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USAGES ET USAGERS DE L'ECHEC SCOLAIRE
HarO/ilia SY
Facilité des Sciences et Tec/lflOlogies de l'Education et de la Formation
Ex ENS de Dakar, UCAD
Dakar-Sénégal
r
RÉSlJMÉ
L'échec scolaire est devenu assurément l'un des phénomènes scolaires les plus visibles et qui pour
cette raison interpelle les administrations scolaires, les pédagogues et les décideurs. Seulement voilà: l'échec
scolaire est une catégorie du langage commun. C'est en tout cas l'une des conclusions majeures du Colloque
franco-suisse du 9 au 12 Janvier 1984 à la suite des interventions de Viviane ISAMBERT-JAMATI et de
Antoine PROST. Pourtant, l'échcc scolaire s'est imposé malgré tout à l'attention des sociologues. Eviter que
le sens commun ne commande insidieusement l'analyse théorique, montrer le rôle de l'échec scolaire dans le
fonctionnement de l'institution scolaire, délimiter des espaces de pertinence de l'échec scolaire à l'intérieur
desquels usages et usagers sont spécifiés: tel est le travail auquel nous nous exerçons dans cet article.
ABSTRACT
Academic failure has become most certainly one of the most obvious school phenomena and which,
for this reason, appeals to school administration, teaching specialists and decision-makers. So, that's il:
academic fàilure is a category ofcommon language. Anyway, it is one of the m~ior conclusions ofthe French
Swiss S)mposium from 9 to 12 .Ianuary 1984 following Viviane ISAMBERT-JAMATI and Antoine PROST's
speeches. Nevertheless, academic failure has forced the attention ofsociologists. To prevent conm1Onsense
l'rom commanding insidiously theoretical analysis, to show the role ofacademic failure in the running ofthe
academic institution, to delineate the relevance areas ofacademic fàilure within which uses and users are
specified : such is the work wc undertake in this article.
INTRODUCTION
proposition dé pl iée découvre sirnultanén~nt un nouveau
statut de l'échec et une redéfinition du rapport à l'échec.
L'échec est généralement associé à l'idée
C'est en cela qu'elle n'est pas cohérente avec le sens
d'insuccès, de perte, de régression ou de stagnation et
commun. Et tant mieux. Cette incohérence vient du fait
surtout d'incapacité. C'est cette représentation négative
que la réussite est dépossédée du monopole de l'utilité,
qui pointe l'intitulé: « usages et usagers de l'échec
de la fonctionnalité socialement positive, caractères
scolaire» comme un énoncé paradoxal qu'il faut
qu'elle partage désormais avec l'échec. rylais cela
nécessairement soumettre à un contrôle théorique et à
signifie t-il qu'on puisse raisonnablement aspirer à
une vérification quasi expérimentale. Usages et usagers
l'échec? On peut réserver la réponse à plus tard. En
parce que correspondant à des modes singuliers de
attendant. on peut dire que cela signifie au moins une
désignation de l'ustensilité. renvoient à une utilité ou
nécessaire subversion rationnelle du rapport manichéen
tout au moins à une fonctionnalité sociale. Ainsi donc
entre réussite et échec en tant que catégories dont
socialement: l'échec scolaire sert ,'ILJuclque chose ct
l'intelligibilité dépend de l'aptitude à les àppréhender
certains s'en servent pour quelque chose. Cctte
dans leur processus réel, c'est-à-dire dialectique.
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'nw Semestre)
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_______________________________ Sciences sociales et II IImaines
Nouvelle approche épislémique de l'échec ou simple
appropriation du mouvcment par la mailrise dc ses
révélation
de l'échec d'une certainc approche
paramètres cognitifs. Ainsi, le mouvement que rend
épistémique? C'est ce quc l'analyse qui va suivre
possible l'appropriation des savoirs se traduit dans le
tentera d'élucider, élucidation qui devra toutefois
1cxique scolaire, par le passage oula promoLÏon d'une
s'imposer l'cxigence épistémologique de nc pas voir
classe à celle immédialement supérieure ct d'un cycle
dans l'échec scolaire une anomalic mais plutôt un
à celui qui le succède, en tant que cc passagc ou
phénomène inhérent au système d' enscignemcnt, y
promotion est objectivé par les résultats de l'une des
fonctionnant conune principc de régulation,
évaluations des connaissances (composition, examen,
concours). Mais l'évaluation des connaissanccs
]. Conditions institutionnelles de l'échec
n'objective pas seulement le passage inter-classes ou
scolaire ct institutionnalisation des
inter-cycl es, elle objecti ve aussi]' oricntation c' cst-à-
formes
dire la répartition des apprenants dans les types
d'échec scolaire
d'enscigncment ct dans les sections. C'est en cela
qu'elle se révèle être un mécanisme essentiel de
Immédiatement, un système d'cnseignement sc
fonctionnement du système d' cnseignement et fait du
définit comme une institution dont les élémcnts
cycle unc instance pédagogique de sélection (I.P.S.)
structurels sont dans leur articulntion verticalement
par excellence : sélection intra-eycle et sélection inter-
hiérarchisés. Ces éléments sont pOlir l'essentiel les
cycles. Selon les contraintes de gestion scolaire, les
cycles ou dcgrés d'étudcs, Ics types d'études
cycles n'ont pas le même coefficicnt de sélectivité.
(générales, techniques, professionnclles), les sections
Certains cyclcs peuvent être plus sélectifs quc d'autres,
(scienti tiques ou littéraires). Les cycles d'études peuvcnt
parcc que dans ccliains la sélection n'est quc différée
comprendre plusieurs niveaux (le cycle fondan1ental du
c'est-à-dire reportée sur les cycles ultérieurs ou alors
système d'enseignement sénégalais comprend: lIne
déjà réalisée de manièrc plus ou moins exeessive en
éducation préscolaire et un enseignement polyvalent
amont. On peut aussi privilégier soit la sélection inter-
wlique composé d'un enseignement élémentaire et d'tm
cycle soit la sélection intra-cyele ou bien combiner les
enseignement moyen l ) et plusieurs types d' études (lc
deux pOlir obtenir lin effet sur-sélectif. Il en est ainsi
cycle secondaire et professiOlmel sénégalais est constitué
suivant le postulat qui fonde les systèmes et que Reto
d'un enseignement secondaire général, d'un
HADORN a identifié en ces tennes :
enseignement sccondaire technique d d' unc fonnation
«toul
s)'s!ème sc construit uutour d'une
professionnelle'), Chaque cycle d'études est défini par
dilTérclH:iation signillcalivc entre ses différents éléments, qu'il
un nombre détenniné d'années d'études ct un contenu
s'agissl: dc class~s sociaks. de groupes.
spécifique d'enseignement et constitue une étnpe dans
d'individus. de rôles ou d'aspects d'une personnalité' »-'.
la scolarité, Lcs années constitutives d'un cycle
C'est de ce postulat fondamentnl que le système
apparaissent comme des moments d'étape. De sorte
d'enseignement tient son mode de fonctionnement:
qu'il y a une mobilité intra-cycle et Ulle mobilité inter-
{( le système d'enseignement s'est strtH.:turé autour
cycles et ces mobi lités co-détenninent la durée nomlale
de la gestion de 10 réussite dinl'rentiellc des 010\\ es
des.études pour atteindrc un niveau donné et le tcmps
(sections. orientation). Il y trou\\'c son équilihre cn
effectif mis par un apprenant pour effectuer sa
organisant la cin.:ulalion des élèves d'un degré à l'Llutn.:. cn
prob'Tession.
les distrihwmt entre dilTércntcs Iilièrcs. p:lrfois cn
'H,.:cdéranL leur sortie »~,
Par ce dispositif institutionnel, la scolarité se
donne à lire csscnticllement comme un mouvemcnt vers
Oc sortc quc selon l'auteur, la résolution du
lUl nivcau défini du système d'enseignement en tant que
problème de l'inégalité entre les élèves soulève
ce mouvcment n'est possible que par le rapport cntre
néccssairement la question de la structuration du
les savoirs à s'approprier et les snvoirs elTcctivement
système d'enseignement.
appropriés. Mouvement et appropriation. Le
Il va donc une logique de gestion de la réussite
mouvement n'est pas seulement dit'igé vers un point
différentielle des élèvcs qui soumet l'apprentissage
défini du système qu'on se propose d'atteindre, il est
scolaire. du moins en son résultat immédiat, à un
par le même acte dirigé vers les savoirs et snvoir-faire
manichéisme quasi absolu et impitoyable: réussite ou
ct se révèle donc comme un mouvement
échec. Ces sanctions antithétiques se donnent comme
d' nppropriation. Appropriation des savoirs et savoir-
principes de discrimination des élèves ct sont au
faire qui rend possible le mouvement: donc
fondement de la légitimation de leur destin scolnirc et
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Revue du CAMES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

Sciences sociales et liumaines
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USAGES ET USAGERS DE L'ECHEC SCOLAIRE
HarO/ma SY
Facilité des Sciences et Teclinologies de l'Education et de la Formation
Ex ENS de Dakar, UCAD
Dakar-Sénégal
r
RÉSUMÉ
L'échec scolaire est devenu assurément l'un dcs phénomènes scolaires les plus visibles et qui pour
cette raison interpelle les administrations scolaires, les pédagob'lles et les décideurs. Seulement voilà: l'échec
scolaire est une catégorie du langage commun. Cest en tout cas J'une des conclusions majeures du Colloque
ffanco-suisse du 9 au 12 Janvicr 1984 à la suite des interventions de Viviane ISAMBERT-JAMATI et de
Antoinc PROST. Pourtant, l'échec scolaire s'est imposé malgré tout à l'attention des sociologues. Eviter que
lc sens commun ne commandc insidieusement l'analyse théorique, montrer le rôle de l'échec scolaire dans le
fonctionnement de l'institution scolaire, dél imi ter des espaces de pertinence de l'échec scolaire à l'intérieur
dcsquels usagcs et usagers sont spécifiés: tel est le travail auquel nous nous exerçons dans cet article.
