_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
CONTRIBUTION A UNE APPROCHE ANTHROPOLOGIQITE
DU PHENOMENE DES ENFANTS DE LA RUE DANS LES VIL-
LES TOGOLAISES: CAS DE LOMÉ
Kossi T. DJONOUKOU
Département d'Anthropologie
et d'Etudes Africaines/FLESH
Université de Lomé - TOGO
RESUME
Toutes les sociétés ont leurs problèmes de société. Le phénomène des enfants de la rue au Togo et plus
précisément à Lomé n'est pas dû à l'exode rural comme c'est le cas dans la plupart des villes africaines.
Ce phénomène est créé et entretenu à Lomé par les contradictions propres au milieu urbain: difficultés
de vie et de survie des ménages, hostilités dans les foyers, dislocation des foyers, démissions parentales.
perte de l'autorité parentale, croissance démographique. augmentation de la taille du foyer, urbanisa-
tion incontrôlée, imitation des groupes de référence ou d'appartenance, carences des structures étati-
ques de protection juvénile.
Cela pose, en fin de compte de sérieux problèmes de réinsertion sociale et de récupération de ces
enfants qui font des «rechutes» ..
Mots clés: Démission parentale, enfants en mal de repères, pathologie sociale profil ethnographique,
r~fraction li l'éducation.
ABSTRACT
Every society has its own social prohlem. The phenomenon of street children in Togo, in general,
and in Lomé, in particuJar, is generated by the rural exodus as it is the case in mostAfrican cities.
This phenomenon has been created and sustained in Lomé hy the contradictions characteristic of
the urban conditions: difficult living conditions and of survival in the homes, hostilities in the
homes, family disintegration, parental capitulation, loss ofparental authority, population growth,
increased fanliJy size, uncontrolled urbanization, introduction ofreference or membership groups,
Jack of state infrastructures for youth protection. This finally results in serious probJems of
social reintegration and ofrecuperation ofthose children who relapse into street life
Key word<; : Parental resignation, children hadly in need of landmarks. social pathology.
ethnographie profile, education-resistant.
Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1er Semestre)
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INTRODUCTION
Toutes les sociétés ont leurs problèmes sociaux.
Le phénomène des «Enfants de la Rue», est une
Au Togo, et à Lomé en particulier, le phénomène
pathologie sociale qui trouve ses racines, ses expli-
des «Enfants de Rue» se présente d'une façon tout
cations au sein de la structure et de l'organisation
à fait surprenante; car, il ne s'agit pas d'une margi-
de la société. En effet, il est souvent démontré par
nalité produite par l'exode rural comme c'est le cas
les spécialistes et chercheurs en Sciences Sociales
dans la plupart des villes africaines. D'après une
que l'enfant n'arrive à ce stade que lorsque le pro-
étude du projet JAD3 (Jeunesse en Action pour le
cessus de son éducation ou de sa socialisation est
Développement) seuls Il % de ces enfants sont ve-
défaillant. Et ce sont les parents qui sont tenus pour
nus directement des campagnes. Ces données con-
premiers responsables de cet état de choses ; en-
cordent d'ailleurs avec les chiffres auxquels Yves
suite, c'est la famille en général et enfin c'est la so-
MARGUERAT est parvenu en 1990, dans son étude
ciété tout entière.
intitulée: «Les Smallvi ne sont pas des Gbevuvi»,
où il trouve que 12 % de ces enfants viennent des
Un enfant qui a des inflexions socio-comportemen-
campagnes. Le phénomène des «Enfants de la Rue»
tales déviantes est parfois qualifié dans le langage
au Togo est donc un phénomène ancien, d'origine
courant d'enfant «mal éduqué» ou réfractaire à
essentiellement citadine.
l'éducation. Mais, le cas des «enfants de la Rue»,
manifeste plutôt l'inadaptation du contexte sociàl
D'après les Archives de l'ORSTOM, la première
(parental, familial et sociétal) ou l'inadaptation des
Institution de rééducation de mineurs délinquants
orientations de l'encadrement pour un épanouisse-
est créée en 1949. Avant cette date, il y avait en
ment harmonieux, équilibré de l'enfant. Ainsi, d'une
1928 une Station Agricole DESPALANGUE de
éducation ratée, le pas est vite franchi pour aller à
Sokodé qui recevait des jeunes (qui ne sont tou-
des fugues, à la délinquance et à la marginalisation
jours délinquants).
pure et simple. Ce qui inquiète, ce n'est pas telle-
ment l'existence du phénomène dans une société
Il est à noter que le phénomène prend de jour en
donnée, mais, c'est plutôt l'ampleur que prend ce
jour, des proportions inquiétantes: en effet, de quel-
phénomène et ses incidences et conséquences né-
ques dizaines de jeunes au début des années 60, les
gatives.
«Enfants de la Rue» se compteraient en plusieurs
centaines aujourd'hui au Togo 1 •
A titre indicatif, selon un rapport! , de l'UNICEF,
Et c'est sans doute pour faire face au phénomène
les Etats-Unis d'Amérique sont considérés comme
que furent créés successivement en 1960 le Centre
le premier pays de la délinquance et de la crimina-
de Rééducation de Kamina (devenu par la suite
lité qui en est le corollaire. Selon le même rapport,
Foyer Avenir) une Brigade pour mineurs en 1970,
l'Amérique Latine et les Caraïbes constituent les pays
le Centre d'Observation et de Réinsertion Sociale
où l'on trouve plus d'enfants dans les rues (ils se
de Cacaveli en 1970. Devant la persistance du phé-
chiffrent à des millions).
nomène en dépit des mesures et actions des pou-
voirs publics, des ONG aussi se sont engagées dans
En Afrique, d'après une étude réalisée dans le Bul-
la lutte. C'est, notamment le cas de l'Association
letin inter-africain des Activités : Appui aux En-
pour la Promotion de l'Enfant de Lomé (APPEL),
fants et Jeunes dans les villes7. , les «Enfants de la
le Projet JAD (Jeunesse en Action pour le Dévelop-
Rue», vivent dans une insécurité sociale totale et
pement) et l'ONG Secours. Le phénomène est d'ac-
pennanente ; ils subissent des oppressions de toutes
