_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Les emprunts linguistiques des langues
gur du Togo aux langues du colonisateur:
intégration et motivation.
Adji SardjiARITIBA
Faculté des Lettres et Sciences Humaines,
Université de Lomé,
Lomé-Togo
Pour des raisons diverses, l'homme est souvent
Pour bien comprendre ce phénomène dans ses dé-
contraint à se déplacer, à quitter son cadre de vie
tails, nous présenterons d'abord un bref aperçu des
. habituel pour d'autres cieux, à la recherche d'un
langues gur du Togo par rapport aux autres langues
mieux être (cas de l'exode rural, de la pauvreté et
du groupe gur, ensuite nous définirons le mot « em-
des guerres qui pousse aux départs massifs des po- .
prunt », puis nous exploiterons un corpus du lexi-
pulations). Au Togo par exemple, la quête de terres
que de quelques langues gur du Togo, pour enfin
riches à exploiter a fait migrer des populations du
tenter d'élucider les difficultés d'intégration et de
Nord vers les parties centrale et méridionale du pays.
dégager les motivations qui ont sous-tendu ces
emprunts.
De ces divers mouvements de l'homme, se crée dans
les milieux d'accueil, une situation de contact des
J. LES LANGUES GUR DU TOGO
langues, née des nouveaux besoins à exprimer. Dans
ces cas précisément, la tendance habituelle est que
Les langues gur, appelées aussi langues voltaïques,
l'étranger apprend la langue du milieu d'accueil ou
recouvrent une aire importante s'étendant de la par-
lui emprunte son vocabulaire. Mais quand les colo-
tie méridionale du Burkina Faso à toute la moitié
nisateurs arrivèrent en Afrique, il en a été autre-
ment; c'est plutôt les peuples d'Afrique Noire qui
'septentrionale de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du
ont emprunté aux langues du colonisateur, ce qui,
Togo et du Bénin. Elles constituent trois grands
sans doute, reflète le rapport de force entre celui-ci
groupes:
et le colonisé même si on relève çà et là quelques
L'Oti- Volta
mots qui indiquent que les Européens ont eux aussi
Le gurunsi Oriental
emprunté à nos langues locales, dans une moindre
Le Togo-Central
proportion, comme en témoignent l'exemple de
"balafon", du guinéen balafo, "jouer" du bala ou
* Le groupe OTT-VOLTA; lui-même subdivisé en
celui de "karité" et de "cola" du Soudanais.
quatre (04) sous-groupes:
Cela tient essentiellement au fait que les Européens,
Occidental : mooré, yan kusaal,
en débarquant en Afrique Noire et particulièrement
mamprusi, nkpankpam
au Togo, ont apporté avec eux, leur culture et leur
-
Yom-nawdm: Yom, nawdm
civilisation, bref, de nouveaux produits et modes
Gunna : gunnantché, ncam, konkomba,
de vie dans des secteurs clé que sont la sécurité,
ben, ngangan, akasalem, dyé
l'éducation et la santé, domaines où nos langues, et
Oriental : ditarnmari
particulièrement les langues gur du Togo ne dispo-
* Le groupe gurunsi oriental: il comprend un seul
sant pas de concepts pour désigner ces nouvelles
sous-groupe, représenté par les langues suivantes:
réalités ont recouru naturellement à l'emprunt dans
- kabyè, tem, lamba, délo, bago, agbandé,
la langue du colonisateur. Vendryes (1979, P.252)
aborde cet aspect en ces termes : « l'emprunt est
lugba, yaka, nyende, c'la
toujours déterminé par des circonstances spéciales
qui imposent ou règlent le choix» et ajoute que « les
* Le groupe Togo-central ou langues résiduelles,
mots de civilisation sont particulièrement exposés
comprenant aussi un seul sous-groupe akébu,
à être empruntés; ils sont transportés en même
koussountou, akpè, ananj ubi 1
temps que l'objet qu'ils désignent ».
