_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
MODIFICATION DES CONDITIONS HYDROLOGIQUES
ET EVOLUTION DES METHODES DE PECHES DANS LA
LAGUNE DE GRAND-LAHOU
Céline Yolande KOFFIE-BIKPO
Université de Cocody
!Iu·tit"t Géographie Tropical
bikpoceline@yalloo.(r

Abidjan-Côte d'Ivoire
RÉSUMÉ
La lagune de Grand-Lahou est l'exutoire naturel du fleuve Bandama. Les aménagements
hydroélectriques réalisés en amont au cours des années 1970 et la sécheresse persistante ont contribué à
l'ensableh1ent progressifde la passe. Cet état de fait a modifié l'écosystème, ce qui aeu pour conséquence
la raréfaction de la ressource. Les pêcheurs ont adapté les techniques et méthodes de pêche de façon
parfois négative en fonction de cette nouvelle donne.'
Mots clés: LaRune. Grand-La/wlI. Bandama, aménaRemenf. pêche.
ABSTRACT
The lagoon ofGrand-Lahou is the natural outlet ofthe river Bandama. The high level ofhydroelectric
production during the course orthe year 1970 and the pcrsistent dryness, ail contributed to the ultimate
progression ofthe channel. 'TI1is situation modified the ecosystcm resulting in scarcity of water resources. The
lishermen adaptcd new and sometimes negative techniques and methods offishing as a result of the new
disposition.
Kev word\\': LaRool1. Gmnd-Lahou. Bandama. .fishinR..fittinR ouf.
INTRODUCTION
d'Ivoire avec des retombées socio-économiques très
appréciables.
La productivité élevée des lagunes tropicales
La pêche lagunaire en Côte d' 1voire représente
est bien connue et les lagunes ivoiriennes en foumissent
plus de 10000 tonnes par an pour un revenu moyen
une bonne illustration. Environ 120 espèces de produits
annuel de plusde 2 milliards de francs CFA (Annuaires
halieutiques comesti bles sont répcrtl )riées dans les eaux
statistiques de l'aquaculture et des pêches, 2002).
lagunaires ivoiriennes. Ceux qui font l' o~iet de pêche
Aussi loi n que l'on remonte dans le temps, la
sont classés en deux grands groupes: les poissons et
lagune et la mer ont servi aux populations autochtones
les crustacés, Cette richesse tant en crustacés qu'en
du secteur de Grand-Lahou, que sont lesAvikam, de
poissons constitue un enjeu impol1ant au sud de la Côte
réservoir de nourriture: une manne providentielle mise
Revue du CAlVI ES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et /, limailles
Une décision essentielle a été prise au départ.
à la disposition de tous. La pêche est une simple
Celle de mener nos enquêtes, d'en faire l'analyse, avant
cueillette qui diffère selon les saisons.
de consulter la documentation de façon systématique.
L'aménagement hydroé lectrique sur le Bandama
Cette approche al' avantage de laisser une plus grande
réalisé en 1971 avec le lac de Kossou et 1979 avec le
indépendance vis-à-vis des idées préconçues par nous-
lac de Taabo avait pour but d'alimenter toute la Côte
mêmes et nos prédécesseurs.
d'Ivoire en énergie électrique. Les conséquences de
Les enquêtes de terrain se sont déroulées le
cette politique sur toutes les activités halieutiques
02, le 13 et le 20 mars 2004 pendant la basse saison
réalisées en aval n'ont pas été prises en compte. Or,
de pêche. Ce choix pour permettre la rencontre d'un
l'impact visuel de l'emprise de l'activité de pêche reste
plus grand-nombre de personne exerçant cette activité.
importante car le village de Lahou Kpanda et celui de
L'enquête de terrain s'est principalement faites
Braffedon situés à proximité de l'embouchure sont
par l'entretien. La discussion est très ouverte. Au für et
construits autour de l'activité de pêche. L'impact
à mesure de la progression des contacts. un guide
économique (part en tonnage de la pêche crevettière,
d'entretien est conçu avec des questions semi-ouvertes
et poissonnière sur l'ensemble de la production
pour mieux orienter les échanges vers des centres
nationale). l'impact social (nombre d'emplois induits
d'intérêts déterminés. Ainsi, un guide d'entretien a été
directs et indirects) et l'impact culturel (présence de
appliqué aux personnes âgées acteurs de la pêche ou
savoir-faire techniques, de pratiques régionales, de
non et à tous les jeunes pêcheurs en activité. Les visites
société à forte identité) et nutritionnels demeurent
suivantes ont été effectuées pour observer la
importants sur la lagune de Grand-Lahou.
permanence dans les réponses, les changements
La viabilité écologique et socio-économique
éventuels, ou pour compléter des informations qui
des activités halieutiques dépend donc du jeu de
n'avaient pas été suffisan1ment traitées.
nombreuses interactions de nature et d'intensité diverses
La restitution a été faîtes en mai 2004 car la
qui s'exercent dans cette lagune. D'où la question de
population de Lahou Kpanda et de Bratfedon qui a été
savoir si les aménagements hydroélectriques en amont
interrogée voulait absolument réentendre ce qui avait
ont eu des conséquences sur l'activité de pêche à
été dit lors des consultations précédentes.
Grand-Lahou ?
Ces deux méthodes ont permis d'avoir des
Cette étude s'inscrit dans la problématique générale
informations actuelles et passées et comparer ainsi les
d'évolution des usages à l'échelle des bassins versants.
résultats des études réalisées à la pratique du terrain
L'objectifprincipal de cette contribution est de
par les populations.
vérifier l'assertion des autochtones qui trouvent un lien
direct de causalité entre les aménagements
I. PRESENTATION
DU
MILIEU
hydroélectriques et la raréfaction de la ressource qui a
PHYSIQUE
entraîné une modification dans les comportements de
pêche.
.
