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Le sacré et le système politique traditionnel' des Dagara
du Burkina à l'épreuve de la colonisation'
Magloire Somé
Université de Ouagadougou (Burkina Faso)
Introduction,
srrarurn de leurs institutions ancestrales comme modèle
de référence identitaire.i L'anthropologie politique et
Les systèmes politiques traditionnels des sociétés non
la sociologie, davantage que.l'histoire, ont trouvé dans
étatiques ont très peu' fait l'objet d; étudesde la part
cette c~î1(ibitationentre tracjiiïon etmodernité urichamp
des historiens ?2i ont abandonné ce champ aux seuls
de prédilection, en insistantparfois sur les aspectsconflic-
anthropologues . Le désintérêt des historiens pour ce
tuels de ce couple-Î.
' .' .
.
domaine de recherche tient sans doute au fait que la dyna-
La société dagara, qui fait l'objet de notre étude, pos-
mique historique des institutions politiques précoloniaJes
sède un système politique non étatique et fut qualifiée,
n'est pas apparente; ce qui donne l'impression que celles-
par ce fait même, de société « anarchique» par les colo-
ci sont statiques. On a ainsi parfois mis en cause le conser-
nisateurs britannique et français. Sa mise sous tutelle
vatisme de nombreuses sociétés africaines.
colonialé exigeait la création d'institutions extrinsèques
Les institutions sont souvent héritées des ancêtres et
de commandement. Ainsi s'explique l'apparition chez
la postéri té s'engage à les perpétuer, en ne concédan t
les Dagara francophones de' l' institution cantonale et
parfois que quelques changements mineurs dus au phé-
de l'entité villageoise comme unité administrative. S'il
nomène d'interférence culturelle entre peuples voisins.
est difficilepour l'historien de situer les étapes de l'évo-
L'anthropologue britannique-Jack Goody-aremarqué que .
lution internedes institutions traditionnellesdagara depuis
ce phénomène de changement social à l'intérieur d'une
le XIXesiècle, nous pouvons nous référer à la coloni-
société traditionnelle intervient à la faveur d'importa-
sation pour situer la naissance d'un double système de
tions de cultes d'origine étrangère à une société donnée.
référence politique: le système traditionnel encore carac-
La pratique du nouveau culte impose à la société d'ac-
térisé par l'interaction entre le religieux et le profane,
cueil de nouvelles règles de comportements et impulse
le surnaturel et le temporel; le système moderne qui s'est
ainsi le processus de transformation interne (Goody,
imposé progressivement comme une réalité incontour-
1975: 91-106).
nable et le lieu d'ancrage du jeu de la démocratie.
Depuis la colonisation, les sociétés traditionnelles sont
Nous entendons montrer que le phénomène d'accultu-
confrontées au phénomène d'acculturation consécutif au
ration poursuit son cours à travers la cohabitation des
choc entre cultures africaines et occidentales. Elles ont
deux systèmes politiques que les Dagara ont fini par per-
dû concéder une adaptation aux nouveaux systèmes poli-
cevoir comme des réalités complémentaires au regard
tiques issus de la colonisation tout en conservant le sub-
de J'évolution socio-politique actuelle.
1 Les recherches de terrain'de cet article ont été faites dans la région wulé de Dano.
1
La première étude systématique sur les in;titutions politiques africaines a·été faite sous la direction de M. Fortes et E. E.Evans-Ptitchard, Les svstètnes
politiques africains, traduction française-parue à P.U.f-.en 1964. "
;
) L'oeuvre de Balaildieràceqiveaù est essentielle, Sociologie des mutations Paris, Anrhropos 1967'; Sociologie actuelle de l'Afrique noire. Paris, P.UF
197 J, Anthropo-logiques, Pati~. P,U.F.; 1974. Le détour : pouvoir ei modernité, Paris, Fayard 198~ Anthropologie politique, Paris, P.UF, 2e édition 1991.'
Lire également 1. Copans,'La'IOIigue.l;wrche de la modernité africaine, Paris, K'ilrthala 1990, J. L. Amselle et E. M'Bokolo, dir. Au coeur de l'ethnie, Paris.
La Découverte 1985. J. L. Amselle, Logiques métisses, 'anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs. Paris, Payot 1990. R. H011on, La pensée mélisse:
croyaÎu:es africaines et rationalité occidentale en question, Paris, P.Ü.F.. cahiers de l'l.U.ED. - Genève 1990.'
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

La fonction du sacré dans
rité dans toutes ses activités économiques :.agricoles,
le système pol~tique traditionnel
pastorales et cynégétiques. Cet esprit de la terre est maté-
rialisé par un autel installé dans toute localité représentant
Sociétélignagèreoù l'entité.politiquevisibleest uneagglomérationhumaine,pourpermettreleculte'àla
.
le village, l'organisation sociale des Dagara repose
terre. Dans la conception des Dagàra, « une communauté
sur la cohabitation dans l'espace deplusieurs seg-
d'hommes qui occuperait un espace territorial sans autel
ments lignagers qui entretiennent des relations d'in-
de Ten-gan donnerait l'impression de s'installer dans le
terdépendance. Les Dagaraont connu depuis au moins
vide et ressemblerait.à des gens insouciants qui igno-
le xvnr siècle de constants mouvements de population
rent l'existence d'une force transcendante qui les gou-
. dont la raison apparente est la recherche de la terre.
verne»4. L'autel consiste en une pierre, kuur, enfoui en
partie dans le sol, au pied d'un arbre situé sur le flanc
Dans l'occupation de l'espace, le lignage pionnier du
d'une colline et à proximité d'un buisson. La partie exté-
village détient l'autorité politico-religieuse souvent
rieure du kuur est entourée de six pierres secondaires
confiée -
par esprit gérontocratique -rà l'aîné de la
prises dans la nature. Ce lieu appelé Ten-gan tuu, est
génération supérieure dudit lignage: Le système poli-
le sanctuaire du village. Le culte du Ten-gan, présidé par
tique est fondé sur une certaine conception de l'espace
le Tengan sobest exclusivement collectif. L'équilibre
territorial et des relations de l'homme à la terre. La terre
psychologique des Dagara est ainsi assuré par le culte
forme dans l'inconscient collectif des Dagara un couple
de la terre.
avec le ciel qui représente l'entité de la toute-puissance,
en d'autres termes le siège du Dieu créateur. La terre
Un certain nombre d'entités topiques, considérées comme
constitue l'élément femelle de ce couple, fécondée par
d'autres mondes qui exercent une influence sur le monde
la pluie du firmament, Saa ..Elle est considérée comme
humain, sont agrégées à Ten-gan: tanw (la montagne),
un élément cosmique caractérisé par une nature sur-
baa (la rivière), man (le fleuve), wiè (la nature en tant
naturelle,.sinon par une vitalité. Il existe deux concep-
que faune et flore), konton (pl kontomon), le héraut civi-
tions de l'entité terrestre :
lisateur. Ils régissent de façon invisible l'ordre social
et imposent des règles de gestion de l'environnement
-la terre est d'abord Ten-bàalo, c'est-à-dire la poussière
naturel. On exploite ainsi avec prudence la nature, en
que féconde la pluie, Saa, pour donner la vie. L'homme
respectant certaines dispositions de sa conservation,
est ensuite enfoui dans cette poussière à la· fin de son
imposées selon la conception dagara par les divinités
séjour terrestre. Ten-bàalo est par conséquent la mère
topiques, comme l'obligation de ne pas couper certaines
nourricière de l'homme et de tout ce qui est vivant sur
. espèces végétales ou la règlementation de la faune et de
terre, l'épouse de Namwin, le Dieu créateur. Il n'existe
la pêche. Toute personne qui contreviendrait à ces dis-
pas d'autel dédié à aucun des deux conjoints et en défi-
positions irriterait ces divinités et s'exposerait à des sanc-
nitive pas de culte de Namwin et de Ten-bàalo.Comme
tions surnaturelles. Ainsi, si l'homme échappe à lajus-
Namwin, Ten-bàaloest souvent invoqué, de façon indi-
tice humaine, il n' échàppe pas à la justice di vine. Les
viduelle ou collective, dans la plupart des rites sacri-
peines consistent souvent en des amendes à but d'exor-
ficiels.
cisme pour offense au sacré.
- la terre est ensuite considérée comme une matière
Le pouvoir villageois est composé du Tengan sob, chef
vivante. possédant une membrane extérieure, gan, sur
de terre et du suo sob, le' sacrificateur qui s'appuient sur
laquelle évolue tout être vivant. C;estc~tte"~embrane
. un Conseil des'Ànciens, sorte d'Assemblée villageoise.
inusable, malgré l'action agressive de l'homme, qui nous
"Le Tengansob joueun rôle' central dans la gestion de
rappelle le caractère vivant de la terre et sa i'é'âlité à.la.
là paix. et.le règnede la justice dans -le village. Il inter-
fois spirituelle. La terre possède donc Un esprit qui fait
cède auprès'de Tingan pour lui demander de conjurer le
. J'objet d'un culte. Ten-gan représenterait, d_an~ laconcep-
mal errcasd'épidémie.rde faire pleuvoir en cas de séche-
tion des Dagara, 1;esprit gardien de toutes les commu- .
resse-et de favoriser
~
.1
l' âvèn.e~e'nt·t)f:fa;réussite
_
d'une
nautés humaines, le dieu protecteur qui apporte à.
expérience culturelle et-économique intéressante qui a
l' homme la fécondité dans la procréation et la prospé-
fait ses preuves arileurschez les voisins. II punit les cou-
4 Tibé Dabiré, chef de terre de Lofing-Yërëgane, interview du 3 mai 1999,
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999 .
