Sciences sociales et humaines
Littérature scientifique et Esprit des lumières
en Nouvelle-Grenade
S. A. S. TANHOSSOU
Université du Bénin, Lomé (Togo).
Introduction
de médecin, le vice-roi La Cerda en 1760. Le
1er novembre 1783, il est nommé chef de l'Expédition
Envued'uneapproche méthodologique duXVIIIe botanique; àcetitre, il pourraexercer une influence
siècle en Amérique espagnole, il nous est appa-
plus rayonnante, car il regroupe et forme de jeunes
ru que l'étude de ce que nous considérons
savants qui constituent le noyau culturel de Santa Fe,
comme une littérature scientifique permet de mettre en
dans ce lieu de travail et aussi de discussions qu'était
relief des problèmes liés à la spécificité du fait améri-
l'Observatoire astronomique.
cain. Cette littérature ne représente pas uniquement
Le voyage de Humboldt, enfin, qui arrive à Cartagena
un effort de taxinomie qui viserait à identifier les phé-
de Indias en mars 1801, sur un terrain préparé par une
nomènes naturels pour en ordonner la complexité et
élite créole pleine de foi dans le progrès, est un pont
les soumettre aux lois de la raison ; elle est aussi un
jeté entre l'Europe et cette partie de l'Amérique.
témoignage sur la réalité américaine, sur une attitude
On peut considérer que l'Esprit des lumières, en
de l'esprit, sur un certain mouvement de la pensée qui
Nouvelle-Grenade, va se former dans un climat parti-
donne au concept européen de « lumières » son
culièrement difficile : l'enseignement des mathé-
caractère propre.
matiques, que donne Mutis dès 1762, se heurte à la
En Nouvelle-Grenade, l'Esprit des lumières est insé-
suspicion des Dominicains, de telle façon qu'il est obli-
parable de la vie scientifique; ceci nous oblige à nous
gé de soutenir une véritable controverse pour
poser une première question : quand commence le
défendre le système Copernic. Le 20 juin 1801, ce
Siècle des lumières en Nouvelle-Grenade, par quoi se
Feijéo de l'Amérique, comme on l'a appelé, adresse
manifeste-toi! ? Cette période historique valable pour
au vice-roi une véhémente plaidoierie en faveur de ce
l'Europe a-t-elle un sens pour la Nouvelle-Grenade?
système, en démontrant qu'il ne contredit en rien le
Dans l'affirmative, les deux périodes sont-elles
dogme ou l'enseignement de Saint-Augustin et de Saint-
parallèles, ou faut-il admettre, pour le vice-royaume,
Thomas; il en appelle, pour finir, à un document, déjà
un certain temps de maturation?
ancien, de Jorge Juan qui fut le compagnon de La
Condamine et auteur des Observations astrono-
Tout d'abord, l'expédition La Condamine,
en 1735,
miques. Pour défendre la liberté du savant, Jorge Juan
joue un rôle décisif, car elle arrache le vice-royaume à
devait en appeler au sentiment de l'honneur:
son isolement ; celui-ci, grâce à sa situation privilé-
[... ] Es precisa que vuelva (écrivait-il au souverain) por
giée, apporte, en effet, une contribution capitale dans
el honor de sus vasallos, y absolutamente necesario que
la connaissance de la configuration terrestre. Par le
se puedan explicar los sistemas sin la precision de averlos
biais de l'investigation scientifique, il entre dans le
de refutar' .
grand
courant
universaliste
de
la
pensée
au
XVIIIe siècle. L'expédition, non seulement, lègue une
Si l'on ajoute, à titre d'exemple, que Caldas est obligé
tradition scientifique à la Nouvelle-Grenade, mais
de se défendre contre les accusations d'impiété et de
encore, elle permet de modeler une mentalité.
blasphème, parce qu'il avait parlé de vélin Jésus, c'est
Secouant les superstitions qui pesaient sur la société
dire que la Nouvelle-Grenade en était, à la fin du
Créole, même évoluée, elle a créé entre l'Europe et la
XVIIIe siècle, bien plus à un stade de formation intellec-
Nouvelle-Grenade un courant dont les effets se feront
tuelle qu'à un stade d'épanouissement. Comme l'écrit
sentir plus tard; elle a donné aux Créoles le sentiment
Caldas:
d'une conscience historique, avec la conviction qu'ils
Nosotros acabamos de nacer : apenas tenemos 300 alios
avaient un rôle à jouer.
de existencia, y no se nos pueden exigir las luces y los
conocimientos de Europa. El genio, el fuego sagrado
La diffusion de l'Esprit des lumières est liée à la venue
de las ciencias camina con lentitud y por pasos mesu-
de José Celestino Mutis qui accompagne, en qualité
rades'.
1 Gredilla, Biografia de J. C. mutis. Madrid, 1911, p. 60.
'f. J. de Caldas, Semanario de Nueva Granada, Bibl. pop. de Cultura Colombiana, Bogota, 1942, tome Il, p. 18.
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L'année 1810, année de troubles politiques, marque
temps au grand moment de l'illustration espagnole,
un tournant; les savants, l'élite culturelle, passent à
elle comporte un décalage quant au degré de maturité et
l'action, les écrits deviennent polémiques, la passion
au stade de développement, décalage plus marqué
se substitue à la sérénité de l'étude; c'est alors, peut-
encore si nous le comparons au Siècle des lumières en
être, que la véritable illustration aurait pu donner ses
France; nous pouvons nous demander si ce trait est
fruits. Si nous situons entre 1770 et 1809 cette pério-
propre à la Nouvelle-Grenade ou s'il n'est pas une des
de de formation, il en résulte que, parallèle dans le
caractéristiques de l'histoire de l'Amérique espagnole.
