Sciences sociales et humaines
La royauté de Porto-Novo: d'une disparition programmée
à l'apparition d'une royauté bicéphale (1908-1997)
Michel D. K. Videgla
Maître-Assistant
Université nationale du Bénin Cotonou (Bénin)
Ilmrmm mfS1lmllml mmmi
Introduction
de succession, mais également aux problèmes communs
à tous les royaumes et « chefferies» du pays qui, après
Le Dahomey, devenu République du Bénin, était orga-
des décennies d'éclipse, connaissent une résurgence à
nisé en royaumes et « chefferies» distincts, mais d' im-
partir de 1990. Ainsi, à Porto-Novo, la période 1908-
portance inégale. Le royaume de Porto-Novo, au sud,
1972 sera marquée par la « fin» de la royauté et des
était l'un des plus connus dans l'aire culturelle aja-
efforts de restauration, tandis que de 1972 à 1990, on
tado. Devenu protectorat français pour la seconde fois
assistera à des conflits entre l'Etat moderne et les auto-
en 1882, il fut transformé en chefferie supérieure par le
rités « traditionnelles ». Mais un nouveau contexte va
colonisateur à la mort du roi Toffa en 1908. De cette date
permettre, par la suite, la renaissance du système de
à 1997, il fut confronté non seulement à des problèmes
« chefferies traditionnelles» et l'avènement d'une royauté
spécifiques liés, entre autres, au caractère rotatif du mode
bicéphale chez les Goun 1 ;
« Fin» de la royauté et efforts
objectivité la démarche suivie par l'administration colo-
de restauration (1908 -1972)
niale dans ses rapports avec le roi :
De la royauté à la « chefferie supérieure
« Nous devons reconnaître [écrivait-il] que la situa-
»
tion que nous avons faite à notre protégé n'était pas
Le processus, qui conduisit à la «disparition» de la
telle qu'elle pût lui inspirer une bien grande recon-
royauté aladahonou de Porto-Novo, est lié à la volonté
naissance à notre égard. Nous avons accepté son
des Français d'instaurer une administration directe à
royaume, obtenu, contre une rente de 30.000, la ces-
la place de leur système de protectorat, en vigueur
sion des droits de douane qui lui procuraient un revenu
dans le royaume goun de Hogbonou (Porto-Nove) dès
annuel beaucoup plus élevé. Mais nous ne nous étions
1882.
nullement crus obligés de tenir les engagements moraux
et formels pris envers lui. Nous lui avons successi-
Le lieutenant-gouverneur de la colonie du Dahomey
vement retiré le droit de rendre la justice - qui en
et Dépendances, dans une correspondance du 19 octobre
pays noir est inséparable du droit de commander .,
1906 au gouverneur général de l'A.O.F, indiquait avec
le droit d'administrer, de percevoir des impôts, de punir.
L
habitants de Porto-Nova.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
139

Sciences sociales et humaines
j~
Son autorité auprès des indigènes fut gravement com-
capitale du royaume, et encore daA~des domaines bien
promise. Elle n'était plus maintenue dans ses vestiges
déterminés. Sa mort, en 1908, donN~à la France l'occa-
que par un sentiment traditionnel »2.
sion de prendre enfin l' acte juridiqti~ennettant de passer
officiellement à une autre étape de~f{'t vie du royaume.
'(~
Carte: le royaume de porto-Nova
41.,
En effet, conformément aux instruc,tions du département
à la veille de sa « disparition »
des Colonies, le lieutenant-gouvem:~r nomma, par arrêté
en 1908
du 7 février 1908, Adjikoui, fils d9~Toffa, « chef supé-
rieur des Territoires français du B.~nin »3. Il plaça par
En fait, de réduction en réduction, la zone d'exercice de
le même acte sous son autorité totis les autres « chefs
~;
l'autorité du souverain se limitait finalement à la seule
indigènes» desdits territoires.
'
,_~ q:JYAUME DE PORTO~NOVO A LA VfiLi..E DE SA
Il OlSPARiTION· EN
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2. ANP. 200 MI 1640, Porte-Nove, le 19 octobre 1906, le lieutenant-gouverneur au gouverneur général
1 Entendons colonie du Dahomey et Dépendances. En plus du successeur de Toffa, il y avait un
chef supérieur à Parakou. unà Nikki.
1401
R,er CAME!? - Série B, ~ol. 01, 1999
•.,-.,1-,. ~.

Sciences sociales et humaines
Ce fut la fin de la royauté selon le colonisateur'i, Dans
pas le moindre moyen de coercition officielle à sa dis-
cette même 10giquKl'arrêté du 6 octobre 1908 du gou-
position (Grivot 1954 : 102 ; Lombard 1967).
J I
verneur général de-l' A.O.F. enleva à Adjikoui l'une des
prérogatives qui IJi àvait été conservée jusqu'alors en
Il devait alors s'engager simplement à rester « l'œil et
sa qualité de sùccefse~r de Toffa. Le territoire de Porto-
la langue de la France» même si, à l'instar de son
Novo cessa, e~ effe{, d'avoir des tribunaux spéciaux
père, il ne tenait pas le sabre 6 D'ailleurs, le gouver-
et le nouvel.aiTêté~àisant application du décret du 10
neur général Van Vollenhoven, parlant des « chefs tra-
' . .
"1'
(
novembre 1903, créa lm tribunal de cercle à Porto-Novo,
ditionnels » en A.O.F., nécrivàit-il pas déjà:
des tribunaÛx d~~p~~vince à Porto-Novo , Sakété,
Adjohoun et, enfin" d'es tribunaux de village.
« Les chefs traditionnels n'ont aucun pouvoir propre d'au-
~
cune espèce car il n'y a pas deux autorités dans le cercle,
. cf (
. 1
.
C
d l '
es transtormanons, a.savoir a suppression e a royaute
l'autorité française et l'autorité indigène; il n'yen a qu'une.
et la création (je ndtlJelles structures, furent accueillies
Seul le Commandant de cercle commande. Le chef
« sans le moindre lhci~ent » selon les sources françaises.
indigène n'est qu'un instrument, un auxiliaire de l'ad-
Ainsi, dépecé adm'ihist'rativement, réduit au rang de chef-
ministration » (Adéniyi 1999 : 6).
ferie supérieure, rerbyaume semblait disparaître.
