_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Etats-nations et citoyenneté: enjeux
africains dans le contexte actuel de la
mondialisation
Octave Nicoué BROOHM
Maître-Assistant d'Ethique et Politique
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Université de Lomé, Togo
Résumé
Abstract
La société politique se compose aujourd'hui,
Nation states and citizenship :African challenges
à l'échelle planétaire, d'Etats-nations. Ce
in the present context of globalisation.
modèle historique s'est imposé en Afrique
At the globallevel political society is composed,
par le biais de la colonisation. L'Afrique con-
this day, of nations states. This historical model
temporaine est cependant confrontée à un
has been imposed upon Africa through
double défi. Pendant qu'elle tente de bâtir,
colonisation. Contemporary Africa, however, is
non sans difficultés, des Etats-nations mo-
faced with a twofold challenge. While it is
dernes, viables et stables, des exigences et
attempting with a lot of difficulties to put in place.
impératifs post ou supra nationaux frappent
viable and stable nation states, post or supra-
à ses portes dans un contexte mondial de fra-
national demands and imperatives is knocking
gilisation des Etats-nations classiques. Le
at its door in a global context whereby nation
processus de mondialisation n'empêche pas
states in the classical sense are getting weakened.
cependant l'affirmation de différenciations
The globalisation process, however, does not
symboliques fortes à travers notamment des
prevent the statements of strong symbolic
revendications identitaires nationalistes ou
differentiations through notably nationalistic or
ethniques.
ethnie claims of identity.
Il s'agit ici de mettre en perspective l'articu-
The point of this study is to put into perspective
lation des dynamiques paradoxales de la
the articulation of the paradoxical dynamics of
mondialisation
et
des
mouvements
globalisation and identity related movements in
identitaires au regard des Etats-nations afri-
relation to the African Nation-States under
cains en construction.
construction.
Mots-clés: Etat-Nation, Mondialisation, Ci-
Key Words: state, Nation, Citizenship,
toyenneté, Démocratie, Modernité
Globalisation, Democracy, Modernity
Introduction
est-ce ainsi que la situation se présentait en Occi-:
dent' ,lieu géographique d'émergence et d'affirma-
L'Etat-nation trouve ses racines idéologiques dans
tion de l'Etat-nation.
leprojet moderne de construire une société ration-
Une situation critique nouvelle se développe cepen-
nelle ou, si l'on préfère, fondée sur la raison. L'Etat,
dant aujourd'hui qui affecte partout la stabilité de
la nation, l'Etat-nation, sont sans conteste des réa-
l'Etat-nation et contraint à remettre en chantier la
lités construites, advenues, produitsd'un long pro-
question de l'identité des ensembles politiques et
. cess us historique. La construction des Etats-nations
des processus subjectifs qui leurs correspondent
au sens où nous J'entendons aujourd'hui est allée
aussi bien en Occident qu'en Afrique.
de pair avec l'édification d'une société démocrati-
1 Comme le précise Serge Latouche, <d'Occident est une notion que l'ex-
. que mettant en scène des individus appelés citoyens;
tension et mêmeles dérives de sa base géographique tendentà réduire à un
affirmant des droits en tant qu'êtres autonomes au
espace imaginaire. Il ne se comprend, néanmoins, qu'à partir de sa souche
géographique» in La planète unilorme. Editions Climats, 2000, p. 55
sein de l'unité politique qu'est la nation, du moins
Revue du CAMES - Série B; vol. 006 N° 1-2.2004
1

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
Il s'agit d'un ensemble de phénomènes liés à ce
lustration. Il s'agit d'un régime centralisé, investi
qu'on appelle la mondialisation ou, dans la termi-
d'une autorité légitime, servant de médiation dans
nologie
angle-saxonne, la globalisation
les rapports avec l'extérieur, notamment avec les
(globalization). La mondialisation dans ces diver-: .
autres Etats-nations, assurant l'ordre intérieur, as-
ses modalités, économico-financière, technologi-
sumant à ce titre tout un éventail de fonctions éco-
que, informationnelle, culturelle, apparaît comme
nomiques et sociales, décidant souverainement de
un pouvoir mondial anonyme dont l'un des effets
la guerre et de la paix, intervenant dans l'arbitrage
majeurs est de détruire la forme du lien social et
des conflits sociaux, jouant un rôle croissant dans
politique dans laquelle s'est épanouie la modernité
la sphère de l'éducation, dans le développement de
politique jusqu'alors: l'Etat-nation.
la santé publique, dans le développement des in-
frastructures de communication, des travaux pu-
Cette dynamique annonce, aujourd'hui plus encore
blics, dans la protection des indigents, dans la ré-
qu'hier, la fin des frontières, la circulation généra-
gulation de l'économie, en somme dans pratique-
lisée et le village planétaire, mais concomitamment
ment tous les domaines de la vie politique, sociale,
et paradoxalement, la montée nouvelle des
économique et culturelle.
identitarismes dans des formes parfois extrêmes, des
Les Etats-nations n'ont pas seulement un terri-
crispations ethniques ou nationalistes violentes,
s'agissant de l'Afrique notamment. Ce qui est ainsi
toire reconnu et une indépendance juridique, ils
fondamentalement mis en cause en rapport à la ci-
:ont aussi une économie nationale. Celle-ci se
toyenneté, c'est la capacité même de l'action poli-
caractérise par une interdépendance très forte
tique des hommes dans le nouveau monde plané-
entre les branches économiques situées sur le
taire.
