Jacques Mimran et la « Guerre des moulins» .
chronique d'une « Rebellion » économique
Hervé N. Allangba
Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny
Abidjan (Côte d'Ivoire).
Introduction
lementaire sur les événements survenus en ] 949 en
Côte d'Ivoire:
« Je Ile propose même pas que l'on donne aux indigènes
qui le méritent 1.000 francs à l'hectare. Je propose
« Nous étions alors en pleine guerre, sous l' occupa-
500 francs, parce que vous n'avez pas, vous, de frais
tion allemande. Les planteurs métropolitains, qui pou-
de rapatriement, vous n'allez pas en France et vous
vaient aller dans la métropole se joindre à leurs frères
ne mangez pas de pain »1
qui luttaient contre l'occupant, refusaient des 'y rendre.
La plupart se sont fait affecter dans nos territoires, et

Jean Rose, alors président du Syndicat Agricole de Côte
ce sont ces hommes là qui parlaient de rapatriement
2
d'Ivoire , avait certainement à cœur de souligner par
au moment où il fallait aider les planteurs à vivre jus-
ces propos péremptoires rapportés par Gabriel Dadié' et
qu'à la fin des hostilités »5
cités par Félix Houphouét-Boigny, qu'assurément, sous
des dehors étincelants et comme pour porter la contra-
Ensuite, parce que les statistiques indiquaient à l'époque
diction aux thèses officielles de Pari.., empreintes de trop
que la consommation de farine de blé en A.O.F. avait
d'optimisme, tout un fossé continuait de séparer Blancs
plus que triplé en neuf ans, passant de 21 671 tonnes
et Noirs au sein de la Communauté Franco-Africaine.
en 1947 à 79 754 tonnes dont 55 574 tonnes impor-
Où, comme une sorte de réplique tardive de la notion
tées et 34 ] 80 tonnes produites localement (MOUSSA
d'indice encéphalique de Vacher de Lapouge aux temps
]957: 117 - 120),
forts de la discrimination biologique des races humaines,
la qualité de vie se mesurait au moyen de quelques kilo-
Enfin, et peut-être surtout, parce que sur le front d'une
grammes de pain de plus ou de moins consommés dans
guerre non déclarée (la « guerre des moulins 11) met-
les ménages de l'Afrique française.
tant aux prises, depuis 1939 la meunerie métropoli-
taine et la meunerie naissante des colonies françaises de
Mais manifestement, notre grand colonial n'était pas
l'Afrique Noire, Jacques Mimran, en pionnier et comme
bien inspiré, Parce que, comme le déclarera en 1950
une préfiguration des luttes idéologiques en matière de
Félix Houphouët-Boigny devant la Commission par-
mise en valeur de l'empire colonial français, semblait
1. Audition de M. HOUPHOUET-BOIGNY, in Rapport nOl1343 sur les incidents survenus en
Côte d'Ivoire (Rapport Damas), séance du mercredi 31/05150,
Tome J, Annexes, P. 6.
,. Organisation commune, jusque en 1944, aux planteurs africains et européens. Jean Rose en était Président, ainsi que de la Confédération des Associations
_Agricoles et Industrielles de l'Afrique Française. et enfin, de l'Association des colons de Côte d'ivoire. Assurément. le titre très prisé à l'époque, de grand
. colonial, n'était pas usurpé.
'Né le 14 mai 1891 à Assinie. il fut commis des Postes et Télégraphes, membre fondateur et secrétaire à la Propagande du Syndicat Agricole Africain .
. _.cf. G. Camgah et S.P. Ekanza, La Côte d'Ivoire par les textes, Abidjan, NEA. 1978, P.176.
.
'Né le 18 octobre 1905 à Yamoussoukro, membre fondateur et président du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDC\\- 1946), membre fondateur et ins-
pirateur du Rassemblement Démocratique Africain (RDA - J946).
'Déposition de M. Houphouët - Boigny, Rapport nOI1343 sur les incidents survenus en Côte d'Ivoire (dit Rapport Damas), séance du mercredi 31 mai 1950,
Tome 1, Annexes, Page 6.
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l'avoir largement emporté sur de redoutables adver-
décrire, comprendre et apprécier de façon particulière,
saires: les forces politiques alliées aux milieux indus-
les luttes stratégiques et tactiques qu'engagea, et très
triels et financiers de la métropole ou dominées et orien-
souvent, que gagna Jacques Mimran. Elle risquera
tées par ces mêmes milieux. L'arme utilisée par Jaques
enfin de présenter un résultat tangible engrangé par
Mimran, chef d'une véritable « rébellion économi-
ce « rebelle» d'un genre nouveau: les Grands Moulins
que », était insoupçonnée et d'une redoutable effica-
de Dakar, saisis avec toute leur charge symbolique dans
cité: l'audace mise au service de l'expérience, et la par-
un contexte historique où l'édifice colonial était fouetté
faite connaissance de l'échiquier politique français
par des vents de plus en plus violents et présentant déjà,
où le jeu subtil des alliances laissait clairement pré-
de nombreuses fissures.
dominer les intérêts économiques et financiers.
Elle sera donc, davantage une chronique qu'autre chose,
La présente étude tentera de restituer, à partir de sources
et nous disons bien, parce que les faits historiques nous
historiques de première main, l'ambiance de cette guerre
ont permis d'éclairer certaines pistes, que ce sera la
d'intérêts divergents. Elle essaiera, pour ce faire, de
chronique d'une véritable « rébellion économique ».
les grands moulins de Dakar:
Hôtel, 2, rue Scribe, dans le 9c Arrondissement de Paris,
plus qu'un projet industriel, une
où il occupait seul une chambre, pour un loyer jour-
nalier de 64 francs. Il y avait séjourné du 27 janvier
« rebellion » économique
au 30 mars 1939, aux mêmes conditions6.
En dehors des Moulins de l'A.O.P., spécialisés dans
le traitement du mil et du maïs, en vue d'en extraire
Cet homme, c'était Jacques Mimran, né le 23 janvier
des semoules, et de quelques boulangeries destinées à
1913 à Saïda (Oran). Industriel et financier israélite maro-
satisfaire les besoins d'une clientèle d'Européens et assi-
cain, il dirigeait déjà à Rabat, la Minoterie des Zaers.
milés africains, la minoterie et les industries dérivées
étaient, avant 1947, à peu près inexistantes en A.O.F. Ce
Il était en séjour à Paris pour chercher des concours finan-
n'était cependant pas faute d'initiative dans ce sec-
ciers et techniques, dans la perspective de la construc-
teur d'activité. Depuis 1939, un projet de combinat de
tion à Dakar d'une minoterie et de silos modernes devant
minoterie avait été élaboré et porté à la connaissance de
permettre d'assurer, en totalité, la fourniture des farines
Georges Mandel, alors ministre des Colonies, avant son
panifiables non seulement à l'Afrique Occidentale
assassinat en 1940 par la Milice de Vichy. Seule la
Française, mais aussi, l'approvisionnement des colonies
réalisation sur le terrain se faisait encore attendre. Cela
étrangères au groupe A.O.F.
dura jusqu'en 1947.
