Sciences sociales et humaines
Le doublet urbain Cotonou - Porto-Novo:
les raisons de deux capitales à deux vitesses
Sébastien Dossa Sotindja
Université Nationale du Bénin - Cotonou (Bénin)
III r
II!IIlIIIIPaII I!II!I I!I
lI!IIlIIII
RWII!IIlIIIIPaIIPaII I!IlI!IIlIIII
I!Im mm
Introduction
Au Bénin, le taux d'urbanisation bondit de 10 % en
1960 à 36 % en 1992. Deux villes, abritent l' essen-
Longtemps, l'urbanisation a été considérée comme
tiel de la population citadine: Cotonou et Porto-Novo.
un fait de civilisation propre aux pays du Nord ayant
En 1961,68 % des citadins habitaient les deux villes;
connu ou bénéficié des acquis des révolutions indus-
en 1979 et 1992, elles renfermaient encore respec-
trielles européennes du XIXe siècle. En Afrique et en
tivement 51 % et 40,5 % de la population urbaine
Asie, il n'y avait -
pensait-on -
que de la brousse,
de tout le pays. Mais plus que Porto-Novo, c'est
des villages, des hameaux et des ruraux. Cette opi-
Cotonou qui accueille la plus grande partie des can-
nion relève d'une méconnaissance de ces continents
didats à l'exode rural depuis la fin des années 1950.
dont plusieurs pays possèdent une tradition urbaine pré-
Par un processus cumulatif d'acquisition de nouvelles
coloniale. Mais ce cliché d'un Tiers Monde uniquement
fonctions soutenu par une polarisation des investis-
villageois et agricole est aujourd'hui remis en cause.
sements publics urbains, Cotonou se hissa à la tête
En effet, depuis la fin de la dernière guerre mondiale,
de l'armature urbaine et finit par devenir la métropole
les villes se mirent à croître à une grande vitesse sous
du Bénin en s'appropriant les fonctions urbaines de
l'empire des mutations politiques et socio-économiques
commandement économique, politique et administratif
intervenues dans les pays du Sud.
Entre 1950 et 1980, le nombre de citadins dans les pays
A la différence de beaucoup de nations où les rapports
du Tiers Monde a été multiplié par 3,5 (Lacoste, 1983,
entre la capitale administrative et la capitale écono-
p. 3). Le fait urbain est devenu un phénomène mondial.
mique s'expriment en termes de suprématie démo-
Selon le Programme des Nations Unies pour le
graphique et économique de l'une ou de l'autre ville,
Développement (PNUD), les villes du monde passeront
Cotonou s'arroge en plus de ces caractères la fonction
de 2,4 milliards d'habitants en 1990 à 5,5 milliards d'ici
de commandement administratif et politique tradi-
à l'an 2025. (Le Courrier de l'UNESCO, 1999, p.13).
tionnellement dévolue au chef-lieu d'un pays. Il s'agit
En l'an 2000, dix-sept des vingt plus grandes agglo-
là d'un processus plus complexe que la macrocéphalie
mérations se trouveront dans le Sud, précise Yves
souvent analysée par les géographes.
Lacoste (1984, p. 37).
Le présent article se propose d'étudier/es raisons qui
En Afrique, il n'y avait que deux villes d'un million
fondent la croissance urbaine différenciée des deux villes
d'habitants en 1960: Le Caire et Alexandrie; en 1995,
et celles qui expliquent le processus de dépouillement
ce continent compte plus d'une dizaine de villes plu-
de Porto-Novo de ses attributs de capitale en faveur
rimillionnaires.
de Cotonou.
Origines et état des lieux en 1945
Porto-Novo, une cité-palais devenue
capitale
Porto-NovoetCotonouappartiennentàdeuxgéné-
rations différentes de ville. La première est une
Laville de Porto-Novo s'est développée à partir du palais
ville précoloniale datant du XVIIe siècle, la
royal construit par le fondateur du royaume de Xogbonou,
seconde, Cotonou, une ville coloniale du XIXe siècle.
le prince Tè-Agbanlin venu d'Aliada. Les premiers quar-
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
tiers de la future ville furent créés par des immigrants
se trouvait la population indigène. Ville Ouest-africaine
yoruba provenant de l'Est et par les compagnons de Tè-
de la côte du golfe du Bénin, Cotonou, située sur le cordon
Agbanlin, groupes Adja venus de l'Ouest. Comme
littoral, est limitée au Nord par le Lac Nokoué, au Sud par
Abomey ou Nikki, Porto-Novo était au départ une cité-
l'Océan Atlantique et traversée par la lagune de Kouto
palais abritant la cour royale. Aux premiers habitants
servant de trait d'union entre le lac et la mer. Son site, une

, .
1,"
s'ajoutèrent les Afro-brésiliens revenus en Afrique au
plaine côtière sablonneuse et plate (donc difficile à drainer)
XIX e siècle à la fin de la traite négrière. Avec la colo-
est parsemé debas~fonds et de marécages surtout au Nord
nisation française de la fin du XIXe siècle, Porto-Novo
et au Nord-Ouest. Malgré c.e site a priori défavorable à
érigée en capitale de la colonie du Dahomey présen-
l'urbanisation, Cotonou connaît la plus forte concentra-
tait deux parties distinctes: la ville africaine à l'Est, fruit
tion humaine du pays 'posant du coup de graves problèmes
de l'intégration des nombreuses localités villageoises
d'aménagement et d'assainissement nécessitant un urba-
créées par les premiers immigrants, et la ville européenne
nisme onéreux.
étalée au sud-ouest et faite de bâtiments administra-
tifs, de voirie urbaine et de maisons résidentielles bien
Autres caractéristiques des deux villes
rangées contrairement aux cases en terre de barre du
en 1945
noyau originel.
