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LA MANIPULATION DE L'AUDITOIRE EN PERIODE DE
GUERRE :LE CAS DE LA COTE D'IVOIRE
Hilaire BOHUI DJEDJE
Université {le Cocody
Abidjan-Côte d'Ivoire
RÉSUMÉ
La manipulation est un procédé de communication inscrit au centre de la problématique générale de la
stratégie et son o~jet. S'appuyant sLir des données falsifiées selon la fin poursuivie, la manipulation de l'auditoire
qui relève du conditionnement de masse, passe avant tout par la manipulation de l'information. L'auditoire
est amené à réagir selon les intérêls du manipulateur suivant des données travesties à dessein. La diversité
des acteurs dans la crise militaro-politique que subit la Côte d'Ivoire fait de celle-ci un terrain propice à
l'exercice de la manipulation. A partir de l'arehilexème « camp présidentiel », notre étude vise à en faire la
démonstration selon une perspective pragmatique.
Mots dés: Manipu/ation. auditoire, communauté internationale. disqualification. émotion,
archi/xème.
ABSTRACT
Manipulation is a process ofcommunication inscribed at the centre ofthe general problem ofstrategy and
ils object. Relying on falsified data aecording to the end sought, manipulating the audience, whieh goes through
the masses, precedes above ail the manipulation ofinfol111ation. The audience is brought to react according to the
interests ofthe manipulator in line \\Vith data falsified on purpose.1l1e diversity ofaetors in the Ivoirianmilitary and
politieal erisis makes it a favorable ground for the practice ofmanipulation. From the concept of« presidential
camp », our study aims at analysing the word manipulation aeeording to a pragmatie perspective.
Kev ll'ordl' : Manipu/atiol7. audience, international community, disqualification .. emotion ..
concept.
INTRODUCTION
C'est pourquoi, la gucrre en tant que violation de ce
principe du vivre en bonne intelligence, met toujours
Le besoin de vie communautaire qui est l'une
en demeure les parties opposées de s'expliquer
des principales caractéristiques ontologiques des
devant le reste de la communauté et d'œuvrer à revenir
hommes ne va pas sans quelques contraintes. Le
à une situation eonfèmne à l'exigence d'harmonie. Il
respect d'un minimum de conventions fonnalisées ou
est rare alors que cette justification ne confine pas à
tacites làl111ant une sorte de code des civilités en fait
une assignation de l'Autre comme le véritable fauteur
pm1ie. Pal111i ces conventions elles-mêmes figure la
dc trouble. La bataille de l'opinion, notamment à
présomption de consensus autour de la préservation
travers les mass media, devient alors un enjeu dans la
des règles de bon voisinage et celle de la quête
guerre, car il s'agit de donner la preuve de ce que
collective de l'hal1110nie au sein de la conununauté.
l'on est dans son bon droit et de tenter d' cn convaincre
Revue du CAM ES - Nouvelle Série 8, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''w Semestre)
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Sciences ~'(}ciales et IIlIIIlIfitles
les autres membres de la communauté. Evidemment,
communication verbale est on ne peut plus productive.
l'entreprise n'est pas gratuite: bien souvent, elle vise
En effet, les critères sémiques « anonyme» et
à emporter leur soutien au point de vue justificatif
« diffus» pemleltent d'en faire le SYll0n)111e cr Clutres
présenté et même à susciter «un effet d'empathie».
concepts usuels comme l'ojJinion fJuhliifue
Les moyens pour atteindre ces buts sont variés. Pour
internationale ou la communauté internationale,
le cas du conflit armé ivoirien, nous avons retenu le
s)110ny:tl1e ici de public de masse, c'est-à-dire Clgrégat
rôle du lexique de la disqualification en prise directe
d'individus au-delà des frontières géographiques des
avec l'émotion pour illustrer ce postulat. Celui-ci
Etats. En période de guerre notamment. la
procède d'une observation essentielle: l'exploitation
col711711ll1auté internationale fait oflice d' « organe»
médiatique de termes non valorisants dotés d'une
abstrait commis au rôle de gardien de l'éthique
certaine charge émotionnelle peut être un puissant
"universelle" dont la légitimité tient de fait au souci
moyen de mobilisation de l'auditoire en faveur d'une
présunlé collectifde l'hannonie communautaire. Rien
cause donnée. Dès lors, le risque de manipulation de
d'étonnant, dans cette perspective, que cet organe
l'auditoire à l'assentiment duquel 1'on présente un tel
soit également le moyen d'expression d'une solidarité
lexique est, selon nous, absolument hors de caution.
et d' un humanisme sans frontière, bien que souvent à
L'objet épistémologique de notre postulat est le
géomé1rie variable. L'opinion puhlique (intemationale
suivant: d'une part, mettre en reliefle statut de la
surtout) oula communauté intert/ationale a en effet
manipulation comme participant de la stratégie du
la particularité d'être un groupe sociologiquement
faire croire suivant une finalité précise; d'autre part,
composite et informel, sans visage et au-delà des
en tirer des conclusions d'efficacité en terme de
frontières physiques avcc un rôle convenu de censeur
résultats effectivement obtenus. Pour y parvenir, notre
moral suivant une série de valeurs, dc croyances ct
travail comporte deux parties. La première partie est
de principes censés universellement admis. Une teUe
un exorde théorique (1). Nous y procédons d'abord
mission lui confère un statut incontournable d'arbitre
à une élucidation conceptuelle succincte de quelques-
et de régulateur privilégié des relations cntre les
unes des notions clés; ensuite, nous en éclairons la
hommes. Mais, à la vérité, personne n'est dupe des
p0l1ée générale dans l'analyse postérieure. L'analyse
apories définitionnelles relatives aux concepts de
pragmatique du lexique de la disqualification (II), la
communauté internationale ou opinion jJuh/ique
deuxième partie du travail, infomle l'argumentation
i/1/ernat ionale.
générale.
