_---:
Sciences sociales et humaines
.,'
La femme et le pouvoir dans la société
~golaise traditionelle.
"
,
Mme Pépévi Afiwa KPAKPO
Université de Lomé
Lomé - Togo
Résumé:
Abstract:
Contrairement aux idées reçues selon lesquelles les femmes
Contrary to the allegations that African women are
africaines seraient détentrices de pouvoir dans la société
empowered in the traditional society, this study in Togolese
traditionelle, l'analyse des faits pris dans la société togo-
traditional.society stands as an antithesis of the allegations.
laise démontre l'inverse.
As a matter offact, true power is withheld by the man; the
En réalité, le vrai pouvoir est détenu pazr l'homme; la femme
woman's «power» is a mere influence that sometimes mo-
n'exerce que de l'influence abusivement perçue comme pou-
difies the man's actions..
voir parcequ'elle modifie parfois l'action de l'homme.
Key words: power, woman, traditional society, status, in-
Mots-clés: pouvoir, femme, société traditionelle, statut, in-
fluence.
fluence.
INTRODUCTION
tangible, la tradition donne lieu à toute une série de ré
interprétations possibles qui, en retour, la maintien-
Ce titre «La femme et le pouvoir dans la société togo- '
nent, la
consolident, l'actualise ou la renouvellent ».
laise traditionnelle» est à première vue un sujet banal
Sinon où se situe la société traditionnelle togolaise par
sinon anodin qui laisserait tout observateur profane in-
rapport à la société togolaise moderne? En nous réfé-
différent. Ce qui ne serait probablement pas le cas d'un
rant rien qu'à la place accordée à la femme dans la
observateur averti qui, s'arrêterait lui au moins quatre
société-pré coloniale comme l'ont démontré plusieurs
fois sinon plus sur les termes. En effet, il s'agit d'un
enquêtes empiriques' , nous pouvons dire que la fron-
vaste sujet, car aucun des signifiants qui le constituent
tière entre les deux sociétés est perméable pour ne pas
n'est univoque. Le concept de société traditionnelle
dire inexistante. Elle n'apas évolué dutout. C'est dans
comme celui de pouvoir est plein d'équivoques sans
ce sens qu'on peut dire avec M. Blondel" que « la tradi-
parler de celui de femme, terme qui enivre rien qu'à
tion livre par une sorte de contact fécondant ce dont les
l'entendre. Tous ces mots sont polysémiques et plein
générations suivantes ont également à se pénétrer et ce
de sens.
.
qu'elles ont à léguer comme une condition permanente
L'exemple du concept de «tradition» en dit long. Si
de vivification, de participation à une réalité où l'effort
selon son étymologie latine, « traditio »veut dire action
individuel et successif peut indéfiniment puiser sans
de remettre, elle évoque également ce qui au sein d'une
l'épuiser », C'est ce qui justifie la difficulté manifeste
société, se transmet de manière vivante par la parole,
qu'éprouve toute personne voulant parler de la société
l'écriture ou les manières d'agir. C'est dans ce sens qu'on
traditionnelle;
comme ce fut le cas des personnes
affirme à son propos ce qui suit: « la tradition - selon
considérées comme les «garants» de la tradition (les
l'image qu'évoque le sens actif de l'étymologie - véhi-
chefs traditionnels du Togo) qui au cours d'une enquête
cule plus que
des idées susceptibles de
forme
de terrain à propos de la femme, s'étonnèrent qu'on
logique: el1e incarne vie qui comprend à la fois senti-
parlât d'une différence de comportement entre les mè-
ments, pensées, croyances, aspirations et comporte-
res et les filles. Pour ces derniers la femme c'est la
ments ». Dans cette perspective, que serait la société
femme! Aujourd'hui comme hier, ou demain pourquoi
traditionnelle au Togo d'aujourd'hui? S'agirait-il de la
pas?
.
société pré coloniale? C'est fort probable! C'est ce
Eu égard à toutes ces considérations, nous entendrons
qui serait d'ailleurs logique si cette notion se limitait
par tradition, tout ce qui reste comme invariants à tra-
au niveau de la raison (pensée) sans référence aux prati-
vers l'histoire, du moins dans le domaine qui nous con-
ques sociales de ceux qui occupent l'espace ainsi déli-
cerne: le statut et le rôle de la femme dans la société à
mité. Pourtant.tout change lorsqu'il' s'agit d'employer
travers l'histoire. Cette conception de la tradition nous
ce terme pour caractériser un certain nombre de prati-
est dictée par cette nouvelle manière d'aborder les
, ques. La société traditionnelle est au cœur de la société
problèmes de' recherche que nous recommande
moderne, elle est à cheval entre les deux types de
1 Achola. 0 .(Pala) & Madina Ly La femme africaine dans la société pré
sociétés à savoir la société pré coloniale comme la so-
coloniale, Unesco, 1979, P.U.F.
ciété post coloniale: car « loin de considérer avec suf-
Coquery-Vidrovitch (sous la direction de) L'histoire des femmes en Afri-
que, L 'Harmattan, Paris, 19987, P.7.
fisance l'acquis des siècles passés comme un dépôt in-
, Blondel (M .) « Communication à la société française de philosophie »
séance du 3 avril 1919
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
43

- - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
P.Bourdieu. ' Pour certains, il y aurait une différence
K- CADRE SOCIAL DEDETElRMKNAl'iON
nette entre la femme d'hier et celle d'aujourd'hui.