La côte d'Ivoire possède 3000 km de réseau
La recherche bibliographique et les enquêtes de terram
hydrographique. Le fleuve le plus long est le Bandama
ont constitué les deux moments de cette recherche.
avec 1150 km. Ce fleuve débouche sur la mer par la
La recherche bibliographique a permis
lagune de Grand-Lahou.
d'avoir des informations sur :
La Côte d'Ivoire est dotée d'un réseau
lagunaire étendu sur 300 km, le long de la moitié
- la situation hydro climatique avant les barrages
orientale de la façade littorale. Ce réseau d'environ 1200
(Briet, 1965),
km2 (fig. 1) est en réalité constitué de trois complexes
-les méthodes et teclmiques de pêches avant les
lagunaires distincts d'ouest en est: le complexe lab'lU1aire
barrages ainsi que sur la vie des populations
de Grand-Lahou, le complexe lagunaire Ebrié. le
riveraines (Briet, 1965, Berron, 1981)
complexe lagunaire Aby. Ces ensembles sont reliés
- l'hydro climat et l'hydrochimie des lagunes
entre eux par les canaux d'Asagny (creusé en 1939) et
ivoiriennes (Durand, Guiral, 1994)
d'Assinie (creusé entre 1955 et 1957).
- l'environnement et les ressources aquatiques
Le climat de cet ensemble est régi par
de Côte d'Ivoire (Durand, Duffo ur, Guiral,
l'alternance des saisons de pluies et des saisons sèches,
Guillaume, Zabi, 1994).
par les différents régimes des cours d'eau (le Bandama,
- ainsi que sur la morphologie et l'hydro climat à
régime sahélien, le Go et le Boubo, cours d'eau
l'embouchure en 1993 par Abbé et al.
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2<"" Semestre)

Sciences sociales et humaines
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forestiers) et par les saisons marines chaudes et froides. La combinaison de ces influences définit trois saisons
lagunaires selon Durand et Skubick (1979) ~ .
- une saison sèche, de janvier en avril, avec une prépondérance de l'influence marine, les apports
continentaux sont négligeables, l'évaporation est importante, les températures et les salinités atteignent
les niveaux les plus élevés;
- une saison des pluies (mai en août), dominée par le régime des cours d'eau forestiers avec une salinité
et des températures très basses ;
- une saison des crues (septembre-décembre), durant laquelle tout le système est sous l'influence du
Bandama avec son régime sahélien; les salinités restent faibles mais les températures remontent à partir
du mois d'octobre. Le débit du Bandama atteint
1400 m3/s, le niveau maximum au mois d'octobre, la valeur moyenne se situant autour de 400 m3/s
(Varlet, 1958).
-/
....
-01
.
GOLF.
01
• • • ..-
~~« ..-
Fig. 1 : Présentation du milieu physique lagunaire de Côte d'ivoire
Sur le plan de la morphologie, la lagune de
Lahou. La lagune Grand-Lahou est située à l'extrémité
Grand-Lahou est constituée de quatre lagunes d' ouest
Est du complexe lagunaire de Grand-Lahou. Sa
en est.
superficie est d'environ 57 km2 avec une profondeur
La lagune Tadio est la plus vaste des quatre
moyenne de 3 m. On trouve cependant par endroit,
avec 90 km2• Cette lagune subit plus l'influence des
surtout au niveau de la passe des profondeurs pouvant
cours d'eau côtiers avec une salinité qui varie entre 3
atteindre 8m. C'est elle qui communique directement
et 19%°.
avec la mer par le seul exutoire du complexe et qui
La lagune Niozoumou est un cordon lagunaire
reçoit S\\lf sa façade orientale le fleuve Bandama. Cette
parallèle au littoral. Très marquée par l'influence marine
lagune est sous l'influence directe des effets conjugués
par rapport à la lagune Tadio, cette lagune de 15 km2 a
du fleuve et de la mer. Ses composantes physico-
une profondeur maximale de 3m. Un petit canal percé
chimiques en dépendent, surtout sa salinité dont les
par la Sodepalm la relie à la lagune Grand-Lahou qui
variations reflètent le contexte climatique (1 %0 enjuillet,
est directement en contact avec la mer. La lagune
23%° en août). L'estuaire de Grand-Lahou est
Niozoumou est un cordon lagunaire parallèle au littoral.
l'exutoire en mer d'un des plus importants fleuves de
Très marquée par l'influence marine par rapport à la
Côte d'Ivoire. Situé à l'extrémité orientale de la lagune
lagune Tadio, cette lagune de 15 km2 a une profondeur
de Grand-Lahou, il est compris entre les latitudes 5°9'N
maximale de 3 m. Un petit canal percé par la Sodepalm
et 5°l2'N et les longitudes 4°56'W et 5°20'W. La
la relie àla lagune Grand-Lahou qui est directement en
circulation au niveau de l'embouchure est caractérisée
contact avec la mer.
par un écoulement d'eau moins salée vers la mer en
La lagune Mackey est la moins profonde de
surface et un écoulement d'eau marine en profondeur,
toutes (2 m maximum). Avec une superficie d'environ
ce qui impose des gradients de salinité vertical et
28 km2 elle relie la lagune Tadio et Grand-Lahou. La
horizontal vers le fond. Cette situation a des effets assez
variation de salinité reflète celle de la lagune Grand-
importants sur la composition et la répartition de la faune
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2·'" Semestre)
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lagunaire. C'est cette dernière lagune du complexe
d'intensité pendant la saison chaude Ganvier en mars),
lagunaire de Grand-Lahou qui va retenir notre attention,
un maximum secondaire en octobre.
et ce à cause de sa position par rapport à la mer et au
La faune ichtyologique est très riche et se
fleuve. En effet, la lagune de Grand-Lahou, la mer et le
compose d'une centaine de poissons que l'on peut
fleuve Bandama sont liés par des interactions physiques
classer en trois grands groupes : les espèces marines,
(flux hydrologiques, sédimentaire, et biologique) qui
les espèces continentales, les espèces estuariennes.
