-
Sciences sociales et humaines
Communication: Tempérament, atta-
chement et cognition ohez l'enfant
Prof. Jean TANO,
Université de Cocody - Côte d'Ivoire
Dans un travail antérieur (Tano, 2000), nous trai-
pement cognitif ultérieur, et dans quelle mesure une
tions de la famille, en mettant l'accent sur sa com-
telle relation pourrait dépendre de la qualité de la
position, sa structuration, ses pratiques éducatives,
relation d'attachement mère-enfant? Il semble que
et plus particulièrement sur son évolution qui fait
des réponses peuvent être trouvées ou esquissées à
coexister de nos jours des familles biparentales et
partir des théories importantes du développement
des familles monoparentales offrant ainsi des mi-
cognitif qui s'accordent notamment pour souligner
lieux d'éducation originellement différents et dif-
que, d'une part l'apprentissage apparaît, d'autre part
férenciés. Dans la présente étude, il s'agit d'exami-
l'intelligence se construit, le tout, grâce à l'interac-
ner dans quelle mesure de tels milieux contribuent
tion de l'enfant avec l'environnement. Par exem-
dans leur grande diversité, notamment au plan des
ple, Piaget (1952) soutient que l'enfant acquiert les
relations
d'attachement et
sur
une
base
connaissances grâce à ses activités motrices pro-
tempéramentale, à déterminer le développement
pres, et grâce à ses interactions avec le milieu envi-
cognitif, facteur de résolution des problèmes. De
ronnant. Les théories de l'apprentissage, elles aussi,
façon plus précise, il s'agit ici d'analyser des tra-
suggèrent que l'enfant acquiert la connaissance
vaux qui s'inscrivent dans le paradigme des rela-
grâce aux expériences et aux associations réalisées
tions entre, d'une partle tempérament et l'attache-
à partir des stimuli tirés de l'environnement. De
ment, d'autre part la cognition. Le tempérament
façon plus opératoire, Vygotsky (1978) soutient que
renvoie
à
l'individu
en
tant
qu'entité
l'intelligence apparaît grâce aux interactions que
:
idiosyncrasique, l'attachement décline la nature des
l'enfant développe avec des personnes plus exper-
1
rapports de proximité de cet individu en tant qu'être
tes.
i
en construction, et la cognition se présente comme
un référent, un vecteur de résolution de problèmes.
Même si ces trois théories diffèrent quant à I'im-
En effet, en consultant la littérature, on relève que
portance accordée au partenaire social dans le dé-
plusieurs travaux ont traité, par exemple, des rela-
veloppement social, chacune demande que l'enfant
tions entre les émotions et la cognition chez l' en-
soit engagé dans une relation avec le milieu avant
fant. Généralement, on trouve des relations signifi-
que n'apparaisse l'apprentissage. Ainsi, si l'on sait
catives entre les dimensions positives de l'émotion
examiner les facteurs qui influent sur l'engagement
et la cognition. Actuellement aussi, on s'intéresse à
de l'enfant dans son environnement, alors on amé-
l'effet modérateur possible de la relation d'attache-
liorerait notre compréhension du développement
ment mère-enfant. (Bloom, 1993 ; Dixon Jr et
cognitif, tout au moins dans ses phases initiales. Et
Smith, 2000; Kambou, 1996; Karras et Braungart-
puisque les travaux sus-évoqués retiennent réguliè-
Rieker, 2003 ; Matheny, 1989 ; Ouédraogo, 1999 ;
rement le tempérament et la relation d'attachement,
Slomkowski, Nelson, Dunn, et Plomin, 1992). En
peut-être, conviendrait-il, de proposer une revue
approfondissant la réflexion, on pourrait, peut-être,
critique de quelques recherches qui traitent de ces
s'intéresser aux implications que les différences
facteurs dans leur relation, avec la cognition. En
individuelles dans le tempérament. engendreraient
d'autres termes, il s'agit, d'abord d'analyser les tra-
dans le développement cognitif dans un contexte
vaux qui étudient, d'une part la relation tempéra-
qui est celui des relations d'attachement mère-en-
ment-cognition, d'autre p·artla relation attachement-
fant. En d'autres termes, dans quelle mesure le tem-
cognition, et ensuite de discuter des résultats pré-
pérament de l'enfant pourrait affecter le dévelop-
sentés.