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pables de délits et crimes dans le village. A cet effet,
gérontocratiques. Quand-un aîné jouit de toutes ses
il prête serment auprès de Tengan pour lui demander
facultés et est surtout reconnu pour son sens de la res-
d'apporter le bien et d'éloigner le mal. Par cette mesure
ponsabilité, on ne peut l'écarter de la fonction du Tengan
d'invocation pour la justice et la paix, il exerce un
sob, même s'il estun dakumo, c'est-à-dire un non-initié.
effet psychologique sur les malfaiteurs éventuels afin de
Dans ce cas; il travaillera en étroite collaboration avec
les amener à prendre peur et à renoricer à faire le mal.
.un cadet initié. Le malade mental et le malhonnête
Il faitapparaîtreîengce comme une force de dissuasion.
notoire sont systématiquement écartés de cette fonc-
Cette divinité est censée lire dans la conscience des gens
tion. Le Tengan sob s'appuie sur ie suo soben toute
et être par conséquent capable de discerner entre les
occasion lorsqu'il veut faire passer un message ou
bonnes consciences et les mauvaises. C'est pourquoi les
rassembler la population.
Dagara considèrent que ses jugements ne sont jamais
arbitraires. Ainsi punit-il justement le récidiviste impé-
Le suo sob est le porte-parole du gouvernement vil-
nitent dans le fortait du mal et qui constitue un danger
lageois. 11 fait appliquer la décision du Tengan sob et
pour le village. Ici, il est toutefois difficile de faire la
appuie toujours la position de ce dernier pour lui donner
part des choses entre l'action directe de l'homme qui
une valeur de collégialité et éviter ainsi que la popu-
diligente une sanction ou qui l'ordonne et le jugement
Jation soupçonne le Tengan sob d'autocratie. Le Tengan
surnaturel qui provient de Tengan, divinité censée être
sob, rie pouvant être écouté s'il agissait saris le consen-
capable de discerner entre les consciences.
.
tement du suo sob, est tenu de l'associer dans toutes ses
prises de décision.'
Le rôle judiciaire du Tengan sob s'affirme au niveau
du maintien de la paix. Il doitoeuvrer à éviter I'écla-
Le suo sob est en plus un médiateur, tempèlu sob, chargé
tement de troubles dans le village, notamment les coriflits
des relations entre le chef de terre et la population et
au sujet de la terre. Car de même qu'on ne peut refuser
entre toute la société villageoise et Tengan. Dans cette
la terre à celui qui la demande pour l'exploiter, de même,
optique, il sacrifie la volaille et le bétail à Tengan et jette
on ne peut tolérer qu'elle soit l'objet de discorde mena-
la cendre à Ten-bàalo pour invoquer la paix.
çant la paix dans le village. Si de l'affrontement au sujet
Le suo sob représente toutefois un contre-poids à l'au-
de la terre la mort s'en suit, le Tengan sob fixe une
torité du tengan sob. Désigné parmi les membres d'un
amende comprenant du bétail et des cauris aux diffé- .
autre Jignage que celui du tengan sob; il intervient à
rents protagonistes afin d'exorciser le crime. Sans ce
la fois comme un second dans l' exercice du pouvoir vil-
rite essentiel, on craint qu'il ne pleuve plus dans le
lageois et un agent d'équilibre des forces: En déte-
village.
nant le couteau, moyen de sacrifice, mais aussi sym-
bole du pouvoir, il empêche la concentration du pou-
Toutes les fonctions du Tengan sob impliquent, pour leur
voir entre les mains d'un seul homme et au sein d'une
donner une valeur légale ou plus exactement une consé-
seule famille, dont les membres sont considérés comme
cration, l'exercice d'un sacerdoce. Balandier a bien
étant la « même chose », en raison de la communauté
montré qu'il existe un lien entre le pouvoir et le sacré
de sang. C'est là un système de redistribution des rôles
étant donné que le chef exerce une fonction qui implique
et du pouvoir pour éviter l'oppression et l'assujettis-
souvent la manipulation du sacré (Balandier, 1991 : 119).
sement. Le tengan sob apparaît ainsi comme un empe-
Chez les Dagara en effet, la gestion du pouvoir est une
reur sans sceptre, jouissant toutefois d'un respect en
gestion du sacré. En l'absence d'une loi votée par
tant que garant de l'ordre social et politique, mais qui
l'Assemblée villageoise et soumise au respect de la
ne.peut soumettre la population à son autorité. Comme
société, on se réfère aux règles de comportement cen-
contrepoids à un pouvoir autocratique, le suo sob dis-
sées être établies par Tengan et qui sont de ce/fait frap-
pose du pouvoir de contestation de la décision du Tengan
pées du sceau du surnaturel. Ces règles sont/dévoilées
sob. Lorsqu'il conteste sa décision, ce dernier ne doit
au Tengan sob par l'intermédiaire du devin:
pas s'entêter, au risque de voir son adjoint se désoli-
La dimension religieuse de tous les aspects de la vie,
dariser de lui et le mettre dans l'impossibilité de gérer
1
fait qu'on exige que le Tengan sob soit un 'initié. Mais
la société villageoise de façon crédible.
cette condition n'est pas obligatoire dans tous les vil-
lages. Car l'initiation n'est pas un critère de majorité
Les limites de l'autorité villageoise sont assez impor-
morale pour occuper des fonctions politiques. On est
tantes. Le Tengan sob qui fixe des amendes excessives
plus strict dans le respect de la séniorité et des règles
aux délictueux est vu d'un mauvais oeil par l'Assemblée
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Sciences sociales et humaines
villageoise qui peut l'accuser de corruption. On dit sou-
trier, et on invitait les familles des deux parties à faire
vent qu'il vend le Tengan à son profit exclusif. Il risque
une offrande égale à Tengan, qui apparaît.comme le juge
également de se faire reprocher d'abus du pouvoir s'il
invisible et impartial. Lorsqu'un coupable se cache.ou
prend tout seul l'initiative d'installer un étranger dans
s'enfuit, le tengan sob saisit «le tribunal de la terre
le village sans consulter l'Assemblée villageoise. Il
» en prononçant un serment dans lequel il énumère les
ne dispose pas d'un pouvoir de commandement, mais il
faits et demande à ce que celui-ci rende justice en punis-
tente, grâce à son autorité morale, de concilier les habi-
sant le coupable. Si dans ces conditions la mort s'ensuit,
tants du village. Il semble par.ailleurs que c'est la fonc-
on l'attribue à Tengan et le coupable est d'office désigné.
tion religieuse qu'implique son autorité qui empêche
Ainsi, un coupable qui craint le verdict de Tengan, va
qu'il puisse exercer un pouvoir coercitif. En effet, on
avouer généralement chez le Tengan sob son forfait pour
sait que l'offense à l'ordre surnaturel et la transgression
affronter l'·amende plutôt que la mort.
du sacré, entraînent la mort. Par conséquent, la ges-
tion du pouvoir doit se faire dans le strict respect des
Le tengan apparaît ainsi comme le juge suprême qui
forces du sacré. La corruption des hommes du pou-
détermine la responsabilité du coupable et la peine à
voir est sanctionnée de façon surnaturelle, sanction gra-
lui infliger selon la gravité de son délit. Son interven-
duelle ou brutale selon la gravité de la faute. On raconte
tion surnaturelle met fin à la vengeance. Selon les cir-
que Damouondar, le premier chef de terre dagara de
constances, l'amende en guise d'offrande s'élève à un
Lofing, a connu à la fin du XIXe siècle une sanction sur-
poulet, une chèvre plus 200 cauris ou à un boeuf plus 10
naturelle ayant presqu'entièrement décimé sa descen-
000 cauris. Au XIXe siècle, lorsque dans un crime volon-
dance. Après sa mort, les membres de son patriclan,
taire, les protagonistes appartenaient à deux commu-
les Kpièlè biir, se méfièrent désormais du pouvoir. Son-
nautés villageoises différentes, on tombait dans un cycle
C
Yir, son cousin, lui succéda au début du XX siècle, mais
infernal de vengeance. Car la mort du coupable n'étei-
son successeur abandonna le pouvoir villageois pour
gnait jamais la vengeance du sang. La famille de la
se convertir au christianisme dès 19325. Les entorses ou
victime vengeait le sang de celle-ci soit sur la per-
négligences à l'ordre du sacré provoquent une entropie
sonne du coupable, soit sur celle de son proche parent,
qui menace la famille du contrevenant, comme dans
à charge pour ceux-ci de venger à nouveau la deuxième
le cas de Damouondar, et/ou la société villageoise en
victime. Ainsi le cycle de la vengeance finissait pat dégé-
général. Le Tengan sob tient donc la destinée de la société
nérer en vendetta de village à village, et pouvait ensan-
villageoise, mais comme l'a montré Balandier, il est éga-
glanter toute une région. Cet état de fait a tellement
lement tenu par le pouvoir, parce qu'il exerce dans le
marqué les Dagara, qu'il est passé dans leur mémoire
champ du sacré (Balandier, 1991 : ] 23).
