Sciences sociales et humaines
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lA RESPONSABILITE SOCIO-ETHIQUE
DES ECOLES DE JOtTRNALISME EN AFRIQUE
Dr BLE Raoul Germain
Département Communication (UFRICA)
Université d'Abidjan - COTE-D'IVOIRE
L'idéologie du développement a encouragé prati-
veloppement. L'école donne la base de l'instruction,
quement tous les Etats africains à construire des éta-
ce qui pennet ensuite à ceux qui ont les moyens
blissements scolaires pour réduire l'analphabétisme,
d'accéder aux écoles spécialisées. L'existence de
et la pauvreté. Et cela depuis les premières heures
ces fonnations spécialisées est une condition indis-
de l'indépendance, en 1960. Leur objectif était la
pensable pour que les pays africains commencent
construction d'une société moderne, d'où la néces-
un décollage économique, facteur de développe-
sité de fonner des citoyens instruits, éclairés, sus-
ment. C'est dans ce sens que certains jeunes afri-
ceptibles de contribuer efficacement au développe-
cains ont appris, dans un premier temps, sur le tas,
ment du pays.
le métier de journaliste et pour les plus chanceux,
dans les structures de journalisme en occident. Mais
Des initiatives furent prises, dans ce sens, dans toute
avec l'évolution des temps, l'Afrique a compris l'im-
l'Afrique afm d'expliquer aux populations les avan-
portance d'une telle fonnation sur le continent d'où
tages liés à l'instruction et à l'éducation des enfants.
la naissance de l'Ecole Supérieure des Sciences et
Des décrets furent signés pour créer des écoles dans
Techniques de l'Infonnation (ESSTI) de Yaoundé
chaque région pour que les jeunes gens et les jeunes
au Cameroun, le Centre d'Etudes des Sciences et
filles puissent être inscrits gratuitement ou à très peu
Techniques de l'Infonnation (CESTI) à Dakar, l'Ins-
de frais, compte tenu du pouvoir très faible d'achat
titut des Sciences et Techniques de la Communica-
des % des populations. Mais surtout, compte tenu
tion (ISTC) d'Abidjan en Côte d'Ivoire, le Centre
des résistances culturelles qui faisaient d'un enfant,
d'Enseignement et de Recherche en Communica-
« le troisième bras » dans les travaux champêtres.
tion (CERCOM) de l'Université de Cocody, àAbi-
Le but de ces mesures gouvernementales était de
djan, et depuis quelques années, quelques grandes
préparer la jeunesse à occuper des postes adminis-
écoles en Afrique préparent aux diplômes de Brevet
tratifs, en remplacement des agents coloniaux qui
de Techniciens Supérieurs ( BTS) en communica-
retournaient dans leur pays d'origine. Il fallait donc
tion. Il n'est pas du tout facile de parler de la fonna-
une relève locale, instruite et compétente pour gé-
tion des journalistes africains parce que les données
rer l'administration.
statistiques font cruellement défaut. Pourtant de
cette profession dépendent en effet la généralisa-
L'administration est un ensemble de compétences
tion et la diffusion de 1'infonnation pour que les ci-
diverses et multiples, car il faut aussi bien des ma-
toyens soient au courant de la vie de la cité, dans
gistrats, instituteurs, militaires que des médecins,
tous les secteurs d'activité. Malheureusement de
infinniers, enseignants, journalistes, etc. Cette exi-
1960 à 1990, trente ans durant, l'Afrique a prati-
gence a entraîné la création de grandes écoles spé-
quement vécu dans les systèmes de partis uniques
cialisées telles que l'Ecole Nationale d'Administra-
où la presse était muselée ou alors autorisée pour
tion, les Ecoles Nonnales, l'Ecole des Infinniers et
« grioter »en faveur du pouvoir. Dès 1990, la presse
Sages Femmes d'Etat, des Ecoles de Police et de
a connu une multitude de titres qui avaient fait es-
Gendarmerie, etc.
