_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et "umailles
UNE APPROCHE DU PARRICIDE DANS LA
LITTERATURE ENFANTINE
EN AFRIQUE CENTRALEl
Dossou GBENOUGA
Ulliversité de Lomé
Faculté des Lettres et Sciellces Humailles

Départemellt de lettres modemes
Lomé-Togo
RÉSUMÉ
Un parcours de la littérature pour enfants, conte, roman, des auteurs de l'Afrique centrale permet
de constater un rejet de l'entité du père dans les œuvres. Ce renoncement au père place l'enfant dans une
double situation affective et psychologique. D'une part on assiste à une" prématuration" qui s'observe dans
une substitution au père, avec "exécution des fonctions traditionnelles dévolues au père, Ceci crée des
échanges très émouvants dans la relation à la mère. D'autre part, l'enfant évolue dans un espace déséquil ibré
qu'il tente de gérer en affinant sa personnalité.
Mols-clés: Parricide. enjànce, responsabilité, patrilinéaire, rejet, société.
ABSTRACT
Reading across children's literature, tale, novel by Central African writers, makes it possible to see the
rejection ofthe father's entity. This rejection places the child in a dualistic situation that encompasses the affective
and the psychological realities. On the one hand, there is a premature responsibility ofthe child with the latter's
substitution to the father whereby the child plays the traditional roles that are reserved for a father. 111is situation
forces pathetic exchanges in the child-mother relations. On the other hand, the child lives in an in-balanced
environment that he tries to control through the affirmation ofhis personality.
Kev words: Parricide. childhood, responsibililJ-;fàther:~ bond, rejection, society.
(Foolnolcs)
1 NOliS n'avons pas ln prétention de counir tOlite ,cHe région d'Afrique. Nous nous contentons de l'analyse des œuvres des auteurs de
l;CtlC région.
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INTRODUCTION
de la temme, son inclinaison mortifere ou maternelle, à
travers les relations du père àla mère, l'exil, la réJX1I1ition
des tâches sociales et. chez les tout premiers romanciers,
Ternle essentiellement juridique qui se définit,
les principes et rites initiatiques. Il se créc un espace où
selon l'article 299 du code pénal l'rançais de 1810,
l'enfant devient une métaphore obsédante dans
«comme le meurtre des père et mère légitimes, naturels
l'évocation et l'approche des fommlations de l'Afrique,
ou adoptifs, ou de tout autre ascendant légitime », le
dans ses différentes mutations, dans ses crises et dans
parricide est apparu dans la littérature occidentale
ses
espérances.
comme une des thématiques récurrentes qui fondent la
La plupart des politiques d'éducation mettent
création littéraire et artistique. Il a pCllnis à des auteurs
l'accent sur cette réal ité qui se présente dans l'espace
comme Sophocle (Œdipe Roi), Shakespeare
social comme le baromètre du degré de développement
(Hamlet), Dostoïevski (Les Frères Karamazov).
des pays, surtout subsahéliens. Il est alors évidcnt que
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu, Du
l'approche et les manifestations culturelles de ces pays
côté de chez Swann) et autres de présenter les conflits
puissent renvoyer ou refléter, dans une ccrtaine mesure,
qui se nouent à l'intérieur des cercles familiaux et de
les motivations collectives, les caractéristiques, les
leur en donner une explication à la fois littéraire, sociale
obsessions communes des peuples dans cette zone
et culturelle. Si comme le laissent apparaître les
géographique. Ces traits qui trahissent toute une
différents textes et les psychanalystes, le parricide se
commlmauté, deviennent des critères d'identification et
résume fondamentalement à un crime violent, le
renseignent sur le fonctionnement des structures sociales.
traitement que la littérature en donne conduit à une
La littérature pour enfant en Afrique5 propose alors des
réflexion globale sur la structuration de la société, la
dominances qui apparaissent comme une approche
vision sociale des peuples. C'est ce qui sous-tend les
sociologique des collectivités. Loin d'être une sorte de
travaux de Sigmund Freud ' et de René Girard2 sur le
miroir reflétant la réalité, la littérature pour enfant dans
parricide et le mythe d'Œdipe.
les pays de l'Afrique centrale se présente comme un
code de lecture ou de communication permettant au
L'approche du parricide n'est pas simplement liée à
lecteur de s'informer sur le fonctionnement et la vie dans
l'évocation du crime de sang, elle est plurielle, et renvoie
les espaces présentés dans les diftërentes œuvres. Dans
au régicide comme dans le théâtre c1a~sique, aux conflits
un certain nombre de textes de la littérature pour enfant,
de générations, à la révolte contre le père, aux
il
y a
un étonnant effacement
du père.
manifestations et revendications des travailleurs et
beaucoup plus à une certaine dénon.ciation de la
La présence du père dans cette littérature
paternité défaillante, voire dans certains cas coupable.
