. '.
Sciences sociales et humaines
L'ESTHETIQUE DU:DE.SOIm~ OU DU RIRE pANS"
;.
" ,..... '. LE ROMAN,NEGRO,~AFRICAIN.- .", " ' ..
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Zahui Gondey 'TOTI AHIDJE; .
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1
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Dépar(el1~rn( de ~ettresA!{c:~~'~~'es' ,'
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1 ' .
Université de Bouaké 1.;: " : 'J:'
1 ,
. CÔTE D'IVOIRE
_: , . : .
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. l-
RésiImé
;i.,
Abst'ract .
La diversitédésrires dans le' corpus
'The varietyofJoke in thechosen and analysed
choisi etanalyséest considérable. Tous les 6~ltils
corpus is co~siderable. AB the tools ofthe language '
de la langue et dela typographie sont ùtilisés ê t ; .and typography are usedand the writingofthe Joke
l'écriture du rire ou du désordre apparaît alors
" ordisordèr appears therefore like a modem writing.
comme une écrituremoderne. Aucunedimension
'No èli~énsion has beeu neglected: the)ôke issocial,
n' aété négligée : Lelire estsocial,commuriiqiiant,
. communicating, destructuring, powerfu1,'clbinatlc.. :.. : '
déstructurant, puissant, dramatique ... -, '.,01' . • . . . "ln 'addition the Joke is rnost ofthe time a ' ,
, .'\\ '.', ' De plus, rrialgrétout, le rire, la ph{p~i-tdll
'medÜ.lm of'gaiety which increase the importal~~eo(
temps', est un vecteur de gaieté; ce qui aùgm-erit~'"
. th~ presence of tragedy. The entire studied corpus
.le poids de la présence du tragique. L'el-i~enible '.' r , '. isftUll)Y: ludicrous, comical up to thetimewher; Henri
du corpüs'étlidié'estdrôle, grotesque, burles-
Lopès, Williams Sassine'~nd Tièmo'Moncncmbo"
que... jusqu'au momentoù Henri Lopès, WilVan-if
d~cided to gofurtherand very harmoniously carry
.
. .. _ . ' r
Sassine et Tierno Monenernbo ont décidéd' àl-:
on the Joke till creakiàg.'
.
ler plus loin et de, très habilement, pousser'leriré
.Thus, tragic Joke only differs hom the usual
jusqu'au grincement.
Jcike by thë revelation' that it brings abollt:-The out
Ainsi, le rire tragique ne se distingue-t-il
",.~
break ofthe Joke is considered as the conseq uence
dUlirehabituelqueparlarévélationqu'ilapp~rte.·, . '. of an interaction. The Joke does riot e'xit but in
L'apparitiondu lire est considéréecomme laébil~ '.
sitÎJaii'on;'it is man's answer to the situation. It can
séquenced'une interaction. Le rire n'existe qu'en .
~e viewèd as a therapeutic trcatmentofa pain. Itis
situation; il est la reponse de l'homméà la sitt;a-'
,aliterary treatment ofthé Jake.
.
tion. Il peut être envisagé comme un traitement ' .
, In fact, even if the Joke-expressesd isorder,
thérapeutique de la douleur.Il s'agit d'uri traite> ,
fear and death feel ing, it remains above aIl the
ment littérairedu rire.
conforting sign oflife. Taking its vital force from its'
En définitive même si le rire exprime le
paradoxesand from its contradictions, the Joke
désordre, la peuret le sentimentde mort, il reste
symbolizes the triumph of man on the living
avant tout le signe rassurant de la vie."Tirant s~ .,
difficulties. -,
force vitale de ses paradoxes et de ses contra-'
dictions, le lire marquele triomphe de l'homme
suries difficultésd" existence, '
"
":.. '.
INTRODUCTION
quelles qu'en soient les manifesta-
gresse et une forte imprèssion de
Nous savons que ses ma-
tions, le rire opère des change-
bonheur. Un mot lesdétermine : li-
nifestations provoquent un désor-
, merits dans le cours normal de ·Ia
berté. En effet, le corps et l'esprit
. dre plus ou moins grand dans l'at-
.
_.
-
-
. . .
.
