Sciences sociales et humaines
Relations entre autorités traditionnelles
et pouvoir public moderne au Togo:
repères, atouts et limites au développement local
Adovi N'buéké Goeh-Akue
Université du Bénin, Lomé (Togo)
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Introduction
plus clairement les repères historiques, les atouts, les
limites voire les contradictions possibles que l'on peut
Après plus de trois décennies de pouvoir fortement cen-
relever, s'agissant des relations entre le pouvoir public
tralisé issu du système colonial et aussi, en partie, des
moderne aujourd'hui et les autorités dites traditionnelles.
structures anciennes d'Etats africains préexistant à
l'épopée coloniale européenne en Afrique, le concept de
Cette réflexion sur le cas du Togo, pour des raisons
décentralisation constitue aujourd'hui une nouvelle vertu
de clarté, se subdivise en trois parties. La première
à la mode dans les arcanes des modèles d'administra-
s'efforce de donner un aperçu succinct des structures
tion. Certes, le concept n'est en fait pas vieux, même
politiques traditionnelles au Togo avant le scramble
dans les pays développés comme la France '. C'est dire
du dernier quart du XIXc siècle, à l'origine des frontières
que la pratique de la décentralisation administrative reste
actuelles. Le second volet nous dévoile les mutations
d'actualité et les pays africains ne sont pas autant à la
profondes subies par les différentes sociétés au contact
traîne. L'analyse historique des structures administra-
de l'étranger sous les diverses formes: traite négrière,
tives locales peut par conséquent contribuer à enrichir
islamisation, échanges commerciaux et culturels inter-
le débat conceptuel.
africains, administration et économie coloniale, afin
L'intérêt et la richesse de cette étude résident, à mon
d'éclairer le concept pluridimensionnel d'autorités tra-
sens, dans le parallèle qui est ici fait, entre le concept de
ditionnelles tel qu'il est en usage dans J'Etat africain
décentralisation et un modèle administratif, obsolète, la
moderne aujourd'hui. La troisième partie tente de relever
chefferie traditionnelle en Afrique. Pour employer une
le dilemme du pouvoir public moderne face au défi de
expression qui nous plonge davantage dans le contexte
modernisation de l'appareil administratif afin de répondre
historique, nous dirons décentralisation et « comman-
au développement à la base, associant les intérêts locaux
dement indigène ». Cette dernière expression illustre
et J'intérêt général national.
1. En France, malgré les réformes engagées par la Gauche, surtout au lendemain de la victoire de mai 1981 pour répondre à ses promesses électorales au sujet
de la décentralisation, le centralisme jacobin continue de peser dans beaucoup de domaines de la vie politique et administrative. Voir F. & Y. Luchaire,
Paris, PUF. 1983.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
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"
Sciences sociales et humaines
Les structures politiques
d'ailleurs de plus en plus obsolète mais constituant, encore
aujourd'hui, un recours juridictionnel ou spirituel en cas
traditionnelles au Togo :
de menace grave pour la communauté. C'est l'exemple
des pouvoirs centralisés et
de J'Anyigbafia3 à Notsé, berceau du peuple ewe ou bien
des pouvoirs diffus
du fOr de Tado (Gayibor 1985 : 218-220). On peut
aussi classer dans le même cadre 1'«Avéto»4 ou le grand
LapartieméridionaleduTogo,toutcommecelle prêtede laforêtsacréàBèetàTogoville.IIs'agitlà
du Bénin ont des structures sociales très proches,
d'autorités traditionnelles craintes et respectées pour leur
car les peuplements sont issus de la même souche
relation avec les dieux ainsi que pour leurs facultés vraies
originelle ajatado. A part les départs des différents
ou supposées d'implorer le ciel en cas de calamités (séche-
groupes dont ceux des Xwéda, Xwla, Ayizo, Gun,
resse) et donc pour leur pouvoir spirituel et leur capa-
Aja-houé, Fon, etc., de Tado qui peuplent le Sud
cité à conjurer le mauvais sort. Les pouvoirs publics
Bénin, il y a eu ceux des Ewe, groupes majoritaires
et les autorités modernes n'hésitent pas à demander
du Bas-Togo qui ont essaimé dans toute la zone sud jus-
leur bénédiction en différentes occasions (fêtes natio-
qu'à une profondeur de 200 km environ à l'intérieur
nales, cérémonies rituelles). Mais il faut dire que cette
(Gayibor 1985 : 196). L'expérience du pouvoir cen-
catégorie d'autorité ne constitue plus que des reliques.