pour enfant se lit dans une dynamique de la banalisation
Plus habilement la présentation du pan'icide chez certains
dc cette instance sociale. Le père est évoqué comme
auteurs témoigne d'une contestation de l'autorité du
un paramètre réel du cadre familial mais totalement
père et de l'institution même de la famille. Il conviendra
absent dans le fonctionnement de toutes les structures
alors de se demander si ces différents comportements
sociales. Souvent il est mort, absent. soûlard, ou
qui hypothèquent l'équilibre social ne conduisent pas à
aveugle. Il s'agit d'un agent, non pas effacé dans la
un patricideJ avec une remise en cause du père ou de
perception de la famille mais d'un membre dont le rôle
l'autorité. L'approche littéraire africaine du parricide
est réduit à néant, soit par une infmnité, chez Justine
laisse apparaître des manquements graves, des abus et
Mintsa, soit pour cause de décès chez Jacques Logmo,
un effacement voulu du père, surtout dans les textes en
Gilda Rosemonde Moutsara-Gambou, Théophile
Afrique
centrale 4 •
Tchangain Kouamouo. Il n'a pas une certaine inl1uence
Dans la majorité de ces pays africains, l'une des grandes
sur la société et, par voie de conséquence, est donné
préoccupations et des inquiétudes des peuples réside
pour mort, au plan communautaire, dans les différents
dons les relations qui existent entre les différentes
espaces considérés. Qu'il s'agisse de L 'héritage de
couches sociales et, surtout, dans les liens entre les
Nassara~ de Jacques Logmo et de Folle comme sa
membres de la cellule familiale. L'évocation de la famille
mère) de Théophile Tchangain Kouamouo
africaine devient, dans la plupart des espaces fictifs, un
(Cameroun), de Le Socle en pleurs R de Gilda
des lieux communs connus et célébrés par toutes les
Rosemonde Moutsara-Gambou (Congo) ou de
générations d'écrivains. La littérature sociale fait
Premières lectures') de Justine Mintsa(Gabon), la
souvent apparaître ces 1iens qui émergent dans les textes
présence du père est vécue comme une simple
comme une spécificité africaine à travcrs les thématiques
t34
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2''''' Semestre)

_______________________________ Sciences sociales et humailles
figuration. Le père est présenté dans les différents
avec qui elle peut établir des liens d'une certaine
espaces fictifs de cette littérature, dans ses fonctions
cordialité et d'amour. Elle a quitté le dépotoir du marché
biologiques de simple géniteur. Il assure de façon
qu'elle partageait avec sa mère, ses haillons pour un
naturelle, et avec désinvolture, sa participation à la
cadre de vie acceptable. Ses premiers pas d'écolière
procréation des enfants. Souvent, dans les œuvres,
n'ont pu être assurés que grâce à la présence de cette
l'idée de l'existence d'une fanlille constituée, où
tante. De même, dans Le Socle enpleur.\\· de Moutsara-
l'enfant partage des instants d'affection avec ses
Gambou (la mort de Kitoko) et dans L 'Héritage de
parents, est balayée par cette absence notoire.
Nassara, l'absence du père transforme la vie des
enfants en une accumulation d'espoirs déçus.
l. DE LA VICTlMISATlON DE
L'ENFANCE
Dans aucun de ces espaces, les auteurs ne
mentionnent pas les éléments qui apparaissent
C'est un être assez secondaire dont la
traditionnellement comme les supports d'une éducation
présence est insignifiante, sinon ignorée par les autres
et qui participent à un éveil psychologique et social des
corps sociaux. Cet effacement s'explique par le fait
enfants. Les jeux, la réelle prise en charge, les instants
que le modèle de société qui surgit dans les textes
de joie, les échanges avec d'autres enfants; breftout
semble plus proche de la matrilinéarité. Si la mère
ce qui favorise une émulation et participe à la formation
apparaît dans ces œuvres comme le partenaire avec
des enfants, ou du moins à leur équilibre, est effacé de
qui l'enfant, dans le processus d'édification et de
toutes les situations évoquées. Cest sous l'autorité de
formation de son être, peut partager des instants
l'entourag~ de la vieille Adjidjatou que Nassara s'est
affectifs, elle est placée aussi dans une situation
formé une morale et a pu vaincre les épreuves que la
d'impuissance chez certains auteurs. C'est alors, et
vie lui a réservées. Les onze enfants de Kitoko, eux,
naturellement, auprès d'un membre de la famille
n'ont bénéficié d'aucune aide. Ils sont généralement
maternelle que l'enfant trouve un semblant de
partagés entre les occupations domestiques et [es
réconfort. L'écoute dont il peut parfois jouir lui est
obligations scolaires. Dans ces contextes, l'école vers
assurée par des tantes, des oncles et dans certains
laquelle la mère pousse certains parmi eux apparaît
cas par des amies de sa mère. Dans Folle Callum! sa
comme un véritable luxe. D'ailleurs, aucun des enfants
mère, Etna, une jeune fille de dix ans, née de mère
présentés dans les différents espaces de cette littérature
folle (Loba) et de père inconnu, a été récupérée et
n'a réussi à se maintenir dans le système éducatif.
prise en charge par Marguerite, la petite sœur de sa
mère. Aux côtés de ses cousins Francis et Lilè, elle a
La présence méconnue, ignorée ou parfois
pu connaître ses premières joies, nées d'une relation
assumée du père, comme c'est le cas chez Justine
intimiste avec des personnes Ù qui elle peut se fier,
Mintsa, participe de la mauvaise qualité de vie et des
résultats scolaires déplorables de certains de ces enfants.
Presque tous les auteurs font apparaître l'école comme
un cadre de vie superfétatoire. Très peu d'enfants y
trouvent un intérêt pour leur vie et leur prise en charge
sociale. C'est pourquoi ils délaissent très tôt les
enseignements scolaires pour d'autres voies de survie.