DU ROLE El' DE LA PLACE
Les premières, de par leur tempérament auraient
DE LA FEMME DANS LA SOCIETE
de l'influence sur l'homme. La femme arrive à faire
faire à l'homme tout ce qu'elle veut en usant de
L'existence de toute société, qu'elle soit archaï-
maintes subterfuges. C'est ainsi qu'elle peut obte-
que ou moderne implique la distribution de rôles et
nir de lui absolument tout. Et pour eux c'est du
de statuts aux différents membres qui la compo-
pouvoir. Ce tempérament est typique chez la femme
sent.
d'hier- qui présente ses doléances à l'homme et
quel que soit l'accueil que ce dernier lui réserve,
Ces rôles sont déterminés par différents facteurs
elle ne cherche pas systématiquement à s'opposer'
(socio-économiques et culturels) variables dans le
à lui. Ce que la femme moderne entendue (l'intel-
temps. En d'autres termes, la place qu'occupent les
lectuelle citadine) n'arrive pas à faire contraire-
uns par rapport aux autres n'est pas absolue mais
ment à son homologue rurale qui se situe dans la
relative. C'est eu égard à cette relativité d'ailleurs
ligne droite de ses prédécesseurs, C'est dans cette
que toutes les attentions se focalisent sur la posi-
perspective que d'autres affirment aussi que la
tion de subordination accordée au genre féminin
femme dans la société pré-coloniale jouissait de
dans presque toutes les sociétés.
pouvoirs". Obtenir de l'homme qu'il fasse quel-
En effet, il n'y a rien de plus universel, de plus com-
que chose ou qu'il règle un problème en le sup-
mun aux hommes, à toutes les communautés, que
pliant traduirait-il la détention de pouvoirs par le
l'inégalité des sexes se traduisant par la distribu-
demandeur? Qu'entend-on alors par le terme «pou-
tion au sein de la communauté des rôles aux indivi-
voir» ?
dus suivant leur sexe. Il existe une conception se-
lon laquelle la femme est de sexe faible; par con-
Le pouvoir sans revenir sur son aspect polysémi-
séquent, elle doit s'occuper des tâches qui deman-
que constitue une relation d'homme à homme. C'est
dent de la patience, contrairement à l'homme à qui
pourquoi malgré les multiples connotations qui le
les travaux exigeant de l'endurance reviennent de
déterminent, le sens qu'on peut lui donner se con-
droit. Ainsi, dans l'apport fonctionnel à l'équilibre
centre dans la définition que nous a livrée
social interne, non seulement le rôle de la femme
M.Weber' : «Chance d'un homme ou d'un nom-
est mal perçu, mais la femme elle-même est vic-
bre d'homme de réaliser leur propre volonté dans
time.de certains comportements qui empêchent son
une action commune, même contre la résistance
épanouissement. C'est à croire que le sexisme est
des autres hommes qui participent à cette action ».
la chose la mieux partagée au monde, et c'est là
S'il s'agit de réaliser sa propre volonté, ne pour-
une question de bon sens du reste, d'autant
rait-on pas voir dans ce que d'aucuns qualifient de
qu'aucune race, aucune religion, mieux aucune or-
pouvoirs chez la femme traditionnelle, la docilité
ganisation sociale n'est à l'abri de cette manière de
c'est-à-dire être dans l'ordre, rester à sa place, en
structurer la vie des hommes.
définitive un pouvoir de l'homme? 2 Nous pensons
quant à nous, que la femme africaine en général et
Dans une étude de type comparatif E. Boserup'
la femme togolaise en particulier n'a pas plus de
montre que la détermination du statut de la femme
pouvoirs hier qu'aujourd'hui comme son statut et
et la diminution de son autonomie ne sont pas un
son rôle vont nous le prouver.
« état de fait» mais le produit de certains événe-
ments, comme la colonisation par exemple qui a
fait des sociétés africaines, des sociétés dans les-
quelles les hommes sont du côté du progrès, les fem-
mes du côté de la tradition. Dans le même ordre
1 Bourdieu (P.) La domination masculine, Seuil, Paris, 1998, préambule.
d'idées, deux auteurs dans deux ouvrages ont ex-
l Houeto (C.) « Femme, source de vie dans l'Afrique traditionnelle, in la
primé des points de vue. similaires.
civilisation de la femme dans la tradition africaine, colloqued'Abidjan, du
(J3·0S juillet 1972, Présence 1\\ 1·I,...rine, Paris, 1975
J Dans un article intitulé «FCllll11CS ct pouvoirs dans l'Afrique tradition-
. 1 Weber (M .) Le savant et le politique, Plon, Paris, 1982
nelle», l'auteur KUAKUVI (K. M.) U.B,Lomé, Togo, affirmaitque « Dans
z Bourdieu (P.) Le sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980, P. 246-
l'Afrique traditionnelle (l'Afrique noire au sud du Sahara à l'époque pré
247
coloniale) les femmes avaient des pouvoirs politiques, religieuses, écono-
J. Boserup (E.) La femme faceau développement économique Paris, PUF
miques et culturelles.
315 p, 1983, page 9.