Porto-Novo est située sur un bon site de plateau de terre
Avec ses 29 000 habitants en 1945, Porto-Novo, port
de barre s'élevant graduellement au fur et à mesure qu'on
lagunaire, était la première ville et la capitale de la colonie
s'éloigne de la lagune. Du plateau central situé à 20
française du Dahomey. Elle abritait le siège du gou-
mètres d'altitude à la lagune, une pente forte de 6 à 8
vernorat, les bâtiments et services administratifs. La ville
% favorise le drainage des eaux fluviales vers le plan
est dotée d'une trame radiocentrique, c'est-à-dire tracée
d'eau de la lagune et les dépressions marécageuses envi-
selon un plan dont les artères, circulaires et concentriques
ronnantes.
sont reliées entre elles par des voies rayonnant à partir
En résumé, Porto-Novo, cité-palais devenue capitale
du centre. Les activités commerciales étaient très déve-
coloniale fut créée par des populations natives installées
loppées avec la colonie anglaise du Nigeria d'une part
sur un site sain et salubre donc favorable à l'urbanisa-
et d'autre part avec Cotonou, chef-lieu commercial où
tion.
les produits de traite étaient acheminés de Porto-Novo
jusqu'au wharf sans rupture de charge grâce à la route
Cotonou, ville portuaire et capitale
et au rail reliant les deux villes seulement à partir de
économique
·1930. En dehors de la route, Porto-Novo était soudée
à son arrière pays par la ligne ferrée Porto-Novo-Sakété-
Cotonou, déformation du toponyme OKOUTONOU
Pobè mise en place de 1906 à 1913. Les maisons de
(au bord de la lagune de OKOU) est une ville coloniale
négoce (Régis, Fabre, VaJ1a et Richard, CFAO, John
du XIXe siècle greffée sur un petit hameau créé et
Holt, John Walkden ...) attirées par le wharf de Cotonou
administré
depuis
Ghézo
(1818-1858)
par
des
n'avaient plus que des succursales installées dans le quar-
représentants du roi d'Abomey, résidant dans cette loca-
tier commercial à Porto-Novo.
lité des Toffinou vaincus et dispersés. Le processus
d'urbanisation a débuté là avec la construction
En revanche, Cotonou s'est développée selon un plan
(189] -1899) et la mise en service dès 1893 du wharf
en damier et était en 1945 la seconde ville après Porto-
de Cotonou qui nécessitèrent une importante main-d' œuvre
Novo avec une population forte de 18000 habitants.
venue des villes précoloniales du littoral (Porto-Novo,
Porte océane et aéroportuaire, Cotonou était déjà la
Ouidah, Grand-Popo, Agoué) et de l'intérieur (Allada,
capitale commerciale de la colonie avec le siège de
Abomey).
toutes les maisons de commerce présentes dans la
Ville neuve, Cotonou était une ville ségréguée où l' oc-
colonie et des quatre premières banques du Dahomey:
cupation de l'espace s'effectua sur la base d'une discri-
Banque d'Afrique occidentale (BAO), Banque natio-
mination raciale. La « ville européenne» exclusivement
nale pour le commerce et l'industrie (BNCI), Crédit
réservée aux colons et aux Blancs était séparée de la partie
Iyonais (1942) et Banque commerciale africaine (1950).
africaine (habitée par les autochtones) par une branche de
En plus de cette concentration de l'outillage écono-
la voie ferrée traversant la ville presque parallèlement
mique, Cotonou est le noeud des voies de communi-
à la mer. De la plage jusqu'à cette ligne de démarcation
cation qui la reliaient au reste de la colonie et à la sous-
pouvait s'installer la colonie blanche; au-delà du rail
région ouest-africaine.
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Sciences sociales et humaines
En 1945, de par sa position géographique et sa fonc-
niste français du nom de Calsat séjourna de février à sep-
tion de drainage et d'évacuation des produits de traite,
tembre 1948 au Dahomey pour enquêter dans les deux
Cotonou était promise à une rapide croissance.
villes et établir l'avant-projet de leur plan d'urbanisme.
Les avant-projets adoptés à Paris par le Comité d'ur-
Porto-Nove et Cotonou :
banisme au cours de sa séance du 26 juin 1950 furent
rendus exécutoires par l'arrêté local du 17 mai 1951.
deux capitales à deux vitesses
Cotonou où se trouvaient concentrées d'importantes infra-
structures de transport (routes, ponts, wharf, aéroport)
De nouvelles relations
et une forte colonie française (en 1945, Cotonou abri-
entre métropoles et colonies
tait 848 Européens et assimilés contre 427 à Porto-Novo)
connut plus de modifications et par conséquent bénéficia
La deuxième guerre mondiale marqua la fin d'un monde
de plus de crédits que Porto-Novo, où le plan d'aména-
et le début d'une ère nouvelle dans les rapports entre
gement urbain se heurtait dans sa phase d'application à
la France et son empire colonial. Au plan financier, la
d'énormes difficultés liées à des traditions ancestrales. En
loi de finances du 13 avril 1900 sur l'autonomie finan-
effet les populations porto-noviennes, attachées au res-
cière des colonies fit place à son opposée du 30 avril
pect des us et coutumes opposèrent une résistance farouche
1946 prévoyant l'intervention financière directe de la
au tracé des voies et à la modernisation de la ville pour
métropole dans l'équipement des colonies. L'Afrique
éviter les casses et la profanation des sépultures des ancêtres
noire française, jusqu'alors parent pauvre en investis-
inhumés dans les maisons.
sements publics métropolitains, bénéficia pleinement de
A Cotonou, par contre, les crédits publics urbains per-
la nouvel1e politique économique française.
mirent le zonage de la ville, la rénovation du wharf, la
La priorité fut accordée aux grandes villes de l'em-
modernisation de l'aéroport de Cadjèhoun et l'installa-
pire colonial (capitale politique et/ou économique) dans
tion des réseaux techniques d'eau, d'énergie électrique et
la répartition des crédits libérés par le Fonds d'inves-
de téléphonie àCotonou et entre cette dernière et les autres
tissement et de développement économique et social
villes du littoral (Porto-Novo et Ouidah) et de l'inté-
(FIDES) pour financer l'équipement et la modernisation
rieur (Malanville).
des colonies. Cotonou et Porto-Novo figuraient sur la
Toutefois, à Porto-Novo, des investissements sociaux por-
liste des vingt vil1es choisies en Afrique Occidentale
tèrent sur la construction de l'imposant col1ège Victor
Française (AOF) (Marchés coloniaux du monde, n° 328,
Ballot entre 1947 et 1956 pour un montant total de 196,4
1952, p. 432) par l'arrêté du 8 août 1946 pour être dotées
mil1ions de F CFA. A Cotonou, l'agrandissement du
d'un plan directeur d'urbanisme. Les deux villes daho-
col1ège technique (1947-1952) coûta 81,4 millions de
méennes comme d'autres villes de l'ensemble de l'em-
F CFA et les deux collèges confessionnels, Aupiais et
pire français bénéficièrent d'importants investissements
Notre-Dame des Apôtres, reçurent chacun une subven-
métropolitains canalisés par trois plans quadriennaux de
tion de 45 mi1lions de ~ CFA du FIDES contre seulement
développement: 1948-1952 ; 1953-1957 ; 1957-1961.
