_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et "umaines
1
1
ENVIRONNEMENT CULTUREL ET ENSEIGNEMENT DE
L'HISTOIREDES PROBLEMES DE COLLECTE DES
SOURCES ORALES DANS LA COTE D'IVOIRE
FORESTIERE
SeAn" BAMBA
IIJIIÎtre de recherche
UFR
- Sciellcel' de l'Ho1llme et de III Société
Université de COCO((I'-Côte d'Ivoire

HÉSU1\\lÉ
1
Il existe plusieurs métlllldes lit: reconstitution lh: l'histoire Mais dans les sociétés forestières OUl:st
africaines. la méthodl: de collecte des sources oraks cst incontournabk. Dans cct article. l'auteur analyse
quelques prohlèmes liés ù ('uti 1isation de cette méthode dans le Bas-Randama en Càte d'Ivoire forestière
i
en mettant l' accent sur les faits ct situations historiques qui agissant sur la conception de l'histoire et
1
,
influencent son contl:nu et sa transmission.
!
Sont surtout étudiées les dynamiques de temps et de l'espace qui se traduisent aussi dans des
facteurs comme la langue. la vie quotidienne. la vie politique contemporaine. les mutations sociales et
euiturelll:s notamment l'introduction des religions révélées et d'un nouveau système d'enseignement.
Mots clés :
Côt<' il '[mire, Sociétés/iJre.l'tières, Bos-Bondol71o, reconstitution
i!
historique; /mditio/1 orale, proh!èmesliés LI la co!!ecte des sOl/rccs oro!es.
,1
Il
,:-
li
ABSTRACT
"
,i
111ere are several methods ofreconstitution ofthe history. But in the African westem torest companies, the
method ofcollection ofthe oral sources is impossible to eireumvent. In this at1icle, the author analyzes
some probJems involved in the use ofthis method in Bas-Bandama in Ivory Coast forest by laying the stress
on the facts and situations historical which acting on the design ofthe history and influence its contents and
1
: !
its transmission.
' !
, '
The dynamic ones oftimes and space are especially studied which are also translated in factors like the
language. the everyday life, the contemporary politicallife. the social and cultural changes in particular the
i introduction ofthe revealed religions and a new educational system.
1
li
Key words:
Ivory ('oast, Companiesforest, BO.l'-Bandama, historica!
II
reconstitl/tion, oro! tradition, proh!ems invo!ved in the collectiorI ofthe oro!
II
sources.
Il
, ,
,~
=====================~
Revue du CA 1\\1 ES - Nouvelle Série Il. Vol. 008 N° \\-2007 (\\" Semestre)
83

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
1.1. Ballottement des régions entre pôles
INTRODUCTION
de décision
TI est aujourd'hui acquis que les traditions orales
De chef-lieu de cercle en 1893. Tiassalé est
sont incontournables lorsqu'on s'engage à reconstituer
d'abord transformé en Secteur puis en Poste
l'histoire des sociétés forestières Ouest africaines. De
administratifet militaire. De 1901 à 1915 la colonie de
même, un appareil méthodologique est mis en place. A
Côte d'Ivoire connaît cinq restructurations
ce niveau, quelle contribution pourrait apporter celui
accompagnées de redistribution de portions de
qui emprunte le chemin tortueux de la recherche
territoire.
historique, surtout après les travaux très fouillés de nos
La région de Tiassalé ou Bas-Bandama central et
devanciers' ? Leurs conclusions font apparaître des
septentrional passe successivement de cercle du Baoulé
constantes en ce qui concerne la conception de l'histoire
aux cercles du Bouaké-Sud, du Nzi-Comoé, de
chez les Akan, la collecte, le traitement et l'analyse des
l'Agneby et des Lagunes.
sources orales. S'il y a peu à apporter du point de vue
Ces différentes organisations du territoire
de la méthodologie générale de 1'histoire de la Côte
s'accompagnent de remembrement, ce qui aboutit à la
d'Ivoire forestière, le Bas-Bandama, en tant que zone
séparation ou au regroupement d'entités économiques,
de convergence humaine et de confluence culturelle
politiques ou culturelles. Les plus significatives sont celles.
appelle cependant quelques réflexions spécifiques qui
de 1901, 1908, 1915.
viendraient compléter ce qui a déjà été fait. Aussi
En 1901, Tiassalé fait partie de la région militaire
insisterons nous donc sur quelques problèmes liés à la
et administrative du Baoulé qui se structure autour de
collecte des sources orales dans notre aire d'étude.
Toumodi et de Bouaké en Baoulé-Sud (Tomnodi, Wusu
Notre expérience de terrain nous a permis de
(0ussou) et Tiassalé) et Baoulé Nord (Bouaké et
mettre en évidence certains faits et situations culturels
Kodiokofi). Cette région est placée sous autorité
et historiques qui agissent sur la conception de 1'histoire
militaire de 1901 à 19082•
et influencent son contenu et sa transmission. Ils sont
Un arrêté général du 14 décembre 1908
provoqués par la politique coloniale de désintégration
consacre la scission du Baoulé en deux cercles du Baoulé
des espaces sociaux et culturels et de regroupement
Nord (Bouaké et Kodiokofi ... ) et du Baoulé Sud
de villages.
(Toumodi, Oussou et Tiassalé). L'arrêté général du 10
août 19153 restructure cet espace par la suppression
I. POLITIQUE COLONIALE DE
du cercle du Baoulé-Sud et par la création de deux
RÉAMÉNAGEMENT DE L'ESPACE
cercles du Nzi-Comoé auquel appartient Toumodi et
de l'Agneby qui prend en charge le secteur de Tiassalé.
De la fondation de Tiassalé-Elomoin à la
On constate une véritable restructuration de l' espace
conquête française, le Bas-Bandama tend à s'unifier et
qui a pour conséquence une tentative de modification
à se consolider en tant qu'entité économique spécifique.
des relations traditionnelles des peuples constitutifs de
Mais à partir de l'occupation française, de la fin du
cette partie du Bas-Bandama.
XIXe siècle à 1974 (début de nos recherches), pendant
Ce mouvement provoque un balancement quasi-
plus de trois quarts de siècle, l'administration du territoire
permanent qui entraîne une véritable désorganisation
s'est adaptée aux préoccupations du moment: d'abord
de toute la région. Devant cette situation,
à celles des nouveaux maîtres coloniaux puis à celles
l'administrateur de Tiassalé constate en 1915, l'absence
du «développement», à partir de 1961. Pendant la
d'homogénéité, le manque de chef important et la
première période qui court de 1893 à 1960, deux
difficulté de conduire des actions cohérentes et
mouvements contradictoires caractérisent la région:
efficaces; aussi écrit-il à propos du Swamlin alors
écartèlement et ballottement entre pôles de décisions
rattaché au cercle des Gouro : « Le résultat obtenu a
différents d'une part, regroupement factice d'unités
été d'éloigner de Tiassalé une région qui en dépendait
sociologiques différentes d'autre part.
