Sciences sociales et humaines
Le roman burkinabè à travers Pierre Claver IIboudo,
un écrivain au carrefour de la tradition et de la modernité
Alain Joseph SISSAü
03 B.P. 7047 Ouagadougou 03
E-mail: lnss.cnrs@fasonet.bf
Introduction
La coexistence de la tradition et de la modernité dans l'oeuvre
romanesque ou l'utilisation de la littérature orale dans le roman
Les écrivains de la première génération et de la seconde géné-
burkinabè n'est pas une méthode spécifique à celui-ci.
ration se sont évertués à décrire souvent le passé glorieux de
Auparavant, comme nous le soulignions, certains romanciers
l'Afrique dans leurs oeuvres au point où le lecteur ou public
comme Chinua Achebe, Amos Tutuola, Ngugi Wa Thiong'o,
- souvent extérieur à la culture - ne voyait qu'un simple témoi-
Ahmadou Kourouma, Seydou Badian, Gabriel Okara, Yambo
gnage ethnographique ou anthropologique de la tradition.
Ouologuem, Ahmadou Hampaté Bâ, Saïdou Bokoum, plus
récents, Thiemo Monénembo, Laurent Owondo, Boris Boubacar
Avec les indépendances, puis les nombreuses mutations opé-
Diop, Georges Ngal pour ne citer que ceux-là, ont utilisé cette
rées dans l'évolution de la littérature africaine, des tendances
tradition orale dans leurs oeuvres. On peut noter antérieure-
nouvelles se dessinent car à un récit parfaitement structuré,
ment l'utilisation de la tradition orale dans les oeuvres roma-
serti, qui faisait "honneur" aux règles sémantiques de la langue
nesques des écrivains comme Rabelais, Mark Twain, Mustapha
française s'est substitué un langage plus "éclaté", plus auda-
Kemal, Gabriel Garcia Marquez.
cieux qui fait place à des innovations dans la création roma-
nesque. Le premier roman à opérer ce bouleversement reste
Le roman burkinabè Crépuscule des temps anciens (Nazi Boni,
sans conteste Les soleils des indépendances d'Amadou
1962), à été le premier à intégrer les sources de la tradition
Kourouma qui procédait à une véritable césure dans l'écri-
et l'oralité bwamu dans l'écriture.
ture, en « cassant» le français pour l'adapter à la langue pre-
Dans Le Fils aÎné, il s'agit bien aussi de l'appropriation de la
mière de l'auteur, le Malinké. Puis suivirent d'autres écri-
littérature orale comme véritable source de création.
vains de la nouvelle génération avec la question des littératures
nationales, le mouvement est plus distinct, plus affirmé, car les
La littérature africaine a connu plusieurs grilles de lecture
"audaces contemporaines" selon l'expression du professeur
et d'analyse. Chaque méthode a le privilège de décrire dans une
Chevrier foisonnent.
perspective particulière la réalité du roman africain. Locha
Mateso n perçoit que la critique africaine de ces vingt der-
L'exemple récent le plus frappant est celui du zaïrois M.A.
nières années s'est appesantie sur les auteurs au détriment
M. Ngal dans Giambatista Viko ou le viol du discours africain
de la réalité du texte lui-même.
(1975) suivi de l'Errance (1979) du même auteur. Il ambitionne
d'écrire un roman qui conjuguerait à la fois les prestiges du dis-
Le roman de Pierre Claver I1boudo Le Fils aîné s'inscrit dans
cours oral africain et l'efficacité de la technique narrative occi-
la catégorie des romans de formation selon la grille d'ana-
dentale:
lyse du roman comme reflet de la réalité n.
"Je rêve d'un roman surie modèle du conte, écrit-il. D'un roll/an
Une certaine ambiguïté caractérise une génération de jeunes
où l'opposition entre diachronie et synchronie s'estompe,
du village formés aux disciplines et rythme de vie des méthodes
où coexistent des éléments d'âge différents. D'un univers ciné-
de la ville. Ils sont fascinés pour certains comme Sana par
tique qui s'engendre sur lui-même He).
le mythe de la ville.
(') MA.M. NGAL, Giambatista Viko ou le viol du discours africain, Lumumbashi, ed. Alpha-Oméga, 1975, 114p.
(') L. MATESO, La /illérature africaine et sa critique, ACCT-Karthala, J986. 399p.
Cl J. CHEVRIER, Lillérature nègre. Armand Colin, Paris, 1984, 282p. notamment le chapitre 7 p. 190-205 «De la tradition orale à la tradition écrite»
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Malheureusement, Sana sera confronté à l'échec, ce qui va
rent de la « pensée », une subjectivité ou un message. Selon
le plonger dans une profonde détresse. Abandonné par une amie
cette perspective, le rôle de la critique est d'étudier, de décrire,
et sa famille, il ne comprend pas les causes de cet échec. Il
d'explorer en tous sens, oeuvres et textes, sans prétendre décider
plonge dans le désespoir au point de s'expatrier en Côte d'Ivoire
de leurs valeurs» (")
où un poste d'instituteur lui est proposé par un ami. Le projet
Nous voyons que la nouvelle critique assigne à l'analyste un
suscitera une confrontation pathétique entre le père et le fils,
travail de description, d'exploration et non celui de juger de
ravivée par les habitants du village.
l'oeuvre.
