociaux comme
êtrejustifiée à la fois sur un plan moral et légal.
le suicide, l'euthanasie, le sacrifice que l'on consent
Toutes ces trois morts, à savoir, celle de Mary,
volontiers pour permettre la réalisation de l'idéal auquel
de Bessie et Bigger ont lieu quand l'activité humaine
l'on tient. Au regard de ces différentes conceptions,
intime est invitée mais avortée par la crainte et la haine
nous nous demandons quelle attitude adoptent les
amenées par l'environnement. Native Son conclut ainsi :
personnages et quelles significations donnent-ils à la
la mort survient précisément au seuil de nos expériences
mort dans l'œuvre que nous étudions?
humaines profondes.
Sans rentrer dans les détails particuliers des
De Uncle Tom 5' Children à Eight Men
circonstances de la mort de chaque victime, il convient
passant par Native Son, la mort en générale, et surtout
de retenir que la mort des Noirs est une conséquence
celle des Noirs nous renvoie à un processus normal de
normale car prévisible eu égard aux rapports sociaux
lutte engagée pour le changement qualificatif, car il ne
émaillés de haine et de conflits qui les lient aux Blancs.
peut avoir progrès au plan social, économique et
Mais c'est en voulant refuser l'ordre imposé que certains
politique sans sacrifice. Ainsi, dans une pensée marxiste,
Noirs affrontent et font des victimes blanches.
les Noirs doivent sacrifier leur vie si cela est nécessaire
Les motifs de la mort se suivent et se
pour permettre la réalisation de l'idéal révolutionnaire.
ressemblent. Dans Eight Men, la mort de Fred Daniels
Dans ces conditions, ils perdent leur vie non pas par
attire notre attention parce qu'elle est révélatrice d'une
mépris de l'existence, non par angoisse, mais parce
situation sociale. Il est tué par la police parce qu'à partir
que le sacrifice ainsi consenti est annonciateur et
de son expérience souterraine, il devient un danger pour
générateur d'une vie meilleure pour la société et pour
le système social et politique en place. C'est d'ailleurs
1'humanité.
la raison pour laquelle il s'est rendu aux policiers. Ceux-
Nous remarquons également que malgré les
ci, ayant remarqué qu'il savait pas mal de choses sur la
conditions inhumaines de vie, les NoUs n'ont pas essayé
société malgré sa vie souterraine, ont décidé de le tuer:
de se suicider, au contraire, ils onttoujours lutté et c'est
" What did you shoot him for, Lawson ? "
en luttant pour leur liberté. leur dignité ... et le progrès
"1 had to"
social qu'ils trouvent la mort. Ils se présentent ainsi
" Why?"
comme des promoteurs et des défenseurs de
"fou have got to shoot his kind. They would
1'htunanisme le plus élevé.
wreck things " (l07).
_
De même, s'ils réagissent par moments avec
Cependant, Saul Saunders, un personnage noir
violence, c'est pour débarrasser la société de tous les
:le Eight Men, tue Maybelle Eva Houseman, une femme
facteurs qui favorisent son aliénation et sa
JI anche pour revendiquer sa dignité et son identité
dégénérescence. Pour eux, la vie et la mort sont
248-49).
appréciées non pas en elles-mêmes, mais en fonction
Dans le roman Native Son, Bigger Thomas tue
d'un idéal: la libération des Noirs. C'est le sens de la
espectivement Mary Dalton, une jeune fille blanche et
volonté de mourir pour les autres, car cette volonté
3essie Mears, sa propre amie, une Noire pour ne pas
donne une orientation au peuple qui découle d'une prise
lU'elle le dénonce. Il sera condamné à mort. Quel sens
de conscience des conditions qui ont engendré cette
leut-on donner à ces meurtres?
volonté de mourir.
:evue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
291

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _~
Sciences sociales et humailles
Toutes les fonnes de mort n'ont pas les mêmes
la présence constante de la neige, la pluie et l'inondation
significations. Ici, les Noirs sacrifient leur vie, c'est à
dans le récit de l' œuvre de Richard Wright.
dire, acceptent la mort de manière consciente afin de
préparer une révolution, une libération nationale. Ce
2.4. La nci~, la pluie et l'inondation
qui prouve que la question de la mort n'est donc pas
envisagée sur un plan exclusivement individualiste dans
Tant dans Vncle Tom :r Children. Na/ive Son
la présente étude.
