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Sciences sociales et humaines
ETUDE DES CONDITIONS OPTIMALES DE SYMBIOSE ENTRE PAYSANS
AUTOCHTONES, ALLOGENES ET ETRANGERS POUR UNE MEILLEURE
COOPERATION DANS LE SUD-OUEST IVOIRIEN
(SASSANDRA, SAN-PEDRO, SOUBRE, TABOU)
Jean Marie MANSO MANGOU-EYI,
Sociologue, docteur d'Etat, chargé de recherche au
Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales (CIRES)
Université de Cocody - CÔTE D'IVOIRE
RESUME
La coopération agricole dans l~ Sud-ouest de la Côte d'lvoir~ pose des problèmes humains et ethni-
tilleS difticiles à résoudre. Dans l'état acmel de la simation socio-politique et économique. il est
impossible d'améliorer toutes ks relations de symbiose qui ex~rœnt une influence sur la production.
. Il existe, dans cette région. de nombreuses coopératives aux activités multiples, constituées de grou-
puscules ethniques composites dont ks membres sont analphabètes à 98 %. De ce fait toutes les
solidarités sont conflictuelles et entravent à la fois la production et les eftlxts de développement.
Mots clés: ('onditions, symhiose. paysans. coopùlltiol1.
ABSTRACT
Agricultural co-operation in the South-Western part ofCôte dlvoire provoke many human and etlmic
problems difficult to resolve. ln the actual state of this socio-political and economic situation, it is
impossible to ameliorate aIl symbiotic relationships which exert an influence on production. There are
in this region. many co-operative societies ofmultiple activities constituted by little ethnic groups of
98 % illiterate m~mbership. As a result ofthis, aIl their ideas are conflicting which hinder production
and at the same time development efforts.
commune, politique, le plus souvent ou inversement,
INTRODUCTION
si les destins, quels qu'ils soient, communs à des
individus de même ethnie, s'allient à une opposition
L'appartenance ethnique, c'est-à-dire la possessi(m
quelconque entre individus manifestement d'une
des dispositions semblables héritées et transmissi-
autre ethnie.
bles par l'hérédité, réellement fondées sur la com-
L'activité communautaire qui en résulte est-elle d'or-
munauté d'origine, constitue-t-elle une source bien
dinaire purement négative? S'exprime-t-elle par la
plus problématique de l'activité communautaire que
ségrégation et le mépris ou au contraire, se mani-
les faits économiques?
feste-t-elle par la crainte superstitieuse de ceux qui,
d'une manière frappante sont d'une autre ethnie ou
Naturellement, elle ne conduit à une communauté
d'une autre nationalité?
que si elle est ressentie subjectivement comme une
caractéristique commune; mais ceci ne se produit
Du point de vue de l'anthropologie sociale, l'indi-
que si un voisinage local ou une association de gens
vidu, différent d'après son habitus extérieur peut
d'ethnies différentes sont liés à une façon d'agir
«faire» et «être» ce qu'il veut il est de toute facon
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méprisé en tant que tel ou, vice-versa, il est admiré,
I-PROBLEMESRENCONTRES
adoré superstitieusement là où il reste constamment
DANS LES COOPERATIVES: UNE SYM-
en état de supériorité économique, voire politique.
BIOSE DIFFICILE
Toutefois, la répulsion est l'attitude primaire et nor-
Toutes les coopératives du Sud-ouest sont confron-
male. Mais cette sorte de répulsion envers les indi-
tées à la nécessité, car elles sont, elles aussi en des-
vidus différents n'est pas particulière aux porteurs
truction particulièrement dans cette région, moins
d'éléments anthropologiques communs, sa mesure
du fait de leur détermination par l'extérieur que de
n'est nullement déterminée par le degré de parenté
leur autodestruction. Plus radicalement que les rap-
anthropologique et surtout cette répulsion ne se rat-
ports de production qui ne déterminent pas tout,
tache nullement aux seules différences héréditaires,
même en dernière instance, ce sont tous les rapports
mais, tout autant à d'autres différences apparentes
sociaux qui sont à réinventer ou à reconstruire dans
de 1'habitus extérieur.
la région.