Aidé par son oncle Tiga, Sana reprend le Lycée en classe de
Ainsi dans la perspective de la nouvelle critique, les critères
terminale suite à un concours de circonstances favorables,
d'analyste reposent sur le privilège donné au texte dans la
ce qui le conduit au succès.
mesure où il permet de saisir l'une des clés de signification
Il revient à Ganama pour sceller avec son père la réconcilia-
à l'aide d'une grille de lecture interprétative empruntée aux
tion avant que celui-ci ne s'éteigne. Et le retour ne se fait pas
sciences humaines (psychanalyse, linguistique, sociologie).
sans douleur, lorsqu'il renoue avec sa famille. Sana obtient une
Ainsi, l'oeuvre est prise comme structure, elle est saisie dans
bourse pour ses études en Lettres à l'université de Ouagadougou.
sa totalité signifiante C).
Le roman se referme sur cette note optimiste d'un avenir
Le colloque de Yaoundé (8) devait reconnaître l'influence de
certain pour Sana.
la nouvelle critique sur l'élite universitaire africaine en émet-
Notre article se propose de relever les rapports étroits qui exis-
tant cependant des réserves sur l'applicabilité de certains pos-
tent à travers l'inspiration culturelle d'origine et le texte. Il
tulats ; notamment s'agissant des missions précises dévolues
s'agira de mettre en relief les éléments de la tradition orale
au critique et à l' écrivain africains particulièrement la référence
qui émergent de son oeuvre.
au peuple et à la culture comme véritable moteur de la civi-
L'articulation de notre travail va se situer autour de quatre grands
lisation ("). Notre démarche globale s'inspire simultanément
axes.
donc des travaux de la nouvelle critique française et afri-
caine ainsi que de la théorie conceptuelle sur la périodisa-
D'abord, nous décrirons notre démarche méthodologique en
tion, notamment la référence au contenu explicite initié par
situant notre propos dans le cadre des travaux précédents qui
J. Chevrier CO).
fondent notre inspiration et notre choix.
Notre travail est aussi basé sur les topoi' (") de la méthode
Ensuite, nous évoquerons la question de la tradition et du style
traditionnelle notamment celle de Mohamadou Kane et Ngal,
oral. Puis nous nous intéresserons à la problématique des topoi' (")
qui pratiquent une approche pluridisciplinaire. Ce travail
notamment de l'identification ainsi que de l'insertion des élé-
ments oraux dans le roman. Nous verrons comment le roman
tient donc compte des travaux de Zadi Zaourou et J.P. Makouta
emprunte la structure du roman initiatique. Enfin, nous nous
M'boukou et Oger Kaboré qui se sont fait l'écho cie la notion
interrogerons sur la question de savoir si l'expression ver-
de parole et la fonction symbolique des textes al"ricains.
bale du romancier fait toujours de lui un relais de la tradi-
Notre investigation nous amènera à examiner les mécanismes
tion.
qui permettent de répérer les textes et les discours tradition-
L'évolution de la critique africaine a été également marquée
nels insérés dans le roman. Nous iclentilïerons la situation
par l'influence opérée par le tournant de la critique française
des narrateurs traditionnels dans le roman en identifiant leur
au colloque de Cerisy - la - salle, qui a donné un nouveau
rôle dans le récit.
cap à la critique française, ainsi qu'à celle africaine ('). Ainsi,
L'inspiration s'inscrit dans le vaste champ de l' intertextualité
il ressort de ce colloque que:
tellc quc l'expose J. Kristeva dans ses travaux ('~). Notre
« l'écriture est aussi un travail sur le langage conçu comme
démarche rejoint celle de Bakhtine qUI distingue que dans
lieu et moyen de transformation et non plus comme tmns/Ht-
un texte (roman), différents discours compo~ent sa narration C').
(') Selon Jahneiz Jahn, les topoï renvoient il toutes les expressions, images qui r""èvent de la tradition africaine el qui ne sont pas issues des canons
classiques de la littérature européenne.
Cl DOUBROVSKY S. Pourquoi la nouvelle rritique ) Paris Denoël/Gonthier, 1972. p. 22, voir aussi du même auteur, les chemins actuels de 1(1 critique.
n FAYOllE R. hl crilique p. 175 cité par Locha Matcso
() CABANES JL Critique littéraire et sciences humaines. Muhlouse. Privat 1974.
(") Titre du colloque, le Critique africain ct son peuple comme producteur de civilisation, Yaoundé, 16-20 avril 1973.
(') Nous faisons allusion il l'article de Mohamadou KANE «sur III crilique de lillérature africaine lIloderne». p. 258-259.
('0) J. CHEVRIER, Littérature nègre. Armand Colin, Paris, 1984, 282p. : notamment les pages 108-114.
(") Nous empruntons ce termc «topoÏ» à Janheilll Jahn dans son ouvrage Munlun l'holl/lIle africain el la cullure africaine, Paris, seuil, p. 302.
1") J. KRISTEV:'\\, Sàlliolik,·'. l'Iyherclws p"ur /11/(' séll/allal\\'SI'. Paris, scuil 381 p, voir aussi l'ouvrage du même auteur le lexIe du roman.
la Haye, 1970. 209p
C') M. BAKHTlNE, l;'lht'tlqlle el Ihéllri/' du rOI/lUII, Gallimard, 1978, p 488. voir aussi du même auteur, l'oeuvre de Françoi, Rallelais el la cullure popu-
laire au II/oye'l âRe el de lu renaissance,
GalJimiird. 1965.
