- - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
A propos du commerce entre Akan et
Européens sur la côte de l'or (XVè siècle
XVIIè siècle): commerce de l'or et
pactole contre pacotille ?
Dr. Kouamé René ALLOU
Département d'histoire. UFR. SHS.
Université de Cocody - Abidjan.
Côte d'Ivoire.
Résumé
Abstract
Entre la deuxième moitié du 15è siècle et le 17è
During the second half of the Xv" century and
siècle, les échanges entre les Européens et les
the XVIl'h century, barters between Europeans
Akan sur la côte de l'or ont été qualifiés de com-
and Akan on the Gold Coast were called gold
merce de l'or et perçus comme des transactions
trade and seen as deal during which the firsts in
au cours desquelles les premiers contre un vérita-
ex change of gold mine (go Id) gave crummy
ble pactole (l'or) ne donnaient en échange que de
goods to the seconds. Our dissertation show that
la pacotille aux seconds. Notre article montre qu'il
it was a trade coinage because gold dust was
s'agissait d'un commerce monétaire parce que la
for Akan a currency and that the goods they
poudre d'or pour les Akan est une monnaie et que
bought was not shoddy and was not without
les marchandises qu'achetaient les Akan n'étaient
value for them.
pas de. la pacotille, et n'étaient pas sans valeur
pour eux.
Key words : Gold- Gold dust- Gold mine-
Shoddy- Europeans- Akan- Trade- Gold Coast.
Mots clés: L 'or- La poudre d 'or- Pactole- Paco-
tille- Européens- A kan- Commerce- Côte de 1'01:
INTRODUCTION
d'un simple troc.
Dès la deuxième moitié du 15è siècle, les échanges
Devant ce malentendu notoire, l'on a parlé à pro-
entre les populations de la Côte de r or et les Euro-
pos de ces échanges du pactole (entendre l'or) con-
péens vont prendre de l'ampleur, L'or était l'objet
tre la pacotille (les produits que donnaient les mar-
principal qui rythmait ces échanges. Or à ce pro-
chands Européens aux marchands Akan). Or affir-
pos, il y aura un véritable quiproquo entre les ac-
mer cela ou le penser est une méprise vu que pour
teurs de ces échanges. Alors que les Européens qui
les Akan, il s'agissait d'un échange monétaire et
recevaient en échange de leurs produits de la pou-
aussi parce que chacun des partenaires y trouvait
dre d'or prenaient cet objet pour une simple mar-
son compte. Cet article veut montrer que le com-
chandise, donc croyaient avoir à faire à un troc, pour
merce d'ont l'or était au centre entre les Européens
les marchands de la Côte de l'or, les Akan. la pou-
et les Akan de la deuxième moitié du 15è siècle au
dre d'or était une monnaie déchange. Pour eux
17è siècle était bel et bien un échange monétaire.
Jonc, il s'agissait d'un échange monétaire et non
C'est ce que nous montrerons dans la première par-
tie de ce travail.
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
67

_ _~
--,.
.Sciences sociales et humaines
que la poudre d'or qui est leur monnaie. Les pépi-
La seconde partie de notre article s'attachera à mon-
tes revenaient de droit conformément aux usages
trerqu'il est inexact de soutenir que ce commerce
dans le monde akan aux chefs et aux rois. La pou-
entre Européens et Akan fut le commerce du pac-
dre d'or était évaluée en fonction de la valeur de la
tolccontre la pacotille, en quelque sorte s'opposer
marchandise européenne.
à ceux qui prétendent que ce fut un marché de dupe
Il faut donc retenir que la monnaie d'échange des
dont les dindons de la farce auraient été 'Ies Afri-
populations de civilisation akan était la poudre d'or.
cams.