En effet, le nivellement des composantes
référées à travers ces concepts tend à faire croire
qu'il renvoie au monde entier indistinct et même
I. L'EXORDE THEORIQUE
unitaire, les individus étant censés avoir les mêmes
prérogatives de manière égalitaire. La réalité est
1.1 De l'auditoire et de la Communauté
pourtant largement moins uniforme, le concept de
communauté internationale étant discriminatoire,
internationale
puisqu'il existe une catégorie de personnes dont les
avis cornptentou font autorité, au sein des institutions
Au sens non spécialisé, l'auditoire désigne un
comme dans la société civile (autre concept à
ensemble de personnes physiques rélulies en un même
problème) et qui peuvent faire inlléchir le cours des
lieu et qui constituent les destinataires d'U11 message.
événements dans un sens ou dans l'autre. En utilisant
Cette acception ordinaire de l'auditoire diffère de
indifféremment à dessein auditoire, opinion puh/ique
celle de la pragmatique conversationnelle. En effet,
internationale ou communauté internationale en
l'approche conversationnelle de l'auditoire est moins
tant que « catégorie» médiane censée réfractaire aux
réductrice, puisque la caractéristique « public» ou
actes qui jurent avec cette conscience universeUedont
« assemblée» n'est qu'une composante sémique et
elle est, de fait, le garant, nous pensons en particulier
non pas exclusive. Dans cette perspective, l'auditoire
à cette frange de personnes, Or selon nous, il-exis~
peut être constitué d'une seule personne ou d'une
peu d'actes qui interpellent la conscience hun1llÏne sans
assemblée cosmopolite, hétéroclite mêlpe et
emprunter en quelque manière la voie de l'affect ou
indifférenciée socialement, ou au contraire, avoir un
de l'émotion,
StCltut social varié et plus ou moins distinctement
hiérarchisé. Une telle acception de l' aud itoirc dans la
I~evue!lu CAMES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
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1. 2. De l'émotion, de son encodage et
certain pacte social tacite. Mais il ne s'agit parfois que
de son décodage
de présomption.
En effet, on aurait mauvaise grâce à prétendre
1.2.1 De l'émotion et de son statut d'objet
que l'évocation de l'holocauste juifalamêmecharge
d'étude linguistique
pondérale en terme de douleur chez les Juifs que chez
d'autres peuples au monde. Tout au plus ne
déclenchera-t-elle qu'un processus compassionnel
Sans ouvrir une théorisation profonde de
plus ou moins intense, plus ou moins sincère selon la
l'émotion dans l'interaction verbale, il est utile d'en faire
propre histoire de celui qui témoigne de ce transport
une problématisation "rapide" à partir de quelques-
affectif. De même, le rapport au souvenir de
unes des questions d'ordre heuristique que soulève la
l'esclavage ne peut être d'intérêt ou de degré
notion. Par exemple, au niveau lexical, il n'est pas sans
identique chez l'Africain comme chez l'Asiatique ou
intérêt de se demander si les termes comme malheur,
chez l'Européen. On réalise bien que par dessus tout,
souffrance, humiliation, indignation. accablement,
ce qui est enjeu, c'est la question de l'aptitude d'un
désolation, peur, consternation, tristesse, allégresse,
outillage méthodologique linguistique susceptible de
honheur, etc. n'ont qu'une simple valeur ilIocutoire de
proposer un calcul interprétatifcrédible de l'émotion
type descriptif et informationnel. Dans 1'hypothèse
et ses modalités, tant à l'échelle de l'individu qu'à
affirmative, quand atteignent-ils alors le stade de la
celle du groupe. En effet, les causes d'apparition de
« vraie» émotion? Et ce phénomène émotion lui-
telle émotion ne sont guère identiques d'une personne
même, est-il éprouvé et vécu de la même manière d'une
à une autre. Par ailleurs, il est fort douteux que cette
personne à une autre au sein d'une même société, eta
émotion elle-même soit exactement vécue de la même
fortiori d'une société à une autre? La réponse à une
manière entre deux personnes. Dès lors, comment
telle interrogation ne peut être que négative selon nous,
distinguer, pour un linguiste, entre sensibilité et
entendu que la dimension culturelle à laquelle ont partie
sensiblerie, entre imposture et sincérité dans un
liée les idées reçues et les stéréotypes affecte et module
domaine aussi subjectif? Bref, pour Charaudeau, si
toujours la composante psychique chez 1'homme.
le statut de l'émotion en tant qu'objet d'étude
Sur des présupposés que l'on devine, P.
linguistique ne peut être mis en cause, c'est dans la
Charaudeau met bien en reliefla complexité de J'objet
mesure où la méthode utilisée reconnaît ses propres
limites :
émotion comme phénomène susceptible d'être éprouvé
par un sujet. Si la question de l' « éprouvé» peut se
« L'analyse du discours ne peut s'intéresser
poser, c'est d'abord, dit-il en substance, en tant que
à l'émotion comme réalité manifeste, éprouvée
par un sujet. Elle n'en a pas les moyens
l'effectivité de sa sincérité demeure essentiellement
méthodologiques. En revanche, elle peut
problématique, voire polémiste: dans quelle mesure par
tenter d'étudier le processus discursif par
exemple, l'aveu verbal de l'éprouvé (émotion exprimée
lequel l'émotion peut être mise en place, c'est-
ou décrite) correspond-il effectivement au sentiment
à-dire traiter celle-ci comme un effet visé (ou
réellement vécu? Comment juger à plus forte raison
supposé), sans jamais avoir de garantie sur
de l'intentionnalité d'en transférer l'expérience chez
l'effet produit. Ainsi l'émotion est considérée
hors de l'éprouvé, et seulement comme un
autrui et garantir le résultat de l'opération, notamment
possible surgissement de son "ressenti" chez
dans le temps et dans l'espace? Ce sont là des
un sujet particulier, dans une situation
interrogations qui formulent implicitement la
particulière ». (2000 : 136)
problématique-du procès d'encodage et de décodage
des émotions. En simplifiant sans doute à l'extrême, le
Notre démarche se situe dans cette perspective.
proces;us d'encodage/décodage
peut être
Cela dit, le terme émotion reste
succinctement défini comme il suit. L'encodage/
décodage est un mécanisme réversible de
encore non défini. Qu'entendons-nous donc
communication de certaines données à partir de valeurs,
par émotion?