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Sciences sociales et humaines
La question de la tradition
En suivant ce schéma, nous rencontrons dans un premier temps
le mythe, c'est à dire la première parole, celle qui prend sa
et de la moderrl ité
source au plus profond de l'homme et des valeurs sacrées du
Selon Jean Copans, il existe un clivage entre tradition et moder-
groupe. C'est ainsi que le mythe crée une relation directe
nité, ce clivage est dû à une dérive de la modernité vers la
avec les forces qui commandent l'architecture du monde et
modernisation. Il faut dire que par définition, la tradition répond
le sens de l'univers, valeurs formelles selon les contours d'un
à certaines valeurs de l'ethnie, d'un village ou d'un groupe,
récit, d'une suite de récits. Le conte fable est un moyen de
d'une catégorie sociale. Mais les faits comme la colonisa-
prendre connaissance de la vie sociale, des institutions qui
tion et la décolonisation ont imprimé parfois un message
la régissent et de se familiariser avec les notions qui sont à
politique à la tradition. En définitive, note Jean Copans, « il
la base du savoir à la portée de tous.
faut partir de la modernité en construction» pour appré-
Les proverbes, les devinettes et les énigmes sont une actua-
hender le culturalisme qui reste le maître des raisons africaines.
lisation du langage dont le rehaussement est la finalité morale
Il y a un ordre des discours et un désordre des choses dans
du conte ou bien la mise en évidence d'une leçon tirée de la
le choc entre la tradition et la modernité car poursuit-il un
sagesse antique ou ancestrale. Les devinettes sont pour les
tord doit être réparé:
jeunes une épreuve d'intelligence et un baromètre du degré d'in-
tégration sociale et culturelle au sein de la société. Les chants
« Si la société africaine reste cachée dans ce brouillard
de la tradition modernisée ou de la modernisation tra-
ont un rapport avec la vie quotidienne. Nous avons d'autres
ditionnelle c'est que la modernisation (...) des études afri-
genres narratifs qui apparaissent dans la poésie tradition-
caines est loin d'être achevée (...) ces études ne sont pas
nelle. Chaque aire culturelle possède ses genres oraux qui réap-
encore partie prenante du paradigme de la modernité. (...)
paraissent, le plus souvent, dans la littérature écrite.
Nous savons tous que le fonctionnement réel de nos dis-
ciplines se déroule au niveau national» (14)
Le style oral dans le fils aîné
Pour comprendre la tradition africaine, il est important d'exa-
La critique anthropologique s'interroge encore aujourd'hui sur
miner le point de vue de quelques pionniers de cette littérature
l'opportunité de transfert du style oral dans l'écriture. Il s'agit
qui ont dégagé des pistes de réflexion.
de savoir si les éléments de l'oralité sont ou non transpo-
sables dans l'écriture. Le débat est théorique et on peut y apporter
Les genres de la poésie traditionnelle
difficilement des conclusions. La modernité impose un certain
Léo Frobénius a montré qu'il existait dans l'Afrique traditionnelle
nombre de règles liées à l'écrit que le style oral ne peut tou-
deux couches, deux strates correspondant à deux âmes cul-
jours respecter.
turelles différentes:
Et pourtant dans l'oeuvre de Pierre Claver I1boudo, la tradition
- au niveau le plus ancien, appartiennent les contes, les fables
orale et la modernité se côtoient. En lisant l'oeuvre de Pierre
et les mythes liés dans leur inspiration aux masques, aux sociétés
Claver Ilboudo, on est frappé par les détails dans la descrip-
initiatiques et à la magie;
tion de l'environnement, du milieu, des habitudes culturelles.
Ce qui fait dire que son absence du pays, lorsqu'il était tra-
- au niveau le plus récent, l'épopée et la poésie lyrique qui sont
ducteur de profession à l'étranger, ne l'empêchait pas de garder
liées à l'éclosion d'une civilisation urbaine et surtout à une prise
le contact avec les réalités de son pays.
de conscience par l'homme de son appartenance à l'Histoire.
Léopold Sédar Senghor reprenant la classification opérée par
L'oeuvre de Pierre Claver llboudo s'inspire de la narration orale
Léo Frobénius décrit ce qu'il appelle la "courbe de profani-
notamment des proverbes, des anecdotes du milieu traditionnel
sation" qui est comme une esquisse de classement de genres
moaaga. Mais, il les réinjecte en les transformant, en les
de.Ja littérature africaine traditionnelle:
adaptant à la situation nouvelle moderne dans laquelle Sana,
son personnage principal évolue.
«( ...) prolongeons de la courbe qui va du mythe à la fable
et nous aboutissons à l'énigme en passant par le pro-
L'identification des éléments culturels traditionnels va s'ar-
verbe »('5).
ticuler autour des topoi'.
(") J. COPANS, La longue marche de la modernité africaine, savoirs, intellectuels, démocratie, Paris. Karthala, 1990, p. 81
(") R. COLIN, Littérature africaine d'hier et de demain, Paris, ADEC, 1965.
