- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et "umaines
POUR UNE NOUVELLE IDENTITE DE L'UNIVERSITE
EN AFRIQUE
Maryse Al/jO QUASHIE
Université de Lomé
Direction des Ressources Pédagogiques et de l'Innovation
Lomé-Togo

,
RÉSUMÉ
En Afrique, il semble que la question de l'identité de l'université ne soit pas souvent posée or,
à l'heure où la mondialisation atteint l'université africaine par le problème du passage au LMD, il est
sans doute temps que l'on revicnnc à des interrogations fondamentales: qu'attend-on de l'université
cn Afrique, que dit-elle d'elle même et du rôle qu'elle veut jouer ?
Sans préjuger des réponses à ces questions, il convient au préalable, de laisser tomber un
ccrtain nombre de fausses pistes, la ritournelle des effectifs pléthoriques, la préoccupation de
rentabilité, etc. En fait. il semble que l'université africaine n'ait pas encore procédé à une vraie prise
de cOllscience d'elle-même, car c1le n'a pas encore pris la distance nécessaire à cela; fascinée par
l'université occidentale. elle reste engluée dans la recherche de modèles, ce qui l'empêche d'adopter
l'attitude qui lui permettra à la lois de se remettre en cause et d'inventer de nouvelles solutions.
L'ulliversité se préoccupe donc essentiellement du lien avec le passé, alors que, en même temps
que scruter le passé, l'éducation doit se préoccuper de préparer aussi pour l'avenir. Cela demande
une vision prospective dont le préalable est une analyse critique de la société actuelle: qui peut mieux
remplir ce rôle que l'tmiversitaire, non pas l'employé de l'université dans ses activités quotidiennes,
mais l'enseignant-chercheur dans l'attitude de l'intellectuel, veilleur et guetteur d'avenir? C'est cet
intellectuel qui doit aider l'université à définir sa véritable identité, celle d'être le lieu où se tient le
débat sur l'avenir, sur le projet que se donne la société.
« Alfred North WHITEHEAD a pensé
INTRODUCTION
l'université dans cette voie. L'existence de cette
dernière ne se justifierait, selon lui, que si elle
L'université est au sommet de l'édifice constitué
assumait un rôle de transmission, et ce par une
par les systèmes scolaires africains, et, à ce titre, elle
ouverture du savoir à l'imagination. C'est
est la voie royale de la promotion sociale. Ceux qui
l'imagination, en eJJèt, qui donne à penser un lien
enscignent à ce niveau sont donc auréolés d'un grand
entre l 'héritage des hommes disparus et l'invention
prestige social. Mais quels sont les fondements de
d'hommes nouveaux à venir, car ce lien, comme
celle considération sociale? Est-ce à cause de leur
tel, n'existe pas. Qui plus est, selon Alfred North
haut degré de culture? Ou est-ce parce qu'ils forment
Whitehead, la connaissance n'est pas le propre de
des cadres pour le développement'? Est-ce parce que
l'université. Il ne suJ]it pas d'apprendre à lire et à
l'université se veut tenir, comme à l'origine en
connaÎtre les grands textes comme s'ils étaient
occident, le rôle de haut lieu de production du savoir?
des fa ils de la pensée, dont la valeur· se révèlerait .
Mais même si elle se donne cette identité, il lui faut
.l'ans que nous neJàssions intervenir l'imagination.
tout de même définir le sens de son activité: que faire
Pour lire. nous n'avons pas besoin de l'université.
du savoir? Faut-il prendre en compte par exemple
En revanche, «une université sejustifie parce qu'elle
cette proposition (ALLARD, 2001) ?
préserve le lien entre le savoir et la vie, en unissant
le.l'jeunes et les vieux dans l'approche imaginative
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''' Semestre)
167

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et hUll/ailles
de / 'lIpprenlissag~» ( A(fi'ed Nor/il Whi/ehead. The
problème pour d'autres moti l's : les restrictions
Aims ofEducalion and olher e,l'say.\\', New York, The
financières ont empêché d'accroître les inli'astructures
Macmillan Company, /929, p.!3Y).»
d 'accueil alors que pour des raisons démographiques
ct à cause du développement des autres degrés
En Afrique, il semble que la question de l'identité
d'enseignement. les eflèctifs évoluent de manière
de l'université ne soit pas souvent IXlsée car même la
exponentielle. Il faut donc que ces universités g0rent
lecture des textes fondateurs de ces institutions ne donne
les grands nom bres et "hétérogénl'ité de leurs publics:
pas de réponse claire à ce sujet. A l'heure où la
se pose alors la question de "adoption de nouveaux
mondialisation atteint l'université africaine par le
paradigmes de fonnation tels que la formation ouverte
problème du passage au LMD, il est sans doute temps
et à distance renouvelée par l'apport des technologies
que "on revienne à des interrogations 10ndamentales :
de l'infonnation et de lacommwlieation. Cela n'évacue
qu'attend-on de l'université en Afrique. que dit-elle
pas pour autant la nécessité de prendre en compte
d'elle même et du rôle qu'elle veut jouer ?
l'interrogation fondamentale toujours adressée au
système universitaire: quelle réponse donner quant à
1. Questions sans réponses
la lonnation des élites?
Dans le même temps, quelle attitude adopter lace
1.1. A de multiples défis
aux sollicitations du marché de l'emploi et de l'économie
alors que se développe lUl enseignement supérieur privé
A la suite de la crise économique des années 80,
qui propose des formations apparemment plus en
l'université africaine est brutalement tirée de son
adéquation avec les réalités de l'économie? Se
autosatisfàction léthargique: la Banque Mondiale alllnne
cantonner dans le rôle de haut lieu de production du
qu'elle devient un frein au développement parcc qu'elle
savoir? Mais pour cela, comment trouver les moyens
est budgétivore, et surtout parce qu'elle pèse d'tm
de la recherche dans des pays qui n'investissent
poids trop lourd dans les charges du système éducatif~
pratiquement pas dans ce domaine, tout en attendant
empêchant par-là même l'extension de l'enseignement
des chercheurs des solutions pour les problèmes de
de base. Dans les années qui suivent. sûre de jouer un
développement?
rôle axial, celui de former les cadres pour le
Sans avoir trouvé des pistes pour toutes ces
développement, l'université n'a pas su donner une
demandes, les universités reçoivent une nouvelle
réponse nette, dans la mesure où c1le n'était pas
injonetion : il leur faut se mettre au LMD dans la mesure
habituée à se remettre en cause et aussi parce qu'elle a
où le schéma de fonnation anglo-saxon est entrain de
commencé à développer une certaine mauvaise
s'universaliser, avec l'adoption du proccssus de
conscience face aux quelques études mettant l' aeccnt
Bologne par l'Europe. Le LMD s'appuie sur
sur la fàiblesse de ses rendements. Elle s'est depuis
l'autonomie des apprenants qui sont dès lors amenés il
lors cantonnée dans des efforts pour améliorer son
se donner leur propre parcours de /tlllnation. Comment
efficacité inteme ct externe. diminuer les échecs. trouver
leur donner cet outil alors que souvent les jeunes ont
les solutions d'un meilleur encadrement des étudiants.
