Sciences et Médecine
Crush-sydrome iatrogène (à propos d'un cas)
PADONOU J.L. 1, LOKOSSOU P, TETE CS.A.2, AGUÈMON A-R.2.
RÉSUMÉ
Les auteurs rapportent la survenue d'un cas de Crush-sydrome sévère au cours d'un acte opératoire en Traumatologie-Orthopédie.
La rareté d'un tel tableau clinique a fait errer le diagnostic de rhabdomyolyse justifiant le retard d'une prise en charge thérapeutique
adéquate dans le cadre d'une réanimation aux soins intensifs.

Mots-clés: Crusn-syndrome, Rhabdomyolyse, Réanimation intensive.
SUMMARY
A case of acute Crush-sydrom in traumatological clinic after operation is reported by the autbors. The rhabdomyolysis diagnostic has
been too later what explain why the resuscitation cores in nephrology are not done.
Keys-words: Crush-syndrom, Rhabdomyolysis, Intensive resuscitation.
INTRODUCTION
A 15H45, I~ malade est ramené en salle de
La survenue d'un Crush-syndrome sévère au dé-
surveillance post-interventionnelle avec une pression
cours d'actes opératoires en chirurgie traumatologique
artérielle de 120-70 mmHg, des pulsations cardiaques
est une éventualité rarissime. Cet accident renvoie à
à 108 battements.min.-! et une saturation partielle en
la nécessité de bien comprendre la physiopathologie
02 égale à 100%. Au réveil complet du malade, il est
de l'occlusion artérielle. Il faut donc bien mettre en
transféré dans son lit d'hospitalisation où les premières
balance le risque que l'on fait courir à un patient par la
plaintes ont été des douleurs vives à la racine des deux
pose d'un garrot et le besoin de confort per-opératoire
membres pelviens. Ces douleurs se sont irradiées
du chirurgien.
ensuite dans tout l'hypogastre et les organes génitaux.
1. ANAMNÈSE
Environ 12 heures après l'intervention, il apparaît
Le patient M. Pau, âgé de 65 ans,était admis dans le
un important œdème du pelvis, des organes génitaux
service de traumatologie du CNHU-HKM de Cotonou,
externes et de la cuisse droite. Seize heures (16) plus
le le' Janvier 2006 à la suite d'un accident de la voie
tard soit à peu près 28 heures après la levée du garrot, il
publique pour:
est noté une diurèse faite d'urines pâteuses de couleur
• fracture fermée sus condylienne haute avec un 3ème
rouge-brune: ceci décide les médecins à transférer le
fragment en aile de papillon du fémur droit,
patient dans le service de réanimation pour une prise
• fracture fermée du premier métacarpien droit,
en charge intensive.
• fracture des arcs postérieurs des 7ème et 11 ème côtes
droites.
A l'admission en réanimation, le malade avait
une conscience claire, une pression artérielle de
L'interrogatoire retrouve:
100-60 mmHg, un pouls à 100 batternents.min.',
une
température
normale
mais des muqueuses
·Ia notion d'un éthylisme avéré
palpébrales pâles. Son abdomen était ballonné avec
• des antécédents d'hypertension artérielle traitée
une hépatomégalie douloureuse, à surface lisse, à
depuis environ trois ans par du Vastarel® et du
bord inférieur mousse et de consistance ferme. Les
Viskaldix®.
soins institués comportent un remplissage vasculaire
(sang et cristalloïdes), de antibiothérapie à large
Après un bilan sanguin et cardiaque du patient, il
spectre, de lutte contre l'hyperkaliémie et d'acidose
est réalisé une ostéosynthèse par lame-plaque de la
(sérum bicarbonaté et kayexalate de sodium). Sous
fracture sus condylienne le 09 Janvier 2006. Dans le
ce traitement, la diurèse, le lendemain, est passée à 5
souci de conduire l'acte opératoire dans un champ
litres avec des urines transitoirement éclaircies mais
exsangue, il est mis en place un garrot pneumatique à
hématiques. Cette évolution favorable n'a duré que
la racine de la cuisse droite selon le protocole suivant:
24 heures. Au 4ème jour post opératoire des lésions
12 h 48: Pose du garrot.
14 h 50: Garrot desserré à 30 mm Hg.
1- Clinique Universitaire de Traumatologie, Orthopédie et
15 h 08 : Garrot desserré à 25 mm Hg.
de Chirurgie réparatrice
15 h 17 : Levée du garrot.