collective comme une « période de référence de leur
chronologie historique et généralement appelé tè taa
Le Conseil des Anciens composé des chefs de maison,
daar, c'est-à-dire la période où l'on se fléchait». Cette
yie dém, joue le rôle d'Assemblée consultative qui, en
situation conflictuelle s'explique par le fait qu'il n'a
cas de conflit à l'intérieur de la communauté villageoise,
jamais existé de «forme d'indemnisation. du prix du
donne des conseils de prudence et de tempérance pour
sang »7. Dans ce cas du conflit intervillageois, les
faire revenir le calme dans le village. Il n'a ni un pou-
Assemblées des deux villages pouvaient encore faire
voir législatif ni un pouvoir judiciaire. En effet, il ne
jouer leur sagesse en intervenant lorsque la menace
s'arrogeait jamais la tâche de rechercher les responsa-
de guerre risquait d'embraser totalement une région.
bilités ni de fixer la peine-', mais de plus en plus, il
Dans ces conditions, ils ne cherchaient plus à déterminer,
prononce le tort des coupables. En cas de meurtre, sachant
ni les origines du conflit, ni la personnalité du premier
que c'est l'esprit de vengeance qui règne au sein des
coupable. Ils conseillaient simplement aux deux familles.
populations, il fait pression sur les deux familles en conflit
de briser devant l'autel du Tengan leurs arcs et flèches
pour qu'elles cessent les affrontements et ne troublent
que J'on prenait soin d'enterrer en priant Tengan de
pas pour ainsi dire l'ordre public. Généralement, pour
venger la première victime en punissant le premier cou-
ne pas raviver la tension, on évitait d'accuser le meur-
pable. Or, comme généralement le premier coupable
s Entretien avec Tibè Dabiré, Tengan sob de Lofing- Yèrègane, interview du 3 mai 1999.
"La lecture du rapport sur les coutumes de la subdivision de Diébougou, redigé en 1938 par l'administrateur Vaudiau, nous a beaucoup édifié et orienté dans
l'enquête orale. Archives du CNRST, B 15, cercle de Diébougou.
t. Coutumier de la subdivision de Diébougou, 1938.
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Sciences sociales et humaines
avait-été tué depuis longtemps, personne n'était dupe
bunal et pouvoir délibératif est le sien, non celui des
quant à l'extinction définitive du conflit et à la neu-
hommes, même regroupés en conseil. On peut l'invo-
tralité de Tengan dont la famille du coupable ne crai-
quer contre un perturbateur de l'ordre social tel que le
gnait plus la vengeance. Les communautés villageoises
sorcier. Mais on peut aussi recourir à.une puissance plus
belligérantes pouvaient décider d'observer une trève qui
spécialisée dans le maintien de l'ordre, lorsque le sen-
pouvait prendre plus tard tacitement le caractère d'une
timent d'insécurité est accru dans la société. En dehors
paix définitive: Mais dans ces conditions les relations
de Tengan, tout individu ou famille peut,' avec l' auto-
entre les deux villages étaient empreintes de méfiance,
risatiori préalable du tengan sob, installer l'autel d'une
sinon compromises de façon définitive lorsqu'il s'agis-
divinité dans son domicile ou son espace d'exploitation.
sait des rapports matrimoniaux.
Le refus de l'installation du culte équivaut à une expul-
Il existe, comme chez les Lobi, une ébauche d' auto-
sion implicite de l'individu ou de la famille du village.
rité communale qui ne s'exerce qu'à la faveur des ten-
sions internes et des problèmes extravillageois. Les déci-
Le tengan sob lui-même peut prendre l'initiative
sions du Conseil des Anciens pour être valables doivent
d'acheter, après avoir consulté l'Assemblée villageoise,
être prises. à l'unanimité (Savonnet, 1986 : 12).
le culte d'une divinité au bénéfice de sa famille ou de
toute la société villageoise s'il le juge' nécessaire. La
Les actes que les membres de la société villageoise posent
divinité achétée à des fins de culte collectif à l'échelle
quotidiennement peuvent avoir des conséquences graves
de la société villageoise, est agrégée-à Tengan. qui lui
qui exigent des actions rituelles. Ainsi, toute infrac-
donne l'impulsion de l'action et de l'efficacité. Avec
tion à la coutume ou crime dans le village exige-t-elle
sa supposée capacité de discernement, lorsqu'il se rend
un recours à Tengan. La gestion du sacré consiste en effet
compte que le culte de la divinité étrangère nuit à la cohé-
en des actions rituelles d'exorcisme, donc de réparations
sion sociale, il est censé la chasser et en informer par
pour laver la souillure causée par les actes négatifs et
la suite la société villageoise par le tengan sob.
éviter l'apparition de l'entropie, conséquence de l'ac-
L'importation du culte d'une divinité entraîne en effet
cumulation de la souillure. Toute amende fixée doit être
un changement social et de mentalité (Goody, 1986 :
payée, même après la mort du coupable. Le délictueux
18). Il peut apparaître ainsi des comportements contraires
qui refuse de payer l'amende encourt une sanction sur-
à la loi imposée par Tengan.
naturelle: il peut tomber malade ou mourir dans le
pire des cas. Mais après sa mort, l'amende reste de
Cette conception de l'importation et de l'expulsion de
vigueur et doit être payée par ses parents pour exorciser
la divinité étrangère révèle ici le conservatisme des
le mal. Pour éviter donc l'accumulation de la souillure
Dagara qui se sont toujours montrés prompts à rejeter
et la menace de l'entropie dans le village, le tengan
les influences extérieures susceptibles de bouleverser
sob se montre toujours ferme et très pointilleux dans
leurs structures sociales et culturelles. Ils abandonnè-
l'acquittement des amendes. S'il ne réussit pas à obtenir
rent maintes fois des cultes, au bout de quelques années
leur paiement, il reste par là-même redevableà Tengan
d'expérience, sous le prétexte de leurs effets délétères
et menacé lui-même de mort.
sur la société villageoise.
Aucun culte individuel ou collectif ne peut être pratiqué
Toute mort accidentelle est contre-naturelle et mérite par
sans l'agrément du tengan sob. Ainsi Tengan est-il censé
conséquent une réparation. La mort par noyade, par chute
agir immédiatement pour punir l'individu mal inten-
d'un arbre, des suites de morsure de serpent, des suites
tionné qui importe un culte ou autre objet orienté vers
d'un accouchement ainsi que le suicide ou même la ten-
la nuisance d'autres individus dans la société.
tative de suicide sont classés dans cet ordre des choses
(Hébert, 1976 : l5). On tient d'autant plus à laver la
Tengan apparaît en définitive comme un moyen de
souillure qu'elle peut entraîner la sécheresse, la rage
contrôle moral et de maintien de la cohésion sociale.
et la mort dans le village.
Le traître et le malhonnête notoire sont censés être chassés
Dans une autre optique, lorsqu'un serment est prêté
du village par Tengan qui les amène à émigrer de façon
auprès de Tengan, il faut le tenir sous peine de menace
définitive. Celui qui ramasse une somme d'argent, un
d'entropie.
objet ou qui voit errer pendant longtemps autour de
son domicile un animal dont il ne connaît pas le pro-
Le Tengan en tant que régisseur de l'ordre social est
priétaire, doit les remettre au tengan sob qui se charge
. au centre du système socio-politique dagara. Le seul tri-
d'en rechercher les propriétaires pour les leur resti-
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Sciences sociales et humaines
tuer. L'individu qui contreviendrait donc à cette dis-
tion d'El Hadji Tall au commandementdes Dagara, sus-
position seraitassirriilé à un voleur ou à 'un malhon-
cita leur irritation et leur réaction d'autant plus hostile
nête qui encourrait une sanction surnaturelle.
que cet auxiliaire dut s'enfuir nuitamment de Dario pour
Le système socio-politique dagara est tourné vers la
rejoindre Boromo8. .'
.
.
,
recherche constante de la paix, mais devant l'esprit d' in-
i l
dépendance et de fierté de l'horriine qui ne 'se soumet
L'administration française s'étant aperçue que les Dioula
à aucune autorité, on recourt à l'autorité surnaturelle
n'avaient point d'autorité sur les populations de la région
d'une puissance invisible capable de-dompterl'individu
et qu'ils ne pouvaient par conséquent constituer des inter-
et l'amener à la coexistence' pacifique. L'intrusion colo-
médiaires 'efficaces; ne s'accrochait plus 'obstinément
niale apporta un autre pouvoir de na~re toute différente,
à lasolutiondioula, comme ce futle cas dans le cercle
fondée sur une justice humaine très répressive; mais qui
voisin de Bobo-Dioulasso, .mais rechercha plutôt une
mit fin au phénomène de la vengeance du sang. '
solution plus adaptée au milieu. Elle s'attacha donc à
faire: une enquête sur les systèmes socio-politiques tra-
.L'lnstallatlon coloniale .et
ditionnels. Elle put s'apercevoir que « la hiérarchie' dans
"
. '
. " : l

le village avait son utilité» même si elle était insuffi-
la naissance du nouveau pouvoir
sante. Le lieutenant Quegneaux avait révélé l'exis-
tence de territoires placés sous-l'office de chefs de terre.
