_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
ETHNIES ET INTERCULTURALITE A LOME (TOGO):
ETUDE DU CHANGEMENT DANS LES RELATIONS INTE-
RETHNIQUES EN MILIEU URBAIN.
Dago Djabéna SAMBJANJ
MaÎtre-Assistallt de Sociologie
Faculté des Lettres et Sciellces Humaines
Université de Lomé- Togo

RltSlIMlt
Cet al1ich: vise ù étudier les rapports interethniques dans le champ de rinterculturel. Il tente, en paI1icui icI',
dïdentifier les zones plus ou moins stables dïnterlërcnLe culturcllt:, mais aussi les changements socioculturels
intervenant suite ù la cohabitation de groupes ethniques diikrents dans la vi Ile de Lomé. Cest une illustration de
la nature des rapports entre les di Ilërentes ethnies prises en exemple et les niveaux de fusion culturelle entre
différents groupes ethniques en présence. Les résul tats de la recherche ont permis d' identi fier les facteurs
iàvorabks ù cc type de changement cul turel de manière à pouvoir analyser les relations interethniques comme
moyen d'amélioration des conditions de développement socioculturel de la population urbaint:.
,\\fOfS clés: Il1fercl/lfl/rel, il/fercl/lfl/r(/lifé, il11l11igmfioll, efhl1Îe, il1ferefl7l1icifé, il/femcfiol1 clllfl/relle,
miliel/ urlwil1. t'!wl1ge7l1el1f social, il7fégmf iOI7 sociale.
ABSTRACT
This aI1icie aims to study intcrethnic relationships with a iiJCus on tht: intercultural impact that results, It
mainly trics to identify the areas [hat arc more or Jess li'ee li'OI11 cultural interlerence, but also looks at the
sociocu!turaJ changes that OCClU' as a result ofthc cohabitation of the di tlèrent ethnic groups in Lomé city. This
stands as an illustration of the nature of the relationships that exist betwccn di fièrent ethnic groups conccll1ed,
The results ofthis research work has made it possible to identify the làvourablc fàctors to this type cultural
change to the extent that one could analyse the interethnie relations as a means to improvc the devclopmmt of
the sociocultural conditions of the urban population.
Ker \\l'(mls: Il1ferCl/lfl/ral, il1fercl/lfuralif,l: il11l1ligmfion. efhnici(l: inferef!ll1icify, clllfl/ml
il1femcfiOl1, Ilr!Jal1l11iliel/, social change, social infegmfion.
chaque peuple: la culture, Il nous semble que la
INTRODUCTION
construction d'une communauté entre plusieurs peuples
n'a qu'un seulmo)'en : la construction de l'identité
Cette étude est une sorte de vérilication du
commune ù travers un intercu1turel plus ou moins
constat ct une réponse ù la préocculxltion de recherche
prol()J1d. Si l'acceptation la plus large du concept de
d'lIne harmonie nationale en situation de rivalités
culture intègre des objets matériels (utilitain:s ou
ethniques et régionales. Nous avons voulu aborder la
esthétiques), des techniques et des pratiques cie tuus
question ù travers cc qUII y a de plus profond dans
I~e\\'ue du CAM ES - Nouvclle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'''''' Semestre)
67

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces .wcia/es et lillmailles
ordres (nourriture, langue, façon de \\ ivre, organisation
sociale, etc.), il comporte aussi des formes mentales
I. LAQUESTION DES RELATIONS
(manière de penser et de sentir, eh':.) et. par dessus
INTER-ETHNIQUES ET
tout. la façon d'assembler entre elLX ces divers éléments.
INTERCULTURELLES EN MILIEU
On peut distinguer des niveaLLx d'enracinement culturel
URBAIN
plus ou moins profonds, qui déterminent le degré de
résistance au changement ou simplement la capacité
La ville, de par son cosmopolitisme. engendre
d'accueil de la différence : le niveau «superficiel»:
des problèmes spécifiques au premier rang desquels la
vêtements, nourriture, architecture, etc. (niveau
question des relations entre les peuples qui la
relativement facile à ouvrir) ; le nin'au «moyen» des
composent et le choc culturel que cela suppose. Ce
structures collectives: les structures sociales,
n'est donc pas uniquement pour son intérêt au niveau
économiques. politiques, les struclures mentales et
heuristique que cette question préoccupe, c'est aussi
langagières aussi 1.:1. en ce qui COl1l:Cllle les géographes.
ct S1ll10ut parce qu'elle constitue un problème pour les
les stmctures spatiales (niveau plus di Ilicile ù modi lier).
villes qu'elle mérite d'être étudiée.
1.1. L'intereultunllité
un problème
incontournable
Pour réaliser cette étude, nOLIs avons choisi la
ville de Lomé qui permet à grande échelle le brassage
Quel que soit l'angle par lequel on aborde l'étude
culturel. Il n'est pas inutile de signaler que la plupart
de la ville, on ne peut éviter les questions des relations
des 42 ethnies du pays sont représentées en plus ou
inter-individuelles, interetlmiques et inter-culturelles des
moins grand nombre. A côté ou avec elles, cohabitent
populations qui la constituent pour la simple raison
des peuples venus de la sous-région ouest-africaine. A
qu'une ville ne se définit pas d'abord par l'espace, et
ce titre, Lomé constitue un vérilable laboratoire
les activités administratives. Une étude géographique
d'observation de l'intégration sociale. Cependant, cette
de la ville éviterait diflicilement d'analyser la stmcture
étude ne se limite qu'à quatre ethnies du Togo: les
de répartition de l'espace, les modalités d'occupation
Ewé,/es Kabyè, les Kotokoli et les Moba en raison de
et d'exploitation du terrain. Or tout cela est fol1ement
leur représentativité dans la ville; 60 individus
lié aux populations qui constituent cette agglomération,
représentant la population de ces quatre groupes
et l'on sait combien cet aspect soumet les populations
ethniques ont été choisis pour constituer l'échantillon
en place à un réel commerce entre elles. L'étude
de cette recherche.
démographique de la ville peut beaucoup moins encore
Le concept de «noyau dur» désigne la part qui
se passer de ces questions car il faudra non seulement
n'cst pas négociable, qui ne suppol1e aUCWl compromis,
rendre compte des effectifs mais aussi de toutes les
qui est très profondément ancrée ct entourée d'llll
interactions constitutives de la vic d'une population, de
système de défense important. parce quïl contribue à
même que la nature de ses mouvements sur le terrain.
la structurc même de la personne. LïntercultureL
L'étude économique de la ville ne saurait se limiter elle
cntendu ici comme l'espace libéré par le compromis
aussi aux ditTérents secteurs d'activité en ignorant les
entre différentes cultures et l'identité commune que cet
bTfOUpcs qui les constituent ct les relations intergroupales
espace constitue pour tous, intègre à la fois ces
qui se tissent au fil du temps et qui rendent florissante
différents niveaux. Il sera donc présenté, pour l'analyse
ou au contraire pauvre la vie économique de la ville.
de l'interculturel à Lomé, les lieux où se nouent les
Si ces questions ne peuvent être évitées, elles
relations intercultureIlés, nous typons ensuite ces
s'imposent au plus haut point à ceux qui posent sur la
dernièrcs dans un dewdème temps. 1: analyse s'achève
ville un regard socio-anthropologique. Sans apparaître
par cette part non négligeable de la construction de
clairement. l'étude des interactions culturelles en situation
l'identité interculturelle que nous avons observée dans
dans une ville est son meilleur paradigme explicatif.
cette étude. Mais tout cela est précédé d'une approche
Toutes les réalités de la ville semblent tissées par la
théorique de la question de l'interculturcl.
trame culturelle. Cest elle qui explique le choix du lieu,
les activités développées, les structures de
ragglomération, l'occupation du terrain, etc. C est pour
cela qu'il urge d'analyser non seulement la structure
etlmique des villes mais surtout d'observer les relations
d'interdépendance que celles-ci entretiennent.
68
Revue du CAM ES - Nouvelle Série R, Vol. 007 N° 2-2006 (2·...• Semestre)

- - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
1.
2.
L'état
de
la
question
convivence acceptable et pennettre le
développement économique et culturel de la ville.