économiquement dont les habitants y venaient souvent
et facilement vendre les produits ».
Après ces remarques pertinentes, il propose une
nouvelle distribution qui prenne en compte
l'homogénéité des « groupements composant la
84
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° \\-2007 (J" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
subdivision de façon à favoriser l'action politique.. , »4 ;
dans le tableau nO 1 ; elle est le produit de l'histoire de
Aussi demande-t-il le rattachement à Tiassalé des
la soixantaine d'années de domination coloniale et de
villages mamini, swamlin, ngban et quelques villages
la quarantaine d'années d'indépendances.
abidji. Par contre, il note avec une objectivité certaine
1.2. Regroupement et déplacement de
sa satisfaction de voir rattachés au cercle du Nzi-Comoé
villages
les villages anyi-amantyan et aali : « Ces villages sont,
en effet, pour la plupart éloignés de Tiassalé, les

L'organisation de l'administration a touché aussi
habitants sont plus attirés vers Dimbokro où ils
la restructuration de l'espace par la mise en place d'une
trouvent leurs parents et où ils se marient (. ..) De
politique d'occupation des sites facilement accessibles.
même le
village Abbey d'Atiguié serait
Ainsi une lecture comparée des cartes de plusieurs
avantageusement rattaché à Agboville ; il est isolé
générations fait apparai'tre une double évolution marquée
et trop éloigné de Tiassalé pour être visité
par le phénomène de disparition-naissance. Ce
fréquemment »;.
mouvement n'est pas autonome, li résulte de la volonté
Ces propositions de l'administrateur tiennent
des autorités coloniales de contrôler et de maîtriser
compte de l'histoire, de la culture et des données de la
l'espace. Les villages qui n'acceptent pas la domination
géographie. Elles auraient corrigé la dispersion des
coloniale vont être systématiquement détruits; on
entités culturelles si elles avaient retenu l'attention des
contraint les habitants rescapés à s' install er à des
autorités compétentes. Les Ngban et les Swamlin sont
endroits qu'on peut atteindre aisément. Dans cette
regroupés autour de Tiassalé, les Abé sont divisés entre
action, la proximité des postes militaires ou
Tiassalé etAgboville, les Abidji entre Tiassalé et Dabou,
administratifs et des grands axes de communication sont
les Marnini-Didaentre TIassalé et Divo. Si la dimension
les sites de prédilection imposés par les autorités
humaine n'est pas totalement oubliée dans ce projet,
coloniales.
les préoccupations de domination et d'occupation
Sur le littoral par exemple, dans les régions
apparaissent cependant très clairement. La volonté
voisines de Grand-Lahou (Kpandadon), une
manifeste des autorités est de séparer des peuples qui
quinzaine de villages, Kpandadon, Evoukouadon,
gagneraient en force en restant ensemble, mais cette
Brafe, Tyanwoun, Tougouadon,Abidon,
cohésion ne ferait pas l'affaire de l'administration
Avikouadon, Loukoudon, Boremou, Gore, Agouaye.
coloniale dont l' obj ectif est la domination et
Laguirdon, Bamategui, Bonoua ...? occupaient un
l'exploitation des populations. Le gouverneur
espace où les habitants avaient organisé leur vie
Angoulvant exprime bien cette mission lorsqu'il écrit
sociale, économique pendant la période antérieure.
dans un rapport destiné au Conseil des Ministre : « La
Ils furent contraints de se constituer t'n une seule
réorganisation de la Côte d'Ivoire par l'arrêté du
agglomération, à l'embouchure du Bandama autour
14 décembre 1908 avait pour lmt, en regroupant
de Grand-Lahou (Kpandadon), déjà important en
les circonscriptions administratives suivant leur
1891. Grisard, Armand et Pobegui décrivent ce
situationpolitique, d'isoler toutes les régions hostiles
village comme une agglomération très peuplée avec
ou douteuses et de coordonner tous les efforts en
plus d'un millier de personnes; selon ces voyageurs,
vue de l'achèvement de la pénétration et de
le nombre exact des habitants varie entre 2000 et
l'occupation définitive
de
la
colonie»6
3000, voire 5000 1
On retrouve la dimension de l'exploitation
°. Ces chiffres, plutôt que d'être
pris à la lettre doivent être considérés comme un
économique dans la restructuration de 1915 par la
témoignage de l'importance démographique de ce
création de cercles dits des rails (Nzi-Coœoé etAgneby7
village. Cette quantité d'hommes et la situation
avec la volonté de renverser les courants commerciaux.
stratégique conduisent les autorités coloniales à
Alors que la partie centrale et septentrionale de
contraindre les autres à s'établir près de Grand-
la région était vouée à ce ballottement, le littoral avikam,
Lahou (Kpandadon). Aussi forment-ils une nouvelle
connaissait une stabilité administrative. Ainsi, depuis
communauté villageoise qui se scindera par la suite en
l'installation du poste en 1892, Grand-Lahou est
deux autres unités, Brafedon et l'actuel Grand-Lahou
demeuré chef-lieu de cercle jusqu'à l'érection de Divo
(Kpandadon). Cette demièreagglomération compte
en Chef-lieu. Depuis l'indépendance, très peu d'efforts
attiourd'hui une dizaine de quartiers d'Avikam et
ont été faits pour rapprocher des entités culturelles dans
assimilés.
.
la même unité administrative. La distribution des ethnies
entre les différentes unités administratives se résume
Revue du CAMES ~NouvelleSérie H, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
85

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaine:.
Sur le Bandama à une cinquantaine de kilomètres de
II. TRANSMISSION DE L'HISTOIRE
la côte, autour de Broubrou (Gbrougbrou) se produit
DE CES NOUVELLES
un mouvement identique. Ici, cinq villages d'origines
COMMUNAUTÉS
diverses sont concernés. Broubrou que les premiers
voyageurs européens décrivent comme un centre de
La vie en commun dans ces cadres nouveaux
plus de 900 habitantsl ,jouit d'une situation stratégique
impose d'autres types de relations aux populations qui
sur le Bandama qui est en fait un obstacle important à
s'y rencontrent pour construire leur avenir. Désormais
la pénétration française dans le Bas-Bandama et dans
elles appartiennent à d'autres communautés que celles
1'hinterland ivoirien2 en général.
auxquelles elles sont habituées et elles obéissent à de
Dans l'hinterland, un cas caractéristique de
nouvelles autorités. Aussi vont-elles se définir par
disparition - naissance, du moins de regroupement,
rapport à ce nouveau contexte.
est celui qui a donné naissance à Pacobo (Kpakobo).