territoire national. Comme l'écrit François Per-
roux:
Je voudrais ici examiner les implications de cette
«Economiquement, la nation est un
conjoncture mondiale dans le contexte africain, en
groupe d'entreprises et de ménages coordon-
commençant par rappeler le cadre théorique et po-
nés et abrités par un centre qui détient le mo-
litique de cette problématique. Comment appréhen-
nopole de la puissance publique, c'est à dire
der, s'agissant de l'Afrique, la question de I'ébran-.
l'Etat. Entre les parties constituantes s 'établis-
lement et de la profonde remise en cause de la forme
sent des relations particulières qui les rendent
nation liée à l'Etat, conséquences des évolutions
complémentaires. »2
actuelles. Y a-t-il du sens dans ces conditions à par-
ler de production des conditions de l'action politi-
Prospérité économique, indépendance politique,
que en Afrique? Si oui dans quel cadre? N'est-ce
rayonnement culturel, seront les aspirations des di-
pas chimérique pour le continent africain, davan-
vers Etats-nations. Ce qu'on a appelé «les trente
tage fragilisé dans ce contexte, de s'en tenir à l'or-
glorieuses», les années 1945 à 1975, et l'Etat-pro-
dre national étatique?
vidence en Europe est caractéristique de cette évo-
I. LA MODERNITÉ ET LA NATIONALISA-
lution.
TION DU MONDE I
Comme conséquence de l'hégémonie occidentale,
1.1 L'émergence et la planétarisation de l'Etat-
le «modèle» de l'Etat-nation se diffusa dans toutes
nation.
les régions du monde. L'ordre national étatique, par
des voies diverses, politique, militaire, économique,
On ne peut comprendre la crise de l'Etat-nation
technoscientifique, voire religieuse, s'est imposé
dont il est question aujourd'hui que si l'on a cor-
progressivement à l'échelle mondiale comme forme
rectement cerné sa fonction historique et sociale
exclusive du politique. La personnalité juridique
encore très prégnante il y a moins de trois décen-
nies. Construction politique singulière, l'Etat-na-
tion prend véritablement forme après la Révolu-·
1 La nationalisation du monde est le titre d'un livre de l'historien, Michel
tion française bien qu'il soit en formation au moins
Cahen, qui traite de «l'identité dans la démocratie» en Europe et en Afri-
que. Nous reprenons ici cette expression en un sens, nous le verrons, un peu
depuis la Renaissance européenne. Il se répand en
différent.
Europe au cours du XIXè siècle. Les mouvements
d'unification en Italie et en Allemagne en sont l'il-
2 cf François Perroux, Le Capitalisme, PUF, Collection Que sais-je", 1962
2
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
dans la communauté internationale ne sera recon-
La souveraineté n'est pas donnée avant le souve-
nue qu'aux États de type moderne, c'est-à-dire liés
rain, illa constitue et se constitue lui-même en sou-
à. une nation ou,;à tout le moins, se proposant de
verain. Cette figure est éminemment illustrée par
construire la-nation. Seuls, donc, les peuples dotés
le contrat social de Rousseau où le peuple en tant
des signes dè l' ordre étatique pourront faire partie
que souverain se comprend comme le corps ou le
de la société des nations dont l'ONU constituera la
sujet qui se forme lui-même. Comme dit encore
forme institutionnalisée' . «Un peuple qui s'estfait
Jean-Luc Nancy:
ou qui se veut Etat, voilà en définitive une bonne
« le peuple souverain est le peuple des hommes qui
définition de la nation» écrit pertinemment Alain
se font mutuellement sujets en tous les sens: à sa-
Bihr.2
voir, en tant que rapport à soi de chacun dans le
De fait la nation moderne apparaît inséparable de
rapport de tous les uns aux autres et en tant qu 'as-
l'Etat. L'Etat se présente comme l'armature insti-
sujettissement de tous à ce rapport. Mais le rap-
tutionnelle de la nation, lui assure son unité juridico-
port à soi étant infini, le peuple, de même, est infi-
politique et incarne- sa volonté et sa souveraineté.
niment en défaut ou en excès sur lui-même. »1
La société internationale sera composée d'Etats re-
Institution infinie, la souveraineté comprend cepen-
connus comme souverains dans leur propre sphère
dant en elle, la nécessité impérieuse dumoment fini
territoriale. Ce quiveut dire qu'aucune instance in-
de son institution, au sens conjoint de l'institué et
ternationale ne doit déterminer leur système juridi-
de l'instituant. Ainsi en est-il de la souveraineté de
queinterne et .interférer dans l'orientation de leur
l'Etat-nation moderne qui n'est pas une souverai-
politique. La charte de l'organisation des Nations
neté de source divine.
unies affirmera enson article z, l'égalité souveraine
C'est dire, en d'autres termes, que l'Etat-nation ne
des Etats. Le principe de la souveraineté étatique
se comprend guère s'il n'est rapporté au projet glo-
sera perçu comme intrinsèque à l'ordre des Etats
bal de la modernité politique. Celle-ci circonscrit
dont il exprime la nature. En d'autres termes, il n'y
une espace théorique et pratique où la politique est
a pas' d'Etat sans 'souveraineté. Ce principe mar-
appréhendée comme déploiement de l'autodétermi-
quera les espaces politiques et les identités collec-
nation de peuples qui se constituent dans et par
tives.