La documentation sur l'immigration et les
C'est Rober Park (1921) qui, tout en analysant
commlUlautés culturelles en milieu urbain est en pleine
d'une manière globale le phénomène migratoire et les
expansion. Cet intérêt accru tient, d'une part, de
problèmes d'insertion des migrants dans la société
l'évolution démographique et linguistique des vil les
d' accuei 1montre néanmoins que l'insertion du
africaines et des préoccupations qu'elle a fait naître
migrant se joue sous la trame d'une interaction plus
et. d'autre part, à la prise de conscience des
ou moins consciente entre sa culture et celle du milieu
chercheurs de l'intérêt que peut susciter J'analyse
d'accueil. Ses travaux ont montré que le processus
du pluralisme culturel des communautés urbaines.
d'intégration du migrant suit plusieurs étapes qui vont
Cette situation a donné lieu à des études les plus
de la compétition initiale à l'assimilation en passant
diverses des universitaires, comme le montre la
par le contl it, l'adaptation aux nouvelles conditions de
progression constante de mémoires, de thèses et
vie sociale.
de rapports de recherche. Sans oubl ier les médias
Au premier stade en effet. il n'y a que méfiance
qui, fréquemment, font état d'événements se
et défiance mutuelles obéissant à des dispositions
rapportant à ces communautés (DAMüME L. E.
inconscientes de survie. Survient ensuite un conflit ouvert
2005
2).
qui va non seulement pennettre aux forces en présence
Malgré une réelle abondance d'études, l'analyse
de rentrer en contact structurant ainsi les relations entre
les groupes, mais il va développer des structures de
révèle peu de variabilité de perspective. Premièrement,
une gmnde partie de la recherche est appl iquée, donnant
solidarité qui développeront par la suite les structures
d'affinité. La troisième étape intervient comme une
1ieu à des rappo11s de recherche et des documents de
nécessité de s'aj uster aux nouvelles conditions nées du
travail d'organismes gouvernementaux et universitaires
conflit. Elle inaugure Wle période basée sur un équilibre
qui sont l'objet d'un appel à J'action. Deuxièmement,
fragile mais qui pennet la réorganisation sociale et le
l'attention portée à l'immigration a été plus importante
repositionnement de chacun. Tout ce processus
que celle portée aux communautés elles-mêmes. De
déhouche sur l'assimilation des mib'TIlnts dans la société
plus, pour chacun de ces secteurs. bien des aspects
d'accueil à travers un compromis culturel car
demeurent ignorés. S'il ne manque pas, par exemple,
I"assimilationne consiste pas en une métanoia. Elle
d"études sur les questions linguistiques et sur l'éducation,
consiste, selon l'auteur, en lme partici ration à la culture,
il n'cn va pas de même lorsque l'on veut sïnfollller sur
au nouvel environnement culturel issu du conflit. Il s'agit
rimpact économique de 1"immigration ou sur la place
d'un partage d'un univers culturel commun.
de l'interaction culturelle sur celle-ci. Troisièmement.
la couverture médiatique du phénomène de
Quoique pertinentes, les conclusions de cette
l'immigration lui donne souvent une connotation
étude demeurent générales. Par son regard
sensationnelle et parfois biaisée, car l' infon11ation est
globalisant. l'auteur ne montre pas assez les
centrée davantage sur les faits, sans s'arrêter
changements sociaux qui s'opèrent ultérieurement à
nécessairement aux causes profondes qui l'expliquent
la constitution de cette interculturalité. Il n'identifie
et à l'impact réel de l'interaction qui s"instaure entre les
pas non plus les facteurs endogènes qui favorisent
dillërents peuples qu'elle met en contact. L'inlomlation
l' intercultural ité et qui sont autant de richesses qui
médiatique oriente parfois la recherche vers des
jouent parallèlement au confl it et malgré lui, un rôle
préoccupations
superficielles.
séducteur avéré. Il n'insiste pas enfin sur les espaces
et les lieux où se déroulent la dialectique conflit-
La plupart des études sociologiques, au titre de
compromis qui engendre une communauté culturelle.
la recherche fondamentale, intéressant les populations
urbaines, se sont attachées àsuivre leur itinéraire,les
1.3. Nécessité d'une nouvelle approche de
raisons qui ont motivé la décision de partir en ville,la
l'interculturalité
place de la famille et le rôle des groures d'origine ou
de provenance dans l'accueil, l'intégration et
1"insertion sociale du candidat à la migration. 0' autres
Lorsqu\\l11e population se déplace, sa culture
ont axé leurs recherches sur les enjeux économiques
entre en contact avec le milieu d'accueiL Trois
du commerce des peuples urhains. Iln'y a que peu
possibilités sont alors envisageables: soit elle s' imbrique
qui se sont intéressées aux questions relatives 0
par assimilation complète avec celle déjà présente pour
l'interaction culturelle et à la construction d'une
s' identi fier à elle, en l'enrichissant, soit elle 1ui résiste
culture commune nécessaire pour rcndre la
pour coexister dans une tension conflictuelle plus ou
I~ev\\le du CAM ES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2··" Semestre)
69

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciellces sociales et Ill/mailles
moins permanente. Mais entre les deux extrêmes, on
II. LE CONCEPT DE
note égplement l'enrichissement mutuel que la rencontre
L'INTERCULTlIRALITE
peut engendrer. La réalité quotidienne de vie
intergroupale nous révèle des compositions et
Avant toute chose, il convient de bien situer le
recompositions des relations interculturelles. Sur la base
champ de l'interculturel. Apparu il y a quelques anilées.
du processus conflit-compromis. il se erée «un
le terme «interculturel» est maintenant banalisé
interculturel qui favorise les échanges et rend
(CAMILLIERI c., 1993: 45). Festival intercultureL
hannonieuse la coexistence» (AGBLKOU, 1998: 15).
soirée interculturcllc, musique interculturclle, dimension
Nous partons de deux hypothèses. D'abord que
intereulturelle, approche interculturelle, action
l'interaction culturelle, quelle soit positive ou négative,
interculturelle, pédagogie interculturelle, etc. sont autant
produit lïnterculturel. L'accueil enthousiaste d'éléments
de termes qu'on rencontre très fréquemment
étrangers situe les frontières de l' interculturel au centre
aujourd'hui. Il semble même en avoir supplanté un autre
de la culture d' accuei 1alors que l'intégration résignée
: le terme «international». ce qui ré\\-èle une évolution
d'éléments moins appréciés au dépalt constitue cette
dans la pcrception de «l'autre». I:autre n' est plus.
zone plus ou moins périphérique qui permet la
comme le font remarquer BEGAG A. et al. (1990) tant
coexistence pacilique. Ensuite. la ville réunit les
celui qui vicnt d'un autre pays. d'un autre peuple, il
conditions les meilleures pour le changement cultuel
témoigne d'abord d'une autre culture. La culture
notamment en pel111ettant et facilitant les contacts entre
considérée ici prend surtout en compte les manières
les peuples. En ce sens, la ville est un lieu de contact.
alimentaires. les pratiques altisanales. la musique. etc.
d'échange et de sociabi 1itél .
Elle touche donc plutôt les aspects les moins ancrés de
La démarche interculturelle passe par trois étapes
manière irréfutable. donc les moins résistants au
: la décentration (prendre conscience de ses propres
changement. Bien plus. c'cst de ces aspccts supcrliciels
cadres de référence) ; la pénétration du système de
que naît Je plus souvent le désir d' aller vers l'inconnu,
l'autre (tenter de se placer du point de vue de l'autre et
de découvrir de nouvelles sa\\'curs ou de nouveallX
Je le comprendre) : la négociation (idcnti fier les noyaux
r)thmes. C est un tremplin inestimable pour ouvrir les
durs et l'espace de négociation possihle afin de trouver
cœurs ct les têtes par-delù les nationalités, les peuples.
des solutions que ehaque partie admettra en conscience,
les ethnies. etc_
impliquant souvent lm minimlml de compromis).