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
De façon particulière, les travaux révèlent aussi que
I. TEMPÉRAMENT ET COGNITION
la détresse qui survient à la suite de restrictions et
d'interdits à l'âge de dix mois, et la détresse qui est
Le tempérament fonde les différences individuel-
causée par la nouveauté à l'âge de 12 mois consti-
les dans la réactivité des sujets (réactivité au point
tuent deux sortes de détresse qui sont quand même
de vue émotionnel, moteur et attentionnel) dans leur
corrélées avec le langage qui, lui aussi, apparaît à
auto-régulation et dans leur self-contrôle (Putnam,
cet âge. En outre, la signification et les implications
Sanson et Rothbart, 2002). Cela signifie qu'il y a
de cette grande détresse dépendent de l'âge de l' en-
des différences entre enfants en ce qui concerne la
fant (Lewis, 1993). En fait et étant données les ap-
valence et l'intensité des réponses émotives vis-à-
titudes communicationnelles et motrices limitées de
vis des stimuli aussi bien pour les réponses motri-
l'enfant à cet âge, s'il y a une augmentation des
ces qu'attentionnelles. Ainsi et par exemple, cer-
détresses négatives durant l'enfance, cela pourrait
tains enfants choisissent d'ignorer le stimulus dé-
obliger la personne qui prend habituellement soin
clenchant, et d'autres choisissent de s'intéresser à
de l'enfant à se rapprocher davantage de lui, ce qui,
un aspect non ou peu stimulant de l'environnement.
en retour, va influer sur le développement cognitif
Conséquemment, il advient que les différences in-
de l'enfant. Par ailleurs, faut-il préciser que le même
dividuelles dans le tempérament vont affecter dans
type d'émotion peut s'exprimer selon différentes
le même sens l'engagement de l'enfant vis-à-vis de
voies, à la fois au niveau de l'enfant lui-même et
l'environnement physique et social. Dans cet ordre
aussi dans ses relations avec l'adulte qui prend soin
d'idées, on retiendra que l'expression du tempéra-
de lui. C'est ainsi que Bronfenbrenner (1993), dans
ment pourrait être affaiblie ou renforcée par les ex-
son modèle contexte-processus-personne, soutient
périences contextuelles engendrées par lespratiques
que les influences environnementales opéreraient
éducatives parentales (Goldsmith et Riesser-Danner,
sur les résultats finaux en fonction des caractéristi-
1986).
ques propres de l'enfant, notamment ses émotions
négatives. C'est dans cette même optique que les
Par rapport àêes constats, à la fois théories et don-
théoriciens de l'attachement font valoir que les
nées empiriques suggèrent que les dimensions mul-
émotions négatives sont sans lien avec la classifi-
tiples observées dans le tempérament sont; enrap-
cation de l'attachement (sécure-insécure), parce que
port avec les premières étapes de la cognition. Par
·les mères présentent des différences de sensibilité
exemple, une bonne humeur, une bonne disposi-
et d'indifférence vis-à-vis des signaux ou appels de
tion, une attention plus grande sont en relation à la
leurs enfants (Ainsworth, Blehar, Watters et Wall,
fois avec les multiples mesures effectuées sur l'en-
1978), mais le débat reste encore ouvert au sujet de
fant, et avec la cognition (Mathenay, 1989;
la relation tempérament-attachement. En effet,
Mathenay, Dolan et Wilson, 1974). La bonne hu-
même si l'enfant réagit très négativement, et si la
meur et une attention plus grande sont aussi en rap-
mère sait réagir de manière appropriée, elle pour-
port avec les premières phases du développement
rait renforcer de la sorte l'attachement sécure. En
du langage (Dixon et Smith, 2000 ; Karras,
d'autres termes, un enfant très souvent perturbé au
Braungart-Riekert, Mullin et Lefever, 2002).
