Sciences sociales et humaines
Les instruments de régulation des prix des produits
d'exportation et de la production agricole au Togo
(1948-1964)

BammoyNabe
Département d'Histoire
Université du Bénin, Lomé (Togo)
Uli
1
Il Il
Ulltn
Introduction
Après la seconde Guerre mondiale, les administra-
tions coloniales adoptèrent une politique de soutien
L'intégration des paysans africains à l'économie
des prix et de la production qui fut poursuivie par
mondiale par le truchement des produits d'exportation
les Etats indépendants. Il s'agit des Marketing Boards
(à partir du XIXe siècle) est lourde de conséquence.
pour les colonies britanniques et des caisses de sta-
Désormais la rémunération du producteur africain dépend
bilisation des prix pour les territoires sous domination
du marché de New-York, de Londres, de Hambourg,
française. Au Togo, les structures mises en place abou-
d'Anvers, du Havre, de Marseille, etc., selon la loi de l'offre
tirent, en 1964, à la création de l'Office des produits
et de la demande. Les fluctuations des cours mondiaux des
agricoles du Togo (OPAT) qui se chargea pendant plus
matières premières agricoles ont des incidences malheu-
de 30 ans de la stabilisation et de l'exportation des pro-
reuses sur les revenus des petits producteurs et sur l'éco-
duits du Togo. Cette étude se préoccupe d'analyser les
nomie des pays africains. Ces producteurs ignorent
mesures de protection des producteurs togolais et leur
d'ailleurs souvent même les circuits commerciaux et les
efficacité jusqu'à la création de l'OPAT.
mécanismesde fixation des prix de leurs produits.Comment
alors les protéger contre les vicissitudes du marché?
La politique de soutien des prix
idées générales justifiant l'intervention publique pour
et de la production après
la stabilisation des prix.
L'orientation des productions agricoles vers l'exporta-
la seconde Guerre mondiale
tion, notamment à partir de la fin du XIXe siècle pour les
besoins du marché mondial, ceux des métropoles euro-
La fluctuation du marché international affectant l' éco-
. péennes essentiellement, entraîna dans chaque terri-
nomie des pays producteurs de matières premières, l'in-
toire producteur la mise en place d'infrastructures d'éva-
terventionnisme public apparaît comme une bouée de
cuation adéquates. Ainsi, si les économies américaine,
sauvetage.
européenne ou asiatique en viennent à connaître une fluc-
tuation (croissance ou dépression économique), les four-
Un interventionnisme économique justifié
nisseurs de matières premières ressentent immédiatement
les effets 'subséquents. La grande dépression des années
Le caractère extraverti et la dépendance des économies
1930 est un exemple illustratif de cette dépendance.
agricoles des territoires africains sous domination euro-
Pourtant, l'essentiel de leurs ressources budgétaires
péenne sont bien connus. Il s'agit de rappeler ici quelques
provenait, directement ou non, des exportations
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

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agricoles: les recettes douanières, les contributions fis-
ciers. Il importe de préciser que dans ces conditions, plus
cales personnelles des producteurs et des commerçants.
la zone de production est éloignée du port d'embar-
Par conséquent, les exportations étaient l'un des maillons
quement, plus les prix d'achat sont bas, parce que les
clé de l'économie coloniale des territoires. Les ressources
frais de transport grèvent lourdement la rémunération
tirées de celles-ci favorisaient la consommation inté-
paysanne.
rieure, c'est-à-dire les importations de produits finis. Ces
exportations étaient étroitement conditionnées par les
La plupart des exp.ortateurs traitaient en FOB, rece-
mouvements de prix et par l'apparition de productions
vant régulièrement communication des cotations des
nouvelles. Les prix viennent-ils à s'élever, on voit immé-
produits sur le marché international pour l'établissement
. diatement de grosses sorties, souvent d'autant plus impor-
des barèmes. Ce mécanisme rend par conséquent les prix
tantes que des stocks s'étaient accumulés pendant la
FOB tributaires des prix CAF (Coût, Assurance et Frêt)
période de baisse. Si la baisse intervient, les exporta-
en Europe ou aux Etats-Unis d'Amérique: New-York
tions diminuent (Poquin 1957 : 32). Ceci étant, l'évo-
(café, cacao, coton), Londres (cacao), Anvers (palmistes,
lution du commerce extérieur des territoires était liée
bois), Le Havre (coton, café, cacao), Marseille (oléa-
aux fluctuations du marché international et à la contin-
gineux), etc.
gence des productions. La part de l'Afrique dans les
Les cours mondiaux ou prix CAF fluctuent par semaine,
échanges internationaux, estimée à 3,65 % en 1913, attei-
par mois, par an, selon la conjoncture économique des
gnit 7,04 % en 1936 avant de stagner après la seconde
pays consommateurs et selon la loi de l'offre et de la
Guerre mondiale entre 6,8 % en 1950 et 6,49 % en 1955
demande. Ce qui revient à dire en définitive que les prix
(D' Almeida-Topor et Lakroum ] 994 : 74).
au producteur doivent normalement suivre les prix du
marché international. Toutefois, la pression des milieux
Pour bien comprendre le bien fondé du soutien des prix,
industriels métropolitains sur leur gouvernement pou-
analysons brièvement le mécanisme de fixation des prix
vait faire fluctuer les prix d'achat au producteur à la
au producteur. Il convient d'abord de préciser que le prix
baisse sans lien avec les cours mondiaux; c'est le cas
est un excellent indicateur économique et social, si bien
du coton mozambicain des années] 950 (D'Almeida-
que la stabilité du marché est une garantie et des revenus
Topor et Lakroum ]994: 76).
paysans et de la production agricole exportée du territoire.
En tout état de cause, stabiliser les revenus des pro-
Le prix au producteur est fixé en tenant compte du
ducteurs était plus que nécessaire pour l'économie et
prix du produit au port d'exportation (port d'embar-
le social des territoires comme le dit avec justesse encore
quement) au moment des achats, appelé prix FOB (Free
Jean-Jacques Poquin (1957 : 93) :
On Board). Ainsi, dans ce dernier, on a la part qui revient
au producteur, les taxes (fiscalité, même du port), les
« En ce qui concerne les produits exportés d'Afrique,
frais de transport, les marges bénéficiaires et les frais
les autorités locales sont obligées de maintenir une rému-
financiers (loyer de l'argent, agios) des maisons de com-
nération aussi forte que possible. C'est elle, en effet,
merce (Poquin ] 957 : 102). Donc, le prix d'achat au pro-
qui incite, dans une certaine mesure, l'indigène à s'in-
ducteur est le prix FOB, prélevé des différents frais et
téresser à la culture d'exportation, elle encore qui condi-
taxes ci-dessus cités. S'il faut tenir compte des fraudes
tionne la production, elle enfin qui permet au produc-
des intermédiaires et de l'ignorance ou de l'analpha-
teur autochtone d'améliorer ses conditions de vie.... il
bétisme des paysans] , on s'imagine la part de ce prix
Y a obligation pour les gouvernements à tendre vers
par rapport au prix FOB. En 1955, par exemple, l'éco-
un optimum en dessous duquel toute promotion sociale
nomiste Jean-Jacques Poquin (l957 : ]02) estimait à
restera difficile sinon impossible ».