Que recouvre le terme
qui lui était confiée permettaient au pragmatisme des
Créoles de s'exercer directement (en théorie du moins)
de littérature scientifique?
sur le développement du pays. A ce titre, l'activité scien-
Il faut tenir compte des conditions sociologiques de cette
tifique et ses applications pratiques trouvent un point de
production intellectuelle et de ses moyens de diffu-
départ dans les sollicitations et les encouragements
sion. Quand elle apparaît, elle comble un vide, étant
qui viennent de la Junta de Gobiemo du Consulado. Nous
donné l'absence de littérature proprement dite; elle
signalerons, à titre d'exemple, la concordance entre une
va jouer un rôle de communication entre divers noyaux
véritable géopolitique des voies de communication et
de la société néo-grenadine, séparés par les conditions
les études théoriques de Caldas sur l'utilisation de la
géographiques du pays. Elle prend la forme de Memorias
mesure barométrique pour les relevés topographiques,
diffusées, en majeure partie, par un périodique, le
selon la méthode exposée par lui dans le Senzanario. En
Semanario de Nueva Granada, fondé et dirigé par Caldas
outre, Pombo, conseiller du Real Consulado et auteur,
en 1808. Ce périodique, après deux années de publi-
comme Mutis, d'un traité sur les quinquinas', rejoint les
cation régulière, devait, par manque de souscripteurs, se
préoccupations que les difficultés de transport et de
réduire à une série de onze memorias publiées en petit
conservation des écorces causaient au chef de l'expé-
format en 1811. Parmi les souscripteurs les plus solides
dition botanique. Soucieux de servir l'esprit scientifique,
du Semanario, figure le Real Consulado de Cartagena
en trouvant une solution aux problèmes qui pourraient
de Indias, auquel F. J. de Caldas rend hommage, car
altérer l'intégralité des recherches, il soutient Mutis,
il voit dans son aide un exemple de patriotisme'. Le lien
dépassant les vaines querelles européennes des tenants
qui s'établit entre les milieux scientifiques de
et adversaires de la valeur thérapeutique des quinquinas,
l'Observatoire de Santa Fe et le groupe des commer-
affirme que seules les mauvaises conditions d'exploi-
çants éclairés de Cartagena de Indias n'est pas un des
tation et de transport de l'écorce peuvent en limiter
l'efficacité".
aspects les moins intéressants de cette fm du XVIII' siècle
néo-grenadin. Bien que nos recherches en ce domaine
Cette littérature scientifique est une littérature de pays
ne soient pas terminées, nous pensons que le Real
pauvre en moyens matériels de reproduction et de diffu-
Consulado a joué un rôle primordial dans le domaine
sion, car une imprimerie officielle n'a commencé à fonc-
culturel aussi bien qu' économique'. Créé par Real Céluda
tionner à Santa Fe qu'à partir de 1776 ; de leur côté,
en 1795 et en grande partie grâce à l'initiative de J. 1. de
les commerçants de Cartagena de Indias se voient
Pombo, il a fonctionné avant que ne soit fondée à Santa
contraints à de longues tractations, entre 1800 et 1807,
Fe sous l'impulsion de Mutis une Sociedad Patriôtice
avant d'obtenir la possibilité d'avoir leur imprimerie
de Santa Fe en 1801. Son fonctionnement, la mission
propre pour leur Consulado'. Malgré la présence autour
, Semananio de Nueva Granada, lmprenta Patriôtica de Oon Nicolas Calvo y Quixano, 1811, p. Il, B.N. Paris, P. Angrand 809. Le Real Consulado procura abon-
nements.
4 La 24 édition du Consulado de Cartagena de lndias ; rôle et activité de J.l. de Pombo, communication que nous avons présentée au Congrès international
des américanistes, section XIV, Rome, septembre 1972.
'Consulter Rafael Gômez Hoyos, la Revolucién Granadina de 1810',ldeario de una generacién, Bogota, 1962,2 tomes. Tome Il, p. 264, note 15. Oe longs extraits
de cette étude sont cités par Gôrnez Hoyos.
6 Jardin Botânico, Madrid, collection Mutis, Paquete 58. Guillermo Hernândez de Alba, Archive Epistolar deI Sabio Naturalista. J. C. Mutis lmp. Nacional,
Bogotâ, 1949, 2 vol.