(FOOIIIOI<s)
1
Sigmund FREUD,
Totem el hlhou, Paris. Petile Dibliothèquc P:t~ot. 1912.
: René GIRARD, /.0 l'iole",'e el le sac,,;. P<lfÎs. Il:u.:hctlc Lilleratures. coll. Pluriel. 1972~
.\\'wkespeare. les feux de /'ef1r;e. Paris. Grasset. Le Livre Je poche. 1990;
'\\/el1soflRc romantique ('{ l'f!rilé romanesque!. ParÎs. Grasset, 1t)(J 1.
1 I.'expression est de nOlis. Le n.:nOllCClllcnl <lU père ou sn mort conùuil il unc intcrrog,,(ioll sur ks inc
idences ùu parriciùe. Les conséquem:es ùe i.:i.: phénomène laissent apparaïlre le coupable eomme responsable de la dislocation des
fondements ùe l'autorité et de ln cité. En rejetant l'autorité. en privtln( la soeiélé Ù'lIll de ses membres par l'actc du parricide, le fautif
contribue ù l'éclatement oc la société. Dans ces eonùitions, il est ùifJicilc que l'on puisse penser il une recomposilion facile oc la famille. La
mort du père devient synonymc ùe celle ùe la famille cl ùone du pays
~ C'cst tlllC récurrence chez ùes auteurs l:OIllIllC Sony Labou TANS!, Ilcnri tOPES. Ferdinand OKOUMDA-Nï'"OGHE.' Nous n'avons pas la
prélcnlinn de couvrir loute cette région ù'Afrique. NOLIS nOLIs contcnh:rons ùes œuvres ùes auteurs ùe œUe région.
Jacques LOGMO. l, 'l/àilage de l'l/aHara. {\\CCT. Paris, 1999.'Thé{lphilc Tclwngin KOUAMOUO. ( folle comme su mère Il in Courses
CO/llr<' la II/ol/I"e. NEA/UJ)CEF/ACCT.. Lcs Inédits 9-t. l'mis, 1994.
~ Ciilùas Rosell1011de MOlJTSARA-(iAMBOli. I.e Socle ell pleurs. ACCr. I.ibreville, 1999.
" Justine MINTSA. l'relllières leclllre.\\", liAI Il ). Lomé. 2000.
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Scie/lces sociales et Ill/mailles
11s se contentent dans ces espaces tictionnels d'une
Mais tout le monde se retrouve dans Wle certaine
auto-éducation qui leur assure une certaine existence.
indolence, dans une espèce d'incapacité vis-à-vis de
Dans Le Socle en pleurs tous les enfants de Kitiko ont
cette déstructuration de la famille et se contente de
préféré servir, dès l'âge de quatorze ou quinze ans, dans
déplorer les effets pervers de cette situation. En fait,
les milices créées par les leaders politiques au lieu de
c'est que le schéma social, l'image de la famille
continuer à végéter dans une misère qui les conduit vers
mononucléaire qui se lit dans ces œuvres. ou plutôt cette
une mort certaine. Très tôt, ils se formalisent avec la
sorte d'évolution qui dédouane la communauté et met
violence politique, les assassinats et surtout les armes
les individus face à leurs responsabilités, conduit vers
et les drogues qui, deviennent les moyens les plus
un désengagement de l'entourage pour permettre à
évidents, pour eux, de se mesurer à leurs aînés, à la
chacun de répondre de ces actes. Or, dans les difTérents
société des adultes. Les nouveaux moyens d' aftimlation
espaces, le père est mort, inconnu de l'enfant. Parfois,
de leur identi té leur permettent de s'assumer comme
il est présent mais témoigne d'une irresponsabilité en
des êtres prématurément matures. Il s'établit ainsi une
ne répondant pas à ses obligations envers l'enfant. Ce
rupture entre les principes de base qui fondent
dernier ne peut donc pas bénéficier de cet
l'éducation et la formation des enfants dans les espaces
accompagnement auquel il pouvait espérer. Livré à lui-
africains et cette tendance à l'expression d'une volonté
même. il est évidemment happé par tous ceux qui
de puissance, une certaine inclinaison vers une
pcnsentqu'ilsn'ont aucwleobligationenvers lui. Même,
substitution des enfants aux adultes dans l'exécution
les parents proches, les cousins gennains n' établissent
de certaines tâches. Les duretés des répressions, les
pas toujours des relations sincères, honnêtes avec eux.
violences des actes posés par ces enlints, engagés par
Toutes les dérives sont alors observables dans la vie
des pol iticiens, illustrent les conséquences de l'absence
de ces enfànts. A partir du moment où il n'a aucune
d'une réelle éducation. Ils sont à l' image des enfants
protection sociale, dès l'instant où sa fragilité est
soldats dans Allah n'est pas obligé ùe Kourouma 1 ou
provoquée par cette absence du père et dans certains
ceux présentés par Emmanuel Dongala dans Johnny
cas par l'isolement de la mère, l'enfant apparaît alors
Chien Méchant, comme petit Gazon alias Johnny,' des
conmle un objet ou une victime expiatoire. Dans Folle
machines à tuer et représentent la manifestation de la
comme sa mère, Etna n'a connu que supplices,
faillite de la société. La faiblesse d'une certaine
indifférence, violences physiques, hwniliation de toutes
interrogation sur les actes qu'ils posent, la maîtrise des
natures, dédain et mépris de la part de sa tante
décisions prises et mises en application leur échappent.