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De l'identification des topoï ( 6
L'insertion des proverbes ( 7
)
)
dans l'œuvre
L'examen du mode d'insertion des proverbes ou yelbGna dans
Le jils aîné révèle aussi un réel ancrage dans la littérature orale
On peut remarquer les genres oraux narratifs et non narratifs
moaaga. D'emblée, le lecteur peut penser que certains énoncés
suivants: les contes, légendes, mythes, fables, noms de guerre,
parémiologiques identifiés dans la culture de l'auteur peu-
chants et proverbes. Nous choisissons ~~ nous appesantir sur
vent paraître aussi comme une traduction de proverbes euro-
un seul topoÏ qui est présent dans l'oeuvre parce qu'il est le
péens ou universels, mais, qu'on ne s'y méprenne, parce que
genre non narratif le plus récurrent dans le texte et propre à
dans la culture d'origine des moosé, il existe des périphrases
la culture moaaga de l'auteur en l'occurrence les proverbes ou
ou des correspondances sémantiques de tels énoncés. Nous
yelbGna.
nous basons sur cet argument pour identifier ces proverbes.
La disposition que donne Jolies dans les jomles simples - comme
Nous en donnons les transcriptions en annexe pour étayer l'af-
le note Doris Bonnet - est envisagée à travers une «disposition
firmation selon laquelle les proverbes sont identifiés sur le plan
mentale» qui consiste à isoler une expérience, que la locu-
culturel et ont une appartenance linguistique de l'auteur.
tion proverbiale cherche à individualiser dans une situation.
À ce sujet, Jolies précise que cette locution doit avoir un carac-
De façon générale, on remarque que les discours sont assumés
tère apodictique.
par d'autres personnages traditionnels.
Le tem1e yelbGna , pluriel de yelbGndi est un syntagme nominal
Ainsi, à un premier malheur qui correspond à un échec au bac-
composé de yel, radical de yelle, et de bGndi ; ils signifient res-
calauréat, Sana subit un autre malheur qui est le vol du phare
pectivement histoire, quelque chose, et la notion de ce qui
de son vélo pendant qu'il prenait connaissance des résultats.
est couvert, voilé, tordu. Ils correspondent dans la langue fran-
Outré, il énonce le proverbe suivant à son ami Pascal: "Comme
çaise à des proverbes, des aphorismes, des adages et des dic-
on dit, un malheur n'arrive jamais seul" ( 8).
tons. Ce sont des formules concises et condensées ayant pour
Selon son ami Pascal, Sana est une victime du système sco-
base des constatations de la vie courante toujours assorties d'un
laire sélectif. Les évaluations du candidat par le biais des
contenu normatif: un enseignement moral, une règle de com-
examens sont souvent aléatoires; ce ne sont pas toujours les
portement social et même des principes de vie spirituelle. Il est
discret et possède une sonorité; base de la culture des moose,
plus méritants qui réussissent. Il énonce le proverbe suivant:
sa maîtrise est le critère d'une bonne éducation. Il faut ajouter
«il y a des moments où le monde marche manifestement à l'en-
que les yelbuna sont des textes poétiques, car ils sont choisis
vers. A ces moments-là, ce sont les innocents qui paient pour
en raison 4e leurs sonorités et surtout des images qu'ils évo-
les coupables» ( 9).
quent. Il ya souvent un lien de réversibilité entre le yelbÙ!ldi et
Nous avons d'autres personnages traditionnels qui énoncent
le solemde ou conte car certains proverbes ne peuvent se
des proverbes en l'occurrence les passagers du véhicule de trans-
connaître que par la connaissance du conte.
port qui ramène Sana à Ganama. L'un d'entre eux, parlant de
Nous ne ferons donc pas une distinction nette entre proverbes,
la mauvaise pluviométrie du pays conduisant bon nombre
dictons, sentences parce que dans la taxinomie de la langue
de jeunes à l'aventure, y associe les moins jeunes car: "on n'est
moaaga cette nuance n'existe pas.
jamais trop vieux pourfuir devant la mort"('O). L'échange pro-
Nous parlerons de yelbGna quand l'énoncé est clairement iden-
verbial prend l'allure d'une véritable confrontation verbale avec
tifié chez les moose et de proverbes lorsqu'on retrouve l'énoncé
Zato, l'oncle de Sana, personnage traditionnel qui énonce aussi
usité dans d'autres cultures notamment européennes et de
des proverbes. C'est ainsi qu'il parle de la négligence de Sana
tradition universelle.
à l'égard de sa copine Mariam en disant ce Yf!lb{jndi :
(") Voi r supra note 4
(") Voir Alain J. SISSAO, La littérature orale moaalia comme source d'inspiration de quelques romans burkinabè, thèse de doctorat nouveau régime,
Université Paris XII Val de Marne, juin 1995, TI et T2, 734p, voir les pages 687 et 688 sur J'identification des proverbes mossé dans lefils aîné.
(") P.e. ILBOUDO, Le fils aîné, Silex, 1985, p. 30
(") P.e. ILBOUDO, op cit, p. 31
('0) P.e. ILBOUDO, op cit, p. 37
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Sciences sociales et humaines
"nos ancêtres dans leur réalisme ont dit que lafemme est un
énoneé proverbial pour manifester son refus et son inapti-
peu comme l'argent, en ce sens que quand on l'a, ilraut s'en
tude à devenir un bon paysan: "ce n'est pas à sa l'iei//esse qu'un
occuper, autrement, elle ira faire le bonheur de quelqu'un
singe apprend à faire des grimaces" ('7).
d'autre" el).