de croyances et de savoir partagés que l'on inscrit dans
Je discours, et qui fonctionnent comme un signal envoyé
à un tiers (aspect encodage). Celui-ci est censé pouvoir
l'interpréter (aspect décodage) conformément à un
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestre)
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______________________________ Sciences sociales et humaines
II. Analyse pragmatique du lexique de la
disqualification: le cas du « camp
1.2.2 De l'émotion et de son articulation
présidentiel»
argumentative
2.1 De l'esprit du « Camp présidentiel ))
Pour prévenir d'éventuels risques de polémique
improductive (du moins le croyons-nous) C. Plantin,
Aux premières heures de l'éclatement du conflit
M. Doury et V. Traverso définissant le mot émotion
armé en Côte d'Ivoire (la nuit du 18 au 19 septembre
sous le titre « Présentation» de Les Emotions dans
2002), Radio France Internationale (RFI) s'est fait
les Interactions ont préféré lui conférer une valeur
l'écho de l'opinion de la France officielle sur le conflit
générique qui le fait subsumer tous les autres mots que
à travers les propos de Michelle Alliot Marie. Selon
l'usage reconnaît indistinctement à tort ou à raison
le ministre de la défense, le conflit armé est
comme synonymes: « Précisons que cette Présentation
d'origine « ivoiro-ivoiriene». Pour accréditer cette
utilise le mot émotion comme un terme générique
thèse d'un conflit strictement interne, le lundi 23
couvrant émotion, affect, éprouvé, humeur,
septembre 2003, le journaliste Christophe Ayad du
sentiment, disposition, état d'âme» (2000 : 7).
quotidien français Libération signe un article
révisionniste en écrivant:
Bien que cette acception « générique» du tenne
emporte notre adhésion, il est cependant important
« Le président Gbagbo est parti pour Rome dans un
d'insister sur ce qui nous occupe ici, c'est-à-dire
contexte explosif, laissant les deux hommes forts de
son gouvernement, les ministres de l'Intérieur et de
l'intention de communication de l'émotion. Ainsi,
la Défense, à couteaux tirés. Il n'y a eu ni mutinerie
l'émotion désigne-t-elle pour nous, un phénomène
ni coup d'Etat en Côte d'Ivoire. Ce qui se passe
abstrait à modalités variables qui, en tant que valeur
ressemble fort à un règlement de comptes interne au
su~jectivepsychophysiologique régulant les relations
régime. ( ... ) Les mutins n'en sont pas: soit ils ont
sociales, peut être facteur de mobilisation d'un tiers,
été manipulés, soit ils travaillent en service
commandé. Maintenant, il s'agit de les faire taire en
individu ou personne morale fonnant une collectivité
les éliminant et de détourner l'attention en criant à
nationale ou supranationale, et ce, de manière plus ou
l'infiltration extérieure, en désignant comme
moins spontanée.
d'habitude à la vindicte populaire les travailleurs
immigrés burkinabès ».
Ainsi définie, l'émotion infonne le discours de
certains acteurs de (ou dans) la situation militaro-
Dans le langage du politiquement correct adepte
politique ivoirienne et ouvre un procès de valorisation /
d'euphémismes, ce décret de statut du conflit présumait,
disqualification. La finalité de ce procès est, à tenne,
en théorie, d'un fait au moins: la volonté de non-
d'amener la communauté internationale en tant que
ingérence de la France dans la crise, et corrélativement,
garant de la conscience universelle et arbitre présumé
l'observance de la stricte neutralité de sa part. Une telle
juste et impartial à « prendre ses responsabilités », c'est-
posture officielle avait l'avantage de soustraire la France
à-dire à (ré-) agir dans un sens qui est, a priori, le seul
à la contrainte des accords de défense signés avec la
attendu. Pour le montrer, nous avons retenu quelques
Côte d'Ivoire depuis avril 1961, dès lors que le
éléments du riche lexique utilisé pendant la guerre en
caractère d'agression extérieure de l'attaque du 19
Côte d'Ivoire et dont certains tiennent à bien des
septembre 2002 était nié.
présupposés du déclenchement du conflit armé. Dans
Imputant principalement l'insécurité des Français
ces éléments, la fonction descriptive et informative
résidant en Afrique à la versatilité de la politique africaine
initiale le concède à la provocation d'effet empathique
de l'Elysée selon les enjeux du moment, François Oloa-
souhaité. Tel est le cas de l'archilexème camp
Biloa, président du Comité de la Confédération
présidentiel dont le signifié est le principal objet des
autonome des Français d'origine étrangère et des
cristallisations dans la crise ivoirienne. C'est la stratégie
Domiens métropolitains d'éthique et d'organisation,
de mobilisation de la communauté internationale.
témoigne à ce propos:
« La Côte d'Ivoire a été déstabilisée de l'extérieur
avec le concours d'Etats étrangers. La France avait
été informée par le Président Gbagbo lui-même qu' on
avait traité d'alarmiste. La France n'a pas respecté
236
Revue du CAMES - Nouvelle Sêrie B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
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les accords de défense qu'elle a signés avec ce pays
occurrente dans lUl texte, qui symbolise tout lUl champ
et nos juristes sont formels là-dessus ».
notionnel à l'intérieur du champ lexical textuel ».