Les différences ressenties comme divergences frap-
La capacité des membres des coopératives à être
pantes donc, comme des motifs de séparation repo-
les sujets et les acteurs de leur développement dé-
sent-elles sur des dispositions naturelles ou sur la
pendra de plus en plus des réponses institutionnel-
tradition? C'est là un problème normalement sans
les qu'on trouvera à ce genre de question. L'Etat
importance en ce qui concerne leur efficacité sur
ivoirien est-il prêt à s'engager dans cette voie? Rien
l'attraction et la répulsion réciproque. Ceci, qui vaut
ne le laisse présager même avec la nouvelle loi nO
pour le développement des communautés conjuga-
97-721 du 23 Décembre 1997.
les endogamiques, vaut aussi, à plus forte raison pour
l'attraction ou la répulsion dans les autres genres de
Pour les paysans, se suffire à soi-même correspond
relations, c'est-à-dire, lorsque des relations amica-
à une base élémentaire d'existence, condition d'un
les, mondaines ou économiques se nouent sans dif-
minimum d'autonomie, mais l'autodétermination
ficulté entre de tels groupes et que des communau-
qu'elle rend possible s'inscrit dans une interdé-
tés de toutes sortes se forment facilement sur un
pendance dont tous participent et que tous devraient
pied d'égalité et de confiance mutuelle ou bien si
pouvoir contribuer à gérer dans cette région.
elles ne s'instaurent que difficilement, en usant de
Ici, avons-nous observé, les populations humaines
précautions, qui annoncent la méfiance, c'est le cas
composées d'une mosaïque d'ethnies sont entrées
des Baoulé, des Burkinabé et des Maliens, qui se
en contact et en relations les unes avec les autres
sont installés dans cette région.
avant et surtout après l'indépendance (1960). Elles
se découvrent maintenant dépendantes les unes des
Dès lors, l'éclosion plus ou moins facile d'une com-
autres; naguère, elles ne percevaient pas leur dé-
munauté de relations sociales se rattache tout autant
pendance, tant elles pouvaient se contrôler puisque
,aux aspects extérieurs des différences d'habitus de
personne ne les contrôlait.
vie acquise.
Maintenant, elles prennent conscience de leur im-
C'est·en situant l'activité agricole du sujet écono-
brication dans une rencontre qui s'est opérée au
mique dans l'ensemble des éléments qui lui donnent
hasard de leur quête pour satisfaire les gains écono-
sa signification que l'on parvient à une compréhen-
miques en quittant leurs poches de pauvreté.
sion satisfaisante des formes d'organisation de l'éco-
nomie agricole. Celles-ci se distinguent, tout
Aujourd'hui où la prise de conscience par les autoch-
d'abord, par leur multiplicité. La coopérative pose
tones devient de plus en plus aiguë, l'appropriation
des problèmes.
des terres et des autres biens qui constituent indé-
niablem.ent leur patrimoine héréditaire, millénaire,
L'objectif principal de l'étude, c'est de mesurer les
devient plus difficile qu'avant. Mais si les autres
possibilités d'intégration et le degré de symbiose des
veulent rester (étrangers et allochtones), avec eux,
populations autochtones, allogènes et étrangères du
peut-être, ne sachant plus où aller, il faudra bien s'or-
Sud-ouest ivoirien, entrées dans le mouvement coo-
ganiser pour réduire et restituer à tous les groupes
pératif agricole.
ethniques représentés dans la région et engagés dans
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Sciences sociales et humaines
le procès de travail agraire, la possibilité d'être pour
tion économique.
leur part les acteurs d'une vie collective dont la ges-
tion conditionnera de plus en plus l'existence de tous
Il est donc nécessaire de s'entendre sur le fonction-
dans la région. Quel que soit le poids de
nement de la langue ou du langage des uns et des
l'autochtonie, aucune hégémonie écrasante n'est
autres. Il est vrai que les signes observables de blo-
pensable à l'échelle régionale. Les contradictions
cage dans la déconstruction systématique se trou-
entre autochtones et allogènes et étrangers, entre
vent dans les manières de voir des diverses repré-
ceux qui sont grands et ceux qui sont forts et ceux
sentations sociales, leur façon de sentir, de vibrer,
qui sont faibles, représentent peut-être la meilleure
de parler, la manière d'apprécier les couleurs, les
protection des petits ou des faibles contre les ris-
rythmes, les nonnes, les phrases, les récits, tout ce à
ques de nouvelles colonisations des terres et d'ex-
quoi, on s'habituait à vivre dès qu'on entrait en so-
clusion sociale irrémédiable.
ciété moderne est bousculé, cassé, défonné par le
goût effréné de l'avoir, c'est-à-dire, de l'argent.