ABSTRACT
Academic failure has become most ccrtainly one ofthe most obvious school phenomena and which,
for this reason, appeals to school administration, teaching specialists and decision-makcrs. So, that's il:
academic failure is a category ofcommonlanguage. Anyway, it is one ofthe m~iorconclusions ofthe French
Swiss Symposium from 9 to 12 January 1984 following Vivianc ISAMBERT-JAMATI and Antoine PROST's
speeches. Nevertheless, academic failure has forced the attention ofsociologists. To prevent commonsense
from commanding insidiously thcoretical analysis, to show the role ofacademic failure in the running of the
academic institution, to delineate the relevance areas ofacademic failure within which uses and users are
specified : such is the work we undertake in this article.
INTRODUCTION
proposition dépl iée découvre simultanément un nouveau
statut de l'échec et tUle redéfinition du rapport ft l'échec.
L'échec est généralement associé à l'idée
Cest en cela qu'elle n' est pas cohérente avec le sens
d'insuccès, de perte, de régression ou de stagnation et
commun. Et tant mieux, Cette incohérence vicnt du fait
surtout d'incapacité. Cest cette représentation négative
que la réussite est dépossédée du monopole de l'utilité,
qui pointc l'intitulé: « usagcs et usagers dc l'échec
de la fonctionnalité socialement positive, caractères
scolaire » comme un énoncé paradoxal qu'il faut
qu'elle partage désormais avec l'échec. Mais cela
nécessairemcnt soumettre à un contrôle théorique ct à
signifie t-il qu'on puisse raisonnablement aspirer à
une véri lication quasi expérimentale. Usages et usagers
l'échec? On peut réserver la réponse ft plus tard. En
p,m:e quc correspondant ft des modes singuliers de
attendant on peut dire que cela signifie au moins une
désignation de l'ustcnsilité, renvoient ft unc utilité ou
nécessaire subversion rationnelle du rapport manichéen
tout au moins ft unc fonctionnalité sociale. Ainsi donc
entre réussite et échec en tant que catégories dont
soeialcment : l'échec scolairc sCli il quelque chose et
l'intelligibilité dépend de l'aptitude à les appréhender
certains s'en servent pour quelque chose. Cette
dans leur processus réel, c' est-ft-dire dialectique.
Rcvuc du CAM ES - Nouvellc Série Il, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''· Semestre)
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Sciences sociales et lIumaines
Nouvelle approche épistémique de l'échec ou simp1c
appropriation du mouvement par la maîtrise de ses
révélation
de l'échee d'une certaine approche
paramètres cognitifs, Ainsi, le mouvement que rend
épistémique? C'est ce que l'analyse qui va suivre
possible ["appropriation des savoirs se traduit. dans le
tentera d'élucider, élucidation qui devra toutefois
lexique scolaire, par le passage ou la promotion d"une
s'imposer l' exigenee épistémologique de ne pas voir
classe ù celle immédiatement supérieure ct d"un cycle
dans l'échec scolaire une anomalie mais plutôt un
à celui qui le succède. en tant que ce passage ou
phénomène inhérent au système d'enseignement, y
promotion est objectivé par les résultats de l'une des
fonctionnant comme principe de régulation.
évaluations des connaissances (composition. examen.
concours), Mais l'évaluation des connaissances
1. Conditions institutionnelles de l'échec
n'objective pas seulement le passage inter-classes ou
scolaire et institutionmllisation des
inter-cycles, elle objective aussi ["orientation c 'est-à-
formes
dire la répartition des apprenants dans les types
d'échec scolaire
d'enseignement et dans les sections. C'est en cela
qu'elle se révèle être un mécanisme essenticl de
Immédiatement, un système d'enseignement sc
fonctionnement du système d'enseignement ct fait du
définit comme une institution dont les éléments
cycle une instance pédagogique de sélection (I.P.S.)
structurels sont dans leur articulation verticalement
parexcellencc : sélection intra-cycle et sélcction inter-
hiérarchisés. Ces éléments sont pour l'essentielles
cycles. Selon les contraintcs de gestion scolaire. les
cycles ou degrés d'études, les types d'études
cycles n' ont pas le même coellicient de sélectivité.
(générales, techniques, prolèssionnelles), les sections
Certains cycles peuvent être plus sélecti 1;' que d"autres.
(scientifiques ou littéraires), Les cycles d'études peuvent
parcc que dans celtains la sélection n'est que différée
comprendre plusieurs niveaux (le cycle fondamental du
c'est-à-dire reportée sur les cycles ultérieurs ou alors
système d'enseignement sénégalais comprend: une
déjà réalisée de manière plus ou moins excessive cn
éducation préscolaire et un enseignement polyvalent
amont. On peut aussi privilégicr soit la sélection inter-
unique composé d 'W1 enseignement élémentaire et d 'lU1
cycle soit la sélection intra-cycle ou bien combiner les
enseignement moyen') et plusieurs types d'études (le
dcux pour obtenir un effet sur-sélectif. Il en est ainsi
cycle secondaire et professiOlmel séœgalais est constitué
suivant le postulat qui fonde les systèmes ct que Reto
d'un enseignement secondaire général, d'un
HADORN a identifié en ces tenncs :
enseignement secondaire technique ct d'une fonnation
«lout système sc construit <lut our d'une
professionnelle2). Chaque cycle d' ét udes est défini par
diIT~renei~tion signilkativc I.:lltre ses dilr~rcnls éléments. qu'il
un nombre détem1iné d'années d'études et un contenu
s'agisse de dasses sociaks. de groupl.:S.
spécifique d'enseignement et constit ue une étape dans
d'individus, de rôks ou (1'llspeets d'une personn<:llîk »'.
la scolarité. Les années constitutives d'un cyclc
C'est dece postulat fondamental quc le système
apparaissent comme des moments d'étape. De sorte
d' enseigncment tient son mode de fonctionnement:
qu'il ya une mobilité intra-cyclc et une mobilité inter-
« le système d'enseignement s'est structuré autour
cycles et ces mobilités co-détenninent la durée nom1ale
de lu gestion de III réussite ùilTérenlicile Jes élèves
des études pour attcindre un niveau dOlmé et le temps
(sections. orientation). Il y trouve son ~quilihre cn
effectif mis par un apprenant pour effectuer sa
organisant la circulation des élèves J'un ùcgré ù l'autre. en
les ùistrihlwnl entre dilTércntes lili~res. parfois cn
progrcsslOn.
accaùunt leur sortie »~.
Par ce dispositif institutionnel, la scolarité se
donne à lire essentiellement comme un mouvement vers
De sorte que selon l'auteur, la résolution du
un niveau défini du système d' enseignement en tant que
problème de l'inégalité entre les élèves soulève
ce mouvement n'est possible que par le rapport entre
nécessairement la question de la structuration du
les savoirs à s'approprier et les savoirs eiTectivement
système d'enseignement.
appropriés. Mouvement et appropriation. Lc
Il y a donc une logiquc de gestion de la réussite
mouvement n" est pas seulement dirigé vers un point
différentielle des élèves qui soumet l'apprcntissagc
défini du système qu'on se propose d'atteindre, il est
scolaire, du moins en son résultat immédiat, à un
par le même acte dirigé vers les savoirs et savoir-faire
manichéisme quasi absolu et impitoyable: réussite ou
ct se révèlc donc comme un mouvement
échec. Ces sanctions a.ntithétiques se donnent comme
d'appropriation. Appropriation des savoirs et savoir-
principes de discrimination des élèves et sont au
faire qui rend possible le mouvement: donc
fondement de la légitimation de leur destin scolaire et
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Revue du CAM ES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2 2006 (2'.... Semestre)

Sciences sociales et !llImaines
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dans une certaine mesure, professionnel et social.
conduire à un échec latent par la mise en œuvre des
Pensés seulement comme résultats et non comme
procédures dérogatoires lorsque les résultats finaux ne
processus, réussite et échec sont des phénomènes qui
sont pas très éloignés des résultats exigés. Ces formes
s'excluent et se révèlent être en définitive des catégories
d'échec cOllstituent autant de conditions pédagogiques
axiologiques qui pemlettent, à partir du résultat d'un
des sanctions telles que le repêchage, le redoublement
travail. ci'extrapolerenjugeant l' auteur de ce travail en
et l'exclusion. Tout système définit: des moyennes
lui attribuant une valeur intrinsèque. Car l'échec scolaire
limites qui délimitent un intervalle de pertinence à
est perçu comme négatif parec qu'il est interprété
l'intérieur duquel le repêchage est possible, le nombre
comme la prcuve tangible et évidente d'une non
de redoublements autorisé dans un cycle, les conditions
assimilation voire d'une incapacité notoire à assimiler
d 'exclusion même si ces redoublements définis peuvent
les enseignements, incapacité mesurée par et à
varier selon les établissements. Cependant, les
l' occa~ion des différentes évaluations.
diftèrentes formes d'échecs et les sanctions scolaires
Mais on le voit, la question de la réussite
correspondantes peuvent être non l'effet des
différentielle des élèves n'est pas en cohérence avec
connaissances des élèves mais plutôt détenninées par
une conception manichéenne de la réussite et de
le nombre de places disponibles. Etc'est parce qu'elles
l'échec, précisément parce que ridée de réussite
sont des révélateurs d'échecs scolaires que toutes les
diftèrcntielle renvoie à une hiérarchisation des réussites
évaluations et patticulièrement les examens ligurent en
et suppose des échecs relatifs. La relativité de l'échec
bonne place au nombre des « instruments de gestion
autorise à penser l'échec dans le processus de la réussite
scolaire »('. L'institutionnalisation des fomles d'échec
et à le penser sous des flmnes différentes. Par exemple
scolaire fait donc corps avec les principes de
l'échec anticipé est la conceptualisation de l'entrée
fonctionnement de l'institution scolaire. Et en cela, le
tardive à récole. C'est l'échec primaire, puisqu'il révèle
système d'enseignement est l'un des usagers
que l'enfànt échoue à fréquenter l'école lorsqu'il atteint
incontestables des échecs scolaires.
l'âge scolaire défini dans le systèmc d'enseignement.