4,7 millions de F CFA au Col1ège Protestant. En terme
1
quantitatif, la répartition inégaledes fonds publics urbains
Une répartition inégale des capitaux
réserva 16 à 20 % au moins des crédits à Cotonou et à peu
près 6 % à Porto-Novo 1 au terme du premier plan FIDES.
Cotonou bénéficia plus que Porto-Novo des investis-
sements publics urbains pour des raisons liées à sa place
Si en 1948, le plan d'urbanisme élaboré par Calsat inté-
dans l'économie du territoire (capitale économique),
ressait les deux vil1es, celui de 1961 établi par le Français
à sa nature (une vil1e neuve) et à sa situation géogra-
Arsac, ingénieur principal des travaux publics, ne concer-
phique (vil1e côtière et noeud des voies de communi-
nait que Cotonou et s'inscrivait dans le dernier plan
cations d'un pays de transit).
quadriennal lancé après 1956 (loi Gaston Defferre) par
.le FIDES pour construire les capitales des futures nations
Dans le cadre de l'exécution du premier plan quadriennal
indépendantes en 1960. L'exécution de ce plan de déve-
de développement (1948-1952), un ingénieur urba-
loppement accéléra le processus de concentration de la
1 Nos calculs à partir des données chiffrées recueillies du compte administratif d'emploi des programmes anciens -
section locale -
exécutés du l er juillet
J 947 au 30 juin J 955.
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Sciences sociales et humaiiîifg
fonction administrative par Cotonou au détriment de Porto-
Le rythme moyen de croissance de la ville de Cotonou
Novo avec 'les réalisations urbanistiques comme la
passa de 4 % par an entre 1945-1955 à plus de 8 % entre
construction de l'imposant hôpital des 350 lits, du somp-
1976 et 1985 avant de descendre à 4 % au cours des années
tueux palais présidentiel, du prestigieux palais del'UAM
90 suite aux mesures antisociales liées aux Programmes
(Union africaine et malgache) dont « la rotonde évoque
d'ajustements structurels. Le taux de croissance de Porto-
la calebasse africaine », la création du nouveau quar-
Novo, plus faible, était de 4,2 % entre 1961 et 1979 avant
tierde la Patte d'Oie pour y domicilier les grands services
de s'affaisser à 2,2 % entre 1979 et 1992 à cause de la fai-
administratifs nationaux. L'indépendance ou plutôt la
blesse du flux financier dirigé vers la vil1e dans le cadre
période post-coloniale n'a pas inversé cette polarisa-
des investissements publics urbains.
tion des investissements publics urbains à Cotonou au
De plus, au cours de la longue période de 1946-1992,
détriment de Porto-Novo, la capitale comme en.térnoi-
Cotonou renforça et diversifia ses fonctions urbaines
gnent d'autres réal isations urbanistiques et économiques
au point où el1e est aujourd'hui la capitale de fait du
de la période 1965-1982. Ces réalisations renforcèrent
Bénin avec les fonctions de commandement économique,
le pouvoir d'attraction et les fonctions de la ville de
administratif et politique. Porto-Novo, capitale juridique,
Cotonou: construction d'un port en eau profonde en 1965,
a perdu tous ses attributs de métropole au profit de
du grand marché international de Dantokpa à partir de
Cotonou. Ainsi à la différence de New-York vis-à-vis
1968, du stade omnisport de Kouhounou et des hôtels
de Washington, de Rotterdam à l'endroit d'Amsterdam,
PLM et Shératon dans les années 70 et 80.
de Douala à l'égard de Yaoundé ou de Bobo-Dioulasso
envers Ouagadougou, Cotonou cumule de fait les deux
Conséquences de la polarisation
fonctions de capitale économique et de capitale politique
des investissements
du Bénin au détriment de Porto-Novo déclassée.
Comment s'effectua ce processus de « démétropolisa-
Les grands chantiers ouverts à Cotonou dans les années
tion » de Porto-Novo et pourquoi?
1950 et depuis l'indépendance de 1960 par les inves-
tissements publics urbains créèrent. des emplois qui
Dépouillement de Porto-Novo
attirèrent de la main-d'oeuvre provenant surtout des
campagnes- et vil1es de la partie méridionale du pays.
de ses attributs de capitale
La population de Cotonou dépassa cel1e de Porto-Novo
dès 1956 ; depuis lors, l'écart démographique ne cesse
Deux faits caractérisent, dans la longue durée, l'évo-
de s'agrandir entre les deux vil1es comme l'indique le
lution des deux vil1es : la menace du transfert de la capi-
tableau ci-dessous:
tale et l'exode des services de Porto-Novo à Cotonou.
Tableau 1 : Population des deux villes à différentes dates
La menace du transfert de la capitale
ANNEE
COTONOU
PORTO-NOVO
de Porto-Nova (1912-1990)
1910
1 954
19039
A maintes reprises, à l'époque coloniale, il a été ques-
1937
6811
27 016
tion de transférer la capitale de Porto-Novo à Cotonou
1945
18 000
29 000
pour diverses raisons. Le gouverneur Merwalt (1911-
1912) fut le premier à se pencher sur la question du trans-
1956
56529
31009
fert de la capitale de Porto-Novo à Cotonou. Il mit, à cet
1961
78300
64 000
effet, sur pied une commission chargée de trancher le
1979
320 346
133 168
débat sur le choix de la capitale entre les deux villes pour
mettre fin aux hésitations. A l'issue de ses travaux, ladite
1992
536827
179 138
commission confirma Porto-Novo dans sa fonction de
Sources: 1910,1937,1945: R. Dan-Koukpaki,1986.
capitale car, dit-el1e, cette dernière vil1e présente sur
1956,1961,1979,1992: Publications de l'INSAE.