7 Archive General de lndias, Sevilla, Santa Fe, 1960.
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de Mutis d'une équipe de dessinateurs et de graveurs,
il insiste sur l'admirable réciprocité de services entre
les collaborateurs du Semanario, faute aussi de ressources
le végétal et l'animal, chacun étant la source d'un flux
financières, se voient obligés de pallier l'absence de
d'air orienté différemment, tantôt nocif, tantôt bénéfique,
moyens techniques par la description minutieuse des
capable de maintenir ainsi en équilibre tous les principes
sujets de leur observation. Comme l'écrit Eloy
constitutifs". Caldas, lui aussi, reprend les leçons du voyage
Valenzuela :
dans les Alpes de H. B. de Saussure et rappelle l'impor-
[... ] No se daran figuras algunas por la imposibilidad
tance de toute fluidité environnante sur le comportement
en la que nos haliamos para este lujo, y porque el fin
de l' homme, en particulier dans ce lieu d' observation choisi
primario de las descripciones es suplir, y aun aventajar
que sont les Andes, où perpétuellement les variations
la instrucci6n ocular que dan aquéllas",
de niveau et de pression; le flux et le reflux de l'électri-
Le soin apporté à la rédaction de ces Essais et Mémoires
cité atmosphérique s'exercent sur lui. La réitération de ce
nous permet de considérer derrière le langage scienti-
thème de la circulation, de l'échange de courants inverses
fique tout un arrière plan de réflexions qui traduit la
est si sensible qu'il s'est constitué, dirait-on, une sorte
vision particulière que le Créole avait du monde qui l' en-
de schéma mental qui affleure aussi bien au niveau de
tourait ; au cours de ses investigations, il va prendre
l'analyse des phénomènes économiques que du patho-
conscience de la richesse, de la nouveauté d'une nature
logique, car le langage est identique. Il serait évidem-
qui lui appartient et qu'il est seul à pouvoir découvrir de
ment abusif d' affrrrner que le timide libéralisme qui trans-
façon authentique. La singularité des phénomènes va
paraît dans les rapports économiques de J. I. de Pombo"
s'imposer d'autant plus à l'attention des savants néo-
doive quelque chose aux préoccupations physiques et
grenadins que tous ne cessent d'affirmer, comme prin-
chimiques du milieu culturel qui était le sien; mais nous
cipe de base, comme méthode de travail, l'observation
pensons que ce mode de représentation des relations
rigoureuse des faits, en dehors d'un système préétabli et
vitales a pu marquer si bien l'imagination du créole que
contraignant, comme l'était l'interprétation scolasti-
le physiologique suggère une traduction métaphorique
que du monde. Outre une curiosité ouverte à la spéci-
des lois économiques, comme nous le constations dans
ficité des faits de la Nouvelle-Grenade, nous voyons
le long article que Tadeo Lozano consacre, dans le Correo
se manifester dans ces écrits un mouvement de la pensée
Curioso, à l'étude de la circulation de la richesse et
par lequel l'homme cherchera à rétablir une unité, une
au rôle du commerçant dans ce circuit",
loi d'harmonie dans cette diversité du monde; cette
loi commandera, non seulement, la relation entre
La nécessité de tenir compte du milieu, pour mieux
l'homme et la nature, mais s'appliquera aussi à ses
comprendre les phénomènes naturels, va faire apparaître,
rapports avec la société où il s'intègre.
à côté des composantes climatologiques, des éléments
sociologiques; le Créole se trouve en effet confronté
A cet égard, la littérature médicale montre que cette
à la diversité ethnique de la Nouvelle-Grenade; celle-
relation est essentiellement une relation dynamique.
ci va lui fournir un cadre ambigu où voisine l'empirisme
A travers l'étude de certaines formes de la pathologie
traditionnel dont le monde indien a le privilège, vivifié
américaine, il apparaît que la loi qui commande toute
par cette sorte d'intuition tellurique que manifestent
manifestation de la vie est celle de la libre circulation,
les Créoles, habitués à découvrir pas à pas les richesses
d'une communication permanente à l'intérieur du milieu
du monde qui étaient les leurs, et le besoin d'ordonner
corporel, d'une part et d'autre part, d'un échange continu
analogies et différences en vue d'établir une loi et d'en
entre le milieu interne et le milieu externe. Mutis recueille,
. faire une application utile.
à travers l'enseignement de Chaptal, les découvertes
de Priestley sur l'oxygène en 1774, et il jette un jour
C'est ainsi que les naturalistes se trouvent pris entre
nouveau sur le rôle de l'air comme lien vital et prin-
la nécessité de distinguer les traits génériques qui per-
cipe d'équilibre entre les éléments vivants. Dans les ins-
mettent d'établir des classes, des ordres, des genres, des
tructions qu'il donne pour la construction des cimetières,
espèces, en application de l'enseignement de Linné et
• Semanario aüo, 1810, Memoria 6, p. 24.
, Gredilla, op. cil. p. 82.
'0A.G.!. Sevilla, Santa Fe 960. Un projet créole de communication interocéanique, à la veille de l'Indépendance. Tilas 1973.
" Tadeo Lozano, De la necesidad dei dinero corriente, in Periodistas en los albores de la Repûblica, Bogota, 1936, p. 1-16. Tadeo Lozano était frère du
Marquis de San Jorge, descendant du Capitaine Anton Olalla qui reçut l'encomienda de Bogota. Tadeo Lozano publia une partie de la Fauna Cundinamarquesa
dans le Semanario de Nueva Granada.
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de Buffon, comme l' affirme Tadeo Lozano" ; mais ega-
ingénue que donne à Caldas un indien Noanama qui,
lement ils sentent le danger qu'il Ya à enfermer dans des
sans jamais se tromper, réunit diverses plantes sous le
abstractions une flore vivante, connue de longue date
nom générique de contra, car elles agissent contre les
par tous ceux qui ont su mettre à profit leur familia-
morsures de serpents; ainsi, il reconstitue, à son insu,
rité avec la nature. Un des collaborateurs du Semanario,
une familIe à laquelle les botanistes avertis ont donné
à l'occasion, il est vrai, d'une polémique qui l'oppo-
le nom de besleria": Il arrive même que l'expérience
sait au directeur et éditeur, va jusqu'à dénoncer la
des hommes de la terre contredise les spéculations de
« manie» dont des Botanicos alucinados font preuve en
la raison, car ils vivent constamment près d'elle, ils
voulant décrire de l'extérieur pour essayer de classer tras
l'observent éternellement, la conocen mejor que los
de pelitos, escamas, verrugas ... Outre les confusions qui
filosofos".