64 % le prix d'achat de l'arachide de Kaolack (Sénégal)
par rapport au prix FOB Dakar, contre] 5,5 % de fis-
Face d'une part à la baisse des cours des matières pre-
calité et ] 0,6 % de marges bénéficiaires et frais finan-
mières entraînant celle des recettes budgétaires et d'autre
1. Ceux-ci ne pouvant lire les instruments de poids et mesure des commerçants, tous les abus sont possibles.
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Sciences sociales et humaines
part au défi du développement économique et social des
tissernents économiques et sociaux (Poquin : 143).
territoires africains après la seconde Guerre mondiale,
L'inconvénient est que le producteurne profite pas des
.les administrations coloniales durent intervenir pour sou-
hauts cours mondiaux.
tenir les prix et le? cultures des produitsd'exporta-
Le modèle britannique était efficace d'autant plus que
tion. Les Britanniques, tout comme les Français, ont
les avoirs des offices atteignaient parfois plusieurs dizaines
eu cha~un leur modèle d'intervention et de protection
de milliardsde francs. Il avait le mérite de protéger les inté-
des producteur? en Afrique.
rêts de tout le monde.: les producteurs,les maisons de com-
merce et leurs intermédiaires et les pouvoirs publics.
Les Marketing Boards de
.Ces organismes garantissaient des prix minima aux ache-
l'administration britannique
teurs, aux coopératives agricoles de collecte des pro-
duits et par conséquent aux producteurs.
Les Marketing Boards, offices de commercialisation,
sont des instruments de régulation de la production
Au Nigeria, en 1952, plus de 700 coopératives de com-
inspirés des offices spécialisés américains (D'Almeida-
mercialisation des produits avec 47000 adhérents étaient
Topor et Lakroum 1994 : 87). La motivation de cette
contrôlées par les Marketing Boards. Au cours de cette
politique est à rechercher dans l'effondrement des cours
année leur chiffre d'affaires représentait les 3/4 de
des matières premières agricoles des années 1930. Il fut
la valeur totale des exportations du Nigeria (Wibaux
alors créé bien avant la seconde Guerre mondiale le West
1953 : 152). Ces offices de commercialisation subi-
African Produce Control Board2 chargé de soutenir
rent peu de modifications profondes de leur mode d'in-
les prix du cacao, des arachides et des palmistes de toute
tervention après les indépendances.
l'Afrique occidentale britannique. Cependant, c'est en
1940 que s'organisa le premier Marketing Board, le West
Les caisses de stabilisation des prix de
African Cocoa Control Board, suivi par d'autres orga-
l'administration 'française: un autre
nismes officiels pour assurer le ravitaillement des puis-
modèle d'intervention?
sances alliées pendant la guerre. Forts de cette expé-
rience, les offices de commercialisation se multiplièrent
La France eut également une politique des prix qui se
au lendemain de la guerre, correspondant à chacun des
concrétisa par le décret du 14 octobre 1954 tendant à
grands produits dans tous les territoires en Afrique
créer des caisses de stabilisation des prix dans ses ter-
(Poquin 1957 : 43).
ritoires d'outre-mer. Cet interventionnisme remonte aussi
à la dépression économique des années 1930. Face à
Le rôle essentiel des Marketing Boards était d'amé-
la détérioration des cours des produits d'exportation
liorer les conditions de l'écoulement des produits,
de ses territoires africains, la réaction de la métropole
de réduire les frais grevant les prix et de défendre
fut l' établ issement des échanges protégés par l' insti-
les producteurs par des mesures de stabilisation des
tution de taxes à l'entrée en France sur les principaux
prix 3 en liaison avec les marchés spécialisés de
produits en provenance de ces derniers 5. Les sommes
Londres. Le principe de cette intervention est de faire
ainsi perçues étaient versées aux territoires respectifs au
gagner moins le producteur en période de hausse des
prorata des exportations afin d'amortir la baisse des droits
cours afin d'atténuer la diminution du revenu en période
de sortie prise à cet effet (Poquin : 141). A partir de 1936,
de baisse. Ainsi les organismes retiennent en période
les mesures furent progressivement allégées avec la
de hauts cours, un pourcentage élevé sur le prix FOB
hausse des cours, mais des comités de surveillance des
pour alimenter les caisses de stabilisation, afin de faire
prix virent le jourtour étudier et contrôler les « prix nor-
face à une baisse des cours et de réaliser des inves-
maux de vente» .
,. Bureau de contrôle des produits de l'Afrique de l'Ouest. Après la création des Marketing Boards dans les territoires, il cessera ses activités en 1949.
3. Par le passé, les producteurs étaient individuellement impuissants face aux groupements d'achat fortement organisés.
, Approuvé au Togo par l'arrêté n" 950 du 22 octobre 1954.
, Ouverture des comptes spéciaux au trésor au bénéfice du café et du sisal ( 1931). de la banane ( 1932) et un droit de douane sur les oléagineux (loi du 6 août
1933).
"Ces comités de surveillance des prix étaient l'émanation du décret du 7 octobre 1936, chargés de contrôler les prix des produits importés dans les terri-
toires.
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Après la politique de contrôle des prix de la fin des
La régulation des produits agri-
années 1930 et de la période de la 'guerre, celle de l'ali-
coles d'exportation au Togo
gnement sur les cours mondiaux advint entre 1945
et 1949. Pour atténuer les effets des variations brutales
Les comptes hors-budget pour
du marché international, des comptes furent créés pour
le soutien de la production locale
la plupart des produits afin de garantir un prix suf-
(1947-1949)
fisant au producteur et de réguler les cours à l'ex-
portation. A partir de 1949, la libéralisation des prix
Par rapport aux années 1938 et 1939, l'économie du
des produits d'exportation fut totale et les différents
Togo avait été sérieusement affectée par les effets
comptes hors-budget, qui d'ailleurs disposaient de
du second conflit mondial. Les exportations chutèrent
peu de moyens financiers pour encourager la pro-
considérablement en dépit de la pression exercée par
duction, perdirent leur efficacité.
l'administration sur les producteurs et de la fixation
des prix d'achat des produits à coup d'arrêtés. Dans
C'est dans ce contexte de libéralisme suicidaire pour
le cadre du redressement économique au lendemain
la production outre-mer que la France se résolut à créer
de la guerre, les Pouvoirs publics locaux adoptèrent
des caisses de stabilisation des prix en 1954. Le texte
une certaine parafiscalité qui, tout en frappant l'éco-
du 14 octobre 1954 était loin d'être le fruit du hasard,
nomie rurale, était destinée à promouvoir les produits
puisque c'est le début du deuxième plan quinquennal
exportés. L'objectif en était l'amélioration des condi-
FIDES qui privilégiait le developpement agricole et
tions de production, l'extension des plantations, la lutte
l'amélioration des conditions de vie des populations
contre les maladies phytosanitaires, l'acquisition des
rurales. En octobre 1956, 12 caisses étaient en fonc-
outils agricoles, le conditionnement des produits et
tion dans les différents territoires, concernant les pro-
une bonne rémunération des producteurs par le sou-
duits comme le coton, le café, le cacao, l'arachide.
tien des prix.