44
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Ainsi, K. YOUNG et B.ROGER' estiment que le
perçu comme une trahison de son clan, estimera-t-
« sexe est une donnée biologique, le genre consti-
on à Nano (Tandjouaré).
tue le résultat d'une socialisation qui commence dès
« La femme est foncièrement mauvaise; la preuve:
. la naissance et peut varier considérablement d'une
quand on l'épouse, elle veut être seule mais lors-
culture à l'autre. A partir de là, on peut explorer les
qu'elle a un fils, elle veut qu'il soit polygame» s'ex-
mécanismes de la reproduction idéologique des rap- .
clamera-t-on à Bassar. Dans la langue Bassar,
ports entre les sexes ainsi que l'interprétation so-
ommpo = femme, a pour signification malgré, c'est
ciale de la masculinité et de la féminité ». Par ailleurs
- à - dire mal nécessaire. Chez leurs voisins immé-
A. Dégbelo? a essayé de montrer que la colonisa-
diats les Konkomba « la femme n'a droit à rien,
tion française a freiné l'évolution positive des fem-
elle est esclave », devait-on ajouter.
mes au Dahomey (actuelle République du Bénin) ;
« La femme peut être conseillère des femmes de
tout ceci pour renforcer cette idée de pionnier
son fils mais elle ne peut pas être chef» chez les
qu'avait lancé depuis les premières heures, S. de
Tem à Sokodé
BEAUVOIR dans le deuxième sexe", «on ne naît
« La femme est un être faible, c'est l'homme qui
pas femme, on le devient».
lui crée des problèmes; la preuve: c'est l'homme
qui fait la cour à la femme, en cas d'adultère ».
Ce sont des sociétés qui produisent et transmettent
Toutes ces conceptions révèlent les principes à par-
des états qui déterminent le vécu de ses membres et
tir desquels se sont constitués les rapports sociaux.
qui prennent parfois l'allure du naturel et du nor-
mal, qui occultent des situations réelles des acteurs

Lafemme vue par l'homme.
sociaux. Ainsi certaines positions apparemment
privilégiées accordées à certains acteurs sociaux
. Pour les hommes, les femmes sont des êtres fragi-
pourraient n'être qu'un mythe.
les qu'il faut à tout prix protéger contre tout danger
venant surtout de l'intérieur. Ces représentations qui
Eu égard à ce qui précède, il serait intéressant d' exa-
opposent l'homme à la femme sont des différences
miner la place qu'occupe la femme et surtout son
non complémentaires mais hiérarchiques. On as-
rôle dans la société traditionnelle au Togo.
siste à une sorte de logique de dévalorisation des
tâches féminines et de surévaluation des activités
masculines. Plusieurs auteurs ont mis en évidence
1.1 Image de la femme et sa perception par les
la gène qu'éprouvent certaines femmes à révéler
membres de la société
en public qu'elles se font aider dans les tâches mé-
nagères par leur mari. Pour Myra Marx Ferree",
Pour déterminer la perception que l'on a de la
[... le principal obstacle à la transformation de la
femme dans notre société, nous avons recueilli cer-
division du travail domestique réside dans le fait
taines expressions, proverbes ou langage dans plu-
que les tâches domestiques sont perçues comme « ne
sieurs milieux sociaux visités et qui résument as-
convenant pas à de "vrais hommes" »... ].
sez bien ce qu'est la femme.
« Dans la coutume, la femme est un instrument »,
Même si des études anthropologiques ont démon-
devra-t-on nous dire à Timbo chez les Yanga au nord
tré le caractère en apparence arbitraire des légiti-
de Dapaong.
mations de la domination masculine (certaines ac-
« Chaque personne a son domaine, la femme n'a
tivités considérées ici comme féminines deviennent
rien à faire dans le jugement », renchérit le chef
masculines ailleurs: roi-reine; cheftaine ... ) ; une
canton de Niproma (Moba).
logique identique sous-tend toutes ces représenta-
« La sagesse recommande qu'on ne dise pas tout
tions, la surévaluation de ce que fait l'homme par
aux femmes» ou encore « une femme ne peut ja-
rapport à ce que fait la femme.
mais être chef même si elle est princesse », ajou-
tera-t-on à Mango chez les Tchokossi
Cette "idéologie" légitimante est tellement forte
« Celles qui nous ont mis au monde et qui nous
qu'elle est assimilée par toutes les composantes de
tuent, diront les Gangan à Gando.
la société (homme et femme). C'est ainsi qu'il n'est
« La femme est considérée comme impure parce
pas rare d'entendre des femmes se déclarer «infé-
qu'elle peut aller épouser un autre clan », ce qui et
rieures» aux hommes.
1
Revue du CAMES - Série B, vol. O~.BiQ 1-2,2004
45

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
d'être femme! Et pourtant le pire malheur quand

Lafemme vue par elle-même.
on est femme est au fond de ne pas comprendre que
c'en est un ». La femme accepte ainsi dans la rési-
Pour avoir été socialisée dans lin contexte de divi-
gnation sa situation et ce n'est pas nous qui contre-
sion discriminatoire du travail, la femme a fini par
dirons J-P. Sartre qui dit si bien « à moitié victime,
intérioriser toutes les valeurs négatives que la so-
à moitié complice comme tout le monde ».
ciété a produites sur elle. c'est entendu qu'elle est
inférieure, elle se considère ainsi. Ce qui est tout à
1.2 Le statut social de la femme et son rôle dans
fait normal. Elle n'a pas appris d'autres leçons et
la société
elle ne vit pas une situation la mettant en position
de pouvoir se prouver à elle-même pour en démon-
L'une des conceptions de base de la sociologie sou-
trer le contraire. Comme le dirait l'autre « Les do-
tient que les individus ont des rôles sociaux multi-
minés appliquent les catégories construites du point
ples et tendent à organiser leur comportement dans
de vue des dominants aux relations de domination,
ce que, dans une structure donnée, on attend de cha-
les faisant ainsi apparaître comme naturelles. Ce
que rôle.
qui peut conduire à une sorte d'auto-dépréciation,
voire d'auto-dénigrement systématiques, visibles

La femme dans son espace réservé.