Jacqueline PILLET montre par excmple que l'entrée
tardive à l'école implique Wl âge tardi l'dans la vic active,
même dans 1'hypothèse optimiste où l'apprenant n'a
pas redoublé. Pour les africains, cet échec initial les
confronte à trois types de contrainte: durée de vie active
réduite qui cumule son effet à une lüible espérance de
vie; débiteur virtuel de la fàmille pour avoir assumé les
charges de sa formation et de son entretien; les
difficultés « d'organisation» familiale pour achever les
études du fait de la correspondance de l'âge de la
nuptial ité avec l'âge de certains niveaux d'études'. Sous
ce rapport. il est cet échec qui influence lourdement
certains échecs ultérieurs. Il y a échec manifeste à
chaque fois que les évaluations révèlent des résultats
insuf1isants par rapport à la moyenne exigée par
(l'ooilloles)
1
I.oi J'Orienlation Je lTJualion Nationale n° 91·22 du JO Janvier
l'institution scolaire et universitaire. Mais cette
l')~I
insutlisance peut être occultée par certaines procédures
: Ih,d
l
Relu IIADüRN. « L<I lulle contre l'échec scolaire cl Ic~ autresenjclIx
de tolérance au nombre desquelles on compte le
de ln recherche-.ction rapsodie ». in
repêchage. On a affaire à un échec latent qui autorise
/. 'échec scolaire' /lOl/l'eal/X déha!s. nOl/velles al'proche.,
sociologiques, Âtlcs du I,;olloque franco-suisse 9-12 Janvier 1984.
l'apprenant à passer ou à être maintenu dans
Editions dll CNRS. l'nris. 19R9. p 46.
rétablissement selon les dispositions dérogatoires. Un
' Ihid.. p 46
.' Jacqudinc PILLLT l( I:àgc sc.:olairc »), in
1. 'C'lIsC'ig!ll'mc!I1/l'11 Afrique
échec est dit total lorsqu 'il entraîne pour l'apprenant
""picole, pliF. Paris. 1971, p
192 ALI Senegal. <i 15-' 9 nns. 40.8%
une exclusion définitive du système d'enseignement.
des filles sont mariees , ;; 20-24 ans elles represl:ntent 66.2% ct ;; 25
- 21) ans elles reprcscnlenl 10,00%. Â la campagne, ces chillrcs sont
L'échec total peut être l'aboutissement d'une série
l'our les memes tronches d',ige respectivement: 57.9% 81.3%.90.8%.
d'échecs partiels c'est-à-dire d'échecs manifèstes dans
LJles l'clivent ocellper n "importe quel rang dans le mari.gl:
POLIr les
garçons. ces chiffres sont respeetivcment
2.)%. 1..1..-1% ct 40,4%.
certaines matières lors des interrogations, des partiels
SourCI:
/leccl/semel// g"l/éral de la 1'01'1//0/101/ el de !ïwhilal. 1988
OU des travaux dirigés, échecs qui influencent
pp
16;; 24
lourdement les résultats finaux. Mais ils peuvent aussi
<. Jacqlleline PILLEr. " Le rendement swlaire 1<.
/hi .. p. 169.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2"w Semestre)
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2. Remarques épistémologiques il propos du
rapport du sujet il 1'objet, il change il la fois le sujet et
phénomène « échec scolaire»
la nature de l'objectif.
Ces considérations ont pour objet de soulever
La réussite scolaire est un objectifque la société
un problèmc. Et ce problème s'énonce ainsi: quel
fixe pour les apprenants. Sous ce rapport, elle apparaît
rapport l'apprenant entretient - il avec l'échec scolaire?
comme un objectifil atteindre dans et il l'école mais
Mais cet énoncé est faussement transparent, puisque
imposé de l'extérieur pour les exigcnces sociales de
les analyses supra ont révélé la possibilité d'un
socialisation. L'extériorité de l'imposition, précisément
malentendu il propos de l'échec scolaire. Car il ya au
à cause de son caractère social, imposc une ccrtaine
moins l'échec de l' objectif(et donc du projet), l'échec
conformité progressive par rapport aux conduites et
dc l'activité et l'échec de la stratégie. L'échcc de
comportements attendus comme inti ice d'éducabilité.
l'objectif(social) pcut correspondre il une inadaptation
Cest en cela que la réussite scolaire s'intègre
de l'apprenant. Si on s'accorde avec la dé/inition de
parfaitement dans le projet social de socialisation. Pour
Robcrt BALLlüN : « l'échec (scolaire) peut être
réaliser ce projet ct donc atteindre l'objecti l'social, il y
considéré comme le résultat d'une entreprise qui n'a
a entre autres l'apprentissage c 'cst-cl-dirc l'activité de
pas atteint les buts que le sujct s'était fixés »2, on se
l'apprenant. Activité de l'apprenant: cela ne signiJic
contraint ohjectivement par cet accord il se demander
pas autrc chose que le sujet est actif. qu'il cst réalisateur
quels huts les élèves dcs premières classes de
d'un ensemble d'actions qui le délinissent comme
l'enseignement primaire peuvent sc fixer par rapport
apprcnant : aller il l'école selon le calendrier scolaire,
aux études. Pour ces élèves encore très immatures,
être présent aux cours, recopier les leçons,
l'existence des notions de but ct d' ohjectif scolaires
éventuellement apprendre ces leçons et faire les
doit être au préalable démontrée. Leur existence est
exercices, etc. Mais cela n'implique pas que le sujet
encore plus problématique si ces élèves sont originaires
s'approprie cette activité, qu'il la fait siennc : car il peut
des milieux défavorisés précisément il cause du cumul
jouer lcjeu sans être pris au jeu, c'est-il-dire il peut
des effets de leur immaturité et de la distance entre leur
accepter f0l111ellement l'activité sans s'accepter comme
culture et celle que l'école se propose de leur inculquer.
accept,mt cellc-ci : il réalise donc um: activité qu'il tient
De sorte que pour ces apprenants, l'échec de l'o~jcctif
comme étrangère il ses préoccupations du moment.
c'est ne pas atteindre l'objectif que la société a fixé
dont il ne saisit pas l'intérêt dans ct pour sa vie. Mais
pour eux et il n'est pas paradoxal ni surprenant qu'ils
cette attitude contradictoire est positivc parcc qu'elle
ne soient pas a/l'cc tés par lui. Il en est de même pour
exprime la conformité socialement attcndue des
l'échec de l'activité scolaire dc l'apprcnant
individu>.
(apprentissage) parce que les actions consti tuti ves de
l'apprentissage peuvent n'être pour lui que des
Pour
résoudre
cette
contradiction
comportcments routinicrs qui échouent il atteindre
comportementale, il faut que l'apprenant, dan son
l'objectifsocial de réussite scolaire. Par contre l'échec
activité scolaire, élabore des stratégics de réussite let
de la stratégie est véritablement l'échcc de l'apprenant,
que ces dernières ne soient pas de simples bonnes
parce que c'est l'échec de la stratégie qu'il a élaborée
intentions. 11 s'agira pour l'apprenant d'avoir un
pour réussir: échec de l'aspiration il réussir il l'école
comportement en tant que réponse il sa propre
voire par l'école. Mais la possibilité d'une telle
interrogation personnclle : que dois-je fairc pour
élaboration vient progressivement il mesure qu'on
réussir? Ce qui exige une modification du
s'élèvc, classe après classe, aux niveaux d'études
comportement antérieur, des réajustements permanents
supérieurs: elle est l'end de la réussite de l'inculcation
en tant qu'ils correspondent cl des solutions plus ou
de l'habitus scolaire.
moins poL1ctuelles il ses problèmes d' apprcntissage. Ce
Il ya donc une difficulté réellc il conceptualiser
sens de la 'Stratégie de l'apprenant est révélateur de
le phénomène échec scolaire. Et cette difliculté provicnt
son adaptabilité pédagogiquc, de sa capacité à insérer
de son ambiguïté notionnelle et de sa position ambiguë
son action dans un système d'actions complices et
dans le champ épistémologique: j'échec scolaire est
d'actions concurrentes. Mais ce comportement n'est
un vocable du langage commun'dont le contenu est en
observable que lorsque le sujet s'approprie l'objectif
pel111anence renouvelé sous le mode de la manipulation
social imposé (réussite scolaire), appropriation par
par les institutions scolaires, vocable qui se prend ct
laquelle il convertit subjectivement l'objectif social en
qu'on sc plaît il prendre pour un concept scienti fique.