C'est pourquoi, poursuit-il dans sa
Intégrée à notre perspective d'analyse, cette acception
correspondance réquisitoire contre la politique de
du terme (les auteurs en distinguent deux) signifie que
«duplicité» de 1. Chirac:
dans son statut d'archilexème, le camp présidentiel
est le concept qui, dans le discours de certains acteurs
« Plutôt que de s'arrêter seulement il la condamnation
directs ou indirects du conflit armé ivoirien, subsume
de ce que subissent les Français il l'étranger, c'est la
toutes les représentations procédant de la
duplicité de la politique française qu'il faut
stigmatiser. Lorsqu'en 1969, les Bété se sont insurgés
disqualification au dépens d'autres acteurs de la crise.
en Côte d'Ivoire, il s'agissait bien d'une affaire
Le corpus lexical retenu est le suivant: jeunes
interne. La France avait cependant réagi avec une
patriotes .. milices tribales .. armée de Gbagbo ..
violence inouïe, intervenant ainsi dans un cadre non
escadrons de la mort .. épuration ethnique ..
prévu par les accords de défense signés avec la Côte
sentiment anti:français ; régime totalitaire et
d'Ivoire. Lorsqu'en septembre 2002 la rébellion année
déstabilise la Côte d'Ivoire avec l'aide du Burkina
fasciste, exclusion, charnier. C'est le lieu de définir
Faso, de la Libye et d'autres que l'histoire désignera,
la notion de disqualification.
votre France, Monsieur le Président, décide de fouler
aux pieds ces mêmes accords au nom desquels
l'armée française avait rasé des villages guébié en
2.2 De la disqualification
1969, en faisant la part belle aux rebelles dans le
gouvernement d'un pays à qui elle disait avoir donné
La disqualification désigne pour nous lUl procédé
son indépendance ». Notre Voie n02195 du
langagier de caractérisation par des attributs péjoratifs
vendredi 23 septembre 2005, p 5.
susceptibles de provoquer une réaction de méfiance,
Evidemment, en raison de la communauté
d'indignation, d'antipathie, voire de condamnation et
d'obédience idéologique entre le quotidien Notre Voie
d'ostracisme à l'encontre de l'être, individu ou groupe
et le pouvoir en place à Abidjan, il serait
de personnes (ou de la chose) ainsi présenté. Comme
compréhensible d'émettre quelque doute sur
telle, la disqualification associe donc toujours lUle inlage
. l'authenticité de l'origine de la correspondance et de
négative ou non valorisante du disqualifié' dans la
son auteur. Mais aussi longtemps que cette
perception de l'auditoire. A ce propos, l'emploi
correspondance n'aura pas fait l'objet d'un démenti
délibérément réducteur du tenne patriote est on ne
formel de la part de l'organisation qui. elle, existe bien,
peut plus révélateur du jugement de valeur qui lui est
la lettre ouverte bénéficiera d'une présomption
associé.
d'authenticité. Au demeurant, les faits qui y sont relatés
En effet, du point de vue strictement -
ne sont guère des affabulations ni une révélation, tant
typographique, le tenne est presque toujours employé
ils sont historiquement incontestables. Bref, a priori,
à l'écrit avec des guillemets, signes dont la valeur, dans
c'est l'exigence de neutralité devant la nécessité de
le contexte du conflit armé ivoirien oùmêrne la neutralité
la désignation des parties qui infonne le terme camp
la mieux intentionnée paraît suspecte, est d'exprimer
présidentiel, allusion aux autorités légales de Côte
de fortes réserves de l'utilisateur. Mais qu'il soit ou non
d'Ivoire et à tous ceux qui, personnes ressources,
entre guillemets, le mot patriote désigne avec mépris,
mouvements associatifs de la société civile, syndicats,
dans cette perspective de la disqualification, un
etc. assurent la défense des institutions de la
groupuscule de vandales instrumentalisés qui battent le
République. L'évolution de la crise clarifiera par la
pavé pour la sauvegarde du régime de Gbagbo.
suite la position de la France et ses rapports aux parties
Activistes irréductibles de la « dérive ivoiritaire »d'un
en conflit, notamment pendant et après Linas
«régime fasciste» selon l'expression de Jacques Chirac,
Marcousis. Mais d'une manière générale, le lexique
les «jeunes patriotes» sont assimilés à une légion de
de la disqualification est utilisé par tous les médias
xénophobes et de promoteurs généreux de l'exclusion,
(AFP, BBC, TV5, etc.) auxquels la présomption de
des propagandistes notoires du « sentiment anti-
la neutralité et de la bonne foi de la France semble
français ». Les forces de défense et de sécurité
garantir le caractère purement infomlationnel de leur
ivoiriennes, présentées comme étant en déliquescence
propre maniement du lexique en question. Ainsi le
et n'ayant auclUl sens de leur mission républicaine sont,
camp présidentiel apparaît-il comme l'archilexème
quant à elles, passées maître dans la production en série
des termes à sèmes disqualifiants. Selon 1. Mazaleyrat
des « chamiers» dont le plus médiatisé reste celui de
et G. Molinié (1989 : 31), l'archilexème est « La lexie
Yopougon. La raison en est fort simple. Selon les
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médias occidentaux et leurs alliés locaux, les victimes
de ce charnier (comme du reste celles des autres) sont
toutes des personnes à consonance patronymique
nordique.
A propos des millions d'Ivoiriens qui prennent
la rue pour la défense de leur patrie, le journaliste
Christophe Boisbouvier de RF!, lors des bulletins
d'information de son organe en date du mercredi 22
juin 2005, a parlé de« jeunes patriotes de Gbagbo ».
Notons au passage la productivité ênonciative de cette
désignation par mépris qui aboutit à un procédé
synecdochique assez original par lequel le Président
de la République devient lui-même la patrie Côte
d'Ivoire.
Le camp présidentiel, c'est aussi, toujours
dans la logique de la disqualification, la République
des permis de tuer dans l'impunité totale sous la caution
morale des autorités à travers les « escadrons de la
mort ». Ceux-cl ont vocation à dispenser
généreusement la mort pour déüt de patrony!?e
nordique, et donc de suspicion presque légitime de
coHusion avec les
auteurs de l'attaque du 19
septembre 2002. De même, cette escouade
marchande de mort procède à une «épuration
ethnique» systématique en concurrence avec
«l'armée de Gbagbo», elle-même en ballottage avec
les « milices tribales», forcément proches de Gbagbo,
d'où en définitive l'appellation« milices de Gbagbo».