tualité et commence par gagner les milieux péri-ur-
sortes sur le plan physique et moral: outre les con-
bains. Cela mérite qu'on s'y penche un peu plus, à
flits et bagarres fréquents entre eux-mêmes où les
plus forts disposent à leur aise des plus faibles, les
populations ne pardonnent guère à ceux d'entre eux
1 UNICEF: Programme Régional pour l'Amérique Latine et les Caractères.
qui sont des voleurs. Ceux qui sont arrêtés, menot-
pourlesenfants qui travaillent et ceux de la rue.
tes aux poignets, subissent des punitions sans pitié,
2 Bulle/in inter-africain des Activités. UNICEF. 1995.
3 Document du Projet JAD (Jeunesse en Action pour le Développement).
de la part des Forces de l'Ordre. Et, le rapport con-
Lomé,I999.
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travers une investigation anthropologique.
II - ETAT DE LA QUESTION
1 - PROBLEMATIQUE
.:. Dans leur étude «Vivre de la Rue: le cas des
enfants d'Asuncion» (1988) B. GLAUSER et
~e
B. ESPINOLA, ont tenté d'expliquer les causes
phénomène social des «Enfants de la Rue» per-
du phénomène des enfants de la rue. Selon les
sIste au Togo en général et particulièrement à Lomé.
auteurs, les causes du phénomène proviennent
Il a même tendance à s'accroître. Et pourtant, des
des difficultés socio-économiques des foyers et
actions sont menées, des mesures sont prises çà et
surtout de la démission de l'autorité parentale
là, aussi bien par les pouvoirs publics que par les
vis-à-vis de l'enfant qui en est souvent la consé-
organisations non gouvernementales, dans la pers-
quence. Et, les enfants qui manquent d'amour
pective d'une récupération de ces enfants en déper-
et d'affection sont contraints de faire face eux-
dition, mieux de leur réinsertion sociale. Dans la
mêmes à leur survie. Cette lourde responsabi-
plupart des cas, les résultats restent mitigés, les
lité fait que les enfants grandissent avant l'âge
mesures et actions paraissent inefficaces, car, les
adulte. Ils se confient à leurs pairs et peu à peu,
bénéficiaires marquent des attitudes de résistance
ils gagnent la rue.
et parfois, carrément font des rechutes.
.:. Francisco ESPERT et William MYERS dans
Pourquoi cet état de choses ? Quels peuvent être
«Analyse de situation, les enfants vivant dans
les facteurs explicatifs d'un tel fléau?
des conditions particulièrement difficiles»
(UNICEF, Programme Régional pour l'Améri~
Est-ce que les causes sont à chercher dans la «per-
que Latine et les Caraïbes), ont de leur côté,
sonnalité caractérielle» de ces enfants (qui sont un
identifié les principales causes du départ des
peu «spéciaux») ou bien dans la nature des actions
enfants dans la rue au Brésil. Ils ont abouti à la
conduites pour leur reconversion et réadaptation
conclusion suivante: «l'expérience a montré que
sociale?
la pauvreté n'est pas le seul facteur qui pousse
les enfants dans la rue : beaucoup fuient égale-
Autrement dit, l'identité psycho-sociologique de ces
ment 1'hospitalité ou l'indifférence des
enfants, réduit-elle en soi, les chances de leur réa-
foyers ... ». Selon ces auteurs, seuls l'amour et
daptation sociale? Ou alors, les techniques et mé-
l'attention éviteraient à l'enfance l'aventure de
thodes d'intervention et d'approche de ces enfants
la rue.
seraient inappropriées? Mais avant cela, quels peu-
vent être les facteurs explicatifs d'un tel fléau?
.:. Dans une étude consacrée aux Enfants de la rue
à Kinshasa! Masiala ma SOLO, Psychologue,
Voilà la problématique centrale.
Professeur à l'Université Nationale du Zaïre écrit
: «Bon nombre d'observateurs se demandent de
On est tenté d'avancer les hypothèses suivantes:
quel type d'hommes et de femmes sera com-
posé le pays de demain ? Cette société, qui est
la méconnaissance du profil ethnographique des
formée de sujets formés, instruits et éduqués
«Enfants de la Rue»,
dans la rue, cette jungle où prédomine la non-
la non prise en compte et donc la non satisfac-
loi, c'est-à-dire la négation de la loi, où seuls les
tion de leurs besoins
plus forts ont droit de vie, oui ! cette société
élémentaires,
disons-nous a-t-elle un avenir? et lequel?
et le suivi inadéquat de ces enfants expliquent
Et l'auteur poursuit: les conséquences graves
leur rechute et la persistance du phénomène.
prévisibles que la situation de ces enfants peut
engendrer sur l'ordre public sont nombreuses.
A ce niveau de la démonstration, nous avons besoin
Il estime par ailleurs, que, c'est parce que ces
de plus d'éclairages scientifiques. C'est pourquoi il
enfants sont dans la rue qu'ils n'appartiennent à
serait bien indiqué de faire appel à quelques études
personne, c'est-à-dire, qu'ils sont sans parents.
et travaux de recherche menés sur le sujet pour faire
Et, c'est justement parce qu'ils sont sans pa-
le point de la situation.
rents qu'ils appartiennent à tous, à tout le monde,
'DocumentsdeI'ORSTOMno6, Lomé 1997, pp. 12-13
à la société tout entière. La société a donc des
Revue du CAMES·- Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1" Semestre)
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Sciences sociales et humaines
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devoirs envers ces enfants, car, quelque part c'est
chargé de mépris».
plutôt elle qui a échoué».
Les mêmes propositions reviennent à travers toutes
.:. Olivier HAUVILLE, un sociologue français
ces études: l'affection, l'amour, l'acceptation, l' at-
s'est, quant à lui, penché sur la marginalité ju-
tention, etc.
vénile à Lomé, dans une étude intitulée : «En-
quête sur les enfants de la rue à Lomé» (Oxfam-
Ceci nous amène à border à présent le profil de ces
Projet lAD-Lomé, 1989). L'auteur a recherché
enfants. L'analyse des données a abouti aux résul-
surtout les origines de ces jeunes. Il ressort de
tats ci-dessous.
son enquête que :
III - RESULTATS
65 % de ces jeunes sont de la Région Maritime
(c'est-à-dire de Lomé et ses villes avoisinantes)
3.1. Profil des enfants de la rue à Lomé
3,4 % viennent de la Région des Plateaux