peuvent en résulter, telle l'erreur de Linné qui a pris
Si l'enseignement de Linné, avec son Système de la
la Tunna sauvage, c'est-à-dire la papa de Colombie pour
nature, aide à reconnaître la flore de la Nouvelle-Grenade,
une plante broussailleuse, dit E. Valenzuela, on risque
il reste au créole à accomplir, parfois, un travail de créa-
de passer à côté de l'étonnante diversité de la flore du
tion, car après avoir inventorié et classé, il doit donner
pays qui exige une étude par régions. Il fait alors le projet
un nom aux choses. Cédant, écrit Caldas, plus à la vanité
de composer une flore de Bucaramanga afin de ranger
qu'au souci d'une exigence scientifique, il fabrique
près des plantes reconnues scientifiquement, toutes
un nom latinisé, destiné à rappeler la mémoire de celui
ces autres plantes, leurs compagnes, non inventoriées,
qui en a fait la découverte, ainsi obtient-on des noms
que les Indiens connaissaient et dont ils ont légué avec
privés de vie. En comparaison, souligne Caldas, quelle
sagesse l'usage. Il est bien vrai que ni Mutis, ni ses
richesse dans le mot indien pour désigner l' humble gen-
collaborateurs de l'Expédition botanique ne méprisent
tiane, car le nom est à la fois désignation et présence
systématiquement le savoir du monde indien ou des gens
totale de la chose désignée, avec ses vertus et la relation
d'humble condition; l'affabulation n'est pas toujours le
qu'elle entretient avec l'homme qui l'utilise. A l'occa-
propre des gens simples; au contraire, elle réside plutôt
sion, il ne manque pas de saluer la langue des Péruviens
dans l'ignorance, la paresse d'esprit des gens de la
qui est, affirme-t-il, pour le Nouveau Monde ce qu'était
ville dont les conservations sont alimentées par les récits
la langue toscane pour l'Ancien. Comment ne pas opposer
qui courent sur d'étranges maladies et une thérapeutique
à l'attention que portent Caldas et Mutis aux langues
non moins étrange", A cet égard, le Diario de
indigènes les qualificatifs péjoratifs qu'applique Buffon
Observaciones de Mutis contient nombre de remarques
aux langues du Nouveau Continent, où il ne voit qu'un
intéressantes: être blanc et vivre en ville ne semble
langage barbare :
pas préserver de l'ignorance; Mutis fait l'expérience
qu'on jelle les yeux sur la liste des animaux; leurs
d'interroger un petit indien, un jeune créole, un blanc
noms sont presque tous si difficiles à prononcer, qu'il est
sur un vol d'oiseaux remarquable par son ordonnance
émanant que les Européens aient pris la peine de les
écrire".
et la régularité de son passage; chacun donne son expli-
cation, aussi fausse l'une que J'autre, et il conclut:
On ne peut manquer de souligner la liberté de vues
Por cierto que en tales ocasiones valdrfa morar mas bien
des créoles face à l'ethnocentrisme européen qui passe
entre la gente inculta de algunos infelices pueblos y estan-
à côté d'une richesse que seul l'habitant du Nouveau
cias que en las cuidades, donde apenas hay algunos que
Monde peut apprécier. Il ne nous semble pas excessif de
se hallan instruidos en tales asuntos" .
voir dans cet intérêt manifesté pour la valeur expressive
Parfois, le savant met directement à profit le savoir de
du nom indien une anticipation à l'inquiétude de l'écri-
l'Indien, considérant sa longue pratique comme une
vain latine-américain telle que l'a exprimée Alejo
forme d'expérimentation; ainsi, cette leçon de botanique
Carpentier :
12 Setnanario, aûo 1810, Memoria 4a, Idea de un instrumento llamado chrornapfcilo. Tadeo Lozano trouvait qu'on n'avait pas suffisamment tenu compte de
la couleur, parmi les caractères génériques des espèces vivantes; il cherchait à fabriquer un instrument pour reproduire symboliquement la couleur sans
avoir à utiliser celle-ci, le procédé étant trop coûteux.
"Semana rio. aüo 1810, Memoria 6a, p. 24.
"J.c. Mutis, Diario de Observacionses, Bogota, 1957, Time 1, p. 97.
" Id. Tome l, p. 110.
"F.J. de Caldas, Ob ms completas, Bogotâ, 1996, p. 99, note 22.
" Id. p. 338.
'"F.J. de Caldas, obras, ed. Posada, Bogota, 1912.
"Buffon, Œuvres complètes, ed. M.H. Richard, Paris, 1826-1836, vol.XV, p. 455.