été façonnés par des institutions éducatives peu pOl1ées
se débarrasser des dépenses sociales.etc .. sans
sur le développement de l'autonomie, [uni Iles marquées
vraiment reprendre de fàçon approl(lIldie la question
par la gérontocratie. écoles ou l'enseignant règne en
de sa participation au développement.
maître, environnement sociopolitique dominé par des
Cette situation a pen..lulï':. d'autant plusquedans
systèmes autocratiques?
les remous soeiopol itiques des années 90. l'attention
Avec le LMD revient également l'importante
s'est quelque peu déloumée du syskme scolaire. C'est
question de l'intégration régionale qui avait été réglée
ainsi qu'à l'entrée du troisième mi Ilénaire toutes les
autrement il ya trois décennies: en effet, dans les
interrogations adressées aux universités du monde,
premières années qui suivirent l'indépendance, c'est-
ajoutées aux précédentes. atteignent un enseignement
à-dire la période 1960-70, les systèmes scolaires
supérieur africain peu préparé àce1a. Première question:
africains ne connurent pas de grands changements.
que faire tàcc à la massification '7 I~n drct. les universités
sinon des ajustements de contenus. mais, pour ce qui
africaines, sans avoir en vérité amorcé lc mouvement
est de la question de l'intégration régionale, d'heureuses
de démocratisation qui est à l'origine de l'explosion
initiatives ont été prises. Tel est le cas de nnstitut
des effectifs dans les autres universités. européennes
Supérieur du Bénin, créé en 1965 : cet le institution
par exemple, se retrouvent eonlÎ'lll1tées au même
d'enseignement supérieur, appartenait au Togo et au
t68
Revue due AM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2""" Semestre)

-
Sciellces socia/el' et "umailles
Dahomey; les étudiants de ces deux pays y recevaient
pu en fàire leur chose: elle est le lieu où sont inculqués
une fonnation littéraire à Lomé ct scientifiquc à Porto-
aux enfants. la plupart du temps dans une langue
Novo. Mais à partir des années 70, les politiques
étrangère. des contenus dont le lien avec les réalités
scolaires sont marquées par une volonté d'accentuer
locales est toujours proclamé et reguis, sans pour autant
la souvcraineté nationale. Ainsi, sous le prétexte des
être entièrement réalisé. Mais si des efTorts sont faits
trou bIcs sociaux récurrents bouleversant les années
dans cc sens au niveau primaire et secondaire,
scolaires dans les universités de Dakar ct d'Abidjan,
l'université, elle, demeure la pièce la plus rapportée du
créées avant les indépendances, ct qui recevaient des
système éducatif e' est elle qui ressemble le plus au
étudiants de toute l'AtTIque Occidentale, des lmi versi tés
système de formation de l'ancienne métropole.
nationales vont voir le jour. Au Togo. l'Université du
Pourquoi? Evidemment parce que c'est l'élément le
Bénin est ouverte le 14 septembre 1970. prenant ainsi
plus récent du système scolaire, mais plus que cela,
la place de l'Institut Supérieur du Iknin ...
parce que les Etats africains. dans leur désir d'en faire
Comment faire marche arrière par rapport à
le fleuron de leur édifice de fonnation.l'ont conçue sur
cette orientation, alors que dans le cadre du LMD, il
le modèle des systèmes occidentaux, modèle dominant
va falloirdévclopperautourdes lomlations lmiversitaires
dans le paysage mondial; ct cela s'est fait avec d'autant
des espaces beaucoup plus larges que les espaces
plus de facilité que les pionniers de l'université en
nationaux'? La question est d'autant plus cruciale que
Afrique avaient été fomlésdans le moule des lmiversités
l'ouverture de l'université pourra signifier la
européennes. Ces personnes, souvent devenues des
dénationalisation, la rupture de la continuité entre
responsables politiques, ont encore quelque pouvoir
enseignement secondaire et enseignement supérieur,
dans les universitésatricaines d'aujourd'hui qu'elles
continuité qui constitue un des fondements majeurs de
écrasent de leurs désirs nostalgiques de reproduction
tout système éducatif national. L'impression qui sc
de leur propre fonnation.
dégage des initiatives actuelles est que ces enjeux ne
L'université afiicaine, spécialement celle des pays
sont pas perçus dans toute leur ampleur, ct sut10ut que
francophones, en un demi-siècle d'existence
personne, ni les autorités politiques. ni les enseignants-
pratiquement, se cantonne dans le mimétisme avec
chercheurs ne se préoccupent d'y apporter réponse.
l'occident. à tous les ni veaux:
Pourtant ces questions reviennent avec force à
mimétisme au plan des savoirs transmis: le
travers les mouvements de protestation des étudiants,
schéma de fonnation est le même, c'est ainsi
les interrogations des enseignants sur leurs conditions
qu'on est passé du DUEL, DUES, Licence,
de travail et de vie, les inquiétudes des dirigeants
au DEUG, Licence, Maîtrise, avec l'accent
d'université quant au financement de leurs institutions.
mis sur les savoirs, reçus en priorité dans le
Que veut-on faire de l'université en Afrique? On le
cours magistral, schéma de transmission
sent bien. ce sont des questions qui vont bien au-delà
privilégié de l'université, dans un découpage
d'une simple réforme: l'université en Afrique est
des disciplines qui reprend les cloisons établies
interpellée sur son utilité sociale, sur sa capacité à
ailleurs: que veut dire, par exemple. Lettres
produire savoirs et savoir-taire pour le développement
Modemes (correspondant à l'étude de la laJ1b'Ue
du continent.
française)
ou
Lettres
Classiques
(correspondant à l'étude des langues mortes
1.2.