Précision terminologique
0,9 % de la Région Centrale
2,7 % de la Région de la Kara
Habituellement, on a tendance à mettre dans la même
21 % des pays limitrophes du Togo et 7 % sont
catégorie tous les enfants qui circulent à tous les
indéterminés.
coins de rue des villes, en les qualifiant abusivement
«d'enfants de la rue». Seulement il y a lieu de faire
Par ailleurs, il a identifié comme principales causes
la part des choses entre les «enfants qui travaillent»
du phénomène: la fragilité de la cellule familiale et
(et qui sont aussi dans la rue) et les «enfants de la
les problèmes de subsistance. Il recommande pour
rue» (proprement dits). Et c'est l'UNICEF qui, en
terminer l'amour et l'affection comme solution.
1988, à la suite d'un atelier organisé à ASUNCION
(Paraguay) en Amérique Latine a opéré la distinc-
.:. Yves MARGUERAT a fait deux études sur le
tion entre les deux catégories d'enfants.
phénomène au Togo:
Ce qui nous intéresse ici c'est plutôt la catégorie
Dans «Une pathologie sociale, symptôme et trai-
des «Enfants de la Rue» proprement dits.
tement : les gamins de la rue à Lomé»
(ORSTOM-Lomé 1978), Yves MARGUERAT