D'après des estimations d'experts, les fonds nécessaires
De la Minoterie des Zaers aux Grands
à la réalisation de ces projets seraient de l'ordre de 40
Moulins de Dakar: Casius Belli
millions de francs.
Sous pli confidentiel na 1659 du 22 juillet 1939 adressé
Après la mise en marche des moulins, Jacques Mimran
au directeur de Cabinet du gou verneur général de
se proposait d'importer les blés du Maroc et de l'Algérie
l'Afrique Occidentale Française pour information du
à Dakar pour en extraire la' farine. Il escomptait ainsi
chef de la fédération, le directeur de la Sûreté Générale,
provoquer une baisse très sensible du prix de revient
dans une notice de renseignements très détaillée, s'est
de cette marchandise, ce qui entraînerait une augmen-
employé à fournir des informations sur un homme en
tation proportionnelle de la consommation du pain au
séjour d'affaires depuis le 11 juillet courant au Grand
sein de la population indigène.
, Notice de renseignements relatifs à M. Jacques Mimran, par directeur de la Sûreté générale, directeur de Cabinet du gouverneur général de l'A.O.F.,
22/07139, A.R.S., 2Q2 (1)
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Pour ce faire, Jacques Mimran a accompli de nombreuses
de la famille de Ferdinand de Lesseps pour 12 %, de
démarches et pressenti différentes personnalités pour
la Banque Rothschild pour 8 %. Son propre groupe, les
obtenir les concours financiers qui lui étaient nécessaires.
Grands Moulins du Littoral, veilla à se réserver la majo-
Son idée avait l'avantage de retenir l'attention d'un cer-
rité des parts, nécessaire pour lui assurer le contrôle
tain nombre d' hommes d'affaires et des pourparlers
de la société naissante: 36 % 9 .
a vaient été effecti vement engagés dans le sens d'une
concrétisation rapide du projet. Il avait également
En février 1939, pendant que Jacques Mimran était en
demandé des devis à plusieurs firmes spécialisées dans
séjour à Paris, le gérant de la Minoterie des Zaers, qui
le domaine de la minoterie. Parmi celles-ci, la Société
en assurait la direction intérimaire, avait pris contact
SOCAM, 17, rue Bachaumond, 2e arrondissement de
avec Georges Mandel, ministre des Colonies, à qui il
Paris, qui avait donné son accord de principe pour pro-
avait adressé directement une lettre pour l'informer que
céder à l'installation des appareils de mouture. Mais cette
sa société, « en collaboration avec un groupe impor-
société estimait devoir attendre quelque peu avant de
tant d'industriels, tous Français », venait « de décider et
s'engager, afin que des garanties financières tangibles
arrêter définitivement, après de nombreux mois d'études
lui fussent données 7.
approfondies, la construction à Dakar d'une minoterie
d'une capacité de stockage d'environ 300000 quin-
La suite de la notice nous paraît devoir être très
taux »10. L'homme d'affaires ne se priva pas de se
largement citée:
féliciter de la clairvoyance du ministre des
Colonies
et d'insister sur les avantages considérables que « notre
« Monsieur Mimran se targue d'avoir obtenu du gou-
belle colonie» allait tirer de « cette audacieuse réali-
verneur général de l'Afrique Occidentale Française
sation qui nécessite un investissement de l'ordre de
une importante concession de terrains pour l'édifica-
25 000 000 de francs environ» 11. L'occasion avait
tion des divers bâtiments. Enfin, d'après ses dires, les
été judicieusement mise à profit pour faire état des
plans auraient reçu l'agrément des services de l'armée,
soutiens dont bénéficiait le projet, même dans les milieux
appelés
donner leur avis en raison de l'intérêt mili-
politiques, et pour solliciter l'appui personnel du ministre:
à
taire que peuvent présenter des immeublesde cette impor-
tance-à proximité du port de Dakar. Dans son entourage,
Les efforts inlassables que vous faites en faveur de l'essor
M. Mimran donne-I'impression d'être novice en affaires
de nos colonies n'ont pas été sans nous encourager gran-
et quelque peu illuminé 8"
dement, persuadés que vous ne manquerez pas d'ac-
cueillir favorablement notre initiative et lui réserver votre
Jacques Mimran : « novice ~n affaires »,
bienfaisant appui. Et c'est là le sentiment de tous nos
illuminé» ou fin stratège?
amis parmi lesquels M. Fabius de Champville, vice-pré-
sident d'un de nos grands partis républicains, lui-même
Le Directeur de la Minoterie des Zaers et promoteur des
colonial de vieille date qui nous avait d'ailleurs remis pour
Grands Moulins de Dakar en formation, n'était ni le
vous un mot, qu'il ne nous a malheureusement pas été
«novice en affaires », ni l' « illuminé» qui est dépeint
possible de vous faire tenir ...
0'
dans cette notice biographique. Il formait avec son frère
Emile Mimran, le duo dirigeant des Grands Moulins
Nous serions particulièrement heureux de vous entre-
du Littoral en pleine activité à Rabat. Son séjour à Paris,
tenir plus amplement de cette question. Aussi, nous per-
objet de l'essentiel de la notice susvisée, lui permit d' ob-
mettons-nous de solliciter de votre haute bienveillance
tenir, en vue de la constitution du capital initial des Grands
la faveur d'une audience pour notre Directeur, Monsieur
Moulins de Dakar, notamment, le concours financier
Jacques Mimran, actuellement de passage à Paris, Grand
d'un groupe d'agrariens de l'Aisne à hauteur de 30 %,
hôtel, Place de l'Opéra 12
'. Id., Ibid.
• .Id., Ibid.
, ln Economie et Politique, n05 - 6, 1954, pp 119 - 120.
10. Lettre du gérant de-la Minoterie des Zaers il Georges Mandel, ministre des Colonies, II
février 1939, A.R.S., 2 Q71 (74).
Il
Id., Ibid.
"Id., Ibid.
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Le Directeur de la Minoterie des Zaers et principal ini-
La consommation du pain dans les colonies:
tiateur du nouveau projet, donna les preuves d'une par-
un objectif à atteindre, un besoin à créer
faite connaissance de la matière et du terrain. Il se savait
et à satisfaire
engagé dans une lutte dont l'issue dépendait en grande
partie du degré de rigueur qu'il aurait été capable d'at-
L'un des objectifs essentiels du projet Grands Moulins
teindre. Il conçut et appliqua un plan de bataille en quatre
de Dakar consistait à susciter au sein de la popula-
points principaux, tous orientés de façon à mettre en
tion africaine colonisée, de nouvelles habitudes ali-
exergue, davantage les intérêts des autorités coloniales
mentaires en intégrant à son régime alimentaire tradi-
et des populations colonisées, que ceux de l'entreprise
tionnel, une quantité toujours plus renforcée de pain.
en formation.