~
- -'.
vie. Dans la majorité des cas, ces
sont libérés par le rire qui éclate et
titude, les gestes et les traits. »( 1 )
bouleversementssont d'ordre fes-
permetainsi aux frustrations et aux,
quel quesoit ce q\\lÏ l' ~ produitet
tif ilsprocurent unsentimentd'al~. '
gènes de sortir. Or,c' èstj usternent
Rev. CAMES -.~érie B, Vol.OOS W,1 ~2. 2093;

Sciences .socialeset humaines
à cette notion de liberté que nous
«filsdu vieux Ndoudo»de Un rêve
rire-»t). ' .
devons l'idée dedésordre. L~ dé-
utile. C'e~tleui-quot!di~nciuiestà" . Pour les autres, le rire di- '
sordre peut se définir comme l' as-
.' l'honneur, au-delà duquel éeperi-· -gne de ce nom est réservé à l'état
sociation anarchiste de libertés
"dant sévissent le pouvoir, les bon-
d'ivresse.
personnelles.. Là où une loi ou un
nes-manières et la confrontation.. 1 -Un réalisme transfiguré
individu dirige, l'ordre règne, là où
avec le Blanc.
« Ecrire, c'est transfigurer
chacun dirige.règnele désordre.
.'Sur~ continent où la quête'
la réalité »(' )
de l'identité passe à la fois parle
Les trois romans sont des
Il convient dès lors d' ob-
souvenir du CO~O!1 et par la reven-
romans de la dénonciation. Ils ne
server dans quelles mesures le rire
, dication d:un~ culturepropre, ces, " ,'._, sont cependantni des manifestes, '
participe de ce désordre?
trois figures de héros sont malme-
ni de violentes diatribes. Si la ré-
"
Pour' répondre à cette pré-
nées. La désillusiond'unepart 'et
volte existe, elle n' est pas pour
occupation, nous avons choisi
Iebesoin, iienvie de renaître
autant démonstrative.Au contraire,
d'étudier:,
. '
'd,;,~~ire part provoquent un rir~ei!e s;~~pa;~~te davantage ,à ce ,
'
." Le pleurer rhe cl' Henri
pluriel, facteur de désordre. pe ce '
queBakhtine a appelé « le réa- !
Lopèsï~) est révélateur de.ce que ' .
désordre .le roman tire une' arme"
.lismegrotesque »(").
110USP9UVOl)S appeler unerécri-
. ' red~utable retournée ~ontre
Dans Un rêve utile, elle est
tureducarnavalesque". Romanvif .. '
'1'holl}m~ et contre le .pouvoir. "
à la fois tranquille etvibrante. On
etailryt~esécoué,ilrevendiqûe
C'estain~i queparparadoxéul-
.' ad"unc~té '
,
•., .
..
une certaine liberté ; ' ,
"
,tim~, iq~nde dans le ro,I,TI~To~ "
.', « Nosfausses indépen-:
, L~ iéhéros n"e~t pas n'i~~' .·ld~mel<;ich.~ente dramatiquéde .. "dances, la devise, ,le drapequ.,
port~ qui~e~William~Sassinet"} " '.1)~tfigü~ etla renforce d:~ut~t: .::. .,./,hYnme~atio~ql,l~ PrJ,~:idel1t,
rejointcetteliberté et confirme la
" .
,
J': son habit, ses lune Iles, ... le, mé-:
0 '
jubilation désespérée d'écrivains
jr-.F.JJ~E' :<~ METT~in'10RS.,
trop;l~.....,·,', . :'.
"
,
décidés à rirepour ne pas pleu-.
, ' . , ' , "
.
'D~,~Or»:"
,L:~~:ine.desdirigeanls'q1li
rer; ,
,
. , Une dés caraetérisÜgue,~Jle~".
vaiu ;111:\\: ~her, qu« lavenir du
Un rêve ~~tïie de Thierno '
'Blusyi9,lent~s du rire c'est I'exté-
pays ( ) ,..
Monénernbot' j.: ,'
" , riorisation. Pourtant,il ex-iste bel et
et de l' autre côté; on a :

'Dan~ le registre de la mo- ',bJenc~qu'on appelle leerire il1.i~~
.'
.
, i :
querie, ces.~ron~ancierspr~tiqu~~t... . r:"i~~~D>;,le~~~,muet ou le rir~so~d,
volontiers I'autodérision.Leregard
. Mais, mêmedans ce cas-la, l~ nre
"~mus'é porté sur les pe'rsonnage~' ,.
-'peimét une distance, il pe#ef de .
,.
de leurs productions romanesques _0
se dégager de la situation, de ses'
':
. :
I~',-:
_
J.
.
.
.~ '.Ji
' .
. .
met.en évidence l'inquiétude et.
présuppos,és et c~nsequences.
même là terreur désemparée qui··
,Ainsi,qan~çlenotre corpus, très
poursuit ces derniers.