Un fait remarquable est qu'il n'a pasexisté à propre-
11 tenta de s'appuyer surces derniers pour imposer la
ment parler de conquête coloniale du pays dagara. A
domination coloniale. Mais devant leur. refus de com-
la signature du traité de protectorat en 1897 entre les
promettre leur autorité traditionnelle dans une colla-
Français et les DioulaOuattara de Diébougou, ces der-
boration avec le pouvoir colonial extrinsèque, Quegneaux
niersfirent comprendre à leurs hotesqu'ils imposaient
dut choisir le chef de canton parmi leurs proches parents
leur domination sur l'ensemble de la région, le sud-ouest
et s'attacha à les appuyer pour affermir leur autorité9,.
actuel du Burkina. Les Français comprirent donc que
Cette tâche fut des plus difficiles dans la mesure où
l'occupation de la région ne devait poser aucune
les nouveaux chefs auxiliaires de l'administration
difficulté.
n'avaient aucune expérience dans 1~ exercice du pouvoir
et ne manifestaient pas particulièrement, à l'inverse des
A l'installation coloniale, l'administration militaire tenta
Dioula, le goût du pouvoir.
de commander les Dagara par l'intermédiaire des Dioula
ou autres allochtones comme les Peuls alliés à ces der-
La culture du pouvoir était si absente que certains chefs
niers. Les Dagara refusèrent de se soumettre à l'autorité
étaient incapables de faire preuve d'autorité. Ils refu-
d'un chef indigène allochtone pour des raisons histo-
saient certains ordres administratifs comme les recru-
riques et de mentalité. En effet, ils n'avaient jamais
tements qui nuisaient à la cohésion du système social
été assujettis dans le passé par aucun conquérant. Ils
traditionnel. En résistant àleur supérieur hiérarchique,
eurent certes à affronter les Zaberma dans des épreuves
ils se montraient solidaires des membres de leur com-
de vendetta sans que ceux-ci aient réussi à leur imposer
munauté en défendant leurs intérêts c'est-à-dire leur
une quelconque domination (Duperray, 1984 : 64). Quant
liberté et se mettaient ainsi à l'abri des réactions vio-
aux Dioula installés à Loto et à Diébougou, venus à
lentes de ces derniers qui leur reprocheraient sinon
la rescousse des Djan contre les Dagara et les Birifor, ils
une attaque, du moins une trahison de la collectivité.
firent l'objet d'un long siège avant l'arrivée du colo-
Après six ans d'expérience, le capitaine Labouret
nisateur français (Delafosse, 1972 t2 : 368). L'hostilité
constata que le bilan des chefs de canton était
des Dagara vis-à-vis des conquérants Dioula qu'ils ont
faible, mais qu'il marquait un «progrès considé-
combattus fut farouche. Les Peuls étaient des éleveurs
rable dans les moeurs locales et dans l' administra-
employés au service des agriculteurs et ne pouvaient
tian» 10. En effet, il était apparu une hiérarchie à trois
jouir d'aucune influence dans le milieu. La nomina-
échelons: à côté du chef de famille et du chef de village,
'Rapport du Capitaine Labouret sur les commandements indigènes dans le Lobi, Caoua, 29 août 1918 Archives du CNRST-Ouagadougou, Bill, cercle de
Caoua.
.
'Somda, N. c., 1984: 159.
lOlbidem.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
79

Sciences sociales et humaines
il Y avait le chef de canton..L' administration s'investit
et des chefs de village, d'établir la hiérarchie sociale
à faire prendre conscience aux chefs de village et de
indispensabLe»] 2. Pour lui, le commandement efficace
canton de leurs attributions et devoirs nouveaux. Elle
ne pouvait s' exercerdans un village à l' habitat dispersé.
savait que pour amener ces chefs à adhérer au nou-
veau pouvoir comme un élément de leur évolution
On pouvait maintenant créer des conseils de notables,
actuelle, il.était indispensable d'opérer un changement
institués dans les autres cercles de Haute-Volta à partir
de mentalité. Mais les chefs administratifs n'avaient pas
de 1920 et qui constituaient une évolution importante
pris conscience du caractère irréversible du nouveau sys-
dans le système politico-administratif de la France en
tème politique et ne voulaient pas contribuer à son ins-
AOF. Avec le conseil des notables, on .passait de
titutionnalisation surtout qu'il se révélait particulière-
l'Administration directe, inspirée de la tradition jaco-
ment contraignant. Il y avait donc une résistance au nou-
bine, au système d'Association assez proche de l' Indirect
veau pouvoir et aux nouvelles institutions, même de
ruLe britannique. Mais compte tenu. de la situation par-
la part de ceux qui étaient invités à en être les dignaires
ticulière du cercle du Lobi, le gouverneur de Haute-Volta
au niveau locaL
proposa que le Conseil (ut composé en majorité des
notables et chefs ressortissants de la 'subdivision de
L'institution cantonale.créée dans le cercle du Lobi à
Diébougou; qu'il siégeât dans ladite circonscription
partir de 1912, n' eutau départ qu'une" utilité fiscale ~'
en attendant le moment où l'on pourrai t envisager d' aug-
pour la collecte de l'impôt. Les circonscriptions can-
menter la représentation des subdivisions de Gaoua,
tonales regroupaient des « villages voisins réunis par un
Kampti et Nako.
lien, d'ailleurs fort tenu, Le cuLte de La terre, consti-
tuent des divisions de gens acquittant ensembLedes taxes,
Dès lors, on transférerait le siège du conseil à Gaoua.
travaillant ensembLe aux routes et campements. Cette
Henri Labouret fit une objection à cette proposition du
communauté d'obligation ne peut manquer de faire une
gouverneur: «je ne pense pas opportun de placer, même
certaine solidarité» Il. Dès] 919, Labouret notait avec
provisoirement, Le conseil des notabLes à Diébougou,
satisfaction l'amélioration progressive de la situation
et de Le constituer par une majorité de personnes demeu-
dans la subdivision de Diébougou, dont il appréciait
rant dans cette subdivision» 13. Puis il montra qu'il Y
le calme, la soumission à l'administration qui se mesu-
avait un avantage à centraliser la direction administra-
rait par le paiement de l'impôt et le respect des obli-
tive et politique au chef-lieu, ce qui constituait pour
gations administratives diverses. En ] 912, la création
lui, une pédagogie d'action politique pour les popula-
du canton avait pu faciliter la même année le recrute-
tions de la subdivision centrale, encore très hostiles à
ment, et en 1917, le désarmement de la subdivision avait
la domination coloniale. Il souligna qu'il était essen-
pris fin. Labouret proposa alors qu'elle passât sous auto-
tiel de « rester dans l'esprit et dans La Lettre du.décret
rité civile.
constitutifl4 » et d'éviter de singulariser le cercle du Lobi
Mais la question de la résistance à la colonisation demeu-
qui «fera un nouveau pas vers l'assimilation complète
rait entière. Comme solution, Labouret recourut à la
avec les autres territoires de La colonie» 15. Le conseil
démolition des villages et au regroupement des popu-
de notables fut institué à Gaoua en novembre 1923 avec
lations dans de nouveaux sites car l' habitat traditionnel
pour attribution de la première session, la préparation de
était considéré comme le foyer de la résistance. Cette
la rentrée de l'impôt de 1924, le recrutement, l'extension
opération débuta en pays lobi en 1921-1922 et fut étendue
des cultures et de la production et l'examen de toutes les
en pays dagara en 1923-1924. Labouretjusitifiait sa poli-
autres questions importantes du cercle.
tique coloniale par le fait que le regroupement des popu-
Le conseil des notables était une Assemblée consulta-
lations permettait de « developper devant tous les devoirs,
tive sur laquelle l'administration s'appuyait pour prendre
obligations et droits réciproques des chefs de famille
des décisions, et les faire exécuter par la population, par
Il. Ibidem.
"Rapport du Capitaine Labouret sur la situation du cercle de Gaoua pour le premier trimestre 1923. Gaoua, le 31 mars 1923. Archives du CNRST-
Ouagadougou. Bill 1, cercle de Gaoua.
1.' Le Capitaine Labouret au Gouverneur de Haute-Volta, Gaoua le 24 août
1923. Archives du CNRST-Ouagadougou, BIV3. cercle de Gaoua.
"II s'agit du décret du 2 1 mai 1919 instituant le conseil des notables en AOF et en AEF.
IS. Ibidem
80
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
l'intermédiaire des chefs. Comme le cercle du Lobi était
s'était réellement affermie avec leur association autri-
difficile, Labouret proposa de stimuler les membres
bunal. Il s'était ainsi développé une justice locale, au bas
du conseil en leur attribuant une indemnité de 2 francs
niveau, calquée sur la justice coloniale et prononcée par
pendant la durée du conseil et leur déplacement. Mais
les chefs de canton qui étaient souvent saisis pour de
le gouverneur, se référant à l'article 10.du même décret
multiples problèmes. Le chef de canton eut par consé-
constitutif qui spécifiait que le mandat de membre du
quent l'habitude de trancher de nombreux problèmes où
conseil était gratuit, lui opposa un non possumus et pré-
il pouvait, contrairement à la coutume, prononcer publi-
féra allouer à titre exceptionnel cette indemnité pour
quement le tort d'untel et exiger de lui une réparation au
la première session.
profit de sa victime. Lorsqu'une des parties n'était pas
satisfaite, elle pouvait transférer le problème au niveau
Si le conseil des notables accrut l'influence de ses
du tribunal du cercle. Mais généralement, l'on évitait
membres et permit un tantinet une mainmise de l'ad-
le tribunal du second degré, dont la répression allait
ministration sur la population, Labouret ne s'en contenta
de la fixation d'amendes à la condamnation àune peine.
pas comme la solution définitive. Il était en effet très
de prison.
attaché à l'idée de ne pas se contenter des moyens de
bord, et alliant la psychologie à l'action politique, il
Selon également la gravité.de la faute, le chef de canton
ne cessait de faire des investigations pour trouver la solu-
se méfiait de trancher et déférait directement le pro- .'