tralisé très autoritaire d'un certain souverain, du nom
Dans le Moyen-Togo, notamment dans la régions des
d'Agokoli (Gayibor 1984 : 21-24), que la tradition dépeint
plateaux ainsi que parmi les populations de montagnes,
comme un roi tyrannique à J'origine de la dispersion des
les structures politiques traditionnelles sont les mêmes,
Ewe au XVIe siècle, est restée vivace dans J'esprit des
et largement influencées par le modèle ashanti.
peuples. Aussi, dans cette sphère, pendant des siècles,
Cependant, dans la partie centrale: les régions de
n'y a-t-il plus eu de tentatives de grandes centralisations,
Tchaoudjo (Sokodé) et Tchamba, et même Bassar,
sauf celle d'Anlogan (Amenumey 1968 : 100- 108) plutôt
l'introduction précoce de l'Islam (Del val, 1980), due
hors de notre sphère d'étude (en Volta Région au Ghana).
aux caravanes venant de Kano et du Borgou en direc-
L'unité spatiale politique est restée le Du (Pau vert 1960 :
tion de la zone de forêt au Ghana actuel, a abouti à
61-192). Il s'agit en fait d'entités politiques autonomes
un syncrétisme des structures politiques, juxtaposant
sur un terroir déterminé, chacune ayant à sa tête le Dufia
les pouvoirs traditionnels fondés sur les chefs de lignage
(chef de village) entouré des «Dumegan» (notables).
à la hiérarchie islamique des Imams (Banna, 1985).
Le Dufia, en général, est de la lignée des premiers occu-
Ici aussi, la notion d'autorités traditionnelles est mul-
pants ou un descendant en ligne directe ou collatérale
tiforme. Pour atteindre la base, le cheminement est
du fondateur. Dans certains cas, il s'agit d'une rotation
double: soit par le biais des chefs spirituels (imam, prêtre
entre les différents lignages composant le Duko ou com-
des divinités ancestrales) ou bien par celui des aînés
munauté villageoise. Cette forme de pouvoir est loin
chefs de lignages.
d'être individuelle et tyrannique. II s'agit, le plus sou-
Plus au nord, les populations kabiyè, lamba, et naw-
vent, d'un pouvoir collégial exercé par un chef certes,
demba, en raison de leur habitat très dispersé dans des
mais avec le concours des notables qui sont générale-
sites parfois isolés et difficiles d'accès, ne connaissaient
ment les sages aînés de chaque lignage ou bien de chaque
guère de pouvoirs centralisés. Chaque soukhala était
quartier. Etant donné la proximité et les contacts régu-
sous l'autorité du chef de lignage constitué en classes
liers avec l'aire culturel akan, les structures du pou-
d'âge (Tcham, 1992). Les regroupements épisodiques
voir sont largement influencées par le mimétisme avec
liés aux rites initiatiques donnent l'occasion de ras-
les structures administratives ashanti, d'où l'adoption
semblement mais ,le Tci1otchol , guide spirituel, n'a pas
des terminologies comme Tchami', Asafa et autres.
de pouvoir réel sur ses ouailles. II s'agit plutôt d'un
Outre cette forme d'autorité, on rencontre aussi, dans
personnage très effacé qui n'a d'influence que sur le plan
cette région, une forme de pouvoir théocratique devenu
religieux.
"Tchumi désigne les notables et Asafo , le soldat
] Littéralement roi de terre; il est aussi appelé Mawufia : roi du dieu /'f101Vll, en rapport avec le culte dont il est le grand pontife:
4 Littéralement père ou maître de la forêt
Il s'agit aussi d'un roi-prêtre mais domicilié dans la forêt sacré d'où il ne doit plus sortir en principe jusqu'à la fin de
.sa vie.
, Littérallement : le père du chef...
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
A l'extrême nord évidemment réapparaît la notion de
rencontrés par n'importe qui, à plus forte raison l'étranger.
chefferie sur le modèle gourma (Tcham 1994: 169-1993).