Compte tenu de ce que les périphéries coloniales repré-
sentaient de vastes marchés réservés à certaines branches
Par lettre-avion n° 1099 du 20 février 1939, Paul Devinat,
de l'économie métropolitaine, Jacques Mimran et ses
alors directeur des Affaires économiques au ministère
associés ne pouvaient pas viser mieux. Les Grands
des Colonies, agissant par ordre du ministre, informa
Moulins de Dakar devaient, sous ce rapport précis, contri-
le Gouverneur Général de l'A.O.F. de la requête intro-
buer à résorber les excédents de blé métropolitain. La
duite dix jours plus tôt par le Directeur de la Minoterie
nouvelle société se proposait d'entreprendre à cet effet,
des Zaers. li prit soin d'attirer l'attention du Gouverneur
«une action méthodique en vue de vulgariser la consom-
sur l'intérêt du projet et de l'inviter à « accorder à l' in-
mation du pain parmi les masses indigènes» 16. Tâche
téressé toutes facilités compatibles avec les règlements
apparemment aisée:
en vigueur» 13
« Les nombreux essais pratiques réalisés sur place même
Par cette correspondance, le Directeur des Affaires
à des endroits très différents ont apporté la preuve que
Economiques semblait n'avoir pas jugé nécessaire de
non seulement l'indigène n'était point ennemi du pain,
tenir copie de la requête de la Minoterie des Zaers au
mais qu'au contraire il en était très friand et c'est là une
Gou verneur Général. Rien, en J'état actuel de nos sources,
des raisons qui ont milité en faveur de cette création.
ne permet d'affirmer que c'était là, une omission déli-
Deux choses font que l'indigène ne consomme actuel-
bérée, révélatrice d'une carence administrative avérée.
lement que très peu de pain. En premier lieu, son prix
Rien, non plus, ne permet de savoir si cela plut, ou non,
très élevé par rapport à celui de la farine, ensuite sa qua-
au Ministre des Colonies. Celui-ci dut cependant, par
lité.11 convient donc, à l'instar du Maroc, d'étudier en accord
1ettre-« avion-confirmation» du 26 février 1939, informer
avec les autorités locales la fabrication de plusieurs types
directement le Gouverneur Général de l' A.O.F. de la
de farines susceptibles d'être livrées à la consomma-
requête de Jacques Mimran, dont il lui tint dûment copie.",
tion indigène à des prix extrêmement réduits 17 ».
Rue Oudinot, on ne semblait pas vouloir marquer beau-
Tâche, tout de même, de longue haleine, dont Jacques
coup d'empressement. Jacques Mimran, lui, avait intérêt
Mimran et ses associés avaient pleine conscience et à
à aller vite. Dans un « rapport à Monsieur le Gouverneur
laquelle ils Il' hésitèrent pas à s'attaquer:
Général de l' A.O.F. »transmis de Paris, siège provisoire
des Grands Moulins de Dakar, le 19 avril 1939 et reçu
« Il s'agit là bien entendu d'un travail d'éducation de
sous le n° 719/SE du 24 avril 1939, il s'attacha à
longue haleine et dont les résultats, susceptibles de contri-
situer « très exactement cette question dans son
buer très heureusement à la résorption des excédents
ensemble» 15 Ce document contenait le plan de lutte
métropolitains, ne pourront sefaire sentir que beaucoup
en quatre points du «rebelle », que nous exposons
plus tard 18 ».
.
ci-après:
J)
Paul Davinat, directeur des Affaires économiques. P.O. du ministre des Colonies, à gouverneur général de /' A.O. F.. na 1D99 du 2D février 1939. avec copie
de la lettre du 11/02/39 du gérant de la Minoterie des Zaers, A.R.S., 2Q72 (74).
I~ Lettre" avion - confirmation" de Georges Mandel, ministre des Colonies à gouverneur général de l'A.a. P., nOlD99 du26 février 1939. A.R.S., 2Q2
(74)
" Directeur des Grands Moulins de Dakar il gouverneur général de l'A.O.F., 18/02/39, A.R.S., 2Q71 (74).
" Rapport du directeur des Grands Moulins de Dakar au gouverneur général de l'A.OY, 18104/39, A.R.S., 2Q71 (74).
". Id.. Ibid.
" Id., Ibid.
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Ces résultats se firent sentir, en effet. Mais beau-
Au niveau des fédérations A.O.F. et A.E.F. et le
coup plus tôt que ne l'avait prévu le programme d'édu-
Cameroun, qui constituaient l'essentiel du marché visé
cation. Ils se traduisaient en termes de pression de
par les Grands Moulins de Dakar, les besoins en farines
marché.
panifiables étaient d'importance à inciter à l'initiative.
En 1955, année où, après une lutte épique, les Grands
La pression du marché de pain en A.O.F. comme
Moulins de Dakar entrèrent en production, on s'aperçut
objectif et justification de l'initiative
que seize années plus tôt, Jacques Mimran et ses asso-
ciés avaient parfaitement identifié un marché appelé à
L'autre intérêt stratégique majeur visé par les Grands
exercer une énorme pression sur les meuneries locales
Moulins de Dakar, en dehors de la transformation pro-
et étrangères. A cette date, les besoins en farines pani-
grammée des habitudes alimentaires des Africains,
fiables de l'ensemble A.O.F. - A.E.F. - CAMEROUN ,
consistait en la garantie d'approvisionnement des colo-
se chiffraient à 106 700 tonnes dont 22 700 tonnes
nies en farines panifiables en cas de conflits armés.
produites par les Grands Moulins de Dakar naissants,
La deuxième guerre mondiale éclata en septembre 1939,
14 000 tonnes par les
Moulins de [' A.O.F 2 3 et
soit huit mois seulement après les premières démarches
SO 000 tonnes importées principalement de la métro-
effectuées en direction de la Rue Oudinot. Elle empêcha
pole.
une société encore au stade de projet de mesurer en termes
réels, l'efficacité de sa stratégie. Les hostilités entrai-
Les années ont souvent donné raison aux visionnaires.
nèrent en effet, très rapidement, un train de mesures
Incontestablement, Jacques Mimran en était un. II finit
de rationnement auxquelles était assujettie une popu-
donc par avoir raison. Seize ans plus tôt, un projet de
lation africaine chaque année plus nombreuse à
la taille des Grands Moulins de Dakar pouvait diffici-
consommer du pain. En Côte d'Ivoire par exemple,
lement tirer justification de la seule pression d'un marché
on fit remarquer que « ces mesures étaient nécessaires
de pain, et même de farine, dont peu de personnes étaient
pour faire face aux difficultés de ravitaillement décou-
capables d'imaginer les possibilités de développement.
lant du manque de navires marchands, du blocus et de
Il en fallait beaucoup plus pour convaincre Paris et Dakar
la guerre en mer» 19 . Et même si, selon les autorités
de la viabilité de l'affaire.
d'Abidjan, elles ne visaient que la population européenne
Geste de séduction: le conditionnement des
dont la base de l'alimentation était constituée de den-
arachides sénégalaises
rées de provenance extérieure20 , un rapport économique
de 1946 permet de constater qu'en matière de ration-
nement dupain, toute une rubrique des registres concer-
La toute première correspondance informant le ministre
nait la population africaine2 1.
des colonies du projet des Grands Moulins de Dakar, ce
Il février 1939, avait fait état de « nombreux mois
A la date du 1el' janvier 1946 , 9 S92 cartes de ration-
d'études approfondies» auxquelles s'étaient préala-
nement étaient octroyées à la population européenne
blement consacrés les dirigeants de la Minoterie des
dont 7231 pour adultes, 1296 pour jeunes et 1365 pour
Zaers, avant de décider et arrêter définitivement la
enfants. A cette date, la population africaine, dont la base
construction à Dakar d'une minoterie d'une capacité de
alimentaire n'était pas constituée de denrées importées,
stockage d'environ 300000 quintaux 24
bénéficiait de 4 440 cartes.