Des réponses décalées
occidentales, latin et grec en particulier) ;
par rapport à la culture africaine'? Cela n'a
Pourquoi l'université sc fait-elle si peu entendre?
pourtant rien d'étonnant lorsqu'on sait que la
C'est d'emblée l'interrogation qui vient à l'csprit. Pour
reconnaissance de leurs diplômes hors du
y répondre, il faut en fait attaquer le problème sous un
continent est une des batailles que livrent les
autre angle: l'université a-t-elle les moyens de faire face
wliversités aliicaines, ce qu'atteste la longueur
aux défis auxquels elle est confrontée? La réponse est
des listes des conventions signées avec des
non. si l'université ct les universitaires demeurent ce
institutions européennes:
qu'ils sont à l'heure actuelle.
mimétisme au plan des représentations que les
En elfet, a-t-on besoin de le répéter, l'école est
enseignants se font de leur rôle: le cours
ct demeurc une institution plaquée sur la culture des
magistral est le schéma privilégié car. de toute
pays africains: plus d'une centaine d'années après son
évidence, les enseignants d'université ont à cœur
implantation par les missionnaires, puis par les
de vivre une relation de maître à disciples dans
puissances coloniales, lesAfricains n'ont pas encore
Rcvuc dù CAM ES - Nou\\'cllc Séric B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestrc)
169

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales elIIllI/lU;lIeS
leur enseignement. Cest ainsi que le CAMESI.
I\\fi"ique. alors qu'au plan mondial, on note déjù
organisme qui garantit à la Illis la qualité des
certaines tendances dans la profession d'enseignant
enseignemcnts et dcs enseignants, trie pallni les
d' université, en eHet
enseignants. ceux qui seront de rang 1\\, les
professeurs autour desquels gravitent les
« UII récent sonday,e mené lIlIprès
assistants ct maîtres-assistants en quête de
des unil'ersitllires jrmu,:ais ( ... )
devenir universitaire. Cest le schéma de
constllte III /IIontée illexo/'{/hle des
promotion offert aux enseignants et aux
tâches
pédlly,oy,iqlles,
étudiants également. les performances
lIdministratives et I//(/IU/y,ériales
pédagogiques. les services rendus à la
lIS.lï' l' h'.I· par
les
mllÎtre.l·
de
communauté, ay,mt la portion congme dans les
cOllferences et les pro/èsseurs des
critères d'avanccment ~
universités. Quoi d'étonnant pour
mimétisme au plan du protll des ti.mnés :
des ellseiy,nllnts. en ces temps de
malgré les déclarations concernant la néccssité
lI/as.l·ijica!ion
des
(;tudes
d'adapter la formation aux réalités des pays en
supérieures? C'est qlle. dans sa
développement, malgré les tcntatives de
d(;finitioll officielle la mission des
protessionnalisation. cc que l'on reeherche avant tout
uIIÎl'ersitaires est dOllhle : ce sont
chez l'étudiant c'est sa capacité à devenir un
ullssi des chercheurs, et dulIS les
universitaire ~ primauté des aptitudes ù l'éeri t sur
décomptes nutionaux, jO% de lellr
celles de l'oral. des savoirs sur les savoir-faire ct
telllps de tral'ail
est a/l'l'clé li
surtout sur les savoir-être, ainsi qu' en témoignent et
l'lIl'ancelllent des connaissunces. 01;
l'organisation dcs études et le système d'évaluation,
de lenr propre aveu, la recherche
décorum pour les soutenances de mémoire et de
part icipe pell li l 'auy,lIIentat ion de
thèse, etc. Les étudiants eux-mêmes ne contestent
lellr c!wry,e de travail. ce llili l'l'lit
pas cet aspect du système. préoccupé qu'ils sont dc
dire que relativement, sa part décroÎI.
leur mobilité vers les pays occidentaux.
Celle
transformation de
leur
Cependant, ce qui pose problème en làit, ce n'est
profession n'est pas seulement IIlIe
pas le mimétisme par lui-même, qui s'explique par des
cO/1séquence de l'augmentation du
éléments historiques et géopolitiques tels que le désir
nOl11hre des étudiants. C'est la
de l'ancienne métropole de garder son influence sur les
résultante de plusieurs fac/ellrs :
systèmes de fomlation des ex-colonies; non ce qui est
croissance restreinte des personnels'
affligeant c'est le décalage que montre ce mimétisme:
administratif~'. instauration d'une
car quel occident mime-t-on ?
pédagogie
plus
proche
de
Non pas celui qui cherche une plus grande
l 'enseiy,nement secondaire, pratique
ouverture de l'université au monde d'aujourd'hui, non
accrue
de
l'évaluation,
pas celui où la validation des acquis professionnels et
autonomisation des élahlissements,
de l'expérience prend de plus en plus de place. Entrer
recherche de partenariats locallx. »
à l'luùversi té en Afrique consiste encore aujourd'hui à
(JOURNET, 2005)
entrer dans dcs chapelles avec des querelles entre des
discipl ines compartimentées qui n'ont plus aueun
Avec les débuts de la mise en place du LMD,
contact avec la réalité du troisième mi llénaire. Avec son
cette tendance est déjà sensible en Afrique, mais y aura-
fomlalisme d'un autre temps l'univcrsité africaine est
t-il une anticipation et une analyse prospective en vue
plus française que l'université française: avec la
de prendre en compte le nouvel équilibre des tâches
suppression des grades d' assistant et de maître-
qui se profile?
assistant en France, il y a plus d'échelons à gravir pour
Finalement on peut se demander pour quelle
qu'un assistant africain (système CAMES) devienne
société on fornle les étudiants africains: à la limite les
professeur que pour un enseignant li'ançais alors que
meilleurs d'entre eux s'adapteraient mieux au monde
l'enseignant africain a plus d'obstacles sur son chemin
occidental qu'au monde des pays en développement.
(documentation difficile, participation réduite à des
C'est déjà ce qui se passe pour les étudiants en
rencontres scientifiques, environnement culturel peu
médecine qui après leurs études vont galérer comme
porteur, etc.), On attend encore une vraie réflexion sur
internes en France: il est vrai qu'ils sont attirés par le
le statut et la carrière de l'enseignant d'université en
miroir aux alouettes de l'occident, mais en même temps,
170
Revue du CAM ES - Nouvelle Série 8, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -__ Sciences sociales et "umaines
ils ont été formés pour travailler sur des plateaux
par les attentes des étudiants que par un marché de
techniques comparables à ceux de l'occident et non
l'emploi aussi avare en offres qu'exigeant sur la qualité
dans les structures hospitalières dénuées de tout que
de la main-d' œuvre.
connait l'Afrique.