pérer les africains quant à une écriture démocrati-
que de l'infonnation. Cette floraison de journaux
Le développement du continent dépend donc d'une
est née du multipartisme, mais malheureusement ces
série de facteurs. A la limite, l'on pourrait dire qu'il
partis politiques' et les journaux qui les soutiennent
est nécessaire de combiner harmonieusement diver-
ont une coloration tribale, ethnique, source de ten-
ses compétences pour atteindre les objectifs de dé-
sions sociales et de crises dans les % des Etats.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (ler Semestre)
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Si bien que pour un bon nombre de gens, la presse
didactique, c'est à dire sa capacité à mettre l'accent
est là comme un bouc émissaire tout indiqué pour
sur l'ensemble des valeurs, des normes, des modè-
porter les péchés capitaux de notre continent. Dé-
les de comportement, fondés sur la reconnaissance
former, désinformer, intoxiquer, manipuler l'opinion
du primat de la dignité personnelle et de la priorité
publique composerait le métier auquel serait atta-
du bien commun et préoccupés à orienter les étu-
ché ou condamné le journaliste. Les vicissitudes,
diants vers la recherche responsable des objectifs
voire la montée d'une «presse libre et responsa-
humains de l'information; ceux-ci se traduisant dans
ble » ne seraient-elles pas un fait culturel et social
la promotion de tous les droits pour tous. Un tel
autant ou même beaucoup plus remarquable? cer-
projet éthique ne saurait être proposé et moins en-
tes, on ne saurait fermer les yeux sur les failles et les
core imposé de l'extérieur. Sa crédibilité et ses chan-
déviations du système actuel d'information et de
ces d'efficacité viennent du fait qu'il surgit des as-
communication. Les professionnels de la communi-
pirations et des besoins ressentis par les usagers et
cation sont les premiers à les reconnaître.
les professionnels africains dujournalisme. Tout en
s'insérant dans les formes actuelles de la culture et
En allant à la rencontre de cet éveil des consciences
de la civilisation, la dimension socio-culturelle des
dont témoignent la pratique et la réflexion d'un bon
écoles de journalisme africaines doit viser à éclairer
nombre de journalistes, cet article propose un essai
et à outiller la critique à l'égard des limites, des con-
de responsabilité socio-éthique des écoles de Jour-
traintes, des obstacles de tout ordre qui entravent la
nalisme en Afrique qui se voudrait attentif à la réa-
formation de qualité et l'exercice du métier de jour-
lité, aux faiblesses, aux aspirations, aux valeurs et
naliste.
aux droits fondamentaux qui sont le fait de la presse
1 - LA LEGITIMATION SOCIO-ETHIQUE
contemporaine. C'est cette réalité qui justifie le choix
DES ECOLES DE JOURNALISME
de notre travail car pour qu'il ait de véritables pro-
fessionnels des médias, l'existence de centres de
En répondant à cette question, il est fondamental de
formation à ce métier s'impose. Mais pas de n'im-
dire que les écoles de journalisme ne doivent pas
porte quelle manière. D'où la nécessité de réfléchir
uniquement s'intéresser aux techniques de rédac-
sur ce sujet délicat mais d'actualité quand on lit que
tion comme s'il suffisait de savoir écrire un article,
partout en Afrique les systèmes d'enseignement sont
de réaliser une émission de radio et de télévision,
malades de leur inadaptation aux réalités spécifiques
pour être un bonjournaliste. Si c'était encore le cas,
du continent. Dans ce contexte, il faut se demander
des écoles de presse ne pourraient se défendre con-
quelle contribution les écoles de formation en jour-
tre le reproche d'une insuffisance de, programmes
nalisme peuvent apporter à la vie publique pour être
d'enseignement ne tenant compte de l'évolution de
considérées dans la société comme un ferment de
la société. Or celles-ci, de par leur existence même,
sentiment de communauté? Quel est le genre de
constituent un centre de développement doté d'une
responsabilité socio-politique qui revient aux éco-
mission propre et d'un type particulier de fonction-
les de journalisme dans cette nouvelle société en
nement. De par leur nature, dans un continent en
démocratisation?
