COLONISATION AGRICOLE ET DYNAMIQUE
DE L'ESPACE RURAL AU TOGO: CAS DE LA PLAINE
SEPTENTRIONALE DU MONO
ABOTCHI TCHÉGNON
Départ ement de Géographie, Centr e d ' études et de rech erch es sur les
mutations en mili eu rural et su ries risques en agri culture (CERMRA ).
Universit é de Lomé - Togo
SU"1I11 Ir)'
Mots clés :
Key words :
Togo, plaine septentrionale du Mono, colonisation agricole,
Togo, the northern plain of Mono, agriculturaJ colonization,
commerce, mutations sociales, dynamique des paysages.
trade, social mutations, the dynamic of landscapes.
1. INTRODUCTION
gèrement incl inée du nord vers le
moyenne annuelle oscillant au-
sud, avec des altitudes vari ant en-
tour de 27-28°C. Ce climat entre-
La partie septentrionale de la
tre 250 et 400 mètres. Le climat
tient une végétation de savane ar-
plaine du Mono au Togo qui est
est de type tropical soudanien
borée et surtout de savane boisée,
le cadre géogra phiq ue de la pré-
caractérisé par une longue saison
zébrées de forêts ripicoles le long
sente étude est située au centre du
pluvieuse qui va d'avril à octobre
des rivières importantes et de
Togo entre 8°20' et 8°50' de lati -
avec des précipitations relative-
quelques forêts sèches sur les
tude nord et entre 1° et 1°2 0' de
ment abondantes entraînant des
lignes de partage des eaux. La ré-
longitude est , à 280 km environ
totaux moyens annuels dépassant
gion était le domaine d'une riche
de Lomé la capitale du pays (fig.
1 300 mm, et par une chaleur for-
faune caractérisée par une variété
1). C'est une région de plaine lé-
te et constante, la température
d'espèces d'animaux parmi les-
quelles on citera buffle , hyène,
Jusqu'à la fin du siècle der-
tout comme d'ailleurs l'ensemble
sanglier, singe, etc .
nier, cette région était quasi-vide,
de la grande plaine orientale du

Sciences sociales el humaines
_
Togo au sein de laquelle la vie
rn écnnes'. Mais cette région con-
graphique et socio-économique
humaine n'apparaissait, mises à
naît depuis quelques décennies
que sur le plan de la dynamique
part les régions de Tado et de
des transformations remarquables
des paysages . Ces transforma-
Notsé, qu'ici et là sous forme de
tant des points de vue démo-
tions résultent de l'implant ation à
campements de culture vite aban-
des fins de colonisation agricole ,
donnés dès qu'étaient annon-
Il
Jusqu 'à la capitulation des armées
des populations surtout kabyè et
dahoméennes face aux Français en 1894,
cées les redoutables armées daho-
losso venant du nord du pays, et
les rois dahoméens faisaient faire des
razzias dans toute cette région,
de leurs acti-vités économique s.
Fig. 1: La plaine septentrionale du Mono au Togo
2. LES CAUSES DE LA CO-
t
LONISATION AGRICOLE
Nord
1
C'est dans ce domaine relati-
vement favorable à la mise en
valeur que vont être orientés les
déplacements des Kabyè et des
Losso. Ces mouvements de popu-
lation dont on remontera les dé-
buts à la période allemande sont
à 1ier au constat très géogra-
phique des déséqu ilibres énormes
dans la répart ition de la popu-
lation à l'inté rieur du territoire.
Les raisons avancées par les au-
torités coloniales pour expliquer
leur décision de transplanter une
partie des populations kabyè et
losso de leur milieu d'origine
vers les régions centrale et méri-
dionale du pays portent sur la
surcharge humaine des massifs
kabyè au moment où les zones où
l'on orient ait ces migrants étaient
vides, et donc propres à servir de
zone de colonisation agricole.
Mais en réalité cette opéra-
tion de tran sfert ( l " population
résulte de la conjonc-ti on de plu-
L~gende
sieurs facteurs.
-
Route bitumée
~
Sotoubouo : Che f- lleu de préfecture
=
Routes -non bitumées
o
GroIs vIllages
---- PIstes, Sentier.

Villolle&
---<:::. Cours d'eau
o
s
1
1
D'abord, il Y a effectivement la
population . Il s'agit là d'une vi-
den-sités
rurales de s massifs
volonté de décongestionner les
sion malthusienne qui sans doute
kabyè, plus de 300 habitants au
mas sifs kab yè surchargés en
se fonde sur la notion du couple
km2 (plus de 340 dans les années
hommes d'où, considère-t-on , une
population-ressources. Elle se
1970 dans le canton de Tcharé)
certaine misère au sein de la
comprend ici au regard des fortes
reposant sur la culture du mil
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Rev, CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 200 1

- - - --
Scienc es sociales el humaines
et du sorgho pratiquée sur des
Losso considérés comme un obs-
Elles constituent cependant
champs en terrasses soigneu-
tacle sérieux à la colonisation. En
l'une des «colonisations de terres
sement construites sur les flancs
effet , ceux-ci ont pendant long-
neuves» les plus anciennes de
des montagnes et fumés à partir
temps constitué un verrou à l'ex-
l'Afrique tropicale, la plus an-
de déchets domestiques. Il s'agit
pansion coloniale allemande (B.
cienne même puisque la descente
en fait de petites exploitations
Tcham, 1994) . Ils ont lancé un
des montagnards Mandara du
paysannes au rendement sou-
défi aux Allemands en résistant
Cameroun de leur «réduit » sur-
vent fai ble. Cette concentration
des décennies durant à leur péné-
peuplé vers les plaines environ-
d'hommes dans des montagnes
tration dans la partie septentrio-
nantes est beaucoup plus récente
rocailleuses que l'on explique
nale du pays avant d'être vaincus.