Finalement cette joute oratoire par le biais des :velbuna
Sana est littéralement subjugué par le succès qu'il vient d'avoir
entre Sana et son père suit le code de la communication
auprès de Mariam, aussi veut-il "revoir Mariam le plus tôt pos-
(destinateur -+ message -+ destinataire) jusqu'au seuil ultime
sible et essayer de battre le fer pendant que tout prêtait à croire
du conllit ouvert. Au risque de transgresser la tradition, Sana
qu'il pouvait être chaud" (22).
choisira la fuite, la rupture temporaire, car il lui fallait réaliser
son destin. II se disait alors intérieurement ce yelbfJndi Je contes-
Bila, le père de Sana veut le dissuader de s'exiler en Côte d'ivoire
tation "si tu te fais foin, tu seras lIlangé par l'âne" ('").
paree qu'il ne 'Savait pas ce que l'avenir lui réserverait. Sana
Dans cette quête de l'ailleurs, de cette nouvelle voie du destin,
étant le premier fils, selon la tradition, il devra plus tard rem-
Sana se rappelle ce proverbe qui sonne plus que vrai dans sa
placer son père à la tête de la famille. Il énonce le yelbGndi
tête: "Sois dur, la vie n'est pas tendre" C'").
ou proverbe suivant: "nos pères dans leur incommensu-
rable sagesse ont dit que la mort est une étrangère, la plus
Malgré la colère et la révolte qui grondent comme un volcan
étrangère, la plus imprévisible de toutes" (21).
dans le coeur de Sana, il ne renie pas pour autant les siens, Lépa
son village natal: en effet, il se souvient fort bien de la sagesse
Face au refus de son père de le laisser poursuivre son projet de
du yelbfJndi qui conseille: "la colère contre la terre natale
voyage, Sana oppose un autre argument qui est celui de son
s'éprollve sllr la peau, et non dans les os" CO). Rappelons
incapacité à devenir un bon paysan. Il énonce alors ce yelbOndi:
que nous retrouvons la même variante de ce proverbe dans
"comllle nos ancêtres l'ont si bien dit, il est difficile, sinon impos-
le roman de Geoffroy Damiba Patarbtaalé ou le Fils du pauvre.
sible d'apprendre à un vieux singe à faire des grimaces" e-).
En guise de réponse pour le convaincre, son père lui rétorque
Sana réussit à reprendre courage et réussit à son baccalau-
alors par un autre yelbGndi : « nos pères ont dit qu'un bout
réat l'année suivante. C'est alors qu'il perçoit alors un retour-
de bois est lm bout de bois jusqu'à ce qu'on en fasse un dieu.
nement brusque de Mariam qui l'avait rejeté pendant son échec;
Dès lors, si on lui offre de l'eau, il réclame de l'huile, si on
désabusé, il se fait la réflexion suivante: «n'était-il pas en traill
lui donne de l'huile, il exige du sang »("). Ce yelbfJndi veut
de prendre des \\'essies pOlir des lanternes» C').
signifier que Sana en demande toujours trop à son père, comme
sacrifice, après que celui-ci eût accepté de le laisser poursuivre
La présence des narrateurs traditionnels
ses études; il lui a concédé qu'il aille à l'école à Ganama,
puis au lycée à Ouagadougou, mais il ne saurait le laisser
Le narrateur est extrahétérodiégétique dans Le fils aîné selon
aller à "l'aventure" en Côte d'Ivoire. Ce passage n'est pas
l'acception de Genette C'), ce qui veut dire qu'il est absent
sans rappeler la réflexion philosophique de la Grande Royale
de l'histoire qu'il raconte, il n'est pas impliqué. Il se situe
à proros de l'école étrangère à travers l'Aventure Ambifiuë
denc en dehors de l'histoire de Sana.
de Cheikh Hamidou Kane où "Samba Diallo apprend l'art
Nous avons essentiellement le narrateur principal. Au niveau
de vaincre sans avoir raison". Avant de prendre une déci-
des rersonnages traditionnels, citons: Sana, Je héros, Bila le
sion, Bila, le père de Sana veut s'entretenir avec son frère Tiga
père de Sana, Tiga, le premier oncle de Sana, et Zato son second
qui connaît bien la situation de Sana. Cependant, les bienséances
oncle, Téné la mère de Sana, Fati, sa marâtre, son frère TQsré,
de la tradition lui recommandent la patience pour laisser cclui-
sa soeur Finsi. Nous avons d'autres personnages tradition-
ci se reposer. C'est le narrateur principal qui assume le yelb{jndi
révélateur des tensions intérieures de Bila: "car le savoir-vivre
nels, les habitants du village obnubilés par la jalousie ; ils jouent
de nos ancêtres interdit d'assaillir un étranger avec des pro-
un rôle négatif dans le conflit qui oppose Sana à son père à
Nèllles alors qu'il n'a pas encore secoué la poussière de ses
cause des ambitions du fils d'accéder à une grande instruction.
sandales" ('").
C'est le narrateur principal qui assume la plus grande partie
Sana est outré par le refus systématique de son père lui inter-
de la narration. Cependant, il se fera aider par des relais de nar-
disant Je se rendre en Côte d'Ivoire, Il revient sur le même
ration comme les narrateurs traditionnels du village.