J,. -(
En réalité, les successeurs de Toffa n'avaient donc plus
La situation" d~ 2hef supérieur
qu'un rôle honorifique et religieux, comme nous le ver-
;'~·l.l
rons plus loin. C'est dire que les fonctions de « chef»
La situation fàite ~ùx\\successeurs de Toffa sur le plan
administratif, pourvues d'un commandement territorial,
financier était moins);ntéressante. Elle fut réglée, pour
avaient été dévolues à divers « chefs» de canton, choisis
l'essentiel, par 1 :ta'rrêté du 7 février 1908 : alors que
pour leur dévouement à la cause française. Certains
le roi recevait un {railement annuel de 40 000 francs,
d'entre eux ont acquis un grand prestige, comme Kèkè
" (
dont 30 000 francsjde Fente pour l'abandon de ses droits
Adjion à Avrankou, au nord-est de la capitale.
de douane et 10 000'p6ur le concours prêté pour la police,
le chef supérieur$lüi\\ percevait un traitement global
Malgré cette situation dans laquelle l'administration
annuel de 25 000 fraAcs ; en outre, comme au roi, des
coloniale confinait le chef supérieur, ce dernier avait
i
./
remises sur le prodüitide ]' impôt lui étaient accordées.
la conviction que la royauté existait toujours.
Comme attributioJ:i'1.6evait aider à l'exécution de toutes
Des efforts pour la sauvegarde
les mesures prescrites bar les autorités politiques en inter-
et le maintien de l'institution royale
venant notiinmeni.,{
.
\\
L'essentiel de la question, semble-t-il, réside dans les
« auprès des c~f? de région, de village ou de quartier
rites d'intronisation des chefs supérieurs.
pour les mainte"h?danS l'obéissance en toutes circons-
tances ou pou~:y maintenir les habitants du cercle de
De Dè Gbèdissin (1908 -1913) à l'actuel « chef
Porto-Novo ,,5.
supérieur» ou roi, ces rites demeuraient les mêmes
qu'auparavant. Dè Alohinto Gbeffa ou Toffa VII (1948-
La transmission des ordres de toutes sortes qu'impli-
1976) fut, par exemple, nommé le vendredi 6 août 1946
quait l'accomplissement de cette fonction, explique l' im-
par le conseil de la royauté, après consultation
portance du rôle q~l'~'récadères (messagers) du « chef
du Fa 7. Cette nomination ayant reçu le 9 suivant
supérieur ». Forc~!;é'st cependant de souligner que ce
l'approbation du gouverneur de la coloriie8, Gbeffa fit
dernier, comme les âutres « chefs» de la colonie, n'avait
son entrée au palais le 8 janvier 1948, après une partie
1
'Jusque-là le royaume était en sursis; le décret du 10 novembre 1903 portant organisation de la justice « indigène» dans les colonies du.gouyernement
général était appliqué au Dahomey sauf à Porto-Novo par reconnaissance. dit-on. envers Toffa..
:>: . ~
, Archives du Sénégal, M 89 ( 1904-1919); Rapport au sujet de l'organisation judiciaire du protectorat de Porto-Novo, le gouverneur gép'él' ~0:~nistre des
Colonies
. '
.:c.
o Archives du Sénégal 8G 19, Porto-Novo, 24 août 1908, le lieutenant-gouverneur au gouverneur général de l'A.OY
7. Oracle qui dévoile les destinées par l'intermédiaire des iJOkOIlOI1 (devins) qui interprètent ses signes.
s. Cette confirmation par le gouverneur constituait une exception par rapport au passé.
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Sciences sociales ct humuines
des cérémonies d'usage. Il y subit la dernière phase du
les mêmes cérémonies. Ce n'est que pour les [roisJhumi-
rituel d'intronisation qui ne s'acheva que cinq mois
lier que le colonisateur a changé le nom »10.
plus tard, c'est-à-dire le 1er juin (Rouget 1996 : 32).
En outre, les noms de règne que certains « chefs supé-
Cette perception était la même chez la population. Ainsi,
rieurs» s'étaient donnés, témoignaient de leur volonté
les sorties en ville de certains rois comme Dè Gbèhinto,
de perpétuer le système de la royauté. Ce fut, par
déclenchaient-elles l'enthousiasme des foules. Sur le
exemple, le cas de « Gbèdissin », qui littéralement
passage de ce dernier,
signifie « la vie qui ressemble à l'eau qui coule ».
En d'autres termes, la royauté continuait d'exister.
« les gens se jetaient à plat ventre comme dans l'ancien
La même préoccupation se retrouvait, non seulement
temps
et
les femmes
étendaient
leurs
pagnes
dans «'Gbèhinto » qui veut dire «la nature ou l'Etre
par terre devant ses pas. L'air retentissait des accla-
suprême protège le royaume (toP », mais également
mations» (Rouget 1996 : 32).
dans le nom « Dè Alohinto Gbeffa », qui peut se tra-
duire par « le père (Dè) par le soin duquel le royaume
Dans cette tentative de sauvegarde et de maintien de
(to) vit en paix ».
la royauté qui suppose un minimum de liberté d'ac-
tion des rois sur certains points, les rapports de ces
Il restait au chef supérieur certains privilèges, préro-
derniers avec l'administration coloniale furent tantôt
gatives et charges des anciens rois, mais qui se rame-
pacifiques -
donc des rapports de coIlaboration - ,
naient pour l'essentiel à ce qui suit: le chef supérieur
tantôt conflictuels, suivant les cas (Lombard 1967 ;
réside dans le palais qui constitue un lieu sans équi-
Brunschwig 1983).