maternelle, Marguerite. Toutes les accusations portées
Chez ces enfants le parricide se donne à voir comme
contre elle sont supposées fondées. Ceci déclenche une
une certaine forme de violence contre tout foyer de
violente réaction chez sa tante, qui se met dans un état
moralité ou d'autorité. Il est l'expression du sentiment
hystérique, comme si Etna, accusée de vol, est une
d'un échec cuisant de toutes les formes de prises en
pestiférée, une possédée à désenvoûter:
charge collectives ou parentales. La souffrance
intériorisée, l'abandon et toutes les frustrations
Quand sa tante l'avait vue ainsi arriver, elle
conduisent vers une agressivité qui se manifeste dans
était entrée dans une rage folle. Sans lui
toutes Ics formes de révolte contre l' ordre établi et la
demander des comptes, elle s'était mise à
tutclle. C'est vers la drogue, l'alcool, bref vers les
la frapper avec tout ce qu'elle trouvait sur
paradis artificiels évoqués par Baudelaire qu'ils se
son passage, à lui hurler toutes les
tournent pour assumer leur nouvelle identité. Certes,
méchancetés du monde qu'elle gardait
autour d'eux, la société prend conscience des dérives
dans son cœur et qu'elle n'avait pas eu
nées de cette absence d'une tutelle patemelle qui puisse
l'occasion de lui dire ... "
leur servir de modèle et, déplore les changements
Alors, elle se laisse aller avec une certaine
sociaux qui conduisent vers un déséquilibre:
délectation à des insultes les plus immondes et les plus
Tu te rends compte, ma tille, tous nos
horribles à l'endroit de lapetitefille:
enfants sont en train de nous échapper.
Quand ils avalent ces comprimés, ils ne
Chienne! Sorcière!
savent pas ce qu'ils font. Ils deviennent
Enfant de Satan! Tu
agressifs. Et ce n'est plus que vol par-ci;
viens faire quoi à
bagarre
par-là...
Ils
changent
côté de moi?
complètement. ..
Ordure! Sale tille!
J
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Sciences sociales et humaines
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Qui t'a accouché?
s'interrogent à la fois sur leur existence, leur espace,
Saleté li
sur leur vie, sur leur condition :.
L'univers bestial qu'elle découvre auprès de sa
tante fait d'elle une excommuniée, une maudite, une
Est-il possible de naître et être seul au monde?
exclue du monde des hommes. Exposée à tous les
Abandonné et rejeté
dangers, traquée par des gens auprès de qui elle pensait
Dans un endroit sinistre où ne passent
trouver un réconfort, elle choisit de retourner sur le
Ni honunes ni fantômes?
dépotoir, à côté de sa mère. Rejetée par cette dernière,
Est-il possible que je n'aie personne au monde?
elle vit d'lns lUl univers où elle n'a aucune attache à
Ni parents ni amis?
cause de l'inconscience d'un père, d'un homme qui
Est-il possible que je n'aie rien à faire au monde?
s'est dérobé à un moment à ses obligations. Ces
Qui donc peut me dire ce qu'icije fais
différentes exclusions dont elle a fait l'objet tant auprès
Braillant à tue-tête?
de ces condisciples que de sa tante, loin de paraître
Qui peut me dire de qui je suis le fruit? 1
anodines, consacrent le mythe de la victime ou de bouc
émissaire, rendu responsable de tous les malheurs de
En fait, leur existence est définie par leur condition
la collectivité. Le processus de victimisation et de
sociale. Dans ces milieux, le père est censé assurer la
culpabilisation de Etna commence dès l'instant où sa
protection et la survie à ces enfants dans une famille
présence est perçue, dans ces cadres, comme une
constituée et équilibrée. Toutefois, à partir du moment
pe11urbation. Sa vie et sa présence ck:viennent source
où le père disparaît de leur vie, ils connaissent une espèce
de toutes les dégradations inattendues dans ces
de malédiction, une errance qui s'intensifie durant toute
différents milieux. Par conséquent, die est confrontée
leur vie. Leur vie n'a rien de différent de celle des osu
à des actes de répulsion, d'agressivité qui sont la marq ue
décrits par ChinuaAchebe dans Le Monde s'effondre. 2
des tensions nées de cette "cohabitation" non acceptée
La prise de conscience de leur condition n'émeut en
aux plans social et psychologique. Nous assistons à
rien la communauté. Leurs cris se brisent contre des
une apparente immolation symbolique de cette jeune
vitres et, ils sont seuls face à leur destin, La découverte
fille, identique à celle de Œdipe dont René Girard fait
même de cette condition des enfants sans père ou avec
écho dans La vïolence el le .l'acn;.6 C'est ce qu'il
un père physiquement présent mais dont
nomme la crise de "Degree". Le houc émissaire, la
l'irresponsabilité devient criarde est assez attristante et
victime désignée apparaît au regard .des autres comme
angoissante. Elle est sans effet probant sur la collectivité.
une peste à éradiquer. Il est alors indispensable que le
Elle réaffirme cette incapacité à échapper à son sort.
coupable puisse être expulsé, éloigné de la commlmauté
C'est ce que traduisent les complaintes du personnage
afin que celle-ci retrouve son calme, sa normalité et
de Rêves d'enfànts :
son hamlOnie. Cette violence sacrifk ielle fonde l'unité
de groupe et permet de retrouver les équil ibres qui
( Foot"otes)
existaient avant l'intrusion d'Etna dans cette famille et
1
Peggy Lucil: ALJLELEY. RêVl!s d'enfanls. A(,C'T, Lihrcvillt:. 1994.