Enfant de la rue
estime que les troubles comportementaux chez
les gamins de la rue sont dus à la carence d'af-
C'est celui-là qui, en définitive est en rupture avec
fection, car le cas des gamins à Lomé n'est pas
sa famille et qui vit essentiellement de (et dans) la
toujours une marginalité conséquente d'une crise
rue. Cette situation de rupture fait qu'il est totale-
de société, une société non capable de régler
ment marginalisé, échappant à toute autorité paren-
des conflits. Les origines sont à rechercher dans
tale et surtout à toute éducation familiale: c'est alors
l'entourage familial.
une pure «déviance sociale».
Dans «Les Smallvi ne sont pas des Gbevuvi, :
Cet enfant se reconnaît par ses comportements et
éléments pour une histoire de la marginalité ju-
styles vestimentaires. Il est habituellement d'un phy-
vénile à Lomé» (ORSTOM, Lomé, 1990), le
sique sec, plus petit que son âge réel (c'est ainsi que
même auteur explique que souvent, ce sont les
parfois on peut facilement donner 10 ans à un en-
attitudes de rejet que la population adopte vis-
fant de 16). Souvent pieds nus, portant des habits
à-vis de ces enfants qui aggravent davantage leur
sales (sinon des haillons), cheveux ébouriffés, re-
situation de marginalité : par exemple, ce sont
gard vif et guetteur, il est dans la rue cherchant ce
entre autres les termes insultants tels que, «pe-
que lui seul sait ou ne sait pas.
tits voyous», «délinquants», «bandits», etc. uti-
lisés pour les désigner, qui créent des sentiments
Dans la plupart des cas, ses conditions socio-éco-
de révolte et les poussent à se marginaliser. Il
nomiques sont assurées par des activités de tous
observe notamment : «Toute attitude de rejet
ordres: de petits jobs au vol, en passant par la men-
ne peut qu'enfoncer ces enfants dans leur mar-
dicité. Ainsi les revenus journaliers de cet enfant sont
ginalité, et, en particulier, tout vocabulaire
aléatoires. La nuit, on tentera de trouver des abris
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1er Semestre)