- elle date des années 1930 (R .
généralement par le souci de
Ceci n'a été possible, selon les
Pourtier, 1992) - et que la colo-
protection et de défense des
Allemands, que grâce à leur for-
nisation des «terres neuves » du
ancêtres kabyè contre des voisins
te densité, et surtout à leur posi-
nord de Diourbel de la région de
vraisemblablement belliqueux (L.
tion stratég ique. Il fallait donc les
Kaffrine et de la zone arachi-
Ogoundé, 1985, pp. 74-95 ; MM.
démente 1er (P. Kadouza, 1996).
dière orientale au Sénégal n'a
Petit, 1976), était considérée
De tout ce qui précède, on
commencé
qu'en
1927
(LP.
comme source de misère et d'in-
peut retenir que plusieurs raisons
Dubois, 1971).
sécurité alimentaire, du moins à
se trouvaient à l'origine de la
Au Togo, elles prirent à l'ori-
terme . Ce que semblent d'ail -
transplantation des populations
gine la forme de déportation des
leurs justifier aux yeux de l'admi-
kabyè et losso de leur milieu
condamnés de droit commun du
nistration coloniale, des départs,
d'origine vers les zones de colo -
pays kabyè et losso. Les détenus
du moins saisonniers, vers les
nisation rurale du centre et du
étaient d'abord gardés à Djobo-
plantations cacaoyères de la Gold
Sud-Togo. Ce mouvement de
taouré dans l'actuelle préfecture
Coast (Ghana), départs que l'on
population qui est à l'origine de
de Sotouboua, puis étaient ren-
cra ignait de voir se multiplier
l'occupation de
notre
région
voyés ensuite dan s des villages
pour des raisons d'impôt. D'où
d'étude, s'est effectué en plusieurs
pénitentiaires qui sont en fait des
l'idée d'opérer le transfert d'une
étapes.
centres de redressement (Yerbes-
partie de la population kabyè vers
serungdërfer) créés par Je Gou-
les parties centrale et méridio-
3. LES ETAPES DE LA CO-
verneur allemand le Comte Zech
nale du pays moins chargées.
LONISATION
par l'ordonnance du 23 octobre
Ensuite, à la base de cette
1909. Ces centres étaient Kolo-
opération de transfert, il y a aussi
Amorcé pendant la période
naboua (actuellement Aouda)
une politique de développement,
coloniale allemande sous une for-
et
Chra
(aujourd'hui
appelé
celle de la mise en valeur des
me quelque peu «voilée» le mou-
Wahala) .
parties du terr itoire quasi-vides.
vement de colonisation rurale s'est
La forme prise par les trans-
Le besoin de main-d'œuvre se
amplifié pendant la période man-
ferts de population pendant la pé-
faisait sentir de façon très sé-
dataire de l'administration fran-
riode allemande (déportation de
rieuse dans les parties centrale et
çaise par la pratique d'une politi-
condamnés de droit commun ré-
méridionale du pays. On avait en
que systématique de transplanta-
calcitrants) et leur courte durée (à
effet besoin de bras pour travai l-
tion doublée de migrations spon-
peine 5 ans) n'ont pas permis à la
Ier à l'ouverture et à l'entretien
tanées qui n'ont pas cessé depuis.
colonisation agricole d'avoir un
des routes et surtout pour la cons-
impact significatif sur le milieu
truction du chemin de fer suivant
3.1. La
colonisation agricole
avant la prem ière guerre mon-
l'axe sud-nord; on avait aussi be-
sous les Allemands
diale.
soin de travailleurs pour la mise
C'est sous le mandat français
en valeur de la grande plaine
Les transplantations des Kabyè
qu'elle preridra son essor vérita-
togolaise, en particulier pour le
et des Losso débutèrent en 1909
ble.
développement des cul-tures in-
(R. Cornevin, 1969) c'est-à-dire
dustrielles, tel que le coton.
cinq ans seulement avant le dé-
3.2. La
colonisation agricole
Enfin, il y avait de la part des
part des Allemands du Togo en
sous les Français
Allemands, semble-t-il, une vo-
août 1914 suite à leur première
lonté délibérée de bri-ser la fou-
défaite de la Première Guerre
C'est à partir de 1923 que les
gue guerrière des Kabyè et des
Mondiale.
Français se sont lancés à leur tour
Rev . CAMES - Série B, vol. 03 - NO 002, 200\\
99

Science s sociales el humaines
_
dans la politique de transplan-
Au total , près de 70 villa ges de
vé l'ampleu r qu'il
avait à la
tation forcée des Kabyè et des
colons ont été fondés, l'essentiel
faveur de la repris e économi que
Losso. Le promoteur de ce mou-
se trouvant sur l'axe Sokodé-
et du recul de la tryp anosom iase,
vement pendant la période fran-
Notsé, avec le transfert de plus de
inaugurant une deu xième phase
çaise fut le Commissaire de la
15000 personnes , ce qui n'est pas
dans la tran splantation, laque lle
Ré-publique Bonnecarrère. Vers
sans conséquences démographi-
de-vait s'achev er au lendemain de
la fin de 1924, il mit en relation
que s, économiques et écolo gi-
la deuxième guerre mondiale.
les Commandants des cercles de
ques dans les zones de colon isa-
Mais,
à partir des années
Sokodé, M. Coez, et d'Atakpamé,
tion.
1930, ou peut-être un peu après,
M. Armand, en vue de la créa-
Une fois sélectionnés, les can-
parallèlement aux déplacements
tion des premiers villages de co-
did ats à la déport ation étaient
org an isés de populations, sont
lonisation agricole, relançant et
psychologiquement préparés pour
app arues des migrations spont a-
systématisant ainsi le mouvement
atténuer la nostal gie des pays
nées qui ont atteint leur paroxys-
de colonisation des terres neuves.
d'origine à l'affection desquels ils
me à la fin de la période colo-
C'est dès le 17 janvier 1925
devaient être arrachés d'une ma-
niale et qui n'ont pas cessé de-
que sur demande du Chef de la
nière brutal e. Ensuite selon des
pUI S.
subdivision de Nu atja (Notsé) un
propos des transplant és rapportés
premier contingent de 77 Kabyè
par P. Kadouza (1996), on leur
3.3. La colonisation spontannée
fut débarqué à Tsagba sur la rou-
donn ait de la nourriture , des
te Tététou -Nots é. Le même jour,
out ils agricol es, des semences
La colonisation agricole orga-
un autre contingent de Kabyè fut
pour une année agricole et quel-
nisée était suivi e à partir des an-
installé à Tchébébé au sud de
ques têtes de bétail. Ensuite , on
née s
1930 d'une co lonisation
Sotouboua . Ceux-ci constituaient
les dispensait du payement d'im-
spontanée dans les mêmes ré-
les premiers éléments du plus im-
pôt pendant deux ou trois ans.