Grands Moulins de Dakar n'étaient pas conçus comme
Au 30 septembre 1946, Il 311 européens bénéficiaient
une simple unité de minoterie
de la carte de rationnement (14,34 % d'augmentation),
contre 5 5S0 bénéficiaires africains (20,43 % d'aug-
Approfondies, les études préalables l'ont été, de façon
mentation )22 .
manifeste. C'était un combinat. Indépendamment des
19. Rapport économique annuel - 1940, par le gouverneur Hubert Deschamps, AR.S., 2Q40/8
"Id., Ibid.
"Rapport sur la situation économique de la Côte d'Ivoire au cours de l'année 1946, AR.S., 2Q46 167.
"Id, Ibid.
" Les Grands Moulins de l'A.OF, trituraient principalement le maïs et le mil local.
"Gérant de la Minoterie des Zaers à ministre des Colonies, 11/02/39, A.R.S., 2Q71 (74).
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Sciences sociales et humaines
activités meunières proprement dites, le complexe devait
grande échelle de l'arachide. Les colonisateurs s'étaient
en effet comporter un ensemble de docks-silos, affectés
résolus à faire croire que les terres du Sénégal n'étaient
au stockage des arachides dont le Sénégal était le plus
bonnes qu'à la production arachidière. Celle-ci avait déjà
gros producteur.
commencé à grande échelle dès 1885 le long de la voie
ferrée. Elle atteignait à cette époque 45 000 tonnes en
Le projet de conditionnement de l'arachide, principale
coques. En 1914, elle grimpa à 200000 tonnes. La cam-
source de revenus des Africains, composant essentiel du
pagne 1936-1937 fut un record: elle enregistra 600 000
commerce de la Colonie du Sénégal, produit réputé fra-
tonnes. La courbe de la croissance normalisée accuse un
gile et de grande utilité industrielle, avait de quoi séduire
taux moyen de 8,8 % par an entre 1885 et 1914, et de
et la Rue Oudinot et Dakar. Et pour qu'elle fît effecti-
2,7 % entre 1918 et 1940 (AMIN 1971 : 24).
vement mouche, on prit soin d'en exposer dans une
longue correspondance du 5 avril 1939 adressée au
En 1946, l'arachide continuait de fournir les 9/10e en
ministre des Colonies, qui la reçut le 18 avril 1939 à
valeur des exportations du Sénégal et sa part en valeur
Paris sous le numéro 680, les multiples avantages.Î
dans les exportations de l'A.O.F. représentait 61 %.
Véritable stratégie de séduction, le plaidoyer était fondé
En 1938, soit une année avant les premières démarches
sur l'idée géniale de construire des docks-silos, afin d'en
officielles au titre du projet des Grands Moulins de Dakar,
faire un puissant régulateur du marché qui, en offrant
le volume d'arachide exporté (629 000 tonnes) était
à l'indigène la possibilité d'entreposer sa récolte, lui per-
représenté pour plus de 50 % (369 000 tonnes) par les
mettrait de bénéficier des cours les plus avantageux, sans
arachides en coques.
avoir à s'occuper lui-même de la nécessaire opération
de dessiccation26 :
Après la guerre, les arachides n'étaient certes plus essen-
tiellement exportées en coques (désormais, environ
« Il est en effet permis d'affirmer avec force qu'en offrant
20000 tonnes seulement). Mais 250 à 300000 tonnes
aux indigènes les possibilités d'un stockage sans aléas
l'étaient sous forme de produit décortiqué, et 200 à
(dessiccation) leur utilisation rationnelle, surtout si elle
280000 tonnes sous forme d'huile brute et de tourteaux
est étudiée en collaboration avec les Sociétés Indigènes
(Suret-CANALE 1977 : 204).
de Prévoyance, en fera un puissant régulateur du marché,
ce qui ne sera pas sans contribuer très sensiblement
Au regard de ce qui précède, il est permis de soutenir
au relèvement des cours locaux. Ajoutons que ces silos
que le jeu en valait bien la chandelle. Le 26 février 1939,
sont spécialement conçus pour assurer dans des condi-
le ministre des Colonies n'hésita pas à accorder son appui
tions parfaites, le stockage en vrac et la manutention
aux promoteurs du projet. Confirmant sous pli-avion
entièrement mécanique (déchargement et si possible
n° 1099, auprès du Gouverneur de l'A.O.P., le
chargement sur vapeur) des arachides en coques
courrier de Paul Devinat, Directeur des Affaires
et décortiquées à la cadence de 200 tonnes environ à
Economiques, le ministre des Colonies se fît fort d'ap-
l'heure 27 ».
peler l'attention des autorités de Dakar sur l'intérêt de
ce projet et les pria de « vouloir bien accorder (sic) à
S'intéresser au conditionnement de l'arachide sénéga-
l'intéressé toutes facilités compatibles avec les règle-
laise constituait en soi une preuve évidente de grande
ments en vigueur ». Et, côté Rabat, la banque des idées
connaissance des réalités socio-économiques outre-mer.
était plutôt prospère. Jacques Mimran y puisa 28 un argu-
ment supplémentaire de poids: approvisionner en farines
La mise en valeur économique de la Colonie du Sénégal
panifiables, à partir des Grands Moulins de Dakar nais-
a précédé de plusieurs décennies, celle des autres colo-
sants , outre les colonies de l'AO.P., celle de l'AE.P.
nies de l'AO.F. Elle était fondée sur l'exploitation à
et le Cameroun.
21. Directeur Grands Moulins de Dakar il Ministre des économies, 5/04/39 A.R.S., 2Q715(74)
" Rapport du Directeur des Grands Moulins de Dakar au gouverneur général de l'A.O.F., 18/04/39, A.R.S., 2Q71(74)
21.
Id., Ibid.
'"Lettré-confïrmation du ministre des colonies au Gouverneur Général de l'A.O.F., n° 1099 du 26 février 1939, A.R.S., 2Q71 (74).
