_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
LE RÔLE DES LANGUES NATIONALES DANS LA PROMOTION
DE LA CULTURE BURKINABE
Abou NAPON
Université de Ouagadouf.!Ou
Burkina Faso
RESllME
Le présent article a pour nut de montrer quïl ya une rdation ~troite entre la langue d la culture. De
ce tàit. une nOlUle gestion des langues et de la culture peut aider au d~wloppell1ent d·un pays. Pour
œ lJ.ui est du Burkina Faso. seule lïnstauration d·une d~mocratie Clllturdk puurrait pennettrc à
tous les tïls du pays de participer au d~vdoppement de la nation.
:\\1ors lNs : ( 'lIlrllre. IO/7gues I/uriol/ules. dél1/()(Torie. dé l'e1ojJjJe1IIc!/If.
ABSTRACT
This paper ai ms 10 descrihe the close rdationship
hd\\veen
language and culture.
Therdore. an appropriate management of languages and cultures can hde devdop a country. Considering
Burk.ina Faso. ullly a sd up of a cultural democracy lllay enanle ail the citizens to tak.e part ill the nation
dewlopment.
hc!], words : ( 'lIl"'re. Iwrio/7ol IO/7gllugc!s. dc11I0l'1l/c.:l: dc! relojJlI1cllf.
« démocratique et populaire ». « La culture doit être
INTRODUCTION
nationale. révolutionnaire et populaire» (T.
SANKARA 1983 : 49). Dans ce contexte, la cul-
Depuis les indépendances, les différents régimes qui
ture devient une arme dans le combat idéologique.
se sont succédés au Burkina Faso ont accordé une
place importante à la culture. Mais il a fallu l' avène-
Il a fallu attendre l'instauration de la IVe Républi-
ment du Conseil National de la Révolution en 1983
que pour que la constitution consacre un article à la
pour que la culture soit utilisée comme facteur de
culture. Avec la IVe République. l'intervention de
mobilisation nationale. Cette politique s· est traduite
l'Etat deviendra plus importante. L'Etat va tenter
par l'adoption d'une nouvelle dénomination officielle
également de mobiliser la société civile comme par-
de l'Etat, Burkina Faso, d'une nouvelle devise « La
tenaire du développement culturel.. « La ligne poli-
patrie ou la mort, nous vaincrons! », d'un nouveau
tique adoptée pourrait se résumer en deux mots:
drapeau, d'un nouvel hymne national, le Ditanye (du
identité culturelle, d·une part. et développement
Lobiri) et de nouvelles armoiries. La révolution va
économique d'autre part» (M. OUEDRAOGO
fonder son action culturelle sur un projet de société
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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
2001 : 50).
1.
La langue
Face à la mondialisation des échanges impulsée par
« Chacun de nous parle au moins une langue, mais
la culture occidentale dominante, le gouvernement
il n'est pas évident que chacun puisse dire exacte-
a pris des mesures en vue de protéger les cultures
ment ce qu'est une langue. Même les linguistes n'ont
hurkinabè. En effet, en 1997, sous l'égide du minis-
pas aujourd'hui la prétention d'avoir parfaitement
tre de la communication et de la culture, un forum
compris la nature du langage humain. La linguisti-
national sur la nouvelle politique culturelle s'est tenu
que a cependant fait de grands progrès et nous per-
à Bobo-Dioulasso (28-31 mai). Les travaux du fo-
met aujourd'hui de mieux comprendre ce qu'est une
rum ont porté sur trois points: les enjeux de la po-
langue et ce qu'elle représente pour l'homme, G.
litique culturelle, l'état des lieux et la politique cul-
KEDREBEOGO (2001 : 3) ». Ainsi selon lui, on
turelle.
peut désormais considérer comme acquis que:
La prise en compte de ces réalités a permis au Mi-
la langue est spécifiquement
nistère d'élaborer le livre blanc sur la politique cul-
humaine:
turelle du pays. Dans ce livre, une place importante
toutes les langues se valent.
est accordée aux séminaires, aux colloques qui doi-
en tant que systèmes de com-
vent être des cadres d'échanges propices au déve-
munication et d'auto-identi-
loppement de la culture burkinabè.
fication:
la langue est un système dy-
C'est au regard de cette réalité que nous nous pro-
namique qui évolue dans le
posons de mener la réflexion sur le rôle des langues
temps (synchronie / diachro-
nationales dans la promotion de la culture burkinabè.
nie) ;
la langue façonne, dans une
Qu'est-ce qu'une langue?
certaine mesure notre schéma
Qu'entend-on par langues
de pensée et nous ouvre à une
nationales?
vision particulière du monde.