"
'.pel!.?e rires.à proprementparler,
" Henri Lopes, Le pleurer,rire, Paris,
1
"
,
.
sont entendus. La jovialité des im-
o

Présence Africaine, 1982
2 Williams Sassine, Le Zéhéros n'est
1- BREFS APERÇUS DU COR-migrésdansUn rève utile n'ex-
pas:n'irhporte qui, Paris, Présence
p'US
plose que ~àrementen véritables
.Africaine, ,1985. '
Au cœur de ces trois ro-
rires, à peine ironisent-ilsparfoisr")
. . . 3 Tierno Monénembo, Un rêve utile,
Paris, Seuii,'1991.
mans, trois destins s'épanouissent
et le maître et Camara 'sont trop
4
Un rêve utile, « nous ironisons sur'
et surtout trois hommes : Le
sérieux pour sepermettre de tels
la maisonnée la ville, le zézaiement'
Zéhéros, Camara est le frère d' in- .
, écarts. Seuls les enfants peuvent se'
Incommodant de la radio », p49.
5 Op.cit, 50, 131
fortune de deux anonymes: «le
l'autoriser:
6
Maître» de Le pleurer rire, et le
' « leurs rires sont plusforts
7 .Henri Lapés, "Pourquoi j'écris" in
que la clameur.;delG; ville, »(5 )
Je~ne 'Afrique Economique du 05
OCtobre 1998.
'et: .
.8
Bakhtine, l'œuvre de Français
.' Marcel Paqno. notes sur le rire, .:
« un-petit garçon s'est
Rabelais, Paris, Galtemond.
,:,aris,. ~d., Nagel, 1947, p20.
tourné vers lui en pouffant-de
9 Op.cit, p130, op.cit, p245
88
R~_CAM:ES" S'é~ie B, VoL 005 N° i-2.2003'

. -
. '
.J-,
. . . . .
0
Sciences sociales et humaines
« ... telle la 'montagne
transfigurer. De cetteambivalence
..«EJle s'arrangeait.donc:
disperse le 'vent, ... sur son-:
dynamique, riaissent desœuvresde; ~
c011l"1e tout le Illonde, ajoutait: .,
corps s'échouent la vanité des
caractère à f'intérieùr desquelles
elle, en. clignant de l'œil >!t ).. '.'
puissants et l'hypocrisie des
toute libertéest autorisée.
.~.,
. ,',:Lopèsutilisel~~l:ires du vi- .
humbles »(1 ).
2 ..> Les applaudisse-
sage pour exprimer lui-même ;un"
Dans Le Zéhéros n' estpas
,ments, «cerire du corps» .
rired'écrivain..Outre les nombreux'
;
. ..'
n'importe qui et dans Le'pleure '- .
;, 'Leshérosdu corpusanalysé
clins
' .
d' œil
0 , 0
dans
. " . .
son écriture ou'

rire,la réalité de l' Afrique'estvé-
sont prisonniers du pouvoir.et de "
dans son récit.Il y a ceux desper-
cue sur le terrain.· Camara et le'
leurs conditions. Or pour échap- "
sonnag~s;. qu'à.l 'évidence, Lopès
Maîtreexpérimententla colonisa-
per à cela, le corps se permet tou- "
prend à sonpropre.compte:
tion sur leur sol natal. Pourtant,
tes sortes de.libertés. Que se soit, ,
... «1;'a) mis..M..Goudain ,
quand Camara rentre au pays par
par la 'parole, par les gestes, la '
sur ses traces »{' ).. .....
.
lâchetéou parexcès.delucidité, il .
danse ou par la sexualité, presque,
constate ironiquement lasituation:
tous les corps s'expriment avec
,Sassine, lui aussi:ajouteson

.'.~....
.
• r
« Tout était à l'image de
fougue ét générosité.Sorte de dé-
rire à celui de ses personnages.
cette commande de 'elut ussures .
foulement providentiel, le « riredu
Lors d'un entretien entre Camara
italie/in es annoncées par le
corps» possède une fonction très
et son patron,' Sassiuc introduit
Président. A force d'attendre,
particulière,à la fois désordonnée
entre deux répliquesdu patronune ,
les Guinéens avaient pris t'lia-
et structurante.
réflexion de Ca~l1~raqui vise ren-
à
bittule de se chausser dans 'les
Rire malicieuxet discret,le
dre le lecteurcomplice -: « C'était
vieux pneus et cela était devenu
clin d' œil est avant tout un rire in-
beau tout ça etj 'écolÎtais atten- .
la' mode «en 'attendant» (1 ).
terne au sens oùil rend complice
tivementmais j'avais l'impres-
Implacable enfer, le paysde
deux personnages et les.isole.au
sion qutildéraillait un.peu, le:
Bwakamaka Na Sakkadé n'est à
milieu cl 'une foule. pans Le rire,
patron »{' ).
l'évidencequiLUl Congo maquillé.
