Sciences sociales et humaines
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Classes nominales et sémantisme en bantu :
Les données en synchronie et leur acquisi-
tion par les enfants
Daniel Franck IDIATA*
Université Omar Bongo,
Libreville - Gabon
Abstract
Résumé
The present article establishes a correlation
Le présent article établit une corrélation entre clas-
between noun classes and semantic nature in
ses nominales et sémantisme dans plusieurs lan-
several Bantu languages of zones A, Band C.
gues bantu des zones A, B et C. Après avoir clari-
After having clarified, at the theoreticallevel, the
fié, au niveau théorique, la distinction qui existe
distinction which exists between the different
entre les différents types de classificateurs nomi-
types of noun classes attested in the languages of
naux attestés dans les langues du monde, l'auteur
the world, the author analyses from the semantic
analyse, du point de vue sémantique, la descrip-
point of view, the description of the systems of
tion du système des classes nominales dans huit
noun classes in eight languages of the north-west
langues du domaine nord-ouest et compare les
domain and compares the results obtained to data
résultats obtenus avec les données relevées dans
identified in studies on child acquisition of noun
les études sur l'acquisition du système des clas-
classes in five languages ofzones Band S spoken
ses nominales par les enfants dans cinq langues
in central and southern Africa.
des zones B et S parlées en Afrique centrale et
australe.
eyWords: Noun classifiers, Noun classes, Semanticism,
ols-clés: Classificateurs nominaux, Classes nominales,
anguage acquisition, Diachrony, Synchrony
émantisme, Acquisition du langage, Diachronie, Synchro-
ie, Bantu.

INTRODUCTION
chronique.
«Pour que la langue évolue dans une certaine di-
Sans vouloir chercher à entretenir davantage un dé-
rection, il faut encore supposer, nous semble-t-il,
bat, qui a montré ses limites en ce qui concerne le
que les enfants préfèrent s'imiter entre eux plutôt
«mythique» rôle sémantique des classes nominales
que d'imiter les adultes.»
à une étape antérieure aux langues bantu actuelles,
Christophe Pallier (2000)
hypothèse plausible, mais que l'on ne démontrera
sans doute jamais avec certitude, \\' objet de cette
contribution est d'essayer de clore définitivement
Depuis les travaux de W. Bleek (1 851), la question
le débat en montrant qu'en l'état actuel des langues
du sémantisme des classes nominales dans les lan-
bantu (en synchronie), du moins celles du nord-
gues bantu fascine les profanes aussi bien que les
ouest sur lesquelles nous avons travaillé, il est ab-
chercheurs. Mais dans la plupart des travaux, le sujet
surde de systématiser, voire même de tenter de re-
est abordé dans des termes si flous qu'on ne sait
tenir le critère sémantique dans la définition des
pas toujours ce qui est en cause, et on y confond
classes nominales sur la base des catégories tradi-
souvent les niveaux d'analyse, diachronique vs syn-
---=----------
. Pour toute correspondance, écrire à l'auteur à J'adressesuivante: B.P. 9985 Libreville Gabon, ou sur e-mail: idiala@yahoo.fr
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
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_ _ _ _ _ _ _-----:
Sciences sociales et humaines
tionnelles (présentes chez Denny et Creider, 1986 ;
Bybee, 1979 ; Demuth et al., 1986, etc.). En effet,
Welmers, 1973 ou Givo!n, 1970, entre autres.).
comme le souligne Pallier (2000), pour compren-
dre pourquoi les sons et les règles de grammaires
d'une langue évoluent, l'explication la plus plausi-
Pour ce faire, nous nous appuyons sur l'analyse de
ble est que les enfants ne sont pas des reproduc-
deuxtypesdedonnées:
teurs fidèles de la langue de leurs parents. A chaque
(1)
Les données issues de la description, à
génération la langue est réinventée.
l'état synchronique, des affixes de clas-
Pour une meilleure compréhension de notre objet,
ses et leur sémantisme dans huit lan-
nous organisons le texte en quatre parties. Les exi-
gues du nord-ouest, parlées au Came-
gences méthodologiques nous amènent à esquisser
roun, au Congo et au Gabon, à savoir,
une comparaison entre les classes nominales bantu
le mmala, parlé au Cameroun, groupe
et les autres types de classification nominale attes-
A60 (Idiata, 2000a) ; le fang-ntumu,
tées dans les langues du monde; c'est l'objet de la
parlé au Gabon, groupe A70 (Ondo-
première partie. La seconde partie esquisse une cor-
Mebiame, 2000) ; le myene-nkomi,
1
rélation entre la forme des affixes et le sens qu'ils
parlé au Gabon, groupe BIO (Rekanga,
transmettent (ou qu'ils pourraient transmettre) dans
2000) ; le ikota, parlé au Gabon, groupe
les huit langues bantu citées ci-dessus. Dans la troi-
B20 (Idiata, 2000b) ; le pove, parlé au
sième partie, nous rapportons les résultats
Gabon, groupe B30 (Idiata, 2000c) ; le
acquisitionnels concernant l'émergence et le déve-
isangu, parlé au Gabon, groupe 1340
loppement des classes nominales chez les enfants
(ldiata, 1998 et 2000d) ; le inzehi, parlé
acquérant le isangu, le sezulu, le setwana, le sesotho
au Gabon et au Congo, groupe 1350
et le siswati. Dans la quatrième et dernière partie,
(ldiata, 2000e) et le babole, parlé au
nous discutons nos résultats, ainsi que les différen-
Congo, groupe CIO (Leitch, 2000).
tes implications théoriques qui en découlent.
(2)
L'analyse des rapports sur le processus
d'acquisition des classes nominales par
1. CLASSIFICATEURS NOMINAUX ET CLASSES
les enfants dans cinq langues bantu des
zones B et S, à savoir, le isangu, zone
NOMINALES
B, Gabon (Idiata, 1998 ; Idiata et Boyer
t. t Les classificateurs nominaux
2000) ; le sezulu, zone S, Afrique du
Ainsi que le remarque Van Der Veen (1999 :93), la
Sud (Suzman, 1991); le sesotho, zone
catégorisation nominale au moyen de classificateurs
S, Lesotho (Demuth, 1988, 198X, 2000
ou de marqueurs grammaticaux est un phénomène
et Connelly, 1987) ; le setswana, zone
bien connu des linguistes. Gunter Senft (2000) et
S, Botswana (Tsonope, 1987) et le
siswati,
Grinevald (2000) fournissent un bon cadre téhorique
zone S, Swaziland (Kunene,
quant à la définition et l'aperçu typologique des tra-
1979).