Dès lors, l'autorité de leur représentant respectif a pris
le pas sur la leur. C'est ainsi que le porte-sceptre Plakou
Dans tous les cas, la collégialité du pouvoir, que ce
signa, comme autorité, le fameux traité qui scel1a le destin
soit dans le sud ou dansle nord, le plus souvent exercé
du nouveau territoire en 1884. Il en est de même
par les aînés censés être proches des ancêtres, a constitué
du Yovofia (chef des Blancs) nouvelle institution mis
un gage de solidarité entre les générations et un lien pri-
en place à Notsé, à l'arrivée des Blancs (Gayibor 1997 :
vilégié entre la base et ceux qui exercent le pouvoir. Dans
382-387).
certains villages du Sud, il y a même une institution par-
ticulière de recours contre les abus éventuels des chefs.
La mise en place effective de l'administration colo-
Il s'agit du Fioto, un personnage auprès de qui l'on
niale s'est finalement traduite par une restructuration
peut se plaindre des comportements répréhensibles du
administrative de la hiérarchie traditionnelle et par la
chef. Tout ceci contribue traditionnellement à stabi-
division du territoire en cantons avec la création de nou-
liser les rapports entre les gens qui détiennent le pou-
veaux centres de pouvoir ou le renforcement de certains
voir et la base, c'est-à-dire la collectivité villageoise.
aux dépens d'autres.
Presque partout, il est inscrit dans les consciences col-
Dès l'époque de la traite, la suprématie des Etats
lectives la nécessité de prendre part à des travaux com-
précoloniaux de la côte, courtiers des négriers blancs,
munautaires qui vont de l'aménagement des places
leur a conféré des privilèges sur ceux de l'intérieur.
publiques à l'entretien même des chefs ou rois en pas-
Au sein même des Etats et groupes sociaux, la hiérar-
sant par la protection et la sauvegarde de l'environne-
chie traditionnel1e, fondée sur la gérontocratie, est remise
ment.
en cause par l'introduction progressive de nouvelles
On le voit bien, l'autorité ou la notion d'autorité tradi-
formes de catégorisation. Tout ceci a abouti à une destruc-
tionnelle est multiforme. On peut déjà, à cette étape,
turation sociale avec la prise en compte de nouvelles
noter de nombreuses mutations et influences qui ont
valeurs fondées, non plus sur les relations lignagères
modelé la chefferie traditionnelle. Cel1es-ci vont davan-
(aînés et cadets), mais davantage sur les richesses maté-
tage évoluer avec la colonisation.
rielles. Progressivement, cette situation gagna les coins
les plus reculés avec les progrès de l'économie moné-
La Chefferie traditionnelle
taire et l'introduction des cultures obligatoires d'ex-
portation, qui contribuèrent ainsi à favoriser une stra-
à l'épreuve de la colonisation·
tification sur la base du mérite personnel essentiellement
des chefs au-dessus des autres
pécuniaire (Goeh-Akué 1998: 329-349). A partir de
ce moment, les jeux sont faussés. Les modes tradition-
ou vers l'avilissement
nels de promotion de l'autorité n'ont plus totalement
du consensus politique
cours. Cette situation fut aggravée par l'immixtion de
l'administration coloniale qui peut, selon son intérêt,
Le désir des explorateurs européens de traiter avec
donner sa reconnaissance à un chef désigné par-devers
des interlocuteurs valables a constitué un des premiers
des règles traditionnel1es, pourvu qu'il accepte de garantir
facteurs essentiels de désorganisation des rapports entre
ses intérêts. Il est même proclamé haut et fort dans les
les autorités traditionnelles et les collectivités. Cette
textes administratifs officiels qu'ils sont devenus des
situation a aussi contribué à saper l'équilibre entre les
auxiliaires de l'administration coloniale. Ils perçoivent
, différents niveaux de pouvoir traditionnel.
l'impôt de capitation en son nom, désignent les contin-
Dèux exemples des plus frappants au Togo sont ceux de
gents astreints aux prestations en nature et aux travaux
Notsé et de la cité théocratique de Togoville. Ici, il est
forcés (certes d'utilité publique) qui traditionnellement
clair que le vrai chef de Togoville, cité théocratique
n'avaient pas de caractère obligatoire. En contrepartie,
de Nyigblin" (Gayibor 1997 : 328-339), l'autorité suprême,
ils percevaient des ristournes sur l'impôt collecté ou
c'est bien le grand prêtre de la forêt sacrée. Ce dernier,
même sont rétribués annuellement ou mensuellement
comme l'Anyigbafio de Notsé, sont reclus dans leur
pour services rendus à l'administration sur des dotations
lieu de résidence et ne peuvent en conséquence être
budgétaires.