Elle servait dans les transactions commerciales et
financières. Le professeur Georges Niangoran-
1 -
UN COMMERCE DONT LA POUDRE
Bouah indique que le mot poids utilisé par les cher-
D'OR ETAIT LA MONNAIE.
cheurs est restrictif, alors que le terme Yoboè
(caillou, pierre) ne l'est pas. Or un poids est un élé-
Dès la deuxième moitié du 15è siècle, les popula-
ment d'un système de mesure servant à déterminer
tions de la Côte de l'or, les Akan auront des rela-
la valeur pondérale d'un autre objet, il ne se con-
tions commerciales avec les Portugais. C'est ainsi
çoit que dans un système de mesure.' Les Euro-
qu'en janvier 1471, Joâo De Santarem et Pedro
péens mettent l'accent sur le poids du métal ob-
Escobar commerceront avec les natifs vivant près
tenu, le prenant pour une simple marchandise et
de l'embouchure du fleuve de Saama / Shama c'est-
pensent donc à un troc. Or les Akan mettent l' ac-
à- dire du Pra. En échange de leurs produits, ils
cent sur le prix, sur la valeur monétaire des mar-
obtiennent de la poudre d'or. Enjanvier 1482, Diogo
chandises achetées avec la poudre d'or.
De Azambuja arrive avec son équipage à Aldea das
duas partes, lieu qui n'est autre que les deux rives
Pour les Akan, il s'agit donc d'un commerce mo-
de la lagune Benya servant de limite entre l'Eguafo
nétaire. Les Européens parlent de kilogrammes d'or
et l'Efutu.'
et les Akan parlent de Bèna (Benda) c'est -à- dire
du montant de leur dépenses." Les Akan font la dif-
Au début du commerce entre les Akan et les Euro-
férence entre la poudre d'or qui est une monnaie et
péens, la poudre d'or et l'ivoire seront au centre
la pépite d'or. Les marchands européens et les cher-
des échanges.' Alors que les Européens voyaient la
cheurs à leur suite ont cru qu'il s'agissait d'un troc.
poudre d'or comme une marchandise, pour les
Les Akan pour s'informer du prix d'un article, de-
Akan, il s'agissait d'une monnaie. Chaque mar-
mandaient sa pierre, cette expression ne faisait pas
chand akan portait sur lui ses poids à peser la pou-
référence à une notion de poids mais une notion de
dre d'or nécessaires pour les transactions.La pou-
prix."
dre d'or dans tout le monde akan était la monnaie
par excellence. La perle précieuse était la seconde
monnaie.
Les transactions importantes comme celles qui se
faisaient entre Akan et Européens en poudre d'or
étaient évaluées en Pereguan / Pereduan dont
1 BALLONG WEN· MEWUDA ( B ). Sao Jorge da Mina (El Mina) et son
contexte socio- historique pendant l'occupation portugaise (1482- 1637).
l'unité faisait 2250 onces d'or. L'once d'or faisait
Université de Paris 1, Paris 1984. Thèse de 3è siècle. Tome l, 336p. Tome Il,
672p. P 61.
28,6875 grammes.' A propos de la poudre d'or et
'William BOSMAN. A new and aecurate description of the coast of Guinca.
des poids à peser des Akan, les travaux du profes-
Frank Cass and co LTD 1967. 557p. P65.
) BALLONG. Op cit TomeI, p307.
seur Georges Niangoran- Bouah" ont été détermi-
, Georges NIANGORAN- BOUAH. L'univers akan des poids à peser "M
nants pour battre en brèche l'ancienne thèse de T.
Les poids non figuratifs. Tomel, Les poids figuratifs tornell, tome III. NI':,\\,
MCS, I984.31Ip.313p .
. F. Garrard qui voulait les lier à ceux des marchés
'T. F. GARRARD « Srudies in akan goldweights » TIISC;. :\\111 pp I·N-
islamisés de Djené et de Tombouctou dont le sys-
160. P 120.
6 Frédéric MAURO. Le Portugal ct l'Atlantique au XVIIi: siècle ( 1570-
tème pondéral était basé sur le miktal.'