notamment (... ] dans la représentation qu'elles se
font de leur sexe comme une chose déficiente (ou
L'apport de l'homme ou de la femme dans la réali-
dans la vision que bon nombre de femmes ont de
sation de l'équilibre social est déterminé par sa po-
leur corps comme non conforme aux canons esthé-
sition dans le groupe. Et ceci se manifeste dès les
tiques imposés par la mode), et, plus généralement,
premiers âges. La pratique du massage dans certai-
dans leur adhésion à une image dévalorisante de la
nes sociétés constituera pour l'homme à former un
femme »1. Au cours d'une de nos enquêtes sur le
corps robuste, musclé, apte à la guerre, à la défense,
terrain, une femme d'un groupement féminin dé-
à la force de décision à apporter de l'extérieur à
clarait à notre endroit que « les hommes sont nos
l'intérieur. L'homme crée alors une surface extra-
dieux» et à une autre de dire « quoi qu'on fasse, ils
milieu social d'appartenance très élargie, donc un
sont et demeurent les plus forts, il ne nous reste
pouvoir de décision beaucoup plus agrandi, aguerri
qu'à l'accepter ». Ces faits démontrent le poids de
par l'expérience de l'extérieur. La cérémonie de
la culture dans la formation de la personnalité de
massage pour la femme dès le huitième jour de nais-
l'individu. Même si on peut discuter les propos de
sance biologique consistera à former un corps de
certains penseurs concernant la nature de l' Homme
douceur, lisse, attrayant, beau, flexible. L'éducation
qui ont déclaré que « l'Homme n'a point de nature,
de la femme est tournée vers la satisfaction des be-
mais il a, ou il est une histoire» une chose est cer-
soins intérieurs. Elle accompagnera sa mère au
taine, nous femmes, sommes le produit de notre
marigot ou à la borne-fontaine, au marché, aidera
socialisation. Nous avons si bien intériorisé les va-
sa mère à laver les assiettes, à piler le mil, le ma-
leurs et les normes de. notre société que nous en
nioc ou du foufou. La femme développe alors un
.sommes la copie. Et ce n'est pas sans raison que
espace amoindri tourné vers la résolution des pro-
M; Kierkegaard avait déclaré: « quel malheur que
blèmes du foyer.
Le statut de la femme est déterminé par sa fonction
1 « Specialon the continuingsubordinationof the woman in the development
de reproduction et de conservation de l'espèce hu-
process, IDS bulletin, vol 10 cité par
ATITSO Akosua "Evaluation de l'importance socio-économique des acti-
maine.
vités de formation du mouvement des
éclaireuses unionetes du Togo". Mémoirede maîtrise, FLESH. UB. Oc-
tobre 1998.
l
DEGBELO (A.) « L'image de la femme sous l'administration coloniale
française et le renforcement des
inégalités », Centre Béninois de la RechercheScientifique et Technique.
Cotonou.
) de Beauvoir(S.) Le deuxième sexe, Paris Gallimard, 1977.
4 Marx Ferree (M.)
«Sacrifice, Satisfaction 'and ·Social Change:
Employement and the Farnily «in,
.
.
'
Brooklin Sachs (K.) et Remy (D.) [eds] My troubles are Going to Have
Trouble with Me,
- -
New Brunswick [NJ.] , Rutgers University Press, 1984, P.73
1 Bourdieu (P.) op . cil. PAl
46
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

- - - - - - - : - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
rents de la jeune fille pour leur signifier qu'il sou-
Lafemme et son statut de
haiterait devenir le mari de la petite fille. A partir
reproductrice
de cet instant, en cas d'approbation de la future
belle-famille, ce dernier doit entretenir cette famille
par divers services: labour des champs, réfection
La femme est la génitrice de l 'humanité et de ce
de la toiture de maison, cadeaux divers, défrichage
fait, elle se voit "protégée" car elle est 1'enjeu de
etc. Très souvent, la mère est au centre de toutes
convoitise, parce qu'instrument de renouvellement
ces transactions comme l'illustre ce fait rapporté
du groupe social selon l'expression de C.
par les konkomba : " dès qu'unefemme est enceinte,
Meillassoux 1. A l'origine des rapports entre les
un homme commence par l'aborder et à se lier
sexes se trouve en effet cette donnée universelle:
d'amitié avec elle. Dès qu'elle accouche et que le
la femme assure la reproduction non seulement de
nourrisson est de sexe féminin, elle l'invite et le lui
la force de travail dans une société où la maîtrise
propose en mariage. A partir de cet instant, elle
de la nature est peu développée mais également la
attend de lui qu'il accomplisse ses devoirs defutur
pérennité du clan ou de la tribu. Le contrôle des
gendre. Mais si elle n'est pas satisfaite de ses ser-
capacités" femmes de reproduction " devient l 'en-
vices, elle le propose de nouveau à un autre homme
jeu principal au cœur des stratégies sociales. L'im-
sans que le premier ne sache et ainsi de suite ".
portance que revêt la notion de postérité est mani-
feste dans toutes les communautés comme nous le
Pour ces raisons, il est difficile à la fille de refuser
révèle une enquête de terrain. Il existe des expres-
ce mariage, d'ailleurs elle n'avait pas droit de don-
sions pour désigner le propriétaire de la femme et
ner son avis. Les sanctions qu'elle court au non
de son enfant (on ne tue pas le gibier d'un autre) en
consentement de cette union vont des sévices cor-
cas d'adultère. Lafemme et l'enfant constituentune
porels à son internement dans un couvent comme
propriété du mari. Ainsi chez les Konkomba on dit
chez les Moba. Ce couvent est comparable à un asile
que "le voleur n'a pas d'enfant" pour signifier
psychiatrique, car il s JI passe des choses bizarres;
que l'amant n 'a aucun droit. C'est ainsi qu'on de-
lafille est souvent droguée 'et n'importe qui peut la
mande à un homme qui renie une grossesse par
passer. Comme nous disait un des «sages», "si on
exemple de faire le tri de ses spermatozoides .Ceci
te choisit un mari et que tu refuses, on te fout au
pour montrer qu'il est inutile de vouloir fouiner avec
couvent. Vous savez, dans la société traditionnelle,
l'intention de connaître le vrai géniteur. "Le vo-
c'est la dictature. La femme n'a droit à rien ".
leur n'a pas de gre-der " (chez les Kabyè).