Cotonou l'avantage d'avoir un site stable et salubre et
il y est plus facile de s'alimenter en eau potable. En effet,
'D'autres capitales de l'Afrique noire connurent également une forte croissance urbaine du fait de l'exode rural:" De 1945 à 1957, la population de Dakar
est passée de 130000 à 230 000 habitants, celle d'Abidjan de 46 000 à 130000, celle de Bamako de 37 000 à 70 000 ; celle de Léopoldville, qui ne dépas-
sait pas 27 000 en 1935, s'établissait fi près de 400 000 en 1957" ITüM, W 100. 1962, p. 132.
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93

Sciences sociales et humaines
Cotonou n'avait jusqu'en 1945 aucun dispositif de dis-
ralentit l'action administrati ve ..Des tentatives succes-
tribution d'eau potable qu'on ne trouve qu'à Godomey,
sives de fixer le chef-lieu à Cotonou se. sont heurtées
localité la plus proche, située à une quinzaine-de kilo-
à des difficultés financières ou Ipolitiques. Le dernier état
mètres. A l'époque, le budget local ou fédéral n'étant
de la question se résume dans un voeu du Conseil général
pas capable de financer la distribution de cette eau potable
en date du 22 avril 1950 demandant.de maintenir le chef-
de Godomey, l'eau de puits, polluée pendant la saison
lieu à Porto-Novo. l'estime cependant hautement sou-
des pluies, servait de boisson à toute la population coto-
haitable le transfert .à· Cotonou et comme indiqué plus
noise, Pour cette raison, Cotonou était disqualifiée pour
haut, j'en étudie les modalités d'exécution sur les/lans
être le chef-lieu administratif de la colonie.
politique, administratif, économique et financier
».'.-
Malgré tout, on remit à l'ordre du jour la question du
transfert de la capitale au cours des années de prospé-
Comme le témoigne le rapport du gouverneur, c'était les
rité de la colonie, c'est-à-dire les années 1920 où les
élus du peuple -
les députés dirait-on aujourd'hui -
besoins de l'économie française en reconstruction (après
à l'assemblée représentative appelée le Conseil général
la grande guerre) en produits de palme (principale
devenu assemblée territoriale en 1952, qui prirent la
richesse de la colonie) rendirent favorables les termes
défense de Porto-Novo pour le maintien de la capitale
de l'échange à la colonie du Dahomey. Cette fois-ci,
dans cette ville considérée à l'époque coloniale comme
on alla jusqu'à évaluer le coût du transfert qui
une ville « autochtone» à l'opposé de Cotonou traitée
s'élevait à l'époque à 13 millions de francs courants
de « ville européenne» par l'opinion dahoméenne. Au
(Dan-Koukpaki, 1986, p. 445).
N'eussent été les
cours de ces années 1950 où les élections à répétition
difficultés financières dues à la crise économique de
aux différents conseils (Conseil général à Porto-Nova,
1929-1934 et à la deuxième guerre mondiale, la capitale
Grand Conseil à Dakar, Haut Conseil à Paris ...) entre-
serait transférée à Cotonou où venait séjourner une
tenaient une tension entre les gouverneurs et l'élite daho-
fois par semaine le gouverneur de la colonie pour être
méenne, le maintien de la capitale à Porto-Novo devint
mieux informé des nouvelles du reste du pays.
une revendication identitaire pour le « nationalisme»
frémissant. Prudente, l'administration coloniale évi-
Que reprochait-on à Porto-Novo pour vouloir lui enlever
tait toute crise ouverte avec les évolués du Dahomey.
le chef-lieu administratif de la colonie? Dans les années
Mais les investissements des plans quadriennaux de déve-
1920, Porto-Novo n'était reliée à Cotonou, chef-lieu
loppement (le troisième plan -
FIDES de 1957 -
1961
économique que par la voie d'eau lagunaire sillonnée
et le premier plan du Dahomey indépendant de
par des barques assurant le drainage des produits de
1962-1966) allaient faire de Cotonou la capitale de
palme de Porto-Novo à Cotonou, lieu d'embarquement.
fait du Dahomey.
te trafic nécessitait des ruptures de charge et était
malaisé et risqué. La liaison entre les deux villes par
En effet, en domiciliant à Cotonou toutes les réalisations
la route etle rail n'intervenant qu'à partir de 1930 voire
urbanistiques de ces deux plans, la France jusque-là seul
1938 (achèvement du pont de Porto-Novo), Porto-Novo
bailleur de fonds, n' a-t-elle pas voulu trancher en faveur
des années 20 était donc une ville excentrée et vivait
de Cotonou le vieux débat sur le transfert de la capi-
dans un enclavement qui isolait le gouverneur de la
tale de Porto-novo? Sinon, comment comprendre que
colonie.
le plus grand hôpital du territoire, l' hôpital des 350
Dans les années 1950, après que Cotonou fut équipée
lits, entièrement financé (640 millions de F CFA) par
d'un dispositif d'adduction et de distribution d'eau-',
le FIDES/FAC, soit implanté à Cotonou alors que la
l'administration coloniale rouvrit le dossier du transfert
vétusté de celui de Porto-Novo, décrite dans les rapports
de la capitale de Porto-Novo à Cotonou. Voici en quels
de plusieurs gouverneurs, désignait la capitale comme
termes, le gouverneur Charles Henri Bonfils (1951-1955)
lieu favori d'accueil d'un tel équipement? Comment
demandait le transfert dans son rapport politique de 1951
comprendre la construction, au lendemain de l' indé-
adressé au haut commissaire de l' AOF à Dakar, Cornut-
pendance, du palais présidentiel pour plus de 600 mil-
Gentille: « La répartition des services entre le chef-lieu
lions CFA de credits FAC à Cotonou, du nouveau quar-
administratif et le chef-lieu commercial, complique et
tier administratif de la Patte d'Oie qui a fini d'abriter
'. Au Dahomey ... seule Cotonou reçut l'adduction et la distribution d'eau. A Porto-Novo et à Ouidah. en raison des contraintes budgétaires. on se limita au
premier comme au second plan (1953-1957) à un forage dans chacune des deux villes. A l'indépendance du Dahomey (1960), le réseau de distribution d'cau
courante, absent à Porto-Novo, couvrait le tiers de la superficie de la ville de Cotonou.