(") P.C, ILBOUDO, op Cil, p, 45-46
(") P.c. ILBOUDO, op Cil, p, 107
(") p,c. ILBOUDO, op Cil p. 31
(''') p,c. ILBOUDO, op Cil, p. 108
(") P.c. lLBOUDO, op Cil, p, 70
<,") P.c. ILBOUDO, op cil, p, 109
(") P.c. ILBOUDO, op cil, p. 74-75
(") P,C. ILBOUDO, op cil. p, 82
l'j PC ILI30UOO. op cil. p. 143
(" ) p,c. ILBOUDO, op cil, p.93
l"~) Ci GENETTE.jigure III. Paris seuil. 1972
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L'utilisation des narrateurs
Un autre dialogue entre Sana et Mariam sa "dulcinée" montre
traditionnels
bien le déchirement et les tourments du premier surtout déçu
par l'attitude de celle-ci (p. 55-54). Le retour de Maliam qui
Les narrateurs traditionnels sont utilisés comme des témoins
avait auparavant rejeté Sana pendant son échec traduit à la fois
de la parole traditionnelle. C'est surtout le cas de Bila, le père
la perplexité de Sana et l'inconstance de Mariam.
de Sana qui est le garant des valeurs traditionnelles. Son désac-
cord avec Sana est révélateur d'un conflit de génération, du
Le narrateur principal introduit aussi les dialogues pour tra-
hiatus qui existe entre la tradition d'une part et la modernité
duire le conflit entre les personnages. C'est le cas du dia-
d'autre part. Bila refuse à Sana son projet de voyage parce
logue qui intervient entre Sana et son père qui veut faire de
que ce dernier doit absolument assumer son rôle de "fils aîné".
lui le garant des valeurs de sa famille. Il devrait selon les voeux
Sana qui a fait des études ne se sent plus intégré dans la société
de son père interrompre ses études et demeurer au village. Sana
traditionnelle villageoise à laquelle il appartient non qu'il ne
use de tous les arguments, mieux, il met en branle de véritables
respecte pas les traditions et son père, mais plutôt du fait de
stratégies pour convaincre son père, mais ce dernier semble
nouvelles exigences de la modernité qui lui imposent la pour-
sourd, résolument décidé à s'opposer à son projet. Le conflit
suite de ses études pour bâtir son avenir (p.73-93). Tiga, l'oncle
sera profond au point de dégénérer, et c'est la mère de Sana qui
de Sana est aussi un personnage traditionnel utilisé par le
tentera de sauver la cohésion familiale. Son dialogue avec Sana
narrateur comme le symbole de la tradition, celui qui sou-
s'inscrit dans ce cadre; le narrateur principal l'introduit pour
tient son neveu dans ses études pour lui permettre de réaliser
faire jouer à la mère le rôle da conseillère (p. 95-96)
son avenir. Il assume cette tâche très pénétré de ses respon-
sabilités, ce qui traduit bien la notion de solidarité familiale,
Le dialogue traduit aussi la réconciliation des personnages.
même
lors
de
l'échec
de
Sana
au
baccalauréat
C'est le cas du dialogue qui intervient à la fin du roman entre
(p.17-19). Téné, la mère de Sana jouera son rôle maternel dans
Sana et son père qui se réconcilient après le succès de Sana
le conflit qui l'oppose à son père (p. 95-96).
au baccalauréat et son retour à Ganama (p.136). L'examen
du récit initiatique sera une autre forme d'examen de l'in-
Les modes d'intervention des narrateurs
sertion des éléments culturels traditionnels.
traditionnels
Les narrateurs traditionnels interviennent essentiellement à tra-
Une manifestation du récit initiatique
vers les dialogues qui révèlent toute leur psychologie. Le
Le récit initiatique est un récit qui emprunte la structure tra-
narrateur principal organise en maître omniscient la distri-
ditionnelle des textes oraux comme le conte où le héros doit
bution des rôles aux personnages traditionnels à l'instar d'un
traverser un certain nombre d'épreuves avant de réussir sa for-
démiurge. C'est ainsi qu'aux pages 7 et 8 un dialogue s'instaure
mation. En effet, lors des rites dans la société traditionnelle,
entre Sana et Paul. Ce dialogue exprime la sympathie qui existe
l'initié apprend aussi à vaincre l'adversité grâce au courage
entre les deux personnages.
et à l'abnégation. La circoncision nous donne un exemple bien
De même, le dialogue entre Sana et Tiga, son oncle appre-
précis, car la sortie du bois sacré est le jour de gloire après avoir
nant l'échec de son neveu est révélateur de la psychologie et
franchi toutes les étapes nécessaires à l'intégration au groupe
des sentiments des personnages (p.17-18). Sana est alors très
et au monde social.
peiné et veut quitter Ouagadougou après son échec. Tiga res-
pecte la peine de Sana et essaie de le réconforter. Ce dia-
Le roman de Pierre Claver Ilboudo s'inscrit dans la trame du
logue montre bien que son oncle compatit à sa douleur.
récit initiatique. Sana se trouve happé dans les turbulences
Il sait combien Sana est abattu par les souffrances et sacrifices
de son destin. L'itinéraire douloureux qu'il vit apparaît comme
consentis sans résultats.
le signe d'une initiation, car, les privations, les douleurs morales
Également, le dialogue entre Zato et Bila traduit les inquié-
subies semblent bien le parcours d'un initié dans la société tra-
tudes qui les habitent à propos du retard de Sana dans son
ditionnelle. Il supporte de façon stoïque ces épreuves, enes
village Lépa (p. 26-27).
seront bien les éléments qui lui permettront de surmonter
son échec temporaire.