valent sur le territoire de l'ancien royaume; il pos-
séde un nombre considérable de femmes (ahossi) dont
Comme on le sait, Dè Gbèhinto (1930 -1941) accep-
la plupart, sinon la totalité, ont été acquises sans com-
tait difficilement les contraintes imposées à la royauté
pensation matrimoniale (Rouget 1996 : 34). A ces
par le colonisateur. Il y voyait une atteinte à ses pré-
femmes s'ajoutent des serviteurs (hommes) de pro-
rogatives, une oppression de son peuple. Ainsi, pendant
venances diverses. En outre, il est entouré d'une cour,
la Seconde Guerre Mondiale où la participation mul-
composée de ministres (mito) et de notables intronisés
tiforme de la colonie du Dahomey -
comme celle du
par lui-même ou son prédécesseur. Probablement à
reste de l'Afrique -
était exigée, le gouverneur fit
l'époque coloniale et certainement après l'indépen-
maintes fois pression sur le roi pour qu' il levât des troupes
dance, il rendait la justice au palais quand cette jus-
à destination des champs de bataille en Europe et sur
tice concernait les affaires coutumières ne relevant pas
le continent noir. Aussi longtemps qu'il put, il s'y refusa
du tribunal de première instance. Il avait des moyens
pour ne pas être jugé responsable ~ certains actes en
de faire respecter ses jugements. En effet, il disposait,
collusion avec l'administration coloniale. Mais finale-
comme bras séculier, de la troupe des fameux Zangbéto
ment, mis en demeure de recruter des solâafs pour la
(veilleurs, chasseurs de nuit), dont le chef suprême,
France, il n'a trouvé d'autre alternative que de se donner
Zangbéto Kpakriyawou, avait son temple à quelques
la mort. De retour dans son palais, il se poignarda donc.
mètres du palais; en outre, une autre société secrète,
Des médecins furent alors dépêchés parTegouver-
celle des Bliguédé, était chargée d'exécuter les arrêts
neur pour tenter de le sauver. Mais il s'y opposa et
royaux particulièrement rigoureux (Rouget J996 : 35),
mourut, après avoir arraché lui-même son pansement,
Le roi avait ainsi une police parallèle à celle du colo-
geste qui accrut encore sa popularité, La-preuve était :: ~
nisateur.
ainsi faite que, même à l'époque coloniale, onpouvait
encore faire preuve de grandeur (Rouget 1996 : 32).
En fait, en dépit du statut colonial, la royauté n'a jamais
cessé d'exister aux yeux des successeurs de Toffa, C'est
Cette opposition du roi à l'administration coloniale était
ce qu'affirme le chef supérieur actuel en ces termes:
un cas extrême. D'autres rois ou chefs supérieurs ten-
« Il n 'y a que l'appellation qui ait changée. Ce sont
tèrent aussi de s'illustrer, mais de façon pacifique et
., Dè Gbèhinto ( 1930- 1941) ,
,.. Totehè Ganfodji Tolla VIII. Porto-Nove, Gbèkon, 30 juillet 1999
142
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
en restant dans le cadre tracé par le colonisateur. Ce
feries traditionnelles» du Dahomey, désormais appelé
fut le cas de Dè Alohinto Gbeffa (1948-1976) qui n'a
République populaire du Bénin, traversèrent une période
jamais contesté la légitimité du système installé grâce
d'épreuves marquée par leur affaiblissement par rap-
à son grand-père Toffa, ainsi qu'il l'affirmait avec fierté
port à l'époque coloniale. Pourtant, c'est pendant ce
(Rouget 1996 :32). Ses relations avec le pouvoir colo-
temps que la lutte des différentes branches royales
nial étaient donc beaucoup moins tumultueuses. Roi
pour s'accaparer du trône s'accentua.
ambitieux, il était résolu à tout mettre en œuvre pour
«redonner à la fonction royale tout l'éclat, tout pres-
Des affrontements entre Etat et
tige et toute autorité» compatibles avec le contexte colo-
« Chefferies traditionnelles»
nial (Rouget 1996 :32).
'
Le 26 octobre 1972, un « Mouvement révolutionnaire
Dans la décennie qui suivit l'indépendance, il eut plus
de libération nationale» fut déclenché par les Forces
de bonheur pour l'exécution de son projet. En effet. avec
armées dont le gouvernement, deux ans plus tard, opta
les élections législatives consécutives à la loi-cadre
pour une orientation nationale socialiste fondée sur le
de 1958, les « chefferies traditionnelles» avaient, en
marxisme-léninisme. Jugeant purement négatif le bilan
général, mesuré leur force. Le début des acti virés des
des régimes politiques qui se sont succédé depuis l'in-
partis politiques au Bénin, comme ailleurs en Afrique,
dépendance, ce gouvernement militaire créa, le 30
se concentra donc autour d'elles. On assista alors à
novembre 1975, le parti de la Révolution populaire du
des regroupements ethniques, les fiefs politiques se
Bénin, qui se voulait un parti d'avant-garde; pour rompre
confondant aux aires d'influences des anciens royaumes.
avec le passé, il remplaça le nom du Dahomey, peu uni-
Très tôt, Porto-Novo devint ainsi le domaine réservé
ficateur à ses yeux, par celui de République populaire
du parti républicain du Dahomey (P.R.D.) de Sourou
du Bénin.
Migan Apithy.
Au plan de l'administration territoriale, l'ordonnance
Dans cette période où les « chefferies traditionnelles»
n" 7 du 13 février 1974, dans ses articles 1 et 2, divisa
avaient plus de liberté d'action, le roi Gbeffa fit un nou-
tout le pays en six provinces ayant chacune ses subdi-
veau pas dans sa politique qui consistait à insuffler
visions: le district, la commune urbaine ou rurale, le
une vie nouvelle à la cour et à « réhabiliter» le palais.
quartier de ville, le village. La province de l'Ouémé
Il parvint ainsi à restaurer les yoho ou les tombeaux votifs
englobait presqu'entièrement le territoire de l'ancien
des anciens rois grâce, entre autres, à l'aide accordée par
royaume de Porto-Novo, qui n'en constituait d'ailleurs
la France, par l'intermédiaire de son ambassadeur Guy
qu'une partie; le reste de ce territoire relevait du domaine
. Georgy, qui s'intéressait personnellement à l'histoire du
de la province de l'Atlantique.
pays, et tout particulièrement aux institutions royales
(Rouget 1996 : 32). Il organisa alors une cérémonie gran-
Une autre ordonnance, n" ] 0, prise à la même date, défi-
diose à la mémoire des derniers rois défunts. Son mérite
nissait, dans son article premier, le village comme l'unité
est d'autant plus grand qu'il a pu finalement exécuter
administrative autour de laquelle s'organisait la vie
son projet dans une période difficile pour les « chef-
rurale l l; elle précisait que le quartier jouait le même
feries traditionnelles ».
rôle en milieu urbain. Le village ou le quartier de ville
était administré par un comité révolutionnaire local.