-nbjectif personnel. L'appropriation sc donne alors
Résumant les positions de quelques chercheurs sur la
comme un mécanisme qui ne fait pas que changer le
question, Walo HUTMACHER rappelle que
154
Revue du CAMES - Nouvelle Série 8, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
« l'échec scolaire Il 'cst pas un concept
3. Les usages scolaires de l'échec scolaire
sociologique. Cesl une ealégorie du discours el de la pralique
scolaires. En tanl que lelle, efle esl
SlIsccptihlc de constituer un objet de ranal~'sc sociologique. Les
3.1.
Usages à des fins de valorisation
exposés de Viviane ISAMllERT-JAMATI el
d'Anloine PROST y eonlrihuem. en éclairant. chacun à sa
manière, le processus
clics conditions
Les critères de qualité d'un système
historiques
de production du discours cn termes
d'échec
scolaire ))_~
d'enseignement ont beaucoup évolué, évolution
Il ne s'agit pas certes de prononcer L1ne « fatoua »
fortement liée à l'évolution du débat sur la
épistémologique sur l'échec scolaire ma,is plutôt de
démocratisation. Il ya seulement quelques décennies,
définir les conditions de possibilité de la validité
la sélectivité était un indicateur de qualité largement
scientifique dc son analyse et de la pertinence des
partagé. Aujourd'hui encore les opinions n'ont changé
conclusions y relatives. Finalement ce qui est en
que dans le monde des chercheurs, même si tous ne
cause et qu' il convient de mettre en cause, ce n'est
sont pas touchés par ce changement. L'échec massif
pas la réalité que le phénomène désigne, mais le
au concours d'entrée dans un établissement scolaire
mode de désignation et l'ustensilité de ce mode de
était et est encore considéré comme exigé par la
désignation.
recherche de la qualité et de l'excellence. Alors même
L'échec scolaire englobe donc trois lormes distinctes
que la scolarisation universelle était réalisée dans les
d'échec du point de vue du rapport que l'apprenant
sociétés occidentales, certaines institutions scolaires et
entretient avec elle. Mais dans leur réalité, elles ont
universitaires ct certains niveaux d'études conservaient
les mêmes effets sur le destin scolaire de J'apprenant
et conservent encore leur caractère élitiste, De sorte
parce qu'elles sont, par le même acte et en même
que pour contrebalancer les effets de la démocratisation,
temps, révélées par les procédures institutionnelles de
les systèmes scolaires (sélectifs) étaient caractérisés par
gestion scolaire et parce que l'idéologie scolaire a
une double répartition (orientation) : répàrtition des
besoin de les confondre pour la personnalisation de
élèves selon leur aptitude à un âge donné entre les
J'échec scolaire. L'ustensilité de l'échec scolaire
établissements d'enseignement supérieur, ceux du niveau
occulte sa vérité objective: il ne se donne plus à être
intermédiaire et les écoles secondaires du premier cycle
compris mais à être vécu comme résultat d'un travail
afin de creuser l'écart entre les « bons »et les « ratés» ;
(scolaire) personnel et donc qu'on doit assumer
répartition des élèves en groupes homogènes d'aptitude
personnellement dans ses conséquences.
à l'intérieur des mêmes écoles pour creuser l'écart entre
ceux qui réussissent « bien» et ceux qui réussissent
« moins bien ».1 Ainsi A Le GALL notait que l'Europe
a adopté jusqu'en 1925-30 le Premier cycle sélectif:
scolarisation primaire quasi universelle des enfants
jusqu'à 11 ans, et seulement 15 à 30% (boursiers,
enfants de la classe aisée et un petit nombre d'enfants
de la classe des fonctionnaires) admis dans
l'enseignement secondaire. Et dans les Pays en Voie
de Développement les systèmes étaient conçus de
façon à ce que « l'école primaire ... prépare les
(FOOlnol..)
différenciations scolaires et universitaires ». Et ce rôle,
1
Il Y a nécessité tle distinguer stratégie tic réussite el stratégie
elle le joue parce que
d·apprentissage.
D.
GAYET
mel
en
cause
les
stratégies
«c'est l'enseignement secondaire
d"apprentissage : « ricn ne prouve ... que l'éduqué ronelionne à la
et, à travers celui-ci l'enseignement supérieur qui lui
manière de l'éducateur )) dont la stratégie s'énonce ainsi
imposent des exigences sélectionnistes ».2
: J'rojcl + progression + série de vérifications + réajustemenls. O.
GAY ET.
Ainsi, sous la pression de l'exigence politique et
Modèles éducatifs el relations pédagog;qllf".ç. A. Colin. Paris. 1995.
sociale de démocratisation,
lçs systèmes.
p. Il.
~
R.
llALLION.
« Situation
d'éehet:
et
réorganisation
d'enseignement ont été adaptés au contexte des
psyehosociologique ». in Paul-Henry nlOMIIART ~e LAUWE (sous
contraintes: leur différenciation structurelle permet
la direction de). Aspira/ions el transforml.J/llJns sociate, Editions
Anthropos, Paris, 1970, p. 20S.
d'offrir à un public socialement différencié un
• Viviane ISAMnERT-JAMATI. «Quelques rappels de l'émergence de
enseignement différencié. Et la pédagogie est convoquée
l'échec scolaire comme ({ problème social ~) dans les milieux
pédagogiques français », in L'échec scola;re, op. cité. p. 155.
pour convertir la quaI ité de l'enseignement en qualité
, Walo IIUTMACIIER, « La réussite d'un colloque sur l'échec ». in
L'échec scolaire.
du systèm: d'enseignement par les concepts d'efficacité
op. cité, p. 194.
et d'efficience: atteindre les objectifs fixés et
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2;- Semestre)
155

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et IlIImaine.f
fonctionner de manière attendue mais seulement pour
ceux qui sont aptes pour l'ensei!:.'Ilement et ceux qui en
les effectifs existants)) Jean-Marc LECLERC. «
sont inaptes, aptitude et inaptitude que les différentes
Pour une définition prôfessionnelle de l' acte d'enseigner, in
évaluations ont pour fonction de révéler. Pourjustifier
Gjlles BIBEAU et collab.
la « diversité morale des professions », E. DURKHEIM
La qualilé en édllcalion : enjeux et perspectil'es
soutenait que « nous ne sommes pas tous faits pour
. Actes de colloque, Montréal 10-11 Nov. 1983, Université de
Montréal, Faculté des Sciences de
l'Fducation, 1985, La
réf1échir ; il faut des hommes de sensation et d'action.
fonnule de l'efficience proposée par
Inversement, il en faut ceux qUI aient pour tâche de
GALLUP est la suivante:
penser ».jL'échec scolaire serait ainsi donc la
E (efficience) = A (degré d'atteinte T (temps) des objectifs)
confinnation que l'apprenant ne dispose pas d'aptitudes
x E (nbre d'étudiants) C (coût)
requises pour réussir à et par récole. Et malgré les
analyses faites par BOURDIEU et PASSERON sur
. La ruse du système d'enseignement qui traduit aussi
les aptitudes et sur les dons," on n'a pas encore
sa capacité de négociation est de convertir dans une
totalement renoncé à l'idéologie du don et l'aptitude
acception pédagogique et non sociologique la qualité
diffërentielle selon les milieux sociaux et donc à une
de l'enseignement ou de la gestion en qualité du
certaine naturalité des dons et des aptitudes. Et on ne
système. Ainsi la pédagogie récuse la sélection sans
s'aperçoit même que cette hypothèse génétique est
récuser l'élitisme c'est-à-dire sans exiger la
incompatible avec l'auto-culpabilisation recherchée
démocratisation intégrale. Mais aujourd'hui la qualité
dans et par la culpabilisation publique de l'apprenant.
du système d'enseignement dans une société
En faisant du culte du mérite le principe de
démocratique est pensée de plus en plus comme
l'épuration scolaire, le système travaille à proquire chez
devant nécessairement inclure la quantité. Un système
l'apprenant le sentiment de sa dépréciation,
d'enseignement de qualité doit accepter tous les
l'intériorisation de son indignité et finalement la
citoyens pour que la société y trouve son compte:
légitimation du verdict scolaire: l'apprenant se désigne
« l'institution éducative qui opte pour la qualité ne
parce que publ iquement désigné à l'issue de l'évaluation
peut pas être libérée de l'exigence de quantité »'\\ : la
comme inapte à renseignement, conmle lUl raté. Cette
récusation de l'élitisme fait corps avec l'exigence de
entreprise de dévalorisation de l'apprenant par r échec
démocratisation intégrale.
est le travail que le rapport de force qui organise la
II existe une profonde contradiction entre le discours
société impose à l'école pour la reconnaissance
scolaire sur l'échec scolaire et la pratique quotidienne
unanime et publique du caractère équitable et méritoire
de son fonctionnement, pratique exigée par sa nature.
des sanctions, puisqu'elles manifesteraient les capacités
Le discours: lutter contre l'échec scolaire, réduire
individuelles réelles. Et cette entreprise remplit ainsi une
l'échec scolaire. Discours de principe. La pratique:
fonction de dissimulation de l'échec de la pratique
compositions, examens, concours et leur sanction
éducative au moins à trois niveaux:
scolaire: passage, redoublement, exclusion,
relégation. Pratique fondée sur des principes.
l'échec de l'enseignant qui n'a pas réussi à
transmettre à l'enseigné le contenu du
3.2.