Leur rôle était d'intervenir sur le marché pour stocker
les produits lorsque les cours descendent en dessous
Ainsi, des comptes hors-budget furent ouverts à partir
d'un certain seuil et de soutenir directement ces cours
de 1947 en vue de soutenir la production locale. Tout
lorsqu'ils s'abaissent au delà du prix plancher
était parti de la dévaluation du 26 décembre 1945 et
(Poquin : 142 ; D'Almeida-Topor, Lakroum : 141).
. du décrochage du franc colonial du franc métropolitain'.
Pour rendre ces institutions fonctionnelles, un Fonds
En effet, à la suite de la création du franc CFA, des
national de régularisation des cours des produits
instructions furent adressées aux Territoires d'outre-mer
d'Outre-mer fut créé au bénéfice des producteursè. On
dans le but de ne pas laisser aux importateurs et aux
peut affirmer que le modèle français qui se cherchait,
exportateurs les bénéfices exceptionnels devant résulter
rejoignit presque celui des britanniques. L'histoire des
de la variation des cours de change. Le gouvernement
instruments de régulation des prix et de la produc-
général de l'AOF prit, par l'arrêté n° 4009 SE/D du
tion au Togo s'inscrit logiquement dans la politique
29 décembre 1945, certaines mesures de compensa-
de l'administration française en Afrique, du moins jus-
tion et de péréquation (création des caisses de com-
qu'en 1964.
pensation et de péréquation) 1O.
7. En AOF, il y avait en janvier 1952, trois comptes hors-budgets (cacao, café cl arachide) ; en AEF, une caisse de soutien du cacao et une autre de coton; au
Cameroun. un Fonds de soutien du cacao; au Togo, un Fonds de soutien et d'équipement de la production locale.
l
JORT du 1el' mars j 955
9. Togo: faits et chiffres, BECEAO, 1960 pp. 140-141. Avec le décrochage du franc colonial et la création du franc CFA, 1 franc CFA = 1,70 francs français
jusqu'au 17 octobre 1948.
10. CAOM
Aix-en-Provence Aff. Econ. Cart. 108 Doss. 3 Mission d'inspection LE GREGAM au Togo 1947·1948. Note confidentielle sur les questions à
étudier par la mission.
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Sciences sociales et humaines
Ces mesures furent appliquées au Togo le 7 janvier
. Au total depuis 1949, le Compte de soutien et d'équi-
1946 par la création d'une Caisse de compensation
pement de la production locale s'occupait du dévelop-
et de péréquation. Mais peu de temps après, le gou-
pement des cultures d'exportation sur fond de crise
vernement français recommanda aux autorités togo-
des finances publiques.
laises qu'il soit plutôt constitué, pour chaque pro-
duit dont il apparaissait nécessaire d'encourager la
Le Fonds de soutien et d'équipement de
production, un compte spécial analogue à celui ins-
la production locale (1949-1956)
titué pour le cacao II. C'est ainsi que la Caisse de com-
pensation et de péréquation du Togo fut supprimée
Il vajouer le rôle d'une caisse de stabilisation des prix
le 29 juillet 1947 et son actif réparti entre les diffé-
avant la lettre. Il était administré comme budget spé-
rents comptes de soutien et d'équipement de la pro-
cial par le service des Finances; ses neuf sections étaient
duction qui furent créés 12, soit un compte par produit
individuellement alimentées par un versement effectué
agricole d'exportation: cacao, café, coton, palmistes,
par les exportateurs, lors de la sortie du territoire des
huile de palme, tapioca, ricin, arachide, noix de coco.
produits soumis au paiement d'une taxe au profit du
Mais ces nombreux comptes furent supprimés à leur
Fonds de soutien. Précisons que les produits ne sont taxés
tour le 31 octobre 1949 et remplacés par un compte
que lorsque les cours mondiaux le permettent (une fois
unique dit « Compte de soutien et d'équipement de
à la hausse). Après la clôture des anciens comptes, de
la production locale» 13, divisé en neuf sections, une
nouvelles taxes ont été successivement instituées pour
section par produit. Le texte institutif indiqua l'em-
trois produits seulement:
ploi à faire des différents soldes créditeurs dont le mon-
tant total s'élevait à 119,04 millions FCFA. En sub-
- le café à partir de 1950 à raison de lOF/kg, puis
stance, cette parafiscalité était destinée à promou-
15 F/kg à partir d'octobre 1953 ;
voir les cultures d'exportation concernées dont la plus
importante était celle du cacaoyer, 75 % du montant
-le coprah à partir de juin 1951 au taux de 150 F/tonnes,
total des soldes créditeurs 14.
puis 500 F/tonnes en 1953 de coprah ou de coco
râpé;
Par ailleurs, une Caisse de réajustement des prix fut créée
le 7 avril 1947. Ses principales ressources venaient de ver-
- le cacao à partir de septembre 1953 pour 5 F/kg 17.
sements, par les maisons de commerce, d'une ristourne
sur la plus-value des stocks de produits d'exportation
Les recettes du Fonds ne sont que des réserves finan-
qu'elles détenaient au moment de la dévaluation du 18
cières, et lorsqu'elles atteignent un certai n volume et
octobre 1948 du franc CFA 15. Ce compte ne sera clô-
si aucune fluctuation défavorable (au producteur) qui
turé que le 8 août 1953. Pendant ses quatre années de fonc-
aurait nécessité le soutien artificiel des cours n'inter-
tionnement, les recettes totales perçues s'élevaient à 98
venait, les fonds disponibles étaient utilisés en vue d' en-
millions de FCFA, mais les dépenses n'allèrent pas seu-
courager ou d'améliorer le développement des pro-
lement à l'amélioration de la production 16.
ductions inscrites au Fonds de soutien. Les disponibi-
Il. Arrêté 283 du 19 avril
1947 créant un compte cacao - J.O.T du 1e r mai 1947.