2- Service polyvalent d'Anesthésie et de Réanimation
98
Rev. CAMES - Série A, Vol. OS,2007

Sciences et.Médedne
loco-régionales étendues des parties molles sont
- des pansements biquotidiens des plaies béantes et
perceptibles à savoir:
suintantes de meurtrissure musculo-cutanée,
• une vaste zone blanchâtre à la partie supéro-médiale
- un
renforcement
de
la
réanimation
hydro-
de la cuisse droite avec un cratère rougeâtre qui
électrolytique en fonction des résultats de dosages
correspond à une desquamation cutanée profonde
ioniques,
laissant voir des tissus musculaires mortifiés,
- une antibiothérapie adaptée aux germes isolés
• une nécrose des bourses avec desquamation cutanée,
et
identifiés
sur
le
prélèvement
obtenu
par
œdème et aspect violacé de celles-ci.
écouvillon nage du cratère observé au milieu des
zones de nécrose (il s'agit du Klebsiella pneumoniae
et du Staphylococcus auréus).
Au gème jour post-opératoire, le tableau clinique
est celui d'une hépato-néphrite avec une jaunisse
cutanéo-muqueuse accompagnée d'une altération de
la conscience du patient. Un coma profond s'installe
au 1Oèmejour post-opératoire avec la survenue d'une
détresse respiratoire qui motive une intubation oro-
trachéale et mise sous ventilation mécanique sous le
mode contrôle (Fi0 = 70% VT = SOOml FR =lScycles
2
.J'.
/minute).
Cuus« dm IQ· ;
~~..
~~~~~~~.,.;
Au 13èmepost-opératoire, le patient décède à la suite
Au Sème jour post-opératoire l'extension des lésions
d'un arrêt cardio-respiratoire.
des parties molles s'accentue et il apparaît à la face
postéro-supérieure de la cuisse droite:
Il. COMMENTAIRES
• une large zone bleue pâle (hautement évocatrice
L'analyse de cette
observation médicale, -qui
de meurtrissures cutanées) qui entoure une plaque
constitue un cas rare et grave de rhabdomyolyse
blanc-verdâtre
de
tissu
musculaire
nécrotique
sévère-, soulève un certain nombre d'interrogations
et sphacélé dans le prolongement de la nécrose
dont les essais de réponse offrent l'opportunité de
tissulaire vue en situation médiale.
rappeler les règles intangibles de l'utilisation d'un
garrot. En effet il faut discuter devant ce tableau:
Au 6èmejour post-opératoire des lambeaux de peau
et de muscles détachables par excision sont observés
o de
l'indication de l'usage d'un garrot chez ce
dans la partie externe du placard de nécrose .tissulaire
patient
et vers le scrotum qui reste violacé et infarci.
Il s'agit d'un blessé de 65 ans, éthylique, hyper-
tendu chez qui l'exclusion de l'irrigation sanguine
d'une importante masse musculaire peut rapidement
avoir des effets délétères sur l'état général du sujet
déjà en per-opératoire. Sur le plan
général, le
refoulement du sang d'un membre pelvien vers
les régions supérieures du corps peut constituer
une surcharge pour le cœur. Au plan loco-régional:
l'âge du patient, la notion d'éthylisme sont des
facteurs prédisposant à des lésions athéromateuses
qui potentialisent négativement l'usage du garrot.
TUBIANA [2], puis R. HSSAIDA et Coll [3] insistent sur
l'obligation de déterminer la pression d'occlusion
avant la pose d'un garrot. Cette pression d'occlusion se
mesure surtout au Doppler, à l'oxymètre de pouls et de
façon aléatoire à la palpation. C'est qu'un tel patient a
Devant
ce
tableau
plus
que
manifeste
de
besoin d'une étude de son état hémodynamique avant
rhadomyolyse massive à partir de la cuisse droite, on
toute décision de pose de garrot.
instaure:
Rev. CAMES - Série A, Vol. 05,2007
99

Sciences et Médecine
• de la durée du garrot
• de l'absence de recours ou du retard à recourir
Le garrot a été posé pendant 2 heures 29
à l'hémodialyse
minutes, ce qui représente un sérieux dépassement
Le recours à l'épuration extra-rénale en urgence du
du délai recommandé. Les travaux de TUBIANA [2]
sang aurait-elle été d'une utilité et à quel moment de
confirment qu'une compression de 2 heures engendre
l'évolution clinique? WARD M. [6] souligne avec force
inéluctablement une ischémie musculaire. PERROT D.,
que la survenue d'une insuffisance rénaleaigueau cours
MOTII'J J.[4] indiquent qu'une compression de membre
des rhabdomyolyses diminue la survie des malades.