Le narrateur principal introduit aussi les dialogues pour décrire
une atmosphère plus générale. C'est le cas du dialogue qui inter-
Après son succès, Sana a beaucoup appris de la vie et des
vient entre le marchand de cigarettes et l'apprenti dans la
hommes, il a tiré une grande leçon des rapports humains et
voiture qui conduit Sana dans son village à Lépa. C'est éga-
de certaines vertus comme le courage et la solidarité. Il revient
lement entre les passagers qu'intervient le dialogue expri-
ainsi à Ganama, fort d'une expérience humaine de la ville
mant les conditions difficiles du voyage. De façon similaire,
car n'avait-il pas souffert tout seul et persévéré avant d'être
ce dialogue révèle les préoccupations de la société, les condi-
compris?
tions de vie dans la région, la rareté de la pluie, l'exode rural.
Par contre, le dialogue entre Sana et Zato, son oncle, évoquera
Au regard de tous les éléments de la tradition qui apparais-
l'attachement et la complicité qui existent entre les deux per-
sent dal)s l' œuvre, peut-on dire que le romancier est un rel ai
sonnages à propos de leurs amies (p. 44-45).
de la tradition?
Rev. CAMES - Série B, vol. 00, 1998
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Sciences sociales et humaines
Le romancier relai de la tradition .
La révolte devient aussi son seul recours pour s'extraire des
pesanteurs sociales. Le conflit de génération est aussi révé-
la notion de parole
lateur de la situation de Sana car, la gérontocratie semble la
Parallèlement, nous nous appesantirons surtout sur la parole
plus grande force de sa société. Sana le sait, alors, il décide
du personnage phare de Sana.
de contourner l'obstacle en quittant Lépa (p.109) pour assurer
Les catégories de paroles se distinguent selon deux groupes en
sa réussite. Il a des propos compatissants face à l'échec de
référence avec la langue première de l'auteur le moore:
son ami Cyrille (p. 132).
-la parole lourde (gom tako)
Après le succès de Sana, nous voyons que la parole devient
-la parole légère (gom faago).
plus nourrie de réconciliation car elle devient parole de vérité
Ainsi, face à l'échec de Sana, la conversation entre Sana et son
et de courage au sens du verbe incarné (p.143).
oncle Tiga nous révèlent des paroles qui proviennent du siège
Dans cette perspective, on peut dire que le romancier est un
corporel principal de l'Homme: le coeur (sûuri) (33). Cet échec
relais de la tradition; car il se fait à la fois traducteur et re-créa-
de Sana le plonge dans une profonde tristesse (p. 17-18). Le
teur de la tradition confirmant son double rôle de compé-
silence (forme symbolique et supérieure de la parole) traduit
tence et performance de l'oralité. Il se sert de la tradition
la blessure profonde de Sana face à son oncle. L'oncle com-
pour créer du nouveau. Nous l'avons vu avec l'utilisation
prenant le message compatit à la même douleur en adoptant
des proverbes et l'emprunt de la structure traditionnelle du récit
la même attitude car l'échec de Sana n'était-il pas le sien?
initiatique.
C'est bien Tiga qui l'avait arraché à son père pour l'inscrire
à l'école. Il se garde de faire des reproches à Sana et lui remet
un billet de mille francs pour assurer ses frais de transport
Conclusion
traduisant sa solidarité. L'ami de Sana Pascal est aussi un homme
Au terme de ce parcours pour élucider le processus de création
sincère (blanc) comme on le dirait en langage métaphorique
d'un roman burkinabè en l'occurrence Le fils aîné de Pierre
car il essaie de prodiguer des conseils judicieux à Sana pour
Claver Ilboudo, on peut sans conteste affirmer qu'il s'ins-
qu'il reprenne courage. Mais Sana est sourd face à la rage
pire de la tradition orale de son milieu d'origine. Nous avons
de l'échec car «dans le monde il y a plus de fous que de sages,
pu ainsi identifier quelques genres nons narratifs comme les
et dans le sage même, il y a plus de folies que de sagesse.»
proverbes dans la culture des moose.
(p. 22) Ce monologue intérieur de Sana tire son origine ou
sa source dans le coeur (sûuri). A travers une analepse, il
Cependant, dans certains cas, il a fallu modifier ces genres
revit toutes ses souffrances à l'école, puis au Lycée Philippe
oraux traditionnels, les transformer afin de les adapter au cadre
Zinda Kaboré, les affronts subis, tous ces faits s'implantent
des mutations sociales qui implique de nouveaux enjeux pour
dans la tête (zu-kalenkoto).
la société moderne. L'intention didactique, disons pédagogique
cst néanmoins une permanence qui ponctue l'adaptation des
L'échec de l'entrevue entre Sana et Mariam est une profonde
textes traditionnels dans le contexte moderne.
déception qui porte une grave blessure dans le siège corporel
principal de Sana. L'ironie, l'incompréhension face à sa sin-
La tradition et la modernité coexistent car Sana, le héros, est
cérité poussent Sana à ne point poursuivre la convérsation.
sans cesse tiraillé entre deux modèles qui l'ont façonnés. Ses
Le hiatus et le silence s'installent entre les deux personnages
conflits avec les siens et sa volonté de réussir, de bâtir son destin
qui ne trouveront leur dénouement qu'à la fin du roman.
est le coeur même du choc culturel qui semble coexister dans
le roman. Malgré les antagonismes, le narrateur extrahétéro-
Ainsi, Sana s'oppose à son père pour réaliser son destin (p. 68-
diégétique prend le soin de nous décrire l'itinéraire de Sana qui
71). Sa parole ou Gomde ne bascule pas pour autant dans la
arrive à faire un compromis judicieux des deux systèmes:
transgression car elle est guidée par le siège corporel suprême:
tradition et modernité. Tout comme le héros de Georges Ngal,
le cerveau réceptacle de la réflexion.