: 132
Re;'. C~MES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
Judicieux: l'approvisionnement de l'A.O.F. et des
ment de blé. Et lorsqu'une unité industrielle s' instal-
« colonies étrangères »
lait aux colonies et s'attachait à s'y assurer une part
Une « note au sujet du projet présenté par Jacques
de marché, elle devrait, outre la concurrence étrangère
Mimran au nom de la future société Les Grands Moulins
susmentionnée, faire face aux milieux industriels et finan-
de Dakar », rédigée le 26 juillet 1939 par le Directeur
ciers métropolitains et souvent (et peut-être même, par
des Services Economiques, permet de se rendre compte
conséquent) aux autorités de la Rue Oudinot, de Dakar
qu'en six mois, le dossier du combinat meunier de Dakar
et ses périphéries administratives.
s'est imposé à l'administration coloniale. Se référant aux
différentes correspondances et déclarations de Jacques
Pour Jacques Mimran, la marche vers la « guerre des
Mimran, l'auteur du document y exposa avec une grande
moulins» commença par l'affrontement à l'ennemi nOI
précision, le chapitre relatif au ravitaillement des Colonies
de l'homme moderne: la paperasse.
en farines panifiables.
La guerre des moulins:
L'approvisionnement en question devait s'effectuer selon
deux axes préalablement identifiés:
une guerre non déclarée
Coté Dakar, une guerre d'usure:
• d'abord, toutes les colonies étrangères d'Afrique
Occidentale par le traitement des blés marocains
La « marée blanche»
et argentins.
Jacques Mimran entreprit d'introduire et de généra-
• ensuite et enfin, toutes les colonies de l'A.O.F. et
liser la consommation des farines panifiables dans les
de l' A.E.F., par le traitement des blés marocains à pré-
ménages africains. Il voulut réaliser par ce biais, une
lever cette fois sur le contingent admissible dans la
condition indispensable au lancement et au dévelop-
métropole en franchise des droits de douanes.
pement de ses activités: constituer, à partir de besoins
alimentaires nouveaux suscités au sein des masses afri-
Il s'agit donc d'un programme en deux parties dont la
caines colonisées, un marché des farines appelé à
première, selon le directeur des Services Economiques,
s'étendre aux dimensions de l'empire français d'Afrique
apparaissait, à la fois, comme la plus importante et la
et selon la cadence imprimée à la réalisation du pro-
plus séduisante:
gramme colonial d'industrialisation. L'idée était sédui-
sante et, à condition qu'elle pût se concrétiser, de nature
« La plus importante, parce que les quantités de blés
à aboutir à un grand succès économique et social.
à traiter pour l'étranger sont le quadruple environ de celles
Il fallait, d'emblée, faire face à un écueil de taille: la
qui sont prévues pour les colonies françaises;
« marée blanche », expression dont nous peignons dans
La plus séduisante, parce qu'elle doit permettre à une
toute sa féroce détermination, la horde entravante des
usine installée en territoire français d'approvisionner
tâches paperassières.
en farines des colonies étrangères qui jusqu'ici utilisaient
Les premières démarches par le sommet
des produits canadiens et marocains» 29.
La toute première lettre faisant mention du projet de réa-
Mais pour mener à bien cette tâche qui, à en croire
lisation d'un combinat meunier à Dakar date du Il février
Jacques Mimran lui-même, devrait normalement pro-
1939. Elle fut directement adressée de Rabat, siège de
curer au port de Dakar, au bas mot, un trafic supplé-
la minoterie des zaers, à Georges Mandel, ministre des
. mentaire de 250 000 tonnes, il s'imposait au complexe
Colonies, sans aucune référence aux autorités de Dakar,
industriel naissant de lutter contre la concurrence amé-
qui étaient pourtant les premières concernées par ledit
ricaine, belge et anglaise sur le marché africain, notam-
projet. Et ce n'était même pas dans les formes admi-
"Note sur les Grands Moulins de Dakar par le directeur des Services économiques, 20/07/39, A.R.S., 2Q2(l).
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
133

Sciences sociales et humaines
nistratives conventionnelles, en vue de réaliser une unité
si solides appuis dans les milieux industriels, Jacques
inédite en territoire colonial français. On se borna à l' in-
Mimran et ses associées pouvaient faire aboutir rapi-
former que la société les Grands Moulins de Dakar,
dement leurs démarches. Il n'en fut cependant rien. Si
qui n'était alors, en réalité, qu'au stade de projet, « en
en effet, par lettre-avion-confirmation n° 1099 du 26
collaboration avec un groupe d'industriels, tous français
février 1939, le ministre des Colonies avait lui-même
vient après de nombreux mois d'études approfondies,
informé le Gouverneur Général de \\' A.O.F. du projet
de décider et arrêter définitivement la construction à
meunier du groupe Mimran en prenant le soin d'appeler
Dakar d'une minoterie d'une capacité de stockage d'en-
son attention sur l'intérêt de ce projet, en lui demandant
viron 300000 quintaux »30. Cette étude montrera qu'une
de bien vouloir « accorder à l'intéressé toutes les faci-
telle méthode ne plut guère à Dakar, qui le manifesta
lités compatibles avec les règlements en vigueur »35,
au moyen de nombreux contre-projets et études, et
les autorités de Dakar, elles, se montrèrent très peu coopé-
qu'elle finit par nécessiter une synthèse corrective de
ratives. Elles ne tardèrent pas à manifester par des réac-
la part de Jacques Mimran et de ses associés.
tions et des attitudes ouvertement entravantes, de l' amer-
tume et de la frustration.
En réalité, le départ par le sommet de la hiérarchie
Amertume et frustration
apparaît, au travers de nos sources, comme une mise
en évidence délibérée des solides relations « en haut
Dans une lettre du 24 avril 1939 adressée au Gouverneur
lieu» dont bénéficiaient les promoteurs des Grands
Général
de
l'A.O.F.,
l'Administrateur
de
la
Moulins de Dakar. Le gérant-directeur par intérim de
Circonscription de Dakar et Dépendances, à qui, par
la Minoterie des zaers, faisant état de telles relations,
lettre du 21 avril 1939, il avait été demandé si une cor-
citait Fabius de Champville, « vice-président d'un de
respondance émanant des Grands Moulins de Dakar
nos grands partis républicains, lui-même colonial de
aurait été directement adressée et s'il avait un avis à
vieille date ». Celui-ci, prit-il le soin de le souligner,
donner sur le projet, écrivit:
avait très tôt adressé une lettre de recommandation au
ministre des Colonies, en faveur du groupe naissant, qui
" ... J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en aucun
n'a pu malheureusement lui remettre, mais que le gérant
moment, je n'ai été saisi directement ni par la Direction
se faisait l'agréable devoir de joindre à cette toute pre-
de la Minoterie des zaers à Rabat, ni par la société « Les
mière correspondance en sollicitant « la faveur d'une
Grands Moulins de Dakar »dont j'ignorais l'existence
audience pour notre directeur Monsieur Jacques Mimran,
[...] De toute façon et pour une affaire qui, aux dires
actuellement de passage à Paris Grand Hôtel, place de
des promoteurs, représentera un investissementde l'ordre
l'Opéra »31 . Une autre correspondance du 5 avril 1939
de 25 000 000 de francs, il eut été pour le moins pru-
rappelait au ministre des Colonies, les entretiens que les
dent qu'une personnalité compétente vînt préalablement
fondateurs des Grands Moulins de Dakar avaient déjà
s'enquérir sur place de toutes les contingences locales
eus avec lui « en présence de Monsieur le Sénateur
notamment terrains, accès et voies de communication,
Beaumont », en compagnie du directeur des Affaires
force motrice, main d'œuvre, fiscalité, conditions de cam-
économiques de la Rue Oudinot32 . La même corres-
pagne d'arachides etc. Or, à ma connaissance, aucune
pondance faisait état de l'intérêt que portaient au nou-
enquête de ce genre n'a été effectuée ... »36.
veau
projet,
le
Président de
l'Office National
Interprofessionnel du Blé, le Sénateur Patizel 33 et le
Ainsi, trois mois après les premières démarches en direc-
directeur de cet office, qui tous les deux, ont promis leur
tion de la Rue Oudinot, les hommes de terrain comme
« plein et entier concours »34 .