Mais le concept de culturc a une signilication
Il faut donc éviter de tomber dans le travers que
propre aux scicnces humaines au sens largc. «Cest
constitue la confusion entre approche interculturelle et
rensemble des ~mits qui s[1éci1ient un peuple. un groupc.
approche de l'immigration qui pri\\'ilégie les termes
une société. (... ) rcconnaissable ù des pratiques. des
assimilation, insertion ct intégral ion. On le sait.
sentiments et un univers matériel d·objds Ù la fois
l'assimilation signifie: «J'accepte l'autre s'il rejette sa
utilitaires ct esthétiqucs quc l'on nOlllme ici culture. Et
différence.» Il est reçu sans réserve ou discrimination.
pl us précisément cncore une certainc làçon d'assembler
mais à condition de renoncer à sa personnalité propre
entre eux ces Jivers éléments.» (Guillaumin. c.. 1994:
et d'adopter intégralement et rapidement les valeurs et
160).
les eompOltements de la société d·accueil. L'insertion
qui traduit en réal ité le suivant: « ,k tolère l'autre avec
l,es anthropologues élargissent davantage encore
ses particularités culturelles durables. mais il est étranger.
le concept et nomment «culture» «l'ensemble des
différent, et le restera» montre bien qu'il a le droit de
formes mentales. des institutions et des objets matériels
travailler et de participer à la société, mais il reste
qui spécilient une société quelconque. Ainsi la culture
différent. L'intégration pour sa part véhicule le sens de :
implique+elle langue et façon de vivre, organisation
«Je veux continuer à croire en mes valeurs, mais je ne
Je la parenté et techniques. comme outillages. nouniture
t'oblige pas à renoneer aux tiennes» est un processus
ct vêtement. manière de penser et de sentir. interdits et
ouvert tablant sur la durée: elle l~lille pari. à terme.
obligations. pratiques sexuelles, pol itessc et distractions.
d'un métissage fécond. Mais elle Ile su11it pas pour
ct tonnes plises par la malaJie Illentaleoula marginalité.
délinir l'interculturel (DERRICH, 0.,1991 : 20).
clc.» (Guillaumin. c.. idem: 161 ).
Le concept de culture touche aussi à des zones
bien plus profondes de notre être. plus diflicilement
(Footnotcs)1 Yves GR!\\FMEYER.
SIJciologie urhail1c.
transtonnables : celle des structurcs. celle des valeurs
Nathan Université. 1994. 128 pages.
70
Revuc du CAM ES - Nom'cllc Série fi, Vol. 007 N° 2-20116 (2i'''''' Scmcstre)

- - -
Sciellces sociales et 11IIIllailles
et celle des croyances composant. LI isent certains, le
de gestion de malentendus et de confl its ou de création
«noyau Jur» de notre culture. Il nous faut insister sur
de modes de coopération (THOMAS, 2000). Tout en
son caractère néanmoins mouvant. tant au sens
prenant en compte toutes ces dimensions, notre
individuel qu'au sens collectif et c'cst ce qui peut donner
démarche s'appesantit un peu plus sur l'élaboration de
sens il une démarche constructiviste l1appropriation
l'équilibre comme épiphanie de l' interculturel.
culturel le. tCn11CS qui pounaient p,u'aitre à prcmière vue
contradictoires.
III. LES SIGNES VISIBLES DE
L'INTERCULTURELA LOME
I.e qualiticatif( interculturel) est également replis
pour les analyses Jes obstacles il la cOlllmunication dans
les cas de coexistence. Ici émerge, au moins
indirectement.lc souci d'améliorer les échanges entre
L"observation, même sommaire, de la vic des Loméens
les systèmes ct partenaires en présence, indiquant pour
permet de titrer des conclusions optimistes quant il
la premÎl're t()is la prise en compte du préfixe «intcr».
l'établissement d'une interaction culturelle réelle entre
Pour les uns, l' intercultural ité est envi sagée comme une
les différents peuples vivant dans la capitale togolaise.
articulation, lIne interpénétration, une rééquilibration
Qu'clle concerne les aspects facilement négociables
hal1110nieusement eflèctuécs de dOI1l11~CS et de conduites
dans le commerce culturel ou les dimensions plus
culturelles différentes. Comme le souligne fort bien
profondes de la culture, l'interaction touche une large
GALAP J. (1995 : 108), ce concept rend compte, en
pal1 de l'existence de chaque Loméen. Avant de passer
réalité. avant tout. d'une manière d'être, d'une
en revue et à titre d'exemple quelques-unes des
conception du monde et d'autrui. d'un type de relations
manifestations de l'interculture\\. identifions les lieLL,( où
égalitaires entre les humains ct les peuples. Cest l'anti-
ce dernier se erée.
ethnocentrisme (GALAP J.. op.ciL).
3. 1. Les lieux-dits des rencontres
Au regard de cela, on peut percevoir l'ambiguïté
culturelles
de celtaincs dé/initions qui semblent au départ proposer
un cadre extrêmement large mais qui, en finale,
La ville a tOl!jOurS constitué un foyer de vic sociale
témoignent d'une vision qui associe étroitement
active, un lieu où peuvent sc révéler et se vivre toutes
intereulturalité et immigration. Or, il n'y a pas
les rencontres interculturelles. Tenain tfufli-ontements
nécessairement de différence de «mi 1ieu». de «culture»
politico-ethniques et d'exacerbations des inégalités
au sens profond entre deux personnes de nationalités
sociales, la ville est aussi un espace de rencontre.
diflërentes, quand bien même elles ont dcs façons de
d·échange. de métissage entre des groupes aux origines
s'alimenter. de se vêtir. de se di\\ertir Jiflërcntes.
diverses et aux cultures dillërentes. Chaque ville a ses
Inversement. deux amateurs Je JiJothall peuvent avoir
lieux forts de socialisation: marchés. lieux de culte.
des rélërences pro/'t)ndes tellement éloignées que seul
hôpitaux ct autres fonnations sanitaires, écoles, etc. qui
le plaisir d'un matchj1eut leur olrrir un espace de
sont des espaces publics. Chacun de cés espaces
communication. C'est en rélërenœ aux dimcnsions
remplit une !'t1l1ction de mise en relation. On peut les
prol'tmdes de la culture (structures. \\:lleurs. croyances)
regrouper dans trois lieux symboliques: le milieude vic
mais également aux aspects superficiels (noul1·iture.
(quartier. maison). le lieu de travail (bureau, atelier) et
vêtements. langues. etc.) que nous parlerons désol111ais
les lieux de rencontre (marché, cabaret, hôpitaL etc.).
J' interculturalité.
3.1.1. Le milieu de vie
Nous quali fions donc. à la suite de Marc Thomas
(1000). d' intercul tural ité la démarche commune et
En dehors des vieux quartiers où résident les
constructive. dans un groupe hétérogène ou d'origines
populations autochtones ou anciennement immigrées,
culturelles diflërentes. prenant en compte et mettant en
et de quelques quartiers résidentiels où les villas
synergie trois plans: l'élaboration de l'équilibre
accueillent une Ü1I11ille nucléaire, la ville de Lomé ome
identitaire du sujet et ses aménagements successifs,
une grande possibilité de mixité et d'hétérogénéité des
provoqués par les questionnements et tensions vécus
populations. Le nombre d'étrangers et de populations
Jans des contextes interculturels, l'analyse des
récemment immigrées est très élevé. Beaucoup ne
ressemblanccs et di flërences entre les personnes et les
groupes en contact coopératifs ou conJ1ictuels et la
méta-communication sur les interactions qu'il s'agisse
Rcvue du CAM ES - Nouvclle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)
71

_______________________________ Sciences sociales et" Ililiailles
disposent pas de moyens pour s'acheter un terrain ou
administrative, ù Lomé comme dans le reste du pays,
se construire une maison. La ville n'ol1re pratiquement
les services publics penllettent 1Ïnteraction culturelle.
pas de structures d'accueil. Tous ceux qui n'ont pas
Dans les bureaux, les gens ne se privent pas de parler
leur propre maison sont donc ohl igés de se raire
leur langue d'origine, d'apprendre la langue du voisin
héberger au départ par des parents, ou de louer un
avec lequel ils ont tissé une aninité. En général, la langue
appartement dans des maisons construites pour en
locale !'cmp0l1e sur les autres, que cc soit à Lomé ou ù
donner la possibilité àcondition d'avoirun emploi stable.
l'intérieur du pays.
JI n'est donc pas rare que des représentants de plusieurs
3.1.3. Les lieux de rencontre
peuples diflërents se retrouvent dans une même maison.
Ceux qui ont vécu des occasions parei Iles se
Ils sont constitués d'un mélange d'espaces
souviendront du violent choc culturel que la vic
neutres comme l'hôpital par exemple, qui ne sont pas
commune peut engendrer mais aussi la h'Tande richesse
bits pour remplir la fonction de misc en relation des
du pal1age d'tll1minimum. Si les difkrences ont éloigné
pcuples, avec des espaces anthropologiques plus
certains, beaucoup se réjouissent de l'ouverture sur
marq ués en ce qu ï 1s ont été voulus pour inviter il la
J"autre que cela permet. Ainsi 43 % des personnes
rencontre pour la mise en relation (tels le marché ct le
interrogées indiquent avoir une honllL' impression de la
cabaret).
cohabitation avec des personnes d'autres peuples.