l'établissement de leur droit. La modernité politi-
La souverainetéê moderne est précisément l'une des
que ainsi comprise est projet d'auto-institution du
notions phares caractéristiques de l'Etat-nation et
lien social et politique. Elle implique que la politi-
qui montre bien, en contrepoids, les changements
que comme œuvre de la raison est celle qui se dé-
qui interviendront après. La souveraineté désigne
finit en rapport à une universalité de droit qui, elle-
d'abord le sommet. Le sommet surplombe et do-
même, implique un droit universel à la politique, à
mine (summus, supremus). Jean-Luc Nancy souli-
la participation et à la responsabilité politique pour
gnel'identité exceptionnelle qui est celledu sou-
tous et chacun. Ces principes d'universalité, de li-
verain :
berté, d'égalité, de responsabilité personnelle qui
«Quelle
. qu'en
soit
la
détermination
placent l'homme au cœur de l'histoire, vont faire
concrète(république d'un prince, d'un conseil, ou
de l'ordre national étatique une figure politique
d'un peuple), la souveraineté doit être identique à
extrêmement forte et séductrice par-delà les métho-
soi dans son institution et dans son exécution. Elle
des insidieuses et les dérives historiques qui ont ca-
n 'a aucun dehors ni pour la précéder, ni pour la
ractérisé sa planétarisation.
fonder, ni pour la doubler. »4
- - - - - - - - - -
r Samir Amin relève opportunément le fait que l'ONU «qui est une organi-
C'est donc au regard du projet de la modernité po-
sation d'Etats s'appelle l'organisation des Nations unies»; cf La Décon-
litique et de ses développements contemporains
nexion ( Pour sortir du système mondial), Paris, Editions La Découverte,
1986,p.87
qu'il convient de tenter d'élucider les conditions
z cf Alain Bihr, Le crépuscule des Etats-nations, Lausanne, Editions Page
dans lesquelles l'homme africain tente d'accéder à
deux,2000,p.25
3 La paternité du concept
est souvent attribuée à Jean Bodin (1530-1596)
la plénitude de son être. Il ya lieu de distinguer, en
qui l'utilise pour définir le pouvoir exercé par le Prince sur ses sujets dans
effet, entre les principes à visée universelle et les
l'ensemble de son royaume. Cette notion est également préfigurée chez
Machiavel (J 469-1527). La souveraineté est sans limites, honnis les lois de
pratiques, entre l'Etat-nation comme type-idéal
Dieu et de la nature. Les premières doctrines de la souveraineté donneront
d'unité politique et la réalité historique qu'on dési-
lieu à une évolution qui aboutira au concept proprement moderne de la sou-
veraineté.
gne ainsi, sans oublier cependant que les représen-
4 cf Jean-Luc Nancy, La création du monde ou la mondialisation, Paris.
Editions Galilée, 2002, p. 152
.
1 op.cirp. 154-155
Revue du CAMES
Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
3

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Sciences sociales et humaines
tations font elles-mêmes partie de la réalité. L'Etat-
qu'elle a été réduite à sa plus simple expression.
nation africain à beaucoup d'égards n'est demeuré
Asservie essentiellement à des fins de conservation
qu'un pâle reflet des Etats-nations occidentaux,
de pouvoir, elle n'a été pour certaines élites qu'un
frappé dès le départ comme par un mal congénital:
moyen de légitimation de leur pouvoir usurpé, et
sa filiation avec l'Etat colonial.
un prétexte pour asseoir leur domination en invo-
quant de manière quasi névrotique les spécificité
1.2 Les faiblesses de l'Etat-nation africain
culturelles et la sacro-sainte règle de la non-ingé-
rence dans les affaires intérieures, facilitant par le
La forme Etat-nation s'est imposée en Afrique,
fait même, le mode de gestion patrimonial du
comme l'on sait, par le biais de la colonisation. Le
pouvoir(Médard, 1990). La nation dans ces condi-
constat de l'échec de l'Etat-nation africain a été
tions, devenue une simple couverture idéologique,
dressé par maints analystes' . «Le plus beaufleuron
était loin d'être le réceptacle de la souveraineté et
du colonialisme, c'est la farce de la décolonisa-
ne pouvait donner lieu à une citoyenneté effective.
tion...» écrivait Christian Mauref dans les années
80. La faillite politique aussi flagrante que décon-
Faisant suite à ces constats désastreux, certains cri-
certante est mise au compte de plusieurs facteurs
tiques en ont conclu à l'inadaptation foncière de la
externes
comme
internes.
Les théories
forme Etat-nation à l'Afrique et préconisent de nou-
dépendantistes des années 60 et 70 ont notamment
velles approches. On en était donc à s'interroger,
mis en exergue la responsabilité du centre(par op-
s'agissant de l'Afrique, sur les possibilités réelles
position à la périphérie dans laquelle l'Afrique est
de construction de l'Etat-nation quand, à partir de
en bonne place) dans l'oppression et la
la fin de la guerre froide notamment, on assista à
désappropriation, c'est-à-dire toutes les procédures
l'émergence et à l'insistance de discours sur la fin
d'ordre juridico-économique qui ont entraîné l'ex-
de l'Etat-nation et de son hégémonie, consécutive
propriation, la dépossession matérielle et l' assujet-
à une ère nouvelle, celle qu'annonce la mondialisa-
tissement.
tion. Pour les uns, il s'agirait là d'un phénomène
essentiellement positifmenant à son terme le grand
D'autres auteurs ont plutôt mis l'accent sur le rôle
projet universaliste de la modernité; pour d'autres,
pervers des élites locales peu préparées à jouer les
au contraire, il serait en fait question d'un redouta-
nouveaux rôles qui leur incombaient. Au total, les
ble défi, d'une crise, voire d'une régression qui
critiques adressées à l'Etat, puis à l'Etat-nation afri-
aboutirait finalement à découronner la politique, à
cain sont de tous ordres; mais elles touchent es-
la vider de sa substance. Deux types de discours
sentiellement aux domaines politique, économique
portant sur la situation africaine en rapport à cela
et socioculturel. La liste pouvant être longue, nous
retiendront à cet égard notre attention.
n'en citons ici que quelques-unes parmi les plus
courantes et les plus importantes.