pleine démocratisation, ces écoles doivent former
des citoyens à un métier dont les enjeux sont énor-
La confrontation même succincte de l'éthique avec
mes dans la formation d'une conscience, c'est-à-dire
les différentes formes de régulation culturelle, avec
éclairer les populations afin de leur donner les
les prétentions idéologiques, les impératifs du droit,
moyens de comprendre la société qui les abrite. Les
les normes sociales et les lois nous achemine à une
écoles ont l'obligation de dispenser des enseigne-
notion plus précise de l'éthique de la communica-
ments qui expriment clairement les questions politi-
tion sociale ainsi qu'à la compréhension plus con-
ques, sans complaisance. Bien écrire, ce n'est plus
crète de son champ d'application. La responsabilité
seulement de savoir manier la plume ou le micro,
socio-éthique des écoles de journalisme se dresse et
mais c'est surtout donner des informations objecti-
se définit comme le projet d'une orientation libre et
ves, sincères, avec des mots qui ne blessent personne,
équilibrée du processus d'enseignement des scien-
ni ne suscitent la haine entre les différentes compo-
ces journalistiques dans le sens d'un éveil critique
santes de la société.
offert aux apprenants. La dimension socio-éthique
d'une école pourrait être libellée d'une façon plus
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1er Semestre)

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Lors du séminaire de Yaoundé, sous l'initiative de
un cadre d'objectifs qui seront dégagés et analysés
l'UNESCO, au mois de juin 200 1 au Cameroun, il a
dans une considération idéale de l'homme. L'ensei-
été également question de la responsabilité socio-
gnement critique permettra et favorisera le dialo-
éthique des écoles de communication en Afrique.
gue, les discours et le renforcement d'un consensus
Dans sa note introductive le Représentant de
sur l'essentiel menant à une action et une politique
L'UNESCO à Yaoundé, son Excellence Cheik
de paix et de progrès social. Dans un effort de con-
Tidiane Sy déclarait:« .. .Nul n'ignore que les sys-
sidération intégrale de l'homme et de la société, on
tèmes d'enseignement supérieur vivent eux-mêmes
pourrait dégager certains objectifs qui mériteraient
des crises majeures et connaissent des problèmes
le qualificatif «d'humains» et sont autant d'exi-
sans précédent. Cela étant, ils ne sauraient être de
gences à savoir:
simples gardiens hautains du statu-quo, ils doivent
s'attaquer aux multiples difficultés et crises aux-
le respect et la promotion de la dignité
quelles leurs sociétés sont confrontées aujourd'hui
humaine dans tous les domaines de l' ac-
comme demain ».
tion et dujoumalisme ;
la mise en valeur de la responsabilité
Cette responsabilité socio-éthique a fait l'objet
comme attitude et qualité de tout jour-
d'échanges intéressants à Yaoundé quand les mem-
naliste et d'une façon universelle de
bres des différentes délégations ont pris conscience
toute la vie sociale ;
d'harmoniser leurs enseignements. Les écoles, de
viser le bien commun comme la cons-
par leur contenu, se sont définies et constituées
cience que la société doit atteindre ;
comme étant à la fois espace d'apprentissage d'un
au delà de la simple détente ou de l' amu-
métier et lieu d'observation et d'écoute de la so-
sement que cherchent à prodiguer, non
ciété. En tenant compte de cette exigence, on peut
sans raison, les journalistes, aller à la
naturellement avancer que la mission de ces écoles
rencontre de l'idéal de bonheur qui
est d'abord de mettre le citoyen au centre de toutes
habite l'homme dans ses capacités de
les sociabilités, en lui fournissant des informations
rêve et d'accomplissement effectif.