Les Ngban se disent d'abord et avant tout Ngban
Il résulte du déplacement et de la fusion forcée de
de Tiassalé ou de Toumodi. Quant aux Agni (Anyi
trois aggloérations :Awanou (Awanu), Ndagnamien
AMantyan et Aali) du Nord-est du Bas-Bandama,
(Ndanyamien) et Eswi Totwikro, tous situés sur la rive
même s'ils militent parfois activement pourse maintenir
droite du Nzi, loin du grand axe de communication.
dans le Département de Tiassalé, ils se déclarent sans
Les Français les en rapprochent: « Les blancs sont
ambiguïté Agni de Tiassalé, de Mbatto (Ngboto) ou de
venus ; ils ont déplacé mes parents pour les installer
Tiémélékro (Tyemelekro). Ils entretiennent et
ici (site actuel) et depuis lors, ils ne se sont plus
développent des rapports traditionnels avec leurs
déplacés »J.
parents du Mbatto (Ngbato), de Tiémélékro et
Regroupées dans un centre commercial et
d'ailleurs. Un nouvel environnement social, politique,
administratif, sur un point stratégique ou près d'une
voire économique impose de nouveaux rapports aux
route commerciale, les communautés constitutives de
éléments constitutifs de ces entités administratives, mais
Grand-Lhou (Kpadadon), de Broubrou et de Pacobo
aussi une autre appréciation de ce nouvel
(Kpakobo) sont désormais à la portée et à la
environnement. Cette démarche dans son ensemble,
disposition des nouveaux maîtres de région.
tend à modifier la vision que ces peuples avaient de
Ce double mouvement, restructuration quasi-
leur société et de leurs relations mutuelles, elle agit
permanente de l'administration du territoire et
certainement sur leur conception mais surtout sur les
regroupement de billages, participe d'une stratégie de
modalités de transmission de l'histoire.
conquête et de domination. Il aboutit à une
Un système d'autocensure s'impose alors aux
désorganisation des sociétés, à un changement du
traditionnistes. S'intégrant dans leur nouveau contexte,
paysage humain de la région et à une tentative de
se refusent de parler des communautés qui
changement du sens des relations entre partenaires
appartiennent à la même entité historique qu'eux, mais
traditionnels. Cette redistribution et cette restructuration
qui ne font plus partie de leur circonscription
de l'espace vont avoir une incidence sur
administrative, et prétendant ne pas vouloir s'ingérer
l'enseignement de l'histoire dans ces nouvelles
dans les affaires d'une région avec laquelle ils n'ont
communautés. Comment les populations assument-
plus rien à voir, ils refusent de donner aux chercheurs
elles et transmettent-elle cette histoire?
des informations qui peuvent leur être préj udiciables.
L'unité des groupes ethniques est attente; les
nouvelles entités qui apparaissent n'ont plus le moyen
(Footnote.)
1 Nous pensons particulierement Il CI.-H. Permt, les Anyi-Ndenye et le pouvoir aux XVIII' et XIX' siede, Paris 1982 et Il H. Diabate, le Sannvin.
Un royaume Akan de la Côte d'Ivoire 1701-1901,
Paris l, 1984, Le Sannvin. Sources orale et historique. Essai de méthodologie, Abidjan-Dakar-
Lomé, 1986 et LOUKOU, J.N. La tradition orale africaine, Neter, Abidjan, 1994.
'ANRCI- IEE 29 (1) Arrêté général du 3 Juillet 1901 et 5G65, Arrête Général du 14 décembre 1914.
, ANRCI- 5G65
- Arrêté Général du 10 août 1915 .
• ANRCI- lEE 153 (2) Rapport sur 1
'état actuel et projet. .. Subdivision de Tiassalé, 1922.
'ANRCI- IEE 153 (2) Rapport sur l'état actuel et projet... Subdivision de Tiassalé, 1922.
•, ANRCI- 5G65 Rapport en Conseil de Ministres, Dakar 25-11-1912.
7 ANRCI- Arrêté Général du 10 août 1915.' L'accession de la COte d'Ivoire Il l'indépendance intervient le 7 août 1960.
, ANRF-SOM-AF-1863 Carte de Bingerville, établie par Meunier.
'0 ANRF-SOM-CI-V-16Expéditions militaires 1889-1893 et H Pobeguin, notes sur les lagunes de Grand-Lahou, de Fresco et les rivjeres Bandama
et Yokoboué. Bullelin dela société de Géographie de Paris, Tome XVlIle, 1897 pp. 106·128 et 230-251. Sékou BAMBA, enquêtes orales li
Grans-Lahou de 1977 li 1988.
86
Revue du CAMES- NouvelleSêrie B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
la fondation de Grand-Lahou (Kpandadon). Une
d'assumer 1'histoire des anciennes communautés; on
enquête méticuleuse permet cependant d'accéder aux
assiste alors à un émiettement de la connaissance
autres aspects de l'histoire, voire de faire apparaître la
historique, brefde l'histoire.
présence d'autres lignages avec leur spécificité.
Au niveau des communautés villageoises, le
On pourrait multiplier à volonté les exemples; la
problème de la transmission du savoir historique se
démarche demeure la même: à la première approche
pose. Le phénomène disparition -naissance4 .contraint
apparaît toute une communauté homogène. Tout l'effort
à vivre dans un même quartier ou un même Village des
tend, en effet, à occulter tout ce qui peut marquer la
entités qui, originellement occupaient des espaces
différence et surtout à harmoniser, du moins à unifier
distincts. Communautés villageoises s'efforcent de se
les grands moments de l' histoire commune, à se donner
donner l'image d'un groupe cohérent uni et solidaire.
des ancêtres illustres et à évoquer de grands
Pour sauvegarder et consolider leur cohésion et leur
événements. Le support de cette histoire commune que
unité ils établissent tacitement des accords. Ils
,
.
l'on s'efforce de forger est l'idéologie unifiante dans
expurgent de leur passé commun et individuel certains
laquelle baigne tout le Bas-Bandama Ces modifications
faits et certains événements, surtout quand ceux-ci sont
spatiales qui tendent à engendrer des changements
évoqués en public ou en présence d'éléments étrangers.
d'habitude et de mentalité constituent donc un obstacle
Ce comportement, même s'il n'est pas profond, a des
au travail du chercheur. Cette réticence est sensible
incidences sur l'enseignement de l'histoire. Nous en
même lorsqu'il s'agit de l'histoire officielle ou histoire
avons pu observer des manifestations dans certains
ouverte), transmise le plus souvent « selon la version
villages du Bas-Bandama. Ainsi, à Pacobo (Kpakobo),
expurgée })B. Mais le chercheur averti surmonte
au cours d'un séjour en décembre 1976, des
l'obstacle du mythe unificateur et accède à l'histoire
divergences éclatent au grand jour. Une partie des
fermée, à l' histoire interne des lignages constitutifs des
habitants, du moins leurs représentants, refusent la
différentes communautés de notre aire d'étude.
version harmonisée de l' histoire dictée par l'accord de
cohabitation. Aussi, après la séance ofticielle, leurs
III. CULTURES ET ENSEIGNEMENT
représentants viennent-ils m'exprimer leu:
DE L'HISTOIRE
mécontentement et surtout leur désaccord avec ce qUi
a été dit. Les autres avaient-ils trahi l'accord initial?