Al'évidence, les promesses de la modernité n'ont
pas été tenues en Afrique. Aussi, le premier type de
D'abord l'Etat africain est dit souffrir d'un triple
discours soutient-il qu'on ne peut même pas parler
déficit de légitimité, d'institutionnalisation et de
de crise de l'Etat-nation en Afrique puisqu'il n'y
régulation territoriale. La conséquence en est qu'il
existe pas d'Etat-nation en tant que tel, et qu'en
lui est impossible de construire la nation et d'assu-
somme, on pourrait se demander si la crise, dans ce
mer ses fonctions politiques et économiques élé-
cas particulier ne provenait pas de la volonté d'im-
mentaires. Sa faible capacité d'intégration fait que,
poser la forme nationale étatique, rêve de certaines
plutôt que d'être socialement promouvant, l'Etat
élites. La proposition qui s'en suit est qu'il faudrait
post-colonial africain est conduit à s'affirmer con-
désormais prendre appui sur les nations-ethnies
tre les identités réellement existantes, d'aucuns di-
ront «contre les nations réellement existantesvè . A
1 L'on peut mentionner, entre autres: Mwayila Tshiyernbe, Etat multinatio-
cette déficience, il faut également ajouter l'incapa-
nal et démocratie africaine, Paris, l'Harmattan, 2001; J·F Bayart, La Greffe
de l'Etat, Paris, Karthala, 1997; B. Badie, L'Etat importé, Paris, Fayard,
cité de ces Etats à créer de véritables marchés na-
1992, J-F. Médard (direction), Etats d'Afrique noire, Formation, Mécanis-
tionaux. Tout ceci explique, entres autres, qu'ils ne
mes et crises, Paris, Karthala, 1991.
2 cf. Christian Maurel, L'Exotisme colonial, Paris, Robert Laffont, 1985, p.
soient ni soft, ni strong, mais autoritaires et faibles,
15
mous comme dirait Gunnard Myrdal. S'agissant par
3 cf. Michel Cahen, La nationalisation du monde, Paris, l'Harmattan, 1999,
p.32
exemple de la souveraineté, force est d'admettre
Revue du CAMES
Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

--'-
Sciences sociales et humaines
existantes et promouvoir un «Etat sans nation» ou
justifié de parler de la fin de l'Etat-nation comme
dans une autre formulation un «Etat multinational».
entité souveraine et comme cadre d'animation de
L'Etat fondé sur la réalité ethnique serait en ce sens
la vie politique?
une alternative à l'Etat-nation. Le deuxième type
«Internationalisation, multinationalisation, mon-
de discours constitue une mise en garde à l' atten-
dialisation des nations et du monde: il n'est plus
tion des pays comme ceux d'Afrique et qui con-
de problème national ou local qui ne doive être
siste à dire: maintenant que les pays développés du
pensé dans sa dimension mondiale».
Nord sont entrés dans l'ère postnationale, si vous
C'est ce que relève
Serge Latouche dans son
persistez
ouvrage au titre évocateur, La Planète uniforme".
~ devenir. des nations souveraines, et à
mener à son terme le processus d'autonomisation
Il faut cependant revenir au rôle régulateur de l'Etat
et de développement individuel et collectif qui est
pour bien évaluer sa portée.
au cœur du projet national étatique, vous vous ex-
poser-ez à des difficultés insurmontables.
2.2 Les fonctions indépassées de l'Etat et les li-
,;,'
.,
mites de la mondialisation
Ces discours doivent être interrogés en se deman-
dant notamment quel est le modèle ou le concept
Le principe de la territorialité offre une illustration
de nation qui fonde leur jugement, en commençant
exemplaire de ce que peuvent faire les Etats dans le
par élucider les rapports de l'Etat-nation avec ce
contextè de la mondialisation et les limites de celle-
qui apparaît comme une nouvelle donne: la mon-
ci dont la dynamique ne peut tout expliquer. En réa-
dialisation. ;
lité, l'Etat n'ajamais pu réguler les activités dont le
n. LA MON~IALISATIONET LA CRISE DE
déroulement où les effets excèdent son territoire.