" Extrait du rapport politique annuel de 1951 signé par le gouverneur du Dahomey, Charles Henri Bon fils, 200 Mi 1934. Sous-série 2G 51-37. bobine 803
CARAN, Paris. France.
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
aujourd'hui tous les grands services de Fadministration
fessionnelle Reste en 1930 (actuel Lycée Coulibaly),
centrale, dans la même ville? .
le Bureau économique en ] 948, la Sûreté, la Justice
Enfin, à la faveur de la rivalité entre-les trois leaders des
et les Contributions directes en 195] .(Tossa, 1983;
trois grandes formations-politiques du pays dans les
p. 6]) ." .
,....
années 50 et 60: Marcellin.Sourou-Migan Apithy,Justin
Tomètin Ahomadégbé et HubertKoutoukou Maga, celui-
. L'indépendance du Dahomey (actuel Bénin) ne mit
ci, devenu le premier. président du Dahomey indépen-
pas fin à ce processus d' «: Output-input» entre les
dant,choisit en 1960 dunsraller-e- pour raison.de sécu-
deux cités ..Le départ du siège du gouvernement de Porto-
rité personnelle ~ le siège de son gouvernement à
Novo à Cotonou en .1960 -
pour des raisons de séçu-
Cotonou. Ce choix fut entériné par la France à.voir l'am-
rité du président Hubert Maga -
avait entraîné le repli
pleur des crédits octroyés pour construire' entre 1959
vers Cotonou de nombreux services dei' administration
et'1964'lanouvelle 'capitale qui ne dit pas. son nom.
centrale, des représentations des missions diplomatiques
Le transfert du siège du-gouvernement de Porto-Novo à
et d'Organisations.intemationales.
,
.'
.
.
Cotonou allait accélérer l'exode des services d'intérêt
Le premier Conseil de gouvernement'l formé le 25 mai
national de la première ville vers la seconde.
] 957 et codirigé par le chef du territoire, Casimir Biros
(juin] 955-avril ] 958)' èt Sourou Migan Apithy, vice-
L'exode des services de Porto-Nova
président et leader du parti majoritaire.comprenait douze
(12) ministères dont huit à Porto-Novo et quatre à
L'acquisition progressive de nouvelles, fonctions par
Cotonou. En] 972, la. répartition inégale des minis-
Cotonou s'accompagnait d'une délocalisation des
tères tournait à l'avantagedeCotonou qui, depuis lors;
services d' intérêt général de Porto-Novo qui, par ce pro-
par acquisition cumulative, dépouillait Porto-Novo des
cessus de stérilisation, se vidait par vagues succes-
ministères des finances en 1973, de l'Enseignement supé-
sives d'une bonne partie de sa population 'en faveur
rieur en 1976, du Développement rural et de l'Action
de la ville gagnante. Le repli des services de Porto-Novo
Coopérative en 1985. En 1986, seuls demeurèrent encore
à Cotonou -
appelé l'exode des services -
est une
à Porto-Novo deux Ministères: celui de l'Enseignement
donnée permanente observée sur une période de plus
maternel et de base (entendez Enseignement primaire)
d'un demi-siècle (1920-1995) entre les deux villes. Jugez-
et celui de la Jeunesse et du Sport qui à leur tour rejoi-
en plutôt.
gnirent Cotonou en 1991.
Avec l'essor des activités du wharf-', essor qui fit péri-
cliter le trafic du port lagunaire de Porto-Novo, les mai-
Aujourd'hui, Cotonou abrite tous les ministères, toutes
sons de négoce (les Frères Régis, Fabre, Valla et Richard,
les nouvelles institutions nées à la faveur du renouveau
CFAO, John Holt, Walkden ... ) auparavant installées à
démocratique
(suite
à
l'effondrement
en
1989
Ouidah, Grand-Popo, Porto-Novo, domicilièrent leurs
du régime monolithique militaro-marxisant) à savoir: La
sièges à Cotonou à partir de 1920. Capitale-relais de ces
Cour
constitutionnelle,
le
Conseil
économique
maisons de commerce, Cotonou attira vers elle dès 1920
et social et la Haute Autorité de l'Audio-visuel et
le siège de la Chambre de Commerce installé à Porto-
de la Communication. Le siège des cinq .grandes
Novo depuis 1908. Avec le choix de Cotonou pour abriter
centrales syndicales du pays 7 (CSA, CGTB, UNSTB,
l'aérodrome en 1938 se déplacèrent le service de la radio
CSTB, COSI), de tous les journaux (une soixantaine de
(poste émetteur) et les services météorologiques. Puis
quotidiens, hebdomadaires, bimensuels... ) et de tous
suivirent pour s'implanter aussi à Cotonou, l'Ecole pro-
les partis politiques (plus d'une centaine) se trouve à
'Le wharf de Cotonou fut construit de 1891 à 1899 : mais il fut ouvert au trafic dès le 7 mars 1893.
o. Avec la loi Gaston Defferre de juin 1956 accordant le suffrage universel à l'électorat indigène, chaque territoire de l'empire français d'Afrique noire fut
doté d'un embryon d'organe exécutif, le Conseil de gouvernement, co-dirigé par le gouverneur de la colonie (président) et un vice-président qui est le leader
du parti majoritaire à l'assemblée représentative.