tion idoine au problème de è'bmmandement dans son
blème au tribunal. Sans peut-être que l'administration'
cercle. Particulièrement au sujet de l'administration des
s'en aperçoi ve, les chefs de canton étaient devenus de
Lobi, il étudia « la possibilité d'utiliserl'influence des
véritables références du pouvoir, délibérant sur des
prêtres du dyoro dans un but politique »16.11 fit du recen-
délits mineurs comme le conflit au sujet de la femme,
sement un instrument de politique coloniale, car il y
le vol, etc. Mais parce que leur culture du pouvoir
voyait le moyen d'affermir les commandements indi-
n'était pas manifeste, ils n'apparaissaient pas aux yeux
gènes.
de l'administrateur comme des personnalités suffi-
samment influentes. Le retour au calme et la dimu-
Un autre moyen de pacification et de soumission des
nition de la criminalité étaient le résultat d'une « répres-
populations utilisé par Labouret fut la répression par
sion judiciaire ferme et incessante »19. De plus, le
le tribunal. Il rappelait que la justice est la force qui arrête
manque de tradition de pouvoir exécutif expliquait les
la force. En effet; si la notion de justice existait en tant
nombreuses maladresses dont ils faisaient montre dans
que volonté de rechercher les solutions aux problèmes
la société.
de la société, la justice en tant que système institution-
nalisé avec un tribunal n'existait pas dans la société tra-
Le paiement en entier de l'impôt au niveau d'un canton,
ditionnelle. L'inculpation et la condamnation des cou-
l'accomplissement des prestations sans difficultés étaient
pables de délits au tribunal du cercle ont été pour lui
également pour l'administrateur des indices de la sou-
le moyen « d'éduquer» 17 les populations à renoncer
mission des populations. Il importe de souligner que
à l'esprit de vengeance qui déterminait certains com-
la soumission ne supposait pas une obéissance à
portements des populations de son cercle. L'institution
l'administration. Elle ne supposait pas en effet un res-
de la justice, les tournées fréquentes, les recensements
pect et une acceptation du système établi. On était
des populations, l'affermissement de l'autorité des chefs
contraint de se soumettre parce qu'on ne pouvait pas
ont entraîné un changement de mentalité ~u'il nota avec
échapper au système. Mais tant qu'il y avait un relâ-
satisfaction dès le milieu de l'année 1923 8. Les chefs,
chement de la pression, de la constante menace de l' exer-
étroitement associés à la justice coloniale, étaient devenus,
cice de la force, il n'existait plus d'obéissance. Les popu-
parce qu'ils étaient investis de l'autorité, des références
lations avaient tendance à reprendre leur liberté
à la fois politique et judiciaire. On se référait en effet
vis-à-vis de l' administration.L' administration constata,
au plus fort pour réclamer la justice. L'autorité des chefs
à partir de 1923, que« l'indigène» lui témoignait une
"Rapport sur la situation politique du cercle de Gaoua pour leprcmier trimestre 1923. Gaoua le 31 mars 1923 op. cit.
11. Le terme est de Labouret.
18. Rapport sur la situation politique du deuxième trimestre 1923. Gaoua le 23 juillet 1923.
"Rapport annuel du cercle de Gaouade 1923. Archives du CNRST. BlII!.
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81
\\

Sciences sociales. et humaines
confiance de plus en plus grande, ce qui apparaissait
tuer-simplement à créer dé façon systématique une
comme une marque évidente de son évolution. Il accep-'
hiérarchie au sein de populations qui la réprouvaient
taitde se faire recenser chez lui, venait de région éloi-
farouchement. Il pensait -
et c'était pour lui une convic-
gnée lorsqu'il était convoqué. Labouret put noter avec
tion -
que c'était l'esprit municipal quiconvenaitaux
satisfaction: « les instructions données par le gouver-
populations du cercle de Gaoua notamment à celles
neur au sujet de l'impôt, du regroupement, des chef-
de la subdivision de Diébougou qui avaient été « cal-
feries, de la paix, ont produit partout la plus heureuse
méeset domptées par des sanctions appropriées ». Il
influence. Chacun sent désormais la présence d'une sol-.
rappellait qu' « il ne faut pas perdre de vue que le but
licitude ferme, et très proche. Dans ces conditions, les
vers lequel nous tendons ici est le remplacement de l'in-
centres d'esprit indépendant ne peuvent maintenir leur
dividualisme local par une institution communale,
attitude et sont obligés d'arriver à composition »20..
de type analogue à celui dont usèrent les antiques
Européens »23. Il fallait donc développer « le sens de
L'utilisation de laforce armée dans les années 1910
la solidarité dans les groupes defamillesexploitant
s'étant révélée inefficace, Labouret s'avisa, au début des
la même terre »avant de chercher à placer à leur tête les
années 1920, qu'il fallait se mettre à l'école de Galliéni
chefs dont.on s'attacherait à affermir progressivement
afin d' expérimenter sa méthode coloniale, selon laquelle
l' autorité. Par cette politique, la subdivision de Diébougou
pourréussir le contact avec les populations, il était indis-
ne présentait plus de différence avec les autres cercles
pensable d'« unir la politique à l'action vive et mani-
du territoire de Haute-Volta.
fester la force pour en éviter l'emploi »21. Le calme qui
caractérisait la' situation politique de 1923, a permis
Mais l'enthousiasme de Labouret sera de courte durée.
de vanter la méthode de « répression judiciaire ferme' et
Les populations de cette subdivision avaient trouvé une
incessante » jadis utilisée par Galliéni.
nouvelle forme de résistance à la colonisation en trans-
formant les cases de leurs champs de brousse en habi-
Les difficultés rencontrées dans le cercle de Gaoua rési-
tations permanentes. Les Dagara avaient en effet l' ha-
daient dans le système social traditionnel qui se carac-
bitude de construire ces cases dans lesquelles ils déme-
térisait par l'absence de la hiérarchie. Selon toute vrai-
nageaient provisoirement en hivernage pour un séjour
semblance, l'organisation sociale influe sur le com-
limité de travail ne dépassant pas en général une
portement de l'individu. Or chez les Dagara et les Lobi,
semaine. En temps colonial.ces cases de brousses appe-
il n'existe pas d'entité politique au-dessus du village
lées guri (sing. gur) devinrent des lieux de refuges pour
et non plus d'exercice d'un quelconque pouvoir coer-
échapper aux obligations administratives, et prirent
citif en dehors de la famille. De plus, l'esprit d'indé-
le caractère d'habitations définitives isolées dans
pendance qui anime ces populations se traduit par une
la brousse. Labouret craignant que x ces mouvements
occupation de l'espace selon un habitat très dispersé,
clandestins » n'aboutissent à un « retour rapide
conséquence également d'un refus d'assujettissement à
à l'anarchie primitive », donna l'ordre au chef de sub-
une autorité supérieure. Labouret ne vit dans ce système
division de Diébougou de « procéder au regroupement
social «qu'une poussière d'intérêts individuels contra-
des maisons afin de faire disparaître les indépendants,
dictoires, respectivement hostiles, à peu près inconci-
d'assurer l'exercice normal du commandement dans
liables »22. Il notait surtout que l'absence de chefs était
les conditions acceptables ». Il prescrivit toutefois
la cause de toutes les difficultés que rencontraitl' ad-
de ne pas transformer au cours de cette opération les
ministration et que celles-ci ne disparaîtraient qu'après
habitudes sociales, comme par exemple la politique-qui
«
la naissance et le développement de l'esprit
consisterait à obliger les populations à vivre en villages
municipal ». Selon donc le système social traditionnel,
agglomérés à l'image des Bobo. Le chef de subdivi-
il fallait trouver une forme de gouvernement qui fut
sion devait s'efforcer, selon les instructions de Labouret,
un cadre d'évolution adapté à la mentalité des popu-
d'obtenir un resserrement des maisons en formant
lations. Labouret s'avisa ainsi qu'il ne fallait pas s'éver-
des zones peuplées et à faire disparaître les solitaires.
20 Rapport sur la situation politique du deuxième trimestre 1923 du cercle de Gaoua, op. cil.
" Ibidem.
" Ibidem
zx Ibidem
82
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
Mais Labouret ne se faisait point d'illusion: cette poli-
fait contre son autorité et on allait jusqu'à lui déso-
tique n'était efficace que si l'on maintenait le contact
béir. Certaines populations, parce qu'elles ne souffraient
avec les populations par des opérations fréquentes
plus de subir l'autorité de tel chef, avaient préféré émi-
de recensement, par des tournées et des reconnaissances
grer dans d'autres cantons pour échapper à l'arbitraire
topographiques. On repérerait ainsi les maisons isolées
de ce dernier.
et l'on inviterait leurs occupants à rejoindre une agglo-
Les chefsde canton avaient surtout profité de la poli-
mération après la récolte. Cette situation fit conclure
tique de mise en valeur économique pour se bâtir des
à Labouret que « plusieurs années s'écouleront avant
puissances économiques. C'est à travers cette poli-
que ce pays jouisse d'une hiérarchie écoutée et
tique que les populations ont le plus souffert de l'op-
efficace ».
pression coloniale.