'
l'Administrateur de la Circonscription de Dakar et
\\
Dépendances, pourtant directement intéressés par le
\\
1
Nous étions en droit de croire qu'avec de telles relatibns
projet, étaient toujours tenus à l'écart de toute évolution
dans la haute sphère administrative et politique et de
du dossier. Le Gouverneur Général de 1'A.0.F. lui-même
)il
Gérant de la Minoterie des zaers à ministre des colonies, Il février 1939, A.R.S .• 2Q71 (74)
'1
Id., Ibid.
"-Jacques Mimran à ministre des Colonies (copie), Paris, 05/05/39. A.R.S., 2Q2 (L).
OJ. Id.,.Ibid.
" ld., Ibid.
"Ministre des Colonies à gouvernement général, n° 1099,20/02/39, A.R.S .• 2Q71 (74).
.
.
"Gouverneur des Colonies, administrateur de la Circonscription de Dakar et Dépendances à gouverneur général, n0894/AG, 24/04/39, A.R.S., 2Q71 (74).
134
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
ne reçut la première correspondance directe et person-
l'Agriculture et les milieux financiers métropolitains.
nelle de Jacques Mimran que le 24 avril 1939. Celui-
ci mit à profit cette lettre pour « déplorer très sincère-
Dans le cadre de cette étude, nous appelons ce conflit,
ment la regrettable confusion qui a fait que nos nom-
empruntant en cela la célèbre formule de Pierre Moussa,
breuses correspondances, et notamment notre rapport
«la guerre des moulins» (MOUSSA 1957 :117 - 120).
du 10 mars dernier à Monsieur le ministre, ne vous aient
pas été transmises comme nous l'avons pensé »37 .
Pourquoi une telle appellation? quelles furent la nature
et les différentes manifestations de cette guerre?
Il en était de même du directeur général des Services éco-
Comment se termina -t-elle et quelles suites eut-elle dans
nomiques de l' A.O.F., personnalité normalement incon-
l'évolution des territoires colonisés? Voilà autant de
tournable dans l'instruction d'un dossier éminemment
questions auxquelles tentera de répondre le chapitre que
économique et de très forte sensibilité sociale comme celui
nous abordons à présent.
des
Grands Moulins de
Dakar. Par lettre-avion
n° 1106 /SE/3 du 3 avril 1939 faisant suite à sa dépêche-
Côté métropole :
avion n° 1864 du 25 mars 1939, il fit savoir au ministre
la « guerre des moulins»
des Colonies qu'il continuait d'ignorer presque tout de
Jacques Mimran, de son projet industriel et des conditions
La « guerre des moulins» telle que nous la cernons dans
dans lesquelles celui-ci devait être réalisé. Il se déclara de
ce chapitre, est l'ensemble des conflits multiformes nés
ce fait dans l'impossibilité de fournir les précisions qu'at-
autour de projets d'implantation d'industries meunières et
tendait de ses services, la Rue Oudinot 38. Il se résolut
dérivées dans les périphériques coloniales. Elle appa-
cependant, en dépit d'une frustration et d'une amertume
raissait et mettait en conflit, d'un coté la Rue Oudinot sou-
à peine voilées, de faire tenir sous pli officiel, copie d'une
vent alliée et/ou dominée par les milieux industrielles,
étude technique très documentée réalisée à sa demande
financiers et commerciaux métropolitains, et de l'autre,
par les services spécialisés de la direction général des
les initiatives privées d'origine coloniale, métropolitaine
Services économiques de l'A.O.F. La très délicate ques-
ou étrangère. Nos recherches actuelles nous ont permis de
tion des taxes douanières y fut minutieusement étudiée.
nous faire la certitude qu'en fait, la guerre des moulins
L'essentiel de la conclusion de cette étude annonça la
n'était qu'une manifestation spectaculaire d'une guerre
« guerre des moulins» :
jamais ouvertement déclarée, mais prenant au fil des
ans, le caractère d'un conflit généralisé et inscrit dans la
« Il faut signaler cependant que l'installation d'une mino-
durée. Elle mettait constamment aux prises les intérêts
terie provoquera certainement, à plus ou moins bref délai la
économiques, financiers et (donc) politiques métropoli-
création d'une fabrique de pâte alimentaire et l'exten-
tains, et les intérêts de même nature qui prenaient nais-
sion de la biscuiterie. Il y a là. à peu près sûrement,
sance dans les excroissances coloniales françaises.
matière à de futurs conflits avec l'industrie métro-
politaine39 qui débuteront par des réclamations du dépar-
Il s'agissait donc, en ce qui concerne la présente étude,
tement de l'Agriculture ,,40.
d'une guerre économique et financière à l'échelle de
toute la Communauté franco-africaine
Ainsi, la guerre d'usure faite de tracasseries adminis-
Une guerre économique et financière à l'échelle de
tratives et de tâches paperassières infligées de Paris
toute la Communauté franco-africaine.
ou de Dakar même à Jacques Mimran, glissa vers un
conflit de toute autre nature qui mit aux prises Jacques
Mimran et ses associés, la Rue Oudinot, les opérateurs
La guerre se déclenchait lorsque certaines industries dites
du secteur meunier métropolitain, le Département de
d'amont4 1 prenaient naissance au sein des colonies
J1 Directeur des Grands' Moulins de Dakar à gouverneur général de l'AO.F.,
n0719, Paris (siège provisoire), 19/04/39. AR.S., 2Q71 (74).
'" Directeur général des Services économiques de l'AO.F., gouvernement général p.i. de l' AO.P, à ministre des Colonies, n° Il 06/SE/3, Dakar, 03/04/39,
AR.S., 2Q71 (74)
"Souligné par nous (H.N.A).
.sn Note techn!que de la direction générale. des Services économiques relative à la construction d'une minoterie à Dakar demandée par le gouverneur général
et adressée ail ministre des Colonies, n0396, Dakar, 19/03/39, AR.S., 2Q7! (74) .
-n. Parce qu'elles s'efforçaient de fournir sur place les produits demandés par les populations locales. Les méneuries africaines de l'époque, notamment celle
de Dakar, doivent être rangées dans cette catégorie. Et c'est surtout là qu'on enregistrait le plus de heurts avec l'industrie métropolitaine.