Conflits entre Etat et « chefferies
Ce comité avait pour mission l'application des mots
d'ordre du conseil national révolutionnaire. L'autorité
traditionnelles » et recrudescence
des « chefs traditionnels» fut donc supprimée. La créa-
de la lutte des princes pour le
tion du tribunal populaire, à tous les échelons de l'ad-
trône (1972 - 1990)
ministration, depuis le village jusqu'à la province, les
privait, par exemple, de leur principale prérogative, celle
De la prise du pouvoir par les militaires en 1972, à l' avè-
de juger 12. Le secrétaire du comité, plus connu sous
nement du Renouveau démocratique en 1990, les « chef-
le nom de délégué, faisait fonction de chef de village ou
Il. Cet article est identique à l'article premier de l'ordonnance n° 15 du 21 mars 1966
.---'-"-Loi fondamentale, articles 104- 107
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
143

Sciences sociales et humaines
de quartier de ville. Il était le représentant de la popu-
par certaineshumiliations qui lui avaient été publi-
lation dans tous les actes de la vie administrative et sociale
quement infligées, il mourut le vendredi 25 juin 1976.
de la collectivité.
Cette mort était due à une infection dont l'origine res-
tait inconnue. C'est alors avec raison que l'actuel roi
Le parti unique, récemment créé, eut tôt fait d'identifier
affirma:
les ennemis de la « Révolution ». Ainsi, dès le 4 décembre
1975, une lutte sévère fut déclenchée contre la
" Ehuzu [ Révolution] n'a rien fait de bon pour la royauté.
q
«féodalité ». Cette« féodalité », incarnée par les «chef-
Ehuzu n' a fait que semer la pagaille en portant atteinte
feries traditionnelles », pensait-on, n'avait pas été
à l'autorité des rois. Des choses ~.u'un roi ne doit pas voir,
supprimée par la colonisation et fut renforcée à
ni entendre et que Gbeffa a vues et entendues, voilà
l'épo~ue néo-coloniale par la « boüryeoisie » politico- .
ce qui l'a emporté. Il est mort de 'tolère [... ] . S'il n'y avait
bureaucratique en quête de suffrages 3. Toutes les pra-
pas Ehuzu, Gbeffa serait peut-être encore en vie» 16
tiques « obscurantistes », qu'elle avait créées pour
'1
« opprimer et exploiter les masses sous le couvert de la
En ce qui concerna Honrnè luj-même, c'est-à-dire
religion », furent aussi rigoureusement combattues.
le palais officiel de tous lesTois~il fut érigé en musée
Comme l'écrit alors justement Bada,
historique en 1985 par un déc~~t du gouvernement.
En attendant cette date, on voyait déjà pousser des
" La double stratégie de l'Etàt 'révolutionnaire, à savoir
cultures vivrières (maïs, manii~·c... ) sur une partie
la démocratisation et la lutte anti-religieuse, aboutit inévi-
de son domaine, d'une superfi~iê de 2,5 ha 17. Dans
tablement à des conflits entre deux types de '" cheffe-
cette situation difficile des « chefferies traditionnelles»
ries» et de mode d'organisation socio-politique. Elle ignore
en général et de celle de PortoëNovo en particulier,
le " chef traditionnel» au profit des élus locaux que
les princes allaient-ils cesser de s"e disputer le trône?
sont les jeunes» (Bada, in Adéniyi 1998 : 6 ).
~~~
La lutte pour s'arracher 1~.'Pouvoir
IJ.
Un défi fut lancé pour ainsi dire aux « chefferies tradi-
tionnelles » dans leur rôle politique, religieux et orga-
Selon la tradition, les cinq brà~ches royales issues
nisationnel. Pire, la perturbation de leur organisation"
de Tè Agbanlin, fondateur dyHo~bonou (Porto-Novo),
sociale se trouva accentuée par des conflits de généra- '
accédaient à tour de rôle a'iI pObNvoir. Cependant, il
tion et des conflits entre les couches sociales. Sur le ..
y avait de temps à autre des enjorses à ce principe.
terrain, toutes sortes d'humiliations furent réservées aux
En outre, à partir du milieu dl}. XIXe siècle, trois
« chefs traditionnels» : à chaque occasion, on les rabais-
branches étant « éteintes» faute çe progéniture, il n'en
sait au rang de leurs sujets et on les sommait de cesser
restait que deux sur la scène. Ce fut dans ces condi-
de vivre aux dépens des « masses laborieuses» ; on
tions qu'après le règne de'Dè Messi, Toffa usurpa
leur demandait d'aller travailler, de tout faire ... 14 ; on
le trône en 1874 au détriment de là lignée de Dè Messè,
menaçait même de les chasser de leurs palais, dont on
dont les descendants (Mêwounôu, Sogningbé ... ) ne
entendait transformer les édifices en services d'utilité
cessèrent de crier injustice.
publique et le reste du domaine en champs 15. On assista
ainsi à une banalisation, voire une profanation des palais
Mais au grand mépris de Ih coutume, le roi,
royaux longtemps considérés comme des lieux sacrés.
soutenu par la France -
qui avait ses intérêts à défendre
-
établit même le mode de succession de père en fils
A Porto-Novo, Alohinto Gbeffa (1948-1976) ne sup-
en confisquant le pouvoir au profit de ses seuls des-
porta plus longtemps cette nouvelle situation, son auto-
cendants. A la mort de chacun de ses successeurs, les
rité étant constamment battue en brèche par les pouvoirs
membres de la seconde branche revenaient à l'attaque.
publics (Rouget] 996 ; 33). Il fut donc profondément
Mais, à l'époque coloniale, leurs réclamations ont tou-
atteint dans sa dignité de roi; désespéré et rendu malade
jours été évidemment rejetées par les autorités françaises.
[J.