Dans le Bas-Bandama vivent, ainsi que nous
Nous ne le savons pas. Cette crise remet en cause
l'avons montré, des communautés akan (Agni, Abè~
. l'unité, du moins l'image d'unité que le village qui est
Avikam, Baoulé) et (Mamini ou Dida). Leurs structures
un produit de la colonisation, se donne. En fait, elle
sociales et politiques différentes influencent le mode de
dévoile la réalitéS.
transmission de 1'histoire dans ces sociétés.
Ailleurs les divergences n'éclatent pas au grand
jour, mais des frictions sont sensibles à l'observateur
3.1. Culture akan
averti. A Broubrou (Gbrugbru), la population qui est la
résultante de lignages d'origines diverses, a codifiée
Le caractère de zone de convergence se
l'histoire des Alangwa, (celle de Bago et de Gbélié)
manifeste même à l'intérieur d'un groupe culturel comme
comme celle de toute la communauté. Mais au-delà de
celui des Akan. Se rencontrant en effet, à l'intérieur de
cette histoire ouverte, le chercheur découvre d'autres
ce groupe, Avikam, Agni (Aali, Amantyan, Alangwa)
aspects de l'histoire de ce village6.
et Baloulé (Elomoin Ngban, Warèbo, ... ).
A Grand-Lahou (Kpandadon) le phénomène est
Chez les Agni et les Baoulé, daba ndè et daba
moins perceptible; ici comme ailleurs, on privilégie un
dyolè9 sont deux termes qui recouvrent les différents
clan, celui des dirigeants dont l'histoire devient celle de
niveaux de la connaissance historique. Le premier, daba
toute la communauté et on s'attache à diffuser cette
ndè, intéresse les faits et gestes des anciens, c'est-à-
histoire. On a même parfois l'impression que la
dire les actions des ancêtres. Le second, daba dyolè,
communauté des Avikam de Grand-Lahou
se rapporte davantage à leurs paroles. L'histoire
(Kpandadon) est homogène. Toutes les versions
apparaît donc comme la somme des expériences vécues
reconnaissent les Zeiri comme les premiers habitants
ou entendues; ces daba ndè et daba dyolè sont en
du littoral avikam. Mais les Zeiri eux-mêmes ont adopté
fait la reconstitution du passé par l'intermédiaire de la
la version harmonisée et officielle imposée par un
parole, autrement dit, par les traditions orales qui sont
pouvoir unificateur fort, celle de l'histoire des Kpanda
le véhicule de toute connaissance dans les sociétés de
et notamment, la légende de Obadya Akutyi relative à
Revue du CAMES- Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
87

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _
. . . . . . . . _ - - -
~ l . . . . . _
Sciences sociales et humaines
l'oralité. Les Avikam ont cette même perception de
armes pour vous abattre. Cette dimension de
l' Iùstoire. Pour toutes ces populations, 1'histoire est un
1'histoire nous est révélée par un de nos
bien collectifindivis et utile. Elle permet de situ~ chaque
traditionnistes de Grand-Lahou (Kpandadon) qui
individu. Chaque lignage et chaque clan dans laposition
manifeste son inquiétude à révéler certains aspects du
Iùérarclùque qui est la sienne en fonction des données
p~séqui peuvent lui être préjudiciables1j •
du passé. Ce caractère de l'histoire détermine les
méthodes de son enseignement qui repose sur une
3.2. Culture kru
sélectivité fonctionnelle.
Comment peut-on acquérir cette connaissance?
Dans le Bas-Bandama, des communautés Kru
Il est admis chez ces populations que « celui qui ne se
vivent dans quelques villages, le long du fleuve et dans
chauffe pas au feu du soir ne connaît pas les choses du
la partie occidentale de la région. Ainsi Tiébiéssous
passé »10. Cette formule lapidaire renferme toute la
(Tyebiesu),Ahouanou (Awanu), Sokrobo (Sokrogbo),
philosoplùe de l'enseignement des connaissances
Amani-Ménou... sont des villages mamini de notre aire
Iùstoriques chez les Elomoin et les autres peuples akan
d'étude. Ici comme chez les Akan, l' Iùstoire est un bien
du Bas-Bandama. Il faut fréquenter les dépositaires de
collectif; mais leur attitude face à l'histoire diffère. Au
l'lùstoire pour s'enrichir de leur savoir. Au cours de
cours de nos enquêtes, nous avons pu relever quelques
nos enquêtes, nous avons remarqué que même dans la
éléments qui les distinguent.
pratique, l'lùstoire appartient aux anciens, c'est-à-dire
Tiébiéssous (Tyebiesu) et à Sokrobo
aux personnes âgées et aux dépositaires au pouvoir.
(Sokrogbo)1, nous avons constaté que contrairement
Ainsi lorsque le porte-parole de la collectivité récite
à la procédure akan, l'auditoire a plusieurs fois
l'lùstoire, il ne peut être interrompu même s'il se trompe,
interrompu l'intervenant principal qui était dans l'un des
car, dit-on, il est inspiré par les ancêtres. En l'absence
cas, le chef du village. Bien collectifindivis, l'histoire
du chef, les anciens n'acceptent pas de livrer 1'histoire,
peut être transmise au chercheur par tout le monde.
car ils ont toujours besoin de la caution de la société
Aucune erreur du traditionniste n'est tue; quelqu'un
que le Chef représente; Christophe Wondji note
de l'auditoire intervient aussitôt pour exposer la version
l'importance de cette présence: « Cette présence est
supposée être juste. Le langage est plus direct entre les
à la fois caution morale et garantie d'authenticité. Elle
hommes du village et la réserve est moins marquée. A
permet aussi d'avoir dans l'assistance une personne
ce propos, Christophe Wondji qui a travaillé dans
proche des ancêtres fondateurs et capable de rassurer
l'Ouest ivoirien, en particulier, chez les Krou, note:
ces derniers sur la destination et l'usage de
l'information »11.
En décembre 1977, il nous a été donné de vivre
un cas où le siège politique étant vacant, l'intérimaire
(footnotos)
1 H. Pobeguin, 1897 ; P. Grisard écrit en 1891 que Brou compte 1500
n'a pas pu obtenir la caution des anciens par leur
habilants.
présence. Aussi a-t-il parlé seul, à ses risques et périls12•
l ANRF.SOM, AF 1863, et Côte d'Ivoire III·I, Grisard, Armand,
Pobeguin 1891 et Sékou BAMBA, enquêtes orales, de 1976 à 1988.