Bref, les éléments des milices, ceux des escadrons
de la mort et de l'armée elle-même sont sinon des
frères d'ethnie de Gbagbo, du moins des personnes
de l'entourage immédiat du couple présidentiel, ou
de leur famille politique. L'hebdomadaire français
L'Express n02830 du 29 septembre au 5 octobre
2005 (p 32) rapporte ainsi, sous la plume de Stephen
Smith, le contenu de rapports d'officiels militaire et
civil. Le premier porte sur la certification donnée par
« le colonel B., titulaire du poste officiel ( ... ) de la
DGSE à Abidjan depuis juillet 2002 »à un document
du service d' espionnage fi~çais :
« Frappé du sceau "confidentiel défense", ce
document
de sept
pages recense
les
Cheikh Koureyssi Ba et Mamadou Wade, co-
assassinats, enlèvements et "d isparitions"
auteurs sénégalais de C'est le plus rJ.ifficile qui est
attribués aux sicaires de la présidence et
le chemin (p 118), ouvrage en hommage à Laurent
remonte leur chaîne de commandement jusqu'è
Gbagbo et au peuple ivoirien pour le symbole de
Laurent Gbagbo et son épouse Simone n.
résistance qu'ils offrent à l'Afrique sur la voie de sa
Le second témoignage est celui de Renaud
nécessaire émancipation du
néo-colonat
Vignal, ambassadeur français alors en poste à Abidjan
assurent: « Chef-d'œuvre de fascisme dans son
au moment de l'éclatement de la crise. Dans son
expression la plus achevée, Linas-Marcousis a été
« rapport de fin de mission », le diplomate qualifie le
238
Revuedu CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
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Sciences sociales et humaines
un défi au droit, un outrage à la Justice, une offense
ressortissants européens, et singulièrement français.
aux Ivoiriens ». En effet, Marcousis dans son esprit
Associer ainsi l'image du Président à une prétendue
comme dans sa lettre fut un véritable manifeste de la
horde de pillards frileux arc-boutés à l'idéologie
collusion de la France avec la rébellion par les
ivoiritaire, c'est d'abord tenter de promouvoir la thèse
contradictions surréalistes de l'Accord du même
de son impopularité en Côte d'Ivoire, et en convaincre
nom. Et les auteurs suscités de s'interroger:
ensuite à l'extérieur. Mais la stratégie poursuit un
second objectif à plusieurs volets. En jouant
« Comment légitimer à la fois le gouvernement légal
d'un Etat membre de l'Organisation des Nations
l'exacerbation de prétendus xénophobie et sentiment
Unies (en 'appelant au respect de l'ordre
anti-français, l'on vise à susciter une ferveur nationaliste
constitutionnel) et des mouvements rebelles qui
compatissante à l'endroit des compatriotes en péril au
s'attaquent à cet ordre constitutionnel (en indiquant
pays de la xénophobie. Le nationalisme compatissant
qu'il n'y a pas d'issue militaire à la crise»)?
devant procéder par transmutation fusionnelle (on se
« N'est-ce pas justifier la rébellion armée que de faire
met à la place du compatriote souffre-douleur expiatoire
sien le combat de cette rébellion et de consacrer dans
d'un traitement dont on aurait soi-même pu être
les' 'accords" les présupposés de la prise des armes:
victime), il est censé inhiber tout recul et rendre
les questions relatives à l'identité, le concept
d"'ivoirité", la constitution, l'éligibilité, le foncier
impossible tout discernement. Dans ces conditions de
rural, etc. »? (p. 118-119)
conditionnement psychologique par la manipulation de
l'information autant que de ses consommateurs, bien
Dans ces conditions, il est compréhensible que
de ceux-ci deviennent assez réceptifs aux sanctions à
les ternles comme agresseurs, rebelles, assaillants,
infliger au bourreau supposé de compatriotes innocents.
et à plus forte raison terroristes aient été évités à
Mieux, les compatriotes non résidents considèrent ces
dessein dans l'Accord conclu et continuent de l'être
sanctions comme amplement méritées et même
dans le discours des autorités françaises, notamment
salutaires et réparatrices.
Michelle-Alliot Marie et Jacques Chirac. C'est encore
la même logique de ménagement incongru des
Relevant les points de similitude dans la stratégie
« Forces Nouvelles» qui justifie que les nombreuses
de dénigrement et de diffamation de Georges Bush
exactions, exécutions sommaires et autres violations
par la presse française lors des dernières consultations
des droits de l'homme pourtant de notoriété du MPCI
électorales aux Etats Unis et le sort fait à Laurent
et ses démembrements (MPIGO, M.I P, etc.) ne soient
Gbagbo, Mamadou Koulibaly note dans sa préface à
jamais dénoncés à la hauteur du chaos économique,
Mon combat pour la patrie (p. 14 - 15) de Geneviève
social et humanitaire dont ils menacent la Côte
Bro-Grébé:
d'Ivoire. Leurs pillages dont le plus rocambolesque
« (... ) les journaux présentent Bush comme
à ce jour reste le casse de l'agence BCEAO de
un pantin aliéné qui serait manipulé par une bande
Bouaké, fief du MPCI n'ont pas davantage suscité
de psycho-rigides moyenâgeux; celle presse a
l'émoi comme les forfaitures imputées d'office au
exhibé de faux témoins pour attester son isolement.
En effet, des Irakiens de la diaspora, hostiles à
camp présidentiel, objet. elles de matraquage
l'intervention américaine sont présentés comme la
médiatique systématique et de critique au vitriol. Les
voix de la majorité silencieuse en Irak ( ... ) »
conséquences d'un tel acharnement sont multiples.
« Le schéma est le même pour la Côte d'Ivoire. En
Elles touchent aussi bien le Président Gbagbo en tant
effet, Laurent Gbagbo a été présenté par la même
qu'individu que la Côte d'Ivoire au moins au triple
presse comme un chef d'Etat isolé, minoritaire et pris
niveau social, diplomatique et économique.
en otage par un groupuscule d'extrémistes
tribalistes ».