P 7.
dans le cadre scolaire,
1 Chinuu i\\CI-IEOE. Le .\\londe s'e.Unndre. Présence Afrkainc. Pnris.
Dans ce contexte, la littérature pour enfant en
1966. Il s'agit d'une traduction de Things fall aparl. Ilcineman.
Londres, 1958. la vt:rsiol1 origill<lle en anglais.
Afrique centrale devient une éternelle complainte des
enfants, une mélopée chantée et répercutée à l'infini
comme un écho dans un désert où aucune autre oreille
n'écoute. Elle est empreinte d'un œl1ainlyrisme et, tous
les enfants qui partagent le même destin que Etna
(Footnotes)
1 Ahmadou KOlJROLJMA. AI/ail 11 'es! pas oh/iRt!. Seuil. f'mis. 2000.
: LlllllHlllUl.:1 J)()NCiI\\LA. JV/lnny ('hif!11 ,\\/éclwnr, Lt: Serpent <'l. Plumes. Paris. 2002.
'AISSATOli. "Néra" in COI/l'se con/I'e la "lOllIre. Les Inédits 94. RFI/ACCL NEA/EDlCEF. Paris. 1994. p.I08.
~ Thcorhil~ Telwng,Jin KOUAMOllO. "Folk coml11l' sa mère", in Cours/! contre la montre, Les Inédits 94. Rn/ACeT. NEA/EDICEF. l'mis.
1994. 1'.28
, Th0ophilt: Tl.:h:l1lgaill KOUAMOUO. or l.:il. r·29
.
.
. .
~ ,
'. Rcné GIRARD. l)r cit: il ~er<liL inL~rt:sSaJ1t lll: lin: aussi Jean -Pil.:rrl.: VrRNANT et Pierre \\'IDAL-NAQUET. ;\\ZVlhe et tragec/ie en Clrr!ce
ill/ciet/Il/'. I.a Dél.:ou,",crh:/Podw. Paris, 20() 1 ;"\\ rropos de la victimisiltion du coupnhlc à expulser de la (;it~
Rcyue lIu CAMES - Nouycllc Séric D, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''W Scmcstre)
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Sciences sociales et humaines
déterminant dans le développement de l'enfant. Ce
Je suis une OSSAKA
dernier se définit comme un être responsable, dès
Pendant que les autres s'amusent
l'instant où l'autorité du père s'est amoindrie dans le
Moije travaille
cadre de vie familial. Il lui revient, par conséquent, dans
Travaillant par-ci, travaillant par-là
presque toutes les œuvres, d'assumer les obligations
Parce que je suis une OSSAKA
du père dans cette littérature enfantine de l'Afrique
Pendant que les autres vont à l'école
centrale. Aussi bien dans le conte, dans la nouvelle que
Moije porte déjà le monde sur mon frêle corps
dans le roman pour enfànt, il y a une convergence de
Allant par-ci, allant par-là
vue vers l'enfant-autorité de la famille. Dans L 'héri/aw:,
Parce que je suis une OSSAKA
de Nassara de Jacques Logmo, du Cameroun, le héros
Est-ce possible que l'OSSAKA
Nassara, dès son jeune âge, a perdu son père tandis
N'ait pas droit à l'instruction?
que sa mère était aveugle. C'est à lui que revient
Est-ce possible que 1'OSSAKA
l'obligation d'entretenir sa mère cloîtrée et d'assumer
N' ai t pas dro it aux études ?
sa propre éducation en respectant les reconunandations
Et pourtant je reste un humain. 1
de ce défunt père qui ne lui avait laissé en héritage
qu'une chèvre à faire procréer, sans lui en indiquer les
Tout laisse apparaître, dans cette littérature,
moyens. La vie de Nassara devient alors un processus,
non seulement une paternité-absence mais aussi une
une espèce de maturation qui le conduit, à travers des
celtaine insouciance de l'autorité paternelle. Ceci se
épreuves, à la réalisation de son être. Cette maturation
double d'une dislocation des liens de parenté, car,
de l'individu n'a pu être réalisée que b'fâce aux épreuves
même dans les espaces où le père est connu, toute
d'endurance
auxquelles
il
.est
confronté
attache avec les enfants est rompue, dès l'instant où le
quotidiennement. En se mesurant, dans l'adversité, aux
père décède ou est frappé d'une quelconque infirmité.
autres garçons de son âge, en cherchant, à travers
La mère se retrouve maîtresse de l'éducation et de la
l'expérience de la vie à prendre le dessus sur l'adversité
prise en charge des enfants, si ce ne sont pas les enfants
de son entourage et à se montrer suffisamment mûr, il
eux-mêmes qui assument cette fonction. Or, les moyens
parvient à résoudre l'énigme posée par son père, à sa
de subsistance de ces femmes sont, partout, si
mort, et à donner une nouvelle existence à sa mère.