JI
vaux ayant porté sur les classificateurs nominaux
nous semble, en effet, que pour apporter une ré-
dans les langues du monde. Nous nous contente-
ponse cohérente à la question du sémantisme des
rons donc ici de revenir sur la typolgie des classifi-
classes nominales du système bantu en synchronie,
cateurs proposée par Grinevald et reprise par Van
toute argumentation devrait reposer sur une analyse
Der Veen, qui est à la fois morphosyntxique et fonc-
de l'état de ce système dans les différentes langues,
tionnel.
et -surtout- sur la prise en compte des données
acquisitionnelles chez les enfants.
Grinevald répartit les classificateurs attestés dans
les langues du monde en deux grandes catégories:
Le premier type de données est nécessaire et indis-
ceux qui relèvent du lexique et ceux qui relèvent de
pensable en ce qu'il présente le système à l'état syn-
la grammaire.
chronique (la langue telle qu'elle est parlée
aujourd'hui). Le second type de données est impor-
Concernant les classificateurs lexicaux, un premier
tant, parce que la connaissance des processus d'ac-
type de classificateurs concerne les systèmes qui
quisition du langage par l'enfant peut être intéres-
font intervenir les termes de mesure ou mesuratifs,
SEnte pour expliquer l'évolution des phénomènes
linguistiques (Slobin, 1973, 1985 ; Traugot, 1973 ;
28
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

qui expriment des quantités, aussi bien pour les
noms comptables et pour des noms non compta-
bles. Un second type de classificateurs est celui des
systèmes qui font appel à des termes de classes,
d'origine clairement lexicale et qui manifestent une
certaine productivité dans le lexique de la langue.
Ce sont des éléments «catégorisateurs» qui relèvent
de la composition nominale et dont le rôle est im-
portant dans la création lexicale. Ils peuvent, dans
le processus de grammaticalisation, se transformer
en classificateurs grammaticaux;
Concernant la seconde catégorie des classificateurs,
les classificateurs grammaticaux, ils se repartissent
aussi en deux types, les systèmes des genres nomi-
naux, que l'on rencontre dans les langues de la fa-
mille indo-européenne, et les systèmes de classes
nominales que l'on rencontre, par exemple, dans
les langues bantu. La caractéristique majeure du
,
'
système de genres est d'être un type de classifica-
tion nominale qui ne se manifeste pas toujours sur
le nom lui même, maissur des schèmes d'accord
sur d'autres éléments de l'énonce, la liste de ces
éléments variant d'une langue à l'autre. Les systè-
1
l mesdegenresconcernenttouslesnomsdelalan-
gue, qui sont intégrés dans une catégorie (un genre)
et que cette catégorisation est morphologiquement
marquée. Ce sont des systèmes de catégorisation
, beaucoup plus limités, du point de vue du nombre
de classes distinguées. En ce qui concerne les sys-
tèmes de classes nominales, il ont toujours été pré-
sentés coinme prototypiques des langues bantu. Ces
langues ayant, en effet, Un système comprenant un
plus grand nombre de classes, par comparaison au
système de genres. Mais, pour Grinevald, une dis-
tinction importante est à faire entre les systèmes de
classes nominales et les systèmes de classificateurs.
En effet, à .la différence des systèmes de classes
nominales, les systèmes de classificateurs, qui se
retrouvent notamment dans les langues d'Améri-
que latine (l'exemple dujakaltek, langue de la fa-
mille maya parlée au Guatémala, d'après Craig,
1986 et 1987), et dans certaines-langues d'Asie,
constituent des systèmesde classification nominale
caractérisés par un certain degré de motivation sé-
mantique et une origine clairement lexicale dou-
blée d'un comportement morphosyntaxique. Ils se
distinguent des systèmes purement lexicaux par le
fait qu'ils s'expriment par des marques morpholo-
giques au-delà du nom lui même, qui sont des mor-
.'
phèmes indépendants ou des affixes d'autres élé-
ments du syntagme nominal ou du prédicat. Ils se
Revue du CAMES - Série B, vol. OOf\\ ~Q i...~~,~
29

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
SYSTEMES DE GENRES
SYSTEMES DE CLAssiFICATEURS
Critères
SYSTEMES DE CLASSES NOMINALES
NOMINAUX
1.
classifient tous les noms
ne classifient pas tous les noms
2.
comportent un petit nombre de classes
se trouvent dans un assez grand nombre de
classes
3.
Constituent un système fermé
constituent un système ouvert
4.
sont
en fusion avec d'autres catégories systèmes
dont
les
constituants
sont
(comme le nombre, le cas, etc.)
indépendants, sans fusion
5.
Peuvent être marqués sur le nom
systèmes
à
l'intérieur
desquels
les
morphèmes ne sont pas affixés à un nom
6.
sont réalisés dans des schèmes d'accord
caractérisés par un seul marquage
7.
le nom est uniquement assigné à une classe
le nom peut être assigné à plusieurs classes
8.
il n 'y a pas de variation entre locuteurs
leur usage est soumis à la discrétion du
locuteur
9.
on n'observe pas de variation selon les leur usage peut différer selon qu'il s'agit
registres
d'un niveau de langue formel ou informel
Tableau 1 : Critères de différenciation des classificateurs nominaux et des systèmes de genres et
classes nominales (Source: Idiata, 2000j).
A partir de cette distinction fonctionnelle, Grinevald propose un classement des classificateurs nominaux
en cinq catégories. Ces catégories sont reprises par Van Der Veen (1999 :100-101) comme suit:
Types
Applications
CLASSIFICATEURS NUMERAUX
• morphèmes d'autonomie variable;
apparaissent dans des contextes de
quantification;
(= classificateurs sortaux et mensuraux)
~-
CLASSfFICATEURS DE NOMS
• morphèmes libres;
• apparaissent dans la périphérie du nom à

l'intérieur du syntagme nominal;
• peuvent fonctionner comme déterminant du
nom
et
comme
formes
pronominales
indépendantes.
CLASSIFICATEURS GENITIVAUX
apparaissent dans
les
constructions
possessives où ils catégorisent le possédé;
• sélectionnent un ensemble. de noms dans le
lexique;
relèvent d'une sémantique de la fonction, avec

des
classificateurs
fonctionnant
comme
opérateurs de localisation.