Revue du CAMES - Série 8, vol. 006 N° 1-2,2004
213

--:;..--------....,....-....;....----:---:---------------,.-__ Sciences sociales et humaines
SCHEMA REPRESENTANT LE GROUPE
GUR
FAMILLE NIGER-CONGO.
NIGER - CONGO (lA)
GUR
TOGO-
occidental
,
,
yom-nawdem
gu:rma
orient~1
,
,
,
,
,
,
,
,
,
,
,
:
,
,
,
,
,
,
:
,
,
,
,
:
:
,
,
1
,
1
,
,
1
,
moore
yom
gurrnantché
ditarrimari
kabiyè
akébu
yan
nawdm
ncam (bassar)
tem
koussountou
kusaal
konkornba
lamba
akpè
mamprusi
ben (moba)
delo
ananjubi
nkpankpam
ngangam
bago
akaselem
agbande
dyé
lugba
yaka
nyende
c[[)lla
1
Une controverse existe au sujet de ce sous-groupe qui se résume comme
suit:
- Certains chercheurs le rattachent au groupe kwa (GREENBERG) et Bernd
HEINE, tout en le rattachant à ce groupe, t'identifie sous le nom de Togo-
Central.
D'autres chercheurs suggèrent d'en faire un groupe spécial
D'autres, enfin, suggèrent de le rattacher au gur ou au kwa, scion qu'il
se rapproche de l'un ou l'autre de ces groupes
L'état actuel des recherches ne permet cependant pas, pour l'instant, de se
pencher en faveur d'une hypothèse quelconque.
214
.Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2. 21H14

_ _ _ _ _ _ _ _----'
-'----'--__ Sciences sociales et humaines
L'exposé sera centré sur le nawdrn, le ncam (bassar),
ficultés d'intégration de ces concepts nouveaux dans
le ben (moba), le kabyèet le lamba, langues locali-
nos langues ?
sées à l'Ouest et au Nord' de Sokodé 1. A l'instar
des autres langues voltaïques, les langues gur du
Telles sont les interrogations que suscite le thème
Togo se caractérisent par des lexèmes nominaux
retenu et auquel l'exposé tentera d'apporter des élé-
fortement organisés en classes et en genres selon
ments de réponses. Exploitons tout d'abord le cor-
les rapports singulier - pluriel' et par un système de
pus.
suffixes de classes phonétiquement assez sembla-
III. EXPLOITATION DU CORPUS
bles aux pronoms de classes:
Donc, les langues à classes de type gur, offrent un
NB. Le lecteur est prié de voir à lafin de l'article,
exemple de langues à systèmes de classe extrême-
quelques éléments du corpus lexical présentant les
ment contraignants, où la préoccupation des peu-
noms empruntés par quelques langues gur du Togo
ples n'est pas l'expression du genre ou du nombre,
prises en exemples.
comme le font le français et l'allemand, mais l'ex-
pression sémantique, c'est-à-dire que l'important
Quand on parcourt le lexique d'une langue gur du
dans ces langues est l'organisation des noms en de
Togo, on remarque qu'à côté des mots typiquement
grands ensembles présentant des traits sémiques
gur, il existe d'autres mots, en majorité français ou
communs tels que l'humain ou non humain, le
anglais, mais peu de mots allemands. C'est le même
comptable ou l'incomptable, etc. Tous ces aspects
constat en éwé, une langue kwa du Togo. Pourtant,
seront vus plus bas.
quand les premiers missionnaires, ceux de la Mis-
sion de Brême, arrivèrent sur les côtes togolaises,
Les peuples du groupe gur du Togo exercent toutes
ils
s'installèrent
surtout
en
terre
sortes d'activités essentiellement liées aux secteurs
éwé (M'GBOOUNA, 2002, P. 21), et un peu plus
de l'agriculture, de l'élevage, de l'artisanat et du
ad
commerce et leurs croyances reposent surtout sur
«l'allemand fut imposé par un décret de 1906»
les pratiques animistes, ce qui logiquement se tra-
(idem, P. 26) comme langue d'enseignement aux
duit dans le vocabulaire pour traduire la culture et
côtés de l' éwé.