Usage à des fins de dévalorisation
programme sous forme de connaissances
assimilées. Cet échec de l'enseignant dans sa
Dans l'évaluation de l'activité scolaire c'est seul
pratique professionnelle est en dernière instance
" apprenant qui échoue et cet échec peut prendre des
l'échec de la communication pédagogique qui
fonnes diverses. L'échec de l'apprenant est personnel
se traduit par une mauvaise transmission du
et se donne immédiatement à lire comme insuffisance
savoir et/ou par des malentendus: le message
de son travail, son inaptitude ou incapacité à réaliser un
est brouillé et les conditions de sa réception
travail satisfaisant selon les normes de l'institution
par les enseignés ne sont pas réunies. Si l'on
scolaire. Cette conception personnalisée de l'échec
en croit BOURDIEU et PASSERON. il faut,
scolaire a pour fondement le rapport supposé entre
pour comprendre l'échec scolaire, « détenniner
l'aptitude individuelle et les résultats des activités
les facteurs sociaux et scolaires de la réussite
intellectuelles, de la cognition: plus l'enseigné a des
de la communication pédagogique par l'analyse
aptitudes dans l'enseignement, moins il est exposé aux
des variations du rendement de la
échecs; plus ses échecs sont nombreux dans son cursus
communication en fonction des caractéristiques
scolaire plus son inaptitude est avérée. Cette conception
sociales et scolaires des récepteurs ».7Cette
lonctiOlmecomme un aveu implicite de l'existence de
analyse est d'autant plus nécessaire que le
156
Revue du CAM ES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

3.1.
Usage à des fins de classement
L'évaluation fait partie des principes de
fonctionnement du système d'enseignement. C'est ce
qui explique que les apprenants sont systématiquement
soumis à un contrôle plus ou moins rigoureux des
connaissances et à une logique de concurrence non pas
seulement pour r,éussir, mais pour bien réussir. Jouer le
jeu scolaire c'est donc accepter le culte de la réussite
que l'école institue, culte célébré en permanence dans
et par les rites d'évaluation. Ce n'est donc pas un hasard
. si les instances de sélection (cycles) sont des moments
de crainte et d'angoisse en permanence entretenues
nées de la métaphysique scolaire. Les nombreux
contrôles continus (sur table ou à la maison), les
compositions, les examens et les concours constituent
ces ritcs et permettent, par le classement qu'ils opèrent,
de détenniner pour chaque apprenant, sa position et la
valeur de cette position dans le champ scolaire. La
pratique systématique de l'évaluation des connaissances
exige une pratique systématique du classement, c'est-
à-dire un rappel permanent du rang comme place à
conquérir, parce que jamais définitivement acquise dans
la hiérarchie des mérites en tant que cette place n'est
que le résultat de la concurrence qui leur est imposée
et à laquelle ils finissent par prendre goût. Et s'ils
prennent goût à cette concurrence, c'est que c'est à la
fois l'école et la famille qui croient au «culte de la
hiérarchie» (BOURDIEU) et qui leur imposent cette
foi par les appréciations ouvertes ou implicites et/ou
les privilèges que seule un bon classement permet
d'obtenir. Il existe donc une « valeur de la hiérarchie
scolaire» (BOURDIEU) qui sert à la fois, mais de
manière spécifique, aux familles et à l'institution scolaire,
Pour les familles, cette valeur est entre autres
concurrentielle: l'inégale position des enfants dans la
hiérarchie des mérites scolaires peut être perçue par
les familles comme prolongement ou comme motifdu
déclenchement de leur concurrence. Pour l'institution
scolaire, la hiérarchie scolaire, c'est-à-dire la hiérarchie
des mérites scolaires fonctionne comme principe de
légitimation de la sélection. Ainsi, la sélection n'est pas
Revue du CAM ES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestre)
157

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -_ _ Sciellces socinles et 11lIIIlnilles
seulement un mécanisme de gestion scolaire, elle
3.2.
Usage à des fins de différenciation
correspond aussi à une demande des familles qui
des carrières scolaires
tiennent à montrer de façon ostensible leur mérite dans
et par l'école par enfants interposés afin de convertir
Le travail scolaire d'évaluation et de classement
ce mérite scolaire en privilège économique et social.
est essentiellement un travai 1de différenciation et de
L'obligation pour l'école de tenir compte dans son
triage. D'abord répartition des apprenants entre ceux
fonctionnement de ces demandes est une des preuves
qui réussissent et ceux qui échouent. ensuite répartition
contre son autonomie absolue.
de ceux qui échouent entre ceux qu'on doit exclure et
Le classement, en révélant pour chacun sa
ceux qui sont conservables et enfin répartition de ceux
position dans la hiérarchie des mérites scolaires, révèle
qui réussissent entre ceux qui ont bien réussi et ceux
par le même acte des groupes de position: premières
qui ont moins bien réussi. L'échec fonctionne par cette
positions, positions moyennes, dernières positions ct
triple dif1erenciation conune principe d'excl usion (échec
positions ex aequo. Ces groupes hiérarchisés enferment
total) et comme principe de hiémrchisation des réussites,
des hiérarchies qui relativisent les positions. Par
comme principe de relégation (échec partiel ct échec
exemple, dans la hiérarchie des b'Toupes, c'est méJitoire
latent). [.'échec partiel révèle une forte imbrication entre
de faire partie des cinq premiers, mais être cinquième
échec et réussite scolaires: l'échec dans certaines
est moins méritoire qu'être premier. De même, s'il n'est
matières n'empêche pas nécessairement d'obtenir la
pas du tout méritoire d'être panni les cinq derniers, il
moyenne ou de se trouver dans l'intervalle de pertinence
est plus méritoire d'être avant dernier que dernier dans
du repêchage. Mais pour les enfànts issus des catégories
la mesure où on réussit par ce rang à prendre le dessus
sociales défavorisées, ils doivent leur réussite scolaire,
dans la concurrence scolaire sur au moins un apprenant.
pour l'essentiel, à la réussite dans les matières non
On s'aperçoit alors que l'usage de l'échec scolaire à
fondamentales donc non valorisées.JCette forme de
des fins de classement sert directement, entre autres,
réussite est un mode d'existence de l'échec latent
son usage àdes fins de dévalorisation: le mal elassé se
puisqu'elle remplit la fonction de dissimulation de l'échec
dévalorise parce qu'on travaille activement par ce
dans des forn1es de réussite non scolairement valorisées.
classement à le dévaloriser. 1 Dans ces conditions et
Elle est en outre productrice de profd scolaire
quelle que soit sa fonne, l'échec scolaire constitue une
problématique, c'est-à-dire un profil construit par le
expérience personnelle pénible. Immédiatement, le sujet
passé scolaire et qui n'est cependant en adéquation
fait l'expérience que le monde extérieur lui résiste, qu'il
avec aucune des séries ou filières défmies. L'orientation
ne se soumet pas à sa volonté et qu'il lui est hostile.
de ceux qui sont détenteurs de ces profils se fait par
Cette expérience lui révèle ses propres limites et son
défaut, c'est-à-dire par relégation. Dans l'enseignement
impuissance: il apprend à s'auto évaluer, c'est-à-dire
secondaire, 1a série L (et l'ancienne série D dans une
à avoir W1e représentation subjective de sa valeur. Mais
certaine mesure) est le réceptacle naturel de ces
cette valeur-de-soi ainsi appréhendée ne l'est pas en
apprenants, ce qui en fait, tout au moins au Sénégal,
tant que valeur-en-soi ni en tant que valeur-de-soi
pour reprendre l'expression de Alain LEGER, une série
réelle; elle l'est plutôt en tant que valeur relative, c'est-
« très populaire ».4
à-dire saisie par rapport à d'autres valeurs. Il peut alors
La relégation est à la fois la conséquence et la
avoir une attitude positive et dynan1ique (<<réaction à
confirmation d'une carrière scolaire d'échec. Cette
l'échec») ou une attitude négative, défaitiste (<<réaction
dernière est caractérisée par une mobilité que
d'éehec»)2 : puisqu'il échoue là où d' autres réussissent
l'apprenant doit à des passages réalisés par des
et où ses condisciples ont effectivement réussi, alors ça
moyennes limites et des repêchages, à des
ne peut venir que de lui. Cette tendance à la dévaluation
redoublements. La carrière scolaire d'échec peut
de s~i est d'autant plus efficace dans ses effets qu'elle
prendre la forme d'une exclusion dont l'effet sur la
se donne comme prise de conscience, comme condition
scolarité est rendu caduc par l' inseription dans une école
d'établissement d'un nouveau rapport su~jectif, mais
privée avec possibilité de négocier par divers moyen le
qui se présente comme objectif, du sujet avec lui-même.
retour dans l'enseignement public.5La mobilité à l'œuvre
dans les carrières scolaires d'échec est donc lente (on
met plus de temps que prévu pourtenniner un cycle),
de valeur moindre (avec des mentions passables), peut
emprunter un itinéraire tortueux (un va-et-vient entre
les établissements publics et ceux privés) et sc réalise
158
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''· Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et lIumaines
souvent dans des établissements de moindre qualité
4. L'usage de l'échec scolaire dans le
pédagogique.
marché de l'emploi
L'usage de l'échec s'intègre dans les schémas
de gestion scolaire négative. Ces types de gestion
L'école fait acquérir aux apprenants des savoirs
consistent à rechercher la maîtrise des dépenses
et des savoir-faire et elle certifie ces acquisitions par le
d'éducation par une diminution insidieuse de la
moyen d'un diplôme. Mais parce que la finalité de la
contribution réelle de l' état dans le budget de
social isation scolaire est l'intégration dans les catégories
l"Education Nationale et en recourant de plus en plus à
sociales et professionnelles, le diplôme apparaît
la mobilisation des contributions des ménages, des
immédiatement comme moyen de négociation des
collectivités locales et de l'aide publique au
positions professionnelles dans le marché de l'emploi,
développement!> alors qu 'une partie de ce budget sert
négociation d'autant plus difficile qu'elle s'opère sous
en réalité à financer les déperditions scolaires.' L'échec
le mode de la concurrence entre les détenteur de
total, paree que sanctionné par l'exclusion (élimination)
diplômes. Cette concurrence révèle, brutalement et de
ou l'abandon (auto- élimination), libère des places dont
façon décevante pour certains, qu'il ne suffit pas de
le nombre annuel varie en fonction de la sélectivité du
réussir à l'école pour réussir par l'école et à son tour la
système8. En l'absence de création significative de
réalité du cours du marché de l'emploi révèle dans les
nouvelles classes, le redoublement (échec latent)?crée
mêmes conditions qu'il ne s'agit pas seulement de
une situation d'entassement et de promiscuité
réussir à l'école, mais de bien y réussir. La concurrence
préjudiciable à la qualité de l'enseignement. 10
à l'école pour un bon classement est transposée dans
le marché de l'emploi pour l'occupation des postes
rentables et la hiérarchie que la concurrence scolaire a
consacrée commande plus ou moins la hiérarchie des
valeurs marchandes dans le marché de l'emploi et donc
l' inégali té des pouvoirs de négociation.