" Elle a un rôle dans lafamille ", a-t-il ajouté. Dans
ce genre de système, ce sont les parents qui déci-
Les Akposso (Amou) vont encore loin. Si une femme
dent pour lafille dont l'avis est exceptionnellement
est enceinte de l'adultère, l'enfant appartient à l'an-
pris en considération. Dans ce cas, le nouveau pré-
cien mari. De même si une veuve tombe enceinte
tendant rembourse les dépenses effectuées par le
pendant ou après le veuvage tant qu'elle vit dans
.. premier prétendant à ce dernier. Mais comme il est
la maison du mari défunt, 1'enfant appartient à ce
très difficile d'évaluer ces dépenses puisqu'il s'agit
dernier. Par ailleurs l'enfant d'une fille mère ap-
pour la plupart, de services en nature les parents
partient au grand père maternel. Même façon de
sévissent la jeune fille récalcitrante pour l'amener
voir chez les "éwé" du Kloto. "C'est le proprié-
à la raison. La dot finalement - n'en déplaise à
taire du cabri qui l'identifie en lui mettant des col-
ceux qui lui confèrent une valeur culturelle - n'est
liers au cou ". Lajeunefille a donc le devoir de se
qu'un moyen utilisé pour faire de la femme une
marier pour acquérir le respect et la dignité que
marchandise au centre des transactions masculi-
confère le mariage à lafamille de la mariée sur-
nes.
tout si cette dernière est vierge. Les intérêts du
mariage ne se limitent pas uniquement à son as-

La femme dans la ges-
pect culturel. Il y a aussi des raisons économiques
tion de son espace
qui sont pour la plupart des cas prépondérantes.
Le problème de la dot en est l'illustration. Dans la

« La femme a son rôle dans la famille », « la place
plupart de nos coutumes, lafemme est dotée depuis
de la femme c'est au foyer », « la femme doit s'oc-
le berceau, sinon dans le sein de sa maman. Il y a
cuper de sa progéniture» etc. nous a-t-on lancépar
toujours un prétendant qui se présente chez les pa-
Revue du CAMES
SérieB, vol. 006 N° 1-2,2004
~7

~
Sciences sociales et humaines
endroit. Comme ces quelques propos le démontrent,
risée et non celle de l'épouse. Chez les Konkomba
le domaine d'intervention de la femme est consti-
par exemple, il faut une fille vierge non pubère pour
tué. par l'environnement domestique et la famille
.apporter à manger aux guerriers consignés.
auxquels elle doit apporter régulièrement et sans
faille des soins. C'est à la femme qu'il est donné de
On concède parfois à la femme un rôle mystique.
transformer en aliments certains produits champê-
Ainsi dans plusieurs milieux, on peut trouver des
tres fournis soit par son mari, soit par elle-même
femmes qui en fonction de leur pouvoir (économi-
dans la plupart des cas (condiments des parcelles
que, du verbe, mystique), peuvent être convoquées
de terrains maraîchers). C'est à elle également qu'in-
au conseil de guerre. A Tchamba par exemple, c'est
combent les travaux de salubrité de la maison, les
la princesse qui sonne l'alarme de guerre. En plus
corvées d'eau et de bois de chauffe, la lessive....bref
de cela, elle tient une queue de vache et suivant le
tous les travaux domestiques sans oublier la trans-
sens dans lequel elle tournait la queue, on savait
formation et la commercialisation des produits vi-
déjà l'issue de la guerre. Parfois on lui prépare une
vners.
potion dans une grosse marmite qu'elle porte sur la
tête et toutes les flèches (ou balles) ennemies tom-
C'est à elle encore que revient l'éducation de l'en-
bent dans cette marmite.
fant, à quelques égards près, qu'elle assure dans les
strictes limites de la tradition. Ainsi, si le père se
De même, chez les Adélé, c'est la femme qui prend
décharge sur elle des soins à donner aux enfants en
le devant de la guerre. Les fétiches sont tenus par
bas âge, de l'éducation des filles jusqu'à leur ma-
les femmes et ce sont elles qui font les cérémonies
riage, c'est lui qui prend toutes les décisions con-
rituelles. Une jeune femme qui est désignée par le
cernant l' avenir des enfants (professionnel ou con-
fétiche cesse d'une façon mystique d'être réglée.
jugal). Elle doit initier sa fille à la vie de ménage et
Chez les éwé du Kloto, il existe une institution de
d'épouse. En résumé tous les travaux sont exclusi-
chefs de femmes dont les cérémonies d'intronisa-
vement réservé aux femmes et un homme perdrait
tion diffèrent de celles des hommes. Par exemple,
toute dignité « en mettant la main à la pâte ». C'est
on asperge de sang de bélier égorgé les pieds du
ce domaine réservé de la femme que nous appelons
chef homme (le vrai), ce qu'on ne fait pas à la
«espace féminin», Celui-ci est perçu par bon nom-
femme. Le chef des femmes ne gère que des affai-
bre de personnes comme étant une source de pou-
res de femmes. Les femmes jouent le rôle de con-
voir pour la femme; car selon ces dernières
seillères parce que les hommes écoutent plus leur
l'homme n'y a aucun droit.