que Eight Men, le thème de la neige, la pluie et
Cependant, l'angoisse de la mort persiste
l'inondation est si réclm'entqu'il convient d'en dégager
toujours quelque soit la volonté des uns et des autres à
la signification symbolique. Mais il faut néanmoins savoir
se sacrifier. Ainsi nous le remarquons, certains
que la pluie et l'inondation sont en particulier mis en
personnages tels que Big-Boy dans Vnde Tom~'
exergue dans Vncle Tom:r Children et Eigh/ Men par
Children craignent la mort: "They will kilt me, they
rappOlt à la neige qui est essentiellement en vogue dans
will kill me ! "(34) et Bigger Thomas dans Native Son,
le roman Native Son. En généra!, ee sont des symboles
quand il affinne avec amertume: "Theywil! kil! me!
qui conduisent à la notion du temps dont l'influence est
You know Ihey will kil! me! "(431). Mais cette angoisse
considérable sur l'être humain et le Noir en pmticulier
peut être interprétée ici de diverses manières.
qui dispose de peu de moyens matériels et techniques
L'angoisse de la mort, ce n'est pas la souffrance
à lutter contre ces données naturelles quand elles
qui précède la mort qui fait peur, c'est plutôt le passage
s'érigent par moments en t1éaux dans l'œuvre de
dans un monde inconnu. L'émotion de la peur semble
Richard Wright.
liée, en effet, à une situation de désadaptation et il est
La pluie, l'inondation et la neige constituent des
bien difficile de s'adapter àce que l'on ne connaît pas.
forces extérieures qui marquent parfois les limites de
Personne n'ayant l'expérience de la mort, cette
l'homme quant à sa tentative de maîtriser et de contrôler
ignorance fondamentale laisse le champ libre à toutes
la nature.
les suppositions et à toutes les croyances dont se nourrit
Nous le constatons, par exemple, dans Vncle
la peur de mourir.
Tom 's Children,
certaines
nouvelles
sont
Ici, les Noirs peuvent être angoissés par la mort
essentiellement marquées par l'abondance de pluies,
parce qu'ils ont tenté une expérience qu'ils voudraient
d'où l'inondation qui cause d' énonnes préi udices aux
achever d'abord: la tentative d'établissement d'un
activités humaines, particulièrement à l'agriculture Oll
nouvel ordre social en Amérique. Laisser une telle
les Noirs exercent le plus souvent par rapport atL\\: autres
entreprise en si bon chemin et mourir, serait une
secteurs d'activité économique en Arnérique.
symphonie inachévée, d'où l'angoisse d'échec, de faillite
En etIet, c'est une pluie diJuvielme qui tombe
et d'abandon.
sans cesse du matin au soir. 11 y a de l'eau partout. de
Pour les autres, les moins ambitieux, ceux qui
l'eau jaune, de l'eau tourbillonnant et grondante, car il
ont une conception pessimiste dc l'existence et de la
pleut depuis quatre nuits et quatre jours: l'eau est là,
lutte sociale, la mort s'avère comme une délivrance car
elle coule partout (60).
elle les retire des douleurs sociales.
Les véhicules sont aussi immergés à tel point que seuls
En fait, le Noir tel que décrit par l'œuvre de
les bateaux sont adaptés à la situation. Mais combien
Richard Wright est un mort vivant, c'est à dire un
de Noirs peuvent-ils avoir un bateau '?
homme qui est vivant et qui est dans un état de misère
Malheureusement Loulou, la femme dujeune
physiologique extrême, ou qui touche le fond du
noir, Mann éprouve le besoin d'accoucher. Point de
désespoir en raison de sa condition affreuse. Autrement,
moyen de locomotion pour l'envoyer à l' hôpital. C' es!
c'est un mort en sursis: il est inéluctablement voué à
la détresse parce que Mann réagit avec désolation
une mort très proche. Le cas de Bigger est édifiant dans
devant une telle situation: " No boa/. No money No
Native Son et à travers lui, la plupart des jeunes de sa
doctar. Nothing to eat" (61).
génération dont le quotidien est plus douloureux que la
La femme de Mann meurt après quatres jour,
mort elle-même.
de souffrance sans assistance. médicale car l'accès È
De là, la notion du temps se montre invariable
l'hôpital grâce à llll bateau que son mari a volé en tuanl
car les évènements se suivent et se ressemblent tels
le vieux Heartfield, s'est fait tardivement.
qu'ils entraînent une confusion du temps dans l'esprit
Dans les égouts, à travers Vncle Tom:'
de l'opprimé. C'est le résultat du fait que chaque instant
Children, il yale ruissellement des eaux qui dérangen
est un mauvais temps, car seuls les évènements heureux
Fred Daniels qui se réfugie désonnais dans ces égout
adoucissent le temps. Une telle situation se vérifie par
pour fuir les tristes réalités sociales (42). Là. nous ni
292
Revue du CAMES- Nouvelle Série B, Vol. 008 N° \\-2007 (\\" Semestre

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
pouvons pas parler d'inondation, car la pluie tombe à
L'emploi abusif de l'image de la neige est
un degré nonnal, donc ne cause aucun préjudice aux
significatif: il renvoie à la perception que Bigger a du
hommes, saufàFred Daniels qui se sent menacé dans
monde blanc. En effet, les Blancs sont symbolisés par
son milieu souterrain: " Ought he to go up into the
la neige qui brouiJ le la vision et limite les actions.