Sciences sociales et humaines
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de fortune. Mais pourquoi est-il dans la rue et vit de
du tissu familial et de la misère des foyers. Il y a des
la rue ? Ceci nous conduit naturellement à aborder
cas où l'enfant, bien que vivant sous le toit parental,
maintenant les facteurs explicatifs du phénomène.
est cependant dans une totale autonomie vis-à-vis
du parent: l'un ne sachant pas toujoürs ce que fait
3.2. Causes du phénomène des enfants
l'autre. Ce manque d'attention envers l'enfant fa-
de la rue à Lomé
vorise alors chez c~ dernier -b-ft:tgues, les àventu-
,
res de la rue. Il cherche des gens à qui parler, à qui
L'étude a permis de conclure qu'en définitive, c'est
se confier. La rue lui offre cette opportunité et il
tout un concours de circonstances qui contraint l'en-
n'hésite pas à saisir l'occasion. Il s'engage donc sur
fant à quitter le foyer, le premier milieu de la sécu-
un chemin, parfois sans retour.
rité ontologique de l'individu. S'il quitte ce lieu c'est
pour des raisons bien précises. Essayons de les par-

Hostilité dans les foyers
courir en détail.
Il arrive que l'enfant soit maltraité par ses propres

Dislocation du tissu familial
parents : battu ou submergé par les travaux domes-
tiques, l'enfant est tenté de vivre la vie de ses pairs
L'étude a révélé que la plupart des «Enfants de la
qui sont relativement plus libres ou libérés. Il va
Rue» sont parfois issus de familles désunies ou dis-
commencer des fugues pour finir par rompre défi~
loquées (l'un des parents est décédé ou les deux).
tivement avec la maison devenue un calvaire. Le
Les cas les plus dominants sont ceux où les deux
besoin de liberté le tente et l'emballe. Il court vers
parents sont en vie mais ne vivent pas ensemble pour
la rue qui s'offre ; il s'y engouffre malheureusement.
des raisons diverses (divorce, séparation, polyga-
mie, concubinage, etc.). Il y a aussi des cas où les
parents sont introuvables, partis en «aventure» (vers

Croissance urbaine incontrôlée
on ne sait où). C'est alors que les enfants sont bal-
lottés entre tantes, oncles, amis et autres parents
Il y a un rapport objectif entre la croissance urbaine
plus ou moins éloignés qui s'en occupent tant bien
et le phénomène de la rue. Des psychosociologues
que mal.
américains ont fait cas de cette relation entre le taux
élevé de la délinquance juvénile et la composition
Manquant ainsi d'une autorité sécurisante et stable,
sociale des quartiers dégradés de certaines villes.
d'identification imagologique, l'enfant s'assimile
La loi du grand nombre avec ses problèmes et l'obli-
rapidement aux amis du quartier du même âge que
gation des courses effrénées vers la satisfaction des
lui. Et, peu à peu, c'est la dérive vers la rue pour ne
besoins.
plus revenir à la maison.
Il peut avoir dans ces conditions, perte d'intérêt et

Bas niveau économique
d'attention à l'égard des enfants qui peuvent gagner
les rues surtout si les difficultés économiques chro-
La misère des foyers est l'un des facteurs détermi-
niques rendent les conditions de logement difficiles
nants dans le départ des enfants dans la rue. En ef-
pour certains foyers (logement inadéquat et surpeu-
fet, excepté quelques rares cas, les familles de ces
plé). C'est ce que l'étude a révélé"dans le cas de la
enfants appartiennent à des couches'Sociales les plus
plupart des enfants de la rue à Lomé.
défavorisées. Ils vivent dans des conditions diffici-
les. Par exemple, ils peuvent être dix (10) à parta-
Voilà très rapidement exposées, quelques
ger une seule chambre. De plus l'enfant est mal
causes du phénomène.
nourri ou sous-alimenté. Il s'invente des stratégies
de survie avec les individus de sa classe d'âge ou de
L'enfant est dans la rue. Il faut le récupérer, l'ac-
son groupe de référence, parmi lesquels il se sent à
compagner et l'aider à retrouver son équilibre sur
l'aise. Et c'est le début d'une longue aventure.
tous les plans.