gions . Que ce soit dans le cercle
portant transfert de population
Cela suppose pour l'admini st ra-
de Sokodé où ce trou vait notre
jamais réalisé dans le pays puis-
tion , des investissem ents d'une
zone d'étude ou que ce soit dans
qu'à partir de l'année suivante, les
certaine ampleur. On comprend
le cercle d'Atakpam é au sud,
déport ations se firent à une vi-
alors sans peine la raison pour
l'augm entation du nombre des
tesse exponentielle. De 1926 à
laquelle la colonisation des terres
immigrants kabyè et losso a été
1930, Il villages de colons furent
neuves ne s'est pas développée de
très rapide. Dans la plaine septen-
créés dans le cercle de Sokodé,
façon linéaire : les difficultés
trionale du Mono , la plupart des
31 dans celui d'Atakp amé. Du-
financières du pays suite à la cri-
villages créés par l'administration
rant le quinqu ennat qui a survi,
se économique du début des an-
coloniale servirent de noyaux à la
11 autres villages ont été créés le
nées 19302 et l'ép idémie de la
colon isati on spontanée . Depuis
long du chemin de fer dans la
trypanosomiase qui sévissaient
les années 1950, ce sont ces mi-
vallée de J'Anié. La transplan-
sérieusement dans les régions de
grations spontanées qui ont pris
tation des Kabyè et des Losso a
départ et dont on craignait la
la relève et qui n'ont pas cessé
ainsi continué jusqu'au lendemain
propagation dans les zones d'im-
depuis , qu'i 1s'ag isse de nouvelles
de la deuxième guerre mondiale'.
migration avaient conduit à opé-
implant ations de colons dans les
rer une rupture dans le mouve-
anciennes zones de colonisati on
1.
Selon Trebous ( 1970) les transplantations
ment de transplantation de 1933 à
agricole ou qu'i 1 s'agisse des dé-
des Kaby è et des Losso ont pris fin en
1935 (B. Lucien-Brun , 1974). Ce
placements vers d'autres hori-
1945, date à laquelle la «loi Houphouet-
Boigny» mit fin à cette forme de requi-
n'est qu'à partir de cette dernière
zons, exception faite, bien sûr, de
sition de main-d'oeu vre et de transfert
date que le mouvement a retrou-
la colonisation des «terres vier-
administratif de la force de travail d'une
ges » de l'Est-Mono or ganisée
rég.ion à l'autre. Mais de l'avis de Lucien-
Brun (1974) ces transferts se terminèrent
recevait cinq groupements kabyè et
vers le milieu des ann ées 1950
en 1949 lorsque les chefs de canions réu-
losso repart is dans deux villages (A.K.
dans le cadre de l'opération de
nis en conseil à Lama-Kara le 25 juin .
Akibodé, 1987, p. 27).
émirent un avis contraire au Plan d'Emi-
mise en valeur de cette région
2.
11 s'agit de la baisse des cours des pro-
gration et d' Admin istration coloniale
duits d'export ation, le renchérissement
initiée par le Fonds d'investis-
Françai se. On note tout de même que
des denrées d'importation, la diminution
sement pour le développement
c'est au cours de cette annèe 1949 que la
progressive du revenu global d'impôt,...
Subdivision de Bassari (actuell e préfec-
économique et social (FIDES), et
qui ont rendu problématique l'attribution
ture de Bassar et de Guerin-Kouka) loca-
des crédits nécessaires à la création de
de la colonisation agricole du
lisée dans l'ouest du cercle de Sokodé
nouveaux villages de colons.
bassin de la Kara organisée par le
100
Rev. C AMES - Série B, vol . 03 - W 002, 2001

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Sciences sociales el humaines
gouvernement togolais avec l'ap-
Blitta au sud de Sotouboua a
d isti nguent nettement par leurs
pui financier du Fonds européen
même connu une augmentation
dimen-sions des «Kotonzi» et des
de dévelop-pement (FED) à partir
plus rapide de sa population im-
«Yawgren" des régions d'origine,
de 19743. Dans le cas de ces deux
migrée au cours de la même
comme l'a relevé P. Kadouza
dernières opérations, il ne s'agit
période, 45% selon L. Ogoundé
(1996) dans son étude sur ces
plus de migrations forcées, mais
(1981).
zones de colonisation rurale .
de migrations organisées pour
Au total, les migrations rura-
Selon L. Ogoundé (1981), «la
des volontaires à la colonisation
les des Kabyè et des Losso ont
taille moyenne des parcelles des
agricole.
été un puissant mouvement de
immigrés du Centre-Togo a con-
Naturellement, il est difficile
colonisation agricole. C'est sans
sidérablement augmenté dans le
de chiffrer ces migrants sponta-
conteste ce mouvement qui ex-
rapport de 1 à 10 en comparaison
nés, mais on sait qu'ils sont nom-
plique la présence d'une chaîne
de l'ancienne micronisation des
breux et que leur nombre n'a ces-
continue de villages kabyè et
parcelles en pays d'origine». Cet-
sé de croître depuis qu'un certain
losso entre Sokodé et Amakpapé
te taille moyenne de la morpho-
Lao, tirailleur losso de la Schutz-
le long de la route bitumée sud-
logie du parcellaire dans les
truppe (armée coloniale alleman-
nord et le long du chemin de fer.
zones d'immigration du centre-
de) fonda avec 600 autres person-
Il leur a permis de réussir à
Togo,
A.M.
Pillet-Schwartz
nes originaires du nord, le pre-
conquérir un espace vital loin de
(1984) l'évalue à 3,08 ha. Quant à
mier village de colonisation spon-
leur pays d'origine, espace qu'ils
P. Kadouza (1996), il apporte des
tanée du nom de Lao-Kopé (fer-
vont mettre en valeur et qui, de
précisions supplémentaires. Se-
me de Lao) situé au nord de
ce fait, va subir des mutations
lon les enquêtes qu'il a menées en
Kpédomé à côté de Notsé (P.
assez profondes.