La présence massive de groupuscules ethniques est
dans cette région un des signes d'ouverture vers une
II - POINTS CLES POUR AMELIO-
autre fonne d'organisation dont les nonnes et les
RER LES RELATIONS DE SYMBIOSE
procédures sont encore à inventer pour rendre les
coopératives plus viables.
Dans cet imbroglio, les points clés pour améliorer
les relations sont incontestablement la compétence
La négociation avec les propriétaires fonciers
des hommes, les bons résultats financiers des coo-
autochtones suppose toujours une certaine distri-
pératives, le développement des structures de parti-
bution du pouvoir et apparaît comme la voie obli-
cipation au niveau des adhérents et enfin le rôle joué
gée d'une coexistence plurielle. Transfonner la so-
par les administrateurs des coopératives.
lidarité de fait en solidarité de droit, ne peut en ef-
fet, se faire que par la multiplication et l'entrecroi-
La compétence des hommes apparaît très nettement
sement de rapports contractuels là où naguère les
comme facteur privilégié pour améliorer les rela-
autochtones imposaient leur loi d'airain, puisqu'il
tions avec les adhérents. La participation apparaît
n'y avait pas de loi, ni de pouvoir susceptible de
comme le meilleur moyen de rendre les paysans coo-
l'imposer à tous.
pérants, majeurs et solidaires de leur coopérative
dans les périodes difficiles et dans les périodes fas-
Si les groupements ethniques composites se sont
tes.
presque toujours construits les uns contre les autres
ou même aux dépens des autres selon les circons-
La vie relationnelle est quelque chose de difficile.
tance.s imposées par l'histoire, la coopérative, elle,
Les coopératives éprouvent de grandes difficultés à
ne peut se construire que dans la participation de
traduire leurs virtualités sociales dans une vie rela-
tous à la production des conditions d'existence de
tionnelle dense et partagée par tous. Les coopéra-
tous.
teurs sont étranges et étrangers les uns par rapport
aux autres (Bété, Sénoufo, Maliens, Burkinabé.
L'organisation des rapports qui constituent toute
Baoulé, Guinéens, etc.)
société est nécessaire dans cette zone économique
et écologique, car la vie en communauté est la con-
En fait, les sociabilités naissantes dans la région sont
dition de possibilité de la production de tout ce dont
assaillies, envahies par l'implacable logique de l'in-
les hommes ont besoin pour vivre.
térêt individuel et l'appât du gain. Progressivement
Mais la vie en société est en elle-même, indépen-
nous avons constaté que dans les quatre départe-
damment de l'organisation de la production, pour-
ments (Soubré, Sassandra, San Pedro et Tabou), la
rait-on dire la condition de la possibilité de l'exis-
solidarité unanime qui s'était instaurée au cours de
tence humaine. L'exploitant agricole (Néo, Bété,
la lutte commune pour la création des coopératives
Krou, Baoulé, Malinké) n'existe, en effet, qu'en re-
contre les chefferies traditionnelles se dissout dans
lations à autrui et ces relations interpersonnelles,
la durée pesante de la vie coopérative. Chaque pay-
interethniques de pure communion exigent la mise
san membre de la coopérative a fait au début Pap-
en place de systèmes de régulation ou d'organisa-
prentissage de son identité dans l'harmonie du
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groupe facile et puis, la dure réalité de la distance
l'ampleur des conflits qu'elles entraînent. Les coo-
sociale se fait sentir douloureusement face à la né-
pératives de la région sont d'autant plus menacées
cessité de négocier entre toutes les contraintes exi-
par le mouvement centrifuge des égoïsmes qu'il
geantes de la construction collective. La coopéra-
n'existe aucune tradition syndicale imprégnée du
tive devient une tour de Babel.
mythe de la solidarité naturelle africaine. Chaque
coopérative qui naît est appelée à mourir faute de
Dans ce nouvel espace social que' constitue la coo-
vie.
pérative, les consciences embarrassées se laissent
peu à peu envahir par l'égoïsme potentiel de l'indi-
Les pauvres coopérateurs ne sont pas annés pour
vidu et chaque coopérateur, Baoulé, Sénoufo, Bété,
appréhender avec clairvoyance cette situation :
Dioula, Burkinabé, retrouve insensiblement ses con-
«nous faisons ce qu'on nous dit de faire». Et pour-
ditions antérieures.