dérisoires, qu'ils ne permettent pas d'assurer un
Dans ces conditions, l'approche de l'univers
minimum vital et social aux enfants. Par conséquent, de
de l'enfant, dans cette littérature, devient lme fornmlation
façon prématurée, les enfants apprennent à être les
d'un modèle de société où la présence du père est
agents de leur propre vie. Ce qui est évident pour ceux-
volontairement éclipsée par les auteurs pour laisser
ci, dans les différents espaces, c'est que
émerger des espaces dans lesquels l'enfant devient un
La personne est création perpétuelle de
agent responsable du développement social. En le
soi comme du monde, tout en étant appel
poussant dans cette logique de remplacement de son
à la création d'autres personnes. Elle n'est
père, en lui inculquant, dès sa tendre enfànce, des valeurs
pas sans cet appel à l'existence, qui est
sociales, morales et éducatives, en le confinant dans
appel à ( ... ) l'amour. 2
une dynamique d'autoformation, de responsabilisation,
il appréhende les difficultés qui seront les siennes,
Dans le cadre familial et social, l'enfant est
demain, à l'âge adulte. Chez Théophile Tchangin
présenté et perçu comme un agent actif qui participe à
Kouamouo, dans Folle comme sa mère, la vie est aussi
la vie de la communauté en assumant de façon
lm véritable chemin de croix pour Etna, lajeune fille de
prématurée
des
responsabilités
qui
sont
dix ans. De père inconnu et de mère folle, elle est r~jetée
traditionnellement dévolues à des personnes âgées. Il
par toute la communauté à cause de cette naissance
s'établit alors une espèce de substitution de rôle et de
incongrue, sinon "maudite". Récupérée à sa naissance
statut.
par sa tante maternelle, elle connut toutes les misères
Vers une "prématuration" de l'enfance.
d'une enfance malheureuse et d'une famille
désorganisée. Ses réveils se font à coups de bâton,
Cet abandon des enfants, cet effacement du
d'insultes incessantes. Ceci ne l'a pas empêchée de se
père et cette irresponsabilité des adultes, placent des
mettre au travail à l'école dans l'espoir de pouvoir
enfants dans un double système de vie: maîtres de soi
soigner sa mère plus tard. Mais les duretés de la vie
ct partenaires des mères. La substitution de l'enfant à
imposées par cette parente ont mis fin à ce rêve.
son père, apparaît comme une constance et un paramètre
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Sciences sociales et humaines
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L'espace social et littéraire devient
de l'être et, qui conduit au commencement d'un rite
névrotique: tout porte à croire que seule l'absence
initiatique vers les morts. Autant que l'ont connue
physique ou sociale du père permet l' émergence d'une
Œdipe, Archille avec son talon, Thésée avec ses
relation plus intime entre la mère et l'enfant. Le
sandales dorées d'Egée, et même Zeus avec les
resserrement des liens entre abone et sa mère, avec
monstrueux Typhon' qui lui coupa les nerfs des pieds
une dynamique non de complémentarité mais
et des mains, la faiblesse, la cécité du père de abone
d'effacement de l'une au profit de l'autre, atteste cette
est l'élément extérieur justifiant son existence futile et
approche freudienne d~ l'éloignement de la mère au
inutile, donc la source de son élimination de l'espace
profit de la fille. Elles sont devenues, certes, plus
des vivants. D'où sa mise à l'écart de la gestion de la
compl ices dans ce statut d'assistantes affectées au
famille laissée aux bons soins de la jeune fille. Nous
service du père aveugle et presque absent dans la
sommes de plain-pied dans l'approche freudienne du
gestion de la famille. Mais ce qui est surprenant c'est
parricide et de l'inceste. Il ne s'agit pas forcément de
que les liens entre le père et la fille ont éclipsé les relations
la mort du père, perçu comme objet de convoitise entre
traditionnelles entre les époux. Le père, dans sa
la mère et la fille, mais d'un détournement, d'une
condition d'infirme, ne sollicite que les services de sa
substitution de la fille à la mère et au père. Ainsi le
fi Ile et celle-ci est prompte à l'accompagner et à jouer
parricide trouve alors sa source dans l'appropriation
à la protectrice, à la place de la mère. Cette dépendance
outrageuse du père et de son autorité au détriment de
du père ouvre la voie à une certaine affirmation de la
la mère. Cette envie morbide de abone à jouer à la
personnalité de la fille. Elle devient. au détriment de la
mère nourricière, à supplanter sa mère dans les tâches
mère, la véritable responsable de eette famille. Par
quotidiennes et dans ses obligations d'épouse, consacre
conséquent, le père est confiné dans une apparente
l'un des aspects de l'analyse freudienne du parricide:
inutilité et ne participe même pas aux b'fandes décisions.
ici la mort symbolique de la mère génitrice, perçue
Tout est décidé pour lui et tout exécuté par sa fille
comme un obstacle à la manifestation identitaire de la
abone. Cette présence qui apparaît comme une charge
fille. Ce rapprochement entre les deux, laisse entrevoir
sociale pour cette enfant remet en cause les logiques
les mêmes sentiments: orgueil, honte, remords, fuite,
de la distribution des fonctions dans ces sociétés où le
rejet des autres, relevés dans le mythe d'Œdipe.