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As! come el Adan el de la Biblia puso nombre a los ani-
Nous pouvons nous demander si cet hommage rendu
males y a las plantas, as! nuestros creadores de fic-
à l'Indien', pour sa sagesse et l'équilib.re qu'il sait éta-
cion deben bautizar a todo 10 que les rodea".
blir avec son milieu naturel, n'est pas la forme amé-
Dans les essais qui traitent de problèmes propres à la
ricaine que prend le mythe du « bon sauvage », loin
pathologie du Vice-Royaume, nous avons pu constater
des rives d'Europe qui l'a nourri. Cependant, nous vou-
également l'importance reconnue à l'équilibre naturel
drions souligner que cette attitude, face au monde indien,
de l'indien, grâce à son mode de vie. Une maladie,
comporte des contradictions et laisse apparaître des ambi-
semble-t-il, faisait des ravages en Nouvelle-Grenade, le
guïtés non sans analogie avec cet ethnocentrisme euro-
goître, avec ses conséquences, la dégénérescence et le
péen, qui parfois suscitait les réserves des Créoles
crétinisme. Sur l'initiative d'un des collaborateurs du
éclairés. Tout se passe comme si cette vision de l' homme
Semanario, Don Nicolas Tanco, un prix fut proposépour
dans sa relation avec l'univers et la société se situait à
couronner un rapport sur cette « monstrueuse» maladie.
deux niveaux ou comportait des dénominateurs diffé-
Les deux Memorias les plus complètes sont celles de
rents. Nulle part mieux que dans les œuvres de Caldas,
Don Luis Fernândez Madrid et de Don Joaquin Camacho,
que nous pourrions appeler de sociologie géographique,
sans compter les observations de F. J. de Caldas dans El
n'apparaît cette ambiguïté; dans ce pays, dont Caldas
Influjo dei Clima sobre los seres organizados (et qui
se plaît à souligner la complexité, la recherche d'une
nous paraissent présenter le plus de rigueur scientifique).
unité le conduit en quelque sorte à styliser la représen-
tation de l'homme. Le critère essentiel qui lui permet
Soucieux de ne pas confondre les effets avec les causes,
d'établir des catégories parmi les trois millions d'habi-
ils cherchent une explication par le milieu. Ainsi loca-
tants du Nouveau-Royaume, c'est le critère de civili-
lisent-ils le phénomène et ils constatent que le mal sévit
sation ; dans le groupe des civilisés, figurent les Indiens
dans un espace géographique défini par l'axe du
qui vivent, écrit-il, sous « les douces et humaines lois
Magdalena; mais tous ne sont pas également atteints:
du monarque espagnol »23. Au delà, c'est le monde des
les Indiens échappent à la maladie. L'explication clima-
sauvages, sans que ce dernier terme ne comporte de
tologique, basée sur les études de Fodéré, citée dans ces
nuance péjorative; à l'intérieur de ce groupe, la théorie
essais, qui cherche la cause dans la théorie des humeurs
des climats, telle que Caldas la définit dans son essai,
et l'humidité, ne suffit pas. Caldas fera une analyse
permet d'introduire des nuances; mais ces variations
des eaux des rivières; Fernandez Madrid et Camacho
vont s'ordonner dans une idéalisation satisfaisante pour
élargissent le cadre de l'analyse de Fodéré, en s'appuyant
l'esprit. L'accord avec le climat joue un rôle régula-
sur ce grand principe vital que constitue la libre commu-
teur qui corrige ce qu'une condition sociale inférieure
nication avec les éléments du milieu externe. Pour
pourrait avoir de débilitant: dans les parties basses du
Camacho, nul doute que le privilège dont jouissent les
Chocô et de Barbacoas, peu connues, une sorte de
Indiens dans ce domaine ne vienne de ce que nous
noblesse inconsciente émane du noir; il y a dans son
appellerions aujourd'hui leur hygiène de vie; un habitat
état une apparence d'innocence telle que l'esclave est
dispersé, le soleil, l'air qui les environne, leurs rustiques
plus fort que le maître. Parfois, il est vrai.Je climat
demeures, leur vie en continuel exercice sont les condi-
étouffant incite l'homme à une sorte d'abandon qui
tions de cette adaptation au milieu; Camacho explique
n'assure pas une morale des plus pures mais les habi-
que les membres, en continuel contact avec l'air, reçoi-
tants y possèdent une sagesse qui sait se contenter de
vent une chaleur qui se communique au sang et le
peu. La vie des Indiens de la Côte sud de la région
purifie". Inversément, Fernandez Madrid affirme que
Pacifique suggère à Caldas une page sereine comme une
cette maladie est el triste pero justo patrimonio de una
idylle: l'homme vit dans cette partie du vice-royaume
vida sibaritica y regalade".
dans la paix physique et morale:
10 Caraterfsticas de la novela latino-americana, Cuanternos de bellas Artes, México, Junio, 1964, p. 36.
li Semanario, aüo 1810, Memoria 2a, p. 176, Memoria sobre las causas y curacién de los cotos.
21 Semanario 1810, Memoria 6a, p. 1-17.
" F. 1. de Ca1das, Obras Completas, Bogota, 1996, p. 188.
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Contenta con su destina y con su pais; mira con indi-
géographique et Une œuvre collective, à laquelle colla-
ferencia al resta de la tierra. Vive sin inquietudes y sin
boreront des équipes de savants spécialisés, à qui les
remordimientos. La muerte misma no le turba : la ve acer-
riches propriétaires, les organismes de commerce four-
carse con ojos serenos y expira con tranquilidad 24.
niront les fonds nécessaires; les autorités politiques
Mais si Caldas se place dans une perspective écono-
apporteront leur soutien à l'entreprise; et toute infor-
mique, les critères d'utilité et de félicité publique vien-
mation foumie par le plus humble des habitants y trouve
nent effacer l'idéalisme de la loi naturelle; l'harmo-
sa place. La géographie, en s'intégrant dans une vison
nieuse fresque de la société primitive n'est que sombre
des mécanismes d'ensemble de la vie du pays, devient
tableau où l'indien estûpido, bârbaro, estolido.feroz,
politique; elle est « philosophie nouvelle ».
est, tout au plus, capable de détruire l'équilibre naturel,
soit qu'il saccage les plantations de quinquina, soit qu'il
La géographie étant d'abord « science de l'espace, de
fasse une chasse sauvage aux vigognes. Aussi, dans son
sa logique et de son organisation» comme l'écrit M. P.