Dans le village voisin, parce qu'il était seul, le chefs'est
, Foto Kofi, enquête publiques des 15. 16, et 17-12-1976 à Pacobo
déclaré incompétent. A la même époque, dans un autre
(Kpakobo) el Mbrimbn (Ndanyamien)
4 Cf. Supra, pp. 4 & 5
village où le chefvenait de mourir, nous avons réussi à
, M.S. BAMBA, Ba.-/Jandama précofonial. Paris 1978, p. 110-) Il ,
réunir des anciens, mais le contenu de leur contribution
cf. DEDY Série, communication orale, juillet 1989
: il a vécu une expérience similaire dans la région de San-Pedro.
a été rapidement contesté par une fraction de la
., Enquêtes orales à Gbrugbru: Sémoo Kol;, 20-/1-77 , Gbrugbru Kan,
communauté 13. Ces différents cas révèlent le rôle
1008-1988
, CI - H PERROT, les Anyi-Ndenye el le pourvoir al/X /8' el /9' sii!Cle
essentiel des ancêtres et de l'autorité politique dans la
Paris. 12 et H. DlABATE,
transmission de l'lùstoire.
le Sannvin. Sources orales el histoire. Essai de méthodologie, Abidjan·
Dakar-Lomé, 1986, p. 70-71.
Dans ces sociétés akan (agni et baoulé), la
H CI. -
H PERROT, idem p. 12.
réserve est de rigueur en présence d'un inconnu:
, Daba ndè : passé/affaire; affaire du passé ou histoire. Daba/djole :
passé/paroles; paroles du passé, histoire.
«nous ne pouvons pas vous dire tout, nous vous
III Elien Aka, roi des Elomoin de 1944-1970, enquêtes orales, août-
parlons seulement des 'grands faits et événements »14.
sepl. 1969.
Il c.o. Wondji, l'histoire dans les sociétés lignageres de la Côte d'Ivoire
Cette réserve traduit l'importance de l'lùstoire
forestiere, in Le '01, /a parole el / 'Ecrit, Paris, 1981, p 338.
comme élément qui garantit la sécurité, car l'accès à
Il Oussou, 1711211976 et Toumodi 2211211976.
" Il "agit de Pacobo (Kpakodon), décembre 1976: cf. supra, p. 5.
la connaissance du passé ouvre des portes à des
14 Grand.Lahou (Kpandadon) 15-03-1977.
inconnus, à un ennemi potentiel à qui on donne des
" A\\jl Ndrin Loboué Henri, entretien public du 10-11-1976 à Grand-
Lahou (Kpandadon)
88
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et humailles
«Dite en public, 1'histoire peut subir un contrôle global
de l'assistance si le narrateur oriente son récit en faveur
d'un groupe d'un groupe particulier. Les groupes qui
4.1. Chercheur et culture locale
se sentent lésés apportent alors une rectification
immédiate afm de rétablir la vérité»2.
Les relations entre le chercheur et le traditionniste
Cette différence d'attitude envers l'histoire tire
se définissent par rapport à la situation linguistique du
son fondement dans celle des structures sociales. Produit
sud forestier ivoirien et celle du Bas-Bandama en
de la colonisation, le chefn'est pas omnipotent chez
particulier, à la capacité et à l'origine culturelle du
les Krou. Dans l'organisation de la société, les lignages
chercheur.
ont les mêmes droits, saufcelui du maître des terres,
c'est-à-dire le lignage de celui qui a découvert le site
4.1.1. Situation linguistique
actuel et l'a occupé avec l'accord des génies du lieu.
L'absence de structure hiérarchique fàcilite l'intégration
Le sud forestier ivoirien et le Bas-Bandarna en
de l'étranger qu'on adopté rapidement.
particulier sont une région pluriculturelle et plurilingue.
Cet état d'esprit explique l'accès relativement
Ainsi Akan (Agni, Baoulé, Abè, Abidji, etc.) et Krou
aisé à l'information historique. Nous pensons aussi que
(Dida, notamment) se partagent le Bas-Bandarna.
cette société correspond aux «formations sociales à
Si à l'intérieur de l'ensemble akan,
faible degré de division de travaib>J ; en d'autres termes,
l'intercompréhension est totale entre Agni et Baoulé, il
ce sont des sociétés où il n'existe pas de lignages qui
n'en va pas de même pour les autres groupes. Dans ce
assument des fonctions spécifiques. Tout homme, par
contexte, comment accéder à la culture et à 1'histoire
son mérite et son travail peut accéder à n'importe quelle
des peuples de cette région?
fonction, il n'est"donc pas nécessaire, voire possible
Véhicule de la culture des peuples, la langue est
de mobiliser les connaissances historiques pour servir
le moyen de communication par excellence entre les
un homme ou un lignage. Aussi tout individu peut-il
hommes et entre les peuples. Aussi la pratique d'au
raconter 1'histoire du village, du moins celle de son
moins une langue de son aire d'étude s'impose-t-elle
lignage pourvuqu'i! en aitlafonnation.
au chercheur en sciences humaines, en histoire en
Au total, les structures sociales et politiques
particulier. Le caractère multilingue du Bas-Bandarna
relativement démocratiques et l'absence de l'idéologie
est atténué par l'existence de l'agni baoulé qui réalise
centralisatrice du pouvoir rendent aux hommes et aux
presque l'unité de la région. Au cours de nos enquêtes
lignages leur histoire. Tout en assurant à la transmission
nous avons constaté que la quasi-totalité des groupes
de l'histoire un minimum de garantie, le traditionniste
et des hommes comprennent et pratiquent cette langue.
dida ou marnini oppose moins de résistance à livrer sa
En ce qui nous concerne, nous comprenons cette
science.
langue; ce qui a facilité notre travail, surtout dans la
partie centrale et septentrionale de la région. Mais nous
IV.
VIE
QUOTlDIENNE
ET
la pratiquons difficilement; la communication est alors
ENSEIGNEMENT DE L'l:fISTOIRE
presque à sens unique. L'obstacle demeure, car nous
ne pouvons pas nous adresser directement à nos
Reflet que les contemporains ont d'une communauté,
interlocuteurs. Nous avons recours à un aide, à un
l'histoire est inséparable de la vie quotidierme des
interprète. Cet homme sert de courroie de transmission
peuples. L'accès à cette connaissance du passé dépend
entre le chercheur et le traditionniste. On peut soit le
en grande partie des relations entre la société globale -
choisir sur place, dans chaque village, soit l'intégrer à
et le chercheur.
l'équipe de recherche. En ce qui concerne l'interprète,
il est mieux d'en avoir un qui soit intégré à l'équipe du
chercheur. C'est ce que nous avons fait.
Nous estimons que l'acquisition et la pratique
de la IllQgue qui peqnetten. une discussion direc~&ir&
le chercheuret le traditionniste sont indispensables pour .
(Footnotes)
un travail de recherche de longue durée.
1 Enquêtes orales li Tiébiéssou (Tyebiesu, 13-11-1976), Awanou
(Awanu 14-11-1976) et Sokrobo (Sokrogbo: 30-11-1976).