1995 dans la plaine septentrio-
Kadouza 1996). Selon B. Lucien-
nale du Mono autour de Sotou-
Brun (1974), la population des
4. MISE EN VALEUR AGRI-
boua, 15% seulement des pay-
viliages de fondation spontanée
COLE ET MUTATIONS DE
sans ont des champs inférieurs à
dans le cercle d'Atakpamé est
L'ESPACE COLONISE
1 ha. Les 85% restant ont des
passée de 1000 personnes en
champs supérieurs à 1 ha avec
1932 à 5000 en 1946, et à 34663
Après trois quarts de siècle de
même 40% de pl us de 2 ha
en
1960. Dans
le canton de
colonisation agricole, la plaine
(tableau 1).
Sotouboua (actuelle préfecture de
septentrionale du Mono a connu
Sotouboua) dans le cercle de
de grandes mutations. Celles-ci
Sokodé, ce sont les migrations
se
traduisent
par
une
forte
spontanées qui ont entraîné l'aug-
humanisation de l'espace, une
mentation du nombre des immi-
évolution des systèmes agraires,
grants de 15500 à 17682 de 1945
un développement des activités
à 1950, soit un accroissement de
commerciales et artisanales et
plus de 14% en moins de 5 ans
une modification des rapports so-
(l.C. Pauvert 1960). Le canton de
etaux.
4.1. De grandes superficies cul-
tivées
Jnstallés dans une region où
3.
Concernant l'opération de mise en valeur
les contraintes physiques à l'ac-
de l'Est-Mono, le-; statistiques officielles
tivité agricole sont moins fortes
font état de 1~:;o colons dont seulement
300 arrivanl
directement
du
milieu
que dans leur région d'origine, ce
d 'orig ine . Le reste venait des anciens
qui les dispense des aménage-
vi llages de colonisation agricole des
ments soigneux auxquels
ils
cercles de Sokodé et d'Atakpam é, Quant
au projet de colonisation agricole du
étaient habitués, les Kabyè et les
bassin de la Kara appelé Projet FED-Kara
Losso se lancent enfin à la con-
ou
encore Projet-Agbassa , il deva il
permettre
l'installation de plus de 1000
quête de la nature par de grands
4.
Kotonzi : nom des micro-parcelles en
familles .
défrichements. Ainsi, arrivent-ils
Kabyè
Yawgre
: nom des micro-parcelles en
à faire de grands champs qui se
Losso .
Rev, CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 2001
101

Sciences sociales el humaines
_
Tableau 1: Distribution des paysans enquêtés selon la taille
Qui plus est, il ne s'agit là que de
des parcelles cultivées en ha.
taux moyens qui cachent des situa-
tions extrêmes très significatives :
Fréquences
certains immigrants mettent en va-
Fréquences absolues
Fréquences relatives
leur de vastes superficies, plusieurs
Superficie
dizaines d'hectares.
Par exem-
ple, le chef du canton d'Aouda a
0,5 - 1
12
15
exploité en 1988-89, une superficie
1 - 2
36
45
totale de 18,5 ha, et en 1994-95,
plus de 25 ha (P. Kadouza, 1996) ;
Plus de 2 ha
32
40
à Aou-Mono, front de colonisation
agricole, les paysans les plus entre-
Total
80
100
prenants font des champs dont la
somme des superficies atteint 30
ha ; enfin, à Elavagnon, localité
Source : P. Kadouza, 1996, p. 44
située à une trentaine de kilo-
besoins de la vie quotidienne.
(kabyèmicine) et des Losso (los-
mètres à l'est de Sotouboua, les
Mais il ne s'agit toujours que
somicine) très consommée loca-
grands paysans que l'on désigne
d'une agriculture traditionnelle
lement et présente aussi dans de
sous le nom de "Soussa" exploi-
reposant sur les cultures vivriè-
grandes réunions sociales et au
tent aussi par personne des su-
res, en particulier sur le sorgho,
cours des travaux d'ent raide), le
.perficies dépassant largement 20
le maïs et l'igname, comme on
sorgho vient en tête avec 34%
ha. Au total, les champs sont ici
peut le constater sur les figures 2
des superficies sur une exploi-
de dimensions élevées, résultat
et 3. A cause de son double rôle
tation à Aou-Mono et 27% à
de l'effet conjugué de la dispo-
alimentaire (aliment de base) et
Tabindè. Suivent ensuite le maïs
nibilité en terre de culture et de la
social (puisque servant à la fabri-
et l'igname avec respectivement
volonté des paysans de produire
cation du «tchoukoudou» , la
27% et 16% à Aou-Mono et 18%
suffisamment pour satisfaire les
bière traditionnelle des Kabyè
et 15% à Tabindè.
Fig. 2 : Proportion des surfaces attribuées à chaque
Fig. 3 : Proportion des surfaces attribuées à chaque
culture sur l'exploitation d'un paysan à Aou- Mono
culture sur l'exploitation d'un paysan à Tabinde
Source: KA DO UZA, 1996 p.51
Source : KA DO UZA, 1996 p.51
II est frappant de constater
ren-te dans la plaine du Mono et
en raison de son rôle dans le dé-
la désaffection des immigrants
au Togo. Bien sûr, le coton est
veloppement économique de vas-
kabyè et losso à l'égard de la cul-
désigné par le terme de «pétrole
tes. régions du monde tropical,
ture du coton, première culture de
des pauvres» ou de «l'or blanc»
mais il est considéré dans notre
\\02
Rev. CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 2001

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Sciences sociales el humaines
région comme «un affameur des
temps déjà
par l'introduction
venance du Nigéria, des vête-
populations» et n'occupe donc
d'une dimension commerciale, ce
ments, des bicyclettes introduites
qu'une place marginale dans les
que traduisent les importantes
par des commerçants opérant à
systèmes de production paysans.