1
\\ ,
'Dieu ambivalent dont le principe mâle est à Togoville et la femelle dans la forêt sacrée de Bè,
Rev. CAMES..,. Série B, vol. 01, 1999
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Sciences sociales et humaines
A partir de ce moment, le consensus traditionnel est
Les autres articles révisés du décret de 1959 n'ont fait
rompu. Les chefs ne sont plus perçus comme garants
que réitérer la hiérarchie par rapport aux nouvelles struc-
d'une autorité morale, mais plutôt comme un instrument
tures mises en place après les élections du 27 avril 1958
de répression; ce qui est contraire à toute idée de déve-
qui ont ouvert au Togo la voie vers l'indépendance .
.Ioppement.
En outre, il est bien réaffirmé à l'article 8 que les chefs
Dans le cas particulier du Togo, sans remonter à la période
traditionnels sont les représentants de la collectivité que
de colonisation allemande, le texte réglementaire qui
chacun dirige et en même temps l'agent du gouvernement
régit la chefferie traditionnelle à l'époque du mandat
auprès de celle-ci. En clair, élu ou désigné suivant les
français, après de nombreux tâtonnements, est l'arrêté
règles coutumières, le chef traditionnel, au temps du
NE 951-49/ APN du 2 décembre 1949 qui fut révisé
régime de mandat comme dans le Togo indépendant,
par le décret NE 59-128
demeure un auxiliaire de l'administration dont la recon-
, pris en Conseil de ministres
le 3 Août 1959" à la veille de l'accession du territoire
naissance est indispensable pour confirmer sa légitimité.
à la souveraineté internationale. Les deux textes n'ont
La voie est donc ouverte pour que celui-ci soit manipulé
fondamentalement rien changé aux fonctions dévolues
à sa guise par le pouvoir en place qui peut prononcer
à la chefferie traditionnelle. Le décret n'est en fait qu'une
sa destitution ou son maintien, s'il est bien apprécié
reconduction de l'arrêté de 1949 à l'exception desarticles
par ses supérieurs hiérarchiques administratifs que sont
7 à 14, soit au total 8 articles sur les 31 que comporte
les commandants de cercle ou les chefs de circons-
l'arrêté. Parmi les innovations d'ailleurs mineures, il y
criptions (aujourd'hui préfets).
a essentiellement le mode de désignation. Celui-ci
Sur l'essentiel donc, les fonctions des chefs traditionnels
continue d'être régi par les coutumes locales mais
au temps colonial comme au temps post-colonial n'ont
il est précisé que, là où cette coutume n'existe pas, il sera
guère évolué. Celles-ci sont, selon les dispositions de
procédé par voie de consultation populaire. Ce petit
l'arrêté de 1949, confirmées par le décret pris dix ans
changement fut motivé par les conflits de succession
après: police générale, police rurale, matière écono-
là où la coutume n'existe pas, notamment dans les sociétés
mique, hygiène, justice, perception des impôts, attri-
à classe d'âge (lignagères), pour lesquelles la chefferie
butions administratives; tout cela venant s'ajouter à leurs
traditionnelle est une émanation des autorités admi-
tâches coutumières.
nistratives coloniales qui font et défont les chefs selon
les intérêts du moment.
Ce sont donc des agents de développement local.
Le développement ou J'essor de la production dans une
Même là où la coutume règle la succession, l'intervention
localité est certes mis au crédit individuel du producteur,
administrative fausse les règles du jeu et il s'ensuit
mais avant tout à la gloire du chef.
des inimitiés et des litiges sérieux entre branches colla-
térales, voire entre frères ayant droit à la chefferie.
Au total, le chef traditionnel, malgré son image avilie
L'un des cas les plus explosifs est celui de la commune
par ses fonctions policières au service d'une adminis-
d'Aného où le conflit de chefferie est devenu une
tration coloniale pas toujours acceptée de bon cœur et
lutte rangée entre deux clans: celui des Akagban
après l'indépendance, à la solde d'une administration éta-
(Lawson) et celui des Adjigo, sur un espace très réduit
tique tatillonne, reste un acteur de développement même
(Gayibor: 1994, 15-54). Les différentes conciliations ne
s'il est contesté par endroits. Ils sont parfois rudoyés
sont jamais arrivées à apaiser les esprits et permettre
par le préfet et doivent reconnaissance au Ministère
la sérénité et la convivialité nécessaires à un dévelop-
de l'intérieur qui entérine leur choix ou leur élection.
pement communautaire local réel.