En 1924 et 1925 on a pu noter une amélioration de la
A partir des années 1940, l'administration allait insister
situation politique et l'affirmation réelle de l'autorité
sur l'obligation d'obéir aux chefs, mais elle mettait
des chefs qui « donnent partout satisfaction et contri-
ces derniers en garde contre les abus de pouvoir. On fai-
buent puissamment à rétablir et resserrer le contact avec
sait de l'obéissance au chef un critère d'allégeance à
l'indigène »24. Cette influence personnelle acquise
l'autorité coloniale représentée par le commandant de
par ces derniers eut pour effet de rendre dociles les popu-
cercle. Parce qu'ils étaient les représentants de la France
lations du cercle, notamment celles de la subdivision de
auprès des leurs, l'administration exigeait des chefs, plus
Diébougou.
que la droiture, une probité morale sans laquelle ils s'ex-
posaient aux sanctions, sinon à la révocation. Au cours
L'apparition, dès 1926 du régime d'exactions excep-
de sa tournée dans le cercle de Gaoua, l'administra-
tionnelles, avait donné plus d'influence aux chefs de
teur fit cette mise en garde: « tout chef qui abusera
canton. Ils nommèrent, en dehors du chef de village, des
de son commandement, tout chefqui directement ou par
représentants dans les villages souvent appelés polisantis
l'intermédiaire de ses représentants réclamera à ses
ou prisandés. Ces derniers furent coupables de nom-
administrés sans les payer; au nom du « commandant »,
breux abus si bien que la domination coloniale se fit
poulets, milou tout autre produit sera remplacé »25.
sentir de façon plus vive. Avant, le chef de canton avait
trop de scrupule envers les populations de sa circons-
Si J'administration refit une campagne pour rasseoir l'au-
cription et ne pouvait par conséquent exercer d'oppression
torité des chefs, ces derniers firent l'objet à partir de
sur elles. Avec le Régime d'exactions, le chef exerce des
1946 d'une contestation de la part des élites politiques
abus sur ses sujets sous le silence complice de l'ad-
qui virent en eux des exploiteurs éhontés des popula-
ministration. L'indigène était auparavant confronté à
tions. Dans tous les cas, l'administration tenait toujours
l'administrateur qui s'évertuait à lui faire reconnaître
au respect des chefs qui furent d'ailleurs au centre du
l'autorité d'un alter ego érigé en auxiliaire de l'admi-
jeu démocratique, comme des forces de mobilisation très
nistration. Désormais, il est mis face à face avec cet auxi-
courtisées à l'occasion des opérations électorales. Pendant
liaire qui bénéficie de l'appui de l'administration et qui,
cette période de la décolonisation, caractérisée par la
ce faisant, devenait le détenteur de la force utilisée contre
suppression du travail forcé depuis la Loi Houphouet
lui. Les populations ne résistaient plus à J'administra-
Boigny de 1946, Jes chefs donnaient généralement satis-
tion proprement dite, mais aux chefferies de canton avec
faction à l'administration qui les mettaient en garde
leur mécanisme de la violence. II apparaissait dans ces
contre la propagande du Rassemblement Démocratique
conditions des cas d'insubordination qui se manifes-
Africain (RDA). Ils les incitèrent à contrecarrer les actions
taient selon les situations par la défiance de l'autorité du
de ce parti dans leurs circonscriptions respectives/P. Le
chef, par le refus d'exécuter ses ordres, par l'émigration
soutien de l'administration était essentiel dans l'ac-
du canton ou du territoire. En défiant le chef, on se rebif-
complissement de leur tâche, mais comme il leur man-
"Rapport sur la situation politique du deuxième trimestre de 1924 du cercle de Gaoua, le 20luillet 1924. Archives du CNR5T.
"RappoI1 de tournée dans le cercle de Gaouajuin 1942. Archives du CNR5T. BVD.
"Rappol1 annuel dejuillet 1950. Archives du CNR5T. BVILJ.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
83

Sciences sociales et humaines
quait le tact, ils avaient besoin d' « être poussés ».
vail profond de sensibilisation des populations contre
Leur contestation par les leaders du RDA les mettait
l'action du parti du Rassemblement démocratique afri-
au défi d'assumer correctement leur tâche. Avec la
cain, considéré comme un parti d'opposition, afin de les
propagande des partis politiques contre leur autorité
reprendre en main et éviter qu'elles ne passassent sous
· et surtout la suppression du travail forcé, les populations
son contrôle27.
.. avaient de moins en moins peur de leur pouvoir; quoique
du reste, l'influence d'un parti comme le RDA s'exer-
Les objectifs du RDA dans l'éveil politique visaient à
· çait davantage dans les chefs-lieu de circonscription que
libérer les populations de l'oppression coloniale, le plus
· dans les campagnes. A l'inverse du RDA qui passa pour
souvent orchestrée par les chefs administratifs. Les lea-
:'~tré le parti d'opposition en raison de sa propagande sub-
ders du RDA n'hésitaient pas, par conséquent, à s'at-
·::~ersive et qui fut contesté au premier chef par l' admi-
taquer à ces derniers pour détruire leur influence sociale
,;nistration, le Mouvement populaire d'évolution africaine
et politique. Mais dans le jeu électoral, seuls les élites
.(MPEA) de Nazi Boni jouissait de plus de préséance
et les chefs s'intéressaient aux consultations, contrai-
auprès de l'autorité administrative et indigène à la fois.
rement à la masse paysanne qui montrait généralement
de l'indifférence et qui pouvait, en balançant pour
.C'est ce qui a expliqué que la subdivision de Diébougou
tel ou tel leader, déterminer l'issue des élections. La
·n'ait pas été, contrairement aux autres circonscriptions
lutte du RDA visait à prendre la défense des popula-
· de l'Ouest de la Haute-Volta, un théâtre de violence poli-
tions en essayant de prouver les torts des chefs, afin de
J.ique. Ainsi, le caractère paisible de l'ordre public en
compromettre toute possibilité d'intelligence entre les
· ~ ?51, l'acquittement de l'impôt et des cotisations pour
deux parties. Mais du fait que le RDA apparut assez
la Société Indigène de Prévoyance ainsi que lepaiement
rapidement comme le parti des Dioula limitait son
· sans difficultés des taxes de bétail étaient attribués à l'ab-
influence au milieu des Dagara. Le discours politique
··sence, dans cette subdivision, d'une propagande du RDA.
de ce parti était surfait à la fois parce qu'il manquait
· En effet, l'action des missions catholiques, très hos-
de pertinence, et parce que ses préoccupations furent
· tiles par principe au RDA affilié à un parti communiste,
le plus souvent prises en compte par l' administration-
· avait éloigné les populations dagara de la solution poli-
qui disposait de reste de tous les moyens de sa poli-
tique du RDA. Les missionnaires orientèrent leurs fidèles
tique. A partir du désapparentement de 1950, ce dis-
vers le MPEA, parti plus modéré et plus conciliant avec
cours était vidé de ses préoccupations d'évolution
l'administration. Le pays dagara apparut assez rapide-
sociale et économique au profit des populations afri-
ment comme son bastion, dans la mesure où la plu-
caines, pour se ramener simplement à de la rengaine
part des votes se faisaient en sa faveur, quoique ce
politicienne. L'influence du RDA resta à peu près
parti y manquait de leader efficace. Le MPEA, créé et
urbaine. Malgré donc le désapparentement, il subsis-
dirigé par un protestant, était apparu comme le parti des
tait à l'égard de ce parti une méfiance qui tenait à
chrétiens. Sans qu'on pu isse parler de confession na-
l'agressivité de son discours et à son ton excessif de la
lisme, l'adhésion à un parti politique a dépendu, à ce
revendication. Les campagnes électorales prenaient
moment, des influences extrinsèques qui s'appuyaient
souvent l'allure d'un duel entre le RDA et le MPEA.
plutôt sur l'orientation des partis que sur leur discours
Mais à partir de 1952, le RDA devint plus souple vis-
politique prononcé au cours des campagnes électorales.
à-vis de l'autorité administrative et montrait de bonnes
Si les missionnaires catholiques invitaient leurs fidèles .
dispositions à coopérer loyalement avec elle. Ce rap-
à adhérer au MPEA, ce n'était point pour se rappro- .
prochement de l'administration lui permettait de recon-
cher des protestants, mais plutôt pour s'éloigner/du com-
quérir son électorat démobilisée par celle-ci, mais ce
munisme qui constituait a priori la toile de fond de l'orien-
(
parti butait toujours en pays dagara, à l'influence du
tation politique du RDA. A certains moments, l'admi-
!\\;fPEA qui enregistrait toujours plus de succès en dépit
nistration se sentait dans l'obligation de faire un tra-
i
/ de l'absence d'un leader efficace. Il est vrai que les
11 La plupart des rapports politiques mensuels de 1951 de la subdivision de Diébougou et du cercle de Gaoua insistent sur la propagande de controverse
lancée par l'administration contre le RDA.