Les indicateurs d'une bonne réussite scolaire ne
se limitent plus aux seuls diplômes; ils incluent les
(Footnotes)
1 Le dernier de la c1as~e subit tOlites sortes dïHlnlÎli<ttion d~ toutes parts: les commenlaires et apprécialions méprisants de l'enseign3m en classe
pr":parcnt le chahut des élèyes qui souvem escortent tes concernés avec des cris ct des brimades jusque chez eux: el là cc sont les parents. les frères
ct sœur.... qu i prennent le relais
~ Ces expressions sonl l..k J. LACROIX,
L'échec, PUF. Paris. 1964. Mais Robert BALI.lON pense que ( l'échec scolaire pour mcnal.:er l'individu d'auto dc""lorisalion doit déborder de son
cadre spédlïque el apparaître comme l'échec ue IOUle la personne, cm si cet échec csl contenu dans un champ particulier dt: la vie du sujet. il ne
nceessite pas la mise en place dt: méeanÎsmes de défense. dans la mesure où le sujet pourra éventuellement. dans d'autres secteurs de son activité,
avoir tlllC rcussile qui le préservera du semillll.:nt d'indignité. ») R. IJALLlON, (1 SilUalion d'échec et réorganisation psychologique », in Aspiralions
et Iran,~formaJions .'iOda/es, op. cité. p. 210
1 Harouna SV, Le rôle dl! la familll! et de
J'école dans la producJion des iné~alité... scolaires au Sénégal, Thèse d'Etat. Université Gaston Berger de
Sainl-Louis. 1999.
~ A. L.EGER. «( Les déterminants sociaux des l.:arrières des ense:i
gnants »), in Revue Française de Soda/agie
. XXII. 4. [<Iilions CNRS. Paris. oClobre-dcwnbre 1981. pp. 549-574: Harouna SV. Ibid.
, Ilarouna SV ibid
(,
«( Entre
1992 et 1996, la contribution de rUai à l'éducation a augmenté de 25%, lIIais en financement réel. il s'agit d'une baisse réel d'environ
16%. De ce montant. 2% esL consacré il l'enseÎgnemelll privé sous forllle de subvention.) La contribution des eolleelivités loeales représente 1%
dl.."S dépenses tntales conslJcrécs à l'éducation. ü~l1c de l'aide puhlique 14% ct les ménages « constituent une source de financement non négligeable
du systeme ~duealir.. De 1992 à 1996, la cOlltribulÎoll des ménnges a augmenté de 53.4%, soil en moyenne annuelle de B.4(o.») Ministère de 1..
'fdueation Nation;.,le (Sénégal), Programme l!l;cennal
de / 'éducalion et de la formation, Manuel de suivi/èvaluntion, Aoûl 2001, p.ll.
7
ln 1972 Michel IIlNRV avait estimé pour k' Sénégal à 2 milliards de
FCFA chaque année le coût des déperditions scolaires, in Déperditions seo
laires el économie dl! l'enseignement ait Sént.:gal, 1972.
~ On trouve rarement les taux de renvoi dans h..'s données slatistiques, Mais au Sénégal «( le taux d'abandon, dès 1
"'~Iémentlljre, est estimé à 8% en 2000 et touche surtout les tilles (9.8% au CMI contre S% pour les garçons) ). Ministère de l'Eduealion Nationale,
Elaboration de l'orKljrligramme du Ministère dl..' l'Education. version nC 2, Mai 2002, p. 8. Maisune enquête de 1993 révèle que « parmi les 482.000
per
sonne!'. âgées
de 6 ft JO ans ayant abandonné l'enseignel11elll de type français, 72% onl ét~ renvoyés cl un nombre dérisoire a déclaré avoir atteinl
la lin de leurs études ... La plupart des élèves qui quinenl le système éduc.1tif le fonl parce qu'ils en sonl exclus )~, in Direction de la prévision et de
III statislique,
DimenSIOns socw/e... de l'ajll,uement
I!nqlléh' sur les pr;orllés, Dalar. Février 1993, p. 18." « Le taux de redoublement atteint. dans les cinq
premières années. 12,69%. et en sixième année 28%. voire plus de 30% dans cerlail~es zones; 50,8% atteignent le CMI sans redoublement ~), ibid.
III «( Le raLio élèves/mailre augmente: régulièrement
46 élèves/cll\\sse en 1970 el S9 cn 1997 à l'élémen.airc. CeHe diflïculté cst acce:ntuée par le
déficit en Lable-bllncs. Ce ratio auein-t 6R Cil moyenne dans l'enseigncment mO~'cn général. à l'e-xceplion <k:s séries scienliliques >l, Ibid.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'-Semestre)
159

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et humailles
curriculum vitae qui, à leur manière, restituent plus ou
du premier emploi ne sont pas (plus) immédiats du fait
moins fidèlement les carrières scolaires. Et de plus en
de l'exigence dans le marché de "emploi de l'expérience
plus, on n'entre pas dans le marché de l'emploi muni
professiOimelle et du capital de relations sociales. Mais
du seul diplôme, mais aussi et surtout d'une certaine
leurs entànts en ohtenant des diplômes plus valorisés
expérience professionnelle voire d'une expérience
et en s'assurant qu'il faut plus qu'un diplôme pour
professionnelle certaine et d'un capital de relations
obtenir un emploi, se donnent plus de chances de
sociales indispensable dans la lutte de position et de
négocier avantageusement leur carrière professionnelle.
positionnement professionnels. Les paramètres de
Au Sénégal, les enfants des classes défavorisées en
négociation efficace dans le marché de l'emploi sont
général et ceux pan11Î eux qui ontdes carrières scolaires
donc au nombre de quatre: le diplôme, la carrière
d'échecs en particulier, trouvent dillicilement W1 cmploi,
scolaire, l'expérience professionnelle et le capital de
Les moyens de négociation dont ils disposent sont d'W1e
relations sociales. Ils constituent les principaux capitaux
efficacité non avérée. Ils sont pour l'essentiel à la merci
qu'on investit et au moyen desquels on s'investit dans
des entreprises : pour satisfaire l'exigence d'expérience
le marché de l'emploi: le capital de qualification, le
professionnelle. ils s'épuisent en stages qui se terminent
capital d'expérience et le capital de relations sociales.
rarement par des embauches.
Le quatrième paramètre vicie les règles d'une
concurrence loyale: son existence et le poids de son
5, L'usage social de l'échec scolaire
influence dans la négociation des positions
professionnelles sont révélateurs de l' inexistence dans
L'échec scolaire est un phénomène inhérent aux
le marché de l'emploi d' W1e concun'cnce démocratique
sociétés qui utilisent Je système d'enseÎb'Tlement de type
dans les pays de la démocratie.
scolaire pour la socialisation professionnelle et qui ont
Par leurs caractéristiques sociales et scolaires,
une structure socio-professionnelle inégalitaire et
les enfants des classes défavorisécs entrent dans la
hiérarchisée2• Si comme le pense E. DURKHEIM,
concurrence avec de lourds handicaps. C est chez eux
c'est la diversité morale des professions quijllstifient
qu'on a plus de chances de rencontrer des carrières
en la légitimant la diversité pédagogique" échec et
scolaires d'échecs, leurs capitaux de rc Jations sociales
réussite scolaires sc donnent comme critèrcs importants
sont dérisoires et ils ont rarement l'expérience
mais non exclusifs de distribution socio-professionnellc.
professionnelle requise. De sorte qu'ils ne sont pas
L'inégale réussite, c'est-à-dire l'échec scolaire relatif,
nombreux à entrer en compétition avec les enfants des
entraîne d'une manière générale des statuts
classes favorisées, parce que rares sont pan11i eux ceux
professionnels et sociaux inégaux. Cette situation
dont les diplômes sont obtenus dans ct par une carrière
n'autorise pas cependant l' afiirmation d'une certification
scolaire de réussites. En réalité donc la concurrence
maximale (correspondance entre la structure des
s'opère entre ceux qui ont bien réussi d'une part et
qualifications et celle des professionsexcrcées), puisque
entre ceux qui ont réussi passablement d'autre part. Et
dans la réalité, c'est la scmi-certification qui régit les
l'échec dans ces concurrences di tférenciées serait
rapports entre qualifications mesurées par les diplômes
l'expression rationnelle et raisonnable de l'échec
et professions exercées. Quant à l'échec scolaire
scolaire latent, sa conséquence logiquement non
absolu, il enlève toute prétention à exercer certaines
surprenante. Tout se passe commc si les lois du marché
prol"essions, celles dont l'exercice nécessite une
de remploi s'arrogeaient la compétence et la légitimité
compétence acquise à l'école et certifiée par un diplôme.
de déterminer les prétentions et les aspirations
Par l'échec scolaire donc, l'Etat, par les caractéristiques
professionnelles: en échouant à l'école. on doit avoir
socio-politiques des lois du marché de l'emploi, se
des prétentions limitées, des prétentions d'échec, on
donne des raisons sans avoir raison de ne pas prendre
doit raisonnablement s'exclure de la compétition pour
en charge une catégorie de citoyens et de prendre
l'exercice de certaines professions.
inégalement en charge une autre catégorie de citoyens.