L'ETAT-NATION
Certes, le développement des communications et
échanges de tous genres et la porosité des territoi-
2.1 La relativisation du cadre stato-national
res des Etats à leur mouvement pose la question de
la maîtrise par l'Etat d'un espace normatif national
Comme l'on sait, le succès du mot vient de l' éco-
exprimé dans le principe de la territorialité. L'inter-
nomie. A partir des années 80, on passe d'une logi-
nationalisation des échanges et des communica-
que d'internationalisation de l'économie où la cir-
tions, qu'ils soient matériels ou immatériels, a tou-
culation des capitaux était encore essentiellement
jours imposé une coordination, ne serait-ce que
contrôlée par les Etats à une logique transnationale
parce que, bien souvent, une harmonisation est né-
où celle-ci ne dépend plus des règles fixées par les
cessaire, ne serait-ce que d'un point de vue techni-
Etats-nations.
que. L'histoire de l'Europe contemporaine en cons-
«Désormais cette circulation est globale: elle dé-
truction montre que la réglementation commune
borde les cadres classiques des relations entre Etats
d'un certain nombre de questions a conduit à l'adop-
pour se développer dans un transnational intégré
tion de références techniques et culturelles commu-
à l'échelle monde sr
nes. Les exemples sont légion en la matière. On
On passe' de l'inter à l'intra. L'idée d'un change-
pourrait citer ici le cas du problème de l'immigra-
ment d'échelle où tout ne prend désormais sens que
tion. On pouvait lire tout récemment dans le Jour-
par rapport au métasystème qu'est le système monde .
nal Le Monde:
sera forgée par des géographes notamment Olivier
«Les 25 pays membres actuels et à venir de l'Union
Dollfus. En tout état de cause, il importe de retenir
Européenne ont décidé de créer u~e structure char-
que la grille interétatique de lecture du monde de-
gée de coordonner des projets de coopération aux
vient obsolète ou en tout cas fortement relativisée.
frontières extérieures de l 'UE: formation des gar-
Cela entraîne, il va 'sans dire, d'importantes consé-
des frontières, harmonisation de leur équipement
. quences politiques.
et de procédures de rapatriement de clandestins. »3
L'architecture fondamentale de la société politique
Cette coordination relève des Etats en question.
moderne, à savoir le monde divisé en Etats-nations
Celle-ci permet de concilier une approche combi-
semble dès lors s'orienter vers un nouvel ordre, in-
née de protection, de contrôle en même temps que
définissable, qui fait que les choix collectifs ne sont
d'ouverture du territoire. Cet exemple montre que
plus incarnés et portés par l'Etat. N'est-il pas alors
l'Etat ne parvient à garder la maîtrise de son terri-
Revue du CAMES
Série D,vol. 006 N° 1-2,2004
5

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
toire que par une coordination internationale. Les
tera à nouveau à tous les regards. Si, aujourd'hui,
Etats continuent d'être quoiqu'on dise les seuls « su-
le rôle clé de la politique est peu visible, l'une des
jets» souverains du droit international. En fait, ce
raisons en est le succès même de la politique. »1
qu'on constate, c'est à la fois le recul programmé
de l'Etat dans un certain nombre de domaines et
Philippe Bénéton en disant cela fait référence à la
. son renforcement dans d'autres. On peut mettre l' ac-
situation de l'Occident. Si nous prenons maintenant
cent sur la dynamique propre des acteurs privés et
le cas de l'Afrique, nous ne pouvons guère parler
sur I'irrésistibilité des innovations techniques; mais
d'un tel succès de la politique. Force est de consta-
force est d'admettre que ces évolutions elles-mê-
ter que si la visibilité de la politique est néanmoins
mes ne se font qu'avec les interventions des Etats.
chose certaine, celle-ci est liée à une perception
On n'expliquerait pas autrement la dynamique qui
négative. La politique en Afrique subsaharienne est
habite une institution comme l'OMC. En réalité,
encore souvent sources des conflits les plus meur-
en un sens, ce sont les Etats eux-mêmes qui relati-
triers, conduisant dans certains cas à la décomposi-
visent le territoire comme référence.
tion de l'Etat et à l'exacerbation des replis
identitaires qu'on met quelque fois trop facilement
La vérité est que la mondialisation met en scène
au compte des effets de la mondialisation. Qu'il y
une société internationale fondamentalement
ait un lien entre les mobilisations identitaires et la
inégalitaire où ce qui est voulu par certains est subi
mondialisation, nul ne saurait le contester. L'affai-
par les autres. Ce qui est en cause, l'enjeu, ce n'est
blissement des Etats africains par la remise en cause
pas le contrôle du territoire en tant que tel, mais
de leurs fonctions régaliennes traditionnelles (maî-
bien celui des hommes et de leurs activités. La dé-
trise de la politique extérieure, contrôle du territoire,
tennination en commun de règles communes et
monopole de la violence institutionnelle et de la
l'exercice en commun de compétence partagée
justice, etc.) favorise assurément les pressions cen-
demeurera un horizon, pour ainsi dire, indépassable.
trifuges. Les mouvements communautaires pour-
On ne peut imaginer une déterritorialisation quasi
raient compenser dans ces cas-là le manque d'Etat
totale. Comment par exemple résister à une attaque
par un repli identitaire.
informatique sur les réseaux de sécurité dans une
telle hypothèse? La construction du pacte social
Il importe cependant de relever que toutes les mo-
sera toujours recherchée sur des bases nationales
bilisations identitaires ne sont pas la conséquence
dans un premier temps, même si les contraintes sont
de la mondialisation. Le jeu des acteurs et l'in-
devenues mondiales et imposent par la suite des réa-
fluence des facteurs internes sont tout au moins aussi
justements. Les situations de crise montrent bien
importantes. L'instrumentalisation politique des dif-
que l'Etat reste régulateur en dernierressort. La crise
férences ethniques au fin de conservation du pou-
asiatique en a donné une illustration récente. Les
voir par certaines élites politiques conduisent bien
intérêts communs ont toujours un coût dont la prise
souvent aux crises identitaires observées. C'est
en charge n'est pas spontanée. Comme l'écrit Phi-
pourquoi les approches visant à une renaissance
lippe Bénéton:
politique de l' Afrique sur des bases ethniques, sup-
«La politique conserve son statut à part: elle con-
posées être des nations réellement existantes méri-
ditionne les activités des hommes. Que, par mal-
tent la plus grande vigilance.
heur et par extraordinaire, une guerre civile éclate
dans un pays d'Occident ou une dictature s'installe,

et la dimension architectonique de la politique écla-
1 cf. Michel Beaud et S., Mondialisation (Les mots et les choses). Paris.