père a tout le pouvoir. Maître incontesté, il lui revient
L' héroïne, elle-même, retrace cette relation avec une
d'organiser et de régenter l'existence des autres. Dans
forte charge affective:
ces textes, tout est contraire à ccs considérations
Il choisit d'affronter un danger qui allait, à
traditionnelles de la gestion de la famille. Le père
tous les coups, le prendre au dépourvu,
apparaît davantage comme un décoratif. Sa présence
ou en traître. J'étais tentée d'aller à son
n'influence en rien la vie de cette famille. D'ailleurs, lui-
secours, mais, tel que je le connaissais, non
même ne s'y intéresse pas. Les tentatives timides de
seulement il allait rejeter mon assistance,
rejet de l'assistance de sa fille sont très souvent sans
mais encore mon geste risquait de le blesser
influence sur les choix de abone. L'infirmité pemlit à
dans son amour-propre. Déjà, il éprouvait
ces deux personnages de réactualiser cette relation
la douleur de ne pas être le père qu'il aurait
mythique entre Antigone et Œdipe. Comme Antigone,
voulu être ( ... ) de là, que je me mette à le
c'est la benjamine abone qui veille sur le père et qui
materner, ce serait le comble. Il en
l'accompagne partout. Rappelons que l'infirmité et la
soutfurait. Je préférais le laisser accomplir
claudication sont des marques d'identification d'une
son acte héroïque.4
pratique qui caractérise le processus de dégradation
Revue du CAMES - Nouvelle Série 8, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestre)
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Sciellces sociales et hllmaines
La double nature de cette relation père-fille
qu'on lui apporte ses repas. Bien plus, il est transporté
dans cette littérature, définit, pour lès géniteurs, deux
au théâtre pour suivre Othelo de Shakespeare. Cet
statuts avec une logique antagonique. L'émergence de
état crée unc rupture entre Obone la jeune héroïne,
l'lm à côté des enfants éclipse la personnalité de l'autre.
scolarisée ct son père. analphabète, dont l'état ne
S'il apparaît dans ces œuvres une tendanee à écarter
provoque ni affliction ni compassion. Cestavec cynisme
de la vie familiale la présence du père, qui doit
qu'elle retrace les liens aftèctifs entre elle et son pèrc :
normalement s'occuper du devenir de la famille,
Mon pèrc est invalidc. Il a perdu la vuc au
l'espace social dans ces œuvres permet d'apprécier la
cours d'une pmiic de chasse, peu de temps
quai ité des liens entre les parents, en dehors de toute
avant ma naissance. Il ne m 'ajamais vue.
considération des enfants. L'enfant n'a souvent pas
Mon cœur se serre chaque fois que je vois
resserré les liens, qui n'ont aucune solidité, entre les
un papa, plein d'orgueil, admirer son bébé.
parents dans cett~ 1ittératurc. On découvre que les
Je n'ai pas eu droit à cela. Grande aussi
enÜmts ne tont pas l'objet de préoccupations affectives,
doit être la peine de mon père. Mais j'évitc
sociales, morales dans ces cadres présentés par certains
toujours de me mettre à sa place. Cela me
auteurs. Tout sc déroule dans un système de jeu où
fait souflnr inutilement. Alors,je n'y pense
l'enfant n'apparaît pas désiré, encore 1nains aimé. Bien
plus.'
plus, l'existence même d'une famille constituée est
Ici, apparemment, ce qui choque ce n'est pas tant
sujette à des interrogations. Les rejets sont constants
l' intirn1Ïté de ce père, mais son existence et sa
et leurs expressions par les enfants sonnent comme une
présence dans cette famille, sa condition d'un être
accusation.
objet; donc la vacuité de son statut de père. Le père
On a le sentiment qu'il y a un reniement
est perçu dans les textes à travers sa situation actuelle
volontaire de l'autorité paternelle, perçue, génémlement,
d' impotent. Sans réaction aucune, il subit les choix de
comme une réalité primordiale de l'accomplissement
sa fille.
de l'identité des enfants. Le père est nié partout et
continé dans des fonctions naturelles. animales ;jamais
sociales. Cette orientation œdipienne tait surgir une forte
présence de la mère, présentée comme conseillère et
compagne de l'enfant dans son rôle de garant des
équilibres sociaux, comme le souligne Jacques Logmo
dans L 'héritage de Nassara, Justine Mintsa, elle,
(Footnotes)
1 Peggy Lucie AULELEY, or dt, p.6. Ossak.<l sigllilic Cil languI.:
donne de eette approche de l'absence du père, une
Omiènè. pnrléc au (i(lboll. esclave
considération cynique en inscrivant ce mythe de
! Thierry EKOGIIA, .. La personne comme ,tele métaphysique"
in ExcllOrésis, revue africaine de philosophie. n02, vol. 2,
l'enfance responsable dans une logique de l'indifférence,
Rapollda Walkcr. Libreville. 2004. p.111
\\ Carlo GINZOURG Le Sahhat des sorciercs, Paris. Gallimard.
dans une absence de toute affectivité. Certes, dans ses
Oîbliothèqucs des histoires, 1992.
\\
Premières lectures, le père existe tout au long du récit
~ Justine ~lINTSt\\. f'rcmièrcs lectures. Ilaho. Lomé. 2000.