étude sur les conditions d'acclimatation des vigognes
Pinchemel, nous voudrions faire quelques remarques sur
du Pérou en Nouvelle-Grenade, Caldas envisage-t-il
la notion d'espace où s'inscrit la recherche de Caldas.
la nécessité de confier le patrimoine que constitue cette
Il situe d'abord son étude dans un espace délimité par
richesse propre aux Andes, à un corps de « propriétaires
des schémas d'ordre administratif, juridique, fiscal,
patriotes et maîtres de ces hautes régions »25.
en quelque sorte dans un espace-État, constitué par
ces trois parties qu'il énumère: Nuevo Reina, la Tierra
Si nous considérons les écrits de contenu géographique,
Firme, provincia de Quito, que la politique des Bourbons,
nous constatons que la pensée géographique en Nouvelle-
par deux fois au cours du XVIII' siècle, avait regrou-
Grenade, à la fin du XVIII' siècle, se situe à une croisée
pées", Mais l'ensemble du tracé administratif nous
de chemins: alors que, dès 1786, Alcedo tient compte
semble constituer, dans l'esprit de Caldas, beaucoup plus
d'une dimension historique et saisit le fait géographique
une entité qu'une réalité. Pour lui, la partie vivante est
à la fois sous son angle purement localiste et dans son
le noyau central constitué par la région andine; les plaines
aspect socio-historique, il ne nous semble pas que la
orientales, l'immensité labyrinthique où l'Orénoque
pensée géographique en Nouvelle-Grenade, à la fin
et l'Amazone déroulent leurs cours font partie de ces
du XVIII' siècle, soit totalement dégagée des limites
pa/ses dilatados qui appartiennent, dans une certaine
d'une cosmologie biblique, comme c'est le cas pour José
mesure, au domaine des probabilités et qui entrent
Manuel Restrepo". Caldas, lui, en 1808, érige la géogra-
dans une perspective spatiale et temporelle lointaine.
phie en science, en distinguant entre une géographie phy-
Sans vouloir analyser dans le détail la richesse litté-
sique fondée sur l'étude orographique et corographiq ue
et une géographie humaine. Dans ce domaine, on mesure
raire de la description géographique de Caldas, nous
tout l'apport de l'Illustration espagnole, avec Jovellanos
remarquerons que la gamme et l'échelle de son voca-
bulaire semblent conditionnées par une prise de
et Antill6n, et l'aide fournie par la cartographie espa-
conscience tout à fait remarquable de l'espace vécu,
gnole au XVIII' siècle, notamment l' œuvre de Figalgo
selon une dialectique d'étendue et de resserrement,
qui contribua à dissiper les ombres qui recouvraient
d'amplitude et de limitation, d'ouverture et de résistance.
encore l'image du Nouveau Continent.
Dans l' œuvre et la correspondance de Caldas s'exprime,
La conception de la géographie, à travers l' œuvre de
comme un leitmotiv angoissé, le désir de sortir des limites
Caldas, est bien celle d'un « philosophe» dont les
d'une Cordillère où l'homme se sent confiné, alors
critères moraux sont ceux d'utilité et de bonheur; la
que les fleuves restent inutilisés et les côtes au stade
connaissance déterministe des faits doit contribuer à
de l'exploration. Nous nous demandons s'il ne s'agit pas
mener le pays vers la prospérité et la félicité". Elle
là d'un espace proprement colombien, dans un cadre
doit aider à la formation d'une conscience civique car,
grandiose mais opprimant, où l'homme vit d'isole-
en faisant connaître les richesses naturelles du pays, elle
ment et d'aspiration à gagner une mer qu'il n'est pas sûr
incite à vouloir les mettre au service de tous. L' œu vre
de pouvoir atteindre.
,. Id. p. 98.
15 Id. p. 332.
16 Cana Mutis in Archivo Epistolar, p. 124. Cependant J. M. Restrepo se livre à une reconnaissance très précise du Cauca que Caldas utilise dans son étude
sur la géographie du Nouveau-Royaume. op. cil. p. 198, note 5.
n Op. cil. p. 210-211.
28 Idem p. 184.
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Sciences sociales et humaines
Il nous semble percevoir dans cette relation entre
graines, l'exploitation des arbres", montrait les liens
l' homme de science et la nature qui s'offre à son inves-
entre la science et la félicité publique. Quant à l'ouvrage
tigation, l'affleurement d'une sensibilité qui, débordant
de l'Abbé Pluche, Spectacle de la nature, dont la pre-
le rationalisme de l'Esprit des lumières, est une forme
mière traduction en espagnol est de 1755, il apportait,
de pré-romantisme, peut-être même la manifestation
à côté d'informations botaniques, un enseignement tech-
d'un indianisme naissant. Habitués à découvrir pas à pas
nologique qui devait être particulièrement bien accueilli .
les richesses de la Nature, les Créoles éclairés de la
dans un pays où le retard dans le domaine de l' ou-
Nouvelle-Grenade se sentent liés au monde qui était
tillage était manifeste et dénoncé avec vigueur, dans
le leur par une sorte de relation vitale, existentielle.
les tableaux descriptifs de la vie des provinces du Vice-
La description de la forêt tropicale de Caldas n'est pas
Royaume". Le but de l'Abbé Pluche est de servir la
loin de l'exhubérance de La Voragine; la dramatique
Société, car rien n'est plus estimable, explique-t-il, qu'une
beauté des volcans annonce l'impressionnante évoca-
organisation à travers laquelle:
tion de telle page d' Alejo Carpentier dans Los pasos per-
Dieu dispense ses biens, en permettant à l'homme de
didos": et comment ne pas rapprocher l'abondance lexi-
les utiliser: Dieu se cache lui-même dans la distribu-
tion de ses biens et ne nous montre que la main de
cale des descriptions botaniques de la musicalité colorée
l'homme par laquelle il nous les dispense".
de cette Botânica de Pablo Neruda dans le Canto
General 30.