plan émotionnel, pourrait bien être apaisé par une
mère sensible, attentionnée, à telle enseigne .que
Les données qui établissent une relation entre la
l'enfant pourrait renégocier son interaction avec
cognition et les dimensions négatives de l'émotion
l'environnement, renforçant ainsi le développement
sont suggestives et moins consistantes. Par exem-
cognitif. Par contre, un enfant qui réagit très néga-
ple, Mathenay (1989) et Mathenay et col. (1974)
tivement avec une mère insensible, cela pourrait
ont montré que les enfants qui sont souvent de mau-
exacerber tout le monde, et donner en définitive un
vaise humeur, ou qui sont tristes présentent un dé-
enfant incapable de traiter avec l'environnement
veloppement mental moins avancé et un faible ni-
d'une part, et une mère incapable, sans volonté de
veau de QI à l'âge préscolaire et à l'âge scolaire.
renforcer le développement cognitif d'autre part.
Toutefois, dans leur étude sur les relations tempé-
D'un point de vue fonctionnaliste, par exem-
rament-langage dans la prime enfance, Dixon et
ple, la colère et la peur, qui sont deux formes
Smith (2000) trouvent seulement deux corrélations
d'émotion, servent des buts différents (Campos,
. significatives entre la mauvaise humeur (affect né-
Barrett, Lamb, Goldsmith et Stenberg, 1983).
gatif) et le langage de l'enfant à l'âge de trois ans.
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Revue du CAMES ~ Série B, vol. 006 N° 1-2, 2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
En effet, les enfants font l'expérience de la peur
ficient d'un attachement sécure deviennent plus
lorsqu'ils réalisent que l'environnement est po-
intelligents et font preuve d'aptitudes langagiè-
tentiellement dangereux, par exemple, lorsque
res plus grandes comparés à leurs homologues
quelque chose de très nouveau leur apparaît
insécures (Van Ijzendoom, Dijkstra et Bus,
brusquement. Une telle détresse de la part des
1995). Dans la relation d'attachement sécure,
enfants va obliger, tout au moins sur le plan
le système comportemental d'attachement fonc-
moral, la personne qui s'occupe d'eux à se te-
tionne à son niveau optimum, indépendamment
nir près d'eux et à les protéger. Quant à la co-
du tempérament de l'enfant. Les conduites d'at-
lère, l'enfant en fait l'expérience lorsque ses
tachement de l'enfant maintiennent volontiers
prétentions ou désirs sont contrariés, par exem-
dans sa proximité la personne qui, habituelle-
ple, lorsqu'il est empêché de jouer avec unjouet
ment, le prend en charge, et sait répondre à ses
attrayant et manipulable. Dès lors, on pourrait
sollicitations (Ainsworth et col., 1978). Au con-
. soutenir que les émotions servent à réguler à la
traire, la personne qui ne sait pas offrir des ré-
fois les conduites intra et interpersonnelles, et
ponses sensibles aux besoins émotionnels de
il revient aux parents de savoir distinguer dans
l'enfant, notamment en réagissant de façon ir-
les réactions de leurs enfants d'âge préscolaire
régulière, inconsistante, intrusive, ou rejetante
celles qui traduisent la peur et celles qui expri-
se place dans la voie qui conduit à instaurer une
ment la colère (Stricklin, 2000). De façon plus
relation d'attachement insécure (Ainsworth et
précise, les parents doivent savoir, par exem-
col., 1978 ; Cassidy, 1994; De Wolff et
ple, que la sensibilité ou le niveau d'attention
Ijzendoorn, 1997). Goldberg, Grusec et Jenkins
de la mère influencent la relation entre, d'une
(1999a) prétendent que les réactions, de la part
part la peur face à la nouveauté à l'âge de 12
de la personne qui surveille l'enfant, aux émo-
mois , et d'autre part le langage à 16 mois
tions négatives de cet enfant renseigneraient
(Karras et Braungart-Riekert, 2003). En d'autres
mieux sur les relations d'attachement, compa-
termes et en résumé, les enfants qui se mon-
rées aux émotions positives. En effet, les mères
trent moins peureux et qui sont élevés par des
des enfants très négatifs sembleraient plus ca-
mères plus attentionnées pourraient présenter
pables, comparées aux autres mères, d'affron-
de bonnes aptitudes langagières.