84
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
chefs n'avaient pas toujours respecté les consignes
auxiliaires indispensables du nouveau système politique
de neutralité exigées par l'administration. Ils militaient
. issu de la colonisation. Ils intervenaient donc au devant
dans l'un des deux partis ou se laissaient influencer par
.de la scène politique villageoise, occultant les chefs
leurs dirigeants. Ainsi, parfois, des chefs de canton,
de terre (tengan dém) qui, dans la société précoloniale,
comme ceux de Founzan et de Bapla, se virent désa-
représentaient les personnages de premier plan. Mais les
:>'
' ..~
voués par le vote. Or, en leur prescrivant la neutra-
chefs de terre, sans contester ces derniers, s'engageaient
f
lité politique, l'administration aurait voulu qu'ils fus-
à défendre les intérêts coutumiers face aux transfor-
sent à l'abri des influences politiques qui ne leur garan-
mations coloniales qui ébranlaient des structures sociales
tissaient pas toujours une autorité entière, et que par
traditionnelles.
conséquent, ils restassent irréprochables et ne fussent
pas trop contestés.
la r~surgence des chefs de terre
Jusqu'en 1954, les chefs ont conservé une autorité suf-
ou j,te refus de la mise sous
fisante pour que la plupart des services administratifs
tutelle?
soient exécutés par leur intermédiaire sans difficulté. On
il pu souligner le caractère démocratique de leur manière
La création des chefferies de village et de canton a
de diriger des populations qui, elles-mêmes, se mon-
entraîné.le repli en arrière-plan et dans le silence des
traient dociles. Les difficultés n'apparaissaient dans
chefs de terre. Les chefs administratifs étaient devenus
un canton que lorsque la nomination d'un nouveau chef
de nouvelles références du pouvoir qui occupaient tout
se faisait en dehors de la famille du précédent. Cette
l'espace politique, passant souvent pour des garants
situation eut lieu à Bapla où la famille de l'ancien chef
de la paix et de l'ordre social avec le soutien actif de
s'opposa au nouveau en essayant de lui créer des dif-
l'administration coloniale. S'ils exercèrent en partie
ficultés dans l'exercice de sa fonction et o~ta pour le
la fonction qui fut celle des Tengan dém, de garant de
RDA afin de contrebalancer son influence2 .
la paix dans le village, ils se méfiaient d'intervenir dans
le domaine du sacré. Il naquit donc, depuis la coloni-
A l'inspection du cercle en juin 1954, l'inspecteur des
sation, la dissociation du politique et du religieux dans
affaires administratives, Jean Guillemet, n'a pu signaler
l'exercice du pouvoir villageois. Le pouvoir politique
l'existence d' aucun chef inapte à ses fonctions. Mais les
est exercé par le chef issu de la colonisation tandis que
•...
trois chefs de Koper, Oronkua et Dano ont particuliè-
le domaine du sacré et de la manipulation des forces
rement retenu son attention comme les meilleurs auxi-
du surnaturel pour garantir J'équilibre psychologique de
liaires de l'administration. On n'a pas noté en pays dagara
la société villageoise reste concentré entre les mains
une hostilité des missionnaires à l'égard des chefs, comme
du Tengan soho Plusieurs occasions s'offrirent à l'ex-
ce fut le cas dans les cercles de Bobo-Dioulasso et de
pression des chefs de terre qui firent l'objet d'une atten-
Dédougou, où ils s'érigèrent souvent en défenseur de la
tion particulière, selon la circonstance, de la part de l' au-
cause des indigènes contre l'exploitation des chefs.
torité administrative.
Au contraire, dans la période de décolonisation, les chefs
A partir des années 1950, la subdivision de Diébougou
furent fortement impliqués dans les activités écono-
fut concernée par l'extension du culte du Dieu de San,
miques et d'autopromotion communautaire entreprises
destiné à assainir le village en y éliminant les sorciers et
par les missions. Lorsque celles-ci créèrent dès les années
qui avait la réputation d'apporter des pluies abondantes,
1950 les coopératives de Dano et de Dissin, elles en
de bonnes récoltes et la fécondité pour les femmes. Dans
confièrent la direction aux chefs de canton de Dano et
un système colonial qui constituait un agent d'ébran-
de Zamb029.
lement des structures ancestrales, la fonction appa-
En plus de leur fonction politico-administrative, la ques-
rente de ce culte était de garantir la pérennité de l'ordre
tion du développement économique et sociale devint une
ancien par le recours aux préceptes religieux. La condi-
des préoccupations des chefs de canton et de village,
tion pour bénéficier des grâces du Dieu de San était
is Rapport politique annuel de 1954 du cercle de Diébougou. Archives du CNRST, B Il.
"Inspection générale du cercle de Diébougou, 1954. Archives du CNRST, BII
Rev, CAMES - Série B, vol. 01, 1999
85

Sciences sociales et humaines
d'amener les habitants du village postulant à obéir à leur
une autre d'ordre plus rationnel qui mettait en doute
chef, à respecter les coutumes ancestrales «afin de
les manifestations réelles de la puissance de ce dieu.
n'avoir plus dans le village qu'une seule bouche et qu'un
D'autres personnes convaincues apportaient cepen-
seul coeur »30. La seule obligation était le repos les
dant des controverses à la première thèse en admet-
lundis. Les préoccupations, d'ordre purement socio-éco-
tant la possibilité pour leur village d'adopter le nouveau
nomique de ce culte, axées sur la recherche de la cohé-
culte. Mais comme les décisions en la matière, pour être
sion sociale, ne heurtaient pas les croyances ancestrales.
valables, doivent être prises à l'unanimité, ces der-
Elles impliquaient en plus la recherche de la sécurité
niers n'ont pu obtenir l'importation du culte.
individuelle et familiale par sa capacité supposée de
donner à la collectivité villageoise la force de s'opposer
Le succès de ce culte au Soudan, dans l'Ouest de la
au sorcier, cette menace constante contre la paix dans le
Haute-Volta et au nord de la Côte d'Ivoire, avait amené
village. Avec le nouveau culte, le sorcier était «pris entre
l'administration française à lui accorder une importance
l'alternative d'être mis à l'index de la spécialité et de
particulière. Le culte était accorder par les chefs de terre
disparaître ou d'abandonner ses pratiques et de retourner
qui entendaient, conformément à la coutume, apporter
à la vie normale »31. Quelques exemples de disparition
la paix et résorber le désordre dans leurs villages res-
de sorciers avaient constitué la preuve de l'efficacité du
pectifs. La gestion de la paix par le recours au rituel reli-
nouveau dieu et entraîné l'adhésion de nombreux vil-
gieux s'inscrivait dans l'ordre des phénomènes cultu-
lages. La sanction prévue en cas de non observation
rels qui restaient vivaces en dépit de l'existence de nou-
de ces préceptes était le départ du « fétiche» et «
velles structures administratives et judiciaires compé-
l'abandon des habitants du village à leur triste
tentes. Il n'y a pas eu de rupture, à l'intrusion coloniale,
sort »32. Le culte du Dieu de San apparaissait donc
des systèmes politico-judiciaires de régulation de l'ordre
comme une pratique cultuelle pacifique qui ne présen-
social. Ainsi, la religion devenait-elle le meilleur fac-
tait pas d'incompatibilité avec les cultes ancestraux.
teur de résistance à la colonisation. Georges Hardy avait
souligné l'importance du facteur religieux comme obs-
Dans la subdivision de Diébougou, quatre cantons sur
tacle sérieux à la diffusion de l'influence française, parce
treize étaient concernés par l' extention du culte. Le canton
que la religion rendait difficile le rapprochement entre
de Founzan peuplé en majorité de Bwa avait entière-
les peuples colonisés et les Français. Il en conclut qu'
ment adopté le culte et envoyé par village une dizaine
« une colonisation qui ne tiendrait pas un compte suf-
de délégués à Walo, près de San au Soudan français.
fisant des forces morales courait à son échec» (Hardy,
Dans celui d'Oronkua, huit villages sur 21 avaient
1940 : 6). En effet, la France eut une attitude soup-
importé le culte. Six villages du canton de Diébougou
çonneuse vis-à-vis des religions traditionnelles, sup-
et six autres du canton de Dolo firent de même. Le
posées suceptibles d'animer des mouvements sociaux
chef de terre de Diébougou-Djan fut tenté de l'importer,
et politiques délétères à l'influence française. Certains
mais il se heurta à une interdiction coutumière qui s' op-
cultes étaient sévèrement réprimés, comme celui du
posait à l'introduction de cultes et de médicaments d'ori-
Boron qui connut en 1932 à Bobo-Dioulasso un succès
gine étrangère. Le culte pénétra donc par le nord, puis
immense (Somé, 1993 : 10). D'autres cuites, comme
gagna progressivement les cantons méridionaux, tou-
celui du Dieu de San, firent l'objet d'une attention par-
chant notamment les populations bwa, pougouli, djan et .
ticulière. Plusieurs enquêtes furent faites autour de ce
la fraction wulé des Dagara qui se trouvaient représentée
dernier sur l'ensemble du territoire voltaïque, car on crai-
\\
par les trois villages dOronkua, Pana et Kankaniba.
gnait l'établissement possible d'un réseau de cornmu- ,,\\
Dans les cantons de Dano, Guéguéré, Koper et Dissin,
nication entre le propriétaire du culte et les divers adeptes
touchés par l'action missionnaire catholique, il était
éparpillés à travers les colonies et qui l'achetaient.
apparu une opposition idéologique au culte. On trouvait,
Urie telle connexion entre eux pourrait constituer une
comme à Diébougou, soit une justification d'ordre cou- .
"menace contre l'influence française. L'administration
tumier de rejet par Tengan des cultes étrangers, soit·
coloniale redoutait d'autant plus une telle situation qu'elle
2<J Rapport de l'administrateur Bouquin, chef de la subdivision de Diébougou à Monsieur J'administrateur commandant le cercle de Gaoua, Diébougou le 30
septembre 1951.
.
,1. Ibidem.
"Ibidem.