Sana arrive au parcours d'un exercice douloureux et initiatique
Il est cependant entre deux eaux, car il ne veut point être sacrifié
à frayer sa voie, son destin sans pour autant renoncer à son idéal
à cause de la tradition. Ce qui lui fait dire «(...) j'ai la convic-
(succès scolaire) ni à renier son rôle, celui de perpétuer les
tion que vous voulez me sacrifier à vos coutumes ... » (p.93)
valeurs cardinales de sa famille, de son groupe: le sens du
La parole devient en ce moment "dure" à énoncer car la révolte
devoir, la solidarité et l'obéissance aux volontés du père, garant
en est le moteur.
de l'autorité des ancêtres. 0
(") O. KABORÉ, Nuili Zam-zam ...essai ethnolinguistique des chansons enfantines moose de Koupéla, thèse de 3e cycle, 1985, Paris 1II, p. 74-107,
voir notamment les notions de sùuri (cœur), sei ore (foie) yam (vésicule biliaire, le cerveau (zu-kaeJenkoto) bouche (noorè).
20 1
Rev. CAMES - Série B, vol. 00, 1998

Sciences sociales et humaines
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1975,p.302
versité de d'Abidjan, Séries D, lettres, n019.
-
'0)
Le roman burkinabè à travers Pierre
The coexistence between tradition and modernity has
§
(.)
Claver IIboudo : un écrivain au carrefour
ca
been an important issue in African literature. From the
1-
beginning, tradition was mostly valued for its exotism
en
-
de la tradition et de la modernité
U)
'(1)
.c to please the European reader, which does not pocess
a: La problématique de la coexistence de la tradition et de
<C
ail the required keys for a full understanding. With the
la modernité a été abordée longtemps dans les premières
emergence of the notion of national literature, oral tra-
oeuvres de la littérature africaine. Celle-ci l'a appro-
dition is consciously being transferred into writing, making
chée sous l'angle de valorisation de la tradition qui pre-
tradition meet modernity. The novel of Pierre Claver
nait souvent le contour de l'exotisme en raison de la
IIboudo, Le Fils aîné (1985), is a good example of this
destination du public étranger qui ne possédait pas toutes
new tendency. Tradition and modernity are 'set side by
les clés de lecture. Cependant, avec l'émergence de la
side in Sanas' journey. His first failure at the city school,
notion des littératures nationales et du souci de recons-
his return to the village, his f1ight towards his own des-
truction du récit tourné vers le terroir, on voit apparaître
tiny, his final scholars' success and his reconciliation with
un ancrage plus conscient et cohérent de l'intégration
his father, ail this movement between city and village,
de l'oralité dans l'écriture qui se traduit par une croisée
express the indisputable encounter of tradition and moder-
de la tradition et de la modernité. En examinant l'oeuvre
nity.
Le Fils aÎné (liboudo, 1985 p.174), on se rend compte que
ce cas répond parfaitement à cette problématique. C'est
Key words.Tradition, modernity, destiny
la tradition et la modernité qui se côtoient dans le par-
cours, le destin de Sana. Son premier échec scolaire
en ville, son retour au village, sa fuite vers son destin, son
succès scolaire final et sa réconciliation avec son père,
incarnation de la tradition, tout ce jeu de va et vient inces-
sant entre la ville et le village est le signe incontestable
de la rencontre de la tradition et de la modernité.
Mots-clés. Tradition, modernité, destin.
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Sciences sociales et hultla;'~es
Annexe. Identification des proverbes moosé
1) Yel-wend pa wat a yembr ye. Voir note 18 (i)
2) Wakat keer n be tL düni wo kënd tulli. Wakat konga, yaa
sën pa maan-b yell la b sLbgd n bas yel-maandba. Voir note 19 (p)
3) M yaa nin-këem Wl:Jsg pa gldgd küum zoees ye. Voir note 20 (p)
4) Pag yaa wa ligdi. F so n tor-a, rend f zo-a soma, pa renda
rao a to sOur la a tl:lgd n noogo. Voir note 21 (p)
5) Kuiig pobdame t'a ket n tl:mla. Voir note 22 (p)
6) Yaor yaa soana. Voir note 23 (i)
7) Ned pa zomsd woam-klJdr klJl:Jsem ye. Voir note 24 (i)
8) Ba raoog kaoos koome me, a pa lebgd yebg ye. Voir note 25 (i)
9) Soan pa segd n yek ne ycl fa ka paam n yu koom ye. Voir note 26 (p)
10) Pa woamb sën wat n kuul zugë Jo b zomsd-a klJusem
maaneg ye. Voir note 27 (i).
11) F sa n maan f meng yarndo, baang wobd-f lame. Voir note 28 (i)
12) WLk f meng tL vumo ka lom-Iom ye. Voir note 29 (p)
13) Ba-yir pa lobgd ne kugr ye, rënd tondagre. Voir note 30 (i)
14) Kat-kilim kan mak ne katr meng ye. Katr yaa toore, kat-
kilim me yaa toore. Voir note 31 (i)
i =identifié
p = périphrase
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