qui lui donnent la capacité de jouer pleinement sa
partition dans le développement du pays. Effective-
Dans chaque école de formation en journalisme,
ment, en recrutant des étudiants d'origines, de con-
chacun de ces éléments constitue un sommet, une
fessions, d'opinions et d'ethnies diverses, l'école de
aspiration plus ou moins consciente, souvent un sim-
journalisme se doit d'enseigner les valeurs éthiques
ple horizon, vers lequel tendent l'homme et la so-
afin que les futurs journalistes développent des ré-
ciété, et que les écoles ne sauraient esquiver. En ayant
flexes critiques quant à la diffusion d'informations
pour cible des personnes désireuses d'apprendre le
justes et objectives. Tout journaliste, en tant que
métier de journalisme, les écoles recruteront des
citoyen, a le même droit que les autres d'appartenir
étudiants en quête d'ambitions et de professionna-
à un parti politique de son choix, mais sur le plan
lisme, parce que leur travail sera en prise avec les
professionnel, il a l'obligation de relater objective-
graves problèmes sociétaux.
ment les choses en prenant une distance critique,
faisant fi de ses humeurs et de ses intérêts person-
Malheureusement, à la lecture des divers program-
nels. Là où les droits fondamentaux de l'homme ont
mes d'enseignement de la communication dans les
été bafoués dans un mépris cynique de la dignité
universités et grandes écoles en Afrique, lors du sé-
humaine, le journaliste se doit, conformément à sa
minaire UNESCO de Yaoundé, en 2001, (portant
mission, de condamner ces actes~ En favorisant une
sur l'enseignement de la communication en Afrique),
approche éthique dans tout travail j ournalistique, les
on a constaté~ que la grille de valeurs éthiques de-
écoles se situent au cœur de l'action socio-politi-
meure, le plus souvent dans l'ombre. L'éthique ne
que, quel qu'en soit le contexte.
semble pas véritablement préoccupée les directeurs
des structures de formation. Pourtant la dignité hu-
II - OBJECTIFS ET VALEURS ETHIQUES DES
maine se dresse comme le sommet dans la consi-':~­
ECOLES DE JOURNALISME
ration éthique de la personne. Elle n'émerge à la
conscience que dans la mesure où l'homme et le '
En vue de permettre un enseignement de l'éthique
milieu familial, social s'élèvent à la hauteur d'une
dans les centres de formation, il convient de définir
saisie de l'être humain dans sa singularité et sa gran-
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (ler Semestre)
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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
deur propre.
Confrontons cette notion avec celle de bien com-
mun avant d'analyser leurs rapports souvent analo-
En prônant la nécessité de faire de la dignité hu-
gues avec le monde de l'information. Si le bonheur
maine l'objectifprimordial des écoles de journalisme,
exprime la dimension subjective, la fascination, du
la réflexion éthique ne fait qu' allèr au-devant de l'ex-
bien comme accomplissement de l'existence et la
périence des professionnels et des usagers de la
destinée, du désir d'être, d'aimer et d'être aimé, le
presse. Si la dignité resplendit comme l'idéal de ce
bien commun désigne, d'une façon objective, le som-
qu'est l'être humain, la responsabilité émerge au
met de biens et de qualités humaines que la société
plan de l'action comme l'apogée de la liberté. Elle
vise à atteindre. Il comprend la somme des biens
sera la qualification de la liberté, toujours menacée
matériels et culturels qu'il faut assurer à tous dans
d'une double forme d'aliénation: soit de la con-
un cadre de libertés et de droits. Cet ordre juste,
trainte, la violence, les pressions et les restrictions
solidaire, pacifique garantira à tous du moins la
venant de la pénurie, du manque des conditions ou
chance d'accès aux biens et aux droits humains cor-
moyens d'auto- affirmation et d'auto- détermina-
respondant au degré de culture et d'aspirations de
tion ; soit de la licence, la permissivité, la démission
l'ensemble de la collectivité.
face aux caprices, à l'arbitraire des goûts et des pas-
sions de la simple facilité ou commodité de vivre.