la civilisation de ces peuples. C'est à ce vocabu-
laire que sont venus s'ajouter les mots d'emprunt,
Le corpus qui servira de matériau à cette étude porte
ce qui nous conduit naturellement à la définition de
essentiellement sur les langues parlées dans la par-
ce terme.
tie nord du Togo. Ce sont: le lamba, le kabyè, le
moba et le nawdm. Il présente des caractéristiques
II. L'EMPRUNT, QU'EST-CE QUE C'EST EN
communes: les mots d'emprunt relèvent davantage
LINGUISTIQUE?
des domaines médical, technologique, militaire que
social et religieux. A côté du français et de l'anglais
D'après le dictionnaire de linguistique (Larousse,
qui ont fourni l'essentiel des mots d'emprunt aux
1982), « il y a emprunt linguistique quand un parler
langues gur du Togo, il a été identifié en lamba deux
'A utilise et 'finit par intégrer une unité ou un trait
mots allemands qui sont vraisemblablement les
linguistique qui existait précédemment dans un par-
vestiges de l'époque des travaux forcés pour la cons-
ler B et que A ne possédait pas ». C'est dire que
truction du chemin de fer Lomé-Atakpamé.
l'emprunt en linguistique est une opération qui con-
siste, pour une langue donnée, à utiliser un mot (ou
Ce sont sirku "der Zug" et camà "German". ,
un trait linguistique) d'une autre langue et à se l'ap-
proprier en fin de compte, parce qu'elle en est dé-
Après ce survol du corp~s, la question est de savoir
pourvue.'
quelles ont été les difficultés d'intégration et les mo-
tivations de l'emprunt.
Cette définition traduit bien 'la situation qui pré-
vaut dans les langues en général et dans les langues
1 Le corpus présenté en annexe ne concerne que quelques-unes des langues
gur du Togo en particulier. Les emprunts étaient-ils
gurdu Togo citées ici,
, i,llirmation 'ù nuancer quelque peu. car de nos jours. 'la tendance constatee
inévitables? Dans quel secteur d'activités a-t-on
chez les jeune- <:1 la di'''!,I'!'<I lamba esl lin certain relâchement de la notion
cu besoin de ces emprunts? Quelles ont été les dif-
de classe nominale.
R('\\'ue du CAMES - Série B, vol. 006 N° f-2, 2004
215

- - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et JiÛmaille.\\'
gues gur respecte ce principe phonétique. Ainsi, le
lamba, dépourvu de consonnes sonores les rem-
3.1 Effort d'intégration phonétique, syllabique,
.
' .
,
sémantique et tonale.
placedans le mot d'emprunt par les consonnessour-
des. De même, en moba, la vibrante [r], non attes-
tée, est supplantée par la liquide [1]. Ex:
Selon Edward Sapir (1970, P. 194 « l'emprunt des
mots étrangers entraîne toujours leur modification
lamba :
"tâpal"
phonétique; il Yaura toujours des sons spéciaux ou
: table
"tôrafà"
: driver
des particularités d'accentuation qui ne s'accordent
"Iàkààr"
pas avec les habitudes phonétiques de la langue qui
: la gare
emprunte».
moba
"bilu"
: bureau
"sfkli"
.: sucre
Dans le cas des langues gurdu Togo, comment s'est
"biyâl"
: hière
réalisée l'intégration phonétique, morphologique,
tonale et sémantique, eu égard aux observations de
3.1.2 Intégration par restructuration syllabique
Sapir?