L'hôpital met Lel1cs en contact des individus, des
Parmi elles, 21 % disent avoir gardé contact avec au
cultures mais cette tlmction n'est que secondaire. Il met
moins un des ex-colocataires, alors que 8 % ont lait de
d'abord en relation un patient et un ou des médecins et
l'un aumoÎns d'elles un ami, un conjoint. etc. I.e lieu
avec eux les in1irmières, les gardes malades, les
d'habitation constitue donc un facteur très bvorablc à
pharmaciens ct tout le monde médical. Mais souvent.
la naissance cl 'une interaction clIhllrL'/ le positive.
ces mppol1s il première vue strictement médieaux font
naître des relations interpersonnelles qui sont le fruit
3.1.2. Le lieu dc travail
d'une rencontre de sentiments humains parallèles ou
Même si J" école fait 1Ïmpasse sur les cultures
tout simplement de la cllliosité suscitée par la di l1ërencc
dans son souci cr uni lier et d'égal isCl". elle reste un 1ieu
de l'autre. Les hôpitaux, les centres de santé constitucnl
fort de la rencontre des cultures. Les cercles d'amis,
des 1ieux qui favorisent la rencontre cntre les peuples et
ks groupes de camarades et de trmai 1transcendent
les cultures. Si le rapport au corps médical peut
bien souvent les limites ethniques. Au collège, alllyeée
constituer une occasion de rencontres interethniques ct
comme à l'université, les amitiés privilégient plus le
culturelles, c'est la so[id~u'it0 en milieu hospitalier, SLu10ut
p~1I1age des soucis communs que l'unité de la culture ct
entre malades qui est le 1~lcteur le plus puissant de
de la langue. Le milieu scolaire semble crailleurs
l' interethnici té et l' intercultural ité. I,e paI1age du même
«S'opposer il la réalité quotidiennL' des rivalités ct
sort. de la même salle, le partage dc la nourriture,
al1l'ontements historiques des peupks» (AMSFLU~ L
entraînent souvent unc ouvel1urc sur l'histoire de l'autre,
cl M'BOLLO E., 1985 : 75). Parmi les personnes
sur sa culture, sa langue qui continuera une l<Jis sorti de
interrogées, pl usieurs d'entre elles iSSlIl'S de peuples
l'hôpital. Ainsi, Il % des personnes qui ont Jl'S amis
qui sc sont toujours combattus disent avoir lié amitié
issus d'une ethnie différente déclarent les avoir
avec J"un ou J"autre membre sur les bancs de récole,
rencontrés dans un ccntre de santé. Ces 1ieux 1~lvoriscnt
CL' il 1ïnsu dl's parents ct des adultes. Cela est d'autant
d'autant plus la rcncontre des peuples qu Ï 1s sont de
révélateur que la plupart des gens qui entretiennent
\\'éritables espaces publics. Que cc soit le CIIU~ de
aujourd'hui encore des relations avec J'autres cultures
Tokoin,le cnu Campus, l'hôpital de 8è, le Centre
déclarent les avoir nouées en milieu seolaire ou à
Médico-Social d' Agoè et même les dillërentes cliniques
r uni versité.
de Lomé, tous ces 1ieux rassemblent ct mettent
L'administration peut se révéler aussi assez
quotidiennement en relation ct en interaction plus ou
f~1\\'orable à réchange culturel. Le partage du même lieu
moins durablement des peuples dillërents.
de travail n'est pas seulement animé p~u'la conculTence,
Comme l'hôpital. le lieu de culte n'a pas d'abord
les jalousies, les coups has et autres monstruosités
pour première fonction de créer des rapports
qu'engendre la rivalité ou la dilTérence. Le milieu
interculturels mais des rapports soeiaux. La religion
administratif celui de ]' entreprise L'l des atel iers sont
engendre ct structure les liens sociaux ct son rôle s' <mête
aussi de véritables lieux de rencontre ct dïntégration
là. Elle invite certes à sc retrouver mais elle a tendance
sociale, etc. Les espaees administratifs n'ont rien de
à réduire les dillërences ct à faire de tous des <<li'ères».
neutre. Si le français reste 01fieidlement la langue
72
Revue du CAM ES - Nouvelle Série U, Vol. 007 N° 2-2006 (2""'· Semestre)

----~-
~
Sciellces sociales et li limailles
A partir de ce moment, J'autre n'est plus regardé comme
Comme les marchés, les cabarets sont également les
dinërent de soi d'autant qu 'i 1partage la fraternité avec
lieux par excellence où les gens qui se connaissent des
l'autre.
amis, des personnes de la même provenance se donnent
En l~lÏsant de la société une communauté, la
rendez-vous autour de la boisson locale. Ces lieux leur
religion Ülit l'impw;se sur l' ÏITéductiblc quechaclID polie
offrent l'occasion de retrouvailles et de partage de
en soi. Heureusement il n'en est rien dans la pratique.
nouvelles des uns des autres et du lieu d'origine. Ils
Les lieux de culte avec \\cs diverses possibilités de
sont progressivement devenus aussi le rendez-vous de
regroupement: chorales, groupes de prière,
gens qui se retrouvent parce qu'appréciant la même
congrégations. associations, mais aussi de formation:
hoisson, qu'elle soit ou non la spécialité de chez soi.
Gltéchèse, enseignement bihlique et coranique... font
Or, autour du pot le partage de la parole sur l'actualité,
des églises ct des mosquées de Lomé (ct d' ai 1leurs)
sur un fait divers ou même la solidarité spontanée dans
des points de rencontre privilégiés entre diffërents
le J1<.111age du même pot comme on en ohserve souvent
peuples. En dehors du marché. le 1ieu de culte constitue
font jaillir des rapports nouveaux entre des individus
une occasion sociale d'interaction la plus évidente. Plus
qui s'ignoraient auparavant et constituent une brèche
que le marché d'ailleurs, il permet la récurrence des
ouvelie sur des peuples qui s'indifféraient ou même se
rencontres. leur approfondissement et leur suivi. Les
comhattaient. Que cc soit les «tchakpalodrom1», les
liens tissés à l'église ou à la mosquée vont au-delà de
(<tchoutousimé~», les «sodahimuné5»ou tout simplement
l'amitié ct de la camaraderie. Le p,lItage dc la même
les différents hars de la ville de Lomé, le constat est le
foi semble installer d' embléc ks individus dans une
même.
cnnliance mutuelle qui hascule assez rapidement le 1ien
3.2. Intenlctions et intérêts mutuels entre
du côté de la Iloaternité universelle. I.orsque. dans ces
groupes cthni(lucs
conditions. l'amitié sc noue. elle est ù toute éprellve ct
clic transcende toutes les haITières hlllnaines ct sociales.
Ainsi, 63 (~o des personnes de "échantillon qui
Les interactions sc traduisent daI1s Ics faits sur la
entretiennent des 1iens m'cc des pers\\limes d'ethnies ct
hase de la formation des groupes de travail au plan
de cultures différentes disent avoir rencontré ces
économique et par les influences suhics au plan
personnes dans leur paroisse ou à la mosquée. Et paIl11i
alimentaire suite à la rencontre de plusieurs groupes
elles, 45 % estimcnt considérer ccs personnes comme
ethniques. Notons que 30 % de l'échantillon travaille
si clics étaient des memhres de leur famille. Lieu par
en groupe ct que tous les groupes de travai 1auxquels
excellence où s'exerce la fonction socialisante. «la
appartiennent les cnquêtés sont formés sur la hase
rel igion ct ses lieux sacrés de rassem bic ment exercent
communautaire. Aucun groupe n'est constitué sur la
une 1i.1I1ction d'intégration sociale ct d'intereulturalité»
base ethniquc. Ccci nous amène à affirmcr que
(('LAVAL, Poo 1999: 23).
l'attachement à une ethnie a quand même des limites.