génèrent un milieu spécifique différent de la mer et du
Les espèces marines ~t littorales sont
fleuve tout 'en participant des deux et qui déterminent
euryhalines, c'est à dire qu'elles supportent sans
sa nature et sa qualité.
préjudice vital des variations de salinité. Elles pénètrent
saisonnièrement ou accidentellement en lagunes où elle
1.1. Les produits pêchés au niveau de la
passe une partie de leur existence. Dans la majorité
lagune de Grand-Lahou
des cas, il s'agit d'espèce se reproduisant en mer près
des côtes et dont la phase juvénile seule vit dans les
Les produits de pêche débarqués de la lagune
eaux mixohalines. Elops lacerta, polydactylus
de Grand-Lahou sontessentiellement constitués poisson
quadrijilis, Trachinotus jalcatus, liza jalcipinnis,
et de crustacé. Les crustacés sont composés de crabe
lutjanus dentatus, Epinephelus aenus, Sphyraenea
et de crevettes.
piscatorum peuvent être donné comme exemple (Hié
Les crabes avec le genre callinectes amnicola
Daré, 1984).
(De Rochebrune, 1883) sont pêchés en abondance en
Les espèces d'origine continentale qui se
lagune Grand-Lahou. Son cycle biologique a été étudié
retrouvent dans la lagune de Grand~Lahoupeuvent être
de façon approfondie par Charles Dominique et Hems
euryhalines et supporter des taux de salinité élev&s. Elles
(1989). Il se déroule essentiellement en milieu lagunaire.
sont très communes dans les eaux mixohalines. C'est
On peut noter quelques incursions sporadiques en mer
le cas des macho irons (Chrysichthys nigrodigitatus
(Le Loeuf et lntes, 1969). Les femelles vivent dans
et C. walkeri et de hemichromis jasciatus). Quant
des zones très salées et les mâles dans les eaux dessalées
aux Schilbe mystus, eutrophus mentalis et
de la lagune.
Parophiocephalus obscurus que l'on peut classer dans
Les crevettes sont très recherchées en lagune
cette catégorie, on les rencontre occasionnellement en
de Grand-Lahou. Elles sont représentées au moins par
lagune où ils pénètrent lors de l'adoucissement provoqué
deux espèces de Palaemonodae du genre
par les crues fluviales (Laé, 1982)
Macrobrachium :
le
Les espèces estuariennes accomplissent leur
Macrobrachium macrobrachium
et
le
cycle biologique en lagune, ce sont des espèces
Macrobrachium vollenhovenii (Herk lots, 1851) le
sédentaires, elles sont inféodées aux eaux mixohalines
nom usuel est l'écrevisse. La seconde est la plus
et sont très euryhalines. L'exemple le plus représentatif
commune, son exploitation est saisonnière et localisée
est le tylochromis jentinki jentinki. Peuvent être
aux régions dessalées et à l'embouchure du fleuve. Elle
rapprochés de ce type, deux autres Cichlidae très
. est capturée par des pièges traditionnels. Son
commun, ti/apia heudelotii et ti/apia guineensis (Laé,
exploitation est négligeable par rapport à la crevette
1982). Ce dernier semble plus euryhalin puisqu'il est
rose app,elée Penaeus duorarum Burkenroad ou
rencontré depuis les eaux pratiquement douces
Penaeus notialis. Les larves de ces crevettes sont
jusqu'aux eaux marines. On peut aussi citer l 'ethmalosa
transportées passivement de la mer à la lagune par les
fimbrata qui constitue le tonnage le plus important dans
courants de marée. Elles sont alors benthiques et
les pêches lagunaires.
colonisent des zones lagunaires peu profondes. Leur
croissance est très rapide et elles atteignent entre 10 et
1.2. Les méthodes de pêches
15 semaines, 1Ocm de longueur totale (Garcia et al.,
1970). Ces crevettes juvéniles entreprennent alors une
Un système fonctionnel qui consiste à
migration vers la mer, en utilisant des courants de reflux.
l'exploitation des ressources halieutiques existait dans
Cela est probablement physiologique, leur maturité
cet espace. Une patrimonialisation de la lagune qui a
n'étant jamais atteinte en lagune. Cette population en
consisté à subdiviser la lagune en trois grandes familles,
mouvement est exploitée par les pêcheurs artisans en
comprenant chacune des sous-familles elle-même
lagune et en mer. La durée du séjour en lagune est de
propriétaire de plans d'eau témoigne d'une antériorité
deux à trois mois. La migration des juvéniles vers la
d'exploitation et d'usage de la lagune pour des activités
mer dure toute l'année, mais présente un maximum
de pêche.
'124
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2em,' Semestre)

Sciences sociales et humaines
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Briet (1965) dénombrait huit catégories
Les lignes utilisées sont à hameçons multiples. Elles
d'engins ou technique de pêche. Celles-ci sont modulées
mesurent une centaine de mètres, à raison d'un hameçon
en une trentaine de variantes dont les principales étaient:
non appâté tous les 10cm. Elles sont mouillées juste
les filets maillant, les nasses, les pêcheries fixes (pièges),
au-dessus du fond et attrapent les poissons surtout les
les lignes et les éperviers. Cette variété était l'indice de
chrysichthys sur n'importe quelle partie du corps. Ces
système de récoltes bien adaptés au milieu et supposait
lignes sont posées le soir et relevées le lendemain matin.
une connaissance approfondie de l'écologie et du
Les éperviers sont de tailles variables et de
comportement des espèces recherchées.