Les enseignants devront faire l'effort de rapprocher
Dans ce sens, il est important de dire aux étudiants
ces notions quelque peu théoriques de bonheur et
en formation que dans le journalisme, la responsa-
de bien commun de la réalité quotidienne de la com-
bilité éthique se dresse comme une belle et rude
munication. La compréhension proposée par les
conquête. Elle s'affirme comme la conjonction de
médias de masse se trouve dans un rapport dialecti-
la liberté et de l'intelligence qui s'ouvre à l'analyse
que de réception et de diffusion d'une image, d'un
de la réalité, à la connaissance des espaces réels de
sentiment, d'une idée du bonheur et du bien collec-
liberté dont on peut disposer. Elle demande le cou-
tif. Voilà ce qui assure la vitalité des différentes fonc-
rage et la force d'occuper et d'élargir ces espaces
tions de la communication qu'a évoquées ce chapi-
dans un engagement raisonné et suivi. Elle meurt
tre.
asphyxiée par l'illusion, les rêves, le subjectivisme
porté par les dévaluations ou les surévaluations et
III - L'INTERET DE L'ETAT POUR LES
la complaisance des journalistes scrupuleux, parti-
ECOLES DE JOURNALISME
sans et cupides. Si la dignité et la responsabilité sur-
gissent comme des propriétés de la personne, de
Si on se demande à quel domaine concret s'appli-
l'homme comme sujet de droits et de devoirs au
que l'engagement socio-politique des écoles de jour-
cœur de la vie sociale, une double référence s'élève
nalisme, les spécialistes seront du même avis pour
comme des objectifs humains en rapport avec la
envisager l'ensemble de la vie publique dans le sens
structure et le fonctionnement de la société elle-
d'une contribution des centres de journalisme à la
même: la recherche du bien commun et la quête du
doctrine sociale, d'une prise de position au sujet de
bonheur. Ici encore il s'agit de notions, de senti-
l'unité nationale, du développement, de l'ordre éco-
ments et d'aspiration que l'information véhicule
nomique, politique, de l'éducation, de la démocra-
constamment, que les professionnels et les usagers
tie, de la santé pour tous, etc. Au niveau de chaque
de la presse rencontrent chaque instant, mais sur-
unité de formation, les écoles doivent s'engager en
tout dans les moments d'effervescence ou de crise
faveur des matières qui interpellent le futur journa-
sociale. Malgré le halo d'affectivité qui compromet
liste sur au-moins, la sincérité car l'objectivité n'est
le contour de leurs significations, les notions géné-
pas une fin en soi. Les unions Nationales de Journa-
rales de bien commun et de bonheur appartiennent
listes en Afrique doivent soutenir ces écoles de for-
à l'expérience etau langage communs. Il faut les
mation en participant à la confection des program-
analyser, les définir, les employer à bon escient et
mes de cours.
dans leur juste'valeur. Le bonheur s'inscrit comme
une exigence intime, consubstantielle à l'être humain,
Mais surtout l'Etat doit mettre à la disposition de
comme sa raison d'être et de vivre ensemble dans
ces établissements des moyens suffisants :
les relations courtes ou longues des différentes for-
mes de société.
pour leur permettre de s'équiper car dans
92
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1·2006 (1er Semestre)

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
ce domaine, les technologies évoluent
toyenne, suscitant un réflexe critique constant.