tant à visiter ces coopératives, on constate que leur
unanimité est brisée, que l'unité de l'ensemble hu-
Chaque membre de la coopérative désarmé est tenté
main n'est plus donnée, que la structure matérielle
de se détourner de la responsabilité nouvelle qu'il
définissant la coopérative est distincte de l'environ-
entrevoit pour lui-même face au groupe. S'amorce
nement même du paysan.
ainsi un repli général sur soi-même qui suscite une
Au pire, les coopératives que nous avons visitées
tension dangereuse entre les projets individuels et
sont devenues étrangères à chacun de leurs mem-
l'exigence communautaire. Or Lanneau (Ci), (1980)
bres. Chaque membre se situe à son tour comme
met l'accent sur l'engagement coopératif.
membre passifdu groupe pour ce qu'il produit dans
le village, mais vend ailleurs et parfois à n'importe
L'âpreté de la survie collective a provoqué un dé-
quel prix pour avoir de l'argent liquide (rentrée sco-
chaînement des intérêts privés ou chacun cherche à
laire, mariage, funérailles, baptême, maladie, tribu-
tirer «son épingle du jeu».
nal, etc.). Ainsi, certains membres nient rétrospecti-
vement leur engagement volontaire comme socié-
Dans une ambiance dégradée, la fraternité initiale
taires, fondateurs de la coopérative.
s'est transfonnée lentement en méfiance mutuelle,
en affrontement des tactiques particulières, en mi-
«Je n'avais pas le choix». «Il faut que je vende pour
cro rapports de forces politique et économique en-
avoir un peu d'argent et faire face à ~es problèmes
tre les membres des organes dirigeants et les autres
pressants».
membres de la coopérative.
D'ailleurs pourquoi ne pas le dire de façon objec-
Nous avons également noté à Soubré à travers les
tive, les paysans sont unanimes là-dessus, le senti-
discussions avec les coopérateurs, le libre jeu des
ment d'appartenance à la coopérative vient princi-
intérêts individuels, vécu dans les coopératives par
palement de l'extérieur.
une conscience malheureuse qui s'alimente dans le
creux du collectifet qui désarticule la nostalgie lan-
Le coopérateur Bété, Baoulé, Burkinabé, Dioula,
cinante de la communauté traditionnelle à jamais
est enregistré comme membre de la coopérative qui
perdue. Béatrice Webb soutient qu'il est difficile de
<uacilite la vente de sa productiom>, mais il n'a
rendre la démocratie effective dans une coopéra-
aucune vie de coopérativité, c'est-à-dire, à l'inté-
tive2 •
rieur, la vacance du projet communautaire laisse la
place au déploiement des visées individuelles, voire
Sous la pression des forces désintégratrices et
ethniques.
atomisantes (forces politiques, religieuses, tribales,
ethniques, etc.) de l'intérêt privé, l'institutionnali-
Ainsi les relations entre membres des coopératives
sation typique de la coopérative par l'Etat ivoirien,
sont vécues en tenne de solitude, d'.,indifférence, de
se double donc d'une régression partielle des mem-
réciprocité négative. Le raisonnement de base de-
bres vers son état antérieur. La nouvelle loi malgré
sa perfection technique n'apporte pas grand chose
à la vie des coopératives. Ici et là, les coopératives
existent sur le papier, mais un grand nombre d'entre
1 Lanneau (0), 1980. L'engagement coopératif, pratiques et attitudes, p. 15.
2 Potter Webb (B), 1905. La coopération en Grande-Bretagne, Ed. Comey,
elles sont insignifiantes au regard des résultats et de
Paris, pp. 175.
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Sciences sociales et humaines
vient «Je suis ici pour gagner ma ristourne». Lais-
au prix d'un dosage savant et subtil pour ne pas
sez-moi tranquille, je n'ai rien à faire avec vous
casser l'équilibre du groupe dominant, qui, en défi-
autres». Je suis ici pour quelques temps. Au regard
nitive a le dernier mot. Parfois les coopératives sont
des projets individuels, la relation à autrui semble
composées de membres uniquement de la même eth-
être une réalité accessoire souvent vécue.
nie (Baoulé, Burkinabé, Malinké, etc.). Dans ce cas,
l'équilibre total du groupe est maintenu et les rap-
Il est important qu'au niveau de la région du Sud-
ports sont emprunts de franchise. Mais ce cloison-
ouest (Sassandra, Soubré, San Pedro, Tabou), les
nement empoisonne durablement toute la vie coo-
associations professionnelles soient également re-
pérative et annonce dans la plupart des cas le glas
censées afin de pouvoir recevoir l'aide de l'Agence
final.