ter ce défi, et leurs réactions à ces manifesta-
tions négatives apporteraient plus d'informa-
tions au sujet de la qualité des pratiques éduca-
II. ATTACHEMENT ET COGNITION
tives parentales et des relations avec l'enfant,
.comparées aux réactions aux émotions positi-
Pour Bowlby (1969), la relation d'attachement
ves de l'enfant.
est à la base de tout développement, notamment
du fonctionnement cognitif et de l' apprentis-
En faisant la synthèse de ces travaux, on relè-
sage. Dans ce paradigme, la théorie de l'atta-
vera que dans la relation d'attachement sécure,
chement prétend que les enfants ont un système
une nourrice sensible doit être capable de faire
comportemental d'attachement qui garde les
en sorte que l'environnement s'adapte aux be-
figures d'attachement près d'eux, assurant ainsi
soins spécifiques et au style tempéramental de
leur sécurité et leur survie. Ce sont de telles re-
l'enfant, prouvant ainsi qu'elle sait pourvoir aux
lations d'attachement, nées dans le prolonge-
besoins nécessaires au développement cogni-
ment des interactions avec les figures d' atta-
tif. Par contre, dans l'attachement insécure, la
chement, qui vont renforcer chez l'enfant les
nourrice est moins en mesure de pourvoir à ces
aptitudes d'apprentissage nécessaires pour la
besoins. Dans ce dernier cas de figure, ce sont
survie. En fait, l'analyse des travaux empiriques
les caractéristiques tempéramentales propres de
montre qu'il y a une relation significative entre
l'enfant qui deviennent décisives, car ce sont
la relation d' attachement et le développement
elles qui opèrent et permettent à l'enfant de se
intellectuel. Par exemple, les enfants qui béné-
Revue du CAMES -:- Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
157

- - - - -
.,....-
Sciences sociales et humaines
développer. Néanmoins, différents types d'émo-
loppement cognitif de Hebb (1949), un enfant
tivité pourraient interagir de façon différenciée
qui est perturbé par la nouveauté à l'âge de 4
avec l'attachement. C'est ainsi que par la ma-
mois signifierait que cet enfant est, d'un point
nifestation de sa peur, l'enfant active le système
de vue cognitif, plus avancé, car il reconnaît
d'attachement, car il y aurait une menace po-
qu'un stimulus donné est différent de ceux qu'il
tentielle à sa sécurité, tandis que la colère n'ac-
a l'habitude de percevoir (Kagan, 1971 ; 1974 ;
tiverait pas ce système, puisque la colère ne si-
Mc Ghee, 1977). En effet, les expériences réa-
gnale pas aux parents qu'il y a une menace à sa
lisées à la fois avec les enfants et les adultes
sécurité (Goldberg et col., 1999b). En d'autres
semblent indiquer que si on n'est pas sensible à
termes, les enfants insécures présentant un ni-
l'aspect nouveauté de l'événement,
veau élevé de peur d'une part, et les enfants
c'est parce que, soit on n'a pas fait l'expérience
insécures présentant un niveau élevé de colère
d'une quelconque émotion, soit on n'a pas fait
d'autre part, pourraient connaître des voies
jusqu'à maintenant l'expérience d'une émotion
développementales différentes. Dans ces con-
d'une telle intensité (Stein et Trabasso, 1989).