1670). SEVREN. CNRS. 1970. 547p. P 403
J Georges NIANGORAN- BOUAil ... Problème de la recherche en milieu
de tradition orale." Kasa hya kasa 1. lES. Université d'Abidjan. Decembre
Les Européens aftirme Frédéric Mauro préféraient
1972. Pp 8-28. P12.
de loin la poudre d'or aux pépites." En réalité, c'est
, lbidern p 17.
"Ibidem p 17.
parce que les marchands akan ne leur proposaient
68
Revue du CAMES - Série B. vol. 006 N° 1-2, 2110"

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines
La poudre d'or était mise dans des boîtes en bronze
les Akan fixaient les modalités monétaires du com-
où il y avait de petites figurines représentant des
merce qu'ils faisaient avec les Européens. Il indi-
personnages, des animaux, des plantes et des ob-
que que les Européens donnaient leurs marchandi-
jets divers. Une cuillère d'un modèle particulier
ses contre le bon or appelé « sika foutou» (sika
servait à prendre de la poudre d'or, mise dans un
nfutuo, la poudre d'or), que les petites quantités de
plateau d'une pesette. Dans le second plateau, l'on
poudre d'or se disaient « gagara » ( kakraba ) et
posait la figurine. Cette opération consistait à dé-
étaient toutes pesées avec le « stroma» (toma, les
terminer le prix de la marchandise en poudre d'or.
plateaux) et le « damba »5 (dama., poids, grains de
Les Européensen voyant la poudre d'or comme une
l'arbre abrus precatorius).
simple marchandise ont parlé de commerce de l'or,
et à leur suite les chercheurs, alors qu'il s'agissait
W. Bosman parle aussi de l'or fin et pure appelé
d'un commerce dont la poudre d'or était la mon-
«acanni sika » avec lequel les marchands Acanes
naie. Voilà ce qui serait juste aux yeux des Akan.
commerçaient." Les Akan avaient aussi des boîtes
qui servaient à estimer diverses quantités de pou-
Le Bèna était l'unité qui permettait l'évaluation du
dre d'or sans intervention de balances. Parfois des
coût de la marchandise en poudre d'or. Les figuri-
inscriptions sur le couvercle indiquaient la valeur
nes étaient en réalité des « poids monnaies» et non
pondérale de la poudre d'or contenue dans la boîte.'
des poids à peser l'or. Les figurines avaient une
Il ne s'agit donc pas d'un système pondéral au sens
certaine valeur pondérale qui était admise par con-
occidental du mot, mais d'un système monétaire qui
vention comme correspondant à une certaine quan-
fonctionne avec des poids spéciaux, des « poids
tité de poudre d'or supposée de même poids.
monnaie »,
' La
poudre d'or était la monnaie réelle qui se substi-
tuait à la monnaie théorique symbolisée par la figu-
Autrement dit, poids et monnaie entre ici dans un
rine. Un Bèna est censé peser le poids d'une pierre
système monétaire. Dans l'esprit des Akan, ces mots
(Yoboè). La poudre d'or était donc la monnaie qui
n'évoquent pas la notion de poids, mais de mon-
ne se dévaluait jamais, qui ne s'achetait pas et ne se
naie.! Des équivalences seront établies avec les
vendait pas, mais était substituée à une marchan-
monnaies européennes. Les Akan appelaient la
dise reçue.'
monnaie ,l'or fractionné Sikama et le prix Sika
yoboèl Sikaboè. Les figurines étaient donc des
L'unité de base dans l'usage de la poudre d'or chez
poids- monnaie et la vraie monnaie la poudre d'or.
les Akan de l'Est était le Taku et chez les Akan de
Les figurines jouaient le rôle de monnaie étalon et
l'Ouest était le Ba. L'unité la plus grande était le
la poudre d'or jouait le rôle de monnaie de substi-
Pereduan 1Pereguan. Un Bèna faisait 384 Ba soit
tution.