mailles différentes. Ce sont des engins actifs qui
Les pêcheries sont confectionnées par les
recherchent le poisson. Cet engin est surtout utilisé
pêcheurs autochtones qui ont une connaissance très fme
l'après-midi. Il exploite plus les Cichlidae (Ti/apia,
de l'écologie du poisson. Des bambous sont placés
Tylochromis) que les autres espèces.
dans la vase et barre l'arrivée des poissons d'une rive
En général leur utilisation nécessite la présence de deux
à l'autre, des petits passages sont laissés pour permettre
personnes. L'une pour conduire la pirogue et l'autre
la circulation des pirogues et des pétrolettes. Le poisson
pour manœuvrer l'épervier.
vient et remonte le premier bambou il se dirige vers une
Le filet à crevette aété introduit en Côte d'Ivoire
grande poche pour éviter le piège, il va vers une poche
en 1967 par des pêcheurs ghanéens, dahoméens et
plus petite et progressivement il s'enferme. Pour éviter
sénégalais (Verdeaux, 1981). Cet engin de pêche est
le piège, il est obligé de ressortir en utilisant exactement
une poche de filet conique dont l'ouverture, forcée par
le même chemin ce qui est quasiment impossible pour
un angle de deux bambous mesure en général 1,5 m de
un poisson. Pour récolter le poisson ainsi piégé, deux
hauteur et 3,5 m de large. Le diamètre du filet est ramené
ou trois personnes montées sur une pirogue stationnent
à 50 cm environ à son extrémité par deux réductions
au-dessus de la première grande poche. L'un des deux
successives. Les maillages du cul du filet sont le plus
plonge avec un petit filet en main. Il visite la première
souvent inférieurs à 10 mm. Cet engin est fixé sur deux
poche et remonte le filet une fois plein, ainsi de suite
pieux plantés dans la vase. La pêche a lieu uniquement
jusqu'à ce que toute les poches soient visitées. Le
la nuit à marée descendante, et cesse avant l'étale de
plongeur n'est pas choisi au hasard. Seuls ceux qui ont
marée basse.
du souffle sont commis à cette activité. Ce type de
La répartition des engins de pêche dépend tout
pêcheries constitue de véritable vivier pour les familles
à la fois de contraintes techniques et de paramètres
lors des saisons de pêche. La pêche dans les pêcheries
sociologiques. En lagune de Grand-Lahou, il n'y avait
a lieu principalement lors des grandes e~ petites saisons
aucun grand filet type senne alors que sur les autres
de pêche.
lagunes c'était autorisé. Les captures sont toutes basées
On observe deux grandes saisons de pêche qui
sur des engins individuels.
correspondent aux deux saisons de pluie: mai - juin -
juillet et septembre - octobre - novembre.
II. LES AMENAGEMENTS SUR LE
Pendant cette période, on observe des permanences
BANDAMA
de territoire de pêche qui se matérialisent et s'observent
par des bambous plantés dans la vase. Personne n'a le
Les aménagements hydroélectriques sur le
droit de pêcher dans les alentours de la pêcherie.
Bandama ont été conduits par l' AVB (Autorité pour
Les filets maillant sont fabriqués avec de fines
l'aménagement. de la Vallée du Bandama).ll s'est agit
cordelettes par les pêcheurs, la taille des mailles est
pour la Côte d'Ivoire d'augmenter non seulement les
comprise entre 30 et 100 mm pour les grandes mailles
capacités électriques, mais aussi de développer et
et entre 20 - 30 mm pour les petites mailles.
d'aménager toute une région celle du centre Bandama
Les espèces visées dans le premier cas sont de
qui couvre à peu près 40 000 km2• Une première
gros individus tels les Polydactylus quadrifilis ou les
retenue d'eau a été réalisée au niveau du barrage de
Trachinotus et dans le second cas. Ce sont des filets
Kossou en 1971 avec une superficie de 800 km2, un
dormants mouillés en surface, ils sont également
deuxième barrage a été réalisé en 1979 sur le même
composés de plusieurs nappes de SOm de long avec
fleuve àTaabo avec une superficie 70 km2•
une chute de deux mètres. Les pêcheurs utilisent
Des études scientifiques ont été menées pour
plusieurs nappes à la fois de même ou de maillage
voir l'impact de ces aménagements sur les populations
différent qu'ils posent bout à bout tous les soirs pour
du centre. Ont été étudié, le problème du déplacement
les relever le matin.
des populations, de l'inondation des terres cultivables.
Revue du CAM ES - Nouvelle Série 8, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
125

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Sciences sociales et humaines
de l'adoption de nouvelles techniques culturales et
gagnerait à être étudié avec une plus grande attention
d'élevages, de l'introduction de la pêche dans les
sur toute la lagune.
pratiques de populations profondément paysannes et
L'ouverture de l'embouchure qui est essentielle
attachées à la terre. De grosses sommes d'argent ont
pour l'écosystème lagunaire de Grand-Labou n'a cessé
été dépensées pour comprendre l'impact de cet
de migrer depuis 40 ans. En 1912, le fleuve débouchait
aménagement sur les populations et le moyen d'en tirer
directement en mer (Le Bourdiec, 1958). La
le meilleur parti, à ce propos, Hauhouot (2002) affmne
localisation actuelle de son exutoire à Lahou Kpanda
que l'opération Centre-Bandama reste dans notre jeune
date de 1952. Ainsi, depuis 40 ans, le fleuve n'a cessé
indépendance, l'une des toutes premières au cours
de migrer vers l'ouest àraison de l,lm par mois (Abbé
desquelles la recherche scientifique en général et la
et al., 1993).
recherche universitaire en particulier ont été sollicitées.
La position de la passe et son existence même
Les contrats et les études engageant des institutions,
dépendent de la crue du Bandama, de l'équilibre qui
des experts tant nationaux qu'internationaux ont à eux
se crée entre les houles océaniques qui tendent à
seuls coûtés 2500 millions de FCFA. Toutefois, aucune
l'obstruer et les courants de marée qui, par leur va et
étude n'a été menée sur les impacts des retenues d'eau
vient péricx:lique, entretiennent un passage pour les eaux
en aval.