Nationale d'Appui au Développement Rural,
(ANADER).
Au sein de ces coopératives désormais segmentées,
elles reconduisent l'organisation disciplinaire de l'en-
Le mouvement coopératif tel qu'il existe mainte-
treprise dictatoriale. En effet, l'impossibilité voulue
nant présente de nombreuses faiblesses et mérite une
par les uns et les autres d'un échange efficient
redynamisation non seulement au niveau de la révi-
dans la commercialisation des produits agricoles
sion des textes légaux qui vient d'être faite, mais
appelle aussitôt la médiation du «chef». Situé comme
surtout au niveau des orientations pour qu'il appar-
tiers extérieur, celui-ci assure l'indispensable totali-
tienne réellement aux paysans coopérateurs qui ont
sation du processus de production caféière ou
librement adhéré. La liberté d'adhésion constitue
cacaoyère ou des cultures vivrières (riz, maïs, ma-
elle-même, un problème au sens où il n'y a pas de
nioc, banane, taro, aubergine, piment, etc.), en coor-
liberté sans connaissance réelle. Souvent des mé-
donnant l'activité séparée des coopérateurs. Dans
diations s'imposent comme l'a indiqué Touzard (H)
ce sens, la construction pyramidale qui resurgit un
1965 1 •
jour au sein de l'édifice coopératif, résulte, non pas .
d'une inavouable volonté oppressive, mais bien plu-
Au cours des différents Comités Techniques Régio-
tôt de la convergence des assentiments individuels.
naux, (C.T.R.) et des Sites d'Adaptation de la Re-
L'absence de syndicat aggrave cette situation. Pour
cherche Systémique, (SARS), de nombreux problè-
M. de Roquigny, le syndicalisme agricole doit être à
mes relatifs au crédit, à l'approvisionnement en
la base de l'assurance mutuelle2 •
intrants et semences ont été soulevés par les coopé-
ratives, mais nous avons constaté que les réponses
Au sein de la configuration pyramidale ainsi recréée,
données par l'ANADER «Prenez-vous en charge
le sommet et la base entrent dans une relation dia-
vous-mêmes» n'ont pas satisfait les paysans. Pour
lectique où les deux pôles se renforcent mutuelle-
ce point précis, il convient de mener une réflexion
ment. D'un côté le paysan coopérateur désigne
profonde pour identifier les causes de ces deman-
comme chefs les animateurs de la coopérative et les
des qui relèvent d'alternatives techniques sur le mode
sommes de gérer au mieux de ses intérêts leur en-
fonctionnel.
treprise. De l'autre côté, les responsables ainsi man-
datés se sentent totalement légitimés à exercer un
A la solidarité fraternelle peuvent même se substi-
pouvoir sans limite, dont ils apprennent peu à peu à
tuer, par endroit, des crises internes. L'attitude né-
goûter lajouissance réelle qui suscite «la volonté de
gative vis-à-vis d'autrui entraîne avec elle, le cor-
puissance». En fin de compte on a constaté que l'in-
tège sordide des rivalités, des rancœurs, des jalou-
dividu reste clos sur lui-même. Il ne coopère pas.
sies, des préjugés corporatistes ou interpersonnelles,
Certaines coopératives sont menacées de désinté-
de la misogynie et même de l'ethnisme. Sur ce ter-
gration par les tendances anti-sociales.
rain miné, les conduites séparatistes, les coalitions
d'intérêts et les rapports de force éclairent la phy-
Les palabres, les phénomènes de rejet, la méfiance
sionomie de la structure relationnelle prédominante
organisée en système, empêchent les membres de
qui est vécue sur le mode de la séparation/exclusion
s'unir. D'après Gilles Sauter, «l'horizon sociocul-
(coopératives dont les membres sont composés de
turel reste contenu pour l'essentiel dans les limites
Bété, Gouro, Baoulé, Dioula, Malinké, Sénoufo,
de l'ethnie». Même dans les quatre départements,
Burkinabé). Si ces coopératives acceptent des coo-
les liens ethniques gardent en partie leur force et les
pérateurs d'ethnies différentes, c'est le plus souvent
ethnies leur contenu, mais les villes de : Sassandra,
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Soubré, San Pedro, Tabou imposent aux habitants
tion, à la prise de décision et au contrôle de projet
leurs propres structures universelles, liées aux né-
ainsi qu'à la participation avec leurs propres res-
cessités et aux tensions de l'économie moderne.
sources (terre, argent, travail).