56 grammes 80 de poudre d'or. LeTaku faisait 0,
222 grammes de poudre d'or et le Ba 0, 148 gram-
Manipuler cette monnaie était donc une affaire de
mes de poudre d'or. Au regard de tout ceci, il faut
spécialistes, d'où les «gold takers » que les compa-
parler non du commerce de l'or, mais du commerce
gnies européennes employaient pour échanger avec
dont la poudre d'or était la monnaie. Les compa-
les Batafo, les marchands akan du commerce à lon-
gnies commerciales européennes employaient des
gues distances et grands spécialistes dans l'usage
Africains comme « gold takers» .c'est- à- dire des
de la monnaie poudre d'or. Il y avait une différence
utilisateurs des poids à peser l'or akan afin juste-
dans la nomenclature des valeurs monétaires de
ment, d'être au diapason de ce commerce qui était
base. Le Taku était l'unité de compte locale. L'once
effectivement un commerce monnétaire.
anglaise faisait 28,38 grammes de poudre d'or.
L'once française faisait 30,596 grammes de poudre
En 1683 un « gold taker » au service de la compa-
d'or. Le Bèna également unité locale faisait un peu
gnie britannique se nommait Amon et percevait un
plus de 54,06 grammes de poudre d'or, et un peu
salaire mensuel pour ce travail.'
moins de 56,72 grammes de poudre d'or.
Koffi et Brado étaient aussi des « gold takers » au
L'on pouvait multiplier Bèna à l'Infini? d'où son
service de la même compagnie.' Une information
usage dans les transactions importantes. Un Bèna
donnée au 17è siècle par Samuel Brun prouve que
plus 24 Taku faisait un Pereduanl Pereguan. Un
1
1
,
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
69

_ _ _ _ _ _ _ _ _----,
Sciences sociales et humaines
Pereduan faisait 71,74 grammes et 224 ackies de
nare,
poudre d'or. L'on avait des poids mâles et des poids
femelles. C'était un principe qui touchait les tran-
Donc là où les Européens voyaient un troc sur un
sactions commerciales. Les marchands akan utili-
produit qui' à leurs yeux a très grande valeur par
saient dans leurs échanges des poids mâles forts et
rapport à ce qu'ils offraient, pour les Akan, c'était
des poids femelles faibles. Les deux avaient le même
un commerce monétaire dans lequel ils ne se sen-
aspect dans la série des poids, mais l'un était le
taient nullement dupés. D'ailleurs de l'or, ils en
modèle réduit de l'autre. La différence entre le poids
avaient en grande quantité. C'est donc une idée
mâle pour acheter et le poids femelle pour vendre
fausse de penser que les Africains en l'occurrence
constituait le bénéfice du marchand. Le bénéfice
ici les Akan étaient dupés. Si les Européens avaient
est égal à la figurine mâle d'achat moins la figurine
soif d'or, les Akan eux en étaient rassasiés.
femelle de vente.
Les marchands avec qui les Européens faisaient de
Pieter De Marees qui a décrit le système des poids-
si bonnes affaires et obtenaient de la poudre d'or
monnaies akan, trouvait comme tous les Européens
seront appelés AcaneslAkanisten.' A côté de la pou-
ce système monétaire délicat et compliqué à mani-
dre d'or monnaie, les produits proposés par les
puler," Comme eux, il croyait avoir à faire à un
marchands akan dès le début du commerce avec les
système pondéral, d'où d'ailleurs l'emploi des
Européens étaient l'ivoire, le gingembre, des peaux
« gold takers » locaux par toutes les compagnies
de crocodile, de singe, de panthère, de serpent, du
commerciales comme nous l'avons indiqué, afin que
poivre de guinée, des dents d'hippopotame, du musc
chacun des partenaires trouve son compte dans les
d'excréments de civettes etc. Tels sont les produits
transactions.
du troc fait par les Akan.
II. UN COMMERCE FRUCTUEUX ET SATIS-
Les Akan avaient une nette conscience du profit
FAISANT POUR TOUS LES PARTENAIRES,
qu'ils tiraient du commerce avec les Européens.