En effet, un Chefd'Etat qui n'est défendu que
2.3 Les objectifs de la disqualification
par une bande de désœuvrés manipulés n'est qu'un
2,3.1 Au nive:1U diplomatique
gouvernant sans assise populaire, un « dictateur
Sur le plan strictement personnel et relationnel
marginalisé» qui ne doit la survie de son pouvoir qu'à
d'abord: les « jeunes patriotes» sont l'objet d'un
des milices tribales, à des escadrons de la mort, et
traitement axiologique négatif, puisque perçus et
dont les uniques hauts faits connus de l'armée sont
présentés à dessein comme un groupuscule
les exécutions punitives pour délit de patronyme
d'inconditionnels zélés de Gbagbo, de drogués à
nordique et de haine anti-musulmans. Untel homme
l' ivoirité qui agissent principalement contre les étrangers
« isolé» sur le plan interne est assurément peu
africains, notamment des pays sahéliens et les
recommandable sur le plan international et doit donc
Revue du CAM ES - Nouvelle Série D, Vol. 007 N° 2-2006 (2;'" Semestre)
239
Sciences sociales et humaines
- - - - - - - - - - - - - - - - -
être, là aussi, objet d'ostracisme de la part de ses
2.3.2 Au niveau social
pairs. Pour faire admettre cette idée et mieux faire
Sur le plan social, les conditions d'un
passer dans l'opinion la nécessité de sanctions
affrontement inter-ethnique général se mettent aussi
impératives à lui infliger pour la sauvegarde de la paix
en place, notamment par l' instrumentalisation des
dans la sous-région ouest-africaine et le salut des
problèmes fonciers. Or, ceux-ci ont toujours existé
populations vivant en Côte d'Ivoire, la preuve de son
au sein de certaines ethnies, entre autochtones,
isolement au niveau diplomatique doit d'abord être
souvent entre les membres d'une même famille. En
administrée par ses propres homologues africains sous
ce qui concerne la cause des conflits fonciers, elle
la caution triomphaliste de l'Elysée. Monique Mas,
tient principalement au déséquilibre entre le couvert
précédemment citée d'après le quotidien Notre Voie,
forestier disponible et l'accroissement de la
note -ainsi que depuis les assises de Marcousis et
démographie, en particulier la population rurale
Kléber.
désireuse de mettre en valeur les forêts exploitables.
« (... ) de façon plutôt inédite dans les conclaves
Geneviève Bro-Grébé (2004 : 41) en témoigne:
panafricains, Gbagbo a régulièrement essuyé des
volées de bois vert de la part de certains de ses
( ... ) la Côte d'Ivoire, qui, à son accession à
pairs. Et cela,jusqu'à l'avènement de la médiation
l'indépendance disposait de 16 millions d'ha de
sud-africaine en novembre 2004. Pour lui avoir
forêt, n'a plus aujourd'hui qu'un couvert forestier
donné gain de cause, celle-ci a été contestée,
de 2,5 millions d'ha, alors que sa population s'est
explicitement, par le président en exercice de l'UA,
considérablement accrue. Il en résulte des tensions
le Nigérian Olusegun Obasanjo, <!v.ec le renfort du
récurrentes entre Ivoiriens, mais aussi entre
président s~négalais, Abdoulaye Wade ».
Ivoiriens et étrangers venus' des pays de la sous-
r~gion. Malheureusement, les ennemis de la Côte
C'est une telle logique d'humiliation et de
d'Ivoire ont vite fait de présenter cette
marginalisation qui informe la rencontre informelle
problématique sous l'angle de la xénophobie.
tenue à Abuja (Nigeria) en novembre 2004 entre six
La stratégie consiste ici à en faire des
(6) Chefs d'Etat africains sur les cinquante trois (53)
oppositions de type ethnique et religieux. Les
que compte le continent. A ce propos, le manquement
incursions rebelles en zone gouvernementale sont ainsi
aux impératifs de protocole et autres prérogatives
exploitées, tantôt selon la grille colonialiste simpliste
dues à un homme d'Etat comme Manladou Koulibaly,
d'une opposition ethno-religieuse encore opératoire
président du Parlement ivoirien, et surtout
dans l'opinion internationale. Il en va ainsi des attaques
représentant personnel de Gbagbo à cette rencontre,
nocturnes par les rebelles des villages de Guitrozon
prend tout son relief: toute intervention en ce1!te double
et Petit Duékué le 1er juin 2005. De sources offic~elles
qualité, donc au nom de la Côte d'Ivoire lui fut
concordantes, ces attaques ont fait au moins cënt
simplement refusée. Le reste fut sans surprise. En
(100) victimes parmi les autochtones Guéré et des
effet, au terme de cette rencontre express convoquée
milliers de déplacés, sans compter les blessés. Le but
à la veille d'une réunion du Conseil de sécurité devant
visé est simple: accentuer la fracture sociale en
statuer sur la crise ivoirienne, quitus fut donné à la
accréditant la thèse d'une haine entre les
France au nom de l'Union Africaine tout entière «pour
communautés ethniques et convaincre ainsi de
actionner l'ONU en vue du vote de son projet de
l'imminence du chaos social sous un régime sans
résolution imposant des sanctions à la Côte d'Ivoire ».
autorité et incapable d'assurer la sécurité des
Aiko Ziké (2004 : 34). Le lendemain, le Conseil de
populations. L'histoire récente de l'Afrique montre
sécurité de l'ONU adoptait effectivement la résolution
qu'ailleurs sur le continent, notamment au Rwanda,
1572 imposant un embargo à l'Etat de Côte d'Ivoire
cette stratégie du syndrome de la haine inter-ethnique
sur l'importation d'armes. La principale conséquence
peut « avantageusement» prospérer. Pour ce qui
de larésolution est l'affaiblissement militaire de la Côte
concerne la Côte d'Ivoire, Gbagbo n'est-il pas le vrai
d'Ivoire,+llors que les rebelles, eux, sont toujours en
bourreau des populations civiles?