La solidarité ethnique demeure active, capable à l'oc-
casion, de s'exprimer par des adaptations positives
IV - UNE LISTE IMPRESSION-
et originales, d'appuyer les initiatives qui répondent
NANTE DES FONCTIONS DE DEVELOP-
aux conditionnements du groupe.
PEMENT
On s'est souvent demandé, si les coopératives étaient
nconvient de mettre à la portée des coopérateurs
des instruments remarquablement efficaces pour
des économies d'échelle, d'améliorer le pouvoir de
combattre la pauvreté rurale?
négociation des membres, de réduire et d'étaler les
risques de la petite exploitation agricole, associée à
La plupart des coopératives de la région échouent
une assurance sur les récoltes ou par la diversifica-
parce qu'elles ne sont pas des coopératives au sens
tion de la production. Il s'agit aussi de procurer l'ac-
strict du terme, mais des pseudo coopératives im-
cès aux nouvelles technologies et aux qualifications
posées d'en haut et qui n'ont en commun avec la
de gestionnaire, de mobiliser en faveur du dévelop-
forme ou l'organisation coopérative que le nom.
pement les connaissances et les capacités de pro-
duction locales en mettant les «économies d'échelle»
Elles ne peuvent être blâmées pour leur incapacité à
à la portée du petit exploitant agricole, Baoulé ou
répondre aux attentes excessives des décideurs po-
Bété.
litiques ivoiriens, alors qu'une coopérative devrait
être essentiellement une institution indépendante, les
Les coopératives peuvent et doivent être utiles à
coopératives ivoiriennes créées au profit des éco-
leurs membres dans le domaine de l'offre (vente de
nomiquement faibles ont toujours reçu un soutien
produits à ses membres). Au niveau de la commer-
et
une assistance à un tel degré qu'elles sont
cialisation, la coopérative peut acheter les produits
devenues «des institutions de charité» ou même de
à ses membres pour la vente directe ou indirecte.
simples instruments pour l'exploitation des gens qui
Elle peut contracter le crédit, fournir des machines
vivent dans les campagnes. Cette contradiction mé-
à ses adhérents, entreprendre l'irrigation des terres
rite d'être levée à l'aube du troisième millénaire.
gérées de façon commune.
III - PEU DE RESULTATS SIGNIFI-
On doit laisser aux coopérateurs la possibilité'd'éla-
CATIFS MAIS UN POTENTIEL
borer leurs propres statuts, règlements et schéma
IMPORTANT
d'organisation, pour cela deux conditions s'impo-
sent:
Ici, les.. opinions divergentes au sujet de l'efficacité
des programmes de développement coopératif mis
a) Y a-t-il présentement suffisamment de la-
sur pied avec le soutien de l'ANADER. Par le passé,
titude dans la législation coopérative
les programmes coopératifs confectionnés par le
pour le développement de procédés et
Centre National de Promotion des Entreprises Coo-
de modèles d'organisation adaptés? Le
pératives, (CENAPEC), puis l'Office National de
modèle importé de coopérative euro-
Promotion Rurale, (O.N.p.R.) et par la Direction
péenne ou Nord-américaine sans adap-
de la Mutualité Coopérative, (DMC) ont eu des suc-
tation aux conditions locales est impro-
cès mitigés dans l'amélioration de la situation des
pre. Cependant la législation, les règle-
petits exploitants agricoles.
ments et les statuts des sociétés coopé-
ratives en Côte d'Ivoire sont conçus
La recherche s'accorde sur l'importance de la par-
d'après le type classique européen ou
ticipation active des petits exploitants agricoles ou
américain de société coopérative.
d'autres groupes de pauvres ruraux à l' élabora-
b) Le second facteur déterminant pour la
1 Touzard (H.), 1965. La médiation dans les conflits de travail, ln Sociologie
, matérialisation de formes adaptées d' or-
du Travail, Tome 1.