3.1.1 Intégration phonétique
Des modifications plus ou moins importantes sont
intervenues dans de nombreux mots d'emprunt, con-
L'intégration phonétique s'est réalisée de diverses
formes aux structures syllabiques des mots des lan-
manières, selon le système phonétique propre à cha-
gues d'accueil. Dans des langues comme le lamba
que langue emprunteuse. Ainsi, le lamba et le kabyè
et le kabyè, la structure syllabique courante est d~
par exemple, présentent chacune des caracteristi-
type: C, V, CV, CVC, CVCv. C'est à base de ce
ques particulières: le lamba ignore les consonnes
modèle syllabique que sont intégrés les mots d'em-
sonores et les voyelles antérieures [e], [e] font dé-
prunt. Par exemple, le mot anglais "school", de
faut dans son système vocalique; le kabyè pour sa
structure syllabique CCVVC est devenu sa kûùl en
part ne connaît pas de consonnes sonores à l'ini-
lamba et sùkûûli en kabyè soit respectivement
tiale de mot pris 'à l'état isolé. Par ailleurs, ces deux
CVCVVC et CVCVVCv. De même "father"
.
,
. , .
' .
'
langues partagent en commun le système ATR
CVCVC, est devenufatà en lamba etfadà en kabyè,
(Advanced Thongue Root), c'est-à-dire que les
soit CVCv.
voyelles sont réparties en. voyelles +ATR : [i],[u]
et en voyelles -ATR : [il, [u] ; ce qui entraîne une
C'est dire que l'intégration a ~té conforme aux struc-
organisation discriminatoire des voyelles à l'inté-
tures syllabiques en place dans les Iangues gur, du
rieur du mot.
moins celles étudiées ici, en se réalisant soit par
Autrement dit, dans une unité lexicale, peuvent ap-
allongement, soit par réduction de la structure em-
paraître les voyelles +ATR toutes seules ou asso-
pruntée ; le mot français' 'gouvernement" par exem-
ciées à la voyelle [0] ; les voyelles ,.ATRtoutes seu-
ple se dit government en anglais. En nawdm, il se
les ou associées aux voyelles [e] et [c].
dit gomnantô en trois syllabes, tout. comme en
La voyelle [a], neutre, s'associe indistinctement à
moba gobnantà " à côté du lamba kwimna, rendu
l'un ou l'autre groupe de ces voyelles. Mais dans la
en deux syllabes. De même, "électricité" passe de
plupart des situations observées; la voyelle duradi-
cinq
syllabes en français àtrois en lamba et en
cal détermine le trait ATR de la voyelle suffixale.
111Oba" soit làtirki et làtilki respectivement.
En lamba par exemple, les mots "hùrù", sac et
"tiru",.case sont des formes réalisées de /hurf-u/
Dans la plupart des cas d'intégration observés où il
et Itir + u/, respectivement. En kabyè, "tinuu", su-
est apparu des restructurations remarquables, les
perposer et "kizuu" , refuser correspondent respec-
mots d'emprunt ont gardé parfois des ressemblan-
tivement au plan phonologique à Itinu +. u 1 et 1
ces avec la forme intégrée, comme en témoignent
kizu + u 1.
les exemples précédents. Mais, il est des' formes
intégrées, devenues méconnaissables. Chaque lan-
Donc les voyelles au sein des mots-des langues gur
gue considérée ici en présente des exemples signi-
s'organisent selon le critère ATR. Ce faisant, l'in-
ficatifs.
sàngàlâfù
tégration des mots étrangers dans le lexique des lan-
moba
lamba
tànkalàh» .