ditions, on pourrait s'attendre à ce que les rela-
En outre, les travaux sur le traitement de l'in-
tions entre, d'une part la peur et la colère
formation chez l'enfant montrent que les
tempéramentales, et d'autre part le développe-
meilleures performances sur les tâches de mé-
ment cognitif, dépendent de la qualité de la re-
moire de reconnaissance sont en rapport avec
lation d'attachement mère-enfant. Aussi et de
le développement cognitif (Rose et Feldman,
façon spécifique, observe-t-on la proposition
1995). Peut-être que l'aptitude à identifier des
selon laquelle les émotions négatives influen-
traits communs à un âge précoce (4 mois), de
cent négativement le développement intellec-
même que l'aptitude à reconnaître la nouveauté
tuel, précisément dans le cas d'une relation d' at-
traduiraient toutes les deux une capacité cogni-
tachement insécure mère-enfant.
tive plus avancée. Néanmoins, il est intéressant
de souligner que la détresse manifestée face à
III. DISCUSSION
la nouveauté, à l'âge de 12 mois, ne prédit pas
directement le développement intellectuel, peut-
Par rapport aux travaux évoqués ci-dessus, deux
être parce que la peur manifestée face à des si-
faits majeurs et incontestables apparaissent.
tuations nouvelles constitue plus une réponse
D'abord, on relève que la détresse face à la nou-
normative ou normale à cet âge, et ne serait donc
veauté, et non la détresse face aux interdictions
pas un indicateur des différences individuelles
rencontrées dans la petite enfance, est en rela-
dans le fonctionnement intellectuel. Par contre,
tion avec le développement intellectuel. En se-
l'effet de la détresse face à la nouveauté à l'âge
cond lieu, les enfants qui présentent une détresse
de 12 mois sur le développement intellectuel
plus grande à la nouveauté à l'âge de 12 mois
dépend du statut ou du type d'attachement. En
sont aussi ceux qui obtiennent des scores éle-
effet, les enfants qui manifestent une peur à la
vés de QI à l'âge de trois ans, mais à condition
nouveauté plus élevée, et qui une ont une rela-
que ces enfants aient connu une relation d'atta-
tion d'attachement mère-enfant insécure, sont
chement insécure avec leur mère. Il apparaîtrait
aussi ceux qui ont des scores de QI plus élevés
ainsi qu'une manifestation précoce de détresse
à l'âge de 3 ans. A première vue, une telle don-
à la nouveauté témoignerait d'une précocité au
née paraît troublante dans la mesure où d'autres
plan du développement cognitif. Toutefois, et
travaux trouvent que c'est plutôt la relation d'at-
pour un enfant normal, on note que la détresse
tachement sécure qui est associée à un fonc-
face à la nouveauté s'accroît significativement
tionnement cognitifplus élevé (Van Ijzendoom
aux environs de 12 mois. Dès lors, on est fondé
et col., 1995).