Que recouvre la notion de
culture?
L'affirmation selon laquelle la langue est spécifique-
Dans quelles mesures les lan-
ment humaine se fonde sur les recherches et les ex-
gues nationales peuvent contribuer à
périmentations conduites par des chercheurs depuis
la promotion de la culture burkinahè
au moins les 50 dernières années. En effet, ces re-
et partant au développement du
cherches ont montré qu'aucune autre espèce ne
pays?
possède un langage articulé comparable au langage
humain.
Pour réoondre à ces interrogations, nous avons for-
mulé l'hypothèse suivante: seule l'instauration d'une
Du point de vue strictement linguistique, toutes les
démocratie culturelle peut aider à la promotion des
langues se valent en tant que systèmes fonctionnant
langues nationales et de la culture burkinabè.
sur une base de principes et de règles. Dire donc
qu'une langue est plus riche qu'une autre, ou que
Notre travail tel qu'articulé s'inscrit dans le domaine
telle langue est plus apte à assumer telle fonction
de la politique 1inguistique dans la mesure où il cher-
que telle autre langue n'a pas beaucoup de sens du
che à aider les décideurs burkinahè à faire de choix
point de vue linguistique. Toute langue est apte à
conscients en vue de favoriser la participation de
servir pleinement les besoins de communication et
tous les fils du pays à la construction de la nation
d'expression esthétique ou identitaire de la commu-
burkinabè.
nauté qui la parle.
L'étude pour aboutir s'est appuyée essentiellement
La langue évolue dans le temps, tout comme la com-
sur une recherche documentaire.
munauté, avec les contacts et l'acquisition d'expé-
riences nouvelles mais tout en évoluant, la langue
conserve toujours sa cohésion interne et sa logique.
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1'" Semestre)

Sciences sociales et humaines
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Retire à l 'homme son travail, son passeport,
L'idée selon laquelle, la langue façonne notre vision
sa table à manger et son lit : il reste riche.
du monde est basée sur les travaux de deux cher-
L 'homme devient véritablement pauvre et
cheurs américains Sapir et Whorf. Ces derniers ont
perd sa dignité quand on lui vole la langue
travaillé sur les langues des aborigènes d'Amérique
que ses ancêtres lui ont léguée. Sans sa lan-
du nord: les indiens et les eskimos.
gue, il est irrémédiablement perdu.
L'hypothèse de Sapir et de Whorfa une version forte
Le dicton pourrait être traduit par : « Perds
et une version faible.
ta langue et perds ton âme! »
La première est aujourd'hui abandonnée parce
Sur le plan linguistique, une langue est un instru-
qu'elle stipule que l'être humain est prisonnier de la
ment de communication, un système de signes vo-
langue qu'il parle. C'est en s'appuyant sur cet~e
caux spécifiques aux membres d'une même com-
version que certains chercheurs se sont crus auton-
munauté.
sés à classer les langues (langues primitives 1 lan-
gues évoluées).
2. Le concept de « langue nationale ))
La version faible dit que la langue nous situe dans
Le concept de « langue nationale» n'est défini ni
une vision particulière du monde. Dans le cadre de
dans la constitution du Burkina, ni dans la loi
cette version, la différence de perception du temps,
d'Orientation de l'éducation qui utilisent ces termes.
de l'espace, des couleurs, des éléments de la nature,
Depuis la constitution de la IIIe république (13 dé-
de la famille, etc., peut se comprendre comme reflé-
cembre 1977), la clause qui utilise les termes de
tant simplement la différence des expériences vé-
« langue nationale stipule que « la langue officielle
cues. L'environnement dans lequel vivent les
est le français. La loi fixe les modalités de promo-
eskimos, fait qu'ils ont plus d'une dizaine de mots
tion et d'officialisation des langues nationales»
pour désigner la« neige» tandis que l' anglais.ou le
(clause de la constitution de 1977 reprise dans les
français n'a qu'un seul mot: « snow» et« neIge ».
constitutions ultérieures, y compris dans l'actuelle
(à l'article 35 du titre 11). De son côté, la loi d'orien-
Au regard de tout ce qui précède nous pouvons
tation de l'éducation, promulguée le 09 mai 1996,
définir fonctionnellement la langue comme un com-
stipule en son article 4 que « les langues d'ensei-
portement social ou commtmautaire qui sert à la fois
gnement sont le français et les langues nationales ».
la fonction de communication et la fonction symbo-
lique d'auto-identification d'une communauté don-
Il apparaît donc que le concept de « langue natio~
née. A ce sujet G. KEDREBEOGO (2001 : 9) af-
nale» s'oppose essentiellement dans ces textes, a
firme que « c'est par sa langue qu'une communauté
celui de « langue officielle ». Cette utilisation des
se distingue des autres et c'est encore par elle que
termes serait alors conforme à la conception rete-
les enfants apprennent à se socialiser, c'est-à-dire,
nue par des sociolinguistes comme Daoust (1997 :
à intérioriser les valeurs socio-culturelles de leur
443) cité par N. NIKIEMA (2001 : 6), qui écrit:
communauté. La langue dans sa totalité appartient
« il est important de faire la distinction entre lan-
non pas à l'individu mais au groupe ».
gues officielles, d'une part, qui jouissent de la re-
connaissance officielle de l'Etat et sont générale-
La dimension sociale ou communautaire est essen-
ment indiquées pour être utilisées dans les domai-
tielle selon lui, car l'homme n'aurait pas besoin de
nes officiels et publics, et les langues nationales
parler, et n'aurait donc pas besoin d'une langue, s'il
d'autre part, qui sont parlées par la majorité de la
ne vivait pas en société.
population et qui sont généralement les langues des
natifs d'un pays ou d'un Etat ».
La langue revêt donc une importance capitale pour
l'homme. A ce propos G. KEDREBEOGO citant
Concernant toujours le concept de langue nationale
IGNAZIO Buttita dit:
A. BATIANA (1993 : 15) affirme que« tout comme
l'hymne national est le symbole de toute la nation,
Enchaîne un homme, dépouille-le de ses
une langue nationale devrait symboliser une unité
biens et musèle-le : il reste libre
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linguistique nationale. Une langue nationale est une
de comportement résultent de pratiques et de pen-
langue qui est connue sur tout le territoire national
sées passées, mais aussi d'adaptations. d'idéaux
et qui couvre les besoins de communication des
projetés sur l'avenir. Si bien que la culture n'est
populations. Cette définition ne concorde pas avec
pas immuable " elle subit des changements et des
l'utilisation actuelle du terme de langue nationale
facteurs physiques, sociaux, économiques. mais elle
au Burkina Faso qui semble désigner de manière
assume toujours cette fonction de cohésion du
opératoire, toute langue de groupe ethnique du
groupe. Tout développement, désormais, doit inté-
Burkina dont les membres sont des citoyens
grer une dimension culturelle. C 'est la culture qui
burkinabè. C'est cette compréhension que nous
donne un sens au développement, à ce que l'on
aurons du tenne de langue nationale ».
nomme le progrès ».
Concernant le qualificatif de national nous pensons
Mais qu'entend-on par développement? « Le dé-
qu'il est utilisé en réalité pour calmer les ardeurs
veloppement au sens large peut se définir comme
des partisans de l'introduction des langues ethni-
consistant dans l'intégration et la mise en œuvre de
ques dans la viepolitico-administrative du pays. Il
savoirs (sciences), savoirs-faire (technologies) et
n'a donc qu'une valeur symbolique, car il ne change
savoirs-être (culture) par les populations concernées
en rien le statut de ces langues. C'est donc un tenne
pour la satisfaction de leurs besoins matériels et
neutre qui pennet de maintenir une harmonie entre
immatériels» (G KEDREBEOGO, 2001 : 10) ».
les différents groupes qui composent la nation
burkinabè.
4.
La relation entre la langue et la culture
3.
La définition de la culture
Les premiers travaux sur la relation entre la langue
~t la culture ont été réalisés par des philosophes al-
D'après le Dictionnaire de linguistique « la culture
lemands en l'occurrence Herder et Humboldt. Pour
est l'ensemble des représentations, des jugements
Humboldt:
idéologiques et des sentiments qui se transmettent à
l'intérieur d'une communauté ». De cette acception,

La langue crée ou aide à créer par son
le mot englobe, mais en les débordant très large-
existence la représentation du monde;
ment, les concepts qui, de la littérature et des beaux
celui-ci sans elle est inconnaissable, n'est
arts; de même que les connaissances scientifiques
qu'un chaos bien qu'il existe; grâce à la
d'un individu, désignées souvent par « culture scien-
langue le monde « en soi» devient
tifique »ne sont qu'une partie de sa culture au sens
monde « pour nous ». La langue trans-
sociologique du tenne. La culture comprend ainsi
forme ainsi le monde objectif en un
notamment toutes les manières de se représenter le
monde diftërent qui est le monde saisi
monde extérieur, les rapports entre les êtres humains,
par l'esprit. De ce fait, elle n'est pas
les autres peuples et les autres individus. Y entre
ergon, produit donné, figé, fini mais
aussi tout ce qui est jugement explicite ou implicite
energeIa.
porté sur le langage ou par l'exercice de cette fa-
culté.

L'identification de l'esprit du peuple à la
langue et de la langue à l'esprit du peu-
Sur le plan fonctionnel, « la culture est avant tout
ple est affirmée avec force puisqu'un
un système de valeurs morales, esthétiques et spiri-
peuple parlerait comme il pense et pen-
tuelles qui insufflent à l'action humaine des finalités
serait comme il parle.
nobles afin d'aider les hommes à se libérer de l'igno-
rance,
de
la misère, . de
l'injustice» (M.
La langue devient ainsi une sorte de mémoire
OUEDRAOGO 2001) citant le Président B.
collective du peuple qui la parle, non pas
COMPAORE. Et l'auteur d'ajouter « que la cul-
tellement par le fait qu'elle pennet le dis-
ture d'un groupe imprègne tous les actes de ses
cours sur ce passé, mais parce qu'elle le re-
membres, des plus banals et quotidiens aux plus
flète d'une certaine manière. Pour les
solennels et décisifs ,. elle en assure la cohésion et
auteurs, la langue serait donc le miroir du
elle lui sert de référence. Les valeurs et les normes
peuple.
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Revue du CAMES - Nouvelle Série H, Vol. 007 N° 1-2006 (lO' Semestre)

Sciences sociales et humaines
-----------------------------
ble de la culture d'un peuple;
A la suite de ces philosophes du langage, Sapir et
Whorfethnolinguistes américains se sont intéressés

mais ce qui est vrai pour le
à la relation entre la langue et la culture. Pour Sapir
vocabulaire n'est vrai pour aucun
le langage est un puissant instrument de socialisa-
autre élément de la langue.
tion. En effet :
Une autre idée importante développée par Sapir est

de véritables relations socia-
que la langue et la culture constituent deux réalités
les ne sauraient exister sans lui;
différentes dont la première évolue plus lentement
que la seconde; dans un état initial la langue et la

le fait simple de posséder une
culture sont liées et agissent constamment l'une sur
langue en commun constitue un
l'autre durant une période assez longue. Par la suite
symbole particulièrement puissant
la psychologie collective du groupe et l'environne-
de solidarité qui unit les individus
ment physique se transforment peu à peu: l'une et
locuteurs de cette même langue;
l'autre changent mais les éléments culturels plus vite
que la langue. L'on retiendra des travaux de cet

en dehors de sa fonction de
auteur que la langue est le reflet de la culture. Ce
communication le langage « effec-
qui veut dire que la langue est le véhicule par excel-
tue» la « mise en relation» entre
lence de la culture. Une des idées importantes de
les membres d'un groupe physi-
l'hypothèse de Sapir est qu'il y a autant de langues
que, comme par exemple les con-
différentes qu'il y a de cultures différentes.
vives d'un dinner » ;
Au regard de cette réalité, il convient de voir com-

le langage joue un rôle con-
ment le Burkina Faso qui compte une soixantaine
sidérable dans l'accumulation cul-
de langues nationales peut exploiter cette diversité
turelle et la transmission histori-
ethnique et culturelle et ce, pour promouvoir son
que» même dans les sociétés pri-
développement.
mitives où« une grande partie du
répertoire culturel est présentée
5.
Le rapport entre langue, culture et déve-
sous une forme linguistique ».
loppement
L'auteur soutient également que les rapports entre
D'après G. KEDREBEOGO (2001 : 10) «Le dé-
le langage et la culture ne doivent pas être conçus
veloppement n'a véritablement de sens que si l'on
de manière mécanique: en effet;
considère qu'il est spécifiquement humain comme
la langue ! Si cela est admis, l'importance de la di-

une connaissance détaillée
mension culturelle du développement devient une
tant sur le plan de la forme que
évidence: sans culture pas de développement! Si
sur celui du contenu, permet d' ap-
cela est admis, on devrait également s'attendre, ou
profondir notre compréhension de
au moins tolérer, que le développement soit multi-
la culture;
forme et non uniforme, l'échelle des valeurs n'étant
pas nécessairement la même pour toutes les socié-

il n'y a pas de correspon-
tés humaines ».
dance simple entre la forme d'une
langue et la forme de la culture
Malheureusement, cette vision de chose est contes-
de ceux qui la parlent;
tée par le monde occidental qui pense que le déve-
loppement véritable c'est celui pensé par lui à tra-

il en va autrement quand on
vers sa culture. De ce fait, le développement est
ne s'en tient pas à la forme géné-
supposé transférable à volonté.
rale d'une langue, quand on s'oc-
cupe duvocabulaire qui constitue
Mais très vite on s'est rendu compte qu'aucun peu-
un indicateur extrêmement sensi-
ple ne peut se développer en s'appuyant sur la lan-
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1 er Semestre)
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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
gue de l'autre. En effet, apprendre une langue n'est
l'Artisanat de Ouagadougou.
pas innocent; c'est apprendre également une autre
culture. Chaque langue étant le véhicule d'un en-
Mais ce que nous regrettons à travers l'organisa-
semble de valeurs culturelles, refuser d'utiliser la
tion de la Semaine Nationale de la Culture, c'est la
langue de l'autre, c'est rejeter en même temps sa
compétition qui est instaurée entre les différentes
culture. Comment peut-on alors vouloir construire
danses ou musiques. Pour nous, il est difficile de
un développement pour un peuple en niant sa cul-
vouloir établir des critères objectifs permettant de
ture et sa langue. La conséquence d'une telle politi-
comparer la danse peule à la danse kassena. D'un
que est que les différentes tentatives en vue de sor-
côté, c'est une danse de grâce alors que l'autre, l'on
tir les pays africains du sous développement se sont
a affaire à une danse physique. La meilleure façon
soldées par des échecs, car les modèles élaborés ne
de valoriser les cultures et de faire en sorte que tous
tiennent pas compte des réalités culturelles des Etats.
les groupes ethniques se retrouvent au sein d'une
A titre d'exemple, les campagnes d'alphabétisation
seule culture c'est de supprimer les compétitions.
sont élaborées sans tenir compte de la période hi-
La Semaine Nationale se doit d'être un cadre où
vernale, des périodes des funérailles, des périodes
tous les groupes viendraient exposer leurs savoirs
d'initiation, etc. De ce fait entre connaissances et
et savoirs-faire.
rites culturels, les paysans préfèrent les seconds. De
cela, l'on sera amener à dire que les paysans rejet-
Ainsi, par exemple au lieu de faire des éliminatoires
tent l'alphabétisation alors qu'il n'en est rien.
par département et par province pour choisir des
groupes à envoyer à la Semaine Nationale de la
L'autre argument avancé pour justifier le non re-
Culture, il suffirait d'inventorier l'ensemble des trou-
cours aux langues et aux cultures nationales est leur
pes d'une localité et de les envoyer à tour de rôle à
nombre élevé. Dans un contexte multilingue quelle
ladite semaine. On éviterait ainsi que ce soit les
langue choisir sans léser les autres? Pour notre part,
mêmes qui se retrouvent à toutes les éditions.
nous pensons que le multiculturalisme est une ri-
chesse s'il est bien exploité. A ce propos M.
La construction d'une culture burkinabè passe éga-
OUEDRAOGO (2001 : 9) affirme que la diversité
lement par la sensibilisation des uns et des autres
ethnique peut être un caractère emichissant pour
sur l'importance du bilinguisme pour chaque com-
une nation, comme elle peut devenir un handicap,
munauté. En partant du principe qu'apprendre la
selon que les différentes ethnies ont le sentiment ou
langue de l'autre, c'est apprendre en même temps
non de s'exprimer dans le cadre d'une démocratie
sa culture, son histoire, etc., l'on peut amener les
culturelle. Comme le sentiment national, celui d'ap-
individus à enrichir leurs connaissances. C'est l'ac-
partenir à une même culture burkinabè suppose que
quisition de ces connaissances qui conduit les hom-
celle-ci apparaisse comme l'expression d'un
mes à être. plus tolérants et à s'accepter mutuelle-
synchrétisme culturel, sans que celui-ci soit réduc-
ment. Un exemple de cette acceptation de l'autre,
teur des différentes cultures des groupes humains.
sont les rites coutumiers qui entourent les différents
En quelque sorte, une identité culturelle nationale
mariages. En effet, dans le cadre des mariages
doit transcender les cultures ethniques, en se pla-
exogamiques, les conjoints sont amener à respecter
çant dans un autre ordre. Pour arriver à créer une
mutuellement les rites propres à leur groupe ethni-
culture burkinabè, il faut arriver à établir une démo-
que respectif. Ainsi, si un Mossi épouse une fille
cratie culturelle qui suppose l'expression de toutes
nuna, il doit respecter les coutumes nuna et cette
les cultures sans hiérarchisation. En effet, malgré le
dernière a également obligation de considérer les
poids démographique de certaines langues par rap-
coutumes de l'ethnie à laquelle appartient son mari.
port à d'autres, l'Etat se doit de préserver toutes les
langues en les valorisant au même titre. Ainsi, la
Cet esprit de tolérance et de solidarité, se remarque
culture mossi doit être mise sur le même pied d' éga-
également à travers les alliances à plaisanteries en-
lité que" Iii culture nuni. De ce fait, aucun groupe ne
tre les parents de la mariée ou du marié (frère, sœur)
se sentira complexé par rapport à un autre. Du reste
et le beau-fils ou la belle-fille. A cela, il faut ajouter
des efforts sont déjà faits en ce sens depuis plusieurs
la parenté à plaisanteries entre les différents grou-
années à travers l'organisation de la Semaine Na-
pes ethniques dans le pays qui permet d'éviter les
tionale de la Culture, et le Salon International de
conflits entre les populations. Celle-ci existe entre
210
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (l or Semestre)

Sciences sociales et humaines
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les Mossi et les Samos, entre Gourounsi et Bisa,
et encore plus difficiles à mettre en œuvre parce que
entre Peulhs et Bobo, entre Yarcé et Gulmancema,
la recherche de base se trouve handicapée par la
etc.
barrière langue ».
Cependant la valorisation des langues et des cultu-
La conséquence d'une telle situation c'est que les
res du pays passe par leur introduction dans l'édu-
projets sont élaborés pour les populations sans ~eur
cation et l'alphabétisation. En effet, dans un monde
participation effective par des intellectuels qUI ne
dominé par l'écrit, l'oralité n'a pas sa place. Si, les
connaissent pas les réalités de leur milieu d'origine.
langues ne sont pas écrites, elles disparaîtront pro-
gressivement et avec elles, les cultures léguées par
6.
Culture nationale, globalisation et mon-
les ancêtres. C'est pourquoi le propos d'Amadou
dialisation
Hampâté Bah est toujours d'actualité quand il dit
« qu'en Afrique un vieillard qui meurt est comme
Les débats actuels sur l'avenir des langues et sur-
une bibliothèque qui brûle ». La maîtrise de l'écrit
tout sur celles qui sont jugées en péril ont popula-
permettrait par exemple de matérialiser les différen-
risé l'usage des termes globalisation dans le discours
tes règles de certains jeux tels que la lutte tradition-
linguistique anglophone et mondialisation dans le
nelle, « Le waré », etc. Elle pourrait également aider
discours francophone. Des experts ne cessent d'in-
les jeunes générations à connaître les rites des mas-
voquer ces termes pour expliquer comment la plu-
ques, les rites funéraires, les rites d'intégration et
part des langues du monde seraient menacées par
d'initiation, les salutations d'usage (demande en
les langues mondiales européennes et surtout l' an-
mariage, décès), etc.
glais. Cependant ces termes ne sont pas synonymes.
En effet, beaucoup de burkinabè aussi bien en mi-
A en croire S. SALIKOKO (2003 : 17) « La
lieu rural qu'en milieu urbain ne savent pas com-
globalisation a donc affaire aux interdépendances
ment prendre la parole en langues nationales dans
économiques entre la métropole et la colonie tandis
de telles circonstances. Cela se remarque le plus chez
que la mondialisation concerne la diffusion des pro-
les intellectuels qui ont très souvent recours à leurs
duits matériels et des idées ou croyances du terri-
aînés restés au village quand ils veulent se marier ou
toire d'origine à d'autres, c'est-à-dire leur disper-
offrir des sacrifices à leurs ancêtres.
sion dans le monde.
L'enseignement des langues et des cultures natio-
L'avenir des langues et de la culture burkinabè est
nales permettrait d'éviter leur glottophagie par la
menacée par la présence de la langue française dans
langue française. Cette glottophagie étant encoura-
la vie socio-économique et politique du pays. Ainsi,
gée par l'élite intellectuelle qui n'a d'autre point de
tout le monde va s'efforcer de parler français soit
repère que la culture occidentale et principalement
pour obtenir un emploi soit pour appartenir à la
la culture française. A ce sujet, M. OUEDRAOGO
classe dite civilisée « qui parle français et a « les
(2001 : 26) va plus loin en disant que cette accultu-
manières des Français ». Mais cette situation pour-
ration peut conduire à la déculturation stade ultime
rait être sauvée si le gouvernement accordait un sta-
de la perte de l'identité spécifique.
tut valorisant aux langues nationales en faisant d'el-
les des outils de promotion sociale. En d'autres ter-
L'introduction des langues et des cultures burkinabè
mes, il faut que les langues nationales acquièrent un
dans l' éducation et l'alphabétisation permettra éga-
statut clairement défini et avantageux.
lement à la majorité de burkinabè de participer de
manière active au développement du pays. Le déve-
Ce qui veut dire qu'il faut que des avantages socio-
loppement n'est possible qu'à travers des médiums
économiques soient accordés à l'utilisation des lan-
linguistiques que les citoyens maîtrisent parfaite-
gues nationales. Ainsi, par exemple, on pourr~iten-
mènt. C'est dans le même ordre d'idées que G.
courager leur utilisation dans l'administration en
KEDREBEOGO (2001 : Il) citant LEPAGE
permettant par exemple aux alphabétisés en langues
(1964 : 18) affirme que « quand la langue du gou-
nationales d'adresser des correspondances aux
vernement et de la loi diffère de celle des masses
agents dans leur langue locale. Ce qui suppose qu'on
populaires, les,plans de développement économi-
devrait également alphabétiser chaque agent de l'ad-
que, agricole et industriel sont difficiles à élaborer
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ministration dans au moins une langue de son choix
CONCLUSION
et ce, en vue de faciliter les échanges de correspon-
dances.
Notre étude avait pour but de montrer la relation
importante qui existe entre les langues nationales et
Une autre proposition qui pourrait amener les
la culture au Burkina Faso. En effet, la culture peut
burkinabè à accorder un intérêt à leurs langues na-
survivre à la langue, mais elle ne peut pas se déve-
tionales serait d'exiger que l'entrée à la fonction
lopper et s'exprimer pleinement sans la langue. Pen-
publique soit désonnais soumise à la maîtrise écrite
dant longtemps, l'on a magnifié la culture burkinabè
d'au moins une langue nationale.
à travers les chants, les danses, les semaines natio-
nales de la culture, les modes vestimentaires et culi-
Au niveau des médias (radio, télévision) les plages
naires en oubliant les véhicules de cette culture que
horaires consenties aux langues nationales et aux
sont les langues nationales. C'est à travers ces der-
cultures doivent être réaménagées afin de tenir
nières que les populations arrivent à échanger leurs
compte des activités des burkinabè. Ainsi, les dan-
différentes expériences et ce dans l'intérêt de toute
ses, les chants, les contes doivent être programmés
la nation. C'est la capitalisation des expériences des
immédiatement après le journal parlé, car c'est en
uns et des autres qui pennet à un pays de construire
ce moment que les uns et les autres ont « les oreilles
son développement. Ainsi, le Burkina ne pourra pré-
collés ou les yeux fixés sur leur poste. Les plages
tendre au développement en faisant abstraction de
actuelles utilisées 12 h 30 ou 17 heures ne sont pas
sa culture et de ses langues nationales. Tenter de le
selon nous des heures d'écoute. A 12 h 30, les gens
faire le conduirait à l'anti-développement. Ace pro-
sont fatigués et à 17 heures, les travailleurs ne sont
pos G. KEDREBEOGO (1998 : 21) citant gandhi
pas encore revenus de leur service. A qui alors ces
dit ceci « j'admets volontiers que les vents culturels
émissions sont donc destinées?
du monde entier soufflent et circulent librement dans
ma maison pour qu'elle reste aérée. Ce que je re-
Mais que faire dans le contexte de mondialisation
fuse, c'est de me laisser emporter par ces vents ! )}.
pour préserver la culture quand on sait que la cul-
ture représente un secteur économique important
Nous pensons que la valorisation de la culture
pour le pays. En effet, notre pays est de plus en plus
burkinabè passe par l'introduction des langues na-
envahi par des productions culturelles venant des
tionales dans l'éducation. Ainsi, les gens pourront
Etats Unis, de l'Inde, de la Chine, des pays asiati-
être initiés à la transcription d'une part, des langues
ques. Dans ce contexte, les populations sont enclins
nationales et d'autre part, recevoir des infonnations
à consommer ces produits au détriment de ceux du
sur les us et les coutumes du pays. Cela pennettra
Burkina ce qui constitue des pertes en devises. Sur
du même coup de faire tomber la barrière entre le
le plan cinématographique très peu de films sont
monde intellectuel (défenseur des cultures occiden-
projetés au profit des films indous et américains. Sur
tales) et le monde rural (défenseur de la culture na-
le plan musical, la musique burkinabè est délaissée
tionale). Ce n'estqu'àce prix que l'on pourrait sau-
pour la musique ivoirienne, malienne, américaine,
ver les langues et la culture burkinabè.
etc.
Face à la mondialisation et à la libéralisation des
BIBLIOGRAPHIE
échanges, nous pensons que seule une politique
efficace de sensibilisation des burkinabè à con-
BATIANA (A.), 1993. "La question des langues
sommer les productions locales pourrait aider le
nationales au Burkina Faso" Com-
pays à valoriser sa culture d'une part, et d'autre
munication au colloque sur les lan-
part, à créer des industries culturelles. Du reste, le
gues nationales dans les systèmes
pays pourrait imposer des taxes sur les produits
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culturels venant de l'étranger afin de dissuader les
gens à les importer.
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