L'inté~on culturelleetsocialequi est le meilleur
, C.G WONDJl, l'histoire dans les sociétés Iignagères de la Côte
moyen d'accéder aux trllditions orales, est liée aux
d'Ivoire rorestière, le '01, la parole el l'écril, Paris, 1981, p. 325.
, c.G WONDJl, idem, p. 325.
possibilités matérielles et intellectuelles du chercheur.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1'" Semestre)
89

Sciences sociales et humaines
-------------------------
dans le lignage des Wandye-Etinsou. Dans ces deux
4.1.2. L'appartenance culturelle du
villages, nous jouissons d'un statut double: celui de
chercheur et l'accès aux informations
l'autochtone et celui de l'étranger, ce qui pourrait
correspondre dans la nouvelle société à « la double
L'intégration du chercheur est aussi liée à son
nationalité ».
appartenance culturelle. Par rapport à celle-ci, il aura à
L'ambivalence de notre position pose quelques
résoudre des problèmes spécifiques.
problèmes quant à l'accès à la connaissance
Lorsqu'il est issu de son aire d'étude et qu'il
historique. Deux exemples tirés de notre expérience
maîtrise saculture, il accède aisément au pan de l'histoire
dans ces villages pourraient bien illustrer cette
«ouverte» ou publique: La facilité de communication
situation.
par la pratique de la langue locale est pour lui un atout
A Batera (Gbatra), nous avons rencontré une
majeur. Cette situation peut constituer un obstacle à la
résistance, voire un refus larvé de nous livrer les
transmission des traditions orales rèlatives à l'histoire
traditions historiques du village; l'attitude d'lm des
des lignages et surtout à l'histoire « fermée ». Si on peut
traditionnistes réputés est symptomatique de cette
connaître l'histoire générale d'une région, il n'est pas
situation que nous avons résumée dans notre carnet
toujours aisé de pénétrer l'histoire spécifique des
de route:
lignages, à cause de la sécurité collective et individuelle
« Une discussion sur les problèmes de la
qu'il faut préserver. Cet obstacle peut être levé, si le
recherche: pourquoi plusieurs
séance dans le
chercheur s'entoure de certaines précautions lui
même village? A quoi est destiné ce
travail ?
permettant d'acquérir la confiance des traditionnistes
Que doit-on en
attendre? Quelle est la
qui sont aussi ses parents afin de faire pencher la balance
rémunération
de l'informateur? (00') A la
en sa faveur; mais cette enquête participante demande
question
sur l'origine, notre
traditionniste
beaucoup de patience.
répond: « ton père est venu nous demander
la
Ce schéma ne correspond pas au cas le plus
terre pour s'installer ici, tu es né devant nous.
fréquent. Le terrain d'étude n'est pas la patrie du
C'est ce que nouspouvons
t'apprendre. Que
chercheur. Venant d'autres régions d'Afrique et du
signifie cette position de L. .. ? Bienque né dans ce
monde, il s'intéresse à une aire culturelle donnée, il se
village,
nous ne devons pas accéder au secret
heurte à une culture autre que la sienne. Son effort doit
de la communauté »2.
alors viser à comprendre cette nouvelle culture. Son
Ce texte qui met en relief! 'atmosphère de la
acceptation paret dans la nouvelle communauté dépend
séance de travai [ révèle un certain nombre de
en grande partie de sa méthode d'approche. La
problèmes méthodologiques : la multiplication des
communication linguistique est le plus grand obstacle
enquêtes agace le traditionniste. Ce dernier se
qu'il doit surmonter. Certains chercheurs ont pu franchir
préoccupe de la destination du fruit de l'enquête, de
ce mur ; aussi bénéficient-ils d'un préjugé favorable
la rémunération et au total, il rejette le chercheur.
lorsque l'étude porte sur certains aspects qui relèvent
A Tiassalé par contre, un traditionniste a choisi
de l'histoire « fermée ». Extérieur à la société, le
de nous révéler ce que « certains Elomoin ne savent
chercheur n'est pas susceptible d'utiliser les données
pas »3 à propos des étapes de la migration des
de l'histoire dans les actes qu'il posera dans la vie
Baoulé-Assabou dont il sont une branche.
quotidienne. fi n'utilisera pas ces données pour s'assurer
Le comportement apparemment contradictoire
une promotion ou pour nuire à d'autres membres de la
de ces deux hommes correspond bien à la
collectivité. Malgré tous ces atouts, pour accéder à ces
conception qu'ont les Asrin et les Elomoin de
informations, il doit prouver qu'il mérite la confiance
l'histoire qui est un patrimoine spécifique de la
des anciens, ses maîtres '. Où nous situer sur cette
communauté. Livrer ce patrimoine à une personne
trajectoire qui lie les deux catégories de chercheurs
extérieure, c'est mettre la société en péril, ce qui est
décrits plus hauts?
contraire à l'usage et surtout au besoin de sécurité.
Originaires du Nord de la Côte d'Ivoire et de
Mais lorsque notre traditionniste de Tiassalé nous
la région de Tengrela en particulier (Kadlé), nos
livre une information «secrète », il obéit au même
parents sont arrivés à TIassalé au début des années
principe que celui de Batera (Gbatra) qui nous
1930 et se sont installés à Batera (Gbatra) en 1937
oppose une résistance, une fin de non recevoir. En
pour entreprendre une exploitation agricole. A Batera
effet, malgré notre naissance et la résidence sur place
(Gbatra), le lignage des kposra nous adopte et à
de nos parents, malgré notre adoption apparente en
Tiassalé, par notre oncle, nous :;ommes acceptés
fait, par des lignages autochtones, nous demeurons
90
Revue du CAMES - Nouvelle Série D, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
n'importe quel poste électifsur l'ensemble du tenitoire
pour les Elomooin un étranger à leur société. Nous
national pourvu que la compétition se déroule dans le
n'aurons donc pas l'occasion d'utiliser nos
cadre du Parti. Les cadres et intellectuels se trouvèrent
connaissances pour déstabiliser la société Elomoin.
devant un dilemme: lutter pour une démocratie véritable
Sur la trajectoire du chercheur, nous occupons donc
ou accepter «l'ouverture démocratique» qui leur était
une position médiane.
faite. Dans leur grande majorité, les cadres choisirent
la seconde voie. Les relations sociales, les sensibilités
4.1.3. Chercheur et vie politique moderne
politiques ont donc conduit ces jeunes intellectuels à se
A cause de la résidence de nos parents et du
porter candidats ou à soutenir des candidats aux
lieu de notre naissance, il nous était impossible de rester
différents postes à pourvoir des clivages apparurent
indifférent à l'évolution et au développement du
alors entre cadres, et entre villages. Les campagnes
« Département de Tiassalé ». Dès 1964, en effet, nous
électorales utilisèrent abondamment l'histoire, en
nous engagions avec des jeunes de notre âge, aux côtés
particulier, le rappel des anciennes structures sociales
de nos aînés, pour animer la vie culturelle, sociale et
et hiérarchiques: «ce qui situa chacun à sa place». Mais
économique de notre village d'adoption et de toute la
on n'a pas tenu compte de la nouvelle donne sociale.
région.