Documents fondamentaux sur le premier congrès national ordinaire du Parti de la Révolution populaire du Bénin, Cotonou, novembre 1979, p.36
14 Totchè Ganfodji Toffa VIII, Porto-Novo, Gbèkon, 30 juillet 1999
Il. Idem Ibid
re Roi Totchè Ganfodji Toffa VIII, Porto-Novo, Gbèkon, 30 juillet 1999 (information recueillie en français)
17. Idem
144
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
On comprend donc qu'ils espéraient avoir le dessus à la
le Renouveau démocratique
mort de Gbeffa intervenue après l'indépendance.
et l'avènement du bicéphalisme
Ainsi, malgré la lutte du parti de la Révolution populaire
dans le royaume de Porto-Novo
du Bénin contre les « chefferies traditionnelles », les
deux branches royales, soutenues par leurs partisans res-
La vague de démocratisation, que l'on observa dans de
pectifs, s'affrontèrent sans cesse, la lignée de Dè Lokpon
nombreux Etats africains à partir des années 1989-1990,
ayant alors pour candidat Sègla G. Toffa et celle de
était le reflet du malaise créé par les régimes politiques
Dè Messè, Félix Araba. Fonctionnaire en retraite et réso-
en place, et dont l'autorité était complètement entamée,
lument hostile à ses « frères », ce dernier voulait leur
du fait de leur incapacité à résoudre certains problèmes
arracher enfin le pouvoir.
primordiaux. Les changements opérés furent alors géné-
ralement favorables à la renaissance des « chefferies tra-
Dans cette lutte où tous les coups étaient permis et l' em-
ditionnelles », dont la restauration faisait aussi partie
poisonnement un moyen élégant et souvent insaisissable
des préoccupations d'Africa-Cultures lntemationallnstitute
de se débarrasser de ses rivaux, il a réussi, selon ses propres
qui, après avoir vu le jour en 1982, s'est attaché à valo-
propos,
« éliminer» plusieurs concurrents; ce qui l'a
riser, entre autres, la culture africaine en tant que ciment
à
amené à dire « qu'il n'aurait désormais plus rien à craindre
de l'unité du monde panafricain-Â, Les six sommets des
d'eux, quoi qu'il arrive» (Rouget 1996 :34). C'est donc
rois du Bénin que son conseil a déjà réunis en 1998 en sont
avec raison que Gilbert Rouget écrit:
un témoignage, même si l'unanimité n'est pas faite sur
la portée de son action.
« La royauté de Porto-Novo n'est [ ... ] pas [... ] du type
dont il existe certains exemples en Afrique, qui fait du
les «Chefferies traditionnelles» à l'ère
souverain une victime plus ou moins bien résignée à son
du Renouveau démocratique19
sort, mais qui ne l'a en tout cas pas cherché. Le roi y
est au contraire un conquérant du pouvoir, qui ne l'ob-
Le Renouveau démocratique n'a véritablement com-
tient que par une lutte sans pitié et qui ne le conserve
mencé à prendre corps qu'avec la Conférence des Forces
qu'au prix d'une vigilance de tous les instants, s'exerçant
vives de la nation, réunie en février 1990, à la suite
contre tout le monde, y compris son entourage, ses
de la crise multidimensionnelle dont le régime de parti
femmes et ses propres enfants» (Rouget 1996 : 34) .
unique en place était responsable. Comme il a été clai-
rement précisé dans la Constitution de décembre 1990,
Quelle que fût cependant leur détermination, le prince
cette démocratisation est fondée sur le libéralisme, l'Etat
Araba et ses partisans étaient loin de voir leur désir se
de droit et le respect des libertés20.
réaliser. Le régime en place, durcissant sa position de
jour en jour et avançant comme prétexte la querelle entre
Du coup, les « chefferies traditionnelles» se sont retrou-
les deux branches, s'opposa fermement à toute nouvelle
vées comme un prisonnier élargi et des branches royales
intronisation de roi pour ne pas perpétuer le système
écartées du pouvoir depuis des décennies, voire un siècle,
qu'il combattait. Cette situation ne devait changer que
ont commencé à chercher à y revenir. Dès lors, on assiste
sous un autre régime politique.
à de nombreuses cérémonies d'intronisation dans tout
u La grande importance que cet Institut (une ONG) accorda dès sa création aux problèmes des « chefferies traditionnelles », le conduira il réunir à Cotonou
en août 1999 une conférence mondiale des Rois, Reines, religieux et hommes de paix, pour étudier les voies et moyens de la renaissance de l'Afrique
" L'un des premiers actes posés par la Conférence nationale des Forces vives de la nation fut la suppression du nom de République Populaire du Bénin au
profit de République du Bénin.
20. Loi n° 90 -32 du Il décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin.
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Sciences sociales et humaines
le pays; ce qui frappe le plus désormais, c'est qu'il ne
remises en honneur, ce qui explique l'importance et la fré-
s'agit plus de « chefs traditionnels» illettrés, mais sur-
quence des querelles de succession au trône.
tout d'intellectuels en activité ou retraités. 2 1 Les céré-
monies de commémoration de la mort de rois défunts et
L'avènement d'une royauté bicéphale
autres se succèdent également. Dans les deux cas, tous
à Porto-Nova
les moyens étaient mis en œuvre pour donner à ces évé-
nements un lustre imposant: outre les autres aspects de
Des cinq branches royales, nous avons vu que seules deux
la question, les émissions radiodiffusées et lou télévi-
d'entre elles continuaient à occuper le trône à partir du
sées, ainsi que la presse écrite, font largement écho des
milieu du ?C1Xe siècle et que, dès 1874, les membres de
manifestations.
celle de Dè Lokpon (Toffa ... ) restent les seuls maîtres
de la scène. Après la mort, le 24 décembre 1994, de
L'instauration du multipartisme intégral 22 et le souci
Félix Araba, opposant déterminé de la lignée de Dè Messè,
des responsables de partis d'avoir dans chaque région
il n'y avait plus de candidat de taille dans cette branche.
un électorat important explique, dans une large mesure,
La lutte pour le trône ne cessa pas pour autant.
le grand intérêt que ces derniers portent aux « chefs
traditionnels» qui sont les maîtres incontournables du
Dans l'ordre de succession des fils de Tè Agbanlin au pou-
terrain dans bien des cas. Ces « chefs» ont généra-
voir, Dè Hiakpon occupait la première place. Cette branche,
lement l'accès facile auprès des pouvoirs publics et
qui n'avait fourni que deux rois depuis l'origine du royaume
même auprès du président de la République. Ainsi,
(c.l730), se dressa désormais en sa qualité d'aînée, devant
il ne se passe pas de semaine sans que dans les comptes-
celle de Dè Lokpon qui venait en seconde position. Son
rendus à la télévision nationale, on ne voie un roi
candidat était Antoine Hodonou, que les descendants de
reçu en audience avec sa cour par un haut person-
Dè Messè supportaient pour les besoins de la cause, à l'issue
nage de l'Etat.
d'une alliance entre les deux lignées. Mais il mourut subi-
tement en
1995.