Leur poste n'est donc pas exempt de préoccupations
Les avantages et les privilèges que confère la fonction
politiques et ils peuvent être l'objet d'une chasse aux
en a fait un enjeu au point que ceux qui y accèdent, tien-
sorcières en cas de changement de majorité dans un Etat
nent à la garder pour leurs descendants en ligne directe
démocratique, car ils représentent un enjeu majeur
en dépit des règles coutumières.
de légitimation auprès des populations des campagnes.
7 Arrêté NE
951-49/ du 2 décembre 1949 du Gouverneur des colonie, Commissaire de la République au Togo, JOTT 1949 p.1145-1148.
s JOTT 1949. op.cir,
'Decret NE 59-121 du 3 août 1959 signé du premier ministre, JORT. 1959, l" septembre 1959, p. 660-661.
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Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1998

Sciences sociales et humaines
Il importe donc que les coutumes soient garanties par
Ce décret, en son article 14, prévoit J'existence d'une
des textes réglementaires reconnus par tous, étant donné
Direction des Affaires politiques et de la Sécurité civile,
le caractère oral des traditions susceptibles d'interpré-
chargée des questions relatives à la détention des armes
tations variées; ceci suppose leurs transcriptions et leur
et munitions, aux partis politiques et associations, à la
codification. Dans ces conditions, quelles garanties et
réglementation des libertés publiques et à la sécurité
quelle place les textes fondamentaux de l'Etat moderne
civile. Cette direction, subdivisée en trois divisions, com-
font-ils à la chefferie traditionnelle surtout dans le cadre
prend entre autres, la Division de la chefferie tradi-
de la politique de décentralisation ~?
tionnelle et des affaires foncières. Cette dernière est bien
distincte de la direction de l'Administration territoriale
La chefferie traditionnelle face
qui elle, est chargée de la gestion et de la tutelle des com-
munes, préfectures et régions. Ceci montre clairement
au défi de la décentralisation,
que la chefferie traditionnelle est nettement détachée de
"
quelle place dans le;:déve-
la tutelle des préfectures/et dépend directement d'un autre
loppement local .
service central, ce qui constitue une aberration flagrante
par rapport au décret de 1959 qui n'a pas été abrogé
Au regard de l'évolution de l'institution, l'image de la
par ailleurs.
chefferie locale a besoin d'être redorée si l'on veut la
A la chefferie traditionnelle, il ne reste en fait qu'une
maintenir comme un des maillons à la base de la chaîne
attribution politique et, là encore, vidée de tout sens
administrative.. Au Togo, l'institution demeure, mais son
puisque l'ère du parti unique a fait des chefs tradition-
statut reste ambigu à travers : .c;;;.'~;.~
nels et encore aujourd'hui, bon gré mal gré, des pro-
- l'exercice des fonctions traditionnelles qui lui sont
pagandistes de l'ancien Parti-Etat dont l'une des ailes
dévolues;
marchantes fut et demeuré l'Association des chefs tra-
- l'évolution même des rouages de l'administration
ditionnels du Togo. Celle-ci se réunit périodiquement
moderne;
pour prendre des positions politiques ou pour apporter
- les textes réglementaires régissant l'administration
son soutien à la personne du chef de l'Etal. Leur pré-
générale dont elle dépend en l'occurrence le ministère
sence, très remarquée dans leur tenue d'apparat à toutes
de l'intérieur.
les manifestations publiques officielIes, les rangs qu'ils
Pour commencer, -Ia Nouvelle Constitution" de la
tiennent parmi les corps constitués, témoignent de leur
. Cinquième République, adoptée par référendum en sep-
existence en tant que entité et autorité. Cependant, ils
tembre 1992 et promulguée dès octobre de la même
n'ont d'existence légale que par la reconnaissance du
année, tout comme les précédentes, affirment reconnaître
ministère de l'intérieur qui le leur notifie par des arrêtés
la chefferie traditionnelle, mais juste comme gardienne
remis solennellement par le ministre ou par ses repré-
des « us et coutumes ». Les collectivités territoriales
sentants. II est à remarquer que ces notifications de recon-
reconnues sont les communes, les préfectures et les
naissance donnent le droit aux chefs récipiendaires de
régions. La création de toutes autres collectivités est
hisser dans leur cour le drapeau national, symbole visible
du ressort de la loi. Autrement dit, les cantons et les
de la reconnaissance officielIe.