216
Revue du CAMES -Série B, vol. OO~ N°1-2,2004

Français
Lamba
sirkû
.Exemple du lamba avec des noms de classe i :
nawdm:
girgu
. ncam
jirka
coci :
"messe", de l'anglais: "church"
Allemand
"der zug"
pôrki
"briquet", du français: "briquet"
tyà mati : "tomate", du français: "tomate"
nawdm:
jengsi
sikûùl :
"école", de l'anglais: "school"
moba
cjôntô
Français
: "zinc"
Au plan purement sémantique, l'intégration s'est
faite diversement; la plupart des noms d'emprunt
3.1.3 Intégration sémantique
ont gardé dans la langue d'accueil leur sens d'ori-
gine. Ainsi:
Il faut rappeler que les langues gur sont des langues
En moba, sansà traduit "essence" en français;
à classes et comme telles, se caractérisent par un
En ncam , drava se dit pour "driver" en anglais;
système de pronoms fonctionnant selon une corré-
En lamba ti/à, traduit "taylor" en anglais, soit
lation singulier/pluriel. Leurs formes s'identifient
"tailleur" en frariçais.
généralement à la terminaison des noms dont ils
sont les substituts. Ces terminaisons ne sont pas
.Par contre, les emprunteurs ont donné à certains
toujours apparentes. En lamba par exemple, les
noms une extension sémantique assez large. Pamii
noms de la classe des humains, i, au singulier ont
eux, on peut citer" docteur" en français ou" doctor"
une terminaison de classe ô (zéro), car la consonne
en Anglais. Ces mots qui signifient dans chacune
finale de ces noms appartient plutôt au radical.
des deux langues "un agent de santé de rang supé-
Exemple:
rieur", désigne dans les langues gur étudiées ici, à
yi r [yir + ô] l "l'homme", "être humain"
la fois "l'infirmier", "le garde-malade", "le doc-
yàl [yàl + ô] "la femme"
teur", bref' 'toute personne travaillant dans un cen-
tre de santé", et "l'institution" elle-même.
.
Autre
Selon ce rapprochement formel entre suffixe nomi-
exemple: kârki en lamba ou "clerc" en français,
nal et pronom de classe, les noms d'emprunt, en
se dit pour "to~te personne salariée", "cadre" ou
fonction de leur son final et de leurs caractéristi-
"ouvrier". Par ailleurs, quelques noms ont vu leur
ques sémantiques, sont intégrés dans la classe no-
, sens purement et simplement déplacé. On peut ci-
minale qui convient, en vertu des mêmes critères
ter en lamba, coci, qui, issu de l'anglais
de classement en vigueur dans la langue d'accueil.
"church" signifie dans cette langue gur, "l'office
Ainsi, en lamba, le mot mà lô nti i r, "militaire",
religieux", "la messe" ; le local abritant cet office
terminé par [r], est intégré dans la classe i, celle des
étant rendu par un syntagme, côcinampû, mot à mot,
humains, ce qui montre que dans le système classi-
"maison de la messe", c'est-à-dire, "l'église". Le
ficatoire des noms du lamba, [r]final de mô lô ntii r
phénomène décrit dans ces lignes se retrouve aussi
appartient au radical. Donc, le suffixe de classe de
dans les langues kwa du sud Togo de sorte qu'on
ce nom est ô (zéro) comme c'est la règle dans les
est tenté d'y voir un possible emprunt de seco~~e
noms de la classe des humains. Dans le même or-
main opéré par les premières à ces dernières, car,.
dre d'idées, tc sà r, "torche", terminé, lui aussi par
ainsi que l'indique Vendryes (1979, P. 252), « on
[r]est intégré dans la classe [r], celle des objets. Ici,
peut poser en principe que, lorsqu'un mot sort des
[r] passe pour une véritable terminaison de classe,
frontières de sa langue, il a des chances. de beau-
comme il l' est dans les noms de classe [r] en lamba.
coup voyager; car il n'est appelé à l'étranger que
Exemple:
parce qu'il désigne quelque objet nouveau, spécial
niir [nii + r] "le doigt"
au pays d'où il vient.. .».