CLASSIFICATEURS VERBAUX
• se caractérisent par un degré de complexité
plus important;
• se trouvent à l'intérieur de la forme verbale;
• catégorisent l'un des l'un des arguments
nominaux du verbe.
AUTRES TYPES
• types mineurs moins fréquents ou moins
documentés.
30
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
1.2. Les classes nominales
le suthu, le tswana et le xhosa, lui permit de mettre
La littérature bantuiste retient trois critères pour
en évidence un système des classes commun à ces
définir la notion de «classe nominale», c'est-à-dire
quatre langues. Il alla même plus loin puisque l' exis-
(1) la forme du préfixe nominal, (2) la marque de
tence de ce lien de parenté (entre ces langues)
l'accord et (3) l'appariement. Kadima (1969:82)
l'amena à proposer' l'hypothèse d'une grande fa-
précise ensuite que deux classes sont distinctes si
mille linguistique qu'il allait baptiser «Bantu», à
elles diffèrent par leurs accords et si leurs préfixes
laquelle appartenait les langues qu'il avait étudiées.
nominaux sont distincts. Dans le cas d'une identité
des morphèmes d'accord,' il faut absolument que
Bleek fut donc le premier à proposer un système de
les préfixes nominaux soient différents pour que l'on
classification nominale dans les langues bantu. Ce
parle de classes distinctes. Il convient de préciser
système «originel» fut élaboré sur la base d'un élé-
que certains travaux, notariunent américains, limi-
ment fondamental, à savoir l'appariement: chaque
tent l'acception de classes nominales (noun clas-
classe ayant un numéro de 1 à 18, le numéro impair
ses) aux seuls préfixes nominaux.
est attribué à la classe indiquant le singulier, et le
numéro pair, à la classe indiquant le pluriel. Pour
L'histoire des classes nominales bantu est intime-
, l'expression du nombre, chaque thème nominal a
ment liée aux travaux de Bleek, qui posa les fonde-
un préfixe dans un contexte singlulier, et un autre
ments de la «comparative bantu» en 1851. Son étude
préfixe, dans un contexte pluriel.
comparative entre quatre langues, à savoir le herero,
Le tableau (3) qui suit présente le dernier système proposé par Bleek
Numéros des classes
Forme des préfixes
1
mu-
2
ba-
3
mu-
4
ml-
5
di-
6
ma-
7
ki-
8
bi-
9
n-
10
n-
Il
lu-
12
tu-
13
ka-
14
bu-
15
ku-
16
pa-
17
ku-
18
mu-
2- Classes nominales et semantisme : etat des lieux dans huit langues du nord-ouest
Rappelons que les analyses présentées ici s'appuient sur huit corpus issues des des langues étudiées. La
taille de ces différents corpus varie entre 800 entrées, pour le moins fourni, et plus de 2000 entrées, pour le
plus fourni. Nous résumons ici les principales caractéristiques relevées, tout en renvoyant le lecteur à Idiata
(2000g) pour 'de plus amples détails.
Revu~'du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - , -__ Sciences sociales et humaines
2.1 Les systèmes en présence sur le plan morphologique
2.1.1 Le nombre de Classes attestées
Le tableau qui suit récapitule la liste des préfixes nominaux attestés dans les huit langues étudiées, à savoir
le mmala, lefang-ntumu, le myene-nkomi, le ikota, le pove, le isangu, le inzebi et le babole :
Forme des préfixes attestés dans les langues étudiées
Oasses
mmala
Fang-
myene-
ikota
Pove
isangu
inzebi
babole
ntumu
nkomi
1
o-~
n-
o-mo-
mu-
mu-
mu-
mu-
mo-
o-rj>-
muu-
la
f/J
t/J
c/J
t/J
2
ba-
Ba-
a-l1tl-
ba-
11tl-
ba-
ba-
baa-
baa-
3
o-
n-
o-mo-
mu-
mu-
mu-
mu-
mo-
mo-
mu-
4
i-yi-
mi-
i-mi-
mi-
mi-
mi-
mi-
mi-
mii-
4a
me-
mi-
5
ni-
a-
l-nI-
l-
e-
di-
di-
di-
dz-
tsi-
dz-
c/J
6
a-ma-
Ma-
a-ma-
ma-
ma-
ma-
ma-
ma-
m-
6a
ma-
ma-
7
gz-
e-
e-ze-
e-
1Î'e-
l-
I-
e-
'fri-
.i-
8
bi-
Bi-
i-yi-
be-
bi-
bi-
bi-
bi-
9
i-n-
n-
I-n-
rj>-
t/J
c/J
n-
n-
c/J
10
n-
n-
i-n-
r/J
(ba-) t/J
t/J
n-
10a
i-di-
di-
11
nu-
0-l«J-
du-
Zu-
Zo-
13
du-
tu-
14
bu-
bo-
Bu-
bu-
bu-
bo-
0-
bo-
15
gu-
0-
0-
u-
u-
Tableau IV. Le système des préfixes de classes dans les langues étudiées
32
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

La lecture de ce tableau appelle quelques remar-
ques concernant le nombre de préfixes de classes
attestés dans les langues étudiées. Il apparaît que
toutes les langues étudiées ont un système des clas-
ses nominales plutôt conservateur. En effet, le nom-
bre de classes attestées varie entre dix classes, pour
le ikota, et 18 classes pour le mmala. Entre ces deux
extrêmes, le myene-nkomi comporte Il classes; le
pove et ïefang-ntumu, 13 classes chacun; le isangu,
15 classes; le inzebi, 16 classes et le babo/e, 17
classes.
Par rapport au système de Bleek (ou même celui de
Meeussen, 1967), le mma/a n'atteste pas de classe
12 ; le ikota ne comporte pas de classes 10, 13, 16,
. 17, 18, 19 et 20. Le pove n'atteste pas de classe 12
(mais nous n'avons pu vérifier l'existence des classe
16 à 20) ; le isangu ne comporte pas de classes 12,
13, 19 et 20. Le inzebi n'atteste .pas de classes 12,
13 et 19, alors que le fang-ntumu ne comporte pas
-de classes Il, 12, 13 et 18. Quant au babole, l'un
des systèmes les plus riches parmi les langues étu-
diées, il ne comporte pas de classes 12, 13 et 15.
Les différents systèmes explorés ici offrent aussi
quelques spécificités: le myene-nkomi atteste une
classe 2a et une classe Il bis; le ikota comporte trois
nouvelles sous-classes que sont la, 3a et 4a.Le pove
atteste une classe 10a ; le isangu et le inzebi attes-
tent une classe 1a, une classe 4a et une classe 6a ;
le inzebi atteste, en plus, une classe 7a. Le système
fang-ntumu utilise une classe 15a.