Démission de l'autorité parentale
1 Les <<Erifants de Personne, édition-Enfance et Paix. Kinshasa 1990.
C'est la conséquence immédiate de la dislocation
Reyue du CAMES - NouveUe Série B, VQI. 007 N° 1-2006 (1er Semestre)
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Comment amener cet enfant à faire le chemin de la
rue vers la maison, de la maison à l'école ou à un
centre d'apprentissage? Autrement dit comment
l'aider à quitter son petit monde, sa micro-société
qui constitue pour lui, son confort, son réconfort,
son soulagement, sa délivrance, son échappatoire
pour retrouver l'ambiance de la famille (ou un subs-
titut) l'amour, l'affection, l'attention, une atmos-

Hospitalité et méfiance réciproques
phère qui ne sera pas perçue comme un calvaire?
Elles sont conséquentes et consécutives aux visions
IV - LEÇONS APPRISES
et aux comportements que l'enfant et l'adulte ont
l'un envers l'autre. Les parents (ou tuteurs) et l'en-
Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces données?
fant peuvent se regarder en «chiens de faïence». Il
faut arriver à franchir le rubicon, à peine de quoi

Retour au foyer
l'enfant risque de devenir irrécupérable.
Avant le retour à l'école ou avant le début de tout

Nouvelles difficultés de l'enfant du retour
apprentissage professionnel, la condition sine que
dans le foyer
non, la condition incontournable est sans aucun
doute le retour au foyer. C'est ce que nous appe-
Parfois, une fois que l'enfant retourne au foyer, il
lons le processus de mise en situation.
est confronté encore à des difficultés ; l'accord de
principe qu'il a donné pour "reconversion" demeure
En effet, parfois les conflits qui ont causé le départ
enc()re fragile. L'on doit veiller à ce moment de tran-
de l'enfant dans la rue sont si profonds que ni l'en-
sition, très crucial, car il reste extrêmement suscep-
fant, ni le foyer (parents géniteurs ou membres de
tible et peut à tout moment faire la rechute.
famille étendue) ne veulent «sentir» ou revoir l'un,
l'autre. Ou bien c'est l'enfant qui jure de ne plus

Résistance à la réadaptation sociale
jamais remettre pieds à la maison (à cause des sévi-
ces inhumains ou intolérables qu'il y a subis) ou alo~
Il est difficile pour un enfant récupéré dans (et de)
c'est le parent qui al' amer souvenir des délits hors-
la rue de se réadapter, rapidement et de façon défi-
pair que l'enfant aurait commis. C'est ainsi qu'il
arrive que l'enfant refuse catégoriquement ou car-
nitive. Il peut avoir des tâtonnements ou quelques
rément d'indiquer sa maison aux éducateurs.
fugues isolées, car l'enfant de la rue est pour un
certain temps encore, après sa récupération, nostal-
On trouve des enfants qui donnent de fausses iden-
gique de certaines habitudes qui sont rentrées dans
tités, ce qui ne rend pas la tâche aisée. Dans ces
conditions, toute tentative de réinsertion sociale est
sa personnalité. Il faut y veiller, car la méconnais-
problématique vraiment.
sance de l'enfant, ou le manque d'une entière dis-
ponibilité à le reconnaître sont souvent les causes
Ce processus de mise en situation, doit se faire avec
de l'incompréhension entre l'enfant et les éducateurs
des spécialistes en Sciences Humaines (psycholo-
gie, psycho-pédagogie) ou avec tous ceux qui sont
et les parents ou membres de son entourage. En ef-
censés posséder la science ou l'art de s'y commet-
fet, ces enfants gardent les habitudes de la «maison
tre.
rue» et peuvent parfois avoir maille à partir avec les
Bien sûr, c'est un travaillent et patient, un travail
membres de son entourage.
de fourmi qui conduira peu à peu à cerner, percer et
posséder l'environnement psychologique de cet en-
Par exemple: les manières fantaisistes de parler, de
fant qui a connu un nouveau cadre de socialisation
marcher, de s'habiller, de se coiffer sont acquises
dans la rue avec ses fantaisies, ses aventures). Il doit
dans la rue et ne sont pas toujours bien perçues par
abandonner ce «confort» pour les bonnes et vraies
l'entourage.
valeurs de la société des hommes normaux. Par
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Sciences sociales et humaines
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Pesanteur de la personnalité de l'enfant
que notre société elle-même a peut-être tracées
pour eux. Où est le tort de ces enfants que nous
La personnalité même de «l'Enfant de la Rue» est
avons peut-être contribué à façonner pour devenir
parfois un facteur prépondérant dans la problémati-
ce qu'ils sont? Ces enfants ne demandent pas
que de réinsertion sociale. Endurci et façonné par la
autre ehose qu'un-peu d'amour, un peu d'atten-
rue, l'enfant sort de la normalité que la société at-
tion, un peu de tolérance. Pensons-y.
tend qu'il adopte. 11 doit donc renouer avec le nou-
veau cadre de socialisation, le foyer, la famille. Et le
BIBLIOGRAPHIE
passage n'est pas souvent facile, d'abord pour l'en-
fant lui-même, ensuite pour ceux qui doivent l'ac-
1. CHAZAL, Jean, 1961. L'enfance délinquante,
cueillir et l'accepter comme tel.
Collection Que sais-je? n° 563, Paris.