L'université a pris l'habitude de répondre à ce
En définitive, il semble que l'université africaine
type d'interrogations par deux concepts:
n'ait pas encore procédé à une vraie prise de
profèssionnalisation et adéquation formation-emploi. Il
conscicnce d'elle-même, car elle n"l pas encore pris la
s'agit en fait d'une tentative pour calquer les formations
distance néccssaire à cela: fascinée par l'université
sur les tendances de l'économie. C'est ce qu'on a fait
occidentale, elle reste engluée dans la recherche de
depuis plus de vingt années, sans que cela donne des
modèles, cela l'empêche d'adopter l'attitude qui lui
résultats vraiment probants. Il est donc urgent de
permettra à la fois de sc remettre en cause et d'inventer
questionner à nouveau les concepts usuels.
de nouvelles solutions, pour sc donner une nouvelle
Qu'en est-il de la professionnalisation? La
identité.
professionnalisation a signifié la plupart du temps,la
mise en place de filières professionnelles. C'est
2. Vrais et faux problèmes
généralement ce qui s'est fait à travers la création
d'Instituts Universitaires de Technologie, sur le modèle
2.1. Quelles orientations pour la form:ltion ?
français, ou de Collèges Polytechniques, sur le modèle
anglo-saxon: il s'agit d'ordinaire de filières courtes de
L'université fait partie intégrante des systèmes
deux ou trois années de formation, où les étudiants
éducatifs africains et à ce titre elle est avant tout
sont en principe formés pour entrer directement dans
considérée comme la suite en quelque sorte naturelle
la vie active. On a aussi nommé professionnalisation
des études secondaires. Mais de façon plus précise,
les actions tendant à insérer dans les formations
on peut se demander ce que les étudiants attendent
classiques des modules de préparation à l'entrée dans
de la formation qu'ils reçoivent. Historiquement
la vie active. Contrairement aux espoirs, il a vite fallu
l'tUlivcrsité constitue lUl centre de production du savoir:
déchanter, les étudiants munis des diplômes
les étudiants y viennent en disciples des savants qui y
prolèssionnels, vont eux aussi au t:hômage, et, pour les
sont regroupés; ils ont en vue d'acquérir des
plusjeunes, reviennent s'inscrire à l'université dans des
connaissances non pas tant par l'enseignement de leurs
filières longues: quant à ceux issus de ces dernières
maîtres que dans la vie à son contact. Il s'agit pour eux
filières, le chômage continue à les frapper qu'ils aient
de vivre dans une atmosphère de quête intellectuelle et
suivi ou non les modules professionnalisant. Pourquoi?
même spirituelle, et en ce sens-là la dénomination de
Il semble qu"il faille poser autrement la question de la
disciples leur convient bien. Avons-nous des étudiants
professionnal isation. En effet, l'étudiant qui a le plus
qui viennent dans les universités africaines avec l'esprit
de chance face aux exigences de l'emploi, qui a des
de disciples? Rien n'est moins sûr ou alors ils constituent
qualitésd'employabilité, cc n'est pas celui qui présente
une infime minorité. En cffet la plus grande partie du
seulement des compétences profèssionnelles dans tel
public actuel vient à l'uni versité en quête d' W1e fonnation
ou tel domaine, mais celui qui possède la capacité de
débouchant sur une profession. L'université leur offre-
s'orienter dans un vaste marché, de se mettre en valeur,
t-elle celte opportunité?
de compléter sa fommtion initiale en fonction de ce qu'il
découvre de l'espace où il vit.
Malgré son jeune âge, l'enseignement supérieur
On peut alors affirmer que professionnaliser
en Afrique a déjà connu trois phases dans son
correspond à un esprit; ce qui fait que les filières
développement: une phase d'origine où elle constitue
porteuses à mettre en place à l'université correspondent
le symbole de la souveraineté des nouveaux états
à la nécessité d'axer toute formation sur les projets
africains. une seconde phase d'expansion où on lui
profèssionnels des apprenants par la définition:
attribue Ic devoir de former des cadres, et enfin une
des objectifs et des activités d'apprentissage
troisième phase de crise liée à une diminution drastique
en termes de compétences;
de ses moyens financiers. C'est dans ce contexte de
des contenus de la formation en fonction du
crise que l'université doit relever le défi exprimé tant
marché de l'emploi mais aussi en lien droit
avec l'auto-création d'emploi
d'lm schéma de formation prenant en compte
(FfHlflwh"S)
j
C'oIlSl.:il ,\\fricain l.:l 1\\'lalgal:hc J~ 1
la logique des projets tutorés, l'alternance
·[l1Sl:igll~lIll.:nl SlIrérkur
Rcvuc du CAMES - Nouvclle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''' Semestre)
171

Sei. 'lices sociales et IIII/lutines
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
entreprise-université, l'évaluation des stages en
tOIl.I' le,l t I~ves afin de réduire le
crédits capitalisables, br.:f la possibilité
chômagl 1 Ir il ne s 'agit là que d'une
d'acquérir 'une expérience professionnelle à
vérité Ih ''i lelle car le problème du
l'université même, etc..
c1J(Îf)/(/~,' { ,t avant tout un proh/ème
Cela signifie aussi que la protcssionnalisation est
éconotn;, 'I:e dû à la pénurie 011 à
une tentative pour répondre aux différents profils
l'ah.I'encl ,hroniqlle d'emplois, De
d'apprenants accueillis dans les universités africaines:
même, 011 /'c' peut occulter l'e/fet des
des étudiants de 17, 18 ans qui ont besoin de
pratiqlle,l de recrutement des
fomlations ouvrant la voie ù un large éventail
entrelJrises ainsi que d'autres
de compléments qui feraient d'eux des
pa ra mè tl'es .l'OC io-éconol11 iq ues
professionnels de haut niveau,
indil'idllels ct macro-économiques,
des étudiants plus âgés qui préferentdes filières
En d '(/lItres termes, une jeunesse
courtes
parlàitellIent
qllllliliée
des professionnels qui 'ont besoin de
n'entraÎnerait pas la disparition dll
compléments de fomlation, etc.
chôma~e, Il
Ainsi pourdétemliner les filières porteuses, il faut
laisser
tomber
un
certain
nombre
Cette observation est très largement valable pour
d'oppositions classiques: professiollnel/général, filière
les pays africains. Là aussi, si l'on peut déplorer le fait
longues/filières courtes et même, parcours
que beaucoup de diplômés formés à grands frais au
professionnels /parcours recherche pour diversifier les
niveau supérieur se retrouvent au chômage part()is pour
parcours en tenant compte des publics à fomler et non
plusieurs années, leur situation s'inscrit cependant dans
des structurations existantes.
un problème économique plus vaste que la question de
En
définitive,
la
réflexion
sur
la
l'adéquation de la lonnation à "emploi. Ainsi dans une
professionnalisation conduit à ne pas exiger de
étude fàite au Mali, l'auteur aflirme à propos du
l'université qu'elle se contente d'une simple adaptation
chômage qu'il
au marché de l'emploi mais qu'elle adopte une vision
prospective lui permettant de proposer aux étudiants
il touehe beaucoup plus les diplômés
des parcours inédits.
et les personnes instruites que les
Mais cela résoudra-t-il le problème du chômage?