Aussi, l'élément moteur de cette société est-il le
commerçant, « boussole de la société» écrit Pluche.
Enfin, cette littérature scientifique permet de déceler les
La pratique du commerce a pour corrélat le service de
influences qui, en dehors du poids qu'elles pouvaient
la société; l'esprit du commerce comporte donc une cer-
avoir dans le domaine scientifique, ont contribué à donner
taine éthique, qui est à la fois une philosophie morale
ses nuances particulières à l'illustration en Nouvelle-
et une morale politique dont nous trouvons un écho
Grenade. A côté des grands noms de Linné, Buffon,
dans les rapports économiques de 1. 1. de Pombo et dans
Bernadin de Saint Pierre, Newton, Cuvier, Lacépède,
P. F. de Vargas. Ces auteurs français, peu connus, tra-
figurent, parmi les références à des lectures étrangères,
duits partiellement en espagnol, établissent un lien entre
des noms d'auteurs que nous pourrions considérer comme
l'Illustration en Espagne et en Nouvelle-Grenade, car
des « marginaux» de la Philosophie, si en leur temps ils
leur lecture était recommandée par la Sociedad
n'avaient joui d'un certain prestige et si leurs œuvres,
vascongada" dont les rapports étaient bien connus des
en dépit d'une valeur scientifique déjà dépassée, à la fin
collaborateurs du Semanario, Dans la bibliothèque du
du XVIll' siècle, n'avaient suscité un intérêt sur le double
Vice-Roi Caballero y G6ngora figuraient, à côté de
plan d'une réflexion anthropologique et ethnique. Sans
Locke, Hume, Montesquieu et Pascal, quatorze cahiers
vouloir entrer dans le détail, notons les références à
concernant la Vascongada ainsi que les extraits des sta-
Duhamel du Monceau, Sigaud de La Fond, l'Abbé
tuts de la Société.
Pluche. Sigaud de La Fond n'apportait pas seulement
son Dictionnaire de la nature ou ses Leçons de physique
. Comme les Espagnols, comme un feijéo, comme un
théorique et expérimentale ou ses études sur l' électri-
Jovellanos, les Créoles éclairés cherchent ~ concilier
cité, il était aussi l'auteur d'une École du bonheur ou de
le domaine de la science et celui de la foi; ils restent
l'économie de la providence dans l'établissement de
attachés à une conception déiste du monde qui les
la religion défendue contre l'incrédulité 31. Duhamel
empêche de pousser jusqu'à ses dernières conséquences
du Monceau, avec ses traités sur la conservation des
l'application du déterminisme scientifique et leur fait
29 Alejo Carpentier, Los Pas os Perdidos ; Barcelona, 1971, p. 80-81.
30 Pablo Neruda, Canto General, México, 1952, Canto General de Chile, XPP, p. 316.
"Sigaud de la Fond (Joseph-Alignan), Dictionnaire des Merveilles de la nature, Paris, Hôtel Serpente, 1781,2 vol. L'école du Bonheur ou Tableau des vertus
sociales, Paris, Rue et Hôtel Serpente, 1782.
Economie de la Providence dans l'établissement de la Religion, suite de la Religion défendue contre l'incrédulité du siècle, Paris, Rue et Hôtel Serpente,
1787,2 vol.
" Mr Duhamel du Monceau, Tratado de las siembras y plantîos de ârboles ... traducido al castellano por el Dr. D. Casimiro Gérnez de Ortega, Madrid, J.
Ibarra, 1773. Joaqufn Carnacho, dans le Relaci6n territorial de la Privincia de Pamplona, Semanario, tome Il, p. 15-16, cite le Traité de la conservation des grains
et en particulier du froment, Paris, H. L. Guérin et L. F. Delatour, 1753. La préface de l'étude de Duhamel du Monceau .cornporte des réflexions de morale
politique qui tendent à valoriser le rôle de la ville, de l'initiative collective aussi bien que particulière, mais aussi à défendre contre des attaques injustes à
son avis ce que l'on appelle monopole, p. XXXVIII.
lJ
Pedro Fermîn de Vargas, 1762-1811 ( ?), collaborateur de Mutiss' est distingué par ses activités scientifiques et par son action aux côtés de Narifio en
1794. Parrni ses œuvres connues, Pensamientos politicos y melmoria sobre la poblaciôn dei Nuevo reino de Granada, Bogota, 1944.
" Abbé Pluche, Spectacle de la nature, Paris V, Estienne et Fils, Tome VI. Entretien VI, p. 163. La traduction espagnole par el Padre.
"Selllallario, tome Ill, Bogota, 1942, p. 9, No say original en este método : la he le/do en las Mémorias de la Sociedad Vascongada, écrit le Dr Don Juan
Agustin de la Para.