"Arrêtés du 29 juillet 1947- J.O.T du 16 août 1947.
"Arrêté local 883 - 49/AE du 31 octobre 1949 - lOT du 16 février 1950.
"JOT du 16 février 1950, arrêté du 31 octobre 1949.
". CAOM. Aix-en-Provence - Cart. 277 Mission d'inspection Mazodier au Togo 1953 -1954- RappoIt26 D sur la parafiscalité frappant l'économie rurale.-
A partir du 18 octobre 1948, 1 FCFA =2 F français.
10·20 millions en 1950 au bénéfice du budget local, 50.9 millions au bénéfice de la CFf en 1948 et 1950, 10 millions pour le compte café en 195\\. 4.9 mil-
lions pour le Fonds commun des SIP en 1952 et 1953 et 12,2 millions pour les remboursements divers (CAOM - Cart. 277 - Rapport 26 D. op cit).
Il. Rapport annuel sur l'administration du Togo, 1953, p. 94
- CAOM Cart. 277 - Rapport 26 D. op cil.
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Sciences sociales et humaines
lités financières avaient atteint 115 millions de FCFA au
sur les tableaux 1 et 2 suivants, indiquant les prix FOB
31 décembre 1954 avant de tomber à 44,5 millions fin
et les prix au producteur.
1956 18.
Tableau 1 : Indices de variation des prix FüB moyens de
Depuis 1951, chaque section avait un comité de gestion
quelques principaux produits d'exportation
comprenant les représentants autochtones du conseil de
(base 100 en 1949)
circonscription et de la Société de prévoyance de la région
Années
Cacao Café Palmistes Coton Coprah
Arachides
intéressée par la culture du produit en question.
égrené
Il n'y eut qu'un seul programme d'utilisation des
1949
100
100
100
100
100
100
disponibilités du fonds de soutien de 1949 à la fin de
1950
15\\
191
151
159
127
107
1952; mais à partir du 1e r janvier 1953, les programmes
devinrent annuels. Les investissements de la première
1951
189
256
198
227
176
148
tranche (1949-1952) étaient de 85 millions de FCFA,
1952
183
259
136
198
140
150
dont 69 % consacrés à des travaux d'infrastructure,
1953
195
276
161
137
150
151
13 % à des achats de matériel, 18 % à des dépenses
de fonctionnement: paiement des équipes phytosani-
1954
286
317
144
162
148
149
taires de caféiers et de cacaoyers, distribution des graines
1955
242
223
129
163
125
153
de coton et lu tte contre \\' oryctès du cocotier19. Alors
1956
165
202
125
124
.120
154
que les dépenses du fonds de soutien ~our la tranche
Source: Inventaire économique du Togo, 1962-1963, p. 159
1953 étaient de 91,4 millions de FCFA 0.
Tableau II : Prix moyens au producteur de quelques produits
Notons que, concernant les travaux d'infrastructure,
d'exportation (en FCFA/kg)
la section cacao avait financé la réfection totale des routes
Badou - Djidji, Tomegbé - Kpété-Bena et Tomegbé-
Campagnes Cacao
Café Palmistes Coton Coprah Ara-
Djidji ; les fonds de la section café servirent à la construc-
niaouli
brut
chides
tion des routes Badou - Atakpamé, Enou - Apégamé -
courant
(à Bliua)
Ounabé et furent utilisés à l'amélioration de l'état des
1949-1950
82
89
21
25
31
26,5
routes Atakpamé - Sodo, Atakpamé - Otadi 2 1. Pour
1950-1951
99
119
24
31
34
30
les années suivantes, les investissements étaient de l'ordre
de 72,05 millions de FCFA pour 1954, 82,9 millions
195/-1952
111,5
126
17
26
24
22
pour 1955 et enfin 64,73 millions pour 195622. En tout,
1952-1953
100,5
142
21,5
22
30
25,5
entre 1949 et 1956, 396,08 millions ont été utilisés par
1953-1954
150
160
18
23
27
27
le Fonds de soutien pour le développement des cul-
tures d'exportation essentiellement pour j'améliora-
1954-1955
120
147
17,5
25
22
28
tion du réseau routier d'évacuation du café et du cacao
1955-1956
76,5
90
18,5
25
22
27
afin d'éviter qu'ils passent en Gold Coast et pour la lutte
contre les maladies phytosanitaires.
Source: Inventaire économique du Togo, 1958, tableau Il
Quant au rôle du Fonds dans le soutien des prix, au cours
de son fonctionnement il est intervenu pour le café, le '.:
On peut aisément constater sur le tableau II que les
coprah et le cacao dont les cours mondiaux ont connu
prix FOB du café ont presque doublé en 1950 par rap-
en ce moment une fluctuation à la hausse. On peut le lire
port à ceux de l'année précédente et la hausse continua
"Rapports annuels sur l'administration du Togo. 1954-1956.
" CAüM - Cart. 277 - Rapport. 26 D, op cit, p. 9 .
. 10. 44 % desdépenses allèrent aux travaux d'infrastructure (routes), 15% aux achats de matériel (décortiqueurs à café, motoconcasseurs ... ). 15% aux dépenses
de fonctionnement, 16% à l'attribution de primes et 8 % pour divers .
. " ANT Lomé - 2APA Atakparné Doss. 245 situation des crédits délégués au titre du Fonds de soutien - Fonds cacao et café.
oz Rapports annuels Togo, 1954-1956.
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Sciences sociales et humaines
jusqu'à atteindre le triple en 1954. Ce qui justifie bien
l'abaissement des valeurs mercuriales du café, du cacao,
les droits perçus sur ce produit au cours de cette
la suppression des primes destinées à l'alimentation des
période. Le cacao a connu une hausse de prix moins
comptes de soutien, permettant ainsi de payer des prix
lente que le café et en 1954 le prix était presque le
relativement rémunérateurs aux producteurs de café
triple de 1949. On se rappelle que la surtaxe n'avait
et de cacao (tableau II).
été instaurée qu'en septembre 1953. L'administration,
avant cette date, avait beaucoup soutenu ce produit par
Il apparaît clairement sur les tableaux 1 et II que ces der-
des primes pour éviter qu'il ne passe en Gold Coast
niers producteurs ont bénéficié de la hausse des cours
où les prix étaient plus élevés. Ainsi, la valeur mer-
du marché international entre 1950 et 1954. La réper-
curiale du cacao avait été modifiée à plusieurs reprises
cussion sur la production exportée est notable. Les
de 1950 à 1953. Ces changements suivaient non seu-
tonnages exportés du coprah ont subi une augmentation
lement l'évolution des cours mondiaux, mais aussi
constante et ont même doublé en ] 951 avant de chuter
étaient de nature à permettre aux commerçants de pra-
en 1952 à 2 27] tonnes contre 3 017 en 194925. Cette
tiquer des prix d'achat concurrentiels à ceux offerts
baisse fut conjoncturelle car elle était en rapport avec
par les acheteurs de Gold Coast23.
les prix plus intéressants payés en Gold Coast, 30 F/kg
contre 24 F/kg au Togo.