Bergson.souligne que
' .
. Dans .le roman, le rire
Mais, la ruse utilisée par Lopès
~', «le rire est social »(' ).
s'exprime également par la suda-
fournit ladimension universelle de
Tout.groupe de personnes
tion, lors de la fête chez Albertine
la dénonciation de Iadictature:
riant exclut les autres.Dans
et on sent que le corps participe
autochtone post-coloniale qu'il
. Le pleurer rire, Soukali use
activementau rire.
propose. Or, dans Le rire;,B'erg-!
du rire cornmed'une fantaisie des- ,
Symbolisant Je désordre
son écrit i
:
tinée-à la fois à la rapprocher de
bruyantmais organisé. lesapplau-
. -: La comédie est bien ,
son amant et àla fois de l'énerver
dissements sont dans 1a tradition
plus près de la vie réelle que le
africaine.unevéritable expression,
drame ... »(' ).
' "
presque une parole. Dans Le pleu-
Chacun dèstrois romans,
rer- rire, ils accompagnent très
ancré dansuneréalité historique (la .
souventles rires. Lacérémonie des
Guinée sinistrée, le Congoasservi,
«Wollé.wollé, woï, woï», précé-
l'immigration misérable dans le
dant chaque allocution. de
milieu des canuts enFrancejac-
Bwakamabé, est complétée par le
cède également, par le biaisde la'
rire des applaudissements:
farce et de la fiction, où le rire.tel '
Apartmoi ,. personne Ile-
que'! 'a défini'Bergson,est \\
1 le Zéhéros n'est pas n'importe qui, .
l'écoute vraimen t. Ilfut forte-
p131,
'
«ttux confins de Part de
ment applaudi... pwa, pwat. La
2 Le Zéhéros n'est pas n'importe
la vie »{' ).
'
qui, p131..'-
foule mêle ... des éclats de rire
.' On retrouve une parfaite
3 Bergson, ·Le rire,page.58.
à ses applaudissementsr)..
illustration de ces propos dans le'
A BergSOQ, Le.rire, .pt 04.',
' .
Tonton réussit bien sa mise
5 p"our comprendre le rire, il faut le
corpusétudié oùla vocation prin-
replacer dans son milieu naturel qui
en scène que tout semble spon-
cipaledu rireest non seulementde
la société, il faut surtout en
tané:
montrer le réel, niais encore de le
déter;niner latonciton utile qui,est
« Des cris de joie et des
une fonction sociale Ùi6).
Rev. CAMES - Série B;Vol. OOS:N° 1-2.2003
89

Sciences sociales et humaines
applaudissements éclataient
personnalité propre; car le rire est
<~ il riait. .. ,,il/allait voir
derrière les rangs d'honneur -
. un engagement. Regard et réaction'
combien nous avons ri à notre
. dans le même mO,üvement que'
sur le-monde, il traduit le compor-
tour. Il gémissait .. ., «. nous ..
celui de grandes eaux-soudain
tement social et humairrdurieur.
riions »(1 ).
libérées »f).
,.
"
Dans son ouvrage, Helrnuth
Ce rire fou est perçu de
, ., Intimement lié au rire, l'ap-
- Plessnerexplique que le rire est tille
l'extérieur comme une perte de
plaudissement frénétique est ainsi
réponse-auprétexte etqu' ils' agi t
soi ..Quelquefois, l'hystérie qui est
de rigueur face à l'oppresseur.:
d'une interruption du cours normal-
associée au rire participe de cette
Dans Le Zéhéros n'est pas
de la vie, 'Selon lui; àquelques ri-
«perte de soi». Il faut préciser que
. n'importe'gui,lèsmarqliesdejo-·
res près.sles chatouilles par exem-·
dans.les romans étudies. très peu·
vialité «claquante» sont déjà beau-
pIe -le rire. répond à des.prétex- .
de personnes rient. Et, de cepoint,
coup plus amères:
tes qui valent aussi bien pour le rire
la catharsis en question est repor-
« La Guinée était deve-
que pour le pleurer et qui relèvent
tée ou décalée. C'est J 'auteur qui
nue un DMAet leslnconilition-
soit des sensations, soit des ré-
la perd à son compte.
nelsdu RD. G. avaient appris à '
flexions.Il souligne par ailleurs le.
applaudir leur regard sur les
caractère fatal de cette réponse. '
loues des opposants »(6).