2.1.2 Structure des différents préfixes
En ce qui concerne la structure des différents pré-
fixes, nous pouvons classer les langues étudiées
dans deux groupes: les langues à structure "sim-
ple" et celles dont la structure est "complexe". Ces
deux types de structures sont différenciées par
l'existence ou non des pré-préfixes, que les
bantuistes appellent augment (lire, par exemple,
Grégoire et Jansens, 2000).
Dans notre taxinomie, les langues à structure sim-
ple sont ïefang-ntumu. le ikota, le pove, le isangu,
le inzebi et le. babo/e. Dans toutes ces langues, en
. effet, les préfixes nominaux ont la forme CV-, de
manière générale, et V-, dans quelques rares cas.
2.2 Affixes de classes et sémantisme dans les lan-
Les langues à structure complexe sont cel-
gues étudiées
les dont le préfixe admet une forme V-CV-, c'est-à-
Cette étude comparative du sémantisme des clas-
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
33

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
ses dans les huit langues citées devrait nous ame-
les artefacts en 7/8, 7+9/8+ 10, 5/6 et 5+9/6+ 10 ; les
ner à répondre à deux questions importantes, au
animaux en 9/l 0 et 9/2+ ] 0 ; les abstractions princi-
moins: (1) Les classes nominales ont-elles une co-
palement en 7/8 et 7+9/8+ l O, alors que l' apparie-
hérence en termes de contenu sémantique dans les
ment 112 comprend exclusivement des items se rap-
langues bantu actuelles? (2) L'évolution (la dyna-
portant à la catégorie "humains", même si celle-ci
mique) d'une langue entraînant nécessairement des
se retrouve aussi, et de manière relative, en 3/4+3.
changements linguistiques, notamment au niveau
Il faut, bien sûr, garder à l'esprit le fait que ces ca-
du sens de certaines catégories (grammaticales, sé-
tégories sont aussi attestées dans la plupart des
mantiques, etc.), il peut être intéressant de savoir
classes, même celles non citées dans cette liste.
s'il existe des patterns commun dans l'évolution
sémantique des classes à l'intérieur de langues dif-
Le myene-nkomi (groupe BIO)
férentes.
La catégorie «animaux» est majoritairement attes-
tée en 9!l 0 et, de manière relative, en 5/6 et 7/8 ;
Concernant la première question, la réponse, qui
les items référant aux plantes et fruits se retrouvent
resson de l'analyse des huit systèmes (langues) des
zones A, B, C et H de Guthrie (1967-197]) montre
presque dans la plupart des classes, de manière re-
que les catégories grammaticales que sont les pré-
lativement proche. La catégorie «parties du corps»
fixes nominaux n'ont (plus ?) aucune correspon-
est, quant elle, majoritairement attestée en ] 1+/6 et
dance sur le plan sémantique. En d'autres termes,
Il +/10. Les artefacts sont pricipalement attestés en
les classes nominales ne peuvent pas (plus ?), en
7/8 et en 3/4 ; quant aux abstractions, on les retrouve
l'état actuel des langues bantu, du moins celles étu-
presque partout, de manière relativement identique.
Il faut noter, dans cesystème myene-nkomi, l'exis-
diées ici, servir comme base de catégorisation des
tence de nombreux items que les catégories tradi-
noms sur le plan sémantique. Pour l'ensemble de
ces langues, en effet, on retrouve dans les différen-
tionnelles ne permettent de classer.
tes classes et les différents appariements, des items
Le ikota (groupe B20)
qui renvoient à des catégories diverses. En fait, le
seul appariement qui a une cohérence sur le plan
Parmi les catégories les plus attestées dans notre
sémantique est 1/2 (et dans une moindre mesure
lexique de référence, il apparaît que les plantes et
] a/2),
dont
les
items
renvoient
à
la
fruits sont principalement intégrés en 3/4 et 3a14a ;
catégorie»humain». Ci-dessous, nous résumons
les parties du corps sont majoritairement attestées
l'état du sémantisme des classes dans chacune des
en 7/8 et 5/6 ; les artefacts en 7/8, 3/4 et 3a14a ; les
langues étudiées.
animaux en 1al2 ; les abstractions en 7/8 et 5/6, et
les humains, exclusivement en ]/2.
Le mmala (groupe A 60)
La répartition des catégories testées apparaît très
Le pove (groupe B30)
disparate dans le système mmala (groupe A60) : la
En pové, les plantes et fruits sont principalement
catégorie "plantes et fruits" se retrouve presque
attestés en 9!l 0, 5/6 et 3/4 ; les parties du corps en
partout, avec une importance nette en 5/6 et ]4/6 ;
9/lO, 5/6 et 3/4 ; les artefacts en 9!l 0, 7/8 et 3/4 ;
les dénominations référant aux parties du corps sont
les animaux en 9/lO et 3/4 ; les abstractions en 7/8
majoritairement attestées en 7/8, en 3/4 et en 5/6.
et 3/4 et les humains en 3/4.
La catégorie "artefact" se retrouve, de manière qua-
siment égale en 5/6, 7/8, 9/1 0 et ] 9/18 ; les items
Le isangu (groupe B40)
référant aux animaux sont principalement attestés
en 9!l 0, et les abstractions en 7/8.
Le système isangu apparaît comme le plus con-
forme, par rapport aux propositions Proto- Bantu (cf.