A la campagne 1949-1950, les cours officieux anglais
étaient 60 000 F/tonne payée au producteur, alors qu'au
C'est ainsi que le coprah du Togo franchit la frontière
Togo le prix officiel togolais fixé s'élevait seulement
pour se vendre sur les marchés d' Aflao et de Kéta26. On
à 47000 F/tonne. Le gouvernement du Togo fut obligé
fait également le même constat des tonnages du café
d'intervenir en passant une convention avec les com-
et de cacao qui ont retrouvé en ] 953 leur volume d'antan
merçants. A la suite de cet accord, ce dernier s'en-
alors qu'ils étaient en baisse depuis la seconde Guerre
gagea à pratiquer des prix minima de 57000 F/tonne24.
mondiale. Les tonnages de café, qui étaient de 2 029
En contrepartie, l'administration versa aux maisons
tonnes en 1949, ont été multipliés par trois en 1956
de commerce exportatrices une contribution (prime ou
(6406 tonnes)27 . Les incidences de l'augmentation
subvention) de 9 F/kg exporté, prélevée sur le fonds
ou du maintien des exportations des principaux produits
spécial de cacao.
sur les finances publiques s'illustrèrent par l'augmen-
tation des recettes douanières qui avaient plus que doublé
Les prix FOB du coprah en 1951 augmentèrent légè-
entre 1949 et 1956. Cela représentait en valeur res-
rement avant de baisser progressivement jusqu'en 1956.
pectivement 491,74 millions contre 1,16 milliard de
La surtaxe devait permettre la lutte contre la maladie de
FCFA28.
.
Kaïncopé (maladie du cocotier).
Cependant, la morosité du marché international entre
L'autre remarque est la baisse des cours mondiaux entre
1955 et 1956 contraignit l'administration à appliquer au
]955 et 1956. Ce qui se répercuta sur les prix à la pro-
Togo le décret du 14 octobre 1954 autorisant la création
duction de ces trois produits au cours des campagnes de
des caisses de stabilisation des prix dans les Territoires
cette période. L'intervention administrative consista à
Outre-mer.
". CAüM - cart. 277 - Rapport 26 D, op cit, p. Il - La valeur mercuriale fixée à 9.000 F le quintal en 1950. cette valeur avait été ramenée à 4.500 Fen
1951, portée à nouveau à 9.000 F en 1952 et ramenée une nouvelle fois à 4.500 F durant la campagne principale 1952-1953, enfin 13.800 F pour 1953-1954.
,. Rapport annuel sur l'administration du Togo, 1950. p. 54.
"Togo: faits et chiffres, op cit, p. 132.
". Rapport annuel sur l'administration du Togo, 1952, p. 100.
n Togo: faits et chiffres, op cil, p. 131.
" Rapports annuels Togo, 1949-1956.
156
'. Rev, CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
Les caisses de stabilisation des prix
fixés par arrêtés dans les journaux officiels et qui, quel-
(1955-1964)
quefois, subissent plusieurs modifications au cours de
la même 'campagne d'achat.
Quatre caisses de stabilisation des prix furent mises
en place et prirent la relève du Fonds de soutien et d'équi-
Avec ce nouveau système, si le prix de vente homo-
pement de la production locale: celle du coton29 en
logué34 dépasse le prix de soutien, la société exporta-
1955, celle du cacao30 en 1956, celle de l'arachide3 l
trice est astreinte à verser la différence à la caisse;
en 1957 et celle du café32 en 1958. Les produits choisis
s'il est en dessous, la caisse doit verser la différence à
constituaient non seulement l'essentiel des exportations
la société. Akouvie Eho (1986 : SI) résume ainsi ce méca-
togolaises, mais également représentaient presque toutes
nisme de stabilisation :
les régions du territoire: le café et le cacao, au sud-
ouest; coton, de la région centrale et l'arachide, de la
- Prix FOB effectif> Prix de soutien: reversement à
région septentrionale.
la caisse;
Ces caisses sont des établissements publics dotés de
- Prix FOB effectif < Prix de soutien: versement à la
la personnalité civile et de l'autonomie financière. Elles
société exportatrice.
sont gérées chacune par un comité de gestion com-
posé à parité des représentants du gouvernement, des
En fait, le soutien consistait à verser des primes aux
producteurs et des exportateurs. Leurs ressources pro-
exportateurs lorsque les cours de vente sont inférieurs
viennent essentiellement des opérations de régulation
aux cours de référence, ou à octroyer des primes com-
des cours et des subventions. Le but de ces organismes
pensant les frais (élevés) d'évacuation des produits
était bien sûr la régularisation des prix d'achat aux
des régions mal desservies.
producteurs, mais aussi la recherche et l'application
de toute mesure propre à améliorer la qualité et à réduire
L'opération de stabilisation était facile à appliquer dans
les frais grevant l'écoulement de ces produits sur les
la mesure où les maisons de commerce exportatrices
marchés extérieurs.
étaient agréées à l'avance par la caisse pour les achats
dans les régions de production et pour l'exportation. Pour
Quel était alors le mécanisme de soutien des prix ?
cela, l'obligation leur était faite de déclarer périodi-
quement leurs achats et de soumettre à la caisse leurs
Avant I'ouverture de chaque campagne d'achat, le
contrats de vente proposés. Le territoire disposait d'un
Gouvernement, après consultation de la caisse, fixe le
comité de cotation qui homologuait les prix de vente
prix de base d'achat aux producteurs. Ce prix tient
(prix FOB Lomé) à partir des cours mondiaux. C'est
compte des perspectives de prix de vente, des chan-
à partir de ces cotations que la direction de chaque caisse
gements possibles des frais de commercialisation,
déterminait par semaine le prix minima de vente auto-
de la politique économique générale (Eho 1986 : 50).
risé pour cette semaine (Eho 1986 : 50) ..
C'est en fonction du prix au producteur que des
barèmes sont calculés en accord avec les sociétés expor-
Analysons cette intervention des Pouvoirs publics dans
tatrices concernant tous les frais habituels33 jusqu'au
la commercialisation des produits d'exportation, à tra-
FOB. Donc le prix de soutien ou de stabilisation est le
vers les prix FOB homologués à Lomé, les prix d'achat
prix de base payé aux producteurs ajouté au barème
à la production, la part de ces derniers par rapport aux
jusqu'au FOE. En fait, les prix de soutien sont ceux
premiers.
". Décret n° 55·1282 du 30 septembre 1955 - JOT du 1er novembre 1955.