D'après lui, on-ne peut pas faire
Dans tous lescas.qu'ils soient
autrement et bien souvent, lerire
spontanés au téléguidés, ces ap-
s'impose comme unique réaction
plaudissements sont facteurs de
envisageable :
désordre. Il fautnoter que de tels
« Tandis que les mines et
applaudissements peuvent conte-
les attitudes transforment im-:
nir le goût de la manipulation.
médiatement le prétexte en une'
expression symbolique et réa-

3 -
le rire, «Perdre la
gissant directement dans le rire
maîtrise de soi »(1 ) .
et le pleurer, je garde mes dis-
Chaque manifestation du rire
tances' avec le prétexte, je lui
est une pulsion personnelle moti-
réponds »f ).
vée par un élément extérieur et
Cette manière de catharsis
s'épanouissant lui-même de cet
contient en elle-même un paradoxe ..
extérieur.
nouveau: rirepourmaîtriserla si-;
Quelques fois, le rire sort, à
tuation alors qu'on ne se maîtrise.
proprement parler, tellement du
plus soi-même. Dans Le Zéhéros
rieur que celui-ci en est lui-même
n'est pas n'importe qui, l'épisode
étonné. Ainsi.ce bouleversement
des pendus et plus précisément l'at-
de l'ordre établ i qui semble - dans
titude de Taram montrent que le rire
le domaine qui nous intéresse -
peut s'échapper du corps malgré
bouleverser également la littéra-
lui. Taram perd la maîtrise de lui-
ture, est à l'origine, tout au moins,
même à force de terreur et ne peut
un phénomène personnel. C'est-
que répéter:
à-dire qu'il engage le rieur dans sa
« ...
tel,
tu
seras
perdit »(3),
et rire
1 Le pleurer rire, p21.
2 Le pleurer rire, op.cil, p269
1 Plessner, Le rire el le' pleurer;
3 W.S" Le Zéhéros n'esl pas
Paris, Ed., Maison 'des Sctencesdé
n'importe qui, p88.
Esthèe, 1995, p19.
.
4 Op.cit, p210.
2 H. Plessner, Op.CiI, p22 ..
5 Op.cit, p92
3 H. Plessner, Le Zéhéros n'esl' pas
6 Op.cit, p97,
n'importe qui, p185.
. .
.
90
Rev. CAMES - Série B, VoL 005 N° 1-2.2003

o
Sciences sQcialf!s et hLJmaine~
bruyant, comme s'il venait de
«Tout-est-il que» (1 ), "Or
«Pourle faire taire, j'y
[aire
une
bonne
grosse
- que"f ).
allais. de Castor 'et Pollux, du
chose »{' );. '.
~D'ailleurs, tout le person-
fil dans le dévidoir .. ~ »f)
Ici,lephénomèneinversese
nage est construit sur des décala-
",
et1esexploits dunarrateur .
produit .c'est le rire qui provoque
ges.
auprès de Ma Mireille sont émou-
le désarroi. Mais,dans LeZéhéros
, 3 - L'obsèrie ;
vants :
n'est pas n'importe gui, le rire du
·«~Le rire rabaisse et ma-
« Ma Mireille mourut
désarroiest largement exploité.' "
térialise »(J ï:
plusieurs fois »(/(I ).
2 - La fonction de décalage
Le corpus que nous étu-
. 'Dans Le Zéhéros n'est pas
Aucun rire ne peut·fonc-
dions accorde une place-très im-
n'iniporte qui, la nuitd'amour avec
tionner s'il s'adapte parfaitement
portante à la sexualité: : ,
Albertine comménce par cette ré-
à la situationdans laquelle il s'ins-
. «,A Il fond, l'important,
pli~ue qui.donnele ton detoute la
crit. Il ne peut y avoir de concor-
c'est·le "cul, ceux qui en dou-
scène, assez osée:« Ce tt'estpas
dancesentre les éléments pour que
te:"tdevraient se palper.. : »(4).
I~ bon bouto-n, râla Albertine.
le rire opère.
Ma tête était coincée entre ses
Lepremier décalage le plus
'.'