mère que leur père, dit-on à Notsè

La femme dans la société
Comme on peut le remarquer, le petit espace public
réservé à la femme n'est fonctionnel que lorsqu'elle
En dehors des activités domestiques, les femmes
n'est plus femme au sens biologique du terme,
togolaises exercent d'autres fonctions. Elles font des
quand elle n'est pas encore ou plus réglée. Ce cons-
travaux champêtres, du commerce qui leur sont
tat a fait que certains ont pu penser que la place de
exclusivement réservés dans certaines régions du
subordination qu'occupe la femme lui vient de sa
sud Togo. Elles s'occupent également de l'artisa-
nature biologique". Ce "sang spécifique" comme
nat (tissage, porterie ... ). Le plus important à souli-
se plaisait à le dire S. de Beauvoir.
gner ici est leur rôle public. Certes, au niveau des
assises publiques, il est difficilement permis qu'une
1 Meillassoux (Ci) Femme, grenier et capitaux, Maspéro, Paris, 1977.
femme soit visible, surtout si elle est d'un certain
'Degbelo (A) La peur du mâle à l'égard de la femme transparaît à travers la
âge (de la puberté à la ménopause). Néanmoins, il
désignation de la femme
y a des fonctions rituelles qui lui sont réservées.
(gnonnou = sache en jouir, méfie toi d'elle !) dont la cause fondamentale
réside au niveau de la spécificité de
C'est ainsi qu'on peut admettre dans certains con-
la configuration du corps féminin et de l'étrange tlux menstruel coulant
sei ls de «sages» des femmes âgées de 60 - 70 ans .
sans effraction du corps féminin et ce,
de façon périodique. Un tel être complexe, difficile à cerner, est jugé po-
(Bombouaka). Elle peut être entendue s'il s'agit
tentiellement déstabilisateur pour les
d'une affaire qui la concerne ou comme témoin. La
hommes à cause du caractère énigmatique de son corps, devait ètre sur-
veillée constamment, afin de limiter ses
femme âgée porte la boisson au prêtre. Dans un
dégâts. Toutes les sociétés humaines ont éprouvé cette peur à un moment
conseil de clan, la participation de la sœur est auto-
de leur histoire, mème l'Europe
préindustrielle.
48
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
II - LES ELEMENTS D'APPRECIATION DE
core du pouvoir. Il s'agit d'un simple avis. Dans
L'ABSENCE DU POUVOIR
certaines coutumes du nord Togo, comme chez les
CHEZ LA FEMME DANS LA SOCIETE
Bassar où la fille est dotée à l'âge fœtal, il est vrai
RADITIONNELLE.
que c'est la maman qui est au centre de ces transac-
tions matrimoniales; et son rôle apparaît ici moins
S'il Ya un terme sur lequel plusieurs auteurs s'op-
comme une décideuse qu'une «commerçante». Dans
posent et se rassemblent aussi, c'est bien le terme
la plupart des coutumes, le rôle d'éducatrice des
de «pouvoir». Ce concept souffre d'une extraordi-
filles est réservé aux femmes. Ne s'agit-il pas plu-
naire polysémie due à son emploi dans des contex-
tôt de la considération accordée à la femme au sens
tes variés. Malgré les limites imposées par B. Badie
négatif: «objet sans importance» ?
et J.Gerstlél pour le réduire essentiellement à deux
types de signification comme caractérisant d'une
Que cette éducation soit bonne ou mauvaise, peu
part, une relation sociale et comme caractérisant une
importe, la destination est toujours pareille. Son rôle
propriété et une substance possédée d'autre part ;
futur est de moindre importance. Comme on peut
sa définition ne manque pas de déconcerter plus
le remarquer, il s'agit d'influence et non pas encore
d'une p~nne. Ce n'est pas sans raison que James
du pouvoir. Puisque <d'influence» est une relation
D. March s'écrie: « le concept de pouvoir est dé-
sociale dans laquelle une personne (ou un groupe)
cevant »2 sans oublier Georges Balandier pour qui
modifie le comportement d'une autre personne (ou
« l'ambiguïté est un attribut fondamental du pou-
d'un autre groupe) par un simple processus de com-
voir ... »3 Il n'est pas rare qu'on confonde pouvoir,
munication par opposition à la puissance sociale qui
puissance, influence. Toutes ces notions qui parti-
elle est une relation dans laquelle, la modification
cipent certes, à la constitution du pouvoir, n'en sont
de la conduite d'autrui est obtenue grâce aux sanc-
pas la réalité qui a d'autres exigences. Dans son
tions (positives ou négatives, avantages ou priva-
sens relationnel, pour qu'il y ait pouvoir, il faut que
tions) que l'on est capable de lui appliquer' . Il en
la volonté de l'élément A rencontre la volonté sou-
est de même pour ce qui est de l'espace féminin qui
mise d'un autre élément B. Le pouvoir réside donc
constitue le domaine réservé des femmes. Certes
dans la capacité de dominer une volonté potentiel-
l'homme n'y a aucun droit de regard mais en y pé-
lement récalcitrante. Or « le pouvoir est composé
nétrant par mégarde ou par «infraction», cette vio-
. de trois éléments ayant chacun son moyen spécifi-
lation n'est suivie d'aucune «sanction». On peut à
que. Le moyen spécifique de la puissance est la
la limite lui faire des remontrances en termes con-
force, celui de l'autorité est le charisme, et celui de
ci liants. Comme on le voit, cela relève de l' in-
la direction est la compétence» nous dit J.
fluence ; car on y perçoit l'obéissance qui est « une
Baecheler'. Ainsi, comme nous l'avons vu, le rôle
sorte de consentement quels que soient les motifs
que confère l'organisation sociale à la femme, la
ou les raisons ».
limite à un rôle de l'intérieur.