La
cause de
cette disparition
Conscient du poids des « chefferies traditionnelles» sur
inattendue reste obscure et on retient généralement
l'échiquier national, et en prévision sans doute des
l'hypothèse d'un empoisonnement, comme le fait
échéances électorales, le chef de l'Etat est allé jusqu'à
se produisait souvent d'ailleurs dans l'histoire du royaume
instituer, en 1995, la journée du 10 janvier comme une
de Porto-Novo. Un autre prétendant a pu être trouvé.
journée nationale du culte vodoun, un domaine réservé
L'argument principal des Hiakpon, rappelons-le, est que
de leur action.
le mode de succession étant rotatif selon la coutume, il est
enfin temps que les Lokpon cèdent le pouvoir à une autre
Certes, il n'existe aujourd'hui aucun statut juridique des
branche, à la leur en l'occurrence26.
« chefferies traditionnelles »23; ce qui constitue une
entrave à la coopération entre elles et les pouvoirs publics.
La branche de Dè Lokpon est .représentée par
Malgré cela, cette coopération est une réalité dans certains
Sègla G. Toffa qui fait toujours figure de prétendant
cas et dans certaines régions comme à Savè au centre.
au trône. Pour lui et son entourage, l'exercice de la
On trouve même parfois des prétentions excessives chez
fonction de roi s'apprend et ne saurait être improvisé.
des « chefs traditionnels» qui montrent manifestement
Leur lignée, qui avait très souvent détenu le pouvoir,
leur volonté de régenter la vie des populations comme par
surtout depuis 1874, est donc, selon eux, la mieux
le passé 24. Le conseil des rois du Bénin est allé même jus-
placée pour régner encore après la longue période
qu'à réclamer son droit officiel de cité dans la gestion
de vacance du trône qui durait depuis 1976, afin de
des affaires locales 25. Les royautés semblent donc être
montrer aux autres la manière de diriger27. Ce n'est
". La plupart de ces intellectuels ne comprennent pas grand' chose à la tradition.
zz. Il existe aujourd'hui au Bénin environ 120 parus politiques.
" Les seuls textes se rapportant à la question remontent à la période coloniale. Ils sont tombés en désuétude avec l'indépendance en 1960 et ont été sup-
primés par la Révolution en 1972
" lroko (F) .. Etude pourla participation des autorités traditionnelles ... , septembre 1995, p.6
" Adéniyi ( Philippe), Le Matinal na 164 du mercredi 15 août 1998
"En brandissant cet argument, la lignée de Dè Messè ct d'autres (Dè Hiakpon ... ) s'étaient déjà soulevées contre les Lokpon lorsqu'à la fin de 1919 Dé
Houdji tomba sérieusement malade, puis devint paralysé en 1921.Cf J. A. Ballard, 1965, pp 65-87.
" Porto-Nove, Gbèkon : séance de travail du 3Djuillet J 999 avec Je roi Totchè Ganfodji Vlll, Affessè Akotènou Toffa ...
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Sciences sociales et humaines
qu'après alors que la branche de Dè Hiakpon arri-
mencées ont pu alors aboutir en avril 1997 à l' investi-
, verait au pouvoir.
ture de leur candidat dont le nom de rè:fne, très signifi-
catif, est Kpotozounmè Hiakpon III3 . Mais pourquoi
« Ce n'est pas seulement une affaire de rotation [ déclare
alors ce grand attachement à la royauté de part et d'autre ?
Toffa VIII] mais aussi une affaire d'expérience, de ceux
qui peuvent »28
Les raisons d'une pérennisation
En introduisant ainsi à tort un autre critère dans le mode
Le système de royauté est une jeune institution à Porto-
de succession, les Lokpon se sont encore appuyés sur le
Novo par rapport à celles d'autres régions du Bénin
fait que leur candidat était Afo~amèvi ou Afomévi, c'est-
comme Savi, Djèkin, tori-Bossito, Ekpè ... , mais pro-
à-dire un enfant né d'un roi,2
ce qui n'était pas le cas
fondément enraciné dans la tradition. La volonté de per-
de celui des Hiakpon.
pétuer la mémoire d'un illustre ancêtre, Tè Agbanlin, et
de l'imiter, les privilèges et prérogatives de roi, l'hon-
Aucun consensus n'ayant pu être obtenu, les deux camps
neur et le prestige que procurait la fonction, contribuent
raidirent désormais leur position. Ce fut dans ces condi-
incontestablement à renforcer la tendance à pérenniser
tions que commencèrent, en 1996, les cérémonies d'in-
le système, sans oublier les avantages matériels liés à
tronisation de Sègla G. Toffa. Ainsi, après la retraite de
l'exercice de la justice, même s'il ne s'agit plus que
trois mois lunaires à Aklon, quartier de résidence du
des affaires coutumières ne relevant pas du tribunal
fondateur du royaume -
et plus précisément dans le palais
de première instance.
du roi Sodji, père de Toffa - , le sacre débuta le 24
décembre suivant. Le lendemain, des agents de police ani-
Le peuple, quant à lui, reste attaché à son roi. Son com-
vèrent à Honmè, pour empêcher le déroulement en ce lieu,
portement, dans le cadre des sorties en ville de Gbèhinto,
de la cérémonie d'initiation de 27 jours. Les Lokpon ont
en témoigne par exemple. En outre, dans un milieu où
dû alors se replier dans leur palais privé à Gbèkon, où
la religion -
ou les Vodoun (divinités) -
joue un grand
le nouveau roi fit sa retraite. Sègla G. Toffa accéda ainsi
rôle dans l'exercice de lajustice et assure la cohésion
au pouvoir sous le nom de Totchè Ganfodji Toffa VIII3ü.