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Sciences sociales et humaines
pourrait servir, comme ce fut le cas de l'Islam noir, à
sacrée. On se retrouve, comme chez les Mossé, dans une
la diffusion d'informations défavorables à la France,
sorte de séparation du pouvoir où le chef politique est le
et être la source d'une résistance à la colonisation fran-
délégué administratif et où le chef traditionnel reste le
çaise.
tengan sob, à la seule différence que, chez les Dagara,
le pouvoir politique; qui relève du système d'adminis-
Les importations de cuite semblent correspondre à des
tration moderne, n'est guère centralisé ou apparaît comme
moments de crise ou de conjonctures défavorables aux
un maillon de la chaîne de la centralisation adminis-
systèmes de production économique. Les populations
trative burkinabé. Certains villages, comme ceux de
entendent souvent rechercher la solution à la crise à tra-
Lofing et de Mébar, furent subdivisés depuis la colo-
vers des cultes plus appropriés, réputés capables de la
nisation en deux unités administratives dirigées chacune
résoudre. En 1973, plusieurs villages de l'ancienne sub-
par un délégué; mais ils restèrent pendant longtemps
division de Dano avaient importé le culte du Duba, encore
soudés par un même tengan avant que des conflits
appelé La'ho, aux mêmes fins d'élimination des sorciers
internes n'éclatent et ne nuisent à l'unité de la concep-
dans les villages. Ces derniers étaient accusés d'être
tion traditionnelle du village.
la cause, en raison de leurs méfaits, de la sécheresse
et de l'insécurité psychologique au sein des populations.
Le village administratif, qui avait été créé pour faci-
Ce culte fut très vite décrié et abandonné parce qu'il était
liter la mainmise coloniale sur les populations afin de
apparu comme la source de discordes dans de nombreux
les mobiliser à des fins de prestations de travail forcé,
villages entre païens et chrétiens. Ces discordes furent
a fortement maintenu les liens de solidarité familiale
vite oubliées puisqu'en 1990-91, ces mêmes villages
et leur a donné une primauté sur le critère géographique
allaient importer le culte du Dén djugu réputé plus
de l'occupation de l'espace. Dans les villages tradi-
efficace et qui impliquait en même temps le culte de
tionnels subdivisés en deux, les groupes de familles agis-
la possession. Ces exemples d'importation de culte mon-
saient en fonction de leurs intérêts et pouvaient se déso-
trent que malgré l'influence de la modernité insufflée
lidariser de leur chef dont ils étaient mécontents de l'au-
par la colonisation, les chefs de terre qui avaient refusé
torité. Ils allaient à la préfecture se faire inscrire sur
de collaborer avec l'administration coloniale et furent
la liste du second village administratif issu de la divi-
de ce fait marginalisés dans la prise de décision du
sion coloniale, donnant l'impression qu'ils avaient migré
nouveau pouvoir, entendaient conserver toutes leurs pré-
d'un village à l'autre. Ces pratiques montrent que des
rogatives coutumières et agir librement dans le sens que
populations évoluant dans le même espace sociopoli-
leur confèrait le pouvoir traditionnel. Ils ne se préoc-
tique traditionnel, exploitant leurs terres ancestrales, peu-
cupaient pas de contester les chefs de village, ni d'en-
vent paraître mouvantes sur la carte politico-adrninis-
gager une concurrence d'aucune sorte avec ces derniers,
trative moderne. En situation frontalière, des familles
mais ils ne manquaient pas l'occasion de montrer qu'ils
évoluant dans un village dont le chef administratif n'a
étaient les gardiens de la tradition.
pas été choisi parmi leurs membres, préféraient, pour
Au lendemain des indépendances, les chefferies de
échapper à l'arbitraire de ce dernier, se faire recenser
canton, qui firent l'objet de la plus grande contesta-
dans le village voisin d'où elles sont venues et où un des
tion, furent supprimées. Restaient les chefs de village
leurs avait été nommé chef par l'administration colo-
qui furent soumis à l'autorité directe des chefs de sub-
niale. Dans ces conditions, les statistiques en matière de
division, comme représentants de l'administration dans
population au niveau d'un village donné ne réflètaient
le village. L'autorité de chef de village permit l'ap-
pas souvent la réalité. Ces situations font aujourd'hui
prentissage de la démocratie. Le chef d'origine colonial,
l'objet de griefs, sinon de tensions latentes entre les vil-
devenu depuis la Révolution d'août 1983 délégué du vil-
lages de Lofing et Mébar, Lofing et Bankandi, Bankandi
lage, représente l'autorité d'ouverture au monde. Il réuni t
et Mébar et Bankandi et Gnibama. En effet des popu-
la population villageoise autour des objectifs de déve-
lations de la famille des Cané biir sont installées à Lofing
loppement et collabore, de ce fait, avec les agents des
et à Bankandi, mais se font recenser à Mébar ; d'autres
services techniques établis dans les chefs-lieu de pro-
étant des Birfuo biir sont établis à Bankandi mais se font
vince, de département ou même dans le village, ainsi
recenser à Lofing, etc. Ici, les revendications de ratta-
qu'avec les partenaires au développement intervenant
chement au village d'exploitation de leur terre, parti-
dans les milieux ruraux. Cette fonction de développe-
culièrement dans le cas de Bankandi, se font sur la
ment est.encore aujourd'hui refusée par le chef de terre
base de la conception traditionnelle du village. Dans
qui s'enferme dans son rôle strict de gestion de la chose
cette optique, c'est le délégué de village qui s'associe
Rev. CAMES - Série B: vol. 01, 1999
87

Seienses sofiales et humaines
.;., ..
. '~'.'"
"1• .
-
avec le tengan sob ptJYfexiger l'intégration dans leur ." ..... : politique villageoise. Intervenant comme les relais de
village des familles~l se trouvent dans cette situa~.J'adminis'trationcoloniale et plus tard burkinabè auprès
tioa. Il y a comme une~~rtede reconstruction des entités: ",
', .. 'des populations, les chefs de canton et de village dorni-
villageoises fondée eliiSffiême sur une volonté de recon-
,., .naientpratiquernent tout l'espace politique. Mais les chefs
quête de l'espace g~Qpoliüquetraditionnel.On entend:
'de terre ont souvent tenus à montrer qu'ils occupent
ainsi amener des pop~~(ititins évoluant dans un même
. :-une place irremplaçable dans la vie politique villageoise,
village à exprimer leJfientiment d'appartenance à ce
..~commegarants de l'équilibre psychosociologique et gar-
village.
diensdes traditions.
A la traasition démocratique de 1991, et en l'occurrence "
, -. Les Dagara ont réussi à s'accommoder de ces deux
aux législatives de 19n, les' délégués de village jouè-
pouvoirs qui ne s'excluent pas l'un l'autre, mais parais-
rent un rôle important dans la mobilisation des popula-
sent plutôt complémentaires. Il semble ainsi que si
tions autour du scrutinélectoral. L'administration s'ap-
.: , la chefferie traditionnelle garantit la survivance du sys-
puyait sur eux pour établir les listes électorales et les
tème traditionnel de façon irrémédiable, la chefferie
distribuait dans les différents villages par leur intermé-
,:Ide village issue de la colonisation est le moyen d'ou-
diaire. Le parti du üm$tès pour la démocratie etle pro-
'verture au monde et la structure de contrôle de la popu-
grès (CDP) qui constitue le Parti-Etat de l'heure,en
lation par l'administration burkinabè. Qui plus est, elle
s'appuyant sur l'administration pour battresa campagne
apparaît désormais dans le système politique national
politique, a trouvé dans les délégués de village des agents
comme le rouage essentiel du jeu de la démocratie.
de mobilisation efficaces qui lui permirent de' gagrer
L'exercice traditionnel de la prise de décision subsiste,
"
les élections.
. mais l'apprentissage du jeu de la démocratie dans la
société moderne trouve son point d'ancrage dans la
chefferie villageoise. On est ainsi installé, depuis la
Conclusion
colonisation française, dans un double système de réfé-
Cette étude, qui n'est pas exhaustive, montre cependant
rence au pouvoir.O
que la religion a imbriqué le système politique tradi- '
tionnel dagara au point de paraître comme un aspect.
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_
The traditional political system of the Daqara people
~ strongly involves the religious fonction in general,
traditionnel des Dagara du Burkina
.::
and more specitically the manipulation of the sacred.
à l'épreuve de la colonisation
~ The village government is in the hands of the
c::e Tengan 50b (chief of the land), who is assisted
Le système politique traditionnel des Dagara
by the-Seo 50b (sacrificer) and by the Village
implique fortement la fonction religieuse notam-
Assembly. The system, because of its religious
ment la manipulationdu sacré. Le pouvoir villageois
fonction, excludes authoritarianism and coercion,
est exercé par le Tengan 50b (chef de terre) qui
and is geared toward the search for peace and
s'appuiesur le 5UO 50b (sacrificateur) et l'Assemblée
social cohesion.
villageoise. Il exclut, en raison de sa fonction reli-
gieuse, l'autoritarisme et la coercition et est orienté
The French colonial administration initially tried
vers la recherche de la cohésion sociale et de la
to use the political traditional authority in order to
paix.
reach the populations, but when it failed to get
the expected collaboration, it decided to set up a
L'administration coloniale française a voulu s'ap-
new system that filled up the entire political gap.
puyer sur l'autorité politique traditionnelle pour
Nevertheless, this problem did not stop the expres-
atteindre les populations, mais devant le refus de
sion of traditional authority which, through the
celle-ci de collaborer, elle a créé un nouveau pou-
defense of the customs continued to stand fast
voir qui occupe désormais tout l'espace politique.
against the colonial shoc.
Néanmoins, cela n'a pu empêcher l'expression
de l'autorité traditionnelle qui, en défendant les inté-
With colonization, the Dagara people ended up
rêts coutumiers, résiste au choc colonial.
using two different systems of political reference
that are complementary rather than opposed.
Avec la colonisatoin, il y a désormais chez les
Dagara deux systèmes de référence politique qui
se révèlent complémentaires plutôt que de s'at-
fronter.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
89
:.. "