ventes de céréales (sorgho, riz) et
Tchamba et à Kambolé, les piè-
On remarquera sur les figures 2
de tubercules (igname notam-
ces détachées pour les véhicules,
et 3 qu'il ne couvre que 4%
ment) que l'on trouve sur les
les produits alimentaires importés
seulement de l'exploitation d'un
marchés de la région, et qui
(lait, sucre, sardine, beurre, etc.)
paysan de Tabindè et est même
arrivent jusque dans les grandes
les matériaux de construction et
inexistant dans l'exploitation d'un
villes du sud du pays. Avec les
les produits agricoles locaux. La
paysan d'Aou-Mono. Selon P.
recettes des ventes, les paysans
commercialisation de tous ces
Kadouza (1996), alors que plus
achètent des produits de première
produits est une source de ri-
des trois quarts des paysans con-
nécessité (condiments, savons,
chesse pour un grand nombre de
sacrent chacun une superficie
médicaments, vêtements), mais
personnes. L'artisanat est aussi
supérieure à 2 ha au sorgho,
aussi des produits de luxe d'ori-
bien représenté dans notre région.
18, 75% des paysans en exploi-
gine industrielle comme les tran-
Il est fondé sur une foule de
tent même chacun plus de 4 ha,
sistors, les bicyclettes, etc. Ces
petites activités allant des métiers
c'est seulement entre 0, 25 et 0, 5
échanges ont engendré une im-
du bois aux réparations mécani-
ha que plus de 50·% des paysans
porta nte activité de commercia-
ques et électroniques en passant
consacrent chacun au coton. Cela
lisation dont les plaques tour-
par la couture, l'horlogerie, la
montre qu'ici, le désir de satis-
nantes sont Sotouboua, Aouda,
vulcanisation, etc. A Sotouboua
faire les besoins alimentaires pri-
Ayengré et Lama-Tessi.
par exemple, il a été recensé 8
me le souci de gagner de l'argent
Premier centre administratif
types de métiers artisanaux consi-
conduisant ainsi le coton, culture
(chef-lieu de préfecture), Sotou-
dérés comme les plus importants.
purement d'exportation, à avoir
boua est aussi le principal centre
Les atel iers se répartissent sur les
du mal à s'imposer malgré le sou-
des échanges commerciaux dans
axes routiers importants en par-
tien de la Société togolaise du
notre région. En plus de sa place
ticulier la route bitumée sud-
coton (SOTOCO) à cette culture.
de marché, lieu important de
nord, Lomé-Dapaong, la route
La place non né-gligeable de
transactions commerciales, elle
Sotouboua-Kédjébi, la rue de
l'arachide dans les exploitations
concentre une multitude de mai-
Laouwaï, celle qui conduit à
agricoles
(12%-13%
des
sons de commerce allant des éta-
l'école
primaire
du
quartier
superficies) s'explique sans doute
blissements tenues par les com-
Sondè, les trois rues qui mènent
par sa double vocation vivrière et
merçants Yorouba aux succur-
vers le lycée de la ville.
d'exportation. Mais il ne faut pas
sales des sociétés de distribution
L'évolution observée au cours
comprendre que l'agriculture des
(Société Générale du Golfe de
des dernières années semble indi-
immigrants kabyè et losso est une
Guinée (SGGG) et sociétés pétro-
quer également une prolifération
agriculture d'auto-subsistance.
lières). Le marché de Sotouboua
des activités tertiaires dans d'au-
Bien sûr, le souci de satis-
est un marché dont le rayon-
tres localités de la région. Aouda,
faction alimentaire est ici prépon-
nement dépasse largement le
Ayengré et Lama-Tessi en parti-
dérant dans le choix des plantes
cadre de la Région Centrale. Les
culier concentrent des activités
cultivées, mais les productions
enquêtes mênées par P. Kadouza
non agricoles d'une certaine im-
agricoles sont de plus en plus
(1996) en 1995 révèlent qu'une
portance. Chefs-lieux de canton,
vendues sur les marchés ruraux
forte proportion des commerçants
ces localités disposent de places
contribuant ainsi fortement à dy-
de ce marché arrivent de loin :
de marché qui concurrencent
namiser les activités commer-
20% viennent de Sotouboua,
franchement Sotouboua par leur
ciales et artisanales et à moné-
17% de Kara et 15% de Lomé.
animation et la diversité des mar-
tariser l'économie.
Le reste, soit 48% vient des loca-
chandises exposées; en outre, on
lités environnantes. Ces commer-
note la présence d'un artisanat
4.2. Des activités commerciales
çants sont surtout des femmes
actif. Elles sont ainsi devenues
et artisanales en plein es-
revendeuses de denrées alimen-
avec Sotouboua, des centres ad-
sor
taires. A Sotouboua, on rencontre
ministratifs (chefs-lieux de pré-
des marchandises de tout genre:
fecture et de canton), mais aussi
L'agriculture vivrière kabyè-
des médicaments, des transistors
de grands centres commerciaux
losso est marquée depuis long-
et des radio-cassettes en pro-
et artisanaux dotés d'éq uipements
Rcv, CAM ES - Série B, vol. 03 - NO 002, 2001
103

Sciences socia les el humaines
_
socio-collectifs divers : centres
leur nouvel habit at constituent
que ce soit en pays losso (Koka),
médicaux, éco les, collèges, lycée
pour eux une véritable source de
les budgets fam iliaux sont remar-
à Soto uboua, bureau x des se r-
pacto le qui change radicalement
quablement ma ig res comme on
vices d'encadrement agricole, etc.
leurs conditions de vie. Pour s'en
peut le voi r aux tab leaux 2 et 3.