(Bidet et al., 1977). Cette assertion des scientifiques
prouve bien que les autochtones ont une connaissance
2. 1. L'impact des aménagements sur le
empirique mais très fine du milieu, car ils soutiennent
milieu physique
qu'à marée haute, la mer dépose des sédiments en
lagune, et qye le Bandama les repousse en mer. Avec

Selon les autochtones, la réalisation de
le faible débit du Bandama dus aux ouvrages en
barrage hydroélectrique en amont a entraîné un
amont, le fleuve n 'a plus la possibilité d'expurger
faible débit du fleuve Bandama. Cela a conduit
ces sédiments vers la mer. Cela provoque le
progressivement à la fermeture de la passe, et à
comblement de la passe et parfois safermeture avec
l'apparition de haut fonds dans la lagune. Ils
pour corollaire l'inondation du village de Lahou
assurent que la profondeur moyenne de la lagune
Kpanda.
est de 2 m. Au voisinage de l'embouchure on observe
Les
villageois
affirment
que
les
des profondeurs de 5 à 8 m. Or, Abbé et al. (1993)
aménagements en amont sont seuls responsables de
dans un article sur ({ morphologie et hydrodynamique à
lafermeture de la passe, et le deuxième barrage de
l'embouchure du fleuve Bandama » font ressortir les
70 km] en 1979 a eu des effets plus néfastes que le
caractéristiques morphologiques de la passe sont
premier de
constituées de hauts fonds et de chenaux. Ils notent
800 km] en 1971. Hie Daré (1984) le soutient aussi
que l'ensemble du domaine est très peu profond (3 m)
en disant que les grands barrages sur le Bandama,
à l'exception des chenaux qui atteignent 8m. L'entretien
entraînent des écoulements très inférieurs à ceux des
de l'ouverture de la passe est dû à l'équilibre qui se
armées précédentes et favorisent l'ensablement de la
crée entre les courants de marée auxquels participent
passe. Or, Abbé et al., (1993) disent que si le régime
les débits du fleuve et la houle. Les mesures
du Bandama n'a pas une influence majeure sur les
hydrologiques font apparaître une dominance de
dimensions de la passe, il faut noter que lors des grandes
courants de chasses sur ceux du flot avec des vitesses
sécheresses matérialisées par un débit minimum, elle
atteignant parfois 1,2 ms-I. Cet équilibre a semble t-il
se ferme totalement au passage des eaux. En effet, les
été rompu par les aménagements fait en amont?
périodes successives de fermeture de la passe
Dans la littérature depuis 1952, on affirme
correspondent à des baisses considérables du débit du
qùe la profondeur moyenne de la lagune est de
fleuve constatées lors d~s étiages.
3 n't, Abbé et al. (1993) le disent aussi. Cependant, les
Ces sévères étiages sont en relation directe avec
utilisateurs quotidiens de ces lieux disent que la
le climat. Aussi, il est important de souligner que depuis
profondeur moyenne varie de 1,5 à 2m ce qui supposent
trente ans, l'Afrique de l'Ouest est frappée par une
un comblement lent mais progressifde la lagune. Abbé
sécheresse d'une ampleur et d'une durée sans
et al. (1993) Signalent l'apparition de hauts fonds à
précédent au XXe siècle. Al' origine de cette crise
proximité de la passe ce qui corroborent ce que les
majeure: des perturbations de la mousson africaine
populations subodorent, mais leur étude ne porte que
source vitale des pluies dans la région. Sur la période
sur 4 km2 aux alentours de l'embouchure. Ce fait
de 1970-2000, la pluviométrie a partout baissé, le
déficit atteignant par endroit 50% ce qui a pour
126
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'01' Semestre)

Sciences sociales et irumaines
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conséquence une baisse des ressources en eaux de
dans la lagune de Grand-Lahou pour corroborer ou
surface (projet pour l'Analyse Multidisciplinaire de la
infirmer ce que prétendent les autochtones.
Mousson Africaine, IRD, 2004), le début de cette
Avec l'existence du barrage selon la
sécheresse sans précédent a coïncidé avec la mise en
population, il n )la pas eu de changements majeurs
place des ouvrages hydroélectriques.
au niveau de la production halieutique après le
La fermeture de la passe est amorcée à partir
premier barrage. Mais après le sec:vnd barrage en
de décembre lorsque avec les alizés la saison sèche
1979 à Taabo. ils ont observé une diminution de la
s'installe. Les houles sud/sud-ouest et la dérive littorale
quantité de produits halieutiques dans leurs eaux.
engendrent vers l'est un puissant transport de matériaux
Les espèces continentales ne descendaient plus avec
sableu,x qui colmatent peu à peu la pa'ise. Les sédiments
les crues. Quant aux espèces marines, du fait de
transportés par la dérive littorale contribuent au
l'ensablement de la passe et parfois même de la
comblement des fonds lagunaires et à l'obstruction de
fermeture de l'embouchure, ces espèces marines ne
l'embouchure pendant les périodes d'engraissement des
'se retrouvent plus aussifacilement que par le passé
plages qui s'étendent de décem bre en avril. Cet état
dans la lagune à marée haute. Cette raréfaction des
de fait entraîne aussi l'apparition de nombreux hauts
produits halieutiques due aux ouvrages hydroélectriques
fonds dans la lagune.
et hydroagricoles effectués en amont a entraîné une
En somme, l'existence de l'embouchure
série de comportement nuisible à l'écosystème
dépend de la crue du Bandama, de l'équilibre qui se
lagunaire.
crée entre les houles océaniques d les courants de
Le pêcheur Avikam autochtone a toujours été
marée. L'ensablement de la passe est dû selon les
soucieux du contrôle de l'effort de pêche sur la lagune.