'Le pluralisme politique intégral reconnu par la constitution de 1990 se traduit dans le domaine syndical par une multitude de syndicats affiliés à des cen-
trales syndicales dont les cinq principales sont: CSA = Centrale syndicale autonome:
CGTB = Confédération générale des travailleurs du Bénin: UNSTB = Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin: CSTB = Centrale syndicale
des travailleurs du Bénin: COS! = Centrale des organisations syndicales Indépendantes.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
95

Sciences sociales et humaines
Cotonou, ville universitaire qui garde le monopole des
marché du pays, le marché Dantokpa au rayonnement
Centres culturels Français, Américain, Russe et Chinois.
international. Un tel pôle de développement (Cotonou)
Porto-Novo n'a hérité de toute la kyrielle d'institutions
ne peut durablement partager les services de l'admi-
du renouveau démocratique que du siège de l'Assemblée
nistration centrale avec Porto-Novo, distante de 30 km
nationale (parlement béninois) mais garde toujours le titre
environ, que si la liaison est aisée et rapide entre les deux
honorifique de capitale du Bénin réaffirmé avec force par
cités (Cotonou et Porto-Novo) étant donné que l'ad-
la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 en son
ministration est au service de l'économie. Or depuis
article 1e r, alinéa 2 qui stipule: « la capitale de la
l'aube de la colonisation au Dahomey (1894) jusqu'au
République du Bénin est Porto-Novo ».
crépuscule du XXe siècle (1999), le contact entre les
deux localités ne peut être assuré en temps normal par
Comment comprendre ce processus de stérilisation qui
un moyen de transport (automobile, train ... ) en moins
a fini de faire de Porto-Novo, une coquille vide tout
d'une demi-heure ou trois quarts d'heure. Ce délai semble
en lui maintenant son étiquette de capitale du Dahomey
trop long pour le fonctionnement efficace des interfaces
devenu Bénin?
Cotonou-Porto-Nove, «deux villes aux fonctions com-
plémentaires » (N' Bessa, 1997).
Deux raisons essentielles de la
Les difficultés de circulation par le rail et la route entre
« démétropolisation »
les deux principales villes est une permanence dont
les causes ont varié à travers le temps.
La répartition des services administratifs entre Porto-
Jusqu'en 1930, les deux villes n'étaient reliées que par
Novo et Cotonou date de l'époque coloniale. Le reflux
voie d'eau lagunaire nécessitant des ruptures de charge
des grands services d'intérêt national y compris le siège
qui retardaient les échanges. Cet enclavement relatif
du gouvernement de la capitale à Cotonou relève
de Porto-Novo par rapport à Cotonou était à peine brisé
-
à l'examen des faits -
de deux causes principales:
par le rail et la route à partir de 1930 où fut posée
les difficultés de liaison terrestre entre les deux villes
une ligne ferrée métrique et ouverte une route en terre
et le caractère traditionnel de Porto-Novo.
de barre battue sous un climat subéquatorial (l 300
à 1 350 mm d'eau de pluie par an). Les trains à vitesse
Difficulté de liaison : une donnée permanente
nécessairement ralentie par l'écartement étroit (1 m)
Reliées naturellement par un système fluvio-lagunaire
des rails et la route latéritique difficilement prati-
formé du lac Nokoué, du Canal Toché et de la lagune de
cable pendant sept mois sur douze de pluies tropi-
Porto-Novo, les deux villes sont inégalement favorisées
cales perpétuèrent à coup sûr les difficultés de liaison
par leur positionnement géographique. Porto-Novo ou
entre les deux villes.
Ajacè8 situé en retrait, à 10 km de la côte, entre 6°33'
de latitude Nord et 2°37' de longitude Est, dépourvue
Enfin aménagée et bitumée entre 1948 et 1955 grâce
d'aérodrome/aéroport, communique par la lagune avec
aux crédits libérés par le premier plan du FIDES, la
l'Océan Atlantique en territoire nigérian (ancienne
route intercoloniale Hillacondji-Igolo ou Togo-Nigeria,
colonie anglaise). Par contre, Cotonou (6°21 ' Lat. Nord
longue de 180 km environ et large de 5,10 à 6 m
et 2°26' Long. Est) riveraine de la mer, s'ouvre direc-
par endroits, était ainsi dimensionnée en fonction
tement sur l'Océan Atlantique et sert ainsi de port de
du trafic de l'époque-'. Le trafic de 100 véhicules par
pénétration et d'évacuation des produits de traite pour
jour prévu fut vite dépassé car dès la fin des travaux
toute l'économie du Dahomey-Bénin. Cette position pri-
en juin 1955, il s'éleva à 926 véhicules par jour; ce
vilégiée explique le reste: Cotonou est le noeud des voies
dépassement provoqua des déformations de plusieurs
de communication, la porte océane et aéroportuaire,
tronçons ou sections de la route et nécessita des travaux
la capitale-relais des maisons de commerce, le siège
de grosses réparations et de renforcement évalués en jan-
social des banques et des industries, le lieu d'implan-
vier 1957 à 80 millions de F CFA pour le seul tronçon
tation de la Chambre du Commerce et du plus grand
Porto-Nove-Cotonou.
"Porto-Nove, Ajacè et Xogbonu sont respectivement les noms portugais, yoruba et gun de la même localité.
e
'Sur le tronçon Cotonou-Porta-Nova de la route Togo-Nigeria, le trafic était 73 véhicules par jouren 1950, ANSOM, Carton 369 FIDES 2 série,
Dos.M22/128
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Sciences sociales et humaines
La largeur de la route Togo-Nigéria n'ayant connu aucune
diquent les deux tableaux ci-dessous) répond à cette défi-
modification jusqu'à l'ouverture du chantier (en cours)
nition de ville traditionnelle.
de l' autoroute Cotonou-Porto-Novo (fin 1998) alors que
Le tableau n° 2 indique que la population de Porto-Novo
le trafic a énormément augmenté, le tronçon Cotonou-
est constituée à 93,22 % de Goun, Fon et Yoruba et
Porto-Novo est depuis longtemps devenu l'un des axes
seulement de 5,38 % d'autres ethnies du Sud (Aja,
routiers les plus meurtriers du Bénin et.demeure par sur-
Houéda, Mina) et du septentrion (Bariba, Djougou, Peulh,
croît le siège d'un embouteillage chronique à l'approche
Otamary). La population de Cotonou est faite de moins
des deux ponts de Cotonou. Les difficultés de circula-
de 75 % de Fon, Goun et Yoruba (71,94 %) et de
tion entre Cotonou et Porto-Novo sont donc une donnée
23,98 % des autres groupes socio-culturels ou ethnies.
constante qui explique en grande partie l'exode éche-
Ainsi à Cotonou, à part les grandes ethnies (fon, goun,
lonné (sur plus d'un demi-siècle) des services de Porto-
yoruba) communes aux deux villes, les autres ethnies
Novo à Cotonou pour rendre l'administration plus effi-
y sont mieux représentées qu'à Porto-Novo.