On comprend alors mieux pourquoi les familles
Mais en réalisant l'intégration dans les catégories
favorisées tiennent au rituel scolaire du classement,
sociales inférieures, la carrière scolaire d'échecs se
c'est-à-dire à la hiérarchie des réussites l . Par ce rituel,
dissimule en dissimulant l'échec scolaire latent qui la
ils tiennent à s'assurer que \\' école dmme à la réussite
constitue comme telle et qui, parce qu'il a pemlÎs une
scolaire de leurs enfants une plus grande valeur
insertion professionnelle et sociale, se présente et
marchande, une valeur ajoutée dans le marché de
revendique à être présenté comme réussite. Cette
l'emploi. Certes les effets du diplôme sur l'obtention
transfiguration dissimule un double échec: l'échec
t60
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et IlUmaines
scolaire (carrière scolaire d'échecs) et l'échec
6. Echec scolaire et stratégie
professionnel (échec à intégrer les catégories sociales
favorisées). En réussissant à obtenir un emploi après
6.1. Echec des stratégies
leurs études, les mal-réussi de l'école se donnent ainsi
la possibilité de convertir leur échec scolaire relatifet
Postulat: tout échec est l'échec d'au moins
latent en réussite professionnelle relative. Et cette
une stratégie.
conversion est d'autant plus légitimement acceptable
qu'elle objective le plus souvent une rupture avec les
En scolarisant leurs enfants, les parents élaborent
origines les plus basses de la hiérarchie sociale. On ne
pour eux des stratégies d'insertion professionnelle et
voit pas ainsi que cette réussite échoue à les intégrer
sociale que l'école est la seule à pouvoir offrir. Ce
dans les catégories sociales supérieures. En devenant
schéma de socialisation professionnelle n'a pas
ouvrier ou employé, le fils d'un paysan pauvre ou d'un
cependant le même contenu selon les classes sociales:
petit artisan s'élève professionnellement et socialement
crainte de d'émotion pour les classes supérieures
tout en restant dans les classes ou catégories
(stratégie de réussite par intégration dans les classes
inférieures4, Mais ce schéma d'intégration
supérieures) et désir de promotion pour les classes
professionnelle et sociale par les carrières scolaires
infërieures et moyennes (stratégie de réussite par rupture
d'échecs est un cas idéal quoique quasi attendu. En
avec les origines sociales)l. C'est pourquoi, même si
réalité, les enfants des classes inférieures, qu'ils
« pour toutes les couches et classes sociales, l'échec
réussissent bien ou passablement, ne sontjanlais tout à
scolaire va être, presque toujours, ressenti comme une
fait assurés d'obtenir un emploi par leur diplôme, Et
situation aux conséquences graves »~, il n'a pas pour
l'inflation des diplômes et donc leur dévaluation n'épuise
autant la même signification selon le milieu social
pas l'explication du phénomène des di plômés chômeurs
d'appartenance et ne produit pas les mêmes dommages
puisqu'il est essentiellement caractéristique des enfànts
psychologiques et sociaux. Ces deux stratégies
des classes inférieures et moyennes. On peut fonnuler
différentielles s'objectivent dans et par trois stratégies
l'hypothèse suivante: l'accaparement des postes
de la pratique scolaire :
rentables par les classes sociales supérieures, le cumul
des emplois par ces mêmes classes, l'opacité des
l'école fait de la pratique éducative une
critères
de
recrutement,
l'efficacité
des
stratégie de réussite collective et non une
recommandations par rapport aux compétences et aux
stratégie d'échec. Elle se propose, en acceptant
diplômes dans le recrutement, la qualité des carrières
de recevoir les enfants de toutes les classes
scolaires sont au nombre des conditions sociales
sociales de les faire réussir conformément au
d'existence du chômage des diplômés originaires des
souhait des parents, parce qu'elle revendique
classes inférieures. Et en cumulant leurs effets, ces
en tant qu'à la fois système d'enseignement et
variables hypothétiques convertissent les réussites en
appareil idéologique d'Etat dominants\\ le
échecs et révèlent que la réussite scolaire ne se traduit
monopole de la socialisation attendue par
pas nécessairement par une réussite professionnelle et
l'acquisition de savoirs et de savoir-faire
sociale.
rentables et rentabilisables,
à l'école les enfants sont sensés élaborer des
(Foolontes)
stratégies de réussite individuelle,
, "Car si. comOle le soggere AOIoine l'R(JS1~ " l'ccole marche à l'l'chee
l'enseignant doit avoir des stratégies diverses
scolaire cOlllme le Illtlleur à explosion marclH; à l'essence»). cc n'csl
vrai que par"" que les parents" marchent» ct " ronl marcher» leurs
et appropriées applicables dans des cas spécifiques.
enfants: e
Ces stratégies doivent suppléer à la défaillance des
'csl-a-dirc que l'êcolc :1 - cnlin - réussi à délé~lIer à une majorilc des
l',,rents le travail de nllltivalion dcs éJeves au Iravail seolaire », Walo
stratégies individuelles des élèves. C'est en fonction
II1ITMACIIER. "
de la capacité de l'enseignant à faire réussir la (quasi)
La réussilc d'un colloque sur l'échec ». in L '(:clle(' ,\\·co/aire. op. cilé.
l' 195
totalité des apprenants que dépendent et la
, On peut rapprocher cette idée de celle de R. Il( tliDON: «stratilieation
reconnaissance de son aptitude professionnelle et la
+ scolarisalion = incgalités dC'vanl l'école. Ln sOl:iétcs industrielles
supposent par définition l'e,iSlence d'un stock de qoal ilïeations
légitimité de son aspiration à la consécration
dillëreneiccs ct hiérmehisécs. qui engendre les mécanismes exponentiels
académique et sociale. Mais ce devoir d'avoir des
rcsponsahlcs de lïnégalité des chances devallt l'enseignement», in
I,Inégolilé ,k.. dllJnœ... A Colin. l'aris, 197'), p. 195.
stratégies de réussite supplétives est en contradiction
, L. OlJRKIiUM. rdllColion et SOCIOlogie, 1'111'. Paris. 1977
avec celte autre attitude exigée et attendue de
J R
HOUDON dilllllc « l'éventualité de devenir. par c.\\Cmplc. insliluh':ur
n'cst l'as perelle de la méme Illaniere par le IiI., d'lin ouvrier cl par le
l'enseignant, le brouillage sémantique de la
lils d'un membre de l'académie des sciences" Ihid. l' 192.
comnnmication pédagogique variable selon les
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"W Semestre)
161

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et "limailles
niveaux d'enseignement en tant cjû'autre indice de
familles de l'élite, que leur vision n'était pas
compétence professionnelle et de maîtrise des
authentique ». Chez les autres indiens, la
connaissances pour les apprenants et stratégie de
« démocratisation des expériences mystiques» offrait
séduction profèssorale. En réalité cette contradiction
à tous les jeunes visionnaires « le pouvoir de ehasser,
n'est qu'un mode d'existence, dans la pratique
de mener une activité guerrière, et ainsi de suite »;.
professionnelle de l'enseignant, de la double nature
Cest donc l'existence d'une élite sociale et d'une
de l'école à savoir système d'enseignement et
puissante société des sorciers qui est responsable ehez
appareil idéologique d'Etat, contradiction par laquelle
les Omaha de la promotion sélective. Dans les sociétés
l'enseignant participe à et participe de cette double
contemporaines, la fonction externe de l'école est
nature.
justement de perpétuer de manière insidieuse selon le
L'échec de l'apprenant correspond dans les faits
rapport de force en vigueur, les conditions sociales et
à l'échec de ces stratégies différentes mais solidaires et
culturelles de la domination.
complémentaires.