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refuser toute interprétation mécaniste de l'Univers.
rants des vrais problèmes et des vrais besoins de ces
Caldas ne cesse, dans ses écrits, de protester de son ortho-
pays.
doxie et affirme la nécessité de distinguer entre la
A travers la réflexion scientifique, le Créole a découvert
« Philosophie moderne» et l'esprit scientifique qui
qu'il était possesseur d'une réalité bien à lui, dont la
n'a rien à voir, écrit-il à son ami Santiago Arroyo, avec:
complexité ne pouvait être complètement élucidée à
les impiétés et autres délires de Voltaire, Rousseau, etc.
partir des concepts venus de l'extérieur. Avec ses hési-
et de tous ceux que l'on connaît sous le nom de philo-
tations et ses limites, l'esprit scientifique inscrivait sa
sophes modernes".
démarche dans le temps d'une histoire à venir, dans
Esteban de Terreros y Pandos, Madrid, 1755, accorde
une attente; une fois de plus, nous citerons Caldas
une place importante à la technologie (cristaux, miroirs,
s'adressant, le 5 avril 1801, à Santiago Arroyo:
verres, conditionnement de la nourriture) et à l'étude de
Se acercan, mi amigo, los dias de ilustraci6n y gloria para
l'homme dans la société. (Consulter 1. Sarrailh, l'Espagne
la Nueva Granada. Veremos nosotros esta feliz revo-
éclairée de la 2e moitié du XVIIIe siècle, Paris, 1964.
luci6n ? Si el nuevo peri6dico no nos embrutece, como
p. 455 et tout le ch. II de la 3e partie,p. 441-471).
10 cree un critico de este papel, si no se oprimen los
talentos con ideas y juramentos dignos de los sig los
Si les Créoles sont redevables à l'Europe de les avoir
de los Godos, estoy seguro que al expira el siglo XIX
aidés à explorer les richesses offertes par leur pays,
no tendremos que envidiar a la Metr6poli su ilustraci6n
y sus talentos literarios ...'8 0
ils n'en affirment pas moins leur indépendance à l'égard
de leurs maîtres, ils veulent être à l'abri de toute forme
de préjugés, aussi bien dans le courant de la pensée nou-
Références bibliographiques
velle que dans le respect de l'enseignement traditionnel
CALDAS F. J., 1966. Obras Completas, Bogotâ
des collègues; ils sont soucieux de garder une entière
CARPENTIER A., 1964. Caracteristicas de la novela Latino-
disponibilité devant les réalités de ce pays « vierge»
americana, cuademos de bellas Arts, México, Junio.
et pourtant presque « barbare» dans son isolement,
CARPENTIER A., 1971. Los Pasos Perdidos Barcelona.
comme l'écrit Caldas. En ce sens, ils nous paraissent
GÔMEZ R. H., 1962. La Revoluci6n Granadina de 1810 ldeario
rejoindre l'élite éclairée de Lima qui, animée par
de una generacién, Bogotâ, 2 tomes.
Unanue", exprimait dans le Mercurio Peruano sa
T ADEA L., 1936. De la necessidad dei dinero comente, in
méfiance à l'égard de la Caterva de filôsofos, igno-
Periodistas en los albores de la Repüblica, Bogotâ,
" Cartas, p. 72, cartas 35 .
sr Unanue (1755-1833) né à Arica, se consacra aux études de médecine et fonda à Lima le premier amphithéâtre anatomique en 1792. San Martin lui confia
le ministère des Finances, mais Unanue se retira très vite de la vie politique. Son œuvre, réunie en partie, dans Obras cientificas y literarias, 3 vol. Barcelona,
1914, contient des renseignements précieux sur la société péruvienne à la fin du XVIII' siècle.
Unanue manifeste une grande indépendance d'esprit à l'égard de l'Europe; il écrit dans le Mercurio du 17 mars 1791, n° 22, Quisiéramos que unos
filosofos que se gloriaIl de tener por Patria a todo el mundo nofuesen tan fa/aces y euemigos de la verdad, desnudândose de las preocupaciones nacionales
quando lean a Garcilaso. a quien levantan mil estimonios. 11 critiqua, par ailleurs, la classification des espèces animales faite par Buffon et la réfuta en s'appuyant
sur Jefferson, Noies on state of Virginia, p. 62.
li Cartas, p. 43, canas 29.
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'Q)
A partir de l'historique du Siècle des lumières,
'0 Scientific literature and the spirit of the
E cet article montre le climat de suspicion qui a carac-
ca enlightenment cannot be separated from each
~
L.
térisé l'émergence de la culture scientifique. Basée
-
other in New Granada. Using as its starting point
'Q)
sur une observation rigoureuse des faits, la litté-
~ the historical background of the Enlightenment,
a: rature scientifique établit une loi d'harmonie dans
« this study seeks to show the atmosphere of
la diversité du monde. La compréhension des
suspicion which characterised the rise of scientific
phénomènes naturels tels que la botanique et la
culture. Based on a strict observation of facts,
climatologie fait intervenir le milieu et une idée
scientific literature establishes a law of harmony
de déterminisme, d'où une certaine conception
within
the
diversity
of
the
world.
The
déiste du monde.
understanding of natural phenomena such as
botany, climatology brings in the environment an
La réflexion scientifique met aussi en exergue une
idea of determinism, hence a certain deistic
réalité complexe, propre au monde créole, qui ne
conception of the world. Scientific reflection also
peut être élucidée à partir des concepts venus
highlights a complex reality that is specifie to the
de l'étranger.
Creole world and this reality can only be clarified
in the light of foreign conceptions.
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4.5