personnes /1()J1 diplômées /1/oins
Il nous faut donc revenir au concept d'adéquation
instruites o/{ non instruites: ail
fomlation-emploi. A ce sujet il est li 'abord important
niveau national, le taux de chônwge
de faire une première remarque: comme l'affirme
des personnes ayant le CAl' et le BT
GTOVANNTNI (2001),
al/einl 18% .. celui des détenteurs de
la licence, de la nlaÎtrise et plus,
il En plaçant ail centre de ses
al/eint 19,./%, l'or contre le tallx de
objecti(ç la rationalisation des
chôma~e des personne,l' ,l'ans
.Iystèmes d'éducation et defi.Jrmation
instruction est de 7,5%' On constate
(c'est-à-dire la recherche d'une
que plus 0/7 est instruit plus on a du
liaison plus optimale entre .Iystèmes
mal cl tmuver un emploi, Il est donc
d'éducation et de fàrmation et
paradoxal de constater que plus on
marché
du
tl"(/I·ail).
l'Union
est qualilié plus on a du mal li
Européenne, part donc du postulat
troUl'(!r un emploi. Celle situlltion
que le déliL'iI de qualificatio/1.\\' et le
laisse entrevoir des distorsions sur le
manque d'adaptation entre (l/fre el
marché du til/l'ai! et pose l'épineux
demande
de
qualilications
prohlème de l'ajustemelll de la
pro/i!ssionnelles ulI1stituent l 'une des
fiJrmatio/7 li l'emploi, » (KETTA,
causes essentielles du chôma~e,
2006)
,(,'elon
certains
auteurs,
ce
raisonnement est le fi'uit d'un
Or l'examen du tableau N° l, eXlrai t de la même
.Iyllo~ismesimple: comme lesjeune,l'
étude,
montre que les diplômés d'enseignement
non ou peu qualifiés sonl le plus
supérieur constituent moins de 4% des chômeurs du
souvent chômeurs, il faut qualilier
172
nc\\'ue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines
pays qui sont en grande partie des personnes non
garantissent une citoyenneté active mais
scolarisées.
aussi des dispositions susceptihles de nourrir
Par conséquent. on peut aflimler avec ALALUF
l'espril de créativilé el d'entreprise dont
(2001) que « si le diplôme ne cO/l(lnit pas toujours à
l'activité économique, nous dit-on, a lant
l'emploi, il demeure cependolll une IJmtection
hesoin. »
imporlante .fàce au chôlI1llge et surtout aux
proces.l·us d'exclusion sociale ù l'/L'uvre en période
Si l'tmiversité africaine doit devenirle lieu où on
de crise ».
acquière de telles capacités, il est sûr qu'elle devrait se
Une fois cette remarque 1~lite, il convient
donner d'autres finalités plus en rapport avec ce
cependant de reposer la question de l'adéquation de la
nouveau profil de fonné.
fomlalÏon il remploi. Qu'est-ce que cela peut signifier
en Afrique ? Pendantlon6J1.emps onacruquïllàllait
2.2. Quelle vision de l'université?
en priorité fi.mner pour le développement conçu comme
industrialisation et croissance économique: l'accent a
Si on ne veut pas réduire J'université au rôle de
donc été mis sur les formations d'ingénieurs,
pourvoyeuse de main-d'œuvre, en faire simplement un
d'agronomes, de scientifiques, d'économistes, etc.
centre de fonnation professionnelle, quelles sont done
Non seulement le développement se fait toujours
les finalités à lui assigner? Pour répondre il cette
attendre mais les spécialistes du développement fomlés
question, illàut revenir à la question des publics qu 'elle
sont au chômage. Ne serait-il pas temps que l"tmiversité
doit accueillir.
se rende compte que ce n'est peut-être pas d'abord
Pour cela, il importe d'abord d'examiner le
des « techniciens» qu' i1faut pour faire démarrer le
paysage qu'offre l'enseignement supérieur dans
développement mais peut-être un autre profil de
l'espace africain. En général, ce paysage est dominé
professionnels? N'aurait-on pas plutôt besoin de
par des établissements publics qui offrent une assez
personnes aptes il appréhender les problèmes du
large palette de formations; dans la plupart des pays
développement tels qu'ils se présentent pour les hommes
ces institutions peuvent être classées en deux catégories:
qui vivent le sous-développement, il les analyser dans
des universités créées depuis plusieurs décennies,
leurs fondements, avant de fàire appel aux techniciens?
établissements de réference, et des centres universitaires
GIOVANNINI (2001) n'aurait-il pas encore une {(lis
de création plus récente, qui n'ont pas encore
raison lorsqu'il écrit ces mots?
développé toutes les filières. Comme précisé plus haut,
les universités publiques accueillent trois grandes
catégories d'apprenants: de jeunes étudiants
rr A ne \\'(Jir dans le .Iyslème éducali!'que le
lieu
cI'acquisilion
d'u/1
susceptibles de faire de longues études, des étudiants
rr capilal»
ill1malériel, donl le conlenu doil se
plus âgés en quête de formations professionnelles
con/i/rmer aux exige lices .l'ans cesse
courtes, et des professionnels désireux de compléter
l'oriahles dU.lyslème écolloll1ique, 0/1 risque
leurs acquis professionnels ou d'expérience. Par ailleurs
d 'ouhlier qn 'il l'sI aussi le médiull1 où se
ce sont dans ces universités publiques que sont
conslruisenl l'Ise reproduisenlles ressources
regroupés la plupart des chercheurs et des laboratoires.
cullurel/es des individus Enlelldons-nous
A côté des universités publiques, on observe,
hien. il Ile s 'aRil pas ici de c!L;/è/1dre unll10dèle
depuis une dizaine d'années la fondation
c:ducali!'