2.2 L'effacement ne confère pas le pouvoir
2.1 L'espace: les apparences d'un pouvoir
C'est surtout au niveau de la société que l'on voit
Au niveau de la famille, la fonction de reproduc-
cette absence chronique de la femme. Certes, on a
tion de la femme ne pèse pas lourd dans la balance
pu évoquer l'Afrique pré-coloniale pour faire va-
des éléments constituant le pouvoir. La femme ac-
loir le pouvoir de la femme quele colonisateur aurait
complit rarement sa liberté au niveau même du
sapé. C'est ainsi qu'on invoque des femmes chefs
choix de son conjoint, où elle est absente. La femme
ou reine dont l'Afrique pré-coloniale ne tarissait pas.
(mère et épouse) n'intervient pas dans la décision
Exemple: Namulizili en pays Tonga (Zambie),
finale concernant l'avenir de ses progénitures. Elle
Nzinga d'Angola, Kimpa vita du Congo sans oublier
peut tout au plus donner son avis qui n'engage pas
la reine Pokou. Mais en réalité, la prééminence de
les vrais décideurs que sont le père (l 'homme)
l'autorité de l'homme et la subordination de la
d'abord, et éventuellement les tantes paternelles'
femme nous laissent sceptiques. Dans le système
dans les affaires matrimoniales, lorsqu'il s'agit
matrilinéaire où les enfants suivent la lignée mater-
d'une société patrilinéaire, L'intervention limitée de
nelle, c'est le frère de la sœur qui a parfois le der-
la femme dans ce domaine n'en constitue pas en-
nier mot. Comme nous l'avions montré à travers
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N~ 1-2,2004
49

- - - -
Sciences sociales et humaines
nos coutumes, la femme ne joue qu'un rôle «d'ar-
Symboliquement on te montre par où tu es sorti pour
rière-plan, dans l'ombre». Elle a le;~yeux pour con-
entrer dans le monde. En plus la nudité neutralise
templer et juger soi-même dans son cœur, la bou-
les pouvoirs magiques (gris-gris et autres). Chez les
che doit se taire. Il n'est pas rare de rencontrer des
Naoudouba comme chez les Lamba, même céré-
femmes chefs, princesses, mais généralement, el-
monial, la femme joue un rôle d'apaisement en uti-
les ne règlent que des problèmes concernant la
lisant la calebasse de cendre. Et il y a des femmes
femme. Comme on le dit, il n'y a, à proprement
spécifiques (femmes coutumières) pour jouer ce rôle
parler de pouvoir politique. Sans aller jusqu'à ce
d'apaisement. La femme est un " instrument d' apai-
niveau dans notre analyse, il n'est pas inutile comme
sement" chez les Konkomba. C'est elle qui apporte
l'affirme F. Chazel? qu'« il paraît pertinent d'ex-
de l'eau à la guerre et elle peut signer l'armistice.
clure du champ du pouvoir la persuasion rationnelle
Nue ou habillée, ses bras en ~'air signifient un ces-
qui dépend uniquement de la qualité des arguments
sez-le-fèu. Chez les Agnagan, en cas de conflit
employés par A pour convaincre B. L'acceptation
grave, quand une femme sort de la maison pour crier
de la valeur d'un argument n'est pas un phénomène
ou si elle trace urie ligne de démarcation avec de la
de même nature qu'un lien de dépendance à l'égard
cendre, aucun homme ne peut la traverser.
d'une personne ou d'un groupe ».
Comme on le voit, la femme ne joue ce rôle plus ou
La femme symbole de la paix, de la douceur a un
moins important qu'en période de guerre ou con-
rôle à peine perceptible dans nos sociétés. La prise
flits armés. Ces confl its étant prépondérants dans
de décision n'est pas son affaire. Dans la recher-
le temps, ils ont pu faire croire à l'importance de la
che des solutions, elle peut par endroit jouer un
femme qui a interprété comme pouvoir.
rôle de premier plan (régler les problèmes matri-
.moniaux qui se posent dans sa propre famille par
CONCLUSION
exemple) mais dans le processus de prise de déci-
sion, elle est reléguée au second plan. Quand bien
Il apparaît à l'issue de ce qui précède que la femme
même cette décision finale viendrait d'elle, c'est
ne joue qu'un rôle effacé sinon d'arrière plan, pour
son frère, son mari chef notable ou sage qui la dit.
ne pas dire un rôle de l'ombre.Lors d'unjugement
L 'homme quant à lui a le privilège de dire ce qu'il
par exemple, il e~, donné à un groupe de femmes
pense, même si par moment sa pensée demeure in-
de se retirer dans la brousse pour prendre de déci-
complète, ou pensée par lafemme. Lafemme sym-
siens. ''Mais si c'est la décisions de celles-ci qui est
bole de la paix occupe une place symbolique etjoue
retenue, elles ne peuvent intervenir publiquement
un rôle instrumental.