[1.13. C'cst nous qui soulignoll.S. P.,r ailkllTS, Minlsa est Fang cl
mais il est réduit à des rôles assez secondaires. Il n'a
a donc lIne m<lÎlrise des règles de la patrilinéarité. l'ourlant clic
rréscntc aussi un cspaœ vidé. cn réalité. de la rré~cllcc du père.
aucune autorité car le narrateur, qui est l'héroïne, en
, Justine MINTSI\\., op cil. rr.5-6
fait un aveugle. Ce handicap enlève au père la charge,
la sûreté et surtout la participation à la vie de la famille.
D'ailleurs, ses occupations se limitent à ces quelques
instants qu'il passe dans le corps de garde, en attendant
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''~ Semestre)

_ _ _ _ _ _--,
Sciences sociales et llumaines
CONCLUSION
pervers de cette situation déplorable sont souvent
dévastateurs sur la psychologie de ces enfants,
L'espace fictionnel transparaît alors coinme un
transformés en redoutables machines à tuer, parce
ensemble de rêves non réalisables pour ces enfants dont
qu'aucune autorité n'a réussi à canaliser leurs pulsions
presque tous connaissent une scolarité difficile voire
destructrices par les canons de l'éducation. Ce qui nous
même calamiteuse, de dislocation des relations
écarte des manifestations esthétiques d'un Baudelaire
familiales, de rivalités, d'échecs continus, de
ou d'un Benjamin Constant et nous rapproche
comportements bestiaux et d'auto-destruction puisque
davantage de Polybe avec les éléments d'une crise de
le parricide constitue en lui-même un geste suicidaire-
famille, de conflits de générations, de violence à
.tueuon père ou sa mère c'est déjà se tuer soi-même.
l'intérieur du cadre familial.
Suivi inexistant, prisc en charge difficile, le cadre de vie
devient une somme de souffrances, perçue comme
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
fondatrice de la personnalité des enÜmts.
L'approche du parricide dans cette littérature
1. AISSATOU, "N.", 1994, in Courses contre la
montre, Les Inédits 94, RF/IACCT, Paris, NEA-
permet de faire une distinction entre le parricide
EmCEF.
monstrueux et parricide tolérable. La place de l'enfant
2. AULELEY, P. L., 1994, Rêves d'enfants, Libreville,
laisse voir des dysfonctionnements dans la structuration
ACCT.
la famille. Les manquements liés à la fonction du père
3. DONGALA, E., 2002, Johnny Chien Méchant,
sont à l'origine des actes déviants évoqués dans cette
Paris, Le Serpent à Plumes.
littérature de jeunesse. Le traitement du parricide est
4. EKOGHA, T., 2004, "La personne comme acte
axé sur les comportements parentaux défaillants. Il nous
métaphysique"
in
Exchorésis,
revue
amène à lier le texte à une réflexion globale sur la
africaine de philosophie, n02, vol.2, Libreville, Raponda
Walker.
société, la vision sociale des peuples de l'Afrique
5. FREUD, S., 1912, Totem et tabou, Paris, Petite
centrale, la gestion politique des hommes et le modèle
Bibliothèque Payot.
de développement secrété par l'organisation sociale.
La réalité du fait social revient fortement dans les
6. GTNZBURG, C., 1992, Le sabbat des sorcières,
discours et dans les représentations éthiques et sociales
des communautés décrites dans ces œuvres d'auteurs
Paris, Gallimard, Bibliothèques des histoires.
de]'Afrique centrale. L'analyse du parricide place alors
7. GIRARD, R., 1961, Mensonge romantique et
le lecteur à lajonction de l'histoire de la violence et de
la famille avec une exhortation à l'appréciation des
vérité romanesque, Paris, Grasset.
mutations sociales. La conséquence de cette approche
des faillites des structures sociales ouvrent également
8.---~---, 1972, La violence et le sacré,
la voie à l'appréciation des enfants de la guerre décrits
par Kourouma, Dongala, Mbenga Mpiala, Couao-
Paris, Hachette-Littérature.
Zatti, Nkashamaet bien d'autres dans leurs textes. Dans
ces œuvres, l'irresponsabilité des parents, et des adultes
9 . - - --~, 1990, Shakespeare, lesfeuX'tle
de façon générale, facilite l'émergence des terreaux de
l'envie, Paris, Grasset.
la violence observée chez des enfants, qui se sont
retrouvés très tôt impliqués dans dcs guerres dont ils
ne comprennent même pas les mobiles. Les effets
Revuedu CAMES- Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2·... Semestre)
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -_ _ Sciences sociales et Itumaines
]0. KOUAMOUO, T. T., 1994, "Polle comme sa
mère", in Courses contre la montre, Les inédits 9-1,
RF/lACeT, Paris, NEA-EDICEF
11. KOUROU MA, A., 2000, Allah n'est pas ohligé,
Paris. Seuil.
12. LOGMO, J., 1999, L 'héri/age de Nassara, Paris,
AC CT.
13. MENDEL, C., 1968, La Révolte eOn/re le père.
lntmduetion cl la ,1'ocio-p,lye!Jana!1 'se, Paris, Puyol.
14. MINTSA, J., 2000, Premières lectures. Lomé,
Haho.
15. MOUTSARA-GAMBOU, G. R., 1999, Le socle
en pleurs, Libreville, ACCT.
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Revue du CAM ES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)