d'établissements privés comportant plutôt des tilières
Il pur» el lolalelllent déconneclé
cie la sphère de slltis/aclion des hesoins
courtes (deux à trois années de formation) axées sur
sociaux. Mais le dél'elopjJcmenl, autonome
les professions du secteur tertiaire. Ces établissements
1'1110/1 soumis
privés exigent des frais d'inscriptions qui n'ont aucune
(/I/X condiliolls aléaloires du
lI10de de produclion économique, des
commune mesure avec ceux des établ issements publ ics
ressources cullurel/es peul. loul aussi hien,
(plusieurs centaines de fois plus élevés), ct recrutent
sino/1l11ieux, conlrihuer cl irriguer les Clmaux
donc les étudiants issus des classes sociales aisées. Ils
/lInl de 1'i/1légrolion polillllue el cullurel/e
sont par conséquent obligés de soigner les conditions
que de l 'illlégrolion.l'()cÎrH:CO/1oll1ique. Les
de formation mais, en même temps, parce que les
apliludes cl l'aulo/1oll1ie illcli\\'iduelle, la
universitaires confinnés sont rares, ils utilisent le même
coopéralion soeiale el la parlicifialicil/
corpsenscignant que celui des universités publiques (en
puh/ique sonl non seulemelllles allrihuls qui
Renie du CAMES - Nouvelle Série Il, Vol. OU7 N° 2-2006 (2'''' Semestre)
t73

Sciellces sociales elltllmailles
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
les attirant par des honoraires substantiels), auxquels
limitation de l'accès à l'université sous le prétexte des
s'adjoignent quelques professionnels,
effectifs plétlloriques: l'Afiiquen'apastropd'étudiants,
Si on laisse la tendance actuelle évoluer sans
les données statistiques le prouvent, c'est le continent
aucune intervention, on obtiendra à terme, un
où il yale moins d'étudiants; sur 100 adultes du groupe
enseignement supérieur en deux branches dont on ne
d'âge correspondant à renseignement supérieur, 69
pourrait choisir l'tille ou l'autre qu'en fonction des fonds
sont inscrits dans des programmes d'enseignement
dont on dispose: l'université publ ique pour les plus
supérieur en Amérique du Nord et en Europe
pauvres, avec des effectifs pléthoriques, des
occidentale, contre seulement 5 en Afrique
équipements insuffisants, mais des fomlations garanties
subsaharienne et 1() en Asie du Sud et de l'Ouest
par le profil des enseignants-chercheurs: l'université
(Source: UNESCO, Rccucil dc donnécs mondialcs
privée pour les plus riches dans des conditions
.l'III' l'édllcation 2006). Or, si on n'a pas vraiment pu
d' eftèctifs et d'équipements idéales mais avec un déficit
prouver que la scolarisation est le déclencheur du
du point de vue de la qualité dcs enseignants. Dans ce
développement. on sait que le développement même
contexte, le secteur pri vé d'enseignement supérieur
conçu simplement comme croissance économique ne
attirera de plus en plus les opérateurs ayant pour seul
peut pas se passer de professionnels formés à un niveau
objectif les bénélices financiers: la surenchère risque
supérieur. L'Afrique a donc besoin d'étudiants, de plus
de se poursuivre avec l'augmentation des coûts de
d'étudiants. Le vrai problème c'est que les universités
formation mais sans investissement dans la formation
n'offrent pas suffisamment d'infrastructures d'accueil.
et la promotion du corps enseignant. Quant à l'wliversité
. Cela nous amène directement à la seconde fausse
publique, elle aura du mal à échapper à deux tentations:
piste: la rentabilité des universités ne doit pas être
soit celle de se replier sur elle-même en ne s'intéressant
mesurée à l'aune de leur capacité à s'autofinancer. En
qu'aux meilleurs étudiants, ceux capables de faire de
etlèt, tant qu'on adoptera cette définition, on poussera
longues études et de rester au sein de l'institution
les établissements publies essentiellement, d'unc part à
comme enseignants-chercheurs, soit eelle de se
vouloir faire correspondre les taux d'inscription aux
rapprocher du profil des universités privées, par la
capacités d'accueil par des quotas d'inscription, une
multiplication en son sein de formations professionnelles
orientation forcée des apprenants, etc., et d'autre part
courtes avec des tarifs élevés, l'amélioration de la
à confondre l'indispensable ouverture au monde
qualité de l'enseignement par la restriction de l'accès,
économique, avec le désir de se transformer totalement
l'accroissement des techniques de sélection au cours
en prestataire de services en vue de trouver des
des études, ete.
financements, se privant par-là même, de mettre en
Il est sûr que ce n'est pas en mettant les jeunes
place des projets créateurs, des innovations qui ne sont
dans ces conditions que l'université participera au
pas financièrement rentables. L'université publique ne
développement des pays africains. Cela est d'autant
doit en aucun cas se transfomler en université privée à
plus vrai que dans ces pays, surtout dans la zone
cause de la recherche de fonds propres: l'Etat doit
francophone, l'enseignement supérieur est la seule
conserver sa première place dans le financement des
structure de formation post-secondaire offerte aux
établissements publics l, car l'enseignement ne
jeunes, parce que le système d'enseignement technique
contribuera en vérité au bien de tous que s'il demeure
et professionnel, n'est pas suffisamment développé au
un service public, au sens où on lui donne les moyens
niveau secondaire. Il est alors clair qu'il est urgent de
de mettre en œuvre les objectifs de l'Etat en matière
mener une réflexion sur l'enseignement supérieuren vue
de formation dans la perspective du développement.
de répondre à un certain nombre de questions: quel
Cela ne signifie d'ailleurs pas que l'enseignement privé
sera le rôle spécifique de l'université publique face aux
ne participe pas à la réalisation des objectifs de
universités privées? De quelle créativité l'université
développement, mais à la place qui lui sera assignée
devr~t-elle faire preuve pour trouver elle-même les
dans une réflexion d'ensemble sur les finalités de
ressources nécessaires pour assurer sa survie et sa
l'enseignement supérieur car la troisième fausse piste à
compétitivité? Bref. comment l'université renouvellera-
abandonner c'est l'opposition enseignement public/
t-elle, actualisera-t-elle sa participation au
enseignement privé. En effet dans des pays où les
développement des pays africains?
besoins de fonnation sont immenses, comment perdre
Sans préj uger des réponses à ces questions, il
de l'énergie dans une conClllTence peu productive '?
convient au préalable, de laisser tomber un certain
Une réflexion sur les responsabilités et l'utilité sociales
nombre de fausses pistes. La première est celle de la
de l'université doit être menée, cela est clair, pointn'est
174
Revue du CAMES - Nouvelle Série D, Vol. 007 N° 2-2006 (2''"w Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
besoin de le répéter. Il faudra prendre le temps
culturelle, ce que l'autonomie enracinée dans
d'organiser cette réflexion mais on peut d'ores et déjà
la tradition d'un corps universitaire a
en tracer quelques axes. La démocratisation de l'accès
tendance à nousfaire oublier ».
à l'enseignement supérieur doit ainsi constituer un délnt
de fond. En effet, il ne s'agit plus de subventionner les
L'interpellation est claire, l'université ne changera que
études supérieures en prenant en charge les coûts
si les universitaires acceptent de se remettre en question,
sociaux pour tous les étudiants, en exigeant de leur part
d'abandonner les problématiques classiques, de poser
une participation minime aux coûts, mais de rétablir la
autrement les questions. Cela est-il possible en Afrique ?
correspondance entre le coût des études et les frais
Oui si les universitaires du continent se rendent compte
d'inscription. Cependant il faudra prendre des mesures
qu' en Afrique aussi le savoir sur l'université doit être
pour que du coup les étudiants issus des milieux
produit par l'université elle-même, l'université que les
défavorisés ne soient pas exclus de J'université: il s'agit
universitaires se seront enfin appropriées. Mais qui sont
en particulier d'octroi de bourses et d'aides aux
ces universitaires?