sociale, on comprend l'importance que lui accorde ce
Tout devait se terminer le 25 janvier 1997 par les céré-
peuple. Or, le roi est Jechef suprême des Vodounnon (prêtres
monies de sortie en ville. Mais, pour éviter des affron-
du culte vodoun) ayant sous ses ordres l'akplogan, ministre
tements entre les Lokpon d'un côté et les Hiakpon et Messè
des cultes. Le maintien de la royauté intéresse donc le
de l'autre, des forces de l'ordre investirent les lieux pour
commun des habitants de Porto-Novo ; le roi seul peut,
s'opposer à la marche du cortège royal à travers la ville.
par exemple, avoir recours à l'ordalie suprême des AiilOn
(propriétaires du sol) pour démasquer les coupables et
L'usage de grenades lacrymogènes fut même fait pour dis-
reconnaître les innocents; et l'unique autel de cette ordalie
perser la fou le. Le reste de la cérémonie n'a donc pu avoir
dans tout le royaume est installé dans l'enceinte du palais
lieu qu'à Gbèkon 3 1. Le nouveau roi et son entourage
(Rouget 1996 :34).
ont vu dans cet usage de force par l'Etat, une manœuvre
des partisans du camp adverse, en l'occurrence du préfet,
C'est lui seul qui organise les grandes cérémonies à la
du chef de la circonscription urbaine et du chef d'Etat-
mémoire des rois défunts et le gozin, cérémonie qui se
major général de l'armée d'alors32.
déroule tous les dix ans en leur honneur et assure au
royaume la fécondité et la prospérité. Par ailleurs, c'est lui
De toute manière, les Hiakpon et les Messè, ne voulant
qui organise aussi périodiquement l'avo wiwlé34, qui
céder en rien aux Lokpon, se sont maintenus dans la voie
consiste à purifier la société en la débarrassant des génies
choisie, celle de se donner leur propre roi. Des cérémonies
malfaisants qui empêchent sa prospérité et causent des épi-
analogues à celles de leurs rivaux qu'ils avaient com-
démies meurtrières.
-s Roi Tocthè Ganfodji Totla VIII. Porto-Nove, Gbèkon, 30 juillet 1999
2Q
Littéralement Afokpamèvi signifie: "en/clIlr [nel dons les sandales ", les sandales étant le principal attribut du pouvoir
)0,
Totchè Ganfodji, littéralement, signifie" Grâce ou pouvoir ou il la puissance du père je remplis les conditions d'être chef"
J[ Pana-Nova, Gbèkon, 30 juillet 1997. séance de travail
avec Torche Ganfodji Toffa VIII, Affessè Akotènou Toffa
", Ibid, Idem
33, Kpotozounmè (kpâ ri! ZUI/IIl?) : forme abrégée d'une expression qui signifie" Bien 'lu 'il y air beaucoup d'unimttux dons la [orêt, c'est la panthère qui y
commande ''.
q, A \\'0 wiwlé : capture des génies malfaisants, dc mauvais esprits
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.147

Sciences sociales et humaines
Conclusion
Actes du gouvernement (Dahomey, Rép.
pop. du Bénin) et autres documents

Au total,
après avoir progressivement perdu ses
prérogatives et prestige au temps de Toffa, la royauté
- Ordonnance n" 15 du 21 mars 1965 portant institution et attribu-
de
Porto-Novo
fut
transformée
en
«
chefferie
tion du chef de village
supérieure» à sa mort en 1908 par le colonisateur, guidé
- Ordonnance n" 7 du 13 février 1974 portant réorganisation de
par le seul souci d'instaurer une administration directe.
l'administration territoriale
Depuis, ses rapports avec les autorités politiques fran-
- Ordonnance n? 9 du J3 février 1974 portant institution et organi-
çaises revêtirent un caractère pacifique ou conflictuel,
sation de la commune
selon les périodes et les rois. Mais la Révolution marxiste-
- Ordonnance n° 10 du J3 février 1974 portant institution et orga-
léniniste de 1972 prit, dès 1974, des mesures de radi-
nisation du village et du quartier de ville
calisation de la lutte contre les « féodaux », en d'autres
- Documents fondamentaux du 1el' Congrès national ordinaire.
termes, contre les « chefferies traditionnelles ».
Résolutions et Statuts,
Cotonou, Edit. du Comité Central du
PRPB, 1979, 80 p.
Malgré cela, la royauté ne cessa d'exister aux yeux des
- Loi fondamentale (Constitution) de la République du Bénin,
62 p.
«chefs» et de la population, attachés à la tradition et pré-
occupés par des problèmes de fécondité et de prospérité;
- Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation du J9
au 28 février 1990. Documents fondamentaux, Cotonou, ONEPI,
en outre, les « chefs» étaient soucieux de sauvegarder
56 p.
les prérogatives et le prestige liés à la fonction royale.
- Loi 90-32 du Il décembre portant constitution de la République
Ainsi, assista-t-on à la résurgence du système avec le
du Bénin, Cotonou, Imprimerie Notre Dame, 1991,62 p.
Renouveau démocratique à partir de 1990 : les querelles
de succession prirent une nouvelle ampleur; les céré-
Autres références
monies d'intronisation se multiplièrent. Ce fut dans
ces conditions qu'apparut à Porto-Novo, en 1997, une
ADENIYI, Ph., 1998 ; " La chefferie traditionnelle aujourd' hui",
royauté bicéphale. Mais le phénomène ne se limite pas à
Le Matinal n° 164 du mercredi 5 août.
Porto-Novo. Il en existe également dans d'autres régions
AKIDELE, A., 1911: Iwe itan Ajasè, Lagos, The Ife -Olu Printing
du Bénin comme à Abomey, au centre, et à Kandi, au
Words, 126 p.
nord, et peut-être aussi dans le reste de l'Afrique. Presque
AKINDELE, A., ET AGUESSY, c., 1953; Contribution à l'étu-
partout la renaissance des « chefferies traditionnelles»
de de L'histoire de
l'ancien Royaume de Porto-Nove, Dakar,
est une réalité. L'Afrique ancienne refuse donc de mourir.