I_e marché est quant ùlui explicitement voulu pom
créer des rencontres ouvertes même si ccs dernières
3.2.1. Au plan alimentaire
sont plus courtes et plus superficielles. Le marché qui
participe à la construction Je la vic urbaine, est un lieu
Au rang des éléments superficiels susceptibles
primordial d'élahoratil)Jl de la sociahilité citadine
d'être négociés se trouvent la nourriture et la boisson.
comme l'a déjù montré POlJRTIER (1999: 45). Ses
Sur ce plan. force est de constater une interaction
lè.llll1es varient sensiblement scion les types de ville ct
remarquahle. Tous les groupes ethniques sont fOl1ement
les aires culturelles. Mais tous les marchés sont des
influencés. Le coco (la bouillie) des Kotokoli et le
lieux où sc donnent rendez-vous les cultures autour
\\l'u/cl1é, appelé chez les Ewé sous le nom de A)'imo/u,
d'enjeux écollom iq ues. A Lomé,le marché d' Adawlato
surnommé «Assigamé» (grand marché) voit sc
(Footnotes)
rencontrer des peuples de toutes provcnances ct parler
'CIIU : Centre Ilospitalier Universitaire.
quotid ien nemcnt plus d'une trentaine de langues.
Touteli.)is. le mina, la langue locale reste la langue
, Lieux de vente de la boisson locale «tchakpalo»
véhiculaire. Les autres marchés de quarticrs remplissent
J'origine Moba-Gurmu (extrême Nord-Togo).
4 Marché de tchoukoutou, boisson préparée au pays
les mêmes ti.mctions : pennettre la rencontre de peuples
kabyè (Nord-Togo).
différents qui. au détour des besoins économiques
, Marché de sodabi, boisson préparé dans le Sud du
permet la rencontre et le brassage des peuples.
pays.
Revue du CAMES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2""'" Semestre)
73

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et /",mailles
sont devenus les constituants incontoull1ahles du petit
parlent les diflërcnts peuples. Ainsi, 97 % des personnes
déjeuner de la plupart de Loméens. Il s'est développé
interrogées disent parler des langues différentes de la
dans tous les quartiers de Lomé des points spéciaux
leur propre. Le détail de ces données montre que si le
de vente de bouillie à base de sorgho ct de ml/ché.
mina arrive en tête après le français panni les langues
Ainsi, 53 % des personnes interrogées disent prendre
les plus usitées. le kotokoli.1e kabyè et plusieurs autres
la houillie comme petit déjeuner. 27 0;;) le watché et
langues du Togo et des langues étrangères (yoruba.
seulement 16 % sont hahitués au thé le matin. Les 4 %
haoussa, fon), sont parlées par des personnes qui ne
restants alternent le watché et la bouillie. C'est dire
les ont pas pour langue maternelle. L'autre aspect de
combien ces deux mets ont tendance à s· imposer sur
l'intérêt mutuel que se p0l1ent les cultures sc trouve
le plan alimentaire à Lomé et dans toutes !es contrées
dans l'importance que chacun accorde à la langue
de l'intérieur du pays. Le !J%koin, rab/o. le l/icngo/i.
d·autrui. Au-delà des raisons stratégiques et de réalisme
le diel1kollmé. l'akpan, le nwko//ll/é. l'égh/cl1, qui
liées à la vie quotidienne. il ya un désir manifeste
sont des spécialités du Sud. apparticnnent tout autant
d'ouverture qui s·observe. Qu'un Moha parle mina ù
actuellement au patrimoine cul inai re dc tous les peuples
Lomé parce qu'il y est bien obligé. cela sc comprend.
vivant à Lomé. Le kl//ma des Moha connu sous le
Mais qu'il déclare cette langue importante pour lui
nom de /ihani. leur mllki/isahe (riz cn boule à la sauce
presqu'au même niveau que la sienne. cela ne relève
d'arachide) ou le hiha/ikou des Losso ont acquis eux
plus du simple fait des exigences de [a cohabitation. De
aussi un statut interethnique. Au ni\\l~au des sauces. le
même. que les Ewé et Mina disent ù 34 % parler les
même processus s' ohserve et on pourrait en citer
autres langues importantes du pays est un signe des
plusicurs exemples. comme kodo)'o, gna/ol/, /ch%u
temps. car on connaît leur réticence à s'ouvrir en cc
des Kahyè. Mais c 'est au niveau des hahitudes
domaine.
concernant la boisson que le changement est le plus
frappant. Le /choukou/ou. le kah/èmissine, le
!ossol11i.l'sil1e. le /clwkpa/o, le dé/w. le sodl/hi... ne
sont plus une exclusivité d'un peuple particulier. On
trouve des fèmmes moha produisant du /choukou/ou,
comme des Kabyè s'essayant au Ichakpa/o. Le sodabi
est bu par tous les peuples sans disti IKtion. tout comme
les autres boissons énumérées. On ne trouve pas que
des Ewé dans les cabarets de soi/ahi, comme on ne
trouve pas que des Kabyè ou des Losso ou encore
des Moba devant les pots de /chollk. de /ossomissine
et de /clllIkpl//o.
3.2.2. Le partage de la h1llgue
La langue est I"élément fondamental de hrassage
culturel, la fenêtre d'une culture sur d' autres cultures et
le support précieux de la communicat ion entre groupes
sociaux. le véhicule de la pensée et des idées. Connaître
la langue de cel ui avec qui l'on vit un temps pl us ou
moins long ou du moins s'y intéresser, est le signe par
cxcellence qu'on est ouvert sur la culture. Le contraire
serait un manque d'égard et d'ouverture. Si donc le
brassage culturel entre groupes ethniques est l'ragi le,
cela résulte du fait que le principe de base que constitue
l'apprentissage mutuel des langues ellmiques a été raté.
On ne peut pas dire que c'est le cas ù Lomé au regard
des déclarations des personnes que nous avons
interrogées. Il s'avère effectifque les habitants de Lomé
ne se pri vent pas d'apprendre les diverses langues que
74
Revue du CAM ES - Nouvelle Série n, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et Ill/mailles
Tableau 1 : La langue la plus utilisée dans le milieu6 .
Enquêtés
EWE
KABYE
KOTOKOLI
MOBA
TOTAL
Efr.
%
Eff.
%
Eff.
%
Eff.
%
Eff.
%
EWE
12
20.68
05
8.62
07
12.06
03
5.\\7
27
46.53
KAUYE
00
00
06
10.34
0\\
1.72
00
00
07
12.06
KOTOKOLI
00
00
00
00
04
6.89
01
1.72
05
8.61
MORA
00
00
00
00
00
00
06
10.34
06
10.34
Langue internationale
06
\\0.34
01
1.72
02
3.45
00
00
09
15.51
Autres langues
02
3.45
00
00
00
00
00
00
02
3.45
Plusieurs
00
00
02
3.45
00
00
02
3.45
04
6.90
TOTAL
20
34.47
]4
24.]3
]4
24.]3
12
20.68
60
100
Source: Enquête. juillet 2005.
3.2.3. Les danses traditionnelles
L'ouverture sur la culture d'autrui se mani feste
danses populaires de l'une ou l'autre ethnie organisées
également dans le partage de moments de complicité à
en plein air dans les qUaI1iers. Parmi ce groupe, 22 %
diverses occasions : réjouissances paI1agées, funérailles,
savent exécuter les danses de plusieurs ethnies et 88 %
mariages. etc. Au-delà de lajoie d'être ensemble. c'est
connaissent au moins une danse d'une autre ethnie.
l'implication personnelle à l'ambiance qui anime la
Ainsi, on voit des Ewé, des Kabyè, des Kotokoli, des
circonstance qui dénote de l'intérêt porté à la culture
Moba danser l' akpèssè, le kamoll, le talkollk... et en
d'autrui. Or, on peut le mesurer à la participation aux
tirent autant de plaisir comme il en serait de leur propre
danses traditionnelles qui s'exécutent lors des différentes
danse. Il en est de même des tètes traditionnelles. Alors
. occasions qui réunissent les populations. Dans les
que celles-ci se célèbrent presque exclusivement dans
veillées funèbres moba ou kabyè. on ne va pas sans
les lieux d'origine, 25 % des personnes interrogées dont
danser comme on ne va pas au mariage dans le pays
13 % d'Ewé, 5 % de Kabyè, 3 % de Kotokoli et autant
kotokoli sans danser. Les exemples peuvent se
de Moba participent aux Jetes traditionnelles des autres
multiplier. L'essentiel des fêtes nationales et
groupes ethniques. L'interaction culturelle est là aussi
traditionnelles se terminent par des réjouissances
active. On ne peut pas dire que les différentes ethnies
populaires dans les quartiers et maisons. Lors de ces
ne se sollicitent pas réciproquement. Les données de
rassemblements. kanlOlI, akpessè et autres danses
l'enquête révèlent que la plupart des ethnies portent
traditionnelles drainent des foules qui dépassent
leur assistance aux autres groupes ethniques lors des
largement le cadre ethnique et culturel.