de durée inférieure à une heure peut provoquer des
Mais on peut faire observer qu'une hémodialyse
traces de myoglobine dans le sang lors des anesthésies
entreprise dès les premières heures qui ont suivi
loco-régionales sous garrot chez certains malades.
l'acte opératoire aurait permis de corriger les troubles
Dans notre cas clinique, l'étendue des lésions cutanéo-
ioniques et métaboliques. Or les auteurs admettent
musculaires et leur nature nécrotique témoignent de
que le diagnostic du syndrome de Bywaters a erré
la mortification de ces tissus par défaut d'irrigation
pendant 24 à 48 heures. En effet l'émission d'urines
vasculaire pendant un si long moment sans négliger
pâteuses de couleur rouge-brune (prise à tort pour
la part prise par le syndrome d'ischémie-reperfusion.
des urines fécaloïdes) a fait penser à une fistuleentéro-
En effet ODEH M. [5] affirme que la reperfusion ne
vésicale. L'apparition pour compter du 4ème jour post-
provoque pas seulement le passage du contenu
opératoire des lésions étendues musculo-cutanées
cellulaire
dans la circulation
sanguine, elle est
avec des zones de sphacèle d'évolution fulgurante
susceptible aussi d'augmenter l'étendue de la nécrose
confirme le processus de décollement-déchirement
tissulaire.
de vastes masses
musculaires
associées
à
une
meurtrissure des bourses contre-indique le recours à
• de la gravité précoce des troubles ioniques et
l'hémodialyse.
métaboliques
L'analyse du tableau récapitulatif des examens
CONCLUSION
paracliniques montre qu'en post-opératoire immé-
Le Crush syndrome appelé aussi syndrome de
diat le malade a eu des troubles ioniques à type
Bywaters qui
se rencontre
essentiellement
lors
d'hyponatrémie, d'hypochlorémie, d'hyperkaliémie,
des accidents avec écrasement de grandes masses
d'hypocalcémie et d'une anémie sévère non prises
musculaires vient de s'observer lors de l'exécution
en charge pendant les premières 24 à 48 heures post-
d'un acte opératoire en traumatologie. Ce crush
opératoires. Le transfert dans le service de soins inten-
syndrome iatrogène doit être l'occasion de rappeler
sifsa permis de normaliser la natrémie et la kaliémie en
aux chirurgiens des services de traumatologie les
moins de 72 heures mais l'hypocalcémie, l'anémie et
règles absolues de l'utilisation du garrot pneuma-
surtout l'insuffisance rénale se sont aggravées.
tique.
Tableau récapitulatif des examens du patient
R~F~RENCES
Dates
07/01
11101
12/01
14/01
15/01
18/01
21/01
22/01
Analyses
1. TETE C.S.A. Crush-syndrome
iatrogène (à
propos d'un cas).Thèse de Médecine n° 1322
Glycémie (g/l)
(2906).Cotonou.
1,10
1,09
0,93
2. TUBIANA R. L'usagedu garrot au niveau des
Azotémie (g/l)
l,53
1,56
2,06
1,20
1,66
1,70
. membres, sesdangers et leur prévention. Rev .
Chir.Orthop; 1973; 59: 239- 245.
Créatininémie (mgll)
38
46
44
54
55
35
3. HSSAIDA
R et
Coll. Prise en charge des
Protidémie (g/l)
58
rhabdomyolyses traumatiques. A propos de 3
cas.Mag Med., 1999 ; 336: 36 -38
Natrémie (meqll)
133
126
130
130
132
131
140
144
4. PERROT
D.,
MOTIN J. Rhabdomyolyses
Kaliémie (meq/l)
2,9
3,9
5,6
5,4
4,1
3,6
2,0
2,1
traumatiques
et non
traumatiques.
EMC,
Anesth-réanim., 1985; 36918 Al 0,6, 10p
Chlorémie (meq/l)
98
87
89
92
89
94
97
. 5. ODEH
M. The role of reperfusion-induced
Calcémie (mgll)
injury in the pathogenesis of the crush
73
65
63
60
syndrome. N. Engl. J. Med., 1991 ; 324 : 1417
-1422
TGO (UI/L)
637
272
6. WARD M. M. Factorspredictive of acute renal
TGP (UI/L)
116
89
failure in rhabdomyolysis. Arch. Intern. Med.,
1988; 148: 1533 -1557
Hémoglobine(g/dl)
6,6
5,2
3,3
7. BYWATERS EGL.,BEALL D.Crush injuries with
Hématocrite (%)
19
15,8
10
impairment of renal function.
100
Rev. CAMES - Série A, Vol. 05,2007