très vite;
des bourses de perfectionnement ou de
A mesure que les populations voient se rétrécir leur
recyclage doivent être attribuées afm que
marge de liberté au quotidien, du fait de la
les enseignants partent se former eux-
bureaucratisation croissante de l'Etat et que les ins-
mêmes à l'étranger afin de confronter les
titutions traditionnelles de formation et d'éducation
réalités de leurs programmes avec ce qui
généralement génératrices de sens et de stabilité,
se fait ailleurs ;
passent au second plan pour faire place à une so-
mettre à la disposition du personnel en-
ciété désormais sans repères, les citoyens éprouvent
seignant des salaires valorisants de telle
une angoisse et une frustration grandissantes devant
sorte à les impliquer de manière respon-
l'absurde mais aussi un besoin urgent d'institutions
sable dans leur travail quotidien ;
fondées sur un certain nombre de systèmes de va-
sécuriser et valoriser le métier d'ensei-
leurs qui leur permettra de donner à l'existence plus
gnant pour que le personnel enseignant
de sécurité et de liberté. C'est là que se situe la
ne soit plus fragile dans la société. Cette
grande responsabilité mais aussi le devoir des éco-
démarche doit faire l'objet de débat à
les ou facultés de journalisme et communication
l'Assemblé Nationale pour que la loi
sociale, de former utilement et intelligemment ceux
consacre la valorisation de ce corps de
qui ont choisi ce métier, à rendre et à diffuser des
métier;
informations objectives et justes.
les subventions importantes sont souhai-
tées afm que les écoles fonctionnent dans
Une dernière attitude en découle face à l'Etat: c'est
les meilleures conditions de travail, etc.
l'exigence qu'il soit transparent, qu'il informe à
temps et honnêtement sur ce qui touche le bien gé-
L'Etat par l'autorité du Ministre de l'Enseignement
néral et éveille les inquiétudes de la population, qu'il
Supérieur ou par celle du Ministre de la Communi-
favorise la recherche et la diffusion d'une informa-
cation doit vivement exiger des établissements un
tion amplement pluraliste, ouverte aux différents
engagement socio-éthique dans la formation des
courants et tendances.
journalistes. Il ya plusieurs raisons à cela: entre les
écoles de journalisme et les autres institutions de
L'Etat doit enfin se réserver l'initiative en matière
l'Etat, il existe des liens multiples. En effet, le jour-
de législation pour ce qui concerne n'importe quel
nalisme est une forme d'expression du comporte-
centre de formation enjournalisme, qu'il soit public
ment culturel <re l'homme et de ses choix intellec-
ou privé, sur toute l'étendue du territoire.
tuels. Il est en relation étroite et permanente avec
les autres modes de comportement dans la société,
IV - ECOLES DE JOURNALISME ET
si bien qu'ils se conditionnent et se soutiennent
SITUATIONS AFRICAINES.
mutuellement. Même si les écoles ne sont pas les
seules institutions, elles n'en rendent pas moins un
Les trois décennies (1960 -1970 ;1970 -1980 ; 1980
service inestimable à la société. Aucun Etat ne peut
-1990) du développement furent des échecs. Celle
fermer les yeux sur la formation. Dans ce sens, les
qui vient de s'achever (1990-2000) n'a guère été
centres de formation ne doivent plus se limiter au
prometteuse, à enjuger par les bilans faits au niveau
seul apprentissage des techniques journalistiques
des organisations internationales spécialisées. Au
mais au contraire mener à des applications concrè-
contraire, on dénonce un peu partout en Afrique"
tes dans le domaines socio-politique. La conscience
l'imitation aveugle des modèles occidentaux de dé-
déontologique doit dans une progression constante
veloppement.
de l'Etat de droit devenir une norme juridique. Elle
doit faire l'objet d'une obligation comme matière
Pourtant les africains sont des peuples dynamiques
spécifique d'enseignement. L'Etat formant le cadre
si bien qu'il est aléatoire de fonder exclusivement
de la communauté doit exiger, et contrôler réguliè-
une stratégie de développement sur un modèle étran-
rement les programmes de formation, car le journa-
ger dont le.contenu ne cadre pas avec les réalités du
liste qui·est un agent incontournable de développe-
continent noir.