villages ne sont pas reconnus comme des collectivités
Depuis 1975, la suppression de l'impôt de capitation a
locales et leurs chefs n'ont pas d'existence légale, sauf
mis fin aux activités de percepteurs sur les rôles numé-
la reconnaissance que leur confère l'article 143 du même .
riques qui leur étaient dévolus. Ils continuent d'assurer
texte fondamental comme gardien des « us et coutumes ».
la police générale, encore que cette fonction ne mérite
Paradoxalement, l'alinéa qui suit immédiatement pré-
plus respect avec l'essor de la scolarisation. Que reste-
cise que leur mode de désignation et d'intronisation
t-il donc de la chefferie traditionnelle avec la récente loi
demeure la coutume propre à chaque localité. Ce flou
portant décentralisation de l'administration?
du texte fondamental semble être comblé, du moins par-
tiellement par le décret organique NE 96- 103/PR 11 por-
La loi NE 98-006 12 portant décentralisation n'est votée
tant attributions et organisation du Ministère de l'Intérieur
que le 11 février 1998. ElIe stipule, en sof article pre-
et de la Sécurité.
mier, que le territoire national est divisé en colIec-
IOcr Constitution de la cinquième République. art 141 ainsi que l'article premier de la loi NE 98-006 du Il février 1998 portant décentralisation.
IL Decret NE 96-103/PR portant attribution el organisation du Ministère dé l'Intérieur et de la Sécurité. JORT. 1996.
" Op. cil,
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
49

Sciences sociales et humaines
tivités territoriales dotées de la personnalité morale et
Au niveau politique, la division administrative en charge
de l'autonomie financière. Ce sont donc la Commune,
du dossier continue la réflexion. Un projet de loi portant
la Préfecture et la Région. Chacune des collectivités s'ad-
statut de la chefferie traditionnelle est en discussion mais
ministre librement par des Conseils élus au suffrage uni-
ce texte risque de gêner l'élan que veut impulser la loi
versel dans les conditions prévues par la loi. Ceci rend
portant décentralisation votée au début de l'année 1998.0
caduque la désignation des chefs traditionnels suivant
la coutume. Mieux, ceux-ci ne peuvent plus prétendre
Références bibliographiques
représenter leur collectivité. Le code électoral est clair
sur les' conditions d'éligibilité qui n'ont rien à voir avec
AMENUVEY D.E. K., 1968. "Sorne aspects of the Ewe machine-
les « us et coutumes ». On est ici dans le cas d'espèce
l'y of govcrnemcnt with special reference to the anlo political
system" in Ghana Journal of Sociology, 4. 2 , p. 100-1 08.
des textes de loi française dont ceux des anciennes colo-
nies se rapprochent, presque comme par mimétisme,
BANNA J. M., 1989. Contribution à J'histoire
des Temba
(Kotokoli) : Histoire de la chefferie Mola de K'gbafulu, mémo
ignorant les réalités du terroir.
Maîtrise, UB/Lomé, 104 p.
Du coup, le chef traditionnel et les autres formes d'au-
DELVAL R., 1980. Les Musulmans du Togo, PUF & CHEAM.
torités traditionnelles n'ont plus de rôle àjouer au niveau
DOSSE A., 1991.
Histoire d'une théocratie: Togoville des ori-
de la gestion des collectivités. Les villages et cantons,
gines à 1914, & De SURGY, A. : Le roi prêtre des Evhé, Lomé,
suivant leur importance, devront, par la loi, être érigés
Presses de l'UB, Col. Patrimoines, NE 4, 135 p.
en communes rurales ou urbaines, donc soumis aux règles
GA YIBOR N,L., 1983. "Agokoli et la dispersion des Ewe de
de gestion qui s'imposent. Leur développement ne peut
Notsé", in MEDEIROS, F. (de) (éd.) : Peuples du Golfe de Guinée,
plus passer par le biais des opérations communautaires
Paris, Karthala-CRA, p..21-34.
qui sont régies, par le passé, par le chef traditionnel.