à soutenir que la peur face à des situations nou-
velles constitue un mode typique de réaction à
On pourrait s'interroger utilement pour savoir
cet âge. Conformément à la théorie du déve-
pourquoi des enfants apeurés vivant dans un
158
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

environnement moins qu'optimal présenteraient
un fonctionnement cognitif plus élevé? D'un
point de vue fonctionnaliste, une émotivité éle-
vée sert à réguler, à équilibrer aussi bien ses
propres conduites que celles avec autrui (Cam-
pos, Barret, Lamb, Goldsmith et Stenberg,
1983). Dans ce paradigme, un enfant qui réagit
promptement et de façon apeurée face à de nou-
velles situations, attend des autres, notamment
de la personne qui prend habituellement soin
. de lui, une présence et une intervention plus
marquées. D'après les théories de l'attachement,
les enfants dont les mères font preuve de sensi-
bilité et de disponibilité vis-à-vis de leurs be-
soins émotionnels développent de la relation
mère-enfant un modèle d'action interne positif
qui, en retour, renforce la relation d'attachement
sécure (Ainsworth, Blehar Waters et Wall
. '
,
1978 ; DeWolff et Ijzendoorn, 1997). Aussi,
pour les enfants sécures, les différences
Face à ces tentatives d'explication concurren-
tempéramentales, telles la susceptibilité à la
tes, il apparaît la nécessité d'approfondir les
contrariété par des stimuli nouveaux, ne sont-
recherches au sujet des réponses des parents à
elles, ni particulièrement adaptatives, ni parti-
la colère, à la peur et aux autres émotions de
culièrement nocives pour le développement
leurs enfants afin de mieux comprendre-et maî-
cognitif, puisque les mères sensibles et dispo-
triser les processus par lesquels, d'une part la
nibles savent offrir un environnement adéquat
détresse vis-à-vis de la nouveauté, l'attache-
qui mette leurs enfants à l'abri du moindre be-
ment, et d'autre part le développement cognitif
soin. Au' contraire, les enfants dont les mères
sont reliés. La peur élevée sert un objectif qui
ne se montrent pas particulièrement sensibles à
consiste à maintenir près de l'enfant la personne
leurs besoins émotionnels pourraient, certes ,
qui prend soin de lui ; cette personne ne pro-
apprendre et se développer, mais cela ne dépend
tège pas seulement l'enfant, mais elle facilite
plus de la mère en tant que source fiable de bien-
aussi les interactions de l'enfant avec les objets
être et de progrès (Cassidy, 1994 ; Main, 1990).
transitionnels environnants. Par exemple, un
Il se pourrait que de tels enfants parviennent à
enfant qui est contrarié, apeuré, triste à la vue
compenser grâce au niveau élevé d'attention que
d'un cafard pour la première fois, a des chan-
leur assure l'environnement extrafamilial. Cela
ces d'être pris dans les bras, d'être dorloté , ré-
est corroboré par les recherches de Stricklin
conforté par sa mère ou tout autre adulte évo-
(2000) sur les jeunes adultes qui relèvent que
luant dans le voisinage. En retour, l'enfant peut
ceux qui ont été élevés dans un environnement
utiliser la mère comme une base de sécurité à
parental moins qu'optimal arrivent, grâce aux
partir de laquelle il va explorer, d'abord visuel-
stimuli extrafamiliaux, à se montrer attentifs
lement l'objet cause de la peur, ensuite et éven-
vis-à-vis des nouveaux stimuli. En d'autres ter-
tuellement toucher cet objet. Ce sont de tels
mes, il y a possibilité, de rattrapage pour le dé-
événements qui pourraient faciliter l'apprentis-
veloppement cognitif, à condition que le milieu
sage et le développement cognitif au cours de
extrafamilial réagiss\\e à temps (Karras,
l'enfance. En ce qui concerne la colère
.
élevée ,
Braungart-Rieker, Mullins et Lefever, 2002 ;
elle apparaît lorsque le but visé par l'enfant est
Somkowski, Nelson, Dunn et Plomin, 1992).
.bloqué. Il est possible que la source de la frus-
Revue du CAMES
Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
159

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _--.,;.
Sciences sociales et humaines
tration vienne de la personne qui prend soin de
car et par exemple, un enfant peureux qui ne sait
l'enfant. Dans ces conditions, une telle émo-
pas comment on réagit par des sentiments négatifs
tion ne peut pas trouver auprès de cette personne
face à de nouvelles situations, peut présenter des
le résultat recherché par l'enfant. Par exemple,
problèmes cognitifs, notamment une fois entré dans
un enfant qui est immobilisé contre son gré sur
le système scolaire. Dans cet ordre d'idées, pour-
rions-nous suggérer d'examiner au plus près les
le siège de la voiture en train de rouler, ne pourra
réactions parentales ou adultes en réponse aux réac-
pas être libre de ses mouvements comme il
tions émotionnelles de l'enfant. En tout état de
l'aurait souhaité tout au long du trajet! De tels
cause, il devient nécessaire d'étudier plus particu-
événements ne sont pas faits pour faciliter l' in-
lièrement les réponses des mères aux peurs et colè-
teraction avec le milieu et les objets transition-
res de leurs enfants afin de mieux comprendre les
nels, et conséquemment, et a priori, ne servi-
relations entre ·les différents aspects du tempéra-
raient pas la cause du développement cognitif.