cace en étant rapprochée et concentrée dans la capi-
tale économique, Cotonou. La démétropolisation de
Le tableau n? 3 souligne que Porto-Novo reçoit l'es-
Porto-Novo reste également liée au caractère traditionnel
sentiel des migrants du département de l'Ouémé (son
de la ville.
arrière-pays) où elle est implantée, soit 85,8 % contre
1,6 % du septentrion et 12,6 % des autres départements
Porto-Nova, une ville traditionnelle
du Sud (Atlantique, Mono, Zou). Cotonou, en dehors
Par ville traditionnelle, nous entendons une ville à fort
des 62,9 % de migrants originaires de l'Atlantique,
pourcentage de natifs parce que dépendante de
accueille 2,7 % de ressortissants du septentrion et
l'arrière pays immédiat en matière de peuplement et peu
34,6 % des autres départements du Sud soit au total
réceptrice de migrants provenant des autres régions du
37,3 % des migrants extra-Atlantiques. En d'autres
pays. La relative pureté ethnique d'une telle ville et
termes, plus d'un Cotonois sur trois provient d'un autre
ses relations suivies avec la campagne environnante entre-
département que celui de l'Atlantique (où se trouve
tiennent chez les citadins natifs une mentalité respec-
Cotonou) alors que moins d'un Porto-Novien sur trois
tueuse des us et coutumes du monde rural. Porto-Novo,
est d'un autre département que celui de l'Ouémé. Ces
de par la structure ethnique de sa population (comme l'in-
résultats sont confirmés par une enquête-ménages effec-
Tableau II : Structure ethnique de la population de Cotonou et de Porto-Novo en 1979.
Principales ethnies
COTONOU
PORTO-NOVO
du Bénin
TOTAL
(%)
TOTAL
(%)
Aja
31 666
12,85
4374
3,55
Fon, Goun et assimilés
149 091
60,48
80 271
65,22
Bariba
872
0,35
450
0,36
Dendi
1293
0,52
373
0,30
Djougou
696
0,28
147
0,12
Houéda et Mina
23 849
9,68
1 114
0,90
Peulh
159
0,07
39
0,03
Otamary
575
0,23
153
0,12
Yoruba-Nago
28260
Il,46
34450
28,00
Autres*
la 036
4,08
1690
1,4
Total
246517
100
123 070
100
Source: INSAE, Recensement de 1979, cité par N'BESSA, 1997, p. 142,
* Autres = autres Béninois non déclarés et étrangers,
Rev:-CAMES -Série B, vol. 01, 1999
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Sciences sociales et humaines
Tableau N° III : Répartition des migrants entre les trois principales 'villes du Bénin (en %) en 1979.
Destination
COTONOU
PORTO-NOVO
PARAKOU
Origines des migrants
TOTAL
(%)
TOTAL
(%)
TOTAL
(%)
Atacora
3874
1,3
900
0,7
4871
8,4
Atlantique
186666
62,9
8460 '
6,8
3677 '
6,3
Borgou
4179
1,4
1 107
0,9
39 107
67,2
Mono
25523
8,6
2476
1,9
823
1,4
Ouémé
39 187
13,3
106980,
85,8
1 681
2,9
Zou
37114
12,5
4796
3,9
8 029
13,8
Total
296543
100
124659
100
58 188
100
Source: Nos calculs à partir des résultats du RGPH, 1, II, pp, 109 - II,
tuée en 1983 par un bureau d'étude français, Urbanor,
son sol la construction des infrastructures de l'Université
sur huit villes béninoises dont Cotonou, Porto-Novo.
au début des années 19707 Le délit d'initié brandi à
Cotonou est reconnue être une ville dont la population
l'époque pour tenter de justifier le transfert de l'uni-
a un faible pourcentage de natifs (19,4 %) et un fort pour-
versité nationale de Porto-Novo à Abomey-Calavi (autre
centage de migrants (80,6 %) tandis que Porto-Novo pré-
fief électoral de Sourou Migan Apithy) cachait d'un voile
sente la structure inverse: 65,5 % de natifs et 34,5 %
transparent la volonté de la classe politique d'alors de
de migrants (Urbanor, 1984, p. 27). Les deux ethnies
fragiliser la position électorale d'un de ses membres 11,
fondatrices du royaume de Xogbonou donc de la ville
Sourou Migan Apithy, un Aïnonvi, dans son fief élec-
de Porto-Novo à savoir les Yoruba et les Goun font
toral Porto-Novo, De plus, le transfert du siège du gou-
respectivement 26 % et 46 % environ (ONG Vredesei-
vernement en 1960 de Porto-Novo à Cotonou par le pre-
landen, 1998, p. 13.) de la population citadine. Si cette
mier Président du Dahomey indépendant, Hubert Maga,
primauté numérique des descendants des fondateurs
originaire du septentrion, ne traduit-il pas aussi l'insé-
de la ville permet de comprendre le chauvinisme porto-
curité qu'inspire aux migrants minoritaires une ville
Novien qui clame haut et fort que Porto-Novo est la ville
où la structure ethnique reste dominée par les natifs 7
des Aïnonvi (entendez propriété des Goun qui se récla-
En période de crises politiques et sociales une telle ville
ment propriétaires des terres donc possesseurs de la ville),
est soupçonnée de basculer dans des manifestations
elle a jusqu'à présent fonctionné au détriment des inté-
chauvino-régionalistes parce que le melting-pot ethnique
rêts de cette cité. En effet, n'est-ce pas cette appropria-
n'étant pas achevé, Porto-Novo ne jouait pas encore
tion de la ville qui explique en partie le collapsus des
son rôle de cité-nation qui sécurise toute la population
investissements
publics
urbains
dont
souffre
citadine comme à Cotonou, ville cosmopolite qui
Porto-Novo depuis l'indépendance? Étant entendu que
n'appartient à personne.
tout investissement -
pensait-on au cours de la décennie
60 -
serait exploité politiquement en faveur de Sourou
Au total, l'histoire des villes de Porto-Novo et de
Migan Apithy, fils du terroir, leader du parti PRD en riva-
Cotonou, depuis la colonisation (1894) jusque vers
lité pour la conquête du pouvoir avec les deux autres
la fin du XXe siècle reste dominée par la stérilisa-
partis, le RDD de Hubert Maga et l'UDD10 de Justin
tion de l'une (Porto-Novo) par l'autre (Cotonou) en
Ahomadégbé. Sinon, comment comprendre le refus de
raison du mauvais fonctionnement de la complémen-
la dernière heure imposé à Porto-Novo d'accueillir sur
tarité entre les deux cités mal reliées par l'eau, le chemin
10, PRD = Parti républicain du Dahomey; UDD = Union démocratique dahoméenne; RDD = Rassemblement démocratique dahoméen ..