Mémoires de l'IFAN, n° 25, VlII- 168 p.
BALLARD, J. A., 1965 : "Les incidents de 1923 à Porto-Novo.
Mais n'y a-t-il pas une dichotomie entre la démocrati-
La politique de l'époque coloniale", ED., ns, n05, octobre,
pp. 69- 87
sation et l'avenir de l'institution? « Le pouvoir, ça se dis-
pute », dit un proverbe aboméen. Dans ce cas, si un pré-
BRUNSCHWIG, H., 1983: Noirs et Blancs dans l' Afrique noire
française ou comment le colonisé devient colonisateur (1870 :=
tendant au trône est battu, il ne lui reste plus qu'à se
1914), Paris, Flammarion, 245 p.
soumettre ou à quitter le territoire du royaume.
CORNEVIN, R., 1981: La République Populaire du Bé/lin,-des
Or, dans le contexte du Renouveau démocratique, le can-
origines danhornéennes à nos jours, Paris, G.P. Maisonneuve et.,
didat ou la branche royale vaincue ne se résigne pas
Larose, 584 p.
toujours à son sort. Il en résulte alors l'avènement de plu-
GLELE, M.-A., 1969; Naissance d'un Etat noir. Paris, Librairie
sieurs rois et la question se pose de savoir si le polycé-
générale de Droit
ct de Jurisprudence, 537 p.
phalisme et l'intronisation de plus en plus de chefs ou
GRIVOT,
R., 1954: Réactions dahoméennes, Paris, Berger-
rois lettrés, mais souvent peu imprégnés de la tradition,
Levrault, 180 p.
ne rendent pas incertain l'avenir de l'institution.
0
IROKO, F., KADJA, G., ANIGNIKIN, C. S., 1995: Etude pour
la participation des autorités traditionnelles à la gestion des col-
Références bibliographqiues
lectivités locales, réalisée pour GTZ, Cotonou, 14 p.
LOMBARD, J., 1967: Autorités traditionnelles et pouvoirs euro-
Documents d'Archives
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NEWBURY, C.W., 1966; The western slave coast and its rulers,
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Oxford Clarendon Press, 234 p.
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PERS ON, Y., 1975 ; " Chronologie du royaume gun de Hogbonu
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148
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ROUGET, G., 1996: Un roi africain et sa musique de cour. Chants
VIDEGLA,
D. K. M., 1999: Un Etat ouest-àfricain : Le royau-
et danses du palais à Poflo-N'ovo 'so~s lé règne de Gbèfa (1948-
me goun de Hogbonou (Porto-Nove j deso~igine~ à 1908, Thèse
1976), Paris, CNRS, Editions, 39] p.
.
de Doctorat d'Etat, Université de Paris T, 909 p
SURET-CANALE, J., 1964: Afrique noire: l'ère coloniale 1900-
1945, Paris, Editions sociales.
'0 The kingdom of Hogbonou (Porto-Novo) - in the
'Q)
La royauté de Porto-Nova: d'une
E
«l
south-East of the Republic of Benin -
former
~ disparition programmée à l'appari-
J..
rn
-
Republic of Dahomey - became again a french pro-
'Q)
tian d'une royauté bicéphale
~ tectorate in 1882. The protectorate itself gradually
a: (1908-1997)
oc:(
lost its prestige and was changed into a high
chiefdom when King Toffa died in 1908. Despite
Le royaume de Hogbonou (Porto-Novo), situé au
this change, the high chiefs and the population
S.E. de la République du Bénin actuelle et rede-
strongly believed that they still had a kingdom. The
venu protectorat français en 1882, fut transformé
chiefs and the colonial administration had rela-
en chefferie supérieure à la mort du roi Toffa en
tionships of peace or conflict depending on situa-
1908 après que le protectorat eut été progressi-
tions.
vement vidé de son contenu. Malgré cela, la royauté
Due to the legislative elections following the pas-
continuait toujours d'exister aux yeux des chefs
sing of the Blueprint Law in 1958, the traditional
supérieurs et de la population. Les rapports entre
chiefdoms generally became aware of their impor-
ces chefs et l'administration coloniale furent paci-
tance on the national scene
and, as a conse-
fiques ou conflictuels suivant les cas.
quence, attracted the newly created political par-
Avec les élections législatives consécutives à la loi-
ties . Unfortunately, the « Revolution" of october
cadre de 1958, les « chefferies traditionnelles ",
1972, through its campaigns against feudalism and
d'une façon générale, prirent conscience de leur
witchcraft, waged a fierce war against them and
poids sur l'échiquier national et le début des acti-
eventually wiped them out as they were viewed
vités des partis politiques naissants se concentra
as harmful forces . - Only after the National
autour d'elles. Mais la « Révolution" de 1972
Convention of 1990 did they regain their impor-
leur créa une situation intenable avec le déclen-
tance again. Thus, new chiefs were appointed
chement de la lutte contre la « féodalité" et la
and kings crowned. Under such new circumstances,
« sorcellerie ". Considérées comme des forces
the descendants of Dè Hiakpon and Dè Messè
rétrogrades, elles furent donc supprimées. Il a fallu
got united to attempt to get the power from the des-
la Conférence nationale de 1990 pour qu'on assistât
cendants of Dè Lokpon. Such a situation resulted
à leur résurgence et à l'avènement d'autres chefs
in the existence of two kings for one kingdom.
ou rois. Ce fut dans ces conditions qu'à Porto-Novo,
Generally speaking, it's worth wondering whether
les lignées de Dè Hiakpon et de Dè Messè s'al-
this new situation of many kings for one kingdom
lièrent pour tenter d'arracher le pouvoir à celle
and the appointment of new chiefs and the crow-
de Dè Lokpon, mais en vain. Il en résulta alors une
ning of educated kings, though not always aware
royauté bicéphale.
of the tradition, do not jeopardize the kingship as
D'une façon générale, la question se pose donc
an institution.
désormais de savoir si le bicéphalisme et l'intro-
nisation de plus en plus de chefs ou de rois let-
trés mais souvent peu imprégnés de la tradition,
ne rendent pas incertain l'avenir de l'institution.
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