Karthala. 1999. p. 193
2 op. cit., p. 142
3 cf Le Monde, samedi 21 juin2003. Sous la double pression de la révolu-
tion technologique en matière de communication et de la mondialisation
économique, se fait jour l'idee d'une citoyenneté mondiale, dans un espace
international supposé marqué par des rapports plus harmonieux entre les
Etats et d'ouverture de leurs frontières à la libre circulation des personnes,
des capitaux, des services et des marchandises. Cela n'empêche pas les
pays riches de prendre dans le même temps des mesures de plus en plus
1 cf Philippe Bénéton, «L'Etat et la crise de la politique» in Revue des
draconiennes contre l'immigration en provenance des pays pauvres.
Sciences Morales et Politiques, 2000, NI, p. 17
6
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

- - - - - - - - - - - - - - - -
Sciences sociales et humaines
III. L'ACTION CITOYENNE DANS LE CA-
globalement rassurant; toutefois, elles ne peuvent
DRE DE L'ETAT-NATION EST-ELLE EN-
être le fondement d'une éthique sociale et garantir
CORE POSSIBLE EN AFRIQUE?
le « mieux-vivre-ensemble » dans une société com-
plexe.
3.1
La forme nationale étatique n'est pas la
cause des échecs politiques
La crise de l'Etat-nation en Europe est un appel à
plus d'ouverture selon les préceptes démocratiques,
« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne
à l'extension de la citoyenneté (tendance à briser
lafont pas arbitrairement dans des conditions choi-
l'équation rigide de la nationalité et de la citoyen-
sies par eux, mais dans des conditions toujours déjà
neté) sous la pression de la mondialisation. Le pos-
données et héritées du passé. »
tulat qui veut qu'à un Etat corresponde une nation
Ce propos de K. Marx tiré des 18 Brumaire de Louis
et une culture, a eu certes des tentatives de traduc-
Bonaparte, reste d'une grande actualité s'agissant
tion historique (la France assimilationiste), mais
du projet national comme projet de la raison mo-
n'est pas consubstantiel au projet national qui se
1.
derne. Le constat de l'hétéronomie radicale de la
présente comme une «communauté de citoyens»
société a été lourdement établi par toutes les scien-
selon l'heureuse formule de Dominique Schnapper
ces sociales et humaines. La diversité, la pluralité
(1994). Le lien historique entre la nation et la ci-
est originelle. Comment peut-elle trouver un accom-
toyenneté n'est ni logique ni nécessaire. La citoyen-
plissement harmonieux dans l'unité nationale? Est-
neté peut s'exercer à tous les niveaux de l'organi-
ce seulement possible? Le citoyen est loin d'être
sation politique des humains, aussi bien au niveau
un individu complètement abstrait. Il est issu d'un
supranational qu'au niveau infranational. Mais il
enchevêtrement complexe de relations héritées: fa-
faut dire que l'Etat-nation n'est pas à rejeter sim-
miliale, religieuse, politique, ethnique, etc., qui lui
plement parce qu'il serait un emprunt, puisqu'il est
préexiste donc et qui influent sur son comportement.
une création culturelle comme bien d'autres, po-
Comment combiner l'idée d'autonomie du citoyen
tentiellement
universalisable, susceptible donc
comme acteur social et les identités collectives,
d'être réappropriée par tout groupe humain orga-
culturelles, ethniques dont il participe?
nisé.
On pourrait répondre: en prenant au sérieux le pro-
On pourrait objecter que les principes dont il est
'jet de modernité et en cernant correctement le con-
question n'ont pas grande valeur pratique parce que
cept de citoyenneté qui lui correspond. La moder-
trop abstraits et généraux. Comme tous principes,
nité politique, en effet, est projet d'autonomie indi-
en effet, ils sont transcendants à la réalité; ils évo-
viduelle et collective inséparablement. Il importe
quent une direction d'action et appellent à la réali-
de comprendre la singularité de la citoyenneté po-
sation de cette action. S'agissant de l'Afrique
litique. Celle-ci n'est pas essentiellement une af-
subsaharienne, il faudrait surtout se demander com-
faire d'appartenance. Comme dit Jacques Rancière:
ment leur donner du relief et les rendre opératoires,
pour ainsi dire. Comment penser leur inscription
« L'espace de la citoyenneté n'est jamais simple-
dans les traditions locales? A l'évidence, ce ne peut
ment ni celui de l'appartenance concrète, ni celui
être par l'homogénéisation culturelle forcée ou par
de l'universalité abstrattet.i.) L'espace citoyen ne
la juxtaposition des différents codes, ceux par exem-
peut doncjamais être simplement celui de la coexis-
ple des systèmes juridiques locaux et des systèmes
tence des appartenances ou celui de l'opposition
juridiques de l'ancien colon français, anglais ou
de l'universel à tous les particularismes. Il est ce-
portugais. Comme dit Bayard (1995 : 242) :
lui d'un rapport polémique toujours rejoué entre
«L'alternative n'est pas entre l'universalisme par
l'ordre politique et l'ordre de la filiation. »1
uniformisation, au mépris de la diversité des «cul-
tures», et le relativisme par exacerbation des sin-
Dans la mesure où l'être humain est toujours situé,
gularités».