streets and take his chances on hiding somewhere
En définitive, la neige, la pluie et l'inondation sont
else ?" (42). Unetelle question prouve qu'il n'est pas
des phénomènes naturels qui démontrent les limites
encore adapté à son nouveau milieu où de surcroît l'eau
humaines à maîtriser la nature. De plus, ces phénomènes
montejusqu'aux chevilles à cause de la pluie qui tombe.
illustrent la souffrance des Noirs dont les moyens à les
En revanche, un peu plus loin dans le récit d'une
braver sont presqu'inexistants, d'où une passivité
autre nouvelle qui parle d'inondation, le constat est que
provenant des conditions matérielles de vie auxquelles
les eaux de la crue se sont retirées pour laisser place à
les Blancs les ont soumis.
la boue. Rien à manger car l'eau a tout emporté. Tout
est à refaire, surtout pour les Noirs qui ne vivent que
des travaux de la terre. L'inondation a fait déplacer
CONCLUSION
des familles noires dont celle de Tom qui doit désormais
beaucoup d'argent à M. Burgess, un riche propriétaire
Nous dirons que la fin de toute lutte sociale et
terrien blanc.
idéologique vise 1'homme. Mais c'est dans l'application
En plus de la pluie et de l'inondation, la neige
effective des démarches de gouvernance que se montre
est également un des symboles que l'auteur utilise pour
la différence. Cette différence, soit, opprime ou aliène,
véhiculer son message. Elle est persistante surtout dans
soit garantit les valeurs prépondérantes dont l'être
Native Son plus que tout autre ouvrage de notre
humain se sert pour son épanouissement dans la société.
corpus.
Dans un cas ou dans l'autre, la littérature se
En effet, on ne peut parler de la neige sans
servant parfois d'arbitre ou généralement de défenseur
parler de la fraîcheur du temps. Une autre puissante
des opprimés, joue un rôle de garde-fou pour l'équilibre
possibilité dans laquelle Wright tient le lecteur à vivre
de la société dans un élan de conscientisation.
l'expérience des conditions de vie aliénantes de Bigger
D'emblée, dans l'œuvre de Richard Wright, on
Thomas, est l'utilisation d'images du froid afin de
est frappé par la répétition des mots oppression,
suggérer comment le Noir voit le monde blanc àla fois
violence, injustice, .. " et mort. C'est une expérience
séparé et hostile àlui. Ainsi Bigger perçoit d'abord le
qui traduit la réalité environnementale dans laquelle
voisinage des Dalton comme un endroit froid et éloigné:
évoluent les Noirs. C'est également le lien qui rapproche
" a cold and distant world" (45), et à mesure que
le Noir du Blanc ; une douleur que l'auteur partage avec
ses conflits avec les Blancs s'accentuent, le temps
les autres.
devient terriblement froid.
Ici, la politique, au lieu de viser le bien être de
Travailler chez les Dalton ne sera pas une
l'homme, l'enfemledans un monde hostile où la seule
renaissance pour Bigger comme le mot" springlike "
issue est la mort; lme mort violente et permanente que
Jourrait le justifier. Au contraire, cela le conduira à la
les règles qui régissent la société américaine établissent
nort quand le temps froid s'accentue. A partir de ce
comme un système légal pour opprimer les Noirs.
mt, le mot" sun" désignant le soleil qui pourrait nourrir
Les Blancs vivent dans un idéalisme qui leur fait
~igger d'espoir, s'est couché et il est obligé de
croire que la Constitution est un bon texte de
onfronter l'environnement hostile qui menace sa vie.
gouvernement, que la déclaration des droits est un bon
Comme cette neige s'amoncèle, l'aliénation de
principe légal et humain pour la sauvegarde des libertés
:igger s'intensifie graduellement parce qu'il se sent
civiques, que chaljue individu doit avoir la possibilité
ltouré d'un monde qui brouille littéralement sa vision
de se réaliser, de rechercher son but propre. sa destinée
.le menace de mort. En voiture avec Jan Erlone et
particulière non interchangeable. Et pounant les chances
[ary Dalton, il regarde derrière et remarque la neige
offertes aux individus diffèrent selon leur race.
mber excessivement. Ala fin de la première partie du
Nous ne disons pas que le Noir savait ces choses
man, Bigger vit une situation qualifiée par les
dans les termes dont nous en parlons. Nous ne disons
étaphores "chilled ", "caldfacts" (88) qui montrent
pas que de teUes pensées ne lui étaient jamais rentrées
le la neige est de plus en plus persistante et mortelle :
dans la tê~e. Sa vie émotive et mentale ne fut jamais à
temps devient humainement insupportable. C'est ce
ce pointconsciente. Mais il savait tout cela émotivemcnt
e cette expression révèle; "colder and afew fine
et intuitivement, car ses émotions et ses désirs étaient
kes ofsnow" (92).