AFRICAINS COMME EUROPEENS.
Dire qu'ils étaient dupés donnant de la poudre d'or
contre des marchandises de moindre valeur est un
Frédéric Mauro est de ceux qui affirment que l'or
avis tout à fait relatif. Le roi d'Asabu par exemple
d'El Mina fera la fortune de Lisbonne et indique
désireux d'accroître le volume des échanges de ses
que les natifs de la côte de l'or, étaient trompés sur
marchands avec la compagnie des indes occidenta-
la valeur des marchandises données en échange de
les, enverra en mission aux Provinces- Unies en
l'or.' Encore l'idée du pactole contre la pacotille,
1611 deux émissaires, Marinho et Carvalho.' Cha-
une marchandise de peu de valeur. Cette idée est
cune des parties était donc satisfaite. C'est l'impor-
critiquable simplement parce que la valeur d'une
tance de l'or dans l'imaginaire européen qui a fait
marchandise ne compte qu'aux yeux de celui qui
croire que les Européens faisaient de bien meilleurs
l'acquiert. C'est une affaire tout à fait relative. Les,
affaires que les Akan, alors qu'il n'en est rien.
Akan avaient de l'or en grande quantité et si pour
les Européens l'or était une marchandise, pour les
Les marchandises vendues par la compagnie de
Akan, la poudre d'or était une monnaie, leur mon-
Guinée aux Akan au 17 siècle étaient la poudre à
è
canon, des fusils, des mousquets, de l'eau de vie,
des perpétuanes, des toiles blanches, des toiles im-
1 G, NIANGORAN- BOUAH. L'univers akan des poids à peser .. op cit,
primées, des rascades de Rouen, des chapeaux, du
tome l , P 46,
corail, du fer en barres, des pierres à fusil, des
, Ibidem p 48.
] T 701 368 Cape Coast accounts book. June 23, 1683.
couvertures en laine, des crins de pêche, des mi-
'TI 70/1463/10, Cape Coast castle memo. Feb 14, 1703.
roirs, des pipes à tabac, du tabac, du vin, des cauries,
, Adam JONES. German sources for west African history 1599- 1669. Studies
zur kulturkunde 88, Franz Steiner verlag. G. M. Wiesbaden 1983. 418p.
des toiles peintes, des chicolis, des toiles à carreaux,
P83.
des toiles platilles, des toiles de Silesie, des bassins
6 W. BOSMAN. Op cit. P57.
7 G. NIANGoRAN- BOUAH. L'univers des poids akan à peser l'or. .. Op
en cuivre, des draps de lit, du plomb, des perles ,du
cit tome 3. P223.
corail bleu, et de' l' étain." Toutes ces marchandises
s Ibidem p223.
9 Ibidem tome3. P240 et suivantes.
seraient- elles sans valeur? Nous ne le pensons pas.
10 Pieter De MAREES. Beschwig vinghe ende historische verbael van net
Imagine- t ---<ln les heures de travail qu'il a fallu
gout koninckrijch van Guinea. Ed. sp. L'Honore Naber. The Hague 1972.
70
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

- - - - - - - - - - - ' - - - - - -
Sciences sociales et humaines
pour les fabriquées?
des royaumes puissants comme l' Asante, le Sanvi,
En juin 1692, le sieur Tibierge arrive à Assôkô (
l'Abron Gyaman etc. A propos du commerce entre
région d' Assinie ) et commerce avec les natifs. Les
Européens et Akan sur la Côte de l'Or l'on a parlé
1
prix qu'ilindique ne prouvent nullement que les
de pacotille? (entendre les produits de peu de va-
1-.
natifs étaient grugés. Il indique que le baril de pou-
leur proposées par les Européens) contre pactole (
dre à canon était vendu 2 onces et un gros d'or le
la poudre d'or proposée par les Akan). Cette façon
quintal. Les fusils étaient vendus 2 gros d'or pièce.