mii r [mii + r] "le nez"
3.1.4 Intégration tonaJe
Loin d'être générale, la tendance couramment ob-
servée est l'intégration de la plupart des noms d'em-
Les langues gur ont chacune son schéma tonal qui
prunt dans la classe i, classe des humains, même si
est foncti~m de sa'structure syllabique. L'initiale de
le nom n'a pas ce trait sémantique. Rien n'autorise
ce schème importe dans la reconnaissance des schè-
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
217

- - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . , . . . - - - - - - - - - - _ Sciences sociales et humaines
mes tonals issus de l'intégration. En lamba par
nouveaux modes de vie et d'administration essen-
exemple, le schème tonal est à ton initial bas de
tiellement dans les secteurs de la sécurité, de l' édu-
manière générale, ce qui donne les principaux schè-
cation et de la santé.
mes tonals suivants:
Dans ces différents secteurs, les emprunts ont porté
particulièrement:
Monosyllabes B (\\)
"hàr" cultiver + impératif
R(I)

"hwar"piétiner +
sur les mots désignant des institu-
*
impératif
tions : l'hôpital, l'école, la mairie,
Dissyllabes
BB (\\\\)
"ramÈ"
champ
l'église, le commissariat;
HH (II)
"tamc"
men-
ton
*
sur les mots relatifs aux noms
Trisyllabes
BBB (\\\\\\)
"kpisilù" cou-
d'agents: le maître, le clerc, le charpen-
vercle pour grenier
tier, le docteur, la police, le militaire;
HHH (III) "fOtaru"
éven-
"tail
*
sur les mots en rapport avec la tech-
nologie : le téléphone, le télégramme,
Si dans certains cas, l'intégration des mots d'em-
la radio, la montre, le cinéma, le train,
prunt en matière tonale a été conforme aux schè-
. le camion, la télévision, etc. ;
mes tonals des langues emprunteuses, il apparaît
clairement, au vu des nombreux exemples obser-
*
sur un ensemble de mots variésdé-
vés en lamba, que dans leur majorité, les mots d'em-
signant des produits ou des éléments
prunt ont un schème tonal HB ou HBB, schèmes
nouveaux, peu connus de la population
rarement attestés dans cette langue. C'est sans doute
: la tomate, la torche, le bureau, le tri-
le signe que le lamba a gardé à ces mots d'emprunt
cot, le sucre, le litre, l'essence, etc.
leur attaque tonale, c'est-à-dire le ton initial haut.
Nul n'ignore que les langues européennes, hormis
La motivation ayant sous-tendu l'emprunt apparaît
leur accent d'intensité sans valeur discriminatoire,
. .
donc clairement de l'analyse du corpus : l'emprunt
"
n'ont pas,de" tons. Mais le locuteur lamba, prononce
passe alors comme l'expression d'un besoin, une
les mots d'origine européenne de la même manière
nécessité linguistique ou une solution pour com-
qu'il le fait dans sa propre langue, c'est-à-dire que
bler un certain vide lexical créé par la nouvelle
chaque syllabe du mot emprunté est affectée d'un
donne.
ton, même si ce ton n'a aucune valeur linguistique
dans la langue d'emprunt considérée, En voici quel-
Cet exposé aura sans aucun doute permis aux uns
ques exemples :
et aux autres de se faire une idée sur les motifs qui
ont forcé les langues gur à opérer des emprunts lin- .
lamba :
·tc sà r ~HB}
"torche"
guistiques mais aussi sur les secteurs où ceux-ci sont
(français)
intervenus. Les mots empruntés font désormais par-
cicà
(HB)
"teacher"
tie intégrante du patrimoine culturel gur, car ils cor-
(anglais)
respondent à un besoin réel de communication. Sans
kârki (HB)
"clerc"
prétendre que ce phénomène concerne les seules
(français)
langues du Togo, on peut dire qu'il est le propre
fâtà
(HB)
"father"
des langues de s'enrichir de concepts nouveaux,
(anglais)
compte tenu des progrès technologiques, deI'évo-
lution des mentalités et de l'histoire de l'humanité.