Dans ce contexte où les choix totaux, où l'histoire
.
Ainsi, responsable de la mutuelle de
reconquiert sa place, la collecte des données historiques
développement de notre village, nous avons avec les
et sociologiques se heurte inévitablement à des
autres « cadres», conçu et réalisé plusieurs projets de
obstacles, car il faut protéger les intérêts des familles,
développement social, culturel et économique: citons
des lignages et des clans.
par exemple l'organisation et la surveillance du
En fonction de notre choix, nous avons eu des
« Groupement à Vocation Coopérative (GVC) », à la
difficultés à communiquer avec certains traditionnistes
construction de l'école et le lotissement de ce village.
de la région de Tiassalé. Ces clivages politiques ont
Pour chacun de ces projets, la population a bénéficié
donc eu un impact sur la constitution de notre
non seulement de nos conseils, de notre encadrement,
documentation de terrain4 •
mais aussi et surtout de notre contribution matérielle et
En 1987, deux ans après les élections de 1985,
financière.
nous avons engagé auprès des traditionnistes abè et
Outre, ce qui précède, il convient de mentionner
elomoin des campagnes d'explications pour dissiper
l'action de nos parents, notre père et son jeune frère,
les incompréhensions nées de nos choix politiques
dans la région. Commerçant, puis planteur, le premier
différents. Si nous avons pu convaincre certains, d'autres
est connu pour son ardeur au travail et son esprit
sont restés irréductibles. Dans les cas les plus favorables,
d'ouverture. Planteur et homme politique, le second
les premiers contacts rétablis, nous avons pu collecter
est connu pour son militantisme au sein de la section
des données dont l'analyse a permis de corriger les
locale du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (pDCI).
anciens éléments disponibles ou d'approfondir certains
Membre des différents bureaux qui se sont succédé de
aspects de notre étude.
1946 à 1985, il a parcouru tous les villages et hameaux
Nous pouvons donc conclure que le contexte
de la région. Bien que non autochtones, ces deux
politique a freiné nos recherches dans un domaine où
hommes sont très appréciés dans la région de liassalé.
il est nécessaire d'identifier et de situer chaque
Leur nom a servi de clé pour ouvrir un grand nombre
individu, chaque lignage, chaque clan, chaque village,
de portes.
voire chaque sous région dans un ensemble plus
Mais les données changent en 1980 avec le mot
vaste et plus solidaire. D'autres considérations,
d'ordre de «démocratisation» au sein du parti unique.
d'ordre religieux cette fois, influent sur la recherche.
De 1960 à 1980, la direction du Parti se chargeait, en
effet de suggérer, de proposer, voire d'imposer les
(footnotes)
.
responsables des sections locales; elle dressait
, M. s. BAMBA, Le IJas-Bandama précolonial, 1978et 1993 el H.
Diabaté, le Sannvin. Un royaume Akan de Côte d'Ivoire 1701-1901,
également une liste nationale unique pour l'élection des
Paris 1, 1984 et Le Sannvin. Sources orales el histoire. Essai de
députés à l'Assemblée Nationale. Ainsi on se trouvait
méthodologie, Abidjan-Dakar-Lome, 1986.
, M. S. BAMBA, Carnet de route, notes du 27-03-1977.
,
parfois avec un secrétaire général ou un député
, M. S. BAMBA, Bas-Bandama précoloniaJ, Paris 1978, p. 206.
impopulaire qui ne pouvait avoir aucune influence sur
4 Le pluralisme politique a éte réadmis en avril 1990, le l1ouv~aLJ
paysage agira certainement sur la transmission de l'histoire. Quelle
son« électorat ». Pour remédier à cet état de fait, la
sera l'ampleur de cet impact? Pour le moment, nOlis ne pouvons pas
direction du parti a lancé en 1980, le mot d'ordre de
repondre à cette question. Mais il appartient à l'historien de disting~ler
les versions originelles de celles produites pour justifier une situatIOn
«démocratisation» ; chaque citoyen peut briguer
donnee.
l
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
91

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
grâces aux agents commerciaux des comptoirs et des
collaborateurs de l'administration coloniale.
4.3. Impact des religions révélées
Contrairement aux différentes fonnes du
christianisme, l'islam a atteint faiblement les
Chez les populations du sud forestier ivoirien et
populations autochtones. La conversion massive du
du bas-Bandama en particulier, le panthéon est bien
village elomoin d' Ahua (Awia) en 1912-14 est une
foumi ; mais le principe d'un être suprême, maître de
exception3 dans l'histoire des peuples de la région.
l'univers domine leur conception du monde. Cet être
Le comportement des fidèles africains de ces
porte différents noms: Gnamien (chez lesAgni Baoulé),
religions est symptomatique. En effet, les descendants
efozou (chez les Avikam), ofo (chez les Abè). Mais
des premiers convertis ou des responsables des
ces peuples ont recours à des substituts de cet être
nouveaux cultes préfèrent parler de leurs nouvelles
suprême: Assiè-boussou (génie de la terre), Tyasa
religions, plutôt que d'évoquer le rôle des cultes
(génie du Bandama), Pétémé, Atafi sont adorés par les
anciens dans la fonnation du groupe, dans
Asrin et Elomoin de Tiassalé. Zri Nyaba est le génie du
l'occupation de l'espace, dans les fonctions sociales
culte qui symbolise l'unité de la nation Avikam.
ou les procédures de transfert ou d'acquisition de
A côté de ces cultes qui ont un caractère général,
ceux-ci. Ils s'attachent à occulter ces aspects de
d'autres sont localisés au niveau du lignage, du quartier
l'histoire des peuples car disent-ils, sont non
ou du clan; ainsi les Akouri ont le Kouman ; « les
confonnes à leur foi nouvelle. Ce comportement
quartiers Mnakou, Djébrè, Djoupro-Gbata avaient en
s'explique par le fait que recevoir le baptême signifie
commun le fétiche appelé Gnamien-Gbata »1, les
renaître; cette renaissance efface tout le passé et fait
Akouri et les Kpanda adorent Akonda et Lassié-
entrer le fidèle dans une autre et nouvelle vie.
Loboué.