GA YIBOR N.L. , 1997. Histoire des Togolais, Vol. 1 : des ori-
Ce dernier reste un personnage culturel si ce contenu
gines à 1884, Lomé, les Presses de l'UB, 443 p.
conserve encore quelque importance dans les sociétés
GA YIBOR N.L. , 1994. Les Togolais face à la colonisation, Col.
modernes où les nouveaux média tendent à unifor-
Patrimoines NE3, Lomé, Presses de J'UB, 1994,291 p.
miser le message culturel.
GA YIBOR N.L. , 1997. Le Togo sous domination coloniale,
1884-1960, Lomé, Presses de l'UB, 241 p.
Conclusion
GOEH-AKUE N.A. ,1998. "Stratification sociale et production
au Togo dans l'entre-deux-guerres : vers l'émergence de nouvelles
Aujourd'hui, les gouvernements africains dont celui
élites politiques", in COQUERY -VIDROVITCH C. & alii(ed):
du Togo sont au pied du mur: faire le choix d'une admi-
Des Historiens africains en Afrique, Logiques du passé et dyna-
nistration moderne calquée sur l'Occident ignorant
miques
actuelles,
Cahier
Afrique
Noire
NE17-18,
Paris,
les réalités du terrain; ou bien réhabiliter l'image de
Harmattan, p. 329-349.
la chefferie en la constitutionnalisant et en évitant d'en
PAUVERT J.c., 1960,."L'évolution politique des Ewé" in
faire un instrument de la politique politicienne. Quand
Cahiers d'Etudes Africaines, NE2, p. 16]-192.
bien même ici et là sont expérimentés des comités de
TCHAM, B. 1992, Les peuples du Nord-Togo, Lomé, Presses de
développement, ceux-ci ne peuvent pas se passer du jour
l'UB, 132 p.
au lendemain des services des chefs traditionnels dont
TCHAM B. 1994. "Peuples du bassin de l'Oti du XVJ1Je s. au
on cherche à sauvegarder contre vents et marées le
Début du XXe S"., in Cahiers du CRA, NE58, Spécial Togo-
rôle de gardien des « us et coutumes », car garant d'une
Bénin, p. 169-193.
certaine cohésion sociale entre les générations malgré
la modernité. Ce climat de confiance, gage de solidarité,
Périodique pour les textes officiels
est sans doute indispensable au développement local.
Journal officiel duTogo: 1949,1959,1996,1998.
50
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999

Sciences sociales et humaines
'(1,)
A partir de l'analyse et de l'évolution des structures
'0 Going up from the analysis and the evolution of the
E politiques traditionnelles, la présente communi-
CU
traditional political structures, this communication
~ cation cherche à montrer la complexité de la notion
(j)
J:; intends to show the cornplexity of the concept of
'CU
d'autorités traditionnelles telle qu'elle est perçue
~ traditional authority as perceived today and the
OC aujourd'hui ainsi que la nature des relations entre
<C nature of the relationship between the latter and
celles-ci et les pouvoirs publics dans l'Etat moderne
the public authorities in the modern State of
du Togo. De cette analyse, il ressort que les struc-
Togo.This analysis shows that the traditional
tures politiques traditionnelles ont subi plusieurs
political structures have been influenced by many
influences au nombre desquelles il faut citer: la
factors ie
slavery, cultural and commercial
traite négrière, les échanges commerciaux et cul-
exchanges within Africa, islamization and colonial
turels interafricains, l'islamisation, l'administra-
economy and
administration.These different
tion et l'économie coloniales. Ces différents facteurs
factors have historically modeled somewhat the
ont, historiquement à leur manière, modelé les struc-
structures of authorities and specified their raie and
tures et degrés d'autorités et spécifié leur rôle dans
implication in the local development structures.
le développement local.. Mais aujourd'hui, face au
But today, because of the challenges of the politics
défi de la politique administrative de décentralisation,
of decentralisation, there is the question of the
la question de l'implication harmonieuse et utile des
harmonious and
useful
involvement of the
autorités traditionnelles se pose avec acuité et
traditional authorities and it imposes on African
impose aux gouvernements africains, de faire un
governments to make a c1earchoice that takes into
choix clair qui tienne compte ou non de la chefferie
account or not the traditional chieftancy which
traditionnelle laquelle demeure toujours malgré tout
remains after ail a reality for the populations.
une réalité pour les populations.
Rev. CAMES - Série B, vol. 01, 1999
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