villageois à un déficit de la crue du Bandama du fait des
Ainsi pendant que sur toutes les autres lagunes,
aménagements en amont, or il a été démontré que c'est
l'utilisation de la senne était permisejusqu'à l'éclatement
plutôt le climat avec une sécheresse chronique depuis
d'une grave crise en 1982, sur la lagune de Grand-
ces trente dernières années qui entraîne un débit
Lahou, elle n'ajamais été autorisée, de m~me que la
minimum et la fermeture de la passe. A ces arguments
ligne malienne. Ces deux engins étaient jugés trop
scientifiques la population rétorque que s'il n'y avait
efficaces et surtout trop peu sélectifs.
pas eu d'aménagement en amont, même pe~dant les
L'interdiction formelle de pêcher le dimanche
périodes de grandes sécheresses il n y aurmt pas eu
sous peine de lourdes amendes, la redevance de
fermeture de la passe, car de mémoire d'anciens, ce
500 FCFA par jour de pêche exigée à tout
phénomène n'avait jamais été observé auparavant.
pêcheur étranger qui pêche sur la lagune participe de
cette volonté de contrôler l'effort de pêche et de gérer
2.2. L'impact des aménagements sur
l'écosystème lagunaire. Cependant, avec la raréfaction
l'activité halicutiq ue
des produits halieutiques et la perte de contrôle des
aînés sur les activités des plus jeunes, les méthodes de
Le premier inconvénient sur l'activité halieutique
pêche ont changé.
a été la raréfaction de la ressource.
Les filets en fibres de coton et en nylon ont
Selon les autochtones, le premier barrage le plus
remplacé le raphia. Les hameçons sont devenus
important, celui de Kossou (800 km") n'a pas eu
métalliques et sont disposés très près les unes des autres.
d'impact visible au niveau dl! la production
Les mailles des filets sont devenues plus petites et moins
halieutique en aval. Par contre le second barrage
sélectives. Ces engins ainsi renforcés sont devenus plus
réalisé 8 ans plus tard en 1979, el qui couvrait une
efficaces. Chacun essaie de pêcher plus et mieux sur
supelficie de 70 km" a permis l'apparition de s(~lade
une ressource qui devient rare. L'utilisation de matériels
d'eau douce sur la lagune. Fait que les AVlkam
de pêche prohibés tels que les filets à très petites mailles
n 'availjamai.l' ohservé au niveau de l'emhouchure.
qui permettent la capture des juvéniles est une ~éponse
Ce fait montre bien que les échanges entre la mer et la
à cette nouvelle préoccupation. Cela constitue un
lagune n'étaient plus très importants. En effet, ces
danger pour la pérennité de l'espèce. De plus, pour les
espèces de phytoplancton ne supportent pas un taux
populations Avikanl, la pêche n' était pratiqu~eque pour
de saI inité élevé. Elles s'épanouissent surtout dans les
satisfaire des besoins limités de la famille ou de la
eaux dessalées.
communauté. Cependant, l'arrivée massive des
Dans la littérature, aucune étude récente
pêcheurs allogènes sur le littoral de Grand- Lahou dans
n'existe sur la population et la biologie des espèces
les années 1970 va profondément modifier cette donne.
Revue du CAMF.S- Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2·.... Semestre)
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Sciences sociales et ft llmailles
La pêche jadis considérée par les populations
Les pêcheurs affinnent qu'au niveau de la pêche
autochtones comme une activité d'appoint, va devenir
en mer, les aménagements en amont ont entraîné la
une spécialisation professionnelle. La pression sur la
disparition de la plage. Par le passé, avec le transport
ressource va se faire plus importante du fait du nombre
de sable dû à la dérive littorale au passage de
accru de pêcheurs (trois fois plus de pêcheurs étrangers
l'embouchure, la plage avait engraissé et allait jusqu'à
qu'autochtones en 2002 selon la direction des pêches).
1,5 km à l'intérieur de la mer. La disparition de cette
Cette pression humaine sur l'espace lagunaire et
plage du fait de la perturbation de la dérive littorale
l'importance des acti vités qui s'y développent ont de
depuis la mise en place des ouvrages en amont pem1et
nombreuses répercussions sur la ressource.
aux gros bateaux de pêche industrielle de venir pêcher
Les jeunes se sont mis à pêcher avec des
à proximité du village. Il y a une compétition directe
produits toxiques. Par le passé, l'activité de pèche se
pour l'accès à la ressource entre les batcaux de pêche
faisait
en
circuit
fermé
et
surtout
pour
industrielle et les pêcheurs artisans marins sur leur espace
l'autoconsommation. Cela pennettait aux adultes de
de pêche privilégié.
faire l'éducation des jeunes par cette acti vité.
Les pêcheurs artisans marins se souviennent
Aujourd'hui,
le
système
est
ouvert.
La
avec beaucoup de nostalgie du temps où avant les
commercialisation des produits est effectuée par des
barrages, on pêchait au filet maillant près des côtes.
femmes venues d'Abidjan dont le seul objectif est la
Pemial1t la grande saison de pêche de mai en
recherche du profit. Elles louent des camionnettes
octobre, avec un seul.lilet, un pêcheur pouvait
communément appelées bâchées el arrivent dans les
prendre jusqu 'ù 2-1 capitaines. Depuis les barrages
villages de pêcheurs avec l'intention d'acheter des
sur le Bandama, on compte un maximum de 5
produits de pêche. Elles n'acceptent pas qu'on puisse
capitaines par filet, ce qui oblige les pêcheurs cl
leur dire que la pêche n'a pas été bonne. Elles achètent
posséder plusieursfilets. On observe donc une course
des produits toxiques, ce sont généralement des
à l'investissement ce qui accroît la pression sur le stock
pesticides constitués essentiellement de dérivés chlorés
avec un risque réel de surexploitation.