Le postulat 2 est l'effet idéologique du rôle dominant
de l'école dans les rites et procédures de
6.2. Usage stratégique de l'échec
socialisation des sociétés contemporaines. Il désigne
pour cette raison une évidence de type idéologique
qu'il faut démontrer. La conséquence pratique de ce
Un des moyens de démentir les postulats de
postulat est la scolarisation massive voire universelle
réussite scolaire est de démontrer que les acteurs
et de plus en plus précoce. Les faits ont révélé
peuvent faire fonctionner l'échec comme stratégie.
cependant que l'apprenant peut choisir d'échouer (si
Postulat 1 : L'école fait de la pratique
les conditions sociales de son abandon ne sont pas
éducative une stratégie collective de réussite.
réunies) pour changer de perspective d'insertion
professionnelle et sociale. Au Sénégal, cette attitude
Postulat 2 : Tout enfant veut réussir à et par
s'explique par la nature de certaines aspirations
l'école.
professionnelles et par les ambitions académiques de
beaucoup d'apprenants dont la réalisation ne dépend
Contre le postulat l, on peut opposer la stratégie
pas du schéma scolaire de social isation et surtout par
de la classe dominante qui opère grâce à l'Etat (en tant
le fait qu'ils sont très nombreux à ne pas considérer
qu'expression d'un rapport de force spécifique) une
l'école comme moyen de réussir socialement!'.
promotion sélective des jeunes générations, sélection
L'apprenant peut se laisser échouer pour changer de
variable en fonction de leur origine sociale. Cette
série ou d'école ou bien pour faire tout autre chose
stratégie, spécifique selon chaque formation sociale, est
après son excl usion. L'étudiant, en échouant, se
implicite, dissimulée et c'est sans doute pour cette raison
donne la possibilité d'utiliser son échec voulu ou non
qu'elle est d'une grande efficacité. Elle n'est cependant
comme moyen de se réorienter ou bien de faire un
observable que dans une société différenciée dotée d'un
concours (les étudiants en cours de formation
organe de type étatique dont le système éducatif n'est
n'étaient pas autorisés à faire des concours dans les
que l'un des « Appareils Idéologiques »4. Margaret
écoles de formation professionnelle). Echec
Mead a décrit une forme de cette stratégie chez les
transfiguré, échec attendu, rapport à l'échec changé:
indiens Omaha (qui ne connaissaient pas encore l'école
l'échec scolaire constitue pour certains un moyen par
comme système éducatif) en montrant leur différence
lequel ils pensent pouvoir réaliser certaines de leurs
avec les autres indiens d'Amérique du Nord (qui
aspirations. On n'est pas en présence d'une
n'avaient pas encore connu une organisation sociale
aspiration à l'échec ni d'une stratégie d'échec mais
différenciée et hiérarchisée) : le critère de promotion
d'un usage stratégique de l'échec par le moyen
des Omaha est la vision librement recherchée. Mais ce
duquel on se donne la possibil ité de réussir autrement
qu'était une vision véritable était soigneusement gardée
et ailleurs. On le voit donc: pour celui qui échoue,
pour conserver à l'intérieur de certaines familles
l'échec scolaire n'a pas une valeur intrinsèque: sa
l'héritage de l'appartenance à la société des sorciers.
valeur, positive ou négative, est fonction de son
Il en résulte que « les jeunes qui désiraient entrer dans
rapport à la stratégie que l'apprenant met en œuvre.
la puissante société devaient se retirer dans la solitude,
jeüner, revenir et raconter leurs visions aux anciens, cela
pour se voir annoncer, s'ils n'étaient pas membres de
162
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'·" Semestre)

Sciences sociales et humaines
--------------~---
6.3. Interprétation de l'échec (scolaire)
dans les cas précédents, socialement inutiles el
comme stratégie de domination masculine
inutilisables, des ratés9. Ce châtiment est très
cruel dans une société où les enfants doivent
Il faut recourir à l'anthropologie de l'échec
s'acquitter de la dette parentale en prenant en
scolaire comme recherche de sens de cc phénomène
charge les parents, où la réussite des enfants
dans l'espace des valeurs culturelles et comme
fonctiOlllle comme une sécurité sociale pour les
exploration des significations possibles. Elle propose
parents dans leur vieillesse. Mais ce châtiment
une lecture textuelle du sens à partir des représentations
n'exprime qu 'une sorte de justice immanente
sociales collectives et une lecture subversive en tant
lorsqu' un individu ne remplit pas ses devoirs
que recherche du sens de ce sens qui opère une rupture
(sacrés) envers ses parents, n'assume pas ses
avec le sens commun sans revendiquer aucun autre
obligations filiales. La femme. outre ce
statut que celui d'être une interprétation pamli plusieurs
manquement, peut provoquer l'échec (scolaire)
possibles. Cette violence épistémologique sur le sens
de ses enfants si son comportement dans le foyer
est nécessitée par un postulat interprétatifqui fait du
conjugal n'en fait pas une bonne épouse, c'est-à-
sens un signe qui dissimule dans et par sa structure
dire soumise à et respectueuse de son mari,
d'autres sens qui ne se laissent pas appréhender dans
accueillante et généreuse pour les membres de sa
le décryptage littéral du signifiant par le signifié. Il en
belle-famille. De sOiie que dans la hiérarchie de
est ainsi parce que dans tout sens il y a un surplus-de-
ses obligations, être une bonne mère pour ses ,
sens qui ne se révèle que dans le hors-sens. C'est ce
entànts est secondaire et se mesure à sa capacité
surplus-de-sens qui fonde et légitime tout projet
d'être une bonne épouse 10. Cette explication est
d'interprétation et le conn it des interprétations. Chez
de type moral.
lesHalpulaaren7 ilya trois modèles explicatifs de l'échec
Le recours à l'un de ces modèles
(scolaire) :
d'explication est commandé par le rapport qu'on
entretient avec et par le sentiment qu'on nourrit à
l'échec (scolaire) peut être expliqué comme
l'endroit des concernés. Ce sont des justifications-
end du sort ou des caprices de la fortune c' est-
légitimations de l'échec (scolaire) plutôt que des
à-dire la réalisation d'une décision
explications, Et par ces justifications-légitimations,
transcendante par laquelle les études ne
le spectre de l'échec (scolaire) remplit Wle double
constituent pas la voie de réussite
fonction sociale:
professionnelle et sociale pour un individu
donné. Et c'est parce que son « arsuku » ou
une fonction apparente c'est-à-dire
ses « gnamdé »'ne se trouvent pas dans les
inmlooiatement visible qui consiste à assurer
études qu'il échoue quoi qu'il fasse. Les efforts
la cohésion, l'entente, la solidarité et la
de l'acteur ne peuvent en rien modifier le cours
concorde entre les membres de la famille
des choses. Reste à changer de perspective
et au sein du groupe social en général.
de réussite, à réévaluer les aspirations devant
une fonction réelle dissimulée sans doute
l'impuissance à venir à bout de l'infaillibilité du
par sa participation de la fonction
sort. Cette explication est de type téléologique,
apparente:
la
pérennisation
de
l'échec (scolaire) peut être le résultat de la
l'acceptation de J'autorité parentale et
réalisation d'wle intention hwnaine maléfique. On
maritale et le maintien par conséquent des
peut, par les services d'un marabout.ou d'un sorcier,
enfants, du mari et de l'épouse dans des
jeter un mauvais sort à quelqu'un.lclle responsable
rapports de dépendance et de domination
'désigné de l'échec n'est pas une puis~ancc. i~visible.
gradués et inégalement contraignants selon
transcendante mais un ennemi réel elldentlllable qUl a
le sexe.
ses mobiles et qui agit pour nuire, pour empêcher une
réussite éventuelle, Cette explication est de type
métaphysique,
-
l'échec (scolaire) peut être enlin la
conséquence d'une malédiction sociale des parents
cl/ou de "apprenant lui-m':me, Les parents peuvent
être punis par leur échec propre et/ou celui ~colaire
et social de leurs enhmts qui deviennent amSI, comme
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
t63

___________- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciellces sociales et humailles
CONCLUSION
Mais les femmes sont plus accablées dans l'échec
(scolaire) des enfants. En effct, les effets de
l'irresponsabilité du père peuvent être contrebalancés,
annulés par l'attitude de la mère. De sorte que l'échcc
Les usages de l'échec scolaire sont de deux
(scolaire) des enfants et les infortunes du mari sont
ordres: un usage interne au système d' enseignement
généralement imputés à la femme ljui, selon les cas,
(scolaire) et un usage externe que l'on retrouve dans le
serait mauvaise épouse et/ou porteuse de guigm:. Si le
marché de l'emploi et dans la hiérarchie sociale. L'usage
comportement de la mère est présenté comme
interne ne sert pas seulement pour le fonctionnemcnt
détenninant dans l'échec ou la réussi te (scolaires) des
du système d'enseignement, il est aussi au service des
enfants, c'est parcc qu'il est communément admis, y
usages externes ou plus exactement il est le service que
compris par les mères, que la relation mère-enfant et le
Je marché de l'emploi et la hiérarchie sociale exigent du
lait maternel influent de manière décisive sur le destin
fonctionnement du système d'enseignement en tant que
social et professionnel de l'individu. La crainte de
cette exigence est en cohérence avec le rappol1 de force
l'échec (scolaire) des enfants est entre autres, ce
à l'œuvre dans la fonnation sociale. Et dans toutes les
sentiment de culpabilité que la société des hommes a
formations sociales. la presque totalité de ceux qui
réussi à inspirer aux mères et aux futures mères (donc
échouent à l'école sont dcs enfants des memhres des
à la société des femmes) pour s'assurer le plus
classes que le mpport de force installe dans lme situation
efticacement de la conformité de leur comportement à
politique. économique et culturelle défavorahle.
l'ordre conjugal et aux attentes que cet ordre permet
Cependant. selon lafom1e et le degré de l'échec scolaire
de légitimer. On recourt àce modèle explicatifou plutôt
mais aussi et surtout de son rapport à la stratégie de
à ce modèle de culpabilisation, d'autant plus volontiers
l'apprenant, ceux qui échouent peuvent en tirer un
que le milieu conjugal est polygamique. Dans ces
avantage relatif. Sous ce rapport. l'échec scolaire est
conditions, ce modèle s'intègre, par la comparaison
l' lU1 de ccs moyens techniques par lesquels les inégalités
qu'il rend possible, dans le dispositifsocial de prévention
scolaires satisfont à des demandes externes en
et d'atténuation des conflits entre les unités
participant de manière spécifique et spécifiquement
matricentriques et le mari. Ce modèle explicatif
active àla reproduction de l'inégalité des positions dans
fonctionne aussi (et c'est l'usage le plus fréquent)
la hiérarchie sociale.
comme moyen par lequel la femme est prise en otage
psychologique grâce à un terrorisme comportemental
et/ou langagier (qu'il soit fait dans le but de calomnier
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