)0
Décret n° 56-4 du 12 novembre 1956 - JORT du 1er décembre 1956; modifié par le décret du 25 mai 1957 (JORT du 16 juin 1957) et par le décret du 3
août 1959 (JORT du 1er septembre 1959) .
. JI. Décret n° 57-140 du 3 décembre 1957 - JORT du 16 décembre 1958.
)2. Loi n° 58-60 du 30 août
1958 - JORT du 1er octobre 1958.
n. Ces frais sont ceux du transport. de la manutention, du stockage, de la fiscalité et des différentes commissions.
JI. Calculé sur la base FOB à partir des cours CAF (mondiaux).
i
.- ~
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
157

Sciences sociales et humaines
Tableau III : Evolution des prix moyens FOB (homologués)
Tableau V: Part du prix d'achat au producteur par rapport
Lomé des quatre produits d'exportation sou-
aux prix FOB Lomé homologués
tenus (base = 100 en 1949)
Années
cacao
café
Coton égrené
Arachides
Années
Cacao
Café
coton égrené
Arachides
(%)
(%)
(%)
(%)
1949
100
100
100
100
1950
84
74
21
88
1955
242
223
163
153
1951
81
73
18
72
1956
165
203
124
154
1952
94
77
18
52
1957
178
222
135
142
1953
80
82
22
60
1958
277
266
171
139
1954
81
80
19
64
1959
276
244
140
151
1955
77
104
21
65
1960
228
229
153
155
1956
72
71
27
62
1961
173
192
173
160
1957
96
57
25
65
1962
165
196
177
142
1958
57
68
20
7]
1963
178
203
173
149
]959
56
65
24
61
1960
65
62
24
58
Source: Inventaire économique du Togo, 1962-1963, p. 159
1961
58
70
21
56
Tableau IV : Prix d'achat moyens au producteur des quatre
1962
61
52
22
63
produits soutenus (en francs courants CFAlkg)
1963
57
51
23
65
Campagne
Cacao
Café
Coton brut
Arachides
~: Nos calculs à partir des indices de variation des prix FOB et des
1955-] 956
25
prix d'achat à la production
] 956-] 957
110
25
1957-1958
102,5
25
28,3
fluctuation. Ces prix à la production sont des prix offi-
1958-1959
100
100
25
26
ciels, fixés et publiés avant l'ouverture de la campagne.
1959-1960
95
90
27
26
Les campagnes 1956-1957 et 1957-1958 ont été les
1960-1961
65
85
27
26
meilleures pour les producteurs de café et de cacao
196[-1962
depuis la seconde Guerre mondiale. Dans la réalité,
65
65
29
26
ces prix d'achat (tableau IV) sont peu suivis par les inter-
1962-1963
65
65
29
28
médiaires peu scrupuleux qui bernent les pauvres pro-
1963-1964
65
65
29
ducteurs ignorant tout des mercuriales fixées adminis-
1964-1965
70
73,5
30
29
trativement pour chaque campagne (Goeh-Akue
1992 : 71). Le fait aussi que ces prix de soutien se
Source: JORT. 1956-1965 - Rapports agricoles du Togo Inventaire éco-
nomique du Togo 1962-63
trouvaient parfois très bas par rapport aux prix proposés
sur les marchés coutumiers, entraînait le boycott des
Ces trois tableaux appellent plusieurs observations de
marchés officiels, donc le refus de vendre au prix offi-
notre part.
ciel. C'est le cas des producteurs d'arachide de la cir-
conscription de Dapaong en 195835. L'autre facteur
- La fluctuation des cours moyens FOB homologués
important était la forte valeur monétaire de la livre ouest
à Lomé (tableau 3) est le reflet des variations des
africaine qui entraînait aussi l'évasion de J'arachide
cours mondiaux, très favorables surtout au café et au
du nord, du café, du cacao vers le Ghana au cas où les
cacao par rapport à 1949.
prix au Togo étaient bas. A la campagne principale du
cacao 1958-1959, le prix d'achat avait été successive-
- La stabilité des prix d'achat au producteur est remar-
ment porté de 78, 85, puis à 95 F/kg avant finalement
quable, même si elle n'est pas totalement exempte de
de s'acheter à 100 F/kg en raison de la variation de la
" Ces producteurs. défavorisés par la distance, refusèrent de vendre leur produit à 25 F/kg fixé par la caisse de stabilisation de l'arachide aux maisons de
commerce, alors que le même produit s'achetait sur les marchés coutumiers à 40 F/kg - ANT Lomé - 2APA Dapango Doss, 50.
158
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
valeur de la livre ouest africaine au « marché noir ». Sans
de transport, de soutien des cours et des frais de gestion.
ce suivi, tout le cacao togolais passerait la frontière
Il est alors évident gue l'administration, par la politique
ouest36. Enfin, à partir de 1958, il existait souvent une
de soutien des cours, avait limité les profits des maisons
guerre des prix au profit des producteurs entre les com-
de commerce exportatrices qui tiraient d'énormes béné-
merçants et les coopératives de commercialisation du
fices en jouant sur la fluctuation des cours que les pro-
café et du cacao dans la région des plateaux. Les com-
ducteurs ignoraient.
merçants faisaient une concurrence déloyale en ache-
tant à des prix plus élevés que les coopératives
Mais ces fonds disponibles n'étaient utilisés ni pour
(Nabe 1997: 587-589).
le perfectionnement des techniques agricoles, ni pour
l'amélioration des conditions des paysans (Goeh-Akue
- La dernière observation est que la stabilisation des
1992 : 72). Le Gouvernement nationaliste recourut à ces
cours depuis l'instauration des caisses profite plus à
fonds internes pour combler ses déficits budgétaires.
celles-ci et, par conséquent, plus aux Pouvoirs publics
Ainsi, il signa une convention de prêt en 1960 avec
qu'aux producteurs. La preuve se trouve dans la baisse
les caisses de stabilisation permettant au Togo de verser
de la part des prix au producteur par rapport aux prix
directement son quota de 1,125 tranche d'or au FMI
FOB Lomé depuis l'existence des caisses de soutien
(Goeh-Akue : 75-76). C'est également par deux prêts
(tableau V). Celles-ci disposaient ainsi parfois d'im-
d'un montant total de 225 millions de FCFA de la caisse
portantes réserves financières provenant des ristournes
de stabilisation des prix de cacao que le gouvernement
des exportateurs. A la fin de la campagne 1961-1962,
avait pu construire en 1960 l'hôtel Le Bénin38.
les caisses de stabilisation des prix avaient des réserves
financières minimum de 767 millions de FCFA 37.