étudiants mais il sera également nécessaire de prendre
2.2. Quels profils d'universitaires?
en charge la multiplicité et l'hétérogénéité des publics
en subventionnant les filières à promouvoir qu'elles
A l'heure actuelle, la plupart des enseignants
soient courtes ou longues, générales ou professionnelles.
des universités africaines ont été formés sur le modèle
Le critère pour accorder ces subventions sera la
classique: formation de base dans une discipline,
capacité de l'institution à gérer la filière (structures
couronnée par plusieurs années consacrées à la
d'accueil, équipements, enseignants), sans distinction
recherche, travail consacré par une thèse de doctorat.
entre établissements publics ou privés. Cela signifie
Cela a suffi pour qu'ils soient recrutés à l'université
évidemment l'obligation de transparence de la part des
qui exige d'eux d'assurer des enseignements sans les
institutions d'enseignement supérieur qui doivent donc
préparer spécialement à cette tâche, mais qui ne leur
donner aux autorités des informations précises quant à
offre une promotion que s'ils font prel1ve de leurs
leur offre de formation, (formations de base, secteurs
capacités de chercheurs. Pourtant l'identification de
spécifi'ques de formation), leurs structures d'accueil,
l'université comme centre de production du savoir n'est
leurs équipements, leur corps professoral, etc .. La
guère évidente: peu de publications locales, peu de
spécialisation des lmÎversités dépendra alors de leur offie
laboratoires et de centres de recherche de standard
de formation adossée à la qualité de l'enseignement
comparable à ceux de l'occident, et surtout pep de
offert.
La recherche des meilleures voies de la
sollicitations des chercheurs de l'université lorsqu'il
démocratisation devra également prendre en compte
s'agit de prendre des décisions ou des orientations
le 1ien entre secondaire et supérieur, et aborder entre
concernant le développement du pays.
autres la question des filières post-secondaires non
Par ailleurs, les universitaires africains travaillent
wliversitaires.
dans des conditions pédagogiques difficiles mais aussi
En définitive, si cette réflexion est menée avec toute la
dans des conditions matérielles peu satisfaisantes
profondeur requise on devrait aboutir à une autre
(salaires peu élevés et avantages réduits), souffrant des
définition de l'université et de ses missions, dans le sens
mêmes maux que la plupart des autres salariés. Les
que précise TH ILL (2001), en ces termes:
universitaires sont donc astreints à rechercher les
moyens d'améliorer leurs revenus: heures
« Son rôle proprement culturel consiste à
supplémentaires, prestations de service hors de
proposer à celles et à ceux qui viennent à
l'université, consultations, etc. Dans ces conditions
elle (pour lafiJrmation initiale comme pour
l'université n'est pour eux qu'un lieu de travail et non
la formation permanente) des études
l'institution source de leur identité: on peut affirmer
pertinentes, c'est-à-dire des études qui
que les universitaires africains sont en grande partie
présentent un intérêt, une signification, et
sont en rapport aux personnes qui les
suivent et disposent d'une expérience et

d'une histoire propres. Paradoxalement, le
(FOOlnOle,)
nombre qui est source d'hétérogénéité, nous
J El donc savoir résister aux injonctions d'organismes tels que la Banque
oblige à repenser les postulats de la science
Mondiale qui poussenl à laisser une place de plus en plus importante au
lïnanccment privé.
comme le montrent les analyses d'Aminata
comme pratique de production socio-
TRAüRE (Le viol de l'imaginaire. Paris. Editions Fayard. 2001).
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2·... Semestre)
175

des diplômés de haut-niveau qui ont une mentalité de
la société actuelle: dans ce cadre-là. qui peut mieux
fonctionnaire, tentant de remplir leur tâche le mieux
remplir ce rôle que l'universitaire, non pas l'employé
possible, face à un employeur qui détient un pouvoir
de l'université dans ses activités quotidiennes, mais
aussi fort que difficile à cerner en totalité, dans des
l' enseignant-chercheur dans l'attitude de l' intellectuel.
régimes faisant de la politisation du milieu universitaire
veilleur et guetteur d'avenir? C'est cet intellectuel qui
une des armes privilégiées de la manipulation
doit aider l'université à défmir sa véritable identité, celle
démagogique.
d'être le lieu où se tient le débat sur l'avenir, sur le
En outre, les enseignants subissent une double
projet que se dOime la société.
hiémrchisation:
Dans cette nouvelle identité les Sciences
Humaines doivent retrouver leur place: c'est d'abord
la première officielle conférée par les grades
à elles de procéder à des évaluatives de la société
du CAMES: rang A pour les professeurs et
actuelle et surtout de partager cette vision critique avec
maîtres de conférences, rang B pour les
les autres domaines de la science. C'est ensuite à elles
Maîtres-assistants et les assistants;
de veiller à ce que l'on prépare les jeunes à affronter
la seconde, autant insidieuse que réelle, qui
une société caractérisée par le changement rapide: il
provient du prestige associé à certaines
faut donc développer chez ces jeunes les capacités
professions et disciplines: médecine, sciences
d'adaptation et d'initiative. Pour cela, au cours de la
de l'ingénieur, informatique viennent ainsi en
formation, il est important d'écarter tout dogmatisme
tête, suivies des sciences fondamentales, puis
pour insister sur les activités et situations poussant
de l'économie et du droit. les lettres et les
l'étudiant à exercer sa rét1exion, à discuter. Cet aspect
sciences humaines tenant la queue du peloton.
est très important dans les universités africaines: les
Le discours de l'université sur elle-même est
enseignants eux-mêmes doivent d'abord s'exercer à la
donc corporatiste ou au mieux en lien avec l'efficacité
critique à propos du savoir constitué dans les universités
en
termes
d'impact
en
matière
de
occidentales, pour transmettre cette attitude à leurs
développement (effectifs de professionnels formés,
étudiants.