il naît d'un milieu social et culturel donné et c'est
Plus qu'un plébiscite de tous les jours pour para-
là qu'il apprend ces premiers codes de conduite en
phraser le fameux mot de Renan, la nation doit être
société. Ces solidarités-là permettent à l'individu
une expérience de tous les instants au travers de
d'évoluerdans un cadre sécuritaire, coutumier et
projets convergents visant à créer une culture poli-
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
7

_~
Sciences sociales et humaines
tique commune sur la base d'un substrat culturel
. l'affaire des élites mais de tous.
reconstruit. L'universalité n'est-elle pas en somme
la réinvention de la différence, dès lors potentielle-
A cet égard, au-delà de toutes les pré conditions
ment universalisable ? Cultivons-nous aujourd'hui
supposées, il faut promouvoir dans l'immédiat un
la capacité de mobiliser les références communes?
espace public de discussion à tous les échelons de
la vie des collectivités, mettant en œuvre une éthi-
3.2 Eduquer il la nation moderne
que, c'est-à-dire les principes de la reconnaissance
réciproque des intervenants, la liberté égale d'ex-
Des échanges mondiaux d'ordre technique, écono-
pression et de critique, la participation ouverte à
miques, informationnel, militaire, voire politique, .
tous. Le rôle des institutions à créer à cet effet est
relativisent aujourd'hui le cadre stato-national. Mais
précisément de réduire sans les supprimer la multi-
l'Etat-nation reste encore largement l'espace de
plicité et la conflictualité des identifications et des
perception des identités politiques, le site des luttes
appartenances. L'espace public de discussion assure
sociales pour l'égalité des droits et le lieu de la mise
une meilleure lisibilité du terrain mouvant des at-
en sens des choix idéologiques et politiques de mil-
tentes et des croyances et permet de repérer les obs-
lions de personnes à travers le monde. L'Afrique
tacles qui freinent la participation de tous comme
ne peut s'exclure de ce mouvement. Elle peut s'en-
citoyens. Il nous appartient de faire en sorte que la
gager avec succès dans l'édification de nations
mondialisation ne soit pas pour nous une simple
modernes à condition d'en mesurer tous les enjeux.
uniformité mais qu'elle nous engage réellement sur
La démocratie, comme mode de gouvernement des
la voie de l'universalisme.
sociétés est née non seulement sous forme natio-
nale, mais n'a connu jusqu'ici un minimum
CONClLUSION
d'effectivité que dans des cadres nationaux. Asso-
ciée à l'idée d'autonomie, la nation moderne et dé-
Aucune sphère de la vie des individus, des sociétés
mocratique est sûrement féconde; elle n'est ni fer-
et des Etats, n'échappe aujourd'hui au processus
mée à la dimension de l'avenir, ni à celle du passé.
multiforme et multidimensionnel dénommé mon-
Elle ne se confond ni avec l'ethnie ni avec l'Etat,
dialisation. Par-delà les aspects contraignants 1 que
c'est pourquoi elle peut être définie comme le lieu
peuvent revêtir les mutations qu'entraîne ce pro-
de la citoyenneté s'inscrivant dans une transcen-
cessus, il s'agit pour les différents acteurs indivi-
dance qui est celle de l'humanité. A Renaut" com-
duels et collectifs qui agissent dans ce nouveau con-
mentant le Discours à la nation allemande de Fichte
texte, de s'assurer les moyens théoriques et politi-
écrit que pour ce dernier
ques de garder l'initiative historique ou, s'ils l'ont
«le signe visible de l'inscription d'une liberté au
perdu entre-temps - cas de l'Afrique - de la recou-
sein d'une culture et d'une tradition consiste dans
vrer. Il s'agit comme dit Sémou Pathé Guèye :
la capacité d'être éduqué, dans l'éducabilité aux
« de repenser la politique dans la perspective de la
valeurs de cette liberté et de cette tradition ».
définition de la mise en œuvre d'une pratique poli-
tique qui soit non seulement acceptable moralement

Assurément l'éducation à la nation moderne, ou en
mais aussi rigoureusement centrée sur le citoyen
d'autres termes, à la valeur fondamentale de l'auto-
restauré dans son statut du sujet authentique de la
nomie, signe de l'existence accomplie de l'homme,
politique. »2

devrait être la priorité. Elle suppose une prise en
Il s'agit de la mise en œuvre de la responsabilité à
compte rigoureuse des systèmes de représentations
laquelle il serait suicidaire de renoncer. Car qu'on
et de valeurs qui déterminent les comportements
ne s'y trompe pas: la mondialisation n'est pas res-
quotidiens des populations africaines et de leurs
ponsable, mais seulement les hommes qui doivent
dirigeants et ceux de l'écrasante majorité, le monde
se donner les moyens d'une meilleure prise, d'une
rural. Il importe par suite que ces systèmes soient
prise effective sur les forces qui semblent leur
rapportés à une mise en perspective théorique cor-
échapper, en n'oubliant pas que «l'éclipse de la
recte du projet démocratique qui ne doit pas être
politique» n'est jamais qu'une autre forme de po-
litique. Ce qui suppose d'oser penser la mondiali-
sation, c'est-à-dire, au-delà de sa conception
1 Cf. JacquesRancière, «Citoyenneté, Cultureet Politique» in Mikhael Elbaz
instrumentaliste, de ses manifestations techniques
(sous la dir.), Mondialisation citoyenneté et multiculturalisme, Les Presses
de l'Université de Laval, 2000, p. 59
8
Revue du CAMlES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
et technologiques, en saisir et tenter de comprendre
BIBLIOGRAPHIE
le sens englobant. Comme le soul igne Michel
Beaud' :
1. s.. A filin. 1986, La Déconnexion ( Pour sortir du sys-
tème mondial), Paris, Editions La Découverte.