2 Roquigny (1979). Le mouvement mutualiste et coopératif dans la
ganisation est l'existence d'une commu-
société française, R.E.C, nO 195
pp. 8-9-10.
nication bilatérale effective entre les
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petits exploitants agricoles et les struc-
motivation et participation. L'ANADER, dans sa
tures d'encadrement ANADER, parfois
couverture rurale n'a prêté que peu d'attention à la
les ONG qui interviennent de façon
question de la langue et de la communication avec
ponctuelle.
les exploitants agricoles; alors qu'on sait que de-
puis la période coloniale les coopératives furent dé-
Le besoin d'une bonne communication entre
veloppées dans la langue du colonisateur, le fran-
l'ANADER et le groupe cible ne se limite pas à un
ÇaIS.
projet coopératif. Il impose des exigences particu-
lières dans l'organisation des rouages de l'ANADER
Depuis lors, elles ne furent pas propagées dans les
et des personnes qui y travaillent.
langues vernaculaires et les dialectes usités dans le
monde rural. Un effort dans ce sens peut être fait en
associant l'Institut de Linguistique Appliquée à la
La nature du personnel des services coopératifs du
diffusion des messages qui seront mieux perçus et
gouvernement ivoirien est une question majeure ;
assimilés par 99 % des adhérents.
ce devrait être des coopérateurs professionnels et
non le clan habituel des bureaucrates. Même si ces
Pour qu'un exploitant devienne un bon coopérateur,
conditions sont remplies, le succès de la coopéra-
même un programme éducatif bien pensé ne suffi-
tive n'est pas encore assuré, car elles ne sont pas à
rait pas, il faut associer à cette éducation celle qui
l'abri des influences extérieures.
est acquise par les activités quotidiennes.
Les forces antagonistes venant de l'environnement
Pour construire un système efficace d'éducation
sont souvent appelées et se révèlent être les cau-
coopérative qui profitera
à la grande majorité des
ses de l'échec, par exemple les prix du gouverne-
membres de la coopérative, un investissement con-
ment,
la politique agraire, des développements
sidérable doit être requis des deux côtés. Dans les
politiques, une action défectueuse. Ceci mis à
conditions actuelles de pauvreté où se trouvent la
part, les coopératives sont souvent dépendantes
plupart des coopératives, le fait de leur annoncer
pour leur approvisionnement en semences,
«une prise en charge de leur condition» n'apporte
intrants et la commercialisation de leurs produits
en soi rien de concret.
d'entreprises étatiques ou semi étatiques qui opè-
rent à partir d'une position de monopole (ex. : la
L'ANADER doit trouver des moyens financiers con-
CIDT pour le coton).
séquents pour amorcer et initier cette indispensable
Les coopérateurs ne peuvent dans ces conditions
formation sans laquelle, l'homme n'est rien, puis-
contrôler que partiellement le succès de leur pro-
qu'il ne peut participer à aucun processus de déve-
pre entreprise.
loppement.
v - LA FORMATION
Il convient de reconnaître que pour l'ANADER, la
conception et la production de matériaux éducatifs,
l'élaboration et l'exécution des programmes éduca-
L'éducation des membres est coûteuse, mais né-
tifs requièrent beaucoup d'argent et de personnel
cessaire. Il y a deux composantes de base: l'édu-
qualifié mais c'est une contrainte majeure à laquelle
cation au sens large, c'est-à-dire l'éducation des
des solutions doivent être trouvées si l'on veut réel-
membres et la formation des cadres. L'éducation
des membres est rendue plus difficile par le man-
lement promouvoir les coopératives.