de voir les choses est subjective car la valeur d'une
Les draps de lit se vendaient au détail 2 ou 3 un
marchandise, n'a du prix que par rapport au besoin
ackie la pièce. L'on obtient 18 draps pour une once
de l'acquéreur. Les Akan avaient de l'or en grande
d'or. La soie était vendue une once d'or la pièce.
quantité, ce que n'avaient pas les Européens. Or les
Les grandes perpétuanes de couleur bleue, rouge,
produits proposées par les Européens accroissaient
verte, jaune étaient vendues 5 gros d'or la pièce.
la gamme des ustensiles, tissus et mobiliers des
Les petites perpétuanes étaient vendues 5 ou 6 ackies
Akan. La liste des produits et de leurs prix donné
d'or la pièce. La toile de Silésie se vendait 3 ackies
par le sieur Tibierge le prouve. Il ne s'agit donc pas
d'or la pièce. La grande toile de qualitéordinaire se
de pacotille, mais de produits très utiles.
vendait 4 gros d'or la pièce et la petite 5 ackies d'or
Si pour les Européens l'or était un pactole, pour les
la pièce. Les tapehatas se vendaient la brasse un
Akan, c'était le surplus du trop plein d'or dont ils
ackie d'or. Les micanées se vendaient 7 ackies la
disposaient, qu'ils donnaient en échange de produits
pièce. Les habits de bustam se vendaient la brasse
très utiles dans leur vie quotidienne. En effet les
un ackie. Les corails étaient très demandés et se
bassines et les ustensiles étaient utiles pour le mé-
vendaient Zonees d'or la livre. Les grains les plus
nage et la cuisine. Les vases servaient à conserver
longs et les plus gros étaient très recherchés. Les
les objets de parure, les produits cosmétiques
petites olivettes à fond blanc rayé de bleu appelées
comme 1'huile des amandes du palmier à huile. Les
nicassi s'achetaient à la nasse. Les barres de fer
bassines de barbier servaient de réceptacles d'ali-
s'achetaient un ackie et demi la pièce. L'eau de vie
ments et de couvercles à des récipients plus grands.
de France coûtait 4 ackies l'ancre.
Les chaudières et chaudrons servaient à puiser et à
Le rhum était vendu 3 à 4 ackies l'ancre par les
chauffer de l'eau et aussi servaient dans la fabrica-
Portugais. Les Français ont voulu en vendre aux
tion du sel par évaporation ou par ébullition.
gens d'Assôkô 4 gros l'ancre mais ils ont refusé, le
Les bracelets étaient portés aux poignets, au haut
trouvant trop cher à ce prix.' Cet exemple suffit à
du bras, aux chevilles et au cou. Les manilles por-
prouver que les Akan n'étaient pas dupes dans les
tées aux chevilles étaient munies de grelots pour
transactions qu'ils faisaient avec les Européens. Les
l'exécution des pas de danses. Les clochettes ser-
interlopes vendaient le parasol 2 onces d'or. Le che-
vaient d'ornements sonores. Voici autant d'usages
valier Damon estimait que les interlopes vendaient
que les Akan faisaient des articles qu'ils achetaient
leurs marchandises à trop bons comptes, et faisaient
auprès des Européens. Est-il besoin de parler de
ainsi subir un préjudice énorme aux compagnies qui,
l'utilité des couteaux, haches ,armes à feu, tissus
ont des forts et établissements à entretenir,"
etc. ? Qualifier tous ces produits de pacotille avec
Si comme l'affirme le chevalier Damon les Afri-
toute la charge péjorative de ce terme est histori-
cains obtenaient à trop bons prix les marchandises
quement inexact. D'ailleurs les Européens n'ont fait
auprès des interlopes, comment peut --<>n affirmer
que répondre à une demande locale.
que ceux-ci étaient lésés dans les transactions? Le
commerce des armes à feu fera prospérer les mar-
chands akan car posséder une arme à feu était un
signe de maturité. Des personnes même individuel-
lement allaient sur la côte s'acheter un fusil. D'où
1 Frédéric MAURO. Op cit, p402 .•
2 BALLONG. OP cit, tome 1 p87.
l'expression asante qui dit « En yè Praso na yè tô
J VALCKENBURG,s diary 14. geb 1659.