pour l'exprimer. Dans la vie en société, tout ce qui
touche à la vie publique exclut les femmes du fait
Les rares fois où il lui est donné d'entrer en scène
que ces événements se déroulent à l'extérieur de
publiquement, elle ne le fait que sous forme emblé-
<d'espace féminin» où elle n'a pas sa place. Elle ne
matique, au même titre que «le drapeau qui flotte
peut soumettre aucun élément de son groupe. La
sur le mât», la femme apparaît dans sa personna-
soumission étant« »contrainte» quels que soient les
lité ritualisée: La femme est symbole de la paix.
moyens employés pour contraindre ». Or la domi-
nation est dérivée de la soumission et elle consiste
Dans les instances de jugement, la femme ne joue
«
à
l'incapacité de faire exécuter ses décisions sans
pratiquement aucun rôle. Elle n'intervient que lors-
qu'il y a un problème qui la concerne. Chez les
1
Moba, la femme intervient comme symbole de ces-
B. Badie et 1.Gerstlé Sociologie politique. Lexique, PUF, Paris, 1979.
1 March (J. G.) 'The power of power" in Easton (D.) Varieties of political
sez-le-feu : dans le temps, lorsqu'il y avait conflit
theory, Englewood Clitfs (NJ.) 1966
armé, la femme va au devant de la scène avec une
"Balandier (G.), Anthropologie politique, PUF,Paris, 1967. Trouve que: il
est en même temps accepté (en tant
calebasse remplie de cendre qui a pour significa-
que garant de l'ordre et de la sécurité), révérer (en raison de ses implica-
tion le feu est éteint. En d'autres termes, un cessez-
tions sacré) et contexte (puisau'il
justifie et entretien l'inégalité.
le-feu. Il en est de même chez les Kabyè. En cas de
4 Baecheler (1.) Le pouvoir pur, Calrnan-Levy, Paris, 1974, pp 1-18.
contlitde guerre interminable, la femme sort nue
, Dans les transactions matrimoniales, elles évaluent la dot, elles peuvent
l'accepter comme la rejeter.
pour traverser les deux camps. Il y a cessez-le-feu
6 Dahl (R. ) Modem Politics Analysis, Englewood Clîtfs (NJ) 1963
immédiat car la nudité de la femme est considérée
7 Chazel (F.) «Pouvoir» in Boudon (R.) (Sous la direction de) Traité de
sociologie, PUF, Paris, 1992, pp195-226
comme une malédiction pour la personne qui la voit.
50
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
recourir à sa puissance pour forcer ou réprimer. Dès
lors que la femme ne dispose d'aucun élément pour
contraindre les membres de sa communauté à exé-
cuter sa décision, il n'est pas sans intérêt d' affir-
mer que le pouvoir lui échappe.
BIBLIOGRAPHIE
1. O. Pala , Achola., & Ly, Madina.
La femme africaine dans la société pré-coloniale,
UNESCO, 1979, PUF.
2. A., Attisso
Evaluation de l'importance socio-économique
des activités de formation du mouvement des
éclaireuses unionistes du Togo, Mémoire de Maîtrise,
FLESH, UB, oct. 1998.
3. B., Badie & J., Gerstlé.
Sociologie politique, Lexique, PUF, Paris, 1979.
4. J., Baechèler,
Le pouvoir pur, Calman-Levy, Paris, 1974.
5. M., Blondel.
Communication à la société française de philosophie,
séance du 3 avril 1919 in Dictionnaire de sociologie,
A.Colin, Paris, 1995.
6. E., Boserup.
La femme face au développement économique, Paris,
PUF,1983.
Special on the continuing subordination of the woman
ln the development process, IDS bulletin, vol 10, Cité
par Attisso Akoussa Evaluation de l'importance
Socio-économique des activités de formation,
7. P. Bourdieu.·
La domination masculine, Seuil, Paris, 1998.
Le sens pratique, Editions de Minuit, 1980.
8. K., Brooklin Sachs. &D.,Remy.
[eds] My troubles are Going to Have Trouble with Me,
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
51

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
New Brunswick [NJ.] , Rutgers University Press,
1984, P.73
9. F., Chazel.
Pouvoir in Boudon (R.) (Sous la direction de) Traité de
sociologie, PUF, Paris. 1992, pp 195-226
10. Coquery- Vidrovitch
L'histoire des femmes en Afrique, L'Harmattan, Paris, 1987.
(sous la direction de)
Il. R., Dahl .
Modem political analysis, Englewood ClitTs (NJ) 1963.
12. S., de Beauvoir.
Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1977.
13. A., DEGBELO.
« L'image de la femme sous J'administration coloniale
française et le renforcement des inégalités », Centre
Béninois de la Recherche Scientifique et Technique,
Cotonou.
14. G., Ferréol.
Dictionnaire de sociologie, A. Colin, Paris, 1995.
15. c, Houeto.
Femme source de vie dans l'Afrique traditionnelle,
in La civilisation de la femme dans la tradition africaine, Colloque
d'Abidjan du 3-8 juillet 1972, Présence Africaine, Paris, 1975
16. Kuamvi Mawulé, Kuakuvi.
«Femmes et pouvoirs dans l'Afrique traditionnelle», UB, Lomé
17. J.. March.
(1966) The power of power, in D. Easton (éd.), Varieties
Ofpolitical theory, Englewood Cliffs, Prince-Hall, pp 39-70.
18. M., Marx Ferree.
« Sacrifice, Satisfaction and Social Change: Employement
and the Farnily » in La domination masculine, Seui l, Paris, 1998.
19. c., Meillassoux.
Femme, grenier et capitaux, Maspero, Paris, 1977.
20. Printice-Hall,
deuxième édition, 1970, traduit en français: l'analyse
politique coternporaine, Paris, R. l.afont, 1973.
52
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004