que de moyens et de matériel. La masse des adhé-
La plupart des exploitants indiquent que les réunions
et les rencontres éducatives spéciales leur réclament
rents est beaucoup plus difficile à toucher. Les pro-
grammes d'éducation des membres présentaient
beaucoup de temps. Un aménagement de ce temps
aux coopératives locales des enseignements, idées
s'impose et il est bon de constater que certaines
et promesses qui n'avaient que peu ou pas, du tout
coopératives veulent financer une partie des coûts
de rapport avec les réalités et un possible dévelop-
des programmes éducatifs avec leurs propres res-
pement, ont engendré l'apathie, la frustration chez
sources. Il reste à observer que ce vœu pieux passe
les catégories les plus âgée"s et l'opposition parmi
aux actes lorsque l'on sait que ces coopératives ont
les coopérateurs locaux plutôt que d'améliorer leur
difficilement un fonds de roulement pour fonction-
ner correctement toute l'année.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1er Semestre)
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Sciences sociales et humaines
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La formation des cadres
dirigeants des membres. Au lieu de contribuer à éle-
ver le niveau des dirigeants, ces cours ont souvent
l'effet secondaire, involontaire, de doter les mem-
Au niveau national, on constate qu'il existe trop peu
bres du comité d'un savoir qu'ils ne transmettent
de formateurs pour le développement. En général,
pas ou utilisent seulement pour renforcer leur situa-
la formation est centrée sur l'enseignement de com-
tion de force personnelle. Les dirigeants sont cou-
pétences techniques «gestion, comptabilité, marke-
pés
des adhérents de
la base et deviennent
ting, gestion de crédit, etc.). Les cadres en plus de
budgétivores ou détournent l'essentiel des fonds
leur compétence doivent avoir de nouvelles moti-
dans l'impunité.
vations. Une observation critique et une analyse
sociologique de la pratique éducative coopérative
CONCLUSION
mettent en exergue un paradoxe: l'éducation et la
Au terme de cette analyse, nous constatons claire-
formation coopératives peuvent saper le fonction-
ment que les solidarités latentes ou ouvertes sont
nement de la coopérative en tant qu'entreprise dé-
le ciment de toutes les communautés humaines,
mocratique.
mais lorsque ces mêmes s~lidarités deviennent·
Nous avons relevé un certain nombre de défauts.
conflictuelles, elles entravent toute coopération et
annihilent les efforts de développement.
- Considérer l'efficacité de la coopérative en
tant qu'entreprise commerciale, comme plus impor-
Les éléments de symbiose rencontrés sur lè terrain
tante que sa réalité en tant qu'entreprise qui pro-
au niveau des quatre départements ne sont pas suf-
cure des services et son fonctionnement en tant
fisamment forts pour amorcer un mouvement coo-
qu'organisation coopérative. En conséquence, la
pératifvrai. Les particularismes ethniques l'empor-
formation des cadres est trop unilatéralement diri-
tent sur l'ensemble des relations verticales ou hori-
gée vers les cadres professionnels, techniques (an-
zontales. Seules les générations à venir peuvent ré-
ciens fonctionnaires de la CIDV, SODEPRA,
soudre ce problème, si elles en ont la volonté pour
SATMACI, reversés à l'ANADER), formés pour
une coexistence communautaire et pacifique. Aucun
une fonction de Direction dans une entreprise ou
décret ne peut le faire à leur place.
une fonction de contrôle dans un service gouverne-
mental, mais non, ou alors de façon inadéquate pour
BIBLIOGRAPHIE
la tâche difficile de prodiguer des conseils, là où c'est
avant tout une question de mobilisation du savoir
1. Amédée, (M.), 1978. Paysans exploités, Essai
localement disponible et des ressources dans un but
sur la question paysanne, Grenoble, PUF,
de développement.
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- L'énorme attention accordée à la forma-
2. Chombart de Law (Jean), 1979. L'aventure
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qu'organisation commerciale peut provoquer un
Paris, p. 330.
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coopératifs vers les autres secteurs de la vie écono-
3. Lanneau (G), 1980. "L'engagement coopéra-
mique.
tif, pratiques et attitudes", Nanterre,
Ce d;rainage peut saper l'efficacité des en-
Thèse d'Etat.
treprises coopératives. Il est causé par les plus hauts
salaires, les meilleures conditions de travail et les
4. Potter Webb (B.), 1905. La coopération en
perspectives d'avenir plus attrayantes qui sont of-
Grande-Bretagne, Ed. Corney, Paris,
fertes ailleurs.
pp. 175-176.
- La vulnérabilité de l'emploi est une autre
5. Touzard(H.), 1965. "La médiation dans les con-
raison de quitter le secteur coopératif(ex. : les comp-
flits de travail" , In Sociologie du Travail,
tables, 1es trésoriers). Dans les programmes natio-
Tome.
naux d'éducation coopérative, on accorde moins de
6. Roquigny, (M.), 1979. Le mouvement mutualiste
soin et d'attention à l'éducation des membres qu'à
et coopératifdans la société française,
la formation des responsables élus de la coopéra-
R.E.C, nO 195, pp. 8-9 et 10.
.
tive. Ceci a accru la distance sociale QYÏ sépare les
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