"Apithy appartient à l'ethnie majoritaire goun et était maire de Porro-Novo de 1956 à 1961.
98
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Sciences sociales et humaines
i
de fer et la route. Avec la construction en cours de l'au-
Revues spécialisées
toroute Cotonou-Porto-Novo commence pour les deux
Le courrier de l'UNESCO, février 1999
villes une nouvelle ère qui sera à coup sûr, moins frus-
LACOSTE, Y., 1983 : " L'implosion urbaine ?, in Hérodote na
trante pour les Porto-Noviens dont la résignation devant
31, pp. 3-8.
la déliquescence de leur ville s'exprimait dans cette
LACOSTE, Y., 1984 : "Villes, la course folle ... ", in Actuel déve-
boutade pleine d'humour en langue goun « yé Zé nu
loppement, na 58, pp. 33-38.
lè kpo.Yé ma gan Zé tè » ou « ils peuvent tout
Industries et Travaux d'Outre-Mer, na 100, mars 1962.
emporter, mais ils ne peuvent pas emporter le cime-
Marchés Coloniaux du Monde, na 328, février 1952.
tière 12» . La réduction du temps de voyage entre les
Vredeseilanden, 1998 : " Porto-Novo: Humour et développe-
deux villes après l'ouverture de l'autoroute au trafic,
ment", in Interfaces, na 1, 28p. + 20 p. de dessins animés.
établira à coup sûr des relations plus équilibrées entre
elles et atténuera la pression démographique sur le fon-
Autres
cier à Cotonou.o
DAN-KOUKPAKI, R., 1986 : Cotonou des on gilles à 1945.
Développement et mutations sociales, Thèse de 3e cycle en
Histoire, 2 vol., Dakar, 685 p.
Références bibliographiques.
DULUCQ S. et GOERG O. (sous dir, de), 1989 : Les investisse-
ments publics dans les villes africaines
1930-1985, Paris,
Sources d'archives
j'Harmattan, 222 p.
Carton 369, FIDES 2e série, Dossier M22/128, ANSOM, Aix-en-
N'BESSA, B., 1997 : Porto-Novo et Cotonou (Bénin) : Origine et
Provence, France.
évolution d'un doublet urbain, Thèse d'Etat en géographie,
200 Mi 1934, Sous-série 2G 51-37, bobine 803, CARAN, Paris,
Bordeaux, 456 p.
France.
SOTINDJO, D. S., 1995 : Cotonou, l'explosion d'une capitale
Carton 3D16, Rapport sur l'activité des services par Charles Henri
économique (1945-1985), Thèse de doctorat unique en histoire,
Bonfils 1951-1953 ; ]953-1956, ANB Porto-Novo, Bénin.
Paris 7, 483 p.
TOSSA, 1., 1983 : Cotonou (au Bénin) Recherches sur les problèmes
Sources imprimées
d'environnement urbain et des conditions de vie, Thèse de 3e cycle
en géographie et aménagement, Besançon, 5 J0 p. + annexes.
INSAE Recensement général de la population et de l'habitation
(RGPH), Résultats définitifs, 1979 ; Résultats définitifs, Vol. J,
Urbanor, 1984 : Etude socio-urbaine. Rapport de synthèse, 44 p.
1993.
+ annexes.
IL ONG Vredeseilanden, op. Cit., p. 17
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Sciences sociales et humaines
5
'CI)
Le doublet urbain Cotonou -
Ü
Since the 1950 , urbanization has been a striking
§ Porto-Nova: les raisons de deux
~ fact in the evolution of developing countries. Thus,
UJ
û)
Porto-Novo -r-r- the administrative capital city -
and
'CI)
capitales à deux vitesses
cc
.c Cotonou - generally referred to as the economic
L'urbanisation constitue l'un des faits marquants
<!
capital city -
grow in two different ways as the
de l'évolution des pays du Tiers Monde depuis
former is losing most of its assets to the latter.
la deuxième moitié du XXe siècle. S'inscrivant dans
This article studies the fast growth of Cotonou and
cette dynamique, les deux principales villes du
shows why it is becoming in actual fact the eco-
Bénin: Porto-Novo (capitale administrative) et
nomic, po/itical, and administrative capital city of
Cotonou (capitale économique) connaissent une
the Republic of Benin. To do this, the researcher
croissance à deux vitesses dans un processus
has drawn on the following data:
de dépouillement ou de stérilisation de l'une des
deux villes par l'autre. Le présent article étudie
-
the unequal urban public investments accoount
les raisons de la croissance accélérée de Cotonou
for the fast growth of Cotonou as opposed to the
et du cumul par celle-ci, au détriment de Porto-
slackness of Porto-Novo;
Novo, des fonctions de commandement écono-
-
Due to the lack of efficient means of commu-
mique, politique et administratif. Pour cela, l'auteur
nication between the two cities, most adminis-
utilise trois analyseurs:
trative services have been transferred from Porto-
-
l'inégale répartition des investissements publics
Novo to Cotonou ;
urbains permet d'expliquer le dynamisme de Cotonou
-
The ethnic line-up of both cities has a/so been
et l'accroissement modéré de Porto-Novo;
taken into account. .
-
les difficultés de liaison entre les deux villes;
Ail in ail, Cotonou has become de facto the eco-
-
et leur composition ethnique sont à la base de
nomic and administrative capital of the Republic of
l'exode des services administratifs de Porto-Novo
Benin.
vers Cotonou.
Au total, Cotonou est, de fait, la capitale écono-
mique et administrative de la République du Bénin.
Mots-clés: Cotonou, Porto-Nova, cité-palais, capitale,
dépouillement, exode, liaison
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