Le fang-ntumu (groupe A 70)
Denny et Creider, 1986). En effet, les catégories les
En fang-ntumu (groupe A70), les différentes caté-
plus importantes dans les différents appariements
gories attestées sont principalement organisées de
sont celles qui ont été reconstituées. Ainsi, les ap-
la manière suivante: les plantes et fruits principa-
pariements 1/2 et 1al2 comportent exclusivement
lement en 5/6, 5+9/6+] 0 et en 9/6+ ] 0 ; les parties
des dénominations se rapportant aux humains. En
du corps en 5+9/6+] 0, 9/6+] 0, 7/8 et 7+9/8+] 0 ;
3/4, on retrouve principalement les dénominations
34
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° J-~, 2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
de plantes, même si cette catégorie est beaucoup
étudiées le critère sémantique n'a une quelconque
plus représentée en 5/6. En 5/6 justement, la caté-
pertinence pour être retenu comme trait entrant dans
gorie les plus importantes, en termes de fréquence
la caractérisation des classes nominales dans le con-
concerne les parties du corps. Il faut ajouter que
texte bantu.
cette catégorie est aussi représentée, de manière
Concernant la seconde préoccupation, nous n'avons
importante en 7/8. L'appariement 7/8 comporte prin-
pas relevé de réorganisation particulière des clas-
cipalement des items référant aux artefacts, et dans
ses nominales dans aucune des langues étudiées. Il
une moindre mesure aux parties du corps et aux
apparaît, de ce fait, que notre hypothèse de départ
noms de maladies. En 9/10 trois catégories appa-
n'a pu être confirmée. En effet, nous avons pensé
raissent de manière saillante, à savoir les animaux,
qu'une des interprétations possibles du "désordre"
principalement, ensuite les abstractions et les arte-
attesté dans le sémantisme des classes dans les lan-
facts.
gues bantu actuelles pouvait signifier que ces lan-
gues réorganisent autrement le système en mettant
Le inzebi (groupe 850)
en place de nouveaux principes de catégorisation
La langue inzebi range principalement les items se
basés, par exemple, sur la forme des objets (comme
référant aux animaux en 1en. Les artefacts sont
dans certaines langues' amérindiennes) ; il n'en est
diversement répartis, de manière presque similaire,
rien. Les neuf systèmes étudiés dans cet ouvrage ne
en 3/4, 7/8, 9/6 et 11/6. Cette tendance se retrouve
permettent pas d'orienter le débat dans cette direc-
aussi pour la catégorie «plantes et végétaux» qui
tion. Les quelques tendances observées (par exem-
est attestée que dans la quasi totalité des apparie-
ple les items référant aux humains attestés en 7/8
ments. La catégorie «parties' du corps» est
qui renvoient, dans la plupart des langues, à des
majoritairement représentée en 11/6, 3/4 et en 9/6.
êtres dégradés; la majorité des items référant aux
Les termes référant aux parties du corps (anatomie)
parties du corps qui vont par deux se retrouvent en
sont essentiellement attestés en 1a/2. Les items se
5/6 ; les items référant aux animaux se retrouvent
rapportant aux insectes se retrouvent principalement
assez souvent en 9/10 ou la/2, etc.) sont loin d'être
en 1a/2 et, de manière relative, en 7/8. La catégorie
généralisables à un système donné, encore moins à
«abstraction», se retrouve rangée en 9/6 principale-
l'ensemble des systèmes.
ment. Quant à la catégorie «nature», elle apparaît
Lorsque l'on se penche sur les emprunts, on remar-
dans de nombreuses classes, notamment en 9/6 et
que, là aussi, que le critère sémantique n'a aucune
en 3/4.
pertinence. Les critères qui sont pris en compte ici
sont le critère phonologique et le critère morpholo-
Le babole (groupe CIO)
gique. Concernant le premier critère, on voit, par
Dans les différents appariements, de nombreuses
exemple, avec le babole, que le mot français 'mo-
catégories sont attestées de manière importante par
teur' est intégré dans cette langue sous la forme
rapport à d'autres: les humains en 1/2 (exclusive-
motele (singulier, classe 3) et mitele (pluriel, classe
ment) ; les humains, les animaux et les artefacts en
4). Dans cet exemple, le fait que les mot à emprun-
1a/2 ; les abstractions en 3/4 ; les artefacts, les abs-
ter commence par mo a suffi pour l'intégrer en clas-
tractions et les plantes et fruits en 3/4,10 ; les abs-
ses 3/4. Concernant le critère morphologique, la
tractions les artefacts en 5/6. Ces deux dernières
langue isangu nous offre une belle illustration. En
catégories' se retrouvent aussi, de manière très im-
effet, cette langue a emprunté le mot français "ci-
portante, en 7/8 et en 9/6. Les animaux sont attes-
ment", qui est réalisé sim« (singulier, classe 9) et
tés en en 9/10, alors que les abstractions et les arte-
basim« (pluriel, classe 2/10). Ici c'est la forme du
facts sont principalement représentés en 14/6. Outre
mot à emprunter qui est déterminante. Sa structure
cette organisation sur les base des appariements, de
proche des CVCV est telle qu'on la langue lui ad-
nombreuses catégories sont attestées dans les clas-
joint un PN zéro, au singulier..
ses uniques. Ainsi, on retrouve de nombreux items
référant aux abstractions en classes 3, 5, 6, 7,' 9, 10
et 14 ; des parties du corps en 10 ; des artefacts en
11 faut, cependant, souligner un cas où on pourrait
14 et des liquides en 6.
être amené à admettre une certaine survivance du
sémantisme des classes, c'est-à-dire, le cas où cer-
Comme on le voit donc, dans aucune des langues
Revue du CAMES . Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
35

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ' - - - - - Sciences sociales et humaines
tains thèmes nominaux apparaissent dans plusieurs classes, avec des sens différents, en fonction du préfixe
qu'il leur est adjoint. Ce propos trouve son illustration en isangu, dans la dérivation, comme peut le voir
dans les exemples (1) et (2) qui suivent:
(1)
Structures
Réalisations
Gloses
a
mu/-'Û'ye:>tu"
mu/'Û'ye:>tu"
cI.l
femme
b.
ba/-'Û'ye:>tu"
ba/ 'Û' ye:> tu" c 1.2
femmes
c.
m u / -'Û' ye:> tu"
mu/'Û'ye:>tu""
cU
type de femme
d.
d L/ - 'Û' ye:> tu"
di." 'Û' ye:> tu" cl. 5
période de fém inité
e .:
ma/ -'Û'ye:> tu"
ma/'Û'ye:>tu"
cL6
côté g auche t
f.
'Û' i / -'Û' ye:> tu"
'Û' i./ 'Û' ye:> tu ''''
cL7
anatom ie,
morphologie
de femme
g.
i / -'Û'ye:> tu"
i / 'Û'ye:> tu""
cl.7
tempérament. instinct
defemme
h.
bu/-'Û'ye:>tu"
bu/ 'Û'ye:> tu"
cl.14
fém inité
i.
u/-'Û'ye:>tu"
u /
'Û' ye:> tu" cLIS
l'importance, la puissance
de la femme
(2)
Structures
Réalisations
G lo ses
a.