L'impact de ces religions est donc négatifsur la
Mais, les éléments principaux de toutes ces
recherche historique.
cultures sont les ancêtres qui servent d'ancrage aux
CONCLUSION
préoccupations du présent. La protection des ancêtres
est constanunent sollicitée. Leur évocation et celle de
Gnamien précèdent tout acte important dans les
De ce qui précède, il ressort qu'autant la
différentes sociétés du Bas-Bandama.
dynamique du temps et de l'espace influence les
relations entre les peuples, autant elle agit sur la fonne
Dans ces sociétés, le monde est un tout, « la
conscience ancienne ne conçoit pas l' histoire comme
et le contenu des sources historiques notamment les
séparée de l'histoire du monde. Elle a une vision globale
sources orales. Chaque peuple en fonction de sa culture
et unitaire »2.
a un comportement spécifique face à l'histoire. Ainsi
les Krou (Dida) et les Akan (Baoulé, Agni, Avikam)
Ouvert sur l'extérieur, le sud forestier ivoirien et
le Bas-Bandama entre très tôt en contact avec d'autres
n'ont pas le même réflexe devant les faits et gestes de
leur passé: La dynamique du temps et de l'espace se
civilisations. Aussi d'autres croyances font-elles irruption
traduit aussi dans des facteurs comme la langue, la vie
dans la région.
quotidienne, la vie politique contemporaine, les
De la mer, arrivent les fonnes traditionnelles du
mutations sociiales et culturelles, notamment
christianisme; catholicisme et protestantisme; et de
l'introduction des religions révélées et d'un nouveau
la Côte Ouest, les fonnes syncrétiques du
système d'enseignement influencent, voire modifient
christianisme, le harrisme et le déima sont
l'enseignement et le contenu de 1'histoire locale. La
d'inspiration chrétienne et africain. Légré Niaba, un
maîtrise de l'ensemble de ces éléments est indispensable
Akouri de Toukouzou fonde un culte dit de Papa-
pourunmeiIIeur accès aux sources orales de l'histoire.
Nouveau qui associe les principes fondamentaux des
religions traditionnelles et ceux du christianisme. Ce
culte reçoit l'adhésion massive des Avikam,
(footnoles)
notamment celle des Akouri de la région de
J
Lohou Abby Ahikpa. Légende et histoire du Peuple A'Vikam ou
Toukouzou. Ces différentes formes syncrétiques sont
Brignan. Abidjan 1985. pp. 61.
2 Harris Memel
une adaptation du christianisme à l'esprit et au génie
- Foté et Alii. Consci~nce el histoire en Afrique. Goda-Goda.
des populations locales.
Revue semestrielle de l'IHAA. n' 4 et 5. mai 1976. p. ID .
.' J.-L. Triaud, Un cas de passage collectif à l'Islam en basseCôle
L'Islam est parvenu dans le sud forestier
d'Ivoire: le village d'Ahua, premier Colloque Inleruniversifalre
ivoirien et le Bas-Bandarna en particulier par deux
Ghana-Côte d'Ivoire. [Jondoukoll. 1974. pp 542-574.
voies; les voies commerciales du nord et par la côte
92
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
ANRCI.5G65 - Circonscriptions administratives:
SOURCES ET REFERENCES
création et suppressions de postes, 1903 1919. 1
BIBLIOGRAPHIQUES
dossier.
ANRCI-SOM Côte d'Ivoire V - 1. Expéditions
A.SOURCES
militaires 1889-1893.
a) Sources orales : principaux traditionnistes
B. REFERENCES'
BIBLIOGRAPHIQUES
1- Yotyo Célestin AVI est né en 1925 à Kpandadon
(cercle de Grand-Lahou).
1. BAMBA, M.S., 1978. Bas-Bandama précolonial.
- Principaux entretiens: J 8-03-1977 et 09-11-1977
Une contribution à l'étude historique des
YI et Y.
populations d'après les sources orales, Université de
- Principaux thèmes: philosophie de l'histoire,
Paris l, Panthéon Sorbonne, Paris, tomes 1et II.
propriété commerce des esclaves, organisation du
travail au sein des lignages.
2. BAMBA, M.S, 1993. Le Bas-Bandama
précolonial duXVIIe auXIXe siècle. Formation d'un

2- EntienAkaestné en 1890 à Tiassalé. Il est membre
espace social et économique. Thèse pour le Doctorat
du clan des Kpakobo dont il a assuré la direction de
d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines, Université de
1932 à sa mort en 1970. De 1944 en 1970 il a exercé
Paris l, Panthéon Sorbonne, tomes l, II, III et IV.
les fonctions de gblinbi des Elomoin.
- Principaux entretiens:
août-septembre 1969
3. DIABATE, H., 1984. Le Sannvin. Un royaume
- Principaux thèmes des entretiens: Peuplement de
Akan de la Côte d'Ivoire (170I-I801). Sources
la région par les Elomoin ;
orales et histoire. Université de Paris 1, 5 volumes.
Structures sociales politiques et juridiques de l'Etat
Elomoin ; relations extérieures des Elomoin.
4. DIABATE, H., 1986. Le Sannvin. Sources orales
et histoire. Essai de méthodologie.
Abidjan-Dakar-
3- Ndrin Avi Loboué Henri est né en 1904 à
Lomé.
Kpandadon. Il est Zeiri, groupe le plus ancien de
Kpandadon.
5. LOUCOU, J.N., 1994. La tradition orale
- Principaux entretiens: 04-02-1974, 10-11-1976
africaine, Neter, Adidjan.
14-03-1977 et 17-03-1977; FBV 164-Bv 618, à
Bvo-Bv 620, Obro-Br 467.
6. LOHOU, A. A., 1895. Légende et Histoire du
- Principaux thèmes: Origine des Zeiri et leur
peuple Avikam ou Brignan, Abidjan.
installation sur l'Ile Avikam, peuplement avikam des
lagunes, organisation de la production et des échanges,
7. MEMEL-FOTE, H, etAlii, 1979. "Conscience et
propriété des moyens de production (terres et eaux).
histoire en Afrique, Godo-Godo", Revue semestrielle
de l 'IHAA,
nO 4 et 5, mai, pp. 9-30.
4- Koti SEMU est né à Gbrugbru.
- Principaux entretien: 20-11-1977
8. PERROT, C. H., 1982. Les Anyi-Ndenye et le
- Principaux thèmes: peuplement anyui-alangwa de
pouvoir aux XV11!' et XJXè siècles, Publications de la
la région et fondation de Gbrugbru ; relation de
Sorbonne et CEDA, Paris et Abidjan.
Gbrugbru et Tyasale, arrivée des blancs, conquête
française de Tyasale.
9. TRIAUD,J.L., 1974. "Un cas de passage collectif
à l'Islam en basse Côte d'Ivoire: le vil1<;tge d' Ahua",
b) Sources écrites
premier Colloque Interuniversitaire Ghana-Côte
d'Ivoire,
Bondoukou, pp. 542-574.
<\\NRCI-IEE 29 (1) - Cercle du Baoulé: Rapports
l'ensemble 1893, 1902, 1905.
10. WONDJI, Ch., 1981. "L'histoire dans les sociétés
<\\NRCI.1EE 153 (2) - Rapport sur l'état actuel et
lignagères de la Côte d'Ivoire forestière", in Le Sol, la
Jrojetd'agrandissement de la subdivision de Tiassalé
1922.
'
Parole et/'Ecrit, Paris, pp. 321-351.
tevue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 008 N° 1-2007 (1" Semestre)
93