Rev. CAMES -'- Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
et s'efforçaient d'y fournir les produits les plus demandés
par les populations locales. Entraient dans ce registre,
Au cœur du débat: l'industrialisation
entre autres, les industries alimentaires: meuneries, hui-
des colonies
leries, brasseries, etc. Les heurts pouvaient également
se produire à l'occasion de certains programmes de
A l'analyse, le projet des Grands Moulins de Dakar avait
modernisation d'unités industrielles déjà installées dans
à la fois, l'avantage et l'inconvénient d'avoir été initié
les territoires d'outre-mer. Ce fut le cas en 1955 lorsque,
avant ladeuxième guerre mondiale (1939), connu et tra-
pour faire pièce aux Grands Moulins de Dakar qui
versé les affres de la guerre (l'entreprise fut inaugurée
venaient d'entrer en fonction, les Grands Moulins de
seulement en Juillet 1955) et enfin, fait l'expérience des
Paris entreprirent de rénover les moulins de l' A.O.P., en
choix stratégiques déchirants des années qui précédè-
projetant même de créer à Abidjan, une minoterie d'une
rent la grande vague des indépendances africaines (l'une
capacité de trituration de 15 000 tonnes. Ce fut enfin
de ses avancées décisives se fit en 1957).
et surtout le cas lorsque parut dans le journal LE MONDE
du 10 août 1955 un placard conviant des capitaux privés
La constitution d'un espace fortement lié au drapeau
à prendre part à la création de moulins dans certaines
français avait commencé un peu après la victoire par-
villes portuaires de l'Afrique française:
tagée (avec notamment la constitution de l'Union fran-
çaise en 1948), et s'était achevé par la grande vague des
«
AFRIQUE FRANCAISE: Recherchons capitaux et
indépendances et la signature des accords de coopéra-
techniciens pour installer minoteries de blé tendre dans
tion et de défense.
ports suivants :Conakry : 6 000 tonnes par an - Abidjan:
23 000 tonnes par an - Cotonou: 3 000 tonnes par an
Au cours de cette période cruciale, l'empire coloniale
- Douala: 15 000 tonnes par an - Pointe-Noire: 6 000
français apparaissait clairement comme le point d'appui
tonnes par an. Les avantages accordés par les Pouvoirs
essentiel de la puissance économique de la métropole
publics aux minoteries locales: marge de mouture qua-
alors en pleine reconstruction. Toute la stratégie consis-
druplée, monopole des blés de haute valeur boulan-
tait pour la classe politique de cette France là à initier
gère, usage exclusif de l'admission temporaire, permet-
un programme de « mise en valeur» revu et corrigé,
tent des revenus substantiels après amortissement accé-
de sorte qu'il n'aboutît pas à la remise en question de
léré des investissements. Ecrire n° 6840, LE MONDE
la sécurité même de l'Etat.
PUBLICITE ,,42.
La gravité du problème fut restituée dans un ouvrage
Jacques Mimran et ses associés se virent ainsi confrontés
fameux (MOUSSA 1957: 273p), écrit par une éminente
à une féroce concurrence suscitée en Afrique noire même.
personnalité: Pierré Moussa, directeur des Affaires éco-
La « guerre des moulins» prit alors rapidement le carac-
nomiques au ministère de la France d'Outre-mer, dont
tère d'une lutte entre tendances politiques favorables
nous citons ce passage:
ou non, à l'industrialisation des colonies françaises dans
leur ensemble. Elle préfigurait le débat passionné qui
« On peut estimer que 500 000 Français environ résidant
opposa quelques mois plus tard, les indépendantistes et
en métropole (dont 300000 au titre de l'industrie) tirent
les anti-indépendantistes au sein de la classe politique
directement ou à peu près directement leurs revenus
française. Et Jacques Mimran, une fois encore, sut en tirer
du commerce entre la métropole et les pays d'outre-mer:
le meilleur parti en jouant habilement sur de multiples
1 ménage sur 28, en métropole, vit donc grâce à l'exis-
alliances d'intérêts. Cette stratégie, dont la maîtrise lui
tence d'un ensemble français (on estime qu'il y a 14
venait de sa parfaite connaissance de \\' échiquier politique
millions de ménages environ). L'importance du débouché
français, constituait la base d'une victoire inattendue.
mutuel est donc considérable. Chacun des partenaires,
métropole d'une part, pays d'outre-mer d'autre part,
L'essentiel des analyses du fait colonial, situait désor-
doit une partie importantede son activité aux commandes
mais au cœur des thèses l'industrialisation des colonies.
de l'autre partenaire" (MOUSSA 1957 : 62).
-c Paru dans LE MONDE du 10/08/55, cité par Moussa 1975: P.120.
136
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Sciences sociales et humaines
Il s'agit donc, manifestement, d'une guerre économique
stratégie, les Grands Moulins de Dakar obtinrent une
à l'échelle de toute la Communauté franco-africaine,
déprime de 1 000 francs par quintal de blé moulu contre
et même, à l'échelle de l'ensemble de l'empire colo-
500 francs au bénéfice de la meunerie métropolitaine,
nial français dont le meilleur révélateur, « le révéla-
dans la seule mesure correspondant à la quantité de
teur indochinois », a été admirablement décrit par Jacques
blé moulu destinée à l'exportation. Les Grands Moulins
Marseille (MARSEILLE 1984 : 462 p) .
de Dakar renouvelèrent cette sorte de chantage en 1957
et obtinrent du Grand Conseil de l' A.O.F., le relèvement
En A.O.F., nous disons qu'il y eut un vainqueur: Jacques
de la subvention à 1 300 francs par quintal de blé moulu,
Mimran. Ce fut une victoire que personne, en dehors de
et l'élévation du taux de blutage à 75 % au lieu de
lui-même et de son entourage n'attendait. Une victoire
65 % des quantités traitées (SURET - CANALE 1977 :
« par effraction» pour ainsi dire, en ce qu'elle res-
291 - 292).
semblait à celle que, selon les Saintes Ecritures, David
remporta sur Goliath 43 .
Ce furent l'arme fatale et l'assaut final. David, donc,
venait de l'emporter sur Goliath. Le regard de Jacques
Et David l'emporta sur Goliath ...
Mimran commençait d'ores et déjà à s'orienter vers
Les Grands Moulins de Dakar furent inaugurés en juillet
la Côte d'ivoire dont la capitale, Abidjan, enregistra dès
1955. Il fallait à ses promoteurs, suffisamment de savoir-
1960 le premier coup de pioche du chantier dont naîtra,
faire et une forte dose d'audace pour imaginer la nature,
trois années plus tard à l'initiative d'Emile Mimran (frère
l'ampleur et la portée symbolique de leur œuvre.
et associé de Jacques), les Grands Moulins d'Abidjan.