! ,'. De
nombreusesscènes
~uis~es depuis l~n~ tltùi;itéetje
évident,c'est le décalagelinguisti-
l'évoquent et le plus souventsous
commençais à étouffer »(11 )
.
que; Dans Un
rêve, utile,
unangle comique,Touteslesnuan-
Tout le_chapîtr~.se déroule
1'« Afriçanoullyonnaise » et le nar-
ces se rencontrent, Le ton peut être
en~uite sur ce 1~10ded'un réalisme
rateur tissent un patchwork langa-
très léger, 'crée au début dans Le
très ~ru. On ~ot~ donc une simili-
.giertrès vivant. L'ensemble du ré-
pleurer-' rire: «Eléngui, elle
tude entre les'tr~i~ rol~lans. 'Cetrai-
cit est argotique et .familier, les
aif:,wit'à'llire que les «bananes
ternent débrid'édeIa sexualité dé-
«fairehou hou à Maine Astredxr' )
non gardées appartiennent à
. '
.
t
génère aussi tll) traiternentde
et les "c'est rien que pour rire",
tout le monde et elle, me sur-
l' obscène et fe langage utilisé dé-
déferlentjoyeusement le-longdes
veillait-éomme un régime de
vient alors très cru.
dialogues. Découlantd'un pointde
bananesnt' ).
','" ':,
Au delà de la sexualité. la
vue littéraire.ce décalageprête à
:Ilpeut aussi: contenir un
p~'ésèI1ce de I1éÙ~lbreuses méta-
nre.
-.:
, .
message socio-politique :
phores scatologiÇ]u~~ et ~e person-
Dans Le Zéhéros n'est pas
« Ginette viendra quand
nages grossiers s'ajoute à ce trai-
n'importe qui;c'est à 1II1e autre
même et' on fera t'amour à
tement'littéraire de I'obscène.
forme de décalage quènous de-
cause dû coupde foudre et de
vons de rire, un décalage interne.
tout ce qu'il faut d'autre pour
C'est Camaralui-mêrne qui se
tuer le tabou ... ou on fait
place sans cesse en position de
'1'amour surle-tremplin du sen-
décalage.Toutes les situations ex-
'timèninational en tant qu 'aph-
trêmes de ce roman.jouentsur le
rodisiaque de la lutte anti ca-
décalage, à commencer parle ti-
'pitallstent" Jou comme inspirer
tre lui-même. Dans le roman,lerire
d'éloquents j eux de mots: "fla-
naît alors, de l'incapacité de
grantdu lit'T'). ;
Camara à résoudre de quelque fa-
Il permet des boutades
çon que ce soit ce décalage. Il ne
-semi-scandaleusesr rien que des
,
.1 Op.cit, p201.
parvientni àl'assumer, nià le nier
[ournàux polir' se divertir Îe
2 Op.cit, p215
complètement. '
zïii»f ).
j Mikhail:Sakhling, L'œuvre de'
DansLe pleÜrer- rire, le langage
Il offre à Monéinembo une
français Rabelais, ',....
puéril de Bwakamabé, en déca-
'possibilité de' métaphores hon
.4 Un rêve utile, p73.
.',
5 Le pleurer rire,p20,
lage avec sa fonction faire rire: ' ,
'm'oins provocantes. :-
li'Un rêve utilè, p143.
7 Le pleurer rire, p194
1 H, Plessner,
Le Zéhéros n'esLpas
Dans Lepleurerrire,les ren-
n'importe qui, p18.5
contrés se'xuellesentre Soukali et
6 Un.rêve utile, p51 ..
'9 Le 'pleurer rire, p230.
2 Le pleurer rire, p309,
le maître sont fleuries d'un voca-
lO·O p.cit, p230.
..
3 Op.cit, p34 ..
11 Op.cit, p71,
4 Un rêve iutile, p7
bulaire à la fois poétique et drôle:
Rev. CAMES - Série B, Vol. 005 N° 1-2.2003
91

Sciences sociales et humaines
III - LE «CARNAVAL MO-
.
.
frances. La scène des inversions
l'être humain. Cetaspect du trai-
DERNE»
rappelle d' ailleursétrangement les
tement de la réalité est important
.
.
« Le carnaval, ~.'est la se-
tetes traditionnelles au cours des-
car il élargit les perspectives de
condé vie du peuple, basée sur
quelles la femme africaine prend le
réflexion. Traduire les misères quo-
.le principe du rire »(1)
.
pouvoir; le tempsd'une journée, se
tidiennes en bouffonneries légères
, . Dans un univers qui luiest
travestissant ~p homme et jouissant
aide à recueillir les consciences.
étranger, tout observateur est
.de toutes les libertés.
Ainsi, la force de ces trois romans
amené à décrire ce qu "il'découvre
. 2 - L~ caricature et le dé-
tient dans le regard provocateur et
d'une façon innocente et naïve qui
"
guisernent
un peu marginal.
ne manquera pas d'amuser les ha-
Si l'on peut considérer no-
3 -r-r- La fête'
bitués de l'univers en question. Or
tre corpus comme trois grandes
Lesfêtes se succèdent tout
de ce regard, naît généralement
farces diaboliques, ontrouve im-
aulong de ces trois romans. Oasis
undécalage comique et les per-
médiatement.à l'qntérie~ des in-
de frivolité et de superficialité, el-
sonnages décrits 'apparaissent
trigues, nombre d'outrances et de
les participent du rire par les fa-
comine des marionnettes ndiculê~.
transgressions . Bergson affirme
cettes saugrenues des héros et par
.