ment, de la relation d'attachement et de la cogni-
CONCLUSION
tion.
BIBLIOGRAPHIE
Les travaux sus-évoquées et tous ceux du même
registre sont de type corrélationnel, c'est-à-dire qu'à
1. Aiken, L. S, et West, S. G. (1991). Multiple
partir d'un tel plan expérimental, on ne peut pas
regression: testing and interpreting interactions.
bien différencier la direction des effets des diffé-
Newbury Park, CA: Sage
rents facteurs. Ainsi, et par exemple, les associa-
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Wall, S (1978). Patterns ofattachment: a
de l'enfant et son niveau intellectuel ultérieur pour-
psychological study ofstrange situation._Hillsdale,
raient être interprétées dans les deux sens: soit que
NJ: Lawrence erlbaum associates inc.
la peur précoce conduit à un développement cogni-
tif élevé, soit que la capacité cognitive à détecter la
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nouveauté conduit à la peur précoce qui appelle, à
Attachment and exploratory behavior of 1-year-olds
son tour, un développement cognitifélevé. En outre,
in a strange situation. In B. Foss (Ed.), Determinants
le rôle de la relation mère-enfant vient compliquer
ofinfant behavior vol. 4 (pp 113-136). London: ,
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Methuen.
des effets dans la mesure où les interactions parent-
enfant pourraient, soit constituer un puissant fac-
4. Bee, H L., Barnard, K. E., Eyres, S. J, Gray, C. A.,
teur de développement, soit engendrer des relations
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bi-directionnelles entre l'émotivité négative et la
skillfrom perinatal status, childperfomance, family
cognition. Au total, on retient que ce sont seule-
characteristics, and mother-infant interaction. Child
ment certains aspects du tempérament négatif (la
Development, 53, 1134-1156.
peur et non la colère) qui pourraient être utilisés
comme des prédicteurs du fonctionnement cognitif
5. Belsky, J, Rovine, M (1987). Temperament and
ultérieur. Par ailleurs, la qualité de l'environnement
attachment security in the strange situation: an
créée par la personne qui prend régulièrement soin
empirical rapprochement. Child Development, 50,
de l'enfant constitue aussi un facteur important,
787-795.
puisqu'elle offre des informations au sujet du con-
texte dans lequel l'émotion et la croissance cogni-
6. Bloom, L. (1993). The transitionfrom infancy to
language. NY: Cambridge University Press.

tive de l'enfant apparaissent. Il se peut aussi que
Bornstein, M H., et Sigman, M D. (1986). Continuity
les enfants insécures, qui au plan tempéramental,
in mental developmentfrom infancy.Child
sont peureux et vivent dans un environnement tout
Development, 57, 251-174.
à fait déprimé, montrent un fonctionnement cogni-
tif plus faible durant la première enfance.
7. Bowlby, J (1969). Attachment and loss: vol.I,
Attachment. NY: basic Books.
.
Dès lors, conviendrait-il d'étudier les relations en-
Braungart, JM, et Stifter, C.A. (1991). Regulation of
tre le tempérament, l'attachement, et les aptitudes
negative reactivity during the strange situation:
cognitives à partir de différents types d'échantillons,
temperament and attachment in 12-month-old infants.
Infant Behavior and Development, 14, 349-364.
160
Revue du'ÇAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
Il

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