(DDT). Les plus couramment utilisés sont l'endosulfan
Pour autant, les aménagements n'ont pas eu
ou le thiodan et le lindane ou gammaline (Sankaré et
que des effets négatifs. Les pêcheurs artisans marins
al., 1994) et les donnent à ces jeunes déscolarisés qui
de Lahou Kpanda pêchaient avec des filets maillants
sont à la recherche du gain facile et dont la pêche n'est
sur la côte juste après la barre. Avec la raréfaction du
pas l'activité principale. Ceux-ci sans scrupules les
produit et la disparition de certaines espèces, il a fallu
délayent directement dans l'eau ou mélangés à du sable
aller pêcher en haute mer. Une formation initiée par
du milieu avant de les mettre dans l'eau. Un second
l'UCOPACI (Union des Coopératives de Production
pêcheur pendant ce temps brassent l' cau et les poissons
Artisanale en Côte d'Ivoire) réalisée par le FDFP et la
effrayés et enivrés par les pesticides tentent de fuir et
Direction des Pêches et financée par l'Union
se font prendre dans les filets.
Européenne leur a permis d'apprendre à pêcher pl us
Auparavant les jeunes le faisaient la nuit en
au large. Il a été demandé aux jeunes pêcheurs de
cachette, maintenant, ils le font en pleine journée au vu
s'organiser en coopérative. Ils ont ensuite reçu une
et au su de tous. L'intérêt de cette pratique, c'est que
formation sur la gestion, l'utilisation de nouveaux
très rapidement, on a une production intéressante quelle
matériels de pêche tels que la palangre, ainsi que
que soit la saison. Les commerçantes ne manquent pas
l'utilisation d'instruments de navigation, [a cOImaissance
de poissons, et les jeunes pas d'argent. Toutefois les
et l'utilité de la chaîne de froid. L'intérêt suscité par
villageois ne consomment jamais les poissons pêchés
cette formation a permis à la jeune coopérative de
de cette façon. Ces produits toxiques sont conduits et
s'organiser et d'obtenir un financement pour
déversés sur le grand marché d'abidjan.
l'acquisition de ce matériel.
Les anciens ainsi que les pêcheurs
Apprendre à pêcher plus au large était
professionnels plus jeunes réprouvent ces méthodes de
indispensable et salutaire pour les pêcheurs artisans.
pêche qui détruisent l'écosystème mais ne disposent
En effet, de nombreuses études ont montré que entre
pas de moyens pour empêcher ce type d'activité. En
l'isobathe 0 à 50 m zone consacrée à la pêche artisanale
effet, l'utilisation de poison dans la pêche entraîne la
car zone de frayère par excellence, il y a une forte
dégradation des biotopes et la destruction de la faune
pression qui s'exerce sur l'exploitation de ces
. etde [a flore aquatique non cible (Sankaréetal., 1994).
ressources par la pêche industrielle nationale et par le
nombre sans cesse croissant des pêcheurs artisans.
128
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2 i "" Semestre)

Scieltces sociales et humaines
-------------------------
Certains auteurs parlaicnt déjà de surexploitation
moins constants et la réalité du terrain semble indiquer
(Amon-Kothias, Bard, 1986. et Bard, Dédo, 1990).
autre chose?
Or entre 50 et 120 m, la pêche implique des opérations
La mauvaise quaI Îté des dOlmées statistiques!
plus délicates. Aussi de nombreuses études scientifiques
Dans l'annuaire statistique des pêches et de
(Caverivière, 1982, Kanan, Dédo. 1996) signalent
['aquaculture en Côte d'Ivoire pour l'année 2000, il
J'existence d'un stock de démersaux encorc très peu
cst marqué dès ravant-propos que les chiffres de
exploité sur le littoral Ouest. Cest pour avoir accès à
production dc la pêche artisanale ont été estimés! Il cn
ce stock quc cette formation a été donnée à ces jeunes
est ainsi depuis toujours.
pêcheurs. Et depuis, ils vivent micux de leur activité
La mauvaise qualité des données statistiqucs
profèssiOlmelle. La seule contrainte qu'ils ont est d'être
est due au fait que ces chitTres sont souvent évalués. A
obi igé de pratiquer une pêche collective, et y aller par
Grand-Lahou, cinq points de sorties principaux des
groupe de huit au minimum. Alors que par le passé, ils
produits destinés à la vente vers Abidjan ont été
pratiquaicnt plutôt des pêches individuelles cc qui lcur
identifiés. Sur les cinq points, quatre reçoivent la visite
permcttait de travail [cr à leur rythmc ct non à celui du
régulière des agents des pêches pour des contrôles de
groupe.
salubrité. Sur ces licux de contrôle, des relevés
La préscnce accruc des pêcheurs allogènes a
statistiques sont effectués une fois par semaine afin
provoqué une torte pression sur les stocks, cependant,
d'avoir une idée approximative de la production. Celle-
ces pêcheurs ont apporté leur expérience et leur savoir-
ci est estimée à vue d'œil. Un des sites identifiés par la
raire aux autochtones. La pêche au tilet fixe (pêche aux
direction des pêches et se situant vers toukouzou,
crevettes), la pêche à la balance (crabe), la pêche à la
jacquevillc à la limite de la lagune Ebrié n'ajamais été
senne tournantc sont autant d'acquis cnmatière de
visité. Les agents des pêches n'ont aucune idée de la
nouvelle technique dl' pêche que les autochtones se
quantité de produits qui passe par cet endroit. Les
sont appropriés grâce à la présence des étrangers.
chiffres évalués ainsi sont compilés comme chillres de
Les discussions et enquêtes de terrains ont laissé
production en meret en lagune du secteur de Grand-
supposcr que la production n'a cessé de baisser depuis
Lahou. Les produits estimés sont ceux-qui sont dcstinés
la réalisation des ouvrages sur Il' f3andama. Cette
à la vente.