1- Ï.~e· renversementet Ïe
que:
le ridicule des "participants. Un
grotesque'.
« Lanature.obtient souvent
.point commun les- relie et les
Deux phénomènes déclen-
elle-même des succès de carica-
anime: l'alcool. Le rapport des
cEeursde ~re n~us sont fo~spar
ture »(4). Mais. ici ce ~ont les
personnages à l' ivresse est une
Bergson dans Le rire :,.
-auteurs qui dessinent les person-
source très importante du rire. De
. « Tout d'abord, estcomi-
nages et les situations demanière
manière générale, les fêtes de Le
que tout incident quiappelle
àles caricaturer; le dictateur
pleurer- rire et de Le Zéhéros ri' est
notre attentionsur le physique.
Bwakamabé Na Sakkadé, même
pas n'importe qui se re~semblent.
d'un« 'personne alors ({Ile son
s 'il rep.~ésente des générations
Dans un rêve utile, les fêtes
moral est en cause ... Nous
d'oppresseurs ayant réellement
sont encore plus marquées; ce
rions toutes 'tesfois qIl 'une per-
exercéleur.tyrannie, est une sorte
sont des soupapes d'évacuation de
sonnenous donne l'expression
de "personnage carnaval", hideux
la tension. Elles sont populaires et
d'une dios!? »(2 J.' .
..
-etbouffon. Henri Lopès nous per-
débridées. L'alcool n'en est pas
Dans ladeuxième partie de
met d'en rire mais dans l'objectif
exclu. Les personnes ivres à-s'en-
Le Zéhéro~ 11'és(pas n'iiriporte
bien précis d'en dénoncer lamons-
v.oyeren bateau (p73.) s'efforcent
9.!!i, tout est à peu près grotesque.
truosité :" "
_.
.d'oublierdans la danse. et l'alcool.
Cette partie a un écho dans Le
« En
écrivant
.: ;Au-delà de'leur particularité '.
pleurer- rire ainsique dans Un rêve
Bwakamabéç.j'ai- pensé. àMo-
lexicale, Ieriredecestrois romans,
. utile.
lière. .. qui aridiculisétous.tes
loge aùssi dans des niots torturés
C'est surtout dans Un rêve
travers .~. j'ai.·voulu..fairr
en italique.L'ou découvre de n0111-
utile que l'on retrouve la figure du
qu'lm jour il soit plus q~'un
breuses traces .de l'oral ité dans
renversement la plus significative:
personnage littérataire et né
ces romans, ce qui les rapproche
« La vie se révulse, les
soit plus possible dans la réa-
de la bande dessinée. Ces pertur-
usages s'inversent... ce sont les
lit~ »(' ).
.
bationsdansl'ordre de l'écriture
femmes qui commandent aux
.
. Demême, la description
sont ce que l'on peut appeler «le
.hommes et aux dieux .._.ce sont
jubilatoire de l' accoutrement de
carnaval de i'écritures.Associé au
les chansons elles-mêmes que
Camara quand il se rend à lasoi-
carnaval qui entraîne les intrigues
l'on ne reconnaît plus; .. »[i).
rée d'Albertine, s'il nousfait rire,
et-les faitsdanser, il fait rire le ro-
Il s'agitd'une vraie scène
n'en met pas rnoins le doigt sur U1)e
man. Le carnaval qui a valeur de
de carnaval ausens de Bakthine.
réalité absurde et cruelle. Entra-
,
.
conjuration, transmet le. pouvoir de
~
.
Exécutoire et lieu de toutes les li-
vestissant de.la sorte son héros,
"rir~, gui s'enempareet en use pour
bertés, il permet i~j d'~bgli~mo"
Sassine explore.les limites.dusup-
dénoncer l'oppression .
mentanément la réalitë'~fS~slsouf-
.portable el~.matière de respect de
. . . . . 1'
92
Rev. CAMES -Série B,Vol. 005 N° 1,.2, 2003

Sciences sociales et humaines
IV -L'ENGAGEMENTDE·
CONCLUSION·
L'ECRI-
B- LITTERATURE GENERALE
VAIN
La diversitédes rires dans
Jacqués Chevrier, LittératUlI
Le rire pratiqué dans le ro-
ces t~ois romans est considérable. .