annes. Et ~on ne peut que s'interroger comme Cheikh
Kourreyss\\ Ba et Mamadou Wade (2005 : 118 -
En effet, au lendemain de cette tragédie, RFI
119) : « A quoi sert-il de reconnaître que l'Etat est
dont la réceptivité empressée aux thè~s de la rébellion
en légitime défense si c'est pour lui dénier le droit de
coalisée lui vaut le statut d'officine propagandiste pro-
rebelle dans le campprésidentiel a publié un rapport
reprendre les hostilités militaires? »
fictif de 1'ONUCI. L'objet du rapport était d'établir
vaille que vaille la responsabilité personnelle de
240
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'm. Semestre)
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Gbagbo dans les massacres perpétrés. Et selon ledit
tronquée selon la finalité poursuivie. A ce titre, la
rapport, ces massacres étaient intentionnels et
manipulation relève d'une escroquerie morale qui opère
planifiés puisqu'ils visaient à saboter le processus de
à la fois par « effraction» silencieuse et dissimulation,
démantèlement des « milices de Gbagbo » alors en "
seul gage d'efficacité du mensonge pré-construit qui
cours dans la région. Au cours d'une conférence de
l'informe en se parant des couleurs d'une certitude
presse, Hamadoun Touré, porte-parole de l'ONUCI
exempte de caution. Philippe Breton dans La parole
adémentil'informationenniantqu'iln'aitjamaisexisté
manipulée (2000 : 24) donne ainsi les caractéristiques
un tel rapport. Mais dans ces conditions
extra-linguistiques de la manipulation:
d'hypertrophie du risque pays, qui peut s'étonner qu'il
soit fait appel aux ressortissants résidents de l'Union
La manipulation s'appuie sur une stratégie centrale
Européenne de regagner leurs pays respectifs, tandis
parfois unique: la réduction la plus complète
que les compatriotes qui seraient encore tentés par la
possible de la liberté de l'auditoire de discuter ou
destination Ivoire sont instamment priés de renoncer
de résister à ce qu'onJui propose. Cette stratégie
à une aventure de tous les périls?
doit être invisible car son dévoilement indiquerait
qu'i! y a tentative de manipulation,
Puis l'auteur poursuit en présentant la
2.3.3 Au niveau économique
manipulation dans son statut d'acte de
Sur le plan économique, les résultats d'une telle
langage: « Dans l'acte de manipulation, le message, .
manipulation sont entre autres, la délocalisation suscitée
dans sa dimension cognitive ou sa forme affective,
de certaines institutions financières internationales.
est conçu pour tromper, induire en erreur, faire croire
L'exemple le plus édifiant reste à ce jour celui de la
ce qui n'est pas. Ce message est donç toujours
Banque africaine de développement (BAD). 11 faut
mensonger» P. Breton (2000 : 24).
cependant y ajouter, toujours sous le couvert du motif
Plus exactement, selon Breton (2000 ( il6) :
de l'insécurité, la délocalisation de tout ou partie de
« La manipulation consiste à entrer par effraction dans
certaines firmes multinationales, notamment à
l'esprit de quelqu'un pour y déposer une opinion ou
participation financière française. Certes, l'argent
provoquer un comportement sans que ce quelqu'un
n'aime pas le bruit et nul homme d'affaires dont la
sache qu'il y a eu effraction ».
vocation est de faire des bénéfices ne peut continuer
Les effets de la manipulation de l' auditoire via
de résider ou souhaiter s'implanter dans un pays à
celle de l'information qui procède de la théorie de la
risques où aucune lisibilité en terme de sécurité, et donc
de prospérité n'est envisagée. Tout de même, la
communication réussie ou information égale en
supercherie est grotesque et les faits ne l'ont que trop
définitive effet voulu, sont divers et variés. 11 s'agit
montré: un Chef d'Etat soutenu par une poignée
d'abord de l'activisme anti-Gbagbo de certains Chefs
d'irréductibles ivoiritaires de «jeunes patriotes» peut-
d'Etat africains dont nous avons déjà donné quelques
exemples
il résister depuis trois ans à un consortium ayant fait
infra. Vient ensuite l'indolence pourle moins
vœu de son renversement? En vérité, la stratégie de
suspecte de la communauté internationale et de
communication de cette coalition multinationale
l'ONU en particulier, dans la mise en application des
sanctions prévues à l'encontre des fauteurs de blocage
s'appuie sur la manipulation. A ce titre, la réaction
massive de millions d'Ivoiriens descendus dans la rue
du processus de paix, dès lors que le camp
lors des événements des 6, 7, 8 et 9 novembre 2005 à
présidentiel est objectivement hors de cause. On y
Abidjan, a administré au monde entier, la preuve de la
comptera aussi la minimisation systématique des actes
vanité de la supercherie anti-Gbagbo, En promouvant
d'irrédentisme de la rébellion par les médias français
la thèse de l'isolement de Gbagbo, l'on visait à en
en général, et RFI en particulier. Ainsi, les incursions
accréditer une autre: celle du déficit de légitimité d'un
rebelles planifiées en zones gouvernemeAtales et
Président « mal élu» (selon ses adversaires politiques)
assorties d'assassinats des éléments des forces de
au terme d'un scrutin dont il n'était pourtant pas
défense et de sécurité de Côte d'Ivoire, ainsi que de
l'organisateur. Mais il est établi que la mauvaise foi est
populations civiles sans défense, sont-elles
le ressort psychologique de la manipulation et que celle-
considérées comme des « actes isolés» imputés à
ci procède toujours d'une stratégie dolosive visant à
des « éléments incontrôlés et non identifiés ». Pis, ces
emporter l'assentiment impératifde l'auditoire à une
actes sont même mis au compte de l'obsession à
opinion dont on lui présente une version subrepticement
['auto f1ageJ1ation et au masochisme du camp
Revue du CAMES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''' Semestre) .