~-ko"ku"
ko"ku"
cl.9
coq. poule
b.
ba/ -ko"ku"
ba/ ko"ku"
c1.2( 10) coqs. poules
c.
m u / - ko"ku"
mu/ ko"ku
cU
type de coq/poule
d.
di/ ko"ku"
di/' ko"ku"
c1.5
éjaculation précoce
e.
ma/ -ko"ku"
ma/' ko"ku"
cl.6
environnement de
poule/coq
f.
'Û' i/' ko" ku"
'Û' i / ko"ku
cl.7
an ato m ie,
morphologie
de la poule
g.
i / -ko"ku"
i / -ko"ku"
cL7
instant
de
poule
S'il est incontestable, à travers les exemples ci-des-
sur l'acquisition des langues bantu. Les investiga-
sus, que les sens des thèmes nominaux semble va-
tions ont porté sur cinq langues appartenant respec-
rier en fonction du préfixe qui leur est adjoint, il est
tivement à la zone B et à la zone S de Guthrie (1967-
aussi évident que ce type de données, qui reste très
1971). Il s'agit, pour la zone B, du isangu, langue
spécifique à une langue, ne nous paraît pas
parlée au Gabon par les Masangu (Idiata, 1998a,
généralisable à l'ensemble des langues bantu, et
1998b ; Idiata & Boyer, 2000) ; pour la zone S, les
encore moins suffisant pour que l'on systématise la
travaux ont porté sur le sesotho, parlé au Lesotho et
valeur sémantique dans la définition des classes
en Afrique du Sud (Demuth, 1983, 1988, 1992 et
nominales bantu. A moins-bien sûr de réorienter le
2000; Demuth and Ziesler, 1994; ConneIly, 1984),
débat sur le sémantisme des classes bantu dans le
le sezulu, parlé en Afrique du Sud (Suzman, 1980,
sens d'un certain nombre de travaux récénets qui
1991, 1993 et 1996), le siswati, parlé au Swaziland
soutiennent que le système des classes bantu con-
(Kunene, 1979) et le setswana, parlé au Botswana
naît une dynamique sémantique dans son organisa-
(Tsonope, 1987). Le tableau 3 qui suit présente le
tion ; mais un sémantisme qui s'appuie sur des ca-
système des classes nominales dans ces cinq lan-
tégories différentes de celles qui sont traditionnel-
gues
lement posées (Lire par exemple Contini-Morava,
1997)1.
1 Les travaux plus récents prenant pour objet non les classes nominales du Proto-bantu mais celles du
kiswahili contemporain sont allés plus loin. en changeant de direction de recherche. Au lieu d'analyser
3- Rapports des études sur l'acquisition des clas-
les classes nominaJes bantu en termes d'invariants sémantiques. cette nouvelle approche, qui se veut
sémantico-cognitive, fait apparaître une systématicité beaucoup plus importante dans l'organisation
ses nominales par les enfants
des classes nominales.
2 Le lecteur trouvera une littérature intéressante sur les classes nominales baruu dans Kadima (1969),
Les classes nominales' constituent le thème ma-
Corbet! (1991), Gunler (2000) ou Idiata (2000), entre autres.
jeur qui a suscité le plus grand nombre de travaux
36
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004.

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Numéros
Forme des préfixes nominaux dans les langues étudiées
des classes
Isangu
Sezulu
Setswana
Sesotho
Siswati
1
Mu-
u-mu-
mo-
mo-
u-m u-
la
,fi
u-u-
,fi
r/J
r/J
2
Ba-
a-ba-
ba-
ba-
ba-
2a
0-0-
bo-
b o-
bo-
3
Mu-
u-m u-
mo-
mo-
u-m u-
4
mi-
i-m i-
mi-
me-
i-m i-
5
di-
i-i- (i-li-)
/i-
Le-
/i-
16
Ma-
a-ma-
ma-
ma-
e-m a-
7
i-
i-si-
si-
se-
si-
'fi? -
8
B i-
i-zi-
di-
/i-
Ii-
9
,fi
iN-
N-
r/J
iN-
110
,fi (b a-)
i-ziN-
diN-
/i-
liN-
II
Du-
u-u-
10-
lu-
14
Bu-
u-bu-
bo-
bo-
bu-
15
u-
u-ku-
ho-
ho-
ku-
Tableau HI. Forme des préfixes nominaux dans les langues étudiées'.
Dans toutes ces études, les auteurs décrivent un
Mais le système ne commencera réellement à être
processus acquisitionnel qui se déroule en trois
équilibré que vers 48 mois. Kunene relève, en ef-
phases. La première phase est caractérisée par la
fet, que les enfants surgénéralisent le préfixe i- pour
non utilisation des préfixes. Pour les différents
les nominaux des classes 7, 9 et Il. Au niveau de
nominaux, les enfants utilisent uniquement le
l'appariement des préfixes nominaux, les enfants
morphème lexical. La seconde phase est celle de
utilisent l'appariement] 12a pour les nominaux qui
l'émergence du préfixe, mais un préfixe encore
sont normalement utilisés en 1/2 dans le système
erroné, puisqu'il est composé uniquement d'une
cible (adulte). Pour certains nominaux de classes
voyelle, qui est d'ailleurs surgénéralisée aux dif-
3/4, les enfants produisent plutôt l'appariement li
férentes classes. Peu à peu, cette voyelle va pren-
2a. Les enfants créent un appariement exception-
dre la coloration de la voyelle du préfixe tel que
nel 14/2a,. pour les nominaux attestés uniquement
réalisé par l'adulte. La troisième phase, enfin, est
en classe ] 4 dans le système adulte. Il en est de
celle caractérisée par l'utilisation du préfixe plein,
même pour les nominaux de classe] 5 pour lesquels
conforme au système cible (adulte).
les enfants produisent un appariement exception-
Dans l'ordre chronologique, la première étude
nel 15/2a. De plus, les enfants ont tendance à régu-
lariser certains appariements: en l'occurrence, ils
connue ayant porté sur l'acquisition d'une langue
bantu est celle de Kunene (1979) sur la langue
uti 1isent systématiquement l'appariement 9/1 0,
siswati. Dans cette étude, l'auteur décrit un pro-
même pour les nominaux normalement attestés en
9/6
cessus acquisitiionnel en plusieurs phases: l' en-
dans le système cible. Enfin, les enfants Swati
fant commence,jusqu'à 27 mois, par l'utilisation
commencent à coupler les préfixes avant que le sys-
tème ne soit considéré comme totalement en place
de thèmes nominaux sans préfixes, et aboutit à
l'acquisition du systèmes des classes, donc l'uti-
(c'est-à-dire avant qu'ils n'aient manifesté l'acqui-
lisation du nom dans sa forme appropriée (Pré-
sition de l'ensemble des préfixes).