Elles so nt ainsi devenues des
convaincre, il suffi t de se reporter
Au tota l 70 200 F CFA de recet-
centres sem i-urbains ou infra-
à l'étude comparée des budge ts
tes annue lles à Koka , moi ns de
urbains qui concentrent une gam-
famil iaux , dans la région de
50000 F CFA même à Yadè. En
me d'act ivités, d'équipements et
Sotouboua et dans la Région de
outre , malgré la faiblesse des dé-
de se rvices qu i en font de véri-
la Kara qui est le pays d'origi ne
penses des familles , limitées aux
tables pôles économiques structu-
(tableaux 2, 3 et 4).
cas les plus éléme nta ires ou de
rant l'espace rura l. Cette évo lu-
Cer tes , en l'a bsenc e d'une
nécessi té abso lue, ces budge ts
tion s'es t traduite par une remar-
véri table com ptabi lité en milieu
so nt déficitaires, jusq u'à plus de
quable augmentation des revenus
paysan togolais, les exemp les de
10 000 F CFA à Koka. Par con-
monétaires des ménages et un ac-
budgets du prése nt travail ne
tre, da ns la zone d'imp lanta-
cro isseme nt sensibl e du niveau
peuvent, du fait des condit ions
tion de la plaine se ptent rionale
de vie des immigrants.
mêmes de leur é laboration, être
du Mono, les recett es des im-
pris pou r des valeurs fiab les,
migra nts von t jusqu'à près de
4.3. A ug me n ta t ion d es r evenu s
ma is ils témoi gnent bie n des
300 000 F CFA avec des budgets
et a cc r oisse me n t du niveau
évo lutio ns que co nnaissent les
largement excédentaires puisque
d e vie
populations immigrées dans la ré-
les dép enses ne tournent qu'au-
gion de Sotouboua.
tour de 125 000 F CFA (tableau
Les activités que mènent les
Dans les zones de départ , que
4).
immigrants kabyè et losso dans
ce soit en pays kabyè (Yadè) ou
Tablea u 2 : Budget d 'un m én a ge à Ya dè (pays kabyè) en 1994
Recettes en FCFA
Produits
Dép en ses en FCFA
Homm e
Femm e
Homm e
Femm e
Ig names
1700
Co nsomma tio n de bo isson de so rgh o
5000
1 500
Arachides
63 00
Tabac
2000
Noix de pa lme
750
Hou e
2500
Un bouc
8500
800
Habi llement
J 300
7 500
Vo lailles
5200
Educat ion
8500
Gra ines de bao ba b et de né ré
3650
Funé ra illes d'un parent
17000
Boisson de Sorg ho
5000
12000
Sa nté
7 200
Divers
2500
1500
T o tal
33 600
1430 0
T ot a l
43 500
9000
47900
52500
Source: Enquête de terrain en 1995
104
Rev. CAMES - Sé rie B, vol. 03 - ND 002, 2001

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Science s sociales et humain es
Tableau 3: Budget d'un ménage à Koka (pays lasso) en 1994
Produits
Recettes en FeFA
Dépenses en FeFA
Homm e
Femme
Homme
Femme
Mani oc
17 000
5 000
Maïs
12 000
3500
Haricot
3 000
1500
Ignames
7 000
1 500
Sorgh o
1 500
Co nd ime nts et légumes
6500
Arachide
2 000
1 100
Houes
2500
Noi x de palme
3 000
Ustensiles de cuisine
3500
Porc
12 000
Vêtements
3 000
9 000
Vola illes
3 400
Education
8450
Gra ins de baobab et de néré
1 400
Cér émon ies rituelles
II 000
Bois son de sor gh o
8 000
Sant é
5500
N oix de palmistes
3 500
Divers
3500
4 000
Divers
6 000
1 800
T ota l
49900
22300
Total
52950
28000
70200
80950
.
So urce: Enquete de terrain en 1995
Tableau 4: Budget d'un ménage à Kédjébi (plaine septentrionale du Mono) en 1994
Produits
Recettes en Fe FA
Dépenses en FeFA
Homme
Femme
Homme
Femme
Ign am es
63 700
Entretien des cha mps
17 000
2500
Sorgho
55 000
6 000
Ach at de matéri el agricole
9 800
Maïs
20 000
Engr ais pour le coton
1'6 500
Arachide
32 000
4 000
Achat de têtes d'ignam e
5 250
Riz paddy
7500
Education
17800
Deux moutons
17 000
Habillement
4 000
8 000
Po ules
3 260
800
C igarettes
11000
Gomb o
1 800
Boisson
8500
1 500
Coto n
23 070
Condime nts
7 000
Vente de Tchoukoud ou
27 500
Pétrole
9500
Vente de charbon de bois
9 500
8700
Radio
12 000
Divers
6 000
Total
231030
54800
Total
95850
28500
285830
124350
So urce: Enquête de terrain en 1995
Tableau 4: Budget d'un ménage à K édjêbi (plaine septentrionale du Mono) en 1994.
Produits
Recettes en FeFA
Dépenses en FeFA
Homme
Femme
Homme
Femm e
-
Ign ame s
63 700
Entreti en des cha mps
17 000
2 500
So rgho
55 000
6 000
Achat de matériel agricole
9 800
Maïs
20 000
Engrais pou r le coton
la 500
Arac hide
32 000
4 000
Achat de tête s d'igname
5 250
Riz paddy
7500
Education
17800
Deux moutons
17 000
Habillement
4 000
8 000
Poul es
3260
800
C iga rettes
11000
Gombo
1 800
Bois son
8500
1 500
Co ton
23 070
Condim ents
7 000
Vent e de Tchoukoud ou
27 500
Pétrole
9500
Vente de charbon de bois
9 500
8 700
Radio
12 000
Divers
6 000
Total
231030
54800
Total
95850
28500
285830
124350
.
Source: Enquete de terrain en 1995
Rev. CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 200 1
105

Sciences sociales el humaines
_
C'est donc une certaine forme
nettement plus élevé que dans les
de la terre n'étaient plus de mise.
d'enrichissement qui caractérise
zones de départ (P. Kadouza ,
La terre n'appartenait plus, com-
aujourd'hui la population immi-
1996). Mais plus remarquable
me dans les zones de départ «au
grée de la plaine septentrionale
encore est l'évolution du système
groupe social dans sa totalité,
du Mono. Ceci se traduit par une
de culture et du régime foncier.