La consommation de farines panifiables de l'Afrique
Ce sera sous peu, la matière d'un chapitre entier de notre
Noire représentait à cette époque, à peine 2 % de la capa-
très prochaine étude.
cité de production de la meunerie métropolitaine. Mais
cette consommation présentait l'avantage d'être en pro-
Conclusion
gression constante tandis que celle de la métropole était
en recul par rapport à la capacité de production de sa
L'issue victorieuse enregistrée par Jacques Mimran et ses
meunerie. En effet, pour une capacité globale de tritu-
partenaires (toutes origines et toutes qualités confondues),
ration de 140 millions de quintaux, elle n'en triturait
apparaît à première vue comme un résultat inattendu. Les
effectivement que 70 millions dont les 2/3 étaient
atermoiements et les sarcasmes de la Rue Oudinot, les
consommés sur place et le tiers restant exporté prin-
incohérences et les hésitations de Dakar, n'étaient pas
cipalement dans l'empire colonial. Cette situation de
de prime abord, expression de quelque appréhension face
suréquipement rendait l'industrie meunière métropoli-
aux ambitions, jugées certes démesurées, d'un nouveau
taine plus vulnérable en cas de rétrécissement, même
venu dans un secteur industriel de très grande sensibi-
modeste, de ses débouchés.
lité politique et sociale. Ils en disaient long sur le doute
qui habitait les esprits quant à la capacité du promoteur
Les ingrédients étaient donc réunis pour que le conflit
à résister aux écueils, et au degré de foi qu'il s'effor-
éclatât dès l'entrée en fonction, en juillet 1955, des Grands
çait à atteindre, et qui l'inclinait à croire que le fruit de
Moulins de Dakar. La meunerie française et ses inter-
l'effort correspondrait à la promesse des fleurs.
médiaires, certains milieux politiques et la Chambre
de Commerce de Marseille, s'opposèrent immédiate-
En réalité, et par rapport aux qualités que nous avons
ment à cette nouvelle entreprise concurrente.
constamment ~u souci de mettre en relief tout le long de
cette étude, Jacques Mimran était parfaitement armé pour
Les Grands Moulins de Dakar menacèrent de fermer
incarner la stature de David, ce « bout d'homme» intel-
boutique et Jacques Mimran dut recourir à l'assistance
ligent, rempli de foi, maître du terrain et fin stratège
de certains avocats de gauche membres du Parlement
et pour l'emporter contre toute attente sur Goliath, le
français pour dénoncer et faire cesser des pratiques rele-
« géant philistin» qui pécha par ignorance du même ter-
vant du tristement célèbre pacte colonial. Par cette
rain, de la force de l'expérience et de la foi .
.
\\
.
"« David vainqueur de Goliath ". La Sainte Bible, Genève, Nouvelle édition. Version Louis Segond, 1979, Ancien Testament, lSamuel J7 versets 1 à 58.
\\
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
137

Sciences sociales et humaines
Jacques Mimran n'était donc pas ce « novice en
affaires », cet « illuminé» décrit dans les rapports offi-
Abréviations et termes
ciels. Il était au reste le directeur d'une minoterie très
spéci'fiques
prospère et très ancienne au Maroc. Il disposait d'un
vaste réseau de relations politiques, sociales et dans
A.R.S. : Archives de la République du Sénégal (Avenue
les milieux des affaires. Sa foi en l'issue victorieuse
Rourne, Immeuble administratif, Dakar ).
et la victoire finale par la mise en branle méthodique
de tant d'atouts contre les écueils décrits dans cette étude,
A.O.F. : Afrique Occidentale Française.
nous inclinent à affirmer ici et maintenant qu'au fond,
le triomphe n'était inattendu que dans les rangs des autres.
A.E.F. : Afrique Equatoriale Française.
Lui, certainement, l'attendait et en attendait de légitimes
dividendes dont notamment, la maîtrise du marché des
Rue Oudinot (27 ...) : Siège du Ministère des Colonies,
farines en Afrique française et l'extension de la sphère
puis du Ministère de la France d'Outre-Mer. Le célèbre
de sa notoriété et son influence à tous égards.
Département ministériel d'alors finit par prendre tout
simplement le nom de son adresse géographique.
Les Grands Moulins de Dakar devinrent rapidement
Exemple: Matignon, Palais Bourbons, La Maison
le symbole achevé de l'industrialisation des territoires
Blanche.
français d'outre-mer. Ils posèrent en termes concrets
la problématique on ne peut plus délicate de l' orienta-
Références bibliographiques
tion de la doctrine coloniale, dont les thuriféraires durent
AMIN, S., 1971 : L'Afrique de l'Ouest bloquée. Paris, Minuit,
dorénavant tenir grand compte dans leurs analyses. Ils
322P.
permirent d'ouvrir d'autres pistes dont les Grands
Marseille, J., 1984: Empire colonial et capitalisme français. Paris,
Moulins d'Abidjan et J'extraordinaire développement
Albin Michel, 462P.
de la Panification Industrielle Christian marquèrent
MOUSSA, P., 1957 : Les chances économiques de la communau-
des points de culminence et sur lesquels nous nous
té franco-africaine. Paris, Colin, 273P. \\
proposons de revenir dans une très prochaine étude.D
SURETE - CANALE, J., 1977 : Afrique Noire: de la colonisa-
tion aux indépendances. Paris, Editions Sociales, 43ÜP.
Ü
'(1)
Jacques Mimran et la « guerre des
Basing this research on original sources, the autor
5
ca
moulins»: chronique d'une
has tried to demonstrate that for having made
a-
-
and started, between 1939 and 1955, Dakar's
,~ «rebellion» économique
~ Great Mills, Jacques Mimran and his partners (with
oc
<C his own brother Emile Mimran) have found them-
Fondant cette étude sur des sources historiques
selves in a véritable position
of economical
de toute première main, nous avons en souci d'y
cc rebellion » against the french colonialist state, the
démontrer que par la construction et la mise en
opérators and negociators of corn and financial,
fonctionnement effectif, entre 1939 et 1955, des
industiriel, underground and/or ally circles.
Grands Moulins de Dakar, Jacques Mimran et
ses associés (dont Emile, son propre frère) entrè-
The strength links were at first sigth unfavourable
rent en cc rébellion» économique contre les exploi-
to these « rebellions» of a new kind.
tants et négociants de blé, les milieux financiers et
But like David facing Goliath in the Holy Scriptures,
industriels et les pouvoirs publics français.
they were the ones who took it away on formidable
L'issue de cette guerre non déclarée, la « guerre
opponents and opned for this reason, wide pers-
des moulins », n'était pas de prime abord favorable
pectives about the industirilization of the French
à ces « rebelles » d'un genre nouveau. Et pourtant,
Africa colonies.
comme David face à Goliath dans les Saintes
Key words : Miller industry - Flour Mill - Dakar's Great Mills
Ecritures, ce furent bien eux qui l'emportèrent sur
- Bakary - Jacques Mimran - Industrialization of Colonies
.de redoutables adversaires et ouvrirent de ce fait,
" Mills war v ,
Underground - Rue Oudinot - Colonies
de larges perspectives sur l'industrialisation des
Departement -.
colonies françaises d'Afrique.
Mots-clés :Industrie meunière - Minoterie - Grands Moulins
de Dakar - Boulangerie - Jacques Mimran - Industrialisation
des colonies - " Guerre des moulins" - Métropole - Rue
Oudinot- Ministère des Colonies.
138
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
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