ment doit bénéficier d'une formation équilibrée, ci-
Aujourd'hui, les dirigeants et les leaders d'opinion
doivent admettre que les objectifs des politiques de
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1 er Semestre)
93

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _----:~
Sciences sociales et hutlUlines
formation et d'éducation ne peuvent être efficaces
aussi bien théoriques que pratiques sont écrits par
que dans la mesure où ils sont partie intégrante de
des auteurs occidentaux et Nord américains. Dans
politiques de développement, poursuivant ce but par
ce sens, comme nous l'avons dit plus haut, la for-
un ensemble de mesures diversifiées et cordonnées
mation en journalisme est complètement en dé-
entre elles. Cela conduit à l'élaboration d'une poli-
phasage avec la réalité du continent africain.
tique de développement intégrée, où l'éducation
aurait pour objectifde contribuer à la réalisation des
Sans entrer profondément dans ce déba~ on peut
objectifs socio-économiques du développement.
tout simplement avancer la proposition suivante :
une politique de développement endogène visant à
Pour coller au sujet de notre travail, nous ajoute-
donner une priorité aux spécificités locales devra
rons que les matières dispensées dans les program-
aussi s'accompagner de reformes éducatives assez
mes d'enseignement dujournalisme et des sciences
profondes pour redéfinir le rôle et la place de la for-
de la communication varient d'une école à l'autre,
mation dans l'ensemble des objectifs socio-écono-
déjà même, à l'intérieur d'un pays et d'un pays à
miques.
l'autre. D'une sous-région à l'autre, les program-
mes sont alors carrément différents. Selon Kwamé
CONCLUSION
BOAFO, chef du bureau exécutif au secteur de la
De nos jours, l'évolution technologique a mis à la
communication et de l'information à l'UNESCO à
disposition de 1'humanité des moyens de communi-
Paris que nous avons rencontré à Yaoundé en juin
cation divers et performants. Mais il n'existe nulle
2001, lors de l'atelier de validation des program-
part de pièce sans revers. Dans ce sens, nous parta-
mes d'études modèle pour la formation en commu-
geons l'avis du Révérend Père Mawuto Roger
nication en Afrique: « dans l'Est et dans le Sud de
AFAN, lors d'une conférence qu'il a présentée à
l'Afrique, exceptionfaite de l'Afrique du Sud, l'ac-
l'Université Catholique d'Abidjan en février 2002 :
cent est principalement mis sur la formation pro-
«... malheureusement, il n JI a pas de progrès qui
fessionnelle, avec une prédominance dans les pro-
ne soit pas composé (ou décompensé) par des in-
grammes du journalisme de presse écrite et audio-
convénients. Les avantages, c'est lafacilité inouïe
visuelle, de la publicité et des relations publiques.
de communication, d'information .. l'inconvénient,
En Afrique de l'Ouest et en Afrique Centrale, les
c'est que le contact humain est rompu entre les in-
programmes d'études combinent généralement des
terlocuteurs bien qu'il rapproche les hommes entre
cours théoriques et des cours pratiques ... L'un des
eux (globalisation) : àforce d'être très près de ce
handicaps majeurs auxquels la formation en com-
qui est loin, on finit par être loin de ce qui est très
munication en Afrique est confrontée est le man-
près. )).
que de professeurs et de formateurs compétents et
expérimentés)).

Pour humaniser donc les rapports entre les indivi-
dus, il faut nécessairement que l'Etat crée des éco-
Au cours de nos échanges, son Excellence Kwamé
les de formation où l'on donne aux étudiants des
BOAFO a ajouté une autre raison que tous les par-
programmes de cours qui développent un réflexe
ticipants à l'atelier de Yaoundé savaient déjà. Il s'agit
citoyen et responsable. Or, on constate un consen-
des mauvaises conditions de travail et spécialement
sus général qui dénonce un ensemble d'insuffisan-
des salaires peu élevés des professeurs si bien qu'ils
ces, de failles et de distorsions qui pèsent sur le sys-
abandonnent l'enseignement pour aller travailler
tème actuel de l'enseignement de la communication
dans le secteur privé ou dans les organismes inter-
et du journalisme. Il y va d'un déséquilibre à la fois
nationaux.