c'est-à-dire, à l'ensemble des
circulation monétaire notable et
vivants et des morts», elle n'était
une immersion de la paysannerie
4.4. Mutations des systèmes de
plus la propriété des divinités et
dans J'économie marchande. D'où
culture et dynamique du
des ancêtres, et dont les indivi-
la disparition des traditionnelles
paysage végétal
dus ne pouvaient qu'être usu-
considérations mesurant le degré
fruitiers. On pouvait ici avoir un
de richesse d'un paysan à travers
Descendus de leurs monta-
véritable droit de propriété de la
le nombre de greniers qu'il possè-
gnes rocai lieuses où ils prati-
terre', en devenir le véritable maî-
de et l'importance de son chep-
quaient une agriculture jardinée
tre. Ainsi, les terres conquises sur
tel ; d'où aussi, bien sûr, la ten-
sur des terrasses soigneusement
la forêt ou sur la savane deve-
dance à orienter toutes les pro-
aménagées, les Kabyè et les
naient-elles 1a propriété de l'ex-
ductions agricoles vers le mar-
Losso se retrouvent dans la plai-
ploitant. Le régime foncier s'était
ché. L'amélioration des revenus
ne du Mono, au milieu d'immen-
ainsi brutalement trouv é modifié
des immigrants leur permet des
ses terres vides relativement fer-
par rapport aux pays d'origine.
réalisations vitales sur place et en
tiles. Certes, quelques chasseurs
Cette appropriation foncière indi-
pays d'origine . Sur place, les
kotokoli' et bassar y avaient ins-
viduelle avait pour conséquence,
réalisations matérielles les plus
tallé des campements de chasse
la course à la terre. Il y eut donc
frappantes portent sur l'améliora-
et avaient donc théoriquement la
de la part de tous les immigrants,
tion de J'.~a:bitat avec l'introduc-
.propri ét é cie {a terre, rnais l'abon-
le désir de défricher très rapide-
tion de matériaux durables (ci-
dance de la terre était tellement
ment de vastes domaines pour fi-
ment, tôle, fer,...), l'achat de voi-
manifeste qu'aucun de ceux-ci ne
nalement pouvoir y affirmer leurs
tures, d'engins à deux roues, de
voyait d'un mauvais oeil , du
droit s puisque la propriété de la
moulins à maïs, ... Les enquêtes
moins au début, la horde défer-
terre relevait désormais , comme
menées dans cette région révèlent
lante des transplantés. A suppo-
ce fut aussi le cas ailleurs où il
aussi la consommation de pro-
ser même qu'ils répugnassent à
était question de colonisation des
duits industriels de luxe tels que
accepter l'implantation des immi-
«terres neuves»:', de l'antériorité
les radios, les radio-cassettes, les
grant s, ils ne pouvaient que se
de l'occupation (droit du premier
alcools importés (Whisky, Rhum,
résigner à les voir s'égailler dans
défricheur). Surtout que , alors
Gin,...), les produits alimentaires
la région, puisque, peut-être en
qu'il y avait de l'espace, heau-
d'importation (lait, sucre, beurre,
prépa-ration à cette opération de
coup de personnes s'évertuaient à
etc.) et du mobilier évolué. On
transfert de population, le décret
assurer l'avenir des enfants en se
note même dans les villages, la
du 11 août 1920 fixant le statut
constituant de grandes réserves
présence de téléviseurs qui fonc-
domanial et foncier du territoire
foncières par défrichement. Mais
tionnent, du fait de l'absence du
plaçait les terres de la partie nord
très vite, les traditionnelles con-
courant électrique, à partir de
de la plaine du Mono parmi les
ceptions négro-africaines de la
groupes électrogènes achetés au
terrains vacants et sans maître.
propriété foncière ont repris le
Nigeria, ou à partir de batteries
C'est donc dans une région
dessus avec la divinisation de la
d'accumulateur. En pays d'ori-
inculte ou à très faible densité
terre et du premier défricheur qui
gine, les réal isations concernent
démographique avec d'abondan-
en est Je seul propriétaire et à qui
surtout l'habitat. Beaucoup d'im-
tes terres de culture que les im-
des libations sont faites avant
migrants affirment en effet avoir
migrants kabyè et losso venaient
toutes opérations de cession de
construit des maisons en pays
s'implanter dans la plaine nord du
d'origine, des maisons dont l'ar-
Mono. Dans ce domaine nou-
2.
Il
s'agissait
du
droit
coutumier ou
chitecture change en passant, tout
veau, les traditionnelles considé-
traditionnel
comme c'est le cas en zone
rations sociales sur la propriété
3.
C' est en particulier le cas des «T e rres
d'immigration, de la forme ronde
Neuves » du Ferlo occ idental e n général
(Dubois 194 J) ou de Indonési e ( M . Pain
à la forme quadrangulaire. Tout
1.
Les Kotokoli so nt aussi appelés Tem et
et al, 1989).
ceci se traduit par l'amélioration
habitent
la
ville de
Sokodé et
se s
du niveau de vie qui paraît
environs.
106
Rev. CAMES - Série B, vol. 03 - W 002, 2001

_ _ _ _ __ __ _ _ _ __ _ __ _ _ _ _ _ _ __ _ _ _ _ _ _ _ __ _ _ Sciences sociales et humaines
terre". On le voit, la plaine nord
marée montante des champs de
les courbes de niveau sont, entre
du Mono est caractérisée par une
sorgho, d'igname et de maïs. En
autres, des recours nécessaires.