otuo » (ce n'est pas à Praso que l'on achète des fu-
4 Archives coloniales. Dépôt des fortifications des colonies, Sénégal nO4.
s Journal du sieur Tibierge. Principal commis de la compagnie de Guynée
sils) . Cela sous- entend que c'est sur la côte ,auprès
sur le ruisseau le « pont d'or» au voyage de l'année 1692 in Paul ROUSSIER.
des marchands Européens que l'on acquiert des fu-
L'etablissement d'lssigny. Larose, Paris 1935. P60, 61, 62.
6 Chevalier Damon. Relation du voyage de Guynée, in Paul ROUSSIER.
sils.
Op cil. P104.
Les Akan se serviront des armes à feu pour bâtir
7 Le Petit Robert indique que la pacotille est une marchandise de mauvaise
qualité et de peu de valeur.
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
71

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
Les Akan naguère utilisaient le cuivre et le laiton
importés de l'Afrique du Nord, transitaient par
surtout dans la confection des figurines des poids à
l'Afrique sahélienne puis étaient acquis par les Akan
peser l'or et très peu pour d'autres usages. Pour les
sur les marchés de Begho et Bondoukou. De sorte
parures, les Akan utilisaient des pierres précieuses,
que les vêtements en.coton, laine et soie coûtaient
l'ivoire, l'or les ossements d'animaux, le métal ar-
chers. Il y a un texte tambouriné consacré au roi du
gent et des coquillages. Les Européens proposaient
Denkyira Ntim Gyakari qui dit. «Je me couche sur
surtout des perles en pâte de verre appelée
des tissus en soie,je porte des caches- sexes en soie,
Bodoman par les Akan et qui, imitaient les perles
je porte des pagnes en soie ». C'est dire que la soie
naturelles qui elles coûtaient chères. Les perles
était un produit de luxe dans le monde akan. Or les
d'imitations ont en quelque sorte démocratisé
Européens en vendant des tissus et des étoffes en
l'usage des perles dans la société akan. En effet
grande quantité comme le sieur Tibierge nous en
même le pauvre pouvait en acquérir et cela fut utile
donne une idée, vont permettre aux pauvres dans la
sur le plan social.
société akan d'avoir aisément accès à ces produits.
Evidemment les Akan n'étaient pas dupes quant à
ces perles en verre des Européens. Ils distinguaient
Ici aussi, l'on peut parler de démocratisation dans
les perles naturelles, précieuses (Afile kpa, bonnes
l'accès aux tissus qui auparavant étaient rares et
perles) et les perles de peu de valeur
coûteux. C'est donc avec joie que les Akan ont vu
(Afile tè, mauvaises perles) vendues par les blancs.
l'arrivée massive des produits que proposaient les
Les perles étaient enfilées, portées comme collier,
marchands européens. La dure concurrence entre
pendentifs et servaient à omer les cheveux. Les
les
compagnies
commerciales
et
les
Akan portaient surtout des vêtements en écorces
interlopes' permettaient aux Akan d'avoir l'embar-
d'arbre (Bofuan), des vêtements faits avec des ner-
ras du choix quant à la qualité et quant aux prix des
vures de feuilles de palmier, des vêtements en peaux
produits. Ballong donne les prix unitaires des dif-
d'animaux et enfin quelques vêtements en coton (les
férents articles vendus contre la poudre d'or mon-
pagnes Kente).
naie locale au fort San Jorge Da Mina de 1529 à
D'autres vêtements en coton, laine et soie qui étaient
1531.2 Voici ci- dessous les prix des produits les
plus courants.