diminution de la production a méme entraîné une
Le poids des produits destinés à la
évolution dans les méthodes de pêche et dans
consommation n'est pas pris en compte, or cctte
l'appréhension du géosystème. Cependant les ch il'l'l'cS
population est globalement ichtyophage du tàit de sa
de production sont relativement stablcs depuis plus
position par rapport à la mer et à la lagune.
d"Lme vingtaine d'années d,ms les at1l1uaircs statistiques
Lors des enquêtcs de terrain,lcs pêcheurs ont
de la dircction de pêche et de l'aquaculture. La
affirmé n'avoir jamais rencontré un agent des pêches
production en provenance de Gra.t1d-1 ~ahou, lagw1e plus
sur les débarcadères pour estimer a tortiori peser leur
mer tourne autour de 2500 tonnes à plus ou moins 350
production.
tonnes suivant les années. Mais on observe tout dc
De plus, on peut obtenir des chiffres de
même une diminution régulière de la production depuis
productions atmuelles. Mais il ya une absence de séries
10 ans. Les écarts demeurent cependant tàibles d'une
longues pouvant permettre une analysc diachronique.
année à l'autre de l'ordre d'une centaine de tonnes,
contrairement au lagune ~rié ou Ahy, où l'on observe
des écarts allant parfois jusqu'à 4000 tonnes.
En somme, les données statistiques relèvent des
estimations qui sont obtenues à partir de l'extrapolation
des données des points de débarquements
2.3. Critique des statistiques
échantillonnés. L'objectif ici est de montrer que les
statistiques otlicielles disponibles qui connaissent très
Les données statistiques sur liilagLUle dc Gmnd-
peu de variation ne sont pas scientifiquement
Lahou ont peu varié depuis des années. On n'observe
intéressantes, et semblent ne pas corrcspondre à la
pas de grands écarts d'une année à une autre. Or les
réalité des faits et au ton alarmIste des riverains.
pécheurs sc plaignent d'une chute drastique de leur
pmduction qui mU'ait conduit à l'adaptation pourœrtains
de leurs pratiques de pèches, pour d'autres. à " util isation
de techniques et de méthodes prohibées. Comment
expliquer donc que [cs chi mes ofliciels soient plus ou
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciellces sociales et Immailles
Fig. 2 : Schéma récapitulatif: aménagements et pêche à Grand-Lahou
e.\\pèces continentales
Fermeture de l'emho/lchure.
InondaIion cl LahouÔnda
o
Apparition de salade d'eau douce
o
o Compélilion cl
o
C>
o
l'e.\\pace avec la
o
pêche artisanale
maritime
ForIe pressi
Sur la resso
o
Apprentissa
de nouvel/es
~~n~~d
0
pêche
Destruction de l'écosystème
0°0Impactnégatif
Impact positif
130
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'm. Semestre)

Sciences sociales et humaines
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
6. CAVERIVIERE, A., 1982. "Les espèces
CONCLUSION
demersales du plateau continental ivoirien". « Biologie
et exploitation », thèse de Doctorat d'Etat Sciences
La pêche en lagune de Grand-Lahou connaît un déclin
naturelles, Université d'Aix Marseille II, 415p.
depuis la mise en place d'ouvrages hydroélectriques
sur le Bandama. Ce fleuve capital pour Grand-Lahou,
7. CORLAY, J .P., 2001. "Activités halieutiques,
car il a son exutoire dans la lagune cie Lahou Kpanda,
aménagement et gestion en zone côtière", actes des
a connu des aménagements qui ont profondément
5èmes rencontres halieutiques de rennes 16-17 mars
bouleversé les populations riveraines de la lagune dans
2001, IFREMER, rennes, p 69-86.
leur manière de pêcher. Les populations sont
persuadées que ces aménagements qui ont été réalisés
8. DURAND, J.R, ECOUTIN, J.M, CHARLES-
dans le but de développer une région de plus de 40
DOMINIQUE, E., 1982. "Les ressources halieutiques
. 000_km2, l'a été à leur dépends. Leur mode de vie, les
des lagunes ivoiriennes" in Océanologica acta, nO sp.,
rapports qu'ils ont avec ce milieu aquatique n'ont pas
p.277-284.
été pris en compte par l'aménageur, cela a entraîné une
modification négative pour la plupart de leurs méthodes
9. HAUHOUOT, A. A., 2002. " Développement,
et technique de pêche. Or, selon les scientifiques, les
aménagement, régionalisation en Côte d'Ivoire":
modifications hydrologiques du fleuve ne sont pas le
EDUCI, Abidjan, p.183-207.
fait des aménagements en amont mais plutôt du climat
qui entraînent de périodes de sécheresses plus ou moins
10. HIE DARE,J.P., 1984. "Etude sur l'aménagement
longues. Face à cette situation, il serait souhaitable
des pêches sur la lagune Grand-Lahou" (Côte d'Ivoire),
qu'w1e politique de gestion intégréedu fleuve Bandama
Abidjan, CRO, 23 P multigr.
jusqu'à son embouchure voit le jour afin de prendre en
compte les préoccupations des populations riveraines.
11. Konan, (J.), Dédo, (R.), 1996. "'Note sur l'état
des ressources halieutiques ivoiriennes au début de
1996" , CRO, Abidjan, note à diffusion restreinte, 14p,
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
multigr.
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pêche en lagune de Grand-Lahou, rapport de DEA,
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Occidentale, Brest, 28p.
1993, p 9-24.
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morphogenèse plio-quaternaire en basse Côte
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d'Ivoire" in Revue Géomorph. Dyn. , Strasbourg, Vol.
de l'aquaculture en Côte d'Ivoire". CRO, 125p.
9: 33-42.
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p 189-230,27 fig.
doc. ORSTOM n° 83, 164p, 110 fig.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'- Semestre)
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