Cependant, ces établissements publics comportaient
beaucoup d'insuffisances auxquelles il fallait y remé-
Tableau VI : Les résultats financiers des caisses de stabili-
sation (en millions de francs courants)
dier. Si les producteurs bénéficiaient du soutien des cours
en cas de baisse du marché international, ils ne pouvaient
Campagne
Caisse
Caisse
Caisse
Caisse
tirer profit de la hausse des cours mondiaux, ni des
cacao
café
coton
arachides
revenus issus de la stabilisation. En outre, les caisses
1955-1956
+ 13
n'avaient aucun rôle au niveau ni du développement
1956-1957
- 21
+ 15
agricole, ni du développement économique. Ces insuf-
1957-1958
+ 195
+ 10
+ 0,9
fisances entraînèrent la création d'une autre structure
]958-1959
+ 250
+ 13
- ]0
+ 0,3
d'intervention.
1959-1960
- 92
+ 35
+ 13
+ 5,1
L'héritier des caisses de stabilisation des
1960-1961
- 139
+72
+ 25
+11
prix: l'Office des produits agricoles du
]961-1962
+ ]61
+ 200
+ 12
- 2,3
Togo (OPAT)
Total
354
320
78
15
Les États postcoloniaux poursuivirent l'intervention-
Source: EHO. 1986. p. 51 - Comptes économiques du Togo, 1956, 1957.
1958, p. 178
nisme économique administratif entrepris bien avant la
N.B. Résultat par campagne = Recettes totales de l'année -
seconde Guerre mondiale; la compétence des caisses
Dépenses totales de l'année.
de stabilisation fut étendue à de nouveaux territoires
et à de nouveaux produits sans gue le mode d'intervention
Il importe de préciser que les recettes des caisses étaient
ne change. Certains de ces établissements publics se
essentiellement les redevances versées par les expor-
transformèrent en société d'État ou en office de com-
tateurs. Les dépenses étaient constituées des primes
mercialisation : c'est le cas de la CSSPPA 39 en Côte
". ANT - 2APA Klouto Doss.266 - Procès-verbal de la réunion du comité de gestion de la caisse de stabilisation des prix de cacao du 22 septembre 1958.
J7. Les résultais financiers par campagne son! différents des fonds disponibles qui sont plus importants, parce que ces caisses avaient hérité des avoirs de l'an-
cien Fonds de soutien.
JO. ANT -2 APA Atakpamé
Doss. 266-Procès-verbal dt' la réunion du comité de gestion de la caisse de stabilisation des plix de cacao du 29 février 1960.
JO. Caisse de stabilisation et de soutien des prix des producteurs agricoles, créée en 1962 avec un statut juridique de société d'État.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
159

Sciences sociales et humaines
d'Ivoire, de l'ONCPB 40 au Cameroun, de l'OCA41
Quant aux ressources, elles étaient les mêmes, mais cette
au Sénégal, de l'OPAM42 au Mali, de l'OCAD43 au
fois-ci beaucoup plus importantes, en raison de l'ex-
Dahomey (Bénin), de l'OPAyt.4 au Togo, etc.
tension du soutien à de nouveaux produits et du mono-
L'OPAT succéda aux quatre caisses de stabilisation
pole de l'exportation. Ainsi, l'OPAT n'ajamais connu
des prix dans leur rôle de protection des producteurs. Sa
de déficit annuel selon Eho (1986 : 53).
création fut décidée en fait à la suite de la mission de
Crotts, expert des Nations - Unies, en mai-juin 1962
L'OPAT n'achète pas les produits directement aux pay-
au Togo (Nabe: 598). Elle s'inscrivait dans un contexte
sans mais fixe les prix d'achat. Il agrée les acheteurs,
de politique économique fondée sur le développement
contrôle et détermine les commissions à payer pour
de l'agriculture d'exportation pouvant procurer des res-
les services qui leur sont demandés. Les acheteurs étaient
sources financières à l'Etat; d'où la nécessité de con-
des commerçants professionnels, régulièrement inscrits
trôler totalement la commercialisation des produits.
au registre du commerce, toute société commerciale,
Incontestablement, le commerce de traite était visé, à
toute coopérative ou union de coopératives agricoles
qui on voulait réduire les bénéfices et fixer les règles du
régulièrement constituée. Les maisons de commerce
Jeu.
agréées comme acheteurs étaient donc celles qui exis-
taient depuis la période coloniale. Il s'agit de la UAC,
Outre les attributions des anciennes caisses de sta-
de la SCOA, de la CFAO, de la SGGG et de la SCIA
bilisation, l'OPAT était l'organisme de commercia-
(Sambo 1990 : 292 ; Goeh-Akue 1992 : 74). Ces
lisation des produits agricoles au Togo, notamment du
anciennes entreprises commerciales de traite, réduites
café, du cacao, du coton, des arachides, des palmistes,
au rôle d'intermédiaires agréés de l'OPAT, n'ont plus le
du karité, du ricin, du coprah et du kapok. L'office
droi t d'exporter les produ its. Désormai s, leurs bénéfices
devait contrôler les achats de ces produits aux pro-
sont fixés par l'OPAT. Par ail1eurs, sur le terrain, elles
ducteurs, assurer leur exportation et leur vente aux
n'étaient plus les seuls acteurs économiques. Toutes ces
meilleures conditions45. Par ailleurs, cet établisse-
raisons font que l'importance du commerce de traite
ment public, doté de la personnalité morale, devait
s'était sérieusement effritée. Les Pouvoirs publics avaient
prendre toutes mesures en vue de l'amélioration de la
pris le relais des sociétés exportatrices dans la ponc-
production et du développement des industries de trans-
tion des revenus paysans. Le paysan était doublement
formation de ces produits. Il lui revenait également de
exploité, par les intermédiaires et par l'État, alors que
construire et d'entretenir les routes de desserte des
l'ancien commerce import-export était réduit finalement
zones rurales et de consentir des prêts de commer-
à l'importation des produits de consommation et d'équi-
cialisation à des taux raisonnables aux coopératives
pement qui leur donnait quelques marges bénéficiaires.
agréées4 6
La différence entre les précédentes caisses de stabili-
En définitive, l'OPAT n'était qu'une cooptation du
sation des prix et l'OPAT était alors le monopole total
modèle anglo-saxon, un Marketing Board: stabilisation
de la vente et de l'exportation, l'investissement pour
des prix à la production, exportation des produits, uti-
l'amélioration de la production et la transformation
lisation des intermédiaires, investissements des béné-
des produits exportés.
fices dans les secteurs économique et social du pays.
"Office national de commercialisation des produits de base. créé en septembre 1976.
41. Office de commercialisation agricole. créé en janvier 1960.
". Office des produits agricoles maliens. créé en 1962.
" Office de commercialisation agricole du Dahomey, créé en 1962.
44. Loi n° 64/9 du 22 juin
1964 - JORT du 16 juillet 1964.
" Article 1 de la loi 64/9 du 22 juin 1964 portant création de l'OPAT.