Articles
Prix unitaires en poids d'or
Eq u iva lence
du
prix
unitaire en 2rammes d'or
Hambel décoré
18
112,14
Capuche rouge
9,71
60;49
Diellaba
3
18,69
,
Tissu de toile
6,23
Drap de coudé
1
6,23 (la coudée)
Cuvette
10,80
67,28
Pot de cham br e
2,93
18,25
Bassine de barbier
2
12,46
Bassine à urine
1
6,23
Chaudière à anse
3
12,46
Chaudron à couvercle
3
18,69
Manille
1 ( le s 5 manilles)
6,23 (les 5 manilles)
Coffre
3
18,69
Coffret en bois
1
6,23
Petite boîte
1
6,23
Fourneaux à couteaux
1(les 4 fourneaux)
6,23
Esclaves
19,35
120,55
Coquillages
1,48
9,22
Perles grises
0,46
2,86
! Vin
1,5 (le pot)
0,34
1 Albert VAN DANTZIG« «juridiction» du fort saint Antoine d'Axirn »
Revue Française d'histoire d'Outre mer. Tome LXVI nO 242- 3. 1979. Pp
223-235. P230.
1 BALLONG. Op cit tome 2. P427.
72
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Comme on le constate à travers ce tableau, les prix
étaient tout à fait raisonnables. Le tissu de toile coû-
tait 6,23 grammes d'or. Le pot de vin revenait à
'"
9,34 grammes d'or. Sans oublier que conformément
aux usages chez les Africains, les prix faisaient l' ob-
jet de marchandages et qu'en outre les Akan en ache-
tant, réclamaient une petite offre appelée Guasu qui
a beaucoup dérouté les Européens. 1 Les Européens
devaient aussi se protéger de certains marchands
locaux experts dans la falsification de l'or et qui
trompaient les marchands européens inexpérimen-
tés.'
L'on pouvait se servir d'un couteau pour essayer de
couper l'or afin de s'assurer qu'il était bon, ou bien
le frotter sur une pierre spéciale l' « Engua fortis »
qui permettaient de reconnaître le vrai or. Lorsqu'on
mettait l' « Engua fortis » sur le faux or, ce dernier
entrait en ébullition et le métal prenait une teinte
verte. Ce sont là les méthodes préconisées par W.
Bosman pour se préserver des marchands locaux
falsificateurs d'or,'
Deux précautions valant mieux qu'une, les compa-
gnies européennes avaient recours aux services
d'experts locaux akan, pour reconnaître le vrai or.
Il s'agissait souvent de courtiers dont les compa-
gnies s'attachaient les services. Les Hollandais les
appelaient
« Makelaers »4,
les
Danois
« Klaploppers »5 et les Anglais « Brokers ».
CONCLUSION
Le commerce entre Akan et Européens du XVè siè-
cle au XVIIè siècle, ne doit pas être seulement qua-
lifié de commerce de l'or comme 1'historiographie
l'a retenu conformément au point de vue des mar-
chands européens qui, voyaient la poudre d'or
comme un simple produit de ces échanges. Il faut
aussi qualifier ce commerce de commerce moné-
taire, de commerce dont la poudre d'or était la mon-
naie conformément aupoint de vue des marchands
akan.
En outre, concernant ce commerce, il ne s'est pas
agit de pactole contre pacotille, mais de transac-
tions tout à fait profitables aussi bien pour les Euro-
péens comme pour les Akan.
1 G. NIANGORAN- BOUAH. L'univers akan des poids à peser l'or .. Op
cit tome 3. P258.
2 W. BOSMAN. Op cil. P 82 .
.' Ibidem. P 83, 84.
, Albert VAN DANTZIG. Les Hollandais sur la Côte de Guinée à l'époque
de l'essor de l'Ashanti et du Dahomey 1680- 1740. Société française d'his-
toire d'Outre- mer. 1980. 32Op. P35.
S Georg NORREGARD. Danish settlement in west Africa 1658- 1850. Bos-
ton university press. 1966 Boston, Massachusetts. 287p. P162.
Revue du CAMES - Série B, vol. OQti N° 1-2,2004
73