disponibi1ité en terre remarquable
particulier, il est constaté la fonte
qui a des effets certains sur les
vertigineuse des formations fo-
CONCLUSION
pratiques foncières, lesquelles ne
restières qui ne subsistent que sur
sont plus tout à fait celles des
d'étroites portions de terre réfu-
Au total, les migrations rura-
régions d'origine. Dans cette nou-
giées dans les thalwegs des cours
les (organisées ou spontanées)
velle situation d'abondance de
d'eau, l'Anié et l'Aou, affluents
des Kabyè et des Losso sont un
terre, les immigrants kabyè et
du Mono. Quelques recrus fo-
puissant mouvement de coloni-
losso ne trouvent guère néces-
restiers s'observent ici et là dans
sation agricole au Togo. Elles ont
saire de continuer à pratiquer les
le paysage, mais ils sont carac-
entraîné la diaspora de ces po-
techniques d'exploitation soi-
térisés par des arbres de petite
pulations qui se retrouvent au-
gneuses en vigueur dans leurs
taille et l'abondance de hautes
jourd'hui majoritaires hors .de
milieux d'origine. C'est dire que
graminées sous jacentes, Partout
leur zone d'origine : 53% des
la faible densité démographique a
ailleurs, ce sont les champs et les
Kabyè recensés au Togo en \\970
ici affecté l'agriculture kabyè-
jachères récentes , Au total, la
habitaient hors du pays kabyè,
losso qui, d'intensive, est deve-
végétation est aujourd'hui mar-
63% même en 1981 (Y. Margue-
nue extensive avec la pratique du
quée par une forte emprise hu-
rat, 1986). Dans la plaine nord du
brûlis et quelques années de
maine comme l'a très bien relevé
Mono, elles se sont traduites par
culture suivies d'une longue ja-
K. S, Klassou (1996), Aussi, la
de fortes implantations de popu-
chère de reconstitution du sol. 11
pratique de la culture du maïs et
lation conduisant au peuplement
n'y a rien de surprenant à cela
du coton provoque-t-elle, du fait
de cette région autrefois «vide»
quand on sait que l'agriculture
de l'excès de travail qu'elle exige,
et à sa remarquable mise en va-
extensive est plus productiviste
la destruction de la matière orga-
leur. Aussi relève-t-on une élé-
que celle intensive et que les ter-
nique des sols (1. Contantinesco,
vation sensible du niveau de vie
res ne manquent pas pour sa
1976), et donc leur fragilité et
des immigrants. Mais ces implan-
pratique. Nous rejoignons ainsi
leur sen-sibilité à l'érosion. On a
tations soulèvent ici quelques
E. Boserup (1970) avec sa célè-
cal-culé et évalué \\a charge de
problèmes liés à la détérioration
bre formule: «ce n'est pas la po-
débris d'érosion dans la plai-ne
des structures sociales tradition-
pulation qui s'adapte aux techni-
septentrionale du Mono à 200-
nelles et à la dégradation rapide
ques de culture, c'est l'inverse».
1000 tonneslkm2/an (Lamouroux,
du potentiel de production, du
Mais l'ampleur des défriche-
1969). Certes, il n'y a guère
fait de techniques d'exploitation
ments résultant de cette exten-
qu'aux deux extrémités du pays,
dévastatrices du milieu nature\\.
sivité et de la «conquête fon-
dans le sud-est et dans la région
Certes, le niveau actuel des den-
cière » est responsable de la dis-
des savanes, que l'érosion atteint
sités permet encore l'agriculture
parition de vastes es paces de
des valeurs plus élevées en plai-
itinérante sur brûlis avec de lon-
forêts et de savanes, avec des
ne, mais cette perte de sol affecte
gues jachères de reconstitution du
risques de dégradation des sols et
déjà négativement les rendements
sol et des rendements assez bons',
du développement de l'érosion
agricoles et appelle à l'adoption
mais on peut se demander jusqu'à
comme l'a constaté Lamouroux
de comportements et de métho-
quand ? L'ampleur des migra-
(1969) dans les années 1960.
des de travai 1 conséquents , La
tions spontanées ou volontaires
L'immense végétation naturelle
conscientisation
des
masses
qui ont accompagné ou suivi les
qui couvrait notre région d'étude
rurales sur les dangers de l'utili-
transferts forcés de populations
au début du processus de trans-
sation irrationnelle et abusive des
montre que les Kabyè et les Los-
plantation dl:", Kabyè et des
sols et la nécessité d'y remédier,
50 ne sont pas moins mobiles que
Losso est aujourd'hui presque
l'encouragement de la culture des
d'autres peuples considérés com-
entièrement défrichée; elle recu-
légumineuses qui protègent et
me ayant une forte propension à
le constamment, poussée par la
améliorent le sol, l'adoption de
rotations et d'associations cultu-
.5
Selon des enquêtes menées en 1994 dans
4.
Les premiers défricheurs qui dans la
rales adaptées, la pratique de la
des villages de la plaine nord du Mono , le
plupart de s ca s ne vivent plu s aujourd'hui
rendement du sorgho était de 1376 kg/ha ,
culture en bandes alternées et
devi ennent les se uls propriétaires de la
ce lui du maïs 2097 kg /ha, celui du riz
terre . Les exploitants d'aujourd'hui ne
l'édification des billons suivant
2980 kg/ha , celui de l'arachide 950 kg/ha
sont que des usufru itiers.
el celui de l'igname 15700 kg/ha .
Rev. CAMES - Série B, vol. 03 - W 002. 2UIII
107

Scienc es sociales el humaines - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - --
émigrer tels les Kotokoli du cen-
DUBOIS (J.-P), 1971 :
Doctorat de 3e cycle , Univer-
tre du pays disséminés un peu
L'émigration des Se re r vers
sité de Bordeaux 3, 371 p.
partout en Afrique de l'ouest
la zone arachidière orientale:
OGO UNDE (L), 1985 :
(J. P. Barbier, 1986) ou même
Contribution à l'étude de la
« Le problème de l'ori gine et
les Ehoué du plateau béninois
colonisation des Terr es Ne u-
de l'installation des Kabyè du
d'Aplahoué qui peuvent aussi
ves au Sé néga l. ORSTOM,
Nord-Togo» ; in Act es du sé-
être considérés comme étant une
Dakar, 207 p.
mina ir e V CLA - V B s ur les
«ethnie qui émigre » (T. Abotchi,
FOURNIER (F.), 1960 :
scien ces so ciales , vo lume 1,
1995 ; T. Abotchi , 1997 pp 34-
Climat et érosion. PUF, Paris,
pp 74-95.
40). La propension d'un peuple à
201 p.
PAIN (M) et al, 1989 :
émigrer est donc à rapporter aux
KADOUZA (P.), 1996 :
Transmigration et migrations
conditions d'existence dans son
Colonisation agricole et dyna-
sp ontanées
en
Indon ési e.
aire d'habitat traditionnel, à sa
mique de l' espace rural au
Paris, ORSTOM, 1 vol, 443 p.
profession ou à l'attrait des ré-
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atlas de 20 cartes h.t.
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Univers ité de Bordeaux III ,
des Kaby è et des Losso (Togo)
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Rev. CAMES - Série B, vo l. 03 - W 002. 2001