évènements heureux ou malheureux. Ainsi, 84 % de
A cet égard, il est intéressant de se rendre
gens interrogés déclarent inviter des personnes d'autres
compte que les données de l'enquète confirment le
ethnies pour les assister et seulement 16 % ne le font
constat de l'observation. Ainsi, 43 % des personnes
pas. C'est donc un signe indéniable de solidarité
interrogées déclarent participer régulièrement aux
interethnique qui ne trompe pas.
(Footnotes)
"Quelques personnes interrogées se sont prononcées deux fois pour l'utilisation d'au moins deux langues.
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2èn.. Semestre)
75

- -
Sciences sociales et ft limailles
Tableau 2 : Les 'danses traditionnelles souvent exécutées?
Enquêtés
EWE
KABYE
KOTOKOLI
MOBA
TOTAL
Eff.
~o
ElY
%
Eff.
%
EfT.
%
Eff.
%
Aknèssè
Il
, 8.33
01
00
00
00
01
1.67
13
21.67
Kamou
02
03.33
13
01
0\\
1.72
00
00
16
26.67
Danse
00
00
01
09
09
15
03
05
13
21.67
KOTOKOLI
Danse
02
03.33
00
00
00
00
Il
18.33
13
21.67
MOBA
Autres
06
10
00
00
00
00
01
1.67
07
Il.66
Ne sait nas
04
06.67
01
01.67
04
06.67
00
00
09
15
SOUfee : Enquête, juillet 2005.
3.3.
Échanges
plus
symboliques
qu'imaginaires
et immédiate. Le risque que génère l'échange imaginaire
pour une société humaine réside dans la forte
. Après avoir montré par les aspects superficiels
valorisation de l' infornlation transmise par un objet au
de la culture, la construction de l'intercultureL il importe
détriment de l'objet lui-même. WITTGENSTEIN, L.
de faire appel aux catégories anthropologiques dans
(2002) nous avait prévenu du risque de la confusion
l'évocation de la théorie des échanges symboliques, pour
entre la chose et le signe qu'elle transmet. Exemples
situer l'interculturel dans la ville de Lomé. Cette théorie
d'échanges symboliques: la relation maritale comporte
aujourd'hui très usitée remonte cependant à Claude
un échange symbolique qui se distingue de l'échange
Lévi-Strauss (1950: 154). Celui-ci expliquait, on le sait,
réel de la relation amoureuse.
le passage de la nature à la culture par le passage de
l'échange réel à l'échange symbolique. WILDEN T.
Dans les sociétés modernes, l'échange
(1983) résume la conception de Lévi-Strauss en notant
imaginaire est le mode dominant d'échange; on peut
que ce passage « repose sur deux principes simples:
cependant trouver des cas d'échanges symboliques.
(a) l'introduction de ce qu 'on pourrait appeler «loi de
Ainsi, la plupart des échanges à réciprocité implicite,
distribution de la différence» (la prohibition de l'inceste),
comme l'invitation d'amis à dîner, sont des échanges
et (b) l'introduction corrélative du composant discret,
symboliques. Tout échange dans lequel un bien devient
discontinu et combinatoire dans le continUlun non discret
la propriété de quelqu'un est de type imaginaire. Le
de la nature» (DOUTRELOUX A.. 1990: 45). Ainsi,
troc en est une fonne ancienne. L'achat ou la vente de
dans l'échange réel sont transmises uniquement de la
marchandises, les échanges mettant en œuvre de
matière ou de l'énergie. Dans l'échange symbolique,
l'argent ou des flux monétaires fictifs, sont des échanges
on transmet de l'information en plus de l'objet (matière-
imaginaires. La société moderne (on postule qu'une
énergie) échangé. C'est l'introduction de l'information
telle société existe par commodité pour les
dans l'échange qui caractérise le passage du réel au
développements qui suivent) met en œuvre. on ra vu,
symbolique. Dans l'échange symbolique. il yaégalement
les deux types d'échange qui coexistent ainsi. Il semble
une réciprocité implicite, c'est, selon Lévi-Strauss (1958
cependant évident. pour certains auteurs, que les
op-cit : 160), une des lois fondamentales qui fondent
sociétés modernes reposent surtout, et de plus en plus,
les sociétés.
sur l'échange imaginaire, de par une prééminence
croissante de l'économique sur le social et sur le culturel
L'échange imaginaire apparaîllorsque ce qui est
(REMY J., 1990 : 87).
échangé est essentiellement de 1'infollnation. La matière-
énergie n'est plus alors que le support matériel de
Il apparaît pourtant clair que l'analyse de
l'échange. La réciprocité implicite de l'échange
l'interculturel ne peut ignorer ces deux aspects. Les
symbolique disparaît au profIt d'wle réciprocité explicite
échanges entre peuples, ethnies et cultures comportent
une part de l'imaginaire (surtout dans les lieux où la
rencontre se noue autour de biens de consommation:
(Footnotes)
marché, cabarets ... ). Mais en grande partie, c'est du
7 Certaines personnes interrogées savent exécuter
côté symbolique qu'il faut situer les échanges entre
plusieurs danses à la fois alors que d'autres ne savent pas
peuples à Lomé, comme le fait remarquer TRAORE
danser.
76
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2'"'' Semestre)

Sciences sociales et humaines
--------~--------------
S. (2001 : 25). Même si nous les a\\'ons cités comme
elles qu'à 10 % à l'exception des Ewé, des Kotokoli
éléments superficiels facilement négociables, le partage
et des Kabyè qui le font respectivement à 23 %,20 %
de la langue, de la nourriture. de la danse ... porte plus
et 18 %. Il est même curieux de constater que
sur l'information sur l'autre et donc la communication
l'appartenance ethnique fait partie du choix du cofÛoint.
que sur un objet précis. On touche là au partage des
Il ya des gens qui préfèrent faire le choix de leur conjoint
valeurs et des croyances.
dans une ethnie différente. Un nombre non négligeable
de personnes interrogées sont dans le cas (12 %) même
si dans la liste des critères l'appartenance à une ethnie
IV. UNE PART NON NEGOCIABLE DE
différente arrive en fin de liste. Les affirmations des
L'IDENTITE
enquêtés semblent remettre en cause l'esprit grégaire
des Togolais. En effet, si on pousse plus loin la curiosité
L'échange symbol ique fait passer dans le champ
au sein des couples mixtes, on apprendra que dans 58
de l' interculturel ce que l'échange imaginaire maintient
% des cas, les enfants parlent les deux langues des
au niveau des relations interculturelles. Mais le
parents même si l' homme tend à faire peser la balance
symbolique, touchant au «noyau dur », décrit aussi cette
de son côté. Parmi ceux qui sont mariés aux personnes
wne qui résiste au mé lange, au compromis au nom même
de leur ethnie d'origine, 75 % dont 29 % d'Ewé, 11 %
de l'identité personnelle à sauvegarder. L'analyse des
de Kabyè, 26 % de Kotokoli et 10 % de Moba
degrés d'intégration et d'acceptation des différentes
déclarent qu'ils auraient bien pu épouser quelqu'un
ethnies entre elles permet de le mesurer. Il existe à Lomé,
d'une autre etlmie.
même dans l'échange des aspects superficiels de la
L'appartenance ethnique des groupes de
culture et même uniquement sur le plan imaginaire, de
camarades est aussi révélatrice du degré d'acceptation
véritables résistances.
des autres peuples. Le moins que l'on puisse dire sur
ce plan, c'est que les gens ne se privent pas de choisir
4.1. Questions se rapportant au degré
hors de leur ethnie d' origi!1e de bons camarades. Ainsi.