nègre, Paris, Armand Colin:
manparticipe du renouvellement de
Tous les outils de la langue (Syn-
1984. ,Littérature d'Afrique.
l'écriture.Loin des structuresclas-
taxe, Sémantique) et de la typo-
Noire de langue française, Pa- ..
siques imposées par le mode fran-
. graphie sont utilisés, et l'écrire du
. ris, Nathan, 1999
çais,le roman négro-africainse li-:
riretragiqueapparaîtalors comme
Dabla Séwanou, Nouvelles
hère et rit entre par la brèche. Il
une écriture moderne. Aucune di-
écritures africaines, Paris,
.. conquiert une place qu'on lui a
mension n'est négligée. Le rire est
L'harmattan, 1986.
longtemps refusée. Dès letitre du
'social, communicant, déstructu-
Lylian Kesteloot, .;\\nthologie
roman, il fait son apparition. Que
rant. .. puissant et dramatique. Il
Négro Africaine, Histoire et
ce soit dans le roman d'Henri
reste un vecteur de gaieté. Ce qui
textes de 1918 à nos jours,
.Lopèsoù il figure en son nom pro-
fait basculer le rire d'un lecteur,
Paris, Edicef, 1992.
pre, ou dans le roman de Williams
c'est la prise de conscience or-
Sassine où il transparaît dans la
chestrée par l'auteur. L'apparition
C - OUVRAGES CRITIQUES
créationlexicologiqueZéhéros, le ..
du rire doit être considéréecomme
Bakhtine Mikhai1, « Posons le
rire s'avance. A travers ces ro-
la conséquence d'une interaction.
problème» et « Rabelais et
mans, ce sontlesAfricains qui rient,
Le rire n'existe qu'en situation. Il
l'Histoire du rire », in l'œuvre
. et l'utilisation du rire dans cette lit-
est la réponse de l'homme à la si-
de François Rabelais et la cul-
térature est la forme optimale de
tuation. Les romans de notre cor-
ture populaire au Moyen Age
l'engagement de l'écrivainafricain.
pus présentent le caractère déses-
et sous la Renaissance, Paris,
Toutauteur utilise des personna-
péré et tragique du rire. Le rire
Gallimard, 1970.
ges pour mettre dans leur bouche
pourrait être envisagé comme un
Charles Baudelaire, « De l'es-
ce qu'il a besoin de dire et de
traitement thérapeutique de la dou-
sence du rire et généralement
transmettre. Le jeu de mots entre
leur. Et s'il s'agit icid'un traitement:
du comique dans les arts plas-
Zého et héros qui structure Le
littéraire du rire, il n'en reste pas
tiques», in curiosités esthéti-
Zéhéros n'est pas n'importe qui
moins que le rire soigne.
. ques, l'art romantiqueet autres
est une signature africaine.
Enfin, même s'il exprime le
œuvres critiques, Paris, Gar-
désordre, la peur et le sentiment
nier, 1962.
de la mort, il reste avant tout lesi-
Henri Bergson, Le rire, Paris,
gne rassurant dé la vie. Tirant sa
PUF,1997.
force vitale de ses paradoxes et de
Eric Blondel, Le risible et le
ses contradictions, il marque le
dérisoire, Paris, PUF, 1988.
triomphede l'homme sur les diffi-
Robert Favre.. Le rire dans
cultés d'existence.
tous seséclats, Paris, PUF,
BIBLIOGRAPHIE
19.95..
Marcel Pagnol, Notes suc le
A-CORPUS
rire, Paris, Nagel, 1947.
Henri Lopès, Le pleurer- rire,
Plessmer Helmuth, Le rire et
Paris, Présence Africaine,
le pleurer, Uneétudedes limi-
1982
.tes du comportement humain,
Williams Sassine, Le Zéhéros .
Paris, La maison des sciences .
1 Baklhine, Op.cil, p16.
n'est pas n'importe qui, Paris,
de l'homme, 1995.
2 Bergson, Le rire, pp39/44
Présence Africaine, Collection
Sarrazin Bernard, Le rire et le
3 Op.cil, p29.
sacré: Histoire de la dérision,
4 Bergson, Le rire, p21
«Ecrits», 1985
5 Propos tenus par Henri Lopès lors
Tierno Monenembo,Un rêve
Paris, Desclée de Brouwer,
de la rencontre dèbal du 04 Juin
utile, Paris, Le seuil, 1992..
1992.
··1999 au Bouillon Racine, 14 rue
Racine à Paris.
Rev. CAMES - Série B, Vol. 005 N° 1-2.2003
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