« Ni les Etats, ni les organisations internationales,
2. E., Balibar. 2001, Nous citoyens d'Europe (Iesfron-
ni lesfirmes, n'ont besoin que l'on pense le monde:
tières, l'Etat, le peuple), Paris, Editions La Découverte
n'y a ~t-il pas déjà suffisamment de contraintes,
et Syros.
d 'obstacles, d'urgences et de résistances? Les Egli-
ses, elles, situent leurs réponses dans un autre
3. E., Balibar: 1997, La crainte des masses (Politique et
monde. non dans la connaissance du nôtre. Les sec-
philosophie avant et après Marx), Paris, Galilée.
tes, les charlatans de l'incertitude et de l'angoisse
cultivent la confusion, non la clarification. Les com-
4. J-F., Bavard. 1995, L'illusion identitaire. Editions
munautés scientifiques travaillent sur des tranches.
Fayard.
des sphères ou des éclats du monde. »
5. M, Beaud. & autres, 1999, Mondialisation (Les mots
Mais cela sufTit-il ? Quoi qu'il en soit, les hommes
et les choses), Paris, Karthala.
ne peuvent renoncer à la maîtrise de leur destin dans
6. M. Beaud. 1997, Le Basculement du monde. De la
et par la pensée d'abord, puis dans]' action faisant
terre, des hommes et du capitalisme, Paris, La Décou-
advenir un monde qui, quelque stimulant ou décon-
verte.
certant soit-il, doit pour être simplement vivable,
s'accorder toujours aux exigences de l'Humain.
7. Ph., Bénéton. «L 'Etat et la crise de la politique» in
Revue des Sciences Moraleset Politiques, 2000.·N 1.

8. A., Bihr. 2000, Le Crépuscule des Etats-nations
(Transnat ionalisat ion e't crispation nat ionalistes), Lau-
saline. Cahiers Libres Editions Pages deux.
9. M, Cahen, M. 1999, La Nationalisation du Monde
(Europe, Afrique, Identité dans la démocratie), Paris,
l'Hannattan.

10. Ch., Clapham. «Effondrement de l'Etat et tentative
de reconstruction en Sierra Leone: le jeu politique du
local et du global» in Afrique Contemporaine, Numero
spécial, 2001.

II. Ch.. Coméliau. 2000, Les impasses de la modernité
(Critique de la marchandisation du monde), Paris, Seuil.
1 Notamment la réduction de la marge de manœuvre des Etats-nations sur la
scène mtcrnationalc.
12. P, de Senarclens. 1998,2002, La Mondialisation
'Cr. Sérnou Pathé Guèyc, « Projet d'une philosophie de la mondialisation »,
uv Ethiopiquc«. Revue negro-africaine de Littérature et de l'hilosophic. N°(,4/
(Théorie, Enjeux et Débats), Paris, Editions Dalloz,
65. 2000, r.221.
Armand Colin.
, Michel Bcaud. Le basculement du monde. Dc la [erre des hommes ct du
capitalisme, Paris. la découverte. l 'J'J7. 403.
13. M. Elbaz, & D., Hellv. (sous la dir.) , 2000,
Mondialisation, Citoyenneté et Multiculturalisme, Les
Presses de l'Université de Laval.

14. E., Ferron. & M, Hastings, M, 2002, L'imaginaire
des conflits communautaires, Paris, l Harmattan.
15. S., Latouche. 2000, La Planète uniforme. Editions
Climats.
Revue du CAMES - Série B, vol. 006 N° 1-2,2004
9

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Sciences sociales et humaines
16. 5.. Mappa. 1998, Pouvoirs traditionnel el pouvoir
mondialisation il. in Ethiopiques, Revue négra-africaine
d'Etat en Afrique noire (l'illusion Un iversaliste) , Pa-
de Littérature el de Philosophie. N° 64/()5, 2000.
ris. Editions Karthala.
21. J -L., Roy. 1995, Mondialisation développement el
Jï. A., Mbembé. «A propos des écritures africaine de
culture (La mediation francophone), Editions Hurtubise
soi» in Polit ique Africaine. N° 77. mars. 2000.
HMH LIée.
18. J-L., Nancy. 2002. La créot ion du inonde (ou la
22. D.. Schnapper. 1994, La communauté des citoyens
mondialisation). Paris. Editions Galilée.
(Sur l'idée moderne de nation). Paris, Gallimard
19. S.. Pathé Gueye. « Fin de l 'histoire el perspective
23 ..11.1.. Tshiyembé. 20U}, Etat multinational el démo-
de développement: l'Afrique dans le lemps du II/onde"».
cratie africaine (Sociologie de la renaissance africaine),
ill La Pensée. Janvier, Février. Mars. 1997. N° 309.
Paris, 1'Harmattan.
20. 5.. Pathé Guèye. « Projet d'une philosophie de la
10
. Revue du CAMES - Série 8, vol. 006]\\° 1-2, 200~