solutions technologiques et scientifiques ... ). La
formation s'en ressent: l'enseignant se sent surtout
investi de la mission de transmettre les savoirs produits
CONCLUSION
par les chercheurs dont il fait partie; on comprend alors
mieux l'identité de l'enseignant chercheur: c'est à la
Edgar MORIN (2003) fait remarquer que
fois le producteur et le transmetteur de savoirs
accumulés par des générations d'universitaires dont il
« C'est au moment où la planète a de plus
. est le denier maillon. L'université se préoccupe donc
en plus besoin d'esprits aptes à saisir ses
essentiellement du lien avec le passé, ce qui en soit ne
prohlèmes fondamentaux et Rlohaux, que
pose pas de problème, car cela est partie intégrante du
les .Iystèmes d'enseiRnement, en tous pays,
processu~ éducatif. Mais en même temps, l'éducation
continuent à morceler et disjoindre les
doit se préoccuper de préparer aussi pour l'avenir. Ce
connaissances qui devraient être reliées, à
dernier aspect ne présente pas de dilliculté lorsque la
former des esprits unidimensionnels el
société montre une certaine stabilité; la prospective est
réducteurs qui ne priviléRient qu'une
relativement facile dans la mesure où l'apprenant formé
dimension des prohlèmes et en occultent
n'a pas besoin de beaucoup d'effôrts d'adaptation
d'autres. »
après sa formation. Or l'Afrique est non seulement en
pleine débâcle économique et politique, mais plongée
et insiste en donnant l'exemple de la science
dans une crise de valeurs, c'est-à-dire qu'il est
économique dont il dit que
hasardeux de prétendre décrire avec assurance ce que
sera l'avenir des personnes en formation. Cela demande
« devenue reine et guide des politiques. (elle)
une vision prospective nourrie des savoirs sur le passé
ne peul concevoir ce qui échappe au calcul,
c'est-à-dire, les émotions, passions, joies,
et sur les expériences en cours ici ou là, une vision
confortée par les plus légers signes que porte le présent,
malheurs, croyances, espérances qui .l'ont la
chair de l'existence humaine. Aussi noIre

. une vision mobilisatrice parce qu'elle indique les points
formation
scolaire,
universitaire,
d'intervention possibles pour renverser les tendances.
Le
profèssionnelle fait de nous des al'euRles
préalable à cette vision c'est une analyse critique de
1"76
Revue du CAM ES - Nouvelle Série 8. Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
politiques et nous empêche d'assumer noire
touche aussi les systèmes de formation. Cela se fera
condition désormais nécessaire de ciloyen
certainement dans une réflexion sur la fonction de
de la Terre. »
l'enseignant d'université car
Les africains aussi, sont appelés à devenir citoyens
« Freud disait qu'il y a troisfonctions impossibles ci
de la Terre, et peut-être plus que les autres, puisqu'à
définir: éduquer, gouverner et p.lychanalyser. Parce
l'heure actuelle, ils vivent une l11arginalisation réelle.
qu'elles sont plus que des fonctions ou des
L'université est interpellée à ce propos car c'est elle
linifessions.
Le caractère fonctionnel
de
qui forme ceux qui vont penser la société de demai n.
l'enseignement conduil à réduire l'enseignant ci un
Elle doit donc s'interroger sur son rôle actuel, cesser
expert. L'enseignement doit cesser de n'être qu'une
de se perdre dans les problèmes de simple rendement
fànction, une spécialisation, une profession pour
financier, pour s'attacher à donner aux étudiants le profil
redevenir une mission de transmission de slratégies
qui leur permettra de tàire face à leur avenir. Car
pour la vie» (MORIN et col., 2003)
« être éduqué, c'est /wÎtre au monde par
une émancipation: émancipation des jeunes
par /e savoir et le poul'oir d'agir qu'il
lif'()CUre mais égalemenl (;l/1ancipation des
di.l·ci/iles ci l'égard de leur maÎtre.»
(ALLARD 2(01)
Dans cc sens, elle devra sans doule se redonner
une nouvelle identité au moment où la mondialisation
Tableau N° 1 : Chômeurs selon le niveau d'instruction par sexe
Sexe
Total
f-------.
Masculin
Féminin
Nivcau d'instruction
Effcctif
Taux de
Effcctif
Taux de
Effcctif
Taux dc
Part dcs
chômeurs
chômal!c
chômeurs
chômal!e
chômeurs
chômage
chômeurs
Aucun
49005
5,4
79721
9,2
128726
7,3
54,7
CED
290
1,5
316
2,8
606
2,0
0,0
Ecolc coraniQuc
2591
4,8
4899
29,0
7490
10,6
3,3
Foudamcntalc t
18438
9,4
14067
18,6
32505
12,0
14.5
Fondamcntalc 2
9923
10,5
11799
21,1
21722
14,5
<),7
Secondaire Général
6<)1<)
12,4
171<)
15.8
8638
13,0
3.9
Sccondairc Tcchniquc
10159
20.4
4203
13,6
14362
17,8
6,4
Supéricur
6755
18,4
1955
24.1
8710
1<),4
3.9
Non déc!;, ré
1078
18.2
242
4.0
1320
11,1
0,6
Total
1051591
7,4
118920
Il,0
224079
9,0
100
SourCC! : EPA AI 2004 - Mali IOEFJ
REFERENCES BIBLIOGRAPHlQlJES
2. ALLARD, .1., 2001. «Pour une philosophie du
politique à l'université»,ALLARD Julie, HAARSCHER
1. ALALUF, M., 2001. «Diplômes et emplois», in
Guy, PUIG de la BELLACASA (dir.), L'université
ALLARD Julie, HAARSCHER Guy, PUIG de la
en questions. Marché des savoirs, nouvelle agora,
BELLAC ASA
(dir.), L'université en questions.
lour d'ivoire? Bruxelles, Editions LA BOR.
lvfarché des .\\(/l'oirs, nouvelle agora. tour d'ivoire?
Bruxelles, Editions LABOR.
3. GIOVANNINI, N., 2001. «Crise sociale et
fonetionnalisation de l'éducation», in, ALLARD Julie,
Revuc du CAMES - Nouvelle Série B, Vul. 007 N° 2-2006 (2'"K Scmeslre)
177

Sciences sociales et humailles
------------~--------
HAARSCHER Guy; PUIG de la BELLACASA (dir.),
7. QUASHIE,A.M., ocL-déc. 1994. «L'Université du
L'université en questions. Marché des savoirs,
Togo», in La Documentation Française, pp. 162-
nouvelle agora, tour d'ivoire? Bruxelles, Editions
172.
LABOR.
8. THrLL, G., 2001. «L'université face au défi du
4. JOURNET, N., nov. 2005. «Université: les troubles
développement durable», in ALLA RD Julie,
du métien>, in Sciences Humaines, N° 165, p. 14.
HAARSCHER Guy, PUIG de la BELLACASA (dir.),
L'université en questions. Man:hé des savoirs,
5. KEITA, M. K., juin 2006. Note sllr l'insertion
nouvelle agora, tour d'ivoire? Bruxelles, Editions
des diplômes des formations supérieures: la
LABüR.
distorsion entre les formations et les potentialités
d'emploi,
Communication présentée au colloque
9. TRAORE,A., 2001. Le viol de l'imaginaire, Paris,
« Professionnaliser» (Réseau pour l'Excellence de
Editions Fayard.
l'Enseignement Supérieur en Afrique), Bamako.
6. MORIN, E., MOTTA R., CIURANA E-R, 2003.
Eduquer pour l'ère planétaire, Paris, Editions
Balland.
178
Revue du CAMES - Nouvelle Série B. Vol. 007 N° 2-2006 (2·.... Semestre)