741
présidentiel qui provoque ou organise sa propre
CONCLUSION
agression. Ainsi, dès le lundi 25 juillet 2005, les
Comme toute modalité discursive procédant
attaques perpétrées de nuit encore (elles ont lieu le
d'une stratégie qui suppose toujours ,une finalité, la
samedi 23 juillet 2005 autour de 22 heures) contre
manipulation est au cœur de la communication par
Anyama, Azaguié et Agboville sont-elles d'abord
les mass media. Relevant de la logique générale du
attribuées par certains médias à de « mystérieux
faire croire en vue de, elle apparaît en définitive
assaillants ». A travers cet habile procédé de brouillage
comme un acte de langage qui jure avec les principes
de l'identité des auteurs des attaques. il s'agit de faire
de l'éthique, les exigences de la déontologie et du
diversion au profit des auteurs presque « naturels»
professionnalisme en matière de journalisme. Le
de ces agressions, vu le contexte général, les zones
conflit armé en Côte d'Ivoire a été ainsi pour nous uri
d'opération et le statut des victimes. Mais sans doute
prétexte pour montrer à quel point les consommateurs
la technique du plaidoyer à décharge est-elle
de l'information peuvent être abusés par le préjugé
insuffisamment opérante; il faut donc lever toute
favorable dont jouissent les mass media. Dans notre
équivoque et désigner les vrais faux coupables. Alors
étude, nous avons essayé de percer au jour la
en chœur, ces médias de la manipulation assènent:
connexion entre le politique et les mass media unis à
« Des sources à Abidjan indiquent que ces attaques
l'autel d'intérêts communs, lesquels intérêts orientent
seraient l'œuvre du camp présidentiel ». Etjouant sur
toujours le traitement de l'information selon les enjeux
la division décrétée de l'armée ivoirielme, le quotidien
du moment, et ce, jusque dans le choix du lexique. A
ftançais Libération cité par son confrère Le Courrier
ce titre, nous avons montré que la manipulation est
d'Abidjan nO 475 du mercredi 27 juillet (p.8) accuse
doublement structurée: manipulation de l'information
sous la plume de Thomas Hofuung :
d'abord, c'est-à-dire travestissement et falsification
A ~bidjan, des observateurs étrangers estim~nt
des faits portés à la connaissance de l'auditoire;
'peu vraisemblable l'hypothèse d'une opération
ensuite, comme effet induit, manipulation de l'auditoire.
montée par les rebelles, si loin de leur base du
A priori donc, notre étude aurait pu porter sur la
nord. Certains évoquent plutôt de possibles
manipulation de l'information. Cependant,
règlements de compte au sein d'une armée
ivoirienne divisée, voir un raid
mené par les
l'orientation choisie tient à notre conviction qu'il
miliciens recrutés par Gbagbo, qui craignent d'être
n'existe pas de manipulation en soi, commejeu gratuit.
les grands perdants du désarmement.
En termes différents, cela signifie que le but principal
et même unique de toute manipulation est d'abord
manipulation de la cible en fonction de qui elle est
Evidemment, le mythe d'une armée
conçue et construite, la falsification de la réalité
complètement désunie qui a déjà montré ses limites
(manipulation de l'information) n'étant en définitive
dans l'éventail chaque fois renouvelé des moyens de
qu'un moyen d'atteindre ce but. Si l'éclatement de la
manipulation et de disqualification du « camp
vérité qui est l'antidote de la manipulation est le plus
présidentiel» ne pouvait guère prosp~rer. A pre~v~,
sûr moyen de « réhabiliter» les victimes de la
Le courrier d'Abidjan, dans sa parutton hors sene
manipulation, les effets de celle-ci traverse souvent
nO 5 de septembre 2005 (p 13) rapporte les
les époques suivant son degré d'imprégnation dans
conclusions de l'instruction judiciaire diligentée par
les consciences et la mémoire collective. Laurent
les autorités ivoiriennes au lendemain de ces
Gbagbo, le peuple résistant de Côte d'Ivoire réduit
attaques: (da quarantaine d'assaillants faits ~riso~iers
avec grand mépris aux « jeunes patriotes de
ont fait savoir qu'ils sont membres de la rebelhon et
Gbagbo », la Côte d'Ivoire elle-même en tant que
qu'ils ont été mandatés par leurs chefs pour prendre
nation en construction, font ainsi les frais d'une
de nouvelles villes, notamment celles du Sud afin de
manipulation orchestrée par un réseau de médias
faire chanter Gbagbo». Suivant l'instruction judiciaire
outillés et redoutables en propagande et intoxication.
ouverte à l'encontre des présumés coupables de ces
De victimes, ils passent pour être les bourreaux de
attaques, le parquet militaire a conclu ~ un n~n lieu
leurs propres agresseurs grâce au pouvoir de la
pour dix (10) des prévenus sur une sOlxa~tatne a~
manipulation. Le grand enseignement à en tirer e~t
total selon le procureur militaire Ange Kesst Kouame
que la profession de neutralité des mass medt~
en charge du dossier. Que faut-il retenir infine ?
apparaît comme une promesse qui n'engage que celUI
qui a la naïveté d'y accorder foi. Mais surtout, il
convient de retenir que la manipulation de
242
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"" Semestre)
- -
Sciences sociales et humaines·
l'infonnation, malgré ses limites (dans le conflit ivoirien,
5. CHARAUDEAU, P., 2000, Une problématisation
ses résultats sont plutôt mitigés), est un outil
discursive de l'émotion. A propos des effets de
psychologique stratégique en période de guerre, un
pathémisation à la télévision in Les émotions dans les
moyen dufaire croire pour remporter des victoires.
interactions. Lyon, Presses Universitaires de Lyon.
REFRENeES llIBLIOGRAPHIQUES
6. DOURY, M., PLANTIN, c., & TRAVERSO, v.,
2000, Présentation in Les émolions dans les
interactions. Lyon, Presses Universitaires de Lyon
1. AIKO ZIKE, M., 2004, La guerre diplomatique
contre la Côte d'Ivoire in Les Cahiers du Nouvel
E.\\pri/ n° spécial, Abidjan, Impression Dem Ch'
7. MAZALERAT, J., & MOLlNIÉ, o., 1989,
Vocabulaire de la stylistique. Paris, PUF.
Imprim.
8. Le Courrier d'Abidjan n° 475 du mercredi 27 juillet
2. BACI-IEIKH, K., & WADE, M .. (2005). Ces/le
2005.
plus difficile qui es/ le chemin, Abidjan, La
Refondation.
9. Le Courrier d'Abidjan n° 005 de septembre 2005.
3. BRETON, P., 2000, La parole manipulée, Paris,
La Découverte / Poche.
10. L'Express n° 2830 du 29 septembre au 05 octobre
2005.
4. BRO-GRÉBÉ, G., 2004, MOI! combat pour la
pa/rie, Abidjan. PUCr.
II. NoIre Voie n° 2195 du vendredi 23 septembre 2005.
Revue du CAMES - Nouvelle Serie Il, Vol. Ufl7 N° 2-2006 (2'"'' Seme-tre)
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