46. Loi n° 64/ 9 du 22 juin 1964 - JORT du 16 juillet 1964.
160
Rev. CAMES - Série B. vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
Conclusion
Références bibliographiques
Sources d'archives
En définitive, depuis la fin de la seconde Guerre mon-
CAOM (Centre des archives d'Outre-mer), Aix-en-Provence
diale, les Pouvoirs publics, par la politique de pro-
(France), Affaires Economiques carton 108, dossier 3 : Mission
tection des producteurs et d'amélioration de la pro-
d'inspection LE Gregam au Togo ]947-48 - Note confidentielle
duction exportée, ont fortement limité les profits du
sur les questions à étudier par la mission.
commerce de traite. Il y eut non seulement des effets
CAOM, Aix-en-Provence, Carton 277 : Mission d'inspection
positifs sur les exportations du Togo, surtout ceJJes du
Mazodier au Togo 1953-1954 - Rapport 26 D sur la parafiscalité
café et du cacao, mais aussi sur les producteurs qui ont
frappant l'économie rurale.
été à J'abri des fluctuations brutales avec l'institu-
Archives nationales du Togo (ANT), Lomé, sous-série Affaires
tion des caisses de stabi lisation des prix à partir de
Politiques et Administratives: archives des cercles de Dapango,
d'Atakpamé, de Klouto.
1955. La parafiscalité instaurée procura des ressources
financières qui n'ont pas toujours été investies dans le
Sources imprimées
secteur agricole.
Rapports annuels sur l'administration du Togo adressés à l'ONU,
1948-1957.
La création de l'OPAT en 1964 n'est que le renfor-
Journaux officiels du Togo, 1948-1964
cement de cette intervention économique des Pouvoirs
publics dans la commercialisation des produits agri-
Comptes économiques du Togo, 1956, 1957, ] 958, Direction de
la statistique, Lomé.
coles sur le marché mondial. Cet organisme a donné
Inventaire économique du Togo,
1966,
Direction de la
un coup de grâce au commerce de traite et a défendu
Statistique, Lomé.
les intérêts de l'État togolais jusqu'en 1996 (disso-
BCEAO, 1960 : Togo: Faits et chiffres. Direction des études.
lution de l'OPAT) au détriment de ceux des produc-
teurs. La politique consista à dégager beaucoup plus
Ouvrages, thèses et mémoires
de ressources financières pour l'État. Les bénéfices
ALMEIDA·TOPOR D'. H., LAKROUM M., 1994: L'Europe
réalisés sur les seuls produits café et cacao ont atteint
et l'Afrique - Un siècle d'échanges économiques, Armand Colin,
1
lO,5 miJJiards de FCFA à la campagne 1978-1979.
Paris, 235 p.
1..
Avec de tels moyens financiers, l'OPAT s'est lancé
EHO A., 1986 (?) : Les caisses de stabilisation - Contribution à
1
dans un vaste programme d'investissements touris-
une stratégie optimale de gestion de risque: l'exemple du Togo.
tiques et de prise de participation dans les entreprises
Mémoire de DEA en Economie, Université d'Orléans, 95 p.
industrielles sans lien avec l' agriculture (cimenterie,
GOEH·AKUE N. A., 1992: Finances publiques et Dynamique
marbrerie). Justement, le revers de la médaille de cette
sociale en Afrique noire sous influence française : cas du Togo
politique d'intervention de l'État est que les produc-
1920-1980. Thèse de doctorat, Université de Paris VII, 772 p.
teurs n'en bénéficient pas lorsque les cours de leurs
NABE B., 1997 : Les mouvements mutualistes et coopératifs agri-
produits évoluent vers la hausse sur le marché mon-
coles au Togo et au Dahomey: De la crise aux indépendances.
Histoire d'un dirigisme des pouvoirs publics. Thèse de Doctorat,
dial. De plus, ils sont moins préparés à s'adapter à
Université de Provence, 728 p.
la concurrence internationale. Aujourd'hui, les consé-
POQUIN J. J., 1957 : Les relations économiques extérieures des
quences sont là ; lâchés par les Pouvoirs publics sous
pays d'Afrique noire de l'Union Française ] 925-] 955, Armand
la pression de la Banque mondiale, les producteurs
Colin, Paris, 287 p.
africains font seuls face à la mondialisation et à la libé-
SAMBO A.O., 1990 : Stratégie de développement et disparités
ralisation à tout vent de l'économie. On se demande
régionales au Togo. Thèse
Doctorat es Sciences Economiques,
le sort qui leur y sera réservé? La professionnalisa-
Université de Poitiers, 682 p.
tion des producteurs peut être une solution à ce pro-
WIBAUX F., 1953 : Le mouvement coopératif en AOF. Thèse de
blème.O
Droit, Paris, 158 p.
Rev. CAMES - Série B. vol. 01, 1999
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Sciences sociales et humaines
Ü African economies rely heavily on the agricultural
'0)
Les instruments de régulation des
E
ca raw material international market. But then, this
~ prix des produits d'exportation et
~
-
latter after lives through violent drops of price which
,~ de la production agricole au Togo
~ have side effects on the incomes of farmers. In order
ct (1948-1964)
c::e to protect small producers against thid risk, Togolese
authorities, as weil as those in other countries 01
Les économies africaines sont largement tributaires
Africa, set up especially; since the end of the Second
du marché international des matières premières
World War, systems of price control and that of agri-
agricoles. Or, celui-ci connaît souvent des baisses
cultural production. This economic intervention
brutales de prix qui ont des répercussions sur les.
results in the creation of OPAT (Togolese Marketing
revenus paysans. Pour protéger les petits pro-
Board of Agricultural produce) in 1964, which mono-
ducteurs contre ce risque, les Pouvoirs publics
polised until 1996 the marketing of agricultural pro-
au Togo, comme ailleurs en Afrique, ont mis en
duce abroad and the stabilization of price to the pro-
place depuis surtout la fin de la seconde Guerre
ducer. Nevertheless this policy has not always been
mondiale, des structures de régulation des prix
beneficial neither to peasants nor to the aqricultural
et de la production agricole. Cette intervention éco-
sector, but to the State which has made signifi-
nomique aboutit en 1964 à la création de l'OPAT
cant financial ressources from ail this.
(Office des produits agricoles du Togo) qui mono-
Key words : Togo, stabilization of priee, producers, inter-
polisa jusqu'en 1996, la commercialisation des pro-
national market.
duits à l'extérieur et la stabilisation des prix au pro-
ducteur. Cependant, cette politique n'a pas tou-
jours profité aux paysans ni au secteur agricole,
mais plutôt à l'État qui en a tiré de substantielles
ressources financières.
Mots-clés: Togo, stabilisation des prix, producteurs, marché
international.
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