. fixe + Thème) vers 36 mois.
1 Ce tableau ne tient pas compte des classes locatives dont le fonctionnement est différent.
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
37

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
Ces résultats ont été confirmés par Demuth (1983,
Sur la même langue, Connelly (1984) relève des
1988, 1992 et 2000) ; Demuth et Ziesler, (1994) et
résultats identiques au niveau du processus, mais
Connelly (1984)) dans leurs travaux respectifs sur
on note une légère différence au niveau de l'âge où
l'étude de l'acquisition des classes nominales
les enfants seraient à telle ou telle phase. Cette étude
sesotho. Demuth relève trois phases dans le pro-
montre que le processus acquisitionnel se déroule
cessus acquisitionnel, qu'elle caractérise comme
entre 23 et 33 mois. Les enfants systématisent
suit:
d'abord les préfixes exprimant le singulier (il a re-
Phase 1: Pas de préfixe
levé, dans le discours spontané d'enfant de 21 à 36
mois, 88% de préfixes exprimant le singulier, et
Phase 2: Préfixe tronqué et préfixe nasal
seulement 12% de préfixes qui expriment le plu-
Phase 3: Préfixe plein, approprié
riel).
En sesotho, la phase 1 a lieu avant 25 mois; la phase
Sur l'acquisition des classes du setswna, l'étude de
2, entre 25 et 28 mois, et la phase 3, à partir de 30
Tsonope (1987), rapportée par Demuth ou Suzman,
mois. Dans la première phase du processus, les en-
confirment les trois phases du processus; proces-
fants produisent des thèmes nominaux sans pré-
sus qui se déroule entre 23 et 36 mois.
fixes; dans la seconde phase, il produisent une sorte
Par rapport à l'acquisition du sezulu, Suzman (1991,
de préfixe tronqué, de forme vocalique, et dans la
1996) observe que les enfants utilisent le préfixe
troisième phase, elle observe l'émergence du pré-
plein autour de 23 mois. A cet âge, ils alternent les
fixe plein (dans sa forme correcte, attendue).
phases 1 et 3 décrites par Demuth.
L'exemple (9) ci-dessous emprunté à Demuth
A 28 mois, le système est quasiment en place, mal-
(1988) résume ces phases:
gré quelques problèmes de surextension du préfixe
(3)
enfant (02; 1)
Adulte
i- de classe 9 qui est aussi utilisé en classe 7. Suzman
a.
pônko
constate une corrélation entre la place du nom dans
b.
apo! ko
la phrase et l'utilisation ou non du préfixe. Ainsi,
c.
lipho l qO
lipho : qO
lorsque le nom suit un verbe, le préfixe est systé-
«green corn stalk»
matisé par les enfants; mais il ne l'est plus lorsque
A partir de 36 mois, la majorité des préfixes sont
c'est le nom qui précède le verbe. Le tableau qui
utilisés par les enfants, même s'il subsiste encore
suit, emprunté à Suzman (1996) résume l'utilisa-
quelques omissions de préfixes pour les classes 1,
tion des préfixes nominaux par les trois enfants Zulu
7,8 et ID, dans le contexte où le nom est suivi d'un
étudiés, à l'âge de deux ans et quatre mois:
déterminant.
Noms des enfants
0/0 utilisation
0/0 préfixes
0/0 omissions de
correcte des
surgénéralisés
préfixes
préfixes
Nqoœ
670/0
290/0
4%
Thulani
54%
23%
230/0
Busarathi
690/0
130/0
190/0
Tableau J. L'utilisation des préfixes nominaux par les enfants Zulu (source: Suzman, 1996)
38
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
La dernière langue pour laquelle il existe des résultats publiés quant à l'acquisition des classes nominales est
le isangu (ldiata, 1998a, 1998b; Idiata et Boyer, 2000). Ces différentes études relèvent que le système est
acquis par les enfants, entre 24 mois et 36 mois, voire 42 mois. Avant 26 mois, c'est la phase 1 ; entre 26 et
30 mois, c'est la phase 2, et autour de 34, 36 mois, quasi-systématisation de la phase 3. L'exemple (9) qui
suit récapitule ce processus :
-
(4)
Enfant
Adulte
phasel 7 7 7 *
phase 2
*7 7 7 * /7 7 7 7 *
phase 3
7 7 7 7 7 *
77777*
"main"
Comme pour les autres langues, les enfants régularisent les appariements irréguliers: par exemple l' apparie-
ment 5/2 est remplacé par l'appariement 5/6 dans le système de l'enfant. Ce dernier appariement est plus
fréquent et plus productif. Il faut attendre l'âge de 42 mois pour que l'enfant systématise l'appariement 5/2.
(5)
Enfant
Adulte
7 7 7 7 7 7 7 * (sg.)
7 7 7 7 7 7 7 *
"arachide"
7 7 7 ? 7 7 7 * (pl.)
7 7 ? 7 7 7 7 *
"arachides"
L'une des orientations de l'étude sur l'acquisition
4- Discussion et conclusion
des classes nominales isangu par les enfants a porté
La présente évaluation du sémantisme des classes
sur la question de savoir si les enfants organisaient
dans les langues bantu sur la base de deux types de
le système en se basant sur le critère sémantique
données, à savoir la description de huit langues du
(ldiata & Boyer, 2000). Les résultats de cette étude
nord-ouest du domaine, et surtout les rapports con-
n'ont pas confirmé la prise en compte du critère
cernant les processus d'acquisition de ce système
sémantique par les enfants dans I~ processus d'ac-
dans cinq langues bantu des zones B et S (de
quisition des préfixes nominaux. Les seuls traits de
Guthrie, 1967) par les enfants, montrent que le cri-
sémantisme attestés concernent la distinction Animé
tère sémantique n'a (plus) aucune pertinence dans
vs Non Animé, sur laquelle s'appuie les enfants, à
la définition des affixes de classes bantu.
une phase initiale de l'acquisition des morphèmes
d'accord, où on relève une surextension de l'usage
En ce qui concerne la description des huit langues
des accords de classes 1 et 2, normalement appli-
citées dans cette études, les résultats montrent que
qués aux items se rapportant aux humains (dans le
dans tous les systèmes, les noms sont intégrés dans
système cible), à tous les animés.