3.2 Les motivations à l'emprunt
En témoignent la vague de démocratisation et l' es-
sor fulgurant des nouvelles technologies de l'infor-
Comme nous l'avons souligné plus haut, le voca-
mation et de la communication dont l'avènement a
bulaire des langues gur du Togo est le reflet fidèle
de la culture et la civilisation de leurs locuteurs.
Quand on examine le corpus, on remarque que le
1
Le symbole "+" signifie: accroché à
recours à l'emprunt se justifie parfaitement; la co-
lonisation s' estaccompagnée de l'introduction de
218
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2.2004

_ _ _ _ _ _-'---'---'--
Sciences sociales et humaines
déversé sur nos langues une nomenclature de mots
aussi complexes qu'intraduisibles aux réalités pres-
que méconnus des peuples. La tendance actuelle est
. à une forme d'emprunt tous azimuts de mots dont
les langues gur du Togo regorgent pourtant d'équi-
valents. C'est un important phénomène sociologi-
que en cours, particulièrement au sein des popula-
tions allochtones qui prend de l'ampleur, avec le
risque, sinon de défigurer les langues gur à plus ou.
moins long terme, du moins de créer des langues
hybrides.
NB. : Les symboles utilisés dans la transcription
phonétique des mots du corpus sont ceux de l'Al-
phabet Phonétique International (A'FI). Par
ailleurs, l'auteur regrette, en raisons de certaines
difficultés techniques, de n'avoir pas pu placer les

tons COl1Jme il se doit.
R'BLIOGRAPHIE
1. Rapport provisoire d'un projet de création d'un
institut des langues nationales du Togo. (Institut des
langues du Togo) Septembre
1989, SOTED, Lomé.
Rapport provisoire.
2. Pierre, ALEXANDRE. Langues et Langages en
Afrique Noire, Payot, 1967, Paris.
3. Edward, SAPIR. Le langage, Payot, 1970.
4. Koudjoulma, M'GBOOUNA. La politique sco-
laire au Togo: évolution et principaux.
acteurs, Les Nouvelles Editions Africaines du
Togo, 2002, Lomé
.
5. Joseph, VENDRYES. Le langage: introduction.
linguistique à l'histoire.' 1979,

Saint Armand, (Cher, France)
6. Histoire des Togolais, des origines à 1884, Vol.
1, Presses de l'UB, Lomé 1997.
Z. Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1974,
Paris
Revue du CAMES - Série B, vol. 01,0 N° 1-2,2004
219

- - - - - - -
Sciences sociales et humaines
ANNEXE
CORPUS
Français
Anglais
Allemand
Lamba
Kabyè
Nawdm
maître
teacher
rmtrê
cica
watch .
waci
wireless
walssê
welesiin
der Zug
sirku
girgu
le clerc
karkt
church
COCI
c ll1J;i
sosi
la tomate
tomato
tyamah,
tornatê
le téléphone
tankêlahu
tangarfu
la radio
aratiyo
radjoun
le télégramme
tikaram
la machine
masîm
masil
le docteur
doctor
rakuta
dokta
d TlJ<.uda
christmas
kisêmasê
kizimasi
le yard
Yaar
le militaire
malantur
la police
flisa
l'école
school
sêkuul
sakali
sukr
le german
càrnâ
la table
tapai
tebl
tébr
le sucre
sikiri
sikiri
le bureau
pirô
birô
le chauffeur
driver
tarafa
draiva
le passager
pasenger
Pasênca
kafega
-
le café
kyft
le camion
ll1)y
Iylllfl)
1l1b' iye
loor
le briquet
,
pêrki
brikinga
la torche
t flb;ar
t JTbrsa
le ciment
simtî
samtê
le tailleur
tailor
ttla
téla
La brique
pêrikt
brikimb
le prêtre
father
fata
fada
l'apôtre
apostôlè
fada
le sentinelle
santintê
,
le gouvernement
kwimnâ
gôrnna
le ministre
minisê
rmrusi
mimsra
le gendarme
santààr
ssntsl
Oindarm:
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Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

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