évolués, et il s'imprégnait de ces choses comme la
vue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
293

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
plupart des Américains de leur époque. Tout cela que
le Noir avait en lui, mais endigué, enterré, latent, Wright
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
avait à l'extérioriser sous forme de fiction en utilisant
des symboles comme des supports de combat social
1. CESAIRE,A.. 1956. Cahier d'un Retour au Pays
et politique. C'est à cette pensée que Jean Ziegler veut
Natal, Ed. Présence Africaine, Paris.
faire allusion quand il stipule que" les symboles. les
religions. les idéologies ne viennent pas du néant
2. Dictionnaire Ul'Uel Dlustré, 1980. Librairies Quillet-
pour retourner au néant. Elles surgissent à certains
Flammarion, Paris.
moments de la lutte de classe. EUes ne sont jamais
inoffensives. EUes libèrent ou oppriment
"/
3. FRANKLIN, J. H., 1984. De l'esclavage a la
C'est pourquoi l'acte d'écrire revêt un caractère de
liberté: histoire des Afro-americains. Ed.
prise de position consciente et engagée chez Richard
Carlbéennes, Paris.
Wright. Ceci a un rôle de lutte émancipatrice pour les
opprimés de la société américaine.
4. Grand Dictionnaire de la Langue Française.
L'œuvre montre qu'il n'y a pas de Blancs dont
1976. Tomes 3, 4.5, Bordas, Paris.
les valeurs humaines ou sociales soient acceptables à
tout le pays, d'où pas de riches symboles ni de rituel
5. ROUSSEAU, l-l, 1966. Du Contrat Social,
coloré pour égailler le lecteur: l'Amérique n'a ql1'une
Garnier-Flammarion, Paris.
civilisation industrielle, avide d'argent et fortement
oppressive au profit de la race blanche. D'où l'usage
6. WRIGHT, R., 1938. Uncle Tom s Children, New
de symboles obscurs comme le vol, lafuite, lapluie,....et
York: Harper & Bros.
la mort qui déclenchent l'orage dans l'âme du Noir en
lui faisant partager la culture qui le condamne et de
7. WRIGHT. R.. 1940. Native Son, New York:
constaterqu'un désireffréné de pacotille aveugle le pays
Harper & Bros.
et l'empêche de prêter attention à ses revendications.
Cet aveuglement n'est pas gratuit, il découle
8. WRIGHT, R., 1945. Black Boy, New York: Harper
d'une idéologie qui consiste à le maintenir dans un
& Bros.
préjugé racial, social, politique, économique, historique
et
culturel
que
le
Blanc
a
fabriqué.
9. WRIGHT, R., 1961. Eight Men, New York : World
C'est pour sortir de cet univers malsain et
Publishing Co.
prendre sa destinée en main qu'une nouvelle génération
comme celle de Bigger Thomas, Saul Saunders,... et
10. ZIEGLER, J.• 1979. Le Pouvoir africain, Editions
Mann, les principaux personnages noirs respectifs de
du Seuil, Paris.
Native Son, Eight Men et Uncle Tom s Children,
s'adonne au combat de libération. Comme ressource
morale essentielle de lutte, ces personnages se dotent
d'esprit de la construction de l'histoire par soi-même
et non par une tierce personne. Telle est désormais la
signification des rapports entre le monde blanc et le
monde noir en Amérique : les Noirs revendiquent et
exigent un avenirradieux aU lieu de lapassivité habituelle.
Pour cela, ils sont prêts à mourir. Une mort
qui illuminera les générations présentes et futures.
C'est dans cette optique que Jean-Jacques Rousseau
disait:
"Qui veut laftn veut aussi les moyens. et ces
moyens sont inséparables de quelques risques,
même de quelques pertes. Qui veut conserver sa

(Footnotes)
vie aux dépens des autres doit la donner aussi
1 Jean Ziegler, Le POl/voir Africalll, Editions du Seuil, Paris
pour eux quand il faut.
1979, p.235
"2
2 Jean-Jacques Rousse~lll, Du Con/rat Social, Garnier Flammarion,
Paris 1966, p.72
294
Revue du CAMES· Nouvelle Série H, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestr