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ASSISTANCE MEDICALE INDIGENE : ACTION HUMANITAIRE
OU ŒUVRE UTILITAIRE?
Benjamin Kokou ALONOU
Département d'Histoire et d'Archéologie
Université de Lomé-TOGO
RESITME
Les opinions divergent au sujet de la finalité de l' œuvre sanitaire coloniale. Certaills auteurs analysent
les préoccupations sanitaires coloniales comme une extension de la mise en valeur. Une bOlUle colonie.
qui produira et qui durera est une colonie où le matériel humain est amené à son maximum de rende-
ment physique et intellectuel. Le devoir de la puissance colonisatrice est le même. qu' on le considère du
point de vue de l'idéal ou de l'intérêt: il fàut que l'indigène se porte bien qu'i! conserve ses forces le
plus longtemps possible. que ses enfants vivent et se développent. La politique sanitaire est donc pour
ambition l'entretien de la torce de travail illdispensahle à la mise en valeur des territoires. Or. pour
Denise Bouche. « à la vitrine de la mission civilisatrice.l· action sanitaire a longtemps occupé une place
de choix ». Cette opinion de Bouche éloge t-elle la France? Grâce à ce travail décapant la finalité de
rassistance médicale indigène. on peut arguer que l'action sanitaire a été tant bien utilitaire que huma-
nitaire.
ABSTRACT
There are difterent point of views regarding the out coming of the colonial health work. Some actors
analyse the colunial health preoccupations as an extension ofputting value. A good Colony which will
produce and last is the one in which human resource has come to a maximum ofphysical and intellectual
result. The duty of the colonizing force is the same. considering the ideal on interest point ofview. Ifs
necessary that the native is in gooJ health, keeps his strength as long as possihle. his children live and
grow. The ambition of the health politic is to maintain the working strength llecessary for putting into
value territories. However. tor Denise Bouche "at the vitrin ofthe civilizationmission. the health action
bas long time occupied a place of choice". This opinion of Bouche is it to praise France? Due to this
deaning work. the out coming ofindigenous medical assistance. we can argue that the health action was
more or Jess utilitarian as lUllllanitarian.
INTRODUCTION
lenteur ». En effet, tous les auteurs permettent d'ana-
lyser les préoccupations sanitaires coloniales comme
Une circulaire ministérielle du 10 décembre 1941 1
une extension de la « mise en valeur », d'abord agri-
affirme: « ilfaut développer les races indigènes en
cole ensuite plus largement économique des colo-
qualité et ne quantité ». On ne peut s'empêcher de
nies (travailleurs de plantations, constructeurs de
rapprocher cette formule de l'approche du Ministre
routes et de voies ferrées). « Les richesses des co-
~s c,?Joniçs Albert Sarraut qui écrivait: « si la po-
lonies sont d'abord des denrées et des biens ex-
p.ulr;tiim ne croit pas, tout le programme qui a été
traits et produits d'Outre-mer. A mesure que ces
élabqrë, ne peut se réaliser qu'avec une extrême
marchés se développent, lesforces produCtrices des
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hommes appellent une attention croissante pour les
1 - UTILITE DE L'ŒUVRE SANITAIRE
maintenir, entretenir, les développer en vue d'une
optimisation des rendements. En réalité, les milieux
En matière coloniale, disait le Gouverneur Brévié,
tropicaux étaient inhospitaliers aux Européens qui
« on ne saurait séparer l'action politique de l'action
payèrent un lourd tribut au paludisme et à bien
sociale qui se complètent mutuellement ». Son suc-
d'autres endémies du continent africain (Barbieri
cesseur Marcel de Coppet, affirmait: « la primauté
1992 ; 124). Ainsi, dans son ouvrage sur la méde-
de cette action sociale était basée sur le devoir d'as-
cine coloniale, Lapeysonnie (1988 ; 212) présente

sistance et de solidarité humaine ». « Le propre de
bien les différentes phases de cette approche qui
la puissance coloniale était de protéger les hom-
débute par la constatation d'un monde « peu salu-
mes, contre les maladies, et l'ignorance ». En ef-
bre» peuplé'« d'étranges maladies », où s'escri-
fet. pour justifier l'utilité et même la nécessité de la
ment les « médecins des nouvellesfrontières ». Par-
colonisation, fondée sur des raisons économiques,
lant de l'inhospitalité des terres tropicales, le Pro-
humanitaires et de politique internationale, la France
fesseur Mahé disait à ses étudiants de l'Ecole de
se consacra à l'amélioration physique et morale des
Médecine Navale de Brest: « là-bas, sur les rives
races placées sous son autorité. En fait, l'organisa-
empestées de l'Atlantique, vous rencontrerez le re-
tion de la mise en valeur des colonies nécessita de
doutable sphinx de la Malaria, pernicieux Protée,
larges plans et de vaste desseins.
le fantôme délirant du Typlus, le spectre livide et
glacé du Choléra, le masquejaune du Vomito negro.

Ainsi, Jean Martetl note: « Une bonne colonie
D~fiez-vous de la terre et des eaux s'exhale un souf-
qui produira et qui durera est une colonie où le
fle empoisonné» (Lapayssonie 1987 : 52).
matériel humain est amené à son maximum de ren-
dement physique et intellectuel. Le devoir de la
La lutte contre les microbes est vécue par les grands
puissance colonisatrice est le même, qu'on le con-
acteurs, Jamot, Muraz, Richet, comme une guerre
sidère du point de vue de l'idéal ou du point de vue
dont la fin est « une paix blanche », grâce en parti-
de l'intérêt. Il faut que l'indigène se porte bien,
culi~r à des services mobiles de médecine préven-
qu'il conserve sa santé et ses forces le plus long-
tive.
temps possible, qu'il fonde une famille, que ses
enfants vivent, se développent: voilà se que l'idéal
Et si la santé des populations est un instrument de la
nous recommande, voilà ce que nous enseigne l'in-
mise en valeur, elle mérite une attention singulière,
térêt ».
des moyens et des méthodes propres qui seront l' ob-
jectif de la médecine coloniale. Cette gernière va
Pour extraire les matières premières, et s'occuper
peser d'un poids important dans le développement
de la construction des routes, les Européens avaient
d'une santé publique fondée sur des traitements de
besoin d'une main-d'œuvre. « La première condi-
masse, des macro-analyses des pathologies. Dès lors,
tion de cette réussite indispensable, c'est de dispo-
on se pose les questions suivantes: Quelles sont les
ser d'une population indigène non seulement saine,
motivations coloniales en matière de santé? Quelle
stable et paIsible, mais qui croisse en nombre et
est la finalité de l'œuvre sanitaire? Quel est son bi-
pr~gresse dans l'ordre matériel, intellectuel et mo-
lan? C'est à ces questions et à bien d'autres que
ral, jusqu'à nous donner cette collaboration des
répond ce travail.
cadres, cèt appoint de masse sans lesquels la mise
en valeur ne sera jamais qu'un mot.»2
. « Si la po-
pulation ne croit pas, .tout le programme qui a été
élabor~ ne pèut se réalis.er qu'avec une extrême
lenteur
». Ainsi s'exprimait en 1923, Albert Sar-
raut, Ministre des colonies, reconnaissant la néces-
sité absolue pour la France de pratiquer en Afrique
une politique volontariste de santé-afin d'accroître
la population africaine. Cette volonté se traduira dar1s
l'assistance fnédicale que la France mit en place ~s
ses colonies pour leur mise en valeur. En effet, le '
1 Il s'agit des instructions du Ministre des Colonies Daladier, préconisant les
développement économique passant nécessairement
mesures générales à appliquer dans les Colonies en vue de lutter contre les
principales causes de développement et de déchéance des races indigènes.
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Sciences sociales et humaines
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par l'augmentation de la population, gage d'une
tes en 1935. Le Service général autonome de la
main-d'œuvre abondante, la France se devait d'ins-
maladie du sommeil en A.O.F. et au Togo est créée
tituer une politique de santé.
le 20 janvier 1939. En 1945, ce service, devant les
succès obtenus, vit son action à d'autres maladies
Il fallait par conséquent préserver la santé des indi-
et se transforma en service général d'hygiène mo-
gènes sujette à de multiples affections endémiques,
bile et de prophylaxie (Lapeyssonnie 1987 : 34).
épidémiques, et la malnutrition, etc. afin de dispo-
Les malades étaient dépistés et soignés par le per-
ser d'un «réservoir humain» en bonne santé, et
sonnel des équipes mobiles. Pour éviter la contami-
donc apte à travailler dans les plantations et cons-
nation des villages encore indemnes par le transport
truire les routes, ponts ou chemins de fer. L'expan-
des malades dans la formations sanitaires. Jamot
sion coloniale porta dans son ensemble sur des pays
estima qu'il fallait aller au-devant du malade en cir-
à populations «primitives », souvent d'une assez
culant de village en villages. Cètte médecine mobile
faible densité et dont les territoires ne furent pas
consistait à protéger et à dépister les malades et à
toujours parmi les plus faciles à exploiter. La colo-
les traiter sur le terrain. Elle impliquait la surveillance
nisation apporte aux indigènes, les soins médicaux,
des malades traités dans les hypnoseries et à procé-
des équipements routiers et ferroviaires. En 1901,
der à la prophylaxie agronomique (éclairage des
un décret organise le service de santé des troupes
abords des points d'eau et des forêts en vue de rom-
coloniales, chargé de promouvoir la santé des mili-
pre le contact entre les hommes et les glossines~.
taires européens. L'infrastructure hospitalière pre-
Par cette méthode, Jamot fit appel à une vertu mI-
nait consistance petit à petit et des hôpitaux sont
litaire essentielle: ' 'l'offensive ". On ne devait pas
créés dans les postes coloniaux importants: à Saint
attendre passivement les coups que la maladie infli-
Louis, à Dakar, au Soudan français en 1891, au
geait à la population. En effet, la mala~ie du s~m­
Dahomey en 1892, en Côte-d'Ivoire en 1893
meil faisait disparaître en quelques mOlS des VIlla-
(Taïglahou 1986 : 380). L'hôpital militaire était une
ges entiers de la brousse et de la forêt. En 1916,
des pièces maîtresses des troupes coloniales. Il avait
Jamot écrivait: « nous avons pu, en moins de deux
pour mission principale, la protection de la santé
ans, visité tous les villages, à de rares exceptions
des membres du corps expéditionnaire pour qu'ils
près, d'un territoire ayant une superficie de plus de
puissent mener à bien leur entreprise. L'objectifprin-
1000000 km 2 (Oubangui-Chari). Nous y avons exa-
cipal de l'hôpital était donc de promouvoir la réus-
miné et manipulé un par un 89 743 habitants, parmi
site de la conquête coloniale en préservant la santé
lesquels 5347 ont été reconnus trypanosomés»
des troupes qui sillonnaient l'Afrique. Mais progres-
(Lapeyssonnie 1972 : 37).
sivement les soins furent étendus aux Africains. Les
hôpitaux coloniaux soignaient les Européens et les
La mise en pratique de la "Doctrine Jamot" sur le
Africains. Cependant la réalité était tout autre. L'Eu-
terrain a exigea du personnel engagé, outre des ef-
rope avait comme but principale son propre enri-
forts physiques considérables, un sens de la méthode,
chissement, car c'est à travers les problèmes de main-
une obéissance continue aux instructions techniques,
d'œuvre qu'elle vint à se préoccuper de la santé
et une persévérance sans relâche qui furent indis-
des Africains (Domergue 1984 : 12). En effet, dans
pensables dans la poursuite de cette médecine col-
le but de disposer d'une main-d' œuvre saine et abon-
lective. Ce dynamisme prouvé par le docteur Jamot
dante, l'administration coloniale institua une politi-
fut un acte désintéressé qui témoigna de son amour
que volontariste de santé en vue de lutter.« contre
à sauver des vies humaines de la maladie et de la
les facteurs de déchéance et de dépopulatIOn de la
mort.
race noire» (Sarraut 1923 : 282). La lutte contre
les grandes en'démies africaines s'organisa dans les
Dans le domaine de la médecine curative, les pro-
colonies. En 1926 la Mission Permanente de la lutte
grès réalisés ont été considérables. Les mesures de
contre la maladie du sommeil au Cameroun est née ;
en 1927, l' A.E.F crée un service spécial de la trypa-
nosomiase ; en A.O.F., devant les réSUltats médio-
1 Jean Martet aété le secrétaire personnel de Georges Clemenceau de 1915 à
. d 1
1 d' d
1933. Il aeffectué un voyaged'infonnation au Togo etau.Cameroun en "
cres des groupes de prophylaxIe
e a ma a le
u
1933. Son obsession aété de traquerles "menées subversIves allem~d~s
sommeil pauvres en personnel, en moyen, et sur-
qui visaient à saper sournoisement l'autorité de la France dans les terntOlre
'do
1
fi 't
sousmandatdelaS.D.N.
tout inféodés à l'assistance me Ica e, on lm par
2 Circulaire générale du 18 novembre 1941,joumalofficieldel'Afrique
adopter les recommandations que Jamot avait fai-
Françaiselibreetdel'A.E.F.l"décembre 1941,p.687.
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préservation et de protection de la santé ont imprimé
leur marque sur la réduction de la mortalité. Des
Dans un rapport, lamot écrit: «La plupart des
consultations pré et post-natales étaient organisées
médecins qui, en raison de leur grade, sont appelés
dans les maternités à l'intention des mères et de leurs
à diriger le service de santé des colonies contami-
enfants. Les soins et les médicaments étaient gra-
nées. ne sont pas préparés au rôle qu'on leur de-
tuits afin d'intéresser les malades à la thérapeutique
mande de jouer dans la lutte contre la maladie du
occidentale. Le goût des patients africains pour les
sommeil. De plus, les chefferies locales changent
médicaments se fondait sur l'efficacité de ceux-ci et
de titulaires tous les deux ans et à cause de cela, il
les jugements sur la médecine coloniale manifestè-
leur est impossible d'assurer la permanence de l 'ef
rent la reconnaissance de cette efficacité (Barbieri
fort qui est la condition essentielle du succès ».
1992: 127). Toutefois, il faut souligner qu'au dé-
but du XIXe siècle, la médecine occidentale fut lon-
Cette attitude du gouverneur Reste traduit l'essence
:mement impuissante face aux maladies tropicales.
de la politique de santé qui consistait à «faire de
,e paludisme passait pour l'adversaire le plus re-
l'homme », afin de répondre au besoin d'une main-
doutable des coloniaux. On utilisait comme remède
d' œuvre, que les maladies décimaient.
la quinine, extraite en 1820 de l'écorce du quinquina
par les pharmaciens Pelletier et Caventou. Mais la
Certes, la santé des hommes a présenté un intérêt
généralisation de la prescription de la quinine souf-
économique ultérieurement humain. Cependant, en
frit des dissensions sur le mode d'emploi du produit
fournissant prévention et assistance gratuite, la mé-
(à titre curatif ou préventif?) et son dosage, ainsi
decine coloniale a réalisé une action sanitaire dé-
que des difficultés d'approvisionnement. Ces ques-
centralisée. Trouver des moyens de prévenir et de
tions étaient encore pendantes au moment de l'ex-
guérir la maladie du sommeil, le paludisme, la fièvre
pédition de Madagascar, en 1895, et le paludisme
hémorragique, etc. comportait de la recherche bio-
fut responsable de pertes de vies humaines parmi
médicale. L'action sanitaire ne s'est pas limitée à la
les militaires et civiles européens.
prévention et au traitement des maladies. En fait, la
médecine coloniale a commencé par la préservation
Les autres maladies, jusqu'à la découverte de leur
de la santé. Elle nécessitait une action sur la menta-
~)'~ent pathogène et la fabrication d'un vaccin, ne
lité et le comportement des populations, impliquant
rent être combattues que par des mesures d'hy-
des recherches sociologiques. Elle nécessitait l'as-
ne et de quarantaine. Avec les progrès de la tech-
sainissement du milieu et donc des recherches por-
19ie médicale, des médicaments efficaces furent
tant sur l'environnement et un effort pour améliorer
"iqués pour donner satisfaction aux maladies.
l'état de nutrition des populations. Enfin, les soins
si, la découverte de la pénicilline permit-elle le
de santé exigeaient la présence de personnel formé
tement du pian et de la syphilis. Par ailleurs, à
de manière adéquate. Dès lors, on se pose la ques-
partir de 1953, des campagnes massives de lutte
tion de savoir: quelle fut la motivation de ce per-
contre le paludisme ont été menées grâce à la fabri-
sonnel de santé en faveur de la bonne santé des afri-
cation des insecticides à effet rémanent.
cains? comment peut- on expliquer le souci des
médecins coloniaux de soigner, guérir les malades
Cependant, l'action sanitaire des groupes de pro-
surtout ceux des villages malgré le manque de moyen
phylaxie n'a pas été parfaite compte tenu des moyens
et l'opposition de certains administrateurs? L'ac-
disponibles trop souvent fort réduits. La crise éco-
tion sanitaire coloniale ne peut elle pas être consi-
nomique de 1929 et les effets de la deuxième guerre
dérée comme une mission humanÜaire ?
mondiale ont diminué les budgets de l'assistance
médicale. Par ailleurs, lamot se fit quelques disci-
II - ACTION HUMANITAIRE DE
ples et beaucoup d'ennemis. En effet, sa gloire of-
L'ASSISTANCE MEDICALE INDIGENE
fusquait quelques-uns de ses collègues et de ses
chefs. Ce fut l'exemple du Gouverneur Reste qui ne
. « Le principe fondamental de l 'œùvre colonisatrice
voulait ni voir la vérité, ni les dangers que couraient
était l'amélioration physique de la race colonisé~.
les populations des colonies. Reste niait l'existence
L'objectifde cette assistance médicale était d'avoir
de la maladie du sommeil et refusa d'affecter les
des collaborateurs po~r la mise en valeur des colo-
infirmiers dans les secteurs contaminés de la Haute-
nies ». Cependant, l'action sanitaire a été bénéfique
Volta (Lapeyssonnie 1987 : 147-151).
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Sciences sociales et humaines
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aux peuples colonisés. Elle a contribué à l'instruc-
Face à cette situation. les populations récoltaient
tion des peuples vers la civilisation européenne. La
l'eau bourbeuse dès rares puits et des trous d'eau.
révolution dans les conditions d'hygiène ajoué un
Souvent. les villageois effectuaient des kilomètres
rôle fondamental dans la diminution de l'incidence
pour chercher le liquide indispensable dans les ri-
des maladies infectieuses et de la mortalité qui en
vières et les marigots pérennes.
découle dans les colonies. L'amélioration de l'ap-
provisionnement en eau et à l'assainissement ont
Au cours des tournées sanitaires effectuées en 1917.
joué un rôle semblable en conduisant les taux élevés
l'insalubrité des eaux retint l'attention de la mis-
de morbidité et de mortalité qui affligeaient les co-
sion d'inspection mobile. Par une circulaire du 21
lonies. En fait, les conditions d'hygiène dans les-
septembre 1923, l'administration coloniale avait
quelles vivaient les enfants laissaient à désirer. Les
donné des instructions pour le creusage de puits
enfants naissaient dans des conditions d'hygiène
avec margelles dans les villages. Cette mesure vi-
désastreuse. Le cordon ombilical était souvent coupé
sait essentiellement la suppression du ver de gui-
avec un couteau incorrectement stérilisé dans la plu-
née et des anophèles. Elle recommandait vivement
part des cas. Ces faits, joints à certaines coutumes
une action commune du médecin et de l'adminis-
de la période néonatale expliquaient la fréquence
trateur pour l'enseignement de l 'hygiène et de la
des tétanos ombilicaux. D'autre part, dès la section
protection des eaux. »
du cordon ombilical, un bain chaud était donné à
l'enfant. Une telle pratique contribuait également à
Ces informations sur les maladies de l'eau clarifient
la souillure de la plaie ombilicale. Dans certains lieux,
les conditions sociales qui prévalaient dans les co-
les marques tribales et la circoncision faites par le
lonies. Ces affections sont des indicateurs du niveau
barbier local sans aucune asepsie étaient préjudicia-
de vie des populations. En effet, les maladies qui
bles à la santé de l'enfant. A la puberté, on pratique
sévissent dans une société déterminent parfois son
l'excision chez les jeunes filles. Cette excision est
état général. Les mesures dictées par les autorités
atrocement douloureuse et entraîne souvent la mort
politiques et sanitaires pour la consommation d'eau
de plusieurs filles. (Alonou 1994 : 130-140).
potable, peuvent être donc analysées comme une
action humanitaire de l'assistance médicale. Les in-
Dès la conception, la femme était soumise à cer-
citations à utiliser l'eau des puits ont brisé la routine
tains interdits dont les plus dangereux pour le fœtus
séculaire et amené les mentalités à se convertir à
étaient les interdits alimentaires (interdiction de con-
l'esprit scientifique sans remettre en cause l'iden-
sommer des crabes, certains poissons, gibiers et
tité culturelle.
œufs). En effet,-ces interdits frappant surtout les ali-
ments riches en protéines peuvent nuire au déve-
La médecine coloniale a certainement contribué au
loppement harmonieux du fruit de la conception.
développement de la santé publique dans les socié-
tés industrielles. La notion de risques collectifs ré-
L'effort du service de santé dans le domaine d'ad-
sultant de la présence d'agents pathogènes identi-
duction d'eau potable peut être considéré aussi
fiés, constitue un élément majeur pour la protection
comme une œuvre humanitaire. Dans son article sur
de la population avant de la maintenir en bonne santé
l'eau et les maladies, lean-Paul Bado (1991 ; 14)
et de développer enfin le niveau de santé (Barbieri
souligne le manque d'eau dans les pays voltaïques
1992 : 125). En Europe, l'hôpital isolait les popula-
et les actions sanitaires salvatrices de l'Administra-
tions à risques et le praticien gérait les maux de la
tion : « En dehors de la Vota noire qui traverse la
famille bourgeoise au coup par coup. La médecine
partie ouest du territoire'du nord au sud. les pays
coloniale objective les risques sanitaires en affirmant
voltaïques ne possédaient ni rivières, ni cours d'eau
l'existence de pathologie transmise à toute une po-
fournissant régulièrement de l'eau toute l'année.
pulation exposée. Il en résulte que la mise en qua-
Les puits étaient peu répandus. Les seuls trouS
rantaine ou les initiatives individuelles sont insuffi-
d'eau, peu profonds, tarissaient vite. Les mares tem-
santes pour affronter des risques collectifs requé-
poraires où les villageois allaient se ravitailler,
rant des mesures collectives. L'homme est d'abord
hébergeaient de nombreux germes pathogènes, et
un danger pour sa propre espèce, avant d'être un
servaient d'abris pour les insectes vecteurs. En pé-
sujet souffrant parlant du mal qui constitue un pro-
riode de fortes chaleurs (avril-mai-juin), les mares
blème de santé publique. Les médicaments étaient
et les lits de marigot s'asséchaient massivement.
gratuitsl . Ceux-ci étaient approvisionnés et distri,;,
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1" Semestre)
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bués par les pharmaciens des colonies (Bouche
commun au rat et l'homme, la puce.
1991 : 240). Les soins, au début, furent imposés,
sans grand souci des réactions individuelles ni des
L'organisation des Instituts Pasteur se fit souvent
coutumes. Sûrs de l'excellence de leurs intentions
de façon progressive, par développement et regrou-
et de leurs méthodes, les médecins coloniaux trou~
pement de modestes laboratoires. La création offi-
vaient naturel d'être obéis (Bouche idem). Les mé-
cielle supposait le dégagement de crédits relative-
decins de l'A.M.I. mènent une lutte acharnée pour
ment importants et la passation d'une convention
introduire davantage d'hygiène dans les accouche-
entre l'administration locale et la maison mère de
ments et faire cesser la mort en masse des nouveaux-
Paris.
nés par le tétanos et les maladies pulmonaires. Des
maternités furent ouvertes et dans les nouvelles éco-
En Afrique du Nord, l'Institut Pasteur de Tunis ne
les de médecine (exemple de celle de Dakar au Sé-
reçut son nom et la personnalité civile qu'en 1900,
négal), la formation de sages-femmes commença en
mais dès 1893, avait été créé un Laboratoire de vi-
même temps que celle des médecins. A la veille de
nification. L'Institut Pasteur du Maroc, malgré une
la Seconde Guerre Mondiale, des résultats specta-
taille réduite et un personnel limité, eut à son actifla
culaires avaient été obtenus. En Afrique Occiden-
mise au point d'un vaccin antityphique, utilisé à partir
tale Française, on avait recensé 171000 consulta-
de 1937.
tions en 3.742.000 consultants, en 1938, pour une
populaire totale de 14 millions d'habitants. Le ser-
Les réalisations en Afrique noire sont à peine posté-
vice était alors assuré par 246 médecins européens,
rieures à celles de l'Indochine ou du Maghreb. L'Ins-
127 médecins africains et 200 sages-femmes sorties
titut Pasteur d'Algérie fut fondé en 1894. Le méde-
de l'Ecole de médecine de Dakar. A ce personnel
cin militaire Lavéran, qui avait découvert, en 1880,
médical, milliers d'infirmiers et d'infirmières (Bou-
1'hématozoaire responsable du paludisme, travailla
che id : 241).
de 1897 à 1922.
Dans la logique de l'action humanitaire, le rôle du
Au Sénégal, un laboratoire de bactériologie fut ins-
personnel médical fut triple: de recherche, de prati-
tallé, en 1896, dans l'enceinte de l'hôpital colonial
que et d'enseignement. En effet, le corps des méde-
de Saint-Louis. Parmi les succès en 1932, Jean
cins et pharmaciens des colonies créèrent 14 Insti-
Maigret mis au point le vaccin antiamaril qui fit dis-
tuts Pasteur Outre-mer, bâtirent, l'assistance médi-
paraître à partir de 1936 en Afrique Occidentale
cale indigène et fondèrent et dirigèrent les écoles de
Française la fièvre jaune. Le médecin Lasnet (1870-
santé locale. Les Instituts Pasteur étaient voués à la
1940) influença l'action médicale dans l'ensemble
fabrication des vaccins et à la recherche sur les ma-
des territoires relevant du Ministère des colonies. Il
ladies humaines et animales. La première fondation
fit signer en décembre 1924, à Daladier, alors titu-
Outre-mer eut lieu à Saigon, en 1891, trois ans après
laire de ce portefeuille, les institutions préconisant
l'inauguration de l'Institut de Paris et six ans après
les mesures générales à appliquer pour lutter « con-
la révolution pastorienne. Le succès de la vaccina-
tre les principales causes de dépeuplement et de
tion antirabique appliquée pour la première fois en
déchéance des rares indigènes ». Pour lutter con-
juillet 1885 au petit Joseph Meister, qui fut ainsi
tre les grandes endémies, fut imaginée la méthode
sauvé d'une mort jusque-là certaine (Bouche 1991 :
de l'équipe mobile avec laquelle Eugène Jamot
236). Après un stage à l'Institut Pasteur de Paris, le
montra la voie pour venir à bout de la maladie du
jeune médecin des colonies, Albert Calmette partit
sommeil. Dès équipes mobiles formées d'un person-
pour Saigon, où il entreprit la production de vac-
nellocal de microscopistes, de préparateurs et d' in-
cins antivariolique et antirabique avec un tel succès
firmiers, entraînés à des tâches simples et dirigées
que malades et demandes de vaccins affiuèrent im-
par des médecins des troupes coloniales ratissaient
médiatement des pays voisins (Bouche id: 237).
les foyers pour visiter la population dans sa totalité
(Bouche 1991 : 238). Les médecins coloniaux qui
Contemporain de Calmette, disciple lui aussi de
avaient fondé puis géré l'assi~tance médic~le indi-
Pasteur, Alexandre Yersin découvrit le bacille de la
gène pendant des décennies firent preuve, dans cette
peste en 1894, à HongKong. Il fut donné à son con-
entreprise, d' œuvre humanitaire. Ces hommes sa-
frère Louis Simond de démontrer en 1897 que
vaient conduire des équipes mobiles qui dépistaient
l'agent de transmission était en réalité le parasite
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et vaccinaient les malades. Ils avaient su également
instruire les populations locales qui devinrent des
Les progrès de la technologie médicale ont imprimé
gens de grande culture occidentale et prirent la re-
leur marque sur l'évolution de la mortalité en Afri-
lève du personnel européen. «Au moment où les
que. Après l'éradication de la variole, la lutte con-
Etats accédaient à l'indépendance et prenaient en
tre certaines endémies, telles que la trypanosomiase,
charge leur santé publique, la France laissait sur
la fièvre jaune et la méningite, a fait reculer le spec-
les territoire ou elle avait exercé son influence plus
tre de la mort. Il est en général très difficile de faire
de 4 000 formations sanitaires, dont 2 500 dispen-
la part entre ce qui revient à l'action sanitaire di-
saires, 216 hôpitaux, 360 maternités, sans compter
recte et ce qui est dû à une amélioration des condi-
les centres spécialisés et les établissements d'en-
tions de vie et d'hygiène. L'effet de l'action médi-
seignement » (Bouche id : 241). Une œuvre énorme
cale sur la mortalité ne peut être mesuré de façon
fut donc accomplie, grâce en partie à l'unité de doc-
précise que dans certaines circonstances. C'est le
trine et à l'efficacité des médicaments. Mais à 1'heure
cas pour le développement de l'immunisation con-
des bilans, furent mis en évidence des aspects posi-
tre la rougeole. L'effet des premières campagnes a
tifs et négatifs.
été spectaculaire, interrompant le cours de l'épidé-
mie qui sévissait et faisant chuter l'incidence de la
maladie, avec une baisse de la proportion de con-
III - BILAN DE L'ACTION SANITAIRE
sultations pour rougeole, assurant un effet positif
sur la survie des enfants.
1. Aspects positifs
Cependant, au cours des années soixante, il n'était
La médecine coloniale a marqué un pas décisif en
pas rare de trouver en milieu rural africain, des taux
permettant de traduire, par des progrès notables,
de mortalité de l'Europe au XVIIIe sièclel (Barbieri
les instruments médicaux mis au point. En fournis-
1992 : 63). Cette situation était la preuve que le
sant prévention et assistance gratuite, la médecine
système de santé fonctionnant alors n'avait pas de
coloniale a réalisé une action sanitaire décentrali-
prise sur la mortalité. Malgré le déclin enregistré
sée, dont les populations se souviennent lorsqu'el-
dans la plupart des pays africains, de très grandes
les sont confrontées aux graves difficultés de fonc-
disparités demeurent entre les sous-groupes de po-
tionnement des systèmes de santé présents dans le
pulations dans un même pays. Ces différences sug-
tiers monde (Barbieri 1992 : 127). La médecine des
gèrent que la disponibilité des soins médicaux n'est
maladies tropicales a changé la face du monde en
pas le seul facteur important et que d'autres, tels
sachant prévenir les maladies. La connaissance de
que le milieu écologique, l'environnement socio-
la pathologie africaine a révolutionné la médecine
économique et les pratiques culturelles, jouent un
tropicale. «A la lugubre litanie des innombrables
grand rôle.
fièvres et à la description des maladies exotiques
aussi confuse qu'inefficace, succédait une attitude
2. Aspects négatifs
raisonnée et une classification rigoureuse: grâce
au génie de Pasteur, à telle maladie correspondait

La principale faiblesse de la médecine coloniale ré-
tel microbe que l'on pouvait maintenant voir, iso-
sidait dans ses méthodes thérapeutiques qui ne tin-
ler et à partir duquel on allait, pour beaucoup d'en-
rent pas compte du sujet humain dans ses dimen-
tre elles, pouvoir préparer vaccins et sérum. Pour
sions socioculturelles. Ceci explique probablement
certaines on commençait à découvrir des médica-
le fait qu'au-delà de discours abstraits du colonisa-
ments classiques qui telles des "balles magiques"
teur contre « les superstitions» et la médecine tra-
iraient détruire le germe malfaisant à l'intérieur
ditionnelle, ces dernières non seulement ne se sont
de l'organisme des hommes et aussi des animaux»
pas éteintes, mais se sont développées grâce à la
(Lapeyssonnie 1987 : 140).
1 Le principe de l'assistance médicale gratuite a permis de bénéficier des médications et hospitalisations gratuites pour la protection de la santé, par suite de l'insuffisance
des ressources (le paysan noir des vastes régions désertiques du Niger, du Soudan et le la Haute-Volta en particulier). Cependant, ce principe ne resta pas intangible. On
envisagea de faire payer certaines catégories d' Mricains. Les mesures prises furent adaptées à chaque territoire de la fédémtion, les fonctionnaires et militaires et leur
famille furent hospitalisés dans la catégorie correspondante à leur indice de solde et soumis à la retenue d'hospitalisation. Les particuliers à leurs frais, étaient hospitalisés
dans la catégorie de leur choix et remboursaient les tarifs fixés. Il convient d'ajouter que des taxes médicales ou taxes d'assistance furent instituées dans chaque pays de
la fédération et au Togo. Pour exemple des tarifs, voir la thèse de M. ALONOU (1994 : 188-191).
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mise à distance ou à la répression dont elles étaient
ces doses jusqu'à dépasser 8 g par injection. et cela
victimes dans un contexte de dominant: « les soins,
pendant plus de deux ans (1926-1929). Cette im-
au déhut,furent imposés sans grand souci des réac-
prudence, cette méchanceté de Monier causa 695
tions individuelles ni des coutumes» (Bouche 1991 :
accidents oculaires graves, dont 526 ayant entraîné
240). La pratique parfois un peu brutale et toujours
la cécité définitive» (Lapeysonnie 19-87 : 102). On
systématique de la médecine coloniale entre les deux
peut donc conclure que la thérapeutique de la mala-
guerres n'est pas sans apporter une certaine sécu-
die du sommeil était timorée, c'est-à-dire un traite-
rité susceptible de rassurer les malades qui se sen-
ment en .' jonglant". On note une insuffisance des
tent « encadrés », c'est-à-dire pris en charge
connaissances techniques du personnel.
(Barbieri 1992: 126). On peut penser qu'à cette
époque, au lieu de s'exclure, deux systèmes de sé-
CONCLUSION
curité fonctionnaient, permettant de se prémunir
avec des modalités complémentaires de traitement.
Pour justifier l'utilité et même la nécessité de la co-
On ne saurait trop souligner que l'approche dua-
lonisation, fondées sur des raisons économiques et
liste des systèmes médicaux en termes d'alternati-
humanitaires et de politique internationale, la France
ves concurrentielles au conflictuelles est erronnée.2
se consacra à l'amélioration physiq ue et morale des
La démarche des patients montre une volonté agré-
races placées sous son autorité,
gative de préciser dans l'arsenal thérapeutique dis-
ponible.
En effet la politique de santé coloniale, analysée du
point de vue politique, économique et social a été
La faiblesse des connaissances médicales a porté
une action humanitaire de par le dévouement du
préjudice à la médecine occidentale. Le traitement
personnel de santé et l'œuvre accomplie. En réalité,
de la maladie du sommeil a dOIUlé la preuve de l'inef-
les grandes endémies et épidémies ont été éradiquées
ficacité des médicaments et a permis de se rendre
grâce aux équipes mobiles et au génie de Eugène
compte
de
l'inexpérience des
médecins.
lamot, Muraz et Richet. Par ailleurs, les œuvres des
Lapeyssonnie note: « les médicaments employés
services de protection de l'enfant et de sa mère (Pro-
contre la maladie du sommeil étaient imparfaits,
tection maternelle et infantile) ont contribué à la
car ils ne pouvaient atteindre que le trypanosome
réduction des forts taux de natalité grâce à l'éduca-
du sang et de la lymphe.
Ceux qui avaient déjà
tion des femmes (puériculture). Mais l'Europe a
franchi la harrière des méninges échappaient à l 'ac-
surtout comme but son propre enrichissement.
'tion des médicaments (atoxyl et moranyl). Ni les
doses à injection, ni la voie d'introduction du mé-
Au total, la politique de santé eut pour finalité la
dicament sous-cutané. intra-musculaire ou intra-
mise en valeur des colonies par le biais d'une popu-
veineuse, n'étaient clairement fixées ». Selon un
lation autochtone saine et croissante. C'est ainsi que
rapport du docteur Jamot, au Dahomey, deux fonc-
D. Domergue écrit: « à travers les problèmes de
tionnaires européens atteints de la maladie du som-
main-d'œuvre on en vint à s'occuper de la santé
meil ont reçu d'un médecin du corps de santé colo-
des Africains ».
nial un traitement à l'atoxyl : 1.2 g tous les 5 jours
qui les a guéris mais qui aurait dû, normalement, les
Ainsi, de passage au Togo en 1933, pour y défendre
aveugler ou les tuer. Dans cette même colonie du
l' œuvre de la France, l'écrivain et homme politique
Dahomey, un médecin prescrit une série d'injec-
Jean Martet note: « Nous sommes au Togo et au
tions de 0,30 g d'atoxyl à des malades adultes en
Cameroun d 'ahord pour nous. Ce qui ne veut pas
bon état pour lesquels la dose normale efficace est
dire que nous n y soyons pas aussi, ensuite, pour
de 1g par injection. Par contre, dans une zone de
les autres, Le succès, le bonheur, la santé d'une
très faible endémicité (l à 2%), ce même médecin
entreprise coloniale sont faits du succès, du bon-
administre à titre préventif à tous les gens indem-
nes. c' est-à-dire à la presque totalité des habitants
une dose massive d'atoxyl sur la base de 1,20 g par
1 Exemple du Togo en 1960 : taux brut de mortalité = 21 '!60 : taux de morta-
lité infantile
adulte. Quant au docteur Monier, au lieu de se li-
= 121 '!60.
.
IOn accuse la médecine occidentale d'avoir étouffé la médecine traditionnelle
miter à la dose maximum de 2,50 g de tryparsamide,
sans doute à cause des discours du colonisateur contre « les superstitions ».
L'administration n'élimina pas les matrones traditionnelles mais elle les forma
il a doublé, triplé, et dans quelques cas quadruplé
afin de les amener peu à peu à suivre les conseils des sages-femmes éduquées à
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heur, de la santé des colonisés» (Gayibor, 1997 :
10. LAPEYSSONNIE, 1987. Moi, Jamot. Le vain-
176). Mais, dans tous les cas, l'œuvre sanitaire par-
queur de la maladie du sommeil,
ticipa à la réduction considérable de la mortalité in-
Ed. Louis Musin, 160 p.
fantile qui caractérisait l'Afrique, réduction qui con-
tribua à l'augmentation de la population du conti-
11. LAPEYSSONNIE, 1988. La médecine colo-
nent.
niale, Ed. Louis Musin, 1988, Paris,
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