d'intégration ethnique
87 % des personnes interrogées disent choisir leurs
fréquentations selon des critères qui ne les limitent pas
Un premier bilan de tout ce qui précède montre
aux personnes de leur ethnie d'origine. Autrement dit,
un grand effort dans le sens de l'acception de l'autre et
el les fréquentent des groupes constitués de plusieurs
du partage d'un espace culturel commun. Il ressort par
ethnies ou au moins une ethnie différente de la leur. Par
exemple des données recueillies que 87 % .des
exemple, pour l'étude, 28 % d'Ewé. 13 % de Kabyè,
personnes interrogées préfèrent habiter dans une maIson
28 % de Kotokoli et 18% de Moba adoptent comme
où il ya un mélange ethnique. Cela dénote d'une bonne
camarade toute personne appartenant à toutes les
volonté de la part de chaque groupe J'interagir sur les
ethnies confondues pourvu qu'elle réponde à leurs
autres. Cela se vérifie aussi sur le plan de la confiance
exigences. Ceci permet de mesurer t'esprit mixte ou
que les personnes de cultures différentes se font
hétérogène qui prévaut dans tous les groupes ethniques.
mutuellement. Cela s'observe au niveau des confidences
Le degré d'intégration peut enfin être mesuré au
faites aux amis en cas de difficultés. Il est à noter que
niveau de la composition des groupes de travail des
80 % des gens affirment avoir fàit des confidences ~
élèves et étudiants. A ce niveau, il est fortement
des personnes de cultures différentes. Même SI
remarqué que l'appartenance ethnique et l'affinité ne
l'expérience individuelle n'est pas aussi massiv~ que
sont que très négligeables. Même si le choix est
l'expérience collective, cela dénote d'une ~mbJanc~
inconscient, on constate, au résultat, que la plupart des
générale de confiance. C'est cette ambiance ql11
groupes de travail sont mixtes ou hétérogènes, c' est-
explique sans doute le choix des amis parmi les autres
à-dire ouverts à tous.
groupes ethniques. Les données recueillies t~l~dent
même à montrer que les gens préfèrent se chOISIr des
4.2. Une part non négociable de l'identité
amis parmi des personnes étrangères. Ainsi, 88 % des
personnes interrogées dont 32 % d'Ewé, 23% de
Si on se contente des éléments présentés dans la
Kabyè. 19% de Kotokoli et 14 % de Moba décl~rent
partie précédente, on croirait que les ethnies sont
être ouverts à un cercle d'amitié appartenant à plUSIeurs
parfaitement intégrées à Lomé et que l' interculturel est
ethnies contre 12 % de gens qui pensent le contraire.
une évidence. En regardant ces résultats on pense
Le de6'Té d'intégration se mesure aussi au nombre
naturellement à une forte intégration sociale, fruit d'une
de mariages mixtes. Or il est à constater qu'en moyenne
interaction ethnlque et culturelle profonde et généralisée.
les personnes de ta même ethnie ne se marient entre
Tout ce qui précède contribue à montrer en effet la
Revue du CAM ES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 2-2006 (2r... Semestre)
77

- - - - - - - - - - - - - - - - -
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
part du compromis. Mais si l'on interroge les faits d'un
qu'eux arrivent en deuxième position les Kabyè qui
autre point de vue, on se rend compte que le commerce
estiment à 97,4 % pouvoir se passer des autres langues.
culturel se négocie chèrement. Une analyse plus
Les Kotokoli et les Moba sont plus ouverts en estimant
approfondie de ces interactions révèle que le compromis
respectivement à 17 % et 16 % que les autres langues
est nettement en deçà des espérances. A tous les
sont aussi importantes que le français et au premier chef
niveaux, on note de profondes résistances à l'intégration
l'éwé. On voit donc qu'il ne suffit pas de vivre ensemble
sociale. Il se formerait une sorte de terre natale qu'on
pour que l' interculturalité s'instaure comme par magie.
refuse de voir violée parce que constituant la marque
Il faut une bonne dose d'ouverture et d"estime de
de l'identité personnelle. Avant d"en esquisser une
l'autre pour interagir sur lui sur le plan culturel. Le conflit
hypothèse explicative, présentons les faits.
et le compromis sont donc loin d'être des processus
S'il est indéniable comme nous l'avons montré
inconscients.
que plusieurs mets sont devenus intl:rculturels, il reste
Le métissage à Lomé est certes une réalité et si
encore un nombre plus ou moins impOitant de personnes
les jeunes ont réussi à dépasser les limites que
qui résistent au changement alimentairl:. Plusieurs raisons
s'imposaient leurs aînés en la matière, il y a encore
peuvent être invoquées pour expliqul:r cette résistance.
beaucoup de réticences. La préférence ethnique est
Il y aurait d'abord la volonté de protéger sa culture
encore bien prononcée. Et panni ceux qui ont franchi
contre toute invasion «étrangère». Cl:rtaines personnes
les limites de leur ethnie pour rejoindre une personne
ont clairement évoqué la peur de voir les mets
d'une autre ethnie, 58 % dont 12 % d'Ewé, 14 % de
«étrangers» supplanter les leurs. Il y aurait ensuite le
Kabyè, 18 % de Kotokoli et 12% de Moba, obligent
complexe de supériorité qui fait observer l'art culinaire
leurs enfaI1ts à parler leur langue contre 42 % de couples
des autres peuples de haut. On peut le noter au sentiment
mixtes ouverts. Cela témoigne certainement du
de dégoût qu'inspirent les mets «étrangers» (surtout les
sentiment d'appartenance à l'ethnie d'origine et
sauces) auprès de ceux qui rejettent les aliments des
finalement de peu de confiance en cette interculture que
autres ethnies.
les métisses en seraient des représentants. Même les
On peut noter également des résistances à
amitiés entre personnes de groupes ethniques dillerents
l'ouverture en ce qui concerne le partage de la langue.
ne sont finalement qu'un phénomène minime, sinon
L'identité ethnique est pour une blfaI1de part détenninée
marginal. En effet. lorsqu'on observe le phénomène
par la langue. Conscients que la langue est pour une
dans son ensemble, on a l'impression qu'il est important
grande part la substance même de la culture d'un peuple,
puisque 80 % des personnes interrogées disent avoir
beaucoup hésitent à la relativiser. Ils manifestent un
des amis dans une ethnie différente de la leur. Mais
attachement ferme à leur langue et s'y identifient
lorsqu'on regarde de plus près, on remarque que le
totalement. Ils préfèrent accorder toute la place qu'il
taux d'amitié entre les Ewé et toutes les ethnies
faut à leur langue quitte à user du français ou d'un
confondues est seulement de 2 %, que celui des Kabyè
interprète pour commw1iquer que d'apprendre la laI1gue
est de 3 %, celui des Kotokoli de 2 % et celui des
d'autrui. Chaque ethnie utilise sa langue plus que celle
Moba est de 5 %. Cela montre bien qu'en très grande
de l'autre dans lm milieu où on cohabite plus facilement
m<tiorité, les peuples vivant à Lomé fonctionnent en
avec les autres peuples que le sien propre. Cela est
situation de quasi-autarcie.
surtout vrai pour les Ewé qui parlent à 98 % uniquement
Cette situation s'illustre par les lieux d'habitation
leur propre langue suivis des Kabyè (83 %) et des
des différents groupes ethniques et les critères qui
Kotokoli (81 %). L'autre marge est remplie, pour les
président à la location et à l'achat du terrain. Les groupes
Ewé, par l'usage de l'ensemble des autres langues;
ethniques migrants ont toujours tendance à demeurer
pour les Kabyè, l'usage des autres langues notamment
étrangers à Lomé du fai t qu' iIs «continuent de s'identifier
l'éwé (8,62 %) et pour les Kotokoli, l'usage de l'éwé
à leur milieu d'origine en reproduisant les cadres et les
à 12,06 %. L'éwé-Mina s'étant imposée comme
structures» selon les propos de ELA J-M (1983 : 120).
principale langue nationale, sa connaissance et celle du
Les solidarités se tournent plutôt vers ces lieux
français dispensent de l'apprentissage des autres
identitaires. Les associations de ressortissants et les
langues. L'éwé et le français demeurent alors les seuls
groupes d'origine sont prêts à cotiser pour une école,
terrains sur lesquels les ethnies peuvent se rencontrer.
une route, un dispensaire, pour une fête. Ils ne font rien
Ce refus de la langue d'autrui se traduit dans les
pour le quartier où ils habitent. Le signe le pl us tangible
opinions recueillies à propos de l'importance des autres
de ce recroquevillement sur soi est la tendance à vivre
langues en dehors bien sûr de la sienne propre. Ainsi,
dans le même quartier formant des K010ko/i zongo,
98 % des Ewé interrogés ne trouvent aucune autre
Anago komé, Adéwi, Lossosimé...
langue du pays importante pour eux. Presqu'autant
78
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 2-2006 (2''''' Semestre)

-----~_~
Sciel1ces sociales et humail1es
4.3.