quantitatif, se faisant sentir à différents niveaux et
Mais d'autres analyses du rôle des écoles ou facul-
sous différentes formes et aux conséquences les plus
tés de journalisme vont au-delà de ces critiques et
diverses. A partir de cette situation, les responsa-
soulignent les relations entre le caractère aliéné et
bles doivent repenser l'organisation des structures
aliénant de la formation héritée des anciennes puis-
de formation en faisant un "check up" total de
sances tutélaires. L'enseignement supérieur a créée
l'existant.
une élite dont le langage, le mode de vie et les plans
de développement sont des photocopies glacées du
Une vision qui se veut intégrale de la communica-
modèle occidental, n'ayant aucun fondement sur la
tion sociale, invitant à revoir l'enseignement dujour-
spécificité africaine. La plupart des ouvrages d~ base
nalisme en Afrique et l'analyser sérieusement dans
94
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, VoL 007 N° 1-2006 (1'" Semestre)

Sciences sociales et humaines
- - - - - - - - - - - - - - - - - - : -
4. BLE, Raoul Germain, 2000. de la responsabi-
ses structures, dans ses agents, son fonctionnement,
lité éthique des médias et des
ses possibilités de réussite et ses échecs éventuels ;
journalistes en Côte d'Ivoire, in En-
il s'agit d'une échelle de valeurs centrée sur la vé-
Quête, N°7, Université de Cocody,
rité, la liberté, lajustice et la solidarité. La détenni-
pp. 29-45.
nation de viser et servir les objectifs hwnains en re-
5. BOUDON Raymond,1975. Effets pervers et
haussant, en respectant et en promouvant l'opinion
ordre social, P.U.F, Paris.
publique, voilà les grandes lignes de la contribution
inestimable des écoles de journalisme et communi-
6. BOUDON, Raymond,1986. L'idéologie ou
cation sociale.
l'origine des idées reçues, Editions
L'exercice d'une telle responsabilité ne doit pas être
Fayard, Paris.
spontané. Il exige une éducation et une fonnation à
base de fondement épistémologique qui pennettrait
7. BOURGES, Hervé, 1978. Décoloniser l'infor-
aux étudiants de se rendre compte des grands en-
mation, Editions Cana, Paris.
jeux de leurs futurs métiers. Etre responsable, c'est
intégrer la connaissance technologique dans une
8. CAZENEUVE, Jean, 1970. Bonheur et civili-
perspective globale, c'est refuser la séparation du
sation, Gallimard, Paris.
vrai ou du descriptif, du bien ou du prescriptif, du
beau ou de l'expressifou de l'esthétique. Mais cela
9. COHEN-SEAT, Gilbert, 1958. Essai sur les
passe obligatoirement par une solide fonnation en
principes d'une philosophies du
journalisme pour mieux connaître et contrôler chez
cinéma. P.U.F, Paris.
soi et chez les autres les rapports complexes de la
raison et les sentiments, mais aussi pour mieux ana-
10. COSMAO, Vincent, 1972. Développement et
lyser les systèmes sociaux et communicationnels.
Foi, Editions du cerf, Paris.
Une éthique du journalisme demande que l'acteur
asswne les conséquences de ses actes, qu'il veille
11. DICHTER, Ernest,1972. Motivations et com-
aussi à les prévoir quand c'est possible, qu'il ne se
portement humains, Publi-Unions,
réfugie trop vite derrière des schémas interprétatifs
Paris.
de son action qui déresponsabilisent. Quant à l'Etat,
il ne doit pas seulement se charger de réaliser un
12. DURANDlIN, Guy, 1982. Les mensonges en
travail administratif ou de contrôler des procédu-
propagande et en publicité, P.U.F,
res. Il doit fonnuler des évaluations critiques des
Paris.
protocoles non seulement d'un point de vue scienti-
13. GENG, Jean-Marie, 1973. L'information,
fique mais encore d'un point de vue social, politi-
mystification, Editions de l'Epi, Paris.
que, économique : sa responsabilité devrait être po-
litique, soucieuse des valeurs culturelles et éthiques
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