Nécessité de sa prise en charge
2. CORTEZ, (R), 1966.
Enfance, famille et société
De même on ne saurait s'entendre avec l'enfant ré-
urbaine
Genèse
cupéré que si l'on répond pleinement à ses besoins
etmécanisme de
l'inadap-
aussi bien affectifs que matériels, être toujours à son
tation, Paris, PUF.
écoute et maintenir l'attention à son égard. C'est
ainsi qu'on peut lui redonner confiance et surtout
3. DOUNIA, Joseph, 1992.
l'envie d'être en vie dans la normalité. Que ce soient
"L'action des structures de
les parents, membres de famille ou que ce soient les
réinsertion sociale des en-
éducateurs, l'enfant récupéré a besoin d'être mis à
fants de la rue en milieu ur-
l'aise.
bain: cas du Centre d'Obser-
vation et de Réinsertion so-
Pour y parvenir, il faut mener une action non moins
ciale de Cacaveli" , Mémoire
importante à savoir le suivi régulier et soutenu.
de Maîtrise en Sociologie,
UB, Phissa.
Cette étape est le thermomètre de degré de réadap-
tation de l'enfant. Car, il ne suffit pas d'amener l'en-
4. ESPINOLA, (A.), GLAUSER, (B.), et ORTIZ,
fant en famille. Encore faut-il pouvoir lui donner
(K.), 1988. Vivre de la rue: le cas des enfants
satisfaction.
d'ASUNCfON, UNICEF, Paragay.
CONCLUSION
5. ESPERT, Francisco, MYERS, William, 1991.
Analyse de situation, les enfants vivant dans les
Il apparaît que le phénomène des «Enfants de la Rue»
conditions particulièrement difficiles, UNICEF,
n'est pas encore non-maîtrisable. Nous avons es-
Amérique Latine et lesCaraïbes.
sayé d'ouvrir quelques pistes de recherche, de met-
tre l'accent sur quelques dimensions de la problé-
6. LANG, Jean-Louis, 1976,L'enfance inadap-
matique du phénomène.
tée, Paris, PUF.
En effet l'étude a permis d'identifier quelques fac-
7. MARGUERAT, Yves, 1987. Une pathologie
teurs explicatifs du phénomène; cela montre que
sociale, symptômes et traite-
ce fléau trouve ses racines dans des contradictions
'T'ent : lesgaminsde la rue de
propres à nos sociétés. Bien sûr il y a parfois des
Lomé, ORSTOM, Lomé.
enfants "caractériels". Même dans ces cas extrê-
mes n'y a t-il pas lieu de nous demander si ce ne
sont pas là les conséquences d'une socialisation ra-
tée?
Il faut comprendre ces enfants, les comprendre
pour les accepter, les accepter pour les accompa-
gner et les aider à parcourir les avenues de la vie
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Sciences sociales et humaines
8.
, 1990. Les Smallvi ne sont pas les Gbévuvi: Eléments pour une histoire de
la marginalité juvénile à Lomé, ORSTOM Lomé.
9. MA SOLO, Masiala, 1990. Les enfants de personne, Edition, Enfance et Paix, Kinshasa.
10. MUSY, Guy, (R.P.), 1993. Les enfants de la rue au Rwanda: histoires vécues, BIeE,
Genève.
11. TARACENA, (E.), 1995. "Enfants de la rue et enfants dans la rue à Mexico:
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Revue du CAMES - Nouvelle Série B, Vol. 007 N° 1-2006 (1'" Semestre)