les différentes classes sans tenir compte du critère
sémantique. Il apparaît que la quasi totalité des clas-
En guise de conclusion à cette partie qui concerne
ses (à l'exception des classes 1/2) comportent des
l'acquisition des classes nominales par les enfants,
noms appartenant à des catégories diverses.
il faut retenir que dans aucune des langues étudiées,
les enfants ne réorganisent le système en se basant
Concernant l'étude du processus d'acquisition de
surIe critère sémantique. Les seuls traits de
ce système par les enfants, là aussi, on voit que dans
sémantisme attestés (cf. par exemple ldiata & Boyer,
aucune des langues, les enfants ne prêtent attention
2000) concernent la distinction Animé vs Non
à une quelconque information sémantique dans l' or-
Animé, sur laquelle s'appuie les enfants, à une phase
ganisation des classes nominales. Aucune erreur
initiale de l'acquisition des morphèmes d'accord,
prédite par le modèle sémantique n'est attestée dans
où on relève une surextension de l'usage des ac-
les différents travaux. En fait, le seul trait sémanti-
cords de classes 1 et 2, normalement appliqués aux
que utilisé par les enfants reste la distinction animé
items se rapportant aux humains (dans le système
vs non animé, qui amènent les enfants, dans l'ac-
cible), à tous les animés.
quisition des morphèmes d'accord du verbe, à uti-
liser les accords des classes 1/2 , normalement at-
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
39

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
tribuées aux humains à l'ensemble de la catégorie
existence quelconque du sémantisme des classes par
«animé». Cette situation est largement développée
les enfants n'est-elle pas un indice fort en faveur de
par ldiata & Boyer (2000).
l'idée qu'en l'état actuel des langues bantu, les af-
Mais les données analysées dans le cadre de cette
fixes de classes se sont grammaticalisés à J'extrême
publication permettent de contribuer, au moins en
pour n'être plus que des catégories syntaxiques?
ce qui concerne la partie acquisitionnel1e, au débat
concernant la nouvelle sur l'organisation du
BIBLIOGRAPHIE
sémantisme des classes nominales bantu, telle que
formulée dans des travaux récents, qui proposent
1. WH., Bleek. (/851), Guilelmus, De nominum
de réorienter la recherche sur d'autres catégories
generibus linguarum Africae Australis. Bonn.
sémantiques, différentes des catégories traditionnel-
les (présentes chez Denny et Creider, ] 986 ;
2. WH.. Bleek. (/869), A comparative grammar of
South-African Languages. London.
Welmers, ]973 ou chez Givo!n, 1970). D'après cette
3. M, Connel/y. 1984. Basotho children 'sacquisition of
approche, défendue entre autres par Contini-Mo-
noun morphology. PhD dissertation, University ofEssex.
rava (1997) qui s'appuie sur la langue kiswahili,
l'appartenance à une catégorie peut se fonder sur
4. E., Contini-Morava. (1997), "No un classification in
plusieurs critères, y compris les ressemblances de
Swahili: a cognitive-semantic anlysis using a
computer database
", in R. K Herbert (ed.). African
famille, la métaphore, la métonymie et l'euphé-
Linguistics at the crossroads, Papres from Kwaluseni
misme, et certains membres d'une catégorie ont un
I" World Congress ofAfrican Linguistics, Swaziland.
degré de prototypicalité plus élevé que d'autres. Le
July, 18-22, 1994, Cologne: Rüdiger Kôppe Verlag.
résultat de cette nouvelle théorie est de proposer
une organisation sémantique dynamique du système
5. C; Craig. (1986a), Jacaltek noun classifiers. A
study in Language and Culture. In Colette Craig (ed),
des classes nominales basé sur un réseau sémanti-
Noun classes and Categorization. John Benjamins
que complexe pour chacune des classes.
Publishing Company, pp. 263-294.
C'est alors qu'il peut être intéressant de prendre à
6. c.; Craig. (1986b), Noun classes and
notre compte deux interrogations déjà fonnùlées par
categoriszation. Amasterdam/Philadelphia, John
Benjamin :5 Publishing Company.
Van Der Veen (1999:105): (1) Si la théorie de
Contini-Morava est pertinente dans les langues, à
7. C; Craig. (1987), Jacaltek no un classifiers. A study
l'état synchronique, les réseaux sémantiques des
in grammaticalization. Lingua 71, pp. 41-284.
classes nominales proposés étaient-ils organisés de
8. KA., Demuth. (1988), Noun classes and agreement
cette façon à des stades antérieures aux langues
in Sesotho acquisition. In Barlow, M & 9. C.A.
bantu actuelles? (2) Si l'on admet que les réseaux
Fergusson (eds), Agreement in natural languages :
sémantiques proposés par Contini-Morava consti-
Approaches, Théories, Descriptions, CSLI
tuent une réalité synchronique, jusqu'à quel point
10. KA .. Demuth. (1995), Bantu noun class systems:
les locuteurs en sont conscients? Et c'est là que l'ac-
synchronie and acquisition evidence ofsemantic
quisition du langage chez l'enfant peut apporter
productivity. In Gunter, S. (ed.), Basic Issue in
quelques explications quant à l'évolution du sys-
nominal classification.
tème linguistique. Une troisième question s'impose
11. J. P, Denny.& A., Creider. (/986), The semantics
alors: Si les réseaux sémantiques dans l'organisa-
ofNoun Classes in Proto Bantu. ln Colette Craig
tion des classes tel que proposé par Contini-Mo-
(ed.), Noun classes and Categorization. John
rava pour le kiswahili sont valables, s'ils sont vala-
Benjamins Publishing Company, pp. 217-240.
bles pour toutes les langues bantu, et s'ils sont,
12. .J. P., Denny. & A., Creider. (1986), The semantics
comme le soutient l'auteur, organisés sur une base
ofNo un Classes in Proto Bantu. ln Colette Craig
sémantico-cognitive, pourquoi les enfants ne prê-
(ed.), Noun classes and Categorization. John
tent-ils pas attention à cette oragisations? Cette der-
Benjamins Publishing Company, (pp. 217-240);
nière question est d'importance car il est aujourd 'hui
13. R. M, Dixon. (1968). Noun classes. Lin6a. n"
admis que la connaissance des processus d'acqui-
. 21, pp. 104-125.
sition du langage par l'enfant peut renseigner, de
manière très significative, sur l'évolution des phé-
14. R. M, Dixon. (/986), Noun classes and noun clas-
sification in typological perspective. ln C. Craig (ed.),
nomènes 1inguistiques. La non reconnaissance d'une
40
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

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