Construction
de
l'identité
CONCLUSION
interculturelle et rôle de l'école
Cette étude visait à analyser par le biais de
Les résistances que nous venons de présenter
l'interculturelles relations interethniques à Lomé. La
répondent, on s'en doute bien, à une stratégie de
conclusion principale de la recherche se trouve non
construction de l'identité propre dans un contexte de
dans le fait que les gens rejettent le changement social
cosmopolitisme et de pluralisme culturel. Si les adultes
mais dans la f0l1l1ation d'une culture hybride qui permet
ont pu, au prix de maints efforts, trouvcr l'équilibre entre
la part à concéder pour le
la cohabitation, une sorte de communauté culturelle qui
« vivre cnsembles » et la
part non négociable, les jeunes sont divisés et travaillés
établit un équilibre plus ou moins stable. Mais force est
de l'intérieur, arborant différentes identités, surtout lors
de constater que le chemin est loin encore vers une
de l'adolescence. Souvent, ils se trouvent pris entre le
uniformisation culturelle. Est-il d'ailleurs lé~itime de
désir et la peur du changement, ce qui peutdOlmer lieu
sow1aiter Lme Lmifonnisation ? Même si la vie conunune
à des contradictions entre le discours et les actes. A la
exige un espace commun reconnu comme tel et partagé
maison on leur dit qu'il ne faut pas être raciste mais
par tous, il semble que, pour que cette convivialité
aussi qu'il fàut rester entre personnes qui se ressemblent,
subsiste et perdure, chacLm garde un minimum de jardin
ne pas se mêler à ceux qui sont trop différents parce
secret. La découverte d'aspects nouveaux nourrit
que cela cause des problèmes. D'où l'attitude que nous
l'amitié et provoque r attraction. Ce que nous avons
avons signalée à propos du milieu scolaire, où les élèves,
considéré alors comme les limites à 1ïnterculturel
plus ouverts que leurs parents, sont obligés de leur
pourrai t donc s'avérer bénéfique pour l'élargissement
cacher les membres de leur cercle d'amis et de leur
continu de l'espace culturel commun qui grandira aux
groupe de travail. Ils se construisent leur univers, leur
dimensions de la commw1ion entre les peuples. L'unité
culture originale qui, même si elle nc se 1imite qu'aux
et non 1\\lI1ifonnité sera alors le meilleur révélateur de
aspects superficiels de la culture, est plus profonde au
l'interculturel.
niveau de l' interculturel que la zone négociée par leurs
parents. Située au carrefour de plusieurs langues, de
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
plusieurs histoires, de plusieurs appmtenances, l'école
permet donc plus que n'importe quel autre lieu la
1. AGBEKOU, K.,
1998, Interf"érence
création d'une identité interculturclle profonde. Les
culturelle: I"Opport de Jàrce entre deux
racines culturelles du pays d'origine s'estompent. les
cultures en présence. Etude de cos des
valeurs traditionnelles des parents sont contaminées par
Akposso et Kohyè à Amlo/lu! ou Togo,
celles des amis.
Mémoire de Maîtrise en linguistique, Université
du Bénin, Lomé, Togo.
Lorsque nous appartenons simultanément à des
groupes très différents et sans cohérence entre eux,
2. AMSELLE, .J.-L., & M'BOKOLO E.. 1985,
notre identité est sans cesse en mouvement. nous
Au cœur de l'ethnie : ethnies, tri!Jalisme et
soumettant à des mécanismes de clivage et de
Etat en A/dque, Paris. La Découverte.
recomposition qui ne se passent pas sans conf1it.
L'intégration, dans son identité, des éléments d'une
nouvelle culture dépendra, pour un individu, de sa
3. BEGAG, A., & CHAOUlTE. A., 1990.
capacité à tolérer ce conflit et à prendre de la distance
Ecorts d'identité, Paris, éditions du Seuil.
par rapport à la culture d'origine. Or il se trouve que
lesjeunes sont plus souples et plus prêts au compromis
4. CAMILLERI, C., 1993, Le relativisme, du
que les adul tes. L'école n'est celtes pas le seul lieu de
culturel à]' interculturel, dans L'individu et ses
rencontre des jeunes, mais on peut se demander quel
cultures, Paris, L'Harmattan, coll. Espaces
rôle elle peut jouer dans la construction, par les jeunes
interculturcls.
générations des populations de Lomé, de leur identité.
La politique éducative saura-t-elle promouvoir cet
aspect de l' institution scolaire pour la construction d\\111
(Footnotes)
interculturcl qui seul peut garantir dans le futur des
~Cest le phénomène du «repli identitairc» ou du «vouloir-
relations plus paisibles et plus confianles entre les ethnies
vivre-ensemble» (GRAFMEYER. Y.. 1994). qui peut aboutir
vivant à Lomé?
dans certains cas à la ségrégation.
Revue du CAM ES - Nouvelle Série B, Vol. 0117 N° 2-2006 (2·m.. Semestre)
79

_ _ _ _ _ _ _~
Sciences sociales et Il limailles
12. GRAFMEYER. Y., 1994, Sociologie urbaine,
5. CLAVAL, P., 1999, Des aires culturelles aux
Paris,
réseaux culture/\\-. Articles sur le site personnel
Nathan Université.
de Daniel Letouzey.
13. LEVY-STRA USS, 1950, Saciologie el
6. DAMOME, L. E., 2005, «Togo, le peuple non
Anlhropologie, Paris, PUF.
violent 7», in Oulre-Terre, revue française de
géopolitique, nO Il «de l'Afrique au Gondwana
14. PARK, R., 1921, lnlroduclion ta Ihe science
7», Paris, Ed. Erès, pp. 377-388.
qj:WJcioloKj!, The University ofChicago Press.
7. DERRICHE, O., 1990, «Intégration et
15. POURTIER, R., 1999, Villes africaines,
exclusion: fih'lU'Csjwnelées d'lUle même réalité»,
Bimestriel n° 8009, le dossier (la docwnentation
dans ~''ille el Hahitanl, Paris, L'HannaHan.
fl'ançaise), Paris.
8. DOUTRELOUX, A., 1990, Inl111igrations et
16. REMY, .1., 1990, in Immigrations et
nouveaux pluralismes - une co/!/;YJntation
nouveaux pluralismes - une conji-ol7tation
de sociétés. Collection (sous la direction d'A.
de sociétés, Collectif(dir. A. Bastenier et de
Bastenier et de F. Dasscto), Bruxelles, éditions
F. Dasseto), Bruxelles, Editions Universitaires
Universitaires et De Boeck l Jnivcrsité.
et De Boeck Université.
9. ELA, .J.-M., 1983, La l'ille en Afj'ique noire.
17, T 1-1 0 MAS, M. , 2000, Acq u é r i r une
Paris,
compétence inlerculturelle. Des processus
Kal1hala.
cl 'apprent issage,\\' interculture!s au quothlien,
Mémoire de DESS en psychologie, Université
10. GALAP, J., 1995, Relations ct apprentissages
de Nancy 2, publié en ligne (www.mediation-
interculturels, Collection (sous la direction de
intercllltllrelle.com).
Abdallah-Preteille M. et Thumas A.), Annand
Colin, Paris, 1995, p.1 08.
18. TRAORE, S., 2001, «Migration et insertion
socio-économique dans les villes en Afrique de
11. GUILLAUMIN, C., 1994, Quelques
l'Ouest», CERPOD, nO 16.
considérations sur le terme «culture». in
VERMES G. et FOURIER M., «Ethnicisation
19. WILDEN, T., 1983, Système et structure:
des rapports sociaux. Racismes, nationalismes,
essais sur la cOl11J11lmication et l'échange, Boréal
cthnicismes et culturalismes», Collection
express.
«Espaces interculturels» volume III, Paris,
L'I Iam1attan.
20. WITTGENSTEIN, L., 2002, Traclatus
logico-phi/osophicus, Paris Gallimard.
SlI
Revue du CAMES - Nouvelle Série Il, Vol. lI07 N° 2-2006 (2""" St'mestre)